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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 69

  • CHRONIQUES DE POURPRE 493 : KR'TNT ! 493: EXPLORERS CLUB / CHRIS NEEDS / JARS / STEPPENWOLF / ROCKAMBOLESQUES XVI

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 493

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    14 / 01 / 2021

     

    EXPLORERS CLUB / KRIS NEEDS

    JARS / STEPPENWOLF

    ROCKAMBOLESQUES XVI

     

    Bienvenue au Club - Part One

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    En 2016, ce coquin d’Andy Morten nous mit à la bouche : il demandait à un mec à tête de big baby binoclard nommé Jason Brewer et membre d’un groupe nommé The Explorers Club quels étaient ses disques préférés, alors Brewer citait Friends et Sunflower des Beach Boys, disant que «Busy Doing Nothin’» était musical genius in a way no one but Brian could do it. Il ajoutait que Pet Sounds était son favorite album of all time et que le CD de Sunflower était resté pendant deux ans dans sa bagnole. Il citait aussi Burt Bacharach (Reach Out), The Fifth Dimension, à cause de Jimmy Webb (The Magic Garden. JIMMY WEBB. He’s king among writers and arrangers). À tout cela s’ajoutaient les noms des Simon & Garfunkel (Bookends), McCartney (Ram, qu’il compare à Smile - This is Paul’s Smile), Neil Young (After The Gold Rush), The Carpenters (Close To You) et Dylan (Nashville Skyline).

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    Donc alerte rouge. D’où sortait ce big baby binoclard ? Il faisait l’actu pour la parution du troisième album de The Explorer Club, Together. Donc, il fallait se rendre à la fin du canard, et chercher Together dans la partie Now des chroniques d’albums. C’est une autre Shindiger nommé Richard Allen qui se chargeait de besogner l’éloge. On apprenait en lisant son petit texte que le groupe était américain, originaire de Caroline du Sud. Oh Caroline ! L’Allen parlait de vintage 21st century sunshine pop bursting with craftmanship worthy of major league budgets. C’est vrai.

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    Quand on écoute Together, on est complètement craftmanshippé par la sunshine pop du 21st century, et plutôt deux fois qu’une. Le morceau titre est du pur jus de Brian Wilson, un vrai bouquet d’harmonies vocales speedées dans l’oss de l’ass, écrasé du champignon au bon moment, bardé d’énergie cosmique. Coup de génie avec «Gold Winds», puissamment orchestré dans une magie de piaillements d’oiseaux des plages, avec de la brise dans le son. Ce mec descend dans son lagon d’argent pour chanter sa pop californienne. Il renoue avec la nonchalance de l’ensoleillement dilettante. Avec toutes ces vagues de son et cette onction de la pertinence, on se croirait dans Smiley Smile, ce compagnon des heures sombres de l’adolescence. Il attaque «Perfect Day» en déclarant : «It’s such a perfect day/ To be in love with you», et là tout s’écroule dans le fracas du bonheur, dans le deafening sound dont parle Liza Minnelli. C’est joué dans le clair obscur d’un effondrement des notions temporelles. Ce mec n’en finit plus d’aller éclater au grand jour, les grimpées de son sont dignes de celles de Brian Wilson. Il reste dans le plénitif de taille avec «No Strings Attached», chanté au mieux du désespoir amoureux. Ce mec tient son destin entre ses mains. Il joue la pop de sa compréhension. Ce binoclard inféodé va jusqu’au bout de sa fascination.

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    Trois ans plus tard, Andy Morten récidive, avec un grand portait de Jason Brewer, pour annoncer la parution de deux albums enregistrés au Columbia Studio A de Nashville, endroit rendu célèbre par des gens comme Dylan, Cash ou encore les Byrds - It was an honour to just be in those rooms - some serious magic - Morten nous apprend que Brewer est l’âme de ce groupe informel et qu’il enregistre deux albums, dont un album de covers. Affecté par la disparition de Scott Walker, Brewer annonce qu’il enregistre une reprise du «Sun Ain’t Gonna Shine Anymore». Il cite Scott Walker comme l’une de ses principales influences. Il cite encore comme influences les noms de Spector, des Turtles, d’Astrud Gilberto, de Dusty Springfield et des Byrds.

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    L’album de covers vient de paraître. Il s’appelle To Sing And Be Born Again et contient effectivement deux coups de génie productivistes : «The Sun Ain’t Gonna Shine Anymore» et «This Guy’s In Love With You». Accord de piano magique et on sait tout de suite que c’est Burt avec This Guy - You see this guy/ This guy’s in love with you - Et là Brewer prend de la hauteur, when you smile, la magie de Burt est idéale pour un fan de Brian Wilson, c’est l’une des covers les plus puissantes de la stratosphère, il monte très haut dans le ciel et devient l’une des révélations des temps modernes. Il chante son Scott à la perfe. Brewer est un peu comme le mec de Drugdealer, il repousse les limites de la magie pop. Il rend aussi hommage aux Turtles avec «She’d Rather Be With Me» et en profite pour tirer l’overdrive productiviste. Fantastique hommage à Dylan avec «Quinn The Eskimo (The Mighty Queen)» et il se prosterne ensuite devant les Zombies avec «Maybe After She’s Gone». Autre coup de chapeau remarquable : Lovin’ Spoonful avec «Don’t Want To Have To Do It». Brewer file droit sur le goove comme un requin affamé. John Sebastian a du feeling, mais il reste entre deux eaux, coinçant Brewer dans l’intervalle.

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    Quant à l’autre album, attention, c’est une bombe atomique. Mais ne gagnez pas les abris, car c’est une bonne bombe atomique. The Explorers Club (Original Album) est sans doute l’un des meilleurs albums de notre époque. Brewer démarre avec un hommage a Brian Wilson intitulé «Ruby». Son plein à ras-bord, c’est stupéfiant d’éclat. Il va ensuite enfiler les coups de génie comme des perles, à commencer par «One Drop Of Rain», une pop d’attaque frontale d’extrême violence. Et ça continue avec «Love So Fine», comme s’ils reprenaient les choses là où les avait laissées Brian Wilson. On a du mal à respirer tellement c’est oppressant de puissance. Ils se situent au-delà de tout, mais vraiment au-delà de tout. Chaque fois, ils débarquent dans le cut avec du big bash d’explosion pop nucléaire. Ils mixent Phil Spector et Brian Wilson. Avec «It’s Me», ça vire un brin Brazil. Brewer chante au génie pur, il chante une pulpe de dieu pop et «Dawn» coule comme une fantastique gelée de groove liquide. Brewer transforme le plomb de chaque chanson en or du temps. Avec «Say You Will» il fait la pop des jours heureux. On se pose la question en permanence : mais d’où sortent des gens aussi doués ? Avec «Look To The Horizon», il foncent dans le wall of sound, mais avec des dynamiques de genius all the way. Ces mecs rivalisent de grandeur avec Phil Spector. Ils tapent en plein dans le mille, look to/ The horizon, ils malaxent le heavy genius d’harmonies vocales et Brewer ramène sa voix de belette avariée dans le groove des dieux. On assiste là à l’incroyable réinvention du génie sonique de Phil Spector.

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    Il existe dans le commerce deux autres albums des Explorers, Freedom Wind qui date de 2008 et Grand Hotel paru en 2012. On pourrait presque considérer le premier comme un album des Beach Boys, car oui, ils sont dedans jusqu’au cou - We could last forever/ But baby don’t you cry - Jason sait emmener une équipe d’aspirants Beach Boys jusqu’au firmament. Ils sont en pleine Wilson-mania. Ce n’est que leur premier album et on sent déjà qu’il faut attendre des miracles. Alors justement, en voilà un : «Lost My Head» - I lost my head/ Under the sunshine/ Thinking of you - En plein dans Smiley Smile avec du banjo et ça continue avec «Do You Love Me», véritable flambée de bonheur sonique, Jason y va franco de port, il a tout étudié, il sait exploser au moment opportun avec des tambours noyés dans le wall of sound. Ils repartent en mode Bibi Sound avec «Hold Me Tight», bien rocky avec du smooth de ooh-ooh et des pointes de chant démentes à la Brian Wilson. Power absolu ! Jason s’y croit et il a bien raison de s’y croire. Il reste dans le Bibi Sound avec «Last Kiss» et termine cette cavalcade insolente avec un morceau titre qui n’a plus rien à voir avec le Bibi Sound, puisqu’il s’agit d’une pop brewerienne chantée et jouée à l’outrance de l’outrecuidance.

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    Par contre, Grand Hotel est un album très différent. Jason va plus sur Burt, il propose avec la bossa de «Run Run Run» une leçon d’aisance qu’on apprécie en ces temps atrophiés. Il propose ensuite de la pop de rêve avec «Anticipation». Une certaine Krista Brewer vient mettre son petit grain de sel et «Bluebird» conjugue chaleur et grandeur, avec tout ce qu’on aime en plus, le beat rapide qui vivifie la peau et qui rend amoureux. Jason éclate son «Go For You» au sommet du refrain et plus loin, il chante «It’s You» à la glotte devenue folle - I just want to stay/ Stay by your side - Comme toutes les bites d’ailleurs, elles veulent rester. Jason fait du collant supérieur, un collant doo-woppy digne des Flamingos. Il fait un instro de dream come true avec «Acapulco (Sunset)» et il envoie toute sa sauce dans «Summer Days Summer Nights». Question sauce, il n’a plus rien à apprendre de personne. Il fait du Burt à l’état pur. Et ça se barre en routine de jazz sixties. Il termine cet excellent album avec le Spectorish «Open The Door». Ces mecs ne se refusent aucune grandiloquence. Ça pourrait ressembler à du faux Spector, mais c’est du vrai, pas du toc.

    Signé : Cazengler, Jason Bouilli

    Explorers Club. Freedom Wind. Dead Oceans 2008

    Explorers Club. Grand Hotel. Rock Ridge Music 2012

    Explorers Club. Together. Goldstar Recordings 2016

    Explorers Club. The Explorers Club (Original Album). Goldstar Recordings 2020

    Explorers Club. To Sing And Be Born Again. Goldstar Recordings 2020

    Andy Morten. Old Friends. Shindig # 56 - May 2016

    Andy Morten. Leave no stone unturned. Shindig # 97 - November 2019

     

    Looking for a Kris  

    Part Two

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    Et vrooom badabooom, Kris Needs remet le turbo en route pour le volume 2 de son 1969 Revisited. Même délire, même profusion, même tarif, un nouveau shoot de 200 pages brûlantes de passion et grouillantes d’infos. À tel point qu’on se demande comment il a fait à l’époque pour écouter autant de choses, et ce ne sont pas des petits disques de branleur, jugez-en par vous-mêmes : Sun Ra, Bowie, Roberta Flack, les Stooges, Love, Can, Mott, Van Der Graaf, Tim Buckley, Moon Dog, Albert Ayler, Pearls Before Swine, Spirit, Syd Barrett, les Last Poets, Graham Bond, Buffy Sainte-Marie et les Deviants. Ptooof ! Intello le Kris ? Non il a le rock dans la peau, et qui dit rock dit curiosité. Le rock t’aide à traverser les frontières. Pas de rock sans exploration de terres inconnues, pas de rock sans découvertes révélatoires. Comme le volume 1, ce volume 2 n’est fait que de découvertes révélatoires et d’hommages à sa trilogie suprême : Keef, Syd & Jimi. Une trilogie suivie de près par une autre trilogie toute aussi suprême : Bowie, Bond & Ra. Rien qu’avec les pâtés qu’il fait de ces deux trilogies, on frise l’indigestion.

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    Tous ses lecteurs et toutes ses lectrices vont se poser la même question : qu’est-ce qui fait la force de ce book en deux volumes ? La réponse est simple : l’idée. Son idée consiste à prendre l’une des années les plus prolifiques de l’histoire du rock, à inventorier les albums qui l’ont marqué et à étoffer cette rétrospective de larges pans autobiographiques. Needs ne s’est pas contenté d’écouter les disques et d’aller voir les concerts, il s’est aussi arrangé pour faire de sa passion un métier qui allait lui permettre de rencontrer les gens qu’il admirait tant. C’est aussi simple que ça. Après, la difficulté, c’est de savoir maîtriser le bal des affinités électives pour ne pas fréquenter n’importe qui et écouter n’importe quoi. Ces deux books n’ont d’intérêt que par la qualité des gens et des albums évoqués. Comme tous les gens qui ont grandi avec Hendrix et les Stones, Needs ne s’éparpille pas. En 1969, il réussit l’exploit de ne pas commettre une seule faute de goût. Ce qui ne l’empêchera pas d’en commettre plus tard, en allant patauger dans l’electro et le m’as-tu-vu du sex & drugs d’Ibiza.

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    Avant d’entrer dans le vif du sujet, saluons le styliste qui se cache en Needs. Il est capable de vif-argent. La bonne musique qu’il écoutait le dopait : «Avec le recul, il apparaît qu’un espèce de phénomène planétaire surnaturel tissait à l’époque des liens étranges entre le jazz, Woodstock et le Krautrock. C’est tellement vrai que dans ce chapitre, je vais aborder Love et l’un de mes albums préférés de tous les temps. Attachez vos ceintures, mettez un casque et let’s go !». C’est vrai que certains chapitres frisent l’hystérie. Needs travaille une langue de flash, car comme Nick Kent, il a compris qu’il fallait façonner un langage pour parler du rock. Il reformule à un moment sa vocation : «Mon activité n’a pas été très lucrative, elle a connu des hauts et des bas, mais quelques décennies après avoir quitté un confortable job de journaliste local, je peux reprendre à mon compte la fameuse phrase de Lou Reed : ‘My weak beats your year.’» Dans son hommage aux Deviants et à Mick Farren, Needs brûle aussi la stylistique par les deux bouts : «En remettant en cause l’ordre établi et en établissant les fondations de la contre-culture, les hippies ont plus choqué la société que ne l’ont fait les punks. Ils furent les premiers à incarner la rébellion (en prenant des drogues plus puissantes et plus intelligentes). Dans les années 60, ils innovaient, créant plus de shock horror que n’en créa jamais l’Anarchy tour.» De là, Needs fonce droit sur Ladbroke Grove, le bastion des Deviants : «Pour un teenager comme moi qui bouffait du weekly tabloid et du fanzine, Ladbroke Grove était un quartier chargé de mystique toxique où des créatures exotiques se livraient à des activités inimaginables sur fond de heady psychedelic soundtrack et de harcèlement policier.» Ces quelques phrases résument à merveille le mystère qui entourait l’art subversif des Deviants. C’est vrai qu’on était quelques-uns à être fascinés par les Mystères de Labroke Grove. Needs rivalise ici d’excellence avec Eugène Sue. Il poursuit sur Farren : «Farren était l’agent provocateur de cette scène, il vantait plus les charmes du combat de rue que ceux du peace and love. En août 67, le DJ Jeff Dexter taxa des Deviants de punk rock band.» Needs établit un parallèle entre les Fugs dont il évoque longuement les charmes dans le volume 1 de 69’ Revisited et les Deviants, «qui sortaient de squats insalubres pour monter dans des vans tout pourris», qui organisaient des concerts gratuits pour y insulter ouvertement le pouvoir britannique. Needs ajoute qu’après avoir été viré des Deviants pendant une tournée américaine, Farren enregistra Mona And The Carnovorous Circus, écrivit des chansons pour Motörhead (& Wayne Kramer) et finit par atterrir au NME. C’est là que Needs fit sa connaissance, «trundling about drunk with a seen-it-all smile», c’est-à-dire traînant bourré dans le coin avec le sourire d’un homme qui a tout vu.

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    Bien sûr, ce qui compte le plus pour Needs, c’est de rappeler son appartenance à un monde précis. Alors il affûte son meilleur style pour flasher sa pensée : «N’oublions pas ceci : Rod était là avant Bowie avec ses épis sur le crâne et nous encourageait tous à faire quelque chose d’intéressant de nos coiffures alors abondantes. Les barbes restaient l’apanage des folkeux. Grâce à Rod, les vestes en satin de Kensington devinrent nécessaires. À ce point de ma réflexion, je réalise que tous mes héros sortaient de l’ordinaire : à commencer par Keith, Jimi et Syd, puis Mott et Rod, et bientôt Bowie. C’est la raison pour laquelle je ne pouvais pas faire partie de la foule des anonymes, tous ces gens ordinaires qu’on voit passer dans la rue habillés de vêtements de sport et coiffés comme tout le monde. Même encore aujourd’hui, je ne pourrais pas.»

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    Alors justement, les héros, parlons-en. Tiens à commencer par le héros Syd. Needs rappelle que Syd n’a pas supporté the sudden pop stardom et que bien sûr l’acide n’a rien arrangé, «scorching the inner circuits in his already fragile mind». Needs cite Jenny Fabian, une groupie célèbre : «On ne sait pas ce qui a réellement détruit sa créativité, les drogues ou bien une décision qui l’a stoppé net, car il ne voulait pas faire partie du cirque.» Needs rappelle ensuite que Roky Erickson, Sky Saxon et Skip Spence ont connu le même sort. Dommage qu’il oublie de citer Ace Kefford des Move, qui buvait lui aussi l’acide au goulot. Et comme il l’a déjà fait pour Shindig!, Needs repart en virée dans la légende de Syd, rappelant qu’à l’origine, Roger Waters et lui parcouraient la campagne anglaise en mobylette, partageant «similar interests in rock’n’roll, danger, sex and drugs». Ça ne s’invente pas. À l’été 65, le LSD - the heaven and hell drug - était encore légal et Syd se payait de beaux voyages dans l’inconnu. Il écrivit des choses comme «Arnold Layne» et «See Emily Play» qui fascinaient Pete Brown : «I suddenly saw that I didn’t have to be Transatlantic.» Eh oui, Syd inventait un certain rock anglais. Pour Pete Brown, Syd était un génie : «Lyrically, he was a genius. The rhymes are clever and the technique really fucking good.» La succès arriva et Syd s’installa au fameux 101 Cromwell Road, où l’acide, nous dit Needs, coulait à flots. La première à remarquer un changement chez Syd, ce fut Jenny Spires, une ancienne copine. Mais la machine se mettait en route, rien ne pouvait plus l’arrêter, le Floyd grossissait trop vite et Peter Jenner forçait Syd à entrer en studio, mais Syd résistait et se plaignait : «I don’t want to be a pop star !». Hélas, une tournée américaine s’ensuivit, avec Jimi Hendrix, les Move, Nice et Outer Limits, mais comme certains soirs Syd ne voulait pas ou ne pouvait pas jouer, Davy O’List le remplaçait sur scène. Jenny raconte que cette tournée a complètement ratatiné Syd, physiquement et mentalement. En 68, David Gilmour fut embauché comme roue de secours. C’est en janvier 68 que le Floyd partit jouer en concert en oubliant d’aller prendre Syd chez lui - Floyd elected not to pick Syd up for a gig and embarked on their rise to world domination with a different guitarist - Après on s’étonne qu’on n’aime pas le Floyd post-Syd. En matière de rock, la mentalité est plus importante que la musique. Et Needs ajoute en guise d’épitaphe de fayotage qu’à la différence de Brian Jones qui avait été purement et simplement éradiqué, Syd est toujours resté une sorte de cinquième Floyd. Tu parles Charles.

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    Needs profite d’un coup de projecteur sur la tournée Ya-Ya’s Out des Stones pour rebalancer un sacré portrait de Keef : «C’est là que démarre le culte de Keith. Il semble avoir vieilli de dix ans depuis 67, in a good way. Coiffure en épis, penditif à l’oreille, dents pourries, le regard soit brillant soit éteint d’un mec qui sort du lit pour livrer le plus grand match de sa vie. Le magazine Rolling Stone dit qu’il ressemble à une pute du Bronx. Il porte généralement ce haut rouge de Nudie à paillettes et un T-shirt Marylin Monroe, et il joue sous les lignes de blues bien propres de Mick Taylor ses accords en open tuning, as the ultimate rhythm guitarist.» Dans la partie Records de ce volume 2, il salue Let It Bleed de manière spectaculaire : «Le rock n’a jamais sonné aussi décadent, aussi irrespectueux et en même temps aussi révélateur pour les marginaux, les rebuts de la société et les aspirants freaks en quête de lien spirituel.» Needs dit aussi qu’il a vu les Stones 30 fois en 46 ans et son concert préféré reste celui de Brixton Academy en 1995. Il conclue son hommage aux Stones avec cette belle tirade : «Il existe des modèles bien pires que Keith Richards. En vieillissant, il ne perd rien de sa sagesse, de son humour et de sa passion pour la musique. Il ne perd rien de son côté edgy et de l’impressionnante force de sa personnalité. Les Stones continuent, moi aussi, en dépit de ce que peut nous réserver la vie.»

