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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 85

  • CHRONIQUES DE POURPRE 394 : KR'TNT ! 414 : JOHN PAUL KEITH / REVEREND JOHN WILKINS / CHUCK BERRY / HAPPY ACCIDENTS / RADIOACTIVE / CHAMBLAS RÊVEIL

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 414

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    11 / 04 / 2019

     

    JOHN PAUL KEITH / REVEREND JOHN WILKINS

    CHUCK BERRY / HAPPY ACCIDENTS / RADIOACTIVE

    CHAMBLAS RÊVEIL

     

    John Paul Keith et les autres

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    On ne se bouscule pas au portillon pour venir voir jouer John Paul Keith qui est pourtant l’une des figures de proue de l’actuelle underground Memphis scene. Bon, c’est vrai, il faut bien reconnaître que l’underground n’intéresse plus grand monde. Quant à Memphis, c’est encore pire. Dans l’inconscient collectif, ça renvoie à des vieux trucs un peu kitsch et un peu jaunis qui remontent au temps d’Elvis. Autant parler d’objets de musée. Et pourtant, le Memphis beat n’a jamais été aussi vivant ni aussi bien représenté.

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    À lui tout seul, ce petit binoclard nommé John Paul Keith réussit à redonner vie au Memphis beat, le temps d’un concert. Il le fait avec un mélange de brio et d’abnégation qui en bouche un coin. Il joue son rock en formation légère, accompagné d’une section rythmique basse/batterie extrêmement jeune, mais on sent le métier. JPK propose un mélange idéal de country et de rock, avec cette énergie particulière qu’on retrouve chez tous les musiciens basés à Memphis. Il faut se souvenir de ce que disait Dan Penn à propos du décalage qui existe entre Memphis et Nashville : «They (in Nashville) cut in all that ol’ stupid thin country music. No funk, I always liked a little funk.» (À Nashville, ils enregistrent cette country inepte et vieillotte. Pas de funk. J’aime bien qu’il y ait un peu de funk). Oui, JPK ramène dans son son ce que Dan Penn appelle le funk, cette manière tellement subtile de swinguer le rock’n’roll.

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    Il joue clair et net sur Telecaster et parvient à faire danser la maigre assistance. Plus tard, JPK dira qu’il vit bien de sa musique, à Memphis - I make a living out of it - Il fait bien sûr la promo de son dernier album, Heart Shaped Shadow, mais propose aussi des cuts tirés de son nouvel EP avec les Motel Mirrors. John Paul Keith est un petit homme d’âge indéfinissable au visage dévoré par cette grosse paire de lunettes qui renvoie immédiatement à Buddy Holly. On est confronté au même problème qu’avec Buddy à l’époque où paraissaient ses disques : un mal fou à s’habituer à cette esthétique du binoclard, mais un curieux mélange d’ingénuité et de talent finissait par le rendre indispensable. Il devenait aussi précieux qu’Elvis ou Jerry Lee, alors qu’il n’avait absolument aucune chance de plaire aux filles, ce qui en matière de pionneering, était quand même le truc de base. John Paul Keith passe par les mêmes fourches caudines. Si on le juge sur son physique, c’est cuit aux patates. Mais si on l’écoute et, mieux encore, si on le voit jouer, il balaye tous les a-priori. JPK rocks it up ! Il joue son rôle d’ambassadeur du Memphis Sound à merveille.

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    C’est exactement du même niveau que le fabuleux set du grand Harlan T. Bobo qui eut lieu au même endroit voici quelques années. Eh oui, ces Memphis guys ont le petit quelque chose en plus. Robert Gordon dit que le Memphis beat est dans l’air de la ville. Dickinson dira que c’est dans les gens - We’re a bunch of rednecks and field hands playing unpopular music - Ce n’est quand même pas un hasard si deux des plus grands écrivains rock d’Amérique (Dickinson & Gordon) sont de vieux Memphis guys. D’ailleurs JPK dit avoir failli travailler avec Dickinson : le projet s’appelait Snakes Eyes et comprenait des gens de Regning Sound - But nothing came out of it.

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    John Paul Keith fait donc partie de la brillante scène underground de Memphis. En 2009, il est lead guitar sur The Disco Outlaw de Jack-O & the Tennessee Tearjerkers. On ne saurait concevoir une formation plus légendaire que ces Tearjerkers rassemblés par Jack Yarber. Il attaque son Disco Outlaw avec «Ditch Road», un fantastique cut de pop rock du Tennessee. Jack Yarber est un auteur classique qui sait monter des coups fumants. Voilà un cut imparable, éclairé par le jeu de John Paul Keith et soutenu par la belle bassline d’Harlan T. Bobo. Tous les morceaux de cet album sont fouillés, chargés de son, bien construits. On savoure la succulence de l’effarance à l’écoute d’un «Against The Wall» qui sonne comme un classique hanté par des vieux relents de «Drop Out Boogie». «Make Your Mind Up» sonne comme un hit pop planétaire. Voilà de quoi Jack Yarber se montre capable. C’est digne des meilleurs jukes et troussé à la rude. Il prend ensuite «Sweet Thang» à l’hypno de Memphis, et ça trépide, avec une grâce infernale. Quelle énergie et quelle puissance dévastatrice ! En B, John Paul Keith embarque «Scratchy» dans la clameur d’un solo incendiaire. Ils nous explosent ce vieux classique des sixties. Et ça va se terminer avec «Stop Stalling» bien soutenu à l’orgue, suivi d’un nouvel hymne pop, «Walk Of Shame». Jack Yarber n’enregistre que des disques condamnés à l’île déserte.

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    On retrouve John Paul Keith sur un autre album de Jack Yarber, l’excellent Rat City paru en 2011 sur Fat Possum. C’est pas compliqué, on y trouve deux hits, à commencer par celui qui donne son titre à l’album, qui est lancé comme une locomotive et Jack-O se montre une fois de plus imparable et lumineux. Quand on voyait ce mec traîner à l’espace B le jour du concert des Cool Jerks, on n’était pas loin de penser qu’il avait au pire une allure de rock star et au mieux le charisme d’un messie. John Paul Keith joue lead dans «Mass Confusion», monté sur un beau beat funky. Ça pulse comme au temps de l’âge d’or du swamp funk. L’autre hit du disque c’est bien sûr «Kidnapper», sur lequel JPK joue aussi : cut doté d’un fort parfum de country rock et finement nappé d’orgue. On y retrouve tout l’allant du rock du Tennessee.

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    John Paul Keith apporte régulièrement sa modeste contribution au Memphis Sound en ficelant de bons albums. Paru en 2008, Spills And Thrills s’impose par un son sec. On sent le rocker accompli, rompu à toutes les tâches. Il joue tout son fourbi à l’emporte-pièce, avec une authentique intensité. Tout est ultra joué, très américain. Memphis Soul typecast. Avec «Cookie Bones», il propose un violent instro d’interaction chauffé au shuffle d’orgue. Ça ne vous rappelle rien ? Mais les MGs, bien sûr ! Nous voilà dans les rues de la ville, à l’âge d’or. Bel hommage aux racines du Memphis Sound. S’ensuit un «Let’s Get Gone» tapé à la folie rockab, Memphis style, here we go ! Affolant ! JPK peut se montrer affoling. Le buisson Ardent n’a aucun secret pour lui. On voit bien qu’il tente de recréer la folie du rumble de 56. Il sort le Telecaster Sound le plus âpre qui soit. Il joue au surplus de guitares. Et voilà qu’avec «If I Were You», il tape un coup de Jarnac à la Tearjerkers. C’est le hit du disk. Absolute beginner ! Il trousse ça serré au beat avec des chœurs de rêve et une énergie power pop. Ça sent bon le Yarber. JPK termine son humble album de rumble avec une petite montée de fièvre qui s’intitule «Doin’ The Devil’s Work», typique des clubs de Memphis avec tout le bazar de la Samaritaine.

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    L’impétueux JPK récidive avec un Memphis Circa 3 AM auréolé de légende, puisqu’enregistré par Roland Jane. On a donc du pur electrifying Memphis Sound, classique et tendu, sec et net et sans bavure. On va mettre un peu de temps à rentrer dans l’album, car JPK multiplie les incartades en allant vers la country ou le balladif romantico. On a même parfois l’impression qu’il s’enterre dans la tradition. C’est un cœur tendre, mais comme dirait Blueberry, il vaut mieux avoir le cœur tendre que le pied tendre, surtout lorsqu’on est poursuivi par une horde de Mescaleros. Et soudain, on se réveille avec «New Years Eve», un cut qui sonne tout bêtement comme un hit. JPK est capable de petits miracles. Ce genre de révélation efface pendant quelques minutes le spectre des soucis quotidiens. Oui, elle surprend d’autant qu’elle est totalement imprévisible. Notre fringant binoclard repasse en mode hit galatic avec «If You Catch Me Staring». Cette nouvelle ouverture de pop a de quoi édifier les édifices. Il joue bien son rock à l’enfilade et maintient l’éclat d’un son Télé très convaincu d’avance.

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    On sent encore une très nette évolution avec son dernier album, Heart Shaped Shadow, paru l’an passé sur un label de Little Rock, Arkansas, nommé Last Chance Records. On y trouve pas moins de quatre hits, à commencer par l’excellent «Something So Wrong» d’ouverture de bal d’A. Pur joyau de Southern Soul, généreusement cuivré et monté sur un beat rondement mené. Good time music à tous les étages en montant chez Kate. L’incroyable tonus du cut vaut pour modèle. Avec «Ain’t No Denyin’», il nous plonge dans un groove de jazz. C’est monté sur un shuffle d’orgue superbe et JPK vient croiser son solo avec le shuffle. Musicalité superbe, fantastique allure. En B, il revient au slow groove avec «All I Want Is All Of You», il chante ça à l’étonnée, avec une voix chargée d’un certain mystère. Ce mec dispose d’un charme vocal indéniable et un solo de sax couvre ses arrières. Il tape «Throw It On Me Baby» au beat de rockab. Joli clin d’œil à la tradition. Il sait swinguer ce type de beat, pas de problème. JPK est un rocker polyvalent, il peut aller partout et taper dans tous les styles avec un égal bonheur. Jamais passe-partout ni m’as-tu-vu. Il termine l’album avec «Pink Sunsets», un nouveau groove de jazz, délicat et colorié. Oh, il faut l’entendre passer un solo de bluegrass en escalier dans «Leave Them Girls Alone». JPK devait être un guerrier apache dans une vie antérieure, car il a plusieurs cordes à son arc.

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    D’ailleurs, ça n’étonnera personne, JPK est homme à brasser les side projects. En voici un bel exemplaire, the Motel Mirrors, dans lequel on retrouve une certaine Amy LaVere. Comme par hasard, JPK proposait l’album In The Meantime au mersh, après le concert. Sachez bien que cet enfoiré vend un disk sans dire que c’est de la dynamite. Résultat, on rentre à la maison, on écoute ça et paf, on tombe de sa chaise. Un cut comme «I Wouldn’t Dream Of It» saute littéralement à la gueule. Le power du beat se révèle dévastateur. C’est un étonnant mélange de country flavor et de power rock. JPK chante au suave sur le pire beat rockab qu’on ait vu à Memphis depuis le temps des cerises. Par contre, attention aux cuts que chante Amy LaVere : elle sort une voix nubile qui peut vite agacer. «Things I Learned» flirte avec la délinquance juvénile, c’est un hit, de toute évidence, et même un hit effarant, mais quand elle revient plus loin avec «Dead Of Winter Blues», elle fait du Vanessa Paradis à la mormoille et ça donne un mélange extrêmement dérangeant de country et de délinquance juvénile larvaire. Par contre JPK rend deux fabuleux hommages à Buddy Holly, avec «Paper Doll» - Ain’t gonna be your paper doll at all - et «Remember When You Gave A Damn», pur Fort Worth Sound, merveilleuse cavalcade en hommage au génie de Buddy Holly. C’est criant de véracité instinctive. JPK prend «Do With Me What You Want» de très haut, avec des accords de Chickah Chuck. Il déroule au Memphis Beat, on sent le poids de la légende dans le son - Please please don’t be so cool - What a maîtrise !

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    The V-Roys ? Oh yeah, JPK est à l’origine du projet, mais il n’apparaît sur aucun de ces trois albums qui valent le détour. Oui et même largement le détour. Ces quatre Memphis rockers sont affreusement doués. Avec Just Add Ice, ils proposent une belle éclate de power-rock de Knoxville, très proche dans l’esprit de ce que font les mighty Drive-By Truckers. Notez que Steve Earle produit ce premier album des V-Roys. On vendrait son père et sa mère pour un cut comme «Sooner Or Later», solide slab de pop-rock soutenu aux éclats de guitares et chanté à deux voix. Leur «Wind Down» est fusillé dans l’élan, c’est admirablement racé. Avec «Cry», ils deviennent les rois de la cavalcade. On les sent gonflés d’énergie, comme des bites printanières. C’est très beau à voir. Ils passent au balladif classique avec «Kick Me Around», et un killer solo vient chasser les nuages. Ces mecs savent trancher un nœud gordien.

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    Un deuxième album intitulé All About Town paraît en 1998. Il s’y niche deux Beautiful Songs, «Arianne» et «Sorry Sue». Excellent «Arianne», chanté aux sous-voix dans les renvois et Scott Miller laisse sa voix fuiter sur les retours. Ils recréent l’événement plus loin avec «Sorry Sue». Scott Miller entre dans le lard du cut avec tout l’impact de la cruauté - Sorry Sue/ I’m not in love with you - Il sait gérer son charme et créer les conditions du pouvoir. Et voilà une autre merveille : «Strange». Ces mecs balancent du son et des idées de son et ça continue avec «Hold On To Me». Scott Miller prend les choses en main et c’est bête à dire, mais il a plus de présence que JPK. Comme ce mec est brillant, du coup l’album prend du relief. En fait, les V-Roys se situent à la croisée des chemins, entre rock et country. Parfois la country prévaut et les cuts nous échappent.

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    Leur troisième album est un album live, le bien nommé Are You Through Yet ? On y retrouve l’excellent «Wind Down» du premier album. C’est explosif, joué à la bassline inversée. On entend cette bassline remonter le courant du son comme un saumon d’Écosse. Autre merveille : «Out Of This World», heavy balladif de Loundon Wainwright chanté à pleine gueule, pur jus d’Americana. Les deux guitares semblent littéralement resplendir dans ce bouquet démentoïde d’Americana parsonnienne. Ils jouent dans l’œil du typhon. Ils font aussi une reprise du fameux «There She Goes» des La’s. Quel courage ! Ils y tapent un magnifique brouet d’arpèges. Du coup l’album prend un sacré relief. En fait on se sait jamais qui de Mic Harrison ou de Scott Miller chante, mais ce n’est pas grave, car comme chez les Drive-By Truckers, les deux sont également doués. Avec «I Want My Money», ils proposent un vieux boogie infesté de requins. On les sent très motivés à nager vite. Et voilà «Window Song», heavy rock co-écrit avec Steve Earle. Encore une énormité lumineuse jouée aux splendeurs guitaristiques. Quelle ampleur ! La version live est mille fois supérieure à la version studio, car les guitares scintillent dans l’incendie du crépuscule. Ils repartent de plus belle avec «Guess I Know I’m Right», un folk-rock solide. On suivrait ces mecs jusqu’en enfer, ils développent les meilleures dynamiques de folk-rock qu’on ait vu ici bas. On assiste à de fabuleux duels de guitares acérées. Ils sur-jouent à la vie à la mort. On retrouve aussi «Sooner Or Later» bien cogné du Cognac-Jay et allumé par des incursions à la Johnny Thunders. Ces mecs ont le diable au corps, voilà pourquoi cet album est bon. Et même excellent, bien rocké du Rocamadour. Ils jouent comme des dieux et ourdissent des complots finaux flamboyants. Ils reprennent aussi le «IOU» de Paul Westerberg. Admirable choix, les accords rock’n’roll roulent dans les collines et on voit la bassline cavaler dans la nature, comme une folle échappée d’un couvent.

    Signé : Cazengler, Jean Pauv Kon

    John Paul Keith. Le Trois Pièces. Rouen (76). 26 mars 2019

    Jack-O & the Tennessee Tearjerkers. The Disco Outlaw. Goner Records 2009

    Jack Oblivian. Rat City. Big Legal Mess Records 2011

    John Paul Keith & The One Four Fives. Spills And Thrills. Big Legal Mess Records 2008

    John Paul Keith. Memphis Circa 3 AM. Big Legal Mess Records 2013

    John Paul Keith. Heart Shaped Shadow. Last Chance Records 2018

    Motel Mirrors. In The Meantime. Last Chance Records 2017

    V-Roys. Just Add Ice. E-Squared 1996

    V-Roys. All About Town. E-Squared 1998

    V-Roys. Are You Through Yet ? Live. E-Squared 1998

     

     

    Walking with Wilkins

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    L’arme secrète du bon Révérend John Wilkins n’est pas celle qu’on croit : sa foi en Dieu tout puissant ? Sa technique de picking ? Son physique de vieux black bien conservé ? Son autorité eucharistique ? Non, même s’il est un mélange de tout ça. Son arme secrète, ce sont ses trois filles qui chantent le gospel sur scène avec lui, alignées en rang d’oignon. Et elles shootent le gospel batch plus qu’elles ne le chantent. Encore une fois, il y plus d’énergie primitive dans le gospel batch que n’en peut rêver ta philosophie, Horatio.

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    Bon, quand il arrive sur scène avec son stetson et son sourire de beau black bien conservé, on ne se méfie pas. Il attaque avec un «Trouble» bien rythmé et les filles commencent à foutre le souk dans la médina. La plus petite est aussi la plus grosse. Disons qu’elle gère mal un problème de poids, mais c’est elle la shouteuse du groupe. Le Révérend et ses trois filles sont accompagnés par trois blancs qui trimbalent des allures de vétérans de toutes les guerres et qui restent en retrait. Et quand le bon Révérend attrape sa guitare pour jouer «You Got To Move», alors on réalise qu’il n’est pas né de la dernière pluie. Il joue avec une technique de battement en picking qui en dit long sur ses antécédents. Eh oui, Big Legal Mess nous rappelle qu’il a accompagné O.V. Wright et qu’il recevait dans son église, Hunter’s Chapel Church, des éminences comme Mississippi Fred McDowell, Otha Turner et Napoleon Strickland. Nous sommes dans le North Mississippi Hill Country, parmi les gens du Tate county. Jim Dickinson : «Le comté de Tate commence aux abords de Senatobia. Vous allez rouler sur des routes à moitié goudronnées et vous allez entrer dans le territoire d’Otha Turner, père spirituel du hill country blues. Quand Lomax est venu dans le Sud pour archiver la musique les vieux bluesmen, Otha et Fred McDowell étaient voisins. Ces artistes sont restés trop longtemps confinés dans les archives du folklore officiel universitaire.»

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    Sur scène, ça shake de plus belle avec «God Is Able» puis «Jesus Will Fix It». Tout l’art du gospel consiste à faire tanguer une église avec un minimum de moyens et un maximum de feu sacré. Le set du bon Révérend John Wilkins et de ses trois filles rocke plus la kasbah que dix groupes de garage réunis. On le dit à chaque fois, mais c’est vrai. Ces gens-là font appel à ce qui constitue la racine même du rock, le rythme et ce que certains appelaient autrefois le feu de Dieu, c’est-à-dire une énergie primitive qui n’appartient qu’aux Africains. Un James Brown blanc ? C’est inconcevable. Un Révérend John Wilkins blanc est encore plus inconcevable. Le beat appartient définitivement aux blacks. Ces trois filles qui dansent sur un beat du Gospel batch, c’est sans doute le plus beau spectacle qu’on ait pu voir depuis le temps de Vandellas, ou plus récemment, les Como Mamas. Elles dansent en rythme d’un pied sur l’autre, font des petits gestes avec les bras, et shootent le bamalama du Seigneur tout puissant qui du coup devient un héros rock’n’roll bien plus infernal que ce pauvre diable cornu qu’on laisse aux Stones. Mieux vaut aller rocker aux pieds de l’autel de God almighty dans une église en bois que d’aller à Longchamp voir des Stones fanés jouer «Sympathy For The Devil» et finir de perdre toute leur crédibilité. On ne joue pas avec le diable, par contre on peut jouer avec God. God adore ça, il est même le premier à danser. On comprend ça dans l’instant, dans l’éclair d’un instant, lorsque la petite grosse perd le contrôle d’elle-même et jette une serviette dans la foule, alors qu’elle shoote ses chœurs à s’en faire péter les ovaires. Wow, elle ramène tout Aretha, tout le jus sacré du raw gospel, toute la magie explosive d’un monde qu’on connaît très mal.

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    Dans sa deuxième bio d’Aretha, David Ritz rappelle que l’univers du gospel, au temps où officiait le pasteur Franklin, était un fabuleux baisodrome. La foi et le sexe ont toujours fait bon ménage. Les femmes tombaient comme des mouches sous le charme du pasteur Franklin, père d’Aretha. Pasteur et homme à femmes. Fantastique dragueur. Il faut situer ça dans les années quarante et cinquante. Il existait un véritable circuit du gospel et un business florissant. Les prêcheurs de gospel les plus célèbres tournaient dans toute l’Amérique et rassemblaient dans les églises des milliers et des milliers de fidèles. On sait pour l’avoir vu dans certains docus que la messe pouvait tourner à l’hystérie collective. Certains pasteurs jouent sur des guitares électriques. Tout le monde danse, sans exception. Mais Ritz ajoute qu’après le prêche tout le monde baisait sous le tabernacle. Tout le monde, les jeunes comme les vieux ! C’est là qu’Aretha s’est mise à aimer les hommes. Johnny Guitar Watson dit d’elle qu’elle rôdait dans les fêtes, affamée de queue. Elle a douze ans quand elle est enceinte de Clarence. Deux ans après, elle met au monde Edward. Puis elle épouse Ted White, qui est un mac. Aretha est du cul, mais elle ne veut pas qu’on le dise. Comme toutes les bigotes qui ont le feu au cul, elle tente de protéger sa réputation. C’est la raison pour laquelle il existe deux bio d’Aretha avec David Ritz, celle d’Aretha et celle de Ritz, où tout est dit, surtout ce qui ne doit pas être dit. Et ça renforce le prestige sulfureux de cette femme qui sur scène devient une reine. Une vraie reine de droit divin. Un volcan à deux pattes. Et Aretha n’en finit pas de rappeler que toute la Soul vient directement du gospel.

