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  • CHRONIQUES DE POURPRE 703 : KR'TNT ! 703 : BARON FOUR / GRAHAM DEE / ROBERT PALMER / STEADYBOY RECORDS / EDDY GILES / EDDIE GAZEL AND THE FAMILY ECHOES / ROBERT PLANT / KRAMPOT / JEAN MICHELIN / GENE VINCENT+ CHAS HODGES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 703

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    25 / 09 / 2025

     

     

    BARON FOUR / GRAHAM DEE / ROBERT PALMER

    STEADYBOY RECORDS / EDDY GILES

    EDDIE GAZEL AND THE FAMILY ECHOES

    ROBERT PLANT / KRAMPOT / JEAN MICHELIN 

        GENE VINCENT +  CHAS HODGES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 703

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    L’avenir du rock

    - Red Barons

             Comme il se sent d’humeur badine, l’avenir du rock soumet une devinette à ses amis Boule et Bill. C’est l’heure de l’apéro et tous les coups sont permis :

             — Si vous trouvez la réponse, je paye la tournée. Si vous ne la trouvez pas, vous payez la tournée. D’accord ?

             Boule et Bill jettent sur l’avenir du rock un regard éminemment suspicieux.

             — Bon d’accord...

             — Qu’est-ce qui est noble et qui est quatre ? C’est enfantin...

             L’avenir du rock voit les trognes de Boule et Bill se rembrunir, leurs sourcils se froncer, on entendrait presque leurs méninges grincer, le spectacle qu’ils offrent est atroce.

             — Comment k’ta dit, nob’ et quoi ?

             — Qu’est-ce qui est noble et qui est quatre ?

             Les deux trognes se rembrunissent de plus belle et de grosses veines bleues affleurent sur leurs tempes. Jamais ils n’ont autant réfléchi de leur vie. Boule se jette à l’eau :

             — Les frères Dalton ?

             — Sont pas vraiment nobles...

             Bill vole au secours de Boule :

             — Les quat’ mousquetaires !

             — Tu brûles, Bill...

             Boule saute en l’air :

             — Les sept mercenaires !

             — T’en as trois en trop, Boule...

             — Les quat’ quat’ !

             — Les go quat’ go !

             — Les quat’ vérités !

             Fatigué par leur connerie, l’avenir du rock leur donne un indice :

             — C’est un groupe de rock...

             — Ah fallait l’dire plus tôt ! Les Quat’ Onoma !

             — Les Stray Quat’ !

             — Les Quat’ Stevens ?

             — Bon on arrête. C’était pourtant pas compliqué : Baron Four. Sont nobles et sont quatre.

             — Putain quelle arnaque ! Tu nous as encore bien roulé la gueule, avenir du froc !

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             Contrairement à ce qu’indique le titre, les Baron Four ne sont pas Red, ils sont quatre. Mais ils arrivent en piqué sur le Pig. C’est leur côté Red, tacatatacatac, ils mitraillent sec. C’est même pire que ça. Ils chauffent leur Merseybeat à blanc. Pour

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    des Red, c’est pas mal. No mercy for the Mersey ! Nobody beats les Barons à la course. T’es beaté au Beatwave. Tu ne peux pas rêver meilleure prévalence de la cohérence. T’es dans la quadrature du cercle. T’as dans les pattes la clavicule de Salomon. Tu touches la vérité du doigt. Tu veux du rock anglais ? Cours voir les Baron Four. Ou plutôt les Fab (Baron) Four. Car là t’as tout : le freakbeat, le bulldobeat, l’extrabeat, l’ultrabeat, le beat à l’air, les chœurs d’arrache, les claqués de clairette, les foldingueries, le no way back dont t’as toujours rêvé, l’énergie brute, les références, les racines, l’horizon, l’ambiance, t’es chez Ali Babeat, ça dégouline d’or du Rhin, ça ruisselle de son, ça secoue les colonnes du temple, ça joue simple mais in the face, ils te calent même un gros clin d’œil à Bo en plein cœur de set («I Can Tell»), un autre clin d’œil encore plus appuyé au Stones de December’s Children («She Said Yeah»), et t’as tout le reste du saint-frusquin, une véritable aubaine

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    d’inespérette, t’as l’impression qu’il pleut des hits tellement leurs cuts sont frais comme des gardons, tellement ça grouille de vie, tellement ces mecs ne friment pas, tellement ils incarnent le pur spirit du British Beat, l’originel, l’intouchable, le pur parmi les purs, et une fois du plus, tu vois le gouffre qui sépare les groupes anglais des groupes français, t’as une élégance, une aisance, une prestance naturelle qui n’existe pas ailleurs qu’en Angleterre, ne serait-ce que dans la diction, mais t’as tout le reste, les 5 mn pour se brancher, pas de connard qui accorde les grattes pendant une plombe, t’as tout de suite le tac tac de départ et bam !, ça part sur «Trying», le cut d’ouverture de balda d’Outlying, leur dernier album en date. Tu prends ça en pleine poire. Le petit mec à la basse et au chant s’appelle Mike Whittaker et vient des Vicars, qui, t’en souvient-il, sonnaient comme les Buzzcocks. Il est encadré par deux fiévreux guitar slingers, CK Smith et Joe Eakins. Eakins paraît encore très jeune, il est sapé freakbeat anglais et gratte sa Tele. Par contre CK Smith porte une

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    casquette de chantier, une veste et des lunettes à grosses montures, et c’est un real wild cat, il gratte ses plans à l’ancienne, le manche en l’air. Et derrière, t’as la réincarnation de Keith Moon, l’invulnérable Mole. Quand t’as un batteur comme

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    Mole derrière, tu ne crains plus ni le diable ni la mort. Mole pétarade en permanence. On l’avait vu à l’œuvre dans Galileo 7. Avec l’âge, ça ne s’arrange pas. Un jour, il finira par exploser sur scène, splassshhhh !, et chacun voudra récupérer un bout de chair ou un os pour en faire une relique, car Mole est le saint homme du rock anglais. Il partage son génie avec des tas de copains. Tous ses groupes sont des groupes devenus mythiques grâce à lui, à commencer par les Baron Four, les Embrooks, Galileo 7, les Mystreated, The Higher State et tous les autres. 

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             Silvaticus va tout seul sur l’île déserte. C’est quasiment un album de proto-punk. Tout est wild as fuck sur cet album, dès «It’s Alright» et sa belle énergie d’early British beat. Mole te bat ça à la vie à la mort, t’as toute l’énergie des early

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    Stones et des Pretties. Complètement foutraque ! Ils tapent dans Bo avec une cover protozozo d’«I Can Tell» Awite ! Ils sont furax ! Encore du foutraque pur avec «Certain Type Of Girl», ils te propulsent leur Certain Type au firmament de l’underground, le wouahhhh est digne de ceux que pousse Wild Billy Childish avec CTMF. Encore du wild attack avec «I Gotta Know». Les Barons sont les rois du wild attack, Mike Whittaker est un vrai protozozo. Ils attaquent leur B au «I Know» avec un kilo de killer incendiaire. Le foutraque règne en maître chez les rois du wild attack. Et pouf, voilà une fantastique dégelée de jingle jangle avec «I Don’t Mind». Tu crois rêver. Mon manège à moi, c’est toi Baron ! Mole bat «Walking Out» comme plâtre. Ça tape encore en plein dans l’œil du colimateur, woouuuahhh et un kilo de killer. Leur cover de «Wild Angel» explose de protozozotisme, ça gratte à deux grattes.

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             C’est Lois Tozer, la Moonette des Embrooks, qui te vend l’Outlying. Ça grouille de vie là-dessus, mais pas autant que sur scène, ce qui semble logique. Mole is on fire dès «Trying». Le son est plus clean que sur scène, mais t’assistes à de belles flambées de violence pop. Certains cuts sont traversés par des éclairs de beauté purpurine («Is This Real»). Tu vas de cut en cut, le nez au vent, au fil de cette petite pop anglaise qui a chaud au cul. T’as pas d’hit mais t’as le beurre et l’argent du beurre de Mole. Tu retrouves le fantastique «That Beat When You Walk» tapé dans le premier quart de set, un cut assez déterminé à vaincre et boum !, tu tombes aussitôt après sur le real deal du rock psyché, «Hypnotized». Pourquoi real deal ? Parce que digne du 13th Floor. Pur genius pop ! La B n’est pas en reste, t’as un «Never Feeling Blue» sacrément secoué du cocotier, ils te swinguent carrément les entrailles du psyché, et Joe Eakins claque sa belle clairette de Tele. Un dernier coup de génie pour la route avec «You Need Me», freakbeat de haut rang, ils te claquent de la niaque à la volée. Baron Four, amigo ! S’ils passent dans ton coin, arrange-toi pour pas les rater.

    Signé : Cazengler, Baron comme une queue de pelle

    The Baron Four. Beatwave 9. The Pig. Hastings (UK). 19 juillet 2025

    The Baron Four. Silvaticus. Get Hip Recordings 2017

    The Baron Four. Outlying. Soundflat Records 2024

     

     

    In Mod We Trust

     - Dee donc Graham !

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             Sur la pochette intérieure de Carnaby Street Soul West Coast Vibes, Richard Searle nous raconte l’histoire détaillée de Graham Dee qui est bien sûr inconnu du grand public. Par contre, Eddie Piller et Acid Jazz le connaissent bien, et l’aiment assez pour proposer deux compilations, la pré-citée et The Graham Dee Connection. On en reparle un peu plus loin. Dee nous dit Searle est né pendant la guerre, à Whitechapel, East London, sous les bombes allemandes, et comme bon nombre de kids de sa génération, il a vite décidé qu’il serait musicien. Il commence par le commencement, une petite guitare et des airs de skiffle, un dad compatissant et des concerts au pub. Il joue dans des embryons de groupes embryonnaires dont Searle s’amuse à citer les noms, histoire de nous faire bâiller aux corneilles, puis arrivent les premiers contacts intéressants, notamment Steve Marriott & The Moments. Dee nous dit Seale est session-man sur «What’cha Gonna Do About It». Puis il se met à composer, monte les Storytellers, et pouf, c’est parti. Il propose ses compos aux Fleur de Lys et à Sharon Tandy. C’est Frank Fenter, le mari/impressario de Sharon Tandy qui dirige l’antenne européenne d’Atlantic. Fenter propose à Dee un job d’A&R chez Atlantic. En 1968, Dee signe des groupes et les produit. En studio, il fait jouer toutes les pointures de l’époque, Big Jim Sullivan, Little Jimmy Page, Andy White, John Paul Jones. Dee frôle la gloire avec le «Two Can Make It Together» de Tony & Tandy. Il fréquente tout le gratin dauphinois en devenir : David Bowie, Elkie Brooks, Mike Berry, il joue aussi pas mal sur scène, accompagnant les Walker Brothers, Carl Perkins, les Drifters et allant même jusqu’à remplacer le Syd Barrett absent du Floyd.

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             À la fin des sixties, Dee nous dit Searle devient bizarre. Il joue avec un flingue dans le studio et tire des balles à blanc. L’ingé-son lui demande d’arrêter, car ça abîme les micros. Alors il achète un arc et tire des flèches dans les meubles, mais l’arc est trop puissant. Il perce un radiateur et tout le monde à la trouille. En 1971, Dee nous dit Searle émigre au Wyoming pour s’amuser avec son nouveau Colt. Il zigzague un peu à travers les USA et débarque à Macon, Georgie, où est installé Frank Fenton. Il grenouille un moment avec les Allman Brothers Band. Roger Hawkins lui suggère de traverser la frontière de l’état pour descendre à Muscle Shoals, ce que fait Dee puis il compose pour Prince Phillip Mitchell. Il reprend ensuite la route vers l’Ouest, se bagarre avec des Navajos et finit par perdre son passeport et sa guitare. Il rentre à Londres composer «Sea Music» avec Gerry Shury puis il repart au Japon et aux Philippines. Il revient à Londres enregistrer «Sampaguita» et repart aussi sec à Los Angeles. Dee a la bougeotte. Il ne fait rien pendant les années 80, mais dans les années 90, il retourne au Japon apprendre l’art du sabre japonais. C’est Acid Jazz qui commence à déterrer ses légendaires productions via la série Rare Mod. «This album, nous dit Searle, is our tribute to an eccentric, a charmer, an unsung sixties hero... who still has soul.» Dee nous dit Searle est maintenant un vieux crabe entré dans ses seventies. Il rejoue sur scène avec les Fleur de Lys & Sharon Tandy, et compose à nouveau.

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             Pour savourer le génie de Graham Dee, il est fortement recommandé d’aller fourrer son nez dans les deux compiles pré-citées : Carnaby Street Soul West Coast Vibes et The Graham Dee Connection. C’est du pur jus d’Acid Jazz. Graham Dee a produit pas mal de groupes et c’est une véritable caverne d’Ali Baba qu’Acid Jazz met à notre portée. Le point fort de Carnaby Street Soul West Coast Vibes est l’«It’s A Hard Way But It’s My Way» de Razor, un fabuleux shoot de Dee-gaga. «Sampaguita» sonne comme de la petite exotica de London town. L’«A Love I Believe In» de Maxine est bizarrement co-écrit avec Donnie Elbert. C’est tout de même incroyable de croiser ici le nom de Donnie Elbert ! Graham Dee produit aussi Mike Berry. Quant à sa «Carrie», elle est tellement bourrée d’harmonies vocales qu’elle ne peut que plaire à Eddie Piller. En fait, les cuts de la compile reflètent surtout la grande habileté sélective d’Acid Jazz. Le «Tomorrow’s Children» de Tony Rivers est quasi californien. Voilà donc la magie du grand Dee : recréer les harmonies vocales de la légende dorée.

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             Mais c’est surtout avec The Graham Dee Connection qu’on tombe de sa chaise, et ce dès l’effarant «Two Can Make It Together» de Tony & Tandy, c’est-à-dire Dave Anthony & Sharon Tandy. Pur génie productiviste. Vraiment digne des géants de la prod américaine, ça explose en mode duo dévastateur avec des orchestrations ultra dynamiques signées Gerry Shury. Impossible d’espérer mieux. Compo + duo d’enfer + prod + swingin’ London, c’est l’équation magique de Graham Dee. On retrouve en B le Gerry Shury Orchestra pour cet instro vertigineux qu’est «Sea Music». On retrouve aussi Sharon Tandy avec les Fleur de Lys sur «Love Them All». C’est l’une des meilleures conjonctions de London Town : Sharon la douce + les Wild Fleur de Lys. Autre bombe : Lenny White et «Friday Night», pur jus de r’n’b de Mod club scene. On vendrait encore son père et sa mère pour Tony Rivers & The Castaways et la sunshine pop d’«Out Of This World». On reste au niveau supérieur de la Mod club scene avec Maxine et son «Who Belongs To You». Dennis Lotis est plus américain avec son «Celebration», c’est très pro, extraordinairement orchestré, une aubaine pour des oreilles qui n’en demandaient pas tant.

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             Graham Dee a enregistré trois albums solo. Le premier date de 1977, sort sur Pye et s’appelle Make The Most Of Every Moment. On y trouve deux Beautiful Songs : «If You Feel The Way That I Do» et «Slow Down». Dee en devient quasi-américain. On croirait entendre Jimmy Webb. «Slow Down» marque un fantastique retour aux sources chaudes du Beautiful Songwriting. Alors que d’autres adorent se lover dans le giron de la Gironde, l’ami Dee préfère se lover dans le giron d’une chanson douce et belle. Sur le reste de l’album il fait de la Dee pop, bien groovy, jamais éloignée de l’exotica urbaine de Steely Dan. C’est encore dans le Brazil qu’il excelle, comme le montre «Too Good To Last», pur jus d’Acid Jazz. Graham Dee convoite un univers, comme le montre encore «Stepping Out In Style», plus rétro. Il semble conduire le convoi dans les dunes du temps passé. Puis avec «We Spoke Of Love», il entre en résonance avec la persistance persique.

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             Sur la pochette de Something Else, l’ami Dee pilote une voiture de course. Sorti sur Pye, l’album date de 1978. Dès les premiers cuts, il nous plonge dans son pré carré, qui est le groove, mais un groove très soft, très beau, très dirigé, une Soul de rêve, mais blanche. Il en pince aussi pour l’exotica, comme on le voit avec «Love Where Are You Now». Il flirte avec les îles, c’est le son qui l’attire et il rehausse tout ça d’un beau solo de sax. Le hit de l’album s’appelle «As Long As I’m Close To You», il t’emmène dans son monde, un monde de groove de close to you, le groove des jours heureux, avec à la clé un solo jazz de sax. Tout aussi fantastiquement amené, voici «Couldn’t Believe My Eyes», une Soul de pop qui n’en croit pas ses yeux. L’ami Dee fait encore son petit numéro avec «Starlight Starlight», on perd le Mod mais on gagne du groove. Son «Another Night Alone» est très adulte. On sent qu’il est barré dans son trip, comme le montre encore le morceau titre de fin de parcours, c’est très loin de tout, sa pop de Soul redouble de finesse avec l’arrivée du timpani, il fait de l’Acid Jazz, c’est du groove de racines vivantes.

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             Et puis voilà cet énorme album qu’est The Thirteenth Man. Retour à l’exotica avec «Duckin ‘N’ Divin». L’ami Dee adore les tropiques, les maracas et Coconut Beach. Son exotica reste over the tip top - Never give up and I’ll never go down - On se sent bien en compagnie de l’ami Dee et de son exotica de never go down. Sur les autres cuts, il navigue en eaux claires, à la façon de Steely Dan, avec une voix très anglaise. Dee dit bien les choses et il a des chœurs de rêve. «Distracted» est un fabuleux shoot de slow groove à la Dee, ça dérive au long cours, de manière élégante, ça va de soi, l’ami Dee cherche en permanence un passage vers le paradis, distracted by your love. S’il fait du glam avec «Dark Night», c’est juste pour frapper les imaginations. Cette fois, il va chercher une diction et un groove de basse américains. L’ami Dee est un finaliste, il va toujours au bout des choses. Son «Cheatin’ On Love» est en fait du cheatin’ on me, du pur jus de satin jaune. Il redevient le temps d’un cut le roi du groove, il tape là une Philly Soul à la voix éreintée, son groove sort de la cuisse d’on ne sait qui, pas de Jupiter, mais d’un autre. L’ami Dee dégouline de ce talent rare en Angleterre qui est celui de la Soul blanche inspirée de Gamble & Huff. Retour à l’exotica de brazil avec «Notice Me Notice You». C’est son dada, il groove à l’excellence patentée, à l’esprit de rêve humide - I know it’s you/ You know it’s me - Toujours la même histoire. Il termine ce beau voyage avec «(All I Wanna Say Is) What About Me», encore un extrait de fine fleur du groove, il navigue pour toi, alors laisse-le faire. Il est blanc, mais il groove comme le plus beau des blacks, il y a du Leroy Hutson en lui.

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             En 2025, Eddie Piller sort un nouveau Graham Dee, Mr Super Cool, et signe les liners, au dos - Graham Dee had something of a charming life - Eddie rappelle que Graham Dee grattait ses poux derrière les early Small Faces, puis il fut repéré par Frank Fenter, l’A&R Atlantic pour l’Angleterre, qui le fit bosser pour Sharon Tandy, les Fleur De Lys et Mike Berry - He developped a unique ‘British Soul’ sound - En 1971, il s’installe brièvement aux États-Unis et bosse avec Prince Philip Mitchell. Et voilà que, comme dit Eddie, the story got weird : en 2019, Graham Dee entre en contact avec Eddie pour lui proposer l’acetate d’un album qui n’est jamais sorti. Eddie dit à Dee qu’on ne peut rien en faire : trop abîmé - And this is where it gets really weird - Coup de pot, un mec retrouve les master tapes dans la maison abandonnée d’un certain Gerry Shury, disparu en 1978, qui fut arrangeur et compositeur. La maison était complètement vide, il ne restait que 15 master tapes dans une back bedroom. L’agent immobilier qui les trouve les propose à un record dealer qui fait des recherches et ses recherches le conduisent à Eddie - Would I be interested in some of Graham’s tapes? - Well I was. Forcément, Eddie voit Mr Super Cool comme le Graal. C’est un album de groove urbain, le morceau titre est assez imparable, Dee sonne comme un dandy super cool. Et t’as un beau final cuivré de frais. Puis ça vire petite pop, bien fraîche et bien née, accueillie à bras ouverts. On pourrait presque la qualifier de coup de Syd au pays des merveilles. C’est une pop qui va bien, qui est en bonne santé, mais ce n’est pas l’album du siècle. En B, il revient au groove urbain avec «Answer Man». Ça lui va comme un gant. Il a en plus les violons de Marvin. Graham Dee s’amuse bien, il en a les moyens. Il regagne la sortie avec l’heavy funk de «So Much I Want You». Fantastique allure ! 

    Signé : Cazengler, Graham Dit tout

    Graham Dee. Make The Most Of Every Moment. Pye Records 1977 

    Graham Dee. Something Else. Pye Records 1978

    Graham Dee. The Thirteenth Man. Tin-kan Records 2014

    Graham Dee. Carnaby Street Soul West Coast Vibes. Acid Jazz 2020

    Graham Dee. Mr Super Cool. Acid Jazz 2025

    The Graham Dee Connection. Acid Jazz 2011

     

     

    Wizards & True Stars

    - Palmer qu’on voit danser le long des golfes clairs

    (Part Two)

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             En 1995, c’est-à-dire au siècle dernier, Robert Palmer publiait l’un des grands classiques de la rock culture : Rock & Roll: An Unruly History. Voilà encore un ouvrage qu’il faut bien qualifier de fondamental. C’est l’œil américain qui parle. Palmer a vécu l’émergence de la rock culture de l’intérieur, c’est-à-dire de l’Arkansas où il a grandi, et ça donne l’un des meilleurs panoramas jamais imaginés. C’est sans doute parce qu’il est fan de blues et de jazz qu’il rend hommage aux vrais pionniers de la rock culture : Bo Diddley, Sam Phillips, Alan Freed, le Velvet, Little Richard, et il rétablit des vérités élémentaires en consacrant des pages hallucinantes de vénération véracitaire à Pat Hare, Guitar Slim, Gatemouth Brown, Ike Turner, Lowman Pauling (Five Royales) et Tarheel Slim. Il consacre aussi un chapitre explosif aux funksters : James Brown, Bootsy Collins, George Clinton, puis il revient aux blancs en passant par le Cleveland des early seventies (Ubu, Peter Laughner), le rockab et les Dolls. Ça s’appelle trier sur le volet.

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             On savait Palmer exigeant. S’il consacre un ouvrage au blues, il ne citera pas B.B. King ni aucun bluesman de Chicago, il va leur préférer Junior Kimbrough et T Model Ford. Les ruraux. Cette histoire du rock est donc l’une de celles qu’il faut lire, car on y croise tous les gens qu’on aime bien, ceux déjà cités et beaucoup d’autres.

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             Le book tient bien en main, c’est un grand format quasi-carré, imprimé sur un solide satimat, allez on va dire un 170 g, richement illustré, et soigné quant aux choix typo (Minion pour le corps de texte, Franklin Gothic pour la titraille). Quant à la mise en page, quelle embellie ! Le designer n’a pas lésiné sur le barouf graphique des têtes de chapitre et sur ces larges colonnes de blanc qui aèrent si bien la lecture. C’est un livre d’art majeur. Au propre comme au figuré.

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             Petite cerise sur le gâtö : Palmer écrit remarquablement bien, mais ça, on le savait déjà depuis Deep Blues et Blues & Chaos: The Music Writing Of Robert Palmer, deux ouvrages essentiels épluchés dans des Parts précédents. Palmer injecte du swing dans sa prose. Quand il veut définir la pop et le rock’n’roll, il commence par rappeler que la pop music est la musique qui devient populaire. Mais le rock’n’roll va plus loin - rock and roll is not what’s just popular, nor it is the sum of its own tradition - Il précise sa pensée, le rock and roll nous dit «something fundamental about the music it describes: The music wants to rock you.» Il va développer cette idée sur 300 pages d’une densité effarante. Ça vaut vraiment la peine d’apprendre à lire l’anglais pour pouvoir se taper ce book. Si on raisonne à l’envers, on peut aussi dire qu’il vaut mieux écouter Bo Diddley en ayant lu Robert Palmer. On sait à l’écoute que Bo est un génie, mais Palmer décrit la nature de ce génie : «Bo Diddley a adapté les children’s game songs et l’oral street culture, comme par exemple l’échange rituel d’insultes connu sous le nom the dozens pour en faire un humorous wordplay et il créa un larger-than-life personna. La plupart des albums de Bo Diddley, depuis Bo Diddley et I’m A Man (1955) jusqu’à Say Man et Who Do You Love chroniquent les aventures de Bo Diddley superhero. Jouant avec sa own seasoned rhythm section, il a ramené les traditional African-derived rhythms into rock and roll.» Palmer rend au passage un hommage au «deep-voiced sparring partner» et maracas player Jerome Green. Voilà comment Palmer résume en quelques phrases l’art d’un des géants de la rock culture. Il indique aussi qu’une des influences de Bo fut le «Boogie Chillen» de John Lee Hooker, «a hard-rocking stomp with a chant-like melody, no chord change, heavily amplified guitar and shoot-like percussion provided by Hooker’s stomping feet.» Encore une façon de définir le rock.  

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             La grande force de Palmer est de s’intéresser à ceux qu’on appelle les unsung heroes du rock : Billy Lee Riley, Charlie Feathers, Mickey & Sylvia, Don & Dewey, Frankie Lymon & The Teenagers, les Collins Kids, et d’autres dont on a encore jamais entendu parler : the jiving Turbans, les El Dorados, les Moonglows and the rougher Cadillacs. Il reste encore des tas de pistes à creuser. Et Palmer n’en finit plus de rappeler à quel point le rock’n’roll était, à l’époque de son émergence dans la culture américaine, «a music with a future». Ce qu’elle est restée, comme nous le rappelle ici-même chaque semaine l’avenir du rock. La modernité est l’essence même du (bon) rock.

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             Palmer s’enivre de la multitude de belles voix qui ont enchanté les fifties et les early sixties : Sam Cooke, Jackie Wilson, Jesse Belvin, Marv Johnson, les Falcons ou encore Hank Ballard & The Midnighters, et dans la page d’en face, il tombe à genoux devant Totor - a Leiber & Stoller protégé - et ses works of art qu’il qualifiait lui-même de «little symphonies for the kids». Et paf, il cite les Ronettes, les Crystals, Darlene Love, the Righteous Brothers et Bob B. Soxx & the Blue Jeans. Totor choisissait des black singers with gospel roots. Brian Wilson est subjugué par ces «little symphonies for the kids» : non seulement il dit les entendre, mais il dit les envier. Et hop, Palmer bascule habilement dans la surf culture, d’abord avec Dick Dale - Dale’s guitar playing was fast, twangy and metallic, with long-lined Middle Eastern melodies slithering along atop shimmering Spanish-inflected chording, punctuated by slamming slides up the neck - Palmer peut rentrer dans la technique, car il est musicien de jazz et il sait de quoi il parle. Dans ses textes consacrés à Joujouka, il décrit bien les particularismes du rythme nord-africain, en établissant un lien avec l’Antiquité et la pratique des religions antiques. Les master musicians of Joujouka célèbrent encore aujourd’hui le culte du dieu Pan. Pas de dieu Pan en Californie, mais deux autres dieux plus récents : Dick Dale et Brian Wilson. Un Brian Wilson qui est tellement fasciné par Totor qu’il va utiliser les mêmes musiciens : le Wrecking Crew - Wilson creates ever-more-elaborate settings for his sagas of surf and sun. Like Spector, like Leiber & Stoller, he didn’t wrire songs, he wrote records

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             Palmer passe aussi sec à un autre géant : Uncle Sam. À l’époque de la guerre froide, Uncle Sam trouvait que le pouvoir américain traitait mal Fidel Castro. Alors un soir, il décide de l’appeler au téléphone et il tombe sur Raul, le frère de Fidel pour lui dire : «Raul, they just didn’t treat you folks right up there in New York. You tell Fidel the next time he comes to the United States, he can come to Memphis, Tennessee, and stay with Sam C. Phillips. And maybe we can straighten this thing out.» Fantastique Uncle Sam et surtout fantastique Palmer qui est allé chercher cette anecdote pour bien définir le degré d’indépendance d’esprit d’Uncle Sam. Il n’acceptait pas qu’on traite mal Fidel de la même façon qu’il n’acceptait pas qu’on traite mal les blackos, et c’est la raison pour laquelle il les accueillait dans son petit studio. Palmer veut dire que la modernité du rock passe aussi par l’indépendance d’esprit. Fuck it ! On fait comme il nous plait. C’est exactement ce qu’Uncle Sam a fait. À son idée. Sans lui, nous n’aurions pas tout ce que nous avons aujourd’hui. Wolf, Elvis et Ike Turner ne seraient jamais devenus des superstars. Uncle Sam : «We were all beginners, just beginners, and we were making history.» Il est persuadé que le rock a donné aux gosses une «individualité». Il est convaincu que le rock’n’roll a changé l’Amérique - which was for the better, I don’t give a damn what anydody says - Fuck le qu’en-dira-t-on ! Palmer rattrape la balle au bond : «Rock was our religion. But what kind of religion was it?»

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             Il répond aussi sec : «Les Grecs anciens ont inclus le dualisme philosophique dans leur hiérarchie de dieux et de mythes, identifiant deux courants de forces spirituelles qui incarnaient deux tendances de base dans la société et la culture : the ‘balanced, rational’ Apollo, et the ‘intoxicated, irrational’ Dionysus. Le culte de Dionysos fait partie des plus anciens, avec des racines dans l’encore plus ancien culte pré-aryen de Shiva. On a donné des surnoms à Shiva et Dionysos. Shiva was the Howler, the Noisy One, the Ithyphallic (god with a hard-on), or Skanda, literally ‘the jet of sperm’.» Sex & drugs & rock’n’roll. Tout devient clair. Il harangue encore son lecteur un peu plus loin : «As rockers, we are heirs to one of our civilisation’s richest, most time-honored spiritual traditions.» Il fait un saut de ligne pour ajouter ça qui sonne comme un dicton : «We must never forget our glorious Dionysian heritage.» La messe est dite. C’est un peu comme si tu choisissais entre Dieu et le diable. Le choix est vite fait. Et alors que tu navigues au gré de ces pages en frisant l’overdose intellectuelle, Palmer t’injecte une nouvelle dose de mythe pur, en citant Hakim Bey, «a self-described poetic terrorist» : «Au fil du temps, les concerts de rock allaient devenir ce qu’Hakim Bey appelle des ‘Temporary autonomous zones’. Une TAZ est une zone de liberté, une sorte d’anarchie fonctionnelle qui existe à l’intérieur d’une culture mainstream plus ou moins répressive. Une tournée rock is a portable TAZ, creating a temporary Dionysian community in a different location night after night.»

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             Palmer revient longuement sur la spécificité du studio Sun et notamment son plafond. Uncle Sam y avait installé des tuiles ondulées qui maximalisaient la qualité du son. Il avait aussi imaginé un système entièrement original de slap-back tape echo : le signal rentrait dans une tape machine puis dans une deuxième tape machine with an infinitesimal delay. Uncle Sam avait en plus l’oreille : il savait équilibrer les instruments et les voix, et faisait en sorte de donner à ses artistes «the influence... to be free in their expression.» Palmer parle ici d’un «customary live sound».

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             C’est aussi Uncle Sam qui découvre Willie Johnson, le wild guitariste de Wolf et ses «slashing rhythm licks and jazzy fill-in runs», qui bien avant tous les petits culs blancs, savait foutre son ampli à fond pour le faire craquer, «slamming out dense and distorded power chords.» Et Palmer exulte, il voit «Johnson’s slamming power chords crashing like thunder», et il cite Wolf qui, en pleine session chez Sun («House Rockers»), «catapulted Johnson into his guitar solo by hollering, ‘Play that guitar, Willie Johnson, till it smoke... blow your top, blow your top, blow your TOP!» (L’harangue rappelle celle de Captain Beefheart quand, dans «Big Eye Beans From Venus, il lance : «Mister Zoot Horn Rollo, hit that long lunar note and let it float»). Les Sun Sessions de Wolf font partie de ce qui s’est fait de mieux en matière de rock. Et quand Uncle Sam enregistre Wolf, il n’a pas encore de label, alors il cède ses enregistrements sous licence à Chess, et comme Leonard le Renard voit en Wolf un jackpot, il le barbote à Uncle Sam - For Phillips, losing Jackie Breston and Wolf to Chess, and Rosco Gordon and B.B. King to Modern/RPM, was devastating - C’est là qu’Uncle Sam décide de monter un label, alors qu’il ne roule pas sur l’or. Son premier label s’appelle Phillips Records, un seul single : «Boogie In The Park», «one of the loudest, most overdriven and distorded guitar stomp ever recorded», «by Memphis one-man-band Joe Hill Louis».  Et crack, deux autres cakes se pointent chez Uncle Sam : James Cotton et Junior Parker, qui vont enregistrer avec un guitariste black qu’Uncle Sam a repéré en 1952, alors qu’il jouait dans le Walter Bradford’s combo : Pat Hare. Pat Hare et Willie Johnson même combat - Johnson and Hare were originators of one of the most basic gambits in the rock and roll guitarist arsenal, the power chord - Il faut entendre Pat Hare gratter ses power chords sur le «Cotton Crop Blues» de James Cotton paru en 1954. Entre 1952 et 1954, Pat Hare est le power chord king chez Sun - Rarely has a grittier, nastier, more ferocious electric-guitar sound been captured on record, before or since -  On va retrouver Pat Hare avec Muddy Waters sur Muddy Waters Sings Big Bill et Muddy Waters At Newport. Tout cela relève du mythe pur. On retrouvera Pat Hare prochainement. Où ça ? Inside the goldmine.

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    Al Jackson

             Palmer est un cabri : il saute d’un pic à l’autre, de Sun à Motown. ll commence par saluer James Jamerson, «the most influential bassist of the sixties». Un Jamerson qui avoue des influences orientales - My feel was always an Eastern feel, a spiritual thing - Comme chez Stax et à Muscle Shoals, Berry Gordy a mis en place une «house rhythm section to build records from scratch.» Mais Steve Cropper estime que «Motown was white music», alors que Stax «was a form of community music that spoke for the black person. And it was a step above what people call the blues. It was slicker, but it wasn’t too slick.» John Fogerty qualifiait Booker T & The MGs de «world’s greatest rock and roll band». De son côté, Dylan qualifiait Smokey Robinson d’«America’s greatest poet». Et Palmer boucle ‘Respect’, le chapitre qu’il consacre à la Soul, en l’enterrant - The Soul era was over en 1975, le jour où Al Jackson s’est fait buter chez lui par un cambrioleur, et en 1979, quand Al Green s’est retiré du music biz pour chanter le gospel dans son église.

