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dr john

  • CHRONIQUES DE POURPRE 581 : KR'TNT 581 : CLIFF BENNETT / HAWKWIND / Dr JOHN / SUEDE / MAXAYN / THE MEMPHIS BLUES CREAM / BARABBAS / CÖRRUPT / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    LIVRAISON 581

    cliff bennett, hawkwind, dr john, suede, maxayn, the memphis blues cream, barabbas, cörrupt, rockambolesques,

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    29 / 12 / 2022

      CLIFF BENNETT / HAWKWIND

    Dr JOHN / SUEDE / MAXAYN

    THE MEMPHIS BLUES CREAM / BARABBAS

     CÖRRUPT / ROCKAMBOLESQUES

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 581

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

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    C’est une ancienne chronique parue le 18 / 09 / 2015 dans notre livraison 247, écrite par Pat Grand, une amie chère de toujours,

    aujourd’hui ses cendres ont été dispersées au vent…

    …semences des mondes qui viennent…

    NOTULES DE TOULOUSE

    LA DERNIERE CHANCE – 11 / 09 / 15 

    THE GRAVE DIGGERS / THE WILD ZOMBIE

    LES ENNUIS COMMENCENT

     

             L'ami Chad nous l'avait conseillé : ne ratez sous aucun prétexte Les Ennuis Commencent. Les voici annoncés à La Dernière Chance. Nous voilà donc partis, Eric et moi, non pas en teuf-teuf, mais en tram et en métro, très vite. Peur de ne pas avoir de place mais en fait nous nous sommes retrouvés une poignée de pèlerins devant le cabaret de La Dernière Chance. Nous sommes pressés de saisir la nôtre, mais nous attendons car la billetterie ne trouve pas la caisse.  Z’avaient fait la fête jusqu’à sept heures du mat la veille et effectuaient un sommaire nettoyage du lieu. Z'auraient dû se reposer, on n'aurait pas vu la différence, tout juste si  le tenancier  commençait à éponger le comptoir. Et nous voici en train de descendre un escalier, dans le noir profond - les mines de charbon ne sont plus à Decazeville - pour aboutir dans une petite salle avec une scène éclairée de trois mètres sur deux (difficile de se mouvoir pour les musicos ! ). Transportés dans un lieu comme il en existait il y a quarante ans, en une dimension non écologique où les gens fumaient sans que cela inquiétât qui que ce fût ! Heureusement nous n'étions que dix au départ pour finir une trentaine en fin de soirée. Z’avons vite compris en arrivant qu’il fallait bien choisir sa place car les semelles collaient tellement au sol - n'avait pas vu la couleur de l’eau depuis belle lurette – qu’une fois kitchés on ne pouvait plus bouger.

     THE GRAVE DIGGERS

             Dès le premier morceau de The Grave Diggers, de Toulouse, on comprend vite qu’on en ressortira tous sourds. Mais comme tu ne peux plus bouger car tes pieds sont collés... Groupe sympathique, bons techniciens, corrects mais bon, un peu «flou»,  nous jouent les génériques de Pulp Fiction» comme de  L'inspecteur Gagdet»….

    THE WILD ZOMBIES

             Puis arrivent The Wild Zombies, quatre gars de la ville rose, deux guitaristes, basse et batteur,  des colliers de dents autour du cou. Après une mise en scène : statuette Baron Samedi  et encens, ils jouent de la bonne musique, le chanteur a une belle voix  intéressante. Bons musicos. Nous ne sommes plus que six à les écouter, dommage car  la musique est nettement supérieure à celle du groupe précédent.

    LES ENNUIS COMMENCENT

             Gus Tattoo, le contrebassiste s’installe (je kiffe, comme dirait l'amie Béa, sur la contrebasse. J’en veux une comme ça, trop belle!). Puis arrive Atomic Ben, directly from Decazeville – un autre fils du Sud - je me précipite pour le prendre en photo et ne voilà-t-il pas qu’il pose en me disant : « d’habitude c’est le contrebassiste que l’on prend en photo! ». Suis contente, toute troublée... comme la photo! Ils paraissent tellement timides que l’on ne voit pas arriver le reste des musiciens, deux petits jeunes tout fins, Arno le guitariste et Hugo le batteur.

             Et puis, c’est le nirvana, bon n’exagérons pas mais quelle explosion!  Nous serons finalement une trentaine à jubiler pendant une petite heure seulement, car il a fallu laisser la place à un DJ, n'aurions-nous donc vécu que pour cette infamie ? Dommage, les Ennuis étaient bien partis pour jouer une heure de plus. On ne les tenait plus, et nous non plus. Enfin une super ambiance, de la bonne musique, de l’humour, des musiciens qui vous offrent, tout simplement, leur talent et leur amour en partage. Bref, la classe !!!

    Ils sortent leur dernier album le 28 novembre !

    LA VIE APRES LE CHARBON

    Et c’est complètement sourds que nous nous sommes extirpés de ce sol gluant mais sans regret d’être venus.

    Pat'

    Avec Bennett, c’est net

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             Il existe deux façons d’entrer dans l’univers de Cliff Bennett : soit par les compiles Mod,  soit par Toe Fat, le groupe qu’il a monté en 1970, après la fin des Rebel Rousers.

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             C’est grâce aux compiles Mod qu’on est retourné fureter du côté de Cliff Bennett & The Rebel Rousers, de Geno Washington & The Ram Jam Band ou encore de Jimmy James & The Vagabonds. Toutes ces vaillantes équipes shakaient cette London Soul si précieuse aux handy Mods de London town et du Nord de l’Angleterre. En matière de Soul blanche, les trois albums de Cliff Bennett & The Rebel Rousers, sont des must-have, à commencer par le premier, l’album sans titre paru en 1965, on y voit le Bennett faire son white nigger sur «Talking About My Baby», une cover de Curtis Mayfield. Il tape aussi l’«It’s Alright» de Curtis, c’est dire la classe du Cliff, taper dans Curtis n’est pas si commun. Il tape aussi dans Don Covay avec «Mercy Mercy» - Have mercy baby/ have mercy on me - Une vraie dégelée de coverture, c’est plein de spirit et même terrific ! Et puis tu as l’«I Can’t Stand It» d’ouverture de balda, ces mecs ont le feu au cul, ils jouent fast and wild, ils démultiplient les exploits, les questions/réponses d’I can’t stand it, ça échange dans le groupe, et ils filent ventre à terre, comme de prodigieux Soul scorchers des plaines, ils chauffent la marmite au no no no et ça repart toujours à la folie. Ils tapent aussi dans Smokey avec «You’ve Got A Hold On Me», les Anglais s’aventurent en plein territoire Motown, ils ont du courage et il faut les saluer pour ça, car s’aventurer en territoire Motown pourrait leur briser les reins, crack ! Mais avec Cliff, ça passe. Ils tapent aussi dans Jimmy Reed avec «Ain’t That Lovin’ You Baby», ils transforment le heavy rumble de Jimmy Reed en London bus, c’est un double decker de bonne humeur à la mormoille. Le «One Way Love» qui ouvre le bal de la B te réveillera si tu somnoles, en plus tu l’as déjà rencontré dans des écoutes de pas d’heure et tu dis que ce Cliff est vraiment bon. Encore une cover de choix avec le «Steal Your Heart Away» de Bobby Parker, Merveilleusement restitué.

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             Le Cliff fait encore quelques ravages sur Drivin’ You Wild, un beau mono paru en 1965. Il sauve les meubles de l’A avec un fantastique «Sweet Sorrow» signé Mann & Weil, gros shoot de Brill qu’il chante comme un crack. Mais c’est en B qu’il planque sa viande, il rivalise de scorching avec Tom Jones dans «Who’s Cheatin’ Who», puis il tape dans le dur avec «I’ll Be Doggone», gros shoot de r’n’b. Le Cliff est l’un des chanteurs qui allument le plus en Angleterre. Il refait son white nigger avec «Strange Feeling» et retape dans le Brill de Mann & Weil avec «I’ll Take You Home». Globalement, on est assez content du voyage.

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             C’est en 1967 que le Cliff enregistre l’excellent Got To Get You Into Our Life. C’est un pur album de white nigger, rien qu’avec la version de «Barefootin’» qui ouvre le bal de la B, il rend un sacré hommage à Bobby Parker. Il y met tout son soin, woow comme ce mec Bennett peut être net ! Toujours en B, il rend hommage au Stax sound avec «You Don’t Know What I Know», il en met plein la vue à Gawd, c’est fameux, le Cliff fait son Sam & Dave. S’ensuit une cover de «CC Rider Blues» amenée à l’orgue comme celle d’Eric Burdon et avec du raunch à la pelle. Le coup de génie se l’album sur trouve aussi sur cette B détonnante : «Stop Her On Sight (SOS)», fantastique énergie du beat, avec des cuivres en embuscade, c’est un fantastique shuffle à l’Anglaise. Et l’A dans tout ça ? Oh, elle n’est pas en reste avec sa version de «Roadrunner». Le Cliff en fait une version à la Jr Walker, il emmène Bo rôtir en enfer. Version faramineuse du «Got To Get You Into My Life» des Beatles. Et encore une belle énormité avec «It’s A Wonder», heavy pop Soul de Cliff, power & glory all over. C’est clair et net. Ce mec est effarant de grandeur totémique. Il frise le Wilson Pickett en permanence.

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             Paru en 1986, Got To Get You Into My Life est un Best Of qui permet de récupérer les singles, notamment le morceau titre. Leur version de «Got To Get You Into My Life» est aussi bonne que celle de McCartney. La grande spécialité du Cliff et de ses Rebel Rousers, ce sont les covers, et là, tu en trouves une tonne, et c’est du sérieux, principalement les hits signés Hayes/Porter, le dream team de Stax : «Hold On I’m Comin’» et «I Take What I Want», le Cliff les bouffe tout crus. Il reprend aussi le «CC Rider Blues» avec l’attaque d’orgue en forme de virevolte d’Eric Burdon et c’est embarqué au heavy stomp de Bristish Beat. Fabuleuse cover de «Back In The USSR», le Cliff est dessus, sans l’éclat vocal de John Lennon, mais avec une ferveur qui ne trompe pas. En B, il tape le «Barefootin’» de Bobby Parker, jerky jerk de Mod craze. Ah la classe des Rousers ! Il faut les entendre dans «Hurtin’ Inside», puissant rockalama avec un solo qui vient te claquer le timpani du beignet au cœur de l’action.

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             Sur Cliff Bennet Branches Out paru en 1968, on retrouve la cover d’«I Take What I Want» évoquée plus haut, une cover pleine d’urgence de white Cliff power, il en fait l’une des covers du siècle passé, aucun doute là-dessus. Il reprend aussi le «Good Times» des Easybeats pour le transformer en heavy r’n’b. Il le chauffe à blanc. Fucking genius ! Il tape dans deux cuts pas très connus d’Isaac, «Ease Me» et «I Said I Weren’t» qu’il chauffe encore à blanc. Le Cliff est l’un des grands white niggers d’Angleterre et cet album est un big album, un de plus à l’actif du Cliff. Encore un coup de Jarnac avec la cover du «Taking Care Of Woman Is A Full Time Job» de Joe Tex, un vrai shoot de wild r’n’b. Le Cliff est bien dans le Tex. Il fait aussi une belle cover du «Lonely Weekends» de Charlie Rich, il la tape au heavy swing avec une vraie voix. Il a tout bon. Et pour l’ouverture de son balda, il a choisi «You’re Breaking Me Up», une heavy pop cuivrée dans laquelle résonnent des accents de «Got To Get You Into My Life». Wow, ça sent bon les Beatles ! 

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             On change d’époque avec Cliff Bennett’s Rebellion paru en 1971. La pochette est volontairement imprimée à l’envers, c’est-à-dire que le disk sort par la gauche. Terminé le temps des covers de r’n’b. Le Cliff passe au rock blanc. Il ne fait que deux reprises sur cet album, le «Blues Power» de Clapton et le «Sandy Mary» de Peter Green, joué bien heavy. Le Cliff attaque son balda avec «Say You Don’t Love Me», un heavy balladif à la Bennett, propre et nett et sur «Please Say You’ll Come», un guitariste nommé Robert Smith fait des siennes. On ne lui en demandait pas tant. «LA» sonne comme un slow rock d’époque joué à la basse. Le bassman qui s’appelle John Gray est un bon. Avec le chant puissant du Cliff, ça passe comme une lettre à la poste.

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             En 1976, le Cliff se retrouve dans l’un des groupes de Mick Green, Shanghai, et donc sur l’album Fallen Heroes. Bon, ce n’est pas l’album du siècle, même si Mick Green est l’un des guitaristes les plus intéressants d’Angleterre. On n’échappe pas à une petite reprise de «Shakin’ All Over», puis ils passent au heavy boogie qui ne rigole pas avec «Lets Get The Hell Off This Highway». Pour Mick Green, c’est du gâtö, il tape même une partie de bluegrass en fast picking. Ils terminent l’A avec un «Nobody’s Fool» en forme de longue variation. C’est du gros Cliff et du gros Green. On peut leur faire confiance. Le «Candy Eyes» qui ouvre le bal de la B préfigure le Toe Fat à venir : heavy beat et grosse masse volumique. Alors le Cliff pose sa voix de big man dans l’écrin rouge d’une prod parfaite. S’ils ont autant de son, c’est parce que le groupe comprend deux bons guitaristes. En plus de Mick Green, un certain Brian Alterman fait des siennes sur «Over The Wall». Puis avec «Solaris», ils font une espèce de Led Zep bien heavy, avec deux solos de guitare structurels dignes de ceux de Jimmy Page, à l’époque des grands vertiges.  

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             Pour la petite histoire : Shanghai est un groupe qui existait avant l’arrivée de Cliff Bennett. C’était un quatuor assemblé par Mick Green et le chanteur était un black nommé Chuck Bedford. Leur premier album est une petite merveille qu’on ne peut que recommander chaudement. Il est même bien meilleur que Fallen Heroes. Shanghai est sorti sur Warner en 1974, et Chuck Bedford amène de la Soul dans le rock blanc, de la même façon que Ray Owen avait amené de la Soul dans Juicy Lucy. Alors, un chanteur black et un géant comme Mick Green, ça ne peut faire que des étincelles. L’album sonne vraiment bien, «Weekend Madmess» est une véritable énormité, avec l’envolée du sweet sweet madness. Et dans «Joy Joy Joy», le Green passe l’un de ces brillants solos dont il a le secret. Ils attaquent leur B avec «Hobo», à la systémique du totémique et calment le jeu avec «Sparks Of Time», un gratté à coups d’acou, mais porté par cette solide rythmique qui n’en finit plus d’épater. C’est plein de son, en permanence, ils proposent une incroyable variété de tons et d’attaques, «If You Can’t Live (You’re Dead)» est encore une bonne surprise. Le Soul Brother est de retour sur «Magic Lady». Diable, comme ce mec est bon ! Heavy loose de goose avec «Loose As A Goose», ils sont irréprochables de bout en bout. Bravo les gars !   

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             Toe Fat est donc la deuxième entrée dans l’univers de Cliff Bennett. Dans les early seventies, bon nombre de kids furent fascinés par la pochette surréaliste du premier album sans titre de Toe Fat, et pour eux, ce fut l’occasion de découvrir Cliff Bennett, qui était relativement inconnu en France. On trouvait aussi deux futurs Uriah Heep dans Toe Fat, Lee Kerslake (beurre) et Ken  Hensley (guitar), plus l’excellent bassman John Konas, un nom qui serait difficile à porter en France, mais en Angleterre, ça passe. Toe Fat date de 1970. Ils annoncent la couleur avec «That’s My Love For You», solide Toe Fat rock avec le Bennett on the cliff. Il est bien grimpé sur sa falaise, le vieux white nigger. Le hit de l’album s’appelle «Nobody», un heavy groove à la Status Quo, le Cliff mène grand train, il chante comme un seigneur de l’An Mil, c’est énorme, gras, seyant, imparable, Fat à souhait. C’est John Konas qui vole le show dans «But I’m Wrong». Tout est bien heavy sur cet album, ils embarquent «Just Like Me» au just like me et Ken Hensley fait un carnage dans «I Can’t Believe», on le voit sortir son agressivité au coin du bois. Retour au heavy boogie à la Status Quo avec «You Tried To Take It All», ils chargent la barque de Fat à outrance, et le Cliff y rajoute tout le gras double dont il est capable.

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             La même année paraissait Two. L’album est nettement moins dense que le précédent. Cliff Bennett fait son heavy bump, mais ce n’est pas très bon. Et quand tu penses que des gens vont sortir un gros billet pour ça, tu rigoles. «Indian Summer» sonne comme du conglomérat de pré-Uriah Heep et de post Rebel Rousers. C’est assez pauvre et même proggy. On sait que le prog est un cache-misère. On perd complètement l’énergie du premier album. Il ne faut pas être clerc de notaire pour voir que ces mecs sont cuits, et Cliff en premier. C’est un white nigger, il n’a rien à faire dans le prog anglais. Ils passent au heavy blues avec «There’ll Be Changes», comme s’ils n’avaient plus rien à dire. Toe Fat a perdu sa spécificité. Ils font du gros n’importe quoi. En B, Cliff Bennett tente de sauver les meubles avec «Since You’ve Been Gone», il y va au heavy guttural, c’est-à-dire à la force du poignet, mais on ne voit que ça, l’efficacité. Il reste l’un des meilleurs shakers d’Angleterre. Il reste dans le heavy Fat avec «Three Time Loser» et là ça devient intéressant. On le retrouve au sommet du cliff de marbre avec «Midnight Sun», prêt à plonger dans le lagon d’argent, tellement il se sent mythique. Mais ce ne sont en aucun cas les compos du siècle. Toe Fat est un groupe qui peine à jouir. Ils ont un problème de carence compositale. Cliff fait son cliff de marbre, il reste très concerné, il est parfois si impliqué qu’il en devient insupportable. Il fait comme il peut.    

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             En l’an 2000, Cliff Bennett entame une carrière solo avec Loud And Clear. Autant l’avouer : c’est une véritable rafale de covers, à commencer par le vieux «Got To Get You Into My Life» que chantait si bien McCatney à l’époque et que Cliff s’est approprié au temps des Rebel Rousers. Il chante toujours aussi bien son ooohhh every single day of my life, il remonte bien le courant, c’est un vrai saumon, le vieux Cliff. Il tape aussi un fantastique «Knock On Wood», il est tout de suite dans Stax, c’est quasiment automatique chez lui, il sature sa cover de classe de Cliff, il travaille ça au heavy groove de vétéran. Encore du pur jus de Stax avec «Soul Man», you got some ! Il revient à sa vieille obsession pour les Beatles avec une brillante cover de «Back In The USSR», cover magique, il la prend à sa façon, c’est plus âpre, très cuivré, in USSR you know how lucky you are ! La cerise sur le gâtö est sa cover d’«A Woman Left Lonely». Le Cliff est l’un des mieux placés pour taper dans Dan, il grimpe très vite très haut, Cliff est une âme sensible, donc légère, il peigne le Penn sans peine. Cliff Bennett est une bonne adresse. Si tu en pinces pour le r’n’b, alors tu as «Raise Your Hand». En matière de raw r’n’b, il est imbattable, et c’est cuivré de frais. Encore du purisme avec «You Don’t Miss Your Water». Fantastique présence. Comme il adore la Soul, il la traite comme une reine. 

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             Attention au Soul Blast! paru en 2001 : il fait un peu double emploi avec Loud And Clear. On y retrouve «Kock On Wood», «Soul Man», «Get Back», le «You Don’t Miss Your Water» de William Bell et l’«A Woman Left Lonely» de Dan Penn. Le vieux Cliff sait s’aplatir dans la heavy Soul, il sait s’accroupir pour couler le bronze du siècle. Mais il nous tape aussi le «See-Saw» de Don Covay. En fait, le vieux Cliff est le cover-man idéal, quand il s’engage, il est sérieux. 

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             Comme Cliff a de l’humour, il baptise son dernier album Nearly Retired. On voit bien sur la pochette qu’il a pris un coup de vieux, mais musicalement, il n’a jamais été aussi bon. Comme Tonton Leon, il se bonifie en prenant de la bouteille. La preuve ? «That’s The Way Love Is», il continue de viser l’énormité. Le voilà barré de nouveau dans le wild r’n’b, il est même d’une certaine façon assez révolutionnaire, aux frontières de la fusion, du funk et du heavy Cliff. Pur genius ! Là, tu as tout le wild side d’un vieux loup de mer. On retrouve le power du Cliff dans «Why Me», ça joue sec et net derrière Bennett, il reste fabuleusement enjoué, c’est cuivré à outrance. Il y a chez lui quelque chose d’inexorable. Son «Somebody To Love» arrache tout au passage, les espoirs et les arbres, il est trop puissant pour être honnête. Il a du power plein la voix, comme le montre encore «Love To Burn». Il reprend son costume de white nigger pour « A Fool In Love», il enfonce tous ses clous et se jette tout entier dans la balance. Superbe artiste ! Il orchestre son blues à outrance, comme le montre «I Sing The Blues». Il ira chanter jusqu’à la fin des temps et c’est exactement ce qu’on attend de lui. Encore un cut extrêmement puissant avec «That’s The Way I Feel», sa voix claque dans les ténèbres comme les portes d’airain de la cité des morts. Il nous fait aussi le coup de la petite morve de white hot r’n’b avec «Love Sickness», le white nigger rôde dans le coin, juste derrière the twilight zone.

    Signé : Cazengler, Cliff Bénêt

    Cliff Bennett & The Rebel Rousers. Cliff Bennett & The Rebel Rousers. Parlophone 1965

    Cliff Bennett & The Rebel Rousers. Drivin’ You Wild. Music For Pleasure 1965

    Cliff Bennett & The Rebel Rousers. Got To Get You Into Our Life. Parlophone 1967

    Cliff Bennett & The Rebel Rousers. Got To Get You Into My Life. See For Miles 1986

    Cliff Bennett & His Band. Cliff Bennet Branches Out. Parlophone 1968 

    Cliff Bennett’s Rebellion. Cliff Bennett’s Rebellion. CBS 1971 

    Shanghai. Shanghai. Warner Bros. Records 1974  

    Shanghai. Fallen Heroes. Thunderbird 1976  

    Toe Fat. Toe Fat. Parlophone 1970

    Toe Fat. Two. Regal Zonophone 1970   

    Cliff Bennett. Loud And Clear. Delicious Records 2000 

    Cliff Bennett. Soul Blast! Castle Pie 2001         

    Cliff Bennett. Nearly Retired. Wieerworld Presentation 2009

     

     

    Nik est niké

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            Chacun sait que la légende du proto-punk britannique repose sur six piliers : les Pretty Things, les Pink Fairies, Third World War, l’Edgar Broughton Band, les Deviants et bien sûr Hawkwind. Nik Turner qui fut l’un des membres fondateurs d’Hawkwind vient tout juste de casser sa pipe en bois, alors nous allons lui rendre hommage avec les moyens du bord.

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             C’est Carole Clerk qui nous raconte dans le détail l’histoire extraordinaire de Nik Turner dans son chef d’œuvre biographique, The Saga Of Hawkwind, une sorte de passage obligé pour tous les amateurs éclairés de rock anglais.

             En 1964, Nik passe l’été à Margate, une charmante station balnéaire du Sud de l’Angleterre, à vendre des chapeaux, des lunettes de soleil, des seaux et des pelles pour les gosses, des cartes postales et des conneries psychédéliques aux vacanciers. C’est là qu’il rencontre Robert Calvert, un marginal qui allait jouer un rôle capital dans la saga d’Hawkwind. Nik a un van, il monte régulièrement à Londres et flashe sur la scène underground, alors en plein essor. Comme il est passionné de jazz, il apprend à jouer du sax. Et boom, il retrouve Dave Brock qu’il avait déjà croisé en Hollande. Comme Nik a un van, Dave Brock et son pote Mick Slattery lui proposent un job de roadie dans le groupe qu’ils sont en train de monter. Quand l’été revient, Nik roule son duvet, grimpe dans son van avec Robert Calvert et fonce sur Londres. Le marchand de chapeaux fait ses adieux au front de mer. Le groupe commence à répéter. Dave : «Nik avait un sax. Il ne savait pas en jouer. Il soufflait dedans et produisait une sorte de  jazz d’avant-garde. On lui disait que ça sonnait bien et qu’il pourrait très bien monter sur scène. Puis Dikmik a acheté un générateur audio et une chambre d’écho. Il s’est mis à en jouer.» Nik confirme : «Je m’entendais bien avec Dave Brock. Je dormais chez lui, à Putney. Je jouais énormément sur mon sax ténor, il prenait sa guitare et on allait jouer dans les rues, à North London Poly.» Mais il existe déjà une petite différence entre eux. Dave : «On était des freaks planants, mais très franchement, c’était moi le patron. Il doit y avoir un capitaine à bord du vaisseau, autrement, on ne fait rien.» Nik ne voit pas les choses de la même façon : «Je croyais que le groupe était un groupe communautaire. Dave n’avait pas plus de responsabilité dans ce groupe que n’en avaient les autres.» Leurs points de vue légèrement différents allaient poser par la suite de sérieux problèmes : Nik allait se faire virer deux fois du groupe.

             Au commencement, le groupe n’a pas de nom. Alors ils se présentent comme Group X. Ils s’invitent dans un concert qui a lieu dans une église désaffectée, the All Saints Hall. Ils n’ont pas de morceaux, alors ils jamment. Le public est sidéré. Mick Slattery : «Dikmik bidouillait son générateur, Nik soufflait comme un dingue dans son sax, Dave et moi on jouait en feedback, comme Jimi Hendrix et Terry massacrait ses fûts. Les stroboscopes jetaient dans ce chaos une pointe de folie furieuse !». Présent dans l’église, John Peel flashe sur Group X. Il recommande à son voisin, un mec de l’agence Clearwater, de les signer. Nik Turner : «John Peel nous voyait comme des Sex Pistols de l’époque, comme quelque chose d’entièrement nouveau. On générait du chaos, on était sauvages et indomptables.» Clearwater les signe, mais il leur faut un vrai nom. Ils optent pour Hawkwind Zoo. Le zoo, c’est la façon dont ils se voient : une ménagerie de freaks hauts en couleurs. Hawkwind est le surnom de Nik, à cause de sa surproduction de pets et de mollards. Dave : «Nik pétait (wind)... C’était horrible. Et il se raclait la gorge, pour parler (hawking)... Il n’arrêtait pas.» John Peel intervient encore une fois pour leur conseiller de virer le Zoo pour ne garder qu’Hawkwind. Et voilà comment on lance un mythe.

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             En novembre 1969, Dave Brock, Nik Turner, Mick Slattery, Terry Ollis, John Harrison et Dikmik signent là où on leur demande de signer. Mais comme Mick Slattery décide de retourner au Maroc, il est remplacé par Huw Lloyd-Langton, lead guitar. Le premier album sans titre d’Hawkwind paraît sur Liberty en 1971. C’est là-dessus que se trouve l’excellent «Hurry On Sundown», gratté à coups d’acou. C’est la première mouture d’Hawkwind. Dave Brock balance les coups d’harp. Aw quel son ! Alors après, ça se gâte terriblement. Ils font un peu n’importe quoi, ça jamme dans tous les coins. Il faut attendre «Mirror Of Illusion» pour les voir renouer avec l’excellence et Dikmik envoie ses spoutniks. Il est essentiel de rappeler que Dick Taylor produit ce premier album.

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             Arrivé à Londres comme on l’a vu avec Nik Turner, Robert Calvert grenouille dans l’underground. Il est déjà all over In Search Of Space, mais il n’y chante pas. C’est sur cet album qu’on trouve l’énorme «Master Of The Universe». Dave Brock est l’un des grands rois du riff, c’est aussi solide que le «Silver Machine» à venir, même unité de l’unicité, même embolie de l’embellie, même solidité de la solidarité. L’autre bonne affaire de l’album est le «You Shouldn’t Do That» d’ouverture de balda, joué à la violence intentionnelle. Ah on peut dire que les Anglais savent battre la campagne du space-rock ! Ils proposent ici un bel élan d’hypno avec le sax tourbillonnaire de Nik Turner. Ils créent leur monde à la force du poignet. Fantastique énergie d’équipe, avec un line-up qui a déjà commencé à changer : autour de Dave Brock, on trouve Dave Anderson (bass), Dikmik & Del Dettmar (spoutniks) et Terry Ollis (beurre).

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             L’année suivante paraît l’un des meilleurs albums d’Hawkwind, Doremi Fasol Latido. Lemmy est entré dans la bergerie et Simon King a remplacé Terry Ollis. On assiste à l’incroyable décollage de «Space Is Deep», en plein cœur du cut. On entend aussi Lemmy jouer en solo dans «Lord Of Light». Il joue littéralement dans le cours du fleuve, son drive brouteur bouffe le Lord de l’intérieur. Il n’en finit plus de remonter à la surface du fleuve avec ses drives mécaniques. Encore une merveille avec «Time We Left This World Today», un cut frappé en plein cœur par un énorme break de basse signé Lemmy.  Ça vaut tous les breaks de Tim Bogert. Lemmy est un grand fracasseur, un titan du break, qu’on se le dise. Et ça repart de plus belle avec «Urban Guerilla». Comme ces mecs sont bons ! Ils bombardent comme des avions américains, avec cette basse sous-jacente qui avance en mode walking bass dans le chaos.

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             On trouve «Silver Machine» sur le Space Ritual Alive paru en 1973. C’est Robert Calvert qui écrit les paroles de cet albatross of a summer hit. Dans l’une de ses chroniques, Luke la main froide se marre car tout le monde croit qu’il s’agit d’un texte sur un vaisseau spatial alors qu’en fait Calvert raconte ses virées en mobylette à Margate, où il a grandi. Puis Calvert est promu Space Poët et se retrouve sur Space Ritual. La main froide a raison de dire que tout a été dit sur Space Ritual, mais à toutes les gloses, il préfère le slogan publicitaire qui accompagna la parution de l’album : «Ninety Minutes of Brain Damage». Voilà pourquoi Hawkwind et Luke la main froide nous sont si précieux. Sur ce fastueux album live, on retrouve tous les hits qui font déjà la réputation d’Hawkwind, à commencer par l’effarant «Master Of The Universe», proto-punk de bon aloi, fast tempo avec un bassmatic dévorant et des spoutniks. On retrouve aussi en D l’inestimable «Time We Left This World Today» qui cette fois repose sur les chœurs. Lemmy s’empresse de démolir ce cut infiniment totémique. Les coups de sax et les harangues sonnent comme des clameurs antiques. C’est très spectaculaire. Sur «Born To Go», Lemmy prend tout de suite la main avec son bassmatic mangeur de foie. Il met tout le cut sous tension. C’est extravagant ! En B, on l’entend encore chevroter dans «Lord Of The Light», survolé par le vampire Nik Turner. Ils jamment comme des dingues. C’est un album qui s’écoute et qui se réécoute sans modération. Un seul défaut : la guitare de Dave Brock se perd dans le mix. Lemmy et Nik Turner se partagent donc le festin. Ils se tapent une belle montée en température avec «Space Is Deep». Tous ces cuts sont parfaits, taillés pour la route. Ces punks d’avant le punk savent voyager dans l’espace. Nik Turner vient hanter «Orgone Accumulator» en B et on assiste à une pure Hawk Attack avec «Brainstorm». Grande allure, riff en avant toutes, heavy proto-push plein de poux et de spoutniks. Un riff que vont d’ailleurs pomper goulûment les Damned pour «Neat Neat Neat».  

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             Encore un big album l’année suivante avec Hall Of The Mountain Grill. Qu’est-ce qu’on a pu fantasmer à l’époque sur cet album et sur cette pochette ! Il faut bien dire qu’on était dingues d’Hawkwind comme de Third World War, d’Edgar Broughton et des Pink Fairies. Tous ces groupes relevaient du sacré et leurs albums ne décevaient guère. Sur Hall, se trouvent trois bombes, à commencer par «The Psychedelic Warlords (Disappear In Smoke)» : classic Hawk, bien riffé et superbement chanté, avec Dave Brock en tête de la meute. C’est un hit tentaculaire, assez tribal dans son essence, chanté à la clameur, avec une fantastique insistance de la persistance. Dave Brock nous plonge là dans un véritable lagon d’excelsior épistémologique. Sur la réédition d’Hall Of The Mountain Grill parue en 2014, on trouve en D la version single de ce hit fantastique. La deuxième bombe est un autre gros précurseur proto-punk : «You’d Better Believe It», un cut directement inspiré du Velvet, avec le délire de Nik Turner embarqué par le tourbillon. La troisième bombe s’appelle «Lost Johnny». Dave Brock l’embarque et le chante à la revoyure. On se régale aussi de «Paradox» et de son indéniable présence. Ces mecs savent mettre en marche l’armée d’un cut. Dans les bonus de la red, on trouve «It’s So Easy» monté sur les chœurs de «You Can’t Always Get What You Want». Quelle extraordinaire résurgence ! 

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             Leur dernier album sur United Artists s’appelle Warrior On The Edge Of Time. Belle pochette mais compos plus proggy. Nik Turner joue de la flûte, ce n’est pas bon signe. Ça turbine pourtant bien derrière, avec Lemmy et deux batteurs, Simon King et Alan Powell. On voit Lemmy se balader sur le beat d’«Opa-Loka». Dave Brock sauve l’A avec «The Demented Man», un balladif d’un très haut niveau mélodique. La viande se trouve au bout de la B avec deux cuts, «Dying Seas» et «Kings Of Speed». Tout le power d’Hawk est de retour, ça joue heavy au pays d’Hawk. Surtout sur «Kings Of Speed», et son fantastique déballage. Dave Brock sait générer des chevaux vapeur, c’est un exubérant, il doit être la réincarnation d’une locomotive du XIXe siècle. On entend même un violon dans cette volée de bois vert.

