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  • CHRONIQUES DE POURPRE 435: KR'TNT ! 435 : MICK RONSON / BELLRAYS / MOONSHINERS / JOHNNY MONTREUIL / RAY ALLEN AND HIS BAND / PALMYRE / THE NEXTFLOOR / HOAX PARADISE / JADES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 435

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    24 / 10 / 2019

     

    MICK RONSON / BELLRAYS

    MOONSHINERS / JOHNNY MONTREUIL

    RAY ALLEN AND HIS BAND

    PALMYRE / THE NEXTFLOOR

    HOAX PARADISE / JADES

     

    Ronson toujours deux fois - Part Two

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    Durant les dernières années de son règne, Ronno a multiplié les jobs de prod et les plans collaboratifs. On en retiendra quelques-uns, à commencer par Dylan qui l’embauche pour jouer dans le Rolling Thunder Review.

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    On entend donc Ronno jouer sur «Maggie’s Farm», le cut d’ouverture d’Hard Rain, un album live paru en 1976. Grosse énergie. Ronno tisse des trames. Quel enchanteur ! Et il claque un bon solo de Hull. Attention, avec Dylan, ça n’en finit pas. La version de «Stuck Inside Of Mobile With The Memphis Blues Again» qui se trouve sur ce live est monstrueuse. Bien des années après, le texte reste un rêve de parolier. C’est là très précisément qu’on réalise à quel point Dylan est unique dans l’histoire du rock. Son rock reste bien le nec plus ultra du rock américain. Les versions d’«Oh Sister» et de «Lay Lady Lay» sont aussi énormes, jouées à l’épaisseur du mythe dylanesque. Il chante ça dans une sorte d’unisson, avec toute la pression mélodique qu’on peut imaginer. S’ensuit un «Shelter From The Storm» élégiaque. Ici, tout est traité au plus haut niveau de textualité. Pas de place pour les bas du front. Dylan s’adresse à l’intellect. Avec «You’re A Big Girl Now», on retrouve cette magie qui nous berçait dans les sixties et qui nous faisait croire en la beauté d’un monde de rock électrique - Time is a jet plane/ It moves too fast - Il y a quelque chose de messianique chez Dylan, il porte tout au plus haut niveau de la portée des choses. Il amène son «Idiot Wind» à l’embrun de protest song et ça souffle par delà les océans. Dylan est en colère, comme Neptune, alors il souffle le rock sur la terre des hommes tellement indignes. Dylan est encore en vie, il se dresse dans l’histoire du rock comme un dieu qui dénonce, mais il envoie des coups d’épée dans l’eau car trop peu de gens l’écoutent et le comprennent.

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    La même année, Ronno enregistre Cardiff Rose avec Roger McGuinn. Comme ils jouaient ensemble dans le Rolling Thunder Review et qu’ils s’entendaient bien, ils envisageaient de monter les Thunderbyrds. Dommage que le projet n’ait pas abouti car Cardiff Rose vaut sacrément le détour, ne serait-ce que pour «Take Me Away», un cut d’ouverure de bal gorgé d’énergie guitaristique. C’est joué au fouillis de son et porté à ébullition. Quel fantastique brouet de lancinances soniques ! Ronno y fait un festival hallucinant, il joue dans tous les coins. Puis avec «Jolly Roger», Roger passe à la piraterie. Cardiff Rose est le nom du vaisseau - Pull away me lads of the Cardiff Rose/ And hoist the Jolly Roger - On y entend craquer les cacatois. Par contre, «Rock And Roll Time» sonne comme un morceau des Clash et c’est beaucoup moins glorieux. Roger tape dans Dylan avec l’excellent «Up To Me» - You looked a little burned out my friend/ I thought it might be up to me - Les chutes de couplets sont des splendeurs - One of us has got to hit the road/ I guess it must be up to me - Roger entre dans le grand décorum avec «Round Table» et sa pop vaut bien celle de Bowie. Voilà une merveille richement dotée. Ronno ramène toutes les dynamiques dont il a le secret. Et Roger partit vers l’Est - And they kept headin’ towards the East - c’est plein d’allant, de son et de Holy Grail. Extraordinaire. S’ensuit «Pretty Holly», une chanson traditionnelle jouée au banjo par ce diable de David Mansfield et digne de Dylan. Tout ce que fait Roger dégouline d’excellence. Comme au temps des Byrds, il veille à rester dans le très haut de gamme. Il finit avec une reprise de Joni Mitchell, l’infectueux «Dreamland».

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    Autre aventure de Ronno en Amérique : les fameuses Secret Sessions enregistrées en 1977 avec Corgy Laing, Leslie West, Felix Pappalardi et l’Hunter-continental. C’est l’occasion d’entendre ce guitariste génial qu’est Leslie West, qui par le gras surpasse Ronno. La preuve ? Dans «The Best Thing». Leslie West y ramène tout son gras double. On a tout de suite du son, énormément de son, West vibrillonne comme un Mountain man. L’autre grand acteur de ces Secret Sessions, c’est Felix Pappalardi. Il faut l’entendre titiller le bassmatic dans «Silent Movie». C’est du boogie, mais avec du son et l’extraordinaire présence de Felix le chat qui joue un peu comme Jack Bruce. Ces sessions eurent lieu à l’initiative de Corgy qui voulait sortir un album solo pour Elektra, mais comme le label venait de changer d’optique commerciale en voulant mettre le paquet sur les Cars et Costello, le vieux boogie à l’anglaise n’était plus en odeur de sainteté. Et hop, le projet fut dégagé. Avec «I Hate Dancing», ils sonnent comme le Bowie diskö. L’horreur ! On revient à l’Hunter-marché avec «The Outsider». C’est forcément efficace. Leslie West joue dessus. Il tire plus de notes que Ronno. Il est plus féroce dans le développé des embrouilles soniques, il tient tête à la décence et se déverse dans l’inconscient collectif. Felix le chat revient faire des merveilles sur «Just When I Needed You Most», une sorte de balladif évangélique, quant à Leslie West, il ramène tout son graillon dans «Lowdown Freedom», un magnifique cut de good time music.

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    Si on se demande ce que foutait Ronno avec Slaughter & The Dogs, l’un des groupes punk les plus énervés, la réponse est simple : Mike Rossi et ses camarades étaient des fans de Ronno et de Bowie. Il tirent en effet le nom de leur groupe de Slaughter On Tenth Avenue et de Diamond Dogs. Ronno joue donc sur deux cuts de l’album Do It Dog Style, paru en 1978 : une reprise des Dolls («Who Are The Mystery Girls») et «Quick Joey Small». Ronno s’adapte à tous les plans, c’est un homme souple. Il ramène toute la hargne de Hull dans le brouet de Manchester. Dès que Slaughter & the Dogs reprend le format rock, ça redevient intéressant. Ronno s’amuse bien. Ce genre de fournaise reste dans ses cordes. La reprise des Dolls est peu punkoïde, mais Ronno l’allume bien à coups de cocotes maladives et de filins incisifs. Il monte ça en température juste quand il faut. Et pour le reste ? C’est du punk de Manchester, mais pas aussi élégant que celui des Buzzcocks. Les Dogs se veulent plus agressifs et ça ne vieillit pas très bien, comme d’ailleurs l’ensemble du punk-rock de la deuxième vague. Ils jouent ce qu’on appelait alors du punk de petite berzingue, sans queue ni tête. Mike Rossi tente de sauver les cuts à coups de killer solos flash mais c’est difficile. Il se montre très entreprenant dans la reprise d’«I’m Waiting For The Man». On les sent contents de leur sort et irrévérencieux. Dès qu’ils ne jouent plus de punk-rock, comme c’est le cas avec «You’re A Bore», ils redeviennent intéressants. Ce dingue de Rossi enjolive tout à la clé de sol. Ils flirtent avec le glam dans «Keep On Trying» et bardent «We Don’t Care» de bon son. On sent qu’ils y croient dur comme fer. Rossi est assez brillant, il peut jouer du solo de perlimpinpin. Il n’a pas besoin de Ronno pour allumer la gueule d’un cut. Il a du riff à revendre. Il fait un véritable festival dans «Dame To Blame», on le voit voyager dans le spectre du solo de wah. Franchement, ce petit mec joue comme un démon.

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    La même année, Ronno produit l’album des Rich Kids, le fameux Ghosts Of Princes In Towers. Il s’y niche une pure merveille, le morceau titre, un hymne Mod bardé d’énergie et traversé par une bassline alerte et courageuse. C’est chanté au meilleur cockney slang de street. Voilà ce qu’il faut bien appeler un hit magique. L’album réserve d’autres bonnes surprises comme ce «Hung On You», très anglais par le son des guitares. Les Kids flirtent avec le Mott. On sent la patte de Ronno dans la prod, cette façon de pousser les guitares devant dans le mix et de faire mousser le gras double du solo. C’est tout lui. Le solo prend même des allures thunderiennes. C’est dire si Ronno s’y connaît en maintien de la persistance. Tiens, puisqu’on parle de Johnny Thunders, voilà «Bullet Proof Lover», quasi-Dollsy tellement les guitares sont belles et que ça boogotte bien dans les brancards. Avec la bassline aérodynamique de Matlock, ça passe comme une lettre à la poste. D’ailleurs, il fait un festival dans «Rich Kids». Il faut l’entendre jouer ses gammes folles. Il multiplie les descentes vertigineuses et le mix le met bien en évidence. Ronno tente aussi de donner de la profondeur à «Put You In The Picture», un petit rock sans conséquence. Mais sans résultat. Dommage, car ça postillonne bien dans le micro à coups de poutchou inda pikchure. On retrouve de la belle cocote dans «Burning Sounds». Matlock sait écrire des chansons, car voilà une structure mélodique intéressante, il faut bien l’admettre. C’est d’autant plus convaincant que ces mecs jouent bien, et comme c’est produit de main de maître, alors on se régale. Les Rich Kids ne pouvaient pas rêver meilleur chaperon que Ronno.

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    On se comprend pas que Ronno soit allé produire l’album diskö de David Johansen, In Style, en 1979. Dommage, car Richard Avedon signe la pochette mais Dan Hartman rôde dans les parages, d’où la diskö, et ce dès «Melody». Bon d’accord, on a truc dansant, c’est du stomp de diskö beat, un truc de Studio 54 noyé d’orgue, tout ce qu’on voudra, mais on perd les Dolls. Quand on entend «She», on se demande vraiment ce que Ronno vient branler dans cette misérable histoire. Johansen se grille. Quel gâchis ! Ronno et lui auraient pu faire des étincelles. Ils font même du reggae avec «She Knew She Was Falling In Love». Atroce ! Nous voilà le museau dans le caca des eighties et des mauvais disques à la mode. On trouve enfin du rock à guitares dans le morceau titre. Ronno ramène ses arpèges et ses cocotes miraculeuses, alors ça change tout. Il fait le show. Et quand Sylvain Sylvain ramène sa fraise dans «Wreckless Crazy», on repart sur les Dolls. Ouf ! Chœurs parfaits, voilà enfin un cut digne du grand Johansen. La bassline de Buz Verno tend tout. On a même un solo de tempête de sable et des magnifiques too-hoo-loo de relance.

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    En 1989, Ronno produit l’excellent album d’Andy Sexgang, Arco Valley. C’est en effet un bel album de glam décadent qui s’ouvre sur le sombre «7 Ways To Kill A Man». Chant très perverti. Ronno joue derrière. «Queen Of Broken Dreams» et «Jesus Phoned» sonnent très glam puis Sexgang tape dans la môme Piaf avec «Les Amants Du Jour». Étonnant clin d’œil. «Rock Revo» reste dans la lignée de la belle A, avec des accents à la Bowie. «Station 5» se montre digne de «Life On Mars», c’est dire si c’est bon, oui, car voilà encore un cut très maniéré, beau comme un ciel étoilé.

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    Paru en 1991, Casino Steel & the Bandits Featuring Mick Ronson vaut aussi le détour. Ne serait-ce que pour cette belle cover de «When You Walk In The Room», même si elle est un peu top martelée. Ronno joue dans ce brouet de power pop forcément bon, car d’origine grandiose. Fabuleux slab de glam-rock avec «Brickfield Nights». C’est explosé de son et d’énergie. Même chose pour «Virginity» - Naked you look great tonight - On retrouve la patte d’Andrew Matheson dans «Ride Me», une espèce de heavy boogie blast - You think I’m worried/ Heartbroken and sorry/ It’ll never happen to me - C’est du pur jus de Matheson, une véritable démonstration de force. C’est bardé à la vie à la mort, avec des chœurs de Dolls et de la purée de Ronno. Ils tapent «Story Love Affair» au heavy groove de bar de nuit et font une reprise de Schmoll avec «Don’t Boogie Woogie». Ils sont marrants, car ils tombent dans tous les panneaux. Ronno devait bien aimer Casino pour aller se prêter à de telles imbécillités.

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    Ronno produit Your Arsenal de Morrissey, mais il n’est pas crédité en tant que guitariste. Curieusement, on sent sa patte, et ce dès «You’re Gonna Need Someone On Your Side» et son merveilleux son de beat pressé. Quelle invraisemblable cavalerie ! Moz s’accroche aux branches. Alan White et les autres fournissent un background sonore infernal qui oblige Moz à surfer sur la crête - Day or nights ssss/ There’s no difference - Cet enfoiré sort son attirail, c’est-à-dire sa diction pervertie. On assiste ici à une hallucinante débauche de rock anglais et on est franchement ravi que Ronno soit mêlé à ça. Puis ça tourne au Moz Sound System sous-traité par Boz. Ronno supervise la purée de «Glamorous Glue», car c’est bien de purée dont il s’agit, une purée de quartier anglais et de kids qui y croient. Ça va le faire, kid, essaye seulement de chanter juste. Comme c’est plein de son, on dit : «Merci Ronno !» Mais on ne peut pas empêcher Moz de retomber dans son fucking Smith System. Le pauvre Ronno se voit contraint de produire des trucs infâmes du style «We Hate It When Our Friends Become Successful». Heureusement qu’il a refusé de se faire créditer sur ce disk pourri. Facile d’imaginer combien ça peut être difficile pour un mec aussi fin que Ronno de naviguer dans les brumes d’un univers aussi tourmenté que celui de Moz. Un Moz qui se prend pour Jo le décadent dans «I Know It’s Gonna Happen Someday». Mais il n’est pas Bowie et encore moins Ray Davies. La décadence ne s’invente pas. Mais Ronno se montre héroïque dans ce cut qui rappelle «Rock’n’Roll Suicide». Moz compare lui aussi Ronno à Jeff Beck : «Lui et Jeff Beck fonctionnaient de la même façon, ils se mettaient dans un coin et jouaient sans trop la ramener - without fanfare - And they both made their guitars sound like grand pianos.»

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    Ronno rejoint son vieux patron Bowie en 1993 pour l’album Black Tie White Noise. On y trouve deux merveilles, «Don’t Let Me Down» et «I Know It’s Gonna Happen Someday». Avec le premier, Bowie tente de rameuter sa horde de fans. Il a ce pouvoir. Il chante son balladif au meilleur intimisme et ça tourne au miracle. Pour le deuxième, Bowie va chercher une Soul de gospel batch et il redevient le chanteur légendaire qu’on admirait tant au temps d’Hunky. Ronno enlumine la scène comme lui seul peut le faire. Nous voilà au paradis avec des chœurs d’Edwin Hawkins Singers et Ronno superstar. Et le reste ? Biff baff boff. Bowie touille une version diskö du fameux «I Feel Free» de Cream. Mais c’est joué à la mode et privé d’intellect. Bowie tombe dans des soubassements d’electro inepte, Ronno amène un peu de jus, mais ça ne va pas. Ils jouent le morceau titre au petit funk à la mode, c’est le côté putassier de Bowie qu’on déteste. On ne comprend ce que Ronno vient branler dans la daube de cuts comme «Jump They Say» ou «Nite Flights».

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    L’ultime contribution de Ronno au monde du rock se trouve sur Earth Vs The Wildhearts des Wildhearts. Ronno sent que la mort l’emporte et dans un dernier râle il passe le solo de «My Baby Is A Headfuck». Ginger fut tellement tétanisé par l’ampleur de ce coup de génie fatal qu’il ne s’en remit jamais.

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    Le meilleur moyen de refermer le chapitre Ronno est encore de voir le film de Jon Brewer, Beside Bowie: The Mick Ronson Story. Il vient tout juste de paraître sur DVD. Brewer ne s’embête pas, il raconte l’histoire de Ronno en remontant la chronologie, en partant de Haddon Hall que Bob Harris compare à la Factory d’Andy Warhol, alors que ça n’a rien à voir. Cette grande maison de Beckenham relevait plus du monastère que de l’avant-garde new-yorkaise car Bowie et son entourage manquaient tragiquement de moyens. Il suffit de lire le livre de Woody Woodmansay pour réaliser à quel point ces gens-là partaient de rien. Et comme l’album The Man Who Sold The World ne marche pas, Ronno et Woody rentrent chez eux à Hull. C’est là que Bowie comprend qu’il doit faire appel à un manager et il choisit Defries. Il demande ensuite à Ronno de revenir et c’est Hunky Dory. Brewer met très vite en lumière le côté surdoué de Ronno qui apprend à écrire des arrangements avec Tony Visconti, qui vit lui aussi à Haddon Hall. Ronno pouvait ensuite orchestrer anything ! C’est lui qui écrit les arrangements de «Life On Mars». Apparemment, sa plus grande admiratrice est Angie Bowie, cette vieille excentrique qu’on voit trépigner au souvenir du beau Ronno.

