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CHRONIQUES DE POURPRE 388 : KR'TNT ! 408 : SCHIZOPHONICS / MONKEES / BILL CRANE / CRASHBIRDS / MELISA BERNARDOT / SPEEDBALL / KRONIK

KR'TNT

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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LIVRAISON 408

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

28 / 02 / 2019

 

SCHIZOPHONICS / MONKEES

BILL CRANE / CRASHBIRDS / ISLATION

MELISA BERNARDOT / SPEEDBALL

 KRONIK

 

Pas de remède pour la schizophonie

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Pas de surprise : le show des Schizophonics est un blast. The big blast. Pire encore : the real deal. Difficile d’imaginer un set plus explosif, au sens où le furent en leur temps Jimi Hendrix et le MC5. Difficile d’imaginer plus juste dans l’exaltation, plus pointu dans la fournaise, plus débridé dans le shaking all over, Pat le crac bim-bam-boome au delà de tout ce qu’on peut raisonnablement espérer. Tu veux du rock, c’est lui ! Tu veux du power-chord, c’est lui, tu veux du ramalama et de l’incendiaire, c’est lui, tu veux le revival des riches heures du Duc de Berry, c’est lui, tu veux du Black To Comm comme si c’était hier, c’est lui, d’ailleurs il démarre son set avec ce vieux stormer du MC5, histoire de bien marquer son territoire. Au moins comme ça les choses sont claires, tu peux dormir sur tes deux oreilles et laisser les décibels bercer ton âme de langueurs monochromes.

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En fait, ce mec est tellement spectaculaire qu’il finit par évoquer le souvenir de Nijinski et de ses bonds de huit mètres qui fascinèrent tant le public des Ballets Russes durant années vingt. Pat ne danse pas le jerk mais un ballet de jerk. Ses cabrioles sont extrêmement précises, il ne laisse rien au hasard de l’explosivité sinon il passerait son temps à se cogner dans son pied de micro. Et c’est là où il devient très fort, car il ajoute l’énergie du corps en mouvement à l’énergie du son, comme si les deux énergies se stimulaient réciproquement. Il ne fait que réactualiser un vieil adage : un concert de rock est plus marrant quand les gens se roulent par terre.

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Mais pour faire ce qu’il fait, il vaut mieux être en caoutchouc, oui car il rebondit, il se plie en deux ou en trois, ça dépend de l’angle d’attaque, il saute en l’air et retombe en grand écart sans s’éclater le cul, c’est très impressionnant. Seuls les athlètes sont capables de tels prodiges, alors saurait-on imaginer un athlète rock ? À part James Brown et Jesse Hector, on n’en voit pas des masses. Des gens du niveau de Jesse Hector qui passent quasiment la moitié du set au sol en combinant le chant, la rythmique et les solos, ça ne court pas les rues. Et puis quand «In Mono» arrive, il se produit exactement la même chose que s’il attaquait «Kick Out The Jams», on flaire le hit immédiatement, et par les temps qui courent, les hits de cet acabit valent tout l’or du monde.

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Dans sa course folle, Pat le crac parvient toujours à caler un yeah dans son micro, ça n’a l’air de rien, comme ça, mais en une heure, il couvre pas mal de kilomètres et il semble logique de le voir perdre son souffle en fin de set. Il termine d’ailleurs avec une espèce de fin de non-recevoir, un petit medley en hommage à Little Richard, «Whole Lotta Shakin’ Goin’ On» couplé avec «Jenny Jenny».

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Alors bien sûr, il faut écouter leur album. Le buzz est arrivé en 2017 via The Next Big Thing, le zine de Lindsay Hutton. On y trouvait un texte de Long Gone John qui annonçait après dix années de silence le redémarrage de son label Sympathy For The Record Industry à cause des Schizos qu’il venait de découvrir. Il en faisait une apologie long-gone-johnienne, et comme il fait partie des gens dont on boit les paroles, alors on buvait. Glou glou glou. Long Gone John racontait que la scène actuelle ne le faisait plus trop bander, mais en découvrant ce groupe, son vieil instinct s’était réveillé - And that was so great I simply could not refuse - Refuse what ? Redémarrer Sympathy, bien sûr ! Long Gone John racontait que Pat et Lety Beers s’étaient un jour installés à San Diego et avaient commencé à écouter le John Reis Swami Sound System weekly radio slow. Comme ils se goinfraient déjà de MC5, de Stooges, d’Hendrix et de James Brown, ils se sentaient en terrain de connaissance. Ils montèrent ensuite les Schizos et devinrent les chouchous de Mike Stax qui a d’ailleurs sorti un single sur Ugly Things - I think the Schizophonics are an amazing force, deserving attention (Je pense que les Schizos sont un groupe très puissant qui mérite votre attention) - Et ce fier poète qu’est Long Gone John ajoutait que trop de bons groupes disparaissent dans l’indifférence générale, while stylish derivative piles of useless wet shit continue to flourish and thrive (tirade scatologique qu’il n’est pas nécessaire de traduire, car tout le monde sait bien ce qu’est la wet shit - berk). Long Gone John terminait en conseillant vivement d’aller voir les Schizophonics sur YouTube, mais surtout d’aller les voir jouer en concert. You will love them and you can thank me later. (Vous allez les adorer et vous me remercierez plus tard).

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L’album s’appelle Land Of The Living, et sa place se trouve à côté des albums du MC5 et de Little Richard que vous conservez précieusement dans vos étagères. Dès «Streets Of Heaven & Hell», Pat la bête gratte à la Sonic Smith et chante à la Rob Tyner. Il y va de bon cœur. Il fait même son Wayne Kramer pendant que sa poule Lety fait son Machine Gun Thompson. On assiste à une terrible débauche des forces vives de la nation. C’est d’un très haut niveau de blast furnace. On trouve au moins quatre autres cuts dignes du MC5 sur cet album, à commencer par un «Make It Last» noyé de son, pur jus purulent de Detroit Sound, fabuleux éclair de génie rockalama Fa Fa Fa. Même chose pour le «Welcome» qui ouvre le bal de la B, c’est pilonné du pilon, martelé au tatapoum de badaboum, giclé au crack-boum uh-uh et chanté à l’efflanquée, avec un son kramérisé à outrance. Ça coule sur les doigts. Ah comme c’est bon ! «World Of Your Gun» sonne comme «Kick Out The Jams». Pat joue ça au riff Pinder, il ne se refuse aucune exaction. Il halète comme Rob Tyner. Le hit du disk s’appelle «In Mono». Son riff glorieux entre dans Rome comme un général couvert de butin et d’esclaves, brillant, têtu, ardu, poilu et ventru. Pat joue son solo dans l’œil du typhon. Quelle bardée de bordée ! Tout aussi infernal, voilà «This Train» monté au Diddley beat trépidant et joué à la cisaille infernale. Encore un pur chef-d’œuvre avec «Move». Ses départs en solo sont des modèles du genre. Pat joue ses cuts à l’emporte-pièce de garage ardent. Pas de fioritures. Rien que du brûlot expansif à l’état le plus pur. Il termine cet album faramineux avec un «Put Your Weight On It» joué sous le boisseau en flammes. Motor City is burning baby, on y est, c’est le grand embrasement catégoriel, pas de demi-mesure, c’est d’une infamie démesurée arrosée à l’excès par des tas de solos éclatés du bas-ventre.