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             Astounding Sounds, Amazing Music est le dernier album d’Hawkwind où apparaît le nom de Nik Turner. Robert Calvert déclara au Melody Maker qu’avec Astounding Sounds, Amazing Music, ils visaient «le croisement d’une démarche intellectuelle avec la bande dessinée.» L’album vaut sacrément le détour, ne serait-ce que pour l’infernal «Reefer Madness» d’ouverture de balda. Comme toujours, Calvert se trouve mêlé au meilleur d’Hawk, ça part en heavy rffing. On ne se lasse pas de cette solidité, on y retrouve le beat du stomp anglais et un goût certain pour l’hypno. C’est même jazzé au sax par l’everlasting Nik Turner. Effarant ! Calvert chante «Steppenwolf» avec de faux accents à la Bryan Ferry. Son côté gothique décadent remonte à la surface. Et puis, il faut bien dire qu’il adore tout ce qui chevauche le gros beat. Avec Nik Turner, Calvert reste le meilleur maître de cérémonie qu’on ait pu voir dans Hawkwind. On retrouve de la belle hypno en B dans «The Aubergine That Ate Rangoon», visité au sax galactique de Nik Turner. Ces mecs travaillaient une vision du son intéressante. Encore du so solid stuff avec «Kerb Crawler». Dave y bat bien le nave.

             Bon, après avoir été viré comme un chien d’Hawkwind, Nik Turner ne va pas rester les mains dans les poches. Il va enregistrer des dizaines d’albums, avec notamment Inner City Limit, Nik Turner’s Fantastic Allstars, Nik Turner’s Outriders Of The Apocalypse, Nik Turner’s Sphynx, Space Mirrors, Space Ritual, The Imperial Pompadours, The Moor, et ce n’est pas fini, c’est un vrai délire, à l’image du grand Nik ta race, l’un des héros les plus attachants de la grande saga du rock anglais. Thank you for the ride, Nik Turner.

    Signé : Cazengler, Nik Tumeur

    Nik Turner. Disparu le 10 novembre 2022

    Hawkwind. Hawkwind. Liberty 1971

    Hawkwind. In Search Of Space. United Artists 1971

    Hawkwind. Doremi Fasol Latido. United Artists 1972

    Hawkwind. Space Ritual Alive. United Artists 1973

    Hawkwind. Hall Of The Mountain Grill. United Artists 1974

    Hawkwind. Warrior On The Edge Of Time. United Artists 1975

    Hawkwind. Astounding Sounds, Amazing Music. Charisma 1976

    Carol Clerk. The Saga Of Hawkwind. Omnibus Press 2006

     

     

    Wizards & True Stars

    - Oh Dr John I’m only dancing (Part Three)

     

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             Tout le monde le croyait mort et enterré. Dr John enterré ? Quelle rigolade ! Si tu vas faire un tour dans la Cité des Morts, under the Hoodoo Moon, tu le verras chanter, accompagné par the Jiving Skeletons, oui, l’orchestre des squelettes séculaires. Si tu domines ta peur et que tu approches, tu verras qu’ils portent tous des bicornes, des hauts de forme et des foulards noués autour du crâne, comme ceux des pirates, et qu’au fond de leurs orbites brille une lueur, plus loin, tu reconnaîtras Marie Lavaux, et si tu ouvres bien les yeux, tu verras aussi des milliers d’ombres, celles de ses dévôts, rassemblés là chaque nuit depuis des siècles. La vie dans la mort, la mort dans la vie. Un journaliste anglais approche son micro et Dr John croasse : «I have no plans to die during my lifetime.» Et il reprend sa litanie, «Walk on gilded splinters with the king of the Zuluuuuu.»  

             Le vieux Mac n’en finit plus de revenir aux racines du Gris-Gris, s’il le fait, c’est avec une classe affolante, tu entres chez lui à tes risques et périls, bienvenue brother, bienvenue en enfer. Il tend son art, I walked through the fire and I fly through the smoke, il devient le temps d’un mythe l’œil du typhon. On n’en connaît que deux aux États-Unis : lui et Jerry Lee Lewis. Mais Mac te titille son typhon avec une patte de lapin, com’ com’... Les deux grands sorciers du rock, Mac et Jerry Lee, avec, il faut bien l’admettre, des techniques différentes. Mais c’est exactement la même violence. Jerry Lee te précipite dans le chaos de l’enfer sur la terre - hellfire - parvenant au passage à le transformer en temple de vie, alors que Mac te précipite directement au royaume des morts, attention, la dégringolade peut être brutale - Get it burn it - tu vas rouler sur une pente, à travers un tunnel et tu ne pourras plus revenir en arrière - Things happen that way.

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             Chose curieuse, c’est le titre d’un album qualifié de «posthume» dans la presse anglaise. Pour une fois, les journalistes anglais n’ont rien compris. Pire encore : Things happen that way est qualifié d’album «country & western». De toute évidence, l’imbécile qui a écrit ça ne l’a pas écouté. Il n’y a rien de «country» chez Dr John. Comme Tonton Leon, il adore les grandes compos et chacun sait qu’Hank Williams et Willie Nelson en sont prodigues, il paraît donc naturel que Dr John tape dans le tas. Pas pour en faire de la soupe nashvillaise, mais plutôt un florilège macabre, une sorte de collier de fleurs de cimetière. Dans Uncut, Sharon O’Connell parle d’un easy-swinging record full of trans-generationel spirit, ce qui se rapproche un peu plus de la vérité. Le meilleur exemple est sans doute la reprise de l’«End Of The Line» des Traveling Wilburys. Il y duette à la lune avec Aaron Neville. Country & western ? Non, pur jus de New Orleans. L’ange Aaron te swingue grassement. La terre est grasse. Pour faire honneur au vieux Willie Nelson, Mac choisit «Funny How Time Slips Away». One two three four. Mac tape ça avec tout son feeling de white niggah de la Nouvelle Orleans, il groove le vieux Willie aux accents de gator, d’un ton chargé de gourmandise carnassière, il fait la différence avec les foies blancs, il injecte dans ce vieux classique éculé par tant d’abus une gigantesque dose de weidness mal blanchie. Mac le sorcier te plonge dans l’extrême mythologie de la Nouvelle Orleans, cette mythologie qui dans le cœur des kids du XXe siècle a remplacé celle de la Grèce antique, pourquoi, parce qu’elle leur parlait directement : Juju, Splinters, Hoodoo, Zulu, tu as le son des origines et celui de la fin de tout, et quand Mac revient au chant, I gotta now, il t’écrase ton petit champignon. Si tu ne comprends pas ça, alors tu n’as rien compris. Tout est là, dans le gras de l’interprétation, dans le fruit pourri du Mac tombé dans la mousse.  

             Mac salue le vieux Hank à deux reprises, d’abord avec «Ramblin’ Man», puis avec la vieille écultette d’«I’m So Lonesome I Could Cry», qu’on pourrait aussi qualifier de chanson parfaite. L’embêtant avec Hank, c’est qu’il n’a écrit que des chansons parfaites. Mac fait de l’art moderne avec «Ramblin’ Man», il le chante à l’éclate de glotte calleuse, en bon sorcier, il titille le jive avec sa patte de lapin, il swingue son jazz aux serpents à sonnettes, il est juste derrière le groove, dans l’ombre, tu le distingues à peine, plutôt que d’avoir peur, tu devrais l’admirer, il va même t’enlacer, python d’écailles luisantes, c’est le power de New Orleans, baby, et Mac t’invite à danser avec les morts de la Cité des Morts, c’est épais, son «Ramblin’ Man» te laboure bien la gueule. Si tu cherches de l’épais, c’est là. Bizarrement, il chante «I’m So Lonesome I Could Cry» à la voix qui va pas, mais comme on l’a déjà dit, la chanson est parfaite, alors ça passe. Il en fait une vieille chanson à boire de fin de soirée, il chante d’une voix grave, mais il faut entendre le grave au sens anglais, tombe, il te bouffe le Lonesome tout cru, sous sa casquette, et avec des mains couvertes de verrues.

             Le vieux Willie vient duetter avec lui sur «Gimme That Old Time Religion», un classique qu’a aussi repris Jerry Lee. Les deux vieux claquent leurs boîtes à camembert dans le brouillard du cimetière. Ils produisent un brouet qui se met à bouger, un phénomène organique un peu surnaturel et une petite black poppe le mot «Religion» à point nommé. Ils s’amusent à sonner comme des vieux pépères, mais ils figurent tout de même parmi les plus grandes stars des Amériques. Les filles reviennent avec parcimonie et ça donne un ensemble absolument dégoulinant de mythologie. Ça suinte de partout. Là tu as le nec du nec. Au point qu’on se sent parfois dépassé. Comme c’est souvent le cas lorsqu’on fréquente des sorciers.

             Quand il tape dans le heavy blues avec «Holy Water», le heavy blues a du mal à bouger. Trop écaillé. Trop gorgé de vieux jus. Vieille peau. Oh et puis l’odeur ! Atroce et superbe à la fois, pas loin de la définition du beau selon Baudelaire. Heavy blues si ancien, comme chanté à l’éclat du jour. Du coup, l’album «posthume» devient une sorte d’album inespéré, comme le fut d’ailleurs l’album «posthume» de Tonton Leon. Mac continue de bâtir sa légende avec «Sleeping Dogs Best Left Alone». Une façon de chanter unique au monde, des chœurs de blackettes l’épaulent. Il te swingue son Dogs à la pointe d’une glotte de junkie brother, il chante seconde après seconde, en une sorte de progression rampante qui renvoie cette fois au gros popotin du wild r’n’b de la Nouvelle Orleans. Restons donc dans la Cité des Morts avec «Give Myself A Good Talkin’ To», il chante cette fois par dessus la jambe, à cheval entre la vie et la mort, entre le groove et la gloire, entre le jour et la nuit, tout à coup, il devient évident que Mac est un vampire issu de temps très anciens. «Funny How Time Slips Away». Pourquoi est-ce si évident ? Parce qu’il sait rester ambivalent et délicieusement génial. Mais aussi parce qu’il enregistre un album «posthume». Seul un vampire peut s’offrir ce luxe désuet. Il te croake le clack du boogie biz. Il termine cette virée nocturne avec son morceau titre, un heavy balladif. Beware my friend, c’est probablement la dernière fois que tu entends chanter ce vieux sorcier/vampire/zombie, qui fut dans les années cinquante et soixante tellement fasciné par le peuple noir de la Nouvelle Orleans qu’il sombra dans l’osmose. Profite bien ce cet album «posthume», car il ne reste plus beaucoup de vampires sur cette terre. 

    Signé : Cazengler, Dr jauni

    Dr John. Things Happen That Way. Rounder Records 2022

     

     

    L’avenir du rock

    - Blue Suede chou(chou) (Part One)

     

             Pour l’avenir du rock, chaque (bon) groupe a son charme particulier. Chaque pays aussi. Oh, il ne les connaît pas tous, alors il ne va pas commencer à frimer, mais il aime bien rêvasser au souvenir de ceux qu’il connaît assez pour y avoir longuement séjourné. En matière de voyages, comme d’ailleurs en matière de musique, la nostalgie ravive l’éclat des souvenirs au point de les sublimer, ce qui peut générer une certaine distorsion, raison pour laquelle il est parfois bon d’aller soit revoir, soit réécouter, histoire d’ajuster les souvenirs à la réalité. Qu’il s’agisse des rues de Chelsea où il faisait bon déambuler, des rives de l’Amazone où il faisait bon bivouaquer à la tombée du jour, ou des jardins d’Allah qu’il faisait bon traverser pour rejoindre à dos de chameau les premières dunes du désert, le simple fait de retourner sur place remplissait le cœur d’aise, car rien de ce qui fit en première instance le charme de ces endroits n’avait subi la moindre altération, et s’il y avait distorsion, la cause en était toute autre : ces redécouvertes démultipliaient jusqu’au délire le capharnaüm émotionnel que chacun de nous héberge à bon compte. La plus belle chanson consacrée à la nostalgie est sans doute «Le Retour à Paris», lorsque le Fou Chantant fait valser dans ses bras son «Prendre un taxi/ Qui va le long d’la Seine», tu le sens le taxi, tu les vois les quais et les dômes des bâtisses, «et me r’voici/ Au fond du bois d’Vincennes», et plus loin, la chanson s’évanouit dans ses bras lorsqu’il roucoule «Bonjour... la vie/ Bonjour mon vieux soleil/ Bonjour ma mie/ Bonjour l’automne vermeil», un automne vermeil sans doute emprunté à la Chanson d’Automne de Paul Verlaine. Le jeu de la joie consisterait à transposer cette magie en d’autres lieux, «prendre un taxi/ Qui va le long d’la Thames», et remonter Park Lane jusqu’à Hyde Park, juste pour s’offrir le luxe de pouvoir chanter «et me r’voici/ Au fond du bois d’Hyde Park». Ah les possibilités sont infinies, s’il avait un peu de place, l’avenir du rock évoquerait aussi la Scandinavie dont l’art de vivre reste à ses yeux un modèle. Entrez dans une maison en Suède et le piège se refermera : vous souhaiterez y vivre le restant de vos jours.    

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             Même chose avec l’autre Suede, the London Suede. En 1992, tu entrais dans «The Drowners» et crac, t’étais baisé. Ils sont tous les deux Brett Anderson et Bernard Butler à Leyton quand ils travaillent sur la démo de ce qui va devenir l’un des joyaux de la couronne d’Angleterre, «The Drowners» : «Ça partait sur un gros beat tribal de boîte à rythme suivi de violentes vagues de guitare quasi-glam. On s’est regardés et on a su à ce moment-là qu’il se passait quelque chose. Je suis vite rentré chez moi avec la cassette et j’ai passé la nuit à écrire les paroles. Au matin on avait ‘The Drowners’, la chanson qui d’une certaine façon allait changer nos vies.» Brett Anderson raconte ça dans le premier volet de son autobio, Coal Black Morning, un petit book paru en 2018. Eh oui, tout est là, dans «The Drowners», l’absolute beginner par excellence. Le winner of it all. Le déluge du Niagara. Nanard does it well. Fabuleuses dégelées de dégringolade glam - You’re taking me ahh-ver - Ils savaient très bien à cet instant précis qu’ils détrônaient tous les autres - So slow down - Il fallait à l’époque se jeter sur cet instant de pure vérité - You’re taking me ahh-ver ! - De l’autre côté du single, on trouvait «To The Birds» que Nanard travaillait aussi au corps, et on sentait le maître chez Brett, il hantait sa song, il relevait tous les niveaux et il faisait passer l’idée d’un monde à lui, alors tout devenait extrêmement sacré. De tels singles nous tétanisaient à l’époque, cette pop sécrétait sa propre verve et semblait même vouloir dominer le monde. On ne pouvait que constater l’immense présence de Brett Anderson. Avec «My Insatiable One», ils revenaient au glam de king is come. Nanard encartait le glam dans son son, on s’en couvrait le visage, on s’en aspergeait le corps, aw king is come, ça sonnait tellement glam, dans la veine de Ziggy, soleil d’Angleterre, même génie, même volonté de plaire. Brett et Nanard faisaient la loi. Suede surfait sur cette vague de social thumbling down et Nanard nous solotait ça à la charcute.

             Suede, oui forcément. Et pour une fois, on va faire les choses à l’envers. On va commencer par la fin, c’est-à-dire leur dernier album, Autofiction, et le deuxième volet autobiographique d’Anderson, Afternoons With The Blinds Drawn, un petit book qui vient de paraître. On reviendra sur tout le reste dans un Part Two.

             L’album et le book sont comme qui dirait inséparables. Deux visuels sombres, dans des gris plombés, des niveaux de gris qui fluctuent entre 80 et 90 % au noir, ces gris qui jadis charbonnaient à l’impression, tellement le point de trame était chargé, l’angoisse suprême des conducteurs offset à l’époque, oh la la, ça va maculer, Colette ! Pour l’album, Brett est allongé sur un matelas, et pour le book, il pose torse nu et pensif dans une loge. L’album comme le book sont d’une austérité extrême, durs comme des falaises de marbre noir, chargés d’atmosphères pesantes.

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    Afternoons With The Blinds Drawn est un ouvrage extrêmement difficile à pénétrer, tant le style d’Anderson est dense, massif, quasiment privé de respiration. On pourrait presque comparer son style à celui de Marcel Proust, tant les phrases s’éternisent, tant les gris typo sont massifs, tout est très rectangulaire, comme privé de fantaisie. Privé de sensualité. Privé de dessert. C’est un ouvrage purement introspectif, Anderson va loin à l’intérieur de lui-même, sharp et sensible, il décortique ses sentiments jusqu’au délire presbytérien, et comme c’est extrêmement bien écrit, on le suit, mais le texte peine à jouir, la lecture est lente, constamment ralentie par des figures de style beaucoup trop soignées. Il faut beaucoup de temps pour venir à bout d’un chapitre. Mais comme c’est remarquablement bien écrit, on va jusqu’au bout. 

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             L’ouvrage est d’autant plus inattendu qu’Anderson annonçait à la fin de Coal Black Morning qu’il n’y aurait pas de suite. Il désirait s’arrêter aux portes de la gloire. Puis il a changé d’avis - Aussi suis-je assis là à écrire le book que je ne devais pas écrire, à évoquer les choses que je ne voulais pas évoquer. Je suppose que d’écrire ce book était inévitable. Je me demande ce qui m’a conduit là, sans doute un besoin enfantin de me faire entendre, un besoin criant de révéler mon histoire au monde entier - Ça lui permet néanmoins d’expliquer que la vie de rock star est une rude épreuve - Pour illustrer notre carrière, j’ai expliqué jadis que c’était comme si on s’était retrouvés tous les quatre dans un landau qu’on avait poussé du haut d’une colline. C’est la bonne métaphore. Toute cette époque fut très précaire, hors de contrôle et un peu terrifiante. Nous étions tous les quatre dans la poussette, hurlant dans le vent de la vitesse alors qu’on cahotait dans la circulation - Anderson garde une nostalgie de l’époque où il s’entendait bien avec Nanard. Ils composaient des hits ensemble, Nanard sortait les mélodies sur sa guitare et Anderson écrivait les lyrics - C’était une époque merveilleuse lorsque nous étions amis, on était très proches et on éprouvait le plus grand respect pour ce qu’on composait ensemble - Très vite, le groupe devient la coqueluche de la presse anglaise, avant même d’avoir enregistré un album, et c’est un privilège qu’ils vont payer très cher. Un jour, Anderson et son pote Mat le bassiste se promènent sur Great Marlborough Street et soudain, ils tombent sur la une du Melody Maker : c’est leur photo avec le titre ‘Best New Band in Britain’. Anderson ressent un malaise qu’il explique fort bien - Je suis triste, car beaucoup de gens voient encore Suede comme un buzz médiatique créé de toutes pièces dans le laboratoire ténébreux et Shelley-esque d’IPC, et bien sûr les gens devaient penser qu’on était les complices de ce crime et donc coupables du pire des péchés : l’inauthenticité. Bien sûr, à l’époque, on était galvanisés par ce heady rush qui bouleversait nos vies et on ne s’inquiétait pas vraiment des conséquences de ce buzz médiatique, mais avec le recul, je crois vraiment que les gens qui ont permis ce buzz et qui nous ont mis dans cette situation étaient à la fois irresponsables et aveugles - Anderson en tartine des pages entières, il décortique ce sentiment de culpabilité jusqu’au délire, comme le ferait un Jésuite qui se flagelle - Pour beaucoup de gens, nous avons toujours été un groupe ‘over-rated’ (surestimé) and ‘overhyped’, et ces critiques qui sont les conséquences de notre gloire précoce continuent encore aujourd’hui de me hanter - C’est vrai qu’à l’époque, les gens avaient une fâcheuse tendance à prendre Suede pour des branleurs, mais comme d’habitude, il s’agissait principalement des ceusses qui n’écoutaient pas les disques, car les disques étaient tout sauf des disques de branleurs. Avec un peu d’habitude, on avait appris à se méfier des buzz médiatiques et à faire le tri, pour ne se fier qu’à ce que nous racontaient les (bons) albums, par exemple ceux des Mary Chain, des Boo Radleys et bien sûr de Suede, car les albums allaient arriver tout de suite après le coup de bluff médiatique. Brett et Nanard comprirent que leur vie ne tenait qu’à un fil et qu’il fallait pondre vite fait un hit anglais, ce qu’ils réussirent à faire avec «The Drowners». Mais le buzz allait encore enfler. Brett raconte qu’au moment de la parution de leur premier album, ils se sont retrouvés en couverture de 19 magazines.

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             Non seulement Brett sait écrire des textes de chansons, mais il sait aussi choisir des visuels pour ses albums - J’ai toujours adoré voir comment une pochette peut définir et refléter la musique de l’album, voir comment le bon visuel peut être le synonyme des chansons - Alors il choisit un visuel d’Holger Trulzsch. Le modèle dont le corps nu est peint en bleu s’appelle Verushka. Brett Anderson crée son monde, exactement de la même façon que le fit Ziggy vingt ans auparavant. Et là, l’Anderson exprime sa fierté : «On avait réussi à développer un panache et un élan qui nous étaient propres, l’expression d’un son nouveau et éclatant, et le plus important c’est que je m’en félicite, because the songs were good.» Plus loin, dans le cours du récit, il revient sur ce qu’il appelle les big singers from the past - like Sinatra and Brel and Piaf, performers who could transform a song into a drama, et j’ai essayé de m’inspirer d’eux pour devenir plus mélomane - Il cite d’ailleurs l’exemple d’une chanson parfaite, «The Wild Ones», qui se trouve sur le deuxième album du groupe, Dog Man Star : «C’est la chanson que je choisirais si je devais en choisir une seule dans ma carrière, en tant que compositeur, et je dirais : ‘This is what I have done in my life’.» Ceux qui connaissent bien Suede savant que «The Drowners» et «The Wild Ones» sont leurs deux meilleures chansons.

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             Anderson ne traite en fait dans son livre que d’une seule obsession : la composition des chansons - Depuis l’enfance, j’ai été obsédé par la puissante interaction entre les paroles et la mélodie, et avec Bernard, je sentais qu’on devenait de vrais songwriters, un art qui me semble-t-il est perdu depuis des années - Il a tout compris, le jeune Brett, sans les chansons, tu n’es rien. Comme il ne cite personne, on va le faire pour lui : sans leurs chansons, John Lennon, David Bowie, Ray Davies, Martin Carr ne sont rien, sans parler des Américains. Anderson y revient inlassablement - Notre seule cupidité fut pour les chansons, la prochaine chanson, on la cherchait dans la chambre, comme on chasse des papillons argentés - Ils sont vite courtisés par les labels indépendants américains, car ils sont considérés comme les nouvelles sensations. The New British Invasion.

             Alors Anderson plonge dans l’art d’écrire des bonnes chansons - Pour moi, écrire à propos du sexe, c’était comme d’écrire à propos de la vie, explorer avec minutie, aller sous les couches pour observer l’échec et la peur, les moments d’hésitation et de confusion, avec un soin identique à celui qu’on met à observer les fonctions binaires dans lequel le genre est souvent confiné.

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             Il évoque aussi ses compagnons, la folie des tournées mondiales, le besoin de sentir la réaction du public, la vie du groupe, les tensions, les ruptures, la dope, mais rien, pas un mot sur les autres groupes. Si tu cherches des petits cancans, madame la commère, Anderson n’est pas la bonne adresse.

             Il revient aussi sur l’une de ses erreurs de jeunesse, une déclaration qu’il fit dans la presse - Je me voyais comme ‘un homme bisexuel qui n’avait jamais eu d’expérience homosexuelle’. C’est l’une des choses les plus stupides qu’il m’ait été donné de déclarer et elle sera certainement gravée sur ma tombe. Je regrette profondément d’avoir été un jeune homme si naïf, non parce que je mentais ou j’affabulais, mais parce que je n’avais pas compris à l’époque qu’il n’existe, en aucune manière, aucun espace pour la subtilité et les nuances dans les médias modernes, dès lors qu’on traite de sujets salaces - Il se repent aussi amèrement de s’être fait passer dans la presse pour un dandy, the overly English popinjay. Que d’erreurs de jeunesse ! C’est bien qu’un mec comme lui reconnaisse toutes ses erreurs. Ça ne doit pas être simple d’être une rock star en Angleterre quand on a vingt ans. On est pas loin de l’histoire d’Icare.

             Avec la quête du Graal, c’est-à-dire l’écriture des bonnes chansons, l’autre focus du book concerne la folie des tournées et la façon dont cette folie finit par détruire des relations entre les gens - La tournée américaine s’était transformée en une spirale d’agression passive et d’hostilité latente, on voyageait chacun de notre côté, on se boudait sur scène. Pour voir les relations se désagréger, les liens s’abîmer de façon irréparable, c’était le masterclass - Brett résume bien la chose : «Abrutissant : c’est la seule chose intéressante qui me vienne à l’esprit pour qualifier la vie en tournée.» (Il dit ça au sens anglais : numbing, pas au sens de la fatigue).

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             La tension monte tellement entre Nanard et Brett qu’un jour Nanard lance un ultimatum : soit lui, soit Ed, le manager, l’un des deux doit partir. Brett réunit le reste du groupe qui décide de garder Ed. Alors Nanard se barre. Et c’est la fin d’un brillant duo de compositeurs. Cette décision va lui rester sur le cœur - La décision que je pris ce jour-là de soutenir le coup de bluff de Bernard fut pour le pire comme pour le meilleur, un moment décisif dans ma vie, qui continuera de me hanter jusqu’à la fin de mes jours - Le problème c’est qu’ils ne connaissent personne pour remplacer Nanard. Anderson ne fréquente pas the London music scene - Le problème était que nous n’étions pas des gens qui traînaient avec les autres groupes. The London music scene ne m’intéressait pas, et après une brève période de fréquentation, l’anxiété liée à mes modestes origines sociales se transforma vite en névrose, une névrose favorisée par une gloire naissante, et l’arrivée des narcotics dans ma vie ne fit qu’empirer les choses - Suede est considéré par la presse comme fini. Kapout ! Un jour, Anderson reçoit au courrier une enveloppe avec une cassette : c’est la candidature spontanée d’un certain Richard Oakes qui voyant que la place était libre, proposait ses services. Miracle : «Richard est le musicien le plus doué avec lequel j’ai jamais travaillé.» Pris dans son élan, Anderson cite même Schopenhauer à son propos : «Le talent atteint la cible que personne d’autre ne peut atteindre, le génie atteint la cible que personne ne voit.» Wow, Brett ! Quel décochage ! Brett découvre ensuite que Richard s’intéresse essentiellement aux guitaristes post-punk comme Keith Levene et John McGreoch, et au «wiry surrealim of the Fall». Mais à l’été 1995, Brett constate que Suede est sur le déclin, la presse les voit comme un groupe anachronique or a cautionary tale and at last an irrelevance. La presse fait de lui un marginal irascible «qui ne fut jamais capable de pardonner à l’air du temps de continuer sans lui». Formule délicieuse.

             Et puis bien sûr la dope. Alors attention, nous ne sommes pas chez les Fat White, Anderson en fait une consommation abusive mais il n’en tartine pas ses pages comme le fait Lias Saoudi. Il indique seulement que l’addiction se transforme en quête de dose quotidienne, il décrit ça très bien, «une pulsion animale pour trouver la dose qui vous fera redevenir normal, qui vous permettra de ressentir les choses à nouveau.» Pourquoi recourir à la dope ?, il s’interroge au long de pages entières, il reconnaît son anxiété, ses petites névroses, sa parano, mais il ne trouve aucune trace de traumatisme dans sa vie qui lui permettrait de dire : «c’est la raison pour laquelle je me drogue !». Alors il y revient pour nous expliquer tout ça clairement : «En y repensant, la raison de mon entrée dans cette arène pitoyable, je dois bien l’admettre, était une simple quête d’échappatoire romantique, une façon d’emprunter les chemins transgressifs jadis empruntés par Aldous Huxley, John Lennon ou Thomas De Quincey, une quête de glamour pour un jeune citadin frustré, the glamour of the outré, une autre réalité par-delà les vies grises et suffocantes que menaient les gens qui nous entouraient.» Non seulement Brett Anderson est profondément honnête, mais il est en plus intéressant. Et comme il chante bien, ça en fait un artiste complet.

             L’addiction, il y revient le bougre - Je suppose que ça ne doit pas être très intéressant pour vous de lire l’histoire d’un homme qui recherche l’abstinence. On s’éloigne du mythique archétype Jungien de l’artiste rebelle - the bullshit, le guitar hero rock and roll lie - L’ironie de l’histoire, c’est que je consacre une grande partie des pages de ce livre à ma propre chute en spirale pour en faire la parodie d’une rock star camée, alors qu’en réalité, j’ai toujours détesté ces misérables clichés, des clichés que beaucoup de gens aiment secrètement, j’ai toujours espéré que la vraie nature artistique avait plus à voir avec le courage d’exprimer la vérité de sa vie plutôt que de rouler en Harley - Il en arrive assez vite à sa conclusion, qui est celle que ferait n’importe quel observateur affûté : «La théorie selon laquelle l’addiction et l’intempérance sont liées à des formes de créativité vient peut-être du fait qu’historiquement des tas de gens créatifs ont mené des vies dissolues. En fait, je proposerais bien une autre idée : pour moi, les gens créatifs étaient curieux des effets que procuraient the alterate states, (les états d’altération de l’esprit) mais une fois arrivés là, leur créativité s’est rarement développée.» Anderson ne cite pas de noms, mais on pense bien sûr à Syd Barrett. Mais à côté de ça, tu as des contre-exemples : Dr John et Keith Richards.

             Le book s’achève dans la tristesse : l’album A New Morning que Brett considère comme raté - I wish we hadn’t made this album - pour lui, même la pochette est ratée. S’ensuit bien évidemment le split du groupe. 

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             Bon, la bonne nouvelle, c’est qu’ils vont se reformer et enregistrer trois nouveaux albums, Bloodsports, Night Thoughts, The Blue Hour, qu’on épluchera dans le Part Two, puis un quatrième, paru cette année, le bien nommé Autofiction. Trois cuts y stand-outtent, tu t’en doutes : «The Only Way I Can Love You», «That Boy On Stage» et «It’s Always The Quiet Ones». Ils stand-outtent car ils battent tous les records de Big Atmospherix, Anderson n’en finit plus de remonter à l’assaut, c’est le roi du coup d’épée dans l’eau, l’héroïque popster par excellence, et ça ne doit pas être facile de faire du Suede après tant d’années. Avec «That Boy On Stage», il devient heavy on the sludge, c’est gorgé de guitares et de chant gloomy, tout se noie dans l’épaisseur du son. C’est la prod qui fait tout, ici, avec la voix. «It’s Always The Quiet Ones» sonne comme du classic Suede, bien mélodique et over the top. Ça confirme ce que raconte Anderson dans son book : chez Suede, tout est dans les chansons et Anderson n’en finit plus de chercher l’ouverture. Pour ça, il a besoin d’une belle cathédrale sonique. C’est avec «Black Ice» qu’on voit encore se distinguer ce très grand chanteur. Il fait vraiment le show. Il crée son monde en permanence, il travaille la grande pop atmosphérique, c’est un chanteur exceptionnel, tu y vas les yeux fermés. De toute évidence, ils cherchent le hit, mais c’est compliqué, tout ce qu’ils trouvent, c’est du son, des averses de son, et malheureusement, il leur arrive de retomber dans les routines de la Brit Pop. Autre petit défaut du Brett vieillissant : il a perdu son glamour, il chante parfois comme un vieil homme avec une voix privée de caractère. Dommage, il perd le Suede de The Drownvers pour aller chercher une pop matelassée et grise, à l’image de la pochette. Il reste cependant un charme discret, on tombe sous son emprise avec «What Am I Without You». Malheureusement, l’album s’achève sur une fausse note avec «Turn Off Your Brain And Yell», ils font de la soupe à la U2 orchestrée à outrance et fabuleusement inutile. Ils redeviennent ce qu’ils étaient au début : rien. Tout ce qu’il leur reste, c’est la prod. Il leur manque «The Drowners». Ni coup de Jarnac ni coup de Trafalgar dans l’Autofiction. Seulement trois bonnes chansons. Mais ça devrait suffire aux Suedois et aux Suedoises.

    Signé : Cazengler, suédoigt dans l’œil

    Suede. Autofiction. BMG 2022

    Brett Anderson. Afternoons With The Blinds Drawn. Abacus 2020

     

     

    Inside the goldmine - Maxayn fait le max

     

             Le soleil darde de tous ses rayons sur les collines d’Hollywood. John Phillips reçoit le gratin dauphinois du showbiz dans cette coquette villa de Bel Air qu’il vient tout juste d’acquérir. Parmi les invités, voici l’ambassadeur de la planète Mars avec ses appareils respiratoires et sa garde rapprochée. Voici Croz qui va de groupe en groupe, il buzz-buzz-buzze, distribue des stickers et des bonbons, mais réserve semble-t-il son freebasing à quelques privilégiés, ceux qu’il appelle les bathroom bimbos. Voici Arthur Lee qui arrive. Il gare sa Porsche au bord de la piscine.

             — Tu vois, la grosse qui danse si bien là-bas, c’est Mama Cass. Faut reconnaître que les grosses remuent plus d’air que les maigres, pas vrai ? Oh et ce petit mec bizarre là-bas, c’est un protégé de Dennis Wilson. Les gens l’appellent Charlie.

             — Charlie Manson ?

