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tony joe white

  • CHRONIQUES DE POURPRE 604: KR'TNT 604: TINA TURNER / JAMES BROWN / TONY JOE WHITE / JOHN REIS / ANITA WARD VERMILION WHISKEY / NATTY DREAD / PIPER GRANT / FRANCOIS RICHARD / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 604

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    08 / 06 / 2023

     

    TINA TURNER / JAMES BROWN

    TONY JOE WHITE / JOHN REIS / ANITA WARD

      VERMILION WHISKEY / NATTY DREAD

    PIPER GRANT / FRANCOIS RICHARD

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 604

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Spectorculaire

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             Tina Turner vient de casser sa pipe en bois, aussi allons-nous rendre hommage à l’early Tina, celle du temps de la Revue. Déifiée par Totor, elle fut l’héroïne de l’un des Cent Contes Rock. «River Deep Mountain High» reste l’un des plus beaux hits de tous les temps. Merci Tina et merci Totor de nous avoir fait rêver.

            

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             Pharaon fait son entrée dans le temple du son. Les talons de ses Chelsea boots claquent sur le marbre du sol. Haut comme trois pommes et maigre comme un clou, il porte une tiare en or, un pagne fraîchement repassé et des grosses lunettes noires. De longues rouflaquettes encadrent son visage. Sur la tiare en or est épinglé un badge «Back to Mono». Le temple domine la vallée des morts. Au fond de la vallée sont rassemblés quelques milliers de musiciens issus de toutes les peuplades de l’Empire. Ils attendent en silence, telle est la consigne. De part et d’autre de la vallée, des milliers d’esclaves motivés par le fouet élèvent un mur gigantesque. Ils font rouler des moellons de plusieurs tonnes sur de gros rondins de cèdre lubrifiés. Le mur doit s’élever jusqu’au ciel, car telle est la volonté de Pharaon. Il fait construire le Wall of Sound. Pharaon se prépare à entrer dans l’histoire. Il lance un défi aux dieux dont il se dit l’égal. Plutôt que de conquérir le bord du monde pour montrer sa puissance, Pharaon préfère écrire des chansons. Quand les dieux entendront «River Deep Mountain High», ils frémiront. Pharaon vient d’écrire «River Deep Mountain High» avec Jeff Barry et Ellie Greenwich. Extraordinairement cultivés, Jeff et Ellie sont ses scribes les plus précieux. Pharaon contemple longuement la vallée. Il éprouve de grandes difficultés à dominer son impatience. Il sait qu’il tient un tube éternel. Ses narines palpitent. Sous le pagne, il sent son membre divin se dresser lentement. Il fait signe aux prêtres du temple du son de lui lire les oracles. Les prêtres éventrent les bestiaux prévus à cet effet et accourent les mains pleines d’abats sanguinolents. Ils se bousculent pour offrir à Pharaon l’exclusivité des oracles.

             — Les conditions sont réunies, Pharaon ! Il ne pleuvra pas aujourd’hui !

             Agacé, Pharaon envoie un terrible coup de sa crosse en or sur le crâne du prêtre-météo qui s’agenouille, abasourdi de terreur.

             — Mais il ne pleut jamais dans la région, sombre crétin ! Qu’on le jette aux crocodiles sacrés !

             — Noooon pitié Pharaon ! Nooon !

             Les Turkmènes de la garde rapprochée emmènent le prêtre qui se débat.

             Pharaon commence toujours par caler ses orchestrations. Lorsqu’elles sont irréprochables, il demande à des interprètes soigneusement sélectionnés de venir s’y fondre. Pharaon vit dans l’obsession de l’osmose : le jour et la nuit, la folie et le génie, les cuivres et les cordes, le ciel et la mer, le chant et l’instrumentation, il mêle les extrêmes en permanence. Il se tourne vers l’horizon et lève les bras au ciel. Un immense murmure s’élève de la vallée. Les musiciens s’affairent. Ils vont bientôt devoir jouer selon les règles strictes édictées par Pharaon. Les partitions sont gravées dans des tablettes d’argile. Des milliers de scribes ont travaillé jour et nuit. Les musiciens n’ont que quelques minutes pour s’accorder sous le soleil de plomb. Quand Pharaon donnera le signal, ils devront être prêts à jouer.

             Pharaon donne ses dernières instructions :

             — Bassistes crétois, vous façonnerez l’épine dorsale d’une grosse bassline et vous fendrez le silence comme la proue d’un navire de guerre fend les vagues ! Quant à vous, guitaristes ibères, je vous demande de jouer le rythme basique ! Ne jouez rien d’autre, pas de flamenco, avez-vous bien compris ?

             Une immense clameur monte de la vallée :

             — Ouiiii Pharaon !

             Puis il s’adresse aux huit mille pianistes :

             — Je vous demande de jouer les octaves de la main droite ! J’exige de vous l’emphase dramaturgique !

             — Compriiiis, Pharaon !

             Pharaon passe sa main dans le dos et ramène le revolver qu’il garde toujours serré sous la ceinture. Il tire un coup en l’air. C’est le signal. Les basses crétoises roulent comme le tonnerre, agrémentées de tampanis congolais. L’immense orchestre joue une petite introduction en escalier. Pharaon lève les bras. Silence. Puis l’orchestre reprend, des vagues assourdissantes s’en vont se briser contre les murailles et se réverbèrent dans un chaos d’écho d’une grandeur incommensurable. Des nappes de piano s’envolent comme des nuées de sauterelles et s’en vont percuter les roulements des tambours que battent avec pesanteur des milliers de berbères. Pharaon fait jouer l’orchestre des jours durant. Il n’est jamais satisfait. Et puis un jour, son visage se détend. Les lèvres tremblantes, il murmure :

             — Oui, c’est ça ! C’est ça !

             La qualité de l’écho atteint la perfection.

             Pharaon lève les bras au ciel. Les musiciens arrêtent de jouer, mais les deux murailles géantes renvoient encore de l’écho pendant de longues minutes. Jusqu’à ce que le silence s’installe. L’orchestration est au point, le moment est venu de choisir l’interprète. Pharaon ordonne qu’on fasse venir les cages des candidats. Dix petites cages à roulettes sont installées en demi-cercle sur l’esplanade du temple. Pharaon les passe en revue. Dans la première s’agitent quatre sauvages à la peau blanche. Ils ont les cheveux longs et sales. Ils portent des blousons de cuir et des jeans déchirés. Pharaon s’adresse au plus grand :

             — Ton nom !

             — Joey Ramone !

             — Chante-moi quelque chose !

             Joey bombe le torse et chante «Baby I Love You» des Ronettes. Pharaon est agréablement surpris.

             — Hum...Tu as une bonne voix, mais tes amis ne me plaisent pas du tout... Ils ont l’air tellement stupides !

             Celui qui reste allongé dans la paille lance d’une voix rageuse :

             — Je m’appelle Dee Dee et je t’emmerde, Pharaon tête de con !

             Et Dee Dee crache au sol, juste entre les deux pieds de Pharaon. Silence de mort. Pharaon sort son revolver, tire une balle dans le ciel et hurle :

             — Aux crocodiles !

             Dans la deuxième cage se trouve un autre sauvage à la peau blanche. Il porte une barbe et les cheveux longs.

             — Ton nom ?

             — George Harrison !

             — Tu m’as l’air bien mystique... Chante !

             Le pauvre George n’est pas en très bonne santé. Il ravale sa salive et chante «My Sweet Lord».

             — Aux crocodiles !

             Pharaon passe à la cage suivante. Un autre sauvage à la peau blanche et une chinoise sont allongés nus dans la paille.

             — Ton nom !

             — John Lennon et elle, c’est Yoko !

             Pharaon admire les formes de la chinoise :

             — Vous n’êtes pas là pour forniquer mais pour chanter. Alors chantez !

             John Lennon se lève et entonne «Instant Karma». Yoko joue du tambourin en faisant un sourire qui ressemble à une grimace. Pharaon ne les envoie pas aux crocodiles. Il ne veut pas que ses crocodiles sacrés attrapent une indigestion. Dans la cage suivante se trouve encore un blanc.

             — Ton nom ?

             — Dion DiMucci !

             Pharaon ne lui demande même pas de chanter. Trop romantique. «River Deep Mountain High» a besoin de chair fraîche. Pharaon passe en revue cinq autres cages où sont enfermés les Crystals, les Righteous Brothers, Darlene Love, Leonard Cohen, Bobb B Soxx. Il se plante devant la dernière cage. Une esclave nubienne plonge son regard de feu dans celui de Pharaon. Elle porte une tunique déchirée qui ne cache plus rien de son anatomie pulpeuse. Ses cuisses luisent comme des colonnes d’albâtre.

             — Ton nom, femelle lascive !

             — Tina, Pharaon, pour te servir...

             Et elle fait glisser la pointe de sa langue sur le pourtour de sa bouche entrouverte. Près d’elle se tient un grand Nubien d’apparence teigneuse.

             — Ton nom !

             — Ike Turner ! Je suis son mari !

             — Faites-la sortir de la cage ! Pas lui ! Qu’il y reste et emmenez-le avec les autres ! Qu’ils disparaissent tous de ma vue ! Mon génie ne les a même pas aveuglés ! Ah les chiens galeux ! Que les descendants de ces immondes barbares soient maudits jusqu’à la septième génération !

             Tina est enchaînée. En marchant, elle râle comme une panthère. Pharaon la présente à l’immense orchestre installé jusqu’au fond de la vallée.

             — Musiciens ! Voici Tina ! Elle portera ma chanson aux nues !

             Un grondement d’acclamations roule dans la vallée. On installe un pupitre devant Tina. Les paroles de la chanson sont gravées sur une tablette d’argile. Pharaon lève les bras au ciel. Le silence se rétablit. Il tire un coup de feu en l’air. L’orchestre joue la petite intro en escalier. Break. Silence. Reprise. Tina ouvre une bouche qui ressemble à un four :

             — Quand j’étais une petite fille/ J’avais une poupée de chiffon/ La seule poupée que j’aie jamais eue/ Maintenant je t’aime comme j’aimais cette poupée de chiffon/ Mais maintenant mon amour a grandi !

             Tina chante comme une nymphomane. Elle roule les paroles entre ses muqueuses. Elle est poignante et magnifique. Le son qui monte de la vallée l’enveloppe. Des langues d’écho lèchent la peau luisante de ses cuisses. Les musiciens des premiers rangs voient son sexe béant palpiter. Alors Pharaon donne un violent coup de crosse sur le sol et le son explose. L’immense orchestre de la vallée bâtit des montagnes imaginaires, des ponts de cristal suspendus, des murailles de verre, des cavernes enchantées, des falaises de marbre, des gouffres abyssaux et des cascades de son s’écoulent dans des précipices wagnériens, des fumées blanches montent dans l’air saturé d’écho, une féerie grandiose éclate dans le tournoiement des masses d’air. Les tambours et les percussions se fondent dans les basses qui se fondent dans les guitares qui se fondent dans les pianos qui se fondent dans les violons soudanais qui se fondent dans les voix. En transcendant le principe même de l’osmose cosmique, Pharaon crée une fantastique pulsation qui remplit tout l’univers perceptible. Et au sommet de cette pulsation s’empale l’esclave Tina. Chaque molécule de son corps se dissout dans le souffle magique que renvoient les deux murailles géantes. Pharaon lève les bras au ciel. L’orchestre s’arrête brusquement. Quel choc ! Un silence vibrant d’écho s’installe. Les dieux ne pardonneront jamais à Pharaon de les avoir ainsi nargués. «River Deep Mountain High» n’aura pas le succès escompté. Profondément vexé, Pharaon fera construire une pyramide avec les moellons de son mur du son et s’y retirera pour l’éternité.

    Signé : Cazengler, Tinette

    Tina Turner. Disparue le 24 mai 2023

    Cent Contes Rock. Patrick Cazengler. Camion Blanc. 2011

     

    Brown sugar

    - Part Two

     

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             Dans Kill ‘Em & Leave - Searching For The Real James Brown, James McBride mène l’enquête. Il n’existe rien d’aussi parfait que ce travail d’investigation pour approcher la réalité de cette immense star que fut James Brown. Ce court roman fonctionne comme un traitement de choc. James McBride est black. Il rencontre des gens qui ont connu ou travaillé avec James Brown pour les interviewer, souvent dans des petits restaus blacks de la région d’Augusta, en Caroline du Sud. On est bien sûr aux antipodes du biopic hollywoodien, le fameux Get On Up, évoqué ici même la semaine dernière. McBride s’empresse de le démolir : la course poursuite avec les flics ? Faux. James Brown qui force un barrage de police au volant de son pick-up ? Faux. D’après le rapport d’enquête officiel du FBI, nous dit McBride, James Brown n’a jamais tiré dans le plafond de la salle de réunion, comme le montre le biopic. Charles Bobbit indique que Mr. Brown ne jurait jamais - I never heard Mr. Brown utter a curse - McBride explique que la course poursuite ne pouvait pas se produire, parce que James Brown était un black du Sud. He wasn’t stupid. En fait, ce sont les cops qui ont détruit son pick-up. Ils l’ont chopé après une «low-speed chase» et ont tiré 17 balles dans le pickup, dont deux sont allées dans le réservoir à essence, alors que James Brown était encore à l’intérieur - Brown was terrified - Quand il a été amené au poste, un flic en civil s’est approché de lui alors qu’il était encore menotté et lui a mis son poing dans la gueule, faisant sauter une dent. À ce moment-là, nous dit McBride, James Brown est dans une sale passe : «Sa vie s’était  écroulée, son groupe s’était désintégré, les impôts l’avaient mis sur la paille, à 55 ans il retombait dans une semi-obscurité», et il fumait du PCP en cachette pour supporter tout ça. Physiquement, il tombait en ruine, ses genoux le lâchaient, il souffrait d’arthrite et il endurait un supplice permanent à cause de ses dents. Quand il a vu qu’on était entré dans son bureau, à Augusta, il a cru qu’on l’avait une fois de plus cambriolé. Alors il a sorti son flingue, et c’est à cause de ça qu’il est allé moisir trois ans au trou. McBride ajoute que le biopic trafique la réalité. Et le fait qu’il soit vu par des millions de gens à travers le monde le rend triste, car il donne une idée complètement fausse de James Brown qui vivait, avec cet épisode, la pire des humiliations. McBride s’insurge aussi contre le portrait qui est fait de sa mère, une pute, et de son père, une brute. En réalité, James Brown, a réussi à réunir ses deux parents et McBride insiste pour dire que Daddy Brown était un homme gentil et drôle, qui adorait son fils. Zola-McBride accuse le biopic de Dreyfuser James Brown pour en faire «a complete wacko in a film that is roughly 40 percent fiction et qui ne montre aucun aspect de la vie des familles noires et de la culture dont il est issu.» Tout dans ce film est roulé dans la farine hollywoodienne des clichés : «la grosse tante black qui lance au jeune James ‘you special boy’, le bon et loyal manager blanc, les musiciens noirs qui ont aidé James Brown à créer l’une des formes d’art les plus importantes du XXe siècle et réduits par le script à l’état de crânes vides, avec notamment la scène où Pee Wee Ellis fait le clown, une scène que Pee Wee, pionnier et co-createur de la Soul music américaine, conteste, car elle n’a jamais eu lieu.» To add insult to injury, comme disent les Anglais, voilà qu’apparaît le nom de Jag. On le voit danser, à la fin du T.A.M.I. Show, comme the strawman in the Wizard Of Oz, nous dit McBride - It’s all on line. You can see it - Keith Richards déclara plus tard que les Stones commirent la pire erreur de leur carrière en voulant passer APRÈS James Brown. On voit d’ailleurs la version hollywoodienne du T.A.M.I. Show dans Get On Up. C’est aussi Jag qui co-produit le docu évoqué la semaine dernière, Mr. Dynamite - The Rise Of James Brown. McBride : «Aujourd’hui Jagger is rock royalty, James Brown is dead, et Inaudible Productions qui supervise le licensing du catalogue des Rolling Stones, administre aussi celui de James Brown.» Charles Bobbit conclut l’amer chapitre en affirmant que Mr. Brown n’aimait pas Jagger - He had no love for Mick Jagger.  

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             McBride n’en finit plus de rétablir la vérité. Il revient sur les premières années de ballon évoquées dans le biopic pour dire qu’en fait, James Brown a pris une peine de 8 à 16 ans pour vol de pièces sur une bagnole et qu’il est sorti, au bout de trois piges, d’une taule juvénile à Toccoa, en Georgie. On imagine le carnage qu’aurait fait Leon Bloy s’il avait pu voir ce film.

             Bon, tout ça c’est bien gentil, Mr. McBride. Et le génie de génie de James Brown ? C’est pour ça qu’on est là.

             Si un écrivain rend hommage à un artiste, son boulot consiste surtout à expliquer les raisons de son importance. McBride est un écrivain qui sait tenir son attelage : pas d’élans lyriques, mais une façon très spéciale d’encenser : «Ce qui met James Brown à part, en plus de la longévité d’une carrière menée dans un milieu artistique très dur, c’est qu’il a dominé et même éclipsé tous les grands artistes noirs des années 50, 60 et 70, une période où sont apparus les plus grands artistes américains, des artistes d’un niveau qu’on avait encore jamais vu et qu’on ne verra sans doute jamais plus : Little Richard, Ruth Brown, Hank Ballard & The Midnighters, Screamin’ Jay Hawkins, Little Willie John, Ray Charles, Jackie Wilson, Otis Redding, Aretha Frankin, Wilson Pickett, Joe Tex, Isaac Hayes, Earth Wind & Fire, Sly & The Family Stone et bien sûr les Motown heavy hitters of the seventies, to name just a few.» McBride détache ainsi James Brown du somptueux peloton de la Soul pour le situer higher, comme dirait Yves Adrien. C’est un préambule indispensable. Quand on l’écoute et ou quand on le voit dans un concert filmé, on ressent exactement ça : James Brown is higher. Stay on the scene !  McBride y revient plus loin : «Même Aretha avec toute sa Soul et sa puissante section rythmique ne pouvait pas égaler the burning fire et l’individualité du James Brown sound. They were different sounds. Different musicians. Different cities. Different blacks. But James Brown’s uniqueness stood him above them all.» Pour dire le rôle que joue James Brown dans la communauté noire, McBride va toujours plus loin : «Dans sa vie, chaque homme et chaque femme a une chanson. Vous la gardez en mémoire. La chanson de votre mariage, la chanson de votre premier amour, la chanson de votre enfance. Pour nous, Afro-Américains, la chanson de toute notre vie est incarnée by the life and times of  James Brown.» Et plus loin, il y revient : «James Brown was our soul. Il était indéniablement black. Indéniablement proud, c’est-à-dire fier. Indéniablement un homme.»

             Le moment est venu de parler chiffres : «Pendant les 45 ans de sa carrière, James Brown a vendu plus de 200 millions de disques, enregistré 321 albums, dont 16 furent des hits, il a écrit 832 chansons et obtenu 45 disques d’or. Il a révolutionné la musique américaine, il a été le premier à mixer le jazz et de funk, et le premier à sortir un album live qui fut numéro 1.» Des gens dans la presse ont bien tenté de le décrire - A super talent. A great dancer. A real show. A laugher. A drug addict, a troublemaker, all hair and teeth - The man simply defied description. McBride tente d’expliquer ça en rappelant que personne ne peut approcher la réalité de cet homme, «car il vient d’une région qu’aucun livre n’a pu expliquer, une région façonnée par l’esclavage, l’oppression et l’incompréhension, dont la nature sociale défie toute tentative d’explication. The South is simply a puzzle.» Autre élément de réflexion : McBride rapporte que Miles Davis et James Brown s’admiraient mutuellement,  mais à distance - hard men on the outside, but behind the looking glass, sensitive, kind, loyal, proud, troubled souls working to keep their pain out.

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             Dans un éclair de génie littéraire, McBride amène James Brown sur scène : «Son orchestre arrivait sur scène et cassait la baraque, knock ‘em down, pendant que Brown attendait dans la coulisse en fumant une Kool cigarette, il regardait le public et savait exactement à quel moment arriver sur scène, lorsque le public le réclamait. Alors il arrivait avec sa démarche de pigeon et plongeait le public dans le delirium. Ils les emmenait sur la lune, les assommait avec des blasts de soulful levity et quittait la scène. Après le concert, les notables et les autres stars s’empressaient de venir congratuler Brown, mais il les faisait attendre pendant trois heures, parce qu’il était sous son casque pour refaire sa pompadour, puis il s’éclipsait sans voir personne. Sharpton lui demandait pourquoi il s’en allait, alors que des gens importants voulaient le voir et Brown lui répondait : ‘Kill ‘em and leave, Rev. Kill ‘em and leave.’ C’est ce qu’il a fait pendant 50 ans. James Brown n’était pas un homme ordinaire. Il n’était pas facile de faire sa connaissance. James Brown gardait ses distances.»

             Pareil, il est au Zaïre pour le fameux combat Ali-George Foreman, toutes les grandes stars black ont fait le déplacement pour jouer dans le stade, Mobutu promet de distribuer des diamants après les concerts. Après avoir plongé 80 000 personnes dans l’extase, James Brown dit à Sharpton : «Pack Up. We’re leaving.» Sharpton insiste : «But Mr. Brown, on vient d’arriver.» «Kill ‘em and leave, Rev. Kill ‘em and leave.» Rien à foutre des diamants de Mobutu. James Brown insiste : «Trying to play big. Just be big.» À Charles Bobbit, James Brown dit la même chose, avec d’autres mots : «Mr. Bobbit, don’t ever stay nowhere for a long time. Don’t make yourself important. Come important and leave important.» Bobbit ajoute qu’on ne discutait pas avec Mr. Brown. On l’écoutait. Vouloir le convaincre de quelque chose, c’était perdre son temps. Bobbit ajoute que Brown n’était pas un bon businessman. Il le reconnaissait lui-même, se disant 60 % entertainer et 40 % businessman. Il ne voulait pas que les gens le connaissent. Il dit aussi à Bobbit que lorsqu’il va casser sa pipe en bois, ce sera un gros bordel, pour l’héritage. Ça prendra dix ans pour tirer tout ça au clair. Pourquoi ? «Parce qu’ils ne sauront pas comment faire.» Et pourquoi ne sauront-ils pas comment faire ? «Parce qu’ils ne connaissent pas Mr. Brown.» Alors McBride pose la question à Bobbit : «Qui est Mr. Brown ?». Bobbit répond qu’il ne voulait qu’on sache qui il était. Pourquoi ? Bobbit regarde ses mains et murmure : «Fear.» McBride : «Peur de quoi ?». Bobbit lâche le morceau : «The white man. He was Mr. Say It Loud, mais the white man owned the record business.»

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             Dans les années 60 et 70, James Brown se voyait en concurrence directe avec Motown, en tant que one-man hit machine, et les deux camps, nous dit McBride, étaient lancés à l’assaut  des radios blanches, là où se trouvait the giant money. Ça grouillant littéralement de stars, «James Brown était aussi en concurrence avec Jackie Wilson, Joe Tex, Little Willie John qu’il admirait, Isaac Hayes, Gamble & Huff, the O’Jays, the Spinners et Teddy Pendergrass, mais les deux poids lourds, les Ali et Frazier du record business étaient Motown et James Brown. They were the big horses. And both could run hard.» McBride développe sa métaphore en disant que Brown était Frazier, «the thundering dark-skinned heavy hunter out of the North Philly ghetto», et Motown était Muhammad Ali, «the light, right, sweet-talking kid from Louisville, Kentucky.» James Brown n’était pas très fan de Motown, même s’il respectait Berry Gordy, mais il lui reprochait d’être un peu trop à la botte des blancs. Brown venait du Chitlin’ circuit, ce n’était pas la même chose, McBride considère que tourner sur le Chitlin’, ça revient à gravir l’Everest, car la concurrence y est plus raide et les conditions plus difficiles.

             Sharpton met le doigt sur la particularité essentielle de James Brown : son charisme - Ça peut sembler dingue de parler ainsi, mais James Brown avait tellement de présence et de charisme qu’on pouvait presque le sentir quand il entrait quelque part. Il éclipsait n’importe qui. Je fais partie des quelques personnes qui l’ont accompagné à la Maison Blanche. Que ce soit avec Reagan ou Bush ou en cellule, ça ne changeait rien. Il avait confiance en lui. C’était son spirit. C’était son don. Il dominait.  

             Très tôt, James Brown comprend qu’il doit évoluer pour survivre et ne pas subir le destin de Cab Calloway, Jimmy Luceford et Billy Eckstine. McBride cite aussi les cas de Louis Jordan, Lionel Hampton et Africa Bambaataa qui ont disparu parce qu’ils n’ont pas su évoluer. Pendant toutes les années de Chitlin’, James Brown s’est battu pour évoluer. Alors il a entendu ce que McBride appelle le downbeat, a new groove et il devait trouver les meilleurs musiciens pour jouer ce groove et transformer ses «la-de-da grunts and commands into hits.»

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             Ce qui frappe le plus dans l’approche d’un personnage qui a tout fait pour qu’on ne puisse pas le connaître, c’est d’abord son rapport au langage que stigmatise McBride, et notamment cette façon que James Brown a de s’exprimer par phrases courtes et par injonctions chargées de sens («Come important, leave important»), puis ce rapport au «civisme» : on ne pouvait s’adresser à lui qu’en tant que Mr. Brown, et il s’adressait aux gens de la même façon, par exemple Mr. Bobbit, sauf s’ils étaient Révérends, comme Sharpton, qu’il appelait Rev, avec la même déférence.

             Penchons-nous sur la légendaire générosité de James Brown. Sharpton révèle à McBride qu’à la fin des années 70, quand Isaac a fait faillite, James Brown est allé le trouver chez lui à Atlanta pour lui filer 3 000 $ et lui dire : «Isaac, don’t tell nobody I helped you out.» James Brown ne veut pas qu’on sache qu’Isaac est dans le besoin. Voilà la grandeur de cet homme. Mais pour son malheur, il est entouré de gens qui n’en finissent plus de lui taper du blé. Lui veut une bagnole, elle des bijoux. Il paye. Ça ne s’est jamais arrêté, nous dit McBride. Il a laissé derrière lui une véritable fortune, estimée à 100 millions de $, mais rien pour sa famille, tout était destiné aux enfants pauvres de toutes les races, en Georgie et en Caroline du Sud. Qui n’ont bien sûr jamais vu un dollar, car la famille et les avocats ont tapé dans la caisse pendant dix ans. McBride : «That’s how modern day gangsters work. Ils ne vous collent plus un gun sur le museau. They paper you to death.» Quand Nixon le qualifie de «National Treasure», James Brown s’imagine qu’en tant que tel, il ne doit pas payer d’impôts. Mais le fisc ne le lâche pas. National treasure ? Ça ne les fait pas marrer. Alors comme ça ne marche pas, James Brown leur dit qu’il a du sang indien dans les veines et qu’il descend de Geronimo. Ça ne les fait pas marrer non plus. Alors, le fisc sort les griffes. Lors d’un show au Texas, ils barbotent la recette, et James Brown n’a plus de blé pour payer les musiciens. C’est là qu’il fait appel à David Cannon, un blanc qu’il surnomme the Money Man et qui devient son comptable. James Brown lui fait confiance et vient planquer des gros tas de billets dans son coffre-fort - Il y avait un million de $ dans mon coffre - Il alerte son client : «Mr. Brown, cet argent doit aller à la banque, je ne suis pas une banque». et James Brown lui répond : «No, Mr. Cannon. It’s fine right here.» Pourquoi cette confiance longue de 14 années ? Parce que Cannon et lui sont élevés avec les mêmes principes, le «proper», la politesse et la fierté des petites gens du Sud : pas question d’apparaître diminué ou ruiné. Il faut sauver les apparences. C’est pour ça que McBride rencontre David Cannon : il a compris mieux que personne qui était James Brown. Cannon l’aide à assainir ses comptes avec le fisc. James Brown a une manie : il planque du blé partout, au fond des jardins et dans des chambres d’hôtel. Cannon et Dallas le savent. Un jour où ils papotent tous les trois dans le bureau d’Augusta, Cannon, Dallas et James Brown, Dallas demande : «Mr. Brown, où devons-nous chercher, s’il vous arrive quelque chose ?». Assis derrière son bureau, James Brown écrivit un mot sur un post-it : «Dig.»

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             Et puis tu as les gonzesses. La plus importante, c’est Velma, sa première épouse et la mère de ses deux fils, Terry et Teddy. Mais James Brown a tout de suite trop de succès. Il est déjà en concurrence avec Little Richard, Otis Redding, Clyde McPhatter and the Drifters, the Five Royales, Hank Ballard & The Midnighter. Il est tout le temps en tournée. Velma le voit changer. Quand James Brown achète sa baraque dans le Queens en 1964, lui et Velma sont déjà séparés. Velma ne lui demande rien. Seulement de l’aider à élever ses deux fils. Alors James lui achète un terrain et fait construire une maison près de Prather Bridge Road, nous dit McBride, pour 150 000 $. Il lui file le titre de propriété. Ils divorcent en 1969, mais quand ça va mal, il monte dans sa Lincoln et descend voir Velma à Toccoa pour discuter avec elle, car ils sont restés profondément liés. Il l’appelle «my close friend». Quand Teddy meurt dans un accident de bagnole, James Brown surmonte sa douleur «with the true mantra of southern pride» et dit à son autre fils Terry : «Keep it right, Terry. Keep it proper. You gotta work. Smile. Show your best face.» James Brown fonctionne avec des mantras. Au Rev, il dit : «Never let them see you sweat. Come important. Leave important.» Pas question de montrer sa faiblesse.

             Après Velma, il se marie avec Dee Dee Jenkins et divorce. Sa troisième femme, Adrienne, est une drug addict, mais James Brown l’aime. Il l’appelle «my rat». Elle reste près de lui pendant ses trois années de placard. Elle casse sa pipe en bois lors d’une opération de liposuccion. Puis à 68 ans, il passe la bague au doigt de Toni Rae Hynie, 32 ans, un mariage qui tourne au désastre, jusqu’en 2006, quant à son tour il casse sa pipe en bois. Elle avait oublié de préciser qu’elle était déjà mariée.