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Signé : Cazengler, schizophrène

Schizophonics. Nuits de l’Alligator. Le 106. Rouen (76). 19 février 2019

Schizophonics. Land Of The Living. Sympathy For The Record Industry 2017

 

C’est parti Monkee Kee - Part One

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Souvenez-vous, dans les années soixante, les Monkees rivalisaient avec les Beatles en tête des hit-parades. On aurait tendance à les oublier de nos jours, mais en 1966, ils comptaient parmi les légendes de la pop américaine.

Trois Américains (Micky Dolenz, Mike Nesmith, Peter Tork) et un petit mec originaire de Manchester (Davy Jones) jouaient dans ce groupe formaté pour les télés américaines. On s’apercevra au fil du temps que Davy Jones était l’âme du groupe, comme le fut Brian Wilson dans les Beach Boys. Il faut dire qu’on ne prenait pas vraiment les Monkees au sérieux, quand on voyait leurs photos dans SLC, mais quand «Last Train To Clarksville» passait à la radio, là, on ne rigolait plus.

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Des quatre, il n’en reste plus que deux, Nesmith et Dolenz. Davy Jones fut le premier à casser sa pipe en bois en 2012, suivi de Peter Tork, tout récemment.

Visuellement, celui sur lequel on flashait le plus était Mike Nesmith car il semblait un peu moins puéril que les autres. Il jouait le plus souvent sur une grosse Gibson demi-caisse et portait un bonnet de docker qui lui donnait un petit côté aventurier à la Jack London. Et celui qui nous agaçait le plus était le batteur/chanteur Micky Dolenz qui n’en finissait plus de sourire comme une gravure de mode. Il fut aussi pendant longtemps le chanteur principal du groupe, ce qui était un vrai gâchis, car Davy Jones paraissait beaucoup plus intéressant.

Pour ce Part One, on se contentera d’un petit panorama discographique, histoire de vérifier qu’on n’avait pas rêvé. Oui, les Monkees méritent leur place au panthéon, parmi les géants des sixties.

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Si on ne possède pas l’EP, on retrouve l’excellent «Last Train To Clarksville» sur le premier album des Monkees paru en 1966. C’est le premier cut de la B, le prototype du hit sixties, l’emblème psyché joué à l’attaque frontale, doté de la meilleure énergie continentale - Oh no no no ! Caus’ I’m leaving in the morning - Et il ajoute qu’il must go. C’est saturé d’effluves sixties et joué entièrement au riff. Et là, on entre sur le territoire de Tommy Boyce & Bobby Hart, le brillant duo de compositeurs qui vont travailler pendant quelques années pour les Monkees. S’il faut retenir un hit des Monkees, c’est sans doute celui-ci. L’autre gros hit de l’album s’appelle «(Theme From) The Monkees» - Hey hey hey we’re the Monkees - repris plus tard par les Gories qui en feront Hey hey hey we’re the Gories ! On a là toute l’énergie de l’Amérique teenage. C’est absolument renversant. Back to the Monkees’ Sound avec «Tomorow’s Gonna Be Another Day» que chante Micky le batteur avec du hey hey hey plein la bouche. Il est bon, dans ces coups-là. Il chante comme s’il chevauchait un étalon. Quel fabuleux popster ! Dommage que tout l’album ne soit pas de ce niveau. C’est Davy Jones qu’on entend chanter «Saturday’s Child», un cut éclaté aux guitares claires des sixties, sacrément psych-out et oh, so far-out, so faaar-out, baby. Et puis voilà qu’avec «I’ll Be True To You», notre petit Davy nous fait son Robin Gibb.

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Ils reviennent l’année suivante avec More Of The Monkees sur lequel se niche l’autre grand hit du groupe, «(I’m Not Your) Stepping Stone», un hit exceptionnel et râblé. Figurez-vous que c’est la basse ronde qui mène le bal du garage, ici. Pas étonnant que tous les kids d’Angleterre et principalement les Pistols aient flashé là-dessus comme des ronds de flanc. On voit que les Monkees sont capables de jouer le meilleur garage de leur époque, surtout lorsqu’il est signé Boyce & Hart. Attention au dernier cut de la B : il s’agit bien sûr du troisième grand hit des Monkees, «I’m A Believer», composé par Neil Diamond. Rien qu’avec Stepping Stone et celui-là, les Monkees sauvent leur album. Ils amènent Believer au riff d’orgue et ça démarre dans l’intimité du génie des sixties. Tout s’articule admirablement, avec de l’énergie - I couldn’t believe it if I tried - Nous non plus, Micky ! Le When I saw her face est rentré dans l’histoire et on se goinfre de coups d’If I try et on se shoote de aaaaaah et des relances intempestives, il semble que l’énergie se démultiplie à l’infini, apanage des grands hits - I’m in love ! - C’est l’âge, ils sont dedans and then I saw her face ! Davy se tape plus loin un beau «Hold On Girl» et il semble dégager l’horizon, avec son extraordinaire dynamique de sucre d’orge. Il chante d’une voix de rêve. Davy le popster colle au bonheur. Il tape lui aussi dans Neil Diamond avec «Look Out (Here Comes Tomorrow)». Il sait tenir son rang de popster intercontinental. Disons que c’est le troisième hit de cet album qui semble quand même un peu mou du genou.

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La même année paraît Headquarters, avec la belle photo du groupe sur un fond blanc, le genre de pochette qui vous fait de l’œil lorsqu’elle est accrochée dans la vitrine du disquaire. Alors on entre. C’est encore l’époque où le disquaire vous fait écouter le disque et vous en parle. Mais bizarrement le disque n’accroche pas. Il manque un truc important : les hits.

— On ne peut pas dire que ce soit un grand disque, hein ?

— Tiens écoute ça !

Le cut s’appelle «Forget That Girl». Davy chante et c’est magnifique d’innocence poppy. On a l’impression de sucer une pop sucrée et chocolatée. Le disquaire tourne le disque et passe un autre cut, «Sunny Girlfriend». Ah voilà le hit de l’album, joué par Mike Nesmith qui gratte des arpèges à la volée, on a là un truc tonique et sur-vitaminé ! Wow ! Il faut voir à quelle vitesse il tricote ses mailles, c’est même effrayant et excessif. Mais ce n’est pas suffisant. Il y a trop de trous dans cet album. Mais on le prend quand même pour l’écouter tranquillement à la maison. On ne sait jamais.

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En 1967 paraît un troisième album des Monkees, Pisces Aquarius Capricorn & Jones Ltd. On frise un peu l’overdose, d’autant que cette année-là paraissant des tonnes d’albums fantastiques. Impossible de suivre financièrement. Par chance, Pisces n’est pas bon. On l’écoute chez le même disquaire qui en convient lui-même. Bon ben bof... Le seul hit qu’on trouve là-dessus est le fameux «Pleasant Valley Sunday» repris par Gedge avec son Wedding Present. C’est logique que ce soit un hit puisque Carole King et Jerry Goffin l’ont composé. On retrouve avec ça tout l’éclat de la grande sunshine pop américaine. Davy Jones se tape la part du lion avec «Hard To Believe» qui ouvre le bal de la B, Il ramène sa pointe d’English class dans ce fatras de pop américaine et sauve un peu l’album en claquant des doigts. Il swingue son charme à la bonne mesure. Ce mec sait aller chercher du rêve dans l’exercice de la démesure. Et quand on écoute «Words», on a l’impression d’entendre une resucée de «Murder Mystery» du Velvet. Et puis on voit nettement se cristalliser les tendances bluegrass de Mike Nesmith à travers des cuts comme «What Am I Doing Hanging Around», une sorte de country-rock des collines qu’il joue au picking rapide, l’œil rivé sur l’horizon.

