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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 84

  • CHRONIQUES DE POURPRE 448 : KR'TNT ! 448 : ERVIN TRAVIS / BRYAN GREGORY / BELPHEGORZ / SUPERHEROÏNE / DARK REVENGES / JUSTINE / NEVERMIND THE CAR / KROPOL TRIO / PIERRE CUDNEY

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 448

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    23 / 01 / 2020

     

    ERVIN TRAVIS

    BRYAN GREGORY / BELPHEGORZ

      SUPERHEROÏNE / DARK REVENGES

    JUSTINE / NEVERMIND THE CAR  

    KROPOL TRIO / PIERRE CUDNEY

     

    05 / 12 / 2019LE SEQUESTRE ( 81 )

    SAMY'S DINER

    ERVIN TRAVIS & THE LITTLE BOYS

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    Non, je n'y étais pas, mais combien aurais-je aimé y être ! L'on pensait la chose impossible. Les dernières nouvelles d'Ervin du mois de novembre n'étaient pas bonnes. La maladie de Lyme est une belle saloperie. Les quelques très rares heures de rémission que le mal lui octroie et qu'Ervin met à profit pour donner le change, sortir de chez lui, voir un peu de monde, il les paye dès les jours suivants au centuple. Et puis ce matin, faisant un tour sur son FB : Ervin Travis ( gene vincent tribute ), mes yeux sont accrochés par une vidéo de concert datée du cinq décembre 2019. En fait pas moins de sept vidéos avec Ervin sur scène.

    Un véritable concert – pas un come-back officiel, juste un test nous est-il précisé - de deux heures en deux sets. Avec quelques uns de ses anciens musiciens, comme Edwin Garrouste, qui montèrent sur scène pour rejoindre les Little Boys avec le fidèle Alain Neau à la guitare, Louis Bic aux drums et Sébastien Boyer au chant.

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    Donc sept vidéos qui donnent une idée même si parfois elles privilégient les danseurs et oublient quelque peu de resserrer la focale sur Ervin, notamment lorsqu'il nous restitue les attitudes mythiques de Gene Vincent sur scène. Ce qui est sûr c'est qu'Ervin n'a pas perdu ses automatismes. L'a toujours cette classe innée de félin dans son pantalon rouge l'Ervin, amaigri un poquito – mais il n'a jamais été épais – et la voix est-là, si elle n'a pas perdu en force – la chant corse, Ervin a toujours revendiqué fièrement ses origines insulaires, Quando sero per Cordi, interprété a cappella le démontre amplement, peut-être lui manque-t-il encore un brin de finesse mais nous pouvons faire confiance à Ervin pour qu'avec l'exercice le larynx retrouve sa plasticité originelle. En plus mon écoute est dépendante d'un vieil appareil bien fatigué !

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    Quatre perles de Gene Vincent, You are my Sunshine, She she little Sheila, Rocky Road blues et Baby blue, Peggy Sue de Buddy Holly, et le Shazam de Duane Eddy et Lee Hazelwood – ce dernier on le retrouve sur bon nombre des mauvais coups du rock'n'roll – qui permet à Ervin de nous montrer son jeu de guitare royalement secondé par Alain Neau.

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    Une deuxième prestation a eu lieu pour la nuit de Saint-Sylvestre à Saint Amans dans l'Aude, quand je pense que j'étais exactement ce soir-là à trente kilomètres de l'endroit, je me maudis jusqu'à la cent-soixante dix-huitième génération. Vous avez quelques photos et une vidéo sur le FB de Jason Rock. L'on y voit notamment Ervin à la batterie.

    Quoi qu'il en soit, quel plaisir de savoir qu'Ervin Travis est en train de remonter la pente. Le phénix renaît de ses cendres !

    Damie Chad.

    La vie de Bryan

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    John Wombat poursuit son petit bonhomme de chemin avec des livres étranges et pénétrants, pour reprendre une expression verlainienne. Après Ron Asheton, Brian James et Johnny Thunders, il se penche sur le cas ô combien sulfureux de Bryan Gregory qui joua dans les Cramps un rôle comparable à celui que joua Brian Jones dans les Stones, le rôle du personnage iconique. Bryan Gregory semblait en effet sortir d’une tombe, ce qui tombait à pic, dans un groupe qui se piquait de voodoo-you-lover son prochain.

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    Wombat peaufine sa méthode de livre en livre : il retravaille l’histoire pour l’adapter à un style qu’il veut résolument léger, il musarde pour échapper aux pesanteurs de l’érudition, il opte pour la désinvolture d’un fer à gauche à seule fin d’éviter les rigueurs despotiques d’une justification qu’il sait fermée à tout dialogue. Sa méthode consiste aussi à grapiller des bouts d’infos pour en faire mousser le suc et donner vie à son sujet sans s’aventurer trop loin dans la psychologie, il se contente d’un portrait de bric et broc, choisissant astucieusement ses éléments. Il finit par donner l’illusion d’écrire en prose, car il veille à l’équilibre d’une insoutenable légèreté de ton, à un point tel qu’il semble ne vouloir conserver que l’ersatz de l’essentiel. Son livre ne fait que 68 pages. D’où l’impression de tenir en main un petit ouvrage raffiné, du style de ceux que publièrent jadis les éditeurs dilettantes pour le compte de Paul-Jean Toulet ou encore Natalie Clifford Barney.

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    Il se peut aussi que la vie de Bryan Gregory soit tellement courte, au propre comme au figuré, qu’il faille se limiter à ce type de distance. Gageons que Wombat réalise un exploit en parvenant à étirer sa sauce jusqu’à la page 68. L’ajout de nombreuses photos ne fait qu’aggraver la perfidie de cette hypothèse. D’où l’aspect héroïque de cette démarche. Franchement, il fallait oser.

    Wombat touche au délire référentiel des Cramps avec des pincettes, il veille à ne pas marcher dans les plate-bandes de Dick Porter. Il se contente de citer rapidement deux films (Robot Monster et The Yesterday Machine), deux early heroes de Lux (Ghoulardi et Mad Daddy Myers), et la triplette de Belleville (Elvis, Link Wray et Carl Perkins). Il évoque brièvement la rencontre historique de Lux avec Kirsty Marlana Wallace à Sacremento, et du cours qu’ils vont suivre ensemble à la fac, le fameux Art and Shamanism dont les crampologues feront leurs choux gras. Lux et Ivy vont aussi se passionner pour ces losers notoires que sont Andre Williams, Thee Midniters, Marvin Rainwater et Bailey’s Nervous Kats. Ivy gratte un peu de guitare et se dit fascinée par le jeu de Link Wray - Just the simplicity and the starkness, the stark chord of Link Wray and the stark single-note thing of Duane Eddy - Ce qui par la suite générera des tensions avec Bryan Gregory qui préfère un son plus ‘moderne’ (Joy Division, Stooges et Banshees). (C’est vrai qu’on voit souvent la modernité qui nous arrange, comme on voit midi à sa fenêtre).

    Petit rappel de l’auteur : au commencement des Cramps était non pas le Verbe mais le Mix : Lux rêve de jouer un rock’n’roll loud and raw et de mixer Carl Perkins avec les Shadows of Knight. Il oublie de préciser que les Cramps iront beaucoup plus loin et qu’ils inventeront un genre à part entière : les Cramps.

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    Bryan quitte Detroit, s’installe à New York et bosse chez Music Maze. C’est là qu’il rencontre Lux. Ils vont monter le groupe ensemble sans savoir jouer d’aucun instrument. Toute la puissance originelle des Cramps vient de là : du niveau zéro de l’exaltation. Le Detroiter Gregory Beckerleg devient Bryan Gregory en l’honneur de Brian Jones et s’achète une guitare. Il ne sait pas jouer, mais il va inventer un son à base de feedback et de fuzz - Playing bass lines and noise and fuzz effects - Oui, il va inventer a unique feedback playing style, a noise all of his own. Le premier album des Cramps en est bourré à craquer. Bryan crée son monde, il colle des stickers blancs sur sa Flying V noire et se teint une mèche de cheveux en blond, un blond qui va blanchir sous les projecteurs. Il devient la créature subliminale des Cramps et avale ses cigarettes sur scène. Bryan est un performer et non un musicien, dit de lui Johnny Thunders. Bryan amène ce qui va asseoir la réputation des Cramps : l’attitude. Beaucoup plus que les punks, les Cramps sonnent le glas du rock virtuose. Bryan pousse encore le bouchon en foutant les jetons aux gens. Personne n’ose l’approcher. Il a une mauvaise peau et un regard noir - The Cramps were the real deal, they lived and breathed their musical life style - Et c’est là où ca devient très fort, Wombat insiste beaucoup sur ce point : les Cramps étaient beaucoup plus qu’un simple groupe de rock, ils incarnaient ce rock sauvage et primitif qu’ils vénéraient, ils surent créer un monde à partir de leur passion pour les films d’horreur, le rockabilly et le sexe. Lux écrivait les paroles, Ivy la musique et ils choisissaient ensemble les covers qu’allait jouer le groupe sur scène. Lux voulait retrouver le côté choquant, sexy et révolutionnaire des pionniers du rock des années 50, mais sans les imiter. L’esprit rebelle, voilà ce qui le fascinait. Voilà toute la grandeur de leur démarche.

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    Quand Nick Knox arrive, Bryan ne s’entend pas bien avec lui, et puis leur relation évolue et ils prennent un appartement ensemble. Et pouf c’est parti, les Cramps tournent en Europe et enregistrent leur premier album à Memphis. Mais la tension s’accroît entre Bryan et le couple Lux/Ivy. Andrella qui est la copine de Bryan s’occupe du light show sur la tournée américaine des Cramps en 1980 et quand Lux et Ivy la virent, Bryan le prend mal. Il quitte le groupe après le show de San Francisco. Sans rien dire. Les commères du village ont raconté que Bryan avait barboté le van du groupe qui contenait tout l’équipement, mais Andrella affirme le contraire. Tout cela n’est pas très clair. C’est là où Wombat s’enlise. Il cite Ivy. Elle accuse le pauvre Bryan de n’avoir pas eu autant d’intégrité rock’n’roll qu’elle et Lux pouvaient en avoir. Puis Lux prend le relais en reprochant à Bryan d’avoir voulu faire des chansons plus politiques, alors que les Cramps ne se mêlaient jamais de politique. Et Lux achève Bryan impitoyablement en l’accusant d’être un connard cupide - He was just a money grubbling creep is what he turned in to - En fait, Lux et Ivy devaient en vouloir à Bryan de les avoir lâchés sans raison valable. Bryan se conduira pareillement avec Beast, lâchant le groupe la veille d’un départ en tournée européenne.

    Kid Congo remplace Bryan et ne cache pas son admiration - I really loved Bryan Gregory and so I wanted to do what I loved about him - That oozy fuzz bassy sound - Après Kid Congo, d’autres musiciens vont tenter de combler le trou béant laissé par Bryan dans les Cramps.

    Plus tard en Floride, Bryan va provoquer une rencontre avec Lux et Ivy qui sont en tournée dans le coin, caressant bien sûr l’espoir de renouer, mais comme l’indique si finement Wombat, Bryan sent clairement qu’on boude sa main tendue.

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    Bon alors, après, Wombat nous détaille par le menu les épisodes Beast et the Dials, avec Andrella et James Christopher, mais tout foire tragiquement au moment où un médecin diagnostique un cancer des cordes vocales dans la gorge de la pauvre Andrella. Bryan tente de redémarrer avec Shiver. En 2001, il ressent des douleurs, mais refuse d’aller voir un toubib. Il va quand même à l’hosto pour y casser sa pipe en bois, à l’âge de 49 ans. Et Wombat conclut sur un bel éloge : «Bryan was a true individual».

    Signé : Cazengler, John Wombite

    John Wombat. The Cramps, Beast And Beyond - A Book About Bryan Gregory. Amazon 2018

     

    BelphegorZ

    fantôme du boogaloovre

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    Tallulah semblait ravie. Comme dopée par un bel accent marseillais, sa voix chantait : «Nous avons quatre pages dans Rock Hardi !» Elle sortait de scène et savourait sa fierté d’avoir donné un bon show. C’est vrai que BelphegorZ ne laisse pas indifférent. Ils ne cherchent pas à foutre les chocottes comme le fit Juliette Gréco, au temps où elle hantait les couloirs du Loovre. Ce groupe marseillais propose un rock bardé de guitare et d’orgue, mu par une puissante section rythmique, et drivé par Tallulah qui fonctionne avec une telle intensité qu’on pourrait presque la comparer au cœur d’un réacteur nucléaire. Il y a de la Soul Sister en elle, ses montées en puissance valent bien celles d’Etta James, même si le son du groupe reste dans une veine disons post-moderne. Dans le chapô d’intro, Rock Hardi cite les noms de X-Ray Spex, de Blondie, des Revillos et de T. Rex. Oui on peut citer tous ces noms et dire aussi qu’ils reprennent le «Radioactivity» de Kraftwerk, mais il semblerait que le groupe se situe à un autre niveau. Leur set donnait déjà cette impression, et l’écoute de l’album ne fait que l’amplifier : inutile de vouloir comparer BelphegorZ à d’autres groupes. Ils valent mille fois mieux que ça. Pour la première fois depuis les Dum Dum Boys, Weird Omen et les Cowboys From Outerspace, on voit apparaître en France ce qu’il faut bien appeler un phénomène, c’est-à-dire un groupe à très forte identité.

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    Et l’artisan de cette identité n’est autre que Krees D, le guitariste du groupe. Sous sa casquette de marin, il arbore des faux airs de Johnny Thunders et sur scène, il sait se mettre en retrait pour laisser le champ libre à Tallulah. Mais sur l’album, il est partout et si vous vous retrouvez en manque de very big sound, alors jetez-vous dessus. L’album s’appelle BelphegorZ tout court et sort sur Closer, l’ex-label havrais qui semble reprendre du poil de la bébête. Par son ampleur, cet album sonne les cloches à la volée. On croise rarement des sons aussi ambitieux, aussi bien foutus, aussi magistraux. Tallulah va vous choper dès «Vintage Girl», car elle chante sous le beat, et quand Krees D vient cisailler la mortadelle, Tallulah se glisse entre les mailles avec une aisance sidérante. Ils visent une pop énergétique bien battue en brèche par ce démon chapeauté de Mekanikman qu’on a vu à l’œuvre dans la cave. Ce groupe rafle la mise avec sa belle énergie, son goût parfait pour l’instrumentation et ce sens inné de la propulsion nucléaire. Le cut suivant s’impose encore plus facilement par sa dimension imagée : avec «Creepy Birthday», il visent le climax et l’ambition des grands élans patriotiques. On assiste alors à un joli coup de creepy creepah secoué de beaux départs en coulisse. Krees D est un homme assez complet, il sait charger la barque d’un son entreprenant, il joue dans les couches, il connaît les secrets du lointain, il développe une prodigieuse énergie. On y plonge le museau avec une délectation non feinte. En deux cuts, la partie est gagnée.

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    Dans l’interview de Rock Hardi, Tallulah nous confie que Krees «est constamment en recherche de création». Il écrit aussi les textes et Tallulah ne joue qu’un rôle «d’arrangeur ou de mise en forme». Elle dit aussi qu’il sait dès le départ où il veut aller, et il suffit d’écouter «Claim» pour comprendre ce que ça veut dire. Krees D amène son Claim à la grosse cisaille, mais c’est Tallulah qui drive le bestiau, parmi les spoutnicks et les ombres du Loovre, elle chante au relentless - Cash is all you need - Merveilleuse baby shaker, elle sait mener la sarabande. Franchement, c’est un album très complet, tous les cuts sont pleins comme des œufs et chaque fois, Krees D s’arrange pour faire monter des grosses émulsions de guitares et de spoutnicks. Parfait exemple avec «Stinky City», il claque ses accords dans le corps même du son, ils dépotent une pop-rock gothico-stinky de haute tenue, ça prend vite des tours, il se montrent capables de big atmospherix et se hissent facilement au niveau des grands groupes anglo-américains. On comprend que le Closer man ait flashé sur eux. Il a toujours eu le bec fin. Ce «Stinky City» balayé à l’orgue sonne comme une révélation, comme une sorte d’épitome de chèvre du rock moderne. Marseille ou anywhere, ils sont partout avec un son qui redore pas mal de blasons.

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    Et c’est peut-être là le point essentiel : le ‘rock en France’ reprend du sens, par la plus juste des conjonctions : un superbe concert underground + un article dans le plus underground des fanzines + un excellent album sur l’un des derniers grands labels underground français. Le cœur du rock bat toujours et il semble vouloir battre plus fort que jamais. En tous les cas, la qualité est au rendez-vous, et quand on se prévaut du privilège d’être blasé d’avoir vu tellement de choses, il est parfois difficile de remonter sur ses grands chevaux pour clamer son enthousiasme. Mais là, ce sont les grands chevaux qui te grimpent dessus, il n’y aucun effort à fournir, chacun sait que l’enthousiasme délie la langue aussi sûrement que pouvait le faire un maître tourmenteur de la Sainte Inquisition.

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    Dans l’interview, Krees D se fend la gueule. La question traite de la difficulté à se faire connaître en France quand on est un groupe de rock et il répond qu’il faut simplement continuer à écrire de bonnes chansons et se démarquer, puis il ajoute, «mais bien sûr, cela ne suffit pas sinon c’est pour le New York Times que l’on ferait cette interview». Mais il doit se sentir beaucoup mieux dans Rock Hardi, c’est en parfaite cohérence avec la modestie qu’impose le statut de groupe français, même si par certains côtés, le statut de leur album relève de l’international. «It’s All Inside» ne hante pas que les galeries du Loovre. Depuis les grands albums des Afghan Wigs ou des Saints, on a perdu l’habitude des climats et du repoussage des limites. Il faut se souvenir que les big atmopherix sont difficiles à réussir. Mais Krees D y parvient, apparemment avec une étrange facilité. Il développe avec son Insider une malovelante horreur de bonheur brutal, impression qu’affûte derrière Mekanikman avec son beat des galères, c’est puissant, chanté dans l’âme de la carcasse, nappé d’orgue comme au temps béni de Procol et de Matthew Fisher. Krees D place ses transes d’accords dans l’excellence d’un son somptueusement ramassé. On voyage à travers le son, c’est franchement digne d’un Piper At The Gates Of Dawn, mais en plus marseillais, en plus humain. Ces gens-là sont tout simplement dans le vrai de leur son. Et quand on les voit jouer sur scène, on remarque très vite une absence totale de prétention. D’ailleurs, quand Krees D annonce timidement la reprise de «Radioactivity», on s’attend à un truc un peu froid, mais ils en font du BelphegorZ, c’est même une version assez demented. On voit alors ce démon de Krees D fléchir les genoux et se déplacer dans les couches du son avec une autorité qui laisse songeur.

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    Dans l’interview, il s’en prend aux politicards et au phénomène des tributes bands qui semble prendre une certaine ampleur. Pour lui, ces pâles copies ne servent à rien et il a raison. Il préfère se réclamer du Sex & drugs & rock’n’roll qui prévalait à une certaine époque et c’est vrai que ce goût pour the wild ride aurait tendance à disparaître. Lorsque Rock Hardi aborde la question ‘Marseille ville rock’, Tallulah abonde dans ce sens. Elle rappelle que les Cowboys From Outerspace existent depuis un bon bail et que Jim Younger’s Spirit est aussi basé à Marseille. Et quand ils abordent la question des disques de l’île déserte, Krees D dégouline de classe en citant le Saints, T. Rex, les Damned, les Stones, les Beatles, Burt Bacharach et Lee Hazlewood. Wow. Ça en dit long sur la finesse du bec fin !

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    Tellement fin qu’on a l’impression d’entendre le nouvel album de Johnny Thunders, à l’écoute de «Waiting For Nightlights». Tallulah entre dans ce groove vengeur au tremblé désespéré. Ce hit de fin de nuit sonne comme un coup de génie, il semble dévoré par des lèpres de son - Please please please - Avec ce balladif infernal, ils vont bien au-delà de tout ce qu’on imagine. Elle entre aussi dans «Still Alive No Fantasy» par la bande, sous le boisseau, elle est excellente à ce petit jeu.

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    Magnifique chanteuse, toujours présente mais jamais trop devant, la voilà servie par les chœurs des Dolls. Elle campe dans l’excellence et s’y colle avec un aplomb qui méduse. Cet album est une véritable auberge espagnole : on y est accueilli à bras ouverts et on y mange non seulement à l’œil mais aussi à volonté, no fantasy, ces gens-là ne s’arrêtent jamais, tout est architecturé dans la couenne du son pour le bonheur de l’oreille. Les chœurs des Dolls produisent leur effet, le cut se met à bander. Ce démon de Krees D a écouté les Dolls, c’est évident. Tallulah allume «Don’t Push» à l’accent coquin, elle l’embarque au don’t push me down, c’est bardé d’espoir, une vraie source de revenus d’entre les morts, elle taille sa route à l’accent canaille et derrière elle, Krees D taille le riff à la serpe. Tchack-o-tchuck ! Ils développent des énergies qui devraient convaincre le pays, fuck ! Écoutez BelphegorZ, ils ont assez de jus pour un régiment, ils vont certainement devenir énormes, ils savent relancer et finir en mode apoplectique, avec une spectaculaire débinade de cris d’orfraie. Histoire de faire le lien avec le chapô de Rock Hardi, ils se mettent à sonner comme les Rezillos avec «Not Really Tasty For 2». Même beat et même ambition. Belle virtuosité de la virevolte. Très haut niveau, chanté par dessus la jambe, elle est en plein dedans. Power exceptionnel. C’est une groupe français ? Non, t’es sûr ?

    Signé : Cazengler, Belphegare du Nord

    BelphegorZ. Le Trois Pièces. Rouen (76). 4 décembre 2019

    BelphegorZ. ST. Closer Records 2019

    Rock Hardi # 56 - Hiver 2019/2020

    17 - 01 – 2020 / MONTREUIL

    LA COMEDIA

    SUPERHEROÏNE / DARK REVENGEs

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    La teuf-teuf vire sec à Croix de Chavaux, ne lui reste plus qu'à trouver une place de stationnement, faites-lui confiance, elle vous dégote en haut de l'avenue un espace dans lequel vous amarreriez un tanker de 300 000 tonnes. Heureusement que ces jours-ci les rades portuaires sont bloquées ! C'est en claquant les portières de notre infatigable coursier que les choses ont commencé à mal tourner. Comment nous faire subir un tel affront à nous, innocents rockers au perfecto noir aussi blanc que la colombe de la paix universelle. Au début nous avons cru à un incident bénin, le crash de deux voitures en bas de la côte avec des cadavres ensanglantés un peu partout sur la chaussée. Mais non, il est sûr que nous sommes confrontés à un scandale inouï, pas de doute possible, c'est bien l'intolérable pulsation basique de la disco qui s'installe sans demander l'autorisation dans nos pavillons écoutatoires. Un tel scandale mérite un châtiment exemplaire, et immédiat. Nous hâtons notre pas martial vers le lieu du délit. Surprise, il y a à peine cinq minutes lorsque nous sommes passés par le bas du simili rond-point il était désert, et maintenant ça grouille de monde. Une espèce de conglomérat informe et indistinct, de loin l'on ne voit rien si ce n'est quelques flambeaux épars qui brillent dans l'obscurité fuligineuse.

    Que sont-ce ? Doivent atteindre le millier, pas de doute ce sont des lycéens qui manifestement ne sont pas restés sagement à la maison pour faire leurs devoirs insipides. Drapeau rouge et noir, banderole de drap marqué d'un A cerclé de noir, nous expliquent qu'ils partent en manifestation nocturne contre les retraites et la triste vie de travail précaire sous-payé qu'on leur prépare. Sont déterminés, la place se vide en trois minutes, ont dégagé vent debout pour mettre le sbeul et le dawa ( ô tempora ! ô mores ! ) dans les rues et réveiller la conscience des honnêtes citoyens endormis en geignant devant la télé et leur porte-feuille vide. Une belle énergie qui vous regonfle le moral. L'est à craindre que la fin de l'hiver soit plus chaude que les prévisions météorologiques... Que voulez-vous ma bonne dame, c'est le dérèglement climatique !

    SUPERHEROÏNE

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    Débutaient juste leur troisième morceau lorsque nous sommes rentrés, Jean-Jacques le copain a effectué une station christique au bar, moi courageux pour deux, j'ai traversé le large mur opaque de l'assistance pour me faufiler au premier rang. Pas question de laisser une super héroïne perdue toute seule au milieu d'un monde cruel. Manifestement elle n'a pas besoin de moi, elle repose dans le triangle protecteur de trois grands et jeunes musiciens, basse, batterie, guitare, donc Juliette a trois gardes du corps derrière elle. J'imaginais une sirène fatale, mais non c'est une fille toute simple, comme toutes les autres. Enfin presque, un look androgyne, avec sa boule de cheveux frisés elle ressemble à un garçon, un charme indéfinissable en plus. L'air de rien, c'est elle qui mène la barque. Si l'on peut dire parce qu'elle reste derrière son micro, retranchée dans l'illusion protectrice de sa guitare, mais personne ne moufte. L'on entendrait un infusoire voler. Par contre dès la fin du morceau applaudissements et exclamations crépitent.

    Non, ce n'est pas du rock violent, ni à effets convulsifs. Du rythmique, un petit côté groupe de lycéens qui veulent bien faire, c'est propre et bien foutu, rien de révolutionnaire, le fait de chanter en français, d'articuler les mots, de ne pas les mordre et les déchirer, n'aide pas aux grands éclats lyriques et ravageurs. Mais ça passe et ça retient. La certitude que quelque chose a lieu. Bizarrement c'est sur L'enterrement que le groupe devient plus percutant, comme quoi rien de plus vivant que de sentir le souffle de la Camarde dans votre âme pour vous insuffler une plus grande envie de vivre. Après Multicolore, ce sera une reprise de Marcia Baïla des Rita Mitsouko, l'est sûr que l'on est loin des flamboyances rock, mais cela se tient. Finissent sur Jamais seul. L'on hurle pour un bis, mais les voici tout décontenancés, n'en ont pas d'autre. N'osent pas en reprendre une. Dommage, c'est le seul moment où ils déçoivent le public. Préfèrent laisser la place à Dark Revenges. N'empêche qu'il y a dans Superhéroïne une grâce fragile et une authenticité émotionnelle qui touchent au cœur. Quelque part l'on est loin du rock, mais tout près de l'humain. Le public vient les remercier, de ce miracle d'être, en notre monde de clones interchangeables et évanescents, pleinement là.

