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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 95

  • CHRONIQUES DE POURPRE : KR'TNT ! 415 : PAUL WHALEY ( + BLUE CHEER ) / HAL BLAINE ( + WRECKING CREW ) / CRASHBIRDS / HITCH & GO / CHUMP / WISEGUYZ

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 415

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    18 / 04 / 2019

     

    PAUL WHALEY ( + BLUE CHEER )

    HAL BLAINE ( + WRECKING CREW )

    CRASHBIRDS / HITCH & GO / CHUMP

    WISE GUIZ

     

    Whaley s’en est allé

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    Bon, on savait que Blue Cheer était off depuis la disparition de Dickie Peterson en 2009, mais la disparition récente de Paul Whaley semble enfoncer encore un clou dans le cercueil de Blue Cheer. Comme tant d’autres groupes décimés par les rigueurs de la fatalité, Blue Cheer appartient désormais à l’histoire. Pourtant, leurs albums restent terriblement vivants. Rappelons que Blue Cheer est à l’origine de ce qu’il est convenu d’appeler le heavy rock. Avec Motörhead et les Who, ils furent the loudest band on earth. Derrière Dickie Peterson et Leigh Stephens, Paul Whaley martelait le beat comme une machine à vapeur. Dickie Peterson ne voulait pas d’autre batteur derrière lui.

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    Paru en 1968, Vincebus Eruptum reste pour beaucoup d’oreilles l’épitome de chèvre du heavy sound. «Summertime Blues» donne bien le ton, joué à la saturatus maximalus. Paul Whaley est complètement noyé dans le mix que dévore l’ancien roi du feedback, Leigh Stephens. Ils enchaînent avec une version encore plus heavy de «Rock Me Babe». La voix de Dickie Peterson est encore un peu verte et ce diable de Leigh Stephens joue comme une brute. Il devint à l’époque une sorte de héros et cet album reste le modèle absolu du trash-boom. «Doctor Please» sonne comme une longue tartine de heavy rock exacerbé, avec un Leigh Stephens qui tente l’échappée belle, mais il tourne en rond dans ses gammes. Ils étaient alors très courageux de tenter le diable à trois. Paul Whaley tape tout seul dans son coin et martyrise ses cymbales. Ils sont marrants, car ils essaient de faire un cut avec rien. C’est l’apanage des big jammers californiens. Sur cet album infernal, tout est dédié aux dieux de la saturation. Ils repartent de plus belle en B avec le bien nommé «Out Of Focus». Leigh Stephens ne joue qu’en ultra-saturation et loin là-bas, au fond, Paul Whaley bat lourd. Et même très lourd. Ils font une version déchirante de «Parchman Farm», mais à leurs conditions, en roue libre saturnale et au doom de heavy beat. Voilà le vrai hit de l’album : «Second Time Around», véritable coup de génie riffique. La plongée dans le couplet est un modèle du genre, c’est riffé à la vie à la mort, listen here babe ! Ils redémarrent leur bash-boom par trois fois avec une violence égale. C’est là que se niche de génie sonique de Blue Cheer. Mais cet abruti de Paul Whaley vient ruiner le cut avec un solo de batterie.

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    Sur leur deuxième album Outsideinside paru la même année se nichent deux nouvelles énormités : «Gypsy Ball» et «Babylon». Ils appliquent leur empreinte sur le museau du rock. On voit Leigh Stephens prendre son élan dans le gras double. Ils jouent leur Babylon au pire doom du heavy blues. Ils tapent aussi un instro épouvantablement sauvage, «Magnolia Caboose Babyfinger», qui pourrait rappeler le son de Bloomy dans le Paul Butterfield Blues Band. C’est la même niaque de swing. Ils jouent leur «Sun Cycle» avec des semelles de plomb et reviennent au beat dévastateur avec «Just A Little Beat». Paul Whaley s’y démultiplie à l’infini. C’est là que Blue Cheer crée sa légende. Avec «Come And Get It», on les voit bourrer leur dinde de son et c’est la raison pour laquelle on les admire. C’est bourré à craquer de son, ils réinventent Gargantua avec du sonic blast. Cheer-moi ça, baby ! Alors évidemment, un cut comme «The Hunter» leur va comme un gant. D’autant que Paul Whaley le sur-joue - Ain’t no use to hide.

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    Et puis les choses vont commencer à se détériorer avec New Improved Blue Cheer paru l’année suivante. Leigh Stephens quitte le groupe et Dickie Perterson engage des remplaçants, notamment Bruce Stephens qui joue un peu de guitare jazzy dans l’esprit de Love. On l’entend faire des siennes dans «When It All Gets Old», mais il faut imaginer la gueule des fans de Blue Cheer à l’époque. Arrrgh ! Quelle horrible déception ! L’A est un conglomérat de petits cuts allègres et adroitement bricolés et ça se termine par un heavy clin d’œil à Dylan avec «It Takes A Lot To Laugh» : du grand Dickie Peterson. C’est le seul lien avec le Blue Cheer d’avant. L’album est même coupé en deux, car Blue Cheer redevient un trio avec Randy Holden qui joue sur la B, mais il a du mal à décoller : trop d’arpèges. Si la face Randy Holden était bonne, ça se saurait. Il tente de sauver l’album avec «Fruit & Iceburgs» en passant un gros solo âpre et dentu. Il joue des descentes de gammes avantageuses et bénéficie du beau beat de Paul Whaley. Mais bon, quelle blague.

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    Blue Cheer va encore enregistrer trois albums sur Philips, mais sans Paul Whaley. Dickie Peterson tente de sauver la légende, mais c’est très difficile, car les albums ne sont pas renversants. Ils font partie de ceux dont on se séparait dans les années soixante-dix, et qu’on rachetait vingt ans plus tard sur la seule foi du nom, en se disant ‘peut-être les avait-on mal écoutés à l’époque’, alors on les réécoute en espérant y trouver du Blue Cheer, mais non, c’est autre chose. L’album Blue Cheer paru en 1970 est un album de rock américain assez banal, comme si Blue Cheer était devenu un groupe gentil et bien élevé. On y retrouve Bruce Stephens au chant. Les grooves sont extrêmement bien sonorisés. On pourrait même parler d’un album classique mais dense. «Ain’t That The Way» sort du lot par sa puissance. On a là le son des seventies qui fait tellement baver les gens aujourd’hui. On sent que cette nouvelle mouture de Blue Cheer ne veut pas se risquer à réinventer le fil à couper le beurre. Quand ils poppisent à l’anglaise avec «Lovin’ You’s Easy», ils savent rester élégants. Ils terminent cet album mi-figue mi-raisin avec un vieux coup de Stonesy intitulé «The Same Old Story». Ils sont dessus, avec tout le swagger de rigueur.

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    La même année paraît The Original Human Being. Paul Whaley ne joue pas non plus sur celui-ci, et il a raison, car ce n’est pas fameux. Ça démarre avec un «Good Times Are So Hard To Find» monté sur le riff d’I’m A Man, avec le petit shuffle d’orgue par derrière. Le pauvre Dickie se retrouve tout seul avec Ralph Kellog et Norman Mayell, rescapés de l’album précédent, plus Gary Yoder. On sent nettement au fil de cuts une grande faiblesse compositale. Ils n’ont plus de Blue Cheer que le nom. Plus aucune trace de la rémona. Ils font même du folk radio-friendly de coin du feu avec «Tears In My Bed». On les voit tenter de remonter la pente avec «Man On The Run», mais ça peine dans la côte, mâchin, comme dirait un Suisse. Ils moulent le grain avec une grande pénibilité. On sent qu’ils dilapident leur identité et qu’ils ne savent plus à quel saint se vouer. Ils jouent le rock par hasard et sans conviction. C’est presque un album grec tellement il est tragique.

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    Dernier épisode Philips avec Oh Pleasant Hope en 1971. On retrouve la même équipe et un beau cut de bassmatic, «Money Troubles». Ils jouent ça en mode groovy softy élastique assez inspiré. On est ici dans le haut de gamme d’un son de studio avec un bassmatic de rêve. L’album se veut résolument pop-rock. On sent que Dickie Peterson subit des pressions pour devenir plus commercial. «Believer» se veut assez ambitieux. Ils sonnent comme tous les grands groupes américains des early seventies, avec ce côté Spirit dans le son. Avec le morceau titre qui ouvre le bal funeste de la B, ils sonnent carrément comme les Eagles, c’est dire le côté dramatique de cette aventure. Ils jouent «I’m the Light» le cul entre deux chaises, entre Spirit et un son plus anglais. Dickie chante comme Jay Ferguson et le cut sonne comme de l’élégiaque britannique. Mais ils sont tellement déterminés à vaincre qu’ils forcent l’admiration. Avec «Ecological Blues», ils repompent le «Going Up To The Country» de Canned Heat. La pop-rock bien fouettée et admirablement bien enlevée de «Lester The Molester» passe comme une lettre à la poste. C’est gorgé de musicalité et le beau bassmatic vole par dessus les toits. Ils terminent avec un «Heart Full Of Soul» plus musclé, et monté sur un bassmatic plus r’n’b. Dickie Peterson semble vouloir enfin se fâcher. Bon ce n’est pas le Heart Full Of Soul des Yardbirds, on a là une compo de Dickie et sans doute le cut le plus rocky de cet album relativement sympathique.

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    Après quinze ans de silence, Blue Cheer refait surface avec The Beast Is Back. Dickie Peterson et Paul Whaley s’acoquinent avec Tony Rainier, le mec qu’on retrouve aussi dans l’album 7, c’est-à-dire le septième album prévu sur Philips mais qui n’est pas sorti à l’époque, pour cause de fin de contrat. Avec The Beast Is Back, Blue Cheer remet enfin les pendules à l’heure. Ça commence d’ailleurs par la pochette, bien rouge, avec la main du diable qui caresse les fesses d’une belle gonzesse. Et au dos, le groupe remercie tous ceux qui ont gardé les roots alive, à commencer par Led Zep et Sabbath. Pour bien enfoncer le clou du retour, ils tapent bien sûr dans les vieux coucous comme «Summertime Blues». Le vieux Dickie n’en démord pas. Tony Rainier a un son un plus hard que celui de Leigh Stephens et ça gêne un peu. En B, ils vont aussi retaper dans «Babylon» et dans «Parchman Farm», mais leur version n’est pas aussi explosive que celle de Cactus. Elle est plus grasse, avec du mal à se déplacer. Ils jouent bien la carte de la désespérance, car c’est le thème du cut. Ils en font une version à rallonges, mais bon, ça passe, parce qu’on est tous contents de les revoir. Ils tapent aussi dans le vieux «Out Of Focus». Ils excellent dans la heavyness et c’est là qu’on les attend. Régal assuré, car ce diable de Tony Rainier joue son blasting à la mélasse suprême. Joli slab de heavyness aussi que ce «Ride With Me» que Paul Whaley bat comme plâtre. Et sur «Girl Next Door» qui sonne comme Parchman Farm, Tony Rainier joue sa cocotte perfide à l’excellence. Ils embarquent «Heart Of The City» au walking riff. Dickie Peterson n’en finit plus de rameuter ses vieux pouvoirs des ténèbres, il chante au guttural enflammé et derrière, ça power-triorise comme pas deux. Le heavy sound reste bel et bien l’apanage de ce cher Blue Cheer. Red hot !

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    Cinq ans plus tard, Dickie et Paul Whaley engagent le guitariste Andrew Duck MacDonald pour enregistrer Highlights And Lowlives. Mais Duck sort un son trop hardos, comme on dit dans les salons. Avec «Hunter Of Love», ils virent carrément arena rock. Ils s’enfoncent dans du heavy sound à la Endino et ça ne marche pas. Il faut entendre Dickie chanter «Big Trouble In Paradise» à la grande gueule en B. Il veut en découdre, mais c’est sans espoir. Il faut attendre «Hoochie Coochie Man» pour retrouver un peu de Cheery blast. Ça part bien heavy avec un Dickie qui lance un Oh yeah d’approbation sur les premières mesures. Cette version sauve l’album. Duck MacDonald sonne comme Jimmy Page dans son solo.

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    Oh il existe un autre album de Blue Cheer avec Duck MacDonald, mais sans Paul Whaley : Blitzkrieg Over Nuremberg. C’est un live bien dense, avec un nommé Dave Salce qui remplace Paul Whaley. On retrouve l’excellent «Ride With Me» - This is a song about motorcycles - Dickie va chercher la même fournaise que celle de Lemmy. Blue Cheer et Motörhead, même combat, même sens de l’inflammatoire, même science du power trio. Duck MacDonald joue bien son solo à l’horizontale traversière, c’est excellent et ça se situe dans l’esprit de destruction massive de Fast Eddie. Ils tapent aussi une version explosive de «Summertime Blues». Ils jouent à l’extrême cavalcade incendiée à tous les coins de rue. Ils outrepassent Leigh Stephens et Paul Whaley, ils jouent au pouvoir supérieur. On peut aussi se prosterner devant «Just A Little Bit». Dickie Peterson semble détenir tous les pouvoirs. Blue Cheer redevient l’exacte incarnation du power suprême. Ils démarrent l’A avec un medley «Babylon/Girl Next Door». Dickie peut beugler ses babeh ! Ils replongent dans le rock en fusion et leur Girl Next Door sent bon la patate chaude de Parchman Farm - I’m here for the rest of my life - La B est complètement apocalyptique. Ils plongent «Out Of Focus» dans les abîmes, Dickie rallume tous les brasiers séculaires et ce démon de Duck MacDonald s’en donne à cœur joie. Ils replongent de plus belle dans l’apanage du heavy blues avec «Doctor Please» - Another drug song - MacDonald passe par des phases classiques grandioses, il sonne comme le Bela Bartok du heavy blues, il joue des ponts prodigieux et rétablit la grandeur du genre, il étend l’empire de Blue Cheer jusqu’aux confins du monde libre. Avec «The Hunter», Blue Cheer fait un retour spectaculaire aux apanages fondamentaux du rock moderne. C’est le heavy tempo du Hunter, tel que défini en son temps par Big Albert, puis par Paul Kossof dans Free et ce diable de MacDonald n’en finit plus d’élever considérablement le niveau du débat. Cet album inespéré s’achève avec une version un peu molle de «Red House». Dommage. Ils perdent la dynamique de la version originale. Ça reste du big heavy blues ultra-joué, bien sûr et sur le final, le vieux Dickie s’explose bien le gosier. Ah l’animal !

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    Changement de guitariste pour Dining With The Sharks. Il s’appelle Dieter Saller et sonne un brin heavy. On sent qu’on atteint les limites du genre avec «Big Noise». Derrière on entend le pilon de Paul Whaley. Il ne mégote pas sur le heavy pounding. On les sent tous les trois dans la fleur de l’âge. Avec «Outrider», Dieter Saller amène un son très anglais et Blue Cheer perd de son ostracisme heavily californien. Dickie chante son ass off, il hurle comme un désespéré, il hurle d’autant plus que Paul Whaley se met à frapper comme Mikkey Dee, le dernier batteur de Motörhead. On voit Dickie revenir au stuff coercitif avec «Sweet Child Of The Reeperbahn». Il chante à la glotte vive et montre bien qu’il adore le heavy groove. Et quand on entend «Audio Whore» en B, on comprend bien que ces trois mecs ne s’embarrassent pas de petits détails. On les sent encore plus déterminés à vaincre avec «Cut The Costs». Le son est âpre, très type hard-rock anglais des années 80, le fameux NWOBHM machin, une calamité. Et comme on le voit avec «Sex Soldier», Blue Cheer est un groupe qui meurt mais ne se rend pas. On a là du beau Blue Cheer vaillant sur la brèche, avec un Saller bavard comme une pie. Ils bouclent avec «Pull The Trigger» et réveillent du même coup les démons de Summertime Blues. La grosse attaque est calquées sur le riff d’Eddie, avec derrière le pilon de Paul Whaley. Ah on peut dire qu’il en aura pilonné des albums dans sa vie, le vieux Paul. Saller fait une belle descente aux enfers sur son manche. Dommage qu’il ait ces réflexes de hardos anglais. Berk.

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    Paru sur un label japonais en 1999, Hello Tokyo Bye Bye Osaka annonce la résurrection de la Bête. Si on ne sait pas ce que heavy signifie, alors il faut écouter le «Babylon» qui ouvre le bal. Sur cet album singulièrement ravageur, on a des morceaux de quatre minutes qui prennent leur envol comme des prédateurs d’acier noir dans un ciel embrasé. Blue Cheer inspire une sorte de terreur sacrée. Ce n’est pas un groupe qu’on admire, oh que non ! C’est un groupe devant lequel on s’agenouille et qu’on vénère en tremblant. Hormis Monster Magnet, aujourd’hui aucun groupe ne sonne comme Blue Cheer. Sur «The Hunter», la guitare d’Andrew Duck MacDonald et la basse de Dickie Peterson sont en saturation maximale, bien au-delà des normes autorisées. Dickie Peterson mitraille à coups de basse comme s’il était un fantassin de la Wermarcht acculé aux murailles de Stalingrad par une division de mongols cannibales. Ça devient hallucinant de violence carnassière. On pourrait même pousser des aaahhhh ! et des uuuhhhh ! face à une telle démesure frénétique. Il faut avoir entendu un morceau comme «Girl Next Door» une fois dans sa vie pour comprendre ce que peut vouloir dire Richard Burton quand il évoque le musc nacré de l’Islam. C’est vrai que Peterson chante souvent en hurlant, comme si ses nerfs lâchaient, mais comment peut-il faire autrement ? Franchement, c’est impossible. S’il hurle, c’est qu’il en a besoin. Blue Cheer déverse ses tonnes de décibels sur la gueule des Japonais. C’en est presque comique ! Le solo de MacDonald se répand comme de l’or liquide dans un vacarme assourdissant. Blue Cheer se situe au-dessus des lois. La guitare traîne en larsen sur les tap-tap de Paul Whaley et le gros riff de «Summertime Blues» vient tout écrabouiller. Aucun groupe n’a un son aussi atomique, au sens du bombing. C’est tellement ravageur que ça en devient ubuesque. «Ankya very much !» Bon prince noir des galaxies acides, Dickie Peterson salue une audience japonaise complètement tétanisée. «Out Of Focus» ! C’est encore plus épais, plus pesant que tout ce qu’on pourra imaginer. Plus sauvagement sombre, plus dramatiquement abyssal, plus génialement plombé que toutes les énormités du Vanilla Fudge.

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    Paru en 2007, What Doesn’t Kill You est un double album live sur lequel joue encore Andrew Duck MacDonald. Les power dudes sont alive and well, même si on les voit sous forme de squelettes sur la pochette. Dans «Piece O’ The Pie», Duck MacDonald sonne quasi-hendrixien, au sens de «Cry Of Love». Ce joli son de Strato perce l’air liquide. Ils enchaînent avec une version torride de «Born Under A Bad Sign». Bel hommage à Big Albert. C’est un rêve de son come true. Ah comme on se régale de leur conjonction. Duck reste très Cry Of Love, il fait son beautiful freak, très lyrique et ramène du charme dans ce monde de brutes qu’est Blue Cheer. On retrouve cette belle hendrixité en B sur «I Don’t Know About You». Magnifique élongation du domaine de la lutte Cheery. Mais c’est avec «I’m Gonna Get To You» qu’ils font le mieux leur boulot. On les sent résolus. Duck MacDonald voyage en vol plané, il semble même parfois se forer un tunnel sous le Mont Blanc, mais il le fait avec tout le velouté hendrixien. Son de rêve. En C, ils retapissent un «Just A Little Bit» hendrixifié dans l’essence de la pertinence. Dickie chante avec une fermeté qui pourrait passer pour de la mauvaiseté intentionnelle. Ses waouhh valent le détour. Ils terminent avec un «No Relief» qui honore la tradition du heavy blues de type call me a doctor. Et pour la D, on devra se sucer l’os du genou, car elle n’existe pas.

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    Et puis voilà que le fameux Blue Cheer 7 refait surface en 2012. Pour le choper, pas d’autre solution que de le commander chez Bomp, comme au bon vieux temps. C’est un petit label texan nommé ShroomAngel qui s’est chargé de la réédition, et les liner notes sont signées Eric Albronda, premier batteur du groupe devenu par la suite leur producteur. En 1978, Blue Cheer n’existait plus. Après six albums, Mercury-Philips avait lâché le groupe. Mais rien ne pouvait arrêter Dickie. Il voulait redémarrer Blue Cheer coûte que coûte. Il le fit avec le guitariste Tony Rainier et un batteur nommé Michael Fleck. Dickie décida de repartir sur la voie du premier album et de revenir aux sources : le heavy blues. Ils ouvrent le bal des vampires avec une nouvelle version ultra-dynamique de «Summertime Blues». C’est même une version admirable d’exaltation jouissive, une réactualisation du Blue blast. On entend ensuite de diable de Tony Rainier sur-jouer «Route 66». S’ensuit un joli shoot de heavy blues avec «Take Me Away» : cuissot de heavy bien gras, comme on les aime. Dans «I Want You Once Again», Tony Rainier coule de source sur sa guitare. Les gammes élancées ruissellent et Dickie joue comme Noel Redding. Il n’a pas le choix. C’est tout de même incroyable que cet album ne soit pas sorti à l’époque. Il saluait le grand retour de Blue Cheer. La B réserve son lot de belles surprises. Après une version outrancièrement psychédélique de «Out Of Focus», on tombe sur «Starlight», une petite pop-song montée sur un gros drive de basse. Joli coup. Fantastique énergie. Tony Rainier fait du Leigh Stephens en plus acerbe. Une autre surprise arrive à la suite avec «Child Of Darkness», une superbe pièce de pop psyché jouée en cocotte et agrémentée de ponts superbes, comme le jardin de Claude Monet à Giverny. La surprise est de taille car on ne s’attend pas du tout à trouver des morceaux de cette qualité sur un album de Blue Cheer. Non pas qu’il faille les considérer comme des bas du front, mais leur fonds de commerce, ce serait plutôt l’assommoir. Qu’on se rassure : ils ramènent la grosse Bertha pour «Blues Cadillac». Tout le son est là. Dickie n’en démordra jamais, même enterré six pieds sous terre.

    Signé : Cazengler, Blue Chiure

    Paul Whaley. Disparu le 28 janvier 2019

    Blue Cheer. Vincebus Eruptum. Philips 1968

    Blue Cheer. Outsideinside. Philips 1968

    Blue Cheer. New Improved Blue Cheer. Philips 1969

    Blue Cheer. Blue Cheer. Philips 1970

    Blue Cheer. The Original Human Being. Philips 1970

    Blue Cheer. Oh Pleasant Hope. Philips 1971

    Blue Cheer. The Beast Is Back. Megaforce Records 1985

    Blue Cheer. Blitzkrieg Over Nuremberg. Thunderbolt 1989

    Blue Cheer. Highlights And Lowlives. Thunderbolt 1990

    Blue Cheer. Dining With The Sharks. Nimbelung Records 1991

    Blue Cheer. Hello Tokyo Bye Bye Osaka. Captain Trip Records 1999

    Blue Cheer. What Doesn’t Kill You. Rainman 2007

    Blue Cheer. 7. ShroomAngle Records 2012

     

    Waterloo ! Morne Blaine

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    Hal Blaine devait bien se douter que ça finirait mal. On ne peut pas rester indéfiniment vivant et couvert de gloire, ovationné par tous les batteurs de la terre. Comme Napoléon avant lui, Hal Blaine vient de voir son empire s’écrouler. Hop, à dégager, avec la pipe en bois et les baguettes fétiches. Mais bon, il aura bien vécu. C’est même assez miraculeux, vu le contexte de ses origines.

     

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    Il en parle très bien sans son autobio, Hal Blaine & The Wrecking Crew. The Story Of The World’s Most Recorded Musicians. Ses parents juifs polonais avaient en effet échappé de peu aux sabres des Cosaques. Ça date du temps des pogroms. Le jeu favori des Russes consistait alors à entrer dans les villages juifs pour y détruire la population. Ça ne suffisait pas d’échapper à la mort, il fallut aussi échapper à la misère. Les juifs rescapés qui débarquaient en Amérique n’étaient pas tous des banquiers, loin de là. Les immigrants s’appuyaient sur des réseaux qui leur trouvaient du travail, mais c’était donnant donnant : «Je t’aide en te trouvant un taudis pour y caser ta famille, mais tu travailles pour moi.» Ça commence généralement par un stage interminable dans l’une des cités ouvrières du Nord des États-Unis, où les conditions de vie sont aussi terribles qu’en Europe, froid, gla-gla, caca dans la cour, pas d’argent, une patate au repas et à huit dans une pièce unique. Mais sans les Cosaques. Les misérables parents d’Hal finiront par venir s’installer en Californie, et c’est là qu’ils commenceront à profiter un tout petit peu de la vie. Comme disait le grand Charles, la misère est moins pénible sous le soleil exactement.