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    Dans le fourmillement des hommages, voilà qu’apparaît Tom Rapp et ce groupe qui tailla une belle croupière à la postérité, Pearls Before Swine. Needs rappelle qu’il explorait alors les bacs de disques exotiques à Kensington Market. Ces deux albums des Pearls l’intriguèrent car ils sortaient sur le label des Fugs et de Sun Ra. Le seul moyen de savoir comment ils sonnaient était de demander au vendeur une écoute au casque, ce qu’il appelle a headphone blast. «Voilà comment j’ai écouté Pearls Before Swine pour la première fois et ça a bouleversé ma vie. Je n’étais plus le même. C’est là que ce groupe et le label ESP ont occupé une place de choix dans ma cervelle, place qu’ils occupent toujours aujourd’hui, me ramenant chaque fois que nécessaire au temps où je fouinais dans les bacs mystérieux en quête de nouvelle découvertes.» Needs ajoute que les Pearls ont inventé l’acid-folk. Tom Rapp dit qu’à l’époque il venait de lire un article sur les weird groups dans un magazine de cul (dirtier than Playboy) et qu’il avait flashé sur l’histoire des Fugs. Comme les Fugs enregistraient sur ESP-Disk, il pensait qu’il pourrait lui aussi y enregistrer un disque. Ils sont donc montés de Floride à New York, ont dormi chez les parents de Bernard Stollman, dans l’Upper West Side, et ont enregistré leur premier album à Impact Sound avec Richard Alderson en quatre jours. Sans Richard, nous dit Rapp, il n’y aurait jamais eu de Pearls. «Il avait travaillé avec Dylan et avait été son ingé son pour ses tournées anglaises des mid sixties. Quand on est arrivés à New York, il travaillait avec Sun Ra et les Godz, aussi était-ce l’endroit idéal pour faire un album.» Needs ajoute que les albums de Pearls proposaient des balladifs «qui lui tiraient le tapis sous les pieds». Il va même jusqu’à dire que «The Man In The Tree» (sur These Tings Too) lui coupe le souffle, car c’est trop beautiful. Il indique aussi que The Use Of Ashes est l’un des plus beaux albums jamais enregistrés. Needs parle des Pearls comme d’une obsession.

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    Une obsession en engendre toujours une autre, c’est bien connu. Alors il file droit sur Albert Ayler. «Son brûlant silent scream est à mes oreilles aussi vital que les soul-wrenching pyrotechnics de Jimi Henrix, les poignards glaciaux de Miles Davis, les torrents fabuleux de John Fahey ou le puissant grondement de Captain Beefheart.» Pour Needs, le génie d’Albert consiste à injecter dans le même temps la joie et la douleur extrême, selon ce que l’auditeur va entendre. Il fut ajoute-t-il le messager le plus féroce du ghetto et du free, celui qui menait la charge - Et aucun coup de sax n’était aussi puissant que le sien, un honk craqueur de murs qui arrive comme une marée de raw intensity - Needs cite Max Roach : «Politiquement, je vois des gens comme Leroy Jones, on peut qualifier John Coltrane d’esprit révolutionnaire, but Ayler was the man.» Val Wilmer ajoute : «Ayler was the Great Black Music personified.» Needs ose aussi de sacrés parallèles : «En tant que réponse jazz aux Sex Pistols, Ayler a lui aussi subi l’hostilité des critiques qui se plaignaient de son côté agressif et de la violence de sa provocation.» Et là, Needs se fend de l’un ces passages dévastateurs dont il a le secret : «Son jeu n’avait rien perdu de sa force, comme on le voit en janvier 69 lorsqu’il monte sur scène au New York Town Hall avec brother David to unleash fire-storms of rampant cross-currents, swooping around magisterial fanfares like a flock of invading wild birds clutchning the critics’ foreskins in their beaks.» Wow ! Les mots parlent d’eux-mêmes, pas besoin de traduire. Les mots crépitent. Needs crache le feu, au moins autant que son copain Albert.

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    Et hop, il repart de plus belle avec les Groovies, une autre October obsession : le voilà en tournée européenne avec les Groovies et il voit the most excitingly joyous gigs qu’il ait jamais vu, possibly the closest I’ve encoutered to rock’n’roll purest unfettered essence, en gros il dit que les Groovies incarnaient la plus pure des essences du rock’n’roll. Il cite Dickinson s’adressant aux Groovies : «You guys are the real THANG !», au moment bien sûr de l’enregistrement de l’album Teenage Head dont Needs s’éprend à la folie, comme nous tous d’ailleurs, à cette époque. Needs a des bons souvenirs de Cyril : «Quand il me passe un joint qu’il appelle a Thai stick, je tire dessus j’ai aussitôt l’impression de m’écraser dans un cerebral crash barrier, en plein dans l’ovale blanc entouré d’étoiles d’un Dr. Strange comics.» C’est son premier interview, et pendant une demi-heure, il est incapable de sortir un seul mot, tellement il est stoned. Par chance, son ami Peter Frame qui assiste à l’interview vole à son secours et pose les questions. Cyril parle de Shake : «Ce phrasé descendant que je joue dans Shake Some Action est overdubbé six fois. Dave Edmunds aime bien disposer des micros dans le studio, pour étoffer certains passages. Je te le dis mec, le son de cet album knocks me out.» Needs adore voir les Groovies répéter - among the most jaw-dropping musical experiences of my entire life - lorsqu’il entend les guitares monter comme la marée dans «19th Nervous Breakdown» et qu’il voit Cyril conduire l’assaut des Groovies avec un rare plaisir de jouer.

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    Needs flashe aussi sur Moondog, le vieil aveugle coiffé d’un casque viking qu’on voyait chanter à une époque dans les rues de Manhattan. S’il porte un casque viking, c’est surtout pour se protéger le crâne des enseignes métalliques dans lesquelles il se cogne parce qu’il ne les voit pas en marchant. S’il est un personnage légendaire dans l’histoire de la scène new-yorkaise, c’est bien Moondog. Needs ne pouvait pas le rater. D’autant que Moondog est un pote à Charlie Parker qui à une époque s’arrêtait dans la rue pour causer musique avec lui. Moondog a toujours vécu selon ses propres règles, et ce depuis les années 40. Les sixties n’eurent aucune prise sur lui. Il était libre bien avant le free love and drugs and protest qui allait arriver dans les rues avec les sixties. En 69, Needs s’éprend de l’album Epic - Si une chanson me ramène à ma chambrette de 1969 et à mes émotions adolescentes, c’est bien «Symphonique #3 Ode To Venus» - Needs parle d’une vision unique. Alors faut-il se fader l’Epic de Moondog ? Chacun fait ses choix et chacun cherche chon chat.

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    Avec Spirit, Needs entre dans un nouveau monde magique. Spirit, ce n’est pas de la tarte. Comme chez Soft, tout repose sur un jazz genius. Cette fois ce n’est pas Robert, mais Ed Cassidy, un batteur de jazz qui a accompagné Art Pepper, Cannonball Adderley, Zoot Sims, Dexter Gordon, Roland Kirk, Lee Konitz et Gerry Mulligan. Pire encore, il a fait partie des Rising Sons avec Taj Mahal et Ry Cooder, un groupe qui faillit devenir mythique et qu’il dut quitter après s’être cassé le bras. L’autre mamelle de Spirit, c’est bien sûr Randy California. Randy rencontre Jimi Hendrix au Manny’s Music Store, à New York, lors d’un séjour de vacances avec ses parents. C’est la première d’une longue série de connections hendrixiennes dans ce volume 2. En 1966 Randy et Jimi jouent pendant quelques mois ensemble au Café Wha?, jusqu’au mois de septembre, lorsque Chas Chandler embarque Jimi à Londres. C’est Jimi qui baptise Randy Wolfe Randy California. Il veut que Randy vienne avec lui à Londres, mais les parents du petit Randy s’y opposent et Chas Chandler fait la sourde oreille car il a déjà des plans précis concernant Jimi. Quand il rentre chez lui en Californie, Randy monte Spirit avec Ed. Le nom du groupe vient du roman de Khalil Gibran, Spirits Rebellious qu’ils réduisent à Spirit. Le groupe s’installe dans la fameuse Yellow House de Topanga Canyon où vit John Locke. C’est Jan Berry qui les repère et qui met Lou Adler sur le coup. Les voilà signés sur Ode Records, le label d’Adler. Ils enregistrent leur premier album et sont choqués de découvrir qu’Adler a rajouté des violons et des cuivres sans leur demander leur avis. Bientôt Randy commence à se goinfrer de coke et de LSD. Il est assez fragile de constitution mentale, mais ça s’aggrave lorsqu’il tombe un jour de cheval. Pouf sur le crâne. Fracture. Il se réveille à l’hosto et continue de se goinfrer d’acide. Needs nous ressort le fameux épisode de la tournée anglaise, lorsqu’il croise un Randy au regard fou et torse nu dans le hall de Friars. Plus tard dans son Spirit panygeric, Needs salue le fameux double Spirit Of 76, schizophrenic, eccentric and often fried qu’il taxe dans la foulée de one of the great overlooked works of the 70s et il a raison, il parle même d’un epic ‘Like A Rolling Stone’ that shimmers lile a water-rat’s rump romping in the swamp. Randy y rend aussi hommage à son copain Jimi avec «Hey Joe» et à Keef avec «Happy».

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    Nouvel éclat en société avec les Last Poets, formés à Harlem en 68 - Calls for action on bare conga beats - Alan Douglas qui avait entendu parler des Poets les chercha, les trouva et leur proposa d’enregistrer un album, le fameux The Last Poets - Our combined ages were a hundred years so you were listening to a hundred years of oppression, being spat out like a snake spits out venom, Jalal told me - Nouvelle connexion hendrixienne : Jimi vient jouer 13 minutes de liquid funk, ajoute de la basse et Buddy Miles de l’orgue. En fait, Jimi souhaite resserrer ses liens avec la communauté noire de Harlem, mais il n’en aura guère le temps. Jalal Mansur Nurridin of the Last Poets : «Hendrix essayait de renouer avec ses racines. Il devait le faire. Il n’avait plus de contact avec son peuple. Il se l’était aliéné. À cause de sa popularité auprès des blancs. Quand je l’ai rencontré, il m’a dit qu’il appréciait ce que faisaient les Poets, mais il ne voulait pas non plus renoncer à son statut de black rock star. Il se sentait coincé. Son regard criait help. On s’est serré la main comme ça (high five fingers acrobatics), tous les brothers savaient le faire, mais pas lui, alors je lui ai appris à le faire.» Needs entre dans le détail de l’histoire compliquée des Last Poets et jongle avec tous ces noms impossibles à mémoriser. Mais il insiste sur les racines politiques du groupe. C’est un activiste sud-africain nommé Keoraptse Willie Kgositile qui déclara : «Guns and rifles will take the place of poems and essays, therefore we are the last poets of this age.» Le nom du groupe vient de là. Dans une pizzeria, Jalal Mansur Nurridin déclara aussi à Needs que la pizza n’était pas une nourriture pour l’esprit, aussi n’en mangeait-il pas - Ces gens sont dans le show business. Nous ne sommes pas dans le show-business. We show, c’est notre business. Nous éclairons, nous ne divertissons pas (To enlighten, not entertain).

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    Puisqu’on est dans les activistes, restons-y avec Buffy Sainte-Marie et Nina Simone auxquelles Needs rend un fier hommage - En termes d’esprit de 69, personne ne l’a incarné avec autant de férocité que Nina Simone - Il enchaîne directement sur Buffy pour rappeler que son album Illuminations était tellement en avance sur son temps qu’il ne pouvait que flopper. Il rappelle aussi que Buffy était une militante de la cause indienne, ce qu’on a tous tendance à oublier. Au temps du Président Johnson, elle figurait sur la liste noire des gens à éliminer. Mais rassurez-vous, Buffy est toujours là, bien vivante et elle continue de militer et même d’enregistrer. Dommage que Needs ne parle pas de son dernier album Medecine Songs paru en 2017.

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    Et puis on retrouve bien sûr Graham Bond, une autre obsession récurrente. En 68, il est allé enregistrer Love Is The Law aux États-Unis. C’est aussi l’époque où nous dit Needs, «Magick a remplacé le smack en tant qu’obsession de base, mais comme c’est dans sa nature, il pousse son obsession à l’extrême. Il porte des robes et des accessoires cérémoniaux.» Needs cite Peter Brown : «Quand les gens décrochent d’une addiction, ils doivent la remplacer par une autre. Graham était un homme très intelligent, mais sans éducation, et donc il tomba dans certains pièges. Je veux dire qu’en gros, the magic thing ne lui a pas fait de cadeaux.» Needs dit aussi qu’il vit Bond sur scène à Friars lors d’une Christmas Party et que c’est resté l’un de ses meilleurs souvenirs de concerts. Il décrit ensuite le Behemot à l’œuvre, son elemental thunder d’orgue Hammond doublé de brute-force virtuosity, d’alto sax et de powerhouse Ray Charles shout. Pour les ceusses qui ne le connaissent pas, il est vivement conseillé d’écouter le coffret 4 CD intitulé Wade In The Water, paru en 2012. Enormous charisma, authentic R&B, masters’s energy and Hammong onslaughts. Needs a tout dit. Il conclut avec l’épisode de la mort de Bond, sous le métro, à la station Finsbury Park. Suicide ? Pete Brown pense qu’on l’a poussé. Soit des sinister magick acquaintances, soit des drug dealers. Allez savoir.

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    Dans le tourbillon de 69 glougloutent aussi les noms de Van Der Graaf Generator et d’Isaac Hayes, de Can et de Silver Apples. Avec le Graaf, on passe au prog, mais quel prog, baby ! Needs a raison de dire qu’à l’époque ils passaient pour des wild outsider outlaws - One shronk from VdGG could reduce arrogant narcissist Phil Collins to hamster’s genitals dimensions if he wasn’t already - Et pouf, en pleine poire. Needs règle ses comptes. Il entre ensuite dans le vif du sujet avec le songwriting genius of Peter Hammill - le seul homme qui puisse conduire leur thermonuclear assault - Needs parle aussi de rare intensity, de possession, d’un psych-saxist David Jackson qui soufflait dans ses deux sax - alto et tenor - comme son héros Roland Kirk. Alors oui. Needs parle aussi de whirling cataclysm - Certains soirs, Van Der Graaf was heavier than any other group on the planet (et on avait vu the comedy metal of Black Sabbath) - Ainsi commença dit Needs my lifelong love of all things Van Der Graaf, particularly Hammill, qu’il interviewa à plusieurs reprises, au cours de sa carrière solo, alors qu’il enregistrait des albums qu’il qualifie d’emotional diaries or self-exorcising blasts. Là aussi, il y a du boulot, car c’est une discographie tentaculaire. Hammill continue d’enregistrer des albums, année après année, après avoir miraculeusement survécu à un fatal stroke.

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    Pour évoquer le génie d’Isaac, Needs cite les Stones qui transformèrent la black music en white rock et Jimi Hendrix qui emmena ensuite ce white rock à un niveau jamais égalé depuis. Isaac fit exactement la même chose avec la Soul, qu’il retourna upside down avec Hot Buttered Soul. Il créa un truc qui n’existait pas, making the music EPIC, avec son anguished crooning against lush orchestral backdrops. Mais Isaac nous dit Needs fut surtout un loud civil rights figurehead et sut se fabriquer un look de proud macho avec sa superbad image of bald head, shades, hefty gold chains and floor-length furs. Après le succès de son «By The Time I Got To Phoenix», il fit subir au «Walk On By» de Burt le même sort au studio Ardent. Needs ne tarit plus d’éloges sur Isaac : «Along with Roberta Flack, Ike had changed the face of black music et depuis, l’un des mes passe-temps favoris est de m’allonger and let him work his unique brand of magic.»

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    Pour célébrer la grandeur de Can, Needs donne la parole à Irvin Schmidt : «Pour moi, la musique moderne, c’est Stravinsky et Jimi Hendrix. Ils ont créé un nouvel instrument. Pareil avec Can, on a créé un nouvel instrument. Le synthétiseur n’était pas encore un instrument, alors j’ai dû le créer.» Il ajoute que Can était un compositeur fait de quatre ou cinq individus et ils choisirent le nom de Can comme acronyme pour Communism, Anarchism and Nihilism. De Can à Simeon, il n’y a qu’un pas et Needs redit bien haut son admiration pour lui : «Simeon is one of the most important innovators to emerge in the last century.» Et pouf, il annonce qu’il a commencé la rédaction d’une biographie de Simeon Coxe. Donc bientôt des nouvelles des Silver Apples. Chouette !

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    1969 est aussi l’année d’Edgar Broughton Band et du fameux «Out Demons Out» qui a révolutionné plus d’une piaule de collégien. Needs eut la chance de le voir sur scène à l’époque et de crier Out Demons Out en chœur avec eux - up to twenty minutes of unadulterated mayhem - Il salue aussi the quiet revolution of Roberta Flack dont l’album First Take ne fit pas grand bruit à l’époque. Côté disques, ça n’en finit plus de grouiller dans tous les coins : Needs ramène à la surface le Steve Miller Band (Brave New World), les Blossom Toes (If Only For A Moment), Fairport Convention, bien sûr (Unhalfbreaking), le jazz-tinged psychedelic boogie d’Al Wilson et de Canned Heat (Hallelujah). Cette volonté d’embrasser l’extraordinaire profusion d’albums parus cette année-là fait de Needs une sorte de Victor Hugo du rock, il y a quelque chose de tutélaire et d’irrépressible en lui, on peut même parler d’un prodigieux état de possession. Il brasse encore d’autres chefs-d’œuvre comme le Blues Obituary des Groundhogs, le New York Tendaberry de Laura Nyro, le Volume Two de Soft Machine, le Caravan de Caravan, le Green River de Creedence. Mais il y aussi This Was de Jethro Tull, Nice et Peter Green, on n’imagine pas cette avalanche d’albums passionnants, tiens comme le premier King Crimson que salue Needs - rampant guitar solos scream all over you - les Charlatans de Mike Wilhelm, le Renaissance de Keith Relf et l’implacable Hot Rats de Frank Zappa où se niche le «Willie The Pimp» du old mucker Beefhart on scabrous vocals. Needs cite aussi Doris Duke, le Paul Butterfied Blues Band et l’excellentissime Monster de Steppenwolf. Arrggh ! N’en jetez plus, mais si, Kevin Ayers (Joy Of A Toy), Manfred Mann Chapter Three (like Dr John hoodoo meets Graham Bond), le Ballad Of Easy Rider des Byrds, le Scott 4 de Scott Walker, Led Zep 2 et le Volunteers de l’Airplane. Rien qu’avec tous ces disques, on a la discothèque idéale de 1969. Le pire, c’est qu’il en cite encore d’autres, alors on fait comme on peut pour suivre.