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    Le bon Révérend fait un petit break, le temps de rappeler que son père Robert Wilkins a composé «Prodigal Son» et il profite de l’occasion pour rappeler aussi que les Rolling Stones ont rendu cette chanson célèbre. Il joue son Son seul, assis sur un tabouret, accompagné par le tap tap du batteur. Fantastique guitariste, il descend son thème à deux doigts glissants et pince des cordes du pouce et de l’intérieur des doigts ramenés en crochet. Il joue en accord ouvert, ce que les Anglais appellent l’open D et sort un son de rêve sur sa guitare, un son très pur de country-blues. Il enchaîne avec un «Walk With Me» joué seul. L’interlude mirobolant s’achève avec le retour des filles qui viennent donner l’assaut final.

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    Ah tu voulais voir Venise et tu vois «Wade In The Water», classique indestructible porté par toute la foi du pâté de foie. Ah tu voulais voir Vesoul et t’as pas vu Vierzon parce que t’as vu «Storm And Rain», eh oui, le bon Révérend demande à un public qui ne comprend pas l’Anglais s’il connaît les storms, et c’est sa femme, installée dans le coin sous l’enceinte qui fait Yeahhhh, d’ailleurs elle n’en finit pas de faire yeahhhh tout au long du set, comme à la Chapel Church, oui car le gospel est avant toute chose un art inter-actif, le pasteur dit un truc, et les gens font yeahhhh, mais on nous demandait fermer nos gueules à la messe, alors les petits blancs dégénérés ne savent pas faire yeahhhh. Bon c’est pas grave, le Révérend et ses trois filles continuent de rocker la salle qui se met à tanguer comme le baleinier du capitaine Achab sous les coup de boutoir de Moby Dick, et bim et bam, prend ça dans le foie, le gut d’undergut d’un «Get Right Chuch» à faire tomber la flèche en bronze d’une cathédrale, celle de ton choix.

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    L’album du bon Révérend est sorti en 2010 sur le big label Big Legal Mess, filiale honorifique de Fat Possum qui vénèrent les amateurs de blues primitif. You Can’t Hurry God vaut le détour pour au moins deux raisons : Jésus et «You Got To Move». On retrouve Jésus dans «Jesus Will Fix It». Le bon Révérend envoie son gospel rocker le Memphis Sound. Admirable. Il tape dans le brother de Yes sir et ça vire au all nite long. On n’avait encore jamais entendu gospel batch aussi insistant. Avec «You Got To Move», il tape dans le heavy blues rock. Le bon révérend est un caméléon, il tape ici dans la fantastique exaction parabolique, il drive le blues rock à coups de She got to move. Il tape plus loin son «Thank You Sir» au deep rootsy blues. Il sait aussi le jouer, il bouffe à tous les râteliers et c’est bien, de la part d’un mec comme lui. «On The Battlefield» est presque joyeux. C’est du gros gospel d’orgue et d’église en fête, alors on en profite. On l’admire tant et plus, oh my lord. C’est la fête à l’église du village. Dommage qu’on n’ait pas ça en France. Il faut aussi écouter attentivement le morceau titre d’ouverture de bal, car on y note une fabuleuse présence de can’t hurry. Il raconte son histoire, avec sa mama who told me when I was young. C’est de l’excellent gospel blues. On retrouve cette présence dans «Sinner’s Prayer». On n’a pas idée, tant qu’on a pas écouté ça. C’est extrêmement joué. On a là une sorte de Soul rock qui colle bien au temps présent. On retrouve aussi le fameux «Prodigal Son» : il passe au country shuffle d’église, c’est tellement rootsy qu’on s’en émeut profondément. Le bon Révérend remonte le courant comme un saumon du Mississippi. Quel fabuleux take de country blues ! Trop expert pour être honnête. C’est d’un niveau beaucoup trop élevé. Dans «I Want You To Help Me», des femmes lui viennent en aide. Ce qui frappe le plus dans ce genre de cut, c’est bien sûr l’incroyable énergie du son prodigue, my Prodigal Son.

    Signé : Cazengler, Irrévérend

    Reverend John Wilkins. Le 106. Rouen (76). 5 avril 2019

    Reverend John Wilkins. You Can’t Hurry God. Big Legal Mess Records 2010

    CHUCK BERRY

    JON BREWER

    ( 2019 )

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    Diffusé sur Arte, mais ceux qui comme moi ne possèdent pas cette boîte à décérébration populaire chez eux peuvent le visionner en replay du 04 / 04 / 2019 au 03 / 07 / 2019. A voir, certes ce n'est pas fantastique, depuis A Film About Jimi Hendrix en 1973, c'est toujours la même formule, un montage d'interviews de proches et d'artistes mêlés à des documents d'époque et d'extraits de films. J'ai l'air de critiquer mais je serais dans l'incapacité d'imaginer plus original. Laura Brewer la scénariste a toutefois eu l'idée de mettre en scène quelques épisodes de la vie de la vie de Chuck sous forme de clips phanstasmatiques qui clignent de l'œil vers l'esthétique de la BD, à mon avis pas vraiment convaincant.

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    Oui, mais c'est Chuck Berry, alors on s'en fout, on en prend plein les mirettes pour pas un sou, on regarde, on écoute, et on se tait. Chuck, c'est sacré, Chuck Berry in London mon premier album rock fut mon cadeau de Noël en 1965, c'était arriver dix ans après la sortie de Maybelline, mais à l'époque en France on n'était pas des milliers à suivre... Deux ans plus tard il y avait eu le Golden Hits avec sa pochette désastreuse mais au dos ces notes qui nous ouvraient tant de perspectives passionnantes avec ces références de matos et d'amplis qui vous tournaient la tête. L'on découvrait que le rock reposait sur toute une science sonologique qui nous laissait rêveurs. Mais je m'égare.

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    Jon Brewer retrace la carrière de Chuck, dans l'ordre chronologique mais il évite une dispersion fragmentaire en s'attachant à quelques idées forces, à trois thèmes centraux qui reviennent régulièrement.

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    Chuck Berry, l'inventeur du rock'n'roll. Certes il vient du blues mais il fut le premier à jouer plus fort et plus rapide que tous les autres. Possédait de longs doigts qui lui permettaient de courir le long du manche avec une facilité déconcertante. L'avait aussi une autre particularité, celle d'inclure dans le ploum-ploum-blues habituel des plans country. Métaphoriquement l'on peut dire qu'il a eu cette intuition géniale de remplacer les trémolos déclinants de la blue-note par l'attaque incisive de ce ces white-notes stridentes, ces espèces de jappements de chien, par lesquels les petits blancs arrachaient leur morceaux. Lui Chuck, l'attendait un peu pour les faire apparaître, ne vous les sortait que lorsque l'anatole bluesy se cassait la gueule, au moment où le cercueil bascule dans la fosse, vous fichait dans la moelle épinière trois cris de coq d'une stridence ravageuse à vous réveiller le mort qui se levait illico et se transformait en zombie fou pour se lancer dans une sarabande effrénée. C'était cela le secret du rock'n'roll, ne jamais laisser retomber le soufflet, un coup de barre et c'est reparti pour une giboulée de Mars, dieu de la guerre et du chaos.

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    Chuck Berry un guitariste fabuleux. Qui chantait aussi. N'avait pas une voix extraordinaire. Un peu trop nasillarde à mon humble avis. Mais par contre il savait s'en servir à merveille. Le premier imbécile est capable de l'ouvrir et de chanter plus ou moins bien, mais dans le rock'n'roll, chanter n'est pas jouer. Tout se passe dans l'inflexion. Le blues module, le rock modélise, si vous dites Baby I love you so, faut que vous donniez l'impression que vous êtes en train d'interpréter le rôle d'un type qui dit Baby I love you so, c'est ce léger décalage, cette espèce d'innocence assumée d'une rouerie confirmée qui fait tout le charme du phrasé rock. L'irocknie est le secret du chant rock'n'roll.

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    L'avait une autre corde vocale, le Chuck, composait ses paroles, l'a été le premier – bien avant Dylan – à avoir reçu une prestigieuse récompense littéraire pour ses lyrics – n'empruntait pas le texte à autrui, donnait sa propre vision du monde, n'avait pas besoin de s'approprier le contenu, c'était lui tout craché, décrivait les boys et les girls tels qu'il les voyait et les comprenait. Lorsqu'il écrivait il ne mâchouillait pas ses mots, quand il les chantait il les articulait divinement, vous racontait sa petite histoire, un conte acidulé pour grands enfants. L'était un fan de Bing Crosby mais l'avait adopté une méthode similaire à celle de Sinatra, concevoir l'interprétation d'un morceau comme une scène de film, un scénario qui retient votre attention et vous tient en haleine jusqu'au dénouement. Un poète.

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    Beaucoup d'atouts dans son jeu. Ajoutez à cela qu'il avait un sourire délicieusement craquant et que sa musique invitait à la danse. Vous filait la danse de sainte-guytare au premier accord. Personne n'y résistait, ni les blancs, ni les noirs. Et cette musique du diable vous invitait à franchir le fil rouge de la transgression. C'est dans ces concerts que jeunes blancs et adolescents noirs se mirent à enfreindre une règle intangible : dansèrent ensemble... Une révolution, qui ne plut pas à tout le monde. Berry avait du succès, mais dans le Sud des Etats-Unis qu'un noir gagne trop d'argent n'était pas bien vu. Surtout qu'il eut l'outrecuidance de sortir avec des femmes de couleur blanche. L'on n'était plus au bon vieux temps où l'on pouvait vous brancher un négro au haut d'un arbre en toute tranquillité, l'on usa de stratagèmes bien plus pernicieux. A croire qu'à cette époque aux Etats-Unis, c'était déjà comme en la France d'aujourd'hui, que la police était partout et la justice nulle part, flics et procureurs s'entendirent comme larrons en foire pour lui créer des ennuis, lui firent fermer son parc d'attraction, l'accusèrent de ne pas payer ses impôts, de transporter de la drogue dans son étui de guitare, parvinrent à l'enfermer à plusieurs reprises en prison. Les témoins sont formels, un blanc n'aurait jamais été maltraité de la sorte...

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    L'on comprendra qu'après de tels traitements le caractère s'aigrisse. Berry se méfia des blancs. Les prit en grippe, que dis-je, en cancer de l'anus avancé. Les tint pour peu de chose : des vaches à lait. Ne fit plus de cadeaux. D'abord les dollars, ensuite la musique. Tous les musiciens blancs qui ont joué avec Berry en gardent de mauvais souvenirs, sans renier le moins du monde leur admiration, repassez-vous sept ou huit fois la séquence de Hail Hail Rock'n'Roll ! dans laquelle Chuck arrête Keith Richards en pleine intro pour lui signifier qu'il faut poser les doigts un peu plus bas, ces éclats de haine rentrée dans les yeux de Keith valent leur pesant d'or, ravale son orgueil et son chapeau, le Keith, fallait-il qu'il respecte le vieux briscard pour passer sur cette humiliation publique...

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    Du beau monde dans le film, Steve Van Zandt, Gene Simmons, Alice Cooper, Joe Perry, Nils Lofgren; Nile Rodgers, George Thorogood, Joe Bonamassa, Marshall Chess, juste un truc qui me gêne, ces gars-là nous les avons admirés, haïs, dédaignés, font partie peu ou prou, de près ou de loin, de notre story-stelling, mais z'ont pris un sacré coup de vieux. Ce n'est guère rassurant pour nous. Certes un Joe Perry a encore une belle dégaine mais l'Alice Cooper ( que j'estime ) l'est beau comme un paillasson. Enlevez-moi ces miroirs. Mais ce n'est pas le plus grave, z'ont des airs de grand-pères, mais où sont les petits-enfants ! Ne sont rien d'autres que des momies de l'ancien temps, Jon Brewer agit un peu comme cette chaîne de télé américaine qui vous ouvre un sarcophage de l'ancienne Egypte en direct. L'aurait pu chercher quelques jeunes guitaristes qui œuvrent dans le metal par exemple, l'a peut-être eu peur du fossé générationnel, de la coupure transmissive...

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    Question subsidiaire : Chuck Berry fut-il un rocker ? Réponse musique sans nul doute. L'a fait son job, sûr, mais ne pas confondre Charles avec Chuck. L'homme public s'arrêtait devant la porte de sa maison. Chez lui, n'était plus qu'un époux aimant, qu'un père attentif, sa femme et ses enfants en témoignent avec dignité et émotion. Chuck a eu la force de se préserver, l'a survécu, ne lui manquait qu'une dizaine d'années pour finir centenaire, l'est mort comblé, célébré, révéré, institutionnalisé, un beau parcours, lui manque toutefois un petit grain de folie...

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    Les rockers regarderont ce film avec plaisir - attention pour les thuriféraires de Presley, le film insiste : Elvis a popularisé le rock, Chuck l'a inventé - en plus vous avez quelques images de Jerry Lou et de Bo Diddley, l'est vrai qu'il nous manque Little Richard. Arrêtons de chercher la petite bête et la grande folle ! Hail ! Hail ! Rock'n'roll !

    Damie Chad.

    P. S. : pour ceux qui veulent un beau portrait de Chuck Berry la lecture de la chronique de notre Cat Zengler parue dans la livraison 323 du 06 /04 / 2017 s'impose. Pas un must, un devoir éthique.

     

    Chuck chose en son temps

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    Chuck Berry fait partie des gens qui meurent mais qui ne disparaîtront jamais. Sa musique est partout depuis soixante-cinq ans. Elle est à l’image d’une vie, à la fois trop longue et trop brève. Il fut un temps où on se plaignait de trop l’entendre, l’époque où les Stones jouaient «Carol» et «Little Queenie», mais depuis deux jours, c’est un peu comme s’il nous manquait. Comme si sa longue histoire n’avait duré que le temps d’une chanson.

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    Si tu veux te payer une petite overdose de Chuck, fais-toi offrir à Noël le coffret Bear paru en 2014, Rock And Roll Music/ Any Old Way You Choose It. Bear qui ne fait pas les choses à moitié propose avec ce coffret tout Chuck gravé sur seize rondelles, c’est-à-dire TOUS les cuts enregistrés entre 1954 et 1979, et du live à la pelle, environ quatre-vingt titres regroupés sur les quatre dernières rondelles. Tout ça s’écoute avec autant de plaisir que les albums originaux sur Chess, mais attention, ce sont les deux livres emboîtés dans le coffret qui vont t’envoyer directement au tapis. À commencer par le Harry Davis Photos book. Un nommé Bill Greensmith est allé fouiner dans le grenier d’Harry Davis, un cousin photographe de Chuck. On a là quatre-vingt dix pages d’images fan-tas-tiques, celles du Chuck d’avant Chess, déjà prodigieusement photogénique. L’une des images les plus connues est celle d’un Chuck engoncé dans un costard blanc mal taillé et grattant une belle pelle noire. Il sourit comme un ange de miséricorde, la bouche surlignée d’une moustache taillée à la cordelette. On ne trouve pas moins de sept poses de cette image, dont une agenouillée. Ce qui frappe le plus sur ces images magiques, c’est la taille des mains de Chuck. C’est là qu’un parallèle avec Jimi Hendrix s’interpose : les deux hommes avaient énormément de choses en commun, hormis la taille des mains : ils avaient tous les deux du sang indien dans les veines, un appétit sexuel démesuré et l’équipement qui leur permettait de l’assouvir, et le génie qui leur permit à deux époques différentes de façonner le rock à leur image. On tombe aussi dans le Harry Davis Photos book sur des images romantiques de Chuck avec des belles poules noires. En 1948, Chuck n’a que 22 ans et il est aux noirs ce qu’Elvis fut aux blancs à la même époque : une perfection à deux pattes. On tombe à la page suivante sur sa photo de mariage avec Themetta, qui doit elle aussi avoir du sang indien dans les veines, tellement l’aspect sauvage de sa beauté fascine. Harry Davis shoota aussi pas mal d’images dans les clubs de Saint-Louis où se produisait son cousin Chuck. On le voit gratter une Les Paul noire au Cosmopolitan Club en 1954. Et devant lui dansent des couples de blacks. On se dit : Oh les veinards ! Le cousin Harry en profita aussi pour shooter Johnnie Johnson assis devant son piano et le batteur Ebby Hardy fouettant le beat avec ses balais. Ce book fatidique se termine avec quelques images en couleurs. Chuck pose avec sa Gibson crème et tortille un peu les pattes : image après image, il crée sa légende. Ses chansons lui serviront de bande son.

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    L’autre livre donne le vertige, car il résume en images toute l’histoire de Chuck Berry. On a beau se dire qu’on connaît tout ça par cœur, depuis Disco-Revue et tous ces canards qu’on a eu dans les pattes, cette imagerie frénétique impressionne de plus belle. Toutes ces images sont graphiquement parfaites. Quelle que fut l’époque, Chuck Berry s’est toujours débrouillé pour rester un pur rock’n’roll animal. Il a toujours su se donner les moyens de sa légende. Certains personnages ont cette faculté de pouvoir rester conformes à l’image qu’on se fait d’eux. Dylan et Lemmy illustrent eux aussi ce principe de longévité vampirique. D’ailleurs, quand on ouvre ce deuxième volume, on tombe dès la page 4 sur Chuck le vampire ! Il ne prend même pas la peine de dissimuler ses deux crocs. Et le phénomène tourbillonnaire se reproduit : année après année, Chuck pose guitare en main avec la même élégance, le même filiformisme congénital, le visage toujours expressif d’un showman vétéran de toutes les guerres, et puis il multiplie les figures de styles, le duck-walk en costume blanc et le grand écart en pantalon rouge. Photos extraordinaires que celles d’un Chuck en béret au Star Club de Hambourg en 1964, puis les images incroyables de la tournée américaine de 1964 avec les Animals, puis on passe en 1967 avec des images de plus en plus acrobatiques shootées à Manchester, et même quand il commence à se laisser pousser les cheveux en 1972, il incarne le rock’n’roll mieux que quiconque sur cette planète. Il a ce côté gyspsy qu’avait Jimi Hendrix en débarquant à Londres. Souvenez-vous : subjugués par son apparition, les journalistes anglais crurent que Jimi sortait des bois de Bornéo.

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    Tous les fans de Chuck Berry entassent des tonnes de souvenirs de concert. Celui qui fut sans doute le plus spectaculaire fut le fameux concert-émeute de la Fête de l’Huma en 1973. Chuck arriva sur scène en pantalon rouge avec sa Gibson ES355 rouge et quelques heures de retard. La section rythmique d’Osibisa l’accompagnait. Tout se passa bien pendant un cut, puis un barbu en Stetson et lunettes noires débarqua sur scène pour dégager le batteur black et prendre sa place. La rumeur courut aussitôt : c’est Jerry Lee ! Et au lieu d’accompagner son vieux rival nègre, Jerry Lee lança ses baguettes en l’air et ruina brutalement le set de Chuck qui posa sa guitare pour quitter la scène. C’est là que la fête bascula dans le chaos. On vit un ciel noir de projectiles et un gang de bikers chargea la foule en brandissant des armes blanches. Panique générale ! Sauve qui peut les rats ! Les gens se levèrent par vagues. Même pas le temps de ramasser les sacs ! On marchait sur ceux qui n’étaient plus en état de se lever. Quelle rigolade ! On ne remerciera jamais assez Jerry Lee d’avoir créé un si beau chaos.

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    D’autres rendez-vous encore, comme ce concert fantastique de Chuck aux Banlieues Bleues à Saint-Denis et ce poto qui n’en finissait plus de glousser : «Gad’ le saucisson !». Chuck portait un pantalon rouge très moulant et on voyait bien qu’il était monté comme un âne. Un Marseillais dirait que sa bite descendait jusqu’au genou. Mais ce qui frappait le plus, c’était sa carrure. On comprenait mieux comment il avait réussi à sortir indemne des taules des blancs : Chuck Berry est bâti comme un géant. C’est ce que Steve Jones appelle la «structure osseuse», et il insiste beaucoup là-dessus dans Lonely Boy, son recueil de souvenirs.

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    Alors justement, Steve Jones n’arrive pas là par hasard. Chuck et lui ont quelque chose en commun, un goût prononcé pour la délinquance et le sexe. Comment pourrait-on imaginer les Sex Pistols ou Chuck Berry sans sexe et sans une petite pointe de délinquance ? L’ado Chuck et l’ado Steve débutent leurs carrières d’obsédés sexuels très tôt. Ça titille d’autant plus Chuck que son cousin Harry Davis shoote déjà des pin-ups et arrondit ses fins de mois avec des photos porno. Quand Chuck commence à tripoter les petites gonzesses du voisinage, son père l’apprend et lui colle une belle rouste. L’erreur à ne pas faire ! Alors l’ado entre en rébellion et décide de fuguer avec ses copains Lawrence Hutchinson et James Williams. Ils se carapatent tous les trois à bord d’une vieille Oldsmobile. Direction la Californie. Ils font cinquante bornes et s’arrêtent pour casser une croûte dans un patelin nommé Wentzville (là où Chuck installera plus tard son fameux Berry Park). Comme ils sont noirs, le porc blanc du restau leur dit d’aller chercher leur bouffe derrière, à la fenêtre de la cuisine. En 1944, les noirs n’ont pas le droit d’entrer dans les gastos des blancs. C’est là que l’ado Chuck fait la connaissance de Jim Crow, le fantôme ségrégationniste qui plane sur tout le Deep South. Quand ils arrivent à Kansas City, ils n’ont plus un flèche en poche. Alors Chuck sort son calibre 22 et ils braquent des commerçants. Envoie l’oseille, whitey ! En l’espace de cinq jours, ils en braquent trois, dont un coiffeur. Ça tourne au sac d’embrouilles, aussi décident-ils de rentrer à Saint-Louis. Hélas, la vieille Oldsmobile tombe en carafe à mi-chemin, juste à la sortie de Columbia. Ils font signe aux bagnoles qui passent. Un mec s’arrête. Plutôt que de lui demander gentiment son aide, cette crapule de Chuck lui met son calibre 22 sous le nez et lui dit de calter vite fait. Ils repartent en poussant l’Oldsmobile jusqu’à ce qu’un flic suspicieux les voie passer et les poire. Ils se retrouvent tous les trois au Boone County jail et un juge leur en colle pour dix piges dans la barbe. On est dans le Missouri et à cette époque, on mène la vie dure aux nègres qui sortent du droit chemin, aux antisociaux comme Chuck qui chient sur la règle d’or, le fameux ferme-ta-gueule-et-travaille-pour-le-patron-blanc. Chuck va tirer trois piges à Algoa.