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             McBride évoque aussi les chanteuses : Vicki Anderson, Marva Whitney, Beatrice Ford, Lyn Collins, Tammi Terrell et Martha High, toutes ont chanté longtemps avec James Brown ou ont enregistré sous sa direction. Elles sont, nous dit McBride, «parmi the greatest Soul singers America has ever seen and will ever see.»

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    ( Natfloyd Scott )

             McBride rencontre à Toccoa le dernier survivant des original Famous Flames, Natfloyd Scott. Scott est aveugle. Il montre une photo que décrit McBride : «Il y a Sylvester Keels, Nash Knox, Fred Pulliam, James Brown, Bobby Byrd and his younger brother Baby Root Scott. Tous sont morts sauf lui. Natfloyd Scoot est le seul qui tient une instrument, une guitare.» Pour McBride, Natfloyd Scott est un guitariste extraordinaire. C’est lui qui joue sur «Please Please Please». Après Scott, d’autres guitaristes extraordinaires sont venus jouer dans les Famous Flames : «Hearlon Cheese Martin, Alphonso Country Kellum and the incomparable legend Jimmy Nolen qui a crée le picking chicken-scratch.»  

             Natfloyd Scott évoque aussi les tournées sans fin sur le Chitilin’ circuit à travers des tas d’états, avec des bagnoles qui tombent en rade - They burned out another car - «One nighters are a killer,» he says -  Scott commence par jouer sur une Sears, puis une Gibson, et une Vox. Il peut jouer avec la guitare dans le dos ou entre ses jambes. Quand des membres des Famous Flames craquent et rentrent chez eux, c’est lui, Natfloyd Scott, qui doit trouver des remplaçants au pied levé et leur monter les cuts pour jouer le soir-même - On jouait tout en Sol et en Do mineur - Il rend bien sûr hommage au jeu de scène de James Brown - James was something - Toujours dans son travail d’investigation, McBride lui dit à un moment : «Vous essayez de me dire des good things à propos de James Brown» et Natfloyd lui répond : «James don’t need my protection.» L’excellent James McBride conclut le chapitre ‘The Last Flame’ ainsi : «Trois ans plus tard, le 15 août 2015, il mourait à l’âge de 80 ans, fauché. Pour l’enterrer, sa famille obtint l’aide d’un ami et du petit-fils de James Brown, William. Ainsi s’éteignit la dernière Flame, the last original Flame.»

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    ( Pee Wee Ellis)

             Un autre portrait spectaculaire : celui de Pee Wee Ellis. McBride commence par dire qu’il y eut environ 200 musiciens qui ont joué avec James Brown durant les cinquante ans de sa carrière. Parmi eux, dix ont contribué à l’élaboration du son - Aucun d’eux ne fut plus important, moins connu et moins crédité que le tromboniste Fred Westley, et celui qui lui a tout appris, Pee Wee Ellis - C’est bien que McBride remette les choses au carré. Il enfonce son clou : «Le James Brown’s band de 1965-69, dirigé par Pee Wee, fut, je dirais, le plus grand groupe de rhythm & blues jamais constitué.» Quand McBride le rencontre, Pee Wee dit qu’il doit aller répéter, car il doit aller à Paris jouer avec Yusef Lateef. McBride est scié : Pee Wee répéter ? Après 45 ans de pratique, après avoir co-écrit 26 hits avec James Brown ? Quand McBride lui demande de lui parler de James Brown, Pee Wee lui dit qu’il préférerait parler d’autre chose. Mais oui, c’est Pee Wee qui a façonné ce groupe extraordinaire. Il traduisait musicalement ce que voulait James Brown. Joe Davis : «Pee Wee was the one who put the sound together, in terms of locking it in, translating what James wanted. that was Pee Wee.» Pee Wee compose «Say It Loud» à 3 h du matin dans un studio de Los Angeles et Charles Bobbit ramène 30 gosses black pour chanter les chœurs. McBride précise aussi que «Cold Sweat» s’inspire directement du «So What» de Miles Davis. Pee Wee quitte le groupe en 1969.

             Quand James Brown se casse la gueule, dans les mid-eighties, il perd tout : plus un rond, plus de groupe, sa vie privée en ruines, ses trois stations de radio revendues, son avion privé saisi, plus de contrat et pas assez de cash pour payer des musiciens ou même payer ses factures. Pourtant fauché, il refuse de faire de la pub pour des marques de bière. «Children need education», dit-il à Buddy Dallas. «They don’t need snakers and beer». Quand en 1984, la diskö fout James Brown par terre, il passe du Madison Square Garden aux night-clubs, avec des cachets de 5 000 $. Les bureaux de The James Brown Organisation, à New York et à Augusta, ont disparu. Gold Platter, sa chaîne de soul food restaurant ? Kaput, nous dit McBride. Des mecs ont foutu le feu à son nightlcub Third World. Pas de coupables. Il doit 15 millions de $ au fisc qui a commencé à tout saisir : ses trente bagnoles, ses œuvres d’art, et sa maison - He was an oldie act with a terrible reputation - Il n’a plus de contrat et demande à Don King de le financer, mais Don King qui organise des combats de boxe décline, car il ne connaît pas le music biz. Par contre, il propose de filer 10 000 $ à James Brown qui refuse : «I ain’t asking for charity.» Mais c’est au plan physique que ça tourne mal : en plus de ses dents, de ses pieds et de ses genoux qui déconnent, James Brown se tape un petit cancer de la prostate qu’il dissimule, comme tout le reste. Alors pour surmonter tout ça, il fume du PCP en cachette. Le seul à s’en douter, c’est Leon Austin, il voit bien que James Brown est bizarre quand il a fumé. Le pire : tout son entourage s’est volatilisé : white managers, black managers, épouses, copines, black friends. Il ne reste plus que trois personnes près de lui : Charles Bobbit, Leon Austin et, of course, the Rev.  

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    ( Rev Charpton )

             The Rev ! Parlons-en ! Encore une rencontre stupéfiante : The Rev Sharpton, littéralement «fabriqué» par James Brown. Selon McBride, «The Rev is one of the most powerful black men in America.» Et il ajoute : «And a creation, in part, one of James Brown». The Rev est allé voir son mentor quand il était au trou et le voyait debout quand tout le monde le croyait fini. Et à table, en face de McBride, The Rev lance : «Everything I am today, a lot of it, is because of James Brown. The most important lessons I learned, I learned from him. He was like my father. He was the father I never had.» McBride entre bien dans l’histoire de cette relation, le chapitre ‘The Rev’ est l’un des cœurs battants de ce roman d’investigation extraordinaire. Pour restituer la grandeur de James Brown, McBride commence par restituer la grandeur de ses proches les plus proches. The Rev raconte qu’il allait voir Jackie Wilson et James Brown à l’Apollo et chaque fois, il croyait voir Dieu. Il raconte sa première conversation avec James Brown qui lui demande : «What do you want to be, son?». Sharpton répond : «Excuse me?». «What do you want to be ?». «Well I’m in civil rights.» «I’m gonna show you how to get the whole hog.» «Excuse me?». «Je vais te montrer comment décrocher la timbale. But you gotta think big like me. I’m gonna make you bigger than big. You got to do exactly what I say. Can you do that?». Et Al Sharpton fait exactement ce que lui dit de faire James Brown. Un peu plus tard, James Brown va voir prêcher le Rev. Il fait un tabac. James Brown va le trouver et lui dit : «You did everything I told you?». «Yes sir, Mr. Brown.» James Brown lui explique qu’il faut être soi-même, an original, pas essayer de devenir non pas «le prochain Jesse Jackson, mais le premier Al Sharpton.» Il lui demande de l’écouter et se plaint que ses propres fils ne l’écoutent pas - You’re a kid from Brooklyn, you got a heart. But you got to be different - James Brown lui dit de faire sa valise : «Pack your bag. We’re going to L.A.» Sharpton va y rester 15 ans et devenir the Rev, «one of the most powerful, charismaric, controversial and unique figures in African American history.» Et l’amitié qui lie les deux hommes va durer jusqu’à la mort de James Brown. McBride parle des grands teams américains et cite des exemples : Stephen Sondheim/Leonard Bernstein, le Miles Davis Quintet, avec John Coltrane et Cannonball Adderley, Miles/Gil Evans, «but there is nothing in American history like the collaborative mix of Al Sharpton and James Brown.»

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    ( Charles Bobbit )

             Quand James Brown engage Charles Bobbit comme personnal manager, c’est uniquement pour avoir son conseil sur certaines choses, oh pas les choses importantes comme les problèmes de blé, les petites décisions à prendre, du style aller au Japon ou pas. Il lui propose le job à vie : «I and you gonna be together till one of us dies.» «Oh yeah?». Bobbit accepte. Il rêvait de prendre l’avion et de descendre dans des grands hôtels. Il est même allé quatre fois à la Maison Blanche et serré la main de quatre Présidents. Mr. Bobbit s’occupe de tout, des armes et des drogues. Graisser la patte d’un radio DJ ? See Mr. Bobbit. McBride : «Il fait partie d’une race en voie de disparition : America’s Soul music wheelers and dealers. These guys - la plupart étaient des hommes, sauf Gladys Hampton, l’épouse de Lionel Hampton, qui était astucieuse et très intelligente - knew where the skeleton is buried. They know every secret. And they never tell.»

             Quand James Brown est transporté à l’hosto, il n’y a qu’une seule personne dans la chambre avec lui : Charles Bobbit. Conformément à sa prédiction. C’est la fin des haricots. Soudain James Brown se redresse dans son lit et s’écrie :

             — Mr. Bobbit. I’m on fire! I’m on fire!. My chest is burning up!».

             Then he lay back and died.

             Thank you sir, Mr. McBride

    Signé : Cazengler, Tête de broc

    James McBride. Kill ‘Em & Leave. Searching For The Real James Brown. Weidenfelfd & Nicolson 2017

     

     

    Wizards & True Stars

     - White Spirit (Part Three)

     

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             S’il fallait choisir au hasard un seul album de Tony Joe White pour l’emmener sur l’île déserte, ce serait sans nul doute The Beginning, paru une première fois en 2001 et récemment réédité. Car il s’agit d’un album parfait.

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             Enfin, parfait aux yeux des ceusses qui ont vécu on va dire toute leur vie avec Tony Joe White. Il faut remonter jusqu’en 1968, avec, non pas «Polk Salad Annie», mais «Soul Francisco», effarant single vendu sous pochette papier rose, et dans la foulée, l’aussi effarant premier album, Black And White, qui nous faisait de l’œil dans la vitrine, chez Buis. Et comme il n’était pas possible de choisir entre le Tony Joe et son voisin de vitrine Taj Mahal, alors on est allé braquer une banque pour pouvoir financer les deux achats. Grâce à cette double emplette, la voie de l’avenir était bien tracée. Tous ces fabuleux artistes découverts à cette époque nous immunisaient à vie contre la médiocrité. Comme on ne connaissait pas encore le rôle majeur que joue l’exigence, tout fonctionnait à l’instinct. Tu entendais «Soul Francisco» à la radio et tu savais que ça te correspondait. «Soul Francisco» pouvait te hanter, aussi puissamment qu’«Hey Joe» ou qu’«Ode To Billie Joe». Et pendant cinquante ans, Tony Joe White n’a jamais cessé de hanter les corridors lugubres et glacés de nos châteaux d’Écosse. Jusqu’à sa disparition, voici quatre ans. Nous avions alors dressé un autel géant sur KRTNT, car il s’agissait de rendre l’hommage à un artiste qu’on pouvait considérer comme un demi-dieu. Il échappait au commun des mortels par la seule perfection de son art.

             Quand on souhaite raisonner en termes d’esprit, ou plus exactement de spirit, alors on s’adresse à Tony Joe White. De tous les grands spécialistes du rock shamanique - on parle ici de Jeffrey Lee Pierce, de Lanegan, de Jimbo ou encore d’Anton Newcombe - Tony Joe White est certainement le plus organique. Quand il traite de la rébellion, cœur battant du mythe rock américain, il balance des lyrics qui sonnent comme des aphorismes, mais pas des aphorismes au sens où on l’entend avec Georges Perros, ou encore La Rochefoucauld, des aphorisme rock - Wear my sunshades even in the night time/ Ride my woman in a Coupe de Ville - Il nous refait le coup du «Sunglasses After Dark» de Dwight Pullen à sa façon, et rajoute sa touche - I might want to rock/ Play the blues all night long/ I’m in this thing for life/ I didn’t come here for just one song - On appelle ça une profession de foi. Avec son pâté de foi, Tony Joe se détache du continent - I won’t put my music in a small bag/ Gotta stay as free as I feel - Il insiste, pour le cas où on aurait la comprenette difficile. Il joue ça rubis sur l’ongle et bien sûr, tu le crois sur parole - Don’t want no one telling me I got to/ I move in my own time/ Play this guitar any way I want to/ Lightnin’ Hopkins was a friend of mine - Et tu as les notes d’acou qui tombent comme un verdict. C’est violemment bon. Tu chantes ça sous la douche tous les matins - Play this guitar any way I want to/ Lightnin’ Hopkins was a friend of mine. 

             Il gratte sa gratte, mais le principal instrument reste sa voix, chaude et lente. Absente et présente, comme si elle couvait sous la cendre. Il faut le voir rendre hommage à une petite poule black dans «Who You Gonna Hoodoo Now» - Coffee skin/ Little bit of cream/ Golden eyes/ With a touch of green/ High cheekbone/ Kinda tall/ You won’t think twice if you think at all - Il en fait un blues d’acou - Had a residence/ Down in Covington - te voilà au cœur du mythe, il t’y ramène à chaque instant, cette musique descriptive t’a passionné ta vie entière, mais elle prend avec lui une résonance encore plus spectaculaire - She would only make love at the break of dawn - Il donne à son story-telling une ampleur fascinante. Ses phrases sonnent comme des oracles, mais il ne prédit rien, il raconte ses histoires de vie. Il parle aussi bien d’amour que le fait Bob Dylan dans «Girl From The North Country» - Took me up so high I can’t look down/ Who you gonna hooooodoooooo now ? - Dans le couplet suivant, il retrouve sa trace à Saint Francisville - A little rehabilitation to cure your illness - alors il repose la question en frissonnant :  «Who you gonna hoooodooooo now ?». «Who You Gonna Hoodoo Now» figure aussi sur l’album Hoodoo, paru en 2013.

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             Il gratte encore ses poux de cabane avec l’indicible «Rich Woman Blues». Il lance d’une voix de fantôme défoncé son «Got a telephone call this morning/ My baby wrecked her Mercedes Benz», un nuage de vapeur humide s’échappe de sa bouche - I said As long as you’re alright/ Baby/ that’s all that matters - alors il faut le croire. Comme elle est riche et qu’elle a des puits de pétrole au Texas, elle file un peu de blé à Tony Joe qui crève la dalle et qui gratte ses poux, avec toujours le même retour d’accord en mi. Il chante vraiment dans un râle, il exhale son Rich Baby Blues de three-bedroom con-do-mi-nium, il malaxe son mi-nium, il est l’homme qui joue le blues Livin’ one step from the street. Chaque note et chaque syllabe jouent un rôle précis. Il reste dans l’extrême pureté du blues de cabane branlante avec «Raining On My Life» qu’il ouvrage à coups d’harp  dans l’humidité du swamp - And the rain was softly falling/ Falling softly on my life - Il y va doucement, au softly on my life, et te sort au passage une sorte du dicton vermoulu du bayou - But you know it’s a bad situation/ When you’re not allowed to speak your mind - Il passe sans transition au heavy groove avec «Ice Cream Man», il fonce dans le shoot de gun runner, il devient le temps d’un cut le roi du groove, accompagné par des serpents à sonnettes, il enfonce son pic à glace dans le crâne du mythe.

             Et puis voilà qu’avec «Going Back To Bed», il est tellement défoncé qu’il doit retourner se coucher. Mais ça ne l’empêche pas rester extrêmement descriptif - Dark clouds rolling and/ Little luck has come outta storm/ My baby’s still sleeping/ Keeping my place warm - il avoue qu’il fait un peu trop la fête, et de toute façon, personne ne peut l’obliger à se lever. Quand on s’appelle Tony Joe White, on a le droit de rester au lit avec sa muse. Il prend son «Down By The River» au meilleur souffle possible, à l’haleine rance de fantôme, accompagné par des accords juteux comme des charognes et friendly comme des faux amis. Puis il te claque vite fait un «Wonder Why I Feel So Bad» au wake up this morning, il tape du pied sur le bois spongieux, comme le fit Hooky en son temps. Il travaille son swamp moussu au chant qui n’amasse pas mousse - Lawd I feel so bad - Il envisage toutes les possibilités, comme on le fait tous quand ça va mal - I could reach for the whiskey/ Reach for the pills/ But I’d have to face the morning/ And the cheapness of the thrill - Oui, les petits matins de désaille ne pardonnent pas. Et puis voilà l’un de ses thèmes de prédilection, le story-telling de petite ville américaine, avec «Clovis Green», un homme riche qui cultive le sugar cane - He had spent his life working the land/ Just outside the town of New Orleans - Comme il est vraiment très riche, il envoie sa fille Angelina dans une bonne école privée et pouf, elle tombe en cloque, alors pour Clovis Green et sa tendre épouse, c’est un drame - A child was born in the fall/ But nobody ever mentioned the father/ When all the neighbors came to call/ They would say he looked just like his mother - une simple histoire de fille mère au pays des plantations. Tony Joe White n’a jamais ambitionné autre chose que de raconter des histoires.

    Signé : Cazengler, Tony Joe Ouate

    Tony Joe White. The Beginning. New West 2022

     

     

    L’avenir du rock

     - Reis with the Devil

    (Part One)

     

             Le Comité des Avenirs s’est réuni. Alignés comme autant de vautours, les membres siègent dans une grande salle qui ressemble à s’y méprendre à une salle de tribunal. Ils décident de l’avenir des avenirs et tranchent sur leur viabilité. Ambiance glaciale. Convié à défendre son bout de gras, l’avenir du rock se dresse face à eux, à la barre des témoins, bien décidé à leur tenir tête. L’arbitre des avenirs qui préside prend la parole et lance d’une voix d’outre-tombe :

             — Avenir du rock, jurez-vous de dire toute la vérité, rien que la vérité de votre réalité ?

             — Ooooh yeah ! Everything’s gonna be alright this morning !

             Et le public entonne le bam-bam-bam ba-ba ba-ba bam bam automatique des Shadows Of Knight.

             Le président donne un violent coup de marteau :

             — Cessez immédiatement ce ramshakle ou je fais évacuer la salle !

             Le publie hue le président. L’avenir du rock se joint au public en claquant des mains :

             — Ooh-Ooh ! Ooh-Ooh !

             Puis il attaque au mieux du gut de l’undergut :

             — Please allow me to introduce myself...

             Et le public reprend la suite du couplet :

             — Well I’m a man of wealth and taste !

             Les chœurs reprennent de plus belle. Ooh-Ooh ! Ooh-Ooh ! Les assesseurs qui ont eux aussi des marteaux font les percussions nigérianes. Quelle ambiance ! Jamais le Comité des Avenirs n’avait assisté à l’explosion d’un tel enthousiasme. Certains assesseurs se sont levés pour danser le twist avec l’avenir du rock qui secoue des maracas. Ooh-Ooh !

             — Fuck !, fait le président à la fin de cette dégelée de Stonesy, vous êtes toujours dans la course, avenir du rock !

             Torse nu, dégoulinant de sueur et complètement essoufflé, l’avenir du rock rétorque :

             — Tu l’as dit bouffi !

     

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             S’il en est un qui est dans la course, c’est bien John Reis, le légendaire head honcho des Rocket From The Ctypt et boss du prestigieux label Swami Records. Au temps des Rocket, John Reis était déjà tellement dans la course qu’on l’appelait Speedo. Reis with the Devil, oui, la même Race que celles de Gene Vincent et d’Adrian Gurvitz dans Gun. Il s’appelle désormais Swami John Reis. Uncut lui accorde royalement une page, alors qu’il mériterait la couve et un dossier de douze pages pour services rendus à la nation. Mais bon, Swami John Reis reste underground jusqu’au bout des ongles et c’est tant mieux. Il commence par dire à Keith Cameron qu’il se voyait cult hero depuis l’âge de cinq ans, une façon d’élever son prestige underground au rang d’auto-dérision. Cameron profite de l’occasion pour rappeler que Rocket From The Crypt était un groupe unique, «a bar-busting fusion of greaser punk and ‘50s rock’n’roll». Reis indique qu’après avoir flashé sur un trompettiste à la télé, il a appris à l’âge de 5 ans à jouer de la trompette, puis à 12 ans, ses parents lui ont payé une guitare électrique - Je voulais composer des chansons comiques, car j’ai toujours aimé faire rire les gens. Et quand le punk-rock est arrivé, je suis passé du statut de spectateur à celui d’acteur - Il se dit fan d’ELO et de Black Flag, «the guilty pleasures that weren’t so guilty», précise-t-il. Les Rocket vont connaître leur pic de popularité en 1996, avec «On A Rope» - I wanted rock’n’roll to be my passport to the world - Et puis il y a les side projects, Drive Like Jehu et Hot Snakes, dont on va reparler dans un Part Two. Il vient aussi de lancer les Plosivs et complète un prochain album des Hot Snakes.

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             En attendant, voici le nouvel album solo de Swami John Reis, Ride The Wild Night. Il a toujours le même son. Pourquoi voudrait-on qu’il en change ? Il continue d’exploiter sa vieille recette RFTC de chant au raw et de tempo sévère, et c’est extrêmement bienvenu, extrêmement bien soutenu et extrêmement gorgé de bonnes intentions. Il continue de cultiver l’hyper présence du chant, il verrouille bien ses structures, il les cadenasse à l’acier bleu. Rien n’a changé depuis les années 80. On pourrait dire la même chose de Jon Spencer ou encore de Robert Pollard. Chacun défend on bout de gras. La grosse viande est en B avec «I Hate My Neighbours In The Yellow House», il relance sa machine infernale de Speedo man, il redevient génial dès qu’il sort le marteau du pilon, il dégueule bien son yellow house, comme au bon vieux temps, il sait créer des énormités avec un seul riff. Il bascule plus loin dans le génie avec «Rip From The Bone». Il tape ça aux accords des Stooges. Résurgence du San Diego power, il n’a rien perdu de sa fabuleuse niaque d’antan. «Rip From The Bone» peut réveiller les morts ! Avec «We Broke The News», il se fait pesant et valeureux, il emmène ça au heavy beat de broke the news.

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             En 2015, Swami John Reis & The Blind Snake enregistraient cet album énorme qu’est  Modern Surf Classics. Pourquoi énorme ? Parce que «Hang 11», summum du garage-surf. Wild as fuck ! Violence extrême jouée dans le ventre du riffing. C’est le génie de John Reis. Ça goutte de pus. Rien d’aussi expéditif que cet Hang 11. On pourrait presque parler de révélation divine, mais pour ça il faut s’appeler Bernadette. Autre coup de semonce : «Kooks On The Face», attaqué au wild dérèglement de toutes les cordes, ça joue avec une sauvagerie incroyable, instro génial, gorgé de la barbarie des origines du monde, John Reis te claque ça à tours de bras. Il fait du surf avec «Wet Creek», le claque à la clairette fatidique, ils sont capables de tout, surtout de la pire Surf craze. Ils amènent «Beach Leech» au heavy tatapoum, Reis s’amuse comme un kid, mais le jouer de sax ne s’amuse pas. Sur cet album tout est joué à la big energy, vite embarqué sous le chapeau du turban, ils jouent jusqu’à plus soif, dans la meilleure tradition californienne. Tout est poussé dans les retranchements. Avec Reis il faut s’attendre à tout, surtout à de la grande envergure. Encore un fabuleux festin de son avec «Dry Suit» et ses accords en biseau. Ces mecs jouent comme des dieux, alors c’est la fête au village. On voit rarement des albums aussi jouissifs. Quelle énergie ! On s’en souviendra ! Ils lancent des clameurs extraordinaire dans «Zulu As Kono». Reis envoie toujours ses cuivres en renfort. On note partout une incroyable pureté d’intention. Cet album pourrait bien être l’un des meilleurs albums de la modernité. Ce démon de Reis croise dans le lagon du rock comme un requin en maraude. Il va te choper, tu peux en être sûr. Il est le requin le plus intelligent de l’océan. Il finira bien par t’avoir.

    Signé : Cazengler, John Rance

    Swami John Reis. Ride The Wild Night. Swami Records 2022

    Swami John Reis & The Blind Snake. Modern Surf Classics. Swami Records 2015

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    Keith Cameron. Swami John Reis goes it alone. Mojo # 343 -

     

     

    Inside the goldmine

    - Ward scenes inside the goldmine

     

             Anouchka ? On lui aurait donné le bon dieu sans confession. Embauchée comme assistante comptable intérimaire en remplacement d’une petite gazelle partie en congé de maternité, Anouchka se présenta un beau matin avec ses cheveux gris taillés court et sa poitrine exubérante. Qui aurait pu croire qu’avec elle, le loup entrait dans la bergerie ? Le seul indice était son regard fuyant, protégé par des lunettes à grosses montures noires. Elle fit copain copain très vite avec tout le monde, y compris avec Ernesto qui venait chaque matin faire le ménage avant l’ouverture, elle s’arrangeait pour arriver plus tôt et boire un café avec lui. Elle commença par imiter les signatures pour émettre des chèques et prit très vite l’initiative de passer des commandes de fournitures. Elle agissait finement, car elle ne cachait rien de ses actes. Elle savait pertinemment qu’on fermerait les yeux. C’est ce qu’on appelle une faille. Et les gens comme elle commencent toujours par chercher la faille pour s’y engouffrer. Anouchka prit bientôt l’initiative d’organiser des repas avec certains clients, disons les plus petits, elle n’avait pas accès aux gros qui payaient pour du conseil, elle se contentait de ceux qui cherchaient une forme de notoriété en travaillant avec nous. Elle se mettait en bout de table et pour faire rire tout le monde, elle faisait la boss, celle qui dirige les débats, et comme elle suivait les devis en cours, elle était au courant du moindre détail. Elle allait même jusqu’à proposer des remises sur certaines tranches d’opérations et bien sûr, on continuait de fermer les yeux, même si elle mordait ostensiblement le trait. Quand on a réalisé qu’elle testait nos limites, il était trop tard. Alliée avec un autre intérimaire, elle réussit à établir une sorte de pouvoir parallèle, non seulement elle gérait les bulletins de salaire, mais elle captait aussi les appels entrants, devenant au plan commercial la principale interlocutrice. Prétextant une charge de travail excessive, elle embaucha d’autres intérimaires, des femmes de sa connaissance, et commença à piéger méthodiquement les salariés en poste. Elle les virait pour faute lourde, sans indemnités. Trois mois plus tard, elle dirigeait l’agence et faisait construire un deuxième étage. C’est Ernesto qui la trouva un matin, pendue à l’une des poutres de l’atelier. Il s’agissait apparemment d’un suicide, et donc il n’y eut pas d’enquête. 

     

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             Si cette ganache d’Anouchka avait suivi la voie d’Anita, elle aurait sans doute vécu plus longtemps. Anita Ward est considérée comme une Diskö Queen, mais elle fait aussi partie de celles qui interprètent les hits de Sam Dees, et donc, c’est à ce titre qu’elle éveille véritablement l’attention. De là à aller écouter ses trois albums, il y un pas qu’on franchit avec allégresse. En prime, Anita Ward est une très jolie femme.

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             Son premier album s’appelle Sweet Surrender et date de 1979. Quand on aime la bonne diskö, on se régale de «Don’t Drop My Love». Elle chante très pointu. Mais c’est en B que se joue le destin de cet album, dès «Forever Green». Elle y jette tout son poids d’Anita, c’est une merveille, Anita s’y révèle superbe de petite grandeur, elle chante comme une petite souris magique. Elle recharge merveilleusement bien sa barque avec «I Go Crazy». Elle reprend sa petite voix charnue de petite souris. Elle est fabuleuse de présence intrinsèque avec «Forever Love You», elle est follement amoureuse, you got me jumping all the time !  

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             C’est sur Songs Of Love paru la même année qu’on trouve le «Spoiled By Your Love» de Sam Dees. Elle le feule comme une petite délinquante de satin jaune. Avec «Make Believe Lovers», elle fait de la diskö des jours heureux. Côté feeling et beauté du geste, elle n’est pas loin d’Esther Phillips. La belle Anita chante d’une voix très pure, un vrai filet translucide et comme le montre «If I Could Feel That Old Feeling Again», elle peut aller chanter all over the rainbow. C’est en B qu’on trouve son fameux hit diskö, «Ring My Bell». Elle en fera son fonds de commerce. Mais elle restera aussi une fantastique Soul Sisterette. 

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             Paru en 1990, Wherever There’s Love est l’album de trop, celui qui va laisser un mauvais souvenir le belle Anita. Dans la vie comme dans le business, une belle gueule ne suffit pas. Il faut autre chose. Un troisième bon album eût été bienvenu, mais elle y fait du diskö synthé au petit sucre, alors ça reste coincé en travers de la gorge. Elle titille bien la persistance de «Someone Like You» au petit sucre de charme, mais ça s’arrête là. On a envie de lui dire : «Bas les pattes». Elle sucre pourtant son «Ring My Bell» divinement, hélas, ça ne marche que dans le feu de l’action, dans ces vieilles discothèques où les femmes étaient belles et faciles.

                                          Signé : Cazengler, Ani gros tas.