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             Palmer attaque aussi sec ‘A Rolling Stone’, un court chapitre consacré à Dylan. Pour nous mettre dans l’ambiance, il évoque la première rencontre des Beatles et de Dylan qui eut lieu dans un hôtel new-yorkais, le Delmonico, sur Park Avenue. La scène se passe en 1964 et c’est Al Aronowitz qui en donne tous les détails. Palmer cite Al car il fut à ses yeux «one of the first journalists to specialize in writing intelligently about popular music.» C’est aussi Aronowitz qui allait brancher Andy Warhol sur le Velvet, un peu plus tard. Donc Dylan et son road manager Victor déboulent dans la suite des Beatles au Delmonico. Ils sifflent des verres, Dylan demande du cheap wine, puis ils abordent la question des drogues. Dylan propose un joint de marijuana. Les Beatles ne connaissent pas. Dylan tend le joint à John qui répond que Ringo est son royal taste tester. Ringo fume le joint et il se met à rigoler. Alors tout le monde rigole - and that’s all it was, one big laugh - Paul fume et croit que c’est la première fois dans sa vie qu’il fait du real thinking. Aronowitz indique en outre que cette rencontre fut déterminante, «Bob went electric and the Beatles started to write much grittier lyrics.» Palmer a raison de dire que Dylan a cassé la baraque avec Bringing It All Back Home - His electric music was not guitar-band pop rock; it was wildly original, high-energy brand of electric blues, as gritty and unpolished as the rural folk music that had inspired his earlier acoustic work - Al Kooper rappelle de son côté que Dylan «was not a Gershwin» et qu’il était en fait très primitif. Durant l’enregistrement de «Like A Rolling Stone», Dylan a demandé à Tom Wilson de monter l’orgue de Kooper, «turn up the organ», et Tom Wilson lui a répondu : «Oh man, that guy’s not an organ player», and Dylan said : «I don’t care, turn the organ up.» Palmer n’en finit plus de se prosterner devant la triplette de Belleville, «Bringing It All Back Home, the luminous, from-the-hip Highway 61 Revisited (with Kooper and Bloomfield), and the epic Blonde On Blonde, cut with Kooper, Robbie Robertson, and a crew of ace Nashville session men and described by Dylan himself as ‘that wild mercury sound’.» Et Palmer de conclure son chapitre en rappelant que Dylan et les Beatles ont créé «a kind of rock and roll art music, explicitly designed for listening and thinking rather than dancing and romancing.» De là vont naître les Byrds, qui s’inspirent de Dylan pour les textes, et des Beatles pour les harmonies vocales.

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             Palmer consacre quelques pages aux Anglais : Jeff Beck, qui est traumatisé par Jimi Hendrix - He was doing things so up front, so wild and unchained, and that’s sort of what I wanted to do, but being British and the product of these poxy little schools I used to go to, I couldn’t do what he did - Oui, Hendrix avait déjà «alchemized his many blues influences into an approach that was unmistakably his own.» Et Paf, ce démon de Palmer embraye sur l’Experience - The Experience took blues-based, improvisional rock to perhaps its ultimate level of development. Hendrix himself expanded the tonal and sonic resources of the electric guitar so spectacularly that his work remains definitive a quarter-century after his death - Palmer adresse aussi un gros clin d’œil à Keef, rappelant que quoi qu’il fasse sur une guitare, personne ne sonnera jamais comme lui. Par contre, Muddy remet bien les pendules à l’heure : il voit des blancs jouer le blues - They got all these white kids now. Some of them can play good blues. They play so much, run a ring around you playin’ guitar, but they cannot vocal like the black man - Palmer abonde dans le même sens : si vous ne grandissez pas avec cette culture, votre chant va passer pour ce qu’il est : une imitation. Il n’ose pas dire une pâle imitation, mais on le devine.

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              Palmer consacre des pages émouvantes à Alan Freed, l’un des personnages clés de la rock culture américaine. Son boss lui demande un jour de signer un papelard comme quoi il n’aurait pas touché de blé au noir, et bien sûr Freed refuse de signer, considérant que ce papelard est une insulte à son intégrité. Pouf, viré ! Puis il est arrêté et jugé. C’est le fameux scandale du payola. Il s’en tire avec 300 $ d’amande, mais il est mentalement rincé. Il a continué un temps d’animer un radio show, mais dans l’obscurité. Il est malade. Urémie. Il casse sa pipe en bois en 43 ans. C’est une tragédie.

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             Palmer passe du coq à l’âne, c’est-à-dire d’Alan Freed à Leonard le renard, pour nous raconter l’une de ces fascinantes anecdotes dont il s’est fait une spécialité : apparemment, la mafia de Chicago s’intéressait de près au Chess business. Mais Leonard le renard avait grandi dans le ghetto juif polonais et s’était endurci. Les mafieux chopaient Leonard et le tabassaient de temps en temps. Ils menaçaient même de le buter. Mais Leonard était têtu comme une bourrique. Il a tenu tête. Comment ? En envoyant un émissaire à New York, chargé de rencontrer Mr. Big, dont les liens avec la mafia sont connus comme le loup blanc. Palmer ne cite pas de nom, mais on en déduit qu’il s’agit de Morris Levy. Mr. Big passe quelques coups de fil. Les mafieux de Chicago foutent enfin la paix à Leonard le renard. Pendant les années suivantes, les stations de radio que possèdent les frères Chess vont consacrer pas mal de temps à la promotion des «records from Mr. Big’s family of labels. Naturally, this was purely coincidental.»

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             Petit hommage vite fait à Little Richard qui reste avec «the rable-rouser Alan Freed» le pionnier «of what we might call the rock and roll lifestyle.» Au détour d’une page, Palmer rappelle qu’à l’âge de 15 ans, en 1960, il assista à un sacré show - some arcadian dream - À la même affiche, t’avais Sam Cooke, Jackie Wilson, Jesse Belvin et Marv Johnson. Et pouf, Palmer te claque l’anecdote de choc : c’était la dernière fois que Jesse Belvin montait sur scène. Plus tard dans la nuit, «he died in a flaming collision on a dark Arkansas highway, and some of us missed him as much as we missed Holly and Valens.» Il faut lire ces pages, car elles sont grandioses.

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             De la même façon qu’il restaure le culte de Dionysos, Palmer restaure celui du LSD 25 - un cadeau que fit la CIA to the burgeonning youth culture of the sixties - Il rappelle que le LSD fut synthétisé en 1938 sous le nom de lysergic acid diethylamide. Il fallut des cobayes et Ken Kesey en fit partie : «Je suis allé au Stanford Research Institute chaque mardi  pendant des semaines. Il me donnaient du LSD 25, du LSD 6 ou de la mescaline et me payaient vingt dollars.» Puis quand la CIA a stoppé les tests, les cobayes se sont révoltés. Kesey : «Well if you guys don’t have the balls to carry on with this, we’ll do it on our own. And it’s still going on.» Alors Kesey et ses amis les Merry Pranksters ont lancé des LSD parties à San Francisco. Et toute la scène de San Francisco est partie de là. Plus bas, à Los Angeles, David Crosby et les Byrds vont rendre hommage à cette drug-culture avec «Eight Miles High» - We had a strong feeling about drugs, or rather psychedelics and marijuana. We thought they would help us blast our generation loose from the fifties. Personnaly, I don’t regret my psychedelic experiences. I took psychedelics as a sort of sacrament.

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             Palmer continue se surfer sur les mythes avec le Velvet - En 1965, deux des founding members of the Velvet Underground, Lou Reed & original percussionist Angus MacLise décrivaient leur groupe comme «the Western equivalent of the cosmic dance of Shiva. Playing as Babylon goes up in flames.» - Le Lou se souvient aussi des recommandations d’Andy Warhol - Keep it rough - Le Lou : «Andy wanted it to disturb people and shake ‘em up, so did we.» Calimero parle d’une «punk attitude» basée sur la haine et la dérision. Le meilleur exemple de cette punk attitude est «Sister Ray». Palmer rentre dans les détails de «Sister Ray», rappelant pour le cas où on l’aurait oublié, que «Partway through, Cale’s organ took off with a tremendous surge of power amid the guitarist’s howling feedback. Il était le vainqueur de cette bataille sonique, mais il perdit la guerre  quelques mois plus tard quand Reed, malgré les protestations de Sterling Morrison et Maureen Tucker, lui demanda de quitter le groupe.» Calimero va devenir le producteur que l’on sait, en produisant deux des plus importants punk-rock precursors, Jonathan Richman et Patti Smith - mais il avait déjà anticipé the shape of punk to come avec les Stooges - Le jeune Palmer avait déjà bien frémi durant ses high school years avec le «Louie Louie» des Kingsmen et le «Farmer John» des Premieres - It was a transcendental experience - Palmer revient aussi sur the Ostrich guitar du Lou, avec ses six cordes accordées sur une seule note - in order to get a harmonic-rich drone sound - un détail qui avait frappé Calimero. La Monte Young étudiait lui aussi la drone music et avait demandé à Calimero et à Tony Conrad d’accorder leurs instruments respectifs - the electric violin and electric viola - sur la même note. L’influence de La Monte Young sur l’early Velvet était donc manifeste, comme le souligne Palmer : «the drome and shimmering harmonics of Indian music, the distinctive melodic language of the blues, the classical avant-garde of Weber, Stockhausen and Cage, and an affinity for volume levels surpassing anything previously heard in rock.» Et Palmer entre de plus belle dans le chou du détail : «John Cale put heavy-gauge guitar strings on his electric viola, played it through an amplifier stack, and achieved a sound he favorably compared to that of a jet taking off.» Ce démon de Palmer se met ensuite à analyser : «Voici l’une des façons de voir le rock tel que le conçoit le Velvet : les paroles montrent le monde tel qu’il est, alors que la musique rend la souffrance plus supportable en incarnant la géométrie sacrée d’un paradis sonique imaginaire.» Palmer rappelle aussi que les Stooges furent les premiers à capter le message du Velvet et que David Bowie ramena la dimension du «demi-monde» warholien dans le British rock. Palmer rappelle encore que «Television carried on the Velvet’s legacy of street-real lyrics and harmonic clang-and-drone, with approrpiate nods to John Coltrane’s modal jazz and the Byrds’ resonating raga-rock from lead guitarist Tom Verlaine.» C’est dingue ce que Palmer peut être précis. Et quand Danny Fields découvre les Stooges sur scène à Detroit, il déclare : «They were by far the most interesting band since the Velvet Underground.»

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             C’est là que Palmer embraye sur le chapitre le plus hot de son book, ‘The Church of the Sonic Guitar’, déjà évoqué via Willie Johnson et Pat Hare. L’autre géant qu’il épingle est bien sûr T-Bone Walker. Il épingle aussi Goree Carter, un guitariste d’Houston, inspiré par T-Bone Walker. Selon Palmer, le «Rock Awhile» de Goree Carter est un sérieux candidat pour le titre de «first rock and roll record». Et puis voilà le Texan Clarence Gatemouth Brown - One of the flashier, and perhaps the most resourceful explorer of the electric guitar’s sonic resources. Ses early and mid-fifties singles abound in volume and sustain effects, deliberate amplifier overloading, wildly stuttering scrambles up the neck, screaming high-note sustain, and other proto-rock-and-roll devices - C’est vrai que Gatemouth Brown est un sauvage. Il faut le suivre à la trace. On en reparle.

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             Comme si c’était possible, Palmer monte encore d’un cran avec Guitar Slim. Selon Jeff Hammusch, Guitar Slim est le prototype du «live fast/die young» rock’n’roll comet - He was the best! Slim just wouldn’t take care of himself. He lived fast. Different women every night - Quand on lui demandait de se reposer et de prendre soin de lui, Guitar Slim répondait : «I live three days to y’all’s one. The world don’t owe me a thing when I’m gone.» Il casse sa pipe en bois à New York à l’âge de 32 ans. Gros mélange d’alcool et de pneumonie. Palmer embraye aussi sec sur Ike : «If Guitar Slim was the  patron saint of our Church of the Sonic Guitar, Ike Turner can only be its fallen angel, the dark prince, who is also Lucifer, the ‘light-bringer’.» Grâce à Ike, on reste chez Dionysios. Palmer rappelle au passage que St. Louis was a mecca for black southeners. C’est une sorte de capitale du country blues et du sophisticated jazz. En 1955, la concurrence est rude entre les Kings Of Rhythm d’Ike et le Chuck Berry’s trio. Albert King traîne aussi dans les parages. Quand Uncle Sam voit débarquer Ike dans son studio à Memphis, il sait tout de suite ce qui se passe : «Ike had the best-prepared band that ever came in and asked me to work with them.» Ike est aux yeux de Palmer le plus wild d’entre tous - Turner unleashed his full power, wrestling twisted, tortured, bent and shattered blue notes and chords out of his guitar, not just for empahis, but practically every bar of every solo. On n’avait encore jamais entendu une telle sauvagerie, il était tellement en avance sur son temps - Puis Palmer remet un peu les pendules à l’heure, car après son divorce avec Tina Turner, le pauvre Ike a fait la une des canards qui puent - Il y eut cette séparation dûment médiatisée, des accusations et des arrestations. It’s too bad because Ike Turner deserves a prominent place in rock and roll history, and not just as a guitarist whose wild-man strategies were rarely heard again until the advent of the Velvet Underground and later punk groups like Richard Hell & The Voidoids, with resourceful gonzo-guitar inheritor Robert Quine - La parenté Ike/Velvet/Quine est parfaite. Par ici, on appelle ceux-là des triplettes de Belleville essentielles.

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             Palmer consacre ensuite des pages indécentes de classe à Lowman Pauling, des Five Royales, et à Tarheel Slim qui est quasiment inconnu - Lowman made his mark as the musical director of one of the most accomplished and consistently innovative of fifties vocal groups, the «5» Royales - Quand Hank Ballard veut appeler son groupe Hank Ballard & The Royals, on lui dit : impossible. La réputation des Five Royales est trop bien établie. Palmer rappelle aussi que Pauling était le moins connu des greatest r&b guitarists de l’époque : Chuck Berry, Bo Diddley et New York sessionman supreme Mickey Baker. Lowman savait tout faire : gratter ses cordes avec les dents, gratter derrière sa tête. Steve Cropper le cite comme sa principale influence. Doctor John vénérait aussi les Five Royales. «The Slummer The Slum» est Pauling’s masterpiece - It begins  with Pauling unleashing some of the most ferocious lead-guitar riffs heard on record up to that time - Les royales sont sur King, mais il y a du tirage avec James Brown qui est aussi sur King, alors les Royales doivent quitter King. Ils se retrouvent sur le label Home Of The Blues et bossent avec Willie Mitchell. Et bizarrement, leurs singles ne marchent pas. Les Royales se séparent et sombrent dans l’oubli. Lowman Pauling casse sa pipe en bois en 1974 - Recognition for his achievments has long been overdue - Heureusement que t’as des mecs comme Palmer qui écrivent des books, mais si personne ne les lit, alors tout ça ne sert à rien.

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             Palmer passe aussi sec à un autre géant inconnu du grand public, Tarheel Slim. On peut le croiser inside the goldmine. Avec l’immense Tarheel Slim, on passe au black blues-rockabilly. Slim enregistre avec un autre démon, the redoutable Wild Jimmy Spruill. Palmer connaît tous les gens qu’il faut connaître. En 1959, Slim et Spruill sortent «the cataclysmic two-sided nonhit single» «Wildcat Tamer»/«Number 9 Train», sur le label Fire du grand Bobby Robinson. Robinson enregistrait déjà Elmore James - the most thunderous electric-guitar records of the decade - Palmer souligne en outre que ce single de Tarheel Slim et Wild Jimmy Spruill définit le son à deux guitares que vont développer Hound Dog Taylor et les Gories - Both players mix tremolo, twang, slamming runs, and crazed lead playing.

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             Palmer salue aussi bien bas le «Down On The Farm» de Big Al Drowning, «backed by a white rockabilly combo under the leadership of one Bobby Poe - it was Little Richard-meets-Carl Perkins in flavor.» Palmer s’enthousiasme facilement. Il prend feu à la moindre étincelle. Rares sont les pages qui n’explosent pas. Il boucle ce chapitre hors du temps avec les Falcons qui comprenaient Joe Stubbs (le frère le Levi Stubbs, lead des Four Tops), et Eddie Floyd qui allait donner à Stax ses lettres de noblesse. Le baritone des Falcons n’est autre que Mack (later Sir Mack) Rice, qui allait composer «Mustang Sally», un hit qui allait rendre célèbre le remplaçant de Joe Stubbs dans les Falcons, Wilson Pickett. Quand les Falcons décrochent un hit avec «I Found A Love», Wicked Pickett quitte les Falcons pour signer sur Atlantic - If any fifties vocal group was a school for future soul stars, it was the Falcons. Comme les «5» Royales, Nolan Strong & The Diablos, and other gospel-soul vocal groups, ils ont aussi contribué au développement de la guitare électrique - Et Palmer cite le nom du guitariste des Falcons, Lance Finnie. 

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             Il passe aussi sec au funk avec Bootsy en face du titre : ‘Brand new bag’. Comme c’est bien vu, Palmer ! Il commence par rappeler l’origine du mot funk : «In black vernacular, le mot funk se référait à une odeur, une odeur impolie. Funk était l’odeur de la sueur, l’odeur du sexe, l’odeur de...». Il n’ose pas dire du cul, mais il cite le funky butt. Et de rappeler dans la foulée que personne n’a mis autant de sueur dans un show que James Brown - Add to this Ki-Kongo concept of positive sweat, the Yoruba concept of ashé, or ‘cool’, and what have you got? ‘Cold Sweat’ - Et voilà James Brown qui part en quête du Graal, c’est-à-dire «l’ultimate groove». Palmer consacre des pages hallucinées à James Brown, «playing drums with his larynx», «Audiences dig go crazy, making ‘Bag’ one of Brown’s biggest hits so far - Even Brown was surprised by what he had created.» Le sujet échappe au maître, c’est bien connu. Et Palmer y retourne à coup de «Bag» qui electrified the musical community, et t’as Jerry Wexler affolé qui déclare au coin d’un paragraphe : «‘Cold Sweat’ deeply affected the musicians I knew. It just freaked them out. For a time, no one could get a handle on what to do next.» Oui, James Brown brouillait les pistes, il était devenu en son temps l’artiste le plus moderne, le plus puissant du monde. Au même moment, à Detroit, Norman Whitfield «crafted a series of revolutionary singles that synthetized both the James Brown and Sly Stone versions of funk.» Palmer évoque bien sûr les Temptations - The Whitfield/Temptations collaborations of 1967-72 are among rock ans roll’s most consistently creative and adventuesome bodies of work - S’ensuit un hommage fulgurant à Bootsy - Bootsy had truly taken to heart Brown’s practice of accenting «on the one» which reversed the rhythmic priorities that had long been standard in jazz, rock and r&b - Il redéfinissait le funk. Puis George Clinton récupère Bootsy - If Bootsy was taking some weird new drug, George didn’t necessarily want him to stop; he wanted to try some himself - Et pouf, Palmer part droit sur Parliament-Funkadelic, c’est-à-dire P-Funk, qui tournait à l’époque avec les Stooges - In their early years, P-Funk incorporated all the volume a Marshall stack could crank out, all the onstage brinkmanship an Iggy Pop could munster, and all the drugs in the rocker’s pharmacopoeia - Nous voilà parmi les géants - Clinton developped a more positive mythology involving outer space, black tribalism and the whole-system integrity of the funk itself. «If you fake the funk» warned Clinton, «your nose will grow.» - Pour beaucoup de gens, Earth Wind & Fire était les «black Beatles» et P-Funk les «black Rolling Stones».

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             Quoi de plus naturel que de passer au punk après le funk ? Le chapitre s’appelle ‘Blank Generation’ et s’ouvre avec les Dolls. Palmer n’y va pas de main morte, puisqu’il attaque par la racine du punk, le rockab - Rock and roll has always had a «punk» underground of sorts. In the fifties, there were rockabilly wild men who played hard and fast, leaving a trail of pandemonium and wreckage behind them - Et pouf, il cite Billy Lee Riley, Sonny Burgess et ses «flaming red suits, socks and shoes, with guitar ans hair to match.» Et puis bien sûr Gene Vincent (hello Damie), qui «with his black leather jacket, his sneer, and his frenzied, amphetamine-stoked stage shows, was a fifties punk who greatly influenced the wilder side of John Lennon.» Sans oublier Eddie Cochran et ses teenage anthems repris par les garage bands et les Who.

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             Palmer fait un focus sur Cleveland - an unlikely hotspot for early protopunk activity - Il rappelle que les Stooges et le Velvet ont joué à Cleveland et qu’ils ont bien marqué les gens - The Velvets the thinkers and the Stooges the thugs - Oui, car Palmer dit aussi quelque part dans le book que pour mener une révolution, il faut à la fois des thinkers pour l’imaginer et des thugs pour la mettre en œuvre. Cleveland, ça commence avec Rocket From The Tombs dont font partie Peter Laughner et David Thomas, qui vont ensuite former Pere Ubu, «injecting a healthy dose of Captain Beefheart’s mutant blues strains into their Velvets/Stooges/glitter influences.» Palmer rend bien sûr hommage à «Final Solution» et à ses lyrics, un «cleverly twisted teenage-wasteland psychodrama.»

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             Par contre, il ne trouve pas grand-chose à se mettre sous la dent dans les années 80, à part The Fall, «an abrasive, ratchety-sounding agitprop outfit», Public Image Limited, Birthday Party et The Jesus & Mary Chain, «an unlikely hybrid of the Velvet Underground and the Beach Boys.» Bizarre qu’il oublie de citer les Cramps et le Gun Club. Étant américain il cite bien sûr Sonic Youth qui aurait inspiré My Bloody Valnetine, the Wedding Present et Swervedriver. Il retombe finalement sur ses pattes en rappelant que les Dolls, vus comme un rip-off des Stones, «was a fundamental inspiration for the entire New York punk movement.»

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             Il faut aussi voir le petit docu qu’il consacra à Trane en 1990, et paru sur DVD en 2010 : The World According To John Coltrane. Tu vois Trane souffler et Elvin Jones de dos battre le beurre du diable. Tu sens la puissance de ces deux locomotives de l’ultra-freedom : larges épaules et racines du beat. Les anecdotes pullulent, la plus savoureuse étant celle-ci : Trane apprend que Bird se balade avec une partition de L’Oiseau De Feu, alors il va dans une bibliothèque municipale de Philadelphie écouter Stravinsky. On voit Trane jouer avec Miles, puis en 1960, Trane quitte Miles pour explorer le modal. Mais tu risques l’overdose de modernité. Trane joue les yeux fermés, il tortille son free à l’infini. Trane joue toujours, avant, pendant et après le concert. Robert Palmer a l’intelligence de ne pas couper les cuts. Palmer dit aussi que Trane a influencé les Byrds («Eight Miles High»). C’est juste, Croz est un fan de Trane. Il raconte un bel épisode dans son autobio : il est dans les gogues d’un club à Chicago et soudain, il entend un sax. C’est Trane. Trane jouait même dans les gogues. En visionnant ces images, tu comprends un truc élémentaire : la musique de Trane parle toute seule. Pas besoin de commentaires. Tu assistes à la glorification du peuple noir via sa spiritualité. Trane devient fou sur scène. Alice pianote. Trane se tortille. Robert De Niro/Jimmy Doyle va s’inspirer des fabuleuses contorsions de Trane pour saxer son set dans New York New York. Et petite cerise sur le gâtö, Palmer nous ramène au Maroc avec Roscoe Mitchell qui réussit à jouer avec les derviches marocains, ce que Trane voulait faire et qu’il n’a pas réussi à faire de son vivant. Merci Palmer pour cet hommage au Love Supreme.  

    Signé : Cazengler, Pied Palmer

    Robert Palmer. Rock & Roll: An Unruly History. Harmony Books 1995

    Robert Palmer. The World According To John Coltrane. DVD 2010

     

     

    Label bel bel comme le jour

    - Ready SteadyBoy

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             Tiens tiens... Tu feuillettes Record Collector et tu tombes sur un petit article illustré par des pochettes d’albums recommandables : Rocky Erickson & The Explosives et Bob Mosley. Et t’as la photo d’un mec chapeauté de frais, un certain Freddie Knoc. Il se trouve que ce Knoc est boss d’un label, SteadyBoy Records. Wow quel label ! Tu lis la short-list du bas de la page et tes yeux dansent la rumba : Peter Lewis, Mike Wilhelm, Charlatans, The Explosives, Doug Sahm, Davie Allen & The Arrows, plus les deux pré-cités, Roky et Bob Mosley. Il enregistre aussi ses propres albums sous le nom de Freddie Steady.

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             Freddie le crack est un Texan. On s’en serait douté. Un Texan d’Austin. Il a choisi de s’appeler Steady parce qu’on le dit régulier, c’est-à-dire steady, au beurre. Freddie est multi-instrumentiste. Quand Nick Dalton lui demande quels sont ses modèles, il cite Immediate, Sundazed, Chess, Sun, Stax - Immediate seemed the most creative and adventurous - Il rêve de rencontrer Andrew Loog Oldham pour un chat. L’une de ses fiertés est d’avoir sorti Halloween II de Roky Erickson & The Explosives. Et paf, il indique que «The Explosives were my band from 1979 to 1981 and then 2005-2008.» Il dit aussi avoir eu la chance de produire Sal Valentino. Mais aussi de co-produire le Just Like Jack de Peter Lewis, l’ex-Moby Grape. La chance encore de rééditer le True Blue de Bob Mosley, un autre ex-Moby Grape. Puis il a profité d’une belle tranche de vie à Londres dans les année 80 pour sortir le Dangerous Ground des Downliners Sect. Et quand Dalton lui demande quel album il aurait aimé publier, il répond sans hésitation le premier Moby Grape. Et la réédition de ses rêves ? Moby Grape’s second album Wow. Il prévoit de publier son autobio, Freddie Steady Go! A Journeyman’s Guide To A Life In Music. Le coco est assez complet.  

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             Alors bien sûr, tu vas fourrer ton nez dans les affaires de Freddie Steady. Ça tombe bien, il réédite son Lucky 7. Le groupe s’appelle Freddie Steady’s Wild Country. Te voilà donc au Texas, Amigo ! L’album est trop country pour être honnête, tu te retrouves coincé dans le saloon, mais tu persévères. Freddie Steady ne jure que par le tradi. Tu ne l’écoutes que parce qu’on lui rend hommage dans Record Collector. Ça s’arrange quand il va traîner dans le Bayou avec «Night Time». Et ça devient passionnant lorsqu’il passe au Cajun wild as fuck avec «Love You Tonight» et l’accordéon. Sinon, il campe sur ses positions et propose une belle country texane sans histoire. Il va plus sur le r’n’b avec «I’ve Been Framed» : il tape dans la veine de Wolf à coups d’oooh-oooh oooh. T’as des bonus à la pelle et tu vas te régaler de «Midnight Special», un boogie rock texan bien claqué du beignet, il y va à coups de shine a light on me !     

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             Que dire du Dangerous Ground des Downliners Sect sinon que c’est encore un disque énorme ? En plus, l’ami Art Wood a peint la pochette. Les Downliners proposent pas moins de cinq bombes sur ce disque, à commencer par «Keep On Rocking», une énormité cavalante. On sent les Anglais bien formés à Richmond. Ils sonnent comme les Pirates. Voilà ce qu’on peut appeler a high octane blend of r’n’b.  Ils rendent hommage à Bo avec «Escape From Hong Kong» et «In The Pit». Puis on tombe sur la bombe suivante qui est en fait le morceau titre, un gaga-cut bien plié au bombast d’ambiance rampante. S’ensuit une autre bombe intitulée «Lucy’s Bar Room». Del Dwyer fait un véritable festival, il chauffe le cut à blanc. Il arrose cette somptueuse rythmique de guitar licks éclatants. Encore deux belles bombes pour finir : «Quicksand» et «Deamon Lover». «Quicksand» pourrait sortir du Crusade de Mayall. Les Downliners vont chercher le guttural pour honorer ce boogie blues d’excellence définitive. Tu vas aussi te régaler de «Deamon Lover», fantastique shoot de rocky road pulsé au beat anglais et plein de son. Pur jus de rave-up. Les Downliners ont du génie.

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             Il a eu raison Freddie Steady de rééditer cette petite merveille qu’est le True Blue de Bob Mosley. Petite merveille car «Lazy Me», balladif à la Gene Clark de qualité supérieure. Suprême dérive abdominale. Et puis t’as ce coup de génie, «Rainbows End (Used To Be My Friend)», un autre balladif de rang princier. T’es frappé par la stupéfiante qualité du cut. Bob adore le boogie, comme le montrent «Come Back Woman» et «Sad & Blue». C’est le boogie de San Pedro, celui qu’on appelle l’heavy boogie down bien sanglé. Tout aussi impressionnant, voici «Never» un heavy balladif circonstanciel. Bob tape ça au pur power vocal. Bob est un bon. L’intensité n’a décidément aucun secret pour lui.

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             Peter Lewis ? T’y vas parce qu’il jouait dans Moby Grape. Dans les liners de Just Like Jack, David Fricke nous explique que Peter Lewis «could sing in a voice of deep-velvet warmth and gently commanding force, play intricate, effervescent rhythm guitar in a unique finger picking tangle of folk-blues roots, bluegrass facility and the drive’n’sheen of the Byrds gone surfin’.» Il nous rappelle aussi que Peter Lewis est le fils de Loretta Young. Qui bat le beurre derrière lui ? Freddie Steady, le vétéran des Explosives, bien sûr ! Peter Lewis attaque Just Like Jack avec la jolie country pépère de «Be With Me», enrichie jusqu’au délire par du picking texan d’Austin. La température monte au fil des cuts, on sent vraiment les vieux restes légendaires, Peter Lewis n’est pas né de la dernière pluie. «Last Chance» sonne comme une belle énormité. Il chante son heavy boogie blues d’une voix blanche. T’en reviens pas de toute cette qualité. Il sonne comme Tony Joe White sur «Valley Music Festival». Il remonte jusqu’à 1967 et rend hommage à Neil Young et au temps de Mister Soul. Il attaque sa B avec un «Sailing» co-écrit avec Skip Spence. C’est tout simplement somptueux et traversé d’éclairs de killer solo flash d’éclat majeur. Tout se tient admirablement sur cet album qui sonne comme une belle suite à Moby Grape. Il boucle avec «These Blues», well okay, il gratte ses gros coups d’acou d’Austin, I mean these blues for you.

    Signé : Cazengler, Steady oui

    Freddie Steady’s Wild Country. Lucky 7. SteadyBoy Records 2003

    Downliners Sect. Dangerous Ground. SteadyBoy Records 2011

    Peter Lewis. Just Like Jack. Shagrat Records 2017

    Bob Mosley. True Blue. SteadyBoy Records 2024

    Nick Dalton : label of love. Record Collector # 566 - January 2025

     

     

    Inside the goldmine

    - Eddy sois bon

             Avec Adi, on s’amusait bien. Disons qu’on s’amusait à ses frais. Adi donc ! Adi quoi ? Ça nous venait naturellement. Il faisait le canard. Celui qui n’entendait pas. Adi peut ! Adi Baba ! Il tournait la tête de l’autre côté. On sentait qu’il avait de l’entraînement. Ça avait dû commencer très tôt, à l’école. Adi mentaire ! Adi Xion ! Dans la vie, c’est toujours la même chose : on choisit chaque fois la facilité. Dès qu’on sent une faille, on s’y engouffre. C’est plus facile de s’engouffrer que de réfléchir. Adi Bouti ! Adi Gaga ! Comme il ne réagissait pas, on prenait ça pour une invitation à continuer. Adi Quat ! Adi Lescent ! On en rajoutait. Adi Das ! Adi Boron ! Il n’existait plus de limites, on battait tous les records d’automatisme psychique de la pensée. Adi Solu ! Adi Plôme ! Évidemment, tout ça se déroulait au moment le plus opportun, alors que nous étions en route pour un braquo. Adi s’installait toujours à l’avant, à la place du mort. On ne trouvait rien de mieux que de se divertir aux frais d’Adi pour faire baisser la tension. Adi Vague ! Adi Fâme ! Parfois, on rigolait de nos conneries. Adi veillait à rester de marbre. Il n’était pas question pour lui de s’abaisser à notre niveau. C’est comme si on lisait dans ses pensées. On se demandait parfois pourquoi il restait dans le gang. Il devait bien se douter que ça n’allait pas s’arranger. À sa façon, il savonnait la pente. Nous entrâmes à trois dans l’agence, comme d’usage. Le chauffeur restait à l’extérieur et laissait tourner le moteur. Ce jour-là, il y eut un gros hic. Le caissier était enfouraillé et il se mit à canarder comme un cow-boy, bam babam bababam ! Gégé la Guigne prit un pruneau en plein tête et tomba raide mort. J’en pris un dans le ventre et fis un sacré vol plané, allant exploser la porte d’entrée en verre. Adi riposta et calma le cow-boy d’une balle dans la tête. Il regagna la sortie, et passa près de moi. Il vit que j’étais blessé, mais au lieu de m’aider à me relever pour me ramener jusqu’à la bagnole, il souleva sa cagoule et me dit, avec un drôle de sourire en coin : Adi Os ! 

     

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             Espérons qu’Eddy a mené une vie plus pépère que celle d’Adi. On ne sait pas comment s’est terminée la carrière d’Adi, mais on sait comment s’est terminée celle d’Eddy : par de très bons enregistrements.

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             Ace propose une belle compile pour découvrir l’excellent Eddy Giles : Southern Soul Brother. The Murco Recordings 1967-1969. Dean Rudland se tape les liners. Il commence par nous expliquer qu’Eddy est devenu sur le tard le Reverend Eddie Giles hosting his Old Time religion Show.  On voit une photo du vieil Eddy en train de prêcher. Dans les années 60, Eddy enregistrait sur le label de Dee Marais, Murco, à Shreveport, en Louisiane. 18 cuts en tout, que Rudland rassemble sur cette compile. Puis il donne la parole à Eddy qui raconte son incroyable histoire de pauvre black né en 1938 et qui ne vit que pour la gratte. Il traverse toutes sortes de galères, joue dans un groupe itinérant de gospel, revient au bercail et finit par se faire connaître à Shreveport. C’est là qu’il capte l’attention de Dee Marais qui lui propose d’enregistrer un single. Mais Eddy n’a pas de chanson. Alors il dit qu’il va s’en composer une  - I’m going to write me a song and I’m going to write me a hit song - Incroyable détermination ! Il attrape un bloc et un crayon - I got out a pad and a pencil and wrote down the title, «Lonely Boy». I said, «That’s not strong enough». Then I wrote «Losin’ Boy». After writing the title, I started asking myself questions - Eh oui, Eddy n’a jamais écrit de chansons auparavant. Il sait juste qu’il faut un couplet et un refrain. Alors il se demande ce qu’est un Losin’ Boy, «and the words came out.» - I’m a Losing Boy, because my baby’s gone - En gros Eddy raconte l’histoire de tous les blackos qui ont cherché à faire de la musique à cette époque. Et c’est extrêmement bien raconté. Rudland a bien respecté le ton d’Eddy. «Losin’ Boy» ouvre le bal de la compile. Puis Eddy va enregistrer chez Stax, avec Al Bell, mais ça ne marche pas. 