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    Needs consacre aussi pas mal de place à Tim Buckley. Il parle de lui en termes d’unmatched musical spontaneity, de freedom organically structured from within by creative brillance, de fluid and flexible rhythms, de vivid sonic tapestries, de fierce emotional climates, de rushing river-rage of inspired creative energy. Tout le langage du feeling et de l’élégiaque y passe. Neels met la pression en permanence. Dans le feu de l’action, il cite Bruce Botnick qui dut interrompre son travail avec Love et les Doors pour enregistrer les trois albums Elektra de Tim Buckley : «Le talent de Tim était incontrôlable.» Needs reprend la barre dans la tempête des élégies : «Sur ‘Lorca’, Tim utilise ses cinq octaves pour franchir des limites du freedom catharsis (inspiré par le travail de Luciano Berio et de la cantatrice Cathy Berberian), sur fond du sinistre pianotis à la Herbie Hancock de Ian Underwood et de l’encore plus sinistre pipe organ de Balkin.» Incapable de se calmer, il ajoute que «Cafe» (sur Blue Afeternoon) est certainement le plus beau balladif de tous les temps - Je l’ai écouté des centaines de fois, généralement le matin très tôt et chaque fois je flotte dans la rêverie intemporelle de Tim - Flotte mon gars ! On flotte avec toi. Alors il nous sort la botte de Nervers en nous rappelant - et il a raison de le faire - la connexion Buckley/Rotten : en 1977, Johnny Rotten créa la sensation lorsqu’il fut invité par Tommy Vance sur Capital Radio pour présenter les disques qu’il aimait bien. Il proposa «Sweet Surrender» de Tim Buckey, mais aussi des cuts de Peter Hammill, Can et Captain Beefheart. Ça éclaira pas mal de lanternes à l’époque.

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    Pas de 1969 sans les Stooges, forcément. On s’étonnait de ne pas les voir dans le volume 1. Pas de problème, le gars, les voilà. Les Stooges arrivent en August, c’est-à-dire au chapter eight, it’s 1969 Okay, c’est d’ailleurs le mois où il recommande d’attacher sa ceinture. Il sort son meilleur vocabulaire pour les saluer : basic, bludgeonning and nihilisitic, il parle ensuite d’une obvious influence sur les Sex Pistols, de punk rock prototype, hell yeah - À la différence de leur big brother band le MC5, les Stooges n’avaient pas l’intention de démarrer une révolution sauf peut-être dans leurs futals - Et vroarrrrrr, il fout le turbo : «Les Stooges n’ont fait que ce qui leur venait naturellement, Iggy lâchait le dirty dog sur les inhibitions, Ron Asheton injectait son amour du raw agressive slash des Who dans son merciless behemot churn, la matraquage de son frangin Scott avait remplacé ses tambours du bronx et Dave Alexander complétait le chaos avec son malovelant rumble.» Needs s’encanaille avec les Stooges, il doit se montrer à la hauteur des deux chantres éternels de la stoogerie que sont Yves Adrien et Nick Kent, alors il redouble de violence syntaxique. Mais il en fait peut-être un peu trop lorsqu’il traite les Stooges d’adultes lobotomisés qui auraient enregistré une relique intouchable, a primitive blast from the teenage underbelly. Mais il a raison d’affirmer que ce premier album des Stooges out-rockait tout ce qui était sorti cette année là.

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    Il démarre ce volume 2 en rappelant qu’il fête ses quinze ans le 3 juillet 1969. C’est le jour que choisit Brian Jones pour casser sa pipe en bois. À cet âge, Needs n’a encore aucune idée de ce que signifie la mort, death is a stranger, dit-il. Mais il va vite apprendre : Jimi Hendrix allait casser sa pipe en bois peu de temps après son 16e anniversaire, et corne de bouc, Jim Morrison allait casser la sienne de pipe en bois le jour de son 17e anniversaire. En guise d’épitaphe, Needs déclare : «The death of a Rolling Stone was a tough one to handle.» C’est vrai que pas mal de petits mecs au lycée ont porté le deuil aux trois époques. Un peu plus tard, on est même allés avec le frangin se recueillir au Père Lachaise sur la tombe de Jimbo qu’on vénérait à en perdre haleine. Needs rappelle aussi l’infamie du concert gratuit de Hyde Park, où Jag lut un poème de Shelley en mémoire du pauvre Brian Jones tout juste éradiqué du groupe qu’il avait fondé, et symboliquement, les papillons lâchés à ce moment-là tombèrent comme des mouches dans le public. Needs appuie encore là où ça fait mal en épinglant les percussionnistes africains qui transformèrent «Sympathy For The Devil» en pantomime d’Uncle Tom - There was Marianne, looking like a ghost - Oui, on se souvient que Marianne Faithfull était une proche de Brian Jones et qu’elle n’avait pas une très haute idée de Jag qui fut aussi son fiancé.

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    Alors Jimbo le voici - Qu’est-il donc arrivé aux Doors qui semblaient être le groupe parfait quand ils apparurent, avec ce jazz impulse on acid alors qu’ils emmenaient le rock’n’roll dans des régions imaginaires inexplorées et mystérieuses, guidés par leur beautiful shaman charismatique. Les Doors furent les premiers à incarner les profonds changements de société aux États-Unis et le volatile mood qui régnait dans les rues, tout en se faisant passer pour des cool pop stars - Needs voit le premier album des Doors comme un bond en avant, avec ses paroles évocatrices, les pop songs intelligentes et ce qu’il appelle the studio-combusted sonic expression. Needs donne la parole à Ray Manzarek pour décrire ce phénomène unique que furent les Doors : «Oui, il est possible qu’on soit tombés du ciel. Robby Krieger joue aussi bien le flamenco que le rock’n’roll avec ses doigts. Il peut aussi jouer du bottleneck comme il le fit au temps de son jug-band. Puis tu as ce keyboard player qui vient de Chicago, avec des blues roots mais qui a aussi étudié la musique classique et qui est fan de jazz. Tu mélanges cette sombre âme slave au jeu vipérin de Robby Krieger et tu ajoutes à ça John Densmore, un batteur de jazz. Pour finir, tu injectes un Beat-French symbolist, southern gothic poet capable de chanter des textes très très très intéressants et voilà le travail. Comment a-t-on sorti ce son ? Y’know sometimes magic does happen.» Ray y croit dur comme fer à la magie. Au début, Les Doors n’avaient pour seule ambition que d’entrer en concurrence avec Love qui régnait sur Sunset Strip. Needs rappelle aussi que «The End» a récupéré son monologue œdipien un soir d’août après de Jimbo eut ingéré quarante fois la dose normale d’Owsley acid. Les Doors furent virés du Whisky A Go Go mais signé par Jac Holzman sur Elektra, sous la pression d’Arthur Lee. Le destin des Doors est aussi inséparable de celui de l’ingé-son Bruce Botnick qui avait travaillé avec Jack Nitzsche, mais aussi avec Brian Wilson sur Pet Sounds. Holzman l’engagea pour produire les premiers gros coups d’Elektra : les deux premiers albums de Love, puis le premier Tim Buckey et donc le premier Doors. Quand Krieger compose «Light My Fire», il décide d’y mettre tous les accords qu’il connaît - Let’s do it like Coltrane - De pur classique pop, le cut va évoluer naturellement vers des versions longues et organiques. Jimbo se retrouva bien vite à endosser un rôle qui ne lui plaisait pas, celui d’une icône de la contre-culture doublé d’une teen idol. Plus le groupe grossissait et plus il se réfugiait dans l’alcool. Jim ? Are you here ? lui demandait Ray - Oh my God it’s not Jim at all, it’s Jim-bo, that was weird, man. On était rattrapés par les Strande Days - Et puis c’est la catastrophe avec The Soft Parade qui déçoit les fans. Pire que les amères désillusions de Lucien de Rubempré.

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    Needs se dit encore plus impressionné par le chant hanté d’Arthur Lee. Pour situer l’art musical de Love, il invente des formules du genre ectoplasmic vapour trail et indique que leur musique semble parfois descendre des dieux, notamment the supremely evocative luminescence de «The Castle», sur Da Capo. Il ajoute que le rampant poetic genius d’Arthur Lee atteint son sommet avec Forever Changes. On apprend aussi au passage qu’Arthur Lee travaillait à son autobiographie mais la mort le surprit en 2006, à Memphis, l’empêchant de la mener à son terme. Il faut donc de contenter du big book de John Einarson, qui est basé sur l’autobio inachevée. On y reviendra, pour l’instant c’est pas l’heure. L’artisan de Forever Changes est en fait David Angel, un arrangeur de métier qui s’entendit comme cul et chemise avec Arthur Lee et qui passa trois semaines chez lui à Lookout Mountain, à transposer sur le papier les trucs qu’Arthur lui jouait au piano et les parties de cuivres et de cordes qu’il avait en tête et qu’il chantait - Angel écrivit les arrangements, Arthur le crédita comme arrangeur sur l’album alors qu’il était plutôt orchestrateur - Autre particularité essentielle de Forever Changes : Arthur ne voulait pas d’overdubs, comme en font tous les autres groupes de rock, il voulait une musique organique, avec l’orchestration dans le groove. Et puis il y avait aussi les textes qui fascinaient Angel. Botnick dit aussi que ses deux poètes préférés sont Jim Morrison et Arthur Lee. Mais 69 est surtout l’année de Four Sail qui pour beaucoup est le big album de Love. Needs ne s’y trompe pas, il a repéré le cataclysmic «August», le hoodoo shuffling de «Singing Cowboy», le complex guitar ballad de «Robert Montgomery» et le desperate «Always See Your Face». En fait, ces cuts sont mille fois plus géniaux que ce qu’en dit Needs. Four Sail pourrait bien être l’un des dix meilleurs albums de rock de tous les temps, tous mots bien pesés.

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    Bien sûr, l’autre mamelle du mythe Arthur Lee c’est la connexion hendrixienne. Nous y voilà. Oh ils se connaissaient depuis longtemps, car ils avaient enregistré «My Diary» ensemble au Gold Star Studio de Los Angles, en 1964. Leurs chemins se sont séparés quand Arthur est resté en Californie alors que Jimi partait à New York. Arthur ne savait pas que le petit blackos qu’il avait connu et celui qui cassait la baraque à Londres étaient le même Jimi. C’est Leon, le frère de Jimi, qui lui apprend ça un jour, lui expliquant que Jimi avait emprunté le look black hippie d’Arthur. Quand ils se retrouvent à Londres en 1970, Arthur est horrifié de voir Jimi se faire plumer vivant. Ils vont ensuite enregistrer ensemble «The Everlasting Love» à l’Olympic studio de Barnes, un cut qu’on trouve sur False Start, un autre album exceptionnel. C’est à ce moment-là que Jimi, au cœur du désespoir le plus noir, montre à Arthur sa strato blanche posée sur l’étui à guitare et déclare : «C’est tout ce que je possède.» Allez-y les gars achetez des disques !

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    La connexion hendrixienne semble courir comme un fil rouge sur la peau du book. Elle revient par Juma Sultan : Studio We était le «Communauty Music Project du Lower East Side où traînait Martin Rev et où il joua. Le trompettiste James DuBoise et le percussionniste Juma Sultan avaient ouvert l’endroit en 69. Sultan avait fait partie de Gypsy Sun and Rainbows qu’avait monté Hendrix.» Juma Sultan était donc à Woodstock. Needs en profite pour rappeler qu’avec les poings levés de Tommie Smith et John Carlos aux jeux Olympiques de Mexico en 68, le «Star Sprangled Banner» joué à Woodstock fut la plus belle manifestation du black power as pure physical presence. C’est l’époque où Jimi cherche à renouer ses liens avec la communauté noire de Harlem, comme on l’a vu avec l’épisode Last Poets. Needs dit que si Jimi avait vécu, il aurait travaillé avec Juma et emmené l’electric jazz impulse bien plus loin que n’avait su le faire Miles. Jimi dut monter Gypsy Sun and Rainbow après que Noel Redding ait quitté l’Experience, ce qui fait bien marrer Needs - Ça doit être un effet secondaire de la cocaïne qui a poussé Redding à quitter le meilleur groupe du monde, au lieu de savourer la chance qu’il avait d’accompagner cet extra-terrestrial genius qui jouait de la guitare - Jimi se sentit libre, il voulait échapper à la routine des tournées incessantes et voulait se consacrer à cette «sky church» dont il parlait avec son poto blackos Juma. Jimi voulait tellement secouer ses chaînes qu’il organisa dix jours après Woodstock un concert gratuit à Harlem, sans en informer le manager Jeffery. Et puis bien sûr, il y a le fameux réveillon du jour de l’an 1970 et le concert du Band Of Gypsys avec lequel Needs termine son book. Pour ça, Needs sort le Grand Jeu : «Jimi déploie tout son arsenal de Vox wah wah, Roger Mayer Axis fuzz, Fuzzface, Univibe and Mayer’s Octavia harmoniser, et il ajoute encore d’autres courants et fait monter de sa black strato une énorme marée d’incandescent supernatural power. Après quelques couplets, l’Octavia lâche un grondement océanique qui nous jette dans les killing fields du Vietnam, avec des hélicoptères, des langues de napalm, des rafales de mitrailleuses et des plaintes de mourants. Pendant ces quelques minutes, Hendrix ne joue pas vraiment de guitare, il illustre plutôt musicalement ce que le poète Wendell Berry appelle ‘des millions de petites morts’. Alors Buddy Miles reprend le chant pour ramener le cut sur terre, la guitare de Jimi gémit comme un animal blessé, juste avant la salve fatale.» C’est vrai, s’il est un album qui pousse vraiment au délire verbal, c’est bien celui du Band Of Gypsys. Mais Jeffery ne supporte pas ce projet. Il le voit comme un manque à gagner. Un autre concert du Band of Gypsys fut organisé le 28 janvier au Madison Square Garden. Le groupe ne monta sur scène qu’à 3 h du matin et Jimi était complètement stoned. Jeffery lui avait filé des acides. Jimi réussit néanmoins à jouer deux cuts avant de poser sa guitare et de quitter la scène en déclarant : «That’s what happen when one fucks with space.» Fin du Band of Gypsys. Buddy Miles accusa Jeffery d’avoir filé deux tablettes d’Owsley acid à Jimi et Jeffery le vira sur le champ - This trip is over - Avant de disparaître, Jimi Hendrix aura réussi nous dit Needs à donner une sacrée allure au black power, initiant un fabuleux courant musical : «conscious lyrics, raging guitars powered by big amps, as picked up early by Funkadelic, then Miles Davis, Sly & the Family Stone, Detroit’s Black Merda, the Chambers Brothers and Undisputed Truth.» Bien vu Needsy. On l’adore quand il fait des listes aussi délicieusement somptueuses.

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    Dans la liste, on retrouve Miles Davis, et ça tombe bien, car Needs se fend d’un beau chapitre Betty Davis. Comme tout le monde, il a lu le Harlem 69 de Stuart Cosgrove et vu le fameux docu de Phil Cox consacré à Betty, They Say I’m Different. Le premier à reconnaître l’importance de Betty Davis, c’est Miles - She was really into new, avant-garde pop music - Alors en bon fin limier, Needs repasse au peigne fin le rôle capital que joua Betty Davis au cœur de cette révolution du black Power, en composant «I’m Going Uptown To Harlem» pour les Chambers Brothers puis en connectant son mari Miles avec Sly & the Family Stone, Otis Redding, Cream et bien sûr Jimi Hendrix. C’est Betty qui emmène Miles se saper chez Stella, la femme d’Alan Douglas : vestes à franges et liquettes en satin. C’est un petit cercle d’initiés que Jimi aime bien fréquenter, nous dit Needs, quand il est à New York et principalement Alan Douglas qui vient de monter le fameux label portant son nom. Il sort les albums de The Last Poets, Richie Havens, Etric Dolphy, Lenny Bruce et Malcolm X. Pardonnez du peu. Partout où il met le nez, Needs met la gomme. Il est en quelque sort de roi des listes révélatoires. Son côté Rouletabille fait mouche à tous les coups. Et puis voilà le fameux épisode des sessions Columbia. Miles essaye de lancer la carrière de Betty et rassemble une équipe de surdoués : McLaughin, Wayne Shorter, Herbie Hancock, Mitch Mitchell, Larry Young, Billy Cox et Harvey Brooks. Ils tapent dans des trucs comme le «Politician» de Jack Bruce et «Born On The Bayou» de Creedence. Mais Columbia rejette le projet. Atlantic itou. Il faudra attendre 2016 pour enfin entendre ces sessions mythiques. Dans les notes de pochette, Harvey Brooks dit de Betty qu’elle était the real deal. Après s’être séparée de Miles et de sa jalousie, Betty entama sa carrière solo et tenta sa chance à Londres, aidée par Marc Bolan, avant de retourner aux États-Unis. Mais on a déjà dit en mai 2018 tout le bien qu’on pensait de Betty Davis sur KRTNT.

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    La valse des monstres sacrés se poursuit avec Bowie. July, c’est le décollage de Ziggy Stardust, dont l’impact d’image sur la société est comme celui des Stones, plus profond que celui de la musique. Il a raison de dire ça, le petit Needsy Needsy petit bikiny, d’une part parce que c’est vrai et d’autre part parce qu’il y croit dur comme fer et cette croyance fait la foi du pâté de foie. Ziggy a révolutionné les espaces culturels et les tabous sociaux, rendant les beaufs et les homophobics encore plus enragés qu’ils ne l’étaient. Needsy rappelle aussi que les traditional rock fans ne réagissaient pas très bien face au délire de Ziggy (who I’ve found to be among the most conservative stick-in-the-muds over the decades). Ziggy arrivait en plein âge d’or du denim et préparait l’avènement du punk-rock - Pop music was being invaded by a vision from the future and rock’n’roll was about to changer forever - Alors il y va, Needsy, avec le nuclear reactor brain de Bowie qui lâche sur l’Angleterre un flash flood of brillance, oui, c’est exactement ça, il parle d’un Bowie-phénomène qui a épongé toutes les influences comme a crazed sponge, après que Lindsay Kemp eût ouvert les vannes. Les Spiders deviennent cet extraordinaire edgy proto-metal band qui allait explorer the Nietzschean paranoia, genetic engineering and cataclysmic insanity avec The Man Who Sold The World, l’un des albums les plus délicieusement heavy jamais enregistrées en Angleterre. C’est à Friars que Bowie confie à Needs qu’il va devenir Ziggy Stardust et devenir a huge rock star. Il avait déjà tout en tête à Haddon Hall, il savait qu’il devait mourir pour renaître en Ziggy Stardust, un personnage de son invention, un composite du kamikaze nihilism d’Iggy, du Legendary Stardust Cowboy, de Marc Bolan - Needs précise que Weird and Gilly sort d’un poème que Bolan avait écrit pour Jimi Hendrix, ‘who played it left hand’ - et puis bien sûr Vince Taylor que Bowie rencontra un jour dans la rue et qui lui affirma être un Jesus Christ reincarned from the outer space. Ziggy Stardust est comme Elvis et Vince Taylor : la parfaite synthèse d’un mythe contemporain qu’on appelle le rock’n’roll. Bowie complète le panorama avec des costumes directement inspirés de Clockwork Orange, des wrestling boots de Russell and Bromley et une coupe de cheveux post-Rod Stewart, qui anticipe le punk et qui lance une révolution dans les chambrettes adolescentes. En Angleterre, filles et garçons se coiffaient comme Ziggy. Et boom, glam, punk tout ça va couler de source - Here was the future - Il a raison Needsy, on l’a clairement senti à l’époque. Un futur enraciné dans le showbiz à la Judy Garland, l’underground new-yorkais d’Andy Warhol, Lou Reed et Stanley Kubrick. Le nuclear brain de Bowie surchauffe le temps qu’il faut. Wham bam thank you mam, Ziggy adresse un beau clin d’œil à Little Richard. Needs dit qu’il régnait aux concerts de Ziggy Stardust une ambiance géniale qu’il n’allait revoir qu’avec la vague punk quatre ans plus tard.