    Anita Ward. Sweet Surrender. Juana 1979   

    Anita Ward. Songs Of Love. Juana 1979 

    Anita Ward. Wherever There’s Love. Phillips 1990

     

    *

    J’ai d’abord cru que c’était le nom du groupe, mais non c’était le titre de l’album, un peu étrange tout de même d’associer les noms de deux des groupes des plus emblématiques des early-seventies, certes il manque à chaque fois la moitié de l’appellation officielle, mais enfin à l’époque (et encore maintenant) on abrégeait King Crimson en Crimson et les Rolling Stones en Stones. Bref, me fallait aller voir.

    CRIMSON & STONE

    VERMILION WHISKEY

    ( LP Vinyl / Mai 2023)

    Vermilion Whiskey, je ne pense pas qu’ils tintent leur whisky avec de la grenadine, plutôt avec du sang d’alligator puisqu’ils se définissent comme un Hard Rocking Band from South Louisiana. Pas très loin de chez eux coule la Vermilion River, qui roule des eaux noires et puissantes comme leur rock’n’roll. Whisky ou Whiskey, toute une histoire étymologique… au final le dernier terme désignerait le whisky américain, s’en foutent un peu, eux ils consomment du Jack Daniels.  Déjà deux albums à leur actif : 10 South ( 2013 ) et Spirit of Tradition ( 2017).  

    Suis allé voir l’instagram de Steven Yoyadam, il a produit des dizaines de pochettes pour des groupes de stoner. A mon grand étonnement son personnage de vieillard à barbe blanche apparaît sur plusieurs pochettes récentes d’autres groupes. Parfois la barbe est teinte en rousse. Sans aucun doute une inspiration du personnage du Seigneur des Anneaux, Saruman, le sage qui pactisera avec Sauron. Faut-il y lire une métaphore du rock’n’roll dans la tête de Steven Yoyada ? Reconnaissons qu’il possède aussi une vaste gamme de motifs complètement différents.

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    Thaddeus Riordan : lyrics, lead vocal, guitar / Ross Brown : lead guitar / Jason Decou : bass, vocals. / Ne donnent pas le nom du batteur, en ont usé plusieurs au cours de l’enregistrement.

    M’étais demandé si Crimson & Stone était une allusion à la pierre rouge alchimique, ne donnent pas dans ces plans ésotériques, crimson (sans doute en relation avec Vermilion ) pour décrire l’aspect éruptif de leur rock’n’roll, et stone pour la touche stoner qu’ils ont ajoutée sur ce troisième album.

    Crimson intro : une intro à la Monsieur loyal américain, musique panoramique style entrée des gladiateurs dans l’arène du Colisée, déjà se profile le premier riff de Down on you : l’on comprend tout de suite que l’on n’est pas là pour couper les cordes de guitare dans le sens de la minceur, tout de suite dans l’océan du riff, et vous nagez pour survivre dans le ballet des orques affamés qui s’en viennent par-dessous vous mordiller les parties intimes, heureusement Thaddeus vous lance la bouée de sauvetage de son vocal, très réconfortant, tout compte fait vous vous sentez comme un poisson dans l’eau, certes ils n’inventent pas la poudre mais qu’est-ce qu’ils savent s’en servir, plutôt frégate d’attaque que pédalo de plage. The get down : Vous vous attendez au meilleur, ils vous le servent sur un plateau, un régal, tout est merveilleusement au point, Ross Brown n’est pas rosse, vous laisse pas marron, l’a une manière de vous refiler juste le riff que vous attendez et tout de suite après celui auquel vous n’avez pas pensé, et enfin celui auquel vous n’avez jamais espéré pouvoir imaginer, le vocal qui fait le pont de Tancarvile, une cow bell qui remue la queue, vous vous dites que vous êtes en train d’écouter une symphonie riffique inédite. Confidence : choix cornélien, vaut-il mieux écouter la piste toute seule ou regarder la vidéo, le mieux est de faire les deux, ce n’est pas que la vidéo soit follement originale mais elle est efficace, donne une idée de la puissance du groupe, Thaddeus tout devant, ses longs cheveux de jarl à la proue de son drakkar viking,  fonçant sur l’ennemi et ses hommes derrière lourdement armés, sans les images vous imaginez les catapultes d’une armée romaine en pleine action, à part qu’ils ne lancent pas des pierres mais une avalanche de riffs à la fois massif et tranchants, vous avez les murailles qui s’écroulent et les défenseurs coupés en tranches saignantes. Good lovin’ : N'oubliez pas le guide après la visite, nous avons beaucoup mis l’accent sur les guitares faisant preuve d’une grave injustice, l’est vrai que les gaziers   savent glisser des mains expertes dans le dentier de leur cordier et la batterie si joliment présente qu’on ne la remarque pas alors que comme Atlas qui soutenait la voûte du ciel  elle porte le groupe sur ses épaules, sans elle, privé de colonne vertébrale le groupe serait un peu paraplégique, mais Thaddeus chante si naturellement de sa voix de stentor qu’il n’a nul besoin de crier pour se faire entendre, vous pose des mots pleins de sève et de jus, règle ses comptes avec la vie sans chichi. Pas le genre de gars qui laisse les copines et les amis marcher sur les pieds de sa liberté, l’est si convaincant que vous ne pouvez que lui donner raison. Stone interlude : attention Face B, instrumental, le vent du désert, les guitares tristes, la basse qui avance à pas de fennec, un calme toutefois impitoyable, une voix off nous prédit-elle des jours malheureux, toujours est-il que le groupe se met en formation de guerre, des riffs aussi longs que des sarisses macédoniennes, l’on ne sait jamais. Dissonance : l’on avance prudemment, musique en mineur, le vocal davantage introspectif, l’ennemi est au-dedans de soi, la mort nous habite autant que la vie, c’est ainsi, il faut faire avec, est-ce à cause de cet état de fait que la basse prend tant d’ampleur, une lueur noire qui s’étend sur le monde et le monde s’accélère, la phalange presse le pas, en vain peut-être, n’est-on pas déjà habité par le spectre de la défaite intime, la batterie roule comme des larmes froides et coupantes, nous entrons dans un monde de ténèbres, de plus en plus denses, de plus en plus opaques. Un voile noir nous recouvre, les toms pétaradent pour lancer  Atrophy : retour de l’élan vital, le groupe se refait une santé, mais Thaddeus est malade, il est au fond du trou, il ne chante pas le blues, il demande de l’aide, il crie son désespoir, les guitares serrent les rangs et se regroupent en faisceau, au fond du trou peut-être mais avec l’énergie du désespoir, Antée ne reprend-t-il pas de la force chaque fois qu’il touche la terre noire, n’empêche que les eaux basses crépusculaire recouvrent le champ de bataille.  Hollow : splendeur funéraire, glacis de riffs, l’on ne tombe jamais plus bas que soi-même, c’est lorsque l’on est le dos au mur que l’on doit se battre contre soi-même, Thaddeus est au bout, le chant se charge de désarroi mais aussi de colère et d’envie de vivre, la cognée battériale abat les derniers arbres de l’espérance vaine, nous sommes au cœur de la tragédie, au fond du marasme existentiel, fin grandiose, sans concession, un jingle publicitaire vient vous sauver la mise. Essayez de le croire !

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             Pour une fois un disque qui finit mal, sans concession. Face A : tonitruance victorieuse. Face B : plus humiliante que la défaite, la débâcle ! Le désert de l’âme a blackboulé la luxuriance cramoisie de la vie. Méchante limonade mais excellent Vermilion Whiskey. Une saveur âpre que l’on n’oublie pas ! Hep garçon, remettez-moi ça, non laissez la bouteille sur la table.

    Damie Chad.

     

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    Tiens, on trouve de tout dans les boîtes à livres, je n’aime guère le reggae, faute de grives on mange des merles, je prends. En rentrant chez moi, c’est au détour d’un coup d’œil sur la banquette passager de la voiture où j’ai jeté la revue sur laquelle se prélassent les chiens que j’ai un coup au cœur, waahhh ! les gars ne sont pas sectaires, un article sur les films des rockers, mon devoir de rocker est de visionner cet ovni.

    NATTY DREAD

    ( N° 9 / Oct - Nov 2001 )

                    Jamais entendu parler de cette revue. Quelques recherches plus tard je sais qu’elle a été fondée en 1995 par des fans, qu’après 2000 elle subit une grande transformation, elle colle de plus près à l’actualité des parutions. L’est devenue un organe mi-officiel des milieux du métier.

             Sizzla est en couverture, enchanté d’apprendre qu’il existe, je lis la vaste interview qu’il consent à accorder au petit blanc de journaliste. Sizzla n’a pas la langue dans sa poche et des idées arrêtées. Il est noir, il n’aime pas les blancs. Il le dit dans ses textes. Partage le rêve de Marcus Garvey, le retour en Afrique. N’a qu’une chose à demander aux blancs, qu’ils filent des bateaux pour retraverser l’Atlantique dans le bon sens. N’a pas l’air de se demander comment ils vont être accueillis par les autochtones… Qu’il ait envie de quitter son île n’est pas étonnant, suffit de lire quelques lignes pour s’apercevoir que Kingston n’est pas un havre de paix, politique, clans, maffias, violence endémique…

             J’ai fait comme Alexandre Dumas, j’ai joué à vingt ans après, Sizzla a enregistré plus de cinquante disques, s’est fait remarquer en tenant des propos homophobes dont la conséquence aura été l’annulation de nombreux concerts en Europe. Il est revenu sur ses propos anti-gays. La notice wikipédia ne nous apprend rien sur ses propos politiques…  

             Quelques news, je repère la chro de La vie en Spirale d’Abassa Ndione parue dans Série Noire. Trafic de cannabis, corruption et superstitions… Rééditions ( lucratives ) de Bob Marley. Un article sur Penthouse Records. Je ne m’attarde pas sur l’interview de Style Scott ni sur celui de Ras Michael. Ce n’est pas qu’ils soient inintéressants, au contraire, mais je veux tout savoir sur les films (je suppose préférés) des rockers.

    C’est là que je m’aperçois du gouffre géant de mon inculture. La chronique Rockers n’aligne pas un mot sur les  rockers (j’avoue que ça m’étonnait) c’est le titre d’un film, tourné avant The Harder they come ( j’ai entendu parler ). Le papier donne la parole à Leroy Horsemouth Wallace, il tient le premier rôle de cette pellicule. Un docu-fiction, à l’écouter parler on a envie de voir le film. Vous êtes plongé dans un chaudron magique : fric-musique-politique, vous en apprenez en cinq pages sur les dessous et le dessus de Kingston et le reggae que tout ce que vous ont raconté les fans de cette musique que vous avez croisés durant votre vie. Horsemouth en rigole encore, pourtant les jalousies qu’ont suscitées la sortie du film ont à l’époque salement ralenti sa carrière. Depuis c’est devenu un film culte… Maintenant je n’ai pas compris le sens que l’on doit donner en Jamaïque au mot rockers.

    Après la chronique des sorties de disques, trois pages sur un petit jeune (dix ans de métier) qui monte, je ne suis pas Alexandre Dumas pas trouvé grand-chose à son sujet, le peu que j’ai vu n’incite pas à une joie débordante, lui qui déclarait voici vingt ans qu’il ne recherchait surtout pas la notoriété, a l’air de s’être trouvé la niche du beau mec qui vous roucoule des paroles de paix, d’harmonie, d’amour et de tranquillité… Tout fout le camp, même le reggae…

    En tout cas cette revue semblait bien faite, suivait les stars montantes sans jamais perdre de vue les racines…

    Damie Chad.

     

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    ‘’Durant tout le séjour, je trouve Gene reposé, détendu, jamais alcoolisé. Il nous présente à sa famille, ses parents Louise et Kie, ses jeunes sœurs Tina et Donna. A l'époque, Donna enregistre chez Dunhill sous le nom de Piper Grant.’’ Ces paroles sont extraites d’un texte de George Collange relatant le séjour de trois semaines qu’il fit à Los Angeles en été 1969 auprès de Gene Vincent. De nombreuses photos illustrent cette visite, l’une d’elles se retrouve par exemple sur une réédition de Be Bop A Lula sur un single français. Je n’avais jamais entendu parler de Donna en tant que chanteuse. J’ai voulu en savoir plus.

    CRAZY MIXED-UP GIRL

    PIPER GRANT

    ( Dunhill Records / D 4201 / Juillet 1969)

    J’ai trouvé. Je ne crie pas victoire. Ce n’est pas un véritable disque, un test-pressing. Not for sale, comme disent les ricains. Il semble toutefois, sans que je puisse l’affirmer que le microsillon ait été sorti et distribué. Vraisemblablement une démo destinée à des chanteur ou des producteurs qui cherchent de nouveaux morceaux à enregistrer. Est-ce Donna sur la couve, je ne suis pas assez physionomiste pour me prononcer avec ces bottes (faites pour poser) elle n’est pas sans évoquer Nancy Sinatra. J’ai bien peur que la carrière de Donna ne se soit arrêtée-là…

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    N'empêche qu’elle est bien entourée (sur la jaquète) Jimmy Webb et Bones Howe. Le premier est l’immortel compositeur de Mc Arthur Park, créée en 1968 par Richard Harris, By the time I get to Phoenix créée par Johnny Rivers reprise par Glen Campbell qui interpréta aussi en premier Witchita Lineman. Tout le monde (pas moi) a repris des morceaux de Webb ( un vrai Webbmaster ) je n’en citerai qu’un Elvis Presley. Crazy Mixed-up Girl a été interprétée une bonne dizaine de fois notamment par Thelma Houston et par Dusty Springfield pour le plus grand plaisir de notre Cat Zengler.

    Le lecteur ne manquera pas de retrouver le Cat Zenler en compagnie de Glen Campbell dans notre livraison 337 du 31 / 08 / 2017 et en compagnie de Jimmy Webb dans nos livraisons 398 ET 400 du 20 / 12 / 2019 et du 10/ 01 2020.

    Bones Howe moins célèbre que Jimmy Webb, est un homme de l’ombre tapi derrière sa console d’enregistrement, s’est spécialisé dans la pop sucrée, attention, a été chargé du mixage des enregistrements d’Elvis et de Jerry Lee Lewis en 1956. Sera aussi derrière Johnny Rivers, Frank Sinatra et The Mamas & the Papas. L’est vrai qu’à l’époque il y avait du beau monde derrière les micros des studios.

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    Crazy mixed-up girl : Reste à écouter : une voix pas désagréable, un peu trop bridée dans ses envolées c’est joli, printanier, mignon tout plein, des musicos qui batifolent, un peu symphonie du pauvre mais rien de navrant. Gagne à être réécouté à plusieurs reprises. I wouldn’t change a thing : Pas été capable de trouver et donc d’écouter cette face B composée par Lanny Duncan, songwriter qui enregistra une poignée de simples entre 1960 et 1965. Une jolie chansonnette d’amour éternel, parfaite pour les duos, que l’on retrouve dans Camp Rock téléfilm diffusé un peu partout autour du monde par Disney Channel… Très grand public…

    C’était ma modeste contribution around Gene Vincent…

    Damie Chad.

     

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    Dans notre livraison 538 du 20 / 01 / 2022 nous chroniquions le tome I du roman de François Richard VIE, un livre mystérieux d’une écriture électrique. Si à la fin de ce premier volet nommé L’Aquastation de nombreuses questions obsédaient notre esprit quant au sens de cette Odyssée l’on était certain d’être en face d’un ovni littéraire de portée historiale. Nous nous sommes donc précipités sur le deuxième volume du pentaptyque qui vient de sortir. A work in progress comme disait Joyce.

     V  I  E

    Livre second : ÿcra percer à nuit le monde

    FRANCOIS RICHARD

                                                 ( Le Grand Souffle / Mai 2023 )      

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    Le roman ne commence pas au début. Mais dans le tome 1, normal puisqu’il en est la suite. Oui, mais il faut savoir faire la différence entre le début et l’origine. Le roman ne commence pas, il procède de son origine. Elle vous est révélée, elle porte un nom : Ribardy. Jamais on ne vous explique ce que c’est. C’est au lecteur de comprendre que ce qui est important ce n’est pas ce qui s’est passé à Ribardy mais que l’on vient de Ribardy, que l’on est sorti de Ribardy, que l’on est toujours en partance de Ribardy. Ribardy fait figure de Paradis, on n’en a peut-être pas été chassé, mais l’on est en éloignement constant de Ribardy. Même si l’on reste immobile.

    Il y a deux manières de rester immobile. La première est de s’arrêter en un lieu quelconque. Par exemple sur la Place Saint Michel à Paris. L’autre manière est de marcher toujours, sans jamais s’arrêter, mais de tourner en rond, de fait on circonscrit un lieu. René-Hans se charge de cette circonvolution infinie, en gros il marche le long de ce que l’on appelait la petite ceinture parisienne. Il chemine sur les traverses du chemin de fer entre les deux rails parallèles.

    Entre ceux qui se sont arrêtés, qui ont monté une espèce de village de toiles, de camping phantasmatique, de camps de réfugiés, et celui qui marche, la différence n’est pas bien grande, les uns sont au centre du lieu et l’autre marche sur le bord. De toutes les manières le centre et le bord ne sont-ils pas la même chose, le bord de l’univers n’est-il pas encore l’univers. Une fois que vous avez trouvé le lieu il reste encore à en calculer la formule.

    Bien sûr vous ne possédez ni calculatrice, ni sextant, ni appareil quelconque de mesures, vous ne pouvez compter que sur vous, pour faire bref vous ne pouvez compter que sur votre tête. En dehors de marcher que peut faire René-Hans, regarder ce qu’il voit, et puis surtout penser dans sa tête. A repasser infiniment par le même chemin, les décors perdent tout attrait, mieux vaut s’enfermer dans sa tête, c’est alors que des étincelles de souvenirs éclosent dans votre tête, des traces, des vestiges du passé sur lesquels vous revenez infiniment, des moments du passé qui reviennent toujours, qui plongent dans la présence de votre passé, puisque votre passé, si furtif soit-il, revient toujours, si peu d’importance que vous finissiez par lui accorder, vous finissez par parcourir ces mêmes chemins qui ne sont que vous, où que vous alliez, et même si vous vous arrêtez, vous n’allez jamais plus loin que vous-même, à tout moment vous renaissez de vous-même, pourquoi croyez-vous que René-Hans se prénomme René. Parce qu’il est né une nouvelle fois, parce qu’il naît encor et encore de lui-même.

    Cette partie du roman qui vous entraîne dans sa ronde infernale, grosso modo les cinquante premières pages, n’est en rien monotone. Vous assistez à une sempiternelle éclosion. C’est la source qui sourd, l’origine qui s’originise dans une espèce d’éternel printemps, vous n’êtes plus en Ribardy mais le fait d’en être en partance de Ribardy ne vous y ramène-t-il pas en quelque sorte.

    Et pourtant vous n’y êtes plus. Si Ribardy est un lieu, et si vous vous tenez loin dans un autre lieu que Ribardy, vous commencez à poser l’équation différentielle dans le bon ordre. Il ne vous reste plus qu’à résoudre cette contradiction qui consiste à être et à n’être pas dans un même lieu. Moins par plus, égale moins. Être par non-Être égale non-Être. Donc vous êtes égal à zéro. Vous êtes mort. La formule est sans appel. Et en plus il vous reste le lieu. Ne dit-on pas que quand on est mort on va au paradis ?

    Cher lecteur pas de panique. Les cent pages suivantes sont époustouflantes. Une fois mort vous retrouvez tous les morts qui sont morts, ou qui sont partis de Ribardy, puisque vous ne pouvez être plus loin de Ribazdy qu’une fois mort, puisque vous étiez vivant lorsque vous en êtes sorti. Vous en êtes au plus loin et en même temps vous en êtes au plus près, puisqu’il suffit d’en sortir, de faire un seul pas, pour être mort.

    Oui ÿcra percer à nuit le monde est un roman métaphysique. Dans les cent pages qui suivent les morts s’occupent comme les vivants, d’eux-mêmes et aussi des autres. Ils se rencontrent, ils échangent, ils apportent des nouvelles, des tensions, l’on a du mal à savoir ce qu’il en résultera, mais l’on se dit qu’ils n’ont rien perdu au change, la face des morts est aussi obscure et mystérieuse que leur face vivante, car l’être est ainsi tantôt vivant tantôt mort mais jamais éboulé dans le néant. Les pages se tournent à toute vitesse, on les dévore, on veut savoir, toute certitude est incertaine, l’on scrute le moindre détail, la même indication, on essaie d’identifier et de lire les signes.

    D’ailleurs les livres sont faits pour être lus. Tout comme le passage de la vie à la mort peut être considéré comme une transsubstantiation, il en est de même de la pensée. Il est des balises dans le livre qui vous y invitent. Des mots connus qui flamboient comme des phares, j’en cite quelques uns, pas obligatoirement ceux que l’on attendrait, Esope, Eluard, Virgile, Poe, Keats peut-être, des noms de poëtes, ils ne sont pas jetés au hasard, le lieu du roman se déplace sur les bords de la poésie. Une écriture au plus près de la poésie, qui raconte une histoire palpitante qui donne à réfléchir, qui donne à penser mais cela ne suffit pas, le roman doit changer de lieu, se jeter dans l’estuaire de la poésie comme en bout de course la source s’est transformée en fleuve, l’on a descendu ses méandres torrentueux et ses coulées torrentielles, puis le fleuve je jette dans la mer, dans l’océan de la poésie. Une écriture qui se veut au plus près du Dire.

    Avec en prime cette question : quelle est la langue de la poésie. Elle ne peut-être que celle de la poésie, mais ne serait-ce pas celle de la poésie française, à savoir pas tellement les mots, mais les aventures poétiques dont ils procèdent. Cette question est évoquée, la réponse est laissée en suspens, elle touche à quelque chose de si fondamental, faut un certain courage pour poser cette interrogation, elle touche à l’infiniment poétique, à l’infiniment politique et babellique, car elle propose, elle ne proprose que deux réponses, celle de Dieu ou celle des Dieux. Question politique, elle apparaît en de brefs moments sous forme d’une institution nommée la Hanse que l’on pressent coercitive, ce vocable ne signifie-t-il pas aussi bien troupe de soldats qu’association de marchands… Toute similitude avec des synchronicités de notre temps ne saurait être des hasards indépendants de toute volonté.

    Rendons à César ce qui est à la prose. Les vingt dernières pages ouvrent le passage. On le pressentait. René-Hans, rappelons que Hans signifie miséeicorde de Dieu, rencontre des êtres de plus en plus immatérialisés. Sont-ce les anges rilkéens sur les franges de l’Ouvert. Il est trop tôt pour le dire. Ils hésitent encore. Quand l’homme n’est plus vivant, quand il n’est plus mort, il ne lui reste qu’à revêtir les vêtements du divin. Pour le moment nous sommes dans l’expectative, se revêtira-t-il des sombres soutanes de la religion, la prose abandonnera-telle l’orbe de la poésie, ou au contraire franchira-telle le leurre du seuil. Il nous faut avec impatience attendre le tome 3 pour savoir ce que François Richard nous prépare. Si l’on décrypte le texte avec soin, l’on assiste à une partie de dés mallarméenne. C’est dire l’ampleur du projet Richardien.

    Non ce n’est pas un livre difficile, c’est un livre d’exigence intime.

    Un livre qui déjà fait date.

    Damie Chad.

     

     

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    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 28 ( Admiratif  ) :

    166

    Le Président n’y tient plus, il se permet d’interrompre le discours du Chef des Services Secrets du Rock’n’roll, vous conviendrez que ce genre d’apostrophe tumultueuse ne reçoit pas l’agrément de Nadine de Rothschild dans son livre Le Bonheur de Séduire, l’Art de Réussir. Le Savoir-vivre du XXIe Siècle, indispensable ouvrage qui ne quitte pas, nous en sommes persuadés, la table de chevet de nos chers lecteurs :

              _ Allez-vous faire foutre, parce que vous croyez peut-être que nous daignerons vous fournir des explications complémentaires, les voici bande de barbares, elles sont simples : un bon rocker est un rocker mort, alors nous avons décidé de vous supprimer, vous et vos deux chiens !

    Les poils se dressent sur l’échine de Molossa et de Molossito, ce qui contraste avec le sourire mielleux que le conseiller adresse à son Président aimé :

              _ Monsieur le Président, je me permets d’expliciter votre formule un peu trop lapidaire pour la comprenette pas très étendue de nos interlocuteurs, donc Messieurs ce soir nous frappons un grand coup, notre opération porte le nom de code : Saint Barthélémy des Rockers, ce n’est pas vos deux misérables personnes et vos deux clébards puants que nous supprimons, mais tous les rockers du pays, d’un seul coup, alors qu’est-ce que vous en dites grand Chef d’un peuple appelé à disparaître à minuit tapante !

    Le Chef allume un nouvel Coronado, Molossa et Molossito m’interrogent du regard, veulent-ils dévorer le Président ?

             _ Agent Chad cessez de caresser votre Rafalos dans votre poche, l’heure est grave, mais il me semble que nos deux perdreaux de l’année – le Président et son conseiller blêmissent sous l’outrage, au contraire de René de Chateaubriand ont-ils l’intuition qu’un orage non désiré est prêt à se lever – n’ont pas pensé à tout, quant à vous Messieurs je vous remercie de vos confirmations, figurez-vous que depuis le commencement de cette affaire j’ai toujours soupçonné, l’agent Chad pourra témoigner, que c’était l’avenir du rock ‘n’roll en son entier qui était en jeu

              _ Chef quoi qu’il nous arrive je l’ai noté à plusieurs reprises dans les immortelles tables de granit que sont les pages sublimes de mes Mémoires d’un Génie Supérieur de l’Humanité. Je suis sûr qu’elles survivront des siècles et des siècles, qu’elles ensemenceront l’imagination des futurs lecteurs et que le rock’n’roll, tel le Phénix, renaîtra de ses cendres.

    Le Président me lance un sourire méprisant, je ne luis réponds pas mais je n’en pense pas moins, j’irai même jusqu’à dire que j’en pense plus. Le Chef rallume un Coronado :

               _ Agent Chad, ce n’est pas que je doute de la survie littéraire de votre chef-d’œuvre impérissable mais je pense que celui-ci ne nous sera dans la situation présente que peu nécessaire, nos deux amis ont oublié un petit détail dans leur plan machiavélique, c’est dommage, nous le regrettons, toutefois il est sûr que sur cette planète, à part les membres du Service Secret du Rock’n’roll, nul n’est parfait.

    Le conseiller reprend la parole :

               _ Messieurs taisez-vous maintenant, notre Président a à s’occuper de plus vastes projets que vos misérables personnes, toutefois même si vous nous trouvez un peu cruels à votre égard, nous n’en sommes point hommes pour autant, nous resterons avec vous jusqu’à minuit, non ne nous remerciez pas, c’est juste pour le plaisir de vous voir mourir devant nous à minuit tapante ! Vous ne pourriez pas nous faire une plus grande joie. Il ne vous reste que quelques heures à vivre, nous ne voulons plus vous entendre. Normalement on laisse une dernière cigarette aux condamnés à mort, nous ne sommes pas chiches, nous ne mégoterons pas, Grand Chef sioux déplumé vous avez le temps de fumer une ribambelle de Coronados, et vous l’agent Chad de rajouter un épilogue à vos mémoires dont nous nous torcherons le cul avec plaisir !

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    Les heures s’écoulent lentement. Nos deux bourreaux savourent leur triomphe. Le Chef imperturbable fume Coronado sur Coronado. A chaque fois il ferme les yeux comme si c’était le dernier. Je ne tiens pas écrire le mot fin à mes mémoires, j’ai pris Molossa et Molossito sur mes genoux et les caresse doucement. Sous mes mains je sens leurs muscles bandés, les braves bêtes ont compris la situation, ils sont prêts à intervenir à la moindre erreur de nos adversaires.

    Huit heures…

    Neuf heures…

    Dix heures…

    Onze heures…

    Onze heures et quart…

    Onze heure et demie…

    Minuit moins le quart…

    Minuit moins cinq… L’oreille droite de Molossa frémit, Molossito jette un regard sur sa mère adoptive qui d’un coup de langue rapide lui lèche le museau.

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    Ai-je bien entendu, trois coups légers à la porte, le Chef reste absorbé dans les saveurs de son ultime Coronado. Non, il en allume un autre.

    Toc ! Toc ! Toc !

    Cette fois c’est indéniable, l’on a frappé à la porte, des coups discrets certes, mais des coups de même. Je ne suis pas le seul à avoir entendu, le Président se lève si brutalement que sa chaise tombe, il se tourne vers la porte et vocifère :

    • J’ait dit que je ne voulais pas être dérangé avant minuit, je fais remarquer au paltoquet qui se permet d’enfreindre mes ordres qu’il est minuit moins deux et qu’il ne perd rien pour attendre…

    Sur le palier le pâle toqué doit hésiter, il n’ose pas insister, il ne sait pas, il n’a pas envie d’encourir la colère du Président, mais en bon fonctionnaire il décide qu’il a un message urgent à transmettre, devrait-il être renvoyé il pense que l’intérêt supérieur de la Nation prime sur le sien.

    Toc ! Toc ! Toc !

    Le Conseiller du Président se lève et va ouvrir. Il est minuit moins une… La cage d’escalier est plongée dans le noir. Il ne voit rien.

    • Personne !

    Le Conseiller referme violemment la porte.

    • Monsieur le Président, l’imbécile a enfin compris qu’il ne devait pas insister !
    • Ce n’est plus important, minuit moins vingt secondes c’est à moi d’ouvrir la porte comme convenu – il joint le geste à la parole – messieurs entrez, les condamnés vous attendent, faites-moi plaisir, faites vite…

    Personne ne rentre. Le Chef rallume un Coronado. Molossa et Molossito descendent de mes genoux.

               _ Dépêchez-vous !

    La voix du Président est chargée de colère. D’un geste vif il allume le commutateur du palier et pousse un cri d’horreur. Le Conseiller le rejoint, moi aussi. Le Chef tire une bouffée.

