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  • CHRONIQUES DE POURPRE 695 : KR'TNT ! 695 : LOU REED / GREEN MILK FROM THE PLANET ORANGE / WILD BILLY CHILDISH / DYNAMITE SHAKERS / DAVID WERNER / DAHUZ / GENE VINCENT /

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 695

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    19 / 06 / 2025

     

     

    LOU REED

    GREEN MILK FROM THE PLANET ORANGE

    WILD BILLY CHILDISH  

     DYNAMITE SHAKER / DAVID WERNER

     DAHUZ  / GENE VINCENT

      

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 695

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

    - Le grand méchant Lou

    (Part Three)

     

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             Un tribute à Lou Reed ? Allez on y va. Il s’appelle The Power Of The Heart, et c’est un Light In The Attic de Record Store Day, c’est-à-dire le Grand Jour des Arnaques Planétaires. Tu rapatries le tribute pour trois raisons principales. Un, le

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    «Waiting For My Man» de Keith Richards, ou la rencontre improbable du Velvet et de la Stonesy, 60 ans après l’arrivée de Brian Jones à la Factory, avec Nico à son bras. Keef en fait une cover qu’il faut bien qualifier de mythique. Impossible de la qualifier autrement. Il prend le Waiting à la languide de London town - Hey white boy/ What you do in our town - Keef ramène à sa façon tout le beat urbain de ce vieux hit qui est l’une des racines du monde moderne. Deux, Maxim Ludwig & Angel Olson tapent «I Can’t Stand It» en mode wild-as-fucking-fuck. T’as tout le ramshakle du Velvet qui rapplique. Et trois, Greg Dulli & Afghan Wigs ramènent en B le Wig power dans «I Love You Suzanne». Dulli est l’un des géants du monde moderne. T’as aussi Joan Jett & The Blackhearts qui tapent «I’m So Free» avec tout le glam Angelino dont elle est capable, et Bobby Rush fait une version Deep South de «Sally Can’t Dance». Rickie Lee Jones ratatine «Walk On The Wild Side», elle est trop New Orleans, elle se vautre. Par contre, Lucinda Williams fait une belle cover de «Legendary Hearts». 

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             T’as un autre Light paru cette année qui vaut le déplacement : Why Don’t You Smile Now: Lou Reed At Pickwick Records 1964-65. Comme t’en finis jamais avec le Lou, t’es bien content de rapatrier ce Light. Et de sacrées surprises guettent l’imprudent amateur, à commencer par le protozozo des Roughnecks et «You’re Driving Me Insane». C’est d’une rare violence ! Pré-Velvet. Le Lou a déjà ça dans la peau. C’est lui qui chante, nous dit Richie Unterberger dans ses liners. Encore de l’early Lou avec The Beachnuts et «Cycle Annie», il y a déjà la voix et la stature. Là t’as tout, y compris le tongue-in-cheek. Pareil avec The Primitives et «The Ostrich». C’est noyé dans le Totor de yeah yeah ! Le «Soul City» des Hi-Lifes est assez wild, bien sous-tendu du contrefort, assez coriace. Et tout bascule dans le Totor Sound avec Ronnie Dickerson et «Love Can Make You Cry», elle se prend pour les Ronettes ! I Elle a du répondant la coquine ! On retrouve le Lou primitif dans les Primitives et «Sneaky Pete». Tout le poids du Velvet est déjà là. On se régale encore de Terry Phillips et «Wild One», early New York City rock, le mec est pop, mais il peut se fâcher. Tout ça date de 1964. On sent nettement la modernité. Avec «Why Don’t You Smile», les All Night Workers ne sont pas très loin des Righteous Brothers. Robertha Williams est là avec «Tell Mama Not To Cry», il faut la voir gueuler, mais elle impressionne. En fait, Robertha est Ronnie Dickerson. Les Surfsiders se prennent pour les Beach Boys avec des covers de «Surfin’» et de «Little Deuce Coupe». L’esprit de Brian Wilson rôde encore dans le «Sad Lonely Orphan Boy» des Beachnuts, et avec «I’ve Got A Tiger In My Tank», ils tapent encore dans le Beach Boys Sound. The Beach Boys in New York city ! C’est pour le moins inattendu.

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             Passons aux choses sérieuses : le book. On devrait dire Ze Book. L’auteur : Will Hermes.  Le titre : Lou Reed: The King Of New York. Récent. Jaune. Pas de titre sur la couve. Rien que la bobine du Lou. Il te toise. 500 pages. T’en as pour un moment. Tu vas pas t’en plaindre. T’es là pour ça. Pour lire des livres. Et celui-là sort de l’ordinaire. De façon spectaculaire.

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             Eh oui, amigo, il arrive que le sujet d’un book dépasse l’auteur. Les Anglais ont une expression parfaite pour qualifier ce genre de personnage : larger than life. Le Lou est un personnage hors normes. LA rockstar par excellence. Dépassé par l’hors normes du Lou, Hermes Trismégiste noircit ses 500 pages en pure perte. Le Lou lui échappe comme il nous échappe, on croit le connaître parce qu’on l’écoute depuis 50 ans, mais on ne sait rien. On croit qu’on sait, mais on ne sait rien. La vanité reste bien la pire des tares. La malédiction du genre humain. Plus tu te crois intelligent et plus t’es taré. Et plus on avance vers la mort, plus on mesure l’étendue de la tare. Heureusement, ce cirque va bientôt se terminer.

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    Lou Reed and L.A. and The Eldorados

             Le Lou, c’est d’abord un caractère. Après t’as le Velvet et encore après, quelques personnages en orbite, Delmore Schwartz, Barbara Rubin, Andy Warhol, John Cale, Nico, et Danny Fields, sur lesquels on va revenir. Mais sans le caractère, pas de Velvet. Quand le p’tit Lou prend des cours de guitare, le prof veut lui monter le solfège et le p’tit Lou l’envoie aussitôt sur les roses : «No no no, teach me to play the chords for this record.» Pas la peine de discuter. Quand il joue dans une équipe de basket, le p’tit Lou balance le ballon dans la gueule du coach pour se faire virer. Il monte son premier groupe dans les early sixties, L.A. & The Eldorados, il tape des covers de Ray Charles et de Jimmy Reed, mais il y glisse ses textes et veille toujours à ce qu’il y ait le mot fuck. Très vite le p’tit Lou se dit écrivain : «I’m just going to use music.» Le rock n’est qu’un prétexte. On a cru pendant 50 ans que le Lou était un rocker, alors qu’il était écrivain. Don Fleming qui est le curateur des archives du Lou dit aussi qu’il est écrivain, et non «rock and roll singer». L’idole du p’tit Lou : Delmore Schwartz. Le p’tit Lou boit ses paroles. Schwartz défend une théorie : l’art combine l’expérience vécue et celle qu’on fabrique. Le Lou va incarner cette théorie. Quand il est convoqué pour le draft, c’est-à-dire l’armée, le p’tit Lou avale du Placidyl et menace de buter tout le monde. Et tout le temps, il revient sur une obsession : work. Il dit qu’on a rien sans travail. Andy Warhol et son work ethic lui sert de modèle. Pour arriver quelque part, dit-il, «you should work very very hard. Work is the whole story. Work is litterally everything.» Le métier d’écrivain est celui qui demande le plus de travail. 

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             La télé et le cinéma n’ont aucun effet sur le p’tit Lou. «Movies didn’t do it for me. TV didn’t do it. It was radio that did.» Le premier disque qu’il achète est le «Fat Man» de Fatsy. Puis il flashe sur Hank Ballard, the El Dorados, the Cadillacs - all these bands that were doing four chords music. Four chords, that’s all you had to know - Il épure très vite. Il flashe encore sur le «Maybe» des Chantels, chef d’œuvre de «girl-group pop», «and one of the greatest songs in rock history.» En 1957, nouveau flash avec une cover de Fatsy, «I’m Walking», par Ricky Nelson. Flash encore sur les ritals du Bronx, Dion & the Belmonts et «I Wonder Why». Puis il se paye une Gretch hollow-body electric. Et il se met à composer des chansons. Hermes Trismégiste le dit mieux encore : «And he began figuring out how songs came together.» Tu ne bats pas l’anglais à la course dès lors qu’il s’agit de causer rock. 1958 : il a 16 ans quand il se retrouve pour la première fois dans un studio d’enregistrement, avec un chanteur noir nommé Phil Harris, mais aussi Mickey Baker et King Curtis. On bossant avec des blackos, il comprend immédiatement l’une des règles d’or : «I can’t sing black. I knew that right then. I said don’t ever try.» Les grandes lignes sont là : quatre accords et la voix blanche.

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    Tom Wilson

             Hermes Trismégiste considère le Velvet «to be one of the world’s greatest rock bands, alongside the Beatles, the Stones, Funkadelic and the Grateful Dead.» C’est une façon comme une autre de jeter les dés qui jamais n’aboliront le hasard, dans cet univers de tisane où l’on pleure et l’on rit comme on peut. On connaît l’histoire du Velvet par cœur, mais on y retourne. Ça grouille d’infos, dans Ze Book. Le trio Lou/Cale/Sterling Morrison se donne rendez-vous à deux pas du Columbia Studio A de la Septième Avenue où Bob Dylan enregistre Bringing It All Back Home avec Tom Wilson. Un Tom Wilson que le trio va bientôt rencontrer. C’est Angus MacLise qui ramène un book titré The Velvet Underground et tout le monde trouve que ça ferait un joli nom pour le groupe. Le Velvet est formé, mais personne ne veut chanter. Le Lou compose, mais il n’est pas à l’aise au chant. Il dit très vite à John Cale qu’il ne le considère pas comme un compositeur. Finalement le Lou va chanter. 

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             Le premier grand fan du groupe n’est autre que le journaliste Al Aronowitz. Puis Barbara Rubin entre dans la danse. Dylan traîne dans le coin, ainsi que Robbie Robertson, le guitariste de Ze Band. Cet imbécile de Robertson s’assoit pour écouter le Velvet jouer un cut, «and then he gets up and walks out in disgust.» Voilà pourquoi on a toujours détesté ce frimeur de Robertson : à cause de The Last Waltz et à cause du dégoût que lui inspire le Velvet. L’un des drug buddies d’Aronowitz n’est autre que Brian Jones. Lui, on est content de le croiser dans les parages. C’est vrai qu’à leurs débuts, les Velvet n’y allaient pas de main morte. Rob Norris : «Avant même de comprendre ce qui se passait, everyone was hit by a screeching surge of sound, with a pounding beat louder than anything we had ever heard.» John Cale se souvient que le Velvet jouait tellement fort que les gens s’enfuyaient en courant.

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             Andy Warhol cherchait un groupe pour animer sa Factory. Il avait fait un essai avec les Fugs, mais ça n’a pas marché. Ça ne pouvait pas marcher. Puis il rencontre le Lou au Café Bizarre sur West Third Street. Le Velvet y joue six soirs par semaine. La scène est minuscule et le Velvet joue pour des touristes. Sterling indique que Moe jouait du tambourin : pas de place pour son tom bass. Entrent ensuite en lice Billy Name et Gérard Malanga, puis Nico avec son «teutonic contralto croon» bien contrebalancé par le Diddley Beat de Moe Tucker. Tu te régales à chaque fois que tu relis les détails de cette histoire, car avant d’être l’histoire du Velvet, c’est celle de la Modernité. Et t’as Nico qui allume une bougie avant chaque début de set. John Cale ajoute que chaque set du Velvet est spécial.

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             Le Velvet enregistre un premier acétate au Scepter Sound de Florence Greenberg. Le Lou ne veut pas de Nico, mais Nico chante quand même. Elle est tellement stressée qu’elle pleure entre chaque prise d’«I’ll Be Your Mirror». Puis on envoie l’acétate chez Columbia qui n’en veut pas. No way. L’Ahmet d’Atlantic aime bien certains cuts mais il bloque sur «Venus In Furs». Elektra n’en veut pas non plus. No way. Le seul label qui dit oui est MGM/Verve Records. Pouf, le Velvet signe un contrat. L’A&R qui les signe n’est autre que Tom Wilson qui vient de quitter Columbia après avoir produit l’un des albums les plus prestigieux de l’histoire du rock : Bringing It All Back Home. Il va donc en produire un autre avec le Velvet. Eh oui, Tom Wilson n’est pas n’importe qui. Il a déjà eu dans les pattes Sun Ra, Cecil Taylor, les Mothers (qui haïssent le Velvet) et Van Dyke Parks. Il a aussi fait des stars de Simon & Garfunkel en remixant «The Sound Of Silence». Le Lou a donc du pot d’être tombé sur Tom Wilson. Le Lou profite de l’occasion pour barboter les 3 000 $ de l’avance : pas un sou ni pour Andy ni pour Paul Morrissey qui font pourtant partie du Velvet biz. Le Lou estime qu’il ne leur doit rien. La Modernité, c’est lui. Andy en restera affecté. La relation Andy/Lou est brisée. Il faut être carré avec Andy dès qu’on parle de blé.

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    Yardbirds : Waiting for the man ( live)

             Quand le Velvet débarque en Californie, c’est le choc des civilisations. Mary Woronov l’explique très bien : d’un côté le Velvet sous amphètes et de l’autre les hippies sous acide, d’un côté le Velvet homo et de l’autre les hippies homophobic, d’un côté les Californiennes aux gros nibards qui ouvrent les cuisses pour baiser sans discuter, et de l’autre le Velvet qui ne baise pas et qui préfère le SM, d’un côté les Californiennes qui cuisent leur pain et de l’autre le Velvet qui ne mange pas. Et puis il y a le son : le Velvet is on fire avec du feedback. Les Yardbirds de Jimmy Page sont l’un des rares groupes impressionnés par le Velvet. Jimmy Page les trouve «intenses». Les Yardbirds vont d’ailleurs reprendre «Waiting For The Man» sur scène. Le Velvet n’en finit plus de durcir son son à coups d’«hot-shit rock’n’roll guitar breaks». Hermes Trismégiste parle de «The Gift» comme d’un «two-chord saunter with droning solos that threatens to break into Them’s 1964 single «Gloria» for ten minutes straight.» Et puis t’as le stand-out, «Sister Ray», «a nineteen-minute groove monster that hurled forward with the breathlessness of a meth rush while feedback squalls flashed like heat lightning and Reed hollered out scenes of what sounded like a party to end all parties.» La prose d’Hermes Trismégiste flashe comme un stroboscope, t’auras jamais ce niveau d’intensité en langue française. Il est bon de rappeler que le rock se chante en anglais et qu’il s’écrit en anglais.

             Quand Andy fait asseoir le Lou pour lui expliquer qu’il doit faire évoluer son groupe, et qu’il doit y réfléchir, le Lou le vire sur le champ. Pourquoi ? Parce que, dit-il, la première chose à faire pour évoluer était de le virer - That was one of the things to do if we were going to move away from that - Andy est furieux. Le Lou : «He was really mad. Called me a rat. That was the worst thing he could think of.» Le Lou est plus déterminé que jamais. Il fait monter quatre micros sur sa Gretsch Country Gentleman, utilise une Tone Bender, (Vox distorsion box) et sort sur un AC100 - he was determined to make a noise supreme - Il prend Steve Sesnick comme manager. Calimero ne peut pas schmoquer Sesnick, il le traite de snake et l’accuse d’avoir «fucked up» sa relation avec Lou.

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             Lors de l’enregistrement de «Sister Ray», l’ingé-son Gary Kellgren craque. Il ne supporte pas le «meth-surging intensity», «stroboscopic din» de Sterling Morrison : il sort du studio et leur dit de l’appeler quand ils ont fini. Hermes Trismégiste se régale avec «Sister Ray», il en fait une page entière et raconte que pour finir le cut, «after seventeen breathtaking minutes, they drive the riff over a cliff.» «Sister Ray» restera le cut préféré de Peter Perrett.  

             Puis le Lou convoque Moe et Sterling Morrison au Café Riviera pour leur annoncer que Calimero est viré du Velvet. Il confie au pauvre Sterling la mission d’aller annoncer la bonne nouvelle à Calimero. Tout ceci est parfaitement détaillé dans What’s Welsh For Zen. En seulement un an, le Velvet est passé du stade de «fulcrum of a multimedia art extravaganza with Warhol (...) to a dark-matter psychedelic juggernaut navigating the outer limits of free-form improvisation and lock-groove hypnotcs to their current incarnation: a fairly straightforward rock and jamming in hippie dance hall.» Après l’élimination de Calimero et d’Andy, le Velvet continue d’avancer et le Lou nous dit Hermes Trismégiste «was at a creative peak» : 1969 est l’année du troisième album, avec «Reed’s most enduring songs.» Un an plus tard, ce sera fini.        

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             Voilà la fin des haricots. Moe tombe enceinte et Doug Yule bat le beurre pour enregistrer «Ocean». Ils enregistrent d’ailleurs le quatrième album sans elle - She was heartbroken - Le Velvet sans Moe et son mix de Diddley Beat et de Yoruba Beat n’est plus le Velvet. Doug Yule et son frère Billy n’ont jamais su jouer comme elle. Le Lou voulait un son plus commercial, d’où le retour  aux kits conventionnels. Fin de la Modernité. Le Lou venait de signer sur Atlantic et voulait faire un album «full of hits» - It was one reason the album was titled Loaded - Le Lou a 30 ans et il n’est pas devenu riche. Sterling Morrison prend ses distances, arrête la clope et la dope. Moe est retournée avec sa fille vivre chez ses parents à Long Island. Un soir, elle va voir ce qui reste du Velvet jouer au Max’s Kansas City et trouve le Lou assis dans l’ombre. Elle passe le bras sur ses épaules et lui demande : «Louie. What’s the matter?». Et le Lou lui répond qu’il quitte le Velvet. Moe voit le concert du Velvet ce soir-là, «But it wasn’t the Velvets.»  Le dernier concert du Velvet est celui qu’on trouve sur le Live At Max’s Kansas City, «one of the worst-sounding albums ever released», mais nous dit l’immanquable Hermes Trismégiste, «the music and spirit» de cet album «made Reed’s solo debut seem weak by comparison.»

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    Moe Trucker

             Et puis viendra le temps de la reformation et Billy Name s’extasie : «They sounded so rich and authentic - the same setup with the same tones and everything.» Mais dans le NME, le Lou jure qu’il ne rejouera jamais avec Calimero. Un Calimero qui supplie le Lou de continuer l’aventure du Velvet. En vain.

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    Lou / Sterling

             C’est le Lou et Sterling Morrison qui avaient formé le velvet. Morrison avait commencé par étudier la trompette, puis il s’est mis à la guitare, influencé par Chucky Chuckah, Bo Diddley, T-Bone Walker «and especially Mickey Baker». Il ne pouvait que s’entendre avec le Lou. Quand ils commencent à jouer ensemble, ils démarrent sur une cover d’Ike & Tina Turner, «It’s Gonna Work Out Fine». L’autre grande rencontre déterminante de l’early Lou, c’est l’hero. Il démarre en 1964, alors qu’il est encore étudiant à Syracuse. Puis à la Factory, il va passer au speed, «cheap, easy to get and mostly legal». Andy prend de l’Obetrol et Reed préfère le Dexogyn, «straight methamphetamine, stronger and longer-lasting.» Le Lou dira qu’il était sous amphètes «my whole life».

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             Au temps où il composait pour Pickwick. Terry Phillips lui demandait de composer «10 Californian songs», alors il composait 10 Californian songs. Puis 10 Detroit songs. Puis du surf. Avec les Roughnecks, il enregistre «You’re Driving Me Insane». Puis c’est «The Ostrich» avec les Primitives, qui sont un peu la racine du Velvet. La période Pickwick joue un rôle considérable dans le développement du Lou : il apprend à composer et à enregistrer.  Quand Calimero entre dans la danse, il se découvre un sacré point commun avec le Lou : «The only thing we had in common were drugs and an obsession with risk taking. That was the raison d’être for the Velvet Underground.» Calimero est impressionné par la «fuck-you attitude» du Lou. Ils partagent tout : les idées, les seringues et les hépatites. Le Lou et Calimero envisagent tout simplement de développer «a sort of aggro-avant-garde take on Phil Spector’s pop Wall of Soud - into something both commercially viable and artiscally earth-shaking.» Pas de meilleure définition du Velvet. L’avant-garde, Calimero la connaît par cœur : il vient de passer 18 heures à jouer les Vexations d’Erik Satie, une compo de 80 secondes répétée 840 fois. C’est bien que Satie soit mêlé à cette histoire : on reste au cœur de la Modernité. Et encore une fois, sans Calimero, pas de Velvet ni de Modernité. Calimero est formel : «We created a kind of music that nobody else in the world was making and that nobody had ever heard before.» Quand à Ludlow Street, le Lou dit à Calimero que «The Ostrich» est facile à jouer, «because all the strings are tuned to the same note», Calimero est complètement scié, «because that’s what we were doing with La Monte Young in the Dream Syndicate. It was pretty amazing, we couldn’t beleve it.» Ils ont d’autres points communs : Calimero est fier d’être l’étudiant «le plus haineux» de son école de musique.

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             L’autre acteur clé dans cette histoire est la Factory, un grand loft au quatrième étage du 231 East Forty-seventh Street, qui devient rapidement un «magnet for collabrators, peers, groupies, fame junkies, speed freaks and other hangers-on.» Andy Warhol devient une star, «widly successful, influential, inescapable.» Hermes Trismégiste fait défiler les «Warhol’s superstars», Edie Sedgwick en premier. Ces pages donnent le tournis. En 1965, Andy teste les Fugs pour animer la Factory, mais ça ne colle pas. Par contre, ça va coller avec le Velvet. Et même plus que coller. Super-coller. Bob Dylan passe à la Factory, mais il ne peut pas schmoquer Andy, et Andy le trouve «corny», ce qui n’est pas très flatteur.

             Calimero rappelle qu’au temps de la Factory, on appelait le Lou Lulu - I was Black Jack. Nico was Nico - Danny Fields ajoute que tout le monde était amoureux du Lou, «me, Edie, Andy, everyone.»

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             Et qui dit Factory dit bien sûr Nico, qui est déjà auréolée de légende quand elle débarque à la Factory au bras de Brian Jones : elle a joué pour Fellini et a pris des cours chez Lee Strasberg. Dylan sera aussi frappé par la beauté de Nico, allant jusqu’à l’appeler Rita dans «Motorspycho Nightmare» - Looked like she stepped out of La Dolce Vita - À Londres, elle avait déjà enregistré un single pour Andrew Loog Oldham sur Immediate, «I’m Not Sayin’», accompagnée par Brian Jones et Jimmy Page. Quand elle débarque à New York, elle montre son single à Andy et l’acétate du cut que Dylan a composé pour elle. C’est là qu’Andy a l’idée de la faire entrer dans le Velvet. Le Lou accepte à contre-cœur : «I was just this poor little rock and roller and here was this goddess.» Bien sûr le Lou va tomber amoureux d’elle, même si Sterling Morrison affirme : «Lou Reed in love is a kind of abstract concept.» Jusqu’à la fameuse rupture, lorsque Nico arrive en répète et déclare devant tout le monde : «I cannot make love to jews anymore.» Humilié, dévasté, le Lou va s’envoyer une bouteille entière de Placidyl. On reverra Nico à Monterey au bras de Brian Jones, puis elle va entamer une love affair avec Jimbo, qui commence à peine à décoller avec les Doors.

             Et puis t’as l’after-Velvet. Le Lou solitaire. Il doit se re-positionner. Construire un personnage, «a street punk Everykid». C’est Richard Robinson qui va relancer la carrière du Lou et lui décrocher un contrat chez RCA. Le Lou développe un «glam-ghoul look», celui que va shooter Mick Rock pour Transformer. Il va trimballer ce look de «Phantom of Rock», de «zombie-drag harlequin of decadence» et porter du cuir noir pendant un certain temps. Il monte sur scène complètement défoncé. Il bat tous les records.

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    Lou Reed et Robert Quine

             L’un des personnages clés de la période solo du Lou n’est autre que Robert Quine, l’ex-Voidoid - a lover of Richie Valens, John Lee Hooker, Jeff Beck, the Stones, and jazz, Coltrane in particular - Quine va devenir un «Velvet fanatic» : «White Light White Heat completely changed my life.» Quine est pote avec Lester Bangs et avec Eno avec lequel il explore les restaurants asiatiques. Après la fin des Voidoids, il contacte le Lou et lui propose de l’accompagner, à une condition : que le Lou «start playing guitar again with gusto.» L’idée de Quine était de re-créer «a Velvet Underground-style attack, with himself as a post-punk Sterling Morrison.» Des quatre ans qu’ils vont jouer ensemble, Quine trouve que la première «was really great». Ils enregistrent ensemble The Blue Mask. Puis la relation va se détériorer avec Legendary Heart. Quand Quine entend le mix, il s’aperçoit que le Lou l’a fait disparaître. Terminé.

             Quand le Lou rencontre David Bowie pour la première fois, ils cliquent. Bettye Kronstad : «Lou did kinda fall in love with him.» La même nuit, ils rencontrent Iggy au Max’s, un Iggy que Danny Fields a ramené à New York et dont Calimero vient de produire le premier album, avec les Stooges. Ah comme le monde est petit.

             Dans sa période calme, le Lou épouse un trans, Rachel Humphreys.

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    Lou & Bettye

             Puis il entame une relation mouvementée avec Bettye Kronstad, avec des yeux au beurre noir, aussi bien elle que lui, car elle ne se laisse pas faire. Il la frappe, alors elle le frappe. Le Lou bricole aussi avec Moogy Klingman qui avait auparavant bossé avec le Wizard & True Star Todd Rundgren. Et quand le Lou est attiré par Berlin, c’est surtout de façon littéraire, via le Goodbye To Berlin de Christopher Isherwood, le Berlin Alexanderplatz d’Alfred Döblin, et bien sûr le Cabaret de Bob Fosse. Puis il revoit son look et se fait un «Jean genet prisoner haircut», augmenté d’un collier de chien, de cuir clouté, et d’un ceinturon avec une boucle en bec d’aigle - His look was uncut gay leather bar. But to most straight rock fans, it simply read as post-glam hypermachismo - Et bien sûr, sa cote n’en finit plus de monter. Bowie le considère comme «the most important, definitive writer in modern rock.» Et il dit à Burroughs : «New York City is Lou Reed.» Quand le Lou enregistre Sally Can’t Dance, il laisse tomber des metal guitars d’Hunter & Wagner et va sur un son plus dansant, «the sort of music Rachel adored.» Il continue de se goinfrer d’amphètes et ne bouffe presque plus. Il ne vit alors que d’hot-dogs et de whisky. Sur scène, il parle beaucoup aux gens, et remet bien les choses au carré : «What’s wrong with cheap dirty jokes? Fuck you. I never said I was tasteful.» Pur Louism. Quand le Lou demande à Bowie de produire son prochain album, Bowie accepte à une condition : qu’il arrête la dope et la booze. Alors le Lou lui saute dessus, le gifle à deux reprises, l’attrape par le colbac et lui crie ça en pleine gueule : «Don’t you ever say that to me.» On ne fait pas la morale au Lou.

             Quand on lui demande ce qu’il pense des petits jeunes qui débarquent au CBGB, le Lou dit adorer Tom Verlaine, par contre, il déteste Brouce Springsteen : «He’s a shit.» Il trouve les Ramones fantastiques. Quand il entend une démo des Ramones pour la première fois chez Danny Fields, il s’exclame : «That’s the greatest thing I’ve ever heard.»    

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    Clive Davis, Lou Reed

             Puis Clive Davis prend le Lou sous son aile et le signe sur Arista. Davis : «It was good for the label. He was edgy, farsighted, independant and hugely influential.» Au début des années 80, le Lou est un homme neuf. Il fait gaffe à sa santé et pratique les arts martiaux. On passe complètement à autre chose. Il fréquente les réunions du Narcotic Anonymous et un jour un mec l’agresse : «Comment osez-vous vous pointer ici - you’re the reason I took heroin.» Le Lou se met à rouler en moto, il opte d’abord pour une Suzuki, puis pour une Harley V-twin Super Glide.

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             Il va ensuite fréquenter l’un des New-Yorkais les plus légendaires de son temps, Doc Pomus, que fréquentent aussi Dylan et Dr John. Mais la relation ne va pas durer longtemps, car Doc se chope un petit cancer en 1991. Le Lou va le voir à l’hosto et propose de lui ramener une télé couleur, mais Doc lui dit de ne pas se prendre la tête avec ça - Pomus was a black-and-white guy.

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    Lou & Laurie

             Le Lou vit sa dernière love affair avec Laurie Anderson. John Zorn : «It’s the love affair of a lifetime.» Le Lou essaye aussi de bosser avec Scorsese qui compte adapter au cinéma In Dreams Begin Responsabilities de Delmore Schwartz. Mais ça ne débouche pas. Scorsese propose aussi au Lou le rôle de Ponce Pilate dans The Last Temptation Of Christ, mais c’est Bowie qui récupère le rôle.

             Le Lou reconnaît qu’il a du pot d’avoir survécu à tout ce bordel de «substance abuse and the AIDS pandemic» : «I’ve put my dick in every hole avaliable.» Lucky Lou ! Pendant les dernières années de sa vie, il pratique le tai chi. Il balance ça à un journaliste : «Tai chi keeps your dick really big. Haven’t you figured that out yet?».

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             Hermes Trismégiste se penche longuement sur les héritiers du Velvet et notamment sur Peter Laughner qui était littéralement obsédé par le Lou : «Lou was my Woody Guthrie and with enough amphetamine, I would be the new Lou reed.» Mais il n’aura pas le temps. Hermes le miséricordieux cite d’autres héritiers : les Feelies, Yo La Tengo et son «feedback-loving writer-guitarist Ira Kaplan», Steve Wynn et son clin d’œil au Dream Syndicate de La Monte Young, Susanna Hoffs of the Bangles au temps de Rainy Day. Mais dans ses grandes largeurs miséricordieuses, Hermes Trismégiste omet de citer les Subsonics.

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             Les pages sur le déclin physique et la fin du Lou sont terrifiantes. Il faut les lire. Le Lou et Laurie Anderson passent une dernière nuit à papoter et à faire des exercices de respiration. Et puis à l’aube, le Lou demande à aller sur la terrasse - Take me to the light - Ce sont ses derniers mots. On a Sunday morning. Tout a une fin. Même le Lou.

    Signé : Cazengler, Lou ridé

    The Power Of The Heart. A Tribute To Lou Reed. Light In The Attic 2024

    Why Don’t You Smile Now: Lou Reed At Pickwick Records 1964-65. Light In The Attic 2024

    Will Hermes. Lou Reed: The King Of New York. Farrar, Straus & Giroux 2023

     

    L’avenir du rock

     - Green Milk cow blues

             Chaque fois que l’avenir du rock croise un squelette dans le désert, il s’agenouille pour examiner les dents. Il ne récupère que les dents en or. Comme elles sont généralement bien vissées dans la mâchoire, il a dû se fabriquer un petit marteau primitif pour les déloger. Bing ! Bing ! Bing ! En général, elles cèdent au bout de trois coups, quand la mâchoire explose. Il en a déjà pas mal dans sa poche. Ça peut toujours servir.

             — À quoi ? Se demande-t-il...

             — On verra bien, répond-il. L’essentiel est d’avancer. L’occasion fera le larron !

             Il repart d’un pas léger. Comme personne ne lui pose les questions, il se les pose. C’est l’un des luxes de la solitude conjoncturelle :

             — Ça ne te pèse pas trop sur la conscience de détrousser un cadavre ?

             Il réfléchit un court instant et répond :

             — Au contraire ! Avec sa dent en or, ce frimeur n’a eu que ce qu’il méritait !

             — Ta franchise l’honore !

             — Oui, j’en suis très fier.

             Il atteint le sommet d’une dune. Au loin, très loin, il voit quelque chose briller. Intrigué, il repart dans la direction du mystérieux objet brillant. Un jour de marche, et puis deux. Il finit par approcher de ce qui semble être une fourgonnette. Elle ressemble à ces food-trucks qu’on voit aujourd’hui un peu partout, avec un auvent levé et trois tabourets disposés devant le comptoir. Au-dessus de l’auvent est peint en grosses lettres baveuses le nom de ‘Thénardier’. L’avenir du rock approche et demande au gros commerçant :

             — Vous vendez à boire ?

             — Toutes les boissons du monde !

             — Alors servez-moi un verre de Green Milk From The Planet Orange !

             — Vous avez de quoi payer ?

             Alors d’un geste magnanime, l’avenir du rock jette sur le comptoir une poignée de dents en or. 

             — Paye-toi, misérable !