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    September démarre en trombe avec Mott et Guy Stevens. Nouveau shoot violent d’overdrive car Mott est avec les Stones le groupe chouchou de notre héros. Dans son regard égaré de fan transi, Mott reste le groupe des high extremes, des loudest amps, longest hair and highest platform boots, tout ça organisé par un mec que Needs considère comme un visionnaire, Guy Stevens, qui déclara un jour : «Il n’y a que deux Phil Spector dans le monde et je suis l’un d’eux.» Big portait du Guy, qui entre dans le biz dès 1963, président du fan club de Chuck Berry, tête de pont Chess en Europe, puis artisan du succès de Sue Records, il lance en Angleterre les premier singles d’Ike & Tina Turner, Rufus Thomas, Elmore James, Lee Dorsey, Bob & Earl et quatre volume de The Sun Story. Puis, il s’acoquine avec Chris Blackwell et commence à produire des gens comme Alex Harvey. Et c’est là que commence l’extraordinaire parcours du découvreur Stevens. Il signe les VIPs sur Island, change leur nom, les baptise Art, puis après leur avoir adjoint l’organiste américain Gary Wright, ils deviennent les Spooky Tooth. Tout va bien jusqu’au jour où Keith Moon file à Guy sa première pill d’amphète et, nous dit Needs, the passionate musical evangelist devint le mad-eyed firecracker of popular legend que l’on sait. Boom ! Il rencontre ensuite Gary Brooker et les Paramounts et les rebaptise Procol Harum, d’après le nom du chat siamois d’un pote à lui, mais le groupe n’intéresse pas Blackwell et s’en va signer chez Decca. Guy continue néanmoins à flairer les talents et finit par faire d’Island le label de pointe des early seventies. Après avoir essayé de ramener Creedence, il ramène Free, Heavy Jelly et Mighty Baby, rien que des gros trucs - Son enthousiasme dévastateur tournait systématiquement en mayhem - Il devait produire Traffic, mais invité à la ferme, il préféra se piquer la ruche en vidant leurs bouteilles. Puis il décide de monter un groupe qui n’existe pas : un mélange de Dylan et de Stones. C’est Mott. Il monte le groupe de toutes pièces, il est le seul à repérer le charisme de Ian Hunter que les autres ne voient pas. Puis il les produit. Hunter lui rend hommage en tant que producteur. Pour évoquer le son de Mott, Needs parle d’infernal alchemy et d’elemental monster. Hagard, il n’a plus de mots pour célébrer la grandeur du early Mott. Il parle d’un Guy en studio complètement incontrôlable qui hurle, qui jette des chaises dans le mur et qui pousse les Mott à se surpasser - You are the Rolling Stones ! You are Bob Dylan ! You’re better than them ! - Mais oui, c’est ça, t’as raison, mon gars. Les Mott font ce qu’ils peuvent. Alors Guy les force à picoler, et ils se mettent à mal jouer, mais Guy trouve ça génial, il crée du chaos, il les pousse en permanence dans leurs retranchements, ils testent leur résistance, du chaos naît la vie, c’est bien connu. Il agit en mad-ass rock’n’roll maniac. Pendant l’enregistrement de Brain Capers, Guy se fout en pétard, fracasse des chaises dans le mur, puis il réduit l’horloge du studio en miettes, arrose tout ça de ketchup et finit par y mettre le feu. Tous les fans de Mott savent que Brian Capers est L’Album clé du groupe. On a passé à l’époque un an à fantasmer sur cet album, avec Jean-Yves. Ian Hunter dit qu’avec Brian Capers, ils étaient le premier groupe punk anglais. Merci nutcase Guy. Pete Frame raconte que lors des réunions chez Island, Guy s’amusait à balancer les téléphones dans la gueule des gens assis autour de la grande table - Island Records was the coolest label by far at that time - Needs a raison de rappeler que Mott allait devenir en 1970 the UK’s wildest live rock’n’roll act, préparant le terrain for glam & punk.

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    Et puis pour finir en apothéose, voici l’hommage le plus fulgurant d’un book déjà bien secoué du cocotier, celui que ce démon de Needs rend à Sun Ra. Needs parle tout de suite d’apocalyptic Mardi Gras style of the time, ça résume bien la situation. Il dit aussi que le roaring organ de Sun Ra dans l’insane 68 Ra set from New York’s Electric Circus ressemble à celui de John Cale dans «Sister Ray». Needs sait faire bander son lecteur. Il découvre Ra en 1969 avec The Heliocentric Worlds Of Sun Ra Volume Two. Il parle de cet album en termes d’unearthly intergalactic onslaught qui ont transformé sa cervelle adolescente en dancing globules, renvoyant l’«Interstaller Overdrive» du Pink Floyd au vestiaire. Et hop ça continue à coup de space chords blowouts, chamber space jazz & lonely planet serenades. Tout le vocabulaire du rock s’est donné rendez-vous chez Needsy, comme jadis chez Nick Kent. C’est du jour où il découvrit The Heliocentric Worlds Of Sun Ra Volume Two nous dit Needs que date sa passion pour Sun Ra, une passion qui n’a jamais voulu voir se calmer. Il dit aussi avoir passé des décades à traquer les albums de Sun Ra dans les record emporiums du monde entier et dans les rues de New York. Il parle d’impossibly-rare albums achetés 1 dollar sur les trottoirs de New York, de quoi faire baver n’importe quel spécialiste. À ce petit jeu, Needs est très fort. Il dit posséder des centaines de disques de Ra et a même fait sa compile de Ra en 2012, A Space Odissey, From Birmingham To The Big Apple pour le label Fantastic Voyage. Il considère Ra comme l’un des principaux innovateurs du XXe siècle - Sun Ra was the ultimate outsider, poursuivant son propre chemin vers des mondes fantastiques de son invention, le premier musicien à déclarer space is the place et créant une musique pour décrire sa vision. Il fut aussi le premier à promouvoir l’improvisation au sein d’un big band, à utiliser le piano électronique en jazz, et fut à la fois le pionnier de la psychedelia et de l’Afrocentrisme, utilisant des danseurs, des costumes exotiques et des effets multi-média pour illustrer ses concepts - Un spécialiste de Ra nommé D. Anderson prétend qu’il est aussi important qu’Hendrix ou les Beatles. Needs cite bien sûr ses albums de Ra préférés, car c’est une jungle, mais il a des boussoles pour s’y retrouver. L’épisode le plus marquant de cette wild Ra Saga qu’orchestre Needs est celui du concert commun de Ra et du MC5 à Detroit en 1967, suivi deux ans plus tard d’un séjour d’un mois à Detroit. Ra et son Arkestra sont invités par John Sinclair. Wayne Kramer et le MC5 étaient des major fans de Ra, au point d’utiliser son poème ‘There’ pour ce sommet du space-trash rock qu’est «Starship». Needs cite alors Ben Edmunds : «MC5 et Sun Ra étaient des frères d’armes visionnaires, des explorateurs de territoires inconnus.» Ra & the Arkestra se retrouvèrent à l’affiche du grande Ballroom, blowing Led Zeppelin off the stage. Voilà, on sort épuisé et excité à la fois de ce book, avec des tas de choses à écouter ou à réécouter, à la lumière de tous ces feux. Il faut remercier Needs pour cette fantastique virée à travers le monde magique des disques et des légendes. Dommage qu’il ait oublié l’un des symboles les plus importants de cette année-là : «69 Année Érotique».

    Signé : Cazengler, Krise de nerfs

    Kris Needs. Just A Shot Away. 1969 Revisited Part. 2. New Haven Publishing Ltd 2020.

    Betty Davis: voir livraison 373 DU 10 / 05 / 2018

    JARS III

    ( Pogo Records 150 / Décembre 2020 )

     

    Dans les livraisons 486 et 487 je vous entretenais de Jars, notamment de ce chef-d'œuvre ( oreilles sensibles s'abstenir ) qu'est leur premier disque. Or deux semaines plus tard sortait le troisième album du groupe. Du moins le troisième album à couverture noire qui s'en vient compléter la série Jars I et Jars II. La discographie de Jars comporte à l'heure actuelle dix-huit pièces, mais Anton Obrazeena qui est l'épine dorsale du groupe, combien cette expression est bien choisie quand on se souvient que le I et II portent sur leur couve le dessin d'une rose carnivore, pense que ces opus présentent les moments décisifs de l'ensemble des productions de Jars.

    L'Artwork est de Peter Psymuline. L'aigle impérial n'est pas au mieux de sa forme. N'est plus qu'une espèce de double-plumeau squelettique. Est-ce pour signifier comme l'indique une courte notice que Jars se détourne sur cet album de l'épouvantail du politique pour aborder des thématiques davantage intimistes car il faut se battre autant au plus près qu'au plus loin de sa propre implantation dans le monde.

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    Alexander Seleznev et Vladilir Veselik ont aussi participé à la mise en place des titres suivis du signe ° lorsqu'ils faisaient partie de Jars.

    Anton Obrazeena : guitar, vocals / Pavel Orlov : bass / Mickail Rakaev : drums

    Sick : c'est vrai que le mur du son ne vous écrase pas, vous avez une guitare qui klaxonne comme une file de voitures à elle toute seule, pour l'édulcoration politique, nous entrons en relativité restreinte, un constat implacable sur la situation sociale. Tout ce que propose la société capitaliste est une grosse flaque de caca boudin, plus on avance dans le morceau, plus la condamnation est sans équivoque, la basse orlovienne ne vous laisse aucun doute sur la nocivité du système, au volant de son poids-lourd battériel Rakaev ne respecte pas le feu rouge et roule sur les limousines sans regret, comme quoi il y a une solution à tout pour avancer dans la vie. Anton vous le scande, désormais ce sera survivance autonomiale. Mr Visionary° : on devrait avoir le droit de porter plainte pour agression sonore après l'écoute d'une telle diarrhée sonique. Obrazzena vous chie carrément dans les oreilles, ça rentre par l'une et ça ne ressort pas par l'autre, jugez de l'état de vos synapses, et ses deux compères en rajoutent un max, en plus c'est tromperie sur la marchandise, notre visionnaire ne nous parle que de son passé de soumission. A l'énergie qu'ils déploient, si intense que le morceau dépasse à peine la ( dernière ) minute, celle qui vous reste à vivre, l'on espère de tout cœur qu'ils vont trouver une solution, parce que Victor Hugo nous l'a dit à peu près en ces mots dans la préface des Contemplations : ô insensé qui crois qu' Obrazeena ne parle pas de lui. Curse, curse, curse° : la musique tombe sur vous comme une malédiction, grandiloquente et obèse, reflets de guitare, le scalde Obrazeena prononce les mauvaises paroles, la batterie roule avec la volupté d'une division blindée, tout est noir, le passé et l'avenir, mais d'un noir anarchie, étamine noire du désordre qui doit flotter sur le monde, la musique touche à la folie pure, régression vers un ahan de bûcheron abattant tous les arbres des forêts mentales. Quand ça s'arrête vous vous demandez par quelle chance inouïe vous vous en êtes sorti. Wich empire are you : démarrage de la batterie à la manivelle, et lorsque le moteur commence à tourner, c'est si brutal, si violent, si rapide que vous en êtes effrayé, les instruments font la course entre eux, ont un sacré souffle, subito silence cristallisé, tombe un rideau de plomb, une fois, deux fois, trois fois, minuterie en marche, quatre fois, mais ce coup-ci les dégâts sont énormes et les débris roulent de tous les côtés, s'agit de rompre les ponts qui nous relient avec le passé, de les concasser en petites pierres tombales, jetez un regard derrière vous, la sainte Russie est morte, n'existe plus, rire de schizophrène qui vient de couper un des deux bouts de la queue de sa folie qui l'amarrait au vieux monde. Ultramarathon° : courir contre soi-même, au travers des hurlements comprendre sa paranoïa, ce n'est pas que l'on m'en veuille, c'est que le monde entier est dans le même état que moi. Anton récite les mantra de la déculpabilisation individuelle, comment voudriez vous que la musique ne soit pas violente puisque c'est le monde entier qui brûle et se consume, et qu'elle n'est que le reflet d'une terreur libératrice. Mechanism : au sax tromblon Anton Ponomarev, retour sur soi-même identification des coupables, morceau à facture rock davantage prononcée, la batterie d'Orlov montée en mécanisme d'horlogerie du désastre, guitares lyriques, Anton Obrazeena psalmodie, il nomme tous les ustensiles de la modernité un par un, de son portable à sa machine à laver, tous le même rôle, l'aseptiser de lui-même, lui arracher toutes ses particularités, le transformer, d'ailleurs à la fin il crie comme un zombie et plus personne ne contrôle la musique qui s'engloutit en son tourbillon. Cascade de cacophonie extrémiste. I need ennemies° : l'impersonnalisation ne suffit pas, lorsque l'on n'est plus ce que l'on a été, ce n'est pas pour cela que l'on est déjà ce que l'on aurait dû être, voix pratiquement suppliante au début qui s'emplit en un second moment d'une exigence pratiquement auto-mutilatoire, les instruments en rajoutent une couche arasante, a-t-on vraiment besoin du regard de l'autre pour être, ne peut-on se reconnaître que sous la torture. Dramaturgie du désir d'être soi poussé jusqu'à l'expérimentation de son propre non-être. Théâtre de l'auto-cruauté aurait dit Artaud. Grandiloquence paroxistique. Speedcop° : accord funèbre, traversée des miroirs de la folie, ne plus être soi, devenir ce que l'on n'est pas, être l'incarnation du mal qui vous empêche d'être. Morceau court et ultra violent. Tout vole en éclats. Moscow do not believe in tears° : quincaillerie des cymbales, Anton récite un poème d'amour sur un groove très vite remplacé par des clinquances de joints  qui pètent une culasse, ensuite la musique couvre la chanson comme on recouvre un cadavre d'un drap de lit pas très propre, Anton revient en force, on l'entend mal, mais qu'il parle d'une fille ou d'une ville, vous sentez bien que cela finira mal, l'on sabre les guitares comme des bouteilles de champagne pour fêter le prochain suicide programmé. Long passage instrumental, invraisemblable tunnel, la machine halète comme le corps de Gérard de Nerval se balançait dans la rue de la Vieille lanterne. Maintenant Anton s'égosille, il est trop tard, la vieille locomotive ralentit, et finit par s'arrêter, interminables crissements de freins, si j'étais vous je ne descendrais pas, cette gare d'outre-tombe ne me dit rien du tout. Un mort peut en cacher un autre.

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    Certes le son a changé, un peu moins assourdissant, moins franchement noise, mais sans plus, l'on sort de cette écoute un peu tourneboulé, commotionné, griffé d'émotions difficiles à analyser. Tout va trop vite, trop fort. Jars ne vous laisse pas le temps de réfléchir, ni même de sentir, Ce n'est qu'après que vous mesurez la force de l'impact, que le trou s'agrandit en vous.

    Damie Chad.

    MONSTER

    STEPPENWOLF

    ( ABC Dunhill / 1969 )

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    Pochette de Gary Burden, une des dernières qu'il effectuera pour Steppenwolf. Dans la continuité de celle d'At Your Birhday Party, le même principe qui mêle photographie couleur et une masse grise à laquelle l'on serait au premier regard tenté de ne prêter aucune attention, ce surplomb grisâtre de la photo prend l'apparence de la voûte d'une caverne, l'effet est d'autant plus renforcé que nos quatre héros torses nus semblent poser à l'intérieur d'un boyau. Encore faut-il réaliser lorsque l'on a retourné le disque que ces quelques centimètres supérieurs dans lesquels on a fini par discerner des personnages entassés les uns sur les autres ne sont que le bas du dessin qui occupe tout l'espace du dos de la couve dépourvu de toute indication que l'on s'attendrait à trouver quant aux titres des morceaux, noms des compositeurs et des participants à l'enregistrement.

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    L'on comprend facilement pourquoi l'on n'a voulu surcharger le dessin de notes malvenues. Il s'agit d'une œuvre de Rick Griffin. Le nom ne vous dira peut-être rien mais l'artiste est loin d'être un inconnu pour les amateurs de surfin' et de Gratefull Dead. Sans doute avez-vous aussi, sans le savoir, admiré ces affiches pour promouvoir les concerts du Fillmore de San Francisco. Le maître du dessin psychédélique, un coloriste hors-pair, son influence est immense, avec Crumb il renouvela l'art du comix américain. Il suffit de taper son nom sur le net pour en prendre plein les mirettes. Griffin est un visionnaire, imaginez un Edgar Poe hippie, son œuvre oscille entre délire et épouvante, entre les fissures mentales éclaircissantes provoquées par le LSD et la remontée des monstres intérieurs. Pas étonnant qu'elle se soit retrouvée sur la pochette de Monster. Ce dessin se retrouve dans Man From Utopia ( 1972 ) , méfiez-vous, la couverture est digne d'un comix bas de gamme, l'intérieur est une série de planches que l'on pourrait comparer pour l'impact sur vos neurones imaginatives aux célèbres escaliers de Piranèse, Griffin est un des des maîtres de la phantasmatique rock. Une vie californienne à la hauteur de ses exigences. Tout comme Gabriel Mekler producteur des premiers albums de Steppenwolf, il meurt, à l'âge de 47 ans, d'un accident de moto. Son dernier dessin représente un artiste attendant l'ouverture des portes du Paradis. Three steps to heaven, knocking on heaven's door...

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    Pour la pochette elle-même je vous laisse seul juge, vraisemblablement inspirée par l'imagerie Born to be wild – je ne suis pas sans me demander si elle n'a pas influencé quelque peu le Snaggletooth de Motörhead – tapant aussi bien dans l'imaginaire Biker que dans la légende du vaisseau fantôme, totalement en accord avec la thématique politique de l'album.

    John Kay : lead vocal, harmonica, guitar / Larry Byrom : lead guitar / Nick St. Nicholas : bass / Goldy Mc John : Hammond organ, piano / Jerry Edmonton : drums

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    Monster : tout doux presque une introduction de musique classique, des images de menuet dans un beau salon vous passent par la tête, trois coups de boutoir fracassent les murs, la comédie peut commencer, John Kay vous conte une histoire, d'une voix cérémonieuse, derrière la vipère noire du rock'n'roll ondule et ses anneaux virevoltent lourdement, le morceau est construit sur cette ambivalence, tantôt le coup du charme, tantôt les coups de poing sur la gueule, si la musique sourde et violente ne mâche ses notes, Kay ne marmonne pas ses lyrics, droit au but, c'est l'histoire des Etats-Unis qu'il raconte, ces hommes qui fuient l'oppression politique et religieuse, on les comprend, on les soutient, on les porte dans notre cœur, ne sont pas des enfants de chœur, pour gagner de l'argent ce sera l'esclavage, pour s'emparer de terre l'on tuera des indiens, vous avez beau énoncer les choses le plus délicatement possible, les mots percent vos illusions comme des balles, pas bien beau tout cela, l'on comprend que parfois la musique s'aggrave et pèse des tonnes, de regrettables erreurs, de toutes les manières l'on ne peut revenir sur le passé, mais maintenant c'est à un monstre que nous sommes confrontés. Le drame peut commencer. Suicide : tout devient noir, un rythme qui fait écho à Perchman, cette fois Kay dégobille les mots qui font mal, vous comprenez pourquoi par la suite Le Loup n'est pratiquement plus entré dans les charts, ce n'est plus une attaque en règle mais une entreprise de démolition, le genre de lyrics qui poussent les démocrates au suicide, le Loup accuse sans retenue et ne respecte rien, le monstre est aussi le produit de nos veuleries, l'américain moyen gros et gras qui vote tous les quatre ans en prend pour son grade, le gouvernement compte sur la police pour que les gens réagissent comme des moutons, ne lèvent même pas la tête quand on envoie les fils se battre – pas besoin de préciser que c'est au Vietnam - musique de plus en plus violente à la mesure de l'état policier oppresseur. America : pour clôturer l'on revient aux sources du rock'n'roll voici les chœurs du gospel qui en appelle à l'Amérique, pas celle de Dieu, celle des citoyens endormis qui refusent de s'éveiller, là où il y a tyrannie, il y a esclaves disait La Boétie, Kay ne lance pas un appel p aux armes mais la logique de ses paroles y conduit. Ces trois premiers morceaux n'en forment qu'un, une suite, un oratorio ponctué de passage musical de grande expressivité. Un véritable chef d'œuvre de grande violence mais si subtilement déployée qu'elle ne porte en elle aucune brutalité. Draft resister : splendeurs d'orgues, trot de batterie, une charge légère, attention l'ennemi n'est pas des plus faibles ce sont les institutions les plus puissantes que vous puissiez trouver, l'(in)Justice et l'Armée, Kay s'en prend au Pentagone et offre le titre de résistant à ceux qui refusent la conscription. Honneur à ceux qui se battent du fond de leur prison pour notre liberté. Très beau morceau chatoyant et étincelant tel un insaisissable mirage du désert, qui passe et ne vous laisse que des regrets. Power play : un vieux morceau qui date des Sparrow, preuve que la révolte couve depuis longtemps. Un blues de colère dans lequel Kay mord à pleines dents, musique compressée comme le Loup sait si bien le faire, une acerbe réflexion sur les relations de l'individu et de l'état. La guitare de Byrom est terriblement efficace. Bouche les trous de la trame musicale. Titre idéal pour se rendre compte des multiples séquences entrecroisées qui fonde la musique du Loup. L'on entre dans une boucle musicale que pour en sortir. Non pas pour s'en évader mais pour en créer une autre qui elle-même laissera la place à une autre. La couleur des instruments jouent le rôle des leitmotivs wagnériens qui permettent de construire la carcasse des morceaux, c'est pour cela que la voix de Kay n'a pas plus d'importance que le son du clavier, le Loup construit une musique fondamentalement unitaire qui n'appartient qu'à lui.

