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  • CHRONIQUES DE POURPRE 466 : KR'TNT ! 466 : THE PESTICIDES / GREG DULLI / VIVIAN STANSHALL / PRETTY THINGS / SUPER GROS CON / ROCKABILLY GENERATION / JADES / MANIFESTE ELECTRIQUE / WEST BRUCE & LAING

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 466

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB KR'TNT KR'TNT

    28 / 05 / 2020

     

    THE PESTICIDES / GREG DULLI

    VIVIAN STANSHALL / PRETTY THINGS

     SUPER GROS CON

    ROCKABILLY GENERATION / JADES

    MANIFESTE ELECTRIQUE / WEST BRUCE & LAING

     

    THE PESTICIDES

    ( Soundcloud )

     

    J'avais préparé le titre ci-dessus pour écrire la chronique ce matin et avant de me mettre à l'œuvre je jette un coup d'œil distrait sur le fil de mon FB, tiens marrant une photo de Djipi Kraken alors que je vais parler de lui dans trois minutes, mais l'horreur déboule vite, Elise Bourdeau à mots touchés-coulées nous annonce qu'il est passé du côté des ombres.

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    Nous n'avions fait que l'entrevoir, dans sa vareuse blanche et ses cheveux blonds, le visage fermenté et couturé d'un spleen byronien, d'instinct nous avions pensé à un artiste tourmenté par l'étrange alchimie opératoire que sont les noces de la poésie et du rock'n'roll. A ses côtés les deux pestes, qui furent ses derniers rayons, d'un soleil noir et baudelairien. Il arpente maintenant des sylves obscures, pour quelques uns sa présence aura orienté leur intimité au monde. Rares sont les individus qui irradient ce privilège insigne d'illuminer l'existence de ceux qui ont côtoyé leur solitude êtrale. Chemins réservés.

    Toutes nos pensées à ces petites pestes...

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    Deux titres uniquement sur ce Suncloud qui ne demandait qu'à être empli. Dont l'ajointement résonne tel un ultime message, la nécessité de vivre intensément d'une part, et la sensation de cet anneau de feu qui nous encercle, nous donne tour à tour mort et naissance infinies. Car ce qui est mort ne mourra plus jamais.

    Take me : étrange de s'apprêter à écouter The Pesticides sans les voir sur scène, la signalitique gesticulatoire des deux jumelles focalise l'attention, vous êtes sensible au jeu du double miroir de leurs mouvements, et là vous n'avez que la voix. C'est faux puisque la guitare de Kraken est présente aussi, mais cette fois elle n'est pas en appui direct, un petit binaire bien pesé mais rien de prenant, c'est que le Kraken connaissait ses demoiselles, leur perversité native, juste leur donner le ton, et l'auditeur se débrouille avec ces deux voix à l'unisson qui rampent comme du lichen bubonique qui aurait décidé de se fixer sur l'aura de votre âme. Et vous restez-là, incapable de chasser de la main cette lèpre insidieuse, et fascinante. Le murmure des sirènes est encore plus déroutant que leur plein-chant. Death circle : un phrasé davantage rock, le Kraken qui fait craquer ses écailles plus fort, la flamme est-là, elle avance sans se presser, inextinguible, mais lorsque le morceau s'arrête, la boucle s'achève et vous a rejeté sur le rivage de votre insatisfaction humaine. Vous avez raté quelque chose, votre vie, mais elles chantent comme des gamines qui tirent la langue à la mort.

    Et puis dans la journée sont apparus d'autres titres qui sont parfois aussi crédités en même temps The Pesticides et Les Brigades Rouges, ou Barbelés, quand vous recherchez vous vous apercevez que vous retombez sur The Pesticides, ou Djipi Kraken, un jeu subtil entre hétéronymes et projets parallèles en déshérence.

    Jessy : j'ai six quoi ? Six fragments de quoi ? Elles font leur voix de prêtresse mystérieuses occupées à d'incompréhensibles rituels, parfois l'une chante plus haut que l'autre comme s'il fallait aider au déséquilibre du monde. Très beaux froissés de guitare. Vous ne saurez jamais si Jessy était un être de douceur ou un pantin désarticulé. Quelle importance. Sûrement une ténébrante fleur du mal. Terrific Man : ça terrifique, je pars me recoucher, il en faut plus pour me faire peur. Et ces voix aigües, doit y avoir une araignée noire et velue dans le studio, ce n'est que petit à petit que la frousse commence à vous gagner, pourtant le background est idéal, à la troisième reprise – ah ces coups de cymbales miteuses - vous ne savez plus si vous-même vous n'êtes pas l'épouvantail qu'elles se chargent de supplicier. What's wrong with me : la guitare de Kraken est un vortex d'introspection auto-mutilatoire, les filles chantent depuis l'intérieur de leurs corps, on croirait qu'elles sont devenues poissons lovecraftiens, à moins que ce soit l'exploration simultanée des deux phases de la schizophrénie. Whatever : magnifique cette voix qui provient du dessous de l'âme, d'un endroit où l'on n'a jamais posé les pieds car l'on ignorait qu'il existât, et l'on n'était jamais tombé par hasard dedans. Des voix graves et des guitares fuselées, vous ne savez pas jusqu'où vous descendrez mais vous suivez le chemin interdit. Just a doll : inquiétant. Une espèce de ballade romantique au pays des épaves, ces morceaux de vie que nous abandonnons derrière nous parce qu'ils sont trop lourds à porter, à tirer. Des confidences que l'on n'aurait jamais avoir voulu entendre. Master Piece : de Barbelés : autre groupe de Djipi Kraken. Qui se revendiquait du Punk. Puisqu'il le disait. Pas vraiment un instrumental, un morceau que nous pourrions qualifier de sonoral. Quelque chose qui s'aventure dans un rock'n'roll strictement basique mais expérimental. L'approche des gouffres. Nous avions-là un magnifique guitariste. Et nous le découvrons trop tard.

    The Pesticides se réclament du Velvet Underground mais ces morceaux m'ont plutôt évoqué, par leur compression musicale obstinée à ne laisser aucun espace vide, les premiers enregistrements de Lou Reed d'avant le Velvet. Lors du concert du 06 mars 2020 à l'Espace Dennis Hopper de Bagnolet, les filles avaient squatté nos mirettes, un peu comme les danseuses d'un ballet occultent les musiciens, sur ces bandes destinées à un premier E. P. l'on peut se rendre compte du travail effectué par les voix, se recouvrent, s'entremêlent, se détachent pour mieux se ressouder l'instant d'après, et ces mélopées sont soutenues par les finesses d'une guitare jamais à court d'invention et d'intervention, un peu à la manière des vents marins qui lissent et entraînent les vagues. Djipi Kraken et ses petites pestes étaient en train d'élaborer un son et une mise en scène originales. Mais la vie continue. Nous avons confiance.

    Damie Chad.

    Hello Dulli, mon joli Dulli

    - Part Two

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    Pour la parution de son premier album solo, Greg Dulli accorde une audience à l’émissaire d’Uncut, un nommé Sam Richards. Inespéré.

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    — Mais pourquoi un album solo ? Serait-ce donc la fin des mighty Afghan Whigs ?

    — Absolutely not. Mais Patrick Reeler fait partie des Raconteurs et John Curley est retourné à la fac. Puis John Skibic m’a dit que sa femme attendait un gosse alors je me suis dit oh fuck tout le monde est fucking busy et comme je passe mon temps à composer des chansons, il m’est apparu clairement que je devais continuer seul.

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    Et voilà le travail. Il s’appelle Random Desire. Le petit conseil qu’on peut donner à ceux qui ne l’ont pas encore écouté est de l’écouter dans de bonnes conditions, car c’est un album qui a du son et qui n’est pas fait pour être écouté sur un ordi ou un téléphone. L’album est tellement bourré de son qu’il chevrote et qu’il peut faire sauter un casque. Dès «Pantomia», il craque sa voix comme on craque un coing d’un coup de hache. Il fait le choix de pulser le son au-delà des limites du descriptible, il s’assoit sur les conventions, il explose une prod qui n’attendait que ça. Big Dull déclenche une sorte de sur-excitation de l’écoute que vient encore gonfler «Sempre». Vas-y Dulli, mon joli Dulli, gratte ta moelle, bats ta chique, gueule ta Soul. Pas de pire teigne d’American popster que ce mec-là. Quand il lance un Go!, ça bascule dans l’extrême, you got no one/ You got no one, il sait de quoi il parle, il sature le son d’énormité et bien sûr les falaises de marbre s’écroulent dans la clarté irisée d’un nuage atomique. It’s so easy ! Easy ! Pretty easy ! Le barnum remplit l’espace. Dull does it right. C’est forcément un album destiné aux esprit éclairés. Greg Dulli s’amuse à repousser les frontières, donc ça tourne vite au monumental. Il joue parfois en sous-main, mais assez magnifiquement. S’il ne fallait conserver que trois artistes dans l’actualité, ce seraient Lanegan, Swamp Dogg et lui. Pourquoi ? Parce qu’ils sont visionnaires. L’Afghan revient au beat de confrontation avec «The Tide». Il re-sature de plus belle, il chevrote son son more and more, il voit jusqu’où il peut aller trop loin, never better but forever at your worst, comme s’il explosait la pop par le cul, avec somebody in the wave/ Like you by my side, fantastique pusher de push-push et il sort ça, avec un œil qui pend : «You can steal me blind but you will never find !». Pire encore, son «Scorpio» est une intrusion dans la boutique à délices. Dull s’y fait breaker d’infamous power pop, il jacte dans son micro comme un punk dégueulasse et tout grelotte de beauté, comme si le Brill s’écroulait dans sa besace. But baby I think I got some champagne somewhere in the back, on ne se méfie pas, c’est amené au piano et la bombe explose, breathe with me, il veut tout, sing to me, feel your body come close, et le cœur du cut bat la chamade comme ça n’est jamais arrivé dans l’histoire de la pop américaine, Dull envoie les violons, lay with me, no one knows we’re awake, puis ça bascule dans le deceiving me, il sait que ça va mal tourner, I know this will end, ça pue l’écumoire, le bouilli vivant au retour de la pêche. Dull a du génie. Et ce n’est pas fini. Il repart de plus belle avec «It Falls Apart» et un better get down/ Cuz the sheets are poppin’ ogh yeah, il rase les murs à sa façon. Chaque mot sonne comme l’écho d’un oracle, Dull rôde dans son texte comme un loup affamé, il retrouve sa poule dans le groove, I found you there, c’est plombé de mortalité extrême, I feel the night/ Surround, il se fait anaconda géant pour ramper dans les ténèbres, il sort un son puissant et compressé, on respire mal, comme s’il s’asseyait sur nos poitrines, et comme dieu ou le diable, il obtient tout ce qu’il veut de nous. Absolument tout. Avec «A Ghost», il passe au mambo de malpractice, il danse sa vie dans la mort, il évolue libre de toute poursuite, avec tout le son et tous les violons qu’on peut bien imaginer, il devient Dull the bull, ce mec remplirait à lui seul le Bestiaire d’Apollinaire. Il va chercher son random desire très loin, il n’en finit plus de clamer sa foi de pâté de foie dans «Lockless», il cherche à rattraper les paroles qui fuient sa bouche, random desire knows my name et ça explose dans un chaos de trompettes et de tout ce qu’on peut bien imaginer. Big Dull ne vit que pour l’orgasme. C’est sa religion. Il s’enterre vivant dans le son. I would do annything, clame-t-il dans «Slow Pan», juste pour essayer de ne pas s’en sortir. Dull s’en branle éperdument. C’est un homme libre, un artiste pur.

    Durant l’audience, il explique qu’il a commencé très tôt à composer, dès l’âge de 14 ans.

    I come up with a riff that I like and I hum a melody over it, et je trouve les mots qui conviennent à la mélodie. J’ai fait ça pendant 40 ans.

    Il ajoute plus loin qu’il se considère comme un artisan. Il se fie uniquement à son instinct. Si sa tentative de compo foire, il l’abandonne. Si elle marche, alors il la chante sur scène.

    Une question aborde justement l’aspect sombre de certaines de ses compos. Greg Dulli travaille essentiellement sur la violence relationnelle et le pourrissement des sentiments affectifs. Mais il avoue s’en éloigner pour aller vers quelque chose de plus abstrait. Il n’a plus besoin d’avoir le cœur brisé pour composer. Il n’a plus besoin de se sentir détruit pour devenir génial. Il croyait comme beaucoup de gens qu’il fallait souffrir pour produire de l’art. Mais il n’est jamais allé jusqu’à saboter une relation pour trouver de l’inspiration. Ça lui paraît nul et de toute façon, ça sonnerait faux.

    Quand on lui demande s’il écrira un jour son autobio comme vient de le faire son ami Mark Lanegan, Greg Dulli se montre catégorique :

    — Absolutely no, no way. Je n’ai pas la patience pour ça, je vis trop dans le présent.

    Mais il en profite pour saluer ce chef-d’œuvre laneganien qu’est Sing Backwards and Weep: A Memoir. Il profite aussi de l’audience pour saluer la mémoire des disparus qui lui sont chers, son chat Clyde, ses grand-parents, Prince, David Bowie. Il estime qu’il a beaucoup de chance d’avoir vécu à la même époque qu’eux.

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    La parution en 2017 d’In Spades, dernier album des Afghan Whigs, fut un événement considérable. Oh la la, quel album ! D’abord, y a Satan, lui qu’est comme un melon, lui qu’a des grosses cornes, lui qui sait plus son nom, monsieur, tellement qu’il voit tout, tellement qu’il a tout vu. Ensuite, y a «Arabian Heights» qu’est bâti comme un empire, à la force d’une vision, monsieur, d’une vision conquérante, et le son est si dense qu’on se pâlit comme un cierge de Pâques, monsieur, et qu’on chante de concert love is a lie et qu’on beugle à pleine gueule like a hole in the sky when you die. Ensuite y a «Toy Automatic» qu’est sombre et beau, qu’a des culottes dans les cheveux, qu’a jamais vu un peigne, et qu’a l’œil qui divague et qui vire too soon too late, monsieur, et qui sème ses mots dans un fleuve orchestral si majestueux qu’on dit oui qu’on dit non. Oh, ensuite y a «Oriole» qui rêve qu’il vole forever et qui balbutie flying flying flying avec des larmes plein les yeux et qui cherche l’amour et la foudre, du soir au matin, sous sa belle gueule d’apostat, et qui fait la grandeur de ce disque qu’est raide comme une saillie. Et puis y a «The Spell», si incantatoire qu’il défie toute concurrence, monsieur, qu’est beau comme une maison avec plein de fenêtres et presque pas de murs et qui fait free the light et qu’on écoute en se tordant les mains tellement c’est beau, tellement c’est beau. Et puis y a cette chanson qu’est trop belle pour moi, cette chanson qui s’appelle «Light As A Feather» et qui ressemble à un amas sonique grimpé à califourchon sur des accords si sourds qu’on dirait des pots, monsieur, des accords si profonds qu’on dirait le gouffre de Padirac et mon Dulli, oh mon joli Dulli, il gueule dans sa tempête, monsieur, il chante les yeux tout mouillés, et pour un instant, un instant seu-le-ment, il éclipse Dieu le père et tous les saints de la Trinité, il dit qu’il n’a plus rien à perdre, et le vent du Nord l’emporte au loin, monsieur, comme une clameur. Et y a «Into The Floor», qu’est gueulé au soir de la vie, qui dit non à la mort, qu’est too late ou qu’est yet to come, et qui fascine, monsieur, qui remonte inlassablement à l’assaut du ciel et qu’est beau comme un soleil de Van Gogh !

    Signé : Cazengler, Salvatorve Duli

    Afghan Whigs. In Spades. Sub Pop Records 2017

    Greg Dulli. Random Desire. Royal Cream LLC 2020

    Sam Richards. An audience with Greg Dulli. Uncut # 275 - April 2020

     

    Stanshall be released

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    Vivian Stanshall ou the gospel according to Dada. Comme le dit si bien la chanson, we shall be released, yes, mais avec Stanshall et les derniers grands provocateurs du XXe siècle. Chacun sait qu’il vaut mieux rire plutôt que de craindre l’enfer et prier Dieu que tous nous veuille absoudre. Alors rions.

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    Avec Ginger Geezer, Lucian Randall & Chris Welch rendent un hommage vibrant à Viv 1er, roi des lunatiques britanniques. Les deux zauteurs ne sont pas des zutistes, mais ils zécrivent bien. Ils regorgent d’admiration pour ce roi des lunatiques qui fut expert en maniement des situations extrêmes. Pas pire pousseur de bouchon que ce bohème roukmoute. Il est utile de préciser que le cocktail valium/vodka joue un rôle prépondérant dans cette épopée royale. Consommer avec modération ? De quoi faire hurler de rire le roi Viv, notre roi favori, aussitôt après Ubu.

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    On entre dans ce livre comme on entrait jadis d’un pas léger au Palais de Tokyo pour visiter l’expo Picabia. Instant magique. D’ailleurs on croise très vite des connaissances dans les pages de Ginger Geezer. Tiens voilà Marcel Duchamp ! Les auteurs établissent un parallèle entre Duchamp et Stanshall sur la base d’une maigreur de l’œuvre. De plus, l’un comme l’autre chouchoutaient les calembours, les bonnes blagues, et les symboles obscurs. Pire encore, ils insinuaient énormément. Ils excellaient surtout dans l’art de l’ellipse. Stanshall : «Quand Duchamp signa l’urinoir ‘R. Mutt’, la messe était dite, en vérité. Il n’avait plus besoin d’en rajouter.»

    Il n’est donc pas étonnant que Stanshall baptise son groupe Bonzo Dog Dada Band - It was this sense of fun and rule-breaking that was alive in the Bonzos - Sens du fun et mépris des lois. Tout est là. Stanshall entend ramener l’énergie Dada dans la scène rock anglaise. Puis lassé d’avoir à expliquer ce qu’est Dada aux ignares, il transforme en 1968 le Bonzo Dog Dada Band en Bonzo Dog Doo Dah Band, le Doo Dah venant d’une expression couramment utilisée par la mère de Rodney Slater (clarinettiste du groupe), «Oh fetch me the doodah» qu’on pourrait traduire par «passe-moi donc le machin». Stanshall flashe comme un flash sur les expressions insolites. Il flashe aussi sur le homard que Gérard de Nerval promenait en laisse, au Palais Royal. Précision capitale : la laisse était un ruban bleu. Pourquoi un homard ? Très simple : le homard n’aboie pas et connaît les secrets de la mer.

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    Les animaux jouent un rôle prépondérant dans le règne de Viv 1er, roi des lunatiques, notamment les bestioles antipathiques. Notre bon roi prend plaisir à transformer son salon en vivarium. Lorsqu’il reçoit des invités, il nourrit ses piranhas avec les souris mortes qu’il stocke dans son frigidaire. De gros serpents s’évadent aussi de leurs cages en verre et Viv 1er passe beaucoup de temps à inspecter le dessous des banquettes du salon à leur recherche, ce qui insécurise comme on peut l’imaginer ses convives nullement habitués à savoir de gros reptiles en liberté dans les parages. Aimable, le roi prévient : «Just watch out, it may show up !». Un visiteur pétrifié d’horreur rapporte qu’installé au salon et lancé dans une brillante conversation sur l’art avec Stanshall, il vit un horrible serpent s’échapper lentement d’un aquarium installé dans le dos de son hôte. Viv 1er donne aussi de la viande crue à ses tortues. L’une d’elles s’appelle Stinky. On peut lire sur l’étiquette de l’aquarium : Stinky, the man-eating turtle. Stinky donne d’ailleurs des coups de bec dans le verre pour réclamer sa viande.

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    Et puis voilà Bones, le bulldog qui vit avec Viv sur le Searchlight. Robert Short décrit Bones comme un chien horrible qui n’en finit plus de péter et de chier partout - The most loathsome creature I think I’ve ever seen - Le chien le plus dégueulasse qu’il ait jamais vu. Viv décrit son toutou comme «un bulldog brun et feignant, fidèle et complètement stupide.» Il ajoute que ses pets valent largement ceux du Pétomane, qui faut-il le préciser, figure parmi les idoles de Vivian Stanshall.

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    Il adore aller se taper la cloche dans les meilleurs restaurants. Il déguste les mets les plus fins et sirote les meilleurs crus. Puis il prend soin de roter très fort pour que tout le monde entende. Il reste assis et attend la réaction. Il aime aussi lâcher des pets bien sonores. Sur scène, lorsqu’il joue du piano, il en lâche un gros et déclare au public : «That was a bum note.» Il adore aussi aller faire le con au cinéma. Tiens, Les Oiseaux d’Hitchcock, par exemple. Il se met au fond de la salle. Quand les oiseaux attaquent, Stanshall rajoute des cris horribles et fout les chocottes à tout le monde. Soit les gens se barrent, soit ils se planquent entre les rangées de fauteuils.

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    Il adore aussi faire le gros dégueulasse à la Reiser. Un jour dans la rue, Stanshall se déshabille et le voilà en slibard, un slibard infect, deux fois trop grand, plein de trous, avec des taches de thé et des brûlures de cigarettes. Une amie qui partageait sa chambre lors d’une tournée des Bonzos rapporte que Stanshall se mettait au lit dans un pyjama horriblement puant, et bien sûr, il avait pris soin de mettre des œufs dans le lit. Splouch, splish, splash. T’as voulu voir Vesoul et t’as vu Stanshall.

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    Avec le Pétomane, Oscar Wilde et Audrey Beardsley sont les autres héros de Vivian Stanshall. On s’en serait douté. Ce roi des lunatiques est aussi un homme extraordinairement cultivé. Gary Lucas se souvient de l’avoir rencontré à New York : «Il portait les cheveux longs et en avait déjà perdu beaucoup, mais il avait beaucoup d’allure. Grand et maigre, il avait l’air d’un épouvantail avec une grande barbe rouge. Il portait un pantalon pattes d’éléphant, comme dans les années soixante. Il conservait une allure de rock star.» Pour Gary, c’est une soirée magique : «Il avait un charisme extraordinaire, on aurait cru rencontrer Oscar Wilde.»

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    Parmi les gens que Stanshall admire, citons aussi Sir Richard Burton, l’homme qui découvrit avec John Speke les sources du Nil, qui traduisit le Kama Sutra et les Contes Des Mille Et Une Nuits, en pleine époque victorienne. Quand le réalisateur Tim Nicholls se pointe à Muswell Hill pour rencontrer Viv, il tombe lui aussi sous son charme : il n’avait encore jamais rencontré un homme aussi créatif - He was charming and hugely intelligent. He was fascinating and definitively unconventional (il était charmant et extrêmement intelligent. Très fascinant et parfaitement non-conventionnel) - Et Pete Brown qui vivait dans les parages ajoute : «He was a self-made intellectual.»

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    C’est pendant l’âge d’or des Bonzos que Stanshall devient accro au valium. Il souffre de panic attacks et doit prendre du valium pour se calmer. Mais l’abus de valium détériore l’élocution et sur scène, ça finit par poser de sacrés problèmes. Autre chose. Pendant une tournée américaine, il est possible qu’il ait testé le LSD, volontairement ou non. Neil Innes remarque qu’il est devenu bizarre à son retour à Londres. Par contre, le roadie R Mutt est beaucoup plus catégorique : il affirme que Stanshall a pris de l’acide à New York. R Mutt ajoute un point capital : «Avec l’alcool comme avec l’acide, Stanshall aimait bien savoir jusqu’où il pouvait aller trop loin.»

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    Artistiquement parlant, Stanshall dispose d’une très belle voix. Il dispose de deux registres, un registre léger et farfelu qui lui permet de chanter comme un crooner des années vingt et d’aller chercher des sacrés chats perchés, et un registre extrêmement profond et fruité - a Dundee cake of a voice - qui lui permet de balancer des coups de gutsy trombone blasts of larynx-lazy British sottery, to use a Stanshally sort of a phrase.

    Les ‘coups’ de Viv sont des chefs-d’œuvre d’exaction inopinante. En voici un beau specimen : les Eagles sont à Londres et souhaitent rencontrer Stanshall qu’ils ont vu à Los Angeles au temps des Bonzos. Pas de problème. Le pote de Viv Andy Roberts passe les prendre à Maida Vale et les ramène au bercail. Ils passent la soirée à fumer une herbe africaine extrêmement puissante et décident d’aller casser la graine dans un restau indien. Pendant le repas, Viv leur fait le coup de la crise cardiaque : il se plie en deux, se tord de douleur et envoie Andy chercher ses pilules. Les Eagles se retrouvent coincés dans un restaurant avec leur héros gémissant et grimaçant à l’excès.

    Un jour, pour se distraire, Viv 1er répond à une annonce proposant une démonstration à domicile d’une power shower portable, c’est-à-dire une douche puissante qu’on peut installer soi-même dans sa salle de bain. Il signe le coupon du nom de Mr Penguin. Il faut savoir que lorsqu’il nettoie un aquarium, Viv ne porte pas un tablier, mais plutôt une combinaison d’homme grenouille et des palmes. Quelques jours plus tard, alors qu’il nettoie l’un de ses aquariums dans cette tenue pour le moins incongrue, on sonne à la porte. Il flippe floppe jusqu’à la porte d’entrée, l’entrebâille et fait : «Yes ?» C’est la dame du power shower. Elle est subjuguée par l’apparition de l’homme grenouille mais reprend très vite ses esprits pour demander : «Is Mr Penguin at home ?»

    Encore un coup fameux : Stanshall cherche la maison de Pete sur Ossulton Way. Il se trompe de maison. Une vieille dame de soixante ans ouvre la porte et reste pétrifiée : devant elle se tient un géant empestant le rhum, portant des lunettes à montures octogonales, une barbe rouge, et une chemise de nuit décorée de lunes et d’étoiles. Il s’appuie sur une béquille grossière taillée dans un arbre et chaussée d’une godasse de foot. L’apparition grommelle : «Where’s Pete ?» et s’écroule soudain dans les bras de la vieille dame. Il réussit miraculeusement à reprendre ses esprits et à faire demi-tour. Sur le trottoir d’en face, habite Dean Ford, le chanteur de Marmalade. Il a assisté à la scène. Il en pleure de rire.

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    Sur le tournage de son film Sir Henry at Rawlinson End and Other Spots, Viv déambule dans les bureaux de la société de production et va trouver les secrétaires. Pour les distraire un peu, il sort sa queue et la pose sur la table : «‘Morning ! Needs a bit of exercice !»

    Les coups les plus fumants de Viv sont ceux qu’il monte avec Keith Moon. Un restaurateur leur barre l’entrée de la salle de restaurant et leur indique qu’il faut porter la cravate. Viv, Moonie et les autres Bonzos reviennent un peu plus tard. Ils portent tous la cravate, mais rien d’autre.

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    Moonie et Viv deviennent experts en montage de coups fumants. Ils entrent un jour chez un marchand de fringues à la mode. Le vendeur accourt à leur rencontre :

    — Bonjour messieurs. Comment puis-je vous aider ? Cherchez-vous un article en particulier ?

    Moonie et Viv répondent en chœur :

    — Strong trousers !

    Un pantalon solide ? Pas de problème. Le vendeur ramène un très beau pantalon en mohair. Viv empoigne une jambe et Moonie l’autre. Ils s’écartent l’un de l’autre et tirent chacun de leur côté. Crrrrrrac ! Le pantalon se déchire ! Alors ils hurlent au scandale :

    — Vous appelez ça des strong trousers ?

    Le vendeur pâlit. Ce type d’épisode échappe à sa compréhension. Soudain, un complice unijambiste entre dans le magasin. Il vient droit sur les deux morceaux de pantalon :

    — Aw my God ! C’est exactement ce que je cherchais ! J’en prendrai deux paires !

    En fait, Glen Colson explique que Moonie rêvait d’être Vivian Stanshall. Et inversement, Viv rêvait d’être Keith Moon. Moonie crevait d’envie d’être un snob intellectuel et Stanshall aurait voulu être dans les Who et composer Tommy. Les rock stars l’aimaient et ça le flattait énormément.

    Viv collectionne les coupures de presse dans un classeur qu’il appelle The Book Of Madness. L’une de ses préférées : «Un homme accusé d’avoir abattu son copain comparaît au tribunal de Lagos et dit qu’il a tiré par erreur : il l’a confondu avec un gorille.»

    Fatiguée par ses frasques et par les abus liés à l’alcool, sa première épouse Monica le quitte et embarque leur fils Rupert avec elle. Stanshall se retrouve seul et bascule dans le néant. Il redouble de trashitude. Il s’installe sur le Searchlight, une péniche amarrée à Chertsey, au Sud-Ouest de Londres, et Rupert vient le voir tous les quinze jours. Pour épater son père, il s’amuse à engloutir des poignées de vers de terre et à les mâcher en faisant miam miam. Alors pour rivaliser d’horreur avec son fils, Viv fait la même chose avec des araignées.

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    Viv se remarie avec Ki Longfellow, une Américaine sensible à son charme. Elle a une fille d’un autre père, Sydney qui s’intéresse elle aussi aux animaux, notamment aux tarentules, a red bird-eating tarentula nommée Pavlova, comme la ballerine. Viv fend le cœur de Ki qui parvient à surmonter pendant un temps les coups de grisou - Even at his lowest, he was always witty and funny - Spirituel et drôle. Et elle ajoute : «Sex and gnosis and panic and laughter that was who Vivian and I were.»

    Quand son bateau coule, Viv est à l’hôpital. Le médecin vient le voir et lui dit : «Mr Stanshall, j’ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer. Votre bateau a coulé.» Viv pense que le médecin utilise une métaphore pour décrire son état de santé critique et il répond : «Pas du tout, I’m as fit as a fiddle !» Mais le médecin insiste : «Non, non, vous ne comprenez pas. Votre bateau a coulé.» Évidemment, pour Viv, c’est une catastrophe : toute sa collection de masques, d’instruments de musique, d’objets baroques, de livres et de manuscrits se trouvait à bord.

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    Viv se réinstalle à Muswell Hill. Il traverse de rudes périodes de dèche. Roger Wilkes lui rend visite et Viv le supplie de l’emmener au restaurant chinois. Roger n’a pas fini de garer son van que Viv bondit sur le trottoir, vêtu d’un kimono assez court sans rien dessous, sa machette à la main. Il entre et commande des travers de porc tout en faisant mouliner sa machette. Le serveur se réfugie derrière son comptoir, terrifié.

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    Bon alors et les Bonzos ? On l’a dit : ils ont leurs racines dans le circuit des clubs, the booze et Dada. Gerry Bron, le boss de Bronze, les manage pendant deux ans sur la recommandation de Jack Bruce. Quand Bron les convoque pour une réunion, les Bonzos arrivent avec des masques de monstres. Bron leur dit qu’il ne leur parlera pas s’ils portent ces masques. Ça dégénère et Bron dit qu’il les lâche. Et Viv demande : «Est-ce qu’on peut avoir ça par écrit ?» Quand ils veulent aller tourner aux USA, ils demandent à Tony Stratton Smith de s’occuper d’eux. Stratton Smith est le boss de Charisma, un label indé sur lequel on retrouve Van Der Graaf, Lindisfarne et Genesis. Il apprécie particulièrement les groupes originaux et les gens créatifs. Il adore prendre des risques, et il n’est pas étonnant de le voir traîner dans les cercles de jeux ou aux courses de chevaux. Les Bonzos finissent par virer Stratton Smith et Viv devient le manager du groupe. Ils finissent par en avoir marre et décident d’arrêter les frais à Noël 1969. Viv qui s’est rasé le crâne annonce au public médusé de Lyceum Ballroom : «We’re giving it the pill», sans doute une référence au cyanure.

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    Le premier album des Bonzos s’appelle Gorilla. Le petit conseil qu’on pourrait donner aux petits lapins blancs serait de ne pas prendre les Bonzos à la légère. N’allez pas imaginer qu’ils ne font que du art-rock d’étudiants attardés, ce diable de Viv s’en donne à cœur joie avec «Jollity Farm», il chante comme le dieu des roukmoutes, il fait chanter les animaux dans une ambiance de comedy act londonien. Ils savent jouer le dixieland comme le montre si hardiment «Jazz Delicious Hot Disgusting Cold» et font leur Elvis comme le montre si fièrement «Death Cab For Cutie». Viv fait sonner son cab car kiss et devient drôle en s’énervant. Le coup de génie des Bonzos se trouve en ouverture de bal de B, «The Intro & The Outro». Viv introduce Legs Larry Smith on drums et tous les autres zozos, Roger Ruskin on tenor sax, c’est énorme, ces mecs jouent comme des cracks. Tout est plein d’allant bonzoïde, plein de fantastique allure, en écoutant ça on comprend qu’ils soient devenus cultes. Ils font sonner leur réveil de trompette d’anticipation dans «Big Shot» et envoient les big choirs de girls dans «Piggy Bank Love». Parfaitement inespéré, un vrai hit, digne de tous les grands melting-pot-au-feu. Merveilleux Gorilla !

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    Voici ce que dit d’eux Richie Unterberger : «Il est extrêmement difficile d’être drôle et encore plus difficile de faire de la bonne musique. Et c’est encore mille fois plus compliqué de faire de la bonne musique qui soit aussi drôle.» Unterberger cite les exemples des Mothers Of Invention et des Fugs, mais ces Américains spécialisés dans la satire ne sont que menu fretin en comparaison des Bonzos. Paul McCartney apprécie tellement les Bonzos qu’il leur demande de chanter «Death Cab For Cutie» dans la scène de cabaret de Magical Mystery Tour. Sur scène, les Bonzos multiplient les extravagances. Le Batteur Legs Larry Smith s’habille en Shirley Temple et porte des faux seins. Il s’ennuie tellement à jouer de la batterie qu’il passe son temps à adresser des baisers glamour au public - Look at me, I’m wonderful - D’où la nécessité d’avoir un bon bassiste comme Danny Cowan. Quand lors d’une tournée américaine, les Bonzos jouent dans un club de Los Angeles, Neil Innes se retrouve aux gogues en train de pisser à côté de Jimi Hendrix qui lui dit :

    — Tu sais, mec, c’est drôle, on fait exactement la même chose.

