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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 84

  • CHRONIQUES DE POURPRE 397 : KR'TNT ! 417 : IDLES / SCOTT WALKER / DICK RIVERS / JOHNNY CASH / PETE TOWNSHEND

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 417

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    02 / 05 / 2019

     

    KR'TNT ! SINCE 01 / 05 / 2009 !

     

    IDLES / SCOTT WALKER

    DICK RIVERS

    JOHNNY CASH / PETE TOWNSHEND

     

    Idles des jeunes

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    Mine de rien, les Idles font l’actu dans la presse anglaise : les voilà en couverture de Vive Le Rock et mieux encore, leur deuxième album Joy As An Act Of Resistance y est classé album de l’année. Les Idles partagent la couve avec Captain Sensible, c’est dire si. On les qualifie d’inspiring and cathartic, infectuous and raw et leur énergie transcende tous les genres, le punk, le rock et tout ce qu’on voudra bien transcender. Paula Frost rappelle que le groupe tourne maintenant dans le monde entier. Ils sont lancés, mais mettent à point d’honneur à soigner leurs shows - The shows are what’s important.

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    Il suffit de les voir sur scène pour mesurer la portée d’un tel propos. Leur show est en effet un mélange de tout ce qu’on aime dans le rock : un somptueux mélange de bravado, de démesure, de tatouages, de blasting, de hits de hutte et surtout d’un mépris souverain du qu’en-dira-t-on. Joe Talbot et ses amis jouent leur va-tout à chaque instant. On aurait tendance à penser que c’est facile quand on a de bonnes chansons. Non, il faut en plus savoir se jeter dans la bataille, ce que font très bien les deux guitaristes.

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    D’ailleurs, Mark Bowen arrive en short sur scène, comme ça au moins les choses sont claires. Les Idles sonnent la charge dès «Heel/Heal», ils renouent avec cette tradition qu’on croyait en voie d’extinction des grandes fêtes scéniques du rock. Ils sont trois à mener le sabbat en bord de fosse et ils vont rallumer un par un les brasiers entassés sur leurs deux albums. Ils jouent à fond la carte du télescopage, ils storment leur sugarshit, ils enfoncent des clous et pillent les imaginaires comme on pillait autrefois les cités, ils entrent dans les cervelles au galop en poussant de cris de victoire.

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    Il n’existe pas des masses de groupes aussi physiques que les Idles. Les seuls qui s’en rapprochent sont les Oh Sees et les Schizophonics. Après chaque cut, on rallume les lumières et Joe Talbot parle aux gens. Il reprend son souffle. Il adore Louen, il adore les people, il fuck le brexit et il fuck Trump, comme tout le monde aujourd’hui. Et paf, il réarme sa grosse Bertha avec «Never Fight A Man With A Perm», ça va très vite, le deuxième guitariste Lee Kieman se jette dans la mer humaine avec sa guitare et disparaît au loin. Les Idles construisent sur le chaos. Metallic KO ? Follow that ! La pétaudière n’en peut plus. Elle va craquer. «Well Done» tombe comme un sort sur la salle. Cette nouvelle rasade d’apocalypse pourrait faire baver d’envie les quatre Cavaliers. On croirait même entendre les Pistols à un moment, tellement le raunch de «Faith In The City» laboure les consciences.

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    Les Idles cumulent tous les charmes, les charmes velus de la bourre-moi-s-y, les charmes décrets du bourre en joie, les charmes gratinés du bourg crazy, les charmes de charcle du bout de la nuit, mais pas n’importe laquelle, la nuit célinienne, oui, car l’héroïsme athlétique de Joe Talbot génère des touches du fort en gueule Destouches, des éclats dégingandés de damné des tranchées, mais attention, cette brute ruisselle aussi d’atours buñuelliens de démesure andalouse et même d’ange exterminateur, et si on voulait encore pousser le bouchon, son profil de boxeur du XIXe ne vous rappelle personne ? Oui, Cravan, l’autre fort en gueule, ‘regardez-moi les gars, je vais le dégommer’, un Cravan-Talbot Lago assez anglais par le port de moustache pour rappeler qu’il pourrait être le neveu d’Oscar, mais pas le Wilde, l’autre, le wild, car il court sur place comme le sportif de Marey, il boxe le rock et gueule sa rage avec cette niaque de nique typique des Britanniques en pic d’heroic coleric. «Colossus» ratiboise les collines et ils enchaînent avec «Mother» histoire de raser ce qui reste du ghetto, tel que nous le montrait Polanski dans Le Pianiste. La seule métaphore possible pour illustrer le génie sonique des Idles est malheureusement celui de la destruction massive. Et pourtant, ils construisent de la légende.

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    Combien de temps tiendront-ils à ce rythme ? On s’inquiéterait presque pour eux. Ils terminent leur set avec «Rottweller». Pas de rappel. À quoi bon ? Ils ont aplati la messe comme une crêpe.

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    Brutalism est paru en 2017. Appelons ça un énorme album, si vous voulez bien. Dès «Heel Heal», ils ne décrochent pas la timbale, ils la dégomment. Insanité totale. On n’avait plus entendu un tel rumble depuis des lustres. Tout est pulsé au tatapouf maximalistic, ils sonnent comme l’invasion des Huns - I’m done/ What fun - Joe Talbot répète son couplet d’I want to move into a Bovis home, c’est d’une puissance inégalable. Cette façon de monter en puissance est inédite. Leur sens du power blast n’a strictement rien à voir avec le punk. Musicalement, on ne pourrait même pas les comparer à un autre groupe. Too much power business. Ce mec s’adresse à nous directement, mais avec une hargne épouvantable. Dans «Well Done», il raconte qu’il ferait mieux de se couper le nez - I’d rather cut my nose off to spite my face - Ce Well Done sonnerait presque comme le «Boredom» des Buzzcocks. C’est admirablement dévoyé et battu comme plâtre. Alors on entre dans cet album comme dans une ville conquise, l’âme au pillage. Il faut les voir démolir «Mother» au metallic bassmatic des forgerons d’Angleterre. Et cette façon de screamer son mother fucker ! C’est une chanson politique anti-tories (conservateurs) - The best way to scare a torie/ Is to read and get rich - éminemment inflammatoire, policard en diable, mother fucker ! Ces mecs sont dessus, ils sont dedans, ils sont partout. Follow that ! Nouveau coup de génie avec «Date Night». C’est tout simplement la charge de la brigade légère. Personne ne peut échapper à ça. Ces mecs développent des dynamiques stupéfiées d’avance et Joe Talbot s’en vient faire son Johnny Rotten avec encore plus de niaque dévertébrée, son ai ai ai est une horreur ambulatoire. On croit qu’ils vont se calmer. Ah mais non ! Avec «Faith In The City» on se croirait encore chez les Pistols, ils font planer la menace à coups de one two three four - Praise the Lord - Et paf, ça repart en mode policard, there’s no jobs in the city, Joe Talbot fait l’apologie de l’horreur sociale, ça charge à coups de Benedictine monks et de peace with God, eh oui tu peux prier Dieu, ça ne sert à rien car t’es marron. Plus loin, ils nous pilonnent «Stendhal Syndrome» comme si c’était le ghetto de Varsovie. Jamais vu ça. Ils compressent leur drumbeat dans le croupion de la dinde qui du coup se met à tousser. Joe Talbot fait des évocations stupéfiantes de Bacon, de Basquiat et de Rothko. Il fait son Johnny Rotten. Ça pourrait être un hit des Pistols , mais les Idles sont dix mille fois plus puissants que les Pistols. C’est un autre monde. On voit aussi qu’il savent tarpouiller un cut avec rien : la preuve se trouve dans «Divide & Conquer». Ces mecs disposent d’une forme de génie sonique devenu rare. Ils bâtissent leur fascinant empire à la force de leurs petits bras, et c’est extrêmement édifiant. Et puis à un moment, le cut explose et ça gicle dans tous les coins. On voit aussi avec «Rachel Khoo» que tout est calibré pour fendre la vulve de Shiva. Ils explosent même l’alignement des planètes cher aux Aztèques. Appelons ça un avantage culturel. En écoutant cet album, on a vraiment l’impression d’évoluer spirituellement.

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    Sur la pochette de leur deuxième album Joy As An Act Of Resistance, on voit une bagarre. Joe Talbot explique ce choix d’image : «White old men ruining it for the rest of us.» Pour lui, c’est du langage artistique. Ils reprennent le vieux hit de Solomon Burke, «Cry To Me», mais pour créer les conditions du chaos tout puissant. Ils le bombardent de son et Joe Talbot hurle par dessus les toits. Quel festin de son ! On va encore une fois d’énormité en énormité sur ce deuxième album, à commencer par «Colossus». On sent le souffle du power dès le tac tac et le doom de basse. Ils démolissent immédiatement les colonnes du temple. Here go the Idles ! Ces mecs tiennent le futur du rock dans leur paume. Ils savent embarquer leur monde. Real power ! Ils font une sorte de prog explosif et Joe Talbot sings is mind out, de toute évidence. Voilà un doom qui tombe du ciel. Le seul groupe auquel on pourrait les comparer, ce serait le Killing Joke de Hosannas From The Basement Of Hell. S’il fallait qualifier «NFAMWAP», il faudrait parler de fureur apocalyptique. Ces mecs tapent si haut qu’on chope le torticolis. Ils démultiplient à l’infini les exceptionnelles exceptions d’excerpts de soundalikes. Ça n’en finit plus d’exploser sous les pas, on irait même jusqu’à se prosterner devant d’aussi fabuleux soudards. On comprend qu’un canard comme Vive Le Rock les vénère. Encore une merveille avec «I’m Scream» monté sur un violent drumbeat. Oui, ils semblent réactualiser l’ancien power de Killing Joke. Les Idles réinventent le heavy punk-rock britannique. S’ensuit un «Danny Nedelko» battu si sec et chanté à si pleine gueule qu’on s’en étonne, comme si le rock anglais redevenait abrasif. Ils embarquent «Samaritans» au pire beat de l’univers. Le barrage de son est si brutal qu’il assomme, surtout à l’heure où la lune devient rouge. Ils font du Killing Joke, mais avec quelque chose d’encore plus spectaculaire dans la démesure. On sent chez eux une disposition à défoncer les annales du rock anglais, une unbelievable puissance de l’être son. On les voit encore déployer des trésors de power dans «Great». Ça double à la batterie, tout est joué dans l’absolu gras double du pandemonium. Joe Talbot revient faire son Johnny Rotten dans «Gram Rock». On a là une sorte de gros beat turgescent joué sous un boisseau tout de même secoué d’atroces violences intrinsèques.

    Signé : Cazengler, l’idlot du village

    Idles. Le 106. Rouen (76). 20 avril 2019

    Idles. Brutalism. Balley Records 2017

    Idles. Joy As An Act Of Resistance. Partisan Records 2018

    Paula Frost : Love what you love and don’t apologize. Vive Le Rock #59 – 2018

     

    Scott land

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    Scott Walker et les Walker Brothers occupaient dans la pop anglaise une place à part. Ces trois Californiens venus faire carrière en Angleterre mirent comme PJ Proby un point d’honneur à se détacher du lot. Ils surent rester profondément américains dans un swinging London phagocyté par les Beatles et le British Beat.

    Gary Leeds fut le premier batteur des Standells. Quand PJ Proby lui proposa de l’accompagner à Londres en 1964, Gary accepta. Il allait perdre sa place dans les Standells, remplacé par Dick Dodds, mais à son retour en Californie il se mit à jouer avec Scott Engel et John Maus. Ils allaient former tous les trois les Walker Brothers. C’est à Gary Leeds que revint l’initiative de lancer les Walker Brothers à Londres. Il pensait qu’il serait plus facile de percer à Londres qu’aux États-Unis. John Maus : «He said that London was really hip and that there was a great music scene here.» Bien vu Gary ! Ils débarquèrent à Londres le 17 février 1965. Leur première grande surprise fut de découvrir la neige qu’ils ne connaissaient pas.

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    Gary Leeds et John Maus relatent leurs souvenirs dans un très beau livre, The Walker Brother - No Regrets. C’est certainement l’ouvrage de référence en la matière. Ils passent d’ailleurs leur temps à corriger les erreurs qui fourmillent dans A Deeper Shade Of Blue qu’on tenait auparavant pour ouvrage de référence. Gary et John éliminent une à une toutes les rumeurs qui ont couru et dont sont friands les amateurs d’anecdotes, des choses relatives à l’homosexualité ou aux drogues dont on se fout éperdument. On décrivait les trois Californiens comme the new lords of London pop’s aristocracy, roulant en Lamborghini. John Maus affirme qu’il n’a jamais possédé de Lamborghini. Juste une Marcos.

    Comme au début le trio n’avait pas de nom, John Maus proposa de le baptiser The Walker Brothers Trio. Ils se produisaient au Gazzari’s et c’est Nick Venet, l’A&R de Mercury qui fut le premier à flasher sur eux. Il commença par simplifier le nom du trio pour en faire les Walker Brothers, en écho à Warner Brothers, l’emblème de l’industrie hollywoodienne. Puis tout le gratin dauphinois débarqua chez Gazzari’s pour voir jouer le trio, y compris les movie stars d’Hollywood, sans oublier les Stones et les Byrds.

    Pour l’anecdote : la veille de leur départ à Londres, les Walker Brothers enregistrèrent au studio RCA de Los Angeles un premier single, «Love Her», avec Nick Venet et Jack Nitzsche comme producteurs. Au moment où ils entraient dans le studio, les Stones en sortaient. Ils venaient d’enregistrer «The Last Time». John Maus raconte que quelques mois plus tard, invité à Ready Steady Go, Cathy McGowan lui demanda de présenter le nouveau single des Stones, «The Last Time».

    Gary rappelle que John Maus est un excellent guitariste et qu’ado il fréquentait Dave Marks et Carl Wilson qui allaient former les Beach Boys. Non seulement il les fréquentait, mais il les aidait à progresser. D’un côté les Beach Boys, de l’autre les Standells, nous voilà à l’aube du California Beat.

    Gary revient aussi longuement sur l’homme qui sans même le savoir fit basculer le destin des Walker Brothers : PJ Proby. Il avait été invité en 1964 par les Beatles à participer à un show télévisé, Around The Beatles et fut tellement impressionné par Londres qu’il décida de s’y installer pour faire carrière. C’est à son retour en Californie qu’il proposa le job de batteur à Gary Leeds qui découvrit Londres à l’été 64 : «Nous rencontrâmes les Pretty Things et PJ devint le pote du chanteur, Phil May qui nous invita chez lui à Chelsea le jour suivant. Là, on se retrouva assis autour d’une table immense avec Brian Jones qui était aussi un ami de Phil. Brian ne se souvenait pas de moi, mais on s’était rencontrés chez Gazzari l’année précédente. On était assis à la même table et il m’avait demandé un fag, ce qui m’avait choqué car à Hollywood, un fag veut dire pédé. Quel ne fut pas mon soulagement quand je compris qu’il demandait une cigarette.» Il revient aussi sur la fameuse mews house de Shirley Bassey à deux pas du Royal Albert Hall : c’est le lieu de débauche qu’évoque Kim Fowley dans ses souvenirs. Gary ne cite ni Kim Fowley, ni Viv Prince, par contre il cite Diana Dors, une movie star qui appréciait beaucoup PJ. Elle s’appelait en réalité Diana Fluck et après quelques verres, PJ et Gary ne pouvaient s’empêcher de l’appeler par son vrai nom et ça devenait vite tendancieux.

    Les Walker Brothers furent rapidement confrontés à la walkermania, l’hystérie collective. Comme ils étaient grands et beaux, les filles étaient folles d’eux. Walkermania et Beatlemania même combat. Scott qualifiait le style des Walker Brothers de ‘neurotic romanticism’. Imparable. Les filles tombaient comme des mouches - Our songs were loaded with drama - Gary, Scott et John n’avaient encore jamais vu un tel degré d’hystérie, même à Hollywood. La sécurité était dépassée. Dans leur livre, Gary et John n’en finissent plus de rappeler à quel point c’était dangereux, car les filles arrachaient tout, les fringues, les cheveux, tout ce qui pouvait être arraché. Le problème était de savoir comment entrer puis sortir d’une salle de concert sans se faire alpaguer par les hordes de fans - It became an increasingly frightening situation - Les trois Californiens crevaient de trouille.

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    Leur premier album Take It Easy With The Walker Brothers paraît en 1965. C’est le début d’une fructueuse collaboration avec le producteur John Franz. Scott impose déjà sa pop hollywoodienne avec «Make It Easy On Yourself», une compo de Burt. On reste dans l’ambiance de «The Sun Ain’t Gonna Shine Anymore» (qui ne figure pas sur l’album) : mélodie imparable et orchestration grandiloquente. Ils font quelques reprises, comme «Dancing In The Streets», «Land Of Thousand Dances» et «Love Minus Zero». Ils tapent dans le mur du son pour Dancing et proposent un fabuleux take down in New Orleans, mais ce n’est pas Scott qui chante. Leur clin d’œil dylanesque est absolument parfait. Comme tous les autres groupes phares de l’époque, ils payent leur tribut au grand Bob. Et c’est avec «I Don’t Want To Hear It Anymore» que Scott emporte la partie. Il chante cette merveille signée Randy Newman de main de maître. Scott voulait aussi enregistrer le «Don’t Make It Over» de Burt, mais Dionne la lionne était déjà passée avant.

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    Le deuxième album Portrait paraît l’année suivante. Comme le rappelle John Maus, Curtis Mayfield ne voulait pas que des blancs reprennent son «People Get Ready», mais il fit une exception pour les Walker Brothers. L’autre grosse reprise de l’album est le «Summertime» de Gershwin qu’ils tapent à deux voix sur un tempo très ralenti. On voit Scott prendre son envol et déployer lentement ses ailes. Ça vire groove de jazz. Ils en ont les moyens. Le vrai hit de l’album s’appelle «Saturday’s Child», monté sur un big bassmatic sur fond de wall of sound. Avec la voix de Scott, nous voilà dans ce qui rend le rock des Sixties irremplaçable. C’est l’épitome de chèvre du Sixtes Sound System. Même puissance que «River Deep Mountain High». «Hurting Each Other» sonne comme «The Sun Ain’t Gonna Shine Anymore». On a là toute la magie des Walker Brothers - A sound so palpable you can almost touch the reverberating cymbals, nous dit Keith Altham au dos de la pochette. En B, ils reprennent aussi le «Living Above Our Head» de Jay & the Americans, une pop bien fuselée adossée elle aussi au wall of sound. Pure merveille que ce beat puissant.

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    Avec Images, Scott commence à jouer avec le feu. Il n’ose pas encore taper dans Brel, il se contente pour l’instant de Michel Legrand, avec deux titres, «Once Upon A Summertime» et plus loin en B, «I Will Wait For You» tiré des Parapluies de Cherbourg. Fabuleux choix, c’est d’une perfection mélodique à toute épreuve. Scott Walker chante Michel Legrand au suspendu. Ça jazze dans le magnifique. Toute la magie de Paris est là dans le Summertime, bercée par des vagues de violons. Dès l’«Everything Under The Sun» d’ouverture de bal d’A, on reconnaît la griffe des Walker Brothers : voix de Scott et orchestration. C’est très spécial, très collet monté, au sens hollywoodien de la chose. Sous un casque, les Walker Brothers prennent du volume. Par contre, les compos de Scott refusent obstinément de fonctionner. Rien à faire. Manque d’éclat. John Maus se fend lui aussi de deux compos, dont un petit jerk nommé «I Wanna Know». Le pauvre John Maus essaye de créer la sensation à l’ombre des jeunes filles en fleurs. Ils font une version extrêmement groovy de «Blueberry Hill» et le hit du disque pourrait bien être la reprise de «Stand By Me» qu’ils tapent à la hollywoodienne, c’est bardé de son et noyé dans l’écho du temps. Gary précise qu’ils détestaient tous les trois la pochette de l’album qui était du simili-Warhol. Il ajoute que John Franz s’intéressait uniquement à Scott et qu’il voulait le lancer comme il avait lancé Dusty Springfield en la sortant des Springfields. En 2008, RPM réédite l’album et ajoute quatre bonus qui en disent long sur le pouvoir séculaire des bonus. On tombe sur une hallucinante version du «Stay With Me Baby» rendu célèbre par Sharon Tandy. Scott does it right. Il peut monter chez Sharon et exploser l’eau et le gaz à tous les étages, oh yeah, he can. Il faut le voir grimper lentement sur son Stay, et ça explose dans une sorte d’apothéose qui nous réconcilie avec la vie. Remember ! C’est orgasmique. Merci RPM. Et ça continue avec «Turn Out The Moon», and the stars in the sky, pur jus de Walker Brothers. On est dans l’orchestration d’overdose avec un Scott indomptable. Nouvelle secousse sismique avec «Walking In The Rain». Menés par un leader comme Scott, les Walker Brothers étaient tout simplement invincibles. Du coup leur pop devient sculpturale. C’est littéralement bardé de son et de Scott. Tu connais le «Walking In The Rain» des Walker Brothers ? Non ? Il est là. Ils terminent ce carré d’as avec «Baby Make It The Last Time», un vieux mambo dément des Walker Brothers. Scott l’éclate à la pointe du menton. Tous les superlatifs quittent le navire. Il est temps de couler, les amis.

    Et comme toutes les bonnes choses, l’histoire des Walker Brothers se termine. Malgré les millions de disques vendus, Gary dit qu’il se retrouve sans un rond et qu’il doit tellement de blé aux impôts qu’il va mettre cinq ans à rembourser. John Franz voulait transformer Scott en Sinatra et continuer à enregistrer avec le même son. Pire encore, il faisait bien comprendre aux deux autres qu’ils n’étaient pas vraiment indispensables. Il régnait une telle tension dans le groupe qu’à la fin Scott, John et Gary ne se parlaient plus. Scott faisait une consommation abusive de valium et John buvait comme un trou. Le pauvre Gary qui était à l’origine du projet souffrait de le voir tourner en eau de boudin. John fut le premier à quitter le groupe - We each simply went our own ways - there were no goodbyes - Ils décident tout simplement d’arrêter. Terminé, tout le monde descend. Évidemment, ils n’ont aucune idée de la façon dont est géré leur blé chez Capable Management, l’agence de Maurice King qui s’occupe d’eux. Comme par hasard, la caisse et vide. Vide ? Oui, vide. Nos trois bellâtres sont consternés. Pire encore, ils découvrent un peu plus tard qu’on imitait leurs signatures pour détourner des chèques de royalties. Eh oui, les pop stars anglaises, ça rapportait gros et les corbeaux a-do-raient le fromage.

    Comme on le sait, Scott va embrayer avec sa carrière solo. De son côté, Gary Leeds va monter Gary Walker & the Rain et embaucher Joey Molland, l’une des futures âmes de Badfinger. Gary sait qu’ils vont faire un carton au Japon, et Brian Epstein accepte de les manager. Gary sait qu’il va repartir à la conquête du monde et puis un jour il reçoit un coup de fil d’Allan McDougall : «Brian Epstein is dead !» Patatrac ! Tout s’écroule. Mais Gary décide de continuer et décroche un deal chez Polydor. Il embauche Charlie Crane des Cryin’ Shames comme chanteur et ils tournent trois semaines au Japon où on les accueille comme des stars, avec des banderoles «Welcome to the Rain». Mais bizarrement, ça ne prend pas en Europe et the Rain arrête les frais.

    Gary, John et Scott ont une relation tellement saine qu’ils parviendront à surmonter toutes les manigances du business. Il finiront par échapper à John Franz pour se reformer un peu plus tard et signer avec un nouveau label, GTO - Basically, as long as John Franz and Maurice King weren’t around, the three of us were fine - Ils vont enregistrer une petite série d’albums qui hélas n’iront pas marquer les mémoires au fer rouge.

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    Malgré tout le plaisir qu’ils éprouvent à se retrouver tous les trois, ils ne parviennent pas à retrouver le filon des années de braise. Paru en 1975, No Regrets déçut énormément. Scott a beau faire des numéros de cirque avec sa voix, l’émotion brille par son absence. Et si John Maus se met à chanter, ça retombe aussitôt comme un soufflé. Un léger sentiment d’ennui s’élève de «Boulder To Birmingham», même si Scott chante. On le voit en B faire du gringue à Kris Kristofferson à travers «Got To Have You», mais on comprend un peu mieux pourquoi cet album ne pouvait pas marcher. Ça manque tragiquement de grosses compos. Même le «Burn Our Bridges» pourtant signé Jerry Ragovoy ne marche pas. C’est de la Soul destinée aux blackos, pas de la pop.

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    Lines paraît en 1976. Gary dit que «Lines» était la chanson préférée de Scott. Il y fait un joli numéro de cirque. Mais c’est avec le «We’re All Alone» de Boz Scaggs qu’il va sauver l’album. Voilà en effet un cut assez pur au melodic et presque joyeux au mimetic. On savait Boz Scaggs grand auteur, mais Scott apporte encore autre chose, le vernis d’un interprète hors normes. Très haut niveau, très orchestré. Enfin un bon choix. Ouf ! Ils terminent avec un «Dreaming As One» beaucoup trop délicat. Scott y atteint les limites du genre. C’est quasiment un cut préraphaélite.

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    Gary Leeds dit que Nite Flights paru deux ans plus tard est son album préféré des Walker Brothers. Ils proposent en effet avec cet album un son nouveau qu’il est impossible de catégoriser. Mais c’est l’album des Walker Brothers qui se vend le moins. C’est aussi l’époque où Scott développe une phobie de la scène. C’est avec cet album que Scott révèle un goût pour une musique plus expérimentale. Eh oui d’ailleurs l’album est comme coupé en deux : une première partie avec les cuts de Scott domine largement la deuxième partie qui propose les cuts de Gary Leeds et de John Maus. Dès «Shutout», on sent Scott motivé. Peut être même un peu trop. Le bassmatic flirte dangereusement avec la diskö. Et un guitariste nommé Les Davidson passe un gros solo diabolo. Et bien sûr, avec «Fat Mama Kick», Scott prépare le terrain pour la suite. Il s’appuie sur une débauche de beat et un salmigondis de sax free, ça tourne alors à l’éberluante modernité. Plus rien à voir avec la mollesse des deux albums précédents. La tendance se confirme avec le morceau titre, laminé par deux basses et visité par des vents mauvais. La voix de Scott Walker domine la pop, il chante comme une espèce de dieu volant. Dernier coup de Jarnac avec «The Electrician» et son texte préfigurateur des disk-books à venir - He’s drinking through the Spiritus Sanctus/ Tonight thru the dark hip falls/ Screaming Oh you Mambos/ kill me - C’est fascinant d’inventivité, comme si Hollywood basculait dans le monde de Scott. Il est capable de prodiges dévertébrés et on entend Big Jim Sullivan jouer des notes sculpturales dans l’écho du temps. Puis l’album part à vau-l’eau avec des choses privées d’intérêt.

    Alors bien sûr, Gary Leeds et John Maus apportent des éclairages intéressants sur le pauvre Scott qui vient tout juste de casser sa pipe en bois. Il faut savoir qu’au départ, Scott jouait de la basse dans un surf band californien. Il vivait avec sa mère que tout le monde appelait Mimi dans un immense château à tourelles sur Scenic Drive, à Hollywood. Scott est toujours resté très discret sur sa vie privée. Il avait des copines, mais il n’en parlait jamais. Il voulait être peintre et prenait des cours à l’Académie Juilliard. Scott était un mec très distant qui ne sympathisait pas facilement. Gary dit que la seule fois où il l’a vu copiner en public, ce fut avec Marc Bolan qui le faisait beaucoup rire. Gary ajoute que Scott était l’intello du groupe et qu’il s’intéressait de près à l’existentialisme de Sartre, à Camus, Ingmar Bergman et au jazz. John et Gary trouvaient d’ailleurs tout cela ennuyeux - Boring ! - Scott préférait le noir et blanc à la couleur et détestait la fumée de cigarette. Il s’en plaignait constamment car évidemment, les deux autres fumaient comme des pompiers.

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    On considère encore aujourd’hui ses quatre premiers albums solo comme de grands albums classiques. Il démarre en trombe avec Scott. D’autant plus en trombe qu’il attaque avec le «Mathilde» de Jacques Brel. Il faut se souvenir qu’en 1967, Brel est encore extrêmement populaire, et rares sont les chanteurs qui osent toucher à son répertoire. Scott Walker chante son Brel à pleins poumons - Mathilde’s coming back to me ! - C’est extraordinairement orchestré, secoué par une fantastique dynamique philharmonique, mais bien sûr, il faut aimer ce mélange détonnant de puissance vocale et d’arrangements babyloniens. Les trompettes se battent avec les violons, et ça donne un son d’essaims furibards. Scott tape aussi dans «Amsterdam». C’est amené au bandonéon et soudain, il l’embarque sur cet air d’accordéon qu’aimait tant Brel, chauffe Marcel ! Allez vas-y mon gars, Scott Walker a compris toute l’urgence du génie de Brel et là ça décolle au delà du cap de Bonne Espérance, in the porrrt of Amsterdam qu’il explose. Le reste de l’album est moins dense, mais très captivant. Tout est over-blasté d’orchestration. Il tape dans l’«Angelica» de Barry Mann & Cynthia Weil, cut parfait et comme étalé à la surface des choses. Scott lui donne des ailes. Il tape à la suite dans «The Lady From Baltimore» de Tim Hardin, classique pop-rock soutenu à la flûte et aux accords psyché. Tout est chanté au maximum de possibilités. «When Johanna Loved Me» reste stupéfiant de tenue, l’orchestration est tout simplement criante de vérité. Il revient à Brel avec «My Death» et nous replonge dans une fantastique ambiance hollywoodienne avec «The Big Hurt». Tiens, encore de la prod over-blasted avec «Such A Small Love» et son orchestration démentielle. Scott Walker chante dans les éclairs de dithyrambe biblique, il provoque des fracassements d’éléments philharmonques comme s’il frappait le sol d’un coup de bâton magique - Such a small love ! - Stupéfiant ! «You’re Gonna Hear From Me» est violonné d’avance, il fait du pur Judy Garland, c’est hollywoodien jusqu’à l’os de la mortadelle. Il va chercher l’essence du kitsch, mais avec une tenue aristocratique. Il sonne comme une star hollywoodienne montée en neige du Kilimandjaro.