    DARK REVENGES

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    L'on change de registre. Un groupe de reprises. Pas un genre attirant d'après moi. Se paieront même le luxe de n'interpréter que deux de leur propres compositions. Et la deuxième vraiment belle nécessitait l'achat du CD dont ils avaient laissé les exemplaires à la maison ! De surcroît d'une générosité sans faille. Presque deux heures de concert, mais ils en avaient toujours une infinité de petites dernières à faire. Z'auraient bien continué, mais non hélas, il existe aussi des horaires pour limiter le tapage nocturne. Pourtant ça s'annonçait mal. L'on va vous faire du disco et des titres de hard, nous a annoncé Pat. C'est dingue comme une fille peut vous détruire le moral rien qu'en ouvrant la bouche. De disco ils n'en feront qu'un – un truc hyper connu dont je suis incapable de vous rapporter le titre. A leur manière, un peu hard, nous a-telle rajouté. Vous auriez aimé, c'est un peu comme si demandiez au Marquis de Sade de réécrire les Albums de Martine. Dark Revenges ils ne font pas dans le produit bas de gamme. Quand ils font du hard, c'est plus dure sera l'élévation vers les étoiles. Même au début quand ils nous jettent des eigthies-tunes du genre Sweet Dreams, ils vous les dopaminent méchant. Z'ont des manières de synthétiser l'absence des synthétiseurs à vous faire peur. Des déclencheurs d'avalanches.

    Des rusés. Au micro Pat. Une ogresse. Jolie comme une fleur carnivore mais quand elle se jette sur un morceau c'est le sang de votre cerveau qu'elle aspire. Une voix à réveiller les morts. La lyre d'airain aurait écrit Victor Hugo s'il avait dû rédiger cette chronique. Une insatiable, n'a pas fini un morceau qu'elle se jette sur son classeur pour choisir la prochaine. Vous feuillette les transparents comme un tigre qui se repaît des entrailles de sa victime pantelante. L'on se demande pourquoi elle cherche, parce qu'elle connaît les lyrics par cœur et que derrière elle ils démarrent au demi-huitième de quart de tour.

    Prenez Gégé, à la basse. Le mec vous pouvez lui proposez ce que vous voulez, la colère des Dieux ou l'Apocalypse, il s'en contrefiche, vous prend les cataclysmes comme ils viennent, pas de quoi en faire un drame, pour lui c'est du cousu au fil blanc, l'est aussi à l'aise que sur sa chaise longue. Rien ne peut l'émouvoir. Un roc. Imperturbable. La basse à fond la caisse, prête à traverser la montagne qui se mettrait en travers de sa route. Un bassiste comme Gégé c'est un cadeau pour un batteur. Pas besoin de regarder du coin de l'œil s'il suit, un véritable incendie australien qui ne s'arrête jamais. Quand il aura racorni la végétation du continent, il s'en ira mettre le feu aux vagues de l'océan. Confiance absolue.

    L'on parlait de lui, voici donc Myrko le batteur. Encore un à qui il ne convient pas d'aller lui conter fleurette quand il tape. Pareillement vous vous abstiendrez de lui demander d'épousseter vos babioles en porcelaine de Limoges. L'est un Mallarmé de la frappe, vous aboli les bibelots en moins de un. Le pire, c'est que l'on peut qualifier son drummin' de progressif. A chaque titre plus lourd, plus fort, plus violent. L'a commencé dans le genre fric-frac de bijouterie à la voiture bélier, ensuite nous a envoyés quelques ogives nucléaires manière de vous décapuchonner les oreilles pour le restant de votre vie. Evidemment ce triste sieur a le défaut de ses qualités. L'est du genre, une fois que je vous ai occis, ne venez pas à gigoter bêtement alors que vous êtes déjà morts. Alors il en remet un coup – définitif – pour signifier que le boulot est achevé et qu'il est totalement inutile d'y revenir dessus.

    Franchement dans le public il n'y a personne pour la ramener. Mais sur scène, si. Il en reste un. Un jeune. Un inconscient. Un gars incroyable. D'abord il a une guitare. Alors il s'en sert. Attention là, les Dark Revenges ils sortent l'argenterie royale, puisent dans Led Zeppe, Thin Lizzy, AC / DC, Lynyrd Skynhyrd, Iron Maiden, vous voyez le topo, jusqu'à Scorpion pour la balade pour les esgourdes fragiles nettoyées au coton-tige en fil de fer barbelé... Et là, Sek il démarre sec. Vous sort à chaque fois le solo qui tue et l'accompagnement tramontane. C'est simple, possède un plan d'enfer pour toutes les occasions. Suis sûr que si on le torturait un peu il nous livrerait les descriptifs du dernier sous-marin atomique russe. Ou de la future fusée intercontinentale des ricains. Un mec inventif. Et d'une précision absolue. Moi je n'ai pas hésité, me suis collé sur l'enceinte et mon regard n'a pas quitté ses doigts. Un artiste. Un orfèvre avec la fièvre de l'or. Le zigue, il ne fait pas que jouer, il prend plaisir à jouer. Toute la différence est là. Lui en faut toujours plus. Ne peut pas envoyer une note sans en avoir sept cent quarante trois autres dans le paletot à vous refiler au cas où. Quand il s'embarque dans un solo, c'est navigation au long cours sans escale. Vous faites dix-huit fois le tour de la terre sans vous en rendre compte. Le Myrko, ça le rend fou, sur le final. Le Sek il vous l'étire à l'infini, et le Myrko la baguette levée il n'attend que l'instant fatal où il pourra lui clouer le bec à Sek, mais pas n'importe quand, lui laisse terminer son envol, mais attention il faut qu'il vous écrabouille le moustique avant qu'il ne refile un coup d'aile. S'amusent tous les deux, l'un dans le rôle de gros matou et l'autre dans celui de Titi. Et illico Pat leur refile un nouveau titre comme les Romains jetaient un chrétien aux lions affamés dans l'arène.

    Pat – pas de velours, pour le sourire et la convivialité certes oui – mais Pat tubulaire d'acier chromé - quand elle elle vous niaque le vocal, une voix pleine - ne donne pas dans la facilité du timbre à la toile émeri du genre j'ai beaucoup vécu et beaucoup souffert – jamais essoufflée, la vivacité épanouie d'une pivoine dans un jardin japonais, celle que vous regardez une dernière fois tout en vous faisant hara kiri. L'on a jamais su de quoi Dark Revenges cherche à se venger, mais le jour où ils trouveront le coupable sûr qu'il passera un mauvais quart d'heure. Pour nous, ce fut infernalement paradisiaque.

    Damie Chad.

     

    19 / 01 / 2020MONTREUIL

    L'ARMONY

    JUSTINE / NEVER MIND THE CAR

    KROPOL TRIO

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    Rappel de Raphaël Rinaldi, en plus j'avais complètement oublié, heureusement la Teuf-teuf hennit de joie dans le paddock, toujours prête pour la route du rock ! Pas de manif au rond-point de Chavaux cette fois, le froid poussant je m'engouffre vite dans l'Armony. Deux groupes que je ne connais que de nom, une aubaine.

    JUSTINE

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    Une invitée surprise. Sur une chaise haute perchée. Elle tient non pas un fromage en son bec mais un joli brin de voix devant son micro et un accordéon rouge sur ses genoux. N'a pas l'aspect du vaniteux volatile de la fable, toute classieuse, toute simple, mais tout un univers dans ses chansons. Elle parle de sa mère et de son père. L'offrande et les gerçures de la vie en quelques mots tendres ou tranchants. Qui ne seraient rien sans les arabesques de cette voix, envol joyeux et mélancolique de palombes. Et les trilles de cet accordéon orchestral à la si belle sonorité, si loin des flonflons goguenards du musette, et ses doigts sur les touches comme ceux d'une infirmière qui vous refait le pansement de votre âme malade du bonheur et du malheur de vivre. Rien que l'onction balsamique de cinq à six chansons, mais qui établissent une jonction magique avec une assistance principalement venue pour écouter du rock qui tâche. Et l'oiselle s'échappe, laissant à chacun, pour toute signature, une plume plantée en plein cœur.

    NEVERMIND THE CAR

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    Changement de direction. Rien de mieux qu'une voiture pour dévorer les grands espaces du rock. Ceux qui aiment à flâner les doigts de pied en éventail sur le tableau de bord, les vitres ouvertes sur les interminables rubans des american highways risquent d'êtres déçus. Never Mind the Car préfèrent les trajets courts mais à vitesse incontrôlée. Conduisent aussi mal que le drummopathe qui drive sa batterie. Un malheureux garçon vraisemblablement atteint d'un terrible parkinson, il semblerait qu'il ne pourrait parvenir à coordonner les mouvements de ses bras et de ses jambes. Donne l'impression de conduire à fond et freiner à mort en même temps, d'où une succession ininterrompue, une cascade de saccades intempestives qui vous remuent jusqu'à la moelle épinière dans les vertèbres.

    Femme au volant, cimetière ambulant. L'adage comporte sa part de vérité. Sabrina nous le prouve. Hors de scène elle paraissait une personne des plus sensées, mais quand elle est montée dans sa truckin' bass, elle s'est métamorphosée, incapable se suivre une ligne droite. Petite ses parents ont dû contrarier une vocation de patineuse sur glace, alors maintenant elle se rattrape, elle zigzague, elle entrelace les courbes, elle empiète sur les bas-côtés et s'en vient virevolter sur la chaussée à contresens, des caprices de papillon, de sphinx à tête de mort en quête de carambolages mortels.

    Pour sa guitare Manu est un fervent partisan de la technique hot-rod. Ne l'insultez pas en disant que c'est un super gratteux. Que voulez-vous, son job ce n'est pas tout à fait de répéter le même riff durant une heure, pas du tout un gratteur à la petite semaine qui tape le stop en fumant un joint sur le bord de la route. Lui sa spécialité c'est la fulgurance. A peine a-t-il touché une corde – il prend son temps, fait son choix, tourne un bouton sur un delay, non pas celui-ci, à réfléchir ce sera l'autre, à moins qu'il n'en choisisse en fin de compte un troisième, vous en concluez que c'est un intermittent du spectacle, en période creuse qui ne sait pas trop quoi faire de ses neuf doigts, et c'est à ce moment que le dixième qui était resté coincé sur une corde, vous prend subitement la poudre explosive d'escampette et file tel un une chaparral sur les plans inclinés de la boucle mortelle d'Indianapolis vers le haut du manche où elle freine à mort et là, manque de chance, elle s'écrase contre la tribune des juges de course qui s'effondre sur les spectateurs innocents. Notamment une classe de maternelle emmenée par leur gentille et ben-aimée maîtresse. Que voulez-vous le rock'n'roll n'est pas un dîner de gala.

    Dans un désastre, l'important est de rester stoïque. Pour cela il vous faut un Homme. Un vrai, qui ne s'affole jamais. Ils en ont un dans Never Mind the Car – peut-être la preuve que la providence divine existe – il s'appelle Alainman. Il a mis des lunettes noires, des ray-ban de policier américain, pour que vous le reconnaissiez. Bien sûr quand il est venu constater l'accident et compter les cadavres il a conduit sa guit-car aussi mal que Manu, mais son rôle à lui, c'est le micro. Cette voix imperturbablement rassurante, sèche et sans appel, dans les microphones qui vous dit ce que vous devez savoir – à partir de maintenant toute note de musique que vous entendrez pourra être retenue contre vous – oui, vous savez ce que vous risquez à écouter Nevermind the car, et pourtant vous restez en connaissance de cause.

    Avec ces trois trafal-gars et celle trafal-gal en goguette vous pourriez penser que NTC ( Nique Ta Carrosserie comme on dit en banlieue ) c'est la chienlit assurée, le chaos incoercible, une éruption volcanique à la Santorin qui a rayé l'Atlantide de la carte routière. La preuve : ne nous ont-ils pas offert la reprise The girl you want des pernicieux activistes anarchisants adeptes de la Devolution. Erreur sur toute la ligne blanche. Rien n'est plus beau que le procktotype de Nevermind The Revolution. Rien à voir avec les pare-chocs en tôle ondulée de notre industrie nationale, ni avec les chromes fastueux et vastueux des grasses berlines disgracieuses appréciées par ces m-a-tu-vu des amerloques. La Nevermind est un bolide racé, une ligne anglaise, l'on sent la puissance rien qu'à regarder l'agressivité des angles, et le bruit de son moteur, une turbine à kérosène, idéale pour les courses de côtes. Par contre question empreinte carbone, ce n'est pas tout à fait cela, nous avons effectué quelques essais Things, Turn me on, Fool, Sweet Love, indéniable ils en sont à un taux de nuisance qui dépasse les cents pour cent. Faut être franc, nous la déconseillons fortement aux bons pères de famille et à tous ceux qui ont ( et sont ) bobo partout dès qu'ils se cognent à l'Elastic de la vie qui vous rebondit en pleine gueule sur le pare-brise de votre vie étriquée.

    Je vais même vous dire le fond de ma pensée : il n'y a que ces fous furieux de rockers amateurs de sensations fortes qui pourront aimer ce genre de trompe-la-mort.

    KROPOL TRIO

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    Pôle blues ou pôle groove. Paul ou Kröpol. Fils ou père. Pierre ou Paul. Possibilités multiples. Commencent par le groove. Le groove c'est comme la chasse à la grouse. Au chien d'arrêt. A peine avez-vous marqué une syncope rythmique qu'il faut s'arrêter, suspendre le mouvement, comme la patte du braque hongrois à poil court, levée, dès l'objectif atteint, et puis repartir. Un drôle de tricotage. Excellent pour les batteurs qui ont une tendinite, pas besoin de gestes amples et mélodramatiques, suffit de se concentrer sur deux fois dix centimètres carrés d'impact des baguettes et c'est parti mon kiki pour une éternity. Idem pour les guitareux, vos doigts jouent au perroquet retenu par une chaîne, il a beau tenté de s'envoler, ses deux pattes rejoignent obstinément les mêmes emplacements. N'allez pas croire pour cela que c'est de tout repos. Le groove c'est répétitif, mais c'est aussi subtil et complexe que La Phénoménologie de l'esprit de Hegel. Si le groove était un film ce serait La fièvre monte à El Paso. Lentement. Très lentement. Trop lentement. Mais sûrement. Sans angoisse. De l'hypnotique sur l'hypoténuse rythmique. Faut prendre votre mal en patience. Ne soyez pas pressés, laissez au virus de la peste que vous êtes en train d'incuber le temps de faire éclater le bubon de pus fatidique qui est en train de germer dans votre attente. Avec Pierre à la batterie et Paul à la guitare, vous en avez pour un bon bout de temps, des jeunes qui ont toute la vie devant eux, veulent retarder le plus longtemps possible la survenue de l'extase sexuelle ( elle ressemble tant à une métastase envahissante ) qu'ils s'escriment à vous transmettre, alors papa Kröpol – il fit partie des Négresses Vertes, plus maintenant quoi qu'il soit toujours viride et adepte des rythmes négroïdes – vient à votre secours. Délaisse sa basse et se saisit de son trombone. A coulisse, comme le pied que nous allons prendre. Le trombone à coulisse n'est-il pas un instrument typiquement africain avec son cou de girafe qui se dresse vers la cime des arbres ? En plus le pavillon de l'embouchure que le dénommé Kröpol agite de haut en bas et de bas en haut au-dessus de la tête des spectateurs, parmi lesquels il déambule pachydermiquement, n'évoque-t-il pas le bout facétieux de la trompe du roi de la savane ! S'en échappe des ricanements faisandés de hyènes putrides ravies de découvrir une charogne appétissante.

    Après la vague de groove, ils nous offrent une tournée générale, Tequila – le champ' des péones – pour nous remettre de cette longue exploration équatoriale. Profitons de cet intermède musical pour examiner de près le coléoptère Pierre. S'il n'y avait pas ses sourires moqueurs qui clignotent chaque fois qu'il commet un mauvais acte en douce, vous ne vous en apercevriez pas. L'a l'art du cochon du tchac-poum-poum qui tombe par hasard juste au moment où il ne faudrait pas, le coup qui tue juste à l'instant où vous ne l'attendiez plus pour l'avoir si longtemps espéré, ou alors cette interjection à demi-étouffée qui en dit mille fois plus en une demi-syllabe que Marcel Proust dans les huit mille pages de la Recherche du temps perdu, que lui il ne perd jamais sur sa caisse claire. Un sardonique. Qui vous fait la nique.

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    Et puis il y a l'autre? le fiston Paul, le piston fol, qui offre même sa guitare à son pauvre père heureux de sa progéniture filiatoire pour lui récupérer sa basse afin de groover encore plus gras, encore plus grave. Comme tous les gamins mal élevés, il ne sait pas ce qu'il veut, la lui reprendra à plusieurs reprises  – remarquez dans la famille, ce n'est du flambant neuf, elles ont un petit aspect affirmé radeau de la Méduse – mais attention Kröpol se hâte alors de lui montrer le bon chemin. La piste bleue. D'un bloc, Saint James Infirmary, à l'Armstrong, avec le trombone qui devient fou de douleur, la voix qui pleure, s'enroue et grince comme les gonds rouillés du portail du paradis interdit à tout jamais. Y a tout là-dedans, le désespoir mélancolique des vieux spirituals qui remontent du fond du Mississippi, la surchauffe contenue et explosive des fureurs délivratoires du gospel, les fanfares éclatantes des enterrements harlémiques, les lamentations des alligators du bayou, et les hiéroglyphes illisibles du destin. Hot chocolate blues ! Nékropole !

    Un dernier passage d'Elephants et voici que le vent du blues gonfle les voiles. L'on commence clopin-clopant, à la manière des esclaves peu soucieux de se rendre de bon matin aux champs de coton. Ne doivent pas se rendre compte du privilège qu'ils ont de travailler gratis pour les maîtres, l'on sent que la colère monte. La voix de Paul se modifie, la plainte se requinque en mâchoire de requin, elle prend de la vigueur et éclate bientôt comme le vent dans les roseaux de la colère. Un final éblouissant, une montée en puissance folle, Pierre au tambour comme s'il menait la charge, et l'on terminera sur le Whole Lotta Love en blues échevelé, Paul la tignasse plus ébouriffée que s'il était sous les rafales tempêtueuses d'Ouessant, non pas le Lotta du II de toute puissance mastoc et pyramidale, mais à la manière du III, aux glapissements du country-blues dans les tuyauteries des catacombes de l'insoumission métaphysique. Galop pôle blues hystérique.

    Encore une fois le concert s'achève pour ne pas dépasser oultre-mesure les limites horaires légales... Merci à Raphaël Rinaldi de cette programmation hors-pair.

    Damie Chad.

    NOUS, LES BLOUSONS NOIRS

    PIERRE CUDNY

    ( Vidéo : You tube )

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    L'a les cheveux blancs maintenant Pierre Cudny, l'a roulé sa bosse sur les pistes du rock, du blues et de la country durant des années, fit même partie d'un groupe nommé les Provos. Aujourd'hui l'on ne parle pas plus des Provos que du fromage de Hollande, dans les années soixante ces rebelles néerlandais essayaient d'inventer une nouvelle vie. Je crois que c'est en 2014 qu'il a sorti Nous, les blousons noirs un hymne nostalgique aux bandes des cités hexagonales au tout début des années soixante. Le clip est constitué d'images d'époques mêlées ( l'ancienne et l'actuelle ) et de vues de films. Une belle voix, une musique rock qui roule un tantinet sur les pelouses du country-rock, mais l'ensemble est méchamment bien foutu. Sans doute est-il accompagné par le Cadillac Band avec qui il a écumé toutes nos routes durant des années.

    Nostalgique bien entendu cette évocation, mais aussi passéiste et quelque peu ambigüe. Certes la révolte était belle dans les années soixante. Mais elle est belle à toutes les époques. Avant c'était mieux que maintenant, c'est normal parce qu'avant est toujours plus jeune et moins vieux qu'après. Les temps ont changé. Les mentalités aussi. Tout s'est durci. Les conditions économiques, les individus et la police, que tout le monde déteste, a abandonné le bon vieux bidule pour des armes de guerre. Le futur a un avenir mais de moins en moins agréable. Entre les blousons noirs et les black blocs, c'est toujours la même couleur noire qui domine.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 447 : KR'TNT ! 447 : JACK SCOTT / JERRY WEXLER / MORLOCKS / MARIE DESJARDINS / AVALANCHE /LOUIS LING & THE BOMBS / EFFELLO ET LES EXTRATERRESTRES /

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 447

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    16 / 01 / 2020

     

    JACK SCOTT / JERRY WEXLER / MORLOCKS

    MARIE DESJARDINS / AVALANCHE

    LOUIS LINGG & THE BOMBS

    EFFELLO & LES EXTRATERRESTRES

    ROCK ET MAI 68

    Scott a la cote

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    Jack Scott devait beaucoup aux Cramps qui, avec leur magistrale cover du «Way I Walk», le ramenèrent dans le rond du projecteur. Il devait aussi beaucoup au fameux rockabilly revival des années quatre-vingt, et notamment à Robert Gordon qui fit lui aussi une superbe cover du «Way I Walk». Et comme le dit si justement Craig Morrison, il le méritait (He deserved it). Le problème de Jack Scott est qu’il n’appartenait à aucune scène rockab, ni la scène de Memphis ni celle du Texas, et que sa vie ne présentait pas le moindre relief : rien, ni faits marquants, ni scandales. Et pourtant ce Canadien basé à Detroit aligna nous dit Morrison une vingtaine de hits entre 1958 et 1961, dont quatre grimpèrent dans le top ten des national charts.

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    Le vieux Jack se distinguait par une pente pour slow beat et une voix qui lui permettait de sonner comme Elvis. Il raffolait du son tamisé, assez dark, et se prêtait parfois au petit jeu du répétitif, comme le montre «Geraldine», qu’il répète une bonne quinzaine de fois dans l’intro. Il sera l’un des derniers à beefer son son avec une stand-up, passée de mode en 1960, et comme Elvis, il va préférer la virilité à la sensualité dans les harmonies vocales : le quatuor masculin qui l’accompagne s’appelle the Fabulous Chantones.

    Et comme le vieux Jack vient de casser discrètement sa pipe en bois, l’occasion de lui rendre hommage fait partie de celles qu’on ne saurait laisser filer. Pour une fois, nous allons donner la parole aux albums.

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    L’aîné s’appelle Jack Scott, born in 1958 :

    — Malgré ma belle pochette dynamique, je ne suis pas l’album du siècle...

    — Pourquoi dites-vous ça, Jack Scott ?

    — Je n’ai que deux hits intersidéraux, «Geraldine» et «Goodbye Baby»...

    — C’est mieux que rien !

    Jack Scott a tort de se plaindre, car «Geraldine» rebondit sur le beat, bien bourrelé de jus rockab et transpercé au cœur par un solo de sax. Fabuleux parti-pris, ils sont dedans jusqu’au cou. C’est le côté insistant du beat rockab qui rafle la mise. Même chose pour «Goodbye Baby», c’est du big Jack, même s’il couaque comme un volatile.

    — Mais vous oubliez «Leroy» et «The Way I Walk» !

    — Oui, c’est vrai, mais j’ai un petit faible pour «Save My Soul», car je le prends sous le boisseau duveteux des Chantones, il s’y passe des trucs, vous savez. Là, je suis sûr de mon coup.

    — C’est vrai que «Save My Soul» est bien enlevé, c’est indiscutable. Mais vous avez aussi pas mal de cuts atroces et gluants, de type «With Your Soul», «I Can’t Help It» ou pire encore, «My True Love», le bonbon le plus sucré du magasin. Et cette romance à l’eau de rose qui s’appelle «Indian Walk» qui pue des pieds. Franchement vous exagérez. On sent votre côté rital qui remonte à la surface. Dommage que vous ruiniez tant d’efforts avec des rengaines aussi abjectes.

    — L’époque voulait ça. Vous avez sûrement entendu parler d’un truc qui s’appelle la pression commerciale, non ? Ne saviez-vous pas que l’Amérique était un pays de beaufs ? Vous n’allez pas me dire que vous ne saviez pas que la beaufitude est le plus grand fléau du XXe siècle !

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    Le petit deuxième s’appelle I Remember Hank Williams, né deux ans plus tard, en 1960. Il fait d’ailleurs partie d’une portée de quatre.

    — Oh je vois à votre tête que je ne vous plais pas...

    — Mon cher I Remember Hank Williams, vous auriez dû vous faire avorter pour laisser la place à Jerry Lee, car vous êtes l’un des pires albums jamais enregistrés. Tous les violons du monde semblent s’être donné rendez-vous pour massacrer l’Hank. Vous n’êtes qu’une sainte horreur.

    — Même ma version de «Cheatin’ Heart» ?

    — C’est l’une des pires ! Il n’existe rien de plus foireux sur le marché ! Les rednecks devaient être pliés de rire en entendant ça. Wouah le Canadien ! Wouah la pauvre crêpe ! On a parfois l’impression que vous allez demander une pièce aux gens de la rame pour rester propre. À côté de vous, Roy Orbison est un enfant de chœur. Dans le Deep South, ils n’auraient jamais osé massacrer les chansons d’Hank Williams. Jamais ! Vous entendez ? JAMAIS ! Seuls les yankees sont capables de telles abjections.

    — Oh, je voulais juste illustrer le ventre mou de l’Amérique. Vous savez, Perry Como et l’autre imbécile de Pat Buitoni ont vendu des millions de disques...

    — Oui, mais là n’est pas le problème. Vos fans ne vous pardonneront jamais de vous être prêté à cette infâme mascarade.

    — M’en fous. Je vaux entre 50 et 100 $ sur la marché, alors vos petites remarques perfides roulent sur les rails de mon indifférence et s’arrêtent à la gare de mon mépris.

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    Le deuxième de la portée 1960 s’appelle What In The Word’s Come Over You.

    — Vous grattez une belle guitare sur la pochette !

    — Oui, c’était la grande forme. On drivait «Baby Baby» au dixie stomp ! Et sur «I’m Satisfied With You», on avait aussi pas mal de son.

    — Oui, c’est vrai, mais là où ça bigne, c’est dans «My King» ! Quel fantastique shoot de rockab ! You rock it hard ! Par contre, ça redevient pathétique avec «Cruel World», cette mauvaise resucée de «Blue Suede Shoes».