    — Quoi ? Tu veux dire pisser un coup ?

    — Non, je veux dire sur scène.

    Jimi voulait dire qu’il était aussi absurde de brûler sa guitare sur scène que de mimer les morceaux sans jouer comme le font couramment les Bonzos, ou de faire exploser un robot comme le fait Roger Spear. Un Spear qui monte un jour sur scène avec une cheminée d’un mètre sur la tête, un bras allongé et une guitare au manche allongé en conséquence. Quand la cheminée explose, Viv arrive sur scène pour chanter «Blue Suede Shoes». Que n’avons-nous pas raté là !

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    The Doughnut In Granny’s Greenhouse est une expression scatologique, une sorte d’euphémisme pour les gogues. En studio, les Bonzos démultiplient les excentricités, par exemple enregistrer avec un tuba rempli d’eau. Pourquoi adorait-on cet album à l’époque ? Sans doute à cause de la pochette, où l’on voit les Bonzos déguisés dans la forêt. Il démarrent sur un cut en forme de postulat : «We Are Normal», ça joue au sacré rock anglais clair et net, beat serré et basse dégingandée, ça fouette cocher des cymbales. C’est vrai que Viv dispose des forces vives, ça devient évident quand il interprète «Postcard». Il dispose d’une voix qui en impose, même quand il fait le con. Il peut chanter comme un dieu généreux. Big shoot de British Blues avec «Can Blue Men Sing The Whites» - A brutal deflation of the British blues boom - Ils savent tout jouer et sonnent encore mieux que les Bluesbreakers. Ils dansent sur tous les toits, ils sur-jouent le sur-jeu à coups d’harmo de mortadelle. Pour «Hello Mabel», Viv se verse un verre, on entend le blop du bouchon, le glouglou et le sipping, puis ils passent sans transition à la dentelle de wawap wap. On vous a prévenus, ils savent rocker, ce que vient confirmer aussi sec l’imparable «Humanoid Boogie». C’est bardé d’excellence et chanté à la big aisance. Ils restent dans cette fantastique allure qui leur va si bien pour «The Trouser Press» - Everybody clap their hands/ Do the trouser press/ Babahhh ahhhh - Viv fait le Soul Brother et c’est d’autant plus balèze que ces mecs ne commettent pas la grave erreur de se prendre au sérieux. Fuck not ! Notons au passage que le plus grand mag de rock alternatif américain va se baptiser Trouser Press en l’honneur des Bonzos. Ils enchaînent avec une valse à trois temps digne de Brel, «My Pink Half Of The Drainpipe» et grattent à la suite «Rockaliser Baby» aux furieux accords d’Everybody down. Ils flirtent ici avec les Beatles de l’âge d’or, oui, ils détiennent ce pouvoir extraordinaire. Retour au jazz de bonne augure avec «Rinhocratic Oaths», Viv y fait son polichinelle, il est rompu à toutes les ruptures. Ils font du cinémascope bonzo. On s’enivre de la richesse de leur présence. Neil Innes est tellement fier de cet album qu’il rebaptise les Bonzos the Mothers Of Convention.

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    Paru en mars 1969, Tadpoles est une compile, mais on s’y goinfre. «Monster Mash» vaut tous les joyaux de la couronne et «I’m The Urban Spaceman» n’importe quel hit des Beatles. Oui, ça peut effarer mais c’est ainsi. Les Bonzos peuvent côtoyer les géants. Ils ne sont pas avares de coups de Trafalgar. Encore un coup de génie avec «Laughing Blues» amené au piano blues. Ils en recréent l’illusion à l’ancienne, avec une sirène de train derrière, ils font une clairette de blues, la plus pure qui soit ici bas, ils nous font l’honneur de nous ramener aux sources du New Orleans Sound. Sans même s’en douter, ils rendent l’un des plus beaux hommages au blues, le blues des années de braise, celui qui se fend la gueule. Avec «Hunting Tigers Out In Indiah», ils paradent dans la jungle comme les Monty Python. Ça chante à l’extrême dédain du qu’en-dira-t-on. Retour fracassant au jazz trad avec «Dr. Jazz». Ils n’ont aucun problème de ce côté-là. Le jazz tue le rock, on le sait, mais c’est plein d’idées de son, de vitalité, ils explorent toutes les possibilités. Ils plongent avec «Mr. Apollo» dans le heavy rock apocalyptique et reviennent sans prévenir à la Beatlemania. Ils s’amusent avec les genres musicaux comme les Monty avec la scénarisation. Ils sortent encore une fois une pop de rêve, saluée aux chœurs de rêve. Ils savent jerker la pop. Viv fait son cirque avec «Canyons Of Your Mind» - To the ventricules of your heart/ I’m in love with you again - En pur Elvis-from-Hell, ce diable de Viv va chercher le trash dans le groove concupiscent.

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    Leur dernier album, Keynsham, paraît en novembre 1969. C’est avec le morceau titre qu’ils emportent la partie. Cette extravagante jam de jazz est aussi fascinante qu’une danse du ventre à Marakkech. Ils développent là un fantastique groove orientalisant. La clarinette chevauche un drive de basse vertigineux. Ils jouent «We Went Wrong» à l’orgue et à la marche forcée, disons qu’il s’agit d’une pop parodique mollement étendue sur un sofa, mais quel shuffle d’orgue, les amis ! Clin d’œil à Duchamp avec «The Bride Stripped Bare By Bachelors», les voilà dans la heavy pop dadaïste avec des gros sabots. C’est du pur rock seventies - Oh really ? - Quel bel hommage à Duchamp (Berna)gore. C’est probablement dans les barrellhouses de jazz-clubs qu’ils excellent le plus, tiens par exemple avec «Look At Me I’m Wonderful» : retour aux années vingt, good evening ladies & gentlemen, c’est leur pré carré, ils n’ont jamais été aussi bons, Viv présente the wonderful Legs Larry Smith et on entend la vieille chasse d’eau, avec la chaîne. Ils attaquent leur bonne B avec un «What Do You Do» bardé de son, ils font du Rundgren à l’Anglaise avec de mystérieux pouvoirs pop. Retour au jive de speed-jazz avec l’effarant «Mr. Slaters’ Parrot». Ils font les cons, mais ça sonne, le parrot est une volaille, on l’entend - Hello ! Hello ! - Et quand ils tombent dans le médiéval avec «Sport (The Odd Boy)», c’est à hurler de rire. Oh ce n’est pas fini, il reste encore à écouter ce hit pop qui s’appelle «I Want To Be With You». Ils y sucrent les fraises comme un groupe américain qui aurait du succès en Angola, my love, et en guise de killer solo flash, on devra se contenter d’un solo de pipo, mais en attendant que de son - Wiz you !

    Cinq années de tournées en continu et trois managers viennent à bout des Bonzos qui jettent l’éponge en 1970. Arthur Brown pense que ça n’a pas arrangé la santé mentale de Viv.

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    Considérons Let’s Make Up And Be Friendly comme l’album de la première reformation. Viv et Neil Innes sont aux manettes, avec l’aide de quelques cadors comme Tony Kaye ou Hughie Flint. Ils continuent de déconner en sortant un son énorme - their heaviest rock sound to date - comme le montre «The Strain». Puis dans «King Of Scurf», Viv se met à chanter comme une petite conne du Swinging London. Quel beau pastiche ! Ils font ensuite les cons dans le wardrobe du rock avec «Waiting For The Wardobe». Ce diable de Viv peut déchirer le ciel d’un cut quand il veut. On se retrouve une fois encore sur un fantastique album. Ils bourrent leur «Straight From The Heart» de shuffle d’orgue et de chœurs d’artichauts et vont droit sur les Beach Boys pour «Rusty». Tout ce qu’ils entreprennent relève de la plus haute instance de cet art qu’on appelle le rock, avec une volonté de pastiche inébranlable. Ils mettent tous leur cuts dans le même panier de crabes. Demented ! En B, Viv repart en mode froti-frotah avec «Don’t Get Me Wrong». Il chante en sur-couche de génie et les Bonzos sortent un son de réverb extraordinaire. Viv Stanshall sait se positionner au plus niveau du family tree d’Angleterre. Ils embrayent avec la fantastique heavy pop de «Fresh Wound». Ils grattent ça à l’aune de l’âge d’or du rock anglais, ils travaillent au meilleur niveau envisageable - So meet on the corner of your life/ baby baby baby ! - C’est aussi avec cet album qu’apparaît Sir Henry Rawlinson qui va devenir ensuite le thème d’une émission de radio, puis d’un album entier et enfin d’un film.

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    John Peel signe les liners d’Unpeeled, paru sur Strange Fruit en 1995. Il rappelle que les Bonzos ont enregistré 13 sessions pour Radio 1 entre 1967 et 1969 et dès «Do The Trouser Press», on les voit s’amuser avec la London Soul. Fantastique énergie de la déconnade. Puis Viv chante «Canyons Of Your Mind» à la romantica déjantée - To the ventricules of your heart/ My dear/ I am pumping you again - Atroce ! Vic parle aussi des mountains of your chest. «I’m The Urban Spaceman» est le seul hit des Bonzos, nous rappelle Peely. Poppy en diable et flûté dans les culottes de cheval. La flûte de Pan y mène le bal. Ils tapent «Hello Mabel» au groove rétro. Tout l’art de Viv est là, il sait inviter les époques à sa table, you know I love you, c’est l’énergie des roaring twenties. Ils passent au heavy rock avec «Mr Apollo» et profitent de l’occasion pour réveiller leur volcan. Ils pourraient même se faire passer pour les Beatles. Ils amènent «Tent» au heavy Roxy rock - I took a taxi to my tent - Ils se foutent de la gueule du rock, c’est pour ça qu’il faut écouter les Bonzos - I’m gonna take you to my tent - Il lui propose même de danser le tango sous sa tente. C’est d’une drôlerie irrésistible. Ils se foutent des gueules de John & Oko avec «Give Booze A Chance» - This one was created by the Bonzo Dog in an Irish pub - ça rote dans le move. Avec «Keysham», ils passent au fantastique shuffle urbain et orbi. Tu ne peux pas rivaliser avec les Bonzos, ça pète de flûte et ça grouille de groove. Neil Innes y croit dur comme fer avec la pop d’«I Want To Be With You». Les Bonzos proposent un mélange détonnant de rock anglais haut de gamme et de parodie désopilante. Ils repartent en goguette rétro avec «The Craig Torso Show» et singent les Beatles. Ils tapent aussi dans le british Blues avec «Can Blue Men Sing The Whites». Ils trucident le pauvre British Blues au pilori. Ils terminent avec le kitsch de «Quiet Talk And Summer Walks». Ils enfoncent leur clou Bonzo dans le crâne du rock anglais. Il n’existe ici bas rien de plus jouissif ni de plus poilant que les Bonzos.

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    Les albums solo de Vivian Stanshall sont un peu plus difficiles d’accès. Paru en 1974, Men Opening Umbrellas Ahead offre pourtant quelques prises. Le Viv globe terrestre couronné d’un trois mâts qu’on voit au dos de la pochette démarre avec un heavy groove déconnant intitulé «Lafoju Ti Ole Riran». Stevie Winwood et Jim Capaldi sont de la partie. Ce démon de Viv aime l’air vif. Avec «Truck Track», il rend hommage aux roadies qui selon lui bossent plus que les autres. On entend Winwood jouer le heavy groove de basse dans «Yelp Below Rasp Et Cetera». Viv boucle son bal d’A avec un autre solide groove, comme s’il passait de groove en groove avec les ailes de Liberace. Il attaque sa B avec «How The Zebra Got His Spots», un air de calypso joliment mambaté dans l’écorce du zeste. Il fait ensuite son Isaac Hayes sur l’oreiller pour «Dwarf Succulents», avec une conquête et du soupir à gogo. On entend Rebop battre la chamade de percus sur «Prog & Stoods Go Steady» et cet étrange album s’achève avec «Strange Tongues» et une chaleur de ton à la Melody Nelson du petit matin. On entend Madeline Bell et Doris Troy dans les ladies voices. Il règne une sorte de splendeur sur cet album, une œuvre intègre et contrite de contrées intrinsèques, abstraite et concrète à la fois.

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    Viv refait surface en 1981 avec Teddy Boys Don’t Knit. Contrairement à ce qu’indique le titre, ce n’est pas un album de rockabilly. C’est là qu’on trouve le «Ginger Geezer» qui va servir de titre à sa fameuse biographie. Il chante ça d’un air décidé, bien bas du front. C’est du pur Viv, il pète en rythme. Prout Prout. Il chante son «The Cracks Of Showing» au doux du beautiful kitsch, accompagné par un banjo rétro. Avec «Flung Dummy», il nous sort un shoot de punk atroce. Il ne plaisante pas, le solo de sax non plus. Sinon, il fait pas mal de comedy act. On ne pourrait pas faire de cet album son disque de chevet, mais on l’écoute avec une sorte de gourmandise. Il tape dans tous les genres, à la bonne franquette, même la Calypso. On voit qu’il a trop bu dans «Nose Hymn», le balancement rappelle le mal de mer, on voit arriver le moment de la gerbe - I suppose it blew my nose - Même si tu n’as rien bu, le cut te donne envie de gerber. Avec Viv, il vaut mieux savoir tenir l’alcool. Il en profite pour faire le con avec «Every Day I Have The Blues».

    Malgré tous ses efforts artistiques, Viv voit sa carrière s’enfoncer dans la vase de l’underground. Il est temps pour lui de se retirer et de quitter ce monde ingrat.

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    Comme le sol de la chambre de son appart de Muswell Hill est jonché de paperasses, il n’est pas surprenant que ça ait pris feu. Une lampe serait tombée pendant qu’il dormait. La porte de la chambre étant fermée, tout a cramé à l’intérieur, y compris Viv. Des piles de cassettes vidéo entassées contre le mur auraient aussi pris feu. Ki pense qu’il a provoqué l’incendie : «When he burned the bedroom down, he gave himself a viking funeral.» Rupert va dans le même sens : «Il méritait une fin héroïque. Il adorait le film Les Vikings, avec Kirk Douglas. Il pensait que cette façon de mourir était géniale. Et c’est comme ça que the old man est parti, dans une espèce de brasier funéraire avec toutes ses possessions. Il y a beaucoup de puissance dans cette image. Il est parti avec ses vêtements, son ukulele et son tabac.»

    Signé : Cazengler, Vivian Stansale (type)

    Lucian Randall & Chris Welch. Ginger Geezer. The Life Of Vivian Stanshall. Fourth Estate 2001

    Richie Unterberger. Urban Specemen And Wayfaring Strangers. Miller Freeman Books 2000

    Bonzos Dog Doo-Dah Band. Gorilla. Liberty 1967

    Bonzos Dog Doo-Dah Band. The Doughnut In Granny’s Greenhouse. Liberty 1968

    Bonzos Dog Doo-Dah Band. Tadpoles. Liberty 1969

    Bonzos Dog Doo-Dah Band. Keynsham. Liberty 1969

    Bonzos Dog Doo-Dah Band. Let’s Make Up And Be Friendly. United Artists 1972

    Bonzo Dog Doo-Dah Band. Unpeeled. Strange Fruit 1995

    Vivian Stanshall. Men Opening Umbrellas Ahead. Warner Bros. Records 1974

    Vivian Stanshall. Teddy Boys Don’t Knit. Charisma 1981

     

    Oh You Pretty Things

    - Part Six

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    L’actualité des Pretties n’est pas que macabre : Cherry Red vient de publier l’intégrale des mythiques De Wolfe Sessions, le Loch Ness du rock anglais, plus connu sous le nom de The Electric Banana. Moins gourmand que les autres fabricants de coffrets, Grapefruit/Cherry Red propose un petit ensemble de trois CD + livret, au format CD, pour un prix extrêmement modique. On échappe ainsi à ces arnaques qui courent actuellement les rues.

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    L’histoire d’Electric Banana est simple : les gens qui fabriquaient du son pour le cinéma, la télé et la pub n’avaient pas les moyens de se payer des hits pop, alors ils faisaient appel à des groupes pour enregistrer ce qu’on appelle aujourd’hui de la musique de librairie, c’est-à-dire de la musique de déco. En 1967, ils sont trois à se partager le marché en Angleterre, dont James De Wolfe. Il fait travailler des musiciens et des arrangeurs, et comme la mode va plus sur la psychedelia, il cherche des gens qui accepteraient d’enregistrer quelques cuts. Pouf, voilà que Phil May, Wally Waller, Dick Taylor et John Povey ramènent leurs strawberries. En 1967, ils enregistrent un mini-album, Electric Banana, qui propose cinq titres chantés, suivis des cinq versions instro.

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    Il y aura en tout cinq mini-albums construits sur le même modèle. Phil May précise qu’on ne pouvait pas les trouver dans le commerce car De Wolfe les envoyait uniquement à ses clients, réalisateurs ou publicistes. Les Pretties enregistraient donc ces disques pour de simples raisons alimentaires. Mais pour tous les fans des Pretties, c’est une sorte de passage obligé, car les cuts valent leur pesant de Parachute.

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    Ils ouvrent la bal d’Electric Banana avec un «Walking Down The Street» hard on the niaque de section rythmique et un Phil qui chante la bouche en chœur. Rien de plus véracitaire que ce son. Mais comment font ces mecs pour ramener autant de délinquance dans leur London beat ? Allez poser la question à leurs braguettes. Povey bat le beurre et Wally bassmatique. Ils développent leur incroyable swagger et en bouchent un coin à «Free Love». Mais c’est avec «Danger Signs» que tout explose. Phil cambre le Motown r’n’b sur le move des Pretties, il chante comme un black dandy de Detroit, oh l’incroyable élégance combinatoire ! Phil May est le seul mec d’Angleterre capable d’expédier cette Soul de pop au firmament, il chante ça à ras la motte et grimpe comme Brian Wilson au sommet d’une montagne de mayo, salué par des bouquets de cuivres et pouf !, il rattrape son cut au vol, everything was ! Son cœur bat la chamade du hit, the whole world ! Ce merveilleux wild shaker aw-awte et finit par tomber dans un nid de maracas. Voilà le génie extravagant de Phil May.

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    Six mois plus tard, ils enregistrent More Electric Banana. «Street Girl» jaillit hors du bal d’A. Si on veut faire le malin, on peut même dire que «Street Girl» saute à la gorge du rock anglais. To the throat ! Ce démon de Phil May se croit dans «Midnight Circus». Il fait de gros dégâts, c’est plus fort que lui, il ne peut pas s’en empêcher. Puis on les voit tous aller courir sur le haricot de «Grey Skies». N’importe qui se mettrait à genoux et disant : «Quelle bénédiction !». On voit ensuite Phil May dominer le big car wash d’«I Love You». Il domine son cut comme le beffroi domine la place, d’une hauteur tutélaire. Il chante aux coulées douces des coudées franches. Fantastique chanteur ! Ils bourrent encore la dinde de Wolfy avec «Love Dance & Sing». Mais ils ne la bourrent pas de farce comme on serait tenté de le croire, ils bourrent cette pauvre dinde de big furnish, oui car on a là les Pretties de l’âge d’or, les prêtres du temple de la psychedelia britannique. Puis Phil May va chercher le chant d’«A Thousand Ages From The Sun» dans du claqué de Banana. Il agit au mieux des possibilités et chaloupe dans le groove avec une élégance déconcertante.

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    Vous pensez bien que De Wolfe est ravi. Il en veut encore. Alors rebelotte avec en plus Twink Adler au beurre, ce qui permet à Povey de passer aux keys. Leur troisième mini-album s’appelle Even More Electric Banana et c’est là que crèche le divin «Alexander». Power suprême, avec un Phil May surexcité. Ce brave «Alexander» compte quand même parmi les plus gros hits des Pretties. On a là de la pure mad psychedelia avec ces guitares qui ponctuent goulûment la surenchère, ça joue au jus, c’est du hot stuff de 69 année bananique. Et ça continue avec «It’ll Never Be Me» que Wally attaque au riff de basse des cavernes. Il rentre dans le rock comme dans du beurre, à la Bertolucci. L’infernal génie sonique des Pretties n’en finit plus de boucher des coins de trous. Ils montent des harmonies vocales éperdues sur le plus cavemanien des bassmatics. Pleurésie garantie ! Voilà un mélange jusque là inconnu. Les trois autres cuts sont du même acabit d’Aqaba, en plein dans le faisceau mordoré de Parachute, les Pretties naviguent sous le vent. Encore un smash de May avec «Blow Your Mind», sharp du chant et guitar glandy, ils sont sauvages et beaux, délicieux comme ces bonbons qu’on suce au soleil et on sent cette guitare bien grasse nous courir entre les jambes. C’est là sur Even More Electric Banana qu’on trouve «What’s Good For The Goose» qui renvoie au film du même nom. Car oui, on peut entendre les Pretties dans deux trois films de série B, mais pour les voir, il faut se lever de bonne heure.

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    Changement de personnel en 1973 pour le Banana suivant qui s’appelle Hot Licks : Pete Tolson, Gordon Edwards et Stuart Brooks se joignent à Phil May, Skip Alan et John Povey. Les mutations du Banana suivent les mouvements de personnel au sein des Pretties, victimes de leur non-succès. Après une belle intro de basse signée Brooks, Phil May entre comme un vieux renard dans le poulailler de «Sweet Orphan Lady». C’est cousu main mais vendu d’avance. C’est là que les Black Crowes viendront s’abreuver. Le jeune Tolson fait des siennes. Phil May regrimpe ensuite au sommet du Wolfe art pour décocher «I Could Not Believe My Eyes». Il chante ça avec toute la générosité dont il est capable. Les Pretties font carrément de la Stonesy. Ils amènent «Good Times» au riff délinquant. Idéal pour un cat comme Phil et avec «Walk Away», il devient fou - You walk away my love/ Away from me my love - C’est vrai que c’est un coup à devenir fou, au plan psychédélique, et le petit Tolson pique sa crise. Ils montent «The Loser» sur un heavy groove de blues, ils savent très bien ce qu’ils font et tout explose avec «Easily Done». Phil May chante ça en vieux punk - I guess this is easily done - Il est le seul à pouvoir rebondir des bas fonds vers la lumière de la pop. Il passe du Midnight Circus aux alpages d’easily done. C’est encore un morceau de bravoure qu’il chante avec son petit regard en coin.

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    Les années passent. En 1977, Phil May et Wally Waller montent les fameux Fallen Angels avec Mickey Finn, Bill Lovelady, Brian Johnson et Chico Greenwood. Comme on l’a raconté la semaine dernière, ils sont allés bricoler un album à Genève et ils enregistrent en plus un ultime Banana qui s’appelle The Return Of The Electric Banana. Mais on sent un certain manque d’inspiration, comme d’ailleurs sur l’album des Fallen Angels. «Do My Stuff» sonne comme du gros soft rock et avec «Take Me Home», Phil May fait son savage eye d’animal track. Encore moins magique, voici «James Marshall», même si Phil a la patte du caméléon. Il fait comme il peut, il chante à la vieille revoyure alambiquée, il se bat pour essayer de sauver un cut qui de toute façon est condamné aux oubliettes de Gilles de Rais. Ils sont dans une sorte de heavy pop qui ne peut pas fonctionner, malgré la qualité du chant. Mais on les félicite d’avoir essayé.

    Signé : Cazengler, Pity Thing

    Phil May. Disparu le 15 mai 2020

    The Electric Banana. The Complete Wolfe Sessions. Grapefruit Records 2019

     

    *

    AVERTISSEMENT LEHOULIEN

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    Peut-être avez-vous la chance de ne pas connaître Pierre Lehoulier. C'est un ennemi de l'Humanité. En temps normal il sévit dans une association particulièrement nocive, genre Bande à Bonnot, mais en plus fourbe et plus cruelle. Comme les serpents à deux têtes elle possède deux noms, pour mieux tromper ses ennemis, un gang redoutable, connu sous le terme de Crashbirds, qui se cache aussi sous une pateline dénomination : '' les Cui-Cui ''.

    Nous ne nous attarderons pas sur les Crashbirds, nous avons dans la passé à plusieurs reprises signalé les méfaits de ces satanés oiseaux, nous rappellerons simplement que dans ce duo de vautours Pierre Lehoulier se prend pour un pic-vert, ne peut s'empêcher de taper systématiquement sur ses pantoufles électro-acoustiques pour le seul plaisir de faire du bruit pendant ses propres prestations musicales et empêcher ainsi que l'on entende les gutturales vitupérations de mésange de sa compagne Delphine Viane. Encore faut-il rappeler l'étymologie du mot ''mésange'' formé à partir du préfixe mes- qui signifie mauvais. En d'autres termes le mauvais ange. Vous commencez maintenant à entrevoir la perversité crashbirdienne.

    Le monde a connu une courte période de rémission. Pour empêcher les troubles agissements de notre couple diabolique, notre gouvernement bien-aimé a enfin pris les mesures qui s'imposaient, politique de la terre brûlée, concerts interdits et population confinée. Deux mois de calme et de repos. Enfin, depuis nos fenêtres entrouvertes l'on pouvait entendre le doux ramage de la fauvette et du loriot. Les spécialistes étaient formels, notre gypaète barbu Lehoulier et son inséparable compagne ne résisteraient pas à ce séjour prolongé en cage obligatoire.

    Il n'en fut rien. Empêché de taper du pied en public, Pierre Lehoulier aurait pu profiter de ce laps de temps imparti à la réflexion métaphysique pour faire acte de contrition, mais non puisqu'il ne pouvait plus encombrer nos oreilles de ses tapotements obstinés, il a décidé de nous griffer les yeux, le résultat est là, posé sur la table, il ne reste plus qu'à prévenir nos contemporains, de ne pas s'en approcher, de continuer les gestes préventif de distanciation qui sauvent – jamais à moins de deux mètres, port du masque et de casquette à visière opaque obligatoires - n'y touchez point, ne tentez même pas de le feuilleter, même si d'aventure vous vous reconnaîtriez dans le titre – véritable miroir aux alouettes - de cet ouvrage nauséabond.

    Comme nous ne reculons devant aucun sacrifice pour satisfaire la curiosité ( vilain défaut ) de nos lecteurs, nous prenons sur nous de lire cette nouveauté afin d'en mesurer l'inanité conceptuelle. En toute honnêteté intellectuelle, bien entendu.

    SUPER GROS CON

    SUPER GROS CON CONTRE LES AUTRES

    PIERRE LEHOULIER

    ( Edité par Crasbirds Asso / Mars 2020 )

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    Faut être juste. L'objet vaut son pesant d'or. Un papier aussi épais que les vitres blindées de la papamobile, pas une misérable pelure que vos doigts traversent lorsque vous en torchez votre auguste postérieur, c'est que le Lehoulier il en connaît un bout sur l'emploi des supports et des couleurs. Question teintes il vous les étale les couches flashantes avec cette finesse consommée des vitraux de la Sainte-Chapelle, le bougre il arrive à vous pondre des planches qui dans leur agencement rappelle les caissons de la Chapelle Sixtine, l'a des roses empoisonnés, des kakis cloaqueux qui n'appartiennent qu'à lui, des verts frangipane particulièrement subtils, des oranges éblouis, des bleus troubles et teigneux, dispose d'une telle palette que les papillons doivent s'y poser dessus avides de butiner les plus belles corolles que la nature ait jamais produites.... En plus cet esprit retors a pensé à tous, l'a rempli ses phylactères d'un alphabet d'une limpide lisibilité.

    C'est comme pour les écrivains, il y a ceux qui racontent une histoire, et ceux pour qui chacun des paragraphes est un petit poème en prose à lui tout seul. Chaque vignette lehoulière ressemble à un petit tableau à part entière. Vous avez même de grandes compositions monopagiques qui exigent de longs moments d'arrêt d'étude et d'admiration. Les amateurs de toiles aux dimensions plus modestes ne resteront pas insensibles à ce brio consommé avec lequel Maître Lehoulier les aligne sans monotonie selon les règles d'un décalage discret qui lui est propre et qui lui permet d'éviter tout moutonnement par trop régulier.

    Pierre Lehoulier a tenu par la virtuosité de son art à exalter et magnifier ce qui nous Humains, situés sur la cime de toute l'évolution animale, nous distingue souverainement de toutes les autres créatures de l'univers. Nos qualités morales justifient hautement que nous n'ayons pas été placés par hasard au-dessus de la tourbe universelle des vulgaires animaux biologiques. Oui, nous les dominons grâce à l'exercice prestigieux de cette Raison qui n'est peut-être que l'autre nom de Dieu.

    VISEES PEDAGOGIQUES

    L'idée de départ est magnifique, un oncle décidé à apprendre à ses trois neveux la connaissance et le respect du beau, du bon et du bien. Nous sommes ici à l'opposé de ces troubles menées utilitaristes d'un Oncle Picsou qui tend à introduire dans les poreuses méninges de nos fragiles têtes blondes l'amour immodéré de l'acquisition capitalistique. Nous sommes en présence d'un roman initiatique d'inspiration goethéenne destiné à forger le caractère d'une saine jeunesse, hélas ! encline de par son inexpérience innocente à s'aventurer sur les sentiers du Mal.

    Certes nous sommes aussi aux USA, mais pas n'importe où, en un territoire où résident encore les vieilles valeurs des pionniers qui ont permis de fonder la vertueuse Amérique. Vous remarquerez que le héros ne s'appelle pas Superman, ou Supermec, voire Super Johnson ou Super Dupont, se nomme en toute modestie Super Gros Con, afin que chaque lecteur puisse retrouver en ce patronyme un peu de lui-même. Vous dites Super Gros Con et un lien de sympathie universelle se noue automatiquement.

    Toutefois Super Gros Con n'est pas n'importe qui. Son expérience plaide pour lui. Partout où Oncle Sam a eu besoin de lui pour combattre les ennemis de la plus grande démocratie, formule suspecte, mieux vaut employer l'expression la nation la plus libre du monde, il a répondu présent, pour exterminer la jaunâtre vermine vietminhe ou l'écarlate menace communiste en Corée... Un vrai citoyen, d'abord il tue, ensuite il ne réfléchit pas.

    Super Gros Con ne demande qu'à vivre en paix dans son Texas toxique aux mauvaises influences. Chacun sa merde – ce dernier mot n'est pas une métaphore – tel est son crédo, maintenant ce n'est pas de sa faute si l'ennemi intérieur vient en toute occasion lui chercher noise, vous n'imaginerez jamais comment les nègres crépus qui puent et les face-de-cul-rouges se mettent toujours sur son chemin. Heureusement qu'il veille pour donner l'exemple à sa petite famille, vous les extermine sans pitié, mais ces sous-hommes sont comme le chiendent qui repousse toujours. Preuve que le danger est partout, parfois les ennemis surgissent de l'espace, n'ayez crainte, ce ne sont pas des crypto-gauchistes venus d'ailleurs qui ont le goût et l'odeur des communistes qui vont lui apprendre à vivre. En tout cas Super Gros Con leur apprend à mourir. Vite fait, bien fait. Etranger ne passe pas ton chemin, ce sol accueillera ta tombe.

    Super Gros Con n'a peur de personne ni des morts-vivants, ni des vivants pas encore morts. Super Gros Con est un mec sympa. Vous avez envie de lui taper sur le bidon, à la bonne franquette. N'exagérez pas non plus avec vos simagrées, il déteste les PD, par contre il aime les armes ( et la chasse à tout ce qui ne lui ressemble pas ) il est convaincu que le pouvoir est au bout du fusil. Un être simple, quand il se met en colère vous le voyez tout de suite, une svastika rouge ou noire se met à tournoyer au-dessus de sa tête à la vitesse de pales d'hélicoptères d'attaque...

    Voilà, ne vous reste plus qu'à vous procurer ce bréviaire du dernier des résistants et à lire. Vous pouvez le confier sans problème à vos enfants. Pierre Lehoulier a pris soin à ne point pondre un ouvrage rébarbatif qui décourage les meilleures volontés. Le sujet est sérieux, mais découpé en plusieurs petites histoires, désopilantes, nous vous conseillons d'en lire une chaque soir à votre gamin pour qu'il s'endorme heureux sachant que pendant son sommeil Super Gros Con veille sur sa sécurité...

    INTERROGATIONS

    Vous avez lu. Vous avez aimé. C'est maintenant que survient en votre esprit une question à laquelle nous n'apporterons aucune réponse. Comment se fait-il que cet être si négatif qu'est Pierre Lehoulier, ait pu créer un héros si positif ? Même que parfois l'on peut discerner entre deux images comme une impitoyable et féroce critique de notre société. N'est-ce pas un miracle ? Pierre Lehoulier serait-il un être plus complexe qu'il n'y paraîtrait ! Ne serais-je pas victime du redoutable syndrome de Stockholm, les noirs tentacules de l'hydre de l'anarchie ne sont-ils pas en train de s'emparer de mon esprit ? Super Gros Con, vite, au secours !

    Damie Chad.

     

    ROCKABILLY GENERATION N° 13

    AVRIL – MAI – JUIN 2020

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    Faut plus de deux mois de confinement pour tuer un magazine de Rockabilly ! Le numéro 13 en plus ! Pour les superstitieux pas de problème avec le Spécial Gene Vincent sorti après le 12, c'est le quatorzième fascicule du magazine qui prend de la bouteille. Pure malt. Evidemment cela commence mal, la série Pionnier nous retrace la carrière de deux disparus : Jack Scott et Sleepy Labeef. La génération née autour de 1935 rend l'âme peu à peu. Jack Scott et Sleepy Labeef, le Cat Zengler les avait évoqués dans nos colonnes ( voir nos livraisons 447 et 450 respectivement du 16 / 01 / 20 et du 06 / 02 / 20 ). Une génération disparaît...