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    On retrouve des chansons de Brel sur Scott 2 paru l’année suivante. Cette fois il démarre avec «Jackie» - If I could be for only one hour/ Cute cute and stupid as well ! - Ça prend autant d’éclat qu’avec Brel. Il grimpe sur ses grands chevaux pur gueuler cute ! cute ! C’est très spectaculaire. Pas pop, c’est sûr, mais quel interprète ! En B, il tape dans «Wait Until Dark» d’Henri Mancini. Nous voilà dans l’ultra kitsch de dégoulinade et les nappes de violons coulent comme des rivières de miel. Effarant ! Il retape dans Brel avec «The Girls And The Dogs». On peut dire que les Anglo-Saxons ont compris deux choses de la France : Brel et Gainsbarre. Dans le cas de Scott Walker, il faudrait ajouter Michel Legrand. Cet album développe la même ampleur catégorielle que le précédent. Scott prend «Black Sheep Boy» de Tim Hardin à l’acou et ce côté folky transbahute le classical énergétique. Affolant ! Avec un artiste comme Scott Walker, on est obligé de parler en termes de souffle, comme s’il s’agissait de littérature. Il tape dans l’une des plus difficiles chansons de Brel : «Next», l’histoire du fameux conseil de révision. Mais c’est trop Kurt Weillien, c’est presque un hommage à l’Opéra de Quat’ Sous. Scott Walker est gonflé de proposer ce genre de cut à un public anglais plus friand de pop que de chanson française. «The Girls From The Streets» s’étend à l’infini, sombre et toxique. C’est joué à l’accordéon - Tonite we’ll sleep with a girl from the street - Fantastique tourbillon, il reste dans l’énergie de Brel. Il revient à Burt avec «Window Of The World». Il chante Burt avec beaucoup moins d’agressivité que Brel. Par contre, ses propres compos peinent à plaire. Il cherche à faire décoller «The Bridge», mais c’est beaucoup trop hollywoodien, au sens glamourous du terme, trop hors de portée des Droogs et du public working-class. Scott Walker et la CGT ne font pas bon ménage.

    Il est important de préciser que Scott Walker renouait avec une tradition britannique qui est celle du dandysme, telle que définie par George Brummell au XIXe siècle. Une tradition relayée ensuite par des sommités comme Barbey d’Aurevilly, le connétable des lettres, Robert de Monstesquiou, Oscar Wilde et plus tard, par les figures de proue de l’aristocratie rock, Brian Jones, Syd Barrett et les frères Davies. Cette lignée s’éteint doucement avec les ultimes dandys du rock que sont Peter Perrett et Tav Falco. Scott Walker appartenait à cette caste.

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    Paru un an plus tard, Scott 3 semble s’essouffler. Scott Walker compose quasiment tous les cuts de l’album, toute l’A et les trois premiers de la B. Et il termine avec trois reprises de Brel. Difficile d’évoquer cet album difficile. Il semble que Scott Walker reprenne vie avec Brel. «Sons Of» est la version anglaise de l’excellent «Fils De». En passant au tango avec «Funeral Tango», il renoue avec le big business. Scott ne fait pas de cadeaux - Oh I see all of you - Tav Falco doit adorer ce remake. Et puis on atteint des sommets avec la version anglaise de «Ne Me Quitte Pas» qui devient «If You Go Away» - If you go away on this summer day - Scott s’enfonce dans le désespoir de Brel. Il recrée l’espérance perlée de sueur du grand Jacques, but if you stay, mais cette salope va se barrer, il demande juste un peu d’amour to fill up my hand et il s’élance, le cœur battant - But if you stay/ I’ll make you a night - C’est là où Scott Walker prend tout son sens - For the good’s gone from the world goodbye - Inutile de supplier, ça ne sert à rien. Bien sûr, des choses comme «Rosemary» valent aussi le détour. Comme Brel, Scott Walker façonne son son comme une supplique monumentale qu’il exploite à tire-larigot - Watching trains go by/ From platforms in the rain - C’est très imagé, mais un peu trop grandiloquent. Scott Walker avoine ses cuts pour avoir du son. On voit aussi avec «We Came Through» qu’il se dégage de ses obligations envers la pop anglaise. Il est hors compétition. Il fait du Brel hollywoodien avec des clairons et un tambour battant. Il n’en finit plus de monter son brouet en épingle. Mais on sent qu’il s’épuise, il ahane comme un saumon pelé. Il grandiloque de plus en plus. On s’étonne même parfois qu’il ait pu atteindre un tel degré de popularité avec des chansons aussi hermétiques que «Winter Night».

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    Scott 4 paraît la même année. Le coup de génie de l’album s’appelle «The Old Man’s Back Again», chanson éminemment politique puisqu’il s’en prend à Staline. Mais quelle tempête mélodique ! C’est joué au drive de basse, c’est du Dr Jivago rock’n’roll, fantastique éclat - His mother called him Ivan/ Then she died - Il est important de préciser que Scott Walker signe toutes les compos de l’album. «The Seventh Seal» d’ouverture de bal d’A sonne donc comme un film hollywoodien. Scott Walker voit toujours les choses en grand. Tout est sculpté dans la matière du son, on a même une cavalcade, des rebondissements, des trompettes et des clameurs de chœurs. «The World’s Strongest Man» est certainement sa chanson la plus pop - And didn’t you know I’m not the world’s strongest man - Fantastique pop d’entraînement, c’est un hit pour le moins extraordinaire. On voit bien avec «Angels Of Ashes» qu’il vise systématiquement la beauté extravertie. Scott Walker est un explorateur d’étendues sauvages, une luciole qui s’en va se cogner aux luminaires, il a une façon unique de dorloter la mélodie - And he walked like St Francis/ With love - «Boy Child» semble joué par vagues. Scott Walker adore les vagues, il se prélasse dans un univers de ressac - Cause he came without a name - C’est excellent. Voilà le genre de disque qu’on réécoute de loin en loin. On le voit venir avec «Hero Of The War» : il n’aime pas la guerre, alors il joue ça à gros coups d’acou.

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    Malgré sa très belle pochette (un portrait en gros plan de Scott), Til The Band Comes In n’est pas l’album du siècle, loin de là. Il faut attendre «Joe» pour voir les choses bouger, car c’est un groove de jazz que Scott chante à la revoyure de la belle allure, c’est un enchanteur florissant, comme dirait un Apollinaire gascon. Ça pianote jazz derrière et Scott swingue son chant cachalot blanc. On va retrouver ce même groove de jazz dans «Time Operator» - Take the time to take the time/ Caus’ we got so much in common - On note la fantastique pureté intentionnelle de «Thanks For Chicago Mr James». Même s’il ne choisit pas les bonnes chansons, Scott se débrouille toujours pour forcer l’admiration. Il laisse la place à Esther Ofarim pour «Long About Now» qu’elle chante par dessus les toits. En B, «Stormy» plaira pour son côté Brel des relations orageuses - Hey my storm bring back the sunny days - Admirable - I need you Stormy ! - Il fait encore un peu de country et ça se termine comme d’habitude, par la fin.

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    Avec The Moviegoer, Scott Walker se livre à un petit exercice de style. Il reprend les chansons tirées de BO connues, comme par exemple The Godfather, ou «Summer Knows» que Michel Legrand avait composé pour Un Été 42, et bien sûr, ce n’est pas la meilleure compo de Michel Legrand. Le seul cut qui force l’admiration se trouve en B : Scott tape dans le «Joe Hill» que Joan Baez chantait a capella à Woodstock - Says Joe you’re ten years dead/ I never died said he - Fantastique chanson d’espoir en hommage à un vieux héros des syndicats américains, au temps où ces mecs risquaient leur peau pour défendre l’intérêt collectif des ouvriers. Ça a l’air con écrit comme ça, mais cette culture fait partie des fondations du monde moderne, au même titre que le rock et les grands auteurs littéraires. Scott groove Joe Hill différemment, mais il nous sert le couplet magique que tout le monde connaît par cœur sur un plateau d’argent : «From San Die/ Go /Up to Maine/ In every mine and mill/ Where every man defends their rights/ It’s there you’ll find Joe Hill/ Its’ there you’ll find Joe Hill.» Peu de chansons ont su traduire ce sentiment si particulier qu’est l’espoir d’une justice humaine. Joe Hill rivalise de puissance universaliste avec L’Internationale.

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    Sur Stretch paru en 1973 se niche l’une des huitièmes merveilles du monde : une reprise d’«A Woman Left Lonely», l’un des hits de Dan Penn. Scott entre dans cette chanson comme s’il entrait dans un jardin magique. S’ensuit un «No Easy Way Down» extrêmement chanté. Scott plie la chanson à sa volonté. C’est signé Goffin & King et donc imparable. On ne peut se lasser d’un chanteur comme Scott Walker. Il tape aussi dans le fameux «That’s How I Got To Memphis» dans lequel tout le monde a tapé, Lee Hazlewood, Schmoll, Solomon Burke et les autres. Même Sid Selvidge sur I Should Be Blue. Par contre ses hommages à Mickey Newbury («Sunshine» et «Frisco Depot») ou Randy Newman («Just One Smile») retombent une fois de plus comme des soufflés. Mauvaises pioches. Par contre, les Box Tops savaient taper dans les chansons de Mickey Newbury («Weeping Analeah» et «Good Morning Dear» sur Cry Like A Baby). Rien n’est plus difficile que de choisir des chansons, lorsqu’on est interprète. C’est la raison pour laquelle Chips Moman et Jerry Wexler mâchaient le boulot des gens qu’ils recevaient en studio. En B, Scott rend hommage à Jimmy Webb en reprenant son «When Does Brown Begin». Il transforme cette romance en gros balladif de rêve. Il réussit à prendre son envol - Lord where does this brown begin - Dommage qu’il n’ait pas choisi «MacArthur Park». On se serait régalé.

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    Les albums de Scott Walker se suivent et se ressemblent. Any Day Now paraît la même année que Stretch et joue son rôle d’huître puisqu’on y trouve une perle. Une, pas deux. Il s’agit du «When You Get Right Down To It» de Barry Mann. Scott Walker se balade dans la classe du son américain. Il y injecte toute la splendeur interprétative dont il est capable. C’est là que le génie de Scott Walker prend toute son ampleur. Avec cette admirable légèreté de l’être qui tient plus de Gatsby que de Kundera. Faramineux shoot de shake. Il démarre son bal d’A avec un morceau titre signé Burt, mais ce n’est pas le meilleur Burt. Scott Walker choisit toujours les chansons difficiles. Il enchaîne avec Jimmy Webb et «All My Love’s Daughter», une compo ambitieuse qui ne marche pas non plus. Il tape dans les meilleurs auteurs et choisit toujours les cuts les moins accessibles. C’est une manie. Il faut le voir entrer dans ce joli balladif extraordinaire qu’est «Do I Love You» et dégager soudainement le ciel. L’homme est puissant, doué de souffle. Il s’élève bien au dessus de la pop et de tout le tintouin, secoué par de violentes tornades de violons. En B, il tente le «Ain’t No Sunshine» de Bill Whiters qui ne marche pas et dans «The Me I Never Know», il presse bien la poire de la discordance pour créer la sensation. Comme il aime bien Jimmy Webb, il tente le coup avec «If Ships Are Made To Sail» et termine avec «We Could Be Flying» bien embarqué au groove de jazz et au trumpet drive. C’est jazzé dans l’âme, on est dans Michel Colombier, ce diable de Scott a le bec fin.

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    Paru l’année suivante, We Had It All est un album country. Scott s’est acheté un jean et un âne. Le morceau titre est une compo de Donnie Fritts assez pure au plan mélodique. Scott s’y élève comme une libellule dans l’air parfumé d’une belle chanson d’été. Autre chose : Scott adore Billy Joe Shaver. Il reprend quatre de ses cuts sur cet album. C’est de la country pure et dure avec des histoires à la clé et du clinquant de pedal steel en veux-tu-en-voilà. Dire que des gens vont aller payer des fortunes pour cet album qui par con côté country devient atrocement banal. Trop country pour être honnête, dit-on. Au fond Scott Walker est un homme extrêmement austère. Il ne choisit jamais les chansons d’abord facile. Plus c’est âpre et plus ça l’intéresse. Alors évidemment, les fans s’ennuient un peu. Il adore les mélopifs paumés au coin des bois. Mais il finit toujours par soûler la compagnie. Il va même taper dans Gordon Lightfoot qu’on a jamais pu schmoquer. Scott tente d’imposer sa conception du beau avec cette reprise de «Sundown», mais c’est âpre. On s’éloigne de la rive.

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    Paru en 1984, Climate Of Hunter pourrait bien être l’un de ses meilleurs albums. Il nous plonge dans une certaine inquiétude dès «Rawhide», et parmi les tintements de cloches de brebis, voilà ce mec qui s’abat sur nous comme la peste sur l’Europe, il chante vraiment comme un fléau de Dieu, ce fléau qu’on appelle de tous ses vœux pour qu’il nettoie une fois encore la terre de la misère humaine, comme au temps du déluge. Oui, Scott Walker chante comme s’il allait nettoyer la terre, c’est-à-dire comme un dieu. Il nage ensuite jusqu’à la rive. Il reste très hautain avec «Dealer». Il plante un décor qui relève à la fois du palais d’un empereur et d’une casemate de va-nu-pied. Il est vrai que les empereurs de Nubie ne possédaient rien, hormis leur voix. Des flûtes font mal aux oreilles. Ce sont bien sûr des flûtes de perdition. Plus loin, il chante son Track 5 («It’s A Starving») à la suspension de la mort. Puis il accepte le Say it got late du Track 6 avec l’affabilité d’un seigneur vampire. Il fait du rock volant de Carpathes. Il n’en finit plus de renouer avec ce style échevelé et grandiloquent qu’il affectionne depuis des siècles.

    Son goût pour le jazz et les arts en général va le conduire tout naturellement vers la musique expérimentale, et plus précisément vers la musique concrète de Pierre Schaeffer, échappant ainsi à toutes les lois de la physique et à tous les genres. S’ensuit une série d’albums très spéciaux, qui ne sont en tous les cas pas destinés au grand public et encore moins aux amateurs de pop. C’est du Scott Walker, âpre, déroutant et indiciblement fascinant.

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    Paru en 1995, Tilt est le premier épisode d’une trilogie expérimentale dans laquelle on s’enfonce comme on s’enfonce dans une forêt inexplorée. Ambiance très grégorienne. Le son s’étend à l’infini. Il déclame son art moderne au mépris de toutes les conventions, surtout celles de Genève. Et comme tous les chanteurs de son niveau, il fait de sa voix un instrument. L’impression de découvrir un monde nouveau se précise au fil des cuts, clickely click/ Clickely clic. Premier émoi garanti avec «Bouncer See Bouncer», un exercice de style avant-gardiste qui dure huit minutes. Scott y évoque le powder (la poudre) sur la trompette de Gabriel - Don’t play that song for me - ça sonne exactement comme un acid trip, on a tous halluciné sur des images de la Vierge - All the powder on a Magdelene Mary - Et on entend battre un cœur. Il termine en apothéose walkerienne avec un Mama danced four feet away, c’est battu au beat des galères - Gotta dance four feet away - Retour au frisson avec «Bolivia 95» - Opiate me with that/ Key doctor babaloo - Il syncope son heavy doom serti de clochettes de brebis - Lemon bloody cola - Il passe en mode transe - Gonna sponge you down - C’est une chanson éminemment politique, bien sûr - Save the crops and the bodies - Et il retombe dans la transe du lemon bloody cola. C’est assez fascinant, on donnerait son royaume non pas pour un cheval mais pour cet opiate me just with that babaloo et ses clochettes de brebis. Scott Walker est aussi capable de power surge comme le montre «Patriot». Le mur du son s’écroule et Scott nous révèle son monde. Accompagné par un orchestre philharmonique, il s’élance de plus belle - As-in-the tacks/ As in the wrists - C’est très spectaculaire. Il faut pouvoir suivre ce déroulement avant-gardiste si on veut comprendre quelque chose au génie visionnaire de Scott Walker. Il termine avec le morceau titre, monté sur une carcasse de pop song mais il vrille un brin ses syllabes, they’ll turn the buffalo. Il est vif comme l’éclair - Get out of the way/ They’ll turn the buffalo - C’est presque du heavy rock. Le guitariste s’appelle David Rhodes et c’est un bon.

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    Deuxième volet avec The Drift paru en 2006. C’est encore un disk accompagné d’un petit livre contenant les textes. Il attaque avec l’extraordinaire «Cossack Are» qui est en fait une chevauchée fantastique - With an arm across the torso/ Face on the nails - Il décrit musicalement la charge des Cosaques, c’est d’une grande violence - Cossacks are charging in - Il raconte ensuite l’histoire de Clara, la compagne de Mussolini qui demanda à être exécutée en même temps que son amant. Scott Walker nous fait un film avec chaque chanson. Il soigne ses moments d’intensité dramatique. Et ça continue avec «Jesse», qui est en fait l’histoire du jumeau d’Elvis mort à la naissance, alors Scott imagine Elvis under Memphis moonlight - Jesse are you listening ? - Plus loin, il demande ce que Seoul et Sudan ont en commun. Both start with a S. C’est un prétexte à musique. On sent Scott partir à la dérive avec «Hand Me Ups» : il sent le clou lui traverser le pied, puis un autre lui traverser la main - Rub a dub God/ Beat the band/ I tried/ I tried - Il conduit ses chansons comme des orchestres. Il nous plonge chaque fois dans un expressionnisme radicalement différent, il travaille son «Psoriatic» dans la matière du sommeil d’un dieu. Sa respiration rythme le cut. Il termine cet album fascinant avec «A Lover Loves», qu’il joue sur deux notes et fait pstt pstt comme s’il sifflait des fantômes - And everything within reach - Pstt ! Pstt !

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    Dernier volet de la trilogie des disk-books avec And Who Shall Go To The Bail ? On y trouve quatre longs morceaux élégiaques et encore plus déroutants que ceux des volets précédents. Il est dit que cet album ne sera jamais réédité. Il vaut peut-être mieux, en effet. C’est du son. Vous qui cherchez de la pop, passez votre chemin. On est avec cet album chez Kantor et chez les inventeurs de voies nouvelles. Scott Walker expérimente à gogo. Pas de chant, ni sur le «Part 1» ni sur le «Part 2». Scott semble se contenter de créer du son qui crée de l’image. Avec le «Part 4», on se croirait chez Pierre Boulez. La modernité rôde au coin du bois. Ce diable de Scott Walker déconstruit le déconstructivisme à coups de poêle. C’est d’une grande puissance inconvenante. Comme s’il s’amusait à chasser les miasmes. Admirable Rebel Rouser. Son monde est sans doute un monde dans lequel il faut avoir les moyens d’entrer. Sans clés, c’est bien sûr impossible.

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    Nouveau disk-book conceptuel avec Bish Bosch en 2012. Scott peint Bish Bosch sur une grande toile et attaque avec un «See You Don’t Bump His Head» battu à la dure aux tambours du Bronx en caoutchouc dur - While plucking feathers/ From a swan son - C’est son leitmotiv. Il chante sur le beat alors que soufflent des vents mauvais, horizon to horizon. On est là dans quelque chose de très littéraire, à la Michaux. Scott chante son «Coups de Blah» dans les corridors glacés de sa folie. Il erre - Macaronic mahout in the mascon - Débrouille-toi avec ça. Il s’enfonce dans un délire d’ultra-sons et de DA DA DA un brin dada. Il adore déclencher des hostilités bibliques. Il démarre son «Phrasing» en bon préraphaélite avec un pain is not alone chanté à l’octave de l’ange Gabriel, celui de Burne-Jones, bien sûr. Il chante comme un stentor à l’agonie qui supplie Dieu de l’achever. Et puis avec «SDSS1416+13B», il passe à Fellini et la fait la BO de l’Antiquité. C’est d’une violence évocatrice assez rare. On est dans Satyricon, inutile de tergiverser. Une fois de plus, Scott Walker organise son album comme une série de saynètes, il vient d’Hollywood, ne l’oublions pas. Il monte son «Dimple» au structuralisme expressionniste. Il met en scène sa poésie destructurée - Jacharoo in the stew - et termine avec un truc appelé «The Day The Conducator Died». Pour les ceusses qui ne s’en souviendraient pas, le conducator était Ceaucescu.

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    Attention à cet album intitulé Soused. C’est en fait le dernier album de Scott Walker. Il est accompagné par les metallers de Sun O))). On ne peut pas imaginer mariage plus satanique. Scott Walker démarre avec un «Brando» plongé dans la désolation. Encore une fois, ce n’est pas accessible à n’importe qui. Des gens vont trouver ça bien, d’autres non. La vie est ainsi faite. Scott Walker met sa voix au service au grand néant interstellaire et ça donne un joli coup de drone de doom. Le pire est que cet album nous avale. Avec «Bull», la fière équipe repart pour 9 minutes de drone dans la pampa. Il est évident qu’ils explorent des contrées de l’inconscient satanique. Ça sonne comme une messe noire du Chanoine Docre, avec des voix issues des ténèbres. Scott Walker se pointe dans ce drone de chapelle mal famée. Quelle évolution, depuis Brel et Michel Legrand ! De toute évidence, ce son intoxique. C’est sa vocation. Scott semble crucifié sur l’autel des noires considérations, il chante à l’implorée dans cette ambiance digne de Eyes Wide Shut, le dernier film de Stanley Kubrick. Sacré Scott Engel, le voilà barré dans les turpitudes qu’illustre si bien la scène de la naissance du fils du diable dans Rosemary’s Baby. Cet album nous plonge dans des ambiances à la fois hautaines, gothiques et dramatiques. Ces gens-là ne rigolent pas avec la marchandise. Scott Walker semble trouver un exutoire dans cette ambiance, il explose tous les mysticismes, tous les gadgets de la weird exotica. Avec «Fetish», le satanisme se précise et l’album fascine outrancièrement - The body including the face. On a bed in the dark - C’est du satanisme fellinien claironné dans la folie - There is nothing else - C’est donc une illusion. Scott boucle définitivement sa boucle avec «Lullaby» et annonce que son assistant va passer parmi vous avec sa casquette. Il chante en suspension au dessus du néant abyssal, sa voix résonne à l’infini - Hey non-e/ Non-e - Scott fait littéralement la bande son du Là-bas de Huysmans, il fait monter la pression, lullaby la la. Il n’y a que lui qui puisse faire ça.

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    Petit conseil d’ami : évitez soigneusement son dernier album paru en 2016, The Childhood Of A Leader. C’est la bande originale d’un film et il ne chante pas. Boring.

    Signé : Cazengler, water browser

    Scott Walker. Disparu le 22 mars 2019

    Walker Brothers. Take It Easy With The Walker Brothers. Philips 1965

    Walker Brothers. Portrait. Philips 1966

    Walker Brothers. Images. Philips 1967

    Walker Brothers. No Regrets. GTO 1975

    Walker Brothers. Lines. GTO 1976

    Walker Brothers. Nite Flights. GTO 1978

    Scott Walker. Scott. Philips 1967

    Scott Walker. Scott 2. Philips 1968

    Scott Walker. Scott 3. Philips 1969

    Scott Walker. Scott 4. Philips 1969

    Scott Walker. Til The Band Comes In. Philips 1970

    Scott Walker. The Moviegoer. Philips 1972

    Scott Walker. Stretch. CBS 1973

    Scott Walker. Any Day Now. Philips 1973

    Scott Walker. We Had It All. CBS 1974

    Scott Walker. Climate Of Hunter. Virgin 1984

    Scott Walker. Tilt. Fontana 1995

    Scott Walker. The Drift. 4AD 2006

    Scott Walker. And Who Shall Go To The Bail ? 4AD 2007

    Scott Walker. Bish Bosch. 4AD 2012

    Scott Walker. Soused. 4AD 2014

    Scott Walker. The Childhood Of A Leader. 4AD 2016

    John and Gary Walker. The Walker Brothers. No Regrets. John Black Publishing 2009

    DICK'N'ROLL !

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    C'est le mal aimé du rock'n'roll français. Le Poulidor de la troisième position. Et encore souvent on le place derrière Ronnie Bird. Faut dire que les deux grands frères, Mitchell et Hallyday, depuis le jour qu'il s'est cassé avec la caisse, lors d'un spectacle à trois, font tout pour ne jamais le citer. Tu peux marcher sur mes pompes de daim bleu, mais ne touche pas au fric !

    Et puis Dickie c'est l'empêcheur de rocker en rond. S'est radiné du fond de sa province natale pour jouer les trouble-fêtes dans un mini-périmètre qui englobait le berceau du rock français : au sud pas plus bas que Créteil, au nord pas plus haut que l'Eglise de la Sainte-Trinité, à l'ouest pas plus loin que le Golf-drouot. Y avait tout juste de la place pour deux, alors le troisième larron il était un peu de trop.

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    Et teigneux avec ça. Une voix de velours et un sale caractère. Déjà rien que dans son groupe, il griffait un max. S'en est plus vite dégagé qu'Eddy de ses vieilles chaussettes, sans compter que sur scène avec ses Chats Sauvages, il se la pétait grave, capable de faire le répertoire en langue anglaise, comme un grand. Un fils de petit-bourgeois avec de l'instruction diront les mauvaises langues. Plutôt un gamin fou d'Elvis qui faisait tout ce qu'il pouvait pour donner l'illusion d'être comme lui.

    Bon, arrêtons les pleurs. C'est quand même lui qui – dans la série j'aime que l'on me haïsse - vient de déclarer : «  Je ne suis pas riche mais je paye l'impôt sur les grands fortunes ». L'a tout de même tiré son épingle du jeu le grand garçon ! Doit être plus futé qu'il n'y paraît. Je ne suis pas là pour vous parler du dernier Rivers – bonnes critiques un peu partout – ni du premier, genre virée dans la folie des early sixties où tout le monde était beau et gentil. Non je veux simplement revenir sur des années cruciales pour le rock français, celles du tout début des seventies.

    AVANT 70

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    Commençait à patiner dans la choucroute l'ami Dick, après mai 68. L'avait bu à toutes les sources les années précédentes. Couleurs un peu de folk à la Donovan, Qui se cache, du sitar à la George Harrisson, du proto heavy-rock avec C'est ça la vie emprunté aux Animals, et du pompier pompéïen avec Les Portes de la Nuit, avec attention George Martin le preneur de son des Beatles in person à la console. S'était même très bien tiré de sa session cuivrée au Muscle Schoals Studio que lui avait refilée Mitchell qui revenait d'enregistrer Alice et six autres petits frères qui feront le succès de son 33 De Londres à Memphis.

    L'avait eu un déclic salvateur en mai 68. L'avait mis en boîte une version de Summertime Blues d'Eddie Cochran, un peu sauvage, un peu déjantée, brouillonne mais qui avait du punch, assez proche dans l'esprit de celle des Blue Cheer. Elle passa de rares fois sur Europe 1, et ne fut disponible l'année suivante que pour les encartés de l'officiel Fan Club Dick Rivers, la fameuse Rivers Connection. Un coup d'épée dans l'eau ?

    C'est qu'à l'époque Rivers cherchait un peu la quadrature du rock, un truc rythmé avec des violons, un accompagnement symphonique avec des cuivres qui rockent. Une espèce de rythm'n'blues qui fasse musique de chambre et opéra wagnérien. Un monstre introuvable, mais l'époque était farcie d'électricité qui pétouillait dans tous les sens. La moindre idée devenait un double-album, tout était permis puisque rien n'était interdit.

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    Le pire c'est qu'à force de tourner autour du pot en l'an de grâce 1969, Dick Rivers va accoucher du chef d'oeuvre. L'en a vendu quinze mille exemplaires en quarante ans de L'? ! Ca vous interroge ? Normal, c'est un trente-trois tours intitulé L'Interrogation. La pochette ressemble à une pissenlit mauve que l'on vous suggèrerait d'effeuiller. Un peu, beaucoup, n'allez pas jusqu'au bout, vous n'aimerez pas du tout.

    Un truc innommable. Un concept-album, une comédie musicale, un pot-pourri de rythmes divers, de la samba à Pierre Henry, cent pour cent variétoche, mais boursoufflée à en crever. L'histoire de monsieur tout le monde qui se demande pourquoi il vit puisqu'il finira comme tout le monde par crever. D'ailleurs sans surprise il meurt sur le dernier morceau qui nous refait le Crépuscule des Dieux de Wagner en moins bien, mais avec quatre-vingt musiciens qui déchirent. Entre les morceaux vous entendez la voix funèbre de Gérard Manset qui joue le Monsieur Loyal du Destin.

    En son style unique c'est insurpassable. Et je ne crois pas que dans les deux siècles futurs qui se profilent à l'horizon temporel quelqu'un osera se lancer dans la compétition. Les jours où l'envie de vous tirer une balle dans le caisson rôde d'un peu trop près autour de votre cervelle, je vous en conjure ne l'écoutez pas, même si vous pensez qu'après, plus jamais une question angoissante ne viendra vous inquiéter.

    C'est tout ce que vous voulez, mais ce n'est pas du rock. Deux ans après, en mai 71 Dick nous refile, la queue entre les jambes, un lot de consolation. Pas très fameux. Rien que le titre phare Bye by Lili avec son pseudo-arrangement Paris-Accordéon vous colle des boutons en trente-sept secondes. Pauvre Dick, le soldat perdu du rock'n'roll.

    DICK'N'ROLL

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    Ce qu'il y a de bien, c'est que le soldat Rivers va se sauver tout seul. Comme un grand. Sans crier gare. Tout seul, pas vraiment. Avec Labyrinthe. Pour le grand public un de ces nouveaux groupes des années 70 qui ont les dents longues et qui font de la pop-music. Par quel miracle vont-ils se retrouver avec Dick Rivers sur le Dick'n'Roll ? C'est que Labyrinthe ne sort pas du néant. A l'origine dans les années 60 nous avons Jean-Pierre et les Rebelles, puis les Rebelles et au gré de multiples ramifications et scissions et ajouts divers nous passons par les Tarés qui accompagnèrent Ronnie Bird, puis les Problèmes qui furent derrière Antoine et qui devinrent les Charlots. Une grande bouffonnade qui aurait pu se terminer tristement si de tout ce magma n'était sorti Labyrinthe.

    Le milieu rock français est minuscule : les mêmes noms se retrouvent partout. L'on se repasse les bons plans et l'on se refile les bonnes adresses. C'est Madame Andrée David-Boyers, la future belle-mère de Dick Rivers qui logera dans sa villa les Rebelles. N'est pas que la belle-maman de Dickie, l'est aussi la principale réalisatrice – plus de cinq cents tournages à son actif – des films Scopitone. C'est chez elle que seront filmées les plus belles images de Vince Taylor. Les Chaussettes noires aussi.