    Brewer gâche un peu la magie des Spiders en filmant des témoins comme Joe Elliot et Rick Wakeman qui sont aussi sexy que des curés de Camaret. Cet imbécile de Brewer ose même montrer Ronno sur scène à la fin de sa vie avec le vieux Bowie, le vieil Hunter-minable et deux vieilles cloches de Queen. C’est une faute de goût épouvantable, car Hunky Dory et la période Spiders From Mars incarnent précisément la perfection du rock anglais. C’est d’ailleurs Ronno qui amène le rock dans les Spiders. On parle ici de rock experience. Ronno amène un son. On le voit avec Bowie à Top Of The Pops. Ils font alors chavirer l’Angleterre. Lou Reed se dit fasciné par Ronno qui produit Transformer - Ronson’s good, woahh ! - On dit même dans le film que Transformer représente l’épanouissement de Ronno en tant que producteur. Bowie et Ronno attaquent ensuite leur première tournée américaine : 17 dates en 3 mois, ça veut dire ce que ça veut dire : l’Amérique n’est pas encore prête pour le glam - Le sera-t-elle jamais ? - C’est à Cleveland que le glam accroche, Cleveland, ville clé, big place for rock’n’roll. Pour Ronno, le team Bowie/Ronno marche bien car c’est à ses yeux la même chose que Jagger/Richards et Lennon/McCartney, avec des beautiful hairdos en prime, et des costumes. Tony Zanetta qui organise l’US tour se marre : «On a dépensé 400 000 dollars et on en a gagné 100 000, ha ha ha !» Mais il observe que la popularité augmente : «On est passé en trois mois de salles de 3 000 personnes à des salles de 20 000.» Tout ceci va se terminer en eau de boudin, car Defries ne paye pas les musiciens. Un jour, Woody demande au pianiste Mike Carson combien il gagne et il répond 800 £. Les autres sont payés 30 £ ! Alors forcément ça gueule. C’est la fin des Spiders. Defries essaye de lancer Ronno solo pour le transformer en rock star. Vas-y Ronno ! Tu seras le prochain Bowie ! Mais l’album Slaughter On 10th Avenue ne marche pas. Ronno se retrouve fauché aux États-Unis. Il accepte des petits boulots de production pour survivre. Il reçoit un gros chèque pour l’album de Morrissey. Et puis arrive l’épisode du cancer du foie. C’est un passage extrêmement émouvant qui peut faire pleurer. Ronno n’échappe pas à son destin, les médecins ne peuvent pas l’opérer. Wilko Johnson aura plus de chance. Et bien sûr, une fois que Ronno est enterré, des gens viennent rappeler l’essentiel : No Bowie without Ronno.

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    Mick Ronson ne fait plus l’actualité depuis longtemps, mais le petit label anglais Easy Action veille au grain : il réédite Just Like Us en vinyle. C’est inespéré. L’occasion est trop belle de réécouter ce hit qu’est «Just Like Us», même énergie que le chimney stacks de Jean Genie. Ronno n’en finit plus de fabriquer l’archétype du glam. Il voit loin, comme les Soul Brothers : all nite long. Il monte aussi «Hard Life» sur un très beau thème mélodique. Il torche un hit avec un brio de briochard, il construit des ponts d’arpèges par dessus les vallées enchantées. Il gorge son «Crazy Love» de Les Paul, Ronno adore les balladifs, il n’a pas la voix de Bowie mais il impose un style. Il tape une superbe version de «Hey Grandma» et rend un sacré hommage à Moby Grape. Vrai merveille d’ups and downs et de looking so good.

    Signé : Cazengler, Mick Ronron

    Bob Dylan. Hard Rain. Columbia 1976

    Roger McGuinn. Cardiff Rose. Columbia 1976

    Slaughter & The Dogs. Do It Dog Style. Decca 1978

    Rich Kids. Ghosts Of Princes In Towers. EMI 1978

    David Johansen. In Style. Blue Sky 1979

    Andy Sexgang & Mick Ronson. Arco Valley. Bellaphon 1989

    Casino Steel & the Bandits Featuring Mick Ronson. Revolution Records 1991

    Morrissey. Your Arsenal. HMV 1992

    David Bowie. Black Tie White Noise. Savage 1993

    Wildhearts. Earth Vs The Wildhearts/ East West/Bronze 1993

    Corky Laing, Ian Hunter, Mick Ronson, Felix Pappalardi. The Secret Sessions. Pet Rock Records 1999

    Jon Brewer. Beside Bowie: The Mick Ronson Story. DVD 2017

    Mick Ronson. Just Like This. Easy Action 2018

    BellRays du culte

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    Lisa Kekaula pourrait très bien prétendre à un trône africain. Elle allie une voix d’airain au port d’une reine. Elle pourrait donc revêtir un boubou de soie rehaussé de fil d’or et alourdir ses bras de bijoux antiques, mais non, elle se présente à nous coiffée d’un chignon dressé en gerbe et les hanches serrées dans un pantalon de cuir noir.

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    Lisa Kekaula entre sur la scène du Gibus comme si elle entrait dans la salle du trône de l’empire Dogon du XVe siècle : elle fait d’abord entendre sa voix puis elle se manifeste physiquement, imposant à tous et à toutes sa puissante prestance animale. Elle détient aujourd’hui le Soul power que détenait Aretha en 1968.

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    On ne se lasse jamais des BellRays. On peut les voir dix fois, vingt fois sur scène, ça reste intensément bon. Lisa Kekaula shout-balamalate l’une des meilleures flambées de Soul du monde, elle réactualise chaque fois la pulsation organique à laquelle les grands shouters noirs nous ont habitués. Écoutez n’importe quel album live de Wilson Pickett ou d’Ike & Tina Turner, et vous retrouverez cette animalité de peau humide et d’all nite long.

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    Les géants de la Soul traversent la nuit. Leur énergie est celle des pulsions animales. Lisa Kekaula règne sur l’immense chaos de la sensualité avec une sorte de parfait mystère africain : pas de regard, la voix, rien que la voix, comme si les dieux primitifs s’exprimaient à travers elle.

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    Bob Vennum place ici et là des solos dignes de ceux de Wayne Kramer, notamment dans l’explosif « Black Lightning » de fin de set. Ils démarrent sur un « Bad Reaction » tiré de leur dernier album et Lisa Kekaula profite de « Shake Your Snake » pour aller groover dans le public, avant d’enchaîner avec ce magnifique brûlot qu’est « Perfect », nouvelle occasion de saluer le MC5. L’un de leurs plus beaux coups d’éclat reste « Everybody Get Up » qui n’en finit plus de claquer au vent comme l’étendard du meilleur rock de Soul américain.

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    Il faut savoir qu’on ne sort jamais indemne d’un album des BellRays. Californiens, Lisa et Bob ont monté le groupe en 1992. À l’époque, Tony Fate produisait et Bob jouait de la guitare.

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    Leur premier album s’appelait In The Light Of The Sun. Sacrée entrée en matière. Pour un premier album, c’était un véritable coup de maître. Dans « Crazy Water », on les sentait déjà obsédés par Motown. Tony Bramel sonnait comme James Jamerson, le légendaire bassman du house-band de Motown. On ajoutait dans la sauce une trompette à la Miles Davis et on se retrouvait avec un hit. Et puis un autre, avec « Footprints On Water » que Lisa amenait d’une voix grave pour aller ensuite chercher une mélodie imparable. Avec « Same Ground », on retrouvait nos belles nuits rouges de Harlem, le beat des reins. Les BellRays renouaient avec l’authentique Harlem Shuffle. « You’d Better Find A Way » annonçait les incendies à venir. Non seulement ce cut amenait une nouvelle vision du rock, mais il s’imposait comme un modèle d’intégrité compositale. Lisa éclatait au firmament et Bob lui donnait la réplique. Encore plus somptueux : « In The Light Of The Sun », entrée en matière de voix diffuses et très vite embarqué au plus haut niveau mélodique. Ils grimpaient dans l’éclat, soutenus par des chœurs vaillants. Les hits des BellRays commençaient à sonner comme des classiques intemporels. Avec ce premier album, ils révélaient leur génie.

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    Let It Blast parut six ans plus tard. C’est là que la presse rock commença à s’intéresser à eux. Pour décrire le phénomène, les journalistes inventèrent cette formule : Aretha accompagnée par le MC5. Les BellRays se voulaient révolutionnaires, dans la veine du MC5, mais ils utilisaient un nouveau langage, le Soul-punk. Petit à petit, les BellRays se sont élevés dans l’échelle sociale du rock. De petit combo exotique revendiquant l’héritage du MC5, ils sont passés au rang de maîtres suprêmes du heavy blast américain et règnent depuis sans partage sur cet immense territoire.

    Une chose est certaine : les BellRays sont avant tout un groupe de scène. Ils furent pendant un temps le meilleur groupe de rock californien. Passé à la guitare, Tony Fate ne se refusait rien, ni la riffalama à la Tony Iommi - ou pire encore, à la AC/DC - ni les incursions incendiaires à la Wayne Kramer. Comme drummer, ils disposaient d’une powerhouse à deux pattes. L’articulation centrale de cette machine infernale, c’était Bob Vennum. On l’a dit et répété à chaque fois, Bob Vennum était devenu le meilleur bassiste de rock sur terre. Il surpassait ses vieux pairs, Tim Bogert et Jack Casady. Bob Vennum avait un jeu de basse impulsif complètement exacerbé. Il pouvait pétarader comme dix Lemmy et jazzer comme Charlie Mingus. Il fallait donc voir les BellRays sur scène. Bob Vennum faisait quasiment le spectacle à lui tout seul. Il bassmatiquait comme un dieu. Il sautait, il dégoulinait de sueur, il carambolait ses notes, comme Tim Bogert le fit aux grandes heures de Cactus. Comme certains joueurs de tennis, il avait le bras droit beaucoup plus volumineux, à cause sans doute de la tension musculaire. Bob jouait à la vie à la mort. Et quand on aura compris que la dynamique d’un groupe repose sur le bassman, on aura tout compris.

    Puisqu’on patauge dans les certitudes, en voici une autre : Let It Blast envoie au tapis. Lisa met le petit chien de sa chienne au service de l’un des plus effrayants carnages soniques de la fin du XXe siècle. Tony Fate fait subir les derniers outrages à sa bête à cornes. Il joue sur une SG Gibson rouge. Il peut jouer les machines à riffer quand ça lui chante et fait souvent passer Tony Iommi pour une belette. La cerise sur le gâteau, c’est l’immense Bob Bass Boss Vennum. Il ne peut pas rester tranquille plus de cinq secondes. « Changing Colors », c’est un peu l’enfer sur la terre. Lisa arrive là-dedans en hurlant. Une vraie fournaise, avec une basse qui ronfle. Horrible et merveilleux, comme dirait Huysmans ! Si le son paraît si peu soigné, c’est tout simplement parce qu’ils ont enregistré ça sur un radio-cassette. La basse sonne comme un battement de cœur. Chez Fate, on tire les notes. Elles se baladent comme des serpents dans les fougères. C’est à tomber de sa chaise. Ça cafouille dans la farfouille. Voilà une entrée en matière qui ne pardonne pas. Encore du beau foutage de garage avec « Cold Man Night ». De plus en plus motivé. La basse qui est sourde comme un pot remonte dans le mix. Lisa porte tout l’édifice à bouts de bras. Bob fait son ramdam, il martèle et il pilonne. Fate traîne au fond du studio, on l’entend à peine. C’est un cut explosé dans l’oignon, basse devant toute. Bob gratte trop de notes. À l’époque, quand on le voyait sur scène, il jouait des milliards de notes, il sautait en l’air en faisant les chœurs. « Today Was » s’inscrit dans la même lignée. Lisa tente de calmer le jeu, mais avec des démons comme Fate et Bob dans les parages, c’est impossible. Rien de plus infernal que ce « Kill The Messenger », monté sur un tempo à la Motörhead. Trop de power. Lisa parvient à régner sur cette extravagance. C’est le chaos total, l’empire du trash, on entend les forces du mal courir, elles nous rattrapent à la course ! « Blue Cirque » sonne la charge de la brigade légère. Les BellRays ont l’air de foncer dans la plaine sous le feu de l’artillerie russe. Ils ont cette capacité de susciter des images très fortes. C’est emmené à la batterie. Le pounding mène la danse. Il y a des petites zones de néant, mais le morceau repart toujours. Les BellRays développent d’authentiques capacités lysergiques en relation directe avec les tourments cosmiques des dieux antiques. Ils jazzifient « Testify » jusqu’à l’os du crotch. C’est un prêche de type Airplane, Flaming Sideburns ou MC5 - brothers and sisters everywhere - On assiste ici au retour en force du garage porté par un bassmatic diabolisé. Les BellRays en font un morceau assez lourd, au moins aussi lourd qu’un heavy-blues de Nebula ou de Pentagram. Bob bâtit des drives de jazz bass. Il est absolument spectaculaire. Il joue ces petites gammes rapides qui ont fait la gloire des grands slappeurs du XXe siècle. Bob et Fate sont capables de lever de grandes tempêtes jazzy à coups de boléros. L’équation du groupe est parfaite : une chanteuse colorée, un guitariste virtuose et une section rythmique d’avant-garde. Et si on n’est pas encore tombé de sa chaise, alors on va tomber avec « Black Honey », plaqué d’accords déments, gratté menu, emmené, intuitif, chanté à la vie à la mort - Black honey ! Black honey ! - Les BellRays, le grand groupe américain du XXe siècle ? Allez savoir. Ce « Black Honey » vaut tout l’or du monde. Petite cerise sur le gâteau : un solo d’antho à Toto signé Tony Fate qui rappelle ceux de Victor Unitt dans l’album Parachute des Pretty Things. Le drive de basse emmène toute la bande au firmament. Cette basse ronfle comme un gros poivrot assoupi. Rrrroarrrr !

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    Leur troisième album Grand Fury paraît en l’an 2000. L’apocalypse, c’est eux, évidemment. Nostradamus ne l’avait pas prévu. « Too Many Houses In Here » est une explosion collatérale. Il n’existe pas d’équivalent ailleurs, inutile de chercher. C’est brûlé de l’intérieur, ils vont bien plus loin que les Stooges, on ne sait pas comment c’est possible, mais on l’entend, on sent une forte odeur de brûlé sonique. Lisa se prélasse dans une braise héritée directement de « Motor City’s Burning », le vieux coucou du MC5. Pur génie. Et Bob qui se prend pour une escadrille pilonne tout ça. Avec « Fire On The Moon », ça continue. Tony cocote sa mortelle randonnée. Ces gens-là sont des fous. Ils riffent dans la viande et Lisa règne sur ce carnage. Aucun groupe américain n’a jamais sonné comme ça et ne pourra jamais sonner comme ça. Lisa allume le feu sur la lune. Suite de l’aventure riffique avec « Snake City », la machine de guerre s’ébranle et Lisa est aux commandes. Ils explosent tout. Absolument tout. C’est comme des Stooges gonflés à l’hydrogène. Puis on se prend « Screwdriver » en pleine poire. Lisa nous envoie rissoler dans la Rôtisserie de la Reine Pédauque. Le duo Bob/Fate dépasse l’entendement pyrotechnique. Ils ne jouent pas, ils blastent en permanence. « Heat Cage » n’a aucune chance d’en réchapper. Il vaut mieux avoir les oreilles solides pour écouter ça. On a là ce qui se fait de mieux dans le rock américain : la fournaise du Detroit Sound explosée jusqu’au vertige et la voix d’une reine de la Soul. Une véritable tornade d’embrasement. « Evil Morning » arrive et aucun répit n’est possible. Ces gens-là surjouent le destin du rock atomique. Rien ne saurait calmer leurs ardeurs sémantiques. Ils cherchent des voies nouvelles, comme le ver dans la pomme. Dès l’intro, « Stupid Fuckin’ People » est bombardé par les deux riffeurs fous. Rien ne peut les arrêter. Ils dépassent toutes les bornes, ils transcendent l’axe Blue Cheer-Motörhead-Stooges-MC5, ils vont encore plus loin, et Lisa hurle, elle s’empare des éclairs jaillis du ciel. On assiste au plus gros pilonnage sonique de tous les temps. Bob sort « Monkey House » à la note de bas de manche, puis c’est traité façon MC5. Nouvelle démence sonique à l’état pur. On a encore droit à un coup de génie avec les chœurs d’« Under The Mountain » et on ressort de cet album fourbu mais ravi.