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On approche de la fin de l’âge d’or avec The Birds The Bees & the Monkees, paru l’année suivante. Un hit s’y niche, le fameux «Daydream Believer», chanté par Davy, hit de pop suprême, orchestré aux trompettes. Davy joue la carte de la consistance de la consonance et il s’affirme en tant que héros du groupe. Il faut voir comme il remplit bien l’espace. Il chante aussi «Dream World», et on pense aux early Bee Gees, car c’est le même genre de magie, avec le même timbre de canard sucré que celui de Robin Gibb. Sa pop se veut enjouée, solide, envolée, voluptueuse, toute en bulbes et en coupoles dorées dans l’azur immaculé de ces sixties hélas disparues pour toujours. Davy refait son Robin dans «We Were Made For Each Other», balladif de charme intense et notre petit génie de Manchester chante au micro étoilé. Il est un peu le Gerald Love des Monkees. On reste dans le haut de gamme avec «Tapioka Tundra», sunshine pop over the rainbow, bien soutenue, bien fourbie, nerveuse à souhait et relativement élancée. Quand il chante «The Poster», en B, on détecte dans son timbre des accents de Robin, mais aussi de Bowie.

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Oh et puis la même année paraît Head, un album qui s’arrache aujourd’hui à prix d’or et on se demande bien pourquoi. Les hits y brillent par leur absence. «Porpoise Song» sonne exactement comme un cut des Beatles. Niveau ambiance, c’est assez proche d’«A Day In The Life», mais il vaut mieux écouter les Beatles. On frémit un peu à l’écoute de «Circle Sky», amené avec une belle densité de son et monté sur un beat d’acou. L’autre cut solide de l’A s’appelle «Can You Dig It», un drive pour le moins fantastique joué à la guitare psyché. Et puis en B, eh bien, on bâille aux corneilles. Davy tente de sauver l’album avec «Daddy’s Song», mais l’étincelle lui fait cruellement défaut.

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En 1969, ils sortent deux albums : The Monkees Present et Instant Replay. Present subit à peu près le même sort que son prédécesseur : il est privé de hit. On y entend Mike Nesmith jouer les virtuoses sur «Little Girl» et «Good Clean Fun» et Davy revient charmer les ménagères avec «If I Knew», une pop très anglaise dans l’essence de la gazoline. Mike revient à sa chère country avec «Never Tell A Woman Yes». C’est dingue comme ces mecs ont des goûts différents. Davy revient avec une compo signée Boyce & Hart, «Looking For The Good Times» et tente de faire décoller cet album. Il fait émerger ses tendances bubblegum. En B, on s’ennuie une fois encore comme un rat mort et Micky referme la marche avec un «Pillow Time» chanté au doux de la voix avec un petit côté duveteux de loutre pop, coquin de creux du cou.

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Replay n’est pas beaucoup plus convainquant. Boyce & Hart continuent de travailler pour nos amis, mais on sent beaucoup trop les influences de Sergent Pepper’s. Dès que Davy chante, comme c’est le cas avec «Don’t Listen To Linda», l’atmosphère se réchauffe. Mais on sent bien que l’inspiration fait défaut. Les pop-songs comme «Me Without You» ou «I Won’t Be The Same Without Her» refusent obstinément de décoller. Le «Tear Drop City» qu’on trouve en B est un belle resucée de «Last Train To Clarksville» : on a exactement le même gratté de guitares. C’est Neil Sedaka qui signe «The Girl I Left Behind Me», une pop éminemment bien foutue, sucrée et raffinée à souhait. Et puis voilà. T’as encore dépensé des sous pour rien.

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L’année suivante, ils ne sont plus que deux dans le groupe : Micky et Davy. Ils ne se formalisent pas pour autant et enregistrent l’album Changes. Avec «It’s Got To Be Love», il tapent dans la petite pop délicate, mais il leur manque l’envergure. L’intimisme qu’ils pratiquent ne fonctionne pas du tout. Par contre, ils défraient bien la chronique avec «99 Pounds». Ils reviennent à leurs racines pop-rock, avec du vrai son vitaminé, plein de tambourins et là, ça marche. En B, Davy ramène toute la chaleur poppy dont il est capable dans «Do You Feel It Too». Il chante de son meilleur timbre d’ambre jaune et un joli solo joué au velouté rehausse cet épisode joliment inspiré. Mais pour le reste, on pourra se serrer la ceinture.

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Dix-sept ans passent sous le Pont Mirabeau et on les retrouve tous les trois dans une piscine : Davy, Peter et Micky. L’album s’appelle Pool It et ça démarre sur «Heart And Soul», une grosse pop à la Cheap Trick. On reconnaît bien là les penchants touche-à-tout de Micky. Avec «Secret Heart», ils font même de la diskö. Incroyable mais vrai ! Alors là, on peut dire qu’ils se grillent. En B, ils passent carrément au rock FM et histoire de bien finir de scier la branche sur laquelle ils sont assis, ils font aussi un brin de reggae. Cet album est un véritable catalogue des horreurs.

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Paru en 1996, Justus pourrait bien être le meilleur album des Monkees. On y trouve en effet deux véritables coups de génie, à commencer par «You And I», fabuleuse pop de caractère. Davy Jones chante et il se montre extraordinaire de répondant. Il sait monter sa pop en neige. Avec «Admiral Mike», on passe au heavy groove. On se croirait sur l’Album Blanc tellement c’est bon, argenté et plein de son - Your copy kills/ Your copy smells - C’est joué aux énormes accords du ponant. Les Monkees ont du génie. Il faut voir avec quelle classe ils partent en sucette sur des accords rock’n’roll. Attention, ce cut est d’un niveau peu commun. En réalité, on s’embarque pour Cythère dès le premier cut, «Circle Sky». Ils lâchent une véritable cavalcade de pop portée à l’incandescence, sauvagement grattée et propulsée. On retrouve sur ce disque la formation originale du groupe et diable, comme ils sonnent bien ! Attention, avec les Monkees, les choses peuvent devenir très sérieuses ! Avec «Oh What A Night», le grand Davy Jones tape la carte de la good time music. On fond comme beurre en broche - Your kisses were so tender/ Oh what a day - Les Monkees poussent le bouchon très loin. Par contre, les compos de Micky Dolenz ne décollent pas. Il nous embête. Celles de Peter Tork accrochent un peu mieux, comme par exemple «I Believe You», pièce atonale à cheval sur trois pattes et qui tire un peu vers la gauche. Ah Tork sait avancer de travers. On perd l’habitude d’entendre des cuts aussi étrangement bons. Micky Dolenz finit par s’imposer avec «It’s My Life», un joli balladif. Chez les Monkees, le moindre balladif sonne pour de vrai. Celui-ci se révèle exceptionnel. On est aux antipodes des mauvais balladifs d’Aerosmith et de tous ces groupes de rock FM. Davy Jones boucle ce fantastique album avec «It’s Not Too Late». On sent l’Anglais dès l’intro. En fait, dans le groupe, c’est lui qui passe le mieux. Il sait modeler une mélodie pour la réchauffer et l’humaniser. Davy Jones est mort, désormais, mais il fut un petit roi de la pop. Il rayonnait et dardait de mille feux - It’s not too late/ To turn this ship around/ To sail into the world my love/ Before we run aground - Il est assez précis dans l’évaluation des conséquences. Davy Jones crée l’envoûtement. C’est un enchanteur pourrissant, comme dirait Apollinaire.