    Dans notre mini-hexagone l'on se soucie peu de nos cousins canadiens. Dick a remporté ses plus beaux succès en ces lointains arpents de neige. Il y emmènera les musiciens de Labyrinthe en tournée. Bernard Photzer à la guitare, Donald Rieubon à la batterie, Raymond Bureau à la basse, Claude Arini aux claviers, Rivers au chant. Le succès est au rendez-vous chaque soir. Revenu en France le même phénomène se reproduit. C'est un véritable groupe soudé qui carbure à fond et qui fait la différence. Une évidence s'impose, pour corriger les errements sirupeux de sa récente discographie, un retour au rock s'impose.

    C'est ici que le génie de Rivers nous surprend. Il aurait pu se lancer dans n'importe quelle aventure. La pop-musique lui tendait les bras. Le public lui aurait tout pardonné. Pourvu que ça pulse et que ça déménage. Les oreilles sont grandes ouvertes et prêtes à recevoir le nouveau rock'n'roll. Mais non, ce sera le retour à la case départ. Quinze vieux rock comme on n'en fait plus. On ressort les partoches de Buddy Holly et de Little Richard. Ce que Mitchell avait réalisé après s'être débarrassé des Chaussettes, Rivers va-t-il nous le refaire dix ans après avoir lâché les Chats ?

    En plus, il prend tous les risques, Eddy in London sonne tout de même mieux que Dick à Toulouse. Car Rivers emmène son monde dans la capitale du cassoulet. L'on sent le roussi, les heures de studio sont moins chères en province, un disque enregistré à la va-vite, à l'économie. Stupeur dans les bacs à galettes. Dès le mois de septembre Dick'n'Roll est disponible chez les disquaires.

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    Question pochette, rien à redire. Salement rock'n'roll. Même Mondino qui par la suite habillera souvent les 33 de Rivers ne la surpassera. J'avoue avoir tiqué en étudiant le dos. Un bon point pour la Harley, un peu convenue tout de même, une tracklist cent pour cent rock'n'roll, mais Labyrinthe reste le gros point d'interrogation. Sont bien les mêmes qui ont commis une reprise de Jacques Brel ? Attention danger !

    A première vue tout est correct. La plupart des morceaux ne dépassent pas les deux minutes. L'on pressent le un, deux, trois partez boogie à fond, quatre, c'est terminé. Du vite-fait bien fait. Sans fioritures ni chiures de mouches. Le chanteur devant et le combo qui donne la chasse par derrière. Du classique. Pour un peu on ne l'écouterait pas. On l'a déjà entendu dans la tête, ce n'est pas la peine de perdre du temps. Le rock'n'roll est une musique platonicienne, vous pouvez atteindre à son étincelante beauté rien qu'en imaginant l'épure du morceau avec votre intellect.

    En fait ça, ce sont les théories que je sors pour impressionner ma copine qui prend des cours de piano au conservatoire mais qui n'avait jamais entendu parler de Jerry Lee Lewis. C'est son prof qui a été surpris quand elle le lui a fait écouter : «  C'est un très bon pianiste ! » a-t-il déclaré. Mais on le savait déjà.

    Bref à peine chez moi, me suis précipité sur le pick up pour juger de la bête. Aujourd'hui, l'on comprend mieux. Enfin si vous arrivez à l'écouter in extenso, car ce n'est pas le disque de Rivers le mieux mis en avant sur le Net. C'est surtout un disque que l'on a passé à la trappe de l'Histoire du Rock'n'roll français. Que voulez-vous ce n'est que du rock'n'roll !

    C'est beaucoup plus que cela. Rien de plus que le chaînon manquant entre le rock des pionniers et les Stray Cats. Je n'ai ni nommé les Cramps ni les Flamin'Groovies. Exactement ce que Lennon aura été incapable de faire sur son Rock'n'roll qui n'est qu'une copie conforme sans âme et sans originalité des disques originaux. Malgré l'imagerie du Star-Cluberienne l'ensemble pue la contrefaçon et le faussaire sans génie.

    Tout le contraire du Dick'n'Roll. Tous les morceaux sont revisités et réinterprétés. Les frères Jacques et Pierre Ploquin jouent des cuivres. Pas question d'une section à la Stax, l'on privilégiera les aboiements de meutes et les trompettes de jugement dernier. Pas d'instrumentation, mais un son. Mirifique et pourrave. Vous pouvez ne pas être d'accord. Mais chaque piste est un coup de poing sur la gueule. Une pêche terrible. L'esprit du rock'n'roll est là. Avec en plus le bruit et la fureur. La voix est trafiquée, la réverb est utilisée à contre-emploi, non pour acérer le son et le rendre coupant et rebondissant, ici au contraire elle l'écrase et le fragmente en mille chuintements. Même Led Zeppe sur ses bootlegs n'a su faire preuve d'autant d'imagination lorsqu'ils se lancent dans un meddley de reprises de Cochran ou de Presley.

    Le problème c'est que le Dirigeable ne fait que des reprises. Plus tard Rivers nous donnera tout un disque de reprises de Buddy Holly et même qu'il l'adaptera par la suite en langue française. Mais avec Dick'n'Roll, nous sommes hors du champ hommagial. C'est plutôt du dynamitage. Le but n'est pas de reprendre mais de métamorphoser. Jamais le vieux rock n'aura alors sonné comme cela. Même le Summertime blues des Blue Cheer – voyez comme nous retombons sur nos pieds – malgré sa démesure sonique n'est parvenu à un tel point de désintégration phonique.

    THE ROCK MACHINE

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    L'année suivante en avril 1972, Rivers nous livre le tome 2. La donne a quelque peu changé. Dick'n'Roll s'est écoulé à plus de soixante dix mille exemplaires. Bashung a rejoint l'équipe. Restera des années avec Rivers à apprendre les finesses du métier. Donnera un superbe morceau de sa propre plume, le titre ronfle comme un tube des années rock, Hold on qui emporte la mise et propulse l'ambiance très haut. Malgré cela ce deuxième volume est légèrement inférieur au Dick'n'Roll. L'album est bâti sur le même principe. Il n'en est que plus étoffé et quelque part plus sage.

    Vous pouvez préférer ce dernier et même vous abandonner aux volutes du Dick Rockin' along... The Rivers, mais Dick a changé le fusil d'épaule. Pente country, de la belle ouvrage, en anglais, Bashung aux manettes, mais je préfère chouchouter les trois quarante-cinq tours suivants aux pochettes superbement dessinées par David Rochline. Trois des plus originales covers de simples français.

    Du cousu main. Des textes mijotés à la virgule près par Bashung, Koolen et Mya Symille, nostalgie rock et revival à tout berzingue. Avec les deux trente-trois précédents, ils ont dû salement impressionner deux de nos héros qui moulinent depuis quelques temps sur braquet de pédalos asthmatiques. En 1974 Eddy s'envole pour les USA et revient avec son Rocking in Nashville. Comme l'on ne prête qu'aux riches les journalistes s'extasieront sur ce rocker qui le premier de sa génération est retourné au rock. Si j'avais été Dick je l'aurais encore mauvaise. En 1975 c'est autour de Johnny de pousser ses petits couplets sur Rock à Memphis.

    Sans compter dès 1972, le dernier retour de Vince Taylor, sur le devant de la scène. Bientôt suivis de Bill Haley, Fats Domino, Little Richard, Chuck Berry et jusqu'à Jerry Lee Lewis, le gentleman sudiste, à la Fête de l'Humanité en septembre 1972.

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    En attendant repassez-vous et caressez Marilou et Sherry dans le sens du poil pubien et surtout goûtez la guitare électrique de Jean-Pierre Alarcen sur Rock'n'roll Star. Un de nos rares guitar-héros qui se perdra dans les méandres du prog et du jazz rock. L'emmènera avec lui Rieubon et Arini du Labyrinthe. Mais un inconditionnel à sa manière. Un pur qui préfèrera sa musique à l'argent facile. Et que l'on a fini par oublier alors qu'il est un de nos musicos les plus talentueux.

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    Vous raconterai une autre fois la suite des aventures de Monsieur Rivers comme s'amusait à l'appeler Gérard Klein un des rares animateurs de France-Inter – viré après 68 - qui ait tenté de le programmer un peu systématiquement. Je vous laisse sur le single Brother Jack + There ain't no blues sky qui accompagnait la sortie de The Rock Machine. Retenez toutefois l'essentiel, le rock français remis sur orbite grâce à l'irremplaçable legs des pionniers. Ce n'est pas un hasard si les Stray Cats ont trouvé la gloire en France. Dick'n'Roll avait préparé les oreilles.

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    C'était dans la série : les très riches heures du rock'n'roll français : Dick Rivers !

    Damie Chad.

    In KR'TNT ! 79 du 05 / 01 / 2012.

    Disparu le 24 avril 2019.

     

    DICK RIVERS / MISTER D

    ENTRETIENS AVEC SAM BERNETT

    Editions Florent Massot / 190 pp / Octobre 2011

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    Deux fois Dick Rivers, pratiquement coup sur coup, ça risque de râler dans les chaumières. L'on avait prévu de commencer l'année avec Deke Rivers, une des appellations incontrôlées du King, mais au moment de livrer le bébé s'avère qu'il faut pratiquer une césarienne mémorielle non prévue au programme de notre ordi. Avec un peu de chance vous aurez Elvis la semaine prochaine.

    Mais en attendant ce sera Dick. Mais vu de l'intérieur. Non plus le regard du fan éploré mais la vision du maestro sur sa propre personne. S'est amusé à un drôle de jeu, celui de la vérité. S'y sont mis à deux, chacun pourra ainsi dire que c'est l'autre qui a menti. C'est Bernett qui joue l'Oncle Sam de la soirée, celui à qui l'on peut tout dire puisqu'avec lui l'on est sûr que tout sera répété.

    Pour ceux qui auraient encore la tête prise par les nocives vapeurs des deux derniers réveillons, nous rappelons que Sam Bernett n'a pas l'habitude de garder sa langue dans sa poche et Jim Morrison dans sa baignoire. Sa dernière biographie du Roi Lézard, qui fit quelque bruit, nous donne une version de sa mort un peu moins coulante que le bain matinal qui l'aurait emporté... En tant que patron du Rock'n'Roll Circus, Sam était pour ainsi dire aux premières loges.

    Mais ici, tout est calme, luxe et volupté, bons cigares et mugs de thé à gogo, en tête à tête avec Dick Rivers dans l'appartement parisien de notre rocker national. Bernett reste discret, il sait relancer la conversation avec une innocente perfidie mais il n'abuse pas de sa situation de psychologue. Remarquez, avec un patient comme Dick Rivers c'est du tout cuit. Pas du tout cuir. Ceux qui pensent trouver des révélations fracassantes et inédites sur la carrière de leur chanteur préféré risquent d'être déçus.

    Totalement schizo, le Dick, séparation nette entre Dick Rivers et Hervé Fornéri. Et c'est Hervé qui parle de Dick. Pas le contraire. L'homme avant le chanteur. L'individu avant le rocker. Sacré courage, parfois il vaut mieux continuer à ressembler à ce que l'on n'est pas, qu'être ce que les autres n'aimeront pas forcément que l'on soit. Je ne voudrais pas vous faire un dessin, mais vous-mêmes hypocrites lecteurs, si nous regardions d'un peu plus près les troubles motivations qui vous poussent à lire cette chronique, ne risquerais-je pas d'être fort chagriné ?

    LAMENTO

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    Envoie la moutarde extra-forte dès les premières lignes notre rocker. Ce sera le leitmotiv principal, celui qui reviendra systématiquement en contre-point à toutes les lignes mélodiques qui égaient le récit. En a plus que marre d'être le numéro trois du tiercé gagnant. Johnny et Eddy tout devant, et lui tout derrière. L'infamante troisième place. Le mari trompé de la renommée. Le cocu de la gloire. Ce n'est pas qu'il leur dénie la première et la deuxième place, c'est le trop grand écart entre les deux premières et la troisième qui le gêne. Sur le podium, mais il arrive après la limite du temps réglementaire. L'on ne pense pas à lui, l'on s'en souvient en dernier ressort, à posteriori.

    Ne le mérite pas. A souvent fait avant les autres, et la reconnaissance du public n'est jamais venue. L'on ne prête qu'aux riches, et le mérite est allé à ceux qui sont arrivés juste à point pour récolter ce qu'il avait semé. Plus encore le vexe l'indifférence du métier. L'on sait tout ce que l'on lui doit mais l'on renvoie rarement l'ascenseur. L'a mis le pied à l'étrier à plus d'un, qui se sont dépêchés de l'oublier. Ne se gêne pas pour régler les comptes et donner les noms, Dick. Un exemple parmi tant d'autres, Gérard Jourd'hui en prend plein les dents. Mais je vous laisse vous régaler de tous les autres.

    Va pas se faire que des amis ! L'on n'est pas prêt de l'entendre sur les radios avec les accusations qu'il porte sur la conjuration du silence des programmateurs à son encontre. En plus, il n'a pas tort. En deux mois pas entendu une seule fois un extrait de son dernier disque sur les ondes. Je ne parle pas de programmation régulière mais du simple droit à l'information du public.

    Faut dire que le gazier doit être sacrément pénible. Toujours pendu au téléphone à se rappeler à votre bon souvenir. A du mal à comprendre que les temps ont changé, qu'il n'est plus le roi des années soixante mais selon les jeunes générations, qui n'ont pas été biberonnés au son des Chats Sauvages, un misérable hasbeen qui s'entête à vouloir survivre dans un monde qui n'a plus besoin de lui. Peut se faire noircir les cheveux par Babette sa femme chérie, les jeunes filles d'aujourd'hui ne sont pas enclines – et qui le leur reprocherait sinon le principal intéressé - à mordre dans sa banane. Encore moins à acheter ses disques. Qui se téléchargent gratuitement sur le net.

    Ce qui le met en joie notre rocker. Ne pleure pas sur les royalties qui ne tombent plus dans les poches des majors. Se pourlèche les babines à l'idée de leur ruine future. Même s'il doit être lui aussi emporté dans la débâcle.

    HERVE FORNERI

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    Inutile de sortir votre mouchoir et de casser votre tirelire pour venir en aide au pauvre nécessiteux. L'a pas mis tous ses lingots dans le même bateau. N'a pas touché à l'héritage du papa. Couplet larmoyant sur le jeune boucher qui s'est fait tout seul. Qui a bossé toute sa vie à charrier des carcasses de boeufs à s'en faire péter les vertèbres. Quand on connaît les couilles en or que se sont fait les petits commerçants dans les années cinquante et soixante l'on commence à entrevoir la fin de l'histoire.

    Et que j'achète un petit appartement avec les premiers bénéfices de la boucherie, et un second avec le loyer des locataires, et un troisième avec... j'arrête la chanson. Vous imaginez la suite. Dick Rivers avoue candidement qu'aujourd'hui il payse l'impôt sur les grosses fortunes. Sans être riche précise-t-il pour nous rassurer. Se contente de faire fructifier le pactole de son papa. Quand on connaît le prix du mètre carré à Nice, l'on relativise... Pas lui. S'inquiète de tous ces travailleurs – il comprend leurs difficultés et n'échangerait pour rien au monde leur vie avec la sienne – qui se sont battus pour leur retraite. Mais faut savoir faire des sacrifices. Ne pas se laisser aller à la facilité. La vie est pleine d'injustices, quant on pense à ces malheureux riches soumis à la vindicte de l'ISF, une véritable prévarication communiste, qui paient sans rien dire, il faudrait tout de même que les pauvres suivent le bon exemple. D'autant plus comique que vingt pages plus loin, il se plaint des papiers d'assedic qui n'ont pas été signés par ses tourneurs, ce qui le gêne pour toucher... sa retraite !

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    Que chacun reste à sa place et les bonnes fortunes seront bien gardées. Dick le rebelle mais Hervé l'homme d'ordre. Les esprits chagrins diront que ce n'est pas une attitude très rock'n'roll. N'auront pas tort. Ni raison. Les grands rockers ne furent jamais de grands révolutionnaires. Musique populaire certes. Mais le peuple a souvent les idées à droite. Sans quoi ce ne serait plus le peuple, exploitable à merci. Terrible contradiction entre ce qui se passe dans la tête et ce qui se réalise dans les faits. Le rock porte les rêves, il en exprime l'incoercible désir mais est incapable de les traduire dans la réalité sociale. Alors que c'est cette même réalité sociale qui a induit la nécessité culturelle de la révolte.

    Rivers est en froid avec le show-biz. Mais Fornéri cautionne le même système économique qui lui rapporte des royalties immobilières. On ne peut pas toujours gagner sur les deux tableaux. Vie publique et vie ( si justement nommée ) privée. Parfois les deux se rejoignent, aucun de ses disques ne lui a rapporté autant d'argent que sa publicité sur les piles Wonder. C'est ce qui s'appelle jeter une lumière trouble !

    PETIT ELVIS

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    Il y a des similitudes entre Elvis et Dick. Les rejetons préférés de leur maman. La mama italienne dans toute sa splendeur, à se couper en quatre pour son enfançon Dickie. Catho comme une rital, mais prête à se damner pour son fils. Lui passera tous les pêchés, les capitaux et les capiteux. Le fiston chéri, leçon de morale à toutes les marches de l'escalier, même si c'est celui qui mène à l'enfer du rock'n'roll. Ne travaille pas à l'école, Maman cache le carnet de notes, sèche les cours, Maman rédige les mots d'excuse, veut se saper comme les voyous, Maman remue tout Nice pour trouver la paire de jeans idoine.

    Quant au père, il ne dit rien. N'a pas intérêt à moufter, admettra sans problème que le fiston monte à Paris avec son groupe de rock. Signera même sans s'en vanter les chèques pour le loyer. Faudrait ici l'intervention d'un psychanalyste : c'est grâce à la mère qu'Hervé Fornéri est devenu Dick Rivers, mais c'est du père qu'il parle tout le temps. Plus il vieillit, plus il veut lui ressembler. Admiration forcenée pour cet homme taciturne qui lui aura enseigné l'essentiel : quelle que soit la situation, il suffit de rester droit dans ses bottes, pour au moins donner l'illusion d'avancer.

    Pour la carrière elle-même vaut mieux se rabattre sur Rock'n'Roll récit de Dick Rivers ( avec la collaboration d'Allan Penniman et Mary Anderson ) paru chez Le Pré aux Clercs en 2006. C'est que contrairement à Elvis, Dick ne se fait plus guère d'illusion. Il n'espère plus vraiment un come back éblouissant. Bien sûr il rêve d'un ultime tube, un deux cents, un trois, un cinq cents mille exemplaires. Manière de partir en beauté. Mais au fond de lui-même, même s'il continue son rock'n'slow comme il l'aime l'affirmer, il n'y croit plus beaucoup. Quand on sait que Mitchell avec toute la pub et l'artillerie médiatique n'a vendu que vingt mille albums de son dernier disque...

    DICK RIVERS INTIME

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    Mister D a le blues. Essaie de le cacher, mais n'y parvient pas. Ne s'anime vraiment que lorsqu'il flash-backe sur le bon vieux temps, tabacs, alcools, cartes et parties fines. Table ouverte, bonne bouffe et bandes de copains à domicile. La belle vie. Des femmes comme s'il en pleuvait, des amis à la colle, la jeunesse qui flambe et qui file, jusqu'à se retrouver petit à petit seul, avec en guise de lot de consolation juste ce refus obstiné de s'enfermer dans la tour d'ivoire aux souvenirs.

    Son fils, ses trois compagnes, sa fille quasi-adoptive, que reste-t-il de tout cela ? Derrière l'orgueil du vécu l'on ressent comme une tristesse lamartinienne. Les rockers ne pleurent pas, mais l'existence ne fait pas de cadeau. S'est tissé un cocon douillet, le Dick, un peu coton tout de même. Le vieux matou s'ennuie. Ressasse ses échecs et ses déboires. Il est le mal-aimé ( cette fois-ci plus près de Claude François que d'Apollinaire ), regrette d'avoir abandonné la scène durant près de vingt ans au milieu des années soixante-dix. S'est coupé le bras droit lui-même. La perfusion d'adrénaline qui le reliait à son public. Tout le monde n'est pas Elvis à Graceland.

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    Le comprend mais ne l'enquille pas. N'y avait pas de place en France pour un troisième rocker. Ronnie Bird et Noël Deschamps en feront l'amère expérience. Milieu rock trop petit, et couverture médiatique inexistante. Ironie des choses, durant près de dix ans Dick Rivers survivra en étant animateur de radio, sur RTL et RMC. Deviendra le monsieur nostalgie de toute une génération. Ce qui s'appelle vivre sur ses acquis et même brûler ses navires. Allez balancer vos nouveautés lorsque vous vous êtes vous-même estampillé de facto le porte-drapeau des anciens combattants !

    Ne supporte pas Johnny. Très critique quant à son envergure people. Parle avec déférence d'Eddy, plus fidèle envers son propre personnage. Mais possède son atout-maître. Qu'il sort à bon escient. Le quatrième mousquetaire celui qui a éclipsé les trois autres dans le coeur de notre belle jeunesse. Le d'Artagnan du rock français, de la même génération que les trois autres, mais qui s'est révélé alors que leur étoile avait commencé à sérieusement pâlir. Bashung, pour ne pas le nommer.

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    Rivers parle de leur complicité. Des trois disques qu'ils ont enregistrés ensemble - et pas des moindres – évoque l'admiration que Bashung lui témoignait, l'appelait même le roi... Avoue même que plus tard Bashung a fait la carrière qu'il n'a pas su faire. Rock'n'roll, mais pas copie conforme. Décalé, du rythme oui, mais une autre manière de chanter les mots. N'a pas pu. Lui a sans doute manqué les bons conseils. Un impresario – oubliez ce mot galvaudé qui pue la frime et le fric – un entraîneur capable d'extraire le meilleur de son poulain. Déjà monté en graine, un étalon sans cavalier en quelque sorte.

    Dans sa biographie qu'il a consacrée à Bashung Marc Besse ne s'étend guère sur l'amitié qui lia nos deux rockers. Parle de la période toulousaine, confirme qu'avec Dick, Alain aura appris le métier, mais pour toute anecdote signale l'amour immodéré et exclusif de Rivers pour les hamburgers et les restaurants coréens qui finirent par gaver Bashung amateur de plats plus roboratifs... Le succès venu, Bashung ne semble pas avoir rappelé Dick, qui incrimine Chloé Mons qui montait une garde par trop vigilante et protectrice autour de son homme...

    MORE ROCK'N'ROLL !

    Mais il faut être franc, dans ce bouquin celui qui remporte la coupe de l'attitude rock'n'roll, c'est Hallyday. Juste deux ou trois lignes au détour d'une phrase, un soir de tournée, dans l'arrière-salle d'un resto provençal, Johnny et Nanette, totalement givrés, surpris en train de jouer à... la roulette russe. Il est vrai que Nanette Wokman c'était autre chose que Sylvie – la différence entre votre chat qui vient se frotter à vos jambes pour que vous lui ouvriez sa boîte de ron-ron et un tigre du Bengale mangeur d'hommes, rencontré en pleine jungle. Mille fois plus dangereuse. Une super chanteuse. Américaine. Choriste des Rolling Stones sur Let it Bleed et de John Lennon sur Power to the People, elle assura la première partie du Rock'n'roll Circus d'Hallyday... liaison torride entre les deux artistes, filtrera même la rumeur d'un mariage secret... une des histoires les plus hot du rock hexagonal.

    RIVERS BLUES

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    Plein d'autres surprises dans ce livre. Un homme se penche sur son passé, ne regrette pas grand-chose, si ce n'est d'être passé à côté de son propre rêve, qu'il avait entrevu plus grand et plus coloré. Dick Rivers dit ce qu'il pense. On peut lui faire confiance. A sa place, beaucoup auraient gommé les aspérités et proposé quelque chose qui corresponde mieux à l'image... Pas très cool dans l'ensemble. Donc plutôt rock. Pari gagné.

    Damie Chad.

    In KR'TNT ! 77 du 15 / 12 / 2011

     

    COMPLOTS A MEMPHIS.

    DICK RIVERS

    EDITION N° 1. 264 pp. 1989.

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    Le rock français doit à Dick Rivers quelques versions particulièrement teigneuses de standards superbement kaotisés. Je pense à un Summertime Blues de 1968 ou par exemple à un album comme Dick'n'roll. Liste non exhaustive.

    Depuis des années l'on attendait le livre du frère ennemi Schmoll, et comme souvent Dick dégaina en premier. A l'époque je n'avais pas osé le lire. Dick le chat et ses combos sauvages, tant que vous voulez. Dick le violoneux et ses cordes à briser tous les hôtels de la planète, j'encaisse encore. Mais Dick romancier, même avec Brice Couturier comme ingénieur du son, laissez-moi hésiter.

    Mea culpa. Par ma faute je me suis privé de dessert durant plus de six ans. Saint Hammett pardonnez-moi ! D'abord il y a cette joie d'écriture qui aligne cartons et cadavres avec un savoir-faire exquis. Ensuite notre héros, un privé américain qui pense plus vite que son ombre, qui court encore plus vite que Ran-Tan-Plan derrière les filles et les voitures en sifflotant des airs de jazz... Enfin il y a cette fin morale qui verra notre driver incomparable se convertir au rock'n'roll.

    Et puis bien sûr il y a l'intrigue qui colle au plus près de la mythologie de cette musique de dégénérés blancs et noirs sordidement emmêlés. En prime un très beau portrait de Bo Diddley en cinq lignes suivi d'une admirable eau-forte en cinquante pages de Chuck Berry. Ballade en eaux troubles, de la mort de James Dean à celle de John Kennedy, le tout sur fond de R'N'R et de KKK.

    Policier et politique, ce Complot à Memphis relève du roman à thèse. Notons que pour être un amateur inconditionnel de la musique et de l'époque de sa jeunesse Dick Rivers n'en a pas moins longuement réfléchi sur la signifiance historiale des sixties. It's not a rock'n'roll suicide, it's a rock'n'roll lucidity.

    ( Damie Chad. Septembre 95 )

    PS : deux pionniers peuvent en cacher un autre. La chronique n'y fait aucune illusion mais c'est bien Elvis Presley qui se trouve être la cible ultime de ce Complot à Memphis. Rassurez-vous, le roi du rock a plus d'un tour dans son sac. Pour la couronne, c'est une autre affaire... A lire absolument.

    In KR'TNT ! 29 du 02 / 12 / 2010

    CASH, L’AUTOBIOGRAPHIE

    JOHNNY CASH

    Avec Patrick Carr

    ( Le Castor Astral / Février 2006 )

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    Cash se raconte. Ne se justifie pas. Ne se disculpe pas non plus. Et l’on sait que pour un chrétien, faute avouée est à moitié pardonnée. Cash s’en moque. Assume tout. Le bon et le mauvais. De toutes les manières cela ne vous regarde pas. Ne sont que deux à être concernés. Cash et Dieu. Mais comme nous sommes de ceux qui préférons nous adresser à Cash qu’à Dieu, pour le moment nous ne nous intéresserons qu’à Cash. En plus il est notoirement connu que Dieu ne répond jamais aux questions du péquin de base. Ne fait signe qu’à ses saints et qu’à Johnny Cash, comme quoi il apprécie la bonne musique. Entre nous soit-dit Cash le traite cavalièrement, lui souhaite le bonjour quand il se réveille le matin, le remercie de la beauté du monde en enfilant ses pantoufles, et puis c’est fini. Se débrouille tout de même pour bâcler un Notre Père quand il y pense, mais il a tant de choses importantes qui l‘attendent…

    Ne sort pas de la cuisse de Jupiter le petit Johnny, mais d’une haute lignée, issue de la Reine Ada, sœur de Malcolm IV, descendant du roi Duff, premier souverain d’Ecosse, c’est par la suite que ça a dû péricliter, car Papa Cash sera tout heureux de bénéficier aux lendemains de la crise de 29, d’une parcelle de dix hectares de terre à défricher, d’un an d’avance sur recette, d’une maisonnette, d’une vache et d’une mule, plus une espèce de coopérative pseudo-proto-communiste chargée de vendre le coton que récolteront tous les bénéficiaires de ce coin d’Arkansas… La famille ne mourra pas de faim, mais le travail se révèlera très dur. Johnny aura cinq ans lorsque son père abattra son chien d’un coup de fusil, la pauvre bête mangeait les restes qui auraient mieux profiter au cochon… Avec ses six frères et sœurs Johnny ramasse sans fin le coton, seule consternante consolation, le sol privé d’engrais s’épuisera très vite… La roue dentée du destin et de la scierie où il était parti gagner trois dollars transperce le corps de Jack son frère qui en meurt. Traumatisme. La vie n’est pas gaie, à part quelques parties de pêche, la radio et les chants religieux que la mère transmet à ses enfants… Johnny grandit, il et l’on s’aperçoit qu’il a une belle voix, retient sans peine des centaines de morceaux glanés de ci de là et sur les ondes...

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    Cash se raconte selon ce que l’on pourrait appeler un désordre chronologique, l’on porte son passé avec soi, à tous moments les souvenirs affleurent et viennent cogner à la porte de la mémoire et du présent. Au fil des pages il égrène des portraits hauts en couleurs. Passons sur son premier mariage et ses années de service militaire en Allemagne. Elvis dont il dit le plus grand bien. Un gars d’une gentillesse extrême, infatigable. Ce dernier adjectif pèse lourd sous la plume de Johnny Cash. Elvis est une véritable pile électrique, déborde d’une énergie incommensurable. Le guy qui n’a pas besoin d’additif pour rester en pleine forme, concert après concert. The man no addiction. Ne boit pas d’alcool, ne se ballade pas les poches pleines de pilules pour écarter les coups de pompe. Se rattrapera par la suite, mais Johnny l’a amplement devancé. Cash est tombé dans le piège. L’avale les cachets multicolores par poignées, lui faudra dix années pour parvenir à juguler cette terrible dépendance, foire une prestation sur deux, se sépare de son épouse, ne maîtrise plus grand-chose… Et surtout ce sentiment qui le taraude, de s’éloigner de Dieu, alors que ce dernier n’a pas fait un pas sur le côté pour s’écarter de lui…

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    N’est pas le seul à se débattre tant de tels errements de conscience. Jerry Lee Lewis est pire que lui. Vient de se faire jeter de son école religieuse lorsque Johnny le rencontre dans les studios Sun. Un drôle de zozo, sûr de sa supériorité sur tous les autres, mais notre grand gentleman sudiste n’est pas très différent des bluesmen noirs qui sont sûrs d’avoir choisi la musique du Diable. Jerry Lou le répète à l’excès, seront tous maudits, sont en train de perdre la vie éternelle puisqu’ils jouent la musique satanique, et hop, après son sermon apocalyptique il enfile un boogie démentiel sur son clavier. C’est plus fort que lui, les voies du Seigneur sont impénétrables, il vous attire malgré vous vers le mal…

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    Cash n’est pas aussi admiratif envers Sam Phillips. Lui reconnaît mille qualités. Sans lui et son intuition géniale du rock and roll, rien ne serait arrivé, ils lui doivent tout. Mais certains sont plus favorisés que les autres. Comprenez Johnny Cash. Sam offre une Cadillac à Presley et une Cadillac à Carl Perkins, les remercie pour leurs succès, mais lorsque I walk the Line troue les charts, macache pour le macaque Cash. Sam ne mélange pas les torchons et les serviettes. Les rockers ont droit à une Cadillac, mais pas le countryman…. Cash fait bon cœur contre mauvaise fortune, mais Sam Phillips refuse de surseoir au projet de Johnny qui rêve d’enregistrer un album de… gospel. Décidément pas le genre de la maison ! Cash changera de crèmerie. Ira sur CBS.