    — Ce que vous pouvez être dur ! Parlez-moi plutôt de «Good Deal Lucille», on y tente le tout pour le tout, on mise tout ce qu’on a, le sax, les Chantones, le beat, tout y est ! Ça c’est du jump, mon gars ! Tu ne trouveras pas mieux ailleurs !

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    Le troisième de la portée 1960 s’appelle The Spirit Moves Me.

    — Vous vous prenez pour les Staple Singers ?

    — C’est quoi cette insinuation ?

    — Oh ce n’est pas une insinuation, vous reprenez les mêmes classiques de gospel batch, tiens comme ce «Swing Low Sweet Charriot» qui coule comme un vieux claquos oublié au fond du placard au mois d’août. On dirait que vous tombez dans tous les travers de la Bible. Le rockab a complètement disparu.

    — On voulait faire plaisir à ma mère et au curé du village.

    — Oui, ça se conçoit très bien, sauf qu’on croirait entendre Gilbert Bécaud dans «Josuah Fit The Battle Of Jericho». Si on voulait faire acte de civilité, il faudrait dire à tous les fans de rockab de vous fuir comme la peste, Spirit Moves Me. Avec «Roll Jordan Roll», vous vous grillez définitivement. Et les pauvres gens qui vont oser écouter «Down By The Riverside» vont s’écrouler de rire. On ne vous a jamais expliqué que le gospel batch était un truc de noirs, pas un truc de petits culs blancs ? C’est rare de trouver un album aussi atrocement con que vous, Spirit Moves Me. C’est d’autant plus incompréhensible qu’il circule dans la nature des singles impeccables comme «Patsy» ou encore «Strange Desire».

    — M’en fous ! J’irai au paradis.

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    Le quatrième de la portée 1960 s’appelle What I Am Living For.

    — Au moins, vous n’êtes pas comme vos trois frères, vous ne prenez pas les gens pour des cons !

    — Faut-il prendre ça pour un compliment ? J’ai pas l’impression d’appartenir à une famille de tarés.

    — Ne vous méprenez pas, c’est juste l’expression du simple bonheur de vous voir renouer avec le heavy rockab. Notamment dans «Go Wild Little Sadie», là c’est du sérieux, vous inventez même le Detroit sound, sans doute à la même époque que Johnny Powers.

    — Oui j’adore bopper Sadie, Detroit boob baby, tête-moi le sein ! C’mon stop this fight !

    — «Baby She’s Gone» est encore plus inespéré ! Quelle perle de rockab sauvage ! C’est chanté au foulard noué et au fute de cuir, avec une science infuse du what to do ! Vous frisez le Vince Taylor, avec ce what to do subliminal !

    — Mon chouchou est «Two Timin’ Woman». Là on explose la scène de Detroit pour de vrai, we rock it out !

    — Mais il faut aussi avaler pas mal de couleuvres, comme par exemple «Bella» ou encore «There Comes A Time». C’est d’autant plus regrettable que des singles fantastiques circulent sous le manteau, tiens, par exemple ce «One Of These Days» qui sonne comme un hit mystérieux, scalpé dans le son, ou encore ce «Grizzly Bear» qui fait le bonheur des esprits éclairés.

    — Bon, on ne va pas refaire l’histoire ! Tournez-vous donc vers l’avenir !

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    L’avenir s’appelle Burning Bridges qui vient au monde quatre ans plus tard.

    — Vous vous prenez pour l’album du grand retour ?

    — Je n’aurai pas cette prétention, je ne suis qu’une modeste compile et à Wall Street je ne vaux pas un clou, alors c’est pas la peine de m’asticoter avec des remarques déplacées.

    — Oh si vous le prenez aussi mal, on va couper court. C’est dommage, car j’allais vous complimenter.

    — Me prenez pas pour un con, je sais bien que mes rengaines sont pompeuses, surtout «Burning Bridges».

    — C’est vrai que vous battez tous les records de daube avec «A Little Feeling» et «All I See I Blue», mais vous reprenez du poil de la bête avec cet étrange «Laugh & The World Laughs With You».

    — Pourquoi étrange ?

    — Parce que la walking stand-up se balade à la surface du mix et on entend même un solo de fuzz rococo. C’est un véritable écart de conduite, dans cet océan de daube pestilentielle. Avec «It Only Happened Yesterday» vous réveillez les pires souvenirs d’Elvis chez RCA. Ah ces roucoulades qui nous faisaient désespérer de tout !

    — Si c’est ça que vous appelez un compliment, je vous souhaite le bonsoir !

    — Attendez, j’y arrive. Il n’en sera que plus appréciable, au terme de tous ces préliminaires peu aimables, je l’avoue. D’ailleurs vous savez très bien où je veux en venir...

    — «Patsy» ?

    — Ben oui ! Évidemment , «Patsy», le hit parfait, aw Patsy, swingué à la big orchestration, we gonna rock, we gonna roll, we gonna hooo Patsy... c’est d’une sexualité spectaculaire, ça sent bon la bite qui frétille, ça frise le coït dans un univers grandiose à la Cecil B DeMille. Patsy vous sauve, mon vieux Bridges. Espèce de veinard.

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    Big Beat adore le vieux Jack comme on adorait un teddy bear autrefois. Deux albums Big Beat font bien le tour du propriétaire : The Legendary Jack Scott, paru en 1982 et un Live In Paris paru trois ans plus tard. Legendary s’ouvre sur «The Way I Walk».

    — Bizarrement, on ne se lasse pas de ce gratté d’acou et de ces suaves chœurs de mâles. Ça groovait salement à Detroit en 1959 !

    — Oui, les Chantones doo-bee-doo-bee-doo-whaatent comme des cakes.

    — On comprend que Lux Interior ait pu baver là-dessus. On trouve aussi l’autre big hit en B : «Go Wild Little Sadie». C’est hanté et chanté au nez sale. Le slap plombe joliment l’ambiance - C’mon now and stop this fight ! -

    — On swingue aussi «Leroy» à coups de sax fifty-fifty et on bat tous les records de désinvolture avec «Goodbye Baby». On va même flirter avec le gospel batch dans «Save My Soul» !

    — Ah oui ! Et les Fabulous Chantones s’en vont l’allumer au coin du bois comme des bandits de grand chemin.

    — Et puis vous retrouvez «Geraldine» et «Baby She’s Gone» en B. Solide rockab, joué dans la carcasse du groove. Vous retrouvez tous ces hits sur l’excellent Live In Paris, à commencer par «Geraldine», avalé au big bop.

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    — Oui, le son est fantastique ! Jacky Chalard joue de la basse et Vernon Pilder passe un solo frais comme un gardon. Les baby que glousse Jack dans «Baby She’s Gone» sonnent comme ceux d’Elvis. Jack met tout son poids dans la balance et Chalard dépote derrière un drive de rêve bien rond. Quelle classe de what to do ! Jack n’a rien à envier à personne.

    — On tape en B «My True Love». Cette ritournelle s’aligne sur les prérogatives d’Elvis. On rocke «Leroy» à la Cochran motion : carcasse classique saxée vite fait.

    — «Goodbye Baby» s’avance et porte sur le front une mâle assurance. Un vrai coup d’Cid, ce Jack !

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    Par contre, un autre live enregistré en 1983 à Toronto retombe comme un soufflé. Sur la pochette de Live At The Edge, Jack porte la barbe. Il a un petit côté Kris Kristofferson. Jack fait du Jack of all trades, du sans surprise. Pas de son, cette fois. Il tape dans un tas de classiques du style «Ubangi Stomp», «Tutti Frutti» ou encore «Love Me Tender», mais on s’ennuie comme des rats morts. Il fait aussi un «Love Me» qui n’est hélas pas celui du Phantom. Et son «Be Bop A Lula» laisse grandement à désirer. Pour toutes ces raisons, KRTNT ne va pas interviewer Live At The Edge.

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    Jack enregistre son dernier album en Finlande en 2013. La raison pour laquelle il faut écouter Way To Survive s’appelle «Tennessee Saturday Night». Hallucinante qualité de la proximité ! Les Finlandais ramènent un son énorme dans le giron de Jack. On reste au paradis du big revival avec «Wiggle On Out», heavy shoot de boom boom, hey hey wiggle on out. Ce démon de Jack sait encore créer la boom boom sensation. Effet garanti, avec ces chœurs scandinaves. Les Finlandais ramènent une sauce infernale. The big rockab is back. Dans «Hillbilly Fever», le gratin du rockab finlandais vole au secours du vieux Jack, il faut les voir cavaler dans la toundra, cet effroyable guitar slinger bat tous les records de glisse, aw ces mecs savent créer du mythe cavalé. Pour un peu, on pourrait dire qu’ils inventent un genre nouveau : le virtuobilly. Attention aux albums tardifs des vieux de la vieille, ce sont souvent les plus fascinants, ceux de Mac Curtis et de Charlie Feathers en particulier. Avec «Ribbon Of Darkness», Jack propose un shout de country-rock cavalé à perdre haleine. Il fait aussi une mouture de «Trouble» assez something about me, Jack sait de quoi il parle quand il grommelle «I never look for trouble/ It seem to find me.» C’est bien gluant, bien senti, ça vient du cœur, comme on dit à Clochemerle. Jack revient sur Hank Williams avec «Honky Tonk Blues» et se montre aussi bon que Jerr, il réussit enfin à pervertir son accent, alors la version devient judicieuse et bardée de power finlandais. Nous ne sommes pas au bout de nos surprises car voilà qu’arrive en trombe «Live Love And Like It», bien exacerbé de picking finlandais. Ces mecs vont vite en besogne, à cent à l’heure dans l’Alley Oop du big hillbilly drive. Follow that ! Jack se fend plus loin d’un admirable coup de fast pop avec «I’ll Be Coming Back For More». Il annonce à cette gonzesse qu’il reviendra la voir tellement il a adoré le kiss on the lips. Ah ces ritals, ils finissent toujours par nous fendre le cœur, comme on dit aussi à Clochemerle. Et puis voilà le moment fatidique : le dernier cut de Jack avant le grand départ. Il faut en profiter, car après c’est fini. C’est le morceau titre de l’album, un vieux shoot de country-music de fin de soirée. Jack tient à finir en beauté. Il a revêtu son meilleur costume et ciré ses pompes. Après c’est terminé, il ne te restera plus que tes yeux pour pleurer et l’os du genou à ronger en attendant Godot.

    Signé : Cazengler, Scot Scot Kodec (la poule qu’a trouvé un couteau)

    Jack Scott. Disparu le 12 décembre 2019

    Jack Scott. Jack Scott. Carlton 1958

    Jack Scott. I Remember Hank Williams. Top Rank International 1960

    Jack Scott. What In The Word’s Come Over You. Top Rank International 1960

    Jack Scott. The Spirit Moves Me. Top Rank International 1960

    Jack Scott. What I Am Living For. Carlton 1960

    Jack Scott. Burning Bridges. Capitol Records 1964

    Jack Scott. The Legendary Jack Scott. Big Beat Records 1982

    Jack Scott. Live At The Edge. Underground Records 1983

    Jack Scott. Live In Paris. Big Beat Records 1985

    Jack Scott. Way To Survive. Bluelight Records 2015

    Craig Morrison. Go Cat Go ! Illinois 1998

     

    Wexler de rien

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    Quand on voit Papy Wexler, avec sa barbe blanche, sa casquette et ses grandes oreilles apparaître dans le docu de Robert Gordon sur Stax, on rigole. Par contre, on rigole moins quand on connaît son parcours d’Atlantic man, c’est-à-dire de découvreur/producteur spécialisé dans la Soul et le rhythm & Blues. Sans Wex, pas de Solomon, pas de Ray Charles, pas d’Aretha ni de Sam & Dave. Cet homme peut se vanter d’avoir accompli une sorte de sans faute et d’avoir su écrémer la crème de la crème du gratin dauphinois. Même si on croit bien connaître l’histoire de la Soul américaine et celle d’Atlantic, il est nécessaire de se plonger dans Rhythm & The Blues, l’autobiographie qu’il écrivit au soir de sa vie avec l’aide de David Ritz.

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    Au même titre que Jim Dickinson, Sam Phillips, Cosimo Matassa, Phil Spector, Burt Baccharach, Jerry Ragovoy, Bert Berns ou encore Jack Nitzsche, Wex a côtoyé les géants et contribué pour une bonne part à rendre une certaine musique américaine légendaire. Son livre donne un peu le vertige, car il n’évoque que des figures de proue. L’intérêt d’Atlantic est que son histoire s’enracine dans les années cinquante, au travers d’artistes exceptionnels du calibre de LaVern Baker, Professor Longhair, Clyde McPhatters ou encore Guitar Slim et remonte jusqu’aux seventies où chacun se goinfrait de Rascals et d’Aretha.

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    L’histoire de Wex est celle d’un juif new-yorkais né dans un milieu pauvre : son père lave les vitrines. Né pauvre, Wex va rester toute sa vie obsédé par les fins de mois. Travailler pour un label indépendant n’arrange pas les choses, car les concurrents sont féroces et la durée de vie d’un petit label plus que limitée : «Survivre relevait de la prouesse. Il fallait compter avec les goûts capricieux des consommateurs et parvenir à faire passer les disques à la radio, phase de marketing cruciale. Il fallait rencontrer le distributeur, le DJ, et le directeurs des programmes en personnes. Il fallait surtout aller à la station de radio et payer pour que le disque passe à l’antenne.» Wex découvre vite l’âpreté du combat de survie dans l’industrie musicale, mais il est assez fier d’avoir réussi, avec Ahmet Ertegun, à imposer une éthique : «Dans l’industrie, la réputation d’Atlantic se situait - et se situe encore - nettement au-dessus de la norme. Alors que certains de nos concurrents baisaient leurs artistes de manière honteuse, en ne leur versant pas leurs royalties, nous avions la réputation d’un label correct et fair-play. Nous n’étions ni des gangsters ni des escrocs. Mais nous n’étions pas non plus des oies blanches. Quand venait l’heure de la compétition, on jouait pour gagner.» Et pourtant, Wex et Ahmet ont bien cru qu’ils allaient couler lorsque Ray Charles et Bobby Darin ont quitté Atlantic pour aller se goinfrer chez ABC et Capitol. On leur offrait tout simplement de bien meilleures conditions financières. Et puis à un moment, Atlantic se mit à grossir terriblement, et les chemins de Wex et d’Ahmet se séparèrent : Ahmet s’intéressait plus à la scène californienne et Wex se spécialisait dans cette musique noire qui l’avait toujours passionné. Ahmet passait son temps à Los Angeles ou à Londres, et Wex descendait à Memphis, à Muscle Shoals ou à Miami. C’est Wex qui à un moment poussa à la vente d’Atlantic. Quand en 1967, Warner racheta Atlantic, Wex se sentit enfin à l’abri du besoin. Il devint rentier. Laver des vitrines avec son père l’avait traumatisé - I started washing windows with Harry and I loathed every living minute of it - et il ajoute : «Le pire, c’était l’hiver. Pop me sortait du lit à 3 heures du matin. J’étais hébété de fatigue et d’horreur.»

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    Comme dans tous les livres de souvenirs extrêmement denses, des pages réussissent à sortir du lot. Notamment celle où Wex explique ce qu’est un producteur. Écoutez bien : «Il y a trois sortes de producteurs. La première est celle des documentalistes, comme Leonard Chess, qui enregistra le Delta blues de Muddy Waters tel que le jouait Muddy, c’est-à-dire raw, sans fioritures, real. Leonard reproduisait dans le studio ce qu’il avait entendu dans le bar. J’entre dans la deuxième catégorie, celle du producteur qui se met au service du projet. C’est typiquement le producteur qui commence en tant qu’amateur et qui organise les sessions. Son job consiste à trouver la bonne chanson, le bon arrangeur, les bons musiciens, le bon studio, en gros, faire en sorte de pouvoir tirer le meilleur parti de l’artiste. Phil Spector est l’exemple parfait de la troisième catégorie, le producteur star, l’artiste, la force motrice. Pour Phil, chaque chose - la rythmique, les cordes, les chœurs, le chant, les solos - est une pièce du puzzle. Le résultat est le sien et non celui du chanteur ou du compositeur. Son truc, c’est le wall of sound. Certains considèrent le wall of sound comme la plus belle invention depuis celle de la roue, d’autres trouvent ça artificiel. Plutôt que de pousser les carrières de chanteurs, Phil poussait la sienne. Les artistes étaient à son service.»

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    Avec Ray Charles, Wex aborde le chapitre des genius : «De tous les artistes avec lesquels j’ai travaillé, seulement trois sont à mes yeux des genius, et Ray Charles était le premier.» Wex est frappé par l’intelligence de cet homme qui avait une sacrée théorie : «J’ai une petite idée sur le fait qu’on m’ait laissé jouer comme je le voulais dans le Sud : une grosse partie du racisme vient du fait que les blancs ont la trouille que des noirs viennent baiser leurs femmes. Comme ils voyaient que j’étais aveugle, et donc que je ne pouvais pas reluquer leurs bonnes femmes, je n’étais plus une menace.»

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    Le deuxième genius, c’est Phil Spector - the most enigmatic hustler/genius of them all - Et il ajoute : «Without being either civil or subtle, Spector was terribly talented.» (Ni civilité ni subtilité chez Spector, il était tout simplement extraordinairement talentueux). Spector débarque à New York et commence à travailler pour Wex sur des arrangements de violons. Wex lui demande son avis et Phil lâche : «Fuck that man, I came from California to make hits.» (Laisse tomber ! Je viens de Californie pour sortir des tubes). Dans un chapitre enfiévré, Wex se dit admirateur de tous les hits produits par Phil, depuis les Ronettes jusqu’aux Righteous Brothers, en passant bien sûr par «River Deep Mountain High» - which wasn’t hailed as the Great American Hit (Qui aurait dû devenir le grand hit américain) - un flop qui traumatisa tellement Spector qu’il se retira.

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    Le troisième genius de Wex, c’est Aretha. Wex se montre intarissable sur ‘Ree’ - Genius, c’est le mot. Clairement, Aretha continuait ce qu’avait commencé à faire Ray Charles, séculariser le gospel, recycler des thèmes de gospel et des sentiments religieux pour en faire des love songs personnalisées. Comme Ray, Aretha était une interprète exceptionnelle, elle jouait du piano des deux mains, détentrice du Holy Ghost power - Il refait l’apologie de cet album de gospel extraordinaire qu’est Amazing Grace - Aretha was on fire - et se calme un peu plus loin pour donner sa conception du grand chanteur : «Trois choses font un grand chanteur : la tête, le cœur et la gorge - head, heart and throat - La tête, c’est l’intelligence, le phrasé. Le cœur, c’est l’émotion qui donne le feu sacré. La gorge, c’est la voix. Ray Charles avait les deux premiers. Sa voix est merveilleuse, mais il ne fait pas de bel canto. Par contre, Aretha, comme Sam Cooke, a les trois.»

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    Wex vouait aussi une admiration sans bornes à Doc Pomus - If the music industry had a heart, it would have been Doc Pomus - et il ajoute un peu plus loin : «One of the the great writers, hipsters, sweethearts of all time.» C’est l’époque des Drifters et des Coasters, deux groupes qui maintenaient Atlantic à flot. Par contre, Wex n’épargne pas ce rat de Leonard Chess. Wex rappelle que les frères Chess sont à la fois des concurrents et des amis. Un soir, lors d’une session d’enregistrement organisée pour Big Joe Turner, Leonard et Ahmet ont une étrange conversation :

    — J’ai passé un accord avec Muddy Waters, lance Leonard. Muddy, je lui dis, quand tes trucs comme ‘Hootchie Coochie Man’ et ‘Mojo’ ne se vendront plus, tu pourras venir à la maison faire le jardin.

    — Très drôle, lui répond Ahmet. J’ai passé un autre genre d’accord avec Turner. Si ses disques ne se vendent plus, je serai son chauffeur.

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    Wex adore enfoncer les clous. Ce livre est un véritable tourbillon de personnages légendaires - What Charlie Christian gave jazz guitar, T-Bone Walker gave blues guitar - Eh oui, T-Bone - Je le revois dans ses superbes fringues, avec sa dent sertie d’un diamant et des pierres précieuses sur la Gibson - Apologie de Percy Mayfield à la suite - Mayfield, comme T-Bone, avait une voix de miel et une nature de poète, toujours sur le point de divulguer quelque fantastique révélation, comme par exemple le nom de ce dieu hébreu qui ne pouvait être prononcé (...) On ne peut savoir la profondeur du puits, chantait Percy, car le puits, c’est l’âme de l’homme.- Et quand il voit jouer Fess pour la première fois - using the piano as both keyboard and bass drum, pounding a kick plate to keep time and singing in the open-throated style of the blues shout - Wex s’exlame : «My God, we’ve discovered a primitive genius !» Et il enchaîne avec le Gospel according to Fess, c’est-à-dire la brochette de gens que Fess a directement influencés : James Booker, Fats Domino, Huey Piano Smith, Allen Toussaint, Art Neville et Mac Rebennack - Longhair is the Picasso of keyboard funk - Toutes les saveurs de la Nouvelle Orleans remontent à la surface du temps grâce au chapitre endiablé que Wex consacre à Fess. Il cite d’ailleurs Norman Mailer : «The source of Hip is the Negro, for he has been living on the margins between totalitarism and democracy for two centuries.» (Le vrai Hip est le nègre, car il vit depuis deux siècles en marge de la société, le cul entre ces deux chaises que sont le totalitarisme et la démocratie). Rien de plus juste, Hip étant dans l’esprit de Mailer le fin du fin du branché, le marginal définitif. Wex rend ensuite hommage aux white niggers, Milton Mezz Mezzrow et bien sûr Johnny Otis qui fut le découvreur d’Esther Phillips, de Sugar Pie De Santo et d’Etta James. Wex eut la chance de voir Big Joe Turner manger des R&B spaghettis au petit déjeuner avec Smiley Lewis et Lloyd Price. Down in New Orleans, Wex se sentait en sécurité, I knew I was in the sure-enough House of the Blues. Et puis voilà Guitar Slim, que Wex vient de signer sur Atlantic. Guitar Slim arrive en retard au studio de Cosimo, trois Cadillacs rouges, des filles en robes rouges et tout l’entourage - La session est une véritable boucherie. Au moment de partir en solo, Slim fout ses aigus à fond et fait sauter la console. On le supplie de baisser le son, mais Slim adore ce qu’il entend et met encore plus de volume. Chaque fois, la console saute. Chaque fois, Cosimo doit envoyer un gamin chercher des ampoules de rechange sur Canal Street. Ça dure chaque fois une éternité.

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    Puis Wex passe sans ciller à LaVern Baker - I loved her because she stood smack dab in the middle of the great tradition of Ma Rainey and Bessie Smith (Je l’adorais car elle s’inscrivait dans la droite ligne de Ma Rainey et de Bessie Smith) - Wex évoque aussi l’un des plus grands chanteurs de tous les temps, Clyde McPhatters. Quand Ahmet demande à Clyde de venir enregistrer chez Atlantic, le Drifter lui répond : «Juste une chose, Mr. Ertegun : j’espère que vous n’allez pas jouer de la batterie dans ma session.» Clyde fait bien sûr référence à Syd Nathan, czar of the King Label, qui se permettait ce genre d’intrusion. Wex a raison, il n’en finit plus d’épingler tous ces gens qui se croyaient tout permis, les Chess et les Nathan.

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    Les grands coups de cœur de Wex sont aussi Solomon et le duo Leiber Stoller - Physiquement énorme, le King of Rock ’n’ Soul veillait sur un immense empire. C’était une force de la nature, un homme vif, extrêmement intelligent, un vendeur capable de vendre n’importe quoi, un homme qui avait le pas ferme et qui ne reculait devant aucun obstacle - Wex n’avait à l’époque que Solomon Burke pour résister au choc commercial de la British Invasion, Beatles, Herman’s Hermits et Dave Clark Five en tête. Il situe Solomon entre Sam Cooke et Donny Hathaway, c’est-à-dire l’incarnation de la sweetness qu’il considère comme la qualité principale de la Soul. À 24 ans, Solomon avait déjà un femme et huit enfants à nourrir. Il multipliait les petits boulots, en dehors de la Soul - Part artist, part hustler, he was a wit and a wonder, always hitting on me for more money, bigger advances and anticipated royalties (Mi artiste, mi arnaqueur, il était à la fois un esprit et une merveille. Il passait son temps à demander du blé, des avances de plus en plus grosses et des avances sur les royalties) - Ce qui nous amène tout droit à Bert Berns, «An outstanding songwriter and groove doctor. Il était aussi mercurial et aussi égocentrique que je l’étais. Il fut mon premier protégé.» Et Wex ajoute que son travail avec Garnet Mimms prouve qu’il était l’un des plus importants parmi les premier producteurs de Soul music. La première fois que Solomon vit Bert, nous dit Wex, ça faillit mal se passer. Bert avait un look un peu freaky, avec des cheveux qui descendaient dans le dos et Solomon n’était pas chaud pour travailler avec ce maverick : «Come on Jerry, you gotta be kidding me with this paddy motherfucker.» (Allez, Jerry, tu plaisantes, je ne vais pas travailler avec ce clampin). Lors de cette session, le paddy motherfucker enregistra l’énorme «Cry To Me».

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    Portraits stupéfiants de Leiber & Stoller : «Leiber, Mr Discordely Conduct, was a charming mess.» (Il y avait à la fois quelque chose de charmant et de désastreux chez Leiber). Et plus loin : «Stoller was the taciturn virtuoso, an enigmatic keyboard wizard who looked as though he’d just arrived from Venus or Jupiter.» (Leiber était le virtuose taciturne, on aurait dit que ce sorcier du clavier débarquait de Venus ou de Jupiter). Leiber qui écrivait les paroles rappelle que s’il parvenait à faire rire Stoller avec l’un de ses textes, la partie était gagnée. Mais s’il y parvenait, c’était un miracle - To get him to crack a smile was a minor miracle - On voit d’ici le tableau. Et Leiber poursuit : We used humour to take off the edge - Ils rendaient fous les Coasters, avec leurs textes - Billy Guy lisait les paroles et gueulait : «Mec, ils vont nous pendre dans le Mississippi, si on chante ce truc-là !»