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Nos amis sont de retour en 2016 avec un nouvel album intitulé Good Times. Même si Davy Jones n’est plus là, c’est bardé d’énormités, comme «Gotta Give It Time», une puissante compo de Jeff Barry. Ah on danse autour du juke et on note l’excellence de la corpulence d’Hortense, la grosse qui danse en mini-jupe. Effarante pop. On sent bien la force des vétérans. Dans le morceau titre qui fait l’ouverture du bal, on note la présence d’Harry Nilsson. Ils font une cover de Weezer, «She Makes Me Laugh». Micky, Peter et Michael jouent ça avec une énergie considérable. Ils retapent dans Tommy Boyce & Bobby Hart avec «Whatever’s Right». Back to the basics, les Monkees reviennent aux sources de leur légende. Avec «Love To Love», ils tapent dans Neil Diamond et la voix qu’on entend est celle d’un Davy Jones ressuscité. Encore une pure merveille avec une reprise de «Birth Of An Accidental Hipster», joli cut signé Noel Gallagher. C’est traversé par un solo extravagant et on se retrouve une fois de plus avec une pure merveille sur les bras. Ils reprennent ensuite «Wasn’t Born To Follow» de Goffin & King et jouent ça au bongo du bingo. Et ça se termine avec une autre énormité cavalante, «I Was There», jouée au boogie rampant.

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Peut-être qu’au fond le mieux serait de se limiter à un bon Greatest Hits, comme par exemple celui sorti sur Arista en 1976. On y retrouve tous les hits qui firent la grandeur de ce groupe : «Last Train To Clarksville», «Daydream Believer», «I’m A Believer», «Pleasant Valley Sunday» et «Stepping Stone», bien sûr. On y trouve aussi un hit qui ne figure pas sur les albums, «A Litlle Bit You A Little Bit Me», mais qui se trouve sur un single. C’est l’un de leurs hits les plus resplendissants. On réécoute aussi avec un plaisir non feint «She», ce beau cut signé Boyce & Hart. Au plan mélodique, il se pourrait fort bien que ce soit la meilleure chanson des Monkees. C’est pur et toxique, comme peut parfois l’être le plaisir charnel.

Signé : Cazengler, et monkee, c’est du poulet ?

Peter Tork. Disparu le 21 février 2019

Monkees. The Monkees. Colgems 1966

Monkees. More Of The Monkees. Colgems 1967

Monkees. Headquarters. Colgems 1967

Monkees. Pisces Aquarius Capricorn & Jones Ltd. Colgems 1967

Monkees. The Birds The Bees & the Monkees. Colgems 1968

Monkees. Head. Colgems 1968

Monkees. The Monkees Present. Colgems 1969

Monkees. Instant Replay. Colgems 1969

Monkees. Changes. Colgems 1970

Monkees. Pool It. Rhino Records 1987

Monkees. Justus. Rhino Records 1996

Monkees. Good Times. Rhino Records 2016

Monkees. Greatest Hits. Arista 1976

Ah au fait, sur l’illusse, Peter Tork est celui qui est devant, avec les cheveux plus clairs. Derrière lui, de gauche à droite : Mike Nesmith, Davy Jones et Micky Dolenz.

22 / 02 / 2019MONTREUIL

L'ARMONY

BILL CRANE / CRASHBIRDS

 

Armony du soir. Un peu dissonante, je l'admets, mais le rock'n'roll est rempli d'aspérités, c'est ainsi, l'on n'y peut rien. En plus ce soir ce sont les oreilles qui vont saigner mais aussi les yeux. Disposés sur une table Speedball et Kronik vous arrachent la vue, pas de panique, les numéros sont présentés plus bas, plus un supplément la semaine prochaine, ne me remerciez pas, je sais que vous ne le méritez pas, mais c'est mon jour de bonté, profitez-en, en attendant, allons voir ce qui se trame du côté – pour le situer d'une manière proustienne - de la scène.

BILL CRANE

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Z'étaient l'objet d'une précédente chronique voici quinze jours, mais c'est comme les attaques de banque à mains armées, quand vous y aviez goûté vous ne pouvez plus vous en passer. Quand on y pense le rock'n'roll lorsqu' il est bien fait, ça vous prend très vite un petit air à la Jesse James. Mais ce soir les héros ce ne sont pas les frères de l'Ouest sauvage du bon vieux temps qui s'activent mais Bill Crane, une espèce de combo d'outlaws qui se complaît à fracturer non pas les coffre-forts, mais le rock'n'roll. Un art pas facile. Qui équivaut à se déplacer sur un fil de fer barbelé qui vacille en s'interdisant d'éviter toute blessure, une esthétique de la rupture.

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Ce soir Gwen nous offre une basse de velours, la compresse d'ouate douce pour les ecchymoses que vous n'avez pas encore reçues mais qui vont très bientôt tuméfier votre visage. L'a adopté la démarche du chat en chasse, souplesse et indolente, qui arpente négligemment la faitière du toit le plus haut de la ville, griffes rentrées et coussinets feutrés. Semble marcher en somnambule, méfiez-vous la bulle de sa pupille est aux aguets, arrêtez de sourire et priez pour vos souris, ce soir Gwen a la basse carnassière, s'insinue partout, l'est maintenant le boa réticulé qui se glisse sous les toits et vous ne voyez plus qu'une traînée de tuiles qui se soulèvent et trahissent sa marche en avant, insidieuse et prédatrice. La vieille technique de la tortue chère aux légions romaines qui permet d'avancer sus à l'ennemi sans désemparer. Ce soir Gwen est métamorphose, l'est la ligne intangible, le filon d'or qui court sous la montagne, les trois autres ont compris qu'il était la fréquence de base ( et de basse ), le rayon de lumière noire qui indique la direction, et permet de foncer sans fin vers les confins du rock'n'roll, qui se dérobent toujours.

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Le serpent qui rampe et l'aigle qui vole. Patrice suit l'avancée reptilienne, mais de haut, l'a le sax flamboyant, Gwen est l'ombre tutélaire et Patrice la lumière victorieuse. L'un qui fore fort et l'autre qui force l'or du feu à étinceler en gerbes flamboyantes qui n'en finissent pas de passer telles des queues de comètes interminables. Patrice a définitivement opté pour l'art de la surabondance, l'en rajoute toujours un max, toujours un sax, l'a décidé de saturer le palimpseste, de raturer les runes secrètes, l'institue ainsi un déséquilibre tangentiel dans le rock'n'roll de Bill Crane, une rupture sonique, une faille infaillible, une dévastation plénière. Une dénivellation ascendante, un escarpement différentiel. Faut le voir souffler sans interruption, comme s'il jetait sa force vitale dans le vide, comme s'il désirait se vider de lui-même, et remplir le monde de son influx nerveux.

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Bodo n'est pas à la fête. Doit répondre aux deux postulations contradictoires, l'a les bras qui n'arrêtent pas de taper, mais le plus spectaculaire c'est de suivre son travail de frappe sur son visage. Ses baguettes donnent l'air de s'activer toute seules, un ballet d'essuie glaces automatiques qui se régule sans besoin d'aide et s'adapte au moindre changement de rythme avec une facilité déconcertante. Une machine. Mais c'est dans sa tête que ça turbine le plus. Un ordinateur qui pense, qui calcule, qui prévoit. Suit des yeux les moindres mouvements des trois autres, qu'est-ce qu'ils vont encore inventer, mais non, peuvent imaginer tout ce qu'ils veulent, lui il possède la parade et la solution, l'a cet air entendu du mec à qui on ne la fait pas, ah, bon ce n'était que ça, vous voulez la révolution, voici la résolution.