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    Move over : piano enjoué, finesses de guitares, casse-toi mon vieux, l'a une manière peu diplomatique de traiter du conflit des générations le Loup, faut entendre comment Edmonton vous enfonce les croulants dépassés dans les poubelles des vieilles lunes qui ont fait leur temps à coups renforcés de baguettes sur le crâne, et Kay vous les hache menu par la seule manière dont il cravache les lyrics. Je ne connais pas de sociologues qui se soient penchés sur ce texte. Pourtant dans les universités américaines les étudiants ont dû l'écouter en boucle. Fag : instrumental. Retour au blues. Un des secrets du Loup d'inclure dans ses albums, des morceaux purement musicaux, avec la plupart du temps un goût d'inachevé. Peut-être pour nous signifier qu'il ne faut pas céder aux vertiges de la musique. Qu'il faut garder son esprit critique... What would you do ( if I did that to you ) : un morceau qui sonne plus rhythm and blues que les autres, normal il est composé par Nolan Porter un des rois de la Northern soul, est-ce un hasard si l'on peut facilement discerner dans les premiers couplets une remise en cause de la ségrégation même si la deuxième partie passe à une situation plus classique, le gars qui se fait congédier car un plus riche a pris sa place auprès de sa bébé, le chœur féminin qui accompagne la fin du morceau a l'air de se délecter de la situation. From here to there eventually : c'est Jerry qui gère le vocal, au casse-pipe sociétal une cible avait été épargnée, à peine un peu évoquée par ci par là, alors là le loup y fait sa fête, joyeusement, allègrement, la religion passe un mauvais quart d'heure, orgue + chœurs féminins, l'on se croirait dans une église, rien de mieux pour tuer un ennemi que de le faire avec ses propres armes, que l'on retourne avec délectation contre lui, en plus dans un long intermède musical l'on est plongé dans une séance sado-maso et une voix féminine en pleine crise d'hystérie en appelle à Jésus, l'on se doute qu'il ne s'en tirera pas uniquement avec des paroles apaisantes, l'imposition des mains et plus puisque affinités sur la victime consentante s'impose.

    Avec un tel album le Loup n'a pas dû se faire que des amis. Il est resté très longtemps non-réédité. C'est pourtant un des meilleurs du Loup. Ignoré de nos jours par beaucoup. Le Loup est sur ce disque aux antipodes de bien de groupes de rock qui crient bien fort, retenez-moi, je vais faire un malheur. Et ils vous pondent un bonheur de belle musique brillante à l'excès mais qui très souvent sonne creux. Le Loup ne dit rien mais il commet le sacrilège de s'attaquer aux valeurs morales de la bonne conscience.

    Damie Chad.

    STEPPENWOLF LIVE

    ( ABC / Dunhill Records / 1970 )

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    Changement de style de pochette. Garry Burden laisse place entière à Tom Gundelfinger. Ce n'est pas un inconnu, il a déjà fourni les photos à partir desquelles Gary Burden a effectué son boulot de designer. Souvent l'on peut se demander qui du design ou de la photo tire profit de l'autre... Tous deux sont des connaissances de Mekler qui produit les albums, comme il faut s'y attendre notre photographe a aussi travaillé sur les couves de Nolan Porter. Tom Gundelfinger réalisera une cinquantaine de couvertures de disques. Il s'est fait remarquer par ses portraits backstage des vedettes du Festival de Monterey Pop en 1967. Ses photos d'artistes les plus célèbres sont celles de Joni Mitchell. Il triche un peu, avec une fille si belle il faudrait être un sous-doué congénital pour parvenir à rater un cliché. Il a aussi réalisé la légendaire photographie ( avec le chien, non prévu, du voisin qui s'en est venu prendre la pose de son propre chef ) de Déjà Vu de Crosby, Still, Nash and Young. Si vous faites un tour sur son site n'oubliez pas de zieuter ses paysages, sont magnifiques et d'après ma modeste personne bien supérieures à ses photos rock. Qui ne sont pas de la gazoline éventée.

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    Steppenwolf, Gundelfinger n'a pas cherché à finasser, qui dit loup des steppes, dit loup. Pour la steppe vous repasserez. Les loups sont de charmantes bestioles qui ont l'habitude de mordre leur proie. Inutile de chercher plus loin. Voici un loup gueule ouverte, les crocs bien en vue. Fond bleu-noir, pelage blanc, langue rouge sang ( bien frais ). Pas du tout une représentation hyperréaliste. La réalité suffit. La force de l'image se situe exactement entre l'idée de la réalité et la réalité de l'idée. Simple mais efficace. N'a même pas l'air méchant, presque un gros chien affectueux. Mais l'on ne s'y fie pas. Dangereux. Vous le voyez et illico vous mettez votre finger sur la gâchette de votre gun.

    Il existe une version de ce disque qui ne comporte qu'un seule galette. C'était le projet initial du Loup. La maison de disques ne l'a pas voulu ainsi. L'on gagne davantage lorsque l'on double la mise. Surtout si le groupe a le vent en poupe. Ce sera donc un double-album. Quand on l'écoute avant ou après l'Absolutely Live des Doors sorti la même année vous avez l'impression que gang morrisonien a rajouté une cinquième face tant le timing du Live des Loups est ridiculement court... Et encore, aux dix morceaux enregistrés en public ont été rajoutés trois autres peaufinés en studio... Les cadences imposées au Loup sont trop fortes, deux disques par an, à chaque fois chacun précédé et puis suivi d'une tournée. Le Loup n'a plus le temps de composer et ce Live n'apporte rien de nouveau et même pas d'original.

    John Kay : lead vocal, harmonica, guitar / Larry Byrom : lead guitar / Nick St. Nicholas : bass / Goldy Mc John : Hammond organ, piano / Jerry Edmonton : drums

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    Sookie, Sookie : beaucoup plus sale que la version sur le premier album, beaucoup plus rock, un son et une ambiance, Byrom assure comme une bête à la guitare, l'est partout comme le diable sur la terre promise, ce qui est étrange c'est comment la deuxième partie du morceau se range sans prévenir sous les auspices épicés du rhythmn 'n' blues, alors que le début est très rock'n'roll, avec des éclats traînants de voix de Kay qui semblent de lointaines interventions de Wilson Pickett. Don't step on the grass, Sam : extrait de the Second, une entrée en marchant sur la pointe des pieds puis tout le groupe appuie pour laisser de vastes empreintes sur la terre grasse. Le Loup marche d'un pas lourd. Prend son temps, faudrait pas que tout s'en aille et se perde en fumée, ce qui est primordial, c'est cette force cohésive du groupe, terriblement en place, avec cette guitare qui mange l'orgue et ne se tait que lorsqu'il faut marquer l'articulation du morceau, titre assez long pour que l'on puisse s'apercevoir du travail de Nick à la basse. Public enthousiaste. Tighten up your wig : un vieux morceau qui était déjà au menu des Sparrow, que l'on retrouve sur le Earlier Steppenwolf et sur le Second, le Loup recycle sans désemparer les vieilleries. John Kay vous la descend à toute allure et derrière ça suit sans problème, un petit solo d'harmo niqué pas piqué des hannetons, le combo joue sur du velours. Ceux qui l'entendent pour la première fois doivent trouver le truc au poil. C'est vrai qu'il y a une cohérence harmonique dans le découpage et Byrom et Goldy se payent non pas un solo mais un binôme guitar / organ comme l'on en a rarement entendu. Ce qui est sûr c'est que le groupe est fabuleusement en place et n'a besoin de mise au point de la part de personne. Mais la face 1 est déjà terminée. Monster : trois morceaux issus de Monster pour la face 2. Petit laïus de Kay qui espère que tout le monde sera d'accord avec lui pour assurer que le pays aurait besoin de quelques changements. Met de la hargne sur le vocal qu'il débite plus rapidement que sur l'album éponyme, volonté de persuasion et nécessité de marquer les esprits. Le groupe le suit, plus franc, plus direct, effets de batteries insistantes pour faire monter l'attente, la voix s'enroue comme un python réticulé s'enroule autour de vous pour vous convaincre de sa morsure, Byrom repeint sa guitare en bleu enfoncé, et le Loup remue galamment sa queue comme s'il invitait une demoiselle à entrer dans la danse. Celle des morts. L'orgue vous emporte sur l'hymne d'America que vous ne confondrez pas avec la star spangled banner même si derrière le groupe se permet autant de grabuge ( et même plus vu l'épaisseur du son ) que la version d'Hendrix l'année précédente à Woodstock, mise sous-tension organique, final d'éclaboussance. Draft Resister : le moment d'envoyer un des meilleurs boomerangs de l'album, rien n'arrêtera le Loup, les images défilent, vous galopez au milieu de la horde et vous savez que vous portez le sort du monde au bout de vos pattes comme John Kay sur ses cordes vocales et c'est toute la musique qui hurle avec vous, Jerry galope le rythme et lorsque vous croyez que tout va s'arrêter, vous êtes propulsé dans une accélération prodigieuse, quinze secondes qui vous arrachent de votre raison orbitale. Power play : posent les pieds dans le blues pour reprendre terre, la vieille rythmique bancale que l'homme adopte dès qu'il a un problème à régler avec le monde. Jouent le morceau à l' échauffourée, crocs dehors et le sang qui scintille sur les notes de la guitare qui pointille et vous troue la peau. A mi-morceau ils rajoutent une couche de colère, dramatisation de la haine tisonnée jusqu'à ce qu'elle s'enflamme et vous brûle jusqu'à l'os. Cette deuxième face est enthousiasmante.

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    Corina, Corina : morceau déjà présent sur Early Steppenwolf mais qu'ils ré-enregistrent en studio, z' auraient pu faire un effort, les caves du rock'n'roll sont emplies de trésors oubliés qui ne demandent qu'à être exhumés. C'est le moment de douceur et de mélancolie country qui jure avec tout ce qui précède. L'effet d'un joueur de foot qui marque un but homologué avec la main. Allumez les briquets et faites la vague. Avec un peu de chance elle vous emportera et ne rendra pas votre cadavre bouffé par les crabes. Twisted : deuxième morceaux enregistré en studio, l'ont déniché chez les Sparrow, fait moins tache que le précédent, notamment grâce à ce solo d'harmonica que Kay fulgure au cyanure comme si l'on était en train de l'étrangler, sinon c'est beau, c'est propre, mais il manque la rusticité sauvage d'un chalet de haute montagne construit au bord d'un glacier qui s'apprête à le pousser vers l'abîme. From here to there eventually : après ce double intermède nous informons nos auditeurs que nous reprenons notre programme malencontreusement coupé par un incident indépendant de notre volonté, voici donc le quatrième mouvement de la Symphonie Monstrueuse de l'ensemble à cordes steppenwolfien, et splouf l'on retombe dans la même hargne mais teintée d'une ironie encore plus méchante, un véritable blasphème, le rock'n'roll qui crache sur la sainte vierge du gospel qui l'a engendré, et sur la fin c'est funky sur le kiki. Hennit soit celui qui chevauche. Le Loup ne respecte rien. Hey Lawdy Mama : troisième morceau studio pour ouvrir la face 4, remarquable guitare de Byrom et original clapotement toussoté de Jerry, tous deux se sont gâtés, normal ils ont cosigné le morceau avec Kay, sympathique, mais entre nous j'eusse préféré une version revolverisée de Lawdy miss Clawdy, celle d'Elvis plutôt que celle de Lloyd Price, sans quoi le morceau est un peu passe-partout. Genre d'ouvre-boîte qui ne force jamais le coffre au trésor du capitaine pirate. Magic Carpet Ride : finissent sur les titres qui ont bâti leur renommée. Ce tapis volant m'a toujours fait l'impression de ces filles pas très jolies et pas très intelligentes mais qui vous accrochent, vous ne savez pas pourquoi. Elles ont du chien, elles dégagent et vous aimeriez bien partager leur niche. Un truc un peu insignifiant, mais qui marche encore. Je viens d'en faire l'expérience. The pusher : le combat anti-drogues dures de John Kay, courageux à l'époque, déjà présent avec les Sparrow, vous le servent sur un plateau d'orgue envoûtant, mais sur le Early Steppenwolf le vocal est beaucoup plus rugueux et accrocheur. Si c'était un recueil de poèmes, ce serait La mort viendra et elle aura tes yeux de Pavese. Ici jeté comme un pavé dans la mare. Born to be wild : ne pouvaient pas ne pas terminer sur celui-ci, quoique le titre ne se trouvait pas sur le premier tirage monodisque. Cette version est bien meilleure que l'originale de leur first album. N'empêche qu'il en existe de beaucoup plus violentes que celle produite par le Loup. Ici vous avez cette particularité d'une guitare pointue comme celle d'Al Casey.

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    Quoi qu'il en soit, ce devait être un spectacle envoûtant le Loup, rodé, soudé, puissant.

    Damie Chad.

     

    XVI

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    Voici quelques précisions

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    72

    J'allumai mon Coronado. J'avais besoin de reprendre mes esprits. Quel être humain aurait-il pu supporter la terrible révélation auquel le Chef venait de se livrer. Imaginez-vous à ma place, venant d'apprendre que vous êtes l'homme à deux mains, celui-la même que le Service Secret du Rock'n'roll recherchait depuis le début de cette hallucinante enquête, qu'auriez-vous fait si vous étiez le récipiendaire de cette terrible assertion ? Dix minutes de relaxation ne seraient pas de trop. Pourquoi durant ce moment de répit, alors que la suave fumée du Coronado emplissait ma cage thoracique, ne pas laisser ma vaste intelligence vagabonder en parcourant d'un œil distrait les nouvelles du matin. Pourquoi pas même, me lancer dans un article sérieux, difficile et touffu, Damie me dis-je en piochant dans le tas de brochures que le SSR recevait chaque matin, pourquoi ne pas étudier mon horoscope, que pourrait-il m'arriver de pire que la nouvelle de ce début de journée. D'une main ragaillardie je déchirai la bande d'abonnement du Figaro, et dépliai le journal. Au cri d'horreur que je poussais le Chef en laissa choir de ses lèvres d'acier le Coronado sur le bureau :

      • Diable, agent Chad, y aurait-il une mygale facétieuse qui se serait fourrée entre les pages de ce quotidien !

    J'eusse préféré une myriade d'araignées venimeuses, il était désormais clair que la journée se terminerait mal, jugez-en par vous-mêmes, en première page :

    73

    L E F I G A R O

    Depuis quelques jours de nombreux lecteurs nous ont signalé avoir remarqué dans leur voisinage et jusqu'au sein de leur famille des cas de fièvres aigües, subites et inexplicables... Nous n'y aurions prêté que peu d'attention si hier en fin d'après-midi ne s'étaient produits plusieurs décès dus à des fièvres aigües et inexplicables dans pratiquement tous les hôpitaux parisiens.

    Le gouvernement s'est réuni de toute urgence. Dans la nuit des cas similaires se sont produits en plusieurs pays du monde. Tous les continents sont touchés. Hélas notre pays est au cœur de la tourmente. Toutes les enquêtes menées par les autorités médicales de toutes les nations du monde convergent vers une source unique : toutes les personnes malades ou un de leurs proches ont ces derniers jours visité notre capitale. Il ne fait aucun doute que l'épidémie se soit manifestée pour la première fois à Paris. Sans doute s'agit-il d'un virus encore non identifié mais tous les services de l'Etat travaillent à localiser le lieu précis de l'apparition de ce fléau.

    DERNIERE NOUVELLE

    Nous mettions sous presse lorsqu' une dépêche provenant de l'Elysée, nous est parvenue, la voici telle quelle, nous n'avons pas le temps nécessaire pour l'expliciter ou la commenter :

    '' Nos services de police et de santé sont parvenus à remonter à l'origine du virus qui a déjà causé plusieurs centaines de morts dans la population mondiale. Nous sommes en mesure d'affirmer que celui-ci a été criminellement et gratuitement distribué sous forme de cigares de la marque CORONADO lors d'une manifestation festive organisée sous la Tour Eiffel par une organisation secrète et terroriste surnommée le Service Secret du Rock'n'roll. Les coupables sont identifiés, ils ont été repérés pour la dernière fois roulant à toute allure sur la bande d'arrêt d'urgence de l'autoroute Normandie – Paris. Leur arrestation est une question d'heures.''

    74

    Le Chef alluma un nouveau Coronado :

      • Agent Chad, je crois qu'il est temps de prendre des vacances.

      • Excellente idée Chef, je propose un repli stratégique chez le Cat Zengler, son Bourgogne n'est pas mauvais et il possède une excellente collection de disques de rock'n'roll, nous pourrions attendre tranquillement, le temps que l'évidence de notre innocence éclate au grand jour et que nous réintégrions nos bureaux en grande pompe !

      • Ne rêvez pas Agent Chad, un piège tentaculaire est en passe de se refermer sur nous, nous ne ferions pas long feu en Normandie, non, prenez les chiens et débrouillez-vous pour réquisitionner une 2 CH, si possible avec un aspect un tantinet délabrée, mais un moulin du tonnerre, prenez quelques sandwiches, un filet à papillons, deux cannes à pêche, une épuisette, deux chapeaux de paille, deux chemises bariolées, dans une heure tapante, je vous veux place de la Bastille, stationnée au bas de la colonne.

      • Une heure Chef , c'est un peu juste !

      • Bon alors prenez soixante minutes, mais pas une de plus la survie de rock'n'roll est en jeu !

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    Je n'aime pas me vanter mais j'accomplis ma mission sans encombre. Les chiens m'aidèrent beaucoup. Cavalèrent à toute vitesse le long des trottoirs, lorsque Molossito aboya joyeusement et leva la patte sur la roue avant d'un véhicule stationné à une cinquantaine de mètres je sus qu'il avait trouvé la perle rare. C'est Molossa qui dénicha le fouillada dans lequel par miracle je trouvai les divers effets et ustensiles dictés par le Chef. Le magasin était désert à part les deux caissières qui avaient l'air de s'ennuyer. Molossito sauta sur le tapis roulant de la caisse, ce qui lui valut force caresses, Molossa eut aussi sa part.

      • Comme ils sont beaux !

      • Oui, nous partons en vacances, ils ont besoin de changer d'air.

      • Comme ils ont de la chance ! Et nous pauvres étudiantes obligées de rester à Paris pour travailler à gagner des clopinettes !

    Une intuition géniale traversa mon esprit.

      • Avec mon ami, nous ne possédons qu'une modeste 2 CH, mais si vous voulez profiter de l'occasion, elle est garée devant le magasin !

      • Pourquoi pas ! Super ! Le temps de faucher deux maillots de bains et quelques rechanges, on arrive !

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    Nous étions depuis trente secondes au pied de la Colonne lorsque le Chef surgit une lourde valise à chaque bras. Son sourire s'illumina en apercevant Charline et Charlotte.