     

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             Green Milk From The Planet Orange ? Par sécurité, tu visionnes un clip vite fait sur YouTube. C’est pas que tu te méfies, mais on ne sait jamais. Le clip est filmé chez un disquaire. Tu les vois assis tous les trois sur des chaises. Le guitariste et le

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    bassiste sont assis de chaque côté du batteur et se font face. Ils mettent leur petit biz en route et tu fais la moue, car ça vire prog. Tu ne fais pas la moue longtemps, car leur prog s’énerve tout seul et soudain, tout explose, ils cultivent la montée en neige qui mène droit à l’apocalypse. Ils valent bien mille groupes garage.

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             Cette fois, c’est pas en marchant que tu descends à la cave, c’est en courant. Et tu retombes exactement sur le plan filmé chez le disquaire : les trois mêmes petits Japonais assis en comité restreint, la neige qui monte et ta mâchoire qui se décroche et qui te pend sur la poitrine comme une lanterne. Le petit batteur s’est mis en short pour jouer. Il s’appelle A. On n’avait encore jamais vu un batteur aussi fou, c’est sans doute le plus grand pétaradeur du mondo bozarro, il démultiplie les roulements à l’infini et shoote dans le cul du prog une énergie jusque-là inconnue. Les Green

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    Milk font du Can à la puissance mille. Leur prog te demande un temps d’acclimatation, mais une fois que t’es hooké, il ne te lâche plus. Si t’es sentimental, tu diras même que c’est pour la vie. Le bassiste n’en finit plus de trépigner sur sa chaise avec sa belle basse verte. Son collègue en face pique des crises de Méricourt qui font passer Damo Suzuki pour un enfant de chœur. Il s’appelle Dead K.

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             La preuve de tout ça se trouve sur Tragedy Overground, un CD d’un seul titre, le cut de 22 minutes qu’ils ont joué en dernier. Tout le set y est, intact : ça met du temps à se mettre en route, mais ça se met bien en route. Dead K te drive ça au long cours, soutenant son chant avec un tiguili avarié joliment délibéré, une gamme qui en dit long sur ses intentions hégémoniques. Et ça monte très vite en température,

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     t’as intérêt à en profiter, car t’es pas près de revoir un truc pareil, et derrière t’as le batteur fou A, un vrai diablotin on fire, il démultiplie ses rapatatata, et, suivant le principe du prog qui est de voyager, ils enquillent des niveaux jusque-là peu empruntés, ils font tout en même temps : ils créent un monde et pulsent dans les bastingages, histoire de créer une explosion infra-nucléaire, Dead K envoie une fuzz qui fond dans le Bessemer de Sister Ray, mais c’est encore autre chose, c’est beaucoup plus dynamique, t’as une sorte de frénésie bulbique, une pathologie uniquement accessible à des Japonais libres de tous leurs mouvements, et crois-le bien, c’est une aubaine que de retrouver cette propulsion infra-nucléaire sur un disk, ils t’explosent tous tes pauvres a priori, leur capacité démonique bat tous les records, Dead K part en vrille de wah et gueule dans son micro comme le mec de Guitar Wolf, yah ! Il est possédé par le diable d’Orient, c’est brillant et ça repart comme si de rien n’était. Ils battent largement Can à la course, ils cultivent une science du parcours prog, mais avec un souci constant d’énergie, ça brasille au plus haut point, ça te laisse comme deux ronds de flan et le fantastique tatapoumage t’envoie valdinguer dans l’apothéose. Tu crois qu’ils vont se calmer, mais non, ça repulse dans l’excès inverse, ils repoussent toutes les limites du genre, ils vont bien au-delà du concept de power-trio, le diablotin charge la chaudière en permanence, c’est du sans appel, Dead K hurle tout ce qu’il peut et ça bascule dans une démesure de Planète Orange. Un seul uh et la messe est dite.

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             Tu ne perdras pas ton temps à écouter le split live qu’ils ont enregistré avec Fuzzwolf, un groupe américain. Ce live s’appelle Let’s Split. Ah ils y vont de bon cœur les trois Milk, le petit diablotin te bourre bien le mou du son et ça part pour 20 minutes de prog intensif. Ils ne te laisseront aucun répit. Les Japonais sont souvent cruels. La férocité intensive est leur fonds de commerce. Ils sont capables d’allumer au plus haut point, de calmer le jeu et de revenir ensuite à la charge de la lutte finale. C’est la loi du prog à roulettes : tu passes par toutes les étapes, tu leur accordes des délais, tu attends qu’ils t’envoient au tapis, t’es là pour ça, tu tends la joue, vazy frappe, Green Milk, frappe si t’es un homme, alors ils frappent, ils sont marrants, ils ne lésinent pas sur la marchandise, surtout le diablotin, il pétarade ses roulements à une vitesse toujours plus accélérée, on se demande d’ailleurs comment il fait, serait-il un robot ? Il est trop rapide, et son collègue Dead K se met à gueuler dans son micro, on ne comprend rien à ce qu’il raconte, mais on est habitué avec les Japs, ils savent claquer le beignet d’un yaourt, c’est l’énergie qui les intéresse. Ils s’expatrient en fanfare, ils sont complètement déjantés, incapables de se rattraper, leur cirque est une merveille, tu crois entendre un groupe de rock vénusien, ça bascule dans un Tannhäuser de cyberspace et t’as évidemment la belle explosion finale battue comme pâtre par ce fou d’A.

    Singé : Cazengler, grise mine d’abonnette Orange

    Green Milk From The Planet Orange. Le Trois Pièces. Rouen (76). 2 juin 2025

    Green Milk From The Planet Orange. Let’s Split. Silver Current Records 2024

    Green Milk From The Planet Orange. Tragedy Overground. Not On Label 2025

     

     

    L’avenir du rock

     - Big ado Dynamite

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             Entre la dynamique et la dynamite, l’avenir du rock n’hésite pas un seul instant. Il commence par aller s’acheter un vieux costume du XIXe siècle aux Emmaüs, gris anthracite, un peu lustré, qu’il complète d’une chemise à col droit et d’une simple lavallière. Il niche dans la poche de son gilet assorti un chronomètre gousset qui lui permettra de calculer précisément la longueur des mèches. Enfin, la mousseline noire du pantalon tombe sur une paire de souliers en cuir verni et assez souples pour permettre la course en cas d’irruption inopinée des féroces inspecteurs de la Sûreté. Il envisage pendant un instant de se peindre le visage en bleu, en hommage à Pierrot Le Fou, mais il n’est pas question de finir aussi bêtement que ce pauvre Pierrot qui, après avoir allumé la mèche du chapelet de bâtons de dynamite qui lui ceinture la tête, cherche en vain à l’éteindre. Boum ! L’avenir du rock trouve ce boum trop Dada. Il préfère Ravachol. Alors là oui, ça a de l’allure ! Il s’est laissé pousser une belle moustache qu’il lustre à n’en plus finir, et comme il connaît bien ses classiques, il a transformé sa cuisine en antichambre des enfers, collectionnant des marmites anciennes récupérées chez des forgerons de villages, noircies par mille ans d’usage, et qu’il remplit jusqu’à la gueule de cloutaille, de vissaille, de mitraille, de limaille, de quincaille, de ferraille, de rocaille, de grenaille, de médailles, de rimailles, de vitrailles, de boustifaille, et schploufff et schplafff, il tasse et entasse en ricanant et en transpirant comme une brute atroce, le visage marbré d’éclats de lumière rouge, les yeux injectés de sang, il rue et il brait, et schploooufff et schplaafff, il arrose toute ça d’une crème de poudre noire, et avec un rire terrible qui s’en va ricocher sous le plafond calciné par les fumées, il plante sur son immonde gâtö des bâtons comme autant de bougies d’anniversaire, mais pas n’importe quels bâtons, amigo, des bâtons de Dynamite Shakers, pour être bien sûr que tout explose et que le capitalisme soit anéanti à tout jamais. Boum !

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             Quand tu les vois arriver sur scène, tu les trouves un peu verts. Tee-teen, oh ma tee-teen. Un concept jadis exploré par d’autres tee-teens : les Undertones, Shirley & Lee, ou encore les Collins Kids. Contexte tee-teen exacerbé par le guitariste du fond et la petite bassiste. Le guitariste du fond s’appelle Calvin, d’une rare maigreur, vêtu d’un short sexy, de collants noirs et d’un petit haut noir, il pèse tout au plus 30 kg, il gratte en jetant fréquemment la patte en l’air, il court énormément sur place et, petit détail capital, il sonne un peu comme Johnny Thunders. Sa gestuelle rappelle celle de Mick Jones qui avait déjà tout pompé sur Pete Townshend. Contrairement à ce qu’indique sa maigreur, il est extrêmement athlétique. On voit rarement des guitaristes aussi ollé-ollé, aussi dégourdis de la gambette. Dans une vie antérieure, il devait danser le French Cancan au Moulin Rouge. En combinant ce côté thunderien, la gambette folle et ce flux constant d’énergie, il menace en permanence de voler le show.

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             La petite bassiste s’appelle Lila-Rose. Elle opte pour un jeu beaucoup plus statique mais pas inintéressant. Elle vise l’efficacité, le radicalisme bassmatique. Le son suit. Derrière, t’as un excellent dynamiteur au beurre, il s’appelle François, et au milieu de tout ça, t’as une petite rock star en herbe, Elouan, qui tape des poses dignes de celles d’Eddie Cochran. Looka here ! Dommage qu’il ne gratte pas une Gretsch, l’illusion serait parfaite. Il met vite le set au carré, sait poser sa voix et partir en vrille de scorch quand il le faut. Si jeune et déjà complet ! 

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             Alors évidemment, les Dynamite Shakers concentrent tous les défauts propres aux groupes français : maladresse du mimétisme, manque de maturité compositale, absence totale d’hit. Ça fait cinquante ans qu’on a fait le tour du problème. Seuls les Cowboys, les Dum Dum et Weird Omen ont su créer un monde et échapper aux pièges du mimétisme. Scéniquement, le set des Shakers tient la route, mais tu sais que t’auras pas d’hit. Tu pourras tout au plus te contenter de secouer la tête. C’est déjà pas mal. Et puis soudain, tout bascule. Tu reconnais l’intro de «Strychnine». Ils

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     en tapent une version dé-vas-ta-trice ! Et là tu dis oui, mille fois oui, car tu vois bien qu’ils jettent toute leur énergie dans le dévolu. Les Shakers deviennent énormes, ils balayent tous les a priori. Leur cover de «Strychnine» est absolument herculéenne, une vraie bénédiction, elle passe en force, pas comme celle des Cramps, ils préfèrent dynamiter la leur, bien lui allumer la gueule, ils l’envoient carrément valser dans la stratosphère, et du coup, on oublie les compos qui ne fonctionnent pas et tous les problèmes liés à la malédiction des groupes français. Ils vont rééditer cet exploit en rappel avec une autre cover du diable, le «Feel Alright» des Stooges, qu’ils tapent en mode white light white heat d’explosion thermonucléaire, en mode aller simple vers le no way out, ils tapent d’ailleurs la magistrale version des Damned qui, t’en souvient-il, visait l’incontrôlabilité des choses. Avec deux covers, les Dynamite Shakers défoncent la rondelle des annales, et c’est à partir de là que tu les vois entrer dans la cour des grands. Vous reprendrez bien une dose de Dynamite ?

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             Alors boum ! Don’t Be Boring. Cet album sonne comme une belle collection d’énormités, dont celles qu’ils ont claquées sur scène, «Blow My Mind» et «What’s Going On». Accès direct ! Le Blow est monté sur un beau riff gaga, c’est même riffé à la vie à la mort, bien propulsé. On note au passage que Jim Diamond signe la prod de l’album. Ces cuts sont balèzes et classiques - I say hey what’s going on ! - Éclatants et solides à la fois. Par contre, quand c’est elle qui chante, ça ne fonctionne plus. L’album reprend du poil de la bête avec «Look How Fast It Goes», t’as tout le saint-frusquin, le gros beurre de soutien, le killer solo flash et la belle fin d’apocalypse. On se régale aussi d’«I Can’t Wait For You». Le riff est sain. Ils terminent avec «The Bell Behind The Door» qui est aussi leur cut de fin de set. Il est bien ramoné de la rémona. Ce Bell de fin est massif, riffé à l’oss. Ce sont les guitares qui dictent la loi. Le riff te met sur la voie du seigneur. La leçon de cette histoire ? Composer des hits n’est pas donné à tout le monde. On connaît par cœur le circuit des petites cavalcades françaises qui ne mènent nulle part. Les Shakers n’ont que des énormités, c’est déjà pas mal. Ils gardent les coups de génie pour la scène.

    Signé : Cazengler, dynamiteux

    Dynamite Shakers. Le 106. Rouen (76). 5 juin 2025

    Dynamite Shakers. Don’t Be Boring. Les Disques En Chantier 2024

     

     

    Wizards & True Stars

     - Le rock à Billy

     (Part Four)

     

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             La branche armée du mouvement révolutionnaire de Wild Billy Childish s’appelle CTMF (Copyright TerMination Front), autrement dit short for Chatham Forts. Fondé en 1974, The Medway Military Research Group donne ensuite naissance aux Chatham Forts. Cette organisation ultra-subversive va lâcher pas moins de 9 bombes en 10 ans, et causer dans le monde occidental des ravages sans précédents. Les trois principaux activistes de cette branche armée sont  Wild Billy Childish et ses deux bras droits, Wolf (le roi du beurre pète-sec) et Nurse Julie (alias JuJu Claudius, alias JuJu Hamper).

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             Leur premier méfait date de 2013 et pour mieux brouiller les pistes, il porte un nom bizarre : Die Hinterstoisser Traverse. Une sombre histoire d’alpinisme. Le mec qu’on voit sur la pochette n’est pas Billy Childish, mais Hinterstoisser, le mec mort pendant la descente d’un sommet qui s’appelle l’Eiger, dans les Alpes suisses. Toutes ces précisions proviennent bien sûr de sources bien informées. Fais gaffe si tu retournes la pochette, car on y voit un cadavre d’alpiniste qui pendouille au bout d’une corde. Wild Billy Childish n’a jamais fait dans la dentelle, ce que vient confirmer «Thatcher’s Children». On se croirait chez les Clash, tu entends même la bassline de London Calling. Puis avec «Joe Strummer’s Grave», il rend hommage à Strum en chantant comme Johnny Rotten - Richard Branson don’t shine ! - Tu l’as dit bouffi ! Et la dérilection se poursuit avec une cover gaga d’«Israelites», il rentre avec ses gros sabots dans le monde délicat de Desmond Dekker. Le résultat est ravissant. Il opère un bouclage de balda avec un fantastique shoot de gaga fantôme, «Dunkum Does As Dinkum Do», bien arrosé des coups d’harp de John Riley qui est aussi l’ingé-son de Rochester où se déroule l’enregistrement. En B, Wild Billy Childish revient à l’objet de sa fascination enfantine : les power chords des early Kinks, avec «The Kids Are All Square». Il n’existe rien de plus Childish que ça en Angleterre. Il te chante ça à pleine gueule. Même les instros sont lourds de conséquences sur cet album alpin : le morceau titre est gorgé d’heavy menace. Il tire le meilleur de l’Allemagne avec «Oh Mein Gott - Baader Meinhof», c’est-à-dire Baader, et puis Joseph Beuys. La fête se termine brutalement avec «Racist Attack» - Sittin’ at the bar/ Sippin’ at the jar - Il situe l’histoire en 1978, il fait sonner son eight en hate et fait du big fat cockney avec Johnny Rotten mister rastafari - Strutting with Johnny Rotten by my side.

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             C’est sur la pochette bizarre d’All Our Forts Are With You qu’on trouve les informations relatives à la création du Medway Military Research Group. On voit d’ailleurs nos quatre activistes en herbe sur la photo. Album bim bam boom car «On Moonlit Heath» ! Heavy chords des Who circa Shel Talmy. They got the power ! Claqué brutal d’«I Can’t Explain». Ils reviennent aux Who au bout de la B avec «All Our Forts Are With You (Reprise)», c’est whoish in the face, chœurs/basse/beurre, the Chatham Forts are with you ! Pur genius ! Wild Billy Childish et Dan Melchior sont des inclassables, des mecs qui à force de te bourrer le mou avec de bons albums finissent par t’épuiser la cervelle et le porte-monnaie. Le porte-monnaie, c’est compliqué, mais la cervelle, c’est bien. Car sinon, elle ne sert pas à grand-chose, si on te l’épuise pas, ta cervelle. Oh et puis tu aussi cette cover ex-plo-sive d’«I Just Wanna Make Love To You» en B, il y ramène tout le JuJu, tout le dark, tout l’écho du monde, c’est l’un des plus beaux hommages à Big Dix. Oh et puis cet «I Should Have Been In Art School» claqué aux heavy chords des early brutes, Wolf te tape ça à la cloche de bois, et c’est gratté à la pure disto du Kent, il appelle la guitar/guitar et ça part en dérapage contrôlé, le gaga protozozo du mighty Childish boy reste flambant neuf. Dans «The Musical Rogues», il sort son meilleur accent cokney pour dénoncer the musical rogues & the padys of the pots, the musical rogues & the handys of the hawk. Tu te débrouilles comme tu peux avec le cockney. Ce sacré Billy se valide tout seul avec «I Validate Myself», il y a au cokney de Chatham avec les chœurs magique de Nurse JuJu. Et re-bim bam boom avec le morceau titre - I know/ You/ Bâillebeee - il tartine son baby sur un riff-raff de Dave Davies, c’est gaga jusqu’à l’oss de l’ass, le bassmatic de Nurse JuJu traverse le cut sans mettre son clignotant, à la déglingue sourde, et Billy passe un solo de fin suspensif complètement délinquant. Inutile d’aller chercher ça ailleurs. Ça n’existe pas.     

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             Tu peux voir Nurse Julie sur la pochette d’Acorn Man. Et tu peux l’entendre chanter «Zero Emission» dans le balda. Le wild ride n’a aucun secret pour elle. Retour en force des coups de génie gaga dès «It’s So Hard To Be Happy». Wild Billy Childish harponne plus qu’il ne gratte, schlakkkk, aw yeah. Il fait encore ses frasques de flamboyant rocker avec «He Wore A Pagan Robe». Il reste l’ultime star de l’underground britannique. Son rock est d’une élégance définitive. Nurse Julie y va au sucre gluant dans «What Is This False Life You’re Leadin». Décadente et juvénile à la fois, et derrière, c’est raw ! Coup de génie encore en B avec «Curious Filters», tapé à l’early sixties gaga-punk de Muddy Waters, bien gorgé de fuzz du Kent. Avec «Punk Rock Enough For Me», Billy dresse son bilan, yeah yeah, au working out for me, et il cite en vrac Dostoïevski, Robert Johnson et Jimmy Reed. Puis il revient à son obsession pour Dave Davies avec «Acorn man (Slight Return)» : riff-raff de Really Got Me et solo trash. Franchement, que demande le peuple ?                 

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             Ah tu crois vraiment qu’ils vont se calmer ? Ha ha ha ha, fait SQ1, c’est-à-dire Square One. Crack-boom ! Retour direct à Dave Davies avec «By The Way Of Love & Hate», encore du Really Got Me revu et corrigé. Et Wolf est toujours exact au rendez-vous. Au bout de la B des cochons, tu vas tomber sur un magnifique clin d’œil à Bo avec «Cadillac». Tu as même les coups d’harp d’époque. Il reprend aussi un vieux groove sixties dans «A Fallen Tree» et l’arrose d’une fuzz tirée d’«I Can Only Give You Everything». Mais la bombe est à l’entrée du balda : «A Song For Kylie Minogue», et là il fait son Spencer Davis Group d’I just don’t know. Il croque la vie à pleines dents et ramène là-dedans le tiff d’orgue de «Gloria». Exactement le même climax. JuJu reste sur les accords de «Gloria» pour «Turn & Run». Tout reste ancré dans la magie des sixties et derrière elle, le Billy gratte sec. Sacrée déclaration d’intention avec «CTMF», not the first of many/ Maybe the last, et il gueule I’ll stand the time ! Cet album est littéralement hanté par les accords de «Gloria», comme le montre encore «When I Think About You».

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             La bobine du young Childish orne la pochette de Brand New Cage. Même chose : t’y vas les yeux fermés, car comme dans le cochon, tout est bon là dedans. Volent retour aux Who avec «You Destabilise Me». C’est encore «Can’t Explain». Pure explosion de crashin’ in. Nurse JuJu s’enhardit et chante pas mal de cuts sur l’album, notamment «Bullet Proof». Ah elle est vénale ! Elle chante aussi «It’s All Gone Wrong» et cet affreux Jojo de Billy y passe le pire et le plus gluant killer solo trash qui soit ici-bas. Il gratte ses vieux accords de protozozo dans «In The Devils Focus, et profite de l’occasion pour chanter comme un démon cockney. Et en B, il s’en va cavaler ventre à terre avec «Something’s Missing Inside», bien propulsé par Wolf et bien sûr, cet affreux Jojo de Billy ne rate pas l’occasion de passer le plus wild des killer solos trash. Il est à la fois incurable et LE modèle du genre

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             In The Devil’s Focus est un mini-album, mais un mini-album explosif. Il monte son «Billy B. Childish» sur le riff-raff d’«Hey Bo Diddley». Suprême auto-hommage - Billy Billy poor/ Billy Billy poor/ Billy Childish can’t teach ! - Il attaque son «You Gotta Lose» au wouaahhh yeah. Ça n’a l’air de rien comme ça, mais c’est encore un modèle du genre. Il pose son heavy blues rock sur le ravissant bassmatic de JuJu. C’est classique, mais éclatant de génie impénitent. Voilà, le ton du mini-album est donné. Avec le morceau titre, il fait du classic talking jive, bien monté sur le bassmatic pouet pouet de JuJu, et derrière, Wolf fouette la peau des fesses. Quelle leçon d’humilité ! «Empty» colle bien au papier. Billy chante au bord du précipice et gratte comme toujours des poux féroces. Surprise en taille en B avec «I’ve Done Something Rotten». Il y a du psyché dans le son et Wolf y bat la chamade aigrelette. JuJu attaque «Medway Trogglamania» au heavy pouet pouet, et l’heavy Billy y va au ding dong de King Kong, pur genius d’in terms of education. Puis retour au full blow out avec «Rusty Hook». Chaque album du CTMF est une aventure terrifiante. Tu ressors de celui-là en claquant des dents et en recommandant ton âme à Dieu.

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             La cerise sur le gâtö du CTMF est Last Punk Standing And Other Hits, à la fois par le contenant et le contenu. Tu les vois tous les trois, sur la colline et tu sais que l’album va te sonner les cloches. C’est d’ailleurs ce que tu préfères dans la vie : te faire sonner les cloches. JuJu attaque de front avec «It Hurts Me Still», elle est prodigieusement juste et délicieuse, elle est gaga-dirt jusqu’au bout des ongles, elle chante comme la Femme Fatale de l’Underground Britannique. Rien qu’avec ce cut, t’es content d’avoir chopé le Last Man Standing. Mais attends, c’est pas fini. Retour à Dave Davies et aux early Kinks avec «The Darkness Was On Me», les accords craquent comme du bois sec. Mêmes dynamiques ! Et sur «I Can Recall It All», Nurse JuJu claque le bassmatic de «Jumpin’ Jack Flash» ! Pire encore : Sur «Some Unknown Reason», ils jouent l’intro de Wanna Be Your Dog. Exactement la même progression d’accords. Gloups ! Une stoogerie ! Alors si c’est pas un clin d’œil, qu’est-ce que c’est ? Ce démon de Billy chante comme les Buzzcocks de Spiral Scratch sur «You Can’t Capture Time», au cockney des bas-fonds ! Ils finissent «Like An Inexplicable Wheel» en mode mad psyché, et maintenant, place aux coups de génie, à commencer par «Gary’s Song». C’est JuJu qui emmène cette oriflamme des silver sixties en enfer, à une fabuleuse allure. Ah il faut avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie, si on ne veut pas mourir idiot. Puis Billy te swappe sur le tard ce wild shoot de childish breakout qu’est «The Happy Place». Te voilà encore sidéré. Il ne te lâche jamais la barbichette. Mais le pire est à venir : «Last Punk Standing», gratté au vieux protozozo de Zanzibar - I’ll give you an understanding ! - Il te roule dans la farine de l’heavy riff des Them. Te voilà une fois de plus au cœur du proto-punk anglais. 

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             La pochette de Where The Wild Purple Iris Grow s’orne d’un magnifique portait de notre héros. Nœud pap, chapeau et gros cigare, le voilà qui joue les dandys. Il en a largement les moyens. Alors attention, c’est encore du condensé de crack-boom-uhue. Ne serait-ce que pour la cover du «Ballad Of Hollis Brown» de Bob Dylan. Il la prend à la wild attack dylanesque, au rumble des enfers avec des coups d’harp véracitaires, c’est stupéfiant d’énergie et de brasillement. Sinon, cet album n’est rien d’autre qu’un gros tas de coups de génie. Désolé d’avoir à le dire, mais c’est vrai. Sans doute est-ce là le meilleur album de rock paru en 2021. La preuve arrive sur le plateau d’argent du morceau titre en ouverture de balda, un shoot faramineux d’heavy psychedelia, Billy cultive l’art gaga jusqu’au délire, il en fait un bouquet d’excelsior et c’est ravagé par du booming de bassmatic demented. Tu tombes à la suite sur un «Mystery Song» qui sonne comme un obscur hit sixties frappé à l’uppercut du far out. Billy chante ça comme s’il chantait le dernier rock du monde. Son rock reste d’une vérité criante, d’une rare authenticité, et il screame son ass off. Tu tombes encore de ta chaise avec ce «She Was Wearing Tangerine» monté sur la fantastique structure percussive d’un bassmatic on tiptoe - I walked out the hopsital - Il boucle ce fumant balda avec «Come Into My Life», un horrible monter bash vitriolé par un jus de disto. Apocalyptique ! C’est vraiment tout ce qu’on peut en dire. En B, il tape une version enflammée du «Train Kept A Rollin’» et il travaille son «You Say That You Love Me» à l’ancienne mode des Downliners Sect. Sans pitié pour les canards boiteux ! Coin coin. Tu t’imagines que le vieux Billy tourne en rond ? Pas du tout. Il réinvente en permanence le garage britannique. Il finit avec «The Same Tree», une pure giclée de British Beat des origines.

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             On retrouve sa fameuse red leatherette Klira guitar sur la pochette de Failure Not Success. Il déborde un peu sur son autre side projet, The William Loveday Intention, car il rend deux hommages à Bob Dylan : «Hanging By A Tenuous Thread» et «Bob Dylan’s Got A Lot To Answer For». Il trempe dans «Like A Rolling Stone», yeah hanging by a tenuous thread, et il embarque le deuxième à la fuzz. Il rend deux autres hommages de taille. Le premier à Richard Hell avec une wild cover de «Live Comes In Spurts», et le deuxième à Jimi Hendrix avec «Fire», un «Fire» qu’il jouait sur scène au Nouveau Casino, voici 20 ans. Il tape en plein dans l’Hendrixité des choses, il prend le Fire au petit chat perché Childishy et derrière tu as les chœurs demented de Nurse JuJu, wouuuhh let me stand/ By your fire, et bien sûr, Wolf bat le beurre du diable. Te voilà encore une  fois plongé dans la mythologie des temps modernes. Il ramène encore tout le power des Chatham Forts dans «Come Into My Life» et y passe un solo atrocement traîne-savate. Cet affreux Jojo de Billy est capable de tout. Comme d’ailleurs l’affreuse Jojote de JuJu.

    Signé : Cazengler, Billy Chaudepisse

    Wild Billy Childish & CTMF. Die Hinterstoisser Traverse. Squoodge Records 2013 

    Wild Billy Childish & CTMF. All Our Forts Are With You. Damaged Goods 2013     

    Wild Billy Childish & CTMF. Acorn Man. Damaged Goods 2014                   

    Wild Billy Childish & CTMF. SQ1. Damaged Goods 2016

    Wild Billy Childish & CTMF. Brand New Cage. Damaged Goods 2017

    Wild Billy Childish & CTMF. In The Devil’s Focus. Damaged Goods 2017

    Wild Billy Childish & CTMF. Last Punk Standing And Other Hits. Damaged Goods 2019

    Wild Billy Childish & CTMF. Where The Wild Purple Iris Grow. Damaged Goods 2021

    Wild Billy Childish & CTMF. Failure Not Success. Damaged Goods 2023

     

     

    Inside the goldmine

    - Werner n’est pas verni

             Varnier s’était taillé une petite réputation dans l’underground franchouillard. Ce sont des réputations qui se mesurent à l’échelle d’une vie. C’était un gentil mec, un peu bavard, mais bon, il y a plus grave. Certains lui reprochaient aussi une certaine inertie. Il avait fanziné à la bonne époque et vendait quelques disques dans sa boutique à la ramasse. On ne se posait même pas la question de son honnêteté, ça se voyait comme le nez au milieu de la figure. Dans ce milieu, rares sont ceux qui inspirent une confiance automatique. Et comme il cultivait soigneusement son érudition, on tendait l’oreille lorsqu’au détour d’un interminable monologue, il recommandait un album. Comme on ne partageait pas systématiquement les mêmes goûts, on lui achetait parfois un album pour lui faire plaisir, ce qui est bien sûr la dernière chose à faire. Disons qu’il en pinçait pour le ventre mou du rock américain, une maladie bien française. C’est le travers des disquaires généralistes. En allant chez les disquaires spécialisés, on évitait ce genre de problème. Born Bad ne vendait que des bons disques. Rock On aussi. Alors que Varnier ne posait pas de problème majeur, sa compagne en posait un. On avait rarement vu une créature aussi haineuse, aussi malveillante. Une sorte de Némésis insidieuse. Elle rentrait dans les conversations sans se présenter, et à la première occasion, elle crachait son venin avec une rare violence. Alors on se tournait vers Varnier qui ne disait rien. Il semblait même tolérer cette brutalité verbale. Elle pouvait en outre basculer dans la vulgarité, tout ça dans le cadre d’une espèce de conversation mondaine. Elle retournait le moindre argument en accusation et vitupérait comme une atroce mégère, elle devenait hideuse, et ses longs cheveux bruns se transformaient soudain en serpents qui sifflaient. Alors on prenait la fuite, épouvanté par cette effroyable créature. Le traumatisme ne s’arrêtait pas là. Elle se manifestait la nuit dans des cauchemars. 

     

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             Pendant que Varnier perdait des clients à cause de cette abjecte pouffiasse, Werner cherchait à en gagner grâce à ses tentatives d’osmose avec Ziggy. Apparemment, Brent Rademaker, l’âme des Beachwood Sparks, est le seul qui ait flashé sur David Werner. Tentons d’y voir plus clair.

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             Nous voilà en plein glam avec Whizz Kid, un RCA Victor de 1974. David Werner se prend pour Ziggy. Il y va au seem to feel hazy dans le morceau titre. Apparemment, RCA a misé gros sur lui. La rondelle du label est un gros RCA orange, comme celui de Ziggy et du Transformer. Mais franchement, qui a besoin d’un nouveau Ziggy ? Il force encore le trait sur «The Ballad Of Trixie Silver», aw c’mon ! Il a chopé tous les réflexes et Mark Doyle fait le Ronno. En B, Werner passe au Mott avec «Love Is Tragic». Il se retrouve à la croisée de Mott et de The Hoople, ces deux albums si emblématiques. Il finit par retomber en plein Ziggy avec «The Death Of Me Yet», il a même la grosse cocote glam. C’est admirablement articulé, joué au ralenti glam. Très beau numéro de Mark Doyle - And oh so sweeter/ When I never know/ Never know your regerts - Il flirte avec le génie glam.     

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             Malgré sa belle pochette, Imagination Quota est un album raté. Dommage, car David Werner est un beau mec, comme le montre l’image, au dos de la pochette. Joli chapeau, présence indéniable. Il tente encore le coup avec de faux accents de Ziggy.

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    On sent un parti pris flamboyant. «Cold Shivers» cherche à décoller, mais ça ne décolle pas, en dépit de ces indéniables accents glammy. Il travaille bien son accent, mais il n’a pas les compos. Même problème que Billy Tibbals. Il a du monde derrière lui, des chœurs, du sax, tout le bataclan RCA, mais il lui manque l’essentiel : les compos. Son «When Starlight’s Gone» est assez digne de «Rock’n’Roll Suicide», avec le guitarring dramatique de Mark Doyle. David Werner se rapproche encore de Mott avec «Aggravation Non Stop», mais ça s’arrête là.  

