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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 69

  • CHRONIQUES DE POURPRE 462 : KR'TNT ! 462 : THE LAST INTERNATIONALE / ALAN MERRILL / VIC VOGEL / NANTUCKET SLEIGHRIDE /

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    the last internationale,alan merrill,vic vogel,nantucket sleighride

    LIVRAISON 462

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    30 / 04 / 2020

     

    THE LAST INTERNATIONALE / ALAN MERRILL

    VIC VOGEL / NANTUCKET SLEIGHRIDE

    Debout les damnés de la terre

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    Curieuse idée que d’aller choisir The Last Internationale comme nom de groupe. Delila Paz, Edgey Pires et Brad Wilk ne s’embarrassent pas de scrupules. C’est vrai que les scrupules n’ont jamais servi à rien. On pourrait dire la même chose des illusions. Oh ce n’est pas la première fois qu’un groupe de rock s’amuse avec ce vieux mythe révolutionnaire. Au sommet de son cynisme, McLaren avait suggéré aux Dolls de porter du rouge - red patent leather - et d’accrocher sur scène un grand drapeau rouge, semblable à ceux que Trotski accrochait jadis sur ses trains blindés, lorsqu’il allait réduire en bouillie les dernier bataillons anti-révolutionnaires de l’armée blanche. Nos trois cocos d’Amérique ne vont pas jusqu’à reprendre l’Internationale comme le fit jadis un groupe de hard-rock chinois, ils se contentent d’afficher leur pâté de foi en militant pour la heavy pop, ce qui vaut pour un engagement. Aujourd’hui on en est là. Si on réfléchit bien, les trois cocos d’Amérique ont raison. Ça ne sert à rien de vouloir refaire le monde, d’autres ont essayé et ont échoué, même Karl Marx qui fut sa vie entière persuadé qu’il pouvait sauver l’humanité en réfléchissant à une idée toute simple qui est celle d’une meilleure répartition des richesses. Une idée qui plaît beaucoup aux pauvres mais que détestent les riches. Résultat : sous couvert d’évolution/révolution technologique, le monde moderne s’enfonce dans un chaos qui broie tout, surtout les idées. Le brouhaha médiatique n’est plus qu’un gigantesque sani-broyeur qui aura tôt fait d’engloutir les dernières traces d’intelligence. On a cru le monde menacé jadis par la peste, puis par les guerres mondiales et les bombes atomiques. Ce qui se profile est mille fois plus inquiétant : une nécrose cérébrale généralisée.

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    Heureusement, il nous reste la musique et le cynisme afférent. We Will Reign est certainement le meilleur moyen de faire connaissance avec nos trois cocos d’Amérique. C’est un album qui a du son à revendre. Ce qui frappe le plus, c’est la frappe de Brad Wilk, bien connu des fans de Rage Against The Machine, puisqu’il en fut le batteur. Ils font aussi une puissante reprise du «Baby It’s You» de Burt. Ils la bombardent de son, comme s’il voulaient passer en force et conquérir le firmament. L’autre grosse Bertha de l’album s’appelle «1968» - The more I love/ The more I feel like making revolution - Belle pulsion rockante, Edgey Pires joue à la bonne éclate. On sent un énorme potentiel derrière ce fier désir révolutionnaire. Ils font aussi un «Fire» qui n’est hélas pas celui de Jimi Hendrix, c’est un heavy Fire de before you let that burden down. Belle excellence de la fine fleur du fire. Delila Paz chante à gorge déployée. Elle devient une fabuleuse décapsuleuse, une véritable égérie d’Algérie avec derrière un edgy Edgey qui joue à la folie Méricourt. Ils tentent le diable. Delila Paz bourre d’insistance et de poudre la dinde de son morceau titre puis Brad Wilk sort son gros beat sur «Wanted Man». Cette teigne de Delila Paz revient ruer dans les brancards de «Killing Fields», elle y fait sa heavy rockeuse, celle qui ne se laisse pas marcher sur les doigts de pieds. Elle fait autorité, elle chante à l’ancienne, avec ce côté dominateur qu’avaient des gonzesses comme Grace Slick ou Maggie Bell. Elle sait aussi ramener du sucre autour de ses lèvres avec un «Battleground» qui sonne comme un hit des Ronettes, et puis voilà, on a dit tout ce qu’on pouvait en dire.

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    Sur scène, nous deux cocos d’Amérique sont encore plus intéressants (ils ne sont que deux car Brad Wilk s’est fait porter pâle et remplacer par un frenchy). Il leur faut de la place car Edgey Pires saute partout et donc, il entre en compétition avec Mike Brandon des Mystery Lights et Pat Beers des Schizophics. Dès trois, quel est le plus beau Zébulon ?

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    Pat Beers, bien sûr, mais Edgey Pires n’est pas avare de rebondissements en tous genres. Il affectionne particulièrement le saut en ciseau. Il en fait même peut être un peu trop. Il rebondit plus qu’il ne joue, en réalité. Ces groupes américains ont compris qu’il fallait donner du spectacle aux gens, alors ils en donnent. Franchement, on n’osait même plus espérer voir des guitaristes sauter partout. Le plus extrême reste Pat Beers, car il adore se rouler par terre avec sa guitare, ce que ne font ni Mike Brandon ni Edgey Pires. Disons qu’ils font autre chose. Et ça marche. On en a pour son argent. On se sent même privilégié.

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    Ils attaquent avec un joli brash de «Feeling Good» suivi de l’imparable «Killing Fields», deux jolies bombes de scène et c’est là où Delila Paz abat son jeu : wow, l’égérie d’Algérie mène bien son bal, à l’autre bout de la scène, elle chante à la hargne pure en jouant de la basse et elle saute pas mal derrière son micro, en fait, elle bouge en travaillant son souffle, comme un boxeur dont elle porte d’ailleurs des pompes.

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    Magnifique donzelle mirifique, elle ramène toute l’imagerie des passionarias californiennes, on pense bien sûr à Grace Slick, mais en plus dynamique, Delila Paz devient extrêmement belle dans son rôle d’entertaineuse. Avec son fute de cuir noir et les cheveux dans la figure, elle rivalise de rock’n’roll animalism avec son copain Edgey Pires, ah les deux font joliment la paire, c’est le couple infernal du rock américain, avec le même genre d’énergie que Nashville Pusssy. Même genre de bravado pugnace, même façon de travailler le rock au corps, avec ce «Mind Ain’t Free» tiré du dernier album ou encore ce «Wanted Man» tiré de l’Epic et bien monté sur son gros beat. Ils sont tellement excellents qu’ils en deviennent prévisibles. Ce n’est pas les critiquer que de dire une telle chose, c’est au contraire une façon de les féliciter pour cette espèce d’aisance à chauffer un public convaincu d’avance. La recette du couple infernal marche à tous les coups, mais là, Edgey Pires et Delila Paz amènent encore autre chose, le petit plus qui fait la différence, une sorte d’éclat naturel qui fait qu’on ne préfère ni l’un ni l’autre, mais les deux ensemble, tellement ils se fondent bien dans le moule de leur son et de leur vision du rock.

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    À deux, ils réussissent l’exploit de proposer un modèle de rock américain parfait, ils dégagent de bonnes vibrations et rockent leur chique so far out. Delila Paz reprend l’«A Change Is Gonna Come» de Sam Cooke et se donne les moyens de bien le chanter au chat perché, elle fait bien gaffe de ne pas esquinter cette merveille mythologique. En rappel, ils viennent exploser une dernière fois le «Need Somebody» du dernier album et l’infernal «1968» tiré de l’Epic. Belle leçon de power.

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    Maintenant, si on veut écouter les autres albums de cette dernière Internationale, il faut aller voir au merch, car à part l’Epic, leurs albums ne sont pas vendus dans le commerce. Pas de label, donc ils s’auto-produisent. Ils ne se prennent pas la tête avec ça.

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    Leur dernier album auto-produit s’appelle Soul On Fire et date déjà de 2018. On y trouve une belle énormité, «Freak Revolution» qui nous conforte dans l’idée d’avoir fait un bon investissement. On y assiste à une belle descente de heavy blues rock, certainement ce qui se fait de mieux dans le genre. Delila Paz y délaye son heavy charisma de boxeuse à coups de hey avec un Edgey Pires en embuscade. C’est excellent, tendu et beau, aw aw, bien ravalé de la façade, porté à bonne ébullition, tisonné dans l’âtre du diable. L’autre gros candidat à l’élection s’appelle «Hit Em/Your Blues», vieux shook de shake avec cette folle de Delila qui saute au fond du cut avec sa basse comme d’autres sautent au paf. Excellent et même assez éperdu. Ça chatouille bien les oreilles, à défaut de chatouiller autre chose. Par contre, ils font un «5th World» assez présomptueux. Ils ne reculent devant aucun sacrifice. Edgey Pires finit ça en festival de wah, c’est bien bardé d’interventions à tous les coins de rues, il fait dans l’excès perpétuel. Ils tapent leur «Hard Times» au big heavy stomp avec la basse en avant dans le mix, et la harangue d’une folle comme une cerise sur le gâteau - Cuz I’ve been lost - Elle y va de bon cœur, c’est vrai, mais ils en font trop. Ça devient vite pompeux. Ils amènent ensuite «Mind Ain’t Free» au heavy groove saturé de son et elle parvient à chanter au dessus du mayhem. Elle ramone bien sa prophétie, c’est très épique, très saturé, elle prône l’arrachage des chaînes - You can break those chains/ Right Off your feet - Ils font aussi quelques trucs plus putassiers comme «Soul On Fire», ou «Modern man» qui sonne comme de l’indie pop, ou encore «Need Somebody», monté en épingle et même assez gothique.

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    Au merch ils vendent aussi deux Bootlegs à pas cher, 5 euros, alors ça part comme des petits pains. Sur This Bootleg Kills. Vol. 1, on trouve pas mal de belles choses, notamment cet hommage aux Stones qui s’appelle «Edith Grove». Bien amené aux arpèges sixties, ça tourne très vite à la big Stonesy. C’est même en plein dedans, elle est bien au chant, d’une chouette crédibilité. Très joli répondant. L’autre bonne surprise du boot est cette reprise d’«A Change Is Gonna Come», qu’ils jouent sur scène. Elle se prend pour Sam Cooke et elle est impressionnante de justesse. Elle accroche bien au truc, elle le chauffe à l’extrême pointe de sa petite glotte rose. Ils font aussi une reprise du «Hey Hey My My» de Neil Young. Ça leur va comme un gant. C’est complètement dans leurs cordes. Elle fait sa passionaria, rock’n’roll can never die. Ils y vont franco de port. Elle est marrante quand elle parle de Johnny Rotten. Le connaît-elle ? L’autre bonne surprise du boot est ce pur jus de stomp qui s’appelle «We’re Gonna Stand Up». On lève la patte en rythme avec eux et Delila s’érige en reine de la révolution, elle guide le peuple, enfin le peuple qui achète ses disques. Elle ne cherche pas à se faire élire au Soviet Suprême, elle a compris que ce n’était pas pour elle. Elle préfère aller stomper dans la pampa. Elle dispose des clameurs populaires pour la soutenir. Alors elle devient fière de son drapeau rouge. Elle rameute les foules à coups de we’re gonna stand up, elle sait prêcher dans le désert. Alors bravo ! Parmi les cuts connus tirés des autres albums, voilà «Tempest Blues» qui comme son nom l’indique est une solide tempête de blues rock. Edgey Pires l’explose au bottleneck acariâtre. Il se situe dans le sentiment de la vraie épaisseur, avec du solo à l’avenant. Impossible de faire mieux. C’est même un exploit dont il devrait être fier. On retrouve aussi deux versions de l’excellent «Killing Fields» tapé au heavy rock de riffing international. Dans la version live en studio, on assiste à une fantastique bravado d’exaction ornithorique, ça joue dans le giron du gras double, t’es baisé d’avance, c’est même du gras double de roll over, une vraie merveille. Ils excellent en matière de heavy stuff. L’autre version est un live at Rock Werchter. Une vraie régalade. On veut du rab. C’est du bon heavy, servi à la louche, ça fume, on se brûle la gueule et elle charge sa petite barque de baby doll en dansant comme une boxeuse derrière son micro, awite, sans jamais regarder où elle pose les doigts sur son manche. Delila Paz ne s’arrête jamais en chemin, elle va shaker l’Internationale jusqu’au bout de la nuit, avec un Edgey on the edge of the wah qui arrose tout de son sperme sonique. Elle reprend aussi le «We Will Reign» tiré de l’Epic du même nom. Elle s’enflamme comme l’égérie d’Algérie, du haut des barricades de Casablanca, avec des filles qui font nah nah nah derrière elle. Il semble parfois qu’ils cherchent tous les deux à se faire passer pour un groupe de rock clasique, alors que de toute évidence, leur destin se trouve dans l’underground. Edgey Pires sait rester on the edge de la cocotte internationale. On passe complètement à autre chose avec «Workers Of The World Unite». Elle se prend pour Joan Baez. Mais au fond, cette adoration pour Joan Baez l’honore. Quand elle gueule, elle est un peu limitée, mais elle paraît sincère dans son élan.

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    This Bootleg Kills. Vol. 2 est plus acou. On y trouve une superbe reprise du «Babe I’m Gonna Leave You» de Led Zep. Les voilà dans le saint des saints. Ils n’ont pas froid aux yeux : deux défis d’un coup, le Plant et le Page, c’est-à-dire l’un des sommets artistiques du rock anglais. Ils font une version extrêmement intense, Edgey Pires la joue à l’arpège convaincu, il reste dans une esthétique très seventies et même assez spirituelle. Ils rendent ensuite hommage à Wolf avec «Hard Time Killing Floor Blues», deep in the dark d’acou, mais sur ce coup-là, ils manquent de crédibilité. Wolf n’est pas un joujou. L’autre reprise de choc est le «Think» d’Aretha. Belle attaque, Delila Paz en a les moyens, elle a tout le shake et toute la niaque nécessaires. Elle sort même des accents black dans le feu de l’action. Mais elle gueule aussi comme une égérie d’Algérie perchée sur sa barricade. Cette cover d’Aretha reste néanmoins exceptionnelle car grattée à coups d’acou. Voilà pourquoi ces deux boots valent le déplacement. On croise rarement des covers d’aussi bonne qualité. Ils font aussi un carton avec «River» joué au pincé d’acou subtil. Ils s’amusent à revisiter le soft pop folk du dessous des arbres, elle monte dans de sacrées virevoltes et son répondant en impose. Elle joue de toutes ses facultés et chante à la pointe de ses lungs. Elle est assez pure dans sa dimension fantasque et on est prié de la respecter. Par contre, ils se montrent affamés de fame avec «Master». Et quand on la voit ramper aux pieds du succès avec «Feeling Good», on a envie de lui dire de rester à la maison pour faire le ménage. Mais elle sait très bien ce qu’elle fait. Elle pense que son énergie la rendra célèbre dans le monde entier. Au fond du boot, on retrouve une nouvelle version de «Killing Fields» bien électrique et même assez demented. Retour au heavy blues rock, Edgey Pires nous propulse tout ça dans les oreilles, c’est le son préféré des Français, l’exception qui fait la règle, la perle noire d’Henry de Monfreid. Edgey Pires allume son Killing Fields d’un solo déclaré et ça repart dans l’exaction corporatiste. Ils terminent avec une version toute aussi électrique de «1968», bien énervée et poundée dans le beat. Belle vélocité, Edgey Pires charge le son au maximalus cubitus et le beat rebondit comme s’il était en caoutchouc. Peut-on espérer mieux ? Non. C’est balayé par des vents de power chords et l’infernal Edgey Pires part en vrille de wah dans l’embrasement d’un crépuscule des dieux.

    Signé : Cazengler, the last inter-minable

    The Last Internationale. Le 106. Rouen (76). 22 février 2020

    The Last Internationale. We Will Reign. Epic 2014

    The Last Internationale. This Bootleg Kills. Vol. 1. Not On Label unknown

    The Last Internationale. This Bootleg Kills. Vol. 2. Not On Label 2017

    The Last Internationale. Soul On Fire. Not On Label 2018

    Merrill en la demeure

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    On l’apprend à l’instant : emporté par le virus dont tout le monde parle, Alan Merrill vient de casser sa pipe en bois. La longue histoire d’Alan Merrill se trouve prise en sandwich entre deux albums : celui des Arrows paru en 1976 et son dernier album solo, Radio Zero, paru l’an passé, et salué dans un seul canard de rock, Vive le Rock. Ailleurs, rien. Pas un mot. Que dalle.

    Culte ? Pas culte ? Là n’est pas la question. La planète rock grouille de petits personnages intéressants et chacun va butiner au gré de ses ivraies. Souvenez-vous du temps où il faisait bon aller musarder chez les bouquinistes des quais de Seine ou dans les bacs des second-hand record shops de Golborne Road, là-bas, au bout de Portobello. Si on tombait sur l’album des Arrows, on le sortait du bac. Rien que pour sa pochette. Simple as that.

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    Trois petits mecs y resplendissent, dans l’éclat surnaturel de leur jeunesse pas éternelle. La pochette est aussi réussie que celle du premier album de Nazz ou encore celle des Hollywood Stars. Alan Merrill est celui qui se tient à droite de l’image, avec un faux air de Richard Wright, l’organiste du Floyd. Par contre, sur la photo qui figure au verso de la pochette, il ressemblerait plus à Joey Molland, le liverpuldien de Badfinger. À droite de l’image, le batteur Paul Varley se coiffe exactement comme le Ronnie Wood de l’époque des Faces. Et au centre, Jake Hooker arbore une belle mine de rock-star en devenir. On croit tenir un album de glam, qui est pourtant passé de mode en 1976. Mais quand de retour au bercail, on le pose sur la platine, il faut déchanter, car les Arrows s’efforcent de sonner comme les Walker Brothers, mais sans en avoir ni les épaules, ni les compos. Le concept est exactement le même : trois beaux mecs, une grosse production et ça sort sur le label de Mickie Most : RAK. Mais les producteurs qui sont derrière nos trois Arrow ne font pas le poids. Phil Coulter et Bill Martin se prennent pour John Franz, qui fut l’un des plus grands producteurs britanniques : on retrouve en effet Franz derrière Dusty chérie, Marty Wilde et bien sûr Scott Walker. La pop des Arrows est beaucoup trop formelle, pour ne pas dire putassière. Ce fut à l’époque une horrible déconvenue. On devait se contenter d’un riff de guitare en bout de bal d’A dans «Boogiest Band In Town». On sentait Jake Hooker décidé à en découdre. On sentait chez lui un goût prononcé pour le power chord bien tempéré. C’était presque du glam, mais la prod était aussi sèche qu’une mal baisée. On reprenait espoir en B avec «Don’t Worry ‘Bout Love», monté sur un heavy riff digne d’Humble Pie. Pourquoi n’avaient-ils pas monté tout l’album sur ce genre de big deal ? C’est un mystère sur lequel se pencheront les Égyptologues du douzième millénaire. On sentait pointer dans «Don’t Worry ‘Bout Love» un son de cloche de bois bien intentionné. Puis ils recommençaient à se vautrer en singeant les Walker Borthers dans «Let Me Love You», avec des traces de River Deep dans le thème de basse.

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    Le hit le plus connu des Arrows est bien sur le fameux «I Love Rock’n’Roll» dont Joan Jett va faire ses choux gras. Dans l’interview qu’il accordait à Mark McStea pour Vive Le Rock en 2016, Alan Merrill raconte de quelle façon est né l’un des plus gros hits de cette époque. Mickie Most lui demanda de composer un hit. Alors Alan revint le trouver dans son bureau et lui claqua à coups d’acou les trois accords d’«I Love Rock’n’Roll». On connaît la suite de l’histoire. Mais les choses vont vite se dégrader lorsque Most charge Dave Crowe de prendre en main le destin des Arrows cher RAK. Crowe trouve les compos d’Alan trop bonnes et donc pas adaptées au public : il veut des chansons médiocres pour un public qu’il estime médiocre. Alan comprend à ce moment là que les Arrows sont foutus et que First Hit va être une catastrophe. Pire encore : Mickie Most qui s’occupe d’eux les conjure de ne pas prendre de manager, mais ils n’en font qu’à leur tête et Most prend leur décision d’engager un manager comme un affront. Bill Wyman qui aime bien les Arrows tente de les sortir des griffes de Most en les présentant à Ahmet Ertegun, le big boss d’Atlantic. Ahmet aime bien ce qu’ils font. Il voudrait bien les signer, mais il ne veut pas engager le bras de fer avec Mickie Most. Quand ils comprennent enfin qu’ils sont baisés, les Arrows splittent. La flèche brisée.