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    Nouvelle monstruosité en 2003 avec The Red White And Black. Comme ils l’indiquent sur la pochette, la Soul est le professeur et le punk le prêcheur (Soul is the teacher and punk is the preacher). Folie pure avec le cut d’ouverture, « Remember », un truc de dingue qui perd ses roues, ils foncent de travers, comme s’ils roulaient sur les essieux. Léger parfum de free. Puis on retrouve le riffage du Destin mortel dans « Street Corner » et « Sister Disaster ». Fate hache tout ça menu. Voilà l’équation magique du rock moderne : voix + riffage + inspiration. « You’re Sorry Now » est une belle compo de Bob. C’est même un hit planétaire. Ambiance dramatique, accords descendants, foggy motion de riffs terribles. Voilà un hit fabuleux et gargantuesque. C’est un heavy-rock rendu mélodique par les descentes d’accords et le chant perçant de Queen Lisa. On revient au MC5 avec « Revolution Get Down ». Bob monte des ponts sur des lignes de basse effarantes. Il faut l’entendre traverser la fournaise révolutionnaire. Le cut est farci de breaks terribles. Bob croise au large comme un requin à lunettes. Faramineux. Pop explosive avec « Find Someone To Believe In ». C’est l’une de leurs spécialités. Ils savent faire du mélodif explosif. « Some Confusion City » est un magnifique morceau de batteur. C’est Eric Algood qui bat le beurre. Bob fait hey-hey et il gratte sa basse comme un con. Quelle magnifique équipe, franchement ! Les relances sont impitoyables. Les BellRays nous emmènent en enfer et on adore ça. Punk in the flesh avec « Black Is The Colour ». Lisa bat tous les records - Bein’ shot down on the blue side of town - Quand on entend « Stone Rain », on se dit : mais ce sont des malades ! La basse devient folle. Il faut entendre Bob perdre les pédales - I feel so lonely I could die - il va dans tous les sens. Il multiplie les descentes de manche. C’est lui le bassman le plus dingue de l’univers, il va là, et là, et il remonte ensuite par des ponts insalubres, quelle brute. On l’entend faire d’autres prodiges dans « Rude Awakening » et ils finissent avec un punk-rock qui envoie au tapis, « Voodoo Train ». Inutile d’ajouter que cet album compte parmi les grands albums classiques du rock.

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    Have A Little Faith sort en 2006. On démarre sur un gros groove joué à la manière des Temptations, « Tell The Lie ». Fate fait son funky wah king. Par derrière, Bob coud sa toile avec un doigté caoutchouteux qui en dit long sur sa culture groovytale. Fate a donc écrit le nouveau hit des Temptations. Un saxophone vient sopraner dans l’air torride. Lisa rassemble tout l’air de ses poumons pour honorer la mémoire des divas de la Soul. C’est réussi. Voilà « Time Is Gone », gros groove salace. Le tempo est bizarre, un peu mambique, comme mal embouché. Fate fait monter la pression. Il rentre dans le trou du track avec un extravagant chorus jazzy. Ce mec a des ressources. Il solote à la Zappa. Les BellRays mettraient-ils de l’eau dans leur vin ? C’est Fate qui écrit les cuts. On sent le compositeur ambitieux. « Chainsong » cumule les fonctions : le couplet passe du hardcore au jazz. Ça sonne comme une quête de sophistication, ce qui ne peut pas leur faire de mal. Ils cassent bien l’ambiance, avec des zones éthérées à la McLaughin. Et puis voilà « Pay The Cobra » et sa remontée en température typique des BellRays de la première heure. Le problème, c’est que tous les morceaux musclés se ressemblent. Et puis le couplet entre en apesanteur. Fate le relève immédiatement avec sa rythmique à la Tony Iommi. Il adore gratter sa bête à cornes. Ça le réconcilie avec la vie. Cette speederie bien fuselée qu’est « Snotgun » sonne comme une revendication de la liberté. C’est très politisé, même si snot veut dire morve - Everybody look at my snotgun/ Tune your guitar to the snotgun/ The alphabet ends with the snotgun/ And all I wanna do is to be free/ All I wanna - par contre, Bob signe « Change The World ». On change de registre. Les BellRays font claquer l’étendard sanglant de la révolte. C’est riffé à la vie à la mort - I don’t think I can kill myself - éclat du génie bellrayïque. Et voilà « Detroit Breakdown » qui est le gros cut de l’album. Pur Motor City sound - No more Iggy or the MC5/ Wayne’s been doin’ it in LA now, so you’re just livin’ a lie - Les BellRays remettent les pendules à l’heure. Effectivement, il ne reste rien du Detroit shakedown. « Maniac Blues » sonne comme une grosse affaire. Effarant de maîtrise. Lisa tire sur ses syllabes et Tony mitraille, bien soutenu par l’inéluctable Bob. Il faut que la gloire des BellRays resplendisse sur la terre comme au ciel. Ils terminent avec un shout de bravado suprême - ah-la-la palabalalah - une reprise des « Cornichons » de Nino Ferrer que Lisa swingue sauvagement. Elle envoie les cornichons, les tomates et les ouvre-boîtes danser dans la fournaise - ba-la-la-la - elle s’amuse comme une folle.

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    Raw Collection est une compile des singles parus entre 1995 et 2002. Et là, il est recommandé d’attacher sa ceinture. Le un s’appelle « You’re Sorry Now » : son caverneux, ambiance Soul sixties, et une basse rampante arrive derrière Lisa. Il s’agit d’une belle compo psyché de Bob, nappée d’accords crépusculaires. C’est absolument magistral et ça peut hanter un château d’Écosse. Lisa dispose de tellement de feeling qu’elle ne sait plus quoi en faire. Attention ! Ils s’attaquent ensuite à un classique vénéneux : le « Nights In Venice » des Saints. L’énergie dévastatrice dans un classique dévastateur, ça donne du dévasté dévastateur. Les deux riffeurs fous s’en donnent à cœur joie. Fate cisaille comme un fou. Il est dans son élément. La voix de Lisa colle parfaitement à ce classique de l’apocalypse. Ils vont même finir dans la collision. Bob tricote ses déflagrations souterraines. Franchement, sans les BellRays, nous serions bien peu de chose. Ils nous font le coup de la fausse sortie et reviennent avec toute leur barbarie. Bob reste sur une note, Fate se roule par terre et se tortille. Il faut aux barbares des compos terribles, voilà le secret. « Half A Mind » sonne illico comme un classique pop, et même comme un hymne. Fate joue tout en fuzz. La mélodie est là, évidente, montée sur une dynamique de basse décisive. C’est une véritable splendeur. Avec sa mélodie enchantée, « Mind’s Eyes » pourrait aussi sonner comme un classique des sixties. Bob joue une bassline de r’n’b et Lisa rayonne comme un soleil dans le ciel bleu des sixties. Les BellRays tapent dans le très haut de gamme. « Pinball City » sonne comme un punk-rock sauvage. Lisa prend le chant par en-dessous. La rythmique est du pur MC5. Ils poussent des Hey ! d’antho à Toto. Bob se balade. Il a la note facile. On reste dans le pinball Wizbiz avec « Mother Pinball », un shuffle de la Nouvelle Orleans - Come on ! Do the pinball, baby ! - « Tie Me Down » bascule dans la frénésie. Ils vont si vite qu’on doit s’accrocher à la rambarde. « Say What You Mean » vaut n’importe quel classique dévastateur. On plonge dans cette heaviness jubilatoire comme dans un bain de jouvence. Les foules reprennent le refrain en chœur. Énormité bardée de clameurs ! Ho ! Ho ! Ho ! On lève le poing ! Les BellRays tiennent tous leurs hits par la barbichette. Fate plonge dans un chorus d’une monstruosité hallucinante. Flip, flop, ils pataugent dans le génie. Lisa atteint le maximum de ses possibilités. Et le morceau repart, en défonçant tout. De toute évidence, Lisa et ses amis reprennent les choses là où les MC5 les ont laissées.

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    Hard Sweet And Sticky sort en 2008 avec une belle pochette gourmande. Fate a quitté le groupe. Ils attaquent ça avec un nouveau hit planétaire, « The Same Way », une pop éclatante envoyée avec tout le chien de sa chienne. Compo signée Bob Vennum. C’est quand même autre chose qu’Aerosmith. Au moins, il y a de la tenue dans ce balladif. « Infection » is hot as hell. Bob qui joue désormais de la guitare envoie un solo monstrueux. Avec les BellRays, c’est pas compliqué : si on leur demande de faire un album de rock, alors ils font un album de rock. Leurs albums font partie de ceux qu’on réécoute à intervalles réguliers, car on sait qu’on y trouve de la viande. L’incommensurable « Infection » se répand dans l’univers. Voilà « Comin’ Down », un mid-tempo poussé par une rythmique ingrate et brutale. Bob repart en solo glou-glou. Il compte désormais parmi les grands solistes américains. Ils reprennent leur vieux hit « Footprints On Water ». L’élégance de leur pop s’inscrit dans les annales. Lisa et Bob emportent leur pop de Soul au firmament, à coups de cris, d’éclats et de prodigieuse élégance. « That’s Not The Way It Should Be » vaut pour du typical BellRays : Lisa devant et derrière, deux fous riffent, avec des relances diaboliques et une dynamique exceptionnelle. C’est un cocktail dont on ne peut pas se lasser.

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    En 2010, Black Lightning paraît sous une pochette noire traversée d’un éclair anthracite. Comme on l’imagine, cet album recèle son petit lot de bombes. Et notamment le morceau titre qui fait l’ouverture. Son carré. Bob solote comme Wayne Kramer. Lisa reste cette fabuleuse shouteuse qu’on suit depuis le début. Le paradoxe, c’est qu’il n’y a pas de surprise. C’est aussi énorme qu’on le supputait. Même chose pour « Hell On Earth », nouvelle pièce fumante de rock incendiaire. On entend moins le double riffage d’antan. Le son est plus fusionnel, dans l’esprit de la lave qui s’écoule des flancs crevés du Krakatoa. « On Top » est un cut extrêmement punchy. Lisa l’expédie au firmament, elle a l’habitude. On note au passage que la puissance des BellRays reste intacte. « Power To Burn » est une pièce de belle pop mentalement élevée, montée à coups de mélodie, de power chorus et d’un ramassis disparate d’accords cavaleurs. Bob ne faiblit pas, ce n’est pas dans ses habitudes. Il revient toujours placer un chorus intéressant. Avec « Power To Burn », les BellRays nous offrent un modèle de power pop californienne. « Living A Lie » sonne comme du pur BellRays, une énormité rockée à la cantonade, vite troussée et enfilée à sec par un gros solo garage. Avec « Everybody Get Up », c’est tout simplement cocoté d’avance. Lisa chauffe la marmite. Et ça part dans l’épaisseur de la clameur. Dans la verdeur de la lourdeur. Dans l’éclat de l’aplat. Une véritable fontaine de jouvence. Toujours aussi épais et bon, voilà « Close Your Eyes » - c’mon take my hand and close your eyes - Bob part en vrille, c’est un démon du bonheur séculaire, il laisse filer son solo de feu liquide. Rien d’aussi magistral que les BellRays.

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    Retour en fanfare huit ans plus tard avec une nouvelle tranche d’histoire de l’énormité intitulée Punk Funk Rock Soul Vol.2. Dès « Bad Reaction », on note la présence d’une certaine aisance de la prestance. Ils jouent la carte du heavy boogie de type MC5, doctor, doctor please ! Ça reste un modèle du genre dans bien des domaines : classe du chant, heavy riffing, allure générale, puissance motrice. Doctor doctor, give me something/ For this bad reaction - Les deux coups de génie se nichent en B : « Now », pour commencer, véritable brouet extrapolatoire. Bob y crée un monde ambivalent digne des Yardbirds. Ça sonne comme un hymne à la flamboyance. Ils chantent à l’unisson - We’re playing a new song/ We’ve just learnt today - Pur jus de mad psyché, et Bob s’y prélasse comme Nabuchodonosor. S’ensuit un fabuleux « Love And Hard Times », heavy mid-tempo typique des BellRays, ultra chanté. Les trois quarts des autres titres passent aussi le Cap de Bonne Espérance, notamment ce « Man Enough » qui se situe dans la veine des early BellRays, joué à la tension maximaliste. Bob y développe une échaloppade de riffs sixties incroyablement éclatants. Il est l’un des roi de la rock action. Tout aussi excellent, voici « Brand New Day » qui ferme la marche de l’A. Lisa emmène sa troupe à l’assaut des charts qui ont disparu depuis longtemps, mais elle le fait avec un certain brio. On retrouve cette puissance dans « Junior High », une sorte de heavy rockalama emmené par un beat alerte qui ne traîne pas en chemin. Les BellRays ne plaisantent pas avec le beat. Ils adorent aussi les descentes de ponts classiques qui conduisent généralement à de nouvelles frontières. Tiens, encore un cut chargé comme une mule : « Never Let A Woman ». Ils sont infatigables, ce qui fait leur grandeur. Comme le disait Peter Handke, les BellRays portent le poids du rock. Neuf albums et pas un seul déchet. Qui dit mieux ?

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    En 2013, ils montèrent Lisa & The Lips, un side-project beaucoup plus Soul. L’album ravira tous les amateurs de hot Soul. Les vieux fans des BellRays y retrouveront aussi leur compte de bombes, avec par exemple « Come Back To Me », un mid-tempo fin et racé, gorgé de la meilleure soupe de Soul, où on entend Bob prendre un solo rissolé aux flammes de l’enfer. Et puis on trouve aussi cette pataterie râblée, « You Might Say ». Lisa monte à l’assaut, en puissante shouteuse. Voilà un rock-blast monté sur un groove seventies, craquant et bon comme le pain frais. Franchement, on ne peut pas espérer mieux. Puis Lisa prend « Trouble Mind » façon Esther Phillips, softy-sweety à la petite vitesse du beat bien tempéré. On la sent dans son élément - ease my trouble mind - on ne peut que vibrer, à condition bien sûr de considérer le genre comme supérieur. Et puis voilà ce « Stop The DJ » monté sur un funky beat à la Bootsy. C’est un funk digne des nuits rouges de Harlem, finement shafty. On suit à la trace cette belle ligne de basse insistante et bien groovy, toujours affiliée au meilleur funk des ghettos d’antan. On retrouve un mid-tempo infernal - leur vitesse de prédilection - avec « The Pick-Up », mélodique en diable - heaven goes around me yeah - une pièce de Soul inspirée. Et on revient au funky strut avec « Push ». Ils trottent dans les traces du push - you’re gonna have to push to make it all the way - Lisa grogne et le bassman Pablo se balade à longueur de manche. Il fait le grand jeu traversier du funkster impavide - push wouahhh - fabuleux et coulant. Ils terminent l’album avec une pièce mortellement ralentie et funkstée à la racine du poil, « The Player », exemplaire, précis et régulier comme un mercenaire bien payé - funky booty baby - pièce de rêve. L’album vaut l’emplette.

    Signé : Cazengler, BellRaie du cul

    BellRays. Le Gibus. Paris XIe. 17 octobre 2019

    BellRays. In The Light Of The Sun. In Music We Trust 1992

    BellRays. Let It Blast. Vital Gesture Records 1998

    BellRays. Grand Fury. Uppercut Records 2000

    BellRays. Raw Collection. Uppercut Records 2003

    BellRays. The Red White And Black. Poptones 2003

    BellRays. Have A Little Faith. Cheap Lullaby Records 2006

    BellRays. Hard Sweet And Sticky. Vicious Circles 2008

    BellRays. Black Lightning. Fargo Records 2010

    BellRays. Punk Funk Rock Soul Vol. 2. Cargo Records 2018

    Lisa & The Lips. Lisa & The Lips. Vicious Circle 2013

    MONTREUIL / 17 – 10 – 2019

    LA COMEDIA

    MOONSHINERS / JOHNNY MONTREUIL

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    L'avaient annoncé à la météo : '' Aujourd'hui beau temps sur toute la France, toutefois attention, un unique point noir au niveau local, l'on signale ce soir à 20 heures une zone de fortes turbulences au croisement des rues Michelet et Vaillant de la paisible cité montreuilloise, un trouble atmosphérique assez rare, les spécialistes surnomment ce genre de phénomène une excessive agglutination de narvalos. Pas spécialement dangereux mais fortement déconseillé aux femmes enceintes, aux enfants, aux personnes âgée et à tout individu de moins et de plus 77 ans. '' On n'a pas écouté, mais de toutes les manières si on l'avait su, l'on serait venu quand même.

    Essayez de tasser le contenu d'un œuf d'autruche dans une ovule de poule naine et vous comprendrez la pression à laquelle vous êtes exposé – au moins mille bars en ce bar - pas de panique, ce soir Montreuil fête son chanteur éponyme, et en première partie dégustation gratuite de Moonshiners. La vie est un dur combat, mais certains soirs l'on a l'impression d'avoir le ticket gagnant du loto dans la poche.