      • Agent Chad, félicitations pour votre initiative. Plus on est de fous plus on rit, je vous remercie d'avoir fait un si beau choix.

    Charlotte se précipita – dès les premières secondes il fut clair qu'elle en pinçait pour le Chef - elle voulut l'aider à disposer ses bagages dans la malle, non non celui-ci reste avec moi à mes pieds, celle-là pas de problème elle ne contient que des choses sans importance, tout juste de quoi alimenter la gamelle de nos deux canidés, et pour bien montrer de quoi il s'agissait il souleva le couvercle. Lorsque les filles virent les liasses de billet, elles comprirent qu'elles venaient de rencontrer leurs amoureux de l'été.

    77

    • Où allons-nous ? demanda Charline

    • A Nice répondit le Chef, en passant par les petites routes, l'agent Chad aime beaucoup la Nature.

    • Moi j'aime beaucoup l'argent Chad répondit Charline, et nous éclatâmes de rire tous les quatre.

    ( A suivre... )

  • CHRONIQUES DE POURPRE 492 : KR'TNT ! 492 : WILD BILLY CHILDISH / CHUCK PROPHET / PLANETE METAL / STEPPENWOLF / ROCK STORY / ROCKAMBOLESQUES XV

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 492

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    07 / 01 / 2021

     

    WILD BILLY CHILDISH / CHUCK PROPHET

    PLANETE-METAL / STEPPENWOLF

    ROCK STORY/ ROCKAMBOLESQUES 15

     

    Le rock à Billy - Part One

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    Debout devant la pile des arrivages, il farfouillait attentivement (sur l’air d’Il Patinait Merveilleusement du pauvre Lélian). Brandissant un vinyle, il rompit soudain le silence :

    — Tiens... Jamais vu ce truc-là ! C’est quoi ?

    — The Watts 103rd St Rhythm Band, c’est une grosse équipe de blackos qui font du funk. L’album date de 1967. Y sont californiens. Y zont dû faire cinq ou six albums en tout. Gros son. Tu veux qu’on l’écoute ?

    — Ouais, vas-y, mets-le. Et ça ?

    — Explorers Clubs, des adorateurs de Brian Wilson, mais ça ne va pas te plaire. Trop pop pour tes oreilles de vieux renard du désert. Et ça, tu ne dois pas connaître non plus, c’est japonais.

    Pochette noire frappée de trois grosses lettres argentées : PSF.

    — PSF ça veut dire Psychedelic Speed Freaks. Ils portent bien leur nom. C’est l’un des trucs les plus explosifs que je connaisse. Comme les Schizophonics, ils repartent du MC5 et poussent le bouchon dans les orties, avec ta grand-mère. Comme si c’était possible de pousser le bouchon du MC5, hein ? Quand les Japonais font un truc, ils le font mieux que tous les autres, en voilà encore la preuve ! Tu sais le mec dont je t’ai déjà parlé, le mec de Dig It!, c’est lui qui passait ça dans son radio show. L’a passé ça plusieurs fois. Alors bingo !, j’ai rapatrié l’album.

    À la suite de quoi le farfouilleur éclata de rire :

    — Ha ha ha ! T’as encore récupéré des Billy Childish ?

    — Ben oui...

    — Mais t’as déjà tout. Ça n’a pas de sens !

    — Tu te fourres le doigt dans l’œil jusqu’au coude, camarade. C’est justement parce que tu as tous les albums de Billy Childish que tu continues d’écouter les albums de Billy Childish. Comme Aretha et James Brown, il est parfaitement incapable de faire un mauvais album. Je vais même te dire un truc : ces deux derniers albums que tu vois là sont fan-tas-tiques !

    — Ouais, tu dis ça tout le temps. Si on t’écoutait, on n’en finirait plus.

    La remarque du farfouilleur le piqua au vif et la répartie fut cinglante :

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    — Chacun cherche chon chat, camarade. Chacun fait comme il peut avec ses petits bras et sa petite bite. Mais bon puisque le train de mes enthousiasmes roule sur les rails de tes insuffisances et s’arrête à la gare de ta suspicion, on va stopper le funk pour donner la parole au vieux Billy. Alors je sais ce que tu vas me dire : il n’a pas inventé la poudre. Et là tu vas encore te vautrer ! La poudre, il la réinvente chaque fois qu’il fait un album. Tiens, on va attaquer avec celui-là, Last Punk Standing, tu vas voir, l’album porte bien son nom...

    Il mit l’album en route. Piégé dans cette conversation qu’il n’avait pas souhaitée, le farfouilleur s’efforçait de montrer un minimum d’attention :

    — Mais c’est pas Billy Childish qui chante ?

    — Non, c’est la Juju à son Billy, une nonchalante avec de la prestance à tous les étages. C’est elle que tu vois sur la pochette. Le cut s’appelle «It Hurts Me Still». Ça ne te rappelle rien ?

    — Les Headcoatees ?

    — Bravo ! La Juju joue de la basse et Wolf bat le beurre. Billy reste à la manœuvre. Tu vas voir, il va ressortir son meilleur accent cockney. Tiens, écoute celui-là, il s’appelle «Like An Inexplicable Wheel». Billy ressort ses gros accords psyché. Tu vois, avec sa toque de Davy Crockett, le vieux Billy fait encore de bons albums. Imagine que Jim Morrison ait vécu : il ferait certainement de bons albums. Ces vieux rockers ont ça dans la peau. Il y a d’autres exemples : Bob Mould ou encore Ray Davies. Tiens écoute celui-là, il s’appelle «The Darkness Was On Me»...

    — Ouais, c’est les accords de «You Really Got Me» !

    — Et Billy pousse le même waouuuuhh que Ray Davies, pas mal, non ?

    — C’est vrai que ça sonne bien.

    — ‘Coute ! Il termine l’A avec un bel hommage à Link Wray, mais attends, il y a encore de la viande de l’autre côté, tiens, comme ce truc qui s’appelle «Gary’s Song». La Juju va te rendre gaga, mon gars ! Et c’est encore pire avec celui-là, «The Happy Place». T’as vu l’attaque ? Putain, quelle niaque !

    — Pour du garage anglais, c’est vraiment bien.

    — Attention, voilà le morceau-titre ! Billy rend hommage à la résistance ! Il le fait à l’Anglaise, t’as qu’à voir, là, poto, t’as du mythe à la pelle ! Il sait même faire les Stooges, tiens, ‘coute l’intro de ce truc-là qui s’appelle «Some Unknown Reason», c’est les accords de Wanna Be Your Dog. Et qui c’est qui referme la boutica ? La Juju avec «The Used To Be», ‘coute comme elle est bonne, elle a cette engeance de la prestance qu’avaient les Headcoatees, tu crois pas ?

    — Y vaut cher l’album ?

    — Non, si tu le commandes chez Crypt, ça reste correct, 15 ou 16. Il tient ses prix. Comme au temps du Born Bad de la rue Keller, quand les albums étaient tous à 13.

    Il ne proposa pas au farfouilleur d’écouter l’autre album de Billy. Deux Billy dans la foulée ? No way. Ça fait beaucoup et ça risque de gâcher le plaisir. Bon, on va laisser nos deux amis vaquer à leurs occupations pour entrer dans des considérations plus épistémologiques. On peut en effet se poser la question de savoir à quoi rime d’écouter Wild Billy Childish en 2020. Quel sens ça peut avoir ? Aucun. Le seul sens est celui que donne l’artiste en agissant. Époque révolue ? Non, puisque Billy Childish enregistre encore un album, et pourquoi enregistre-t-il encore un album ? Pour qu’on l’écoute. Même s’il en a déjà fait 100 ? Et alors, ça fait 101 ! Vas-y Billy ! Tant qu’il tiendra debout derrière son micro, on sera là. Il y a plus de sens dans le 101e album du vieux Billy que dans toute ta philosophie, Horatio. Plus de sens que dans tout ce magma médiatique et tout ce décervelage organisé. Last Punk Standing, et comment ! Ce n’est pas un hasard si Billy peint. Il peint comme Gauguin et tous les hommes libres peignaient avant lui. Billy ne passe pas son temps à regarder des conneries à la télé. Il a compris qu’un cerveau ça pouvait servir à peindre et à faire des disques, et tant pis si les gens n’écoutent plus beaucoup les disques, l’essentiel est de continuer à servir ses dieux et ses diables. Billy fait son Last Punk Standing de la même façon que Jerry Lee fit son Last Man Standing. S’il n’en reste qu’un, il vaut mieux que ce soit Billy plutôt que Stong, pas vrai les gars ?

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    Thomas Patterson qui l’interviewait en 2019 le qualifiait de painfully honest, c’est-à-dire de dramatiquement honnête. Billy nous explique Patterson pousse sa logique de singular anti-commercial vision jusqu’au bout, allant jusqu’à continuer de s’illustrer dans un genre tombé en désuétude, commercialement parlant. Mais le paradoxe, c’est que Billy n’a jamais été aussi bon, aussi déterminé à nous sonner les cloches. Il rappelle à Patterson qu’il a tout fait : «We’ve done every single thing. We’ve got spoken word, blues, experimental and nursery rhymes. Everything.» D’une modestie qui pourrait servir de modèle à ceux qui en manquent tragiquement, Billy tient surtout à rappeler qu’il n’est pas musicien. Au Nouveau Casino, c’est Graham Day qui sur scène accordait la belle guitare rouge de Billy. Il s’en explique très bien d’ailleurs : «La grosse difficulté avec la guitare : c’est une chose que d’apprendre à en jouer, mais c’est complètement autre chose que d’en jouer débout derrière un micro.» Billy se fout de savoir si on l’admire et s’il a du succès, il ne s’inquiète que d’une chose : faire très exactement ce qu’il veut faire et la manière dont il veut que ça soit fait. Billy travaille son son comme Gauguin sculptait les bois de la Maison du Jouir, aux Marquises : tout à la main et fuck you. Billy ne doit rien à personne.

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    C’est exactement l’impression qui se dégage de Kings Of The Medway Delta. Rien qu’à voir la pochette, on comprend tout. Billy, Juju et Wolf sont là, ain’t got no friends around, claque Billy dans sa chanson, et il allume son boogie au scream, comme au temps des Sonics. Dans l’interview, Billy rappelle qu’il déteste le garage, son truc c’est l’early rock’n’roll des Beatles à Hambourg et le Bristish Beat, ce qu’illustre parfaitement son «Got Love If You Want It» : il y recrée la magie des vieilles pétaudières. Sortir un tel son relève du prodige. D’ailleurs Billy le dit et le redit : «La seule chance qu’a le rock’n’roll de survivre, c’est de faire ce qu’on fait, le jouer pour personne sous une pierre, à l’abri comme ça il n’est pas détruit par la lumière du jour. Et c’est parce que j’aime la musique qu’on enregistre toujours nos disques comme quand on avait 15 ans et qu’on enregistrait notre premier album. Voilà pourquoi on est cool and better than everyone else. C’est pas compliqué à comprendre, non ? It’s simple maths.» C’est vrai que cet album pourrait être enregistré en 1964. «All My Feelings Denied» est un cut souverainement inspiré. Si on en pince pour le British Beat de l’âge d’or, alors on est gâté avec «Wiley Coyote». Billy fait son Wolf (l’autre, pas le sien) avec une sacrée gouaille, il tranche bien dans le vif du sujet. On l’entend aussi jouer ses notes en apesanteur dans «Why Did I Destroy Our Love», un chef-d’œuvre de musicalité psyché à l’anglaise, avec un Wolf (le sien, pas l’autre) qui fouette les fesses du beat à la perfection. Il termine cette excellente déclaration d’intention en blastant «You Wonder Why I’m Hurting». Il drive son boogie comme il l’a toujours fait, en parfaite connaissance de cause.

    Signé : Cazengler, Billy Chierie

    Wild Billy Childish & CTMF. Last Punk Standing. Damaged Goods 2019

    Wild Billy Childish & The Chatham Singers. Kings Of The Medway Delta. Damaged Goods 2020

    Thomas Patterson : You’ve Got To Do Something. Shindig! # 87 - January 2019

     

    Prophet en son pays - Part Three

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    Fin 2020, année lugubre s’il en fut, Chuck Prophet est revenu dans le rond de l’actu avec les bras chargés : un book, un nouvel album et une interview dans Vive Le Rock. Pour dire haut et fort sa fierté de fonctionner à l’ancienne, Dandy Chuck brandit son vinyle et fait une interview de promo dans un canard de has-beens ! Il avoue même sa hâte de repartir en tournée, comme au temps d’avant - But as soon as we’re able, we’ll get out on the hillbilly highway and bring it to the people. I miss that connection with the crowd in a big way - Ah les dandys, c’est toujours pareil, ils ne peuvent pas s’empêcher de porter leur nostalgie en boutonnière, à l’instar du baron de Charlus arrangeant nous dit Proust une rose mousseuse à sa boutonnière.

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    Ce nouvel album s’appelle The Land That Time Forgot et fait suite à l’abondante discographie sur laquelle on s’est déjà largement répandu dans KR'TNT. Ça devait être en 2017, suite au concert de Dandy Chuck à la Boule Noire. Un Part One passait en revue les faits et gestes de Green On Red et un Part Two ceux du Dandy solo. Nous voilà donc rendus au Part Three avec un album qui peine à convaincre, tout au moins en bal d’A. Dandy Chuck fait toujours sa pop de Dandy et sa voix cristallise son élégance. Disons qu’il est au rock moderne ce que Dylan fut au rock de 65 : l’homme de la diction suprême. Il faut l’entendre dans «High As Johnny Thunders» déclarer : «If heartbreak was virtue/ Man I’d be so virtuous.» Avec sa compagne Stephie, il monte un coup de dynamique à deux voix dans «Marathon» et dans «Willie & Willi», il raconte l’histoire d’un couple qui écoute Metallica real loud, histoire d’emmerder des voisins qui appellent des flics qui ne viennent jamais. Dans la vie, c’est bien connu, il faut des baisés. Les deux chansons politiques qu’on trouve en B sont le seul intérêt de cet album. La première concerne Nixon et Dandy Chuck n’est pas tendre avec ce sale bonhomme. Dans «Nixonland», il raconte qu’il est né in the heart of Nixonland. Il fait parler Nixon s’adressant au fantôme d’Abe, c’est-à-dire Abraham Lincoln - Surely Abe you must understand/ The Jews are out to bring me down (T’as bien compris Abe que les Juifs veulent ma peau) - Personne n’incarne mieux que Nixon le fascisme à l’Américaine. Et dans «Get Off The Stage», Dandy Chuck s’adresse à Trump sans jamais le nommer. Il lui demande de dégager le plancher, sur un ton très dylanesque, dans tout l’éclat de sa hargne - Please get off the stage - C’est suprêmement bien dit - You’re one bad hombre/ So why don’t you just turn around and go home (T’es qu’une sale bonhomme, alors pourquoi ne rentres-tu pas chez toi ?) Tout ce qu’il dit sonne étrangement juste - We’ve heard everything you’ve got to say/ Take a book off the shelf - Rentre chez toi, ferme ta gueule et lis un livre. Apparemment, les dieux ont exaucé les vœux de ce merveilleux héritier de Dylan qu’est Dandy Chuck.

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    Back to the book. Bien évidemment, on attendait monts et merveilles d’un book de Dandy Chuck, au moins autant que du petit essai que consacra jadis Barbey d’Aurevilly à George Brummell, considéré comme l’inventeur du dandysme en Angleterre, Du Dandysme Et De George Brummell. Hélas, il faut vite déchanter, car l’auteur de What Makes The Monkey Dance - The Life & Music Of Chuck Prophet & Green On Red n’est pas Dandy Chuck mais un certain Stevie Simkin qui lui n’est pas dandy pour deux sous. Il passe complètement à côté du sujet qui est le dandysme. Il pourrait objecter - et il aurait raison - que les États-Unis ne sont pas terre de dandysme, à de rares exceptions près (Francis Scott Fitzgerald, Andy Warhol et Christopher Walken). Bref, il fait chou blanc, ce qui explique le fait qu’on ne trouve dans ce book qu’une seule et unique référence à l’élégance qui est tout de même le trait le plus marquant de Dandy Chuck : «D’une certaine façon, la musique et les fringues sont liées. J’aime l’élégance. Je trimballe des grosses valises. Comme dirait l’autre, le style est la réponse à tout. D’une part, le style n’a rien à voir avec la mode. D’autre part, le style est instinctif. Comme le dit Joan Rivers, c’est comme l’herpès, soit vous l’avez, soit vous ne l’avez pas.» En écho à ce trait d’esprit prophetic, on va citer Barbey : «Le luxe de Brummell était plus intelligent qu’éclatant ; il était une preuve de plus de la sûreté de cet esprit qui laissait l’écarlate aux sauvages, et qui inventa plus tard ce grand axiome de la toilette : ‘Pour être bien mis, il ne faut pas être remarqué.’»

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    Style ou grâce ? Dans le cas de Dandy Chuck, on aurait tendance à pencher pour la grâce. Une autre trait de Brummell que souligne Barbey lui sied à merveille : «Les femmes ne lui pardonneront jamais d’avoir eu de la grâce comme elles ; les hommes, de n’en pas avoir comme lui.»

    Le dramatique de la chose est que Simkin brosse un portrait extrêmement édulcoré de Dandy Chuck. Il en fait une sorte de rocker américain tellement soucieux de son indépendance qu’il se condamne à l’underground et cette façon d’aplatir les choses ne fait que normaliser un Dandy Chuck qui de toute évidence cherche depuis toujours à échapper à ses poursuivants, ce qui est comme vous le savez l’apanage des Dandys, ainsi que le scandait Barbey : «On ne se lassera point de le répéter : ce qui fait le Dandy, c’est l’indépendance.» Grâce à Barbey, Simkin retombe donc sur ses pattes. Gros veinard !

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    Ce book propose un panorama chronologique comme on en fait tous. Avec ce pétard mouillé, Simkin nous traîne aux antipodes du book de rêve, celui de P.F. Sloan par exemple, paru chez le même éditeur, un book en forme d’invitation au voyage, sur lequel nous allons bien sûr revenir. Si le Sloan slappe si joliment l’imagination, la raison en est toute simple : Sloan qui est un esprit fantasque s’adresse directement à son lecteur. Pas d’intermédiaire. Oh bien sûr, Dandy Chuck raconte aussi un peu sa vie, mais il n’apparaît que cité entre guillemets. Dommage, car Dandy Chuck est un vieux blogger confirmé qui n’a besoin de personne en Harley Davidson. Mais sur ce coup-là, il n’est pas le boss. Simkin organise les choses à sa manière et injecte ici et là ses petits trucs perso. On s’en passerait bien, car les petits trucs perso qui nous intéressent sont ceux de Dandy Chuck. C’est d’autant plus frustrant que Dandy Chuck crée la sensation chaque fois qu’il ouvre sa boîte à camembert. Ses tournures d’esprit sont extrêmement originales. Comme par exemple lorsqu’il conclut le chapitre consacré à un manager dont il doit se séparer : «Oui, j’éprouvais un profond ressentiment envers Mike Lembo. Mais j’ai fait la paix en moi, au sens où j’ai assumé toute la responsabilité de cette affaire. Je pense qu’il est préférable de choisir ses combats, au sens où on ne peut pas tous les gagner.»