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    La vie continue. Jake Hooker va épouser la fille de Judy Garland et devenir son manager. Paul Varley va de son côté épouser June, la première femme de Marc Bolan. Quant à Alan Merrill, il va démarrer une carrière solo. Il faudra attendre une flatteuse chronique dans un numéro récent de Vive le Rock pour se repencher sur son cas.

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    Sur la pochette de Radio Zero, Alan Merrill pose avec une Rickenbacker en bandoulière. On sent très vite un ton. Ce mec sait composer une bonne chanson. Il fait un peu de glam avec «Equalizer». Il n’a rien perdu de son charme d’antan, même si sa voix est plus rauque. Globalement, il pond des cuts pertinents et les mène à bon port. Mais en même temps, on ne trouve pas de quoi crier au loup. On ne se relève pas la nuit pour écouter cet album. Merrill a du mérite, mais sa pop reste très orthodoxe. On le voit donner de la voix avec «Stella Stella» - It’s been a long long time - Il chante son beau boogie à la vieille éveillée, comme le fit jadis Joe Cocker. Le problème est que Merrill a du mal à fournir. Seize titres, c’est un gros boulot, et pour tenir l’auditeur éveillé, il faut assurer et savoir mettre la main à la pâte. Il cherche encore la petite bête avec «December 7 In The Shade», quarante ans après les Arrows. Il a raison de vouloir continuer à creuser, il trouve des choses. Ses balladifs se veulent purs comme de l’eau de roche. Avec le morceau titre, il fait un peu de pub-rock. Il joue tout ce qu’il compose à la perfection, comme s’il n’avait plus de public depuis longtemps. C’est très curieux comme ambiance. On pense bien sûr à John Fiddler de Medecine Head qui lui aussi tourne en rond dans son coin depuis quarante ou même cinquante ans. Merrill se prend pour Dylan avec «Don Quixotte Absolutely» - Don Qui/ Hotte/ Absolu/ Tely - La structure est solide, dommage que la chute soit si pompeuse. Et puis un cut comme «A Brand New Day» finirait presque par devenir attachant. Il fait bien son job de compositeur et tente de proposer des chansons correctes, comme il le fit au temps de Mickie Most. Mais il ne faut pas attendre des merveilles de cet album, de la même façon qu’il ne fallait pas en attendre du First Hit des Arrows. Et pourtant, force est d’admettre qu’un cut comme «Long Road Home» reste très largement au dessus de la moyenne.

    Signé : Cazengler, l’arrowseur arrowsé

    Alan Merrill. Disparu le 29 mars 2020

    Arrows. First Hit. RAK 1976

    Alan Merrill. Radio Zero. Merrill Entertainment Company 2019

    Mark McStea. Another dime in the jukebox. Vive le Rock # 40 - 2016

     

    VIC VOGEL

    HISTOIRES DE JAZZ

    MARIE DESJARDINS

    ( Editions du CRAM / 2013 )

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    Vic Vogel a été publié en 2013. Vic Vogel, né en 1935, est mort le 16 septembre 2019. Ce livre de Marie Desjardins n'est ni une biographie, ni un roman. C'est la tâche de Karon, le sinistre nocher, de transborder les vivants au pays des morts. C'est aussi le miracle de la littérature de permettre le retour des âmes mortes aux rivages des hommes vivants. Marcel Schwob se plaisait à relater les Vies imaginaires de personnages disparus depuis des siècles. Notre écrivain symboliste avait ses préférences, les poëtes, les assassins, les demoiselles galantes... Que du beau monde. Marie Desjardins ne s'est pas penchée sur des turpitudes aussi offensantes pour le genre humain que la poésie ou autres délits mineurs, elle n'est pas allée si loin dans le temps, cédant à d'amicales circonstances qui l'ont mise en présence de Vic Vogel, elle s'est attachée à rendre compte du vécu d'un contemporain, ancré dans sa septième décennie.

    Cela ne nous étonne point de sa part. N'a-t-elle point, romancière, élevé dans Ambassador Hôtel une statue à une rock'n'roll star issue de toute pièce de son imagination, même si elle l'a modelée à partir de la glaise du réel phantasmé. Ne s'est-elle point glissée dans l'âme conjointe et puis séparée de deux idoles françaises dans SylvieJohnny. Et dans Ellesmere n'a-t-elle pas mis ses personnages sur un chemin qui ne mène nulle part, puisqu'il débouche sur l'imposture de l'être. Preuve qu'elle voulait bien s'observer au travers de leurs pérégrinations dans le narcissique miroir brisé de l'écriture. Car l'autre, qu'il soit issu de notre esprit ou présence indépendante de notre volonté, n'est qu'un éclat tranchant de lumière sur notre propre obscurité.

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    Donc Vic Vogel. Pratiquement inconnu en France, mais une sommité du jazz en son pays lointain, le Canada. Les règles du jeu étaient simples. Elle regardait vivre Vic, mais Vic ne se prévalait d'aucun de droit de préemption sur ce qu'elle écrirait. Pour résumer j'aurais préféré être à la place de Vic Vogel, rien à faire que de se laisser vivre, qu'à celle de Marie Desjardins attelée à transcrire une vie en trois centaines de feuillets. Question contenu et anecdotes, pas de problème sinon celui de l'élagage, le piège était dans la chronologie. Si tentant de suivre l'ordre des années, tel un policier obstiné remplissant ses dossiers. Marie Desjardins a satisfait à cette contrainte. Du moins apparemment. Reportez-vous à la table des matières, la vie de Vic saucissonnée en dix tranches. Ne soyez pas si bêtes. Nous avons affaire à une artiste, romancière de surcroît, elle vous a concocté une structure absolue. D'une grande simplicité : trois parties, un début, un milieu, une fin. Une sophistication extrême. Celle qui selon Mallarmé préside à tout récit.

    PRELUDE

    Un récit merveilleux. Une enfance incandescente. L'homme est dans son enfance comme l'épi porte le grain de blé qui le contient. Cela n'est pas donné à tout le monde. Qu'est-ce qu'un homme ? Pas grand-chose. Mais certains pèsent davantage que la plupart. Ce n'est pas qu'ils soient plus intelligents, plus beaux, ou plus riches, c'est qu'ils savent intensifier le peu qui leur est donné. Avant d'être Vic, Vic est Mathias, son père. Il lui doit tout. Plus que la vie. Une certaine aptitude au bonheur. Une forme d'insouciance vitale devant les coups du sort. Qui s'amoncèlent. La guerre en Hongrie le pousse à s'exiler, seul avec son violon tzigane et quatre tonneaux de vin. Un maigre viatique. Suffisant pour vivre libre. Parvenir à Montréal, se marier, faire deux garçons, traverser la misère grâce à la débrouille, heureux de respirer, un homme naturellement porté à la joie des jours malgré les vicissitudes... Vic est comme un roi dans son quartier, un mélange de pauvres, juifs, catholiques, hongrois, allemands, canadiens français et canadiens anglais... Mathias impose des règles simples, s'aimer, se respecter, tenir sa parole, vivre, faire de la musique, manger... Des commandements que Vic appliquera toute son existence. A part cela les enfants sont libres de courir où ils veulent. Mathias achète un piano pour Frank son aîné, le cadet devra pendant longtemps se contenter d'écouter la radio. Un désir non satisfait renforce l'envie.

    Vic est musicien, d'instinct et d'oreille. Un enfant doué. Surdoué. C'est l'origine de la première fêlure. Il ressentira à plusieurs reprises la nécessité de prendre des leçons. Mais elles sont chères. Pire que tout, il est rejeté. L'on ne veut pas de lui. Son statut social ne l'autorise pas à... Il aborde la musique un peu trop à la sauvage. Ça ne pourra pas le faire. Qu'importe, il a hérité du piano de son frère, à la radio il assiste au déploiement de l'aventure jazz et en même temps aux retransmissions des concerts de musique classique... Il s'improvise chef d'orchestre. Il apprend, il mémorise, il retient, il absorbe...

    L'enfance est terminée. C'est un livre dans le livre. A la limite il se suffit à lui-même. L'évocation de Marie Desjardins est magistrale. Une écriture balzacienne. Qui pose une histoire dans la réalité du monde, telle une stèle dans l'éternité. Et puis elle tourne la page. Sans chichi. Pas Vic Vogel. Il désire une autre fin. Qui marque un commencement. Et un adoubement. Une scène mythique. Les historiens du jazz ne sont pas d'accord. Vogel élude la question des dates. Il lui faut une initiation, un rite de passage. Quel âge a-t-il, seize, dix-sept ans. Qu'importe il prend le car direction New York et s'en va frapper à la porte de Lennie Tristano, qu'il considère comme le plus grand des jazzmen vivants. Kr'tnt-reader si tu ne connais pas, écoute sur You Tube son Descent in the Maelström, le seul conte d'Edgar Poe mis en une musique qui soit digne des tourbillons de l'écriture de l'auteur du Corbeau - quatre minutes de piano qui te feront comprendre que le gamin n'avait pas tort. Ce que rapporte Marie Desjardins, est-ce du vécu, est-ce un rêve. Dans les deux cas, c'est fondationnel. Vogel peut mentir à ses interlocuteurs, pas à lui-même. L'on n'est plus chez Balzac, mais chez Nerval. Rendons grâce à Marie Desjardins d'avoir su traduire ce changement de dimension.

    VOGEL

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    La suite vous la connaissez. Et Vogel devient un grand musicien. Les années de vache enragée, à courir le cachet, à jouer pour pratiquement rien, à accumuler les expériences et les déboires. Jouer avec le premier venu comme avec les cadors. La galère habituelle de tous les zicos, des hauts, des bas et bientôt Vic gagne beaucoup plus que son père. La route du succès est pavée d'échecs. Sinon, ce ne serait pas intéressant. Notre auteur suit la carrière de Vic, il y aurait de quoi rédiger un éphéméride interminable, alors elle décide de prendre de la hauteur. Ne s'agit pas pour elle de passer à toute vitesse sur les faits et les dates, elle n'est pas là non plus pour le déroulé de la carrière au millimètre près, elle est là pour Vic Vogel, la machine Vogel roule de plus en plus vite et de plus en plus fort, mais ce qui intéresse Marie Desjardins c'est la description du moteur Vogel. Son mode de fonctionnement.

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    Pour décrire Vogel, il serait nécessaire de voler à Mezz Mezzrow le titre de son autobiographie, la rage de vivre. Vogel ne croit qu'en lui, ne compte que sur lui-même. Ne s'embarrasse pas avec les demi-sels et les trous du cul. Il ne sait pas écrire la musique. Il mettra du temps à trouver le professeur qui lui filera la méthode, mais il le rencontrera, lire les notes n'est pas le plus difficile, mais intellectualiser une partition en comprenant comment ça marche, comment ça s'articule, quel problème le compositeur a-t-il posé et comment l'a-t-il résolu, il entend désormais qu'il ne s'agit pas d'ânonner les notes les unes à la suite des autres mais d'avoir une vision d'ensemble, de parvenir à une compréhension dialectique. Il y a chez Vogel une volonté nietzschéenne affirmée, d'autant plus évidente lorsque l'on se souvient comment Nietzsche savait déchiffrer une partition, et son implication rageuse en faveur et puis contre Wagner.

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    Pendant quinze ans Vogel joue sur tous les tableaux, au piano, ou au trombone, dans les bars miteux ou sur des scènes déjà plus huppées, il a une âme de chef, d'organisateur, il sait décider vite et refuse d'hésiter. Il saisit toutes les occasions, les plus désespérées, les plus évidentes. Il travaillera pour la radio. Un boulot d'une richesse extraordinaire, accompagner des chanteurs de toutes sortes, des nullités patentées comme de véritables artistes, il compose les arrangements, devient l'incontournable directeur des séances, on peut compter sur lui, il a la solution pour l'improbable, pour l'impossible aussi. L'avait déjà un bel égo, l'en possède désormais un taille maxi-boum, ne se gêne pour dire ce qu'il pense et vous l'envoyer en pleine figure. N'est pas un tendre. L'est même très dur. Mais toujours juste. Il est partout. Il part en tournée, écrit de la musique pour des films, enregistre des disques, compose pour orchestre symphonique et big band mélangés. Sa carrière culminera en 1976, avec l'écriture et l'interprétation du générique ( début et fin ) des Jeux Olympiques de Montréal.

    Tout pour la musique, tout pour le jazz. Alcool et famille en capilotade. Il est arrivé au sommet. Trop de succès, trop de jalousies, le métier se détourne de lui, le public fuit le jazz, se tourne vers le rock et le punk...

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    L'est fini, l'est foutu. Gambergera durant trois ans. Mais non, trouve la parade à la panade. Monte son big band à lui, pas une agrégation fortuite ou saisonnière, une formation régulière, il n'est plus Vic Vogel, il est le maître de toute la nouvelle génération jazz. Assez jeune d'esprit pour créer malgré ses préventions avec le groupe pop Offenbach ce qui se dénommera le jazz fusion, big band +formation rock...

    TEL QU'EN LUI-MÊME

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    Tout ce que je vous ai résumé à grands traits hâtifs il faut le lire dans la prose précise et haletante de Marie Desjardins. Elle sait tenir son lecteur en haleine. Mais jusqu'à maintenant ce sont les confidences de Vic Vogel qui ont mené en quelque sorte la danse. Le moment est venu où Marie Desjardins prend la parole, c'est elle qui raconte Vogel, elle sait regarder, elle sait écouter, elle sait retranscrire, elle sait colorier, mettre en scène, nous sommes en les dernières années de la vie de Vic, elle lui rend visite, elle l'observe de près, elle sonde les blessures, elle le connaît, elle le comprend. Lui aussi n'est pas dupe de lui-même. Oui il est un gros bourru, un fort va-t-en gueule, ses musiciens l'adorent, ne manquent jamais la répétition du lundi, ils savent ce qu'ils lui doivent, il ne leur passe rien, leur dit leurs quatre vérités, mais il les a fait progresser, leur a beaucoup donné... n'empêche que les blessures sont toujours là. Lui qui est devenu un baobab officiel, une vache sacrée du milieu culturel québecois et canadien, peste encore contre les cul-pincés de l'establishment musical, il ressent toujours l'ostracisme dont il est victime de la part des musiciens classiques, il leur reproche de ne pas savoir improviser, d'être incapables de sortir de la tonalité imposée par une tradition académique pour jouer tel ou tel morceau, déclare qu'ils ont embaumé Beethoven, et Mozart, qu'ils ont ossifié la musique qu'ils avaient écrite et qui n'était que des variations, des improvisations, des premiers jets, des approximations qu'ils modifiaient sans cesse, qu'une fois morts on a réuni leurs feuilles volantes et pour ainsi dire cryogénisé leur étape passagère pour les conserver en une version définitive ne varietur pour l'éternité.

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    Marie Desjardins nous rend un Vic Vogel terriblement humain, souffrant physiquement, s'enfermant en lui-même, une tour délabrée qui perd un à un ses créneaux mais qui reste debout, perdu en le rêve de ses années de gloire et de guerre, de combat et de cette enfance, qui ne meurt jamais, qui survit quelque part, même si l'on ne sait pas trop où.

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    Il en est de Vic Vogel comme de beaucoup d'entre nous. Lorsque nous serons morts nous resterons plus ou moins présents dans la mémoire de quelques uns de nos contemporains qui partiront eux aussi à leur tour et cela en sera fini de nous... Vic Vogel aura cette chance de survivre plus longtemps grâce à ce livre. D'autant plus émouvant qu'il a été composé comme une œuvre musicale, l'écriture est au diapason de ce qui est raconté, elle reproduit les mouvements de l'action, elle en épouse les différentes phases, tantôt heureuses, tantôt allègres, tantôt tempétueuses, vivaces et nostalgiques. Marie Desjardins a tissé un linceul d'immortalité. Il suffit d'y poser les yeux pour assister à la renaissance de la vie.

    Romance hier, aujourd'hui et demain.

    Damie Chad.

    Note 1 : Nous avons vu Vic Vogel, reste à l'écouter. Quelques vidéos disponibles sur le net aideront le lecteur. Son œuvre reste tributaire du jazz d'avant et d'après guerre, elle puise aux sources d'Oscar Peterson et de Duke Ellington, tout en ayant intégré la leçon du Be Bop. Le kr'tnt-reader remarquera qu'il est né la même année qu'Elvis Presley et Gene Vincent, et que né dans l'upper-north american continent il n'a pas été marqué par une quelconque influence country mais qu'il se rattache par ses racines tziganes à la musique classique européenne, sa prédilection pour Lennie Tristano est logique. Tristano essaya de plier les structures anarchisantes du jazz à l'inventivité quasi-mathématique de Bach. Le parcours de Vic Vogel prend toute sa signification nous semble-t-il si on le met en relation avec le travail d'un George Gershwin et d'un Leonard Bernstein. Rien que dans sa façon d'équilibrer les masses sonores dans la menée de son Big Band, l'on ressent chez lui la nécessité d'une certaine rigueur formelle en alliance totale avec son caractère tranchant.

    Note 2 : sur Vic Vogel, voir dans notre livraison 457 du 26 / 03 / 2020, la chronique Portraits Rock. Pour Marie Desjardins : nos chroniques : La voie de l'innocence in livraison 449 du 30 / 01 / 2020 / Ellesmere in 447 du 16 / 01 / 2020 / SylvieJohnny in 442 du 12 / 12 / 2019 et Ambassador Hôtel in 440 du 28 / 11 / 2019.

    NANTUCKET SLEIGHRIDE

    MOUNTAIN ( I )

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    Il est des objets qui vous fascinent, vous obsèdent. L'album Nantucket Sleighride de Mountain est un de ceux-là. Irradiant envers moi. Des centaines d'autres personnes l'ont écouté, l'ont apprécié, ou en sont sortis plus ou moins indifférents, ouais pas mal, et sont passés à d'autres préoccupations. J'avais déjà Flowers of Evil, avec sa pochette noire, lorsque ce deuxième opus du groupe m'est passé entre les mains, c'est quoi ce truc de hippie ai-je pensé avec ce dessin very-beautifull-lady, toutefois tout en haut c'était écrit Mountain, bon je prends, mais c'est quand j'ai ouvert le gate-fold que j'ai été subjugué.

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    Trop, beau, magnifique. Je m'attendais à tout et à n'importe quoi, mais pas à cela. Remarquez que Leslie West le colossal guitariste de Mountain n'a pas partagé mon avis. Un jugement qui se souciait peu d'esthétique transcendantale, l'a examiné le résultat autrement. Crise d'égo. Peut-être pas paranoïaque, mais l'en a déduit que l'agencement avait été traîtreusement profilé de telle manière que le fan peu averti en conclurait que les deux principaux membres de Mountain n'étaient autres que Félix Pappalardi et Gail Collins. Felix Pappalardi passe encore, bassiste et chanteur, mais cette Gail, fallait pas délirer, elle n'était que la copine, enfin la fiancée astrale vu la manière dont il en était entiché le Felix... La femme de sa vie !

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    Rien de mieux – j'avais écrit ''pire'' mais j'ai changé pour ménager notre lectorat féminin - qu'une fille pour vous attirer des ennuis. Gail et Felix, nous aimerions écrire qu'ils furent heureux – et sans doute l'ont-ils été – mais l'histoire se termina plus vite que prévu, au mois d'avril 1983 - le 17 exactement, jour malheureusement extrêmement cochranique - Gail tira sur Felix... Felix atteint au cou en mourut sur le coup. La femme de sa mort ! Le couple était-il en engagé dans une dispute violente, Gail plaida coupable mais se défendit d'avoir voulu tuer son mari, une imprudente manipulation et la balle partit toute seule... Elle n'endura qu'une année et demie de prison... Cela s'est passé longtemps après l'acquisition du disque. Et n'a en rien entaché en moi la profonde admiration pour le travail graphique effectué par Gail Collins.