    Le spectacle est hallucinant. Les escaliers sont jonchés de cadavres d’hommes en treillis entassés sur les marches. Je calcule à la vitesse d’un ordinateur – à l’école j’étais le premier en calcul mental – si le président n’a pas menti, trois hommes sur chacune des trente marches de chacun des escaliers des quinze étages, cela fait mille trois cent cinquante membres du GIGN supprimés d’un coup, autant dire que le groupe d’élite n’existe plus, quel gâchis financier. Combien de millions et de temps pour le reconstituer !

    Le Président et son conseiller sont blancs comme ces housses en plastique dans lesquelles on enveloppe les morts. La voix du Chef, péremptoire et agacée s’élève :

             _ Refermez la porte, le courant d’air qu’elle suscite m’empêche de goûter la saveur de mon Coronado, venez vous asseoir avec moi, si j’en crois Molossa et Molossito nous avons une visite, vite, il doit être au moins minuit passé de cinq minutes !

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 389 : KR'TNT ! 409 : JOHNNY STRIKE / TONY JOE WHITE / GLORY JIZZY / L'ECHO RÂLEUR / AMERCICAN BANDSTAND / FLÂÂÂSH /

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 409

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    07 / 03 / 2019

     

    JOHNNY STRIKE / TONY JOE WHITE

    GLORY JIZZY / L'ECHO RÂLEUR / FLÂÂÂSH /

    AMERICAN BANDSTAND

     

    Le Crime était presque parfait

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    Johnny Strike vient de casser sa pipe en bois. Ce nom pourtant frappant ne parlera qu’aux seuls fans de Crime, le groupe phare de la scène punk de San Francisco en 1976, et très certainement l’un des groupes les plus intéressants de l’histoire de la scène californienne. Ils initièrent le punk-rock américain avec «Baby You’re So Repulsive», un single qui par sa violence reste l’un des modèles absolus du genres. Mais Johnny Strike et ses amis cultivaient une autre obsession : la stoogerie à deux guitares. Frankie Fix et Johnny Strike croisaient le fer dans les flammes : on parle ici de Frankie & Johnny, la renaissance du mythe.

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    C’est James Conrad qui raconte l’histoire de ce groupe invraisemblable dans un vieux numéro d’Ugly Things. Il titre : ‘Too wild for the radio’ et c’est parti ! Conrad en fait quatorze pages ! C’est illustré avec les photos de James Stark. Flying V, Les Paul, perfectos, biker caps, ces quatre mecs ne lésinaient pas sur l’attirail. Conrad rappelle qu’aucun groupe de San Francisco ne sonnait comme Crime - Their music was loud, raw, untamed and agressive - Frankie & Johnny avaient pour influences le Velvet et les Stooges. En peu de temps, ils allaient créer leur légende avant que les problèmes d’ego, d’échec commercial et d’héroin addiction ne viennent à bout de leur détermination.

    Frankie & Johnny ne sont pas californiens. Ils ont grandi en Pennsylvanie. Ils se sont rencontrés très jeunes. Avant de s’appeler Fix, Frankie s’appelait Marc d’Agostino et Johnny s’appelait Gary John Bassett. Pourquoi le choix de Johnny Strike ? C’est tout simplement un hommage à Johnny Thunders, qui était son guitariste favori. Quand plus tard les Dolls viendront jouer à San Francisco, Johnny Strike sera très fier de transporter Johnny Thunders dans sa ‘52 Buick Special.

    Un goût prononcé pour la musique et la délinquance rapproche les deux amis. Ils collectionnent les délits de fuite, fument de l’herbe et se livrent au vandalisme. Un flic prend Johnny en grippe et le met dans son collimateur, alors Johnny comprend qu’il faut s’arracher vite fait. Où ? En Californie. La Pennsylvanie présente tous les défauts : répression policière et hivers rigoureux, alors que la Californie présente tous les avantages : tolérance policière et soleil à gogo. Ha ha ha, le choix est vite fait !

    En 1972, Johnny se tape un trip en Angleterre et tombe sur Bowie, Roxy et la tournée des Dolls. Wham bam ! À son retour, il propose à Frankie de monter un groupe. C’est aussi simple que ça. On part toujours de triple zéro. C’est la partie la plus précieuse d’une vie de rocker, celle du rock’n’roll dream.

    Johnny explique dans une interview qu’en 1976, il n’y a pas de scène à San Francisco. Pour lui les Tubes sont du bad glam. Berk ! Il trouve les Flamin’ Groovies médiocres. Il les connaît bien, puisqu’ils répètent au même endroit. Mais les Groovies se moquent du look dollsy de Frankie & Johnny, alors Johnny leur rend la monnaie de leur pièce : Fuck those guys ! Ils se prennent pour qui, ces branleurs ? Le plus drôle de l’histoire est que Frankie & Johnny récupèrent Ron the Ripper qui était le batteur des Chosen Few, c’est-à-dire les pré-Groovies. Ron the Ripper qui s’appelait en réalité Ron Greco explique qu’il a été viré du groupe suite à un show au Fillmore en première partie de l’Airplane. Ils s’étaient retrouvés sur une scène immense et ne s’entendaient pas les uns les autres. Manque d’expérience. En 1965, il n’y avait pas de retours sur scène. Comme tout foirait et que Cyril était en colère, Ron a servi de bouc émissaire, même s’il continuait à jouer correctement.

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    Frankie & Johnny commencent par abandonner leur look glam pour aller sur un look cuir noir - Very lean and mean - En hommage aux Spiders From Mars, ils choisissent de s’appeler the Space Invaders, puis ils optent pour Crime. Ils enrôlent un batteur nommé Ricky Tractor et en 1976, ils entrent au Blue Bear Studio enregistrer leur premier single, «Hot Wire My Heart»/«Baby You’re So Repulsive». Wham boom boom boom/ Shoot you right down ! - Three-chords blietzkrieg powered by chain saw guitars and sloppy drums - Ça reste imbattable.

    Et c’est là que commence le chemin de croix de Crime. Ils jouent leurs slabs de controlled chaos dans des clubs de San Francisco et se taillent très vite une belle réputation de violence sonique. Et pas que sonique. Ricky est rapidement viré du groupe. Il prend trop de drogues et un certain Brittley Black le remplace. Frankie & Johnny ne voulaient pas entendre parler du look punk importé d’Angleterre dès le début de l’année 1977. No way. Comme les Nuns, ils tenaient à leur identité visuelle qui était le cuir noir. Ils allaient même commencer à porter des uniformes de flics américains. Dans les concerts de Crime, on se bat et les flics font systématiquement des descentes. Les photos de scène de James Stark ne montrent que du Raw Power. Quand les Pistols viennent jouer leur dernier show au Winterland de San Francisco, on propose à Crime le third slot sur l’affiche, c’est-à-dire la troisième position. No way ! Pas question de jouer avant les Pistols, ni même avant les Ramones. Ils préfèrent aller jouer au San Quentin State Prison. Ils montent sur scène fringués en flics et la femme de Frankie danse avec le groupe. Vous voyez le délire ?

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    Et puis un jour Hank Rank devient le batteur/manager du groupe. Son plus gros boulot consiste à maintenir le groupe en état de fonctionnement. Frankie & Johnny commencent à se chamailler. Johnny est trop prolifique et Frankie lui en veut. Et plus, Frankie veut arrêter la guitare pour devenir le chanteur du groupe, alors Johnny doit le recadrer. No way ! Hank fait un véritable travail de régulateur - Frankie had an out-of-control ego and an out-of-control drug problem - Ça fait beaucoup. Puis Hank finit par se lasser et il quitte le groupe - It became painfully clear that when heroin came into the band, we were doomed - D’où le titre de cet énorme album compilatoire, San Francisco’s Still Doomed paru en 2004 sur le label de John Reis, Swami Records. Les ceusses qui n’ont pas le single y retrouveront l’apoplectique «Baby You’re So Repulsive», qui est au rock américain ce que «New Rose» est au rock anglais : un réveil en fanfare. Mais l’album grouille de smoking beasts, comme dirait Tim Warren, du calibre d’«I Knew This Nurse», extrêmement punk mais heavy, au sens stoogien du terme. On dira la même chose de «San Francisco Doomed», qui est même encore plus stoogy, avec un incroyable déploiement d’énergie. Frankie & Johnny n’en finissent plus de stooger leur viande, et quand on aime ce son, alors c’est une sorte de paradis infernal, une luxation du luxe intérieur dans l’émancipation caractérielle des affres schizoïdales. Avec «Piss On Your Dog», ils tapent dans le génie sonique, ils chantent à deux voix avec une grosse cocote au cul du cut. C’est d’une rare élégance, Frankie & Johnny remettent le trash-punk sur son trente-et-un. Encore deux stoogeries patentées avec «I Stupid Anyway» et «Twisted», tous les deux remontés à la manivelle de tortillette, réflexe purement ashetonien. Ces mecs jouent au long du cut, ils tapent dans l’ambiance de Search & Destroy, c’est le même son efflanqué, mauvais, hagard. On peut même dire que «Twisted» est stoogé dans l’âme, car monté sur la descente d’accords de Wanna Be Your Dog. Oui, Crime est le groupe le plus stoogé du ciboulot d’Amérique. Ils repartent de plus belle en B avec «Rockabilly Drugstore». On sent chez eux le même genre de cohérence que chez les Dwarves. Ils savent exactement ce qu’ils veulent. Il y a moins de son en B, car s’est une session différente enregistrée en 1978. Par contre, on voit remonter d’autres influences, comme celle des Heartbreakers dans «Flipout», avec un around digne d’Iggy, et celle des Dolls dans «Yakusa». Retour aux Stooges avec «Rockin’ Weird» et un violent cocktail cocotal. Ils font du pur Raw Power, ils jouent en permanence avec le feu. S’il fallait résumer leur son d’un seul mot, ce serait virulence.

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    Paru en 2013, Murder By Guitar 1976-1980 - The Complete Studio Recordings fait un peu doublon avec l’album précédent, puisqu’on y retrouve tous les gros cartons de Crime, mais cette compile propose des cuts complémentaires sur lesquels il n’est décemment pas possible de faire l’impasse. Un bon exemple avec «Maserati», fantastique hymne au iron jet, cut de rock extraordinairement profilé au beat dansant, that’s right ! Autres exemples avec ce rockab criminel qu’est «If Looks Could Kill» et cette horreur rampante qu’est «Lost Soul», montée sur un heavy drive de Ron The Ripper. Sinon, on retrouve toute la collection des hits fatidiques, «Terminal Boredom» (il s’ennuie comme un rat mot, le Boredom de Crime est encore pire que celui des Buzzcocks), «Dillinger’s Brain» (fantastique partie de chœurs d’artichauts, punk-rock dynamique en diable, Frankie & Johnny avaient the power !), «Cime Wave» (lancé aux sirènes de police, yeah yeah, tension maximaliste), «Piss On Your Dog» (gras et rampant, on descend à la cave), «Rocking Weird» (emmené ventre à terre), «San Francisco’s Doomed» (joué aux pires clameurs de Frisco), et puis bien sûr «Hot Wire My Heart» (tout Sonic Youth vient de là, de cette tension et de ces chœurs ressuscités d’entre les morts) et «Baby You’re So Repulsive» (l’archétype du punk-rock universel, chanté au dégueulis de baby baby t’es si dégueulasse). Frankie & Johnny avaient une aisance indiscutable, un son, une insistance et une sacrée longueur d’avance sur toute cette scène punk californienne un peu inepte qui allait tenter de les égaler sans jamais y parvenir.

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    Brittley Black revient battre le beurre dans Crime qui enregistre son troisième single, «Maserati»/»Gangster Punk». Joey D’Kaye remplace Ron the Ripper. Quand Ron revient dans le groupe, Joey passe au synthé. Mais Brit aime trop le booze, la coke et les pills, et les concerts commencent à se raréfier. B-Square, le label qui vient de les signer, les paye en coke : one bag chaque semaine. Avec ça, ils ne vont pas loin. Johnny propose d’arrêter les drogues et de repartir à zéro en écrivant de nouveaux cuts, mais Frankie ne veut pas. Johnny : «So that was that». Joey : «Basically, Crime ended not with a bang but a whimper.» Un gémissement.

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    Johnny monte ensuite un duo electropunk avec Joey D’Kaye : Vector Command. Ils font tous les deux de la sinister lost sci-fi darkwave qui n’intéressera que les amateurs de ce son. Ils disent chercher la voie de l’electro cyberpunk et des primitive drum machines, the Blade Runner aesthetics, the Velvet Underground deconstructed noise. Très ambitieux. Leur album intitulé System 3 finit par paraître en 2018. Il faut savoir rester patient !

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    On trouve un autre album de Crime sur le marché : Hate Us Or Love Us We Don’t Give A Fuck, considéré par Conrad comme un semi-bootleg. Niveau son, on a une purée de rêve digne de Metallic KO. Dès «Raw Rumbe», on les sent hantés par le Raw Power. Ils plongent «Hot Wire My Heart» dans une mélasse stoogienne et ce diable de Johnny Strike n’en finit plus de multiplier ses incursions intestines. Ce boot est un document précieux car il permet de mesurer l’énergie considérable que dégageait ce groupe sur scène. Ils enfilent leurs cuts comme des perles et l’ensemble donne une superbe purée dégénérée. En B, on trouve une version live de «Baby You’re So Repulsive» encore plus dévastatrice que l’original, comme si c’était possible. On entend aussi une annonce radio pour la promo du groupe : «Frisco only rock’n’roll band !» Ça se termine avec un «Pregnant & Punished» allumé à coups de Strike. Ils développent une énergie à la MC5, c’est très spectaculaire, mille fois plus punk que les Damned.

    Après la fin de Crime en 1982, Johnny Strike reste inconsolable. Pour lui, Frankie était un terrific vocalist and my favorite guitarist. Johnny se désintoxe et ne voit plus Frankie. En 1989, il apprend que Frankie remonte Crime avec Brittley et Ripper. Johnny refuse de participer à la reformation. Quand il voit le groupe sur scène, il est horrifié : «Après deux morceaux, Frankie allait changer de costume. Jusqu’au moment où il se retrouva enfermé dans la loge. Alors le guitariste se mit à chanter. Il sonnait comme un mauvais Neil Young.» Frankie essaye ensuite de redémarrer une carrière solo, mais tout foire. Il se retrouve à la rue, homeless. Joey le voit faire la manche sur Polk Street. Il lui file vingt bucks en chialant et quelques mois plus tard, le premier août 1996, Frankie Fix meurt à l’hosto. Il a 47 ans. Johnny et Hank assistent aux funérailles. Fin du rock’n’roll dream. Ricky Tractor avait déjà cassé sa pipe en bois. C’est ensuite le tour de Brittley Black, en 2004. À l’age de 48 ans.

    Après Crime, Hank Rank se recycle dans le cinéma underground. The Devil And Daniel Johnston, c’est lui. Il gère aussi une grosse galerie d’art, The Complex, sur Market Street.

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    Johnny Strike devient auteur à succès underground, après avoir suivi les cours de littérature de William Burroughs à l’université de Boulder, au Colorado. Et en 2005, il remonte Crime avec Hank Rank ! Wham bham boom again ! Johnny n’accepte pas l’épitaphe de Joey : «Crime ended not with a bang but a whimper, but too bad he wasn’t around for the bang to come !» Eh oui, Johnny veut le bang ! Il embauche Pat Ryan des Nuns, Mickey Tractor des Phantom Surfers et Michael Lucas on bass. On les invite à jouer au festival punk Road To Ruins en Italie. Here we go ! Et en 2007, ils enregistrent Exalted Masters. C’est une bombe, une de plus. Au dos de la pochette, on voit que Johnny Strike et Hank Rank ont pris un coup de vieux. Brett Stillos, aka Count Fink, remplace Pat Ryan et Michael Lucas. Le groupe n’a rien perdu de son extrême virulence. Johnny chante «Across The USA» et installe Crime dans le chaos d’antan. On entend même le solo du «Fat Back» de Link Wray repris par Ivy. Que de son ! L’ombre de Johnny Strike plane au-dessus du disque comme celle d’un vampire. Il joue «Clown Bitch» aux clameurs du MC5, avec des intrusions intestines. Quelle présence diabolique ! Quel beau rock à guitares ! Et ça continue avec «Lil Sis», Hank Rank claque ça à la claquemure et les deux guitares cramoisies vitriolent le son, ces mecs sur-jouent le rock, ils fonctionnent à l’énergie marémotrice, les deux guitares mènent la meute, on se croirait à Detroit. Ils sortent un son moderne et classique à la fois, ils fondent leurs chorus dans d’indescriptibles brouettes de brouets. Retour aux Stooges avec «SS Blues» - Ain’t got nothin’ to lose - Et le lose pourrait bien être celui d’Iggy. Ils terminent cette fulminante A avec un «Yeh Yeh Girl» visité par les vents violents du Sonic trash. Ils nous refont le coup du Search & Destroy en B avec «Your Generation», ils créent la même tension dans l’épaisseur de la nuit urbaine, comme s’ils se stoogifiaient à vue d’œil. Mais c’est avec «Hate Train» qu’ils remportent la victoire définitive. Johnny Strike connaît tous les secrets du Hate Train. Il sait lancer son affaire, il sait foncer dans la nuit et pousser des ah-ah ouuuh d’antho à Toto. C’est embarqué ventre à terre, avec tous les réflexes stoogiens de come around à la clé - Into the wild blue/ On and on and on and on and on - Ça file, c’est fou ! Fin de party glorieuse et tellement électrique.

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    Puis Johnny a l’idée de mettre ses textes sur des background soundscapes. Il baptise le projet Naked Beast. Hank Rank qualifie ça de «pretty dark and Crimey.» L’album paraît en 2017.Pas facile à trouver. Mais quel album ! En plein dans le mille, une fois de plus. Dès «Gnostic Wolf», on constate que la niaque de Strike est intacte - Come on baby/ Take a ride/ On the magic bus - Il sort sa plus belle cocotte. C’est encore un long cut gorgé de Detroit Sound, avec de vieux relents stoogy, in the deep blue sea and under the moon. «Emergency Music Ward» qui ouvre le bal de la B vaut aussi le détour. Johnny Strike reste fidèle à ses allégeances, il recharge sa chaudière en permanence. Il fait aussi un joli coup de spoken word envoûtant avec «Crazy Carl’s Thing». C’est une présence à la Henry Rollins, mais en plus chaleureux. Johnny sait riffer un cut, comme on le constate encore une fois à l’écoute d’«Another Station» - One two three four five - Il égrène les chiffres de sa bonne vieille riffalama d’exception. Hank Rank bat bien le beurre et Roger Strabel ramène un excellent bassmatic. Ils bouclent ce très bel album avec «Remote Viewers», une grosse débinade de garage punkoïde. Johnny Strike reste irréprochable jusqu’au bout du bout. C’est lui le real Godfather of American punk. Il n’a jamais baissé la garde. Il nous dit adieu avec cette fabuleuse fin de non recevoir.

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    Il existe un autre projet parallèle de Johnny Strike : TVH. Un album intitulé Night Raid On Lisbon Street est sorti en 2002. Biff O’Hara (drums) et Jimmy Crucifix (bass) l’accompagnent. Ils reprennent le vieux hit de Crime, «Hot Wire My Heart» et c’est atrocement bon. Johnny Strike n’a rien perdu de sa niaque. On retrouve une fabuleuse ambiance à la Crime dans «Yo Slim Fats». Johnny Strike balance sa purée, c’est un vieux riffeur, il se livre à son sport préféré. C’est du punk-rock de Frisco, coco. Johnny Strike ramène toute sa vieille hargne restée intacte. C’est gagné d’avance, ce mec ne sait faire qu’une chose : jouer à la vie à la mort. Voilà bien une fantastique descente aux enfers - You better watch out - Encore un extraordinaire shoot de Strike of it all dans «Tibetan Head». Ces mecs sont bons, ça riffe à qui mieux-mieux. Ils développent tous les trois des dynamiques vertigineuses. Encore pire : «Last Fair Deal Gone Down». Johnny Strike gratte sa vieille cocotte - I love the way you do - Effarant, c’est bardé d’ultra-présence in the face, avec une admirable descente de basse sous la cocotte. Voilà encore une énormité monumentale, oh Johnny. Ces mecs ne s’arrêtent jamais, surtout pas Johnny Strike. Il se livre ici à une stupéfiante lysergie de rockalama de Rocamadour. Le problème, c’est que tout est bon sur cet album, on voit Johnny Strike descendre les accords des Buzzcocks sur «Wigger» et donner une belle leçon de morale avec «Black Light». Ils rampent dans l’ombre humide comme ce n’est pas permis. Johnny Strile est un peu comme son idole Johnny Thunders, un jusqu’au-boutiste patenté. Ils tapent «Pacific Coast Highway» au punk de Crime de Strike, c’est une reprise de Sonic Youth, un tintinnabulage de punk-rock new-yorkais, un chaos sonique qui convient parfaitement à un expert du chaos. On reste dans le festin de son avec «Ghost Town». Ces mecs cuttent leurs cuts avec une aura légendaire et des chœurs des Carpathes. Johnny Strike joue dans le cambouis et fait voler sa Flying V. Fuck the world qui est passé à côté de Johnny Strike ! On assiste plus loin avec une fantastique glissade dans le gloom avec un «Dope Dolls» qui sonne comme une véritable déclaration d’intention - When I saw you at the night club - Sacré Johnny, always on the run.

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    Tant qu’on y est, on peut aussi jeter un coup d’œil sur le petit livres d’images de James Stark, The Band Crime Punk 77 Revisited, paru en 2009 chez un petit éditeur de San Francisco. Stark y raconte sa relation avec le groupe et avec ce punk-rock qu’il aimait tant, loud, out of tune and in your face. Quand il voit Crime pour la première fois, ça lui rappelle the Velvet at Andy Warhol’s Eploding Plastic Inevitable, at the Dom - The music was loud and dissonant - Comme Danny Fields, James Stark est aux premières loges. Il apprécie le fait que Crime organise ses concerts, fabrique ses affiches et distribue ses disques. Pour lui, Crime devait devenir énorme, mais le sort en a décidé autrement. Dans les pages d’introduction du livre, un nommé Jack H. se souvient que Stark pilotait une Norton Commando et qu’il était à l’affût du next big thing. Il rappelle aussi que Stark a dessiné le logo de Crime, qu’il leur a fait des posters, qu’il les a photographiés et qu’il les a aidés à trouver un vrai look. En gros, nous dit H, Stark a joué un rôle considérable dans ce qu’il appelle the Crime mystique.

    Stark : «I went to the first Crime show in early 1977 and walked out thinking, ‘Boy, did they look cool...’» Stark raconte aussi l’épisode de l’enregistrement du premier single au Blue Bear Studio, en novembre 1976. L’ingé son leur dit qu’ils ne peuvent pas jouer aussi fort. Wham bham boom ! Frankie & Johnny jouent à fond, comme ils ont envie de jouer - They were after an authentic sound, something like an old Charlie Patton blues record - Le son, toujours le son. Rien que le son. Puis Stark raconte qu’à l’arrivée d’Hank Rank, ses rapports avec le groupe ont changé. Il ne s’entendait pas bien avec Rank qui prenait un peu trop le leadership du groupe - He seemed like a spoiled rich kid, so I moved on to other things - Voilà comment et pourquoi James Stark a pris ses distances avec ce groupe qu’il appréciait au plus haut point.

    Signé : Cazengler, Johnny (la) trique

    Johnny Strike. Disparu le 10 septembre 2018

    Crime. Hate Us Or Love Us We Don’t Give A Fuck. Planet Pimp Records 1994

    Crime. Murder By Guitar 1976-1980. The Complete Studio Recordings. Kitten Charmer 2013

    TVH. Night Raid On Lisbon Street. Flapping Jet Records 2003

    Crime. San Francisco’s Still Doomed. Swami Records 2004

    Crime. Exalted Masters. Crime Music 2007

    Naked Beast. Naked Beast. Guitars And Bongo Records 2017

    Vector Command. System 3. HoZac Records 2018

    James Stark. The Band Crime Punk 77 Revisited. Last Gap Of San Francisco 2009

    James Conrad. Crime. Too wild for the radio. Ugly Things #43 - Winter 2016/2017

    Sur l’illusse : Johnny & Frankie.

     

    White spirit - Part Two

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    — Vous avez vu cet homme qui rampe, là-bas ?

    — Il n’a pas l’air d’aller bien... Il me fait penser au sergent Diggles qui rampait avec une flèche dans le dos, après l’attaque des Mescaleros, à San José...

    — Sauf que cet homme n’a pas de flèche dans le dos, mais vous avez raison, il paraît mal fichu. Approchons-nous et voyons si on peut encore lui venir en aide...

    L’homme est en effet très mal en point. Au prix d’efforts surhumains, il a réussi à s’adosser à une palissade en bois et tente de retrouver son souffle. Il avoisine la soixantaine mais le cheveu ne blanchit pas. Il porte un grand chapeau noir et des lunettes noires très ordinaires. Il ne porte d’ailleurs que du noir. Caractéristiques d’un caractère bien trempé, deux plis profonds encadrent une bouche aux lèvres minces et s’achèvent en bajoues. Ses doigts courts et boudinés indiquent la pratique d’un instrument à cordes. Il respire faiblement.

    — Monsieur ! Monsieur ! Comment vous sentez-vous ?

    L’homme répond en chantant, mais dans un râle à peine audible.

    — I got so lonely... Yes so lonely... I could die...

    — Mais je connais cet air... Bon dieu, mais c’est bien sûr ! Il s’agit d’«Heartbreak Hotel» ! Monsieur ! Monsieur ! Êtes-vous chanteur ?

    — Well since my baby left me...

    — Non, ça ne peut être Elvis, car il est déjà mort et enterré... Mais cette belle interprétation vaut largement la sienne !

    — Plutôt que de s’extasier, ne ferait-on pas mieux d’appeler un médecin ? J’ai vraiment l’impression qu’il va nous claquer dans les pattes !

    Au prix d’efforts encore plus surhumains, l’homme reprend son chant de mort :

    — You keep Bad Mouthin’/ I’m sure gonna put you down...

    — Extraordinaire ! Voyez comme cet homme swingue son mood sur le beat de «Memphis Tennessee» ! Soit il est mourant, soit il est vermoulu. Au fond, c’est la même chose. Vous allez me demander pourquoi je vous dis que c’est la même chose. Très simple, cet homme chante le swamp, le swamp mythique où tout meurt pour renaître.

    Après un long moment de silence, l’homme psalmodie un air connu :

    — Baby please don’t go... Down to New Orleans...

    — Aw my God ! Cet homme chante comme une vieille star ensorcelante ! Cette voix moribonde portée par un tempo séculaire nous plonge au plus doux du Bayou. Quel sortilège ! N’incarne-t-il pas le mystère des bayous de Louisiane ? Je suis prêt à parier vingt euros que l’homme que nous voyons là en train d’agoniser n’est autre que Tony Joe White ! Vous tenez le pari ?

    — Oh c’est trop facile ! Je l’avais reconnu avant vous. On devrait se dépêcher d’appeler un médecin ! Il a l’air de baisser...

    — Non attendez, il a encore un truc à nous dire...

    — I’m gonna move to the country... And find a piece of ground...

    — Apparemment, il aimerait bien trouver un petit coin de terre pour sa tombe.

    — No, no, no... A cool town woman... Who sure enough would hunt me down...

    — Ah il veut refaire sa vie avec une Cool Town Woman. Fantastique ! Il nous fait vraiment du swamp cadavérique. Mais il ne le fait pas à l’édentée, comme un nègre, c’est encore autre chose. Son style relève plus du gondolage que provoque l’humidité. Profitons-en avant qu’il ne s’éteigne, car il s’agit d’une véritable aubaine !

    — You knock me out... Right off my feet... Hoooo hoooo... Talk that talk...

    — Vous l’avez reconnu, ce truc ?

    — Ben oui, c’est «Boom Boom», le vieux hit de John Lee Hooker...

    — Bravo ! Ce mourant rivalise de magie noire avec ce vieux Hooky qui assommait ses conquêtes pour les ramener chez lui et les baiser dans son lit, gonna shoot you right down, right off your feet, and take you home with me, ce vieux gredin d’Hooky ne faisait que du hot sex dans son Boom Boom, et il aimait bien quand elle lui chuchotait des cochonneries dans le creux de l’oreille, le whisper in my ear, on voyait bien qu’il bandait, I love that talk, tell me that you love me, talk that talk, on a là l’un des plus gros grooves sexuels du siècle ! Du niveau de James Brown dans «Sex Machine» !

    L’homme aspire une grande goulée d’air et reprend péniblement :

    — Just hand my head and cry...

    — Voilà qu’il nous fait le coup du slow blues. Tendons l’oreille, car sa voix faiblit terriblement. Il nous plonge avec ce blues dans les profondeurs du désespoir !

    — In a mighty long time... If I don’t hurry up and go... I think I’ll go on out of my mind...

    — Il va finir par mourir de désespoir s’il continue ainsi. Ce slow blues résonne dans la nuit du Sundown des champs de coton. N’avez-vous pas l’impression que les fantômes d’esclaves s’expriment à travers ce moribond ? Brrrrrrrr. Pour un peu, il nous foutrait la trouille, avec ses conneries !

    L’homme reprend, toujours plus lancinant :

    — This woman got a three bedroom condominium...

    — Encore une histoire de bonne femme ? Il conserve tous ses réflexes, apparemment, même si son histoire de Rich Woman Blues sonne comme un blues de dernier râle. Il veut rendre un dernier hommage à cette femme riche qui lui filait du blé quand il crevait de faim. Voilà qui est très chevaleresque. À l’article de la mort, la grande majorité des gens sont plus préoccupés d’eux-même que des autres. Prenez-en de la graine !

    Après d’interminables minutes de silence, l’homme lâche dans un souffle :

    — I don’t know where I’m going... Going to heaven or hell...