    Une autre apparaît. Deux longues interviews menées par Brayan Kazh. Lucky Will – nous l'avons vu deux fois au 3 B à Troyes, avec son ancien groupe Slap DooWap et avec Mike Fantom, deux belles soirées, un super guitariste – ne dites pas que vous ne le connaissez pas, vous avez tous vu vu la photo de Jerry Lee Lewis qui présente fièrement son disque – très sympathique ce Lucky, d'abord il est né en Ariège comme moi – se raconte bien, ne renie aucun de ses amours, par exemple sa pâmoisante rencontre avec le rock'n'roll via AC /DC, de quoi faire blêmir les puristes, et il entend suivre son chemin à sa guise. De la personnalité. C'est au tour de Marcel Riesco de s'y coller, l'américain qui monte dans les festivals rockabilly, une autre culture, Lucky Will parle de passion et Marcel Riesco nous semble plus attentif à sa carrière, son job. Un sociologue devrait se pencher sur ses deux entrevues, comment deux logiques différentes se ressemblent malgré tout.

    Rencontre avec Michel Petit, davantage connu dans le milieu en tant que Monsieur RockaRocky le blog qui répertorie un maximum de concerts de rockabilly en France et ailleurs. Un passionné qui organise avec son asso les légendaires Rockin Gone Party, mais qui sait garder la tête froide... Sergio nous livre les photos de la seizième session.

    Ce qui suit devrait nous enthousiasmer, voir Sandy Ford, Graham Fenton et Crazy Cavan avec leurs formations, tous les trois, en une même soirée, ce 18 janvier 2020, à la Rockers Reunion, tout le monde s'en souviendra – surtout ceux qui n'y étaient pas – n'empêche qu'elle aura laissé un goût de cendre à beaucoup, teddy boys et autres rockers, ce fut le dernier concert de Cavan Grogan... Le numéro Hors-série N° 2 de Rockabilly Generation sera consacré à cet homme qui aura consacré sa vie à perpétuer le rock'n'roll.

    L'on arrive à la fin du magazine, outre les séquences habituelles, nouveautés disques, rétrospectives épisodiques et dernières nouvelles des idoles, deux pages consacrées aux Hudson Maker, un groupe de l'ancienne génération qui n'a pas froid aux yeux et qui ne doute de rien puisqu'il vient de s'adjoindre les jeunes Brayan à la contrebasse et Kilian au piano. Ça promet !

    Presque un siècle que cela dure, le rockabilly a la vie dure !

    Et cette revue prend de l'envergure !

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois), 4,60 Euros + 3,88 de frais de port soit 8,48 E pour 1 numéro. Abonnement 4 numéros : 33, 92 Euros ( Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents. Une bonne nouvelle tout de même : devant la demande générale, le numéros 4 avec la dernière interview de Cavan Grogan a été retiré. Si vous ne l'avez pas, c'est une erreur.

     

    BE MY FREAK / JADES

    ( Clip )

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    De quoi papoter et grenouiller autour des bénitiers à la prochaine réouverture des lieux de culte, c'est que lorsque Dieu n'est pas là le Diable prend sa place, et les souris vertes rockent sans vergogne. La prière est sans équivoque, Be my freak, par tous les seins à quoi rêvent les jeunes filles d'aujourd'hui ! Jades sort le grand jeu. Celui qui flirte avec les images d'épi-mal. Une production soignée, tous les ingrédients des messes sataniques ont été réunis. Dévoilés, mais pas exposés. Le clip file vite. Des notations topiques, des clins d'œil indispensables. Tout y est. Rien ne manque. Le désir, le serpent, l'église profanée, le bois sombre. Ces quatre filles sont diaboliques, elles vous racontent une horrible histoire, les scènes défilent mais ne dévoilent rien, chasteté obligatoire, les flammes de l'enfer, pas de sang, pas de sexe. La violence suggérée est davantage fantasmatique que la brutalité nue.

    Ces scènes de film vous les avez déjà vues cent fois, mille fois imaginées. Dans vos rêves osés, dans vos cauchemar irisés. Vous n'êtes pas dans un film, mais dans un clip, moins de temps certes, tout juste cinq misérables minutes, avec cette difficulté d'introduire dans le scénario l'artificielle inclusion d'un groupe de rock dans le tournage. Un élément étranger et superfétatoire. C'est la règle du genre, c'en est aussi le plus redoutable des écueils. Trop souvent, les plans s'enchaînent sans qu'il y ait une véritable congruence entre les images des artistes et celles du récit mis en scène. Au mieux l'on tombe dans une gratuité surréaliste peu conséquente, au pire dans un galimatias du genre étonnez-moi-benoît-sans-émoi.

    Et là tout concorde merveilleusement. Nos quatre musiciennes et leurs instruments sont habilement mises en scène. L'on sent que le clip a été pensé et travaillé avec intelligence. Le réalisateur a salement intuité, l'est arrivé à faire converger et s'interpénétrer deux éléments de natures très différentes, le fantastique et un groupe de rock, aucun ne mange l'autre, chacun illustre sa propre différence et renforce l'autre, il n'y a pas de dichotomie entre ce qui est raconté et ce qui est montré.

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    Et puis il y a le son. Un morceau typiquement jadien bien enlevé, bien découpé en brèves séquences qui mettent en valeur les qualités punchives de ces demoiselles. Sûr qu'au paradis ce n'est pas pomme qu'elles auraient croquée mais le serpent tout cru. En quatre coups de dents. Venin compris. Une belle réussite.

    J'allais oublier la fin, car il y a une fin à tout, même à un clip de Jades. Z'oui, mais là ils l'ont particulièrement soignée. N'ont pas choisi la solution de facilité des Sex Pistols, je coupe sec sans me soucier si c'est vraiment achevé ou pas. Nous avons droit à un générique. Un vrai. Qui vous ne laisse pas sur votre faim. Esthétique, pas du tout esthétoc.

    Damie Chad.

     

    LE MANIFESTE ELECTRIQUE

    AUX PAUPIERES DE JUPES

    ( Le Soleil Noir / 1971 )

    Gyl Bert-Ram-Soutrenom F. M. / Zéno Bianu / Michel Bulteau / Jean-Pierre Cretin / Jacques Ferry / Jean-Jacques Faussot / Patrick Geoffrois/ Benoit Holliger / Thierry Lamarre / Bertrand Lorquin / Jean-Claude Machek / Matthieu Messagier / Gilles Mézière / Jean-Jacques N'Guyen That / ALAIN Prique / Nick Tréan

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    Quel plaisir de retrouver ce livre en rangeant le garage, je pensais que je l'avais prêté à un ami qui ne me l'avait jamais rendu, déjà que lors de sa sortie j'avais eu un mal fou à obtenir de ma libraire ( très militante et très débutante ) qu'elle en passe la commande, elle pensait que le titre était une pure invention de ma part pour me moquer d'elle. J'ai insisté pendant un mois...

    Toute une génération née aux alentours de 1950, ils avaient aux alentours de vingt ans en 1968, autant dire que les temps étaient à la rébellion, il importait de détruire non pas le vieux monde mais les formes selon lesquelles the ancient world s'était constitué. Tout un programme qui n'était pas neuf, déjà en 1916 Dada avait élaboré un tel projet. Si l'on y pense bien, cette manière de diriger sa révolte contre les ''formes'' démontra avant tout une satanée allégeance aux dogmes idéens de Platon... Ce qu'il y a de profondément ennuyeux en poésie, ce sont les précurseurs, et les seize chevaliers du Manifeste Electrique, en avaient reconnu de deux sortes. La poésie Beat et le Surréalisme. Le titre du bouquin en témoigne.

    Dans les années 70, le Surréalisme était la vache sacrée dont tout le monde se réclamait et que personne ne pensait à mener à l'abattoir. Il y avait bien la revue Tel Quel qui explorait une écriture hors des cadres, mais le groupe qui gravitait autour de Phillipe Sollers, Denis Roche, Marcelin Pleynet empruntait trop aux idéologies politiques et aux cadres formalistes de la '' grande littérature''. Tare rédhibitoire, ces nouveaux pontificateurs étaient nés autour de l'an 1935. En quinze ans, l'horizon culturel s'était modifié. Le rock'n'roll était apparu. Terrible constat, si Valéry avait pu décréter que la poésie c'était le son + le sens, le rock modulait un son qui attirait les oreilles si intensément que l'on pouvait sans trop d'hésitation se passer du sens. De toutes les manières, aligner au hasard des mots à la queue-leu-leu, ils finiront bien par signifier quelque chose.

    Se reposait à cette nouvelle génération la vieille problématique de Mallarmé confronté à Wagner, la poésie se devait de reprendre son bien à la musique. Relu à cette lumière, le Manifeste n'a malheureusement rien d'électrique. Le courant ne passe pas. Les textes ne frétillent pas. Point d'électrocution à l'horizon. Peuvent s'y mettre à un, à deux, à trois, à quatre, s'essayer à tous les styles, du vers libre au cut-up, des phrases sans complexe aux paragraphes d'empilements systématiques, du mot-valise joycien à toutes sortes de désarticulations formelles désaliénantes, le sens et le non-sens priment sur le son et ne parviennent même pas à engendrer un non-son. Sans doute un des échecs les plus cinglants de la poésie française du vingtième siècle. Reconnaissons à Zéno Bianu, Michel Bulteau, Patrick Geoffroy, Matthieu Messagier, de s'être attaqués à une entreprise colossale. Leur pratique d'écriture en sortira changée, chacun écrira par la suite au plus près de sa propre voix, de sa propre (a)musicalité.

    En 1971, Le manifeste électrique ne déchaîna ni les foules ni le scandale. A ma connaissance, seuls Alain Jouffroy dans Les Lettres Françaises, et la revue underground The Starcrewer y firent référence. Aujourd'hui ce livre de 90 pages est devenue une légende... Ironie de l'histoire une exposition était programmée pour ce mois de mai...

    Damie Chad.

    WEST, BRUCE & LAING

    MORE LIVE 'N' KICKING

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    L'on n'allait pas quitter West, Bruce & Laing, comme cela. Quand on aime on ne compte pas. Donc trois nouveaux concerts des soixante-trois qu'ils ont donnés aux Etats-Unis entre le 30 avril et le 17 décembre 1972. Rappelons que Why dontcha, enregistré entre mai et l'été 1972 nécessita une pause entre les concerts et sortit en novembre 1972. Pourquoi le groupe qui s'était formé dès janvier 72 en Angleterre s'est-il rendu si vite aux USA ? Pour West et Corky c'était revenir sur l'ordalique et triomphal tapis des cendres chaudes laissées par Mountain, sans doute partageaient-ils aussi la motivation première de Jack Bruce, l'urgent besoin de fric. Le flot de monnaie rapporté par Cream commençait à se tarir pour Jack... L'opportune formation du trio s'avéra être la bienvenue, par la suite le roi des bassistes assura à plusieurs reprises que W, B & L, n'était pas son meilleur souvenir...

    AQUARIUS THEATER

    BOSTON / 27 – 04 – 1972

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    Don't look around : en pleine tornade, vous faut quelques secondes pour réaliser que tout va bien que vous êtes simplement en train d'écouter un enregistrement de rock'n'roll, non ce n'était pas une attaque nucléaire même si ça y ressemble méchamment, de temps en temps vous percevez la voix de West mais la vague de lave vous submerge et vous projette à Pompéi aux temps béni de l'éruption du Vésuve. En plus ils vous la font revivre en temps réel et en grandeur nature, sûr que les romains du temps jadis réduits en cendres doivent être jaloux. Ils n'ont pas eu droit à la musique eux ! Polititian : pas le temps de se remettre, Bruce a décidé d'arpenter la chaussée des géants et ses pas font trembler les assises de la planète. West lui lance quelques flammèches dans le dos, ce qui le rend fou de rage, vous assistez au combat de Thésée-West contre Minotaure-Bruce, et vous avez Corky qui s'en vient jeter sa grêle de sel ardent sur les blessures des deux combattants. Laocoon et ses deux fils contre les serpents du rock'n'roll. The doctor : celui que l'on appelle lors des catastrophes, l'arrive ou trop tard ou trop tôt, les enceintes vomissent des murs de briques, Bruce vous déblaie cela avec le bulldozer de sa basse tandis que West sonne le glas sur les ruines du clocher écroulé, ensuite c'est la folie pure. Âmes sensibles suicidez-vous au plus vite cela vous évitera de mourir de peur sous l'épaisse pluie riffique qui tombe sans discontinuer, une seule certitude dans ce monde de brutalité exacerbée, prennent leur temps et leurs plaisir. Tout petits ils ont dû être allaités avec le lait des hordes mongoles. Le Corky se plaît au jeu, voici qu'il a trouvé une occupation amusante il passe la tondeuse à gazon sur l'herbe des steppes. Ne cherchez pas une autre explication au changement climatique. Quant aux deux autres ils sèment des œufs de crotales sur le sable du désert qui avance. Irrévocablement. Third degree : qu'est-ce qu'il leur a fait ce blues, pourquoi le déchirent-ils avec tant de hargne, Bruce lui casse les os, West lui retire la peau alors qu'il est encore vivant pour qu'il ait encore plus mal, et Corky lui écrase le bout des pattes pour que plus jamais il ne tienne debout, ne vous reste plus qu'à pleurer de plaisir. Quand vous pensez qu'ils sont si méchants uniquement pour que vous soyez contents, vous vous sentez un peu coupables. De toutes les manières le pauvre animal ne s'en remettra jamais, alors c'est aussi bien s'ils continuent. Et ces hurlements qui vous frissonnent si fort la moelle épinière, consentiriez-vous à vous en passer. Un bon blues est un blues agonique. Guitar solo + Roll over Beethoven : West est à la guitare, s'en sert comme d'une harpe celtique, celle qu'utilisait Homère pour évoquer la chute de Troie dans le festin des rois, c'est beau, c'est triste, c'est puissant, ah ! ce cri des bébés troyens dont on fracasse la tête sur les remparts d'Ilion, connaissez-vous quelque chose de plus émotionnant et maintenant l'incendie final avec les meurtres, les viols, le carnage, ah ! les grecs savaient vivre intensément à la manière de leurs Dieux, et Leslie est le héros de la guitare rock, au cas où vous en douteriez il ligote ce pauvre Beethoven dans les cordes de son piano, tandis que Bruce festonne en sous-main quelques aria rupestres et tumultueux, Corky se dépêche de clouer le battant, manière de transformer l'instrument à queue en cercueil, mais ne voilà-t-il pas qu'en plein milieu de son travail funèbre notre batteur se souvient qu'il doit rentrer les vaches, alors il frappe violemment sur sa cloche à ruminants, et sa préférée, la grosse noiraude, la Mississippi queen déboule suivie de très près par une horde de taureaux furieux en manque d'affection et d'effusions priapiques, je ne me risque pas de décrire la parade nuptiale qui suit, des têtes blondes pourraient tomber sur ce texte et apprendre tout ce qu'elles savent déjà, je fais confiance à l'imagination de nos lecteurs. Le Corky doit avoir travaillé comme tueur numéro 1 aux abattoirs de Chicago. La guitare de West vagit telle une vache désespérée qui a perdu le chemin de son étable. Powerhouse sod : Bruce se lance dans l'atonalité africaine, sa basse gronde telle la hyène du désert qui dispute un os à une meute de chacals, le Jack se laisse aller à ses mauvais instincts jazzistiques, démonstration en long et en profondeur, l'est un peu comme cet irritant moniteur de planche à voile qui virevolte sur les vagues pour épater votre copine. Il n'a pas de chance, le Jack peut mugir tout ce qu'il veut comme une sirène de cargo échoué sur la plage désertée, aux performances artistiques individuelles elle a toujours préféré les activités de groupe comme les Rolling Stones. Play with fire : ( drum solo ) : c'est ce que l'on appelle un alibi, vous prenez un vieux classique des sixties dans l'armoire aux souvenirs, vous traversez le premier couplet au triple galop, et lorsque vous êtes sorti du paddock vous vous laissez travailler par vos démons les plus chers. C'est dans les vieux chaudrons que les sorcières préparaient leur mixture les plus réussies, ici nos trois sorciers s'essaient à trouver le West, Bruce & Laing original sound, tout ce qui a précédé c'était de l'esbroufe, pour les adeptes du voyeurisme rock, ici l'on cherche un nouvel idiome, si ce groupe avait continué que n'aurait-il donné ! Pour une fois Bruce s'amuse à jouer à part égale avec Corky, West vous décoche des flèches enflammées sur le convoi qui s'aventure dans les territoires sacrés des indiens. Sunshine of your love : et l'on repart dans les sentiers battus, faire du neuf avec du vieux n'est pas donné à tout le monde. Surtout si un tiers de l'effectif était partie prenante de la première mouture, toutefois il n'y avait pas de cloche à vache dans Cream, un minuscule détail qui pourrait déboucher sur les alpages inconnus d'une montagne aux flancs abrupts. La fin du morceau est en exploration constante.

    La qualité de l'enregistrement n'est pas parfaite, mais le document est de première importance.

     

    RADIO CIRCUS MUSIC HALL

    NEW YORK / 06 – 11 – 1972

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    Don't look around : un grondement qui surgit des entrailles de la terre, vomito-éruptif, stroboscope sonore, la guitare de Leslie vous plante des écharpes dans la chair jusqu'à ce que le riff salvateur se précipite sur vous pour vous bouffer tout cru. Vous voici squashé à la manière d'une balle de ping-pong en acier qui rebondit entre les vitres intransperçables de la matière riffique. Le West vous gloutonne les entrailles tandis que Bruce vous passe dessus avec son rouleau compresseur, n'y a que Corky qui ne s'amuse pas, vous maintient le rythme coûte que coûte en frère de la côte qui file les écoutes pour maintenir l'allure. Pleasure : c'est la voix de chapon de Bruce qui fuse hors du battement intensif de Corky, l'on se demande ce que fait Westie, doit faire le beau pour qu'on lui refile un sucre, l'a sa guitare qui jappe toute seule, une meute de chiens derrière le cerf, la pauvre bête ne fera pas long feu. Ne pariez pas sur sa peau, cause perdue ! Aux imprécations de Jack, vous comprenez qu'il lui en veut personnellement. Mississippi queen + Polititian : le Corky a dû être transformé en machine à rythmes par un mauvais sorcier, ou alors l'a une mauvaise descente d'acide, en tout cas ça fait mal. L'en oublie de taper sur sa cloche à vache, Bruce vient à son secours, et Leslie lui envoie la dépanneuse. Sur la fin ça ronronne comme une machine à laver atteinte de la danse de Saint-Guy, et là-dessus Jack avance avec ses gros brodequins de politicien qui confond drague et campagne électorale. La basse ronronne des propositions malhonnêtes, décidément le monde est parfait, West en profite pour vous refiler un solo pointu comme une flèche d'indien qui se serait fiché dans votre œil droit. Celui que vous ne fermez jamais lorsque vous dormez. Corky l'enfonce un tout petit plus jusqu'à ce qu'elle touche le kyste qui vous sert de cerveau. De la belle ouvrage dont vous ne pouvez être que satisfait. Rolling Jack : le blues c'est comme la pêche, vous pouvez le pratiquer à la dynamite, alors Corky lance les bâtons et les deux autres tapis à chaque extrémité les allument. La basse de Bruce ressemble à un trente-huit tonnes dont le moteur peine pour escalader l'Anapurna, et Leslie imite les roues qui crissent dans les descentes. Ont aussi la mauvaise idée d'écraser les auto-stoppers sur les bas côtés et à chaque fois Leslie pousse des cris de porc égorgé. Third degree : le coup du blues qui déchire ça marche à tous les coups, z'avez le fourgon qui conduit lentement le macchabée au cimetière et un chien qui tire sur un morceau d'intestin qui dépassait du cercueil, tous les clébards du patelins hurlent à la mort après lui. Encore plus marrant que le Tandis que j'agonise de Faulkner. Le genre de scène que vous raconterez encore à vos arrières-arrières-petits-enfants. Le Leslie quand il tient le bout de gras il n'est pas prêt à vous le lâcher. Le delta tel que vous ne l'avez jamais entendu. Why dontcha : c'est fou comme trois mecs ensemble peuvent produire de volume tonitruant dès qu'ils ont le cœur à l'ouvrage, le Corky vous enfonce la tête dans le sable à coups de pelles, West joue aux fléchettes sur votre cadavre, Bruce compatissant vous savate une sonate de Beethoven en sourdine, il ne tient pas à vous réveiller, oui mais après ils ne se retiennent plus et vous commencez à avoir peur. Public acclamatif. Train time : tiens un western, Bruce joue à l'homme à l'harmonica, la scène du train, Corky boogise lentement dans le lointain, locomo-Bruce accélère et pique un vocal hors des rails, genre de morceau qu'il vaut mieux voir en direct qu'écouter sur bande. D'ailleurs ça s'arrête relativement vite. Guitar solo + Roll over Beethoven : West n'était pas présent sur le morceau précédent alors il met les doubles-bouchées pantagruéliques sur son solo, miroite comme de l'or, c'est beau comme La mine de l'Allemand Perdu de Blue Berry, je ne vous surprendrai pas en vous annonçant que la nostalgie Westienne possède ses limites, vous ramène en pleine action, révolte indienne assurée, mais quel artiste, quel tourbillon de radieuses sonorités nous dispense-t-il, ouvre la corne d'abondance et la déverse sur nous, sa guitare barrit, se transforme en éléphant dont un chasseur vient d'abattre la femelle, et vous sentez que le safari sanglant va se terminer en confiteor de confetti charnels, de quoi rendre Beethoven jaloux. Corky et Bruce viennent se repaître du sang innocent épandu sur la piste transformée en marécage hémoglobineux. Et l'on déboule dans Love is worth the blues sans bien s'en rendre compte, mais tout l'amour et tout le blues du monde ne pourront remplir les notes de ce trio maudit qui emporte nos rêves avec lui dans une cavalcade infinie. Corky en open-tornade marque le rythme et les deux autres sont à sa poursuite inter-galactique. Le mur du son du rock'n'roll est dépassé depuis longtemps, arpèges-atterrissage sur planète inconnue en douceur. Voici que Corky timbalise et casse du bois. Crépitements de baguettes-mitraillettes. Cydalises de cymbales sur fond de tonnerre digne des sabots de Sleipnir, Leslie joue, Hendrix n'a jamais atteint cette profondeur de champ, je sens que je vais me faire des ennemis mais parfois l'on est touché par la grâce. Un morceau dantesque, si vous connaissez mieux faites-nous-le savoir, on vous écrira. Powerhouse sod : Bruce monte sur le ring, il braille le blues à la Bo Diddley, Corky tam-tame l'hippopotame à mort, et Jack déploie ses notes comme les sorciers déplacent leur boules sur le boulier. Vous essayez de suivre, vous n'y comprenez rien mais les calculs sont étonnamment justes. Si ça continue, les esprits des morts vont apparaître. Dansent en rond autour du baobab. Maintenant vous pouvez accéder à tous les pouvoirs. Entrez dans la danse et laissez s'envoler votre esprit. Personne ne s'en apercevra. The doctor : Doctor West est annoncé, pas faux il possède la bonne médecine et ses deux assesseurs ne sont pas des gueilles non plus. Vous appliquent le cataplasme chaud brûlant sur les partie génitales et vous ressentez un bien fou. Le rock au bistouri et le blues au scalpel c'est merveilleux, mais aussi un peu dangereux. Corky est un maniaque mais pas du tout dépressif, un tambour entre les mains et vous êtes tranquille pour trois jours, évidemment s'il se prend la tête avec Jack, ça tourbe à l'émeute, et quand on vous bombarde de ses riffs, vous demandez si vous n'êtes pas un peu masochiste pour supporter de tels traitements. Sûrement, seulement qu'est-ce qui pourrait vous faire davantage de bien sur cette terre ! Rien. Sunshine of your love : mettez vos lunettes de soleil, et n'oubliez pas que certains l'aiment chaud. Je n'en dirai pas plus. Tant pis pour vous. Osez l'apothéose.

    C'était à New-York. Alors ils ont tout donné. Pratiquement deux heures de débauche orgiaque.

     

    MEMORIAL AUDITORIUM

    DALLAS / 29 – 11 – 1972

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    Keep playing that rock'n'roll : ce ne sont pas nos trois héros mais le Arthur Winter Group. Qui assure grave, entre nous soit dit.

    Don't look around : le vol du bourdon bombardier, menace sur tous les Hiroshima mentaux que nous portons à l'intérieur de nous, dommage que le son soit si bas, le groupe emballe et le riff monstrueux survient à l'instant idoine tel Godzilla le grand destructeur qui se rue vers nos rivages. Dévore déjà les derniers survivants tandis que sa queue, enfant capricieuse qui renverse son jeu de cubes, balaie les immeubles sans le faire exprès. Saccage intégral. Pleasure : un petit rock'n'roll n'a jamais fait de bien à personne, alors ils alignent celui-ci à vous démantibuler les ratiches. Ils insistent méchamment pour se faire haïr encore plus. Ils y réussissent parfaitement. Le son n'est vraiment pas fabuleux. La basse de Bruce trop compressée. D'autant plus regrettable que vous sentez qu'ils sont attelés à l'ouvrage. Why dontcha : par contre l'enregistrement permet de saisir une des caractéristiques du groupe, le fond musical qui tourne-boule et le vocal en osmose de distanciation, idem pour les soli qui planent très au-dessus de la pâte sonore tout en lui étant directement reliés, WB&L joue sur les deux tableaux, intégration et désintégration, fragmentations et réunifications, un peu comme ces toiles cubistes qui présentent sur le même plan la lune et sa face cachée. Third degree : des as pour étirer le chewing-gum du blues, une langue de fourmilier qui surgirait très lentement mais qui implacablement s'amuserait à smasher les une après les autres les fourmis carnivores, les images ralenties d'un film pour que le spectateur puisse se rendre compte de l'habileté diabolique déployée. Et puis de temps en temps l'accélération de la séquence pour que vous ayez une vision correcte de l'efficacité déployée par le zénarthra formivora. Mississippi queen : le son toujours aussi bas du plafond, ce n'est pas grave les courbes lascives de la Reine du Mississippi sont si tentantes que vous l'oubliez vite, Leslie hurle son plaisir et sa guitare spermatique gicle telle une fontaine de jouvence torrentueuse. Travaille la miss au plus près. Travaux d'approches fulgurantes pour les dissonances beethovéniennes. Un chemin de stupre et d'épines lacérantes qui mène tout droit au classique de Chucky les doigts agiles : Roll over Beethoven : nous en offre une version que l'on qualifiera de respectueuse par rapport à l'originale. Parfois la guitare dépasse un peu les contours du dessin, même qu'à la fin elle se transforme en un fameux gribouillage qui ne dépare en rien le tableau du maître. Bruce se permet même de le faire sonner à la Deep Purple ! Magnifique moyen d'entrer sans douceur dans Love is worth the blues : qui est au blues ce qu'une symphonie est à un élève de sixième s'adonnant à la flûte à bec en matière plastique. Ce morceau est un véritable champ d'expérimentations pour nos trois compères, ce coup-ci c'est Bruce qui s'adjuge la part du lion royal, ce qui n'empêche pas Leslie de faire miauler sa guitare comme une portée de tigrons impatients du retour de leur mère et Corky s'adjuge un solo, un genre de tamponnements maladifs qui tient autant de Parkinson que la tournante du mouton géant, font comme dans le poème de Victor Hugo, vous leur filez une araignée, en explorent les contours de prédatrice et en détaillent les morsures venimeuses, puis ils vous l'exaucent jusqu'au haut du ciel, et vous comprenez qu'ils l'ont transformée en soleil ardent et bienfaiteur pour réchauffer nos os de pauvres terriens démunis.

     

    MORE LIVE 'N' KICKING

    ( 24 avril 1972Canergie Hall. New York ? )

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    A ma connaissance provenance indéterminée, du matériel de préparation pour le Live 'n' Kickin' qui à l'origine devait être un double. Ce qui est sûr c'est qu'il s'agit là de bandes de premier choix, qui démontrent à l'excès quel groupe exceptionnel aurait pu être West, Bruce & Laing.

    Play with fire : la raison pour laquelle cette version n'a pas été préférée à celle sur le disque sorti restera une des grandes énigme rock du vingtième siècle, basse, guitare et batterie sont ici totalement entrecroisées, une phalange macédonienne au combat sur qui vient se briser la charge de la cavalerie adverse. Il arrive un moment où le sort de la bataille reste suspendu en un miraculeux équilibre, mais peu à peu les hoplites regagnent du terrain et la pente fatale de la victoire s'incline en leur faveur. Ce Corky quel batteur, une probité à toute épreuve vis à vis de ses deux compagnons, il les sert à merveille et leur laisse tout l'espace nécessaire. Et quand l'incendie enflamme le Walhalla, l'on assiste à une des plus belles chevauchées sans retour du rock'n'roll. Il arrive un moment, le morceau dépasse les vingt minutes, où la musique vous saisit et vous pétrifie. Merveilleux solo de Corky qui a lui tout seul fait aussi bien que le trio en son entier. L'on entend les mouches Bruce et West bourdonner autour des cymbales, et quand il tape sur sa zinguerie il leur laisse de temps de s'envoler. Sublime. Sunshine of your love : très haute qualité, mais un peu attendu, le titre des Stones leur a laissé davantage de latitude créatrice, sur ce morceau de Cream les sentiers sont balisés, mais ce soir Jack et Bruce ne se tirent pas le mou, avancent de front, un régal de les entendre, la voix qui ricoche comme des pierres détachées de la paroi rocheuse, Corky à fond les ballons les pousse à mort, ne leur laisse pas un centimètre pour reculer afin de prendre de l'élan, sont au plus près des arêtes verglacées et la cordée avance toujours, ce soir ce n'est pas l'amour qu'ils recherchent mais le soleil lui-même qu'ils veulent atteindre. Aucune version creamique n'est montée si haut.

    Shake my thing / Unknown song / Pollution woman : oubliez tout ce qui précède si vous désirez prendre quelques plaisir à ces trois titres qui suivent. Ce n'est pas qu'ils soient nuls, l'amateur de rock y trouvera un intérêt certain. Juste des pistes de travail opérées durant l'enregistrement de Why Dontcha. Bruce swingue à mort, profitez-en pour remarquer le grand funk de Corky qui railroade autour de ses lignes. Mais enfin soyons juste, ces trois backing traps font un peu pièces rapportées pour obtenir l'équivalent temporel d'un album. Just for fans.

    Nous arrêterons là pour aujourd'hui mais nous retrouverons très bientôt nos héros.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 437: KR'TNT ! 437 : DETROIT COBRA / Dr JOHN / K'PTAIN KIDD / CHRIS THEPS / ALICIA F / JADES / RED HOT TRIO / HOWLIN' JAWS

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 437

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    07 / 11 / 2019

     

    DETROIT COBRAS / Dr JOHN

    K'PTAIN KIDD / CHRIS THEPS / ALICIA F !

    JADES / RED HOT RIOT / HOWLIN' JAWS

     

    À Cobras ouverts

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    Un petit coup de Detroit Sound, ça ne fait de mal à personne. Au contraire. Ça remet bien les pendules à l’heure. Qu’il s’agisse des Stooges, de Wayne Kramer, des Dirtbombs, de Scott Morgan, des Demolition Doll Rods ou des Detroit Cobras, le blast est garanti. Les gens le savent puisqu’une belle ovation accueille Rachel Nagy lorsqu’elle arrive sur la scène du Gibus.

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    Eh oui, elle est entrée dans la légende sur la foi de quelques beaux albums et de trop rares apparitions en Europe. Sa dernière prestation européenne remonte à 2004. Elle reste une très belle blonde à l’accent canaille et aux bras couverts de tatouages. Malheureusement elle n’a plus le droit de fumer sa clope sur scène. Rachel Nagy est aux blondes ce que Chrissie Hynde est aux brunes : la femme fatale par excellence. On détaille du regard son corps resté parfait.

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    À sa gauche se tient sa fidèle lieutenante, Mary Restrepo Ramirez. Elle est elle aussi incroyablement bien conservée, fine comme une anguille et brune à gogo. Elle déborde littéralement d’enthousiasme et fonce à travers la plaine avec sa rythmique endiablée. Il n’existe pas de guitariste plus dévouée au beat que Mary Restrepo Ramirez.

     

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    De l’autre côté se tient Eddie Baranek, un vétéran de toutes les guerres du Detroit Sound qu’on vit jadis œuvrer dans les Sights. Le vieux Eddie porte la barbe, des cheveux bien gras, des lunettes à verres bleutés et une grosse chemise à carreaux. Il s’est empâté mais il joue comme mille diables. Il allume en permanence et arrose tout de disto.

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    Les Cobras attaquent avec « I Can’t Go Back », suivi du knocking « You Don’t Knock » des Staple Singers. Plus loin, ils font un véritable carnage avec le vieux « Cha Cha Twist » d’Hank Ballard. Version explosive, on le sait depuis vingt ans. Par contre, aucune trace de « Hey Sailor » ni de « Right Around The Corner ». Le seul cut de Life Love And Leaving qu’ils reprennent est le « Shout Bama Lama » d’Otis. Sur scène, Rachel Nagy continue d’incarner tout ce qu’un homme peut attendre au plan libidinal du rock américain. Quand elle attaque « Weak Spot », on tombe définitivement sous son charme. Rachel Nagy fait avec « Weak Spot » le même genre de ravages qu’Aretha avec « Respect ».

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    Ces rois du swing vachard que sont les Cobras ne jouent que des reprises. Ils tapent dans l’inépuisable réservoir de hits du patrimoine musical américain. Leur répertoire est un twisted jukebox à la puissance dix. Ils déterrent des hits fabuleux. Ils font avec la Soul et la pop de Detroit ce que les Cramps firent avec le rockab : ils les subliment. Les Detroit Cobras explorent les catacombes de la culture américaine et ramènent à la lumière des hits oubliés qu’ils revitalisent à coups de riffalama.

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    Le groupe n’a que vingt ans d’âge, en fait. Il fut monté en 1998 par Steve Shaw, Mary Restrepo Ramirez et Jeff Meier, un ancien membre de Rocket 455, garage-band mythique de Detroit dans lequel jouait aussi Dan Kroha. Les trois compères proposèrent à Rachel de chanter, mais elle prétendit qu’elle ne savait pas chanter. On connaît la suite de l’histoire.