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    Simkin rend un hommage rapide au fameux Paisley Underground, une scène californienne enracinée dans Big Star et qui va engendrer l’apparition de Green On Red, des Long Ryders, de Rain Parade, des Bangles, un mouvement dit Steve Wynn provoqué par le vide des années 80 - a very dead period of music in Los Angeles - Retour des guitares, alors que régnaient partout ailleurs les synthés. Puis voilà Slash, oh non pas le frimeur des Guns, non, Slash c’est d’abord un petit label basé à Los Angeles qui sort Dream Syndicate, les Blasters et X - of the wild and fertile LA punk scene - C’est d’ailleurs Steve Wynn qui suggère aux mecs de Slash d’écouter Green On Red qui sont alors des débutants et qui campent dans un rootsy song-centric approach, camp-meeting cross of Crazy Horse et Creedence et qui avec leurs collègues locaux Lone Justice, Los Lobos et Long Ryders vont participer à l’avènement de l’alternative country. Dan Stuart embauche Dandy Chuck pour muscler le son de Green On Red et les voilà partis pour une sorte de wild ride suicidaire - We were typically pretty out of tune and Dan was like John Candy on Ritalin - Dandy Chuck se plait à reformuler leur absence totale d’ambition quand il compare Green On Red à REM, deux groupes qui ont démarré en même temps - Je respecte totalement ces quatre mecs qui ont bossé pour devenir célèbres. Mais nous n’avions pas du tout ce genre d’objectif. On n’avait tout simplement pas de plan. Just really self-destructive - Voilà ce qui fait la grandeur de Green On Red. Quand le mec de China Records leur demande de faire un disk pour les gens qui ont des lecteurs de CD dans leur bagnole, Dandy Chuck rétorque : «Je n’ai jamais vu un CD. Je ne sais même pas de quoi tu parles !». Jusqu’au bout, ils allaient poursuivre leur petit bonhomme de chemin auto-destructif, tant au plan commercial, artistique que personnel. Dandy Chuck résumera bien la situation à la fin du book en déclarant : «I’ve always felt out of time.»

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    Nick Kent qui voit Green On Red sur scène à Londres trouve la voix de Dan Stuart intrigante sur disk mais décevante sur scène - Avec Gram Parsons à six pieds sous terre aujourd’hui et Neil Young en plein délire réactionnaire, il existe un énorme champ de possibilités qui n’attend qu’une chose : qu’on le laboure. Quelque chose me dit qu’un jour ce groupe va trouver du pétrole, mais pas avec No Free Lunch, qui n’est rien d’autre qu’une vieille faux rouillée - Il a raison, Nick Kent, les albums de Green On Red ne sont pas tous très jojo. À la fin de Green On Red, Dandy Chuck et Stuart ne s’adressent plus la parole. Stuart se coupe du monde et Dandy Chuck part vivre à Berlin avec sa copine de l’époque qui n’est pas encore Stephie Finch. Quand un peu plus tard en 1989 ils redémarrent Green On Red, nos deux amis oublient le prévenir le batteur et l’organiste. Dandy Chuck est assez fataliste sur l’extinction des relations : «That camaraderie was gone.» Et il ajoute : «Comme dans tant de relations, les choses se délitent et ça s’éteint. Sans qu’on ait dit un seul mot.» Il indique aussi que si Green On Red a duré aussi longtemps, c’est grâce aux drogues - Green On Red nous a permis de sortir le plus tard possible de l’adolescence pour entrer dans l’âge adulte. Le groupe nous a aussi épargné les dangers de la rue et pire encore, celui d’un job alimentaire.

    Si vous parvenez à faire abstraction du côté chou-blanc-pétard-mouillé, vous trouverez néanmoins de quoi vous sustenter dans ces 300 pages, car Dandy Chuck jouit du privilège de ne fréquenter que des gens intéressants, à commencer par Jim Dickinson, Alejandro Escovedo et Dan Penn.

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    C’est Dandy Chuck qui insiste à l’époque de Green On Red pour travailler avec Dickinson. Pour ça, il va trouver David Lindley dans un club de Memphis et Lindley lui recommande plutôt de choisir Ry Cooder comme producteur. S’ensuit un échange prophetic :

    — Ry Cooder ? J’aimerais bien, mais nous ne sommes pas ce genre de groupe.

    — Qu’est-ce que tu veux dire ?

    — Well, on ne sait pas très bien jouer.

    — Qu’est-ce que tu veux dire par ‘pas très bien jouer’ ?

    — Well, on sait jouer, mais comme le Velvert Underground ou ce genre de groupe.

    — Qui ça ?

    — Tu vois bien ? C’est pour ça qu’on veut travailler avec Dickinson.

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    Dickinson produit The Killer Inside Me en 1987 et c’est le début d’une relation d’amitié entre Dandy Chuck et lui qui va durer jusqu’à la disparition du vieux Dick en 2009. Une partie de l’album est enregistrée à Los Angeles. Dandy Chuck raconte qu’en arrivant à l’aéroport, Dickinson voulut faire un crochet par Alvarado Street, pour acheter de l’herbe, to get things rolling. Dickinson insistera aussi pour faire une session chez Ardent, à Memphis. Au passage, il commencera à inculquer quelques belles notions de base au jeune Dandy Chuck qui nous confie ceci, tendez bien l’oreille : «L’approche de Dickinson consistait à choper ce qu’il y avait entre les beats ou entre les notes. That ramdom element dont les gens veulent se débarrasser. Je crois qu’il voulait capter l’esprit de ce qu’on jouait.» Mais Dandy Chuck sent qu’une tension monte entre Dickinson et Dan Stuart. L’épisode est assez cocasse : «Peut-être éprouvaient-ils le besoin de sortir leurs bites pour se défier, comme on dit à Hollywood.» Stuart disait de Dickinson : «C’est le genre de mec qui quand ça va mal, ramasse le ballon et l’emmène chez lui. Il nous a planté pas mal de sessions en se barrant du studio.» Mais Dickinson finit toujours par revenir, d’ailleurs il glissera ceci dans l’oreille de Dandy Chuck : «Si quelqu’un doit piquer sa petite crise, je préfère être le premier.» Il avait trouvé le moyen de calmer cet imbécile de Stuart. Autre enseignement de base : Dickinson voit les deux Green perdre confiance en studio et pour les requinquer, il leur dit : «Never let anybody make you feel bad about what you’re doing.» Gardez confiance en vous, les gars, ce qui va sacrément toucher Dandy Chuck : «What a gift he gave us.» Il conservera toujours ce respect mêlé d’admiration pour Dickinson.

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    Green On Red ne sont plus que deux quand ils enregistrent Here Come The Snakes à Memphis avec Dickinson. Ils traînent un peu avec Tav Falco and the Burns guys, just having a good time. Ils passent une journée au Sam Phillips Recording Services (le neuf, celui de Madison Avenue), avec Roland Janes. L’idée de Dickinson est de jammer et d’enregistrer, Dandy Chuck on Tele, Stuart on acoustic, Dickinson on drums, no bass. Dandy Chuck se retrouve tout simplement au paradis : «Roland est le genre de mec qui te donne confiance en toi. Aujourd’hui, c’est difficile de trouver des gens aussi purs. La plupart ne sont là que pour pointer tes fausses notes. Ils n’ont rien compris. D’ailleurs pourquoi comprendraient-ils ? Ils n’ont jamais été faire une balade en Flying Saucer Of Rock And Roll et ils n’iront probablement jamais.» Ils ont ensuite ramené une cassette chez Ardent et ont bossé dessus avec Dickinson - Que penses-tu de ce passage de guitare ? Ça ressemble à quelque chose ? Alors on rajoutait de la batterie ici et une guitare là. Et j’overdubais un solo et Dickinson overdubait une ligne de basse et on a monté les cuts comme ça - Pour les autres sessions, Dickinson gère tout en interne. L’ingé-son adjoint Paul Eberslod joue un peu de batterie et René Coman qui accompagnait Alex Chilton vient jouer un peu de basse. Dickinson joue un peu de piano. D’ailleurs, Alex Chilton fait un saut chez Ardent au moment des sessions et bien sûr Dandy Chuck se pâme d’admiration pour lui. Ils passent aussi pas mal de temps avec Bill Eggleston - Il a mis un certain temps à nous donner l’image. On est allés chez lui plusieurs fois, tôt le matin. Et puis un jour, il l’a sortie d’une boîte : ‘C’est l’image. C’est votre pochette.’ On n’allait pas lui dire le contraire - Pour Simkin, Here Come The Snakes est le grand album de Green On Red, an outstanding collection of songs that captures the essence of the band’s reputation of genius teetering on the edge of substance-fuelled breakdown - Bien vu Simkin. Par contre, l’album suivant, This Time Around enregistré avec Glyn Johns est selon Stuart a disaster. C’est vrai qu’on passe à travers toute l’A et même à travers toute la B. Dommage, car Dandy Chuck fait des merveilles dans son coin, il joue des solos étincelants, mais il est à l’arrière du mix, ce qui constitue une très grave erreur. On note aussi sur cet album la présence de Spooner Oldham. Mais globalement, This Time Around ne vaut pas tripette. Ils enregistrent le suivant qui s’appelle Scapegoats à Nashville avec Al Kooper et pas mal de session-men réputés comme Spooner Oldham et Tony Joe White - We had more fun in Nashville in ten minutes than we did in two weeks in LA with Glyn - Tout l’album baigne dans une ambiance d’Americana exceptionnelle. Dandy Chuck gratte tout en picking des Appalaches et Dan Stuart promène son cul sur les remparts de Varsovie. C’est d’ailleurs à cette occasion qu’ils enregistrent quelques démos avec Dan Penn.

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    Avec Alejandro Escovedo, c’est une autre paire de manches. En 2007, dans un studio du Kentucky et sous la houlette de Tony Visconti, Dandy Chuck enregistre avec Alejandro l’album Real Animal - Alejandro avec ses pompes à 800 $ et sa connaissance encyclopédique des Stooges réalisait le mariage idéal entre le luxe et la rue. Visconti mit de l’ordre dans le désordre - Alejandro et Dandy Chuck composent les cuts ensemble. Si on a autant de son sur cet album, on le doit de toute évidence à la présence de Dandy Chuck. «Smoke» sonne un comme un hit, avec son côté dylanesque et ses descentes spectaculaires. Le cut se tortille dans des breaks - We’re still going bop bop baby/ All night long - Alejandro Escovedo détient la puissance d’un Soul scorcher. Il rappelle par certains côtés l’early Graham Parker. Encore une vraie dégelée avec «Real As An Animal». Quelle puissance ! Ils filent au vent mauvais, sur un superbe pounding chicano et ça part en solo de non-retour. Avec cet album, ce démon d’Escovedo sort le grand jeu, the heavy American pop-rock chanté aux guts de good rider. Chuck Prophet gratte derrière. On croit rêver tellement c’est bien foutu.

    Mais comme le rappelle Dandy Chuck, la santé d’Alejandro bat de l’aile à cette époque, à cause d’une hépatite C et ils décident de composer sur le thème «a life in music through life, death, loss and the promise of Rock and Roll deliverance». Mais hélas Simkin ne rentre pas davantage dans cet épisode capital. Quand Sloan évoque sa rencontre avec Dylan dans un hôtel de Los Angeles, il nous fait entrer avec lui dans la chambre et on assiste à la scène. Là, on assiste à que dalle.

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    Un jour à Nashville, Dandy Chuck voit arriver un mec en salopette. C’est Dan Penn qui veut absolument composer avec lui - The time I spent with Dan in his basement in his studio were some of the greatest musical moments of my life - Ils composent ensemble «I Gotta Feeling For Ya», qu’allait enregistrer Kelly Willis sur l’album What I Deserve. Ils composent aussi «I Need A Holiday» qu’allait enregistrer Solomon Burke sur l’un de ses derniers albums, l’excellentissime Don’t Give Up On Me paru en 2002 sur Fat Possum. Mais pour le reste, tintin. Rien sur Dan qui soit d’ordre humain, alors que ce sont précisément ces rencontres qui font la sel de la terre.

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    Côté influences, Dandy Chuck avoue quelques trucs ici et là, mais avec parcimonie : le Desire et les Basement Tapes de Bob Dylan, I Want To See The Bright Light Tonight de Richard & Linda Thompson, Sister Lovers de Big Star ou encore l’Oar de Skip Spence. Il n’écoute pas Nirvana ni Pearl Jam. Il préfère Fairport Convention, Neil Young, Gram Parsons & Emmylou Harris. Il dit aussi que Joe Ely est l’un de ses all-times heroes. Il déterre aussi le Vintage Violence de John Cale de ses souvenirs de jeunesse. Et les Stones, bien sûr, en particulier Beggars Banquet - It’s pretty acoustic but it rocks - Dans l’interview (mais pas dans le book), il salue la mémoire de Johnny Thunders - He’s one of our greatest lost heroes of self-destruction. But you know, he’s really my idea of the singer-songwriter. Like Chuck Berry or Jimmy Rogers. He was the whole package (Il est l’un de nos grands apôtres de l’auto-destruction. Pour moi, il est le singer-songwriter par excellence, comme Chuck Berry ou Jimmy Rogers. Il était vraiment complet) - Bel hommage, non ? - I love his guitar playing. His songs. He was a stylist. Totally fearless. Always mischievous. Instantly recognizable (J’aime la façon dont il gratte sa gratte, ses chansons, c’est un styliste, il n’a peur de rien, toujours malicieux, immédiatement reconnaissable) - Et là, il tape en plein dans le mille - He was a dandy and he had the sartorial instinct of a jungle cat. A very inventive guy (C’était un dandy, un mec de la rue tiré à 4 épingles, un mec très inventif) - Dandy Chuck dit aussi pour rigoler qu’il attend un coup de fil de Dylan. Et quand Whyte lui demande qui sont ses musiciens préférés, Dandy Chuck lui répond : «Are you kiding ?». C’est une plaisanterie ? En réalité, il a peur d’en oublier. Il commence par les Rubinoos qu’il voyait sur scène quand il était encore au collège à San Francisco. Et avec lesquels il va enregistrer 40 ans plus tard quelques cuts sur l’album From Home. Il admire aussi Jonathan Richman qui était sur Beserkley Records, comme les Rubinoos - Everything cool really. Je pense qu’on peut appeler ça du pub rock. Je ne savais ce que c’était, en réalité, mais j’aimais ce son qui avait le charme de l’imprévisible - Et il conclut le chapter Beserkley en déclarant : «That was massive stuff for me.» Il revient ensuite sur ses collaborations avec Alejandro Escovedo, Kelly Willis, Kim Richey et évoque quelques souvenirs de Warren Zevon et de Kelley Stoltz.

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    Il adore aussi les Groovies auxquels il rend hommage sur le morceau-titre de l’album Temple Beautiful. Cet endroit que les punks ont fini par appeler Temple Beautiful était une ancienne synagogue qui se trouvait sur Geary Boulevard et qui fut un haut lieu de la scène de San Francisco. Le Grateful Dead y répétait, Hot Tuna y jouait, puis les Clash lors de leur deuxième tournée américaine, et tous ces groupes des années 80, Wall of Voodoo, les Go-Go’s et les Mentors. Dandy Chuck indique que Temple Beautiful est un album hommage à San Francisco : «It can suck you under. That first hit. It really does a whammy on you. And if you’re like me, you can find yourself chasing the San Francisco dragon for the rest of your life. That’s what this record is about.» Et il ajoute que les groupes qu’il a vus au Temple Beautiful ont changé le cours de sa vie. «Tout le monde a joué là.» Même les Groovies. D’ailleurs Dandy Chuck parvient à localiser Roy Loney : il bosse chez Jack Records Cellar, un disquaire installé dans le voisinage. Dandy Chuck lui envoie «une note» lui demandant s’il accepterait de venir chanter sur un cut et Roy répond qu’il sera là dans 20 minutes. C’est donc lui qu’on entend sur le morceau titre de Temple Beautiful.

    Simkin rappelle dans son introduction que Dandy Chuck n’est pas a rock superstar, mais plutôt un artiste culte suivi par une petite fan base très dévouée. La première règle du dandysme est le désintéressement, comme le dit si bien Barbey à propos de Brummell - Ses triomphes eurent l’insolence du désintéressement. Il n’avait jamais le vertige des têtes qu’il tournait - Dandy Chuck s’applique à lui-même cette règle fondamentale : «Une fois Bob Neuwirth m’a dit : ‘faisons les choses pour de l’argent.’ Mais si tu ne fais pas les choses en accord avec ta conscience, ça ne marche pas. Les gens cherchent toujours à brûler les étapes pour avoir du succès. En ce qui me concerne, ça produit l’effet inverse, comme la kryptonite : ça m’abat et ça m’affaiblit. Alors j’évite ça. Expliquer pourquoi je fais ci ou ça, pourquoi ça me fait vibrer ? Laisse tomber, c’est comme de vouloir expliquer le sexe à quelqu’un. Même pas la peine d’essayer. Il faut que ça groove, le groupe, les chansons, même un seul couplet. Si ça groove, c’est bon. C’est tout ce qui compte. Fais-le une seule fois et tu passeras tout le restant de ta vie à ça, à chevaucher le dragon.»

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    Ce qui caractérise peut-être le mieux Dandy Chuck, c’est sa passion des tournées. Et il répète à longueur de temps que la vie en tournée quand on n’a pas de moyens n’est pas de tout repos : «Je ne pourrais pas dire que la vie en tournée, c’est une partie de plaisir. Après avoir respiré le même air dans un van et y avoir vécu comme dans un sous-marin, les relations peuvent se détériorer.» Dans son cas, on peut même parler de ténacité. «Partir en tournée, rentrer fauché, secouer la poussière du voyage, trouver un moyen de payer le loyer. Il n’y avait pas de plan. Puis trouver un moyen de faire un nouvel album. Composer quelques chansons, se retrouver en studio, puis repartir en tournée. Chaque fois, on repart de rien.» Il évoque brièvement l’aspect financier des tournées : «C’est très compliqué de tourner aux États-Unis en partant de San Francisco. Tu as 15 heures de route pour aller à Portland, où est prévu ton premier concert. Et quand on retourne jouer en Angleterre, on y va pour presque rien. On a commencé à perdre de l’argent. Quand Lembo nous manageait, ça a créé une dette que j’ai dû rembourser après. J’essayais juste de maintenir le groupe en vie. Au plan financier, ça n’avait plus aucun sens.» À tel point qu’il finit par devoir prendre un job dans un parking. «Ça a duré deux mois, mec, le job le plus débile qui soit. Assis dans une cabine 8 heures pas jour. Mais ça me permettait de réfléchir. Un vrai luxe. J’avais un ordi portable et j’ai écrit pas mal de chansons. J’aimais bien être isolé.»

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    Quand en 2004, il est viré par East West Records après la parution d’Age Of Miracles, Dandy Chuck craque un peu : «J’étais dans la cuisine quand il m’a appelé. J’ai chialé. C’était la fin du groupe (the end of the road). On avait fait un bon bout de chemin, quelques album, yeah for sure. Alors je suis sorti et j’ai marché jusqu’à North Beach et à un moment je me suis demandé quelle heure il pouvait être et où j’étais. Just uttlerly lost.» Ce n’était pas la première fois que ça clashait avec un label. Après Brother Aldo, son premier album solo, Dandy Chuck flashe sur un album de Zachary Richard, Women In The Room et plus précisément sur Jim Scott, un producteur qui par la suite va travailler avec Lucinda Williams. Dandy Chuck aime bien le son - Just guitar, bass, drum, a lot of accordion. Sonically just a little bright. Hole in the middle, fat on the bottom. Kind of a roomy sound and clean guitar - Donc il enregistre des trucs avec Jim Scott. Mais les enregistrements ne plaisent pas au label China qui veut un album de rock. Fin de l’épisode. On retrouve néanmoins quelques cuts produit par Jim Scott sur Balinese Dancer.

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    Dandy Chuck revient aussi longuement sur Homemade Blood, enregistré entièrement live - I like the sound of all the music getting squished together so it’s ready to explode. Like Howlin’ Wolf records. Some Girls des Rolling Stones a un gros son but it doesn’t sound open - Donc pas d’overdubs là-dessus. Max Butler indique qu’ils écoutaient lui et Dandy Chuck pas mal les Stones à cette époque et qu’ils s’intéressaient au push-pull des guitares de Keef & Woody.

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    Dandy Chuck finit par comprendre qu’il en a marre de dépendre des autres. Alors il crée son label, Belle Sound - We fund our own records and license them to other labels, and so we still consider them to be a Belle Sound copyright. Somewhere down the road the copyrights will revert to us - Et le premier album à paraître sur Belle Sound sera Soap And Water.