    — Il ne fournit plus aucun effort. Il joue le blues du long fleuve tranquille et évoque ses Awful Dreams. Ça ne sert à rien d’appeler le médecin. De toute façon, vu la classe de cet homme, ça m’étonnerait qu’il accepte de finir sa vie dans un Epad. Regardez, mes paroles semblent le galvaniser !

    En effet, l’homme s’agite :

    — Can’t go down... Any dirt road... by myself !

    — Il tatapoume son boogie-blues tout seul. On dirait un vieux classique de Charley Patton, oui, c’est ça ! «Down The Dirt Road Blues», que Wolf avait appris à jouer avec son vieux maître ! C’est le boogie blues des origines, écoutez ce qu’il en fait, c’est très édifiant ! Sa vieille glotte flappie bat la chamade ! Vous savez à quoi me fait penser ce dernier spasme ? À celui de Johnny Cash. Les grand hommes ont ceci de commun qu’il s’arrangent toujours pour impressionner le monde jusqu’à leur dernier souffle. Vous vous souvenez des dernières paroles d’Apollinaire ?

    — Sous le pont Mirabeau...

    — Ah non, ce n’est pas ça du tout ! Ce que vous pouvez être con ! On parle de choses sérieuses et vous badinez ! Atteint de la grippe espagnole, Apollinaire supplia le médecin du fond de son lit : «Sauvez-moi, docteur, j’ai encore tant de choses à faire !»

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    Signé : Cazengler, Tony Joe Moite

    Tony Joe White. Bad Mouthin’. Yep Rock Records 2018

    01 / 03 / 2019MONTREUIL

    LA COMEDIA

    GLORY JIZZY / L'ECHO RÂLEUR

     

    Je ne suis pas raciste mais enfin que font tous ces gens bizarros sur le trottoir de la Comedia, plus possible de poser un pied devant l'autre, z'ont un look étrange, un peu comme tout le monde mais légèrement décalé. Un je ne sais quoi, un presque rien jankélevitchien ( de garde ) qui attire l'attention, un peu tous les âges, partagent cet air de complicité innocente des larrons en foire qui s'apprêtent à subtiliser le porte-monnaie des ménagères de plus de cinquante ans. Je sais bien que tout le monde déteste la police, mais là une vérification d'identité s'impose, embarquez-moi ce ramassis d'individus suspects au plus vite ! Le pire c'est à l'intérieur. Me croyais en sécurité accoudé au comptoir, ne voilà-t-il pas qu'ils débarquent. Une file ininterrompue. Des sans-gêne, ne filent même pas une obole participative pour les groupes, passent tranquilles comme si le local leur appartenait. Ne savent même pas ce qu'ils veulent, dix minutes ne se sont pas écoulées qu'ils ressortent tous en groupe, je les suis discréto car ces gaziers mon flair me dicte de les tenir à l'œil. Traversent la rue et s'alignent sur le mur d'en face. Au moins on pourra les fusiller sans trop de mal, j'en profite pour les compter, vingt-huit, Se mettent à respirer très fort et à remuer leur langue dans leur bouche, ressemblent un peu à des handicapés mentaux évadés de l'asile, d'ailleurs le grand aux cheveux blanc dans son kilt on n'aura pas de mal à le rattraper, préfère ne pas vous parler des filles, elles ont entassé sur le devant de leurs corsages un véritable stand de brocante, et le gars au milieu avec cette espèce de débris de clavier de piano – ce doit être l'infirmier qui fidèle à son serment d'Hippocrate les a suivis dans leur évasion – il a bien du mal à calmer leurs simagrées. Les fenêtres du voisinage s'ouvrent et les gamins se pressent sur les balcons – comptez toujours sur l'indocile engeance des gosses pour les situations ubuesques. L'a enfin obtenu le calme notre carabin, appuie sur une touche, et hop, ils ouvrent tous le bec comme les chœurs de l'Armée Rouge à la veille de la bataille de Stalingrad, aux étages les pères de famille dégainent leur portable pour immortaliser la scène, j'y suis, que n'y ai-je pas pensé, le mystère s'éclaircit, l'énigme du sphinx est enfin élucidée, l'affaire des douze cadavres des catacombes est dénouée, c'est la chorale rock qui répète avant d'assurer la première partie des Glory Jizzy !

    L'ECHO RÂLEUR

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    Occupent la grande salle, l'on a poussé les guéridons et calé les fauteuils de ( faux ) skaï contre le mur, les spectateurs sont coincés contre le bar ou agglutinés en des recoins improbables. Suis relégué derrière les messieurs, je ne vois que leurs mollets poilus qui surgissent de leurs kilts – z'en ont tous revêtus un – telles les fanes maigrelettes de radis étiques, j'avoue que cette vision ne me produit aucune émotion orgasmique, j'aurais dû intuiter et me retrouver de l'autre côté en bordures des filles, comme lot de consolation j'ai le bourdon de ces voix mâles et graves dans les oreilles. Si vous vous attendez à entendre le Requiem de Mozart ou celui – bien plus beau - de Gabriel Fauré, vous êtes dans l'erreur, d'abord notre formation n'est accompagnée par aucun instrument, même pas une paire de castagnettes ou un triangle isocèle, voire un meuglement discret de cloche à vache folle, non nos mâles highlanders ne font pas mumuse avec une cornemuse, et les fillettes fifrelettes ne s'embêtent pas de clarinettes, uniquement les voix nues. Bon maintenant ils agrémentent la tourmente, ne restent pas plantés comme des lampadaires éteints le long d'une rue cafardeuse, z'ont un plus : la danse. Je n'ai pas dit non plus que vous avez des tutus rose bonbon poursuivis par des satyres nijinskiens sur le plateau de l'Opéra Garnier, non une simple gestuelle qui oscille entre tectonique burlesque et ces ébauches de mimes rituels qui accompagnent les comptines enfantines des cours de récréation. Une espèce de commentaire des bras et des mains pour spectateurs malheureusement sourds. Se tapent sur le corps à l'instar des acteurs shakespeariens, font des mimiques humoristiques en guise de parlotes rigolotes, ressemblent un peu à ces politiciens qui gesticulent pour vous convaincre que si tout augmente, c'est pour votre bien.

    Peut-être aimeriez-vous toutefois les entendre, tout au moins être abreuvés de notules pédagogiques quant à leur répertoire. Débutent par Les Négresses vertes. Je n'ai rien contre les négresses, ni les vertes, ni les pas mûres, ni de toutes les couleurs, mais perso le rock alternatif français des années quatre-vingt me hérisse, mauvais choix si j'en crois mes goûts d'autocrate chroniqueur, l'est vrai qu'ils se donnent du mal pour me faire avaler la pilule, notre quarterons de faux écossais mugit comme une corne de brume dans la tempête, et sur le rivage les voix aigrelettes des femmelettes en attente des hardis marins se font douces comme la funèbre prière des morts, l'on est tout de même loin des chœurs du Vaisseau Fantôme de Wagner. L'Echo Râleur c'est plutôt ambiance kermesse populaire. Frites molles et barbes à papa au poivre. Bons enfants, mais garnements qui lancent des pétards sous les jupes des matrones qui s'accaparent les slows ventripotiquement langoureux. Les titres frisent un peu trop avec la variétoche, bien sûr il y a le Cayenne de Parabellum et ils termineront sur la tarte à la crème, que dis-je la bouchée à la reine au ris de veau engraissé à la farine de poisson, Queen, la caution rock des bobos depuis que le public de la revue Rolling Stone leur a décerné le titre le plus grand groupe de rock du monde.

    Excusez-moi de râler un peu, c'est l'écho sonore comme disait Victor Hugo qui m'y pousse. En leur genre ils sont très bien, mettent du cœur à l'ouvrage, z'ont le chœur qui bat fort, y eut des beaux tutti, fruités comme des truites saumonées dans les remous d'une onde claire coulant allègrement entre les rives escarpées d'un rapide torrent, des envolées lyriques en grands coups de vent talentueux qui vous transportaient très loin à la manière de la rafale qui souffle au début du Magicien d'Oz, des canons décisifs qui se répondaient à la façon des bombardes qui crachèrent le feu et emportèrent la décision à la bataille de Crécy. Cela se passait en l'an de grâce 1346, bonnes gens, fallut cent ans pour bouter les fils de la perfide Albion hors du royaume, un peu stupidement puisque   six siècles plus tard on accueillit leurs indignes et insignes rejetons avec une ferveur qui depuis ne s'est jamais démentie et qu'on leur tressa des couronnes de laurier à rendre Jules César jaloux lorsqu'ils revinrent au début des années soixante avec leurs divisions de choc : Shadows, Stones, Animals, Kinks, Who, Yardbirds, Pretty Things, les saintes phalanges des anges tonitruants...

    Terminent sous une pluie d'applaudissements, ils l'ont mérité, sont sympathiques, se mêlent au public de Glory Jizzy qui arrive en nombre, aident à vider les fûts de bière jusqu'à ce qu'il n'en reste plus une seule goutte, et grâce à eux personne sur cette malheureuse planète en perdition qui est la nôtre ne pourra plus accuser le public de la Comedia d'obtuse intransigeance rockenrollesque, et de ce manque d'ouverture d'esprit si révélateur des chapelles rock.

    GLORY JIZZY

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    Enfin du rock ! En grammage, face à L'Echo Râleur ils ne font pas le poids, ne sont que trois, mais proviennent d'une autre dimension. Sont jeunes, déjà quarante concerts à leur actif, les dents de lait, longtemps qu'ils les ont remplacées par des crocs de tigres cruelliques assoiffés de sang.Théo Enandora officie à la batterie. L'a le look des années soixante, chemise impeccable mais rehaussé d'une cravate colorée qui vous cingle les pupilles d'un coup de cravache. Un garçon pressé, l'est clair qu'il ne faut pas l'interrompre lorsqu'il speede sur ses fûts. Genre ne me dérangez pas, faut que je rattrape le train en courant, un jeu d'enfant pour moi, même s'il est parti depuis une demi-heure. L'assure grave, remplit toutes les cases, surfe sur la vague. Précis, rapide, efficace. Un pousse-au-crime, un hurluberlu avec des baguettes qui vous fait des crochets de libellules, des zigzags d'enfoiré, qui envoie à chaque fois le bouchon un peu plus loin. Je vous préviens un gars comme ça dans un combo, c'est un problème. Des robinets qui fuient de partout et la baignoire qui déborde à la manière d'un tsunami.

    Sur sa gauche Arthur Larrouy. Facile à reconnaître, l'a l'œil qui saigne une bande écarlate zèbre son visage, une cicatrice sanglante, de celles que les pirates arboraient fièrement lorsqu'un sabre d'abordage leur avait entaillé la figure, outre cette peinture de guerre, s'affaire au chant et à la guitare. Pour la six-cordes l'a son parti-pris pour juguler le déferlement de son batteur. Fait comme vous quand vous noyez une portée de chatons, vous leur tenez la tête sous l'eau dans votre poing fermé, pas question qu'ils remontent le long de votre bras. Solution simpliste, suffit de passer par-dessus les rafales maximales de Théo, les recouvrir, d'une épaisse couche de riffs, bref vous en avez un qui se livre à un mouvement ascendant vers les astres et l'autre qui essaie de l'enfoncer au plus profond de la terre. Par contre l'a intérêt à foncer rapide comme l'éclair, car le Théo il n'a de cesse que de sortir du terrier obstrué. De cette complicité guerroyante naît une espèce de groove grommelant en sourdine alors que l'ensemble file à la vitesse d'un hors-bord souverain. Vous avez compris à eux deux, ils n'ont besoin de personne pour incendier l'atmosphère.

    Oui, mais ils ont un bassiste. Porte sur sa tête des cornes de taureau démonique, torsadées comme les colonnes du temple de Dagon que Samson projeta à terre afin d'écraser ses ennemis. L'a un sourire ambigu. L'a rehaussé ses lèvres d'un rouge carminé, comme s'il voulait détenir et réunir en son être les symboles de l'unicorne virile et le signe de l'ouverture de la féminité exacerbée. C'est un bassiste. Je sais, je l'ai déjà dit, mais ce n'est pas de ma faute, c'est un bassiste. Je n'y peux rien. A peine Maxime Clair a-t-il touché sa basse, que vous faites la différence. Le bruissement d'un essaim de guêpes sauvages et mordorées emplit la salle. Rajoute sa tonne de grains de sel au combat contre l'ange que se livrent guitare et batterie. Vous vouliez du grunge, vous en remplit la grange. Une avalanche d'ambroisie fonce sur vous et vous submerge. Un velouté d'asperge au venin de mygale.

    Les Glory Jizzy n'y vont pas de main morte, vous en donnent pour toutes les rivières d'argent et pour toutes les mines d'or que vous n'aurez jamais. En plus ils adoptent la tactique la plus explosive du rock'n'roll, vous refile une merveille pour commencer les festivités, mais chaque nouveau morceau se doit de reléguer le précédent au rang de vulgaire camelote. Vous croyiez avoir atteint le bonheur, mais ce n'était qu'une erreur, juste le paillasson boueux au bas de l'escalier des titans que vous allez escalader. Et sur ce, le balafré éructe dans le micro, Arthur vous hameçonne l'âme avec un méchant phrasé, puis il se retranche derrière sa guitare, pour mieux revenir et vous éviscérer de son vocal chirurgical.

    Infernaux, devant la scène, c'est la chienlit absolue, difficile de savoir si le bras que vous agitez est le vôtre et votre corps tamponné ne vous appartient plus, les filles survoltées demandent à être promenées à bout de bras brandis comme des tomahawks, surnagent un moment sur le haut de la houle et puis elles disparaissent happées en d'insondables tourbillons. Jusqu'à maintenant les Glory Jizzy se sont contentés de déchaîner l'ouragan rock'n'roll, mais ils jugent le moment propice pour déclencher l'éradication des espèces vivantes – un truc pas vraiment écologique mais foutrement rock'n'roll - et Arthur nous promet deux titres punk. Deux trombes zombinoïdes apocalyptiques qui conduisent l'assistance aux portes de la folie impure. Heureusement il se fait tard, et il faut arrêter les frais ( particulièrement brûlants ), sans quoi vous n'existeriez plus à l'heure qu'il est. Nous non plus, mais l'on s'en moque, puisque l'on aurait eu le suprême avantage de voir les Glory Jizzy, avant de succomber en un spasme final. Gloire aux Jizzy !

    Damie Chad.

     ( Photo FB : Glory Jizzy )

    AMERICAN BANDSTAND

    DICK CLARK with FRED BRONSON

    ( COLLINS PUBLISHERS / 1997 )

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    L'ai saisi dans ma poigne d'acier dès que je l'ai aperçu sur l'éventaire de mon soldeur itinérant préféré. Je n'en ai qu'un seul exemplaire m'a-t-il informé. Arrivé à la maison j'ai compris pourquoi personne ne s'y était rué dessus, vient tout droit des Etats-Unis et l'est rédigé en langue ricaine. Un peuple malappris qui ne sait même pas parler le français. Mais comme ils ont inventé le rock'n'roll on ne leur en tient pas trop rigueur. Bref me suis efforcé de le lire in extenso – y a beaucoup de photos - rien que pour vous en rendre compte. Chez Kr'tnt on ne sait pas quoi faire pour rassasier l'insatiable curiosité de nos lecteurs.

    L'est ici question d'un temps que les moins de vingt ans ( multipliés par trois ) ne peuvent pas connaître. Comment le rock'n'roll, né dans le minuscule studio de Sam Phillips in Memphis, Tennessee, a-t-il embrasé le monde entier ? Posée ainsi si péremptoirement la question exige une seule réponse. Bien sûr qu'il s'agit d'un phénomène d'une grande complexité, mais beaucoup de ceux qui ont participé de près ou de loin à sa naissance se sentent des ailes d'ange déchu leur pousser dans le dos d'autant plus longues à rayer les parquets de la renommée qu'ils furent davantage actés qu'acteurs.

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    En tout cas Dick Clark revendique sa part du gâteau. S'en explique longuement en quatre fois. Un chapitre pour chacune des quatre décennies durant lesquelles il présida la célèbre émission American Bandstand. N'en fut pas le créateur, l'était animateur de radio, comprendre disc-jockey et surtout money-entourloupeur entre édition musicale et création de labels lorsqu'il lui fut proposé de devenir le présentateur de l'émission télévisée Bob Horn's Bandstand à la place de Bob Horn qui possédait un taux de sang trop peu élevé dans son alcool. Bandstand à l'époque était une télé-diffusion locale sise dans la région de Philadelphie. Contrairement à ce que l'on pourrait accroire, ce n'était pas une émission spécifiquement musicale, elle était avant tout un programme de danse. Certes l'on interviewait quelques chanteurs, on passait quelques extraits filmiques dans lesquels ils interprétaient un de leurs succès, mais la séquence la plus importante consistait à écouter des disques. Comme à la radio, mais comme montrer un disque qui tourne en rond sur son électrophone risque de lasser le spectateur, l'on eut l'idée d'occuper l'écran en faisant danser des jeunes gens. Dick Clark hérita de cette formule. Il ne la révolutionna point mais il sentit le vent souffler. Prit ses fonctions en juillet 1956, l'année Presley par excellence. Rock'n'roll was here, l'était temps à Peggy Lee et à Bing Crosby de passer la main à la jeune génération. C'était la bonne idée, en 1957, ABC rachètera Dick Clark's Bandstand qui désormais diffusée nationalement se nommera American Bandstand.

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    Les années cinquante furent les années d'or de Bandstand. De nombreuses biographies de nos rockers préférés exaltent leur passage dans l'émission, mais c'est un peu la pointe de l'iceberg qui flotte au-dessus de l'eau, Clark s'intéresse avant tout à la montagne invisible sous les flots, les danseurs. Des jeunes gens, bien élevés, blanc de peau, souvent de confession catholique, propres sur eux, cravate pour les garçons, jupe obligatoire pour les filles, l'on danse ensemble, on évite les attouchements trop prononcés, dès qu'il est possible l'on sépare les sexes ( mot auquel l'on pense toujours mais que l'on se doit de ne jamais prononcer ) de chaque côté du plateau... De sages jouvencelles sont assises sur des bancs, jouent le rôle de potiches, Dick Clark debout derrière son pupitre mène le show, l'est armé d'un téléphone qui lui permet d'être en relation avec les équipes techniques et le staff qui l'avertit des problèmes qui surviennent inopinément.

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    Musicalement, mais répétons-le Clark ne s'attarde pas dessus, cite les noms et montre les photos de Bill Haley, Buddy Holly, Fats Domino, Jerry Lee Lewis, Little Richard, insiste surtout sur l'aspect sociologique de son émission. Grâce à lui le rock'n'roll entre dans les foyers et bon gré mal gré formate peu à peu les oreilles des parents qui apprennent à apprivoiser le monstre. A la manière de ces gens qui détestent les animaux mais qui prennent un chat pour faire plaisir à leurs enfants... Bandstand c'est aussi l'intrusion des noirs dans le paysage ambiant. Le rock n'est-il pas autre chose que de la musique de nègres chantée par des blancs. Ces années cinquante dureront jusqu'en 1964. L'on assiste au changement, au glissement intervenu au début des années soixante. Eclate le scandale payolaïque des dessous de tables que les compagnies de disques versent aux producteurs et disc-jokeys pour favoriser leurs poulains, une pratique commerciale des plus courantes dans tous les domaines économiques, mais l'establishment soulève ce faux scandale pour casser les reins à cette musique qui implique des changements de mœurs peu favorables au respect des institutions du système. Il ne faudrait pas que les jeunes soient gagnés par des idées utopiques voire révolutionnaires... Les patrons de Clark le contraignent à abandonner ses tripatouillages quant aux droits de certaines chansons, ou alors de quitter son rôle de présentateur. Clark assure qu'il fit le mauvais choix, il restera à la TV et perdra ainsi beaucoup d'argent que ses activités commerciales lui auraient rapportées... La programmation change. Fabian, Bobby Riddel, Bobby Vee, Frankie Avalon proposent un rock plus sucré qui enchante les jeunes filles... Le twist débarque avec Chubby Chekker... En 1961 Connie Francis ouvre la porte à la mode des groupes de chanteuses noires, Angels, Blossoms, Bobettes, Caravelles, Chantels, Chiffons, Chordettes, Cookies, Crystals, Dixie Cups, Jelly Beans, Martha and The Vandellas, Marvelettes, McGuire Sisters, Patti Labelle and the Blue-Belles, Ronettes, Secrets, Sensations, Shangri-Las, Sherry, Shirelles, Supremes, Sweet Inspirations, Toys se succèdent, souvent des voix de rêve ou d'innocence perverse... le son Tamla Motonw domine le monde.

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    En 1963, le disque She Loves You des Beatles présenté à Banstand fait un flop. Swan Records qui n'a vendu que 50 000 exemplaires se retire du jeu et Capitol flaire le bon coup et prend la place. Les Fab Four éclateront vraiment en 1964. Une ère nouvelle commence. Bandstand s'ouvre au mouvement hippie. Les Mamas & Papas traumatisent Dicky, non seulement ils ne portent pas tous le même costume et l'un des membres ( il ne cite pas son nom ) ne correspond pas aux canons de la beauté habituelle, un peu trop enveloppé. L'aurait tout de même pu ajouter que Cass Elliot possédait une voix de miel. Le monde change. La jeunesse n'est plus ce qu'elle était. Elle se drogue. Quand on pense que lorsque Banstand a commencé il était stipulé dans les contrats des danseurs qu'il était interdit de boire des boissons alcoolisées et de fumer. Des cigarettes !

    En 1964 Bandstand abandonne Philadelphie pour Los Angeles, trois ans plus tard la couleur envahit l'écran. Ce n'est pas un hasard si la plupart des photos du bouquin sont en noir & blanc. Ce sont les années 70 qui seront la grande décennie de Dick Clark, pour une raison qui ne nous agrée point. Le disco triomphe et Clark avoue son péché-mignon, c'est-là son style de musique préférée. Rock'n'roll, Bubblegum, Disco, la pente est rectiligne et signifiante, Clarky s'attarde sur les Osmond Brothers et Village People... programme Abba, Telma Hopkins, Donna Summer, Gloria Gaynor. L'impasse sur le punk reste impressionnante. Ce sont les années glamour de Bandstand, l'émission suit la courbe de l'évolution des mœurs et de la technique : le plateau de danse est plus vaste, les caméras portatives permettent de suivre au plus près les mouvements des danseurs, les éclairages sont plus brillants, filles et garçons se mélangent, blancs, noirs et minorités ethniques cohabitent et se touchent de près...

    La dernière décennie sera mortelle. En 1981, MTV file un coup de vieux à Bandstand. La vidéo tue le cours de danse. Chaînes locales et nationales se sont multipliées, Bandstand ne règne plus en maître sur le marché, l'émission assiste impuissante à sa dégradation, elle qui présentait une heure et demie de programme cinq fois par semaine est réduite à la portion congrue, une demi-heure en dehors des heures de grand audimat... En 1987, Clarc essaie une dernière manœuvre syndicative, celle de vendre le contenu de l'émission à plusieurs diffuseurs. Les chaînes câblées ne se pressent pas, et quand elles achètent c'est pour remplir les créneaux de nuit, quels sont les ados prêts à se lever à trois heures du matin pour regarder des artistes qui passent sur d'autres chaînes à des heures d'écoute plus agréables !

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    Clark plie boutique. En 1988 Bandstand entre dans la légende. Dicky atteint les soixante balais, l'est fatigué, l'est temps pour lui de profiter de la vie... Reste les photos à regarder. Le livre en est rempli, se termine sur un dernier bouquet, Jackson 5, Cyndi Lauper et Bon Jovi... Si nous étions américains sans doute déborderions-nous de souvenirs et aurions-nous de temps en temps l'âme empourprée de douces nostalgies, mais en tant qu'incorrigibles petits froggies nous préférons de loin notre vision mythique du rock'n'roll, tel que nous l'avons vécu, interprété, et recréé à l'image de nos rêves. Le parcours grand public de Dick Clark ne nous agrée pas. Trop entertainment à notre goût. Nous préférons la branche dissidente, elle peut croiser de temps en temps celle de Tin Pan Alley, mais elle prend racine davantage dans les eaux du Delta que dans les faux ors de Broadway...

    Damie Chad.

     

    FLÂÂÂSH

    BENJO SAN & GROMAIN MACHIN

    ( www.labrulerietatoo.com / 2019 )

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    Désolé ce n'est pas un livre sur les bienfaits de l'héroïne. Ni une chronique sur Flash le roman de Charles Duchaussois qui en 1970 fit triper toute une génération de lycéens. Ce Flâââsh-ci participe d'un innocente manie partagée par de nombreux contemporains. Celle du tatouage. Par chez nous elle est restée pendant très longtemps l'apanage des mauvais garçons, se cantonnait le plus souvent à quelques signes symboliques, le quinconce des cinq points d'enfermé entre quatre murs pour les prisonniers par exemple, au milieu des années soixante-dix les groupes proto-rockabilly l'adoptèrent sous forme de dessin colorés tout aussi déclaratifs, la tête de loup ou de renard transpercée d'un poignard et d'un commentaire vindicatif style Vaincu mais pas Soumis... Aujourd'hui cette pratique s'est largement répandue, l'est même devenue une mode bobo. L'on est parfois surpris en dénudant une jeune fille de bonne famille. Que voulez-vous, dans la société du spectacle même le fait de s'encanailler ne dépasse pas le niveau de l'image.

    Ce n'est pas tout à fait un guide style tout ce que vous devez savoir sur le tatouage en dix leçons, plutôt un mix qui allie tatouage et bande dessinée. La rencontre paraît naturelle, c'est pourtant la première fois, à ma connaissance, qu'elle est mise en scène. Par la même occasion le bouquin renvoie à une mode qui envahit voici deux ou trois ans les étalages des distributeurs de journaux. Celle des albums de coloriage. Pour adulte. Le même procédé que pour les gamins, les contours d'un dessin que l'on se doit de colorier. Evidemment on y a trouvé d'autres enjeux que les infâmes barbouillages des têtes blondes, on ne les a pas affublés du nom péjoratif et subalterne de bariolages mais on les a présentés comme des albums anti-stress. Un bon coup publicitaire, qui consistait à appliquer l'esthétique du mandala à une occupation jusque-là dévolue aux mioches. L'on en a vendu quelques centaines de milliers d'exemplaires et puis le public s'est lassé...

    Benjo et Gromain se sont partagés le boulot, ne perdez pas votre temps avec la généreuse idée de l'entraide mutuelle, vous savez dans la vie moins on en fait... je soupçonne ces deux lascars d'être des adeptes du Droit à la Paresse de Paul Lafargue, se refilent le bébé à la moindre échéance. N'ont peut-être pas tort, car le résultat est désopilant. Ce qu'il y a de terrible avec les tatoueurs lorsque vous vous promenez dans une convention tatoo c'est qu'ils ont tous d'immenses classeurs à vous proposer. Sont remplis de dessins – les fameux flashs – qu'ils se proposent de vous inoculer dans l'épiderme. Au bout d'une centaine, la tête vous tourne, vous ne savez plus où la donner – de toutes les manières personne n'en veut, preuve qu'elle ne vaut pas grand-chose – c'est comme quand Tante Agathe voulait changer la tapisserie du salon, et que vous feuilletiez les lourds registres des spécimens du tapissier, non celui-ci il est trop cela, et celui-là il est trop ceci...

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    Le Benjo San est un fin psychologue, l'a compris que le choix d'un tatou c'est comme la rencontre amoureuse, tout se passe dans les premiers instants, sans quoi vous aurez beau ramer pendant dix ans l'affaire ne sera jamais conclue, alors l'a demandé un coup de main à son pote Gromain Machin. Ecoute mec, on partage, cinquante-cinquante, toi tu baratines et moi je refourgue en bout de course les icônes. Alors le Gromain de sa petite menotte il s'est attelé à la seule chose qu'il sait si bien faire dans sa vie : une bande dessinée, vous met le Benjo San en scène dans son atelier de tatoueur - je ne voudrais pas me mêler de ce qui ne me regarde pas mais si j'étais Benjo, j'aurais mis une petite note pour avertir le futur client qu'il ne ressemble en rien à cet Hamster Jovial dénudé et désopilant sans quoi terminé les clientes futures – et puis au fur et à mesure des désidérata de la clientèle, le Benjo il vous exhibe selon la thématique proposée quelques flâââshiques suggestions idoines. Homme libre toujours tu chériras la mer, ne faut pas contrarier les poëtes, alors sur cette thématique baudelairienne voici les fins voiliers et les portraits de pirates.

    Arrêtez de rêver, le libéralisme triomphant de ces dernières années nous l'a appris, rien ne vaut la sous-traitance surtout quand c'est le client qui s'en charge, si voulez que la mer soit bleue et la barbe du capitaine rousse, prenez votre boîte à feutres et fiez-vous à votre sensibilité artistique, le Gromain vous file le cercle chromatique en coin de page pour vous rappeler qu'il existe des couleurs froides comme des serpents et d'autres chaudes comme des crêpes à la confiture à la framboise.

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    Fini l'océan sauvage, l'est rempli de plastique, alors on pour oublier, au client suivant l'on se rabat sur les petits oiseaux et les animaux tout mignonitos, j'ai l'impression que le tandem San-Machin bat un peu de l'aile romantique, car chacun dans son style rivalise en mauvais goût, je sais bien que ce dernier ne se discute pas plus que les couleurs, mais voici justement que quelques pages plus loin – je saute les têtes de mort qui pourraient renseigner le lecteur sur sa destinée finale – nous abordons la colorisation de la rose, question épineuse, si vous tartinez les pétales en monochrome, l'on ne voit plus rien, retour illico au circulo chromatoc, dans la vie tout est question de nuance et de doigté.

    Le plus dur est à venir. Deux horreurs monstrueuses. Benjo San et Gromain Machin à colorier. Deux vieillards putrides présentés en nourrisson. Deux images aussi obsédantes qu'une nouvelle de Lovecraft. Deux visions symboliques de la décrépitude de notre société qui ne s'effaceront plus jamais du vitrail de votre conscience. En plus ne manquent pas de toupet puisqu'ils nous suggèrent de les embellir. Après tout chacun est libre de choisir son suicide.