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    Leur premier album Mink Rat Or Rabbit sortit sur le label de Long Gone John, Sympathy For The Record Industry et fit sensation. Sur la pochette, on voit une femme noire danser nue devant un blanc, probablement dans un club de go-go girls. C’est un album de reprises spectaculaires. Ils attaquent avec le « Cha Cha Twist » d’Hank Ballard. La reine punk d’Amérique, c’est Mary Restrepo Ramirez. La lionne du désert, c’est Rachel Nagy. Et le père fondateur du garage de Detroit, c’est Steve Shaw. Ils enchaînent avec « I’ll Keep Holding On » des Marvelettes. Ils en font un pur jus de garage poundé à la dure. Puis ils tapent dans les Shirelles avec « Putty (In Your Hands) ». Ils l’embarquent à la sévère, ils instaurent le Biribi du garage, le marche ou crève définitif - oh oh oh - Quel ramshakle ! Puis ils tapent dans les Shangri-Las, les Oblivians et les 5 Royales, mais les cuts accrochent moins. La B s’ouvre sur une reprise du « Midnight Blues » de Charlie Rich. Un peu plus loin, ils ramènent la première d’une longue série de reprises d’Irma Thomas, « Hittin’ On Nothing », une belle pièce de r’n’b râblée et poilue. Puis c’est la fête avec « Out Of This World » de Gino Washington et ils finissent avec une reprise fouillée de Jackie DeShannon, « Breakaway ». Dans les pattes des Cobras, la belle pop de Jackie explose littéralement.

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    Life Love And Leaving parut trois ans plus tard sur le même label. Un gros plan de Rachel avec son micro et sa clope orne la pochette. L’album est encore meilleur que le précédent. Les Cobras s’installent au sommet de leur art. Ils attaquent avec « Hey Sailor », qui est en réalité le « Hey Sha-Lo-Ney » de Mickey Lee Lane (repris par The Action en Angleterre et par Ronnie Spector). Rachel bouffe ce vieux hit tout cru. Puis c’est au tour des Ronettes de passer à la casserole avec « He Dit It ». La pop des Cobras est dix mille fois plus puissante que ne le fut celle de Blondie. Leur pop explose et s’emballe. Ils tapent ensuite dans la heavyness de Solomon Burke (« Find Me A Home »), dans la pop de première classe des Chiffons (« Oh My Lover ») puis c’est le grand retour à Irma Thomas avec « Cry On », mais il ne s’y passe rien. La bombe de l’album, c’est bien sûr la reprise du fabuleux « Stupidity » de Solomon Burke. Ils embarquent ça au riff - oh -  et c’est claqué derrière les oreilles. La grandeur des Detroit Cobras se mesure à l’aune de Stupidity. Rachel en fait littéralement de la charpie. Elle se couronne Garage Queen d’Amérique. Puis ils volent dans les plumes du « Bye Bye Baby » de Mary Wells. Ils attaquent la B avec un hit inconnu au bataillon, « Boss Lady » de Davis Jones & the Fenders. C’est incroyablement bon. Rachel y met tout le chien de sa chienne - I’m a boss lady ! - On la croit sur parole. Elle transforme cette vieille pop en pure exultation primitive - Hey yeah ! Hey shake it baby ! - Puis ils retapissent « Laughing At You » des Gardienas. C’est la cavalcade infernale. Ils se prennent pour des locomotives. On a là toute l’énergie de la splendeur garage, avec un son paradisiaque. On tient avec Life Love And Leaving le disque de rock idéal. Il ne faut surtout pas le lâcher. « Right Around The Corner » des 5 Royales est certainement leur reprise la plus connue - That’s where my baby stays - C’est infernal de grandeur tournoyante. Leur manège donne le vertige, c’est une farandole excédentaire, un vertigo de pop extrême. Rachel arrache la peau de ses retours de couplets. Quelle démesure organique ! Et ils finissent avec une hot cover du « Shout Bama Lama » d’Otis. Leur choix de reprises est parfois un peu prétentieux - au sens de l’obscurantisme - mais les restitutions sont toutes irréprochables.

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    Seven Easy Pieces est ce qu’il faut bien appeler un mini-LP explosif. Ils attaquent avec une merveilleuse pounderie, « Ya Ya Ya », Rachel descend à la cave et nous plonge dans l’enfer de la fournaise. Le solo débilitant échappe à toutes les hypothèses imaginées par Sigmund Freud. Puis Rachel avale « My Baby Loves The Secret Agent » tout cru. Elle tire tout à la force de la voix - ah-ouh ah-ouh - elle sidère par tant de classe définitive. Ils font une reprise rouleau compresseur du « You Don’t Knock » des Staple Singers et ça se corse encore avec « 99 And A Half Just Won’t Do », dont les atomes explosent, comme dans un réacteur. On dit dans les cercles autorisés que les physiciens ont dû prendre le phénomène Detroit Cobras en compte. Et ils finissent dans le boogaloo avec « Insane Asylum », un joli clin d’œil à Koko Taylor.

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    Baby sort l’année suivante. Un couple romantique orne la pochette. Pour une fois, ce ne sont pas des romantiques blancs, mais des romantiques noirs. Baby est probablement le meilleur album des Cobras. Ils attaquent avec un cut signé Dan Penn/Spooner Oldham, « Slippin’ Around » et ils font sonner ça comme du Sony & Cher, avec toute la pression du Detroit Sound. C’est un véritable coup de génie. Rachel y fait un vrai carnage. Rooooaaar ! Ils explosent « Baby Let Me Hold Your Hand », un cut obscur de Hoagy Lands. On sent la puissance d’une démesure évidente. Nouvelle merveille extravagante : « Weak Spot », composé par Isaac Hayes pour la grande Ruby Johnson. Tout le génie de Rachel Nagy explose ici au grand jour. Les Cobras embarquent ça au firmament. « Weak Spot » est certainement leur exploit le plus retentissant. En B, ils sortent le « Mean Man » de Betty Harris de sa tombe. On sent la puissance sous le vent. Ils font aussi une reprise de « Baby Help Me », un hit de Bobby Womack interprété par Percy Sledge. Là, ils tapent dans l’extrêmement bon. Rachel sait emmener une pop song dans le bois des songes. Elle est la grande princesse des rock dreams humides. Et puis voilà le pot aux roses : la version ultime de « Cha Cha Twist » farcie de redémarrages explosifs. Comment parviennent-ils à transfigurer des classiques aussi parfaits ? Dieu seul le sait. Rachel dérape au coin du couplet et c’mon baby, ça ferraille derrière elle. Chaque fois qu’on réécoute ce cut, on voit danser en filigrane le nombril magique de Rachel Nagy.

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    Chant du cygne avec Tied & True paru en 2007. La formation originale du groupe avait depuis longtemps explosé. Il ne restait plus que Mary et Rachel. Greg Cartwright des Oblivians vint leur prêter main forte. Sur certains cuts, Rachel sonne comme Chrissie Hynde. Le groupe est en perte de vitesse. La version du fameux « Leave My Kitten Alone » de Little Willie John a un certain cachet, car on retrouve le côté cavaleur des Cobras, c’est ramassé au beat et chanté haut la main par une Rachel écarlate. Une petite pointe de rockab se fait sentir dans les entrelacs. Soutenu par un drumbeat tressauté, le riff de guitare fait tout le travail. Ils tapent aussi dans Bettye LaVette avec « You’ll Never Change » et en font un beau boogaloo sous le manteau. La version de « The Hurt’s All Gone » d’Irma Thomas est tellement pop que c’en est catastrophique. Le groupe tente de sauver son âme avec « On A Monday » de Leadbelly. Ils finissent heureusement en beauté avec « Green Light » des Equals. Ouf ! Mais on voit bien que les carottes sont cuites.

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    Les gens de Munster ont rassemblé les singles des Detroit Cobras dans une belle compile intitulée The Original Recordings. On y trouve des trésors comme « Maria Christina » chanté par Mary Restrepo Ramirez en chicano. Notons au passage que Steve Shaw et Mary étaient des découvreurs, au sens où Lux et Ivy l’étaient. L’autre révélation de ce disque, c’est la reprise d’un vieux coucou des années trente, « Come Over To My House » de Gesshie Wiley & Elvie Thomas. Ils déterrent aussi le « Sad Affair » d’un vieux soul man de Motor City, Lee Rogers, et en font du très gros Cobra. Même traitement infernal pour « Down In Louisiana » d’un certain Polka Dot Slim. Et puis on tombe dans la pure mythologie avec la reprise d’un cut inédit de Question Mark & The Mysterians, « Ain’t It A Shame », un spectaculaire exploit garage. Ils passent aussi le vieux « Slum Lord » des Deviants à la casserole. On trouvera de l’autre côté une belle mouture du fameux « Funnel Of Love » de Wanda Jackson - un long-time favorite des Cramps - et une reprise ratée du « Brainwashed » des Kinks. Steve Shaw chante « Time Changes Things », un hit superbe des early Supremes et ils transforment le « Curly Haired Baby » de Professor Longhair en bombe atomique.

    Grâce à cette belle série d’albums, Rachel Nagy et ses amis vénéneux sont devenus des héros mythologiques, au même titre que Zorro.

    Signé : Cazengler, Detroit Cobra cassé

    Detroit Cobras. Le Gibus. Paris XIe. 30 octobre 2019

    Detroit Cobras. Mink Rat Or Rabbit. Sympathy For The Record Industry 1998

    Detroit Cobras. Life Love And leaving. Sympathy For The Record Industry 2001

    Detroit Cobras. Seven Easy Pieces. Rough Trade 2003

    Detroit Cobras. Baby. Rough Trade 2004

    Detroit Cobras. Tied & True. Rough Trade 2007

    Detroit Cobras. The Original Recordings. Munster Records 2008

     

    Oh Dr John I’m Only Dancing

    - Part Two

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    Babylon compte parmi les plus grands albums de rock de tous les temps. Ça semblait déjà évident en 1969, année de sa parution. Et pourtant, quelle année ! Ça grouillait déjà de gros disques, Let It Bleed, le Led Zep 1, Trout Mask Replica, Everybody Knows This Is Nowhere, Happy Trails, Beck-Ola, le premier album des Stooges, Goodbye des Cream, A Salty Dog et d’autres encore. Rien qu’avec ce tas d’albums mirobolants, on avait épuisé son temps d’écoute et ses économies, mais Babylon s’imposait avec son Creaux pur tapé aux percus des marais avec une incomparable profondeur. Le jazz rock volait au secours d’une dimension incontrôlée.

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    Dans son morceau titre, Mac Rebennack invoquait les démons du free - No politicians/ No more human beings - Il voulait la bombe atomique. Bienvenue dans la décadence de Babylone. Il faut vite se faire une raison : Babylon est un album expérimental. Ça joue du tuba et ça groove dans les marais. Avec «Glowin’», Mac ramène des sons d’entre les morts, les filles qui chantent sont vermoulues. C’est très spécial et même très louche. Il contrebalance son what I’m gonna do dans le weird, il fait l’étalage de toutes ses extravagances, son keep on est beau à mourir. Il monte son «Black Widow Spider» sur un monstrueux drive de basse et nous enferme dans une torpeur extraordinaire. Il invente le Big Atmospherix de la Nouvelle Orleans. Le son grouille de sonorités inconnues. Cet album fonctionne comme une initiation. Il nous présente ensuite la fille aux pieds nus, «Barefoot Lady», sur fond de groove carnavalesque. Il chante comme un dieu et les congas de Congo Square jouent le real deal. Il se fend le cœur rien qu’en chantant «Twilight Zone». Il travaille sa torpeur avec les filles. Comme le Jack Flowers de Peter Bogdanovitch, il travaille avec des filles dévouées. Mac fait un album anti-commercial. Puis des chœurs d’enfants sucrent «The Patriotic Flag Waver», alors Mac peut aller chanter sur Main Street. Il chante la good time music des jours heureux et plonge son groove dans les affres du free. Il n’en finit de ramener du free dans le son, et il n’est pas prêt de se calmer.

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    En 1992 paraît un autre album extraordinairement fastueux, Goin’ Back To New Orleans. C’est la suite de Gumbo, qu’on a salué dans le Part One. Dr John y célèbre une fois de plus l’histoire musicale de la Nouvelle Orleans. À commencer par le Carnaval avec «The Red Indian», - Only in New Orlean will you hear this kind of song - Fabuleuse énergie et trompettes mariachi. Mac fait son white nigger dans «Basin Street Blues» et nous plonge dans la mythologie du heavy groove. Il rend hommage à son mentor Professor Longhair avec «Fess Up» - Strickly a tribute ! Ticklin’ the ivories all the double note crossovers, all that good stuff - Puis il envoie un gros clin d’œil à Annie Laurie avec «Since I Fell For you» : heavy blues d’une sensualité hors d’âge. Mac éprouve un gros béguin pour Annie. Powerful ! Autre clin d’œil, cette fois à Fatsy avec «Goin’ Home Tomorrow». Mac rappelle que Walter Papoose Nelson joue de la guitare sur la version originale. C’est le son de Fats. Fantastique cover ! Mac se souvient aussi d’une conversion avec Horace Silver qui lui disait que le premier disque de blues qu’il entendit sur un jukebox en Nouvelle Angleterre était «Goin’ Home Tomorrow» - He thought it was a hip blues for that time. Things like that stick in your mind - Mac sort aussi une cover de «Blue Monday» et rappelle que l’original est de Smiley Lewis. Il profite aussi de l’occasion pour dire qu’à l’âge d’or de la Nouvelle Orleans, on jouait le junkie blues toute la nuit. Il rend ensuite hommage à Huey Piano Smith avec «Scald Dog Medley/ I Can’t Gon On» et salue ensuite Art Neville avec une fantastique version de «Goin’ Back To New Orleans». Il croasse son groove à la perfection - I mean we just walked in and nailed this sucker - Son «Litanie des Saints» flirte avec Le Temps Des Gitans. Avec «How Come My Dog Don’t Bark», il est encore plus royaliste que les blacks et il salue Leadbelly doing ‘double life’ in Angola avec une superbe version de «Good Night Irene». Il profite du coucou à Leadbelly pour saluer aussi James Baker qui pianotait ce truc avec ferveur.

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    Son autobiographie s’arrête au moment où paraît Television, en 1994. L’album est nettement moins hanté que Babylon et Goin’ Back To New Orleans. Mac s’entoure d’une nouvelle équipe et d’Hugh McCraken. Dans «Lissen», il recommande de fermer la télé, le walkman et le BEI - Turn down the MTV, learn to listen - Ça date. Aujourd’hui, il dirait : «Turn down the internet.» Le hit de l’album est une reprise de Sly Stone, «Thank You (Falletin Me Be Mice Elf Again)». Derrière lui, les filles sont géniales. Mac en fait une épaisse tranche de groove fumante de génie.

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    L’autre coup de Jarnac est une reprise de «Money», le vieux hit de Berry Gordy. Mac en fait du gospel batch. Il fout le paquet et les filles font «That’s/ What I want !» Le reste de l’album est joué sur le même type de groove. On sent une volonté commerciale, d’ailleurs, la pochette est assez putassière. Dans «Witchy Red», Mac évoque un mojo satchel made of human skin et le chanteur des Red Hot Chili Peppers vient ruiner «Shut D Fonk Up». Plus loin, Mac chante «U Lie 2 Much» avec la voix d’un Ravaillac attaché aux quatre chevaux qui vont l’écarteler. La sincérité de son timbre ne trompe pas. Puis on l’entend sucer toutes les syllabes de «Same Day Service». Cet homme adore chanter ses chansons - Get me for less/ Every little bit u get/ It’s all correckkk - et les filles du gospel batch font le «Same day service» du cortège funèbre. Admirable !

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    L’année suivante paraît Afterglow. Sur la pochette, Mac semble serein, avec sa canne et sa commisération. Il chante au heavy groove de round it off. Le cut qui se détache du lot s’appelle «So Long». Mac nous régale d’un art définitif, une sorte de slow groove de rêve. Il pianote son «I Know What I’ve Got» au gras du bide, comme tout pépère qui se respecte, mais il amène de sacrés cuivres dans son chabrot. Soit tu quittes la table parce que tu n’apprécies pas le spectacle, soit tu t’aperçois que la tradition regorge d’une certaine forme de génie. C’est à toi de voir. Tu ne connais rien à la vie et tu dois faire face à tes responsabilités. Pendant ce temps, Mac sait exactement ce qu’il fait. Il fait couler une rivière de diamants sud-africains. Mac est très black dans l’esprit, très convaincu, anti-bonnet blanc et blanc bonnet. Il joue un «I’m Just A Lucky So-and-so» assez spectaculaire. De la même façon que Trane allait au Love Supreme, Mac passe au groove suprême avec «Blues Skies». Son «New York City Blues» flirte avec la classe intercontinentale du round midnite de Broadway. Il bouffe son chant comme on crève l’écran. Il chante comme un démon. Il mène le même combat que Leon Russell au soir de sa vie, il revient aux basics et enfile les chefs-d’œuvre comme des perles. C’est un album qu’on serre contre son cœur.

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    Il revient au boogaloo avec l’excellent Anutha Zone paru en 1998. On le croit calmé. Pas du tout ! «Ki Ya Gris Gris» renoue avec les torpeurs de Babylon, il ressort son vieux delirium, le son rôde dans le cimetière, les cris qu’on entend ne sont pas ceux des chouettes mais ceux des vampires. Mac murmure plus qu’il ne chante. On croit que c’est du boogaloo, mais non, c’est du vermoulu secoué aux percus africaines. Plus loin, il salue God au heavy beat de bienséance. Il monte «Hello God» en neige du Kilimandjaro et profite de l’occasion pour ramener les Edwin Hawkins Singers ! Clameur extraordinaire ! C’est l’un des hits les plus spectaculaires de Mac Rebennack. Seul un mec de la Nouvelle Orleans peut ramener autant de brebis égarées dans le giron de God. Keep on ! Et ça continue avec «John Gris», heavy groove des catacombes, mélange de xylo et de flûtes d’os. Ça pue le mystère ! Groove de la mort. Encore plus dévastateur : «I Like Keyoka», joué au sax de crocodile. Mac croasse dans les marais. Il fait sonner les clochettes des rattlesnakes. C’est épais et deep in the flesh. Il faut aussi saluer le morceau titre, une vraie merveille de heavy boogie joué à la meilleure connivence. Retour à la tradition avec «Sweet Home New Orleans» joué aux trompettes de rue. Il renoue avec la puissance inexorable du groove. Ce mec est très fort. Il allume son cataplasme à coups de yeah-oheh !

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    Changement complet de registre avec ce brillant hommage à Duke Ellington paru en 1999 : Duke Elegant. Les mecs qui accompagnent Mac sur cet album sont inconnus au bataillon. Album étonnant, car Mac va réussir à créer de la magie à partir de la magie existante. On entend un «I’m Gonna Go Fishin’» joué à la basse métallique, par exemple. Et ça frappe dur chez la mère tape-dur. Mac tape «It Don’t Mean A Thing» au croassement. Il semble écraser l’œuf du serpent. Il bâtit son pont des arts avec une maîtrise subliminale, il fait du gainsbourring de bonne bourre, à coups de rumble d’orgue. Ça groove dans les bas-flancs du brigantin. Il laisse le swing emporter «Perdido». Tout ce qui sort de Mac maque les mots et marque les mecs. Il shoote «Don’t Get Around Much Anymore» à l’insistance nasale. Il se régale et nous aussi. Des mecs sifflent et se fondent dans le groove downtown. Ça se termine en rap de South Side. Puis Mac descend dans les eaux profondes de «Solitude» pour pianoter comme Satie. Il chante de l’intérieur de l’âme. Il atteint à l’apanage de la nage. Il fait le choix du heavy funk pour «Thing’s Ain’t What They Used To Be» et tape «Caravan» au shuffle de petite surface. Dans son texte de présentation, Mac explique qu’il n’a rencontré Duke Ellington qu’une seule fois, sur un vol à destination de la Nouvelle Orleans. Il comprit immédiatement pourquoi on l’appelait Duke Elegant - The man was a mystic, chanting enchantments, and charming to the max - Puis il découvrit que ses musiciens s’habillaient comme des banquiers. Selon mac, Duke connaissait le secret de l’immortalité : «Write a bunch of tunes that people keep on singin’ and playin’.»

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    Retour au cimetière avec Creole Moon et sa pochette fantasmatique. Mac attaque cet album clé avec «You Swore», l’un des pire grooves de l’histoire du groove - Definitely the West African vibe - Authentic New Orleans sound. Bienvenue au paradis des enfers et les filles chantent à point nommé. C’est l’album des héros. Mac salue Art Blakey dans «In The Name Of You» et Fred Westley vient jouer du trombone dans «Food For Thot». Mac nous funke le shit de choc avec une invraisemblable énergie. Il sait se montrer aussi pugnace d’un black du ghetto. Ideal for cuising nous dit Mac de «Holdin’ Pattern» - Inner city rhythm, caribbean flourishes and shades of fonk inside it - Il bat tous les records atmosphériques. «Bruha Bembe» sent bon le cimetière. Mac fait rouler le Bembe africain. Quel shoot de boogaloo ! Aw come in down ! Encore un extraordinaire coup de love & potion amené à l’experiment extrême des crânes. Il co-write «Imitations Of Love» avec Doc Pomus - Written in 6/8 - Il songe à Ray Charles et à T Bone Walker. Eh oui, nous restons chez les géants. Il nous sert à la suite ce qu’il appelle un authentic raw New Orleans funk avec «Now That You Got Me» et passe au boléro de Charlie Parker avec le morceau titre. Aw Calypso ! Aw Trinitad ! Effarant ! Il swingue les îles. Il offre une conception très spectaculaire de l’exotica. Il affirme ensuite que sa mère est sortie de sa tombe pour lui chanter «Georgianna» - My bébé fais dodo/ My Georgianna - C’est son clin d’œil aux Cajuns. Il tape plus loin «Take What I Can Get» au guiding light spiritual church flavor - Sonny Landreth, the Cajun Santana, plays his part - Il a vraiment le chic des formules. Pour «Queen Of Old», il parle de jazzified flamenco. Cuba/Puerto Rico groove avec un mec à la trompette. Il termine avec «One 2 Am Too Many», a favorite of mine. Il a vraiment le groove dans le sang.

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    Voilà-t-y pas qu’en 2004 paraît l’un de ses meilleurs albums, N’awlinz Dis Dat Or D’udda ! Comme si c’était Dieu possible ! Il suffit pour s’en convaincre définitivement d’écouter «When The Saints Go Marching On», soutenu aux chœurs de morts vivants. C’est vibré à l’or de la mort, chanté au mieux des possibilités du gospel funéraire, avec la trompettes de Sidney Bechet dans l’écho du temps. Mac sublime le boogaloo de cimetière. Toute la mythologie de la Nouvelle Orleans est là, une fois encore. Mac reste dans le gospel avec «Lay My Burden Down». Il invite Mavis et Earl Palmer qui vient fouetter son snare. Il faut voir Mavis entrer dans la danse ! Elle swingue le heavy gospel de Mac, do like Jeusus et elle swingue son nobody à la folie. On grimpe encore d’un cran avec «Marie Laveau». Cyril Neville s’installe au piano et les Mardi Gras Indians fourbissent les bouquets de chœurs toxiques. Voodoo here we goo ! Mac chante les louanges de Marie Laveau, the Voodoo Queen of New Orleans. On entend les Werdell Quezergue Horns derrière, baby tout est si haut de gamme ! Ah ya ya ! Mac colmate les brèches de la réalité avec de la mousse de cimetière et les filles font chichakchichakchichak dans les ténèbres. Cette fois encore, ce démon de Mac bricole sa magie noire et frise le génie définitif. Nicholas Payton réveille ensuite le fantôme de Sidney Bechet avec «Dear Old Southland» et Mac revient au deep groove avec «Dis Dat Or D’Udda». Il sort pour l’occasion son baryton d’alligator, il croone dans le marigot, c’est effarant de tenue et de funky motion. On retrouve ensuite Earl Palmer dans «Chikee Le Pas». Mac fait appel à la crème de la crème du gratin dauphinois : en plus d’Earl on retrouve the Mardi Gras Indians et the Werdell Quezergue Horns. Im-bat-table ! Mac fouette sa crème de la crème. C’est encore une fois l’un des plus beaux albums de rock américain. L’hommage suivant va droit sur ce géant de la Nouvelle Orleans qui vient tout juste de disparaître, Dave Bartholomew, avec «The Monkey». Mac chauffe son Monkey comme Jimi Hendrix chauffait sa Foxy Lady. Randy Newman accompagne Mac sur «I Ate Up The Apple Tree», c’mon see about me ! Mac s’amuse avec sa voix de canard transmuté, on assiste à un duo de géants de la scène américaine. C’est une véritable merveille de classe et d’éclat. Snooks Eaglin et Willie Neslon rejoignent Mac sur «Ya Ain’t Such A Much». Que d’invités ! Que de son ! Snooks passe un solo au tiguili de shaking all over. Puis Mac revient avec «Life Is A One Way Ticket» au deep groove à la Bobbie Gentry. Il sait rocker le groove dans l’âme. Il sait cajoler la bête qui sommeille en nous. Il œuvre dans l’ombre du Grand Œuvre. Il n’en finit plus de ruisseler, mais ce sont des diamants. Il invite ensuite B.B. King et Clarence Gatemouth Brown à partager le festin de «Hen Layin’ Rooster». Quelle rooste ! Il n’existe rien de plus définitif en matière de groove. Mac réchauffe la terre entouré de ses amis, tous vétérans comme lui du Chitlin’ Circuit. Gate vient concasser des œufs pour l’omelette. Il faut reconnaître à Mac un talent fou d’instigateur. Son «Stakalee» n’est autre que Stagger Lee chanté à la décadence vermoulue. Hommage à Fess, boogie de rêve à la ramasse rebennackienne. Il invite ensuite Eddie Bo à partager le festin de «St James Infirmary» - I went down to the St James Infirmary down home - Il roule le texte sous sa langue et Eddie Bocage fait son apparition, ha ha ! C’est chanté au plus chaud de la matière. Ce disque est une espèce de carnet mondain de rêve. Tout ici n’est que luxe, calme et volupté.

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    Paru en 2005, Nex Hex - Nashville Sessions propose une belle série de classiques. Mac met le paquet sur le boogie de bastringue avec des choses comme «In The Night» - In the wee wee hours - et «Baldhead», vieux hit de Fess - Look at her/ She ain’t got no hair - Mac est plus jouissif que jamais. Il chante à l’accent tranchant et derrière, la fanfare de la Nouvelle Orleans s’emballe. Si on cherche du son, c’est là. Il chante ensuite «Whichever Way The Wind Blows» à l’épurée syllabique et enroule le groove autour de sa langue pour «Woman Is The Root Of All Evil». Version dévastatrice, salée aux cuivres. Il entraîne «Danger Zone» dans le giron de son groove spongieux et chante «Just Like A Miror» du haut de son heroin addiction. Il chante comme un dieu. Encore une merveille qui tombe du ciel avec «Helping Hand» qui vire en mode big heavy shuffle, oh helping hand ! C’est l’occasion de redire le génie de Mac Rebennack. Il tient son shit de choc par la barbichette. Il glisse le vieux «Tipitina» de Fess entre deux tranches pour en faire un sandwich magique. «Qualified» sonne comme l’un des plus beaux shuffles de l’histoire du rock et il ramène du rêve à la pelle avec «Mama Roux». Il réussit à recréer sa magie à Nashville, c’est un exploit. Il passe au heavy funk avec «A Quitter Never Wins». Une façon comme une autre de mettre les points sur les i. C’est même littéralement allumé de l’intérieur. Encore un album dont on sort épuisé mais ravi.

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    Avec Mercernary paru l’année suivante, Mac propose un choix de chansons de Johnny Mercer. Sur la pochette, il ressemble à un gangster. Avec «You Must Have Been A Beautiful Baby», Johnny Mercer rendait hommage à une femme délicate - Did your mama realize ? - Mac travaille son boogie au corps. Il jazze son groove. Le joyau de cet album s’appelle «Lazy Bones». Il le prend à l’éraillée et ça devient un blues de rêve. Il ne fait jamais les choses à moitié. Il plonge «Moon River» dans la décadence, il chante ça en biseau de croco. C’est de très haut niveau - My huckleberry sweet - Avec «I Ain’t No Johnny Mercer», Mac avoue qu’il n’est pas Johnny Mercer. Mais il tape ça au meilleur groove qui soit ici bas. Il atteint des sommets. On est dans l’excellence du night-clubbing. Il termine avec «Save The Bones For Henry James» joué au vieux jump de trombones. Mac est le roi du croak. Cet album renforce l’hypothèse d’un parallèle entre le prophète blanc (Mac) et le prophète black (Isaac). Il suffit d’écouter «Hit The Road To Dreamland» pour s’en convaincre. Mac drive son groove sous terre avec des accents chantants et crée de la proximité. Il chante aussi son «Dream» avec un appétit de croco affamé. Il va vers la lumière sur un beat de jump.

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    On retrouve pas mal de vieux coucous sur What Goes Around Comes Around. À commencer par «Tipitina», flamboyant et chanté au pire tranchant. Chant spongieux et décadent. On croit entendre un prince chanter. On revient aux racines de la Nouvelle Orleans avec «Mama Roux» qui sonne comme la bande son du bonheur parfait. On a tout là-dedans : l’emprise du swing, le radieux solaire, l’extrême fraîcheur du groove. Lookahere ! Voici «Qualified», véritable dégelée de son de Cadillac. Le rumble de la Nouvelle Orleans dégage les bronches. Mac chante à la pointe du progrès. Il passe au groove africain avec «Quitters Never Win». Pendant qu’il sort son meilleur tranchant, ça groove sec autour de lui. Et voilà le morceau titre, embarqué au bassmatic déconcerté. C’est une merveille de marche en crabe. Les filles le raclent vite fait avec des chœurs immondes, c’est en plus nappé de violons et donc doublement appétissant. Quelle incroyable vitalité du son ! Un son qui retombe sur ses pattes de manière inespérée. Tout ça pour dire qu’un album de Mac Rebennack se vit chaque fois comme une aventure. Il revient à son cher voodoo avec «Zu Zu Man» Les squelettes dansent dans le cimetière, sous la lune blafarde. Si on n’a encore jamais entendu un piano voodoo, il fait profiter de l’occasion. Mac pianote dans les ténèbres et croasse des choses inintelligibles. On le voit plus loin siphonner le groove de «Loser For You» avec ses dents de vampire. Il reprend aussi son vieux «Woman Is The Root Of All Evil» et chante «Bring Your Love» à la bonne aventure. Il pianote plus loin le junk de «Make Your Own Bed Well» et part en dérive. Il joue son round midnite aux coins cassés. C’est là que se fait la différence entre un mec comme Mac et MTV. Il ira pianoter à la folie junk dans l’âme d’un groove divinatoire, ce qui est quand même plus marrant qu’un clip sur MTV.

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    Le Trader John’s Crawfish Soiree paru en 2007 propose en fait deux albums, Trader John et Crawfish Soiree, tous deux bourrés à craquer de vieux classiques comme «Helping Hand» chanté au petit bonheur la chance, ou encore «Loser For You». Il y a quelque chose d’incroyablement chaleureux dans l’accent chantant de Mac, c’est d’ailleurs ça qui finit par le rendre tellement indispensable. Il chante toujours à la régalade d’homme repu. Comme si le groove suivait son petit bonhomme de chemin en père peinard sur la grand-mare des canards. Mac est génial, car avec «Loser For You» il va se prosterner aux pieds d’une pute - Two times loser/ Can’t help myself/ To come back to you - Il est en rut et brame à la gorge blanche. Il passe entre deux autres merveilles un instro de tous les diables, «One Night Late», véritable drive de monster wild, bassmatiqué au punch up de so far out. Il fait du big Mac avec un «I Pulled The Cover Off You Two Lovers» heavily pianoté. Tout le power est là, dans l’essence du rumble. Pas besoin de distorse. Avec «New Orleans», il envoie un coup de méthane dans le boyau de la mine et passe au heavy groove des enfers avec « The Ear Is On Strike». Admirable et gluant. Il revient à la goguette de bastringue avec «Just Like A Mirror» et devient une sorte de prince de la titube. On retrouve tous ces classiques sur Crawfish. Mais on ne s’en lasse pas. Tout est tellement pianoté dans l’âme. On retrouve ses grooves spongieux, ses coups de trompette, ses craquements de bois vermoulu et le poids du savoir, les cuivres de dixieland et les envoûtements, le shooo raaaah et le Zu Zu man, les pianotis dignes de Monk et la beauté déchirante de certains accents.

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    Au soir de sa vie, Mac mène le même combat que Tonton Leon, sauf que Tonton Leon n’est pas tombé dans le piège que lui tendaient les sirènes de la pseudo-modernité, ces petits mecs qui s’achètent une crédibilité à bon compte. Eh oui, Dan Auerbach produit Locked Down en 2012 et met son nom en gros sur la pochette. Alors qu’il n’a pas vécu le quart du centième de ce qu’a vécu Mac. On en est là. Même problème avec Mavis tombée dans les pattes de Jeff Tweedy qui met lui aussi son nom en gros sur les pochettes. Dès le morceau titre d’ouverture de bal, le vieux Mac prend son heavy groove au timbre biseauté, ce timbre de nasal junk unique au monde - Locked down locked down/ Like a cornered cat/ What y’all know bout that ? - Mac n’en finit plus d’affirmer sa singularité. Il chante aussi son «Revolution» au pincé de nez, mais il force un peu trop sur le nasal, il s’est mis dans les pattes d’une prod putassière, tant pis pour lui. Il nous fait «Big Shot» en mode carnavalesque - Ain’t never gonna be no big shot like me - et passe à l’âge de glace avec «Ice Age». Trop de son pour le bon Doctor. Beaucoup trop. Limite hip-hop new-yorkais. Comme c’est tapé au heavy beat menaçant, il en rajoute une caisse. Mais l’impression du trop de son persiste. Un groove comme «Getaway» ne lui ressemble pas. Auerbach commet une fantastique erreur en chargeant la barque. Il fait du spectaculaire sur le dos d’un mec qui a fui le spectaculaire toute sa vie. Avec «Kingdom Of Izzness», on bascule dans l’horreur. Mac sonne comme une pop star et il n’a jamais voulu sonner comme une pop star. Voilà un kingdom drapé d’accords flamboyants, et Mac n’a jamais voulu d’accords flamboyants. C’est le monde à l’envers, on se retrouve confronté au problème du producteur qui impose un son à l’artiste, comme Tweedy l’a fait avec Mavis. C’est insupportable. Mais Mac est gentil, il se met dans un coin et attend de pouvoir continuer. Le désastre se poursuit avec «You Lie». On n’entend que la guitare d’Auerbach. Le pauvre Mac doit se débrouiller avec le m’as-tu-vu des Black Keys. Trop de guitare. C’est le contraire du New Orleans Sound. Mac parvient à sauver «My Children My Angels» - I wish I’d never made you blue - et il finit en chantant divinement «God’s Sure Good» - God don’t be guessin’/ He sure don’t - C’est admirable. Mais Auerbach ramène sa guitare, et un changement de rythme sauve le cul du cut, des chœurs de rêve et un drive de basse volent au secours de Mac qui sonne comme un Mac de rêve - God knows I’m OK.