    MOONSHINERS

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    Doit y avoir une éclipse et le soleil n'est pas au rendez-vous, pas facile d'apercevoir le groupe en entier, trop de monde qui s'agite dans tous les sens, enfin je le confirme, oui il y a un batteur, oui j'ai pu l'entrevoir, ce n'est pas une légende comme celle du vaisseau fantôme que se racontent les marins le soir au fond des tavernes embrumées, un minimaliste, la santiag droite qui tape le rythme sur l'estrade, et une caisse claire, pas plus et pas moins car il ne peut pas, normalement on ne devrait pas l'entendre mais c'est un rusé, tape systématiquement sur le rebord en ferraille, produit le bruit du tuyau en zinc de la gouttière sur laquelle vous vous amusiez à jeter systématiquement des pierres pour décaniller les oiseaux quand vous étiez petit. Un son un peu rustre certes mais qui renoue à quelque chose de tribal et de tripal caché au fond de vous. Celui-ci vous le voyez. Pas exactement lui, mais surtout sa contrebasse, la tient légèrement penchée comme ces voiles sur les petits voiliers qui vous empêchent d'admirer le physique bronzé du skipper. Lui il balance de l'eau dans la tuyauterie, l'a les notes qui coulent comme de la pisse vive, vous fout l'air de rien la rythmique en transe, bon vent force 7, ça tangue de partout, et vous ne pensez même pas à avoir le mal de mer.

    Lui c'est le second. L'a donc deux fois plus de boulot que tout le monde, souque à la guitare et chante au cabestan. C'est comme cela quand on veut monter dans la hiérarchie, faut montrer qu'on en veut. Et qu'on en peut. Et lui il peut beaucoup. C'est lui qui brode sur la rythmique, l'a les doigts précis, les fioritures incisives c'est lui, l'a la patte véloce, velours un peu, quand il point trop n'en faut, mais il a une préférence certaine pour les poinçons expéditifs, le crochet du droit qui vous démolit si rapidement la mâchoire que vous oubliez de ramasser, au cas où la souris passe, vos dents sur le trottoir. Le pacha c'est Thierry, comme tout cadre supérieur il en fait le moins possible, il délègue, comme il n'y a pas de divan sur scène, il distribue les ordres et il s'accroupit paisiblement. Soyons juste, quand il prend le micro, vous ne comprenez pas comment il fait, mais sa voix surfe sur le haut de la vague, et s'infléchit sans se laisser submerger quand elle se creuse. En moins de cinq intonations il vous emmène très loin sur les collines du hillbilly, plus appalachien que lui tu meurs. Vous accomplit ce miracle avec une aisance incroyable, vous raconte le country d'avant Nashville, quand il gîtait dans les cours de ferme que les gars quittaient pour courir l'aventure et flirter avec l'illégalité. En fait ils la baisaient grave.

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    Ce n'est pas qu'ils soient des nationalistes éhontés, mais enfin si l'Amérique a ses Moonshiners, en France nous avons nos bouilleurs de cru. Ne foutaient pas des crotales dans l'alambic, mais un peu de venin de vipère, ça vous fortifie les nourrissons si vous rajoutez un quart de gnôle dans le biberon. Les Moonshiners c'est un peu l'internationale des mauvais garçons. Ceux qui riment avec baston. Les sauvageons, les voyous, les noirs blousons, les tout ce que voulez de pire, ils s'en foutent et s'en contrefoutent, parce que ce sont eux que les filles qui ont les yeux qui brillent préfèrent. Genre de thème qui met en joie notre second, s'empare de ce genre de chansons comme l'on sort un cran d'arrêt au fond d'une impasse obscure et il n'hésite pas à vous en crever le bide et la rate juste pour vous assurer qu'il ne s'amuse pas avec un canif émoussé. J'ignore si selon les canons scientifiques de la recherche universitaire l'on puisse conclure une relation de cause à effet, mais durant ces morceaux apaches les filles ondulent beaucoup plus fortement et leurs yeux se transforment en saphirs étincelants. Du coup tous les garçons s'adjugent des âmes de vaurien et de coupe-jarrets. Des morceaux comme Walk on boy, Wild one, Teddy Boy Boogie, et Suzanne ont procuré du rêve fort émotionnant à tout un chacun. Dans un sommeil si agité qu'ils ont même été obligés d'ajouter une Prière pour tout le mal que Dieu fait sur cette terre. L'on s'y trouve si bien, que l'on resterait une éternité à écouter ce groupe de Moonshiners.

    JOHNNY MONTREUIL

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    Sont arrivés sous une ovation. Qui n'a plus cessé et qui s'est poursuivie longtemps après la fin du concert. Qui avait duré deux heures. Quand le gang des moustachus montent sur scène ce n'est pas pour sucer des glaces à la pistachu. Johnny pince les cordes de sa big mama. Aussi noire que sa chemise, à liserets et envol d'aigles blancs au niveau des épaules, style cowboy, mais à sa dégaine l'on pressent qu'il s'est toujours classé d'instinct dans les indiens, spécialement dans les tribus d'irréductibles, genre Séminoles qui sortaient de nuit de leurs marais pour incendier les ranchs. Johnny donne le la, trois espèces d'égorgement de poulets qui rouspètent quand vous leur tordez le cou, que la moitié de l'assistance s'amuse illicoq châtré à imiter, et sa main s'abat sur sa big mama avec l'impavidité du bourreau qui tranche de sa hache sanglante les têtes à la chaîne du soir au petit matin blême. C'est parti, Johnny infatigable conte sans fin la chronique légendaire des mauvais garçons. Pas étonnant qu'il ait invité les Moonshiners en première partie. Partagent la même mythographie. Celle du cuir et du baston, celle de la révolte, de l'individu rebelle qui n'accepte pas de marcher au pas d'une société moutonnière compromise par sa lâcheté et sa passivité obéissante. Alors Johnny chante et slappe, sans repos, sans arrêt, sans pause, il enchaîne les morceaux comme les gamins vident le sucrier pour gaver le chien.

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    N'est pas seul. Au fond dans le coin derrière ses lunettes noires Visten est à la batterie. Fait tout le boulot. N'en déduisez pas que les trois autres ne font rien ce serait une erreur lamentable. Mais il construit, il établit le pas de tir, fait preuve d'une science certaine car avec les deux autres kamikazes doit tout remettre en état à tous moments. Perpétuellement. Déjà ne serait-ce pour s'accorder au rythme de Johnny, réserve au minimum un de ses quatre membres à cette occupation , ensuite il est le préposé à toutes les éventualités, et le problème c'est qu'il n' y a pas d'éventualité, uniquement de la perpétuité cataclysmique à parer.

    Rön a été bien sage durant la moitié du concert. S'est contenté de ronronner en rythmique durant une heure. Histoire de tromper son monde, ou de gradation durant le concert. En fait s'est trahi par deux indices. Le premier auditif : indubitablement ce gars à la première oreille, il ne peut pas vous en raconter. L'est comme ces chevaux au paddock qui ronge sagement leur foin, mais au premier coup d'œil le connaisseur a reconnu l'étalon racé, celui qui va vous mettre cinquante longueurs à ses concurrents sans forcer. Le deuxième visuel : sous son marcel cela transparaissait, mais quand il l'a enlevé n'y avait plus rien à cacher : ses tatouages. Le mec n'est pas un Picasso ambulant. Ni un Titien cacatoesque. L'a le torse constellé de ces vieux tatous à l'ancienne, ce bleu des taulards et des voyous des années cinquante. Pas d'esbroufe, pas de clinquanterie chez ce guy. C'est un pur. Un pur-sang. Et quand il a daigné sortir de l'écurie après une heure d'attente, nous a filé le festival, pas le genre à faire des cabrioles sur un trapèze en haut de la Tour Eiffel pour épater le public. Lui il profile en douce, le gars il vous refile l'as de coeur qui vous permet la quinte flush royale, the high straigth flush qui vous permet d'empocher les douze mille dollar d'enjeu sur le tapis. Vous voulez la traduction musicale : le mec il triangulise entre Duane Eddy, Hank Marvin et Dick Dale, plus quelques autres, faut l'entendre dans les instrumentaux, ne copie rien, vous ressert la soupe à sa façon, l'a tout intégré, malaxé, ingurgité, et il vous le ressort sous forme de gelée royale, un orfèvre, un régal.

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    Enfin, dans sa chemise rouge Kik. Pas un kick de moto, mais de fusée. Interplanétaire. Referme sa main sur un minuscule harmonica et c'est parti pour l'apocalypse. Kik une légende montreuilloise, un foutu bluesman, oui mais ce soir si vous voulez chalouper sur un petit shuffle débonnaire, c'est dommage. Vous ne possédez pas le bon ticket. L'a décidé de vous déchirer les oreilles, de vous les couper en pointe, de les faire sécher au grenier, et puis de s'en servir pour rouler ses cigarettes. A la sono l'on bondit chaque fois qu'il porte son orgue à la bouche, faudrait pas qu'il dépasse le mur du son dans l'aigu, c'est trop tard, le public devient fou, faudrait l'abattre, lui tirer dessus à belles réelles, mais c'est trop bon, l'on en redemande, et lui bon prince il vous régale d'une nouvelle rasade. La salle se transforme en pandémonium, à chacune de ces salves une pandémie de folie se répand, de plus en plus violente, l'on frise le coma éthylique et l'on frise du Parthénon, tellement c'est beau, le blues se mue en tempête, Kik l'est comme le pélican de Musset, vous jette ses entrailles dans son hurricane pour vous nourrir et vous n'arrivez pas à en être rassasié. La sueur lui brûle les yeux, mais il continue, l'est un incendie qui veut cramer la forêt entière, les pompiers avec leurs camions, les Canadairs et tous les villages alentours car il est nécessaire que la terre entière apprenne que le blues est une fournaise et le rock'n'roll un lance-flammes inextinguible.

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    Si ça continue, cela va exploser. Alors Johnny calme son jeu, se saisit de son archet et il nous promène dans une sombre ballade, vous verse un hanap de désespoir métaphysique, sous forme d'une berceuse pour enterrement d'un cœur brisé. S'il n'y avait pas cet énervement de vif-argent qui lui court sous la peau, l'assistance se mettrait à pleurer, le concert deviendrait un chant de lamentation, cela tournerait au suicide collectif de masse. Mais avant que l'on ne passe à l'acte, Johnny qui connaît et maîtrise son public montreuillois  relance la machine. Kik vous déquille le cortex, Rön vous hache en confit de riffs, les aime bien courts et bien brutaux, Listen déploie la liste de ces abattis et c'est reparti pour l'attaque du commissariat. Parce que c'est bien connu il faut un dérivatif à tout trouble de l'ordre public, et que dans les milieux libertaires des narvalos tout le monde déteste la police. Ailleurs aussi, mais ne confondez pas narvalow avec chamallow.

    Le combat s'arrêtera à l'heure fatidiquement municipale, parce qu'il faut que les travailleurs renouvellent leurs précieuses forces afin, dès le lendemain matin, les dépenser sur le lieu de leur exploitation dans le stupide but de produire une richesse dont ils ne partageront pas les profits. Toutefois Kik se saisit de son harmonica et donne le rythme d'une vieille rengaine que Johnny entonne afin de calmer la fièvre...

    RETOUR AU BERCAIL

    Dans la teuf-teuf l'on médite... Johnny Montreuil renoue avec un rock français des origines, musicalement très sixties, un rock mythologisé et quelque peu anarchisé. Assez proche de ce qu'a pu représenter le rock pour le public d'Hallyday en 63-64. L'ombre noire de Vince Taylor n'est pas à exclure. Je ne pense pas que le public présent à la Comedia en soit conscient et surtout se reconnaisse en une telle origine qui est moins évidente et peut-être à l'opposé de ses propres phantasmes idéologiques. La généalogie est une science qui vous met souvent en porte-à-faux avec vous-mêmes. Le rock avait déjà parcouru un long chemin avant l'explosive renaissance punk.

    Damie Chad.

    TROYES / 18 – 10 – 2019

    3B

    RAY ALLEN AND HIS BAND

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    Faudra un jour que je me penche sur ce point particulier de la science des fluides, pourquoi le public d'un concert se pointe-t-il à quatre-vingt dix pour cent durant un créneau de dix minutes parfois juste avant le début d'un concert, parfois une heure et plus avant, cette question m'a toujours taraudé, faudrait trouver tous les paramètres et essayer de mettre au point une formule mathématique, une martingale algorythmique, qui permettrait d'établir un protocole de pronostication fiable et d'apporter par l' application d'une formule toute simple, une réponse définitive à cette inconnue obsédante. Si je parvenais à résoudre une solution, sans doute me donnerait-on, au moins, le prix Nobel de Physique, et Kr'tnt ! deviendrait le premier blogue rock'n'roll nobélisé.

    Cette interrogation m'est venue lorsque le public a envahi le 3B alors que Ray Allen et son band se préparaient à monter sur scène.

    RAY ALLEN AND HIS BAND

    Nous viennent d'Allemagne. Sont tout beaux, quatre gars en costumes identiques, pantalon gris souris, chemise blanche impeccable, veste d'une nuance un tantinet plus mate piqueté de points noirs pratiquement invisibles, cravate à rayures blanches découpées de bandes bleues, sombres ou claires. Allure très sixties, le teen-ager-band typique d'un rock'n'roll américain, assagi et lessivé, après la grande tornade originelle. Very white, l'on est loin du jungle sound à la Bo Diddley ! Un style apparemment prisé de l'autre côté du Rhin, alors que par chez nous les cœurs ont opté pour le darkly cuir de Gene Vincent.

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    Obligatoirement vous regardez sur la droite, sur cet instrument inusité par beaucoup de groupes d'aujourd'hui car exigeant une lourde et onéreuse logistique : un piano droit, un vrai, pas un synthétiseur glissé dans un vieux meuble de salon vermoulu récupéré in-extrémis à la décharge municipale. Martin Vauer officie, quelquefois debout, souvent assis. C'est en ces moments qu'il chante, une bonne diction, une belle élocution, mais sans jamais forcer la note, soyons clair dès le début, Ray Allen et son band ne donnent jamais dans les outrances d'un romantisme exalté. Difficile de détacher le regard de ses doigts allongés, peut-être par des années d'exercices, qui survolent les plaquettes d'ivoire, ils semblent avoir leurs propres indépendances et picorer les touches de leur seul gré, à l'image des marteaux recourbés – l'absence de panneau protecteur nous permet de les voir - qui se lèvent et s'abaissent sur les cordes métalliques avec ce même mouvement répétitif des passereaux qui tapent du bec sur le sol pour faire croire aux vers de terre que la pluie tombe, et les plus imprudents qui sortent leur tête sont vite gobés et avalés. Qui dit piano, pense Jerry Lee Lewis, souvent en fin de ligne Martin projette son pied vers les spectateurs, connaît tous les plans de Jerry mais se dispense de sa fureur, et de sa folie, et pour le dire autrement, il a bien le doigté de Jerry Lou, mais il n'enfonce pas les touches à la Little Richard comme si à chaque fois il avait envie d'appuyer sur le bouton de la bombe atomique.

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    Ged Vorwerk est à la basse. Vous l'entendez respirer, la big mama, pas Ged, un souffle élastique qui emplit tout l'espace, bizarrement elle n'accompagne pas, elle précède, elle enveloppe à la manière de la noix qui dresse les murailles de sa coque pour protéger le cerneau blotti à l'intérieur. Elle est le son de base, elle fournit l'épaisseur, un slap en douceur, mais onctueux, la crème fraîche qui épaissit la carbonara. Des quatre, Vorwoek est le seul à ne pas chanter, même pas les chœurs, juste ses cordes et ses doigts qui restent en haut du manche à la manière de ces chats perchés sur un arbre qui du haut de la plus haute branche dominent le monde. Sans fierté excessive, simplement conforté en eux-mêmes par leur position.

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    Sylvio Lau est de ces batteurs qui ne font pas de bruit, ont une tâche plus décisive à accomplir, juste marquer le rythme, au millième de seconde près, à peine s'il effleure sa caisse claire, mais pas de doute dans le groupe il est la pendule fatidique qui perpétue l'équilibre d'un château de cartes qu'il envoie valser en l'air d'une pichenette pour tout de suite le rattraper de deux coups de baguettes magiques et le remettre droit sur ses assisses, incroyablement immobile durant un laps de seconde et recommencer ce jeu subtil, sans attendre. Avec ses grosses lunettes il ressemble davantage à un ingénieur d'aéronautique qu'à Buddy Holly, mais lorsqu'il chantera, deux fois, vous aurez vite intuité que c'est le plus mécréant, le plus méchant, il glisse sur ses toms comme un serpent et vous crache le morceau à la manière d'un cobra du Mozambique qui cherche à empêcher la planète de tourner dans le bon sens.