    Mais ce n'est pas tout. Pour une fois voici un livre qui conjugue beauté grimaçante et utilité pécuniaire. Pouvez aussi vous en servir comme album de découpage. Vous détachez - sans la déchirer, faites gaffe nom de Zeus, l'image que vous aimeriez vous faire tatouer une partie de votre corps ( je n'ose imaginer laquelle ) charnue ou rétractile, et vous courez à l'enseigne de La Brûlerie, le bourreau Benjo San fera son office. C'est le moment de nous quitter sur une poignée de Gromain Machin.

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    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUE DE POURPRE 371 : KR'TNT ! 391 : TONY JOE WHITE / HEARTTHROB CHASSIS / ADY AND THE HOP PICKERS / CRASHBIRDS / WALTER'S CARABINE / POGO CAR CRASH CONTROL / ROCKAMBOLESQUES ( 5 )

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 391

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    01 / 11 / 2018

    TONY JOE WHITE / HEARTTHROB CHASSIS

    ADY AND THE HOP PICKERS / CRASHBIRDS

    WALTER'S CARABINE / POGO CAR CRASH CONTROL

    ROCKAMBOLESQUES ( 5 )

     

    White spirit - Part One

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    Tony Joe White ? Oh c’est une vieille histoire. « Soul Franciso » était disque pop de la semaine au Pop Club de José Arthur. Un disquaire venait de s’installer en face du théâtre de Caen. Il vendait le single dans une petite pochette en papier. On y voyait le Golden Gate Bridge de San Francisco imprimé dans des tons rose pâle. Ce single nous rendait tous dingues - I ain’t never been to San Francisco/ But I believe a thing has happened there - On l’écoutait à longueur de temps - So-oh-oul Franchisco !

    Le problème, c’est qu’en 1968, on ramassait les singles magiques à la pelle. On tombait dingue de « Soul Francisco » mais aussi de « Do It Again » des Beach Boys, de « Lazy Sunday » et son titanesque B-side « Rolling Over » des Small Faces, de « Dance To The Music » de Sly & The Family Stone ou encore de « Time Has Come Today » des Chambers Brothers. Ça grouillait comme les puces sur Boudu. On ne vivait que pour ça. Comme le disait Robert de Niro à Liza à l’arrière du taxi de New York New York, l’ordre était le suivant : un, la musique, deux, les filles et trois, le business (pour un lycéen, le trois n’était pas encore le business, mais les pseudo-études).

    Ça fera bientôt un demi-siècle que dure ce cirque. Tony Joe White vient tout juste de casser sa pipe en bois, juste après avoir enregistré un album une fois de plus envoûtant. Il appartient à la caste des très grands artistes américains et doit en partie son renom à Elvis qui reprit au temps jadis « Polk Salad Annie », un classique qu’on retrouve, comme « Soul Francisco », sur le premier album de Tony Joe, Black And White, paru en 1968 sur Monument, la label quasi-mythique de Fred Foster. Cet album figure parmi les classiques du rock américain.

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    Tony Joe attaque avec « Willie And Laura Mae Jones » un groove à la Bobbie Gentry, où il raconte que ses voisins fermiers étaient noirs - We worked in the fields together, and we learned to count on each other/ When you live off the land you don’t have time to think about another man’s color (on travaillait ensemble aux champs et on apprenait à compter les uns sur les autres, quand on vit de la terre, on n’a pas le temps de s’occuper de la couleur de peau des autres) - fantastique entrée en matière. Puis c’est le hit magique, « Soul Francisco », le hit sixties par excellence, l’extraordinaire classe du chant chaud de Soul, le vibré diabolique du southern groove. Et ça continue comme ça tout le long de l’album, avec « Aspen Colorado » (balladif classique chanté au chaud devant), « Whompt Out On You » (groove glouglouté, une spécialité de Tony Joe, il adore sautiller son groove et sa fantastique façon d’invoquer le seigneur - Lord, ooooh), « Don’t Steal My Love » (encore un groove bien soutenu à la basse, l’absolu du son), « Polk Salad Annie » (Down in Louisiana, where the alligators grow so mean/ There lived a girl, that I swear to the world/ Made the alligators look tame (En Louisiane où les alligators sont si terribles vivait une fille, je le jure, qui était encore plus terrible que les alligators - Tony Joe prend aussi la peine d’expliquer que polk salad est une sorte de navet sauvage et c’est tout ce qu’avait la pauvre Annie pour se nourrir). Et puis, en B, Tony Joe tape dans les reprises : « Who’s Making Love » de Johnnie Taylor (belle pièce de r’n’b jerkée dans l’esprit des Temptations), « Scratch My Back » de Slim Harpo (Tony Joe l’érotise, ça groove bien sous les draps, ça brode à la wah-wah - ouhh - il soupire son scratchy-scratcho avec la classe d’un grand félin), « Witchita Lineman » de Jimmy Webb et un vieux coup de Burt avec « Look Of Love » (il peut crooner au claire de lune. Tony Joe est un sacré amateur d’horizons soyeux. Son haleine qui nous court sur la nuque est aussi chaude que celle d’Elvis).

    Plutôt que raconter l’histoire de sa vie, dont vous retrouverez tous les détails sur wiki, nous vous proposons plutôt d’aller musarder au long de sa discographie, l’une des plus captivantes qui soient.

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    Son deuxième album sur Monument sort un an plus tard. Continued est encore un très gros disque. « Elements And Things » se joue sur le sentier de la guerre. On se retrouve au cœur des clichés de la swamp music. C’est adroit et poisseux, singulier et fascinant. En tous les cas, unique au monde. Tony Joe sort un beat digne des Seminoles. Tommy McClure des Dixie Flyers l’accompagne à la basse. Un Dixie, ça ne plaisante pas avec le beat. « Roosevelt And Ira Lee » est monté sur la carcasse rampante de Polk Salad Annie. Il est à la fois dans l’électricité et pas dans l’électricité, il flirte avec le folk-rock mais on croise de riff de Suzie Q au coin d’un couplet, alors il affirme son appartenance à l’électricité. Cette chanson raconte l’histoire de deux mecs qui traînent une nuit au bord du marais et qui ne savent pas quoi faire. Alors ils vont chasser les grenouilles. Puis Ira Lee décide qu’il vaut mieux aller voler des poulets. De l’autre côté se trouve une merveille de rock groovy, « Old Man Willis », encore un archétype du Southern sound, cuivré et joué à l’extrême mesure du beat. Tony Joe raconte l’histoire d’un fou qui vivait dans une cabane isolée et qui chassait sa femme et ses enfants avec un couteau de chasse. Avec ça, il nous plonge dans l’univers ténébreux et violent d’Erskine Caldwell. Pour « I Want You », il reprend l’excellent shuffle de « Soul Francisco ». Il fait chauffer ses you sur la braise du rut. On est au cœur de ce que les gens appellent le swamp.

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    Troisième et dernier album sur Monument : Tony Joe. Ça commence bien ! - I don’t wanna be your stud spider no more - Voilà « Stud Spider », dans toute sa puissance. Et ça dépasse en heavyness tout le pounding de Black Sabbath. Tony Joe tape là dans la violence extrême. On a même du you ouuuh de fou et des claquages d’accords psychopathes. On retombe dans la magistrale épaisseur du groove avec « Widow Wimberly ». Tony Joe gratte sa gratte dans la moiteur extrême. On sent circuler des énergies inconnues sous la surface du groove - But it’s hard to even pay your rent - Encore une histoire de nympho. Avec la chaleur, rien de surprenant. Le beat est celui du désir - Widow Wimberly how do you still manage to smile/ Widow Wimberly I like to stop and learn from you a whiiiile - On reste dans l’énormité du son avec « Conjure Woman », fantastique d’espérance et de son jeté dans le marais. Le ciel de Tony Joe s’auto-hante - Lawd Lawd she said I only have the tooth of a crawdad - Pure démence. Tony Joe entre dans son meilleur rôle avec « What Does It Take (To Win Your Love) », celui du séducteur à l’haleine chaude. Puis il passe au swampy suédois avec « Stockholm Blues » monté sur un gros beat palpitant et il nous balance ensuite une fantastique reprise du « Boom Boom » de John Lee Hooker. Pur génie - Gonna shoot you right down - Tony Joe nous fait tout simplement le boom boom du dandy.

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    Puis il passe avec armes et bagages chez Warner pour enregistrer deux albums fatidiques : Tony Joe White et The Train I’m On. On a parfois l’impression d’écouter toujours le même disque, et c’est un peu le même problème qu’avec Dylan : si on ne fait pas l’effort d’entrer dans les textes des chansons, c’est foutu, car on passe complètement à côté de ce qui fait leur grandeur. C’est un peu comme si on écoutait Gainsbourg ou Léo Ferré sans comprendre les textes. Aucun sens. Tony Joe White ne raconte que des histoires de personnages rencontrés ici ou là, et chaque fois ça captive. « They Caught The Devil And Put Him In A Jail In Eudora Arkansas » ouvre le bal du premier album Warner. On y retrouve les thèmes musicaux de Polk Salad et de Suzie Q. Tony Joe raconte qu’après avoir mis le diable au ballon, le gardien de la prison d’Eudora est devenu mystérieusement riche et qu’il roule en Lincoln Continental. On le voit aussi démarrer « The Change » comme dans un rêve - It’s about a time of the year and we call it the fall oh yeah - Et on trouve à la suite « Black Panther Swamps », une sorte de lien indirect avec Tav Falco. On reste dans le swamp avec « A Night In The Life Of A Swamp Fox », encore un beat à la Polk Salad joué à fond de basse dans une grosse ambiance de voix gourgandine. Puis on se régale d’un « I Just Walked Away » sacrément insidieux. Le hit de l’album s’appelle « Voodoo Village », beau swamp-rock hanté par un solo minimaliste - But voodoo village you seem a lot like me.

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    Il enregistre l’album suivant à Muscle Shoals. Jerry Wexler et Tom Dowd le produisent. « The Family » atteint une sorte de grandeur softy à la Dylan. C’est nappé d’orgue et éclairci à l’horizon d’un beau coup d’harmo. On tombe ensuite sur un balladif superbe, « If I Ever Saw A Good Thing », bien saxé dans l’esprit. Il revient à son beau groove têtu dans « Beouf River Road ». Il swampe bien son rock et fait sonner l’harp. Puis on tombe sur le fantastique morceau titre, un balladif à la coule de l’Alabama - If you see the train I’m on/ Wave to me goodbye - Doucement suivi à l’harmo, dans l’excellence du murmure et bon prince, il avoue qu’il déteste la voir pleurer. L’autre gros hit du disque se trouve en B. « As The Crow Flies » est une solide tranche de swamp-rock descendue à la basse et suspendue au gimmick tempéré. C’est joué avec passion et claqué de notes acoustiques - Yeah but since I don’t have wings/ Well I can’t get home as fast as I want to - On revient au coin du feu pour « The Migrant » et on retrouve cette haleine chaude, alors forcément, toutes les femmes vont craquer. Trop de chaleur déforme l’angle libidinal des choses. Voilà un chef-d’œuvre de romantisme sudiste, Tony Joe doit aller travailler sur un pipeline au Texas pour ramener de l’argent et il veut que sa femme se jette à son cou quand il reviendra - And you’ll see me coming up the road/ I want you to run/ Just as fast as you can out to meet me/ And throw your arms around me/ Cause baby I’m home - Puis c’est le fascinant « Sidewalk Hobo » qui déboule  - Now take me back to Memphis - Il boucle cet énorme album avec « The Gospel Singer ». Il sonne comme Elvis, avec de magnifiques accents gras. Il semble lui aussi incarner cette espèce de classe aristocratique dont se prévalent les gens du Sud des États-Unis, ceux qu’on appelait autrefois les Southern gentlemen.

    On sent quelque chose d’extrêmement littéraire chez Tony Joe White. Il est l’héritier des grands chanteurs de blues et de country qui eux aussi écrivaient des chansons pour raconter leur vécu, leurs souvenirs et leurs rencontres. Il est évident que les Drive-By Truckers s’inspirent du modèle de Tony Joe White.

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    Notre ami s’offre une belle pochette pour l’album Home Made Ice Cream. Un nommé Leann le photographie à Turtle Creek. L’album n’est hélas pas aussi bon que les trois albums Monument parus précédemment. Il vaut cependant l’écoute pour deux ou trois bricoles. Le morceau titre, par exemple, qui se veut bel instro d’harmo du bord du fleuve. Ou encore « California On My Mind » dont Tony Joe décline le thème à la guitare, pendant que chouffle un doux shuffle en guise de brise. Puis il revient à sa spécialité qui est le groove sourd et terrible avec « Backwoods Preacher Man », qu’il fait gronder sous les bois - Doin’ the best he can/ Tryin’ to give the Lord a hand - Puis avec « No News Is Good News », il se livre à son jeu favori qui est de dresser un décor en seulement deux ou trois vers - I woke up this morning with a good feeling.

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    Bel album que ce Eyes paru en 1976. Il attaque avec un « Soulful Eyes » sacrément groovy. Le vent des îles y charrie un parfum de hit planétaire. Quel charme ! Il reste dans sa période de charme intense avec « You Taught Me How To Love » - I can feel your lips upon my face - Comme tous les hommes d’âge mûr, Tony Joe rôtit en enfer libidinal. Son groove est fabuleux d’inspiration divine - Don’t you know by now - Et ça continue avec « You Are Loved By Me », et là on se croirait chez Bobby Womack. Son groove est fabuleux, il passe du marécage au satin blanc. C’est du rêve romantique à l’état pur et l’harmo suit. Encore plus charmant : « Rainy Day Lover ». Il chante comme un géant de la Philly Soul. Mais il va revenir progressivement au swamp-rock avec des choses comme « Making Love Is Good For You » et « Texas Woman » monté sur un gimmickage bluesy. Il le chauffe à sec à l’harmo et le swingue jusqu’à l’os du genou. C’est en plus secoué au sable. Voilà ce qu’il faut bien appeler une aventure, une considérable intervention. Il reste dans le heavy boogie blues pour « Hold On To Your Hiney » et replonge dans la boue des marais pour « Swamp Boogie ». Il gratte ça à l’arrache de la grosse énergie avec des chœurs de rêve et des c’mon de bonne tenue. Il fait son Kristofferson avec « That Loving Feeling » - Come closer baby - difficile de résister. Et comme le groove de charme est au rendez-vous, ça devient terriblement torride - Ahhhh babe - C’est du sexe à l’état pur. Drivé à la mélodie chant. Ce mec est un démon, le pire séducteur qui soit ici bas. Il règle sur un monde de chaleur blanche.

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    Malgré une belle pochette, The Real Thang puait les années 80 avec sa production diskö. Mais contrairement à ce qu’indiquait son titre, « Disco Blues » n’était pas de la diskö mais un vieux bout de beat swampy. Tony Joe le chantait à la manière de « Soul Francisco ». Waylon Jennings se joignait à lui sur deux cuts country, « Red Neck Women » et « Mama Don’t Let Your Cowboys Grow Up To Be Babies ». Tony Joe y claquait ses vieux gimmicks talala à la mode swampy. Il refaisait aussi une version de « Polk Salad Annie ». Monté sur swamp beat, « Swamp Rat » était le point fort de l’album. Tony Joe le chantait en sourdine. C’était absolument admirable de bassitude et joué au funk. Belle fin de disque avec « Even Trolls Love Rock & Roll ». On y retrouvait l’ambiance de Polk, les mêmes accords et la même atmosphère, mais avec une basse diskö. Tony Joe y rencontrait un Troll qui jouait de la basse funk et il a donc tiré de cette rencontre un conte extraordinaire.

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    On retrouve « Swamp Rat » sur Dangerous, paru trois ans plus tard. Le Tony Joe qu’on voit sur la pochette a une tête à jouer dans « Gates Of Heaven », car il a un petit côté Kristoffersen. La production de l’album est affreusement diskö, mais au sens de Tamla. Avec « Naughty Lady » et « One Day Will Come », Tony Joe se lance dans la chanson de charme. Il sonne comme Barry White et forcément, on perd le swamp de vue. Par contre, la version de « Swamp Rat » qui se niche sur cet album réveillerait les morts - Now I don’t move too fast/ And my talk is kinda slow/ I’m from the swamps/ And I like to stomp the cotton eye joe - Fantastique ! Tony Joe fait même danser un alligator. On trouve une autre merveille en B, « Do You Have A Garter Belt », petit groove pressé  - Love the way you wear your hair down long - morceau pulsé au pouet-pouet et soutenu à l’harmo - I ain’t no kinky baby but I know what I like - On a là le pur boogie du bayou. « The Lady In My Life » est un balladif infernalement beau. Les mouches tombent dès que Tony Joe ouvre le bec pour chanter. Charme fatal. Il finit l’album avec un autre balladif de charme, « You Just Get Better All The Time ». Il a de la chance : sa compagne s’améliore avec le temps.

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    Il enregistre Closer To The Truth à Muscle Shoals. On retrouve David Hood et Spooner Oldham parmi les musiciens. Il revient à son vieux beat sur « Tunica Motel » - Just outside of Memphis/ Highway 61/ Sleepy little town by the/ Mississippi river - Il croit même voir passer le fantôme de Robert Johnson - Gimme the blues at the Tunica Motel - Il enchaîne les grosses compos comme des perles, « Steamy Windows » (road-song parfaite), « The Other Side » (fantastique chanson dédiée aux pauvres, ceux qu’on voit pousser des caddies dans les rues). D’autres merveilles se nichent en B, comme ce fabuleux « Bi Yo Rhythm » dédié aux animaux des marais : le rooster et le gator qui voit tout et surtout la city transformer son territoire en voies rapides. Tony Joe redore son blason de roi du groove avec « Cool Town Woman », magnifique jive de by Jove posé sur la bassline de David Hood. Encore plus fantastique : « Bare Necessities » où Tony Joe s’amuse à ironiser - I don’t need a ride in a limousine/ But a little Jag baby/ Wouldn’t hurt anybody - Oui, une petite Jaguar, finalement, ça ne fait de mal à personne.

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    En écoutant The Path Of A Decent Groove, on réalise à quel point Tony Joe White est un grand auteur. Après Dylan et lui, qui écrira des textes de chansons aussi consistants ? Allez savoir. Il attaque très fort avec « On The Return To Muscle Shoals » et un couplet d’intro dément, un modèle du genre - Hawk on the board big motor running/ Little Stevie windows on the B3/ Seven long years and I was needing to ease my soul/ And there was sweat in the room/ On the return to Muscle Shoals - Couplet complètement mythique puisque Tony Joe rend hommage à Muscle Shoals en étant lui-même acteur. Il revient à son côté mâle protecteur avec « I Want To Be With You » et à ce petit jeu, il bat Elvis. Puis il lâche un cut digne du Voodoo Chile, « Backside Of Paradise » - They say I was born on a stormy night/ Jammin’ to the blues/ My mama thought that I was a good luck charm/ But I think I was touched with the hoodooooooooo - Et le solo court la plaine. On ne sait pas si c’est du cliché, mais dans « Mojo Dollar », Tony Joe multiplie les plans with a guitar in his hand. Il suit son rêve de wild man - But I followed his train and went/ Deep in the wild man swamps - Avec « Jaguar Man », il touille un groove de séducteur ultime qui aime les belles fringues, les belles pompes, l’argent facile and you - I don’t waste my time/ Beating around the bush/ Cause if its cool/ You don’t have the push - Il pose ensuite son décorum dans « Up In Arkansas » - Les coyotes hurlent dans la nuit et les rats ont dévoré mon repas - Et il revient à la chanson de charme avec « Always The Song » - La première fois qu’on s’est touché, on a presque pris feu - On retrouve le merveilleux écrivain avec « The Coldness Of The Chain ». Ses vers sonnent comme des vers classiques - Fell under bad companions/ With no regards for the law/ We were under the impression/ We was above it all - On sent aussitôt le poids des mots et donc la force de l’image - And I can feel it/ In the air like a distant rain/ I’m one step from/ The coldness of the chain - Oui, Tony Joe n’a qu’un pas à faire pour se retrouver au bagne. Il finit avec le morceau titre qui est une sorte de groove introspectif. On sort de cet album ébloui, une fois de plus.

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    Lake Placid Blues arrive deux ans plus tard. On ressent un léger malaise avec le morceau titre qui ouvre le bal, car Tony Joe sonne comme Dire Straight et sort un petit mid-tempo à la mode. Il revient au boogaloo rôdeur de la nuit avec « Menutha » et ses formules magiques - Woke uo this morning/ Slightly out of tune - Retour à la chanson de charme avec « Paris Mood Tonight », puis à son cher bayou avec « Bayou Woman » et donc une bayou woman qui se tient près du campfire. On reste dans la chanson d’haleine chaude avec « The Guitar Don’t Lie ». Parfois, on aimerait bien être une femme pour pouvoir tomber dans les bras d’un mec qui chante aussi bien. Ah comme les femmes ont de la chance ! Un peu de terroir avec « Louisiana Rain », et il brode sur ses souvenirs extraordinairement ordinaires - People came from miles around/ To sing those gospel songs/ And have dinner on the ground - Il faut voir le poids qu’il met dans son ground et c’est suivi à l’harmo. Pure magie. Malheureusement on croise pas mal de morceaux de rock FM sur cet album. Il revient au groove sous le boisseau avec « Yo Yo man/Carter Belt » et il s’apitoie sur son sort avec « Down Again ». Tony Joe a fait de sa dépression un fonds de commerce. Au moins, ça lui sert à quelque chose.

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    Encore un album chaudard, comme on dit chez les truands : One Hot July. Chaudard, oui, car bourré de classiques comme ce « Crack In The Window Baby » qui fait l’ouverture. On y retrouve l’haleine chaude de Tony Joe - All I can think is boom boom - Il profile l’énormité. Tout est dans la diction. Il gère bien son groove et lâche des boom boom d’anthologie. « Gumbo John » se déroule à Baton Rouge - Southern culture on the skids it sure is true/ Out on the back porch of Gumbo John - Le voyage en Louisiane est assuré. Tony Joe raconte l’histoire d’un alligator qui s’appelle Clyde : c’est un copain mais il peut être terrible. Gumbo John jouait de la guitare, mais il montre sa main avec deux doigts, et donc fini la guitare à cause de Clyde. Voilà le grand art de Tony Joe White : raconter une histoire extraordinaire en trois couplets. On se régale aussi du heavy groove de « Goin’ Down Rockin’ » - One foot in the mountain and the other one in the stream - Quelle allure ! Et tout le long du disque, il file au rythme du groove. Il revient au blues primitif avec « Don’t Over Do It ». Puis il passe au groove chaleureux avec « Ol’ Black Crow », pur jus de swamp-rock serré et vénéneux monté sur un beat tribal. Tony Joe joue avec la musique des mots - There’s a storm in the South and trouble in the East/ Maybe I should move out West/ Ain’t no music in my ears no taste in my mouth/ Keep looking for a place to rest - Il touille le vieux mythe du vagabond qui cherche un endroit tranquille pour se reposer. Et on retrouve l’extraordinaire « Conjure Woman » du troisième album Monument, monté sur un beat violent et chassé par les vents.

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    C’est sur The Beginning paru en 2001 qu’on trouve « Rich Woman Blues », un vieux blues de cabane avec la voix chaude de Tony Joe dans le cou. On applaudit à distance. On ne sait jamais. Ce genre de mec a beaucoup trop de charme. Il revient plus loin à ses vieux racontars du Deep South avec « Ice Cream Man ». C’est intense, comme toujours. Son « Going Back To Bed » est magnifique d’attaque de voix intimiste - For the papers in the trash/ All the bad news I read - C’est chanté dans la torpeur confédérée. Et il revient à la conclusion sudiste : Go back to bed. Quand on écoute « Drifter », on mesure à quel pont Tony Joe est un chanteur exceptionnel. Il se pose comme un gros moustique sur la mouscaille. Il claque son « More To This Than That » au vieil accord vermoulu - Times are movin’/ Gonna Fade - Il touche là au plus chaud de l’intimisme et gratte à la sévère, à la violence du bayou. Il souffle le chaud et le froid. Ah la brute ! Pure merveille aussi que ce « Down By The Border » et dans « Wonder Why I Feel So Bad », il se demande pourquoi il va si mal - I could reach for the whisky/ reach for the pills - Tout est fascinant chez Tony Joe, surtout « Clovis Green » - He made his living raising sugar cane - Il envoie sa fille unique to the finest school in New Orleans et elle revient enceinte - A child was born in the fall - Pure magie. Il négocie « Rebellion » à gros coups d’acou - Ride my woman in a coupé de ville  - et il sort l’un de ces couplets dévastateurs dont il s’est fait une spécialité - I might wanna rock or play the blues all nite long/ I’m in this thing for life/ I didn’t come here for just one song - Et il ajoute : Lightnin’ Hopkins was a friend of mine - Il boucle cet album terrible avec « Who You Gonna Hodoo Now », un magnifique portrait de panthère noire.

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    Quelques belles énormités se nichent sur Snakey paru en 2003, à commencer par « Feeling Snalkey » - I was feeling snakey this morning/ All my thoughts were covered with mud - Ce qui prédomine le plus chez Tony, ce sont les textes, évidemment - I ain’t messing with tequila no more - le son ! Il gratte son truc avec une vieille arrogance vermoulue. Autre coup de Trafalgar : « Black Horse Coming » - There’s a black horse coming/ I’m not ready to ride - et un solo hante le fond du cut comme un fantôme. C’est bardé de distorse. On l’écoute dicter ses conditions - And if I keep looking back on my life/ There’s some things I wish that I could do over but there’s a dark horse - Il parle bien sûr de la mort qui approche. Et le cut qui suit, « The Organic Shuffle », est un véritable coup de génie. C’est joué à la basse funk - But when they grabbed him by the hands/ Their own feet started this weird little dance - Monstrueux ! « Lucy Off The Land » est assez violent et le groove de Tony Joe chapeaute bien tout. On reste en plein mystère avec « Taste Like Children » - And when I asked him about the mystery meet/ He just grinned and said somebody won’t see their shadow today - C’est la façon dont Tony Joe White s’évapore, en disparaissant dans l’ombre du mystère le plus épais.

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    Il enregistre pas mal du duos pour l’album The Heroines. Encore un disque incroyablement solide et on tremble à la seule idée de passer à côté d’un disque pareil. Il commence et termine l’album avec un thème à l’espagnolade, « Gabriella », assez pur et admirablement bien joué. On peut y aller les yeux fermés. Premier duo avec Shelby Lynne sur « Can’t Go Back Home ». Tony Joe entre au second couplet et impose sa présence. Ce mec est bon. Shelby lui donne la réplique. Leur duo est captivant comme l’est d’ailleurs aussi celui qu’il prend avec Lucinda Williams sur « Closin In On The Fire ». Ils partent ensemble. On sent circuler les fluides de la sensualité et en plus, c’est admirablement cuivré. Merveilleuse shouteuse que cette bonne Lucinda ! Tony Joe apprécie ses accents terribles. On assiste à un échange entre deux alligators et voilà que brille l’or du rock. Tony Joe ajoute à ça un solo tordu incroyablement trash. I duette ensuite avec Michelle White sur « Playa Del Carmen Nights ». Tony Joe attire toutes les femmes. Il crée les conditions du confort érotique et Michelle White en profite pour s’introduire. Elle y va tant qu’elle peut. Encore un duo magique avec Emmylou Harris : « Wild Wolf Calling Me ». Ils virent country et Emmylou attaque d’une voix sucrée. Leur petite affaire tourne au coup de génie. Tony Joe revient ensuite à son vieux heavy blues avec « Rich Woman Blues ». Il claque quelques notes ici et là et nous ensorcelle définitivement. Il duette aussi avec Jessie Couter sur « Fire Flies In The Storm ». Quel brouet infernal ! Sous son Stetson, Tony Joe joue les vieux beaux et joue un solo liquide en continu. Nouveau phénomène paranormal.

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    On reste dans les très grands albums avec Uncovered, paru en 2006. Il monte « No One Bad Thought » sur un énorme groove de basse et raconte son enfance - My mama was a Cherokee/ Spent her life on a river farm/ She had seven kids and let us know/ There was plenty of room in her arms - Imbattable. Encore un gros poisson groovy avec « Rebellion ». Tony Joe a beau se fâcher, ça reste du gros swamp-rock spongieux. Il joue ça au gras qui jute, et du meilleur. Voilà un son de guitare qui fait rêver. Il stompe ensuite son swampy swampah avec « Shakin’ The Blues ». Waylon Jennings chante avec Tony Joe et ça prend une tournure énorme, véritablement énorme. Les couplets sont rattrapés au picking de guitare. C’est monstrueux et au dessus de tout. Puis on le voit embarquer son « Rainy Night In Georgia » au groove de charme et le chanter avec une profondeur abyssale - Neon signs a flashin’/ Taxicabs and buses passing through the night - Voilà l’énorme élongation du groove deep south - Lord I believe it’s rainin’ all over the world - Quelle fabuleuse interprétation ! Il atteint la perfection, de la même manière qu’Elvis. Et Tony Joe revient inlassablement claquer ses paroles - I find a place in a boxcar/ So I take out my guitar to pass some time - C’est à la fois excellent et définitif. Il groove ce classique jusqu’à la moelle de l’occiput. Il reste encore au moins deux merveilles : « Taking The Midnight Train » - She’s an intellectual woman/ I’m a low maintenance man/ Oh I’ll take her love anyway that I can - et « Keeper Of The Fire » qui sonne comme un hit, mais le problème chez Tony Joe White, c’est que chaque cut sonne comme un hit.