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Et pourtant l'a du souci à se faire avec le Calassou, l'a sans arrêt, mais avec avec arête de poisson coincée dans le gosier, un truc de travers à sortir de sa guitare calebasse. L'a le riff qui ripe et qui râpe. Ne peut pas ne pas vous surprendre. Vous savez bien qu'il est le spécialiste de la déglingue, le skieur maudit qui déclenche l'avalanche, le chauffeur de bus qui casse le moteur, le capitaine qui coule, l'aviateur en panne de kérosène, vous attendez, et à chaque fois il invente un incroyable bidule de sauvetage, la neige qui fond, l'autobus sans abus, le sous-marin, le moteur à air, et il retombe sur les pieds du riff avec l'élégance d'une panthère qui saute par terre avec cette souplesse féline qui n'appartient qu'à elle. Sachez-le, un riff de guitare chez Bill Crane, c'est une catastrophe annoncée qui s'achève en splendeur éphémère, car il ne faut pas trop exagérer, le rock'n'roll sans danger qui reste sur ses acquis c'est comme le couteau sans lame auquel il manque le manche.

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En plus possède une arme pas secrète du tout. L'agite à la manière d'un drapeau sur le champ de bataille, l'a la voix oriflamme qui claque au vent, aux quatre vents de l'esprit dirait Victor Hugo. Vous la jette dans la tambouille sonique à croire qu'il voudrait s'en débarrasser. Un grand pavois qui cloque et qui prend ses cliques, car elle file à folle rapidité, l'écrase les crevasses et décime les cimes. Et tout le monde suit sans demander son reste. Un set de Bill Crane, c'est comme quand vous avez enlevez la clef de voûte de la pyramide, tout s'écroule autour de vous, l'on ne compte plus les morts en marmelade sous les pierres, les femmes hurlent, les enfants pleurent, mais vous vous en foutez, royalement, sous vos yeux éblouis la chambre secrète est enfin ouverte et vous pouvez contempler le visage du pharaon inconnu, et vous vous apercevez qu'il vous ressemble.

On s'en doutait, mais Bill Crane confirme.

CRASHBIRDS

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C'est le printemps, les cui-cui sont de retour. Z'ont quitté leur chaumière du Finistère rien que pour nous. C'est que nous sommes très importants, si beaux, si bons, si bien que nous sommes ( en filigrane ) sur leur prochain disque, un double CD enregistré en public à l'Armony, qui sera présenté le dimanche 7 avril de 18 heures à 23 heures à ( quel hasard ) l'Armony. Risque d'y avoir du monde vu que ce soir l'assemblée compressée ressemble à ces fagots d'haricots verts extra-fins retenus tout droit par un fil dans les restaurants qui se la jouent classe. En attendant ce jour faste Pierre est déjà au boulot, talque sa guitare avec le soin maniaque d'un pâtissier qui saupoudre ses millefeuilles, Delphine se pavane parmi un groupe d'admirateurs et d'admiratrices revêtue de son insolente beauté et d'un béret noir qu'elle porte comme une couronne de reine. Mais il est temps que les choses sérieuses commencent.

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Crashbirds, this old dirty hot blues, l'effet d'une incantation voodoo dès les premières notes, la cérémonie bleue pétrole marée noire vient de commencer. Vous avez deux sortes de blues originel, celui de Charley Patton qui mugit de l'intérieur, faisandé sur lui-même, une explosion atomique souterraine dans l'auto-cuiseur de votre cervelle, et celui de John Lee Hooker, un balancement hypnotique, un cheminement incoercible, une marche en avant infatigable, qui vous mène tout droit dans le cœur putride de votre chair, deux sentiers différents qui se dirigent vers l'identique lieu, la forteresse désarmée de votre âme lézardée. Deux manières d'être au monde qui correspondent aux voies humide et sèche de l'alchimie intime, Crashbirds ose celle de feu, sans concession ni rémission. Une ligne de crêtes solitaires aiguisées comme autant de poignards impitoyables levés vers le ciel des aurores sanglantes. Le vieil when I awoke this morning, et toute la misère du monde qui s'affale sur vous et que vous allez lacérer en un corps-à-corps mortel, tout cela, c'est l'arrière-fond immémorique de la musique de Crashbirds, ne vous étonnez pas s'ils commencent par faire un sort à votre personnel grigri christique. Le blues est sans pitié, on y sacrifie aussi bien le dieu oublié qui vous appelle au téléphone que les alligators carnassiers qui nagent dans les boyaux de vos désirs et les bayous mortels de vos affects.

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Rollin' To The South. Pierre regarde vers les Enfers et Delphine vers Dionysos. Il est le démon, elle est la ménade païenne échevelée. Pierre souque ferme sur ses boîtes soniques. Du pied il donne le rythme, s'obtient par le geste du talon répétitif qui écrase les têtes de serpents qui s'entrelacent à même le sol. Un peu voûté par ce piétinement primordial qu'il faut alimenter sans arrêt, mais les doigts courent sur les cordes de sa guitare, l'arakné obstinée du blues tisse le défi de sa toile, un tricotage riffique infini dont il semble impossible de s'arracher, la psalmodie orphique des cordes produit ses effets serpentiques et fascinatoires sur le public qui ne peut plus détacher les yeux de cette combustion venimeuse enchanteresse qui se communique lentement mais sûrement au monde entier.

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Nous descendons les sinistres escaliers avec lui et maintenant nous les remontons derrière Eurydice, Delphine est renaissance, la germination primitive, c'est elle qui chante, crie, rit, et gesticule. Ses cheveux roux sont la flamme de la torche nuptiale du jour et de la nuit, l'ivoire de son teint est la blancheur matutinale des premiers rayons du soleil qui irise le monde. De sa gorge s'échappent les clameurs péremptoires de la joie de vivre, elle dit, elle ordonne, elle façonne, sa voix est un fouet délicieux qui coupe et cisaille. Prêtresse et comédienne, elle demande à boire et l'on se précipite pour lui apporter une bière bienfaisante dans un verre aussi long qu'un cou de girafe, elle s'amuse vocalise, escalade les aigus et les cimes cristallines avec une facilité et une gracilité vocales de petite fille et de grande diva.

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Le message n'en est que plus noir. Elle dénonce et elle prophétise, We Lobotomy, No Mercy, European Slaves, Someone to Hate, les titres assénés comme des coups de couteaux dans le dos de vos illusions ne laissent planer aucun doute quant au constat de la réalité professé par nos ornithos qui vous déchirent le réel à cruels coups de bec, lui sortent les tripes du ventre pour que vous n'ignoriez rien de la puanteur sociale qui nous entoure. Et Pierre imperturbable en rajoute, entre deux morceaux, le temps d'agrémenter sa tambourinade de de quelques réparties vaseuses et scrofuleuses, élégance dénonciatrice selon un mode auto-dérisoire de l'inanité des choses. Puis comme le forçat attaché à son boulet, reprend son boulot de Sisyphe à pousser le rock du riff sur les plus hauts sommets incantatoires. Delphine le suit de près sur sa rythmique, mais ce soir elle a tellement incarné sa présence dans sa voix que ne me restent que quelques flashs de ses mains sur les cordes. Pétulante et pétillante, le cordon qui étincelle avant de détonner le bâton de dynamite. Les guys ne pensent qu'à la regarder mais devant la scène une cohorte de filles de feu s'adonnent à une étrange ronde nervalienne en son honneur.