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    Quand on le vit arriver sur scène à l’Olympia en 2005, on n’en revenait pas ! Cet homme de quatre-vingt ans déboulait sur scène en rigolant, vêtu d’une chemise bleue pailletée d’or. Et pendant plus d’une heure, il allait aligner la plus belle série de golden hits de tous les temps. En fait, ce qui frappait le plus dans son style, c’était l’économie de moyens. Il jouait une sorte de stripped down rock’n’roll, il ramenait tout à l’essentiel qui était la mélodie chant - Roll over Beetho/ ven/ And tell Tchaikov/ ski/ the news - D’ailleurs, il nous fit ce soir-là le coup de la panne, plus de son dans la guitare, alors il prit la basse pour s’accompagner et continua de chanter son cut comme si de rien n’était. Pour éclairer la lanterne du public, il expliqua qu’il jouait avec un émetteur, et que la pile du relais d’antenne était morte. Puis il éclata de rire : «Avant, on avait des câbles, and it never failed !». Et là-dessus, il embraya directement sur «Carol». Tout ceci pour montrer qu’au fond il n’a jamais eu besoin d’orchestre. Son principal instrument est sa voix. Il n’empêche qu’on se régalait quand même de le voir jouer ses plans de swing sur la Gibson rouge. Personne ne jouait de la guitare avec autant d’élégance. Il pliait les genoux et plaquait tranquillement ses accords dissonants sur son manche. The birth of cool ! Et puis ses textes sont tellement bien écrits qu’ils swinguent naturellement. Ça fait trente ans qu’on entend tous les coqs de basse-cour répéter à qui mieux-mieux que Chuck est le plus grand poète américain. Quelle aberration ! Quand on voit ce vieux pépère hilare sur scène, on comprend qu’il a inventé son rock’n’roll sans le faire exprès. Chez Chuck, la moindre phrase est simplement prétexte à rock. Ce concert de l’Olympia en 2005 fut un exemple parmi tant d’autres. Chuck savait doser ses effets et créer de violentes montées en température. On le vit soudain passer aux choses sérieuses avec «Memphis Tennessee», le fameux Long distance information, l’un des cuts les plus mythiques de l’histoire du rock, et là, à cet instant précis, on sut que Chuck régnait sur la terre comme au ciel. Il jouait des accords si épais qu’ils semblaient charrier des grumeaux de distorse. Il envoyait sa purée avec une sorte de bonhomie du delta. Puis il raconta l’histoire du country boy, un nommé Johnny qui savait jouer de la guitare comme on sonne à la porte. Évidemment, ça a l’air con, dit comme ça, mais le truc est là : il suffit simplement de raconter l’histoire d’un mec qui gratte sa guitare pour créer du mythe.

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    On le vit pour la dernière fois à Paris en 2008 en tête d’affiche au Zénith, après Linda Gail et Jerry Lee. Pas mal pour une vieux pépère de 82 ans. Comme Bobby Bland, il portait une casquette blanche d’officier de marine et son fils beefait le son sur une deuxième guitare. Du coup, le groupe sortait un son fabuleusement heavy, qui déroutait un peu, mais des hits comme «Around & Around» filaient comme des torpilles jusqu’à nos cervelles. Baaam ! On sentit ce soir-là qu’une page d’histoire se tournait. La critique s’empressa de massacrer le concert, histoire de redorer le blason de son incurie. Comment peut-on reprocher à Chuck Berry de jouer quelques plans foireux ?

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    La meilleure approche de Chuck Berry se trouve sans doute dans le film de Taylor Hackford, l’excellent Hail Hail Rock’n’Roll financé par Universal en 1986 pour le soixantième anniversaire de notre héros. C’est un film à deux facettes, et si on veut voir les deux, il faut se procurer l’édition spéciale du film parue en 2006 : le disk 1 propose la version originale du film et le disk 2 les interviews des principaux protagonistes, dont la productrice Stephanie Bennett et Taylor Hackford. Pour eux, ce tournage fut un épouvantable cauchemar, ce que ne montre pas du tout le film. Stephanie Bennett explique que Chuck Berry profitait de la moindre occasion pour renégocier son contrat. Si on ne lui apportait pas le blé en cash dans une enveloppe, il restait chez lui. Chaque fois, Stephanie Bennett lui demandait : «Combien ?». Et il fixait la somme. Quand ça tombait sur un samedi ou un dimanche et que les banques étaient fermées, elle devait se débrouiller pour trouver du cash. En plein tournage, Chuck prenait aussi des engagements pour jouer ailleurs. Si Taylor lui disait que ce n’était pas prévu et qu’une journée de tournage coûtait une fortune, Chuck lui répondait qu’il ne pouvait pas cracher sur un cachet de 25 000 $. Stephanie Bennett affirme que Chuck Berry est obsédé par le blé. Elle explique qu’il y avait deux concerts prévus au Fox Theater pour la fin du film et Chuck refusait de jouer le deuxième qui n’était pas prévu dans le contrat si on ne lui versait pas un complément. «Combien ?». Elle trouva le cash et lui balança l’enveloppe en pleine gueule. Elle n’en pouvait plus. Alors combien au total ? Le premier jour, Chuck empocha 25 000 $ en cash, et au final, elle estime qu’il aurait empoché 800 000 $. Chuck Berry a eu bien raison d’étriller ces blancs qui de toute façon allaient encore se faire du blé sur son dos, comme ils l’ont fait au temps de Leonard Chess et de tous les autres qui ont suivi. Dans une séquence du film, on voit Chuck discuter avec Bo Diddley et Little Richard. Bo explique qu’au temps de Chess, on leur donnait un demi-cent par disque vendu. Chuck rappelle qu’un disque se vendait 49 cents et il demande : où sont passés les 48 autres cents ? Mais dans la poche de ces porcs blancs, bien sûr ! On tente de faire passer Chuck pour un sale mec dans ces interviews et dans la presse, mais les sales mecs, c’est ni Chuck, ni Bo, ni Little Richard. On se fourre le doigt dans l’œil jusqu’au coude ! Les sales mecs sont tous ces gros porcs blancs qui ont bâti des fortunes sur le dos des nègres, exactement comme à l’âge d’or de l’esclavage et des plantations. Oh les belles demeures de caractère ! Et tous ces pauvres nègres qui ont bossé toute leur vie là-dedans pour des nèfles ? Non mais vous rigolez ou quoi ? Chuck Berry un sale mec ? Chuck, c’est Zorro ! Il leur fait cracher tout leur blé, à ces fils de putes. Il a plus de courage que les autres qui n’osaient pas, ceux de Chicago élevés dans la terreur du patron blanc. Dans le film, on voit Chuck entrer au Fox Theater et raconter qu’il y était venu étant gosse pour y voir un film. Comment l’accueillit la gentille caissière ? Dégage, sale nègre ! Bien sûr, Chuck mettra un point d’honneur à revenir jouer en tête d’affiche dans cette salle où on l’a humilié quand il était petit, mais il profite surtout de cette séquence pour rappeler au monde entier qu’on a vendu ses ascendants à quelques blocs d’ici, sur les marches du tribunal. Sold ! répète-t-il d’une voix sourde. Et il ajoute, avec un drôle de sourire en coin : depuis, les choses ont bien changé, n’est-ce pas ? Autre anecdote croustillante : quand il enregistre «Maybelene», le hit qui va le rendre célèbre dans tout le pays, il voit trois noms crédités sur la rondelle du single : Chuck Berry, Russ Freto et Alan Freed. Chuck demande : «Qui est Russ Freto ?» Pas de réponse. Il découvre un peu plus tard que Russ Freto est un employé de Leonard Chess, ‘est-à-dire un homme de paille. Chuck a beau être délinquant, il découvre que les frères Chess sont bien plus balèzes que lui en matière de délinquance. Ils méritaient d’aller faire un stage dans la taule d’Algoa.

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    Alors bien sûr, si on regarde le film, on a l’autre pendant de cette histoire, avec toute la crème de la crème, Keith Richards, Clapton, Robert Cray, c’est à qui va frimer le plus, avec des solos à la mormoille. On voit aussi Jerry Lee rendre hommage à son vieux rival et ses rares apparitions dans le film remontent bien le moral. On revoit aussi avec un bonheur incommensurable la fameuse scène où Chuck fait rejouer trois fois l’intro de «Carol» au vieux Keef. Il dit à Keef : «Si tu veux le faire, il faut le faire bien !». C’est sa façon de régler ses comptes, car les Stones et les Beatles lui ont tout pompé. Chuck Berry n’est jamais devenu aussi énorme que les Beatles et les Stones. On peut comprendre qu’il puise en éprouver une certaine forme de ressentiment. Tiens, encore un coup de charme fatal : il rappelle qu’au temps de sa jeunesse, on n’entendait que des artistes blancs dans les quartiers blancs de Saint-Louis, des gens comme Sinatra ou Pat Booooooone, mais jamais Elmore James, ni Muddy Waters, ni Howlin’ Wolf. Alors il se dit : Pourquoi ne pas écrire de la sweeeeeet music pour entrer chez les white people ? «Alors j’ai écrit «School Days» et ça a marché !» Il faut voir le sourie de Chuck à ce moment-là.

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    L’autre gros avantage du disque de bonus, c’est qu’on y voit Etta James chanter une version démente d’«Hoochie Coochie Gal», le pendant féminin du fameux «Hoochie Coochie Man». Taylor Hackford rappelle que Chuck ne voulait pas d’Etta dans son film mais Keef réussit à l’imposer. À la fin de la chanson, visiblement ému, Chuck vient serrer Etta dans ses bras. Il dit ne pas la connaître, mais elle lui rappelle qu’au temps de ses débuts chez Chess, elle a fait les backings vocals pour lui sur quatre titres, en compagnie d’Harvey Fuqua des Moonglows et de Minnie Ripperton qui était alors réceptionniste chez Chess. L’autre sommet du bonus disk est l’épisode d’Algoa State County Jail, où Chuck séjourna de 18 à 21 ans. Taylor raconte qu’ils sont entrés dans la taule comme dans un moulin, car Chuck y est un héros. Pas besoin de papelards ! Un petit groupe accompagne Chuck et dans ce petit groupe se trouvent des femmes, dont la fameuse Stephanie Bennett. Ça flippe un peu dans le groupe de visiteurs, car ils doivent traverser la cour à pieds et des centaines de taulards arrivent pour les accompagner. Certains commencent même à mettre la main au panier de Stephanie Bennett pour la mettre à l’aise. My crutch ! Ça fait marrer Chuck ! Hilare, il rappelle que les taulards sont privés de pussy pendant looooongtemps. Puis il donne un concert gratuit pour ses copains taulards. GRATUIT ! Eh oui, tout arrive. Quelle rigolade ! Mais on ne voit hélas pas les images, car Chuck les a confisquées. À la suite de cette séquence pour le moins insolite, Taylor Hackford rappelle que Chuck fit trois séjours au ballon : pendant le premier, il apprit la poésie, pendant le second (suite au Mann Act, une vieille loi raciste qui interdit aux nègres de traverser des frontières d’états en compagnie d’une mineure blanche), il termina ses études, et pendant le troisième (poursuivi par le fisc pour non-déclaration de revenus), il obtint un diplôme de compta, histoire de dire : vous ne me baiserez plus. And he could play guitar like a-ringing a bell. Fabuleux personnage.

    Signé : Cazengler, le chuck des mots, le poids des faux taux

     

    Chuck Berry. Disparu le 18 mars 2017

    Rock And Roll Music/ Any Old Way You Choose It. Bear Family 2014

    Taylor Hackford. Hail hail Rock’n’Roll. DVD 2006

    ELECTRIC LANDSCAPES

    HAPPY ACCIDENTS

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    Nathan Mozes : guitare, chant / JC Viron : guitare / Fred Dee : basse / Rascal : batterie.

     

    Nous les avions vus au Supersonic, nous avaient plu et intrigué, voir notre livraison 401 du 10 / 01 / 2019, et les voici qui sortent leur deuxième opus, ce six avril 2019, le premier éponymement intitulé Happy Accidents avait paru en juin 2018.

    Mersea : paysages pour les oreilles et le rêve. Inutile de vous laisser emporter, cela ne dépend plus de vous, dés les premières notes vous êtes propulsé en un autre monde, en des landes familières totalement inconnues. Une seule référence, la vitesse. Alliée à la puissance. Sûr que vous n'êtes plus maître de rien du tout. Vous avez ouvert une porte et le seuil vous a happé. Vous êtes à mercy. Mais vous ne savez pas de quoi au juste. N'y a plus qu'à suivre et à tenter de comprendre cette houle symphonique, dont vous n'êtes qu'un électron prisonnier. Ne cédez pas à la beauté sonore, elle n'a d'autre but que de vous enfermer en une tour d'ivoire qui vous retiendra à jamais. Essayez de comprendre comment le sortilège fonctionne, des ajouts successifs, des chevauchements infinis de vagues qui s'entassent les unes sur les autres, jamais une seconde de répit, une surimpression sonologique irrémédiable, la batterie qui bat et les guitares qui rabattent, tout s'acharne à s'amplifier, des murs s'exhaussent autour de vous, et vous donnent l'impression de vous soulever vers votre destin. The Beast : the beat is the beast. A vous de l'affronter. Le monstre beugle et fonce sur vous à une allure indéfinissable. Tempo de fou, la grande menace se dirige vers vous, les guitares hululent, la folie cogne à votre tête et submerge votre cerveau, vous n'êtes plus que bruissement d'intumescence effractée en vous, le sang gicle de vos tympans et étoile les vitres qui vous isolent du monde, maintenant le monstre paisible virevolte autour de vous, s'éloigne de toute sa grandeur, le pire est arrivé, vous aimez ce funeste accident, la rage incoercible vous habite, vous êtes lui en vous et il martèle de sa queue effarante le peu d'intelligence humaine qui vous restait. L'héautontimorouménos, l'homme qui se châtie lui-même, disait Baudelaire. Spanish mood : changement de mode. Valse espagnole. Ça ne tourne plus rond en vous. Vous êtes la victime d'une farce énorme. D'ailleurs le tournoiement définitif gagne en puissance, vous essayez de vous échapper et la musique descend d'effroyables escaliers, les guitares grincent à la manière des salles de torture, la douleur vous calme, les tourments deviennent votre manière d'être, des cris s'évaporent, la batterie s'accoude sur vous et c'est reparti pour un tour. Cela ne finira donc jamais, quelques coups de marteaux sur vos rotules et sur vos synapses et vous voici cloué dans un grand galop final que plus rien n'arrêtera. Bruit de tire-bouchon final. L'on vient de vous ôter le cerveau comme l'on arrache le bouchon moisi d'un champagne calamiteux. Heavy : plus fort, plus lourd, plus rock, plus heavy, la musique ne fait plus de quartier. C'est l'instant du grand concassage. Du sublime étrillage, une guitare couine et les autres instruments fusillent à vue les fusibles de la déraison, massacre dans les abattoirs, tronçonneuses sanglantes, le rêve devient embouteillage cauchemardesque, il ne sera fait aucun prisonnier, heureusement cela s'arrête brutalement avant qu'il ne vous arrive un accident fatal. Self destruct : tout s'assombrit, le rotor est en marche, ses pales gigantesques déchirent le monde et vous comprenez enfin que c'est vous qui pilotez cet hélicoptère géant de destruction massive, vous êtes à l'intérieur de vous, et ça déchire, vous êtes le scalpel et vous êtes l'intelligence martyrisée, ne vous plaignez pas, la musique s'engouffre dans un gigantesque ricanement, un entonnoir trombique de haines rentrées déferlent sur vous, vous êtes à l'intérieur de vous et vous prenez encore de l'altitude. A croire que l'univers n'a pas de limites. Enemies : de loin, très loin, venue d'ailleurs la menace se précise. La bête n'est pas morte, elle s'est multipliée elle fonce vers vous, les godillots de ses gros bataillons courent sur vos membres à la manière des larves qui grouillent sur les cadavres, c'est le dernier combat, vous n'avez pas le droit de vous laisser submerger par les innommables légions de l'astral, vous vous battez avec la rage du désespoir, furie noire, furie blanche, furie rouge. Fin de partie. Les ennemis gisent à terre. Tout s'écroule. Vide absolu. Alone : quel silence, quelle ironique douceur, vous n'êtes plus que vous-même, vous vous remémorez le film, maintenant vous avez le temps, vous avez déjà la nostalgie de vos paysages électriques intérieurs. Vous préférez les cauchemars à la solitude, chafouinements cordiques, la batterie tire les rideaux rouges de sang séché, vous comprenez qu'il vaut mieux être mal accompagné par soi-même que seul dans la splendeur du monde. Générique de fin, les paysages électriques que vous avez cru visiter sont à votre image. Dans le lointain Maldoror ricane.

    Superbe suite instrumentale. Puissant et original. A écouter sans fin. Electricité poétique.

    ( Disponible sur Bandcamp. Voir aussi FB : Happy Accidents )..

     

    SELF CONTROL

    THE RADIOACTIVE

    ( 2014 / Attila Attack Records )

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    Cinq ans d'âge. Zétaient à la Comedia ce 30 mars 2019 pour la sortie de leur nouveau mini-album A Matter of Time, la teuf-teuf étant en salle de réanimation, suis resté bêtement à Provins... En lot de consolation, j'avais récupéré à la Comedia ce premier EP, oui mais après écoute je n'en ai que plus de regrets.

    Groupe d'origine lycéenne ayant connu changement de noms et de membres, Oscar et Bastien sont aux guitares et au vocal, Arthur Dubois à la basse et Neil à la batterie.

    Self Control : saisi dès les premières notes, le son est bon, la guitare fuzze et l'urgence d'une voix déclenche l'avalanche, une batterie très AC / DC en complément vitaminé et un double comprimé chorique parsème le titre jusqu'à un solo cataleptique, la voix miaule et c'est parti pour l'attaque à la baïonnette. Méchamment bien foutu. Ils en rigolent. Get Stoned : en plus appuyé, un peu à la Titanic, plus près de toi mon dieu, oui mais là on ne se perd pas en patenôtres, ça balance terrible, des ritournelles incessantes de batterie et des échardes de guitares qui s'enfoncent profond, mais le meilleur c'est encore le vocal qui vous emporte au fond de l'enfer et qui se permet de minauder devant les fournaises du diable. Death Song : carrément un bon chanteur, l'a tout compris le gazier, alors z'ont intuité qu'il fallait l'enkister dans un coffre-fort blindé. Fricassées de batterie, émincés de guitares, saupoudrage de chœur, vous m'en direz des nouvelles. Welcome to the Morgue : trois bons titres, la maison ne fait pas de cadeau, vous en refile aussitôt un quatrième pour que vous compreniez qu'ici ce n'est pas de la daube en tube, vocal et guitares furax, la batterie qui vous emballe le tout à coups de pelles. Y a même un loup qui hurle et grogne au milieu de la sarabande. Un truc à vous faire réserver une place à la morgue. Un titre sans concession de cimetière pourtant. Revitaliseur. 8 O' Clock : la voix qui déchire en avant, la guitare qui jumpe et retombe en vous coupant les jambes comme si l'on vous passait à la guillotine par le mauvais bout, se foutent de votre gueule sur le refrain des nanalalère de cours de récréation qui vous monte la température au-dessus de la fonte de la banquise, la guitare vous en pique une colère homérique. Sûr que c'est l'heure fatidique. En tout cas ça vous tombe sur le coin du museau comme un étron de bonheur.

     

    Superbe. Un gros défaut : trop court, manque sept ou huit morceaux, va falloir se mettre en quête de A Matter of Time. Ce ne saurait être qu'une question de temps.

    Damie Chad.

     

    LE VENT SE LEVE

    CHAMBLAS RÊVEIL

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    Chamblas Rêveil : guitare, chant, harmonica / Florent Sepchat : accordéon, orgue, piano / François Collombon : percussions / Océane Halpert : choeurs, piano / Flora Chevalier : violoncelle, choeur / Mathieu Torsat : contrebasse, guitare / Yoann Loustalot : trompette.

    Le CD était vendu, à prix libre, pour aider les personnes blessées par la police ( que tout le monde déteste ) lors des dernières manifestations à Tours, je l'ai pris quoique à mon avis je subodorasse – le fameux flair du rocker - plutôt un album style chanson française, ce qui n'est pas du tout ma tasse de thé adorée. Je l'ai quand même écouté, et ma fois j'ai été agréablement surpris, et puis peut-être que certains kr'tntreaders aimeront à penser qu'il y a un peu trop d'éborgnés en notre pays ces derniers mois.

    Patrick Chamblas, alias Chamblas Rêveil, fait partie de cette génération d'artistes qui s'en viennent chez vous interpréter dans votre salon - dans lequel vous avez réunis amis et voisins - chansons, musique, pièces de théâtre, lectures diverses, une manière différente de rencontrer le public en des lieux intimes. Si vous n'allez pas à l'art, l'art viendra chez vous pour vous rentrer dans le lard !