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    De sa Fender Ray Allen exhale une grêle sonorité. Exprès, la musique c'est comme les filles, faut les voir nues et non emmitouflées dans trois gros manteaux de fourrure, produit un son qui vous force à écouter le silence afin de mieux le saisir, ici l'on ne concasse pas la porcelaine au rouleau-compresseur, on la peint au pinceau du chinois de Las de l'amer repos... de Mallarmé, l'on donne dans la minutie dans la haute précision, l'on virevolte mais l'on ne cache pas la sveltesse des figures imposées sous le froufrou tapageur des robes du french cancan, tout est exécuté en plein jour, lumière crue et sans filet. Un rock mièvre mais d'une concision extrême qui lui assure la densité du diamant. La beauté est obtenue à partir du dépouillement des écorces mortes de la facilité et des grosses ficelles.

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    L'on ne prend pas les mouches avec du vinaigre pas plus que l'on n'attrape les princesses fragiles de bonne famille au lasso, ou qu'on ne les rapte à l'aide d'un bronco furieux. Faut des slows trottés mais pas frottés, des rock bien appuyés mais pas agrippés, exemple Big Blond Baby, découpé au cran d'arrêt mais à la lame émoussée. Vous offrez des fleurs mais vous n'effeuillez pas la rose. La main dans la main mais pas au cul. Et encore moins dans le sexe. Ray vous raconte tout cela de sa voix discrète, les lyrics les plus torrides il vous les transforme en comptines faussement innocences. Car il ne faut point faire confiance à ces gars doucereux. Quand ils ne disent plus rien, qu'ils se taisent et qu'ils se lancent dans un instrumental, vous filent l'impression d'assister à une tournante, au fond du jardin. Se laissent aller à leurs mauvais instincts, à croire que la demoiselle les a provoqués et qu'elle avait une grosse fringale insatisfaite depuis longtemps, au moins trois jours, à assouvir.

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    Grattez un peu sur l'emballage et la sordide réalité des désirs adolescents vous saute sur le paletot. A la fin des années cinquante, au début des années soixante, l'on a tenté de policer le rock'n'roll, l'on a affublé d'un ridicule nœud rose les chattes sauvages et élimé les griffes des chats harets jusqu'au trognon. Gâchez le naturel, il revient au galop. Mais Ray Allen and his band nous restituent cet entre-deux, ce moment où le rock n'est plus le roll, fait l'hypocrite, il balance comme l'escarpolette de Fragonard, l'on a beau cacher cette lingerie intime que l'on ne saurait voir, elle finit toujours par faire signe. Au moment où l'on s'y attend le moins. Evidemment il faut un peu de patience et de persévérance. Du talent, de la précision. Et de tout cela le groupe n'en manque pas. Sont des spécialistes, sous leur air very straight de grands garçons sages et bien élevés qui feront de gentils gendres, ils métamorphosent le non-rock en non-dit. Et comme moins par moins égale plus, leur coulis de groseille au sucre mou se charge d'une affriolante coquinerie sinon subversive du moins insidieuse.

    Ray Allen et ses guys se sont fixés une tache que l'on peut juger ingrate, restituer cette période où le rock a failli disparaître, sombrer dans les oubliettes de la mode, cet instant où le rock s'est dénaturé en pop, car il arrive que de mauvais plaisantins changent le vin en eau. Nous noterons que cet alanguissement est aussi un des moteurs du rock, songez à la dichotomie Stones / Beatles, aux atermoiements d'Elvis le Pelvis, à la manière dont le punk a été destitué sous forme de Nouvelle Vague, n'oubliez pas que c'est au temps du MC5 qu'est apparu le Bubblegum. L'on s'est dépêché de recracher cet atroce chewing gum. Certains de nos jours le remettent en leur bouche et vantent son aspect acidulé. Dans toutes les confitures traînent un bon goût d'arsenic. Sans pression pas de dépression. Sans négativité pas de positivité. Le rock est un courant électrique intermittent. Merci à Béatrice la patronne de nous présenter toutes les facettes de ce phénomène complexe.

    Damie Chad.

    ( Photos : FB : Béatrice Berlot )

    LE MEE-SUR-SEINE / 19 – 10 – 2019

    LE CHAUDRON

    PALMYRE / THE NEXTFLOOR

    HOAX PARADISE / JADES

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    Cinq heures l'heure funeste, dans les hôpitaux les malades impuissants gisent dans les affres des fièvres vespérales, sur les genoux de leurs mères atterrées les nourrissons délaissent leur tiède sein et se mettent à pleurer sans fin, ils sentent monter en eux l'indicible et instinctive angoisse des peurs qu'ils n'ont pas encore connues, dans les sombres cryptes l'on entend d'étranges reptations au creux des sarcophages verrouillés, resterai-je douillettement à l'abri entre mes livres, le feu de la cheminée, et sur le canapé mon chat noir qui fixe de ses prunelles énigmatiques une réalité astrale invisible à mes yeux... non, mais où irai-je ce soir courir l'aventure rock'n'roll sous la lune, par de telles ambiances crépusculaires, un lieu s'impose, le Chaudron, l'antre fatal du Mée-sur-Seine.

    PALMYRE

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    Pas le moindre fantôme de Zénobie ne rôde sur scène, mais quatre jeune gars emplis d'une énergie et d'une ardeur toute Aurélienne. Manifestement sont décidés à laisser un champ de ruines après leur passage. Commencent par une double intro, la première pré-enregistrée tonitruante, la deuxième fracassante. Annoncent la couleur sans ânonner dès le début, ne sont pas venus pour caresser le riff dans le sens du poil. N'y vont pas par quatre chemins, même si au début ils ne sont que trois, Erwan n'arrive qu'après le déluge pour bondir sur le micro sur lequel il se jette, tel un fauve qui n'a pas mangé depuis une semaine sur sa proie innocente. Nous bouffe le vocal à pleines dents, l'en déchire de gros morceaux sans vergogne et comme à ces côtés les trois autres ne turbinent pas en mode économique vous êtes invités à un splendide festin. L'est manifeste qu'ils aiment le steak tartare dégoulinant, pas du congelé, de l'arraché au cuissot de la bête encore vivante. Ne se contentent pas de grignoter des palmitos sur le sofa.

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    Sont partisans d'un rock speedé qui ne s'embarrasse pas de fioriture. Adam est à la forge, vous façonne le métal rock sans façon, ne ménage pas sa peine, partout à la fois, il court le break comme un brick pirate toutes voiles dehors fonce sur l'ennemi, et avec sa guitare Jerémy est le premier à monter à l'abordage. Samuel tire au canon de sa basse manière de traverser la coque ennemie de part en part. Erwan ceint sa guitare pour participer au carnage, ce qu'il préfère c'est tout de même éructer les mots comme grêle de mitraille. Et ma foi, il se débrouille bien pour s'imposer dans le brouhaha amblant. Ce genre de chienlit qui vous revigore un mort en moins de deux vous file votre dose d'amphétamine jusqu'à la fin de l'année.

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    Passent en première partie, mais on leur a laissé assez de temps pour montrer ce qu'ils savent faire et ils en ont profité, n'en ont pas gaspillé une demi-seconde, les titres se suivent et vous bousculent de belle manière. Quand ils s'en vont vous les regrettez, ne vous ont pas psalmodié des berceuses, vous ont remué les sangs et revivifié. L'est sûr que c'est avec cette vélocité que les légions romaine ont fait main basse sur l'antique Palmyre afin que dans l'histoire des hommes brille à jamais le soleil noir d'Aurélien.

    THE NEXTFLOOR

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    Ne sont que trois, la scène en paraît désertique. Pas d'inquiétude ils vont vous la remplir superbement. Mais chacun à sa façon. Cette cataracte de coups si caractéristiques qui pleuvent de partout, c'est Quentin, un fou furieux, n'y avait pas de chambre d'isolement au Chaudron ni de camisole de force, l'orga a fini par trouver une solution, lui ont refilé une batterie en lui faisant croire que c'était un punching ball, le gars pas contrariant tout compte fait, suffit de lui proposer la bonne occupation. Lorsqu'il enlèvera son T-shirt et que vous apercevrez son torse herculéen ruisselant de sueur vous connaîtrez la peur. Impossible de l'arrêter, l'a les baguettes qui courent de tous les côtés, impossible de savoir où il les pose, quand vous entendez le bruit, sont déjà plus loin, sont en train de cogner sur un autre tom. Doit s'entraîner pour passer le mur du son. Ça fuse de partout, jamais de boum, des clac-clac qui sonnent sec comme des paires de gifles, ça pleut comme un envol de canards sauvages pour les pays chauds. Si vous l'écoutez vous n'entendez, vous ne voyez que lui, ce qui serait dommage parce que les deux autres ne sont pas tristes.

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    Yvan est carrément marrant, ne peut s'empêcher de lancer quelques remarques ironiques qui détendent l'atmosphère. Pour aussitôt après vous foudroyer d'un tonnerre de guitare à vous donner la nostalgie des jupes de votre maman. Mais ce n'est rien, juste un bon guitariste qui déchire. C'est ensuite que ça arrache. L'ouvre la bouche et là il vous cloue sur la roue du destin. Il crache son venin à la face du monde. De son gosier jaillissent des caïmans, un vocal meurtrier, quatre ou cinq mots, et puis le mec ferme son bec, le temps de laisser échapper une espèce de mygale riffique de son instrument, pas un gars méchant, ne vous laisse pas tout abasourdi sur le bord de la route, vous réveille d'un nouveau superbe phrasé giclé qui vous transperce de part en part. Ce guy avec son poinçon triangulaire de soul patch sur le menton, habillé de noir, vous a le vocal rock instinctif tatoué sur le larynx, l'a tout compris, la respiration fusante, l'éjection sarclée, c'est rock, c'est blues, c'est tout ce que vous voulez. C'est grand.

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    MJP, ces trois lettres ne signifient pas Mouvement des Jeunes Populaires, juste le bassiste. Face aux deux énergumènes, il se la joue cool, le doigt sur la corde, ne la relâche qu'au moment qui lui plaît, toujours à bon escient, un véritable archet, tir précis et vibrant, mystérieuse moue aux lèvres et regard rêveur. Etrange comme il arrive à se faire entendre dans le vacarme des deux autres énergumènes, mais ce qui est sûr que s'il n'était pas là il manquerait quelque chose au monde comme si la Joconde s'arrêtait de sourire.

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    A trois ils vous ont démantibulé la moitié du département, un rock sans retenue, une horde d'Attila qui passe dans vos oreilles, une galopade effrénée, et une fois qu'ils ont arrêté, vous croyez que vous avez fait le plus beau cauchemar de votre existence.

    HOAX PARADISE

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    Les groupes se suivent et ne se ressemblent pas. Pourtant eux aussi ne sont que trois. Thibaud à la guitare, Jc à la basse et Barron à la batterie. Pour le moment ils émettent une douce musique autour d'une absence. Lamartine avait raison : Un seul être vous manque et tout est dépeuplé. Et Elle surgit. Non ce n'est pas Eve, c'est Lilith, c'est Laura Naval. Ne cherchez pas l'erreur, c'est Elle. Désormais vous ne verrez qu'Elle, vous n'écouterez qu'Elle, Elle et sa chevelure rousse, une flamme échappée de l'incendie du palais de Persépolis par les hoplites d'Alexandre, elle chante et vous vous taisez. Et les trois guys lui peaufinent minutieusement des ambiances sonores, ils ne jouent pas, ils cisèlent le décor, on est à côté du rock, pratiquement dans un récital de poésie.

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    Une voix. Ni charmante, ni envoûtante. Elle se refuse à ses facilités. Trop sûre d'elle, elle n'aguiche pas le client. Consciente de sa force, de son aura, de son magnétisme. Une blouse nouée au-dessus du nombril, un bustier échancré qui ne dévoile rien, une froideur brûlante de serpent. L'orchestre est à ses ordres. Elle se moque de ses gars comme si elle descendait avec condescendance le grand escalier d'une revue de Broadway. Reine et sortilège. Femme fatale.

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    Quelques gestes, une entrée et un final durant lesquels elle se transforme en percussionniste, elle descendra chanter dans le public, mais tout cela c'est de la broutille, l'important c'est lorsqu'elle s'approche du micro et qu'elle pose pour ainsi dire sa voix dessus. A croire qu'elle vient de retourner la lame de la mort d'un jeu de tarot qui ne comportait que cette unique carte. Une douceur âpre dépourvue de tendresse, juste les mots qui font mal. Elle nous conte les merveilles de Neverland, ce pays où l'on n'arrive jamais, se moque de Les garçons et nous quitte sur Ground control. Ce qui est sûr c'est qu'elle n'a jamais perdu le contrôle de la situation. Et puisqu'elle est sur terre, le paradis serait-il une arnaque ?

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    ( Photo : Sylvain Didillon )

    JADES

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    Mein Goth ! Un vol de sorcières vient de se poser sur la scène. Non, je ne suis point ivre, d'être parmi l'écume inconnue inconnue et les cieux mallarméens, elles sont là, toute proches, gainées de noir, et deux d'entre elles arborent ce chapeau maléfique qui cauchemarde nos imaginations, quoiqu' il faille le reconnaître, elles sont d'une génération nouvelle et ont adopté une forme beaucoup moins pointue, qui leur sied si joliment qu'elle les rend beaucoup plus agréables à regarder que les anciennes matrones au nez crochu qui remuaient leur infâme mixture dans une grosse marmite ventrue à panse noircie par des flammes sulfureuses d'un feu maudit. Le Chaudron, c'était un piège – qui portait bien son nom – nous y sommes dedans, et elles s'apprêtent à nous y mijoter longuement, à nous transformer en douteuse nourriture avariée qu'elles se partageront les soirs de grand sabbat. Le plus sage serait de fuir, mais non elles ont cette beauté maléfique et fascinante qui vous force à rester, et le plus terrible c'est que personne ne le regrettera. Car lorsque le potage est tiré il faut le boire, et celui-ci est agrémenté de ces gousses de rock'n'roll auxquelles nous ne saurions résister.

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    Lindsay est arrivée la dernière, s'est jetée sur le micro avec ses cheveux noirs et sa basse parallélogrammatique, et la ronde infernale a commencé. Rien de funèbre en elle, un sourire engageant et experte en communication, le contact facile, en quelques mots elle est déjà une grande copine que vous connaissez depuis au moins la maternelle. Vive, à l'aise, plein d'allant et de vie, rien qu'à l'apercevoir vous révisez votre jugement sur les sorcières, franche, naturelle, pleine de vie. C'est elle qui mène le bal et vous entrez dans le menuet salement remué sans une once de soupçon. Elle chante avec cet aplomb décisif des belles noiseuses qui ont toujours raison.

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    Cherry – je ne résiste pas à un mauvais jeu de mot, c'est la cerise sur le gâteau des agapes de la nuit du Walpurgis goethéen – enveloppée d'une coulée de cheveux roux, une pluie de renard et de feuilles automnales lui donne un aspect romantique que dément son sourire carnassier, elle semble s'être échappée d'un tableau préraphaélite de Dante Gabriel Rossetti, vous vous damneriez facilement pour elle, mais attention aux pointes de sa guitares triangulaires, elle assure la rythmique comme une nervalienne fille du feu, et lorsque qu'elle se chargera du vocal sur Cherry bomb vous comprendrez qu'elle est une eau dormante tempétueuse, un ouragan malicieux, qu'elle brisera l'esquif de vos idées creuses comme coquille de noix et les dispersera sur les rivages désertés.

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    Taïphen, se suffit à elle-même, elle est une de ses princesses des plus hautes chansons de Maeterlinck enfermées dans la tour d'ivoire de leurs rêves qui n'appartiennent qu'à elles seules. Jamais vu un guitariste lead aussi secret, aussi retranché du monde. Elle semble à part, elle ne nous concède que la face visible de sa personnalité. Occupée à produire le riff nécessaire à l'instant présent. Mais ni dans l'ici, ni dans le maintenant. Dans un ailleurs interdit. Quelqu'une de l'intérieur, mystérieuse, réservant à elle seule les pensées d'un monde que nous ignorons, et n'accordant qu'à sa guitare cette minutieuse attention dont nous ne sommes pas dignes.

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    Drôle de groupe, composé de personnalités si distinctes. Au fond Chloé, il est difficile d'admettre qu'elle joue de la batterie. Elle réside dans sa propre temporalité – jamais à contre-temps – elle est le lutin qui réfléchit. Avant de frapper, elle suspend le vol du temps, ce n'est pas qu'elle ne sait pas, c'est qu'elle choisit, elle réfléchit, elle suppute, elle subodore, elle reste-là les deux baguettes levées, pas du tout de l'indécision, elle fait ce qu'il lui plaît mais uniquement ce qu'il lui plaît, elle ne se presse pas pour monter dans le train, et vous assistez à ce miracle que la locomotive attend patiemment que sur le quai elle se décide à daigner mettre au moins une jambe sur le marche-pied. Et lorsqu'elle abaisse le sceptre de sa baguette sur un de ces tambours, vous êtes obligé de reconnaître qu'elle semble avoir mis de l'ordre dans le désordre de l'univers. Ses compagnes usent envers elle d'un étrange rituel, à la fin de chaque morceau elles nous tournent le dos et se regroupent devant elle, comme les doigts de la main se referment pour que le poing du rock acquièrent une force nouvelle.