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    ( Earl Palmer )

    Pour situer les choses, Hal Blaine commence à écumer la scène californienne dans les années cinquante. La première grande rencontre qu’il évoque est celle d’Earl Palmer. Après avoir battu le beurre pour Fatsy à la Nouvelle Orleans, l’Earl vient s’installer en Californie. Il est alors le batteur le plus demandé et Hal apprend énormément de lui - Earl was the King of the Mountain - Puis Hal se retrouve embringué dans le fameux Wrecking Crew et entame son chapitre Phil Spector. On est aux premières loges. Hal explique que Phil adore le chaos - Phil’s sessions maintained a state of barely controlled chaos - Hal compare même Phil à Leonard Bernstein dirigeant le New York Philharmonic. C’est là qu’Hal invente les quarter-note triplets played against the band, c’est-à-dire les triolets de quart de note. Pour fabriquer son légendaire Wall of Sound, Spector rassemblait une grosse équipe : Carol Kaye et Ray Pohlman aux Fender basses, Jimmy Bond et Lyle Ritz aux stand-up, cinq guitaristes (Tommy Tedesco, Barney Kessel, Howard Roberts, Glen Campbell et Bill Pittman), cinq pianistes (Don Randi, Leon Russell, Larry Knechtel, Michael Molvoin et Al Delory), des percussionnistes et de cuivres. Jack Nitzsche écrivait les arrangements et Hal battait le beurre sur tous les hits de Phil, sauf «You’ve Lost That Loving Feeling», que bat Earl Palmer.

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    Et si cet orchestre hétéroclite s’appelle the Wrecking Crew c’est parce qu’à la différence des autres musiciens de studio costumés et cravaté, ceux qui travaillent pour Phil portent des T-shirts et des Levis. D’où le côté zone - Informal and spontaneous - Hal fait un bel éloge de Glen Campbell, un hillbilly originaire de l’Arkansas who took Hollywood by storm. Selon Hal, Campbell shootait du country-style electric guitar in the rock music. Bel hommage aussi à Leon Russell, another hillbilly-type from Tulsa, Oklahoma. Au début, Tonton Leon était tout maigre, avec des cheveux courts. Mais quand il s’asseyait au piano, he turned the record business upside down. Tous les producteurs le réclamaient. Pour Hal, ce sont des mecs comme Glen Campbell et Tonton Leon qui amenaient un key element to our hit record formula.

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    ( Session Good Vibrations )

    Avec le chapitre suivant, Hal évoque les Sinatra, le père et la fille pour lesquels il bat aussi le beurre. Puis ce sont les Beach Boys, et là, c’est plus délicat, car il doit battre à la place de Dennis Wilson qui ne lui en veut même pas. C’est Hal qu’on entend sur «Good Vibrations» - Which took many, many sessions with many segments recorded and rerecorded - Hal traite Brian de perfectionniste : il voulait à la fois la spontanéité et la perfection. Difficile ! Pour Hal, c’est un rude apprentissage. Mais en entendant le résultat à la radio, il comprend que la combinaison du génie visionnaire de Brian et des interminables sessions d’enregistrement - the painstaking work on the songs - hisse le rock à un autre niveau. Heureusement, Hal et Dennis Wilson sont très potes. Dennis préfère aller faire le con sur la plage avec les filles plutôt que de rester enfermé en studio. Il s’en fout, du moment que l’argent coule à flots et qu’il peut s’acheter des bagnoles, des bateaux et des motos. Mais avec le temps, Dennis va s’investir beaucoup plus dans le son des Beach Boys, notamment à l’époque du Brother Studio. Il demandera même à Hal de venir battre le beurre sur son fameux album solo, le mirifique Pacific Ocean Blue. Hal ajoute que Dennis était encore meilleur au piano qu’à la batterie. Ça on le savait. Il suffisait d’écouter l’album.

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    Ce veinard d’Hal bosse aussi avec Jan &Dean, le duo tragique de l’El Dorado californien. À l’époque, Jan Berry étudie encore la médecine et Dean Torrence l’architecture. Pour Hal, ces deux-là incarnaient the California Dream : sports cars, blond hair, tall and muscular builds, the epitome of the young surfer image. Les deux caractères sont très différents, voire opposés : Jan Berry est une cale carne et Dean Torrence un mec gentil. Hal voit même un halo flotter au dessus de la tête de Dean. Hal parle de Jan en termes de devilish manner. Pour la première fois, Hal accepte de partir en tournée pour les accompagner. C’est l’âge d’or de Jan & Dean. Aux États-Unis, ce sont des mégastars. Quand ils doivent aller en studio pour enregistrer un nouvel album, c’est Jan qui passe un coup de fil à Hal pour lui demander de rassembler le Wrecking Crew. Et c’est là pour la première fois qu’Hal joue en double avec Earl Palmer. The double drums est une idée de Jan. Et puis patatrac, c’est l’épisode fatidique du Dead Man Curve : à la suite d’un accident de voiture, Jan survit miraculeusement. Il est allé s’encastrer sous un camion, au volant de sa Corvette Stingray. Même genre d’accident que celui de Duane Allman à Macon, qui alla lui aussi s’encastrer avec sa Harley sous un camion. Jan a le crâne ouvert et la cervelle qui coule quand les flics le trouvent. Ils le considèrent comme mort. Jan doit subir une opération au cerveau. Il va mettre deux ans à se rétablir et reviendra en studio en 1968 finir d’enregistrer le mythique Carnival Of Sounds - But the days of superstardom were gone - L’album ne paraîtra qu’en 2010. Avec celle de Badfinger, c’est l’une des histoires les plus tragiques du rock’n’roll circus.

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    Et pouf, Hal passe directement aux Monkees, qu’il qualifie de typical products of the times : young, vibrant, long-haired, cute and funny as hell. Évidemment, c’est le Wreking Crew qui joue sur les deux premiers albums et sur tous les hits des Monkees, mais ça on le savait depuis la conférence de presse qu’organisa Michael Nesmith pour dénoncer cette arnaque. Hal monte encore d’un cran dans le super-system hollywoodien avec Jimmy Webb. Ça va loin car Hal compare Jimmy Webb à Cole Porter et aux Gershwins, alors qu’il n’a encore que 17 ans. Mais il devient vite la poule aux œufs d’or d’Hollywood. Jimmy Webb gagne tellement de blé qu’il s’offre l’ancienne résidence du consul des Philippines, sur les hauteurs d’Hollywood, pas très loin de chez Hal, qui n’en revient pas de voir un morpion aussi jeune réussir. Chez Jimmy Webb, le téléphone sonne sans arrêt : ils veulent tous leur œuf en or, Frank Sinatra, Barbra Streisand, tous. Jimmy Webb envoie Hal à Londres pour travailler avec Richard Harris, mais ils ne foutent rien. Ils font la fête pendant dix jours. Ils reviennent enregistrer «MacArthur Park» à Hollywood, au Sound Recorders. On confie à Hal le soin de diriger les violons pendant les sessions d’overdubs - One of the most exciting times in my career - Ben voyons. Mine de rien, Hal Blaine n’a fait que bosser avec tous les géants de la terre. Et ce n’est pas fini car voilà the Mamas & The Papas, encore un gros épisode bourré de gens ultra-doués. Quand il les voit débarquer pour la première fois en studio, Hal les prend pour des clochards. Ils viennent en effet de passer un long moment en Jamaïque, en vivant aux frais de la princesse. Mais quand ils se mettent à chanter, attention, ça ne rigole plus. Lou Adler qui les prend en charge demande à Hal, Joe Osborn et Larry Knechtel de les accompagner. Hal se dit très impressionné par Mama Cass - I’ve never met a sharper lady, with the possible exception of Barbra Streisand - Il la trouve très intelligente et dotée d’un goût marrant pour les fringues. Mais le crack, c’est bien sûr John Phillips. Hal boucle sa plantureuse autobio avec des chapitres consacrés aux Carpenters et à John Denver.

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    C’est le fils de Tommy Tedesco qui tourne le docu consacré au Wrecking Crew, dans lequel jouait son père Tommy. L’occasion est si belle de revoir tous ces dieux du stade qu’on ne peut pas la rater. C’est Jimmy Webb qui clame que les session-men du Wrecking Crew sont les meilleurs musiciens du monde - They were stone cold rock’n’roll professionals - On les voit tous, Hal Blaine, la bassiste Carol Kaye, l’incroyable virtuose Tommy Tedesco, Glen Campbell, Joe Osborn (l’autre bassman), Tonton Léon et Earl Palmer, plus d’autres moins connus comme Al Casey. Ils ont pris un sacré coup de vieux, mais Teddy Tedesco a réussi à les filmer avant qu’ils ne cassent leur pipe en bois. Hal Blaine le redit : «Quand on est arrivés avec nos clopes, nos T-shirts et nos jeans, les vieux musiciens de studio qui étaient en costards bleus disaient ‘They’re gonna wreck the business’», d’où the Wrecking Crew.

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    Et puis on voit Carol Kaye nous jouer la bassline de «The Beat Goes On». Wow ! Ça vaut tout l’or du monde. Tous les bassistes devraient voir jouer Carol Kaye. On tombe ensuite nez à nez avec Brian Wilson qui voulait absolument le Wrecking Crew sur les albums des Beach Boys. Jimmy Webb : «Pet Sounds ? Okay ! Top this !» Carol Kaye joue sur «Good Vibrations» et «California Girls». Brian va loin car il dit d’elle qu’elle est the best bass player in the world. Et c’est Hal Blaine qui fait le chef d’orchestre pendant les sessions historiques de Pet Sounds. Soudain, le docu bascule dans Phil Spector, c’est-à-dire l’une des époques les plus géniales de l’histoire du rock. On est au Gold Star, avec six guitaristes, quatre pianistes, une vingtaine de percus, deux basses, l’upright et l’électrique et un batteur, Hal Blaine.

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    On ne parle ni des cordes ni des cuivres. Beaucoup de monde dans un petit studio et une grosse chambre d’écho. The wall of sound, baby, «You’ve Lost That Loving Feelin», «Be My Baby» et «River Deep Mountain High».

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    Spector fait travailler ses musiciens pendant des heures avant de commencer à enregistrer. Oui, des heures. Et ils jouent. Carol Kaye raconte qu’elle a commencé sa carrière de session-woman en 1957 en accompagnant Sam Cooke. À l’origine, c’est HB Barnum qui la recrute en même temps qu’Hal Blaine et Glen Campbell pour jouer sur des démos. Ils deviendront ensuite très riches, tant que va durer l’âge des sessions. Roger McGuinn radine sa fraise pour expliquer qu’il fut le seul Byrd autorisé à jouer sur «Mr Tambourine Man». One take. Par contre, il en a fallu 77 pour mettre «Turn Turn Turn» en boîte. Pourquoi ? Parce que ce sont les vrais Byrds qui jouent dessus et non le Wrecking Crew. On en arrive fatalement aux Monkees. Peter Tork surgit pour dire sa colère : il voulait jouer sur le premier album, «mais ils l’ont enregistré sans moi - I was upset !» Micky Dolenz qui s’est pas mal empâté prend la chose avec plus de philosophie. Il trouve ça plutôt bien d’être accompagné par le Wrecking Crew. Le docu nous rappelle qu’Hal Blaine et Joe Osborn accompagnaient The Mamas & The Papas à leurs débuts et tout cet âge d’or s’achève avec l’arrivée des groupes qui savent jouer. Depuis le scandale des Monkees et la conférence de presse de Michael Nesmith, le public voulait des vrais musiciens, et surtout des jeunes vibrants et souriants. On n’avait donc plus besoin des vieux. Hal Blaine raconte qu’il a perdu son yatch, sa Rolls et sa belle demeure hollywoodienne. Pas facile la vie, surtout quand on est matérialiste.

    Signé : Cazengler, Blaine ô ragie

    Hal Blaine. Disparu le 11 mars 2019

    Hal Blaine & The Wrecking Crew. The Story Of The World’s Most Recorded Musicians. Rebeats 2010

    Denny Tedesco. The Wrecking Crew. DVD 2014

     

    LIVE IN MONTREUIL

    20 / 04 / 2018

    CRASHBIRDS

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    Delphine Viane : vocals , rhythm guitar / Pierre Lehoulier : lead guitar and Crashbox.

    Vous les retrouvez tous les deux, sur les belles photos de Raphael Rinaldi. En des endroits douteux. Par exemple, photo de couve, Pierre s'est niché sur un entassement de fûts de bière, derrière ses lunettes noires l'a l'air d'un agent du FBI qui veille sur la réserve d'or de Fort Knox, mais méfiez-vous avec son profil longiligne d'oiseau de proie Delphine paraît encore plus dangereuse. Ne lui marchez pas sur les escarpins, c'est une tueuse.

    Une célèbre photo blanc et noir à l'intérieur, les cui-cui en amoureux. Style Bonnie and Clyde. Pierre vous regarde winchester en main, votre mort inscrite dans ses yeux, et Delphine s'accroche à lui telle la louve sauvage et protectrice dans Les Destinées d'Alfred de Vigny. Ny touchez pas, ceci est à moi, contentez-vous du reste du monde, j'ai pris ce qu'il y avait de meilleur.

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    Doctor no : la crashbox de Pierre Lehoulier vous corrompt le cerveau à la manière d'une colonie de termites métaphysiques qui durant votre sommeil imprudent ronge à pleines dents les poutres de votre toiture mentale. C'est avant tout cela les Crashbirds cette menace sourde, implacable, vous en avez l'équivalent dans Le Terrier le dernier texte, inachevé, de Kafka, un malheur n'arrivant jamais seul, l'est même précédée de deux froissements électriques de guitare carbonisée qui commence son impérieuse combustion en ouverture, et là-dessus la voix de Delphine Viane surgit telle une flamme ravageuse qui a décidé de s'en prendre à l'univers entier. Quand elle se tait Lehoulier en profite pour vous larder le dos de mille coups de couteaux pointus comme la mort. Voters strike : vous avaient pourtant avertis, et vous avez continué l'écoute, tant pis pour vous, le bureau des dernières extrémités ne prend plus les réclamations, z'ont mis le bulldozer en marche et plus rien ne les arrêtera, la guitare ravageuse de Lehoulier se lance dans une espèce de solo épileptique, vous plie les peupliers et boulotte les bouleaux, un truc à vous rendre fou, d'ailleurs Delphine ne se retient plus, elle a voix qui flambe à la manière d'un feu de forêt, se repassent l'anaconda géant à tour de rôle, il vient vous arracher les parties génitales sans préavis. Boogie night : Le mec qui tient la Fender est décidément un malfaiteur de l'Humanité, soit il vous écrabouille la tête d'un pied rageur soit il vous bombarde de plomb fondu, quant à la fille, au coin du bois tombez en arrêt devant un chat haret, et tentez de le caresser, elle a la voix qui griffe méchant, vous verrez ce que vous en dira le chirurgien à qui vous montrerez votre moignon, ensuite Pierre vous donne un aperçu sonore de ce qui à dû se passer lorsque le Seigneur a déclenché son nuage de soufre sur Sodome et Gomorrhe. Someone to hate : y a des gens qui sont comme cela, prennent du plaisir à faire du mal, vous pressent l'orange mécanique jusqu'au citron. Pierre à fond et la voix de Delphine à feu et à sang. En plus la Delphinette n'arrête pas une seconde de tout le set de claquer sa rythmique, et pendant qu'elle construit des murs de parpaings explosifs Pierre vous passe les riffs comme le fil à couper le beurre autour de votre cou et Delphine l'excite à mort, une furie, une Erynnie sortie tout droit d'un drame antique, qui éclatait de rire lorsque les achéens éclataient la tête des bébés troyens sur les murs du palais de Priam. Nowhere else : méfiez-vous des intros de guitare de Pierre Lehoulier souvent elles débutent selon les règles de l'art, mais l'arrive toujours un moment où elles partent en vrille, alors il ne se retient plus martèle sa crashbox en forcené, et la Fender klaxonne sans arrêt à la manière de ses alarmes de voiture qui se déclenchent toutes seules juste pour vous empêcher de dormir. Quand il est dans ces moments de crise même Delphine n'ose l'arrêter, oui mais de temps en temps elle ne peut pas s'en empêcher, alors elle vous jette quelques bidons d'essence de sa voix incendiaire, vestale dévastée qui veille à ce que le feu sacré ne s'éteigne jamais. Stupidity : l'a on n'entend plus qu'elle, le Pierre a beau vous faire un vacarme de tous les diables, la Delphine peu calme clame ses désirs de folie stupide au monde entier, femelle furax et mâle bruyant, le couple de l'année se fait encore une fois de plus remarquer, z'ont cassé le hublot de l'avion sous prétexte qu'il y avait trop de sel dans leur plateau repas, et maintenant vous vivez le crash en direct. Essayez de survivre. Je sais, ce ne sera pas facile. Weekend lobotomy : un couple se déchire dans un deux-pièces-cuisine, abattez-les tous les deux, le Diable reconnaît toujours les siens, vous n'avez pas suivi nos judicieux conseils, le Pierre vous passe les riffs dans le grille-pain et Delphine ouvre les fenêtres pour que l'on entende ses hurlements jusque sur Mars, la situation a dégénéré, le gouvernement a dû s'emparer de l'affaire, l'Onu n'a pu empêcher le déclenchement d'une guerre nucléaire internationale. Tant mieux pour nous, cette guitare qui détruit le monde est trop belle, et ce chant de guerre entonnée sauvagement par Delphine sonne à nos oreilles comme un shoot d'endomorphine délicieux. Que voulez-vous le malheur des uns fait le bonheur des autres.

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    The lions : on l'avait oublié mais ce sont des amateurs de blues, Pierre vous pousse l'anatole jusqu'à ce qu'elle tombe dans le rock'n'roll et Delphine vocalise telle une diva qui passe le contre-ut en rut. Pierre se sert de sa guitare comme d'une torche et Delphine de sa voix comme les soldats d'Alexandre piquaient de leurs lances le sexe des éléphants afin qu'ils se retournent contre leur propre camp. Total ravage. Sinistre absolu. Non remboursable par la sécurité sociale. No mercy : Pierre tricote, à la manière des faiseuses d'ange, l'a le pied qui batifole sur la crashbox, jusque-là tout va à peu près bien, ce n'est pas l'avis de Delphine, elle intervient à la hussarde, lance la charge du cobra sur sa proie, vous pousse une clameur à vous vider de votre sang et c'est parti pour trois minutes de frénésie animale, elle en miaule de plaisir, elle en glapit de jouissance, Pierre tabasse sa guitare qui ne lui a rien fait, et je préfère ne pas vous raconter la fin, sinon le blogue va écoper d'un sticker parental advisory. Money : la crotte de dieu disent les hindous, les cui-cui vous la servent brûlante et fumante, vous en barbouillent l'âme et le corps rien que pour voir l'effet que ça vous fait. Ce coup-ci, s'y mettent tous les deux ensemble, superposent leurs efforts, Pierre tronçonne les solives du riff et Delphine l'excite des rauques aigus de sa voix ricaneuse de hyène maraudeuse. Maintenant Pierre amasse la mousse des riffs et Calamity Viane se sert de son larynx comme d'une winchester. Hard job : dur je ne sais pas, mais vite, oui. Delphine secoue la cloche de vache à la fadurle, Pierre vous brode des entretigres à la dynamite, Delphine pousse au rythme comme d'autres au crime, z'ont dû oublier d'éteindre l'incendie ( just for fun ) chez le voisin, sont méchamment pressés, roulent en contresens sur l'autoroute et Delphine vitupère contre les imbéciles qui ne leur laissent pas la place. Boring to death : l'heure de gloire de Pierre, vous fait sonner sa guitare comme le cor de chasse au fond des bois, un truc qui a l'air d'énerver Delphine, l'enchaîne sec, exige le tumulte, entre en trombe souveraine, pas du genre à laisser pousser les coquelicots dans les champs de blé, l'est pour les déforestations sauvages, elle a la voix qui glyphosate, là où elle passe rien ne repousse, Pierre n'est pas le gars à qui il faut en promettre, vous la suit comme un seul homme, la Fender arase le monde. Fin brutale, il n'y a plus rien à détruire. The midnight prowler : aux sources mississippiennes du blues, oui mais les cui-cui ce qu'ils préfèrent c'est quand l'électricité brise les barrages, Delphine vaticine, le blues est cette ombre bleue qui se faufile dans les nuits de désespoir, alors autant que la catastrophe arrive au plus vite, le rythme se précipite, la mort vaut mieux que la promesse de la mort. Danse finale sur les décombres. La guitare de Pierre compte les abattis. Silence : titre oxymorique, pas une once de silence dans cette cavalcade endiablée, rivalisent, la guitare bourdonne rageusement et Delphine hurle ses ordres à la cantonade, pour finir elle égorge le coq sur un rond de sorcière. Rollin' to the south : retour aux origines, terminent en beauté, festival de guitare et sarabande vocale. L'on remet le disque au début. L'on porte plainte car il faudrait un deuxième CD.

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    Quinze morceaux, quinze fournaises. Dans la série les cui-cui tapent toujours plus fort et volent toujours plus haut, les Crashbirds nous offrent le live de l'année. Quinze bluezy rootsies électriques, un trip qui vous étripe, un verre de moonshine qui vous éviscère, une guitare fulminante, une voix tumultueuse, une rythmique obsédante, un vrai disque de rock. Diamant noir.

     

    Recorded Live à L'Armony de Farid par Roland Piqueras / Mixé par Eric Cervera / Masterisé ( surtout pas pasteurisé ) par Sébastien Lorho.

    Damie Chad.

    11 / 04 / 2019MONTREUIL

    LA COMEDIA

    CHUMP / HITCH & GO

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    Profitons de la balance établie en un tour de main par Monsieur Personne in person pendant que son chien Whisky indifférent au tumulte humain dort profondément et néanmoins philosophiquement sous une table, pour visionner le logo de Chump reporté en grand et en couleur sur une bâche noire en fond de scène, indéfinissable, une tête pour trois interprétations, lion, fillette, grand-mère, une seule chose de sûre, cet énergumène à crinières à bandeaux se trouve en équilibre instable sur une planche de skate, un cri que l'on n'entend pas sort de sa bouche grand-ouverte. Resterons-nous sourd à un tel appel !

    CHUMP

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    Chump, un synonyme de punk, mais nous lui préfèrerons une autre étymologie que les philologues professionnels n'accepteront jamais. Au vu de leur prestation, nous paraît davantage significative l'image de la mousse d'un champagne ou de Mort Subite qui fusent de leurs bouteilles et se répand partout sur vos effets personnels les plus précieux, convocations au commissariat, relances d'impôts et lettres d'huissier comminatoires. Mais attention une mort subite joyeuse. Généreuse et pleine d'entrain. De quoi transformer vos ennuis en papillotes. Z'ont mis le plus grand derrière, une espèce de colosse, à eux trois devant on ne voit que lui, et surtout l'on n'entend que lui. Non, ils n'ont pas de batteur. Ils ont un cogneur. Une espèce de Sugar Ray Robinson du boxing drumin. OK pour le KO à chaque coup. Si vous vos voisins vous obligent à ériger une solide clôture pour empêcher votre féroce rhinocéros en rut de se ruer dans leur villa, passez-lui un coup de fil, vous enfoncera des pilonnes de béton armé à deux mètres de profondeur dans le soubassement rocheux de votre jardin, en trois coups de cuillère à pot de yaourt périmé. Gilles à la baguette brontosaure. En plus il en a deux. Des galopantes qui se jettent sur les toms – imaginez le tomtamarre - tels des piranhas affamés sur une vache imprudente. Voilà, j'espère avoir suscité en l'esprit estomaqué du kr'tntreader de base une vague idée de ce bruit de fond qui pour une fois n'est pas coutume s'impose au premier plan.