    Le vent se lève : chanson titre du CD, la plus courte et la moins originale. De larges alexandrins à la prosodie un tantinet relâchée, le genre de licences qui auraient conduit Théodore de Banville au suicide, mais l'est vrai que Chamblas Rêveil a ici plutôt visé la pompe hugolienne que les pirouettes de l'auteur des Odes Funambulesques. L'a toutefois une voix un peu trop fluette à la Angelo Branduardi, faudrait une symphonie vocale, nous offre une strette trop maigrelette. Le violoncelle qui ne bat pas de l'aile sauve le morceau. Rock'n'Flash-Ball : le seul morceau rock'n'roll du disque, un peu trop simili, pas vraiment cuir épais de rhinocérock qui fonce à la manière d'un bulldrockzer. Par contre niveau parole il assure grave méchant, vous lance les mots au flash-ball, l'écorne et l'éborgne les autorités fachisantes. Nous terminerons par ce prockverbe éclatant : ''au royaume des borgnes le CRS est roi''. J'm'en fous : intro très jazz, z'ensuite ça balance gentiment, le thème de la chanson est simpliste, tout va mal, ''il n'y a plus qu'au cimetière qu'on sera pépère'', l'auditeur s'en fout, l'a mieux à faire, depuis un moment l'a son oreille en alerte, c'est quoi, c'est qui, cet olybrius qui joue de la trompette, suit la mélodie sans trop forcer, mais quel toucher, quelle douceur, ce mec est à l'aise, Yoann Loustalot, c'est écrit sur la pochette, pris d'un doute j'ai cherché sur sur le net et j'ai trouvé, c'est bien lui, radio teuf-teuf allumée en route pour un concert et cette émission qui passait des morceaux en forme de... et cet extrait de Pièces en Forme de Flocons, en concert, nom de Zeus, cette frôleur, comme quand vous gratouillez la base des oreilles de votre chaton et qu'il en ronronne de bonheur, une féline béatitude. La lacrymo : retour à notre monde de brutes, soyons justes, le plus brutal c'est le Chamblas, tape dur, lance de véritables grenades de désencerclement, tire tous azimuts, le CRS de base, la hiérarchie cachée derrière les lambris, le populo qui regarde BFM, et une petite dernière pour Renaud qui embrasse les flics. Une écriture et un phrasé à la Maxime Forestier avec les cordes de la guitare qui chuintent, mais l'accordéon de Florent Sepchat se taille la part du lion. J'emmerde le peuple : tous coupables, tous responsables, que personne n'oublie que ce sont les travailleurs qui fabriquent les armes qui vous retombent sur la gueule, une rythmique guillerette, qui se termine en gospel bien balancé. Vous ferez une bise à Océane Halpert et Flora Chevalier, chantent en chœur et enrobent le morceau d'une tendre ironie, elles ne vous emmerdent pas, elles vous tuent direct à petits coups d'épingles empoisonnées. Tout sur rien : une longue comptine sautillante, les filles à la voix suave entrent dans la ronde, c'est mignon tout plein, un peu fleur-bleue contre la violence du monde, une ballade à la Paul Fort, entre nous, c'est ravissant, bien gentil, mais l'on n'y croit guère. Non-lieu : retour au dur constat de la réalité. Vous avez reçu une grenade sur la tempe, c'est la faute à personne, le petit Rémi n'aura pas le temps d'atteindre l'âge ou Parkinson l'aurait aidé à sucrer les fraisses... et tout continue comme avant. Entendez bien ! L'accordéon pleure tout ce qu'il faut. Ta gueule : une belle charge contre les adolescents modernes, ça balance joliment jazz, le père règle ses comptes avec son fiston, une belle occasion pour Yoann Loustalot dont la trompette attise les tisons, et puis le chanteur joue au scorpion, retourne le dard contre lui-même. Tous pareils ! Epoque de faux-semblants. Nous sommes tous des artifices ambulatoires. Songe : la chanson du rien du tout, ni aventurier, ni guerrier, ni amant, ni poète, juste une vaine brassée de songes sur lesquels l'on se bâtit ses propres mythifications auxquelles l'on est le premier à ne pas croire, ni national, ni international, juste ma petitesse, et l'accordéon mène la valse. Brel n'est pas loin. Je bêle avec les moutons : tiens, un harmonica qui traîne comme dans le premier 33 tours d'Antoine et les Problèmes. Titre d'auto-contrition souchonienne. Je ne fais pas mieux que les autres, pas pire, surtout pas meilleur, toutes les excuses sont bonnes pour suivre le troupeau.

    Disque de colère en ses débuts qui tourne à l'auto-dérision. L'une n'exclut pas l'autre. La force de l'ennemi n'est que la résultante de nos faiblesses. Attention, si ce CD était une K7, l'on dirait qu'elle est auto-reverse, que l'auto-dérision n'exclut pas la rage.

    Chanson française de son temps, sous les lacrymos.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 393 : KR'TNT ! 413 : JACKIE SHANE / ALL THE YOUNG DROOGS / SWALLOW MUCUS DIARRHEA / PENDRAK / NASTY FACE / INOPEXIA / NITE HOWLERS / ROCK'N'ROLL 39 - 59 / ROCK'N'ROLL 39 - 59

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 413

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    04 / 04 / 2019

     

    JACKIE SHANE / ALL THE YOUNG DROOGS

    SWALLOW MUCUS DIARRHEA / PENDRAK

    NASTY FACE / INOPEXIA

    NITE HOWLERS / ROCK'N'ROLL 39 – 59

     

    Shane on you

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    Jackie Shane fut en son temps une sorte de pionnier. Ce joli black originaire de Nashville fit carrière durant les sixties dans les clubs de Toronto en chantant comme Wilson Pickett et en trimbalant un look extrêmement décadent, à cheval sur Esquerita et Rrose Sélavy, mêlant le kitsch des downtown clubs à celui développé par Duchamp et Man Ray au temps béni de Dada. Ce personnage fascinant va pousser le bouchon très loin puisqu’il finira par se faire opérer pour devenir une dame. C’est elle qu’on voit sur la pochette du fantastique double album Any Other Way paru en 2017.

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    Un livret grand format de 32 pages accompagne ce double album et Rob Bowman nous y raconte dans le détail l’histoire de ce personnage extravagant. Bowman fait de Jackie Shane one of the greatest unsung soul singers of the 1960s. Eh oui, il suffit d’entendre la version que fait Jackie de «Papa’s Got A Brand New Bag», c’est du pur jus de James Brown, avec des aouh criants de véracité exacerbée. Bowman précise aussi que Jackie n’a jamais fait la pute ou joué les drag queens. Ce n’est pas du tout son style. Il se contentait d’affirmer ouvertement sa sexualité en portant du maquillage, des chemises en soie et des bijoux, à la ville comme à la scène. Avec dignité et self-respect. Pas d’exotisme chez Jackie Shane, juste une féminité assumée. Sur scène, Jackie savait tenir son public en haleine with her radiant eyes, extraordinary vocal abilities, and graceful, subtle stage presence - Ce qui à l’époque était quand même encore très risqué. Comme Bobbie Gentry, Jackie décida à un moment de disparaître de la scène. Son dernier concert eut lieu à Toronto en 1971. Puis plus rien. Silence total. Jusqu’à aujourd’hui, 21 février 2019 : Jackie vient de casser sa pipe en bois, à l’âge ultra-vénérable de 79 ans.

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    Franchement, son histoire vaut le détour. Il grandit aux environs de Nashville et se découvre très vite une passion pour les robes. Jackie dort chaque nuit avec ses grand-parents. À l’adolescence, Jackie comprend clairement qu’il est une femme dans un corps d’homme - I was born a woman in this body - et se pointe au collège maquillé - It would be the most ridiculous thing in the world for me to try to be a male - Pas la peine de faire semblant d’être un mec. On le considère alors comme un freak, mais sa mère lui apporte tout son soutien. Jackie n’a pas besoin d’aller voir un psy, car c’est clair dans sa tête : il ne se voit pas comme quelqu’un d’autre. Aucune ambiguïté. Il se fout de ce que pensent les autres, dès lors qu’il ne fait de mal à personne.

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    Jackie a quinze ans quand il rencontre Little Richard qui vient juste de percer avec «Tutti Frutti». Mais il est plus fasciné par les Upsetters, la backing band de Little Richard, et plus particulièrement par Chuck Connors, le batteur. Il enregistre un single, «I Miss You So» sur Excello et quand sa mère s’installe à Los Angeles, il va lui rendre visite. Elle lui refile un sacré tuyau : le talent show de Johnny Otis, le mec qui a découvert Etta James et Sugar Pie De Santo. Jackie s’inscrit et chante «Lucille» sur scène. Le public en redemande. Il gagne le trophée et retourne jouer de la batterie à Nashville avec ses amis. Il a déjà un style particulier, il joue debout et chante - I get a kick out of it - Entre 1957 et son départ de Nashville en 1958, Jackie enregistre pour Excello et accompagne des gens du calibre de Big Maybelle, Gatemouth Brown, Larry Williams, Little Willie John et Joe Tex. C’est justement Joe Tex qui conseille à Jackie de quitter le Deep South pour aller faire carrière ailleurs. D’autant qu’à l’époque, des gangs de blancs tabassent encore des nègres dans la rue, just for fun. Jackie comprend qu’il doit quitter la région rapidement, et d’autant plus rapidement qu’il se dit openly gay dans un secteur où on frappe les nègres. Sortir dans la rue maquillé, c’est un peu comme de vouloir traverser un fleuve infesté de crocodiles à la nage. Forget it. Alors il monte vers le Nord avec des amis musiciens. Quand il débarque à Montreal, il voit des clubs partout. Incroyable ! Jamais vu autant de clubs ! Il est vite engagé, mais la mafia traîne dans les parages et un parrain commence à le tripoter. Jackie lui dit bas les pattes. Insulté, le parrain lui annonce qu’il va envoyer ses tueurs. Jackie a pas mal d’ennuis avec la mafia locale et finit par comprendre un truc élémentaire : il faut se payer les services d’un protecteur, surtout à Montreal, où tous les clubs sont tenus par la mafia. Puis il rencontre Frank Motley and the Motley Crew. Motley est un black capable de jouer sur deux trompettes en même temps. Shane et Motley deviennent vite des bêtes du circuit des clubs. Ils font un malheur à Boston et reviennent casser la baraque à Montreal, en 1960. Pour la communauté noire de Toronto, Jackie est la star number one. Avec son maquillage et ses costumes en silver mohair, Jackie passe pour a perfect china doll mannequin. On est en 1961, longtemps avant Bowie. Jackie reprend des tas de hits sur scène, dont l’excellent «Any Other Way» de William Bell. Le single paraît sur Sue Records en 1962. Quand William Bell l’entend, il est frappé par la qualité des arrangements. Jackie continue de jouer avec le feu en montant sur scène maquillé et coiffé comme une duchesse. Il n’est pas le seul à risquer sa peau. Bobby Marchan le fait aussi, à une époque où la loi interdit à un homme de se déguiser en femme. Jackie fait gaffe en sortant dans la rue en finit par s’installer à Toronto, jusqu’en 1970.

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    Comme le premier single sur Sue marche bien, le mec de Sue invite Jackie à New York pour enregistrer son deuxième single, «In My Tenement». Mais ça ne marche pas. Jackie déteste ce morceau choisi par le mec de Sue. Il n’aime pas non plus les musiciens qui l’accompagnent. Jackie voulait un real R&B soulful record et non ce genre d’uptown R&B qui aurait pu convenir à Ben E. King ou aux Drifters. On peut entendre ce single sur l’A du double album. Jackie a raison de vociférer, car voilà un «In My Tenement» complètement passe-partout, tapé au grand banditisme avec toute une kyrielle de choristes et de cuivres - A too busy arrangement - Et le «Comin’ Down» de Bobby Darin qui figure sur le B-side du single n’a absolument aucun intérêt.

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    Jackie joue régulièrement en première partie d’Etta James. En 1965, il séjourne à Los Angeles et se produit dans des clubs avec la crème de la crème du gratin Dauphinois, de T-Bone Walker à Johnny Guitar Watson en passant par Etta James. En 1966. Jackie enregistre une superbe version de «You Are My Sunshine». Wow ! C’est monté sur un beau beat popotin et une bassline entreprenante grimpe au devant du mix. Jackie pulse son dernier couplet à la Esquerita. Oui, sent nettement la superstar. Un autre single vaut tout l’or du monde : «Stand Up Straight And Tall». Jackie chauffe sa Soul comme James Brown, mais en plus perçant, et avec une niaque de tous les diables réunis. C’est solidement nappé d’orgue et bien pulsé. Jackie joue aussi de la batterie en studio pour Lowell Fulsom. Eh oui, sur le fameux «Tramp».

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    Sur scène, Jackie n’en finit plus de casser la baraque - It was like going to see our version of James Brown - Les gens l’adorent - He was amazingly hot. Electric. He was always moving. He was playing the crowd. Eye contact all the time - Mais les gens remarquent aussi un sorte de réserve naturelle, Jackie ne fait jamais la folle - She was there for serious business - Bien sûr, les traves viennent voir Jackie sur scène et un mec va même jusqu’à dire : «Jackie was Bowie before Bowie.» Et comme Jackie fait un malheur au Saphire de Toronto, un gros malin lui conseille de faire un album live, en prenant l’exemple du James Brown Live At The Apollo, un disque que Jackie vénère, évidemment. Frank Motley & The Hitchhikers accompagnent Jackie sur ce live fabuleux qui fut enregistré en plusieurs sessions. On en retrouve trois sur ce double album. Il manque le «Hi-Heel Sneakers» qui figure sur l’album paru sur Caravan à l’époque. On est saisi dès «Knock On Wood» par l’extraordinaire présence de Jackie, c’est aussi raw que Wicked Pickett, il knocke son wood avec la même niaque. Puis il explose «Money» au scream. Il peut haranguer la public comme James Brown, à la glotte fêlée. Il tape aussi une belle version du «You’re The One» de Bobby Blue Bland et transforme le «Don’t Play That Song» de Ben E. King en slow super-frotteur. Mais c’est avec le «Papa’s Got A Brand New Bag» de James Brown qu’il fout le souk dans la médina. Il reprend aussi le vieux «Any Other Way» de William Bell et enchaîne avec une version inflammatoire de «You Are My Sunshine». Son plus gros coup d’éclat est dans doute sa version de «Shotgun». Jackie chauffe la Soul de Junior Walker avec une ardeur hors du temps et des modes. Il a quelque chose que les autres n’ont pas. Quel shaker de shook ! Il ne pouvait pas choisir cut plus wild que Shotgun. Il fait son Sam & Dave et son James Brown dans le hot hell de Junior Walker. On avait encore jamais vu ça. Il enchaîne avec un «New Way of Lovin’» explosif, au sens d’Esquerita, un vrai shoot de bamalama, avec une guitare fantôme qui vient hanter le son. C’est absolument dévastateur. Il termine avec un «Cruel Cruel World» tout bêtement spectaculaire. Il pousse son cruel cruel world dans ses retranchements. Jackie Shane est un shouter phénoménal et on s’étonne qu’il soit resté underground. Il balance des monologues extraordinaires dans le courant du show - You know what my slogan is ? Baby do what you want, just know what you’re doing - Et puis en 1970, George Clinton et Funkadelic proposent à Jackie de bosser ensemble, mais non, ça ne l’intéresse pas. Pourquoi ? Ces mecs sont trop wild - I liked what they were doing but it’s not me - Puis Bowman nous apprend que Jackie est allé enregistrer deux cuts à Los Angeles, «It’s Your Thing» des Isleys et «Who’s Making Love» de Johnnie Taylor, mais ces enregistrements n’ont jamais refait surface. Ah comme la vie peut être bizarre, parfois.

    Signé : Cazengler, Jackie Shit

    Jackie Shane. Disparue le 21 février 2019

    Jackie Shane. Any Other Way. Numero Group 2017

     

    All the young Droogs

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    Il suffit d’une photo de Third World War dans Uncut pour mettre tous les services en état d’alerte. So what ? Proto-punk ? On a même une mini-interview de Terry Stamp. Trois questions, pas plus. C’est déjà ça. Quand Jim Wirth lui demande quel effet ça lui fait de se voir considéré comme glam, Stamp répond qu’il ne sait pas ce qu’est le glam, et il ajoute que le traiter de glam, c’est un coup à se faire péter les dents. Pour aider le pauvre Jim Wirth, disons que l’«Hammersmith Guerilla» de Third World War fait le lien avec les Hammersmith Gorillas de Jesse Hector et de là, on rejoint logiquement le glam des Gorillas et le «Live In Style In Maida Vale», mais c’est quand même un peu tiré par les cheveux. Wirth essaie de s’en sortir en affirmant que Third World War était un knuckle-dragger Slade (un Slade cro-magnon) sans le chapeau à miroirs, c’est dire s’il n’a pas compris grand chose : Slade et Third World War n’ont absolument rien de comparable. Et Wirth s’enferre en ajoutant que Terry Stamp et Jim Avery n’étaient pas les ancêtres directs de Sweet ou des New York Dolls, but flawed prototypes, c’est-à-dire des vagues prototypes, et plus loin, il dit exactement le contraire - Third World War were the antithesis of pretty-boy glitter rock - Au risque de se faire péter les dents, Wirth insiste lourdement et demande à Terry Stamp ce qu’il pensait alors de Bolan et de Bowie. Oh Stamp les connaissait parce qu’il les croisait dans le circuit. Stamp avait déjà du métier, il accompagnait Mike Rabin en 1964, et par principe, il souhaitait bonne chance aux débutants. Stamp se souvient aussi que Bowie avait une guitare Hagstrom acoustique, real nice. Il louchait même dessus. Il conclut en disant se moquer des étiquettes et rappelle qu’il se contentait à l’époque de Third World War d’écrire des chansons. Voilà, débrouille-toi avec ça. On trouve aussi dans l’article de Wirth des photos qui font baver : Be-Bop Deluxe, les Milk’n’Cookies et des groupes moins connus comme Angel, Buster et les Brats. Jim Wirth va loin, car il compare le coffret All The Youg Droogs au Nuggets de Lenny Kaye. C’est vrai que le principe est le même : pour monter ce genre de compile, il faut aller fouiner dans les poubelles de l’industrie musicale et y déterrer des nuggets. C’est exactement ce que raconte Tony Barber dans le texte d’introduction du coffret, cette passion de la recherche des singles rares qui le poussait parfois, comme il le rappelle, à se mettre à quatre pattes sous les tables des exposants pour aller fouiner dans les «cartons du dessous» - in the 10p box on the floor under the table - là où stagne le vrac dont personne ne veut, sauf les diggers convaincus de leur digging. Phil King et Tony Barber se mirent dans les années quatre-vingt à écrémer les conventions et les équivalents britanniques des Emmaüs qu’on appelle les charity shops. Alors que les singles punk et psyché étaient recherchés, les singles de sous-glam ne valaient pas un clou et comme le rappelle Tony Barber : «They were only worth 10p because I was maybe the only person interested on the entire planet.» Mais au-delà des clichés glam, ces groupes de sous-glam se voulaient antisociaux, bien avant les Sex Pistols, comme le rappelle Barber, et c’est ça qui l’intéressait. Wirth parle d’antisocial aesthetics.

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    Wirth rappelle aussi le rôle que jouent les Dolls dans cette histoire. Les Milk‘n’Cookies s’en réclamaient et leur bassman Sal Maida avait joué dans Roxy Music et les Sparks. Mais la prod de leur album fut complètement foirée et les Cookies se retrouvèrent en 1974 le cul entre deux chaises, entre le glam et le punk à venir.

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    En titrant son coffret All The Youg Droogs, Phil King adresse un joli clin d’œil aux Dudes de Mott, même si les glamsters agglutinés dans le coffret n’ont rien de vraiment Droogy, au sens où l’entendaient Stanley Kubrick et Anthony Burgess. On trouvera un peu de délinquance juvénile ici et là, mais pas trop. Phil King et Tony Barber n’en sont pas à leur coup d’essai : ils ont déjà à leur actif plusieurs compiles de Junk Shop Glam, un concept de leur invention et qui fait désormais autorité. Dans sa longue note de présentation, Tony Barber commence par dire qu’il haïssait les sixties, Cliff Richard, les Tremoloes et tout ce qui passait à la télé. Les seuls cuts qui trouvaient grâce à ses yeux étaient des trucs comme «River Deep Mountain High» et «Reach Out I’ll Be There». Puis tout prend du sens en 1972 avec Marc Bolan. Arrivent dans la foulée Slade et Sweet. Puis «Can The Can». Et comme il s’ennuie comme un rat mort pendant les années quatre-vingt, il joue de la guitare sur les B-sides de Sweet - I just never stopped liking their stuff - Nous aussi. Il commence à fouiller dans les cartons de singles et pouf, il tombe sur le «Rebel Rule» d’Iron Virgin. C’est là qu’il se met en chasse des glam-souding bands from around 73/74. C’est l’époque où tout le monde refourgue ses disques - There were people everywhere who would sell you 500 singles for a tenner - Tony Barber nous parle d’un temps béni, celui d’avant le web, quand il fallait fouiner pour trouver des disques. Il rencontre Phil King et découvre qu’il partage la même passion. Barber rappelle qu’il utilisait l’expression Junk Shop Glam depuis le début et que Phil King avait lui aussi des expressions comme «Glitter From the Litter Bin» et «Boogie Bands In Blushers».

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    À la fin des années quatre-vingt dix, Barber part s’installer à New York. C’est là qu’il décroche, mais Phil King continue et lance ses compiles chez RPM : le Junk Shop Glam prend son envol. Barber conclut en disant qu’on vit aujourd’hui in a strange kind of post-heritage culture world, un monde étrange où tout est devenu immédiatement accessible. Plus besoin de fournir le moindre effort pour trouver ce qu’on cherche. C’est là, il suffit de cliquer. Il ajoute que ces groupes des années 70 suscitent plus d’intérêt aujourd’hui que les nouveaux groupes, et que ça doit paraître étrange aux yeux des musiciens d’alors de voir leurs singles devenir des pièces de collection qui s’arrachent à prix d’or. Cinquante ans plus tard.

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    Le coffret comprend trois disques/chapitres : 1 - Rock Off, 2 - Tubthumpers & Hellraisers et 3 - Elegance & Decadence. Des trois chapters, les plus impressionnants sont les deux premiers, qui valent pour un vrai panier de glam-crabes. On se demande ce que fout le «Working Class Man» de Third World War là-dedans, mais en même temps, ça reste un plaisir de l’entendre. Alors laisse tomber les bricoleurs de garage du dimanche, c’est Terry Stamp le seul maître à bord. Il chante du fond de son âme de street guy et en plus, il ramène la mythologie de la classe ouvrière qui a hélas disparu avec les pseudo temps modernes. Stamp, seul maître à bord, ever. On tombe aussi sur Iggy et «I Got A Right». Pareil, on se demande vraiment ce qu’il fout là. Hormis le plaisir de l’entendre. C’est un son extrême, noyé dans l’haze of it all. Williamson tape dans le tas et la basse de Ron Asheton traverse l’autoroute sans regarder ni à droite ni à gauche. C’est aux Milk’n’Cookies que revient l’honneur d’amener le premier coup de bambou avec «Wok’n’Roll». Fabuleux stomp, on sent vibrer la racine du glam-punk. C’est monté sur un riff de relance en forme de ressort, imparable, avec toutes les ficelles du big glam boot. Rien qu’avec ces trois merveilles, le matelot est soûlé. Phil King nous ressort du bin les Brats, des Dolls lookalikes. En fait, il s’agit du groupe de Rick Rivets, qui fit partie des Dolls à leurs débuts. Leur «Be A Man» vaut pour un gros coup de glam démento à gogo. Petite révélation avec Glo Marcari et son «Looking For Love». Voilà une petite dévergondée, véritable incarnation du glam nubile délinquant. C’est assez stupéfiant. On aurait presque envie de serrer la main des diggers qui ont réussi à déterrer cette franche merveille. Il faut partir du principe que tous les singles rassemblés dans ce coffret valent le détour, notamment ce «Big Boobs Boogie» de Slowload, très Johnny Rotten dans l’esprit du chant, c’est bardé d’envolées de pyrotechnics et de relents stoogy. Et c’est avec Iron Virgin qu’on tombe de la chaise. Le mec chante à la glotte folle, musical yobs with a camp image, nous dit Phil King, c’est demented, comme dirait le Doctor du même nom ! Dynamique du diable et gros retours de manivelle, ça pulse dans la virulence abdominale du glam virginal. Dans Fancy, on retrouve Nigel Benjamin, le mec de Mott. Leur «Brother John» reste du big sound. Tous ces mecs tentaient leur chance, mais peu passaient la rampe. Nigel Benjamin envoie des ooouh yeah avec une belle abnégation. Phil King nous explique aussi que Benjamin est allé fréquenter Nikki Sixx à Los Angeles, mais il n’a pas réussi à faire partie de Motley Crüe. Autre merveille, le «She’s Not My Fever» de Cole Younger. Pur jus d’English rock star underground. Cole Younger va chercher des chats perchés sur fond de wall of sound. Admirable. Voilà encore un single perdu dans l’océan des singles et tellement inspiré. Il faut avoir écouté ça au moins une fois dans sa vie. Encore du pur glam avec Sweeney Todd et «Roxy Roller». Le glam quand il est bien foutu est un son dont on ne se lasse pas. On a là du heavy glam canadien dans la meilleure des traditions. Ils jouent dans les règles de l’art total. Avec «Get Outa My Ouse», Hustler passe au cockney-glam. Le chanteur s’appelle Mickey Liewellyn et il a la classe d’un Noddy Holder des bas-fonds de l’East End. C’est à l’immense Stevie Wright que revient l’honneur de refermer ce brillant Chapter One. Il fait lui aussi un fantastique numéro de chat perché. Pas de pire shouter que Stevie. Il nous sort un boogie niaqué et sauvage.