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             Finalement, c’est son troisième album sans titre qui rafle la mise, en dépit de cette pochette très années 80. Cet Epic de 1979 est un très bel album de glam, avec Thom Mooney au beurre, eh oui, le batteur de Nazz ! Dès «What’s Right», t’as les accords de T Rex. Et ça continue avec «What Do You Need To Love», merveilleusement gratté par Mark Doyle. En bout de balda, Thom Mooney te bat «Eye To Eye» bien sec et net. Il drive sa loco comme Jean Gabin drive la sienne, c’est bien vu, ça tape en plein dans l’œil du cyclope ! En B, ils attaquent avec le big sound d’«Hold On Tight» et la fête glam se poursuit avec «Every New Romance». C’est très anglais dans l’approche, légèrement ralenti du bulbe. On peut même parler d’un coup de génie. On retrouve Ian Hunter sur «High Class Blues» et ça devient un heavy stomp Wernerien. C’est chanté à deux voix avec des clap-hands à la Glitter et des coups d’harp. C’est tellement bien senti, bien fourbi, bien garni ! David Werner compte parmi les beaux albums de glam, même s’il est arrivé après la bataille. En 1979, le glam était mort et enterré.

    Signé : Cazengler, Wer vide

    David Werner. Whizz Kid. RCA Victor 1974    

    David Werner. Imagination Quota. RCA Victor 1975  

    David Werner. David Werner. Epic 1979

     

    *

             Je cherchai un groupe, j’en ai trouvé un. Immédiatement. Un signe. Tout droit issu de l’antique Provincia romaine. Sans le savoir j’avais déjà choisi de les chroniquer. Juste une injonction instinctive de  la couve. N’était-ce pas le visage éblouissant d’Alexandre le Grand, l’idée s’est imposée à moi, au prime regard. Il faut toujours se méfier de soi-même. Devrait plutôt s’agir d’Apollon. Quand j’ai vu les titres des morceaux, ce n’était plus du désir, c’était un de ces ordres péremptoires que les Dieux de l’ancienne Grèce adressent à leurs sectateurs. Que voulez-vous tout le monde ne peut pas adorer Cthulhu. Quoique…

    DAHUZ

    (Bandcamp / Septembre 2019)

             Un trio. D’Aix en Provence. Peu de renseignements si ce n’est cette courte phrase de présentation : ‘’en l’honneur des déités oubliées et des boucs’’. A tout hasard rappelons que le Bouc est une incarnation symbolique du Diable. Comme quoi nos provençaux s’intéressent aussi  à la face la plus sombre du Soleil Noir.

             Je ne connais point de déité qui se serait nommée Dahuz. Peut-être ont-ils rajouté un Z à la fin de l’animal mythique bien connu des méridionaux. Ces sudistes célèbres pour leurs galéjades.  Un Z c’est un peu comme le tréma de Blue Öyster Cult. Cela ajoute une note metal. Le Dahu est cette bête  qui hante les flancs montagneux. Hélas comme il a deux pattes du même côté plus courtes que celles de l’autre, il ne peut marcher qu’en suivant les circonvolutions collineuses. Il suffit de les effrayer pour qu’ils perdent leur équilibre… Dahuz veulent-ils signifier par ce Z terminal une certaine défiance par rapport à certaines croyances. Que voulez-vous tous les dieux ne s’appellent pas Ormuz.

             L’artwork est de Jo Riou qui se définit en tant que graphic designer. Un adepte des représentations sinuosidales. Son œuvre toute entière, peut être aperçue et perçue comme un immense labyrinthe mental liquide. A condition de considérer que le métal chauffé à haute température délaisse sa forme solide pour se muer en coulées de feu neptuniennes. Comme par hasard il a commis de nombreuses pochettes et affiches destinées au milieu instrumental metal. Méta-mental-metal pourrait être sa devise.

             La couve du premier opus de Dahuz répond parfaitement à cette devise. Elle entrecroise les rhizomes de plusieurs mythes, celui du roi Arthur, celui de la montagne magique – magistralement repris sous sa forme philosophale par le roman éponyme de Thomas Mann – celui des  profondeurs infernales, celui d’Héphaïstos et de Siegfried, jusqu’à la méditative fonction royale telle qu’elle est exprimée par exemple  dans Le Seigneur des anneaux… Certains diront qu’elle est un accroche-rêves, perso je la définirais au contraire comme un propulseur irradiant de l’énergie noire des rêveries… qui  ne sont que des images dévastatrices en action. Toute méditation n’est qu’une condensation extrême de la volonté. L’arc que l’on bande avant de lâcher la flèche. La nuit n’est-elle pas la plus noire à l’instant où elle réfléchit la lumière. Qu’elle engendre.

             Le logo de Dahuz est de Charlotte Ward. Que signifie-t-il ? Qu’une simple merde, un malencontreux tortillon d’étron, peut se métamorphoser en reptile monstrueux. Et réversiblement. Serait-ce un symbole alchimique liée à la pierre de feu philosophale qui se doit d’être manipulée avec précaution. Gare au Dahu, cette bête handicapée qui claudique comme Satan. Ou Lord Byron.

    Alexandre Culoma : bass / Emmanuel Cadman : guitar, vocals  / Guillaume Spinetta : drums

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    Minos : quatre gros riffs et puis s’en vont. Sur le premier tellement lourd, vous avez l’impression d’être un ver de terre enfoui sous des kilomètres de terre en train de forer la galerie qui s’écroule et s’éboule derrière vous au fur et à mesure de son avancée. Un peu comme si l’on vous avait jeté dans une profonde fosse et que l’on ait rejeté sur votre corps des myriades de pelletées d’humus humide. A moins que vous ne vous trompiez de personne et que vous soyez Pasiphaé enfermée dans son taureau de bois, votre vulve ouverte face à l’orifice par où le taureau introduira son vit turgescent par lequel il vous ensemencera. Mais peut-être, êtes-vous seulement, l’enfant taurin conçu dans votre matrice de mère, fœtus déjà vagissant, et peut-être expulsé des entrailles  des entailles, ou alors êtes-vous enfermé à jamais sous les voûtes sombres du labyrinthe dans lequel vous a enfermé Minos. N’es-tu pas la bête idéale en attente de ton sacrifice. Puisque l’atmosphère change, ô si peu, n’est-ce pas le moment d’évoquer Minos, celui dont l’épouse était la fille du Soleil, et qui refusa de sacrifier le taureau blanc, ralentissement, le temps de clore une mélopée mortuaire et un deuxième riff survient aussi lourd que le précédent mais plus rapide avant de se désagréger en petits fragments comme la pile d’assiettes de Tante Uursule que vous avez exprès laissé tomber sur le plancher ciré, silence, comme des ricochets sur le requiem de la basse, pluie de cymbales, le rythme s’alentit, le riff tressaute, c’est le cœur du Minotaure qui tape, le fil d’Ariane que Thésée lui passe autour du cou l’empêche de respirer, n’écoutant que son courage la bête colérique se rue dans la mort avec la même force que son sperme qui avait jailli dans le vagin de sa mère vagissante de plaisir. Behemoth : instrumental : sombreurs épaisses, la batterie imite la queue du monstre qui se bat les flancs, avec une telle force que résonne la cuirasse de sa peau  plus solide et épaisse qu’un bouclier de bronze.  Vous ne rêvez pas, ces espèces de beuglements assourdissants et ses rires vicieux de la guitare sont bien ceux du monstre. Le Dieu de la Bible lui-même l’a pétri de ses mains, non pas de glaise humaine trop fragile mais de roche granitée coagulée, il ne lui a point insufflé le souffle chétif des petits hommes, mais la force vitale animale, et si le rythme est devenu aussi doux qu’un murmure de printemps, c’est que le frère de Léviathan roule dans sa tête le songe infini de sa violence qui jamais ne s’achève, l’on croirait entendre un poème de Leconte de Lisle, ses pensées pesantes viennent de loin comme ces éléphants impavides qui passent et s’éloignent dans les lointains obscurs du monde.  La tension monte, le groupe joue doucement comme s’il avait peur de tirer la bête énorme de sa léthargie, il est sûr qu’elle les écraserait, sans même peut-être s’en apercevoir, terribles glissandi, les voici sur la  pente fatale des pires cauchemars, qu’ils soient enfantés par la divinité ou nous-mêmes, tous  les rêves sont mortels, maintenant le bonhomme Behemoth charge de toutes ses forces, de tout son poids, il abat et écrase tout ce qui ce qui a malheur de gésir sur son passage, il pourrait être plus méchant, plus cruel, plus stupide, mais sans doute nous tient-il pour portions concises ces négligeables intrusions, il baisse la tête et se met à brouter l’herbe fraîche. Tel un pacifique hippopotame dont l’âme composerait un épithalame. Qu’il récitera le soir où il ira engrosser la sainte vierge. Sekhmet :

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     encore une fille du Soleil, égyptien cette fois, son père lui a donné ses rayons, elle porte crinière de lion, le riff vous prend des contours orientaux, il imite la spirale agressive des serpents, les prêtres entonnent un chant monocorde pour apaiser ces fureurs, le morceau remue, la basse voltige comme une fronde, montée rectiligne vers l’âtre, vers l’astre  de feu, son père lui a fait don de sa puissance, de son ardence destructrice, les guitares sonnent la charge, la batterie tournoie comme un moyeu de feu, elle est la forme et la force malfaisante du Soleil, vous ne trouverez que protection auprès de lui que si comme elle, vous vous allongez à ses pieds comme chien de défense et d’attaque fidèle.

    Dahuz chante la puissance protectrice du Soleil. N’oubliez pas que celui qui détient le pouvoir peut tout aussi bien vous détruire. Tout symbole est réversible. Ambivalence totale.

    CINERES MUNDI

    DAHUZ

    ( 06 - 06 - 2025) 

             Donc d’abord la couve. L’Artwork est signé par : Seek Six Silks. Drôle de signature. A priori ce Cherche Six Soies me semble souscrire à une esthétique japonaise. Je me risque Stick Six Silks, bâton à six soies cadrerait encore mieux avec le geste inspiré d’un maître calligraphe. Je subodore une âme poétique. Je me rends sur son Instagram. Vous y trouvez de tout. Des choses mignonnitoles et gentilles, des petits chats, la couleur rose et des dessins rigolos. Pratique un art auquel je me suis adonné dans ma jeunesse : la sérigraphie, il utilise différents supports. L’est comme le soleil, l’a deux faces, une claire, souriante. L’autre obscure, préoccupante. L’aime les lettrages pointus comme des herses ou des grills, se préoccupe de poésie, qu’il qualifie de bon marché, mais sa mise en page de Rimbaud exige le déplacement.

    Alexandre Culoma : bass / Emmanuel Cadman : guitar, vocals  / Guillaume Chomienne : guitar, backing vocals  / Guillaume Spinetta : drums

             Cinq ans se sont écoulés depuis le premier EP. Reprennent leur thématique ensoleillée. Au travers des mythes grecs, avertissent-ils. Comme s’il en était besoin !

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    Sol invictus : n’ont pas varié. Le morceau est bicéphale. Peut-être même tri-phallique. Faut toujours que l’homme ramène   son grain de sel qu’il veut plus gros et plus long que tous les autres. Une guitare supplémentaire certes, mais aussi une esthétique moins basique et riffique. De véritables compositions. Magnifiquement orchestrées mais sans renier le primitivisme initial. La formule Sol Invictus est lié au culte de Mithra, le Dieu des légions romaines. Sang de Taureau pour ensemencer le monde, et Soleil victorieux qui depuis le solstice de juin dépérit un peu plus chaque jour mais reprend de la force  au solstice de décembre. Un culte qui remonte au néolithique. Le son s’est étoffé, idéal pour marquer la puissance plénipotentiaire de l’astre souverain. Montée progressive, jusqu’au moment où le chant, humain trop humain, se déploie, un hymne à la magnificence, toutefois vanter l’invincible immortalité du Soleil, c’est aussi pour l’homme reconnaître sa propre mortalité, la grandeur de l’un est l’aune par laquelle nous mesurons notre petitesse, sur leur FB, ils ont annoncé la parution de l’album en présentant un extrait de ce titre accompagné d’images mettant en scène l’explosion d’une bombe atomique, la créature humaine n’a pas tardé à imiter son maître, l’on comprend aisément la gravité qu’acquiert l’orchestration, qui n’en continue pas moins sa route, la caravane humaine agrémente le récit de ses actions par les sortilèges de ses mots communicatifs. Plus un mensonge est vêtu de beaux habits, plus on y croit. Phaeton : instrumental : une épopée musicale. L’histoire de Phaéton se prête bien à un poème musical. C’est le drame de l’impétuosité de la jeunesse et de la tentation de la démesure. Comme un bourdonnement d’avion, de par le vrombissement des guitares la ressemblance ne s’arrête jamais, Phaéton désire conduire le char de son père Hélios, le dieu Soleil, qui refuse jusqu’au moment, où lassé par les objurgations de l’adolescent, il cède. Le char tangue un peu mais Phaéton retient les chevaux, la montée vers le zénith se passe tant bien que mal mais parvenu à l’apogée de sa course il tire en vain de toutes ses forces sur le rênes, la descente est vertigineuse, les coursiers prennent le mors aux dents, sentent-ils l’écurie, toujours est-il qu’ils accélèrent, ils s’en donnent à cœur joie, l’ivresse de la vitesse les grise,  Phaéton ne maîtrise plus rien, tantôt le char s’éloigne de la terre et le froid glace et stérilise la terre, tantôt il est trop près du sol, les rivières s’évaporent, les moissons brûlent - voici une succession de changements climatiques bien plus rapides que l’actuel ! -  les hommes  accablés par ces calamités en appellent aux Dieux. Du haut de l’Olympe Zeus dirige un trait de foudre sur l’apprenti ambitieux.  Phaéton bascule dans le vide et tombe dans les flots de l’Eridan. L’on n’ose même pas imaginer le final grandiose qu’aurait composé Wagner pour un tel final crépusculaire.   Dahuz se contente d’arrêter la musique sans effet tonitruant. Sans doute suivent-ils la leçon du tableau de Brueghel l’Ancien (1525 – 1569) intitulé La chute d’Icare. Dans lequel l’on aperçoit d’honnêtes travailleurs vaquer à leurs vaches et à leurs moutons. Point d’Icare. Si tout en bas, sur votre droite, la jambe qui sort de l’eau c’est Icare qui termine son plongeon… La leçon est claire : il y a ceux qui travaillent et ceux qui perdent leur temps à poursuivre des rêves insensés. Une leçon pré-marxiste. Nous préférons la dédicace de Villiers de L’isle Adam aux  lecteurs de ses Contes Cruels : Aux rêveurs ! Aux railleurs ! Hyperion : la mythologie grecque est assez complexe, pourquoi au morceau précédent le Soleil se nomme-il Hélios, au suivant Apollon et dans celui-ci Hyperion. Lenteur et tristesse. Keats conte l’histoire du groupe des titanides qui présidaient aux destinées du monde avant d’être détrônés par la génération des Olympiens  regroupés autour de Zeus, Saturne a été obligé d’abdiquer, Okeanos cède la place à Poseidon, Hyperion possède encore sa place et sa puissance, mais il doit reconnaître qu’Apollon est à même de le remplacer… Keats laissera ce poème inachevé… En Allemagne le premier roman d’Hölderlin porte un titre similaire. C’est aussi un échec, celui de la libération de la Grèce de du joug turc… Il ne s’agit pas d’un roman politique mais d’un roman poétique. Les insurgés ne perdent pas parce que militairement ils sont vaincus, ils sont vaincus parce qu’ils n’ont pas su garder le rayonnement de la pensée Hyperionique de l’antique Grèce… Parfois le Soleil est comme les hommes il subit de longues éclipses. Un background somptueux, sans brusquerie, une flamme, une bougie qui brûle et s’éteint doucement. C’est ainsi que le monde crépusculaire se métamorphose en tapis de cendres. Comme si Pompéi et Herculanum n’étaient qu’une image de l’extinction de toute une civilisation. Funestes cymbales qui résonnent dans les temples désertés.

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    Apollon : un morceau difficile comment rendre compte de la beauté solaire et lumineuse du dieu de la musique. Dahuz ne s’en pas tire mal, le morceau n’est qu’un écho de quelque chose qui a lieu et qui n’a pas encore disparu, qui subsiste… au début l’on entend la voix de La Bruja, elle psalmodie comme la prêtresse subjuguée et habitée par le Dieu qui à Delphes énonçait les sentences du Destin, toujours obscur, car la lumière mentale éblouit et aveugle, n’est-ce pas une réminiscence de l’Apollon loup, Apollon Lykeios descendu des mondes hyperboréens, porteur de la sagesse instinctive, animale, sauvage et destructrice… cliquettements, du Dieu qui s’éloigne, à pas de loup, emportant avec lui la beauté fracassante des choses divines qui ne sont pas accessibles aux hommes, un effleurement de basse tout bas, pour nous habituer à son absence capable d’illuminer notre monde et d’enflammer nos esprits. Un péan immortel qui nous enveloppe dans le souvenir de ce qui n’est plus mais qui subsiste, par-dessus tout. Le plus beau morceau de l’opus. Triomphal. En dépit des dernières notes fêlées. Preuve que l’absence du dieu corrompt encore le monde. Icarus : un deuxième Phaéton qui connaîtra un même destin. Ne cherchez pas Icare ni dans sa chute ni au plus près du soleil, Icare vous ressemble à tel point que vous êtes Icare, que nous sommes tous Icare. C’est Jean Yvon qui nous le dit en citant et récitant Baudelaire, les premiers mots du poème Les plaintes d’Icare des Fleurs du mal, il a voulu coucher avec les astres, c’est un désastre, un background qui tournoie lentement, une hélice d’avion qui pique vers la terre, en contrechant Emmanuel tente le chant alterné, Tu Tityre patulae recubans… joute entre le poëte et le musicien, entre la musique et la poésie, tous deux, toutes deux tombent, de haut, l’un n’est-il pas monté alors que l’autre descendait, peut-être l’abîme s’est-il éployé au moment exact de la jonction croisementale, nous ne saurons jamais ce que chacun a entrevu, peut-être une aile qui faisait signe de monter, peut-être une aile qui faisait signe de descendre. Qu’importe où s’arrête l’ascenseur, en haut ou en bas, vous n’aurez connu que la prostitution d’avoir aspiré à un rêve ensoleillé trop grand pour vous. Finale. Beaucoup de bruit. Pour rien. Rappelons-nous Nerval : Quiconque a regardé le soleil fixement…

             Nous n’avons fait qu’effleurer cette œuvre qui mérite une grande attention.

    Damie Chad.

     

    *

             Pour cette fois-ci, faute de temps personnel, une petite escapade dans les images Gene Vincent 1960 – 1965, dès la semaine prochaine nous revenons aux fifties.

    GENE VINCENT WITH THE BEAT BOYS

    RAI – TV ITALY : ROME / 28 Mai 1960 

             Les débuts sont surprenants, serait-on dans une émission télé pour les enfants ou un programme similaire à notre vieille Piste aux Etoiles, ce défilé de sulkies attelés à de ravissants poneys blancs et noirs (pour la simple raison que la télé-couleur n’existait pas encore en Europe), mais non les trois derniers appariteurs, trompettes et applaudissements, un véritable générique de film, clament en chœur les deux mots magiques : CENE VINCENT !

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             Gene apparaît en gros plan, vêtu de cuir noir, banane frontale embroussaillée  et regard halluciné que près de vingt ans plus tard nos british punks anglais n’ont jamais su teinter d’une même  lueur de folie. Vous coule un regard vicieusement ironique, la même consistance inquiétante qu’un cran d’arrêt qui se faufile dans votre dos, tout cela sur l’intro de Blue Jean Bop : la prestation de Gene est éblouissante, il se dandine comme une marionnette suspendue à un fil, se courbe vers le micro la bouche tordue en une souriante grimace d’ogre qui s’apprête à vous dévorer, penché, courbé en deux, jeu de jambe,  jeu de vilain, micro incliné vers la guitare de Joe Moretti. En moins de trois minutes la quintessence vincenale. Sexy Ways : une reprise d’Hank Ballard, Gene la réinterprètera sur l’album I’m Back and I’m proud ( 1970), un jeu de scène assez similaire au précédent, profitons-en pour admirer les Beat Boys, pas l’ensemble de tous les musicos de l’orchestre qui accompagnait Billy Fury, ne sont présents que Vince Cooze à la basse, souvent oblitéré par Gene en frontman, Red Reece à la batterie, l’a toujours un œil sur Vince ce qui ne l’empêche pas, l’air de ne pas y toucher, de produire un bruit sourd qui est pour beaucoup dans l’ambiance froide et épurée de l’enregistrement – sont tous les deux présents sur Pistol Packin’ Mama -  et bien sûr, l’air de s’amuser comme un gamin, Joe Moretti, ne cherchez pas les soli sur Restless et Shakin All Over  de Johnny Kid, rajoutez le Brand New Cadillac, de Vince Taylor, le It’s not usual de Tom Jones et plus surprenant le Mellow Yellow de DonovanJoe Moretti aura laissé un témoignage émouvant sur la personnalité de Gene…

    IT’S TRAD DAD

    FILM-CLIP / 1962

    SPACESHIP TO MARS

             Le clip est tiré  du film It’sTrad Dad réalisé par Richard Lester qui deux années plus tard deviendra célèbre pour avoir tourné Quatre garçons dans le vent avec les Beatles. Longtemps que je ne l’ai vu et j’en garde un souvenir de profonde insipidité. Il est vrai que je n’aime pas le cinéma, et pas trop les Beatles. Je n’ai pas vu It’s Trad Dad, je n’en dirais donc pas de mal, mais le scénario extrêmement périssable me semble révéler un fort manque d’imagination.  

             J’ai évidemment entendu parler de ce chef d’œuvre périssable pour la séquence, alors introuvable et invisible de Gene Vincent habillé en cuir blanc ! Un véritable tremblement de terre idéologique à l’époque. Difficile pour un artiste  de faire mieux pour casser son image.

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             Un playback à l’économie. L’on passe Spaceship to mars le morceau enregistré  le 30 / 11 / 1961 sous la direction de Norrie Paranor, l’on colle Gene Vincent vêtu de probité candide comme dirait Victor Hugo, tout au fond de l’image légèrement penché sur son micro mais trop pour qu’il n’ait pas l’air d’un prédateur prêt à bondir sur une proie innocente, pour les Sounds Incorporated qui l’accompagnaient en studio, pas de panique, l’on dispose en premier plan un manche de guitare (parce la guitare est l’instrument par excellence, je le dis au cas où quelques lecteurs de Kr’tnt ! ne le sauraient pas) et une courbe de saxo ( parce que peut-être était-ce dans la prude et perfide Albion de l’époque la seule manière de suggérer qu’entre les rondeurs d’un saxo et celles d’un être féminin il y aurait quelques similitudes très rock’n’roll). L’excuse est toute trouvée, le morceau est enregistré avec quatre saxophonistes. Que voulez-vous pour imiter une fusée qui décolle  vers Mars fallait un sacré turbo. L’on dit que Elon Musk a décidé de coloniser la planète rouge après avoir entendu Spaceship to Mars de Gene Vincent. Chers Kr’tntreaders soyez vigilants, I make a fake !

    DOCUMENT INA

    25 / 05 / 1963

             Des images sans son de Gene signant des autographes, est-ce en France ou en Belgique. L’on ne sait. Gene enveloppé dans épais manteau, il ne doit pas faire chaud en ce mois de mai, le climat était-il déjà en train de changer… se déplace avec des béquilles. Est-ce Dany Boy qui marche à ses côtés ? Les jeunes brandissent des 33 tours de Gene, s’amassent en une fervente cohue autour de lui, l’on aperçoit son regard magnétique… Derrière lui un adolescent avec un peu le même regard, comme si tout près de Gene il touchait enfin à sa ligne d’horizon. Qu’est-il devenu ? Le temps est anthropophage...

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    GENE VINCENT AND THE SUNLIGHTS

    BRUSSELS - 10  / 1 0 / 1963

              Un véritable petit film, avec intro et extro. Une voix off, qui s’interroge, cela ressemble à un documentaire sur les pygmées  des forêts africaines ramené par un courageux explorateur. Pas d’éléphants en fond d’écran mais des images qui nous donnent à voir une tribu de drôle de zèbres. Le ton n’est pas mélodramatique mais l’on sent que le speaker se retient, on ne sait jamais à quelles incartades peuvent se livrer ces individus aux mœurs étranges. Pensez, ils vont voir un concert de rock’n’roll ! Il est évident que la jeune génération évolue d’une manière bizarre. Non, je rassure  les lecteurs, ils ne sont pas armés de chaînes de vélos, propres sur eux, polis et, vous n’allez pas me croire, pas une once d’agressivité. Peut-être font-ils semblant, ne serait-ce pas une ruse de sioux… Une dernière précaution, le speaker tient seulement à vous présenter un document. Oui c’est une calamité, que peut-on y faire… Au moins vous aurez été prévenus de l’imminente fin de notre superbe civilisation. Ne venez pas vous plaindre, agissez tant qu’il est encore temps.

             Le spectacle est extraordinaire. Trois morceaux. Gene est accompagné par les Sunligths. Un groupe peu commun. Viennent de Roubaix, débauchent un belge, ce n’est pas une blague, et vogue la galère. A l’origine le groupe se nomme I Cogoni, origines italiennes obligent ! Ne sont pas du tout axés sur le rock’n’roll, ils interprètent des chansons populaires italiennes. Ils enregistrent un 33 tours gentillet chez Az, sont envoyés au Golf Drouot pour participer au Tremplin, et par le concours des circonstances se retrouvent embauchés pour accompagner Gene Vincent. L’on aurait pu s’attendre au pire. En fait ils se donnent à fond, mettent le paquet, ce ne sont pas les Blue Caps, mais presque. Sont jeunes, z’ont la niaque. Un zeste de folie plane sur leur prestation. Pour les fans de Gene, c’était un groupe mythique, on ne les avait pas vus mais ils avaient accompagné Gene. Lorsque en 1966 leur nouveau disque passe en radio, nous sommes une floppée à avoir un arrêt cardiaque, on y voit tout rouge et tout noir, c’est une reprise de Berthe Sylva Les roses blanches… perdus corps et âmes pour le rock’n’roll, oui mais ils sont sur scène derrière Gene Vincent : Serge Cogoni à la guitare, Aldo Cogoni à la guitare, Bruno Cogoni (étrange comme dans cette famille ils s’appellent tous Cogoni) à la guitare Jean-Paul Van Houtte à la basse.

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    Gene, petit nœud pap sur chemise blanche, combinaison de cuir noir largement échancrée se lance dans un Rocky Road Blues dévastateur, un vocal punching bull en furie, tressautent tous comme s’ils étaient au dernier stade de la maladie de Parkinson, les Sunligths vous ont un son ras-de-terre, très raw, d’une efficacité malsaine, garage pour voitures asthmatiques, oui, mais ils filent comme les vélomoteurs aux 24 heures du Mans dopés à l’éther. Gene sourit, lève les yeux au ciel et remue la tête comme s’il agitait l’encensoir sur votre cercueil le jour de votre enterrement. Les Lights sont à genoux autour de lui comme s’ils étaient en train d’adorer la Madone (normal chez les Italiens c’est génétique). Gene chante pour lui, le chant jaillit de l’intérieur, il est à mille galaxies très loin, sur sa propre planète. L’on enchaîne sur Be Bop A Lula, les spectateurs s’agitent, les deux guitares tournoient, la batterie s’effondre, Gene frappe le sol avec son micro, l’est Zeus lançant la foudre, d’ailleurs les trois cordistes entremêlés  gisent à ses pieds, z’ont du mal à se relever, un grand ramdam s’étend sur tout l’univers. Gene quitte la scène en boîtant bas, les jeunes exultent, l’on retrouve Gene dans les coulisses, le visage décomposé, l’est à bout épuisé, respirant difficilement, le revoici, il jette ses cannes s’accroche au micro et tout sourire, la tête sans cesse déhanchée il se lance dans un Long Tall Sally époustouflant, debout sur une seule jambe, l’autre repliée comme un flamant rock, la blessure doit le lancer salement  dès qu’il pose le pied à terre. Jeu de jambes, la lumière du soleil tombe à terre, l’uncle John et la petite Sally montée en graine passent un mauvais quart d’heure, le final est extraordinaire, un guitariste se prend pour un gisant de la Cathédrale de Saint-Denis à moins qu’il n’essaie d’imiter  un cadavre sur la chaussée suite à un accident de voiture, ça se discute, Gene traverse la scène à cloche-pied, s’arrête pour saluer,  et se dirige vers les coulisses récupérant au passage ses béquilles. L’on assiste à trente secondes d’interview. Juste le temps d’apprendre que le festival a été réalisé en son honneur, Yes sir, répond Gene.

             Le film se coupe à cet instant. L’en existe une autre version où l’on interroge les spectateurs à la sortie de salle. Les uns comblés, et l’intello de service qui essaie d’analyser et qui relativise, espérons pour ses subordonnés qu’il ne soit pas devenu cadre dans une entreprise. Il y a des gens vous leur montrer la lune du doigt, et ils ne voient que leur trou du cul.

    LIVE IT UP

    FILM-CLIP, LATE 1963

    TEMPTATION BABY

    (Alternate Film Version)

    Song and film produit by

    JOE MEEK

             Je n’ai pas vu le film, mais les intermèdes musicaux sont peuplés de beau monde, Heinz qui était dans les Tornados - à l’époque tout le monde, toutes générations confondues, a eu droit à Telstar, ce morceau sonne avec dix ans d’avance un peu comme Kraftwer. Heinz reste un des meilleurs artisans de la première génération du rock anglais. Présent aussi Ritchie Blackmore  avec son groupe les Outlaws qui sera appelé à un avenir d’un teinté d’une pourpre profonde, un certain Steve Marriott derrière une batterie et encore un célèbre inconnu, Mitch Mitchell destiné à jouer aux côtés d’un certain Hendrix.

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             Temptation Baby a été enregistré le 14 novembre 1963. La première fois que j’ai vu ce clip j’ai pensé que Gene, encore une fois habillé tout en blanc, s’activait autour d’une locomotive. Aujourd’hui je suis incapable de donner un nom à ce véhicule un tantinet monstrueux. Sur l’engin, vous avez une jolie fille, je me demande quel misogyne a eu l’idée saugrenue de lui faire porter ce chapeau qui lui donne l’air si cloche. Serait-ce le réalisateur Lance Comfort qui devait disparaître en 1966. La vengeance du chapeau, j’en suis sûr.

    LIVE AT THE ALHAMBRA

    Paris08 / 03 /1964

    BABY BLUE

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             Vous allez être déçus. L’image est magnifique, encore plus noire que le cuir le plus noir de Gene, les spectateurs ressemblent à des fantômes revêtus d’un suaire d’une blancheur immaculée, le chant de Gene est un sortilège comment peut-il transformer cette bluette aux paroles simplistes en drame shakespearien, les Shouts se donnent à fond, le batteur un peu trop métronomique si vous cherchez un défaut, bref si ce n’est pas plus-que-parfait c’est parfait. La déception vous tombe sur le coin de la figure à la fin du morceau. Justement à cet endroit précis. Le morceau n’est pas fini. L’est coupé brusquement aux deux-tiers. Juste l’extrait qu’ils ont gardé pour les actualités télévisées. Ils avaient réalisé plusieurs autres titres, rien n’est jamais reparu.  Une perte irréparable.

    LIVE AT THE CAVERN

    LIVERPOOL

    31 MARS 1965

    WHAT’D I SAY / WHOLE LOTTA SHAKIN’ GOIN’ ON

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             Il reste encore deux apparitions de Gene Vincent, l’une qui se situe avant celle-ci et l’autre après. Mais j’ai sauté sur celle-ci. Pour une simple et bonne raison, j’y ai assisté en direct. Non je n’étais pas en Angleterre, je n’ai jamais mis les pieds sur cette île. Par contre j’étais devant mon poste de télévision. Emission Âge tendre et tête de bois, spécial rock, un bon commencement avec Eddy Mitchell et Si tu n’étais pas mon frère. Ensuite gna-gna-gna, jusqu’à ce qu’Albert Raisner annonce un direct avec la Caverne de Liverpool, avec Gene Vincent, je ne saute pas de joie, je ne le connais pas vraiment, je ne le sais pas encore mais les dix minutes qui  suivent vont influer sur le reste de ma vie, j’ai treize ans, je regarde, je suis scotché. Indubitablement c’est le plus grand chanteur de rock’n’roll du monde. Le lendemain au matin je n’y pense plus. Au collège une grande gigue s’approche de moi, l’on ne s’est vraiment jamais parlé, bonjour-bonjour, elle s’approche de moi et tout de go :’’ Tu as vu hier soir ?’’ une fraction de seconde je me demande ce que j’ai pu voir qui apparemment concerne cette fille dont je ne connais rien, je vais lui demander de quoi elle veut parler mais illico elle ajuste le détail révélateur : ‘’ Gene Vincent !’’. C’est le déclic en un quart de seconde j’ai l’électricité à tous les étages…

             C’est une vidéo que je regarde souvent. Que dire aujourd’hui, avec le recul elle m’impressionne beaucoup plus que ce fatidique soir du 31 mars 1965.