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    C'est que Jades maîtrise son show de bout en bout, l'air de rien, elles ont mis au point un subtil ballet, rien n'est laissé au hasard, une belle parade rock'n'roll. Captivante. Servie sur un plateau. Avec cette grâce carnassière du serpent qui monopolise votre attention et exige votre approbation. Un rock simple, bien balancé, mais avec cette subtilité qui vous oblige à acquiescer. Des titres ravageurs et efficaces, The only thing, Ready or not for for rock'n'roll, Misnake, difficile de les laisser partir, en rappel ce sera I don't Care, un dernier sourire et elles s'enfuient si vite qu'il vous manque quelque chose. Et vous savez quoi.

    Damie Chad.

    ( Photos : Christian Dalet  aka Chrisled )

    ( sauf première et dernière photos de Jades : Nicolas Chaigneau

    et dernière photo Hoax Paradise : Sylvain Didillon ))

  • CHRONIQUES DE POURPRE 421 : KR'TNT ! 421 : ELECTRIC SOFT PARADE / DADDY LONG LEGS / LES PUNAISES / MOONSHINERS / MASSEY FERGUSON MEMORIAL / CAUSA NOSTRA / JUSTWÄR / TENDRESSE DECHIRANTE / JULIETTE MOREAU / CASONI BLUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 421

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    30 / 05 / 2019

     

    ELECTRIC SOFT PARADE / DADDY LONG LEGS

    LES PUNAISES / LES MOONSHINERS

    MASSEY FERGUSON MEMORIAL / CAUSA NOSTRA

    JUSTWÄR / TENDRESSE DECHIRANTE

    JULIETTE MOREAU / CASONI BLUES

     

    Hit Parade

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    Les frères White auraient très bien pu baptiser leur groupe Electric Soft Paradise, ou même Electric Soft Paradigm. Ils se sont contentés d’un Electric Soft Parade plus proche des Portes de la Perception. On retrouve d’ailleurs cette tendance à la modestie dans leurs propos :

    — Pourquoi n’avez-vous pas explosé avec vos deux premiers albums ?

    — Oh, c’est simple, ça ne nous intéressait pas.

    Les frères White n’aiment pas le bullshit qui accompagne le succès médiatique. Comme Dan Penn, ils préfèrent rester dans l’ombre et composer des chansons parfaites. On trouve aussi cette tendance à préférer rester dans l’ombre chez Paddy McAloon. Souvenez-vous, voici bientôt vingt ans, The Electric Soft Parade rivalisait de verdeur mélodique avec les Boo Radleys de Martin Carr. Alors que le trio de tête de la première vague de grande pop anglaise comprenait les Beatles, les Kinks et les Zombies, le trio de tête de la dernière vague de cette même grande pop anglaise comprend les Boo Radleys, Mansun et The Electric Soft Parade.

     

    Bon, les réputations c’est bien gentil, mais ce sont les disques et bien sûr les concerts qui tranchent. Comme par miracle, les frères White et leur Soft Parade faisaient halte dans un bar rouennais pour donner l’un de ces concerts sans prétention qui marquent les imaginations au fer rouge.

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    Thomas White chante et joue sur une belle Tele à ouïe. Son frangin Alex chante aussi et joue de l’orgue. Ils sont accompagnés par Damo Waters aux drums et de Matthew Twaites à la basse. Ils s’embarquent comme on s’embarquait autrefois pour un long voyage, c’est-à-dire un set interminablement bon, une sorte de vaste panoramique de leur ‘carrière’.

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    Leur pop haute en couleurs tient si bien la route qu’on s’étonne de voir le temps passer si vite avec autant de cuts. Et dès «Brother» tiré d’Idiots, on entre au Paradis d’Electric Soft Paradise. Thomas White chante tellement à l’unisson du saucisson qu’un parfum de magie se met à flotter dans l’air confiné de la petite cave. Ils enchaînent avec les miraculeux «Things I’ve Done» et «Bruxellisation» tirés du deuxième album, du grand cru qui met toutes les oreilles au diapason.

     

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    Ces bright Brightoniens savent briller au firmament. Ils tirent aussi l’excellent «Lose Yr Frown» de la même cambuse, ce petit album à pochette blanche qui faillit passer inaperçu à sa parution en 2003. Ils vont encore tirer trois cuts de cet album fatidique, «The Wrongest Thing In Town», «Chaos» et «Existing». Par contre, ils ne tapent pas trop dans leur premier album, deux cuts, peut-être, des cuts de silence, «There’s A Silence» et «Silent To The Dark». N’oublions pas le plus important, celui qu’on attend au virage, l’effarant «Empty At The End» que chante Alex en se tortillant derrière son clavier.

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    Pur moment de magie mélodique qui nous renvoie directement à ce qu’il peut exister de plus pur dans le monde de la pop, qu’il s’agisse du Brill Building, de John Lennon ou de Dan Penn. C’est la sainte beauté du dieu miséricordieux des pauvres pêcheurs pêchez pour nous sonnés au tocsin d’angelus d’un pot de Millet de la seule maille qui m’aille, dans cette lumière sourde des champs bernagores bernés et si gores, une façon de dire ‘tu ne t’en sortiras pas comme ça’, et pourtant si, Empty décolle et les dévots s’envolent à la suite dans la poussière d’étoiles. «Empty At The End» est à la pop anglaise ce qu’«Il Patinait Merveilleusement» du doux Verlaine est à la langue française : une perle noire scintillant dans un écrin rouge, une métaphore qui pourrait signifier l’abolition du temps.

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    On retrouve cette merveille fluorescente sur Holes In The Wall, un premier album paru en 2001. À la première écoute, Empty sonne comme un vieux ratafia de riffing pop, mais on voit monter une petite fièvre harmonique qui finit par devenir capiteuse, aussi capiteuse que le parfum d’une pute de luxe. La montée passe de l’état capiteux à celui d’inespéré.

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    Les frères White développent là de fantastiques potentiels d’exactions exhaustives, ils ouvrent un nouveau chapitre de la science des profondeurs du ciel. Ces mecs tapent sans vergogne dans l’indicible véracité de la beauté du geste. On les voit aussi balancer par dessus les toits «There’s A Silence». Ils proposent un son d’une rare puissance, ils travaillent all over the rainbow, ils se veulent démultiplicateurs de grandeur, comme le sont à leur façon Mercury Rev et Mansun. C’est absolument terrifiant de qualité. On le sent d’ailleurs dès le «Start Again» d’ouverture de bal, ils se positionnent immédiatement comme des formalisateurs de grandeur, comme des popsters doués de pouvoirs chamaniques. Ils pratiquent l’art de la véhémence. L’autre chef-d’œuvre s’appelle «Sleep Alone». Ça sonne tout simplement comme un hit. Tout le monde connaît ce hit, car il passait à la radio. C’est encore une merveille invétérée, car chantée à l’ambigu du menton et jouée aux meilleures auspices. Ils proposent aussi un «This Given Line» sacrément incrémenté. Ils savent clouer une chouette sur la porte de la pop et lancer des cohortes des bons accords anglais à l’assaut du ciel. Ils savent s’envoler vers les cimes, c’est leur truc. Ils tapent là un nouveau hit exemplaire, bardé d’envergure, jeté en pâture à l’écho du temps qui comme Saturne dévore sa descendance. On les voit aussi amener «Biting The Soles Of My Feet» à la petite colère de bonne aventure. Les frères White maîtrisent l’art du gratté sévère et savent se montrer pertinents, mais ça ne décolle pas à tous les coups, n’exagérons pas. Ils terminent avec un «Red Balloon For Me» qui sonne comme un cut des Beatles. Exactement le même son. Comme par hasard, sur le pont des Arts.

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    Leur deuxième album s’appelle The American Adventure et c’est là que se nichent toutes ces énormités qu’on entend dans le set, à commencer par «Lose Yr Frown», shoot de heavy pop anglaise transpercé d’éclaircies de sunshine pop extravagantes. C’est encore une fois digne des Beatles, ne serait-ce que par l’excellence de la partance et la nonchalance des guitares qui chuintent. S’il fallait qualifier «Lights Out», on pourrait dire qu’il s’agit d’un stormer abouti de Djibouti, doté de la puissance effective de la pop. Les frères White maîtrisent l’art d’allumer les convoitises. Leur pop sature l’air. Ils chantent dans la couenne du cut. Ils nous sonnent bien les cloches avec «Things I’ve Done Before», encore un cut allègrement bon, balayé par des grands vents d’Ouest, des vagues de bottleneck et des burst-out de démesure catégorielle à la Boo Radleys. On a l’impression qu’ils se tamponnent le coquillard dans le morceau titre de l’album. D’ailleurs, on en vient à se demander à quoi ça rime de vouloir faire de la littérature dans le dos de ces deux mecs, ils le font très bien eux-mêmes - There must be the happy ending/ I believed would come - Et paf, ça bascule dans le chaos magique, ils travaillent la matière au Rev, avec des envolées subrepticimes et un étonnant mélange de compromis, un art dans lequel excellaient aussi les Boo Radleys.

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    Un troisième album intitulé No Need To Be Downhearted paraît en 2006. Il est nettement moins dense que les deux précédents. Il n’empêche qu’on va se goinfrer de «Come Back Inside», une belle pop de poursuite qui va au cœur du problème. Le cut se noie dans le son et personne ne pourra le sauver. Nouvelle tentative de hit avec un «Have You Ever Felt Like It’s Too Late» qui sonne comme un vieux coucou des Boo Radleys. Vraiment powerful. Ils savent monter des œufs en neige du Kilimandjaro. «Appropriate Feeling» pourrait sonner comme de la pop de soft power. On note encore une fois l’excellence de la prestance. Ils font même du Satie avec le morceau titre. Belle pureté d’intention. «Woken By A Kiss» sonne comme un superbe proliférateur de pop overwhelmed et ils retentent à nouveau le coup du hit avec un «Misunderstanding» claqué au clair de Tele anglaise. Assez outstanding mais pas définitif. En haut du mât, le matelot de vigie crie : «Pas de hit à l’horizon !»

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    Pas de hit non plus sur The Human Body EP chaudement recommandé par Damo Waters. On y trouve six cuts dont ce «Beating Heart» chargé de pop prévalente, fouetté par de fortes rafales de son, c’est surtout une pop mal coiffée, mal réveillée, d’humeur bougonne qui ne cherche pas à plaire. Ils chantent leur «Cold World» au coin du micro pop. Superbe allure que celle de cette pop se veut digne, coquette, montée en collet monté, oh so British, bien soutenue par ses arrières. Chaque cut affiche son identité. On passe complètement à autre chose avec «Stupid Mistake», pop taillée pour ravager les côtes, très tempestueuse, assez déterminée à lécher les plaies du Christ, cut éphraïque et héroïque à la fois. Ce ne sont que rafales de pop écrue jouées à l’insistance. On sent dans «Everybody Wants» un désir de pop océanique, donc indispensable. On goûte là au charme frelaté de la dérive paradoxale, un art que cultive déjà le Rev en Amérique. Ils tapent ensuite «Kick In The Teeth» aux nappes longitudinales. Les frères White savent se fâcher. C’est leur côté Boo Radleys. Les voici dans la Forêt Noire, avec pour background les méandres du fleuve et des lumières rasantes. Effroyable et wagnérien à la fois.

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    Si on veut s’offrir A Decade Of Awsome B-Sides & Rarities, c’est au mersh. Il s’agit d’une compile de démos et de morceaux enregistrés live. Idéal pour les admirateurs des White brothers. On y trouve notamment une belle version du «Kooks» de David Bowie. Ils tapent aussi un «I Took The Test» au mur du son. On est là en pleine Britpop de Cool Britania, ultra chargée de la barcasse, avec du solo de guitare en veux-tu en voilà. C’est tout simplement exceptionnel de prestige intercontinental. Comme on le voit avec «Stay Where You Are», ils adorent monter par dessus la pop. Ils jouent une pop qui nettoie les bronches, une pop qui transmute les ambiances. Les frères White sont en fait des white Christs of crust. Et voilà cette merveille absolutiste qu’est «Empty At The End». Elle grimpe très vite dans la moelle épinière. Il n’existe rien d’aussi demented are go. Ils font du driving wild, les flux montent droit au cerveau. On pourrait aussi taxer «Lily» d’absolute beginner. Un vrai rêve de pop. Ces mecs pulsent le Rev dans la pop anglaise. Ils montent leur big sound en neige. L’autre grosse reprise de cette compile est l’«Across The Universe» de John Lennon. Tout est bon là-dedans, pas grand chose à jeter. «Summer Slow Meander» éclate au grand jour, in the summertime, et «It’s Wasting Me Away» peut rendre fou de bonheur.

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    Paru en 2013, Idiots pourrait bien être leur meilleur album. Il s’y niche en effet quatre véritable coups de génie, des cuts de pop anglaise qui défient littéralement les dieux. Ça commence avec «Summertime In My Heart», une vrai pleurésie de dégoulinade pop, ultime dégaine d’entrejambe ventilée à l’hyper summertime. Extraordinaire ! Et ça continue avec «Brother You Must Walk Your Path Alone». On peut parler ici d’une vague beauté tranquille qui mute soudain en démesure apoplectique. Effarant, car éperdu de bonheur mélodique. Tout aussi exceptionnel d’élégance idiotique, voici le morceau titre. Les frères White claquent leur pop dans le move du Beatles groove d’antan. Ils déploient toute la puissance de l’axe métaphorique, ils démultiplient les alluvions d’allusions, les claqués de guitare sont à l’avenant, ça grimpe très haut, si haut, beaucoup plus haut qu’on ne l’imagine. Quatrième bombe sexuelle : «Welcome To The Weirdness», encore un cut drivé sévèrement dans l’excellence paradisiaque. Ces mecs ont tellement de génie à revendre qu’ils pourraient ouvrir une boutique. La pop n’a plus de secret pour les frères White. Ils sont les cordonniers les mieux chaussés, ils sont les enfants de la Parade du Paradis. «One Of These Days» flirte aussi avec ces réalités aphrodisiaques. Une aubaine pour le lapin blanc terré dans son terrier. On assiste une fois encore à une belle extension du domaine de la luge. Comme Pet Sounds, Idiots est un album qui se réécoute à la folie.

    Signé : Cazengler, électric sot tout court

    Electric Soft Parade. Le Trois Pièces. Rouen (76). 2 mai 2019

    Electric Soft Parade. Holes In The Wall. DB Records 2001

    Electric Soft Parade. The American Adventure. BMG UK 2003

    Electric Soft Parade. No Need To Be Downhearted. Truck Records 2006

    Electric Soft Parade. The Human Body EP. Truck Records 2006

    Electric Soft Parade. A Decade Of Awsome B-Sides & Rarities. Not On Label 2011

    Electric Soft Parade. Idiots. Helium Records 2013

     

    Oh Daddy Oh - Part Two

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    Jusque là, on pouvait compter sur les Trois Petits Cochons pour nous faire rêver. On pouvait aussi compter sur les Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas, sur les Pieds Nickelés de Louis Forton et bien sûr les Rois Mages, Melchior, Gaspard et Balthazar, sur Jo Zette et Jocko, mais aussi sur Zig & Puce & Alfred le pingouin. Maintenant on peut aussi compter sur les Daddy Long Legs, un trio assez éberluant de blues-rock new-yorkais qui depuis quelques années s’est spécialisé dans le cassage de baraque à l’ancienne. Oh c’est un métier quasiment disparu, jadis inventé par Jerry Lee. Cette sale petite gouape de Jerry Lee découvrit en 1956 qu’en donnant des coups de talon sur le clavier d’un piano, on pouvait casser la baraque. Aussi simple que ça. Pas besoin d’aller se fatiguer la cervelle à vouloir fabriquer un cocktail Molotov. Gueuler dans un micro et donner des coups de pieds, ça suffit largement. C’est même beaucoup plus efficace.

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    Alors ces trois branleurs new-yorkais ont décidé de perpétuer cette bonne vieille tradition apostolique. They keep it simple, comme dirait Sam Phillips, pas besoin d’aller réinventer le fil à couper le beurre. Une guitare, deux toms et une gosse caisse, ça suffit. Et bahm ! En plus ils jouent dans une cave, décors idéal pour leur primitivisme exacerbé. Ils sortent un son qui sent bon les early Pretty Things, Wolf et John Lee Hooker, ils visent le maximum des possibilités du drive, ils puent l’authenticité à dix kilomètres à la ronde, ils sont tellement dans le vrai qu’ils pourraient vous donner le vertige, ils shakent leur shook avec l’opiniâtreté dévoyée d’un orchestre de bastringue nègre payé à coups de lance-pierre par un redneck ségrégationniste.