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    Après les hommages à Johnny Mercer et à Duke Ellington, Mac rend en 2014 hommage à Louis Armstrong, aka Satchmo, avec Ske-Dat-De-Dat The Spirit Of Satch. C’est d’ailleurs son dernier album studio. Bien sûr, il démarre sur l’hymne à la vie, «What A Wonderful World», et fourbit une belle version de bastringue. C’est mené au doo-wopping de rêve. Oh la fantastique énergie des doo-woppers ! - What/ What a wonderful world ! - Chef d’œuvre du grand songbook d’Amérique. Ce sont les Blind Boys Of Alabama qui shootent l’or du temps et Nicholas Payton souffle dans sa trompette. Hallucinant ! On comprend alors qu’on est entré dans un très bel album. Mac passe à la funky motion avec «Mack The Knife», pulsion maximaliste, ça joue à contre-temps du syncopal. Un rapper vient rapper le Mack de Mac, c’mon gimme some more ! Mac shake son shook comme pas deux. Un Chicano nommé Telmary prend le lead sur «Tight Like This» et roule les r d’une belle espagnolade. C’est le kitsch à l’état le plus pur. Arturo Sandoval joue un solo de trompette merveilleusement épique, le cut se noie dans le kitsch mariachi et finit par exploser. Pure folie ! On passe au walking bass de Broadway avec «I’ve Got The World On A String». Bonnie Raitt vient duetter avec Mac, c’est le meeting des géants, ils chantent tous les deux à la viande crue, ils sont demented are go et écœurants de génie, affolants de niaque cabaretière. On assiste là à une sorte de consécration suprême, comme si ce duo légitimait toute l’histoire de l’industrie musicale. Mac la ramène pendant que Bonnie chante à pleine voix. L’affront du disk Auerbach est lavé. Nicholas Payton revient illuminer le heavy groove de «Gut Bucket Blues». Ces mecs dégagent autant que les pionniers du Dixieland. Un nommé Anthony Hamilton prend le micro sur «Sometimes I Feel Like A Motherless Child». Il est moins frénétique que Richie Heavens, dommage. Mac swingue ensuite «That’s My Home». Il joue la carte du velours et souffle de l’air chaud. Comme Walt Disney, il fait rêver les enfants. Il passe au gospel batch avec «Nobody Knows The Trouble I’ve Seen» et fait intervenir les McCrary Sisters et Ledisi. Ce sont des battantes. Les Blind Boys Of Alabama reviennent enflammer «Wrap Your Troubles In Dreams». Mac fend la bise et bat tous les records de morgue. Terence Blanchard joue de la trompette. C’est un fantastique album de Soul et de Spirit. Grâce à cette trompette New Orleans, on se paye une extraordinaire virée dans le son. Shemekia Copeland radine sa fraise pour «Sweet Hunk O’ Trash». On peut dire qu’elle chante son ass off. Mac lui donne la réplique. Il s’encanaille. L’album n’en finit plus de surprendre, avec tous ces rebondissements. Arturo Sandoval revient souffler dans sa trompette pour illuminer «Memories Of You». Mac sort sa meilleure voix de vieux croco, ses dents brillent à la lune. Bel hommage à Satchmo. Mac est sans doute le plus habilité des habilités.

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    Tout fan du bon Doctor doit impérativement s’offrir The Atco/Atlantic Singles 1968-1974, une compile parue en 2015. Car c’est du double concentré de tomate Rebennack. On groove délicieusement des hanches sur «Mama Roux», puis on savoure l’insidieux beat des tambours de Congo Square sur «I Walk On Gilded Splinters», un beat tellement épicé, tellement exotique, à la fois menaçant et moussu, une pure merveille d’exotica et il enchaîne avec le part two de Splinters, toujours hanté par les esprits africains. Mac les aide à dévorer les âmes de tous ces blancs cruels et avides. On reste dans la mythologie de la Nouvelle Orleans avec «Gris Gris Gumbo Ya Ya», on descend dans l’œsophage de l’esclavage, avec les O’Jays de Ship Aloy, dans les soutes de ces voiliers qui ramenaient des cargaisons de chair humaine, et Mac invoque les esprits, il comprend cette violence inacceptable, c’est de ça dont parle son art, un art qui relève du génie politique, il rend un hommage bouleversant aux martyrs de la traite, l’horreur la plus noire. Mais comment les blancs pouvaient-ils s’imaginer qu’ils allaient s’en tirer à bon compte ? God ce n’est pas possible ! Heureusement, le serpent voodoo rôde et tue. Quelle dose de sortilège dans ce cut ! Et ça continue avec une fantastique leçon de boogaloo intitulée «Loop Garoo». Mac chante comme Fess, son mentor, et voilà «Iko Ikoo», véritable hit africain, joyeux et fêtard. Mac navigue dans les Sargasses de la magie. Il rend aussi un bel hommage à Huey Piano Smith avec «Huey Smith Boogie», énorme cut claqué des mains, et passe ensuite à Big Dix avec une reprise de «Wang Dang Doodle». Mac y retrouve le chemin de la viande, all nite long, et il sort pour l’occasion son meilleur accent canaille. Il a tout compris. On a en prime un fantastique solo de guitare. Tiens encore un hommage magique à Fess, avec «Big Chief», joué aux instruments africains. On y retrouve la foison du son magique de la Nouvelle Orleans, forcément. Mac swingue à outrance. Il hurle comme un beau diable dans «A Man Of Many Words» et revient au groove avec «Right Place Wrong Time» : il se glisse sous le vent du marais, il groove son truc avec l’énergie d’un punk des bas-fonds et il revient aussitôt après au bon vieux boogaloo avec «I Been Hoodood», un cut fait pour rôder la nuit dans les cimetières, bien battu aux congas de Congo Square. C’est un zombie groove de tous les diables. Il passe au groove de Cuba avec «Cold Cold Cold». Mac ne tape que dans le haut de gamme. Il est incapable d’enregistrer un navet. Il se permet même de jouer de la rumba oblique, de s’enfoncer dans la jungle avec «Life» et de chanter «(Everybody Wan Get Rich) Rite Away» avec une voix de vieux clochard. Quel héros !

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    Tant qu’on y est, on peut aussi rapatrier The Crazy Cajun Recordings, une compile parue en 1999. Comme Jerry Lee Lewis et Doug Sahm, Mac a fréquenté un temps Huey P. Meaux et ça donne des résultats pour le moins explosifs. Le premier coup de génie s’appelle «You Said It», vieux shoot de groove voodoo. Quand Mac envoya ses cohortes, Huey dut avoir la peur de sa vie. Comment peut-on résister à ça ? Impossible ! Autre coup de génie avec «The Ear Is On Strike», heavy groove d’orgue des catacombes. Prod superbe, avec l’orgue joué loin derrière pour ne pas gêner le chant. Huey a bien compris la nature concassée du génie de Mac. C’est en tous les cas ce que montre «Make Your Own», joué au piano de round midnite. Mac chante ça à la désespérance maximaliste. Son «Which Way» sonne assez punk, il y touille un brouet malsain, sans doute est-ce la raison pour laquelle Huey le respecte autant. Mac casse littéralement la gueule du rythme. Il chante comme un nègre sur «A Little Closer To My Home». Il rampe dans le groove et se révèle plus royaliste qu’un roi nègre. Sur «I Pulled The Cover Off You Two Lovers», il chante comme Van Morrison. On a là une sorte de Gloria à la sauce New Orleans. Par contre, il chante «The Time Had Come» à l’affliction, ou plus exactement à la compassion du laid-back concassé. Puis il prend «Woman» au groove de naseaux perçants. Mac n’en finit plus de chanter un rock fin et racé, comme brisé de mille cassures de rythme. Il sort aussi un «Go Ahead On» en mode boogie léger de la cheville. Il limite les défauts et les accentue en même temps. Il est le maître de son temps. C’est assez stupéfiant. Comme s’il faisait la pluie et le beau temps. Vous en connaissez beaucoup des artistes capables de faire la pluie et le beau temps ? Il revient ravaler la façade de «Chicky Wow Wow». Il n’y a que lui qui sache faire ça. Par sa prodigieuse disposition au génie foutraque, Mac échappe définitivement à la médiocrité. Puis on l’entend vers la fin taper sur son piano de bastringue pour donner à son «Doghouse Blues» la perfection du saumâtre des bas-fonds.

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    En 1973, Mac doit être au sommet de son art, car c’est ce que laisse entendre ce Lost Broadcast paru récemment sous le titre At The Ultrasonic Studios. New York 1973. Pas question de faire l’impasse sur une telle merveille, d’autant qu’il démarre avec son vieux «Loop Garoo». On se demande bien ce que les New-yorkais pouvaient comprendre à ça, à l’époque. Trop de modernité et trop d’exotisme. C’est gratté au boogaloo, ça grouille de puces. Mac chante la délinquance des rues, bien épaulé par Sugar Bear Welch qui envoie du wah et Robert Lee Popwell qui roule sa bosse sur sa basse. Le décor est planté. Ils traînent le groove dans la boue du limon. Ils jouent avec le power et le décousu du junk. C’est l’équivalent exotique du Velvet Underground. Mac reste dans le registre de la déglingue pour attaquer de front «I Walked On Guilded Splinters». Les reines de la ramasse l’accompagnent. Elles s’appellent Bobbie Montgomery et Jessie Smith. Elles poussent de cris de hutte et chargent l’ambiance à outrance. Elles battent tous les records de déglingue. Rien n’est en place et ça tient, feel a lot better, John Boudreaux bat à l’Africaine, il sort un fantastique groove tribal mal dégrossi. Si on aime l’exotica, on est servi. Et ça monte encore d’un cran avec «Danse Kalinda Ba Boom», mélange de shuffle d’orgue et de beat voodoo. Mac jive comme Jimmy Smith, il smack le smooth de Smith. Les filles chantent à l’orgasmique dévoyé. Il faut les entendre, elles sont tellement vulviques ! Ça jive tant qu’on se croirait dans le Graham Bond ORGANization. Solo de sax dans les dents du cut, le mec s’appelle Jerry Jummonville, c’est le Trane de la défonce. Ce Lost Broadcast permet de choper Dr John au sommet vivant de son art. Les gens applaudissent. Yah ! Mac lance «Hawk you music lovers !» d’une voix de héros jovial. Il passe à Fess avec «Stag-o-lee». Ça pue la classe à dix kilomètres à la ronde. On sent qu’il ne vit que pour ça, pour la classe du jive. Retour des folles sur «Life», un hit bâti sur un joli riff d’Allen Toussaint. Le riff remonte le groove à contre-courant. S’ensuit un r’n’b brassé dans la profondeur du son, «Put A Love Letter In Your Heart». Mac n’en finit plus de relancer et les deux folles battent tous les records d’excès. Elles sont en sueur et Mac les excite encore. Il chante dans sa barbe, comme Gargantua un jour de ripaille. Il prend «Tipitina» au pire perçant de chat perché. C’est convaincu d’avance. Toute l’équipe s’y met. Merveilleux gumbo fantasmatique ! En matière de groove, on ne fera jamais mieux. Mac pulvérise New York. Il attaque «I’ve Been Hoodooed» d’une voix d’outre-tombe, nous plonge dans la nuit gelée du cimetière et les filles roucoulent un hooodoooo de rêve. On ne rigole pas car Mac est très sérieux et tout est cuivré de frais. Il retient son «Such A Night» par la manche et revient à son cœur de métier avec «Right Place Wrong Time». Fantastique jungle jive, il swingue l’excellence à outrance. S’il faut écouter une version de Right Place, c’est celle-ci. Elle est écorchée vive. Mac et son gumbo explosent tout. Les filles n’en finissent plus d’allumer le feu. Mac fait aussi un méchant clin d’œil à Big Dix avec «Wang Dang Doodle». Il le prend par en-dessous, comme un alligator. Chicago descend dans le bayou, all nite long ! Impossible de décrocher d’une telle merveille. On pourrait dire la même chose de «Mama Roux». Il l’amène au mieux des possibilités du génie rebennackien. Il chante ça à l’avenant. Il ouvre un océan de beauté innervée, il sonne le tocsin du bonheur éternel. Et tu as les filles qui explosent. Avec «Qualified», Mac bat d’autres records, ceux de la délinquance funk.

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    Pour finir, on se remet un coup de Desitively Bonnaroo, car Mac est beau comme un prince sur la pochette. On l’écoute une fois encore shaker son butt d’une voix pincée. «Quitters Never Win» sonne big and fat, umh-umh-umh et derrière, tu as les Meters et Allen Toussaint. Que peux-tu espérer de mieux ? George Porter au bassmatic ? C’est gagné d’avance. Art Neville on keys ? Laisse tomber. Et Zingaboo au beurre ? Faut pas charrier. D’ailleurs le Porter des enfers vient hanter «Stealin’», puis «What Comes Around Goes Around». Le monde appartient à George Porter. Zigaboo se montre plus discret, il se contente de rôder dans le marigot du groove comme un alligator. Son cousin le croco blanc chante et il descend dans le meilleur lard du monde, down down down, suivi par des filles vulvaires. Mac crée des zones de non-droit extravagantes et du côté des Meters ça pouette à tire-larigot. On voit ensuite Mac naviguer dans une mer de chœurs géniaux. Le cut s’appelle «Me You Loveliness». Les Meters déroulent le tapis rouge pour «Let’s Make A Better World». On se trouve là au maximum des possibilités du son, les filles deviennent insalubres. Mac a beaucoup de chance de pouvoir groover dans ces eaux-là. Les filles allument le brasier de «Can’t Git Enuff» et Mac ramène sa vieille niaque de sorcier africain. Alors forcément, ça explose. Les filles jettent de l’huile sur le feu. Il passe au groove de la désaille avec «Go Tell The People», il barre en couille de génie, il heurte le récif avec un talent indescriptible. Il taille sa route de titube dans un groove extrême. Pur génie ! Il finit cet album sublime avec le morceau titre, une sorte de take it off de non-recevoir. Les filles le harcèlent et ça devient intéressant. Nous voilà dans le heavy Mac, celui qui ne la ramène pas. Les Meters plombent le son, au sens fort du terme. Le babe babebabe restera un modèle du genre. Mac chante ça tellement à la renverse qu’on tombe de la chaise.

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    Dans le Part One, on faisait un peu l’impasse sur cet album intimiste paru en 1989, In A Sentimental Mood. Son duo avec Ricky Lee Jones va tout seul sur l’île déserte. Mac joue «Makin’ Whoopee» au piano bar de bonne contenance et nous berce de langueurs monotones. Il chante à la puissance du ton mouillé. L’autre merveille de cet album s’appelle «My Buddy». Il y crée une fantastique atmosphère d’amitié. On peut lui faire confiance - My buddy nobody sounds so fine - Les rivières de diamants qui s’écoulent de son piano s’en vont se perdre dans les nappes de violons. Mac chante ici avec tout le charme d’un vieil Américain bourré de talent. Cet album est aussi délicat et fragile qu’un recueil de poèmes de Paul-Jean Toulet. C’est taillé dans le cristal d’une certaine intelligence. Il chante «Don’t Let The Sun Catch You Cryin’» à la beauté déchirante. Plus rien à voir avec le menu fretin de pop et de rock. Mac vise l’undergut de bassdown nappé de violons et y fait rouler ses rivières de diamants. Il songe sans y songer à l’éternité. Mac, c’est un peu l’histoire d’un blanc qui se prenait pour un nègre. Il fait d’ailleurs partie de ceux qui ont réussi leur coup. Par la nature viscérale de son art, il a réussi à échapper aux anecdotes. Ses fans héritent d’un énorme tas de disques somptueux.

    Signé : Cazengler, Dr Jauni

    Dr John. Babylon. Atco Records 1969

    Dr John. Goin’ Back To New Orleans. Warner Bros Records 1992

    Dr John. Television. GRP 1994

    Dr John. Afterglow. Blue Thumb Records 1995

    Dr John. Anutha Zone. EMI 1998

    Dr John. Duke Elegant. Blue Note 1999

    Dr John. Creole Moon. Parlophone 2001

    Dr John. N’awlinz Dis Dat Or D’udda. EMI 2004

    Dr John. Nex Hex - Nashville Sessions. Purple Pyramid 2005

    Dr John. Mercernary. Parlophone 2006

    Dr John. What Goes Around Comes Around. DBK Works 2006

    Dr John. Trader John’s Crawfish Soiree. SPV GmbH 2007

    Dr John. Locked Down. Nonesuch 2012

    Dr John. Ske-Dat-De-Dat The Spirit Of Satch. Concord Records 2014

    Dr John. The Atco/Atlantic Singles 1968-1974. Omnivore Recordings 2015

    Dr John. The Crazy Cajun Recordings. Edsel Records 1999

    Dr John. At The Ultrasonic Studios. New York 1973. Smokin’ 2013

    Dr John.  Desitively Bonnaroo. Atco Records. 1974

    Dr John.  In a sentimental Moon. Warner Bros. Records. 1989

    Dr John (Mac Rebennack). Born Under A Hoodoo Moon. St Martin Press 1994

    02 / 11 / 2019PARIS

    QUARTIER GENERAL

    K'PTAIN KIDD / ALICIA F / CHRIS THEPS

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    Soirée littéraire un peu spéciale ce soir, rendez-vous avec le féroce Capitaine Kidd qui finit pendu sur les quais de Londres mais dont Edgar Allan Poe a magnifié le trésor perdu dans sa nouvelle Le scarabée d'or. L'entrevue sera suivie d'une escale au wonderland afin de rencontrer la merveilleuse Alice. Tout cela en un seul lieu – on n'arrête pas le progrès - au Quartier Général, rempli à ras-bord, telle la panse d'un long horn qui aurait brouté toute l'herbe bleue du Kentucky en une seule et mémorable nuitée. Grosse affluence ce soir, Alicia F nous offre sa première apparition publique, mais aussi afin de fêter son anniversaire, une bolée de punch – un véritable bolet de Satan – à tous ces notoires assoiffés que comptent dans leurs rangs les différentes familles des rockers réunies pour cette grande kermesse rock'n'roll.

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    JOHNNY KIDD

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    Johnny Kidd fut un des pionniers du rock'n'roll anglais. Le seul qui fraya à jeu égal avec la deuxième vague du british rock, Stones, Yardbirds, Animals, mais la mauvaise roue du destin – celle aux dents cassées – lui joua un mauvais tour sur une route d'Angleterre en octobre 1966. Son souvenir et son équipage de Pirates auraient pu sombrer au rayon des pertes et profits, mais il n'en fut rien. Please don't touch et Shakin' All Over sont devenus des classiques du rock, sa manière exemplaire d'aborder le rock en sa nudité énergétique originaire – guitare, basse, batterie – ne fut jamais oubliée, servit même de signe de ralliement et de reconnaissance – les marins nomment cela des amers - à tous les réfractaires qui un jour ou l'autre se rendent compte que le volatile efflanqué du rock s'est quelque peu transformé en poularde graisseuse ou embourgeoisé en chapon opulent, alors ils lui volent dans les plumes, lui arrachent les rémiges faisandées, lui écarlatisent la crête d'un rouge ardent, lui aiguisent les ergots à la mode assassine, et la cérémonie voodooïque des égorgements peut recommencer. Le pubrock de Dr Feelgood lui doit beaucoup, et au travers de ce retour au source l'insoumission punk sut renouer avec la combustion et l'énergie primale indispensables à toute révolte.

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    En France, Tony Marlow grand admirateur de Johnny Kidd enregistra en les années désormais fastueuses de 2014 et 2015, sous le nom de K'ptain Kidd, deux Cds consacrés à l'œuvre du britannique chevreau malfaisant, Feelin' et More of the same, dument chroniqués in Kr'tnt ! – pour les collectionneurs il existe un vinyle du second. Je vous livre les noms de cet équipage initial de forbans : Tony Marlow à la guitare, Gilles Tournon à la basse, et Stéphane Mouflier aux drums.

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    K'PTAIN KIDD

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    Oubliez le Tony Marlow de la semaine dernière à L'Armony, ce n'est pas le plus le même, je ne parle pas de chemise blanche à manches évasées, Fred et Fredo ont revêtu pour leur part une marinière à bandes bleu pâle. Non, la guitare. Non, il ne l'a pas repeinte en vert olive ou en bleu turquoise. Il s'en sert différemment. Toujours la même aisance, mais elle sonne différemment. Plus court si j'ose dire. C'est la faute à Johnny Kidd et ses damnés Pirates, de jouer au plus près de l'os, de viser à l'efficacité de ne rien se laisser perdre dans l'hors-champ des harmoniques. Ici on ne rêve pas, pas de trêve entre deux riffs, c'est comme pour les haricots verts, vous coupez toute la partie gauche, et toute la partie droite, vous vous contentez du mini trognon qui reste dans votre menotte, à vous de savoir pimenter la soupe.

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    N'est pas tout seul pour commettre ses méfaits Tony, l'a les Freddies à sa gauche. Rien de plus dissemblable que ces deux boucaniers. Visez un peu la pose hiératique de Fred Kolinski derrière sa batterie. Portrait en majesté. Avec ses cheveux de satin cristallin qui retombent sur ses épaules, au casting d'une super-production il décrochera sans problème le rôle de Merlin. Mais pour une fois pas l'enchanteur. Si vous n'y prêtez pas trop attention, vous ne le verrez pas bouger, à peine s'il se penche légèrement, l'a chargé ses missi dominici de se farcir le gros du boulot. Ses avant-bras s'activent méchamment. Another break in the wall of sound. Voici Merlin le cogneur. Vous fait de ces tours de passe-passe ahurissant, vous n'y voyez que du bleu, mais vos oreilles entendent le galop. Vous scude les azimuts l'air de rien. Mais ce n'est pas tout, en plus, lui l'imperturbable, il se permet de sourire. Ce n'est pas qu'il se moque de votre effarement devant cette promptitude drummique, c'est simplement un pâle sourire de complicité narquoise adressé à Tony ou à son homonyme.

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    Le deuxième Fred, rendons-lui son identité, Frédéric Lherm. L'antithèse parfaite de maître Kolinski. Sourit sans arrêt. Le gars jovial. N'est pas venu sur scène pour faire du boudin. L'est là pour s'amuser. A part que quand il fait mumuse sur sa basse, ça fait mal. A lui tout seul, il fait presque autant de bruit que le reste de l'équipage, attention ni tonitruance, ni brouhaha, juste des coups de marteau – c'est son côté merlin à lui - qui vous enfoncent des tire-fonds de vingt centimètres de long qui vous consolident le coffrage de chaque morceau avec une dextérité sans égale.

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    Si vous vous faîtes du souci pour Tony escorté par ses deux véritables gibiers de potence, qui mériteraient d'être pendus à la grande vergue, c'est que vous ne connaissez pas le Marlou. Entre les thermiques poinçons lhermiques et les battements d'ailes kolinskéens, un guitariste normal pleurerait à chaudes larmes, se plaindrait d'être exilé au bout du monde, se muerait en Ovide le triste relégué au lointain pays des Scythes par la fureur d'Auguste, dans la nullité de cet espace que lui concèdent les deux affreux, vous n'y glisseriez pas une feuille de papier, Tony vous y fait entrer toute la partition. Entre la brute et le truand, c'est toujours le bon le juste et le beau qui colle ses balles en plein milieu de la cible nous a enseigné Platon. Ah! C'est sûr qu'il joue serré, qu'il prend les virages à la corde, qu'il se faufile entre les deux autres chevaliers de l'apocalypse comme l'anguille dans un panier de crabes monstrueux.

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    Si vous y croyez vraiment, c'est que vous êtes naïfs, s'entendent tous les trois comme larrons en foire, ont longuement étudié leur affaire, après les passages les plus carambolesques, les gymkhanas les plus excessifs, ils échangent des signes de complicité et de satisfaction évidents, car il est sûr qu'ils évoluent sur un trapèze volant sans filet. En plus le Marlou, c'est comme les funambules qui font leur exercice les yeux bandés, il a double peine – je voulais dire double joie, mais il faut savoir apitoyer le lecteur – car en plus de la lead il se charge du vocal. Et attention, ce soir ils doivent avoir un train à prendre car ils enchaînent les morceaux à la seconde près. Vous les passent à la moulinette survitaminisante. Les rois du rock n'attendent pas.

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    Faudrait les analyser un par un, ce Big blon' baby craché à la serpentine de tête de Méduse, la voix de Tony Marlou sinueuse comme route de montagne stoppée net au bord du précipice, ce Goin' back home grondant comme train fonçant dans un tunnel effondré, ce Please don't touch qui vous ne vous touche pas mais vous heurte en avalanche de rochers dont la chute se referme sur votre cadavre. Et puis ce Shakin' all over, que tout le monde attend depuis trop longtemps pour ne pas être une pure merveille. Il y a un siècle que la salle est entrée en transe. Je préfère ne pas vous parler. De toutes les manières, c'est fini, les portes du pénitencier de l'existence coutumière se referment sur vous, Tony se retourne vers son ampli, il esquisse déjà le geste de l'éteindre, mais il se ravise, et nous propose un dernier blues, le dénommé Chris Theps est prié de monter sur scène.

    CHRIS THEPS

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    Si vous n'avez pas eu la chance d'avoir eu votre maison défoncée, écrasée, rasée, démolie détruite par une tornade, vous ne pouvez pas imaginer Chris Theps. C'est qu'il y a blues et blues, le sympathique chaloupé, idéal pour margouliner les filles, et puis l'autre, l'ondée dévastatrice qui vous réduit en miettes une plantation du Mississippi en moins de quatre minutes, un condensé de colère d'esclaves et de rage de petits blancs prolétaires. Chris Theps nous l'avons déjà aperçu au QG, lorsque les formations s'y prêtent, il vient dégoupiller une grenade, just for fun.

    Chris Theps l'a tout pour lui. Une dégaine à faire peur. De celles auxquelles succombent les filles. Grand et habillé de noir, des anneaux aux oreilles qui lui filent une dégaine à le confondre avec Keith Richards, une allure stonienne plus vraie que nature, il ne suffit pas de rouler pour amasser la mousse du talent. Faut une voix. Ça tombe bien Chris Theps n'en a pas. A la place il a dû se faire greffer un rugissement. En trois minutes, l'a mis tout le monde à genoux. Ce n'est pas le blues qui est sorti de son gosier, mais tous les alligators des bayous qui sont venus faire un tour au QG. L'a vampirisé l'atmosphère, souriez les morts vivants sont parmi vous. Zoom sur les zombies.

    Un organe à la Rod the Mod, une orgie d'orages, un barrage d'eau lourde qui se barre et vous atomise. Je ne me rappelle plus trop ce qu'il demandait à sa baby, mais à sa place j'aurais essayé de ne pas me faire remarquer, les blues les plus torrides sont les plus désespérés. Elle avait dû salement l'énerver, car le Chris l'a hurlé à la lune à la façon d'une meute de loups décidée à avaler ce gros cachet d'aspirine. Malgré ses vêtements noirs, l'a pris l'apparence d'un ours blanc en fureur qui d'un coup de patte vous décapsule le haut de l'igloo dans lequel vous aviez tenté de trouver refuge.

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    L'est descendu de scène sous un déluge d'ovations et s'est glissé dans la foule, suivi d'un respectueux et interrogatif murmure d'admiration. C'était Chris Theps.

    ALICIA F

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    F comme fatidique. Car tout le monde n'était venu que pour elle. Le bouche-à-oreille. La rumeur. Une dizaine de prestations d'un, ou deux, ou trois morceaux à l'arrache au milieu d'un set de Tony Marlow, le truc qui accroche certes, mais ce soir, ce n'est plus l'exotique essai sympathique, mais la voici en vedette, vingt titres à la suite, ça passe ou ça casse. Elle est là immobile devant le micro, attendant que les trois marlous de K'ptain Kidd lancent les hostilités.

    Plein de filles, venues soutenir, non pas une copine, mais une rockeuse capable d'en démontrer aux garçons. Plein de boys aussi, car le miel des abeilles sauvages possède cette intrinsèque propriété d'attirer les bourdons solitaires. Ballet de photographes subitement électrisés en paparazzi afin de fixer pour l'éphémère éternité des curiosités inquisitrices l'image d'une soirée sauvage d'Alicia F.

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    Tout près de nous dans ses noirs atours mais retranchée en elle-même dans son silence. Je m'accroche à cet inopportun pilier central qui devant la scène vous oblige à un strabisme divergent, je suis comme Ulysse attaché à son mât, qui attends le chant de la sirène. De noir vêtue, seule la double opaline nacrée du revers dénudé de ces seins, et ce mince bandeau de blancheur libre entrevue sous le haut des bas résillés jaillissant des bottes de cuir noir révèlent la vénusté royale des ardeurs de grande fervence, ceinturé d'une jarretière tatouée, imaginez échardes de barbelés ou ronciers impénétrables, qui attirent autant le regard qu'ils l'interdisent. Bras nus, colliers de griffes de jaspe noir, chaînes argentées, lèvres de sang encadrées de cheveux châtaignes qui oscillent entre rousseurs mordorées et pâleurs rutilantes de reflets purpuréens. Des yeux brillants, parfois elle les réduit à une fente noire de khôl cool, parfois elle les ouvre de cet air taquin irrésistible qui clignote en vous comme un appel et s'évapore aussitôt pour ne laisser entre vos mains que l'écume des songes vains.

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    C'est Tony Marlow qui déclare les hostilités après un dernier regard échangé avec les Freddies, Alicia lance son cri de guerre, Blietzkrieg Pop, akha talismanique et ramonique d'osmose émotionnelle avec le public. Derrière, l'on nous a changé le band. K'ptain Kidd s'est enfui en haute mer, le bang band d'Alicia c'est autre chose, un son beaucoup plus années soixante-dix, plus coulant, débordant de la baignoire et dévalant les escaliers des huit étages de l'immeuble tel un trouble torrent chargé d'alluvions fertiles. Tony a empoigné sa Gibson Flying V, elle lui permettra de nous régaler de ces soli fluides et sans fin qui brûlent votre âme – c'est ainsi que Thétis rendit son fils Achille presque immortel – derrière Kolinski métamorphose la rythmique en profondeurs caverneuses et Lherm vous éclabousse de lignes de basse hérissées d'hameçons pour la pêche au gros.

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    Alicia passe aux choses sérieuses. Désirs de femme et désagréments de femelle. I need a Man, une voix forte, et des gestes suggestifs, elle s'est rapprochée de Tony, touche à plusieurs reprises son corps, notamment les parties que l'on ne nomme point, le chant déboule sur vous comme la charge d'Alexandre à Cheronnée, une véritable rivière de sang, d'ailleurs la voici qui débarque dans Monthly Visitors – une compo d'Alicia, à la fin du set plusieurs personnes enthousiasmées et pas des moindres prétendront que ses six originaux furent les moments les plus forts du gig – ce jus qu'exhale le corps de la femme comme mangue trop mûre débordant de suc – Cicéron rappelle que le Consul Lentulus aimait à s'abreuver à ce nectar divin, toutefois nous noterons car il ne faut jamais regretter l'occasion de s'instruire que ce passage est rarement signalé à l'attention des collégiens latinistes. Et puisque l'on cause féminité – cette set-list a été concoctée avec une diabolicité toute alicienne – voici l'hymne féministe du rock'n'roll, le supersonique I love Rock'n'roll de Joan Jett, profitons-en – pendant que dans le public les filles deviennent hystériques – pour regarder bouger Alicia. Ne s'éloigne guère du micro, avez-vous déjà vu une princesse gesticuler comme un camelot à la foire, juste des poses, des arrêts brusques du corps figé pour une demi-moitié de poignée de secondes en une immobilité signifiante, une image fixe destinée à s'incruster dans vos prunelles, des engrammes encéphalogrammatiques de sorcière qui feront désormais partie de votre vision imaginale du monde, Alicia le bras tendu, Alicia le micro tenu des deux mains, Alicia subitement murée en son silence, avant de vous aguicher, à la commissure de ses lèvres, d'un surgissement de langue perverse. Une galerie de portraits.

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    Le morceau nous laisse sans souffle. Sans doute est-ce pour cela qu'elle enchaîne sur Breathless, ce qui est sûr c'est que question folie dure vous pouvez faire confiance à Jerry Lou, ici pas de pumpin' piano, Alicia le remplace aisément, elle a appuyé sur la touche tempête et son bang band à ses côtés s'en donne à cœur joie. Un peu comme si vous proposiez une bouteille de moonshine à un groupe d'alcooliques anonymes en manque. Ne soyons pas paranos, Alicia veut-elle vraiment nous entraîner dans une nuit de Walpurgis goethéenne avec Paranoid ? Je vous laisse débattre la question. J'ai mieux à faire, le meilleur titre du set City of broken dreams, une composition, désormais vous pouvez vous moquer des misérables incendies californiens et vous pisser dessus de rire en évoquant la forêt amazonienne en feu, mais après cette infamie torride quelle perle va-t-elle enfiler à ce chapelet diabolique, Fred Kolinski vous souffle la réponse, Eddie Cochran sauve la mise, Summertime Blues survient à la manière des sept plaies d'Egypte, à la différence près qu'en suppôt de Satan que vous êtes devenus, vous ne pouvez que que reprendre en chœur les fabuleux couplets de Sharon Sheeley.