             Damie Chad.

    A suivre.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 662 : KR'TNT ! 662 : WILD BILLY CHILDISH / CAMERA OBSCURA / CISSY HOUSTON / LIMINANAS /DEON JACKSON / OUTBACK / BLACK ALEPH / AETERNAL CHAMBERS /THE COALMINER'S GRANDSON

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 662

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    24 / 10 / 2024

     

    WILD BILLY CHILDISH / CAMERA OBSCURA

    CISSY HOUSTON / LIMINANAS

    DEON JACKSON / OUTBACK

      BLACK ALEPH / AETERNAL CHAMBERS

    THE COALMINER’S GRANDSON

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 662

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

    Wizards & True Stars

    - Le rock à Billy

    (Part Two)

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             Ah le Rock à Billy ! Les plus fidèles d’entre-nous vivent cette passion pour le Rock à Billy depuis quarante ans. Et ça va continuer tant que Wild Billy Childish tiendra debout sur ses pattes et qu’il pourra gratter sa gratte. Donc ça va, on a encore un peu de temps.

             Depuis qu’il fait du Dylanex avec The William Loveday Intention, les journalistes anglais s’amusent à le surnommer «the freewheelin’ Billy Childish». Et de préciser dans la foulée qu’il freewheele depuis quarante ans, ce qui ne le rajeunit pas. Nous non plus, d’ailleurs. Peter Watts parle aussi d’un gargantuan body of work qui mélange «R&B, blues infused punk, raucous rockabilly, art, poetry and beyond.» Maintenant Billy tape dans Dylan : «‘Knocking On Heaven’s Door’ est la chanson la plus courte que Dylan ait écrite. J’ai rajouté douze couplets.»

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            Il vit à Chatham, dans un ancien chantier naval qui bossait pour la Royal Navy. Fermé en 1984, le chantier est devenu un musée. C’est dans un ancien entrepôt que the freewheelin’ Billy Childish a installé son atelier de peintre. Son atelier est en fait une ancienne corderie. Le jour où Watts se pointe, Billy peint un swamp monumental, dans un style semi-figuratif, aux frontières de l’abstraction décorative. Il porte un béret et une combinaison de travail de couleur brune. Comme il n’a pas de temps à perdre, il peint pendant l’interview. Il fait partie de ceux qu’on appelle les hyperactifs. Non seulement ses toiles se vendent bien, mais il enregistre de plus en plus : 17 albums ces 18 derniers mois, dont ceux du William Loveday Intention, où il tape dans Dylan. Il s’en explique : «Ce n’est ni un hommage ni une parodie, je m’intéresse à l’esprit des chansons, de façon très sérieuse, et ça m’amuse de le faire si sérieusement. Pour moi, tout est comme si je rentrais de l’école et que je me mettais à jouer. Le jeu cette fois consiste à jouer à être Bob Dylan. Si tu joues à un jeu quand tu es un kid, tu le fais le plus sérieusement possible. C’est un truc que Dylan doit savoir. It’s all nonsense, but you take the joke seriously.» Il explique ensuite que l’idée de ce projet lui est venue via la version que fit Jimi Hendrix d’«All Along The Watchtower». Mais il trouve la cover hendrixienne surfaite, alors il a écouté la version originale (sur YouTube, précise Watts).

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             Pour les gens qui le connaissent bien, the freewheelin’ Billy Childish a toujours eu en lui l’élément du blues, «that Bo Diddley, Link Wray, Son House, Delta Blues thing» - He’s one of the only people who can sing that with real soul, dit Dave Tattersall, le guitariste du William Loveday Intention, qui ajoute : «Il est comme Billie Holiday, dans le sens où il joue avec les phrases et les mélodies mais en dégageant de l’émotion.» Selon Tattersall, Childish s’est approché de Dylan comme il s’était approché auparavant de Son House ou du punk rock.

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             L’autre grande qualité de Billy, c’est le refus définitif de tout compromis. Très jeune, il a fait le choix d’une vie d’artiste indépendant financée par the dole, c’est-à-dire l’allocation chômage. Non seulement il montait des groupes et enregistrait, mais il était aussi éditeur indépendant. Ce qu’il est toujours aujourd’hui - I was living day to day - Pas de famille, pas de biens matériels. Liberté totale - I am essentially a hippie. Tout ce que je fais tient plus du hippie que du punk, avec ces idées sur la pureté de l’art. Dylan a toujours réussi à faire ce qu’il voulait. But he’s one in a million - Et il finit par sortir sa grande phrase : «You have to do something with your life.»

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             C’est l’occasion ou jamais de sortir de l’étagère le petit book de V. Vale ramassé chez Smith voilà 20 ans : Real Conversations. Rollins, Biafra, Ferlinghetti, Childish. C’est là que Billy sort ses quatre vérités, à commencer par l’early punk - Well, I was a punk before I was asked to play in a group. I didn’t like seventies music. I just listened to ‘50s and ‘60s rock’n’roll. I learned how to play guitar by listening to Bo Diddley. When punk rock came along I thought, «This is for me.» - Il raconte ensuite qu’il a rencontré Bruce Brand à un gig des Damned en 1977, «at the Sundown, on Charing Cross Road.» Puis il explique que tous ces groupes avaient une ou deux bonnes chansons, ce qui suffisait. Il parle aussi du volume sonore. Pour lui, pas besoin de jouer fort pour taper dans l’œil - My feeling of punk rock is more like the blues of Robert Johnson, Leadbelly and Bo Diddley thought the rock’n’roll of early Stones and early Kinks - Il rappelle qu’il est resté un gros fan des first two Kinks albums, puis il précise que s’il est fan des Kinks, «it means I like about 5% of their output - just a few things.» Et il ajoute : «I also like Alternative TV, their first album, The Image Is Cracked is one of the greatst rock’n’roll records ever.»

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             Et là, ça commence à chauffer : «Plutôt que d’essayer de changer ma musique, j’essaye de la faire sonner comme si c’était notre premier album, chaque fois qu’on enregistre. Le fait que je ne sois pas très bon techniquement m’aide beaucoup. We don’t ‘develop’ too much or get involved in ‘musicianship’». Il dit aussi que plus un studio est sophistiqué, plus on s’éloigne de sa réalité - I’m not a career artist, I’m an amateur - La phrase est en bold, pour qu’on la voie bien - Je ne vais pas dans les studios sophistiqués et je ne me prends pas la tête avec ma carrière - ‘cuz I don’t want one! - Et il enfonce son clou - Pas question de devenir trop sérieux. You don’t want to be a professional in anything you do because professionals destroy anything - Et voilà, les chiens sont lâchés. Il dit que l’early footage des Stones et des Kinks permet de comprendre ça : they weren’t great. Mais quand ils ont commencé à s’améliorer, c’est là qu’ont commencé les problèmes - You got your Eric Claptons coming along, where people start thinking «I could never play that good.» - Il revient sur les groupes punk pour dire que Johnny Moped était l’un de ses préférés - Johnny Moped was totally, absolutely, naturally strange - Il dit aussi que les Clash n’ont rien fait de très intéressant après leur premier album.

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    ( Kurt Schwitters )

             Il rend aussi hommage à Dada et à Kurt Schwitters - He never took himself seriously - that’s punk rock - And he was a bloody businessman who ran his own printing shop, invented his own art, invented everything himself. He was my hero when I was about 16. That probably says a lot - C’est la clé du Billy. Il va peindre, gratter, coller, sculpter, et même ouvrir un compte en banque au nom de Schwitters pour les Milkshakes. Il rappelle qu’on a toujours le choix dans la vie, par exemple le choix de devenir peintre ou guitariste  - There is always a choice. Always. The only time there isn’t is when you don’t believe there is. Imparable.

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             Dans Uncut, Watts évoque aussi les épisodes ridicules des congratulations, tous ces gens qui saluaient Childish, espérant de la gratitude en retour. Mais c’est mal connaître Wild Billy Childish. La meilleure illustration est le falling out avec Jack White. Mais revenons aux choses sérieuses : Billy tient à ce que les choses soient claires, il n’est pas réellement fan de Dylan : «Je sais pourquoi les gens tiennent Dylan en si haute estime, mais les choses que les gens n’aiment pas chez lui  sont celles qui font sa grandeur et inversement. C’est un chanteur brillant, sa diction est parfaite. Il est extrêmement éloquent et ses interviews faites pendant les sixties sont marrantes. On ne peut que l’admirer. Mais je déteste le côté messianique ou cette façon qu’ont les gens de chercher les messages cachés. Rien ne cloche chez toutes ces rock stars, ce sont les fans qui détruisent tout. Bob est assez fin pour savoir qu’il ne sera pas redéfini par des gens qui ne savent même pas qui il est. Il a essayé de se protéger, parce qu’il n’est pas aussi stupide qu’on le croyait, et il est l’un des rares à avoir su le faire. Les gens ne l’admirent pas pour ça, mais ils le devraient.»

             Alors attention, 12 albums en trois ans, uniquement sur ce projet. Sale temps pour ton porte-monnaie. En plus, si tu ne les chopes pas à la sortie, les prix flambent et après t’es baisé. Ça spécule sec sur le dos de Billy. Mais c’est pas tout. En parallèle, il mène d’autres projets, Wild Billy Childish & The Singing Loins, ou encore Wild Billy Childish & CTMF. On y reviendra, car tous ces albums sont passionnants.

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             Il démarre The William Loveday Intention en 2020 avec People Think They Know Me But They Don’t Know Me. Trois raisons d’écouter cette merveille : «Again & Again», le morceau titre à rallonges, et «Desert’s Flame». L’Again est du heavy Dylanex, hallucinant de power. Le vieux Billy pèse de tout son poids dans la balance. Il tape une extraordinaire confession de foi avec le morceau titre, et puis le Desert va plus sur le western. Il peut recréer la magie déclamatoire de Dylan. On le retrouve à la frontière dans «Sonora’s Death Pow». Il se prend pour le Dylan de Pat Garrett & Billy The Kid, il fait son petit western de pacotille. Il attaque «I’m Hurting» à la dramaturgie des Meteors - My daddy was a vampire - Celui de Bob dans la chanson n’est pas un vampire, mais un drunk. C’est Juju qui chante «You’re The One I Idolize». Elle est superbe de petit sucre de Rochester. Et avec «My Father Was A Railroad Man», le vieux Billy pompe goulûment le «Black Girl» de LeadBelly. 

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             Et pouf, sort en même temps Will There Ever Be A Day That You’re Hung Like A Thief. L’un des meilleurs albums de l’an de grâce 2020. Pur genius dès «100 Yards Of Crash Barrier», et même une certaine violence, ça claironne dans le tonnerre dylanesque. Une fabuleuse attaque en règle. Plus Billy vieillit et plus il a du power. C’est l’un des plus beaux tributes à Bob Dylan qui se puisse écouter ici bas. Le gros son est encore de sortie avec «A La Mort Subite». Le vieux Billy y va à l’anthem. Ça sonne comme «Like A Rolling Stone». Il ramène tout l’éclat et toute la pompe du Dylan 65. C’est puissant, documenté, noyé d’orgue et de coups d’harp. Il nous refait même le coup du poème fleuve. Il reste au somment du lard avec «Celebrating Weakness». Cette évidence mirobolante te crève les yeux. Il fait tellement illusion qu’on croit entendre Dylan. Tout est totémique sur cet album, il relance en permanence sa Méricourt. Il repart en mode hard Dylanex avec «If They’ve Got What They Want They’ve Got You». C’est l’expression d’un die-hard fan - No matter what you do/ They got you - Encore plus explosif, voici «I’ll Tell You Who I’m Not So You’ll Know Who I Am». Il se jette tout entier dans la balance du mythe. Et ça continue de cavaler vers l’horizon jusqu’à la fin, avec cet extraordinaire «Chatham Town Welcomes Desperate Men». Billy accueille le génie dylanesque à bras ouverts.

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             L’année suivante, William Loveday pond deux autres Intentions, cot cot ! Une vraie poule aux œufs d’or : Blud Under The Bridge et The Bearded Lady Also Sells The Candy Floss. Alors attention, on rigole, comme ça, mais ce sont tous des albums extraordinairement denses. Sur Blud Under The Bridge, il récupère son vieux pote Jamie Taylor à l’orgue Hammond, et puis on le voit pincer son chant pour élancer ses fins de couplets dans «Exubarant Me». Il est spectaculaire de véracité dylanesque - Cause I celebrate the exuberant me - Franchement, cette qualité d’approche dylanesque te sidère. Avec «God’s Reason Why», il s’attaque à «Like A Rolling Stone». Qui dira l’incroyable qualité de ce mimétisme ? Il entre en osmose totale avec le génie déclamatoire de Bob Dylan. Jamie Taylor embarque «It Happened Before (Will It Happen Again)» à l’Hammond vainqueur. Billy reste au cœur du Dylan 65 et c’est brillant. Il va bien chercher l’apothéose, il pousse son chant jusqu’au sommet du lard. Le festival se poursuit en B avec «A Simple Twist Of Fate», plus romantique, avec des coups d’harp magiques. L’harper s’appelle John Riley, on le retrouve sur tous les albums de l’Intention. C’est aussi lui qui co-produit et qui enregistre. Avec «White Whale Of Fate», Billy entre avec ses gros sabots dans le Dylanex le plus collet monté à coups d’If you sing the blues/ You gotta be true. Cet incroyable exercice de mimétisme s’achève avec le morceau titre. En tant que Wizard & True Star, Wild Billy Childish fabrique des classiques du rock dans le moule dylanesque.

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             The Bearded Lady Also Sells The Candy Floss est encore pire que le précédent. Dès «To Sing The Blues You Gotta Be Blue», il renoue avec l’esprit cathartique du punk-blues d’«Highway 61 Revisited» sur l’album du même nom, il y va au fabuleux ramshakle, il tape en plein dans le mille du burnin’ spirit de «Just Like Tom Thum’s Blues», c’est le pur dylanex genius arrosé à coups d’harp. Tu débarques une fois de plus dans un very big album. Avec «When The Eagle Became A Hen», il s’enfonce dans le cœur du Dylanex à coups d’orgue Hammond, il pousse le rengainisme exactement comme Dylan, il a tous les atours du pourtour, il retrouve le secret des élans dylanesques et lance ses syllabes à l’assaut du ciel. Il cultive cette magie à outrance et ça rayonne. Nouveau coup de génie Dylanesque avec «Hanging By A Teneus Thread», il y retrouve le vieux compromise de Bob, il enfonce son clou dans la paume du teneus thread, c’est pur et saturé d’harp magique et le voilà qui screame ses fins de theneus threeeeead. Il te scie à la base ! Il tape encore un poème fleuve avec le morceau titre, et tu espères secrètement qu’il va se calmer ou se trouver épuisé en B. Pas du tout. Il repart en mode heavy Dylanex dès «What Kind Of Friend Were You», il pousse un wouaaahhh de werewolf dans son refrain, c’est puissant, bien balancé, du pur Childish, et avec «Eh Sister», il emprunte une trame mélodique à son copain Bob. C’est encore du pur jus. Il reste dans le full blown dylanesque avec «A Dull Blade», bien porté par des nappes d’orgue Hammond, elles embarquent le rock à Billy au sommet du lard séculaire, c’est encore plus brillant et plein d’esprit qu’avant, il faut le voir pousser ses syllabes. Il termine cet album effarant avec «A Rusty Stain», plus heavy, plus gaga, noyé de coups d’harp de John Riley, très haut niveau de Childish brawl - Come down to my pillow/ My darling/ And kiss this rusty stain.

             L’année la plus fastueuse est 2022 : la poule devient folle, Cowboys Are SQ, cot cot, The Baptiser, cot cot, Paralyzed By The Mountains, cot cot et Blud In My Eyes For You, cot cot.

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             Le voilà déguisé en cowboy sur la pochette de Cowboys Are SQ. On peut voir à ses pieds se fameuse Cadillac Guitar rouge fabriquée spécialement pour lui en 1999. Et au dos, tu as Nurse Juju déguisée en Indienne. Au risque de paraître redondant, on dira que cet album grouille de coups de génie. Bon exemple avec «Girl From 62». heavy Billy ! Écœurant de génie présentiel. Il chante sa girl à l’accent traînant de Gaga King. Wild Billy Childish est le roi indétrônable du British garage. On en profite pour écouter son morceau titre qui fait l’ouverture du balda : heavy country de fake americana. Il chante comme un dieu, un violon l’emporte et il pose son yeah comme une cerise sur le gâtö. Retour au wild Dylanex avec «It Ain’t Mine», mais il reste à la lisière du gaga sauvage et ténébreux. Il boucle son balda avec «Cave (Blues)», un blues primitif. Il sait tout faire. Il excelle dans tous les domaines. Attention, en B, il tape une cover de «Like A Rolling Stone». Il y va au didn’t you et c’est impérial. Il reprend le souffle de Dylan au vol et lui redonne des ailes. Comment est-ce possible ? La réponse est dans la question. Mais aussi sur l’album. Il suffit juste de l’écouter. Encore un coup de génie avec «Too Many Things That Mean Too Much To Me (Blues)» : heavy boogie blues dylanesque typique ce deux qu’on trouve sur Bringing It All back Home. Superbe mastering de la matière, avec les coups d’harp fantômes et les coups de slide à la Bloomy. Tu crois rêver, alors tu es bien obligé de te pincer.

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             Pour la pochette de The Baptiser, Wild Billy Childish ressort une belle guitare demi-caisse et un beau chapeau. Normalement, avec cet album, tu devrais te rouler par terre. Ce démon de Billy n’arrête pas de battre tous les records du sonic genius cubitus. Il attaque «A Library To You & The Self» au heavy rumble de deep american framed death et aux coups d’harp fantômes, c’est tellement bon qu’on crie au loup, tu as toutes les mamelles du destin : le rebondi, l’harp et l’ace of spades up the sleeve. Avec «A Painted Pantonime», il reprend son bâton de pèlerin avec les élans déclamatoires que l’on sait, et les coups d’harp te donnent des frissons. Il étend l’art dylanesque jusqu’au délire. Il passe le col et te fait découvrir une nouvelle vallée qui serait l’art de chanter Dylan à la Childish. Extraordinaire ! Il enchaîne avec le Mr. Smith de «Mister Smith», you’re talking to me now Mr. Smith, il s’agit bien sûr du Mr. Jones de «Ballad Of A Thin Man». Et la vérité éclate encore en B avec «I’m Good Enough» - I’ve been crushed/ To the ground - Il attaque ça en mode heavy gaga, il brasse large - Waouuuh ! I’m good enough - Tu te prosternes devant ce mec-là. Il retombe dans le pur jus dylanesque avec «A Framed T-Shirt Remnant», porté par des vague d’orgue Hammond, alors c’est en plein dans le mille, suivi d’un autre coup de génie virulent, «Poems of Anxiety & Uncertainty (Blues)» qu’il prend au trash-punk blues d’«Highway 61 Revisited». Wild as fucking wild !

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             Joli portrait alpin pour notre baroudeur préféré sur la pochette de Paralyzed By The Mountains. Bon, l’album est un tout petit peu plus faible que les précédents, mais ce n’est pas une raison pour ne pas l’écouter. Il rend deux fantastiques hommages à Bob avec le morceau titre, en ouverture de balda, et «The Day I Beat My Father Up» en B. Le Paralyzed sonne comme un heavy dylanex sabré à coups d’harp, for a hundred thousand views. Superbe et seigneurial. «The Day I Beat My Father Up» est aussi puisant. Il passe au heavy blues avec «Too Many Things That Mean Too Much To Me (Blues)» et le monte en neige dylanesque. S’ensuit une petite merveille : une cover du «You Gotta Move» de Mississippi Fred McDowell - You may be high/ You may be low/ You may be rich/ You may be poor/ Oh when the Lawd gets ready/ You gotta me - Les Stones peuvent aller se rhabiller.

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             Blud In My Eyes For You, un Hangman de 2022, est moins dylanesque que les autres Intentions. Il se disperse un peu, va sur le blues primitif («I’m The Devil»), l’Americana («Come Into My Kitchen»), ou encore le rétro d’Americana («God Don’t Like It»). On sent le vieux pépère aux prises avec sa moustache. Tout est monté sur la même mouture. Pour une fois, on s’ennuie un peu. Dans «The Walls Of Red Wing», il fait du Pogues avec des coups d’harp dylanesques, et il sauve sa B avec un coup de Jimmy Reed, «Baby What You Want Me To Do», yeah, yeah, yeah. Il termine en mode gospel avec «Since I Lay My Burden Down», il y va de bon cœur au glory glory hallelujah, ah il aime ça le Billy - I’m gonna shake with the angels/ Since I lay my burden down.

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             En en 2023, il change de crémerie pour sortir Secret Intention sur Spinout Nuggets. Et là, on perd tout le Dylanex. Le morceau titre est une resucée de «You Gotta Move». Il ne s’embête pas, le vieux Billy. C’est un album d’heavy blues qu’il chante à l’édentée, et grassement violonné par un démon nommé Richard Moore. Billy boucle son balda avec «Two Trains», un très bel heavy blues. Il y croit dur comme fer. Il fait en B son white nigger dans «Ramblin’ On My Mind», il tape en plein cœur du blues primitif, avec tout l’éclat d’un wild cat du Kent. Et avec sa cover d’«I’m Sitting On Top Of The World», il reste en plein dans le vrai. Il a fait ça toute sa vie : c’est beaucoup de boulot que de rester dans le vrai toute sa vie. Il ne sait faire que ça : taper dans le mille de l’extrême véracité véracitaire, qu’il s’agisse des early Kinks, des early Beatles, de Dylan, du blues, de Bo Diddley, des Who, de Jimi Hendrix, des Downliners Sect et du punk-rock. Tu ne prendras jamais Wild Billy Chidish en défaut. Alors tu peux y aller les yeux fermés et tout écouter.

    Signé : Cazengler, William Loquedu

    The William Loveday Intention. People Think They Know Me But They Don’t Know Me. Damaged Goods 2020

    The William Loveday Intention. Will There Ever Be A Day That You’re Hung Like A Thief. Damaged Goods 2020 

    The William Loveday Intention. Blud Under The Bridge. Damaged Goods 2021

    The William Loveday Intention. The Bearded Lady Also Sells The Candy Floss. Damaged Goods 2021

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    The William Loveday Intention. They Wanted The Devil But I Sang of God. Hangman Records 2021

    The William Loveday Intention. Cowboys Are SQ. Liberation Hall 2022

    The William Loveday Intention. The Baptiser. Damaged Goods 2022

    The William Loveday Intention. Paralyzed By The Mountains. Damaged Goods 2022

    The William Loveday Intention. Blud In My Eyes For You. Hangman Records 2022

    The William Loveday Intention. Secret Intention. Spinout Nuggets 2023

    Peter Watts : Medway Skyline. Uncut # 301 - June 2022

    Vale. Real Conversations. Rollins, Biafra, Ferlinghetti, Childish. RE/Search Publications 2001

     

     

    L’avenir du rock

     - La dame aux Camera Obscura

             — Pourquoi ne sortez-vous pas dans la journée, avenir du rock. Le soleil vous ferait le plus grand bien. Vous avez l’air d’un vampire ! Je prendrais mes jambes à mon cou si je ne savais quel délicieux ami vous êtes en réalité.

             — Vous connaissez pourtant mon goût pour les ténèbres de l’underground, et cette sainte horreur que j’ai des feux de la rampe et de la gloriole.

             — Avec vous, c’est tout l’un ou tout l’autre ! Le jour ou la nuit, le blanc ou le noir. Vous pourriez transiger de temps à autre, ça vous reposerait la cervelle d’écorner un peu vos principes. La lumière du printemps vous ouvrirait de nouveaux horizons, vous n’avez pas idée comme le ciel d’été peut être admirable, comme les aubes et les crépuscules peuvent vous transporter. L’élan lyrique ne nuit en rien à la contemplation, bien au contraire !

             — Vous me faites rire. Vous parlez comme une carte postale. Bientôt vous allez me dire que le jour c’est Dieu, et la nuit le diable. Ne comprenez-vous pas que la nuit soit le seule antidot à cet horrible poison qu’est la réalité ? Ne comprenez-vous pas que le temps de la nuit est infiniment plus long que celui du jour ? Plus précieux ? Plus pur ? Il n’est pas d’espace plus fascinant que le silence de la nuit, propice à toutes les dérives imaginaires !

             — Je vous reconnais bien là, avenir du rock. Le concept, rien que le concept, n’est-ce pas ? Vous n’en démordrez jamais, c’est pourquoi il est illusoire de vouloir vous ramener à la raison. Et pourtant, je sais que vous raffolez d’«A Day In The Life», de «Lucy In The Sky With Diamonds» et de toutes les manifestations de la Sunshine Pop, de Jan & Dean à Curt Boettcher, en passant par Brian Wilson et Big Star.

             — Oui, mais je cultive un petit faible pour l’Obscura. Camera Obscura, bien sûr.

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             C’est grâce à un gros numéro d’annive de Shindig! qu’on a découvert Camera Obscura et Tracyanne Campbell. Ce groupe fait partie de la fameuse scène magic pop de Glasgow et navigue au même niveau que les Fannies, les BMX Bandits, les Pearlfishers et Belle & Sebastian.

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             Non seulement leur nouvel album Look To The East Look To The West vient de sortir, mais ils sont en plus en concert à la maroquiqui, mon kiki. Peut-on parler d’un événement ? Oui, pour les ceusses qui savent. Voir Tracyanne et ses amis en chair et en os, c’est un peu comme voir Alex Chilton sur scène durant les années de braise. T’as un truc qu’on appelle le spirit, un mélange parfait des éléments qui font la grandeur d’un genre qu’on appelle la pop : la voix, le goût de l’envol mélodique et des compos mirifiques. Et tout ça éclate, là, sous tes yeux globuleux, à quelques mètres, t’as l’incarnation plus que symbolique de la magic pop de Glasgow. Les Cameras sont le groupe anti-frime exemplaire.

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    C’est même reposant que de les voir débouler sur scène : Tracyanne anti-frime toute de noir vêtue, sa copine anti-frime au clavier juste à côté, un guitariste anti-frime de l’autre côté, d’autres gens au fond, le beurre et l’argent du beurre, et un ogre anti-frime sur une belle Ricken, juste là, à 50 cm.

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    Pourtant bourrée de talent, Tracyanne bat absolument tous les records de modestie. On lui donne aussitôt le bon dieu sans confession, et dès qu’elle ouvre la bouche pour attaquer «Liberty Print», tu prends ta carte au parti, car c’est tout de suite plein comme un œuf. Te voilà tanké, te voilà embarqué, welcome to Cythère, viva l’Obscura !, elle éclate au grand jour, c’est quasiment mécanique, t’as l’impression de voir jouer l’un des groupes les plus importants de cette époque, et en même temps, ça reste incroyablement statique.

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    Pas de jeu de scène. Tout repose sur la qualité des compos et la voix magique de Tracyanne Campbell. Elle dispose du même talent qu’Isobel Campbell, elle utilise sa voix comme un instrument, elle module et colorie, elle se déploie et s’élève, elle adoucit et embellit, elle règne sur la terre comme au ciel. Plus loin, elle tape l’éminent «Light Nights», suivi de «Pop Goes Pop», tirés tous les deux du nouvel album, et puis tu retrouves toutes ces merveilles tirées de l’album chouchou de Shindig!, My Maudlin Career : «French Navy», «The Sweetest Thing» ou encore «Swans». T’es littéralement saturé de qualité. Comme si tu traversais à la nage un océan de magie pop. Tu bois la tasse en permanence et tu danses avec les requins blancs. Quelle épopée ! En rappel, les Cameras tapent encore dans  leur Maudlin Career avec l’indubitable «Forests & Sands». Même sans le wall of sound, ça passe comme une lettre à la poste. Ils tapent ensuite «Eighties Fan» (tiré de Biggest Bluest Hi-Fi), mais sans le Totor sound, alors c’est très gonflé de leur part, et pourtant ça tient, car c’est construit comme une cathédrale.

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    Et puis voilà qu’ils terminent avec l’apothéose du doux, «Razzle Dazzle Rose» que Tracyanne semble offrir comme un cadeau aux kikis de la maroquiqui qui n’en peuvent plus de tant de beauté.

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             C’était couru d’avance : Look To The East Look To The West est un album lumineux. Tracyanne ramène sa voix de rêve dès «Liberty Print» et ça gratte des poux jusqu’à l’horizon. Et ça continue avec «We’re Going To Make It In A Man’s World». Ça éclate de bonheur. Te voilà au paradis de la grande pop écossaise. Tu as l’envolée à l’orgue et les voix s’élèvent dans le ciel clair d’Écosse. Enfin clair, il faut le dire vite. Nouveau coup de tonnerre avec «The Light Nights», Tracyanne frise le yodell préraphaélite. Les Camera créent les conditions du bonheur surnaturel et tu entends les notes d’un piano divin. Cet album va t’émerveiller, si tu l’écoutes. Encore de la pop stratosphérique avec «Pop Goes Pop», come on for goodness sake ! Quel élan ! - Hearts like ours will get us in trouble - Les Camera tapent dans le mille à chaque fois. Comme ils vont le faire avec Dory Previn, ils rendent hommage à Baby Huey avec «Baby Huey (Hard Times)». Tracyanne crée la magie à la pointe de la glotte. Et puis voilà le morceau titre, elle reste très formelle, elle tient bien son ah-ah-ah, elle le laisse couler au gré d’une pop toujours magique, Be a good girl et t’as le solo qui va avec et elle reprend le balancement de sa pop de rêve - Be a good girl/ And try your best - Final éblouissant, noyé dans l’horizon des Camera. De nos jours, on ne voit plus guère de chansons aussi charnues, aussi parfaites. 

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             Leur premier album Biggest Bluest Hi-Fi date déjà de vingt ans. Very big album ! Pas moins de deux coups de génie : «Eighties Fan» et «Houseboat». Le premier est tapé au Totor sound. Belle envergure ! Et sucre fabuleux. Tu t’habitues aussitôt à Tracyanne. Et ça se développe. T’en reviens pas ! Sucre candy garanti à 100%. Ça vire délire labyrinthique de sucre pop d’I’m gonna tell you something. C’est un mec qui chante sur «Houseboat», mais il est bon. Tracyanne arrive dans le cours du dossier et le duo fait une pop de rêve, ils remontent le courant du riff d’acou du diable, là, amigo, t’as la pop du siècle. Et Tracyanne te remet une couche de sucre candy. Ils sont tellement à l’aise. Tu te crois au paradis. Ils montent «Anti Western» en mode duo d’attachement parabolique. Ils savent duetter comme Jim Reid et Hope Sandoval sur Stoned & Dethroned. Leur pop est tellement délurée qu’elle gambade sur des petites guiboles agiles. «Double Feature» sonne comme une belle pop traînée dans la lumière. C’est à la fois éthéré et de haute voltige. Et puis tu as cet instro du diable, «Arrangements Of Shapes & Space», un instro gorgé de joie et de lumière. L’Obscura fait de la lumière. C’est axé sur l’horizon et t’en prends plein la vue. Paradisiaque !

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             Elles sont drôles sur la pochette d’Underachievers Please Try Harder, avec leur look fifties à l’anglaise. À l’écossaise, devrait-on dire. Tracyanne attaque toujours au petit sucre candy d’incidence juvénile comme le montre «Suspended From Class». Très haut niveau de pop capiteuse. Ça vaut tout le Brill du monde. Elle est encore plus Hope Sandoval sur «Keep it Clean», véritable merveille inaltérable. Pure pop d’excelsior. Elle peut swinguer à la pointe de la glotte. Elle fournit une matière extraordinaire au process de kro. Les Camera font du Brill écossais. C’est Jon Henderson qui chante «Before You Cry» et Tracyanne revient en cours de dossier. Elle refait le show dans «Number One Son». On est en manque quand elle ne chante pas. Son Number One file à travers les plaines d’Écosse, salué par des orchestrations de rêve. Le mec Henderson revient chanter «Let Me Go Home». Ce mec n’a rien compris : quand on a une chanteuse comme Tracyanne dans le groupe, on lui laisse le micro. Sur le Wall of Sound Totorisé de «Knee Deep At The NPL», Tracyanne ramène son sucre magique. Elle est le clou du spectacle, avec une stupéfiante profondeur de champ dans le chant.