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    N'empêche que dès la première écoute Nantucket Sleighride ( paru en 1971 ) m'est apparu comme une espèce d'oratorio magique et funèbre. Une mise au tombeau somptueuse. Je n'avais pas encore vérifié sur mon dico d'anglais ce que signifiait Sleighride, Nantucket indiquait assez qu'il s'agissait de chasse à la baleine, le dessin intérieur le confirmait, mais obstinément l'idée d'enterrement m'est venue à l'esprit. Je tiens à préciser qu'il est difficile de vivre avec un cachalot blanc qui prend votre cerveau pour son aquarium préféré, même s'il y est aussi à l'étroit qu'une sardine dans sa boîte. Parce que voyez-vous, une chanson peut bien raconter une histoire précise, mais rien ne vous interdit de la comprendre autrement. Je ne divague point sur les vagues océaniques. Mais pourquoi parler de la mer lorsque l'on s'appelle Montagne. D'ailleurs comment interpréter la peinture de Gail Collins. Que représente-t-elle, la femme qui attend le retour du marin, ou l'abysse trouble et translucide des profondeurs océanes, l'autre séjour des jours évanouis à jamais. Ou, interprétation très personnelle, Thétys pleurant Achille. Une histoire d'eau salée dans les trois cas.

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    Leslie West : chant, guitare / Felix Pappalardi : chant, basse, claviers / Corky Laing : chant, batterie, percussions / Steve Knight : claviers

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    Don't look around : l'ai toujours entendue comme la chanson de la vigie dans le nid-de-corbeau qui s'oblige à pas fourvoyer son regard trop près du navire mais à le porter loin en avant, afin de saisir l'instant fatidique où l'animal expulse par son évent l'eau qu'il rejette, une objurgation à suivre sa vie, son désir, son but, sans retour possible en arrière. En tout cas le vent portant souffle fort et les flots puissants emportent le navire et le cœur des hommes, l'aventure a jeté son venin dans son esprit, l'est parti sans regret, tant pis pour ce et ceux et celle qu'il laisse sur le quai, l'orchestration déferle sur vous et vous ballotte comme bouchon de liège, sur la mer vineuse dirait Homère. La musique de Mountain se déploie sur un mode épique, écoutez cela plein pot les fenêtres ouvertes, vous vous ferez des ennemis dans le quartier, mais l'intensité est telle que vous êtes invincible. Taunta ( Sammy's Tune ) : ( Taunta, ainsi était surnommé le chien de Felix ) c'était trop pur, trop vivifiant, quelques notes sur un clavier, à pleurer, ne dure que soixante secondes, mais une de ces minutes de silence après la sonnerie au mort, au mois de novembre quand souffle une brise sournoise, la mer se creuse, vous avez eu l'épopée, voici le prologue du drame. Nantucket Sleighride ( To Owenn Coffin ) : ah ! Mes lascars, déjà vous aiguisez vos harpons mentaux et vous vous apprêtez à affronter la baleine huileuse dans vos mers intérieures, mais pourquoi Mountain ralentit-il son tempo, et cette voix  pappalardiesque ressemble à la missive qui apporte une mauvaise nouvelle, vous aimeriez un peu plus de nerf, que vient faire cette heavy-ballade, car oui car malgré quelques accélérations furieuses, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. C'est parce que vous ne connaissez pas Owen Coffin, un bon petit gars, l'est parti avec son cousin le capitaine Pollard chasser la baleine. Avec ce nom de Coffin qui signifie cercueil, il aurait dû se méfier, bref comme dans les contes de fées, c'est la gentille baleine qui a foncé sur le vilain bateau et vous l'a envoyé au fond de l'eau. Les marins ont pu s'enfuir sur une baleinière. Mais la chanson l'impose, les vivres venant à manquer, ils ont tiré à la courte-paille pour savoir qui serait mangé. Z'avaient déjà bouffé les morts, mais il n'en restait plus. C'est Owen, le plus jeune qui a choisi le mauvais bout. Pollard a voulu prendre sa place, mais Owen a insisté pour être mangé. Un bon petit gars. L'histoire aurait pu s'arrêter là, elle ne faisait que commencer. Vous comprenez maintenant la couleur heavy-bluezy de cette chasse au snark sordide. C'est un fait divers, mais cette terrible catastrophe, le Capitaine Pollard la contera à Hermann Melville, qui la transformera en mythe. Si vous ne me croyez pas, Led Zeppelin, vous l'interprète sur son deuxième album, écoutez la démesure de Bonham cognant à coups de marteau-pilon sur Moby Dick. You can't get away : beaucoup plus joyeux Corky Laing pète la forme sur ses futs et la guitare de Leslie rigole un bon coup à la manière d'un écorché vif. Il faut opter entre chasser les idées noires ou les baleines blanches. Chantent en chœur, les marin sont ainsi quand ça filoche à trente nœuds, pas de souci à l'horizon. Certains affirment que les chansons de gabiers sont toujours un brin nostalgiques, même quand ils font les fiers-à-bras. N'écoutez que trop discrètement les lyrics, que fait la femme du pêcheur qui attend son homme. Parfois c'est long. Restons résolument optimiste. Tired angels ( To J. M. H. ) : deuxième heavy-ballade, dédiée à Jimi Hendrix, mais aussi à ceux qui se battent dans les pires difficultés et les épreuves les plus terribles pour rétablir leur propre royaume du Gondor, Mountain est une merveilleuse machine à compresser le riff, à ne pas le laisser s'échapper, seul le chant le passera au laminoir, Corky Laing impérial, tout l'édifice repose sur lui, mais il refuse de le transformer en monument statique, grâce à lui la tour de guerre roule et monte à l'assaut. Splendide. Quand vous n'allez pas à la montagne, elle vient à vous toute seule. The animal trainer and the toad : Retour au rock'n'roll. Facile pour Mountain, suffit de pousser la manette de quelques millimètres pandémiques pour que le rythme s'accélère. Ne court pas après son ombre car il l'a déjà rattrapée depuis longtemps. Vous êtes à l'exact croisement de Zeppelin et de Creedence. La vie d'un groupe de rock ne ressemble-t-elle pas à une course en compagnie du roi des sept mers. Parfois l'on croit être le dompteur et l'on n'est que le crapaud. My lady : le rêve du marin, la chanson de la couverture, Gail Collins a participé à son écriture, et Pappalardi la chante. Mountain sur des escarpins roses et tutu de gaze ne parvient pas être ridicule. Beau comme nacre de coquillage. L'azur du ciel et de la mer se confondent. Travellin' in the dark ( To E. M. P ): ( la personne désignée par les trois initiales est Elia Papparladi, la mère de Felix, ils reposent désormais dans la même tombe ) la face sombre du morceau précédent. Un clavier ironique qui grimace. La guitare s'étire comme le chat qui se prépare à tuer la souris rose. La vengeance d'Athos à l'encontre de Milady. Tous les montagnards vous le diront, il ne faut pas se fier au soleil qui embaume les plus hautes cimes, les nuages noirs surgissent si vite. The great train robbery : guitare slide, Leslie mène le train, vous raconte le hold up du siècle, celui qui plus tard fascinera les Sex Pistols, Corky se permet le luxe de mener une frappe qui grince encore pire que les cordes de West qui nous fait son western. L'on semble loin des baleines, mais que vous attaquiez un convoi d'or ou un cachalot, le plus dur c'est de savoir survivre ensuite, une fois que l'on a le meilleur de sa vie derrière soi. Une fois que le chapeau de la  plus haute cime est tombé dans l'abîme...

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    L'album forme un tout compact. Leslie West effectue un satané boulot, mais son jeu est englobé dans le mortier unitaire, les amateurs ont intérêt à se focaliser sur lui. Mais Leslie prendra sa revanche sur scène. Certaines de ses versions du morceau Nantucket Sleighride sont de véritables tour de force.

    Nantucket Sleighride ( 18 mn ) : on Live : The Road Goes Ever On. Enregistré en 1972. La pochette est évidemment de Gal Collins. Influence tolkenienne avérée, drôle d'anneau symbolique passé aux doigts de Gail et Felix, la littérature serait-elle opératoire.

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    Le monstre s'avance pesamment. La voix s'élève, telle un rayon de clarté dans la nuit. Précipitation, le rythme s'accélère pour mieux s'adoucir, l'on entend davantage la résonance que la corde elle-même, et Leslie sort le grand jeu, aucune touffe d'esbroufe juste une plainte qui s'élève et s'achève, la mer infinie s'étale autour de vous, et la guitare froisse le riff dans le lointain, tandis que devant nous n'avons que les vagues interminables qui frappent la coque du navire, marsouins facétieux bondissant par jeux festifs et inoffensifs, Leslie West tire la bourre tout seul, sa guitare comme une figure de proue qui domine la houle graveleuse, plonge dans l'écume pour mieux ressortir resplendissante, suivez-là vous aborderez sur des rives radieuses où les femmes nues s'offrent au désir, longues exhalaisons de conques marines tritoniques, les sirènes du songe ne sont jamais loin des âpretés cauchemardesques, ne vous fiez pas à la gentille ritournelle du piano, elle est empoisonnée, et la guitare bondit tel un dauphin s'exhaussant de l'onde amère pour vous saluer. Derrière la rythmique s'obscurcit mais la bougie de West devient étoile qui brille de plus en plus fort au lointain de la nuit de votre âme perdue. Vous ne savez plus où vous êtes, la mer est microcosme et votre esprit devient le macrocosme qui l'enserre, ne reste que la chanterelle de quelques notes et des cinglements de cymbales qui résonnent tel un adieu, un générique de film dont vous ne comprendrez jamais la fin. La voix revient, comme légère et apaisante, celle de votre maman le soir avant de vous endormir, mais Mountain vous passe la pellicule du vaisseau fantôme maudit dont vous ne débarquerez jamais.

    Nantucket Sleighride : ( 31 mn ) on Twin Peaks. Enregistré au Japon à Hosaka en 1973. Sorti en 1974. Allan Schwartzberg ( traduction : Montagne noire, cela s'imposait pour Mountain ) remplace Corky Laing et Bob Mann Steve Nights aux claviers, fait aussi mumuse à la guitare rythmique. Twin Peaks ( traduisons par Doubles Pics ) est une expression courante aux USA pour désigner deux éminences voisines qui se voient de loin dans un paysages. Ici, elles ne peuvent désigner que Leslie et Felix. Vous reconnaissez la patte stylée mais aux griffes acérées de Gail Collins sur la couverture.

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    Dernier adieu que l'on imagine crié depuis le quai, on en profite pour louer la clarté de l'enregistrement, et tout de suite le schooner s'avance triomphalement sur les flots, et taille la route, mais la mer est plus agitée que prévue, la Montagne barbote joyeusement et soulève les de vifs embruns, la guitare de Leslie hisse les voiles, le navire tape à la vague, et le vent gronde trop fort, qu'importe le rafiot file tout droit, la tempête fronce la mer, des bruits sourds semblent s'élever depuis des volcans souterrains, Leslie et Mann s'affrontent sur le pont, un foulard entre les dents et un coutelas à la main. Ne vous mêlez pas de leurs affaires, admirez la beauté du combat, la vivacité de Leslie et la brutalité de Mann, rond de sang, cercle de mort qui se calme, s'amenuise, vont-ils se perdre dans l'immobilité des statues, mais les crispations d'un soleil blafard qui perce entre les nuages et virevolte sur les lames revigorent le combat, gravité extrême, délirium tremens de l'angoisse poussée à son paroxysme, la mer qui se cabre rappelle l'équipage aux manœuvres, l'ouragan souffle et ne cesse de pencher le navire sur les gouffres liquides. Mais le temps se remet au beau, et le bateau repart gaillardement, il taille désormais la route plus durement, la campagne de pêche ne sera pas une partie de plaisir, la basse de Pappalardi appuie encore plus longuement, Mountain se met à rigoler, le band se débande, c'est l'effulgence sonore, le rock'n'roll n'est-il pas le cinquième élément, le seul que les Dieux et les héros ne partagent pas avec les simples mortels, vous voici transformés en headbangers dans votre chambre, et le groupe adoucit encore le jeu, juste pour augmenter l'impact de la fièvre qui s'empare de vous, encore une empoignade sur le tillac, une querelle ne saurait se terminer que lorsque le sang se fait rivière, nos deux mauvais sujets s'en donnent à cœur joie, ils s'invectivent, Allan en profite pour s'engager dans un solo qui tue, et l'orgue se joint à lui comme la pieuvre s'enroule sur votre bras, le cri du monstre résonne et ses tentacules noirâtres s'agitent dans l'espace, faut s'en débarrasser à la hache d'abordage, lui couper ses pattes folles qui courent sur les mâts. Remuements terribles. La guitare de Leslie jaillit tel le trident de Neptune, et l'équipage vous débite les bras musculeux du monstre en tranches sanglantes. De sa gueule surgit une bave noire et astringente qui creuse des sillons bleutés sur la peau des marins. Ça y est la bête agonise, tout redevient normal, et la voix plane très haut comme oiseau d'annonce nouvelle qui ne prophétise rien de bon.  Le navire reprend son allure, bientôt vous ne le voyez plus. Vous ne savez pas à quoi vous échappez.

    Nantucket Sleighride : ( 11 mn ) : Enregistré au Capitol Theater de Passaic dans le New Jersey. 3 Novembre 1974. On Greatest hits live ! 2000. Corky Laing est revenu, Mann et Schwartzberg ne sont plus là, David Perry est à la guitare rythmique.

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    Cette version ne présente pas le même profil que la précédente. Le son des guitares est totalement différent. Plus fuzzy, moins bluezy, et le tempo du morceau est beaucoup plus nerveux. Faut laisser passer le premier couplet pour s'y retrouver. Corky est de retour, l'est mixé davantage devant, ceux qui l'aiment en seront ravis. La guitare de Leslie est, si j'ose dire, davantage visible, je pense que la prise de son a un peu échappé à Pappalardi, il s'agit d'un enregistrement pour une radio, et les techniciens ont privilégié le travail des musiciens au détriment du son global du groupe. Ce qui permet d'aborder le groupe d'une autre manière, pas mauvaise en soi, toutefois il manque une magie indiscernable, Mountain ressemble trop à l'écoute moyenne de tous les grands groupes de la terre. Ne culmine pas. Ne se dissocie pas du reste du troupeau. La fin est bien brutale, coupée.

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    Par contre, il est intéressant de le visionner sur You Tube car le titre est accompagné d'un magnifique montage de peintures et de photos d'époque qui donne une idée de ce que à quoi pouvait ressembler la chasse à la baleine. La lecture du Moby Dick de Melville s'impose mais aussi le Pawana de Le Clézio beaucoup plus mince mais mieux adapté aux exigences philosophiques des adeptes du véganisme.

    Je vous reparlerai une autre fois de Mountain, car les montagnes offrent plusieurs faces aux amateurs  d'escalades vertigineuses.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 461 : KR'TNT ! 461 : SYNAPSES / GARY GUITAR LAMMIN / VARIATIONS / SENTENCED / TORTURE WHEEL / ROBERT JOHNSON

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 461

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    23 / 04 / 2020

     

    SYNAPSES / GARY GUITAR LAMMIN

    VARIATIONS / SENTENCED

    TORTURE WHEEL / ROBERT JOHNSON

     

    Pas de synode pour les Synapses

    , synapses, gary guitar lammin, variations, sentenced, torture wheel, robert johnson,

    — Wouah ! C’est sûr ! On va faire fureur !

    — Wouah ! C’est sûr ! Ils vont tous nous envier !

    — Ils vont crier vive les minets ! On a l’air vraiment super !

    C’est vrai, on dirait vraiment que Martine et Éric sortent des pages de mode de Salut les Copains. Ils finissent de se coiffer en écoutant le hit parade de SLC Salut les Copains.

    —SLC Sa/lut les Co/pains ! Et maintenant, voici le numéro un du hit/parade ! Michel Pol/nareff avec «L’Oiseau de Nuit» !

    —Wouah, j’adore Michel !

    —Wouah j’adore son shetland rose !

    — Wouah ! Et son Levis noir en velours côtelé !

    Martine ajuste sa belle frange blonde en dansant le jerk. Elle porte un col roulé blanc en laine peignée et un taille basse rouge comme son idole Brian Jones. Le gros transistor Telefunken posé sur la commode vibre :

    —Parmi tous ces inconnus ‘ki ren/trent/ Re-trouver la femme et le ‘kou/vert !

    — Wouah ! Michel est un super rocker !

    — Et je vois aussi ‘kou/ler tes larmes/ Toi ‘ki vins danser avec le jour !

    Et ils reprennent à tue-tête en chœur avec Michel :

    — Mais il valait mieux rom/pre le charme/ Que de laisser croâre à not’ amuuur !

    Et ils éclatent de rire.

    — Wouah ! C’est sûr ! On va faire fureur !

    Éric porte un col en V rouge vif passé sur une chemise en soie blanche et un taille basse jaune à grosses côtes. Ce dont il est le plus fier, ce sont ses boots vernies trouvées chez Myris pour vraiment pas cher.

    — Et voici main/tenant le Chouchou de la se/maine ! Ronnie Bird avec son nou/veau 45 tours «Chante » !

    Martine saute en l’air. C’est son idole numéro deux. Le transistor crache un gros riff de fuzz. Ronnie attaque d’une voix ferme :

    — Voilà ‘ke la chanson/ Devient un vrai ‘kon/cours !

    Martine et Éric se mettent à jerker comme des automates abandonnés de Dieu.

    — Les zi/doles à Centrale/ Viennent suivre des ‘kours !/ Chaaaante !

    Martine et Éric semblent possédés par le diable. Ils secouent tellement leurs têtes qu’ils se décoiffent.

    — L’autoroute à présent devient remplie de gens/ Chaaaante !/ Puisqu’il paraît ‘k’elle ‘kondui/tà/ La Tour d’Argent !

    Dix ans avant Sid Vicious, Martine et Éric inventent le pogo.

    — Et moi je pleure/ Oh oui le pleure... Hélas/ Trois fois hélas...

    Et ils reprennent en chœur avec Ronnie :

    — PARCE QUE JE N’AI PA/ ZÉ-TUDIÉ !

     

    Une heure plus tard, ils sont dans la rue. Ils prennent le métro et sortent à Pigalle. D’un pas alerte, ils descendent la rue Pigalle jusqu’à l’angle de la rue Fontaine.

    — Wouah Teenie Weenie, tu aimes la nitroglycérine ?

    — Wouah Riton, j’adore tout ce qui est In !

    — C’est au Bus Palladium que ça s’écoute !

    — Wouah Riton, j’adore tout ce qui est Out !

    Les gens font la queue sur le trottoir :

    — Wouah Teenie Weenie, il y a foule pour les petits gars de Liverpool !

    Une gigantesque affiche dévore la façade du Bus Palladium : The Synapses !

    — Wouah Riton, ça va jerker aussi sec qu’au Papagayo de Saint-Trop !

    — Wouah t’as raison Teenie Weenie ! Comme dirait David Alexandre Winter, qu’est-ce que j’ai dansé !

    Ils entrent et filent directement aux toilettes. Il y a déjà du monde. Ils réussissent à trouver un coin tranquille. Éric sort de sa poche un petit sac en plastique.

    — Ferme les yeux et ouvre la bouche, Teenie Weenie !

    Martine tire la langue.

    — Tiens Teenie Weenie, avale ça ! C’est une dose de LSdiiii !

    — Wouah Riton, j’adore les triiips !

    — Wouah Teenie Weenie, ya pas plus in !

    — Wouah Riton, je suis déjà out ! Je crois à la vérité des couleurs !

    — Wouah Teenie Weenie, je suis un garçon très doux ! Je veux aimer le monde !

    Ils reviennent se fondre dans la fournaise. Sur scène les Synapses font un tabac :

    — Je m’en vais vivre/ Comme dans un livre/ Dans le ventre d’une/ Énorme baleine !

    Au pied de la scène, les filles et les garçons semblent pris de frénésie.

    — Je vais descendre/ Pour me détendre/ Dans le ventre d’une/ Énorme baleine !