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    Après la Nouvelle Orleans, Wex tombe dans les bras de Memphis. Encore peu connu, il est invité avec Ahmet à l’émission de Dewey Phillips, le DJ qui fit décoller Elvis. Le disque s’arrête et Dewey reprend le micro pour présenter ses invités : «Ce soir, les gars, j’ai une paire de sales voleurs Yankees dans le studio. Ils sont là pour nous piquer tout ce qu’on a, mais je crois qu’ils arrivent trop tard. Leonard Chess est passé avant et il a tout barboté.» Explosion de rire dans le studio. Wex clôt le chapitre Dewey en rappelant que Sam Phillips a veillé sur lui jusqu’au jour de sa mort. Wex adorait Jim Stewart qu’il recevait chez lui, par contre il se méfiait d’Estelle - She was something of a Medusa, a mover and a shaker (Il y avait de la méduse en elle) - Il adorait aussi Rufus Thomas, pour son sens aigu de l’ironie, un Rufus qui savait se montrer sardonique sans être méchant, gonflé sans être amer - He was hip - C’est l’un des plus beaux hommages rendus à cet immense artiste qu’est Rufus Thomas. Wex ne tarit plus d’éloges sur les MGs - They were magic in the studio, Booker had this great low-down Ray Charles feel, Cropper was a marvel, un guitariste qui combinait la rythmique et les départs en solo, compositeur intuitif incroyablement doué, Jackson, perhaps the premier funk drummer of the decade, Duck, dead-on with hypnotic natural-feel bass lines - Wex commence par ramener Wilson Pickett chez Stax - I called him the black panther even before the phrase was political (Je l’appelais the Black Panther avant que l’expression ne devienne politique) - Il enferme Steve Cropper et Wilson Pickett dans une chambre d’hôtel, leur colle une bouteille de Jack dans les pattes et leur dit «Write !» Ils ressortent un peu plus tard avec «Midnight Hour». Wex affirme aussi que Porter & Hayes étaient aux sixties ce que Leiber & Stoller furent aux fifties : des poètes doués du bon punch. Et pouf, on embraye directement sur l’épisode Sam & Dave - Aux yeux de Wex, Sam tenait de Sam Cooke et de Solomon Burke, alors que Dave tenait plus des Four Tops et donc de Levi Stubbs, c’est-à-dire le pasteur promettant l’enfer sur la terre. Quand Jim Stewart refuse de recevoir Aretha que vient de signer Atlantic, Wex se tourne alors vers Rick Hall qui a commencé à se tailler une belle réputation grâce à Arthur Alexander et Percy Sledge, qu’il n’a pas enregistré, mais qu’il a recommandé à Wex. C’est le début d’une nouvelle idylle. Wex compare Rick Hall à Berry Gordy, a po’ boy from the bottom of the agrarian ladder - Et lui amène Aretha. L’histoire de cette journée d’enregistrement compte parmi les plus passionnantes de l’histoire de la Soul. Elle se termine par une brouille et des règlements de compte. Wex va ensuite s’établir à Miami. Il y fera travailler Dickinson et ses Dixie Flyers pendant six mois - Pendant un temps, les Dixie Flyers volaient haut. Je ne savais pas qu’ils prenaient toutes ces drogues, mais je savais qu’ils étaient des wild motherfuckers. It was wild times, and into this wild mix came the wildest man of them all - Il évoque bien sûr Dr. John, the blackest white man in the world. Et il ajoute : «His talk is black, his soul is black and God knows his music is black.» Si on veut lire une parfaite apologie de Dr John, c’est là dans ce livre : «Son histoire passe par Shirley And Lee, Roy Brown, Archibald, Lloyd Price, Shooks Eaglin, Guitar Slim, Smiley Lewis, Earl King et le grand promoteur/producteur Huey Meaux. Il a été directeur artistique pour Johnny Vincent à Ace Records et il enregistra son premier hit, «Morgus the Magnificient» sous le nom de Morgus & the Ghouls en 1959.»

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    Encore une rencontre de choc avec Dusty Springfield, au moment de l’épisode Dusty In Memphis - Dusty has to be the most insecure singer in the world (Dusty bat tous les records d’insécurité) - Pour Wex, Dusty chérie est une immense artiste : «Comme dans le cas d’Aretha, je ne l’ai jamais entendue chanter une seule fausse note.» Wex commence par lui proposer des chansons. Plus d’une centaine. Ça dure des jours et des jours. She approved exactly zero. Elle refuse tout. Il entre alors dans le détail - Après des mois passés à tourner en rond, on s’est mis d’accord sur onze chansons : quatre composées par Gerry Goffin et Carole King, deux par Randy Newman, le «Just A Little Lovin’» de Barry Mann & Cynthia Weil, une chanson de Bacharach & David et «Breakfast In Bed», signé par deux des meilleurs compositeurs d’Alabama, Eddie Hinton et Donnie Fritts - Wex choisit le studio American de Chips Moman à Memphis. Mais Dusty ne voulut pas chanter. Rien à faire. Bloquée. Elle enregistra son Dusty In Memphis à New York et Wex nous dit que ce fut l’enfer. Il la poussa tellement à se surpasser qu’elle lui balança un cendrier dans la gueule. Et puisqu’on est avec les grandes chanteuses, voici Bonnie Bramlett : «Bonnie was blazing hot.» Et Wex termine très fort avec l’impressionnant Donny Hathaway qui étudia le Groupe des Six (Honneger, Milhaud, Taillefer, Auric, Durey et Poulenc) et qui pouvait jouer du Satie. Wew rend aussi hommage à Roberta Flack et puis à Eddie Hinton qui reste à ses yeux l’une des grandes énigmes de la Southern music. But dear God, the boy could play some funk.

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    Ne manque-t-il pas un personnage important dans ce tourbillon ? Ahmet, bien sûr - Ahmet Ertegun is the stuff of myth - et il ajoute qu’au cours de six décennies d’âpre lutte commerciale, c’est-à-dire depuis les années quarante jusqu’aux années quatre-vingt dix, il a été l’homme le plus futé et le plus fair-play de l’industrie musicale américaine. Quand à l’âge de dix ans, Ahmet vit jouer Duke Ellington au London Palladium, il tomba aussi sec sous le charme de la black music - A new world opened up to me - Ahmet devint littéralement obsédé par la black music. Il disait entendre son langage secret. Il se mit à vivre la nuit pour vivre la musique. Wex : «Alors que j’étais un bûcheur, Ahmet était un artiste. Il faisait tout à l’inspiration.» Wex raconte qu’un jour ils se trouvaient tous les deux dans un avion secoué par des trous d’air. : «J’avais l’estomac dans les godasses et Ahmet ne bronchait pas, plongé dans la lecture d’un essai de Kant, Critique de la Raison Pure. Arrivé en ville, j’allais directement au lit alors que lui se préparait à sortir, debout devant l’armoire à glace à choisir une cravate. Le lendemain matin, je vis Ahmet rentrer. Il racontant des histoires de rencontres extraordinaires.»

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    Oh et puis il y a ces deux pages hallucinantes que Wex consacre au Swamp, vers la fin du livre : pure magie musico-littéraire que je recommande à tout collectionneur de bonnes feuilles.

    Signé : Cazengler, wexler d’un con

    Jerry Wexler & David Ritz. Rhythm And The Blues. Alfred A. Knopf 1993

     

     

    À la vie à la Morlocks - Part Two

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    Très mauvaise période. Les planètes ne sont pas favorables, nous dit Miss T. Le pire est à craindre. Tellement à craindre qu’il en devient palpable. Alors que le chaos s’installe dans l’univers, les Morlocks montent sur scène dans un Taquin bourré à craquer. Avant même qu’ils n’aient commencé à jouer, l’air devient irrespirable. Le chaos tue la frivolité dans l’œuf, c’est bien connu. Plane à la surface de la conscience un sentiment de latence extrêmement pesant. Est-ce un hasard s’ils attaquent avec «Killing Floor» ? Il arrive que l’esprit se prête au petit jeu des mauvaises associations de pensées, raison pour laquelle il faut savoir rester vigilant. Mais tout de même, «Killing Floor» n’a rien d’un conte de fées. Les Morlocks s’était amusés à reprendre ce vieux hit de Wolf sur leur album hommage à Chess, Play Chess. Ce choix sonnait à l’époque comme un plaisant gadget, mais il prend une autre résonance sous des auspices mortifères. Diable, il faut pourtant s’efforcer de goûter le bonheur de voir une fois encore se dresser sur scène ce géant nommé Leighton Koizumi.

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    Pourquoi géant ? Parce qu’il entre dans la caste des fascinants screamers. Il n’a rien à envier ni à Gerry Roslie, ni à Wilson Pickett, ni à Bunker Hill, il sait tirer un scream long comme la galerie principale des catacombes de Denfert-Rochereau. Bonheur aussi que de revoir Bernadette jouer les locomotives sur sa belle guitare blanche. Ces deux-là font la paire, ils drivent l’un des meilleurs garage-blasting outfits d’Europe. Ils rendent ensuite hommage à Roy Loney avec une fringante cover de «Teenage Head». Ils jouaient déjà ce vieux Flamin’ hit depuis longtemps (Easy Listening For The Underachiever), mais en cette sombre soirée de janvier, il s’impose comme une évidence.

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    Ils vont ensuite taper dans l’excellent Bring On The Mesmeric Condition paru l’an dernier avec le «Bothering Me» d’ouverture de bal d’A. Well done, Mor ! Thank you Lock ! Plus loin dans le set, ils vont taper dans le tas avec «We Can Get Together», une très belle dégueulade de vieux accords déambulatoires. Leighton K screame comme une âme en pleine Sylvanie, il transperce les Perses à thèmes qui comme on sait finissent toujours par s’atteindre au pire. Tout ce rock prodigieux nous tombe sur le râble comme jadis le ciel tombait sur la tête des Gaulois, il n’y a rien que tu puisses faire pour empêcher ça. Lorsque les éléments se déchaînent, il ne te reste plus qu’à prier Dieu pour que tous nous veuille absoudre. Cette prière vient de loin, du temps où on pendait les poètes qui arsouillaient le bourgeois et les voleurs qui rimaient si richement. Le corps de François Villon flotte toujours dans l’air, suspendu à la potence de Montfaucon. Les corbeaux lui ont dévoré les yeux depuis longtemps et les Morlocks illustrent cette image d’Épinal avec «No One Rides For Free». Ils y jouent leur va-tout et optent pour un garage sauvage qui ne traîne pas en chemin. Le garage presse le pas, comme s’il devait traverser un bois la nuit et qu’il entendait hurler des loups. Mais comme Leighton K est un vrai héros des temps modernes, il rugit comme le lion de Delacroix et les loups s’éloignent. Fantastique shouter ! Tu n’en croiseras pas beaucoup de cet acabit, Akaba.

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    Les Morlocks montrent aussi des moment de faiblesse, comme tous les grands groupes, avec des titres moins consistants, tiens par exemple ce «Down Underground» qu’ils rapatrient en fin de set et qui clôt le bal d’A de Mesmeric Condition. Du son, du son, oui mais des Panzanis. Ce n’est pas si grave au fond, comparé au chaos de l’univers qu’on entend rouler par dessus l’orage sonique des Morlocks. Le tatouage que vous voyez au coin de l’œil gauche de Leighton K est une larme. Une belle larme bleue. Ce tatouage si difficile à porter signifie l’inconsolabilité des choses. Leighton K l’illustre avec «I Don’t Do Funerals Anymore». Inutile d’insister, il refuse de continuer à verser de vraies larmes. Il préfère rugir dans la nuit pour chasser les loups et accessoirement mettre le public du Taquin en transe. Fantastique ambiance ! Les gens sont là pour en croquer, ça se sent. Avec «Time To Move», Bernadette se livre à son jeu favori : faire croire qu’il va taper un shoot de Heartbreakers, comme il le fait souvent sur scène avec les Gee Strings. Il amène son «Time To Move» aux big dégoulining chords. Ça stroumphe dans le born Too Loose, c’mon time to move. Bernadette il est très chouette, il crache sa foudre à la Thunders en mâchant son chewing-gum comme un crack de cour d’école. Aboule tes billes ! Fais moi pas chier ! Bernadette règne au royaume du guitar-power, mais gentiment, car il n’est pas de mec plus soft que lui sur cette terre. Cet incroyable mélange de power et de gentillesse devrait servir de modèle à tout le monde. C’est pourtant pas difficile à comprendre, sauf bien sûr quand on est amputé du cerveau. En prime, Bernadette ne frime pas. Le spectacle de ce mec nous repose et nous console de bien d’autres spectacles. Ah la liste est longue.

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    Tiens puisqu’on parlait de tatouages : tu as vu ce qui est écrit sur les bras de Leighton K ? Sur l’avant-bras droit figure en gros caractères bien baveux et alignés sur la hauteur le mot GIMME et sur l’avant-bras gauche le mot DANGER. Ça fait quoi ? Les Stooges ! Nous y voilà. Boom ! «One Foot In The Grave», comme par hasard. Encore un cut tiré du lit de Mesmeric Condition en pleine nuit par la Gestapo. Humm, pas bon signe. Ça va mal finir, mais Leighton K s’en bat l’œil du typhon, il a été dirt but il don’t care, il lance une attaque en règle à l’Iggy-motion, il vise la pertinence de l’excellence du woooahh et les flashs in the flesh de Bernadette couronnent ce festin funéraire. Pas de cut plus macabrement terreux que ce Foot In The Grave, les Morlocks l’asticotent jusqu’à ce qu’on sente battre le pouls du cimetière, cette espèce de battement sourd qui remonte des tombes lorsque la lune est pleine et que les feux follets filent dans les allées. Ces mecs sont tout de même extraordinaires, car ils parviennent à créer de l’événement à partir d’un matériau éculé par tant d’abus. Il faut attribuer ce petit prodige à cette foi de pâté de foie qu’on retrouve chez tous les obsédés de l’obsession, celle qui par exemple conduit l’amateur de mécanique à monter un groupe de rock, ou l’amateur de rock à monter un garage Renault, oh nault nault nault ! La foi de pâté de foie est celle qui se tartine le mieux. Rien que de l’évoquer, elle donne faim.

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    Parmi les grands moments du set, il faut aussi citer «My Friend The Bird», un balladif poignant qui remonte aux origines des Morlocks, puisqu’on le trouve sur le fameux Easy Listening For The Underachiever enregistré en 1986. Aujourd’hui, «My Friend The Bird» intrigue autant qu’à l’époque et restera probablement le cut le plus attachant des Morlocks, comme peuvent l’être «Ruby Tuesday» pour les Stones et «Can’t Seem To Make You Mine» pour les Seeds.

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    Les Morlocks rendent un autre hommage de taille, cette fois à Roky Erickson, avec la reprise d’un cut tiré du premier album des 13th Floor, «You Don’t Know (How Young You Are)». Ce vieux coucou que Leighton K prend le temps de présenter n’est pas le plus connu des hits du 13th Floor et pas non plus le plus énervé. Pour finir, ils vont tirer «Easy Action» du lit de Mesmeric Condition et lui faire subir tous les outrages, mais qu’on se rassure, c’est fait pour. «Easy Action» n’ira pas porter plainte au commissariat. D’autant que l’excellent Rob Louwers le tatapoume à l’excès morlocké. C’est tellement morlocké que le Taquin chavire comme un vaisseau démâté par la tourmente. Et comme si ça ne suffisait pas, ce démon de Leighton K screame comme l’Iguane de la grande époque et c’est tant mieux. Son scream s’en va se perdre dans le chaos de l’univers, dans ce tumulte anarchique des âmes errantes qu’on ira grossir un jour. As would say my friend Jack, «le pire est toujours certain».

    Signé : Cazengler, la loque

    Morlocks. Le Taquin. Toulouse (31). 7 janvier 2020

    Morlocks. Bring On The Mesmeric Condition. Hound Gawd Records 2018

     

    ELLESMERE

    MARIE DESJARDINS

    ( Editions du Cram / 2014 )

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    INTRODUCTION GENERIQUE

    Du Canada. Quelques arpents de neige. Ne soyons pas si dédaigneux. Ronnie ’’ Oh ! Suzie Q, I love you !’’ Hawkins, pionnier émérite du rock ’ n’ roll a terminé sa vie en cette contrée. Marie Desjardins y est née. L’on a vivement apprécié deux de ses livres dans Kr’tnt, Ambassador Hotel, La mort d’un Kennedy, la naissance d’un rocker, une biographie imaginaire, une réflexion sur la malédiction du rock quand on y réfléchit un peu, reportez-vous à notre livraison 440 du 28 / 11 / 2019 pour en savoir plus.

    Et illico ( livraison 442 du 12 / 12 / 2019 ) un deuxième - parce que chez Kr’tnt quand on aime on essaie de creuser le filon - les amours d’ Hallyday et Vartan. Dit comme cela, cela fait un peu fleur bleue, un peu people. Mais une fois que vous y aviez mis le nez dedans, vous êtes obligé de vous dire, diable c’est une véritable écrivaine qui se dévoile en ces pages, du rock bien sûr, mais aussi une analyse psychologique de toute beauté, de toute finesse.

    Cette fois le titre m’était totalement énigmatique. Ne connaissais aucun rocker de ce nom-là. L’ignorance est mauvaise conseillère. Puisque le deuxième roman s’écrivait sur la couverture SYLVIEJOHNNY - notez les lettres majuscules et la suppression de l’espace entre les deux prénoms - j’en déduisis qu’ELLESMERE devait s’écrire ’’ elles mère ‘’ et qu’il s’agissait d’une étude théorique sur les relations ( freudiennes et compliquées ) entre le personnage matriarcal et sa progéniture féminine. Sympathique mais pas vraiment ma tasse de thé.

    Erreur sur toutes les lignes. Ellesmere est le nom d’une île canadienne située tout au nord. Jamais je n’avais entendu parler d’elle. J’aurais dû. C’est sur cet ilot de glace et de neige qu’en 1953, le gouvernement canadien, exila quelques dizaines de familles inuits en leur promettant un merveilleux territoire de chasse. Les malheureux n’y trouvèrent... que de la glace et de la neige. Certains eurent la mauvaise idée de ne pas survivre à ce dépaysement de choc. A tel point qu’en 1956 une deuxième fournée d’inuits fut nécessaire… Ne croyez pas que nos gouvernants soient volontairement méchants, bien sûr ils avaient une bonne raison, le sous-sol de l’arctique attire de multiples convoitises. En implantant un misérable village en ce lieu désolé, aucun état étranger ne pouvait revendiquer cette île, elle appartenait de fait au Canada, puisqu’elle était peuplée de canadiens…

    Voilà, c’est tout. C’est terminé. Non pas le livre. Juste l’introduction. Parce que le book, il cause d’autre chose. Je pense que vous n’avez pas compris. Alors je vous redonne une introduction, un peu plus rock, ce coup-ci.

    INTRODUCTION ROCK

    Attention le rock n’est pas le sujet de ce roman. D’ailleurs est-ce un roman, le titre n’ est-il pas suivi de la mention Conte Noir ? Mais le lecteur ne manquera pas de relever que le Narrateur s’empresse de déclarer que Jim Morrison a donné un concert dans un des bars qu‘il préfère.

    Par contre, question conte noir, un morceau comme The end, il est difficile de trouver pire. Déjà ça commence très mal : The killer awoke before dawn, le tueur s’éveilla avant l’aube, vous connaissez la suite : father ? / Yes, son ? / I want to kill you. / Mofher ? I want to... fuck you en un hurlement à vous glacer le sang le temps que le garnement liquide son complexe d’Œdipe.

    Il y a une ligne qui m’a toujours fasciné dans ce poème, et dans tous les livres que j’ai lus sur Jim ou sur les Doors aucun auteur ne s’arrête sur ce détail qu’ils tiennent apparemment pour insignifiant, c’est au moment crucial, après que le tueur a pris un masque dans l’ancient gallery, ce vers énigmatique : ''He went to the room where his sister lived'' un garçon poli et bien élevé, il dit coucou à sa sœurette juste avant d’aller trucider leur parentèle. On n’en saura pas plus, l’on peut comprendre qu’il était pressé, qu’il avait mieux à faire qu’à taper la causette avec la frangine, n’empêche que je me suis toujours demandé ce qui s‘était exactement passé. Pour la petite histoire le suivant est tout autant mystérieux : '' And then he paid a visit to his brother'' : à propos de celui-ci, je me contenterai d'une explication de mathématique élémentaire : killer + sister + brother = 3. Voilà, c’est tout. C’est terminé. Non pas le livre, juste la deuxième introduction.

    SI…

    Si vous étiez Marie Desjardins je vous imagine sauter sur votre ordinateur, style je ne reconnais plus personne sur ma Remington, vlan ! d’un seul jet trois cents pages sur ces pauvres inuits abandonnés sur l’inhospitalière glace ellesmérienne, dans le genre aux esquimaux tous les maux, vous nous feriez verser des larmes de compassion à faire fondre la calotte glaciaire. Avec quelle dextérité vous tendrez à vos lecteurs le bâton à snif-snif afin qu’ils battent à satiété leur coulpe pour un crime qu’ils n’ont pas commis ! Heureusement Marie Desjardins s’y connaît davantage que vous sur la menée d’un récit et la cruauté humaine. Pas une once de repentance mortifère christianologique chez Marie Desjardins, Je vous sens prêts à suivre ‘’ l’honorable John Duncan ministre des Affaires Indiennes et du Nord canadien ( … ) afin de présenter des excuses au nom du gouvernement canadien à la communauté inuit.’’ Ce qui vous épargnerait la lecture de ce livre, cette phrase étant une des toutes dernières qui terminent l’Epilogue. Les grecs nous l’apprennent, l’épilogue n’est en rien le corps du récit, aussi est-il nécessaire de se pencher sur la chair pantelante de celui-ci.

    UN TRIPTYQUE FAMILIAL

    Trois beaux enfants, la mère est aimante et le père vétérinaire. L’histoire commence comme un conte de fée. C’est peut-être pour cela qu’il y a un ogre qui arrive très vite. Pas un méchant qui surgit de nulle part. L’est tapi - lui et sa progéniture dans la douceur du foyer - c’est le père. Il aime sa femme, pose un regard distrait sur les deux petits, mais il a décidé de faire un homme de Jess son fils aîné. Qui ne se plaint pas. Qui serre les dents, qui à treize ans se lève à quatre heures du matin pour partir au loin aider une vache à vêler.

    Ne criez pas au scandale, n’appelez pas la police pour maltraitance, la vie est dure, est-ce vraiment rendre un service aux gamins de les surprotéger, de les élever comme des lavettes, dans du coton à l’eau de rose ? Jess ne sera-t-il pas présent pour prendre dans ses bras le bébé, sa petite sœur, que lui tend le docteur puisque le père est au loin auprès d’un animal malade. Pas une mauviette le Jess, s’affranchira vite de la famille, un gars qui n’en fait qu’à sa forte tête, une personnalité extrême, une espèce de chef de bande, qui organisera un trafic de drogue, qui tuera celui qui l’aura trahi, et qui s’en ira vivre à Ellesmere, devenant un des leaders de la communauté.

    Louise est plus calme, une jolie petite fille sage, qui passe son temps à dessiner et à peindre. Qui obéit à sa maman chérie et qui adore que le soir avant de dormir son grand-frère Jess se glisse dans son lit pour lui raconter des histoires. Quand elle sera plus grande il arrêtera les contes pour les remplacer par Paul et Virginie, de Bernardin de Saint-Pierre.  Un conte noir et virginal en quelque sorte.

    Nestor, on l’appelle Nes - sonorité si proche de Jess quand on y pense - c’est lui qui raconte l’histoire, pas celle de Paul et Virginie, celle de Jess et Louise. Un peu comme un palimpseste. Beaucoup comme un inceste. Sa mère dit que c’est le génie de la famille. Elle a raison. Un gros fainéant aussi. Mais il suffit qu’il saisisse un crayon pour qu’il vous abandonne un chef d’œuvre griffonné à la va-vite sur un morceau de papier. Rien à voir avec Louise qui passe ses journées courbée sur ses dessins, sympathiques sans plus. C’est tout de même Louise qui par sa critique impitoyablement persévérante l’aidera à accoucher d’un chef d’œuvre : le fameux triptyque Ellesmere ( huit mètres de haut ) qui le classe d’emblée parmi les grands peintres du siècle. C’est Jess qui avait révélé à son frère l’existence et l’histoire de l’île. Du jour au lendemain le voici célèbre, les filles sont folles de lui, vie facile, l’est devenu une célébrité, une espèce de rock-star, l’argent, la gloire, le sexe et l’alcool, le charisme, que voulez-vous de plus. Plus besoin de travailler !

    CONTE NOIR

    Et brebis sanglante. Chacun des deux garçons a réussi en son genre. Louise est à la peine. Survit en plaçant quelques dessins par-ci, par-là, s’enferme dans une écurie pour travailler à son œuvre… Elle ne sait pas se vendre. Son problème n’est pas là. Elle aime Jess et Jess est ailleurs. Il vient - rarement - la prendre et la pénétrer pour mieux l’abandonner par la suite. Le désir de la chair de l’autre ne correspond pas obligatoirement au désir d’absolu de l’une. De fait l’on ne désire que son propre désir. Louise attend celui qui ne viendra pas. Certes de temps en temps elle prend un amant, et Marie Desjardins sait peindre cette jouissive donation de la chair femelle en même temps que cette froide abstinence de l’âme captive en elle-même.

    L’histoire a une fin que je ne vous révèle pas. Car il en est encore une autre plus ténue. Imperceptible. Racontée à mots couverts, à mots tus. Le traitement inhumain de la population d’Ellesmere n’est que le haut de l’entonnoir. L’écume bouillonnante secrétée bien en-dessous par quelque chose qui n’a rien à voir avec l’accidentalité de la surface. Le goulot d’étranglement terminal qui s’ouvre sur le siphon captateur qui permet le passage en une dimension souterraine et plus intime. Jess et Nes comme deux miroirs identiques se faisant face reflétant la trouble image de Louise. Victime consentante et agissante. Le papier et le calque. La prêtresse qui se sacrifie pour des Dieux qui n’existent pas. Peut-être pour qu’ils reconnaissent qu’elle était la divinité. Mais ils n’y croient pas. Notre monde intérieur est bien plus dur que les glaces d’Ellesmere. Il a toutefois besoin d’images – on s'amuse avec elles comme on joue au docteur quand on est petits - pour en signifier la cruauté. La transparence des vols qui n’ont pas fui. Selon Mallarmé.