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             Tracyanne démarre encore très fort sur Let’s Get Out Of This Country avec «Lloyd I’m Ready To Be Heartbroken» et «Tears For Affairs». Elle part vraiment en trombe, mais c’est la trombe d’Obscura, et elle ramène aussi sec son sucre candy. Elle prend vraiment le taureau par les cornes. Pur genius cubitus. Son Tears est tout aussi groovy en diable, fantastiquement agréable, c’est même un hit pop tentaculaire, avec l’écume d’Oh Happy Days. Elle rend hommage à Dory Previn avec «Dory Previn» et le solo te fend le cœur. Elle est dans Dory et dans Mazzy Star, dans tout ce qu’il y a de plus parfait. «The False Contender» est une valse à trois temps. Les Camera ont l’intensité des Flaming Stars, mais au féminin. Effarant ! Le morceau titre atteint à la grandeur subliminale, ils tapent ça à la bonne franquette d’heavy pop, et elle pose toujours son candy de candeur véracitaire. Tu entends chanter une superstar. Et en guise de cerise sur le gâtö, t’as une fin apocalyptique. Tracyanne crée son monde en permanence. Elle chante comme un ange du paradis. Elle retape dans le Wall of Sound de Totor avec «If Looks Could Kill». Elle se prend littéralement pour les Ronettes. Flabbergasting ! C’est exactement le même punch, la même profondeur de champ, la même intelligence de la vision pop, la Camera voit aussi loin que Totor, c’est bardé de Wall of Sound, tu te pinces car tu crois rêver. Totor est donc toujours d’actualité. Ils réinventent le rêve avec une fantastique démesure de la Wallitude céleste. Pur genius atmospherix ! Elle fait ensuite du Motown de Brill avec «I Need All The Friends I Can Get». Elle est au top du trip. C’est hallucinant de power, ça swingue dans l’écho du temps. Les Camera sont des cracks.Avec «Razzle Dazzle Rose», ils foncent au doux du doux. C’est une merveille de délicatesse, digne de Ronsard, fragile comme l’éclat de la lumière au lever du jour. Mignonne allons voir si la rose de Tracyanne est éclose.

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             Pour son numéro 50, Shindig! avait choisi de célébrer le génie des Camera avec cet album paru en 2009, My Maudlin Career. Tracyanne s’impose dès «French Navy», cette jolie pop de Brill fondue dans l’écho du temps. Que de son ! C’est stupéfiant de justesse et de ferveur Brillique. Camera Obscura est la réponse écossaise au Brill et à Belle & Sebastian. Tracyanne est tout simplement stupéfiante de présence stellaire : elle brille au firmament. On se régale de «The Sweetest Thing», et encore plus de «Swans». Fantastique entrain - Maybe you should travel with me - et elle ajoute, la bouche en cœur - And you’ve never touched a dear/ A deer so deer my dear - Voilà un cut qui sonne comme un passage obligé. On reste dans la fantastique approche avec «James» - James he came to my place/ He said he had to see my face - Magie pure - Oh James you broke me/ I thought I knew you well - Elle a une façon extraordinaire de chanter dans l’écho. Son «Careless Love» est beau et tendu, doté d’un final aux violons éblouissants. Il faut écouter cette petite gonzesse chanter comme on écoute Laura Nyro. Elle revient au Brill Sound pour le morceau titre. Son de rêve - I don’t want to be sad again - On se croirait chez Totor - This maudlin career must come to an end - Maudlin veut dire larmoyant. C’est du pur génie productiviste. «Forests & Sands» vient encore enchanter cet album hautement révélatoire. Ici, la prod vaut pour modèle. Tracyanne chante si divinement. Les Camera jouent au maximum des possibilités de la pop, et Tracyanne chante à la vie à la mort - But if the blood could freeze/ I’d be pleased/ I’d be pleased - Ça se termine en beauté avec «Honey In The Sun», un fan-tas-tique shoot de power pop. Over and over again et voilà que tombe du ciel un extraordinaire refrain, I wish my heart was cold, cuivré à la folie, but it’s warmer than before, le format pop explose sous nos yeux globuleux.

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             Et puis voilà Desire Lines. Tracyanne y est toujours aussi magique. L’album est un peu moins dense que les précédents, mais «William Heart» craque bien sous la dent. Tracyanne Campbell reste alerte et fraîche comme l’eau vive, et elle part en mode sucre magique au coin du couplet. Elle s’accroche à sa pop comme la moule à son rocher, mais quelle Beautiful moule ! Son cut est lumineux comme une aurore boréale. Encore une fois, tu crois rêver. Coup de génie encore avec «Cri Du Cœur» - I know I’m a fuck up/ I know to read tragedy - Avec «Every Weekday», elle sonne comme Fred Neil, on capte même des échos d’«Everybody’s Talking». Ils passent en mode big band pour «I Missed Your Party». Ah il faut voir Tracyanne en photo dans le digi. Elle est superbe.

    Signé : Cazengler, Camerond qu’est pas carré

    Camera Obscura. La Maroquinerie. Paris XXe. 30 septembre 2024

    Camera Obscura. Biggest Bluest Hi-Fi. Andmoresound Records 2001

    Camera Obscura. Underachievers Please Try Harder. Elefant Records 2003

    Camera Obscura. Let’s Get Out Of This Country. Elefant Records 2006

    Camera Obscura. My Maudlin Career. 4AD 2009

    Camera Obscura. Desire Lines. 4AD 2013

    Camera Obscura. Look To The East Look To The West. Merge Records 2024

     

     

    Cissy Impératrice

    - Part One

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             Cissy Houston vient de casser sa pipe en bois. Avec elle se referme un sacré chapitre. Tu en pinces pour la Soul et le gospel ? Alors écoute Cissy Houston. Bon alors, après le tour de chauffe des Sweet Inspirations sur lesquelles on reviendra dans un Part Two, Cissy impératrice décide de bâtir un nouvel empire : une carrière solo !

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             Allez hop, un album sans titre sur Janus en 1970, pour commencer. Elle fait comme les copines, elle tape dans Burt. C’est du tout cuit, avec «I Just Don’t Know What To Do With Myself». Elle monte si haut qu’on en chope le torticoli, impossible de la suivre du regard, elle explose le génie black. Et comme si ça ne suffisait pas, elle tape ensuite dans Jimmy Webb avec «Didn’t We». Comme Shirley Bassey, elle a de l’ampleur, c’est-à-dire la puissance d’une chanteuse d’opéra. Ah il faut la voir gueuler. Elle gueule encore pour l’«I’ll Be There» de Bobby Darin, aw no baby ! En B, elle s’en va taper dans Totor et Ellie Greenwich, avec une cover de «Be My Baby». Elle la prend à la douce, elle monte doucement, suivie par une trompette molle dans le vent tiède, alors les dynamiques d’Ellie se mettent en route, mais pas de wall of sound. Elle chante en direct, dans le micro. Elle tape aussi «The Long And Winding Road» de McCartney, mais c’est cousu de fil blanc.

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             Malgré sa belle pochette graphique, l’album d’Herbie Mann Featuring Cissy Houston, Surprises, ne crée pas vraiment la surprise. Flûtiste de jazz, Herbie Mann groove sous le boisseau de la Jamaïque pour créer l’ambiance de «Draw Your Breaks». L’Herbie ne fait pas n’importe quoi, il jazze son reggae beat. Pour Cissy impératrice, c’est du gâteau, elle n’a qu’à attendre qu’on lui dise de chanter. Dans «Creepin’», David Newman joue un groove de sax et le vent emmène Cissy impératrice vers l’horizon. Globalement, c’est un bel album de groove flûtiste. Cissy s’y sent comme un poisson dans l’eau. Mais on s’ennuie un peu, il faut bien le dire. Au fond, c’est peut-être une musique qui n’intéresse qu’une seule personne : Herbie. C’est déjà ça. Il s’amuse bien avec sa flûte.     

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             En 1977, Cissy enregistre un nouvel sans titre. La pochette un brin putassière n’inspire pas confiance et pourtant, c’est un big album qui repose sur quatre piliers : une cover, deux coups de génie et du sexe. On commence par le sexe : «Morning Much better». Comme chacun sait, le matin est idéal pour les parties de cul. Cissy tape une belle croupière à sa Soul et elle feule «I like it in the morning» d’un ton qui ne laisse aucune chance au hasard. Son «Love Is Holding On» sonne comme du Burt, elle se fond dans le moove du groove avec une sensualité houstonienne, elle le monte si bien en neige qu’elle finit là-haut sur la montagne. Quelle gueularde ! Elle pousse des pointes surnaturelles, celles des pipes, comme dirait Tav Falco lorsqu’il parle de Bobby Blue Bland. L’autre coup de génie est sa cover d’«He Ain’t Heavy He’s My Brother». Il faut détenir le pouvoir absolu pour chanter cette merveille de mélancolie océanique. Cissy l’a. Non seulement elle s’étend au-dessus de l’océan, mais elle monte sa voix. Elle claque sa Soul à un très haut niveau, épaulée par des orchestrations de luxe. Et puis elle retape dans Burt avec «Make It Easy On Yourself». Elle recoiffe l’Ararat de Burt de neiges encore plus éternelles, elle est capable de chanter très haut sans perdre son souffle.     

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             Graphisme des années 80 pour la pochette de Think It Over. L’album est à l’image de la pochette : raté. Cissy impératrice bascule dans la diskö m’as-tu-vu. Quel gâchis ! Une si belle voix. Les producteurs de l’époque n’avaient aucune fierté. Tu ne sauveras rien sur cet album.

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             La pochette de Warning Danger n’inspire pas non plus confiance. Elle attaque avec le morceau titre, un Afro-beat diskoïde, très bizarre mais pas complètement dédouané. Le seul cut sauvable est l’«Umbrella Song», un bref shoot d’exotica paradisiaque qu’elle chante au mieux de la rondeur des tournures d’umbrella.    

     

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             Back to the bottom avec Step Aside For A Lady et sa hideuse pochette années 80. Rien. Tu l’envoies coucher au panier.

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             Very big album que ce Face To Face paru en 1996. Retour en force de Cissy Impératrice avec un album de gospel batch truffé de coups de génie, à commencer par le morceau titre, orchestré par des chœurs spectaculaires, et une Cissy au top de sa glotte. Elle navigue au dessus de la clameur du gospel choir. C’est une œuvre d’art. L’autre coup de génie est l’«He Is The Music» qui referme la marche. Elle pousse encore une pointe, elle est dure en affaires, elle ne lâche rien. Elle écrase son champignon en permanence. Elle navigue au niveau d’Aretha et de Mahalia Jackson, elle dégouline d’over-power. C’est encore autre chose que l’opéra. Gospel encore avec «God When I See Thee», un bop de gospel joué au rebondi de la foi, un rebondi tight et rock’n’roll, Cissy est une vainqueuse, tout sur cet album est arraché à la victoire suprême du black power. Elle t’explose encore «How Sweet it Is» - Thank you Jesus - Elle s’enflamme, elle bat les Edwin Hawkins Singers à la course, c’est puissant, bien décollé du sol et ça continue avec «I’m Somebody», amené au heavy funk, avec des chœurs de gospel, c’est vite énorme, ils sont 40 derrière Cissy, elle établit le power absolu et définitif. Elle chante «Too Close To Heaven» à s’en exploser la rate - I’m too close/ Now I can’t turn around - elle se noie dans un groove d’orgue. Parfois, on sent qu’elle est dépassée par la clameur («Without God») et pouf, elle te refait un numéro de haute voltige avec «Something’s Bound To Happen», là tu sais que tu écoutes une impératrice - Something’s bound to happen/ When you pray - et elle te défonce encore tous les barrages avec «Just Tell Him» - Let me introduce you to my friend called Jesus - Seuls les blacks savent parler à Jésus.   

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             Elle reste fidèle au gospel batch avec l’album suivant, He Leadeth Me. Deux coups de génie : «Shelter In The Time Of Storm» et «He Changed My Life» - Ummmm Oh Jesus ! - Elle entre dans le groove du doux et les chœurs arrivent par dessus - Oooh my Jesus - alors elle se fond dans le mood de l’excellence. Une fois de plus, elle fait le job, talk about Jesus yeah, et elle t’explose le gospel. Elle reste au sommet du lard avec «He Changed My Life», bien drivé au bassmatic et aux tambourins. Elle semble complètement tourneboulée par le rumble du choir, I’ve been changed, il faut voir comme ça groove, avec un bassmatic qui va et qui vient entre tes reins, elle fait son Aretha, elle allume au point chaud de non-retour. On pense aux malheureux qui passent à côté d’une telle merveille. «Deep River/Campground» sonne comme un fantastique pathos de gospel, par contre, «Prayer Will Change It» est plus r’n’b. Elle le gère à la bonne franquette. C’est une vétérante, elle sait claquer un beignet. Et ça ne tarde pas à exploser à la barbe de Dieu. Avec le morceau titre, elle se fond dans le choir. Elle injecte de la Soul dans le gospel de «Count Your Blessings» et invite tout le mode à monter all aboard the «Glory Train». On la retrouve profondément impliquée dans «In His Arms» et elle se répand dans le just keep me Lawd right by your side d’«Every Day Every Hour». Elle se jette toute entière dans la balance. Elle est magnifique de classe et de trémolo.

    Signé : Cazengler, Cissy Rouston

    Cissy Houston. Disparue le 7 octobre 2024

    Cissy Houston. Cissy Houston. Janus Records 1970

    Herbie Mann Featuring Cissy Houston. Surprises. Atlantic 19765     

    Cissy Houston. Cissy Houston. Private Stock 1977     

    Cissy Houston. Think It Over. Private Stock 1978

    Cissy Houston. Warning Danger. Columbia 1979          

    Cissy Houston. Step Aside Fr A Lady. Columbia 1979

    Cissy Houston. Face To Face. House Of Blues 1996    

    Cissy Houston. He Leadeth Me. House Of Blues 1997 

     

     

    L’avenir du rock

    - Il n’y a pas que des nanas dans les Limiñanas

    - Part Two

             Chaque fois qu’il croise Boule et Bill au bar, l’avenir du rock sait qu’il va se heurter à un mur d’incompréhension. Il tente chaque fois d’ajuster son discours et de veiller à préserver les fragiles équilibres diplomatiques, mais c’est d’une complexité extrême. Boule et Bill sont des équarrisseurs de conversation. Ils travaillent à la hache.

             — Alors ça t’a plu, les Liminunuches, avenir du trock ?

             — Excuse-moi, Boule de pus, mais ya comme une petite crotte qui te pend au nez...

             Bill vole au secours de Boule momentanément déstabilisé :

             — On sait que t’aimes bien les groupes de bobos comme les Liminœud-nœuds !

             — Si j’avais une gueule de raie comme la tienne, mon pauvre Bill, j’irais de ce pas traîner ma mère en justice !

             Boule vole à son tour au secours de Bill qui suffoque de honte :

             — Franchement, avenir du brock, on se demande comment tu fais pour supporter pendant une heure cette honte galactique de Limininis !

             — Tu ferais mieux de fermer ta grande gueule, Boule de pus, on voit tes crocs pourris et ça donne envie de gerber.

             Bill qui s’est repris, re-vole au secours de Boule qui est blanc comme un linge :

             — Honte sur toi, avenir du rock, te voilà éclaboussé par le scandale des Liminoix-noix !

             — Tais-toi donc épluchure humaine ! Fais-toi greffer un cerveau et alors on pourra causer.

             L’avenir du rock vide son verre et affiche le sourire le plus magnanime dont il est capable :

             — C’est normal que vous ne compreniez rien aux Limiñanas. Vous êtes tous les deux des créatures inachevées, et bien que vous soyez atrocement cons, j’éprouve à votre égard une sorte de petite compassion. C’est comme ça, on n’y peut rien.

     

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             Eh oui, on n’y peut rien : les Limiñanas s’imposent. On devrait même parler du fabuleux brouet des Limiñanas. Tu les vois et tu les revois, et ça passe de plus en plus comme une lettre à la poste. Ça s’avale d’un trait. Ça glisse tout seul. Trois grattes et pas des moindres, il faut ça de nos jours pour répandre sur cette pauvre terre abandonnée du Dieu la sainte parole du rock psychédélique. Le fameux psyché dont tout le monde parle, souvent dans le vide, et qui va de Syd Barrett à Anton Newcombe, en passant par l’Howling Rain d’Etan Miller, Bevis Frond et le Bardo Pond des frères Gibbons.

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             Eh oui, amigo, en cœur de set, ils t’enchaînent ces quatre merveilles tirées de Shadow People : le morceau titre, «The Gift», «One Blood Circle» et l’encore plus imparable «Istambul Is Sleepy», quatre merveilles portées par l’incarnation française de Jim Reid, l’excellent Bertrand Belin. Oh no no, Istambul n’est rien d’autre qu’une pure marychiennerie, ça te roule sur l’épiderme et ça te caresse l’intellect. L’Istambul est en plein Velvet. Belin te cale ça dans ton coin, l’underground redevient flamboyant, comme au temps du Velvet et des Mary Chain. Ils ne sont plus très nombreux, les groupes sachant jouer avec le feu sacré. Et t’as des gens qui passent à côté. Sans doute par manque de connaissances. Trouvent ça plat, alors que tu voyages en première classe.

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    L’Istambul réveille tes veilles passions pour l’hypno du Velvet, celui de «Sister Ray», t’as encore tout le poids du Velvet et des Spacemen 3 dans «Shadow People». C’est un rock qui s’installe dans le temps et qui finit par t’avaler, un rock qui te parle au plus haut niveau, qui joue sur les lancinances, les préliminaires de l’amour, mais aussi la connaissance par les gouffres. C’est un rock qui t’adopte plus que tu ne l’adoptes, un rock qui te berce dans son giron, et qui n’attend pas de contrepartie, un rock libre de ses mouvements et de ses idées, donc ça te convient, un rock qui n’appartient qu’à lui-même, à prendre ou à laisser, c’est le principe même de la psychedelia, tyva ou tyvapas, mais si tyva, tu fais un beau voyage.

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    Lionel Limiñana reste un fabuleux maître de céans, il sort du bois et bouge comme un ours sur scène, il parvient rapidement à se fondre dans le son, comme s’il voulait disparaître au profit des autres. Et le son grandit comme une entité, massif et souple à la fois, tétanique et comme suspendu, lancé et statique, coloré et monochrome, il contient à chaque instant tout et son contraire. Les Limiñanas cultivent une sorte d’art total, leur son s’établit, comme s’il asseyait son emprise. Ils fonctionnent exactement comme le Brian Jonestone Massacre : ils posent les conditions du groove. Pas besoin de chercher à comprendre, il suffit de se laisser porter. Ce truc de base est le privilège des géants. Le plus stupéfiant dans cette histoire, c’est que certains cocos ne comprennent pas ce qui relève pourtant d’une évidence. Quand ça groove sous tes yeux, tu n’as plus qu’une seule chose à faire : te féliciter d’être là.

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             Et puis sur scène, t’as du spectacle. Une Sister hoche la tête en permanence sur son bassmatic, et à côté d’elle, Keith Streng des Fleshtones fait le show, comme il le fait depuis 40 ans, en parfaite réincarnation de Nijinsky, il saute et virevolte, c’est à ça qu’on le reconnaît. Et à ses killer solos incendiaires. Comme il a tout l’espace du groove, il les triture à l’infini sur sa belle gratte bleue. Nijinsky mélangé aux deux magiciens sortis du bois avec leurs barbes et leurs regards noirs, ça donne sur scène un mélange parfaitement détonnant, pour ne pas dire déconnant. Et au beau milieu de tout ce ramdam, t’as la Marie qui bat comme bon lui semble. Au concert des Limiñanas, on se sent comme chez soi.

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    Signé : Cazengler, liminanard

    Liminanas. Le 106. Rouen (76). 20 septembre 2024

     

     

    Inside the goldmine

     - Deon tologie

             Michel Dijon était un mec marrant. Il portait un petit chapeau et des lunettes. Il n’avait rien d’un Don Juan, mais il aimait bien faire le coq. Oh ce n’est pas un gros défaut, les gens adoptent souvent ce type de comportement sans même s’en rendre compte. Il s’agirait selon les experts d’un besoin de compensation. Tout cela se déroule bien sûr dans l’abstraction liquide de la cervelle. En conséquence de quoi notre Michel Dijon pérorait dans les salons, il occupait l’espace comme on occupe un pays vaincu, il franchissait les frontières sans demander la permission, il entrait dans des conversations en cours, il déballait son boniment sans ménagement, comme le ferait un hussard au moment de violer une paysanne vendéenne, il assommait plusieurs interlocuteurs d’un seul coup, il éructait, il résumait, il développait, il tonnait, il argumentait et désargumentait ce qu’il argumentait, il transgressait les conventions, surtout les conventions, il ergotait avec de l’argot, il n’avait strictement aucune pudeur, il piochait sans fin dans une immense réserve de formules d’une rare vulgarité, il minaudait pour mieux revenir à la charge, comme le ferait un bourgeois dépeint par Molière, tout cela en même temps, les bras souvent en l’air, d’abord à l’horizontale puis, au moment du climax, à la verticale, signifiant qu’on ne pouvait aller plus loin. Personne n’osa jamais lui tenir tête. Pendant des années, il écuma les réseaux et s’incrusta dans des cercles d’érudits. Quand on lui demandait quelle était sa profession, il répondait : «Écrivain.» Un jour, il créa la sensation en annonçant qu’il allait prendre rendez-vous pour un essayage chez Stark & Sons, le tailleur des Académiciens. 

             — Je vais sûrement entrer à l’Académie Française, alors j’anticipe, histoire de bousculer un peu le destin.

             Un vieillard vermoulu se permit d’interférer :

             — Mais monsieur, vous n’entrez pas ainsi à l’Académie, il faut être désigné par ses pairs... Peut-être ne le saviez-vous pas ?

             Michel Dijon devint écarlate :

             — Tu sais quoi de la grandeur d’un écrivain, espèce de vieille couille molle ?

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             Laissons Michel Dijon à ses rêves de grandeur et penchons-nous sur le cas beaucoup plus intéressant de Deon Jackson, un autre Académicien, mais un Académicien de la Soul. Pour le situer rapidement, Deon Jackson est un black originaire d’Ann Arbor, dans le Michigan, comme les frères Asheton.

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             Tous les amateurs de Northern Soul adorent Deon Jackson. Il est connu comme le loup blanc. One-hit wonder ! Et pour cause ! Il suffit d’aller écouter les hits rassemblés sur la compile Golden Classics parue en 1988. Ouille aïe aïe ! Ouille dès le fameux «Love Makes The World Go Round» qui l’a rendu célèbre dans les discothèques anglaises en 1965, fantastique présence du Deon-tologue, sa voix croustille de feeling, Deon brille comme un néon dans la nuit chaude de Harlem, il est aussi facétieux que délicieux, il dégouline de classe, ouille aïe aïe, et c’est si bien orchestré ! Ah il faut le voir revenir dans le virage du swing ! Pire encore, «Ooh Baby», Deon te fond dans la main, il te swingue l’ooh du bout de la langue et il devient liquide de génie vocal. On s’effare d’une telle qualité du beat et des fontes d’oooh. Tiens, tu as encore un hit d’une classe épouvantable, «Loves Takes A Long Time Growing». Deon Jackson ? Mais c’est l’archange de la sainte Soul ! Il ramène les Caraïbes dans la Soul. Nouveau coup de génie avec «SOS». Il est parfaitement à l’aise dans l’heavy r’n’b. Avec ces chœurs de folles en chaleur, c’est renversant d’have you seen my baby. Tu trouves à la suite «That’s What You Do To Me», une Soul de r’n’b qui colle bien au palais. Encore une merveille ostentatoire ! Deon rebondit dans les cassures. Il faut le voir pour le croire. Cette belle aventure s’achève avec un nouveau shoot de Soul de rêve, «I Can’t Do Without You». Il incarne parfaitement la Soul d’ouate, il fabrique du rêve éveillé, il chante avec une forme de fermeté intentionnelle chamarrée d’écailles, c’est une Soul exotique et sulfureuse, un sulfure de capitolade, une vraie surenchère de la chair corruptible. Bref, il t’épuise.

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             Encore une fabuleuse compile : Love Makes The World Go Round & Many Others. Pas moins de 10 hits intemporels. Sur 23 cuts, c’est une bonne moyenne. La compile reprend l’album du même nom paru sur ATCO en 1966 et bourre la dinde de bonus demented. Elle fait bien sûr double emploi avec la compile saluée plus haut, mais bon c’est pas grave, on ne perd pas son temps à réécouter les hits du grand Deon Jackson. Il te fait tourner la tête dès le morceau titre d’ouverture de bal. Il fait feu de tout son swagger, oh oh oh, il y va au sweet sweet love. La partie est gagnée d’avance. Pas la peine de s’inquiéter pour lui. Le Deon-thologue semble être un spécialiste des coups de génie. Pour le prouver, revoilà «SOS», ce shout de wild Motown, l’accor-Deon rentre dans le chou de lard Motown à coups d’if you see my baby. Retrouvailles encore avec l’imparable «Love Takes A Long Time Growing». Encore plus déterminant : «Ooh Baby», heavy groove à caractère définitif. Et ça continue avec «All On A Sunny Day», il nage en plein rêve de sunny day, baby, sa bonne humeur n’est que la forme la plus généreuse du génie artistique. Il fait du glam de Soul avec un «Not Not Much» frappé d’effets stroboscopiques et saturé de joie. Deon Jackson est un artiste stupéfiant de fraîcheur et d’à-propos. Il groove son «King Of The Road» vite fait et revisite «I’m Telling You» avec tout l’éclat dont il est capable. Il est admirable de don’t you cry dans «Hush Little Baby». Deon Jackson est une fontaine de jouvence à deux pattes. Il t’embarque encore pour Cythère avec «That’s What You Do To Me» et «You Gotta Love» sonne comme le r’n’b des jours heureux. Deon t’enchante à chaque fois, il a tous les cuivres du monde derrière lui, quel merveilleux artiste ! Tout est fait pour t’attraper, sur cette compile, le souffle d’«Hard To Set A Thing Called Love» te plaque au mur, encore un hit vrillé aux chœurs de Sisters. Il te fait chauffer la cervelle jusqu’à la fin, Deon Jackson est un gentil diable, les chœurs d’«I Need The Love Like Yours» te vrillent la cervelle. Deon forever !

    Signé : Cazengler, Deon Deon petit patapon

    Deon Jackson. Love Makes The World Go Round & Many Others. Marginal Records 1997

    Deon Jackson. Golden Classics. Collectables 1988

     

    *

             Un truc bizarre, vous savez, ici en l’occurrence deux mots du vocabulaire de base anglais qui étroitement associés vous posent problème, les translateurs vous répondent immédiatement, j’aurais pu y penser, quel manque de vivacité intellectuelle, quelle ignorance, surgit alors une question méta-géographique : pourquoi un groupe décide-t-il de se nommer ainsi ?

    HYMN OF JUPITER

    OUTBACK

    (BC – YT / Novembre 2023)

    Proviennent de Brighton and Hove, une cité mythique pour les rockers grâce à ces fameuses émeutes d’août 1964… La mer n’a eu le temps d’éroder les galets de la célèbre plage pourtant le temps des mods et des rockers semble aujourd’hui appartenir à l’ère néolithique du rock’n’roll… peut-être sommes-nous en train de vivre des temps crépusculaires… Hove était à l’origine une petite commune aux environs de Brighton, les deux cités forment maintenant une seule entité.

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    Une couve attendue si l’on s’en tient  la vulgate picturale des pochettes doomesques, n’y jetez pas un coup d’œil si vous ne désirez pas être assailli par une foule de questions, à première vue un personnage encapuchonné face à ce qui semble être un monument médiéval, église et château avec sa tour aux sommitales échauguettes. Architecturalement nous ne sommes pas à l’époque jupitérienne, mais quelle est cette immense arche géante qui surplombe le paysage, est-il justement l’arrière-pays  dont se prévaut le groupe… si la pochette est une orange noire les couleurs de cet arrière-pays paraissent inquiétantes…

    Will Graves : vocalist, bassist / Jeff Mosery : guitarist / Archie Lea : drummer

    Nightborn : vous serez vite fixés, cette musique n’est pas gaie, le principe est simple, le riff est lancé, il ne décolle pas à la vitesse d’une fusée, il monte lentement, il s’éteint avec lenteur, une batterie bizarre qui semble comme un peu à part, une basse montagneuse, une guitare obsédante, et une voix  cavitale comme enregistrée au seuil d’une caverne, peut-être platonicienne pour nous avertir que les ondes que nous entendons sont trompeuses et proviennent d’une autre source. Vous parierez qu’ils ne pourraient pas faire plus lentement, vous avez perdu, le rythme s’alentit et la voix résonne d’autant plus étrangement. Attention aux coupures, elles sont là pour avertir d’une nouvelle étape de ce bizarre rituel, il semble se soucier comme d’une guigne de son retentissement sur notre monde, sans doute vise-t-il cet énigmatique arrière-pays dont il ne nous apprend rien. Silence suivi d’un son davantage moderne si cette expression possède quelque pertinence, ce qui est certain c’est qu’il se passe quelque dans cet outre-monde qui nous est interdit. The sorcerer : d’habitude c’est le contraire, d’abord nous avons l’imprécateur et ensuite le rituel, le sorcier serait-il en retard, la batterie imite-t-elle sa démarche saccadée et la guitare scande-t-elle sa marche rapide. Stop. Silence. Ne pas se précipiter. Serait-ce l’expression vocale d’une grande colère, accélération, l’on ne sait pas où l’on va, mais l’on s’y dirige tout droit. Stop. Coupure, regardez où vous marchez, l’on avance avec précaution, sans préavis c’est la grande précipitation, l’on fonce sans regarder devant soi, la machine s’arrêtera toute seule, elle a l’air de connaître le chemin. Rattlesnake : délices de basse résonnante, ne raisonnez point trop, des entrelacs de guitares glissent entre vos jambes, vous êtes dans la fosse aux serpents, le maître se moque de vous, il vous mène dans le pétrin et vous avertit que vous êtes en mauvaise posture, la guitare vous lance un riff aussi pointu qu’un enfant qui tire la langue. Suspension. Respirez. Il vous semble ouïr la musique câlineuse des  anges enjôleurs, c’était un piège des dizaines de crotales détalent vers vous et vous assaillent sans rémission, vous voici transformé en Laocoon sur le rivage de Troie, la voix du Maître les excite, la batterie ponctue les piqûres, vous attendez avec impatience la fin du morceau, il prend son temps pour s’achever… Heaven hangs : d’ailleurs il enchaîne mélodiquement sur le paradis, je n’ai rien de personnel contre Archie Lea mais d’après moi il frappe d’une manière peu civilisée et presque irresponsable sur les fameuses portes si chères à Bob Dylan, quant à ses copains ils mettent le bulldozer en marche pour les défoncer, quant à Graves il prend sa voix tombale la plus grave pour mettre réclamer sa part de bonheur, ou de malheur, car on a l’impression que la nuit s’assombrit encore plus, doit lancer une malédiction sur la terre, le riff devient aussi poisseux que la lèpre qui s’étend sur votre peau, ouf ! repos mérité, respiration, le riff reprend de la vigueur, non Il ne s’élève pas jusqu’au ciel il s’étend à l’horizontale, z’ont envie de saccager tout ce qui se présente à eux, l’en devient presque joyeux, l’ivresse de la destruction bakouninienne… Silence total, plus rien n’oserait s’opposer à eux. Applaudissez vivement !

    THE WYTCH

    ((BC – YT / Octobre 2024)

    Sur ce deuxième opus, Will, Jeff et Archie ne se définissent plus par leur rôle musical respectif dans le groupe mais comme écrivain. Auraient-ils un message à nous communiquer.