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    Tout vêtu de rouge, le chanteur des Synapses mène le bal des vampires en secouant son tambourin. Il a le visage couvert de cheveux mouillés de sueur. C’est le jerk du diable ! Le guitariste prend un court solo freakbeat à faire pâlir d’envie le John Du Cann du temps où il jouait dans The Attack !

    — Il fera beau/ Il fera chaud/ Plus personne pour nous/ Causer de pei/ne !

    Le batteur joue les dynamiteurs et le bassman tricote sur sa basse vintage des gammes véloces des quatre doigts de la main gauche. Nouvelle dégelée de solo psychout ! Too far-out !

    — Nous verrons plus/ Tous les abus/ De la te/herre qui est/ Remplie de haine !

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    Sur la piste de danse, ça gesticule à qui mieux-mieux. Les Synapses enchaînent avec un nouveau brûlot :

    — Tu es ma bombe ana/tomique/ Mi-andro/gyne/ Mi-hydro/gène !

    Les filles chaloupent comme des sirènes de train fantôme et les garçons s’entortillent les rotules.

    — Ce mélange hété/rogène/ Fait de toi un modèle unique !

    — Wouah Riton, pfff pfff, ils sont terribles !

    — Wouah Teenie Weenie, pfff pfff, ils sont in et on est out !

    Éric tend les bras pour voir ses mains se fondre dans le jeu des lumières psychédéliques.

    — Aaaahhhh que c’est bon tout ça ! Aaaahhhh que c’est bon tout ça !

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    Les Synapses enchaînent avec un beau «Souci Détail» nappé d’orgue. À la fin du morceau, le chanteur demande à la foule si ça va :

    — Ça va ?

    — Ouaiisssssss !

    Alors le batteur tatapoume le super beat et le chanteur attrape son micro d’un geste rageur :

    — Durand a eu un accident/ Dupont a perdu toutes ses dents/ Machin a un dixième enfant !

    Les garçons et les filles ondulent comme des danseuses égyptiennes atteintes d’épilepsie. Les Synapses lèvent un vrai vent de folie.

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    — Wouah Riton, pfff pfff, y font Dutronc !

    — Wouah Teenie Weenie, pfff pfff, j’aime bien tes antennes et tes huit paires d’yeux !

    — Wouah Riton, tu trippes comme un malade !

    — Je suis content/ C’est pas à moi que c’est arrivé/ Je suis content/ C’est pas à moi que c’est arrivé !

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    Les Synapses claquent encore une série de jerks terribles à la nasillarde d’Antoine et ils Hectorisent le Bus Palladium jusqu’au trognon. Pendant l’entracte, Éric va au bar chercher un verre.

    — Un whisky coca !

    Il s’amuse de voir le serveur avec des oreilles et une trompe d’éléphant.

    — Merci Babar !

    — M’appelle pas Babar ! M’appelle Jean-Claude, connard !

     

    Au petit matin, Éric se retrouve sur le trottoir, devant le Bus palladium. Il frissonne et il a les oreilles qui sifflent. Il réalise subitement que Martine a disparu.

    — Wouah la sal/ope, elle est par/tie avec un autre gar/çon !

    Soudain, une ambulance et une estafette de police arrivent et se garent juste devant lui. Un flic descend l’air mauvais :

    — Circulez ! Ya rien à voir ! Allez ouste !

    Les infirmiers et les policiers se ruent à l’intérieur du Bus. Éric a une espèce de flash et il entre à leur suite. Ils vont directement aux toilettes. Il y a un attroupement. Éric se hisse pour essayer de voir par dessus les épaules. Il a une sorte de pressentiment. Mais il ne peut rien voir. Il reconnaît une copine dans l’attroupement.

    — Dis donc Poupée de cire, tu sais ce qui se passe ?

    — Teenie Weenie Boppie est morte dans la nuit...

    — De quoi ?

    — Mais d’avoir pris une dose de LSDiiiii !

    Signé : Cazengler, Synoque

    Synapses. Le trois Pièces. Rouen (76). 6 novembre 2015

     

    Lammin d’or

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    Un seul canard au monde consacre des pages à Gary Guitar Lammin. Il s’agit bien sûr de Vive le Rock, dernier bastion d’un certain underground britannique. Bruce Turnbull ne tourne pas longtemps autour du pot : pour lui, l’album solo de Gary Guitar Lammin est l’une des finest releases of the year. Dans l’article qui suit ce dithyrambe échevelé, Gary s’épanche. Il dit avoir commencé par craquer sur la version de «Little Red Rooster» que jouaient les Stones à une époque lointaine. Puis il découvrit Juicy Lucy, et tout particulièrement ce rescapé des Misunderstood, Glenn Ross Campbell qui jouait de la slide. C’est là que naquit son obsession pour la slide.

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    Gary joua dans les Little Red Roosters puis dans Garrie & The Roosters. Il ne s’intéressait qu’à ce qu’il appelle le straight rock’n’roll. À la fin des seventies, il était l’un des seuls à vouloir encore sonner comme les Who, alors que tout le monde louchait sur ce qu’il appelle the intellectual music, the prog stuff des Yes et des No. Quand il découvrit les New York Dolls, il s’aperçut qu’il n’était plus seul au monde. Il venait de découvrir qu’il existait des gens pensant la même chose que lui ! Et quand le punk explosa en Angleterre, tout changea - Everything changed completely - Tous ceux qui ont grandi dans les sixties connaissent cette succession d’épisodes par cœur.

    En farfouillant dans les pages du NME, Gary tomba sur le nom de McLaren, un nom qu’il connaissait pour s’être intéressé de très près aux Dolls. Il découvrit que McLaren tenait une boutique de fringues sur King’s Road et il s’y rendit. Il rappelle qu’à l’époque il n’y avait ni web ni smartphones, alors il fallait faire les choses physiquement. Mais il ne parvint pas à rencontrer McLaren, alors il dut laisser une cassette de démos à son intention, avec un numéro de téléphone. Et puis un beau jour, drrrring ! McLaren lui dit de rappliquer au magasin avec sa gratte. C’est là que Gary rencontra Dave Goodman avec lequel il enregistra cet album solo qui vient tout juste de refaire surface.

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    Gary Lammin apparaît sur la pochette avec un air menaçant. On retrouve très vite l’environnement des Pink Fairies dans «Lost & Falling», ce qui semble logique, vu que Dave Goodman et George Butler sont de la partie. Mais le disk erre dans le nowhere land du London underground. C’est avec «Value» que ça se corse, Gary joue au big far out et on le voit driver sa vieille chique dans «Is That Alright With You». La grosse viande arrive enfin avec «Memo To Anita», il joue du bottleneck infected avec du big bass drum in tow. C’est assez spectaculaire. Gary gratte tout ce qu’il peut gratter. On comprend alors ce qu’il veut dire quand il évoque son obsession de la slide. Et puis voilà le coup de tonnerre : «Hey Mr John Sinclair». Ride on ! C’est John Sinclair qui ride on. Il explose le walk away, Gary travaille ça au heavy riffing, ride on John Sinclair, ride on, ça roule sur un heavy bassmatic anglais digne de ceux qu’on jouait à Detroit. Les filles font «Mr John Sinclair/ Change the people everywhere !», les descentes de basse sont d’un rare demento, Hey Mr Sinclair, don’t be square, Gary nous empapaoute ça comme un crack.

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    Puis il va revenir dans l’actu avec les Bermondsey Joyriders. La presse anglaise présente les Joyriders comme des héritiers des Sex Pistols croisés avec le MC5, une hypothèse que confirmerait presque la présence de John Sinclair : il fait des transitions entre tous les cuts de Noise And Revolution, comme le fit en son temps Stanley Unwin dans l’Ogdens’ Nut Gone Flake des Small Faces. Gary fait du punk-rock dès «Society Is Rapidly Changing». Il y va de bon cœur, il faut le signaler. Il prend bel et bien la suite des Pistols, mais sans la voix de Rotten, ni l’éclat des compos. Sa démarche est pourtant très sérieuse. Society ! Quand il envoie ses solos en coulée douce sur le chant, il rafle presque la mise. «Right Now» sonne bien les cloches, heavy steamboat in the brick walls, ce dingue de Lammin lamine sa chique avec les accords des Stooges. Lui et son copain bassman Martin Stacey sont des fous dangereux. Mine de rien Lammin la ramène bien, il claque sa stoogerie au ‘scuse me while I fuck the queen. Avec «1977», il tente de refaire les Pistols, mais ça bande mou. Même avec le lance-flammes. Par contre, il redresse bien la situation avec «Tru Punk». Plus loin, il sort son meilleur accent cockney pour «Proper English». Pur jus d’East End. On se régalera encore de «Shaking Leaves», une vraie dégelée, mais en même temps, ce n’est pas le hit du siècle. Il manque toujours à Gary le petit quelque chose qui fait la différence. Il veut exister en tant que légende obscure, mais ce n’est pas gagné. À la limite, John Sinclair a plus d’allant. Les Joyriders tentent encore de passer en force avec «Rock Star», côté jus, ils n’ont pas de problème et on voit John Sinclair amener merveilleusement «Rock N Roll Demon». Du coup, ça frôle le cut mythique. Gary chante tout ce qu’il peut chanter, comme il l’a toujours fait.

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    Il existe un autre album des Bermondsey Joyriders nommé Flamboyant Thugs. On retrouve sur la pochette la bagnole bleue et blanche de l’album précédent plus nos trois Joyriders qui ont fière allure. Ça explose en bonne et due forme dès «Sonic Underground». Ils ont du son, ça crame dans la cave. On voit Gary Lammin jouer au kill kill kill et prendre des virages dévastateurs. Ils sont très énervés, ça joue aux dents branlantes et au vomi rose. On croirait qu’ils jouent leur vie aux dés. Mais quand on va sur les cuts suivants, on sent une usure. Pas facile d’être une légende vivante en Angleterre. Ce genre de plan peut vite tomber dans le pathétique. Gary tente de faire le méchant, mais on n’y croit pas un seul instant. Il chante si mal son «Here Come The People» qu’il le condamne aux ténèbres. Son vieux copain John Sinclair tente de sauver l’album avec des transitions, mais le morceau titre est encore si mal chanté que ça retombe comme un soufflé. Gary flingue toutes ses chances une par une. Il n’est ni Johnny Rotten, ni Rob Tyner, ni Liam Gallagher. Il sauve les meubles avec «It’s Nice To Be Important» et tape ça aux big British rock, il redevient l’espace d’un cut the cockney Lord of the night. Fantastique énergie ! C’est un chef-d’œuvre de cockney brawl. Il sauve son album une deuxième fois un peu plus loin avec «Throw The Dice», joué au big guitar raunch et aux clap-hands. C’est une pure merveille de rock anglais, ça joue à la bonne allure de la revoyure avec un Lammin lâché dans les rues et ça devient fascinant - Lets’ throw the dice/ Let’s watch him roll - Plus il avance dans son album et plus il gagne des points dans les sondages, comme disent les cons du petit écran. Son «Gentlemen Please» est plutôt bien balancé. L’important est de ne pas perdre de vue un vieux dur à cuire comme Gary Guitar Lammin. Même s’il n’est pas parfait, il a au moins le mérite d’exister dans l’inconscient collectif

    Signé : Cazengler, Gary Lamerde

    Bermondsey Joyriders. Noise And Revolution. Fuel Injection Records 2012

    Bermondsey Joyriders. Flamboyant Thugs. Fuel Injection Records 2014

    Gary Guitar Lammin. ST. Requestone 2017

    Bruce Turnbull : Sling The Axe. Vive le Rock #42

    31 DECEMBRE 1968

    LES VARIATIONS

     

    Où traînais-je le soir du 31 décembre 1968, certainement pas à Joinville, ni sur le pont, ni au bataillon. J'ai une bonne excuse, eux non plus ils n'y étaient pas. Devant leur poste de télé. Donnaient un concert. Et celui de Joinville ils l'ont visionné quarante ans plus tard, vous en rajoutez douze de plus et on y arrive. Un demi-siècle de passé depuis cet instant fatidique qui révéla au grand public l'existence des Variations. Et Julien Deléglise - auteur de Moroccan Roll : La fascinante histoire des Variations - signale fort à propos qu'il existe une vidéo de l'évènement bien meilleure que l'habituelle. Autant aller y faire un tour, puisque l'on est privé de festivités rock'n'roll et que rien ne bouge dans les bouges depuis un mois, autant s'en mettre plein la vue et plein les oreilles, pour pas un rond de friture sur les ondes électro-magnétiques.

    L'anecdote est connue. N'étaient pas invités. La télévision française préparait la soirée du réveillon du Nouvel An. Se sont radinés au tournage, l'air de rien, au cas où. Nul besoin d'eux. Il y avait du lourd, les Who, le Jeff Beck Group, les Troggs, Booker T and the M.G. ( Memphis Group, pour les ignorants ) Fleetwood Mac ( en leur période blues, pas la daube populaire terminale ), plus plein d'autres qui font moins saliver. J'allais oublier Traffic – mais qui se souvient encore de Traffic aujourd'hui - avec Steve Winwood et Jim Capaldi. Ne sont pas là – mais que trafiquent-ils - et c'est le dernier jour de mise en boîte. Essayez de trouver une formation au pied levé... Bingo, les Variations sont là ! Comme quoi dans les Evangiles, il n'y a pas que des craques, ils sont arrivés en dernier, ils seront les premiers. En fait les derniers au montage, mais avoir les Who et consorts en première partie, pour un petit groupe français inconnu, ce n'est pas mal.

    Pas de panique, enfourchons la machine à monter le temps et zieutons à quoi ressemblait la France éternelle en ces époques antédiluviennes. Je vous rassure, non vous ne risquez pas de rencontrer de vilaines grosses bestioles, ce n'est que plusieurs années après que certains groupe se sont transformés en dinosaures.

    D'UN AUTRE ÂGE

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    Me suis reconnu sur le plateau. En plein dans le public. Sont tous comme moi à l'époque, très beau avec des cheveux longs. J'ai dû lancer la mode sans m'en apercevoir. En tout cas, ça vous fout un sacré coup de vieux. Le pire c'est que l'on n'a pas l'air plus intelligent que les jeunes gens de maintenant. Peut-être plus heureux, on venait de rater la révolution, mais il semblait qu'un futur radieux se profilait encore à l'horizon. Ça jerke dur, les mauvaises langues prétendront que comme c'est la dernière séquence, tout le monde sur le plateau, techniciens et figurants, se laisse aller. Le grand défouloir. Pour le tournage, ils n'ont pas fait appel à Jean-Christophe Averty, le décadreur siphonné, qui vous aurait déglingué le montage en trente secondes. Z'ont choisi Guy le mec qui roule pour vous et fait son Job proprement. Une caméra face à la scène. Plutôt étroite, genre éclair au chocolat, pas de profondeur pour les zicos, de temps en temps un zoom sur un artiste, heureusement parce que devant c'est le rideau mouvant des danseurs qui voilent beaucoup et dévoilent un petit peu. C'est la fête. De l'an neuf, faut que le français moyen comprenne que l'ambiance est torride. Encore quelques minutes et ce sera l'année érotique. La prise de son n'est pas terrible. Ne venez pas vous plaindre, songez que l'on ne possède aucun document sonore des plaidoiries de Cicéron sur le forum romain. Sachez apprécier ce que vous avez !

    ROUND UP

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    Un round de vingt minutes, pas bésef, mais les autres groupes n'ont eu droit qu'à une portion de dix minutes, ont attaqué sec avec Around and around, Jo Leb – une coupe à la Keith, se jette sur le micro et à l'eau, il montre qu'il est doué pour le crawl, l'a intérêt car à la guitare Marc Tobaly verse de ces rasades chuck berriennes si bien imitées, si fortement poivrées, qu'elles ressemblent à des claquements de becs de squales géants qui se lancent à sa poursuite d'un innocent baigneur pour lui cisailler les jambes. En quinze secondes, ils ont gagné, derrière Jacky Bitton bastonne sur ces bidons, un bruit pas possible, vous ramone les oreilles à la rémoulade de cèleri, vous passent en prime le rythme de Brown Eyed Handsome man et vous embarquent dans un de ces cafouillis grabugique dont les Stones avaient le secret à l'époque, le genre de guet-apent sonore dans lequel normalement tout le monde devrait se viander, mais dont vous ressortez aussi frais que le bouton de rose passé à la boutonnière du coup du surin que vous avez reçu dans l'abdomen. Essayez de saisir dans vos mirettes P'tit Pois, oui les filles il est très beau, par contre il a une manière peu orthodoxe de slapper sa basse électrique, un visage d'ange et une frappe exaltée de blouson noir. Jo Leb nous fait le coup du feel ( à couper les méninges ) all right, joue au sorcier indien qui dirige et éloigne de la voix le nuage de sauterelles géantes, manière de montrer qu'il maîtrise la fracture du morceau et le public règle illico la facture électrique sous forme de forts dandinements spasmodiques.

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    Vous aimez le rock'n'roll, donc vous aurez du rhythm'n'blues et ils s'engouffrent au pas de course dans Everybody needs somebody to love, mais certains l'aiment plus chaud que d'autres alors ils vous le servent brûlant, la pression monte dans la cocote-minute des danseurs, z'avez un individu qui s'exhausse à bout de bras, du coup Marc mord les cordes de la guitare et l'on dérive vers une de ses cacophonies bruitistes qui rendent fous de joie ces êtres simples et candides que sont les amateurs de rock, derrière Jacky Bitton bétonne à mort, Tobaly mouline totally à la Townshend, l'on ne voit plus Jo Leb prostré sur son micro, le navire donne de la bande, les vagues brisent le gouvernail, le vent arrache les voiles, c'est étrange, mais on a l'impression de vivre plus intensément.

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    C'est partie pour l'hystérie collective le jeu des questions réponses, sans queues ni têtes, mais farcies de cris et de hurlements. Bitton à la batterie tribale, et Leb qui vous trimbale où il veut. Nous fait le coup de l'extase morrisonienne, et l'on aime cela, ce chuchotis de mots de désirs incandescents, ces reptiles gutturaux qui s'enroulent autour de nos corps en sueurs pour mieux resserrer leur étreinte par accoups irréguliers, tantôt doux, tantôt violents, les lèvres de Leb dégagent une lèpre mortelle, il n'est plus là, il gît en lui-même, en un autre monde, mais voici que son corps de supplicié abandonné à terre explose, c'est la catharsis salvatrice et l'ouragan de la folie ravage le monde entier. Une fille vient s'offrir au grand chaman et les voici partis en un tressautement orgasmique qui rend la gent féminine folle, se mettent à hululer comme ménades orphiques. Nous ont convaincus. Tout le monde a besoin de sexe.

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    Pas de temps à perdre, les Variations vous lancent le riff de Satisfaction comme s'ils avaient le cachalot blanc du rock'n'roll à harponner. Jo Leb, halète, il aboie, un roquet en chasse, vous avez dû marcher sur ses pattes de daim bleu, derrière Jacky lance ses torpilles riffiques de plus en plus désastreuses, touché-coulé à tous les coups, Grande à la basse qui gronde, visage pâle, il est l'archange de la mort qui mène les troupes sataniques à l'assaut, et Bitton dératise sa batterie, silence, et tonitruance en alternance, la fièvre monte jusqu'à ce que le thermomètre explose, Leb s'est saisi de son foulard qu'il exhibe comme le lacet de la mort, et brusquement surgit ce que l'on n'attendait pas, ces volutes orientales que le Zeppe n'utilisera que bien plus tard, more rock'n'roll is moroccan roll, Leb se métamorphose en bayadère, et le public ondule à la manière des serpents des flûtes de Joujouka, générique de fin, Leb en descente de transe et Jacky Bitton tambour battant, final extraordinaire, Jo Leb couché par terre entonnant une espèce de cantilène funèbre tandis que la batterie de Bitton avance vers vous telle une colonne de fourmis carnivores prêtes à dévorer le monde. Apocalypse terminale.

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    ET LES AUTRES ?