    THE HAWK

    Le symbole de l’épervier plane au-dessus du roman, à chaque fois abattu d’un coup de carabine… est-ce l’œil implacable du faucon d’Horus, ou celui de l’Artiste schopenhauerien, regard limpide de l’univers, ou celui unique que se partagent les trois mères goethéennes du triptyque des Grées, au fond de l’Erèbe, cette pupille de diamant noir impavide que Marie Desjardins leur a subtilisée afin d’écrire ce livre de glaces sous lesquelles brûle et flamboie le feu charnel originel. Hiérogamique. Que personne ne veut voir. Ne veut saisir. Car contraire au simple devenir humain. S'aventurer si loin... Marie Desjardins a osé. Qu'elle en soit remerciée.

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    Damie Chad.

     

    PARIS / 07 – 01 – 2020

    SUPERSONIC

    AVALANCHE / LOUIS LINGG & THE BOMBS

    EFFELLO & LES EXTRATERRESTRES

     

    Il y a remède à tout. Même à vingt-quatre jours sans concerts de rock. Une calamité sans égale, quand je pense que certains pleurent sur le changement climatique, l'Australie qui brûle, la disparition des insectes et je ne sais quels autres détails insignifiants comparés à ma terrible disette de rock'n'roll, nos contemporains ne savent pas classer les priorités dans le bon ordre ! Bref ce mardi soir je décide de passer à l'action. Pas facile avec cette valetaille de gouvernement aux ordres du CAC 40 qui empêche les métros de rouler ! Pas grand-chose à se mettre sous la dent, en dernière extrémité je me décide pour le Supersonic, un peu trop bobo à mon goût. Qu'importe, le flocon pourvu qu'on ait l'ivresse !

    AVALANCHE

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    Pour une avalanche ne sont pas trop nombreux. Trois grands garçons bien propres sur eux sur scène. Un batteur qui bourrine à mort, ne laisse pas un espace de libre, avec un tel engrenage derrière vous, vous êtes tranquille, pas de blancs troublants, pas d'erreur possible, l'avalanche de coups durs et bas, c'est lui. Le gars vous le repérez d'office à l'oreille, vous enfonce les tympans à la manière de ces béliers médiévaux qui s'acharnaient des heures durant sur les les vantaux de chêne centenaire de la cité ennemie. Bien sûr par dessous la piétaille recevait pour tout remerciement coulées d'huiles brûlantes et moellons de cinquante kilos sur la tête. S'entêtaient toutefois car ils savaient que l'ouverture forcée leur revenaient de plein droit la rapine, le viol, le meurtre, l'or et l'argent. Avec un tel batteur l'on pouvait espérer de telles horreurs, d'autant plus qu'à l'autre bout de l'estrade Jean-Denis vous maniait sa basse tel un reître vous coupant en deux de sa hallebarde sanglante. Vous aviez de ces lignes de basse capables de vous enserrer le plus large des donjons dans un rets de lianes carnivores insinuantes capables de vous desceller les pierres les plus grosses en moins de temps qu'il n'en faut pour les entendre.

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    L'on se disait, nous voici partis pour une nuit d'horreurs, une série Z métallique comme on les aime. Hélas, il y avait un guitariste. S'appelle Thierry. Ce n'est pas qu'il était mauvais. C'est qu'il était trop gentil. Caressait bien son instrument. Mais pas à rebrousse-poil. L'aurait pu le saigner bonnement, lui faire pousser de cris de goret asthmatique que l'on égorge sans plus tarder. Mais non, c'est un ami des bêtes. Pas question de les faire souffrir. Faut que la guitare ronronne en chat de salon rondouillet qui ne quitte pas le canapé. Ronron à volonté pour fine gourmette. Idem pour la voix, mélodique. S'écoute un peu jouer et chanter. Nous le fait au flegme britannique détaché qui n'y croit pas. Y aura bien de beaux passages sur No longer, I will, et Coffin, qui raviront le public, ce qui ne m'empêche pas de m'ennuyer, un peu, beaucoup mais pas du tout à la folie. Que voulez-vous le rock élimé ne convient pas aux rockers, nos gaillards sont bien dans leur style mais je suis de ceux qui crient dans la rue que tout le monde déteste la pop lisse. Sans doute ai-je tort puisque l'assistance les remercie par une avalanche d'applaudissements.

    ( Photo : FB des artistes )

    LOUIS LINGG & THE BOMBS

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    Ce coup-ci, pléthore sur le ring. Ce n'est plus un groupe, c'est une manifestation, ne sont que six mais ils sont si serrés qu'ils ressemblent à une botte de radis. Noirs. Personne parmi les lecteurs de Kr'tnt ! - du moins nous l'espérons - n'est sans ignorer que Louis Lingg fut un anarchiste américain qui à l'instar des compagnons de par chez nous – en notre douce France des années 1880 – pratiquait la propagande par le fait. Pour son maniement de la dynamite l'on aurait dû décerner le prix Nobel à Louis Lingg, mais non on préféra le condamner à mort. Comme quoi parfois les efforts sont mal récompensés. Un groupe mixte, deux filles, quatre garçons. Nous commencerons par distribuer une image à Clémence, ses parents ont bien choisi son prénom, alors qu'autour d'elle ça s'agite un max pour s'installer, elle vous sort précautionneusement d'un sac pas plus gros qu'un cartable d'écolière un petit keyboard pas plus long qu'un triple décimètre, et le pose soigneusement sur son pliant avec l'application du Petit Chaperon Rouge déposant sa galette son pot de beurre sur la table de nuit de sa mère-grand. Ne soyez pas émue par cette vision idyllique, car elle sera la première à vous catapulter sur le museau une ondée sonore de pluviosité tempétueuse. Elle mérite amplement le titre de déclencheuse de tornade numéro un.

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    Car aussitôt ça zébulone à en péter les boulons. Sont tous pris d'une vague de tressautements parkinsoniens de très mauvais aloi, s'égosillent tous en chœur Oi ! Oi ! Oi ! Aïe ! Aïe ! Aïe ! c'est parti pour trois quarts d'heure de folie douce. Z'ont le punk festif et alternatif. D'abord Josh – le plus âgé et le moins sérieux – vous balance une giclée de guitare – tout de suite échoïfiée par celle d'Arno – et la suite n'est plus qu'une sarabande échevelée. Quand à force de gigoter ils perdent un peu de peps, dans son coin Zgaygoire vous revigore les les ardeurs de trois ra-ta-plan grandignolesques sur sa batterie. Josh est le GO du groupe, il invective de son accent inimitable le public, descend de scène pour faire la bise à une fille, se lance dans un discours pour nous préciser qu'ils sont tous contents de jouer à Paris en cette période révolutionnaire – du coup ils nous interprèteront Freedom Fighter – et assure les vocals. N'est pas seul pour cette auguste tâche. L'est secondé par Julie qui micro en main répète en plus aigu les dires du boute-en-train de la maison où tout se déglinggue magnifiquement. Foutraque et charivarique.

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    Ne foutent pas le feu, mais sèment la joie. Joyeux remue-méninge anarchisant, pétards d'artifice mais ambiance chaleureuse. L'assistance remue, crie, applaudit, rit. Certes l'on sourit de ce chahut de grands enfants très sympathiques, mais c'est un peu le punk à la peinture à l'eau. Perso je le préfère à la nitroglycérine.

    ( Photos : FB : DAVE WINTER )

    EFFELLO ET LES EXTRATERRESTRES

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    Pas de panique. Les extraterrestres ne sont pas aussi nombreux qu'on pouvait le subodorer. Ne sont que trois. Et peut-être seulement deux, car question métaphysique Effello est-il lui aussi un extraterrestre ? Peut-être oui, peut-être non. Nous nous contenterons de dire qu'il est sûrement un terrestre extra. En tout cas, sont tout beaux, tout jeunes. Z'ont tout pour plaire. Portent des lunettes à montures de plastique fortement colorées. De même chacun arbore sur sa chemise noire une mince cravate, jaune beurré, verte bibliothèque, rose épineuse, ce n'est rien qu'un morceau de tissu à peine plus large que le ruban des anciennes machines à écrire, mais cela leur donne un style inimitable. Souvenez-vous de combien était content votre instituteur quand vous aviez souligné les titres de votre leçon.

    Laissez-moi ne pas être d'accord avec le refrain de leur premier morceau. Pas mieux qu'avant. Sûr de sûr que le rock était mieux avant que maintenant. Mais ils vous assènent cette contre-vérité avec l'arrogance de la jeunesse qui excuse tout. Ne sont pas là pour énoncer des vérités définitives. Sont ici pour prendre du bon temps. To have some fun. S'amuser sans se pendre la tête, pas même la notre. Ils ont le rock léger. Ne pas comprendre guitare claire. Rapide, bien emballé, à peine pesé, déjà consommé. Mais vous le servent avec un tel aplomb et un tel sourire que vous demandez une autre tranche de jambon sans gras, ou un autre vin sans alcool, ou une cigarette sans tabac, sans même réfléchir que nos prestidigitateurs ne vous vendent que du vent. Mais peut-être est-ce dû à l'absence d'un deuxième guitariste qui devrait normalement épaissir la mayonnaise à la grenadine.

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    Rien ne les arrête. L'on n'entend plus que la basse d'Arnold et la tambourinade de Grégoire, Effello est tout fier, vient de casser son ampli, rien de plus rock'n'roll, après quelques essais infructueux il s'avère que c'est la guitare qui refuse de faire son boulot, Josh ( de Louis Lingg & the Bombs ) se précipite pour lui passer son instru. Tout de suite Elleffo se lance dans un solo dont il assure illico la promo.

    Le punk, Etudiant, Jeune et beau, défilent au galop. Quelque part entre Ramones et Wampas. Le rock est-il un infusoire aussi dérisoire qu'une passoire, ou une histoire d'urinoir bouché, néanmoins libératoire. Le public bouge de plus en plus. On s'amuse, sans se poser de question. Mais ne danse-t-on pas au-dessus d'un volcan éteint !

    *

    Suis reparti à la maison, songeur et scron-gneu-gneu. Le rock deviendrait-il ersatz de consommation légère ? Peu d'ivresse et gueule de bois.

    Damie Chad.

    LA CHIENLIT

    LE ROCK FRANCAIS ET MAI 68

    HISTOIRE D'UN RENDEZ6VOUS MANQUE

    MARC ALVARADO

    ( Editions du Layeur )

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    Un max de blancs et une myriade d'images, certes un grand format mais vu la minceur des colonnes des textes, j'en déduisis en le feuilletant que ce serait vite avalé. Ben non, un mince lettrage qui fourmille de mille mots, en prime le sieur Alvarado ne prend pas les lecteurs pour des cerveaux sous-neuronés. L'a médité et planché sur le sujet, pas le gars à se contenter d'à peu près, l'a rendu visite aux protagonistes les a interrogés et surtout il a réfléchi un max. Vous rencarde sur leur pratique mais il zieute aussi du côté de la théorie. Bref c'est passionnant. Des bouquins sur le rock des seventies on en a déjà présenté sur le blogue, en fait il n'y en a qu'un avec lequel on pourrait le comparer, il s'agit de Pop Music Rock de Phillipe Daufouy et Jean-Pierre Sarton ( voir KR'TNT 305 du 01 / 12 / 2016 ), publié à chaud en 1972, écrit par des intellos, des gauchistes qui ont lu Marx, qui ont été fortement boostés par Mai 68, mais qui parlent beaucoup des ricains, alors que La Chienlit est sacrément axée sur la France.

    Ce qui ne l'empêche pas de partir de l'Amérique, puisque c'est là que tout a commencé. Le livre couvre la période 1968 - 1976, mais dans l'introduction qui est la partie la plus passionnante du bouquin Alvarado s'attarde sur le segment 1955-1965, période qu'il assimile à l'éclosion du rock'n'roll aux USA mais aussi aux mouvements des Teddy Boys en Angleterre et aux Blousons Noirs en France. L'on ne peut toutefois employer les termes de culture underground pour qualifier cette première période. Il préfère de beaucoup la notion de sous-culture. Le rock naît dans les milieux prolétariens. Il ne propose rien de neuf, il s'oppose. Le rock est le refus d'une vie normalisée. Travaille et tais-toi. Une attitude intransigeante qui se traduit par le recours à la violence. Du cassage, du saccage, sans ambition. Formations de bandes, naissance des groupements de rebelles tous azimuts tels les groupes de bikers. Mais le rock ne déborde pas, son idéologie ne se propage pas, il essaime en multiples points de fixation, il est en guerre larvée contre le monde entier, et se referme sur lui-même.

    C'est entre 1966 et 1968 que la situation va se métamorphoser. Une nouvelle génération arrive sur le marché. La société américaine bouge de partout. Les intellectuels comme Marcuse produisent une virulente critique de la société de consommation qui se met en place. Les consciences flamboient : toute une partie de la petite-bourgeoisie estudiantine rejoint le combat des Droits Civiques entrepris depuis longtemps par les populations noires, la guerre du Vietnam et la conscription qui s'ensuit radicalise les positions des jeunes appelés, pourquoi aller mourir dans une rizière alors que l'on s'attendait à profiter de la consommation à outrance promise, la société capitaliste du profit se prend les pieds dans ses propres contradictions, elle vous claque sur le nez la porte d'abondance du paradis alors même qu'elle les a tenues grand-ouvertes pour vous faire miroiter une vie délicieuse... Mais l'esprit qui s'éveille a besoin d'un corps pour véhiculer ses désirs. Hélas, une fois que vous avez goûté aux fruits du péché, vous êtes perdu pour toujours, voici que la modération puritaniste vole en éclats, et que les drogues vous permettent d'aborder à de nouveaux rivages... Il ne s'agit plus de s'enfermer dans un dégoût ulcératif de l'ancien monde, mais d'offrir un programme de vie particulièrement alléchant : paix, amour libre, accession à de nouvelles réalités spirituelles, la jeunesse s'enflamme pour ce nouvel idéal. Le rejet prolétarien dû à des frustrations classistes est remplacé par l'acquisition jouissive d'un futur proche à portée de main. Are you experienced interroge le premier disque de Jimi Hendrix. Ce n'est pas une demande, plutôt un mot d'ordre, une invitation baudelairienne qui ne se refuse pas...

    Mais retournons en France. Mai 68 fut une commotion. Rien ne pouvait plus être comme avant. Tout devait changer. Surtout en musique. N'était-elle pas le fer de lance des changements survenus en Amérique et en Angleterre ? Nombreuses furent les tentatives de réponse apportés par des groupes engagés en des cheminements différents.

    LA TENTATION POLITIQUE

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    Avant tout Mai 68 relève de la grande politique. Son principal moteur ne fut-il pas une grève générale dont l'ampleur ne fut jamais égalée par la suite. Mais si toute une jeunesse rêvait à fonder un nouveau monde, dans les têtes circulait plus ou moins en catimini que cette éclosion espérée se devait d'être précédé de la destruction de l'ancien monde. Il est à craindre que ces pensées aient été suscitées par la Révolution Culturelle qui se déroulait en Chine depuis déjà deux années. Un superbe nœud de contradictions. Si vous voulez une programmatique révolutionnaire vos paroles risquent de se réduire à des slogans. Répétitions de vieilles ritournelles connues de tous. Si vous désirez casser la vieille musique, il suffit de prendre son instrument, en oubliant tout ce que l'on a appris, ou encore mieux tout ce que l'on ne sait pas, et de se lancer dans une espèce de galimatias phonique. Dix années plus tard les punks reprendront cette idée que n'importe qui peut être musicien s'il le veut. Mais cette destruction des formes de l'ancienne musique n'avait-elle pas déjà été opérée par la New Thing au début des années soixante. Mais bizarrement ces musiciens de jazz américains qui se lancèrent dans cette entreprise étaient les héritiers d'une longue tradition musicale qu'ils essayèrent de dynamiter de l'intérieur à leur manière.

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    Red Noise, le bruit rouge, et Komintern issu d'une scission du précédent, rappelons que le nom est une référence directe à l'Internationale Communiste russe chargée de répandre la révolution au monde entier, furent des groupes activistes, dignes représentants de cette ultra-politisation des consciences musicales françaises, Red Noise participa de près aux événements de Mai 68, et Komintern fut très engagé pour détourner les premiers festivals pop de leur mission première : donner simplement à voir et à entendre contre contribution financière de la ''bonne musique'' aux amateurs, la philosophie de cette avant-garde rock était toute autre, que le spectacle se transforme en libératoire fête sauvage avec en première revendication l'entrée libre, comprendre en force et non-payante.

    MAINTENANCE DE LA TRADITION

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    N'entendez pas ce titre comme un retour à une vision politicienne des plus droitières. Nous évoquons la continuité musicale, celles du blues et du rock. Alan Jack Civilization, pour illustrer le premier courant. Le blues entrevu en tant que longue dérive instrumentale, le groupe vit en collectivité dans une ferme, l'on fume et l'on joue des heures durant... Peu d'enregistrements subsistent, l'expérience ne déboucha sur rien de bien valide même s'il reste l'une des plus authentiques incarnations du mythique esprit de Mai...

    Les Variations illustrèrent magnifiquement le versant rock'n'roll de l'époque. Sans chichis et sans fioriture. Des pionniers en leur genre. Le premier groupe français à pouvoir rivaliser avec les anglais. Ils trouvèrent leur public en province car l'intelligentsia parisienne les ignora. Entre 1964 et 1968, il y eut une coupure en France dans la transmission rock. Ce n'est qu'en 1969 que le rock revint en force, mais les ''élites'' journalistiques et le public firent en grande partie l'impasse totale sur tout ce qui s'était passé avant leur advenue dans le monde nouveau du rock dans lequel ils s'engageaient. L'on ne se défait pas de ses atavismes petits-bourgeois facilement, les Variations furent jugés trop primaires, trop efficaces, pas assez subtils... Faudra que les Stooges remettent les pendules des consciences à l'heure mais cela est une autre histoire.

    MAGMA

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    Le groupe à part. Qui met aujourd'hui tout le monde d'accord. Mais à l'époque seule une infime partie du public les reconnut. La majorité s'accorda pour juger leur musique trop complexe ou trop brutale. C'est que Magma fut selon moi le seul groupe fusionnel qui existe dans le rock. Qui réussit à réunir en un même creuset la virtuosité jazzistique, le savant héritage de la musique classique européenne et la violence innée du rock'n'roll. Haut niveau d'incandescence. L'instinct primal et l'intellectualité exacerbée. Si vous prenez Magma comme mètre étalon pour juger de la pop française des années 68-76, tout le reste risque de vous apparaître fade...

    LES VOIES DE GARAGE

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    Le mal français dans toute sa splendeur. Qui vient de loin. De la tradition de la chanson rive gauche qui privilégie le texte au détriment de la musique. Attention l'intelligence des lyrics est nécessaire, combien monotones sont les babies qui ouvrent leurs jambes sur les banquettes arrières des Cadillac dans le rockabilly par exemple, mais porter aux nues de la haute poésie insurpassable des textes de simple bonne tenue brouille quelque peu la vision des choses. Autre problème : celui des maisons de disques, qui eurent tendance à se rattacher aux vieilles branches des continuités incapacitantes mais surtout celles des producteurs qui dans leur grande majorité ne possédaient aucune culture rock dans leurs gênes. Troisième facteur, peut-être le plus déterminant, en mai 68 il n'y avait que très peu de musiciens de rock en France, ce sont des musiciens de jazz qui se sont collés à la tâche. Avec toujours ce petit côté condescendant vis-à-vis du rock. Le problème c'est que quand l'on touche au rock'n'roll avec des pincettes, soit l'on part au mieux dans une dérive progressiste, soit l'on retombe dans les patterns de la variétoche légèrement améliorée. Triangle et Martin Circus sont les groupes phares de cette perte de dynamisme entraîné par ces facteurs conjugués.

    FOLK'N'PROG

    Marc Alvarado ne tarit pas d'éloges sur Allan Stivell qu'il met à égalité avec Magma. Ce qui est fortement exagéré. Certes Stivell sut creuser son sillon et son originalité. Mais même électrifiée sa harpe celtique s'inscrit davantage dans le mouvement folk que dans le rock. Ce qui n'est pas un mal en soi, mais alors pourquoi des groupes comme Malicorne pour n'en citer qu'un sont quasiment absents du book...

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    Pink Floyd vendit en ses débuts plus d'albums en France qu'en Angleterre... en 1973 le public français se pâmait en écoutant Tales from topographic oceans de Yes... Gong, Alice, Ame son, Atoll et Ange furent les dignes représentants de cette tendance en nos contrées...

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    Le serpent finit toujours par se mordre la queue. Ce sont les chanteurs de variété qui raflèrent la mise. Michel Polnareff, Bernard Lavilliers, Nino Ferrer, Jacques Higelin, et jusqu'à Léo Ferré, qui surent profiter chacun à leur manière de la vague pop-rock, difficile de jauger au plus près la hauteur d'opportunisme et d'authenticité de leurs engagement...

    BILAN

    Le livre est beaucoup plus fouillé que ma rapide et partiale analyse. Outre l'intérêt musical – non il n'offre pas l'espéré CD qui aurait été bienvenu pour les groupes les moins connus – le lecteur se penchera avec une curieuse volupté pour ceux qui n'ont pas connu cette période et avec nostalgie pour les vieux baroudeurs, sur tous les chapitres sur les aspects sociologiques de la période. Notamment l'évocation de cette presse rock qui éclate en feu d'artifice – Pop Music ( hebdomadaire ), Best, Extra, Pop 2000 – mais surtout celle qui se réclama d'une vision existentielle comme Tout, Actuel, Parapluie, Atem qui agitèrent le rêve prométhéen alternatif d'une culture underground... Les grandes retombées de Mai 68 ne furent pas vraiment musicales. Par contre les mœurs en furent bouleversées et le rapport à la hiérarchie fut fortement désacralisé. Nous vivons encore sur ces deux acquis...

    Le livre s'arrête en 1976. En 1977, tombe tel le couperet de la guillotine le No Future punk. Le rêve est terminé. Les temps se tendent...

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 446 : KR'TNT ! 446 : ROY LONEY / ALLEN KLEIN / GENE VINCENT / CARL PERKINS

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    roy loney,allen klein,gene vincent,carl perkins

    LIVRAISON 446

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    09 / 01 / 2020

     

    ROY LONEY / ALLEN KLEIN

    GENE VINCENT AND THE BLUE CAPS

    CARL PERKINS

     

    Le Roy est mort, vive le Roy !

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    David Laing a bien raison de le rappeler : Roy Loney et les Flamin’ Groovies préfigurèrent en leur temps deux phénomènes majeurs de l’histoire du rock : la London punk-scene (les London SS s’épuisaient à essayer de reprendre «Slow Death») et le boogaloo des Cramps avec cet épouvantable ‘I’m a monster/ With a revved-up teenage head’. Après avoir mené le bal sur quatre albums avec les Groovies et opté pour l’exit, Roy se lança dans une carrière solo qu’il faut hélas qualifier d’underground. No mainstream for Roy. Seuls ses fans semblent l’avoir suivi.

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    Alors que les Groovies post-Loney allaient basculer dans une régurgitation des early Beatles, Roy montait les Phantom Movers avec James Ferrell et la dynamo des Groovies, Danny Mihm. En 1979, il donnait avec Out After Dark une suite éclatante à Teenage Head. Roy annonçait un ‘Primitive rock with taste’. Pour les fans, c’était comme si the awsome wild ride des Groovies continuait. L’album parle tout seul. La photo du groupe au dos de la pochette vaut bien celle qui orne le recto de Flamingo. Roy riffe à coups d’acou, il ramène son sens inné du punch et des killer hooks. Trois cuts vous accueillent à bras ouverts : «Used Hoodoo», «Neat Petite» et «Rocking In The Graveyard». Avec l’Hoodoo, Roy recrée la magie tétanique de Teenage Head, il chante à la rogne de la teigne et procède à l’admirable hoodooïsation des choses du rock. C’est exactement le cut qu’attendaient les inconsolables. Avec «Neat Petite», Roy se paye le luxe Royal d’un hit inter-galactique, et en B, il revient à ses premières amours avec une reprise du «Rocking In The Graveyard» de Jackie Morningstar : back to the wild rockab, d’autant plus wild que Roy charge sa barque d’accents d’Elvis. Sur cet album, le backing-band est déterminant. Le Phantom Mover number one s’appelle Larry Lea et il passe dans «Pantom Mover» un solo crazy crazy petit bikiny, pendant que Danny Mihm swingue le swong jusqu’à l’os du crotch, ramenant ainsi toute la brillante ferveur de Sneakers. Le coup le plus fumant de cet album est bien sûr la reprise de «Return To Sender». Roy tient la dragée haute à son idole. Du Roy au King, il n’y a qu’un pas, n’est-il pas vrai ? Puis il remonte sur ses grands chevaux pour «Scum City». Il chante comme le Roy des punks, le Fagin des culs de basse fosse. Roy est la meilleure glotte de la cour des miracles. Il boucle cet album inespéré avec «San Francisco Girls», un autre joli drive de rockalama battu à la Mihm et visité par un flashy flasho carabiné de Larry Lea.

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    S’ensuit dans la foulée le mini-album Phantom Tracks qui engloutit le premier EP solo de Roy, Artistic As Hell, enregistré avec les ex-Groovies des Hot Knives, Danny Mihm et Tim Lynch. C’est là-dessus qu’on trouve l’extraordinaire cover de «Down The Road Apiece». On se croirait sur le premier album des Stones. Même rage de vaincre, ça sonne sec, Mihm bat à la Charlie Watts et Momo digonne un énorme drive de bassmatic. Toute la rage du rock coule dans les veines du Road Apiece. Roy shakes it out. L’autre coup de Jarnac se trouve de l’autre côté : «Don’t Believe These Lies». Big guitar sound à la Chucky Chuckah, pur jus de flambant Flamin’, les Phantoms Movers sont comme des poissons dans l’eau, riff raff à la Keef de Chuck. Roy déplace les montagnes, en voici la preuve. Sur «Emmy Emmy», James Ferrell partage ses duties avec l’excellent Larry Lea et dans «You Ain’t Getting Out», on sent poindre l’influence des Rezillos. Ils jouent «I Must Behave» à l’excellente tension phantomale. Ah pour mover, ils savent mover ! Ça ruisselle d’énergie sauvage.

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    Hélas, le label met la pression sur Roy, et comble de déveine, Danny Mihm et James Ferrell quittent le groupe. Roy croit bien faire en tâtant de la new wave et se vautre en 1981 avec Contents Under Pressure. On retrouve le riff de «Locomotive Breath» dans «Sorry» puis après ça se gâte tragiquement. Roy perd pied. Leur reprise de «Heart Full Of Soul» en B est tellement spéciale qu’elle ne sauve pas l’album. Trop new wave. On l’a un peu oublié, mais cette fuckin’ new wave a fait à l’époque autant de ravages dans le rock que la peste au XVIe siècle en Europe. Par son côté power pop, «Cinema Girls» sauve presque cet album maudit et Roy tente de revenir au boogie blues avec «Intrigue Indeed», mais il massacre le chant en voulant sonner comme Lena Lovich. Tragique épisode. Mais deep inside your heart, vous saviez que Roy allait se racheter.