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    Le Chapter Deux (Tubthumpers & Hellraisers) grouille aussi de glam et ça part en trombe avec le «My Teenage Queen» d’Harpo. Heavy glam stomp. C’est du glam de Suède, indestructible, comme l’acier de Damas. Encore plus glam, voici «Bye Bye Bad Days» des légendaires Hector. Bovvers stars. Riffing wild et violent, avec un solo à l’étalée. Voilà le genre de cut qui justifie à lui seul l’achat du coffret. On croise pas mal de rock’n’roll à la sauce Bay City Rollers ou même Abba, et ça reste pop-rock glammaire. On revient au glam d’Écosse avec Frenzy et son «Poser» bien posé sur le beat de stomp. Ils truffent leur dinde de petites conneries de comedy act, mais ça passe comme une lettre à la poste. Simon Turner n’accroche pas plus que ça, dommage. On croise plus loin le «Whizz Kid» de Mott The Hoople qui marche à tous les coups, grâce à son ‘Mick Ralph crutch’. Diable, ce qu’on a pu aimer ça à l’époque. Ce genre de cut est une véritable machine à remonter le temps. On voyait se dresser le mythe de Mott dans la misère d’un lycée de province. Retour aux affaires avec Angel et «Little Boy Blue». Ces mecs étaient managés par Andy Scott et Mick Turner. On sent la nette influence de Sweet. Ils se gargarisent de l’exceptionnelle aura sweety à coups de c’mon et de heavy stomp. C’est tout simplement énorme. On tombe à la suite sur le meilleur cut du coffret, l’effarant «Zephyr» de Baby Grande. Il s’agit d’un groupe australien contemporain des early Saints. Fantastique charge sonique ! Ces mecs incarnent le raw power. C’est une explosivité de tous les instants - Well I call you a zephyr - Tout est là, dans cette énergie des guitares, c’est rempli de son à ras-bord, personne ne les aime et ils ne s’aiment pas non plus, mais quelle niaque démente, c’est même bien meilleur que les Saints (pas facile à dire pour un vieil inconditionnel des Saints). Après, ça devient difficile de continuer, car il semble qu’avec Baby Grande la messe soit dite. Il faut attendre le «Cut Loose» de Stud Leather pour renouer avec le frisson. On voit ces mecs foncer au pianotis avant de retomber dans le velours pourpre du glam, avec des jolis breaks de beat stomp. Ils se payent même le luxe d’un final en forme de délire free au sax. Excellent ! On reste dans l’excellence extatique d’un son porté aux nues avec une reprise de «Gimme Gimme Some Lovin’» de Biggles. C’est ultra-saturé d’énergie, unbelievable, il n’existe rien de plus festif que cette merveille. Autre modèle du genre : «Dog Eats Dog» de Mint, une espèce de big boogie glam avec des éclats de Beach Boys Sound. Phil King nous dit que Martin Rushent a produit le «Fast Train» de Tank. Ah comme c’est bon ! C’est même joué à la meilleure heavyness du temps d’avant. Encore une perle avec The One Hit Wonders et «Hey Hey Jump Now». Big shoot de Mike Berry. C’est énorme ! The bubblegum maestro, voilà encore un single bardé de son, de classe et d’énergie. UK Jones referme la marche du Chapter Two avec «Let Me Tell Ya», fabuleux shake de Junk Shop Glam. Le beat tape dans l’œil, paf ! Pur jus de glam stomp, c’est plein comme un œuf de poule.

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    Le Chapter Three (Elegance & Decadence) est nettement moins dense, au sens glam des choses. Le Brett Smiley qui ouvre le bal n’est pas très bon, mais Phil King nous révèle que des inédits de Brett Smiley vont bientôt refaire surface. John Howard ne marche pas non plus : trop pop et pas assez décadent. Trop torturé dans sa texture - Rococo balladry and florid vignettes - Mieux vaut écouter Peter Perrett. Les singles de ce Chapter Three vont plus sur le cabaret, un genre difficile. Il faut attendre Paul St John pour renouer avec le glam à la Bowie. Il joue à coups d’acou dans l’écho du temps et sort un admirable artefact de glam spatial. Woody Woodmansey est présent à deux reprises et se vautre les deux fois. Son «Star Machine» est mauvais. Et quand on écoute Paul Nelson dans Be-Bop Deluxe, on se demande bien comment il a réussi à devenir culte. Il règne une sacrée ambiance dans son «Night Creatures», mais Bowie est passé par là avant lui. Avec des gens comme Steve Elgin, John Henry et Clive Kennedy, on perd complètement le fil du glam et pire encore, le fil des Droogs. On se remonte le moral avec la version acou d’«I Live In Style In Maida Vale», d’Helter Skelter. C’est d’une classe imbattable. Jesse Hector avait tout compris. Greg Robbins chante son «Virginia Creeper» d’une voix de gonzesse et ça tourne à la délinquance juvénile. Le Sleaze de TV Smith est insupportable et le reste ne vaut pas tripette. Restons sur Helter Skelter, Baby Grande, Hector et Iron Virgin, si vous voulez bien.

    Signé : Cazengler, all the old schnock

    All The Young Droogs. RPM 2019

    Jim Wirth : All The Young Droogs. Uncut #262 - March 2019

    Sur l’illusse, on voit Hector.

    MONTREUIL / 28 – 03 – 2019

    LA COMEDIA

    SWALLOW MUCUS DIARRHEA / PENDRAK

    NASTY FACE / INOPEXIA

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    Viens jeudi, m'avait-on recommandé, il y aura du grind à moudre. Du gros grind gras grave, en toutes choses j'adore les extrêmes, vous pensez bien qu'en rock aussi, j'accours, je vole, je supersonique la teuf-teuf, les dieux du tonnerre et de l'ouragan me sont favorables, au moins quinze places de parking libres.

    SWALLOW MUCUS DIARRHEA

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    Deux qui nous tournent le dos. Basse et micro. Le set ne durera pas plus de vingt minutes, peut-être dix, mais très choc et pas chic du tout. L'on est soulagé lorsque ça s'arrête. Ce n'est pas que ce soit mauvais, c'est que lorsque l'horreur surgit, vous n'avez qu'une idée, qu'elle cesse au plus vite. Une guitare en furie qui n'arrête jamais, imaginez un bourdon colérique de cent mètres de long qui fonce sur vous à quatre cents kilomètres heures, ses ailes déracinent les arbres au passage et engendre une espèce de raz-de marée sonore destiné à vous rayer de la terre, le bourdonnement inexpiable retentit sans interruption comme les sirènes de l'apocalypse. Bruit et fureur. Un screamer fou, growle dans le micro et l'éloigne aussitôt de sa bouche, cette glissade rapide opérant à chaque fois une espèce de sifflement de locomotive en furie. Une catastrophe sonique. Le pire c'est que vous n'avez encore rien vu.

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    Vous avez eu le son. Voici les images projetées sur un drap blanc. Insupportables. Si vous avez encore quelques illusions sur la nature humaine, sautez ce paragraphe. Commence par une leçon de dissection dans un amphithéâtre de médecine. Hélas, l'on ne s'y attarde pas, très vite les vues insoutenables se bousculent, scènes de massacre et de boucherie, le plus terrible c'est que vos yeux s'y posent et y restent collés comme des mouches sur les cadavres, insupportables vidéos d'exécutions perpétrées par Daesh et consorts, têtes décapitées, gros plan sur les visages pendant la découpe in vivo, corps ouverts au coutelas, nourrissons criblés de balles, enfants abattus en direct live, éclaboussures de sangs, sadisme des bourreaux, soubresauts des corps, yeux énucléés, spectateurs empressés dont les portables au plus près, n'en perdent pas une, automutilations diverses, charniers des camps d'extermination nazis, immeubles soufflés par des rafales de missiles, ventres d'avions lâchant des chapelets de bombes, pendaisons, démembrements, éviscérations, j'en passe et des pires, portraits d'hommes politiques qui ont commandé ces horreurs...

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    Avalez la merde humaine par les yeux, Swallow Mucus Diarrhea, produit l'excrémentielle cacophonie de notre époque. Directement entée sur notre monde. Inutile de vous voiler la face, si vous abaissez les paupières, l'horreur rentre par vos tympans. Terminez les douces ballades à l'eau de rose, SMD exhale la puanteur de nos âmes. Qu'elles se déroulent au bout du monde, loin de nos contrées policées, n'est pas une excuse, nous portons en nos fibres la même sauvagerie, elle fermente en nous, l'être humain a su créer un monde à l'image de sa propre saloperie. Là où il y a de l'être, il y a de la merde disait Artaud.

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    La prestation de Swallow Mucus Diarrhea dit crument tout ce nous nous cachons tout bas. Les images expliquent la violence de la musique que la réalité a engendrée. Sans doute sont-elles plus insoutenables que le gore noise qui les accompagne, mais peut-être pouvons-nous les regarder en face justement parce que le direct live sonore nous y conduit, à la manière d'un instituteur qui de sa baguette attire et focalise l'attention de ses élèves sur les particularités exemplaires d'une règle d'orthographe écrite sur le tableau. A moins que ce ne soit la prégnance de la réalité cannibale du monde qui se nourrit de la chair de la musique censée l'exprimer. Ce qui est sûr c'est que l'on ne sort pas indemne d'une telle prestation.

    PENDRAK

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    Pendrak, de Paris, ont choisi de passer après leurs potes de Rennes. Tâche difficile. Vont tout de suite remettre les pendules à l'heure musicale. Mallarmé affirmait que c'était une hérésie redondante que de mettre ses poèmes en musique. Pendrak va nous démontrer que la musique se suffit à elle-même. Certes, c'est plus rassurant de se confronter à une formation classique : guitare-basse-batterie. Au moins l'on est en pays connu, et normalement rien de bien terrible devrait nous arriver. Avec en prime peut-être un bon concert. Qui nous a été offert.

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    Vous pondent des œufs de fer toutes les deux minutes. Faut suivre et aiguiser tous ses sens. Un ensemble parfait. Vous ne passeriez pas l'épaisseur d'un cheveu dans leur cohérence sonique. Pas la plus miminement mince des fissures, pas la moindre lézarde. Pour un peu vous passeriez à côté de leur dextérité instrumentale. Tout va trop vite, vous aimeriez qu'ils rejouent le même morceau, et vous seriez prêt à jouer l'imbécile de service en leur demandant de jouer plus lentement. Trop tard, z'en ont déjà aligné trois de plus, et vous n'avez pas intérêt à prendre le train en marche pour comprendre ce qui se passe.

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    Ce n'est plus du rock, c'est une démonstration. Sont incrustés à mort dans la philosophie du grind crust death. La violence du monde ils vous la jettent à la figure sans avoir besoin de vous faire un dessin. Vous pigez cinq sur cinq. Une guitare ravageuse, une basse grondante et une batterie destructrice. Les physiciens nous assurent que si vous abolissez le vide qui sépare les particules des atomes, l'univers entier contiendrait dans un dé à coudre. Doivent s'inspirer de cette idée. L'ont transposée en musique. Vous font du bonzaï rock. Vous réduisent les baobabs en brins d'herbe et les éléphants en puces. Un metalleux classique vous en ferait un monstre de trois cents tonnes de ferrailles, Pendrak vous cisèle une pacotille de trois grammes, aux bords aussi coupants qu'un rasoir, un bijou d'une densité extraordinaire, la même force d'impact dévastatrice, et ils vous le lancent sur la figue à la vitesse d'une étoile de ninja intergalactique. Deux voix, l'une qui grunte et l'autre qui growle, une dissonance ponctuante qui vous assène des uppercuts sans rappel. No Brain No Pain, Le Cimetière de l'Intelligence, si vous vous reconnaissez dans ces intitulés, désolé pour vous, Pendrak ne mâche pas de mots, rugit fortement.

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    Déjà fini, quittent la scène sans chichi, laisse la place aux copains. Grosse impression.

    NASTY FACE

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    Trio grind. Hard core grind. Viennent de Suisse. Leur musique n'a pas l'accent traînant de leur congénère. N'ont pas de temps à perdre. Un morceau qui dépasse deux minutes n'existe pas. Z'ont comprimé le temps. Violent et rapide. Vont nous interpréter une espèce de symphonie échevelée. Toujours le même scénario, batteur blasteur fou qui vous entreprend sa caisse claire comme quand vous filez une fessée cul-nu à votre gamin de trois ans qui a mis le feu à votre appartement, ça lui fait mal, certes, ça saigne, mais vous ça vous soulage, sur ce la guitare et la basse embrayent à croire qu'ils étaient en retard, un ours féroce rugit dans le micro, émergent de ce chaos deux coups de cymbale, arrêt-catastrophe, tout le monde descend, et illico presto subito expresso gonzo, tout de suite votre marmot se reprend une déculottée monstrueuse à lui trouer l'anus.

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    Nasty Face fonctionne comme ces émissions spermatiques de cachalots qui ensemencent leurs chéries à trente mètres de distance d'un jet de foutre qui tape net en cœur de cible. Sont des partisans de l'énergie brute. Tout et tout de suite. Un rythme inimaginable, une puissance incoercible. A ce genre d'exercice personne ne peut tenir longtemps, aussi se hâtent-ils de recommencer aussitôt. Coup de charley et c'est reparti en style commando troupe de choc. Ne respirez pas, vous aurez le temps de le faire une fois que vous serez morts. La batterie vous fracasse les synapses, la guitare vous étrille les oreilles, la basse vous interdit de penser. Et toujours cet ours polaire qui vous déchire la banquise orale à coups de museau.

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    Dans le public, l'on a lâché les fous furieux, les bras levés, les poings serrés en avant, un rictus sauvage sur leur faces refermées sur elles-mêmes, avançant à l'aveuglette dans un cauchemar qui n'appartient qu'à eux, les garçons arpentent la pièce comme des zombies enragés que leurs maîtres ne contrôlent plus.

    Le set n'a pas duré longtemps. Vous en ressortez sonné et commotionné, choqué et azimuté, heureusement il n'est pas prévu de cellule de soutien psychologique pour vous aider à rejoindre le monde ennuyeux de la normalité moutonnière. Les Nasty Faces vous ont laissé tomber du plus haut de leurs alpages, et vous avez adoré. L'on en reparlera longtemps dans les chaumières. Et peut-être êtes-vous de ces glorieux témoins survivants qui pourront dire j'y étais.

    INOPEXIA

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    Viennent de très loin. De Russie. Il se dit que dans les pays de l'Est le rock est particulièrement violent. Une rumeur, dont nous avons eu la chance de vérifier la véracité. D'apparence pas de changement, encore un trio, un gore grind trio. Vous commencez à connaître la musique. Des morceaux ultra-courts et ultra-violents. Mais vous le savez, même dans l'enfer le diable se cache dans les détails. Z'ont une première particularité, mais totalement anodine. Jouent face au public mais sur le petit côté de la scène ce qui leur permet d'avoir un plus grande profondeur de champ. Idéal pour les amateurs de pogo-grind qui ne s'en priveront pas.

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    Z'en ont une seconde. Qui change tout. Z'ont un guitariste. Comme les autres. Oui mais celui-là il sait jouer. Certes il fait comme les précédents, mais en pire, décharge un maximum d'agressivité à chaque morceau, le truc de base des sports de combat, ne jamais se crisper, laisser circuler l'énergie, ne retenez rien, que votre corps ne soit pas blindé comme une armure, mais fontaine jaillissante de flux énergétique comme me l'enseignait mon maître Pham Cong Thien. Mais lui, il garde toujours un œil ouvert sur le riff à la forge, et un autre sur le suivant déjà prêt sur le feu. Inopexia nous sert sa spécialité un grind à l'arrache-gueule rock'n'roll. Ses doigts chavirent sur les cordes comme un navire dans le naufrage.

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    On ne les voit pas, ni le bassiste ni son instrument, totalement masqués par le guitariste-chanteur, mais on entend leurs couinements tortillés de glapissement jouissifs et étranglés de chasse au renard. Dispensent des remontrances aigües de souffrance animale prise au piège. La batterie roule et écrase, elle moud la poudre noire de la démence. Ecrase tout sur son passage, un peu à la manière des premières pages de Chatouny roman de Loury Vitalievitch Mamleev, le chatouny métaphore de ces ours qui n'arrivent point à s'endormir et à hiverner, deviennent fous de fureur, comme si la bête se muait en berserker humain devant l'inconfort du monde.

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    Inopexia pulvérise. La Comedia est envahie d'espèces de morts-vivants qui s'entrecroisent et se tamponnent lourdement, entrée dans l'infra-monde. Notre sang se coagule. Nous ne saurons jamais pour quelle mutation, car Inopexion termine son set, nous laissant sur notre faim, devant une porte d'ombre, qui grince et grinde, et ne sera pas ouverte. Nous en cauchemarderons toute la nuit.

    Damie Chad.

    ( Photos : FB : MANU GAUTIER )

     

    TROYES - 29 / 03 / 2019

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    THE NITE HOWLERS

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    La teuf-teuf file sur la route rectiligne. Tout droit vers Troyes. Je médite. Déjà vu les Nite Howlers en octobre 2017. Grand écart entre la soirée d'hier et celle de tout à l'heure. En moins de vingt-quatre heures je vais passer du rock le plus extrême, le plus brutalement déchaîné, à du rockab quasi classique, une violence beaucoup plus maîtrisée, beaucoup plus sourde. Deux genres musicaux différents – souvent les fans des uns n'aiment pas la peluche préférée des autres, moi je pense que c'est idem, dans le rock, l'éros ou la poésie, faut boire à toutes les coupes – pourtant ces deux styles ne sont pas sans analogie, exigent une très grande maîtrise instrumentale et un engagement total. Similaires aussi par l'impact qu'ils produisent.

    NITE HOWLERS

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    Un nom d'assassins coureurs de bois dans les nuits profondes que démentent leurs sourires épanouis. Rien qu'à les regarder alors qu'ils n'ont pas émis une note vous pigez qu'il ne s'agit pas d'une gentille colonie de perdreaux de l'année, des faucons aguerris aux instincts meurtriers, ne bouffent que du rockabilly, encore sont-ils difficiles, ne dépiautent que du premier choix, fin fifties et earlier sixties, moins de brassées de foin campagnard qui fleurent bon les fragrances agrestes, préfèrent les bâtons d'orages des sorciers indiens chargés d'électricités crépitantes. Pas encore le rock urbain, inventons la notion de genre rockabilly suburbain.

    Impossible d'être tranquille et de dormir sur ses deux oreilles, Pedro Pena est aux drums, Jules Moonshiner à la Fender, Max, Mr Bass, à la up-right bass et Olivier Laporte à la rythmique et au micro. Quatuor de choc et de rêve. Terrible dilemme, vous ne savez ni qui regarder, ni qui écouter. C'est que l'ensemble frise la perfection, z'avez l'impression qu'ils sont dans un studio et qu'un ingé génial aux consoles a concocté un son d'une pureté incroyable. Non c'est du live, et il est indéniable qu'ils adorent jouer sans filet.

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    Jules est vraisemblablement le César de la guitare, j'ai voulu savoir comment il l'avait trafiquée, parce que vous savez la lead dans le rockab, c'est un orchestre symphonique à elle toute seule, change au moins trente fois de registres en un seul morceau, un peintre qui aurait mille couleurs sur sa palette, la sienne est carrément multi-fonctions, d'un instant à l'autre elle adopte l'onctuosité grondante d'une basse, le trot caracolant d'une rythmique et le grand galop pour les charges héroïque en tête du peloton. Non, n'a rien ajouté ni retranché, et son petit ampli rouge est une reproduction moderne de 2006. Ce mec a des doigts d'or. Ce qui ne suffit pas. Possède aussi la finesse d'esprit nécessaire et l'intelligence innée du jeu qui permet de prévoir et d'assumer toute les inflexions typiques du rockab. Musique instinctive et savante.

    Moustache et barbiche, l'élégance et la classe indépassable, big mama couleur chêne clair, Max maximise son apparence. Deux pour le prix d'un. Le beat d'acier doux et élastique flegmatique, suit le rythme s'y colle dessus comme la toux sur le tuberculeux, comme le venin sur les crocs du crotale, ne le quitte plus, ne s'en détache plus, les trois autres ostrogoths peuvent essayer de s'agiter et de s'en débarrasser, lui l'est là, imperturbable comme l'œil consciencieux de Dieu dans la tombe de Caïn. Mais ce n'est pas tout. Musicien, yes, mais aussi comédien. Un interprète hors-pair. Joue avec ses doigts et avec son corps. Tous les morceaux il vous les interprète, la bouche silencieuse mais les paroles sur les lèvres, l'est le fan de base dans sa chambre qui imite ses idoles, l'a la chair qui hoquette, le torse qui se plie en sourdine, les jambes stables qui flageolent, il n'interprète pas du rockabilly, il est l'incarnation de la fièvre intérieure du rockabilly qui saisit tous les amateurs.