             — Oui, oui, un peu barré, on sait pas trop, il vit dans un ranch là-bas dans le désert avec une tripotée de gonzesses, toutes sous acide, c’est Owsley qui les fournit en direct, et l’autre un peu plus loin c’est Bobby Beausoleil, il revient d’un trip au Mexique, il deale du lourd, mais chut, faut pas en parler, paraît que des mecs du FBI ont infiltré les parties. Oh pas pour ce que tu crois. Ils veulent juste leur part du gâteau. Ah ah ah, c’est de bonne guerre ! Si j’étais agent fédéral, je ferais pareil. Faut bien arrondir les fins de mois, hein ? C’est pas en étant payé à coups de lance-pierre que tu vas pouvoir te payer tes douze grammes de coke par jour. Ah, on m’a dit que Truman Capote était là, mais déguisé.

             — En quoi ?

             — Bah chais pas trop. En cardinal de la ligue Évangéliste ou en Fu Manchu. Il adore se faire passer pour Fu Manchu, ce mélange d’exotisme et de cruauté lui sied à ravir. Tiens regarde là-bas, le chinetoque, ça pourrait bien être lui. On parie ? 500 $ ? Tope-là ! Et la fille là-bas en jumpsuit jaune... Tu sais qui c’est ?

             — Beuhhhh...

             — Elle s’appelle Maxayn. Très jolis seins. Fais gaffe elle est mariée.

     

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             Effectivement, son mari s’appelle Andre Lewis. En 1972, ils enregistrent un premier album simplement titré Maxayn.

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    C’est un classique. Il a pour première particularité de proposer deux covers des Stones, et pas des moindres puisqu’il s’agit de «Gimme Shelter» en B et de «You Can’t Always Get What You Want» en A. Et pour deuxième particularité de mixer le rock des blancs avec la Soul des blacks, alors ça donne des résultats étonnants. Comme Maxayn et ses amis injectent de la Soul dans un son déjà bien en place, ces hits des Stones montent encore d’un cran, ça groove in the face, à la puissance pure et dans «You Can’t Always Get What You Want», la descente de basse va et vient entre tes reins, alors les couplets magiques n’en swinguent que de plus belle. Marlo Henderson joue son bassmatic en contretemps, il est le roi de monde. Leur «Gimme Shelter» est différent de celui de Merry Clayton. Ils le travaillent à leur façon qui est plus épaisse, Maxayn est à l’aise avec le groove de la Stonesy, elle en fait un heavy groove avec du tikitik de keys à contre-emploi, elle arrache bien son Gimme du sol, elle le fait à la force du poignet, c’est très puissant, elle screame son ass off et fourbit un vrai modèle de Black Power. Elle frise l’hystérie. L’autre gros cut de l’album est le «Tryin’ For Days» d’ouverture de balda. Le mari Andre Lewis est un sacré funkster, un compagnon idéal pour Maxayn qui shake bien son petit funky butt. Wow, elle persiste et signe !

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             L’année suivante paraît l’excellent Mindful. Ils proposent en fait un heavy funk très influencé par Sly Stone, comme l’indique d’ailleurs le titre «Moan To The Music». Ils alternent les cuts de Soul funk ambitieuse avec des balladifs souples et languides qui sonnent comme de puissantes proliférations harmoniques («Stone Crazy»). Ils bouclent leur balda avec un «Tellin’ You» extrêmement élégant, un authentique shoot de Soul-blues. Le guitariste Marlo Henderson fait des merveilles et la petite qu’on entend derrière n’est autre que Pat Arnorld, alors t’as qu’à voir. Ils repartent de plus belle en B avec «Feelin’», nouvelle giclée de funk moderne à la Sly, ils y multiplient les cassures de rythme et les difficultés. On se retrouve une fois de plus avec un album parfait dans les pattes, ce que vient encore confirmer «Check Out Your Mind», un slow groove de funk qui se fourvoie bien sous le boisseau. Et puis les balladifs sont de vraies splendeurs («The Answer» et «I Want To Rest My Mind»). Ils restent au même niveau d’excellence jusqu’au bout du «Travelin’», un slow space groove d’inspiration maximale.  

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             Le dernier album de Maxayn s’appelle Bail Out For Fun. Au dos de la pochette, on les voit sauter en l’air tous les quatre. Cette fois le guitariste s’appelle Hank Redd. On l’entend gratter son petit funk insidieux sur «Life Is What You Make It». C’est encore une fois du funk à la Sly. Funky flavor ! Andre est là, lui aussi, l’homme à tout faire (moog, bass & drums). Leur funk est d’une grande délicatesse, une vraie dentelle de Calais. C’est Hank Redd qui joue du sax dans «Moonfunk». Il casse bien la baraque, l’Hank. Le hit de l’album se planque en B : «Trying For Days». C’est en fait un big shoot de r’n’b bien syncopé par ces rois du funky bootin’. Ils sont aussi bons que Sly, leur groove de basse se glisse sous la peau. Ce Trying sonne comme une fantastique extension du domaine de la lutte ouvrière. Ils font en plus durer le plaisir ad vitam æternam. Ces gens là ne lésinent pas sur les pelletées de charbon. Ils finissent avec un «Everything Begins With You» de rêve éveillé, une merveilleuse prestation du couple Lewis, Andre & Maxayn. Ils se lovent dans le doux du groove et nous emmènent séjourner le temps d’un cut au paradis.

    Signé : Cazengler, maxillaire

    Maxayn. Maxayn. Capricorn Records 1972

    Maxayn. Mindful. Capricorn Records 1973

    Maxayn. Bail Out For Fun. Capricorn Records 1974

    Inside the goldmine - Maxayn fait le max

     

    ROCKABILLY RULES !

    N’oubliez jamais que toutes les règles sont faites pour être contournées, dépassées, chamboulées, piétinées, car l’important avant tout c’est d’avoir un cœur fidèle et rebelle !

    706 UNION AVENUE

    THE MEMPHIS BLUES CREAM

    ( Around the Shack & Yokatta Records / ATSR CD 005 / Décembre 2022 )

    Jake Calypso : vocals, guitar / Earl ‘’ The Pearl’’ Banks : guitar / Vince Johnson : harmonica / Rodney Polk : drums / Gunnar Samson : piano / Stephane Bihan : upright bass , saxophone, Harmonica.

    Lors d’un concert au 3B de Troyes Jake Calypso de retour de son premier voyage dans le Sud des Etats-Unis me disait son rêve de vivre là-bas le restant de sa vie et d’être enterré dans cette terre où reposent les premiers bluesmen, souhaitons que la dernière partie de ce rêve ne se réalise pas avant longtemps. Les partisans racialistes du white rockabilly ne m’ont jamais convaincu, étonnant comme l’on peut être insensible à cette veine de sang noir qui irrigue le rock‘n’roll. Le delta du Mississippi s’ouvre sur un autre beaucoup plus large celui de la musique populaire américaine qui roule dans ses nombreux bras qui s’entrecroisent des influences diverses venues et d’Europe, et d’Afrique et d’Amérique.

    Cet album de Jake Calypso est un retour aux sources. Pas aussi difficiles à localiser que celles du Nil. L’adresse est connue, votre GPS vous y mènera sans problème, c’est à Memphis, Tennessee, 706 Union Avenue. C’est-là où en janvier 1950 Sam Phillips ouvrit son studio. Quatre ans ans plus tard un petit chat des collines, pas n’importe lequel, l’Hillbilly Cat Elvis Presley, s’en vint enregistrer quelques faces qui allaient révolutionner le monde. L’on a dit que Sam Phillips a inventé le rock’n’roll, c’est aussi faux que de prétendre que Christophe Colomb a découvert l’Amérique, l’on oublie souvent d’ajouter que s’il a ouvert son micro à de jeunes blancs-becs il était aussi talent-scout pour les disques Chess qui commercialisaient les artistes de blues, noirs comme il se devait. Le seul regret que Sam Phillips a exprimé bien après avoir vendu son studio c’est que débordé par la folle vague initiée par Elvis, Carl Perkins et Jerry Lou, il avait à l’époque délaissé les enregistrements des chanteurs noirs…

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    Pour la pochette le lecteur se reportera à notre livraison 573 du 03 / 11 / 2022 pour lire la splendide chronique hommagiale du Cat Zengler - la plus belle qui ait été écrite à la disparition du killer  - dans laquelle sont passés en revue quelques disques de Jerry Lee Lewis dont le fameux Rock & Roll Time.

    Dernière précision d’importance : avant d’écouter bien se souvenir que les musiciens regroupés autour de Jake Calypso n’avaient jamais joué ensemble avant ces enregistrements…   

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    Bear cat : surprise, ça déboule sur vous alors que vous vous attendez à quelque chose de sauvage, mais là c’est du wild de chez wild, cette batterie qui transbahute des tonnes pesantes de miel empoisonné et tout le reste de la bande qui vous griffe le dos sans pitié. L’original est de Rufus Thomas, n’allez pas chercher pourquoi l’on retrouve son nom dans l’aventure Sun et Stax. Tiger man : après l’ours le tigre, l’on reste entre bêtes indociles, Rufus Thomas s’est d’ailleurs empressé d’enregistrer  ce morceau signé par Joey Hill Louis, certes l’on retrouve le rythme chaloupé de base du blues mais l’on est en pleine tempête force 10, z’avaient dû avaler un alligator avant d’entrer dans le studio, mention spéciale pour Gunnar Samsom et son piano diabolique qui ne s’en laisse pas conter par le vacarme de ses acolytes, quant à l’oiseau Loison, vous connaissez sa prédilection pour les tapages nocturnes, l’est aussi à l’aise là-dedans que les quatre cavaliers dans l’apocalypse. Red hot : les amateurs connaissent, mais c’est une version basée sur l’original de Billy Emerson, vous pouvez être victime d’une interrogation métaphysique, sommes-nous dans un bastringue renommé ou un juke perdu, la réponse n'a aucune importance, l’est sûr que ça chavire dur, une grande fête nègre dionysiaque dont on a hélas perdu le secret depuis quelques décennies. Runnin’ around : je ne sais pourquoi l’on a souvent qualifié le style de Sleepy John Estes de geignard, Calypso se joue de cette réputation, l’a un vocal qui s’amuse à bouter le feu intonnatif, une véritable pièce de théâtre, le monologue du fou qui mord la vie à pleine dents, l’est méchamment secondé par Earl Banks à la guitare écarlate et Vince Johnson qui pousse son harmonica comme l’on enfonce un couteau dans le ventre d’un gars qui ne vous revient pas. Baby I’m coming home : ils avouent leur faute dans les notes, ils sont plus que pardonnés, normalement ils auraient dû nous le faire en mambo, ils ont oublié, faut dire qu’avec cette section rythmique qui transbahute des armoires à travers l’appartement, ils se sont laissé aller à une espèce de grand capharnaüm sonore, un tel remue-ménage que vous ne savez plus où poser le pied pour danser, mais quel régal ! I gonna murder my baby : un programme alléchant que son auteur Pat Hare se hâta de réaliser dans la vraie vie, nos musicos vous restituent la scène à merveille, vous croyez y assister en direct, vous tartine une épaisse couche de blues funèbre bien balancé sur laquelle chacun se laisse déborder par ses penchants les plus pervers, à écouter comment chacun s’implique dans la scène vous comprenez que l’espèce humaine est vraiment prédatrice, mélodrame en direct, grosse caisse de bateleur et tous les instruments tremblent à foison, c’est beau et grand-guignolesque, un art consommé du grotesque ainsi que l’entendait Edgar Poe.

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    Last time : beaucoup plus carré et bien enlevé, la voix de Calypso traîne de temps en temps sur les syllabes pour mieux repartir en sprint de jaguar, le piano et l’harmo se tirent la bourre, vous mènent la patache à un train d’enfer, ne vous disputez pas pour savoir qui arrivera le premier, c’est Stéphane Lebihan qui tient le morceau entre ses mains, c’est sa big mama qui cavalcade en tête du début à la fin, il trace le chemin pour tout le monde. Baker shop boogie : de ce temps-là les bluesmen étaient rarement des anges alors ne soyez pas étonnés si vous ressentez une certaine violence pour ne pas dire une brutalité prononcée dans cette huitième piste. Vous plongent dans l’ambiance tout de suite, la batterie halète comme une locomotive, l’harmo vous déchire les oreilles à tous les tours de roue, Calypso hurle tout son soul comme s’il courait sur les toits des wagons et le restant de l’équipe vous précipite dans le pétrin. Ne faites pas les fines bouches, ce pain-là vous ne le mangerez pas vous le dévorerez à pleines dents. Love my baby : guitare fine et tambourinade exaltée, l’est sûr que le phrasé et la rythmique rappellent Mystery Train, normal les deux morceaux sont de Junior Parker, la racine noire du rockabilly n’a jamais été aussi évidente, le Jake parfaitement à l’aise, l’ancien membre de Mystery Train se retrouve chez lui, alors les copains lui font un accompagnement aux petits oignons qui piquent et brûlent. Come back baby : Calypso devant et la bande qui suit, on ne risque pas de l’oublier, L’Oiseau revient, aussi ils reprennent derrière avec encore davantage de rage, Thierry Tillier des Hot Chickens met en marche la machine à laver non électrique, ce n’est pas la bougie du sapeur mais le boogie des tapeurs, vous avez envie que la baby ne revienne pas de sitôt rien que pour le plaisir que procure cette attente. Sweet home Chicago : le morceau précédent n’était qu’un canter d’entraînement, car attention l’on donne ici dans le mythique, le nom de Robert Johnson reste collé à ce morceau, alors ils y vont à fond, que le grand-père putatif n’ait pas à rougir d’eux, par contre sûr que ses os se sont entrechoqués dans sa tombe, ça swingue à mort, offrent tout ce qu’ils ont le bouquet de fleurs avec le revolver dedans, c’est maintenant que votre cœur tressaille, il ne reste plus qu’un morceau et tout s’est déroulé si vite avec un tel brio que vous n’avez pas vu le temps passer perdu au milieu de cette tourmente. Boogie in the park : l’on retrouve un titre de Joey Hill Louis, harmoniciste, batteur et guitariste renommé pour son heavy tune, autant dire un beau challenge pour nos impétrants qui se surpassent. Ce n’est pas très long mais ils ont laissé la gomme sur la chaussée des géants.

    Un disque de blues qui ne hulule pas le malheur du monde, vous refile une pêche extraordinaire, et remet même les pendules du blues à l’heure. Un groupe de guys survoltés qui ont refusé les poncifs et les idées toutes faites. Ne criez pas au scandale, Earl ‘’The Pearl’’ Banks en a vu d’autres, du haut de ses quatre-vingt-six ans, l’a tout vu, tout connu, des débuts du Sun Studio, à Beale Steet, l’a joué avec Joey Hill Lois et BB King et n‘a pas hésité une seconde à se joindre à cette Memphis Blues Cream réunie autour de Jake Calypso. Les vieux renards reniflent de loin les fromages alléchants.

    Dans notre précédente livraison Jake Calypso était avec les Hot Chickens pour It’s Time to Rock Again, et cette fois ci- c’était It’s Time  to Blues again. Entre nous soit dit, c’est le même esprit.

    Qui a dit que le bleu était une couleur froide ?

    Damie Chad.

     

    *

             Une chronique d’un genre nouveau, un peu, toute proportion gardée ce que Karl Marx et Friedrich Engels avaient initié avec leur Critique de la critique critique contre Bruno Bauer et consorts, cet acharnement critique était une manière de dévoyer le chemin de pensée idéaliste de la critique de la raison pure kantienne en faveur d’une analyse de plus en plus serrée et précise du rapport que les hommes entretiennent successivement avec la réalité vivante du monde.

             Disons qu’ici nous nous intéresserons avec ce que l’on pourrait dénommer la réalité mortelle du monde. Nous avons été subjugués par la force de LA MORT APPELLE TOUS LES VIVANTS du dernier album de BARABBAS, voir notre chronique 578 du 08 / 12 / 2022.

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             Ce CD a fait quelque bruit dans tous les sens du terme. Question phonation nous ne pouvons rien pour vous, nous vous renvoyons à vos chères oreilles, par contre nous allons explorer quelques articles relatifs à cet opus magnus.

    In ROCK HARD ( # 237 / Dec 2022 )                                   

    Une belle revue, des spécialistes de musiques dures, sombres, doom, etc… z’ont pas mis le Jolly Roger en couverture mais Mötor Head ce qui ne vaut guère mieux pour les tympans fragiles, bref Barabbas est entre bonnes mains, sont Album du Mois, et Charlélie Arnaud a programmé une interview, s’affichent tous les cinq sur la photo, cinq sombres monolithes posés sur un arrière-fond de trois croix granitiques, mais c’est Saint Rodolphe qui répond aux questions. Echanges de vue sur la situation du doom en France qui propose des groupes reconnus à l’étranger mais qui bénéficient hélas de par chez nous d’un maigre public. N’empêche assure notre vénéré Saint Rodolphe qu’ ’’il existe vraiment une scène doom traditionnel’’.

    Vous vous procurez Rock Hard si vous voulez lire la suite, notamment la réponse au choix du chant en français… C’est encore Charlélie Arnaud qui se charge de la Kronick – n’emploie pas le mot critique qui pèse un peu trop comme une épée de Damoclès – l’écrit trop bien Charlélie, ne le lisez pas, vous seriez obligé d’acheter le disque. En plus j’ai oublié de noter le super titre : Fais-moi la mort !

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    Attention, achetez la revue en kiosque c’est bien mais les abonnés ont droit à des documents sonores complémentaires.

    From MIEDZY UCHEM A MUZGIEM

    Ne soyez pas ignorants, c’est juste du polonais, un beau titre de blogue : entre l’oreille et le cerveau. Inutile de vous décourager devant la longue et interminable colonne de langue polonaise, descendez au bas de l’article vous avez la traduction en anglais. Se débrouillent bien nos amis polonais interviewent Saint Stéphane qui en profite pour glisser de nombreux noms de groupes français dans la discussion.

    Sur EKLEKTIC-ROCK

    Une courte et sympathique chronique en français pour ceux qui ne connaissent ni l’anglais, ni le polonais.

    Sur DESERT- ROCK

    Une chronique intelligente par des adeptes du genre, je ne résiste pas citer in extenso la phrase suivante : ‘’ En fin de compte, La Mort Appelle Tous Les Vivants est probablement l’un des meilleurs disques du genre sortis ces derniers mois, et pas seulement en France.’’ Signé : Laurent, de Pau, né en 1976. Un site à visiter.

    Sur le Webzine METAL INTEGRAL

    Jolie chronique élogieuse. Si la mort appelle tous les vivants, ce disque aimante en sa faveur les jugements de ses auditeurs : ‘’ ‘Le Cimetiere Des Reves Brises’ is sumptuous, and could well have been written as an ode to all doom bands who have passed before. ‘’

    Sur le fil du rasoir de THE RAZOR’S EDGE ROCK

    Belle intro de Matthew Williams : ‘’  J'aime ( I do like, en anglais c’est plus fort ) un album qui a une ouverture mystérieuse, et "La Mort Appelle Tous Les Vivants" des doomsters français Barabbas a certainement cela, car c'est comme un appel aux armes, avec les sirènes qui retentissent, à travers la voix hypnotique, construisant le anticipation, puis BOOM, le son monstrueux vous frappe alors que les guitares, les claviers, la batterie et la basse explosent tous dans la vie, et la puissance du riff ressort très, très clairement.’’

    Sur Loud TV

    Pratiquement un poème, un titre rilkéen : La voix des anges, je devrais recopier in extenso, je pioche au hasard : ‘’ Un voile grisâtre tombe, la beauté mortuaire de BARABBAS se lève, puis pas à pas prend forme innocemment dans le cœur de la noirceur du néant. Maintenant, la créature foule la terre, écrase le sol, et fait retentir sa force herculéenne. Emprunte ( le traducteur pourrait faire un effort ) menée tambour battant dans l’énergie délivrée d’un séisme metallique, aux relents nauséabonds dommesques. ‘’ 

    Sur MUSIPEDIA

    Une analyse titre par titre de l’album dans un article consacré à plusieurs groupes.

    J’ai passé sous silence tous les sites qui se contentent de noter la sortie de l’opus, pour la plupart en affichant la photo de la couve et en notant les titres un par un. De l’information pure qui semble être l’apanage des premiers grands sites de metal qui paraissent dépassés par un trop gros nombre de sorties ou qui peut-être voient le nombre de leurs chroniqueurs diminuer avec les années qui passent et qui usent…

    Oui l’album de Barabbas fait l’unanimité, mais peut-être le plus important c’est sans aucun doute la mise en évidence de ce réseau de passionnés à l’affût des nouveautés qui font circuler au minimum l’information et qui essaient de susciter le désir du lecteur par la force de leurs vocables.

    Damie Chad.

     

     

    *

    Appel à l’aide de Cörrupt, ils ont sorti une vidéo en octobre 2022, ne donnent pas de détails mais il y a eu problème de droits avec la Sacem, bref elle s’est retrouvée bloquée sur You Tube, ils ont dû gagner le bras de fer puisque ce 20 décembre elle est de nouveau visible, mais ces désagréments n’ont pas aidé à la faire connaître, si vous voulez supporter ce nouveau lancement n’hésitez pas à aller voir. Et surtout à entendre.

    C’est en batifolant sur Bandcamp que nous étions tombés par hasard sur Cörrupt. Le tréma bien sûr, et cette idée sous-entendue d’une corruption de notre monde actuel. Bref dans notre livraison 498 du 18 / 02 / 21 nous avons chroniqué leur premier EP, et pas du tout dégoûté dans la 455ième du 19 / 05 / 22 leur deuxième EP six titres au titre prometteur de Disgust. Nous avions aussi mentionné deux vidéos de concert de 2015, un peu passe-partout et beaucoup plus réussi un clip appétissant. D’où la nécessité de visionner le nouveau.

    LUST

    CÖRRUPT

    ( Hardcore Worlwide / 2022 )

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             C’est le premier titre de l’EP, possède une particularité quasi-inquiétante, sa longueur, il ne dépasse pas une minute quatorze secondes. Ce n’est pas que c’est court c’est que l’on est en droit de se demander comment l’on peut faire rentrer tant de violence en si peu de temps. Cörrupt ne propose pas une musique séraphique. Pour l’écouter vous avez une solution de rechange à portée de la main, il suffit de l’écouter plusieurs fois à la suite pour comprendre comment il fonctionne. Vous me direz que c’est la même chose avec une vidéo, pas tout à fait à mon humble avis, l’image doit signifier une plénitude en elle-même, sinon l’on se trouve face à un rush qui demande à être mis en forme, sans quoi l’on ressent une forte impression de brouillon ou de travail bâclé.

             De fait il n’en est rien. Il y a une unité dans cette vidéo. Remarquable, mais qu’il est difficile d’attribuer à un réalisateur ou à un monteur, puisque aucune nominale signature ne nous est proposée. Tout juste une minute, une tornade qui passe. Des éclairs de guitares qui se suivent et se juxtaposent. L’on a l’impression qu’elles ont la même impédance musicale que la batterie. Bref une série de claquements secs, sectionnés par deux-tiers de seconde de silence. A ce stade on se dit que le timing pourrait se prolonger à volonté. Oui mais c’est sans compter sans les inserts sur la gueule à favoris du chanteur, il est là le fil conducteur cette vision pas du tout omniprésente qui donne au chant toute son importance, une unidimensionnalité quasi-homérique, un peu comme dans une tornade ce ne sont ni les toits qui s’envolent, ni les murs qui s’effondrent qui témoignent sur son passage de sa violence,  mais la sensation au-travers de tous nos sens, de la puissance de son souffle irrépressible, cette vibration inhabituelle d’une ampleur déraisonnée qui permet de comprendre que l’on a affaire à un évènement herculéen exceptionnel. Que les débris épars ne sont que des détails superfétatoires et non nécessaires. Une vidéo dans laquelle l’image intensifie le son. Rare. Très rare. Ultra rare. Avec un peu de chance un exercice d’école à proposer dans toutes les écoles aux vidéastes amateurs.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    cliff bennett,hawkwind,dr john,suede,maxayn,the memphis blues cream,barabbas,cörrupt,rockambolesques

    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 11 ( sous les ifs ) :

    56

    Le Chef alluma un cigare.

              _ Soyons justes, ce que racontent nos deux gaziers est assez proche de la réalité, ont arrangé la sauce à leur manière pour être considérés comme des héros par leur lectorat mais je me demande comment ils vont tirer leur épingle du jeu lors de la deuxième partie de la soirée.

              _ Ne me faites pas languir Chef, je suis toute ouïe, j’aime entendre votre voix grave de baryton, même Molossito et Molossa vous écoutent avec attention.

              _ Absolument d’accord avec vous agent Chad, la nature m’a doué d’un un bel organe viril, qui d’ailleurs est toujours une bonne entrée en matière avec les demoiselles, mais ne nous égarons pas, j’allume un Coronado et je reprends ma lecture.

    57

    Olivier Lamart : j’étais un peu étonné des déclarations péremptoires des deux agents du Service Secret du Rock ‘n’ roll prêts à éliminer la population de la terre entière pour une pochette de disque légèrement cornée et je m’apprêtais à leur faire part de ma stupéfaction, qui s’accentua encor plus lorsque je vis que tous deux avaient sorti de leur poche un superbe revolver d’une dimension impressionnante, je crus qu’ils allaient à l’instant mettre en action leur profession de foi, mais non ils ne tirèrent pas, ils se contentèrent de regarder fixement en direction de la grille du cimetière, et s’écrièrent en un ensemble parfait : 

              _ Pistol Packin’ Mama !

    J’avoue que je n’ai pas encore compris le sens de cette expression, mais suivant leur regard, j’aperçus au fond de l’allée comme une ombre qui se mouvait vers nous.

    Martin Sureau : elle avançait lentement, ce n’était encore qu’une silhouette, bientôt je discernais un long manteau noir dont les bords traînaient à terre, sous un capuchon l’on ne voyait qu’une face blanche qui avait l’air de rire, nous nous taisions tous, quand elle eut franchi une trentaine de mètres je sursautai, moi qui croyais qu’elle s’appuyait sur un long bâton, compris que sa main décharnée tenait… vrai de vrai, une faux ! C’est alors que dans le silence glacial retentit la voix moqueuse de la jeune Alice Grandjean :

              _ Tiens la vioque qui revient ! On va encore avoir droit à une leçon de morale !

    Et à notre profonde stupéfaction un dialogue s’engagea entre cette vieille femme, pour ne pas dire la Mort, mais qui pourrait la nommer autrement !

    • Insupportable gamine, veux-tu bien rentrer dans ta tombe immédiatement, dépêche-toi où je me fâche !
    • Tu dis toujours ça et rien ne se passe ! Si tu crois m’intimider avec tes menaces à la noix, tu ferais mieux de fermer ton claque-merde !

    Je me serais bien insurgé contre cette grossière façon de parler, la jeunesse se doit d’être déférente envers une vieille femme, fût-elle, et peut-être à plus juste raison, la Mort, mais Olivier Lamart devinant mon intention me fit signe de me taire.

               _ Ecoute petite, ce n’est pas parce que tu bénéficies d’un traitement de faveur que tu dois exagérer ! File-moi sous la pierre que je ne t’entende plus de la soirée !

               _ Pas question, des journalistes sont venus m’interviewer, je profite de l’occasion pour discuter un peu, on s’ennuie un max chez toi ! Messieurs, j’attends la question suivante !

    58

    Olivier Lamart : je me suis permis de m’immiscer dans cet invraisemblable dialogue :

               _ Alice Grandjean, je ne comprends plus rien, vous nous avez déclaré que vous étiez morte, tuée dans un accident de voiture, et je vous vois traiter avec désinvolture une vieille femme d’un âge respectable, seriez-vous des comédiennes en train de répéter une scène de théâtre pour la fête de fin d’année du lycée. Quant à vous madame, votre déguisement est certes très réussi, je me demande ce vous venez faire dans cet accoutrement digne d’Halloween dans ce cimetière !

               _ Je suis ici chez moi, par contre il ne me semble pas que vous soyez propriétaire d’une concession à perpétuité par ici, alors filez vite avant que je ne me fâche !

               _ Madame, laissez-nous faire notre travail de journaliste, en plus je vous avertis nous avons une permission spéciale du Président de la République pour pousser le plus loin possible nos investigations sur la personne d’Alice Grandjean !

    59

    Le Chef allumait un nouveau Coronado :

              _ Lorsque j’ai vu sa main se crisper sur la hampe de la faux je ne donnai plus très cher de la vie de Lamart, mais non elle s’est calmée.  Je suis curieux de savoir comment ils ont continué l’article, tenez lisez agent Chad, ce Coronado demande à être savouré avec soin.

    60

    Je me saisis du Parisien Libéré que me tendait le Chef, m’éclaircit la voix et entrepris de lire les quelques paragraphes qui terminaient le récit de nos deux chieurs d’encre, ainsi les appelait Jean Lorrain l’auteur de Princesses d’ivoire et d’ivresse :

    Donc toujours d’ Olivier Lamart : C’est à ce moment-là que les deux membres du SSR qui nous avaient invité à cette soirée commencèrent à tirer, des espèces de balles explosives qui arrachaient des morceaux du corps de la vieille femme, il en volait de tous les côtés, il nous a semblé qu’ils tentaient de se regrouper afin de reconstituer le corps, le plus terrible c’étaient les deux billes rouges – nous comprîmes au bout d’un instant que c’étaient ses yeux totalement dissociés et qu’une fois qu’elle les aurait réunis - quel cauchemar ces deux mains osseuses qui tentaient en vain de les saisir – nous serions en danger de mort, nos deux tireurs amorcèrent d’ailleurs une retraite sans s’arrêter une seconde de faire feu vers la sortie du cimetière, nous étions suivis par des lambeaux de squelette, des haillons de tissus noirâtres et ces infernales petites boules qui rougissaient de plus en plus férocement.

    Martin Sureau : une fois que nous eûmes la grille franchie, cette vision d’horreur s’évanouit… dans la voiture personne ne dit mot… Nous sommes revenus au plus vite au journal pour écrire cet article…

    Olivier Lamart : nous étions interloqués par le déroulement de cette soirée. Après en avoir longuement discuté entre nous nous sommes mis d’accord sur les trois points suivants :

    1°) Peut-être avons-nous été victimes d’une manipulation due au savoir-faire de l’Agent Chad et de son Chef.

    2°) Si ce n’était pas le cas, cette enquête remet en cause bien des certitudes sur lesquelles repose notre société.  Elle risque de saper la confiance que tous les citoyens éprouvent pour ainsi dire naturellement envers les autorités de l’Etat et de déboucher sur une crise politique de grande ampleur.

    3°) L’affaire est si extraordinaire que nous avons décidé de poursuivre cette enquête jusqu’au bout. Nous sommes certains que nous parviendrons à dissiper et à expliciter tous les mystères de cet étrange fait-divers. Rien ne saurait résister à l’analyse d’une pensée rationnelle. Nos lecteurs peuvent compter sur nous, il n’est nul besoin de s’affoler, nous parviendrons incessamment sous peu à repérer les investigateurs cachés dans l’ombre qui tirent les ficelles de ce scénario digne d’un film de Zombies. Nous sommes sûrs que nous communiquerons bientôt à nos lecteurs des révélations qui ramèneront ces étranges évènements à ce qu’ils sont en vérité : au-travers de puissantes mises en scène des actions d’intoxication du peuple français venues d’une puissance étrangère.

    Olivier Lamart et Martin Sureau.

    61

    Le Chef ralluma un nouveau Coronado :

               _ Avez-vous remarqué le changement de ton entre le début de l’article et la péroraison finale en trois points, je suis sûr qu’ils ont passé un coup de fil à Octave Rimont Commandant en Chef de la Gendarmerie de Seine & Marne qui s’est tout de suite mis en rapport avec l’Elysée qui a ordonné de minimiser cette affaire, décidemment plus nous avançons plus cette affaire se corse comme dirait Napoléon ! Agent Chad nous ne sommes pas encore sortis de cette auberge !

               _ Absolument d’accord avec vous Chef, mais cette fois-ci nous possédons un fil d’or que les autres seront incapables de discerner et qui nous mènera droit au cœur de l’imbroglio !

              _ Agent Chad, je double la mise, nous en possédons deux !

    A suivre…

  • CHRONIQUES DE POURPRE 437: KR'TNT ! 437 : DETROIT COBRA / Dr JOHN / K'PTAIN KIDD / CHRIS THEPS / ALICIA F / JADES / RED HOT TRIO / HOWLIN' JAWS

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 437

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    07 / 11 / 2019

     

    DETROIT COBRAS / Dr JOHN

    K'PTAIN KIDD / CHRIS THEPS / ALICIA F !

    JADES / RED HOT RIOT / HOWLIN' JAWS

     

    À Cobras ouverts

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    Un petit coup de Detroit Sound, ça ne fait de mal à personne. Au contraire. Ça remet bien les pendules à l’heure. Qu’il s’agisse des Stooges, de Wayne Kramer, des Dirtbombs, de Scott Morgan, des Demolition Doll Rods ou des Detroit Cobras, le blast est garanti. Les gens le savent puisqu’une belle ovation accueille Rachel Nagy lorsqu’elle arrive sur la scène du Gibus.

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    Eh oui, elle est entrée dans la légende sur la foi de quelques beaux albums et de trop rares apparitions en Europe. Sa dernière prestation européenne remonte à 2004. Elle reste une très belle blonde à l’accent canaille et aux bras couverts de tatouages. Malheureusement elle n’a plus le droit de fumer sa clope sur scène. Rachel Nagy est aux blondes ce que Chrissie Hynde est aux brunes : la femme fatale par excellence. On détaille du regard son corps resté parfait.