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             Sacré Eddy ! Il est très Wilson-Pickett dans sa démarche. Sur «Don’t Let Me Suffer», il est délicieusement conventionnel. L’époque veut ça. 1967 est l’âge d’or de la Southern Soul. Son «Eddy’s Go-Go Train» est assez hot, il y va au c’mon ride with me ! Pur Black Power ! Il alterne avec des slowahs de haute volée bien enracinés dans le gospel («Happy Man»). Il refait son wicked Pickett avec «Music», mais il est bien meilleur dans les slowahs, comme le montre encore «Love With A Feeling» : excellent de lourd de sens. Ah il est bon l’Eddy ! Faut pas le prendre pour une brêle. Il fait encore du classic Pickett jerk de 1967 avec «Soul Feeling Pt 1» et «Soul Feeling Pt 2», il y va au sock it to me babe et au black scream, soutenu par un beat fabuleusement primitif. Mais Eddy reste le roi du satin jaune. Il perce davantage sur les slowahs, comme le montre encore «That’s How Strong My Love Is», l’un des hits d’O.V. Wright. Il ne fait aucun effort pour échapper à l’influence de wicked Pickett («Pins & Needles»), et il revient à son fonds de commerce avec «It Takes More», un groove suspendu en l’air, oooh baby, un cut extrêmement intéressant, tellement moderne dans sa structure.

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             Tant qu’on y est, on peut aller voir ce qu’il y a sous les jupes de Murco : Shreveport Southern Soul. The Murco Story. T’y retrouves le bon Eddy Sois Bon, c’est sûr, avec «Losin’ Boy» et «That’s The Way My Love Is», où il pousse bien son bouchon. T’as aussi son «Love With A Feeling», cet heavy slowah de séduction massive et rose, c’est même un Southern hit un peu spongieux. Côté découvertes, t’as trois choses. La première s’appelle Ann Alford, avec «Got To Get Me A Job». Big funk out ! Elle est hard on the beat. Quand t’entends ça, tu sors ta pelle et ta pioche pour aller creuser. La deuxième chose s’appelle Reuben Bell avec «Action Speaks Louder Than Words», un vieux ramshakle communautaire : organ + cœurs de louves, quasi église en bois. Reuben Bell est très présent sur la compile, mais tout n’est hélas pas au niveau d’Action Speak. Troisième chose : Dori Grayson. Et là, jackpot ! C’est elle qu’on voit sur la pochette. Elle a au moins quatre hits sur la compile, à commencer par «Got Nobody To Love». Dori forever ! Soul Sister de choc, même si on la sent un peu verte. Elle est tellement sincère avec «I Can’t Fix That For You» qu’elle te fend le cœur. Elle fait du real deal de Soul impubère. Dori se dore encore la tranche avec «Sweet Lovin’ Man» et elle redevient fantastique d’opportunisme avec «Be Mine Sometimes», elle y va de tout son corps, elle s’essouffle facilement, c’est d’ailleurs ce qui la rend touchante, elle chante comme une ingénue libertine à peine éclose. Elle reste très tendue avec «Try Love», elle chante le cul entre deux chaises, la puberté et l’hot as hell. Elle reste délicieusement imparfaite avec «Never Let Go». Ce miracle d’imperfection aurait tellement fasciné Uncle Sam ! Et bien sûr, Dori n’a enregistré que deux singles sur Murco. Pas d’album, rien d’autre. Encore une fois : merci Ace.

    Signé : Cazengler, Eddy donc

    Eddy Giles. Southern Soul Brother. The Murco Recordings 1967-1969. Kent/Ace Records 2014

    Shreveport Southern Soul. The Murco Story. Kent/Ace Records 2000

     

    *

    Quand je vais à Troyes, la teuf-teuf connaît le chemin, je la laisse faire, je ferme les yeux et roulez jeunesse, non je ne dors pas, je regarde mon cerveau (fertile) travailler.  L’est en train d’inventer un nouveau jeu de cartes, Les Sept Familles, non ce n’est pas celui que vous connaissez, celui-ci ne possède que trois cartes, attention trois as, non pas une de plus, oui trois as ça suffit amplement, je ne vous explique pas la règle, l’on commence la partie tout de suite, bon, dans la famille rockabilly je veux : le père, le fils, non surtout pas le Saint-Esprit, tout simplement l’oncle. Voilà, c’est parti, je place les cartes sur le plateau de jeu, nous allons passer une soirée passionnante !

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    EDDIE GAZEL  AND THE FAMILY ECHOES

    3 B

    (Troyes / 19 – 09 – 2025)

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    Admirez le Père, c’est Thierry Gazel, l’est sur notre droite, tout de noir vêtu tout comme sa big mama, au centre le Fils Eddie Gazel, sur notre gauche lui aussi tout de noir vêtu Stéphane Gazel, oui c’est l’Oncle, non il ne vient pas d’Amérique, celui qui en revient c’est le fils, parti depuis trois ans, l’a vécu bien des aventures, nous les raconterons une autre fois, l’est revenu faire coucou à la famille, et comme c’est une famille Rockabilly, par un hasard (pas du tout) extraordinaire, les voici aux 3B, pour un concert  que nous nous pourrions nommer  : Festives retrouvailles musicales de la famille Gazel.

    Z’ont fait les choses en grand. Je n’avais jamais vu de set-lists aussi magnifiques, aussi grandes que des affiches, striées de rouge pétant et de jaune trompettant, les titres des chansons aussi larges que des manchettes de journaux à sensation, un coloré tapis de corolles éblouissant écloses sur le carrelage.  Terrible question métaphysique : à quoi peut servir une set-lists si ce n’est de l’utiliser à coups d’œil discrets pour se remémorer le titre qui suivra celui que l’on est en train d’interpréter ! Pourquoi faire simple quand c’est si facile de faire compliqué. La Gazel Family n’a pas osé user d’un tel subterfuge qui ne trompe personne. Se penchent dessus, méditent, s’interrogent, jettent leur dévolu sur l’un d’entre eux, hésitent, se concertent, finalement ils se mettent d’accord sur le numéro Quatre. Ouf c’est parti jusqu’au prochain morceau. Parfois changement de braquets, ils en interprètent trois à la suite qui manifestement ne sont pas sur la liste… Ce pourrait être pénible, pas du tout, parfois on se prend à se demander comment va se dérouler le prochain épisode du sketch interludique. En fait c’est un magnifique objet transactionnel pour emprunter un terme au jargon des psychologues. C’est ainsi que très vite se noue une grande complicité entre le public et le groupe.

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    Pour le premier plat nous mijotent un succulent gumbo, plus qu’un titre d’Hank Williams hommagial c’est une déclaration d’intention, plus tard ce sera le tour de Your Cheatin Heart, Eddie se hâtant de spécifier que c’est le dernier morceau composé par Hank, juste avant sa mort. Une manière de nous présenter le programme, après Hank la prochaine star sera Elvis. Le tour de chant oscillera dans l’interzone, entre country et l’orée du rock’n’roll ce qui nous vaudra quelques raids audacieux  dans les contrées sauvages du rockabilly.  Du rock’n’slow à la Conway Twitty aux farouches chevauchées de Charlie Feathers. C’est qu’Eddie Gazel n’a pas qu’une corde vocale à son arc. Un véritable chanteur capable de plier sa voix aux exigences de bien des courants de la musique populaire américaine.

    Ny avait pas qu’Eddie, y avait aussi ma modeste personne. Tout devant, voluptueusement assis à quarante centimètres de la contrebasse de Thierry Gazel. J’étais au mieux je ressentais les ondes sonores de la big mama que Thierry traitait, il faut l’avouer, un tant soit peu abruptement, une véritable balnéothérapie, j’étais délicieusement heurté par les apports incessants de la houle de cette mer sans cesse recommencée, mes yeux subjugués ne quittaient pas les cordes, lorsque la grosse mémère nous fit le coup Du Titanic, même pire car sans l’aide d’un iceberg elle explosa littéralement, le chevalet s’envola et tout le cordier s’effondra comme s’affaient les voiles d’un trois-mâts qu’une bordée de canons ennemis a sans préavis démâtés. C’est dans ces moments que l’on reconnaît les grands capitaines, sans la trace du moindre affolement, Thierry se saisit des débris du naufrage, se faufila derrière ses deux camarades pour remettre de l’ordre dans ses abattis. Moins de dix minutes plus tard il était de retour, sa big mama prête à reprendre le combat.

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    L’ingratitude humaine est sans limite. Les deux survivants changèrent illico leurs fusils d’épaule. Je ne peux pas dire leurs guitares car les deux bandoulières ne bougèrent pas. Nous eûmes un magnifique lot de consolation, un petit Comin’ Home de Gene Vincent. Moment adéquat pour présenter Stéphane Gazel dont nous n’avons pour l’instant qu’entrevu la noire silhouette. Nous l’agrémentons d’une Gretsch, un coloris London Grey si je ne m’abuse, c’est étrange quand il ne joue pas Stéphane regarde sa Gretsch d’un regard suspicieux comme s’il ne lui faisait pas confiance. Mais quand il joue ! D’abord il ne joue pas, il la touche à grande parcimonie du bout des doigts, il  l’effleure, à peine s’il la frôle, et tout de suite vous ne percevez ni les notes, ni la musique, ni la sonorité, ce qui coule comme du miel dans vos oreilles, c’est une espèce de musicalité arachnéenne, un son comme nous n’en n’avez jamais entendu jusqu’ à lors. Une espèce de suavité rock inédite, un prestidigitateur, ses mains survolent sa guitare comme des hirondelles qui choisissent le fil et l’emplacement précis sur lesquels elles vont s’appesantir comme un soupir rapidement évanoui, et toujours cette ambroisie musicale qui englobe et vous transporte tout en haut de l’empyrée. De l’empyrock.

    En plus il sait se servir d’un harmonica d’une façon diabolique et en  surplus l’est nanti d’un à-propos et d’un humour pince-sans-rire interjonctif dévastateur, un seul exemple : son adaptation d’Eddie Sois Bon ! des mythiques Chaussettes Noires, pour  presser le choix d’un morceau.

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    Eddie toujours à fond sur son Epiphone, n’en est pas pour autant aphone. S’il vous plaît ne confondez pas bruit de fond et mur du son. Eddie se redresse et s’approche du micro, l’a l’étrange besoin qu’il soit deux centimètres plus haut que sa bouche, ses doigts battent le beurre, j’emprunte cet expression à notre Cat Zengler national, pas la tambouille à la je-t-embrouille, z’engendrent à chaque morceau un espace sonore différent, et puis il jette le vocal, plus exactement il se jette sur le vocal comme s’il voulait le bouffer, à n’importe quelle sauce,  sucré pour le doo wop – ses deux acolytes  et le public se chargeant des chœurs - mélasse aigre-douce pour les slows déchirés, rasade de piment de cayenne pour le rockab, mais surtout ce qui vous surprend toujours ce sont ses accélérations vocales foudroyantes, un étalon qui s’enfuit du corral et que personne ne pourra rattraper, ou encore cette façon de poser la voix juste là où il faut, perso vous n’en avez aucune idée, mais vous vous reconnaissez que c’est exactement à cette hauteur, à cet élan, à cette vitesse, à cet instant précis qu’il faut la mettre.

    Le pire c’est que quand c’est terminé, c’est fini. Entente familiale. Chacun coupe le robinet de son instrument en même temps que les autres. Pas un centimètre de plus ou de moins. Coupure abrupte. Désintégration sonore surprenante. L’on vous supprime le gâteau que vous comptiez savourer. Vous auriez envie de rouspéter, mais au fond de vous ? vous reconnaissez que vous êtes repu. A satiété.

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    ( Photos : Rocka Billy)

    Revenons à Thierry. Faudrait peut-être disséquer nos trois malandrins  pour savoir comment percer le mystère : pourquoi une certaine ressemblance dans leur manière de jouer, est-ce de l’inné ou de l’acquis, Eddie a avoué que c’est son père qui l’a initié aux sortilèges de doo wap, mais seule une étude scientifique de haut niveau pourrait répondre à cette angoissante question.  Quoi qu’il en soit Thierry ne frappe comme un madurle sur son cordier. Il ne passe pas en force. Pas aux poings. Mais à point. Une précision grondante, big mama en tant que chat noir hérissé, du swing, mais sans verbiage, une espèce de métronome ondulaloire, une mécanique quantique en ébullition mais par-dessous existe un ordre inapparent, une structure invisible, qui joue sue le fait que les mêmes causes produisent les mêmes effets mais que les effets ne sont pas nécessairement dus aux mêmes causes. Un jeu cérébralement instinctif comme si l’outrance du rockabilly prévalait sur la variabilité du swing.

    Bref l’on a beaucoup ri. Et pris beaucoup de plaisir. Un public réceptif et un groupe éruptif. Sont allés chercher Pascal Lambert pour qu’il joue deux morceaux sur scène. Il nous a offert un Mystery Train dans lequel l’on serait tous montés sans vouloir redescendre. A la réflexion Elvis a été un peu le contrefort musical auquel se sont acculés les trois sets. Lorsqu’ils ont fini, Béatrice la patronne en personne est intervenue à la demande générale pour que la fête continue encor un peu(beaucoup). Pour un concert pratiquement improvisé la famille Gazel a visé dans le mille. Cœur de cible.

     

    Damie Chad.

     

    *

    Certains cherchent de l’or, moi je cherchais l’origine. Du blues.  J’ai trouvé. Je vous en reparlerai bientôt. Rien ne sert d’avoir trouvé, encore faut-il continuer à chercher. Bref, je me suis retrouvé à tourner, autour de la petite Minnie. En tout bien et tout honneur, ai-je besoin de le préciser. Mais quand vous vous intéressez à une fille, vous ne tardez pas à tomber nez à nez avec un autre gars.  Qui n’est jamais là par hasard.  L’a eu de la chance. Je le connaissais. Depuis un demi-siècle et plus. Vous aussi, je vous refile son nom, au cas où vous ne le reconnaîtriez pas sur la photo. L’a vieilli. Le pauvre.   Vous voudriez  son blaze : Robert Plant !

    Au total trois vidéos en annonce de son prochain album. A paraître dans deux jours !

    SAVING GRACE

    ROBERT PLANT

    And SUZI DIAN

    (Nonesuch Records / 26 – 09 – 2025)

             Sûr que la photo veut être belle : le chromo nature écologique parfait, avec sous-entendu accusatoire, toutes les espèces animales que nous avons décimées… Maintenant, soyons futé, j’avons rien contre les bisons, mais celui-ci qui accapare le premier plan vous a un petit air de descente de lit usée, peut-être pas anguille sous roche mais sûrement bison sur la plaine.

             Je ne vous fais pas l’injure de présenter Robert Plant.

    Robert Plant : vocal, harmonica / Suzi Dian : vovals, accordéon / Oli Jefferson : drums, percussions / Tony Kelsey : acoustic or electric guitar / Barney Morse-Brown : violoncelle / Matt Worley : banjo, vocal, acoustic guitar, cuatro (petite guitare à quatre cordes).

    CHEVROLET

    (Official Music Video)

    Je connais ce truc, je ne regarde pas la vidéo, je cherche dans ma tête, ah oui Hey Gyp des Animals, tiens un led Zeppe qui reprend Eric Burdon, c’est étonnant, l’est vrai que l’original est de  Donovan. Les anglais étant tous des voleurs, vérifions, pour sûr c’est de Memphis Minnie, une des plus grandes chanteuses de blues, le Zeppelin lui a déjà subtilisé When The Levee Breaks sur le IV, le dernier morceau de la Face B, au début je stationnais sur la Face A de Black Dog à Stairway to Heaven et à la fin je ne quittais plus ces maudites digues que le Mississippi avait emportées… Je file écouter Minnie, elle n’est pas seule, décidément encore un gars autour d’elle, cette fois c’est son mari Kansas Joe McCoy, l’auteur de When the Levee… Le titre original qui nous préoccupe est Can I do it for you ? le pauvre gars ne sait pas quoi faire pour séduire la fille, lui offre des tas de trucs jusqu’à une collection de voitures, et la girl refuse tout. Suis étonné que les féministes ne l’aient pas pris pour hymne. En tout cas le morceau est superbe, comme tout ce que fait Minnie, l’est long, s’étale sur les deux faces d’un Vocalion, d’où les parties 1 et 2. Ce qu’il y a de bien avec Led Zeppe c’est qu’il faut farfouiller un peu… Maintenant que nous avons à chacun rendu son bien, regardons la vidéo. N’oublions pas de l’écouter, ce

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     n’est pas le screamin’ Plant de la belle époque, mais l’est bien plus en forme qu’il y a quelques années, dans certains concerts avec Alison Kraus, Plant murmurait, ici  la voix est douce mais presque rauque, un sortilège, quant à la zique un délice, très zeppeline, très folk. Avant d’être le titre de ce nouvel album Saving Grace est le nom du groupe qui depuis plusieurs années accompagne Plant. Une osmose parfaite, le chant d’Alison écrasait celui de Plant, a contrario la voix de Suzi Dian possède ce privilège de conforter, d’enlacer et de soutenir celle de notre ancien shouter man. Faut l’écouter plusieurs fois pour saisir la richesse de la cavalcade de l’orchestration, nous sommes loin du country, dans une espèce de tourbillon musical, quasi symphonique tant la diversité des timbres et leurs entrecroisements incessants s’avère multiforme. La vidéo tient du conte de fée, une version moderne, enfin c’est moi qui l’affirme l’histoire de Rapunzel avec ses longs cheveux blonds, mais vous n’êtes pas obligés de me suivre sur cette piste… surtout qu’au début nous sommes dans un paysage typiquement américain, disons symboliquement car par du tout naturel, plutôt dans un dessin animé constitué d’images de synthèses, si bien faites que la fille semble vivante, sans doute incrustée, nous subodorons qu’elle est jolie, car l’on ne voit pas, l’est cachée par ses cheveux, pas vraiment une longue chevelure, imaginez-la plutôt enfermée comme le premier des trois petits cochons dans sa maison de paille, pas de méchant loup pour venir souffler sa fragile demeure, une maîtresse femme, Plant a mis toutes les chances de son côté, survient à toute vitesse dans sa Chevrolet décapotable, l’est beau comme le prince de l’histoire de La Belle et la bête, s’est déguisé en lion. Entre nous soit dit, le royal animal est en aussi mauvais état que le bison de la couve. L’est pas seul, toute une ménagerie, de pacotille, des jouets usés de gamin peu soigneux, un élan, un aigle, le fameux bison… Ce clip ressemble à de maladroites manipulations d’objets sur les tréteaux d’un théâtre de Guignol. La princesse n’arrête pas d’agiter son index, comme un doigt d’honneur, rien ne lui plaît…

    Si vous ne me croyez pas, allez-y voir par vous-même, vous en ai livré une description cryptée, c’est qu’avec Led Zepe vous avez des symboles cachés un peu partout à déchiffrer. N’oubliez pas que selon Edgar Poe ce qui est caché est intentionnellement posé au premier plan. Si vous n’avez pas envie de vous prendre la tête jetez un œil sur le site de Manu Viquera, c’est lui le créateur : un véritable Artiste.

    GOSPEL PLOUGH

    (Official Audio)

    La version de ce traditionnel, parue en 1962 sur le premier trente-trois tours de Bob Dylan,  est un crachat lancé à la face de Dieu qui métamorphose la lourde plainte de l’esclave le dos ployé sur sa charrue en cri de haine, en envie nietzschéenne de tuer le Seigneur esclavagiste des âmes.

    Difficile de faire mieux. Certes vous avez une version de Mahalia Jackson, la diva du gospel, qui vous en offre une cover totalement déjantée, une espèce de cavalcade, avec un piano qui hennit comme un étalon qui s’apprête à honorer la plus belle des juments du troupeau, je ne voudrais pas insinuer des faussetés mais quand vous l’écoutez, vous en tirez la conclusion qu’elle et ses musiciens, l’orchestre de Ducke Ellington, sont totalement  ivres.

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    Face à Dylan et à Mahalia, le Plant n’a que sa voix, diminuée tout de même, et son orchestre.  L’est mal parti, c’est vrai faut arriver au troisième tiers morceau pour comprendre comment ils vous retournent l’âme comme une crêpe au rhum. Premier tiers : les musicos au boulot, c’est beau comme un arbre de Noël, vous retirez vos pataugas pour ne pas faire de bruit, de la belle ouvrage, au fond un bourdon, devant une guitare qui n’ose pas être totalement espagnole. Deuxième tiers : Plant et Suzi au chant, magnifiques, les musicos font les zigouigouis attendus, mais vous ne leur prêtez aucune attention, une brise de printemps vous frôle l’échine et vous insuffle la force de vivre. Troisième tiers : instrumental, mettent la gomme  au début, le barouf d’honneur, pas du tout, une espèce d’apocalypse sonore fond sur vous, elle ne fait que passer, elle s’éloigne et bourdonne au fond de l’horizon. C’est Dieu qui s’éloigne de vous. Définitivement.

    EVERYBODY’S SONG

    (Official Music Video)

    A l’origine une chanson du groupe Low. Pourquoi Plant l’a-t-il choisi. J’ai ma réponse : parce que ce morceau ressemble à un morceau de Led Zeppelin, très mal joué, une imitation grossière, y mettent tout leur cœur mais leur manque la grâce. La maîtrise aussi. Trop brouillon. Des idées jetées pêle-mêle. Rien de structuré. Rien de digéré.

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    La vidéo n’est pas un chef d’œuvre, elle recycle un peu des idées de Chevrolet. L’on est content au début de retrouver le bison qui court qui semble vouloir nous emmener dans les vertes prairies de l’Eden, l’est vite rejoint toujours en surimpression par toute la faune du paradis… Là où ça se gâte c’est quand vous vous retrouvez dans votre salle à manger à visionner une émission animalière, sur TV couleur grand écran, de belles images d’animaux sur sites naturels, tellement vues et revues que l’on a envie d’arrêter.

    Ce serait dommage car maître Plant vous remet de l’ordre dans la bouillie à gros gruaux d’avoine de Low. Désormais le morceau est high. Et allégé. Extermination des gluances marécageuses Luxe, calme charliphores et volupté baudelairienne à tous les étages.

    Damie Chad.

     

    *

    Sur le coup le nom du groupe ne m’a rien dit, ma mémoire est certes infaillible mais là toute mon attention était monopolisée par le son des guitares, une marmelade de bon augure. C’est en parcourant leur discographie que j’ai sursauté, j’ai reconnu la couve, le lion ailé, j’ai vite retrouvé la chronique de l’album Ouroboros de Krampot dans la livraison 573 du 03 / 11 / 2022. Donc trois après ils sévissent encore, illico je kronico. Je ne suis pas un escargot.

    DIS

    KRAMPOT

    (Bandcamp / Août 2025)

    N’ont pas changé : Claudia Mühlberger : vocals, guitar / Andrea Klein : guitar /Georg Schiffer : drums /Julian Kirchner : bass.

    Viennent de Vienne, pas notre antique Vienna située sur le territoire gaulois des Allobroges, mais la capitale de l’Autriche. Ne sont pas des stakhanovistes : trois singles en trois ans, Dis est le premier titre de leur futur album… à venir à une date indéterminée.

    Ils se définissent comme une formation  Pagan Desert Doom mais leur emblème incite à penser qu’ils se réfèrent davantage à l’infâme créature dominatrice des mondes souterrains et ténébreux qu’aux lumineuses divinités de la Grèce antique. Si vous êtes une âme sensible ne jetez pas un seul regard à l’Instagram d’Andrea Klein peuplé de monstre voraces et inquiétants. Si vous visitez l’Instagram de Krampot vous vous apercevrez qu’elle n’ignore point qu’il existe des couleurs moins angoissantes que le blanc et le noir.

    Le single est précédé d’une courte notule du groupe : l’album projeté raconte un voyage vers la Cité de Dis. Ne vous précipitez pas pour vous inscrire : la Cité de Dis appartient à Pluton, le dieu des enfers, ainsi surnommé le Riche (dives en latin) puisqu’il règne sur l’innombrable peuple des morts. Dante cornaqué par Virgile nous la fait visiter. Elle s’étend sur les derniers cercles des Enfers, les plus profonds qui renferment les âmes les plus exécrables non pas parce qu’elles auraient commis le plus grand nombre d’assassinats mais parce que leurs crimes révèlent leurs bassesses naturelles : elles ont menti, volé, trahi… sachant qu’elles commettaient le mal en toute connaissance de cause… Le voyage devrait s’achever dans la zone du froid absolu de la souffrance…

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    Ne vous fiez pas à la première impression lorsque vous regarderez la couve. La couleur rouge ne représente pas la joie de vivre mais la souffrance des supplices. Les volutes torsadées ne représentent pas les dentelles d’une robe de princesse, elles sont les émanations glacées du cœur gelé de Dis. Toi qui te diriges vers ce concentré de haine froide abandonne tout espoir. La bestiole verdâtre qui semble parfaitement à l’aise dans ces eaux polaires n’est pas votre amie !

    Dis : les lignes précédentes n’incitent guère à l’optimisme, la voix de Claudia est sans pitié, aussi froide qu’un couteau qui s’enfonce dans votre cœur très doucement pour que vous souffriez éternellement. Les vingt premières secondes, guitares et batterie sont comme toutes les guitares et toutes les batteries de tous les groupes de stoner doom, vous respirez, vous êtes en terrain connu, rien de plus brûlant et réconfortant que le rock, hélas, elles deviennent insupportables, ce n’est pas qu’elles hurlent et pilonnent, pas du tout, elles ne cherchent pas atteindre le noise industriel grinçant et insupportable, elles restent dans le domaine mélodique, elles s’appesantissent, elles deviennent aussi lourdes qu’une calotte d’iceberg, elles vous englobent, elles vous phagocytent, elles s’emparent de vous, il y a longtemps que Claudia s’est tue, que dire d’autre que cette sensation d’être enfermé vivant ad vitam aeternam dans un des tiroirs de la morgue de votre esprit. Imaginez le parcours d’une âme avide de savoir, de voir, de se fondre, voire de se morfondre dans l’absolu de la mort, lorsque résonnent les derniers mots prononcés en latin, la créature ressuscitera. La créature qui est la mort : oui. Mais toi : non.

             Un morceau sibérien ! La curiosité n’est pas nécessairement un vilain défaut. Ce dernier titre nous a donné envie d’écouter l’avant dernier.

    LORD OF DARKNESS

    (Bandcamp / Octobre 2023)

    Reprise d’une démo parue en 2017. La couve de ce tout premier opus représentait sur un fond mauve les trois gueules de Cerbère beaucoup plus proches du loup que des molosses de l’iconographie grecque traditionnelle. 

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    La couve de cette reprise préfigure celle du single qui suivra. Un peu plus mystérieuse, peut-être est-ce dû qu’au fond d’une obscurité érébéenne s’agitent des formes transversales, seraient-ce des larves, la vivacité de l’orange qui tranche superbement sur ce tableau noir inciteraient, malgré le titre, à l’optimisme, mais les longues mâchoires de crocodile sans corps qui les enserrent nous aident à comprendre que nous faisons fausse route. Les grosses majuscules du titre semblables à un panneau d’affichage nous le confirment.

    Sur YT la présentation de la couve est davantage explicite : les larves orange se révèlent être les langues serpentines des trois gueules de Cerbère et les mâchoires orphelines des crocodiles se transforment en la caninique et terrible dentition  dans le dessin au trait fin des trois têtes du gardien des Enfers. 

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    Lord of Darkness : rythmique lancinante, le chemin sera long et peu voluptueux, franchement on n’est pas là pour rigoler, la traversée de cercles infernaux s’avère harassante, des morts partout qui essaient de mourir ou de vivre, ce genre de postulations se ressemblent, le pire c’est le Seigneur des Ténèbres lui-même, ne paraît prendre aucun plaisir à son rôle, donne l’impression qu’il accueille les âmes mourantes parce qu’il ne peut pas faire autrement, certes la rythmique s’éparpille un tantinet quand elles se retrouvent au plus près de lui, Krampot fait tous ses efforts pour nous dissuader de quelque espoir, les morts essaient d’attirer son attention, peine perdue… la partie qui se joue se passe ailleurs, les Dieux se meurent, ils sont engloutis dans l’oubli et cèdent la place aux Titans, ce n’est pas dit mais sans doute le Seigneur des obscurités suppute-t-il que lui aussi, un millénaire ou l’autre devra périr, ne serait-il pas nécessaire de l’écrire sur les vitres du néant avec le sang des morts…

    SLAVIA DIVINORUM 

    (Bandcamp / Mai 2023)

    De l’avant dernier nous passons sans complexe à l’antépénultième comme dirait Stéphane Mallarmé. Pas besoin d’être un spécialiste en musique classique pour savoir d’où provient l’inspiration d’Andrea Klein pour cette couve si différente des deux précédentes.

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    Nommons le coupable : le grand compositeur russe Modeste Moussorgski qui pour rendre hommage à son ami peintre Viktor Hartmann décédé en 1873 composa l’année suivante une série de dix pièces pour piano intitulées : Tableaux d’une exposition. Ainsi nommée car le musicien s’est inspiré de tableaux ou d’aquarelles de son ami, notamment de l’une  d’entre elles nommée la Cabane Aux Pattes de Poule qui n’est autre que la maison d’un des personnages les plus célèbres des contes russes : la sorcière Baba Yaga.

    Slavia divinorum : encore une reprise d’un des quatre  morceaux de leur premier opus Odyssea :  l’auditeur qui aura écouté les deux morceaux précédents sera surpris. Certes c’est du doom, mais un doom qui mériterait d’être qualifié de joyeux, les guitares ronchonnantes jouent un peu à l’ogre de nos contes d’enfant mais la batterie imite à merveille la démarche claudiquante de l’isba aux pattes de poules. Nous sommes à mille lieues des antres obscurs plutoniens. Le problème, c’est qu’à la moitié de l’opus tout change. La batterie brinqueballe un petit peu  moins mais encore une fois  c’est la voix de Claudia qui vous glace le chant, les paroles s’inscrivent sur la vidéo, pas bien longues, de très courts vers, morphologiquement vous avez l’impression d’une comptine pour endormir les enfants, mais avec ce vocal qui résonne sous les voûtes des cités interdites vous vous dites qu’il y a quelque chose qui cloche, vous voulez en avoir le cœur net d’autant plus que lorsque la voix se tait après une apothéose chorale qui se termine par deux stridences, les instruments abandonnent leur allure sympathique  pour s’adonner à un doom de la mort qui se termine sur un long grondement d’orage… Vous demandez à votre traducteur de vous traduire les paroles, sans doute du russe, peut-être de l’ukrainien, c’est tout mignon, avec un gentil renard, parfait pour une classe de maternelle, ben non, le renard n’est que l’image de la mort… Serait-ce une illustration de l’âme slave, de son infinie tristesse… mais cette maison aux pattes de poule ne repose-t-elle pas sur une large tache verte à laquelle on pourrait prêter la forme d’une feuille de sauge (salvia), plante médicinale par excellence, la mort médicament des dieux…

             Un groupe qui vous vous apporte des réponses aux questions que vous ne leur posiez pas. La poudre noire qui reste au fond du creuset.

             Je pensais en avoir fini avec Krampot pour cette kronic, mais voici qu’en cherchant j’ai trouvé deux autres titres. Sont-ce deux morceaux qui se retrouveront sur l’album à venir, je n’en sais rien, toutefois leur visionnage apporte non pas quelques lueurs mais quelques noirceurs.

             Le premier est une démo-vidéo sur laquelle le groupe interprète :

    HADAL HYBRIS

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             Osons le dire cette vidéo est bien plus puissante que les trois titres précédents. Les quatre membres de Krampot sont enfermés dans un local, image grise, ne jouant aucunement sur les ruptures expressionnistes du noir et du blanc. La musique est la même mais totalement différente, cette assertion  n’est pas aussi absurde qu’il pourrait le paraître de prime abord, le même inclut le retour or le retour n’est déjà plus le même, pensez au titre de leur premier album Ouroboros… dès les premières secondes vous vous trouvez projeté en une dimension orientale (évacuez de votre esprit l’Orient typique pour ne pas employer le terme de touristique à la Led Zeppelin), pensez à la notion d’intemporalité de la musique indienne qui semble avancer infiniment tout en laissant par de rares modulations qu’elle reste toujours dans le même confort acoustique d’une zone dont elle ne s’échappe pas. A part que nous avons affaire à un véritable groupe de rock, deux guitares, une basse, une batterie, et une voix, féminine puisque proférée par un être féminin, mais ô combien d’outre-sexe, d’autre part, venue d’ailleurs, une mélopée atemporelle qui serait fichée dans un gosier pour prendre pied dans notre monde. La section rythmique s’active méchamment, les images le prouvent, mais leur action semble n’avoir aucune action efficiente sur le rythme du morceau, j’ai envie d’écrire que ce groupe ne produit pas de la musique mais de l’intensité sonore, une lampe qui éclaire d’elle-même sans être branchée sur une source d’électricité quelconque et dont parfois la luminosité devient plus forte sans qu’elle semble en être la responsable car n’obéissant qu’à ses propres injonctions. Musique fascinatoire. De quelle hybridité ce morceau rend-il compte ? De celle des Dieux et des Titans s’engouffrant dans les profondeurs abyssales, rappelons que toute glace n’est que de l’eau, que l’abîme n’est que l’image renversée du soleil mort, que la lumière se congèle aussi facilement que de l’eau de vie métamorphosée en eau de mort. Toute alchimie n’est-elle pas réversible. D’où cette impression d’immobilité parcourue de tempêtes sans frein… Comme si musique et poésie s’équivalaient sans cesse sans parvenir à un équilibre fondationnel.