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    Take Home The Swamp est un album live. Il fait monter la petite fournaise d’« I Want You Baby » sur un bon beat boogie. Il en fait une version admirable, claque de violents accords dans les virages et c’est nettoyé à la wah-wah. On retrouve la mécanique de Polk Salad dans « Roosevelt And Ira Lee ». Toute sa vie, Tony Joe s’est montré admirable. Il nous claque ça à la grosse claquemure de la Louisiane. On tombe ensuite sur le vieux riff descendant d’« Hard To Handle ». Tony Joe est un vrai meneur d’alligators. Il sait lancer une troupe au combat. Avec « When You Touch Me », il rappelle qu’il ne supporte pas que cette femme lui touche ce qu’il a de plus précieux au monde. Puis il se dirige tranquillement vers la sortie avec « Polk Salad Annie ». Ah quelle époque !

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    Deep Cuts restera dans les annales du rock comme un album de son. « Set The Hook » saute littéralement à la figure. C’est boppé à la machine d’écho et surligné au vieil harmo. Tony Joe rappe le swamp et ça tourne encore une fois à la monstruosité. Il crée une ambiance dégueulasse de puissance emblématique. Il ramène « As The Crow Flies » dans l’enfer technoïde, ça frappe sec et dru. Il murmure près de l’enclume que frappe Hadès. Il nous sort carrément le stomp du Creusot. Rien d’aussi brutal sur cette terre. Effarant ! Même traitement pour « Willie And Laura Mae Jones », c’est tapé à l’horrifique. Tony Joe invente là le swamp de la révolution industrielle. Il passe aussi « Soul Francisco » à la moulinette du son. Il pulvérise son vieux hit et nous précipite dans la fosse à fuel. « High Sheriff (Of The Calhoun Parrish) » passe aussi à la casserole. Tony Joe le roule dans le goudron, puis il gratte son « Aspen Colorado » avec un son ultra-saturé. C’est d’autant plus terrible qu’il chante très bas, alors on a les oreilles qui vibrent. S’ensuivent d’autres classiques comme « Homemade Ice Cream » ou « Swamp Water », eux aussi industrialisés à outrance et il termine avec une effarante mouture de « Roosevelt & Ira Lee ». Là il tente le tout pour le tout. Il fait du totémique et transforme son vieux hit en hit hypnotique. Ça dépasse l’entendement, mais on y va, car on suivrait ce mec jusqu’en enfer. Il produit avec cette mouture de l’insondable bourbeux. Ça sonne comme une véritable malédiction, comme du heavy biblique. Ne laissez surtout pas ce disque à portée des gens fragiles.

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    On reste dans la lignée des grands albums avec The Shine. Comme il en a l’habitude, Tony Joe raconte une histoire dans « Season Man » - He moved in with his kinfolks in the Arkansas woods/ He was a man who would always do what he said he would - Tony Joe a une façon toujours très particulière d’agencer les mots dans ses vers. C’est une façon d’articuler le langage qu’on retrouve dans la façon dont Sam Phillips s’exprime dans ses interviews. Chez Tony Joe, le moindre mot a son importance. On reste dans le vieux groove de boogie avec « Ain’t Doing Nobody No Good » - Raccoons in the house/ Panther in the woods/ Snakeskin in my tractor/ Rat nest under the hood - Il fait comme à son habitude, il plante un décor en quatre phrases puis ça se corse car le shérif tape à la porte, alors en bon redneck, Tony Joe lâche « ain’t no good », et pour corser l’affaire, un petite guitare fuzz ronge le fond du morceau. Dans « Long Way From The River », Tony Joe évoque le chemin parcouru et s’en prend au décalage, puisqu’il n’entend plus le chant du coyote, mais les sirènes de police. C’est un long chemin en effet depuis le bord du fleuve. Il se retrouve sur scène, à Paris, et pense à son vieux marais. On se régalera aussi de « Strange Night », un vieux boogie sensitif, bien dur et JJ Cale joue de la guitare gluante. On reste dans l’extrême pureté du son avec « Roll Train Roll ». Tony Joe opère un retour aux sources, il évoque Beale Street et le Memphis blues, et on savoure la fantastique pureté du riff de guitare - Now I got the hoodoo on me - il laisse passer une mesure et ajoute : bad chance of luck - Il termine cet excellent album avec une gosse pièce d’Americana, « A Place To Watch The Sun Goe Down ». Il évoque le coin du feu et une guitare qui joue en sourdine. C’est le bon endroit pour voir le soleil se coucher.

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    Grâce à Live In Amsterdam, tous ceux qui n’ont pas eu la chance de voir jouer Tony Joe sur scène peuvent l’avoir dans leur salon. Et là, dès qu’il s’assoit avec son chapeau, son porte-harmo, sa Strato, l’évidence saute à la figure : c’est un authentique bluesman ! Chez Tony Joe, tout est vieux et tout sent bon le bord du fleuve, et dans son cas, on devrait plutôt dire le bord du marais : la guitare, le mec, la voix, le blues, tout date d’un temps reculé. Et bien entendu, il attaque en solo avec deux swamp blues, « Rich Woman Blues » et « Stockholm Blues ». Pour le troisième morceau, un petit mec aux claviers et un drummer softy viennent le rejoindre sur scène. Ils attaquent un autre blues, « As The Crow Flies ». Une tête de crotale est fixée sur la bandoulière de Tony Joe - Well I dreamed last night that I heard you call my name - Et l’envoûtement se produit. Il a un son complètement hanté par l’esprit du blues, mais c’est le blues des marécages, plus lent et beaucoup plus inexorable. « Crack The Window Baby » est aussi monté sur une carcasse de blues. Il joue un stomp vermoulu, travaillé au corps par un riff de basse terrible que joue le petit mec au clavier. Tony Joe balance des vieux coups de wah-wah. Ambiance extraordinaire. On pense aux Doors, même son, même puissance évocatrice. Tony Joe balance à la suite d’autres immenses classiques, « Roosevelt And Ira Lee », « Rainy Night In Georgia » et bien sûr « Polk Salad Annie » que tout le monde attend. Quelle fantastique séquence de swamp-blues ! On souhaiterait presque que ça ne s’arrête jamais.

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    Et puis voilà Hoodoo. Belle pochette, avec un Tony Joe assis et aussi patiné par le temps que sa chaise, sa Strato et son ampli Fender. Au moins, comme ça, on sait où on va. Car bien sûr, les chansons de l’album sont aussi patinées que la chaise. Il attaque dans un cimetière - I was sitting in a graveyard late one night/ And I didn’t know why - Non, il ne savait pas pourquoi il était assis dans un cimetière l’autre nuit. Il chante toujours sur le même registre et, diront les mauvaises langues, sur le même air. On retrouve son joli boogie de la Louisiane dans « Holed Up ». Il raconte qu’il reste enfermé et qu’il ne sort plus de chez lui, que des os de poulet traînent par terre et qu’il n’en a plus rien à foutre de rien. Le téléphone sonne, il ne répond plus. Une fille vient essayer de remettre un peu d’ordre, mais il ne veut rien savoir. Dans « Who You Gonna Hoodoo Now », il décrit une très belle femme noire sur un air de blues primitif. Dans « 9 Foot Sack », il raconte sa jeunesse pauvre à la ferme. Son père cultivait le coton, quarante acres au bord de la rivière et sept bouches à nourrir. Fantastique évocation d’une époque révolue. Dès l’aube, sa mère le réveillait pour aller aux champs. Il y travaillait jusqu’à la tombée de la nuit. Quel fabuleux groove intimiste ! Et puis voilà « Alligator Mississippi ». Tony Joe y raconte un joli cauchemar. Il se retrouve coincé dans ce bled et une centaine d’hommes armés arrivent sur le parking with evil in their eyes. Toutes les chansons de l’album sont absolument passionnantes. Tony Joe ne raconte que des petites histoires et ça continue sur la B avec « The Flood ». Il raconte l’inondation. Il pleuvait à verse à Memphis. Toute la nuit. Le lendemain, la route était fermée. Alors il est grimpé sur la colline et a suivi la fameuse piste de Natchez pour filer à Nashville qui était aussi inondée. Des guitares flottaient à la surface de la rivière. Tony Joe White est une fabuleux narrateur spongieux. Dans « Storm Comin’ », Moma les réveille pour leur dire d’enfiler leurs vêtements car la tempête arrive ! Vite ! Il en profite pour faire monter la pression orchestrale. Encore un groove familier avec « Sweet Tooth ». Sa baby fait des gâteaux et elle a du chocolat sur les lèvres. Tony Joe ne nous épargne aucun détail.

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    Rain Crow sonne comme l’apothéose du swamp. Tout est bon là-dessus, à commencer par « The Opening Of The Box » qui ouvre le bal de la B. On ne résiste pas à ce genre de groove hyper-tendu. On assiste là à une cérémonie secrète dans les bois animée par un groupe de wild weird music, et c’est visité par Steve Forrest, un bassman entreprenant. En C, on tombe sur l’énorme « Conjure Child », un swamp rock magique qui raconte l’histoire d’une fille qui vit dans le marais avec une sorcière (conjure woman). Deux mecs veulent violer la fille. Ils l’attendent à l’endroit où elle doit remonter dans sa barque pour rentrer chez elle dans le marais. Elle devine leur présence. Alors un serpent chope le premier à la gorge et une panthère saute sur l’autre. Elle les fout dans la barque et les donne au gator un peu plus loin pour qu’il les bouffe. Gator snack. Tout aussi puissant, voilà « The Middle Of Nowhere », cut nostalgique dans lequel Tony Joe évoque son enfance - It’s the summer in the middle of nowhere/ Reality is the heat/ And all we have and all we know/ Is what’s within our reach - Il décrit plus loin le livreur de glace - ice truck - Garanti d’époque. « Hoochie Woman » qui ouvre le bal de l’A est aussi un cut puissant, monté sur un beat soutenu. Tony Joe y raconte l’histoire d’une femme qui fait cuire ses écrevisses et qui rajoute un pot de piments de Cayenne dans la gamelle - That’s the way it is/ When you’re livin’ in the swamp land - Il enchaîne ça avec « The Bad Wind », l’histoire d’un type qui charge son fusil pour aller régler ses comptes : sa femme fricote dans un bar avec des mecs. Il s’arrête chez le voisin pour lui demander de s’occuper de ses vaches, puis il descend en ville. Il entre dans le bar, s’assoit à une table mais il ne la canarde pas. Il rentre chez lui apaisé. Fantastique conteur que ce Tony Joe White, n’est-ce pas ?

    Signé : Cazengler, tony joe ouate

    Tony Joe White. Black And White. Monument 1968

    Tony Joe White. Continued. Monument 1969

    Tony Joe White. Tony Joe. Monument 1970

    Tony Joe White. Tony Joe White. Warner Bros Records 1971

    Tony Joe White. The Train I’m On. Warner Bros Records 1972

    Tony Joe White. Home Made Ice Cream. Warner Bros Records 1973

    Tony Joe White. Eyes. 20 th Century Records 1976

    Tony Joe White. The Real Thang. Casablanca Records 1980

    Tony Joe White. Dangerous. CBS 1983

    Tony Joe White. Closer To The Truth. Remark Records 1991

    Tony Joe White. The Path Of A Decent Groove. Remark Records 1993

    Tony Joe White. Lake Placid Blues. Remark Records 1995

    Tony Joe White. One Hot July. Mercury 1998

    Tony Joe White. The Beginning. Audium Records 2001

    Tony Joe White. Snakey. Munich Records 2003

    Tony Joe White. The Heroines. Sanctuary Records 2004

    Tony Joe White. Uncovered. Swamp Records 2006

    Tony Joe White. Take Home The Swamp. Music Avenue 2008

    Tony Joe White. Deep Cuts. Swamp Records 2008

    Tony Joe White. The Shine. Swamp Records 2010

    Tony Joe White. Live In Amsterdam. DVD Munich Records 2010

    Tony Joe White. Hoodoo. Yep Roc Records 2013

    Tony Joe White. Rain Crow Yep Roc Records 2016

    La reine Margaret

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    Ah elle est culottée la reine Margaret de venir allumer aussi incidemment les convoitises ! Elle se montre même prodigieusement culottée, débarquer ainsi comme une reine des Mille et une Nuits du Michigan dans le plus minuscule des bars de l’Eure, ce département désespérément rural abandonné de Dieu depuis des siècles, ou en d’autres termes, le dernier endroit possible pour la manifestation d’une telle panacée régalienne. Voici dix ans, la reine Margaret vint dans cette ville avec les Demolition Doll Rods choquer quelques barbus, non par le prestige de sa condition, mais par le minimalisme de sa mise : elle arborait en effet un bikini en cuit noir, marqué LUCKY en grosses lettres blanches sur le cul. Il faut entendre le mot cul au sens noble, celui de La Philosophie Dans le Boudoir.

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    Et si la reine Margaret débarque, ce n’est pas pour collectionner les baise-mains, mais pour baiser le rockalama, pour enfoncer la Philosophie dans la gorge du Boudoir à coups de boutoir, pour bouter l’ennemi hors des murs, entendez par l’ennemi le mauvais garage, car la reine Margaret se prévaut de la couronne du garage-rock, le plus fondamental de tous les garage-rocks du monde moderne, celui du Michigan.

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    Alors la reine peut tailler sa route, elle ressort sa vieille Mustang mauve et tape dans le tas, soutenue dans ce qui ne sera jamais un effort par un fort grand kid en ébullition guitaristique et par une batteuse sortie des rêves les plus wild, puisqu’elle tape comme une sourde des deux côtés de son corps penché en avant, le pied droit sur la grosse caisse.

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    Avez-vous déjà vu chose pareille ? Par nous, en tous les cas. Elle bat ça à la vie à la mort et la reine devrait faire gaffe, car drumbeat baby pourrait bien lui voler le show.

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    Ils s’embarquent tous les trois dans une poursuite infernale, oh pas celle de John Ford qui n’en finit plus de mal vieillir, mais celle d’un Heartthrob Chassis lancé ventre à terre à travers les plaines déjà bien visitées du Midwest, ils jouent toutes les cartes en même temps, le pounding, le gras double, le relentless, le reptilien lézardeux, le heart-beat d’Animalism, le flash attack typique d’un mauvais trip au LSD, ils gargouillent de vitalité, ils mordent tous les traits et mettent le sharp en charpie,

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    la reine Margaret claque tous les privilèges d’un coup de snap, elle chante parce qu’il faut bien chanter, mais ses reins ondulent et tout le rock sort de son roll, et voilà qu’elle lève sa guitare en offrande aux dieux qu’elle veut, avant de la glisser dans le cou pour jouer l’un de ces héroïques killer solos flash dont elle a le secret. Forcément, elle connaît aussi tous les secrets du condensé et l’exiguïté du bar devient une seconde nature, elle crée son espace et allonge le temps, elle ne s’embarrasse pas des détails, elle ignore les limites, il imagine des magnitudes, mange les marges, délie les liens qui la rattachent au réel et transforme le maigre auditoire en conglomérat de Bernadettes Soubirou, car oui, la reine Margaret finit par transfigurer les vues qu’on a des genres et des gens, elle fait palpiter les vaisseaux des cervelles, elle occasionne des bouleversements sensoriels, son rock palpe les braguettes et laboure quelques jachères, sa hargne se fond dans le beurre de la raie et rien ne saurait colmater la brèche qui s’ouvre dans cette soudaine Mer Rouge et sait-on au juste pourquoi une Mer Rouge viendrait s’ouvrir dans un mini-bar évreutin ? Mais pour laisser passer le garage, Horatio, plutôt que toutes les particules de ta philosophie, plutôt que les tribus d’Israël qui n’ont qu’à se débrouiller autrement, oui, il faut d’abord sauver le garage, il faut même qu’il passe en fanfare, et la reine Margaret y veille et le moment s’y prête comme il ne s’y est jamais prêté, même l’endroit devient idéal, inespéré. Si on se raisonnait, on se contenterait de dire : oh c’est juste un petit concert de plus un soir de semaine dans un bar de province, mais non, il n’est bien sûr pas possible de se raisonner, puisque la reine Margaret daigne honorer le petit peuple de l’exercice de son droit divin.

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    Ce retour de Margaret Doll Rod est tout simplement inespéré. La fin des Demolition Doll Rods nous avait tous laissés inconsolables. Avec ce trio fabuleusement sexy, l’étendard du meilleur Detroit rock claquait au vent, souvenez-vous, et leurs albums figurent encore aujourd’hui parmi nos chouchous, avec ceux des Gories, du Velvet, des Stooges et du MC5. L’incroyable de la chose est que la reine Margaret revient dans le rond de l’actualité avec un nouveau power trio sexy et furibard, bourré de cette énergie qui n’appartient qu’aux gens de Detroit. Cette énergie prend la forme d’un style qu’on observe, qu’on scrute, dont on voudrait s’imprégner quand il se manifeste, car il est unique au monde. C’est peut-être Wayne Kramer qui le définit le mieux dans l’interview qu’il donne à Tony D’Annunzio pour Louder Than Love : il rappelle qu’à Detroit, la musique était à l’image de la ville, a rough industrial city in the midwest - What you get is very honest - Oui, ce qu’on appelle la fameuse scène de Detroit, avec le Grande Ballroom qui en 1968 montre au monde entier comment le rock normal mute en rock incendiaire avec le MC5, puis les Stooges, avec des gens comme Mitch Ryder et Jim McCarty qui traînent dans des décharges industrielles, Dick Wagner et Frost qui se prévalent du titre de louder band in the world, Question Mark & the Mysterians qui turlutututent leur jerk infectueux à coups de Farfisa, The Black Godfather Andre Williams qui fait alliance avec la crème de la crème du gratin dauphinois pour enchrister le garage une bonne fois pour toutes dans l’écrin noir de nos nuits blanches, Cub Koda et son Brownsville Station qui shootent une jolie dose d’extravagance dans le cul bien rose de leur wild ride, Martha & the Vandellas qui dansent en petites robes blanches sur la chaîne de montage Ford, la spectaculaire exubérance des Rationals qui furent à deux doigts d’exploser à la face du monde, même chose pour le Sonic’s RendezVous qui souffrait d’être trop bon, trop intense, trop Detroity, et puis n’oublions pas James Jamerson qui jouait ses drives de basse couché sur le dos, tellement il était ivre, les Gories qui te Thunderbirdent l’ESQ encore aujourd’hui pour la postérité de l’underground, la reine Margaret et ses Doll Rods qui retapaient en leur temps dans l’art sacré du dirty minimalisme, et on oublie toujours d’évoquer Suzi Quatro qui avant de faire équipe avec the mighty Mickie Most en Grande-Bretagne cassait bien la baraque à Detroit avec les Pleasure Seekers. Et puis ça continue, pas seulement avec la reine Margaret et son fringuant Chassis, mais avec le powerhouse-trio Death qui revient d’entre les morts pour remonter sur scène, et Timmy Vulgar qui après avoir balancé les deux bombes de Clone Defects revient infecter les imaginaires avec Timmy’s Organism. On n’en finirait plus avec tous ces gens-là.

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    La cerise sur le gâteau est ce nouvel album que la reine Margaret vient d’enregistrer. Non seulement Arrhythmia est recommandé à tous les fans des Doll Rods, mais aussi à tous les fans de rock. L’album vaut pour une bombe. La surprise est d’autant plus frappante qu’on s’attendait un peu à une redite des Doll Rods, mais si vous grimpez sur le porte-bagage de la Bicycle de Margaret, vous allez vous taper l’une de ces virées dont on se souvient toute sa vie. Elle chante ça à l’excellence de l’insistance du round and round - I got two big wheels on my bicyle/ They go round/ Take me downtown - C’est une ampleur qui vaut bien celle du «Great Big Amp» de Brother Wayne, et ça va même plus loin car la reine Margaret renoue avec le gigantisme incantatoire des Doors, elle entortille tout ça dans le gras double de sa guitare - Yeah take me downtown - Rien qu’avec ce «Bicycle», l’album va tout seul sur l’île déserte. Mais avant ça, on se sera goinfré de «Check You Out», véritable ramalama farci de fouillis de guitares et drivé à fond de train par le heartbeat le plus cavaleur du Michigan. On se souvient qu’au temps des Doll Rods, la reine Margaret jouait ses solos jusqu’à la dernière goutte de son et elle récidive ici dans «Good Times Callin’», ses notes traînent et ça en dit long sur son infernale faculté de résilience. On imagine même qu’elle joue les solos de «Now Now» et «Laugh» dans le dos, car ce sont de purs flash killers. Ça jaillit en plein cœur d’un relentless primitiviste bien tassé dans l’urgence et les bazars de ah-ah ouh-ouh. Spectaculaire ! Elle impose vraiment un style. Elle revient au gras double longiligne des Doll Rods avec «When I’m With You» et donne une fois encore libre cours à sa démesure incantatoire. Enfin bref, rien qu’avec l’A, cet album sonne comme un classique. Mais le pire est à venir. Avec «Sister», qui ouvre le bal de la B. Fini de rigoler. La reine Margaret nous plombe une ambiance à la Velvet - I’m gonna invite your sister/ To the party/ To/ Night - On assiste à une fantastique résurgence des urgences car c’est battu au tribal pur, c’est une sorte de «Sister Ray» au ralenti, ou si vous préférez, l’apparition miraculeuse du downbeat de psycho-daisy, ou encore, si on voulait jouer les mystiques, une fontaine de jouvence qui jaillirait du buisson ardent, les lignes de guitares s’enroulent comme des serpents dans l’étuve du son - Music music/ have your way - Véritable coup de génie. On voit cet album devenir fondamental de minute en minute, et sans que l’admiration qu’on voue à Margaret Doll Rod y soit pour quelque chose.

    Merci à Venus In Fuzz.

    Signé : Cazengler, Châssis rouillé

    Heartthrob Chassis. Chez Chriss. Évreux (27). 11 octobre 2018

    Heartthrob Chassis. Arrhythmia. Milan Records 2018

     

    MONTEREAU / 27 – 10 – 2018

    NELL'S PUB

    ADY AND THE HOP PICKERS

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    Brr ! Fait pas chaud aux abords du confluent, c'est ici que l'Yonne et la Seine marient leurs flots sous le phare frileux de la teuf-teuf garée sur la berge. Pourvu que ce soir les Hop soient hot comme la braise, l'on presse le pas au travers du dédale des ruelles sombres et désertes, sur la place centrale du vieux Montereau, la porte grand-ouverte, le Nell's Pub nous accueille. Beaucoup de monde, Ady et ses pickpocketers de notes, Vanessa, Céline des Jallies – le trio originel des jolies filles reconstitué – Tom, et même Vincent des No Hit Makers qui me dévoile sur son portable les photos de la prochaine pochette de leur nouveau disque... Dame Ady, désormais tourangelle, est venue de Tours faire un tour sur son ancien fief familial de Seine & Marne.

    ADY AND THE HOP PICKERS ( 1 )

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    Bastien Flore est à la contrebasse, et Pascal Lamotte à la batterie, mais on ne les entend pas. Enfin façon de parler, vous martèlent lourdement la scène du pied, à la manière des prisonniers enchaînés des pénitenciers américains, Ady se charge de l'intro, tout de go au gosier, toute seule, elle n'a besoin de personne, sa voix lui suffit. Vous scotche illico, chair de femme exaltée dans l'eau de sa robe émeraude, explose et s'impose naturellement, sans une once d'arrogance, avec cette facilité déconcertante, un alliage inaltérable de puissance et de swing, qui vous laisse pantois et pantelant. En une minute exquise la salle est conquise. Bastien et Pascal, la suivent maintenant de leurs instrus, et l'on entre dans le vif du sujet. Les guys se chargent de la rythmique, Ady serre sur le vert de sa robe sa Gretsh d'opale de feu cochranéenne, elle joue très sec et grondante. La guitare aboie tel un chien fidèle qui montre à tout instant les dents prêt à défendre sa maîtresse jusqu'à la mort. Rockabilly à la voix bluezy.

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    Verre de rouge à ses pieds – ne vous étonnez pas si une des trop rares compositions du Trio s'intitule Red Wine – la parole haute et rieuse, Ady présente les morceaux, Carl Perkins, Gene Vincent, Stray Cats, l'on reste dans le haut niveau, faut l'entendre crawler entre ces gros cachalots, les dents de la mer ne lui font pas peur, vous les turbine à fond, vous les poinçonne à la Gretsch et les expulse de son coffre au trésor vocal, à la manière des illusionnistes qui vous tirent un éléphant de leur chapeau – plus difficile que les lapins, si vous n'avez pas vu, c'est que vous n'avez jamais entendu Ady chanter – les garçons derrière laissent la cuisinière sacrifier le coq au vin du vaudou, Pascal tourne la broche drumique, et Bastien slappe à la petite cuillère, suivent mais ne précèdent pas, la Reine devant, les officiants derrière. Honneur et respect. Le bois pétille et les flammes hautes comme des buildings mettent le feu à la baraque. Sait aussi jouer de la nuance au swing flexible, monte et descend sur le Weed Smocker's Dream de Peggy Lee par exemple, the two boys éventant la dame d'une parfaite rythmique élastique remplaçant à merveilles les arabesques de Benny Goodman à la clarinette. Le set passe en coup de vent...

    ADY AND THE HOP PICKERS ( 2 )

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    Nous ne comprendrons jamais la logique féminine. Dès le début du deuxième set, du haut de ses talons rouges revendicatifs à la me-too, Ady annonce que les chanteuses seront à l'honneur dans le choix des titres. Et hop, elle adjoint un troisième... garçon aux Pickers, Tom - des Jallies et des Sons of the Bleachs vus la semaine derrière – qui branche sa guitare. Vous la manie à la texane, à cheval sur le dos tumultueux du bronco furieux qui ensauvage les galops les plus fougueux. C'est qu'Ady n'est pas une adepte des héroïnes lasses, pallides et souffreteuses qui se meurent de consomption dans les romans du dix-neuvième siècle, l'est partisane des grandes gueules qui vous poussent des goualantes éruptives sur les chapeaux de roue. Des pouliches de haute race qui ont le sang chaud et ardent à la Big Mama Thorton, et à la Big Maybelle, manière de rappeler aux sympathiques gaminos Elvis Pres(dents-de)ley et Jerry Lou, que les filles ont mené la sarabande avant eux et en première ligne. Nous aurons droit aussi à Lavern Baker, Janis Martin, Wanda Jackson et Ruth Brown, parfaites occasions pour Ady de s'amuser à explorer sa tessiture vocale. Les plus beaux moments de cette fastueuses soirées. Plongée dans les racines noires du rock'n'roll et les ardences féminines du white rockabilly, Ady rappelle que l'on ne fait pas de la bonne omelette rock sans casser les ovaires. Les guys ne se laissent pas distancer, n'accompagnent plus, fourbissent maintenant l'épaisseur musicale nécessaire à ce changement de registre, Ady les interpelle souvent pour les solos, et arrête brusquement de chanter pour laisser deux secondes de ces faux-silences qu'un bref break de batterie, un saute-mouton enragé de contrebasse – entre big mama's on se comprend – ou une étincelle ravageuse électrique de guitare, se hâtent de combler sans ménagement.Chaque morceau est accueilli par des applaudissements frénétiques et des cris de satisfaction. Ady remercie, rit longuement, et sans préavis vous éructe une nouvelle chute du Niagara qui s'affale sur vous comme la grande voile d'un sloop chaviré par la tempête. Termine par Queen of Rock'n'roll – une très belle définition d'elle-même – mais devant l'enthousiasme devra rajouter un rappel qui se clora définitivement sur les wagons fous du train qui kepte un rollin de Tiny Bradshaw ( comme quoi l'on peut parfois avoir besoin d'un homme ) qui nous emporte dans un pays de rêve et de rage... Que voulez-vous, écouter Ady et ses Hop Pickers c'est attraper une sacrée adyction !

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    Damie Chad.

    ( Photos : Ady and the Hop Pickers )

    EUROPEANS SLAVES / CRASHBIRDS

    ( CBIRDS005 / 1 / 1 / - Octobre 2018 )

     

    Delphine Viane : vocal, rhythm guitar / Pierre Lehoulier : lead guitar, crasbox

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    Méfiez-vous des oiseaux, sont souvent de mauvais augure. Les Crashbirds toujours. Rien que la pochette fout la trouille. De loin ( de près aussi d'ailleurs ) elle est très belle. Production maison, Pierre Lehoulier s'y est collé. L'a des facilités, quand il ne cuit-cuite pas avec les Crashbirds, il s'adonne à la bande dessinée. Reconnaissons que ça aide. Mais c'est aussi une vision philosophique. Attention ne se perd pas dans la ronde infernale des concepts incompréhensibles. Se contente de nous tendre un miroir. Vous dévoile notre présence au monde. Au cas où vous ne songeriez qu'à vous extasier sur la joliesse du dessin et le patchwork des couleurs, c'est fou comme beaucoup font semblant de ne pas comprendre, il vous a écrit le titre en haut dans un bandeau noir : European Slaves.

    Esclaves européens. Généralement on évite les sujets qui fâchent. Les Crashbirds y mettent leurs pattes palmées ( à moins que ce soient de cruelles serres de rapaces ) en plein dedans. Du monde sur la pochette. Sont heureux. Sourires aux lèvres. Regardez bien, vous risquez de vous y reconnaître, au premier rang. Vous marchez fièrement et librement. Vous êtes un être libre, vous vous dirigez en toute liberté vers votre supermarché, vous partez dépenser l'argent que vous avez gagné, durement, mais en honnête travailleur conscient d'avoir la chance insigne d'être un rouage irremplaçable de la modernité civilisatrice, encore quelques mètres et vous aurez accès au paradis du temple de la consommation. Vous en ressortirez le caddy rempli à ras-bord, mais sans un rond. Ce n'est pas grave, vous avez toute la semaine pour bosser et gagner un peu de monnaie.