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    Apparemment c’est un groupuscule écologiste qui a élaboré cette pochette. Préservons nos forêts. Rien de plus réconfortant que les arbres, alors ils vous confrontent à l’orée d’un bois d’un bois. Profitez-en avant que la nature n’ait disparu. Sympa mais cette interprétation me semble trop positive. Des arbres et des feuilles, impossible de le nier, mais ce trou noir au milieu ne me dit rien qui vaille, qui se cache dans cet antre obscur…

    Circle Psilocybe : avez-vous pensé que l’impression que votre cerveau reçoit passe par des tunnels de réception psychique, et que ce se faisant ce phénomène peut aussi produire un bruit psychoïste que votre ouïe d’humanoïde retardé n’est pas capable d’entendre, je pense que c’est ce bruit inaudible que l’Outback cherche à retranscrire dans les quelques secondes de leur introduction, un mirage perceptif, ne vous laissez pas séduire, il est un bruit beaucoup plus fort qui survient, une chose violente, monstrueuse, elle déracine quelques feuillus centenaires sous chacun de ses pas, le cauchemar vient vers vous, vous n’y échapperez pas, vous percevez son souffle par toutes les pores de votre peau… La sorcière aux dents vertes ! Je me demande si le trou noir de la pochette n’est pas la préfiguration du vide mental de votre esprit que les ondes phoniques de ce groupe sont parvenues à scanner sous forme d’une représentation écologique. L’ennemi est toujours au-dedans de nous. Fern and Henbane : prêtez l’oreille, celui qui marche sur l’innocence des fougères ne craint pas   ses effets, maintenant la musique est si forte que vous en souffrez, quant au jus de jusquiame la fleur préférée des sorcières vous ne l’ignorez pas, Will hurle, il vous avertit, ce qui est dehors n’est dangereux que lorsqu’il entre à l’intérieur de vous, la fougère est un calmant, l’absorption de la jusquiame provoque la folie, est-ce là que ce cheminement d’une lenteur de plus en plus violente vous emmène, derrière les portes d’un arrière-pays mental, vociférations déchirantes, échos impitoyables, vos délirez, vous vomissez les plus sombres mantras qui gisaient au tréfonds de votre immémoire, les guitares bouillonnent d’un flot impur en vortex turgescents. Votre esprit s’enroule sur lui-même comme la bande son d’un magnétoscope détraqué. Malachy IV / Dying sun : Malachy IV n’est pas un roi parthe, quatrième du nom, dont vous n’auriez jamais entendu parler, mais un prophète de la Bible, peut-être le même personnage qu’Ezra qui aurait ramené à Jérusalem  le peuple hébreux de Babylone où il avait été retenu en captivité durant cinq siècles. Les savants modernes lui attribuent la rédaction des cinq premiers livres de la Bible. Le chiffre 4 désigne le quatrième chapitre de son livre qui débute par une sinistre prophétie, le jour de la colère de Dieu, ouf ! les justes seront épargnés et sauvés. Vous vous en doutez l’intro est monumentale, ils élèvent des murailles cyclopéennes, c’est le strict minimum pour remporter la victoire sur les méchantes sorcières qui vous refilent de la mauvaise médicamentation, Will déploie son gosier comme un aigle qui tenterait de passer dans le trou d’ozone, zone interdite, il n’y parvient pas, il se maintient à une belle hauteur, l’est sur la crête du riff qui ne s’arrête jamais, qui s’érige vers le haut et se maintient à sa hauteur, rémission battériale, il ne faut point tenter l’impossible ni le contre-ut, ils élargissent la muraille, lui donnent la largeur des jardins suspendus de Babylone. Arrêt buffet. Profitez de ce que Will gratouille sa basse aidé en sous-main par la guitare claire de Jeff et les cymbales mouillées d’Archie pour admirer le paysage. Z’haussent le ton, à croire qu’ils forment l’orchestre qui annoncent la venue du Messie… Vous ne le verrez pas, le morceau se termine sur un dernier zézaiement d’élytres angéliques.

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             Des deux EP’s je préfère le premier. Leur façon de traiter le riff me semble plus prometteuse.

    Damie Chad.

     

    *

             Imaginez que vous tournez autour d’une fille. Pas en rond car le but est de s’en rapprocher au plus près. Nous appellerons le point de votre plus grand éloignement  de son corps refusant l’apocythère, et le point par lequel vous vous situerez au plus près de son corps consentant le péricythère. Pourquoi Cythère ? Parce que dans l’antiquité l’île de Cythère était associée à Aphrodite, déesse de l’amour. Maintenant si vous croyez que cette chronique vous révèlera des secrets inédits sur les voluptueuses pratiques de l’art vénérien vous êtes dans l’erreur. Ouvrez plutôt un manuel de mathématique supérieure, vous en aurez besoin.

    APSIDES

    BLACK ALEHP

    (BC / Art Catharsis Records)

    Lachlan  Dale: guitar, effects / Peter Hello : violoncelle / Timothy Johannessen : grand tambour d’origine persane, setar  (sitar persan à trois cordes).

     + Jessika Kenney: vocals, pistes 1, 3, 7 / Natalya Bing : violon, piste 2.

             Oh ! Damie, tes lascars avec leurs instruments ils ne sont pas un peu proches de la musique classique. Je salue votre intuition les gars, bien sûr ils s’en rapprochent pour mieux s’en éloigner, le mot ‘’black’’ est un parfait exemple de leur inscription dans le black metal mais à leur manière. Ils crèchent en Australie, le vocable ‘’aleph’’ dénote chez eux, je vous l’accorde volontiers une légère accréditation intellectuelle. Damie ce n’est pas trop clair, explique-nous, s’il te plaît !

             Si vous ramassez un caillou dans votre main, combien y a-t-il d’objets dans votre main ? Facile : un seul. Non deux : le caillou et le ‘’un’’. Ne me dites que je suis fou. Pythagore affirmait qu’un chiffre appartient en même temps au monde concret et au monde mental. La preuve vous avez dans main et le caillou que vous avez ramassé et le fait que vous n’en ayez récolté qu’un.

    Si vous en prenez un deuxième vous vous retrouvez avec deux cailloux, deux pierres et le chiffre deux ;

             Damie tu débloques, ton Pythagore il ne tourne pas rond ! Pas du tout, soyez modestes les copains, Platon s’est emparé de cette réflexion, si vous vous asseyez sur une chaise, vous avez deux chaises, celle sur laquelle vous avez calé votre auguste postérieur et l’autre l’eidos : l’idée de la chaise. Maintenant vous savez ce que c’est qu’un aleph ? La première lettre de l’alphabet hébraïque, tu vois on n’est pas aussi ignorants qu’on en a l’air ! Pour faire simple nous dirons que c’est un nombre plus grand que l’infini. Or notre monde est fini. Donc si vous tracez un point aleph sur un diagramme orthogonal, vous tiendrez dans votre main le monde entier. Dans votre main et dans votre espace mental aussi.

    Heu, oui si tu y tiens… En fait je vous dis cela ce n’est pas pour vous expliquer la nature pour ainsi dire bipolaire des alephs mais pour vous v faire comprendre la notion d’apsides. Ce sont deux points, le plus proche et le plus éloigné qu’un objet peut atteindre par rapport à un autre objet autour duquel il tourne selon une ellipse. Ouais ! un peu comme la lune autour de la terre, parfois plus proche, parfois plus loin.  Parfait les gars, maintenant nous quittons l’espace physique pour l’espace mental. Ne pensez plus à la lune, pensez à une orange. Facile Damie ! C’est bien, votre orange vous la simplifiez, vous l’épurez sous la forme d’une sphère. On veut bien Damie, ce n’est pas facile mais on essaie… c’est bon, on a bien la représentation d’une sphère dans notre cerveau. Bien les gars, essayez de tourner autour, comme si vous vouliez voir la face cachée de la lune. Damie ton truc il est entièrement givré, en plus à quoi ça sert, ce sera pareil si on la voit de l’autre côté !

    Les gars, je vois que vous fatiguez. Sachez toutefois que si vous n’arrivez pas dans votre espace mental à observer une forme simple sous tous ses angles vous ne parviendrez jamais à connaître comment un objet quelconque immobile peut induire, de  par sa propre immobilité et sa seule position, l’espace dans lequel il se tient.  Le problème se complexifie si l’espace lui-même de par sa seule étendue spatiale peut engendrer la probabilité idéelle d’autres positions de lui-même depuis cet objet voué à rester immobile.

    Ce n’est pas pour te vexer Damie, mais dans ton introduction le corps consentant de la fille c’était plus clair. Là, tu nous as un peu embrouillés. Vous avez besoin d’un break, écoutons l’opus, la musique est bonne conseillère.

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    Descent : tambourinade, effets droniques, le rythme ne varie guère mais l’impression de vitesse s’accroît obtenu par la répétition de vagues électroniques, mais le son faiblit, le violoncelle se meurt, l’ensemble devient plus sombre, bientôt juste le tambour comme un dernier message que l’on aurait du mal à saisir, des bribes d’une semblance de guitare, silence. Serait-on perdu. De vue, d’oreille, de nez, de bouche de tout ce que vous voulez et de tout ce que vous ne désirez pas. Ou alors serait-ce le point de non-retour mental. Ambit I et Ambit II : pourquoi deux morceaux pour cette anabase, cette montée en selle, alors que la Descente n’en a eu droit qu’à un seul. Est-il plus difficile de monter que de descendre, plus facile de s’éloigner que de se rapprocher. Soyons concret dans notre réponse : nous regardons une vidéo d’un de leur live dans laquelle les deux morceaux sont interprétés à la suite l’un de l’autre. Sont tous les trois assis, guitare, tambour, violoncelle. Une première surprise et peut-être une première réponse. Le tempo est particulièrement lent. Manquerait-il d’ambition, ou alors, répétons-le, la montée serait-elle plus longue que la descente ce qui mathématiquement est absurde. La coupure entre la Part 1 et la Part 2 reste des plus symboliques puisqu’elle s’effectue durant un long solo de guitare, ce qui nous laisse supposer que la prépondérance du violoncelle, vu la discrétion du tambour, est à considérer comme le marqueur nostalgique de la première partie, d’ailleurs le violoncelle revient mais cette fois il adopte de sublimes tonalités funèbres, étrange de penser que l’on traîne des pieds comme si l’on répugnait à effectuer cette partie du voyage, peut-être parce que cette remontée initie-t-elle l’idée perverse que cette montée n’est que le début du retour. Que si l’on n’a jamais été aussi loin, au moment où l’on atteint cette acmé de l’éloignement débute l’obligatoire début de la fin, que l’on n’a jamais été symboliquement plus proche de la fin.  Separation : de quoi se sépare-t-on, de l’espace ou de nous-même, de notre rêve en le réalisant, nous sommes au moment introspectif du silence où nous songeons à cet arrachement, à cette victoriale extraction de nous-même, à cette déportation de notre espace mental qui est aussi une coupure, une rupture, une négation exhorbitante de nous-même par nous-même, ne sommes-nous pas en train de mourir en nous dessaisissant de notre être pour être autre. Sommes-nous en train de vivre notre défaite, de nous anéantir…

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    Precession : encore une fois nous nous tournons vers la concrétude du live, At Barkerhouse, dû à Samuel Kostevic, magnifique entrée en matière que ce début avec les musiciens pris de dos, resserrés comme un quatuor de musique classique, puis la caméra qui les montre de face, un par un, comme s’ils étaient très éloignés l’un de l’autre, elle tournera ainsi sans fin, le retour de cette circularité visuelle pour coller à l’accélération mélodramatique phonique, cette précession est celle du doute, le moment où la nuit s’égalise au jour, où l’obscurité risque de l’emporter sur la lumière, où l’âme se laisse envahir par la noirceur de la fragilité humaine, la mort s’en vient à pas lents et lourds poser sa main, presque amicale, sur votre épaule, pour vous signifier que toutes vos entreprises ne survivront pas, maintenant elle s’éloigne doucement, elle ne vous veut pas de mal, la musique décroît comme le bruit de ses pas…

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    Return : Il existe une officiel vidéo due à Michel Gasco. Enigmatique. Un homme qui marche dans un paysage de bush australien. Imaginez une immensité rousse d’herbe que l’on dirait avoir été foulée aux pieds par des millions de kangourous, une espèce de désert vide, le retour serait donc un retour en soi-même, une espèce d’extropection intérieure, à part que parfois nous serions dans un objet spatial qui reviendrait sur sa planète originelle, peut-être sont-ce des visions fugitives d’un rêve vernien, de ces scénarios que l’on se monte dans notre tête pour se donner l’illusion de vivre intensément, d’échapper à notre propre prison mentale, à notre propre solitude, pourquoi restè-je fasciné par ces images alors que la musique est euphoniquement belle, parce qu’elle est ne varietur, qu’elle ne semble pas vouloir dépasser sa ligne d’horizon phonique, comme si elle ne voulait ne point départager l’espace mental de l’appropriation aproximante du rêve et de la réalité, peut-être pour ainsi perpétuer la seule idée du retour en l’enfermant dans la closure de sa propre éternité. Occultatum : ce qui est caché ne doit pas être révélé.

             Ho,  Bamie, c’est quand même assez proche de la musique classique ton truc, et assez éloigné de nous. Les gars, je le concède, toutefois ce n’est pas si simple, comment expliquez-vous que parfois ce n’est pas sans évoquer Led Zeppelin, notamment les enregistrements de Page et Plant avec l’Orchestre National du Maroc, les accointances avec les modalités orientales…

    Damie Chad.

    Adresse au lecteur : c’est nous les gars, nous avons laissé Damie pérorer tout seul, le mot oriental nous a donné envie de nous envoyer un  kebab dans l’œsophage. On s’est un peu pris la tête pour décider si les frites étaient meilleures à l’établissement le plus proche ou au plus éloigné… Comme quoi les divagations de Damie ne sont exemptes d’une certaine perspicacité.

     

    *

             Pourquoi tant de groupes purement instrumentaux. Soyons méchant : quand on n’a rien à dire le mieux n’est-il pas de se taire. Soyons hypocritement gentil : la musique n’est-elle pas un ensemble de notes jouées par /sur des instruments. Il doit bien exister un injuste milieu entre ces deux extrémités segmentales. Le silence n’est-il pas une flèche invisible, dont on entend le sifflement, qui finit bien par se ficher dans un coin de l’univers. D’ailleurs le vide n’occupe-t-il pas davantage d’espace que la matière, et le silence davantage d’épaisseur que le bruit…

    AETERNAL CHAMBERS

    AETERNAL CHAMBERS

    ( BC - YT / Octobre 2024)

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    La couve est d’une tristesse infinie. Paysage, coin de campagne perdu, un chemin, un talus, surplombés par ces pylônes en forme de dérisoires Tours Eiffel, relais de passages obligés  par lesquels transitent au travers d’appareils coûteux d’(in)communication des millions de messages, terriblement indispensables… Trois gamins qui se suivent parmi les hautes herbes, le premier, dans la série plus près de toi mon dieu, ne serait-il pas en train de consulter son portable…

             Proviennent du Royaume-Uni, nous n’en savons pas plus.

    Alex Nervo : Bass, Keys, F/X / Neil Dawson : Drums & Percussion  / Raf Reutt / Guitars, Keys, F/X ( samples d’effets sonores).

             L’on peut dire beaucoup en peu de mots. La simple lecture des titres est plus que parlante. Notre trio ne déborde pas d’un optimisme irrépressible quant à l’état de notre société actuelle. Nous non plus. Le titre de l’album nous laisse davantage de latitude interprétative. Lorsque j’ai entraperçu le titre j’ai pensé aux chambres d’éternité. Apparemment, ce n’est pas ce genre d’appartements métaphysiques qu’ils entreprennent d’explorer. Font allusion aux prisons carcérales mentales dans lesquelles le déploiement de la technologie nous enferme. Soyons précis, les portes sont grand-ouvertes, c’est nous-mêmes qui nous nous y établissions à demeure, optant ainsi  pour la réclusion volontaire. Sans même nous rendre compte que pour fuir la réalité existentielle engendrée par la préhension technologique nous nous réfugions dans le cocon préparé spécialement pour nous par la mygale artefactique qui finira par nous tuer le jour où elle n’aura plus besoin de nous.

    Husk of mortal despair : un son s’installe, doucement, sans se presser, tout doux, survient une deuxième vague, tout aussi quiète quoique plus amplifiée,

    Et tombent des larmes de guitare bientôt appuyée de saccades percussives, attention, c’est comme les vagues de plus en plus grosses qui surviennent de derrière vous quand vous nagez, quelque part vous ne vous inquiétez pas, vous êtes englobés dans une matière molle parée de couleurs diaprées, dans cette piscine molletonnée vous ne courez aucun danger, vous êtes en sécurité, ça ballote un tantinet, faut bien vous rendre compte que vous êtes dans la mer des sargasses, elles glissent sur vos jambes, elles caressent votre corps, elles forment un berceau algueux qui ne vous déplaît pas, c’est la houle de la nostalgie qui s’imprègne en vos chairs, qui phagocyte votre tête, c’est parti, le rythme s’accélère les boucles forment des entrelacs de loopings de plus en plus étonnants, tout est bien, tout est beau, plus de retour en arrière possible, d’ailleurs la musique baisse de plus en plus, vous sentez si bien que vous vous endormez. Une petite mort. Drive me to ruin : vous en redemandez, l’orchestration est luxuriante, ne pensez pas à la sauvagerie des couleurs criardes, non une harmonie rubescente, du pastel ondoyant, vous ne demandez qu’à suivre le mouvement, l’accélération répond à vos désirs, pratiquement résonnent les ors d’une fanfare lymphatique, pourtant vous êtes sous influence d’une torpeur agissante, vous devenez victime de la poésie des ruines, c’est bête mais vous ne vous apercevez pas que la ruine que vous admirez n’est autre que votre esprit en état de délabrement avancé, votre volonté châtrée, des rafales de gouttelettes de rosée empoisonnées s’immiscent dans les pores de votre peau. Paved with gold : comme un bruit de moteur, d’atelier d’usine, presque lointain, votre esprit se brouille pour mieux s’illuminer d’une certitude, cet ultraléger bruissement n’est que le fruit à payer, la batterie vous rembourse au centuple, vous pesez le pour et le contre, et la différence penche en votre faveur, ne faites-vous pas partie de ces générations bénéficiant d’une sécurité exemplaire, d’un bien-être que tous vos ancêtres n’ont pas connu, moment de recueillement, attention il est inutile de s’appesantir en une tristesse empreinte de stupide culpabilité, profitez de la situation présente, votre vie est d’une richesse inouïe, vous arpentez une avenue existentielle pavée d’or, mais que sont ces notes claires noyées d’une inexplicable tristesse souterraine. Le sucre du bonheur ne recèle-t-il pas une étrange saveur amère. Glitch in the mist : changement d’ambiance, pourquoi les relents de nostalgie cachés sous le tapis se teintent-ils d’une tristesse infinie qui gagne en intensité alors que la musique se fait plus douce, coup de pédale sur l’accélérateur de la grosse caisse, comme si l’on essayait de s’opposer à la fragmentation évidente de la vitre qui nous sépare de notre propre réalité. Aïe ! Aïe ! Aïe ! La pression de l’extérieur deviendrait-elle trop forte, n’est-elle pas en train de gagner la partie, ouf ! on respire ! peut-être pas pour très longtemps… Qu’importe la musique décroît, elle ralentit, elle s’apaise… Ici tout n’est que calme, luxe et cauchemar insidieux. 

             Pour ceux qui aiment les recommandations autorisées, Steve Howe, le guitariste de Yes (pour moi ce groupe a toujours été No), le recommande chaudement.

    Damie Chad.

     

    *

    Que vient faire un artiste de country dans une playlist : Heavy-Stoner-Sludge-Doom-Metal-Psych-Desert-Drone Rock-Heavy Rock-70's Rock-Acid Rock-Psychedelic Rock-Hard Rock-Heavy Metal ? Pas de quoi déclencher une troisième guerre mondiale, j’en conviens. Mais la question me taraude depuis quelques temps… Ce n’est pas une erreur, elle se répète depuis trop longtemps, même pas une distraction, le nom de l’artiste embaume le country, l’Amérique profonde, le crottin de cheval, l’Agence Pinkerton, avec un peu de chance une révolte indienne, toute la mythologie de l’Ouest résumée en trois mots, jugez-en par vous-même :

    THE COALMINER’S GRANDSON

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             D’où sort-il au juste ce petit-fils du mineur, j’ai toujours eu un doute, trop couleur locale pour être vrai. Alors ce soir j’ai cherché. J’ai trouvé. 666 Mr Doom, mène depuis plusieurs années sur YT un travail de promotion de groupes situés dans l’arc hard-rock/post-metal, l’a recensé et initié à ce jour quinze mille vidéos. Il ne s’en cache pas, ses parents ne l’ont pas baptisé ainsi, il répond au patronyme de George Kellamy, tiens un grec, je ne peux que m’incliner devant un représentant de ce peuple, quant à notre petit-fils de mineur de charbon, lui non plus, il ne s’en cache pas, il se dénomme : Akis Kosmidis, encore un grec, pas étonnant depuis Anaxagore et Parménide ils sont partout, dans toutes les têtes. Le mystère de cette étrange connexion doom-americana est levé.

    Que cela ne nous empêche pas de nous pencher sur quelques opus de notre artiste.  Vous pouvez le rencontrer sous deux appellations, The Coalminer’s Grandson et The Coalminer’s Grandson with the Folk Family.

    Depuis le mois de janvier 2024, notre charbonnier en chef a posté vingt singles sur son Bandcamp et sa chaîne You Tube. Nous n’allons pas les écouter in extenso pour cette première fois. Notre choix a été guidé par notre préférence pour certaines lllusess. Avant de l’oublier : Akis Kosmidis a peut-être, juste une supposition, choisi son pseudonyme en référence au morceau Coal Miner’s Daugther de Loretta Lynn.

    WHISPERWIND

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    Quelle couve ! tout l’Ouest sauvage comme vous l’avez toujours rêvé, même pas dans les westerns, dans les bandes dessinées, ces fascicules économiques que vous voliez dans les kioskes à journaux, certes vous n’aviez pas le panache cruel de Kit Carson, mais c’était déjà s’inscrire dans The Great Robbery, votre première lutte contre la Société, bref un gamin sur un chemin, pas un chef d’œuvre pictural, une simple vignette un peu maladroite, mais un parfait objet de rêve. Un petit trot au banjo et la voix du Petit-fils, d’habitude rocailleuse tente de se faire douce. Normal une déclaration d’amour, non pas à une femme, soyons sérieux nous sommes chez les cowboys, les vrais, les durs, les impitoyables, non à un cheval. N’interprétez pas les paroles à l’envers, ce n’est pas un garçon qui éduque sa monture, c’est un être libre comme le vent qui apprend la liberté à celui qui ne se définit jamais comme un maître. Le morceau est long, l’est vrai qu’ils sont dans une autre dimension, qu’ils galoperont sans fin comme Crin-Blanc et Folco jusqu’au rivage de la mort.

    REGRETS AND REVERIES

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             L’on ne peut pas vivre dans ses rêves sempiternellement. Sans doute sont-ils plus grands que l’horizon que sur l’image notre cowboy essaie d’embrasser. Le ton change, l’est devenu sarcastique, il est vrai qu’il ne s’adresse pas à un être supérieur, comprenez un animal, l’ensemble vous a un petit côté scène autour d’un feu de bois, ou dans un saloon, le gars qui prend son banjo pour s’adresser à des gars qui lui ressemblent comme deux gouttes d’eau qui ont davantage de regrets dans leurs poches que de rêves. Beaucoup de temps perdu avec des gens qui n’en valaient pas la peine, pour sa propre vie il n’a pas toujours parfait, mais en fait il est assez fier d’avoir survécu comme il l’a fait. Au mieux de ses possibilités et de ses manquements. Serait-ce l’ironique consolation du pauvre…

    THE BOY I WAS, THE MAN I’VE BECOME

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             Une imagerie un peu trop pathétique, le petit-garçon dans les bras protecteurs de son grand-père. Non ce n’est pas tout à fait cela. L’écrit bien, notre chanteur. Ses textes ressemblent à ces longs poèmes en vers réguliers auxquels nous ont habitués les poëtes romantiques. Peut-être avez-vous ressenti un souffle schelleyen dans le premier titre, Whisperwind, ici c’est plus proche de Victor Hugo. Une belle mise en scène, au début l’on se croit dans un cimetière, parfois les miroirs réfléchissent beaucoup mieux que nous, ils nous renvoient une image de notre futur. Chante bien aussi. Sait mettre le ton. Ici, il semble qu’il parle, pas à nous mais avec lui-même. Le rythme est lent, piano mélancolique et violon pleureur lui prêtent main-forte. A la fin du morceau, il ne s’est pas passé grand-chose, la mort s’est simplement rapprochée. Quoi dire de plus…

             Très efficace. Très américain. Nous y  reviendrons.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 492 : KR'TNT ! 492 : WILD BILLY CHILDISH / CHUCK PROPHET / PLANETE METAL / STEPPENWOLF / ROCK STORY / ROCKAMBOLESQUES XV

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 492

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    07 / 01 / 2021

     

    WILD BILLY CHILDISH / CHUCK PROPHET

    PLANETE-METAL / STEPPENWOLF

    ROCK STORY/ ROCKAMBOLESQUES 15

     

    Le rock à Billy - Part One

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    Debout devant la pile des arrivages, il farfouillait attentivement (sur l’air d’Il Patinait Merveilleusement du pauvre Lélian). Brandissant un vinyle, il rompit soudain le silence :

    — Tiens... Jamais vu ce truc-là ! C’est quoi ?

    — The Watts 103rd St Rhythm Band, c’est une grosse équipe de blackos qui font du funk. L’album date de 1967. Y sont californiens. Y zont dû faire cinq ou six albums en tout. Gros son. Tu veux qu’on l’écoute ?

    — Ouais, vas-y, mets-le. Et ça ?

    — Explorers Clubs, des adorateurs de Brian Wilson, mais ça ne va pas te plaire. Trop pop pour tes oreilles de vieux renard du désert. Et ça, tu ne dois pas connaître non plus, c’est japonais.

    Pochette noire frappée de trois grosses lettres argentées : PSF.

    — PSF ça veut dire Psychedelic Speed Freaks. Ils portent bien leur nom. C’est l’un des trucs les plus explosifs que je connaisse. Comme les Schizophonics, ils repartent du MC5 et poussent le bouchon dans les orties, avec ta grand-mère. Comme si c’était possible de pousser le bouchon du MC5, hein ? Quand les Japonais font un truc, ils le font mieux que tous les autres, en voilà encore la preuve ! Tu sais le mec dont je t’ai déjà parlé, le mec de Dig It!, c’est lui qui passait ça dans son radio show. L’a passé ça plusieurs fois. Alors bingo !, j’ai rapatrié l’album.

    À la suite de quoi le farfouilleur éclata de rire :

    — Ha ha ha ! T’as encore récupéré des Billy Childish ?

    — Ben oui...

    — Mais t’as déjà tout. Ça n’a pas de sens !

    — Tu te fourres le doigt dans l’œil jusqu’au coude, camarade. C’est justement parce que tu as tous les albums de Billy Childish que tu continues d’écouter les albums de Billy Childish. Comme Aretha et James Brown, il est parfaitement incapable de faire un mauvais album. Je vais même te dire un truc : ces deux derniers albums que tu vois là sont fan-tas-tiques !

    — Ouais, tu dis ça tout le temps. Si on t’écoutait, on n’en finirait plus.

    La remarque du farfouilleur le piqua au vif et la répartie fut cinglante :

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    — Chacun cherche chon chat, camarade. Chacun fait comme il peut avec ses petits bras et sa petite bite. Mais bon puisque le train de mes enthousiasmes roule sur les rails de tes insuffisances et s’arrête à la gare de ta suspicion, on va stopper le funk pour donner la parole au vieux Billy. Alors je sais ce que tu vas me dire : il n’a pas inventé la poudre. Et là tu vas encore te vautrer ! La poudre, il la réinvente chaque fois qu’il fait un album. Tiens, on va attaquer avec celui-là, Last Punk Standing, tu vas voir, l’album porte bien son nom...

    Il mit l’album en route. Piégé dans cette conversation qu’il n’avait pas souhaitée, le farfouilleur s’efforçait de montrer un minimum d’attention :

    — Mais c’est pas Billy Childish qui chante ?

    — Non, c’est la Juju à son Billy, une nonchalante avec de la prestance à tous les étages. C’est elle que tu vois sur la pochette. Le cut s’appelle «It Hurts Me Still». Ça ne te rappelle rien ?

    — Les Headcoatees ?

    — Bravo ! La Juju joue de la basse et Wolf bat le beurre. Billy reste à la manœuvre. Tu vas voir, il va ressortir son meilleur accent cockney. Tiens, écoute celui-là, il s’appelle «Like An Inexplicable Wheel». Billy ressort ses gros accords psyché. Tu vois, avec sa toque de Davy Crockett, le vieux Billy fait encore de bons albums. Imagine que Jim Morrison ait vécu : il ferait certainement de bons albums. Ces vieux rockers ont ça dans la peau. Il y a d’autres exemples : Bob Mould ou encore Ray Davies. Tiens écoute celui-là, il s’appelle «The Darkness Was On Me»...

    — Ouais, c’est les accords de «You Really Got Me» !

    — Et Billy pousse le même waouuuuhh que Ray Davies, pas mal, non ?

    — C’est vrai que ça sonne bien.

    — ‘Coute ! Il termine l’A avec un bel hommage à Link Wray, mais attends, il y a encore de la viande de l’autre côté, tiens, comme ce truc qui s’appelle «Gary’s Song». La Juju va te rendre gaga, mon gars ! Et c’est encore pire avec celui-là, «The Happy Place». T’as vu l’attaque ? Putain, quelle niaque !

    — Pour du garage anglais, c’est vraiment bien.

    — Attention, voilà le morceau-titre ! Billy rend hommage à la résistance ! Il le fait à l’Anglaise, t’as qu’à voir, là, poto, t’as du mythe à la pelle ! Il sait même faire les Stooges, tiens, ‘coute l’intro de ce truc-là qui s’appelle «Some Unknown Reason», c’est les accords de Wanna Be Your Dog. Et qui c’est qui referme la boutica ? La Juju avec «The Used To Be», ‘coute comme elle est bonne, elle a cette engeance de la prestance qu’avaient les Headcoatees, tu crois pas ?

    — Y vaut cher l’album ?

    — Non, si tu le commandes chez Crypt, ça reste correct, 15 ou 16. Il tient ses prix. Comme au temps du Born Bad de la rue Keller, quand les albums étaient tous à 13.

    Il ne proposa pas au farfouilleur d’écouter l’autre album de Billy. Deux Billy dans la foulée ? No way. Ça fait beaucoup et ça risque de gâcher le plaisir. Bon, on va laisser nos deux amis vaquer à leurs occupations pour entrer dans des considérations plus épistémologiques. On peut en effet se poser la question de savoir à quoi rime d’écouter Wild Billy Childish en 2020. Quel sens ça peut avoir ? Aucun. Le seul sens est celui que donne l’artiste en agissant. Époque révolue ? Non, puisque Billy Childish enregistre encore un album, et pourquoi enregistre-t-il encore un album ? Pour qu’on l’écoute. Même s’il en a déjà fait 100 ? Et alors, ça fait 101 ! Vas-y Billy ! Tant qu’il tiendra debout derrière son micro, on sera là. Il y a plus de sens dans le 101e album du vieux Billy que dans toute ta philosophie, Horatio. Plus de sens que dans tout ce magma médiatique et tout ce décervelage organisé. Last Punk Standing, et comment ! Ce n’est pas un hasard si Billy peint. Il peint comme Gauguin et tous les hommes libres peignaient avant lui. Billy ne passe pas son temps à regarder des conneries à la télé. Il a compris qu’un cerveau ça pouvait servir à peindre et à faire des disques, et tant pis si les gens n’écoutent plus beaucoup les disques, l’essentiel est de continuer à servir ses dieux et ses diables. Billy fait son Last Punk Standing de la même façon que Jerry Lee fit son Last Man Standing. S’il n’en reste qu’un, il vaut mieux que ce soit Billy plutôt que Stong, pas vrai les gars ?

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    Thomas Patterson qui l’interviewait en 2019 le qualifiait de painfully honest, c’est-à-dire de dramatiquement honnête. Billy nous explique Patterson pousse sa logique de singular anti-commercial vision jusqu’au bout, allant jusqu’à continuer de s’illustrer dans un genre tombé en désuétude, commercialement parlant. Mais le paradoxe, c’est que Billy n’a jamais été aussi bon, aussi déterminé à nous sonner les cloches. Il rappelle à Patterson qu’il a tout fait : «We’ve done every single thing. We’ve got spoken word, blues, experimental and nursery rhymes. Everything.» D’une modestie qui pourrait servir de modèle à ceux qui en manquent tragiquement, Billy tient surtout à rappeler qu’il n’est pas musicien. Au Nouveau Casino, c’est Graham Day qui sur scène accordait la belle guitare rouge de Billy. Il s’en explique très bien d’ailleurs : «La grosse difficulté avec la guitare : c’est une chose que d’apprendre à en jouer, mais c’est complètement autre chose que d’en jouer débout derrière un micro.» Billy se fout de savoir si on l’admire et s’il a du succès, il ne s’inquiète que d’une chose : faire très exactement ce qu’il veut faire et la manière dont il veut que ça soit fait. Billy travaille son son comme Gauguin sculptait les bois de la Maison du Jouir, aux Marquises : tout à la main et fuck you. Billy ne doit rien à personne.