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    L’on sent chez Cash un amour sans faille pour Carl Perkins. Le pense aussi doué que Presley, l’arrive même en première partie à enflammer la salle bien mieux qu’Elvis en vedette. Cash rappelle que le King n’a jamais composé un morceau, lorsque le fatidique accident de voiture coupe Carl de son succès et que désespéré par la mort de son frère il - lui qui n’avait jamais été le dernier à lever le coude – s’adonne à mort à l’alcool… Lorsque Carl part à la dérive, Cash lui propose la place de guitariste dans son orchestre. Tous deux se soutiendront tant bien que mal, et s’aideront à couper les têtes renaissantes de leurs hydres addictives respectives. Cash avoue qu’il a honte d’être sous le feu des projecteurs alors qu’un guitariste de la valeur de Perkins est derrière lui, dans l’ombre.

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    Un autre Perkins. Il existe des vidéos où l’on voit Luther Perkins jouer aux côtés de Cash. Son air affolé, ses regards qui cherchent du secours autour de lui, son attention inquiète dès que ses doigts touchent une corde de sa guitare, font rire. Luther n’était pas un virtuose, avait du mal à retenir un riff, l’était si maladroit que pour se tirer de la panade, il s’ingéniait à trouver des raccourcis pour jouer facilement les passages difficiles. Johnny n’est pas dupe du peu de capacité d’improvisation de son guitariste, n’en est pas pour autant dédaigneux de ce balancement rythmique qui est devenu l’ossature et la marque de fabrique du son unique de l’orchestre de Johnny Cash. Sans Luther, Cash aurait-il atteint à la virtuosité d’une redoutable simplicité qu’est le drapé funèbre de sa voix, ce phrasé si particulier qui tangue fortement dans les tempêtes les plus violentes et emporte les débris du monde sur son passage.

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    Très belle évocation de Roy Orbison, encore un transfuge de Sun. Habitèrent vingt ans côte à côte. Pour le meilleur d’une amitié sans faille et le pire. La mort de Claudette, la femme de Roy, disparue en 1966 dans un accident de moto, et celle plus mélodramatique de ses deux jeunes garçons en 1968, dans un incendie qu’ils avaient allumé en jouant avec des allumettes dans leur chambre… Roy inconsolable enfermé chez ses parents ne voulant recevoir personne… le grand trou, le passage à vide, la vie qui reprend peu à peu, un nouveau mariage, de nouveaux enfants, le succès qui revient après une longue éclipse et un malaise cardiaque fatal en 1988... Roy avait voulu que Cash rachète le terrain de la maison incendiée afin que personne d’autre ne s’installe sur les lieux. Après le décès de Roy, Cash offrira le terrain au fils de Roy.

    Moins connu que les précédents, Jack Clement, qui travailla chez Sun et que Cash retrouvera à plusieurs reprises au hasard ( désiré ) de sa discographie. Loue sa manière de produire, de trouver d’instinct l’arrangement adéquat à chaque morceau, une manière de faire sans anicroche avec les musiciens, un jugement d’une grande justesse, une habileté diabolique, aussi à l’aise dans le studio qu’à traiter le business dans le bureau.

    Réflexe de rocher, nous n’avons parlé que des rockers, Cash est avant tout un country man. Déroule toute l’histoire du country dans cette autobiographie, de la Carter Family à Emylou Harris, de Merle Travis à Gene Autry, s’emploie à expliquer ce qui le sépare du mouvement Outlaw, ce n’est pas qu’il ne partage pas la révolte d’un Waylon Jennings, d’un Willie Nelson, d’un Kris Kristofferson, mais sans insister il donne l’impression de penser que sa musique, textes et paroles, prend en compte une plus large dimension de l’Homme, qu’elle vise à une universalité qui n’appartient qu’à lui.

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    L’explosion country dans la société américaine ne le séduit pas entièrement. Dénonce la mode, la musique country est née d’une civilisation disparue. La misère et la dureté des temps l’ont engendrée, aujourd’hui l’on s’habille country, l’on mange country, l’on consomme country alors que les fans sont issus d’une civilisation urbaine et industrielle. Cash retourne à la maison de son enfance, il ne reconnaît plus rien, les bulldozers ont tout renversé et aplani. Toutes les parcelles ont été réunies en un vaste champ. Une société ‘’agricole’’ gère la production.

    Cash ne se contente pas des noms célèbres, à plusieurs reprises il prend soin de citer et de détailler le rôle de tous ceux qui ont travaillé pour lui, autant le personnel de maison, que le staff organisateur de ses tournées et l’équipe qui l’accompagne aussi bien sur scène que derrière, et dans le bus. Connaît la valeur du travail, l’on ne sent chez lui aucune condescendance envers les petites mains qui s’agitent autour de lui.

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    Nombreuses pages sur sa famille, fier de ses enfants et de ses petits-enfants. Une attention particulière à ses beaux-fils qu’ils aient été remplacés ou encore présents. Tresse des couronnes de laurier à June Carter, sa femme. Il aime sa joie de vivre, sa sollicitude, elle l’a beaucoup aidé lorsqu’il est de nouveau retombé dans ses addictions. L’a failli en crever. Y rester. Mais dans sa tête de cabochard Johnny Cash n’écoute personne.

    L’est sûr qu’il a tout connu. La misère, la richesse, les filles, la dope, la musique, le succès, les passages à vide, l’oubli, le mépris, la renaissance, la reconnaissance, la jeunesse et la vieillesse. L’a même vu la grande lumière lors de l’opération de la dernière chance due à une attaque d’autruche. L’a tourné un film sur St Paul et écrit un roman. Des années sur la route à sillonner les Etats-Unis, l’Europe et le reste du monde. La consécration. N’est jamais aussi bien que chez lui. La plupart des chapitres portent le titre de ses résidences préférées. Le retour au calme et à la terre. La joie de pouvoir enregistrer enfin des disques rien que lui et sa guitare. La voix cassée mais chargée de son poids de chair et de souffrance humaine.

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    N’y a qu’une chose qui manque à Johnny Cash. N’a pas besoin de Jacques Chancel pour lui demander en dernière et subsidiaire question : Et Dieu dans tout ça ? N’est pas plus absent à la fin du bouquin que présent à son début. Mentalité américaine bien profonde. Qui explique aussi bien des aspects réactionnaires d’une certaine idéologie nationale. Une ombre sur l’existence qui oblitère l’âme du pécheur moyen. Terriblement efficace. Cash se sent en règle. Se dit justifié. Il a fait tout ce qu’il faut, et tout ce qu’il ne faut pas. L’est pacifié. A confiance. Perso, beaucoup moins en Dieu qu’en Johnny Cash.

    Damie Chad.

    HORSE’S NECK

    PETE TOWNSHEND

    ( Christian Bourgois Editeur / 1986 )

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    J’ignorais tout de l’existence de ce livre jusqu’à ce que je le trouve sur la brocante du coin. Encore une de ces petites merveilles dont se débarrassent systématiquement les bibliothèques publiques depuis ces dernières années, sans être complotiste, à voir tous les chefs-d’œuvre de la haute littérature que je n’arrête pas de récupérer pour quelques maigres oboles, j’en arrive à m’interroger sur l’existence d’un vaste plan secret d’abêtissement systématique de la population organisé, sans tambour ni trompette…

    Le livre est sorti en langue anglaise en 1985, sa traduction française l’année suivante. Je me demande pourquoi a subsisté de par chez nous le titre original. L’expression horse’s neck aurait-elle une signification spéciale en le luxuriant shakespearian langage ? Cette encolure de cheval désignerait-elle une particulière courbure du corps féminin ?

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    Petite notification : Pete Townshend - précisons-le pour de jeunes lecteurs - fut le leader et l’acrobratique guitariste des Who, groupe mod qui fit avec les Rolling Stones, les Kinks et les Beatles les délices du Swinging London dans les années soixante. Townshend, pour avoir écrit les lyrics de My Generation et de Tommy, le presque premier opéra-rock de l’Histoire - fut très vite auréolé d’une flatteuse renommée d’intellectuel. Un peu comme John Lennon chez les Beatles, mais il faut dire que ce Horse’s Neck apporte une caution bien plus solide à cette réputation que le In His Own Write ( En Flagrant Délire ) Lennon, que nous avons chroniqué ( en je ne sais plus quelle livraison ! ) et qui malgré toute la sympathie que nous pouvons porter à la personne de son auteur, ne s’élève pas plus haut qu’une pochade dadaïsto-surréaliste.

    Nonobstant le fait que les amateurs des Who ne trouveront rien à se mettre sous la dent dans ce bouquin quant à l‘existence de ce groupe culte, il faut avouer que Townshend atteint à une densité d’écriture qui peut rivaliser sans peine avec la majeure partie de la production littéraire contemporaine.

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    Mais de quoi parle cet opuscule - l’est vrai qu’il n’est pas très épais, moins de cent cinquante pages, et composé de treize textes plus ou moins indépendants. Pete Townshend nous prévient dans une très courte préface qu’il n’a pas raconté simplement sa propre vie, en effet ce n’est pas simple. S’amuse un peu avec les psychanalystes en décrétant que sa mère est un personnage de ce livre, mais qu’elle change d’apparence sans arrêt. Remémorons-nous la célèbre invitation de Jim Morrison à sa génitrice, ‘’mother, I want to violate you’’, de quoi mettre en émoi tous les adeptes lacaniens de service, oui certes baiser sa mère peut passer pour une agréable occupation, mais très vite notre narrateur abandonne celle-ci pour nous conter ses désirs, très souvent phantasmatiques, de jeunes filles. Comme par hasard notre héros est souvent membre d’un groupe de rock, qu’il soit une star ou un jeune ado, il semble avoir du mal à séduire les délurées, rame pas mal, et rien n’est vraiment certain, comme dit Eddy Mitchell dans sa chanson par hasard intitulée M’man : ‘’ ce n’est pas moi qui choisit’’. Pour la meilleure histoire de la série, Sherlock Holmes oblige, notre héros quitte son statut de rocker pour celui tout aussi intermittent de détective…

    Et ce satané cheval quand est-ce que l’on aperçoit le bout de sa queue ? Dès le début. Bébé Townshend a été abandonné sur une dune, n’est pas mal installé, voit le sable, la mer et les bateaux, première fois - il a tout juste dix-huit mois - qu’il prend conscience de lui-même, qu’il existe - il jouit de la plénitude de sa propre présence mais n’est pas encore conscient du vide qu’il ressent. Et qui se concrétise. Son père et sa mère le rejoignent au galop de leurs chevaux, lui jettent un coup d’œil, s’embrassent à pleine bouche et s’éloignent aussitôt à toute vitesse. Baby Pete aurait aimé lui aussi que sa mère déposât un baiser sur ses lèvres mais elle avait apparemment mieux à faire.

    Inutile de tourner autour du pot de chambre, un ou plusieurs chevaux passeront modestement leurs têtes, de temps en temps, au travers de ces textes qui parfois ressemblent à de véritables poèmes en prose. Les passionnés d’équitation n’y trouveront pas leur compte. Il est clair et net que nous avons affaire à des équidés symboliques. Nous éviterons le clin d’œil aux Horses de Patti Smith, ce n’est pas que tous les personnages du livre n’ont jamais touché à rien d’autre qu’une vulgaire cigarette, l’est clair qu’ils ont avalé ou inhalé des choses pas très catholiques, ne sont pas toujours clean, mais faut chercher dans une autre direction. A la limite l’on pourrait tenter une analogie avec l’intérieur de la tête qui ne tourne plus très rond de certains d’entre eux, mais ce serait exagéré de les assimiler aux coursiers de la folie.

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    Reste la solution qui saute aux yeux, ces étalons ne sont que les représentations métaphoriques des énergies sexuelles, souvent bridées par les réserves des cavales rétives. Les derniers textes confirment cette interprétation. L’auteur se retrouve tel qu’en lui-même la médiocrité le maintient. N’est pas meilleur qu’un autre, mais il se console en pensant qu’il n’est pas pire non plus. Même que parfois il a rêvé qu’il chevauchait une pouliche encore plus belle que sa mère. Rien de plus décevant qu’un complexe d’Oedipe dont on défait si facilement le nœud, vous tirez par un bout et hop tout vient. Du coup notre intellectuel nous sort son traité de sociologie comparée. Les temps ont changé, de nos jours on ne laisse plus les jolies petites filles se promener toutes seules dans la rue. Seuls les laids et les forts ont droit à la liberté. O tempora, o mora, a-t-on envie de s’indigner avec l’antique Cicéron, nous sommes à la fin du bouquin, et la morale finale est d’une décevante platitude !

    Erreur, il reste encore deux pages, et Pete Townshend nous exécute un de ces sauts de l'ange qui firent sa gloire sur les plus grandes scènes du monde. Plus le moulinet donchiquotien et le riff destructeur qui allaient avec. Sûr qu’entre le rock’roll et la littérature, il existe quelques accointances. Ah, vous voulez de l’amour, en voici, sur la lagune, Le Jour de la Saint-Valentin, 1982, et bien non, vous obtiendrez encore mieux, vous aurez du sexe, ne se sent pas pousser des ailes mais un zizi dionysiaque avec lequel il embroche vigoureusement le cheval blanc qu’a emmené un couple de cavaliers, mais ce n’est pas tout, vous avez eu le sexe, voici maintenant le don divin du mythe, l’orgasme accompli, notre cavalier saute sur le dos de Tir-Na-Nog qui galope vers les écumeuses vagues océanes…

    Un beau texte. Je vous en laisse percer la signification ultime. A thing of beauty is a joy for ever nous a dit John Keats, sans doute est-ce cette piste qu’il faut suivre…

    Damie Chad.

     

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 396 : KR'TNT ! 416 : ERIC BELL / REGGIE YOUNG / CIRCUIT COURT / LE CORE ET L'ESPRIT / ASHEN / WAKING THE MISERY / ABSTRACT MINDED / WILD MIGHTY FREAKS / WISE GUIZ

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 416

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    25 / 04 / 2019

     

    ERIC BELL / REGGIE YOUNG

      CIRCUIT COURT / LE CORE & L'ESPRIT

    ASHEN /WAKING THE MISERY

    ABSTRACT MINDED / WILD MIGHTY FREACKS

    WISEGUYZ

    Bell Bell Bell comme le jour

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    Vous savez que les disquaires français ont une sale manie, celle qui consiste à cataloguer les groupes. Quelle est selon vous la plus belle aberration engendrée par cette sale manie ? Celle qui consiste à ranger Thin Lizzy dans le bac ‘Hard Rock’ ! Or, ce mélodiste exemplaire que fut Phil Lynott ne devait absolument rien au Hard Rock, et cela tout le monde le sait en Angleterre. L’Irlando-brésilien naviguait au même niveau de John Lennon, George Harrison ou Ray Davies, au niveau supérieur d’excellence compositale. Et le diable sait si Eric Bell eut du pot de pouvoir jouer avec un mec aussi brillant que Phil Lynott sur les trois premiers albums de Thin Lizzy.

    Bell Bell Bell ne sort pas d’une chanson de Cloclo, mais du chaudron bouillonnant des early seventies. Dans un bel article doublé d’une interview, Rich Davenport dessine un parallèle entre les Bluesbreakers et Lizzy, deux groupes qui virent passer dans leurs rangs respectifs une ribambelle de grands guitaristes : Clapton, Mick Taylor, Peter Green chez les Bluesbreakers, Gary Moore, Brian Robertson, Scott Gorham, John Sykes et Bell Bell Bell chez Lizzy.

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    Dans l’interview, Bell Bell Bell indique qu’il fit partie du troisième line-up des Them. Il avait rencontré Van Morrison chez Crymbles, un disquaire de Belfast. Il joua en tout et pour tout dix fois avec les Them, avant que Van Morrison ne quitte l’Irlande pour les États-Unis. Bell Bell Bell dit que Van ne supportait plus qu’on l’ignore - I mean the guy was a legend and nobody gave a shit - Bell Bell Bell débarque ensuite à Dublin et rencontre Phil qui lui propose deux choses : monter un groupe et un plan maison à trois avec Brian Downey. Objectif : travailler tous les jours et écouter des disques pour composer. Ils s’immergent alors tous les trois dans Lizzy. À la différence de la grande majorité des guitaristes anglais de l’époque, Bell Bell Bell ne se réclame pas uniquement du blues. Il cite des influences comme Hank Mavin, Wes Montgomery, Django Reinhardt, ce qui ne l’empêche pas d’admirer Hubert Sumlin et Buddy Guy. Il explique que quand le Beano album de John Mayall & the Bluesbreakers parut, tous les guitaristes de Belfast se mirent à vouloir imiter Clapton. Pas Bell Bell Bell - I think I was the only one that didn’t - Bell Bell Bell ne voyait pas l’intérêt de jouer ce que tout le monde jouait. Mais là où Bell Bell Bell est très fort, c’est lorsqu’il invente le fameux twin guitar attack qu’allaient par la suite reprendre à leur compte Scott Gorham et Brian Robertson. Comment ? Grâce aux overdubs. Bell Bell Bell rejouait sur lui-même. Ce son, ajouté aux qualités mélodiques des compos de Phil, allait devenir la Marque Jaune de Lizzy. En fait, le procédé existait déjà. Bell Bell Bell indique que l’idée du twin guitar attack lui vint en écoutant Randy California qui jouait ce qu’il appelle de l’harmony-style guitar. Même chose avec Harvey Mandel qui lui aussi overdubbait pour produire ce genre d’effet.

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    Le premier album de Lizzy fourmille d’idées de son et de libre cours. Pour l’époque, c’est un disque incroyablement novateur. Non seulement Phil compose des choses admirables, mais il sort des basslines exceptionnelles, comme on le constate à l’écoute de «Ray Gun». Le mix monte son bassmatic au premier rang et franchement, c’est un modèle pour tous les bassistes du monde. Cette extraordinaire progression de bassmatic renvoie à celles de Billy Cox. Et Bell Bell Bell dans tout ça ? On l’entend wha-whater dans les sous-bois pseudo-proggy du cut d’ouverture, «The Friendly Ranger At Clontarf Castle». Il fait même le twin guitar attack tout seul. On sent chez lui l’âme du spadassin rompu à toutes les ficelles de caleçon. S’ensuit un «Honesty Is An Excuse» annonciateur des splendeurs lizziques à venir. Fantastique qualité mélodique ! Solide et passionnant, comme tout ce que fera Phil par la suite. Il faut l’entendre chanter «Look What The Wind Blew In» à l’éclat de la revoyure. Dire que ce mec est passionnant serait un euphémisme. À cette époque (1971), il se situe déjà à la pointe du progrès. On le sent parfaitement déterminé à vaincre. Il Dubline tout sur son passage. Il ramène déjà la notion de Dublin Cowboys, l’Americana irlandaise selon Phil Lynott. Bell Bell Bell se taille la part du lion en B dans «Return Of The Farmer’s Son». Brian Downey bat ça si sec. Il tape à tours de bras et jazze le groove à la manière de Mitch Mitchell. Alors on voit Bell Bell Bell entrer en suspensif et jouer la carte de la fusion expansive. À force de tension, ça devient beau comme un jour nouveau. Phil et Brian Downey constituent l’une des plus belles sections rythmiques de l’histoire du rock anglais, ne l’oublions jamais. Encore un balladif spectaculairement bon avec «Clifton Grande Hotel», tellement précurseur des grandes heures à venir. Phil Lynott s’y positionne comme prétendant au trône. Ils terminent ce fantastique coup d’essai avec «Remembering», que Phil tance à sa manière, c’est-à-dire dans un élan d’éclat suprême. Ces trois mecs jouent en vol plané, à la croisée des chemins et wha-whatent leurs rêves de gloire.

    Le plus drôle de toute cette histoire, nous dit Bell Bell Bell, c’est que ce premier album de Lizzy n’intéressait personne, à l’époque. Ils ne sortiront de l’underground irlandais que grâce à Kid Jensen, un DJ de Radio Luxembourg.

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    L’année suivante paraît Shades Of A Blue Orphanage. L’association Lynott/Bell Bell Bell y fait encore pas mal de ravages, notamment avec «Buffalo Gal», balladif lynottien d’une finesse extrême. On voit bien qu’avec ce hit, Phil Lynott ouvre un ère de très grandes chansons. On pourrait en dire autant de ce «Brought Down» qui semble annoncer la suite. Et comme on le voit avec «The Rise And Dear Demise Of The Funky Nomadic Tribes», ces trois-là savent tout jouer. Il faut voir Bell Bell Bell partir en solo et croiser le chemin d’un Phil lui aussi parti en voyage, ils jazzent le funk comme des démons opiniâtres. C’est en B que se joue le destin de Lizzy avec «Chatting Today», un balladif extrêmement mélodique que Bell Bell Bell gratte à l’acou, mais en espagnolades. C’est excellent car ultra-joué à la classe supérieure. Bell Bell Bell est une sorte de virtuose vertigineux. Et puis les choses montent directement au pinacle avec le morceau titre, d’un poids mélodique extraordinaire - And he might have been/ The Magic Politician/ In some kind of tricky position - Véritable coup de génie, à la fois écrit et mélodique - Like an old old pioneer/ From Afghanistan - On retrouve ici le poids du «Blues» D’Aragon orchestré par Leo Ferré - And he might have been/ The Laughing Cavaliero/ The Wise Old Commanchero/ The Desperate Desperado/ The Gigolo from Glasgow - Soudain, le génie de Phil Lynott se met à luire dans le fog.

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    Encore du Lizzy magistral avec l’effarant Vagabonds Of The Western World. C’est là qu’on trouve «Whisky In The Jar», une folk-song traditionnelle irlandaise devenue un classique du groupe, chanté à la pointe du registre. C’est un mid-tempo d’une classe écœurante. Bell Bell Bell joue le thème sur sa petite Strato dublinoise. On l’entend croiser le fer avec Phil dans «Little Girl In Bloom». Ils génèrent une richesse infinie, un peu comme dans Cream, où tout le monde joue la surenchère qualitative, avec bien sûr un Brian Downey hyper actif dans le background. S’ensuit un «Hero & The Madman» travaillé au très beau groove de down below. Voilà un prog aigu et bien déterminant. Ce groupe sait tenir le lapin blanc en haleine. Bell Bell Bell adore partir en solo. Il n’est pas avare de virulences, c’est un maître queue de l’exaction parabolique, il fouille dans l’avenir et Phil l’observe, un sourire au coin des lèvres. Ils savent aussi très bien montrer les dents, comme le montre «The Rocker». C’est même une démonstration de force idyllique. Phil y sort son plus bel accent de Dubliner délinquant, rawk & rawl, et ça fulgure jusqu’au bout du bout. La B réserve son petit lot de bonnes surprises, comme ce «Gonna Creep Up On You», magnifique slab de seventies rock. Bell Bell Bell y whawhate sous le boisseau celtique. Il passe même en mode funk et on assiste à un admirable déploiement d’élégance basse/guitare. Ça joue vraiment comme dans Cream. Phil rivalise d’aisance avec Jack Bruce. Ils tapent dans le boogie avec «Mama Nature Said». Ils sont tellement à l’aise qu’ils développent des poches d’air dans les cervelles des auditeurs. Bell Bell Bell nous joue ça à la slide judicieuse, ça groove en profondeur et on assiste à des envolées surnaturelles. Pure beauté factuelle. On se régalera autant du morceau titre, chargé de son jusqu’à la gueule et orfévré à outrance.

    La belle union prit fin lors d’une soirée du nouvel an 1973 trop alcoolisée - an alcohol-fuelled debacle during a Belfast show - Bell Bell Bell jeta sa guitare en l’air, renversa sa colonne d’amplis et quitta le groupe. Il reconnaît que Lizzy subissait une pression énorme, suite au succès de Whisky. Phil et Brian lui ont-ils pardonné ? Non. Phil et lui ne se reparleront que quelques années plus tard, lors de l’enregistrement d’un hommage à Jimi Hendrix.

    Bell Bell Bell garde le souvenir d’un Phil soft-spoken, romantique et poétique. C’est le plus important. Après Lizzy, Bell Bell Bell enregistre quelques albums, et comme il joue bien de la guitare, on ne résiste guère longtemps à l’envie de les écouter.

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    Album très intéressant que ce Live Tonite paru en 1996. Pour quatre raisons principales : un, Eric Bell joue sur une Strato aussi lessivée que celle de Rory Gallagher : le bois est à nu. Phénomène transpiratoire irlandais ? Allez savoir. Deux, il tape dans les vieux coucous de Freddie King, comme «The Stumble» qui fit les grands jours des Bluesbreakers sur A Hard Road. Il tape d’ailleurs à la suite dans «Oh Pretty Woman» qu’on trouve sur l’autre bel album des Bluesbreakers, Crusade. Trois, Eric Bell a le bec fin car il tape aussi dans le beau hit de Guitar Slim, «Things I Used To Do» - I used to search at night for you darling/ And I search always anything - Eric Bell se prête au jeu du fabuleux shoot de heavy blues. Et quatre, il tape dans les Them avec une version superbe de «Baby Please Don’t Go». Ce diable de Bell Bell Bell n’en finit plus de sonner les cloches. En plus, c’est battu sec à la vie à la mort. Eric Bell joue bien la carte de menace Morganfield et par sa sauvagerie, sa version surpasse celle des Amboy Dukes. On voit bien que Van Morrison exerce une sacrée fascination sur Bell Bell Bell, car s’ensuit une reprise de «Madame George» et il va même terminer l’album avec «Gloria». Version Strato, mais il chante ça de l’intérieur du menton et se fend d’une belle descente de yeah-yeah-yeah-yeah. Rien de plus Irish que l’angst de Gloria. Il tape aussi dans the reverend Buddy Guy avec «Hold That Plane» et salue la mémoire de son vieux complice Phil Lynott avec une belle version de «Whiskey In The Jar» - Way wy way back, that’s an Irish number - Il joue ça au gras mythique, mais sans la voix de Phil. Encore du Lizzy sans Phil avec «The Rocker». Bell Bell Bell le rocke à la vie à la mort, comme un heavy dude. Il tente de récréer la magie de Lizzy, mais sans Phil, c’est impossible. Alors il passe au groove de jazz avec «Just To Get By» et s’y sent plus à l’aise.

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    Paru en 2008, Irish Boy vaut aussi le détour, ne serait-ce que pour le «Days Of Innocence» d’ouverture de bal. Bell Bell Bell cultive une tradition d’Irish high quality. C’est un maître de cérémonie, il n’a plus rien à prouver. Il tape son balladif à la meilleure avancée, il navigue en suspension. L’autre très beau cut de l’album est le «Newcastle Boy» de fermeture. Il joue ça au clairvoyant de Strato. Ce diable de Bell Bell Bell ne lâche jamais la rampe, il joue à l’inspiration des profondeurs, son groove pénètre la peau. Bell Bell Bell est un bon. On a là l’archétype du blues soigné au bassmatic - And the wind blows/ Across Newcastle bay - Il joue au sludge de Strato et s’érige comme un géant de l’underground irlandais. Sur le heavy groove de «Just To Get By», il devient le gaillard avant de l’Irish rock. Il plaque de beaux accords en étain, il sort une sonorité rêveuse de round midnight. Il revient au romp d’excellence avec ce vieux boogie qu’est «Sweet Mystery». On pourrait même qualifier ça de boogie attentiste, car solid as hell, gratté avec les meilleures intentions. Bell Bell Bell est un mec authentique, il ne force jamais l’admiration. Avec le morceau titre, il raconte son histoire et recrée sa petite magie irlandaise infiniment respectable. Il nous coud ça au fil d’or mélodique. Quel soin et quelle présence ! On le voit aussi jazzer son boniment dans «Standing In The Middle», puis il s’en va rocker son jive de swing. C’est un pro. Un mec infiniment recommandable. Pas étonnant qu’on trouve ses disks sur Angel Air.

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    Exile sort du bois en 2015. On a du son, rien que du son dès «Deep In Your Heart». Il joue à la bravado et quand il rentre au chant, on l’accueille à bras ouverts. You’re welcome Eric ! Voilà un candidat au culte qui ne mène nulle part. En tous les cas, il maintient une éthique underground assez magnifique. Il fait son truc dans son coin. Bell Bell Bell sonne bien, très Doug Sahm. Guitaristiquement parlant, il est parfait. Il sait relancer avec du son. On est convaincu d’avance, c’est évident. Chez lui, tout se situe dans la musicalité exhaustive. Bell Bell Bell joue pour le plaisir de jouer, ça se sent. Extraordinaire personnage ! Il excelle dans l’art des renvois de son. On voit bien qu’il joue avec les moyens du bord sur «Don’t Love Me No More», mais il sonne juste. On lui accorde toute notre confiance. Il fait son cirque. Bell Bell Bell est un Pinder à deux pattes. Il joue tout au harsh. C’est un âpre. Et voilà le coup de génie : «Gotta Say Goodbye». Quasi jazz, baby, véritable coup de Jarnac. Il crée tout simplement la sensation. Il part en solo, et quel solo, il joue à l’instantanéité parabolique, il s’élève au dessus de la normalité, Bell Bell Bell sonne bien les cloches, il joue son solo en mode heavy clean et crée une féerie de tramway aérien. Il sonne comme l’Oracle de Delphes. Il zèbre le ciel du rock comme un éclair. On le verra dans les cuts suivants, il se montre imparable lors de ses départs en solo. Il se montre même assez incendiaire dans «Vote For Me». Son «Little Boy Running» est une nouvelle merveille, il claque un solo sharp de clairvoyance, pur son de Strato dévitalisée. Ah l’excellent Bellman ! - See my little boy running/ Running with a ball - Visiblement, il ne s’intéresse qu’à l’excellence. Avec «Song For Gary», Bell Bell Bell raconte qu’il vit un soir Gary Moore arriver sur scène à Hollywood, Northern Ireland. Eric jouait alors dans les Deltones. Gary n’avait que 11 ans et voulait déjà jouer de la guitare avec des musiciens de rock. Puis Bell Bell Bell raconte dans la chanson que Gary est mort à l’âge de 58 ans, et qu’il espère le revoir un jour, dans l’autre monde - I hope someday we’ll meet again - Fabuleux hommage. C’est un passage obligé pour tout amateur de rock anglais. Et bine sûr, Bell Bell Bell passe dans «Song For Gary» un solo incroyablement Moory. On ne fait pas d’hommage sans casser des œufs, n’est-il pas vrai ?