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    Burn out dans mon pauvre cerveau carbonisé, je ne me souviens plus de Love is like a switchblade – puisque c'est Alicia qui l'a écrit, c'est sûr que c'est la vérité vraie – et de Cherry Bomb, coupé en deux par le premier titre et explosé en soixante dix mille neuf cent soixante trois confettis par le second – tout comme cet état second dans lequel elle a réduit l'assistance, cette fille c'est Le diable en personne, et le diable au corps en même temps pour cette version ligne-haute tension-langouro-kitch hyper-électrifiée de Shakin' all over. Juste une pensée émue pour Johnny Kidd et Vince Taylor.

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    J'avais cru qu'avec City of broken dreams l'on avait atteint le point acméique du show, mais dans la vie il ne faut pas croire, mais savoir ( penser c'est encore mieux, mais c'est plus difficile ), mais voici qu'avec My no-generation l'on gravit – à une vitesse folle – un autre Everest, deuxième preuve que la set-list enchaîne les titres comme les scènes d'une pièce se succèdent pour raconter par leur juxtaposition une histoire dont le sens est fortement guidé par le propos secret de l'auteur, nous abordons un point post-acnéique avec I'm eighteen d'Alice Cooper, l'homme qui accompagna Gene Vincent au festival de Toronto et qui glissait des boas vivants dans les culottes des filles.

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    Il y a longtemps que vous ne savez plus qui vous êtes dans les trépignations de la salle, Alicia l'avoue, elle ne reconnaît plus personne en Harley Davidson, elle creuse les reins et remue du cul, qu'elle frotte sur la croupe de Tony, la voici animale, chatte en chaleur qui ondule de plaisir sous les caresses et qui miaule pour obtenir la permission de courir les matous fous sur les toits en pente, le rock'n'roll a de toujours frayé avec l'obscénité et le grotesque des représentations humaines. C'est pour cela que nous l'aimons et que beaucoup le détestent. Il est des miroirs qui réfléchissent trop pour être compris. Comme l'on parle de félinité nous sauterons Hey You et California sun pour caresser le dernier titre composé par Alicia, dédié à Speed Rock son chat roux qu'elle a recueilli tout chaton, mort de froid et de faim, à la sortie d'un concert. Une belle flambée réconfortante qui vous permet de vous transformer chamaniquement en tigre altéré de sang. Immédiatement suivi d'I fought the law, une déclaration d'intention, Alicia nous déverse son modus vivendi sur les lisières philosophiques d'une liberté stirnérienne, selon sa seule volonté d'être uniquement ce c'est qu'elle est. Mais tout ce qu'elle est. Sans rien jeter. Sans rien cacher. En rock starter.

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    Déjà le rappel, Mercedez Benz et Road 66. Qui nous laissent sur notre faim de tigre non rassasié, alors un dernier cuissot de mammouth décongelé au lance-flamme, le truc le plus dangereux de la soirée, elle est comme cela Alicia, quand elle tire sa révérence, c'est avec un minimum d'insolence pour que vous la regrettiez encore plus. Après le tsunami qu'a été le set, après la violence, l'ironie mordante de Chuck Berry, son You never can tell qui sonne comme une rengaine populaire entachée d'une pernicieuse sagesse.

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    Alicia F a gagné son pari. L'aura cloué le bec à tous les coincés du cerveau qui suivent les modes sociétales et les injonctions étatiques. L'aura prouvé de façon exemplaire que le rock'n'roll reste un des rares chemins de survie, une piste ombreuse, qu'il faut avoir le courage d'affronter. Pour ne pas mourir d'inanition. La culture-rock est un plat qui se mange chaud-brûlant.

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    Damie Chad.

    ( Mes très chères soeurs, mes très chers frères

    ce n'est pas à Dieu sur cette terre

    que vous devez rendre grâce pour ces photos

    mais à Thierry Lerendu car c'est trop beau  )

     

    MISNAKE

    JADES

    ( 2018 )

    Toutes les filles sont des sorcières. Enfin, presque toutes. Du moins quelques unes. Les généralisations hâtives retirent l'âpreté du sel au goût des choses et des êtres vivants. Mais pour celles-ci je confirme. Je me porte garant. J'ai été témoin et il n'y avait pas de photographes dans la salle pour fixer le moment. Ils ont raté le cliché du siècle. C'était dans l'inter-set du concert au Chaudron – le lecteur curieux ou soucieux de se rafraîchir la mémoire se reportera à notre livraison 435 du 24 / 10 / 2019. L'on s'active sec pour installer le matos. Mais elles sont deux, isolées près d'un ampli, attentives aux dires d'un technicien qui leur serine je ne sais trop quoi. Elles sont de dos et de trois-quart, de longs vêtements, capes ou manteaux, enrobent leurs silhouettes découpées dans l'obscurité glauque et fuligineuse, de laquelle dépasse le manche de leur guitare, troublante ressemblance, deux sorcières évadées d'Harry Potter qui s'apprêtent à s'envoler sur leurs balais Parfois l'illusion de la réalité est plus véridique que les films.

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    Lindsay : vocal + bass / Taïphen : lead guitar / Cherry : rhythm guitar / Chloé : drums.

    Misnake : un beau jeu de mots, titre éponyme de ce premier EP qui mélange l'idée de faute et de mauvais serpent. Que voulez-vous dans l'âme de toute jeune fille rôde le fantôme enviée de l'arrière- grand-mère qui la première a osé désobéir et goûter aux fruits de la chair et de la connaissance. Vous le jettent dès le début '' I'm a girl'' leur seule prétention. Un vocal qui se traîne comme un serpent qui ondule sur le sol, parce que voyez-vous ce sont les courbes qui vous permettent d'avancer droit. Un arrière-fond de chœurs aux tonalités curieusement aigre-douces. Une belle partie de guitare, la piqure du reptile n'est peut-être pas mortelle mais vous apprécierez la couleur de sa peau. Peut-être même laisserez-vous la sinueuse bestiole dormir au creux de votre lit. Méfiez-vous de même. Tout compte fait ce mamba inquiétant pourrait se révéler dangereux. Les serpents ne se lovent pas toujours comme l'espèce humaine. I don't care : n'y a pas que les serpents qu'il faut regarder avec suspicion, les filles doivent être traitées avec les mêmes précautions, pas toutes peut-être, mais les Jades oui. Certes au début vous décidez de les laisser crier tout à leur aise, tout compte fait leur colère n'ébranle pas le monde, mais quand Chloé commence à frapper avec ses baguettes, il commence à se passer quelque chose et dès lors quand elles vous tombent toutes les quatre sur le paletot, vous devenez pâles trop tard, ces maudites gamines faut les prendre au sérieux. The monster in me : ne venez pas dire que je ne vous avais pas avertis, elles ont le mal en elles, vous préviennent par une guitare moqueuse et une simili comptine psalmodiée en chœur, et quand Lindsay prend la parole z'avez l'impression qu'un alien menaçant parle par sa bouche. Je précise mes avertissements, les Jades, elles sont très fortes sur la fin des morceaux, Taïphen vous dégouline un solo à vous pousser au suicide et tant pis pour vous. Ready or not : z'avez intérêt à être prêts parce qu'il y a longtemps qu'elles ont quitté les starting blocks, un festival de grouillis de guitare rouillées comme l'on n'en fait plus. Cherry s'y met aussi et pousse Lindsay dans ses retranchements, Chloé vous crapahute un petit frappé tarabusté de bien belle manière, ce morceau est une mosaïque, chaque tesselle vous offre une surprise, elles vous ont aménagé le château de Barbe Bleue en petites chambres de torture douillettes que vous aurez du mal à quitter. D.E.A.D. : ça tombe bien parce que vous êtes déjà morts. Et ces sales sorcières vous pondent un riff joyeux comme un œuf d'hippopotame. Et la fête n'est pas terminée, vous entraînent dans une farandole avec paliers accélératifs, à la fin du morceau, vous devez sortir de votre cercueil. Et vous le regrettez, vous ne vous étiez jamais aussi bien portés. For rock'n'roll : mais comme c'est pour le rock'n'roll vous consentez à les suivre. Incroyable mais vrai, il leur reste encore assez d'énergie pour balancer un maximum, chantent toutes en chœur et vous découpent avec le chalumeau des guitares. En plus votre mine déconfite d'autruche qui vient de pondre une tour eiffel en tôle ondulée les fait rire. Aux éclats.

    Une galette qui disparaîtra de votre étagère. Allez faire un tour dans les affaires de votre petite sœur ou de votre progéniture genrée au féminin. Sûr que ce sont elles qui vous l'ont chouravée. Confisquez-la leur sur l'heure, sinon elles subiront une très triste influence. Elles finiront rockeuses. Un très mauvais exemple. Votre appartement deviendra un nid de sorcières, c'est comme cela que Jades a commencé.

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    La musique c'est bien, mais la synesthésie c'est mieux. Quoi de plus affriolant que les arts s'interpénètrent. Jades s'est donc engagé en un nouveau projet, une BD un comic-book dessiné par Thomas Healstone Moreaux, qui est aussi guitariste et vocaliste de The Warm Lair. C'est une oeuvre en progrès, une souscription est à votre disposition sur Ulule ( rockpleaser_jades ), nous en reparlerons à sa parution.

    Damie Chad.

    NINETEEN

    RED HOT RIOT

    ( 2019 )

    Scotty : double bass / Ricky : Vocals and guitars / Kane : drums

    Le titre indique leur âge. Idéal pour faire preuve d'énergie parce que Corneille l'a dit : aux âmes bien nées la valeur n'attend pas le nombre des années. Nous les avions vus à la Comedia nous avaient fait une intraveineuse à réveiller un éléphant mort. Tout cela est raconté dans notre 436 ° livraison du 31 / 10 / 2019.

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    Life you get : ne respirez plus vous êtes tombés dans un trou de l'espace-temps, dans une party comme les jeunes s'en offraient dans les années cinquante, vous avez une guitare qui mord le moindre riff qui passe à sa portée et vous le secoue comme le chien qui ne veut pas lâcher la jambe de votre pantalon, ensuite pour faire taire ( vainement ) les chantonnements ironiques des chœurs, Ricky entreprend de fendre les bûches à coups d'un solo de cliquetis étourdissant qui vous réduit un tronc de séquoia en planchettes de dix centimètres de long sur cinq de large. Quand la jeunesse s'amuse, c'est du n'importe quoi. Oui mais c'est ce que l'on aime. This boy is having a nightmare : l'on n'a jamais dit à Scotty que l'on ne tapait pas sur une double bass pour la réduire en poudre, et comme derrière Kane drumise comme un sourd, n'y a plus pour Ricky  qu'à tailler sa guitare en pointe et puis de s'amuser avec sa voix pour encourager ses copains à se surpasser. Ce qu'ils font sans problème. Street lights ( Hey Hey Hey ) : cette fois le vocal de Ricky est mixé devant, juste pour faire croire qu'ils sont sages et bien élevés, mais il n'en est rien, ça les démange et à chaque appel Hey Hey Hey ils vous flanquent des ces rafales instrumentales comme d'autres coulent une bielle exprès pour exploser le moteur de leur voiture. Modern age : tiens ils donnent dans le musical. La guitare ronronne comme une panthère qui s'apprête à dévorer un yack sur les pentes neigeuses de l' Annapurna alors les gars s'amusent à jouer avec les échos de la montagne, Ho ! Ho ! Ho ! crient-ils à gorge déployée, et ce qui doit arriver arrive : déclenchent une avalanche qui emporte tout. Vous avec. Walking the dog : après la grosse bêtise précédente, ils essaient de se comporter en garçons sages qui promènent le chien chaque soir. Hélas, la maudit bâtard s'enfuit pour rattraper une guitare qui court plus vite que lui. Cela se termine brusquement, en le poursuivant ils ont renversé une vieille mémé qui est allée rouler sous les roues d'un bus qui passait fort inopinément par là. Pas grave, ils se dépêchent de rentrer à la maison pour faire leurs devoirs. Pas vus, pas pris. Peggy : surtout que la jeune Peggy attire maintenant leur attention. Pendant qu'ils lui font du gringue réfléchissons à l'effet produit par leur musique. C'est simple vous prenez un disque de Gene Vincent avec les Blue Caps d'origine et au lieu de le passer en 45 tours vous adaptez un démultiplicateur sur votre bécane. A cinq cent soixante trois tours / minutes, indexés sur les tables de de Pythagore vous obtenez exactement le son du Red Hot Trio. Evidemment c'est du pur haché, la guitare de Gallup monte et descend en dents vertigineuses de scie sauteuses, et le pauvre Dickie supprime les espaces entre chaque battement. Excellemment jouissif. Vous fait vibrer encore plus que le sexe de Peggy.

    Damie Chad.

    BURNING HOUSE

    HOWLIN' JAWS

    ( BMCD006 / 2018 )

    Baptiste Léon : drums, backing vocals / Lucas Humbert : guitar, backing vocals / Djivan Abkarian : double bass, lead vocal / + Keyboards : Camille Bazbaz.

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    Belle pochette. Artwork de VanGogo, photos de Mauro Fiorito. Recto : les Howlin, dans un paysage urbain quelconque, style hall d'aéroport. Perdus dans la vastitude déshumanisante du monde moderne. Au verso, les voici tous trois regroupés, seuls contre le monde entier. Et sur le disque ne subsistent que trois ombres aiguisées comme la flèche du cruel Zénon. Qu'advient-il de notre présence au monde. Y sommes-nous seulement présents, ou n'avons nous fait que semblant d'y passer.

    Oh well : sonne plus anglais que les british-pop d'aujourd'hui. Un feu d'artifice, ne pensent pas à ce que le morceau qu'ils sont en en train de jouer peut leur apporter, mais à ceux que chacun se doit de lui apporter. Z'ont compris le message, à chaque fois lui insuffler le maximum d'énergie. La quote-part du lion et le zèbre sera dévoré sabots compris, chacun y va de son petit solo pendant que les autres tronçonnent le tronc des arbres de l'allée de la bienséance. Un gros reproche toutefois, ils terminent trop vite, vous laissent le quai sans même agiter un mouchoir et pour réparer cette erreur démentielle, vous êtes obligé de le remettre trente fois de suite. Burning house : ont entendu le reproche, ce coup-ci ils font gaffe, y vont tout doux. Vous tapent un blues. Pour l'envoyer au cimetière des éléphants. Plus macabre que cela ce n'est pas possible puisque les cadavres ne peuvent pas mourir. Le Djivan n'y va pas de main morte, vous pousse des hurlements à réveiller un maccabée, mais celui-ci doit être sourd, Lucas est obligé de lui trépaner les oreilles avec un solo-killer, quant à Baptiste depuis le tout début il s'adonne à la marche funèbre. Ils ont tué le blues, et tout le monde s'en fout. Mais cela par chez nous c'est le lot des novateurs. Pour le blues, ne paniquez pas, il en a vu d'autres. You got it all wrong : z'ont repris du poil de la bête même qu'à la fin ils sonnent la cloche qui annonce l'imminence finale des naufrages. Mais avant cela surfez sur ces friselis de basse, profitent de votre béate admiration pour jeter quelques meubles par la fenêtre. Une manière de faire le ménage que vous devriez adopter chez vous quand tout va mal. Cela ne peut que vous faire du bien. She's gone : Elle est partie, c'est très bien, une merveilleuse occasion pour Baptiste de mixer sa batterie tout devant, et de vous triturer un kaotic-drumin' comme vous n'en avez jamais entendu. Du coup Lucas vous sort un truc de derrière les fagots, l'a la guitare qui pleure des larmes de crocodile tout en miaulant en même temps, essayez chez vous, vous m'en direz des nouvelles, en plus vous avez Dlivan qui essaie de planter son vocal au premier plan, un peu comme ces arbres de la liberté ( ou la mort ) que l'on dressait aux premiers temps de la révolution. Tant de bruit pour une fille, est-ce vraiment sérieux. Pas du tout, la preuve elle est partie car elle n'a pas supporté. Three days : cela sent un peu son Chuck Berry, qui s'en plaindrait, surtout que les Howlin' ils inspirent de l'admiration et de l'énergie davantage qu'ils ne s'inspirent, au début ils restent dans les canons étroits de la tradition, mais c'est juste pour vous faire comprendre comment ils la dynamitent. En plus ils allient absolue nouveauté et total respect. Combien sont-ils capables d'intuiter de telles trouvailles aujourd'hui. I'm mad : près des Them pour le background instrumental, et des Animals pour le traitement des voix, et leur guitare grondante et pétaradante sur Bo Diddley. Un petit chef-d'oeuvre qui revisite l'histoire du rock anglais. Encore une fois trop court. Un bijou. De l'or pur, pas de la pacotille.

    Des jeunes groupes actuels les Howlin'Jaws sont ceux qui se sont aventurés le plus loin. Possèdent une qualité que beaucoup n'ont pas. Ils sont créatifs. N'enregistrent que de l'essentiel, tournent un max, apportent du nouveau.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 435: KR'TNT ! 435 : MICK RONSON / BELLRAYS / MOONSHINERS / JOHNNY MONTREUIL / RAY ALLEN AND HIS BAND / PALMYRE / THE NEXTFLOOR / HOAX PARADISE / JADES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 435

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    24 / 10 / 2019

     

    MICK RONSON / BELLRAYS

    MOONSHINERS / JOHNNY MONTREUIL

    RAY ALLEN AND HIS BAND

    PALMYRE / THE NEXTFLOOR

    HOAX PARADISE / JADES

     

    Ronson toujours deux fois - Part Two

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    Durant les dernières années de son règne, Ronno a multiplié les jobs de prod et les plans collaboratifs. On en retiendra quelques-uns, à commencer par Dylan qui l’embauche pour jouer dans le Rolling Thunder Review.

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    On entend donc Ronno jouer sur «Maggie’s Farm», le cut d’ouverture d’Hard Rain, un album live paru en 1976. Grosse énergie. Ronno tisse des trames. Quel enchanteur ! Et il claque un bon solo de Hull. Attention, avec Dylan, ça n’en finit pas. La version de «Stuck Inside Of Mobile With The Memphis Blues Again» qui se trouve sur ce live est monstrueuse. Bien des années après, le texte reste un rêve de parolier. C’est là très précisément qu’on réalise à quel point Dylan est unique dans l’histoire du rock. Son rock reste bien le nec plus ultra du rock américain. Les versions d’«Oh Sister» et de «Lay Lady Lay» sont aussi énormes, jouées à l’épaisseur du mythe dylanesque. Il chante ça dans une sorte d’unisson, avec toute la pression mélodique qu’on peut imaginer. S’ensuit un «Shelter From The Storm» élégiaque. Ici, tout est traité au plus haut niveau de textualité. Pas de place pour les bas du front. Dylan s’adresse à l’intellect. Avec «You’re A Big Girl Now», on retrouve cette magie qui nous berçait dans les sixties et qui nous faisait croire en la beauté d’un monde de rock électrique - Time is a jet plane/ It moves too fast - Il y a quelque chose de messianique chez Dylan, il porte tout au plus haut niveau de la portée des choses. Il amène son «Idiot Wind» à l’embrun de protest song et ça souffle par delà les océans. Dylan est en colère, comme Neptune, alors il souffle le rock sur la terre des hommes tellement indignes. Dylan est encore en vie, il se dresse dans l’histoire du rock comme un dieu qui dénonce, mais il envoie des coups d’épée dans l’eau car trop peu de gens l’écoutent et le comprennent.

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    La même année, Ronno enregistre Cardiff Rose avec Roger McGuinn. Comme ils jouaient ensemble dans le Rolling Thunder Review et qu’ils s’entendaient bien, ils envisageaient de monter les Thunderbyrds. Dommage que le projet n’ait pas abouti car Cardiff Rose vaut sacrément le détour, ne serait-ce que pour «Take Me Away», un cut d’ouverure de bal gorgé d’énergie guitaristique. C’est joué au fouillis de son et porté à ébullition. Quel fantastique brouet de lancinances soniques ! Ronno y fait un festival hallucinant, il joue dans tous les coins. Puis avec «Jolly Roger», Roger passe à la piraterie. Cardiff Rose est le nom du vaisseau - Pull away me lads of the Cardiff Rose/ And hoist the Jolly Roger - On y entend craquer les cacatois. Par contre, «Rock And Roll Time» sonne comme un morceau des Clash et c’est beaucoup moins glorieux. Roger tape dans Dylan avec l’excellent «Up To Me» - You looked a little burned out my friend/ I thought it might be up to me - Les chutes de couplets sont des splendeurs - One of us has got to hit the road/ I guess it must be up to me - Roger entre dans le grand décorum avec «Round Table» et sa pop vaut bien celle de Bowie. Voilà une merveille richement dotée. Ronno ramène toutes les dynamiques dont il a le secret. Et Roger partit vers l’Est - And they kept headin’ towards the East - c’est plein d’allant, de son et de Holy Grail. Extraordinaire. S’ensuit «Pretty Holly», une chanson traditionnelle jouée au banjo par ce diable de David Mansfield et digne de Dylan. Tout ce que fait Roger dégouline d’excellence. Comme au temps des Byrds, il veille à rester dans le très haut de gamme. Il finit avec une reprise de Joni Mitchell, l’infectueux «Dreamland».

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    Autre aventure de Ronno en Amérique : les fameuses Secret Sessions enregistrées en 1977 avec Corgy Laing, Leslie West, Felix Pappalardi et l’Hunter-continental. C’est l’occasion d’entendre ce guitariste génial qu’est Leslie West, qui par le gras surpasse Ronno. La preuve ? Dans «The Best Thing». Leslie West y ramène tout son gras double. On a tout de suite du son, énormément de son, West vibrillonne comme un Mountain man. L’autre grand acteur de ces Secret Sessions, c’est Felix Pappalardi. Il faut l’entendre titiller le bassmatic dans «Silent Movie». C’est du boogie, mais avec du son et l’extraordinaire présence de Felix le chat qui joue un peu comme Jack Bruce. Ces sessions eurent lieu à l’initiative de Corgy qui voulait sortir un album solo pour Elektra, mais comme le label venait de changer d’optique commerciale en voulant mettre le paquet sur les Cars et Costello, le vieux boogie à l’anglaise n’était plus en odeur de sainteté. Et hop, le projet fut dégagé. Avec «I Hate Dancing», ils sonnent comme le Bowie diskö. L’horreur ! On revient à l’Hunter-marché avec «The Outsider». C’est forcément efficace. Leslie West joue dessus. Il tire plus de notes que Ronno. Il est plus féroce dans le développé des embrouilles soniques, il tient tête à la décence et se déverse dans l’inconscient collectif. Felix le chat revient faire des merveilles sur «Just When I Needed You Most», une sorte de balladif évangélique, quant à Leslie West, il ramène tout son graillon dans «Lowdown Freedom», un magnifique cut de good time music.

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    Si on se demande ce que foutait Ronno avec Slaughter & The Dogs, l’un des groupes punk les plus énervés, la réponse est simple : Mike Rossi et ses camarades étaient des fans de Ronno et de Bowie. Il tirent en effet le nom de leur groupe de Slaughter On Tenth Avenue et de Diamond Dogs. Ronno joue donc sur deux cuts de l’album Do It Dog Style, paru en 1978 : une reprise des Dolls («Who Are The Mystery Girls») et «Quick Joey Small». Ronno s’adapte à tous les plans, c’est un homme souple. Il ramène toute la hargne de Hull dans le brouet de Manchester. Dès que Slaughter & the Dogs reprend le format rock, ça redevient intéressant. Ronno s’amuse bien. Ce genre de fournaise reste dans ses cordes. La reprise des Dolls est peu punkoïde, mais Ronno l’allume bien à coups de cocotes maladives et de filins incisifs. Il monte ça en température juste quand il faut. Et pour le reste ? C’est du punk de Manchester, mais pas aussi élégant que celui des Buzzcocks. Les Dogs se veulent plus agressifs et ça ne vieillit pas très bien, comme d’ailleurs l’ensemble du punk-rock de la deuxième vague. Ils jouent ce qu’on appelait alors du punk de petite berzingue, sans queue ni tête. Mike Rossi tente de sauver les cuts à coups de killer solos flash mais c’est difficile. Il se montre très entreprenant dans la reprise d’«I’m Waiting For The Man». On les sent contents de leur sort et irrévérencieux. Dès qu’ils ne jouent plus de punk-rock, comme c’est le cas avec «You’re A Bore», ils redeviennent intéressants. Ce dingue de Rossi enjolive tout à la clé de sol. Ils flirtent avec le glam dans «Keep On Trying» et bardent «We Don’t Care» de bon son. On sent qu’ils y croient dur comme fer. Rossi est assez brillant, il peut jouer du solo de perlimpinpin. Il n’a pas besoin de Ronno pour allumer la gueule d’un cut. Il a du riff à revendre. Il fait un véritable festival dans «Dame To Blame», on le voit voyager dans le spectre du solo de wah. Franchement, ce petit mec joue comme un démon.

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    La même année, Ronno produit l’album des Rich Kids, le fameux Ghosts Of Princes In Towers. Il s’y niche une pure merveille, le morceau titre, un hymne Mod bardé d’énergie et traversé par une bassline alerte et courageuse. C’est chanté au meilleur cockney slang de street. Voilà ce qu’il faut bien appeler un hit magique. L’album réserve d’autres bonnes surprises comme ce «Hung On You», très anglais par le son des guitares. Les Kids flirtent avec le Mott. On sent la patte de Ronno dans la prod, cette façon de pousser les guitares devant dans le mix et de faire mousser le gras double du solo. C’est tout lui. Le solo prend même des allures thunderiennes. C’est dire si Ronno s’y connaît en maintien de la persistance. Tiens, puisqu’on parle de Johnny Thunders, voilà «Bullet Proof Lover», quasi-Dollsy tellement les guitares sont belles et que ça boogotte bien dans les brancards. Avec la bassline aérodynamique de Matlock, ça passe comme une lettre à la poste. D’ailleurs, il fait un festival dans «Rich Kids». Il faut l’entendre jouer ses gammes folles. Il multiplie les descentes vertigineuses et le mix le met bien en évidence. Ronno tente aussi de donner de la profondeur à «Put You In The Picture», un petit rock sans conséquence. Mais sans résultat. Dommage, car ça postillonne bien dans le micro à coups de poutchou inda pikchure. On retrouve de la belle cocote dans «Burning Sounds». Matlock sait écrire des chansons, car voilà une structure mélodique intéressante, il faut bien l’admettre. C’est d’autant plus convaincant que ces mecs jouent bien, et comme c’est produit de main de maître, alors on se régale. Les Rich Kids ne pouvaient pas rêver meilleur chaperon que Ronno.

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    On se comprend pas que Ronno soit allé produire l’album diskö de David Johansen, In Style, en 1979. Dommage, car Richard Avedon signe la pochette mais Dan Hartman rôde dans les parages, d’où la diskö, et ce dès «Melody». Bon d’accord, on a truc dansant, c’est du stomp de diskö beat, un truc de Studio 54 noyé d’orgue, tout ce qu’on voudra, mais on perd les Dolls. Quand on entend «She», on se demande vraiment ce que Ronno vient branler dans cette misérable histoire. Johansen se grille. Quel gâchis ! Ronno et lui auraient pu faire des étincelles. Ils font même du reggae avec «She Knew She Was Falling In Love». Atroce ! Nous voilà le museau dans le caca des eighties et des mauvais disques à la mode. On trouve enfin du rock à guitares dans le morceau titre. Ronno ramène ses arpèges et ses cocotes miraculeuses, alors ça change tout. Il fait le show. Et quand Sylvain Sylvain ramène sa fraise dans «Wreckless Crazy», on repart sur les Dolls. Ouf ! Chœurs parfaits, voilà enfin un cut digne du grand Johansen. La bassline de Buz Verno tend tout. On a même un solo de tempête de sable et des magnifiques too-hoo-loo de relance.

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    En 1989, Ronno produit l’excellent album d’Andy Sexgang, Arco Valley. C’est en effet un bel album de glam décadent qui s’ouvre sur le sombre «7 Ways To Kill A Man». Chant très perverti. Ronno joue derrière. «Queen Of Broken Dreams» et «Jesus Phoned» sonnent très glam puis Sexgang tape dans la môme Piaf avec «Les Amants Du Jour». Étonnant clin d’œil. «Rock Revo» reste dans la lignée de la belle A, avec des accents à la Bowie. «Station 5» se montre digne de «Life On Mars», c’est dire si c’est bon, oui, car voilà encore un cut très maniéré, beau comme un ciel étoilé.

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    Paru en 1991, Casino Steel & the Bandits Featuring Mick Ronson vaut aussi le détour. Ne serait-ce que pour cette belle cover de «When You Walk In The Room», même si elle est un peu top martelée. Ronno joue dans ce brouet de power pop forcément bon, car d’origine grandiose. Fabuleux slab de glam-rock avec «Brickfield Nights». C’est explosé de son et d’énergie. Même chose pour «Virginity» - Naked you look great tonight - On retrouve la patte d’Andrew Matheson dans «Ride Me», une espèce de heavy boogie blast - You think I’m worried/ Heartbroken and sorry/ It’ll never happen to me - C’est du pur jus de Matheson, une véritable démonstration de force. C’est bardé à la vie à la mort, avec des chœurs de Dolls et de la purée de Ronno. Ils tapent «Story Love Affair» au heavy groove de bar de nuit et font une reprise de Schmoll avec «Don’t Boogie Woogie». Ils sont marrants, car ils tombent dans tous les panneaux. Ronno devait bien aimer Casino pour aller se prêter à de telles imbécillités.

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    Ronno produit Your Arsenal de Morrissey, mais il n’est pas crédité en tant que guitariste. Curieusement, on sent sa patte, et ce dès «You’re Gonna Need Someone On Your Side» et son merveilleux son de beat pressé. Quelle invraisemblable cavalerie ! Moz s’accroche aux branches. Alan White et les autres fournissent un background sonore infernal qui oblige Moz à surfer sur la crête - Day or nights ssss/ There’s no difference - Cet enfoiré sort son attirail, c’est-à-dire sa diction pervertie. On assiste ici à une hallucinante débauche de rock anglais et on est franchement ravi que Ronno soit mêlé à ça. Puis ça tourne au Moz Sound System sous-traité par Boz. Ronno supervise la purée de «Glamorous Glue», car c’est bien de purée dont il s’agit, une purée de quartier anglais et de kids qui y croient. Ça va le faire, kid, essaye seulement de chanter juste. Comme c’est plein de son, on dit : «Merci Ronno !» Mais on ne peut pas empêcher Moz de retomber dans son fucking Smith System. Le pauvre Ronno se voit contraint de produire des trucs infâmes du style «We Hate It When Our Friends Become Successful». Heureusement qu’il a refusé de se faire créditer sur ce disk pourri. Facile d’imaginer combien ça peut être difficile pour un mec aussi fin que Ronno de naviguer dans les brumes d’un univers aussi tourmenté que celui de Moz. Un Moz qui se prend pour Jo le décadent dans «I Know It’s Gonna Happen Someday». Mais il n’est pas Bowie et encore moins Ray Davies. La décadence ne s’invente pas. Mais Ronno se montre héroïque dans ce cut qui rappelle «Rock’n’Roll Suicide». Moz compare lui aussi Ronno à Jeff Beck : «Lui et Jeff Beck fonctionnaient de la même façon, ils se mettaient dans un coin et jouaient sans trop la ramener - without fanfare - And they both made their guitars sound like grand pianos.»

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    Ronno rejoint son vieux patron Bowie en 1993 pour l’album Black Tie White Noise. On y trouve deux merveilles, «Don’t Let Me Down» et «I Know It’s Gonna Happen Someday». Avec le premier, Bowie tente de rameuter sa horde de fans. Il a ce pouvoir. Il chante son balladif au meilleur intimisme et ça tourne au miracle. Pour le deuxième, Bowie va chercher une Soul de gospel batch et il redevient le chanteur légendaire qu’on admirait tant au temps d’Hunky. Ronno enlumine la scène comme lui seul peut le faire. Nous voilà au paradis avec des chœurs d’Edwin Hawkins Singers et Ronno superstar. Et le reste ? Biff baff boff. Bowie touille une version diskö du fameux «I Feel Free» de Cream. Mais c’est joué à la mode et privé d’intellect. Bowie tombe dans des soubassements d’electro inepte, Ronno amène un peu de jus, mais ça ne va pas. Ils jouent le morceau titre au petit funk à la mode, c’est le côté putassier de Bowie qu’on déteste. On ne comprend ce que Ronno vient branler dans la daube de cuts comme «Jump They Say» ou «Nite Flights».

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    L’ultime contribution de Ronno au monde du rock se trouve sur Earth Vs The Wildhearts des Wildhearts. Ronno sent que la mort l’emporte et dans un dernier râle il passe le solo de «My Baby Is A Headfuck». Ginger fut tellement tétanisé par l’ampleur de ce coup de génie fatal qu’il ne s’en remit jamais.

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    Le meilleur moyen de refermer le chapitre Ronno est encore de voir le film de Jon Brewer, Beside Bowie: The Mick Ronson Story. Il vient tout juste de paraître sur DVD. Brewer ne s’embête pas, il raconte l’histoire de Ronno en remontant la chronologie, en partant de Haddon Hall que Bob Harris compare à la Factory d’Andy Warhol, alors que ça n’a rien à voir. Cette grande maison de Beckenham relevait plus du monastère que de l’avant-garde new-yorkaise car Bowie et son entourage manquaient tragiquement de moyens. Il suffit de lire le livre de Woody Woodmansay pour réaliser à quel point ces gens-là partaient de rien. Et comme l’album The Man Who Sold The World ne marche pas, Ronno et Woody rentrent chez eux à Hull. C’est là que Bowie comprend qu’il doit faire appel à un manager et il choisit Defries. Il demande ensuite à Ronno de revenir et c’est Hunky Dory. Brewer met très vite en lumière le côté surdoué de Ronno qui apprend à écrire des arrangements avec Tony Visconti, qui vit lui aussi à Haddon Hall. Ronno pouvait ensuite orchestrer anything ! C’est lui qui écrit les arrangements de «Life On Mars». Apparemment, sa plus grande admiratrice est Angie Bowie, cette vieille excentrique qu’on voit trépigner au souvenir du beau Ronno.