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    À sa gauche se tient sa fidèle lieutenante, Mary Restrepo Ramirez. Elle est elle aussi incroyablement bien conservée, fine comme une anguille et brune à gogo. Elle déborde littéralement d’enthousiasme et fonce à travers la plaine avec sa rythmique endiablée. Il n’existe pas de guitariste plus dévouée au beat que Mary Restrepo Ramirez.

     

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    De l’autre côté se tient Eddie Baranek, un vétéran de toutes les guerres du Detroit Sound qu’on vit jadis œuvrer dans les Sights. Le vieux Eddie porte la barbe, des cheveux bien gras, des lunettes à verres bleutés et une grosse chemise à carreaux. Il s’est empâté mais il joue comme mille diables. Il allume en permanence et arrose tout de disto.

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    Les Cobras attaquent avec « I Can’t Go Back », suivi du knocking « You Don’t Knock » des Staple Singers. Plus loin, ils font un véritable carnage avec le vieux « Cha Cha Twist » d’Hank Ballard. Version explosive, on le sait depuis vingt ans. Par contre, aucune trace de « Hey Sailor » ni de « Right Around The Corner ». Le seul cut de Life Love And Leaving qu’ils reprennent est le « Shout Bama Lama » d’Otis. Sur scène, Rachel Nagy continue d’incarner tout ce qu’un homme peut attendre au plan libidinal du rock américain. Quand elle attaque « Weak Spot », on tombe définitivement sous son charme. Rachel Nagy fait avec « Weak Spot » le même genre de ravages qu’Aretha avec « Respect ».

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    Ces rois du swing vachard que sont les Cobras ne jouent que des reprises. Ils tapent dans l’inépuisable réservoir de hits du patrimoine musical américain. Leur répertoire est un twisted jukebox à la puissance dix. Ils déterrent des hits fabuleux. Ils font avec la Soul et la pop de Detroit ce que les Cramps firent avec le rockab : ils les subliment. Les Detroit Cobras explorent les catacombes de la culture américaine et ramènent à la lumière des hits oubliés qu’ils revitalisent à coups de riffalama.

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    Le groupe n’a que vingt ans d’âge, en fait. Il fut monté en 1998 par Steve Shaw, Mary Restrepo Ramirez et Jeff Meier, un ancien membre de Rocket 455, garage-band mythique de Detroit dans lequel jouait aussi Dan Kroha. Les trois compères proposèrent à Rachel de chanter, mais elle prétendit qu’elle ne savait pas chanter. On connaît la suite de l’histoire.

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    Leur premier album Mink Rat Or Rabbit sortit sur le label de Long Gone John, Sympathy For The Record Industry et fit sensation. Sur la pochette, on voit une femme noire danser nue devant un blanc, probablement dans un club de go-go girls. C’est un album de reprises spectaculaires. Ils attaquent avec le « Cha Cha Twist » d’Hank Ballard. La reine punk d’Amérique, c’est Mary Restrepo Ramirez. La lionne du désert, c’est Rachel Nagy. Et le père fondateur du garage de Detroit, c’est Steve Shaw. Ils enchaînent avec « I’ll Keep Holding On » des Marvelettes. Ils en font un pur jus de garage poundé à la dure. Puis ils tapent dans les Shirelles avec « Putty (In Your Hands) ». Ils l’embarquent à la sévère, ils instaurent le Biribi du garage, le marche ou crève définitif - oh oh oh - Quel ramshakle ! Puis ils tapent dans les Shangri-Las, les Oblivians et les 5 Royales, mais les cuts accrochent moins. La B s’ouvre sur une reprise du « Midnight Blues » de Charlie Rich. Un peu plus loin, ils ramènent la première d’une longue série de reprises d’Irma Thomas, « Hittin’ On Nothing », une belle pièce de r’n’b râblée et poilue. Puis c’est la fête avec « Out Of This World » de Gino Washington et ils finissent avec une reprise fouillée de Jackie DeShannon, « Breakaway ». Dans les pattes des Cobras, la belle pop de Jackie explose littéralement.

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    Life Love And Leaving parut trois ans plus tard sur le même label. Un gros plan de Rachel avec son micro et sa clope orne la pochette. L’album est encore meilleur que le précédent. Les Cobras s’installent au sommet de leur art. Ils attaquent avec « Hey Sailor », qui est en réalité le « Hey Sha-Lo-Ney » de Mickey Lee Lane (repris par The Action en Angleterre et par Ronnie Spector). Rachel bouffe ce vieux hit tout cru. Puis c’est au tour des Ronettes de passer à la casserole avec « He Dit It ». La pop des Cobras est dix mille fois plus puissante que ne le fut celle de Blondie. Leur pop explose et s’emballe. Ils tapent ensuite dans la heavyness de Solomon Burke (« Find Me A Home »), dans la pop de première classe des Chiffons (« Oh My Lover ») puis c’est le grand retour à Irma Thomas avec « Cry On », mais il ne s’y passe rien. La bombe de l’album, c’est bien sûr la reprise du fabuleux « Stupidity » de Solomon Burke. Ils embarquent ça au riff - oh -  et c’est claqué derrière les oreilles. La grandeur des Detroit Cobras se mesure à l’aune de Stupidity. Rachel en fait littéralement de la charpie. Elle se couronne Garage Queen d’Amérique. Puis ils volent dans les plumes du « Bye Bye Baby » de Mary Wells. Ils attaquent la B avec un hit inconnu au bataillon, « Boss Lady » de Davis Jones & the Fenders. C’est incroyablement bon. Rachel y met tout le chien de sa chienne - I’m a boss lady ! - On la croit sur parole. Elle transforme cette vieille pop en pure exultation primitive - Hey yeah ! Hey shake it baby ! - Puis ils retapissent « Laughing At You » des Gardienas. C’est la cavalcade infernale. Ils se prennent pour des locomotives. On a là toute l’énergie de la splendeur garage, avec un son paradisiaque. On tient avec Life Love And Leaving le disque de rock idéal. Il ne faut surtout pas le lâcher. « Right Around The Corner » des 5 Royales est certainement leur reprise la plus connue - That’s where my baby stays - C’est infernal de grandeur tournoyante. Leur manège donne le vertige, c’est une farandole excédentaire, un vertigo de pop extrême. Rachel arrache la peau de ses retours de couplets. Quelle démesure organique ! Et ils finissent avec une hot cover du « Shout Bama Lama » d’Otis. Leur choix de reprises est parfois un peu prétentieux - au sens de l’obscurantisme - mais les restitutions sont toutes irréprochables.

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    Seven Easy Pieces est ce qu’il faut bien appeler un mini-LP explosif. Ils attaquent avec une merveilleuse pounderie, « Ya Ya Ya », Rachel descend à la cave et nous plonge dans l’enfer de la fournaise. Le solo débilitant échappe à toutes les hypothèses imaginées par Sigmund Freud. Puis Rachel avale « My Baby Loves The Secret Agent » tout cru. Elle tire tout à la force de la voix - ah-ouh ah-ouh - elle sidère par tant de classe définitive. Ils font une reprise rouleau compresseur du « You Don’t Knock » des Staple Singers et ça se corse encore avec « 99 And A Half Just Won’t Do », dont les atomes explosent, comme dans un réacteur. On dit dans les cercles autorisés que les physiciens ont dû prendre le phénomène Detroit Cobras en compte. Et ils finissent dans le boogaloo avec « Insane Asylum », un joli clin d’œil à Koko Taylor.

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    Baby sort l’année suivante. Un couple romantique orne la pochette. Pour une fois, ce ne sont pas des romantiques blancs, mais des romantiques noirs. Baby est probablement le meilleur album des Cobras. Ils attaquent avec un cut signé Dan Penn/Spooner Oldham, « Slippin’ Around » et ils font sonner ça comme du Sony & Cher, avec toute la pression du Detroit Sound. C’est un véritable coup de génie. Rachel y fait un vrai carnage. Rooooaaar ! Ils explosent « Baby Let Me Hold Your Hand », un cut obscur de Hoagy Lands. On sent la puissance d’une démesure évidente. Nouvelle merveille extravagante : « Weak Spot », composé par Isaac Hayes pour la grande Ruby Johnson. Tout le génie de Rachel Nagy explose ici au grand jour. Les Cobras embarquent ça au firmament. « Weak Spot » est certainement leur exploit le plus retentissant. En B, ils sortent le « Mean Man » de Betty Harris de sa tombe. On sent la puissance sous le vent. Ils font aussi une reprise de « Baby Help Me », un hit de Bobby Womack interprété par Percy Sledge. Là, ils tapent dans l’extrêmement bon. Rachel sait emmener une pop song dans le bois des songes. Elle est la grande princesse des rock dreams humides. Et puis voilà le pot aux roses : la version ultime de « Cha Cha Twist » farcie de redémarrages explosifs. Comment parviennent-ils à transfigurer des classiques aussi parfaits ? Dieu seul le sait. Rachel dérape au coin du couplet et c’mon baby, ça ferraille derrière elle. Chaque fois qu’on réécoute ce cut, on voit danser en filigrane le nombril magique de Rachel Nagy.

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    Chant du cygne avec Tied & True paru en 2007. La formation originale du groupe avait depuis longtemps explosé. Il ne restait plus que Mary et Rachel. Greg Cartwright des Oblivians vint leur prêter main forte. Sur certains cuts, Rachel sonne comme Chrissie Hynde. Le groupe est en perte de vitesse. La version du fameux « Leave My Kitten Alone » de Little Willie John a un certain cachet, car on retrouve le côté cavaleur des Cobras, c’est ramassé au beat et chanté haut la main par une Rachel écarlate. Une petite pointe de rockab se fait sentir dans les entrelacs. Soutenu par un drumbeat tressauté, le riff de guitare fait tout le travail. Ils tapent aussi dans Bettye LaVette avec « You’ll Never Change » et en font un beau boogaloo sous le manteau. La version de « The Hurt’s All Gone » d’Irma Thomas est tellement pop que c’en est catastrophique. Le groupe tente de sauver son âme avec « On A Monday » de Leadbelly. Ils finissent heureusement en beauté avec « Green Light » des Equals. Ouf ! Mais on voit bien que les carottes sont cuites.

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    Les gens de Munster ont rassemblé les singles des Detroit Cobras dans une belle compile intitulée The Original Recordings. On y trouve des trésors comme « Maria Christina » chanté par Mary Restrepo Ramirez en chicano. Notons au passage que Steve Shaw et Mary étaient des découvreurs, au sens où Lux et Ivy l’étaient. L’autre révélation de ce disque, c’est la reprise d’un vieux coucou des années trente, « Come Over To My House » de Gesshie Wiley & Elvie Thomas. Ils déterrent aussi le « Sad Affair » d’un vieux soul man de Motor City, Lee Rogers, et en font du très gros Cobra. Même traitement infernal pour « Down In Louisiana » d’un certain Polka Dot Slim. Et puis on tombe dans la pure mythologie avec la reprise d’un cut inédit de Question Mark & The Mysterians, « Ain’t It A Shame », un spectaculaire exploit garage. Ils passent aussi le vieux « Slum Lord » des Deviants à la casserole. On trouvera de l’autre côté une belle mouture du fameux « Funnel Of Love » de Wanda Jackson - un long-time favorite des Cramps - et une reprise ratée du « Brainwashed » des Kinks. Steve Shaw chante « Time Changes Things », un hit superbe des early Supremes et ils transforment le « Curly Haired Baby » de Professor Longhair en bombe atomique.

    Grâce à cette belle série d’albums, Rachel Nagy et ses amis vénéneux sont devenus des héros mythologiques, au même titre que Zorro.

    Signé : Cazengler, Detroit Cobra cassé

    Detroit Cobras. Le Gibus. Paris XIe. 30 octobre 2019

    Detroit Cobras. Mink Rat Or Rabbit. Sympathy For The Record Industry 1998

    Detroit Cobras. Life Love And leaving. Sympathy For The Record Industry 2001

    Detroit Cobras. Seven Easy Pieces. Rough Trade 2003

    Detroit Cobras. Baby. Rough Trade 2004

    Detroit Cobras. Tied & True. Rough Trade 2007

    Detroit Cobras. The Original Recordings. Munster Records 2008

     

    Oh Dr John I’m Only Dancing

    - Part Two

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    Babylon compte parmi les plus grands albums de rock de tous les temps. Ça semblait déjà évident en 1969, année de sa parution. Et pourtant, quelle année ! Ça grouillait déjà de gros disques, Let It Bleed, le Led Zep 1, Trout Mask Replica, Everybody Knows This Is Nowhere, Happy Trails, Beck-Ola, le premier album des Stooges, Goodbye des Cream, A Salty Dog et d’autres encore. Rien qu’avec ce tas d’albums mirobolants, on avait épuisé son temps d’écoute et ses économies, mais Babylon s’imposait avec son Creaux pur tapé aux percus des marais avec une incomparable profondeur. Le jazz rock volait au secours d’une dimension incontrôlée.

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    Dans son morceau titre, Mac Rebennack invoquait les démons du free - No politicians/ No more human beings - Il voulait la bombe atomique. Bienvenue dans la décadence de Babylone. Il faut vite se faire une raison : Babylon est un album expérimental. Ça joue du tuba et ça groove dans les marais. Avec «Glowin’», Mac ramène des sons d’entre les morts, les filles qui chantent sont vermoulues. C’est très spécial et même très louche. Il contrebalance son what I’m gonna do dans le weird, il fait l’étalage de toutes ses extravagances, son keep on est beau à mourir. Il monte son «Black Widow Spider» sur un monstrueux drive de basse et nous enferme dans une torpeur extraordinaire. Il invente le Big Atmospherix de la Nouvelle Orleans. Le son grouille de sonorités inconnues. Cet album fonctionne comme une initiation. Il nous présente ensuite la fille aux pieds nus, «Barefoot Lady», sur fond de groove carnavalesque. Il chante comme un dieu et les congas de Congo Square jouent le real deal. Il se fend le cœur rien qu’en chantant «Twilight Zone». Il travaille sa torpeur avec les filles. Comme le Jack Flowers de Peter Bogdanovitch, il travaille avec des filles dévouées. Mac fait un album anti-commercial. Puis des chœurs d’enfants sucrent «The Patriotic Flag Waver», alors Mac peut aller chanter sur Main Street. Il chante la good time music des jours heureux et plonge son groove dans les affres du free. Il n’en finit de ramener du free dans le son, et il n’est pas prêt de se calmer.

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    En 1992 paraît un autre album extraordinairement fastueux, Goin’ Back To New Orleans. C’est la suite de Gumbo, qu’on a salué dans le Part One. Dr John y célèbre une fois de plus l’histoire musicale de la Nouvelle Orleans. À commencer par le Carnaval avec «The Red Indian», - Only in New Orlean will you hear this kind of song - Fabuleuse énergie et trompettes mariachi. Mac fait son white nigger dans «Basin Street Blues» et nous plonge dans la mythologie du heavy groove. Il rend hommage à son mentor Professor Longhair avec «Fess Up» - Strickly a tribute ! Ticklin’ the ivories all the double note crossovers, all that good stuff - Puis il envoie un gros clin d’œil à Annie Laurie avec «Since I Fell For you» : heavy blues d’une sensualité hors d’âge. Mac éprouve un gros béguin pour Annie. Powerful ! Autre clin d’œil, cette fois à Fatsy avec «Goin’ Home Tomorrow». Mac rappelle que Walter Papoose Nelson joue de la guitare sur la version originale. C’est le son de Fats. Fantastique cover ! Mac se souvient aussi d’une conversion avec Horace Silver qui lui disait que le premier disque de blues qu’il entendit sur un jukebox en Nouvelle Angleterre était «Goin’ Home Tomorrow» - He thought it was a hip blues for that time. Things like that stick in your mind - Mac sort aussi une cover de «Blue Monday» et rappelle que l’original est de Smiley Lewis. Il profite aussi de l’occasion pour dire qu’à l’âge d’or de la Nouvelle Orleans, on jouait le junkie blues toute la nuit. Il rend ensuite hommage à Huey Piano Smith avec «Scald Dog Medley/ I Can’t Gon On» et salue ensuite Art Neville avec une fantastique version de «Goin’ Back To New Orleans». Il croasse son groove à la perfection - I mean we just walked in and nailed this sucker - Son «Litanie des Saints» flirte avec Le Temps Des Gitans. Avec «How Come My Dog Don’t Bark», il est encore plus royaliste que les blacks et il salue Leadbelly doing ‘double life’ in Angola avec une superbe version de «Good Night Irene». Il profite du coucou à Leadbelly pour saluer aussi James Baker qui pianotait ce truc avec ferveur.

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    Son autobiographie s’arrête au moment où paraît Television, en 1994. L’album est nettement moins hanté que Babylon et Goin’ Back To New Orleans. Mac s’entoure d’une nouvelle équipe et d’Hugh McCraken. Dans «Lissen», il recommande de fermer la télé, le walkman et le BEI - Turn down the MTV, learn to listen - Ça date. Aujourd’hui, il dirait : «Turn down the internet.» Le hit de l’album est une reprise de Sly Stone, «Thank You (Falletin Me Be Mice Elf Again)». Derrière lui, les filles sont géniales. Mac en fait une épaisse tranche de groove fumante de génie.

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    L’autre coup de Jarnac est une reprise de «Money», le vieux hit de Berry Gordy. Mac en fait du gospel batch. Il fout le paquet et les filles font «That’s/ What I want !» Le reste de l’album est joué sur le même type de groove. On sent une volonté commerciale, d’ailleurs, la pochette est assez putassière. Dans «Witchy Red», Mac évoque un mojo satchel made of human skin et le chanteur des Red Hot Chili Peppers vient ruiner «Shut D Fonk Up». Plus loin, Mac chante «U Lie 2 Much» avec la voix d’un Ravaillac attaché aux quatre chevaux qui vont l’écarteler. La sincérité de son timbre ne trompe pas. Puis on l’entend sucer toutes les syllabes de «Same Day Service». Cet homme adore chanter ses chansons - Get me for less/ Every little bit u get/ It’s all correckkk - et les filles du gospel batch font le «Same day service» du cortège funèbre. Admirable !

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    L’année suivante paraît Afterglow. Sur la pochette, Mac semble serein, avec sa canne et sa commisération. Il chante au heavy groove de round it off. Le cut qui se détache du lot s’appelle «So Long». Mac nous régale d’un art définitif, une sorte de slow groove de rêve. Il pianote son «I Know What I’ve Got» au gras du bide, comme tout pépère qui se respecte, mais il amène de sacrés cuivres dans son chabrot. Soit tu quittes la table parce que tu n’apprécies pas le spectacle, soit tu t’aperçois que la tradition regorge d’une certaine forme de génie. C’est à toi de voir. Tu ne connais rien à la vie et tu dois faire face à tes responsabilités. Pendant ce temps, Mac sait exactement ce qu’il fait. Il fait couler une rivière de diamants sud-africains. Mac est très black dans l’esprit, très convaincu, anti-bonnet blanc et blanc bonnet. Il joue un «I’m Just A Lucky So-and-so» assez spectaculaire. De la même façon que Trane allait au Love Supreme, Mac passe au groove suprême avec «Blues Skies». Son «New York City Blues» flirte avec la classe intercontinentale du round midnite de Broadway. Il bouffe son chant comme on crève l’écran. Il chante comme un démon. Il mène le même combat que Leon Russell au soir de sa vie, il revient aux basics et enfile les chefs-d’œuvre comme des perles. C’est un album qu’on serre contre son cœur.

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    Il revient au boogaloo avec l’excellent Anutha Zone paru en 1998. On le croit calmé. Pas du tout ! «Ki Ya Gris Gris» renoue avec les torpeurs de Babylon, il ressort son vieux delirium, le son rôde dans le cimetière, les cris qu’on entend ne sont pas ceux des chouettes mais ceux des vampires. Mac murmure plus qu’il ne chante. On croit que c’est du boogaloo, mais non, c’est du vermoulu secoué aux percus africaines. Plus loin, il salue God au heavy beat de bienséance. Il monte «Hello God» en neige du Kilimandjaro et profite de l’occasion pour ramener les Edwin Hawkins Singers ! Clameur extraordinaire ! C’est l’un des hits les plus spectaculaires de Mac Rebennack. Seul un mec de la Nouvelle Orleans peut ramener autant de brebis égarées dans le giron de God. Keep on ! Et ça continue avec «John Gris», heavy groove des catacombes, mélange de xylo et de flûtes d’os. Ça pue le mystère ! Groove de la mort. Encore plus dévastateur : «I Like Keyoka», joué au sax de crocodile. Mac croasse dans les marais. Il fait sonner les clochettes des rattlesnakes. C’est épais et deep in the flesh. Il faut aussi saluer le morceau titre, une vraie merveille de heavy boogie joué à la meilleure connivence. Retour à la tradition avec «Sweet Home New Orleans» joué aux trompettes de rue. Il renoue avec la puissance inexorable du groove. Ce mec est très fort. Il allume son cataplasme à coups de yeah-oheh !

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    Changement complet de registre avec ce brillant hommage à Duke Ellington paru en 1999 : Duke Elegant. Les mecs qui accompagnent Mac sur cet album sont inconnus au bataillon. Album étonnant, car Mac va réussir à créer de la magie à partir de la magie existante. On entend un «I’m Gonna Go Fishin’» joué à la basse métallique, par exemple. Et ça frappe dur chez la mère tape-dur. Mac tape «It Don’t Mean A Thing» au croassement. Il semble écraser l’œuf du serpent. Il bâtit son pont des arts avec une maîtrise subliminale, il fait du gainsbourring de bonne bourre, à coups de rumble d’orgue. Ça groove dans les bas-flancs du brigantin. Il laisse le swing emporter «Perdido». Tout ce qui sort de Mac maque les mots et marque les mecs. Il shoote «Don’t Get Around Much Anymore» à l’insistance nasale. Il se régale et nous aussi. Des mecs sifflent et se fondent dans le groove downtown. Ça se termine en rap de South Side. Puis Mac descend dans les eaux profondes de «Solitude» pour pianoter comme Satie. Il chante de l’intérieur de l’âme. Il atteint à l’apanage de la nage. Il fait le choix du heavy funk pour «Thing’s Ain’t What They Used To Be» et tape «Caravan» au shuffle de petite surface. Dans son texte de présentation, Mac explique qu’il n’a rencontré Duke Ellington qu’une seule fois, sur un vol à destination de la Nouvelle Orleans. Il comprit immédiatement pourquoi on l’appelait Duke Elegant - The man was a mystic, chanting enchantments, and charming to the max - Puis il découvrit que ses musiciens s’habillaient comme des banquiers. Selon mac, Duke connaissait le secret de l’immortalité : «Write a bunch of tunes that people keep on singin’ and playin’.»

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    Retour au cimetière avec Creole Moon et sa pochette fantasmatique. Mac attaque cet album clé avec «You Swore», l’un des pire grooves de l’histoire du groove - Definitely the West African vibe - Authentic New Orleans sound. Bienvenue au paradis des enfers et les filles chantent à point nommé. C’est l’album des héros. Mac salue Art Blakey dans «In The Name Of You» et Fred Westley vient jouer du trombone dans «Food For Thot». Mac nous funke le shit de choc avec une invraisemblable énergie. Il sait se montrer aussi pugnace d’un black du ghetto. Ideal for cuising nous dit Mac de «Holdin’ Pattern» - Inner city rhythm, caribbean flourishes and shades of fonk inside it - Il bat tous les records atmosphériques. «Bruha Bembe» sent bon le cimetière. Mac fait rouler le Bembe africain. Quel shoot de boogaloo ! Aw come in down ! Encore un extraordinaire coup de love & potion amené à l’experiment extrême des crânes. Il co-write «Imitations Of Love» avec Doc Pomus - Written in 6/8 - Il songe à Ray Charles et à T Bone Walker. Eh oui, nous restons chez les géants. Il nous sert à la suite ce qu’il appelle un authentic raw New Orleans funk avec «Now That You Got Me» et passe au boléro de Charlie Parker avec le morceau titre. Aw Calypso ! Aw Trinitad ! Effarant ! Il swingue les îles. Il offre une conception très spectaculaire de l’exotica. Il affirme ensuite que sa mère est sortie de sa tombe pour lui chanter «Georgianna» - My bébé fais dodo/ My Georgianna - C’est son clin d’œil aux Cajuns. Il tape plus loin «Take What I Can Get» au guiding light spiritual church flavor - Sonny Landreth, the Cajun Santana, plays his part - Il a vraiment le chic des formules. Pour «Queen Of Old», il parle de jazzified flamenco. Cuba/Puerto Rico groove avec un mec à la trompette. Il termine avec «One 2 Am Too Many», a favorite of mine. Il a vraiment le groove dans le sang.

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    Voilà-t-y pas qu’en 2004 paraît l’un de ses meilleurs albums, N’awlinz Dis Dat Or D’udda ! Comme si c’était Dieu possible ! Il suffit pour s’en convaincre définitivement d’écouter «When The Saints Go Marching On», soutenu aux chœurs de morts vivants. C’est vibré à l’or de la mort, chanté au mieux des possibilités du gospel funéraire, avec la trompettes de Sidney Bechet dans l’écho du temps. Mac sublime le boogaloo de cimetière. Toute la mythologie de la Nouvelle Orleans est là, une fois encore. Mac reste dans le gospel avec «Lay My Burden Down». Il invite Mavis et Earl Palmer qui vient fouetter son snare. Il faut voir Mavis entrer dans la danse ! Elle swingue le heavy gospel de Mac, do like Jeusus et elle swingue son nobody à la folie. On grimpe encore d’un cran avec «Marie Laveau». Cyril Neville s’installe au piano et les Mardi Gras Indians fourbissent les bouquets de chœurs toxiques. Voodoo here we goo ! Mac chante les louanges de Marie Laveau, the Voodoo Queen of New Orleans. On entend les Werdell Quezergue Horns derrière, baby tout est si haut de gamme ! Ah ya ya ! Mac colmate les brèches de la réalité avec de la mousse de cimetière et les filles font chichakchichakchichak dans les ténèbres. Cette fois encore, ce démon de Mac bricole sa magie noire et frise le génie définitif. Nicholas Payton réveille ensuite le fantôme de Sidney Bechet avec «Dear Old Southland» et Mac revient au deep groove avec «Dis Dat Or D’Udda». Il sort pour l’occasion son baryton d’alligator, il croone dans le marigot, c’est effarant de tenue et de funky motion. On retrouve ensuite Earl Palmer dans «Chikee Le Pas». Mac fait appel à la crème de la crème du gratin dauphinois : en plus d’Earl on retrouve the Mardi Gras Indians et the Werdell Quezergue Horns. Im-bat-table ! Mac fouette sa crème de la crème. C’est encore une fois l’un des plus beaux albums de rock américain. L’hommage suivant va droit sur ce géant de la Nouvelle Orleans qui vient tout juste de disparaître, Dave Bartholomew, avec «The Monkey». Mac chauffe son Monkey comme Jimi Hendrix chauffait sa Foxy Lady. Randy Newman accompagne Mac sur «I Ate Up The Apple Tree», c’mon see about me ! Mac s’amuse avec sa voix de canard transmuté, on assiste à un duo de géants de la scène américaine. C’est une véritable merveille de classe et d’éclat. Snooks Eaglin et Willie Neslon rejoignent Mac sur «Ya Ain’t Such A Much». Que d’invités ! Que de son ! Snooks passe un solo au tiguili de shaking all over. Puis Mac revient avec «Life Is A One Way Ticket» au deep groove à la Bobbie Gentry. Il sait rocker le groove dans l’âme. Il sait cajoler la bête qui sommeille en nous. Il œuvre dans l’ombre du Grand Œuvre. Il n’en finit plus de ruisseler, mais ce sont des diamants. Il invite ensuite B.B. King et Clarence Gatemouth Brown à partager le festin de «Hen Layin’ Rooster». Quelle rooste ! Il n’existe rien de plus définitif en matière de groove. Mac réchauffe la terre entouré de ses amis, tous vétérans comme lui du Chitlin’ Circuit. Gate vient concasser des œufs pour l’omelette. Il faut reconnaître à Mac un talent fou d’instigateur. Son «Stakalee» n’est autre que Stagger Lee chanté à la décadence vermoulue. Hommage à Fess, boogie de rêve à la ramasse rebennackienne. Il invite ensuite Eddie Bo à partager le festin de «St James Infirmary» - I went down to the St James Infirmary down home - Il roule le texte sous sa langue et Eddie Bocage fait son apparition, ha ha ! C’est chanté au plus chaud de la matière. Ce disque est une espèce de carnet mondain de rêve. Tout ici n’est que luxe, calme et volupté.

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    Paru en 2005, Nex Hex - Nashville Sessions propose une belle série de classiques. Mac met le paquet sur le boogie de bastringue avec des choses comme «In The Night» - In the wee wee hours - et «Baldhead», vieux hit de Fess - Look at her/ She ain’t got no hair - Mac est plus jouissif que jamais. Il chante à l’accent tranchant et derrière, la fanfare de la Nouvelle Orleans s’emballe. Si on cherche du son, c’est là. Il chante ensuite «Whichever Way The Wind Blows» à l’épurée syllabique et enroule le groove autour de sa langue pour «Woman Is The Root Of All Evil». Version dévastatrice, salée aux cuivres. Il entraîne «Danger Zone» dans le giron de son groove spongieux et chante «Just Like A Miror» du haut de son heroin addiction. Il chante comme un dieu. Encore une merveille qui tombe du ciel avec «Helping Hand» qui vire en mode big heavy shuffle, oh helping hand ! C’est l’occasion de redire le génie de Mac Rebennack. Il tient son shit de choc par la barbichette. Il glisse le vieux «Tipitina» de Fess entre deux tranches pour en faire un sandwich magique. «Qualified» sonne comme l’un des plus beaux shuffles de l’histoire du rock et il ramène du rêve à la pelle avec «Mama Roux». Il réussit à recréer sa magie à Nashville, c’est un exploit. Il passe au heavy funk avec «A Quitter Never Wins». Une façon comme une autre de mettre les points sur les i. C’est même littéralement allumé de l’intérieur. Encore un album dont on sort épuisé mais ravi.

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    Avec Mercernary paru l’année suivante, Mac propose un choix de chansons de Johnny Mercer. Sur la pochette, il ressemble à un gangster. Avec «You Must Have Been A Beautiful Baby», Johnny Mercer rendait hommage à une femme délicate - Did your mama realize ? - Mac travaille son boogie au corps. Il jazze son groove. Le joyau de cet album s’appelle «Lazy Bones». Il le prend à l’éraillée et ça devient un blues de rêve. Il ne fait jamais les choses à moitié. Il plonge «Moon River» dans la décadence, il chante ça en biseau de croco. C’est de très haut niveau - My huckleberry sweet - Avec «I Ain’t No Johnny Mercer», Mac avoue qu’il n’est pas Johnny Mercer. Mais il tape ça au meilleur groove qui soit ici bas. Il atteint des sommets. On est dans l’excellence du night-clubbing. Il termine avec «Save The Bones For Henry James» joué au vieux jump de trombones. Mac est le roi du croak. Cet album renforce l’hypothèse d’un parallèle entre le prophète blanc (Mac) et le prophète black (Isaac). Il suffit d’écouter «Hit The Road To Dreamland» pour s’en convaincre. Mac drive son groove sous terre avec des accents chantants et crée de la proximité. Il chante aussi son «Dream» avec un appétit de croco affamé. Il va vers la lumière sur un beat de jump.

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    On retrouve pas mal de vieux coucous sur What Goes Around Comes Around. À commencer par «Tipitina», flamboyant et chanté au pire tranchant. Chant spongieux et décadent. On croit entendre un prince chanter. On revient aux racines de la Nouvelle Orleans avec «Mama Roux» qui sonne comme la bande son du bonheur parfait. On a tout là-dedans : l’emprise du swing, le radieux solaire, l’extrême fraîcheur du groove. Lookahere ! Voici «Qualified», véritable dégelée de son de Cadillac. Le rumble de la Nouvelle Orleans dégage les bronches. Mac chante à la pointe du progrès. Il passe au groove africain avec «Quitters Never Win». Pendant qu’il sort son meilleur tranchant, ça groove sec autour de lui. Et voilà le morceau titre, embarqué au bassmatic déconcerté. C’est une merveille de marche en crabe. Les filles le raclent vite fait avec des chœurs immondes, c’est en plus nappé de violons et donc doublement appétissant. Quelle incroyable vitalité du son ! Un son qui retombe sur ses pattes de manière inespérée. Tout ça pour dire qu’un album de Mac Rebennack se vit chaque fois comme une aventure. Il revient à son cher voodoo avec «Zu Zu Man» Les squelettes dansent dans le cimetière, sous la lune blafarde. Si on n’a encore jamais entendu un piano voodoo, il fait profiter de l’occasion. Mac pianote dans les ténèbres et croasse des choses inintelligibles. On le voit plus loin siphonner le groove de «Loser For You» avec ses dents de vampire. Il reprend aussi son vieux «Woman Is The Root Of All Evil» et chante «Bring Your Love» à la bonne aventure. Il pianote plus loin le junk de «Make Your Own Bed Well» et part en dérive. Il joue son round midnite aux coins cassés. C’est là que se fait la différence entre un mec comme Mac et MTV. Il ira pianoter à la folie junk dans l’âme d’un groove divinatoire, ce qui est quand même plus marrant qu’un clip sur MTV.