    Avec un tel stradivarius derrière moi, je vous l'avoue sans chichi, si j'étais Bruno ou Kiki aux guitares et Romz à la basse je ferais semblant de jouer, du pur playback de télévision française, je ne me fatiguerais pas, laisserais le copain se charger du boulot. Ben, non, nous n'avons pas affaire à une bande de fainéants. Eux, ça les excite. Sont comme les mecs qui trouvent bath de skier sur l'avalanche ou de surfer sur le tsunami. Commencent par se mettre en forme en sautillant sur place à la manière des petits pois conservés dans une boîte métallique obnubilés par l'idée de sortir pour apporter leur modeste contribution au vaste monde. En plus ce sont des futés, le Gilles l'a beau tordre le tonnerre de Thor au-dessus de leurs têtes, ils se faufilent dans ce maelström sonore comme la souris dans la trompe de l'éléphant, non pas pour lui ronger le cerveau mais pour lui apporter quelques substances psychédéliques, afin de transformer sa charge pachydermique en entrechats de danseuse étoile du Bolchoï de Moscou.

    J'ai le regret de vous informer, question grâce de ballerine en tutu rose, c'est un peu raté, par contre efficacité manœuvrière de Légion Romaine à l'assaut de désordres barbares, nous frisons la perfection. Le rouleau compresseur qui fonce sur vous n'est pas un problème, la solution toute simple est de s'installer dans la cabine de pilotage et de profiter de la force de l'engin pour exercer votre puissance. Et nos trois surfers d'argent réussissent ce miracle de communier avec la brute torrentueuse, z'en font ce qu'ils en veulent, et lui vraisemblablement par un mystérieux courant d'effluves sympathiques peut-être chamaniques, se mêle au jeu de ces bambins turbulents qui ont décidé de ne pas jouer les inutilités et qui vous le cinglent de leurs fouets cordiques. Un menuet cataclysmique, une horloge punk ( rock around the punk ou punk around the clock ) d'une précision infernale, vous dévient le bloc de dix mille tonnes qui fonce sur vous, vous le métamorphosent de leurs bouts de cordes ( de pendus vraisemblablement ) en papillon apprivoisé – attention ne butine que les fleurs empoisonnées ou carnivores – aux ailes de fer. La preuve, ils nous dédieront un morceau hyper-speed-loud de metal, qui ne dépare en rien leur punk-chump énergétique et dévastateur.

    Quittent la scène sans tralala apparemment heureux de leurs méfaits. Tellement obnubilé par le déluge sonore que je n'ai point évoqué les vocaux, qui se fondent à l'ensemble comme le tungstène à l'acier pour lui apporter plus de résistance. Viennent de Belgique. S'ils étaient un recueil de poèmes ce serait Les Ailes Rouges de la Guerre de Verhaeren. Une tuerie. Les rescapés ont adoré.

    HITCH & GO

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    Je déteste être floué. Surtout dans un concert de rock. J'aurais dû prévoir. Avec un tel nom, attelle et file, j'aurais dû m'en douter. Si je devais me fier à mon ressenti, ma chronique serait terminée. Ces mecs sont des sorciers. Montent sur scène et en descendent. Entre temps vous n'avez pas vu le temps filer. Certes aux premières notes vous vous dites, du punk pur et dur, puis dix secondes plus tard vous rectifiez, incluent des éléments mélodiques dans leurs compos, Du punk au parfum pop. Et puis plus rien, c'est la fin. L'on va donc reprendre au début, les scientifiques agissent ainsi pour les apparitions des extraterrestres, analysent la séquence de bout en bout.

    Viennent du Canada. Sont en tournée européenne. La veille z'étaient à Limoges. Sont affublés de casquettes. N'ai jamais trouvé cet ustensile très attrayant, mais cette affirmation n'engage que moi-même et je la partage pleinement. Quatre sur scène, avec JP Lessard, pas de lézard l'est au micro et au chant, Will Dural en apparence le plus jeune, une sacrée dégaine, belle allure de rocker et une voix aux intonations intéressantes, jappe trop rarement mais toujours pour signaler un fait hors du commun, Max Brocher est le second préposé au maltraitage de guitare. Dave Hamel, plus difficile à cerner. Cache bien son jeu. Une frappe rapide, qui ne s'attarde guère, mais il a son secret que je vais vous révéler, qui explique pourquoi le set semble s'être déroulé si vite, j'ai mis un peu de temps pour comprendre, au début je n'y ai pas cru, car je n'y aurais jamais pensé. C'est lors des passages mélodiques, ils surviennent sans crier gare, bien intégrés dans la structure rythmique, devant les guitares font les belles, elles roucoulent et vos oreilles n'ouïssent plus que les voix harmonieuses de ces sirènes, c'est alors que Dave nous fait son coup de Trafalgar, alors que tout baigne dans l'huile, que souffle une brise printanière, clac, clac, clac, sans prévenir, il appuie à fond sur l'accélérateur, à coups redoublés, comme quand vous réduisez en bouillie à coups de sandale rageuse l'araignée velue qui s'était aventurée sur votre mur, agit un peu à l'icognito, juste ce qu'il faut pour que les trois complices devant entendent le signal, aussitôt ils accélèrent eux-aussi et en parfaits escrocs s'amusent à vous tricoter illico de superbes motifs à l'architecture complexe. Vous avez commis la gaffe de ne pas y faire gaffe, et ils ont démarré si prestement que la roue de la charrette vous a roulé sur le pied sans que vous l'ayez ressenti. D'autant moins, que comme par hasard ils donnent maintenant dans une fricassée sonore plus punk que moi tu meurs et je t'enterre, pour trente secondes plus tard vous enfoncer dans une chatoyance poppy des plus rapides.

    S'amusent à ce jeu tout le long du set. Se livrent à une espèce de manipulation sonologique, sont les adeptes de l'emploi des âmes furtives, vous emmènent avec eux, alors que vous croyez rester à la même place, se livrent à la télé-déportation musicale. Le combo ronronne comme un chat sur un coussin, pendant que vous vous confondez de plaisir à suivre les rayures de sa robe bigarrée, vous êtes emporté à une vitesse extraordinaire sur un tapis volant d'un nouveau genre. Hitch & Go, use d'un punk non conventionnel, vous tendent une image qui voyage plus vite que la lumière qui agite les neurones de votre cerveau. Tour de passe-passe. Sidérant.

    Damie Chad.

    P. S. : Merci à Lalla Lenda, délicieusement savante, à qui j'ai volé l'idée des flux sympathiques.

    ( Photo : FB des artistes )

    12 / 04 / 2019TROYES

    3 B

    WISEGUYZ

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    La teuf-teuf frétille. Je repense au dernier retour de Troyes, nous a ramenés fièrement à la maison après le concert. C'est le lendemain matin qu'elle a agonisé, l'était comme une bête pantelante, agitée des derniers soubresauts nerveux de la vie. N'était qu'à un pas du trépas, l'ai remmené dare-dare à petite vitesse au garage. Se sont penchés dessus avec sollicitude, ça m'a coûté un bras et demi, mais ce soir elle galope du feu strombolique des Dieux vers un nouveau concert, c'est sa drogue à elle. La mienne aussi.

    Soirée ukrainienne ce soir, non je ne voudrais pas vous décevoir, ce n'est pas un groupe folklorique de balalaïkas, mais un des meilleurs combos de rockabilly européen, encore que je m'attende à recevoir un tombereau de lettres d'insultes parce que beaucoup de connaisseurs le placent tout en haut du podium. Mais qui se peut vanter de les avoir tous écoutés. Et tous vus en live.

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    Le 3B n'a jamais paru aussi exigu, une tire-lire, vous y glissez un centime de plus et elle explose, inutile de tenter de louvoyer entre les corps pour aborder le bar, faut forcer le passage, marcher sur les pieds, couper sa respiration, rentrer dans cette matière vivante coagulée, la situation s'avèrera encore pire dans les inter-sets, les WiseGuyz n'ont pas attiré du monde mais le monde entier semble s'être donné rendez-vous dans ce point névralgique de la planète qu'est le 3B pour les écouter.

    WiseGuyz

    Sont-là, tranquilles, tous les quatre, en toute simplicité, jetant sans inquiétude un dernier coup d'œil à leurs instruments, c'est à se demander comment de ces quatre guys si débonnaires va jaillir dans quelques secondes ce flux inextinguible de haute musique so hot. One, two, one, two, three, four, c'est parti, le temps n'est plus aux questions métaphysiques. La réponse est apportée aussitôt sur un plateau. Un seul mot : la pulsation, la palpitation primaire.

     

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    L'a une allure de marlou, pas pour rien qu'il se surnomme Rebel, le gars qui cherche l'entourloupe avec le système et qui jamais ne la loupe, avec sa grande silhouette dégingandée, sa salopette de travail en jeans et sa chemise dont les carreaux traversés d'une lumière bleue, l'a l'allure flegmatique d'une blue panther de dessin animé, l'est accoudé sur sa doublebass, mal nommée car dès que l'heure du boulot sonne l'abat du taf à lui tout seul pour huit personnes. Donc une octuple-bass, vous la soigne aux petits oignons, mais quand il lui presse le tubercule cordique c'est pour en extraire l'huile essentielle du trognon, s'applique à une rythmique élastique, l'a les doigts qui courent devant ses mains, un j'étire latéral la corde au max, deux elle renâcle quand je la relâche, et tout de suite je slappe comme un damné poursuivi par la fourche de Satan en personne.

    On the other side, the man behind the lead-guitar, l'a mis des grosses lunettes pour qu'on le voie mieux, ce n'était pas la peine, on l'entend. Normalement la rhythm guitar a le mauvais rôle, le mec qui se dévoue, vous réanime le macchabée après trois heures de bouche-à-bouche, l'a tout donné et quand il a réussi, tous les regards se portent sur le rescapé, on entoure le héros revenu de l'outre-monde, on l'embrasse, on le félicite, plus personne ne pense au gars qui s'est tapé le turbin, on l'évacue de sa mémoire, on le raye de la liste des vivants, on l'oublie, on fait l'impasse totale sur son existence. Oui mais avec Alex l'expression de cette ingratitude humaine n'a pas lieu d'être, s'il était dans un philharmonique tiendrait le rôle du premier violon, l'agite son crin-crin magique et la musique prend sens. L'a la même houle faussement de guingois sur sa rythmique que Buddy Holly sur sa strato. L'a le balancement stratosphérique, vous fout le vent dans les voiles du combo, on les sent prêts à traverser les océans sublunaires. Je n'aime pas me vanter, mais là je suis si proche de lui que j'ai double ration, la part commune dispensée par la sono, mais si je penche la tête de quinze degrés sur la droite c'est le son direct, pré-micro, le grémissement infernal des cordes méchamment cinglées, un régal, divin.

    paul whaley ( + blue cheer ),hal blaine ( + wrecking crew ),crashbirds,hitch & go,chump,wiseguiz

    Avec ces deux cadors à ses côtés Chris Bird joue gagnant à tous les coups. Deux trompe-la-mort prêts à le suivre dans les situations les plus difficiles. Heureusement car le Bird, les trucs faciles il les ignore, il les méprise, ne s'en préoccupe pas, peut-être même ignore-t-il que ces misérabilités puissent exister. L'a les doigts sur les cordes qui doivent se prendre pour des gymnastes olympiques sur les barres asymétriques. Jamais assez, un kamasutra positionnel inimaginable. Le grand écart à chaque instant, d'une précision absolue. Mais nous y reviendrons tout à l'heure.

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    Car il manque quelqu'un à l'appel. Ce n'est pas de sa faute, malgré sa stature imposante, l'est relégué tout au fond caché par le rideau de ses trois camarades devant lui. Trop de monde pour qu'il puisse bénéficier d'une profondeur de champ. En plus on ne l'entend pas. Enfin manière de parler. L'a la frappe ventouse, se colle sur le boulot des copains de si près qu'on ne le sait pas. Vous n'y prêtez aucune attention. Un peu comme ces reptiles qui imitent si parfaitement une branche morte que quand vous la ramassez pour la lancer à votre chien, vous êtes déjà mort. Faut que les trois autres fassent trois secondes de silence, pour que vous réalisiez sa présence, car c'est quand vous récupérez la mue du serpent que vous comprenez la complexité du dessin de sa peau. Ozzy, l'air de ne pas y toucher, les rares fois où je l'ai entrevu, l'a l'air de s'ennuyer, tiens je vais poser la baguette au pif ici, sont tellement bêtes qu'ils n'y verront que du feu. L'oublie que la feu ça brûle et quand il fait feu, vous réalisez que c'est un tireur d'élite, une frappe subtile, une toile d'araignée qui suit le mouvement du vent, les plus doux zéphyrs et les plus plus fortes tempêtes, le secret de la palpitation, de la pulsation, elle est là, elle pousse et elle impulse, avec Ozzy qui vous colle aux fesses vous intuitez rapide que reculer serait une erreur, vous arrêter une catastrophe.

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    Vous les avez eus un par un, sans doute aimeriez-vous savoir quel genre d'histoire ils vous racontent tous ensemble. Pas n'importe laquelle, elle porte un titre, the rise of the rockabilly. Une légende mythique, tronçonnée en plus de trente morceaux, ne vous les content pas dans l'ordre chronologique, mais je vous remets le canevas dans l'ordre. C'est un peu l'histoire de Prométhée qui s'en va voler une flammèche du feu divin et qui la refile aux hommes pour qu'ils puissent se chauffer et être heureux. Un remake made in the USA, parce là-bas tout est plus beau et plus grand, des petits salopiauds de blanc-becs qui fauchent sans vergogne une étincelle de l'étincelle initiale apportée d'Afrique par des esclaves noirs. La gardaient pour eux, et l'avaient enfermée jalousement dans la pulsation jazz, mais nos gredins s'en sont saisis et l'utilisent d'une autre façon, ils la boppent, à mort, marquent le rythme sur une caisse claire et la guitare suit le mouvement, l'électricité permet à cette mandoline de malheur de s'émanciper, devient la reine, la rythmique pique un sprint infini, la basse s'essouffle mais son cœur ardent bat la chamade et ne s'effondre pas, le rockab naît de ces disharmonies rythmiques, quatre rythmes différents qui finissent par s'entendre un peu à la manière des meutes de chiens de chasse – redoutables hound dogs - qui jappent à l'infini, mais il y en a toujours une, par on ne sait quel miracle, dans ce torrent impétueux d'aboiements, une voix se détache et domine, pas très longtemps, trois secondes mais a peine s'est-elle fondue dans le brouhaha absolu, qu'une autre s'élève, avec une vigueur et une clarté indiscutables, et les appels solitaires ne cessent d'émerger tour à tour jusqu'au grand hallali final.

    Le quatuor diabolique ne se contente pas de ces quatre partenaires, dans la série plus on est de fous plus on rit, ils en invitent un cinquième, la voix humaine, car l'homme est tout de même, si on y réfléchit un peu, le summum de la bestialité animale, Chris Bird en sus de la lead se charge de cette cinquième colonne du temple rockab. Gretsch and voice. A l'impulsion de la musique correspond l'inflexion vocale, le grand secret est là, combien maladroit serait le flamant rose qui s'emmêlerait les deux pattes dans ce torrent qui coule par intermittence en deux lits parallèles qui s'entrecroisent sans cesse. Chris Bird excelle en cet art difficile. La voix joue à saute-moutons avec le flux et l'influx musical, l'en rajoute même, esquisse quelques pas de danse, trépigne sur place, et les trois autres instrumentistes le suivent comme s'il était l'homme qui non content d'avoir perdu son ombre en aurait trois derrière lui. Des fidèles qui l'imitent à la perfection lorsqu'il descend les escaliers infernaux et remontent derrière lui des enfers comme s'ils se livraient à la plus enivrante croisière d'après-minuit.

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    Nous feront trois sets, d'une beauté intense, imaginez-vous un voyage au plus près des racines, celles du début des rockab, les tout premiers titres de Bill, d'Elvis, de Gene, de Buddy, d'Eddie, ce moment pharamineux où les pionniers inventent la recette du rockabilly, un bouquet swing-bop-rock éblouissant, la fougue juvénile marquée du sceau d'une créativité indépassée, et puis pour remercier le public qui ne décolle pas et Béatrice la patronne qui les accueille pour la quatrième fois, un quatrième set, trois morceaux, pas les plus tape-à-l'œil-je te-rentre-dans-le-lard, non des subtilités, des permutations inextricables, des folies inoubliables.

    Duduche résumera la soirée, avec les WiseGuyz ça gaze !

    Damie Chad.

    ( Phtos : FB : Béatrice Berlot )

    KILLER COUPLE

    WIZEGUYZ

    ( Toro Records / 2018 )

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    Les morceaux sont sur leur premier CD, promis, je vous le chronique la semaine prochaine. Je n'ai pas pu résister. La pochette est trop belle. Artwork : d'Henrique San. Le genre de disques que vous écoutez au grand maximum une fois dans votre vie, mais pour laquelle vous abattez sans vergogne au fusil à pompe tout individu qui semblerait donner l'illusion de désirer inconsciemment s'en approcher à moins de quinze mètres. Avant de vous livrer à de telles extrémités, batifolez un peu sur le site d'Henrique San, artiste portugais à l'esthétique 50'. Tenez je vous refile une de ses œuvres, preuve que tous les alligators finiront au paradis.

    En plus c'est le premier single que je possède qui respecte la loi de la mixité absolue. Possède une face She et une autre He. Désolé pour les trans-genres et les hermaphrodites, peut-être qu'un jour aura-ton inventé le microsillon multifaces.

     

    Rude bad boy : jivin'boy. Entrée surprise, vous vous attendiez bien à ce que le morceau commence mais il file à la vitesse d'un hot-rod, boosté à l'éther, d'un seul jet, pas de repos, pas de reprise, tout est dans la fulgurance, un exercice de style accompli. Le genre de brimborion qui a l'air tout simple mais qui exige un maximum de maîtrise. Une facilité déconcertante.Hi-class mama : strollin mama. Merveilleusement mis en place. Un petit bijou de précision. Une grosse guitare devant, la basse et tout le reste à la suite qui s'intéressent aux ciselures, la voix vous réunit le tout avec cette indolence de matou qui s'étire après trois longues heures de sieste. La chasse féline à la souris câline peut commencer. Déconcertant de facilité et d'aisance.

     

    Connaissent tous les codes. Sonnent davantage sixties que fifties par cet arrière-fond d'insouciance qui baigne l'atmosphère de l'enregistrement.

    Damie Chad.

     

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 394 : KR'TNT ! 414 : JOHN PAUL KEITH / REVEREND JOHN WILKINS / CHUCK BERRY / HAPPY ACCIDENTS / RADIOACTIVE / CHAMBLAS RÊVEIL

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 414

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    11 / 04 / 2019

     

    JOHN PAUL KEITH / REVEREND JOHN WILKINS

    CHUCK BERRY / HAPPY ACCIDENTS / RADIOACTIVE

    CHAMBLAS RÊVEIL

     

    John Paul Keith et les autres

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    On ne se bouscule pas au portillon pour venir voir jouer John Paul Keith qui est pourtant l’une des figures de proue de l’actuelle underground Memphis scene. Bon, c’est vrai, il faut bien reconnaître que l’underground n’intéresse plus grand monde. Quant à Memphis, c’est encore pire. Dans l’inconscient collectif, ça renvoie à des vieux trucs un peu kitsch et un peu jaunis qui remontent au temps d’Elvis. Autant parler d’objets de musée. Et pourtant, le Memphis beat n’a jamais été aussi vivant ni aussi bien représenté.

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    À lui tout seul, ce petit binoclard nommé John Paul Keith réussit à redonner vie au Memphis beat, le temps d’un concert. Il le fait avec un mélange de brio et d’abnégation qui en bouche un coin. Il joue son rock en formation légère, accompagné d’une section rythmique basse/batterie extrêmement jeune, mais on sent le métier. JPK propose un mélange idéal de country et de rock, avec cette énergie particulière qu’on retrouve chez tous les musiciens basés à Memphis. Il faut se souvenir de ce que disait Dan Penn à propos du décalage qui existe entre Memphis et Nashville : «They (in Nashville) cut in all that ol’ stupid thin country music. No funk, I always liked a little funk.» (À Nashville, ils enregistrent cette country inepte et vieillotte. Pas de funk. J’aime bien qu’il y ait un peu de funk). Oui, JPK ramène dans son son ce que Dan Penn appelle le funk, cette manière tellement subtile de swinguer le rock’n’roll.

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    Il joue clair et net sur Telecaster et parvient à faire danser la maigre assistance. Plus tard, JPK dira qu’il vit bien de sa musique, à Memphis - I make a living out of it - Il fait bien sûr la promo de son dernier album, Heart Shaped Shadow, mais propose aussi des cuts tirés de son nouvel EP avec les Motel Mirrors. John Paul Keith est un petit homme d’âge indéfinissable au visage dévoré par cette grosse paire de lunettes qui renvoie immédiatement à Buddy Holly. On est confronté au même problème qu’avec Buddy à l’époque où paraissaient ses disques : un mal fou à s’habituer à cette esthétique du binoclard, mais un curieux mélange d’ingénuité et de talent finissait par le rendre indispensable. Il devenait aussi précieux qu’Elvis ou Jerry Lee, alors qu’il n’avait absolument aucune chance de plaire aux filles, ce qui en matière de pionneering, était quand même le truc de base. John Paul Keith passe par les mêmes fourches caudines. Si on le juge sur son physique, c’est cuit aux patates. Mais si on l’écoute et, mieux encore, si on le voit jouer, il balaye tous les a-priori. JPK rocks it up ! Il joue son rôle d’ambassadeur du Memphis Sound à merveille.

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    C’est exactement du même niveau que le fabuleux set du grand Harlan T. Bobo qui eut lieu au même endroit voici quelques années. Eh oui, ces Memphis guys ont le petit quelque chose en plus. Robert Gordon dit que le Memphis beat est dans l’air de la ville. Dickinson dira que c’est dans les gens - We’re a bunch of rednecks and field hands playing unpopular music - Ce n’est quand même pas un hasard si deux des plus grands écrivains rock d’Amérique (Dickinson & Gordon) sont de vieux Memphis guys. D’ailleurs JPK dit avoir failli travailler avec Dickinson : le projet s’appelait Snakes Eyes et comprenait des gens de Regning Sound - But nothing came out of it.

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    John Paul Keith fait donc partie de la brillante scène underground de Memphis. En 2009, il est lead guitar sur The Disco Outlaw de Jack-O & the Tennessee Tearjerkers. On ne saurait concevoir une formation plus légendaire que ces Tearjerkers rassemblés par Jack Yarber. Il attaque son Disco Outlaw avec «Ditch Road», un fantastique cut de pop rock du Tennessee. Jack Yarber est un auteur classique qui sait monter des coups fumants. Voilà un cut imparable, éclairé par le jeu de John Paul Keith et soutenu par la belle bassline d’Harlan T. Bobo. Tous les morceaux de cet album sont fouillés, chargés de son, bien construits. On savoure la succulence de l’effarance à l’écoute d’un «Against The Wall» qui sonne comme un classique hanté par des vieux relents de «Drop Out Boogie». «Make Your Mind Up» sonne comme un hit pop planétaire. Voilà de quoi Jack Yarber se montre capable. C’est digne des meilleurs jukes et troussé à la rude. Il prend ensuite «Sweet Thang» à l’hypno de Memphis, et ça trépide, avec une grâce infernale. Quelle énergie et quelle puissance dévastatrice ! En B, John Paul Keith embarque «Scratchy» dans la clameur d’un solo incendiaire. Ils nous explosent ce vieux classique des sixties. Et ça va se terminer avec «Stop Stalling» bien soutenu à l’orgue, suivi d’un nouvel hymne pop, «Walk Of Shame». Jack Yarber n’enregistre que des disques condamnés à l’île déserte.