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    C’est exactement l’impression qui se dégage de Kings Of The Medway Delta. Rien qu’à voir la pochette, on comprend tout. Billy, Juju et Wolf sont là, ain’t got no friends around, claque Billy dans sa chanson, et il allume son boogie au scream, comme au temps des Sonics. Dans l’interview, Billy rappelle qu’il déteste le garage, son truc c’est l’early rock’n’roll des Beatles à Hambourg et le Bristish Beat, ce qu’illustre parfaitement son «Got Love If You Want It» : il y recrée la magie des vieilles pétaudières. Sortir un tel son relève du prodige. D’ailleurs Billy le dit et le redit : «La seule chance qu’a le rock’n’roll de survivre, c’est de faire ce qu’on fait, le jouer pour personne sous une pierre, à l’abri comme ça il n’est pas détruit par la lumière du jour. Et c’est parce que j’aime la musique qu’on enregistre toujours nos disques comme quand on avait 15 ans et qu’on enregistrait notre premier album. Voilà pourquoi on est cool and better than everyone else. C’est pas compliqué à comprendre, non ? It’s simple maths.» C’est vrai que cet album pourrait être enregistré en 1964. «All My Feelings Denied» est un cut souverainement inspiré. Si on en pince pour le British Beat de l’âge d’or, alors on est gâté avec «Wiley Coyote». Billy fait son Wolf (l’autre, pas le sien) avec une sacrée gouaille, il tranche bien dans le vif du sujet. On l’entend aussi jouer ses notes en apesanteur dans «Why Did I Destroy Our Love», un chef-d’œuvre de musicalité psyché à l’anglaise, avec un Wolf (le sien, pas l’autre) qui fouette les fesses du beat à la perfection. Il termine cette excellente déclaration d’intention en blastant «You Wonder Why I’m Hurting». Il drive son boogie comme il l’a toujours fait, en parfaite connaissance de cause.

    Signé : Cazengler, Billy Chierie

    Wild Billy Childish & CTMF. Last Punk Standing. Damaged Goods 2019

    Wild Billy Childish & The Chatham Singers. Kings Of The Medway Delta. Damaged Goods 2020

    Thomas Patterson : You’ve Got To Do Something. Shindig! # 87 - January 2019

     

    Prophet en son pays - Part Three

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    Fin 2020, année lugubre s’il en fut, Chuck Prophet est revenu dans le rond de l’actu avec les bras chargés : un book, un nouvel album et une interview dans Vive Le Rock. Pour dire haut et fort sa fierté de fonctionner à l’ancienne, Dandy Chuck brandit son vinyle et fait une interview de promo dans un canard de has-beens ! Il avoue même sa hâte de repartir en tournée, comme au temps d’avant - But as soon as we’re able, we’ll get out on the hillbilly highway and bring it to the people. I miss that connection with the crowd in a big way - Ah les dandys, c’est toujours pareil, ils ne peuvent pas s’empêcher de porter leur nostalgie en boutonnière, à l’instar du baron de Charlus arrangeant nous dit Proust une rose mousseuse à sa boutonnière.

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    Ce nouvel album s’appelle The Land That Time Forgot et fait suite à l’abondante discographie sur laquelle on s’est déjà largement répandu dans KR'TNT. Ça devait être en 2017, suite au concert de Dandy Chuck à la Boule Noire. Un Part One passait en revue les faits et gestes de Green On Red et un Part Two ceux du Dandy solo. Nous voilà donc rendus au Part Three avec un album qui peine à convaincre, tout au moins en bal d’A. Dandy Chuck fait toujours sa pop de Dandy et sa voix cristallise son élégance. Disons qu’il est au rock moderne ce que Dylan fut au rock de 65 : l’homme de la diction suprême. Il faut l’entendre dans «High As Johnny Thunders» déclarer : «If heartbreak was virtue/ Man I’d be so virtuous.» Avec sa compagne Stephie, il monte un coup de dynamique à deux voix dans «Marathon» et dans «Willie & Willi», il raconte l’histoire d’un couple qui écoute Metallica real loud, histoire d’emmerder des voisins qui appellent des flics qui ne viennent jamais. Dans la vie, c’est bien connu, il faut des baisés. Les deux chansons politiques qu’on trouve en B sont le seul intérêt de cet album. La première concerne Nixon et Dandy Chuck n’est pas tendre avec ce sale bonhomme. Dans «Nixonland», il raconte qu’il est né in the heart of Nixonland. Il fait parler Nixon s’adressant au fantôme d’Abe, c’est-à-dire Abraham Lincoln - Surely Abe you must understand/ The Jews are out to bring me down (T’as bien compris Abe que les Juifs veulent ma peau) - Personne n’incarne mieux que Nixon le fascisme à l’Américaine. Et dans «Get Off The Stage», Dandy Chuck s’adresse à Trump sans jamais le nommer. Il lui demande de dégager le plancher, sur un ton très dylanesque, dans tout l’éclat de sa hargne - Please get off the stage - C’est suprêmement bien dit - You’re one bad hombre/ So why don’t you just turn around and go home (T’es qu’une sale bonhomme, alors pourquoi ne rentres-tu pas chez toi ?) Tout ce qu’il dit sonne étrangement juste - We’ve heard everything you’ve got to say/ Take a book off the shelf - Rentre chez toi, ferme ta gueule et lis un livre. Apparemment, les dieux ont exaucé les vœux de ce merveilleux héritier de Dylan qu’est Dandy Chuck.

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    Back to the book. Bien évidemment, on attendait monts et merveilles d’un book de Dandy Chuck, au moins autant que du petit essai que consacra jadis Barbey d’Aurevilly à George Brummell, considéré comme l’inventeur du dandysme en Angleterre, Du Dandysme Et De George Brummell. Hélas, il faut vite déchanter, car l’auteur de What Makes The Monkey Dance - The Life & Music Of Chuck Prophet & Green On Red n’est pas Dandy Chuck mais un certain Stevie Simkin qui lui n’est pas dandy pour deux sous. Il passe complètement à côté du sujet qui est le dandysme. Il pourrait objecter - et il aurait raison - que les États-Unis ne sont pas terre de dandysme, à de rares exceptions près (Francis Scott Fitzgerald, Andy Warhol et Christopher Walken). Bref, il fait chou blanc, ce qui explique le fait qu’on ne trouve dans ce book qu’une seule et unique référence à l’élégance qui est tout de même le trait le plus marquant de Dandy Chuck : «D’une certaine façon, la musique et les fringues sont liées. J’aime l’élégance. Je trimballe des grosses valises. Comme dirait l’autre, le style est la réponse à tout. D’une part, le style n’a rien à voir avec la mode. D’autre part, le style est instinctif. Comme le dit Joan Rivers, c’est comme l’herpès, soit vous l’avez, soit vous ne l’avez pas.» En écho à ce trait d’esprit prophetic, on va citer Barbey : «Le luxe de Brummell était plus intelligent qu’éclatant ; il était une preuve de plus de la sûreté de cet esprit qui laissait l’écarlate aux sauvages, et qui inventa plus tard ce grand axiome de la toilette : ‘Pour être bien mis, il ne faut pas être remarqué.’»

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    Style ou grâce ? Dans le cas de Dandy Chuck, on aurait tendance à pencher pour la grâce. Une autre trait de Brummell que souligne Barbey lui sied à merveille : «Les femmes ne lui pardonneront jamais d’avoir eu de la grâce comme elles ; les hommes, de n’en pas avoir comme lui.»

    Le dramatique de la chose est que Simkin brosse un portrait extrêmement édulcoré de Dandy Chuck. Il en fait une sorte de rocker américain tellement soucieux de son indépendance qu’il se condamne à l’underground et cette façon d’aplatir les choses ne fait que normaliser un Dandy Chuck qui de toute évidence cherche depuis toujours à échapper à ses poursuivants, ce qui est comme vous le savez l’apanage des Dandys, ainsi que le scandait Barbey : «On ne se lassera point de le répéter : ce qui fait le Dandy, c’est l’indépendance.» Grâce à Barbey, Simkin retombe donc sur ses pattes. Gros veinard !

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    Ce book propose un panorama chronologique comme on en fait tous. Avec ce pétard mouillé, Simkin nous traîne aux antipodes du book de rêve, celui de P.F. Sloan par exemple, paru chez le même éditeur, un book en forme d’invitation au voyage, sur lequel nous allons bien sûr revenir. Si le Sloan slappe si joliment l’imagination, la raison en est toute simple : Sloan qui est un esprit fantasque s’adresse directement à son lecteur. Pas d’intermédiaire. Oh bien sûr, Dandy Chuck raconte aussi un peu sa vie, mais il n’apparaît que cité entre guillemets. Dommage, car Dandy Chuck est un vieux blogger confirmé qui n’a besoin de personne en Harley Davidson. Mais sur ce coup-là, il n’est pas le boss. Simkin organise les choses à sa manière et injecte ici et là ses petits trucs perso. On s’en passerait bien, car les petits trucs perso qui nous intéressent sont ceux de Dandy Chuck. C’est d’autant plus frustrant que Dandy Chuck crée la sensation chaque fois qu’il ouvre sa boîte à camembert. Ses tournures d’esprit sont extrêmement originales. Comme par exemple lorsqu’il conclut le chapitre consacré à un manager dont il doit se séparer : «Oui, j’éprouvais un profond ressentiment envers Mike Lembo. Mais j’ai fait la paix en moi, au sens où j’ai assumé toute la responsabilité de cette affaire. Je pense qu’il est préférable de choisir ses combats, au sens où on ne peut pas tous les gagner.»

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    Simkin rend un hommage rapide au fameux Paisley Underground, une scène californienne enracinée dans Big Star et qui va engendrer l’apparition de Green On Red, des Long Ryders, de Rain Parade, des Bangles, un mouvement dit Steve Wynn provoqué par le vide des années 80 - a very dead period of music in Los Angeles - Retour des guitares, alors que régnaient partout ailleurs les synthés. Puis voilà Slash, oh non pas le frimeur des Guns, non, Slash c’est d’abord un petit label basé à Los Angeles qui sort Dream Syndicate, les Blasters et X - of the wild and fertile LA punk scene - C’est d’ailleurs Steve Wynn qui suggère aux mecs de Slash d’écouter Green On Red qui sont alors des débutants et qui campent dans un rootsy song-centric approach, camp-meeting cross of Crazy Horse et Creedence et qui avec leurs collègues locaux Lone Justice, Los Lobos et Long Ryders vont participer à l’avènement de l’alternative country. Dan Stuart embauche Dandy Chuck pour muscler le son de Green On Red et les voilà partis pour une sorte de wild ride suicidaire - We were typically pretty out of tune and Dan was like John Candy on Ritalin - Dandy Chuck se plait à reformuler leur absence totale d’ambition quand il compare Green On Red à REM, deux groupes qui ont démarré en même temps - Je respecte totalement ces quatre mecs qui ont bossé pour devenir célèbres. Mais nous n’avions pas du tout ce genre d’objectif. On n’avait tout simplement pas de plan. Just really self-destructive - Voilà ce qui fait la grandeur de Green On Red. Quand le mec de China Records leur demande de faire un disk pour les gens qui ont des lecteurs de CD dans leur bagnole, Dandy Chuck rétorque : «Je n’ai jamais vu un CD. Je ne sais même pas de quoi tu parles !». Jusqu’au bout, ils allaient poursuivre leur petit bonhomme de chemin auto-destructif, tant au plan commercial, artistique que personnel. Dandy Chuck résumera bien la situation à la fin du book en déclarant : «I’ve always felt out of time.»

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    Nick Kent qui voit Green On Red sur scène à Londres trouve la voix de Dan Stuart intrigante sur disk mais décevante sur scène - Avec Gram Parsons à six pieds sous terre aujourd’hui et Neil Young en plein délire réactionnaire, il existe un énorme champ de possibilités qui n’attend qu’une chose : qu’on le laboure. Quelque chose me dit qu’un jour ce groupe va trouver du pétrole, mais pas avec No Free Lunch, qui n’est rien d’autre qu’une vieille faux rouillée - Il a raison, Nick Kent, les albums de Green On Red ne sont pas tous très jojo. À la fin de Green On Red, Dandy Chuck et Stuart ne s’adressent plus la parole. Stuart se coupe du monde et Dandy Chuck part vivre à Berlin avec sa copine de l’époque qui n’est pas encore Stephie Finch. Quand un peu plus tard en 1989 ils redémarrent Green On Red, nos deux amis oublient le prévenir le batteur et l’organiste. Dandy Chuck est assez fataliste sur l’extinction des relations : «That camaraderie was gone.» Et il ajoute : «Comme dans tant de relations, les choses se délitent et ça s’éteint. Sans qu’on ait dit un seul mot.» Il indique aussi que si Green On Red a duré aussi longtemps, c’est grâce aux drogues - Green On Red nous a permis de sortir le plus tard possible de l’adolescence pour entrer dans l’âge adulte. Le groupe nous a aussi épargné les dangers de la rue et pire encore, celui d’un job alimentaire.

    Si vous parvenez à faire abstraction du côté chou-blanc-pétard-mouillé, vous trouverez néanmoins de quoi vous sustenter dans ces 300 pages, car Dandy Chuck jouit du privilège de ne fréquenter que des gens intéressants, à commencer par Jim Dickinson, Alejandro Escovedo et Dan Penn.

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    C’est Dandy Chuck qui insiste à l’époque de Green On Red pour travailler avec Dickinson. Pour ça, il va trouver David Lindley dans un club de Memphis et Lindley lui recommande plutôt de choisir Ry Cooder comme producteur. S’ensuit un échange prophetic :

    — Ry Cooder ? J’aimerais bien, mais nous ne sommes pas ce genre de groupe.

    — Qu’est-ce que tu veux dire ?

    — Well, on ne sait pas très bien jouer.

    — Qu’est-ce que tu veux dire par ‘pas très bien jouer’ ?

    — Well, on sait jouer, mais comme le Velvert Underground ou ce genre de groupe.

    — Qui ça ?

    — Tu vois bien ? C’est pour ça qu’on veut travailler avec Dickinson.

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    Dickinson produit The Killer Inside Me en 1987 et c’est le début d’une relation d’amitié entre Dandy Chuck et lui qui va durer jusqu’à la disparition du vieux Dick en 2009. Une partie de l’album est enregistrée à Los Angeles. Dandy Chuck raconte qu’en arrivant à l’aéroport, Dickinson voulut faire un crochet par Alvarado Street, pour acheter de l’herbe, to get things rolling. Dickinson insistera aussi pour faire une session chez Ardent, à Memphis. Au passage, il commencera à inculquer quelques belles notions de base au jeune Dandy Chuck qui nous confie ceci, tendez bien l’oreille : «L’approche de Dickinson consistait à choper ce qu’il y avait entre les beats ou entre les notes. That ramdom element dont les gens veulent se débarrasser. Je crois qu’il voulait capter l’esprit de ce qu’on jouait.» Mais Dandy Chuck sent qu’une tension monte entre Dickinson et Dan Stuart. L’épisode est assez cocasse : «Peut-être éprouvaient-ils le besoin de sortir leurs bites pour se défier, comme on dit à Hollywood.» Stuart disait de Dickinson : «C’est le genre de mec qui quand ça va mal, ramasse le ballon et l’emmène chez lui. Il nous a planté pas mal de sessions en se barrant du studio.» Mais Dickinson finit toujours par revenir, d’ailleurs il glissera ceci dans l’oreille de Dandy Chuck : «Si quelqu’un doit piquer sa petite crise, je préfère être le premier.» Il avait trouvé le moyen de calmer cet imbécile de Stuart. Autre enseignement de base : Dickinson voit les deux Green perdre confiance en studio et pour les requinquer, il leur dit : «Never let anybody make you feel bad about what you’re doing.» Gardez confiance en vous, les gars, ce qui va sacrément toucher Dandy Chuck : «What a gift he gave us.» Il conservera toujours ce respect mêlé d’admiration pour Dickinson.

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    Green On Red ne sont plus que deux quand ils enregistrent Here Come The Snakes à Memphis avec Dickinson. Ils traînent un peu avec Tav Falco and the Burns guys, just having a good time. Ils passent une journée au Sam Phillips Recording Services (le neuf, celui de Madison Avenue), avec Roland Janes. L’idée de Dickinson est de jammer et d’enregistrer, Dandy Chuck on Tele, Stuart on acoustic, Dickinson on drums, no bass. Dandy Chuck se retrouve tout simplement au paradis : «Roland est le genre de mec qui te donne confiance en toi. Aujourd’hui, c’est difficile de trouver des gens aussi purs. La plupart ne sont là que pour pointer tes fausses notes. Ils n’ont rien compris. D’ailleurs pourquoi comprendraient-ils ? Ils n’ont jamais été faire une balade en Flying Saucer Of Rock And Roll et ils n’iront probablement jamais.» Ils ont ensuite ramené une cassette chez Ardent et ont bossé dessus avec Dickinson - Que penses-tu de ce passage de guitare ? Ça ressemble à quelque chose ? Alors on rajoutait de la batterie ici et une guitare là. Et j’overdubais un solo et Dickinson overdubait une ligne de basse et on a monté les cuts comme ça - Pour les autres sessions, Dickinson gère tout en interne. L’ingé-son adjoint Paul Eberslod joue un peu de batterie et René Coman qui accompagnait Alex Chilton vient jouer un peu de basse. Dickinson joue un peu de piano. D’ailleurs, Alex Chilton fait un saut chez Ardent au moment des sessions et bien sûr Dandy Chuck se pâme d’admiration pour lui. Ils passent aussi pas mal de temps avec Bill Eggleston - Il a mis un certain temps à nous donner l’image. On est allés chez lui plusieurs fois, tôt le matin. Et puis un jour, il l’a sortie d’une boîte : ‘C’est l’image. C’est votre pochette.’ On n’allait pas lui dire le contraire - Pour Simkin, Here Come The Snakes est le grand album de Green On Red, an outstanding collection of songs that captures the essence of the band’s reputation of genius teetering on the edge of substance-fuelled breakdown - Bien vu Simkin. Par contre, l’album suivant, This Time Around enregistré avec Glyn Johns est selon Stuart a disaster. C’est vrai qu’on passe à travers toute l’A et même à travers toute la B. Dommage, car Dandy Chuck fait des merveilles dans son coin, il joue des solos étincelants, mais il est à l’arrière du mix, ce qui constitue une très grave erreur. On note aussi sur cet album la présence de Spooner Oldham. Mais globalement, This Time Around ne vaut pas tripette. Ils enregistrent le suivant qui s’appelle Scapegoats à Nashville avec Al Kooper et pas mal de session-men réputés comme Spooner Oldham et Tony Joe White - We had more fun in Nashville in ten minutes than we did in two weeks in LA with Glyn - Tout l’album baigne dans une ambiance d’Americana exceptionnelle. Dandy Chuck gratte tout en picking des Appalaches et Dan Stuart promène son cul sur les remparts de Varsovie. C’est d’ailleurs à cette occasion qu’ils enregistrent quelques démos avec Dan Penn.

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    Avec Alejandro Escovedo, c’est une autre paire de manches. En 2007, dans un studio du Kentucky et sous la houlette de Tony Visconti, Dandy Chuck enregistre avec Alejandro l’album Real Animal - Alejandro avec ses pompes à 800 $ et sa connaissance encyclopédique des Stooges réalisait le mariage idéal entre le luxe et la rue. Visconti mit de l’ordre dans le désordre - Alejandro et Dandy Chuck composent les cuts ensemble. Si on a autant de son sur cet album, on le doit de toute évidence à la présence de Dandy Chuck. «Smoke» sonne un comme un hit, avec son côté dylanesque et ses descentes spectaculaires. Le cut se tortille dans des breaks - We’re still going bop bop baby/ All night long - Alejandro Escovedo détient la puissance d’un Soul scorcher. Il rappelle par certains côtés l’early Graham Parker. Encore une vraie dégelée avec «Real As An Animal». Quelle puissance ! Ils filent au vent mauvais, sur un superbe pounding chicano et ça part en solo de non-retour. Avec cet album, ce démon d’Escovedo sort le grand jeu, the heavy American pop-rock chanté aux guts de good rider. Chuck Prophet gratte derrière. On croit rêver tellement c’est bien foutu.

    Mais comme le rappelle Dandy Chuck, la santé d’Alejandro bat de l’aile à cette époque, à cause d’une hépatite C et ils décident de composer sur le thème «a life in music through life, death, loss and the promise of Rock and Roll deliverance». Mais hélas Simkin ne rentre pas davantage dans cet épisode capital. Quand Sloan évoque sa rencontre avec Dylan dans un hôtel de Los Angeles, il nous fait entrer avec lui dans la chambre et on assiste à la scène. Là, on assiste à que dalle.

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    Un jour à Nashville, Dandy Chuck voit arriver un mec en salopette. C’est Dan Penn qui veut absolument composer avec lui - The time I spent with Dan in his basement in his studio were some of the greatest musical moments of my life - Ils composent ensemble «I Gotta Feeling For Ya», qu’allait enregistrer Kelly Willis sur l’album What I Deserve. Ils composent aussi «I Need A Holiday» qu’allait enregistrer Solomon Burke sur l’un de ses derniers albums, l’excellentissime Don’t Give Up On Me paru en 2002 sur Fat Possum. Mais pour le reste, tintin. Rien sur Dan qui soit d’ordre humain, alors que ce sont précisément ces rencontres qui font la sel de la terre.

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    Côté influences, Dandy Chuck avoue quelques trucs ici et là, mais avec parcimonie : le Desire et les Basement Tapes de Bob Dylan, I Want To See The Bright Light Tonight de Richard & Linda Thompson, Sister Lovers de Big Star ou encore l’Oar de Skip Spence. Il n’écoute pas Nirvana ni Pearl Jam. Il préfère Fairport Convention, Neil Young, Gram Parsons & Emmylou Harris. Il dit aussi que Joe Ely est l’un de ses all-times heroes. Il déterre aussi le Vintage Violence de John Cale de ses souvenirs de jeunesse. Et les Stones, bien sûr, en particulier Beggars Banquet - It’s pretty acoustic but it rocks - Dans l’interview (mais pas dans le book), il salue la mémoire de Johnny Thunders - He’s one of our greatest lost heroes of self-destruction. But you know, he’s really my idea of the singer-songwriter. Like Chuck Berry or Jimmy Rogers. He was the whole package (Il est l’un de nos grands apôtres de l’auto-destruction. Pour moi, il est le singer-songwriter par excellence, comme Chuck Berry ou Jimmy Rogers. Il était vraiment complet) - Bel hommage, non ? - I love his guitar playing. His songs. He was a stylist. Totally fearless. Always mischievous. Instantly recognizable (J’aime la façon dont il gratte sa gratte, ses chansons, c’est un styliste, il n’a peur de rien, toujours malicieux, immédiatement reconnaissable) - Et là, il tape en plein dans le mille - He was a dandy and he had the sartorial instinct of a jungle cat. A very inventive guy (C’était un dandy, un mec de la rue tiré à 4 épingles, un mec très inventif) - Dandy Chuck dit aussi pour rigoler qu’il attend un coup de fil de Dylan. Et quand Whyte lui demande qui sont ses musiciens préférés, Dandy Chuck lui répond : «Are you kiding ?». C’est une plaisanterie ? En réalité, il a peur d’en oublier. Il commence par les Rubinoos qu’il voyait sur scène quand il était encore au collège à San Francisco. Et avec lesquels il va enregistrer 40 ans plus tard quelques cuts sur l’album From Home. Il admire aussi Jonathan Richman qui était sur Beserkley Records, comme les Rubinoos - Everything cool really. Je pense qu’on peut appeler ça du pub rock. Je ne savais ce que c’était, en réalité, mais j’aimais ce son qui avait le charme de l’imprévisible - Et il conclut le chapter Beserkley en déclarant : «That was massive stuff for me.» Il revient ensuite sur ses collaborations avec Alejandro Escovedo, Kelly Willis, Kim Richey et évoque quelques souvenirs de Warren Zevon et de Kelley Stoltz.

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    Il adore aussi les Groovies auxquels il rend hommage sur le morceau-titre de l’album Temple Beautiful. Cet endroit que les punks ont fini par appeler Temple Beautiful était une ancienne synagogue qui se trouvait sur Geary Boulevard et qui fut un haut lieu de la scène de San Francisco. Le Grateful Dead y répétait, Hot Tuna y jouait, puis les Clash lors de leur deuxième tournée américaine, et tous ces groupes des années 80, Wall of Voodoo, les Go-Go’s et les Mentors. Dandy Chuck indique que Temple Beautiful est un album hommage à San Francisco : «It can suck you under. That first hit. It really does a whammy on you. And if you’re like me, you can find yourself chasing the San Francisco dragon for the rest of your life. That’s what this record is about.» Et il ajoute que les groupes qu’il a vus au Temple Beautiful ont changé le cours de sa vie. «Tout le monde a joué là.» Même les Groovies. D’ailleurs Dandy Chuck parvient à localiser Roy Loney : il bosse chez Jack Records Cellar, un disquaire installé dans le voisinage. Dandy Chuck lui envoie «une note» lui demandant s’il accepterait de venir chanter sur un cut et Roy répond qu’il sera là dans 20 minutes. C’est donc lui qu’on entend sur le morceau titre de Temple Beautiful.

    Simkin rappelle dans son introduction que Dandy Chuck n’est pas a rock superstar, mais plutôt un artiste culte suivi par une petite fan base très dévouée. La première règle du dandysme est le désintéressement, comme le dit si bien Barbey à propos de Brummell - Ses triomphes eurent l’insolence du désintéressement. Il n’avait jamais le vertige des têtes qu’il tournait - Dandy Chuck s’applique à lui-même cette règle fondamentale : «Une fois Bob Neuwirth m’a dit : ‘faisons les choses pour de l’argent.’ Mais si tu ne fais pas les choses en accord avec ta conscience, ça ne marche pas. Les gens cherchent toujours à brûler les étapes pour avoir du succès. En ce qui me concerne, ça produit l’effet inverse, comme la kryptonite : ça m’abat et ça m’affaiblit. Alors j’évite ça. Expliquer pourquoi je fais ci ou ça, pourquoi ça me fait vibrer ? Laisse tomber, c’est comme de vouloir expliquer le sexe à quelqu’un. Même pas la peine d’essayer. Il faut que ça groove, le groupe, les chansons, même un seul couplet. Si ça groove, c’est bon. C’est tout ce qui compte. Fais-le une seule fois et tu passeras tout le restant de ta vie à ça, à chevaucher le dragon.»

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    Ce qui caractérise peut-être le mieux Dandy Chuck, c’est sa passion des tournées. Et il répète à longueur de temps que la vie en tournée quand on n’a pas de moyens n’est pas de tout repos : «Je ne pourrais pas dire que la vie en tournée, c’est une partie de plaisir. Après avoir respiré le même air dans un van et y avoir vécu comme dans un sous-marin, les relations peuvent se détériorer.» Dans son cas, on peut même parler de ténacité. «Partir en tournée, rentrer fauché, secouer la poussière du voyage, trouver un moyen de payer le loyer. Il n’y avait pas de plan. Puis trouver un moyen de faire un nouvel album. Composer quelques chansons, se retrouver en studio, puis repartir en tournée. Chaque fois, on repart de rien.» Il évoque brièvement l’aspect financier des tournées : «C’est très compliqué de tourner aux États-Unis en partant de San Francisco. Tu as 15 heures de route pour aller à Portland, où est prévu ton premier concert. Et quand on retourne jouer en Angleterre, on y va pour presque rien. On a commencé à perdre de l’argent. Quand Lembo nous manageait, ça a créé une dette que j’ai dû rembourser après. J’essayais juste de maintenir le groupe en vie. Au plan financier, ça n’avait plus aucun sens.» À tel point qu’il finit par devoir prendre un job dans un parking. «Ça a duré deux mois, mec, le job le plus débile qui soit. Assis dans une cabine 8 heures pas jour. Mais ça me permettait de réfléchir. Un vrai luxe. J’avais un ordi portable et j’ai écrit pas mal de chansons. J’aimais bien être isolé.»

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    Quand en 2004, il est viré par East West Records après la parution d’Age Of Miracles, Dandy Chuck craque un peu : «J’étais dans la cuisine quand il m’a appelé. J’ai chialé. C’était la fin du groupe (the end of the road). On avait fait un bon bout de chemin, quelques album, yeah for sure. Alors je suis sorti et j’ai marché jusqu’à North Beach et à un moment je me suis demandé quelle heure il pouvait être et où j’étais. Just uttlerly lost.» Ce n’était pas la première fois que ça clashait avec un label. Après Brother Aldo, son premier album solo, Dandy Chuck flashe sur un album de Zachary Richard, Women In The Room et plus précisément sur Jim Scott, un producteur qui par la suite va travailler avec Lucinda Williams. Dandy Chuck aime bien le son - Just guitar, bass, drum, a lot of accordion. Sonically just a little bright. Hole in the middle, fat on the bottom. Kind of a roomy sound and clean guitar - Donc il enregistre des trucs avec Jim Scott. Mais les enregistrements ne plaisent pas au label China qui veut un album de rock. Fin de l’épisode. On retrouve néanmoins quelques cuts produit par Jim Scott sur Balinese Dancer.

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    Dandy Chuck revient aussi longuement sur Homemade Blood, enregistré entièrement live - I like the sound of all the music getting squished together so it’s ready to explode. Like Howlin’ Wolf records. Some Girls des Rolling Stones a un gros son but it doesn’t sound open - Donc pas d’overdubs là-dessus. Max Butler indique qu’ils écoutaient lui et Dandy Chuck pas mal les Stones à cette époque et qu’ils s’intéressaient au push-pull des guitares de Keef & Woody.

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    Dandy Chuck finit par comprendre qu’il en a marre de dépendre des autres. Alors il crée son label, Belle Sound - We fund our own records and license them to other labels, and so we still consider them to be a Belle Sound copyright. Somewhere down the road the copyrights will revert to us - Et le premier album à paraître sur Belle Sound sera Soap And Water.

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    Dandy Chuck ne s’étend pas trop sur ses années de braise - Shooting cocaine made me feel like I was thirty thousand feet above Fullerton - et dans la foulée il avoue avoir adoré conduire bourré - Driving dunk. I was abusive. I was contentious. I was a brat - L’histoire de Green On Red reste associée à la dope. Dandy Chuck n’y allait pas de main morte : «L’abus d’alcool et de dope étaient simplement dus à l’ennui.» Et il ajoute : «It was later that Danny and I sort of bonded on the fact that we started to really get into black tar heroin. That was a little bit later, a couple of years later at least.»

    Au hasard des pages, quelques personnes saluent le style de Dandy Chuck, comme par exemple Roly Sally : «Chuck has a fat touch on his Telecaster. La première fois que je l’ai entendu jouer, il me rappelait Ike Turner. Ses compos sont fraîches, profondes, drôles, musicales et solides. C’est le seul mec avec qui j’ai eu plaisir à composer.» Simkin salue lui aussi le style de Dandy Chuck - bluesy, folky, funky, a little bit country in all the right ways and places - Dandy Chuck avouait aussi dans un interview qu’il ne vivait que pour le process : «Bosser avec des amis chez eux, enregistrer, voilà pourquoi je vis. Ce n’est pas le produit fini qui m’intéresse, c’est le process.» Et comme tous les gens qu’il admire, Dandy Chuck cherche son Graal : «Mon but a toujours été de faire un grand album. Ça me suffirait. Ça donnerait enfin un sens à mes tares, mes erreurs et les mauvais choix que j’ai pu faire. Je ne cherche pas à écrire le grand roman américain, je ne parle pas d’argent, c’est plutôt la façon dont on peut définir le succès qui m’intéresse. Si tu laisses quelqu’un d’autre définir le succès pour toi, tu es un sucker. Je ne suis pas un sucker.» Merveilleux esprit.