             Deuxième vidéo :

    MARENA

    (Music vidéo / Krampot / 21-12 -2021)

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              La vidéo portée par la voix de Claudia permet d’entrevoit le groupe en train d’interpréter sa chanson, la primauté est toutefois accordée aux images. Les premières sont magnifiques, grandioses paysages de forêts recouvertes de neige, arbres le tronc engoncé en leur carapace de glace. Splendeurs naturelles figées en une immobilité morbide.  Elles sont bientôt suivies de vues ravissantes mais beaucoup moins fortes, écureuils, cerfs, loup… toute une faune qui s’éveille ou qui sort de ses tanières pour se réchauffer. Après l’hiver, le printemps. Après la mort, la vie. Dans une note sous la vidéo il est nous est expliqué que dans les pays d’Europe de l’Est  le titre Marena désigne la déesse de l’hiver, de la mort et de la renaissance. Parfois une effigie de Marena était noyée ou brûlée pour fêter le printemps. Le mythe païen a survécu au christianisme, les villageois expliquant que ce n’était pas une déesse que l’on brûlait mais une sorcière.

             Ce titre fait partie du premier album de Krampot : Odyssea. Le titre est à lui tout seul une revendication paganiste. L’odyssée en question ne conte pas les aventures du héros grec mais évoque le cycle de la nature, qui paraît s’teindre, puis qui renaît de ses cendres tel un phénix immortel.

             Le lecteur n’aura pas été sans remarquer que ce titre contient à lui seul la vision du monde développée par Krampot dans son œuvre.

    Damie Chad.

     

    *

    Il y a des mots que l’on préfère à d’autres. Excusez-moi de cette introductive évidence. J’entends la radio sans l’écouter. L’on déblatère sur un roman qui s’intitule Nous Les Moches. Qui pourrait s’intéresser à la mocheté des hommes et du monde, certains auteurs doivent détester avoir des lecteurs, enfin ça les regarde, des bribes parviennent à mes oreilles, tiens un romancier, normal la séquence porte sur les romans de la rentrée littéraire de septembre, tiens en plus c’est un militaire, drôle de zèbre une rayure noire pour la guerre une blanche pour l’écriture, je ne vais pas critiquer, un  de mes livres préférés ne se nomme-t-il pas Les Sept Piliers de la Sagesse de T.E Lawrence plus connu sous la prestigieuse nomination de Lawrence d’Arabie, qu’importe de toutes les manières pour moi la littérature s’est arrêté au dix-neuvième siècle, après la génération 1870 - 1930 je ne suis que très rarement preneur, j’ai terminé mes ablutions matinales, mes doigts s’apprêtent à retirer le cordon de la prise lorsque surgit un mot incroyablement incongru, aurais-je mal compris, ne serait-ce pas mon cerveau compatissant qui voulant me préserver de la laideur actualitoire  m’aurait fait accroire qu’il aurait été prononcé par le journaliste, mais non, je ne suis pas fou, je ne suis pas en train de prendre mes désirs pour la réalité, pas du tout, le speaker le répète : Norfolk !

    Norfolk ! La ville de Gene Vincent !

    Bref, je me suis précipité chez ma libraire préférée et j’ai acheté le bouquin.

    NOUS LES MOCHES

    JEAN MICHELIN

    (Editions Héloïse Michelin / Août 2025)

             Evidemment je m’y attendais, pas la moindre trace de Gene Vincent in the book. Dommage d’ailleurs, car c’est un peu la même histoire, de grandes similarités si l’on se donne la peine de réfléchir. Donc un roman. La trame est simple. Quatre gamins américains qui rêvent de devenir des Rock’n’roll Stars. L’histoire est racontée du début à la fin. Ce qui ne veut pas dire chronologiquement. Narrativement c’est beaucoup plus complexe que ça n’en a l’air. Jean Michelin n’est pas retors. Ne fait pas ses coups en douce. Vous avertit en toutes lettres chaque fois que le récit est victime (consentante) de ce  que j’appellerais un désencadrement, imaginez un tableau qui vous montrerait un paysage différent de celui que vous êtes en train d’admirer ? Entre parenthèse du paysage vous allez en bouffer, de toutes sortes, nos quatre héros ne traversent-ils pas les Etats-Unis en voiture, paysages géographiques à gogo, paysages mentaux à vous rendre gaga.

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             Retournons à nos rockers. Utilisons un terme précis : des metalleux, z’étaient gamins quand ils ont été percutés par Metalicca, Iron Maiden, Megadeth, vous entrevoyez la tribu à laquelle ils appartiennent. Marx ne l’a pas dit ainsi : mais dans chaque tribu rock il y a une sacrée lutte de classe. Pas de chance ils ne font pas parti de l’upper class, ne sont pas tout-à-fait non plus des soutiers à fond de cale. En France on dirait des bénéficiaires des aides sociales, celles-ci n’existant pratiquement pas dans la Grande Amérique  ils seront obligés de se fader toute leur vie des petits boulots de merde, de durée volatile… Bref la colère vous habite. Une seule solution. Non ce n’est pas la révolution. C’est la formation. A l’école certes, mais aux USA faut avoir les moyens intellectuels (un peu) et financiers (beaucoup). Donc ils opteront pour la formation d’un groupe.

             Evidemment ils partent de rien. Logiquement ils arrivent à pas grand-chose. Ne voyons pas tout en noir, ils ont in niveau déplorable, ils bossent, ils s’améliorent. Ne sont plus des nuls. Ne leur manque qu’un peu de chance pour se faire remarquer. Elle se présente, ils n’oseront pas la prendre. Tant pis pour eux, bien fait pour leurs gueules ! C’est que voyez-vous quand le système pourrait vous accueillir, faut pas hésiter.

             Fatalité sociale ! Ils sont pauvres, ils sont  moches, l’argent, les filles, la gloire ce n’est pas pour eux. Broken dreams ! Les années passent… Et Doug le batteur les rappelle. Notons, c’est écrit sur la quatrième de couverture, l’auteur Jean Michelin est aussi un batteur.

             Doug a un plan. Foireux à l’évidence. Suffit de faire comme si l’on croyait qu’il était réalisable. Je vous rassure, il ne fonctionnera pas. Pourtant Jean Michelin fait tout pour les aider. Partent sur un coup de dés. Pipé à la base. Mais Michelin leur trouve une solution de substitution. Le lecteur n’y croit pas. Eux si. Enfin quand les dés sont lancés il faut les regarder rouler. Alors ils roulent au travers des Etats-Unis, d’est en Ouest, de Norfolk à la Californie.  (Tiens la même trajectoire que Gene Vincent).

             Pour les cartes postales vous irez sur le Net. Nos quatre pieds nickelés ne s’intéressent qu’aux gens. Ne profitent pas du voyage pour devenir des ethnologues. Partout où  ils passent, mégalopoles ou bourgs ruraux ils ne voient que la même chose. Une égalité démocratique parfaite : des jeunes cons et des vieux cons.  American Beauty is not American Reality dirons-nous pour parodier une couve du Grateful Dead. Des vaincus de la vie, le ventre bouffi d’alcool, le cerveau empli de bêtises hideuses. Misère partout : sociale et intellectuelle.

             Soyons justes : il n’y a pas que des pauvres. Il y a aussi des riches. Les vrais riches ils sont rares dans le bouquin. Les riches auxquels se heurtent nos héros, sont des gagne-petit, ne vous louent pas des chambres mais des espèces de galetas… La richesse n’existe pas, ce qui lui sert de substitut c’est le dollar. Alors dès que vous en avez en poche vous faites tout pour les garder… Avarice et égoïsme seraient-ils les deux mamelles de cette société inégalitaire…

             L’Amérique que nous présente Michelin n’est pas attirante. Mais tout cela ce n’est rien, presque un conte de fée, à côté de la face sombre de l’Amérique : la leçon est simple : même si vous êtes riche, vous n’êtes pas libre, vous êtes obligé de pactiser avec le système, de le faire fonctionner. Même si vous ne le voulez pas. Sans quoi il vous rejettera. Prenons un exemple : le rock’n’roll. Doug et ses camarades ont la rage. D’autres l’ont eu avant eux. Metalicca par exemple. Mais si vous percez, si vous émergez, pour rester tout en haut vous êtes obligé de mettre de l’eau tiède dans votre rock. Les idoles se décolorent vite… Metalicca par exemple.

             Nos héros ne sont pas dupes. Même le guitariste qui s’est joint à eux. Plus jeune et peut-être encore plus désespéré. Michelin est assez malin pour nous proposer une fin ‘’heureuse’’. Du moins qui le semble. Elle ne l’est pas du tout. Chacun des personnages retourne dans sa nuit et l’on pressent que la lumière ne sera pas au bout du tunnel.

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             Vous fermez le livre. Je n’aimerais pas vivre aux USA concluez-vous. Remarquez, par chez nous ça y ressemble de plus en plus… Le roman n’incite pas à l’optimisme… Jean Michelin né en 1981 n’est pas un militaire de salon, il a servi au  Kosovo, au Liban, en Afghanistan et bien d’autres… il a travaillé à Norfolk dans les services de l’Otan, un itinéraire de haute responsabilité, je ne m’attendais pas à un tel livre chez un homme officiant à de tels postes…

             En tout cas un roman qui analyse les USA à partir d’un lieu d’observation peu utilisé : le rock’n’roll.

    Damie Chad.

     

     

    *

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    Le nom de Chas Hodges (1943 – 2018) n’est guère connu du grand public en France. Le seul titre de gloire que nous lui reconnaissons est d’avoir accompagné Gene Vincent  en tant que bassiste des Outlaws.  Sa carrière en Angleterre et aux Etats-Unis ne se limita pas à ce groupe… Pour la petite histoire rappelons que le célèbre John Peel – le rock anglais lui doit beaucoup - animateur et producteur sur Radio One (BBC) décréta que le titre Shake With Me enregistré en 1964 par les Outlaws fut le premier morceau d’heavy Metal apparu sur cett terre… Et les Outlaws et Chas Hodges furent des figures agissantes du rock anglais qui mériteraient davantage de renommée que la réputation de seconds couteaux du rock anglais qui leur est trop souvent attribuée. Ecoutons Chas, ses souvenirs sur Gene Vincent sont essentiels quant aux tribulations de Gene outre-Manche…

    The Gene Vincent Files #8: Chas Hodges reminiscing

     the times he toured with Gene and The Outlaws.

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    Les Outlaws se sont formés, à l’origine ils s’appelaient The Formers, Mike Barry voulait un groupe d’accompagnement, pour enregistrer au studio de Joe Meek en 1961, nous avons donc auditionné et Joe changea notre nom en Outlaws, je tenais la basse, Kenny Ludgren était à la guitare rythmique, Ritchie Blackmore était à la lead, et Mickey Underwood à la batterie, nous avons repéré une annonce sur le Melody Maker selon laquelle Gene Vincent était à la recherche d’un groupe de soutien, le guitariste Kenny Lundgren téléphona à Don Arden et Don Arden vint nous auditionner dans un studio de répétition, nous avons joué quelque chose comme cinq ou six morceaux et il a dit ‘’ Ok les gars vous avez le job’’ nous étions tous contents d’être de cette tournée mais nous sommes arrivés trop tard pour la  tournée, Don Arden a dit, oui il a dit j’ai déjà un groupe pour accompagner Gene Vincent, nous partions, lorsqu’ il a dit, oui  il a dit : Jerry Lee Lewis a besoin d’un groupe d’accompagnement, et c’était parfait parce que nous avons accompagné Jerry Lee sur cette tournée et quand Jerry est rentré chez lui, nous avons pris la route avec Gene Vincent, ainsi tout s’est parfaitement combiné, ainsi vous avez eu les deux bouts du monde ! bien sûr mais je veux dire que quand je regarde cette année 1963 c’est une de mes plus belles années, derrière Jerry Lee et ensuite sur la route avec Gene Vincent et de retour à la maison je me suis mis au piano, Jerry Lee oblige !, oui ce fut

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    une très belle année. Nous avons répété avant le Saturday Club, assez drôle, nous avons couru jusqu’au domicile de Gene, à Muse quelque part dans le West End. Je me souviens de Gene disant nous allons organiser  une cocktail party, j’avais seulement entendu dire cela dans les films, je n’avais aucune idée de quoi il s’agissait, Gene m’expliqua : on y boit, j’étais partant, j’ai bu quelques verres, ainsi nous avons organisé une cocktail party et avons répété en même temps. Il savait ce qu’il aimait. Gene était très bon pour organiser les choses que nous faisions. Nous jouions Baby Blue : I got her name, it’s Baby Blue, well, baby, baby, baby, et nous avons pris l’habitude, je pense que c’était sur sa suggestion, nous étions vraiment agiles en ce temps-là, sur le solo nous sautions sur nos  amplis, le guitariste s’allongeait sur le sol, imaginez des contorsions de tous genres, c’était super, Gene se jetait à terre, nous étions capables de reprendre nos places initiales, de la manière dont nous l’effectuons c’était presque une chorégraphie.  Est-ce que Joe Meek and Gene Vincent travaillaient ensemble ?, oui ils l’ont fait et je ne sais pas avec quel groupe d’accompagnement, j’ai découvert cela après, j’ai été un petit peu déçu que Joe ne m’ait pas embauché comme bassiste, c’est sorti dans un film, Live It Up, dans lequel les Outlaws sont crédités, qui était aussi bien foutu qu’une série A , ce n’était même pas une série B, c’était une C,  ou une D, je dirais même une E, avec Heinz comme star, mais Gene a chanté un morceau appelé Temptation Baby, plutôt bon, il l’a enregistré chez Joe je crois, mais je n’étais malheureusement pas présent lors de cette session.  je pense

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    hélas que Gene avait quelque chose de spécial, je l’ai compris pendant que j’étais en tournée avec lui, pas systématiquement,  il le faisait toutes les nuits, chaque fois qu’ il était de mauvaise humeur, c’était terrible, il  se laissait aller durant le show et je me souviens que je l’encourageais, allons Gene il faut y aller, je n’aimais pas cela, mais s’il y avait quelqu’un qui attendait, si quelqu’un dans le public était venu spécialement pour le voir, comme Johnny Kidd qui avait pris l’habitude de venir le voir ça et là, eh bien si Johnny Kidd était là Gene était capable de donner un show fantastique. Je pense qu’il avait une très grande voix. Il  était le rock’n’roller le plus pointu. Elvis était très bon. Gene était très bon et très pointu. Il était plus pointu qu’Elvis dans son style. Gene avait cette attitude de rock’n’roll agressif et il avait tout ce qui va avec, il avait la voix, et il avait les mouvements sur scène, je veux dire qu’il avait le rythme, la première fois que je l’ai vu sur scène, j’étais derrière lui, nous avions l’habitude de garder le micro en position basse et sa jambe passait par-dessus, c’était exécuté en une seconde, c’était comme un plan coupé dans un film, vous savez il esquissait à peine sa parade et à la seconde suivante ses jambes s’envolaient invisibles, et comme par magie vous les aperceviez à leur place  sur le plancher c’était fantastique, il faisait cela à la perfection, Gene avait l’habitude de dire des choses, je veux dire qu’il a dit alors que nous  rentrions en Angleterre depuis Hambourg, il disait que sa femme, il pensait que sa femme avait une liaison, je ne sais pas si c’était vrai ou pas vrai, il a dit ‘’je rentre à la maison et je  tue ma femme’’, je disais ‘’Ok, veux-tu prendre un verre !’’  ‘’Entends-tu ce que je suis en train de dire sur ma chaise, je rentre à la maison, et je vais descendre Margie ! »  ‘’D’accord Gene, tu veux un café ou quelque chose d’autre ?’’  ‘’ Les copains, vous n’écoutez rien !’’ … Nous sommes  enfin rentrés à la maison, deux jours plus tard j’avisai une grosse manchette sur un journal, il avait réellement pointé son arme sur Margie, mais apparemment, j’ai lu la chose, le pistolet n’était pas en état de fonctionner, ainsi il ne l’a pas réellement tuée, il a juste reçu, je crois, un avertissement. Nous avions une répétition cette après-midi-là à Londres et j’ai pensé qu’il était en train de filer un très mauvais coton, vous savez après ce truc dans le journal, c’était au Din Studio de répétition, in the West End fréquenté par de nombreux groupes et chanteurs, où nous avions l’habitude de répéter, nous sommes arrivés, Gene était dans une pièce, Gene nous a ouvert  la porte et nous regarda, il arborait un très grand sourire sur son visage, ‘’ Je t’ai dit que je jouais aux échecs n’est-ce pas !’’ et il était réellement en train d’y jouer tout seul. Sur ce, il me dit : ‘’

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    Demain, demain je pars à Gênes’’ et il ajouta ‘’ils veulent que je joue avec leur orchestre, je veux que tu viennes avec moi pour que tu leur montres ce qu’il faut faire’’. C’était super ! je me revois écrire un mot dans la maison de ma copine, qui est aujourd’hui ma femme, disant, ‘’S’il te plaît je suis obligé de rester avec Gene, je file chez lui à l’instant, dans le West End, parce que nous partons à cinq heures du matin à Sumit D’’.   Cette nuit-là nous sommes restés éveillés, il a sorti toutes ses armes , je faisais genre parce que je n’étais pas intéressé, ‘’Chas regarde cette arme’’, ‘’oui’’ il disait ‘’c’est un Smith & Wesson’’ ou quelque chose comme ça, et il possédait des brassards, des brassards Nazis, il collectionnait des trucs comme ça, mais je me suis rendu compte que je n’avais rien à craindre, j’ai juste dit d’accord, alors il m’a dit ‘’viens voir mon nouveau bébé’’, sa femme était au lit, il devait être deux heures du matin, ‘’c’est mon nouveau bébé’’, sa femme a dit ‘’Gene tiens-toi tranquille tu es en train de réveiller toute la maison’’, Gene et moi avons fini par nous mettre au lit à quatre heures du matin,  il me réveilla sur les cinq heures, je me souviendrai toujours de Gene sur sa chaise avec cette première cigarette et    cette première bière,  j’ai répondu, je préfèrerais plutôt une tasse de thé ou quelque chose comme ça, de toutes les manières Don Arden a hurlé à la porte sur les cinq heures du matin, je ne sais pas si vous connaissez la voix d’Arden, la plus grosse voix que vous n’ayez jamais entendue ‘’Gene, dépêche-toi, lève-toi’’, je suis debout ma valise à la main, ‘’ô Gene je n’ai pas de costume’’ et Gene Vincent, il était plus petit que moi, déclara ‘’j’ai un costume pour toi ‘’   il me passa un de ses costumes et un de ses pantalons qui m’arrivaient là, je me suis un peu contorsionné  pour me donner une contenance présentable, et je me tenais debout, et certainement Don Arden était déjà dans l’appartement et Don déclama : ‘’dépêche-toi Gene nous allons être en retard’’ et sans même me regarder ils sont passés devant moi : ‘’ Pour le premier groupe,  je pense que Chas pourrait venir !’’  ‘’Nous n’avons besoin de personne d’autre, nous n’avons pas de ticket pour quelqu’un d’autre, le  groupe connaît ton boulot, grouille, monte !’’ Il monta dans la bagnole et ils arrivèrent à l’aéroport et je suis resté là debout, dans cet état en plein milieu de Londres, et le costume de Gene Vincent dans la valise, et je n’avais pas réalisé, je ne sais pas comment je suis revenu chez moi, et je ne peux me souvenir si j’ai évoqué cela avec Gene ou pas, je ne sais pas si je n’ai pas encore probablement par là son costume quelque part. Don Arden était Don Arden, une grosse voix, il semblait totalement insensible, quelle que soit la situation il aboyait ses ordres et il ne savait rien faire d’autre qu’aboyer. Nous avons été payés. Nous avons l’habitude de ces histoires sur Don Arden, cela ne s’est jamais produit avec nous, nous avions une avance de  30 livres par weekend et nous étions payés au plus vite, c’était parfait pour nous. Toutefois  je pense que c’était une honte d’après ce que avons su  il a gagné beaucoup avec Gene qui sur l’alcool a été le meilleur de tous ceux que j’ai jamais connus, j’ai toujours connu dans ma famille de gros buveurs de bière, je peux les traiter de gros buveurs mais pas d’alcooliques, Gene a été au sens propre du mot le premier alcoolique dont je me souvienne, il se levait, il prenait une bouteille de whisky, s’il y avait aussi de la viande, je lui disais ‘’tu n’as rien mangé’’ je n’ai jamais vu quelque chose comme cela, je lui disais ‘’ Tiens, je te ramène un hamburger ou quelque chose qui lui ressemble, si tu veux autre chose, un bol de soupe offert par le voisin’’, ‘’non, non, c’est bon’’ et il a juste vécu seulement avec du whisky. La semaine suivante, je n’ai pas insisté, et il a fait ce qu’il voulait…

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    J’étais dans un groupe avec Albert Lee, les Heads Hands Feets, et Tony Colton avait écrit une chanson Warmin’up in the band ( Alerte rouge dans le groupe) et il a pompé une ligne à la fameuse chanson de Gene Be Bop A lula, Be Bop A Lula To night oh Mama you’re allright et il se produisit que nous étions juste en train de l’enregistrer, et Gene devait jouer au Marquee tout près, j’ai dit au producteur si je pouvais aller chercher Gene pour qu’il vienne chanter ce couplet, j’ai dit je sais que tu aimerais faire cela et ça ferait un petit coup de publicité pour Gene Vincent qu’il chante actuellement ce couplet, maintenant je sais que c’était une excellente idée, donc je suis parti le chercher et on me dit il y a une grosse affiche dehors : En raison de circonstances imprévues Gene Vincent est rentré aux USA pas de show ce soir bla-bla-bla et j’ai cherché pour savoir si c’était vrai ou non, j’ai découvert assez

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    facilement qu’il était en litige pour la pension alimentaire de sa femme, qu’ils sont venus le chercher et qu’il était retourné en Amérique, et je pense qu’il est mort environ un mois plus tard. J’ai lu qu’il est mort alors que j’allais  enregistrer. Jamais vous ne le verrez plus, et c’est une honte terrible que Gene ne soit pas avec nous aujourd’hui, car il serait encore en train de rocker et d’attirer les foules et même davantage, je pense qu’il était englué dans la crise du rock’n’roll  des mid-sixties, ce qui n’a pas été le cas pour moi, mais quand les Beatles éclatèrent et quand la Soul éclata, vous savez que j’aime bien la soul, mais un grand nombre de rock’n’rollers n’ont pas gagné beaucoup d’argent, ils se sont battus, et certains comme Jerry Lee Lewis aujourd’hui, ce n’est pas le Jerry Lee Lewis  des premiers temps  mais il attire les foules et Gene Vincent aurait pu le faire, mais il nous reste ses disques à écouter et Rock A long Time… là c’est moi qui chante avec Gene…

    Transcription Damie Chad.

    Notes :

    Don Arden (1926 - 2007), figure controversée et irremplaçable du rock anglais, il suffit de citer, parmi d’autres, les noms de Gene Vincent, Small Faces, Black Sabbath, pour comprendre que ses activités de ‘’manager’’ ne furent pas sans conséquence sur l’histoire de notre musique.

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    Johnny Kidd ( 1935 – 1966 ) : rocker anglais de la première génération qui ne fut pas submergé par l’arrivée des Beatles… Tony Marlow, grand admirateur de notre pirate a consacré deux albums à son œuvre.

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    Heinz Burt (1942 – 2000) : l’ami Alain Couraud, souvent ici nommé Mister B, qui n’écrivit jamais une ligne dans ce site, mais sans qui ce blog n’aurait jamais existé, tenait Heinz et Billy Fury pour les deux meilleurs rockers anglais de la première génération.

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    Albert Lee (né en Angleterre, en 1943) guitariste rock prodigieux qui participa aux London Sessions de Bo Diddley et Jerry Lee Lewis… Quelle autre caution rock’n’roll avez-vous à offrir… La seule lecture de sa discographie est un émerveillement…

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    Cette vidéo, ainsi que beaucoup d’autres, est en accès libre sur la chaîne YT de VanShots – Rocknroll Videos

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 573 : KR'TNT 573 : JERRY LEE LEWIS / MALACO / GRAHAM DAY / BOBBY PARKER / REPTIL / NEGATIVE CONCEPT / KRAMPOT / ROCKAMBOLESQUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 573

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    03 / 11 / 2022

     

    JERRY LEE LEWIS

    MALACO/ GRAHAM DAY / BOBBY PARKER

        REPTIL / NEGATIVE CONCEPT

    KRAMPOT/ ROCKAMBOLESQUES

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 573

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

    L’Apocalypse selon Saint-Jerr

     - Part Five - Back-(hell)fire

     

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             On le disait foutu.

             — Paraît qu’y circule sur un fauteuil roulant. Y l’est cuit aux patates !

             — Paraît même qu’on l’a vidé comme une volaille. Y l’en a plus pour très longtemps...

             — De toute façon, avec la vie qu’y l’a mené et tout ce qu’y s’est mis dans l’cornet, c’est un miracle qu’y soit encore là. Y doit avoir une drôle de constitution ! Y vont sûrement l’conserver dans un bocal !

             — T’as vu les photos sur Internet ? Y l’est pas jojo ! 

             — Ah ouais, ça craint...

             — Y l’a les yeux humides, c’est pas bon signe. Tu vas voir, ça va s’terminer comme l’autre facho d’Franco, là, y vont l’brancher pour le maintenir en vie artificielle et faire encore du blé sur son dos...

             Jerry Lee cuit aux patates ? Jerry Lee sous perfu ? Ah ah ah ! Non mais vous rigolez ? Il a 80 balais et il fait l’actualité à lui tout seul avec deux albums stupéfiants, Rock & Roll Time et The Knox Sessions. Vous en connaissez beaucoup des gens qui sortent deux albums stupéfiants à 80 balais ? Du coup, c’est une actualité qui balaye toutes les autres, car Jerr, pour pas mal de gens, ça touche un peu au religieux. Ce fut aussi le cas pour Elvis, bien sûr, mais c’est peut-être plus marqué en ce qui concerne Jerry Lee. Sans doute parce qu’il a su rester fidèle à sa légende de hellraiser toute sa vie. S’il est un homme qui au vingtième siècle a vraiment su incarner l’essence même du rock’n’roll qui est la sauvagerie, c’est bien l’immense Jerry Lee Lewis. Avec lui, on entre dans le domaine du sacré, de l’intouchable et de la démesure. Jerr serait-il le dernier grand héros américain ? C’est fort probable. En tous les cas, une chose est sûre : il est depuis soixante ans le dieu d’une génération d’indécrottables rockés du bulbe.

             Petit retour aux années cinquante. Jerry Lee et Chuck Berry s’étaient retrouvés tous les deux à l’affiche d’un concert. Chickah Chuck était tête d’affiche et s’apprêtait à monter sur scène APRÈS Jerry Lee. Comment le Killer lava-t-il cet affront ? Il mit le feu à son piano, sortit de scène et en croisant Chuck dans la coulisse, il le mit au défi :

             — Now beat this, niggah !

             Vas-y, essaye de faire mieux ! Évidemment, PERSONNE n’a jamais pu rivaliser avec Jerry Lee. Little Richard et Chuck Berry ont bien tenté de lui ravir son titre de champion, mais en vain. Jerr avait quelque chose en lui que les autres n’avaient pas : le jerrylisme, cette façon de démonter la gueule des classiques du rock et de gronder comme le cerbère des enfers, cette façon de plier les chansons à sa volonté sans produire le moindre effort, cette arrogance dégoulinante de génie, cette extraordinaire science de l’élévation qui distingue les purs rockers, cette facilité à dominer le monde en grimpant sur un piano. Et puis cette voix qui couvre tous les aspects de la beauté mélodique et de la rage, la vraie, celle que combattit Pasteur.

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             L’un de ses plus grands exploits date de la Fête de l’Huma, en 1973. Nous étions trois lycéens partis en pèlerinage. Le parc de la Courneuve était pour nous la terre sainte car Jerry Lee et Chuck Berry étaient à l’affiche. Cette fois, Chuck passait en premier. Il attaqua son set dans l’après-midi, accompagné par le bassiste et le batteur d’Osibisa, un groupe africain basé à Londres qui bénéficiait à l’aube des seventies d’une petite notoriété. Les blackos avaient joué un peu avant et on avait bien bâillé aux corneilles. On vit arriver Chickah Chuck sur scène et nos pauvres petits cœurs se mirent à battre la chamade. Il portait un pantalon rouge et une chemise bariolée. Il fit un morceau, deux morceaux et au commencement du troisième, on vit un barbu débarquer sur scène, par l’arrière. Ce barbu portait un Stetson, des Ray-Ban noires, un col roulé blanc aux manches retroussées et il fumait le cigare. Il vira le batteur d’Osibisa sans ménagement et prit sa place. Une rumeur courait dans le public. C’est Jerry Lee ! Au lieu de battre la mesure du standard que Chickah Chuck attaquait à la guitare, Jerr se mit à faire le con et à jouer n’importe quoi. Était-il complètement pété ? Au moment où il jeta ses baguettes en l’air, le temps sembla s’arrêter. Ça ressemblait à du sabotage. Excédé, Chickah Chuck débrancha sa Gibson rouge et quitta la scène. La foule se mit à beugler. Puis tout alla très vite. Dans la minute, un véritable déluge de projectiles s’abattit sur la scène. On n’avait encore jamais vu un truc pareil. Sur scène, Jerr était grimpé sur le piano et deux mecs essayaient de le tirer par les jambes pour le mettre à l’abri, mais ce démon leur résistait et il haranguait la foule. Soudain, il y eut un mouvement de panique générale. La foule assise se leva comme un seul homme. Sauve qui peut les rats ! Dans ce cas-là, on détale. D’autant plus vite qu’on se croit poursuivi. Ça courait dans tous les sens. On marchait sur des gens qui n’avaient pas réussi à se lever. On est tous allés se réfugier dans les stands installés aux alentours de la grande scène. Évidemment, on n’a jamais retrouvé nos sacs et nos blousons. Il régnait dans les allées une sorte de chaos, comme si une bataille venait de se dérouler. Des gens affolés continuaient de circuler dans tous les sens, à la recherche d’autres personnes. On ne s’est revus tous les trois que beaucoup plus tard dans la soirée. Un vrai miracle ! On croyait vraiment qu’on allait devoir rentrer en stop. On voyait des ambulances traverser péniblement les allées pour emmener ce qu’on imaginait être des blessés. Les rumeurs les plus folles circulaient. Un gang de bikers installé au pied de la scène aurait paraît-il chargé la foule à l’arme blanche, comme au moyen-âge. Ce fut probablement le plus beau concert de Jerry Lee. L’Apocalypse selon Saint-Jerr ! En comparaison, celle de Saint-Jean ne fut qu’une roupie de sansonnet.

             Jerry Lee avait tout simplement réussi à exploser la bible.

             — Now beat this !

             Dans les années soixante-dix, Jerry Lee était sous contrat chez Mercury et comme il enregistrait des albums de country à Nashville, il s’emmerdait comme un rat mort (dixit Choron). On tentait de le domestiquer pour mieux le vendre - Domesticity is for losers, not for the killer ! - Alors, il revenait à Memphis et appelait Knox, le fils d’Uncle Sam, en pleine nuit pour lui dire : «Meet me at the studio, I wanna cut». Évidemment, Knox accourait. Jerr ne garait pas sa Rolls dans l’allée devant le studio, mais sur les buissons fleuris de la pelouse. Et quand ils faisaient une pause, ils allaient boire un verre dans l’un de ces clubs de strip-tease ouverts toute la nuit. Dès que Jerr entrait dans le club, les filles s’agglutinaient autour de lui et le club reprenait vie. Parmi les musiciens qui l’accompagnaient lors de ces sessions légendaires, se trouvaient Kenny Lovelace (cousin de Knox) et Mack Vickery, un vétéran du rockab que Jerr avait la bonne. Et Knox ajoute que si Jerr adorait revenir au Sam Phillips Recording Service Inc. (le second, celui qui fut ouvert en 1960), c’était surtout pour le son. Knox explique que son père avait conçu et construit de ses mains les chambres d’écho. Jerr adorait s’installer dans la salle de contrôle pour y entendre le son plein de sa voix et de son piano, ce qu’il n’avait évidemment pas à Nashville. Au commencement du monde, il y avait Sam Phillips, ne l’oublions pas. Et Knox ajoute que son père lui avait appris une chose fondamentale :

             — Si tu veux qu’un génie se laisse aller, tu dois créer les conditions pour ça !

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             C’est exactement ce qu’on entend dans ces sessions inédites. Jerry Lee attaque avec «Bad Bad Leroy Brown» et le baddest badass de Memphis, c’est lui - My name is Jerry Lee Lewis/ I’m bad/ I’m bad as an ole King Kong - Jerry Lee chante ça d’une voix altérée par les excès. Ce vieux classique est une ode aux boîtes de nuit et Jerr l’explose comme on explose un crapaud avec un pétard - Have you seen these knots on my bald head ? - C’est de la magie pure et la fête continue avec «Ragged But Right», le boogie des temps anciens et il passe à la country féérique avec «Room Full Of Roses». Pareil, il l’explose et la colle au plafond, ah quelle rigolade ! Si toute la country sonnait comme ça, on en boufferait, c’est sûr. Ce démon claque des accords de piano à contre-courant - Gimme some fiddle son ! - On sent qu’il se transfigure et qu’il devient dingue. Avec «Johnny B Goode», les colonnes du temple ondulent et soudain c’est l’enfer sur la terre ! Il déclenche cette nouvelle apocalypse au piano. Le toit du studio saute, forcément, car Jerr rentre dans le lard du rock’n’roll. C’est lui Foutraque 1er, le roi des frappadingues. Puis il attaque une belle compo de Mack Vickery, «That Kind Of Fool» et si on n’est pas encore tombé de sa chaise, alors on va pouvoir le faire grâce à «Harbor Lights» - We cut this song now. You’re ready ? - C’est horrible de puissance dévastatrice. Jerr file à la surface du son comme un requin à la surface de l’eau. Il atteint un niveau de démence géniale qui dépasse tout ce qu’on peut imaginer. Et en plus, il grogne comme au Star Club de Hambourg. Jerr brille au firmament. Il transforme chaque cut en spectacle. Retour à l’église pour «Pass Me Not O Gentle Savior». Mais le poor sinner broute des mottes en ricanant. Il va au gospel comme d’autres vont aux putes. C’est l’appel des racines de Ferriday et il déconstruit tout l’art gospellique au piano. Le diable est entré à l’église - Oh Jesus I’m beggin’ on my knees/ Oh Jesus please don’t pass me by - Puis il sort un vieux coucou qui date du ragtime, «Music Music Music/Canadian Sunset» et pour l’occasion, il devient un lion, mais un lion complètement dingue, pas celui qu’on voit au zoo. Il devient ignoble de génie et il mène son bal tout seul avec une inventivité sidérante. Il sait allier le swing à la finesse de jeu. Pas la peine de remonter sur la chaise, car voilà «Lovin’ Cajun Style» de Huey P. Meaux, l’absolue merveille, et Jerry Lee re-dévaste tout - Oh babe you’re driving me wild on the cajun style - Il fait sa grosse Bertha. Jamais un groupe de garage n’aura cette puissance de feu - When the pretty girls twist on the banks of the bayou - C’est simple, il rentre dans le rock’n’roll comme dans du beurre. Dans «Beautiful Dreamer», il se couronne de laurier : «I’m gonna tell the story of the greastest stylist of all times, Mister Jerry Lee Lewis !» Puis il rend hommage aux gens qu’il admire, Hank Williams, Bill Monroe, Jimmy Rogers et Moon Mullican. God bless you !