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    Le Trader John’s Crawfish Soiree paru en 2007 propose en fait deux albums, Trader John et Crawfish Soiree, tous deux bourrés à craquer de vieux classiques comme «Helping Hand» chanté au petit bonheur la chance, ou encore «Loser For You». Il y a quelque chose d’incroyablement chaleureux dans l’accent chantant de Mac, c’est d’ailleurs ça qui finit par le rendre tellement indispensable. Il chante toujours à la régalade d’homme repu. Comme si le groove suivait son petit bonhomme de chemin en père peinard sur la grand-mare des canards. Mac est génial, car avec «Loser For You» il va se prosterner aux pieds d’une pute - Two times loser/ Can’t help myself/ To come back to you - Il est en rut et brame à la gorge blanche. Il passe entre deux autres merveilles un instro de tous les diables, «One Night Late», véritable drive de monster wild, bassmatiqué au punch up de so far out. Il fait du big Mac avec un «I Pulled The Cover Off You Two Lovers» heavily pianoté. Tout le power est là, dans l’essence du rumble. Pas besoin de distorse. Avec «New Orleans», il envoie un coup de méthane dans le boyau de la mine et passe au heavy groove des enfers avec « The Ear Is On Strike». Admirable et gluant. Il revient à la goguette de bastringue avec «Just Like A Mirror» et devient une sorte de prince de la titube. On retrouve tous ces classiques sur Crawfish. Mais on ne s’en lasse pas. Tout est tellement pianoté dans l’âme. On retrouve ses grooves spongieux, ses coups de trompette, ses craquements de bois vermoulu et le poids du savoir, les cuivres de dixieland et les envoûtements, le shooo raaaah et le Zu Zu man, les pianotis dignes de Monk et la beauté déchirante de certains accents.

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    Au soir de sa vie, Mac mène le même combat que Tonton Leon, sauf que Tonton Leon n’est pas tombé dans le piège que lui tendaient les sirènes de la pseudo-modernité, ces petits mecs qui s’achètent une crédibilité à bon compte. Eh oui, Dan Auerbach produit Locked Down en 2012 et met son nom en gros sur la pochette. Alors qu’il n’a pas vécu le quart du centième de ce qu’a vécu Mac. On en est là. Même problème avec Mavis tombée dans les pattes de Jeff Tweedy qui met lui aussi son nom en gros sur les pochettes. Dès le morceau titre d’ouverture de bal, le vieux Mac prend son heavy groove au timbre biseauté, ce timbre de nasal junk unique au monde - Locked down locked down/ Like a cornered cat/ What y’all know bout that ? - Mac n’en finit plus d’affirmer sa singularité. Il chante aussi son «Revolution» au pincé de nez, mais il force un peu trop sur le nasal, il s’est mis dans les pattes d’une prod putassière, tant pis pour lui. Il nous fait «Big Shot» en mode carnavalesque - Ain’t never gonna be no big shot like me - et passe à l’âge de glace avec «Ice Age». Trop de son pour le bon Doctor. Beaucoup trop. Limite hip-hop new-yorkais. Comme c’est tapé au heavy beat menaçant, il en rajoute une caisse. Mais l’impression du trop de son persiste. Un groove comme «Getaway» ne lui ressemble pas. Auerbach commet une fantastique erreur en chargeant la barque. Il fait du spectaculaire sur le dos d’un mec qui a fui le spectaculaire toute sa vie. Avec «Kingdom Of Izzness», on bascule dans l’horreur. Mac sonne comme une pop star et il n’a jamais voulu sonner comme une pop star. Voilà un kingdom drapé d’accords flamboyants, et Mac n’a jamais voulu d’accords flamboyants. C’est le monde à l’envers, on se retrouve confronté au problème du producteur qui impose un son à l’artiste, comme Tweedy l’a fait avec Mavis. C’est insupportable. Mais Mac est gentil, il se met dans un coin et attend de pouvoir continuer. Le désastre se poursuit avec «You Lie». On n’entend que la guitare d’Auerbach. Le pauvre Mac doit se débrouiller avec le m’as-tu-vu des Black Keys. Trop de guitare. C’est le contraire du New Orleans Sound. Mac parvient à sauver «My Children My Angels» - I wish I’d never made you blue - et il finit en chantant divinement «God’s Sure Good» - God don’t be guessin’/ He sure don’t - C’est admirable. Mais Auerbach ramène sa guitare, et un changement de rythme sauve le cul du cut, des chœurs de rêve et un drive de basse volent au secours de Mac qui sonne comme un Mac de rêve - God knows I’m OK.

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    Après les hommages à Johnny Mercer et à Duke Ellington, Mac rend en 2014 hommage à Louis Armstrong, aka Satchmo, avec Ske-Dat-De-Dat The Spirit Of Satch. C’est d’ailleurs son dernier album studio. Bien sûr, il démarre sur l’hymne à la vie, «What A Wonderful World», et fourbit une belle version de bastringue. C’est mené au doo-wopping de rêve. Oh la fantastique énergie des doo-woppers ! - What/ What a wonderful world ! - Chef d’œuvre du grand songbook d’Amérique. Ce sont les Blind Boys Of Alabama qui shootent l’or du temps et Nicholas Payton souffle dans sa trompette. Hallucinant ! On comprend alors qu’on est entré dans un très bel album. Mac passe à la funky motion avec «Mack The Knife», pulsion maximaliste, ça joue à contre-temps du syncopal. Un rapper vient rapper le Mack de Mac, c’mon gimme some more ! Mac shake son shook comme pas deux. Un Chicano nommé Telmary prend le lead sur «Tight Like This» et roule les r d’une belle espagnolade. C’est le kitsch à l’état le plus pur. Arturo Sandoval joue un solo de trompette merveilleusement épique, le cut se noie dans le kitsch mariachi et finit par exploser. Pure folie ! On passe au walking bass de Broadway avec «I’ve Got The World On A String». Bonnie Raitt vient duetter avec Mac, c’est le meeting des géants, ils chantent tous les deux à la viande crue, ils sont demented are go et écœurants de génie, affolants de niaque cabaretière. On assiste là à une sorte de consécration suprême, comme si ce duo légitimait toute l’histoire de l’industrie musicale. Mac la ramène pendant que Bonnie chante à pleine voix. L’affront du disk Auerbach est lavé. Nicholas Payton revient illuminer le heavy groove de «Gut Bucket Blues». Ces mecs dégagent autant que les pionniers du Dixieland. Un nommé Anthony Hamilton prend le micro sur «Sometimes I Feel Like A Motherless Child». Il est moins frénétique que Richie Heavens, dommage. Mac swingue ensuite «That’s My Home». Il joue la carte du velours et souffle de l’air chaud. Comme Walt Disney, il fait rêver les enfants. Il passe au gospel batch avec «Nobody Knows The Trouble I’ve Seen» et fait intervenir les McCrary Sisters et Ledisi. Ce sont des battantes. Les Blind Boys Of Alabama reviennent enflammer «Wrap Your Troubles In Dreams». Mac fend la bise et bat tous les records de morgue. Terence Blanchard joue de la trompette. C’est un fantastique album de Soul et de Spirit. Grâce à cette trompette New Orleans, on se paye une extraordinaire virée dans le son. Shemekia Copeland radine sa fraise pour «Sweet Hunk O’ Trash». On peut dire qu’elle chante son ass off. Mac lui donne la réplique. Il s’encanaille. L’album n’en finit plus de surprendre, avec tous ces rebondissements. Arturo Sandoval revient souffler dans sa trompette pour illuminer «Memories Of You». Mac sort sa meilleure voix de vieux croco, ses dents brillent à la lune. Bel hommage à Satchmo. Mac est sans doute le plus habilité des habilités.

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    Tout fan du bon Doctor doit impérativement s’offrir The Atco/Atlantic Singles 1968-1974, une compile parue en 2015. Car c’est du double concentré de tomate Rebennack. On groove délicieusement des hanches sur «Mama Roux», puis on savoure l’insidieux beat des tambours de Congo Square sur «I Walk On Gilded Splinters», un beat tellement épicé, tellement exotique, à la fois menaçant et moussu, une pure merveille d’exotica et il enchaîne avec le part two de Splinters, toujours hanté par les esprits africains. Mac les aide à dévorer les âmes de tous ces blancs cruels et avides. On reste dans la mythologie de la Nouvelle Orleans avec «Gris Gris Gumbo Ya Ya», on descend dans l’œsophage de l’esclavage, avec les O’Jays de Ship Aloy, dans les soutes de ces voiliers qui ramenaient des cargaisons de chair humaine, et Mac invoque les esprits, il comprend cette violence inacceptable, c’est de ça dont parle son art, un art qui relève du génie politique, il rend un hommage bouleversant aux martyrs de la traite, l’horreur la plus noire. Mais comment les blancs pouvaient-ils s’imaginer qu’ils allaient s’en tirer à bon compte ? God ce n’est pas possible ! Heureusement, le serpent voodoo rôde et tue. Quelle dose de sortilège dans ce cut ! Et ça continue avec une fantastique leçon de boogaloo intitulée «Loop Garoo». Mac chante comme Fess, son mentor, et voilà «Iko Ikoo», véritable hit africain, joyeux et fêtard. Mac navigue dans les Sargasses de la magie. Il rend aussi un bel hommage à Huey Piano Smith avec «Huey Smith Boogie», énorme cut claqué des mains, et passe ensuite à Big Dix avec une reprise de «Wang Dang Doodle». Mac y retrouve le chemin de la viande, all nite long, et il sort pour l’occasion son meilleur accent canaille. Il a tout compris. On a en prime un fantastique solo de guitare. Tiens encore un hommage magique à Fess, avec «Big Chief», joué aux instruments africains. On y retrouve la foison du son magique de la Nouvelle Orleans, forcément. Mac swingue à outrance. Il hurle comme un beau diable dans «A Man Of Many Words» et revient au groove avec «Right Place Wrong Time» : il se glisse sous le vent du marais, il groove son truc avec l’énergie d’un punk des bas-fonds et il revient aussitôt après au bon vieux boogaloo avec «I Been Hoodood», un cut fait pour rôder la nuit dans les cimetières, bien battu aux congas de Congo Square. C’est un zombie groove de tous les diables. Il passe au groove de Cuba avec «Cold Cold Cold». Mac ne tape que dans le haut de gamme. Il est incapable d’enregistrer un navet. Il se permet même de jouer de la rumba oblique, de s’enfoncer dans la jungle avec «Life» et de chanter «(Everybody Wan Get Rich) Rite Away» avec une voix de vieux clochard. Quel héros !

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    Tant qu’on y est, on peut aussi rapatrier The Crazy Cajun Recordings, une compile parue en 1999. Comme Jerry Lee Lewis et Doug Sahm, Mac a fréquenté un temps Huey P. Meaux et ça donne des résultats pour le moins explosifs. Le premier coup de génie s’appelle «You Said It», vieux shoot de groove voodoo. Quand Mac envoya ses cohortes, Huey dut avoir la peur de sa vie. Comment peut-on résister à ça ? Impossible ! Autre coup de génie avec «The Ear Is On Strike», heavy groove d’orgue des catacombes. Prod superbe, avec l’orgue joué loin derrière pour ne pas gêner le chant. Huey a bien compris la nature concassée du génie de Mac. C’est en tous les cas ce que montre «Make Your Own», joué au piano de round midnite. Mac chante ça à la désespérance maximaliste. Son «Which Way» sonne assez punk, il y touille un brouet malsain, sans doute est-ce la raison pour laquelle Huey le respecte autant. Mac casse littéralement la gueule du rythme. Il chante comme un nègre sur «A Little Closer To My Home». Il rampe dans le groove et se révèle plus royaliste qu’un roi nègre. Sur «I Pulled The Cover Off You Two Lovers», il chante comme Van Morrison. On a là une sorte de Gloria à la sauce New Orleans. Par contre, il chante «The Time Had Come» à l’affliction, ou plus exactement à la compassion du laid-back concassé. Puis il prend «Woman» au groove de naseaux perçants. Mac n’en finit plus de chanter un rock fin et racé, comme brisé de mille cassures de rythme. Il sort aussi un «Go Ahead On» en mode boogie léger de la cheville. Il limite les défauts et les accentue en même temps. Il est le maître de son temps. C’est assez stupéfiant. Comme s’il faisait la pluie et le beau temps. Vous en connaissez beaucoup des artistes capables de faire la pluie et le beau temps ? Il revient ravaler la façade de «Chicky Wow Wow». Il n’y a que lui qui sache faire ça. Par sa prodigieuse disposition au génie foutraque, Mac échappe définitivement à la médiocrité. Puis on l’entend vers la fin taper sur son piano de bastringue pour donner à son «Doghouse Blues» la perfection du saumâtre des bas-fonds.

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    En 1973, Mac doit être au sommet de son art, car c’est ce que laisse entendre ce Lost Broadcast paru récemment sous le titre At The Ultrasonic Studios. New York 1973. Pas question de faire l’impasse sur une telle merveille, d’autant qu’il démarre avec son vieux «Loop Garoo». On se demande bien ce que les New-yorkais pouvaient comprendre à ça, à l’époque. Trop de modernité et trop d’exotisme. C’est gratté au boogaloo, ça grouille de puces. Mac chante la délinquance des rues, bien épaulé par Sugar Bear Welch qui envoie du wah et Robert Lee Popwell qui roule sa bosse sur sa basse. Le décor est planté. Ils traînent le groove dans la boue du limon. Ils jouent avec le power et le décousu du junk. C’est l’équivalent exotique du Velvet Underground. Mac reste dans le registre de la déglingue pour attaquer de front «I Walked On Guilded Splinters». Les reines de la ramasse l’accompagnent. Elles s’appellent Bobbie Montgomery et Jessie Smith. Elles poussent de cris de hutte et chargent l’ambiance à outrance. Elles battent tous les records de déglingue. Rien n’est en place et ça tient, feel a lot better, John Boudreaux bat à l’Africaine, il sort un fantastique groove tribal mal dégrossi. Si on aime l’exotica, on est servi. Et ça monte encore d’un cran avec «Danse Kalinda Ba Boom», mélange de shuffle d’orgue et de beat voodoo. Mac jive comme Jimmy Smith, il smack le smooth de Smith. Les filles chantent à l’orgasmique dévoyé. Il faut les entendre, elles sont tellement vulviques ! Ça jive tant qu’on se croirait dans le Graham Bond ORGANization. Solo de sax dans les dents du cut, le mec s’appelle Jerry Jummonville, c’est le Trane de la défonce. Ce Lost Broadcast permet de choper Dr John au sommet vivant de son art. Les gens applaudissent. Yah ! Mac lance «Hawk you music lovers !» d’une voix de héros jovial. Il passe à Fess avec «Stag-o-lee». Ça pue la classe à dix kilomètres à la ronde. On sent qu’il ne vit que pour ça, pour la classe du jive. Retour des folles sur «Life», un hit bâti sur un joli riff d’Allen Toussaint. Le riff remonte le groove à contre-courant. S’ensuit un r’n’b brassé dans la profondeur du son, «Put A Love Letter In Your Heart». Mac n’en finit plus de relancer et les deux folles battent tous les records d’excès. Elles sont en sueur et Mac les excite encore. Il chante dans sa barbe, comme Gargantua un jour de ripaille. Il prend «Tipitina» au pire perçant de chat perché. C’est convaincu d’avance. Toute l’équipe s’y met. Merveilleux gumbo fantasmatique ! En matière de groove, on ne fera jamais mieux. Mac pulvérise New York. Il attaque «I’ve Been Hoodooed» d’une voix d’outre-tombe, nous plonge dans la nuit gelée du cimetière et les filles roucoulent un hooodoooo de rêve. On ne rigole pas car Mac est très sérieux et tout est cuivré de frais. Il retient son «Such A Night» par la manche et revient à son cœur de métier avec «Right Place Wrong Time». Fantastique jungle jive, il swingue l’excellence à outrance. S’il faut écouter une version de Right Place, c’est celle-ci. Elle est écorchée vive. Mac et son gumbo explosent tout. Les filles n’en finissent plus d’allumer le feu. Mac fait aussi un méchant clin d’œil à Big Dix avec «Wang Dang Doodle». Il le prend par en-dessous, comme un alligator. Chicago descend dans le bayou, all nite long ! Impossible de décrocher d’une telle merveille. On pourrait dire la même chose de «Mama Roux». Il l’amène au mieux des possibilités du génie rebennackien. Il chante ça à l’avenant. Il ouvre un océan de beauté innervée, il sonne le tocsin du bonheur éternel. Et tu as les filles qui explosent. Avec «Qualified», Mac bat d’autres records, ceux de la délinquance funk.

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    Pour finir, on se remet un coup de Desitively Bonnaroo, car Mac est beau comme un prince sur la pochette. On l’écoute une fois encore shaker son butt d’une voix pincée. «Quitters Never Win» sonne big and fat, umh-umh-umh et derrière, tu as les Meters et Allen Toussaint. Que peux-tu espérer de mieux ? George Porter au bassmatic ? C’est gagné d’avance. Art Neville on keys ? Laisse tomber. Et Zingaboo au beurre ? Faut pas charrier. D’ailleurs le Porter des enfers vient hanter «Stealin’», puis «What Comes Around Goes Around». Le monde appartient à George Porter. Zigaboo se montre plus discret, il se contente de rôder dans le marigot du groove comme un alligator. Son cousin le croco blanc chante et il descend dans le meilleur lard du monde, down down down, suivi par des filles vulvaires. Mac crée des zones de non-droit extravagantes et du côté des Meters ça pouette à tire-larigot. On voit ensuite Mac naviguer dans une mer de chœurs géniaux. Le cut s’appelle «Me You Loveliness». Les Meters déroulent le tapis rouge pour «Let’s Make A Better World». On se trouve là au maximum des possibilités du son, les filles deviennent insalubres. Mac a beaucoup de chance de pouvoir groover dans ces eaux-là. Les filles allument le brasier de «Can’t Git Enuff» et Mac ramène sa vieille niaque de sorcier africain. Alors forcément, ça explose. Les filles jettent de l’huile sur le feu. Il passe au groove de la désaille avec «Go Tell The People», il barre en couille de génie, il heurte le récif avec un talent indescriptible. Il taille sa route de titube dans un groove extrême. Pur génie ! Il finit cet album sublime avec le morceau titre, une sorte de take it off de non-recevoir. Les filles le harcèlent et ça devient intéressant. Nous voilà dans le heavy Mac, celui qui ne la ramène pas. Les Meters plombent le son, au sens fort du terme. Le babe babebabe restera un modèle du genre. Mac chante ça tellement à la renverse qu’on tombe de la chaise.

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    Dans le Part One, on faisait un peu l’impasse sur cet album intimiste paru en 1989, In A Sentimental Mood. Son duo avec Ricky Lee Jones va tout seul sur l’île déserte. Mac joue «Makin’ Whoopee» au piano bar de bonne contenance et nous berce de langueurs monotones. Il chante à la puissance du ton mouillé. L’autre merveille de cet album s’appelle «My Buddy». Il y crée une fantastique atmosphère d’amitié. On peut lui faire confiance - My buddy nobody sounds so fine - Les rivières de diamants qui s’écoulent de son piano s’en vont se perdre dans les nappes de violons. Mac chante ici avec tout le charme d’un vieil Américain bourré de talent. Cet album est aussi délicat et fragile qu’un recueil de poèmes de Paul-Jean Toulet. C’est taillé dans le cristal d’une certaine intelligence. Il chante «Don’t Let The Sun Catch You Cryin’» à la beauté déchirante. Plus rien à voir avec le menu fretin de pop et de rock. Mac vise l’undergut de bassdown nappé de violons et y fait rouler ses rivières de diamants. Il songe sans y songer à l’éternité. Mac, c’est un peu l’histoire d’un blanc qui se prenait pour un nègre. Il fait d’ailleurs partie de ceux qui ont réussi leur coup. Par la nature viscérale de son art, il a réussi à échapper aux anecdotes. Ses fans héritent d’un énorme tas de disques somptueux.

    Signé : Cazengler, Dr Jauni

    Dr John. Babylon. Atco Records 1969

    Dr John. Goin’ Back To New Orleans. Warner Bros Records 1992

    Dr John. Television. GRP 1994

    Dr John. Afterglow. Blue Thumb Records 1995

    Dr John. Anutha Zone. EMI 1998

    Dr John. Duke Elegant. Blue Note 1999

    Dr John. Creole Moon. Parlophone 2001

    Dr John. N’awlinz Dis Dat Or D’udda. EMI 2004

    Dr John. Nex Hex - Nashville Sessions. Purple Pyramid 2005

    Dr John. Mercernary. Parlophone 2006

    Dr John. What Goes Around Comes Around. DBK Works 2006

    Dr John. Trader John’s Crawfish Soiree. SPV GmbH 2007

    Dr John. Locked Down. Nonesuch 2012

    Dr John. Ske-Dat-De-Dat The Spirit Of Satch. Concord Records 2014

    Dr John. The Atco/Atlantic Singles 1968-1974. Omnivore Recordings 2015

    Dr John. The Crazy Cajun Recordings. Edsel Records 1999

    Dr John. At The Ultrasonic Studios. New York 1973. Smokin’ 2013

    Dr John.  Desitively Bonnaroo. Atco Records. 1974

    Dr John.  In a sentimental Moon. Warner Bros. Records. 1989

    Dr John (Mac Rebennack). Born Under A Hoodoo Moon. St Martin Press 1994

    02 / 11 / 2019PARIS

    QUARTIER GENERAL

    K'PTAIN KIDD / ALICIA F / CHRIS THEPS

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    Soirée littéraire un peu spéciale ce soir, rendez-vous avec le féroce Capitaine Kidd qui finit pendu sur les quais de Londres mais dont Edgar Allan Poe a magnifié le trésor perdu dans sa nouvelle Le scarabée d'or. L'entrevue sera suivie d'une escale au wonderland afin de rencontrer la merveilleuse Alice. Tout cela en un seul lieu – on n'arrête pas le progrès - au Quartier Général, rempli à ras-bord, telle la panse d'un long horn qui aurait brouté toute l'herbe bleue du Kentucky en une seule et mémorable nuitée. Grosse affluence ce soir, Alicia F nous offre sa première apparition publique, mais aussi afin de fêter son anniversaire, une bolée de punch – un véritable bolet de Satan – à tous ces notoires assoiffés que comptent dans leurs rangs les différentes familles des rockers réunies pour cette grande kermesse rock'n'roll.

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    JOHNNY KIDD

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    Johnny Kidd fut un des pionniers du rock'n'roll anglais. Le seul qui fraya à jeu égal avec la deuxième vague du british rock, Stones, Yardbirds, Animals, mais la mauvaise roue du destin – celle aux dents cassées – lui joua un mauvais tour sur une route d'Angleterre en octobre 1966. Son souvenir et son équipage de Pirates auraient pu sombrer au rayon des pertes et profits, mais il n'en fut rien. Please don't touch et Shakin' All Over sont devenus des classiques du rock, sa manière exemplaire d'aborder le rock en sa nudité énergétique originaire – guitare, basse, batterie – ne fut jamais oubliée, servit même de signe de ralliement et de reconnaissance – les marins nomment cela des amers - à tous les réfractaires qui un jour ou l'autre se rendent compte que le volatile efflanqué du rock s'est quelque peu transformé en poularde graisseuse ou embourgeoisé en chapon opulent, alors ils lui volent dans les plumes, lui arrachent les rémiges faisandées, lui écarlatisent la crête d'un rouge ardent, lui aiguisent les ergots à la mode assassine, et la cérémonie voodooïque des égorgements peut recommencer. Le pubrock de Dr Feelgood lui doit beaucoup, et au travers de ce retour au source l'insoumission punk sut renouer avec la combustion et l'énergie primale indispensables à toute révolte.

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    En France, Tony Marlow grand admirateur de Johnny Kidd enregistra en les années désormais fastueuses de 2014 et 2015, sous le nom de K'ptain Kidd, deux Cds consacrés à l'œuvre du britannique chevreau malfaisant, Feelin' et More of the same, dument chroniqués in Kr'tnt ! – pour les collectionneurs il existe un vinyle du second. Je vous livre les noms de cet équipage initial de forbans : Tony Marlow à la guitare, Gilles Tournon à la basse, et Stéphane Mouflier aux drums.

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    K'PTAIN KIDD

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    Oubliez le Tony Marlow de la semaine dernière à L'Armony, ce n'est pas le plus le même, je ne parle pas de chemise blanche à manches évasées, Fred et Fredo ont revêtu pour leur part une marinière à bandes bleu pâle. Non, la guitare. Non, il ne l'a pas repeinte en vert olive ou en bleu turquoise. Il s'en sert différemment. Toujours la même aisance, mais elle sonne différemment. Plus court si j'ose dire. C'est la faute à Johnny Kidd et ses damnés Pirates, de jouer au plus près de l'os, de viser à l'efficacité de ne rien se laisser perdre dans l'hors-champ des harmoniques. Ici on ne rêve pas, pas de trêve entre deux riffs, c'est comme pour les haricots verts, vous coupez toute la partie gauche, et toute la partie droite, vous vous contentez du mini trognon qui reste dans votre menotte, à vous de savoir pimenter la soupe.

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    N'est pas tout seul pour commettre ses méfaits Tony, l'a les Freddies à sa gauche. Rien de plus dissemblable que ces deux boucaniers. Visez un peu la pose hiératique de Fred Kolinski derrière sa batterie. Portrait en majesté. Avec ses cheveux de satin cristallin qui retombent sur ses épaules, au casting d'une super-production il décrochera sans problème le rôle de Merlin. Mais pour une fois pas l'enchanteur. Si vous n'y prêtez pas trop attention, vous ne le verrez pas bouger, à peine s'il se penche légèrement, l'a chargé ses missi dominici de se farcir le gros du boulot. Ses avant-bras s'activent méchamment. Another break in the wall of sound. Voici Merlin le cogneur. Vous fait de ces tours de passe-passe ahurissant, vous n'y voyez que du bleu, mais vos oreilles entendent le galop. Vous scude les azimuts l'air de rien. Mais ce n'est pas tout, en plus, lui l'imperturbable, il se permet de sourire. Ce n'est pas qu'il se moque de votre effarement devant cette promptitude drummique, c'est simplement un pâle sourire de complicité narquoise adressé à Tony ou à son homonyme.

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    Le deuxième Fred, rendons-lui son identité, Frédéric Lherm. L'antithèse parfaite de maître Kolinski. Sourit sans arrêt. Le gars jovial. N'est pas venu sur scène pour faire du boudin. L'est là pour s'amuser. A part que quand il fait mumuse sur sa basse, ça fait mal. A lui tout seul, il fait presque autant de bruit que le reste de l'équipage, attention ni tonitruance, ni brouhaha, juste des coups de marteau – c'est son côté merlin à lui - qui vous enfoncent des tire-fonds de vingt centimètres de long qui vous consolident le coffrage de chaque morceau avec une dextérité sans égale.

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    Si vous vous faîtes du souci pour Tony escorté par ses deux véritables gibiers de potence, qui mériteraient d'être pendus à la grande vergue, c'est que vous ne connaissez pas le Marlou. Entre les thermiques poinçons lhermiques et les battements d'ailes kolinskéens, un guitariste normal pleurerait à chaudes larmes, se plaindrait d'être exilé au bout du monde, se muerait en Ovide le triste relégué au lointain pays des Scythes par la fureur d'Auguste, dans la nullité de cet espace que lui concèdent les deux affreux, vous n'y glisseriez pas une feuille de papier, Tony vous y fait entrer toute la partition. Entre la brute et le truand, c'est toujours le bon le juste et le beau qui colle ses balles en plein milieu de la cible nous a enseigné Platon. Ah! C'est sûr qu'il joue serré, qu'il prend les virages à la corde, qu'il se faufile entre les deux autres chevaliers de l'apocalypse comme l'anguille dans un panier de crabes monstrueux.

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    Si vous y croyez vraiment, c'est que vous êtes naïfs, s'entendent tous les trois comme larrons en foire, ont longuement étudié leur affaire, après les passages les plus carambolesques, les gymkhanas les plus excessifs, ils échangent des signes de complicité et de satisfaction évidents, car il est sûr qu'ils évoluent sur un trapèze volant sans filet. En plus le Marlou, c'est comme les funambules qui font leur exercice les yeux bandés, il a double peine – je voulais dire double joie, mais il faut savoir apitoyer le lecteur – car en plus de la lead il se charge du vocal. Et attention, ce soir ils doivent avoir un train à prendre car ils enchaînent les morceaux à la seconde près. Vous les passent à la moulinette survitaminisante. Les rois du rock n'attendent pas.

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    Faudrait les analyser un par un, ce Big blon' baby craché à la serpentine de tête de Méduse, la voix de Tony Marlou sinueuse comme route de montagne stoppée net au bord du précipice, ce Goin' back home grondant comme train fonçant dans un tunnel effondré, ce Please don't touch qui vous ne vous touche pas mais vous heurte en avalanche de rochers dont la chute se referme sur votre cadavre. Et puis ce Shakin' all over, que tout le monde attend depuis trop longtemps pour ne pas être une pure merveille. Il y a un siècle que la salle est entrée en transe. Je préfère ne pas vous parler. De toutes les manières, c'est fini, les portes du pénitencier de l'existence coutumière se referment sur vous, Tony se retourne vers son ampli, il esquisse déjà le geste de l'éteindre, mais il se ravise, et nous propose un dernier blues, le dénommé Chris Theps est prié de monter sur scène.

    CHRIS THEPS

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    Si vous n'avez pas eu la chance d'avoir eu votre maison défoncée, écrasée, rasée, démolie détruite par une tornade, vous ne pouvez pas imaginer Chris Theps. C'est qu'il y a blues et blues, le sympathique chaloupé, idéal pour margouliner les filles, et puis l'autre, l'ondée dévastatrice qui vous réduit en miettes une plantation du Mississippi en moins de quatre minutes, un condensé de colère d'esclaves et de rage de petits blancs prolétaires. Chris Theps nous l'avons déjà aperçu au QG, lorsque les formations s'y prêtent, il vient dégoupiller une grenade, just for fun.

    Chris Theps l'a tout pour lui. Une dégaine à faire peur. De celles auxquelles succombent les filles. Grand et habillé de noir, des anneaux aux oreilles qui lui filent une dégaine à le confondre avec Keith Richards, une allure stonienne plus vraie que nature, il ne suffit pas de rouler pour amasser la mousse du talent. Faut une voix. Ça tombe bien Chris Theps n'en a pas. A la place il a dû se faire greffer un rugissement. En trois minutes, l'a mis tout le monde à genoux. Ce n'est pas le blues qui est sorti de son gosier, mais tous les alligators des bayous qui sont venus faire un tour au QG. L'a vampirisé l'atmosphère, souriez les morts vivants sont parmi vous. Zoom sur les zombies.

    Un organe à la Rod the Mod, une orgie d'orages, un barrage d'eau lourde qui se barre et vous atomise. Je ne me rappelle plus trop ce qu'il demandait à sa baby, mais à sa place j'aurais essayé de ne pas me faire remarquer, les blues les plus torrides sont les plus désespérés. Elle avait dû salement l'énerver, car le Chris l'a hurlé à la lune à la façon d'une meute de loups décidée à avaler ce gros cachet d'aspirine. Malgré ses vêtements noirs, l'a pris l'apparence d'un ours blanc en fureur qui d'un coup de patte vous décapsule le haut de l'igloo dans lequel vous aviez tenté de trouver refuge.

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    L'est descendu de scène sous un déluge d'ovations et s'est glissé dans la foule, suivi d'un respectueux et interrogatif murmure d'admiration. C'était Chris Theps.

    ALICIA F

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    F comme fatidique. Car tout le monde n'était venu que pour elle. Le bouche-à-oreille. La rumeur. Une dizaine de prestations d'un, ou deux, ou trois morceaux à l'arrache au milieu d'un set de Tony Marlow, le truc qui accroche certes, mais ce soir, ce n'est plus l'exotique essai sympathique, mais la voici en vedette, vingt titres à la suite, ça passe ou ça casse. Elle est là immobile devant le micro, attendant que les trois marlous de K'ptain Kidd lancent les hostilités.

    Plein de filles, venues soutenir, non pas une copine, mais une rockeuse capable d'en démontrer aux garçons. Plein de boys aussi, car le miel des abeilles sauvages possède cette intrinsèque propriété d'attirer les bourdons solitaires. Ballet de photographes subitement électrisés en paparazzi afin de fixer pour l'éphémère éternité des curiosités inquisitrices l'image d'une soirée sauvage d'Alicia F.

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    Tout près de nous dans ses noirs atours mais retranchée en elle-même dans son silence. Je m'accroche à cet inopportun pilier central qui devant la scène vous oblige à un strabisme divergent, je suis comme Ulysse attaché à son mât, qui attends le chant de la sirène. De noir vêtue, seule la double opaline nacrée du revers dénudé de ces seins, et ce mince bandeau de blancheur libre entrevue sous le haut des bas résillés jaillissant des bottes de cuir noir révèlent la vénusté royale des ardeurs de grande fervence, ceinturé d'une jarretière tatouée, imaginez échardes de barbelés ou ronciers impénétrables, qui attirent autant le regard qu'ils l'interdisent. Bras nus, colliers de griffes de jaspe noir, chaînes argentées, lèvres de sang encadrées de cheveux châtaignes qui oscillent entre rousseurs mordorées et pâleurs rutilantes de reflets purpuréens. Des yeux brillants, parfois elle les réduit à une fente noire de khôl cool, parfois elle les ouvre de cet air taquin irrésistible qui clignote en vous comme un appel et s'évapore aussitôt pour ne laisser entre vos mains que l'écume des songes vains.

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    C'est Tony Marlow qui déclare les hostilités après un dernier regard échangé avec les Freddies, Alicia lance son cri de guerre, Blietzkrieg Pop, akha talismanique et ramonique d'osmose émotionnelle avec le public. Derrière, l'on nous a changé le band. K'ptain Kidd s'est enfui en haute mer, le bang band d'Alicia c'est autre chose, un son beaucoup plus années soixante-dix, plus coulant, débordant de la baignoire et dévalant les escaliers des huit étages de l'immeuble tel un trouble torrent chargé d'alluvions fertiles. Tony a empoigné sa Gibson Flying V, elle lui permettra de nous régaler de ces soli fluides et sans fin qui brûlent votre âme – c'est ainsi que Thétis rendit son fils Achille presque immortel – derrière Kolinski métamorphose la rythmique en profondeurs caverneuses et Lherm vous éclabousse de lignes de basse hérissées d'hameçons pour la pêche au gros.