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    Un an après, Mihm et Ferrell rentrent au bercail, alors Roy opère un back to the basics avec le bien nommé Rock And Roll Dance Party With Roy Loney. Ils tapent d’ailleurs dans les vieux coucous des Groovies, «Doctor Boogie» et «Gonna Rock Tonight». Pour David Laing, Roy sonne comme les Blasters et Barrence Whitfield qui à l’époque avaient repris le flambeau du purisme. Roy démarre en trombe avec l’excellent «Ain’t Got A Thing» de Sonny Burgess. Dans Ugly Things, Cyril Jordan nous rappelait un point essentiel : l’ado Roy collectionnait les singles de rockab. Roy et Lux même combat ! Back to Sneakers avec «Doctor Boogie» et ce swing voyou qui faillit bien conquérir le monde et qui à défaut se contenta de conquérir quelques âmes ici et là. Cette version du «Doctor Boogie» pourrait prétendre au rang de huitième merveille du monde, mais c’est vrai, rien n’est plus difficile que de rester objectif quand on écoute chanter un géant comme Roy Loney. «My Baby Comes To Me» et «Slip Slide & Stomp» qu’on trouve plus loin en A s’inscrivent aussi dans une veine terriblement groovy. Roy chante à l’âpreté du rocky road, alors forcément, c’est niaqué à point. Le «Double Dare» qu’on trouve sur la face obscure se montre aussi typique de l’âge d’or des Groovies. Voilà un Dare qui pourrait très bien figurer sur Teenage Head. Même avec un jump comme «Lana Lee», Roy parvient à impressionner son monde.

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    Avec Fast & Loose qui parait l’année suivante, Roy tape dans les gros classiques, le Chuck Chess-come back de «Tulane» ou encore le «Hanging Around» d’Ersel Hickey paru en 1958. D’ailleurs Larry Lea s’en donne à cœur joie. Mais c’est avec le «Driving Wheel» de Billy Swan que Roy vient nous ramoner la cheminée. Et il ramone dans les règle de l’art, comme un petit Savoyard, beau beat des reins, c’est shaké envers et contre tout, all my love ! Let’s rock now et Larry Lea passe le plus classique des solos rockab. L’autre merveille ouvre le bal de la B : «Ragged But Wrong», fantastique hit de rock jumpy, swingué par Danny Mihm. Très haut niveau d’excellence. The voice & the beat : just perfect. On ne saurait rêver meilleure excellence combinatoire. Ils montent ensuite «Rockin’ Radio» sur un riffing à la Chucky Chuckah, comme au temps des Groovies. On se goinfrera aussi de «Slippin’ Out The Back Door», monté en heavy tempo et chanté de main de maître. Roy en fait ses choux gras. Ils bouclent leur bal d’A avec «The Mop Flops», une nouvelle pépite de juke. Mine de rien, Roy fait de Fast & Loose un pur album de rockab. Il ne résiste pas à l’envie de glisser en B un remake de «Teenage Head», sans doute un prétexte pour faire revenir James Ferrell, mais on préférera la version originale. Avant de nous quitter, Roy nous met en garde contre les ghoules avec «Beware Of The Ghoul». You better watch your step, font les ghoules. Waah waah waah waah-waah !

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    Roy retrouve la bande à Bonnot pour The Scientific Bomb Away : Danny Mihm, James Ferrell et Larry Lea. Voilà un album qui sait recevoir : il propose un festin de rockab et de folk-rock. Cyril Jordan participe à l’aventure, en chantant les harmonies vocales de «Ruin Your Shoes», «Nobody» et «Feel So Fine». Ah oui, «Feel So Fine», dernier cut de la B, fantastique fin de non-recevoir, Roy nous swingue ça avec une grâce infinie, bien soutenu par ce monster shaker qu’est Danny Mihm. On a là l’équilibre parfait entre le swing et le punch. Inutile d’aller le chercher ailleurs. Roy démarre l’album avec un hommage à Bo Diddley, «Chicken Run Around». Idéal pour un punkster comme lui et James Ferrell gratte sa Gretsch, alors tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Roy tire ensuite «Bip Bop Boom» des vaults du veau d’or. On observe la belle tenue des tenants et des aboutissants de «Deviled Eyes». Avec Roy, tout aboutit à l’Aboukir Royal. Mike Wilhelm vient gratter sa gratte, et non ses poux, sur «Nervous Slim», comedy act de petite vertu digne des Charlatans, puis sur un «Boy Man» monté sur un bon beat sous-jacent, et lorsque Roy groove son hiccup, Wilhelm claque son takatak. Le «Bad News Travel Fast» qui ouvre le bal de la B vaut encore une fois pour un hot shot de rockab. Roy est l’un des rois du revival, il injecte du Bo dans son beat et Danny Mihm transforme l’ensemble en chef-d’œuvre imprescriptible.

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    Quelques années passent et les Phantom Movers refont leur apparition avec Action Shots, une compile de bouts de concerts. Le son n’est pas merveilleux et le choix des cuts pas terrible, puisqu’ils tapent dans l’album new wave paru en 1981, année de l’élection de François Mitterrand. Ça s’arrange un peu en milieu d’A avec «Double Dare» et «Doctor Boogie» dont on a déjà vanté les vertus. Et puis ils font sauter la sainte-barbe de la B avec «Driving Wheel» et un «Coming After Me» tiré de Flamingo et là, ça reprend vraiment du poil de la bête de Gévaudan. Roy l’annonce ainsi : «Comin’ from the Groovin’ Flamies from San Francisco.» C’est lui le Flamin’ guy et le riff de Comin’ est sans doute l’un des plus beaux riffs de l’histoire du rock, bien dans l’esprit des Stones de l’âge d’or. Larry Lea se régale. On entend Momo faire le dos rond avec sa basse dans «Down The Road Apiece» et après une version héroïque de «Teenage Head», ils terminent avec ce gros clin d’œil aux Rezillos qu’est «A Hundred Miles An Hour».

    Roy va peaufiner ce brillant parcours discoco en enregistrant quatre albums avec les Longshots, composés d’illustres inconnus (Jim Sangster/lead guitar et Tad Hutchinson/drums, ex-Young Fresh Fellows, Scott McCaughey/bass et Joey Kline/rhythm guitar).

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    Full Grown Head paraît en 1994 et Roy y propose un «Tobacco Road» qui lui va comme un gant. Il le chante à la bonne arrache, une arrache qui vaut bien celle des Blues Magoos. C’est d’autant plus bienvenu qu’il enchaîne avec «Slow Death» - Ah-call a doctah - C’est lui le slow death guy on the loose et Jim Sangster fait son Cyril. On retrouve le riffing de «Locomotive Breath» dans «See Jane Goes» et en A, on voit Roy tenter vainement de rallumer les vieux brasiers, mais il ne dispose pas des bonnes chansons. Il reprend un peu de poil de la bête avec «I’ll Come Running», mais c’est avec «Teeny Weeny Man» qu’il retrouve sa mesure : back to the old rock’n’roll powerhouse, sa vraie passion. Il part en mode full grown Buddy Holly pour le morceau titre, évoquant au passage son Teenage Head - Once upon a time I was a Teenage Head - Il chante comme un punk anglais - But now I’m a full grown head - Peut-être serait-il plus juste de dire que les punks anglais chantent comme Roy Loney.

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    Un nouvel album des Longshots paraît l’année suivante, sur le bien nommé Impossible Records. Kick Out The Hammmmons propose des bouts de concerts et bon nombre de belles énormités, à commencer par «Chasing My Own Tail», «Been Wrong Too Long» et «Road House». Roy ramène toute sa science du punch avec Chasing, il chante vraiment comme un démon échappé d’un bréviaire du chanoine Docre. Pas de meilleur shoot de garage que cet «I’ll Come Running» stompé dans les règles. Derrière Roy, ça joue énormément. S’ensuit un «Been Around Too Long» flambant neuf, Roy le prend de haut, de très haut, à tout seigneur tout honneur. Énorme car contrebalancé au chant par des effluves de riffing qui se perdent dans le bush. Roy vante aussi les vertus d’une petite chatte bien serrée avec son vieux «Neat Petite», ouh wah-ouh wah, il ramène du punk dans le stupre, il est parfait dans ce rôle infernal. Retour du midnight groover pour un fabuleux «Road House». Roy a maintenant l’habitude de brûler la chaussée, il l’a fait tellement de fois avec les Groovies, et ça continue en 1995, yeah yeah yeah, avec un Sangster en embuscade qui lui aussi sait foutre le feu. «Panic To A Manic Degree» vaut pour un joli coup de ventre à terre. Roy adore ça, il adore traverser la prairie, poursuivi par une horde de Comanches ivres de carnage. On a là du big bad live. Il réactive aussi son vieux «Comin’ After Me». C’est du sérieux. Avec Roy il faut faire gaffe. Roy le prend au premier degré. C’est le riff des Groovies par excellence. Ils tapent aussi une version assez violente de «See Jane’s Goes». Ils sont marrants, comme pressés d’en finir.

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    Nouveau coup de tonnerre avec Drunkard In The Think Tank paru en 2004. Roy gâte ses fans avec un somptueux «House Of Games». Il y ramone bien la cheminée de la maison Groovies. Avec cette débauche de Stonesy claironnante, c’est tout le son des Groovies qui redevient d’actualité. Jim Sangster claque au claironnant clairvoyant et ce «House Of Games» sonne comme l’un des plus beaux hits des Flamin’ Groovies. Autre coup de génie : «Such A Nice Boy» : Roy le monte sur les accords de Teenage Head qu’il chausse de plomb. Il vise l’heavyness subliminale. C’est d’une tenue qui scie la branche et Jim Sangster cisaille d’autant plus qu’il est devenu le killer flasher de service. Encore une belle envolée avec «Hang With Me», Roy ne lésine pas sur l’énergie, il est le roy du roll up. Voilà encore un cut explosé dans le contexte de la caryatide. Ce Sangster est un fou, il faudrait le faire interner d’urgence. Roy revient à son cher rock’n’roll avec «She’s The One» Il adore le ventre à terre, il puise ses forces et son inspiration dans sa collection de wild rockab et l’autre fou de Sangster claque un solo brûlant de fièvre. Roy rend une nouvelle fois hommage à John Fogerty avec une reprise de «You Don’t Owe Me». C’est du très beau big jump, Roy y met toute sa ferveur. On a là la conjonction de deux géants. «Nobody Does It» va plus sur la pop et Roy revient aux choses sérieuses avec un «Doggone Fine» stupéfiant de violence, emmené par le bassmatic marmoréen de Momo. Sangster passe un killer solo flash inexpugnable, c’est une véritable horreur combinatoire, le solo se tortille comme ce lombric que le pêcheur pique sur l’hameçon. Roy chante ensuite «Grapey Wine» au raw effarant et Sangster revient faire son loup garou dans «Steam». À qui vous fait penser «Jennifer Whenever» ? À Buddy Holly, bien sûr et quand il conclut avec «Let Me Go», force est de constater que Roy regorge de richesses. Un vrai pays africain ! Bizarre que les multinationales n’aient pas encore songé à l’exploiter.

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    Paru en 2007, Shake It Or Leave It sera le dernier album enregistré avec les vaillants Longshots. Il est important de préciser que Roy signe tous les cuts de cet album encore une fois explosif. Ah t’a voulu voir les Groovies à Vesoul et t’as vu Roy Loney à Vierzon, ce n’est pas la même chose. Dès «Baby Du Jour», Roy tape dans le dur, comme on dit chez les démolisseurs. Roy Loney sonne comme l’ultimate rock singer et derrière lui claque toute la Stonesy qui se puisse imaginer. Quelle erreur que de se séparer d’un shouter aussi powerful que Roy Loney. Il semble que Cyril Jordan ait passé sa vie à se tirer des balles dans le pied. Roy Loney tape dans le dur du rock avec une volonté de fer qui honore le dieu Gou du fer travaillé, il joue la carte de la Stonesy oblongue, bien balancée sous le boisseau du oooh baby. Et ce n’est que le premier cut ! Le coup de génie de l’album s’appelle «Don’t Like Nothing». Roy vient faire le con sur ce vieux bout d’heavy blues de fond de studio, mais il swingue ça à la Roy. Méchant trucker de trash out ! Comment fait-il ? On ne sait pas, mais c’est bardé d’envoyé, il nous descend dans les escaliers, help it ! Terrific ! Encore une brillante leçon de maintien. Il revient à son cher rockab avec «Miss Val Dupree». C’est sa came, il est dedans, il redevient le wild cat de San Francisco, il swingue son Val Dupree avec tout le swagger du monde. Il renoue avec l’énergie des origines. Roy is the real deal. Encore une énormité avec «Looking For The Body», toujours ancrée dans le rockab et il passe en mode demented are go. Il tape aussi «Hey Now» au wild rockab. Ce mec sait de quoi il parle. Il chante son «Big Time Love» à la meilleure veine de la déveine et bien sûr, «Big Fat Nada» nous renvoie au temps béni de Sneakers. Roy chante comme un dieu, c’est utile de le rappeler, avec mille fois plus de fantaisie que n’en eût jamais Chris Wilson. Tiens voilà encore un shoot de rockab madness : «Raw Deal». Les Longshots deviennent des fous dangereux. Il shakent le raw to the bonne et le solo s’étrangle sur la montée de bass up. Quelle dégelée ! On a là un vrai deal de raw deal.

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    En 2009, Roy revient dans le rond du projecteur avec Señor No et un album intitulé Got Me A Hot One. Les Señor No sont des Spanish guys basés à San Sebastian et quand vous ouvrez le digi, vous tombez sur une fameuse équipe : tapis dans l’ombre et rassemblés autour du roy Roy, ils arborent de faux airs de Dead Boys in the flesh, avec les tattoos et les ceinturons à clous. Roy en profite pour taper dans le vieux «Headin’ For The Texas Border» des Groovies. Il faut le voir mener le bal ! No problemo ! Il reprend aussi l’«Act Nice And Gentle» de Ray Davies. On se croirait chez les Small Faces ! Quel panache ! Roy taille sa route. Il crée chaque fois l’événement. Il tape plus loin dans le «Cara-Lin» des Strangeloves pour en faire un incroyable melting pot de Spanish glam. Il se prête au jeu de façon subversive, hey hey hey ! Tiens encore un déterrage : le «Dance With Me» des Mojo Men, garage-band californien des mid-sixties. Roy et ses wild Spanish friends en font une version violente, secouée au dance rhythm. Idéal pour un shouter comme Roy. Il y va ! Alors on l’encourage. Vive le Roy ! C’est vraiment très violent. Il assume bien. Quel shouter and what a blast ! Le hit de l’album est une compo de Roy digne de figurer sur Teenage Head : «Least Magnificent Moment». Ça gratte à coups d’acou, mais il y a du monde derrière. Roy adore voir arriver les renforts. Il n’existe rien de plus somptueux qu’une grosse compo de Roy Loney. «Least Magnificent Moment» effare par sa magnificence. Et quand on a dit ça, on n’a rien dit. Il fait aussi des siennes dans le morceau titre d’ouverture de bal. Hot on heels ! Roy emmène ses Spanish friends en enfer, à moins que ça ne soit l’inverse, c’est explosé à un point à peine croyable. Il ne reste plus qu’à ramasser les miettes. Le «Getting Gone» qui suit est encore plus explosé du cortex, ces mecs ne connaissent qu’une chose dans la vie : l’exaction. Alors on imagine bien qu’avec un mec comme Roy au chant, ça puisse vite devenir un jeu d’enfant. C’est trop explosif pour être honnête. On est aux antipodes des Groovies 2019 qu’on a pu voir se vautrer à Paris. Roy trace la voie royale, fuck ! avec une niaque qui laisse rêveur. Ça sent bon le Spanish booze ! Et puis avec «Everything Goes», il fait carrément du Creedence. Il arrive à faire sonner son Everything comme un hit de Fogerty. Sacré Roy, il nous en fait voir des vertes et des pas mûres. Il y a plus de son dans un cut de Roy Loney que n’en peut rêver ta philosophie, Horatio.

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    Pour les ceusses qui n’ont plus de place dans leurs étagères, un compile Raven pourra faire l’affaire. A Hundred Miles An Hour 1978-1989 propose en effet un choix intéressant de cuts tirés des premiers albums solo du roy Roy, comme par exemple «Hundred Miles An Hour» qui donne son titre à cette compile palpitante et qu’on retrouve sur Phantom Tracks. C’est un bonheur que de réentendre ce vieux coup de grisou joué à la petite sourdine absolutiste. Roy n’en finit plus de traîner derrière lui sa vieille hargne de Teenage Head. On recroise plus loin le mirobolant «Least Magnificient Moment (Of My Life)». Ses chansons sont comme habitées par une voix vibrante de véracité. Il est le chanteur de rock américain par excellence. De la même façon que Ron Asheton, on a tendance à le considérer comme un second couteau, mais en réalité, il revêt la carrure d’une rock star de premier plan. Il est écœurant d’élégance. Raven nous ressort aussi l’excellent «Used Hoodoo» tiré d’Out After Dark, flanqué de sa Frisco Stonesy. C’est du sérieux, comme on dit dans les antichambres du pouvoir. Il nous déchire ensuite «Neat Petite» au riffing d’époque. Roy cranks it up ! Il keep sa baby in the glass avec un swagger inimitable. Il fait du régurgité de post-punk, mais qu’on se rassure, il tient son rang. Il subit des influences comme tout être faible, mais ça passe comme une lettre à la poste. Sa version de «Return To Sender» ne prend pas la moindre ride. Il rivalise de classe avec son dieu Elvis, par le balancé du déhanché, Roy n’en finit plus de proposer son real deal. «Phantom Mover» sort aussi d’Out After Dark. Roy fouette cocher pour une virée en mode pub-rock américain avant d’aller tomber dans les mâchoires d’un solo carnassier. Croutch ! Fantastique énergie ! «Don’t Believe Thoses Lies» et «Down The Road Apiece» sortent de Phantom Tracks. C’est explosé de son et le Road Apiece est l’un des plus beaux hommages jamais rendus aux Stones. Il est dessus avec tout le swagger possible. «Panic To A Manic Degree» sort de l’album solo Rock And Roll Dance Party. Roy le tape au pur esprit rockab, au bop-she-bop shoo wee et «Double Dare» sonne comme un hommage à Bo Diddley, avec un léger parfum de shaking à la Johnny Kidd. Raven tire «You Can’t Be Too Wild» de Fast & Loose et Roy ramène pour l’occasion toute la bravado de Flamingo. «Driving Wheel» sort du même album et sonne comme un classique rockab. Et même du Memphis rockab. Roy le travaille au corps. Puis il donne une petite leçon de garage avec «Ragged But Wrong». Il s’éclate la rate à coups de yeah yeah. C’est franchement digne des Pretties. Tout est bien sur cet album. Dommage qu’il manque le «Boy Meets Bones» enregistré avec les A-Bones et qui figure parmi les meilleurs singles de rock jamais enregistrés.

    Bon alors après, on a les bricolos des spécialistes, et comme dans tous les cas de groupes devenus cultes, ça grouille dès qu’on soulève une pierre. Sur le Teenage Head Tribute Show enregistré en juin 1998 (cadeau du Professor), on trouve une belle ribambelle de covers, à commencer par le «Can’t Explain» des Who, avec un son bien pourri, comme il se doit. Mais on reconnaît les riffs. Roy le bouffe d’une seule bouchée. Les Who ? Ha ha ha ! Croutch ! Il suffoque même de rage. Il tape aussi dans son vieux pré carré avec «High Flying Baby», une vraie merveille anthropologique. La momie se réveille, au fond du sarcophage. Aw my God, c’est Roy ! Quand on voyait les Groovies chanter «High Flying Baby» l’autre jour au Petit Bain, ça n’avait tout simplement pas de sens. Seul Roy peut allumer un tel brasero. Mais il y a trop de parlotte entre les cuts et des choses comme «Shaking All Over» ou «Evil Hearted Ada» qui devraient exploser retombent comme des soufflés. Les intermèdes ruinent tout. Dommage, car avec Ada, Roy est au sommet de son art. Il fait partie des géants du rockab. Il propose plus loin un medley définitif : «Roadhouse/Teenage Head/Slow Death», noyauté par une version royale de Teenage Head, l’un des joyaux de la couronne du rock. Ce diable de Roy le chante à la clameur. Il bouffe son vieux monster tout cru, c’est la seule raison d’écouter ce bootleg pourri : on y retrouve Roy dans son meilleur rôle de Teenage Head. Ils enchaînent avec un «Slow Death» assez dévastateur, Roy fait du Roy pur et dur avec son call-ah-doctah, il sait de quoi il parle - Ah got a fevah - Si on est sensible à la grandeur des Groovies, on est bien servi avec ce medley. Il termine avec «Second Cousin», ce qui nous permet de comprendre l’un des traits majeurs de Roy Loney : il va toujours à l’essentiel. Lorsqu’il hiccuppe son Second Cousin, il le fait sur fond de pure Stonesy. Il fait grimper le cond de Second aussi bien que le fit Chris Bailey avec les Saints.

    Signé : Cazengler, Roy Lunette (de WC)

    Roy Loney. Disparu le 13 décembre 2019

    Roy Loney & The Phantom Movers. Out After Dark. Solid Smoke Records 1979

    Roy Loney & The Phantom Movers. Phantom Tracks. Solid Smoke Records 1980

    Roy Loney & The Phantom Movers. Contents Under Pressure. War Bride Records 1981

    Roy Loney. Rock And Roll Dance Party With Roy Loney. War Bride Records 1982

    Roy Loney. Fast & Loose. Lolita 1983

    Roy Loney & The Phantom Movers. The Scientific Bomb Away. AIM 1988

    Roy Loney & The Phantom Movers. Action Shots. Marilyn Records 1993

    Roy Loney & The Longshots. Full Grown Head. Shake The Record Label 1994

    Roy Loney & The Longshots. Kick Out The Hammmmons. Impossible Records 1995

    Roy Loney & The Longshots. Drunkard In The Think Tank. Career Records 2004

    Roy Loney & The Longshots. Shake It Or Leave It. Career Records 2007

    Roy Loney & Senor No. Got Me A Hot One. Bloody Hotsak 2009

    Roy Loney. A Hundred Miles An Hour 1978-1989. Raven Records 2009

     

    Monsieur Klein

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    Le Monsieur Klein portraituré par Fred Goodman dans son livre ne doit rien au Monsieur Klein de Joseph Losey qu’incarne si fastueusement Alain Delon à l’écran. Delon incarne un personnage de fiction alors que l’autre Monsieur Klein est bien réel. S’il fallait absolument trouver un autre point commun que l’homonymie, on pourrait souligner le caractère tragique des deux destins : suite à la rafle du Vel’ d’Hiv’, Alain Klein finit dans les camps, quant à Allen Klein, eh bien il finit par perdre ses deux principaux clients, les Beatles et les Stones.

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    Dans cette histoire, l’homme qu’il faut saluer, c’est Fred Goodman. Allen Klein - The Man Who Bailed Out The Beatles, Made The Stones And Transformed Rock & Roll n’est pas une monographie ordinaire, ou si vous préférez une simple contribution à la rock culture. Goodman s’y coltine les dossiers, il se perd dans les Sargasses procédurales pour tenter de nous donner une idée du génie affairiste d’Allen Klein, un homme qui traîne depuis des décennies l’une des pires réputations, notamment dans les mémoires de Derek Taylor. Goodman se plonge dans l’étude des mécanismes contractuels pour les mettre à notre portée. Il fait ce qu’on appelle dans les métiers de la communication de la vulgarisation. Le domaine de connaissances qu’il explore pour nous n’est pas celui du rock, mais celui des experts juridiques et des avocats d’affaires, et on finit par comprendre à quel point cet univers impitoyable et d’une si grande austérité a pu impacter et même dévorer le rock et tous ses principaux acteurs, à commencer par les artistes. Pas de Stones ni de Beatles sans contrats ni montages juridiques soigneusement conçus pour les arnaquer. L’ouvrage de Goodman est à cet égard le plus fouillé et le plus révélateur de tous. En comparaison, les autres auteurs concernés par cet aspect des choses semblent rester en surface. On pourrait citer les exemples de Tommy James (portait de Morris Levy dans Me The Mob And The Music), Mick Wall (portrait de Don Arden dans Mr Big) ou même Andrew Loog Oldham dans ses deux tomes autobiographiques, Stoned et Stoned2. Tous ces auteurs abordent l’aspect financier des choses, mais jamais aussi profondément que le fait Goodman.

    Allen Klein est un juif new-yorkais qui entre dans le business un peu par hasard, en rencontrant Don Kirshner qui au tout début des sixties, est une sorte de pape new-yorkais, puisqu’il possède Aldon Music et fait travailler la crème de la crème du Brill : Gerry Goffin & Carole King, Barry Mann & Cynthia Weil, Paul Simon, et Neil Sedeka. Don sympathise avec Allen et lui dit qu’il va faire de lui un millionnaire. Et pouf, c’est parti. Allen rencontre ensuite Marty Machat, un avocat spécialisé dans le showbiz et qui compte parmi ses clients les Four Seasons, James Brown, Phil Spector et Leonard Cohen. Allen demandera à Marty de superviser tous les aspects juridiques de son business.

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    Ah le business ! Goodman le décrit comme un véritable enfer. Allen Klein découvre très tôt que les artistes tirent la langue. Ils n’ont pas de blé. «On leur verse une avance qu’ils dépensent et les frais de studio sont inscrits à leur charge. Aussi sont-ils toujours endettés. Et ils sont toujours représentés par quelqu’un qui ne veut pas qu’on vienne fouiner dans les paperasses.» Puis Klein découvre que toute l’industrie du disque triche, surtout les gros labels, qui voient les presses comme des planches à billets, n’hésitant pas à fabriquer des disques en douce pour les vendre sans que les artistes en soient informés : bénéfice net, pas de royalties à verser. Ces pratiques choquent Allen. Il voit comment le label devient le propriétaire des droits et comment il s’arrange pour calculer le pourcentage de royalties le plus bas possible. Par conséquent, la plus grosse partie du blé que rapporte un hit tombe dans la poche du label. Une pluie d’or. Zorro Klein décide alors de voler dans les plumes des labels. Il va les terroriser et faire de cette spécialité une activité extrêmement lucrative, pour lui comme pour ses clients. À ce petit jeu, il sera le meilleur. Goodman dit d’Allen Klein qu’il fut le premier et le plus pointu des business managers dans l’univers du rock moderne. Il pouvait donc demander en retour les meilleures commissions et sa part du cake. Avant Klein, le colonel Parker fut le plus gros goinfre puisqu’il a fini par monter un partenariat à 50/50 avec Elvis. Après Klein, c’est David Geffen qui va battre tous les records, en devenant à la fois l’agent, l’éditeur et le label des artistes qu’il va manager.