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    On retrouve John Paul Keith sur un autre album de Jack Yarber, l’excellent Rat City paru en 2011 sur Fat Possum. C’est pas compliqué, on y trouve deux hits, à commencer par celui qui donne son titre à l’album, qui est lancé comme une locomotive et Jack-O se montre une fois de plus imparable et lumineux. Quand on voyait ce mec traîner à l’espace B le jour du concert des Cool Jerks, on n’était pas loin de penser qu’il avait au pire une allure de rock star et au mieux le charisme d’un messie. John Paul Keith joue lead dans «Mass Confusion», monté sur un beau beat funky. Ça pulse comme au temps de l’âge d’or du swamp funk. L’autre hit du disque c’est bien sûr «Kidnapper», sur lequel JPK joue aussi : cut doté d’un fort parfum de country rock et finement nappé d’orgue. On y retrouve tout l’allant du rock du Tennessee.

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    John Paul Keith apporte régulièrement sa modeste contribution au Memphis Sound en ficelant de bons albums. Paru en 2008, Spills And Thrills s’impose par un son sec. On sent le rocker accompli, rompu à toutes les tâches. Il joue tout son fourbi à l’emporte-pièce, avec une authentique intensité. Tout est ultra joué, très américain. Memphis Soul typecast. Avec «Cookie Bones», il propose un violent instro d’interaction chauffé au shuffle d’orgue. Ça ne vous rappelle rien ? Mais les MGs, bien sûr ! Nous voilà dans les rues de la ville, à l’âge d’or. Bel hommage aux racines du Memphis Sound. S’ensuit un «Let’s Get Gone» tapé à la folie rockab, Memphis style, here we go ! Affolant ! JPK peut se montrer affoling. Le buisson Ardent n’a aucun secret pour lui. On voit bien qu’il tente de recréer la folie du rumble de 56. Il sort le Telecaster Sound le plus âpre qui soit. Il joue au surplus de guitares. Et voilà qu’avec «If I Were You», il tape un coup de Jarnac à la Tearjerkers. C’est le hit du disk. Absolute beginner ! Il trousse ça serré au beat avec des chœurs de rêve et une énergie power pop. Ça sent bon le Yarber. JPK termine son humble album de rumble avec une petite montée de fièvre qui s’intitule «Doin’ The Devil’s Work», typique des clubs de Memphis avec tout le bazar de la Samaritaine.

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    L’impétueux JPK récidive avec un Memphis Circa 3 AM auréolé de légende, puisqu’enregistré par Roland Jane. On a donc du pur electrifying Memphis Sound, classique et tendu, sec et net et sans bavure. On va mettre un peu de temps à rentrer dans l’album, car JPK multiplie les incartades en allant vers la country ou le balladif romantico. On a même parfois l’impression qu’il s’enterre dans la tradition. C’est un cœur tendre, mais comme dirait Blueberry, il vaut mieux avoir le cœur tendre que le pied tendre, surtout lorsqu’on est poursuivi par une horde de Mescaleros. Et soudain, on se réveille avec «New Years Eve», un cut qui sonne tout bêtement comme un hit. JPK est capable de petits miracles. Ce genre de révélation efface pendant quelques minutes le spectre des soucis quotidiens. Oui, elle surprend d’autant qu’elle est totalement imprévisible. Notre fringant binoclard repasse en mode hit galatic avec «If You Catch Me Staring». Cette nouvelle ouverture de pop a de quoi édifier les édifices. Il joue bien son rock à l’enfilade et maintient l’éclat d’un son Télé très convaincu d’avance.

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    On sent encore une très nette évolution avec son dernier album, Heart Shaped Shadow, paru l’an passé sur un label de Little Rock, Arkansas, nommé Last Chance Records. On y trouve pas moins de quatre hits, à commencer par l’excellent «Something So Wrong» d’ouverture de bal d’A. Pur joyau de Southern Soul, généreusement cuivré et monté sur un beat rondement mené. Good time music à tous les étages en montant chez Kate. L’incroyable tonus du cut vaut pour modèle. Avec «Ain’t No Denyin’», il nous plonge dans un groove de jazz. C’est monté sur un shuffle d’orgue superbe et JPK vient croiser son solo avec le shuffle. Musicalité superbe, fantastique allure. En B, il revient au slow groove avec «All I Want Is All Of You», il chante ça à l’étonnée, avec une voix chargée d’un certain mystère. Ce mec dispose d’un charme vocal indéniable et un solo de sax couvre ses arrières. Il tape «Throw It On Me Baby» au beat de rockab. Joli clin d’œil à la tradition. Il sait swinguer ce type de beat, pas de problème. JPK est un rocker polyvalent, il peut aller partout et taper dans tous les styles avec un égal bonheur. Jamais passe-partout ni m’as-tu-vu. Il termine l’album avec «Pink Sunsets», un nouveau groove de jazz, délicat et colorié. Oh, il faut l’entendre passer un solo de bluegrass en escalier dans «Leave Them Girls Alone». JPK devait être un guerrier apache dans une vie antérieure, car il a plusieurs cordes à son arc.

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    D’ailleurs, ça n’étonnera personne, JPK est homme à brasser les side projects. En voici un bel exemplaire, the Motel Mirrors, dans lequel on retrouve une certaine Amy LaVere. Comme par hasard, JPK proposait l’album In The Meantime au mersh, après le concert. Sachez bien que cet enfoiré vend un disk sans dire que c’est de la dynamite. Résultat, on rentre à la maison, on écoute ça et paf, on tombe de sa chaise. Un cut comme «I Wouldn’t Dream Of It» saute littéralement à la gueule. Le power du beat se révèle dévastateur. C’est un étonnant mélange de country flavor et de power rock. JPK chante au suave sur le pire beat rockab qu’on ait vu à Memphis depuis le temps des cerises. Par contre, attention aux cuts que chante Amy LaVere : elle sort une voix nubile qui peut vite agacer. «Things I Learned» flirte avec la délinquance juvénile, c’est un hit, de toute évidence, et même un hit effarant, mais quand elle revient plus loin avec «Dead Of Winter Blues», elle fait du Vanessa Paradis à la mormoille et ça donne un mélange extrêmement dérangeant de country et de délinquance juvénile larvaire. Par contre JPK rend deux fabuleux hommages à Buddy Holly, avec «Paper Doll» - Ain’t gonna be your paper doll at all - et «Remember When You Gave A Damn», pur Fort Worth Sound, merveilleuse cavalcade en hommage au génie de Buddy Holly. C’est criant de véracité instinctive. JPK prend «Do With Me What You Want» de très haut, avec des accords de Chickah Chuck. Il déroule au Memphis Beat, on sent le poids de la légende dans le son - Please please don’t be so cool - What a maîtrise !

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    The V-Roys ? Oh yeah, JPK est à l’origine du projet, mais il n’apparaît sur aucun de ces trois albums qui valent le détour. Oui et même largement le détour. Ces quatre Memphis rockers sont affreusement doués. Avec Just Add Ice, ils proposent une belle éclate de power-rock de Knoxville, très proche dans l’esprit de ce que font les mighty Drive-By Truckers. Notez que Steve Earle produit ce premier album des V-Roys. On vendrait son père et sa mère pour un cut comme «Sooner Or Later», solide slab de pop-rock soutenu aux éclats de guitares et chanté à deux voix. Leur «Wind Down» est fusillé dans l’élan, c’est admirablement racé. Avec «Cry», ils deviennent les rois de la cavalcade. On les sent gonflés d’énergie, comme des bites printanières. C’est très beau à voir. Ils passent au balladif classique avec «Kick Me Around», et un killer solo vient chasser les nuages. Ces mecs savent trancher un nœud gordien.

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    Un deuxième album intitulé All About Town paraît en 1998. Il s’y niche deux Beautiful Songs, «Arianne» et «Sorry Sue». Excellent «Arianne», chanté aux sous-voix dans les renvois et Scott Miller laisse sa voix fuiter sur les retours. Ils recréent l’événement plus loin avec «Sorry Sue». Scott Miller entre dans le lard du cut avec tout l’impact de la cruauté - Sorry Sue/ I’m not in love with you - Il sait gérer son charme et créer les conditions du pouvoir. Et voilà une autre merveille : «Strange». Ces mecs balancent du son et des idées de son et ça continue avec «Hold On To Me». Scott Miller prend les choses en main et c’est bête à dire, mais il a plus de présence que JPK. Comme ce mec est brillant, du coup l’album prend du relief. En fait, les V-Roys se situent à la croisée des chemins, entre rock et country. Parfois la country prévaut et les cuts nous échappent.

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    Leur troisième album est un album live, le bien nommé Are You Through Yet ? On y retrouve l’excellent «Wind Down» du premier album. C’est explosif, joué à la bassline inversée. On entend cette bassline remonter le courant du son comme un saumon d’Écosse. Autre merveille : «Out Of This World», heavy balladif de Loundon Wainwright chanté à pleine gueule, pur jus d’Americana. Les deux guitares semblent littéralement resplendir dans ce bouquet démentoïde d’Americana parsonnienne. Ils jouent dans l’œil du typhon. Ils font aussi une reprise du fameux «There She Goes» des La’s. Quel courage ! Ils y tapent un magnifique brouet d’arpèges. Du coup l’album prend un sacré relief. En fait on se sait jamais qui de Mic Harrison ou de Scott Miller chante, mais ce n’est pas grave, car comme chez les Drive-By Truckers, les deux sont également doués. Avec «I Want My Money», ils proposent un vieux boogie infesté de requins. On les sent très motivés à nager vite. Et voilà «Window Song», heavy rock co-écrit avec Steve Earle. Encore une énormité lumineuse jouée aux splendeurs guitaristiques. Quelle ampleur ! La version live est mille fois supérieure à la version studio, car les guitares scintillent dans l’incendie du crépuscule. Ils repartent de plus belle avec «Guess I Know I’m Right», un folk-rock solide. On suivrait ces mecs jusqu’en enfer, ils développent les meilleures dynamiques de folk-rock qu’on ait vu ici bas. On assiste à de fabuleux duels de guitares acérées. Ils sur-jouent à la vie à la mort. On retrouve aussi «Sooner Or Later» bien cogné du Cognac-Jay et allumé par des incursions à la Johnny Thunders. Ces mecs ont le diable au corps, voilà pourquoi cet album est bon. Et même excellent, bien rocké du Rocamadour. Ils jouent comme des dieux et ourdissent des complots finaux flamboyants. Ils reprennent aussi le «IOU» de Paul Westerberg. Admirable choix, les accords rock’n’roll roulent dans les collines et on voit la bassline cavaler dans la nature, comme une folle échappée d’un couvent.

    Signé : Cazengler, Jean Pauv Kon

    John Paul Keith. Le Trois Pièces. Rouen (76). 26 mars 2019

    Jack-O & the Tennessee Tearjerkers. The Disco Outlaw. Goner Records 2009

    Jack Oblivian. Rat City. Big Legal Mess Records 2011

    John Paul Keith & The One Four Fives. Spills And Thrills. Big Legal Mess Records 2008

    John Paul Keith. Memphis Circa 3 AM. Big Legal Mess Records 2013

    John Paul Keith. Heart Shaped Shadow. Last Chance Records 2018

    Motel Mirrors. In The Meantime. Last Chance Records 2017

    V-Roys. Just Add Ice. E-Squared 1996

    V-Roys. All About Town. E-Squared 1998

    V-Roys. Are You Through Yet ? Live. E-Squared 1998

     

     

    Walking with Wilkins

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    L’arme secrète du bon Révérend John Wilkins n’est pas celle qu’on croit : sa foi en Dieu tout puissant ? Sa technique de picking ? Son physique de vieux black bien conservé ? Son autorité eucharistique ? Non, même s’il est un mélange de tout ça. Son arme secrète, ce sont ses trois filles qui chantent le gospel sur scène avec lui, alignées en rang d’oignon. Et elles shootent le gospel batch plus qu’elles ne le chantent. Encore une fois, il y plus d’énergie primitive dans le gospel batch que n’en peut rêver ta philosophie, Horatio.

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    Bon, quand il arrive sur scène avec son stetson et son sourire de beau black bien conservé, on ne se méfie pas. Il attaque avec un «Trouble» bien rythmé et les filles commencent à foutre le souk dans la médina. La plus petite est aussi la plus grosse. Disons qu’elle gère mal un problème de poids, mais c’est elle la shouteuse du groupe. Le Révérend et ses trois filles sont accompagnés par trois blancs qui trimbalent des allures de vétérans de toutes les guerres et qui restent en retrait. Et quand le bon Révérend attrape sa guitare pour jouer «You Got To Move», alors on réalise qu’il n’est pas né de la dernière pluie. Il joue avec une technique de battement en picking qui en dit long sur ses antécédents. Eh oui, Big Legal Mess nous rappelle qu’il a accompagné O.V. Wright et qu’il recevait dans son église, Hunter’s Chapel Church, des éminences comme Mississippi Fred McDowell, Otha Turner et Napoleon Strickland. Nous sommes dans le North Mississippi Hill Country, parmi les gens du Tate county. Jim Dickinson : «Le comté de Tate commence aux abords de Senatobia. Vous allez rouler sur des routes à moitié goudronnées et vous allez entrer dans le territoire d’Otha Turner, père spirituel du hill country blues. Quand Lomax est venu dans le Sud pour archiver la musique les vieux bluesmen, Otha et Fred McDowell étaient voisins. Ces artistes sont restés trop longtemps confinés dans les archives du folklore officiel universitaire.»

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    Sur scène, ça shake de plus belle avec «God Is Able» puis «Jesus Will Fix It». Tout l’art du gospel consiste à faire tanguer une église avec un minimum de moyens et un maximum de feu sacré. Le set du bon Révérend John Wilkins et de ses trois filles rocke plus la kasbah que dix groupes de garage réunis. On le dit à chaque fois, mais c’est vrai. Ces gens-là font appel à ce qui constitue la racine même du rock, le rythme et ce que certains appelaient autrefois le feu de Dieu, c’est-à-dire une énergie primitive qui n’appartient qu’aux Africains. Un James Brown blanc ? C’est inconcevable. Un Révérend John Wilkins blanc est encore plus inconcevable. Le beat appartient définitivement aux blacks. Ces trois filles qui dansent sur un beat du Gospel batch, c’est sans doute le plus beau spectacle qu’on ait pu voir depuis le temps de Vandellas, ou plus récemment, les Como Mamas. Elles dansent en rythme d’un pied sur l’autre, font des petits gestes avec les bras, et shootent le bamalama du Seigneur tout puissant qui du coup devient un héros rock’n’roll bien plus infernal que ce pauvre diable cornu qu’on laisse aux Stones. Mieux vaut aller rocker aux pieds de l’autel de God almighty dans une église en bois que d’aller à Longchamp voir des Stones fanés jouer «Sympathy For The Devil» et finir de perdre toute leur crédibilité. On ne joue pas avec le diable, par contre on peut jouer avec God. God adore ça, il est même le premier à danser. On comprend ça dans l’instant, dans l’éclair d’un instant, lorsque la petite grosse perd le contrôle d’elle-même et jette une serviette dans la foule, alors qu’elle shoote ses chœurs à s’en faire péter les ovaires. Wow, elle ramène tout Aretha, tout le jus sacré du raw gospel, toute la magie explosive d’un monde qu’on connaît très mal.

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    Dans sa deuxième bio d’Aretha, David Ritz rappelle que l’univers du gospel, au temps où officiait le pasteur Franklin, était un fabuleux baisodrome. La foi et le sexe ont toujours fait bon ménage. Les femmes tombaient comme des mouches sous le charme du pasteur Franklin, père d’Aretha. Pasteur et homme à femmes. Fantastique dragueur. Il faut situer ça dans les années quarante et cinquante. Il existait un véritable circuit du gospel et un business florissant. Les prêcheurs de gospel les plus célèbres tournaient dans toute l’Amérique et rassemblaient dans les églises des milliers et des milliers de fidèles. On sait pour l’avoir vu dans certains docus que la messe pouvait tourner à l’hystérie collective. Certains pasteurs jouent sur des guitares électriques. Tout le monde danse, sans exception. Mais Ritz ajoute qu’après le prêche tout le monde baisait sous le tabernacle. Tout le monde, les jeunes comme les vieux ! C’est là qu’Aretha s’est mise à aimer les hommes. Johnny Guitar Watson dit d’elle qu’elle rôdait dans les fêtes, affamée de queue. Elle a douze ans quand elle est enceinte de Clarence. Deux ans après, elle met au monde Edward. Puis elle épouse Ted White, qui est un mac. Aretha est du cul, mais elle ne veut pas qu’on le dise. Comme toutes les bigotes qui ont le feu au cul, elle tente de protéger sa réputation. C’est la raison pour laquelle il existe deux bio d’Aretha avec David Ritz, celle d’Aretha et celle de Ritz, où tout est dit, surtout ce qui ne doit pas être dit. Et ça renforce le prestige sulfureux de cette femme qui sur scène devient une reine. Une vraie reine de droit divin. Un volcan à deux pattes. Et Aretha n’en finit pas de rappeler que toute la Soul vient directement du gospel.

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    Le bon Révérend fait un petit break, le temps de rappeler que son père Robert Wilkins a composé «Prodigal Son» et il profite de l’occasion pour rappeler aussi que les Rolling Stones ont rendu cette chanson célèbre. Il joue son Son seul, assis sur un tabouret, accompagné par le tap tap du batteur. Fantastique guitariste, il descend son thème à deux doigts glissants et pince des cordes du pouce et de l’intérieur des doigts ramenés en crochet. Il joue en accord ouvert, ce que les Anglais appellent l’open D et sort un son de rêve sur sa guitare, un son très pur de country-blues. Il enchaîne avec un «Walk With Me» joué seul. L’interlude mirobolant s’achève avec le retour des filles qui viennent donner l’assaut final.

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    Ah tu voulais voir Venise et tu vois «Wade In The Water», classique indestructible porté par toute la foi du pâté de foie. Ah tu voulais voir Vesoul et t’as pas vu Vierzon parce que t’as vu «Storm And Rain», eh oui, le bon Révérend demande à un public qui ne comprend pas l’Anglais s’il connaît les storms, et c’est sa femme, installée dans le coin sous l’enceinte qui fait Yeahhhh, d’ailleurs elle n’en finit pas de faire yeahhhh tout au long du set, comme à la Chapel Church, oui car le gospel est avant toute chose un art inter-actif, le pasteur dit un truc, et les gens font yeahhhh, mais on nous demandait fermer nos gueules à la messe, alors les petits blancs dégénérés ne savent pas faire yeahhhh. Bon c’est pas grave, le Révérend et ses trois filles continuent de rocker la salle qui se met à tanguer comme le baleinier du capitaine Achab sous les coup de boutoir de Moby Dick, et bim et bam, prend ça dans le foie, le gut d’undergut d’un «Get Right Chuch» à faire tomber la flèche en bronze d’une cathédrale, celle de ton choix.

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    L’album du bon Révérend est sorti en 2010 sur le big label Big Legal Mess, filiale honorifique de Fat Possum qui vénèrent les amateurs de blues primitif. You Can’t Hurry God vaut le détour pour au moins deux raisons : Jésus et «You Got To Move». On retrouve Jésus dans «Jesus Will Fix It». Le bon Révérend envoie son gospel rocker le Memphis Sound. Admirable. Il tape dans le brother de Yes sir et ça vire au all nite long. On n’avait encore jamais entendu gospel batch aussi insistant. Avec «You Got To Move», il tape dans le heavy blues rock. Le bon révérend est un caméléon, il tape ici dans la fantastique exaction parabolique, il drive le blues rock à coups de She got to move. Il tape plus loin son «Thank You Sir» au deep rootsy blues. Il sait aussi le jouer, il bouffe à tous les râteliers et c’est bien, de la part d’un mec comme lui. «On The Battlefield» est presque joyeux. C’est du gros gospel d’orgue et d’église en fête, alors on en profite. On l’admire tant et plus, oh my lord. C’est la fête à l’église du village. Dommage qu’on n’ait pas ça en France. Il faut aussi écouter attentivement le morceau titre d’ouverture de bal, car on y note une fabuleuse présence de can’t hurry. Il raconte son histoire, avec sa mama who told me when I was young. C’est de l’excellent gospel blues. On retrouve cette présence dans «Sinner’s Prayer». On n’a pas idée, tant qu’on a pas écouté ça. C’est extrêmement joué. On a là une sorte de Soul rock qui colle bien au temps présent. On retrouve aussi le fameux «Prodigal Son» : il passe au country shuffle d’église, c’est tellement rootsy qu’on s’en émeut profondément. Le bon Révérend remonte le courant comme un saumon du Mississippi. Quel fabuleux take de country blues ! Trop expert pour être honnête. C’est d’un niveau beaucoup trop élevé. Dans «I Want You To Help Me», des femmes lui viennent en aide. Ce qui frappe le plus dans ce genre de cut, c’est bien sûr l’incroyable énergie du son prodigue, my Prodigal Son.

    Signé : Cazengler, Irrévérend

    Reverend John Wilkins. Le 106. Rouen (76). 5 avril 2019

    Reverend John Wilkins. You Can’t Hurry God. Big Legal Mess Records 2010

    CHUCK BERRY

    JON BREWER

    ( 2019 )

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    Diffusé sur Arte, mais ceux qui comme moi ne possèdent pas cette boîte à décérébration populaire chez eux peuvent le visionner en replay du 04 / 04 / 2019 au 03 / 07 / 2019. A voir, certes ce n'est pas fantastique, depuis A Film About Jimi Hendrix en 1973, c'est toujours la même formule, un montage d'interviews de proches et d'artistes mêlés à des documents d'époque et d'extraits de films. J'ai l'air de critiquer mais je serais dans l'incapacité d'imaginer plus original. Laura Brewer la scénariste a toutefois eu l'idée de mettre en scène quelques épisodes de la vie de la vie de Chuck sous forme de clips phanstasmatiques qui clignent de l'œil vers l'esthétique de la BD, à mon avis pas vraiment convaincant.

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    Oui, mais c'est Chuck Berry, alors on s'en fout, on en prend plein les mirettes pour pas un sou, on regarde, on écoute, et on se tait. Chuck, c'est sacré, Chuck Berry in London mon premier album rock fut mon cadeau de Noël en 1965, c'était arriver dix ans après la sortie de Maybelline, mais à l'époque en France on n'était pas des milliers à suivre... Deux ans plus tard il y avait eu le Golden Hits avec sa pochette désastreuse mais au dos ces notes qui nous ouvraient tant de perspectives passionnantes avec ces références de matos et d'amplis qui vous tournaient la tête. L'on découvrait que le rock reposait sur toute une science sonologique qui nous laissait rêveurs. Mais je m'égare.

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    Jon Brewer retrace la carrière de Chuck, dans l'ordre chronologique mais il évite une dispersion fragmentaire en s'attachant à quelques idées forces, à trois thèmes centraux qui reviennent régulièrement.

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    Chuck Berry, l'inventeur du rock'n'roll. Certes il vient du blues mais il fut le premier à jouer plus fort et plus rapide que tous les autres. Possédait de longs doigts qui lui permettaient de courir le long du manche avec une facilité déconcertante. L'avait aussi une autre particularité, celle d'inclure dans le ploum-ploum-blues habituel des plans country. Métaphoriquement l'on peut dire qu'il a eu cette intuition géniale de remplacer les trémolos déclinants de la blue-note par l'attaque incisive de ce ces white-notes stridentes, ces espèces de jappements de chien, par lesquels les petits blancs arrachaient leur morceaux. Lui Chuck, l'attendait un peu pour les faire apparaître, ne vous les sortait que lorsque l'anatole bluesy se cassait la gueule, au moment où le cercueil bascule dans la fosse, vous fichait dans la moelle épinière trois cris de coq d'une stridence ravageuse à vous réveiller le mort qui se levait illico et se transformait en zombie fou pour se lancer dans une sarabande effrénée. C'était cela le secret du rock'n'roll, ne jamais laisser retomber le soufflet, un coup de barre et c'est reparti pour une giboulée de Mars, dieu de la guerre et du chaos.

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    Chuck Berry un guitariste fabuleux. Qui chantait aussi. N'avait pas une voix extraordinaire. Un peu trop nasillarde à mon humble avis. Mais par contre il savait s'en servir à merveille. Le premier imbécile est capable de l'ouvrir et de chanter plus ou moins bien, mais dans le rock'n'roll, chanter n'est pas jouer. Tout se passe dans l'inflexion. Le blues module, le rock modélise, si vous dites Baby I love you so, faut que vous donniez l'impression que vous êtes en train d'interpréter le rôle d'un type qui dit Baby I love you so, c'est ce léger décalage, cette espèce d'innocence assumée d'une rouerie confirmée qui fait tout le charme du phrasé rock. L'irocknie est le secret du chant rock'n'roll.