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    Standing At A Bus Stop paraît en 2017. Sur la pochette, le pauvre Bell Bell Bell attend tristement à l’arrêt de bus avec un étui de guitare à la main. Comme la scène se déroule dans les nuages, on en déduit qu’il est déjà arrivé au paradis. Mais si on jette un coup d’œil à l’insert, alors on tombe sur le portrait d’un mec assez beau, un mec d’un certain âge, c’est vrai, mais quelle classe ! Il attaque l’album avec un bel hommage à Wolf : «Back Door Man». Il le prend à pleine voix - Well men don’t know/ But little girls understand - C’est une version qu’il faut bien qualifier d’historique - Cop’s wife cried/ Don’t take him down/ Rather be dead/ Six feet in the ground - Il se frotte plus loin à Django avec «In Memory Of Django». Il en a les moyens, rassurez-vous. Il retrouve le chemin des assonances magiques de ce son qui défie les dieux plutôt que les hommes. Il fait aussi une version balloche de «Mystery Train» - Sixteen coaches long - Son train train n’en finit plus de coming round the bend. Mais la B est un peu faiblarde. Il faut attendre le morceau titre pour renouer avec le frisson, tout au moins au niveau littéraire - Mmmm time has swept it all away/ I just can’t believe I’m standing here today/ Trying to swallow my pride/ Before the fall - Il sur-joue au jazz guitar et c’est tout simplement fabuleux. Il termine avec un «Walking In The Park» qui n’est pas celui qu’on croit, c’est-à-dire celui de Colosseum. Il revire jazz - Time has changed/ And still I find/ I’m flying blind/ But no so often - et ça vire au mood de diabolo jive - And it feels like it’s the end of the world - On est content d’avoir croisé le chemin d’un mec comme Bell Bell Bell.

    Signé : Cazengler, Eric Bêle

    Thin Lizzy. Thin Lizzy. Decca 1971

    Thin Lizzy. Shades Of A Blue Orphanage. Decca 1972

    Thin Lizzy. Vagabonds Of The Western World. Decca 1973

    Eric Bell. Live Tonite. BMA Records 1996

    Eric Bell. Irish Boy. Isol Discus Organization 2008

    Eric Bell. Exile. Cargo Records 2015

    Eric Bell. Standing At A Bus Stop. Of The Edge Productions 2017

    Rich Davenport : Bell Rings Out. Record Collector #478 - April 2018

     

    Ci gît Reggie - Part Two

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    Avant de casser sa pipe en bois, Reggie Young eut heureusement le temps d’enregistrer un album, son seul album solo d’ailleurs, le bien nommé Forever Young. C’est dire la modestie du bonhomme. Il aura passé soixante ans de sa vie en studio à gratter sa gratte pour les autres et jamais pour sa pomme, alors bravo. C’est la première des raisons pour laquelle il est indispensable d’écouter cet album. La deuxième raison est la suivante : comme chez Ace on fait toujours bien les choses, on a demandé à Colin Escott de pondre une petite présentation. Colin Escott ? Mais oui, vous le connaissez : le spécialiste de Sun Records, le sunologue numéro un.

    L’Escott n’y va pas par quatre chemins : il commence par situer le style du Young à la croisée de Coleman Hawkins (pour les structures harmoniques), de Lester Young (pour les melodic lines), d’Hendrix (pour les clusters, c’est-à-dire les grappes de notes), et de B.B. King (pour l’économie). Quand il joue un solo, il le joue tellement à l’extrême qu’il ne peut jamais l’améliorer. Reggie Young ne joue qu’à l’économie, au Soulful et au lyrical. Et s’il est un musicien qui se fout d’être crédité ou pas sur la pochette, c’est bien lui. Pas de problème de m’as-tu-vu chez Reggie Young. La liste des hits sur lesquels on l’entend jouer va loin puisqu’elle s’étend jusqu’à l’horizon, on la trouve sur wiki, d’ailleurs, mais pour les ceusses qui n’ont pas d’ordi, on peut citer les solos de «The Letter» et «Cry Like A Baby» des Box Tops, ou encore «Son Of A Preacher Man» de Dusty chérie, et tiens, tu as aussi le «Midnight Mover» de Wilson Pickett. Et bien sûr «Suspicious Minds» et «In The Ghetto» d’Elvis. L’Escott révèle que Reggie tenait un journal, non pour raconter son histoire, mais pour tenir sa compta et être sûr d’être payé. Et du coup, ce journal intime raconte, comme le dit si bien l’Escott, l’histoire de notre musique favorite.

    Alors attention, car ça grouille de détails marrants. En 1955, Reggie accompagne Eddie Bond sur «Rockin’ Daddy» et pouf, les voilà partis en tournée avec Johnny Horton, Warren Smith, Carl Perkins et Johnny Cash qui empuentait la voiture avec ses Picayune cigarettes (un équivalent des Boyard) mais aussi Roy Orbison qui n’arrêtait pas de dire qu’il voulait une Cadillac. Quand Reggie enregistre le deuxième disk d’Eddie Bond pour Mercury, il gagne 41 dollars et 25 cents. Mais c’est avec Johnny Horton que Reggie passe le plus de temps. Johnny l’emmène un jour voir une voyante. Dans la boule de cristal, elle voit tout, évidemment, et surtout un accident d’avion pour Reggie qui du coup développe une intense phobie de la mort. Il dort avec la lumière allumée. Johnny Horton organise des séances de spiritisme chez lui, dans la fameuse spook room. L’esprit qu’il invoque lui apprend qu’il va mourir dans un accident de bagnole. On est en 1959, Reggie est appelé sous les drapeaux. On l’envoie en Éthiopie. Un matin il apprend que Johnny Horton est mort. Comment ? Dans un accident de bagnole. Reggie comprend que s’il n’était pas parti à l’armée, il serait mort avec son poto Johnny Horton.

    Pendant son service, Reggie est devenu spécialiste du décryptage. La CIA lui propose un job au terme de ses 18 mois de service, mais Reggie préfère aller retrouver son ami Bill Black à Memphis. Reggie fait donc partie du Bill Black’s Combo qui joue en ouverture des Beatles, lors de leur première tournée américaine, en 1964. Le Combo accompagne aussi les autres artistes de la tournée : Clarence Frogman Henry, the Exiters et Jackie DeShannon. C’est là que Reggie et Jackie ont une aventure. La tournée ne se passe pas très bien, car quand le présentateur demande à la foule : «You wanna see Ringo ?», la foule hurle, woooooooah, même chose pour George, woooooah, Paul, wooooooah et John, whoooooah ! Mais quand il demande : «You wanna see Bill Black Combo ?», la foule hue. Booooooo !

    En 1964, Reggie a déjà dix ans de métier et selon l’Escott, il a vécu deux moments clés de l’histoire du rock : la naissance du rock’n’roll et sa transformation en rock. Reggie évoque aussi l’époque où il travaille pour Goldwax, un petit label de Memphis devenu culte. Il accompagne James Carr qui devient célèbre et qui entre dans les charts. Voyant ça, Reggie demande à Doc Russell de le payer et Doc lui répond : «Would 15 bucks be cool with ya man ?» (Ça te va 15 dollars mon pote ?), mais l’associé de Doc Ray Harris casse le prix et dit que dix dollars suffiront largement. Reggie comprend qu’il se fait enculer en beauté et décide de se tirer de là vite fait. Par miracle, il rencontre Chips Moman qui vient tout juste de monter American Sound et qui cherche un guitariste.

    Alors, place à la rigolade. À côté d’American se trouve un resto. Qui dit resto dit rats. On les entend cavaler dans le grenier pendant les séances d’enregistrement. Reggie raconte qu’un joue les Blossoms de Darlene Love sont en studio et un rat se pointe. Les filles hurlent et grimpent toutes les trois sur une chaise. C’est Bobby Emmons qui extermine le rat à coups de pied de micro. La première session de Reggie pour Chips, c’est l’album des Gentrys, Keep On Dancing. C’est aussi l’époque où Chips, Reggie et Tommy Cogbill vont encore régulièrement à New York faire des sessions pour Jerry Wexler. Puis Chips a l’idée d’inverser la tendance et de monter un house-band à Memphis pour faire venir le business. Reggie : «Sounded good to me». Alors Chips embauche son house-band, les Memphis Boys. Entre 1967 et 1972, il sort pas moins de 120 hits des forges célestes d’American. Le clou du spectacle, c’est Elvis qui arrive sapé comme un lord, en cuir bleu - Elvis looked like a brother from another planet - Reggie dit qu’on sentait sa présence avant même qu’il n’entre dans le studio par la porte de derrière et il ajoute : «We just hoped that the rats weren’t running around !» Eh oui, pourvu que les rats ne se pointent pas ! Quand Elvis demande à Reggie ce qu’il pense d’une chanson sélectionnée par son entourage, il répond que bof, c’est pas terrible. Bobby Emmons lui répond la même chose : bof, pas terrible. Alors Jarvis Felton, le producteur d’Elvis, les prend tous les deux à part dans le hall d’entrée et leur demande de fermer leur grande gueule. Chips vole au secours de ses amis et annonce au micro qu’il peut proposer des chansons bien meilleures. L’entourage d’Elvis dit que c’est possible, mais à condition de récupérer les droits. C’est la règle imposée par le Colonel. Tu cèdes tes droits et tu fermes ta gueule. Elvis ne chante que des chansons dont lui et le Colonel possèdent les droits. Quoi ? Céder mes droits ? T’as vu ça où ? Chips se marre. Pas question de céder mes droits. Chips sait qu’il va gagner le cœur d’Elvis car il propose une compo de Mark James intitulée «Suspicious Minds». Il prend le micro et prévient l’assemblée : «Ici, on n’enregistre que des hits, d’accord ? Si Elvis ne veut pas de hits, vous pouvez tous aller vous faire mettre - Y’all can get out !» Elvis dresse l’oreille quand il entend la démo de «Suspicious Minds». Ça le fait bander, évidemment. Il demande à son entourage de sortir du studio. En fait il adore tellement l’équipe de Chips qu’il leur propose de l’accompagner en tournée, mais Chips et Reggie sont devenus très casaniers et ça ne les intéresse pas.

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    L’album qu’Elvis enregistre chez Chips s’appelle From Elvis In Memphis et selon bon nombre de spécialistes, c’est son meilleur album.

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    Pour revenir à nos moutons, la troisième raison d’écouter Forever Young est que c’est tout bonnement excellent. Attention, Reggie Young ne joue que des instros, mais chacun des sept instros proposés ici valent pour des coups de génie, à commencer par «Coming Home To Leipers Fork», un vieux groove swampy de Memphis. Si on aime le Memphis Sound, alors on ne peut qu’adorer cet album. Reggie Young entre dans le son avec du petit diguili de vieux crabe, this the Memphis Soul typecast, baby. Reggie groove derrière les fagots du boisseau, il groove dans la note, il entre dans la matière du raw, Reggie régit le jive. On entend rarement des mecs jouer avec un tel souci de l’intrinsèquement beau. Il installe un groove de charme au long cours et claque les contreforts du jazz dans l’essence même du son. Il shoote du Wes Montgomery dans le Memphis Sound. Il enchaîne avec un «Memphis Grease» de tous les diables cornus réunis. Il claque sa chique dans l’épaisseur du Grease. Il transforme son instro en caverne d’Ali-Baba, il roule le groove dans sa farine, il atteint à l’essence même de l’insurpassable naissance du cool. Il joue à la note perdue, celle qu’on voit suspendue dans le cours de l’éternité. Cet homme semble s’élever avec sa musique, il élève l’âme du groove de manière shamanique. Parler de shamanisme est l’une des manières de le situer. Il te fait entrer dans son monde, comme le ferait un shaman. Encore plus terrifiant de présence, voilà «Soul Love», plus lumineux, et même plus pop. Les nappes de cuivres en disent long sur son bonheur de vivre. Il passe au jazzy cosy avec «Seagrove Place». Reggie va là où il veut, il claque ses accords en accord avec lui-même, il part en groove de jazz comme s’il partait butiner un champ de coquelicots, il joue des gouttes de jazz lumineuses, mais il n’est pas homme à se mettre en avant et s’installe à la lisière de l’ombre. Reggie reste un modèle de discrétion, même dans son jeu. Il devient miraculeux de détermination constitutive, il fait ruisseler quelques diamants, rattrape la queue d’une mélodie au vol, il nous promène dans l’élégance d’un son à petits coups de délassement substantifique et d’écartèlement de gammes débonnaires, qui vont ici et là se perdre dans la torpeur du Tennessee. Il atteint à l’omniscience des figures harmoniques. Tous ses cuts sont des grooves à thèmes bien ficelés. Il fait chauffer «It’s About Time» à la flûte. Dickinson a raison de dire qu’on groove à Memphis comme nulle part ailleurs. Et c’est à cause de mecs comme Reggie Young qu’on finit par tomber en panne d’adjectifs. Sur le tard, il s’efforce de pacifier ses thèmes musicaux. «Exit 209» s’en va paisiblement se fondre dans le poudroiement du crépuscule. On a une idée du monde moderne si dégradée qu’on s’étonne vraiment de croiser le chemin d’un homme si paisible. N’ont-ils pas tous disparu ? Lorsque l’album se termine, on se pose la question : l’apprécie-t-on uniquement parce que Reggie Young est auréolé de légende ? La réponse est dans la question.

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    Et puis comme Ace ne fait jamais les choses à moitié, voici que sort en catastrophe une compile de compétition intitulée Session Guitar Star. Elle propose un choix de 24 hits dans lesquels s’illustre Reggie Young. Bob Dunham nous explique dans une plantureuse intro que cette compile était en germe depuis un bon moment et devait paraître pour le 82e anniversaire de Reggie. Au moment ou Dunham écrit, Reggie vit encore. Dunham apporte quelques petits éclairages complémentaires à ceux de l’Escott. Comme Billy Gibbons, Reggie a la chance d’avoir un père qui lui offre une guitare au bon moment, à l’adolescence. Un an plus tard, il joue dans des groupes locaux de hillbilly. Dunham passe rapidement sur le service militaire en Éthiopie, sur la période Bill Black’s Combo. Joli coup de projecteur aussi sur le fameux Hi’s Royal Studio qui travaille pour des clients extérieurs, notamment Duke Records, basé au Texas. Don Robey leur envoie O.V. Wright, puis Bobby Bland qui enregistre «A Touch Of The Blues», l’un des plus beaux albums de tous les temps. Goldwax envoie aussi James Carr et c’est là qu’il enregistre le fameux «Dark End Of The Street». C’est la période Reggie at Royal, celle où il se fait rouler la gueule. Chips Moman arrive au bon moment et lui propose d’entrer dans son house-band. Bobby Emmons qui travaillait aussi pour Hi le suit. Chips embauche aussi Gene Chrisman, ce vétéran qui battait pour Jerry Lee en tournée. Young/Emmons/Chrisman/Cogbill, ce sont les quatre Mousquetaires d’American. Retenez bien leurs noms. Tommy Cogbill est le veux compagnon de route de Chips : ensemble ils sont allés jouer en session à New York pour Atlantic puis chez FAME à Muscle Shoals. Dickinson dit de Tommy Cogbill qu’il est le meilleur bassman de tous les temps. Viendront s’ajouter aux quatre Mousquetaires le bassman Mike Leech et le clavier Bobby Wood. Ce sont les Memphis Boys. On les entend sur 120 hits et pendant l’âge d’or d’American, ils accompagnent la crème de la crème du gratin dauphinois, Dusty chérie, Wilson Pickett, Elvis, Jackie DeShannon, B.J. Thomas, Joe Tex, Bobby Womack, King Curtis, les Box Tops et des tas d’autres. Ils devaient accompagner Aretha en 1968, mais on venait de buter Martin Luther King et la session fut annulée. Puis c’est la période Nashville, où Reggie croule sous la demande. Il double ses tarifs, mais ça ne sert à rien, on le considère comme le meilleur. Il accompagne les Highwaymen et plus tard Waylon Jennings.

    Si on aime les coups de génie, cette compile en regorge, à commencer par le «Don’t Forget About Me» de Dusty chérie et signé Goffin & King. On y assiste à une fabuleuse progression orchestrale. Ces mecs jouent comme des diables. Reggie nage dans le fond avec un son bien rond qu’il tire d’une overdriven Gibson ES 345. Quelle panade ! Même si Dusty chérie rajoute sa voix plus tard en studio à New York, le résultat est stupéfiant. Tout aussi marquant, voilà le «Morning Glory» de James & Bobby Purify. Les Purify swinguent la Soul de Memphis avec une grandeur d’âme incomparable. Mais attention le Bobby Purify n’est plus celui de la première époque : un certain Ben Moore remplace le Robert Dickey qui se faisait appeler Bobby. Reggie nous entraîne là dans un véritable labyrinthe qualitatif. Il accompagnera de nouveau Bobby trente ans plus tard sur Better To Have It, un album produit par Dan Penn. Encore une belle énormité avec le «Stranger In My Own Home Town» d’Elvis. On sent immédiatement l’immense présence tutélaire. L’ombre d’Elvis plane sur le monde du rock comme nulle autre. Derrière, Reggie joue comme un fou, il dégomme ses gammes comme un virtuose du génie ou si tu préfères, comme un génie de la virtuosité. Au fond c’est la même chose. Il faut entendre ce ramalama mêlé à la voix d’Elvis. C’est le maximum de ce qu’on peut attendre d’un cut de rock. Avec ça et «Suspicious Minds», Chips fut le seul à pouvoir rétablir la crédibilité de rocker d’Elvis - The empathy and music created at American would never be recaptured - Autre grosse surprise avec le «Victim Of Life’s Circumstances» de Delbert McClinton. Reggie joue à la folie du bluegrass. Ah il faut entendre ces digonnades, il joue par derrière, c’est un déconstructeur d’initiatives locales, un taraudeur d’alertes rouges, il va loin car le vent le porte. Il faut aussi le voir illuminer l’«I Wanna Boo You» de Jackie DeShannon. Oui, Reggie illumine le cut (pas le cul) de Jackie (qu’il connaît pourtant bien, le cul, pas le cut). Il joue des tiguiliguili paradisiaques et derrière, les Memphis Boys pulsent le Memphis Sound. Puissant et gorgé de son ! Dunham précise aussi que ces sessions Atlantic avec Jackie (supervisées par Tom Dowd) comptent parmi les dernière d’American in Memphis. Oh il faut aussi entendre Reggie jouer sur le «Rock’n’Roll (I Gave You The Best Years Of My Life)» de Sonny Curtis. Il y sort ses meilleurs arpèges pour l’occasion. Ce dingue de Reggie part en fusée bluegrass et explose en de pulvérulentes merveilles soniques. On l’entend ensuite accompagner des tas de gens dans sa période nashvillaise, Billy Sawn, JJ Cale, Nathalie Merchant, the Highwaymen, Merle Haggard, mais attention, c’est un autre monde, the Nashville sound. Il claque même pour Little Milton un solo éthéré qui n’intéressera jamais personne et c’est avec le «Where Do We Go From Here» de Waylon Jennings qu’on se réveille, car quel raout ! Waylon laisse Reggie aller au fleuve et ça donne un guitar rush exceptionnel sur tapis de cuivres. Si on remonte aux sources, on tombe sur le «Slip Slip Slippin’ In» d’Eddie Bond & His Stompers, un fantastique slab de rockab. C’est l’âge d’or, 1956 et Reggie claque un solo en arpèges de diatoniques adossé au mur, la bouche ouverte. On comprend ici que le rockab était essentiellement l’affaire de mecs déterminés à vaincre. Reggie joue à l’économie sur le «Touch Of The Blues» de Bobby Bland et en mode Tahiti/bluegrass évolutif sur l’«I’m Moving On» des Box Tops. Quel démon ! Avec «The Champion Part 1» de Willie Mitchell, on passe au beat de stomp avec un Reggie qui rentre dans le lard du cut. On l’aura bien compris, cette compile ne craint ni l’ennui ni la mort.

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    Comme l’occasion fait le larron, profitons-en pour ressortir une autre compile Ace parue en 2012, en même temps que le big book de Roben Jones, Memphis Boys. The Story Of American Studio. Eh oui, voilà encore une compile du diable. Ça grouille littéralement de merveilles imprescriptibles. Reggie Young n’est pas toujours mis en avant, mais par contre, on profite pleinement du son des Memphis Boys, et ce dès le «Memphis Soul Stew» de King Curis qui commence par réclamer a little bit of beiss, a big fat drum and some Memphis guitar, et voilà Reggie. Arrivent ensuite l’organ and the horns. Tout le monde est là. Now a big wail ! C’est King Curtis qui se prend pour Junior Walker ! Et ça embraye aussi sec sur «Son Of A Preacher Man» de Dusty chérie. Ah il faut entendre Tommy Cogbill rouler sa bassline derrière Dusty ! Il vole carrément le show avec ses déglutis de bas du manche. On entend aussi James & Bobby Purify faire leur Wicked Pickett dans «Shake A Tail Feather». Hey boy, on n’est pas chez Stax mais chez Chips ! Tommy Cogbill ressort pour l’occasion une bassline gros popotin. Reggie se tape l’intro légendaire de «The Letter», encore un hit increvable. Côté coups de génie, on trouve en rayon l’immense «I’m In Love» de Wicked Pickett. Reggie devait être fier de claquer ses bricolos derrière un tel géant. Son solo remonte le courant comme un saumon togolais. On se régale aussi du «Suspicious Minds» de Mark James : c’est la démo du hit d’Elvis embarquée au bassmatic et soutenue par une fantastique exaltation des cuivres. Chips en fait un chef d’œuvre. Plus loin, on voit Joe Tex twister la Soul avec «Skinny Legs And All». Joe est un chouchou de Chips. Reggie envoie un gimmick ici et là, mais c’est encore Tommy Cogbill qui vole le show avec son bassmatic. On monte encore d’un cran avec le «More Than I Can Stand» de Bobby Womack, qui est le fils adoptif d’American. C’est de la Soul de guitar slingers, une vraie merveille. Il faut voir Chips envoyer les violons dans la Soul aux vermicelles. Quel sublime carnage ! En queue de compile, on croise les Soul Brothers que Chips produisait pour Goldwax et notamment l’excellent Spencer Wiggins avec «Power Of A Woman». C’est à Elvis que revient l’honneur de conclure avec cet «I’m Movin’ On» tapé au Memphis beat. Dommage qu’il n’ait pas continué à bosser avec Chips. Ils étaient faits pour s’entendre. Sinon, la compile propose aussi l’excellent «Born A Woman» de Sandy Posey et on entend Reggie jouer des petits coups du coin de la rue derrière James Carr. Il brode en douceur et en profondeur, comme Steve Cropper. On entend aussi Joe Simon, Merrilee Rush et B.J. Thomas, un autre chouchou de Chips. On croise aussi le fringant «Funky Street» d’Arthur Conley tapé aux clap-hands bien secs de Memphis. Chips savait produire des hits, no problemo. N’oublions pas Solomon Burke et les Soul Bothers plus obscurs comme L.C. Cooke ou Clay Hammond. Mais pas des moindres.

    Signé : Cazengler, Reggie Old

    Reggie Young. Disparu le 17 janvier 2019

    Reggie Young. Forever Young. Ace Records 2017

    Memphis Boys. The Story Of American Studio. Ace Records 2012

    MONTREUIL / 15 – 04 – 2019

    LA COMEDIA

    CIRCUIT COURT / LE CORE ET L'ESPRIT

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    Lundi soir, pas vraiment le monde fou, les rockers auraient-ils fait un peu trop la fête ce week end ou alors les yeux rivés sur la télévision et Notre-Dame qui flambe ont-ils oublié que la seule chose qui brûle en ce bas-monde c'est uniquement le rock'n'roll, en ce cas ils ont eu tort car la soirée fut chaud de braise. Pendant que l'on gobe des crocodiles colorés, Whisky beaucoup plus malin s'allonge sur le carrelage, sûr de lui, immanquablement les filles se précipitent pour se partager l'insigne l'honneur et l'exorbitant privilège de lui caresser amoureusement le ventre. Plus j'observe ce chien philosophe, plus je l'admire, pas cynique pour un poil, pas stoïcien pour un sou, même pas un épicurien, sûrement un hédoniste, et peut-être même un sybarite. Au comptoir Martin Peronard armé d'un stylo bille vous gribouille une de ces affiches qui annoncent les concerts de la Comedia. Faudra un de ces jours consacrer une kronic à cet énergumène qui ne peut voir une surface quelconque sans l'étoiler de son monde intérieur.

    CIRCUIT COURT

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    Viennent d'Epinal. Mais méfiez-vous des clichés, ne sont pas sages comme des images. Nous ont déjà abasourdis à la balance. Ne sont que deux, un gars, une fille. Archimède se vantait de pouvoir soulever le monde si on lui refilait un levier et un point d'appui. Oui mais voilà, tout le monde ne partage pas les mêmes idées. Ottavia Simonin, semble vouloir l'écrabouiller notre planète bien aimée. Tant qu'elle ne s'est pas assise devant ses fûts, l'était une fille comme les autres, fine silhouette et longs cheveux. Qui sur la scène lui cacheront le visage. Elle a levé les bras bien haut, jusque-là on pouvait encore se bercer d'illusions sur le mythe de la douceur romantique des êtres féminins, mais à la première frappe l'on a compris qu'il fallait réviser d'urgence notre welttanschauung comme disent les Allemands. Avec Ottavia ce qu'il y a de bien c'est que vous avez tout en un seul coup : la prise de Ninive, la chute de l'Empire assyrien, l'effondrement de la Tour de Babel, la... j'arrête là car il me faudrait au moins douze pages pour vous faire comprendre, vous croyez stupidement que c'est juste pour marquer le coup, qu'elle va continuer sur un joli drumin', un petit galop soutenu de bon augure. Erreur sur toutes les lignes de bus. Elle vous en remet tout de suite une quinzaine, aussi violents, aussi brutaux, des tamponnades à vous déstabiliser un gouvernement en quinze secondes, en fait, elle ne sait pas faire doucement, personne ne lui a jamais appris, bazooker et exploser des trente-huit tonnes chargé à bloc de dynamite, c'est son péché mignon, elle en a un autre plus grave. Elle en a aussi dans le cerveau. Sait parfaitement coordonner l'hémisphère droit avec le gauche, une science innée du rythme, c'est comme les boxeurs, tous vous écrabouillent la bouille dans la tambouille, de plus rares ont le truc en plus : le swing, la danse, la fulgurance et la grâce. Ne tape pas uniquement pour le plaisir de détruire, la rage de l'orage certes, mais surtout la beauté de l'éclair. La foudre choisit les chênes centenaires et dédaigne les arbrisseaux vermoulus. Car à ses côtés vous avez Laurent Chartier. Chante et joue de la guitare. Les deux très bien. Une voix qui sonne le tocsin de l'urgence et les accords qui comme les étincelles de Mao Tse Toung vous foutent le feu à toute la plaine. Rapide et violent. Pas le gars qui se laisserait intimider par une gamine championne de kick-boxin, lui aussi l'a de l'allonge et de la reprise, l'a la guitare effractive, l'y va carrément au pied de biche, dans le rock garage, on n'a pas le temps de finasser sur la courroie de transmission, on vous la remplace par des boas constrictors, pour le reste du moteur on vous y case dromadaire et en moins de rien vous avez une tout-terrain, avec un tel attelage vous pouvez tenir tête à votre façonneuse de menhirs granités. Pour être franc, je ne sais pas qui enlace l'autre, est-ce Ottavia qui ménage des espaces pour que Laurent puisse laisser choir son épée de Damoclès à l'instant idoine, ou est-ce Laurent qui repousse d'une forte secousse cordique les rochers drumique, je l'ignore, mais le résultat est là, imparable. Une mécanique de précision. C'est sur une forge identique que Nothung fut forgée par Siegfried le tueur de dragons, tapis de braise pour une ordalie rock.

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    Mais ce n'est pas tout. Une calamité ne vient jamais seule. Laurent aboie dans le micro, et subitement Ottavia crie. Elle hurle sans fin, vraisemblablement est-elle soudainement habitée, telle la pythonisse de Delphes, d'une présence divine, car sa clameur stridente embaume le monde, des runes incompréhensibles s'écoulent de sa bouche comme la lave de la gueule de l'Etna, là vous franchissez un cap sensoriel, vous entendez ce que vous n'avez jamais perçu jusqu'à maintenant, c'est la materia prima de l'univers dont vous oyez le ramage strictement interdit aux oreilles humaines. L'image de la pochette et le son du premier disque de Black Sabbath s'est imposée à moi.

    Onze morceaux de mica noir, comme autant d'yeux arrachés par Héra à la face d'Argus pour en consteller la roue cosmique du monde. A croire qu'en rock'n'roll c'est comme en économie, faut privilégier le circuit court. Fascinant.

    LE CORE ET L'ESPRIT

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    Cinq gaillards. Des philosophes à leurs manières eux aussi puisqu'ils qu'ils explorent les méandres du core et de l'esprit – la chair et l'épris ce n'est pas mal non plus - pour bien se faire comprendre, LéO chante en français. Erreur, il fracasse en notre doux parler. Vous crache les vocables en pleine face. Vous met la tête dans le caca de nos existences, avec insistance. Y met du cœur et du corps à l'ouvrage aussi, la scène est trop petite pour lui. Part souvent en exploration, mais ne doit pas trouver mieux, l'herbe n'est pas plus verte ailleurs, car il revient toujours. Gesticule fortement, tend les bras comme des coups de poing, vous cogne avec les mots. N'a pas intérêt à la mettre ne serait-ce qu'une demi-seconde en sourdine, car derrière ça ne chôme pas. Sur les côtés non plus, car Fred à la basse et Cédric à la guitare eux aussi poussés par le démon pervers de la curiosité s'en vont de temps en temps explorer le vaste monde échantillonné dans la Comédia humaine.