             Non seulement Jerry Lee explose le rock’n’roll, le gospel et l’église, mais il explose aussi la pelouse de Sam Phillips.

             — Now beat this ! 

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             En 2014, Jerr enregistre un nouvel album : Rock & Roll Time et deux photos accompagnent cette pétaudière.

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    La première montre Jerr bambin encadré par ses parents Elmo et Mamie. Elmo a une prestance de mafioso et Mamie n’est pas non plus du genre à rigoler. La seconde photo nous montre Jerr adulte devant un micro sur lequel son verre de whisky est posé en équilibre.

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    La plupart des morceaux sont enregistrés au Memphis House Of Blues avec Kenny Lovelace, Jim Keltner et une ribambelle d’autres musiciens. Jerr attaque le morceau titre de l’album à l’édentée. On s’attend un peu à le voir décliner et à s’essouffler, mais non, au contraire. Hé hé hé, il est plié de rire à la fin du morceau. Puis il fracasse un bon vieux «Little Queenie», histoire d’envoyer un message cordial à son copain Chickah Chuck et là attention, car ça va commencer à chauffer pour vos matricules. Voilà le heavy romp de «Stepchild», un cut signé Bob Dylan. Jim Keltner tape ça bien lourd et au bout de deux couplets, Jerr lance l’assaut - Play guthar son ! - Franchement, tous les garage-bands de Detroit et d’ailleurs devraient écouter ça et prendre des notes. Il tape ensuite dans Dave Batholomew avec «Sick & Tired», c’est secoué aux percus et gratté au tape-cul de Memphis. On croit rêver alors on se pince. Mais non, c’est la réalité. Jerr a derrière lui un orchestre terrible. On sent bien qu’il jubile autant que ce crocodile qui vient de choper une antilope. Jerr chauffe son boogie comme il l’a fait toute sa vie et il n’est pas du genre à appliquer une vieille recette, oh non pas du tout, il y prend un plaisir infini, ça se sent. Son boogie reste incroyablement inspiré et unique au monde. Pour redonner un petit coup de jeune au vieux «Bright Lights Big City», il part en tyrolienne. Il chante ça avec une désinvolture qui en dit long sur l’ampleur de son génie. Jerr est à la musique moderne ce que Gandhi fut à l’intelligence humaine, une nature supérieure qui n’aura vécu toute sa vie que dans la quête d’un absolu, et chez Jerr, cet absolu se matérialise par une chanson et un piano. C’est la modestie de cet absolu qui fait toute la grandeur du personnage, on l’aura bien compris. Joli coup de chapeau à Cash avec un «Folsom Prison Blues» qu’il chante à l’édentée. On croirait entendre beugler un pirate. Jerry Lee, c’est le Long John Silver du rock, il sait chauffer ses boulets pour couler les vaisseaux ennemis. Il en profite pour se rajouter un petit couplet - and play rock & roll for Jerry Lee yeah - On savoure chaque seconde de ce disque car avec un mec comme Jerr, on reste dans l’époque magique. On tremble à l’idée qu’elle ne s’arrête un jour. Mais il nous rassure en ricanant, à la fin du cut. Hé hé ! Sans doute est-ce sa façon de nous dire : «Don’t worry les gars, je suis encore là !»

             Deux horreurs suivent. La première s’appelle «Mississippi Kid», un vieux boogie du Deep South que Jerry Lee prend à coups de menton. C’est le même topo qu’au Star Club, il nous refait le coup de «Money». Il stompe le cut à la folie et claque des glissés de clavier ici et là - Oh don’t you feel it papa - Il relance ses troupes - Guthar ! - Et la cambuse explose. La seconde horreur s’appelle «Blues Like Midnight», il en fait un heavy blues killerique. Jerr arrive encore à soigner sa diction. On croirait entendre le copain du PMU, c’est un délice, il a la voix bien pâteuse du mec qui vient de siffler son premier Muscadet à huit heures du matin. Jerr est devenu une sorte de pneu increvable. Il passe partout. C’est avec «Here Comes That Rainbow Again» qu’on revient aux évidences. Ce qui le distingue des autres chanteurs, c’est le posé de la voix. Même s’il chante une rengaine insipide, il va s’arranger pour en faire une œuvre d’art. Et il boucle cette fantastique équipée avec un nouveau clin d’œil au vieux Chickah Chuck, une reprise somptueuse de «Promised Land». L’intro est un modèle : attaque sèche au piano et Keltner embraye dans la mesure. Jerr ne traîne pas. Il file à travers l’espace et le temps. Et il connaît tous les textes de ces chansons par cœur. Il jette une nouvelle fois tout son poids dans la balance. Et c’est plus fort que lui, il faut qu’il explose les balances. 

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             En 1979, Jerr entame sa petite période Elektra avec le sobrement titré Jerry Lee Lewis et sa pochette qui vieillit assez mal graphiquement. Il attaque avec un big boogie intitulé «Don’t Let Go» et comme il enregistre à Hollywood, Hal Blaine bat le beurre et James Burton gratte sa gratte. Ça swingue en sous-main. On a aussi Kenny Lovelace et les Ron Hickin Singers, alors t’as qu’à voir ! Avec «Rita May», ils font le Memphis Beat in Hollywood, que de son my son ! James Burton taille une belle croupière de solo dans «Everyday I Have To Cry» et Blaine morne plaine swingue «Number One Loving Man» à gogo. Admirable shuffle, oh I gotta go ! Jerr revient à son cher vieux «Rocking My Life Away» en B. Ah il faut le voir partir en solo, il est toujours à la pointe du progrès ! James Burton fait encore des merveilles dans «Who Will The Next Fool Be», d’autant plus que Jerr l’y invite franco de port - Take it James ! - Alors James take it ! Et c’est avec «I Wish I Was Eighteen Again» que Jerr se révèle une fois de plus un immense chanteur.

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             Sur son deuxième Elektra-disk, When Two Worlds Collide, se trouve un coup de génie : «Love Game». Jerr y pose les bonnes questions : «Why don’t you love me the way you should ?» Il a une façon très directe de poser des questions. Il s’excite, a cryin’ shame that I’m losing my mind over you ! S’ensuit un «Alabama Jubilee» très rétro, quasi-dixieland, assez marrant. Mais c’est avec «Rockin’ Jerry Lee» qu’il raffle la mise. Il recycle son vieux Memphis Beat. En B, il s’en va gueuler la mélodie du morceau titre bien haut dans le ciel et termine cet album mi-figue mi-raisin avec «Toot Toot Tootsie Goodbye», un truc fait pour danser en s’amusant. Jerr pianote son vieux ragtime de Ferriday au fond d’un studio de Nashville - I said Toot Toot Tootsie goodbye/ Along the choo choo train.

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             Le troisième et dernier Elektra-disk s’appelle Killer Country. Jerr l’attaque avec un vieux coup de Folsom et un son un peu hard, monté sur un big beat et visité par un solo de violon. On sent à sa voix que Jerr a pris un petit coup de vieux. Pas de surprise sur cet album, Jerr fait son numéro habituel : haute voltige balladive. Il ne change pas de formule. La B campe aussi sur ses positions : on reste à Nashville. Ne comptez pas sur des miracles. Il termine cependant avec une version bien round midnite d’«Over The Rainbow», l’occasion pour Jerr de jazzer son jeu.

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             Le Live At The Grand Ole Opry est un petite arnaque car la pochette nous montre le early Jerr (erreur que corrige la photo du verso), alors que le show date de 1981. Bizarrement, le texte de pochette au dos fait référence au séjour que fit Jerr à l’hosto en 1985 pour soigner son ulcère à l’estomac. Par contre, on peut choper sur l’album une très belle version de «Mexicali Rose», une merveille d’ultra-chant. Jerr pousse la sérénade au mieux des possibilités du genre. Il pique aussi une violente crise de boogie down the line avec «Hadacol Boogie». S’il reprend «Over The Rainbow», c’est bien sûr pour grimper là-haut. Il le roule dans la farine de sa mélancolie - Somewhere over the rainbow/ Bluebirds fly -  En A on le voit aussi casser les reins du boogie sur ses genoux avec «Good News Travel Fast» et bouffer tout cru «Chantilly Lace». Dans «What’d Say», il rappelle que cette fille sait branler une queue - She knows how to shake that thing - et il redore le blason de sa légende avec «You Win Again» - And everybody in Memphis Tennessee knew about Jerry Lee - Impossible de se lasser de Jerr.

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             Malgré sa pochette affriolante, My Fingers Do The Talking n’est pas vraiment ce qu’on appelle un big album. Jerr ressert pour l’occasion son pumpin’ piano, the real killer thang, avec derrière Gene Chrisman on drums et les Muscle Shoals Horns. Good ole Jerr, toujours à la pointe du progrès ! Il faut le voir haranguer la foule dans «Better Not Look Down». Il propose là un groove de lowdown extrêmement bien foutu et il déclame sa prose comme le fait William Burroughs dans son Thanksgiving Prayer. En fait c’est un album de pumpin’ piano à la sauce de Muscle Shoals, bourré de cuivres et de chœurs, idéal en somme. C’est fou comme ces mecs, Jerr et Wicked Pickett, ont su marquer leur époque. Cette sombre affaire se termine avec un fantastique ramalama de Jerr finissant, «Honky Tonk Heaven».   

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             Sur la pochette d’I Am What I Am paru en 1984, Jerr fait son voyou à moto. Mais c’est au dos de la pochette que de trouve la bonne photo d’un Jerr en lunettes noires et en blouson de cuir. Dans le morceau titre, il rappelle d’ailleurs qu’il est Jerry Lee et qu’il est comme il est, avec son pumpin’ piano. Il dispose de beaux chœurs de filles pour «Get Out Your Big Roll Daddy». On tombe en B sur «Candy Kisses», un balladif country de caractère et il cajole terriblement les couplets de «Send Me The Pillow That You Dream On», so darling Jerry Lee can dream on you. C’est aussi tendancieux que le rêve d’Andre Williams qui voudrait être le pyjama de sa copine. On peut dire que l’un dans l’autre, Jerr fait un album MCA très country et très paisible.

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             Comment va-t-on pouvoir célébrer la grandeur d’un album comme Young Blood ? Jerr refait surface après dix ans de silence. Il a soixante balais. Il pose au bord du lac, assis en smoking dans une banquette rococo. Beat that ! Pas possible. Pas non plus possible de beater le cut d’ouverture de bal, «I’ll Never Get Out Of This World Alive». Il a raison, ni Jerr ni personne ne quittera ce monde vivant, mais quand c’est dit par un gus comme Jerr, ça change tout. Alors faut-il célébrer le génie de Jerr ou celui d’Andy Paley qui produit cet album qu’il faut bien compter parmi les plus grands disques de l’histoire du rock ? Oui, Jerr chante, mais il a du son et c’est autre chose que le son de Jerry Kennedy à Nashville. Andy amène de l’eau au moulin de Jerr, c’est-à-dire le Memphis beat original. Il faut dire qu’Andy Paley est un jeune prodige qu’on voit aussi traîner dans les parages de Brian Wilson ou encore de Jonathan Richman. Il n’y a pas plus de hasard sur le crâne de Mathieu qu’il n’y a de cheveu dans ta philosophie, Horatio. Rappelons l’équation fondamentale : une vraie voix + une bonne chanson + une prod de crack = un hit éternel. Des choses comme «River Deep Mountain High», «MacArthur Park» ou encore «California Girls» en sont le résultat, et il en existe beaucoup d’autres, si l’on sort les noms de Mickie Most, de Chips Moman, d’Uncle Sam ou encore de Shel Talmy. Il faut désormais ajouter «I’ll Never Get Out Of This World Alive» à ce palmarès. Jerr chevauche à la cravache, il rue comme un dieu, et voilà qu’arrive un solo d’éclat magique, alors ça grimpe directement au pinacle. Il est fort probable qu’on entende Joey Spampitano au bassmatic. Andy le connaît bien car il a produit l’un des albums de NRBQ (Wild Weekend). Font aussi partie de l’aventure James Burton et Kenny Lovelace. Andy n’a qu’une idée en tête : renouer avec le Memphis beat des origines, celui d’Uncle Sam. Et ça marche ! Il y a encore pire à venir, et il faut y être préparé, car le génie peut frapper comme la foudre, ce qui va être le cas avec «Miss The Mississippi & You» - I’m growing tired of these big city lights - Jerr veut rentrer au pays, alors il se laisse aller en éclatant son piano bar et remonte le courant mélodique comme un saumon shakespearien. Il chante à la plus belle revoyure d’Amérique. Il pousse même une tyrolienne qui va faire le tour du monde. C’est l’une des plus belles chansons de tous les temps. Au passage, il pond deux hits de juke : «Goosebumps» et «Crown Victoria Custom 51». Il les bouffe tout crus, c’est une manie, yeah ! Il claque le cul de son boogie et déverse sur son clavier une rivière de diamants, juste pour montrer comment on finit un cut en beauté. C’est au heavy rumble de Memphis qu’il amène son Crown Victoria, rrrrrrrrrrrr, Jerr est sur le coup. Ça donne une deep merveille de deep rumble, Jerr fracasse son clavier comme le dentier d’un yank qui lui manque de respect et comme si cela ne suffisait pas, un solo rattlesnake croise son chemin à la furia del sol. Jerr sort du ring une nouvelle fois invaincu, sous les acclamations. Oh il faut aussi l’entendre éclater «Thang» au slang de sling, Southern class, baby, oui, il faut entendre ce diable de Jerr tarauder le mur du son rien qu’avec son accent perçant. On ne remerciera jamais assez Andy Paley d’avoir réussi à ressusciter le Killer, comme Chips avait su ressusciter le King en lui proposant «Suspicious Minds». On voit aussi Jerr driver le morceau titre à la poigne d’acier. Il drive son cut comme s’il drivait un Apaloosa sauvage. Hang on ! Chez lui, tout n’est que dévotion à l’art suprême qui est celui de la culbute. Baiser une chanson pour la faire jouir, c’est la même chose que de baiser un cul de Southern bitch. Il boucle son cut à coups de mercy. Existe-t-il un shouter plus sexuel que Jerr ? Non. Il rend plus loin hommage à Huey Piano Smith avec une belle cover de «High Blood Pressure». Jerr vénère Huey. Il le joue au piano de bastringue et ça tourne à la révélation spirituelle. Ah si Bernadette pouvait voir ça ! Jerr écrase son honey on your mind et pianote dans le vent d’Ouest, la crinière en feu. Sacré jerr, il n’en finira plus de semer le vent pour récolter la tempête. Il se tape encore un joli coup de shake avec «Gotta Travel On». Cet homme sait embarquer une farandole. C’est fouetté à la racine des dents. Quel son ! Le bassmatic qu’on entend rouler sous la peau de «Down The Road A Piece» ne peut être que celui de Joey Spampitano, tellement ça groove.

             En 2006, Jerr entre au Sun Studio de Sam Phillips d’un pas alerte. C’est chez Sun qu’il a débuté sa carrière en 1956.

             — Tout ça ne nous rajeunit pas ! lance-t-il d’une voix de stentor.

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             Cinquante ans ont passé. Visiblement, ça ne l’émeut guère de revenir chez Sun. L’émotion, il laisse ça aux Anglais. Il vient enregistrer un nouvel album, Last Man Standing. Le projet se distingue par son originalité : il doit enregistrer vingt duos avec des célébrités du showbiz. What ? Jerr n’en croit pas ses oreilles. L’idée lui a tellement plu qu’il en rigole encore. Il enlève son veston et l’accroche au porte-manteau. Il porte une chemisette rayée. Ses cheveux blancs sont taillés court. Ils vibrent légèrement dans l’air que brasse le gros ventilateur accroché au plafond. Il s’assoit au piano et soulève le couvercle du clavier. Il attend son premier client avec un drôle de sourire en coin : the Lewis grin. La porte s’ouvre. Jimmy Page entre avec sa Les Paul noire. Au préalable, ils se sont mis d’accord sur «Rock’n’Roll», un vieux hit de Led Zep. C’est parti ! Jimmy Page joue ses accords en syncope et Jerr fait gronder son piano. Il charrie autant de shuffle que le Mississippi. Impressionné par le rumble de Jerr, Jimmy Page n’ose pas trop en rajouter. Il se contente de jouer un solo d’une grande médiocrité. Alors, en vrai gentleman louisianais, Jerr vient à sa rescousse. Il pianote trois tortillettes de génie. Jimmy Page pâlit. Il sort du studio sans dire mot. Jerr le salue à la manière redneck, de l’index pointé sur la tempe.

             — Au suivant !

             Le vieux BB King entre avec sa grosse Gibson. Il ressemble à une baleine échouée. Et hop, c’est parti ! «Before The Night Is Over» est une belle balade romantique. Comme à son habitude, Jerr remplit tout l’espace sonore avec ses notes de piano. BB King se contente de pincer ses cordes dans les interstices. Jerr bouffe d’espace, comme d’autres bouffent l’écran. Le vieux BB s’incruste poliment. Il joue un petit solo coquet, sans prétention. Jerr le regarde avec un sourire d’alligator. Il secoue ses petits cheveux blancs et pousse l’une de ces tyroliennes dont il s’est fait une spécialité. Le vieux BB s’éponge le front. Il ne s’en sort pas si mal, en fin de compte. C’est vrai qu’il a démarré chez Sun, au même endroit que Jerry Lee. Il connaît bien la chanson. Psychologiquement, ça aide.

             — Au suivant !

             Bruce Springsteen entre. Ses santiags raclent le plancher. Il vient chanter son «Pink Cadillac». Jerr prend le taureau par les cornes, histoire de montrer à ce frimeur yankee comment on chante dans le Sud. Du coup, le pauvre Springsteen n’ose plus ouvrir le bec. Il ne l’ouvre qu’au moment du refrain. C’est une catastrophe. Jerr fait la grimace. La voix de fausset du yankee lui écorche les oreilles. Écrasant d’élégance, Jerr maintient le cap. Il chante les couplets d’une forte voix de poitrine. Springsteen n’a jamais été bon. Voilà la confirmation. Jerr roule sa chanson dans la farine en grondant comme un dragon. Lorsque le morceau s’achève, il regarde ce pauvre yankee s’éloigner. Un foulard rouge pendouille de la poche arrière de son jean. Non mais, quel frimeur !

             Jerr roule ses r, comme au bon vieux temps du Star Club et aboie :

              — Rrrrrrrrraaah ! Suivant !

             «Evening Gown» est une chanson de Jagger. Jerr ne fait ni une ni deux : il défonce le cul du cut, sans préambule. Jagger fait les répliques. Ah, comme il est mauvais ! Il manque d’assurance. La voix de Jerr fend l’espace comme un aileron de requin, alors que celle de Jagger sonne comme le siphon d’un évier d’Edith Grove. Cette anomalie qu’est «Evening Gown» vire country. Jagger chante comme s’il venait de se coincer la bite dans sa fermeture éclair. Par contre, Jerr chante comme un cowboy mythologique. Il envoie ses shake it avec la mâle assurance du Cid. Il est renversant. À la fin du morceau, il se marre. Oh ce n’est pas méchant. Il rigole de bon cœur.

             — Ha ha ha ha ! Suivant !

             Voilà qu’arrive Neil Young pour chanter «You Don’t Have To Go». Le vieux Young avance vers le piano, tout voûté et coiffé de son vieux chapeau de clochard. Il dévore Jerr des yeux.

             — Oh monsieur Lewis...

             Mais Jerr ne l’écoute pas. Il a commencé à faire rouler des pierreries sur son clavier. Il entraîne le vieux Young dans l’aventure d’un boogie de haut rang. Le vieux Young essaye de chanter, mais on ne l’entend même pas. Jerr prend le chant au sommet de son registre. Le vieux Young bascule dans le ridicule. Le pauvre, il n’a pas besoin de ça, il est déjà bien assez fragile comme ça. Il tente de prendre un couplet au chant et Jerr le récupère en route. Le vieux Young essaye de se ressaisir, et Jerr pianote comme si de rien n’était. Alors, le vieux Young se lève et s’en va. Il salue Jerr en soulevant son chapeau. Il a les yeux humides. Jerr n’a aucune pitié pour les canards boiteux.

             — Coin coin ! Suivant !

             Robbie Robertson entre pour jouer «Twilight» avec le Killer. Il avance d’un pas léger. Ses mocassins indiens ne font pas de bruit sur le plancher ciré. Robbie est l’auteur de ce cut qui est un peu fleur-bleue. Jerr pourrait en faire un tube intersidéral, s’il le voulait. Robbie joue ses petits guitar licks discrets. Il ne cherche pas à la ramener, comme le font trop souvent les Anglais. Il sait rester dans son coin. Jerr apprécie :

             — Yes it is !

             Cela vaut pour un compliment. Puis il tourne la tête vers la porte :

             — Suivant !

             John Fogerty entre à son tour pour chanter «Traveling Band» avec Jerr. Fog porte une chemise à carreaux et un pantalon de cuir. Son visage a subi les ravages du temps. Il chante d’une voix pincée. Il ne peut pas s’empêcher d’imiter le canard sauvage du bayou. Jerr lui coupe la chique à coups de basses de piano. Fog insiste et tente de rentrer dans ce cut qui lui appartient, mais Jerr dresse un barrage en roulant des r. Fog repart penaud.

             — Next !

             Keith Richards entre dans le studio d’un pas de loup. Ils vont jouer ensemble «That Kind Of Fool». En voiture, Simone ! Keef joue de grands accords ouatés sur sa Telecaster, mais Jerr préfère envoyer le cut directement au firmament. Allez hop ! Keef se joint à Jerr pour les chœurs. C’est une catastrophe ! Jerr fait la grimace. Ce vieux pirate chante atrocement faux ! Berk ! Quel gâchis ! Dommage car cette balade en mid-tempo est superbe. Keef n’a jamais chanté aussi mal. Jerr laisse filer le cut sur ses notes de piano, histoire d’aérer un peu le studio. Ils reviennent au chant tous les deux. Keef continue de vouloir hausser sa voix. Il ferait mieux d’arrêter de braire et d’écouter Jerr poser la sienne. Il la pose depuis cinquante ans. Il n’a plus grand chose à prouver.

             — Suivant !

             Voilà que Ringo entre dans le studio d’un pas dansant. Il vient chanter «Sweet Little Sixteen» avec Jerr. Encore un Anglais... Comment Jerr a-t-il pu accepter de laisser chanter ce pitre ? Il laisse Ringo prendre le premier couplet et prend le relais avec une classe écœurante. Ringo revient à la charge, mais c’est encore plus grave qu’avec Keef. Jerr se marre, ah ha ha ! et congédie ce pauvre batteur mythifié qui ne sait pas chanter. Le suivant est un vieux renard : Merle Haggard vient chanter «Just A Bumming Around» avec Jerr. Le beau Merle verrouille bien ses couplets. C’est un vieux pro, rôdé à toutes les ruses. Il siffle comme un beau merle et Jerr joue son solo de piano comme si de rien n’était. Il sait que les vieux rednecks réactionnaires lui donneront toujours du fil à retordre.

             — Next !

             Kid Rock entre dans le studio pour chanter «Honky Tonk Woman». Rien qu’à le voir, Jerr se marre. Le Kid essaye de faire du Detroit rap, mais c’est une catastrophe. Jerr le rattrape au vol avec l’air de lui dire : ça ne sert à rien de s’énerver comme ça, gamin ! T’as vraiment l’air fin avec ton chapeau et ton marcel ! Jerr expédie la chose rapidement, sans aucun état d’âme.

             — Suivant !

             Rod Stewart fait une entrée princière. Il vient chanter «What’s Made The Milwaukee Famous». Rod the Mod prend place sur le banc à côté de Jerr. Il n’ose pas trop chanter. Pourtant, c’est son métier. Jerr lui laisse le micro, mais Rod chante comme la dernière des crêpes. Décidément, les Anglais ne font pas le poids face au Killer. Sa voix ne s’accorde pas du tout à celle de Jerr. Rod couine comme une sorcière de Walt Disney, alors que Jerr chante du haut des falaises de marbre. Rod frise le ridicule avec sa voix fêlée et sa préciosité. Sa prestation n’est plus qu’un tragique non-sens. Rod tente de se raccrocher à Jerr, mais il est déjà trop tard.

             — Suivant !

             George Jones vient donner la réplique sur «Don’t Be Ashamed Of Your Age». George est vieux routard de la scène country. Ses cheveux blancs et ses lunettes le situent dans le temps. Il peut chanter comme Louis Armstrong. Avec Charlie Rich, Sleepy LaBeef et quelques autres, George fait partie de la caste des grands chanteurs américains. Jerr le respecte, certainement plus que n’importe quel autre chanteur issu de l’époque de ses débuts. Ils ficellent ensemble une version splendide de «Don’t Be Ashamed Of Your Age». Contrairement aux Anglais, George fait le poids.

             — Thanks, George. Au suivant !

             Le vieil outlaw Willie Nelson entre pour chanter «Couple More Years». Il règne dans le studio une atmosphère de recueillement. Willie Nelson est venu à cheval. Il dépose son fusil sur le piano. Jerr tient Willie en très haute estime. Il n’aimerait pas devoir se battre contre lui. Willie est une teigne, un coureur de sierras, un chêne qu’on n’abat pas. La complainte qu’ils entonnent ensemble est une merveille absolue. Jerr jette tout son feeling dans la balance. Willie reprend son fusil et s’en va.

             — Adios, amigo ! Suivant !

             Toby Keith vient faire un joli duo country sur «Ol’Glory». Jerr l’expédie comme une lettre à la poste.

             — Suivant !

             Eric Clapton entre discrètement dans le studio pour venir jouer «Trouble In Mind». Jerr  se remet à rigoler en douce. Ils mettent leur cuisine en route. Jerr plaque ses accords des deux mains et observe le guitariste. Clapton joue ses sempiternels phrasés distingués. Ils sont drôles, ces guitaristes anglais. On se prosterne à leurs pieds et ils nous resservent toujours la même soupe. Même en faisant un gros effort, Jerr ne comprend pas.

             — À un d’ces quat’, Clap... Suivant !

             Little Richard arrive en costume de satin blanc. Il vient chanter «I Saw Her Standing There», un vieux standard des Beatles.

             — A one, a two, a three, a four !

             Little Richard s’assoit sur le banc, à côté. Il connaît le Killer depuis suffisamment de temps pour se permettre une telle familiarité. Richard transpire un peu. Il est tellement pâmé devant ce vieux diable de Jerr qu’il n’ose pas chanter les couplets. Il se contente de pousser des ouuuuuh d’antho à Toto. Il monte au créneau sur les fins de couplets. À la fin, il se lève, s’incline devant son maître et se volatilise.

             — Suivant !

             Delaney Bramlett vient chanter «Lost Highway» avec Jerr. Bramlett a pris lui aussi un sérieux coup de vieux. Il n’ose pas trop chanter. Il est tout rouge. Jerr attend, mais rien ne vient. Alors ? Il lui donne un coup de coude. Bramlett se décide enfin. Quelle catastrophe ! Il chante vraiment comme un gros dégueulasse. Jerr pousse un soupir de soulagement quand Bramlett quitte le studio.

             — Suivant !

             Buddy Guy entre. Il marche comme une panthère. Sa chemise, son chapeau et sa Stratocaster sont noirs à pois blancs. Jerr flirte avec l’idée de lui demander pourquoi il ne porte pas de pois blancs sur la figure. Mais il renonce. Buddy Guy est un démon. Inutile de le provoquer. «Hadacol Boogie» est une horreur boogie qui part à fond de train. Buddy est un vieux dur à cuire, il ne se laissera pas bouffer par le Killer. Il s’énerve et pousse des Aiiiih ! Buddy est une vraie pile électrique. Il tient la dragée haute à Jerr. Il monte sur ses grands chevaux. Il est encore plus vindicatif que Jerr. Du coup, Jerr a du mal à en placer une ! Il s’énerve, shoote du talon dans le banc pour l’écarter et joue debout, comme s’il était sur scène. Toute sa vie, il a eu des problèmes avec les nègres et le voilà, lui, ce Buddy Guy de ses deux qui vient lui damer le pion. À la fin, Buddy repart avec ses pois et sa fougue. Jerr sort son mouchoir à carreaux et s’éponge le front.

             — Suivant !

             L’ex-Eagles Don Henley entre dans le studio avec ses éperons. Horrifié, Jerr voit les gros éperons rayer le beau parquet ciré. Ils doivent chanter ensemble «What Makes The Irish Heart Beat». Heureusement, c’est Jerr qui embraye. Il donne une petite leçon de country à ce pauvre Eagle qui se croyait arrivé en terrain conquis. Il saura que le studio Sun n’est pas une radio FM. Bon, Jerr en a marre. Il commence à se lasser de traîner derrière lui toutes ces demi-portions. Heureusement, il arrive en fin de listing. Il accueille Kris Kristofferson. L’idée de finir avec le plus grand cowboy de la frontière le réjouit. Jerr se fait humble. Il a vu Kris dégainer dans The Gates Of Heaven. Il sait que ce vieux deperado ne fait pas de chiqué. Et plus il vieillit, plus il gagne en charme. Il incarne à lui seul le vieux mythe de la frontière. Ils mettent «The Pilgrim» en route. Jerr tord sa voix pour suivre Kris au long de cette superbe country-song. Ils chantent ensemble, comme s’ils chevauchaient tranquillement sous un ciel immense.

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             Quatre ans plus tard, Jerr récidive avec Mean Old Man. Grosso modo, il reçoit les mêmes invités dont beaucoup sont tellement échaudés par leur précédente visite qu’ils n’osent pas chanter, même quand cette vieille fourbasse de Jerr leur propose de taper dans leurs cuts. Le meilleur exemple, c’est «Dead Flowers». Jerr le prend à la glotte attendrie et on n’entend Jagger que dans les chœurs et encore, au début on croit que c’est une gonzesse qui chante. Keef est un tout petit peu plus courageux. Il vient duetter sur «Sweet Virginia». Bon, Jerr en fait de la country, pas la peine de tourner autour su pot. Le pauvre Keef le rejoint au chant, c’est une catastrophe. Elle était prévisible. Jerr does it the Southern way. Parmi les autres catastrophes prévisibles, il y a Kid Rock et Slash. Jerr les fait entrer pour taper une cover de «Rocking My Life Away». On se demande vraiment comment un mec aussi impur que Jerr a pu s’acoquiner avec des crêpes pareilles. Ça nous crève le cœur. Jerr a dû avaler pas mal de couleuvres dans sa vie d’artiste, mais celle-ci doit être la plus grosse. Quel atroce mélange des genres ! Aw, ces Californiens n’auront jamais rien compris au Memphis beat ! Et ce solo de hard rock ! N’importe quoi ! Parmi les autres invités, on retrouver John Fogerty. Il vient duetter avec Jerr sur «Bad Moon Rising». Jerr est gentil de se prêter à ce petit jeu. On entend aussi quelques chanteuses tenter leur chance, comme Gillian Welsh dans «Please Release Me», mais on ne l’entend pas, et Jerr en profite pour faire ce qu’il préfère, un carton. Sheryl Crow vient duetter sur «You Are My Sunshine». La pauvrette commence par placer sa voix dans le giron du vieux Killer et soudain elle saute du nid pour prendre un couplet au chant, mais elle fait ça d’une voix constipée, ah la vache, comme c’est horrible ! Jerr reprend la main, ouf ! Shelby Lynne se montre plus discrète sur «Hold You In My Heart», on ne l’entend pas, et Jerr nous emmène au paradis de la country enchanteresse. Tiens Ringo est lui aussi de retour  pour un petit coup de «Roll Over Beethoven». Jerr explose Beethov et on ne comprend toujours pas ce qu’un mec comme Ringo vient faire dans ce type de projet. Parmi les invités, il y pas mal de guitaristes, à commencer par Ronnie Wood qui accompagne Jerr sur le morceau titre. Ah ces arrivistes anglais, ils se prennent pour des grands guitaristes américains ! Quelle blague ! Bizarre que Jerr ait accepté de faire entrer ce parvenu dans le studio. Plus loin, il fait entrer James Burton et Clapton ensemble pour «You Can Have It». On a là deux styles opposés : le style flashy de Burton et le ton professoral de Clapton. À l’écoute, on sait tout de suite qui joue. Burton est nettement plus vif. Mais par respect pour Jerr, il faut passer outre les querelles de clocher. Parmi les invités prestigieux, voici le beau Merle pour une version de «Swingin’ Doors». Jerr l’attaque et attend le beau Merle de pied ferme. Il sait swinguer un vieux cut de country, il a fait toute sa vie et il ne veut pas que cet affreux délinquant de Merle Haggard lui fasse les poches pendant qu’il a le dos tourné. Le beau Merle se contente de lâcher des petites onomatopées au coin du bois. Ouf, Jerr est soulagé quand il voit sortir. Pour se remonter le moral, il se paye deux belles tranches de gospel batch, la première avec Solomon Burke : «Railroad To Heaven». Solomon donne la réplique à Jerr et ça devient vite assez magique, d’autant qu’il enflamme le groove. C’est sur ce genre d’album qu’on croise les duos les plus spectaculaires. Jerr parage l’autre shout de gospel batch avec Mavis, dans «Will The Circle Be Unbroken». Jerr le prend à l’édentée et Mavis vole à son secours, et ça tourne au duo de rêve. Deux géants d’Amérique ! Deux âmes brûlantes ! Mavis explose ce vieux standard à sa façon, ça devient vite terrifiant de power, Mavis est elle aussi une Killeuse on the road. Elle aurait dû épouser Jerr. Pourquoi ? Parce qu’elle sort exactement le même genre de niaque. Willie Nelson revient faire un petit tour lui aussi. Il entre et pose son fusil sur le piano, comme la première fois. Il vient duetter avec Jerr sur «Whiskey River». Quand ces deux vieux outlaws chevauchent ensemble, ça devient magique - Whiskey river touch my mind - Et puis si on se trouve en manque d’émotion, le plus simple est d’écouter Jerr chanter «Sunday Morning Coming Down». Il attaque ça tout seul d’une voix de vieux Jerr que personne ne peut vaincre. Il chante à l’accent revanchard, selon le vieux précepte d’old man Lewis. Jerr chante à l’indestructabilité des choses, il fait le show et montre ce que signifie le mot power. Wow, écoutez ce vieux géant chanter, il est au-dessus de tout. Aw Lord, bénissez Jerr. On garde le meilleur pour la fin, cette reprise d’un hit qui se trouve sur Young Blood, «Miss The Mississippi & You». Jerr le chante à gorge déployée, oh yeah, il est tout seul, désespéré et il redevient ce géant qu’il a toujours été, il tortille sa mélodie au chant comme s’il travaillait le métal à l’ancienne. Il renverse le chant qui n’est pas bien stable sur ses guiboles et il grimpe au ciel avec une tyrolienne. C’est là que ça se passe et nulle part ailleurs.