    Signé : Cazengler, Chuck Profiterole

    Chuck Prophet. The Land That Time Forgot. Yep Roc 2020

    Steve Simkin. What Makes The Monkey Dance - The Life & Music Of Chuck Prophet & Green On Red. Jawbone Books 2020

    Joe Whyte : The Hurting Business. Vive Le Rock # 76 - 2020

    KR'TNT ! 360 du O8 / 02 / 2018 : Chuck Prophet en son pays ( Part I )

    KR'TNT ! 363 du O1 / 03 / 2018 : Chuck Prophet en son pays ( Part II )

     

    PLANETE-METAL

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    Qui refuserait un CD d'AC / DC pour moins de trois euros ! Pas moi, avec en plus un livret explicatif ! Je me méfie des explications, mais je reconnais que l'opuscule est relativement épais et comporte un dos carré. Pas le truc rafistolé avec deux agrafes baladeuses. Faudrait tout de même savoir quel album du groupe ils ont choisi, ce n'est pas indiqué sur la couve, je ne cherche pas sur le moment à approfondir le problème, d'abord parce que j'ai beau fouiller dans mes poches je n'ai pas un flèche sur moi. Ni une flèche que j'enfoncerais avec une délectation cruelle dans le cou du buraliste, le sang qui éclabousserait le comptoir affolerait la clientèle, je profiterais de l'affolement général pour sortir tranquillement ma prise de guerre sous le bras. Hélas, les guerres indiennes sont terminées depuis longtemps, je suis revenu le lendemain et ai fièrement aligné mes trois euros sous les yeux subjugués de la jeune vendeuse, non je ne mythifie pas, la preuve elle m'a rendu un centime, sans doute considérait-elle cela comme un échange symbolique de sang qui devait sceller notre indéfectible alliance jusqu'au jour de notre mort. Les filles ont toujours des idées bizarres, comment s'intéresser à l'une d'elles alors que l'on a un CD d'AC / DC ( un AC / CD ) à écouter !

    Bref j'arrive chez moi et fébrilement je déchiquette l'emballage pour extraire de la couve du livre, le fameux CD ! C'est-là que je me rends compte de mon erreur, ce n'est qu'un livre, je vérifie, pas une seule fois il n'est question d'un CD d'accompagnement. Je ne pleure pas parce qu'avec les larmes plein les yeux je ne pourrais pas lire. Soixante quatre pages, papier glacé – attention s'il vous plaît, recyclable – photos couleurs, d'autres en noir et blanc, une maquette aérée, avec des encadrés, deux encres la noire et la rouge, fonds blancs, noirs, gris... texte honnête, les débuts du groupe sont mieux décrits que la suite de l'aventure, discographie attendue, plus quelques pages sur les groupes de hard-rock australiens. Les rockers patentés n'apprennent pas grand-chose, mais l'ensemble est honnête. Parmi les contributeurs l'on retrouve Philippe Margotin ( marrant, je feuilletais ce matin son opus sur les Who ), Géant Vert ( désopilant, j'en ai mangé à midi ), Christian Eudeline ( hilarant, j'aurais pu en lire plus de deux lignes en soirée, mais je n'y ai pas pensé ).

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    C'est une collection, à trois euros le numéro vous me direz que ça vaut le coup, mais je me méfie, je suis sûr que ça va augmenter, pas tant que cela, pour 9, 99 E vous emportez les numéros 2 ( Metallica ) et 3 ( Iron Maiden ) + deux mugs thermo-réactifs ( ne confondez pas avec thermo-nucléaires ) + une bande dessinée ( pas géniale, je la connais ) intitulée le Heavy Metal. Zoui, ça se discute, c'est après que les ennuis commencent, ensuite c'est 3 numéros que vous recevez par la poste : 9, 99 multiplié par 3 = 29, 97 euros.

    Vous êtes en possession des six premiers numéros pour 2, 99 + 9, 99 + 29, 97 = 42, 05 E.

    Normalement la collection comporte 60 numéros pour acquérir les 54 qui vous manquent il vous reste à vous acquitter de : 54 fois 9, 99 = 539, 46 euros soit en tout la modeste somme de : 539, 46 + 42, 05 : 581, 51 euros.

    Bye-bye vos économies ! Ne sont pas fous chez Achète pardon chez Hachette, z'ont un peu peur que le client rocker, hard rocker ou métalleux ne morde pas à l'hameçon, aussi précisent-ils que faute de succès, ils se réservent le droit d'arrêter à leur guise la collection ! Ne vous filent d'ailleurs que les titres des 19 premiers numéros... Et si des milliers de gogos se ruent sur cette offre mirobolante, ils rajouteront quelques fascicules... C'est la loi du commerce me direz-vous, vieille comme le monde, Hermès le dieu des marchands n'était-il pas aussi le dieu des voleurs...

    Le rock'n'roll pour les grands groupes capitalistiques c'est comme les chiens, un public de niche, alors mes braves toutous faites attention à ces puces qui viennent sucer votre sang, n'en soyez pas victimes, évitez de céder au fétichisme faisandé de la marchandise mise sur le marché à moindre risque, nombreux sont les charognards qui se nourrissent sur les dépouilles des anciens exploits de la bête, ne confondons pas célébration avec consommation... Privilégions le DYE, l'échange, le don, le potlatch des tribus de l'Ouest. Rien n'empêche à chacun des individus que nous sommes de mener sa propre guerre indienne.

    Damie Chad.

    AT YOUR BIRTHDAY PARTY

    STEPPENWOOLF

    ( Octobre 1969 )

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    Gary Burden a fourni un bel effort pour la pochette. Si vous n'avez pas eu sous les yeux la première pochette de l'édition du premier pressage américain la phrase précédente ne remportera pas l'unanimité. Si la photo centrale des éditions suivantes ne pose pas de problème particulier – le groupe debout et assis autour d'une table, Gabriel Mekler remplaçant Michael Monarch – le reste, notamment toute la partie basse de l'artwork exige quelque attention, point de couleur, du blanc du noir qui étrangement donnent surtout une sensation de gris, est-ce un dessin ou une photographie, un montage des deux, regardez avec attention, vous discernerez un mélange, des souris et des hommes pour parler comme Steinbeck. Des soldats, une photographie issue de la Guerre de Sécession quoique la vue ressemble à une représentation des tranchées de 14-18, quelques uns affublés de têtes de Mickey. Comment l'interpréter : une condamnation de la guerre, dans laquelle les soldats menés à l'abattoir tels des rats pris dans une ratière jouent des rôles de héros de carton-pâte, une protestation contre l'envoi des GI's au Vietnam ? Toutes les rééditions de ce disque reprennent les mêmes motifs. L'on sait que la photo a été prise dans une maison où logea Canned Heat et qui avait été visitée par un incendie. Sur certaines photographies on mesure l'ampleur des dégâts sur le matos du groupe de Bob Hite et Alan Wilson. De quelle party d'anniversaire s'agit-il au juste, l'innocence du titre ne cache-t-elle pas des sentiments désespérés beaucoup plus ambigus.

    John Kay ; lead vocal, rhythm guitar, harmonica / Mickael Monarch : lead guitar / Goldy McJohn : organ, piano / Nick St Nicholas : bass / Jerry Edmonton : drums.

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    Don't cry : ne pleurez pas, sur ce titre le Loup vous ménage bien des surprises, le train est lancé et vous pensez que rien ne l'arrêtera que vous êtes parti pour un agréable morceau bien rythmé, en plus vous avez la mélodie qui marche avec, les pattes rythmiques qui courent et Kay qui mélopèse à souhait comme s'il prenait plaisir à hululer tout doux entre les dents, assez fort pour que tout le monde l'entende mais pas trop pour que l'on ne lui reproche pas de faire trop de bruit, les autres le soutiennent en sourdine surtout sur les refrains et tout le monde est content, insensiblement tout se gâte, du rififi dans la meute et tout le monde se tait tandis que la machine se précipite, s'éloigne, et disparaît dans un lointain cliquetis, vous aimeriez que l'on vous explique, mais non le loup vous est passé entre les jambes alors que ça faisait deux heures que vous le teniez dans la mire de votre fusil, vous vouliez l'avoir entre les deux yeux, c'est lui qui vous en a mis plein la vue. Sont bizarres chez Steppenwolf, font du hard sans riff, autant dire une omelette sans casser les œufs. Et pourtant ça bave sur votre pantalon. Chicken wolf : l'homme est-il un loup pour l'homme ou simplement un poulet. A vous de choisir votre totem. En tout cas ça pépie un max dans la basse-cour, Kay vous envoie vos quatre vérités à la figure sans prendre de gants, vous déchire un peu de ses ironiques canines, Monarch est à ses côté, vous refait le coup du lait sans crème mais qui vous émulse sans rémission un flacon de flan au cyanure, le monarque guitariste il a une manière inégalée de pousser ses notes juste sous les touches du clavier de Goldy McJohn, et au cas où l'une d'entre elles la ramènerait un peu trop, Edmonton vous les aplatit de ses baguettes, dans la musique du Loup rien ne se remarque, Nick Saint Nicholas vous noircit le tableau ( celui de la pochette aussi ) de sa basse, le hard du Loup est assez sombre et rapide, il ne montre rien, il dévoile tout. Cuisson à l'étouffée, le Loup ne frappe jamais de front, s'insinue en vous, disloque votre cerveau. Vous n'êtes ainsi plus en mesure de  nuire à vous-même. Pernicieux. Lovely meter : en deux morceaux le Loup vous a sapé le moral, c'est une bête gentille, une petite chansonnette d'amour pour vous remettre d'aplomb, un orgue tout doux qui vous caresse dans le sens des poils du pubis, guitare acoustique et Jerry qui vous susurre une gentille ballade pour endormir le bébé que vous êtes en train de faire, quelle prévenance, instant de recueillement, c'est si beau que l'on en pleurerait. C'est si bon qu'ils en ont un fait un clip, vous les voyez tout doux frôler les instruments, mais quels sont ces bruits étranges, serait-ce un cacatoès qui cacophonise, point du tout, c'est une attaque du train, et le Loup aux fenêtres du wagon en train de tirer sur les poursuivants, images de western... Round and down : tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, une facétie country and western de Monarch, y'a de la joie tout le monde s'aime et danse en rond, les images de Cimino me montent à la tête, la fabuleuse scène sur patins à roulettes, don de prescience parce que le vocal se tait et commence une longue séquence musicale dramatique où tout se précipite. En déduirons-nous que le calme n'existe que pour laisser aux tempêtes le temps de se former. It's never too late : que ne disions-nous, le titre et les refrains sont pleins d'espoir, il vaudrait mieux ne pas écouter les paroles, le rideau du blues tombe sur vous et vos vies ratées, le Loup a repris ses grandes traversées lunaires, Jerry précipite sa batterie comme Dieu verse le malheur sur les pauvres gens, pas de pitié chacun est responsable de ses errements, de ses erreurs, le Loup offre une sucette de consolation empoisonnée aux grands enfants que sont les adultes. Compact et implacable. Ce qui est terrible avec Steppenwolf, c'est qu'ils n'en font jamais trop, pourraient se déchaîner, sortir les orgues de Staline et les batteries de canons, non préfèrent juste vous enlever vos illusions sans forcer sur la musique. Sleeping dreaming : Nick a pris le vocal, c'est pour mieux vous niquer, inutile de vous précipiter sur votre éléctrophone, l'est à fond, mais ça commence tout bas, un chœur de boyscouts joyeusement bourrés, ne le dites pas à leurs parents, profèrent des mensonges, rêvent qu'ils aiment, mais non, c'est une satanée plaisanterie, si vous commencez à croire tout ce que l'on vous dit, d'ailleurs ils n'exagèrent pas, une minute, les plaisanteries les plus courtes sont les meilleures. Jupiter child : dernier morceau de la face A, Le loup laisse éclater sa force, Beau travail de batterie de Jerry, l'on dirait qu'il sert une mitrailleuse dans un film de guerre, et les autres n'y vont pas de main morte, lorsque le Kay a fini de crier sa hargne ils continuent comme de rien n'était. Un morceau qui a su parler à la jeunesse américaine, s'adresse aux enfants de Jupiter, à tous ceux qui se sentent différents, étrangers à notre monde, le Loup n'est pas optimiste, pas d'issue pour eux, la saleté de la commune humanité les rongera telle une lèpre. Pas d'échappatoire possible, ni dans l'avenir, ni dans le passé. Si vous venez d'une étoile lointaine, sachez que vous ne retrouverez jamais le chemin du retour. Vous êtes perdu à jamais.

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    She'll be better : Jerry a dû avoir des remords d'être si persuasivement pessimiste en fin de face B, du coup il prend le vocal pour vous rabibocher avec la vie. Une belle chanson d'amour. Ce disque de Steppenwolf ressemble au roman Le maître de Casterbridge de Thomas Hardy, dans lequel les chapitres où tout est pour le pire dans le pire des mondes alternent avec chapitres où tout tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes, douches froides, douches chaudes successives, et quand le livre se finit bien vous pensez que ça ne pourrait pas ne pas être pire... quelle belle chanson, la plus longue de l'album, un piano prophétique à la Imagine de Lennon, mais beaucoup plus expressif, après les horreurs du titre précédents, orchestration grand style et trémolos vocaux à gogo, comme c'est long profitez-en pour aller faire pipi, comme durant les pubs de la télé qui vous racontent des menteries. Cat killer : le titre suffit pour vous rappeler la cruauté du monde, le morceau de Goldy ne dure qu'une minute-trente, prend son pied notre pianiste, après le country dégénérant de tout à l'heure, c'est le temps du ragtime, une musique d'accompagnement de dessin animé pour vous arracher de votre rêve d'amour précédent. Ragetime ? Rock me : bye-bye l'amour éthéré, revenons à des préoccupations intimes mais un peu plus ancrées dans la réalité des vies désabusées, le Loup a repris la tête de la horde, vous admirerez surtout la longue séquence instrumentale centrale, encadrée par les deux récitatifs enjoués de Kay, certes les premières secondes ça cliquette comme les claquettes de Fred Astaire mais cela dégénère, vous voici transposé en un camp indien, vous entendez sourdre les saccades de leurs chants et de leur tambours sourds, et vous ne pouvez vous empêcher de penser qu'il s'agit d'un peuple de vaincus et que vous aussi vous avez été défait dans les combats de l'existence, alors vous rapprochez votre sexe du sexe de quelqu'une qui a connu les mêmes défaites que vous. Chanson enjouée pour maquiller des vies tristes et ratées. Le Loup n'est pas tendre avec la rugosité du monde. Good fearing man : une intro presque pompeuse, la voix de Kay patine dessus tel un serpent qui glisse vers vous pour vous mordre, tempo simili bluezy, le Loup s'approche et quand il referme ses mâchoires il ne les rouvre pas, un hymne carrément anarchiste, qui ne nomme personne – on n'est jamais trop prudent – mais qui désigne clairement la bonne conscience des dirigeants. Par exemple ceux qui envoient leurs semblables à la guerre. Mango juice : instrumental, parfois il vaut mieux ne rien dire qu'en dire trop. L'occasion pour Nick Saint John de faire vibrer sa basse, un cadeau d'adieu pour Monarch qui quitte le groupe, peut-être, mais on ne l'entend guère et le morceau semble des plus inaboutis, une expérience qui a tourné court, ou une volonté de remplissage. Ou alors un signe prononcé de fatigue de la part d'un groupe qui tourne sans arrêt et soumis à produire deux albums par an... Happy birthday : Mekler a composé le premier morceau du 33 tours, et voici qu'il signe le dernier. Pas très joyeux, carrément lugubre avec cette basse funèbre, ce clavier qui imite des pales d'hélicoptère, et ces chœurs féminins nous feraient croire que nous sommes à l'église pour un enterrement. Le retour d'un soldat mort, en filigrane sous des lyrics faussement innocents, et quel regard porté sur le naufrage de la vie...

    Un disque assez noir. Qui joue un peu. Qui fait trois pas en avant, et un autre en arrière. Le Loup cherche-t-il à ménager l'auditeur. A retenir son attention. A le faire réfléchir. Ou avance-t-il masqué. Nous le saurons bientôt. La suite au prochain épisode.

    Damie Chad.

    UNE HISTOIRE DU ROCK

    EN 202 VINYLES CULTES

    PHILIPPE MANOEUVRE

    ( Hugo - Desinge / Septembre 2020 )

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    Cadeau inattendu sous le sapin. Un book. Le Père Noël serait-il un rocker ? Une formule qui marche. Déjà en Octobre 2011 Manœuvre nous avait donné La discothèque rock idéale, 101 disques à écouter avant la fin du monde était-il précisé sur la couverture. La fin du monde n'étant pas survenue, le voici qu'il double la mise. Ce qui nous laisse envisager vingt ans de survie programmée. Page de gauche, la pochette de l'album choisi, page de droite la chronique idoine, dans la marge un petit topo - attrape nigaud - pour nous apprendre en quoi l'album choisi est culte.

    Dans sa préface Manœuvre raconte les péripéties confinatoires de l'écriture de son bouquin. Qui prêtent à sourire. Toutefois nous en retiendrons surtout, sinon l'amer, du moins l'impuissant constat de la fin d'un cycle historial, celui de la musique rock. Nous y reviendrons. Le principe d'un choix quelconque est sujet à caution. Tellement de paramètres à mettre en jeu ! 202 c'est beaucoup et c'est peu, surtout si l'on pense à la sélection des 666 disques que propose ce mois-ci le Hors-Série N° 39 de Rock & Folk... Il vous manquera toujours le chef-d'œuvre essentiel et indépassable de cet art suprême qu'est le rock'n'roll que vous êtes le seul à avoir remarqué, en prime vous vous sentirez personnellement insulté par la présence de sillons honnis... Pour cette chronique nous nous contenterons de commenter les premières pages.

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    La première pierre qui doit soutenir l'édifice n'est pas facile à définir, dans le H. S. 39, ils ont visé l'indétrônable, l'incontournable, l'inattaquable Rock with Bill Haley and The Comets, Manoeuvre descend de deux crans au-dessous, le rock provient tout droit du blues et du country, donc ce sera en 1 : Robert Johnson, choix historialement judicieux qui exclut toutes les autres préséances possibles ( et impossibles ), en 2 : voici Luke the drifter d'Hank Williams, un disque un peu à part dans la production du country-man archétypal mais terriblement dans l'esprit américain, le pécheur qui se repent, entre deux chansons Luke vous exhorte à ne pas emprunter le sentier du mal, un véritable prêche, un sermon carabiné à la born again– entre parenthèses quand on voit comment la rencontre avec le Devil a été bénéfique pour Robert Johnson nous n' écouterons pas ses conseils - de toutes les manières Dieu himself qui devait s'ennuyer à écouter les cantiques à l'eau de rose des chœurs paradisiaques a envoyé fissa ses anges de la mort, avant que le temps réglementaire imparti à ces deux ancêtres du rock ne se soit régulièrement écoulé  afin de les avoir près de lui au plus vite. Preuve qu'il a bon goût.

    Bon, Philippou on passe au rock'n'roll, surprise, après le blues et le country, voici celui que l'on n'attendait pas. Dans Bye-bye, bye Baby, bye bye de Guy Pellaert et Nick Cohn il n'avait pas été oublié, mais il arrivait en dernier, juste à temps pour rappeler aux petits jeunes que la Voice les enterrerait tous. Ben là, même s'il est sur le podium en N° 3, Frank Sinatra ne rigole pas, le rital sardonique au sourire carnassier vous a une gueule d'enterrement pré-suicidaire, il pleure, et pas comme un crocodile, tout un album, In the Wee Small Hours, tout cela parce que Ava Gardner l'a laissé tomber, telle une vulgaire chaussette, un gros chagrin, suis allé entendre la fontaine amère couler sur You Tube, terrible, il en chante presque mal el povrecito, que voulez-vous le malheur des uns fait rire les autres.

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    Ouf : l'on est sauvé, voici Elvis, rien à dire quand les rockers ont le cœur brisé c'est revigorant. Ne pleurnichent pas comme des femmelettes, cassent la baraque quand ils n'ont pas la baraka avec les demoiselles. A part que chez RCA personne n'a pensé à glisser Heartbreak Hotel sur l'album ! Une regrettable erreur. Nous sommes d'accord. L'on saute au plafond en tournant la page, Johnny Burnette and the rock'n'roll Trio, l'album de rock parfait si l'on en croit les dithyrambes de Manœuvre, le crédite de tout, n'évoque même pas l'interrogation fatale qui de Grady Martin ou de Paul Burlison joue de la guitare sur tel ou tel morceau... Quand on aime on ne mégote pas.

    Nous sommes heureux, nous abordons le rivage des pionniers du rock, rien de mal ne saurait survenir. Ben si, il ne faut jurer de rien, un gars sympathique, que l'on aime bien Robert Mitchum, on doit se tromper de film, en plus une peau de banane trop mûre, un truc typico mes cocos, Calypso is like so... par acquis de conscience je suis allé écouter, pas vraiment mauvais, un peu cowboy aux envergures, le Mitchum s'en tire en professionnel, sympathique mais il manque un peu de sauvagerie rock'n'roll. Manœuvre fait tout ce qu'il peut pour se faire remarquer.

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    Se rattrape sur les trois suivants, Gene Vincent, Little Richard, Bo Diddley – ce vieux ( pas très ) Bo que l'on a l'habitude de passer sous silence – vous savez aux States dans les années cinquante les nègres qui n'en faisaient qu'à leur tête... - alors qu'il est une pierre angulaire du rock'n'roll, un paquet de fraises saignantes aux asticots de macchabées à lui tout seul, survient At Home with Screamin Jay Hawkins, là vraiment on est gâtés, pourris, surtout que deux pages suivantes encore un génie que l'on relègue dans les troisièmes zones des demi-soldes, Bobby ( Blue ) Bland, Two steps from the blues, l'on s'émerveille comme Alice en son pays miraculeux, attention à la face sombre et invisible de la lune, pas de Chuck Berry, pas de Buddy Holly, pas d'Eddie Cochran, Philippe Manœuvre mérite trois fois la mort, même si plus loin il nous entraîne au Star Club de Hambourg avec Jerry Lou, et surprise voici celui que l'on n'attendait pas, le fabuleux Vince ! de Vince Taylor. Because my Taylor is rich.

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    C'est que l'auteur éparpille ses papilles gustatives en papillon qui ne sait plus sur quelle fleur se poser. Pas tout à fait de sa faute. Tout le monde ne pourra pas monter in the blue bus, et puis l'histoire du rock'n'roll n'est guère rectiligne, elle ne se débite pas en tranches égales et millésimées de saucisson, quand les époques sont riches, ça part de tous les côtés, de 1956 à 1966 la musique s'avère sinuosidale, face sombre James Brown à l'Apollo Theater, face claire The Trashmen et leur Surfin Bird, on aurait attendu Dik Dale, mais autant rappeler la carrière de ceux qui n'ont surfé sur la vague montante de la gloire qu'une saison, ainsi si vous avez les Kinks, les Beatles, les Rolling Stones – pour ces deux derniers pas les titres des albums qui affleurent en premier dans les sables de votre mémoire - vous vous passerez des Animals ( crime impardonnable ! ) et des Yardbirds ( manquement irréparable ). Entre nous soit dit les Anglais sont sous-représentés dans le volume, à part les Pretty Things qui sont sauvés in-extremis... L'on commence à entrevoir la stratégie de Philippe Manœuvre, ne cherche pas à racoler ou satisfaire les fans, ménage les surprises, entre tous ces disques vous avez droit au Love Suprême de John Coltrane – Sainte Madone, c'est du jazz - et encore plus inattendu le Call me de William Burroughs, sans oublier pour autant le rock du garage, le Black Monk Time des Monks et Explosives des Sonics, pousse même le culot jusqu'à présenter ce précurseur des hippies que fut Eden Ahbez avec son Eden's Island paru en 1960...

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    Je m'arrêterai à l'année 1966, avec la grosse surprise nationale, encore mieux que Vince Taylor qui question nationalités est multi-cartes, an de grâce vocale 1965, un petit gars bien de chez nous, Ronnie Bird, carrière brisée par un stupide accident de camionnette non assurée, quant à dire que Le Pivert était son meilleur titre, voici le genre de contre-vérité à laquelle je ne souscrirai pas... pourtant qu'est-ce que nous l'avons aimé Ronnie qui était le chouchou du Président Rosco sur RTL, et sur France Inter le matin avant de partir au collège l'électrique Fais Attention '' demain tu te maries, yeah-yeah'' cela vous boustait le moral pour toute la journée, mais mince, stoppons les conduites criminelles, Noël Deschamps qui n'était déjà pas présent dans le volume Philippe Manoeuvre présente ( le ) Rock Français... est encore absent.

    Ce n'est pas mal écrit. Manœuvre profite de ses choix pour présenter le contenu du disque mais l'en profite aussi pour dresser l'air d'un pédagogue averti le panorama de l'histoire du rock'n'roll, les néophytes combleront les vides sidéraux de leurs connaissances, et les autres qui connaissent tout par cœur, feront comme les petits enfants qui chaque soir exigent la même histoire, celle du grand méchant loup Rock'n'roll qui finit toujours par grignoter leur âme de petit chaperon rouge qui ne rêve que d'être livrée à toutes les dépravations que leur fera subir la grosse bête vicieuse.

    Damie Chad.

     

    XV

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    Voici quelques précisions

     

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    Molossa et Molossito roupillaient sur la banquette arrière, nous roulions sereinement à une modeste vitesse de croisière de 160 km / H sur la bande d'arrêt d'urgence de l'autoroute en direction de Paris, le chef craqua une allumette pour allumer un Coronado, derrière les chiens dressèrent l'oreille, l'heure du grand conseil était venue, une question me brûlait les lèvres :

      • N'avez-vous pas remarqué Chef que chaque fois que nous sommes sur la piste de l'homme à deux mains, nous faisons chou blanc, rappelons-nous la pâtisserie, la maison bizarre et nos déboires tout récents en Normandie ?

      • Agent Chad votre constatation relève d'une analyse primaire, vous êtes comme le taureau qui voit le chiffon rouge et en oublie le torero meurtrier qui se cache derrière. Je dirais plutôt que chaque fois que nous suivons l'homme à deux mains, les Réplicants nous attendent. Je vous laisse réfléchir. Laissez-moi fermer les yeux pour goûter la saveur de ce Coronado. Ah, faites attention, si dans deux ou trois kilomètres, deux ravissantes jeunes personnes faisaient du stop sur cette bande d'arrêt d'urgence, appliquez la consigne N° 6.

    Le Chef avait raison trois minutes ne se sont pas écoulées que deux silhouettes de jeunes femmes pulpeuses me font des signes affriolants. J'applique sans faillir la consigne N° 6 : lorsque la survie du rock'n'roll est en jeu, l'on n'hésite pas occire les 3 / 4 de l'humanité si nécessaire. La panhard pistache fonce droit sur les deux donzelles, son aile gauche et le capot ressemblent désormais à une boule de glace à la fraise. Le Chef ouvre les yeux :

      • Excellent agent Chad, j'aperçois des morceaux de viande hachée sur la chaussée, ne reste plus qu'à attendre la preuve de mon raisonnement !

      • Elle arrive Chef, au loin une voiture fonce à toute allure, ils roulent au moins à 200 à l'heure, mais avec leur gyrophare bleu qui clignote on ne peut pas ne pas les voir !

    Une voiture de police sirène hurlante se range à notre hauteur, quatre types à lunettes noires scrutent notre habitacle, apparemment ils sont satisfaits, car l'un d'eux fait un signe, et le véhicule nous distance et continue son chemin, sans plus nous prêter d'attention !

      • Miraculeux Chef ! Nous avons enfin une piste, il existe un lien entre les Réplicants et la police !

      • Agent Chad, disons-le avec les mots idoines : l'Elysée a passé une alliance avec les Réplicants, pourquoi, comment, nous l'ignorons, mais nous n'allons pas tarder à le savoir !

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    Nous avons regagné le service sans encombre. Le Chef est assis à son bureau, il fume son Coronado, je sens que je l'énerve à me tortiller sur ma chaise. Moi-même je suis surpris, d'habitude lorsque je rajoute un chapitre à mon livre Mémoires d'un GSH ( Génie Supérieur de l'Humanité, pour ceux qui prennent le feuilleton en marche ) – mon stylo court sur le papier, une bombe atomique éclaterait à deux mètres de moi que je n'y prêterais aucune attention, mais cette fois-ci ce n'est pas le cas.

      • Agent Chad arrêter de vous trémousser, vous me gâtez mon Coronado !

      • Chef, ce sont les affres de la création, les mêmes qu'ont connues Proust et Joyce !

      • Alors ils étaient comme vous, ils avaient un gros objet qui les gênait dans la poche arrière de leur pantalon.

    Caramba, comment ai-je pu l'oublier, l'exemplaire de L'homme à deux mains d'Eddie Crescendo que j'ai récupéré dans la bibliothèque d'Alfred, avant qu'elle ne disparaisse aussi mystérieusement qu'elle était apparue, il est plus que temps de m'y plonger, malgré ma vie trépidante je n'ai aucune excuse, et le Chef qui l'a déjà lu ne m'en a pas parlé, c'est donc qu'il a besoin de comparer ses réflexions suscitées par sa lecture à celle d'un lecteur spécialiste et passionné de littérature, en l'occurrence un certain Agent Chad que je connais très bien... Ce soir-là de retour à Provins je me jurai de passer une nuit studieuse.

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    Je l'avoue je suis resté dubitatif. Le roman n'avait rien de bien prenant. Une vague embrouille policière, très mal écrite, à la va-vite, sans style ni soin, je l'ai examiné dans tous les sens, peut-être était-il codé, j'ai imaginé des tas de grilles de lecture, essayé de mettre en relation des mots qui me semblaient se rapporter à des évènements que nous avions traversés, mais ce tissu d'inepties ne présentait aucun intérêt.

    Le lendemain matin le Chef m'accueillit, Coronado et sourire ironique aux lèvres :

      • Agent Chad, vous me semblez fatigué, le roman d'Eddie Crescendo vous a-t-il tenu en haleine toute la nuit, ou vous a-t-il autant déçu que je le suis moi-même...

      • Pourtant Chef la seule fois que vous y avez fait allusion devant moi, il ne m'a pas échappé que vous y aviez puisé comme un enseignement !

      • Exactement Agent Chad, un récit déplorable, mais sa première page m'a interpellé, rappelez-vous Agent Chad, Mémoires d'un GSH !

      • Bien sûr Chef, j'en ai déduit qu'Eddie Crescendo se prenait pour un Génie Supérieur de l'Humanité, hélas, ses talents littéraires à l'opposé des miens ne...

      • Agent Chad, vous faites fausse route, les circonstances dans lesquelles ce roman nous est parvenu sont bien étranges, rappelez-vous, ce livre n'a pas été écrit par Eddie Crescendo, les seuls écrits qui nous soient parvenus de Crescendo sont ceux de la boite à sucre. Ce bouquin, trouvé dans la villa des Réplicants, a été écrit par les Réplicants, s'y sont mis à plusieurs pour le torcher, ce qui explique le décousu du récit, dans le seul but de nous tromper, de nous attarder dans nos déductions, mais il y en a un qui nous a adressé un message pour que nous n'y croyions pas...

      • Alfred !

      • Oui Alfred qui a glissé en première page cette grossière imitation du titre de vos mémoires, nous laissant ce message pour nous avertir du danger qui planait autour de nous !

      • Mais pourquoi Alfred aurait-il trahi les Réplicants, Chef, nous aimait-il donc tant que cela !

      • Pas du tout, ce qu'il aimait c'était le rock'n'roll ! Et s'il a trahi le peuple des Réplicants c'est parce qu'il connaissait le grave danger que courait le rock'n'roll, il a essayé de nous avertir, mais il a été tué avant de nous avoir tout révélé !

      • Chef, votre raisonnement est d'une logique éblouissante, je m'incline devant votre intelligence, je n'ai rien vu de tout cela cette nuit quand j'étudiais ce livre en le tenant bien fort à deux mains !

    Il se passa à ce moment-là un évènement mémorable. Molossa et Molossitos peuvent en témoigner. Le Chef ouvrit le tiroir de son bureau et me tendit un Coronado :

      • Agent Chad, prenez-le, je vous l'offre, vous en êtes digne, je suis convaincu que vous êtes un génie incompris !

      • Ne vous inquiétez pas Chef, un jour l'Humanité reconnaîtra ma supériorité, elle s'agenouillera devant moi et...

      • Peut-être, peut-être, agent Chad, je vous le souhaite, mais le premier qui ne pige rien à votre génie, c'est vous-même !

      • Chef, je n'y entrave que couic !

      • Vous voyez bien, Agent Chad, lorsque le génie parle, vous ne comprenez pas ! Mais vous venez de prononcer le nom de l'homme à deux mains !

      • Moi,Chef !, pas du tout !

      • Taisez-vous, l'homme à deux mains c'est vous Agent Chad !

    ( A suivre... )