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    Derrière Pedro sourit. Tient dans sa main gauche une baguette à la manière d'un japonais qui picore dans un bol de riz. Vous refile l'impression qu'il n'aurait besoin que de cet unique ustensile, qu'il a rassemblé un kit minimaliste devant lui juste pour ne pas se faire remarquer outre mesure. Par contre la mesure, il vous l'assure à la diabolique. Se saisit d'un balai à la manière d'un gosse qui sort un jouet de son coffre, vous pose presque pour faire joli un tambourin sur sa charley, sourit une fois, sourit deux fois, sourit trois fois, le gars qui ne fait pas de bile, il jubile, oui mais avec lui, le rythme crépite et palpite. L'est au centième de seconde près, les camarades se tournent vers lui, pas de problème, leur sourit comme un coucou suisse qui vient juste de rentrer dans sa niche. L'a une pointeuse dans la tête, pas du genre à faire une seconde supplémentaire.

    L'est salement suivi à la trace Olivier par ses trois body-guards. L'entourent et l'escortent, lui rendent les honneurs dû à la Reine d'Angleterre. Z'ont intérêt à être méticuleusement précis. Vous donne le change, vous balance des giclées de rythmique, que les trois autres vous encadrent aussi soigneusement que les archéologues déplient des manuscrits mésopotamiens, oui mais ça c'est pour l'esbroufe, pour rendre joyeux les oufs, car le chant rockabilly est une mécanique infernale. Une voltige angélique, du grand art lyrique, une seule erreur et vous êtes mort, couvert de ridicule, le renoncement de la renoncule, la honte de l'ergastule, la cloque molle de la pustule. Un iota directionnel d'un dixième de degré et votre satellite se perd dans l'espace. L'on ne chante pas le rockab comme l'on écrase les œufs du poulailler avec les sabots de la fermière.

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    Charlie Feathers, Carl Perkins, Benny Joy, Ronnie Dawson, amusez-vous à y taper dedans, la fougue et le tourment, la foudre et la démence, les Nite Howlers vous dressent de ces barrages de flammes à embraser la planète, et le vocal d'Olivier se glisse dans ces rideaux de feu avec une facilité déconcertante, certains marchent sur l'eau plate et les autres préfèrent les champs de serpents. A chacun son ordalie. Les Nite nous dynamitent trois sets incandescents. Trop beaux, trop bons, trop tout. Sont pris eux-mêmes à leur propre piège. Après le rappel ne peuvent pas se quitter, prennent trop de plaisir à jouer ensemble, le temps perdu ne se rattrape jamais, alors ils s'accrochent à notre rêve et nous offrent encore trois salves phénoménales, et l'on sent qu'ils stoppent les amplis avec regret, même s'ils ont tout donné.

    Le bar plein à croquer, les amateurs qui se pressent et qui rockent à la manière de barils de poudre enflammés, Béatrice la patronne a encore craqué une allumette magique.

    Damie Chad.

    ( Photos : FB : BEATRICE BERLOT )

     

    THE NITE HOWLERS

    ( SLEAZY rECORDS / SR 161 )

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    Tout frais. Erreur lamentable. Too hot, comme on aime. Sorti depuis dix jours. Une espèce de brasero qui foutra le feu à votre appartement. Donc vous avez intérêt à vous le procurer si vous désirez du changement dans votre vie.

    L'a de la chance Olivier Laporte, l'est allé aux States, mais contrairement à beaucoup d'autres, lui n'a pas perdu son temps à visiter l'Empire State Building, il a été reçu par Charlie Feathers – vous en avez rêvé, il l'a réalisé - et plam se sont offerts tous les deux dans le salon un petit set, just for fun. Un truc qui vous marque pour la vie. Alors pour leur deuxième single les Nite Howlers, en hommage à ce prestigieux pionnier, ont repris deux de ses titres.

    She's gone : fut un grand moment du show des 3 B. Jules s'y est notamment engagé sur la passerelle sans planches d'un solo apocalyptique au-dessus de l'abîme, suivi sans peur ni reproche par ses trois compères... Ça file et gronde comme un rapide dans la nuit, la voix en même temps lointaine et très présente, la big mama qui profile le rythme, Pedro qui bouture par derrière et la guitare qui balance son fiel, plongée dans le tunnel orchestral plus noir que le désespoir, Jules qui éclabousse, et le vocal qui se place dans le poste de conduite, maintenant tout le monde repart pour un voyage au bout de la nuit du rock'n'roll. Infinitude de la solitude. Today and tomorrow : Olivier enfonce les racines et déploie le feuillage du chant, l'instrumentation batifole à l'ombre de cette arborescence primordiale. La voix nasille, se prolonge et trainasse sur les syllabes, laisse à peine à la guitare le temps de jeter une pincée de sel ardent, et la ronde reprend, l'on aimerait qu'elle ne s'arrête jamais, mais en ce bas monde tout a une fin, même un disque des Nite Howlers.

     

    Une petite merveille, les howls hululent sans modération, aux consoles Rawand Baziany des Black Shack Recordings se révèle être un véritable producteur digne de ce nom. Un bijou à ne pas offrir à sa copine, à garder pour soi.

    Damie Chad.

     

    ROCK'N'ROLL 39 – 59

    Catalogue de l'Exposition Cartier

    22 / 0628 / 10 / 2007

    ( Editions Xavier Barral / 2007 )

     

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    Un paquebot, l'épaisseur de la bêtise humaine, la lourdeur de sa lâcheté, des feuilles qui pourraient servir de gilets pare-balle, un monument. La moindre des choses pour le rock'n'roll. Z'auraient dû tripler le volume du monstre. Peu de textes et énormément de d'illustrations. Affiches de concerts, pochettes de disques, photos d'artistes ou d'anonymes symboliques de l'époque. A feuilleter, à scruter, à admirer. Pour les amateurs, pas de découvertes iconographiques bouleversantes, ces documents circulent depuis très longtemps sur internet.

    Second avertissement, il s'agit bien du rock'n'roll in America et point du tout en France, si ce n'est la page de Line Renaud qui raconte la soirée passée à Paris avec Elvis, en permission, jouant durant quatre heures sur la Selmer qui avait servi à Django Reinhart, apprenant ce détail le King ému en embrasse la caisse...

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    Elvis se taille la part du lion, sur quatre cents pages, cent-vingt-cinq consacrées à Elvis. Certes on y rencontre aussi Sam Phillips, et Dewey Phillips tous deux responsables de la carrière du Pelvis. Dewey pour avoir été le premier à passer la première cire du futur roi dans son émission radio. Un véritable rocker avant la lettre, une espèce d'exalté qui a tout compris. Son émission Red, Hot and Blue, draine la jeunesse autour du poste, programme tout ce qui est un tantinet borderline et nouveau, disques de nègres et de visages pâles, ne fait pas la différence, et peut-être plus que ses musiques, c'est sa logorrhée verbale déjantée qui attire les jeunes, Dewey indique des horizons nouveaux, excitant – l'en abuse un peu trop - et excité, bénéficiera de la fulgurance Presley de 1956, en 1957 on lui propose une émission TV, qui sera vite arrêtée. Une broutille selon les critères d'aujourd'hui, un attentat à la pudeur inadmissible pour l'époque, un ami déguisé en singe qui se frotte sur une effigie en carton de Jayne Mansfield, un initiateur, l'a mis en évidence et en pratique la formule magique ou maudite : sex, drugs and rock'nroll. Ne vivra pas vieux, meurt en 1968, un destin qui n'est point sans point commun avec celui d'Alan Freed dont l'émission radio et les shows aidèrent à imposer le nom de rock'n'roll pour cette nouvelle musique...

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    Sam Phillips ne retirera jamais son amitié à Dewey. L'est animé par une philosophie de vie qu'il s'est forgée au contact d'un domestique noir et de sa sœur sourde et muette, n'hésite pas à abandonner, au grand dam de ses collègues qui ne comprennent pas, une situation stable dans la meilleure banque de la ville pour enregistrer des noirs, et vraisemblablement leur serrer les mains, pouah ! La suite de l'aventure est connue, nous l'avons souvent racontée... A ceux qui nombreux lui ont demandé le nom de l'artiste qu'il aura été le plus fier d'avoir enregistré, sa réponse n'a jamais varié : pas Elvis Presley, mais Howlin' Wolf.

    L'on a parlé du miracle Sun, l'on a glosé à l'infini pour savoir si le jeune camionneur de Memphis serait devenu Elvis si Sam Phillips n'avait pas été là pour accoucher et révéler à lui-même ce jeune homme timide et mal dans sa peau... Ne serait-ce pas une fausse question, si Elvis avait raté son rendez-vous avec la gloire, quelque part in the great America un jeune blanc aurait fini par trouver la formule idéale... Chacun est unique, nul n'est irremplaçable, il n'y a pas de destin, ni de hasard, simplement des circonstances.

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    Le rock était inéluctable. L'était-là depuis un bon moment, tapait à la porte et demandait à entrer. L'exposition préparée par Dominique Perrin et Greg Gellec essaie de retracer sa gestation. Remonte jusqu'en 1939, mais le véritable début se place en 1945. Les conséquences de la guerre furent multiples. Les soldats noirs revenus de la guerre n'acceptent plus dans leur tête la ségrégation, les mentalités ont changé, ils ont donné leur sang au même titre que les blancs... Cette prise de conscience sera le germe des combats pour les droits civiques. Mais au lendemain de la guerre le problème se pose d'une manière bien plus prosaïque que les idées philosophiques sur l'égalité des races. Beaucoup de musiciens noirs sont morts, d'autres relativement plus chanceux sont retenus en divers points de la planète en tant que troupes d'occupation... lorsque les big bands essaient de se reformer afin de reprendre le boulot, trop souvent la moitié des effectifs fait défaut... Le malheur de ces grands orchestres de danse issus du jazz feront le bonheur des petits combos de rhythm'n'blues. La solution est vite trouvée, puisque l'on a du mal à recruter quinze gus, on en prendra la moitié sept ou huit, mais pas plus, à charge pour eux de faire du bruit pour quinze. Suffit de souffler plus fort, de taper plus fort, de chanter plus fort. Et de jouer plus vite. Les noirs ont trouvé le rock'n'roll, mais avant l'heure ce n'est pas l'heure. Rock around the clock !

    Et puis les choses ne sont pas si simples. Le rhythm'n'blues lui-même n'est pas né ex-nihilo, sort du gospel, vient du jazz qui provient du blues, qui provient des musiques africaines, puis des chants des champs de coton, et aussi des influences des musiques européennes apportées par les blancs, un véritable mic-mac, une foire d'empoigne, ce chaudron de sorcières ne donne pas un mélange homogène, les possibilités sont multiples, un peu moins de ceci, une pincée supplémentaire de cet ingrédient-là, et le goût du potage change du tout au tout.

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    Les pages 44-45 vous replongeront en enfance, ces labyrinthes dont il faut suivre les multiples entrées pour trouver la sortie. Vous connaissez la ruse de sioux, suffit de remonter la piste en entrant par la sortie et au bout du chemin, vous tombez pile sur la bonne entrée. Ben là, vous avez sept entrées : Early jazz, Early Vocal groups, Early boogie-woogie, Early gospel, Early blues ( traditional Blues + country blues ), Early country. Jusque-là tout va bien. Inutile de chercher à tricher, n'y a pas d'exit, tout au plus des lignes courbes qui se croisent, ainsi de la station Carnegie Hall vous accédez vingt ans plus tard à Jerry Lee Lewis, vous souhaite du courage, le plus terrible c'est que c'est assez bien intuité, l'arbre généalogique du rock'n'roll ressemble aux gracieuses courbes des jets d'eau dans les parcs municipaux, ça monte et ça retombe, une gare de triage, interconnexion universelle, partez d'un point quelconque, vous arrivez partout, le rock'n'roll est une portée de sacrés bâtards issus de pères différents. Je préfère ne porter aucun jugement moral sur les entremises maternelles. Prostitution à tous les étages. Copulations intenses. Partouze généralisée.

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    Question subsidiaire : pourquoi 1959 ? Et pas 1960, avec la mort d'Eddie Cochran qui eût été un point d'orgue parfait. Ben à cause de nous. Oui kr'tntreaders de la péninsule, c'est de votre faute. Certes avec la mort de Buddy Holy, la crise mystique de Little Richard, le scandale Jerry Lou, le service militaire d'Elvis, la troupe avait fondu comme neige au soleil. Non vous n'y êtes pour rien, mais le rock'n'roll traverse la mer et prend pied par chez nous, en Europe. Certes il n'est pas mort, Beatles, Rolling Stones vont le regonfler à bloc, mais ce n'est plus le rock des origines, l'a muté, s'est métamorphosé, même s'il n'a pas écrit ''L'Europe m'a tuer'' sur les murs, ce ne sera plus jamais pareil...

    Cette réponse de Greg Gellec possède le mérite de faire du rock'n'roll un produit typiquement américain, mais aussi le désavantage de le réduire à ses racines et même de le définir selon l'histoire de styles musicaux qui ont bien concouru à sa formation mais qui n'étaient pas du rock ! Je veux bien admettre que les groupes teenagers noirs soient une étape du rock'n'roll, mais il me semble que le bouquin laisse un peu trop de côté les sentiers country qui mènent aussi au rockabilly. En cela le livre relève bien de cette auto-contrition politiquement correcte des petits blancs qui se sentent tributaires des traitements que leurs ancêtres quasi immédiats ont infligé aux noirs. Des restes d'auto-culpabilisation christologiques inconscients. Le livre me semble faire la part un peu trop belle aux têtes d'affiches du hit-parade, des gros vendeurs, du succès grand-public... Récapitulatif des comptes mais oubli de l'esprit. Le rock'n'roll brandi en tant que hache de paix, mais enterré en tant que hache de guerre. Entre la réalité et le mythe, je choisis le mythe car il me rapproche de mes Dieux.

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    De beaux passages dans ce livre, la différence établie par Robert Palmer entre les chants plaintifs et consolateurs des negro-spirituals soutenus par un harmonium et le style rocking and reeling des années trente d'un gospel beaucoup plus âpre qui remonte aux hollers et aux ring shoots des temps primordiaux de l'esclavage, l'évocation à plusieurs reprises de Rufus Thomas, de Dave Bartholemew, les portraits de Sam et Dewey par Peter Guralnick, l'a aussi consacré une belle page à Rufus Thomas, et je m'aperçois que c'est encore lui qui nous retrace l'émouvante amitié de Doc Pomus, géant blanc débonnaire et d'Otis Blackwell gringalet noir rachitique, Greil Marcus se charge de nous révéler à sa façon sept chef-d'œuvres rock, célèbres ou inconnus.

    A regarder comme un rêve évanoui.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 392 : KR'TNT ! 412 : THE JONES / ZEROS / UPROARS / ROCKABILLY GENERATION /FICTIONABOUTABOUTFICTION / TENDRESSE DECHIRANTE / LES FLAGORNEURS / HEAR ME NOW

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 412

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    28 / 03 / 2019

     

    THE JONES / ZEROS

    UPROARS / ROCKABILLY GENERATION

    FICTIONABOUTFICTION / TENDRESSE DECHIRANTE

    LES FLAGORNEURS / HEAR ME NOW

     

    Brillants Jones

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    Mine de rien, les Jones cookent bien leur cake. Ils proposent un set à base de rock classique et de belles reprises. Ils veillent à rester dans un registre traditionnel, celui qui marche à tous les coups.

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    C’est un groupe à deux guitares, et pas des moindres. À droite se tient Grégoire Cat qui fut pendant 17 ans le lead guitar de Tav Falco. Pour l’avoir vu à l’œuvre plusieurs fois, la partie est comme qui dirait gagnée d’avance. Présence, style et son, il a tout ce qu’il faut en magasin. On le sait, Tav Falco ne s’entoure pas de n’importe qui.

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    Les Jones s’appuient sur une section rythmique qu’on qualifierait de powerhouse en Angleterre. Les drives de basse qui traversent les fins de morceaux donnent systématiquement le frisson et le mec qui bat le beurre n’est pas né de la dernière pluie, oh no no. Il s’apparente même à la caste seigneuriale des batteurs chanteurs, car on le voit prendre le lead au chant à plusieurs reprises. Avec lui, c’est shoot et beat à tous les étages en montant chez Kate.

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    Les mighty Jones proposent un rock extrêmement bien foutu, jamais m’as-tu-vu, joué avec un souci constant de l’impact. Les reprises sonnent comme les plus révérencieux des hommages, il faut voir avec quelle niaque ils tapent dans le «Betty Jean» de Chickah Chuck. Rien n’est plus difficile que de proposer un classique de Chickah Chuck aujourd’hui, car on les a sans doute trop entendus au temps des Stones. Eh bien figurez-vous que les Jones redorent le blason du vieux Chuck avec une élégance sonique qui en bouche un coin. Ils revitalisent le son et donnent des ailes aux vieux accords rock’n’roll. Vu qu’énergie et swing sont au rendez-vous, ils tapent en plein dans le mille, car l’énergie et le swing étaient comme chacun sait les deux mamelles du Handsome Brown-Eyed Crazy Legs. Autre belle cover de choc, le «Looking For A Fox» de Clarence Carter, qui fait partie des intouchables. Aucun rocker normalement constitué n’oserait toucher à Clarence Carter. Eux, ils osent. C’est extrêmement gonflé. Live, la cover passe beaucoup plus facilement le Cap de Bonne Espérance que la version entendue sur le Dig It Radio Slow, qui paraissait un peu maigrichonne. Ils réussissent même à la percuter de plein fouet et bien sûr, le bassman se régale car c’est autant un cut de basse que de chant. Dommage qu’on ait pas le ha ha ha ha du vieux Clarence, mais bon, on ne peut pas tout avoir. Rien n’est plus beau ici bas qu’un hommage bien tempéré. Ce clin d’œil à Clarence Carter vaut par son éclat celui qu’adressa il y a de cela quelques années Darrell Bath à Ronnie Lane, avec «Debris», en cette même cave.

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    Les Jones font aussi sauter la sainte-barbe avec le «Dirty Water» des Standells. Facile diront les mal baisées, mais il faut savoir le jouer. On n’avait pas entendu une version aussi délicieusement explosive depuis celle des Playboys, qui date de l’époque de leur album Bootleg. Les Jones aiment tellement les bons disques qu’ils parviennent à enfiler les covers comme des perles, et pour un peu ils s’en iraient briller au firmament. Leur Dirty Water sonne singulièrement les cloches, ding gong à la volée, c’est gratté, battu, bassmastiqué à la régalade. Les Jones sont le groupe idéal pour l’amateur de belles covers. Mais attention, ce n’est pas fini. Ils tapent dans un autre genre d’intapable, avec le «Slow Death» (écrit Slow Deapth sur la setlist) des Groovies. Encore une fois, c’est servi sur un plateau d’argent, ils bourrent leur dinde de son, c’est salement inspiré, bien amené aux deux guitares, Grégoire Cat et Thierry Jones shakent leur shook comme des vétérans de toutes les guerres, on voit bien qu’ils vénèrent les Groovies, car ils s’installent très exactement dans le cœur vivant du mythe, avec toute la powerhouse qu’on peut imaginer. Les Jones sont le groupe qu’il faut souhaiter à tous de voir jouer. Ils passaient ce soir-là en première partie d’un groupe australien qui allait avoir toutes les peines du monde à s’imposer. Pour l’occasion, on va inventer un vieux proverbe : Si tu veux monter sur scène après les Jones, c’est à tes risques et périls.

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    Pour les malchanceux qui n’ont pas encore pu voir les Jones sur scène, il reste les albums. Il en existe deux qui sont très différents l’un de l’autre.

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    Le premier paru en 2015 s’appelle First Shot et semble dominé par la présence de Laurent Ciron. Il compose un gros tas de cuts et les chante. On sent le métier et le son paraît parfois très américain, comme par exemple le heavy rock du «Carry On» d’ouverture de bal. Mais au fil de l’eau, on voit Gérald, le batteur, voler le show, et de quelle manière ! Il chante «Wait» à la harangue et ça sonne comme du Chikah Chuck. C’est d’autant plus excellent qu’on entend des basslines rampantes traverser le cut ici et là. Ce prince du heavy beat chante à l’exaltée et il ne fait pas semblant. C’est aussi lui qui chante «Blue Jean Talk». Il fait la différence, car il chante avec une niaque de batteur. Il suffit de prendre l’exemple de Dick Dodd pour comprendre ce que signifie la notion de batteur/chanteur. C’est une énergie du rythme et de la frappe, quelque chose d’exhilarating, comme dirait un Anglais. Timbre de star. Fantastique shouter. Il ose même taper dans le «Sea Cruise» de Frankie Ford, encore un hit qui relève de l’intapable, mais Gérald le prend à sa main, il est dessus dans l’esprit, rule it baby ! Il roule ses r admirablement. Il est vraiment gonflé d’aller taper là-dedans ! Et il faut le voir écorner ses syllabes. On croise d’autres bons cuts sur l’album, mais l’exaltation y brille par son absence. «There’s A Crisis» vaut pour un joli coup de sawmpy booty d’accent forcé, et «Bee String And Bankruptcy» vaut pour un joli coup de Stonesy. Dommage que Gérald ne chante pas tout. Et quand on écoute «I Want Your Lips» (que chante le bassman), on croit entendre Wilko Johnson jouer de la guitare.