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    Le destin extraordinaire d’Allen Klein s’articule en trois temps : une première époque qu’on peut qualifier de pré-chauffe, où il rencontre Morris Levy, Mickie Most et surtout Sam Cooke dont il va devenir l’agent. La deuxième époque s’illustre par la rencontre d’Andrew Loog Oldham qui lui propose de prendre en charge les affaires des Stones aux États-Unis. Et la troisième époque est le couronnement de sa carrière : l’aval de John Lennon pour sauver les Beatles de la banqueroute. Goodman est tellement bon, en tant qu’investigateur, qu’on vit littéralement tous ces rebondissements spectaculaires en direct, comme si on assistait à ces rendez-vous. Allen Klein entre en réunion comme un boxeur monte sur le ring. Il vient pour gagner. Par KO, si possible.

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    L’un de ses premiers challengers n’est autre que Morris Levy, le boss de Roulette affilié à la Mafia new-yorkaise et dont Tommy James brosse un portrait si redoutable dans son recueil de mémoires, Me The Mob And The Music. Se plaignant de ne recevoir que des clopinettes, Jimmy Bowen et Buddy Knox mandatent Klein pour aller auditionner la comptabilité de Morris Levy. Pas de problème. Mais Levy a du métier. À l’étude des comptes, Klein voit tout de suite que Levy doit du blé à Bowen et à Knox. Pas de problème. Levy propose d’étaler le paiement sur quatre ans. Klein dit non. Tout de suite. Levy répond tranquillement qu’il n’a pas le blé. Donc c’est ça ou rien. Klein apprend vite. Il comprend qu’il vaut mieux ça que rien. Première leçon : prendre ce qui peut être pris et ne pas demander la lune. Morris Levy et Klein resteront amis.

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    En 1961, Lloyd Price vient trouver Klein pour les mêmes raisons : ABC/Paramount lui doit du blé. Pas de problème. Klein va auditer les comptes d’ABC/Paramount et ramène 60 000 $ à Lloyd Price. Ils resteront eux aussi des amis de longue date. La réputation de Klein grandit et un beau jour Sam Cooke lui demande de devenir son manager. Problème. Klein répond qu’il n’a jamais managé personne. Sam lui répond qu’il n’était pas compositeur quand il a composé sa première chanson. Alors Klein accepte. C’est la rencontre de deux géants. On peut même parler de rencontre magique. Klein est fasciné par le charisme de Sam Cooke. En outre, la demande de Sam le flatte énormément. Klein commence par remettre son poulain à flot en allant auditer les comptes de RCA. Il ramène une montagne de blé à Sam qui est aux anges - C’est la première fois qu’il voyait autant d’argent, mais ce n’était pas dans son intention de me demander d’aller chercher du blé. Il fut charmé - Au plan artistique, Allen n’intervient que très peu, mais quand il entend la démo d’«A Change Is Gonna Come», il sent instinctivement que c’est un hit énorme et même universel. Pourtant, il se défend d’être expert en matière de musique. Mais comme Sam hésite, Allen insiste pour qu’il l’enregistre. Le succès que rencontre le hit conforte Allen dans l’idée qu’il faut y aller avec ses tripes, plutôt que de choisir la sécurité. The gut, comme le dit si bien Goodman.

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    Pour bien ferrer ses clients, Klein commence par leur demander si ça les intéresse de gagner un million de dollars. Il en propose même deux, via une signature chez RCA, à Brian Epstein qui refuse poliment, arguant de sa loyauté envers EMI. Pas de problème. Comme il est de passage à Londres et qu’il ne veut pas rentrer bredouille à New York, il se rabat sur une poissecaille plus modeste : il passe un coup de fil à Mickie Most et demande à le rencontrer. Pourquoi Mickie Most ? Parce qu’il est devenu la coqueluche du Swingin’ London et qu’il produit des gens comme Terry Reid, les Animals, Jeff Beck, Lulu, Donovan, les Yardbirds et les Herman’s Hermits. Klein lui propose de le recevoir dans sa suite au Grosvenor. Mickie Most arrive accompagné de Laurence Myers. Klein leur propose d’emblée de leur faire gagner un million de dollars. Comment ? En renégociant leurs contrats aux États-Unis. Most se dit qu’il n’a rien à perdre. Banco ! En sortant du rendez-vous, Most et Myers éclatent de rire. Un millions de dollars ! C’est pour l’époque une somme ridiculement élevée. Mais ils n’ont encore rien vu. Klein emmène Myers en rendez-vous chez EMI. Les responsables du label les reçoivent. Ce sont des gens de la vieille école. Courtois, l’Anglais commence toujours par proposer une tasse de thé :

    — Would you like a cup of tea ?

    Allen répond sèchement :

    — I dont’ want any tea !»

    Les vieilles barbes d’EMI sursautent.

    — Vous ne voulez vraiment pas de thé ?

    Allen leur répond :

    — C’est ce que je viens de vous dire.

    Puis il ajoute :

    — Mickie ne fera plus d’albums pour vous.

    Les vieilles barbes d’EMI semblent frappées de stupeur. L’une d’elles répond :

    — Mais il a un contrat.

    Allen rétorque :

    — C’est possible. Il faut voir ça. Mais Mickie ne fera plus d’albums pour vous.

    Pétrifiés, les vieilles barbes d’EMI ne savent plus quoi dire. Silence de mort. Allen voit qu’il les tient, alors il rigole :

    — Bon, maintenant, je veux bien une tasse de thé.

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    En fait Allen Klein apprend à ses clients à se protéger des gros labels. C’est simple : ils financent eux-mêmes la fabrication des disques et négocient une licence avec les gros labels pour la distribution. Tout le bénéfice de l’opération va dans la poche du client et non du gros label. Allen apprécie tellement Mickie qu’il conseille à RCA de l’engager comme producteur. Pourquoi pas produire Elvis ? Mickie décline car il sait qu’il n’est pas à la hauteur. Sam Cooke ? Il accepte, pend l’avion pour New York et apprend en arrivant que Sam vient de se faire buter. Il n’empêche de Mickie est ravi d’avoir rencontré Allen Klein. Laurence Myers voit même Allen Klein comme un génie. Il ne pouvait y avoir de meilleure combinaison que celle du talentueux Mickie Most avec the loud ingenious Yank from New York.

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    Fred Goodman profite de cette escapade londonienne pour évoquer Don Arden qui manage à l’époque les Small Faces. Il verse royalement à chacun des quatre Small Faces 20 livres par semaine, alors qu’ils paradent en tête des charts britanniques. Laurence Myers évoque aussi une réunion chez Don Arden. Peter Grant et lui sont venus le trouver dans son bureau pour réclamer le blé qu’il doit aux Animals. Ça gueule, Peter Grant tape du poing sur le bureau. On veut le blé ! Don Arden l’ignore superbement et s’adresse à Myers. Bon alors ? Myers le menace d’un procès. Arden se marre, il ouvre un tiroir rempli d’injonctions. Il se lève et vide le tiroir par la fenêtre. Bon et alors ? Silence de mort. Arden hausse soudain le ton : «Tirez-vous immédiatement de mon bureau ou je vous balance aussi par la fenêtre !» Les Animals ne verront jamais leur blé.

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    Goodman n’en finit plus de chanter les louanges d’Allen Klein : il le montre vociférant et toujours seul, volant au secours des artistes que l’industrie du disque infantilise pour mieux les plumer. Klein vient de la rue, il utilise un langage direct et sait s’imposer, grâce à des stratégies incroyablement audacieuses pour l’époque. Il va devenir l’expert du music-business le plus puissant, le plus redouté et le plus innovant de son temps. Le besoin frénétique de réussir ce qu’il entreprend lui donne des ailes et le rend invincible. Dans toute forme de relation, il devient dominant. Il déchiffre aussitôt les traits de caractère de ses interlocuteurs, il sait lire un visage et monter sur le champ un plan pour trouver une solution. Plus la situation est complexe et plus ça le stimule. Dès qu’il trouve une faille dans la comptabilité d’une maison de disques, il prend 50% de ce qu’il trouve et le verse à l’artiste. Il se pose aussi la question : pourquoi l’artiste doit-il entièrement dépendre du label ? Parce que c’est l’usage ? Il veut briser cet usage débile. Pour lui, ce qui est irremplaçable, ce n’est pas le label, mais l’artiste. Alors, il va faire comme Aguirre, il va se réclamer de la Colère de Dieu et frapper les profiteurs. Ses clients adorent le voir terroriser les gens des labels. Alors il en rajoute. Sur une carte de vœux qu’il envoie à ses amis et à ses associés, il écrit : «Alors que je marche à travers la vallée des ombres, je ne crains ni le diable ni la mort, car je suis le plus gros bâtard de la vallée.»

    Pour lui, tout doit rester très personnalisé, car dans ce business tout repose sur la personnalité. Si ses clients lui font confiance, c’est uniquement parce que tout repose sur sa personnalité et son carnet d’adresses. Allen va réussir. Pas de problème. Sam Cooke l’a vu. Mickie Most aussi. Allen est d’autant plus gonflé à bloc qu’il défend les intérêts de gens qu’on arnaque outrancièrement. Et quand les représentants des labels commencent à pleurnicher, ça le fait bicher. Allen est le Robin des Bois du music business. Il prend aux riches pour redistribuer aux pauvres. Perfide, Myers glisse qu’en fait il ne redistribue pas tout.

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    Abordons maintenant la deuxième époque. En 1965, Andrew Loog Oldham manage les Stones. Il n’a que 21 ans. Il veut renégocier les droits d’un hit de Bobby Womack, «It’s All Over Now». Ces droits appartiennent à Sam Cooke et son label SAR. Il prend rendez-vous au Hilton avec J.W. Alexander, le représentant de SAR. Quand il arrive, il voit Alexander, le seul black du restaurant accompagné d’un blanc. Alexander fait les présentations : «This is our business manager, Allen Klein.» Ce qui frappe le plus Allen, c’est l’assurance que montre ce blanc bec d’Andrew. Il faut savoir qu’Andrew Loog Oldham ne jure que par Phil Spector, pas seulement pour son génie productiviste, mais aussi pour son sens des affaires et sa connaissance du business. Andrew a beaucoup appris en fréquentant Phil - I had the opportunity to model myself after a perfect little hooligan - Phil est son Harvard, il lui enseigne à prendre le contrôle des artistes qu’il manage et à ne pas dépendre d’un label : il faut monter sa propre boîte de prod et conserver la propriété des enregistrements. Spector lui enseigne aussi la règle de base : Screw or be screwed, qu’on traduit en français par : ‘Baise-le autrement c’est lui qui va te baiser.’ C’est exactement ce que prône Allen Klein. Alors forcément, Andrew est ravi de rencontrer Allen. Ils sont de la même trempe. Andrew montre qu’il est prêt à mordre. Pour bien ferrer l’hameçon, Allen sort sa tirade préférée : «Alors Andrew, vous n’êtes pas encore millionnaire ?»

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    Il faut se souvenir qu’Andrew Loog Oldham fut un temps l’attaché de presse des Beatles à Londres, mais il ne parvint jamais à se lier à eux. Les Beatles étaient des purs working-class kids originaires de l’une des villes les plus dures d’Angleterre et s’ils débarquaient à Londres, c’était uniquement pour faire du business, pas pour copiner. Ils étaient les clients d’Andrew, rien de plus. Puis en 1963, Andrew découvre les early Stones au Crawdaddy Club. Il n’aime pas trop leur musique, mais il est frappé par le côté sexually driven de Jagger. Andrew s’improvise producteur pour sortir un premier single, le fatidique «Come On» de Chickah Chuck. En fait Andrew fait ce que fit Andy Warhol avec le Velvet : il laisse faire le groupe. Keef : «That was the genius I think of Andrew’s method of producing, to let us make the records.» Ian Stewart n’aime pas Andrew, mais il reconnaît que les Stones lui doivent tout, surtout leur image. Andrew va en effet en faire des bad boys. Leur succès va d’ailleurs venir plus de leur image que de leur musique. Et là, Goodman nous entraîne dans l’histoire des Stones, une histoire dont on ne se lasse décidément pas. Sur scène, Jagger imite des mimiques d’Andrew : rouler des hanches et rouler des yeux, porter des manteaux de fourrure et secouer abondamment les mains. Mais Andrew a déjà beaucoup d’avance puisqu’il prend modèle sur Phil Spector pour se livrer à tous les excès : costumes et bagnoles de luxe, speed et alcool, garde du corps et pratiques outrancières d’enfant terrible du show-business. Mais tous ces excès commencent à poser des problèmes à Keef & Mick. Un soir dans une chambre d’hôtel, Andrew fait le con avec un arme. Keef & Mick parviennent à le désarmer, lui collent une trempe et l’envoient se coucher. On sait aussi qu’Andrew n’aime pas Brian Jones. Il lui reproche essentiellement de ne s’intéresser qu’à sa petite personne. Et ça va se dégrader très vite : Brian découvre le LSD lors d’une tournée américaine. Il disparaît plusieurs jours et les autres doivent monter sur scène sans lui. Très vite, Keef & Mick en arrivent à la conclusion suivante : la vie des Stones serait bien plus agréable sans Brian Jones.

    Andrew demande à Allen de prendre en charge les intérêts des Stones aux États-Unis. Pas de problème. On commence par faire le ménage à Londres. Rendez-vous chez Decca avec Sir Edward. Allen impose aux Stones de fermer leur gueule. Pas un mot pendant la réunion. Vous restez assis et vous tirez des gueules d’empeignes. Ça, les Stones savent très bien le faire. Les collaborateurs de Sir Edward souhaitent voir Eric Easton, qui est leur interlocuteur habituel et co-manager des Stones avec Andrew. Pourquoi, demande Allen, il joue d’un instrument ? Silence de mort. Sir Edward demande : «Que voulez-vous ?» Allen le tient. Il demande à voir tous les papiers. «On est en 1965, ils sont sous contrat depuis 1963 et n’ont reçu aucun versement de royalties. Nous sommes lundi. Je reviens demain soir et je veux voir tous les papiers.» Decca propose de verser 300 000 $ d’avance sur les ventes à venir. Allen trouve la proposition insultante. Il finit par obtenir 600 000 $ pour un an de contrat. L’année suivante, Allen renégocie pour 700 000 $. Les Stones n’avaient jamais vu autant de blé de leur vie. Mais tout cela n’est rien en comparaison de ce qu’il fait pour eux aux États-Unis : il organise leur deuxième tournée et en fait des super stars : les Stones voyagent à bord d’un avion privé. On voit leurs affiches sur Sunset Boulevard. Marianne Faithfull ajoute que sans Allen, les Stones ne seraient restés rien d’autre qu’un petit groupe de rock anglais. Quand Brian Jones propose qu’Allen devienne le manager des Stones, Allen refuse. Il manage Oldham. C’est le contrat qu’il a passé avec les Stones et il s’y tient. Il sait aussi qu’il n’est pas qualifié pour ça. Il a l’oreille pour Sam Cooke, mais pas pour la musique des Stones. Au plan personnel, Allen aime bien Keef et respecte Charlie Watts. Mais il n’aime pas Bill Wyman qui passe son temps à se plaindre. Puis les Stones comprennent qu’ils n’ont plus besoin de publicité et surtout pas de cette réputation de bad boys qui commence à se retourner contre eux. C’est bien gentil de jouer les hors-la-loi, mais ça finit par devenir épuisant. Ils sont en quête d’une certaine forme de respectabilité. Andrew dit qu’on reçoit les Beatles chez le Premier Ministre. Pas de danger que ça arrive aux Stones.

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    Quand les stups débarquent à Redland et que les Stones sont arrêtés, Andrew flippe et se barre aux États-Unis. Il ne veut pas aller moisir au trou. Alors c’est Allen Klein qui vole au secours du groupe. Keef & Mick n’ont plus aucun respect pour Andrew qui s’est enfui. En 1967, Jagger finit par se débarrasser d’Andrew pour une autre raison : Andrew gagnait cinq fois plus de blé que lui. Jagger prend en main les affaires du groupe et, pour se débarrasser d’Allen, il engage le Prince Rupert Loewenstein comme conseiller financier. Un beau matin, Allen reçoit une lettre : ‘Nous n’avons plus besoin de vous.’ C’est signé des avocats représentant les Stones. Mais on ne se débarrasse pas d’Allen comme ça. En 1968, il rachète les parts d’Andrew dans le business des Stones et devient propriétaire de tous les hits qu’ont enregistré les Stones. C’est le plus beau coup d’Allen. En 1971, il ramasse 50% des royalties de tout ce que font les Stones. Goodman précise que c’est considérable. En fait, Andrew Loog Oldham va mettre un temps fou à accepter l’idée d’avoir vendu sa poule aux œufs d’or à Allen Klein. Ils continueront cependant d’entretenir tous les deux une relation intense, Klein veillant à maintenir l’équilibre entre l’amitié, le business et la bonne conduite, the fairness. Par contre Jagger ne parviendra jamais à accepter l’idée d’être condamné à rester le partenaire financier de Klein, même après avoir réussi à se débarrasser de lui. L’idée que Klein va continuer de palper 50 % des royalties des Stones le hante.

    Selon Goodman, Allen Klein n’est pas un manager financier, mais plutôt l’inventeur de flux financiers, à la fois pour lui et ses clients. Il fait par exemple travailler l’argent de ses clients déposés sur des comptes, pour éviter que les impôts n’en sucrent 90% : c’est l’argent des Stones, des Heman’s Hermits, de Bobby Vinton, des Kinks, des Animals et de Donovan. C’est sa façon de protéger leurs intérêts en générant du cash. Ça représente des millions de dollars qu’un broker fait travailler à Wall Street.

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    Troisième époque. Bon, maintenant qu’il a les Stones, il veut les Beatles. C’est une façon de se prouver à lui-même qu’il est le meilleur. Il part d’un principe tout bête : les Beatles sont les meilleurs et lui, Allen Klein, il est aussi le meilleur. Alors ça va devenir un obsession. Si Allen prend Donovan sous son aile c’est parce qu’il sait pertinemment qu’il est proche des Beatles. Ça n’est un secret pour personne, ni pour Mickie Most, ni pour Ray Davies : Allen veut les Beatles et il les aura. Comme le rappelle Derek Taylor dans As Time Goes By, les Beatles ne veulent pas entendre parler d’Allen. Trop mauvaise réputation. Mais Allen a plus d’un tour dans son sac. Il se pointe au Rock’n’Roll Circus que tournent les Stones en décembre 1968 dans le seul but de rencontrer John Lennon. En fait ça intrigue Lennon que les Stones aient encore plus de succès depuis qu’Allen Klein s’occupe d’eux. Très peu de gens ont la confiance des Beatles et Derek Taylor en fait partie. C’est lui qui conseille à Lennon de prendre Klein au téléphone. Le contact s’établit enfin et le 26 janvier 1969, Allen reçoit John et Yoko dans sa suite au Dorchester. Lennon est sur ses gardes, mais l’entrevue se passe bien, car Allen est comme lui, il vient de la rue et sait dire les choses in the face. Allen ne ressemble pas aux gens du business que Lennon a l’habitude de fréquenter. 1969, c’est aussi l’époque de la boutique Apple et du building Apple à Savile Row qui sont des gouffres financiers. Les Beatles veulent faire du mécénat, mais Lennon sait que ça doit d’abord rester du business. Tout le monde chez Apple tape dans la caisse. La boutique est pillée en quelques mois. Lennon dit qu’il faut donner un coup de balai. Il voit en Allen le sauveur des Beatles, le bulldozer dont il a besoin pour nettoyer le désastre d’Apple Corps. C’est encore une fois une rencontre qu’il faut qualifier d’historique et Fred Goodman dans l’infinie bonté de son génie d’écrivain nous fait assister à cette rencontre au sommet. À la fin de la réunion, Allen fait entrer une secrétaire qui attendait dans le couloir. Elle tape une lettre aux gens d’EMI et de NEMS les informant que John Lennon charge Allen Klein de représenter ses intérêts et leur enjoint de fournir l’aide et les documents nécessaires. Ça y est, Allen touche au but. Bon les Beatles sont quatre. George et Ringo suivent eux aussi Allen, mais pas McCartney qui veut voir son beau-père Lee Eastman veiller sur les intérêts des Beatles. Pour les trois autres c’est impensable. Ils n’aiment pas trop McCartney et l’idée que son clan supervise les finances des Beatles leur est intolérable. Quand en réunion Lee Eastman craque et insulte un Allen royal qui garde son calme, Lennon se régale. S’il est une chose que Lennon comprend bien, c’est le power. Il est comme Allen, il est le leader. Aussi est-ce impensable que le clan McCartney prenne le contrôle de l’empire financier des Beatles. Aux yeux de Lennon, c’est une hérésie. Il déteste encore plus voir Lee Eastman, avocat des grands peintres américains, se montrer condescendant envers lui, avec ses Picasso accrochés au mur et son blah blah sur Kafka. Et quand Eatsman se moque des manières d’Allen, Lennon comprend que le beau-père de McCartney n’est qu’un snob. Il le traite de fucking animal, il ne veut pas le voir dans les parages. Il préfère mille fois les souvenirs d’enfance d’Allen à l’orphelinat.

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    Allen va aussi se heurter au mépris de l’establishment britannique. Ses manières agressives et ses dirty polo shirts ne passent pas. Comme le fut Jerry Lee pour d’autres raisons, Allen est sauvagement attaqué dans la presse anglaise.

    Ce succès auprès des Beatles a une conséquence inattendue : à partir du moment où Allen prend en charge les intérêts des Beatles, les Stones le vivent mal. Ils ne veulent pas se voir encore une fois relégués en deuxième position. C’est d’après Goodman la raison principale de l’éviction d’Allen du camp des Stones.

    Allen découvre aussi très vite que McCartney a racheté en douce des parts des Beatles, ce qui le rend majoritaire dans le montage juridique. C’est le commencement de la fin pour les Beatles. Lennon avait annoncé en privé qu’il quitterait le groupe, mais c’est McCartney qui va être le premier à le quitter officiellement. Pas de problème. Allen s’en fout. Il a réussi à faire le ménage chez Apple et il a toute la confiance de Lennon. Les employés d’Apple haïssent ce fat bastard d’Américain. Allen gère aussi les carrières de George et Ringo. Il aide George à promouvoir All Things Must Pass, un George qui respire enfin car il avoue gentiment que John et Paul ne voulaient pas entendre parler de ses compos. Mais aux yeux d’Allen, le plus important c’est John Lennon qu’il admire profondément.

    Pour dissoudre le partenariat des Beatles, Lee Eastman réussit à convaincre McCartney d’intenter un procès aux trois autres. Êtes-vous sûr ? Et Eastman lui répond qu’il risque la banqueroute s’il ne casse pas ce partenariat. McCartney invoque quatre motifs : les Beatles ne sont plus un groupe, la présence de Klein est inacceptable, il craint pour sa liberté artistique et les comptes sont devenus opaques. C’est évidemment Klein qui est la cible de ce procès. L’ironie de la situation, c’est qu’Allen Klein a sauvé les Beatles de la banqueroute, y compris McCartney. Contre toute attente, McCartney gagne son procès, ce qui est une beautiful absurdité. La seule chose qu’on peut reprocher à Allen Klein, c’est d’avoir ramené sa réputation douteuse dans le monde protégé des Beatles, rien d’autre. Pour se consoler, Allen voit que John, George et Ringo lui conservent leur soutien. Et ils sont tous les trois plus furieux que jamais à l’égard de McCartney. Pour eux, la vengeance de McCartney est aussi inutile qu’absurde. Plus tard, McCartney dira aux journalistes qu’il n’est pas fier d’avoir gagné son procès contre Klein, mais selon lui, cela devait être fait. McCartney n’en finira plus de se voir comme le vainqueur d’un combat de titans.

    Le contrat que Klein a passé avec les trois Beatles est renouvelable chaque année et en 1973, il les perd tous les trois. John, George et Ringo ont évolué et sont passés à autre chose. Après cette catastrophe, l’IRS - l’équivalent américain du ministère des Finances - lui intente un procès en 1980 pour non-déclaration de revenus et l’envoie au trou pour deux mois. Allen purge sa peine sans faire d’histoires. En arrivant dans sa cellule, il s’exclame : «Enfin seul ! Enfin la paix !» Il aurait pu aussi déclarer comme Apollinaire : «En arrivant dans ma cellule/ Il a fallu me mettre nu/ En une voix sinistre hulule/ Guillaume qu’es-tu devenu.»

    Qu’on se rassure : Allen et John se retrouveront un peu plus tard. Ils seront amis pour de vrai. Goodman va loin puisqu’il affirme que Lennon fut le meilleur ami de Klein - The closest Allen Klein had ever come to a soulmate was John Lennon - Jusqu’au moment où un mec descend Lennon dans la rue, devant le Dakota, trois mois après qu’Allen sorte du trou.

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    En 1980, les gens savaient trois choses d’Allen Klein : il s’était fait virer par les Stones, par les Beatles et qu’il sortait de prison. Pas mal pour le champion du monde du showbiz. Allen redevenait un outcast, comme à ses débuts. Ses seuls clients étaient Phil Spector et Bobby Womack. Phil et lui avaient l’air de deux Napoléons déportés sur l’île d’Elbe. Pourtant, quand Allen se pointe aux cérémonies du Hall of Fame, les invités de marque grouillent à sa table : Bobby Womack, Lloyd Price, Andrew Loog Oldham et la famille de Sam Cooke. Mais Goodman prend soin de préciser le détail le plus important : Allen Klein ne fera jamais partie de la ‘famille’ du showbiz, étant donné qu’il fut pendant tout le temps de sa carrière un loup pour cette ‘famille’. Il aura toute sa vie combattu la convoitise des maisons de disques et tenté de préserver un tant soit peu l’intégrité artistique de ses clients. Forcément le business hait profondément Allen Klein. Pas de problème. C’est ce qu’attend Allen, fort de son éthique personnelle en matière de business. Parmi ses deux principaux ennemis, deux sont d’anciens clients : Jagger et McCartney. Ça veut dire ce que ça veut dire.