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    L'avait une autre corde vocale, le Chuck, composait ses paroles, l'a été le premier – bien avant Dylan – à avoir reçu une prestigieuse récompense littéraire pour ses lyrics – n'empruntait pas le texte à autrui, donnait sa propre vision du monde, n'avait pas besoin de s'approprier le contenu, c'était lui tout craché, décrivait les boys et les girls tels qu'il les voyait et les comprenait. Lorsqu'il écrivait il ne mâchouillait pas ses mots, quand il les chantait il les articulait divinement, vous racontait sa petite histoire, un conte acidulé pour grands enfants. L'était un fan de Bing Crosby mais l'avait adopté une méthode similaire à celle de Sinatra, concevoir l'interprétation d'un morceau comme une scène de film, un scénario qui retient votre attention et vous tient en haleine jusqu'au dénouement. Un poète.

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    Beaucoup d'atouts dans son jeu. Ajoutez à cela qu'il avait un sourire délicieusement craquant et que sa musique invitait à la danse. Vous filait la danse de sainte-guytare au premier accord. Personne n'y résistait, ni les blancs, ni les noirs. Et cette musique du diable vous invitait à franchir le fil rouge de la transgression. C'est dans ces concerts que jeunes blancs et adolescents noirs se mirent à enfreindre une règle intangible : dansèrent ensemble... Une révolution, qui ne plut pas à tout le monde. Berry avait du succès, mais dans le Sud des Etats-Unis qu'un noir gagne trop d'argent n'était pas bien vu. Surtout qu'il eut l'outrecuidance de sortir avec des femmes de couleur blanche. L'on n'était plus au bon vieux temps où l'on pouvait vous brancher un négro au haut d'un arbre en toute tranquillité, l'on usa de stratagèmes bien plus pernicieux. A croire qu'à cette époque aux Etats-Unis, c'était déjà comme en la France d'aujourd'hui, que la police était partout et la justice nulle part, flics et procureurs s'entendirent comme larrons en foire pour lui créer des ennuis, lui firent fermer son parc d'attraction, l'accusèrent de ne pas payer ses impôts, de transporter de la drogue dans son étui de guitare, parvinrent à l'enfermer à plusieurs reprises en prison. Les témoins sont formels, un blanc n'aurait jamais été maltraité de la sorte...

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    L'on comprendra qu'après de tels traitements le caractère s'aigrisse. Berry se méfia des blancs. Les prit en grippe, que dis-je, en cancer de l'anus avancé. Les tint pour peu de chose : des vaches à lait. Ne fit plus de cadeaux. D'abord les dollars, ensuite la musique. Tous les musiciens blancs qui ont joué avec Berry en gardent de mauvais souvenirs, sans renier le moins du monde leur admiration, repassez-vous sept ou huit fois la séquence de Hail Hail Rock'n'Roll ! dans laquelle Chuck arrête Keith Richards en pleine intro pour lui signifier qu'il faut poser les doigts un peu plus bas, ces éclats de haine rentrée dans les yeux de Keith valent leur pesant d'or, ravale son orgueil et son chapeau, le Keith, fallait-il qu'il respecte le vieux briscard pour passer sur cette humiliation publique...

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    Du beau monde dans le film, Steve Van Zandt, Gene Simmons, Alice Cooper, Joe Perry, Nils Lofgren; Nile Rodgers, George Thorogood, Joe Bonamassa, Marshall Chess, juste un truc qui me gêne, ces gars-là nous les avons admirés, haïs, dédaignés, font partie peu ou prou, de près ou de loin, de notre story-stelling, mais z'ont pris un sacré coup de vieux. Ce n'est guère rassurant pour nous. Certes un Joe Perry a encore une belle dégaine mais l'Alice Cooper ( que j'estime ) l'est beau comme un paillasson. Enlevez-moi ces miroirs. Mais ce n'est pas le plus grave, z'ont des airs de grand-pères, mais où sont les petits-enfants ! Ne sont rien d'autres que des momies de l'ancien temps, Jon Brewer agit un peu comme cette chaîne de télé américaine qui vous ouvre un sarcophage de l'ancienne Egypte en direct. L'aurait pu chercher quelques jeunes guitaristes qui œuvrent dans le metal par exemple, l'a peut-être eu peur du fossé générationnel, de la coupure transmissive...

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    Question subsidiaire : Chuck Berry fut-il un rocker ? Réponse musique sans nul doute. L'a fait son job, sûr, mais ne pas confondre Charles avec Chuck. L'homme public s'arrêtait devant la porte de sa maison. Chez lui, n'était plus qu'un époux aimant, qu'un père attentif, sa femme et ses enfants en témoignent avec dignité et émotion. Chuck a eu la force de se préserver, l'a survécu, ne lui manquait qu'une dizaine d'années pour finir centenaire, l'est mort comblé, célébré, révéré, institutionnalisé, un beau parcours, lui manque toutefois un petit grain de folie...

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    Les rockers regarderont ce film avec plaisir - attention pour les thuriféraires de Presley, le film insiste : Elvis a popularisé le rock, Chuck l'a inventé - en plus vous avez quelques images de Jerry Lou et de Bo Diddley, l'est vrai qu'il nous manque Little Richard. Arrêtons de chercher la petite bête et la grande folle ! Hail ! Hail ! Rock'n'roll !

    Damie Chad.

    P. S. : pour ceux qui veulent un beau portrait de Chuck Berry la lecture de la chronique de notre Cat Zengler parue dans la livraison 323 du 06 /04 / 2017 s'impose. Pas un must, un devoir éthique.

     

    Chuck chose en son temps

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    Chuck Berry fait partie des gens qui meurent mais qui ne disparaîtront jamais. Sa musique est partout depuis soixante-cinq ans. Elle est à l’image d’une vie, à la fois trop longue et trop brève. Il fut un temps où on se plaignait de trop l’entendre, l’époque où les Stones jouaient «Carol» et «Little Queenie», mais depuis deux jours, c’est un peu comme s’il nous manquait. Comme si sa longue histoire n’avait duré que le temps d’une chanson.

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    Si tu veux te payer une petite overdose de Chuck, fais-toi offrir à Noël le coffret Bear paru en 2014, Rock And Roll Music/ Any Old Way You Choose It. Bear qui ne fait pas les choses à moitié propose avec ce coffret tout Chuck gravé sur seize rondelles, c’est-à-dire TOUS les cuts enregistrés entre 1954 et 1979, et du live à la pelle, environ quatre-vingt titres regroupés sur les quatre dernières rondelles. Tout ça s’écoute avec autant de plaisir que les albums originaux sur Chess, mais attention, ce sont les deux livres emboîtés dans le coffret qui vont t’envoyer directement au tapis. À commencer par le Harry Davis Photos book. Un nommé Bill Greensmith est allé fouiner dans le grenier d’Harry Davis, un cousin photographe de Chuck. On a là quatre-vingt dix pages d’images fan-tas-tiques, celles du Chuck d’avant Chess, déjà prodigieusement photogénique. L’une des images les plus connues est celle d’un Chuck engoncé dans un costard blanc mal taillé et grattant une belle pelle noire. Il sourit comme un ange de miséricorde, la bouche surlignée d’une moustache taillée à la cordelette. On ne trouve pas moins de sept poses de cette image, dont une agenouillée. Ce qui frappe le plus sur ces images magiques, c’est la taille des mains de Chuck. C’est là qu’un parallèle avec Jimi Hendrix s’interpose : les deux hommes avaient énormément de choses en commun, hormis la taille des mains : ils avaient tous les deux du sang indien dans les veines, un appétit sexuel démesuré et l’équipement qui leur permettait de l’assouvir, et le génie qui leur permit à deux époques différentes de façonner le rock à leur image. On tombe aussi dans le Harry Davis Photos book sur des images romantiques de Chuck avec des belles poules noires. En 1948, Chuck n’a que 22 ans et il est aux noirs ce qu’Elvis fut aux blancs à la même époque : une perfection à deux pattes. On tombe à la page suivante sur sa photo de mariage avec Themetta, qui doit elle aussi avoir du sang indien dans les veines, tellement l’aspect sauvage de sa beauté fascine. Harry Davis shoota aussi pas mal d’images dans les clubs de Saint-Louis où se produisait son cousin Chuck. On le voit gratter une Les Paul noire au Cosmopolitan Club en 1954. Et devant lui dansent des couples de blacks. On se dit : Oh les veinards ! Le cousin Harry en profita aussi pour shooter Johnnie Johnson assis devant son piano et le batteur Ebby Hardy fouettant le beat avec ses balais. Ce book fatidique se termine avec quelques images en couleurs. Chuck pose avec sa Gibson crème et tortille un peu les pattes : image après image, il crée sa légende. Ses chansons lui serviront de bande son.

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    L’autre livre donne le vertige, car il résume en images toute l’histoire de Chuck Berry. On a beau se dire qu’on connaît tout ça par cœur, depuis Disco-Revue et tous ces canards qu’on a eu dans les pattes, cette imagerie frénétique impressionne de plus belle. Toutes ces images sont graphiquement parfaites. Quelle que fut l’époque, Chuck Berry s’est toujours débrouillé pour rester un pur rock’n’roll animal. Il a toujours su se donner les moyens de sa légende. Certains personnages ont cette faculté de pouvoir rester conformes à l’image qu’on se fait d’eux. Dylan et Lemmy illustrent eux aussi ce principe de longévité vampirique. D’ailleurs, quand on ouvre ce deuxième volume, on tombe dès la page 4 sur Chuck le vampire ! Il ne prend même pas la peine de dissimuler ses deux crocs. Et le phénomène tourbillonnaire se reproduit : année après année, Chuck pose guitare en main avec la même élégance, le même filiformisme congénital, le visage toujours expressif d’un showman vétéran de toutes les guerres, et puis il multiplie les figures de styles, le duck-walk en costume blanc et le grand écart en pantalon rouge. Photos extraordinaires que celles d’un Chuck en béret au Star Club de Hambourg en 1964, puis les images incroyables de la tournée américaine de 1964 avec les Animals, puis on passe en 1967 avec des images de plus en plus acrobatiques shootées à Manchester, et même quand il commence à se laisser pousser les cheveux en 1972, il incarne le rock’n’roll mieux que quiconque sur cette planète. Il a ce côté gyspsy qu’avait Jimi Hendrix en débarquant à Londres. Souvenez-vous : subjugués par son apparition, les journalistes anglais crurent que Jimi sortait des bois de Bornéo.

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    Tous les fans de Chuck Berry entassent des tonnes de souvenirs de concert. Celui qui fut sans doute le plus spectaculaire fut le fameux concert-émeute de la Fête de l’Huma en 1973. Chuck arriva sur scène en pantalon rouge avec sa Gibson ES355 rouge et quelques heures de retard. La section rythmique d’Osibisa l’accompagnait. Tout se passa bien pendant un cut, puis un barbu en Stetson et lunettes noires débarqua sur scène pour dégager le batteur black et prendre sa place. La rumeur courut aussitôt : c’est Jerry Lee ! Et au lieu d’accompagner son vieux rival nègre, Jerry Lee lança ses baguettes en l’air et ruina brutalement le set de Chuck qui posa sa guitare pour quitter la scène. C’est là que la fête bascula dans le chaos. On vit un ciel noir de projectiles et un gang de bikers chargea la foule en brandissant des armes blanches. Panique générale ! Sauve qui peut les rats ! Les gens se levèrent par vagues. Même pas le temps de ramasser les sacs ! On marchait sur ceux qui n’étaient plus en état de se lever. Quelle rigolade ! On ne remerciera jamais assez Jerry Lee d’avoir créé un si beau chaos.

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    D’autres rendez-vous encore, comme ce concert fantastique de Chuck aux Banlieues Bleues à Saint-Denis et ce poto qui n’en finissait plus de glousser : «Gad’ le saucisson !». Chuck portait un pantalon rouge très moulant et on voyait bien qu’il était monté comme un âne. Un Marseillais dirait que sa bite descendait jusqu’au genou. Mais ce qui frappait le plus, c’était sa carrure. On comprenait mieux comment il avait réussi à sortir indemne des taules des blancs : Chuck Berry est bâti comme un géant. C’est ce que Steve Jones appelle la «structure osseuse», et il insiste beaucoup là-dessus dans Lonely Boy, son recueil de souvenirs.

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    Alors justement, Steve Jones n’arrive pas là par hasard. Chuck et lui ont quelque chose en commun, un goût prononcé pour la délinquance et le sexe. Comment pourrait-on imaginer les Sex Pistols ou Chuck Berry sans sexe et sans une petite pointe de délinquance ? L’ado Chuck et l’ado Steve débutent leurs carrières d’obsédés sexuels très tôt. Ça titille d’autant plus Chuck que son cousin Harry Davis shoote déjà des pin-ups et arrondit ses fins de mois avec des photos porno. Quand Chuck commence à tripoter les petites gonzesses du voisinage, son père l’apprend et lui colle une belle rouste. L’erreur à ne pas faire ! Alors l’ado entre en rébellion et décide de fuguer avec ses copains Lawrence Hutchinson et James Williams. Ils se carapatent tous les trois à bord d’une vieille Oldsmobile. Direction la Californie. Ils font cinquante bornes et s’arrêtent pour casser une croûte dans un patelin nommé Wentzville (là où Chuck installera plus tard son fameux Berry Park). Comme ils sont noirs, le porc blanc du restau leur dit d’aller chercher leur bouffe derrière, à la fenêtre de la cuisine. En 1944, les noirs n’ont pas le droit d’entrer dans les gastos des blancs. C’est là que l’ado Chuck fait la connaissance de Jim Crow, le fantôme ségrégationniste qui plane sur tout le Deep South. Quand ils arrivent à Kansas City, ils n’ont plus un flèche en poche. Alors Chuck sort son calibre 22 et ils braquent des commerçants. Envoie l’oseille, whitey ! En l’espace de cinq jours, ils en braquent trois, dont un coiffeur. Ça tourne au sac d’embrouilles, aussi décident-ils de rentrer à Saint-Louis. Hélas, la vieille Oldsmobile tombe en carafe à mi-chemin, juste à la sortie de Columbia. Ils font signe aux bagnoles qui passent. Un mec s’arrête. Plutôt que de lui demander gentiment son aide, cette crapule de Chuck lui met son calibre 22 sous le nez et lui dit de calter vite fait. Ils repartent en poussant l’Oldsmobile jusqu’à ce qu’un flic suspicieux les voie passer et les poire. Ils se retrouvent tous les trois au Boone County jail et un juge leur en colle pour dix piges dans la barbe. On est dans le Missouri et à cette époque, on mène la vie dure aux nègres qui sortent du droit chemin, aux antisociaux comme Chuck qui chient sur la règle d’or, le fameux ferme-ta-gueule-et-travaille-pour-le-patron-blanc. Chuck va tirer trois piges à Algoa.

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    Quand on le vit arriver sur scène à l’Olympia en 2005, on n’en revenait pas ! Cet homme de quatre-vingt ans déboulait sur scène en rigolant, vêtu d’une chemise bleue pailletée d’or. Et pendant plus d’une heure, il allait aligner la plus belle série de golden hits de tous les temps. En fait, ce qui frappait le plus dans son style, c’était l’économie de moyens. Il jouait une sorte de stripped down rock’n’roll, il ramenait tout à l’essentiel qui était la mélodie chant - Roll over Beetho/ ven/ And tell Tchaikov/ ski/ the news - D’ailleurs, il nous fit ce soir-là le coup de la panne, plus de son dans la guitare, alors il prit la basse pour s’accompagner et continua de chanter son cut comme si de rien n’était. Pour éclairer la lanterne du public, il expliqua qu’il jouait avec un émetteur, et que la pile du relais d’antenne était morte. Puis il éclata de rire : «Avant, on avait des câbles, and it never failed !». Et là-dessus, il embraya directement sur «Carol». Tout ceci pour montrer qu’au fond il n’a jamais eu besoin d’orchestre. Son principal instrument est sa voix. Il n’empêche qu’on se régalait quand même de le voir jouer ses plans de swing sur la Gibson rouge. Personne ne jouait de la guitare avec autant d’élégance. Il pliait les genoux et plaquait tranquillement ses accords dissonants sur son manche. The birth of cool ! Et puis ses textes sont tellement bien écrits qu’ils swinguent naturellement. Ça fait trente ans qu’on entend tous les coqs de basse-cour répéter à qui mieux-mieux que Chuck est le plus grand poète américain. Quelle aberration ! Quand on voit ce vieux pépère hilare sur scène, on comprend qu’il a inventé son rock’n’roll sans le faire exprès. Chez Chuck, la moindre phrase est simplement prétexte à rock. Ce concert de l’Olympia en 2005 fut un exemple parmi tant d’autres. Chuck savait doser ses effets et créer de violentes montées en température. On le vit soudain passer aux choses sérieuses avec «Memphis Tennessee», le fameux Long distance information, l’un des cuts les plus mythiques de l’histoire du rock, et là, à cet instant précis, on sut que Chuck régnait sur la terre comme au ciel. Il jouait des accords si épais qu’ils semblaient charrier des grumeaux de distorse. Il envoyait sa purée avec une sorte de bonhomie du delta. Puis il raconta l’histoire du country boy, un nommé Johnny qui savait jouer de la guitare comme on sonne à la porte. Évidemment, ça a l’air con, dit comme ça, mais le truc est là : il suffit simplement de raconter l’histoire d’un mec qui gratte sa guitare pour créer du mythe.

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    On le vit pour la dernière fois à Paris en 2008 en tête d’affiche au Zénith, après Linda Gail et Jerry Lee. Pas mal pour une vieux pépère de 82 ans. Comme Bobby Bland, il portait une casquette blanche d’officier de marine et son fils beefait le son sur une deuxième guitare. Du coup, le groupe sortait un son fabuleusement heavy, qui déroutait un peu, mais des hits comme «Around & Around» filaient comme des torpilles jusqu’à nos cervelles. Baaam ! On sentit ce soir-là qu’une page d’histoire se tournait. La critique s’empressa de massacrer le concert, histoire de redorer le blason de son incurie. Comment peut-on reprocher à Chuck Berry de jouer quelques plans foireux ?

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    La meilleure approche de Chuck Berry se trouve sans doute dans le film de Taylor Hackford, l’excellent Hail Hail Rock’n’Roll financé par Universal en 1986 pour le soixantième anniversaire de notre héros. C’est un film à deux facettes, et si on veut voir les deux, il faut se procurer l’édition spéciale du film parue en 2006 : le disk 1 propose la version originale du film et le disk 2 les interviews des principaux protagonistes, dont la productrice Stephanie Bennett et Taylor Hackford. Pour eux, ce tournage fut un épouvantable cauchemar, ce que ne montre pas du tout le film. Stephanie Bennett explique que Chuck Berry profitait de la moindre occasion pour renégocier son contrat. Si on ne lui apportait pas le blé en cash dans une enveloppe, il restait chez lui. Chaque fois, Stephanie Bennett lui demandait : «Combien ?». Et il fixait la somme. Quand ça tombait sur un samedi ou un dimanche et que les banques étaient fermées, elle devait se débrouiller pour trouver du cash. En plein tournage, Chuck prenait aussi des engagements pour jouer ailleurs. Si Taylor lui disait que ce n’était pas prévu et qu’une journée de tournage coûtait une fortune, Chuck lui répondait qu’il ne pouvait pas cracher sur un cachet de 25 000 $. Stephanie Bennett affirme que Chuck Berry est obsédé par le blé. Elle explique qu’il y avait deux concerts prévus au Fox Theater pour la fin du film et Chuck refusait de jouer le deuxième qui n’était pas prévu dans le contrat si on ne lui versait pas un complément. «Combien ?». Elle trouva le cash et lui balança l’enveloppe en pleine gueule. Elle n’en pouvait plus. Alors combien au total ? Le premier jour, Chuck empocha 25 000 $ en cash, et au final, elle estime qu’il aurait empoché 800 000 $. Chuck Berry a eu bien raison d’étriller ces blancs qui de toute façon allaient encore se faire du blé sur son dos, comme ils l’ont fait au temps de Leonard Chess et de tous les autres qui ont suivi. Dans une séquence du film, on voit Chuck discuter avec Bo Diddley et Little Richard. Bo explique qu’au temps de Chess, on leur donnait un demi-cent par disque vendu. Chuck rappelle qu’un disque se vendait 49 cents et il demande : où sont passés les 48 autres cents ? Mais dans la poche de ces porcs blancs, bien sûr ! On tente de faire passer Chuck pour un sale mec dans ces interviews et dans la presse, mais les sales mecs, c’est ni Chuck, ni Bo, ni Little Richard. On se fourre le doigt dans l’œil jusqu’au coude ! Les sales mecs sont tous ces gros porcs blancs qui ont bâti des fortunes sur le dos des nègres, exactement comme à l’âge d’or de l’esclavage et des plantations. Oh les belles demeures de caractère ! Et tous ces pauvres nègres qui ont bossé toute leur vie là-dedans pour des nèfles ? Non mais vous rigolez ou quoi ? Chuck Berry un sale mec ? Chuck, c’est Zorro ! Il leur fait cracher tout leur blé, à ces fils de putes. Il a plus de courage que les autres qui n’osaient pas, ceux de Chicago élevés dans la terreur du patron blanc. Dans le film, on voit Chuck entrer au Fox Theater et raconter qu’il y était venu étant gosse pour y voir un film. Comment l’accueillit la gentille caissière ? Dégage, sale nègre ! Bien sûr, Chuck mettra un point d’honneur à revenir jouer en tête d’affiche dans cette salle où on l’a humilié quand il était petit, mais il profite surtout de cette séquence pour rappeler au monde entier qu’on a vendu ses ascendants à quelques blocs d’ici, sur les marches du tribunal. Sold ! répète-t-il d’une voix sourde. Et il ajoute, avec un drôle de sourire en coin : depuis, les choses ont bien changé, n’est-ce pas ? Autre anecdote croustillante : quand il enregistre «Maybelene», le hit qui va le rendre célèbre dans tout le pays, il voit trois noms crédités sur la rondelle du single : Chuck Berry, Russ Freto et Alan Freed. Chuck demande : «Qui est Russ Freto ?» Pas de réponse. Il découvre un peu plus tard que Russ Freto est un employé de Leonard Chess, ‘est-à-dire un homme de paille. Chuck a beau être délinquant, il découvre que les frères Chess sont bien plus balèzes que lui en matière de délinquance. Ils méritaient d’aller faire un stage dans la taule d’Algoa.

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    Alors bien sûr, si on regarde le film, on a l’autre pendant de cette histoire, avec toute la crème de la crème, Keith Richards, Clapton, Robert Cray, c’est à qui va frimer le plus, avec des solos à la mormoille. On voit aussi Jerry Lee rendre hommage à son vieux rival et ses rares apparitions dans le film remontent bien le moral. On revoit aussi avec un bonheur incommensurable la fameuse scène où Chuck fait rejouer trois fois l’intro de «Carol» au vieux Keef. Il dit à Keef : «Si tu veux le faire, il faut le faire bien !». C’est sa façon de régler ses comptes, car les Stones et les Beatles lui ont tout pompé. Chuck Berry n’est jamais devenu aussi énorme que les Beatles et les Stones. On peut comprendre qu’il puise en éprouver une certaine forme de ressentiment. Tiens, encore un coup de charme fatal : il rappelle qu’au temps de sa jeunesse, on n’entendait que des artistes blancs dans les quartiers blancs de Saint-Louis, des gens comme Sinatra ou Pat Booooooone, mais jamais Elmore James, ni Muddy Waters, ni Howlin’ Wolf. Alors il se dit : Pourquoi ne pas écrire de la sweeeeeet music pour entrer chez les white people ? «Alors j’ai écrit «School Days» et ça a marché !» Il faut voir le sourie de Chuck à ce moment-là.