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    Changement de personnel pour Silver Faces, le deuxième album. Grégoire Cat remplace Laurent Ciron et Fred Moulin prend le chant (mais ce n’est pas lui qu’on a vu à Rouen). L’album est excellent. Dans Dig It, Jacques en a déjà fait une belle chronique. Mais il faut en rajouter une couche et le crier sur tous les toits : these guys just do it right ! C’est sur Silver Faces qu’on trouve la reprise du vieux hit de Clarence Carter. Dans l’étrange attaque, on entend la basse mordre la viande, crunch, et ça part aussitôt. Ils jouent ça sec et sans couverture. Ils se contentent des accords parapluie. Fred Moulin shake son Fox avec abnégation, pas facile d’aller rôder sur les terres d’une géant comme Clarence Carter, mais ils cherchent l’âme de la Soul ou la Soul de l’âme c’est comme tu préfères, et le gimmick sonne merveilleusement juste à l’oreille. Ils se mettent dessus au very maximum de leurs possibilités et ça les honore. Les accords de Gloria flottent dans la Soul aux vermicelles, ils ne lâcheraient la rampe pour rien au monde. Petit conseil, écoute ça au casque, tu verras le gimmick venir se nicher dans l’oreille. C’est éminent et bon. On retrouve aussi sur l’album le «Betty Jean» avec lequel ils font des miracles sur scène. Si on aime bien le vieux boogie, alors on se régale de «Look The Part» : c’est ultra joué, avec une bassline qui danse le bal des vampires, poussée dans le dos par un drumbeat des enfers. Voilà ce qu’on appelle une section rythmique de choc. Ils tapent «Sid Vicious» sur les accords de T. Rex - C’mon baby it’s a drag - Assez heavy et belle ambiance. Ces mecs ont beaucoup de chance, car ils s’appuient sur un batteur demented are go à gogo, c’est du moins ce qu’on entend dans «No One To Blame» ou «Morning Ghost». On retrouve encore des accents de Feelgood dans «Come Back To Me Baby» et dans «True Love». Ils jouent ça au big beat de Wilko chords. Ça dégouline d’énergie. Les deux zouaves télescopent leurs solos sous le pont de l’Alma et roulent leur fabuleux swagger dans la farine. Et côté beat, rien de plus sévère, Gérald claque son beurre à la claquemure, c’est le roi des relances à la Feelgood. Il porte littéralement le son. Et puis voilà la cerise sur le gâteau : l’excellent «Shake». On croit qu’il s’agit d’une reprise, mais non, c’est un de leurs cuts. Le beat enfonce les clous à coups redoublés, on peut même parler de beau beat de cour martiale lubrifié aux huiles de power Soul. La huitième merveille du monde. Un cut pareil devrait exploser au nez et à la barbe du monde. C’est battu à la vie à la mort. Ce fantastique drummer porte le Shake à la force du poignet, comme s’il voulait sauver l’humanité. Ça n’a l’air de rien, mais ce genre de pilonnage fait toute la différence. On n’imaginerait pas un Vanilla Fudge sans Carmine Appice, ou l’Electric Flag sans Buddy Miles.

    Signé : Cazengler, the jaune

    Jones. Le Trois Pièces. Rouen (76). 14 mars 2019

    Jones. First Shot. Mortel Records 2015

    Jones. Silver Faces. Mortel Records 2018

     

    Love Minus Zeros

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    Mais non, ces Zeros ne sortent pas d’un hit de Bob Dylan mais plus prosaïquement de Californie. Au crépuscule des années 70, Javier Escovedo et ses copains Robert, Hector et Baba ne songeaient qu’à une seule chose : ruer dans les brancards. Ces fringants chicanos de San Diego rongèrent leur frein jusqu’au moment où leur vint l’idée de monter les Zeros pour devenir l’un des groupes de rock les plus passionnants et les plus flamboyants de la scène californienne. Les Zeros ont avec les Nomads un fort joli point commun : le goût des belles reprises. Leurs clins d’yeux aux Dolls et aux Ramones comptent parmi les plus fameux.

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    Côté discographie, on ne va pas se ruiner. Il n’existe pas d’album à proprement parler, uniquement trois ou quatre compilations de singles, à commencer par l’explosif Knockin’ Me Dead paru en 1994. Rien qu’à les voir tous les quatre sur la pochette, on comprend qu’ils admirent les Standells. Ils font effectivement une somptueuse reprise du «Sometimes Good Guys Don’t Wear White» des mighty Standells. Tout le son est là, sauf la morgue de Dick Dodd. Javier et ses amis jouent ce classique avec une belle flavor mexicana insistante et bourrent la dinde de coups d’harmo. Ils font aussi trois cuts vraiment dignes des Dolls : «Wanna Go», «Looking For Some Fun» et «Don’t Wanna». Le premier tire plus vers les Ramones, avec sa belle énergie dévergondée, disons que le boogie oscille entre les Dolls et les Ramones, mais le solo va droit sur Johnny Thunders. Par contre, «Looking For Some Fun» sonne comme un hit des Dolls, c’est exactement la même énergie, ainsi que «Don’t Wanna», véritable boogie plein de vie aux veines gonflées et rehaussé de deux superbes descentes de solo. Avec «I Don’t Know», ils sont encore plus royalistes que les Dolls. Quel fabuleux swagger ! Les Zeros savent ravager une contrée, no problemo. Ils ouvrent le bal avec un «Baby’s Gotta Have Her Way» enroulé au riff séditieux et tapé sec. On ne peut pas dire que Javier ait une voix convaincue d’avance, mais il s’impose à la force du poignet. Ils passent à la power pop avec le morceau titre et Robert Lopez prend le chant sur «Beat Your Heart Out», une espèce de cavalcade ramonesque. C’est gorgé de son et même imbattable. Que de son, my son ! Ils sont vifs comme l’éclair au chocolat. Ils amènent «She’s So Wild» à la bravado des Ramones. On entend même des clameurs dignes du CBGB. Ils adorent pulser leur Ramonic. C’est franchement dedicated. Hector prend le chant sur «Left To Right», il est encore plus Ramonic que le roi, il chante à la petite morgue de punkster anglais. Quand Robert prend le lead pour chanter «Shannon Said», il le fait avec une violence insupportable, comme s’il plantait ses crocs dans la gorge de la jouvence. C’est battu sec et monté comme un chef-d’œuvre d’explosivité, comme d’ailleurs l’ensemble de cet album.

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    Après une longue absence, ils refont surface sur scène à Paris, dans la cave du Klub. Les Zeros ont si bonne réputation que le concert affiche complet. Malheur aux imprévoyants ! Volume idéal pour un groupe dense comme les Zeros. Rien sur Robert, comme dirait Fabrice Luchini, alors les voilà en trio, Hector et Javier jouent à un mètre du public, soutenus par l’explosif Baba Chenelle.

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    Et quand on dit explosif, on est encore loin du compte. Baba volerait presque le show. C’est d’autant plus flagrant que Javier Escovedo joue à l’économie sur sa Gibson jaune. C’est un guitariste de l’école thunderienne, il n’en fait pas trop mais quand il intervient, il entre en osmose avec son vieux cosmos et les dévots des Dolls s’enivrent, car il sort un son qui dégouline de cette véracité qu’on dit verte. Javier et Hector se partagent les cuts au chant. Pas chacun son tour, mais presque.

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    En tant que bassiste chanteur, Hector Penalosa tient admirablement son rang, il est très physique, plein de cette bonne niaque chicano et chante comme Lemmy, avec un micro très haut penché vers le bas. Ah il faut voir ces trois mecs tenir leur set et faire trembler les colonnes du temple. Ils dépotent mécaniquement tous leurs vieux coucous, ils prennent au débotté un «Sometimes Good Guys Don’t Wear White» qui fait palpiter les murailles de la cave et tapent dans du «Don’t Wanna» et du «Handgrenade Heart» avec édifiant mélange d’aisance et de mal dégrossi. Pas de meilleure façon de rendre hommage à Johnny Thunders qui maniait à la perfection ce mélange d’élégance et de foutraque.

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    Ce qui frappe le plus chez les Zeros, c’est l’absence totale de prétention. Pas la moindre trace de frime, on dirait presque qu’ils jouent pour des copains. Ils créent en tous les cas une ambiance cordiale et électrique à la fois, ils n’en finissent pas de rajouter des cuts tirés de singles qu’on ne connaît même pas, mais on finit par s’en foutre, vous en voulez encore, alors en voilà, et ils vont même remonter sur scène pour balancer en rappel un big old «Chatterbox», histoire d’aller couler un porte-avion à Pearl Harbour.

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    Si on a raté leur set, on peut se consoler en réécoutant l’excellent Right Now paru sur Bomp en 1999. Toutes les grosses reprises des Sonics, des Dolls et des Seeds s’y trouvent. Version musclée de «Strychnine». Javier y va va va voom ! Cette belle cavalcade coule de la source des dieux, c’est sûr. Tiens, voilà «Chatterbox», qui n’est pas loin de sonner comme l’hommage définitif. Ils sont dans le cœur de l’essence des Dolls, ils nappent le son comme le fait si bien Johnny Thunders, c’est édifiant. Mais ils battent tous les records avec une version rentre-dedans de «Pushing Too Hard». C’est le cut de l’uppercut, la violence de la mouvance, c’est l’œuf du serpent qui explose à la barbe de Dieu. Terrific ! Si terrific que ça pulse dans les artères, ça fibrille l’orthodoxie du son, ça bat la chamade à plate couture. Oh, ils n’ont pas que ça à proposer, le morceau titre d’ouverture vaut pour un solide slab de big garage punk zeroïde emmené au combat rock, pas celui des Clash, rassurez-vous. Ils enchaînent avec un «Sneakin’ Out» qui assoit bien la viabilité des choses, ils s’y montrent plus pernicieux dans l’exercice du power, mais quand parlent les rasades alors les coyotes hurlent dans les collines. Pire encore, voilà «Do The Swim» ! C’est à tomber de sa chaise tellement ça swimme la carcasse de la rascasse, baby do the swim ! On a même un solo lance-flamme qui nous crame le buisson ardent, les fantômes dansent dans la fumée, c’est une fabuleuse interjection de la médication méthodique. À partir de là, les Zeros s’installent dans l’inflammatoire, «Handgrenade Heart» n’échappe pas au chaos, leur truc vaut bien un Damned joué au riffing rampant, celui des ténèbres, maléfique et humide, âcre et peu avenant, l’un des pires. Que de son dans leur romp ! Ils passent au boogie down zeroïde avec «Hurry Hurry Hurry» et le chaloupent à coups de yeah c’mon. Javier entre dans le gras du lard avec une classe imprescriptible. Oh c’est off ! Ces mecs sont complets : son, attitude, ambition, chicanerie, conduite, ils sont tout simplement spectaculaires. Ils noient leur «Talkin’» de nappes si bénéfiques qu’on s’en repaît comme de soudards, le son est plein à craquer de guitares intégrales et de nappes saturnales. Leur power pop reste un modèle du genre et «You Me Us» est là pour le prouver. Ils la jouent à l’énergie conflictuelle avec des renvois de power dignes des dieux de la Californie, c’est-à-dire les Byrds, mais avec la petite niaque chicano des Zeros, une niaque très spéciale qui fait leur grandeur.

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    On retrouve pas mal d’oiseaux bien connus sur une autre compile Bomp, Don’t Push Me Around (Rare And Unreleased Classics From 77). Le petit beat de Baba emmène bien le morceau titre et le cut qui sort vraiment du lot est encore ce «Beat Your Heart Out» produit par Greg Shaw, un admirable hit de power pop joué avec toute l’énergie du désespoir de l’infortune. Un départ en solo enflamme littéralement cette merveille vrombissante. Les Zeros sont dessus, no doubt. Encore de la power pop de rêve avec «Rico Amour». Les chicanos cherchaient leur voie et la trouvaient autant que les Nerves. «Main Street Brat» reste très Dollsy dans l’essence, bien soutenu aux tic-tac de Baba. «Wild Weekend» vaut pour du punk angelino, brouillon et embarqué vite fait. Ces mecs vont vite en besogne, ça fait plaisir à voir. Il faut aussi les entendre se battre au finish sur «Cosmetic Couple», à coups de rasades de brouet, et c’est vraiment chargé de dégoulinade maximaliste. La compile s’achève avec une séquence live, ce qui permet de mesurer leur niveau énergétique. Le pauvre Javier peine à s’imposer dans la tempête sonique de «Shannon Said». Par contre «Talkin’» sonne le glas du groupe, car c’est du grand n’importe quoi. Voit-on l’intérêt d’un tel mayhem ? Non évidemment. Ils sonnent comme une grosse éponge punk mal fichue et gorgée de jus qui pue. Ils font par contre une version très stoogienne d’«Out Of Place» avec un brio incendiaire qui les honore.

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    Tant qu’on y est, on peut aussi rejeter un œil sur le Live In Madrid édité sur DVD par Munster en 2009. Non seulement on voit les Zeros dans le feu de l’action avec sensiblement la même set-list qu’à Paris, mais on trouve aussi dans les bonus une interview passionnante de Phast Phreddie qui fut un temps leur manager et qui regrette d’avoir surnommé le groupe the Mexican Ramones, ce qui est effectivement très réducteur. Il aurait plutôt dû les surnommer the Mexican Heartbreakers. Phast Phreddie rappelle qu’en 1977, les Zeros était un groupe admirable, qui savait jouer et qui avait des chansons, ce qui était loin d’être le cas des Germs, par exemple. Mais il plaide coupable de ne pas leur avoir consacré assez de temps, no proper album, no proper tour. Dans les bonus, on voit aussi les Zeros sur scène en 1977, il jouent dans une grande salle de Los Angeles à la même affiche que Kim Fowley. On les voit aussi dans une émission de télé en noir en blanc jouer «Don’t Push Me Around» et «Wimp». C’est vrai qu’à l’époque ils avaient déjà une sacrée classe. L’autre force du DVD, c’est le texte de présentation signé Lindsay Hutton. Il rend un fier hommage aux Zeros - Here’s hoping these guys never lose their ability to beat, beat, beat their hearts out ! - Et il ajoute, exalté : «Power on to Zero hour. Over and out.» Et quand on les voit sur scène trente ans après leurs débuts, force est de constater qu’ils n’ont pas trop changé. Javier fait son «Pipeline» et le futur El Vez Robert Lopez s’applique sur sa Gretsch. Ils enfilent ensuite tous leurs hits comme des perles. Ils n’ont que ça, tous ces vieux coucous des années soixante-dix. Robert Lopez prend le chant sur «Jenny Says» et c’est vrai que «Cosmetic People» va plus sur les Heartbreakers. Comme Hector n’est pas là, Steve Rodriguez des Dragons le remplace à la basse. Phast Phreddie nous rappelle que Mario Escovedo, le petit frère de Javier et d’Alejandro, jouait dans les Dragons, un groupe qui eut un moment le vent en poupe. C’est vrai qu’un hit comme «Beat Your Heart Out» ne fait pas de cadeaux. Ils tapent aussi dans l’excellent «Little Latin Lupe Lu» repris par les Righteous Brothers et adressent les clins d’yeux rituels aux Standells et aux Dolls.

    Signé : Cazengler, un vrai zéro

    Zeros. Le Klub. Paris 1er. 28 février 2010

    Zeros. Knockin’ Me Dead. Rockville 1994

    Zeros. Right Now. Bomp 1999

    Zeros. Don’t Push Me Around (Rare And Unreleased Classics From 77). Bomp 1991

    Zeros. Live In Madrid. DVD Munster Records 2009

     

    *

    En route pour les quarantièmes rugissants. Non, chers kr'tntreaders n'ayez pas peur, piqué par le démon de l'aventure je n'ai pas loué un pédalo pour affronter en solitaire les hautes vagues du Pacifique. J'ai mieux à faire. Suis à mon habitude assis au volant de la teuf-teuf mobile, je brûle férocement les feux rouges, je renverse fébrilement sans remord les passants sur les passages cloutés, j'arrache rageusement les radars au passage d'un coup d'aile meurtrier, non ce n'est pas que je sois en colère, point du tout, mon esprit est empreint d'une paisible sérénité, je suis pressé, c'est que le bonheur se profile au bout de l'horizon, sur la bonne ville de TROYES, en ce soir du 22 / 03 / 2019 , Béatrice Berlot, la patronne, ouvre la nouvelle saison de ses démentielles soirées rockabilly au 3 B, avec un groupe venu spécialement de Birmingham, en Angleterre comme chacun sait, THE UPROARS.

     

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    Pour une fois les autorités n'ont pas lésiné, ont compris que l'on ne plaisante pas avec les rockers, z'ont bossé tout l'hiver pour remettre à neuf la rue Turenne, le 3 B bénéficie désormais d'une vaste terrasse de pavés rose, la superclasse. Pas fous les Uproars s'y sont prélassés toute l'après-midi au soleil. Mais le soir tombe, le bar s'est rempli d'un seul coup, toute la vieille garde des habitués à laquelle se mêlent de nouvelles têtes attirées par la réputation de ces célèbres soirées sauvagement reptiliennes. Nous n'attendons plus que les Uproars.

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    THE UPROARS

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    J'ai failli en pleurer d'émotion. Trop longtemps que je n'avais entendu la sonorité d'une Gretsch effleurée par la main experte d'un rockabillyman. Celle de Billy Jenkinson est blanche comme une robe de mariée, la big mama d'Alex Richardson noire comme un costume de croque-mort, au fond les fûts argentés de Tom Mayo forment un parfait trait-d'union, une synthèse dialectique miraculeuse. Faudrait commencer par parler d'eux, mais non, à peine la palpitation musicale du combo s'est-elle propulsée que Nick Richardson s'introduit dans ce triangle équilatéral, tape des mains, fonce sur les spectateurs, stoppe son élan les bras levés à la manière des bandilleros qui s'apprêtent à mordre de leurs fers acérés le dos du taureau, se précipite sur le micro le brandit telle une hampe de lance, puis le dirige vers vous à la manière des sarisses des phalanges macédoniennes, c'est parti pour Baby Please Don't Go, plante son vocal dans le morceau tel le cobra dans sa proie, et la fête commence.

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    Alex slappe et pulse. Pas pour rien que ses phalanges et la revers de sa main soient bandés, frappe méthodique, un cœur indompté de cachalot échoué sur la plage qui ne veut pas mourir, inébranlable, quel que soit le rythme il vous le saisit et ne le lâche plus, l'obstination du gars qui a décidé de vider la mer avec une petite cuillère et qui s'attelle à sa tâche sans envisager un seul instant que celle-ci relève de l'impossible, puisqu'il est en train de l'accomplir. Infatigable et méthodique. Une tape sèche mais parfaitement élastique. La balle qui rebondit et l'on ne voit pas pourquoi elle faiblirait et s'arrêterait un jour. Alex vous donne une idée – et une pratique – du frappement éternel. Tout le contraire de Billy.

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    Un guitariste dangereux. Parce qu'il ne joue pas comme les autres. Se sert de ses six cordes, mais aussi d'autre chose. Le silence. Impalpable, vous passe un riff, vous refile une séquence, et vos tympans résonnent de mille fragrances, et alors que vous attendez la suite, que vous la supputez riche et onctueuse, plus rien. Pas pour très longtemps, deux dixièmes de secondes, pas plus, mais absolues, au début vous êtes surpris, vous pensez que c'est une erreur, mais son visage n'est agité d'aucune émotion, et vous comprenez que c'est ainsi, qu'il a construit son jeu sur ces nano-temporalités silencieuses, et l'évidence vous saute aux oreilles, c'est que si les résonances gretschiennes sont si belles c'est qu'elles se détachent d'autant plus voluptueusement que sur ces contours de vide sonore elles prennent un relief inusité. Le plus terrible c'est qu'il arrive à produire les mêmes effets sur les brisures d'un Something Else ou l'accélération folle d'un Lonesome Train.

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    Idem pour Tom sur ses toms. Encore un qui ne fait pas les choses comme les autres. Son temps fort à lui, c'est là où les autres s'arrêtent. Je parle de ses trois camarades et de tous les autres batteurs. Sa spécialité, c'est la fin des morceaux. Un moment de choix pour les drummers, en profitent pour déployer le grand orchestre, les effets kitch et carton-pâte. Plus ils en rajoutent, mieux cela produira de l'effet, pensent-ils. Tom, non. Ce n'est pas qu'il donne dans la simplicité. Poum, j'arrête et je vais me coucher. Lui, l'est pour l'arrêt brutal et définitif. Ce qui ne veut pas dire qu'il bâcle le travail. Oh que non ! Vous croyez que c'est fini, terminé, mort et enterré. Qu'il a tout dit et que personne ne pourrait imaginer une suite à la fin de l'histoire. C'est à ce moment, alors que vous pensez que l'affaire est close, qu'il ponctue. Le mec qui vous refroidit un macchabée mort depuis huit jours. Se prend quinze secondes, rien que pour lui, pour vous montrer comment on termine un travail. Le coup de buvard qui sèche l'encre et puis le paraphe terminal, la marque indélébile du génie. Une frappe d'une dureté incroyable. L'en cassera même une baguette en deux, d'un seul coup. Ne frappe pas fort, il tape dense. Arrêt brutal et total. Monde aboli.

    Ce n'est pas tout. L'a encore une autre spécialité. Outre le fait qu'il joue en chaussettes ! En règle générale les batteurs rockabilly ne se servent point trop des cymbales. Lui il les adore. Peut-être même qu'il envisagera un jour de liquider ses caisses chez le broc du coin - d'ailleurs pour la grosse caisse l'a déjà détaché la membrane extérieure - pour ne plus s'occuper que de ses opercules métalliques. L'en raffole, vous change l'aspect du moindre classique par les sonorités avec lesquelles il vous le dézingue, vous le bronze, vous le trempe d'acier, vous l'airainise et le pérennise. Un parfait duo avec Billy, des spécialistes de la clinquance, que je vous défends de confondre avec le clinquant, sont des ciseleurs, des joaillers qui n'utilisent que des métaux rares, des orfèvres qui inventent des alliages inédits. N'allez pas chercher plus loin les raisons du Rock'n'Roll de Led Zeppelin dans le troisième set.

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    Avec de tels musicos derrière lui, Nick peut être tranquille, ne risque rien, n'a plus rien à faire. Alors comme il est là pour pousser la goualante et entonner la canzione, il ne s'en prive point, vous pond une ogive nucléaire à chaque titre. Rester derrière un micro, l'en est incapable, faut qu'il en maltraite le pied - rien que pour prendre son pied – d'ailleurs pour les deux derniers sets, se contentera de la tête du cromi toute seule ce qui lui permet de bouger. Une voix très très légèrement grasseyante ce qui lui confère une étonnante flexibilité, la dote d'une plasticité étonnante et la met hors d'atteinte de toute fatigue. Au trente-sixième titre, elle sera aussi fraîche qu'au premier. Un répertoire en même temps très pionnier du rock et très moderniste, de Carl Perkins à Chuck Berry, s'en débrouille avec une fraîcheur stupéfiante. Interprétations personnelles mais pas iconoclaste. Un véritable showman, capable de rebondir sur les interjections d'un public – beaucoup de danseuses inusables - dont il ne comprend pas la langue, l'on se dit que sur une scène un peu plus étendue il doit être encore plus survolté. Cette remarque vaut aussi pour Alex qui au peu qu'il nous a montré doit assurer grave question exercices à la barre fixe sur Big Mama.

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    Trois sets, trois flingueries, le dernier exigeant une très grande technicité instrumentale et rebattant quelque peu la donne du rockabilly classique, un jeu qui ne s'interdit aucune complexité sans s'autoriser la moindre défaillance au niveau de l'impact de sauvagerie originelle qui reste l'alpha et l'oméga de cette musique.

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    Rappel et ovation finale, les Uproars ont marqué les esprits, Béatrice Berlot a encore marqué un point !

    Damie Chad.