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    Alicia passe aux choses sérieuses. Désirs de femme et désagréments de femelle. I need a Man, une voix forte, et des gestes suggestifs, elle s'est rapprochée de Tony, touche à plusieurs reprises son corps, notamment les parties que l'on ne nomme point, le chant déboule sur vous comme la charge d'Alexandre à Cheronnée, une véritable rivière de sang, d'ailleurs la voici qui débarque dans Monthly Visitors – une compo d'Alicia, à la fin du set plusieurs personnes enthousiasmées et pas des moindres prétendront que ses six originaux furent les moments les plus forts du gig – ce jus qu'exhale le corps de la femme comme mangue trop mûre débordant de suc – Cicéron rappelle que le Consul Lentulus aimait à s'abreuver à ce nectar divin, toutefois nous noterons car il ne faut jamais regretter l'occasion de s'instruire que ce passage est rarement signalé à l'attention des collégiens latinistes. Et puisque l'on cause féminité – cette set-list a été concoctée avec une diabolicité toute alicienne – voici l'hymne féministe du rock'n'roll, le supersonique I love Rock'n'roll de Joan Jett, profitons-en – pendant que dans le public les filles deviennent hystériques – pour regarder bouger Alicia. Ne s'éloigne guère du micro, avez-vous déjà vu une princesse gesticuler comme un camelot à la foire, juste des poses, des arrêts brusques du corps figé pour une demi-moitié de poignée de secondes en une immobilité signifiante, une image fixe destinée à s'incruster dans vos prunelles, des engrammes encéphalogrammatiques de sorcière qui feront désormais partie de votre vision imaginale du monde, Alicia le bras tendu, Alicia le micro tenu des deux mains, Alicia subitement murée en son silence, avant de vous aguicher, à la commissure de ses lèvres, d'un surgissement de langue perverse. Une galerie de portraits.

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    Le morceau nous laisse sans souffle. Sans doute est-ce pour cela qu'elle enchaîne sur Breathless, ce qui est sûr c'est que question folie dure vous pouvez faire confiance à Jerry Lou, ici pas de pumpin' piano, Alicia le remplace aisément, elle a appuyé sur la touche tempête et son bang band à ses côtés s'en donne à cœur joie. Un peu comme si vous proposiez une bouteille de moonshine à un groupe d'alcooliques anonymes en manque. Ne soyons pas paranos, Alicia veut-elle vraiment nous entraîner dans une nuit de Walpurgis goethéenne avec Paranoid ? Je vous laisse débattre la question. J'ai mieux à faire, le meilleur titre du set City of broken dreams, une composition, désormais vous pouvez vous moquer des misérables incendies californiens et vous pisser dessus de rire en évoquant la forêt amazonienne en feu, mais après cette infamie torride quelle perle va-t-elle enfiler à ce chapelet diabolique, Fred Kolinski vous souffle la réponse, Eddie Cochran sauve la mise, Summertime Blues survient à la manière des sept plaies d'Egypte, à la différence près qu'en suppôt de Satan que vous êtes devenus, vous ne pouvez que que reprendre en chœur les fabuleux couplets de Sharon Sheeley.

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    Burn out dans mon pauvre cerveau carbonisé, je ne me souviens plus de Love is like a switchblade – puisque c'est Alicia qui l'a écrit, c'est sûr que c'est la vérité vraie – et de Cherry Bomb, coupé en deux par le premier titre et explosé en soixante dix mille neuf cent soixante trois confettis par le second – tout comme cet état second dans lequel elle a réduit l'assistance, cette fille c'est Le diable en personne, et le diable au corps en même temps pour cette version ligne-haute tension-langouro-kitch hyper-électrifiée de Shakin' all over. Juste une pensée émue pour Johnny Kidd et Vince Taylor.

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    J'avais cru qu'avec City of broken dreams l'on avait atteint le point acméique du show, mais dans la vie il ne faut pas croire, mais savoir ( penser c'est encore mieux, mais c'est plus difficile ), mais voici qu'avec My no-generation l'on gravit – à une vitesse folle – un autre Everest, deuxième preuve que la set-list enchaîne les titres comme les scènes d'une pièce se succèdent pour raconter par leur juxtaposition une histoire dont le sens est fortement guidé par le propos secret de l'auteur, nous abordons un point post-acnéique avec I'm eighteen d'Alice Cooper, l'homme qui accompagna Gene Vincent au festival de Toronto et qui glissait des boas vivants dans les culottes des filles.

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    Il y a longtemps que vous ne savez plus qui vous êtes dans les trépignations de la salle, Alicia l'avoue, elle ne reconnaît plus personne en Harley Davidson, elle creuse les reins et remue du cul, qu'elle frotte sur la croupe de Tony, la voici animale, chatte en chaleur qui ondule de plaisir sous les caresses et qui miaule pour obtenir la permission de courir les matous fous sur les toits en pente, le rock'n'roll a de toujours frayé avec l'obscénité et le grotesque des représentations humaines. C'est pour cela que nous l'aimons et que beaucoup le détestent. Il est des miroirs qui réfléchissent trop pour être compris. Comme l'on parle de félinité nous sauterons Hey You et California sun pour caresser le dernier titre composé par Alicia, dédié à Speed Rock son chat roux qu'elle a recueilli tout chaton, mort de froid et de faim, à la sortie d'un concert. Une belle flambée réconfortante qui vous permet de vous transformer chamaniquement en tigre altéré de sang. Immédiatement suivi d'I fought the law, une déclaration d'intention, Alicia nous déverse son modus vivendi sur les lisières philosophiques d'une liberté stirnérienne, selon sa seule volonté d'être uniquement ce c'est qu'elle est. Mais tout ce qu'elle est. Sans rien jeter. Sans rien cacher. En rock starter.

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    Déjà le rappel, Mercedez Benz et Road 66. Qui nous laissent sur notre faim de tigre non rassasié, alors un dernier cuissot de mammouth décongelé au lance-flamme, le truc le plus dangereux de la soirée, elle est comme cela Alicia, quand elle tire sa révérence, c'est avec un minimum d'insolence pour que vous la regrettiez encore plus. Après le tsunami qu'a été le set, après la violence, l'ironie mordante de Chuck Berry, son You never can tell qui sonne comme une rengaine populaire entachée d'une pernicieuse sagesse.

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    Alicia F a gagné son pari. L'aura cloué le bec à tous les coincés du cerveau qui suivent les modes sociétales et les injonctions étatiques. L'aura prouvé de façon exemplaire que le rock'n'roll reste un des rares chemins de survie, une piste ombreuse, qu'il faut avoir le courage d'affronter. Pour ne pas mourir d'inanition. La culture-rock est un plat qui se mange chaud-brûlant.

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    Damie Chad.

    ( Mes très chères soeurs, mes très chers frères

    ce n'est pas à Dieu sur cette terre

    que vous devez rendre grâce pour ces photos

    mais à Thierry Lerendu car c'est trop beau  )

     

    MISNAKE

    JADES

    ( 2018 )

    Toutes les filles sont des sorcières. Enfin, presque toutes. Du moins quelques unes. Les généralisations hâtives retirent l'âpreté du sel au goût des choses et des êtres vivants. Mais pour celles-ci je confirme. Je me porte garant. J'ai été témoin et il n'y avait pas de photographes dans la salle pour fixer le moment. Ils ont raté le cliché du siècle. C'était dans l'inter-set du concert au Chaudron – le lecteur curieux ou soucieux de se rafraîchir la mémoire se reportera à notre livraison 435 du 24 / 10 / 2019. L'on s'active sec pour installer le matos. Mais elles sont deux, isolées près d'un ampli, attentives aux dires d'un technicien qui leur serine je ne sais trop quoi. Elles sont de dos et de trois-quart, de longs vêtements, capes ou manteaux, enrobent leurs silhouettes découpées dans l'obscurité glauque et fuligineuse, de laquelle dépasse le manche de leur guitare, troublante ressemblance, deux sorcières évadées d'Harry Potter qui s'apprêtent à s'envoler sur leurs balais Parfois l'illusion de la réalité est plus véridique que les films.

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    Lindsay : vocal + bass / Taïphen : lead guitar / Cherry : rhythm guitar / Chloé : drums.

    Misnake : un beau jeu de mots, titre éponyme de ce premier EP qui mélange l'idée de faute et de mauvais serpent. Que voulez-vous dans l'âme de toute jeune fille rôde le fantôme enviée de l'arrière- grand-mère qui la première a osé désobéir et goûter aux fruits de la chair et de la connaissance. Vous le jettent dès le début '' I'm a girl'' leur seule prétention. Un vocal qui se traîne comme un serpent qui ondule sur le sol, parce que voyez-vous ce sont les courbes qui vous permettent d'avancer droit. Un arrière-fond de chœurs aux tonalités curieusement aigre-douces. Une belle partie de guitare, la piqure du reptile n'est peut-être pas mortelle mais vous apprécierez la couleur de sa peau. Peut-être même laisserez-vous la sinueuse bestiole dormir au creux de votre lit. Méfiez-vous de même. Tout compte fait ce mamba inquiétant pourrait se révéler dangereux. Les serpents ne se lovent pas toujours comme l'espèce humaine. I don't care : n'y a pas que les serpents qu'il faut regarder avec suspicion, les filles doivent être traitées avec les mêmes précautions, pas toutes peut-être, mais les Jades oui. Certes au début vous décidez de les laisser crier tout à leur aise, tout compte fait leur colère n'ébranle pas le monde, mais quand Chloé commence à frapper avec ses baguettes, il commence à se passer quelque chose et dès lors quand elles vous tombent toutes les quatre sur le paletot, vous devenez pâles trop tard, ces maudites gamines faut les prendre au sérieux. The monster in me : ne venez pas dire que je ne vous avais pas avertis, elles ont le mal en elles, vous préviennent par une guitare moqueuse et une simili comptine psalmodiée en chœur, et quand Lindsay prend la parole z'avez l'impression qu'un alien menaçant parle par sa bouche. Je précise mes avertissements, les Jades, elles sont très fortes sur la fin des morceaux, Taïphen vous dégouline un solo à vous pousser au suicide et tant pis pour vous. Ready or not : z'avez intérêt à être prêts parce qu'il y a longtemps qu'elles ont quitté les starting blocks, un festival de grouillis de guitare rouillées comme l'on n'en fait plus. Cherry s'y met aussi et pousse Lindsay dans ses retranchements, Chloé vous crapahute un petit frappé tarabusté de bien belle manière, ce morceau est une mosaïque, chaque tesselle vous offre une surprise, elles vous ont aménagé le château de Barbe Bleue en petites chambres de torture douillettes que vous aurez du mal à quitter. D.E.A.D. : ça tombe bien parce que vous êtes déjà morts. Et ces sales sorcières vous pondent un riff joyeux comme un œuf d'hippopotame. Et la fête n'est pas terminée, vous entraînent dans une farandole avec paliers accélératifs, à la fin du morceau, vous devez sortir de votre cercueil. Et vous le regrettez, vous ne vous étiez jamais aussi bien portés. For rock'n'roll : mais comme c'est pour le rock'n'roll vous consentez à les suivre. Incroyable mais vrai, il leur reste encore assez d'énergie pour balancer un maximum, chantent toutes en chœur et vous découpent avec le chalumeau des guitares. En plus votre mine déconfite d'autruche qui vient de pondre une tour eiffel en tôle ondulée les fait rire. Aux éclats.

    Une galette qui disparaîtra de votre étagère. Allez faire un tour dans les affaires de votre petite sœur ou de votre progéniture genrée au féminin. Sûr que ce sont elles qui vous l'ont chouravée. Confisquez-la leur sur l'heure, sinon elles subiront une très triste influence. Elles finiront rockeuses. Un très mauvais exemple. Votre appartement deviendra un nid de sorcières, c'est comme cela que Jades a commencé.

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    La musique c'est bien, mais la synesthésie c'est mieux. Quoi de plus affriolant que les arts s'interpénètrent. Jades s'est donc engagé en un nouveau projet, une BD un comic-book dessiné par Thomas Healstone Moreaux, qui est aussi guitariste et vocaliste de The Warm Lair. C'est une oeuvre en progrès, une souscription est à votre disposition sur Ulule ( rockpleaser_jades ), nous en reparlerons à sa parution.

    Damie Chad.

    NINETEEN

    RED HOT RIOT

    ( 2019 )

    Scotty : double bass / Ricky : Vocals and guitars / Kane : drums

    Le titre indique leur âge. Idéal pour faire preuve d'énergie parce que Corneille l'a dit : aux âmes bien nées la valeur n'attend pas le nombre des années. Nous les avions vus à la Comedia nous avaient fait une intraveineuse à réveiller un éléphant mort. Tout cela est raconté dans notre 436 ° livraison du 31 / 10 / 2019.

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    Life you get : ne respirez plus vous êtes tombés dans un trou de l'espace-temps, dans une party comme les jeunes s'en offraient dans les années cinquante, vous avez une guitare qui mord le moindre riff qui passe à sa portée et vous le secoue comme le chien qui ne veut pas lâcher la jambe de votre pantalon, ensuite pour faire taire ( vainement ) les chantonnements ironiques des chœurs, Ricky entreprend de fendre les bûches à coups d'un solo de cliquetis étourdissant qui vous réduit un tronc de séquoia en planchettes de dix centimètres de long sur cinq de large. Quand la jeunesse s'amuse, c'est du n'importe quoi. Oui mais c'est ce que l'on aime. This boy is having a nightmare : l'on n'a jamais dit à Scotty que l'on ne tapait pas sur une double bass pour la réduire en poudre, et comme derrière Kane drumise comme un sourd, n'y a plus pour Ricky  qu'à tailler sa guitare en pointe et puis de s'amuser avec sa voix pour encourager ses copains à se surpasser. Ce qu'ils font sans problème. Street lights ( Hey Hey Hey ) : cette fois le vocal de Ricky est mixé devant, juste pour faire croire qu'ils sont sages et bien élevés, mais il n'en est rien, ça les démange et à chaque appel Hey Hey Hey ils vous flanquent des ces rafales instrumentales comme d'autres coulent une bielle exprès pour exploser le moteur de leur voiture. Modern age : tiens ils donnent dans le musical. La guitare ronronne comme une panthère qui s'apprête à dévorer un yack sur les pentes neigeuses de l' Annapurna alors les gars s'amusent à jouer avec les échos de la montagne, Ho ! Ho ! Ho ! crient-ils à gorge déployée, et ce qui doit arriver arrive : déclenchent une avalanche qui emporte tout. Vous avec. Walking the dog : après la grosse bêtise précédente, ils essaient de se comporter en garçons sages qui promènent le chien chaque soir. Hélas, la maudit bâtard s'enfuit pour rattraper une guitare qui court plus vite que lui. Cela se termine brusquement, en le poursuivant ils ont renversé une vieille mémé qui est allée rouler sous les roues d'un bus qui passait fort inopinément par là. Pas grave, ils se dépêchent de rentrer à la maison pour faire leurs devoirs. Pas vus, pas pris. Peggy : surtout que la jeune Peggy attire maintenant leur attention. Pendant qu'ils lui font du gringue réfléchissons à l'effet produit par leur musique. C'est simple vous prenez un disque de Gene Vincent avec les Blue Caps d'origine et au lieu de le passer en 45 tours vous adaptez un démultiplicateur sur votre bécane. A cinq cent soixante trois tours / minutes, indexés sur les tables de de Pythagore vous obtenez exactement le son du Red Hot Trio. Evidemment c'est du pur haché, la guitare de Gallup monte et descend en dents vertigineuses de scie sauteuses, et le pauvre Dickie supprime les espaces entre chaque battement. Excellemment jouissif. Vous fait vibrer encore plus que le sexe de Peggy.

    Damie Chad.

    BURNING HOUSE

    HOWLIN' JAWS

    ( BMCD006 / 2018 )

    Baptiste Léon : drums, backing vocals / Lucas Humbert : guitar, backing vocals / Djivan Abkarian : double bass, lead vocal / + Keyboards : Camille Bazbaz.

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    Belle pochette. Artwork de VanGogo, photos de Mauro Fiorito. Recto : les Howlin, dans un paysage urbain quelconque, style hall d'aéroport. Perdus dans la vastitude déshumanisante du monde moderne. Au verso, les voici tous trois regroupés, seuls contre le monde entier. Et sur le disque ne subsistent que trois ombres aiguisées comme la flèche du cruel Zénon. Qu'advient-il de notre présence au monde. Y sommes-nous seulement présents, ou n'avons nous fait que semblant d'y passer.

    Oh well : sonne plus anglais que les british-pop d'aujourd'hui. Un feu d'artifice, ne pensent pas à ce que le morceau qu'ils sont en en train de jouer peut leur apporter, mais à ceux que chacun se doit de lui apporter. Z'ont compris le message, à chaque fois lui insuffler le maximum d'énergie. La quote-part du lion et le zèbre sera dévoré sabots compris, chacun y va de son petit solo pendant que les autres tronçonnent le tronc des arbres de l'allée de la bienséance. Un gros reproche toutefois, ils terminent trop vite, vous laissent le quai sans même agiter un mouchoir et pour réparer cette erreur démentielle, vous êtes obligé de le remettre trente fois de suite. Burning house : ont entendu le reproche, ce coup-ci ils font gaffe, y vont tout doux. Vous tapent un blues. Pour l'envoyer au cimetière des éléphants. Plus macabre que cela ce n'est pas possible puisque les cadavres ne peuvent pas mourir. Le Djivan n'y va pas de main morte, vous pousse des hurlements à réveiller un maccabée, mais celui-ci doit être sourd, Lucas est obligé de lui trépaner les oreilles avec un solo-killer, quant à Baptiste depuis le tout début il s'adonne à la marche funèbre. Ils ont tué le blues, et tout le monde s'en fout. Mais cela par chez nous c'est le lot des novateurs. Pour le blues, ne paniquez pas, il en a vu d'autres. You got it all wrong : z'ont repris du poil de la bête même qu'à la fin ils sonnent la cloche qui annonce l'imminence finale des naufrages. Mais avant cela surfez sur ces friselis de basse, profitent de votre béate admiration pour jeter quelques meubles par la fenêtre. Une manière de faire le ménage que vous devriez adopter chez vous quand tout va mal. Cela ne peut que vous faire du bien. She's gone : Elle est partie, c'est très bien, une merveilleuse occasion pour Baptiste de mixer sa batterie tout devant, et de vous triturer un kaotic-drumin' comme vous n'en avez jamais entendu. Du coup Lucas vous sort un truc de derrière les fagots, l'a la guitare qui pleure des larmes de crocodile tout en miaulant en même temps, essayez chez vous, vous m'en direz des nouvelles, en plus vous avez Dlivan qui essaie de planter son vocal au premier plan, un peu comme ces arbres de la liberté ( ou la mort ) que l'on dressait aux premiers temps de la révolution. Tant de bruit pour une fille, est-ce vraiment sérieux. Pas du tout, la preuve elle est partie car elle n'a pas supporté. Three days : cela sent un peu son Chuck Berry, qui s'en plaindrait, surtout que les Howlin' ils inspirent de l'admiration et de l'énergie davantage qu'ils ne s'inspirent, au début ils restent dans les canons étroits de la tradition, mais c'est juste pour vous faire comprendre comment ils la dynamitent. En plus ils allient absolue nouveauté et total respect. Combien sont-ils capables d'intuiter de telles trouvailles aujourd'hui. I'm mad : près des Them pour le background instrumental, et des Animals pour le traitement des voix, et leur guitare grondante et pétaradante sur Bo Diddley. Un petit chef-d'oeuvre qui revisite l'histoire du rock anglais. Encore une fois trop court. Un bijou. De l'or pur, pas de la pacotille.

    Des jeunes groupes actuels les Howlin'Jaws sont ceux qui se sont aventurés le plus loin. Possèdent une qualité que beaucoup n'ont pas. Ils sont créatifs. N'enregistrent que de l'essentiel, tournent un max, apportent du nouveau.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 423 : KR'TNT ! 423 : Dr JOHN / CYNICS / CUCKOO SISTERS / LOS GALLOS / BIG FRIENDS / ROCKAMBOLESQUES /

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    dr john,cynics,cuckoo sisters,los gallos,rockambolesques -dossier k

    LIVRAISON 423

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    13 / 06 / 2019

     

    Dr JOHN / CYNICS

    MONTREUIL RANCH PARTY N°2

    ( CUCKOO SISTERS / LOS GALLOS + BIG FRIENDS ) ROKAMBOLESQUES : DOSSIER K

     

    Oh Dr John I’m Only Dancing - Part One

    dr john,cynics,cuckoo sisters,los gallos,rockambolesques -dossier k

    Dr John reste l’un des personnages les plus excentriques et les plus attachants de l’histoire du rock. Comme il vient de casser sa pipe en bois, KRTNT lui rend hommage.

    Pour entrer dans le monde magique de Dr John, il est préférable d’aimer le groove. Et pas n’importe quel groove. Celui de la Nouvelle Orleans qui est un mélange subtil de voodoo, de blues et de stomp music, agrémenté d’un soupçon de Dixieland et de rumba espagnole. Voilà comment Dr John définit cette musique unique au monde qui a pour principale particularité d’envoûter.

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    Ce bon Doctor s’appelle dans le civil Mac Rebennack et c’est en lisant ses mémoires qu’on devient définitivement rébennackien. N’ayons pas peur des mots : Born Under A Hoodoo Moon figure parmi les chefs-d’œuvre de la littérature américaine. Mac y décrit une enfance de rêve dans les rues d’une ville de rêve : la Nouvelle Orleans des années 50. On cavale avec lui d’un quartier à l’autre pour aller voir jouer les musiciens dans les clubs qui à cette époque pullulaient littéralement. Mac précise très vite que sa grand-mère disposait de pouvoirs étranges. C’est donc grâce à elle qu’il devint curieux du spiritualisme et du voodoo. Il évoque aussi le Mardi Gras et le langage des tribus - Part French, part Spanish, part Choctaw, part Yoruba and part mystery to an outsider like me - et là on plonge dans l’histoire extraordinaire de cette région et du mélange de races et de cultures qui y eut lieu. En un seul chapitre, Mac installe le décor : il grandit dans un environnement incroyablement spirituel et même magique. L’artiste qu’il va devenir n’acceptera jamais la superficialité de la faune pop-rock qu’il va devra fréquenter. Encore adolescent, Mac fricote dans les clubs et il voit jouer des musiciens extraordinaires comme Papa Celestin, Dave Bartholomew, Professor Longhair et bien d’autres. Ces gens le fascinent et deviennent ses héros. Son premier prof de guitare est un certain Papooose, qui joue pour Fats Domino et dont le père avait accompagné Louis Armstrong - He was a real soulful player - Papoose insiste aussi pour que Mac écoute d’autres guitaristes, des gens comme Billy Butler et Mickey Baker. Puis comme Papoose doit partir en tournée avec Fats, son père colle Mac dans les pattes d’un autre prof, Roy Montrell.

    Première leçon : Mac arrive avec la guitare électrique que vient de lui payer son père, une Harmony vert et noire. Roy Montrell demande :

    — C’est quoi cette merde ?

    — C’est ma guitare !

    — Donne-moi cette guitare !

    Roy Montrell s’en empare, va dans le jardin derrière la maison, la pose par terre, prend une hache, fend la guitare en deux et jette les morceaux dans le jardin du voisin. Mac est pétrifié. Il se demande ce qu’il va bien pouvoir raconter à son père.

    Mac a douze ans lorsqu’il devient guitariste et qu’il commence à fumer de l’herbe. Il adopte ce nouveau mode de vie : planer et se sentir bien. Mac fréquente Shank qui est junkie. Shank envoie Mac acheter ses doses d’héro dans des endroits bien précis. Mac ne sait pas vraiment ce qu’est l’héro, mais il voit Shank se shooter. Son père connaît le monde des clubs et lui dit de faire gaffe, mais Mac est fasciné par tous ces musiciens qui sont des junkies. Alors, n’y tenant plus, il demande à Shank de lui faire un shoot. Il veut juste savoir ce que ça fait. Shank l’envoie promener et lui dit de continuer à fumer de l’herbe. Mac insiste. Alors Shank accepte de lui faire un shoot. Et c’est parti pour 34 ans. Mac est encore au collège et il se shoote tous les jours. Il explique qu’à cette époque, la dope n’est pas chère et qu’elle est de bonne qualité. C’est l’héro corse qui arrive à la Nouvelle Orleans à bord de cargos en provenance de Cuba. Très vite, Mac va goûter aux ennuis qui vont avec la dope : il est harcelé par ceux qu’il appelle les narcs, les flics de la brigade des stups. Mac se fait virer de l’école et devient musiciens professionnel. Chouette ! Il monte un groupe avec ses amis et part en tournée dans tout le pays. Il n’a que 17 ans.

    Il évoque les locaux de Specialty sur Claiborne Avenue et comme il compose, il peut entrer. Il y rencontre Larry Williams et Little Richard. Chez Specialty, il y a aussi Roy Milton, Lloyd Price et Guitar Slim. Chez Imperial, l’autre gros label implanté à la Nouvelle Orleans, il y a Fats, Smiley Lewis et T-Bone Walker. Un jour Mac découvre que Lloyd Price lui a piqué une chanson, «Try Not To Think About You» et qu’il l’a transformée en «Lady Luck». En 1960, ça devient même un hit. Mac est furieux. Il achète un flingue à un vendeur de rue. Par miracle, le concert de Lloyd Price prévu à la Nouvelle Orleans est annulé. Et les choses se tasseront, puisque Mac ne croisera plus jamais le chemin de Lloyd Price. Mais le plus difficile pour lui, c’est d’éviter d’aller buter l’avocat que ses parents et lui ont payé pour réclamer justice et démontrer que Lloyd Price est un voleur. Mac découvre rapidement que l’avocat est aussi celui de Lloyd Price. Ce rat empoche les sous et ne fait rien, évidemment. Alors Mac n’a plus qu’une seule trouille : celle de croiser l’avocat dans la rue et d’être obligé de le descendre.

    L’autre personnage clé de cette histoire passionnante, c’est Cosimo Matassa, propriétaire du studio où enregistrent tous les monstres sacrés de la Nouvelle Orleans. Mac rend aussi un hommage vibrant à Huey Piano Smith qui inspira tout le monde, y compris Allen Toussaint. Comme tout le monde, Huey voulait jouer comme Fess, mais c’était impossible. Quand Huey jouait du Fess, c’était du Huey. Mac rend aussi hommage à Dorothy La Bostrie qui composa des hits pour Irma Thomas et Little Richard - Tutti Frutti c’est elle - Non seulement elle les composait, mais elle les faisait enregistrer et assurait la diffusion des disques.

    L’écrivain Rebennack tire principalement sa force d’une espèce de musicalité de la formulation : «I miss them cats, both Papoose and Shank, because life around them was one series of adventures.» (Des mecs comme Shank et Papoose me manquent, car les fréquenter, c’était toujours une aventure). Mac conserve une nostalgie de ses compagnons de route, mais aussi de la rue : «The streets was my home, for a while, they was good to me, kept me from harm while I went about my own brand of tragic magic.» (La rue, c’est chez moi. Pendant un temps, elle m’a protégé alors que jouais avec le feu).

    Mac brosse un nombre considérable de portraits saisissants, du type de celui d’Esquerita : «Esquerita set up the original style that Little Richard copped later on - high, wavy, piled-up hair, women’s sunglasses and lipstick and shit.» (C’est Esquerita qui mit au point le look dont va s’inspirer Little Richard : cheveux coiffés très haut et ondulés, lunettes de femmes, rouge à lèvres et tout le saint-frusquin).

    Puis un drame se produit. Le soir de Noël 1961, Mac est à Jacksonville, en Floride. Arrive l’heure de se rendre au club où ils doivent se produire et il cherche le chanteur du groupe, Ronnie Barron. Il le trouve, mais le propriétaire de l’hôtel le tient en joue car il a surpris Ronnie en train de baiser sa femme. Mac essaie d’arracher l’arme de la main du cocu, mais le coup part. Horrifié, Mac voit l’annulaire de sa main gauche, celle qui pince les cordes sur le manche, pendre par un lambeau de chair. Mac croit sa carrière de musicien terminée. Des chirurgiens lui réparent le doigt comme ils peuvent, mais il devra se contenter pendant quelques temps de jouer de la basse dans un groupe Dixieland. Ensuite, il passe au piano.

    Mac finit par se faire poirer par les narcs pour possession d’héro. Il est incarcéré à Lexington, comme Wayne Kramer. Les pages qu’il consacre à son internement sont du même niveau que celles que David Crosby consacre à son séjour dans une taule texane : même violence, même nécessité impérative d’être protégé, mêmes chances réduites d’en sortir vivant. Quand il est libéré en 1965, il quitte la région. Il va s’installer à Los Angeles, comme l’ont fait ses copains musiciens, car la scène de la Nouvelle Orleans est morte : un Monsieur Propre a ordonné la fermeture de tous les clubs et tripots et donc les musiciens n’ont plus de quoi vivre. À Los Angeles, Mac devient musicien de session et traîne dans les studios. Il y rencontre des gens comme Sonny Bono et Phil Spector qu’il décrit comme un type très drôle - He cracked jokes nonstop between takes. I liked him but I never could see the sense behind his recording style (Il racontait des histoires drôles entre chaque prise. Je l’aimais bien, mais pour moi, sa technique d’enregistrement n’avait pas de sens) - Il retrouve aussi Jerry Wexler et Ahmet Ertegun, un duo qu’il apprécie parce qu’ils aiment vraiment la musique. Wexler et Ertegun sont des pionniers du New Orleans Sound. Mac va profiter d’heures creuses de studio pour enregistrer quelques morceaux avec ses copains de la Nouvelle Orleans et son premier album sortira sur Atco, une filiale d’Atlantic.

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    Gris-Gris est l’un des haut lieux du rock voodoo. Mais ça ne plait pas à Ahmet qui gueule : «Mac, pourquoi tu me refiles ce truc-là ? Comment veux-tu que je vende cette merde boogaloo ?» Pendant un temps, Mac pense que l’album ne sortira pas. Et miraculeusement, il sort. C’est là que Mac se fabrique son personnage de Dr John : «Une femme nommée Sadie Hayes me fabriqua un costume avec des peaux d’alligator, de lézard, de serpent et de la peau de chamois en dessous pour tenir l’ensemble. Quand je revêtis cet uniforme, je ressemblais à Frankenstein descendant la rue. Quand l’uniforme a commencé à se désintégrer, j’ai dû fréquenter les taxidermistes pour trouver de quoi faire des réparations.» Avec «Gris Gris Gumbo Ya Ya» on plonge au cœur d’un monde fascinant, dans une ambiance à la traîne, celle d’un soir d’été gorgé d’humidité à la Nouvelle Orleans - They call me Doctor John/ Known as the night tripper - Dr John tape ensuite dans l’un des grands classiques cajuns, «Danse Kalinda Ba Doom», pure exotica antillaise d’Afrique ethnologique. Puis voici «Mama Roux», le groove des jours heureux. Dr John chante comme un noir. Et il nous emmène ensuite au cimetière pour groover sur «Danse Flambeaux», une pièce fascinante de lenteur squelettique, symbole de l’étrangeté du monde. Par ses inflexions, Dr John rejoint le grand art méphistophélique de Captain Beefheart. En B, on tombe sur l’incroyable «Croker Courtbullion», un groove à la ramasse d’une brisure de rythme imbibée de rhum de contrebande, joué au clair de lune avec des pianotis irresponsables et des coups de trompettes inféodées - Walk on guilded splinters with the King of the Zoulous ! - Voilà ce qu’il clame dans «I Walk On Guilded Splinters». C’est le groove le plus étrange de l’histoire du continent africain. Pas étonnant que Steve Marriott l’ait repris sur scène au temps béni d’Humble Pie. Il règne dans ce cut une ambiance létale qui remonte aux origines de l’humanité. Cet album fonctionne comme un sortilège. De la même façon que Screamin’ Jay Hawkins, Dr John jette des sorts.

    À Los Angeles, Mac ne fréquente que ses copains de la Nouvelle Orleans. Ils forment un petit monde de musiciens camés à part. «Charlie Maduell, mon joueur de sax de la Nouvelle Orleans, venait de sortir d’Angola. Il restait assis à la porte de la maison qu’on habitait et ne dormait pas. Il faisait le guet pour nous protéger avec un Walther 9 mm.»

    Mac rencontre beaucoup de personnages célèbres à cette époque. Il aime bien Jimi Hendrix, mais il trouve qu’il joue trop fort et ça lui pète les oreilles. Un jour, lors d’un festival en Europe, alors qu’il attend de monter sur scène, il voit jouer Stone the Crow. Il a plu et il y a des flaques d’eau sur la scène. En plein solo, Les Harvey met un pied dans une flaque d’eau et s’électrocute. Tout le monde croit qu’il fait du cinéma jusqu’au moment où on s’aperçoit qu’il est mort. Mac joue aussi avec les Stones sur Exile In Main Street, mais il n’aime pas vraiment leur musique - A lot of the English stuff, inclusding the Stones music seemed to me like watered-down versions of what we had done over here (Une grande partie du rock anglais, y compris celui des Stones, n’était à mes yeux qu’une pâle resucée de ce qu’on avait déjà joué ici en Amérique).