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    Quand on descend à la cave voir jouer les Daddy Long Legs, ce n’est pas vraiment pour entendre des chansons délicates. On y va surtout pour se goinfrer de son et d’ambiance. C’est le côté américain du rock, ces mecs sont là pour chauffer une salle, pas pour chanter de jolies mélodies. Ça tombe bien, le chanteur Brian Hurd ramène avec sa fraise des faux airs de Jerry Lee : petite crinière blonde, cravate Western sur chemise blanche et veston noir, il semble sortir tout droit d’un club mal famé de Ferriday, baby. En plus, ce mec bouffe de l’harmo comme un Paul Butterfield sous amphètes, il arrange bien la gueule du shuffle des Appalaches et s’amuse à foncer comme un train fou à travers les vastes plaines d’un Montana qui ne doit rien à Montagné. Quand en milieu de set il récupère l’acou électrifiée de son compère Johnny Thunders, il se met à kentucker ses poux à l’onglet de picking névropathe, ah il faut avoir vu ça une fois dans sa vie, si on ne veut pas mourir idiot. Il claque ses chords à la claquemure de Cold River et hurle comme cet éclaireur du Septième de Cavalerie que les Apaches ont ligoté sur un lit de braises pour le voir rôtir à feu doux. Il hurle tellement que le train fou prend encore plus de vitesse. Le vent nous avale. On a l’impression de foncer avec eux vers le néant, ce bon vieux néant qui de toute façon nous attend à la sortie du virage. Alors fonçons dignement vers le néant.

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    Mais non, son compère ne s’appelle pas Johnny Thunders, pourtant ça le fait bien rigoler quand on l’appelle comme ça, parce que figurez-vous qu’il en a l’allure et la coiffure. Wow, ce mec est une pure déclinaison du grand et même très grand Johnny Thunders. En réalité, il s’appelle Murat Aktürk et fourbit tout le riffing et tout le bottlenecking. Il est d’une redoutable efficacité.

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    Et puisqu’on patauge dans les analogies, voilà Jerry Nolan étalé par dessus ses fûts. Eh oui, avec ses lunettes noires et sa coupe de cheveux, Josh Styles est une parfaite resucée du Nolan de l’époque New York Dolls. Tout ça nous donne un sacré mélange, et ce n’est pas fini, car voilà qu’ils tapent dans le saint des saints avec des reprises cataclysmiques, à commencer par l’admirable «High Flying Baby» des Groovies et un peu plus tard «Fire & Brimstone» de Link Wray, histoire de nous rappeler au passage qu’en plus de leurs bonnes dégaines, ils disposent aussi d’une belle collection de disques. Autre gage de respectabilité : leurs trois premiers albums sont sortis sur Norton, qui était du temps de Billy Miller l’un des labels les plus puristes qui ait jamais existé sur cette fucking planète. Billy Miller utilisait un portrait d’Esquerita pour décliner l’identité graphique de son label. Ça veut dire ce que ça veut dire. Mais Billy est mort et les Daddy Long Legs sont passés chez Yep Roc qui en tant que label n’a de leçons à recevoir de personne.

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    Sur scène, ils jouent quasiment tous les cuts de leur nouvel album, Lowdown Ways, à commencer par «Theme From Daddy Long Legs», un air de Western qui transforme aussitôt la cave en saloon. Cut idéal pour planter un décors. Alors, attention, c’est un excellent album classique, qu’on peut écouter à l’apéro en sifflant une «Pink Lemonade» et en beuglant de grands waouh waouh ! Les voilà sur le sentier de la guerre avec leurs waouh waouh, Josh Styles bat le beat tribal, et ce «Pink Lemonade» est tellement bardé de joie et de bonne humeur qu’il vous consolera d’avoir raté ce concert. Avec «Bad Neighbourhood», ils tapent carrément dans l’archétype de l’apanage définitif du boogie down, ils jouent leur rumble à la finesse caractérielle et ramènent dans leur limon tout l’historique gluant du Delta.

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    C’est très spectaculaire. Les Daddy Long Legs ont cette faculté de savoir proposer une musique extrêmement imagée. Tiens, un peu comme Scott Walker, mais dans un autre genre. On parle ici d’une forme de perfection classique dans la musicalité des choses et bien sûr, il n’existe rien de tel qu’une musique bien foutue pour susciter des images. Dans le boogie des noirs, on trouve souvent ces renvois au bayou, à l’enfer des marécages et aux cabanes. Les Daddy Long Legs n’ont pas le bonheur d’être noirs, mais ils savent capter l’essentiel de ce qui fait l’originalité et la profondeur du boogie et ont assez de talent pour réussir à l’exprimer à leur façon. S’il fallait dessiner des parallèles, on pourrait aller chercher le nom de Loose Gravel et dans une moindre mesure, celui de Captain Beefheart, le baryton en moins. Mais l’inspiration est là. Ainsi que l’indicible plaisir de restituer. Et ce n’est pas non plus un hasard Bathazar si ces trois kids cultivent un look Dollsy et s’amusent à sonner comme les Groovies. Un lien spirituel existe entre tous les noms cités dans cette foire à la saucisse. On retrouve à la base une même admiration des blancs pour les grands artistes noirs de la préhistoire du rock, à commencer par John Lee Hooker. «Mornin’ Noon & Nite» est du pur Hooky Hook, c’est marqué dessus comme sur le Port-Salut, ils emmènent ça au vieux boogie d’harmo, épais et bien tapé du pied, tu peux y aller, c’est du 100% pur jus, c’est tapé à l’unisson du saucisson sec, tous les ingrédients du commun des mortels sont là. Les Daddy Long Legs n’oublient rien, ils pensent à tout, leur truc c’est le global de globos. Les universitaires appelleraient ça l’universalisme. Ce boogie là parle à tout le monde, il ferait même danser un car de CRS. Il ferait aussi danser le dernier des beaufs, et même le lion de Griffith Park que dessinait Don Van Vliet quand il était petit. Tiens, puisqu’on parlait de cabane, voilà le bien nommé «Ding Dong Dang», une espèce de clin d’œil au Wang Dang Doodle de l’immense Big Dix, un Dong Dang bien sourd de cabane ultra-branlante, celle qui va te tomber sur la gueule au premier coup de vent, mais au point où tu en es, tu n’en as plus rien à secouer, il faut voir ces branleurs bosser leur branlant, ils ressortent tous les vieux plans des Immortal County Killers et de Big Foot Chester. Le souffle du boogie ravage à nouveau l’Amérique - L’Amérique, l’Amérique, je veux l’avoir et je l’aurai ! - Ils frisent le Creedence avec l’excellent «Winners Circle». D’autres diront qu’ils sonnent comme les Groovies, à cause de petites claquées d’accords subtils à la Cyril Jordan. Ils tartinent leur chant sur une belle cavalcade américaine et on note une fois encore l’incroyable prescience de leur présence dans l’outrance de la démence. Tant qu’on y est, voilà encore un cut digne d’emporter tous les suffrages : «Be Gone». Eh oui, les Daddy Oh le montent sur un beat extrêmement rebondi et le relancent dans les affres des arcanes. Ils éruptent en permanence, avec une énergie presque sauvage, comme s’ils jouaient autour du bivouac d’une mine de cuivre, quelque part dans le Minnesota, en 1851. Alors qu’au loin hurlent les coyotes, on les voit danser leur carmagnole tous les trois. Ils ont le pathos du boogie primitif chevillé au corps.

    Signé : Cazengler, Daddy longue laisse (ouaf ouaf)

    Daddy Long Legs. Le Trois Pièces. Rouen (76). 21 mai 2019

    Daddy Long Legs. Lowdown Ways. Yep Roc Records 2019

    19 / 05 / 2019MONTREUIL

    LA COMEDIA

    LES PUNAISES / LES MOONSHINERS

    MASSEY FERGUSON MEMORIAL

    CAUSA NOSTRA

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    Beaucoup de monde ce soir à la Comedia, soirée un peu spéciale en hommage à Kémar disparu depuis un an. Dommage qu'il n'y ait pas eu quelques mots prononcés à son égard. Ne serait-ce que pour ceux qui ne le connaissaient pas...

    LES PUNAISES

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    N'étaient pas prévues au programme mais se sont invitées, pas dans notre lit comme il paraît qu'elles prolifèrent sur Paris, mais sur scène. Vous rassure tout de suite, ne sont pas ces affreuses bestioles qui pullulent dans les romans russes du dix-neuvième siècle, mais quatre accortes gentes reines au sourire malicieux qui se contenteront de trois chansons. Sœur Carine est à la basse et au chant, ne craignez rien, son visage mutin prouve qu'elle n'est pas douée en bondieuserie, le premier morceau davantage parlé que chanté nous conte une de ces histoires d'amour incertaines, mi-figue-mi-raisin, qui nous rappellent la relativité humaine de l'absolu, pas de quoi en faire un drame, d'autant plus que l'accompagnement sixties accentue le dérisoire de la situation. Dr Marieke administre sa potion à la batterie, à ses côtés La Gaëlle est toute blondeur de goélette sous le vent de sa guitare, Carole Dirty Chauvin, cheveux courts tient aussi le rôle de guitariste. Autant que l'on puisse en juger en trois titres, l'ensemble oscille entre chanson réaliste festive et guitares claires début années soixante. L'on aurait bien aimé découvrir davantage, mais non, se sont éclipsées sous les applaudissements en toute simplicité. A moins que ce ne soit rouerie féminine éhontée car il est bien connu que l'absence attise l'imagination et l'envie.

    LES MOONSHINERS

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    J'ai bien compris qu'il y avait du rockabilly dans l'air puisque en tout début de la soirée Lulu des Megatons est venu me serrer la pogne, non il ne s'est pas converti au punk, l'est un mordu du son fifty et du début des sixties, l'est venu dépanner les Moonshiners en manque de batteur pour la soirée. Les bouilleurs de cru savaient qu'ils ne faisaient pas mauvaise pioche. Quel savoir faire le Lulu, l'est l'as du balai, je ne connais personne d'autre qui assure aussi nettement le feutrage du son avec la netteté de la frappe, deux dans un, l'adoucisseur et le détergent, vous voulez de la sourdine en voilà de quoi boucher le port de Marseille, vous désirez du rythme en voici, de l'incassable, de l'indétachable, vous suit comme votre ombre, vous poursuivrait jusqu'au bout du monde, de l'enfer et du paradis s'il le fallait. Aussi bizarre que cela le paraisse, l'on dirait que Lulu l'a son idée à lui de la section rythmique, n'essaie pas d'entrer en diapason avec l'orchestre, mais il se colle à la voix du chanteur, il en épouse toutes les inflexions, il en devance toutes les accélérations, il en souligne toutes les interruptions. Du grand art.

    Lulu a su capter le style et l'esprit du combo. Les Moonshiners ne sont pas des adeptes des éclairs et des éclats électriques. Ne forcent pas le son, ne sont pas des partisans de la rutilance, ce qui compte pour eux, c'est le beat originel, dont l'expression se doit de circonscrire l'écrin rythmique dévolu à l'exercice du vocal. Une souple retenue élastique à laquelle se plient la contrebasse d'Alexandre Romera et de la guitare de Mickaël Corbran. Toux deux jouent à l'humilité, pas une note plus haute que l'autre, mais que de velours abîmal dans les profondeurs, de netteté dans le tempo ! Atteignent à un dépouillement, à une rusticité fondamentale.

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    Autre surprise, sur l'intro de Georgia Buck d'Earl Scruggs, un gars issu des spectateurs s'en vient rôder auprès d'un micro adjacent, faut quelques secondes pour comprendre qu'il s'agit du chanteur, l'ennemi des effets théâtraux, les mains croisées à l'intérieur du devant de sa salopette, aussi tranquille que s'il attendait patiemment au comptoir que la serveuse lui adresse la parole, et sans préavis il se met à chanter avec le même naturel avec lequel vous commandez un sandwich jambon-fromage avec beurre et cornichons au vinaigre de Modène, et alors là, c'est l'extase, un vocal d'eau de source, un pur cristal, pas besoin d'effets, seulement quelques intonations posées d'instinct aux segmentations idéales, nous sommes aux racines appalachiennes de notre musique. S'agit de Thierry Cokrane Pelletier dont nous avons déjà chroniqué le livre Les Rois du Rock aux éditions Libertalia.

    Mais ce n'est pas tout. Un groupe à tiroirs multiples. Et dans chaque casier une merveille. Les Moonshiners ne distillent pas uniquement du bluegrass des vieux tonneaux, ne tapent pas uniquement dans le earlier rock'n'roll, sont avant tout des amateurs de musique populaire. N'oubliez pas que selon la distinction entre tradition savante et populaire, la proximité est plus grande qu'on ne le croit généralement. Pensez à la science prosodique d'un François Villon et la verdeur du monde de mauvais garçons qu'il évoque. C'est à cette rivière profonde que puisent les Moonshiners, chantent aussi bien en français qu'en anglais, pour notre idiome le plus souvent c'est Mickael Corbran qui s'y colle, évoque l'univers des blousons noirs, des voyous, de ce peuple de l'ombre surgi des terrains vagues, des taudis de Paris city et de banlieue blème, cette renaissance des anciens Apaches du début du siècle dernier.

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    Le set des Moonshiners fut un instant de grâce, hors du temps, un ressourcement à la veine la plus pure de la création populaire. Une prestation sans défaut. Extension méta-culturelle du domaine de la lutte rockabillyenne. Le moment le plus authentique de la soirée.

    MASSEY FERGUSON MEMORIAL

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    Pour avoir eu une maman qui a passé trente années de sa vie à vendre des tracteurs Massey Ferguson, au centre de l'Ariège bucolique, j'étais curieux de ce groupe mémorial. M'attendais à du garage bruiteux à fond les gamelles. Point du tout. Sont des adeptes du country. Mais déjanté. A première vue ils font dans le campagnard, ils ont un batteur, Freddy Wangs qui joue debout devant caisse claire et charleston. Et une chanteuse. Si dans votre esprit vous visualisez Dolly Parton, c'est que vous faites fausse route, vous êtes embourbés dans les clichés. L'a bien un chapeau de cowboy sur la tête et une robe à carreaux – style nappe de restaurant – l'est toute mince, ce genre de fille que dans le Sud on appelle des sécaïres, des bouts de femmes insupportables qui jouent à chamboule tout avec votre existence, que tout le monde redoute, les esprits chagrins parce qu'elles empêchent les vaches de vêler, les épouses parce qu'elles tarabustent les mâles, et les garçons sont atteints de la danse de Saint-Guy dés qu'ils aperçoivent le bout de leur jupon, personne ne les aime mais tout le monde les adore, car partout où elles passent la morosité trépasse. Bref Corinne Massey tressaute sur place, pogote devant son micro à la manière d'un pois sauteur atteint de délirium tremens et vous débite d'une voix perçante un country chaud de braise à toute vitesse. Souvent Chris Ferguson intervient à grands coups d'harmonica qu'il plante comme des clous dans une barrière de bois. Sam ( ne s'appelle pas Harris, les initiés comprendront ) s'occupe de la basse comme d'une botteleuse. A eux quatre, fomentent une pétaudière explosive, country festif à l'arrache, qui démantibule et atomise le public en joie qui leur fait un triomphe.

    CAUSA NOSTRA

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    Ah ! Le rock quand il est bien fait quelle merveille ! Sous n'importe quelle de ses déclinaisons. L'on a à chaque fois l'impression d'une révélation. Causa Nostra se revendique Punk et Oï, Punk y Skin comme le précise leur premier morceau. Avant tout un son, qui vous arrive dessus tel une flèche qui se fiche au plus profond de votre moelle épinière, pas étonnant si Sandro arbore un magnifique portrait de Géronimo sur son t-shirt, l'Apache indomptable – ses Mémoires sont à lire en nos temps de détresse - le rock'n'roll conçu comme un acte de résistance, remporte toute mes faveurs, cette vision me semble correspondre à ce qu'il y a au plus profond de sa nécessité existentielle. Les belles idées sont une chose, reste à les mettre en pratique, à les rendre signifiantes. Et en cela Causa Nostra y réussit parfaitement.

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    Une section rythmique de feu. Tapou sait où taper, vite et fort, sans arrêt, ignore tout du binaire simplet, l'est pour la multiplication des pains, à chaque coup une paroi de schiste se détache de la montagne et met en branle une série de causes à effets multiples, dévastatrice. Le plus fabuleux c'est qu'il n'est pas seul dans son coin à s'escrimer en vain, le reste de la bande se lance dans son sillage d'ardoises noires et tranchantes, certes il arrache tout sous son avalanche mais il est impensable que le vide sonore se reforme après son passage – pensez à la nécessité tactique pour les phalanges d'Alexandre à Gaugamèles de recoller les colonnes qui s'étaient écartées pour laisser passer les chars à faux de Darius et continuer leur marche en avant – alors Ioio BMG à la basse et Yoan et Andres aux guitares se hâtent de calfeutrer le moindre interstice à la la manière des longues sarisses macédoniennes que l'on croisait pour mieux les enfoncer dans les poitrails des chevaux afin d'arrêter les charges de la cavalerie adverse – ainsi se présente Causa Nostra, une musique sans faille, impénétrable, soudée comme les doigts de la main refermée en poing d'attaque et de défense.