    Ô kr'tntreader sois sans crainte, ils n'oublient pas de jouer, peut-être même ont-ils été mis au monde pour cette noble fonction de musicien si louée par Platon. Ne vous ménagent pas les tympans, vous font un super boucan d'enfer. Faites du bruit, et les brontosaures seront bien gardés. Qui dit core dit metal, mais qui verra de quel metal je me forge ! Une drôle de fusion. Réalisent un alliage spécial, la lourdeur du metal, l'énergie du punk et une proportion secrète de funk, cette manière de couper court à tout lyrisme, de briser à tout moment la pâte sonore, de l'empêcher de ronronner béatement sur son auto-satisfaction productiviste, la vie n'est pas un long fleuve paisible, ils ont décidé de ne pas laisser l'auditeur roupiller tranquillement, à tous les instants, du changement, à tout les moments de l'imprévu, faut suivre, pas le temps de rêvasser le long du chemin. Vous happent au passage et vous sentez que votre survie auditive dépend désormais de votre célérité. Ces reitres vous abandonneront agonisant au bord d'un fossé, n'ont pas de temps à perdre avec les demi-soldes, que voulez-vous l'esprit est exigeant. En plus ce n'est pas ennuyant, au contraire, vous voyez du paysage, vous grimpez des montagnes pour les dévaler aussitôt, par contre au sommet l'on ne s'arrête pas pour admirer le point de vue ou le coucher du soleil.

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    Niko n'est pas à la fête. L'a du boulot à abattre. Sa batterie c'est le pont d'un porte-avions dans la bataille du Pacifique, entre catapulter les séquences rythmiques et repousser les kamikazes soniques qui aimeraient vous engluer au fond de la mer des sargasses, pas un instant à perdre. A la manœuvre sempiternelle, doit dépenser en un set autant d'énergie qu'un travailleur de force en huit jours. S'agite comme un dératé, une araignée à vingt-quatre pattes qui tisse la toile des grands désastres.

    David c'est tout le contraire. Avec ces quatre frénétiques autour de lui, il pourrait perdre la tête, être lui aussi contaminé par cette agitation débordante. Un faux sage, semble immobile dans son coin, mais je le soupçonne ( fortement ) de manipuler le comportement du reste de la bande. Les yeux rivés sur sa guitare, le capitaine du vaisseau anglais qui demande un sucre de plus dans son thé quand on lui annonce que le bateau coule, mais les torpilles c'est lui qui les envoie. Les copains cassent les vitrines de la banque, lui il ajuste les balles entre les deux yeux du banquier, l'a une mine de docteur qui écoute soigneusement le cœur du malade, mais il vous sort la combinaison gagnante du coffre-fort sous forme de fracturalités riffiques explosives. L'a l'air de méditer dans son coin mais vous êtes déjà échec et mat. Guitar King.

    Le Core et l'Esprit nous ont donné un de ces sets qui vous essorent le corps. Pour l'esprit, pas de panique, il y a longtemps que nous l'avons perdu.

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    Damie Chad.

    CRUMBLING

    CIRCUIT COURT

    ( Live / Lafalaise / LAF 003 )

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    Ottavia Simonin : drums + vocal / Laurent Chartier : guitar + vocal.

    Z'ont vraisemblablement mis des cadavres de bicyclettes sur la pochette parce que les vôtres sont déjà en état de décomposition avancée.

    Wallet : envoyé rapide. Pas le temps de bayer aux corneilles. Vaut mieux les descendre au tir à pigeons en plein vol. Peu appréciable si vous êtes partisan de la préservation des espèces. Mais c'est un roulé-boulet de canon splendide, guitare grondeuse, voix incisive et batterie qui cogne comme un cadet de Gascogne. Un prototype de garage punk dont vous vous souviendrez. Crumbling : les départs de guitare sont toujours inquiétants, vous ne savez pas ce qui va survenir, mais dix chances sur dix pour que ce ne soit pas agréable. La voix devant est rassurante mais Ottavia en arrière-plan dératise sec et net. C'est elle qui termine au plus vite car il faut une fin à tout. Little sorrow : petit chagrin grand morceau, instant nostalgie, la voix d'Ottavia qui glisse derrière comme des icebergs qui se rapprochent dangereusement pour écraser le navire. Ils le font exprès car il est difficile de croire que le monde est beau. Les lyrics de Laurent ne sont guère rassurants pour la suite de toute existence. M'évoque le premier titre lent du premier Stooges. Cats eyes : ton comminatoire Laurent énonce des condamnations définitives et puis tout s'emballe comme un treuil qui ne maîtrise plus l'enroulement du filin, ça se calme et ça repart, deuxième tentative aussi peu probante que la première, depuis le début la batterie remblaie derrière avec le cadavre de vos illusions. Slaves : une dernière bouffée d'hydrogène pour vous faire exploser la cage thoracique. Sanglots et caillots de voix tragique, la guitare broute de l'arsenic et la batterie se révèle implacable, que voulez-vous nous sommes tous des esclaves.

    Ce petit EP a toutes les chances de devenir culte dans les années qui viennent.

    Damie Chad.

    LE-MEE-SUR-SEINE19 / 04 / 2019

    LE CHAUDRON

    ASHEN / WAKING THE MISERY

    ABSTRACT MINDED

    WILD MIGHTY FREAKS

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    Retour à la marmite du Diable. L'on dit que les forgerons sont les descendants de Tubal-Caïn, la race maudite qui engendra celle que l'on appelle – c'est par humour noir antinomique – homo sapiens sapiens. D'habitude, trois groupes au programme, mais ce soir puisque pour ne pas dérober à sa fâcheuse réputation, l'espèce humaine s'est très mal conduite en son ensemble, nous en avons quatre. Pour la guerre, je vous enjoins de réciter douze fois Les Litanies de Satan, de Baudelaire, vous trouverez le texte dans Les Fleurs du Mal.

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    ASHEN

    Inconnu au bataillon. Pas pour longtemps. Quatre sur scène et dès qu'ils touchent leurs instruments l'on dresse l'oreille. La suite de la prestation le confirmera. Ce combo de quatre guys - n'ayez crainte ils possèdent leur cinquième élément éthérique – nous plongent d'entrée dans un son qui vous tilte les neurones. Basse, deux guitares, une batterie. Resteront de tout le set très concentrés. Diffusent une musique qui exige technicité et énergie. Tout motif à peine traité est délaissé au profit du suivant construit un peu en antithèse. Ruptures incessantes de rythmes qui se déboitent les uns des autres comme des omoplates arrachées de leur cavités scapulaires, mais ils ne nous donnent pas qu'un os à ronger de temps en temps, l'enrobent tout de suite de chair grasse et saignante et n'arrêtent pas de nous en fournir. Comblent les vides qui trouent les brisures désarticulatoires d'un Linkin Park par exemple. Ont compris que les amateurs sont comme des fauves affamés, faut leur apporter une nourriture copieuse et roborative. Passent en première partie et du coup ils maléficient d'un court temps scénique. N'auront droit qu'à quatre ou cinq morceaux. Je n'ai pas compté. Trop occupé à écouter.

    Et le chanteur bondit sur scène micro en main. Pas évident avec ses cheveux courts et sa chemise colorée de reconnaître Clem Richard de feu Fallen Eight, mais il lui est difficile de cacher sa voix. Pourrait se contenter de se reposer sur sa facilité, mais non, il la pousse sans ménagement, pas comme une brute avinée qui tape à grands coups de pied sur son chien pour le faire avancer, la manie comme une arme aiguisée en épéiste convaincu de son savoir faire. Vise le ciel tandis que de ses quatre acolytes s'échappe une sombre et lente avalanche de rocs noirs qui désertifient l'espoir de vivre sur notre planète arasée, mais Clem est au plus haut, au-dessus des décombres et des menaces, parvient à la faire resplendir au-dessus du magma sonore, ne cherche pas à répondre aux canons du genre, préfère être lui, ne force pas, tranche, ne pousse pas, éclate. Vous cloue sur place, vous ne savez pas si c'est la lueur du phare dans la tempête qui indique le port salvateur ou le rayon de la mort qui se fixe sur vous pour ne plus vous lâcher.

    Bref en vingt minutes Ashen a suscité la surprise et l'intérêt, ont esquissé une épure sonore parfaite. Une prestation rapide mais irréprochable, chaleureusement accueillie, l'on aurait aimé davantage, l'on est curieux de savoir la suite, l'est évident qu'Ashen nous réserve des surprises en le sens où nous ne savons pas encore vers quoi au juste se dirige le groupe, où iront-ils, et jusqu'où iront-ils car c'est ainsi que se pose la question du futur du metal, en tout cas ils sont capables de repousser bien des limites. Nous attendons la prochaine étape, prochains concerts certes, mais surtout le futur premier CD qui se doit d'être le témoignage d'une volonté d'affirmation émergeante mais surtout la preuve de l'exploration d'un monde encore inouï.

    WAKING THE MISERY

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    Diantre, serait-ce une mode chez les forgerons, un deuxième chanteur – se prénomme Gubs - revêtu d'une chemise colorée quasi-hawaïenne. Par contre il possède une particularité bien à lui, une voix que l'on qualifiera de blanche si on la compare à celle des congénères de son type qui offrent un timbre oblitéré d'un tampeur-growleur typiquement grasseyant ou du moins enrouée. L'a une voix creuse ce qui ne l'incommode pas à voir à la vitesse avec laquelle micro en main il se rue sur le devant de la scène, le guy, tout sourire, est sûr de lui. Et il n'a pas tort. Il pénètre la masse sonore avec facilité, l'on peut discerner en arrière-plan un découpage hip-hopien, mais surtout pas hip-popien, de son phrasé mais qui ne défigure en rien le travail accompli par ses camarades. Agissent par enrobements, successifs, si les deux premiers morceaux, Blutcher et The Last Time, qui établissent un premier palier de chauffe sont des plus conventionnels l'on ne tarde pas à comprendre leur jeu d'interprétation subtile. Sont comme le reptile qui devient de plus en plus impressionnant au fur et à mesure qu'il déplie ses anneaux. L'on dirait que chaque nouveau titre se nourrit de la puissance du précédent. S'étoffe sans arrêt pour mieux vous étouffer. Une stratégie des plus convaincantes. Fascinante est le mot. Au bout d'un moment l'on ne regarde plus que le triangle mystique de la tête du serpent. Toast my Fist, Always Watches sont des joyaux de couronnes mortuaires de lente strangulation qu'il vous passe autour du cou, afin de vous réveiller de la misère crade qui vous emprisonne. Je vous conseille de les imiter, de donner comme eux de l'ampleur à votre existence, le set est identique à une montée inexorable de lave. Cela vient du plus profond et vous soulève. Au-dessus de vous même. Un étrange silence s'est emparé du public subjugué, l'on aclame et l'on tape très fort des mains à la fin des titres, mais ce n'est pas le plus important, l'essentiel est cette ferveur d'écoute que suscite le groupe qui paraît d'autant plus étonnante que l'évidence de l'heureuse décontraction de Gubs s'affirme de plus en plus. Musique sombre et voix claire. Et plus le set s'assombrit – il faut dire que l'éclairage qui alterne des éclairs d'un blanc néontique à des séquences de noir total ultra-rapides aide à répandre cette sensation – plus la voix de Gubs devient illuminative, rayon de soleil germinal sur les parois des grottes préhistoriales les plus profondes. Waking the Misery éveille la face hideuse de nos misères intérieures, fonctionne comme une machine d'analyse spectographique de vos protubérances crâniennes. Vous fracasse l'occiput, puis charitable vous trépane. Il n'est de meilleur sauveur que celui qui vous tend la main pour vous sauver de la mouise dans laquelle il vous a précipité. Sont violemment applaudis.

    Je vous chroniquerai leur premier CD dans la prochaine livraison. Soyez patients.

    ABSTRACT MINDED

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    A entendre, lors de l'installation du groupe, tousser Zivan aussi fort qu'une classe de maternelle atteinte du virus de la coqueluche, je vous file une comparaison sympathique parce que cette raucité caverneuse évoque en vérité une cohorte de tuberculeux grabataires grelottant sous leur maigres couvertures dans le sanatorium de La Montagne Magique de Thomas Mann, à la manière dont il s'assied lourdement sur l'estrade de la batterie, à ses yeux luisants et fiévreux vous vous dites que le set d'Abstract Minded a du plomb dans l'aile. C'est exactement ce qui s'est passé, mais pas dans le sens attendu, plutôt dans le genre full metal jacket. En sortant du concert j'en étais à me maudire jusqu'à la soixante-dix-septième génération d'être resté dans l'ignorance de leur passage précédent aux Dix-Huit Marches de Moissy Cramayel, je me fais l'effet du gars qui passe à côté des portes de l'Enfer et qui oublie stupidement de rentrer. La lumière s'est-elle éteinte que Zivan déploie la torche de sa chevelure se saisit de sa guitare et se cambre devant la scène. Et tout de suite c'est l'explosion atomique.

    Abstract Minded est un groupe prodigieux. Réalisent à eux tout seuls, le rêve wagnérien d'art total, mais uniquement avec leur seule musique. Quatre musiciens et un chanteur. Joey vous a la carrure d'un ours polaire, d'apparence policée, chemise blanche, pantalon à bretelles, le malheur c'est que cela ne dure pas longtemps, quelques secondes, après c'est un cauchemar sans fin, la bête affamée se jette sur un village de malheureux esquimaux et en dévore la population jusqu'au petit dernier nourrisson innocent. L'a inventé à lui tout seul le growl-opéra avec scène de screams perpétuelle. Ne s'arrête pas une seconde, ne reprend jamais son souffle, de bout en bout porte sa voix sur une colonne d'air herculéenne, peut-être qu'il aimerait, que si ça ne tenait qu'à lui, mais non ses camarades ne lui en laissent pas l'occasion. Partagent tous la même éthique, tout et tout de suite. Le passé et le futur ne sont que de vains fantômes, seule la puissance de la présence de l'instant fugace du monde, que l'energeia aristotélicienne empêche de sombrer en sa terrible vacuité, est impérative. Jimmy est le partisan de la frappe sans retour, pousse en avant sans interruption, une forge incandescente, une déforestation infinie, chaque claquement de tom est un brandon de haine pure apposé au cul métaphysique de l'ours septentrionique dont la figure magnifiée par Joey resplendit de fureur infinie.

    Si vous croyez qu'Abstract Minded enfile les morceaux les uns après les autres comme des perles de faux corail sur des colliers de pacotille, c'est que vous n'avez rien compris au drame représenté. Les Abstract-boys s'engouffrent dans de longs mouvements symphoniques tempétueux, vous emportent en un tumulte barbare sans fin, faites abstraction de votre raison, laissez-vous guider par votre démence ( votre de-mens ) intérieure, c'est ainsi que vous percevrez cet ouragan démentiel, cette pluie de feu torrentielle qui s'abat sur vous et vous englobe en ses remous de boue divine. La basse d'Alexis est une fronde, l'envoie à répétition ses projectiles, l'est comme le moteur immobile qui déclenche l'engrenage des rouages incoercibles. Aucun grain de sable n'entravera la machine fatidique qu'il engendre. Car la musique d'Abstract Mind qui se construit sur une logique lyrique qui n'appartient qu'à la folie de son projet se déploie selon sa propre nécessité. Se suffit inébranlablement à elle-même.

    Ce sont les guitares qui fournissent la respiration nécessaire au monstre mis au monde. Se partagent le travail, Louis se charge de l'inspiration, ses riffs aspirent et assimilent le monde, agissent à la manière d'une corne d'abondance qui retire la substantifique moelle de la réalité pour la réingurgiter à l'intérieur d'Abstract, il puise et apporte la lymphe vivifiante, sans lui la bête s'étiolerait très vite. Zivan agit tel l'évent de la baleine qui renvoie à l'océan l'eau, l'écume et le sel expurgés de tout plancton, assure le mouvement rotatif d'échange entre l'intérieur et l'extérieur, le microcosme et le macrocosme. S'approche du public et vous lacère la figure d'un jet de riffs coupants comme des dents d'un cachalot harponné qui emporte le navire assassin au fond des abysses, entendez-vous les plaintes des marins, que vous êtes, que rien ne sauvera !

    Le rêve s'achève. Abstract Minded fut grandiose. Le meilleur concert de l'année.

     

    WILD MIGHTY FREAKS

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    Perso je ne serai jamais passé après les Abstracts. Mais les Wild Mighty Freaks s'en moquent. Z'ont leur public, beaucoup de filles enthousiastes, et sont sûrs d'eux-mêmes. Sont au carrefour incertain d'un étrange et précieux mélange metallifère de hip-hop, d'électro et capable de flirter sans danger avec la dance-music, ont le don charismatique de rassembler autour d'eux bien d'obédiences différentes.

    Un éboulement de batterie, une déjante de clavier, un hululement sourd et continu de basse et Crazy Joe entre en scène, canne à pommeau à tête de mort à la main, chapeau, pas tout à fait haut de forme, sur la tête, l'a l'air d'un monsieur loyal de Médrano issu d'une comédie musicale, sa prestance n'est pas sans évoquer celle d'Al Jolson, et puis il a cette voix, ou plutôt ce grain de voix qui irradie, qui ferait fondre les icebergs, presque un organe tactile qui vient vous caresser en vos zones érogènes préférées. Se meut avec classe, l'aisance d'un showman avisé, heureux d'être-là exprès pour vous. L'est trop heureux d'être en face de vous, et même s'il ne se ménage pas, même s'il reste le point focal d'attention mirifique, il semble avant tout s'amuser.

    En plus il possède son clone. Yaboy, le seul musicien qui sur scène ne se sépare jamais de son sac à dos. Genre héros farfelu de Jules Verne, un explorateur foutraque prêt à partir aux multiples azimuts latitudinesques et longitudinaux de la sphère terrestre, à la première occasion qui ne présente pas. Normalement il est préposé aux claviers. Le mec pas sérieux, s'en fout et contrefout, de toutes les manières ces bidules de nos jours ça marche tout seul, de temps en temps quand il y pense un court bidouillage et en avant la musique. Le mec n'a rien à faire, donc il ne fait rien. Fait semblant de marcher sur scène avec un but précis, mais tout le monde devine qu'il se donne une contenance comme le cancre de la classe apparemment préoccupé par le cours du professeur qui prépare un lâchage d'araignées. Alors il s'amuse. De temps en temps, pas toujours, car le travail est une véritable malédiction. L'a son truc. Se met sur le côté, imite tous les mouvements de Crazy Joe, et répète un ton au-dessous tout ce qu'il chante. Au passage, l'on s'aperçoit qu'il a une belle voix, qu'il est extrêmement doué pour le contrechant, que le jour où Crazy Joe aura une extinction de voix, il pourra assurer à sa place, mais l'est trop relax, ne prend pas son rôle au sérieux, ses mimiques font penser à cette ombre facétieuse qui se glisse derrière vous au restaurant, qui pendant que vous essayez de séduire une jeune fille innocente vous fait à votre insu des oreilles d'âne, prend des airs étonnés ou offusqués lorsque vous débitez votre baratin, et qui comble de tous les irrespects se permet de boire puis de cracher dans votre verre.

    Flex s'occupe de la basse. Doit être un partisan des horaires flexibles. Travaille quand il veut. Laisse bourdonner son engin pratiquement tout seul, et puis ça le prend par secousses, avance d'un pas sur la scène et là vous recevez le son sur tout votre corps, une rude et rêche couverture qui s'abat sur vos épaules et ne tarde pas à produire son effet bienfaisant, doit avoir bossé durement sur les théories sensorielles d'interactions musicales sur le comportement animal et humain, l'a dû trouver l'emplacement exact d'intersection de l'instant T avec le point G de votre organisme, car vous ressentez une douce volupté. Vous fournit l'excitationde la transe à volonté, ne s'en privera pas sur les trois derniers morceaux.

    Bon, il y en a un tout de même qui marne à cent à l'heure. Tonton n'arrête pas, une batterie éruptive et fusionnelle, un étincellement ininterrompu, et l'a intérêt car le Yaboy sur ses pianos mécaniques il vous dégote des sarabandes de trucs pointus comme des langues de vipères, des entrelacements de feux follets à désorganiser une rythmique et puis Crazy Joe ne donne pas dans l'approximation, faut être au rancart de ces breaks et au lancement de ces reprises fulgurantes.

    Wild Mighty Freaks se taille un beau succès. Soulève l'enthousiasme du public qui obtient un dernier rappel. Mais il se fait tard et il faut que nous rentrions chez nous.

    Damie Chad.

    MIDNIGHT CRUISE

    WISE GUYZ

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    Pochette fignolée, artwork des plus classiques dû à Skypala et Youry. Un disque qui ravira les fans obsédés de pureté rockabillyenne même si les Wise Guyz se permettent trois swingantes fantaisies. Que voulez-vous quand les ukrainiens font jeu égal avec les ricains, n'y a plus qu'à se taire et à écouter.

    Do it bop : vous le font bop, mais d'enfer, la voix de Chris papillonne et sa guitare va chercher le son le plus grave au plus profond des tombes, oui mais derrière ils aimeraient faire sauter la cambuse au bromure alors ils s'en vont par deux fois sur des ponts branlants aussi vertigineux que les passerelles de l'Himalaya, et Chris vous escalade cela comme s'il remuait la salade à la maison. ( Alternative version ) Rude bad boy : Quatrième version, c'est cela le rockabilly l'on recherche la solution, car il n'y en a qu'une qui se rapproche de l'Eidos platonicienne du beau, du bon et du juste. Ce coup-ci, une voix légèrement plus traînante que les instruments qui ont l'air pressé. Une légère distorsion aussi subtile que la réverbe de Sun. Et quand l'une prend de la vitesse les autres accélèrent. Un ballet infernal. Franchissent la ligne d'arrivée en se marquant à la roue. Midnigth cruise : ah, ces slaps de big mama, ça vous soulève le cœur comme une crêpe dans la poêle à frire, Chris vous prend l'accent traînant du sud pendant que les autres vous tartinent en rythme la confiture d'airelle. On subodore même une bataille entre les gamins pour avoir le droit de manger le premier beignet. Z'auront une beigne. Johnny boy : changement d'ambiance, fausse ballade cow-boy car le rythme est enlevé, à mi chemin entre nostalgie ironique et noirceur caschienne. Un bijou de plus à la couronne rockabilly. Nobody's Business : Rebel passe le rateau de sa big mama, la guitare de Chris pianote au translucide, et hop tout de suite l'on saute dans le swing le plus pur, les guyz font de courts chœurs les mêmes que l'on entend sur Bill Haley, Ozzy jazifie en secret, puis nous vibraphonise à la Hampton. Dans les années trente, après la crise. Is it love : retour au grand galop au rockabilly, Chris vous prend les intonations adéquates et le combo gronde à la manière d'une locomotive de la Western Union. Une giclée de guitare, une big mama qui résonne, chacun fait son petit numéro, mais en voiture Simone l'on n'a pas le temps de s'arrêter, le rock d'abord. Enough : encore une intro qui résonne dans votre tête creuse, le Chris il en mange les vocaux, vous les recrache aux alentours et tout autour les gars ne se gênent pas pour l'imiter sans limite, un train d'enfer, vous donnent l'impression que c'est parti pour l'éternité et quand ça s'arrête vous vous apercevez que vous y aviez vraiment cru. Sweet loving : calmons-nous, rythmique électrique, il fut un temps où le swing promettait de se métamorphoser en rockabilly, s'en approchait mais n'y réussissait pas encore. Chris scate à la perfection, et les boys donnent dans le rétro, avec cet avantage supplémentaire qu'ils connaissent la suite de l'évolution musicale. Comme quoi tricher c'est aussi jouer. Hi-class mama : stroll coupe au bol, la voix qui drague, la musique qui fait la belle, la fille se pavane et les boys klaxonnent, se déchaînent un peu, elle les a vus mais fine belette fait semblant de rien, pas de souci les souris adorent que les chats leur sautent dessus. Jouent tous leur rôle à la perfection. Beware : guitare pointue et vocal un tout peu plus rauque, la big mama se trimballe, Ozzy charlestonne de la baguette, la guitare s'ouvre comme une devanture de bijouterie, les guiz vous la font tout en douceur. Mais remuante. Juanita :un petit coup d'espagnolade n'a jamais fait de mal à personne, z'ont foufu une robe de gitane à All I Can Do Is Cry, pas mal, mais franchement l'on sent un peu trop le déguisement. Jukebox rock : rock endiablé comme on les aime, aucune hésitation, le combo fonce droit devant et les danseurs sont aux anges, vous le font plus vrai que vrai, Chris se survolte à la guitare, Ozzy cartonne, la big mama doit en perdre ses jupons, Gluck vous donne la mesure démesurée. Finissent tous les doigts sur la couture du pantalon. Swing by C : du swing certes, mais un véritable hommage à Django, Chris se délie les doigts et les gars montrent qu'ils ne sont pas manchots. Rebel décoiffe en douceur sur sa contre-basse, Gluck entremêle ses trilles avec Chris, et Ozzy vous passe le rythme comme les serveurs dans les restos vous lancent de loin les assiettes pile sur votre table. Pour les éclaboussures pas de problème vous lécherez le plancher.

    Ceci n'est pas un CD, ceci est le sang de votre chair de rocker.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE : KR'TNT ! 415 : PAUL WHALEY ( + BLUE CHEER ) / HAL BLAINE ( + WRECKING CREW ) / CRASHBIRDS / HITCH & GO / CHUMP / WISEGUYZ

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 415

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    18 / 04 / 2019

     

    PAUL WHALEY ( + BLUE CHEER )

    HAL BLAINE ( + WRECKING CREW )

    CRASHBIRDS / HITCH & GO / CHUMP

    WISE GUIZ

     

    Whaley s’en est allé

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    Bon, on savait que Blue Cheer était off depuis la disparition de Dickie Peterson en 2009, mais la disparition récente de Paul Whaley semble enfoncer encore un clou dans le cercueil de Blue Cheer. Comme tant d’autres groupes décimés par les rigueurs de la fatalité, Blue Cheer appartient désormais à l’histoire. Pourtant, leurs albums restent terriblement vivants. Rappelons que Blue Cheer est à l’origine de ce qu’il est convenu d’appeler le heavy rock. Avec Motörhead et les Who, ils furent the loudest band on earth. Derrière Dickie Peterson et Leigh Stephens, Paul Whaley martelait le beat comme une machine à vapeur. Dickie Peterson ne voulait pas d’autre batteur derrière lui.

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    Paru en 1968, Vincebus Eruptum reste pour beaucoup d’oreilles l’épitome de chèvre du heavy sound. «Summertime Blues» donne bien le ton, joué à la saturatus maximalus. Paul Whaley est complètement noyé dans le mix que dévore l’ancien roi du feedback, Leigh Stephens. Ils enchaînent avec une version encore plus heavy de «Rock Me Babe». La voix de Dickie Peterson est encore un peu verte et ce diable de Leigh Stephens joue comme une brute. Il devint à l’époque une sorte de héros et cet album reste le modèle absolu du trash-boom. «Doctor Please» sonne comme une longue tartine de heavy rock exacerbé, avec un Leigh Stephens qui tente l’échappée belle, mais il tourne en rond dans ses gammes. Ils étaient alors très courageux de tenter le diable à trois. Paul Whaley tape tout seul dans son coin et martyrise ses cymbales. Ils sont marrants, car ils essaient de faire un cut avec rien. C’est l’apanage des big jammers californiens. Sur cet album infernal, tout est dédié aux dieux de la saturation. Ils repartent de plus belle en B avec le bien nommé «Out Of Focus». Leigh Stephens ne joue qu’en ultra-saturation et loin là-bas, au fond, Paul Whaley bat lourd. Et même très lourd. Ils font une version déchirante de «Parchman Farm», mais à leurs conditions, en roue libre saturnale et au doom de heavy beat. Voilà le vrai hit de l’album : «Second Time Around», véritable coup de génie riffique. La plongée dans le couplet est un modèle du genre, c’est riffé à la vie à la mort, listen here babe ! Ils redémarrent leur bash-boom par trois fois avec une violence égale. C’est là que se niche de génie sonique de Blue Cheer. Mais cet abruti de Paul Whaley vient ruiner le cut avec un solo de batterie.

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    Sur leur deuxième album Outsideinside paru la même année se nichent deux nouvelles énormités : «Gypsy Ball» et «Babylon». Ils appliquent leur empreinte sur le museau du rock. On voit Leigh Stephens prendre son élan dans le gras double. Ils jouent leur Babylon au pire doom du heavy blues. Ils tapent aussi un instro épouvantablement sauvage, «Magnolia Caboose Babyfinger», qui pourrait rappeler le son de Bloomy dans le Paul Butterfield Blues Band. C’est la même niaque de swing. Ils jouent leur «Sun Cycle» avec des semelles de plomb et reviennent au beat dévastateur avec «Just A Little Beat». Paul Whaley s’y démultiplie à l’infini. C’est là que Blue Cheer crée sa légende. Avec «Come And Get It», on les voit bourrer leur dinde de son et c’est la raison pour laquelle on les admire. C’est bourré à craquer de son, ils réinventent Gargantua avec du sonic blast. Cheer-moi ça, baby ! Alors évidemment, un cut comme «The Hunter» leur va comme un gant. D’autant que Paul Whaley le sur-joue - Ain’t no use to hide.

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    Et puis les choses vont commencer à se détériorer avec New Improved Blue Cheer paru l’année suivante. Leigh Stephens quitte le groupe et Dickie Perterson engage des remplaçants, notamment Bruce Stephens qui joue un peu de guitare jazzy dans l’esprit de Love. On l’entend faire des siennes dans «When It All Gets Old», mais il faut imaginer la gueule des fans de Blue Cheer à l’époque. Arrrgh ! Quelle horrible déception ! L’A est un conglomérat de petits cuts allègres et adroitement bricolés et ça se termine par un heavy clin d’œil à Dylan avec «It Takes A Lot To Laugh» : du grand Dickie Peterson. C’est le seul lien avec le Blue Cheer d’avant. L’album est même coupé en deux, car Blue Cheer redevient un trio avec Randy Holden qui joue sur la B, mais il a du mal à décoller : trop d’arpèges. Si la face Randy Holden était bonne, ça se saurait. Il tente de sauver l’album avec «Fruit & Iceburgs» en passant un gros solo âpre et dentu. Il joue des descentes de gammes avantageuses et bénéficie du beau beat de Paul Whaley. Mais bon, quelle blague.