    Des extraits de l'émission intitulée Surprise-partie ( titre déjà ultra-ringard à l'époque ) sont facilement visibles sur You tube. Commencez par taper Variations : New Yars's Eve Party on French TV et le reste viendra. Aucune prestation offerte ne possède cette incandescence. Pour comparer ce qui est comparable, les Troggs par exemple sont bien sympathiques, mais pas déchaînés, des pros qui assurent mais rien de bien transcendant. J'avais déjà vu cet extrait troggloditique à plusieurs reprises, mais ne l'avais pas gardé en mémoire...

    Les Variations ont disparu. Sont venus trop tôt. In too much too soon, diraient d'autres. Restent une des plus séminales formations du rock français. C'était déjà trop beaucoup pour un trop jadis.

    Damie Chad.

    *

    L'on a beau critiquer la société de consommation, l'on passe son temps à entasser les Cd's, juste pour les archives assure l'ami Mister B, bref ça escalade le ciel et les piles instables s'écroulent comme les colonnes du temple maudit dans un fascicule des aventures de Bob Morane... Alors de temps en temps, vous vous dites, what is it ? Celui-ci je ne l'ai jamais écouté, et vous vous faites une douce violence pour le glisser dans le bouffe-galettes, manière d'ajouter un peu de bruit et de grabuge dans ce monde de confusion.

    AMOK / SENTENCED

    ( Century Media 77076-2 / 1995 )

    Sami Lopakka : guitar / Vesa Ranta : drums / Miika Tenkula : lead guitar / Taneli Jarva : bass, vocals.

    Celui-là, c'est la pochette rouge sang qui m'a séduit. Avec en bas de l'image, l'arc de cercle de cette sculpture ivoirine, issue des âges farouches, de deux lions attaquant et bondissant sur une antilope saisie en pleine course. Cruauté vitale ! Elan carnivore ! Amok, le titre de l'album resplendit de sa froidure chryséléphantine sous l'arc assassin de cette chasse impitoyable. Amok, folie furieuse malaisienne que l'on pourrait rapprocher des fureurs sacrées des berserkers nordiques. Le kr'tnt-reader se précipitera sur la nouvelle du même nom de Stefan Zweig dont la fin n'est pas sans corrélation avec celle de L'Eve Future de Villiers de l'Isle-Adam.

    Sentenced est un groupe de Death Metal finlandais, qui se forma en1989 et mit fin à ses activités après la sortie de The Funeral Album leur huitième et terminal opus. Le groupe connut ses heures de gloire et préféra se séparer pour ne pas se répéter. Honnêteté artistique à révérer. Amok est le troisième album du groupe qui leur apporta une large notoriété. Il marque une rupture dans l'évolution du groupe, à la violence de leur death metal originel ils substituent une touche plus sombre, lyrique, romantique, quasi gothique...

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    The war ain't over ! : déflagrations guerrières. Tirs tous azimuts. La guerre n'est pas terminée, même si dans l'horreur sonore vous percevez une mélodie qui s'impose comme le contrepoint lyrique d'un chant bestial, le croassement hideux des corbeaux maléfiques sur les champs de ruines et les guitares te transpercent, elles portent en toi la désolation, il n'est pas question de te laisser un seul espoir, sois convaincu que tout est perdu, arpèges célestes qui se confondent avec des tirs nourris de mitraillettes. Phenix : à lire le texte l'on s'attendrait à une renaissance. Vos espoirs seront déçus. Dès les premières secondes le titre flambe et le vocal se dépêche d'avaler le mot du bonheur. Burned live in the flames of love. Il est des feux qui réchauffent et d'autres qui brûlent. C'est ce genre-là que vous allez traverser. L'amour ne dure qu'un vers, une piqûre de serpent qui cuira votre chair et votre esprit toute votre vie. Désormais la haine et la guerre vous habitent. Aucune illusion. Le phénix est juste l'inextinguible flamme de la destruction. Musique violente, cruellement composée un peu comme des leitmotive wagnériens qui s'embrasent et s'embrassent pour vous donner le baiser de la mort. New age of messiah : super production à la Cecil B DeMille, délaissez les dix commandements, écoutez les paroles du messie qui annonce le jour nouveau. Oyez son gargarisme prophétique, Dieu est mort et les guitares s'enflamment comme des violons, lui il est l'esprit de la terre, il n'apporte rien de bon, l'ivraie sera plus haute et l'ivresse plus courte, il ne promet rien, vous le suivrez et il vous emmènera sur les terres désolées du doom, et puis il s'en ira, et vous vous retrouverez seuls, sans espoir, sinon de réécouter sans fin ce chant de catastrophe bâtie à la manière d'un oratorio funèbre pour les jours sans espoir. Terrible promesse qui vous enroule et vous emprisonne dans un rouleau de fil de fer barbelé. Vous lècherez votre sang avec délice. Forever lost : au cas où n'auriez pas compris le message précédent, Sentenced vous ressert la même soupe aux cailloux aux piqûres d'orties empoisonnées. Mais avec un peu plus d'emphase. Un peu à la Jim Morrison pour l'esprit des paroles, et la musique qui cavale comme si elle devait atteindre le bout de la terre avant que la nuit couperet de guillotine définitive ne tombe. Même si connaître votre destin plus tôt ne le rendra pas davantage clément, laissez-vous emporter par cette cavalcade, car il vaudrait mieux ne pas prêter attention aux paroles. Vous avez vu que l'amour était un viatique qui ne durait qu'un bref laps de temps, désormais méfiez-vous des paroles amicales de celui qui chuchote des hurlements à vos oreilles. Rien ne vous sauvera. Mais ces chants de désespérance sont envoûtants, et cet opéra de transes maléfiques est magnifique. Funeral spring : cloches de cimetières dans le lointain, les guitares rampent, elles ressemblent aux vermines qui perforent les cadavres. Aucune saison ne vous sauvera. La neige de la mort tombera sur vous, un blanc linceul pour vous ensevelir. La voix menaçante est celle d'un curé qui promet le pire aux ouailles agenouillées, déjà rongées par l'extrême froidure de la mort. Il se délecte d'un certain plaisir vicieux à prophétiser votre disparition. Si vous étiez parmi les morts, vous préfèreriez être des premiers à vous saisir d'une pioche pour creuser votre propre tombe. Nepenthe : ah! Le carnivore népenthès si cher à Baudelaire, l'oubli de toutes les choses humaines, il vaut mieux mettre une croix dessus, tes instants de bonheur furent éphémères, ta vie fut un fleuve de haine, les belles flammes vives de l'instinct de survie que chantent les guitares sont écrasées par la grandiloquence battériale et par cette mélopée qui ricane en fin de morceau. Dance on the graves ( lil' siztah' ) : danse des morts, un blues haché au mixer de la disparition, la vie s'est enfuie, elle a retiré le linceul sordide de mes illusions. Et elle danse sur ma tombe, elle qui m'a abandonné, qui m'a laissé tomber, petite sœur de la chienne pourvoyeuse des enfers. Moon magick : obéis, du fond de ta tombe une voix sépulcrale t'enjoint de regarder, la guitare riffe et la batterie rafle tes espoirs, l'œil cyclopéen de la lune brille pâlement dans la nuit sombre, il vaudrait mieux qu'elle ne soit pas là, elle ne fait qu'accentuer le vide du néant, et souligner l'inanité incestueuse de ton existence avec le malheur. The golden stream of Lapland : musique noire qui s'amplifie et souffle à la manière du blizzard sur les paysages désolés du grand nord. Monde froid et blanc, un peu ce que dans le l'unique roman d'Edgar Poe, Arthur Gordon Pym a entrevu avant de cesser sa relation, sur sa page désormais blanche...

    Des années que j'avais ce CD en attente, je regrette vivement de ne pas l'avoir auditionné plus tôt.

    Damie Chad.

    CRUSHED UNDER...

    TORTURRE WHEEL

    ( Firedoom 005 / 2005 )

     

    Viennent aussi de Finlande. Plutôt vient de Finlande. E. M. Hearst s'est chargé tout seul, des guitares, de la basse, du vocal, des divers synthés, et de l'enregistrement, avec le soutient d'une équipe qui gravite autour du label Nulll Records.

    Une aventure en solitaire. Elle a été souvent qualifiée de funeral doom, mais elle mériterait aussi bien la mention de prog-doom...

    Pochette fluide, que représente-t-elle au juste, une orbite creuse, une roue sans moyeu ou l'œil de l'ouragan ? A moins que ce ne soit le bleu du ciel au fond des sept cercles de l'enfer... Soulevez la rondelle du cd, étrange sensation d'anamorphose le temps que se révèle le portrait de M. E. Hearst. Juha Vuorma responsable de l'artwork, semble travailler sur l'indistinction des formes figées en une immobilité changeante...

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    Broken by the wheel : balle doom-doom, rien à voir avec les dum-dum, imaginez plutôt un groupe de doom qui se prendrait pour Pink Floyd, une véritable suite instrumentale qui m'évoque un peu une instrumentation à la Prokofiev, couleurs et ambiances, le morceau frôle les 10 minutes, il suffit de se laisser porter par son imagination, une longue introduction lente et grave comme il se doit, avec cette particularité d'une espèce de bruit de fond qui ressemble à l'inquiétant brouhaha que les grandes oreilles qui fouillent les espaces sidéraux détectent... La roue du supplice tourne lentement, même ligoté dessus vous aimeriez qu'elle accélère un peu, ce n'est pas que vous êtes pressé, c'est qu'à souffrir autant ne pas s'ennuyer en même temps. Ce qui est sûr c'est que soit vous allez adorer, sois vous détesterez. Pas de juste milieu. Je n'ose pas dire que tout dépend de ce que vous avez dans votre cerveau pour vous occuper, mais presque. Surtout quand tout s'arrête et que ne reste plus que l'appel angoissé du criquet abandonné par sa petite amie dans la nuit profonde. / Pas de panique, le morceau reprend mais en plus étouffé, obscured by clouds si vous voulez une métaphore haïssable. Si vous n'aimez pas, foncez vers le frigo chercher une bière, vous revenez, non rien de nouveau. Un tantinet longuet ? Je n'ose répondre non. Oui il a une idée, mais il n'en a qu'une. C'est mieux qu'aucune. Mais une seconde ne ferait pas de mal. Vous voyez parfois dire du mal, ça aide un peu, nous sommes dans un passage variationnel, des ombres nagent sous la mer, une espèce de pianos en notes détachées accélère le phénomène, ce coup-ci c'est parti, on ne sait pas où mais le bateau a quitté le quai et remonte le chenal, la sirène du remorqueur mugit au loin dans la brume et tout s'estompe. Pas de vague, calme plat. Mea culpa, je suis vexé, je suis au-dessous de tout, un être déplorable, un chroniqueur à la noix de coco, vous avez le droit de me secouer comme un palmier sur une pochette du Gun Cub, en fait depuis le slash que j'ai marqué en rouge plus haut l'on était passé dans le deuxième titre, Shadow sect : je promets de faire gaffe pour le prochain arrêt, pas la peine de vous moquer, j'aimerais vous y voir à ma place. Entre nous soit dit les rituels de la secte shadowienne n'ont pas la faculté d'attirer le diable dans la cérémonie. Le méchant cornu n'est pas apparu une seule seconde. Mary : oui c'est le 3, j'ai fait attention, je n'aime pas rester impassible lorsque une demoiselle se profile. Elle a mis un peu de temps pour se pointer, mais c'est elle. N'ayez crainte elle reste-là pour douze minutes. E. M. Hearst doit être intéressé par la petite Mary, certes la musique garde toujours son allure processionnaire de cimetière, mais au moins il fait un peu de bruit pour attirer son attention, l'a mis une cravate rouge et un pantalon vert olive pour la croiser, et ce bruit indistinct serait-ce son souffle trafiqué et ralenti au vocoder, le gars marne aux grandes orgues pour attirer son attention, vous l'entendez marcher dans l'église mais impossible de comprendre ce qu'elle dit, voix rendue inaudible par l'écho des voûtes sombres. C'est bête mais la petite Mary ne semble pas avoir tilté, ces coups de batterie tromboneuse sont-ils les soubresauts de la déception éprouvée par notre jeune héros. Va-t-il de rage enfiler un short noir olive du désespoir ? Dans le lointain l'on entend un chœur de jeunes moines... Crushed under... : quatrième mouvement, n'est plus distrait par la radieuse apparition de la donzelle, ou alors son mépris souverain a piqué son orgueil, la musique est plus forte, il crie, cela ressemble à une grenouille qui hurle sa détresse parce que le crapaud n'a pas voulu l'embrasser et qu'elle n'est pas devenue une princesse – imaginez la pauvre rainette qui coasse au bord de l'étang perdu, sommes-nous au plus près de l'essence du doom ou au plus loin, je vous laisse choisir, une batterie victoriale, est-ce Le chef d'œuvre inconnu de Balzac qui s'offre à nous sous sa forme doomesque, ou alors arpentons-nous les sentiers du grotesque musical, notes de musiques qui pleuvent sur notre ouïe suppliciée de langueur, l'on n'y croirait pas, mais le disque exerce une étrange fascination auditive, vous êtes un cosmonaute à qui l'on apprend à perdre son centre de gravité. Est-ce grave, faut-il s'en moquer, vous perdez vos points de repères musicaux, un peu le coup de la même note de John enfermée dans sa propre Cage qui ne varie pas, mais à l'envers, ici ce sont les entrelacements de la thématique qui reviennent sans cesse, qui se déclinent sous plusieurs manières, pratiquement identiques, mais toutes différentes, qui vous transforment en point d'écoute central immobile. Musique expérimentale qui risque de vous mettre en péril mental.

    A écouter au moins une fois dans sa vie pour savoir si vous allez mourir idiot ou pas. Je me garde de faire un quelconque pronostic à votre encontre.

    Damie Chad.

     

    ROBERT JOHNSON

    UNE LEGENDE RACONTEE PAR LE DIABLE

    CHRISTIAN RAVASCO

    ( Camion Noir / Octobre 2011 )

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    Exhumé de mes cartons. Ne savais plus que je l'avais acheté. Le fantôme de Robert Johnson ne finira jamais de hanter les imaginaires. Y a tout de même un sacré problème avec Robert Johnson, l'on ne sait pas grand-chose de lui. L'est mort jeune, et n'a guère laissé de traces... Un véritable jeu de pistes. Une véritable foire d'empoigne planétaire lorsque par deux fois l'on a soit-disant retrouvé une troisième photo de ce courant d'air. Heureusement qu'il a enregistré une poignée de titres qui prouvent son existence... Mais de là à écrire une biographie de deux cents cinquante pages... C'est pourtant à cette gageure que s'est attelé Christian Ravasco.

    Pas tout à fait un inconnu Christian Ravasco, il a enregistré deux albums, en 1979 et 1983, le peu que j'en ai entendu ne sonne pas blues du tout, l'a surtout composé pour les autres, Marie Laforêt, Françoise Hardy, Nicole Croisille, Pierre Grocolas, Dick Rivers et quelques pointures moins affriolantes à mon triste goût de rocker... a tourné dans quelques court-métrages, écrit quelques livres, nous retiendrons son Bob Dylan 13 à table, paru chez Camion Blanc,que nous n'avons pas feuilleté mais dont le résumé est attirant, qui semble bâti à la manière kaléidoscopique de I'm not There, le film de Todd Haynes sur les six vies du chat Zimmerman, sorti en 2007, j'avoue qu'après avoir lu ce Robert Johnson, une perverse curiosité me poussera à m'asseoir en quatorzième convive non invité à cette table ouverte. Ce Ravasco a tout le profil sympathique du gars qui a mené sa barque avec dextérité là où il lui a plu de la laisser dériver.

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    Christian Ravasco aurait dû être paléontologue. Serait actuellement au Collège de France en train de donner des cours devant un auditoire choisi. Je n'ai rien contre cette noble profession, mais elle m'a toujours sidéré, sont d'étranges personnes qui promènent paisiblement leur chien au milieu de la nature, au bout de trois heures d'une marche sereine, elles daignent se baisser afin de se saisir d'un vulgaire caillou sur lequel leur cabot vient de lever la patte, elles l'enveloppent soigneusement dans un mouchoir tout en poussant une exclamation à vous faire croire qu'elles viennent de mettre la main sur une relique du Saint-Sépulcre ou le sexe d'Osiris démembré et qui rentrent chez elles en courant. Quinze jours plus tard vous apprenez au journal télévisé que grâce à un fragment d'os retrouvé dans la forêt de Fontainebleau l'on a réussi à reconstituer la silhouette d'un dinosaure disparu depuis soixante millions d'années, et la photo du dessin du monstre s'affiche sur l'écran, la bestiole vous regarde si méchamment que vous en frissonnez de peur.

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    Ce qui précède correspond au discours de la méthode ravascocienne employée par notre écrivain. Vous vous méfiez. Votre petit cerveau de mouche charbonneuse n'y croit pas. Jamais de vous-même, vous jurez-vous, vous n'explorerez ce bouquin, Ravasco s'en doute, l'a déposé spécialement pour les esprits récalcitrants en caleçon citron un ruban gluant sur la couverture, en rouge pour vous attirer '' Une légende racontée par le Diable '', vous ne résistez plus, vous vous en emparez, trop tard, il ne vous lâchera plus. Et là vous êtes émerveillé. L'on vous a dit que l'on ne connaissait rien de Robert Johnson, et là Ravasco le Ravachol de la biographie garantie bio vous raconte tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le Robert de vos rêves, et ce qu'il y a de terrible c'est que vous ne pouvez qu'acquiescer, tellement la moindre de ses lignes sonne plus vraie que vrai.

    C'est que Christian Ravasco il a tout compris. A part quelques maigres détails comme tout le monde il ignore tout de Robert Johnson. Mais notre bluesman n'est pas un individu isolé. L'est comme vous et moi. A vécu à une époque donnée, en un lieu précis. Leroy Jones dirait qu'il n'est qu'un parmi des millions d'anonymes qui ont constitué Le peuple du blues. Certes un musicien génial. Mais qui a barboté ( sans aucune once de confinement ) dans la mare aux canards de milliers de messieurs-mesdames-tout-le-monde. L'a partagé leurs vies médiocres, leurs chagrins, leurs joies, leurs colères, leurs vicissitudes, il s'en est quelque peu extrait par une des facettes de sa personnalité, mais les mille autres alvéoles de son idiosyncrasie sont composés à la ressemblance de ceux de tous les autres. Tous uniques, tous interchangeables. Votre chat est certainement le plus beau chat du monde, mais il ressemble à tous les autres chats du monde. L'en est de même pour nous. Certes les époques et les civilisations ne sont pas les mêmes, mais il suffit de s'être documenté : les livres, les photographies, les témoignages, les films sur les conditions des noirs au début du siècle dernier aux USA sont multiples. C'est à partir de ce matériau que Christian Ravasco a construit son livre. Toutefois il ne suffit pas de bâtir les décors - pour prendre un exemple à ras le bitume, à l'époque de Johnson toutes les routes ne sont pas goudronnées - il faut encore posséder une connaissance intuitive de la psychologie humaine, garder en mémoire que les mêmes causes produisent les mêmes effets, que les mêmes maux provoquent de similaires blessures, que semblables manques engendrent les mêmes comportements, que des mêmes souffrances naissent les mêmes types de dérélictions. Ensuite c'est comme quand vous préparez un gâteau, faut du doigté pour introduire à bon escient dans la pâte les différents ingrédients.

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    Vous pourrez toujours chicaner, genre je la ramène car d'après votre opinion c'est deux mois plus tard que Robert rencontre Son House, désolé mais tout le monde s'en fout, ce qui compte c'est la présence de Son House, la manière de le présenter, de coller à sa personnalité, de rendre sa légende vraisemblable, et pour ces sortes de plans Ravasco est sacrément doué. Le lecteur qui lira ce livre en ignorant jusqu'au nom de Son House aura l'impression de le rencontrer en chair et en os au coin de sa rue, car le Ravasco il n'écrit pas seulement la vie de Robert Johnson mais il déploie la toile mouvante l'histoire du blues du Delta, dans le désordre hasardeux des rencontres fatidiques, mais cette habileté n'est pas la plus importante. Ravasco entre dans la tête de Robert, depuis son plus jeune âge, il ne le manœuvre pas, il ne lui dicte pas sa conduite, il le laisse agir à sa guise mais avec cette connaissance - cette déférence, cette justesse - de l'âme humaine en action, essayant de se diriger dans un monde hostile en naviguant sur le vide de ses propres ignorances. De ses propres manquements.