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Hélas sur cette terre les édiles ont décidé qu'il y avait une heure pour le bonheur dionysiaque à laquelle il convient de ne pas contrevenir. Le concert s'arrête, no fun for punks, telle est la terrible loi de nos existences grillagées. Qu'importe, même si le monde est une saleté, quelle soirée de rêve bleu et rock.

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Damie Chad.

 ( Photos : FB : THIERRY LERENDU )

 

ISLATION N° 31

( Hiver 2018 )

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Je ne le savais pas mais c'était chez moi, bien au chaud sur le bureau, sous des tonnes de bouquins, de CD et de factures. Un véritable petit trésor, à peine plus épais qu'un feuillet à cigarettes, vingt-huit pages, j'ai dû réfléchir pour savoir d'où ça provenait, ah, oui la poignée de fanzines récupérée chez Vicious Circle à Toulouse l'été dernier, un coup de chance en farfouillant sur le net me suis aperçu qu'il avait seulement été distribué que sur la ville rose et à Paris in Le Silence et la Rue, boutique spécialisée en vinyles. Vous livre même le nom de l'individu qui est derrière cette publication, Bertrand Redon, un passionné de bonnes musiques. Allez faire un tour sur son bertrandmusicblogspot.

Fanzine certes, mais pas un truc esthétique du pauvre les tripes à l'arrache, une maquette parfaite, en trois couleurs, noir, blanc, gris, bien écrit, plutôt porté vers le folk, mais l'on devine une ouverture d'esprit sans œillère.

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Ai été attiré par le long article sur Tamara Lindeman. Actrice ( film et télé ) canadienne sous le nom de Tamara Hope, mais aussi compositrice et chanteuse. Elle raconte une histoire invraisemblable. Tombe amoureuse d'un garçon, passent leur temps à se promener dans les bois désertiques du Canada. André a une habitude bizarre, ramasse toutes sortes de plantes et les grignote toute crues. Elle comprend et admet cela, les gens qui habitent des contrées solitaires développent des comportements qui peuvent sembler étranges aux habitants des villes, mais qui renouent peut-être avec de très anciennes habitudes de préhension du monde, survie et connaissance, qui remontent pourquoi pas d'avant le néolithique. Le guy retourne chez ses parents sur une île lointaine, un coup de téléphone lui apprend qu'il est mort, il a mâché de l'aconit. Poison violent qui aura raison de lui en trois heures. André était passionné de musique, ayant récupéré les cassettes qu'il avait enregistrées sur son dictaphone, elle comprend qu'elle se doit de devenir chanteuse. A ce jour elle a produit quatre albums sous le nom de The Weather Station. L'on sent Bertrand Redon subjugué par le personnage de Tamara, comme si l'acte même de chanter était relié chez elle, d'une manière des plus intimes, à la manducation du premier garçon avec qui elle avait partagé une charnelle et spirituelle communication poétique.

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L'article suivant est une présentation du treizième album de Chuck Prophet, Bobby Fuller Died For Your Sins. Un titre magique pour les rockers, même si question originalité il est un peu trop connoté avec le Horses de Patti Smith, d'autant plus qu'une autre plage du disque s'intitule Jesus Wass a Social Drinker. Ah, ce sentiment de culpabilité post-puritaniste du citoyen américain, moyen ou borderline, qui n'en finit pas d'éclabousser sa conscience ! Rien que le fait de se surnommer prophète est très symbolique d'une lourde hérédité. Reste que le titre éponyme de l'album est teinté d'une ironie de bon aloi. Quant aux paroles du petit Jésus et sa rythmique subtilement titubante elles valent le détour.

Lee Bains King Krule, Cancer, Fleet Foxes, Hiss Golden Messenger, Big Blood, Susanne Sundfor, Real Estate, Gzauson Capps, John Moreland, Scott Miller, Widow-speak, Macolm Holocombe, Charlie Parr, David Rawlings, Cindy Lee Berryhill, Watermelon Slim, je cite tous ces noms pour que vous ayez honte de votre inculture ( de la mienne aussi ), autant d'albums chroniqués, peu de mots mais des évocations qui décrivent à chaque fois un univers particulier, Bertrand Redon est doué et en connaît un rayon. Par contre son article de tête sur Smoky Tiger est la preuve absolue que chacun de nous aime des horreurs abominables. Si vous êtes de ceux qui pensent que les goûts et les couleurs sont très symboliques de vos états d'être vous risquez d'être plongés dans des gouffres d'interrogation sans fin.

Diantre, ce modeste fanzine vous en apprend davantage que deux numéros de Rock & Folk ! Pastèque sur le gâteau, il est gratuit. Il existe donc encore quelques bienfaiteurs de l'humanité.

Damie Chad.

MELISA BERNARDOT

SHOOTS AND DRAFTS

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Support parisian rock scene, c'est ainsi qu'elle se définit lapidairement sur son FB, c'est elle qui nous a fourni les photos de la livraison 407 du 21 / 02 / 2019 du concert Amain Armé / Britches de la Comedia. Je ne parlerai point en cette chronique de ces photographies si ce n'est pour signaler cette manière de présenter souvent le même cliché en couleur puis en noir & blanc, ce dernier se conférant, selon cette double présentation, pour emprunter un terme au philosophe allemand Friedrich Wilhelm Schelling, une dimension réale fort prononcée tout en se donnant à voir comme la vision idéelle de ce dont il procède. Rappelons que le mot réal signifie effectif, ce qui est étrange puisque c'est la juxtaposition des deux clichés qui produit l'effet, et non l'effectivité du seul cliché shirokurique. Comme quoi la répétition du même ne reproduit pas obligatoirement le même. Nous vous laissons tirer de par vous-mêmes les conséquences métaphysiques de la précédente affirmation...

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Donc en cette kronic nous nous intéresserons uniquement aux dimensions draftiennes de la jeune artiste. En d'autres termes à l'album ( visible sur le FB : shoots and drafts ) 90377 : my drawings / visuals. Un dossier de cinquante trois vues qui forme un ensemble assez disparate de ces dessins et de ces esquisses que peintres et dessinateurs ont souvent l'habitude de jeter sur un carnet ou le premier bout de feuille qui leur tombe sous la main. Boîte à idées précieuses ou corbeille de bureau dans lesquelles on se débarrasse des mouchoirs en papier des rhumes de cerveau créatifs. La majeure partie de l'ensemble est d'ailleurs réservée à l'Inktober 2018. L'Inktober est une pratique relativement nouvelle lancée en 2009 par le dessinateur de comics Jake Parker, s'agit durant chaque jour du mois d'octobre de jeter l'encre de son imagination aiguillonnée par la proposition d'un seul mot fourni par le calendrier inktobrique. Autant dire que votre liberté est fortement bridée et que c'est à vous de vous débrouiller pour que votre propre vision du monde et votre style transparaissent dans cet exercice imposé. Une espèce de gymnastique intellectuelle qui n'est pas sans rappeler la pratique du Questionnaire Proust en littérature à la charnière des dix-neuvième et vingtième siècles.