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    L’autre gros avantage du disque de bonus, c’est qu’on y voit Etta James chanter une version démente d’«Hoochie Coochie Gal», le pendant féminin du fameux «Hoochie Coochie Man». Taylor Hackford rappelle que Chuck ne voulait pas d’Etta dans son film mais Keef réussit à l’imposer. À la fin de la chanson, visiblement ému, Chuck vient serrer Etta dans ses bras. Il dit ne pas la connaître, mais elle lui rappelle qu’au temps de ses débuts chez Chess, elle a fait les backings vocals pour lui sur quatre titres, en compagnie d’Harvey Fuqua des Moonglows et de Minnie Ripperton qui était alors réceptionniste chez Chess. L’autre sommet du bonus disk est l’épisode d’Algoa State County Jail, où Chuck séjourna de 18 à 21 ans. Taylor raconte qu’ils sont entrés dans la taule comme dans un moulin, car Chuck y est un héros. Pas besoin de papelards ! Un petit groupe accompagne Chuck et dans ce petit groupe se trouvent des femmes, dont la fameuse Stephanie Bennett. Ça flippe un peu dans le groupe de visiteurs, car ils doivent traverser la cour à pieds et des centaines de taulards arrivent pour les accompagner. Certains commencent même à mettre la main au panier de Stephanie Bennett pour la mettre à l’aise. My crutch ! Ça fait marrer Chuck ! Hilare, il rappelle que les taulards sont privés de pussy pendant looooongtemps. Puis il donne un concert gratuit pour ses copains taulards. GRATUIT ! Eh oui, tout arrive. Quelle rigolade ! Mais on ne voit hélas pas les images, car Chuck les a confisquées. À la suite de cette séquence pour le moins insolite, Taylor Hackford rappelle que Chuck fit trois séjours au ballon : pendant le premier, il apprit la poésie, pendant le second (suite au Mann Act, une vieille loi raciste qui interdit aux nègres de traverser des frontières d’états en compagnie d’une mineure blanche), il termina ses études, et pendant le troisième (poursuivi par le fisc pour non-déclaration de revenus), il obtint un diplôme de compta, histoire de dire : vous ne me baiserez plus. And he could play guitar like a-ringing a bell. Fabuleux personnage.

    Signé : Cazengler, le chuck des mots, le poids des faux taux

     

    Chuck Berry. Disparu le 18 mars 2017

    Rock And Roll Music/ Any Old Way You Choose It. Bear Family 2014

    Taylor Hackford. Hail hail Rock’n’Roll. DVD 2006

    ELECTRIC LANDSCAPES

    HAPPY ACCIDENTS

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    Nathan Mozes : guitare, chant / JC Viron : guitare / Fred Dee : basse / Rascal : batterie.

     

    Nous les avions vus au Supersonic, nous avaient plu et intrigué, voir notre livraison 401 du 10 / 01 / 2019, et les voici qui sortent leur deuxième opus, ce six avril 2019, le premier éponymement intitulé Happy Accidents avait paru en juin 2018.

    Mersea : paysages pour les oreilles et le rêve. Inutile de vous laisser emporter, cela ne dépend plus de vous, dés les premières notes vous êtes propulsé en un autre monde, en des landes familières totalement inconnues. Une seule référence, la vitesse. Alliée à la puissance. Sûr que vous n'êtes plus maître de rien du tout. Vous avez ouvert une porte et le seuil vous a happé. Vous êtes à mercy. Mais vous ne savez pas de quoi au juste. N'y a plus qu'à suivre et à tenter de comprendre cette houle symphonique, dont vous n'êtes qu'un électron prisonnier. Ne cédez pas à la beauté sonore, elle n'a d'autre but que de vous enfermer en une tour d'ivoire qui vous retiendra à jamais. Essayez de comprendre comment le sortilège fonctionne, des ajouts successifs, des chevauchements infinis de vagues qui s'entassent les unes sur les autres, jamais une seconde de répit, une surimpression sonologique irrémédiable, la batterie qui bat et les guitares qui rabattent, tout s'acharne à s'amplifier, des murs s'exhaussent autour de vous, et vous donnent l'impression de vous soulever vers votre destin. The Beast : the beat is the beast. A vous de l'affronter. Le monstre beugle et fonce sur vous à une allure indéfinissable. Tempo de fou, la grande menace se dirige vers vous, les guitares hululent, la folie cogne à votre tête et submerge votre cerveau, vous n'êtes plus que bruissement d'intumescence effractée en vous, le sang gicle de vos tympans et étoile les vitres qui vous isolent du monde, maintenant le monstre paisible virevolte autour de vous, s'éloigne de toute sa grandeur, le pire est arrivé, vous aimez ce funeste accident, la rage incoercible vous habite, vous êtes lui en vous et il martèle de sa queue effarante le peu d'intelligence humaine qui vous restait. L'héautontimorouménos, l'homme qui se châtie lui-même, disait Baudelaire. Spanish mood : changement de mode. Valse espagnole. Ça ne tourne plus rond en vous. Vous êtes la victime d'une farce énorme. D'ailleurs le tournoiement définitif gagne en puissance, vous essayez de vous échapper et la musique descend d'effroyables escaliers, les guitares grincent à la manière des salles de torture, la douleur vous calme, les tourments deviennent votre manière d'être, des cris s'évaporent, la batterie s'accoude sur vous et c'est reparti pour un tour. Cela ne finira donc jamais, quelques coups de marteaux sur vos rotules et sur vos synapses et vous voici cloué dans un grand galop final que plus rien n'arrêtera. Bruit de tire-bouchon final. L'on vient de vous ôter le cerveau comme l'on arrache le bouchon moisi d'un champagne calamiteux. Heavy : plus fort, plus lourd, plus rock, plus heavy, la musique ne fait plus de quartier. C'est l'instant du grand concassage. Du sublime étrillage, une guitare couine et les autres instruments fusillent à vue les fusibles de la déraison, massacre dans les abattoirs, tronçonneuses sanglantes, le rêve devient embouteillage cauchemardesque, il ne sera fait aucun prisonnier, heureusement cela s'arrête brutalement avant qu'il ne vous arrive un accident fatal. Self destruct : tout s'assombrit, le rotor est en marche, ses pales gigantesques déchirent le monde et vous comprenez enfin que c'est vous qui pilotez cet hélicoptère géant de destruction massive, vous êtes à l'intérieur de vous, et ça déchire, vous êtes le scalpel et vous êtes l'intelligence martyrisée, ne vous plaignez pas, la musique s'engouffre dans un gigantesque ricanement, un entonnoir trombique de haines rentrées déferlent sur vous, vous êtes à l'intérieur de vous et vous prenez encore de l'altitude. A croire que l'univers n'a pas de limites. Enemies : de loin, très loin, venue d'ailleurs la menace se précise. La bête n'est pas morte, elle s'est multipliée elle fonce vers vous, les godillots de ses gros bataillons courent sur vos membres à la manière des larves qui grouillent sur les cadavres, c'est le dernier combat, vous n'avez pas le droit de vous laisser submerger par les innommables légions de l'astral, vous vous battez avec la rage du désespoir, furie noire, furie blanche, furie rouge. Fin de partie. Les ennemis gisent à terre. Tout s'écroule. Vide absolu. Alone : quel silence, quelle ironique douceur, vous n'êtes plus que vous-même, vous vous remémorez le film, maintenant vous avez le temps, vous avez déjà la nostalgie de vos paysages électriques intérieurs. Vous préférez les cauchemars à la solitude, chafouinements cordiques, la batterie tire les rideaux rouges de sang séché, vous comprenez qu'il vaut mieux être mal accompagné par soi-même que seul dans la splendeur du monde. Générique de fin, les paysages électriques que vous avez cru visiter sont à votre image. Dans le lointain Maldoror ricane.

    Superbe suite instrumentale. Puissant et original. A écouter sans fin. Electricité poétique.

    ( Disponible sur Bandcamp. Voir aussi FB : Happy Accidents )..

     

    SELF CONTROL

    THE RADIOACTIVE

    ( 2014 / Attila Attack Records )

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    Cinq ans d'âge. Zétaient à la Comedia ce 30 mars 2019 pour la sortie de leur nouveau mini-album A Matter of Time, la teuf-teuf étant en salle de réanimation, suis resté bêtement à Provins... En lot de consolation, j'avais récupéré à la Comedia ce premier EP, oui mais après écoute je n'en ai que plus de regrets.

    Groupe d'origine lycéenne ayant connu changement de noms et de membres, Oscar et Bastien sont aux guitares et au vocal, Arthur Dubois à la basse et Neil à la batterie.

    Self Control : saisi dès les premières notes, le son est bon, la guitare fuzze et l'urgence d'une voix déclenche l'avalanche, une batterie très AC / DC en complément vitaminé et un double comprimé chorique parsème le titre jusqu'à un solo cataleptique, la voix miaule et c'est parti pour l'attaque à la baïonnette. Méchamment bien foutu. Ils en rigolent. Get Stoned : en plus appuyé, un peu à la Titanic, plus près de toi mon dieu, oui mais là on ne se perd pas en patenôtres, ça balance terrible, des ritournelles incessantes de batterie et des échardes de guitares qui s'enfoncent profond, mais le meilleur c'est encore le vocal qui vous emporte au fond de l'enfer et qui se permet de minauder devant les fournaises du diable. Death Song : carrément un bon chanteur, l'a tout compris le gazier, alors z'ont intuité qu'il fallait l'enkister dans un coffre-fort blindé. Fricassées de batterie, émincés de guitares, saupoudrage de chœur, vous m'en direz des nouvelles. Welcome to the Morgue : trois bons titres, la maison ne fait pas de cadeau, vous en refile aussitôt un quatrième pour que vous compreniez qu'ici ce n'est pas de la daube en tube, vocal et guitares furax, la batterie qui vous emballe le tout à coups de pelles. Y a même un loup qui hurle et grogne au milieu de la sarabande. Un truc à vous faire réserver une place à la morgue. Un titre sans concession de cimetière pourtant. Revitaliseur. 8 O' Clock : la voix qui déchire en avant, la guitare qui jumpe et retombe en vous coupant les jambes comme si l'on vous passait à la guillotine par le mauvais bout, se foutent de votre gueule sur le refrain des nanalalère de cours de récréation qui vous monte la température au-dessus de la fonte de la banquise, la guitare vous en pique une colère homérique. Sûr que c'est l'heure fatidique. En tout cas ça vous tombe sur le coin du museau comme un étron de bonheur.

     

    Superbe. Un gros défaut : trop court, manque sept ou huit morceaux, va falloir se mettre en quête de A Matter of Time. Ce ne saurait être qu'une question de temps.

    Damie Chad.

     

    LE VENT SE LEVE

    CHAMBLAS RÊVEIL

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    Chamblas Rêveil : guitare, chant, harmonica / Florent Sepchat : accordéon, orgue, piano / François Collombon : percussions / Océane Halpert : choeurs, piano / Flora Chevalier : violoncelle, choeur / Mathieu Torsat : contrebasse, guitare / Yoann Loustalot : trompette.

    Le CD était vendu, à prix libre, pour aider les personnes blessées par la police ( que tout le monde déteste ) lors des dernières manifestations à Tours, je l'ai pris quoique à mon avis je subodorasse – le fameux flair du rocker - plutôt un album style chanson française, ce qui n'est pas du tout ma tasse de thé adorée. Je l'ai quand même écouté, et ma fois j'ai été agréablement surpris, et puis peut-être que certains kr'tntreaders aimeront à penser qu'il y a un peu trop d'éborgnés en notre pays ces derniers mois.

    Patrick Chamblas, alias Chamblas Rêveil, fait partie de cette génération d'artistes qui s'en viennent chez vous interpréter dans votre salon - dans lequel vous avez réunis amis et voisins - chansons, musique, pièces de théâtre, lectures diverses, une manière différente de rencontrer le public en des lieux intimes. Si vous n'allez pas à l'art, l'art viendra chez vous pour vous rentrer dans le lard !

    Le vent se lève : chanson titre du CD, la plus courte et la moins originale. De larges alexandrins à la prosodie un tantinet relâchée, le genre de licences qui auraient conduit Théodore de Banville au suicide, mais l'est vrai que Chamblas Rêveil a ici plutôt visé la pompe hugolienne que les pirouettes de l'auteur des Odes Funambulesques. L'a toutefois une voix un peu trop fluette à la Angelo Branduardi, faudrait une symphonie vocale, nous offre une strette trop maigrelette. Le violoncelle qui ne bat pas de l'aile sauve le morceau. Rock'n'Flash-Ball : le seul morceau rock'n'roll du disque, un peu trop simili, pas vraiment cuir épais de rhinocérock qui fonce à la manière d'un bulldrockzer. Par contre niveau parole il assure grave méchant, vous lance les mots au flash-ball, l'écorne et l'éborgne les autorités fachisantes. Nous terminerons par ce prockverbe éclatant : ''au royaume des borgnes le CRS est roi''. J'm'en fous : intro très jazz, z'ensuite ça balance gentiment, le thème de la chanson est simpliste, tout va mal, ''il n'y a plus qu'au cimetière qu'on sera pépère'', l'auditeur s'en fout, l'a mieux à faire, depuis un moment l'a son oreille en alerte, c'est quoi, c'est qui, cet olybrius qui joue de la trompette, suit la mélodie sans trop forcer, mais quel toucher, quelle douceur, ce mec est à l'aise, Yoann Loustalot, c'est écrit sur la pochette, pris d'un doute j'ai cherché sur sur le net et j'ai trouvé, c'est bien lui, radio teuf-teuf allumée en route pour un concert et cette émission qui passait des morceaux en forme de... et cet extrait de Pièces en Forme de Flocons, en concert, nom de Zeus, cette frôleur, comme quand vous gratouillez la base des oreilles de votre chaton et qu'il en ronronne de bonheur, une féline béatitude. La lacrymo : retour à notre monde de brutes, soyons justes, le plus brutal c'est le Chamblas, tape dur, lance de véritables grenades de désencerclement, tire tous azimuts, le CRS de base, la hiérarchie cachée derrière les lambris, le populo qui regarde BFM, et une petite dernière pour Renaud qui embrasse les flics. Une écriture et un phrasé à la Maxime Forestier avec les cordes de la guitare qui chuintent, mais l'accordéon de Florent Sepchat se taille la part du lion. J'emmerde le peuple : tous coupables, tous responsables, que personne n'oublie que ce sont les travailleurs qui fabriquent les armes qui vous retombent sur la gueule, une rythmique guillerette, qui se termine en gospel bien balancé. Vous ferez une bise à Océane Halpert et Flora Chevalier, chantent en chœur et enrobent le morceau d'une tendre ironie, elles ne vous emmerdent pas, elles vous tuent direct à petits coups d'épingles empoisonnées. Tout sur rien : une longue comptine sautillante, les filles à la voix suave entrent dans la ronde, c'est mignon tout plein, un peu fleur-bleue contre la violence du monde, une ballade à la Paul Fort, entre nous, c'est ravissant, bien gentil, mais l'on n'y croit guère. Non-lieu : retour au dur constat de la réalité. Vous avez reçu une grenade sur la tempe, c'est la faute à personne, le petit Rémi n'aura pas le temps d'atteindre l'âge ou Parkinson l'aurait aidé à sucrer les fraisses... et tout continue comme avant. Entendez bien ! L'accordéon pleure tout ce qu'il faut. Ta gueule : une belle charge contre les adolescents modernes, ça balance joliment jazz, le père règle ses comptes avec son fiston, une belle occasion pour Yoann Loustalot dont la trompette attise les tisons, et puis le chanteur joue au scorpion, retourne le dard contre lui-même. Tous pareils ! Epoque de faux-semblants. Nous sommes tous des artifices ambulatoires. Songe : la chanson du rien du tout, ni aventurier, ni guerrier, ni amant, ni poète, juste une vaine brassée de songes sur lesquels l'on se bâtit ses propres mythifications auxquelles l'on est le premier à ne pas croire, ni national, ni international, juste ma petitesse, et l'accordéon mène la valse. Brel n'est pas loin. Je bêle avec les moutons : tiens, un harmonica qui traîne comme dans le premier 33 tours d'Antoine et les Problèmes. Titre d'auto-contrition souchonienne. Je ne fais pas mieux que les autres, pas pire, surtout pas meilleur, toutes les excuses sont bonnes pour suivre le troupeau.

    Disque de colère en ses débuts qui tourne à l'auto-dérision. L'une n'exclut pas l'autre. La force de l'ennemi n'est que la résultante de nos faiblesses. Attention, si ce CD était une K7, l'on dirait qu'elle est auto-reverse, que l'auto-dérision n'exclut pas la rage.

    Chanson française de son temps, sous les lacrymos.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 393 : KR'TNT ! 413 : JACKIE SHANE / ALL THE YOUNG DROOGS / SWALLOW MUCUS DIARRHEA / PENDRAK / NASTY FACE / INOPEXIA / NITE HOWLERS / ROCK'N'ROLL 39 - 59 / ROCK'N'ROLL 39 - 59

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 413

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    04 / 04 / 2019

     

    JACKIE SHANE / ALL THE YOUNG DROOGS

    SWALLOW MUCUS DIARRHEA / PENDRAK

    NASTY FACE / INOPEXIA

    NITE HOWLERS / ROCK'N'ROLL 39 – 59

     

    Shane on you

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    Jackie Shane fut en son temps une sorte de pionnier. Ce joli black originaire de Nashville fit carrière durant les sixties dans les clubs de Toronto en chantant comme Wilson Pickett et en trimbalant un look extrêmement décadent, à cheval sur Esquerita et Rrose Sélavy, mêlant le kitsch des downtown clubs à celui développé par Duchamp et Man Ray au temps béni de Dada. Ce personnage fascinant va pousser le bouchon très loin puisqu’il finira par se faire opérer pour devenir une dame. C’est elle qu’on voit sur la pochette du fantastique double album Any Other Way paru en 2017.

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    Un livret grand format de 32 pages accompagne ce double album et Rob Bowman nous y raconte dans le détail l’histoire de ce personnage extravagant. Bowman fait de Jackie Shane one of the greatest unsung soul singers of the 1960s. Eh oui, il suffit d’entendre la version que fait Jackie de «Papa’s Got A Brand New Bag», c’est du pur jus de James Brown, avec des aouh criants de véracité exacerbée. Bowman précise aussi que Jackie n’a jamais fait la pute ou joué les drag queens. Ce n’est pas du tout son style. Il se contentait d’affirmer ouvertement sa sexualité en portant du maquillage, des chemises en soie et des bijoux, à la ville comme à la scène. Avec dignité et self-respect. Pas d’exotisme chez Jackie Shane, juste une féminité assumée. Sur scène, Jackie savait tenir son public en haleine with her radiant eyes, extraordinary vocal abilities, and graceful, subtle stage presence - Ce qui à l’époque était quand même encore très risqué. Comme Bobbie Gentry, Jackie décida à un moment de disparaître de la scène. Son dernier concert eut lieu à Toronto en 1971. Puis plus rien. Silence total. Jusqu’à aujourd’hui, 21 février 2019 : Jackie vient de casser sa pipe en bois, à l’âge ultra-vénérable de 79 ans.

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    Franchement, son histoire vaut le détour. Il grandit aux environs de Nashville et se découvre très vite une passion pour les robes. Jackie dort chaque nuit avec ses grand-parents. À l’adolescence, Jackie comprend clairement qu’il est une femme dans un corps d’homme - I was born a woman in this body - et se pointe au collège maquillé - It would be the most ridiculous thing in the world for me to try to be a male - Pas la peine de faire semblant d’être un mec. On le considère alors comme un freak, mais sa mère lui apporte tout son soutien. Jackie n’a pas besoin d’aller voir un psy, car c’est clair dans sa tête : il ne se voit pas comme quelqu’un d’autre. Aucune ambiguïté. Il se fout de ce que pensent les autres, dès lors qu’il ne fait de mal à personne.

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    Jackie a quinze ans quand il rencontre Little Richard qui vient juste de percer avec «Tutti Frutti». Mais il est plus fasciné par les Upsetters, la backing band de Little Richard, et plus particulièrement par Chuck Connors, le batteur. Il enregistre un single, «I Miss You So» sur Excello et quand sa mère s’installe à Los Angeles, il va lui rendre visite. Elle lui refile un sacré tuyau : le talent show de Johnny Otis, le mec qui a découvert Etta James et Sugar Pie De Santo. Jackie s’inscrit et chante «Lucille» sur scène. Le public en redemande. Il gagne le trophée et retourne jouer de la batterie à Nashville avec ses amis. Il a déjà un style particulier, il joue debout et chante - I get a kick out of it - Entre 1957 et son départ de Nashville en 1958, Jackie enregistre pour Excello et accompagne des gens du calibre de Big Maybelle, Gatemouth Brown, Larry Williams, Little Willie John et Joe Tex. C’est justement Joe Tex qui conseille à Jackie de quitter le Deep South pour aller faire carrière ailleurs. D’autant qu’à l’époque, des gangs de blancs tabassent encore des nègres dans la rue, just for fun. Jackie comprend qu’il doit quitter la région rapidement, et d’autant plus rapidement qu’il se dit openly gay dans un secteur où on frappe les nègres. Sortir dans la rue maquillé, c’est un peu comme de vouloir traverser un fleuve infesté de crocodiles à la nage. Forget it. Alors il monte vers le Nord avec des amis musiciens. Quand il débarque à Montreal, il voit des clubs partout. Incroyable ! Jamais vu autant de clubs ! Il est vite engagé, mais la mafia traîne dans les parages et un parrain commence à le tripoter. Jackie lui dit bas les pattes. Insulté, le parrain lui annonce qu’il va envoyer ses tueurs. Jackie a pas mal d’ennuis avec la mafia locale et finit par comprendre un truc élémentaire : il faut se payer les services d’un protecteur, surtout à Montreal, où tous les clubs sont tenus par la mafia. Puis il rencontre Frank Motley and the Motley Crew. Motley est un black capable de jouer sur deux trompettes en même temps. Shane et Motley deviennent vite des bêtes du circuit des clubs. Ils font un malheur à Boston et reviennent casser la baraque à Montreal, en 1960. Pour la communauté noire de Toronto, Jackie est la star number one. Avec son maquillage et ses costumes en silver mohair, Jackie passe pour a perfect china doll mannequin. On est en 1961, longtemps avant Bowie. Jackie reprend des tas de hits sur scène, dont l’excellent «Any Other Way» de William Bell. Le single paraît sur Sue Records en 1962. Quand William Bell l’entend, il est frappé par la qualité des arrangements. Jackie continue de jouer avec le feu en montant sur scène maquillé et coiffé comme une duchesse. Il n’est pas le seul à risquer sa peau. Bobby Marchan le fait aussi, à une époque où la loi interdit à un homme de se déguiser en femme. Jackie fait gaffe en sortant dans la rue en finit par s’installer à Toronto, jusqu’en 1970.

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    Comme le premier single sur Sue marche bien, le mec de Sue invite Jackie à New York pour enregistrer son deuxième single, «In My Tenement». Mais ça ne marche pas. Jackie déteste ce morceau choisi par le mec de Sue. Il n’aime pas non plus les musiciens qui l’accompagnent. Jackie voulait un real R&B soulful record et non ce genre d’uptown R&B qui aurait pu convenir à Ben E. King ou aux Drifters. On peut entendre ce single sur l’A du double album. Jackie a raison de vociférer, car voilà un «In My Tenement» complètement passe-partout, tapé au grand banditisme avec toute une kyrielle de choristes et de cuivres - A too busy arrangement - Et le «Comin’ Down» de Bobby Darin qui figure sur le B-side du single n’a absolument aucun intérêt.

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    Jackie joue régulièrement en première partie d’Etta James. En 1965, il séjourne à Los Angeles et se produit dans des clubs avec la crème de la crème du gratin Dauphinois, de T-Bone Walker à Johnny Guitar Watson en passant par Etta James. En 1966. Jackie enregistre une superbe version de «You Are My Sunshine». Wow ! C’est monté sur un beau beat popotin et une bassline entreprenante grimpe au devant du mix. Jackie pulse son dernier couplet à la Esquerita. Oui, sent nettement la superstar. Un autre single vaut tout l’or du monde : «Stand Up Straight And Tall». Jackie chauffe sa Soul comme James Brown, mais en plus perçant, et avec une niaque de tous les diables réunis. C’est solidement nappé d’orgue et bien pulsé. Jackie joue aussi de la batterie en studio pour Lowell Fulsom. Eh oui, sur le fameux «Tramp».