    Quant au diable rouge de la couverture. Joue un peu le rôle de l'idée de Dieu dans l'existence des croyants. Coupable désigné. Se manifeste uniquement quand la vie est cruelle. L'est mis là pour le lecteur distrait, un peu comme quand vous soulignez un mot dans une lettre pour bien vous faire comprendre de votre correspondant. D'ailleurs Ravasco, vous traite l'entrevue avec sa Seigneurie des Ténèbres comme il se doit. Une parole en l'air. A mieux regarder, il fait plus noir dedans que dehors. Le plus important c'est le phénomène de maturation qui se produit chez Johnson, comment à un moment donné toutes les expériences fragmentaires et fractales qu'il a traversées se rassemblent et lui permettent de prendre conscience de qui il est. Ou plus exactement de ce qu'il est. Car il arrive un moment où ce qui importe ce n'est pas l'être un et indivisible que l'on est qui prime, mais la chose que l'on devient pour les autres.

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    Dernier coup de maître ravascageur, une chronologie annuelle de la vie de notre héros. Une ligne – quand il y a lieu – pour désigner un épisode connu de sa bio. Et sept ou huit autres sur les grands évènements historiaux qui se sont déroulés sur la surface de notre planète. Christian Ravasco nous avertit, l'on est bien peu de chose, même si l'on s'appelle Robert Johnson !

    De tous les portraits que j'ai lus de Robert Johnson, c'est le plus beau. Celui qui semble coller le plus à l'incertitude du réel.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 460 : KR'TNT ! 460 : ROBERT QUINE / MUDHONEY / JARS / THE PESTICIDES / ROLLING STONES / TREVOR FERGUSON / LOVESICK DUO

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 460

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    16 / 04 / 2020

     

    ROBERT QUINE / MUDHONEY

    JARS / THE PESTICIDES

    ROLLING STONES / TREVOR FERGUSON

    LOVESICK DUO

     

    God save the Quine

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    Richard Hell n’en démord pas : le meilleur, c’est Robert Quine. Après avoir quitté les Television et les Heartbreakers, Hell décide tout reprendre tout à zéro.

    Robert Quine et lui bossent tous les deux chez Cinemabilia, un libraire new-yorkais spécialisé dans le cinéma. Au début, Hell trouve Quine ‘pretty demoralized’ et s’aperçoit petit à petit qu’il est demoralized en permanence. Le seul truc qui semble l’intéresser, c’est jouer de la guitare. Vu qu’il a plus de trente ans et qu’il est chauve, Hell pense qu’aucun groupe ne voudrait de lui. Hell ajoute que Quine n’aurait jamais pardonné à Lenny Kaye ses remarques déplacées concernant sa calvitie. Si Hell s’intéresse tant à Quine, c’est pour une raison bien simple : Quine adore le raw rock’n’roll. Il écoute Jimmy Reed, Link Wray, Ike Turner, Fats Domino, les Everly Brothers, Bo Didddley, Richie Valens, Buddy Holly et Little Richard. Très peu de choses post-Beatles, excepté le Velvet, les Stooges, Jeff Beck, Roger McGuinn, Hendrix, Roy Buchanan et Harvey Mandel. Il adore aussi le premier album des 13th Floor Elevators, mais contrairement à Hell, il n’aime pas les albums des Ramones et des Pistols. Il s’intéresse de près à James Burton, au jeu de basse de Joe Osborne dans le Wrecking Crew et à celui de John McVie dans Fleetwood Mac, ou encore au style de Grant Green. Autre point commun avec Hell : la littérature. Quine adore Burroughs et Nabokov. Il possède des éditions originales, ce qui impressionne durablement Hell. Quine adore aussi les films de Samuel Fuller, de Hugo Haas et The Three Stooges. Hell ajoute que Quine marche comme un personnage de Robert Crumb, les épaules voûtées et le regard inquiet. Il porte en plus des lunettes noires d’opticien. «Il arborait un visage rond et anonyme qui le vieillissait. Il voulait passer inaperçu. Je l’ai interrogé une fois à ce sujet, en lui demandant s’il possédait une voiture et quand il a dit oui, je lui répondu qu’elle devait être marron ou grise. ‘Elle est marron !’» Avec l’aide de Quine, Hell monte les Voidoids. Ils recrutent Ivan Julian et le batteur Marc Bell qui ira ensuite rejoindre les Ramones. Comme les Voidoids deviennent la nouvelle coqueluche du CBGB, Sire les signe. Mais dès le début de la relation avec le record business, ça coince. Hell ne peut pas les supporter, ni Seymour Stein ni Gottehrer - The record business notoriously is one of the sleaziest there is - Hell cite même un auteur, Frederic Dannem, qui, après enquête, dit du record business qu’il est le moins éthique de tous. Mais bon, ils enregistrent un premier album en 1977.

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    Et là on entre dans le vif du sujet. Hell n’y va pas par quatre chemins : «I think Quine was the best rock and roll guitar soloist ever.» Selon, Hell, Quine mixe l’art et l’émotion comme nul autre au monde. Hell se désole aussi ne n’avoir enregistré que deux albums avec Quine. Il ajoute que les solistes intéressants ne courent pas les rues. Hell cite les noms de Mickey Baker, James Burton, Grady Martin, Link Wray, Jeff Beck, Jimi Hendrix, Lou Reed, ‘peut-être’ Jimmy Page, ‘peut-être’ Chuck Berry, ‘peut-être’ Tom Verlaine et Richard Thompson, par contre, il considère que Keith Richards et Pete Townshend sont des guitaristes rythmiques. Mais il précise que personne n’a su mixer le feeling et la créativité aussi bien que Quine. Pour Hell, le style de Quine relève du génie - Quine is the gap between skillful creative brillance and genius. Quine was a genius guitar player - En plus Quine adore la noise et bousculer les conventions. Pour Hell, Quine est le grand guitariste antisocial. Par la profondeur de son feeling, Quine se rapproche toujours selon Hell de Miles Davis et de Charlie Parker. Plus loin, Hell en rajoute une couche en expliquant que les enregistrements des Voidoids ‘se mettent vraiment à vivre quand Quine part en solo’.

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    Il ne croit pas si bien dire, il suffit d’écouter le premier album de Richard Hell & The Voidoids, Blank Generation, paru en 1977, pour en avoir le cœur net. On entend clairement Quine partir à l’aventure dans «Love Comes In Spurts». C’est tout l’intérêt du Spurt. La godille de Quine. Le Quine dans le jeu de quilles. Le Quine qui couine à rebrousse poil. Et ça en dit long sur le génie d’Hell qui a compris ça à l’époque. Quine rebat la campagne dans «Liars» - Oh oh oh oh - Sacrée mélasse d’énergie considérable, Hell chante à outrance, pas de voix, rien que de l’outrance. Quine et lui font bien la paire. Quine rentre partout les deux doigts dans le nez. Le solo qu’il prend dans «Betrayal Takes Two» restera un modèle du genre jusqu’à la fin des temps. Les Voidoids sortent un son extrêmement osé, anti-commercial au possible, qui n’a aucune chance de plaire. Non seulement ils précèdent le post-punk d’une bonne année, mais ils l’inventent. Tout reste échevelé, pour ne pas dire tiré par les cheveux. Le «Blank Generation» qui ouvre le bal de la B vaut pour un classique entre les classiques. Hell incarne si parfaitement son concept de blankitude qu’on s’en effare. Quine part en solo de quinconce et va même le claquer aux accords de discorde et les Voidoids rajoutent dans la soupe les chœurs des Dolls ! Très spectaculaire ! Quine tord le cou de «Walk On The Water» avec l’un de ces solos de dépenaille dont il a le secret. Aw baby Aw, comme dit Hell dans «Another World». Quine fait le show avec son funk mutant.

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    Cinq ans plus tard, Hell et Quine remontent les Voidoids pour enregistrer un deuxième album, Destiny Street. Hell le trouve nettement supérieur au premier. «The Kid With The Replaceable Head» et «You Gotta Move» brouillent un peu les pistes, surtout le Move monté sur un riff catastrophiquement déclassé. Les choses se corsent avec «Lowest Common Denominator», bien défilé à la parade. Quine fait ses ravages et explose le cut en plein ciel. Il mène aussi le bal dans «Downtown At Dawn». Ça reste un bonheur que de l’entendre jouer. Il sort de sa cage et fuit vers des ailleurs. C’est sur cet album qu’on trouve la version studio d’«I Can Only Give You Everything». Hell y croise la violence du rock anglais avec celle du New York Sound, il saute en l’air, il chante faux et c’est excellent. Tout l’esprit est là. Superbe surenchère avec un Quine dans l’ombre. Hell fait tituber ses syllabes, and I try and I try. Puis on le voit ignorer la porte dans «Ignore That Door», mais il le fait à coups de chœurs de Dolls, bien aidé par ce démon de Quine. Ils terminent avec le morceau titre que Quine prend en mode funky. Hell rappe dans le gras. Pendant qu’Hell rappe, Quine rôde.

    Quine fera surface dans Dim Stars puis il avant de mourir d’une overdose d’hero, il va enregistrer quelques albums solo.

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    En 1981 paraît un album contributif intitulé Escape. Quine s’y acoquine avec Jody Harris. Ils développent tranquillement une belle ambiance d’electro-beat urbain. Quine surjoue son funk spectral sur fond d’electro sourde comme un pot. Un truc comme «Flagpole» finit par l’emporter, tellement c’est visité par les esprits. Avec Quine, il faut toujours laisser du temps au temps. Son cling-along se joue de l’electro-beat, disons plutôt qu’il l’étreint comme Jarry étreint Ubu, viens là gros lard que je te serre dans mes bras. Étrange spectacle : quelque part dans l’air du temps, l’espiègle finesse d’une guitare ouvertement funkoïde danse avec un gros beat electro mal embouché. Puis on voit Quine travailler en surface l’épais beat electro de «Don’t Throw That Knife». Il semble diffuser une dentelle de désinvolture sonique, comme s’il laissait traîner ses notes. Très Can dans l’esprit. Quine survole Babaluma. C’est en B que se joue véritablement le destin de l’album, notamment avec ce «Termites Of 1938» monté sur un beat tribal assez violent. Quine y voyage avec une allégresse contagieuse. Comme ce beat est beau, il dresse fièrement la tête, il semble venir de la nuit des temps, si sourd et si menaçant. Et puis voilà la coup de Jarnac : «Pardon My Clutch». Quine joue le rock’n’roll du futur, sur fond de belle propulsion electro. Il joue la clairvoyance au clair de lune et se fond dans le beat comme une ombre dans la nuit. Quel admirable exercice collectiviste ! Ils mêlent bien ces baves que sont le clair de Quine et l’electro-beat de Jody Harris. Quine semble réinventer le rock’n’roll en jouant une dérive de surface. C’est une pure merveille de New York Sound. Son cœur bat fort. Ainsi va la Quine à l’eau qu’à la fin elle s’embrase. Quine nous fait tout bonnement du Can new-yorkais.

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    Puis il s’acoquine avec Fred Maher pour enregistrer Basic en 1985. Ce qui frappe le plus dans la démarche de Quine, c’est l’étrangeté des idées de son. On pourrait même parler de brillante étrangeté. Il sort le Grand Jeu avec «Bluffer», sur fond de background obsédant à la Can. Quine choisit cette fois de vitupérer. Comme le back-beat reste bien hypno, «Bluffer» passe comme une lettre à la poste. On retrouve plus loin un «Summer Storm» très Babaluma. En B, Quine va se fourvoyer dans des ambiances protéiformes, notamment celle d’un «Bandage Bait» bien travaillé au groove urbain volontariste et consommé. Quine gratte ses grooves aux accords impromptus, il vise l’épisodique impitoyable. Il revient au big guitar sound avec «Despair» et redevient le temps d’un cut the guitar slinger extraordinaire. Il faut le voir tirer ses notes à la vitesse d’un char à bœufs.

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    L’équipe Robert Quine/Ikue Mori/Marc Robot enregistre le bien nommé Painted Desert en 1995. Avec «Mojave», on y est. En plein cœur du désert. Pas besoin de téter une fiole, ils sont spaced out d’eux-mêmes. T’as voulu voir le cul de la reine et t’as vu la raie du Quine, c’est bien plus intéressant. Quine joue au doux d’accords de réverb et il faut l’écouter soigneusement, car on ne croise pas souvent des mecs de son niveau. On entend un tabla derrière lui. Une fois encore, il sort le Grand Jeu du son tempéré. Avec «Medecine Man», ils tapent dans un bruitisme archaïque. Quine rôde dans le son d’une manière très équivoque. Puis on le voit chevaucher en tête de «Desperado». Comme s’il était décidé à en imposer. Quine est le Sade du rock, il entraîne ses amis dans les vices de la vertu. Avec «El Dorado», ils explorent la Vallée de la Mort. Tout est acquis d’avance sur cet album, surtout la violence du «Gundown». Quine veut en découdre, alors il en découd. À sa place, on ferait tous la même chose.

    Signé : Cazengler, Robert Gouine

    Richard Hell & The Voidoids. Blank Generation. Sire 1977

    Richard Hell & The Voidoids. Destiny Street. Red Star Records 1982

    Robert Quine/Jody Harris. Escape. Infedility 1981

    Robert Quine/Fred Maher. Basic. Editions EG 1985

    Robert Quine/Ikue Mori/Marc Robot. Painted Desert. Avant 1995

    Richard Hell. I Dreamed I Was A Very Clean Tramp. Harper Collins Publishers 2013

    Just like Mudhoney

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    Tout le monde a connu ça : on erre comme une âme en peine dans la cave d’un disquaire parisien et soudain un cut qui passe sur la sono du magasin fait dresser l’oreille. Plop ! Le vendeur pose toujours la pochette en évidence sur son guichet pour qu’on puisse choper l’info. Quand le disk est bon, c’est vendu d’avance. Surtout quand le chanteur sonne comme Iggy. Même genre d’arrogance et de bouteille, même timbre chaud et autoritaire, mais ce n’est pas exactement Iggy. Alors pour mettre fin à la devinette, on se rapproche pour voir la pochette.

    Vanishing Point, le nouvel album de Mudhoney !

    Incroyable. Qui l’eut cru ? Quel retour en force !

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    Écoute de l’album aussitôt le retour au bercail. Blasting all over ! Ça barde pour les matricules dès le premier cut. Steve Turner arrose «Slipping Away» d’une dégelée royale de guitare liquide. Immédiate effarance de l’excellence. Mark Arm touille son brasier à la fourche, et ce n’est pas un petit brasier. On est là dans le gras du rock à guitares, dans le glissant du slinging, dans l’über-shoot de wah et l’extrême pertinence du blues-rock. Et c’est avec le second cut qu’arrive le simili Iggy. «I Like It Small» sonne vraiment comme un morceau des Stooges, avec en plus l’aspect sexué du signifiant. Petite chatte. L’Arm refait son Iggy dans «What To Do With The Neutral». Ça renvoie directement au fameux «Bored» d’un Ig qui croonait jadis son chairman of the bored. Quelle fantastique ambiance ! Et ça devient encore plus stoogy avec une chanson de pinard, «Chardonnay». L’Arm bouscule ça dans les orties, c’est sacrément endiablé et énervé au possible. Quel ramalama, les amis ! En B se nichent deux horreurs tentaculaires : «I Don’t Remember You» (pur garage stoogy) et «The Only Son Of The Widow From Main», une fantastique parade d’accords distordus. Et du coup, on se retrouve avec un nouveau classique de heavy duty américain sur les bras.

    Mudhoney ? Ça remonte au temps de Nirvana et de la scène de Seattle, mais Mark Arm et ses collègues n’avaient pas le panache composital de Nirvana. On écoutait leurs albums consciencieusement, mais il était difficile d’en garder des souvenirs précis, ce qui est en général assez mauvais signe.

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    En concert, ils continuent de jouer le fameux «Touch Me I’m Sick» qui les rendit célèbres et qui figure sur la compile Superfuzz Bigmuff Plus Early Singles. C’est un peu l’emblème du fuzz-scuzz de Seattle, une belle leçon de fuzzillade et de riffage trépigné - C’mon ! - Ils poussent en prime de jolis appels à l’insurrection. Mais le reste vieillit mal. Sur les autres morceaux, il leur arrivait de hurler comme des bouchers ivres de mauvais vin et ce n’était pas beau à voir. Il fallait attendre «Need» pour trouver un brin de heavyness, mais à l’époque, l’Arm chantait assez mal. Cette compile n’était en fait qu’une sombre collection d’erreurs de jeunesse.

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    Leur premier album sort en 1989 et s’appelle tout bêtement Mudhoney. Il présente tous les défauts de l’époque : des compos aléatoires qui ne savent pas dans quelle direction avancer et un côté foutoir qui semble imposé par le hasard. Le cœur battant de cet album trouve en B : il s’agit du fatidique «Dead Love», une stoogerie montée sur le meilleur riff ashtonien qui soit ici bas. Oh, on trouve aussi deux ou trois bonnes rasades grungy-grunjo comme «This Gift», un cut vaillamment bardé de guitares congestionnées et surtout «Here Comes Sickness» qui ouvre le bal de la B. On sent une nouvelle volonté de stooger mais l’Arm hurle comme un dératé et perd le fil. Le groupe joue son va-tout en épaississant le son à outrance et ça vire au fulminant. L’Arm adore plonger dans un cratère de volcan. C’est plus fort que lui. Il préfère les volcans aux piscines. On retrouve Steve Turner et son riffing tenace dans «Running Loaded», un cut bien lancinant qui prend des airs plaintifs, histoire de montrer qu’il n’est pas heureux dans sa vie de cut.

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    Lors d’un voyage à Londres en 1991, Every Good Boy Deserves Fudge fut à peu près le seul disque potable trouvé dans une grande surface d’Oxford Street. Ce petit grungy-grunjo des années de vaches maigres n’allait d’ailleurs pas laisser de souvenirs impérissables. Dans ce foisonnement ridicule, rien n’accrochait. Seuls «Who You Drivin’ Now» et «Fuzz Gun» renouaient avec le fuzz-scuzz. Avec son air de ne toucher à rien, Steve Turner remuait pas mal d’air. On notait pour essayer de s’en souvenir que le hit de l’album s’appelait «Don’t Fade VI», et puis on rangeait ce pauvre Fudge sur l’étagère avant de passer à autre chose.

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    Piece Of Cake parut l’année suivante et malgré la pochette ratée (comme celle d’Every Good Boy, d’ailleurs), on fit l’emplette. Et quelle emplette ! Ce Cake infernalement bon arrivait au moment où on n’y croyait plus. La fête commençait avec «No End In Sight», un shoot de grungy-grunjo solide, bien gonflé au riff de basse et monté sur le beat Pacific NorthWest. Matt Lunkin bassmatiquait comme une brute. Steve Turner démarrait ensuite «Make It Now» en mode psycho-psyché. Comme Leigh Stephens, il s’enfermait dans une carapace de larsen retardataire. Il visait l’ambivalence inter-galactique. Plus loin, ils fuzzaient «Suck You Dry» jusqu’à l’os. Steve Turner jouait comme un diable. Il se dressait au carrefour de toutes les confluences. Le carnage se poursuivait avec «Blinding Sun». Ils semblaient réinventer le psyché californien. On voyait ce groupe taper dans des registres différents et richissimes. Ils allaient psychetter dans les champs de tournesols. Steve Turner faisait tout le boulot. On les retrouvait englués dans l’heavy-psyché de «Thirteen Floor Opening», nouvelle exaction complètement barrée à la Barrett et grattée au sang. On tombait plus loin sur une vraie bombe avec «I’m Spun» et l’Arm prenait les armes. Il cédait à la violence et il en devenait admirable. Et ça continuait avec un «Take Me There» riffé en mode Pacific Northwest. Il fallait les entendre hurler dans le néant et s’immoler sur le pal de leur ambition démesurée. Steve Turner se prenait encore une fois pour Leigh Stephens avec «Living Wreck». Pur jus de Blue Cheer. À force de montées de fièvre, ces mecs finissaient par saigner leur cut à blanc.