    Jusqu’à la fin de sa vie, Allen Klein va continuer de protéger ses artistes, notamment Bobby Womack et le pauvre Phil Spector, devenu la risée du showbiz.

    Signé : Cazengler, le Klinquant

    Fred Goodman. Allen Klein. The Man Who Bailed Out The Beatles, Made The Stones And Transformed Rock & Roll. Houghton Miffling Harcourt 2015

    GENE VINCENT AND THE BLUECAPS

    ROB FINNIS & BOB DUNHAM

    ( 1974 )

    ( On Calameo / c : alainmallaret )

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    Par chez nous, en France, la carrière de Gene Vincent aux Etats-Unis est beaucoup moins bien connue que ses années européennes. C'est pourtant là-bas que tout a commencé. Ce n'est pas tout à fait de notre faute, les américains eux-mêmes ne se sont guère intéressés à ce pionnier légendaire et capital. Dès 1974 Rob Finnis et Bob Dunham se sont acharnés à rétablir ce chaînon d'autant plus manquant qu'originel. Quand on compare cette modeste brochure, avec sa frappe serrée tapée à la machine à écrire, aux gros livres grands formats, sur papier glacé, agrémentés de photos couleurs qui tentent de répertorier les concerts d'Elvis il y a de quoi faire grise mine. Mais Rob Finnis et Bob Dunham se sont livrés à un travail de fourmis laborieuses. Ont récupéré toutes les interviews – en ont effectué une partie par leurs propres soins - qu'ils ont pu recueillir auprès de témoins directs et surtout des protagonistes de l'aventure in person ou dans d'anciennes coupures de presse. Certes depuis on les a souvent pillés et l'amateur vincenal ne manquera pas de remarquer bien des extraits lus en différents articles ou livres ultérieurs. Mais les voir compilées en un seul récit change les perspectives.

    LE KID

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    Gene l'a lui-même souvent répété, le succès est arrivé trop vite. Un gamin, qui du jour au lendemain se voit propulsé en haut de l'affiche, sans préparation, et même sans idée préconçue de ce qui pouvait arriver. Au mieux il s'attendait à un hit local dans les états du Sud. Ce ne fut pas le cas. Certes le gamin était doué, il suffisait d'entendre sa voix pour comprendre que l'on n'avait pas affaire à un amateur parmi tant d'autres. Carl Perkins de passage à Portmouth en fut convaincu dès qu'il l'entendit en première partie de son show. En fut enthousiasmé. Oui mais le rat des champs country avait tout pour reconnaître un frère dans cet urban rat. L'entente fut immédiate entre le paysan et le prolétaire.

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    Gene jeune n'avait pas la classe. Pas un chat de salon bien éduqué au poil luisant. Ressemblait un peu trop à ces griffus efflanqués qui hantent les rues et mangent un jour sur deux, des dents pourries, des vêtements pas très propres, un accent à couper au couteau, des réparties agressives pour cacher un fort sentiment de gêne lorsqu'il se sentait obligé de faire confiance à des gens qu'il ne connaissait pas et devant des situations qu'il se savait incapable de maîtriser. Ainsi Gene sera toujours très mal à l'aise avec les DJ's des radios locales qui l'interrogent pour promotionner les concerts, son accentuation reste un peu hermétique pour les auditeurs et devant l'insistance des animateurs Gene se cabre... Bientôt il refusera de se rendre aux interviews. Un fils de pauvre qui manquait de culture et d'aisance relationnelle. Tout pour perdre. Oui mais voilà, l'on se bat avec les armes que l'on a. Gene n'avait qu'une balle dans son fusil. Elle s'appelait Be Bop A Lula et il allait se révéler un tireur d'élite.

    DES AMATEURS

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    Par contre la logistique ne fut pas à la hauteur. Il est inutile de s'en prendre à ceux qui drivèrent l'aventure. C'est grâce à Sheriff Tex Davis que Gene fut appelé pour un essai qui s'avéra vite concluant chez Capitol. Une grand gueule le Sheriff, un jeune américain typique qui s'est fait lui-même grâce à la tchache, n'est-il pas disc-jockey à WCMS, et quand il fallut dare-dare partir en tournée, il s'imposa qu'il était le seul capable de s'improviser du jour au lendemain manager. Les cols-blancs des booking-tours firent vite le tour de la faconde de l'individu, eurent tôt fait de rédiger les contrats idoines à l'avantage de la firme qui les employait. Ne lui jetez pas la pierre vous qui ne prenez pas la peine de lire les petites lettres au bas desquelles vous signez en toutes confiance pour acheter un frigidaire...

    Capitol fut la poule qui décide de couver un œuf de cygne sauvage dont elle ne se souciera plus une fois éclos. La firme voulait une vedette capable de rivaliser avec Elvis Presley. Et voilà qu'ils avaient trouvé the voice ! Chez RCA aussi, mais une fois que l'on eut Elvis dans l'écurie, l'on chouchouta le pur-sang, l'on recruta un état-major pour s'occuper de la suite des opérations. Chez Capitol, puisque Ken Nelson avait trouvé le bébé on le lui laissa, sans ajouter un peu d'eau chaude pour le bain...

    IGNORANCE BONNE CONSEILLERE

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    L'amiral Nelson était bien embêté avec son nouveau bateau. L'avait pensé d'abord à changer l'équipage, l'avait prévu Owen Bradley, Harold Bradley et Russel Wilaford pour prendre la place des jeunes pirates qu'il supposait inexpérimentés, mais non, il s'avéra vite que Willie Williams, Cliff Gallup, Jack Neal et Dickie Harrel feraient amplement l'affaire. On avait les musiciens, il restait à les enregistrer. Ce ne fut pas une partie de plaisir. Les Blue Caps, ainsi se dénommeraient-ils, jouaient trop fort et crime de lèse-majesté dans ce studio plutôt exigu, la voix de Gene était inaudible. Il fallut tâtonner, séparer Gene des autres et écarter un tant soit peu les instrumentistes, les uns des autres. Pour un coup d'essai, la clarté sauvage de l'enregistrement de Be Pop A Lula fut un coup de maître.

    IGNORANCE MAUVAISE CONSEILLERE

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    Quelques mois plus tard les guys étaient sur la route lorqu'ils furent rappelés pour une nouvelle session d'enregistrements. Arrivèrent comme des cheveux sur la soupe qui n'avait pas été préparée. Le groupe ne possédait que des idées de titres, pas le temps de vraiment composer durant les concerts et les voyages harassants, quant à Capitol personne n'avait songé à pré-sélectionner quelques morceaux, fallut se débrouiller avec ce qu'ils avaient, mais ce n'était plus le même studio, celui-ci était bien trop grand conçu pour les big bands qui accompagnaient Franck Sinatra, les boys eurent le mauvais réflexe de se regrouper sur eux-mêmes tout à côté de Gene. La qualité sonore s'en ressentit. Quant aux ingénieurs à la console ils laissèrent défiler les bandes sans penser que le son se travaille... Pour les disques suivants ce ne fut guère mieux. Même une fois, lead, rythmique et basse furent branchées sur le même ampli. Bye-bye la clarté... Finnis et Dunham sont toutefois d'après moi un peu trop sévères sur la netteté sonique des cinq premiers trente-trois tours de Gene.

    BE BOP A LULA KID

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    Lorsqu'il fallut partir en tournée, les Blue Caps acceptèrent comme un seul homme. Pensez à l'enthousiasme de Dickie qui n'avait que quinze ans. Ce ne fut pas une partie de plaisir. Ce n'étaient pas des musiciens professionnels. Au bout de trois semaines, les tiraillements se firent sentir. L'est sûr que dans cette préhistoire du rock ce n'était pas encore le déploiement opérationnel des Rolling Stones ou de Led Zeppelin. Entassés dans une grosse voiture et vogue la galère. Après le show, hôtel de seconde zone. Beaucoup de monde dans les concerts. Les boys ont un répertoire teinté de country pour les endroits traditionnels et un autre résolument plus remuant pour les publics plus jeunes. Faut peu à peu remplacer les musiciens qui démissionnent. La palme revenant à Cliff Gallup qui s'ennuie de sa femme et qui plus tard déclarera qu'il préférait animer les mariages en jouant du country pépère près de la maison que de courir les routes à plusieurs milliers de kilomètres de chez lui. Pour un homme qui aura posé les bases de la guitare rock malgré l'admiration que je lui porte je n'ai jamais pu m'empêcher de penser que question attitude rock, c'était un peu limite...

    Il y a plus grave, le fait que Gene n'ait pas un big hit à mettre sur le marché, Capitol ne navigue pas à vue mais aux yeux fermés. L'aventure se termine un peu en queue de poisson. De toutes les manières Gene souffre énormément de sa jambe blessée. Retour à la maison. L'année 1956 se ferme bêtement sur les fêtes en famille...

    BE BOP BOOGIE BOY

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    Tout autre se serait découragé. Mais Gene prépare son retour. Ne s'agit pas de repartir sur la route sans nouveaux biscuits. Commence par recruter un nouvel équipage. Ne promet rien mais son nom attire le monde. Des jeunes, qui ont envie de s'amuser et de mettre le zbeul, savent que Gene n'a pas les fonds pour aligner la monnaie, mais ils viennent pour le fun. En plus Gene change la formule, il y aura à certaines périodes un piano, et surtout des clappers boys qui chantent et dansent à ses côtés. La fête s'étalera sur deux ans. La montée de Lotta Lovin' dans les charts aidera à la propagation de la rébellion rock. Car c'est ainsi que les prestations de Gene et de ses condisciples sont perçues. Too much. Too soon. Ce n'est pas un hasard si les amerloques ont passé sous silence les frasques rock'n'rollesques de Gene. Beaucoup de monde, filles en folie, sont à plusieurs reprises sauvés in extremis par la police des fans qui les déshabillent littéralement pour garder un souvenir de la mémorable soirée. Ambiance de fous. C'est un peu le turn-over chez les Blue Caps, jusqu'à D. J. Fontana, le batteur d'Elvis, qui assurera ses dates mais ne voudra pas continuer trouvant la pression trop délirante. Gene boit de plus en plus. Tout le monde l'admire. Tout le monde le déteste. Jouer avec lui est un honneur mais pas une sinécure. Il dit aux musiciens de se laisser aller, de se rouler par terre s'ils le veulent, mais il prend garde à être toujours au centre du tourbillon. Les clappers guignent vers une carrière solo... Les tensions s'accroissent d'autant plus qu'il paie avec de plus en plus de retard. En plus il emmène Darlene et son bébé dans la voiture. Jusqu'au matin où il a promis de les payer, mais il s'est enfui avec Darlene en Alaska... C'est la fin des Blue Caps, le livre s'arrête...

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    1959... ET APRES

    Gene restera huit mois en Alaska. Une absence qui lui sera fatale. Des petits rockers bien propres sur eux sont catapultés dans les médias... N'ayant plus de carte de travail américaine Gene ira au Japon, puis en Angleterre et en France, une nouvelle aventure commence. Rob Finnis et Bob Dunham sont excessivement sévères pour le dernier LP Crazy Times. Ils n'ont pas oublié la tournée en Australie avec Little Richard et Eddie Cochran qui participera aussi à A record date with Gene Vincent, un Eddie que les musiciens définissent comme un Blue Caps à part entière...

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    Gene est prêt à entamer sa seconde carrière. Mais le book rend justice à la première. Les témoignages sont formels et concordent, Gene et les Blue Caps furent ce qu'il y avait de plus excitant en matière de rock'n'roll en ces premières années américaines.

    Beaucoup de faits rapportés mais pratiquement pas d'analyse psychologique de la part des auteurs, ces gamins qui se retrouvent sans en être totalement conscients aux commandes d'un phénomène musical d'une ampleur sans précédent, pratiquement abandonnés à eux-mêmes, apprennent les amères douceurs de la vie à leurs dépens. Ils furent les jouets de pratiques industrieuses d'un showbiz avide de profits immédiats qui les pressa sans vergogne et puis les rejeta sans pitié... La vague retombée, toute une génération de ''petits'' rockers du Sud des Etats-Unis retourna non pas à l'hôtel des cœurs brisés mais très prosaïquement à leur boulot... Gene n'abandonna pas. La rage rock'n'roll l'habitait. Cet homme avait des capacités de reviviscences phénoménales. Se révéla être un capteur et un dispensateur d'énergie peu commune.

    Damie Chad.

     

    GENE VINCENT AND THE BLUE CAPS

    ( Collection Rock'n'roll Memories )

    (1979 )

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    Il est des êtres malfaisants que l'on retrouve partout. Par exemple Jacky Chalard qui dirige la collection Rock'n'roll Memories, bassiste de Dynastie Crisis, accompagnateur de Noël Deschamps, Ronnie Bird, Vince Taylor, fondateur du label Big Beat ( la crème du rockabilly ), des groupes français comme les Alligators et Jezebel lui doivent une fière chandelle, j'arrête la liste car elle est longue, vous avez aussi Alain Mallaret, Marc Alesina, Georges Collange et Philippe Fessard éminent guitariste d'Ervin Travis et des Ringtones qui ont fourni des photos. Aujourd'hui, connues et archi-connues, elles traînent partout sur internet, à l'époque fallait avoir le numéro 11 – 12 Spécial Gene Vincent de Big Beat pour en avoir un aussi beau florilège... Attention, à part la couverture, elles sont toutes en blanc et noir, même celles que l'on trouve en couleurs aujourd'hui.

    Pour ceux qui ne connaissent pas l'anglais, le texte reprend en partie les propos de Robert Finnis et de Bob Dunham de la brochure Gene Vincent And the Blue Caps chroniquée ci-dessus.

    Damie Chad.

    GENE VINCENT EUROPEAN TOUR

    ( Collection Rock'n'roll Memories )

    (1979 )

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    Ce coup-ci le texte est de Jacky Chalard. La suite des évènements que ne traitent pas Rob Finnis et Bob Dunham. Gene gagne l'Europe fin 1959. L' Angleterre où il est accueilli par les fans qui ne connaissent pas grand-chose de ses prestations scéniques, sinon par ses apparitions dans La Blonde et Moi et Hot Rod Gang qui dans les deux films ne sont pas données in extenso... Sa première apparition publique enthousiasme les fans qui n'avaient jamais vu ça. L'on a peu de documents sur ses deux Musicorama le 15 décembre à l'Olympia ( Paris ). S'est-il vraiment fait voler sa tenue de scène ( cuir ? daim ? ), ce qui est plus sûr c'est qu'il est accompagné par l'orchestre maison très variétoche, est-ce Jean-Jacques Debout qui aurait permis au jeune Johnny Hallyday d'assister aux répétitions et aux spectacles, à moins qu'il ne soit venu, selon ses dires, accompagné sa tante Hélène Mar,... quant à souscrire Gene aurait le soir même chanté dans un club avec Nancy Holloway ( Nino Ferrer à la basse ), dans son irremplaçable Gene Vincent Dieu du rock'n'roll, l'on sent que Jean-William Thoury n'en mettrait pas sa main au feu... L'anecdote me semble un peu trop calquée sur la légendaire soirée d'Elvis Presley meets Nancy Holloway in Paris...

    L'année soixante sera souveraine et catastrophique. Gene triomphe en Angleterre à tel point qu'Eddie Cochran décide de se rendre avec lui en la perfide Albion. Le 17 avril lui sera funeste... Gene Vincent ne s'en remettra jamais totalement, dans les années qui suivront, sa santé subira plusieurs alertes, la jambe blessée qui ne s'améliore pas, opération d'un kyste près du cerveau qui l'incapaciterait auditivement, malgré cela les tournées s'enchaînent, mais Gene a de plus en plus besoin de moments de repos, il ne s'écoute guère, c'est en cette période qu'il bâtit sa légende européenne. 1966 sera en demi-teinte, malgré la sortie de Bird Doggin' le succès s'éloigne. Une poignée de fans français décidés à le supporter à tout prix organisent une tournée sur le sol national. Ce ne sera pas une réussite, Jean-Claude Pognant fait ses armes de manager, un métier dans lequel il est difficile d'improviser, surtout que Gene n'est pas facile à canaliser. Trop d'alcool et de médicaments pour combattre la douleur à la jambe... Il reviendra en France en 1969, Gene n'est pas au mieux de sa forme, la tournée s'avère chaotique, il reste de belles images d'un concert au Golf-Drouot accompagné par les musiciens de Johnny Hallyday. En juin 1970 il revient en France, l'on affirme qu'à Saint-Etienne il donnera son meilleur concert après avoir ingurgité cinq litres de Martini... En septembre 1971 il essaie une dernière tournée en Angleterre qu'usé et affaibli il ne pourra pas mener jusqu'au bout, menacé de prison par un huissier pour non-paiement de pension alimentaire il s'enfuit en Amérique. Il se retrouve seul dans une maison entièrement vide, Marcia Avron sa dernière petite amie est partie en emportant les meubles et ses enfants. Gene sait qu'il a atteint le bout du chemin. C'est la fin, il meurt d'un ulcère à l'estomac provoqué par une trop grande ingestion d'alcool... Onze jours avant sa mort, alors qu'il est studio de la BBC Gene demande à ses musiciens de jouer Distant Drums, la ballade sera enregistrée sans répétition en une seule prise, la voix de Gene est splendide, le chant agonique du cygne noir :

    ''Then I must go

    Across the sea, so grey and wild''

    Nous reste cette voix si douce et si sauvage... Combien de temps l'entendrons-nous encore...

    Damie Chad.

     

    *

    La malédiction du caméléon calamiteux me poursuit. J'en avais fini avec ma chronique sur Gene Vincent ( voir au-dessus ) que Gilles Vignal me signale sur Calaméo la parution de BBM 33, un modeste – lui il emploie l'adjectif monumental – ouvrage de 258 pages consacrées à Carl Perkins, donc séance tenante lecture du pavé perkinien dont voici une rapide chronique. Comme par hasard, ce monument a été cornaqué par Alain Mallaret. Je rappelle que le premier numéro de Big Beat parut ( sur papier ) en mai 1969, c'était une production de la FARC ( Fédérations des Amateurs de Rock'n'roll et de Country 'n' western ). Je ne résiste pas au plaisir de donner les noms de cette équipe passionnée à qui le rock'n'roll doit une fière chandelle : Michel Thonney, Michel Grezes, Dominique Thura, Bernard Boyat, Philippe Bas-Raberin, Thierry Walter, Kurt Morh, Bruno Le Trividic, Pierre Penonne, Roll Chanty, George Collange, auxquels il faut ajouter Joël Vaizan, Marc Alésina, et Alain Mallaret.

    BIG BEAT MAGAZINE N° 33

    CARL PERKINS

    ( Décembre 2019 )

    L'ouvrage commence par une bio de Perkins réalisée par Jean-Pierre Hämmerli. Je ne vais pas me perdre dans les multiples détails doctement répertoriés, en voici un résumé succinct. Je vous recommande toutefois d'aller y voir par vous-même, superbement illustré et mis en page. Si vous ne connaissez pas Carl Perkins, c'est simple, Carl c'est Elvis Presley qui a réussi. Ne rêvez pas, n'a pas gagné davantage de millions de dollars que le Pelvis, non, pourtant lui aussi a commencé chez Sun, et l'a tout de suite composé quelques classiques du rock'n'roll, Elvis s'est dépêché d'enfiler ses chaussures de daim bleu qui lui allèrent comme un gant. C'est après que ça s'est gâté, un stupide accident de voiture qui sera responsable de la disparition de ses deux frères, conjugué à la baisse de l'intérêt envers sa personne d'un public versatile et à l'éloignement de Sam Phillips qui ayant cédé Elvis à RCA misait désormais toutes ses billes sur Jerry Lee Lewis. Une lente descente, alcool + pills ( contributions amicales de Johnny Cash ), et puis une carrière en dents de scie, très vite vénéré en Angleterre – les Beatles ont repris Everybody's trying to be may baby, Honey don't et Matchbox - et chez les amateurs de pure rock'n'roll, mais il bénéficiera surtout du respect de plusieurs générations de musiciens pour qui il est un des pères fondateurs du rock'n'roll... Aujourd'hui il est rare d'assister à un concert de rockabilly sans que n'apparaisse un morceau de Carl Perkins dans la set-list. Chanteur, guitariste remarquable, un homme d'une grande simplicité, celle des plus grands. Décède en 1998 d'un cancer de la gorge. Pas de mouvements de foules à sa mort... Le rock'n'roll n'est pas obligatoirement une musique spectaculaire. Celui de Perkins est facile à reconnaître, même dans ses moments les plus frénétiques, l'on peut y entendre en filigrane la rugueuse rumeur du blues.

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    Si l'on doit sérier d'un plus près l'originalité de Carl Perkins dans le club fermé des grands pionniers du rock'n'roll, c'est sa fidélité aux racines. Carl ne s'est jamais départi des sources country du rock'n'roll. Son style est en équilibre sur la ligne de crête qui sépare les tenants de la fidélité aux origines des essarteurs de nouvelles pistes évolutives. Il y a chez lui une authenticité que l'on retrouve peut-être chez le tout premier Elvis, encore que Presley misera en fin de compte sur le côté balladif du country alors que Carl y mêlera sans vergogne la pulsation du blues. Carl chante et gratte sans avoir jamais quitté l'époque de la grande indétermination musicale qui régnait entre country-western et country-blues. En ce sens l'on peut dire que Carl répondait davantage aux critères de Sam Phillips que l'Elvis. Maintenant la voix chaude d'Elvis était davantage plaisante à n'importe quelle oreille de n'importe quel coin des USA que celle de Carl timbrée very south. Quant aux guitares des Blue Caps de Gene Vincent et d'Eddie Cochran elles sont totalement émancipées d'un jeu roots, délibérément urbaines et électriques. Buddy Holly ne se départit jamais même dans ses rocks les plus authentiques qui sont aussi les plus rèches d'une certaine coulée harmonique qui préfigure ce que réaliseront plus tard les Beatles ( je parle d'avant Revolver ) l'ouverture du rock dans la pop. Jerry Lou et son pumpin' clavier sont à part. Ce diable de pèlerin survole toutes les influences. Peut-être parce que le piano est l'instrument roi de l'accompagnement s'adaptant parfaitement à toutes sortes de styles, et sans doute parce que Jerry Lou a trouvé le vecteur idéal du boogie-woogie qui vous transporte sur la rive du rock'n'roll depuis la virtuosité du ragtime. Notons que le ragtime est la musique noire qui doit le moins à la musique d'église. Ce n'est pas un hasard si au début du vingtième siècle des musiciens classiques comme Debussy et Ravel subirent des influences jazz dans leurs compositions, le jazz lui-même n'étant que la décomposition harmonique / désharmonique du ragtime initial qui lui même a été influencé par la musique classique allemande du dix-neuvième siècle. Quand un serpent ne se mord pas la queue, il avale sans trop de problème celles de ses voisins.

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    Question guitares le lecteur se rapportera à une des toutes dernières contributions de l'ouvrage, celle de Didier Delcour qui analyse les divers instruments qui sont passés entre les mains de Carl Perkins tout au long de sa carrière. Certes il ne jouait pas sur des brelles, mais enfin Didier Delcour en arrive à la conclusion que Carl n'était pas un fétichiste, pas de prédilection particulière pour une signature. C'est vrai que c'est l'occasion qui fait le larron, que l'argent venant Carl a pu s'acheter toutes sortes de bijoux... certaines marques lui ont fourni des modèles comptant sur sa réputation pour booster les ventes. Une paisible nature qui s'accommodait de ce qu'il avait entre les mains, il comptait sûrement davantage sur ses doigts et sur sa pâte personnelle que sur son appareil. Est-ce la guitare qui fait le guitariste, ou le guitariste qui fait la guitare ! En y réfléchissant c'est bien B.B. King qui avait trouvé la solution de l'œuf et de l'autruche en donnant à ses diverses guitares le même et sempiternel prénom.

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    Longue séquences photographies : la vie de Carl Perkins année par année. Attardez-vous sur les premières photos familiales : c'est un peu comme Les Raisins de la Colère de Steinbeck mais en pire. Né pas né avec une golden spoonfull dans la bouche : origine sous-prolétariat paysan. Stigmates de la misère sur les visages. En ces temps-là ceux qui semaient la misère récoltèrent le rock'n'roll ! Si Carl et Johnny Cash se sont si bien entendus c'est que dans leurs jeunesses ils avaient connu les mêmes vicissitudes.

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    Les photos des années 54 à 60 sont les plus émotionnantes, elles nous révèlent les débuts de Carl et avant tout une époque disparue à jamais, s'en dégage un air vieillot et suranné qui ne manque de charme mais cela nous renvoie avant tout à notre modernité qui dans soixante-dix ans paraîtra sans doute aussi dépassée et révolue que ces images d'antan. De même le défilé chronologique des clichés n'incite guère à l'optimisme, nous sommes des animaux soumis aux ravages du temps. Et même si nous mourons jeunes pour faire de beaux cadavres, nous n'en avons pas pour autant atteint la jeunesse athanatique des Dieux. Les photos se suivent, se ressemblent et ne se ressemblent pas. N'oubliez pas de cliquer lorsque cela vous est proposé, vous êtes illico renvoyé à d'autres sites, vidéos ou blogues qui traitent en profondeur des personnages ou apportent des précisions sur des institutions qui sont rapidement cités dans le commentaire sous les photos. Attention beaucoup de documents en langue anglaise. Ecrit ça passe, mais bonjour l'accentuation américaine, pas très positive, pour s'amuser avec un titre de Gene..

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    Faudrait les citer toutes ou aucune. Je n'en retiendrai que deux, épisodiques, celle de Carl enlaçant une Dolly Parton splendidement naturelle, et celle avec Johnny. Pas Cash – il n'en manque pas de lui – mais Hallyday. Une magnifique suite de portraits, des photos de fans – sont crédités en fin de volume - et même de l'album de la famille Perkins.

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    Cet ouvrage est à regarder et à méditer. Une réussite propice au rêve. Un très bel hommage aux chemins parcourus par un très grand pionnier du rock'n'roll.

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    Un excellent cadeau pour vos amis et vos ennemis. Ne les en privez pas, il est gratuit. Donc il n'a pas de prix.

    Damie Chad.