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    Ne vous laissent pas une seconde de répit, sans cesse quelque chose qui surgit à découvrir, un bourdonnement de basse qui se transforme en rugissement, une guitare qui cisaille pendant que l'autre poinçonne. Avec Causa Nostra, c'est simple où vous montez dans le train en marche ou vous laissez passer en vous réfugiant piteusement dans les pissotières de la gare. A chacun son royaume ! En tout cas ce soir, si l'on en juge d'après le tumulte tout autour de la scène, il y a un sacré monde qui hurle de joie et son contentement et qui s'est déjà agglutiné sur le marche-pied pour un aller rock'n'roll sans retour. Pas besoin de manipuler un sondage d'opinion pour en être convaincu.

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    C'est dans cette fournaise kaotique que Sandro au micro éructe ses titres. Crevardog, Enculoï, Hooligan Vegan, certes l'on n'entend pas toujours distinctement les paroles mais nul besoin d'une explication de texte universitaire et blablateuse pour en comprendre le sens, quant à l'esprit de colère, de hargne et de révolte qui les anime Sandro la partage avec vous sans peine. Sait aussi se servir des torsions de son corps pour exprimer l'insatisfaction intergénérationnelle générale qui cimente l'assistance dans laquelle l'on retrouve des gens de toute horizon du rock'n'roll.

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    Causa Nostra se sont formés en 2017, mais il a déjà acquis un satané savoir-faire, un groupe à suivre de près.

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    Damie Chad.

    ( Photos : FB : loio BMG )

     

    27 / 05 / 2019 - MONTREUIL

    LA COMEDIA

    JUSTWÄR

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    Une adjonction de dernière minute au programme prévisionnel. Les groupes en tournée à la recherche d'une soudure entre deux dates se refilent l'adresse, l'internationale punk connaît les bonnes crèches, JustWär est en croisière en Europe, et vient de l'Est, de Tchéquie. Capitale Prague. La ville du Golem. Pour le moment tout est calme, peu de monde, Traktor s'est emparée d'une guitare acoustique et passe les accords en douceur... Tout à l'heure ce sera une autre paire de manches, mais n'anticipons pas, faut encore installer le matos. Les tchèques au boulot, ça ne plaisante pas, quand ils s'y mettent ce n'est pas à moitié, vous sortent de leur transit des amplis aussi lourds que des camion-bennes et vous les transportent comme des boites d'allumettes, six grands gaillards opératifs, vous hissent la grande toile noire de leur logo comme les navires pirates le Jolly Roger au moment de l'abordage, pendant que du côté merchandising les différents sweats sont enfilés sur des cintres de présentation avec un soin minutieux digne d'une boutique de mode. Z'ont aussi une caisse pleine de 45 tours de formations diverses pratiquement toutes inconnues et deux 33 album vinyl de leur propre production en exposition. Le monde arrive petit à petit, pas la grande foule, mais l'happy few des connaisseurs et des chanceux qui ont reçu l'information à temps.

    JUSTWÄR

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    Quatre sur scène. Mark Splinter se plante devant le micro et tout de suite c'est l'extase. La fougue, la rage, et la jeunesse. Derrière lui, je vous l'assure, ça ne chôme pas dans les chaumes agrestes, mais il est là, anneaux de corsaire à ses lobes, bas du crâne rasé surmonté d'un écrasement de touffe de cheveux noirs comme la lèpre de la colère, ne touche même pas le micro, l'est comme un enfant, les poings près du corps qui s'obstine à refuser la laideur du monde des adultes, et qui fait part de son refus de plier à des exigences qui n'émaneraient pas de lui seul. Il rauque et il rocke, il énonce des paroles de feu et d'incendie, on ne les comprend pas, mais elles brûlent quand même.

    Miki, blond comme les blés, est à la basse. Toutes les trente secondes il lance un regard vers Traktor qui refermé sur lui-même n'en fait pas cas. Du moins semble-t-il, mais au merveilleuses broderies qu'ils tissent de conserve ils doivent communiquer par des ondes qui nous sommes inaccessibles. D'abord les mains de Traktor, un véritable traquenard de violence rentrée, la gauche saisit dans sa grosse poigne le manche vous l'enserre si fort qu'il disparaît pratiquement – c'est ainsi que l'enfançon Hérakles dans son berceau a dû broyer les cous des deux serpents que la furie Héra avait envoyés pour se débarrasser de ce bâtard sorti du ventre d'une rivale – Traktor serre et c'est tout, le poing fermé se déplace de temps en temps mais il ne se soucie guère de chaque corde en particulier. A droite c'est encore plus pharamineusement terrible. Il joue au plus près, du bout des doigts, les phalanges repliées broutent littéralement les cordes avec cette ténacité méthodique d'un troupeau de chèvres absorbé à éradiquer les promesses des bourgeons des branches basses et hautes des fruitiers du verger paradisiaque interdit. Certes, depuis son corps massif et de sa longue chevelure barbare, il assure le continuum tonitruant de l'onde sonore comme un guitariste normal, mais c'est surtout ce que le commun des gratteux ne savent pas faire qui nous assaille, vous percevez de temps en temps, au milieu du fracas, des séries de notes d'autant plus menaçantes que d'une clarté absolue, elles se faufilent, à la manière de la nageoire dorsale d'une bête marine, issue des profondeurs abyssales, dont vous pressentez la destructive monstruosité à la rapidité fuyante de cette crête cartilagineuse hérissé de piquants antédiluviens. Le Kraken aurait-il lâché ses chiens de mer ouraganiques ?

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    Méfiez-vous des apparences, Miki est le champion des entortillements de lignes de basse. Un pervers, le gars qui vous lance douze harpons dans le corps de Moby Dick en prenant bien soin d'entremêler les câbles et les filins d'acier, juste pour le plaisir au dernier moment - alors que le monstre s'apprête à plonger et à entraîner la baleinière au plus profond des fosses océanes – de sortir sa scie à métaux et de quelques incroyables coups incisifs vous trancher l'écheveau qu'il vient de tresser. L'est ainsi Miki, l'est comme l'aigle à deux têtes qui regarde du côté ou le soleil se lève et du côté où l'astre solaire se couche, après avoir passé les trois-quarts du set à chercher le regard de Traktor, il tournera son visage à l'exact opposé, Janus à double figure qui porte les yeux au plus lointain du passé et du futur, sa manière à lui d'assurer la présence de la fureur chaotique du combo dans l'opération de la coïncidence tectonique des contraires.

    N'oublions surtout pas Safa, voudrait-on qu'on n'y parviendrait pas. Sait se faire entendre bellement. L'a le drummin' intempestif, bouscule son monde. Vous drosse salement sur les rochers du naufrage à tout instant. Vous n'y échappez pas, vous colle sur les murailles de votre inaptitudes à être entièrement ce que vous aimeriez être. Etrangement cela vous donne le courage énergétique de vivre. L'a la frappe-faucon qui monte haut vers le haut zénithal du ciel et se laisse soudainement tomber, une pierre éruptive crachée par la bouche éruptive d'un volcan en feu, qui s'abat et casse les reins d'un rongeur qui n'a rien vu venir. La mort est aussi un triomphe. Safa, le plus beau ce sont ses brisures définitivess. Alors qu'il mène un train d'enfer, brusquement il accélère et dans le même moment il arrête tout. Le combo réduit au silence, votre cœur idem, et peut-être même le monde entier tout autour. Emporté par la force cinétique de cet arrêt immédiat, Safa se dresse debout, immobile et pantelant, la baguette en avant, maestro du désastre, flèche fichée au cœur de la cible. De notre existence.

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    Quarante minutes de fureur. Quarante minutes de bonheur.

    Damie Chad.

    THE LAST GOODBYE

    JUSTWÄR

    ( EP / Février 2017 )

    Bass : Mitri Climax / Drum : Marwin / Guitar : Traktor / Vocal : Splinter

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    All Guns Afire : un serpent de guitares qui se redresse, et la voix qui avertit, la batterie s'emballe et c'est parti pour l'éructation suprême zébrée d'éclairs rageurs de basse, l'avertissement de tous les dangers, la guitare crie comme une bête que l'on écartèle vivante dans un abattoir, les cris de dénonciation de l'urgence de la situation n'y feront rien, il est déjà trop tard. Protest Sonnet : lamento d'Hamlet, tiré tout droit de Shakespeare, sur la nécessité de survivre – il faut nous y habituer, à l'Est de l'Europe la poésie a encore sa place dans les consciences – la rage et le désespoir de vivre et de mourir. Rythme haletant, si vous vous attendiez à un lamento funèbre style Comédie Française, vous serez déçu. La voix griffe comme des ongles qui attaquent de l'intérieur le cercueil de la vie dans laquelle vous êtes enfermé. Un morceau court qui excède à peine les deux minutes trente, l'on se prend à rêver d'une véritable radio-rock qui tartinerait cette merveille dans ses programmes, hit potentiel, il est dommage que cela reste confidentiel, et puis ce solo de guitare, si bref, mais qui produit tant de jouissance. Cards and Dice : de l'envoyé concentré, voix et musique collées l'une à l'autre, à toute vitesse, le jeu est dangereux, ce n'est ni un passe-temps ni un vice, simplement le jeu de la vie et de la mort, ce qui change tout, si vous n'avez pas les bonnes cartes en main, les atouts-maîtres dans votre manche, vous êtes foutu jusqu'au trou du cul. Voix comminatoire, écroulements de guitares, base-ball de batterie, les dés sont pipés et les cartes biseautées, le hasard ne sera jamais de votre côté. Ou alors pas du bon. Instrumentation définitive. Civilization's Agony : pas besoin de vous faire un dessin pour les paroles, dites-vous que Splinter ne vous les susurre pas dans le creux de l'oreille, vous massacre les tympans au marteau-piqueur, les guys derrière carburent à mort, concassage de batterie, fusillades de guitares, si vous ne comprenez pas, si vous n'êtes pas réceptif, si votre intellect est sourd, l'est sûr que vous méritez de finir.

    Un quarante-cinq tours qui déchire. Décidément JustWär est aussi bon sur disque que sur scène.

    Damie Chad.

     

     

    SECTE 2

    TENDRESSE DECHIRANTE

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    J'avais beaucoup aimé Fictionaboutfiction, tout naturellement j'ai embrayé sur le nouveau projet de Diane Aberdam et Emilien Prost, Tendresse Déchirante mais qui jusques à lors se résumait au seul clip de Sérénade Américaine – chroniqué in KR'TNT ! 412 du 28 / 03 / 2019 – voici donc le deuxième opus du groupe que vous retrouverez sur leur FB : Tendresse Déchirante. Rien à voir avec le premier si ce n'est l'appartement bobo qui sert de décor. Encore que.

    A voir. A entendre. Une musique obsédante qui tourne en boucles répétitives, entrecoupés de séquences sonores minimalistes, des espèces de chœurs lointains et pratiquement tibétains, et le murmure macéré et gloutonné d'Emilien Prost qui mène la ronde rituellique. Si vous regardez vite, sans trop d'attention, happé par la juxtaposition des images vous pensez à un collage surréaliste délirant d'autant plus fascinant que mouvant à l'instar des sables meurtriers.

    Encore que. Le rapport avec Sérénade Américaine est des plus évidents. La même histoire mais déclinée autrement. Celle du couple primordial. L'opération alchimique la plus délicate. Qui se déploie en deux temps – fusion et séparation. Jonction et arrachement. Le ballet des araignées copulatoires. C'est toujours l'amante religieuse qui tue le mâle. Encore que. Elle se doit d'abord de subir l'attrait irrésistible, de se livrer à la parade nuptiale de la tentation du boy, qui joue au beau ténébreux, à l'acteur impassible du mystère, il est le maître, il est le gourou, revêtu de sa chasuble blanche, l'essaie d'instiller du sacré dans l'acte procréatif, cela s'appelle une manipulation mentale qui n'a d'autre but qu'une introspection charnelle. L'est prêt d'arriver à ses fins, mais à l'ultime moment la bête que l'on entend de temps en temps glapir en lui, se libère totalement, brise ses chaînes et aboie furieusement tel un roquet affamé qui ne peut se retenir le cri du désir, en sa tête déjà assouvi, devant un morceau de viande posée dans sa gamelle... l'est prêt de satisfaire sa faim, en fait l'incantation se résout en hurlement et le sorcier belluaire brise l'enchantement, l'est plus prêt de sa fin qu'il ne le croyait. Coup de gong final. La victime faussement innocente – n'a t-elle pas eu ce qu'elle désirait, la reddition totale de l'autre - s'enfuit. Encore que. Un dernier plan vertigineusement raccourci laisse entendre que.

    Ça s'écoute. Ça se regarde. Ça se réfléchit. Bibelot à facettes multiples. Artefact sexuel. Semence trouble. Jetée dans votre esprit.

    Damie Chad.

     

    AMOURS ENFERMEES

    JULIETTE MOREAU

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    M'étonnerait que vous puissiez le retrouver. Pas d'adresse, pas de raison sociale de maison d'édition, pas de date, une signature aux trop nombreux homonymes pour être identifiée, et puis pas grand chose, quatre feuilles de papier A4 pliées en deux, par aucune agrafe retenues, en guise de couverture ( recto et verso ) un lambeau de la Carte de Tendre que tous les amateurs de Madeleine de Scudéry connaissent bien... Moi-même je suis bien embêté pour savoir où j'ai récupéré ce modeste fascicule, ai été le premier surpris d'y tomber dessus en essayant – tentative vainement avortée – de ranger mon bureau.

    Avertissement aux kr'tntreaders, le texte n'a rien à voir avec le rock'n'roll, le mot n'est même pas mentionné, z'oui mais le texte est foutrement et follement rock'n'roll. Deux adverbes qui ne sont pas choisis au hasard. La rédactrice aura passé quatre cent cinquante jours au Service Hospitalier Universitaire. A Sainte-Anne pour ceux qui veulent tout savoir. La nef des fous échouée en terre.

    Une étudiante, une intellectuelle, et mieux une cérébrale, tout se passe dans la tête, et dans le désir, à tout moment affleurent la chair et la beauté de l'autre, jeu de séduction avec les professeurs et les médecins, le sexe, comme le témoin phantasmé et fascinatoire que l'on passe de l'une aux autres, et la contre-preuve d'un manque de confiance en soi, peut-être. Une descente en soi-même, en les mots de la littérature qui deviennent miroir de son propre double, une espèce d'auto-pénétration intellectuelle, une longue dégringolade au fond de soi, au fond de l'esprit et du sang charnel. Chausse-trappe de la folie. Une saison en enfer. L'on n'en sort pas indemne. Surtout le lecteur. Au résultat un magnifique poème en prose. L'on imagine la musique brisée qu'un groupe de rock pourrait poser dessous. Pas dessus, car l'on n'enferme pas les mots qui trouent les murs. De la conscience.

    Damie Chad.

     

    CASONI BLUES

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    Juste quelques mots, encore une fois pour signaler la triste évidence que tout a une fin, même les bonnes choses. Voici plusieurs années que j'achète Rock'n'Folk pour un seul motif. La lecture de Beano Blues de Christian Casoni. Une seule page, mais à chaque fois la meilleure de tous les articles. Une histoire du blues du début, dans le désordre, je sais ce n'est pas la fin des haricots non plus, z'allez me dire que vous connaissez, que vous avez déjà un demi-quintal de books qui raconte le truc avec tous les détails. Z'oui, mais chez Casoni vous avez le gramme de plus, celui qui fait toute la différence, un peu comme quand vous pesez un moribond deux fois, une fois avant, une fois juste après qu'il a poussé sa pipe sur l'autre rive, afin de vous renseigner sur le poids de l'âme humaine, pas grand-chose, ne dépasse pas celui d'une plume, or justement c'est cette plume que vous trouvez chez Casoni, aussi voyante qu'une peinture de guerre sur la robe d'un appaloosa, bref Christian Casoni, il a le style, celui qui n'appartient qu'à lui, aussi facile à reconnaître qu'une intonation de B.B. King ou un riff d'Hubert Sumlin. N'y a plus qu'à espérer que cette quarantaine de chroniques soient réunies dans un bouquin, les gamins pourront y apprendre à lire et à écrire. Magie des mots qui recréent une époque, des certitudes existentielles de désirs humains, repèrent les failles, les manques, et traduisent le rêve intérieur de celui qui les rassemble. Cette galerie de portraits, eaux-fortes au vitriol émouvant, se termine par un superbe pied de nez, après tous les loups noirs des hordes faméliques du Delta, voici le mouton blanc de par chez nous, qui ma fois bêle et bleuse de bien belle façon : Benoît Blue Boy.

    Un grand merci à Christian Casoni.

    Damie Chad.