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    Sur scène, Jackie n’en finit plus de casser la baraque - It was like going to see our version of James Brown - Les gens l’adorent - He was amazingly hot. Electric. He was always moving. He was playing the crowd. Eye contact all the time - Mais les gens remarquent aussi un sorte de réserve naturelle, Jackie ne fait jamais la folle - She was there for serious business - Bien sûr, les traves viennent voir Jackie sur scène et un mec va même jusqu’à dire : «Jackie was Bowie before Bowie.» Et comme Jackie fait un malheur au Saphire de Toronto, un gros malin lui conseille de faire un album live, en prenant l’exemple du James Brown Live At The Apollo, un disque que Jackie vénère, évidemment. Frank Motley & The Hitchhikers accompagnent Jackie sur ce live fabuleux qui fut enregistré en plusieurs sessions. On en retrouve trois sur ce double album. Il manque le «Hi-Heel Sneakers» qui figure sur l’album paru sur Caravan à l’époque. On est saisi dès «Knock On Wood» par l’extraordinaire présence de Jackie, c’est aussi raw que Wicked Pickett, il knocke son wood avec la même niaque. Puis il explose «Money» au scream. Il peut haranguer la public comme James Brown, à la glotte fêlée. Il tape aussi une belle version du «You’re The One» de Bobby Blue Bland et transforme le «Don’t Play That Song» de Ben E. King en slow super-frotteur. Mais c’est avec le «Papa’s Got A Brand New Bag» de James Brown qu’il fout le souk dans la médina. Il reprend aussi le vieux «Any Other Way» de William Bell et enchaîne avec une version inflammatoire de «You Are My Sunshine». Son plus gros coup d’éclat est dans doute sa version de «Shotgun». Jackie chauffe la Soul de Junior Walker avec une ardeur hors du temps et des modes. Il a quelque chose que les autres n’ont pas. Quel shaker de shook ! Il ne pouvait pas choisir cut plus wild que Shotgun. Il fait son Sam & Dave et son James Brown dans le hot hell de Junior Walker. On avait encore jamais vu ça. Il enchaîne avec un «New Way of Lovin’» explosif, au sens d’Esquerita, un vrai shoot de bamalama, avec une guitare fantôme qui vient hanter le son. C’est absolument dévastateur. Il termine avec un «Cruel Cruel World» tout bêtement spectaculaire. Il pousse son cruel cruel world dans ses retranchements. Jackie Shane est un shouter phénoménal et on s’étonne qu’il soit resté underground. Il balance des monologues extraordinaires dans le courant du show - You know what my slogan is ? Baby do what you want, just know what you’re doing - Et puis en 1970, George Clinton et Funkadelic proposent à Jackie de bosser ensemble, mais non, ça ne l’intéresse pas. Pourquoi ? Ces mecs sont trop wild - I liked what they were doing but it’s not me - Puis Bowman nous apprend que Jackie est allé enregistrer deux cuts à Los Angeles, «It’s Your Thing» des Isleys et «Who’s Making Love» de Johnnie Taylor, mais ces enregistrements n’ont jamais refait surface. Ah comme la vie peut être bizarre, parfois.

    Signé : Cazengler, Jackie Shit

    Jackie Shane. Disparue le 21 février 2019

    Jackie Shane. Any Other Way. Numero Group 2017

     

    All the young Droogs

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    Il suffit d’une photo de Third World War dans Uncut pour mettre tous les services en état d’alerte. So what ? Proto-punk ? On a même une mini-interview de Terry Stamp. Trois questions, pas plus. C’est déjà ça. Quand Jim Wirth lui demande quel effet ça lui fait de se voir considéré comme glam, Stamp répond qu’il ne sait pas ce qu’est le glam, et il ajoute que le traiter de glam, c’est un coup à se faire péter les dents. Pour aider le pauvre Jim Wirth, disons que l’«Hammersmith Guerilla» de Third World War fait le lien avec les Hammersmith Gorillas de Jesse Hector et de là, on rejoint logiquement le glam des Gorillas et le «Live In Style In Maida Vale», mais c’est quand même un peu tiré par les cheveux. Wirth essaie de s’en sortir en affirmant que Third World War était un knuckle-dragger Slade (un Slade cro-magnon) sans le chapeau à miroirs, c’est dire s’il n’a pas compris grand chose : Slade et Third World War n’ont absolument rien de comparable. Et Wirth s’enferre en ajoutant que Terry Stamp et Jim Avery n’étaient pas les ancêtres directs de Sweet ou des New York Dolls, but flawed prototypes, c’est-à-dire des vagues prototypes, et plus loin, il dit exactement le contraire - Third World War were the antithesis of pretty-boy glitter rock - Au risque de se faire péter les dents, Wirth insiste lourdement et demande à Terry Stamp ce qu’il pensait alors de Bolan et de Bowie. Oh Stamp les connaissait parce qu’il les croisait dans le circuit. Stamp avait déjà du métier, il accompagnait Mike Rabin en 1964, et par principe, il souhaitait bonne chance aux débutants. Stamp se souvient aussi que Bowie avait une guitare Hagstrom acoustique, real nice. Il louchait même dessus. Il conclut en disant se moquer des étiquettes et rappelle qu’il se contentait à l’époque de Third World War d’écrire des chansons. Voilà, débrouille-toi avec ça. On trouve aussi dans l’article de Wirth des photos qui font baver : Be-Bop Deluxe, les Milk’n’Cookies et des groupes moins connus comme Angel, Buster et les Brats. Jim Wirth va loin, car il compare le coffret All The Youg Droogs au Nuggets de Lenny Kaye. C’est vrai que le principe est le même : pour monter ce genre de compile, il faut aller fouiner dans les poubelles de l’industrie musicale et y déterrer des nuggets. C’est exactement ce que raconte Tony Barber dans le texte d’introduction du coffret, cette passion de la recherche des singles rares qui le poussait parfois, comme il le rappelle, à se mettre à quatre pattes sous les tables des exposants pour aller fouiner dans les «cartons du dessous» - in the 10p box on the floor under the table - là où stagne le vrac dont personne ne veut, sauf les diggers convaincus de leur digging. Phil King et Tony Barber se mirent dans les années quatre-vingt à écrémer les conventions et les équivalents britanniques des Emmaüs qu’on appelle les charity shops. Alors que les singles punk et psyché étaient recherchés, les singles de sous-glam ne valaient pas un clou et comme le rappelle Tony Barber : «They were only worth 10p because I was maybe the only person interested on the entire planet.» Mais au-delà des clichés glam, ces groupes de sous-glam se voulaient antisociaux, bien avant les Sex Pistols, comme le rappelle Barber, et c’est ça qui l’intéressait. Wirth parle d’antisocial aesthetics.

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    Wirth rappelle aussi le rôle que jouent les Dolls dans cette histoire. Les Milk‘n’Cookies s’en réclamaient et leur bassman Sal Maida avait joué dans Roxy Music et les Sparks. Mais la prod de leur album fut complètement foirée et les Cookies se retrouvèrent en 1974 le cul entre deux chaises, entre le glam et le punk à venir.

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    En titrant son coffret All The Youg Droogs, Phil King adresse un joli clin d’œil aux Dudes de Mott, même si les glamsters agglutinés dans le coffret n’ont rien de vraiment Droogy, au sens où l’entendaient Stanley Kubrick et Anthony Burgess. On trouvera un peu de délinquance juvénile ici et là, mais pas trop. Phil King et Tony Barber n’en sont pas à leur coup d’essai : ils ont déjà à leur actif plusieurs compiles de Junk Shop Glam, un concept de leur invention et qui fait désormais autorité. Dans sa longue note de présentation, Tony Barber commence par dire qu’il haïssait les sixties, Cliff Richard, les Tremoloes et tout ce qui passait à la télé. Les seuls cuts qui trouvaient grâce à ses yeux étaient des trucs comme «River Deep Mountain High» et «Reach Out I’ll Be There». Puis tout prend du sens en 1972 avec Marc Bolan. Arrivent dans la foulée Slade et Sweet. Puis «Can The Can». Et comme il s’ennuie comme un rat mort pendant les années quatre-vingt, il joue de la guitare sur les B-sides de Sweet - I just never stopped liking their stuff - Nous aussi. Il commence à fouiller dans les cartons de singles et pouf, il tombe sur le «Rebel Rule» d’Iron Virgin. C’est là qu’il se met en chasse des glam-souding bands from around 73/74. C’est l’époque où tout le monde refourgue ses disques - There were people everywhere who would sell you 500 singles for a tenner - Tony Barber nous parle d’un temps béni, celui d’avant le web, quand il fallait fouiner pour trouver des disques. Il rencontre Phil King et découvre qu’il partage la même passion. Barber rappelle qu’il utilisait l’expression Junk Shop Glam depuis le début et que Phil King avait lui aussi des expressions comme «Glitter From the Litter Bin» et «Boogie Bands In Blushers».

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    À la fin des années quatre-vingt dix, Barber part s’installer à New York. C’est là qu’il décroche, mais Phil King continue et lance ses compiles chez RPM : le Junk Shop Glam prend son envol. Barber conclut en disant qu’on vit aujourd’hui in a strange kind of post-heritage culture world, un monde étrange où tout est devenu immédiatement accessible. Plus besoin de fournir le moindre effort pour trouver ce qu’on cherche. C’est là, il suffit de cliquer. Il ajoute que ces groupes des années 70 suscitent plus d’intérêt aujourd’hui que les nouveaux groupes, et que ça doit paraître étrange aux yeux des musiciens d’alors de voir leurs singles devenir des pièces de collection qui s’arrachent à prix d’or. Cinquante ans plus tard.

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    Le coffret comprend trois disques/chapitres : 1 - Rock Off, 2 - Tubthumpers & Hellraisers et 3 - Elegance & Decadence. Des trois chapters, les plus impressionnants sont les deux premiers, qui valent pour un vrai panier de glam-crabes. On se demande ce que fout le «Working Class Man» de Third World War là-dedans, mais en même temps, ça reste un plaisir de l’entendre. Alors laisse tomber les bricoleurs de garage du dimanche, c’est Terry Stamp le seul maître à bord. Il chante du fond de son âme de street guy et en plus, il ramène la mythologie de la classe ouvrière qui a hélas disparu avec les pseudo temps modernes. Stamp, seul maître à bord, ever. On tombe aussi sur Iggy et «I Got A Right». Pareil, on se demande vraiment ce qu’il fout là. Hormis le plaisir de l’entendre. C’est un son extrême, noyé dans l’haze of it all. Williamson tape dans le tas et la basse de Ron Asheton traverse l’autoroute sans regarder ni à droite ni à gauche. C’est aux Milk’n’Cookies que revient l’honneur d’amener le premier coup de bambou avec «Wok’n’Roll». Fabuleux stomp, on sent vibrer la racine du glam-punk. C’est monté sur un riff de relance en forme de ressort, imparable, avec toutes les ficelles du big glam boot. Rien qu’avec ces trois merveilles, le matelot est soûlé. Phil King nous ressort du bin les Brats, des Dolls lookalikes. En fait, il s’agit du groupe de Rick Rivets, qui fit partie des Dolls à leurs débuts. Leur «Be A Man» vaut pour un gros coup de glam démento à gogo. Petite révélation avec Glo Marcari et son «Looking For Love». Voilà une petite dévergondée, véritable incarnation du glam nubile délinquant. C’est assez stupéfiant. On aurait presque envie de serrer la main des diggers qui ont réussi à déterrer cette franche merveille. Il faut partir du principe que tous les singles rassemblés dans ce coffret valent le détour, notamment ce «Big Boobs Boogie» de Slowload, très Johnny Rotten dans l’esprit du chant, c’est bardé d’envolées de pyrotechnics et de relents stoogy. Et c’est avec Iron Virgin qu’on tombe de la chaise. Le mec chante à la glotte folle, musical yobs with a camp image, nous dit Phil King, c’est demented, comme dirait le Doctor du même nom ! Dynamique du diable et gros retours de manivelle, ça pulse dans la virulence abdominale du glam virginal. Dans Fancy, on retrouve Nigel Benjamin, le mec de Mott. Leur «Brother John» reste du big sound. Tous ces mecs tentaient leur chance, mais peu passaient la rampe. Nigel Benjamin envoie des ooouh yeah avec une belle abnégation. Phil King nous explique aussi que Benjamin est allé fréquenter Nikki Sixx à Los Angeles, mais il n’a pas réussi à faire partie de Motley Crüe. Autre merveille, le «She’s Not My Fever» de Cole Younger. Pur jus d’English rock star underground. Cole Younger va chercher des chats perchés sur fond de wall of sound. Admirable. Voilà encore un single perdu dans l’océan des singles et tellement inspiré. Il faut avoir écouté ça au moins une fois dans sa vie. Encore du pur glam avec Sweeney Todd et «Roxy Roller». Le glam quand il est bien foutu est un son dont on ne se lasse pas. On a là du heavy glam canadien dans la meilleure des traditions. Ils jouent dans les règles de l’art total. Avec «Get Outa My Ouse», Hustler passe au cockney-glam. Le chanteur s’appelle Mickey Liewellyn et il a la classe d’un Noddy Holder des bas-fonds de l’East End. C’est à l’immense Stevie Wright que revient l’honneur de refermer ce brillant Chapter One. Il fait lui aussi un fantastique numéro de chat perché. Pas de pire shouter que Stevie. Il nous sort un boogie niaqué et sauvage.

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    Le Chapter Deux (Tubthumpers & Hellraisers) grouille aussi de glam et ça part en trombe avec le «My Teenage Queen» d’Harpo. Heavy glam stomp. C’est du glam de Suède, indestructible, comme l’acier de Damas. Encore plus glam, voici «Bye Bye Bad Days» des légendaires Hector. Bovvers stars. Riffing wild et violent, avec un solo à l’étalée. Voilà le genre de cut qui justifie à lui seul l’achat du coffret. On croise pas mal de rock’n’roll à la sauce Bay City Rollers ou même Abba, et ça reste pop-rock glammaire. On revient au glam d’Écosse avec Frenzy et son «Poser» bien posé sur le beat de stomp. Ils truffent leur dinde de petites conneries de comedy act, mais ça passe comme une lettre à la poste. Simon Turner n’accroche pas plus que ça, dommage. On croise plus loin le «Whizz Kid» de Mott The Hoople qui marche à tous les coups, grâce à son ‘Mick Ralph crutch’. Diable, ce qu’on a pu aimer ça à l’époque. Ce genre de cut est une véritable machine à remonter le temps. On voyait se dresser le mythe de Mott dans la misère d’un lycée de province. Retour aux affaires avec Angel et «Little Boy Blue». Ces mecs étaient managés par Andy Scott et Mick Turner. On sent la nette influence de Sweet. Ils se gargarisent de l’exceptionnelle aura sweety à coups de c’mon et de heavy stomp. C’est tout simplement énorme. On tombe à la suite sur le meilleur cut du coffret, l’effarant «Zephyr» de Baby Grande. Il s’agit d’un groupe australien contemporain des early Saints. Fantastique charge sonique ! Ces mecs incarnent le raw power. C’est une explosivité de tous les instants - Well I call you a zephyr - Tout est là, dans cette énergie des guitares, c’est rempli de son à ras-bord, personne ne les aime et ils ne s’aiment pas non plus, mais quelle niaque démente, c’est même bien meilleur que les Saints (pas facile à dire pour un vieil inconditionnel des Saints). Après, ça devient difficile de continuer, car il semble qu’avec Baby Grande la messe soit dite. Il faut attendre le «Cut Loose» de Stud Leather pour renouer avec le frisson. On voit ces mecs foncer au pianotis avant de retomber dans le velours pourpre du glam, avec des jolis breaks de beat stomp. Ils se payent même le luxe d’un final en forme de délire free au sax. Excellent ! On reste dans l’excellence extatique d’un son porté aux nues avec une reprise de «Gimme Gimme Some Lovin’» de Biggles. C’est ultra-saturé d’énergie, unbelievable, il n’existe rien de plus festif que cette merveille. Autre modèle du genre : «Dog Eats Dog» de Mint, une espèce de big boogie glam avec des éclats de Beach Boys Sound. Phil King nous dit que Martin Rushent a produit le «Fast Train» de Tank. Ah comme c’est bon ! C’est même joué à la meilleure heavyness du temps d’avant. Encore une perle avec The One Hit Wonders et «Hey Hey Jump Now». Big shoot de Mike Berry. C’est énorme ! The bubblegum maestro, voilà encore un single bardé de son, de classe et d’énergie. UK Jones referme la marche du Chapter Two avec «Let Me Tell Ya», fabuleux shake de Junk Shop Glam. Le beat tape dans l’œil, paf ! Pur jus de glam stomp, c’est plein comme un œuf de poule.

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    Le Chapter Three (Elegance & Decadence) est nettement moins dense, au sens glam des choses. Le Brett Smiley qui ouvre le bal n’est pas très bon, mais Phil King nous révèle que des inédits de Brett Smiley vont bientôt refaire surface. John Howard ne marche pas non plus : trop pop et pas assez décadent. Trop torturé dans sa texture - Rococo balladry and florid vignettes - Mieux vaut écouter Peter Perrett. Les singles de ce Chapter Three vont plus sur le cabaret, un genre difficile. Il faut attendre Paul St John pour renouer avec le glam à la Bowie. Il joue à coups d’acou dans l’écho du temps et sort un admirable artefact de glam spatial. Woody Woodmansey est présent à deux reprises et se vautre les deux fois. Son «Star Machine» est mauvais. Et quand on écoute Paul Nelson dans Be-Bop Deluxe, on se demande bien comment il a réussi à devenir culte. Il règne une sacrée ambiance dans son «Night Creatures», mais Bowie est passé par là avant lui. Avec des gens comme Steve Elgin, John Henry et Clive Kennedy, on perd complètement le fil du glam et pire encore, le fil des Droogs. On se remonte le moral avec la version acou d’«I Live In Style In Maida Vale», d’Helter Skelter. C’est d’une classe imbattable. Jesse Hector avait tout compris. Greg Robbins chante son «Virginia Creeper» d’une voix de gonzesse et ça tourne à la délinquance juvénile. Le Sleaze de TV Smith est insupportable et le reste ne vaut pas tripette. Restons sur Helter Skelter, Baby Grande, Hector et Iron Virgin, si vous voulez bien.

    Signé : Cazengler, all the old schnock

    All The Young Droogs. RPM 2019

    Jim Wirth : All The Young Droogs. Uncut #262 - March 2019

    Sur l’illusse, on voit Hector.

    MONTREUIL / 28 – 03 – 2019

    LA COMEDIA

    SWALLOW MUCUS DIARRHEA / PENDRAK

    NASTY FACE / INOPEXIA

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    Viens jeudi, m'avait-on recommandé, il y aura du grind à moudre. Du gros grind gras grave, en toutes choses j'adore les extrêmes, vous pensez bien qu'en rock aussi, j'accours, je vole, je supersonique la teuf-teuf, les dieux du tonnerre et de l'ouragan me sont favorables, au moins quinze places de parking libres.

    SWALLOW MUCUS DIARRHEA

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    Deux qui nous tournent le dos. Basse et micro. Le set ne durera pas plus de vingt minutes, peut-être dix, mais très choc et pas chic du tout. L'on est soulagé lorsque ça s'arrête. Ce n'est pas que ce soit mauvais, c'est que lorsque l'horreur surgit, vous n'avez qu'une idée, qu'elle cesse au plus vite. Une guitare en furie qui n'arrête jamais, imaginez un bourdon colérique de cent mètres de long qui fonce sur vous à quatre cents kilomètres heures, ses ailes déracinent les arbres au passage et engendre une espèce de raz-de marée sonore destiné à vous rayer de la terre, le bourdonnement inexpiable retentit sans interruption comme les sirènes de l'apocalypse. Bruit et fureur. Un screamer fou, growle dans le micro et l'éloigne aussitôt de sa bouche, cette glissade rapide opérant à chaque fois une espèce de sifflement de locomotive en furie. Une catastrophe sonique. Le pire c'est que vous n'avez encore rien vu.

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    Vous avez eu le son. Voici les images projetées sur un drap blanc. Insupportables. Si vous avez encore quelques illusions sur la nature humaine, sautez ce paragraphe. Commence par une leçon de dissection dans un amphithéâtre de médecine. Hélas, l'on ne s'y attarde pas, très vite les vues insoutenables se bousculent, scènes de massacre et de boucherie, le plus terrible c'est que vos yeux s'y posent et y restent collés comme des mouches sur les cadavres, insupportables vidéos d'exécutions perpétrées par Daesh et consorts, têtes décapitées, gros plan sur les visages pendant la découpe in vivo, corps ouverts au coutelas, nourrissons criblés de balles, enfants abattus en direct live, éclaboussures de sangs, sadisme des bourreaux, soubresauts des corps, yeux énucléés, spectateurs empressés dont les portables au plus près, n'en perdent pas une, automutilations diverses, charniers des camps d'extermination nazis, immeubles soufflés par des rafales de missiles, ventres d'avions lâchant des chapelets de bombes, pendaisons, démembrements, éviscérations, j'en passe et des pires, portraits d'hommes politiques qui ont commandé ces horreurs...

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    Avalez la merde humaine par les yeux, Swallow Mucus Diarrhea, produit l'excrémentielle cacophonie de notre époque. Directement entée sur notre monde. Inutile de vous voiler la face, si vous abaissez les paupières, l'horreur rentre par vos tympans. Terminez les douces ballades à l'eau de rose, SMD exhale la puanteur de nos âmes. Qu'elles se déroulent au bout du monde, loin de nos contrées policées, n'est pas une excuse, nous portons en nos fibres la même sauvagerie, elle fermente en nous, l'être humain a su créer un monde à l'image de sa propre saloperie. Là où il y a de l'être, il y a de la merde disait Artaud.

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    La prestation de Swallow Mucus Diarrhea dit crument tout ce nous nous cachons tout bas. Les images expliquent la violence de la musique que la réalité a engendrée. Sans doute sont-elles plus insoutenables que le gore noise qui les accompagne, mais peut-être pouvons-nous les regarder en face justement parce que le direct live sonore nous y conduit, à la manière d'un instituteur qui de sa baguette attire et focalise l'attention de ses élèves sur les particularités exemplaires d'une règle d'orthographe écrite sur le tableau. A moins que ce ne soit la prégnance de la réalité cannibale du monde qui se nourrit de la chair de la musique censée l'exprimer. Ce qui est sûr c'est que l'on ne sort pas indemne d'une telle prestation.

    PENDRAK

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    Pendrak, de Paris, ont choisi de passer après leurs potes de Rennes. Tâche difficile. Vont tout de suite remettre les pendules à l'heure musicale. Mallarmé affirmait que c'était une hérésie redondante que de mettre ses poèmes en musique. Pendrak va nous démontrer que la musique se suffit à elle-même. Certes, c'est plus rassurant de se confronter à une formation classique : guitare-basse-batterie. Au moins l'on est en pays connu, et normalement rien de bien terrible devrait nous arriver. Avec en prime peut-être un bon concert. Qui nous a été offert.

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    Vous pondent des œufs de fer toutes les deux minutes. Faut suivre et aiguiser tous ses sens. Un ensemble parfait. Vous ne passeriez pas l'épaisseur d'un cheveu dans leur cohérence sonique. Pas la plus miminement mince des fissures, pas la moindre lézarde. Pour un peu vous passeriez à côté de leur dextérité instrumentale. Tout va trop vite, vous aimeriez qu'ils rejouent le même morceau, et vous seriez prêt à jouer l'imbécile de service en leur demandant de jouer plus lentement. Trop tard, z'en ont déjà aligné trois de plus, et vous n'avez pas intérêt à prendre le train en marche pour comprendre ce qui se passe.

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    Ce n'est plus du rock, c'est une démonstration. Sont incrustés à mort dans la philosophie du grind crust death. La violence du monde ils vous la jettent à la figure sans avoir besoin de vous faire un dessin. Vous pigez cinq sur cinq. Une guitare ravageuse, une basse grondante et une batterie destructrice. Les physiciens nous assurent que si vous abolissez le vide qui sépare les particules des atomes, l'univers entier contiendrait dans un dé à coudre. Doivent s'inspirer de cette idée. L'ont transposée en musique. Vous font du bonzaï rock. Vous réduisent les baobabs en brins d'herbe et les éléphants en puces. Un metalleux classique vous en ferait un monstre de trois cents tonnes de ferrailles, Pendrak vous cisèle une pacotille de trois grammes, aux bords aussi coupants qu'un rasoir, un bijou d'une densité extraordinaire, la même force d'impact dévastatrice, et ils vous le lancent sur la figue à la vitesse d'une étoile de ninja intergalactique. Deux voix, l'une qui grunte et l'autre qui growle, une dissonance ponctuante qui vous assène des uppercuts sans rappel. No Brain No Pain, Le Cimetière de l'Intelligence, si vous vous reconnaissez dans ces intitulés, désolé pour vous, Pendrak ne mâche pas de mots, rugit fortement.