    Brewer gâche un peu la magie des Spiders en filmant des témoins comme Joe Elliot et Rick Wakeman qui sont aussi sexy que des curés de Camaret. Cet imbécile de Brewer ose même montrer Ronno sur scène à la fin de sa vie avec le vieux Bowie, le vieil Hunter-minable et deux vieilles cloches de Queen. C’est une faute de goût épouvantable, car Hunky Dory et la période Spiders From Mars incarnent précisément la perfection du rock anglais. C’est d’ailleurs Ronno qui amène le rock dans les Spiders. On parle ici de rock experience. Ronno amène un son. On le voit avec Bowie à Top Of The Pops. Ils font alors chavirer l’Angleterre. Lou Reed se dit fasciné par Ronno qui produit Transformer - Ronson’s good, woahh ! - On dit même dans le film que Transformer représente l’épanouissement de Ronno en tant que producteur. Bowie et Ronno attaquent ensuite leur première tournée américaine : 17 dates en 3 mois, ça veut dire ce que ça veut dire : l’Amérique n’est pas encore prête pour le glam - Le sera-t-elle jamais ? - C’est à Cleveland que le glam accroche, Cleveland, ville clé, big place for rock’n’roll. Pour Ronno, le team Bowie/Ronno marche bien car c’est à ses yeux la même chose que Jagger/Richards et Lennon/McCartney, avec des beautiful hairdos en prime, et des costumes. Tony Zanetta qui organise l’US tour se marre : «On a dépensé 400 000 dollars et on en a gagné 100 000, ha ha ha !» Mais il observe que la popularité augmente : «On est passé en trois mois de salles de 3 000 personnes à des salles de 20 000.» Tout ceci va se terminer en eau de boudin, car Defries ne paye pas les musiciens. Un jour, Woody demande au pianiste Mike Carson combien il gagne et il répond 800 £. Les autres sont payés 30 £ ! Alors forcément ça gueule. C’est la fin des Spiders. Defries essaye de lancer Ronno solo pour le transformer en rock star. Vas-y Ronno ! Tu seras le prochain Bowie ! Mais l’album Slaughter On 10th Avenue ne marche pas. Ronno se retrouve fauché aux États-Unis. Il accepte des petits boulots de production pour survivre. Il reçoit un gros chèque pour l’album de Morrissey. Et puis arrive l’épisode du cancer du foie. C’est un passage extrêmement émouvant qui peut faire pleurer. Ronno n’échappe pas à son destin, les médecins ne peuvent pas l’opérer. Wilko Johnson aura plus de chance. Et bien sûr, une fois que Ronno est enterré, des gens viennent rappeler l’essentiel : No Bowie without Ronno.

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    Mick Ronson ne fait plus l’actualité depuis longtemps, mais le petit label anglais Easy Action veille au grain : il réédite Just Like Us en vinyle. C’est inespéré. L’occasion est trop belle de réécouter ce hit qu’est «Just Like Us», même énergie que le chimney stacks de Jean Genie. Ronno n’en finit plus de fabriquer l’archétype du glam. Il voit loin, comme les Soul Brothers : all nite long. Il monte aussi «Hard Life» sur un très beau thème mélodique. Il torche un hit avec un brio de briochard, il construit des ponts d’arpèges par dessus les vallées enchantées. Il gorge son «Crazy Love» de Les Paul, Ronno adore les balladifs, il n’a pas la voix de Bowie mais il impose un style. Il tape une superbe version de «Hey Grandma» et rend un sacré hommage à Moby Grape. Vrai merveille d’ups and downs et de looking so good.

    Signé : Cazengler, Mick Ronron

    Bob Dylan. Hard Rain. Columbia 1976

    Roger McGuinn. Cardiff Rose. Columbia 1976

    Slaughter & The Dogs. Do It Dog Style. Decca 1978

    Rich Kids. Ghosts Of Princes In Towers. EMI 1978

    David Johansen. In Style. Blue Sky 1979

    Andy Sexgang & Mick Ronson. Arco Valley. Bellaphon 1989

    Casino Steel & the Bandits Featuring Mick Ronson. Revolution Records 1991

    Morrissey. Your Arsenal. HMV 1992

    David Bowie. Black Tie White Noise. Savage 1993

    Wildhearts. Earth Vs The Wildhearts/ East West/Bronze 1993

    Corky Laing, Ian Hunter, Mick Ronson, Felix Pappalardi. The Secret Sessions. Pet Rock Records 1999

    Jon Brewer. Beside Bowie: The Mick Ronson Story. DVD 2017

    Mick Ronson. Just Like This. Easy Action 2018

    BellRays du culte

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    Lisa Kekaula pourrait très bien prétendre à un trône africain. Elle allie une voix d’airain au port d’une reine. Elle pourrait donc revêtir un boubou de soie rehaussé de fil d’or et alourdir ses bras de bijoux antiques, mais non, elle se présente à nous coiffée d’un chignon dressé en gerbe et les hanches serrées dans un pantalon de cuir noir.

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    Lisa Kekaula entre sur la scène du Gibus comme si elle entrait dans la salle du trône de l’empire Dogon du XVe siècle : elle fait d’abord entendre sa voix puis elle se manifeste physiquement, imposant à tous et à toutes sa puissante prestance animale. Elle détient aujourd’hui le Soul power que détenait Aretha en 1968.

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    On ne se lasse jamais des BellRays. On peut les voir dix fois, vingt fois sur scène, ça reste intensément bon. Lisa Kekaula shout-balamalate l’une des meilleures flambées de Soul du monde, elle réactualise chaque fois la pulsation organique à laquelle les grands shouters noirs nous ont habitués. Écoutez n’importe quel album live de Wilson Pickett ou d’Ike & Tina Turner, et vous retrouverez cette animalité de peau humide et d’all nite long.

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    Les géants de la Soul traversent la nuit. Leur énergie est celle des pulsions animales. Lisa Kekaula règne sur l’immense chaos de la sensualité avec une sorte de parfait mystère africain : pas de regard, la voix, rien que la voix, comme si les dieux primitifs s’exprimaient à travers elle.

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    Bob Vennum place ici et là des solos dignes de ceux de Wayne Kramer, notamment dans l’explosif « Black Lightning » de fin de set. Ils démarrent sur un « Bad Reaction » tiré de leur dernier album et Lisa Kekaula profite de « Shake Your Snake » pour aller groover dans le public, avant d’enchaîner avec ce magnifique brûlot qu’est « Perfect », nouvelle occasion de saluer le MC5. L’un de leurs plus beaux coups d’éclat reste « Everybody Get Up » qui n’en finit plus de claquer au vent comme l’étendard du meilleur rock de Soul américain.

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    Il faut savoir qu’on ne sort jamais indemne d’un album des BellRays. Californiens, Lisa et Bob ont monté le groupe en 1992. À l’époque, Tony Fate produisait et Bob jouait de la guitare.

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    Leur premier album s’appelait In The Light Of The Sun. Sacrée entrée en matière. Pour un premier album, c’était un véritable coup de maître. Dans « Crazy Water », on les sentait déjà obsédés par Motown. Tony Bramel sonnait comme James Jamerson, le légendaire bassman du house-band de Motown. On ajoutait dans la sauce une trompette à la Miles Davis et on se retrouvait avec un hit. Et puis un autre, avec « Footprints On Water » que Lisa amenait d’une voix grave pour aller ensuite chercher une mélodie imparable. Avec « Same Ground », on retrouvait nos belles nuits rouges de Harlem, le beat des reins. Les BellRays renouaient avec l’authentique Harlem Shuffle. « You’d Better Find A Way » annonçait les incendies à venir. Non seulement ce cut amenait une nouvelle vision du rock, mais il s’imposait comme un modèle d’intégrité compositale. Lisa éclatait au firmament et Bob lui donnait la réplique. Encore plus somptueux : « In The Light Of The Sun », entrée en matière de voix diffuses et très vite embarqué au plus haut niveau mélodique. Ils grimpaient dans l’éclat, soutenus par des chœurs vaillants. Les hits des BellRays commençaient à sonner comme des classiques intemporels. Avec ce premier album, ils révélaient leur génie.

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    Let It Blast parut six ans plus tard. C’est là que la presse rock commença à s’intéresser à eux. Pour décrire le phénomène, les journalistes inventèrent cette formule : Aretha accompagnée par le MC5. Les BellRays se voulaient révolutionnaires, dans la veine du MC5, mais ils utilisaient un nouveau langage, le Soul-punk. Petit à petit, les BellRays se sont élevés dans l’échelle sociale du rock. De petit combo exotique revendiquant l’héritage du MC5, ils sont passés au rang de maîtres suprêmes du heavy blast américain et règnent depuis sans partage sur cet immense territoire.

    Une chose est certaine : les BellRays sont avant tout un groupe de scène. Ils furent pendant un temps le meilleur groupe de rock californien. Passé à la guitare, Tony Fate ne se refusait rien, ni la riffalama à la Tony Iommi - ou pire encore, à la AC/DC - ni les incursions incendiaires à la Wayne Kramer. Comme drummer, ils disposaient d’une powerhouse à deux pattes. L’articulation centrale de cette machine infernale, c’était Bob Vennum. On l’a dit et répété à chaque fois, Bob Vennum était devenu le meilleur bassiste de rock sur terre. Il surpassait ses vieux pairs, Tim Bogert et Jack Casady. Bob Vennum avait un jeu de basse impulsif complètement exacerbé. Il pouvait pétarader comme dix Lemmy et jazzer comme Charlie Mingus. Il fallait donc voir les BellRays sur scène. Bob Vennum faisait quasiment le spectacle à lui tout seul. Il bassmatiquait comme un dieu. Il sautait, il dégoulinait de sueur, il carambolait ses notes, comme Tim Bogert le fit aux grandes heures de Cactus. Comme certains joueurs de tennis, il avait le bras droit beaucoup plus volumineux, à cause sans doute de la tension musculaire. Bob jouait à la vie à la mort. Et quand on aura compris que la dynamique d’un groupe repose sur le bassman, on aura tout compris.

    Puisqu’on patauge dans les certitudes, en voici une autre : Let It Blast envoie au tapis. Lisa met le petit chien de sa chienne au service de l’un des plus effrayants carnages soniques de la fin du XXe siècle. Tony Fate fait subir les derniers outrages à sa bête à cornes. Il joue sur une SG Gibson rouge. Il peut jouer les machines à riffer quand ça lui chante et fait souvent passer Tony Iommi pour une belette. La cerise sur le gâteau, c’est l’immense Bob Bass Boss Vennum. Il ne peut pas rester tranquille plus de cinq secondes. « Changing Colors », c’est un peu l’enfer sur la terre. Lisa arrive là-dedans en hurlant. Une vraie fournaise, avec une basse qui ronfle. Horrible et merveilleux, comme dirait Huysmans ! Si le son paraît si peu soigné, c’est tout simplement parce qu’ils ont enregistré ça sur un radio-cassette. La basse sonne comme un battement de cœur. Chez Fate, on tire les notes. Elles se baladent comme des serpents dans les fougères. C’est à tomber de sa chaise. Ça cafouille dans la farfouille. Voilà une entrée en matière qui ne pardonne pas. Encore du beau foutage de garage avec « Cold Man Night ». De plus en plus motivé. La basse qui est sourde comme un pot remonte dans le mix. Lisa porte tout l’édifice à bouts de bras. Bob fait son ramdam, il martèle et il pilonne. Fate traîne au fond du studio, on l’entend à peine. C’est un cut explosé dans l’oignon, basse devant toute. Bob gratte trop de notes. À l’époque, quand on le voyait sur scène, il jouait des milliards de notes, il sautait en l’air en faisant les chœurs. « Today Was » s’inscrit dans la même lignée. Lisa tente de calmer le jeu, mais avec des démons comme Fate et Bob dans les parages, c’est impossible. Rien de plus infernal que ce « Kill The Messenger », monté sur un tempo à la Motörhead. Trop de power. Lisa parvient à régner sur cette extravagance. C’est le chaos total, l’empire du trash, on entend les forces du mal courir, elles nous rattrapent à la course ! « Blue Cirque » sonne la charge de la brigade légère. Les BellRays ont l’air de foncer dans la plaine sous le feu de l’artillerie russe. Ils ont cette capacité de susciter des images très fortes. C’est emmené à la batterie. Le pounding mène la danse. Il y a des petites zones de néant, mais le morceau repart toujours. Les BellRays développent d’authentiques capacités lysergiques en relation directe avec les tourments cosmiques des dieux antiques. Ils jazzifient « Testify » jusqu’à l’os du crotch. C’est un prêche de type Airplane, Flaming Sideburns ou MC5 - brothers and sisters everywhere - On assiste ici au retour en force du garage porté par un bassmatic diabolisé. Les BellRays en font un morceau assez lourd, au moins aussi lourd qu’un heavy-blues de Nebula ou de Pentagram. Bob bâtit des drives de jazz bass. Il est absolument spectaculaire. Il joue ces petites gammes rapides qui ont fait la gloire des grands slappeurs du XXe siècle. Bob et Fate sont capables de lever de grandes tempêtes jazzy à coups de boléros. L’équation du groupe est parfaite : une chanteuse colorée, un guitariste virtuose et une section rythmique d’avant-garde. Et si on n’est pas encore tombé de sa chaise, alors on va tomber avec « Black Honey », plaqué d’accords déments, gratté menu, emmené, intuitif, chanté à la vie à la mort - Black honey ! Black honey ! - Les BellRays, le grand groupe américain du XXe siècle ? Allez savoir. Ce « Black Honey » vaut tout l’or du monde. Petite cerise sur le gâteau : un solo d’antho à Toto signé Tony Fate qui rappelle ceux de Victor Unitt dans l’album Parachute des Pretty Things. Le drive de basse emmène toute la bande au firmament. Cette basse ronfle comme un gros poivrot assoupi. Rrrroarrrr !

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    Leur troisième album Grand Fury paraît en l’an 2000. L’apocalypse, c’est eux, évidemment. Nostradamus ne l’avait pas prévu. « Too Many Houses In Here » est une explosion collatérale. Il n’existe pas d’équivalent ailleurs, inutile de chercher. C’est brûlé de l’intérieur, ils vont bien plus loin que les Stooges, on ne sait pas comment c’est possible, mais on l’entend, on sent une forte odeur de brûlé sonique. Lisa se prélasse dans une braise héritée directement de « Motor City’s Burning », le vieux coucou du MC5. Pur génie. Et Bob qui se prend pour une escadrille pilonne tout ça. Avec « Fire On The Moon », ça continue. Tony cocote sa mortelle randonnée. Ces gens-là sont des fous. Ils riffent dans la viande et Lisa règne sur ce carnage. Aucun groupe américain n’a jamais sonné comme ça et ne pourra jamais sonner comme ça. Lisa allume le feu sur la lune. Suite de l’aventure riffique avec « Snake City », la machine de guerre s’ébranle et Lisa est aux commandes. Ils explosent tout. Absolument tout. C’est comme des Stooges gonflés à l’hydrogène. Puis on se prend « Screwdriver » en pleine poire. Lisa nous envoie rissoler dans la Rôtisserie de la Reine Pédauque. Le duo Bob/Fate dépasse l’entendement pyrotechnique. Ils ne jouent pas, ils blastent en permanence. « Heat Cage » n’a aucune chance d’en réchapper. Il vaut mieux avoir les oreilles solides pour écouter ça. On a là ce qui se fait de mieux dans le rock américain : la fournaise du Detroit Sound explosée jusqu’au vertige et la voix d’une reine de la Soul. Une véritable tornade d’embrasement. « Evil Morning » arrive et aucun répit n’est possible. Ces gens-là surjouent le destin du rock atomique. Rien ne saurait calmer leurs ardeurs sémantiques. Ils cherchent des voies nouvelles, comme le ver dans la pomme. Dès l’intro, « Stupid Fuckin’ People » est bombardé par les deux riffeurs fous. Rien ne peut les arrêter. Ils dépassent toutes les bornes, ils transcendent l’axe Blue Cheer-Motörhead-Stooges-MC5, ils vont encore plus loin, et Lisa hurle, elle s’empare des éclairs jaillis du ciel. On assiste au plus gros pilonnage sonique de tous les temps. Bob sort « Monkey House » à la note de bas de manche, puis c’est traité façon MC5. Nouvelle démence sonique à l’état pur. On a encore droit à un coup de génie avec les chœurs d’« Under The Mountain » et on ressort de cet album fourbu mais ravi.

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    Nouvelle monstruosité en 2003 avec The Red White And Black. Comme ils l’indiquent sur la pochette, la Soul est le professeur et le punk le prêcheur (Soul is the teacher and punk is the preacher). Folie pure avec le cut d’ouverture, « Remember », un truc de dingue qui perd ses roues, ils foncent de travers, comme s’ils roulaient sur les essieux. Léger parfum de free. Puis on retrouve le riffage du Destin mortel dans « Street Corner » et « Sister Disaster ». Fate hache tout ça menu. Voilà l’équation magique du rock moderne : voix + riffage + inspiration. « You’re Sorry Now » est une belle compo de Bob. C’est même un hit planétaire. Ambiance dramatique, accords descendants, foggy motion de riffs terribles. Voilà un hit fabuleux et gargantuesque. C’est un heavy-rock rendu mélodique par les descentes d’accords et le chant perçant de Queen Lisa. On revient au MC5 avec « Revolution Get Down ». Bob monte des ponts sur des lignes de basse effarantes. Il faut l’entendre traverser la fournaise révolutionnaire. Le cut est farci de breaks terribles. Bob croise au large comme un requin à lunettes. Faramineux. Pop explosive avec « Find Someone To Believe In ». C’est l’une de leurs spécialités. Ils savent faire du mélodif explosif. « Some Confusion City » est un magnifique morceau de batteur. C’est Eric Algood qui bat le beurre. Bob fait hey-hey et il gratte sa basse comme un con. Quelle magnifique équipe, franchement ! Les relances sont impitoyables. Les BellRays nous emmènent en enfer et on adore ça. Punk in the flesh avec « Black Is The Colour ». Lisa bat tous les records - Bein’ shot down on the blue side of town - Quand on entend « Stone Rain », on se dit : mais ce sont des malades ! La basse devient folle. Il faut entendre Bob perdre les pédales - I feel so lonely I could die - il va dans tous les sens. Il multiplie les descentes de manche. C’est lui le bassman le plus dingue de l’univers, il va là, et là, et il remonte ensuite par des ponts insalubres, quelle brute. On l’entend faire d’autres prodiges dans « Rude Awakening » et ils finissent avec un punk-rock qui envoie au tapis, « Voodoo Train ». Inutile d’ajouter que cet album compte parmi les grands albums classiques du rock.

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    Have A Little Faith sort en 2006. On démarre sur un gros groove joué à la manière des Temptations, « Tell The Lie ». Fate fait son funky wah king. Par derrière, Bob coud sa toile avec un doigté caoutchouteux qui en dit long sur sa culture groovytale. Fate a donc écrit le nouveau hit des Temptations. Un saxophone vient sopraner dans l’air torride. Lisa rassemble tout l’air de ses poumons pour honorer la mémoire des divas de la Soul. C’est réussi. Voilà « Time Is Gone », gros groove salace. Le tempo est bizarre, un peu mambique, comme mal embouché. Fate fait monter la pression. Il rentre dans le trou du track avec un extravagant chorus jazzy. Ce mec a des ressources. Il solote à la Zappa. Les BellRays mettraient-ils de l’eau dans leur vin ? C’est Fate qui écrit les cuts. On sent le compositeur ambitieux. « Chainsong » cumule les fonctions : le couplet passe du hardcore au jazz. Ça sonne comme une quête de sophistication, ce qui ne peut pas leur faire de mal. Ils cassent bien l’ambiance, avec des zones éthérées à la McLaughin. Et puis voilà « Pay The Cobra » et sa remontée en température typique des BellRays de la première heure. Le problème, c’est que tous les morceaux musclés se ressemblent. Et puis le couplet entre en apesanteur. Fate le relève immédiatement avec sa rythmique à la Tony Iommi. Il adore gratter sa bête à cornes. Ça le réconcilie avec la vie. Cette speederie bien fuselée qu’est « Snotgun » sonne comme une revendication de la liberté. C’est très politisé, même si snot veut dire morve - Everybody look at my snotgun/ Tune your guitar to the snotgun/ The alphabet ends with the snotgun/ And all I wanna do is to be free/ All I wanna - par contre, Bob signe « Change The World ». On change de registre. Les BellRays font claquer l’étendard sanglant de la révolte. C’est riffé à la vie à la mort - I don’t think I can kill myself - éclat du génie bellrayïque. Et voilà « Detroit Breakdown » qui est le gros cut de l’album. Pur Motor City sound - No more Iggy or the MC5/ Wayne’s been doin’ it in LA now, so you’re just livin’ a lie - Les BellRays remettent les pendules à l’heure. Effectivement, il ne reste rien du Detroit shakedown. « Maniac Blues » sonne comme une grosse affaire. Effarant de maîtrise. Lisa tire sur ses syllabes et Tony mitraille, bien soutenu par l’inéluctable Bob. Il faut que la gloire des BellRays resplendisse sur la terre comme au ciel. Ils terminent avec un shout de bravado suprême - ah-la-la palabalalah - une reprise des « Cornichons » de Nino Ferrer que Lisa swingue sauvagement. Elle envoie les cornichons, les tomates et les ouvre-boîtes danser dans la fournaise - ba-la-la-la - elle s’amuse comme une folle.

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    Raw Collection est une compile des singles parus entre 1995 et 2002. Et là, il est recommandé d’attacher sa ceinture. Le un s’appelle « You’re Sorry Now » : son caverneux, ambiance Soul sixties, et une basse rampante arrive derrière Lisa. Il s’agit d’une belle compo psyché de Bob, nappée d’accords crépusculaires. C’est absolument magistral et ça peut hanter un château d’Écosse. Lisa dispose de tellement de feeling qu’elle ne sait plus quoi en faire. Attention ! Ils s’attaquent ensuite à un classique vénéneux : le « Nights In Venice » des Saints. L’énergie dévastatrice dans un classique dévastateur, ça donne du dévasté dévastateur. Les deux riffeurs fous s’en donnent à cœur joie. Fate cisaille comme un fou. Il est dans son élément. La voix de Lisa colle parfaitement à ce classique de l’apocalypse. Ils vont même finir dans la collision. Bob tricote ses déflagrations souterraines. Franchement, sans les BellRays, nous serions bien peu de chose. Ils nous font le coup de la fausse sortie et reviennent avec toute leur barbarie. Bob reste sur une note, Fate se roule par terre et se tortille. Il faut aux barbares des compos terribles, voilà le secret. « Half A Mind » sonne illico comme un classique pop, et même comme un hymne. Fate joue tout en fuzz. La mélodie est là, évidente, montée sur une dynamique de basse décisive. C’est une véritable splendeur. Avec sa mélodie enchantée, « Mind’s Eyes » pourrait aussi sonner comme un classique des sixties. Bob joue une bassline de r’n’b et Lisa rayonne comme un soleil dans le ciel bleu des sixties. Les BellRays tapent dans le très haut de gamme. « Pinball City » sonne comme un punk-rock sauvage. Lisa prend le chant par en-dessous. La rythmique est du pur MC5. Ils poussent des Hey ! d’antho à Toto. Bob se balade. Il a la note facile. On reste dans le pinball Wizbiz avec « Mother Pinball », un shuffle de la Nouvelle Orleans - Come on ! Do the pinball, baby ! - « Tie Me Down » bascule dans la frénésie. Ils vont si vite qu’on doit s’accrocher à la rambarde. « Say What You Mean » vaut n’importe quel classique dévastateur. On plonge dans cette heaviness jubilatoire comme dans un bain de jouvence. Les foules reprennent le refrain en chœur. Énormité bardée de clameurs ! Ho ! Ho ! Ho ! On lève le poing ! Les BellRays tiennent tous leurs hits par la barbichette. Fate plonge dans un chorus d’une monstruosité hallucinante. Flip, flop, ils pataugent dans le génie. Lisa atteint le maximum de ses possibilités. Et le morceau repart, en défonçant tout. De toute évidence, Lisa et ses amis reprennent les choses là où les MC5 les ont laissées.

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    Hard Sweet And Sticky sort en 2008 avec une belle pochette gourmande. Fate a quitté le groupe. Ils attaquent ça avec un nouveau hit planétaire, « The Same Way », une pop éclatante envoyée avec tout le chien de sa chienne. Compo signée Bob Vennum. C’est quand même autre chose qu’Aerosmith. Au moins, il y a de la tenue dans ce balladif. « Infection » is hot as hell. Bob qui joue désormais de la guitare envoie un solo monstrueux. Avec les BellRays, c’est pas compliqué : si on leur demande de faire un album de rock, alors ils font un album de rock. Leurs albums font partie de ceux qu’on réécoute à intervalles réguliers, car on sait qu’on y trouve de la viande. L’incommensurable « Infection » se répand dans l’univers. Voilà « Comin’ Down », un mid-tempo poussé par une rythmique ingrate et brutale. Bob repart en solo glou-glou. Il compte désormais parmi les grands solistes américains. Ils reprennent leur vieux hit « Footprints On Water ». L’élégance de leur pop s’inscrit dans les annales. Lisa et Bob emportent leur pop de Soul au firmament, à coups de cris, d’éclats et de prodigieuse élégance. « That’s Not The Way It Should Be » vaut pour du typical BellRays : Lisa devant et derrière, deux fous riffent, avec des relances diaboliques et une dynamique exceptionnelle. C’est un cocktail dont on ne peut pas se lasser.

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    En 2010, Black Lightning paraît sous une pochette noire traversée d’un éclair anthracite. Comme on l’imagine, cet album recèle son petit lot de bombes. Et notamment le morceau titre qui fait l’ouverture. Son carré. Bob solote comme Wayne Kramer. Lisa reste cette fabuleuse shouteuse qu’on suit depuis le début. Le paradoxe, c’est qu’il n’y a pas de surprise. C’est aussi énorme qu’on le supputait. Même chose pour « Hell On Earth », nouvelle pièce fumante de rock incendiaire. On entend moins le double riffage d’antan. Le son est plus fusionnel, dans l’esprit de la lave qui s’écoule des flancs crevés du Krakatoa. « On Top » est un cut extrêmement punchy. Lisa l’expédie au firmament, elle a l’habitude. On note au passage que la puissance des BellRays reste intacte. « Power To Burn » est une pièce de belle pop mentalement élevée, montée à coups de mélodie, de power chorus et d’un ramassis disparate d’accords cavaleurs. Bob ne faiblit pas, ce n’est pas dans ses habitudes. Il revient toujours placer un chorus intéressant. Avec « Power To Burn », les BellRays nous offrent un modèle de power pop californienne. « Living A Lie » sonne comme du pur BellRays, une énormité rockée à la cantonade, vite troussée et enfilée à sec par un gros solo garage. Avec « Everybody Get Up », c’est tout simplement cocoté d’avance. Lisa chauffe la marmite. Et ça part dans l’épaisseur de la clameur. Dans la verdeur de la lourdeur. Dans l’éclat de l’aplat. Une véritable fontaine de jouvence. Toujours aussi épais et bon, voilà « Close Your Eyes » - c’mon take my hand and close your eyes - Bob part en vrille, c’est un démon du bonheur séculaire, il laisse filer son solo de feu liquide. Rien d’aussi magistral que les BellRays.

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    Retour en fanfare huit ans plus tard avec une nouvelle tranche d’histoire de l’énormité intitulée Punk Funk Rock Soul Vol.2. Dès « Bad Reaction », on note la présence d’une certaine aisance de la prestance. Ils jouent la carte du heavy boogie de type MC5, doctor, doctor please ! Ça reste un modèle du genre dans bien des domaines : classe du chant, heavy riffing, allure générale, puissance motrice. Doctor doctor, give me something/ For this bad reaction - Les deux coups de génie se nichent en B : « Now », pour commencer, véritable brouet extrapolatoire. Bob y crée un monde ambivalent digne des Yardbirds. Ça sonne comme un hymne à la flamboyance. Ils chantent à l’unisson - We’re playing a new song/ We’ve just learnt today - Pur jus de mad psyché, et Bob s’y prélasse comme Nabuchodonosor. S’ensuit un fabuleux « Love And Hard Times », heavy mid-tempo typique des BellRays, ultra chanté. Les trois quarts des autres titres passent aussi le Cap de Bonne Espérance, notamment ce « Man Enough » qui se situe dans la veine des early BellRays, joué à la tension maximaliste. Bob y développe une échaloppade de riffs sixties incroyablement éclatants. Il est l’un des roi de la rock action. Tout aussi excellent, voici « Brand New Day » qui ferme la marche de l’A. Lisa emmène sa troupe à l’assaut des charts qui ont disparu depuis longtemps, mais elle le fait avec un certain brio. On retrouve cette puissance dans « Junior High », une sorte de heavy rockalama emmené par un beat alerte qui ne traîne pas en chemin. Les BellRays ne plaisantent pas avec le beat. Ils adorent aussi les descentes de ponts classiques qui conduisent généralement à de nouvelles frontières. Tiens, encore un cut chargé comme une mule : « Never Let A Woman ». Ils sont infatigables, ce qui fait leur grandeur. Comme le disait Peter Handke, les BellRays portent le poids du rock. Neuf albums et pas un seul déchet. Qui dit mieux ?

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    En 2013, ils montèrent Lisa & The Lips, un side-project beaucoup plus Soul. L’album ravira tous les amateurs de hot Soul. Les vieux fans des BellRays y retrouveront aussi leur compte de bombes, avec par exemple « Come Back To Me », un mid-tempo fin et racé, gorgé de la meilleure soupe de Soul, où on entend Bob prendre un solo rissolé aux flammes de l’enfer. Et puis on trouve aussi cette pataterie râblée, « You Might Say ». Lisa monte à l’assaut, en puissante shouteuse. Voilà un rock-blast monté sur un groove seventies, craquant et bon comme le pain frais. Franchement, on ne peut pas espérer mieux. Puis Lisa prend « Trouble Mind » façon Esther Phillips, softy-sweety à la petite vitesse du beat bien tempéré. On la sent dans son élément - ease my trouble mind - on ne peut que vibrer, à condition bien sûr de considérer le genre comme supérieur. Et puis voilà ce « Stop The DJ » monté sur un funky beat à la Bootsy. C’est un funk digne des nuits rouges de Harlem, finement shafty. On suit à la trace cette belle ligne de basse insistante et bien groovy, toujours affiliée au meilleur funk des ghettos d’antan. On retrouve un mid-tempo infernal - leur vitesse de prédilection - avec « The Pick-Up », mélodique en diable - heaven goes around me yeah - une pièce de Soul inspirée. Et on revient au funky strut avec « Push ». Ils trottent dans les traces du push - you’re gonna have to push to make it all the way - Lisa grogne et le bassman Pablo se balade à longueur de manche. Il fait le grand jeu traversier du funkster impavide - push wouahhh - fabuleux et coulant. Ils terminent l’album avec une pièce mortellement ralentie et funkstée à la racine du poil, « The Player », exemplaire, précis et régulier comme un mercenaire bien payé - funky booty baby - pièce de rêve. L’album vaut l’emplette.

    Signé : Cazengler, BellRaie du cul

    BellRays. Le Gibus. Paris XIe. 17 octobre 2019

    BellRays. In The Light Of The Sun. In Music We Trust 1992

    BellRays. Let It Blast. Vital Gesture Records 1998

    BellRays. Grand Fury. Uppercut Records 2000

    BellRays. Raw Collection. Uppercut Records 2003

    BellRays. The Red White And Black. Poptones 2003

    BellRays. Have A Little Faith. Cheap Lullaby Records 2006

    BellRays. Hard Sweet And Sticky. Vicious Circles 2008

    BellRays. Black Lightning. Fargo Records 2010

    BellRays. Punk Funk Rock Soul Vol. 2. Cargo Records 2018

    Lisa & The Lips. Lisa & The Lips. Vicious Circle 2013

    MONTREUIL / 17 – 10 – 2019

    LA COMEDIA

    MOONSHINERS / JOHNNY MONTREUIL

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    L'avaient annoncé à la météo : '' Aujourd'hui beau temps sur toute la France, toutefois attention, un unique point noir au niveau local, l'on signale ce soir à 20 heures une zone de fortes turbulences au croisement des rues Michelet et Vaillant de la paisible cité montreuilloise, un trouble atmosphérique assez rare, les spécialistes surnomment ce genre de phénomène une excessive agglutination de narvalos. Pas spécialement dangereux mais fortement déconseillé aux femmes enceintes, aux enfants, aux personnes âgée et à tout individu de moins et de plus 77 ans. '' On n'a pas écouté, mais de toutes les manières si on l'avait su, l'on serait venu quand même.

    Essayez de tasser le contenu d'un œuf d'autruche dans une ovule de poule naine et vous comprendrez la pression à laquelle vous êtes exposé – au moins mille bars en ce bar - pas de panique, ce soir Montreuil fête son chanteur éponyme, et en première partie dégustation gratuite de Moonshiners. La vie est un dur combat, mais certains soirs l'on a l'impression d'avoir le ticket gagnant du loto dans la poche.