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             Si vous souhaitez voir une horreur, alors rapatriez un album de Jerr qui s’appelle Live At Third Man Records. Sur la pochette, on voit le Killer vieillissant. Mais sur la pochette intérieure, ce m’as-tu-vu de Jack White pose à côté du Killer. Eh oui, on est sur son label, Third Man Records alors White en profite pour se payer une petit coup de crédibilité à bon compte. Mais que cela ne vous empêche pas d’écouter l’album, puisqu’il est payé. Bon, attention Jerr a 76 ans, donc sa diction s’en ressent. Il dispose d’un excellent backing band composé de Jim Keltner, Steve Cropper et Jack Lawrence, le mec des Greenhornes. «Drinking Wine Spo Dee O Dee» perd tout son éclat, mais Jerr remonte sur ses grands chevaux pour une magistral coup de «Why You Been Gone So Long». Il crache le feu avec le «Sweet Little Sixteen» qui ouvre le bal de la B et c’est avec «Mexicali Rose» qu’il rafle la mise. Il parvient encore à dominer le monde. Sa voix éclate comme l’évidence du rock. Et pour le final habituel - You shake my nerves/ And you rattle my brain - il remet sa vieille chaudière en route, feels gooood et aussitôt après «Great Balls Of Fire», il envoie «Whole Lotta Shaking Going On» rejoindre les étoiles du firmament. Well done Jerr !

             Alors voilà, on vient d’appendre la triste nouvelle. Jerr a cassé sa pipe en bois. I’ll Never Get Out Of This World Alive, comme le disait si bien son héros Hank Williams.

    Signé : Cazengler, Lee de la terre

    Jerry Lee Lewis. Disparu le 28 octobre 2022

    Jerry Lee Lewis. Jerry Lee Lewis. Elektra Records 1979

    Jerry Lee Lewis. When Two Worlds Collide. Elektra Records 1980

    Jerry Lee Lewis. Killer Country.  Elektra Records 1980

    Jerry Lee Lewis. Live At The Grand Ole Opry. Doctor Kollector 1981

    Jerry Lee Lewis. My Fingers Do The Talking. MCA Records 1983

    Jerry Lee Lewis. I Am What I Am. MCA Records 1984

    Jerry Lee Lewis. Young Blood. Sire Records 1995

    Jerry Lee Lewis. Last Man Standing. Artists First 2006

    Jerry Lee Lewis. Mean Old Man. Verve Records 2010

    Jerry Lee Lewis. Live At Third Man Records Third Man Records 2011

    Jerry Lee Lewis. Southern Roots. The Original Sessions. Bear Family 2013

    Jerry Lee Lewis. Rock & Roll Time. Vanguard Records 2014

    Jerry Lee Lewis. The Knox Phillips Sessions. Saguaro Road Records 2014

     

     

    Docteur, j’ai Malaco

     

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             Il a raison Peter Guralnick quand il proclame que Malaco est The Last Soul Company. Rob Bowman en fait d’ailleurs le titre d’un énorme pavé qui relate l’histoire de ce label monté à Jackson, Mississippi, par des petits culs blancs férus de musique noire. Ça ne te rappelle rien ? Oui, c’est le même plan que Stax à Memphis et Fame à Muscle Shoals. Jim Stewart et Rick Hall, même combat que Tommy Couch et Wolf Stephenson, les deux fondateurs de Malaco.

             Tous les amateurs de Soul l’ont remarqué à une époque : des géants en fin de parcours atterrissaient sur Malaco : Bobby Blue Bland, Johnnie Taylor, Denise LaSalle et Little Milton, pour les plus connus. Comme New Rose en France, Malaco hébergeait les «bras cassés» du showbiz dont personne ne voulait plus, même s’ils étaient légendaires, aussi incroyable que cela puisse paraître. Du coup, Malaco et New Rose sont devenus des points de repère, pour tous ceux qui haïssaient le rock mainstream.   

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             Alors tu as intérêt à manger des épinards pour t’attaquer au Bowman book : il est au format d’un LP, il fait deux cents pages et comme il est imprimé sur un gros couché semi-mat (au moins un 150 g), il pèse au moins une tonne. C’est Fred McDowell qui orne la couve et Peter Guralnick signe la préface. Il dit comme d’habitude l’essentiel de ce qu’il faut savoir sur le sujet, notamment ceci au plan de l’éthique : «Pour Malaco, la Soul a toujours été constituée à parts égales de décence et d’inspiration, un équilibre assez rare dans la vie comme dans le record business.» Puis Bowman commence à raconter l’histoire, à son rythme et avec son style. Oh il ne prétend pas être écrivain, il fait juste ce boulot auquel bizarrement personne n’a pensé avant lui. Malaco est un sujet en or pour un raconteur d’histoires. Il cite des petits faits, tiens, comme celui-ci : en cinquante ans d’activité, Malaco n’a jamais eu un seul numéro 1 au hit parade. Pas besoin de ça pour exister et héberger de très grands artistes.

             Au départ ils sont trois : Couch, Stephenson et Mitchell Malouf. Ils n’y connaissent rien mais ils veulent enregistrer des musiciens de Soul. C’est Johnny Vincent, le mec d’Ace, qui leur indique l’existence d’un bâtiment à louer : c’est le fameux building du 3023 West Northside Drive qui sera démoli par une tornade en 2011. Ils ont vite des artistes. Couch et George Soule deviennent producteurs, Soule compose avec Paul Davis, et Stephenson devient l’ingé-son. Comme Rick Hall chez Fame, ils montent le house-band avec un guitariste surdoué, Jerry Puckett. La réputation du studio grossit assez rapidement et Jerry Wexler commence à leur envoyer des clients comme les Pointer Sisters, Peggy Scott et Jo Jo Benson, James Carr et Jackie Moore. Malaco fait aussi appel au légendaire producteur de la Nouvelle Orleans, Wardell Quezergue. Le grand George Jackson s’installe à Jackson et devient auteur-maison pour Malaco.

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             Quand Stax se casse la gueule, des tas de gens descendent bosser chez Malaco : David Porter, Eddie Floyd, Frederick Knight, pour les plus connus. «Malaco devient the center of the universe for old-time blues, Soul and gospel», nous dit Bowman. C’est en 1984 et 1985 que Malaco signe Johnnie Taylor, Little Milton et Bobby Blue Bland, considérés alors comme des has-been par ceux, toujours les mêmes, qui n’écoutent pas les disques. Comme les affaires marchent bien, Couch et Stephenson finissent par racheter le fameux Muscle Shoals Sound Studio en 1985. Couch, Jimmy Johnson, David Hood et Roger Hawkins sont amis d’enfance, donc ça reste en famille. Au fil des pages, on voit aussi Malaco racheter tous les gros labels de gospel. Couch déclare dans la presse que le public de Malaco est essentiellement un public noir - Age 25 and up, working people, more women than men. Black radio is the main way we get to our buyers - Fin 1998, Malaco emploie 150 personnes. Ils réussissent là où Stax a échoué. Aventure miraculeuse. Et petite cerise sur le gâtö : les disques sont bons.

             Et diversifiés : de la diskö avec Jewell Bass et Anita Ward, de la country Soul avec Dorothy Moore et Ona Watson, du funk avec Freedom et Joe Shamwell et de l’uptown r’n’b avec Ruby Wilson et G.C. Cameron. Malaco hard found its niche, nous dit Bowman.

             Comme le Bowman book est un livre d’art, il grouille de portraits superbes en pleines pages. Celui de Fred McDowell qui orne la couve est une merveille d’intensité picturale, la qualité de l’image accentue jusqu’au délire l’esthétique de la blackitude, exacerbant les grains de peau, sublimant l’intériorité du vieux black, le blanc de la clope tranche tellement sur le noir du visage qu’il en renforce la dimension ténébreuse, on lirait presque dans les pensées du vieux Fred, on se laisserait même aller à imaginer qu’il songe au destin du peuple noir asservi par des siècles d’esclavage et de haine des blancs, il se dégage une telle mélancolie de ce portrait qu’on ne le quitte plus des yeux. C’est d’ailleurs avec le vieux Fred que les trois cocos de Malaco débutent leur carrière : c’est le premier artiste qu’ils enregistrent. Ils sont frappés par l’extraordinary power and emotional intensity. Comme ils n’ont pas encore fondé leur label, ils confient leurs enregistrements à Wayne Shuller chez Capitol et l’album s’appelle I Do Not Play RockNRoll, l’un de ces albums faramineux du siècle passé.  

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             S’il est un disk qu’on peut emmener sur l’île déserte, c’est bien I Do Not Play RockNRoll. Assis dans un escalier en bois, Fred gratte sa gratte. Il parle et il chante. Il démarre ses deux bals par de très beau monologues. Dans le premier, il explique qui il est, et dans le second, il explique d’où vient le blues. Comme sa diction est assez rude, les gens de Capitol ont eu l’intelligence suprême de publier le texte de ses monologues au dos de la pochette. C’est tellement intense et criant de véracité véracitaire qu’on les réécoute plusieurs fois, juste pour se régaler de ses fabuleuses intonations d’homme noir. On a même parfois l’impression d’être assis dans les marches avec le vieux Fred. Il gratte quelques notes et reprend son discours lancinant d’homme profondément bon. « My name is Fred McDowell. They call me Mississippi Fred McDowell. But my home is in Rossville, Tennessee. But it don’t make any different. It sounds good to me, and I seem like I’m at home there when I’m in Mississippi. And I don’t play no rock’n’roll. I just play straight n’ natchel blues ». Oui, Fred est de Rossville dans le Tennessee, mais il se sent aussi chez lui dans le Mississippi, pour lui, ça ne fait pas de différence. Et il rappelle qu’il ne joue pas de rock’n’roll, oh pas du tout, il ne joue que du vrai blues traditionnel. Il explique ensuite qu’il a longtemps joué avec un bottleneck en os de bœuf, comme le lui avait appris son oncle, mais il joue maintenant avec un vrai bottleneck en acier qui donne un son clair - you got more clear sound out of it - et il ajoute qu’il joue du bottleneck au ring finger - c’est-à-dire l’annulaire, celui qui est juste avant le petit doigt. Il attaque alors « Good Morning Little School Girl ». C’est la version originale qu’il passe à la casserole du bottleneck. On a du mal à l’écouter sérieusement, tellement les Anglais et Johnny Winter nous l’ont rabâchée. Puis il attaque « Kokomo Me Baby », un beau boogie-blues rapide et même pressé, du genre qui ne traîne pas en chemin, comme s’il avait croisé le diable au coin du swamp. On tombe ensuite sur un absolu chef-d’œuvre de punkitude : the mesmerizing, propulsive, riff-driven « Red Cross Store ». Fred avait inventé le punk-blues alors que tous les autres tétaient encore leur mère. Le vieux Fred balançait déjà l’acier du Mississippi dans les gencives d’un Dieu qui avait lâchement abandonné les Africains. La colère du vieux Fred était légitime. On devrait lui construire un mausolée, comme on l’a fait pour Abraham Lincoln, rien que pour ça. En voulant laver l’affront que lui faisait le dieu des blancs, il inventait le punk-blues. Cet album du vieux Fred donne le ton : chez Malaco, on n’est pas là pour rigoler.

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             Bowman revient longuement sur Wardell Quezergue, producteur des artistes les plus légendaires de la Nouvelle Orleans, Johnny Adams, Professor Longhair, Benny Spellman et Earl King. Il bosse aussi avec les Dixie Cups et lance Robert Parker avec «Barefooting» sur son label, Nola. C’est lui qui enregistre et produit King Floyd et Jean Knight sur le huit pistes de Malaco. Comme le label Malaco n’existe pas encore, ça sort sur Stax et Cotillon. Le «Groove Me» de King Floyd et le «Mr. Big Stuff» de Jean Knight sont des hits en 1970 et 1971. Merci Wardell. Un Wardell nous dit Bowman qui faisait répéter ses artistes jusqu’au délire, avant d’enregistrer. Il voulait que tout soit parfait. Par contre, il écrivait ses arrangements à la dernière minute, parce qu’il voulait qu’ils restent frais.

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             La grande révélation du Bowman book est sans doute Frank Williams, une star du gospel local, avec les Jackson Southernaires puis, un plus tard, the Mississippi Mass Choir. Darrell Luster : «Frank had a Donny Hathaway type of voice. À cette époque, on ne pouvait pas sonner comme Donny Hathaway et chanter à l’église. You had to sound like you were sanctified. Frank didn’t sound sanctified.» C’est Wolf Stephenson qui nous révèle le secret des grands albums de gospel : «Les gospel records ont de très longues jambes, bien plus longues que celles des albums de Soul et de blues. Ils se vendent pendant des années et des années. Les fans de gospel n’en finissent plus d’acheter. Ils ont grandi en écoutant du gospel, alors ils continuent. Some of these black folks that are gospel fans, you talk about loyal, ils achètent tous les albums des groupes qu’ils aiment.» Les Jackson Southernaires sont nous dit Bowman le premier groupe de gospel du Mississippi à monter sur scène avec une section rythmique. Frank Williams gratte une gratte. Le Down Home des Jackson Southernaires sort sur Malaco en 1975. Très belle pochette, on les voit déguisés en paysans du Delta, au temps où ça ne rigolait pas. Même le cheval blanc qui tire la carriole fait la gueule. Et comme l’indique Bowman, les Southernaires de Frank Williams font du r’n’b, dès «Prayer Will Change Things For You», la guitare électrique sonne bien dans l’église en bois qu’on voit sur la pochette derrière la carriole. Fabuleux tric trac de gospel Soul, ça joue dans l’angle, Frank Williams claque des petits accords d’entre-deux, comme Pops Staple, et il faut entendre le bassmatic cavaler comme un diable dans l’église ! Le coup de génie de l’album s’appelle «One More Time», pur jus de r’n’b, ces mecs jouent comme des démons, oh-oh, one more time, power du Black Power et tu as des chœurs de mecs when Jesus came in, Frank Williams t’explose ça au coin du bois. Plus dansant, voici «Jesus Will Provide». Ils chantent le shook de Jésus, ils flirtent avec le son Stax. Frank Williams prend ensuite «Old Rugged Cross» par en-dessous pour répandre de la beauté d’âme sur cette terre qui en a bien besoin. Les chœurs d’hommes sont du baume au cœur. On se recueille car c’est beau. Très beau. Ils reviennent au pur gospel d’église en bois avec «I Come To Serve The Lord». Dommage qu’ils n’aient pas le Mass Choir derrière eux. Mais c’est plein de jus, because one day Jesus will come down. C’est de l’extrême gospel. Ils font encore de la heavy Soul avec «Thank You Lord For All You’ve Done». Ils caressent les cuisses de la heavy Soul avec des doigts de fées.

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             Bowman fait aussi l’apologie du double live du Mississippi Mass Choir paru en 1989. Stewart Madison : «A record like that, that takes on a life of its own, is what you dream about in the record business.» On dirait exactement la même chose de l’Amazing Grace d’Aretha. Bowman conclut son élan lyrique en affirmant qu’on n’avait encore jamais vu un phénomène comme le Mississippi Mass Choir. Il a raison, le bougre, ce Live In Jackon Mississippi est une espèce d’album tentaculaire. C’est de la heavy Soul de church, mais avec un Mass Choir, et c’est au Reverend Milton Biggham que revient l’honneur d’ouvrir le bal de cet album dément avec un «Call Him Up» en deux parties. C’est embarqué à la clameur définitive et ça bascule dans la transe africaine. La soliste qu’on entend dans «I Just Can’t Tell You» s’appelle Lilian Lily. Elle fait de la Soul et c’est vite embarqué en enfer, car derrière elle, la marée monte ! On reste dans le power suprême avec «Near The Cross» et les solistes Frank Williams et Angela Curry. C’est la marée du siècle, le gospel de black awite, ils sont des centaines, ça culmine, ça atteint le summum de la Soul, mais avec les chœurs les plus puissants du monde. Celle qui prend le lead dans «Having You There» s’appelle Verona Brown, elle monte bien à la surface de la marée, une marée de rêve car les harmoniques te résonnent dans la cervelle et titillent les zones inexplorées. Verona Brown est une authentique Soul Sister. Là tu te retrouves au sommet du lard fumant. C’est même au-delà des mots. Et puis voilà Barbara Harper qui chante comme un ange dans «Lord We Thank You». Elle amène son petit Jésus avec un feeling demented, elle t’offre le plus cadeau du monde, le génie vocal exacerbé par la marée des chœurs, son thank you Jesus est tellement sincère que tu y adhères, et les vagues de gospel te ramènent sur terre. James Moore attaque «I’m Pressing On» avec Lawd. Il chante à l’arrache de Lawd, et quand les chœurs arrivent, c’est le raz-de-marée. Ça monte dans les octaves, terrific, les chœurs embarquent tout, même James Moore, et tu entends une bassline au milieu de ce chaos divin. Eh oui, le gospel est un art qui balaye tout, y compris les autres arts. Encore du pur génie avec «Until He Comes» et John Franklin, c’est presque un groove de diskö-funk, ils prennent des libertés extrêmes, big bassdrum et bassmatic, le Mass Choir entre en lice et ça tourne au délire. Retour de Milton Biggham et de Verona Brown pour un «All In His Hands» d’une rare puissance. Alors merci Bowman et merci Malaco. 

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             Pire encore, voici l’It Remains To Be Seen du Mississippi Mass Choir, un album littéralement grouillant de très grands artistes. C’est à Frank Williams que revient l’honneur d’ouvrir le bal de cet incommensurable album de gospel batch. Il amène le morceau titre à la bonne mesure, mais il est vite submergé par le Mass Choir. Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’il s’agit d’un album de Soul avec des chœurs supérieurs. Tu as tout, des nappes d’orgues et des centaines de choristes qui claquent des mains et qui chantent comme des esclaves qui auraient brisé leurs chaînes et qui seraient devenus des anges. Le power du Mass Choir est indescriptible ! Il faut l’avoir dans l’oreille pour comprendre ce qui se passe. Frank Williams chante comme un dieu, il est comme survolté par le Mass Choir. Et puis au fil des cuts, on va faire des découvertes extraordinaires, celles de solistes inconnus et inconnues au bataillon, mais fuck, quels solistes ! Elle s’appelle Lilian Lily et prend le lead sur «There Is None Like Him». Elle vaut largement Aretha, c’est du si haut de gamme qu’on en tombe de sa chaise. Là, tu as tout le génie de la Soul + le gospel. Lui, il s’appelle Rev. Milton Biggham et tu as intérêt à ne pas le perdre de vue, car il t’allume vite fait «He’s Able», Hallelujah ! Ce mec est un démon, c’mon put your hands together, tous ces anges noirs te créent du génie à la sauvette et Biggham a l’envergure des géants de la Soul, à commencer par Solomon Burke. Elle s’appelle Verona Brown et elle prend le lead sur «Victory In Jesus». Nouvelle reine de Saba, elle te fend le cœur, les blackos du Mass l’applaudissent et là tu bascules dans un océan de nec plus ultra, car il n’existe rien de plus pur et de plus puissant en matière d’art vocal. Elle te monte le gospel en neige, elle tient la note par-dessus tous les toits du monde, elle persiste et signe au firmament, elle est pire que l’opéra car elle est sacrée, elle sonne comme un aboutissement. Comment s’appelle-t-elle déjà ? Verona Brown. Attends, c’est pas fini ! Pas le moment de te carapater, car voilà Angela Curry. Elle prend le lead sur «Yes». En fait, tu ne peux pas tenir face à des artistes aussi complets et aussi inconnus. Ils ont le power absolu, avec la clameur du Mass Choir, mais chaque artiste brille d’un éclat particulier, chaque fois avec une technique de chant qui renverrait presque les superstars au vestiaire. Angela Curry grimpe sur ses grands chevaux, avec une niaque démente, My Soul, yes !, elle fout le feu à la Soul et au gospel, tout explose, c’est au-delà du langage, sa pureté artistique dépasse tout, et elle monte encore, tu as le summum du lard fumant dans l’oreille, Angela Curry exulte dans l’expression définitive, tu atteins les limites de ce que tu peux encaisser au plan émotionnel, elle monte tout son lard au sommet de la montagne et c’est en plus propulsé par les chœurs du Mass, et ça n’en finit plus, il pleut du yeah eh-eh-eh. Et puis voilà sa frangine, Emma Curry qui prend le lead sur «I Get Excited». Elle est plus joyeuse, elle ramène un battage d’Hallelujah, c’est de la Soul, Emma Curry qui tape dans le dur, wow les soul Sisters sont de sortie ! Elle est complètement folle, Emma, elle explose le gospel, c’est une vraie dingue, une tentaculaire, jamais vu autant de reines de Saba que dans ce Mass Choir, comme sa frangine, elle fout le feu et tout le power de la Soul se fond dans le gospel, va-t-en comprendre, c’est impossible, ça te ravage, les cavalcades de gospel te passent sur le corps, c’est la musique du diable, Emma Curry est la pire des sorcières, elle te crame sur pied et derrières le mecs jouent comme des démons, tu tiens entre les pattes l’un des plus beaux albums de musique black de tous les temps, merci Malaco ! Et Frank Williams revient chauffer la salle, tout le monde l’ovationne. Bon dieu ! Dans ce peuple d’esclaves, on est facilement désinhibé, alors tout coule de source, notamment cette beauté du lard que n’auront jamais les blancs, pas seulement l’énergie et la danse, mais surtout la beauté spirituelle, leur Hallelulah sonne comme le symbole d’une revanche purement spirituelle. Lui, il s’appelle Walter Hawkins et il prend le lead sur «Hold On Old Soldiers». Encore un soliste qui chante comme un dieu, décidément ! Il surnage dans la fournaise du Mass, ça carbure autour de lui, la Soul prend feu, encore une fois. Vertige absolu. Là, tu danses dans les golfes clairs, ça pulse au fond du ventre et ce mec Hawkins s’éventre au sommet du lard comme l’agneau s’éventre en l’honneur de Zeus, le power du gospel, c’est la meilleure image du flux de l’humanité et du tourbillon des âmes, alors sonne l’heure de la rédemption. Frank Williams reprend le lead sur «Your Grace & Mercy». Il lance son Mass Choir, il ouvre les vannes du barrage et les chœurs se déversent sur le monde, thank you for saving/ A sinner like me, Frank Williams est un honnête homme, il remercie le dieu du Gospel batch à genoux, au milieu de la marée d’Ararat, thank you Jesus, il chante à la revoyure, que peut-il faire de plus ? Retour de Milton Biggham pour «It Wasn’t The Nails», il te swingue les Nails vite fait, c’est un géant du Soul System, il était là au moment des Nails, il sait de quoi il parle, et les Mass Choir font «Lawd !», c’est encore pire que Sam &Dave. Biggham défonce tout sur son passage, il te défonce le barrage contre le Pacifique et Marguerite Duras s’enfuit en courant, Biggham est l’ultime force de la nature, il se fond lui aussi dans le Mass Choir, tu ne peux pas lutter contre cette marée du diable. Il vaut mille fois Wilson Pickett, c’est assez dur à dire quand on est un vieil inconditionnel de Wicked Pickett, mais c’est hélas la vérité. Retour encore de Frank Williams avec «Why We Don’t Rap/Amazing Grace» pour un petit shoot de gospel rap, le Mass Choir rappe et revient au pur gospel avec Amazing Grace, Frank Williams peut screamer à l’infini et redevenir le héros Malaco qu’il a toujours été. Ce mec est une étoile dans un ciel de stars. Tu sors de cet album avec la langue pendante, comme si tu venais d’être violé par un régiment de mamelouks.

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             Bowman cite encore l’Humble Me Lord du Reverend Curtis Watson paru en 1977 comme l’un des joyaux du gospel roster de Malaco, capable de rivaliser avec les Staple Singers de l’era Stax.

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             On croise plus loin la très belle Anita Ward d’Holly Springs qui enregistre son fameux «Ring My Bell» chez Malaco, avec Frederick Knight, un Knight qui met le vibrato de la belle Anita en valeur. Avant d’entrer en studio, Knight étudie les hits qui hantent les charts pour s’en inspirer. Dans le cas de «Ring My Bell», the basic drum beat and tempo est adapté du Funkadelic’s monster summer 1978 hit «One Nation Under A Groove». Merci Bowman ! On retrouvera la belle Anita inside the goldmine incessamment sous très peu.

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             L’autre énorme star de Malaco, c’est bien sûr Z.Z. Hill. Comme il a besoin d’un nom de scène, il s’inspire de B.B. King pour devenir Z.Z. Hill. C’est Dave Clark, le commercial black de Malaco qui réussit à convaincre ZiZi de venir enregistrer chez Malaco. Viens par là mon coco. C’est là que ZiZi croise le chemin de George Jackson qui vient de composer «Down Home Blues». Du coup, l’album Down Home fait un carton. Il se vend à 500 000 exemplaires et devient the most successful blues album in history. ZiZi devient a blues superstar.

             Down Home s’ouvre sur «Down Home Blues», une Soul de blues entortilleuse. «Everybody Knows About My Good Thing» sonne aussi comme une petite merveille de blues, avec son bassmatic descendant. De l’autre côté, ZiZi va plus sur le r’n’b avec des gros scorchers comme «Right Aim For Your Love» joué au beat de stomp et «Givin’ It Up For Your Love» cuivré par les Muscle Shoals Horns. Il revient au blues avec «When It Rains It Pours» et travaille ça au guttural.

             ZiZi, comme d’ailleurs George Jackson, fait l’objet d’un épisode complet ailleurs. Dans les années 80, George Jackson avait déjà écrit plus de 2 000 chansons, dont des cuts pour Clarence Carter, Wilson Pickett ou encore Bob Seger. Ace n’en finit plus de rééditer des compiles de démos de George Jackson, et chez lui, tout est bon, il n’y a rien à jeter. Il compose aussi l’excellent «Annie Mae’s Cafe» pour Little Milton. Le problème de George, c’est qu’il picole. Il enregistre parfois des démos bizarres qui peuvent durer dix minutes dans lesquelles il chante n’importe quoi. Wolf Stephenson : «He’s send us a demo. That was horrible, but the idea was fantastic.» Et Wolf ajoute : «He was drunk as a dog when he wrote all that stuff.»

             Denise LaSalle relance elle aussi sa carrière grâce à Malaco. On lui a rendu hommage sur KRTNT en 2018 ( livraison 365 du 15 / 03 ), lorsqu’elle a cassé sa pipe en bois. Pour l’album Right Place Right Time, elle duette sur le morceau titre avec Latimore, une autre black star sauvée des eaux par Malaco. Elle voulait duetter avec ZiZi Hill, mais ZiZi était trop sombre - The song was a real sexy song and Lat was a sexy man.

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             On retrouve G.C. Cameron chez Malaco, lui aussi en panne sèche au bord de la route.   Il y enregistre l’album Gimme Your Love, mais il ne s’entend pas très bien avec le staff blanc de Jackson. Cameron est pourtant né à Jackson, mais il a fait carrière à Detroit, avec les Spinners. C’est en épousant la sœur de Berry Gordy, Gwen Gordy, qu’il entre chez Mowest puis chez Motown. Wolf Stephenson se souvient de Cameron comme d’un mec compliqué. Il se croyait encore à Detroit, il voulait un bus et un backing-band pour partir en tournée, il voulait des fringues, du blé et des limousines - We said wait a minute man, this ain’t Detroit, this is Jackson, Mississippi - Donc ça n’a pas marché avec lui.

             C’est aux funérailles de ZiZi Hill que Tommy Couch entend chanter Johnnie Taylor. Il va le trouver et lui propose de signer sur Malaco. Dans le Bowman book, on tombe sur un gigantesque portrait du vieux Johnnie. Il a toujours eu un regard un peu spécial de vieux crocodile. Mais il est l’un des plus grands chanteurs d’Amérique. Pareil, un épisode complet lui est consacré ailleurs.

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             La dernière grande révélation du Bowman book, c’est Shirley Brown. Le premier à être frappé par sa voix n’est autre que Jim Stewart, the Stax man, en 1974. Shirley sonne en effet comme Aretha. Même génie vocal. Après la fin de Stax, Stewart remonte Black Diamond Recordings avec le guitariste de session Bobby Manuel. Ils installent un studio et enregistrent Shirley. Ils passent un accord avec Malaco pour sortir l’album Fire And Ice. Fascinés par les grands duos de la Soul (Bowman en cite deux : Michael McDonald & Patti Labelle et Jeffrey Osbourne & Dionne Warwick), ils proposent à Shirley de duetter avec Bobby Womack. Le petit Bobby opte pour «Ain’t Nothing But The Loving We Got». Le problème c’est que l’album flirte avec la diskö. Tu as du son, mais un brin diskö. Shirley Brown sauve l’album grâce à sa voix, elle est confrontée au même problème qu’Aretha qui a la même époque tape aussi dans la diskö. Il faut la voir grimper, Shirley Brown, sur son something good yeahhhh. La viande est en B avec «Sewed To The Wind» qu’elle ultra-chante. Elle fait son Aretha, elle groove avec le même feeling de couches supérieures. L’autre smash de la B s’appelle «I Wonder Where The Love Has Gone». Elle s’en va jazzer sa Soul, elle est tellement complète et géniale ! Comme Artetha, elle rayonne sur le monde entier et petite cerise sur le gâtö, c’est George Jackson qui signe cette merveille.

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             Bowman fait encore l’apologie de Diva Of Soul, une autre production Black Diamond. Il a raison, Bowman de crier au loup, car Shirley Brown navigue exactement au même niveau qu’Aretha, ce n’est pas une blague. On le constate dès «You Ain’t Got To Hide Your Man», elle est monstrueuse, elle te chauffe ton lit rien qu’en chantant ! Puis elle te déchire le cœur avec «If You’re Weak Enough», elle te claque le beignet de la Soul derrière les oreilles, c’est très spectaculaire. Elle chauffe tous ses cuts à la folie, avec le même gut d’undergut qu’Aretha. «One More Time» te court sur l’haricot, Shirley Brown te prend à la gorge, tu ne peux pas faire l’impasse sur une telle Soul Sister. Elle fout littéralement le feu à la Soul, elle te bouffe tout cru, elle ne connaît aucune limite. Elle devient une reine avec «You Ain’t Woman Enough To Take My Man». C’est une révélation. Elle chante avec un entrain définitif, elle te roule la Soul dans sa farine, elle est écœurante de génie vocal. Et puis tu as encore «Talk To Me», qui est d’une pureté abdominale sans commune mesure - You know darling - C’est la pureté profonde d’Aretha et du gospel, ça vibre dans la moiteur du talk to me, ça monte jusqu’au ciel, elle te monte ça en neige et c’est à tomber de sa chaise, le talk to me semble monter tout seul, elle l’embarque dans un délire de vocalises de tell me baby. Shirley Brown est une incommensurable Soul Sister, Malaco home of the greats, oui, avec Bobby Blue Bland, ZiZi Hill et Shirley Brown, le compte est bon. Elle habite tous les étages de la Soul, comme le montre encore «Better You Go Your Way», elle n’en finit plus d’y croire et de monter au firmament, cette poule est épuisante, bon courage à celui qui entre dans son lit, car c’est une dévoreuse.

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             Le fils de Tommy Couch (qui s’appelle aussi Tommy Couch) monte Waldoxy pour relancer Malaco. Après la mort de Johnnie Taylor en 2004, Malaco en bave. Tommy Couch Jr lance Mel Waiters qui a un succès fou avec l’album Woman In Need. Mel Waiters est un hard man. Il chante à la dure, c’est un vrai mec, il est en béton, avec ses cheveux teints. Les premiers cuts de l’album ne sont pas très bons. Il est un peu le Portugais de la Soul, avec sa tamponneuse. Il faut attendre «Slip Away» pour trouver du groove et il finit par s’imposer. Il ne faut pas le prendre à la légère. Ce que confirme «Second Class». Il y vante les mérites du first class, c’est une Soul de retenue assez puissante, du coup ça devient passionnant - You’re first class when you come to me - «Something In Common» est enregistré live à Jackson, Mississippi. Il est excellent dans son rôle de Soul Brother. Il taille bien sa route. Il devient carrément fascinant avec «Who’s Gonna Win», un shoot de heavy r’n’b. Il le retourne comme une crêpe à son avantage, avec un drive de basse avantageux. Voila le cut qui chapeaute tout le Mel. Une pure merveille. On y revient.

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             La cerise sur le gâtö de Malacö, c’est bien sûr la box parue en 1999, l’une de ces boxes qui ne te lâchent pas et qui finissent par t’assommer. Boom, six disks et un book bien dodu, t’es pas sorti de l’auberge. En plus, c’est d’une densité peu banale, tu as tous ces artistes qui te font du gringue et qui te renvoient sur des tas d’autres albums. Encore une histoire tentaculaire. La box, c’est comme cette grosse pierre que tu soulèves et en dessous, ça grouille de vie. T’es épuisé avant même d’avoir commencé à écouter le disk 1, car tu sais que tu vas tomber sur le «Talking About Love» de George Soule, un incroyable heavy groove joué sous le boisseau de Malaco. Tu vas aussi tomber sur le «Mr & Mrs Untrue» de Mighty Sam, un hit méconnu, la révélation ultime ! - Mighty Sam McLain’s emotion-laden version of ‘Mr and Mrs. Untrue’ epitomizes the magic of country Soul at its finest - Tu as aussi le génie de Fred McDowell avec «Red Cross Store», là-dedans, tu as tout le rock’n’roll, tout le funk et tout le punk, il te descend ça à la déglingue d’ultra-guitare, tu as là le real wild punk, tout le JSBX et tout le reste. D’autres vieilles connaissances encore comme King Floyd, le roi du reggae groove avec «Groove Me», mais aussi le roi du heavy funk avec «Baby Let Me Kiss You» - Such a groovy sensation - King Floyd a un style particulier : il ne force jamais le passage. Il se faufile en douceur. Sous son petit chapeau, c’est un couleuvrier du groove. Et puis voilà Jean Knight avec son «Mr Big Stiff» des Caraïbes. Elle chante au sucre et c’est fabuleux. Malaco est une vraie usine à sucre. Encore du violemment bon avec The Unemployed et «Funky Thing», groupe dans lequel joue le fils de Wardell Quezergue. Les Golden Nuggets font du black rockab avec «Gospel Train», this train, font les chœurs. Encore un joli Soul Brother, Chuck Brooks et sa voix d’étain blanc, il chante «Can’t Be In Two Pieces At The Same Time» au contrefort de l’efflanquée miraculeuse, accompagné par des violons et des chœurs de filles volages. C’est un gros coup de baume au cœur. Encore une surprise de taille avec Richard Caiton et «Superman», un black superbe qui taille sa route au smooth de Malaco. Cette box est un vivier extraordinaire. Richard Caiton te groove la Soul au clair de la lune, il t’embroche le cœur. Et puis voilà Dorothy Moore avec «Don’t Let Go». Elle y va la Dorothy, reine de Saba, il tape ça au big heavy beat d’oooh weeee et ramène le power du gospel batch. Son I love you so vaut bien celui d’Aretha, elle a derrière elle une basse et des chœurs de mecs bien noirs qui ne crachent pas sur le don’t let go, là mon gars, tu te retrouves dans le summum du lard, c’est-à-dire le lard du peuple noir.