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    Nouvel épisode remarquable avec My Brother The Cow paru en 1995. Ces fringants blasters ouvrent le bal avec «Judgment Rage Retribution and Thyme», un garage délinquant d’une grande violence et monté sur un riff de malade mental. Ça donne le garage de ces temps modernes qui vont si mal. Idéal pour ceux qui cultivent le mal être. Mark Arm refait son Iggy dans «Generation Spokesmodel» et se livre au même genre d’abandon. Et en prime, Steve Turner nous lâche l’un de ces solos bien gluants dont il a le secret. Oh bien sûr, on trouve ici quelques cuts plus faibles, mais ils se laissent écouter. Retour au rock d’envolée retenue avec «Today Is Good Day». Dan Peters bat ça sec et Steve Turner n’en finit plus de cultiver son goût pour la déviance solotique. Avec ça, ils frisent le Nirvana. Nouvelle horreur avec «Into The Shtik» - C’mon down - L’Arm parle d’un asshole et les chœurs lui répondent Just like you. Le cut se veut délicieusement rampant, grossier et bardé de chœurs d’antho à Toto. Nous voilà en plein Pacific Northwest. Et puis ça part en final d’apocalypse. Ils poussent le bouchon très loin - Kiss my ass - Final dément, L’Arm what the hell embarque son cut au firmament - Fuck you ! - En B se nichent deux ou trois autres gros monstres poilus, à commencer par «Orange Ball-Peen Hammer», une heavy bouillasse de grunge. Excellent car inspiré par les trous de nez. Ces mecs sont très forts. Ils font les bons albums qu’Iggy ne fait plus. Ils dépotent ensuite «Execution Style». L’Arm hurle dans la ville en flammes. Pur jus de garage détraqué. L’Arm peut fondre l’atome du rock en le serrant dans son poing pendant que ce psychopathe de Steve Turner étrangle son solo à la wah. Cette bande de dingues continue avec «Dissolve», une nouvelle fournaise viscérale. Leur gros psyché s’ébranle en cours de gadouillage. L’Arm hurle comme un condamné qu’on emmure vivant. Et ils bouclent cette sombre affaire avec un «1995» qui sonne comme le meilleur garage du monde, celui qui titille la glande et qui préside au bouleversement de tous les sens. Voilà encore une pure dégelée de heavyness lavée à la morve de guitare. Terrible ! Irrévocable. Insécurisant et complètement galvanique.

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    C’est Jim Dickinson qui produit Tomorrow Hit Today en 1998. Ils attaquent avec une belle heavyness de Tombstone, «A Thousand Forms Of Mind», vrillée par un killer solo. Admirable, beaucoup trop admirable. Au fil des albums, Mark Arm est devenu un excellent chanteur. Ils virent bluesy dans l’esprit de sel avec «Try To Be Kind». Ce vieux gimmick de bues et les fantastiques progressions d’accords ont dû beaucoup plaire à Dickinson - Cry me a river - Il régnait sur le Tennessee se soir-là une fantastique ambiance crépusculaire - Try try try - Et l’Arm partait en sucette comme Question Mark. «Real Low Vive» marquait le retour à la heavyness, géré une fois encore par ce diable de Steve Turner. Il suivait le cut à la trace comme un chasseur Séminole. Et soudain, la fuzz explosait. Mudhoney fascinait et pavait l’enfer de bonnes intentions. Encore une pure merveille : «Night Of The Hunted». Hit seigneurial doté du big heavy sound, bardé de dynamiques extraordinaires et dans un spasme ultime, l’Arm jetait son cut au ciel. On restait dans la pure heavyness avec «Move With The Wind» que l’Arm chantait à la manière d’Iggy. Ils tapaient ensuite une reprise des Cheater Slicks, «Ghost» et ça sonnait comme le «Death Party» du Gun Club. Pas moins. Pur génie stompique d’un groupe au dessus de tout soupçon. Steve Turner y glougloutait. Avec Dickinson aux manettes, tu imagines le tableau ! Il n’existe pas d’autre réalisme que celui du son. Ils bouclaient cet album superbe avec un nouvel assaut, «Beneath The Valley Of The Underdog». Ils vont là dans la pire heavyness qu’il soit permis d’imaginer, celle du psychout des origines du monde. Ils nous précipitent dans un puits sans fond.

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    S’ensuit Since We’ve Become Translucent, un album nettement moins bon. Avec «The Straight Life», ils tapaient dans du garage privé d’ambition. On se posait alors la question : «Mais à quoi sert Mudhoney ?» On avait la réponse avec «When The Flavor Is» qui sonnait comme un classique des Stooges. Mark Arm adore tellement les Stooges qu’il réussit à sonner comme Iggy. Mais on se souvient aussi que Mudhoney est parfaitement capable de sortir des albums inutiles et celui-ci en est un, même si «Inside Job» somme comme «Lust For Life». Il est bien certain que l’Arm aime Iggy d’amour pur.

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    Ils redressent un peu le cap en 2006 avec Under A Billion Sun et démarrent avec un heavy doom chargé d’angoisse, «Where Is The Future» - I was born on an Air Force base/ Nineteen sixty-two - Et Steve Turner explose - splaaaaassh - I’m sick to death of this one - L’Arm parle bien sûr du futur qu’on lui propose. Non, il n’en veut pas. Il faut attendre «Hard On War» pour revibrer. Ils sonnent carrément comme Monster Magnet. On voit des serpents ramper sous le lit - C’mon little girl - Et Steve Turner prend une fois de plus un solo dément - I’ve become a dirty old man with a hard-on for you - Il reste deux bombes sur ce disque : «In Search Of», que Steve Turner sauve à coups de psychout psychomoteur, et «Blindspots», musclé à outrance. Steve Turner se déchaîne, il riffe comme Jean Gabin aux manettes de sa loco. Il emmène tout à la force du poignet. C’est bardé de gros paquets d’accords américains - Senselessness is the best defense !

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    Quand on écoute The Lucky Ones, on en déduit que ces surdoués privés de look sont devenus des aventuriers du garage. On trouve trois bombes sur The Lucky Ones, dont deux stoogeries efflanquées : le morceau titre et «Next Time». «The Lucky Ones» brûle autant que le magma des Stooges. Ils recyclent le riff de «No Fun». Steve Turner torture sa distorse. Leur plan, c’est de tout brûler, alors ils brûlent tout. Même chose avec «Next Time». L’Arm se prélasse dans la mélasse. Il tire ses syllabes à l’infini - Next tiiiiiime aïe aïe ya ya ya - Il est complètement stoogé du ciboulot. Ils font rôtir leur cut en enfer et Steve Tuner vomit son magma sanglant. Voilà ce qu’il faut bien appeler un bel hommage. Et c’est Guy Maddison, le bassmaster, qui fait tout le travail. L’autre gros cut de l’album est l’«I’m Now» d’ouverture de bal. Guy Maddison mène le bal au bassmatic. Ses notes tombent en cascade dans les breaks. Spectacle hallucinant. Clap-hands au centre et basse ultra-ronde. On sent un net retour au radicalisme. Ils investissent dans la viande. Encore une belle pièce avec «The One Mind» - the O Mind comme dirait Iggy - avec une intro de basse. Steve Turner y prend un solo au vitriol. Sa note guette comme un prédateur. Ils terminent cet album solide avec «New Meaning», en cavalant à travers la plaine en feu. Des riffs miraculeusement infernaux font le gros du boulot et Dan Peters bat comme un démon.

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    Curieusement, c’est dans les side-projects que Mark Arm semblait donner sa pleine mesure. Il rendit hommage aux Sonics en montant les New Strychnines et en enregistrant un album de reprises qui a le même son et la même énergie que les albums classiques des Sonics. Il fit aussi partie avec Dan Peters et Steve Turner de Monkeywrench, un super-groupe monté par Tim Kerr dans les années 90. À la limite, les albums de Monkeywrench sont bien plus intéressants que les premiers albums de Mudhoney. Mais là où Mark Arm épata vraiment la galerie, ce fut en montant sur scène avec les trois rescapés du MC5, rebaptisés DTK MC5 (Davies/Thompson/Kramer). L’Arm remplaçait tout simplement Rob Tyner et il s’en sortait avec les honneurs.

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    Voilà donc le vrai talent de Mark Arm : il peut à la fois sonner comme Gerry Roslie, Iggy ou Rob Tyner, c’est à dire trois des plus grands chanteurs de rock. Et c’est la raison pour laquelle il faut aller le voir, lorsqu’il passe dans le coin.

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    Mudhoney arrive enfin en Normandie. Mark Arm et ses amis ne gaspillent pas leur fric en tenues de scène. Ils sont à la ville comme à la scène, ils portent des jeans aux couleurs improbables et des T-shirts dont ne voudraient même pas les clochards du foyer. Mais côté mise en place, rien à redire. Mudhoney, c’est le quatuor de surdoués américains parfait, bien rôdé. Avec ses cheveux courts, Mark Arm a l’air d’un collégien, mais il chante comme un dieu et screame comme un démon. Il imite Iggy quand ça lui chante. Ce mec à la glotte en feu.

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    Dan Peters bat le beurre depuis 1988, année de formation du groupe, et Steve Turner continue de bricoler sur sa petite demi-caisse rouge. Avec sa barbe, ses lunettes, son air de sainte-nitouche et son look d’étudiant en psycho-socio, on lui donnerait presque le bon dieu sans confession, mais Steve Turner est un virulent, un mec qui plie les genoux quand il envoie gicler sa morve de distorse.

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    L’autre pointure du groupe, c’est Guy Maddison, le remplaçant Matt Lukin. Il faut le voir jouer de la basse, c’est une féérie à deux pattes. Il joue des huit doigts comme John Entwistle et plaque des accords quand ça lui chante. On voit rarement des bassmen dotés d’une telle vélocité et d’une telle force de frappe. Au fil de ce set magistral, on retrouve les stoogeries du dernier album - «I Like It Small», «What Do You Do With The Neutral», «The Final Course» et «Chardonnay» - l’«I’m Now» tiré de The Lucky Ones, l’«Inside Job» tiré de Translucent, «Beneath The Valley Of The Underdog», tiré de Tomorrow, et bien sûr «Touch Me I’m Sick» que tout le monde attend au virage.

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    Signé : Cazengler, Madonné (la gerbe)

    Mudhoney. Au 106, Rouen (76). 2 mai 2015

    Mudhoney. Mudhoney. Sub Pop 1989

    Mudhoney. Every Good Boy Deserves Fudge. Sub Pop 1991

    Mudhoney. Piece Of Cake. Reprise Records 1992

    Mudhoney. My Brother The Cow. Reprise Records 1995

    Mudhoney. Tomorrow Hit Today. Reprise Records 1998

    Mudhoney. Since We’ve Become Translucent. Sub Pop 2002

    Mudhoney. Under A Billion Suns. Sub Pop 2006

    Mudhoney. The Lucky Ones. Sub Pop 2008

    Mudhoney. Vanishing Point. Sub Pop 2013

    Mudhoney. Superfuzz Bigmuff Plus Early Singles. Sub Pop 1990

    De gauche à droite sur l’illusse : Steve Turner, Guy Maddison, Mark Arm et Dan Peters.

    VILNIUS IV

    JARS

    ( 03 / 04 / 2020 )

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    Enregistré en public à Vilnius ( Lithuanie ) le 28 novembre 2019. Disponible sur Bandcamp.

    Pochette : photo : Valery Suslov / artwork : Vova Sedykh

    Jars : Anton / Pavel / Alexander

    Le 12 novembre 2019, les Jars donnaient un concert à La Comedia, non ce n'est pas tout à fait cela je ne rédige pas une note de service comme un agent du FFS, donc je reprends : les Jars larguaient une bombe atomique sur La Comedia. Repartaient le lendemain vers le grand est, d'ailleurs le 26 ils étaient tout près de chez eux, Moscou la noire, un arrêt à Vilnius pour une prestation sauvage dans la capitale de la Lithuanie patrie du poëte Oscar Vladislas de Lubicz-Milosz. Ce Vilnius IV est un live tiré de leur set.

    L'European Tour des Jars fut éprouvant : Alexander le batteur en fut particulièrement épuisé, c'est un peu de sa faute, vous auriez dû le voir à l'œuvre, je n'ai jamais ouï un travailleur de horrible avec une frappe aussi féroce, nous lui souhaitons un prompt rétablissement.

    Ce 20 mars dernier un post de Jars nous apprend que le nouveau forgeron de Jars se nomme : Mikael Rakaev. Mais c'est bien Alexander que nous entendons sur Vinius IV. Si vous ne savez pas quoi faire de vos vacances, voici un renseignement utile : les Jars sont en concert le 20 août prochain au Power House de Moscou.

    Nos connaissances en la langue de Pouchkine étant malheureusement limitées nous n'avons qu'une confiance relative en notre traducteur automatique.

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    1 : Tribal : de quelle tribu s'agit-il, d'une féroce. Alexander tape comme un forcené, bat le rappel des guerriers dont vous entendez la clameur des guitares, arrêt brusque, l'on n'ouït plus que le bruissement du vent qui murmure dans les feuillages, et l'on repart plus vite, le piétinement lourd s'enhardit, plis sourds, la batterie halète, comme quand l'on attaque une montée, longues plaintes de guitares qui haussent le ton, l'on aborde une désagrégation abstraite du souffle, arrêt brutal, ils ont encerclé l'ennemi, les arbres flambent et le réduiront en cendres, la musique se fait victoire et une dégringolade de battements assomment ceux qui voudraient échapper. Victoire. 2 : Flic : à fond la caisse. Rythmique impitoyable, vous avez l'impression que les guitares lancent des grenades des deux côtés de la barricade. La voix surgit, lance-flamme de haine, qui pousse les guitares dans un tumulte indescriptible, des cris de rage, l'ombre rouge de la destruction enflamme l'oronge suicidaire des cocktails molotov, une orgie sonore gigantesque s'empare du monde. Arrêt brutal, personne ne descend. 3 : Touche noire : que nous comprenons en tant que côté obscur de la force. Doivent avoir des cordes en fil de fer barbelé pour que ça clinque et chuinte aussi déglingué, une voix d'échappé de l'asile qui a quelque compte à régler avec les gardiens. Les tambours d'Alexandre poussent au crime, musique de zombies engendrée par les nuits les plus ténébreuses lorsque les pierres des cimetières se soulèvent parmi les rafales des ouragans. Peut-être n'arriverez-vous pas à écouter le morceau jusqu'au bout. La lâcheté est parfois excusable, mais si vous désirez traverser le rideau de la grande faucheuse continuez. Il ne vous reste plus qu'à tourner en rond dans les marécages de la folie humaine, attention au maelström final dans lequel vous serez englouti. Exploration de vos gouffres intérieurs garantie. 4 : Brûle : courage ce morceau dépasse de six secondes la minute, une ordalie de feu toutefois. Danse bengale et scalp mental. Si vous y êtes rentré vraiment jamais le temps ne vous aura paru aussi long. Ce n'est pas votre corps qui brûle, mais l'âme que vous n'avez jamais eue. 5 : Besoin d'ennemis : une espèce de tourbillon de sable brûlant qui s'arrête aussitôt car l'épreuve ne fait que débuter. Le temps de respirer et de comprendre que l'ennemi attaque toujours par derrière, l'aigle monstrueux vous tombe sur les épaules et vous fend le crâne de son bac inquisiteur. Picore votre cervelle et la voix s'élève, elle vous menace et vous nargue, une douleur bruitiste se propage le long de vos nerfs enflammés. Roulez-vous par terre, emprisonnez-le de vos deux mains et hurlez plus fort que lui, l'on entend les cris des spectateurs qui assistent au combat, vous voici seul contre vous-même, il n'est pas sûr que vous gagnerez, l'instinct de mort vous submerge, les guitares gémissent lorsque vous vous arrachez vos organes un à un, vous vous relevez et vous battez des ailes. Vous avez gagné. Si vous ne vous tuez pas, vous deviendrez plus fort. 6 : Preuve : plus de chant, des aboiements, ça jappe et ça roquette, sont-ce des cris de victoire ou des métamorphoses sauvages, peut-être êtes-vous devenu la férocité du monde animal. Chamanisme tribal. Mais vous quittez la terre, envol final. Tout ceci n'est qu'un conte de fées pour enfants et assassins. Fatidique terminal. 7 : Non : le chant du refus, de ce qui est et de ce qui n'est pas. Trop de colères accumulées, trop de faussetés agglutinées, la musique court après elle-même pour se rattraper, se dépasser, se fuir. Faire de sa vie une imprécation à l'existence, une salutation au soleil noir de la haine, un hymne à la joie de la destruction. Alors et alors seulement on peut vivre et envoyer l'univers valser dans les gouffres noirs du vide intersidéral. Connaissez-vous plaisir plus profond ? 8 : Sabotage : pandémonium général, une vague monumentale qui vient de nulle part sinon de l'appel du néant, un déluge qui emporte le dépotoir sociétal dans les catacombes des décombres amoncelés. Des coups de guitare comme des couvercles sur les marmites du diable, cuisson rapide, œuvre alchimique au rouge sang, récitation des rituels enragés et inopérants, tout y passe et rien n'en ressort, vendangeurs ivres qui écrasent le vieux monde sous leurs pieds transformés en battoirs. Sabotez la vie, sabotez la mort, sabotez le nihilisme. Plus de respect. Plus d'obéissance. Appel à l'innocence des plus grandes sauvageries. La musique roule et monte comme le crépuscule des dieux. Capharnaüm orgiaque. Amoncellements d'orages terrifiants. Fin des illusions.

    A ne pas mettre entre toutes les oreilles. Une œuvre. Vous avez le droit de ne pas aimer. De toutes les manières, une fois que vous l'aurez écoutée, il ne vous restera plus grand-chose d'autre. Sinon de rêver à quelque chose de plus grand que vous.

    Damie Chad.

     

    THE PESTICIDES

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    Un groupe de rock ne produit pas uniquement de la musique. Sans doute est-ce-là sa première finalité. Encore faut-il se doter d'une image. Nous entendons dans cette chronique ce vocable selon son acception la plus primaire. Un logo pour employer une expression des plus commerciales. Nous lui préférons de beaucoup le terme de totem, cet insigne opératif des légions romaines. Les Stones nous tirent la langue depuis un demi-siècle, nous ne nous en lassons guère, il est vrai qu'ils l'ont au fil des années déclinée sous de multiples formes. The Pesticides se sont formés en septembre 2019, n'en ont pas moins utilisé en quelques mois, trois différentes moutures de leur signe de ralliement.

    Une première constatation. On les reconnaît de loin. Vous les avez vus une fois cela suffit. Question de dramaturgie, un guitariste unique et deux filles. Habillées à l'identique. Ce n'est pas un uniforme qui vise à une lointaine ressemblance, pas de tricherie elles sont jumelles. De visu l'une est l'autre, l'autre est l'une. Vu de l'intérieur ce n'est vraisemblablement pas la même identité, ne serait-ce parce qu'elles occupent des portions différentes de l'espace. A la limite, de tous les combos que nous avons rencontrés, c'est celui-ci qui avait le moins besoin d'un gonfanon. Mais ce sont de fines guêpes. Elles ont compris qu'il fallait piquer les yeux.

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    Nous nous attarderons d'abord sur le motif qui apparaît en premier lorsque vous vous rendez sur leur facebook. Cette espèce de drapeau pirate qui s'inscrit dans le rond de votre lorgnette lorsque vous naviguez sur le net. Pas besoin d'avoir fait de longues études d'héraldique rock 'n' roll pour avoir une idée du profil de la goélette que vous venez de repérer. Les lettres détachées en un savant désordre, et affranchies des règles typographiques élémentaires , les E tournant carrément le dos à l'ordre naturel de la lecture, et puis ces couleurs, rose-cru et jaune-bollocks-pisseux, la référence sex pistolienne saute aux yeux. Si par hasard le ver rongeur du doute vous habite, vous n'avez qu'à regarder la bannière de titre pour en être convaincu. Deux jeunes filles chaudes comme moiteur d'été à l'assaut du Kraken, car parfois les Andromède n'aiment pas être sauvées par un valeureux défenseur de la dignité outragée.