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    Blue Cheer va encore enregistrer trois albums sur Philips, mais sans Paul Whaley. Dickie Peterson tente de sauver la légende, mais c’est très difficile, car les albums ne sont pas renversants. Ils font partie de ceux dont on se séparait dans les années soixante-dix, et qu’on rachetait vingt ans plus tard sur la seule foi du nom, en se disant ‘peut-être les avait-on mal écoutés à l’époque’, alors on les réécoute en espérant y trouver du Blue Cheer, mais non, c’est autre chose. L’album Blue Cheer paru en 1970 est un album de rock américain assez banal, comme si Blue Cheer était devenu un groupe gentil et bien élevé. On y retrouve Bruce Stephens au chant. Les grooves sont extrêmement bien sonorisés. On pourrait même parler d’un album classique mais dense. «Ain’t That The Way» sort du lot par sa puissance. On a là le son des seventies qui fait tellement baver les gens aujourd’hui. On sent que cette nouvelle mouture de Blue Cheer ne veut pas se risquer à réinventer le fil à couper le beurre. Quand ils poppisent à l’anglaise avec «Lovin’ You’s Easy», ils savent rester élégants. Ils terminent cet album mi-figue mi-raisin avec un vieux coup de Stonesy intitulé «The Same Old Story». Ils sont dessus, avec tout le swagger de rigueur.

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    La même année paraît The Original Human Being. Paul Whaley ne joue pas non plus sur celui-ci, et il a raison, car ce n’est pas fameux. Ça démarre avec un «Good Times Are So Hard To Find» monté sur le riff d’I’m A Man, avec le petit shuffle d’orgue par derrière. Le pauvre Dickie se retrouve tout seul avec Ralph Kellog et Norman Mayell, rescapés de l’album précédent, plus Gary Yoder. On sent nettement au fil de cuts une grande faiblesse compositale. Ils n’ont plus de Blue Cheer que le nom. Plus aucune trace de la rémona. Ils font même du folk radio-friendly de coin du feu avec «Tears In My Bed». On les voit tenter de remonter la pente avec «Man On The Run», mais ça peine dans la côte, mâchin, comme dirait un Suisse. Ils moulent le grain avec une grande pénibilité. On sent qu’ils dilapident leur identité et qu’ils ne savent plus à quel saint se vouer. Ils jouent le rock par hasard et sans conviction. C’est presque un album grec tellement il est tragique.

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    Dernier épisode Philips avec Oh Pleasant Hope en 1971. On retrouve la même équipe et un beau cut de bassmatic, «Money Troubles». Ils jouent ça en mode groovy softy élastique assez inspiré. On est ici dans le haut de gamme d’un son de studio avec un bassmatic de rêve. L’album se veut résolument pop-rock. On sent que Dickie Peterson subit des pressions pour devenir plus commercial. «Believer» se veut assez ambitieux. Ils sonnent comme tous les grands groupes américains des early seventies, avec ce côté Spirit dans le son. Avec le morceau titre qui ouvre le bal funeste de la B, ils sonnent carrément comme les Eagles, c’est dire le côté dramatique de cette aventure. Ils jouent «I’m the Light» le cul entre deux chaises, entre Spirit et un son plus anglais. Dickie chante comme Jay Ferguson et le cut sonne comme de l’élégiaque britannique. Mais ils sont tellement déterminés à vaincre qu’ils forcent l’admiration. Avec «Ecological Blues», ils repompent le «Going Up To The Country» de Canned Heat. La pop-rock bien fouettée et admirablement bien enlevée de «Lester The Molester» passe comme une lettre à la poste. C’est gorgé de musicalité et le beau bassmatic vole par dessus les toits. Ils terminent avec un «Heart Full Of Soul» plus musclé, et monté sur un bassmatic plus r’n’b. Dickie Peterson semble vouloir enfin se fâcher. Bon ce n’est pas le Heart Full Of Soul des Yardbirds, on a là une compo de Dickie et sans doute le cut le plus rocky de cet album relativement sympathique.

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    Après quinze ans de silence, Blue Cheer refait surface avec The Beast Is Back. Dickie Peterson et Paul Whaley s’acoquinent avec Tony Rainier, le mec qu’on retrouve aussi dans l’album 7, c’est-à-dire le septième album prévu sur Philips mais qui n’est pas sorti à l’époque, pour cause de fin de contrat. Avec The Beast Is Back, Blue Cheer remet enfin les pendules à l’heure. Ça commence d’ailleurs par la pochette, bien rouge, avec la main du diable qui caresse les fesses d’une belle gonzesse. Et au dos, le groupe remercie tous ceux qui ont gardé les roots alive, à commencer par Led Zep et Sabbath. Pour bien enfoncer le clou du retour, ils tapent bien sûr dans les vieux coucous comme «Summertime Blues». Le vieux Dickie n’en démord pas. Tony Rainier a un son un plus hard que celui de Leigh Stephens et ça gêne un peu. En B, ils vont aussi retaper dans «Babylon» et dans «Parchman Farm», mais leur version n’est pas aussi explosive que celle de Cactus. Elle est plus grasse, avec du mal à se déplacer. Ils jouent bien la carte de la désespérance, car c’est le thème du cut. Ils en font une version à rallonges, mais bon, ça passe, parce qu’on est tous contents de les revoir. Ils tapent aussi dans le vieux «Out Of Focus». Ils excellent dans la heavyness et c’est là qu’on les attend. Régal assuré, car ce diable de Tony Rainier joue son blasting à la mélasse suprême. Joli slab de heavyness aussi que ce «Ride With Me» que Paul Whaley bat comme plâtre. Et sur «Girl Next Door» qui sonne comme Parchman Farm, Tony Rainier joue sa cocotte perfide à l’excellence. Ils embarquent «Heart Of The City» au walking riff. Dickie Peterson n’en finit plus de rameuter ses vieux pouvoirs des ténèbres, il chante au guttural enflammé et derrière, ça power-triorise comme pas deux. Le heavy sound reste bel et bien l’apanage de ce cher Blue Cheer. Red hot !

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    Cinq ans plus tard, Dickie et Paul Whaley engagent le guitariste Andrew Duck MacDonald pour enregistrer Highlights And Lowlives. Mais Duck sort un son trop hardos, comme on dit dans les salons. Avec «Hunter Of Love», ils virent carrément arena rock. Ils s’enfoncent dans du heavy sound à la Endino et ça ne marche pas. Il faut entendre Dickie chanter «Big Trouble In Paradise» à la grande gueule en B. Il veut en découdre, mais c’est sans espoir. Il faut attendre «Hoochie Coochie Man» pour retrouver un peu de Cheery blast. Ça part bien heavy avec un Dickie qui lance un Oh yeah d’approbation sur les premières mesures. Cette version sauve l’album. Duck MacDonald sonne comme Jimmy Page dans son solo.

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    Oh il existe un autre album de Blue Cheer avec Duck MacDonald, mais sans Paul Whaley : Blitzkrieg Over Nuremberg. C’est un live bien dense, avec un nommé Dave Salce qui remplace Paul Whaley. On retrouve l’excellent «Ride With Me» - This is a song about motorcycles - Dickie va chercher la même fournaise que celle de Lemmy. Blue Cheer et Motörhead, même combat, même sens de l’inflammatoire, même science du power trio. Duck MacDonald joue bien son solo à l’horizontale traversière, c’est excellent et ça se situe dans l’esprit de destruction massive de Fast Eddie. Ils tapent aussi une version explosive de «Summertime Blues». Ils jouent à l’extrême cavalcade incendiée à tous les coins de rue. Ils outrepassent Leigh Stephens et Paul Whaley, ils jouent au pouvoir supérieur. On peut aussi se prosterner devant «Just A Little Bit». Dickie Peterson semble détenir tous les pouvoirs. Blue Cheer redevient l’exacte incarnation du power suprême. Ils démarrent l’A avec un medley «Babylon/Girl Next Door». Dickie peut beugler ses babeh ! Ils replongent dans le rock en fusion et leur Girl Next Door sent bon la patate chaude de Parchman Farm - I’m here for the rest of my life - La B est complètement apocalyptique. Ils plongent «Out Of Focus» dans les abîmes, Dickie rallume tous les brasiers séculaires et ce démon de Duck MacDonald s’en donne à cœur joie. Ils replongent de plus belle dans l’apanage du heavy blues avec «Doctor Please» - Another drug song - MacDonald passe par des phases classiques grandioses, il sonne comme le Bela Bartok du heavy blues, il joue des ponts prodigieux et rétablit la grandeur du genre, il étend l’empire de Blue Cheer jusqu’aux confins du monde libre. Avec «The Hunter», Blue Cheer fait un retour spectaculaire aux apanages fondamentaux du rock moderne. C’est le heavy tempo du Hunter, tel que défini en son temps par Big Albert, puis par Paul Kossof dans Free et ce diable de MacDonald n’en finit plus d’élever considérablement le niveau du débat. Cet album inespéré s’achève avec une version un peu molle de «Red House». Dommage. Ils perdent la dynamique de la version originale. Ça reste du big heavy blues ultra-joué, bien sûr et sur le final, le vieux Dickie s’explose bien le gosier. Ah l’animal !

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    Changement de guitariste pour Dining With The Sharks. Il s’appelle Dieter Saller et sonne un brin heavy. On sent qu’on atteint les limites du genre avec «Big Noise». Derrière on entend le pilon de Paul Whaley. Il ne mégote pas sur le heavy pounding. On les sent tous les trois dans la fleur de l’âge. Avec «Outrider», Dieter Saller amène un son très anglais et Blue Cheer perd de son ostracisme heavily californien. Dickie chante son ass off, il hurle comme un désespéré, il hurle d’autant plus que Paul Whaley se met à frapper comme Mikkey Dee, le dernier batteur de Motörhead. On voit Dickie revenir au stuff coercitif avec «Sweet Child Of The Reeperbahn». Il chante à la glotte vive et montre bien qu’il adore le heavy groove. Et quand on entend «Audio Whore» en B, on comprend bien que ces trois mecs ne s’embarrassent pas de petits détails. On les sent encore plus déterminés à vaincre avec «Cut The Costs». Le son est âpre, très type hard-rock anglais des années 80, le fameux NWOBHM machin, une calamité. Et comme on le voit avec «Sex Soldier», Blue Cheer est un groupe qui meurt mais ne se rend pas. On a là du beau Blue Cheer vaillant sur la brèche, avec un Saller bavard comme une pie. Ils bouclent avec «Pull The Trigger» et réveillent du même coup les démons de Summertime Blues. La grosse attaque est calquées sur le riff d’Eddie, avec derrière le pilon de Paul Whaley. Ah on peut dire qu’il en aura pilonné des albums dans sa vie, le vieux Paul. Saller fait une belle descente aux enfers sur son manche. Dommage qu’il ait ces réflexes de hardos anglais. Berk.

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    Paru sur un label japonais en 1999, Hello Tokyo Bye Bye Osaka annonce la résurrection de la Bête. Si on ne sait pas ce que heavy signifie, alors il faut écouter le «Babylon» qui ouvre le bal. Sur cet album singulièrement ravageur, on a des morceaux de quatre minutes qui prennent leur envol comme des prédateurs d’acier noir dans un ciel embrasé. Blue Cheer inspire une sorte de terreur sacrée. Ce n’est pas un groupe qu’on admire, oh que non ! C’est un groupe devant lequel on s’agenouille et qu’on vénère en tremblant. Hormis Monster Magnet, aujourd’hui aucun groupe ne sonne comme Blue Cheer. Sur «The Hunter», la guitare d’Andrew Duck MacDonald et la basse de Dickie Peterson sont en saturation maximale, bien au-delà des normes autorisées. Dickie Peterson mitraille à coups de basse comme s’il était un fantassin de la Wermarcht acculé aux murailles de Stalingrad par une division de mongols cannibales. Ça devient hallucinant de violence carnassière. On pourrait même pousser des aaahhhh ! et des uuuhhhh ! face à une telle démesure frénétique. Il faut avoir entendu un morceau comme «Girl Next Door» une fois dans sa vie pour comprendre ce que peut vouloir dire Richard Burton quand il évoque le musc nacré de l’Islam. C’est vrai que Peterson chante souvent en hurlant, comme si ses nerfs lâchaient, mais comment peut-il faire autrement ? Franchement, c’est impossible. S’il hurle, c’est qu’il en a besoin. Blue Cheer déverse ses tonnes de décibels sur la gueule des Japonais. C’en est presque comique ! Le solo de MacDonald se répand comme de l’or liquide dans un vacarme assourdissant. Blue Cheer se situe au-dessus des lois. La guitare traîne en larsen sur les tap-tap de Paul Whaley et le gros riff de «Summertime Blues» vient tout écrabouiller. Aucun groupe n’a un son aussi atomique, au sens du bombing. C’est tellement ravageur que ça en devient ubuesque. «Ankya very much !» Bon prince noir des galaxies acides, Dickie Peterson salue une audience japonaise complètement tétanisée. «Out Of Focus» ! C’est encore plus épais, plus pesant que tout ce qu’on pourra imaginer. Plus sauvagement sombre, plus dramatiquement abyssal, plus génialement plombé que toutes les énormités du Vanilla Fudge.

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    Paru en 2007, What Doesn’t Kill You est un double album live sur lequel joue encore Andrew Duck MacDonald. Les power dudes sont alive and well, même si on les voit sous forme de squelettes sur la pochette. Dans «Piece O’ The Pie», Duck MacDonald sonne quasi-hendrixien, au sens de «Cry Of Love». Ce joli son de Strato perce l’air liquide. Ils enchaînent avec une version torride de «Born Under A Bad Sign». Bel hommage à Big Albert. C’est un rêve de son come true. Ah comme on se régale de leur conjonction. Duck reste très Cry Of Love, il fait son beautiful freak, très lyrique et ramène du charme dans ce monde de brutes qu’est Blue Cheer. On retrouve cette belle hendrixité en B sur «I Don’t Know About You». Magnifique élongation du domaine de la lutte Cheery. Mais c’est avec «I’m Gonna Get To You» qu’ils font le mieux leur boulot. On les sent résolus. Duck MacDonald voyage en vol plané, il semble même parfois se forer un tunnel sous le Mont Blanc, mais il le fait avec tout le velouté hendrixien. Son de rêve. En C, ils retapissent un «Just A Little Bit» hendrixifié dans l’essence de la pertinence. Dickie chante avec une fermeté qui pourrait passer pour de la mauvaiseté intentionnelle. Ses waouhh valent le détour. Ils terminent avec un «No Relief» qui honore la tradition du heavy blues de type call me a doctor. Et pour la D, on devra se sucer l’os du genou, car elle n’existe pas.

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    Et puis voilà que le fameux Blue Cheer 7 refait surface en 2012. Pour le choper, pas d’autre solution que de le commander chez Bomp, comme au bon vieux temps. C’est un petit label texan nommé ShroomAngel qui s’est chargé de la réédition, et les liner notes sont signées Eric Albronda, premier batteur du groupe devenu par la suite leur producteur. En 1978, Blue Cheer n’existait plus. Après six albums, Mercury-Philips avait lâché le groupe. Mais rien ne pouvait arrêter Dickie. Il voulait redémarrer Blue Cheer coûte que coûte. Il le fit avec le guitariste Tony Rainier et un batteur nommé Michael Fleck. Dickie décida de repartir sur la voie du premier album et de revenir aux sources : le heavy blues. Ils ouvrent le bal des vampires avec une nouvelle version ultra-dynamique de «Summertime Blues». C’est même une version admirable d’exaltation jouissive, une réactualisation du Blue blast. On entend ensuite de diable de Tony Rainier sur-jouer «Route 66». S’ensuit un joli shoot de heavy blues avec «Take Me Away» : cuissot de heavy bien gras, comme on les aime. Dans «I Want You Once Again», Tony Rainier coule de source sur sa guitare. Les gammes élancées ruissellent et Dickie joue comme Noel Redding. Il n’a pas le choix. C’est tout de même incroyable que cet album ne soit pas sorti à l’époque. Il saluait le grand retour de Blue Cheer. La B réserve son lot de belles surprises. Après une version outrancièrement psychédélique de «Out Of Focus», on tombe sur «Starlight», une petite pop-song montée sur un gros drive de basse. Joli coup. Fantastique énergie. Tony Rainier fait du Leigh Stephens en plus acerbe. Une autre surprise arrive à la suite avec «Child Of Darkness», une superbe pièce de pop psyché jouée en cocotte et agrémentée de ponts superbes, comme le jardin de Claude Monet à Giverny. La surprise est de taille car on ne s’attend pas du tout à trouver des morceaux de cette qualité sur un album de Blue Cheer. Non pas qu’il faille les considérer comme des bas du front, mais leur fonds de commerce, ce serait plutôt l’assommoir. Qu’on se rassure : ils ramènent la grosse Bertha pour «Blues Cadillac». Tout le son est là. Dickie n’en démordra jamais, même enterré six pieds sous terre.

    Signé : Cazengler, Blue Chiure

    Paul Whaley. Disparu le 28 janvier 2019

    Blue Cheer. Vincebus Eruptum. Philips 1968

    Blue Cheer. Outsideinside. Philips 1968

    Blue Cheer. New Improved Blue Cheer. Philips 1969

    Blue Cheer. Blue Cheer. Philips 1970

    Blue Cheer. The Original Human Being. Philips 1970

    Blue Cheer. Oh Pleasant Hope. Philips 1971

    Blue Cheer. The Beast Is Back. Megaforce Records 1985

    Blue Cheer. Blitzkrieg Over Nuremberg. Thunderbolt 1989

    Blue Cheer. Highlights And Lowlives. Thunderbolt 1990

    Blue Cheer. Dining With The Sharks. Nimbelung Records 1991

    Blue Cheer. Hello Tokyo Bye Bye Osaka. Captain Trip Records 1999

    Blue Cheer. What Doesn’t Kill You. Rainman 2007

    Blue Cheer. 7. ShroomAngle Records 2012

     

    Waterloo ! Morne Blaine

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    Hal Blaine devait bien se douter que ça finirait mal. On ne peut pas rester indéfiniment vivant et couvert de gloire, ovationné par tous les batteurs de la terre. Comme Napoléon avant lui, Hal Blaine vient de voir son empire s’écrouler. Hop, à dégager, avec la pipe en bois et les baguettes fétiches. Mais bon, il aura bien vécu. C’est même assez miraculeux, vu le contexte de ses origines.

     

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    Il en parle très bien sans son autobio, Hal Blaine & The Wrecking Crew. The Story Of The World’s Most Recorded Musicians. Ses parents juifs polonais avaient en effet échappé de peu aux sabres des Cosaques. Ça date du temps des pogroms. Le jeu favori des Russes consistait alors à entrer dans les villages juifs pour y détruire la population. Ça ne suffisait pas d’échapper à la mort, il fallut aussi échapper à la misère. Les juifs rescapés qui débarquaient en Amérique n’étaient pas tous des banquiers, loin de là. Les immigrants s’appuyaient sur des réseaux qui leur trouvaient du travail, mais c’était donnant donnant : «Je t’aide en te trouvant un taudis pour y caser ta famille, mais tu travailles pour moi.» Ça commence généralement par un stage interminable dans l’une des cités ouvrières du Nord des États-Unis, où les conditions de vie sont aussi terribles qu’en Europe, froid, gla-gla, caca dans la cour, pas d’argent, une patate au repas et à huit dans une pièce unique. Mais sans les Cosaques. Les misérables parents d’Hal finiront par venir s’installer en Californie, et c’est là qu’ils commenceront à profiter un tout petit peu de la vie. Comme disait le grand Charles, la misère est moins pénible sous le soleil exactement.

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    ( Earl Palmer )

    Pour situer les choses, Hal Blaine commence à écumer la scène californienne dans les années cinquante. La première grande rencontre qu’il évoque est celle d’Earl Palmer. Après avoir battu le beurre pour Fatsy à la Nouvelle Orleans, l’Earl vient s’installer en Californie. Il est alors le batteur le plus demandé et Hal apprend énormément de lui - Earl was the King of the Mountain - Puis Hal se retrouve embringué dans le fameux Wrecking Crew et entame son chapitre Phil Spector. On est aux premières loges. Hal explique que Phil adore le chaos - Phil’s sessions maintained a state of barely controlled chaos - Hal compare même Phil à Leonard Bernstein dirigeant le New York Philharmonic. C’est là qu’Hal invente les quarter-note triplets played against the band, c’est-à-dire les triolets de quart de note. Pour fabriquer son légendaire Wall of Sound, Spector rassemblait une grosse équipe : Carol Kaye et Ray Pohlman aux Fender basses, Jimmy Bond et Lyle Ritz aux stand-up, cinq guitaristes (Tommy Tedesco, Barney Kessel, Howard Roberts, Glen Campbell et Bill Pittman), cinq pianistes (Don Randi, Leon Russell, Larry Knechtel, Michael Molvoin et Al Delory), des percussionnistes et de cuivres. Jack Nitzsche écrivait les arrangements et Hal battait le beurre sur tous les hits de Phil, sauf «You’ve Lost That Loving Feeling», que bat Earl Palmer.

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    Et si cet orchestre hétéroclite s’appelle the Wrecking Crew c’est parce qu’à la différence des autres musiciens de studio costumés et cravaté, ceux qui travaillent pour Phil portent des T-shirts et des Levis. D’où le côté zone - Informal and spontaneous - Hal fait un bel éloge de Glen Campbell, un hillbilly originaire de l’Arkansas who took Hollywood by storm. Selon Hal, Campbell shootait du country-style electric guitar in the rock music. Bel hommage aussi à Leon Russell, another hillbilly-type from Tulsa, Oklahoma. Au début, Tonton Leon était tout maigre, avec des cheveux courts. Mais quand il s’asseyait au piano, he turned the record business upside down. Tous les producteurs le réclamaient. Pour Hal, ce sont des mecs comme Glen Campbell et Tonton Leon qui amenaient un key element to our hit record formula.

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    ( Session Good Vibrations )

    Avec le chapitre suivant, Hal évoque les Sinatra, le père et la fille pour lesquels il bat aussi le beurre. Puis ce sont les Beach Boys, et là, c’est plus délicat, car il doit battre à la place de Dennis Wilson qui ne lui en veut même pas. C’est Hal qu’on entend sur «Good Vibrations» - Which took many, many sessions with many segments recorded and rerecorded - Hal traite Brian de perfectionniste : il voulait à la fois la spontanéité et la perfection. Difficile ! Pour Hal, c’est un rude apprentissage. Mais en entendant le résultat à la radio, il comprend que la combinaison du génie visionnaire de Brian et des interminables sessions d’enregistrement - the painstaking work on the songs - hisse le rock à un autre niveau. Heureusement, Hal et Dennis Wilson sont très potes. Dennis préfère aller faire le con sur la plage avec les filles plutôt que de rester enfermé en studio. Il s’en fout, du moment que l’argent coule à flots et qu’il peut s’acheter des bagnoles, des bateaux et des motos. Mais avec le temps, Dennis va s’investir beaucoup plus dans le son des Beach Boys, notamment à l’époque du Brother Studio. Il demandera même à Hal de venir battre le beurre sur son fameux album solo, le mirifique Pacific Ocean Blue. Hal ajoute que Dennis était encore meilleur au piano qu’à la batterie. Ça on le savait. Il suffisait d’écouter l’album.

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    Ce veinard d’Hal bosse aussi avec Jan &Dean, le duo tragique de l’El Dorado californien. À l’époque, Jan Berry étudie encore la médecine et Dean Torrence l’architecture. Pour Hal, ces deux-là incarnaient the California Dream : sports cars, blond hair, tall and muscular builds, the epitome of the young surfer image. Les deux caractères sont très différents, voire opposés : Jan Berry est une cale carne et Dean Torrence un mec gentil. Hal voit même un halo flotter au dessus de la tête de Dean. Hal parle de Jan en termes de devilish manner. Pour la première fois, Hal accepte de partir en tournée pour les accompagner. C’est l’âge d’or de Jan & Dean. Aux États-Unis, ce sont des mégastars. Quand ils doivent aller en studio pour enregistrer un nouvel album, c’est Jan qui passe un coup de fil à Hal pour lui demander de rassembler le Wrecking Crew. Et c’est là pour la première fois qu’Hal joue en double avec Earl Palmer. The double drums est une idée de Jan. Et puis patatrac, c’est l’épisode fatidique du Dead Man Curve : à la suite d’un accident de voiture, Jan survit miraculeusement. Il est allé s’encastrer sous un camion, au volant de sa Corvette Stingray. Même genre d’accident que celui de Duane Allman à Macon, qui alla lui aussi s’encastrer avec sa Harley sous un camion. Jan a le crâne ouvert et la cervelle qui coule quand les flics le trouvent. Ils le considèrent comme mort. Jan doit subir une opération au cerveau. Il va mettre deux ans à se rétablir et reviendra en studio en 1968 finir d’enregistrer le mythique Carnival Of Sounds - But the days of superstardom were gone - L’album ne paraîtra qu’en 2010. Avec celle de Badfinger, c’est l’une des histoires les plus tragiques du rock’n’roll circus.

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    Et pouf, Hal passe directement aux Monkees, qu’il qualifie de typical products of the times : young, vibrant, long-haired, cute and funny as hell. Évidemment, c’est le Wreking Crew qui joue sur les deux premiers albums et sur tous les hits des Monkees, mais ça on le savait depuis la conférence de presse qu’organisa Michael Nesmith pour dénoncer cette arnaque. Hal monte encore d’un cran dans le super-system hollywoodien avec Jimmy Webb. Ça va loin car Hal compare Jimmy Webb à Cole Porter et aux Gershwins, alors qu’il n’a encore que 17 ans. Mais il devient vite la poule aux œufs d’or d’Hollywood. Jimmy Webb gagne tellement de blé qu’il s’offre l’ancienne résidence du consul des Philippines, sur les hauteurs d’Hollywood, pas très loin de chez Hal, qui n’en revient pas de voir un morpion aussi jeune réussir. Chez Jimmy Webb, le téléphone sonne sans arrêt : ils veulent tous leur œuf en or, Frank Sinatra, Barbra Streisand, tous. Jimmy Webb envoie Hal à Londres pour travailler avec Richard Harris, mais ils ne foutent rien. Ils font la fête pendant dix jours. Ils reviennent enregistrer «MacArthur Park» à Hollywood, au Sound Recorders. On confie à Hal le soin de diriger les violons pendant les sessions d’overdubs - One of the most exciting times in my career - Ben voyons. Mine de rien, Hal Blaine n’a fait que bosser avec tous les géants de la terre. Et ce n’est pas fini car voilà the Mamas & The Papas, encore un gros épisode bourré de gens ultra-doués. Quand il les voit débarquer pour la première fois en studio, Hal les prend pour des clochards. Ils viennent en effet de passer un long moment en Jamaïque, en vivant aux frais de la princesse. Mais quand ils se mettent à chanter, attention, ça ne rigole plus. Lou Adler qui les prend en charge demande à Hal, Joe Osborn et Larry Knechtel de les accompagner. Hal se dit très impressionné par Mama Cass - I’ve never met a sharper lady, with the possible exception of Barbra Streisand - Il la trouve très intelligente et dotée d’un goût marrant pour les fringues. Mais le crack, c’est bien sûr John Phillips. Hal boucle sa plantureuse autobio avec des chapitres consacrés aux Carpenters et à John Denver.

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    C’est le fils de Tommy Tedesco qui tourne le docu consacré au Wrecking Crew, dans lequel jouait son père Tommy. L’occasion est si belle de revoir tous ces dieux du stade qu’on ne peut pas la rater. C’est Jimmy Webb qui clame que les session-men du Wrecking Crew sont les meilleurs musiciens du monde - They were stone cold rock’n’roll professionals - On les voit tous, Hal Blaine, la bassiste Carol Kaye, l’incroyable virtuose Tommy Tedesco, Glen Campbell, Joe Osborn (l’autre bassman), Tonton Léon et Earl Palmer, plus d’autres moins connus comme Al Casey. Ils ont pris un sacré coup de vieux, mais Teddy Tedesco a réussi à les filmer avant qu’ils ne cassent leur pipe en bois. Hal Blaine le redit : «Quand on est arrivés avec nos clopes, nos T-shirts et nos jeans, les vieux musiciens de studio qui étaient en costards bleus disaient ‘They’re gonna wreck the business’», d’où the Wrecking Crew.

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    Et puis on voit Carol Kaye nous jouer la bassline de «The Beat Goes On». Wow ! Ça vaut tout l’or du monde. Tous les bassistes devraient voir jouer Carol Kaye. On tombe ensuite nez à nez avec Brian Wilson qui voulait absolument le Wrecking Crew sur les albums des Beach Boys. Jimmy Webb : «Pet Sounds ? Okay ! Top this !» Carol Kaye joue sur «Good Vibrations» et «California Girls». Brian va loin car il dit d’elle qu’elle est the best bass player in the world. Et c’est Hal Blaine qui fait le chef d’orchestre pendant les sessions historiques de Pet Sounds. Soudain, le docu bascule dans Phil Spector, c’est-à-dire l’une des époques les plus géniales de l’histoire du rock. On est au Gold Star, avec six guitaristes, quatre pianistes, une vingtaine de percus, deux basses, l’upright et l’électrique et un batteur, Hal Blaine.

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    On ne parle ni des cordes ni des cuivres. Beaucoup de monde dans un petit studio et une grosse chambre d’écho. The wall of sound, baby, «You’ve Lost That Loving Feelin», «Be My Baby» et «River Deep Mountain High».

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    Spector fait travailler ses musiciens pendant des heures avant de commencer à enregistrer. Oui, des heures. Et ils jouent. Carol Kaye raconte qu’elle a commencé sa carrière de session-woman en 1957 en accompagnant Sam Cooke. À l’origine, c’est HB Barnum qui la recrute en même temps qu’Hal Blaine et Glen Campbell pour jouer sur des démos. Ils deviendront ensuite très riches, tant que va durer l’âge des sessions. Roger McGuinn radine sa fraise pour expliquer qu’il fut le seul Byrd autorisé à jouer sur «Mr Tambourine Man». One take. Par contre, il en a fallu 77 pour mettre «Turn Turn Turn» en boîte. Pourquoi ? Parce que ce sont les vrais Byrds qui jouent dessus et non le Wrecking Crew. On en arrive fatalement aux Monkees. Peter Tork surgit pour dire sa colère : il voulait jouer sur le premier album, «mais ils l’ont enregistré sans moi - I was upset !» Micky Dolenz qui s’est pas mal empâté prend la chose avec plus de philosophie. Il trouve ça plutôt bien d’être accompagné par le Wrecking Crew. Le docu nous rappelle qu’Hal Blaine et Joe Osborn accompagnaient The Mamas & The Papas à leurs débuts et tout cet âge d’or s’achève avec l’arrivée des groupes qui savent jouer. Depuis le scandale des Monkees et la conférence de presse de Michael Nesmith, le public voulait des vrais musiciens, et surtout des jeunes vibrants et souriants. On n’avait donc plus besoin des vieux. Hal Blaine raconte qu’il a perdu son yatch, sa Rolls et sa belle demeure hollywoodienne. Pas facile la vie, surtout quand on est matérialiste.