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             Qui signe le book de 112 pages inséré dans la Malaco box ? Rob Bowman, bien sûr. Il est LE spécialiste et ce petit book complémente bien le gros bibendum évoqué plus haut. Il retrace les origines de Malaco dans une courte introduction puis prend les disks un par un pour revenir sur les artistes, notamment l’excellent George Soule qui vit à Meridian, Mississippi, et qui entend dire un jour qu’il existe un nouveau studio d’enregistrement à Jackson, à deux heures de route de chez lui. Alors pourquoi continuer d’aller enregistrer des démos à Nashville ? D’autant plus que Malaco est équipé d’un quatre-pistes ! Soule et son pote Paul Davis sont engagés comme auteurs compositeurs. George Soule et Paul Davis enregistrent tous les deux «Talkling About Love» et jouent tous les instruments. C’est Paul Davis qui chante. Quand le single floppe, Paul Davis part bosser chez Bang et George Soule signe un contrat avec les mecs de Muscle Shoals. Bowman rappelle aussi que Cosy Corley est l’un des premiers artistes enregistrés chez Malaco, avec l’impossibly soulful «Warm Loving Man», que chante sa femme Carolyn Faye. Autre personnage clé de la Malaco Saga : Wardell Quezergue qui doit fuir New Orleans après la faillite de Nola. Le deal est simple : Quezergue fournit les artistes, Malaco le studio et le house-band. The Unemployed est le premier fruit de cette juteuse collaboration. Quezergue amène donc le funk chez Malaco. C’est lui qui amène Jean Knight, King Floyd et Joe Wilson chez Malaco. Bowman rappelle aussi que Tommy Couch eut un mal fou à imposer les hits produits chez Malaco par Quezergue («Mr Big Stuff» et «Groove Me») : ni Stax ni Wexler n’en voulaient. Ça sort sur Chimneyville, label créé pour l’occasion. Quand «Goove Me» devient un hit à la radio, Wexler revient sur sa décision et le distribue. Wexler n’aime pas non plus «Mr. Big Stuff» qu’il refuse de distribuer. Bowman finit son commentaire du disk 1 sur une note sombre : «En 1974, Atlantic n’avait pas renouvelé le contrat de distribution de Chimneyville, King Floyd était devenu compliqué et Wardell Quezergue semblait avoir perdu sa magic touch.» 

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             La fête continue sur le disk 2, avec le génie de Dorothy Moore («I Believe You»), elle est fantastique, elle est sur tous les fronts, elle prend la Soul de biais. Elle duette aussi avec King Floyd sur «We Can Love», fabuleux duo d’enfer, elle attaque au perçant, c’est-à-dire à l’Aretha. C’est une battante extraordinaire, on la voit encore torcher le «Funny How Things Slip Away» de Willie Nelson qu’elle finit en apothéose. C’est Tommy Couch qui choisit les chansons pour Dorothy, il est persuadé qu’elle va en faire des hits. Wow Dorothy ! Elle fait encore un carton avec le «With Pen In Hand» de Bobby Goldsboro. Elle est parfaite, une vraie reine de Saba, elle est all over Malaco ! D’ailleurs, c’est elle, Dorothy, qui sauve Malaco avec «Misty Blue». Il s’est produit la même chose qu’avec «Groove Me» et «Mr. Big Stuff» : personne n’en voulait, ni Wexler - You got a black female singing a ballad, you’ll never make it. It’s not worth taking the chance - ni Scepter, ni T.K., personne. Alors Eddie Floyd qui est chez Malaco pour enregistrer des bricoles leur dit de sortir eux-mêmes «Misty Blue». Mais les Malaco boys sont à sec, ils n’ont plus un rond - We were dead fucking broke - Alors baisés pour baisés, ils se décident à sauter le pas. Boom ! Ça marche ! «Misty Blue» sauve Malaco qui signe aussitôt un distribution deal avec le label d’Henry Stone T.K., à Miami. C’est l’époque où Stax coule et des tas de gens débarquent chez Malaco : Eddie Floyd, Frederick Knight, les Fiestas et David Porter. Eddie Floyd y enregistre un album (Experience) et il produit Jewel Bass. L’autre grosse pointure du disk 2, c’est Natural High avec «Flying Too High», très haut niveau, comme l’indique le nom du groupe, c’est le funk du Mississippi. Ils reviennent plus loin avec «The World Is Dancing», un shoot de wild funk. Nouvelle révélation avec les Fiestas et «I’m Gonna Hate Myself», un cut de Sam Dees et Frederick Knight. C’est un peu comme si tu découvrais un continent. Eddie Floyd radine sa fraise avec «Somebody Touched Me», vétéran de toutes les guerres de Stax, il explose bien la cabane de Malaco. C’est une sorte de r’n’b idéal, comme c’est chaque fois le cas avec le vieux Eddie. Il duette ensuite avec Dorothy Moore sur «We Should Really Be In Love» et ça donne quoi ? Une bombe ! On réalise un peu mieux que Malaco se situe au niveau supérieur. Encore un obscur de Malaco : Billy Cee avec un «Dark Skin Woman» signé Mack Rice. C’est énorme, complètement rampant. Billy Cee n’a enregistré que des singles. Quel son ! L’autre grande surprise de ce disk 2 n’est autre que McKinley Mitchell avec un «Trouble Blues» qu’il groove bien sous le boisseau, il est très puissant. Mitchell enregistre sur des petits labels à Chicago. Malaco flashe sur son «Trouble Blues» et le sort sur Chimneyville. Willie Cobbs est là aussi, avec «You Don’t Love Me No More», un vieux shake de r’n’b. Encore un coup de Trafalgar avec Joe Shamwell et «I Wanna Be Your CB», un heavy funk d’une extravagante vitalité. Tu vas aussi te régaler de Nolan Struck avec «Fallin’ In Love With You» - One of the many unknown jewels on this collection - Bassman flamboyant. Encore un artiste complet. Bowman fait aussi l’éloge de l’ex-Stax Frederick Knight qui s’amourache des Malaco boys et qui produit chez eux le fameux «Ring My Bell» d’Anita Ward. Avec cette box, on entre dans l’infini des ramifications. Tous ces grands artistes ont enregistré des tas de choses, à toi de jouer. Pars à leur découverte. C’est le jeu.

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             Le disk 3 vire plus diskö, mais c’est la diskö de Malakö, celle de Freedom («Dance Sing Along») et de Fern Kinney («Groove Me»). Deux extraordinaires cuts de diskö dance, une dancing Soul relancée au pouh pouh pouh, c’est bardé de funk jacksonien. Freedom, ce sont des cracks de la dance crraze. À leur façon, ils sont très puissants, ni Sly, ni Funkadelic, c’est encore autre chose. Fern Kinney est superbe de candy candeur, elle n’est pas loin d’Esther Phillips, c’mon ! Elle fait du diskö sugar comme Anita Ward. Fern duette ensuite avec Frederick Knight sur «Sweet Life», ça vaut bien tout le Fame et tout le Stax, on assiste à une fantastique élévation du domaine de la Soul. Plus loin, Power tape dans le «Groovin’» des Rascals, mais revu et corrigé au Malaco power, cover superbe, il chante à la racine black du délire. Sur ce disk 3, on voit arriver les grosses poissecailles comme Latimore, Denise LaSalle et Z.Z. Hill. Latimore fait le show avec «Bad Risk», il te tombe dessus, c’est un crack. Denise fait sa diskö Soul avec «A Lady In The Street», elle pose bien sa voix, elle est vite énorme, tu as là l’une des meilleures Soul Sisters de l’époque. Plus loin, Denise duette avec Latimore sur «Right Place Right Time» - Baby let me taste your kiss - Les blacks sont durs en affaires, tout le monde le sait. Surtout si Latimore se ramène la bite à la main. Z.Z. Hill est ultra-présent sur ce disk 3, il fait de la Soul de baby please («Please Don’t Make Me Do Something Bad To You») et surtout du heavy blues («Down Home Blues»), classique, même si c’est signé George Jackson. Zizi propose des cuts solides, mais pas déterminants. On le retrouve plus loin avec la belle énergie de «Someone Else Is Sleeping In» et il tombe dans l’escarcelle de Malaco avec «Get A Little Give A Little». Il n’empêche qu’il reste un fantastique shouter. Un vrai Zizi Panpan. C’est l’ex-promo man de T.K., Dave Clark, devenu promo man de Malaco après la faillite de T.K., qui amène ZiZi Panpan chez Malaco. Comme Dorothy Moore avant lui, Zizi va sortir Malaco de la mouise. Ça va si mal que Wolf Stephenson est obligé de vendre sa baraque. Grâce à Zizi, Malaco va accéder à la stabilité financière. Bowman embraye alors sur l’histoire de George Jackson qui dans les années 80 a déjà composé 2 000 chansons. Comme «Down Home Blues» fait un carton, Wolf Stephenson peut racheter sa baraque. 

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             Bowman qualifie la période 1984-88 de second half of Malaco’s golden age. C’est Johnnie Taylor qui rafle la mise sur le disk 4. On le connaît par cœur, mais c’est toujours un plaisir que de le retrouver. Il fait partie des groovers fondamentaux, il faut le voir à l’œuvre dans «This Is Your Night», il t’encadre de satin jaune, il te perce la nuit. On le retrouve plus loin avec «Wall To Wall», un énorme shuffle perlé de petites guitares funky. Johnnie Taylor est l’un des géants de cette terre. C’est à lui que revient l’honneur de boucler ce disk 4 avec l’«I Had A Love» des Falcons, cut mythique entre tous, puisque Wilson Pickett chante la version originale, backed par Eddie Floyd, Mack Rice, Willie Shoefield et Joe Stubbs, le frère de Levi Stubbs. Pour sa version, Johnnie Taylor est backed par The Jackson Southernaires. Lui et Bobby Blue Bland ont exactement la même ampleur, ils sont le cœur battant de la Soul, ils sont à la pointe du génie black. Le vieux Bobby est là, lui aussi, avec «Get Your Money Where You Spend Your Time», il te groove le my Lord baby vite fait, il incarne le groove de Malaco. Il est sans doute le pire de tous car il travaille au tire-bouchon. Le troisième géant du disk 4 est Little Milton, il tape son «Blues Is Alright» au heavy boogie. On peut parler d’énergie supérieure. Avec «Anna Mae’s Cafe», il rentre directement dans le lard du heavy blues de George Jackson. Little Milton ne plaisante pas - I wanna tell you about a place I know - Il te bouffe encore le heavy blues tout cru avec «Cheatin’ Is A Risky Business», il passe toujours en force. C’est le Panzer de Malaco. On retrouve aussi Latimore avec «All You’ll Ever Need». Forte présence, mais ce n’est pas la même chose que Johnnie Taylor. Belle voix, c’est vrai, très haut niveau, c’est sûr, mais il manque le petit quelque chose qui fait la différence. Retour aussi de Denise LaSalle avec «My Tutu». Elle groove à la force du poignet et derrière elle, on entend une basse pouetter. On se régale aussi de Formula V («Part Time Lover», un son tellement black) et de The Rose Bros., avec «I Get Off On You», très black, très straight, le son de Muscle Shoals.  

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             Avec le disk 5, Malaco atteint une sorte d’équilibre entre deux pôles, les anciens (Bobby Blue Bland, Little Milton, Johnnie Taylor, Denise LaSalle, Dorothy Moore, Latimore) et le nouveaux (Beat Dadys et Poonanny). Selon Bowman, Shirley Brown se retrouve en plein milieu. Bobby Blue Bland raffle la mise sur le disk 5 avec «Midnight Run», «Take Off Your Shoes» et «There’s A Stranger In My Home». Listen ! Il connaît toutes les ficelles, ce fabuleux artiste se permet de rire, ah ah, son «Take Off Your Shoes» est l’un des sommets du heavy blues de Malaco et dans Stranger, on l’entend gémir, and I don’t know what to doooooo. Grand retour de Dorothy Moore avec «Stay Close To Home», elle est épaulée par un gospel choir, elle chante d’une voix un peu ingrate mais elle pèse de tout son poids dans la balance, elle y pose son cul et ça penche de son côté. Elle y va la mémère. Avec «If You’ll Give Your Heart», elle est un peu conventionnelle - If you give me your heart/ I’ll give you my soul - Elle duette enfin avec ZiZi Hill sur «Please Don’t Let Our Good Time End», ils tentent le coup du duo d’enfer, pas sûr que ce soit le meilleur du cru. ZiZi tient bon, mais bon. Dorothy est une bonne, mais bon. Pour Malaco c’est un gros coup, mais sans magie. Par contre Shirley Brown et Bobby Womack font un vrai duo d’enfer sur «Ain’t Nothin’ Like The Lovin’ We Got». Shirley amène Bobby, talk to me. Pas de pire duo d’enfer ! Shirley hurle et Bobby aussi. Ils prennent feu. On croit entendre Aretha et Wilson Pickett. Denise LaSalle revient avec un «Wet Match» signé George Jackson. Excellent pétard mouillé ! Les Beat Daddys sont des blancs qui font du Percy Sledge («I’ll Always Love You»). La surprise vient de Poonanny avec «Poonanny Be Still», un prêcheur fou qui fait du rap.

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             Le disk 6 est celui des révélations. Ça grouille de nouvelles têtes. Tiens, on commence avec James Peterson. Il sort d’où ? Wow, c’est le père de Lucky Peterson et son «Don’t Let The Devil Ride» vaut franchement le détour. Bowman indique que Big Mike Griffin joue les guitar heroics sur «Don’t Let The Devil Ride». Autre nouvelle recrue : Ernie Johnson avec un «Cold This Winter» signé George Jackson. Il propose une heavy Soul bien sentie on the inside. Il annonce qu’il va cailler cet hiver. Il est excellent on the inside. Encore une nouvelle recrue, l’excellent Arti White avec «Your Man Is Home Tonight», un heavy groove d’une classe effarante, il a pour lui la grandeur d’un géant de la Soul, donc il domine bien la situation. Encore une découverte avec celle de Stan Mosley et «Don’t Make Me Creep», une sorte de heavy groove inespéré, très rampant, plein d’esprit creepy, don’t wanna sleep ! Petite cerise sur le gâtö : Bowman nous apprend que Mosley a fait partie des mythiques Sharpees (Hello Jean-Yves). Et puis tu as l’excellent Carl Sims avec «Two Lumps Of Sugar», mais trop de basses, le casque chevrote dans la choucroute, c’est de la neo-Soul rampante, et comme c’est un Soul Brother de Memphis, il faut peut-être le suivre à la trace. Une voix, c’est sûr. La géante de ce disk 6 n’est autre que Shirley Brown, avec «You Ain’t Woman Enough To Take My Man». Miss Brown to you ! Elle est terrifique de you’re wasting your time, elle râpe sa Soul avec un aplomb qui t’en bouche un coin, elle fait du pur Aretha. Tiens voilà Bobby Rush ! Il peut se montrer raw, comme on le voit avec «One Monkey Don’t Stop The Show». Il est là le Bobby, on the Rush. Fantastique présence ! Mais ses disks sont difficiles à choper. Retour de l’unbelievable Johnnie Taylor avec un «Good Love» bien groové sous le boisseau de Malaco - I’ve been looking for someone like you - On croise aussi Mel Waiters («Got My Whisky», énergie brutale) et Tyrone Davis («Let Me Please You», il est là tout de suite, c’est un géant venu de Chicago, mais pas de magie). C’est à Little Milton que revient l’insigne honneur de refermer l’aventure de cette heavy Malaco box avec «Big Boned Woman». Fantastique chanson d’amour - She’s my big boned woman/ I love her in sexy ways/ We’ll be together/ Until my dying days.

    Signé : Cazengler, Malacon

    Rob Bowman. The Last Soul Company. The Malaco Records Story. Malaco Press 2020

    The Last Soul Company. Malaco Records Box 1999

    Mississippi Fred McDowell. I Do Not Play No Rock’n’Roll. Capitol Records 1969

    Z.Z. Hill. Down Home. Malaco Records 1982

    Mel Waiters. Woman In Need. Waldoxy Records 1997

    Jackson Southernaires. Down Home. Malaco Records 1975

    Mississippi Mass Choir. Live In Jackon Mississippi. Malaco Records 1989

    Mississippi Mass Choir. It Remains To Be Seen. Malaco Records 1993

    Shirley Brown. Fire And Ice. Malaco Records 1989

    Shirley Brown. Diva Of Soul. Malaco Records 1995

     

     

    L’avenir du rock

     - Le jour de Graham Day viendra (Part Three)

     

             L’avenir du rock se glissa prudemment vers le Général Mitchoum. Les balles allemandes sifflaient autour d’eux. La plage d’Omaha Beach était couverte de cadavres. Mitchoum avait l’air complètement hagard.

             — Depuis combien temps êtes-vous là, Général ?

             — Chais pu. Deux semaines. Peut-être trois. Impossible d’avancer. Coincé derrière ce bloc de béton. On a tout essayé, no fucking way. Les boches ont repoussé tous les assauts. Je suis tout ce qui reste du troisième bataillon. Six mille hommes taillés en pièces. J’en ai marre de manger des puces de mer et de creuser des trous dans le sable pour chier.

             Mitchoum se mit à chialer comme une gonzesse.

             — Attention, Général, vous avez de la morve qui coule sur vos galons...

             — Oui je chais. M’en sers pour coller les coquillages sur le donjon de mon château de sable.

             — Oh c’est vous qui l’avez fait ce joli château ?

             — Ben oui, dickhead, c’est pas les boches !

             — Il est vraiment magnifique ! Vous auriez pu gagner un concours !

             — Bon c’est pas le moment de me lécher les bottes, sucker ! À quelle unité appartenez-vous ? Où sont les bloody renforts ?

             — Je suis l’avenir du rock, mon Général, j’appartiens à la sixième compagnie du Génie et je ramasse le courrier des vagues d’assaut. Avez-vous un pli à me remettre ?

             — Je comptais bien envoyer une carte postale avec la Tour Eiffel à Eleonore, mon épouse, mais pour l’heure c’est fucking mal barré.

             — Faut pas vous mettre dans un état pareil, mon Général. Bon d’accord, vous avez bien foiré le D-Day, mais si ça peut vous consoler, sachez qu’en revanche le D-Day de Graham Day viendra ! 

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             L’avenir du rock a raison de prophétiser. Ça fait exactement quarante ans que Graham Day bâtit, non pas un château de sable, mais une authentique réputation de légende vivante, alors forcément son jour viendra. En attendant, il fait ce que font les autres légendes vivantes (Anton Newcombe, Nick Saloman, Dave Wyndorf, Robert Pollard, Wild Billy Childish, John Reis), il continue d’enregistrer d’excellents albums.

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             Pour saluer la parution de The Master Of None, le petit dernier, Shindig! invite Graham Day à évoquer ses disques préférés dans une rubrique intitulée «Jack of all trades». C’est une sorte de best of séculaire : Four Tops, Pretties, Lyres, Kinks, Woogles, Ramones, en deux pages, il fait le tour du mondo bizarro. D’ailleurs, il démarre avec les Lyres, et l’hypnotic vibrato guitar sound. Il avoue avoir essayé en vain plein de pédales pour retrouver leur son. C’est le guitariste des Woogles qui lui donne la clé de l’énigme : «A Fender amp with the vibrato depth to the max» - it was simple and obvious - Allons Graham, n’essaye pas de te faire passer pour un con, ça ne marchera pas. Du coup, on trouve cet hypnotic vibrato guitar sound dans «You Lied To Me», sur son nouvel album, The Master Of None. Il dit adorer le premier album des Pretties - That haunting bluesy sound and Phil May’s sublime vocal - Graham aurait bien aimé sonner comme Phil mais ce n’était pas possible - «Come See Me» has always been my favourite two and a half minutes of vinyl. It’s perfect in every way. C’est là que mon obsession pour les catchy riffs et la fuzz est née et elle sera là sur tous les disques que j’aurai encore la chance d’enregistrer - Ça s’appelle une profession de foi, mon gars. Quand on croise de tels propos dans un canard de rock, on les relit plusieurs fois pour être bien sûr ne n’avoir pas rêvé. Il dit avoir rencontré les Woogles dans les années 2000, lorsqu’ils jouaient en première partie des SolarFlares, lors d’une tournée allemande. Graham propose le Live At The Star Bar - garage rock’n’roll at its finest. J’ai été inspiré par this raw and powerfull simplicity - Il cite aussi The Kinks Kontroversy des Kinks. Il a découvert les Kinks à 15 ans et il a su que ça allait changer sa vie - Chaque fois que je fais un album, je prends The Kinks Kontroversy comme modèle - Stripped-back, honest and edgy sound but with great melodies and beautiful backing vocals - Il appelle ça des «tunes with attitude». Il cite ensuite un Greatest Hits des Four Tops à cause de «Bernadette», «Standing In The Shadows Of Love» et «Baby I Need Your Loving». Il avoue que les Four Tops sont son Motown act favori. Il descend plus au Sud pour saluer Rufus Thomas et «The Memphis Train», puis il termine avec Jarvis Humby et cet album dément qu’il a produit, Straighten Your Mind With... Graham parle d’un moment de pure magic.

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             Il a raison ! On a découvert Jarvis Humby sur une compile Acid Jazz, Sugar Lumps 1. Puis rebelote sur Sugar Lumps 2 avec «Straighten My Mind» produit par devinez qui ? Graham Day. Alors on part à la chasse. Jarvis Humby ? Pas grand-chose. On découvre que l’album Straighten Your Mind With... enregistré en 2006 n’est sorti qu’en 2020, et pour le choper, il faut se magner, car il semble assez recherché. Ça démarre par deux belles énormités, «Who’s Gonna Pick Up The Pieces» et «A Strange Affair». Andy Smith tape ça au dévolu d’Angleterre. Le Strange Affair est bardé d’orgue et sonne comme un hit des Prisoners, comme par hasard. La bombe atomique qu’on a repéré dans Sugar Lumps 2 est en B : «Straighten My Mind» est un punch-up d’une rare violence. Même chose avec «B Side» en A avec son intro de claqué d’accords, encore du dévolu d’Angleterre, le meilleur avec celui des Who, shuffle, gimmicks, tout y est. C’est même le plus gros shoot de shuffle gaga qu’on ait vu ici bas depuis les Prisoners. Toutes les attaques de Jarvis Humby sont historiques. Ils tapent leur «Tranquileyes» au power longitudinal et une bassline volubile vient lui caresser les entrailles. La plupart des cuts sonnent comme des classiques des Prisoners. On se croirait parfois sur A Taste Of Pink. Ils terminent cet album Dayien avec une autre énormité tentaculaire, «5th Time Around».

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             Tant qu’on y est allons-y ! Il existe un autre album de Jarvis Humby paru sur Acid Jazz en 2003 : Assume The Position It’s. Encore meilleur que le précédent, et même si ce n’est pas produit par Graham Day, le petit conseil qu’on pourrait vous donner serait de sauter dessus. Car what a boom, baby ! Démarrage en trombe avec le fast gaga de «We Say Yeah», l’un des pires wild drives de London town. En plein cœur de la cocarde Mod, joué à la big energy de rowing out. Ça sent bon le purple heart, alors tu danses au Say Yeah toute la nuit ! Ils s’amusent ensuite à sonner comme les Byrds avec «These Eyes». Ces mecs ont tous les vices et si tu les suis sur les chemins du vice, ça va te rendre service. Ils tapent un bel instro avec «Tu 200», c’est bardé d’orgue, ils créent la sensation de la tradition, quelle flamme ! Ils jouent en vol plané au trapèze de la mort, ils se rattrapent au dernier moment et pouf, voilà un heavy groove de r’n’b, «Oh Babe (I Believe I’m Losing You)», ils créent l’illusion de la tradition, c’est excellent, plein d’esprit, bien cuivré. Avec «Black Cat», ils sonnent exactement comme le Spencer Davis Group - Black cat get away from me - Ils passent à la violence de la prestance avec «Let Me Take You There», wild rock Mod de la dernière heure, pur power, comme au temps des Small Faces. Ils attaquent «Formaldehyde» aux accords des Who, la sauvagerie est intacte, le wild est pur et le solo qui arrive coule comme du pus. Criant de Mod veracity ! Ils terminent avec une belle cover d’«Ain’t No Friend Of Mine» des Sparkles, donc en apothéose, Jarvis Humby chapeaute tout le rock anglais, c’est d’une supériorité apocalytique, ils jouent par dessus la coupole de Saint-Paul.

             Graham Day indique au passage que The Master Of None devait être le prochain album des Goalers, mais cet enfoiré de Pandemic a rendu la mission impossible, car le batteur des Goalers vit aux États-Unis. Comme il n’aime pas que ses chansons restent coincées trop longtemps, et craignant même qu’elles ne soient périmées comme des yaourts, Graham Day a fait l’album tout seul. Pour lui, c’est une suite de Triple Distilled

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             Pas de surprise, c’est le big album qu’on escompte chaque fois que revient le jour de Graham Day. Il poursuit son petit bonhomme de chemin au tagada de tagaga, avec des échos d’out of our tree. Il tape «Out Of Your Narrow Mind» au classic power-chording d’âge mur, il reste dans son son de prédilection qui est celui des early Kinks. Il faut que ça claque ! On admire cut après cut l’admirable tenue de se tenure. Dans le morceau titre, il clame «I’m only a man» et il avale la fast pop de «Stranger On A Joyride» au barouf d’orgues barbares. Au petit jeu du gaga Brit, Graham Day reste imbattable. On va dire que la viande se trouve en B, avec l’excellent «You Lied To Me». Il renoue avec le wild ride des Prisoners, même énergie, même franchise du collier, même encolure de l’envergure, même bonne augure de la sinécure, ça cisaille à la petite disto et il te claque des whanow dans le creux de l’oreille. Retour aux early Kinks avec «Eyes Are Upon You». En plein dans le mille ! Pur jus de genius Kinky, même si éculé par tant d’abus. C’est justement l’éculé par tant d’abus qui fait la grandeur de Graham Day. Avec «Pointless Things», on voit qu’il maîtrise l’art d’introduire un hit dans la vulve de la gorgone gaga. Il revient toujours à ses accents Kinky.

    Signé : Cazengler, Graham Dé à coudre

    Graham Day. The Master Of None. Countdown 2022

    Jarvis Humby. Straighten Your Mind With... Spinout Nuggets 2020

    Jarvis Humby. Assume The Position It’s. Acid Jazz 2003

    Jack of all trades. Shindig! # 126 - April 2022

     

     

    Inside the goldmine

     - Bobby, on le connaît Parker

     

             Ils avaient un sacré point commun : le diable au corps. Esbé et lui fonctionnaient au rythme d’une connerie par minute et ça finissait par faire beaucoup dans la journée, surtout s’ils enchaînaient avec une nuit blanche, pratique courante à cette époque. Esbé et sa poule avaient traversé la France en scooters, chacun le sien, pour nous rejoindre dans une maison qu’on squattait dans le Sud-Ouest, au pays des fritons. Esbé et lui avaient exploré le grenier et découvert dans une malle de souvenirs de voyages une bouteille de Genièvre qu’ils sifflèrent sur le champ. La soirée s’annonçait bien. Comme il faisait encore chaud, ils étaient torses nus. Ils restèrent un moment à table avec les autres, ils sifflèrent à deux une autre bouteille, un Jack qui traînait par-là, et décidèrent d’aller finir la soirée ailleurs, c’est-à-dire de filer en scoot jusqu’à la ville voisine, par la route du bas. Vroom, vroooomm. Il suivit Esbé comme il put, au feeling. Il n’était jamais grimpé sur un tel engin. Vroom, vroooomm. Esbé coupa son phare et prit de la vitesse. Pour rattraper Esbé, il prenait les virages à la corde et accélérait à la sortie, mais il ne roulait pas assez vite. Ce démon d’Esbé l’avait distancé. Vroom, vroooomm. Voulant rattraper Esbé, il roulait à fond et prit un virage trop vite, bing badaboum, la gueule en vrac dans le gravier, a wop bop-a-loo bop-a-loo bam-boom, les quatre fers en l’air, le scoot dans le talus et lui dans les pommes, du sang partout. Il revint à lui, un mec lui tapotait la joue...

             — Ça va ? Vous n’êtes pas mort ?

             — Ben non, chu pas mort ! Aïe, putain, bordel, ça pique !

             — Vous pouvez vous lever ?

             — Chai pas trop...

             — Je vais vous aider... Oh la la, vous avez le dos et le visage dans un drôle d’état, vous avez du gravier partout, il faut aller nettoyer ça. Il n’y a pas d’hôpital ici, je vais vous emmener au commissariat, ils ont sûrement une trousse de pharmacie...

             — Chez les condés ? Ça va pas la tête ? Emmenez-moi au fucking patelin, faut retrouver Esbé pour boire un coup, y m’attend.

             Le mec prit la direction de la ville. Il y avait de la musique dans sa caisse. De la super musique. Ils se mirent tous les deux à claquer des doigts, snip snap snop !

             — C’est ‘achement bon, c’machin-là ! C’est qui ?

             — Bobby Parker !

             — Wouah wouah wouah !

     

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             Tout le monde connaît Bobby Parker, l’auteur de «Watch You Step» que reprenaient les Move sur scène. Bobby l’enregistre en 1961, ça ne date pas d’hier. En 1968, Mike Vernon produit «It’s Hard But It’s Fair» sur Blue Horizon, fantastique single qui éclaire le disk 2 de la box Blue Horizon Story Vol. 1. Bobby Parker est une légende, Stevie Winwood, Little Milton et Carlos Santana reprennent ses cuts. Rober Plant dit avoir eu l’idée de chanter en écoutant «Blues Get Off My Shoulder». Dans les années 50, Bobby Parker monte un groupe avec Don & Dewey, puis il accompagne Bo Diddley, Sam Cooke, Jackie Wilson et Ruth Brown sur scène. Pardonnez du peu. Alors descendons inside the goldmine retrouver l’excellentissime Bobby Parker.

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             Le mieux est de commencer par une compile parue en 2020, The Soul Of The Blues. C’est là qu’on trouve la plupart de ses singles. Les premiers datent de 1954, et ça décolle avec «I’m Looking For A Woman», un groove qui dit tout sur la modernité du Bobby. Ces mecs jouaient déjà du rock. Avec «Titanic», Bobby explose le juke, tous les jukes, il chante au pur jus de naufrage, bien secondé par un hot sax. En 56, il passe au heavy blues avec «Once Upon A Time Long Ago», il joue ça à la folie. Fantastique guitariste ! Il est déjà dans la clameur extrême du blues, oui en 1956, il chante au vibrato et joue comme un dieu. En 1957, il enregistre son classique, «Blues Get On My Shoulder». Il est tellement en avance sur son époque que ça fait peur. Il joue à la note Parker, c’est excellent. On croise un peu plus loin la version originale de «Watch Your Step». Incroyable énergie, vrai gaga sound, avec du tam-tam dans le son, des chœurs déments, des guitar licks et des cuivres, il éclate ça au yeah-eh et my Gawd, quelle explosivité ! Il revient au heartbreaking blues avec «Steal Your Heart», épaulé par des chœurs de filles torrides. Il faut bien comprendre que Bobby Parker est complètement à part et qu’il est depuis le début d’une modernité à toute épreuve. Il tape son «I Got The Blues So Bad» au jeu clair, ah c’est autre chose que Clapton ! Bobby Parker est l’un des grands précurseurs. Cette compile permet de mesurer l’avance qu’il avait sur tout le monde. Le funk-blues de «Get Right» annonce Sly Stone et son «Gimme Some Lovin’» n’est pas celui du Spencer Davis Group, mais c’est aussi explosif, très explicite et déterminé à vaincre. Voilà un heavy blues de 65, «Don’t Drive Me Away», il joue ça en plein sable, il chante au hot du hot, mais il sait aussi manier le r’n’b, comme le montre «I Wont Believe It Till I See It», et le heavy rock («It’s Hard But It’s Fair»). Tous les cuts sont bons, extrêmement joués, extrêmement chantés, Bobby Parker est l’artiste complet par excellence. Il y va, coûte que coûte, just how I feel, il fusille tout. Il finit le disk 1 avec un ahurissant romp de r’n’b, «Soul Party (Pt2)» digne d’Archie Bell & the Drells, et «Both Eyes Open», monté sur un bassmatic énorme et cuivré de frais. Quel festival ! Bobby Parker est un pourvoyeur de merveilles. Le disk 2 démarre avec des choses plus récentes, enregistrées dans les années 90, des reprises de gros classiques du blues, «Born Under A Bad Sign», «Every Day I Have The Blues». Bobby y balance un joli gras double, il joue en permanence avec le feu, il veille bien au gras du grain, il peut screamer, alors il screame dans «I Call Her Baby». Il demande au publie : «What do you call your boyfriend ?», et les filles répondent «Baby !». Superbe ! Il passe en mode funk-blues pour «Break It Up», c’est assez cartésien, pas de frontières, alors break it up ! Son «Bobby A Go Go» devient vite énorme, il est dans le heavy stuff alors il engorge les artères et il vient coller sa voix dans l’enfer. Il tape plus loin un «Why» à la heavyness de wonder why et on retombe sur le «Soul Party (Pt1)», un vrai monster hit avec un solo de sax à la Junior Walker, suivi d’un instro demented, «Night Stroll Pt1», c’mon now ! Puis il rentre dans le lard du funk avec «Funky Funky», Bobby est un diable, un beau diable et il adresse un sacré clin d’œil à Bo avec une cover de «Bo Diddley», il joue ça sauvage et primitif, il est même encore plus primitif que Bo, t’as qu’à voir ! Il enchaîne avec un «Diddy Wah Diddy» de Didday wah, absolute killah kover digne de celle de Captain Beefheart, suivi d’un autre master blast, «Dancing Girl». Et ça continue comme ça jusqu’au bout, on ressort de cette compile à quatre pattes, avec la langue qui pendouille.       