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    Faute de concerts dans la période actuelle, The Pesticides ont créé une nouvelle bannière. Le rose érotique a disparu, même si le support présente l'aspect un drap de lit froissé, le jaune est avivé, peut-être pour faire resplendir la noirceur de ces deux grands coups de rouleau de peinture, sur laquelle ont été disposées les lames blanches des lettres d'imprimerie noire, les E toujours récalcitrants, mais le reste de l'alphabet davantage civilisé. L'arboreront-elles en vue de nouvelles conquêtes. L'avenir nous le dira.

    En attendant abîmons-nous dans la contemplation de leur toute première bannière qui remonte au mois de septembre. Pour le bas de l'image, pas de surprise, nous retrouvons l'étamine rose langue-de-chatte sur laquelle le nom du groupe est tracé en jaune. Le fond de l'affiche est du même or urinaire. Pour le reste c'est l'horreur absolue. Trois cariatides échappées de l'Erechthéion, trois Vénus de Milo démembrées comme il se doit, trois écorchés vifs. Des suppliciés échappés de la table de dissection. Pourquoi, quand comment, aucune explication n'est fournie. Est-ce l'effet que l'écoute du prochain EP six titres des Pesticides aura sur vous, est-ce une dénonciation écologique des méfaits des pesticides agricoles, ou alors une auto-représentation de soi-même, en pantin désarticulé, un regard au-delà de toute chair, au plus profond de l'être dans le dégoût de la carne, malgré les seins d'albâtre des deux premières statues défigurées, à croire que l'on ait voulu décapsuler la beauté du monde en leur arrachant le visage, ce serait donc les deux représentations des jumelles, le troisième étant l'homme craqué ouvert de partout, qui n'est plus rien que l'horreur des organes mis à jour.

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    Mais une vision plus attentive aux détails nous enjoint de penser que ces horreurs debout ne sont que des mannequins, trois fois le même, des pantins interchangeables, déshabillés, de leur peau pour voir la vérité plus profond que lorsqu'elle s'exhibe en sa nudité déclamatoire. Faut-il prendre cette carte de visite que nous tendent The Pesticides pour nous enjoindre à les regarder du dedans, au-delà de la barrière de leur apparence physique. Nous enjoignent-ils à une expérience métaphysique plus profonde. Sur scène s'agitent-elles telles des sémaphores pour nous avertir des dangers à les écouter, nous refont-elles le coup du chant des sirènes, où s'amusent-ils tous les trois à singer les marionnettes de Kleist.

    Regarder une image est un acte quasi-automatique que l'on opère sans réflexion, mais parfois il est bon de s'interroger sur ce qu'elle signifie. Savoir comment elle s'insère dans le spectacle du monde auquel elle nous invite. Les Pesticides distribuent des cartes méchamment biseautées. Et la partie ne fait que commencer. Nous sommes prévenus, nous avons hâte de miser. Le jeu nous réserve bien des surprises.

    En attendant nous serons sages comme des images.

    Damie Chad.

    P. S. : j'étais content, j'avais terminé ma chronique, j'aurais dû me méfier, en règle générale les filles sont de véritables pestes, mais celles-ci pire encore, des pesticides. J'étais content de mes petites élucubrations sur les images, je n'avais pas posé un point final sur mes divagations imaginales depuis deux heures qu'un post m'a annoncé du nouveau. Changement non pas de direction, mais de dimension. The Pesticides sont passées à vitesse supérieure. Fini les images, c'est bon pour les premières communions, désormais l'on quitte la figuration plate pour le volume. Bye-bye la peinture, bonjour la sculpture. Pas in vivo. In morto. Désormais elles ont une mascotte. Un pantin. ( C'est fou comme j'avais visé juste en évoquant Kleist ).Vous aimeriez le voir, c'est impossible. A peine né, déjà mort. Personne ne l'a tué. Il s'est pendu. Pas au premier lampadaire qui passait dans la rue. A la bannière, la numéro 3, celle qui est évoquée en deuxième dans la chro. Je tente de vous décrire l'objet du délit, ou le sujet du délire, un gros poupon – les garçons auraient fabriqué un camion – tout noir, une couleur qui lui a porté malheur, le torse transpercé d'épingle-doubles – fortes tendances auto-mutilatoires dixit Doctor Freud – vous reconnaissez les teintes fétiches des Pesticides, un tau-rose-potence et une croix-cimetière-jaune pour signifier ses yeux, fermés à jamais, n'a même pas eu le temps de terminer sa première cigarette, l'a utilisé une grosse corde de chanvre pour être sûr de ne pas se rater, l'on se croirait en balade dans un poème de François Villon. Désormais vous ne pourrez plus aller à un concert des Pesticides sans ramener un petit Pesticidor à votre filleule. Elle se sentira obligée de le bercer pour l'endormir lui qui dort pour l'éternité : ''Fais dodo mon p'tit Pesticidor, Fais dodo t'auras de l'exterminator''.

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    Les âmes tendres vont s'émouvoir : Mais pourquoi l'ont-ils tué ?

    • Parce que les pesticides qui laissent vivre leurs victimes ne valent rien !

    • Je ne savais pas que le rock'n'roll c'était si cruel, si vicieux !

    • Pourtant c'est exactement cela, les anglais disent sid vicious !

    • Mais ce n'est pas un jouet pour les enfants !

    • Pas spécialement peut-être, mais formellement interdit aux adultes comme vous !

    Damie Chad.

     

    ROLLING STONES

    POURQUOI JE LES AIME

    Une vente aux enchères en province. Rien de grandiose. Bien des cartons auraient pu atterrir chez l'Abbé Pierre, peut-être que le commissaire priseur raclait les fonds de tiroir. Bref une énorme caisse de livres pour quinze euros. L'heureux acquéreur demande à un jeune homme, qui était venu en curieux, accompagné de son épouse et d'une fillette, de l'aider à porter le paquet jusques dans le coffre de sa voiture. Pour le remercier le gars lui refile un livre sur les animaux, grand format : J'ai vu que vous avez une petite fille, tenez pour vous remercier, le jeune homme refuse mais la fifille les a rejoints, Papa, prends-le, c'est un livre sur les tigres, je les adore ! L'histoire pourrait s'arrêter-là.

    Mais non. A la maison la petite fille feuillette le bouquin. Une photo s'en échappe, pas très belle, un peu floue, petit format, des musiciens avec des guitares électriques. Ce n'est pas des tigres, je n'en veux pas ! Le papa intervient : Ne la jette pas, on la donnera à ton cousin Paul, il aime ce genre de musique. La semaine suivante la photo est refilée à Paul. 'Wouah, un vieux truc, bien sûr que je connais, c'est les Rolling Stones ! Et Paul retourne chez lui, s'en sert comme marque-page pour un livre qu'il n'achèvera jamais, à tel point que quelques années plus tard, il refile le bouquin à sa copine dont les parents tiennent un stand de brocante. C'est leur passion dominicale.

    Le lendemain, la copine lui rend Le dictionnaire des idées reçues, personne n'en a voulu, par contre la photo dedans, il y a un mec qui l'a prise, ma mère lui en demandait deux euros, le gars n'a pas pris la monnaie de son billet de dix que maman lui rendait. L'est parti presque en courant, les gens sont un peu mabouls, dix euros pour une photo format carte postale, ratée par dessus le marché. Profitant de l'aubaine nos jeunes gens partent boire un pot...

     

    Le gars n'était pas fou. Je le connais, nous l'appellerons Théodore. L'a déboulé chez moi, deux jours après, n'a même pas pris la peine de frapper. Regarde ! La photo sous les yeux. Ouais, pas très nette, même aux enchères sur internet tu n'en tireras pas dix euros ! M'a regardé avec commisération. Tu peux sortir tes bouquins et tes DVD's sur les Stones, j'allume ton ordi, dépêche-toi, bougre d'idiot. A quatre heures du matin, l'on y était encore. On n'y croyait pas, tout concordait. Mais si ! Mais non ! Il faudrait un grand écran ! Philippe, il en a un super-géant, ses parents sont absents !

    On l'a tiré du lit. Je prendrais bien un jus, pas question, on te met au jus. Dix minutes plus tard l'on avait des yeux comme des soucoupes, c'est au matin, vers 11 heures moins dix que l'on a été sûrs, là, pile, stop, recule, avance ! Pas de doute, ça baigne grave disait Théodore. Il ne croyait pas si bien dire. L'on était comme des rois !

     

    On en a discuté pendant deux jours. Un plan d'enfer. Que faire. On envoie à Rock 'n' Folk ? Non, pas à ces blaireaux ! On se charge du binz, tous les trois. Damie, cette nuit tu écris un texte, rendez-vous demain chez toi à quatorze heures pile. Et à quatorze heures une, on plonge, on bazarde tout sur cent sites rock en même temps, plus les quotidiens. La com du siècle, c'est nous.

    A quatorze heures, Théodore n'était pas là. A quinze heures non plus. Pas de nouvelle. Son portable restait muet. A quinze heures trente Philippe a téléphoné chez lui. Sa mère était en pleurs, on vient de le découvrir, après le repas il est sorti pour aller chez des copains, il a dû glisser sur le rebord de la piscine, c'est le chien qui n'en finissait pas d'aboyer dans le jardin, on l'a retrouvé noyé à quatorze heures.

     

    Deux jours après l'enterrement, en pleine nuit l'on est retourné au cimetière pour brûler la photo sur sa tombe. Philippe a sorti son briquet, elle a pris feu instantanément dès que la flamme s'en est approchée, en cinq secondes elle n'était plus que cendres, mais sur la photo, les Rolling Stones sur scène à Altamont, le gars au milieu avec son tambourin, m'a souri, sournoisement d'un air complice, Brian Jones.

    Damie Chad.

     

    SOUS L'AILE DU CORBEAU

    TREVOR FERGUSON

    ( Le Serpent A Plumes / 2015 )

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    Corbeau et serpent, une belle ménagerie totémique, le volatile cher à Edgar Poe, une maison d'édition de qualité, et en prime sur la quatrième de couverture ce rapide résumé de quatre lignes illisibles, car écrasée par l'amarante agressive de l'arrière-fond, ce lambeau de phrase que mon œil obstiné parvient à prélever par miracle '' chef de la tribu des Corbeaux '', par l'esprit de Wakan Tanka, un roman sur la tribu des Crows sur laquelle je cherche des renseignements depuis des années, je prends. J'ai pris, l'ai posé et n'y ai plus pensé jusqu'à hier soir. J'ai dévoré les trois cents pages sans m'arrêter.

    C'était une erreur. Pas le moindre guerrier Crow à l'horizon des Grandes Plaines. Non, l'action se déroule quelque part au Canada, sur une île fictive, à quelque centaines de kilomètres de Vancouver, le genre d'endroit où vous n'auriez jamais envie d'aller, il y pleut sans arrêt. A ce désagrément ajoutons qu'au début vous n'y pigez rien. Mais alors rien du tout. C'est le cas de le dire vous ne reconnaissez personne en Trevor Ferguson. Une grande figure du roman américain me dit wikipedia, Sous l'aile du Corbeau est son premier livre. L'en a écrit d'autres, notamment une série de policiers. All right, mais cela ne nous aide guère.

    Au bout de quelques chapitres la chose prend l'aspect d'un western, à pieds, à cheval ou en canoë, tous les protagonistes de l'histoire se dirigent vers un coin sauvage quelque part dans la montagne. Il n'y a en qu'un seul qui possède un fusil, mais il est méchant. Les autres sont ce que l'on appelle des anti-héros, l'un qui a tout raté et l'autre qui n'a rien entrepris. L'un boîte de la jambe et l'autre dans sa tête. Oui il y a un chef indien. C'est le plus équilibré. L'a laissé sa tribu sur son île. C'est qu'il essaie de la préserver, de l'isoler de l'homme blanc, un combat dont il se doute qu'il est perdu d'avance. Faut avancer dans le roman pour comprendre l'enjeu. Ne comptez pas sur moi pour vous le révéler. Faut bien une histoire avec un début, un milieu et une fin pour attirer le lecteur.

    Ce n'est pas là le plus important. Dès les premières pages vous sentez l'embrouille, c'est un peu comme dans Faulkner, entre Le bruit et la fureur et Les palmiers sauvages. Certes ce n'est pas un idiot qui parle, mais le Ferguson il a l'art et la manière d'éviter les transitions, tantôt vous êtes dans un récit des plus classiques, tantôt dans le monologue intérieur rapporté à la troisième personne d'un des personnages. A vous de vous comprendre lequel exactement. D'une phrase sur l'autre ça peut changer, sans aller à la ligne évidemment. Ou alors l'un d'entre eux prend la parole en disant je sans avertissement. Un truc d'écrivain qui connaît par cœur les codes de la déconstruction d'un récit à la Joyce, soupirerez-vous, un intello qui fait son malin.

    Pas du tout. Cette écriture n'est en rien un exercice de style. Elle colle au sujet, elle est dictée par lui, rien à voir avec la pelote de laine que vous emmêlez à plaisir pour déboussoler le lecteur et faire durer le suspense. Tu veux savoir la fin, coco, lis jusqu'au bout. Artifice commercial et rien de plus. Vous êtes pressé alors je vais vous révéler le sujet du bouquin en quelques phrases. Pas de chance, il y en a deux. Le premier qui a motivé le succès du livre, je vous le décline de deux manières. D'abord la grosse tarte à la crème baveuse, moussante et mousseuse : la préservation de la nature, la critique de notre civilisation, plus écologique que cela tu meurs. Que voulez-vous il faut bien attirer les mouches avec de la confiture à bas prix. Ce qu'il y a de bien, c'est que Ferguson ne s'attarde point à cette œuvre pieuse, c'est surtout le lecteur primaire qui se satisfera de cette lecture de surface. Ensuite l'on passe dans du plus subtil, certes vous pouvez vous glorifier du résultat de la première analyse qui prouve la faible pertinence de votre pensée. Mais les choses sont plus complexes. Votre pensée n'est que le fil d'une trame, constituée de la pensée des autres et aussi de cette présence du monde autour de vous, une espèce d'animisme collectif qui fait que la pensée individuelle n'a que peu de valeur si l'on ne la met pas en relation avec cette sphère spirituelle qui se dégage de la nature et de tous les artefacts humains. Objets inanimés avez-vous donc une âme s'écriait Lamartine, là n'est pas vraiment le problème répond Ferguson , l'important c'est de saisir les corrélations entre vous, les autres et le monde, celles qui se font et celles qui ne se font pas, et malheureusement ces dernières sont les plus fréquentes...

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    Il y a plus profond. Sous l'aile du Corbeau raconte une terrible histoire. De sang et de sexe. Quand vous arrivez à la fin, si vous êtes un joyeux optimiste vous concluez par un tout est bien qui finit bien, si vous êtes un pessimiste invétéré vous déclarerez tout est mal qui finit mal. Dans les deux cas vous avez tort. Ni mal, ni bien, ne finissent jamais, le sujet de ce livre n'est autre que la persistance des choses mortes, ou détruites ou passées. Quelque chose subsiste toujours. Tout acte survit dans son propre oubli comme dans sa propre survivance. Vous pouvez en être conscient, vous pouvez vous en détourner, vous pouvez en être ignorant, cela n'enlève ou ne retranche rien à la complexité du monde. Peut-être en conclurez-vous à la nécessité de l'équivoque d'une pensée analogique, mais cela ne regarde que vos propres conclusions. Sous l'aile du corbeau est à lire comme un roman de pensée métaphysique, si ces termes vous effraient dites-vous que Trevor Ferguson a tenté de traduire par sa manière d'écrire un essai transcriptif des modalités de ce que les ethnologues de salon désignent sous l'appellation fourre-tout de '' pensée indienne''.

    Le titre anglais original est : High Water Chants. Le roman est traversée en effet par une rivière torrentueuse qui descend des montagnes. Je me plais à y voir la chute sans fin et dans le vide des atomes de Démocrite. Etrange, ou hasardeuse corrélation, Ivan Steehout n'a t-il pas traduit un livre de James P Campbell intitulé La poursuite de l'Être.

    Damie Chad.

    LOVESICK DUO

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    Je ne les cherchais pas. J'ignorais qu'ils existaient. C'est en trifouillant sur le net sur un tout autre sujet, qu'une photo m'a sauté aux yeux. Des horreurs absolues. Des mongolitos arriérés. Le garçon et la fille. J'ai voulu en savoir plus. Un cas d'espèce. J'ai cliqué dessus et je suis tombé sur la légende Lovesick Duo, je savais depuis le Lovesick Blues d'Hank Williams que l'amour rend malade, mais enfin, il y a des limites. De pauvres bêtes bonnes à abattre. Bon mais il y avait le mot duo, alors j'ai cliqué dessus et me suis retrouvé sur leur F. B. Je vous rassure tout de suite, des jeunes gens beaux comme des sous neufs, mais z'aiment bien se prendre en contre-plongée avec une application qui vous grossit la tête.

    Sont italiens. Des voisins, des cousins. Suis tombé sur l'épisode vingt-quatre, tiens me suis-je dit, font comme tous les groupes confinés de par chez nous, tous les jours ils enregistrent en direct un titre, un trait-d'union sonore et amical pour resserrer les rangs contre le Corona-virus. Apparemment non parce que '' ognedi lunedie'' en langue de Dante signifie chaque lundi, j'ai imaginé le pire, confinés depuis vingt-cinq semaines, notre avenir à tous. Pas grave, une fois que l'on sera mort, il restera toujours le rock'n'roll. Puis je me suis aperçu qu'ils faisaient cela aussi le friday et le wednesday...

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    En regardant la photo de tête j'ai immédiatement écarté le pire, le parfait duo de canziones della amore de la ringarda tradiziona italiana, un super indice m'a permis de comprendre que le hasard m'avait en fait emmené du bon côté de la musique que j'aime. M'a suffi de regarder la robe de Francesca Alinovi. Pas la sienne, je ne déshabille pas les filles des yeux, moi je suis bien élevé, celle de sa contrebasse. Ramages country. Pas d'erreur possible, avec son chapeau de cowgirl de bonne famille pionnière et ses cheveux longs qui pendent, elle semble sortir tout droit d'un western. J'ai lancé au hasard une vidéo, elle ne faisait pas grand-chose, tournée de biais, absorbée dans un tripotage de je ne sais quoi, de la sono peut-être. A ses côtés Paolo Roberto Pianezza essayait d'imiter le gars qui se donne une contenance. Mais non, elle ne s'occupait pas de lui. Il a effleuré les cordes de sa guitare, un bling, juste pour dire que la séance avait commencé, que ça allait commencer bientôt, incessamment sous peu, l'aurait pu lui adresser la parole en japonais, elle était manifestement obnubilée par ailleurs, alors faute de mieux il s'est mis au turbin tout seul. L'a caressé le manche de son acoustique et miraculeusement elle s'est mise à miauler like a cat on a tin heat roof, on a tin hit roof, vous a écorché le matou durant cinq minutes, un slide de toute beauté, un bottleneck de première classe, une merveille, du feeling et du toucher.

    Après cet instrumental introductif Francesca a consenti à se servir de sa contrebasse. Z'au début, j'ai cru que le son avait baissé d'un cran, mais non la fine mouche touchait les cordes mais ne jouait pas – parfois les filles sont effrontées – le Paolo au boulot todo solo, au bout de trente secondes elle s'est mise à swinguer, pas un truc à la mord-moi le noeud-jazzeux, non, comme il faut, ce bruissement de bourdon dans les bourgeons des rhododendrons, et puis crac ! le Paolo a cassé l'ambiance. Ce n'est pas de sa faute. Ce n'est pas qu'il chante mal, c'est qu'il est italien, et comme tout italien qui se respecte il s'est mis à chanter en... italien, faut deux minutes pour s'habituer, le western swing des Appalaches à la mode ritale, c'est un peu trop al dente, mais on s'y fait et il faut reconnaître qu'ils se débrouillent bien, de toutes les manières pour le troisième morceau ils ont utilisé l'anglais... si vous voulez savoir la suite, allez-y voir par vous-mêmes, sont doués et sympathiques, de ce que j'ai vu ils triturent les racines jusqu'à Chuck Berry.

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    Damie Chad.