    C'est à croire qu'un individu sur deux est né pour empêcher l'autre d'être heureux. Malheureusement, cette couve possède un verso. Il y en a qui ne sont jamais contents. Au lieu de taffer et de la fermer comme tout le monde, ils manifestent et l'ouvrent tout grand, des méchants, des violents, des vindicatifs, brandissent des bâtons, jettent des cocktails molotov. Pas de panique, les courageux chevaliers des Compagnies Républicaines de Sécurité, parviennent à contenir ces hordes de forcenés. Pour combien de temps, avons-nous envie de demander. Mais comme nous sommes bien élevés, nous ne poserons pas cette insidieuse question. Qui nous brûle les lèvres. Et puis, c'est trop politique. Et nous n'aimons pas les gros mots qui crashent.

    A l'intérieur, c'est encore pire, dans la série si tous les cadavres du monde se donnaient la main, cela ferait une jolie ronde de squelettes sur votre platine, là c'est encore notre présent, mais spectrographié de plus près : n'ayez aucune illusion, vous êtes déjà morts !

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    Boring to death : il y a le Lehoulier qui égrène ses notes à la volée comme quand vous êtes gentils et que vous klaxonnez sur l'autoroute pour avertir les esprits distraits que roulez à contresens, la Delphinote elle en a la voix qui ricoche sur les carrosseries, les découpe au laser de ses stridences, elle y prend manifestement du plaisir. Ne sont pas devenus fous les oisillons, mais dans la vie on a si peu l'occasion de s'amuser que pour estomper l'ennui du quotidien aussi lourd qu'une pierre tombale, il faut tromper la mort qui fonce sur vous. Ne les condamnez pas, ils tentent simplement de survivre. Ne sont pas des renonçants à la fureur de vivre du bon vieux rock'n'roll. European slaves : les poings sur le I, les mots qui font mal, Delphinette vous scratche dessus tout ce que l'on ne dit pas dans les dîners en ville entre bobos, normal vous êtes au milieu d'un groupe de rock'n'roll, Pierre tire le serpent à sonnette d'alarme, et Tigresse Delphine vous enjoint à mordre les barreaux de la cage dans laquelle vous vous êtes enfermés, même que vous avez mis la clef dans votre poche pour être sûrs de vous donner l'illusion d'être libres. Aucune pitié, crevez la bouche ouverte. Les Crashbirds ne donnent pas dans la complaisance. Le rock'n'blues est sans pitié. Mothers strike : pas vraiment une chanson pour la fête des Mères. Une mélopée pour fœtus écorchés à qui l'on apprend les rudiments du mal vivre, la vie ne fait pas de cadeau, essayez de vous retrouver du bon côté des barricades, un long passage instrumental, une belle raclée longue et saignante pour vous faire rentrer la leçon dans le crâne. Définitivement. Weekend lobotomy : buvez un coup, cela vous fera du bien. La suite s'avèrera plus difficile. Une cloche de vache enragée scande la scène de folie qui se déroule sous vos yeux épouvantés. Delphine a la hargne et Pierre la rage. Même qu'il vient aboyer et mordre sur le refrain. Doivent être sur le radeau de la Méduse car ça tangue salement. Delphine tempête, Pierre ouragane. Insupportable, vous aimeriez que ça se termine, mais quand la fin arrive, vous le regrettez. Shock therapy : une entrée à la Beethoven sous LSD, tout de suite la rockphonie tourne au désastre, au bruit qu'ils font doivent décharger de la ferraille, Delphine hurle comme une harpie en manque de victimes, et Pierre abat tout ce qui bouge. Ne sont pas partisans des médecines douces. La guitare devient scalpel et la voix de Delphine une infiltration empoisonnée. Un truc qui requinquerait un quinconce de macchabées. Vous ne êtes jamais aussi mieux qu'après cette auscultation de choc. Nowhere else : ca balance sec, équilibre rythmique parfait, même que Delphine minaude sur le chantier du chant, puis sans préavis elle couine dans le coin cuisine, pousse des piaillements perçants à déplumer les aigles en plein vol, et Lehoulier vous bouscule la partition, vous pensez que le cauchemar est terminé, n'ayez crainte z'ont encore deux épisodes à vous montrer. Encore plus gores que les précédents. Un truc à vous précipiter sous un train, preuve qu'ils sont superbes. Doctor no : consultation obligatoire. Pauvre doctor, Delphine lui lui tatoue son ordonnance sur la peau, le Lehoulier lui suture des petits dessins au sang de guitare tout autour, Delphine lui rajoute une dernière recommandation. Qui se termine comme un bon coup de couteau dans le cœur. Oui, doctor, le rock'n'blues peut tuer. Stupidity : introduction au cliquetis d'hélicoptère en panne de moteur, Delphine vous clame le mot stupidity comme si elle chantait l'hymne européen, derrière Pierre tintamarise sa guitare à la manière des trompettes de la gloire, dites-vous bien que la bêtise du monde vous mènera sur un chemin qui tourne sur lui-même et qui ne vous emportera jamais plus loin que vous. Et pourtant Delphine fait tout ce qu'elle peut pour vous tirer de là. 1929 : le vrai chiffre de la bête hideuse, la guitare de Lehoulier résonne sourdement, ne venez pas dire que vous ne connaissiez pas la fin du scénario. Delphine le proclame bien fort. Pierre le souligne au stylo rouge et noir de sa guitare. Quand se profile le jour des saigneurs, ne soyez pas l'agneau que l'on conduit à l'abattoir. Silence : porte mal son titre, le morceau vrombit, une escouade d'avions vous lâchent leurs bombes sur le museau, même que Delphine met du temps avant de se risquer à prophétiser la fin du monde qui est déjà survenue. Un conseil, fermez votre claque-merde, pas besoin d'aggraver la situation, les Crashbirds s'en chargent.

    Ne sont que deux. ( Mixité parfaite ). Mais ils sonnent comme les Rolling Stones au temps de leur splendeur. Unité sonique de la première à la dernière note. Un son qui n'appartient qu'à eux. Reconnaissable entre tous. Dix morceaux, dix classiques. Rien de moins. Rien de trop. Un titre d'album – une banderole métaphysique - qui résume et exprime parfaitement l'époque qui l'a engendré. Opus majeur.

    Damie Chad.

    CALL IT A FEeLING / WALTER'S CARABINE

    ( 2013 )

    Joe Ilharreguy : drums & percussions / Foucauld de Kergolay : guitars & harmonica / Marius Duflot : bass & lead vocal

    Pochette noire. Sur le recto, une espèce de diapositive abstraite, style lamelle médicale de tissus sidaïques infectés en vue d'analyse en laboratoire, je ne sais ce que ces taches blanches représentent, mais si vous considérez l'ensemble comme un test de Rorschach, vous ne manquerez pas d'y trouver votre définition projective. Pour ma part, j'y aperçois ( entre autres ) un ours blanc et le contour de la Méditerranée, est-ce grave docteur ?

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    B.O.M.B. : tapotements infectieux, des ondes de guitare lustrée se rapprochent, l'éclatement survient lentement, le temps s'est ralenti, l'instant est entrevu en son éternité, la voix crie doucement comme si elle nous parvenait de loin, et s'élève l'ampleur d'un ricanement insolent, il est trop tard pour s'opposer cette intumescence ravageuse de cordes, final moqueur de cour de récréation, na-na-na ! Lover lover : l'amour rend optimiste, saccades joyeuses, c'est le moment cadencé du grand débordement, la musique broute l'herbe tendre du désir jusqu'à la racine, le transbord d'énergie se termine par un point final sans rémission. Chasin robots : plus inquiétant, plus rapide, avec des à-coups monstrueux et des caquètements de cris qui n'arrêtent pas la précipitation ultime, la batterie caracole et la guitare s'enflamme. Leave your job : rythme élastique. L'on marche sur les œufs du renoncement à l'esclavage social. La voix devient bluesy, la démarche est plus facile à théoriser qu'à entreprendre. Hululement d'indiens tout bas à pas feutrés sur le sentier de la guerre, et puis la déferlante apache, des flèches de guitare criblent la baudruche de l'immonde ennemi, il est temps de réinvestir les plaines. Call it a feeling : longues traînées d'harmo blues, la rythmique avance à pas pesants et la voix se dresse avec la rage contenue d'un crotale dérangé dans sa sieste, le blues sort des marais et envahit le monde, vous pouvez appeler cela un feeling, mais le spectre du malheur s'étend à l'infini, c'est ainsi que l'on advient à survivre, que l'on renaît de soi-même, plus fort, puisque la tragédie de vivre ne vous a pas tué. La musique s'étire sans fin, comme le Mississippi s'est retiré lentement, après que les digues aient cédé...

    I WANT A RIOT / WALTER'S CARABINE

    ( 2014

    Merveilleuse pochette. Surprenante quand on la compare à la précédente. Un pigeon bleu. A collerette verte. Sur fond jaune et rouge. Etrange comme l'on ne s'attend pas à ce qu'un débonnaire biset vienne se poser sur une pochette de rock. Remarquez toutefois son ombre noire agrémentée d'un œil de feu. M'est avis que ce n'est pas une blanche colombe de la paix. Trop bleu, trop blues. Trop tranquille pour être honnête. Ne nous couverait-il par hasard pas les œufs de la révolte ? Pas question de nous faire pigeonner.

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    Hold my glory : l'on donne dans la joyeuseté conquérante, hymne à la magnification du moi, il est des jours où l'on est sûr de triompher sans péril mais avec gloire. Un froissé final de guitares confirme le miracle et tous le répètent en chœur. Half Alive : la vie n'est pas toujours aussi facile. Nous empruntons parfois des ponts charivariques, le vocal se fait plus sourd, mariné de parfum d'angoisse, et le tohu-bohu instrumental recommence, encore plus affirmé, encore plus déchiré aux aspérités du vécu. L'existe une loi de compensation universelle, si vous êtes réduit de moitié, vous devez déployer deux fois plus d'énergie. I want a riot : une musique cisaillante qui progresse comme une sirène d'usine qui appellerait à la débauche des énergies. Vous êtes dans le couloir de la vie, les citadelles s'écroulent sous vos assauts répétés, vous vouliez une émeute, elle arrive. Hurlements démonstratifs, le feu des guitares vous emporte bien plus loin que vous ne l'ayez jamais rêvé. Echevèlement du désir conçu en tant que chambardement total. Rhino VS Alligator : le morceau flirte avec le punkabilly, une voix qui barbote dans les mangroves, une guitare qui saute à la corde et une batterie qui ricoche sur elle-même. Le rhino et l'alligator dansent davantage qu'ils ne s'affrontent. Si vous prenez une hauteur d'observation suffisante, la mort et la vie ne sont que les deux phases tournoyantes d'un même phénomène. Extended week : habituels tapotements de voleurs qui frappent à la porte pour voir si l'appartement est vide, mais ici l'on passe le film à l'envers, s'agit de savoir si depuis l'intérieur de la cellule de sa propre solitude l'on va pouvoir entrer dans la folie du monde, participer à cette danse fabuleuse dont nous parviennent des vagues d'échos de plus en plus violentes La farandole de la réalité se révèle encore plus exaltante que promise, se termine en une tarentelle haletante. Shining : apothéose, glissades cordiques, voix entremêlées, nous sommes sur la pente fatale et victorieuse, des portes grincent et laissent échapper le flot tumultueux d'une folie allègre, l'on monte aux rideaux, l'on bouffe les étoiles l'une après l'autre, avec un tel appétit qu'un jour il ne restera plus rien, sinon cette faim qui nous dévore et nous institue rois de l'univers. Arabesques de charabia rock'n'rollesque.

    Faudra qu'un jour les Walter's Carabine se décident à mettre ces deux Ep's sur les deux faces d'un vinyle. Le rock hériterait ainsi d'un grand disque.

    Damie Chad.

    DEPRIME HOSTILE / POGO CAR CRASH CONTROL

    Lola Frichet : basse / Olivier Pernot : guitare, chant : Louis Péchinot : batterie / Simon Péchinot : guitare.

    DE L'EMBALLAGE

    Tout pour déplaire. Au minimum les Pogo ont décidé de vous couper l'appétit. De vivre. C'est à la deuxième pochette que l'on juge le graphiste. Baptiste Groazil, maître artefacteur, s'est surpassé. Je concède que malgré le paysage estival, cela risque de jeter un froid aux âmes sensibles. N'oubliez jamais que tout se passe dans la tête. Evidemment quand les méninges sont désactivées, c'est plus difficile. Un regard sur l'humanité pessimiste, mais réaliste. Ne sommes-nous pas entourés de décérébrés ?

    Tout pour déplaire ( bis ) : boîtier plastique économique, lyrics en lettrage jaune illisible sur fond infra-mauve de guimauve et ultra-violette fanée. De l'autre côté le poster noir de pirate, le couteau retiré de vos omoplates. CD gros globule rouge sang. Ne cédons pas aux sirènes du nihilisme, adoptons la positive attitude : tant qu'il y a de l'hémoglobine qui coule il y a de la vie !

    Existe aussi en vinyle. Mais il est épuisé. Ce qui est parfait, j'aurai ainsi l'occasion de kroniquer une nouvelle fois le premier album du Pogo.

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    Déprime hostile : titre éponyme de l'album. Une véritable trouvaille poétique. Résumer tout un univers en deux mots n'est pas donné à tout le monde. L'on touche à l'invention d'un nouveau concept. Maintenant soyons franc, les amateurs de phraséologie kantienne qui s'imaginent qu'ils vont pouvoir se lancer dans une docte discussion savantissime après l'écoute du titre, risquent d'être déçus. J'ai peur qu'ils n'aient l'impression que Tante Agathe se serve de leur boîte crânienne pour essorer son balai-brosse. Et puis comme les symboles sont réversibles, explorons l'aspect négatif de la formule, un peu menteuse, le morceau n'est pas fifty-fifty, mais beaucoup plus hostile que déprimant. Au début ça tintinnabule et puis au bout de trois secondes ça dégringole et ça vous déboule dessus comme un trucker sans frein. Peut-être n'avez-vous pas compris, alors ils le répètent trente fois de suite afin de vous avertir qu'ils ne font pas de prisonniers. Je suis un crétin : une profession de foi peu habituelle, en plus ils exagèrent, étendent le constat à l'humanité entière – oui même vous, n'épargnent personne - le clament si fort que l'on dirait que les instruments jouent tout seuls, big problème ne savent même pas comment s'arrêter, Olivier a beau klaxonner sur tous les tons, ils foncent dans le décor, fermez les oreilles pour ne pas voir. Comment lui en vouloir : tiens une chanson d'amour. Qui finit mal. Jusque là c'est normal, les pogos ne carburent par à l'eau de rose. Sont du côté des épines. Bonjour le désespoir, mademoiselle serial killer est en goguette, déjà huit morts, ce n'est qu'un début, elle continue le combat. Profitez-en pour inviter votre cavalière, c'est le slow romantique du disque. Une rythmique à coups de hache. Et je pousserai mon cheval sur le cadavre de mes ennemis dixit Edgar Poe. Hypothèse mort : au temps de leur splendeur les Jésuites posaient des hypothèses d'école, les Pogos sont plus radicaux, sont pour l'hypothèse-solution. Facile : premièrement vous optez pour la destruction, en deux très logiquement vous arrivez sur la case nihilisme. C'est rapide, alors ils vous hurlent le morceau à toute blinde dans les oreilles, combo d'assaut qui vous troue tous les blindages. Rancunier : vous reprennent l'antienne mythique du blues When I awoke this morning, et tout le malheur du monde vous tombe dessus, avec les Pogos, faut que ça pète plus dur que cela ( rappelez-vous : 1% déprime + 99 % d'hostilité ), alors vous la font scato, c'est plus rapide que la scène bloomesque dans l'Ulysse de Joyce, je le confirme, ça chie dru. La musique dessine des lignes dégoûtantes sur les murs avec les doigts. C'est pas les autres : tiens une intro, c'est rare chez les Pogo, c'est que le sujet est sérieux, fini de jouer à l'héautontimorouménos baudelairien, vous déballent le ballot de marchandise en grandes longueurs, si vous êtes parano ne vous en prenez qu'à vous-même, plus la perfidie d'un commissaire du peuple qui vous réaffirme à l'identique ce qu'il vient de vous gueuler dessus, vous êtes le paratonnerre qui attire la paranoïa, bien sûr que les autres en ont après vous, tant pis pour vous. Pas de pitié, cassez le miroir, il vous ressemble trop. En boucle : intro encore plus longue, ce coup-ci c'est la déprime généralisée, au niveau des paroles l'on a inversé les proportions, mais la musique est toujours aussi hostile, à croire qu'il y prennent du plaisir, la joie du masochisme est soulignée par l'élan des chœurs. Les Pogos quand ils sont en dépression, ils ne tombent jamais dans le trou. Z'ont la pêche. Je perds mon temps : une constatation froide comme la nécessité d'un suicide. Pas de crainte, sont en forme, guitares, basse et batterie font la course et au chant Olivier se livre à son chantage métaphysique. Ce qu'il y a de terrible dans l'existence c'est que quelque part le malheur de vivre vous rend heureux. Dans notre civilisation post-moderne l'on a une appellation contrôlée pour cela : le recyclage des déchets. Rires et pleurs : pour crime et châtiment ils ont déjà donné, alors là ils ménagent la chèvre et le chou. Enfin façon de parler, ils déménagent un max, broutent la chèvre et trucident le chou. Hypothèse pleurs ou hypoténuse rires ? Dans les deux cas : la diagonale du fou. A quoi ça sert : on se le demande, même eux ne le savent plus, alors ils laissent les instrus partir en roue libre. Ecrasent tout sur leur passage, car quand c'est foutu l'on est au moins sûr que ça ne peut plus servir à rien. Insomnie : le blues de minuit. Dentelles de guitares, s'amusent à sonner comme les groupes du temps des Chaussettes Sales et des Matous Chauvages. Carrément le vrai slow de l'été cette fois. S'y tiennent jusqu'au bout, pas un seul dérapage incontrôlé. Comment donc, ils peuvent chanter sans dégueuler ! Scandalissimo, ils savent jouer sans crasher ! les Pogo ont vraiment tous les vices. C'est même pour cela qu'on les aime, mais il ne faut pas le leur dire, ils en seraient malades de jalousie. Crash Tout : tiens un instrumental, certes c'est plus sombre que les Shadows et plus tornade que les Tornados, mais tiennent à nous montrer tout ce qu'ils savent faire. Finition orgie hardcore. Tout le monde descend, ce train ne prend plus de voyageurs. On s'en fout on a tué le contrôleur. Les Pogo hors contrôle !

    Atteinte au moral des jeunes générations, vision dégradée et dégradante de l'Humanité. Paroles et musique à proscrire. Attention hautement nuisible !

    Damie Chad.

    ROCKAMBOLESQUES

    FEUILLETON HEBDOMADAIRE

    ( … le lecteur y découvrira les héros des précédentes Chroniques Vulveuses

    prêts à tout afin d'assurer la survie du rock'n'roll

    en butte à de sombres menaces... )

    EPISODE 5 : AVOIR LA FRITE OU PAS

    ( Vivace & Scherzo )

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    Ramenée au QG, Claudine Laporte, à qui nous avions expliqué comment grâce à notre intervention elle était encore en vie, ne se fit pas prier pour raconter tout ce qu'elle savait :

      • La cassette, une vieille histoire, nous l'avons enregistrée lorsque nous étions en troisième. Vous connaissez les adolescents. L'une de nous trois avait un frère qui possédait un groupe de rock, le mercredi on allait chez elle – le grand frère travaillait – et l'on s'amusait avec les instruments dans le garage. Au bout de deux mois on a finalisé une cassette, en trois exemplaires, et puis la fin de l'année est arrivée, à la rentrée nous n'étions plus dans les mêmes lycées, on s'est perdu de vue très vite... Et puis voici quinze jours Maie-Odile de Cinq Mirs m'a téléphoné, j'ai été surprise, nous ne nous étions pas parlé depuis cinq ou six ans, et voilà que très vite elle me parle de la cassette, que j'avais totalement oubliée, elle m'a demandé si je pouvais la lui envoyer par la poste, ce que j'ai fait, et puis j'ai appris son assassinat à la télévision et...

    Nous lui posâmes mille questions, mais elle n'en savait pas plus. Elle fut même incapable, trop émue par les évènements, de retrouver le nom et le prénom de la troisième copine dans sa mémoire, elle nous promit de nous téléphoner dès que cela lui reviendrait. Nous la ramenâmes chez elle où ses parents alertés par la TV sur les mystérieux et mortels évènements du service de pédiatrie de l'hôpital Mondor nous accueillirent comme des héros. Trop heureux de voir leur fille vivante ils ne posèrent aucune question, lorsque nous les quittâmes, le père était en train de téléphoner à un de ses amis inspecteurs de police qui le rassura en affirmant qu'une voiture de police banalisée passerait la nuit devant la porte de la maison.

    *

    Le Chef ralluma un Coronado. Il avait l'air soucieux. Il m'interpella vigoureusement :

      • Agent Chad, vous retournez chez le voisin des parents de Crocodile, je suis sûr qu'il connaît leur nouvelle adresse. Torturez-le, si besoin, abattez sa femme et ses gamins un par un sous ses yeux, et s'il refuse encore menacez-le de tuer le chat, normalement il craquera à ce moment-là, ce truc marche toujours, c'est ce que l'on appelle le doigté psychologique, action immédiate !

    J'ouvrais la porte lorsque la voix de Kruchette claironna dans mon dos. '' Pas la peine, il y a un moyen beaucoup plus simple'' et d'autorité elle s'assit derrière l'ordinateur et s'empara de la souris. Nous la vîmes frapper quelques touches, faire une grimace, se gratter deux fois le nez, froncer les sourcils pour finalement s'écrier :

      • Voilà, j'y suis, M. et Mme de Saint Mirs, 12 rue des Tulipes à Saint-Brieuc. Et avisant notre étonnement, c'était facile, je suis allée sur mon Face-book, j'ai tapé le nom de Marie-Sophie de Saint-Mirs, et je suis tombé pile dessus, vous savez les enfants ont tous un Face-book aujourd'hui, tenez elle a même mis la photo de la villa.

        Mais le Chef ne l'écoutait déjà plus, son cerveau mûrissait déjà l'Opération Commando.

    OPERATION COMMANDO / SEQUENCE 1

    Nous avions enlevé la portière avant-droite de la teuf-teuf, le Chef se déboîta brusquement comme si nous voulions doubler la camionnette, mais lorsque je fus à sa hauteur je sautais sur le marche-pied, tirai une balle pour déglinguer la vitre du chauffeur, Molossa en profita pour d'un saut magnifique sauter depuis la banquette arrière de la teuf-teuf sur les genoux du chauffeur où elle s'installa les crocs menaçants, la bave aux lèvres, j'ouvris la portière, repoussai le gars paniqué et m'emparais du volant et des pédales. J''arrêtai le véhicule trois cents mètres plus loin devant un café. Dans l'habitacle derrière, personne – z'étaient cinq, des clandestins - ne mouftait. Le Chef surgit le colt à la main :

      • C'est simple, ou je vous tue tout de suite, ou vous filez dans le café, c'est moi qui régale, tenez voilà pour vous !

    Les pauvres gars plus le chauffeur ouvrirent les yeux comme des soucoupes volantes car une pluie de billets de cinq cent euros leur tombait dessus, ils les ramassèrent et disparurent en courant au coin de la rue ( et de cette histoire ) comme par enchantement. J'aurais voulu profiter de l'occasion pour négocier une augmentation, mais le Coronado entre deux doigts le Chef ne m'en laissa pas l'opportunité.

      • Agent Chad, il vous reste exactement dix-sept minutes douze secondes pour la livraison, je me charge de la teuf-teuf, l'on se retrouve au 37 rue des Crottes de Chien à 8 heures moins dix ! Action immédiate !

    OPERATION COMMANDO / SEQUENCE 2

    Molossa sur mes talons je rejoignis à 7 Heurs 50 pile le Chef qui m'attendait placidement, l'air de rien, devant le 35 de la rue des Crottes des Chiens, un Coranado aux lèvres, nous enfilâmes les trois étages au pas de course, nous les cueillîmes à l'instant où elle fermait sa porte à clef. Lorsqu'elle ouvrit la bouche pour protester contre nos calibres pointés sur elle, les deux gamins furent plus rapides qu'elle.

      • Tais-toi Maman, c'est comme dans les films à la télé, mais ce sont des vrais !

      • Mais votre école ?

      • Ce n'est pas grave !

      • Et mon travail ?

    Le plus grand des garçons lui prit la clef des mains et nous ouvrit la porte. L'appartement était modeste. Elle s'assit face à nous, ses deux enfants silencieux serrés contre elle, le chef posa sa montre et son revolver sur la table, alluma un autre Coronado et l'attente commença. L'on entendait une mouche grésiller contre une vitre. Molossa fila dans la cuisine, revint avec un paquet de biscuits qu'elle grignota étendue de tout son long sur le canapé.

    Neuf heures sonnèrent dans le lointain d'un clocher. Le chef tira un billet de cinq cents euros et le déposa sur la table.

    Dix heures sonnèrent dans le lointain d'un clocher. Le chef tira un deuxième billet de cinq cents euros et le déposa sur la table.

    Onze heures sonnèrent dans le lointain d'un clocher. Le chef tira un troisième billet de cinq cents euros et le déposa sur la table.

    Douze heures sonnèrent dans le lointain d'un clocher. Le chef tira un quatrième billet de cinq cents euros et le déposa sur la table.

    Douze heures vingt sept secondes le portable du chef émit un faible bruit.

      • Madame, nous sommes désolés de devoir vous quitter. Ne vous inquiétez pas pour votre travail. Vos enfants étaient malades ce matin, le médecin a prévenu votre patron, il a été enchanté que vous ayez trouvé un remplaçant. Ces quatre misérables billets sont pour vous. Vos garçons ont été remarquablement sages, vous les élevez seule, si je peux me permettre de vous donner quelques conseils, afin qu'ils ne souffrent pas de l'absence de leur père, achetez-leur des pistolets en plastique et chaque dimanche donnez-leur un cigarillo à fumer. Un Coronado, évidemment. Vous ne me remercierez jamais assez, à dix-huit ans ils seront devenus des hommes. Des vrais.

    OPERATION COMMANDO / SEQUENCE 3

    Le Chef me suivait de loin. Lorsque j'arrêtai la camionnette, au 12 rue des Tulipes, Kruchette, descendait le perron, avec son seau, son balai et sa pelle, elle s'assit toute rayonnante à mes côtés. Cinq cents mètres plus loin, nous abandonnâmes le véhicule dans un parking et nous nous engouffrâmes dans la teuf-teuf qui nous attendait, sans mot dire nous reprîmes la route du QG. Opération Commando terminée.

    CONSEIL DE GUERRE

    Le Chef alluma un Coronado.

      • Alors Kruchette ?

      • Attendez Chef, je fais d'abord chauffer de l'huile, j'ai prévu des frites ce soir au menu.

    Dix minutes plus tard, les patates pelées et tranchées, Kruchette fit son rapport.

      • Des gens charmants ! Par contre la maison une vraie pétaudière, je comprends pourquoi ils avaient demandé le passage d'une équipe de nettoyage. Vingt ans qu'elle n'était plus habitée. De la saleté partout. Des araignées au plafond. Des cartons éventrés au milieu du salon. Un désastre. Vous auriez vu les tourbillons de poussière que j'ai soulevés. Pas eu une seconde pour m'arrêter, j'ai tout nettoyé et tout mis en ordre, la dame était très contente, elle me disait qu'elle avait honte de faire dormir ses petites dans une telle crasse. Elles étaient à l'école comme prévu. Le plus triste c'est quand on a mis la chambre de Marie-Odile en ordre, la pauvre dame n'a pas pu s'empêcher de pleurer. Même que j'ai pleuré avec elle. Papa m'a toujours dit que j'étais une âme sensible. Quand je suis partie, pour me remercier le père m'a donné un billet de cinq euros.

      • C'est trop ! s'exclama le Chef. Donnez-le moi tout de suite. Votre Papa n'aurait pas été content que vous fissiez des bénéfices illicites. C'est ainsi que l'on pervertit les jeunes filles pures, Kruchette ! En tant que responsable du service je me dois de veiller à votre intégrité morale. Mais il me semble que si le SSR a déployé une telle logistique, c'est qu'un objectif très précis vous avait été imparti quant à cette mission. Avez-vous réussi ?

      • Bien sûr Chef , affirmatif, vous ne devinerez jamais où je l'ai trouvée !

      • Si,  évidemment dans le double-fond de la corbeille à papier de la chambre de Crocodile, si ce benêt d'agent Chad avait été aussi perspicace que vous, nous n'aurions pas perdu autant de temps pour nous la procurer.

    Sur ce Kruchette exhiba fièrement la cassette de Crocodile qu'elle nous tendit avec un sourire de triomphe. Qu'elle eut modeste puisqu'elle décida qu'il était temps qu'elle rejoigne la cuisine pour vérifier si l'huile des frites étaient enfin à ébullition. Molossa très intéressée la suivit toute guillerette. Le Chef se tourna vers moi :

      • Agent Chad, il existe trois cassettes, nous en avons récupéré deux, il nous manque la troisième de l'inconnue, pour le moment le score est en votre défaveur, Kruchette 2 / agent Chad 0, il y va de votre honneur, quand je pense que tout à l'heure vous avez dû penser que vous méritiez une augmentation... débrouillez-vous comme vous voulez mais d'ici vingt quatre heures maximum, je veux que vous me rameniez cette malheureuse cassette. Vous vous mettrez en chasse dès que nous aurons fini de déguster les frites de Kruchette.

    Mais le destin en avait décidé autrement. Molossa poussa un ouaf ! retentissant, et l'on entendit Kruchette s'exclamer '' Ah, non, ça alors – il y eut un bruit étrange – de l'huile d'olive vierge bio par-dessus le marché !''

    Trois secondes plus tard Kruchette toute pâle, Molossa le poil hérissé entre ses jambes, apparut dans l'embrasure de la porte de la cuisine :

      • Chef ! Pour les frites c'est raté !

    ( à suivre )