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             Deux albums de Bobby Parker sont parus étrangement tard, en 1993 et 1995 : Bent Out Of Shape et Shine Me Up. Le coup de génie de Bent Out Of Shape s’appelle «So Glad I Found You». Eh oui, on croit entendre l’ultimate rock God, aussitôt après Jimi Hendrix. Même classe, même science du son. On y est : big heavy blues, Bobby does it right. Tu veux entendre un Heartbreaking Blues ? Alors va chercher le «Blues Get Off My Shoulder» en bout d’album. Fantastique plongée de shoulder en forme de St James Infirmary. Ce mec prolonge le plaisir, mieux que ne le fait la coke, il est dans le bain de l’excellence, son heavy blues trouble, tellement il est plein de vibes, de notes intrinsèques. Tu descends à la cave du blues pour entendre des dégelées prodigieuses. Non seulement Bobby chante comme un dieu mais il joue de la guitare comme un God. La preuve ? «It’s Hard But It’s Fair», son vieux hit Blue Horizon, un fondu dans le fondu, il nous plonge dans l’hendrixité des choses, il tape un solo à la folie Méricourt, il se confronte aux accords de cuivres. Il est aussi puissant qu’Albert King. L’autre preuve de son génie guitaristique s’appelle «Break it Up». Il y fait son James Brown à l’aooouh - Hey girl that’s what I want you to do it for me - Hot electric fiunk, ce démon joue du blues dans le dos du funk et il part en mode wild guitar, wwwooofff ! Belle énormité aussi que ce «Bobby A Go-Go», prodigieusement secondé par un bassman funkadélique et c’est salué aux cuivres sur le tard, alors t’as qu’à voir. Black power ! Black power encore avec une nouvelle mouture de «Watch Your Step», un hit qui n’a pas pris une seule ride. Comme montre la pochette, Bobby stratotte comme Jimi. Son morceau titre est très inspiré. Il n’existe pas grand-chose qui soit au niveau de Bobby Parker. Il faut savoir accepter cette réalité. Il fait une Soul électrique d’une élégance sidérante. Il joue encore «I’ve Got A Way With Women» au liquid fire, il reste classique, mais de façon un peu sauvage, il tente toujours de créer l’événement. Le «Fast Train» d’ouverture de bal montre qu’il n’est pas homme à traîner en chemin. Ses licks effarent, il est dans l’excellence, la fluidité, the Parker of it all, il est hendrixien dans l’âme, ce mec est un fondu du fondu.

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             Bobby Parker enregistre Shine Me Up en 1995 à la Nouvelle Orleans. L’album est moins flamboyant que le précédent, mais il vaut le détour, sacrément le détour, ne serait-ce que pour deux Heartbreaking Blues, «Kick It Around With You» et «Drive Me Home». Il amène le premier en mode heavy blues. Il ne rate pas une seule occasion de jouer le heavy blues, il reste encore une fois fameux et classique, il recase son liquid fire. Bobby ne lâche pas l’affaire. Il attaque «Drive Me Home» à l’hendrixité des choses, il rentre dans le heavy blues comme dans du beurre, c’est une merveille de gras double et de justesse sonique - Drive me home where I belong - «Splib’s Groove» va plus sur le funk. Si tu aimes l’electric fonky blues avec un sens inné du groove pépère, alors c’est Bobby qu’il te faut. Il est aussi balèze que Johnny Guitar Watson, et c’est pas peu dire. Sinon, il fait pas mal de boogie blues, il montre qu’il connaît le système, il sait épouser la larme et le feu, il organise ses départs en solo comme des coulées de bronze fumantes. Il sait aussi chatouiller le r’n’b comme le montre «It’s Unfair». Pas de problème, Bobby peut te chauffer un cut et un juke, les deux à la fois. Il s’implique à chaque instant, il stratotte son boogie comme un cake, il coule des bronzes à tous les coins de rue, il chevauche son boogie blues en mode altier, sans peur et sans reproche, un vrai Godefroy de Bouillon black. Même ses slowahs sont visités par la grâce (le morceau titre), il peut aussi se fâcher comme le montre «Skeezer», il joue ça au flashy guitar slinging, et la messe est dite. Pas besoin d’enregistrer des tas d’albums. Il est derrière tous ses cuts avec du son, de la voix, du feel so good et du raw guitar slinging. Il s’amuse aussi à reproduire la frayeur de Wolf avec «Somebody’s Coming In My Backdoor». Il gratte des tas de beaux accords plantureux d’entre-deux. Il nous invite au paradis du heavy blues - I wanna call the police - Il a peur !

    Signé : Cazengler, Bobby Parking

    Bobby Parker. Bent Out Of Shape. Black Top Records 1993

    Bobby Parker. Shine Me Up. Black Top Records 1995

    Bobby Parker. The Soul Of The Blues. Rhythm & Blues Records 2020

     

     

    APOCALIPSIS

    REPTIL

    ( Octobre 2022 / Bandcamp )

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    Reptiles partout. Celui-ci vient de loin. De Lima. Du Pérou. Ne vous en approchez pas trop, il est particulièrement venimeux. Sont trois, style bikers de la mort. L’on n’en sait pas davantage d’eux. Aussi mystérieux que les quatre cavaliers de l’Apocalypse. En attendant le diable à tête de bouc se pavane sous un manteau d’anacondas entrelacés. Ils ouvrent une gueule béante et tirent leur langue rouge du désir. Z’ont sans doute envie de la passer sur les parties occultes que cache le maillot de bain ( style sixties pin-up ) de la dame. Car depuis Miss Too la femme s’est faite grande bête crowleyenne.

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    Tom reaper / Cabeza de serpiente / Apocalipsis joint /  Por que mierda sigo vivo /  Atormentados : cinq morceaux puisqu’ils le disent, il vaut mieux toutefois les écouter en tant que pièce d’un seul tenant, une espèce d’offertoire reptilique processionnel, avec ses moments chantés et ses longues suites musicales. le reptile déroule ses anneaux lentement, prend son temps, le serpent brandit sa langue, l’est sûr de sa force et de sa puissance, n’est pas pressé, nous non plus car l’on reste fasciné par ce riff d’une extrême simplicité et cette guitare qui brode de subtiles broderies, la batterie survient, file des coups de queue qui balaient le plancher, l’on s’attend à une grande colère, mais non tout se calme et l’on repart tout bas, toute basse, en plus rapide, c’est là que la guitare accapare l’attention, pique un sprint, mais s’inscrit en notre cerveau comme l’image d’un film passé au ralenti, on ne s’en plaint pas, le serpent vire au bleu du blues, la guitare flamboie et la batterie s’amplifie, l’on est déjà dans la tête du serpent,  celle que l’on se doit d’écraser du pied tel Apollon éradiquant le python, la kundalini qui s’exhaussait en nous arrive à son paroxysme, l’instant fatidique où la répulsion s’équivaut à la fascination, l’on est projeté à l’intérieur du monstre, derrière ses yeux fixes, et l’on entend la musique des sphères intérieures, elle balance sans à-coups, presque mollement mais notre esprit niché au cœur de ce mouvement ressent un intense plaisir, tangue et baigne en extase, le serpent a deux têtes, il est inutile d’en choisir une, laissons-nous bercer de rêve en cauchemar, station après station, la marche s’alourdit et pèse sur nos nuques. Chanterelle de basse, feulement de cymbales piaillements de guitares, le coq du vaudou chante-t-il lorsque l’on lui tranche le cou,  ses viscères qui jonchent le sol se relèvent et deviennent serpent, la foule hurle reptil ! reptil ! tambourinade initiatique effrénée, le sceau du sang asperge et engloutit le monde,  horreur et adoration, nous pénétrons le rituel secret des exorcismes intimes, tempête au creux de nos âmes, les images tournoient dans nos yeux à une vitesse folle, totalement indépendantes de notre vision, le serpent nous habite et nous habitons le serpent ! Office ophidique. Repos, traces serpentaires sur le sable des lagunes. C’est le moment du retour à soi-même, ne suivre que l’inanité de notre propre fugitivité le drame réside en l’absence de notre propre présence, cris de désespoir, questionnement métaphysique, montée du nihilisme, gifles de basse sur notre figure et démarrage de la grande sarabande, quand nous ne savons plus où l’on en est commence la tarentelle des guitares, longue nuit déchirée des éclats de notre corps dansant sur la corde raide du vivant. Interrogations focales sur la transparence de notre inanité, sur le gouffre du suicide perpétuel qu’est toute existence. Expiration. L’on se pose, l’on se rassemble, l’on recolle les morceaux de nos éléments éparpillés. Le puzzle de l’inexistence a du mal à réajuster les pièces, même quand la lune ne brille pas, l’homme hurle la solitude de son être au monde, tout se vaut, rien n’a de prix. Marche funèbre vers le non-sens. Même la mort n’a pas de sens. L’on secoue une dernière fois le cocotier du rock dans l’espoir qu’une grosse noix de coco nous tombe dessus et nous éclate la tête. Une guitare défait la toile de notre vie inutile pour en faire de la charpie et soigner nos blessures. Qu’on se le dise, toute apocalypse est intérieure.

    Damie Chad.

     

    *

    Un marteau est-il négatif si négligemment je vous tape sur la tête avec cet objet contondant juste pour passer le temps, deviendrait-il un marteau positif si je m’en servais pour réparer le toit de votre maison ? Il est facile de répondre qu’un marteau est tout simplement un marteau indépendamment de l’usage pour lequel on l’emploie. Elevons la question, qu’en est-il du concept nietzschéen de philosophie à coups de marteau, est-il positif en le sens où il fracasse les vieilles lunes de la pensée humaine, est-il négatif pour ces mêmes assertions théoriques qu’il démantèle ? Encore un coup d’ascenseur, peut-on qualifier certains concepts de négatifs et certains autres de positifs ? Je vous laisse méditer ses angoissantes questions. N’en devenez pas marteau pour autant. Quoiqu’il en soit jugez de ma surprise lorsque dans la liste des dernières nouveautés mon œil fut accaparé par l’expression de Negative Concept. Très beau titre d’album me suis-je dit, mais non c’est le nom du groupe ! Première fois que j’avais vent de quatre individus se présentant sous une telle étiquette. Le titre de l’album n’est pas mal trouvé Malvenue si nous le traduisons en douce langue françoise.

    UNWELCOME

    NEGATIVE CONCEPT

    ( Octobre 2022 / YT – Bandcamp ) 

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    La couve est assez affriolante – oui je sais cela dépend des goûts – Monsieur Mort et Madade Mort honorent de leur présence la réception de cette soirée à décors catacombiques. Monsieur n’a pas oublié son nœud-pap, l’a une certaine prestance dans sa sombre veste de costume, Madame est un peu moins bien attifée, sa longue robe brunâtre, bustier à rayures thoraciques à longs plis de tulle funèbre, sont-ce ces véritables cheveux blanchis ou un voile de deuil qui recouvre sa tête… Une allée de mains tendues dessine une haie d’honneur, aucune n’ose les toucher, timidité adoratrice ou craintive répulsion ?  Cédric Marcel est l’auteur de cet art(devrait-on écrire hard) work. Il est aussi le guitariste et le vocaliste de ce quatuor. Romain Pierrot joue aussi de la guitare mais ne chante pas. Johan Comte exerce le noble métier de drummer et Cédric Vitry excelle dans le maniement de la basse.  Puisque leur modestie leur a interdit d’apparaître sur la photo de la couve, je vous ai offert un super lot de consolation un dessin de Sylvain Cnudde effectué lors d’un Positive Concert de  de Negative Concept  ( avec Oaks et Vantre ) ce 18 octobre 2022 à L’International.

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    Anthem to the void : grincements funèbres, celui de la porte d’un cercueil qui gémit lorsqu’il se referme, arrêtons de plaisanter, c’est vrai que se retrouver tout seul face à l’abîme, n’est-il pas plus épais qu’un feuillet à cigarette, n’est peut-être pas ce qu’il y a de plus agréable sous cette terre. La musique n’est pas joyeuse mais le froid se fige dans vos vertèbres lorsque Cédric récite son hymne au néant, une étrange mélopée caverneuse entre chant grégorien et rituel doomique. Se termine sur un bizarroïde étranglement de vomissure qui déborde sur L’agneau : pauvre bête, symbole de l’innocence poignardée en sa tendre enfance, car voyez-vous avant la mort il y a encore le mourir, qui sous quelque forme qu’il se déroule n’est que le meurtre ou l’assassinat de la vie. Un truc pas tout à fait joyeux, alors ils s’en donnent à cœur joie, chant d’hécatombe mortifère, Johan pulvérise sa batterie et les guitares funèbres s’enfoncent dans la noirceur du monde, imaginez la basse de Cédric Vitry comme une chandelle éteinte qui n’en finit pas de brûler…Terror eyes : ( morceau sorti en avant-première en juillet 2022 ) : que voit-on au juste lorsque l’on ne voit rien, rien de toute évidence, ce sont les terreurs nocturnes de l’astral qui s’invitent sur nos rétines et l’horreur insoutenable - elle vient de nous, elle connaît nos frayeurs les plus horribles,  -nous épouvante. Chant porcin d’égorgement, gluons d’effrois cristallisés qui descendent du cerveau, s’incrustent comme rouille dans les fosses du larynx et s’expectorent dans la neutralité du vide. La basse en devient lyrique, mais bientôt la batterie s’emballe et s’écroule, les guitares vrillent. Ce que l’on voit, ce ne sont pas des monstres, uniquement notre frousse bleuâtre. Conceptuellement négative. Surin : Trompes et cymbales. Hurlement. Ce n’est plus l’agneau, ce n’est plus le boucher, c’est le coutelas de la mort qui s’approche de nous, car si la mort n’est pas le néant c’est que le néant n’est que l’éternelle présence de notre mort sans cesse recommencée. Tentez d’imaginez qu’une fois mort vous revivrez cet instant fatal sans trêve, cela vous glace d’horreur, en ce morceau de foudre noire Negative Concept prend conscience de la négativité de sa propre conceptualisation, la musique tremble et s’amplifie, affolement instrumental général jusqu’à ce que le mur du son soit dépassé, et que survienne le silence qui épelle et nomme l’indicible.

    Solar : moteur bourdonnant, l’onde spectrale de la négativité n’est que l’alternative de son contraire, au bout de la nuit de la peur l’on se confronte au jour de l’effroi, car la lance que l’on lance sur la membrane du néant infini ricoche et revient sur vous, la mort est un soleil spectral, mais solaire par la force des logiques contradictoire qui s’annulent, la musique se presse, elle a un espace infini à parcourir, elle accélère, même si elle sait que plus elle ira vite point davantage elle ne progressera, ne serait-ce que d’un centimètre, car tout espace n’est qu’une conceptualisation mentale, un riff qui vient, qui s’en va et qui revient… le moteur prend l’eau, sinistres glouglous, tout est perdu puisque tout est gagné, la musique n’est plus que du bruit, une immonde cacophonie brinquebalante qui ne veut pas se taire même s’il n’y a plus rien à dire. Couinements sans fin. Eterna : retournement de conscience, ce qui ne finit pas n’est-il pas un des visages de l’éternité. Le chant s’élève et irradie des formes sonores et idéelles. Il est temps de prendre son temps puisqu’il n’y a plus de temps. Progressons à petits pas, il n’y a plus de route à parcourir. Guitares claires, le jour se lève dès que la nuit tombe, vertige sonore et répulsif, toute musique des sphères est mouvement, elle semble avancer, elle se précipite même, la batterie roule ses bosses, l’on est bien parti l’on ignore tout de la destination alors qu’elle nous ramène à nous-mêmes. Qu’importe tant que ça bouge encore et malgré tout, l’on n’est pas encore tout-à-fait mort. La marche se ralentit, le but est atteint lorsque l’on s’aperçoit que but suprême est un concept peu positif. No ways : il n’y a pas de chemins. Le ‘’s’’ final a son importance. Cédric bonimente, Johan bat le tambour, basse et guitares gratouillent léger, l’on a beau se remémorer toutes nos expériences, se lancer dans la course aux étalages égotiques, illuminer les devantures, la voix n’en peut plus agonise, elle expire en meuglements de baleine échouée qui se meurt, mais peut-on encoure mourir lorsque l’on est mort et qu’être mort signifie que l’on est en train de mourir, quelle contradiction ! Le concept négatif de la mort ne contient-il pas sa propre négativité, la musique s’étire, elle ne trouve plus sa propre fin, le chant n’est plus que l’ombre de lui-même, la batterie dramatise l’aporie. Nothing : prendre une décision, s’il est impossible de sortir du piège de la mort, c’est que la mort n’est rien puisqu’elle a besoin d’exister pour ne pas être, cascades vocales catastrophiques, sortir à tout prix de ce bourbier. Décréter que rien n’existe pas puisque rien n’existe. Return to the void : noise apaisant, une fois la décision prise, revenir au tout début ? à l’onction de grâce envers le néant, le background musical s’effiloche comme les communications d’un vaisseau qui s’enfonce trop loin dans le vide interstellaire. Dead country : pour la première fois une voix presque pleine et un background musical raffermi, sinon apaisant du moins apaisé, ils ont trouvé leur pays, leur éden, leur eldorado, dans lequel on ne se pose plus de question. Entre le néant et la mort, ils ont choisi la mort.  C’est terminé. Tout le monde peut aller se coucher. Dans sa tombe. Nietzsche appelait cela la traversée du nihilisme. Mais c’est le nihilisme qui nous traverse. Pas son contraire.

             Superbe disque. Les amateurs de doom et de métaphysique adoreront. Les autres aussi. Mais ils attendront d’être morts.

    Damie Chad.

     

     

    *

    Dans la liste des nouveautés le mot Ouroboros m’a vivement interpellé. Le serpent qui se mord la queue. Le mythe remonte aux origines de l’Humanité, celle qui se regroupe dans les premières cités et se met à réfléchir aux parcelles disparâtes de legs mythiques venus du temps très ancien des peuplades errantes dispersées sur la terre. C’est à cette époque que l’on fonde les premières mythologies, que l’on essaie de mettre de l’ordre dans tout le fatras de provenances diverses et incertaines, que naissent les Dieux et les Religions. Les Dieux pour ceux qui pensent. Les religions pour soumettre les hommes.

    Krampot est un groupe autrichien basé à Vienne. A leur actif, paru en 2018 un premier EP Odyssea qui met en scène un voyage vers l’inconnu… Il sera suivi de plusieurs singles qui se retrouveront sur Ouroboros tout juste sorti ce mois d’octobre 2022

    Il n’est pas étonnant que ce genre de sujet soit abordé par les groupes de Metal, un royaume du rock qui flirte avec une certaine, ne serait-ce que sonore, grandiloquence. Le doom qui n’est qu’un sous-genre du metal, raffole de ces grands tableaux, sa noirceur, sa lenteur se plaisent et conviennent à merveille à ces évocations… Le doom n’est pas sans rappeler les grandes fresques de la poésie parnassienne française, relisons Leconte de Lisle et Les siècles morts du Vicomte de Guerne pour nous en persuader.

    Pour ceux qui penseraient que ces livres sont d’une actualité trop lointaine, nous leur recommanderions de lire Héliopolis, le roman d’anticipation d’Ernst Jünger, non seulement parce que le premier titre d’Ouroboros se nomme aussi Heliopolis, bien sûr il ne s’agit pas de la même ville, Krampot nous parle de L’Egypte antique et Jünger du monde qui vient. Dans les deux cas il est question de puissance et de défaite.

    Existe-t-il une manière de ne pas mourir ? Cette question est au fondement de la métaphtsique. La réponse est apportée par le mythe de l’ouroboros. Il suffit de mourir plusieurs fois. Cette proposition, celle de l’Eternel Retour telle que l’a théorisée sans avoir le temps de l’expliciter Nietzsche affirmait que c’était la plus lourde des pensées.  

    OUROBOROS

    KRAMPOT

    ( Digital / Bandcamp / YT /Octobre 2022 )

     

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    Claudia Mühlberger : vocals, guitars / Andrea Klein : guitars / Georg Shiffer : drums / Julian Kirchner : bass. Heliopolis : ville d’Egypte ancienne située sur le Delta du Nil. Elle est la Cité de Ra le premier Dieu né de lui-même, Dieu du Soleil resplendissant, maître de l’univers… s’il renaît chaque matin la nuit il traverse les mondes inférieurs et infernaux, est-il grand parce qu’il renaît tous les matins après avoir vaincu la mort, ou plutôt ne possèderait-il pas une secrète fêlure puisqu’il se doit de mourir afin de renaître – tout dépend de la façon dont on regarde et dont on raconte les choses - ainsi se forge le mythe ambigu de l’Ouroboros le serpent qui est obligé de se dévorer pour continuer à vivre : fraîche brise de cordes, accentuée de lourdeur rythmique, basse et batterie mènent le jeu, les guitares caracolent devant, la voix de Claudia s’élève, un peu monocorde mais souveraine, à peine a-t-elle libéré un son que tout le background musical perd de son intérêt, lorsqu’elle se tait on attend qu’elle revienne, un peu comme on espère la lumière du soleil dans la noirceur désespérante de la nuit, c’est long, très long, l’on pense être parti pour un voyage infini sans retour, elle nous a conté le réveil illuminescent de Ra, son action redonne courage aux crocodiles sur les rives du Nil, mais déjà il faut monter sur la barque de la mort et partir affronter les turpitudes inférieures.

    Yom Hadin : termes hébraïques qui signifie le jour du jugement, un premier couplet qui n’est pas sans évoquer plusieurs situations, celle de l’Homme qui marche dans les difficultés de sa vie, celle du peuple hébreu parcourant le désert, les épreuves qui attendent l’âme du mort telles qu’elles sont révélées dans Le Livre des Morts des Anciens Egyptiens. La voix de Claudia s’est tue depuis longtemps. Un long pont musical à traverser avant qu’elle ne reprenne son chant. La même chose, mais décrite sous un autre aspect, ce qui se passe dans la tête alors que vous accomplissez votre trajet, implacable Claudia commente votre effondrement spirituel quand vous mesurez votre petitesse à la grandeur de la divinité à peine entraperçue. Ra’s retreat : retrait de Ra, l’Humanité se débrouille comme elle peut, la fin est sûre, encore lointaine, mais bientôt proche, Claudia déclame l’inénarrable, le feu dévastateur qui s’empare de vous, les loups qui font ripaille de la lune et du soleil, les guitares essaient d’être encore plus morbides, est-ce possible, alors Georg ralentit le rythme de ses peaux pour exprimer l’angoisse de cette situation finale, Claudia ne chante plus, elle  clame le désespoir des êtres vivants, une seconde d’arrêt, la voici qui murmure, sa voix est un rayon de miel qui dore les sables du désert et réchauffe les herbes souffreteuses. Ra a encore une fois vaincu la mort. Le monde renaît. Splendeur de la vie et de Ra. Marena : ( ne soyez pas déçu si vous ne comprenez pas, c’est du tchèque ! ) Marena est une fête folklorique de Tchéquie qui se déroule en avril, surnommée le dimanche de la mort, mort de l’hiver et succédant à celle-ci l’arrivée du printemps, un vieux rituel païen qui se retrouve dans de nombreux pays, une manière pour Krampot de démontrer que le mythe de l’Ouroboros a engendré de multiples rituels sous diverses latitudes selon des formes très variables. Claudia murmure sur des bruits de sabots drummiques, piétinement incessant, la voix monte et exulte, l’on sent le cercle qui se forme et la ronde qui tourne. Le serpent se mord la queue, il n’est pas mort, il a survécu, il est encore vivant, il est toujours là, nous t’avons apporté la mort, nous t’avons apporté un nouvel été. Ta-tenen : (ce coup-ci, c’est de l’Egyptien) : Taténem est le dieu qui symbolise l’émergence de la terre, le premier tertre qui s’exhausse des profondeurs de l’Océan primordial et marque ainsi l’apparition de la possibilité de la vie : même thème que le morceau précédent mais ici donné sous une forme non plus folklorique mais mythique, batterie sentencieuse, guitare grondante, la voix de Claudia acquiert la force d’une éruption volcanique. Beaucoup plus métal que doom. Mais que l’on ne reste pas béat d’admiration devant cette apparition, un jour la Terre disparaîtra une nouvelle fois. Wild hunt : Krampot réatualise le mythe d’origine germanique de la chasse sauvage. Une troupe de cavaliers condamnés à chasser sans cesse. Krampot le modernise, l’on entend des moteurs, l’on voit des catamarans, mais le principe reste le même, tuer et semer la mort, en une course tumultueuse… à l’origine ce single sorti en décembre 2020 n’était peut-être pas destiné à cet album, mais il s’y insère très bien, la mort n’étant que le passage obligé nécessaire à la renaissance de la vie. Thème idéal pour une chevauchée épique, la batterie tape des quatre fers, Claudia la cruelle mène la horde, aucune émotion lorsque l’on éventre des animaux, lorsque se lave les mains dans leurs entrailles palpitantes. Le rythme se ralentit, pourquoi se dépêcher, la chasse est faite pour durer éternellement, Georg marque le pas lourd des coursiers qui reprennent leur allure, le sang qu’évoque Claudia infuse un courage infini à leurs cavaliers maudits…

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             Contrairement à ce que l’on pourrait supposer la couve de l’album n’offre pas une reproduction classique de l’Ouroboros, le serpent qui se mord la queue. Mais un lion ailé à tête de femme, son appendice caudal terminé par une tête de serpent menaçante. La robe du lion est noire, pour appréhender la signification du dessin il est nécessaire de savoir qu’au dos de la pochette un lion à robe blanche. Les deux bêtes se font face prêtes à combattre. Andrea Klein ( la visite de son Instagram s’impose ) s’inspire visiblement des représentations égyptiennes de la déesse Sekhmet à corps de femme et tête de lion, mais elle a perverti le symbole en le transformant en lion à tête de femme. De même elle a inclus la symbolique du yin et du yang dans son dessin, le buste de la lionne noire se détache sur la blancheur rayonnante du disque solaire et celui de la lionne noire blanche sur la boule cendreuse de l’astre éteint. Ce que l’on nomme le mal et le bien sont des sous-catégories humaines morales, ils n’existent qu’en tant que principes premiers : destruction et germination. Indissociables. Chacun se nourrissant de l’autre.

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             Krampot - en langue allemande ‘’kram’’ signifie déchet, nous interprétons ce terme en tant que matière noire ou résidu rouge alchimiques - est un groupe à écouter et à méditer. Le rock ‘n’roll est une manière de penser le monde.

    Damie Chad.

    Note : la vision de l’Ouroboros proposée par Krampot est plus proche de l’enseignement des mystères d’Eleusis que d’une réflexion sur l’Eternel Retour nietzschéenne.

     

     

     ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !                                               

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    EPISODE 4 ( SUPERACTIF ) :

    20

    Il est des moments où l’on se doit de mettre un mouchoir sur sa légitime fierté, la vérité historiale m’oblige toutefois à relater que la gerbe apportée par Molossa et Molossito remporta tous les suffrages de l’assistance, lorsqu’ils la déposèrent au pied du cercueil de la pauvre Alice, cette immense fraise tagada composée de roses rouges suscita un murmure flatteur, les deux chiens se hâtèrent de venir se coucher à mes pieds, dans le silence éploré les discrets gémissements de Molissito serrèrent le cœur de l’assemblée. La couronne du SSR barrée d’un énorme Coronado d’où s’échappaient des boules noires de fumée et de colère reflétait l’état d’esprit de la petite foule amassée autour de la fosse fraîchement creusée. Les parents avaient désiré une cérémonie toute simple et rapide. La dernière poignée de terre éboulée sur le cercueil le groupe que nous formions se dispersa rapidement…

    21

    C’est arrivé à la voiture, le cœur retourné et l’esprit vide, que je m’aperçus que les deux cabotos ne nous avaient pas suivis. Nous retournâmes sur nos pas. Ils étaient assis et surveillaient les trois croquemorts qui finissaient de tasser la terre pour lui donner la forme d’une tombe. Je dus les siffler à plusieurs reprises pour qu’ils consentissent à s’en retourner avec nous. Le reste de la journée fut maussade. Le Chef fuma Coronado sur Coronado. Pas du tout comme d’habitude comme ne manqueraient pas de le remarquer à haute voix des lecteurs indélicats, tous ceux qu’il sortit du tiroir de son bureau étaient munis d’une bague noire. Pour moi je séchais lamentablement devant une page blanche. J’eus beau me torturer les méninges, je ne parvins pas à écrire un seul mot. Les chiens allongés sur le canapé ne bougèrent pas d’une oreille.

    • Agent Chad, il est vingt-trois heures, il est temps de rentrer chez nous.

    A peine le Chef eût-il prononcé ces mots que les chiens coururent à la porte en aboyant sauvagement. Y avait-il quelqu’un derrière ? Je l’ouvris brutalement le Rafalos à la main prêt à tirer. Personne. Déjà les deux bêtes descendaient les escaliers en hurlant. Nous les rejoignîmes devant la voiture. Ils étaient sagement assis sur leur derrière, lorsque je posai la main sur la poignée de la portière, ils poussèrent un long hululement le museau tourné vers la lune.

    • Agent Chad, vous roulerez tous feux éteints, quand nous aurons atteint la campagne, votre seul point de repère sera le point rouge de mon Coronado.
    • Chef, accrochez-vous, je vous jure que nous ne descendrons pas au-dessous de 180 km / heure une seule seconde.
    • Agent Chad, ne perdez pas de temps en des paroles inutiles, même les chiens ont compris !

    Les rues étaient désertes, je brûlais sereinement tous les feux rouges. Le Chef tapotait sur son Coronado pour m’inciter à accélérer encore. Un moment une voiture de police gyrophare allumé tenta de nous poursuivre mais nous la distançâmes rapidement…

    22

    J’avisai au loin un petit bois. Deux kilomètres avant j’arrêtai le moteur, la voiture s’engouffra dans un chemin vicinal, filant sur son aire elle finit par s’arrêter sans bruit sous de sombres ramures… Nous étions déjà en train de courir. Le Chef donna ses dernières consignes :

    • Agent Chad mur de droite, je prends le gauche, les cabots droit devant ! N’oubliez pas, pas de pitié, pas de quartier, à la Lou Reed, take no prisoners !

    23

    Escalader le mur de pierre du cimetière fut facile. Je progressai rapidement de tombe en tombe. Je m’allongeai dans l’ombre noire d’un cyprès. Le silence m’enveloppa. Deux longues heures s’écoulèrent. Aurions-nous fait fausse route ? Dans le lointain le murmure d’un moteur troubla la quiétude de la nuit. Plus rien. Je raffermis mon Rafalos dans la main. Un museau froid comme la mort se colla à ma joue. Molossa m’avertissait…

    24

    La grille grinça sinistrement. Des pas feutrés se rapprochaient sur le gravier.

    Un rayon de lune fort opportun dessina leurs silhouettes. J’en comptais huit, tous étaient munis d’une pelle et se dirigeaient vers la tombe d’Alice. En face de moi se dessina un point rouge. Ce fut le carnage, nous en abattîmes quatre d’une balle dans la tête les deux premières secondes. Pour les quatre suivants ce fut plus difficile. Ils s’égayèrent aux quatre coins du cimetière. Nous étions les chats, ils étaient les souris. Les chiens furent de précieux alliés, d’un aboiement bref ils nous avertissaient de l’endroit de leur présence, ils étaient armés de fusils de chasse mais se révélèrent de piètres tireurs. Nous en tirâmes trois. Droit au but, entre les deux yeux. Le dernier était invisible. Ce devait être le plus couard, une voix s’éleva :

    • Ne tirez plus, je me rends si vous me promettez la vie sauve !
    • Avance-toi dans la lumière de la lune, et jette ton arme !

    L’on entendit le bruit sourd d’une arme cognant le granit d’une tombe. Le type s’avança les mains en l’air. Deux bastos lui ratatinèrent les deux genoux, il s’affala de tout son long en gémissant

    • Vous m’aviez promis !
    • Tu es vivant de quoi te plains-tu !
    • Vous êtes des menteurs !
    • Pas du tout, on veut seulement savoir qui tu es et tes copains aussi !
    • On est les potes de l’équipe de foot d’à côté !
    • Et vous jouez au foot avec des pelles et des fusils autour de la tombe d’Alice !
    • Oui, une stupidité, on avait un peu bu, Alice on la connaissait, elle est née dans le village d’à côté, celui de ses parents…
    • Et alors ?

    Le gars avait manifestement du mal à continuer, il se plaignit de son genou gauche. C’est vrai que la fracture ouverte n’était pas belle, mais pour lui donner du courage j’écrasais de mon pied l’os qui dépassait. La mauviette s’évanouit, le Chef le ranima de deux coups de pieds dans la figure qui n’eurent pas beaucoup d’effet alors il lui écrasa son Coronado sur son œil. Le gauche. Ce traitement médicamenteux se révéla efficace. Le gars se réveilla en hurlant :

    • Je n’y vois plus rien !
    • Dépêche-toi de causer, je suis en train d’allumer un nouvel Coronado pour ton œil droit !
    • Non ! Non ! je vais tout vous dire. L’Alice on ne la voyait pas souvent, elle était belle et bêcheuse, nous l’équipe de foot elle n’est jamais venue nous voir jouer, alors ce soir…
    • Dépêche-toi !
    • Ce soir on a voulu se venger, puisqu’elle était morte, il n’y avait pas de mal. On a décidé de la déterrer et de violer son cadavre à tour de rôle ! Voilà vous savez-tout, appelez une ambulance !
    • Mieux que ça mon gars on t’a t’emmener à l’hôpital !
    • Aux urgences, vous êtes sympas !
    • Mieux qu’aux urgences mon petit !
    • Au bloc opératoire !
    • Directement à la morgue !

    J’introduisis dans sa bouche le canon de mon Rafafos et je lui fis sauter le caisson. J’y pris un grand plaisir.

    25

    Le Chef sifflotait gaiement. Perso je regrettais de ne pas avoir pu faire subir le même genre d’interrogatoire aux sept autres de cette bande de cloportes que nous avions envoyés ad patres si promptement. Nous arrivions aux portes de Paris lorsque Molossito se mit à hurler à la mort et Molossa à grogner avec rage. Je stoppais la voiture sur un feu vert, provoquant derrière nous un carambolage d’une quarantaine de véhicules, au total une quinzaine de blessés, deux ou trois morts, des dégâts collatéraux sans importance. Je me retournai et arrachai de la gueule de Molossa un petit carton blanc qu’elle tenait entre ses dents. Je le retournai. Une tête de mort dessinée à l’encre noire, sous elle deux mots : A bientôt !

    Le Chef alluma un Coronado.

    A suivre