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    Si on apprécie le boogaloo, il faut écouter Remedies, paru deux ans plus tard, en 1970. Dr John y déroule le groove le plus rampant du zoo de Vincennes : «Loop Garoo». Affolant ! - Loooop garooouuu a jungaloo - on plonge dans les vapeurs du groove maléfique de train fantôme. On y goûte le velouté mousseux des vieilles tombes abandonnées. Dr John retrouve l’esprit de son maître Wolf. Par contre, le reste de l’album est assez calme. Dr John va de la pop bien cuivrée («Wash Mama Wash») au groove père peinard sur la mare des canards («Chippy Chippy»). Il a le temps. Rien ne presse. Il ramène un peu d’exotica dans le rock américain des seventies. Une pincée de Mardi Gras avec «Mardi Gras Day» et une pincée de funk coltranien avec «Angola Anthem» qui flingue l’album car l’Anthem dure 17 minutes, il échappe à tous les formats et on se demande qui, dans le public rock, pouvait bien écouter un truc pareil dans les seventies.

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    Dr John revient l’année suivante avec The Sun, Moon & Herbs et une pochette magique. C’est un album qu’il enregistre à Londres avec la crème de la crème du gratin dauphinois. Dans les chœurs, on trouve PP Arnold et Doris Troy ! Graham Bond joue du sax. Cet album devait être un triple album, mais le manager de l’époque a égaré les bandes. Dr John fut catastrophé et dut bricoler des morceaux pour sauver ce qui pouvait l’être. «Black John The Conqueror» est un chef-d’œuvre groovy, du niveau de ceux de David Crosby. Cet album est véritablement hanté par les chœurs, comme on peut le constater en écoutant «Where Ya At Mule». Les filles tortillent leur backing avec un manque total de miséricorde. Quelle leçon ! Dr John revient aux rituels de cérémonies voodoo avec «Craney Crow». On croirait voir surgir les créatures inquiétantes qui ornent la pochette du premier album du Gun Club. Une fois de plus, Dr John rejoint Captain Beefheart dans le cours des fluides sub-humains qui circulent autour de la terre. Cette merveilleuse évanescence magique de cérémonie secrète nous ensorcelle. En B, il revient au joli groove afro-cubain avec «Pots On Fiyo (Filé Gumbo)», si subtil par son côté percussif et si cotonneux, par ses chœurs sublimes. Dr John rejoint Marvin Gaye à l’horizon des nébuleuses. Voilà encore un modèle de groove avec «Zu Zu Mamou». Il nous plonge une fois de plus dans le gri-gritage d’antho à Toto. Rien de plus exotique que cette zu-zuterie.

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    En réalité, Dr John nous parle d’une culture mourante. On aurait tendance à le voir comme un sorcier de pacotille qui ferait de la pop exotique, mais non, Mac Rebennack est un puits de connaissance et un authentique groover de la Nouvelle Orleans - a hoodoo hipster shaman - Il navigue exactement au même niveau qu’Allen Toussaint, les Meters, Fats Domino et Dave Bartholomew. Avec Dr John’s Gumbo, il met provisoirement de côté le voodoo pour nous jouer la vraie musique de la Nouvelle Orleans, ce qu’il appelle la roots music, principal ingrédient du rock’n’roll. Et dès qu’il évoque ses souvenirs, ça devient fascinant. Il nous explique que le funk vient du Mardi Gras de la Nouvelle Orleans. Dans «Big Chief», Tami Lynn chante au fond du background et Dr John nous explique qu’elle sonne comme une «extra horn», une trompette en plus. Quelle magnifique pièce d’exotica de carnaval ! Dans son texte de commentaire, Dr John réveille tous les vieux fantômes d’un passé extraordinaire, Earl King, Professor Longhair et Johnny Adams qui fut pour lui le meilleur Soul Brother de la Nouvelle Orleans. Avec «Mess Around»» il rend hommage à Ray Charles «qui mit du funk dans le shuffle de la Nouvelle Orleans». En B, on tombe sur «Junko Partner». On y entend jouer Lee Allen qui accompagnait Little Richard au sax. C’est l’hymne des camés et des macs de la ville. Dr John remonte à la source de la chanson, la fameuse taule d’Angola. Quel groove dégingandé ! «Stack A Lee» est une compo d’Archibald devenue «Stagger Lee». Beau beat et pianotis de rêve. Encore une version magique. Puis Dr John nous embarque dans «Tipitina», classique de Fess, une fabuleuse pièce de boogie-drive pianotée à la vitesse de l’escargot. Il fait jouer un nommé Shine dans «These Lonely Lonely Nights» et précise qu’il joue comme Magic Slim. Fantastique album.

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    Produit par Allen Toussaint, In The Right Place sort la même année. Bob Dylan, Doug Sahm et Bette Midler donnent des petits coups de main. Attention, les Meters accompagnent Dr John. Il attaque avec «Right Place Wrong Time», l’un des chefs-d’œuvre du groove. Forcément, c’est battu par Joseph Zigaboo Modeliste, l’un des meilleurs drummers du monde. Encore une belle pièce groovy étrange et passagère avec «Same Old Same Old» puis on goûte à la puissance du rock de la Nouvelle Orleans avec «Qualified». Dr John y tortille ses fins de phrases et une folle vole à son secours. Le sorcier retrouve son panache. Les hits se nichent en B, à commencer par «Life». On y savoure le jeu succulent du mighty Zigaboo, la finesse dédoublée de ses triplettes légères. Sur ce disque tout est raffiné à l’excès. On admire Dr John pour son sens aigu de l’afro-beat creole. Encore un joli plat de groove grouillant de vie et d’asticots avec «Shoo Fly Marches On». Les Meters swinguent ça à la vie à la mort de la mortadelle. Il faut voir Zigaboo revenir dans le move du groove par la bande ! Back to the voodoo lounge avec l’incroyable «I Been Hoodood» des origines de la terre. Oui, ça date d’un temps où les sorciers organisaient la ronde des éléments. On plonge ici au chœur du voodoo, le vrai. Fini de rigoler, car George Porter joue des notes de basse intermittentes.

    Mais Mac ne gagne pas un rond - Mon manager avait une Rolls-Royce. Je n’avais pas de voiture. Je n’avais même pas un vélo. Je n’avais rien - En 1974, un banquet est organisé après un concert de Who à Atlanta. Keith Moon entre dans la salle et se jette sur la table du banquet. Les flics arrivent et embarquent Moony qui, avant de disparaître, lance : «Envoyez la note à Neil Sedaka !» Mais pour Mac, les facéties de Moony n’avaient pas de sens - I guess it’s eccentric rich-guy fun or something, but it didn’t ring my bells (Ce n’était rien d’autre qu’un type riche qui se livrait à des excentricités, mais ça n’avait à mes yeux aucun intérêt).

    Par contre, il rend des hommages spectaculaires à James Carroll Booker («I consider him to be a genius. If I was ever blessed to meet one, James Carroll Booker was.»), et surtout à Professor Longhair qu’il surnomme Fess - Playful, inventive, with a touch of magic and hisself pure and simple - He was the guru, godfather, and spiritual root doctor of all that came under him - Mac parle même de «fonky genius». Pages hallucinantes sur Fess qui s’occupera de Mac après la mort de son père - Fess was Fess. Before him was the void. After him we’re just whistling in the dark (Fess c’était Fess. Avant lui il n’y avait rien et après lui, tout ce qu’on peut faire c’est siffloter dans les ténèbres). Mac est inconsolable - I miss the man and feel blessed that he passed trough my life and left the blessings of Saint Cecilia on everybody he touched (Il me manque. J’ai beaucoup de chance de l’avoir connu. Comme Sainte Cécile, il protégeait tous ceux qu’il touchait).

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    Dr John «enregistrait» beaucoup d’albums dans les années soixante-dix. Anytime Anyplace arriva dans les bacs en 1974, la même année que Mardi Gras et Desitively Bonnaroo. On retrouve sur le non officiel Anytime Anyplace le génie du groove auquel le bon Dr nous a habitués. En écoutant «Shoo Ra», empli d’une merveilleuse langueur, un prophète proféra l’anathème suivant : «Ampleur ! Voilà le maître mot !» Le «Tipatina» qui se trouve sur cet album n’est pas le «Tipitina» de Gumbo. C’est le funk de Fess des vieux quartiers de la Nouvelle Orleans. Cet album n’emporte pas autant la bouche que les grands classiques du début, mais ça reste solidement charpenté. Le groove de «She’s Just A Square» est plus soutenu qu’il n’y paraît. Avec «In The Night», on reste dans la bonne ambiance de boogie-bar et de pianotis de bois vermoulu.

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    Sacrément bel album que ce Desitively Bonnaroo paru la même année que Mardi Gras. Eh oui, Allen Toussaint et la rythmique magique des Meters - Zigaboo Modeliste et George Porter - accompagnent notre bon Doctor. Alors forcément, «Quitters Never Win» sonne funky en diable. La fête funky se poursuit avec «Stealin’» - Stealin’ money from the blind/ Stealin’ money from the hungry - Mac s’amuse comme un fou. Facile quand on a derrière soi les meilleurs musiciens du monde. Fantastique thème de basse sur «What Comes Around (Goes Around)», c’est une énormité cavalante, violonnée par les trous de nez et battue comme plâtre. Même chose pour «(Everybody Wanna Get Rich) Rite Away», monté sur les triplettes de Belleville de George Porter. La B est un peu moins présente. Mac se livre à des jolis jeux de swing d’alley hoop à la mode de Bourbon Street et nous sert sur un plateau d’argent un «Can’t Git Enuff» chanté au guttural éraillé et suivi par des chœurs de professionnelles. C’est à la fois fameux et fumant. Et il boucle sa petite affaire avec le morceau titre qui est une jolie pièce de r’n’b à la Rebennack

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    Paru en 1975, Hollywood Be Thy Name fait partie des gros albums de Mac. Beaucoup de monde autour du bon Doctor, et notamment Ringo Starr et Tami Lynn. «Reggae Doctor» n’est pas du reggae mais un groovy gumbo de salade de swamp. Avec Dr John, on est toujours assuré de passer une bonne soirée. Il tape ensuite dans Smokey Robinson avec «The Way You Do The Things You Do», et on entend les Creolettes chauffer les chœurs et Steve Hunter partir en solo. Quelle version stupéfiante ! Les grosses surprises se nichent en B. Grosse version de «Babylon» qui sonne comme le boogaloo venu du fond des temps. Dr John défie l’éternité et les tambours battent l’a-rebours des temps sourds. Dans «Back To The River», on hume la fumée des villages béninois. C’est une montagne de swing jouée à la guitare funk. Puis il passe au gospel et revient ensuite au cabaret pour le morceau titre, où il duette avec les Creolettes qui sont de vraies folles. Il finit sur un saisissant jump-blues des années vingt, «I Wanna Rock». L’homme est très complet.

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    Si on voulait citer un album qui incarne l’élégance, on pourrait fixer son choix sur City Lights. On y trouve des morceaux de Dr John co-écrits avec Doc Pomus, alors forcément, ça fait tout de suite monter les enchères. Il suffit par exemple d’écouter «Dance The Night Away With You» pour réaliser à quel point ces deux vétérans bouffent l’écran. Brillante ambiance et refrain ensorcelant. Ils font un cut à la fois lourd de sens et léger comme une aventure alcoolisée. Dr John chante «Street Side» avec une fabuleuse diction mouillée. Il chante à l’ancienne mode du Quartier Français de la Nouvelle Orleans. Il évoque la dangerosité des bas-fonds qu’il connaît bien. Quelle fantastique élégance de vieux chansonnier voodoo ! «Rain» est un balladif de fin de nuit chanté d’une voix d’accents aigus et joliment tendus. Il a derrière lui une merveilleuse mélasse de mélancolie orchestrée. Dr John fait son crooner d’aube pâle, le coude sur le coin du piano et le col ouvert. Dans «Snakes Eyes», il raconte une partie de cartes entre voyous. Il propose là un fantastique conte moral digne d’un La Fontaine des bas-fonds - Better heed the tale of the snake eye’s trail - Puis il revient au piano bar avec «Sonata/He’s A Hero», co-écrit par Doc Pomus. On ne fera jamais mieux. Dr John raconte l’histoire d’un héros de bar - He’s a big spender, a no interest lender/ For the local bar scene - Il finit l’album dans l’excellence suprême du balladif de fin de nuit, «City Lights», et nous enchante autant qu’à l’époque de Gris Gris - Too many midnights make me die for some everyday - Et là, on réalise subitement que Dr John fait partie des très grands artistes américains.

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    Merveilleux album que ce Tango Palace paru en 1979. Dr John y joue le groove funky de la Nouvelle Orleans et donne ce qu’on appelait autrefois une leçon de choses avec «Keep The Music Simple». S’ensuit une belle profession de foi avec «Renegade». Il affirma sa différence - Well I’m a runner in the jungle/ Renegade from the law - Il se considère comme un hors-la-loi. Pas de pitié pour le conformisme. Puis il livre une pièce de fonk pur, «Fonky Side», magnifique d’auto-biographie - My mama beat me for not going to school/ Don’t end up like your daddy/ An uneducated fool ! - Sa mère ne voulait pas que Mac finisse comme son père, un pauvre hère inculte. Il chante «Bon Temps Rouler» en cajun et c’est un régal - Laisse le bon temps rouler/ Vive la bonne foie/ J’me sens bien oh la la - Cet album est incroyablement inspiré. Puis il rend un fantastique hommage à la Nouvelle Orleans avec «I Thought I Heard New Orleans Say» - Red beans pinball machines/ Chickory coffee & hoodoo queens/ File gumbo & pralines/ Everything’s hot down in New Orleans - C’est le meilleur groove du monde et Mac le chante avec une gourmandise terrible. Il co-écrit «Tango Palace» avec Doc Pomus et il chante ça avec une voix d’alligator des marais. Il partage d’ailleurs avec Tav Falco une véritable fascination pour le tango. Et il boucle cet album édifiant avec «Louisiana Lullabye» qu’il chante avec une diction de rêve - Fe dodo mon petit bébé/ Crabe dans cat a lou/ Maman li court la rivière/ Fe dodo mon petit bébé - Mac mâche ses syllabes avec une délectation surnaturelle.

    Doc Pomus essaye d’inciter Mac à décrocher de l’héro, mais Mac se fout de sa gueule parce qu’il fume de l’herbe - You have your herb and I have my little issue. I don’t see the difference (Tu fumes de l’herbe et moi j’ai ma petite combine. Je ne vois vraiment pas la différence).

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    Dr John Plays Rebennack est un album de classiques joués au piano. Il ne chante que sur un seul morceau, «The Nearness Of You». Il y prend sa voix mouillée et nous régale d’une merveilleuse diction mielleuse. Jolie pièce de boogie blues. On a vraiment la sensation d’écouter un héros, comme lorsqu’on écoute Captain Beefheart. L’autre merveille de cet album est «New Island Midnight» qui sonne comme du Monk.

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    Paru en 1981, Love Potion est encore un excellent album du bon Doctor. Il attaque avec un fantastique groove, «Loser For You Baby» qu’il prend au timbre chantant, unique dans l’histoire de la pharmacologie. Dr John fait groover sa voix avec une jouissance glottale excessive. Il chante à l’éraillé et à l’onctueux, il miaule au feulé et au moite. Il prend «The Ear Is On Strike» au plus profond du laid-back vermoulu. On tombe un peu plus loin sur «Go Ahead», de la good time music by the sea, une fantastique ambiance à la Matassa de la prélasse. On se régale du beau son de bastringue. On trouve d’autres merveilles en B et notamment «Just Like A Mirror», une heavy rengaine jouée à la traînasse de la rascasse. N’oublions pas que Mac est un être bienveillant. Puis il passe directement au pur cajun avec «Bring You Love» et ça devient effroyablement vivant, on a là le vrai son des écrevisses et du gumbo magique. Voilà tout l’art du bon Doctor. Il chante avec de la gourmandise plein la bouche et nous fait partager son bonheur de vivre.

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    Comme Dr John Plays Rebennack, The Brightest Smile In Town est un album de piano solo. «Sadled The Cow» est une jolie pièce de boogie blues. Sur la photo qui orne le dos de la pochette, on voit que Mac a un œil qui se barre. De toute façon, ce n’est pas grave, il n’a jamais été beau. Ce n’est pas ce qu’on attend de lui. Sur cet album un peu austère, on l’entend faire couler ses rivières de perles au piano bar du bout de la nuit et on se régale de l’entendre chanter «Average Kind Of Guy» de sa belle voix de charme pincée à l’accent sucré de la Nouvelle Orleans. C’est aussi sur cet album qu’il rend un hommage spectaculaire à la sorcière mythique de la Nouvelle Orleans, «Marie La Veau» - She was a hoodoo queen way down in New Orleans - Souvenons-nous que dans Easy Rider, Peter Fonda et Dennis Hopper font une halte au cimetière de la Nouvelle Orleans pour prendre un acid trip sur la tombe de Marie La Veau.

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    In A Sentimental Mood sort en 1989. Mac nous propose un ensemble de reprises de classiques signés Cole Porter ou Duke Ellington. Il duette avec Rickie Lee Jones sur «Makin’ Whoopee» et nous jazze le bulbe. C’est fameux et solide. On est là dans la pure tradition du jazz-blues à deux voix. Tout le reste de l’album est d’une extrême élégance, mais peut-être un peu trop éloigné des goûts classiques d’un amateur de rock. On écoutera cependant le morceau titre de l’album, car c’est un pianotis incroyablement mélodique soutenu à l’orchestration.

    En 1989, Mac décide de se désintoxiquer. Mais ce n’est pas simple. Il reste sous lithium pendant un an. Il saigne du nez et ses mains tremblent, ce qui pour un session man n’est pas terrible. Il dénonce la méthadone qui endort : «Je dormais un nombre anormalement ridicule d’heures.» Puis la vie de Mac change. Il se plonge dans les disques de tous les gens qu’il admire, Irma Thomas, Satchmo, Mahalia Jackson, les Meters, Allen Toussaint, et Earl King. Mais comme ça risque d’être peu long, on verra la suite dans un Part Two.

    Signé : Cazengler, Dr jauni

    Dr John. Disparu le 6 juin 2019

    Dr John. Gris-Gris. Atco Records 1968

    Dr John. Remedies. Atco Records 1970

    Dr John. The Sun, Moon & Herbs. Atlantic 1971

    Dr John. Dr John’s Gumbo. Atco Records 1972

    Dr John. In The Right Place. Atco Records 1972

    Dr John. Anytime Anyplace. Barometer 1974

    Dr John. Desitively Bonnaroo. Atco Records 1974

    Dr John. Hollywood Be Thy Name. United Artisit Records 1975

    Dr John. City Lights. Horizon Records & Tapes 1978

    Dr John. Tango Palace. Horizon Records & Tapes 1979

    Dr John. Dr John Plays Rebennack. Clean Cuts 1981

    Dr John. Love Potion. Accord 1981

    Dr John. The Brightest Smile In Town. Demon Records 1983

    Dr John. In A Sentimental Mood. Warner Bros Records 1989

     

    Le ciné des Cynics

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    Savez-vous que les Cynics ont trente ans de carrière ? Qui l’aurait cru ? Selon l’expression consacrée, les Cynics sont un combo garage, c’est-à-dire un quatuor resté bloqué en 1966. Pour eux comme pour les Fuzztones ou les Morlocks, pas question de changer d’époque. Ils ne jurent que par les accords majeurs, la fuzz et le tambourin. Ils poursuivent l’aventure lancée par les Seeds et les Standells, les Chocolate Watchband et Music Machine. Ces gens-là portent le flambeau d’un son et d’une culture âgés de cinquante ans, avec le même aplomb et le même talent que ceux qui perpétuent aujourd’hui la culture rockab. Au moins, quand on écoute leurs disques ou qu’on va les voir jouer sur scène, on a quelque chose de solide à se mettre sous la dent. Ce qui n’est hélas pas toujours le cas des nouvelles sensations.

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    Cette année, les Cynics sont en tête d’affiche du friday, au Cosmic Trip. Michael Kastelic arrive sur scène en petite chemise bariolée et donne le ton immédiatement. C’est le wild garage américain qu’on n’osait plus espérer. Le son arrive comme une vague qui dégage tout. Power and rawness. Avec sa gueule de page florentin et son casque de bouclettes, ce mec ravage plus de cervelles qu’Attila ne ravagea de cités en son temps.

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    Michael Kastelic chante le pur garage avec une élégance épouvantable, il place ses screams au bon endroit et reprend son chant au vol comme si de rien n’était. Ce mec n’a pas besoin de tatouages ni de cuir ni de clous, il a cette rage garage chevillée au corps et wham bam, ça devient l’un des plus gros trucs qu’on puisse espérer voir sur une scène de rock. Rien ne saurait remplacer la grâce animale, celle d’un Lou Reed, d’un Brian Jones ou d’un Peter Perrett. Michael Kastelic est l’homme de toutes les situations, l’homme de la vingt-cinquième heure, un Graal à deux pattes, il pourfend le mou du genou et graisse le gris du temps, il devient l’une des plus belles incarnations de ce qu’on appelle communément le garage-rocker.

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    Fabuleuse présence, contact permanent avec les gens du premier rang, et cette voix ! Oui, c’est à se damner tellement elle est juste et belle, grandiose et ravageuse. Avec leur tripotée de hits, les Cynics ont largement de quoi proposer un set explosif de bout en bout. Pas la moindre baisse d’intensité. Si on aime le son du garage, le vrai, celui qu’ont initié les Them, alors c’est gagné. Comme si ça tombait du ciel.

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    Il fait une chaleur à crever et le heartbeat du garage américain bat la chamade. Ils enfilent les hits comme des perles, sans ciller, «You Got The Love», «Baby What’s Wrong», «Love Me Now», «Turn Me Loose», «I Got Time» et voilà l’un des sommets du genre, le fameux «Gloria’s Dream» des Belfast Gypsies, magnifique hommage à Jackie et Pat McAuley, ces deux kids de Belfast qui tentèrent de redémarrer les Them avec Kim Fowley, un Kim Fowley que Jackie McAuley surnomme Count Dracula dans ses mémoires. Michael Kastelic devient une sorte de manège tourbillonnant, avec son round and round and round et ses coups de tambourin dans l’avant bras. C’est Noël et la fête au village en même temps, la preuve de l’existence de Dieu, la prophétie de Bourges, l’envoyé divin, c’est Zorro sans masque qui sort de la nuit des temps pour signer Cynics à la pointe de l’épée. Dans son coin, Gregg Kostelich gratte sa Gretsch impunément, il n’a pas l’air de fournir de gros efforts, car on ne le voit jamais grimacer bêtement, mais que de son, my son ! Que de son. Il joue quasiment tout en fuzz avec une économie de moyens qui laisse rêveur. Il pratique l’art majeur du riff à la ramasse de la rascasse. Il gratte bien l’os du son. On devrait l’appeler maître Kostelich car il opère le garage à cœur ouvert et le ressuscite pendant que son compère Tambourine Man transforme le basic bish bosh habituel en Soul blastico-maximaliste.

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    On le sait, le garage n’a pas d’âme, c’est le son du fond de la fosse, celui qui ne veut surtout pas d’âme, mais malheureusement, Michael Kastelic lui en donne une, comme le fit jadis Van Morrison au Marine Hotel de Belfast. À la limite, le garage se contente d’un spirit, comme dans le cas de Guitar Wolf ou des Standells, mais dans le cas des Cynics on stage, il s’agit de toute évidence d’autre chose, cette voix posée sur un constant tapis de fuzz expurge la subliminalité des choses et en affine jusqu’à la nausée le quintessentiel expressionnisme.

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    En trente ans, ce groupe basé à Pittsburg a réussi à enregistrer neuf albums dont certains font figure de classiques. Exemple : Living Is The Best Revenge. Gregg Kostelich et Michael Kastelic constituent le noyau dur du groupe, celui qui a survécu à tous les mouvements de personnel. Et comme ils veulent qu’on leur foute la paix, ils montent en 1986 leur label, le fameux Get Hip Records.

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    Sur la pochette de leur premier album, Blue Train Station, ils ressemblaient à des hippies. Pour des garagistes, c’était mal barré. Mais la fuzz n’est pas une fuzz de hippies. On trouve sur l’A deux épouvantables classiques garage-fuzz, «Waste Of Time» et «No Friend Of Mine» qui sont d’une violence assez peu commune. C’est du pur jus, ça gicle ! C’est même exceptionnel de véracité dégoulinante. «Love Me Then Go Away» sonne aussi comme un archétype embarqué à la rage pure et bardé de plâtrées de fuzz en réverb. Quel son ! De l’autre côté se nichent trois belles énormités : «Why You Left Me» (bien senti et vénéneux, arrosé d’harmo), «I Want Love» (garage rampant monté sur un sale groove de basse) et «Read Block» (une fournaise de six minutes bardée d’accords et de coups d’harmo que vient driver l’infernal jeu rockab du batteur).

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    Twelve Flights Up fait partie des dix plus grands albums de garage classique, pour au moins quatre raisons, dont la principale serait la reprise du «Gloria’s Dream» des Belfast Gypsies en B. Avec ça, on patauge dans la fosse mythologique, celle d’un Kim Fowley qui tenta de réinventer les Them avec Jackie et Pat McAuley, keyboards & drums des early Them. Nos amis les Cynics en font une version remarquable, bien nappée d’orgue et chantée au snarl. Ils font illusion avec ce round and round and round qui nous renvoie à l’âge d’or. Les deux cuts qui ouvrent l’A sont aussi des terrific classics. Il faut avoir entendu au moins une fois dans sa vie l’attaque de fuzz et d’orgue qui allume la terrine de «Creepin’». Dans l’esprit, c’est incroyablement sixties - Oh c’mon ! - Rampant et soloté dans la moiteur des effluves adolescentes et Michael Kastelic nous explose tout ça au chant du cygne. Il enchaîne avec «Yeah», encore du pur jus de garage sixties juvénile, admirable de teenagarisme purulent. Ils recyclent les accords de Gloria, mais on leur donne l’absolution. «Erica» qui boucle l’A requiert toute l’attention, car c’est amené à l’orientalisme soloté, à la basse jumpy et au chant de nez sur canapé de cisaille fuzzy. Voilà ce qu’il faut bien appeler un gros beat tendu vers l’avenir - Oh my Erica/ Please my Erica - En B, on croise aussi un «Useless» bien secoué du cocotier, vraiment digne de «La Fille du Père Noël», sec et bien tranché.

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    C’est avec Rock ‘N’ Roll paru en 1990 que les Cynics vendirent le plus d’albums. Une chose est certaine : on tombe de sa chaise à plusieurs reprises. Ça commence avec «Baby What’s Wrong» et son attaque de fuzz mortelle de la mortadelle. On a là l’une des fuzz attacks les plus violentes de l’histoire du rock. Quelle énergie dévastatrice ! Gregg Kostelich sort un son aussi agressif que celui d’une grosse scie circulaire dans un film d’horreur et l’harmo vient se fondre dans le solo. À cet instant précis, on réalise clairement qu’on tient dans ses pattes un disque énorme. Et ça continue avec «Way It’s Gonna Be», petit garage violemment nappé d’orgue. Ces mecs créent de l’enchantement. Ils reviennent au feu un peu plus loin avec «Get My Way», battu à la pire dégelée de ramalama, celle du MC5. Ils enfilent ça comme une perle et se payent le luxe d’un final ahurissant. Ils terminent cette face de ta race avec «Cry Cry Cry», une compo nettement plus ambitieuse, descendue au jus de distorse et noyée dans la purée fumante. Tiens, encore une énormité de l’autre côté : «You Got The Love». Violent comme du garage cynique, surplombé par un pounding de basse et aplati par une vieille dégelée de guitare signée Gregg Kostelich. Il file comme Fast Eddie Clarke, vitupérant et seigneurial, toujours avec des idées de pyromane et au dessus de la mêlée.

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    Avec Learn To Lose, ils changent de son et se vautrent comme des débutants. L’album est plus pop et on bâille aux corneilles. Il faut attendre «Right Here With You» pour retrouver le salamalec fuzzy auquel ils nous avaient habitués. Ce son est une esthétique à part entière. Quand on entend Gregg Kostelich, on pense aux Standells et aux Troggs. Mais le reste de l’album est désespérément plat. Et même plat comme une crêpe. De l’autre côté, le morceau titre refuse obstinément de décoller. Il faut attendre «Pressure» pour trouver un peu de viande. C’est un joli tourbillon embarqué au riff énervé, mais on doit se contenter d’un joli départ en solo. Ils terminent avec une somptueuse reprise d’«I Want You» des Troggs. Ils restituent tout le délicieux gluant de la version originale.

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    L’année suivante paraît un live, No Siesta Tonite. Les Cynics ont autant de punch sur scène qu’en studio. Ils alignent une belle série de classiques garage qui nous sonnent bien les cloches, et notamment «Baby What’s Wrong», bardé de fuzz, ou encore «You Got The Love», vrillé par un killer solo de Gregg Kostelich. Cette équipe sait faire feu de tous bois. On note au passage l’excellence de leur prestance. Chez eux tout est joué à l’énergie sous-jacente, avec des riches textures de guitare. Ce groupe ne génère jamais d’ennui. Le festival se poursuit en B avec «No Way», classique hanté par le bourdon de la fuzz et joué à l’énergie transcendantale, celle qui émane du cortex de la fosse de vidange. Ils enchaînent avec une autre diablerie, «Love Me Then Go Away», stomp de fuzz déterminant. Ils sont tout simplement dévastateurs. Ils reprennent aussi leur vieux «Blue Train Station», embarqué au beat ferroviaire, recoupé à l’harmo. Tout est bon sur cet album, le groupe tourne comme un puissant moteur. Ils prennent «I Want Love» à la manière des early Stones. C’est excellent car très mal intentionné, même si Michael Kastelic porte des chemises blanches et se soigne les ongles. Ils tapent aussi une belle reprise du «Shot Down» des Sonics, bien énervée et même décervelée. Il ressortent pour l’occasion le vieux «Erica» pour en bricoler une version complètement envoûtante, jouée ventre à terre. Gregg Kostelich joue son solo à l’orientale et développe une authentique dimension d’hypno tourbillonnaire.

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    Ça dut leur servir de leçon car pour l’album suivant, ils revinrent aux sources. Get Our Way renoue avec le pur jus, même s’il n’a pas l’impact du fiévreux Rock’nRoll. On voit qu’avec «Private Suicide», ils visent un son plus psyché, à grands renforts d’arpeggios et de chœurs à la Who. Ils restent dans l’arpeggio à la Giorgio de Chirico pour «Hand In Hand». On voit qu’ils adorent le paysage lunaire de la psyché antique. «Lose Your Mind» sonne comme un hit des Seeds et ils travaillent «That’s How I Feel» aux gimmicks de rêve. Fabuleux cut de pur jus. Retour aux choses sérieuses en B avec «Dave V’S Car» - I dress in black - et il va dans la street - Let’s burn it out - Voilà le vrai garage de cave, ils retrouvent enfin les faveurs de la menace. Retour de la fuzz mortelle de la mortadelle dans «Love Me Now», chanté à la petite délinquance de garage sixties et bardé de la meilleure purée de fuzz du monde.

    Michael Kastelic en avait assez de chanter du garage tous les soirs et il quitta le groupe en 1994. Fin des Cynics. Gregg et Michael montèrent ensuite des groupes chacun de leur côté jusqu’à ce qu’un gros malin leur propose un billet pour la reformation. Ils reprirent du service en l’an 2000 pour jouer au Las Vegas Grind.

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    Leur coup de génie fut d’aller enregistrer Living Is The Best Revenge au Sweatbox de Tim Kerr. Personne d’autre que Tim Kerr ne pouvait capturer leur énergie aussi parfaitement. Il leur brancha des tas de micros dans tous les coins et les Cynics envoyèrent la purée. Si vous voulez emporter un album garage sur l’île déserte, c’est celui-là. Tout est absolument dément sur ce disque, sauvage et hors compétition. Ça explose dès «Turn Me Loose», visité par le gros frelon de la fuzz. On sent immédiatement la patte de maître Kerr. Et ça continue sur le même registre avec «Making Deals», bardé de hargne et de toute la teigne qu’on veut bien imaginer. Quelle bassesse dans la grandeur ! Et voilà «The Tone» pulsé au beat punkoïde du batteur Thomas Horn. C’est d’une violence rageuse, ils ne reculent devant aucun excès. Ils font une reprise du 13th Floor avec «She Lives (In A Time Of Her Own)» et sortent un petit son trapu et précipité. De l’autre côté se niche «I Got Time», gros garage cynique, l’un des plus compacts et les plus inspirés, dans la veine de DMZ. C’est d’une densité qui nous met aux abois. Avec «You’ve Never Had Better», on bascule dans la pure sauvagerie. C’est fourré à la fuzz grasse comme un gros pain au chocolat et la violence circule en sous-jacence. Les Cynics n’en finissent plus de transcender le cynisme.

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    Puis en 2007, ils sont allés enregistrer Here We Are en Espagne, chez Jorge Explosion. Le soleil espagnol ne leur réussit qu’à moitié car l’album ne sort pas de l’ordinaire garage sauf pour deux ou trois petites bombes comme «The Warning» en A, un cut bien haineux monté sur une sorte de mid-tempo malsain et chanté à la petite insidieuse. Attention car le refrain casse et recasse la baraquasse de la rascasse. Michael Kastelic envoie dans le coin de l’oreille des coups d’harmo salement sixties. On retrouve ici la pulsion des hot hits de boots à élastiques. De l’autre côté, «Hard To Please» vaut le détour pour sa mauvaiseté - I go to bed early/ I don’t stay out late/ When I’m alone I don’t masturbate/ I save it for ya/ I’m under your rule - S’ensuit un «What She Said» un peu brusqué à la Pere Ubu, avec son chant perché à la David Thomas, puis un «All Bout You» incroyablement bon et construit comme un hit de Soul Stax en stock, nappé d’orgue et emmené au meilleur beat. Michael Kastelic envoie des Now qui sonnent comme ceux de Johnny Rotten.