    Signé : Cazengler, Blaine ô ragie

    Hal Blaine. Disparu le 11 mars 2019

    Hal Blaine & The Wrecking Crew. The Story Of The World’s Most Recorded Musicians. Rebeats 2010

    Denny Tedesco. The Wrecking Crew. DVD 2014

     

    LIVE IN MONTREUIL

    20 / 04 / 2018

    CRASHBIRDS

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    Delphine Viane : vocals , rhythm guitar / Pierre Lehoulier : lead guitar and Crashbox.

    Vous les retrouvez tous les deux, sur les belles photos de Raphael Rinaldi. En des endroits douteux. Par exemple, photo de couve, Pierre s'est niché sur un entassement de fûts de bière, derrière ses lunettes noires l'a l'air d'un agent du FBI qui veille sur la réserve d'or de Fort Knox, mais méfiez-vous avec son profil longiligne d'oiseau de proie Delphine paraît encore plus dangereuse. Ne lui marchez pas sur les escarpins, c'est une tueuse.

    Une célèbre photo blanc et noir à l'intérieur, les cui-cui en amoureux. Style Bonnie and Clyde. Pierre vous regarde winchester en main, votre mort inscrite dans ses yeux, et Delphine s'accroche à lui telle la louve sauvage et protectrice dans Les Destinées d'Alfred de Vigny. Ny touchez pas, ceci est à moi, contentez-vous du reste du monde, j'ai pris ce qu'il y avait de meilleur.

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    Doctor no : la crashbox de Pierre Lehoulier vous corrompt le cerveau à la manière d'une colonie de termites métaphysiques qui durant votre sommeil imprudent ronge à pleines dents les poutres de votre toiture mentale. C'est avant tout cela les Crashbirds cette menace sourde, implacable, vous en avez l'équivalent dans Le Terrier le dernier texte, inachevé, de Kafka, un malheur n'arrivant jamais seul, l'est même précédée de deux froissements électriques de guitare carbonisée qui commence son impérieuse combustion en ouverture, et là-dessus la voix de Delphine Viane surgit telle une flamme ravageuse qui a décidé de s'en prendre à l'univers entier. Quand elle se tait Lehoulier en profite pour vous larder le dos de mille coups de couteaux pointus comme la mort. Voters strike : vous avaient pourtant avertis, et vous avez continué l'écoute, tant pis pour vous, le bureau des dernières extrémités ne prend plus les réclamations, z'ont mis le bulldozer en marche et plus rien ne les arrêtera, la guitare ravageuse de Lehoulier se lance dans une espèce de solo épileptique, vous plie les peupliers et boulotte les bouleaux, un truc à vous rendre fou, d'ailleurs Delphine ne se retient plus, elle a voix qui flambe à la manière d'un feu de forêt, se repassent l'anaconda géant à tour de rôle, il vient vous arracher les parties génitales sans préavis. Boogie night : Le mec qui tient la Fender est décidément un malfaiteur de l'Humanité, soit il vous écrabouille la tête d'un pied rageur soit il vous bombarde de plomb fondu, quant à la fille, au coin du bois tombez en arrêt devant un chat haret, et tentez de le caresser, elle a la voix qui griffe méchant, vous verrez ce que vous en dira le chirurgien à qui vous montrerez votre moignon, ensuite Pierre vous donne un aperçu sonore de ce qui à dû se passer lorsque le Seigneur a déclenché son nuage de soufre sur Sodome et Gomorrhe. Someone to hate : y a des gens qui sont comme cela, prennent du plaisir à faire du mal, vous pressent l'orange mécanique jusqu'au citron. Pierre à fond et la voix de Delphine à feu et à sang. En plus la Delphinette n'arrête pas une seconde de tout le set de claquer sa rythmique, et pendant qu'elle construit des murs de parpaings explosifs Pierre vous passe les riffs comme le fil à couper le beurre autour de votre cou et Delphine l'excite à mort, une furie, une Erynnie sortie tout droit d'un drame antique, qui éclatait de rire lorsque les achéens éclataient la tête des bébés troyens sur les murs du palais de Priam. Nowhere else : méfiez-vous des intros de guitare de Pierre Lehoulier souvent elles débutent selon les règles de l'art, mais l'arrive toujours un moment où elles partent en vrille, alors il ne se retient plus martèle sa crashbox en forcené, et la Fender klaxonne sans arrêt à la manière de ses alarmes de voiture qui se déclenchent toutes seules juste pour vous empêcher de dormir. Quand il est dans ces moments de crise même Delphine n'ose l'arrêter, oui mais de temps en temps elle ne peut pas s'en empêcher, alors elle vous jette quelques bidons d'essence de sa voix incendiaire, vestale dévastée qui veille à ce que le feu sacré ne s'éteigne jamais. Stupidity : l'a on n'entend plus qu'elle, le Pierre a beau vous faire un vacarme de tous les diables, la Delphine peu calme clame ses désirs de folie stupide au monde entier, femelle furax et mâle bruyant, le couple de l'année se fait encore une fois de plus remarquer, z'ont cassé le hublot de l'avion sous prétexte qu'il y avait trop de sel dans leur plateau repas, et maintenant vous vivez le crash en direct. Essayez de survivre. Je sais, ce ne sera pas facile. Weekend lobotomy : un couple se déchire dans un deux-pièces-cuisine, abattez-les tous les deux, le Diable reconnaît toujours les siens, vous n'avez pas suivi nos judicieux conseils, le Pierre vous passe les riffs dans le grille-pain et Delphine ouvre les fenêtres pour que l'on entende ses hurlements jusque sur Mars, la situation a dégénéré, le gouvernement a dû s'emparer de l'affaire, l'Onu n'a pu empêcher le déclenchement d'une guerre nucléaire internationale. Tant mieux pour nous, cette guitare qui détruit le monde est trop belle, et ce chant de guerre entonnée sauvagement par Delphine sonne à nos oreilles comme un shoot d'endomorphine délicieux. Que voulez-vous le malheur des uns fait le bonheur des autres.

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    The lions : on l'avait oublié mais ce sont des amateurs de blues, Pierre vous pousse l'anatole jusqu'à ce qu'elle tombe dans le rock'n'roll et Delphine vocalise telle une diva qui passe le contre-ut en rut. Pierre se sert de sa guitare comme d'une torche et Delphine de sa voix comme les soldats d'Alexandre piquaient de leurs lances le sexe des éléphants afin qu'ils se retournent contre leur propre camp. Total ravage. Sinistre absolu. Non remboursable par la sécurité sociale. No mercy : Pierre tricote, à la manière des faiseuses d'ange, l'a le pied qui batifole sur la crashbox, jusque-là tout va à peu près bien, ce n'est pas l'avis de Delphine, elle intervient à la hussarde, lance la charge du cobra sur sa proie, vous pousse une clameur à vous vider de votre sang et c'est parti pour trois minutes de frénésie animale, elle en miaule de plaisir, elle en glapit de jouissance, Pierre tabasse sa guitare qui ne lui a rien fait, et je préfère ne pas vous raconter la fin, sinon le blogue va écoper d'un sticker parental advisory. Money : la crotte de dieu disent les hindous, les cui-cui vous la servent brûlante et fumante, vous en barbouillent l'âme et le corps rien que pour voir l'effet que ça vous fait. Ce coup-ci, s'y mettent tous les deux ensemble, superposent leurs efforts, Pierre tronçonne les solives du riff et Delphine l'excite des rauques aigus de sa voix ricaneuse de hyène maraudeuse. Maintenant Pierre amasse la mousse des riffs et Calamity Viane se sert de son larynx comme d'une winchester. Hard job : dur je ne sais pas, mais vite, oui. Delphine secoue la cloche de vache à la fadurle, Pierre vous brode des entretigres à la dynamite, Delphine pousse au rythme comme d'autres au crime, z'ont dû oublier d'éteindre l'incendie ( just for fun ) chez le voisin, sont méchamment pressés, roulent en contresens sur l'autoroute et Delphine vitupère contre les imbéciles qui ne leur laissent pas la place. Boring to death : l'heure de gloire de Pierre, vous fait sonner sa guitare comme le cor de chasse au fond des bois, un truc qui a l'air d'énerver Delphine, l'enchaîne sec, exige le tumulte, entre en trombe souveraine, pas du genre à laisser pousser les coquelicots dans les champs de blé, l'est pour les déforestations sauvages, elle a la voix qui glyphosate, là où elle passe rien ne repousse, Pierre n'est pas le gars à qui il faut en promettre, vous la suit comme un seul homme, la Fender arase le monde. Fin brutale, il n'y a plus rien à détruire. The midnight prowler : aux sources mississippiennes du blues, oui mais les cui-cui ce qu'ils préfèrent c'est quand l'électricité brise les barrages, Delphine vaticine, le blues est cette ombre bleue qui se faufile dans les nuits de désespoir, alors autant que la catastrophe arrive au plus vite, le rythme se précipite, la mort vaut mieux que la promesse de la mort. Danse finale sur les décombres. La guitare de Pierre compte les abattis. Silence : titre oxymorique, pas une once de silence dans cette cavalcade endiablée, rivalisent, la guitare bourdonne rageusement et Delphine hurle ses ordres à la cantonade, pour finir elle égorge le coq sur un rond de sorcière. Rollin' to the south : retour aux origines, terminent en beauté, festival de guitare et sarabande vocale. L'on remet le disque au début. L'on porte plainte car il faudrait un deuxième CD.

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    Quinze morceaux, quinze fournaises. Dans la série les cui-cui tapent toujours plus fort et volent toujours plus haut, les Crashbirds nous offrent le live de l'année. Quinze bluezy rootsies électriques, un trip qui vous étripe, un verre de moonshine qui vous éviscère, une guitare fulminante, une voix tumultueuse, une rythmique obsédante, un vrai disque de rock. Diamant noir.

     

    Recorded Live à L'Armony de Farid par Roland Piqueras / Mixé par Eric Cervera / Masterisé ( surtout pas pasteurisé ) par Sébastien Lorho.

    Damie Chad.

    11 / 04 / 2019MONTREUIL

    LA COMEDIA

    CHUMP / HITCH & GO

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    Profitons de la balance établie en un tour de main par Monsieur Personne in person pendant que son chien Whisky indifférent au tumulte humain dort profondément et néanmoins philosophiquement sous une table, pour visionner le logo de Chump reporté en grand et en couleur sur une bâche noire en fond de scène, indéfinissable, une tête pour trois interprétations, lion, fillette, grand-mère, une seule chose de sûre, cet énergumène à crinières à bandeaux se trouve en équilibre instable sur une planche de skate, un cri que l'on n'entend pas sort de sa bouche grand-ouverte. Resterons-nous sourd à un tel appel !

    CHUMP

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    Chump, un synonyme de punk, mais nous lui préfèrerons une autre étymologie que les philologues professionnels n'accepteront jamais. Au vu de leur prestation, nous paraît davantage significative l'image de la mousse d'un champagne ou de Mort Subite qui fusent de leurs bouteilles et se répand partout sur vos effets personnels les plus précieux, convocations au commissariat, relances d'impôts et lettres d'huissier comminatoires. Mais attention une mort subite joyeuse. Généreuse et pleine d'entrain. De quoi transformer vos ennuis en papillotes. Z'ont mis le plus grand derrière, une espèce de colosse, à eux trois devant on ne voit que lui, et surtout l'on n'entend que lui. Non, ils n'ont pas de batteur. Ils ont un cogneur. Une espèce de Sugar Ray Robinson du boxing drumin. OK pour le KO à chaque coup. Si vous vos voisins vous obligent à ériger une solide clôture pour empêcher votre féroce rhinocéros en rut de se ruer dans leur villa, passez-lui un coup de fil, vous enfoncera des pilonnes de béton armé à deux mètres de profondeur dans le soubassement rocheux de votre jardin, en trois coups de cuillère à pot de yaourt périmé. Gilles à la baguette brontosaure. En plus il en a deux. Des galopantes qui se jettent sur les toms – imaginez le tomtamarre - tels des piranhas affamés sur une vache imprudente. Voilà, j'espère avoir suscité en l'esprit estomaqué du kr'tntreader de base une vague idée de ce bruit de fond qui pour une fois n'est pas coutume s'impose au premier plan.

    Avec un tel stradivarius derrière moi, je vous l'avoue sans chichi, si j'étais Bruno ou Kiki aux guitares et Romz à la basse je ferais semblant de jouer, du pur playback de télévision française, je ne me fatiguerais pas, laisserais le copain se charger du boulot. Ben, non, nous n'avons pas affaire à une bande de fainéants. Eux, ça les excite. Sont comme les mecs qui trouvent bath de skier sur l'avalanche ou de surfer sur le tsunami. Commencent par se mettre en forme en sautillant sur place à la manière des petits pois conservés dans une boîte métallique obnubilés par l'idée de sortir pour apporter leur modeste contribution au vaste monde. En plus ce sont des futés, le Gilles l'a beau tordre le tonnerre de Thor au-dessus de leurs têtes, ils se faufilent dans ce maelström sonore comme la souris dans la trompe de l'éléphant, non pas pour lui ronger le cerveau mais pour lui apporter quelques substances psychédéliques, afin de transformer sa charge pachydermique en entrechats de danseuse étoile du Bolchoï de Moscou.

    J'ai le regret de vous informer, question grâce de ballerine en tutu rose, c'est un peu raté, par contre efficacité manœuvrière de Légion Romaine à l'assaut de désordres barbares, nous frisons la perfection. Le rouleau compresseur qui fonce sur vous n'est pas un problème, la solution toute simple est de s'installer dans la cabine de pilotage et de profiter de la force de l'engin pour exercer votre puissance. Et nos trois surfers d'argent réussissent ce miracle de communier avec la brute torrentueuse, z'en font ce qu'ils en veulent, et lui vraisemblablement par un mystérieux courant d'effluves sympathiques peut-être chamaniques, se mêle au jeu de ces bambins turbulents qui ont décidé de ne pas jouer les inutilités et qui vous le cinglent de leurs fouets cordiques. Un menuet cataclysmique, une horloge punk ( rock around the punk ou punk around the clock ) d'une précision infernale, vous dévient le bloc de dix mille tonnes qui fonce sur vous, vous le métamorphosent de leurs bouts de cordes ( de pendus vraisemblablement ) en papillon apprivoisé – attention ne butine que les fleurs empoisonnées ou carnivores – aux ailes de fer. La preuve, ils nous dédieront un morceau hyper-speed-loud de metal, qui ne dépare en rien leur punk-chump énergétique et dévastateur.

    Quittent la scène sans tralala apparemment heureux de leurs méfaits. Tellement obnubilé par le déluge sonore que je n'ai point évoqué les vocaux, qui se fondent à l'ensemble comme le tungstène à l'acier pour lui apporter plus de résistance. Viennent de Belgique. S'ils étaient un recueil de poèmes ce serait Les Ailes Rouges de la Guerre de Verhaeren. Une tuerie. Les rescapés ont adoré.

    HITCH & GO

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    Je déteste être floué. Surtout dans un concert de rock. J'aurais dû prévoir. Avec un tel nom, attelle et file, j'aurais dû m'en douter. Si je devais me fier à mon ressenti, ma chronique serait terminée. Ces mecs sont des sorciers. Montent sur scène et en descendent. Entre temps vous n'avez pas vu le temps filer. Certes aux premières notes vous vous dites, du punk pur et dur, puis dix secondes plus tard vous rectifiez, incluent des éléments mélodiques dans leurs compos, Du punk au parfum pop. Et puis plus rien, c'est la fin. L'on va donc reprendre au début, les scientifiques agissent ainsi pour les apparitions des extraterrestres, analysent la séquence de bout en bout.

    Viennent du Canada. Sont en tournée européenne. La veille z'étaient à Limoges. Sont affublés de casquettes. N'ai jamais trouvé cet ustensile très attrayant, mais cette affirmation n'engage que moi-même et je la partage pleinement. Quatre sur scène, avec JP Lessard, pas de lézard l'est au micro et au chant, Will Dural en apparence le plus jeune, une sacrée dégaine, belle allure de rocker et une voix aux intonations intéressantes, jappe trop rarement mais toujours pour signaler un fait hors du commun, Max Brocher est le second préposé au maltraitage de guitare. Dave Hamel, plus difficile à cerner. Cache bien son jeu. Une frappe rapide, qui ne s'attarde guère, mais il a son secret que je vais vous révéler, qui explique pourquoi le set semble s'être déroulé si vite, j'ai mis un peu de temps pour comprendre, au début je n'y ai pas cru, car je n'y aurais jamais pensé. C'est lors des passages mélodiques, ils surviennent sans crier gare, bien intégrés dans la structure rythmique, devant les guitares font les belles, elles roucoulent et vos oreilles n'ouïssent plus que les voix harmonieuses de ces sirènes, c'est alors que Dave nous fait son coup de Trafalgar, alors que tout baigne dans l'huile, que souffle une brise printanière, clac, clac, clac, sans prévenir, il appuie à fond sur l'accélérateur, à coups redoublés, comme quand vous réduisez en bouillie à coups de sandale rageuse l'araignée velue qui s'était aventurée sur votre mur, agit un peu à l'icognito, juste ce qu'il faut pour que les trois complices devant entendent le signal, aussitôt ils accélèrent eux-aussi et en parfaits escrocs s'amusent à vous tricoter illico de superbes motifs à l'architecture complexe. Vous avez commis la gaffe de ne pas y faire gaffe, et ils ont démarré si prestement que la roue de la charrette vous a roulé sur le pied sans que vous l'ayez ressenti. D'autant moins, que comme par hasard ils donnent maintenant dans une fricassée sonore plus punk que moi tu meurs et je t'enterre, pour trente secondes plus tard vous enfoncer dans une chatoyance poppy des plus rapides.

    S'amusent à ce jeu tout le long du set. Se livrent à une espèce de manipulation sonologique, sont les adeptes de l'emploi des âmes furtives, vous emmènent avec eux, alors que vous croyez rester à la même place, se livrent à la télé-déportation musicale. Le combo ronronne comme un chat sur un coussin, pendant que vous vous confondez de plaisir à suivre les rayures de sa robe bigarrée, vous êtes emporté à une vitesse extraordinaire sur un tapis volant d'un nouveau genre. Hitch & Go, use d'un punk non conventionnel, vous tendent une image qui voyage plus vite que la lumière qui agite les neurones de votre cerveau. Tour de passe-passe. Sidérant.

    Damie Chad.

    P. S. : Merci à Lalla Lenda, délicieusement savante, à qui j'ai volé l'idée des flux sympathiques.

    ( Photo : FB des artistes )

    12 / 04 / 2019TROYES

    3 B

    WISEGUYZ

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    La teuf-teuf frétille. Je repense au dernier retour de Troyes, nous a ramenés fièrement à la maison après le concert. C'est le lendemain matin qu'elle a agonisé, l'était comme une bête pantelante, agitée des derniers soubresauts nerveux de la vie. N'était qu'à un pas du trépas, l'ai remmené dare-dare à petite vitesse au garage. Se sont penchés dessus avec sollicitude, ça m'a coûté un bras et demi, mais ce soir elle galope du feu strombolique des Dieux vers un nouveau concert, c'est sa drogue à elle. La mienne aussi.

    Soirée ukrainienne ce soir, non je ne voudrais pas vous décevoir, ce n'est pas un groupe folklorique de balalaïkas, mais un des meilleurs combos de rockabilly européen, encore que je m'attende à recevoir un tombereau de lettres d'insultes parce que beaucoup de connaisseurs le placent tout en haut du podium. Mais qui se peut vanter de les avoir tous écoutés. Et tous vus en live.

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    Le 3B n'a jamais paru aussi exigu, une tire-lire, vous y glissez un centime de plus et elle explose, inutile de tenter de louvoyer entre les corps pour aborder le bar, faut forcer le passage, marcher sur les pieds, couper sa respiration, rentrer dans cette matière vivante coagulée, la situation s'avèrera encore pire dans les inter-sets, les WiseGuyz n'ont pas attiré du monde mais le monde entier semble s'être donné rendez-vous dans ce point névralgique de la planète qu'est le 3B pour les écouter.

    WiseGuyz

    Sont-là, tranquilles, tous les quatre, en toute simplicité, jetant sans inquiétude un dernier coup d'œil à leurs instruments, c'est à se demander comment de ces quatre guys si débonnaires va jaillir dans quelques secondes ce flux inextinguible de haute musique so hot. One, two, one, two, three, four, c'est parti, le temps n'est plus aux questions métaphysiques. La réponse est apportée aussitôt sur un plateau. Un seul mot : la pulsation, la palpitation primaire.

     

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    L'a une allure de marlou, pas pour rien qu'il se surnomme Rebel, le gars qui cherche l'entourloupe avec le système et qui jamais ne la loupe, avec sa grande silhouette dégingandée, sa salopette de travail en jeans et sa chemise dont les carreaux traversés d'une lumière bleue, l'a l'allure flegmatique d'une blue panther de dessin animé, l'est accoudé sur sa doublebass, mal nommée car dès que l'heure du boulot sonne l'abat du taf à lui tout seul pour huit personnes. Donc une octuple-bass, vous la soigne aux petits oignons, mais quand il lui presse le tubercule cordique c'est pour en extraire l'huile essentielle du trognon, s'applique à une rythmique élastique, l'a les doigts qui courent devant ses mains, un j'étire latéral la corde au max, deux elle renâcle quand je la relâche, et tout de suite je slappe comme un damné poursuivi par la fourche de Satan en personne.

    On the other side, the man behind the lead-guitar, l'a mis des grosses lunettes pour qu'on le voie mieux, ce n'était pas la peine, on l'entend. Normalement la rhythm guitar a le mauvais rôle, le mec qui se dévoue, vous réanime le macchabée après trois heures de bouche-à-bouche, l'a tout donné et quand il a réussi, tous les regards se portent sur le rescapé, on entoure le héros revenu de l'outre-monde, on l'embrasse, on le félicite, plus personne ne pense au gars qui s'est tapé le turbin, on l'évacue de sa mémoire, on le raye de la liste des vivants, on l'oublie, on fait l'impasse totale sur son existence. Oui mais avec Alex l'expression de cette ingratitude humaine n'a pas lieu d'être, s'il était dans un philharmonique tiendrait le rôle du premier violon, l'agite son crin-crin magique et la musique prend sens. L'a la même houle faussement de guingois sur sa rythmique que Buddy Holly sur sa strato. L'a le balancement stratosphérique, vous fout le vent dans les voiles du combo, on les sent prêts à traverser les océans sublunaires. Je n'aime pas me vanter, mais là je suis si proche de lui que j'ai double ration, la part commune dispensée par la sono, mais si je penche la tête de quinze degrés sur la droite c'est le son direct, pré-micro, le grémissement infernal des cordes méchamment cinglées, un régal, divin.

    paul whaley ( + blue cheer ),hal blaine ( + wrecking crew ),crashbirds,hitch & go,chump,wiseguiz

    Avec ces deux cadors à ses côtés Chris Bird joue gagnant à tous les coups. Deux trompe-la-mort prêts à le suivre dans les situations les plus difficiles. Heureusement car le Bird, les trucs faciles il les ignore, il les méprise, ne s'en préoccupe pas, peut-être même ignore-t-il que ces misérabilités puissent exister. L'a les doigts sur les cordes qui doivent se prendre pour des gymnastes olympiques sur les barres asymétriques. Jamais assez, un kamasutra positionnel inimaginable. Le grand écart à chaque instant, d'une précision absolue. Mais nous y reviendrons tout à l'heure.

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    Car il manque quelqu'un à l'appel. Ce n'est pas de sa faute, malgré sa stature imposante, l'est relégué tout au fond caché par le rideau de ses trois camarades devant lui. Trop de monde pour qu'il puisse bénéficier d'une profondeur de champ. En plus on ne l'entend pas. Enfin manière de parler. L'a la frappe ventouse, se colle sur le boulot des copains de si près qu'on ne le sait pas. Vous n'y prêtez aucune attention. Un peu comme ces reptiles qui imitent si parfaitement une branche morte que quand vous la ramassez pour la lancer à votre chien, vous êtes déjà mort. Faut que les trois autres fassent trois secondes de silence, pour que vous réalisiez sa présence, car c'est quand vous récupérez la mue du serpent que vous comprenez la complexité du dessin de sa peau. Ozzy, l'air de ne pas y toucher, les rares fois où je l'ai entrevu, l'a l'air de s'ennuyer, tiens je vais poser la baguette au pif ici, sont tellement bêtes qu'ils n'y verront que du feu. L'oublie que la feu ça brûle et quand il fait feu, vous réalisez que c'est un tireur d'élite, une frappe subtile, une toile d'araignée qui suit le mouvement du vent, les plus doux zéphyrs et les plus plus fortes tempêtes, le secret de la palpitation, de la pulsation, elle est là, elle pousse et elle impulse, avec Ozzy qui vous colle aux fesses vous intuitez rapide que reculer serait une erreur, vous arrêter une catastrophe.

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    Vous les avez eus un par un, sans doute aimeriez-vous savoir quel genre d'histoire ils vous racontent tous ensemble. Pas n'importe laquelle, elle porte un titre, the rise of the rockabilly. Une légende mythique, tronçonnée en plus de trente morceaux, ne vous les content pas dans l'ordre chronologique, mais je vous remets le canevas dans l'ordre. C'est un peu l'histoire de Prométhée qui s'en va voler une flammèche du feu divin et qui la refile aux hommes pour qu'ils puissent se chauffer et être heureux. Un remake made in the USA, parce là-bas tout est plus beau et plus grand, des petits salopiauds de blanc-becs qui fauchent sans vergogne une étincelle de l'étincelle initiale apportée d'Afrique par des esclaves noirs. La gardaient pour eux, et l'avaient enfermée jalousement dans la pulsation jazz, mais nos gredins s'en sont saisis et l'utilisent d'une autre façon, ils la boppent, à mort, marquent le rythme sur une caisse claire et la guitare suit le mouvement, l'électricité permet à cette mandoline de malheur de s'émanciper, devient la reine, la rythmique pique un sprint infini, la basse s'essouffle mais son cœur ardent bat la chamade et ne s'effondre pas, le rockab naît de ces disharmonies rythmiques, quatre rythmes différents qui finissent par s'entendre un peu à la manière des meutes de chiens de chasse – redoutables hound dogs - qui jappent à l'infini, mais il y en a toujours une, par on ne sait quel miracle, dans ce torrent impétueux d'aboiements, une voix se détache et domine, pas très longtemps, trois secondes mais a peine s'est-elle fondue dans le brouhaha absolu, qu'une autre s'élève, avec une vigueur et une clarté indiscutables, et les appels solitaires ne cessent d'émerger tour à tour jusqu'au grand hallali final.

    Le quatuor diabolique ne se contente pas de ces quatre partenaires, dans la série plus on est de fous plus on rit, ils en invitent un cinquième, la voix humaine, car l'homme est tout de même, si on y réfléchit un peu, le summum de la bestialité animale, Chris Bird en sus de la lead se charge de cette cinquième colonne du temple rockab. Gretsch and voice. A l'impulsion de la musique correspond l'inflexion vocale, le grand secret est là, combien maladroit serait le flamant rose qui s'emmêlerait les deux pattes dans ce torrent qui coule par intermittence en deux lits parallèles qui s'entrecroisent sans cesse. Chris Bird excelle en cet art difficile. La voix joue à saute-moutons avec le flux et l'influx musical, l'en rajoute même, esquisse quelques pas de danse, trépigne sur place, et les trois autres instrumentistes le suivent comme s'il était l'homme qui non content d'avoir perdu son ombre en aurait trois derrière lui. Des fidèles qui l'imitent à la perfection lorsqu'il descend les escaliers infernaux et remontent derrière lui des enfers comme s'ils se livraient à la plus enivrante croisière d'après-minuit.

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    Nous feront trois sets, d'une beauté intense, imaginez-vous un voyage au plus près des racines, celles du début des rockab, les tout premiers titres de Bill, d'Elvis, de Gene, de Buddy, d'Eddie, ce moment pharamineux où les pionniers inventent la recette du rockabilly, un bouquet swing-bop-rock éblouissant, la fougue juvénile marquée du sceau d'une créativité indépassée, et puis pour remercier le public qui ne décolle pas et Béatrice la patronne qui les accueille pour la quatrième fois, un quatrième set, trois morceaux, pas les plus tape-à-l'œil-je te-rentre-dans-le-lard, non des subtilités, des permutations inextricables, des folies inoubliables.

    Duduche résumera la soirée, avec les WiseGuyz ça gaze !

    Damie Chad.

    ( Phtos : FB : Béatrice Berlot )

    KILLER COUPLE

    WIZEGUYZ

    ( Toro Records / 2018 )

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    Les morceaux sont sur leur premier CD, promis, je vous le chronique la semaine prochaine. Je n'ai pas pu résister. La pochette est trop belle. Artwork : d'Henrique San. Le genre de disques que vous écoutez au grand maximum une fois dans votre vie, mais pour laquelle vous abattez sans vergogne au fusil à pompe tout individu qui semblerait donner l'illusion de désirer inconsciemment s'en approcher à moins de quinze mètres. Avant de vous livrer à de telles extrémités, batifolez un peu sur le site d'Henrique San, artiste portugais à l'esthétique 50'. Tenez je vous refile une de ses œuvres, preuve que tous les alligators finiront au paradis.

    En plus c'est le premier single que je possède qui respecte la loi de la mixité absolue. Possède une face She et une autre He. Désolé pour les trans-genres et les hermaphrodites, peut-être qu'un jour aura-ton inventé le microsillon multifaces.

     

    Rude bad boy : jivin'boy. Entrée surprise, vous vous attendiez bien à ce que le morceau commence mais il file à la vitesse d'un hot-rod, boosté à l'éther, d'un seul jet, pas de repos, pas de reprise, tout est dans la fulgurance, un exercice de style accompli. Le genre de brimborion qui a l'air tout simple mais qui exige un maximum de maîtrise. Une facilité déconcertante.Hi-class mama : strollin mama. Merveilleusement mis en place. Un petit bijou de précision. Une grosse guitare devant, la basse et tout le reste à la suite qui s'intéressent aux ciselures, la voix vous réunit le tout avec cette indolence de matou qui s'étire après trois longues heures de sieste. La chasse féline à la souris câline peut commencer. Déconcertant de facilité et d'aisance.

     

    Connaissent tous les codes. Sonnent davantage sixties que fifties par cet arrière-fond d'insouciance qui baigne l'atmosphère de l'enregistrement.

    Damie Chad.