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    Déjà fini, quittent la scène sans chichi, laisse la place aux copains. Grosse impression.

    NASTY FACE

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    Trio grind. Hard core grind. Viennent de Suisse. Leur musique n'a pas l'accent traînant de leur congénère. N'ont pas de temps à perdre. Un morceau qui dépasse deux minutes n'existe pas. Z'ont comprimé le temps. Violent et rapide. Vont nous interpréter une espèce de symphonie échevelée. Toujours le même scénario, batteur blasteur fou qui vous entreprend sa caisse claire comme quand vous filez une fessée cul-nu à votre gamin de trois ans qui a mis le feu à votre appartement, ça lui fait mal, certes, ça saigne, mais vous ça vous soulage, sur ce la guitare et la basse embrayent à croire qu'ils étaient en retard, un ours féroce rugit dans le micro, émergent de ce chaos deux coups de cymbale, arrêt-catastrophe, tout le monde descend, et illico presto subito expresso gonzo, tout de suite votre marmot se reprend une déculottée monstrueuse à lui trouer l'anus.

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    Nasty Face fonctionne comme ces émissions spermatiques de cachalots qui ensemencent leurs chéries à trente mètres de distance d'un jet de foutre qui tape net en cœur de cible. Sont des partisans de l'énergie brute. Tout et tout de suite. Un rythme inimaginable, une puissance incoercible. A ce genre d'exercice personne ne peut tenir longtemps, aussi se hâtent-ils de recommencer aussitôt. Coup de charley et c'est reparti en style commando troupe de choc. Ne respirez pas, vous aurez le temps de le faire une fois que vous serez morts. La batterie vous fracasse les synapses, la guitare vous étrille les oreilles, la basse vous interdit de penser. Et toujours cet ours polaire qui vous déchire la banquise orale à coups de museau.

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    Dans le public, l'on a lâché les fous furieux, les bras levés, les poings serrés en avant, un rictus sauvage sur leur faces refermées sur elles-mêmes, avançant à l'aveuglette dans un cauchemar qui n'appartient qu'à eux, les garçons arpentent la pièce comme des zombies enragés que leurs maîtres ne contrôlent plus.

    Le set n'a pas duré longtemps. Vous en ressortez sonné et commotionné, choqué et azimuté, heureusement il n'est pas prévu de cellule de soutien psychologique pour vous aider à rejoindre le monde ennuyeux de la normalité moutonnière. Les Nasty Faces vous ont laissé tomber du plus haut de leurs alpages, et vous avez adoré. L'on en reparlera longtemps dans les chaumières. Et peut-être êtes-vous de ces glorieux témoins survivants qui pourront dire j'y étais.

    INOPEXIA

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    Viennent de très loin. De Russie. Il se dit que dans les pays de l'Est le rock est particulièrement violent. Une rumeur, dont nous avons eu la chance de vérifier la véracité. D'apparence pas de changement, encore un trio, un gore grind trio. Vous commencez à connaître la musique. Des morceaux ultra-courts et ultra-violents. Mais vous le savez, même dans l'enfer le diable se cache dans les détails. Z'ont une première particularité, mais totalement anodine. Jouent face au public mais sur le petit côté de la scène ce qui leur permet d'avoir un plus grande profondeur de champ. Idéal pour les amateurs de pogo-grind qui ne s'en priveront pas.

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    Z'en ont une seconde. Qui change tout. Z'ont un guitariste. Comme les autres. Oui mais celui-là il sait jouer. Certes il fait comme les précédents, mais en pire, décharge un maximum d'agressivité à chaque morceau, le truc de base des sports de combat, ne jamais se crisper, laisser circuler l'énergie, ne retenez rien, que votre corps ne soit pas blindé comme une armure, mais fontaine jaillissante de flux énergétique comme me l'enseignait mon maître Pham Cong Thien. Mais lui, il garde toujours un œil ouvert sur le riff à la forge, et un autre sur le suivant déjà prêt sur le feu. Inopexia nous sert sa spécialité un grind à l'arrache-gueule rock'n'roll. Ses doigts chavirent sur les cordes comme un navire dans le naufrage.

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    On ne les voit pas, ni le bassiste ni son instrument, totalement masqués par le guitariste-chanteur, mais on entend leurs couinements tortillés de glapissement jouissifs et étranglés de chasse au renard. Dispensent des remontrances aigües de souffrance animale prise au piège. La batterie roule et écrase, elle moud la poudre noire de la démence. Ecrase tout sur son passage, un peu à la manière des premières pages de Chatouny roman de Loury Vitalievitch Mamleev, le chatouny métaphore de ces ours qui n'arrivent point à s'endormir et à hiverner, deviennent fous de fureur, comme si la bête se muait en berserker humain devant l'inconfort du monde.

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    Inopexia pulvérise. La Comedia est envahie d'espèces de morts-vivants qui s'entrecroisent et se tamponnent lourdement, entrée dans l'infra-monde. Notre sang se coagule. Nous ne saurons jamais pour quelle mutation, car Inopexion termine son set, nous laissant sur notre faim, devant une porte d'ombre, qui grince et grinde, et ne sera pas ouverte. Nous en cauchemarderons toute la nuit.

    Damie Chad.

    ( Photos : FB : MANU GAUTIER )

     

    TROYES - 29 / 03 / 2019

    3B

    THE NITE HOWLERS

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    La teuf-teuf file sur la route rectiligne. Tout droit vers Troyes. Je médite. Déjà vu les Nite Howlers en octobre 2017. Grand écart entre la soirée d'hier et celle de tout à l'heure. En moins de vingt-quatre heures je vais passer du rock le plus extrême, le plus brutalement déchaîné, à du rockab quasi classique, une violence beaucoup plus maîtrisée, beaucoup plus sourde. Deux genres musicaux différents – souvent les fans des uns n'aiment pas la peluche préférée des autres, moi je pense que c'est idem, dans le rock, l'éros ou la poésie, faut boire à toutes les coupes – pourtant ces deux styles ne sont pas sans analogie, exigent une très grande maîtrise instrumentale et un engagement total. Similaires aussi par l'impact qu'ils produisent.

    NITE HOWLERS

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    Un nom d'assassins coureurs de bois dans les nuits profondes que démentent leurs sourires épanouis. Rien qu'à les regarder alors qu'ils n'ont pas émis une note vous pigez qu'il ne s'agit pas d'une gentille colonie de perdreaux de l'année, des faucons aguerris aux instincts meurtriers, ne bouffent que du rockabilly, encore sont-ils difficiles, ne dépiautent que du premier choix, fin fifties et earlier sixties, moins de brassées de foin campagnard qui fleurent bon les fragrances agrestes, préfèrent les bâtons d'orages des sorciers indiens chargés d'électricités crépitantes. Pas encore le rock urbain, inventons la notion de genre rockabilly suburbain.

    Impossible d'être tranquille et de dormir sur ses deux oreilles, Pedro Pena est aux drums, Jules Moonshiner à la Fender, Max, Mr Bass, à la up-right bass et Olivier Laporte à la rythmique et au micro. Quatuor de choc et de rêve. Terrible dilemme, vous ne savez ni qui regarder, ni qui écouter. C'est que l'ensemble frise la perfection, z'avez l'impression qu'ils sont dans un studio et qu'un ingé génial aux consoles a concocté un son d'une pureté incroyable. Non c'est du live, et il est indéniable qu'ils adorent jouer sans filet.

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    Jules est vraisemblablement le César de la guitare, j'ai voulu savoir comment il l'avait trafiquée, parce que vous savez la lead dans le rockab, c'est un orchestre symphonique à elle toute seule, change au moins trente fois de registres en un seul morceau, un peintre qui aurait mille couleurs sur sa palette, la sienne est carrément multi-fonctions, d'un instant à l'autre elle adopte l'onctuosité grondante d'une basse, le trot caracolant d'une rythmique et le grand galop pour les charges héroïque en tête du peloton. Non, n'a rien ajouté ni retranché, et son petit ampli rouge est une reproduction moderne de 2006. Ce mec a des doigts d'or. Ce qui ne suffit pas. Possède aussi la finesse d'esprit nécessaire et l'intelligence innée du jeu qui permet de prévoir et d'assumer toute les inflexions typiques du rockab. Musique instinctive et savante.

    Moustache et barbiche, l'élégance et la classe indépassable, big mama couleur chêne clair, Max maximise son apparence. Deux pour le prix d'un. Le beat d'acier doux et élastique flegmatique, suit le rythme s'y colle dessus comme la toux sur le tuberculeux, comme le venin sur les crocs du crotale, ne le quitte plus, ne s'en détache plus, les trois autres ostrogoths peuvent essayer de s'agiter et de s'en débarrasser, lui l'est là, imperturbable comme l'œil consciencieux de Dieu dans la tombe de Caïn. Mais ce n'est pas tout. Musicien, yes, mais aussi comédien. Un interprète hors-pair. Joue avec ses doigts et avec son corps. Tous les morceaux il vous les interprète, la bouche silencieuse mais les paroles sur les lèvres, l'est le fan de base dans sa chambre qui imite ses idoles, l'a la chair qui hoquette, le torse qui se plie en sourdine, les jambes stables qui flageolent, il n'interprète pas du rockabilly, il est l'incarnation de la fièvre intérieure du rockabilly qui saisit tous les amateurs.

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    Derrière Pedro sourit. Tient dans sa main gauche une baguette à la manière d'un japonais qui picore dans un bol de riz. Vous refile l'impression qu'il n'aurait besoin que de cet unique ustensile, qu'il a rassemblé un kit minimaliste devant lui juste pour ne pas se faire remarquer outre mesure. Par contre la mesure, il vous l'assure à la diabolique. Se saisit d'un balai à la manière d'un gosse qui sort un jouet de son coffre, vous pose presque pour faire joli un tambourin sur sa charley, sourit une fois, sourit deux fois, sourit trois fois, le gars qui ne fait pas de bile, il jubile, oui mais avec lui, le rythme crépite et palpite. L'est au centième de seconde près, les camarades se tournent vers lui, pas de problème, leur sourit comme un coucou suisse qui vient juste de rentrer dans sa niche. L'a une pointeuse dans la tête, pas du genre à faire une seconde supplémentaire.

    L'est salement suivi à la trace Olivier par ses trois body-guards. L'entourent et l'escortent, lui rendent les honneurs dû à la Reine d'Angleterre. Z'ont intérêt à être méticuleusement précis. Vous donne le change, vous balance des giclées de rythmique, que les trois autres vous encadrent aussi soigneusement que les archéologues déplient des manuscrits mésopotamiens, oui mais ça c'est pour l'esbroufe, pour rendre joyeux les oufs, car le chant rockabilly est une mécanique infernale. Une voltige angélique, du grand art lyrique, une seule erreur et vous êtes mort, couvert de ridicule, le renoncement de la renoncule, la honte de l'ergastule, la cloque molle de la pustule. Un iota directionnel d'un dixième de degré et votre satellite se perd dans l'espace. L'on ne chante pas le rockab comme l'on écrase les œufs du poulailler avec les sabots de la fermière.

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    Charlie Feathers, Carl Perkins, Benny Joy, Ronnie Dawson, amusez-vous à y taper dedans, la fougue et le tourment, la foudre et la démence, les Nite Howlers vous dressent de ces barrages de flammes à embraser la planète, et le vocal d'Olivier se glisse dans ces rideaux de feu avec une facilité déconcertante, certains marchent sur l'eau plate et les autres préfèrent les champs de serpents. A chacun son ordalie. Les Nite nous dynamitent trois sets incandescents. Trop beaux, trop bons, trop tout. Sont pris eux-mêmes à leur propre piège. Après le rappel ne peuvent pas se quitter, prennent trop de plaisir à jouer ensemble, le temps perdu ne se rattrape jamais, alors ils s'accrochent à notre rêve et nous offrent encore trois salves phénoménales, et l'on sent qu'ils stoppent les amplis avec regret, même s'ils ont tout donné.

    Le bar plein à croquer, les amateurs qui se pressent et qui rockent à la manière de barils de poudre enflammés, Béatrice la patronne a encore craqué une allumette magique.

    Damie Chad.

    ( Photos : FB : BEATRICE BERLOT )

     

    THE NITE HOWLERS

    ( SLEAZY rECORDS / SR 161 )

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    Tout frais. Erreur lamentable. Too hot, comme on aime. Sorti depuis dix jours. Une espèce de brasero qui foutra le feu à votre appartement. Donc vous avez intérêt à vous le procurer si vous désirez du changement dans votre vie.

    L'a de la chance Olivier Laporte, l'est allé aux States, mais contrairement à beaucoup d'autres, lui n'a pas perdu son temps à visiter l'Empire State Building, il a été reçu par Charlie Feathers – vous en avez rêvé, il l'a réalisé - et plam se sont offerts tous les deux dans le salon un petit set, just for fun. Un truc qui vous marque pour la vie. Alors pour leur deuxième single les Nite Howlers, en hommage à ce prestigieux pionnier, ont repris deux de ses titres.

    She's gone : fut un grand moment du show des 3 B. Jules s'y est notamment engagé sur la passerelle sans planches d'un solo apocalyptique au-dessus de l'abîme, suivi sans peur ni reproche par ses trois compères... Ça file et gronde comme un rapide dans la nuit, la voix en même temps lointaine et très présente, la big mama qui profile le rythme, Pedro qui bouture par derrière et la guitare qui balance son fiel, plongée dans le tunnel orchestral plus noir que le désespoir, Jules qui éclabousse, et le vocal qui se place dans le poste de conduite, maintenant tout le monde repart pour un voyage au bout de la nuit du rock'n'roll. Infinitude de la solitude. Today and tomorrow : Olivier enfonce les racines et déploie le feuillage du chant, l'instrumentation batifole à l'ombre de cette arborescence primordiale. La voix nasille, se prolonge et trainasse sur les syllabes, laisse à peine à la guitare le temps de jeter une pincée de sel ardent, et la ronde reprend, l'on aimerait qu'elle ne s'arrête jamais, mais en ce bas monde tout a une fin, même un disque des Nite Howlers.

     

    Une petite merveille, les howls hululent sans modération, aux consoles Rawand Baziany des Black Shack Recordings se révèle être un véritable producteur digne de ce nom. Un bijou à ne pas offrir à sa copine, à garder pour soi.

    Damie Chad.

     

    ROCK'N'ROLL 39 – 59

    Catalogue de l'Exposition Cartier

    22 / 0628 / 10 / 2007

    ( Editions Xavier Barral / 2007 )

     

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    Un paquebot, l'épaisseur de la bêtise humaine, la lourdeur de sa lâcheté, des feuilles qui pourraient servir de gilets pare-balle, un monument. La moindre des choses pour le rock'n'roll. Z'auraient dû tripler le volume du monstre. Peu de textes et énormément de d'illustrations. Affiches de concerts, pochettes de disques, photos d'artistes ou d'anonymes symboliques de l'époque. A feuilleter, à scruter, à admirer. Pour les amateurs, pas de découvertes iconographiques bouleversantes, ces documents circulent depuis très longtemps sur internet.

    Second avertissement, il s'agit bien du rock'n'roll in America et point du tout en France, si ce n'est la page de Line Renaud qui raconte la soirée passée à Paris avec Elvis, en permission, jouant durant quatre heures sur la Selmer qui avait servi à Django Reinhart, apprenant ce détail le King ému en embrasse la caisse...

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    Elvis se taille la part du lion, sur quatre cents pages, cent-vingt-cinq consacrées à Elvis. Certes on y rencontre aussi Sam Phillips, et Dewey Phillips tous deux responsables de la carrière du Pelvis. Dewey pour avoir été le premier à passer la première cire du futur roi dans son émission radio. Un véritable rocker avant la lettre, une espèce d'exalté qui a tout compris. Son émission Red, Hot and Blue, draine la jeunesse autour du poste, programme tout ce qui est un tantinet borderline et nouveau, disques de nègres et de visages pâles, ne fait pas la différence, et peut-être plus que ses musiques, c'est sa logorrhée verbale déjantée qui attire les jeunes, Dewey indique des horizons nouveaux, excitant – l'en abuse un peu trop - et excité, bénéficiera de la fulgurance Presley de 1956, en 1957 on lui propose une émission TV, qui sera vite arrêtée. Une broutille selon les critères d'aujourd'hui, un attentat à la pudeur inadmissible pour l'époque, un ami déguisé en singe qui se frotte sur une effigie en carton de Jayne Mansfield, un initiateur, l'a mis en évidence et en pratique la formule magique ou maudite : sex, drugs and rock'nroll. Ne vivra pas vieux, meurt en 1968, un destin qui n'est point sans point commun avec celui d'Alan Freed dont l'émission radio et les shows aidèrent à imposer le nom de rock'n'roll pour cette nouvelle musique...

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    Sam Phillips ne retirera jamais son amitié à Dewey. L'est animé par une philosophie de vie qu'il s'est forgée au contact d'un domestique noir et de sa sœur sourde et muette, n'hésite pas à abandonner, au grand dam de ses collègues qui ne comprennent pas, une situation stable dans la meilleure banque de la ville pour enregistrer des noirs, et vraisemblablement leur serrer les mains, pouah ! La suite de l'aventure est connue, nous l'avons souvent racontée... A ceux qui nombreux lui ont demandé le nom de l'artiste qu'il aura été le plus fier d'avoir enregistré, sa réponse n'a jamais varié : pas Elvis Presley, mais Howlin' Wolf.

    L'on a parlé du miracle Sun, l'on a glosé à l'infini pour savoir si le jeune camionneur de Memphis serait devenu Elvis si Sam Phillips n'avait pas été là pour accoucher et révéler à lui-même ce jeune homme timide et mal dans sa peau... Ne serait-ce pas une fausse question, si Elvis avait raté son rendez-vous avec la gloire, quelque part in the great America un jeune blanc aurait fini par trouver la formule idéale... Chacun est unique, nul n'est irremplaçable, il n'y a pas de destin, ni de hasard, simplement des circonstances.

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    Le rock était inéluctable. L'était-là depuis un bon moment, tapait à la porte et demandait à entrer. L'exposition préparée par Dominique Perrin et Greg Gellec essaie de retracer sa gestation. Remonte jusqu'en 1939, mais le véritable début se place en 1945. Les conséquences de la guerre furent multiples. Les soldats noirs revenus de la guerre n'acceptent plus dans leur tête la ségrégation, les mentalités ont changé, ils ont donné leur sang au même titre que les blancs... Cette prise de conscience sera le germe des combats pour les droits civiques. Mais au lendemain de la guerre le problème se pose d'une manière bien plus prosaïque que les idées philosophiques sur l'égalité des races. Beaucoup de musiciens noirs sont morts, d'autres relativement plus chanceux sont retenus en divers points de la planète en tant que troupes d'occupation... lorsque les big bands essaient de se reformer afin de reprendre le boulot, trop souvent la moitié des effectifs fait défaut... Le malheur de ces grands orchestres de danse issus du jazz feront le bonheur des petits combos de rhythm'n'blues. La solution est vite trouvée, puisque l'on a du mal à recruter quinze gus, on en prendra la moitié sept ou huit, mais pas plus, à charge pour eux de faire du bruit pour quinze. Suffit de souffler plus fort, de taper plus fort, de chanter plus fort. Et de jouer plus vite. Les noirs ont trouvé le rock'n'roll, mais avant l'heure ce n'est pas l'heure. Rock around the clock !

    Et puis les choses ne sont pas si simples. Le rhythm'n'blues lui-même n'est pas né ex-nihilo, sort du gospel, vient du jazz qui provient du blues, qui provient des musiques africaines, puis des chants des champs de coton, et aussi des influences des musiques européennes apportées par les blancs, un véritable mic-mac, une foire d'empoigne, ce chaudron de sorcières ne donne pas un mélange homogène, les possibilités sont multiples, un peu moins de ceci, une pincée supplémentaire de cet ingrédient-là, et le goût du potage change du tout au tout.

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    Les pages 44-45 vous replongeront en enfance, ces labyrinthes dont il faut suivre les multiples entrées pour trouver la sortie. Vous connaissez la ruse de sioux, suffit de remonter la piste en entrant par la sortie et au bout du chemin, vous tombez pile sur la bonne entrée. Ben là, vous avez sept entrées : Early jazz, Early Vocal groups, Early boogie-woogie, Early gospel, Early blues ( traditional Blues + country blues ), Early country. Jusque-là tout va bien. Inutile de chercher à tricher, n'y a pas d'exit, tout au plus des lignes courbes qui se croisent, ainsi de la station Carnegie Hall vous accédez vingt ans plus tard à Jerry Lee Lewis, vous souhaite du courage, le plus terrible c'est que c'est assez bien intuité, l'arbre généalogique du rock'n'roll ressemble aux gracieuses courbes des jets d'eau dans les parcs municipaux, ça monte et ça retombe, une gare de triage, interconnexion universelle, partez d'un point quelconque, vous arrivez partout, le rock'n'roll est une portée de sacrés bâtards issus de pères différents. Je préfère ne porter aucun jugement moral sur les entremises maternelles. Prostitution à tous les étages. Copulations intenses. Partouze généralisée.

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    Question subsidiaire : pourquoi 1959 ? Et pas 1960, avec la mort d'Eddie Cochran qui eût été un point d'orgue parfait. Ben à cause de nous. Oui kr'tntreaders de la péninsule, c'est de votre faute. Certes avec la mort de Buddy Holy, la crise mystique de Little Richard, le scandale Jerry Lou, le service militaire d'Elvis, la troupe avait fondu comme neige au soleil. Non vous n'y êtes pour rien, mais le rock'n'roll traverse la mer et prend pied par chez nous, en Europe. Certes il n'est pas mort, Beatles, Rolling Stones vont le regonfler à bloc, mais ce n'est plus le rock des origines, l'a muté, s'est métamorphosé, même s'il n'a pas écrit ''L'Europe m'a tuer'' sur les murs, ce ne sera plus jamais pareil...

    Cette réponse de Greg Gellec possède le mérite de faire du rock'n'roll un produit typiquement américain, mais aussi le désavantage de le réduire à ses racines et même de le définir selon l'histoire de styles musicaux qui ont bien concouru à sa formation mais qui n'étaient pas du rock ! Je veux bien admettre que les groupes teenagers noirs soient une étape du rock'n'roll, mais il me semble que le bouquin laisse un peu trop de côté les sentiers country qui mènent aussi au rockabilly. En cela le livre relève bien de cette auto-contrition politiquement correcte des petits blancs qui se sentent tributaires des traitements que leurs ancêtres quasi immédiats ont infligé aux noirs. Des restes d'auto-culpabilisation christologiques inconscients. Le livre me semble faire la part un peu trop belle aux têtes d'affiches du hit-parade, des gros vendeurs, du succès grand-public... Récapitulatif des comptes mais oubli de l'esprit. Le rock'n'roll brandi en tant que hache de paix, mais enterré en tant que hache de guerre. Entre la réalité et le mythe, je choisis le mythe car il me rapproche de mes Dieux.

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    De beaux passages dans ce livre, la différence établie par Robert Palmer entre les chants plaintifs et consolateurs des negro-spirituals soutenus par un harmonium et le style rocking and reeling des années trente d'un gospel beaucoup plus âpre qui remonte aux hollers et aux ring shoots des temps primordiaux de l'esclavage, l'évocation à plusieurs reprises de Rufus Thomas, de Dave Bartholemew, les portraits de Sam et Dewey par Peter Guralnick, l'a aussi consacré une belle page à Rufus Thomas, et je m'aperçois que c'est encore lui qui nous retrace l'émouvante amitié de Doc Pomus, géant blanc débonnaire et d'Otis Blackwell gringalet noir rachitique, Greil Marcus se charge de nous révéler à sa façon sept chef-d'œuvres rock, célèbres ou inconnus.

    A regarder comme un rêve évanoui.

    Damie Chad.