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    En comme tous les groupes de garage moderne, les Cynics finissent par enregistrer avec Jim Diamond à Detroit. Paru en 2011, Spinning Wheel Motel n’est pas non plus du niveau de Revenge, car cette fois, il visent un rock plus psyché. On sent même une très nette baisse d’inspiration. Michael Kastelic chante «Crawl» au chat perché et on voit bien qu’il tend vers l’avenir. Le seul cut vraiment garage de cet album un peu décevant est bien sûr celui qui ouvre la B, «Rock Club», où Kastelic retrouve ses réflexes de voyou distingué. Ils tentent un coup de boogaloo avec «Zombie Walk», mais ça ne marche pas. Ils terminent avec un cut pour le moins étrange : «Junk» raconte l’histoire de mecs qui se préparent à monter au braco - Tonight we’re in position/ Tomorrow we take the banks.

    Signé : Cazengler, Cynoque

    Cynics. Cosmic Trip #23. The Wild’n’Crazy Rock’n’Roll Festival. Bourges (18). 31 mai 2019

    Cynics. Blue Train Station. Get Hip Recordings 1987

    Cynics. Twelve Flights Up. Get Hip Recordings 1988

    Cynics. Rock ‘N’ Roll. Get Hip Recordings 1990

    Cynics. Learn To Lose. Get Hip Recordings 1993

    Cynics. No Siesta Tonite. Get Hip Recordings 1994

    Cynics. Get Our Way. Get Hip Recordings 1994

    Cynics. Living Is The Best Revenge. Get Hip Recordings2002

    Cynics. Here We Are. Get Hip Recordings 2007

    Cynics. Spinning Wheel Motel. Get Hip Recordings 2011

    08 / 06 / 2019MONTREUIL

    L'ARMONY

    CUCKOO SISTERS / LOS GALLOS 

    + BIG FRIENDS

     

    Parfois l'idée que l'on caresse est meilleure que l'on ne croit. M'étais dit, tiens la Montreuil Ranch Party N° 2, j'ai raté la numéro 1, ce n'est peut-être pas bon chic, bon genre de passer sa soirée à écouter de la musique de crétin, mais primo je ne suis ni chic ni bon genre, et deuxio, more important, c'est une des foisonnantes racines du rock'n'roll. Je ne croyais pas si bien dire.

    CUCKOO SISTERS

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    Les gars je vous vois déjà tout émoustillés à l'idée de faire coucou aux Sisters, ben non, d'abord nous nous intéresserons à la minorité opprimée. Un homme, pas très différent de tous les autres, oui mais il a les doigts plus agiles que la plupart, vous croyez que les Sisters auraient pu le coucounner, l'installer bien au chaud au milieu d'elles, l'ont relégué au bout de la scène, tout seul avec son espèce d'ukulélé auquel je ne sais pourquoi je trouve un air mexicain, placide le gars, suffit de lui dire que '' Ça se joue en do'' ou ''en fa'' ou en tout ce que voudrez, il assure comme une bête. S'appelle Percy Copley, lui qui sourit sans arrêt d'un air modeste s'avère redoutable dès qu'il s'approche de tout ce qui ressemble de près ou de très loin un engin musical à cordes, l'est méchamment connu in the ukulélé-world pour son talent, et il vous soutient les Sisters avec la même puissance tranquille qu'un arc-boutant vous conforte les hauteurs d'une cathédrale gothique, vous égrène les notes avec la même célérité que vous écossez les petits pois.

    Je sens que vous vous impatientez. Voilà, maintenant que nous avons réparé une injustice insupportable, rapprochons-nous des Sisters. Sont toutes là, honneur – c'est elle qui a organisé la soirée - à Dédé Macchabée, un nom à dormir dans un cimetière, brune piquante, au phrasé incisif d'institutrice sanglée dans une longue robe old time de sage écolière, elle tient serrée sur son bustier une petite guitare d'aspect rupestre, derrière l'agreste décor placardé sur le fond de scène, c'est elle qui l'a peint, ne fait pas que gratter son instrument Dédé, l'est aussi peintre et illustratrice, une palette claire proche de l'imaginative fantaisie enfantine, possède son monde intérieur, elle habite un doux pays, que vous n'atteindrez jamais dirait André Dhôtel, mais elle nous permet d'en entrevoir des éclats. Je voulais vous parler d'elle lors de ma recension de BarZines ( voir KR'TNT ! 420 du 30 / 05 / 2019 ), mais le temps m'a manqué.

    Ne tremblez pas de peur, voici Calamity Mo, mais tout le monde l'appelle Camille, preuve qu'elle n'est pas bien méchante, c'est même le contraire, dans un ordinateur elle serait l'interface, la grande communicante, dans sa robe à ramage, elle babille avec humour, verve moqueuse, par laquelle elle adore souligner le dérisoire des évidences, public conquis à la première réplique. L'est banjoïste. Vous reconnaîtrez qu'il y a pire dans la vie. Enfin Sarah, possède l'élégance romantique des égéries du dix-neuvième siècle, Renoir l'aurait volontiers rajouté sur son célèbre tableau Jeunes filles au Piano, mystérieuse, intérieure, légèrement penchée sur sa contrebasse, mais il est temps d'écouter la musique.

    Commencent par un classique Foggy Mountain Breakdown d'Earl Scrugg, non c'est une erreur lamentable, que dis-je une horreur sans nom, le Foggy Mountain Top de la Carter Family, avez-vous déjà versé le contenu d'un paquet de pois chiches dans une cuvette, c'est exactement le bruit du banjo. Un picotement de notes aigrelettes qui se bousculent pour encombrer vos oreilles, normalement vous devriez vous enfuir en courant, oui mais le plus énervant, c'est que l'on y prend vite goût, trois secondes, hypnose auditive, vous restez scotché, et là il y a triplement de quoi, un seul banjo certes, mais Percy et Dédée produisent sans effort chacun de leur côté, le même tintement horripilant, vous comprenez que vous n'êtes qu'un simple représentant lambda de l'espèce humaine, de toutes la plus profondément masochiste. Virtuose la Camille, ne vous verse pas de la tisane de camomille, l'a le jeu nerveux, ça rebondit comme balles de ping-pong ricochant sur les meubles d'acajou vernis du salon. Chez Percy, les notes s'enfuient, coulent et s'entassent les unes sur les autres, une fourmilière dont vous venez de détruire le refuge et les milliers de formicidés se hâtent et partent en guerre prêts à coloniser la terre entière. Miracle myrmidonesque qui s'introduit en vous par vos ouïes, s'infiltre dans vos veines et vous agite de démangeaisons rythmiques des plus agréables. Sarah a pitié de vous, dans le même temps que les trois autres vous picotent l'épiderme et l'entendement, elle vous apaise de l'onctuosité bigmamaïque, de ses cordes sourd une suave pommade, une souplesse féline, qui vous ensorcelle. Et puis elles chantent, à tour de rôle. Dédée adopte un ton nasillard à la ressemblance du timbre appalachien, Camille plus joyeuse à l'emporte-pièce, Sarah d'un timbre plus affermi et davantage refermé sur lui-même. Rappellez-vous que les sirènes d'Ulysse étaient des oiseaux.

    Les titres défilent, rapidement présentés, bluegrass, blues, gospel, se suivent et se poursuivent en un joyeux mélange, j'en élirai le vieux louisiannais Vin Toi don et le Tennessee Dog de Johnny Strothers, bref tout le monde attrape une banjoïte aigüe, mais quarante cinq minutes pile, montre en main, tout s'arrête, même le capodastre de Camille ne fait plus d'histoire, Percy et les Cuckoo Sisters stoppent la fête. Pas de désespoir, elles reviendront. Nous faire coucou.

    LOS GALLOS

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    Jeune j'ai toujours aimé le Tex-Mex. Je n'en n'avais jamais écouté mais comme j'avais lu sur une pochette de disque que Buddy Holly s'inscrivait dans cette tradition, par principe j'aimais le Tex-Mex. J'en ai entendu pour la première fois dans La Horde Sauvage de Peckinpah, c'est fort beau me suis-je dit, et tout de suite après – ingratitude humaine – je n'y ai plus pensé, et ce soir c'est bien la première fois de ma vie que j'assiste à un concert Tex-Mex. Rien ne sert de courir, il faut parvenir à point.

    Tiens Percy Copley est resté à la même place, s'est emparé d'une basse électrique et va s'appliquer à la rythmique tout doucettement, pas d'effet, se cantonne à marquer le tempo, tout comme la batterie. De toutes les façons l'on ne voit que Manolo Gonzales, l'est à l'aise sous son chapeau de cowboy et sa guitare. L'est planté au milieu de la scène devant le micro avec sa dramatique gueule d'espagnol typique, une voix faussement indolente qui vous conte les pires malheurs. Sans trop y croire. C'est comme ça les espagnols, el sangre, la dolor, el amor de préférence muerto, vous débitent les horreurs d'une voix monocorde, normalement vous devriez pleurer comme une madeleine et songer à vous suicider pour quitter au plus vite cette vallée de larmes, mais il y a les intonations, ces infimes trémolos qui vous retiennent vous ne savez pas pourquoi à la vie, et vous restez-là, dans une situation très proche d'un pervers ressenti de bonheur. Il est indéniable que cela réchauffe la fibre espagnole d'une partie de l'assistance qui commence à pousser des exclamations comme s'ils encourageaient un chanteur de flamenco ou assistaient aux véroniques endiablées d'une corrida juste avant la mort du taureau, car que voulez-vous, le malheur des uns a toujours fait le bonheur des autres. Si Manolo Gonzales et son humour tragique attire tous les regards, Thierry Carpentier attisent toutes les esgourdes. Virevolte à l'accordéon comme les pyromanes courent à l'incendie. Chaque fois qu'il touche un bouton il pousse celui de la bombe H. Aux autres la mesure, pour lui la démesure. Les soutiers de la rythmique d'un côté et les fariboles étincelantes de l'habit de lumière rien que pour lui. Vous pianote le pauvre à l'enrichir, joue les soufflets serrés, mais les époustoufle, réussit le prodige d'imiter un solo de guitare, vous excède dans les hauteurs, vous précipite dans les fondrières. Ne suis pas un fana du piano à bretelles, mais là je m'incline.

    Manolo a gardé le meilleur pour la fin. L'on quitte le grand sud, l'on remonte un peu dans le country, et voici Johnny Cash à la sauce Tex-Mex, vous fout le feu à Rings Of Fire - c'est ainsi que Merle Kilgore surnommait l'endroit velouté des dames - les trompettes mariachi s'y prêtent, nous le cuisine à la sauce piquante accordéonique, file même le micro à Percy sur un couplet pour que l'on ait le plaisir de découvrir son timbre grave. Nous réservent encore quelques tacos cashiens de leur chienne et ils quittent la scène sous les vivats.

    CHOO CHOO NIGHT

    Mais ce n'est pas tout, l'affiche promettait en troisième partie un super bœuf consacré aux chansons sur les trains. A choo-choo night d'enfer avec passagers surprises. L'on a été gâtés. Les Cuckoo Sisters s'y collent en premières. Ne vont pas nous faire l'intenable suspense de 3h10 pour Yuma. Laissent vite la place aux invités après quelques virées railrodiques du meilleur effet. L'on retiendra surtout la prestation de Sarah au chant, elle sort sa voix avec cette urgence dont dans les westerns les chauffeurs alimentent le foyer de la locomotive tentant désespérément de passer coûte que coûte le viaduc de bois en flammes qui menace de s'écrouler alors qu'une horde d'indiens terrifiques se rapprochent dangereusement du dernier wagon.

    ROB MILES

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    L'ai remarqué avant qu'il ne monte sur scène. Cheveux blonds, une dégaine gracile, une présence obsédante, à la David Bowie, n'est pas un artiste anglais pour rien. Sur scène il interprète une chanson de Tom Waits. D'une voix claire. C'est bien, mais il en aurait fallu davantage. L'on sent le personnage, en cherchant un peu sur le net je m'aperçois qu'il vient de sortir un livre tiré à cent exemplaires comprenant des lithographies et des lettres adressées à un crocodile, celui du jardin des Plantes. L'a aussi un groupe Rob Miles & Les Clés Anglaises. Une sensibilité. Une découverte.

    RENE MILLER

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    L'ai reconnu à son chapeau. Peut-être en a-t-il changé depuis ce mois de janvier 2016 et son concert à Troyes ( voir KR'TNT ! 265 du 21 / 01 / 2016 ), mais l'allure est la même, petit homme fluet à qui personne jamais n'interdira de rouler sa bosse là où il lui plaira de la porter. Big Boss Man à sa manière, n'a pas celle des maths, mais celle du blues, s'assoit, prend sa guitare et tout le monde se tait, ne force pas sa voix, mais il trille les hollers à la Jimmie Rodgers, c'est tout un fragment d'Amérique qu'il nous raconte, en trois morceaux, les courses vagabondes, et la solitude humaine infinie, une main bleue s'approche de votre cœur et vous l'essore à en faire jaillir des larmes de sang.

    SYLVIA HANSEL

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    Toute seule avec sa guitare. Nous annonce City of New Orleans, elle reprendra le dernier couplet dans la version qu'en a donné Joe Dassin. Un moment de grâce. Se débrouille bien à l'acoustique mais avant tout la beauté de voix chargée d'émotion, et surtout cette sérénité, cette assurance tranquille, l'on sent une détermination sans faille, sans aucune agressivité, du genre de ces personnes qui se dressent au centre du monde comme des tours de garde. Termine sur The Letter qu'elle vous envoie avec le cachet de la poste faisant foi de sa maîtrise. S'éclipse en toute modestie. A suivre.

    DAVID EVANS

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    Un vieux monsieur dans son costume sombre s'est assis doucement. Ses gestes sont lents et méticuleux. Met du temps à extraire son instrument de son étui. Une guitare couleur de charbon, les rotondités de ses courbes étrangement éclipsées par le carré brillant qui encadre le creux de la rosace. L'on ne sait pas ce qui nous attend. Ce coup-ci c'est la voix et la rumeur de la grande Amérique qui nous submerge. Tout arrive d'un coup, le timbre sépulcral et menaçant, et ce toucher des cordes, mille guitares en même temps, la force brute, la puissance irrémissible, le blues profond nous submerge, le Mississippi irrigue notre âme et emporte toute notre mémoire pour l'amalgamer à la geste noire et souveraine des esclaves, que nous sommes tous. Trois morceaux-météorites venus d'ailleurs, qui nous tombent dessus, nous soufflent et nous ensevelissent. Un blues d'un bleu profond sombre comme la mort qui nous attend tapie dans l'ombre de nos existences. La grande crue, la dévastation intérieure. Rien ne sera plus jamais comme avant.

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    David Evans se relève avec peine, c'est un vieil homme, il porte le blues sur ses épaules, il l'enseigne à l'université de Memphis, il a parcouru les campagnes, enregistré les survivants que les Lomax n'avaient pas croisés, a tourné dans le Sud Profond avec Alan Wilson avant qu'il ne forme Canned Heat, tous deux ayant auparavant rencontré Son House.

    TONY MARLOW

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    L'on finit en beauté avec Tony Marlow. L'on notera la trop discrète présence de Fulvio Tex Lecca à la Steel Guitar, l'on aurait aimé que la sono l'avantageât un poil de plus, l'a été présent tout le long de cette troisième partie, et ses interventions, particulièrement avec Tony, d'une grande finesse ont magnifiquement relevé la saveur de bien des morceaux, la gousse de vanille qui embaume la senteur des filles. Tony et sa guitare, vous transcende le blues en country rock, on embarque dans un long black train qui file à toute vitesse dans la nuit et que l'on abandonne à la première station pour une virée en voiture, une Maybelline qui démarre sur les chapeaux de roue et dont Tony négocie les virages lors d'un long solo redoutable qui soulève l'enthousiasme de l'assistance qui a l'air de réaliser que le Delta débouche dans l'océan tumultueux du rock'n'roll. Un choix, très ranchy, judicieux qui renverse les barrières du corral et libère les broncos endormis dans les alpages du rêve.

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    ( Les trois  photos signées : Raphaël Rinaldi

    sinon FB : Tony Marlow et des artistes ))

    Damie Chad.

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    le service secret du rock'n'roll

    SAISON 1 : OPERATION K

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    OBJECTIF 1

    Nous sommes très beaux, il faut le reconnaître. ''Regarde Maman'' a dit le petit garçon en tirant sa mère par la manche, ''les deux monsieurs ils ont de super chouettes chemises à fleurs''. C'est la vérité vraie. Le Chef se rengorge, c'est lui qui a eu l'idée de nous faire tailler des répliques de l'hawaïenne que portait Elvis dans Girls ! Girls ! Girls !, avec nos bermudas à l'anglaise qui descendent au-dessous du genou et notre filet à papillon négligemment posé sur notre épaule nous avons l'air de deux innocents touristes, les filles ne peuvent retenir de nous adresser un sourire complice, que nous leur rendons, mais attention un agent du SSR, le redoutable Service Secret du Rock'n'roll, en action reste imperméable à toutes séductions charnelles, l'ennemi peut être partout, et ce n'est pas la première Mata Hari qui nous mate de ses yeux incandescents qui va nous mater et faire capoter une mission dont dépend l'équilibre politique mondial. Echec et mate serait une catastrophe.

    D'ailleurs pour le moment, nous avons à passer ce que dans le jargon du métier nous appelons un goulot d'étranglement. L'air de rien, le Chef dépose sa petite mallette noire sur le tapis roulant, jusque là tout est normal, mais voici l'instant crucial, je me penche, saisis Molossa assise à mes pieds et la dépose d'un geste anodin, sur la valisette du Chef. '' Oh, Maman, les deux monsieurs ils ont mis un joli chien-chien tout noir sur la valise !'' Si seulement j'avais mon Glock je lui ferais sauter son sale caisson d'un seul pruneau à ce mouflet, va finir par nous faire remarquer. Mais le Chef me tapote discrètement dans le dos, il est temps de passer à la deuxième phase de la pénétration de l'obstacle numéro 1. Très galamment nous laissons notre rang à une vieille grand-mère munie d'une grosse valise, toute contente de gagner une place dans la queue, trois hommes d'affaires en costard-cravate interchangeables, très mal élevés, en profitent pour nous passer devant. Opération réussie, c'est à Molossa de jouer.

    Elle a pris son air le plus innocent. Mais je la connais, je sais qu'elle pense. Depuis qu'elle a vu l'émission sur Einstein à la télévision, elle ne touche presque plus à sa gamelle, je suis sûr qu'elle médite le paradoxe du chat de Schrödinger, et je vous avertis Molossa lorsque elle aborde le concept de chat, ses yeux prennent la couleur de l'orage... Attention, elle n'est plus qu'à trois mètres de l'ouverture du scanner, mais les superviseurs l'ont aperçue, ils rigolent, une hôtesse s'adresse à la file des voyageurs : '' Mais à qui appartient ce chien, que son maître ou sa maîtresse veuille bien l'enlever !''. Je regarde du côté du gamin, n'a rien entendu, sa mère vient de lui refiler un paquet de fraises Tagada, et il est aux abonnés absents, dans une bulle de bonheur.

    Erreur fatale, Molossa déteste être dérangée lorsqu'elle se prépare à une expérience scientifique. Ne sera-t-elle pas en quelque sorte dans la position du chat schrödingerien dans le caisson à rayon X du scanner, en ressortira-telle vivante ou morte, elle est prête à livrer son corps à la science, et ne voilà-t-il pas que juste au moment où elle s'apprête à passer dans le tunnel ionisé, une malheureuse hôtesse étend ses deux bras pour la soulever du tapis roulant, personne n'a rien vu, la jeune femme pousse un hurlement, les crocs de Molossa ont fait du bon boulot, d'un seul coup de dents la brave bête lui a sectionné les veines de ses deux poignets, un geyser de sang dégouline de partout, affolement général, elle pourrait faire comme Sénèque et mourir sereinement en entretenant ses amis de la survie de l'âme, mais non ses piaillements perçants sèment la panique, ça court, ça hurle, le public flue et reflue dans tous les sens, au bout de cinq minutes tout le monde se calme, beaucoup de passagers sont vexés, ils s'attendaient à ce que leurs corps criblés de balles fassent la une des journaux et que le Président de la République vienne prononcer un discours à leur enterrement ne manquant pas de vanter leur courage exemplaire devant cette lâche attaque terroriste.

    Je regarde le Chef en souriant. Nous avons bien profité du tumulte de la manifestation sauvage et spontanée des clients déçus et déchus de leurs statut de victimes qui ont réclamé en compensation le remboursement de leurs billets. Nous sommes assis dans l'Airbus long-courrier, le Chef tapote d'un geste satisfait son long étui noir et Molossa confortablement calée sur mes genoux gobe une à une les fraises Tagada que je puise dans le paquet dont dans la pagaille générale j'ai débarrassé – contre deux paires de gifles pour lui apprendre à vivre - le sale morveux qui avait manqué d'attirer l'attention sur deux touristes innocents.

    LE DOSSIER K

    Le Chef est inquiet. Il allume un Coronado. Posté à la fenêtre droite du bureau il ajuste sa longe vue et ne quitte pas des yeux le parvis de l'Ambassade des USA sur lequel un ballet de longues limousines noires n'en finit pas depuis deux jours. Moi-même, dans l'embrasure de la fenêtre de gauche je braque ma lunette de marine sur l'ambassade du Royaume-Uni, l'autre pays du rock'n'roll, là aussi ça grouille de longues limousines noires. Cela fait trois jours que ça dure, et partout dans le monde l'on pressent qu'il se passe quelque chose. Brutalement les évènements se précipitent, l'on apprend que le Président des Etats-Unis et la Première Ministre de l'Angleterre demandent un rendez-vous urgent au président de la République Française. L'Air Force One est déjà en route. Ça sent mauvais dit le Chef, il allume son quarante-sixième Coronado de la journée. Et il ajoute, '' Agent Chad, préparez-vous, je ne sais pas à quoi, mais mon intuition me murmure que le SSR va reprendre du service d'ici peu. ''.

    Il ne croyait pas si bien dire. Le sommet de l'Elyseé n'est pas terminé que le téléphone rouge sonne. Le Chef décroche. Je n'entends pas, mais pour la première fois de ma vie je vois le Chef blêmir. ''Diantre !'' Laisse-t-il échapper, puis '' Tout de suite Monsieur le Président''. Il raccroche. Sans même prendre le temps de rallumer un Coronado, il m'ordonne : '' Agent Chad, apportez-moi immédiatement, le dossier K.'' C'est à mon tour de devenir plus blanc que blanc.

    GEOPOLITIQUE

    Nous avons étalé la carte du monde sur le bureau. Le Chef trace un cercle rouge au nord de la Thaïlande. Exactement-là ! Puis du doigt il désigne successivement L'Iran, l'Arabie Saoudite, l'Irak le Koweit, l'Afghanistan, le Pakistan, l'Inde, la Chine, la Russie : '' En plein cœur de la poudrière, agent Chad, vous comprenez que l'introduction d'un Commando britannique évidemment aéroporté avec la logistique des Ricains équivaudrait à mettre le feu à la planète. Vous connaissez le président des Etats-Unis, l'est un partisan de la manière forte, si dans trois jours il n'est pas sorti de là, il lance une bombe atomique, bref en gros c'est l'apocalypse nucléaire finale.''

    Je suis abasourdi, c'est à nous qu'échoit la mission ultime, mais il est impossible de nous défiler, il est indubitable que l'honneur du rock'n'roll est en jeu. Le Chef est exactement sur la même longueur d'onde : '' Il s'agirait uniquement du sort du monde, je ne m'en soucierai pas plus que la paire de chaussettes de mes quatre ans dans la quelle j'avais glissé le premier Coronado que j'avais subtilisé à mon père, mais là, si le monde disparaît c'est obligatoirement la fin du rock'n'roll, et cela est impossible. Agent Chad que de choses reposent sur les frêles épaules des deux agents du SSR !''

    '' Ouah ! Ouah !'' Molossa s'est avancée vers nous en remuant la queue. '' Ah Molossa, je savais bien que tu ne nous abandonnerais pas, oui je corrige, que de choses reposent sur les frères épaules des trois agents du SSR ! » 

    VERS LE CERCLE ROUGE

    Le Chef lève la main. Nous sommes à pied d'œuvre. Louer un taxi à l'aérodrome de Bangkok et remonter vers le Nord n'a pas été difficile. Notre accoutrement de chasseur de papillons nous a permis de passer inaperçus, les Thaïs habitués aux touristes ne font aucune attention à nous. Plus malaisées, les huit heures de marche d'approche dans les rizières, de surcroît j'ai dû porter Molossa qui déteste se mouiller les pattes. Le Chef énonce d'une voix sépulcrale : '' Première phase de pénétration dans l'objectif 2 !''.

    Il faut l'avouer, nous frissonnons, ce n'est pas de la tarte, ni aux pommes ni à la poire. Je ferme les yeux pour me remémorer l'article de l'Encyclopédia Universalis : Au Nord du pays s'étend ce que l'on surnomme le cercle rouge de la mort noire. Il s'agit d'une zone peu étendue mais redoutable. Une des rares portions survivantes de la jungle primitive hercynienne. Les Thaïs eux-mêmes refusent d'y pénétrer. Ils prétendent que dans cette zone, les moustiques sont plus gros, les serpents plus longs et les tigres plus féroces qu'en aucune autre partie du globe. Personne ne l'a encore exploré. Les rares expéditions scientifiques lancées à sa découverte n'en sont jamais revenues. La voûte des arbres est si dense qu'aucune photo satellite n'a pu révéler un quelconque détail de ce lieu mystérieux.

    Lorsque le rock'n'roll est en jeu, le SSR n'hésite jamais. Même pas un tiers de seconde. Le Chef se saisit de la poignée de sa valisette noire et franchit la lisière de la forêt maudite aussi placidement que s'il rentrait dans son kiosque à journaux habituel.

    DANS L'ENFER DU CERCLE ROUGE

    Ne jouons pas aux héros. Les deux premiers kilomètres furent presque faciles. Les troncs ne sont pas si serrés que nous l'avions craint, par contre de nombreuses lianes urticantes et des rideaux de mousses gluantes pendent jusqu'à terre, nous zigzaguons entre elles, Molossa marche en tête de notre courte colonne, elle se débrouille plutôt bien pour éviter les obstacles, et le Chef qui a sorti d'une de ses poches une boussole certifie que malgré les détours elle garde le bon cap au nord. Le plus embêtant c'est la pénombre, plus nous avançons plus l'obscurité croît, pour ne pas perdre de vue Molossa rendue quasi invisible par son pelage noire, je lui ai noué un petit ruban rose au bout de son appendice caudal. Cette tache claire nous permet de ne pas la perdre des yeux. De toutes les manières le plus impressionnant c'est le silence. Certes il fait frais, cela n'empêche pas qu'une sueur de mort imprègne nos belles chemises hawaïennes. N'ai jamais ressenti de ma vie une telle peur, il ne se passe rien, mais cette absence de danger est la pire menace que nous ayons eu à affronter durant les nombreuses épreuves que nous avons précédemment traversées dans nos existences mouvementées. Le Chef résume la situation dans une de ces sentences de bronze dont il a le secret : '' Certes j'en mène large mais je n'en mène pas long !''.

    OBJECTIF 3

    Au début ce fut aussi doux qu'un frémissement indistinct de violon. Pas l'instrument préféré des rockers, mais nous étions si satisfaits d'entendre quelque chose que nous en fûmes presque heureux. Par bonheur j'ai réalisé à temps – merci l'Encyclopédia Universalis – la nature du péril mortel qui fonçait sur nous '' Chef, ai-je crié, un nuage de moustiques !'' Ils tournaient déjà autour de nous à une vitesse folle, chacun de la taille d'un moineau, et subitement ils se jetèrent sur nous, un vrombissement de terreur envahit mes oreilles, je fermai les yeux mais tout s'arrêta brusquement, le bruit décrut en une seconde. Je rouvris mes oreilles le Chef était en train de refermer sa mallette. Il me regarda en clignant de l'œil. Et d'un geste de la main il désigna les volutes de fumée nauséabonde de qui s'échappaient de son Coronado se contentant de déclarer : '' Un Espuantuoso, un Coronado spécial, le seul cigare anti-moustique, inventé à Cuba, dès 1893, agent Chad, il ne suffit pas de lire l'Encyclopedia Universalis, faut aussi tirer des enseignements de ses informations. Encore une fois, le Chef venait de me prouver pourquoi il était le chef. Le Chef ontologique par excellence.

    OBJECTIF 4

    N'empêche que lorsque le serpent se hissa brutalement jusqu'à la figure du Chef, celui-ci eut beau lui enfoncer son Espuantuoso dans le gosier, cela ne lui fit ni chaud ni froid à la sale bestiole . Ce fut moi qui eus le bon réflexe. Malgré l'œil cruel du monstre qui le fixait, le Chef ne put s'empêcher de siffloter l'air de Si Toi Aussi tu m'abandonnes en me voyant piquer un sprint, le reptile s'apprêtait à le mordre, j'étais arrivé vingt-cinq mètres plus loin au bout de sa queue sur laquelle je sautais à sa pieds-joints, la maudite bestiole se détourna du Chef en un rien de temps et déjà sur moi elle ouvrait son vaste gosier dans lequel je jetai le bout de sa queue qu'il engloutit voracement, se coucha en cercle et entreprit de s'avaler lui-même... '' Agent Chad, je m'aperçois que l'exemplaire intelligence de ma présence suscite quelques progrès chez vous, vous permettrez que je m'en félicite !''.

    OBJECTIF 5

    Brusquement deux lueurs vertes phosphorescentes s'allumèrent devant nous. Un rugissement terrible ébranla l'arbre sous lequel il se tenait, quatre fois plus gros qu'un tigre du Bengale mangeurs d'hommes, il s'avança pour nous barrer le passage. '' Alors Chef vous n'avez pas un Espuantuoso à lui souffler dans les naseaux ! '' '' Agent Chad, vous n'allez pas lui mordiller la queue ?'' . Mais notre modestie dût-elle en souffrir la vérité historique m'oblige à reconnaître que le félin géantissime ne se souciait point de nous. Molossa s'était avancée en remuant la queue, crût-elle qu'il s'agissait d'un chat de Schroëdinger ressorti vivant de son expérience, toujours est-il qu'elle vint frotter son museau sur la gueule de l'animal et trois minutes après ils s'amusaient comme des fous... Ce n'est qu'après plusieurs heures de galopades effrénées que le tigre s'éloigna et disparut tout aussi subitement qu'il était apparu.

     

    OBJECTIF 6

    Nous avions repris notre marche... Au bout de dix minutes le Chef leva la main pour indiquer la nécessité d'une halte. '' Un peu de méthodologie dans notre avancée triomphale, expliqua-t-il, voyons ce que nous avions prévu dans notre plan de campagne, il sortit de sa poche une feuille de papier toute griffonnée qu'il examina soigneusement, voyons Objectif 1, suivi du 2... le 3 oui... le 4 bien entendu... le 5 naturellement... ah voilà, c'est bien ce que je pensais, ce qui nous attend maintenant c'est le 6, je m'en doutais, agent Chad, tout marche comme sur des roulettes, courage en avant, j'allais formuler une question mais il m'arrêta avant que j'eusse entrouvert mes lèvres, agent Chad, il est inutile de me demander en quoi consiste l'objectif 6, je n'ai noté que les numéros, imaginez que ce document ultra-secret tombe aux mains d'un service ennemi, tiens une idée originale, j'allume un Coronado. C'est à ce moment précis qu'un projectile tomba lourdement à nos pieds.

     

    LE GRAND K

    Nous reculâmes prudemment. Encore heureux que l'engin n'ait pas explosé m'écriai-je doucement. Vous savez agent Chad, les noix de coco explosent rarement ! Quoi Chef, vous êtes sûr, une noix de coco, nous serions-donc tout près de notre objectif. Tout contre, regardez bien agent Chad, nous sommes exactement au centre du cercle rouge, et je me doutais bien, que l'arbre central serait un cocotier. Chef, je comprends tout, que pouvait-il y avoir d'autre que de chercher un cocotier, mais oui tout s'explique, un cocotier au milieu de la forêt interdite !

    L'on entendit du bruit le long du tronc du cocotier, trois minutes plus tard Keith Richards en personne nous donnait l'accolade : ''Hello ! Good guys you find me'' and he kissed us. Malotru, s'exclama le Chef, si l'on ne vous avait pas trouvé vous déclenchiez une guerre atomique, les Services de sa très Gracieuse Majesté ont perdu votre trace à l'aéroport de Bangkok, ils ont fouillé partout, il ne restait plus que ce coin de forêt maudit à explorer, mais la Russie avait prévenu qu'elle ne supporterait aucune intrusion de commando de recherche dans cette zone, le sous-sol regorge de pétrole, et ils entendent le garder vierge de toute approche occidentalo-capitaliste !

    Je ne savais pas tout cela répondit Keith, depuis plusieurs années j'ai contacté la cocotière, une espèce de folie qui m'oblige à grimper sur tous les cocotiers que je rencontre, cela m'a déjà valu plusieurs désagréments, rappelez-vous de l'incident des îles Fidji, mais je ne sais comment renoncer à cette funeste addiction !

    Si ce n'est que cela s'exclama le Chef, voici le meilleur des antidotes, et ouvrant sa mallette, il lui tendit un Coronado.

    Damie Chad.