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Nous nous arrêterons au deux octobre. Un dessin plus travaillé que les autres. Qui sert à Mélisa Bernardot de vignette à son FB, une espèce de masque symbolique, une figure en quelque sorte héraldisée de soi-même, le trait anguleux du visage rappelle Bernard Buffet, et l'attitude les poses hiératiques des héroïnes de Klimt. Olympe de goule si je peux me permettre ce calembour qui allie la beauté à l'envers du décor. Le mystère de la féminité pour se replacer dans l'esthétique symboliste fin de siècle ! Pauvre poulette, l'a été condamnée, le trois de ce mois funeste, à passer quelques minutes dans le grille-pain, la donzelle en est ressortie quelque peu cuite aux entournures, l'a perdu ses airs de déesse et peut-être pire les ailes du désir. Ces deux dessins sont symboliques du travail de l'artiste quant à l' auto-représentation de la femme, tour à tour sorcière, fée, criminelle, attirante et puis brutalement l'envers du décor dézinguée, vieille, perdue, morcelée, découpée... Victorieuse ou défaite. Les deux versants de la vie, celui qui monte vers le point acméique pour aussitôt décliner vers la dissolution finale. Le deuxième dessin de ce codex 90377, visage auréolé d'une chevelure transformée en soleil noir qui surmonte un corps qui semble déjà soumis à l'informe dégradation des pourrissements terminaux, symbolise à mortveille cette dégradation horrifiante. Immédiatement après deux représentations féminines, camelote bijoutière à motif cabalistique de pacotille ou marque sur le front d'une croix inversée sont à mettre en relation avec l'œil rehaussé de travers de l'une, et totalement blanc de l'autre, ces yeux glauques trahissent la perception d'un réel et d'un outre-réel menaçant et inquiétant. Les longs cheveux de la deuxième s'entrecroisent avec les larges rayures de son pull-over écarlate et forment comme une grille derrière laquelle rougeoie comme une fournaise, annonciatrice de sa simple présence au monde. Nous apparaît comme le joker de la mort.

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Nous sauterons les espèces de collages qui séparent les deux images qui répondent d'une esthétique mangaïque, force et beauté sont au programme. Pas très loin, beau portrait d'un jeune mec le visage habillé d'une insolence paresseuse. Aux claires couleurs des deux précédents succèdent trois noirceurs de fille, de face, de dos et ce visage pratiquement dédoublé par la coupure d'une mèche ombreuse de cheveu anarchique, vu de si près qu'il excède la pleine page. Ensuite nous picorerons, ce réveil englobé dans un semblant de gangue de main qui serre son étreinte sans pouvoir arrêter le temps. Une autre mouture de cette image se retrouve plus loin dans l'Inktober sous forme d'une gamine tenant dans sa main une tasse de café mais le corps engoncée dans le cadran de la montre du temps fatidique. Vous la retrouverez à la page suivante recroquevillée en position d'œuf fœtal que l'on espèrerait retour originel, mais sur un dessin suivant, accrochée aux ballons de son rêve que l'on pressent d'une tristesse infinie. Ne reste plus sur une image postérieure qu'une poupée jetable abandonnée sur un trottoir déserté d'humanité. Admirons cette tête d'E. T. aux cinq yeux qui pétillent d'intelligence d'autant plus forte que débarrassée du reste de la chair de son corps absent. Tout comme cet homme le corps englouti dans la boue d'un marécage qui atteint déjà les narines, derrière lui des arbres morts tendent leur branches désespérées vers le rien, à mettre en relation avec la coiffure de cette petite fille à la chevelure de palmes vivantes qui court à son shopping, à l'assaut du monde, les billets verts entre les dents.

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Ce n'est qu'un carnet. Certains lui reprocheront de ne pas être spécialement rock, pour ceux qui ont nécessairement besoin d'une guitare pour qu'une image soit obligatoirement rock, ou une pancarte '' Eléphant'' accrochée à la trompe de l'animal idoine, un de ces jours je chroniquerai les photos de concert de Mélisa. Le rock c'est aussi un esprit diffus. Ça flotte dans l'air sous forme d'atomes subtils, certains sont de véritables passoires, sont traversés par ces nuages microscopiques mais ils n'en retiennent aucun. A moins que ce ne soient les corpuscules qui ne veulent pas d'eux. Ce n'est pas donné à tout le monde d'en abriter quelques uns. Regardez la planche entière qui regroupe l'ensemble des dessins. Sont empreints d'une terrible solitude. Les personnages sont figés dans l'apparence spectrale de leur image. Que ce soit la vieille grand-mère qui tient précieusement son sac-à-main, ou l'homme à deux têtes pour mieux insulter le monde, chacun s'entête à représenter sa propre idée, la mémé qui s'accroche à son goutte-à-goutte comme à son cancer, ou l'hoplite qui a traversé des siècles d'histoire en sentinelle avisée. Mélisa Bernardot a soigné le look de chacun, jusqu'à ce qu'ils deviennent les archétypes de notre société dont nous ne sommes plus que des pièces disjointes, des figurines d'œuf Kinder sur l'étagère du désespoir.

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De fait ces croquis sont plus proches du blues que du rock. Ce qui n'exclut pas l'humour noir, la plus terrible des armes blanches. Mélisa nous offre cinquante-trois lamelles pour étude spectographique de la faune contemporaine, cinquante-trois arcanes du tarot spectral de la féminité moderne que vous ne saurez regarder sans être traversé d'un fort courant d'électricité. Lumière noire.

Damie Chad.

( Dessins visibles sur FB : Shoots and drafts )

SPEEDBALL

MALEDIXION

N° 13 / Février 2019

Arnaud & Maniak / Romuald Martin / Manolo Prolo / Pierre Bunk / Lenté Chris / Chester / Carlota / Jokoko / Gomé / Kyja / Mlce / Madd / Slo / Méli / Louna / Jess X / Dr Silk / Krokaga / Gromain / Max Clem / Pat Pujol / Dav Guedin / Denis Grr / Tôma Sickart / Pierre Berger / Marc Brouillon / Gwen Tomahawk / Laurent Z. Rondet.

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Sont comme ça les Bédéistes, vous achetez une revue, vous ouvrez et c'est aussi plein qu'un zodiac chargé de migrants au milieu de la Méditerranée, se déplacent en groupes d'entourloupe, en tribus de zébus assoiffés d'abus, en peuplades de camarades en rade, arborent leurs noms de guerre comme des étamines de pirates, se jettent sur vous à trente contre un, quand vous apercevez cette cohue tohu-bohu, vous vous dites que rien de sérieux ne pourra jamais sortir de ce pandémonium. Et plock ! ils vous glissent la lame 13 du tarot, sous les naseaux, un objet de luxe, rutilant, grand comme un département, avec papier glacé et teintes flaschy, malédixion ! et manque de bol, ils vous collent une balle de speedball en plein cœur.