    MOONSHINERS

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    Doit y avoir une éclipse et le soleil n'est pas au rendez-vous, pas facile d'apercevoir le groupe en entier, trop de monde qui s'agite dans tous les sens, enfin je le confirme, oui il y a un batteur, oui j'ai pu l'entrevoir, ce n'est pas une légende comme celle du vaisseau fantôme que se racontent les marins le soir au fond des tavernes embrumées, un minimaliste, la santiag droite qui tape le rythme sur l'estrade, et une caisse claire, pas plus et pas moins car il ne peut pas, normalement on ne devrait pas l'entendre mais c'est un rusé, tape systématiquement sur le rebord en ferraille, produit le bruit du tuyau en zinc de la gouttière sur laquelle vous vous amusiez à jeter systématiquement des pierres pour décaniller les oiseaux quand vous étiez petit. Un son un peu rustre certes mais qui renoue à quelque chose de tribal et de tripal caché au fond de vous. Celui-ci vous le voyez. Pas exactement lui, mais surtout sa contrebasse, la tient légèrement penchée comme ces voiles sur les petits voiliers qui vous empêchent d'admirer le physique bronzé du skipper. Lui il balance de l'eau dans la tuyauterie, l'a les notes qui coulent comme de la pisse vive, vous fout l'air de rien la rythmique en transe, bon vent force 7, ça tangue de partout, et vous ne pensez même pas à avoir le mal de mer.

    Lui c'est le second. L'a donc deux fois plus de boulot que tout le monde, souque à la guitare et chante au cabestan. C'est comme cela quand on veut monter dans la hiérarchie, faut montrer qu'on en veut. Et qu'on en peut. Et lui il peut beaucoup. C'est lui qui brode sur la rythmique, l'a les doigts précis, les fioritures incisives c'est lui, l'a la patte véloce, velours un peu, quand il point trop n'en faut, mais il a une préférence certaine pour les poinçons expéditifs, le crochet du droit qui vous démolit si rapidement la mâchoire que vous oubliez de ramasser, au cas où la souris passe, vos dents sur le trottoir. Le pacha c'est Thierry, comme tout cadre supérieur il en fait le moins possible, il délègue, comme il n'y a pas de divan sur scène, il distribue les ordres et il s'accroupit paisiblement. Soyons juste, quand il prend le micro, vous ne comprenez pas comment il fait, mais sa voix surfe sur le haut de la vague, et s'infléchit sans se laisser submerger quand elle se creuse. En moins de cinq intonations il vous emmène très loin sur les collines du hillbilly, plus appalachien que lui tu meurs. Vous accomplit ce miracle avec une aisance incroyable, vous raconte le country d'avant Nashville, quand il gîtait dans les cours de ferme que les gars quittaient pour courir l'aventure et flirter avec l'illégalité. En fait ils la baisaient grave.

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    Ce n'est pas qu'ils soient des nationalistes éhontés, mais enfin si l'Amérique a ses Moonshiners, en France nous avons nos bouilleurs de cru. Ne foutaient pas des crotales dans l'alambic, mais un peu de venin de vipère, ça vous fortifie les nourrissons si vous rajoutez un quart de gnôle dans le biberon. Les Moonshiners c'est un peu l'internationale des mauvais garçons. Ceux qui riment avec baston. Les sauvageons, les voyous, les noirs blousons, les tout ce que voulez de pire, ils s'en foutent et s'en contrefoutent, parce que ce sont eux que les filles qui ont les yeux qui brillent préfèrent. Genre de thème qui met en joie notre second, s'empare de ce genre de chansons comme l'on sort un cran d'arrêt au fond d'une impasse obscure et il n'hésite pas à vous en crever le bide et la rate juste pour vous assurer qu'il ne s'amuse pas avec un canif émoussé. J'ignore si selon les canons scientifiques de la recherche universitaire l'on puisse conclure une relation de cause à effet, mais durant ces morceaux apaches les filles ondulent beaucoup plus fortement et leurs yeux se transforment en saphirs étincelants. Du coup tous les garçons s'adjugent des âmes de vaurien et de coupe-jarrets. Des morceaux comme Walk on boy, Wild one, Teddy Boy Boogie, et Suzanne ont procuré du rêve fort émotionnant à tout un chacun. Dans un sommeil si agité qu'ils ont même été obligés d'ajouter une Prière pour tout le mal que Dieu fait sur cette terre. L'on s'y trouve si bien, que l'on resterait une éternité à écouter ce groupe de Moonshiners.

    JOHNNY MONTREUIL

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    Sont arrivés sous une ovation. Qui n'a plus cessé et qui s'est poursuivie longtemps après la fin du concert. Qui avait duré deux heures. Quand le gang des moustachus montent sur scène ce n'est pas pour sucer des glaces à la pistachu. Johnny pince les cordes de sa big mama. Aussi noire que sa chemise, à liserets et envol d'aigles blancs au niveau des épaules, style cowboy, mais à sa dégaine l'on pressent qu'il s'est toujours classé d'instinct dans les indiens, spécialement dans les tribus d'irréductibles, genre Séminoles qui sortaient de nuit de leurs marais pour incendier les ranchs. Johnny donne le la, trois espèces d'égorgement de poulets qui rouspètent quand vous leur tordez le cou, que la moitié de l'assistance s'amuse illicoq châtré à imiter, et sa main s'abat sur sa big mama avec l'impavidité du bourreau qui tranche de sa hache sanglante les têtes à la chaîne du soir au petit matin blême. C'est parti, Johnny infatigable conte sans fin la chronique légendaire des mauvais garçons. Pas étonnant qu'il ait invité les Moonshiners en première partie. Partagent la même mythographie. Celle du cuir et du baston, celle de la révolte, de l'individu rebelle qui n'accepte pas de marcher au pas d'une société moutonnière compromise par sa lâcheté et sa passivité obéissante. Alors Johnny chante et slappe, sans repos, sans arrêt, sans pause, il enchaîne les morceaux comme les gamins vident le sucrier pour gaver le chien.

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    N'est pas seul. Au fond dans le coin derrière ses lunettes noires Visten est à la batterie. Fait tout le boulot. N'en déduisez pas que les trois autres ne font rien ce serait une erreur lamentable. Mais il construit, il établit le pas de tir, fait preuve d'une science certaine car avec les deux autres kamikazes doit tout remettre en état à tous moments. Perpétuellement. Déjà ne serait-ce pour s'accorder au rythme de Johnny, réserve au minimum un de ses quatre membres à cette occupation , ensuite il est le préposé à toutes les éventualités, et le problème c'est qu'il n' y a pas d'éventualité, uniquement de la perpétuité cataclysmique à parer.

    Rön a été bien sage durant la moitié du concert. S'est contenté de ronronner en rythmique durant une heure. Histoire de tromper son monde, ou de gradation durant le concert. En fait s'est trahi par deux indices. Le premier auditif : indubitablement ce gars à la première oreille, il ne peut pas vous en raconter. L'est comme ces chevaux au paddock qui ronge sagement leur foin, mais au premier coup d'œil le connaisseur a reconnu l'étalon racé, celui qui va vous mettre cinquante longueurs à ses concurrents sans forcer. Le deuxième visuel : sous son marcel cela transparaissait, mais quand il l'a enlevé n'y avait plus rien à cacher : ses tatouages. Le mec n'est pas un Picasso ambulant. Ni un Titien cacatoesque. L'a le torse constellé de ces vieux tatous à l'ancienne, ce bleu des taulards et des voyous des années cinquante. Pas d'esbroufe, pas de clinquanterie chez ce guy. C'est un pur. Un pur-sang. Et quand il a daigné sortir de l'écurie après une heure d'attente, nous a filé le festival, pas le genre à faire des cabrioles sur un trapèze en haut de la Tour Eiffel pour épater le public. Lui il profile en douce, le gars il vous refile l'as de coeur qui vous permet la quinte flush royale, the high straigth flush qui vous permet d'empocher les douze mille dollar d'enjeu sur le tapis. Vous voulez la traduction musicale : le mec il triangulise entre Duane Eddy, Hank Marvin et Dick Dale, plus quelques autres, faut l'entendre dans les instrumentaux, ne copie rien, vous ressert la soupe à sa façon, l'a tout intégré, malaxé, ingurgité, et il vous le ressort sous forme de gelée royale, un orfèvre, un régal.

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    Enfin, dans sa chemise rouge Kik. Pas un kick de moto, mais de fusée. Interplanétaire. Referme sa main sur un minuscule harmonica et c'est parti pour l'apocalypse. Kik une légende montreuilloise, un foutu bluesman, oui mais ce soir si vous voulez chalouper sur un petit shuffle débonnaire, c'est dommage. Vous ne possédez pas le bon ticket. L'a décidé de vous déchirer les oreilles, de vous les couper en pointe, de les faire sécher au grenier, et puis de s'en servir pour rouler ses cigarettes. A la sono l'on bondit chaque fois qu'il porte son orgue à la bouche, faudrait pas qu'il dépasse le mur du son dans l'aigu, c'est trop tard, le public devient fou, faudrait l'abattre, lui tirer dessus à belles réelles, mais c'est trop bon, l'on en redemande, et lui bon prince il vous régale d'une nouvelle rasade. La salle se transforme en pandémonium, à chacune de ces salves une pandémie de folie se répand, de plus en plus violente, l'on frise le coma éthylique et l'on frise du Parthénon, tellement c'est beau, le blues se mue en tempête, Kik l'est comme le pélican de Musset, vous jette ses entrailles dans son hurricane pour vous nourrir et vous n'arrivez pas à en être rassasié. La sueur lui brûle les yeux, mais il continue, l'est un incendie qui veut cramer la forêt entière, les pompiers avec leurs camions, les Canadairs et tous les villages alentours car il est nécessaire que la terre entière apprenne que le blues est une fournaise et le rock'n'roll un lance-flammes inextinguible.

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    Si ça continue, cela va exploser. Alors Johnny calme son jeu, se saisit de son archet et il nous promène dans une sombre ballade, vous verse un hanap de désespoir métaphysique, sous forme d'une berceuse pour enterrement d'un cœur brisé. S'il n'y avait pas cet énervement de vif-argent qui lui court sous la peau, l'assistance se mettrait à pleurer, le concert deviendrait un chant de lamentation, cela tournerait au suicide collectif de masse. Mais avant que l'on ne passe à l'acte, Johnny qui connaît et maîtrise son public montreuillois  relance la machine. Kik vous déquille le cortex, Rön vous hache en confit de riffs, les aime bien courts et bien brutaux, Listen déploie la liste de ces abattis et c'est reparti pour l'attaque du commissariat. Parce que c'est bien connu il faut un dérivatif à tout trouble de l'ordre public, et que dans les milieux libertaires des narvalos tout le monde déteste la police. Ailleurs aussi, mais ne confondez pas narvalow avec chamallow.

    Le combat s'arrêtera à l'heure fatidiquement municipale, parce qu'il faut que les travailleurs renouvellent leurs précieuses forces afin, dès le lendemain matin, les dépenser sur le lieu de leur exploitation dans le stupide but de produire une richesse dont ils ne partageront pas les profits. Toutefois Kik se saisit de son harmonica et donne le rythme d'une vieille rengaine que Johnny entonne afin de calmer la fièvre...

    RETOUR AU BERCAIL

    Dans la teuf-teuf l'on médite... Johnny Montreuil renoue avec un rock français des origines, musicalement très sixties, un rock mythologisé et quelque peu anarchisé. Assez proche de ce qu'a pu représenter le rock pour le public d'Hallyday en 63-64. L'ombre noire de Vince Taylor n'est pas à exclure. Je ne pense pas que le public présent à la Comedia en soit conscient et surtout se reconnaisse en une telle origine qui est moins évidente et peut-être à l'opposé de ses propres phantasmes idéologiques. La généalogie est une science qui vous met souvent en porte-à-faux avec vous-mêmes. Le rock avait déjà parcouru un long chemin avant l'explosive renaissance punk.

    Damie Chad.

    TROYES / 18 – 10 – 2019

    3B

    RAY ALLEN AND HIS BAND

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    Faudra un jour que je me penche sur ce point particulier de la science des fluides, pourquoi le public d'un concert se pointe-t-il à quatre-vingt dix pour cent durant un créneau de dix minutes parfois juste avant le début d'un concert, parfois une heure et plus avant, cette question m'a toujours taraudé, faudrait trouver tous les paramètres et essayer de mettre au point une formule mathématique, une martingale algorythmique, qui permettrait d'établir un protocole de pronostication fiable et d'apporter par l' application d'une formule toute simple, une réponse définitive à cette inconnue obsédante. Si je parvenais à résoudre une solution, sans doute me donnerait-on, au moins, le prix Nobel de Physique, et Kr'tnt ! deviendrait le premier blogue rock'n'roll nobélisé.

    Cette interrogation m'est venue lorsque le public a envahi le 3B alors que Ray Allen et son band se préparaient à monter sur scène.

    RAY ALLEN AND HIS BAND

    Nous viennent d'Allemagne. Sont tout beaux, quatre gars en costumes identiques, pantalon gris souris, chemise blanche impeccable, veste d'une nuance un tantinet plus mate piqueté de points noirs pratiquement invisibles, cravate à rayures blanches découpées de bandes bleues, sombres ou claires. Allure très sixties, le teen-ager-band typique d'un rock'n'roll américain, assagi et lessivé, après la grande tornade originelle. Very white, l'on est loin du jungle sound à la Bo Diddley ! Un style apparemment prisé de l'autre côté du Rhin, alors que par chez nous les cœurs ont opté pour le darkly cuir de Gene Vincent.

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    Obligatoirement vous regardez sur la droite, sur cet instrument inusité par beaucoup de groupes d'aujourd'hui car exigeant une lourde et onéreuse logistique : un piano droit, un vrai, pas un synthétiseur glissé dans un vieux meuble de salon vermoulu récupéré in-extrémis à la décharge municipale. Martin Vauer officie, quelquefois debout, souvent assis. C'est en ces moments qu'il chante, une bonne diction, une belle élocution, mais sans jamais forcer la note, soyons clair dès le début, Ray Allen et son band ne donnent jamais dans les outrances d'un romantisme exalté. Difficile de détacher le regard de ses doigts allongés, peut-être par des années d'exercices, qui survolent les plaquettes d'ivoire, ils semblent avoir leurs propres indépendances et picorer les touches de leur seul gré, à l'image des marteaux recourbés – l'absence de panneau protecteur nous permet de les voir - qui se lèvent et s'abaissent sur les cordes métalliques avec ce même mouvement répétitif des passereaux qui tapent du bec sur le sol pour faire croire aux vers de terre que la pluie tombe, et les plus imprudents qui sortent leur tête sont vite gobés et avalés. Qui dit piano, pense Jerry Lee Lewis, souvent en fin de ligne Martin projette son pied vers les spectateurs, connaît tous les plans de Jerry mais se dispense de sa fureur, et de sa folie, et pour le dire autrement, il a bien le doigté de Jerry Lou, mais il n'enfonce pas les touches à la Little Richard comme si à chaque fois il avait envie d'appuyer sur le bouton de la bombe atomique.

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    Ged Vorwerk est à la basse. Vous l'entendez respirer, la big mama, pas Ged, un souffle élastique qui emplit tout l'espace, bizarrement elle n'accompagne pas, elle précède, elle enveloppe à la manière de la noix qui dresse les murailles de sa coque pour protéger le cerneau blotti à l'intérieur. Elle est le son de base, elle fournit l'épaisseur, un slap en douceur, mais onctueux, la crème fraîche qui épaissit la carbonara. Des quatre, Vorwoek est le seul à ne pas chanter, même pas les chœurs, juste ses cordes et ses doigts qui restent en haut du manche à la manière de ces chats perchés sur un arbre qui du haut de la plus haute branche dominent le monde. Sans fierté excessive, simplement conforté en eux-mêmes par leur position.

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    Sylvio Lau est de ces batteurs qui ne font pas de bruit, ont une tâche plus décisive à accomplir, juste marquer le rythme, au millième de seconde près, à peine s'il effleure sa caisse claire, mais pas de doute dans le groupe il est la pendule fatidique qui perpétue l'équilibre d'un château de cartes qu'il envoie valser en l'air d'une pichenette pour tout de suite le rattraper de deux coups de baguettes magiques et le remettre droit sur ses assisses, incroyablement immobile durant un laps de seconde et recommencer ce jeu subtil, sans attendre. Avec ses grosses lunettes il ressemble davantage à un ingénieur d'aéronautique qu'à Buddy Holly, mais lorsqu'il chantera, deux fois, vous aurez vite intuité que c'est le plus mécréant, le plus méchant, il glisse sur ses toms comme un serpent et vous crache le morceau à la manière d'un cobra du Mozambique qui cherche à empêcher la planète de tourner dans le bon sens.

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    De sa Fender Ray Allen exhale une grêle sonorité. Exprès, la musique c'est comme les filles, faut les voir nues et non emmitouflées dans trois gros manteaux de fourrure, produit un son qui vous force à écouter le silence afin de mieux le saisir, ici l'on ne concasse pas la porcelaine au rouleau-compresseur, on la peint au pinceau du chinois de Las de l'amer repos... de Mallarmé, l'on donne dans la minutie dans la haute précision, l'on virevolte mais l'on ne cache pas la sveltesse des figures imposées sous le froufrou tapageur des robes du french cancan, tout est exécuté en plein jour, lumière crue et sans filet. Un rock mièvre mais d'une concision extrême qui lui assure la densité du diamant. La beauté est obtenue à partir du dépouillement des écorces mortes de la facilité et des grosses ficelles.

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    L'on ne prend pas les mouches avec du vinaigre pas plus que l'on n'attrape les princesses fragiles de bonne famille au lasso, ou qu'on ne les rapte à l'aide d'un bronco furieux. Faut des slows trottés mais pas frottés, des rock bien appuyés mais pas agrippés, exemple Big Blond Baby, découpé au cran d'arrêt mais à la lame émoussée. Vous offrez des fleurs mais vous n'effeuillez pas la rose. La main dans la main mais pas au cul. Et encore moins dans le sexe. Ray vous raconte tout cela de sa voix discrète, les lyrics les plus torrides il vous les transforme en comptines faussement innocences. Car il ne faut point faire confiance à ces gars doucereux. Quand ils ne disent plus rien, qu'ils se taisent et qu'ils se lancent dans un instrumental, vous filent l'impression d'assister à une tournante, au fond du jardin. Se laissent aller à leurs mauvais instincts, à croire que la demoiselle les a provoqués et qu'elle avait une grosse fringale insatisfaite depuis longtemps, au moins trois jours, à assouvir.

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    Grattez un peu sur l'emballage et la sordide réalité des désirs adolescents vous saute sur le paletot. A la fin des années cinquante, au début des années soixante, l'on a tenté de policer le rock'n'roll, l'on a affublé d'un ridicule nœud rose les chattes sauvages et élimé les griffes des chats harets jusqu'au trognon. Gâchez le naturel, il revient au galop. Mais Ray Allen and his band nous restituent cet entre-deux, ce moment où le rock n'est plus le roll, fait l'hypocrite, il balance comme l'escarpolette de Fragonard, l'on a beau cacher cette lingerie intime que l'on ne saurait voir, elle finit toujours par faire signe. Au moment où l'on s'y attend le moins. Evidemment il faut un peu de patience et de persévérance. Du talent, de la précision. Et de tout cela le groupe n'en manque pas. Sont des spécialistes, sous leur air very straight de grands garçons sages et bien élevés qui feront de gentils gendres, ils métamorphosent le non-rock en non-dit. Et comme moins par moins égale plus, leur coulis de groseille au sucre mou se charge d'une affriolante coquinerie sinon subversive du moins insidieuse.

    Ray Allen et ses guys se sont fixés une tache que l'on peut juger ingrate, restituer cette période où le rock a failli disparaître, sombrer dans les oubliettes de la mode, cet instant où le rock s'est dénaturé en pop, car il arrive que de mauvais plaisantins changent le vin en eau. Nous noterons que cet alanguissement est aussi un des moteurs du rock, songez à la dichotomie Stones / Beatles, aux atermoiements d'Elvis le Pelvis, à la manière dont le punk a été destitué sous forme de Nouvelle Vague, n'oubliez pas que c'est au temps du MC5 qu'est apparu le Bubblegum. L'on s'est dépêché de recracher cet atroce chewing gum. Certains de nos jours le remettent en leur bouche et vantent son aspect acidulé. Dans toutes les confitures traînent un bon goût d'arsenic. Sans pression pas de dépression. Sans négativité pas de positivité. Le rock est un courant électrique intermittent. Merci à Béatrice la patronne de nous présenter toutes les facettes de ce phénomène complexe.

    Damie Chad.

    ( Photos : FB : Béatrice Berlot )

    LE MEE-SUR-SEINE / 19 – 10 – 2019

    LE CHAUDRON

    PALMYRE / THE NEXTFLOOR

    HOAX PARADISE / JADES

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    Cinq heures l'heure funeste, dans les hôpitaux les malades impuissants gisent dans les affres des fièvres vespérales, sur les genoux de leurs mères atterrées les nourrissons délaissent leur tiède sein et se mettent à pleurer sans fin, ils sentent monter en eux l'indicible et instinctive angoisse des peurs qu'ils n'ont pas encore connues, dans les sombres cryptes l'on entend d'étranges reptations au creux des sarcophages verrouillés, resterai-je douillettement à l'abri entre mes livres, le feu de la cheminée, et sur le canapé mon chat noir qui fixe de ses prunelles énigmatiques une réalité astrale invisible à mes yeux... non, mais où irai-je ce soir courir l'aventure rock'n'roll sous la lune, par de telles ambiances crépusculaires, un lieu s'impose, le Chaudron, l'antre fatal du Mée-sur-Seine.

    PALMYRE

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    Pas le moindre fantôme de Zénobie ne rôde sur scène, mais quatre jeune gars emplis d'une énergie et d'une ardeur toute Aurélienne. Manifestement sont décidés à laisser un champ de ruines après leur passage. Commencent par une double intro, la première pré-enregistrée tonitruante, la deuxième fracassante. Annoncent la couleur sans ânonner dès le début, ne sont pas venus pour caresser le riff dans le sens du poil. N'y vont pas par quatre chemins, même si au début ils ne sont que trois, Erwan n'arrive qu'après le déluge pour bondir sur le micro sur lequel il se jette, tel un fauve qui n'a pas mangé depuis une semaine sur sa proie innocente. Nous bouffe le vocal à pleines dents, l'en déchire de gros morceaux sans vergogne et comme à ces côtés les trois autres ne turbinent pas en mode économique vous êtes invités à un splendide festin. L'est manifeste qu'ils aiment le steak tartare dégoulinant, pas du congelé, de l'arraché au cuissot de la bête encore vivante. Ne se contentent pas de grignoter des palmitos sur le sofa.

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    Sont partisans d'un rock speedé qui ne s'embarrasse pas de fioriture. Adam est à la forge, vous façonne le métal rock sans façon, ne ménage pas sa peine, partout à la fois, il court le break comme un brick pirate toutes voiles dehors fonce sur l'ennemi, et avec sa guitare Jerémy est le premier à monter à l'abordage. Samuel tire au canon de sa basse manière de traverser la coque ennemie de part en part. Erwan ceint sa guitare pour participer au carnage, ce qu'il préfère c'est tout de même éructer les mots comme grêle de mitraille. Et ma foi, il se débrouille bien pour s'imposer dans le brouhaha amblant. Ce genre de chienlit qui vous revigore un mort en moins de deux vous file votre dose d'amphétamine jusqu'à la fin de l'année.

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    Passent en première partie, mais on leur a laissé assez de temps pour montrer ce qu'ils savent faire et ils en ont profité, n'en ont pas gaspillé une demi-seconde, les titres se suivent et vous bousculent de belle manière. Quand ils s'en vont vous les regrettez, ne vous ont pas psalmodié des berceuses, vous ont remué les sangs et revivifié. L'est sûr que c'est avec cette vélocité que les légions romaine ont fait main basse sur l'antique Palmyre afin que dans l'histoire des hommes brille à jamais le soleil noir d'Aurélien.

    THE NEXTFLOOR

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    Ne sont que trois, la scène en paraît désertique. Pas d'inquiétude ils vont vous la remplir superbement. Mais chacun à sa façon. Cette cataracte de coups si caractéristiques qui pleuvent de partout, c'est Quentin, un fou furieux, n'y avait pas de chambre d'isolement au Chaudron ni de camisole de force, l'orga a fini par trouver une solution, lui ont refilé une batterie en lui faisant croire que c'était un punching ball, le gars pas contrariant tout compte fait, suffit de lui proposer la bonne occupation. Lorsqu'il enlèvera son T-shirt et que vous apercevrez son torse herculéen ruisselant de sueur vous connaîtrez la peur. Impossible de l'arrêter, l'a les baguettes qui courent de tous les côtés, impossible de savoir où il les pose, quand vous entendez le bruit, sont déjà plus loin, sont en train de cogner sur un autre tom. Doit s'entraîner pour passer le mur du son. Ça fuse de partout, jamais de boum, des clac-clac qui sonnent sec comme des paires de gifles, ça pleut comme un envol de canards sauvages pour les pays chauds. Si vous l'écoutez vous n'entendez, vous ne voyez que lui, ce qui serait dommage parce que les deux autres ne sont pas tristes.

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    Yvan est carrément marrant, ne peut s'empêcher de lancer quelques remarques ironiques qui détendent l'atmosphère. Pour aussitôt après vous foudroyer d'un tonnerre de guitare à vous donner la nostalgie des jupes de votre maman. Mais ce n'est rien, juste un bon guitariste qui déchire. C'est ensuite que ça arrache. L'ouvre la bouche et là il vous cloue sur la roue du destin. Il crache son venin à la face du monde. De son gosier jaillissent des caïmans, un vocal meurtrier, quatre ou cinq mots, et puis le mec ferme son bec, le temps de laisser échapper une espèce de mygale riffique de son instrument, pas un gars méchant, ne vous laisse pas tout abasourdi sur le bord de la route, vous réveille d'un nouveau superbe phrasé giclé qui vous transperce de part en part. Ce guy avec son poinçon triangulaire de soul patch sur le menton, habillé de noir, vous a le vocal rock instinctif tatoué sur le larynx, l'a tout compris, la respiration fusante, l'éjection sarclée, c'est rock, c'est blues, c'est tout ce que vous voulez. C'est grand.

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    MJP, ces trois lettres ne signifient pas Mouvement des Jeunes Populaires, juste le bassiste. Face aux deux énergumènes, il se la joue cool, le doigt sur la corde, ne la relâche qu'au moment qui lui plaît, toujours à bon escient, un véritable archet, tir précis et vibrant, mystérieuse moue aux lèvres et regard rêveur. Etrange comme il arrive à se faire entendre dans le vacarme des deux autres énergumènes, mais ce qui est sûr que s'il n'était pas là il manquerait quelque chose au monde comme si la Joconde s'arrêtait de sourire.

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    A trois ils vous ont démantibulé la moitié du département, un rock sans retenue, une horde d'Attila qui passe dans vos oreilles, une galopade effrénée, et une fois qu'ils ont arrêté, vous croyez que vous avez fait le plus beau cauchemar de votre existence.

    HOAX PARADISE

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    Les groupes se suivent et ne se ressemblent pas. Pourtant eux aussi ne sont que trois. Thibaud à la guitare, Jc à la basse et Barron à la batterie. Pour le moment ils émettent une douce musique autour d'une absence. Lamartine avait raison : Un seul être vous manque et tout est dépeuplé. Et Elle surgit. Non ce n'est pas Eve, c'est Lilith, c'est Laura Naval. Ne cherchez pas l'erreur, c'est Elle. Désormais vous ne verrez qu'Elle, vous n'écouterez qu'Elle, Elle et sa chevelure rousse, une flamme échappée de l'incendie du palais de Persépolis par les hoplites d'Alexandre, elle chante et vous vous taisez. Et les trois guys lui peaufinent minutieusement des ambiances sonores, ils ne jouent pas, ils cisèlent le décor, on est à côté du rock, pratiquement dans un récital de poésie.

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    Une voix. Ni charmante, ni envoûtante. Elle se refuse à ses facilités. Trop sûre d'elle, elle n'aguiche pas le client. Consciente de sa force, de son aura, de son magnétisme. Une blouse nouée au-dessus du nombril, un bustier échancré qui ne dévoile rien, une froideur brûlante de serpent. L'orchestre est à ses ordres. Elle se moque de ses gars comme si elle descendait avec condescendance le grand escalier d'une revue de Broadway. Reine et sortilège. Femme fatale.

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    Quelques gestes, une entrée et un final durant lesquels elle se transforme en percussionniste, elle descendra chanter dans le public, mais tout cela c'est de la broutille, l'important c'est lorsqu'elle s'approche du micro et qu'elle pose pour ainsi dire sa voix dessus. A croire qu'elle vient de retourner la lame de la mort d'un jeu de tarot qui ne comportait que cette unique carte. Une douceur âpre dépourvue de tendresse, juste les mots qui font mal. Elle nous conte les merveilles de Neverland, ce pays où l'on n'arrive jamais, se moque de Les garçons et nous quitte sur Ground control. Ce qui est sûr c'est qu'elle n'a jamais perdu le contrôle de la situation. Et puisqu'elle est sur terre, le paradis serait-il une arnaque ?

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    ( Photo : Sylvain Didillon )

    JADES

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    Mein Goth ! Un vol de sorcières vient de se poser sur la scène. Non, je ne suis point ivre, d'être parmi l'écume inconnue inconnue et les cieux mallarméens, elles sont là, toute proches, gainées de noir, et deux d'entre elles arborent ce chapeau maléfique qui cauchemarde nos imaginations, quoiqu' il faille le reconnaître, elles sont d'une génération nouvelle et ont adopté une forme beaucoup moins pointue, qui leur sied si joliment qu'elle les rend beaucoup plus agréables à regarder que les anciennes matrones au nez crochu qui remuaient leur infâme mixture dans une grosse marmite ventrue à panse noircie par des flammes sulfureuses d'un feu maudit. Le Chaudron, c'était un piège – qui portait bien son nom – nous y sommes dedans, et elles s'apprêtent à nous y mijoter longuement, à nous transformer en douteuse nourriture avariée qu'elles se partageront les soirs de grand sabbat. Le plus sage serait de fuir, mais non elles ont cette beauté maléfique et fascinante qui vous force à rester, et le plus terrible c'est que personne ne le regrettera. Car lorsque le potage est tiré il faut le boire, et celui-ci est agrémenté de ces gousses de rock'n'roll auxquelles nous ne saurions résister.

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    Lindsay est arrivée la dernière, s'est jetée sur le micro avec ses cheveux noirs et sa basse parallélogrammatique, et la ronde infernale a commencé. Rien de funèbre en elle, un sourire engageant et experte en communication, le contact facile, en quelques mots elle est déjà une grande copine que vous connaissez depuis au moins la maternelle. Vive, à l'aise, plein d'allant et de vie, rien qu'à l'apercevoir vous révisez votre jugement sur les sorcières, franche, naturelle, pleine de vie. C'est elle qui mène le bal et vous entrez dans le menuet salement remué sans une once de soupçon. Elle chante avec cet aplomb décisif des belles noiseuses qui ont toujours raison.

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    Cherry – je ne résiste pas à un mauvais jeu de mot, c'est la cerise sur le gâteau des agapes de la nuit du Walpurgis goethéen – enveloppée d'une coulée de cheveux roux, une pluie de renard et de feuilles automnales lui donne un aspect romantique que dément son sourire carnassier, elle semble s'être échappée d'un tableau préraphaélite de Dante Gabriel Rossetti, vous vous damneriez facilement pour elle, mais attention aux pointes de sa guitares triangulaires, elle assure la rythmique comme une nervalienne fille du feu, et lorsque qu'elle se chargera du vocal sur Cherry bomb vous comprendrez qu'elle est une eau dormante tempétueuse, un ouragan malicieux, qu'elle brisera l'esquif de vos idées creuses comme coquille de noix et les dispersera sur les rivages désertés.

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    Taïphen, se suffit à elle-même, elle est une de ses princesses des plus hautes chansons de Maeterlinck enfermées dans la tour d'ivoire de leurs rêves qui n'appartiennent qu'à elles seules. Jamais vu un guitariste lead aussi secret, aussi retranché du monde. Elle semble à part, elle ne nous concède que la face visible de sa personnalité. Occupée à produire le riff nécessaire à l'instant présent. Mais ni dans l'ici, ni dans le maintenant. Dans un ailleurs interdit. Quelqu'une de l'intérieur, mystérieuse, réservant à elle seule les pensées d'un monde que nous ignorons, et n'accordant qu'à sa guitare cette minutieuse attention dont nous ne sommes pas dignes.

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    Drôle de groupe, composé de personnalités si distinctes. Au fond Chloé, il est difficile d'admettre qu'elle joue de la batterie. Elle réside dans sa propre temporalité – jamais à contre-temps – elle est le lutin qui réfléchit. Avant de frapper, elle suspend le vol du temps, ce n'est pas qu'elle ne sait pas, c'est qu'elle choisit, elle réfléchit, elle suppute, elle subodore, elle reste-là les deux baguettes levées, pas du tout de l'indécision, elle fait ce qu'il lui plaît mais uniquement ce qu'il lui plaît, elle ne se presse pas pour monter dans le train, et vous assistez à ce miracle que la locomotive attend patiemment que sur le quai elle se décide à daigner mettre au moins une jambe sur le marche-pied. Et lorsqu'elle abaisse le sceptre de sa baguette sur un de ces tambours, vous êtes obligé de reconnaître qu'elle semble avoir mis de l'ordre dans le désordre de l'univers. Ses compagnes usent envers elle d'un étrange rituel, à la fin de chaque morceau elles nous tournent le dos et se regroupent devant elle, comme les doigts de la main se referment pour que le poing du rock acquièrent une force nouvelle.

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    C'est que Jades maîtrise son show de bout en bout, l'air de rien, elles ont mis au point un subtil ballet, rien n'est laissé au hasard, une belle parade rock'n'roll. Captivante. Servie sur un plateau. Avec cette grâce carnassière du serpent qui monopolise votre attention et exige votre approbation. Un rock simple, bien balancé, mais avec cette subtilité qui vous oblige à acquiescer. Des titres ravageurs et efficaces, The only thing, Ready or not for for rock'n'roll, Misnake, difficile de les laisser partir, en rappel ce sera I don't Care, un dernier sourire et elles s'enfuient si vite qu'il vous manque quelque chose. Et vous savez quoi.

    Damie Chad.

    ( Photos : Christian Dalet  aka Chrisled )

    ( sauf première et dernière photos de Jades : Nicolas Chaigneau

    et dernière photo Hoax Paradise : Sylvain Didillon ))