     

    Z'avaient pas posé leurs instruments à la fin du premier set que Duduche réclamait déjà leurs disques, n'en avaient qu'un qui vient tout juste de sortir, on s'y est jeté dessus à la manière d'une fourmilière qui s'attaque à un scorpion, un bel objet, sobre and choc, un CD à pochette noire cartonnée, qui arbore l'apparence d'un vieux vinyl dans sa chemise de papier, attention pour les collectionneurs, tirage limité.

    LIVE / UPROARS

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    Baby Please Don't Go : d'intro une guitare à texture de saxophone et la trombe éclate, la contrebasse à corps perdu et des persillades greschiques, drummin' écarlate, cris de guitare, Nick fait la grosse voix, a une sale embrouille avec sa copine, tout s'arrête, z'ont au moins cassé la vaisselle et les meubles, castagnettes de cymbales tout s'écroule sur un fond de cordes grinçantes et tout repart à cent kilomètres à l'heure. Rassurons-nous s'attaquent maintenant aux murs. La guitare barrit à la manière des éléphants en colère, un beau ravage, bye-bye Big Joe Williams et Muddy Waters renvoyés à leurs blues de pleurnichards, quand les Uproars sont sur scène, ouragan sur le Caine, tumulte sur vos oreille, ces gars-là ont le rockabilly épileptique. Rock'n'Roll : à l'impossible nul n'est tenu, le spitfire s'attaque à la forteresse volante zepplinesque, le moustique s'en prend au cuir du rhinocéros, Nick en force, bille en tête, avec le reste de la formation qui pique droit devant, z'ont les ailes cordiques qui vrillent et la batterie pulvérise la rythmique, la grosse bébête n'est pas morte, mais l'insecte s'en sort avec les honneurs de la guerre. Une chose est sûre : les Uproars n'ont peur de rien, ont décidé de filer un sacré coup de balai sur l'armoire aux confitures du vieux rockabilly. Get Wild : en rockabilly la programmatique est très simple, un seul mot d'ordre, soyons sauvage ou ne soyons rien, faudra tout de même que l'on me refile la recette, comment cette guitare vous klaxonne-t-elle des éclats de trompettes à volonté, et cette basse qui court devant telle une sorcière sur son balai à réaction. Blizkrieg Bop : crime de lèse-majesté, z'ont décidé de ramoner la cheminée, mésalliance dans la nomenclature rockabilly, les Uproars osent tout, même une accointance punk, rock'n'roll avant tout, rock'n'roll partout, vous bousculent les tabous et gagnent la guerre éclair. Hooker : une astuce qui marche toujours, une guitare en soutien et la voix qui mène le tout tambour battant, genre piranha affamé qui n'a pas bouffé depuis quinze jours et qui plante ses dents dans le premier truc qui passe à sa portée, pas de chance, c'était votre cervelle. Certes ce n'est pas une grande perte pour l'humanité mais un hit de plus dans l'histoire du rock'n'roll. Psycho For Your Love : ah ! ah! Les criminels ont signé leur forfaits, se revendiquent des Meteors, n'auraient pas dû parce que là ils vont finir en asile psychotrique. Plus vite que prévu, le batteur en premier car il a décidé de gagner la course, mais Nick lui fait méchamment la nique, et la guitare prend le relais, la big mama explose. Enfermez-moi ce ramassis de dératés, au plus vite. Rock this Town : vous la roquent à mort cette ville, les roquets sont lâchés et ont décidé de ramener davantage de souris que les chats tigrés. Vous rapportent un lot de ratas gros comme des hippopotames. Si j'étais les chats je ferais la gueule. Je dirais qu'ils ont triché, qu'ils ont pris des pilules survitaminées. Mais qui me croirait ? Devil In You : pourquoi s'arrêter en si bon chemin, s'attaquent maintenant au diable, une petite ballade dans les fournaises de l'Enfer ne saurait effrayer les rockers. Comptez sur vos doigts, quatre tires que ça déchire méchant, et là vous avez en prime des effondrements de batterie à damner tous les saints de la terre. Please Give Me Something : un petit classique de Bill Allen and the Black-Beats sorti sur Imperial en 1957 ne saurait faire de mal, surtout qu'ils ont décidé de lui refaire la façade, z'ont respecté l'esprit mais l'ont un tantinet dynamisé, elle a intérêt la gamine à leur donner ce qu'ils demandent parce qu'ils sont méchamment pressés, même que sur la fin ils s'énervent grave, la sexualité de groupe avec les Uproars ça frise la moustache que vous n'avez pas et la démence. Extraordinaire. Cocktails Or Shots : bordel, cette guitare en sous-main qui vous broute le mazout à Knokke-le-Zoute, c'est un scandale, une catastrophe nucléaire à elle toute seule, et là-dessus les trois autres vous déroulent un tapis d'horions sur l'horizon au-dessous de la ceinture. C'est trop bon. Ça glisse et ça phosate votre âme d'une si belle manière. Sex Appeal : je comprends enfin pourquoi les prédicateurs nous demandent de nous méfier du sexe. Les Uproars n'ont pas de mal à vous persuader que les douces folâtreries ronsardiennes sont des pièges mortels. N'écoutez jamais ce titre, sans quoi le tableau apocalyptique qu'ils en donnent, cette furie sauvage qu'ils vous en proposent, vous conduiront à rentrer dans les ordres pour le restant de votre vie. Mais qui saurait résister à cette vigueur priappique ! Swords Of A Thousand Men : stiffent dur dans le temple, trichent un peu, s'y mettent à mille contre vos deux oreilles pour vous percer les tympans. Vous envoient la marmelade en bocaux, tant pis vous avalez le tout tout cru, c'est encore meilleur avec le verre. Whole Lot Of Rosie : après le Zeppelin s'attaquent aux trois premières lettres de l'alphabet rock, n'ont peur de rien, d'après moi ils doivent tester une nouvelle guitare, un prototype qui va révolutionner le rock, elle riffe et gronde toute seule, ou alors autre hypothèse, ont récupéré sur une brocante un engin inter-sonique que des extra-terrestres avaient laissé lors d'une visite de vérification de notre évolution. Z'ont dû vouloir hâter notre processus musical. Par contre nous sommes parfaitement convaincus que le chiffre 13 porte malheur, cette tuerie ne dépasse pas les deux minutes. Va falloir une pétition pour qu'ils nous rallongent ce nectar.

     

    Quand je pense qu'il existe une flopée de malheureux sur cette terre qui ne possèdent pas cette allumette prométhéenne que les Uproars s'en sont allés voler au char du soleil du rock'n'roll, tant pis pour eux, on s'en fout, on fait partie des happy few !

    Damie Chad.

     

    DO NOT LOOK BACK

    FICTIONABOUTFICTION

    ( Clip / Février 2019 )

      the jones,zeros,uproars,rockabilly generation,fictionaboutfiction,les flagorneurs,hear me now,romance américainePaon ! En plein dans le mille. En plein dans le maelström. Précédé du bourdonnement des moustiques tigres écrasés d'une tapette vengeresse. Mais qu'y a-t-il derrière les plumes multicolores du paon, car c'est ainsi que le monde s'offre à vous sous la forme d'une roue aux ombelles bleutées comme autant d'yeux qui vous fixent de leurs prunelles obstinées. Ne regardez pas en arrière. Scrutez au plus profond. Sachez soulever le voile versicolore d'Isis, peut-être entreverrez-vous les visages de la réalité la plus sombre. Vous-même, mais vos cheveux se métamorphoseront en rideau de noirceur déstructurant. Vous voici figure du mal affublé du masque de la Gorgone, hurlements de vipères s'échappent de votre bouche, dix fois, vingt fois vous pouvez tenter de recommencer les traits de votre portrait, le brouiller de couleurs étendards de guerre, la musique palpite telle un cerveau en émoi, un cœur trémulant ou un bulbe sexuel en éveil, l'insoutenable désir de la pensée vous arrache l'œil, encore la bouche d'ombre de Méduse pousse des glapissements d'horreur, elle n'est que le masque de la mort qui s'avance vers vous, dents cruelles, ossements blancs sécrétant sang et feu cauchemardesques, les entrelacs de ces rhizomes fondateurs ont la forme du vautour qui rongea le foie de Prométhée, et le faucon arbore subitement la chatoyance du phénix immortel, l'homme est là, l'a ravi la flamme primordiale pour s'allumer une cigarette qui le brûle de l'intérieur le réduit à ses pulsions animales, s'empare de lui, de son cœur de son corps, le monde se décolore, vous retournez à la première mutation, à l'homme animal, le singe. Le clone de vous même, l'image du fachisme qui est collée à votre psyché.

    Attention les images se bousculent et les séquences s'entremêlent. Ceci n'est qu'une lecture. Do Not Look Back est à l'origine un titre de l'Ep Storm ( 2018 ) en écoute sur Deezer et Spotify et dont nous avions chroniqué dans notre livraison 389 du 18 / 10 / 2018 trois morceaux. FictionAboutFiction est un des groupes les plus décisifs d'un rock'n'roll qui n'hésite pas à s'avancer dans les contrées les plus obscures de notre modernité. Diane Aberdam en est la cellule créatrice. Qui ne regarde pas en arrière.

    Damie Chad.

    SERENADE AMERICAINE

    TENDRESSE DECHIRANTE

    ( Clip )

    Première création d'un nouveau duo Tendresse Déchirante dans lequel on retrouve Diane Aberdam et Emilien Prost de FictionAboutFiction. Les mêmes que dans le clip précédent mais dans un style totalement différent. Un projet, comme l'on dit maintenant.

      the jones,zeros,uproars,rockabilly generation,fictionaboutfiction,les flagorneurs,hear me now,romance américaineUne simple chose, trois notes répétitives sur un synthé et puis le vide. Le vide est plein, mais il faut entendre que cette plénitude n'est qu'absence : la tarte à la crème de l'amour enfui certes, mais ce background sentimental est relégué au second plan de l'infinitude de la transparence humaine car nous n'avons pas plus d'épaisseur que l'image d'un film projeté sur un mur blanc. Silence et guitare posée sur un divan, appartement en un savant désordre bohème, la porte blanche au fond s'ouvre et le Maître du logis entre, drapé d'un peignoir noir, s'installe au clavier alors que le fantôme de l'Absente derrière lui bouffe l'écran et puis se recule jusqu'au divan sur lequel elle se saisit de la guitare.

    Tout est en place. La tragédie peut commencer. Elle n'aura pas lieu. Nous n'aurons droit qu'au rituel mille fois ressassée de l'absence obsédante. Gros plan sur l'Artiste en souffrance. Lance la lente ritournelle des trois notes et la voix caverneuse s'empare de l'écran, le poëte maudit pleure la muse disparue, parfois la caméra dévoile ses blanches jambes, la noirceur de son ample t-shirt presque clair si on la compare à la nuit de sa chevelure plus sombre que le désespoir, plus fatidique que le corbeau d'Edgar Poe dans son cercle de lumière. Elle l'accompagne doucement mais sa bouche s'ouvre en grand et s'adonne à d'amères litanies qui résonnent comme des tentures d'amertume.

    Une voix funèbre et une guitare qui échelonne des notes à résonances peut-être narquoises, le monde et la femme seraient-ils plus cruels qu'on ne l'imagine ! Trois fois rien donc, mais une réussite époustouflante. Toute une imagerie phantasmatique revisitée en moins de quatre minutes. Miracle de la voix qui vous enferme dans la prison d'une agonie sans fin. De laquelle vous refusez de sortir, en lion blessé qui préfère lécher ses plaies plutôt que recevoir le remède miracle du dernier psy de service. Romantisme de naguère ou masochisme moderne ? Eblouissant.

    Damie Chad.

     

    ROCKABILLY GENERATION N° 8

    ( JANVIER / FEVRIER / MARS / 2018 )

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     Un peu de retard mais l'on s'en moque, l'important reste que la revue suive son cours et ce n'est pas quelques trous d'air dus à une surcharge de travail et à la mise au point d'une maquette plus claire ( l'ancienne était loin d'être une horreur ) qui découragera les lecteurs dont le nombre croît sans cesse.

    Le numéro est habilement composé, deux vétérans, l'un qui ouvre et l'autre qui ferme la longue séquence réservée aux jeunes pousses, condition sine qua non d'un renouvellement des formations rockabilly. Un hommage à Hallyday de sept pages, de Greg Cattez, drôlement bien fait et émouvant, n'a jamais été fan de Johnny mais son père l'écoutait en boucle toute la journée à la maison. Des mots simples mais qui portent. Tony Marlow en deuxième grand sachem rock, encore vivant, et si j'en juge par la liste des concerts qui s'allongent sur son FB, en pleine forme il nous raconte la deuxième partie de sa carrière ( voir N° 7, pour le début ), un infatigable combattant qui fait le trait d'union avec la première génération, et à qui le rockabilly français doit une fière chandelle.

    Place aux jeunes, Dylan Kirk – il est anglais et pianiste – et les Starlights – ils sont français, z'ont azimuthé la foule lors de leur premier concert, et n'en sont qu'au tout début, Danny da Silva le frère de Barny, Brayan Kahz traumatisé par le premier concert des SpunyBoys – parents faites gaffe aux mauvaises fréquentations de vos enfants – au retour s'est tout de suite rué sur une contrebasse, et Nico qui a déjà participé à bien des échauffourées Jamy and The Rockin' Trio ( avec un certain Tony Marlow à la batterie ), Be Bop Creeck et Miss Victoria, de quoi remplir un CV de guitariste.

    Bon, les filles vous me rendez illico mon Rockabilly Generation, il est hors de question que vous déchiriez la couve pour afficher Barny da Silva en poster dans votre chambre, oui je le concède l'est beau comme un prince charmant, mais c'est avant tout un superbe showman – le Cat Zengler aime, c'est tout dire – frère de Danny, et tous deux fils de Carl, bon sang ne saurait mentir. En plus les filles n'y a pas que Barny, dans le poster central, vous remarquerez que les Rhythm All Stars eux aussi ont du style. La séquence finale me rappelle un très vieux numéro de Salut Les Copains dans laquelle Elvis Presley et Johnny Hallyday répondaient au même questionnaire, cette fois c'est Barny ( le starique ) et Rémi ( le spunique ) qui s'y collent. Un peu moins connu, Alexandre Lucet ( 26 années au compteur ) rappelle comment il a intégré Les Vinyls, vieux groupe de reprises french sixties, dans lequel il a amené du sang neuf et imposé des morceaux en anglais.

    Suivent les compte-rendus des derniers festivals de l'année : Trouy ( qui nous est Cher ) dans lequel Jake Calypso et ses poulets brûlants ont cassé la baraque et le poulailler. Rock'n'toll Bigoud avec Darrel Higham & The Enforcers. Rock'n'roll In Pleugueneuc, exactement l'endroit où Dylan Kirk and fis Starligth ont allumé le feu...

    Une page de news ( Rockabilly Generation News oblige ), six disques présentés, seul bémol, pas de chronique sous les pochettes, et pour emballer le tout, d'un bout à l'autre, vous bénéficiez des photos de Sergio Kazh.

    A mon avis de tous les numéros, le mieux réussi.

    Ne regrettez rien les filles, vous n'avez pas eu les photos de Barny, mais en chair et en os, pour la fin de la soirée vous aurez :

    Damie Chad.

    Ah ! Vous préférez lire la revue ! Qu'attendez-vous pour vous abonner, bande de nigaudes !

     

    Editée par l'Association Rockabilly Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois), 4, 50 Euros + 3,52 de frais de port soit 8, 02 E pour 1 numéro. Abonnement 4 numéros : 32, 40 Euros ( Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents. Attention N° 1 et N° 2 et N° 3 épuisés.

     

    20 / 03 / 2019MONTREUIL

    LA COMEDIA

    TON SUR TON

    LES FLAGORNEURS / HEAR ME NOW

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    Ton sur Ton organise des événements qui allient musique et arts graphiques, notamment dans le cadre de la Semaine du Dessin à Paris, avais-je lu. J'avais pensé, oui mais dans la vie il faut de temps en temps savoir, bref m'étais fait un beau dessin dans ma caboche genre synesthésies à la Comedia. Dessin et musique. Des qui jouent et des qui graphitent en le même temps, les uns s'inspirant des couleurs de la muzac et les autres de la palette des pinctores. Une expérience intéressante.

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    Y avait bien des artistes. Des modestes bien cachés, des discrets qui n'aiment pas se faire remarquer, une table avec quelques feuilles et quelques guirlandes multicolores accrochées au plafond. Des timides, qui ne se savent pas se vendre – ce qui dénote une éthique respectable – mais pas non plus se faire connaître... dommage, je vous refile les noms Radis ( illustration 1 ), Geoffrey Le Saout ( illustration 2 ), Clara Simard ( illustration 3 ), pouvez faire un tour sur leur instagram. Par contre, côté sonorités, certains ont commencé à se faire remarquer dès la balance.

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    Joyeux drilles. Le fait que le guitariste soit aussi un des animateurs de Ton sur Ton explique la présence des Flagorneurs. Mais nous en étions au sound check. Une bière ! Un truc à rendre une armée de garçons de café totalement dingue, l'ont djenté et growlé au moins trois cents fois, micro ou pas, le même hurlement clamé d'une voix à rendre tous les groupes de metal fous de jalousie. Ce n'est pas qu'ils avaient soif, c'est qu'ils tenaient à nous accoutumer aux douceurs tintinnabulantes de la poésie punk !

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    LES FLAGORNEURS

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    L'on s'attendait au pire. Nous fûmes presque déçus. Certes Les Flagorneurs ne se prennent pas aux sérieux. Ne tapent pas dans l'horrible. Donnent dans le dérisoire. Les histrions du punk en goguette. Entre chahut d'étudiants et private jokes. Z'ont un public qui connaît les paroles par cœur et qui se permet des réparties désopilantes à leur encontre. La plus grande des impartialités m'oblige à reconnaître qu'ils savent renvoyer la balle avec une adresse retorse. Trois jeunes barbus rigolards, vous refilent des histoires incertaines, comment faire du skate en étant bourré, ou vous tracent des portraits sociologiques dignes d'entomologistes colériques comme Les Célibataires ou Mr Le Contrôleur. Vous débitent le répertoire tout à trac et à coups de triques, vous expédient les morceaux en lanceurs de couteaux qui se font un plaisir sadique de toucher leur partenaire en plein cœur. Vous recrachent les morceaux à la vitesse d'un duplicateur, et les machines humaines étant moins fiables que les produits de haute technologie, ils omettent de temps en temps de reproduire une portion du modèle original, tant pis, là où la batterie passe à tout berzingue la guitare et la basse ne trépassent pas. A la moitié du set se hissent même à l'étage supérieur, y a des moments où ça filoche dur et ça tricote sec. Z'aiment les coups foireux, entrecoupés de vannes vaseuses, mais quand la partie devient difficile ils raccrochent les wagons de bien belle façon. Finissent torse nu, rient d'eux-mêmes, Alexandre à la batterie le plus enveloppé, Maxime à la basse le plus maigre, et Paul le plus beau. Devant l'enthousiasme des copains ils finiront en rappel sur les déboires de la jeune Gwendoline.

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    L'est vrai qu'il existe une tradition de rock satirique en France, Albert et sa Fanfare Poliorcétique ( sans oublier Les chacals de Béthune ), puis Au Bonheur des Dames et ensuite Odeurs en sont les fleurons de la couronne. Je ne crois point que Les Flagorneurs soient les fils fin-de-race de cette généalogie. Si l'essence du punk puise ( entre autres ) au nihilisme et au tonneau ( de bière ) de Diogène, Les Flagorneurs la raccordent au chahut-bahut des monômes estudiantins, sont peut-être la dernière réincarnation pallide, fantomatique, et inconsciente de l'esprit zutique des zazous.

    HEAR ME NOW

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    Un autre monde. Celui de la pop. Plus près de Cure et de Muse ( ce qui ne m'amuse ) que des Poupées de New York et de MC 5. Groupe bifide, deux filles, deux garçons. Aubin à la basse et Mathieu à la lead. Trop galants à notre gré. S'effacent devant les nénettes, donnent l'impression de les accompagner. Marie est aux drums, elle bat pour nous. Méfiez-vous de sa droite, elle peut-être mortelle, mais elle sait aussi servir à main gauche. L'a une frappe virevoltante, joue davantage sur l'imaginatif que sur la lourdeur. L'est la cheville ouvrière et même patronale du groupe, c'est elle qui impulse l'énergie et l'allant nécessaire à la marche en avant. Ses cheveux longs volent et découpent un visage décidé et volontaire. Les gars devraient en prendre de la graine.

    Juliette – look de belle jeune fille appliquée – attire les regards. Lourde charge sur ses épaules, le combo-pop repose sur elle. Double rôle, chant et guitare. Celle-ci est de trop, la retranche d'elle-même, l'est comme une cloison contre son son corps qui l'empêche de donner toute sa voix. Ce qui est dommage, un petit trésor sonore qui ne demande qu'à briller au soleil. Faudrait que les guys comprennent qu'ils sont là pour lui fignoler un écrin digne de ce nom. Se contentent de la boite standard. Faudrait qu'ils ne conçoivent pas leur job en tant qu'accompagnateurs mais en tant qu'arrangeurs. Devraient avoir une palette de nuances et de couleurs variées, s'interdire de jouer si monotonement, brisures franches, ruptures clivantes et décollages lyriques seraient les bienvenus. Cela permettrait à Marie de développer des breaks conçus en tant qu'orchestration. Suffit parfois de peu pour améliorer la donne, le morceau pour lequel Juliette a troqué son électrique pour son acoustique a apporté une sonorité rafraîchissante.

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    Mais le mieux réside en ces moments où Juliette débarrassée de ses appareils cordiques combat à mains nues avec le cromi. Sort son souffle, vous le dépose à vos pieds telle une gerbe de fleurs printanières, cela lui donne aisance et confiance. Maintenant vous pouvez écouter le chant de l'édelweiss sur le sommet de la montagne, l'en devient très à l'aise sur les passages les plus rythmés, insensiblement elle prend la tête du quatuor, mène le bal, et du coup les lads se mettent enfin à l'unisson, envoient du vent dans les voiles et l'ensemble tangue désormais très joliment.

    Set agréable. Trop de dissonance programmative avec le groupe précédent. Des titres comme Self-Confidence et The Thoughts We Hide exigeaient sans doute une ambiance préparatoire plus intérieure. Hear Me Now passera ce dimanche 24 Mars en demi-finale du tremplin Emergerza au New Morning. Nous leur souhaitons bonne chance.

    Damie Chad.

    P.S. : sont en finale au Bataclan !

    ( Photos : FB : Ton sur Ton

    ci-dessous : balance : Hear Me Now + Flagorneurs )

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