Vous n'y échapperez pas. Alors prenez votre temps. Sachez qu'il existe des malheureux qui se précipitent pour lire Speedball. Ce n'est pas de leur faute, ont dû être torturés par leurs parents dès le berceau, leur manque une case ou un igloo, je ne sais pas trop quoi, mais sûrement quelque chose... Non, Speedbal ne se lit pas. Speedball se regarde, Speedball s'écoute. Non, bandes de Béotiens, vous ne trouverez pas un CD enchâssé dans la couverture, soyez un peu esthètes par pitié, n'imitez pas  ces ignorants qui ont besoin de poser un disque de Beethoven sur la platine pour entendre la Neuvième, un véritable bédéimane est comme le mélomane qui se contente d'étudier avec soin et rigueur la partition pour apprécier le génie du musicien, idem pour Speedball, prenez la brochure dans votre menotte gauche ( non, pas celle-là, l'autre ) et de la droite laissez perler sous votre pouce les pages, doucement, une par une, et la symphonie vous éclate au visage. Un festival de couleurs se déploie lentement sous vos yeux, z'avez l'impression de voir le monde se refléter sur les écailles d'un naja de quinze mètres de long, un rêve coloré passe devant vous, n'essayez point de grappiller quelques mots, the beautifull dream tournerait vite au cauchemar, que votre attention se porte exclusivement sur le travail de composition, pensez qu'avec une trentaine de participations de bric et de broc, ils ont réussi à donner une unité formelle à leur bouquin, et tirez-leur votre chapeau.

Voilà normalement cela devrait vous suffire, maintenant vous savez que c'est beau, vous devriez reposer votre intelligence en cette béatitude et laisser votre âme s'abreuver de ce seul sentiment idéal, mais vous êtes de ces mal-appris qui trempez vos doigts dans les plaies du Christ et puis dans l'anus de votre partenaire sexuel, alors pour satisfaire vos instincts touristiques les plus bas, vous aurez droit à une visite guidée. Nous ne verrons pas tout, nous effleurerons à peine, mais nous comptons sur votre perversité naturelle pour tout mirer par vous-mêmes.

D'abord le truc bluffant, cette page blanche au début, vous venez d'être maudits et hop on vous refile la blancheur de l'agneau innocent. Un peu comme le bourreau sadique qui vous passe la corde au cou et qui vous demande des nouvelles de votre santé avant de remplir son office. Ensuite dorures titulaires sur fond noir, planche ( de salut ) couleur avec rectangles d'architecture HLM, et splash, Gomé s'y met. Esthétique minimaliste. Case absente ou ondulatoire. Joue avec le blanc. Deux couleurs, le noir de l'humour et le rouge cible. C'est pour rire. Plus loin, rouge sang, noir anarchie et gris existentiel, l'on ne rit plus, rien ne va plus, rien n'a changé, de Louise Michel d'hier aux manifestations d'aujourd'hui, la révolution communiste est en marche. Tremblez bourgeois. J'ai le regret d'attirer votre attention sur cet étrange fait : Speedball n'est pas une revue macroniste. Si vous ne me croyez pas, suivez les vikings de Pierre Bunk dans leur recherche du trésor oublié. Une œuvre archéo-actualitoire. Désopilante. Plus inquiétante le Psych X man de Jess K qui nous plonge dans les circonvolutions de l'auto-surveillance psychique, notre futur proche.

Je vous laisse découvrir le reste. Ceux qui détestent l'humour punk s'abstiendront. En quatre-vingt dix pages, les histoires se suivent sans se ressembler tout en décrivant la même réalité. Mais surtout méditez ces pleines pages – dessins de styles divers ou photos trafiquées – elles rythment la revue, sont à regarder comme si dans notre quotidien des scénaristes pervers avaient remplacé les pubs de nos panneaux publicitaires, par des espèces d'engrammes symboliques, une efflorescence de représentation kaléidoscopiques des images les plus triviales de notre quotidien mêlées aux icônes les plus spasmodiquement mythiques de la culture populaire. Speedball ne recule devant rien, mais ceux qui en ressortiront choqués n'auront pas compris que la revue est à lire selon un autre plan. Ses dessins n'ont d'autres but que de mettre en mouvement la roue grippée des concepts dans la tête de nos concitoyens. Speedball, accélérateur de conscience.

Damie Chad.

 

KOMIKS KRONIK

N° 15 / Novembre 2018

Aurelio / Jokoko / El Primate / Toma Sickart / Chester / Syl / C. Sénegas / Camille Pull / Nemo / Pierre Lehoulier / Tusghin & Pierre Bunk / Tim64 / Mimi Traillette / Méli & Afeu / Pat Pujol / Toki / Gromain / Gwen Tomahawk / Madame Cruiii / Benoît Bedrossian / Gomé / Virginie.B / Jurg

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L'on ne prend pas les mêmes – quoique en y regardant de près l'on s'aperçoit que certains participent aux deux aventures – et l'on recommence. Chez Kronik l'on n'hésite pas à renverser les axiomes du punk. No Future ? Eh bien si, et de beaucoup. Numéro spécial '' Space Robot''. Ne sont pas optimistes chez Kronik. Les robots ont gagné la bataille. Ne sont pas plus intelligents pour cela. Aussi médiocres que les humains. Les deux races coexistent aussi paisiblement que les ethnies humaines au cours de l'Histoire. Nous les avons créés à notre image. C'est sans doute pour cela qu'ils adoptent nos conduites et sont incapables de construire un univers mental différent du nôtre.

Un format légèrement moins grand que Speeball, mais quarante pages de plus. Mais est-ce une illusion, les encrages semblent différents, teintes plus claires et en même temps plus vives chez Kronik. Mine de rien il y a un sacré travail de mise en page dans ce numéro. Jokoko en est le maître d'œuvre, tout est dans l'alternance, ne s'agit pas de marier les styles mais faire en sorte que les mises en page se succèdent sans que l'une ne mange la suivante ou la précédente. Orchestration visuelle. Tact graphique obligatoire. Le bistre de fond de page d'Outer Space d'Aurelio, les bordures noires pour les vignettes faussement naïves et réellement scatophiles de A Plus Uranus de Jokoko, les incipits à dominante bleue de nombreux épisodes, les images de Goldoraque de C Sénégas découpées et recollées, et puis Zizi et Pantoufle qui semble un texte illustré par des images, les vignettes panoramiques de Super Gros Con de Pierre Lehoulier ( le même qui guitare dans Crashbirds ) avec son en-tête très années cinquante, la poésie de Boracho Le Clodo de Riri qui n'est pas sans évoquer la maladresse des dessins d'enfants, les dessinS au fil de Framax qui rappellent l'esthétique de Tron, tout cela ( et bien d'autres ) il a fallu l'inscrire dans une continuité pour ainsi dire narrative. Car dans ce Kronik vous pouvez simplement vous éclater à lire les histoires une par une, mais ce serait passer à côté de l'intérêt du volume si l'on ne s'aperçoit pas que ce numéro 15 est aussi un déploiement du traitement de l'image, de sa mise en scène, de sa mise en réflexivité avec le texte, c'est peut-être avant tout l'histoire du rapport entre l'image dessinée et l'image cinématographique qui est ici parfaitement illustrée et évoquée. Que cela n'effraie pas le lecteur, ce numéro n'est pas théorique, se présente plutôt comme un condensé expériençal des différentes manières de concevoir la mise en forme du récit graphique.

Qui dit robot dit science-fiction, l'imaginaire de nos auteurs ( pas tous ) est plus près de la science-friction. Frictions érotiques de la chair et du métal, comme si l'important du futur résidait dans cette approche mutuellement fascinatoire de l'Homme et de la Machine. Aussi tourmentée que celle de l'Un avec l'Autre. A croire que si les formes changent les problématiques ne varient pas d'un iota. Ce Kronik est beaucoup plus philosophique qu'il n'y paraît. Le rire n'est-il pas la force suprême de la sagesse ?

Damie Chad.

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