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    Dandy Chuck ne s’étend pas trop sur ses années de braise - Shooting cocaine made me feel like I was thirty thousand feet above Fullerton - et dans la foulée il avoue avoir adoré conduire bourré - Driving dunk. I was abusive. I was contentious. I was a brat - L’histoire de Green On Red reste associée à la dope. Dandy Chuck n’y allait pas de main morte : «L’abus d’alcool et de dope étaient simplement dus à l’ennui.» Et il ajoute : «It was later that Danny and I sort of bonded on the fact that we started to really get into black tar heroin. That was a little bit later, a couple of years later at least.»

    Au hasard des pages, quelques personnes saluent le style de Dandy Chuck, comme par exemple Roly Sally : «Chuck has a fat touch on his Telecaster. La première fois que je l’ai entendu jouer, il me rappelait Ike Turner. Ses compos sont fraîches, profondes, drôles, musicales et solides. C’est le seul mec avec qui j’ai eu plaisir à composer.» Simkin salue lui aussi le style de Dandy Chuck - bluesy, folky, funky, a little bit country in all the right ways and places - Dandy Chuck avouait aussi dans un interview qu’il ne vivait que pour le process : «Bosser avec des amis chez eux, enregistrer, voilà pourquoi je vis. Ce n’est pas le produit fini qui m’intéresse, c’est le process.» Et comme tous les gens qu’il admire, Dandy Chuck cherche son Graal : «Mon but a toujours été de faire un grand album. Ça me suffirait. Ça donnerait enfin un sens à mes tares, mes erreurs et les mauvais choix que j’ai pu faire. Je ne cherche pas à écrire le grand roman américain, je ne parle pas d’argent, c’est plutôt la façon dont on peut définir le succès qui m’intéresse. Si tu laisses quelqu’un d’autre définir le succès pour toi, tu es un sucker. Je ne suis pas un sucker.» Merveilleux esprit.

    Signé : Cazengler, Chuck Profiterole

    Chuck Prophet. The Land That Time Forgot. Yep Roc 2020

    Steve Simkin. What Makes The Monkey Dance - The Life & Music Of Chuck Prophet & Green On Red. Jawbone Books 2020

    Joe Whyte : The Hurting Business. Vive Le Rock # 76 - 2020

    KR'TNT ! 360 du O8 / 02 / 2018 : Chuck Prophet en son pays ( Part I )

    KR'TNT ! 363 du O1 / 03 / 2018 : Chuck Prophet en son pays ( Part II )

     

    PLANETE-METAL

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    Qui refuserait un CD d'AC / DC pour moins de trois euros ! Pas moi, avec en plus un livret explicatif ! Je me méfie des explications, mais je reconnais que l'opuscule est relativement épais et comporte un dos carré. Pas le truc rafistolé avec deux agrafes baladeuses. Faudrait tout de même savoir quel album du groupe ils ont choisi, ce n'est pas indiqué sur la couve, je ne cherche pas sur le moment à approfondir le problème, d'abord parce que j'ai beau fouiller dans mes poches je n'ai pas un flèche sur moi. Ni une flèche que j'enfoncerais avec une délectation cruelle dans le cou du buraliste, le sang qui éclabousserait le comptoir affolerait la clientèle, je profiterais de l'affolement général pour sortir tranquillement ma prise de guerre sous le bras. Hélas, les guerres indiennes sont terminées depuis longtemps, je suis revenu le lendemain et ai fièrement aligné mes trois euros sous les yeux subjugués de la jeune vendeuse, non je ne mythifie pas, la preuve elle m'a rendu un centime, sans doute considérait-elle cela comme un échange symbolique de sang qui devait sceller notre indéfectible alliance jusqu'au jour de notre mort. Les filles ont toujours des idées bizarres, comment s'intéresser à l'une d'elles alors que l'on a un CD d'AC / DC ( un AC / CD ) à écouter !

    Bref j'arrive chez moi et fébrilement je déchiquette l'emballage pour extraire de la couve du livre, le fameux CD ! C'est-là que je me rends compte de mon erreur, ce n'est qu'un livre, je vérifie, pas une seule fois il n'est question d'un CD d'accompagnement. Je ne pleure pas parce qu'avec les larmes plein les yeux je ne pourrais pas lire. Soixante quatre pages, papier glacé – attention s'il vous plaît, recyclable – photos couleurs, d'autres en noir et blanc, une maquette aérée, avec des encadrés, deux encres la noire et la rouge, fonds blancs, noirs, gris... texte honnête, les débuts du groupe sont mieux décrits que la suite de l'aventure, discographie attendue, plus quelques pages sur les groupes de hard-rock australiens. Les rockers patentés n'apprennent pas grand-chose, mais l'ensemble est honnête. Parmi les contributeurs l'on retrouve Philippe Margotin ( marrant, je feuilletais ce matin son opus sur les Who ), Géant Vert ( désopilant, j'en ai mangé à midi ), Christian Eudeline ( hilarant, j'aurais pu en lire plus de deux lignes en soirée, mais je n'y ai pas pensé ).

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    C'est une collection, à trois euros le numéro vous me direz que ça vaut le coup, mais je me méfie, je suis sûr que ça va augmenter, pas tant que cela, pour 9, 99 E vous emportez les numéros 2 ( Metallica ) et 3 ( Iron Maiden ) + deux mugs thermo-réactifs ( ne confondez pas avec thermo-nucléaires ) + une bande dessinée ( pas géniale, je la connais ) intitulée le Heavy Metal. Zoui, ça se discute, c'est après que les ennuis commencent, ensuite c'est 3 numéros que vous recevez par la poste : 9, 99 multiplié par 3 = 29, 97 euros.

    Vous êtes en possession des six premiers numéros pour 2, 99 + 9, 99 + 29, 97 = 42, 05 E.

    Normalement la collection comporte 60 numéros pour acquérir les 54 qui vous manquent il vous reste à vous acquitter de : 54 fois 9, 99 = 539, 46 euros soit en tout la modeste somme de : 539, 46 + 42, 05 : 581, 51 euros.

    Bye-bye vos économies ! Ne sont pas fous chez Achète pardon chez Hachette, z'ont un peu peur que le client rocker, hard rocker ou métalleux ne morde pas à l'hameçon, aussi précisent-ils que faute de succès, ils se réservent le droit d'arrêter à leur guise la collection ! Ne vous filent d'ailleurs que les titres des 19 premiers numéros... Et si des milliers de gogos se ruent sur cette offre mirobolante, ils rajouteront quelques fascicules... C'est la loi du commerce me direz-vous, vieille comme le monde, Hermès le dieu des marchands n'était-il pas aussi le dieu des voleurs...

    Le rock'n'roll pour les grands groupes capitalistiques c'est comme les chiens, un public de niche, alors mes braves toutous faites attention à ces puces qui viennent sucer votre sang, n'en soyez pas victimes, évitez de céder au fétichisme faisandé de la marchandise mise sur le marché à moindre risque, nombreux sont les charognards qui se nourrissent sur les dépouilles des anciens exploits de la bête, ne confondons pas célébration avec consommation... Privilégions le DYE, l'échange, le don, le potlatch des tribus de l'Ouest. Rien n'empêche à chacun des individus que nous sommes de mener sa propre guerre indienne.

    Damie Chad.

    AT YOUR BIRTHDAY PARTY

    STEPPENWOOLF

    ( Octobre 1969 )

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    Gary Burden a fourni un bel effort pour la pochette. Si vous n'avez pas eu sous les yeux la première pochette de l'édition du premier pressage américain la phrase précédente ne remportera pas l'unanimité. Si la photo centrale des éditions suivantes ne pose pas de problème particulier – le groupe debout et assis autour d'une table, Gabriel Mekler remplaçant Michael Monarch – le reste, notamment toute la partie basse de l'artwork exige quelque attention, point de couleur, du blanc du noir qui étrangement donnent surtout une sensation de gris, est-ce un dessin ou une photographie, un montage des deux, regardez avec attention, vous discernerez un mélange, des souris et des hommes pour parler comme Steinbeck. Des soldats, une photographie issue de la Guerre de Sécession quoique la vue ressemble à une représentation des tranchées de 14-18, quelques uns affublés de têtes de Mickey. Comment l'interpréter : une condamnation de la guerre, dans laquelle les soldats menés à l'abattoir tels des rats pris dans une ratière jouent des rôles de héros de carton-pâte, une protestation contre l'envoi des GI's au Vietnam ? Toutes les rééditions de ce disque reprennent les mêmes motifs. L'on sait que la photo a été prise dans une maison où logea Canned Heat et qui avait été visitée par un incendie. Sur certaines photographies on mesure l'ampleur des dégâts sur le matos du groupe de Bob Hite et Alan Wilson. De quelle party d'anniversaire s'agit-il au juste, l'innocence du titre ne cache-t-elle pas des sentiments désespérés beaucoup plus ambigus.

    John Kay ; lead vocal, rhythm guitar, harmonica / Mickael Monarch : lead guitar / Goldy McJohn : organ, piano / Nick St Nicholas : bass / Jerry Edmonton : drums.

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    Don't cry : ne pleurez pas, sur ce titre le Loup vous ménage bien des surprises, le train est lancé et vous pensez que rien ne l'arrêtera que vous êtes parti pour un agréable morceau bien rythmé, en plus vous avez la mélodie qui marche avec, les pattes rythmiques qui courent et Kay qui mélopèse à souhait comme s'il prenait plaisir à hululer tout doux entre les dents, assez fort pour que tout le monde l'entende mais pas trop pour que l'on ne lui reproche pas de faire trop de bruit, les autres le soutiennent en sourdine surtout sur les refrains et tout le monde est content, insensiblement tout se gâte, du rififi dans la meute et tout le monde se tait tandis que la machine se précipite, s'éloigne, et disparaît dans un lointain cliquetis, vous aimeriez que l'on vous explique, mais non le loup vous est passé entre les jambes alors que ça faisait deux heures que vous le teniez dans la mire de votre fusil, vous vouliez l'avoir entre les deux yeux, c'est lui qui vous en a mis plein la vue. Sont bizarres chez Steppenwolf, font du hard sans riff, autant dire une omelette sans casser les œufs. Et pourtant ça bave sur votre pantalon. Chicken wolf : l'homme est-il un loup pour l'homme ou simplement un poulet. A vous de choisir votre totem. En tout cas ça pépie un max dans la basse-cour, Kay vous envoie vos quatre vérités à la figure sans prendre de gants, vous déchire un peu de ses ironiques canines, Monarch est à ses côté, vous refait le coup du lait sans crème mais qui vous émulse sans rémission un flacon de flan au cyanure, le monarque guitariste il a une manière inégalée de pousser ses notes juste sous les touches du clavier de Goldy McJohn, et au cas où l'une d'entre elles la ramènerait un peu trop, Edmonton vous les aplatit de ses baguettes, dans la musique du Loup rien ne se remarque, Nick Saint Nicholas vous noircit le tableau ( celui de la pochette aussi ) de sa basse, le hard du Loup est assez sombre et rapide, il ne montre rien, il dévoile tout. Cuisson à l'étouffée, le Loup ne frappe jamais de front, s'insinue en vous, disloque votre cerveau. Vous n'êtes ainsi plus en mesure de  nuire à vous-même. Pernicieux. Lovely meter : en deux morceaux le Loup vous a sapé le moral, c'est une bête gentille, une petite chansonnette d'amour pour vous remettre d'aplomb, un orgue tout doux qui vous caresse dans le sens des poils du pubis, guitare acoustique et Jerry qui vous susurre une gentille ballade pour endormir le bébé que vous êtes en train de faire, quelle prévenance, instant de recueillement, c'est si beau que l'on en pleurerait. C'est si bon qu'ils en ont un fait un clip, vous les voyez tout doux frôler les instruments, mais quels sont ces bruits étranges, serait-ce un cacatoès qui cacophonise, point du tout, c'est une attaque du train, et le Loup aux fenêtres du wagon en train de tirer sur les poursuivants, images de western... Round and down : tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, une facétie country and western de Monarch, y'a de la joie tout le monde s'aime et danse en rond, les images de Cimino me montent à la tête, la fabuleuse scène sur patins à roulettes, don de prescience parce que le vocal se tait et commence une longue séquence musicale dramatique où tout se précipite. En déduirons-nous que le calme n'existe que pour laisser aux tempêtes le temps de se former. It's never too late : que ne disions-nous, le titre et les refrains sont pleins d'espoir, il vaudrait mieux ne pas écouter les paroles, le rideau du blues tombe sur vous et vos vies ratées, le Loup a repris ses grandes traversées lunaires, Jerry précipite sa batterie comme Dieu verse le malheur sur les pauvres gens, pas de pitié chacun est responsable de ses errements, de ses erreurs, le Loup offre une sucette de consolation empoisonnée aux grands enfants que sont les adultes. Compact et implacable. Ce qui est terrible avec Steppenwolf, c'est qu'ils n'en font jamais trop, pourraient se déchaîner, sortir les orgues de Staline et les batteries de canons, non préfèrent juste vous enlever vos illusions sans forcer sur la musique. Sleeping dreaming : Nick a pris le vocal, c'est pour mieux vous niquer, inutile de vous précipiter sur votre éléctrophone, l'est à fond, mais ça commence tout bas, un chœur de boyscouts joyeusement bourrés, ne le dites pas à leurs parents, profèrent des mensonges, rêvent qu'ils aiment, mais non, c'est une satanée plaisanterie, si vous commencez à croire tout ce que l'on vous dit, d'ailleurs ils n'exagèrent pas, une minute, les plaisanteries les plus courtes sont les meilleures. Jupiter child : dernier morceau de la face A, Le loup laisse éclater sa force, Beau travail de batterie de Jerry, l'on dirait qu'il sert une mitrailleuse dans un film de guerre, et les autres n'y vont pas de main morte, lorsque le Kay a fini de crier sa hargne ils continuent comme de rien n'était. Un morceau qui a su parler à la jeunesse américaine, s'adresse aux enfants de Jupiter, à tous ceux qui se sentent différents, étrangers à notre monde, le Loup n'est pas optimiste, pas d'issue pour eux, la saleté de la commune humanité les rongera telle une lèpre. Pas d'échappatoire possible, ni dans l'avenir, ni dans le passé. Si vous venez d'une étoile lointaine, sachez que vous ne retrouverez jamais le chemin du retour. Vous êtes perdu à jamais.

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    She'll be better : Jerry a dû avoir des remords d'être si persuasivement pessimiste en fin de face B, du coup il prend le vocal pour vous rabibocher avec la vie. Une belle chanson d'amour. Ce disque de Steppenwolf ressemble au roman Le maître de Casterbridge de Thomas Hardy, dans lequel les chapitres où tout est pour le pire dans le pire des mondes alternent avec chapitres où tout tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes, douches froides, douches chaudes successives, et quand le livre se finit bien vous pensez que ça ne pourrait pas ne pas être pire... quelle belle chanson, la plus longue de l'album, un piano prophétique à la Imagine de Lennon, mais beaucoup plus expressif, après les horreurs du titre précédents, orchestration grand style et trémolos vocaux à gogo, comme c'est long profitez-en pour aller faire pipi, comme durant les pubs de la télé qui vous racontent des menteries. Cat killer : le titre suffit pour vous rappeler la cruauté du monde, le morceau de Goldy ne dure qu'une minute-trente, prend son pied notre pianiste, après le country dégénérant de tout à l'heure, c'est le temps du ragtime, une musique d'accompagnement de dessin animé pour vous arracher de votre rêve d'amour précédent. Ragetime ? Rock me : bye-bye l'amour éthéré, revenons à des préoccupations intimes mais un peu plus ancrées dans la réalité des vies désabusées, le Loup a repris la tête de la horde, vous admirerez surtout la longue séquence instrumentale centrale, encadrée par les deux récitatifs enjoués de Kay, certes les premières secondes ça cliquette comme les claquettes de Fred Astaire mais cela dégénère, vous voici transposé en un camp indien, vous entendez sourdre les saccades de leurs chants et de leur tambours sourds, et vous ne pouvez vous empêcher de penser qu'il s'agit d'un peuple de vaincus et que vous aussi vous avez été défait dans les combats de l'existence, alors vous rapprochez votre sexe du sexe de quelqu'une qui a connu les mêmes défaites que vous. Chanson enjouée pour maquiller des vies tristes et ratées. Le Loup n'est pas tendre avec la rugosité du monde. Good fearing man : une intro presque pompeuse, la voix de Kay patine dessus tel un serpent qui glisse vers vous pour vous mordre, tempo simili bluezy, le Loup s'approche et quand il referme ses mâchoires il ne les rouvre pas, un hymne carrément anarchiste, qui ne nomme personne – on n'est jamais trop prudent – mais qui désigne clairement la bonne conscience des dirigeants. Par exemple ceux qui envoient leurs semblables à la guerre. Mango juice : instrumental, parfois il vaut mieux ne rien dire qu'en dire trop. L'occasion pour Nick Saint John de faire vibrer sa basse, un cadeau d'adieu pour Monarch qui quitte le groupe, peut-être, mais on ne l'entend guère et le morceau semble des plus inaboutis, une expérience qui a tourné court, ou une volonté de remplissage. Ou alors un signe prononcé de fatigue de la part d'un groupe qui tourne sans arrêt et soumis à produire deux albums par an... Happy birthday : Mekler a composé le premier morceau du 33 tours, et voici qu'il signe le dernier. Pas très joyeux, carrément lugubre avec cette basse funèbre, ce clavier qui imite des pales d'hélicoptère, et ces chœurs féminins nous feraient croire que nous sommes à l'église pour un enterrement. Le retour d'un soldat mort, en filigrane sous des lyrics faussement innocents, et quel regard porté sur le naufrage de la vie...

    Un disque assez noir. Qui joue un peu. Qui fait trois pas en avant, et un autre en arrière. Le Loup cherche-t-il à ménager l'auditeur. A retenir son attention. A le faire réfléchir. Ou avance-t-il masqué. Nous le saurons bientôt. La suite au prochain épisode.

    Damie Chad.

    UNE HISTOIRE DU ROCK

    EN 202 VINYLES CULTES

    PHILIPPE MANOEUVRE

    ( Hugo - Desinge / Septembre 2020 )

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    Cadeau inattendu sous le sapin. Un book. Le Père Noël serait-il un rocker ? Une formule qui marche. Déjà en Octobre 2011 Manœuvre nous avait donné La discothèque rock idéale, 101 disques à écouter avant la fin du monde était-il précisé sur la couverture. La fin du monde n'étant pas survenue, le voici qu'il double la mise. Ce qui nous laisse envisager vingt ans de survie programmée. Page de gauche, la pochette de l'album choisi, page de droite la chronique idoine, dans la marge un petit topo - attrape nigaud - pour nous apprendre en quoi l'album choisi est culte.

    Dans sa préface Manœuvre raconte les péripéties confinatoires de l'écriture de son bouquin. Qui prêtent à sourire. Toutefois nous en retiendrons surtout, sinon l'amer, du moins l'impuissant constat de la fin d'un cycle historial, celui de la musique rock. Nous y reviendrons. Le principe d'un choix quelconque est sujet à caution. Tellement de paramètres à mettre en jeu ! 202 c'est beaucoup et c'est peu, surtout si l'on pense à la sélection des 666 disques que propose ce mois-ci le Hors-Série N° 39 de Rock & Folk... Il vous manquera toujours le chef-d'œuvre essentiel et indépassable de cet art suprême qu'est le rock'n'roll que vous êtes le seul à avoir remarqué, en prime vous vous sentirez personnellement insulté par la présence de sillons honnis... Pour cette chronique nous nous contenterons de commenter les premières pages.

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    La première pierre qui doit soutenir l'édifice n'est pas facile à définir, dans le H. S. 39, ils ont visé l'indétrônable, l'incontournable, l'inattaquable Rock with Bill Haley and The Comets, Manoeuvre descend de deux crans au-dessous, le rock provient tout droit du blues et du country, donc ce sera en 1 : Robert Johnson, choix historialement judicieux qui exclut toutes les autres préséances possibles ( et impossibles ), en 2 : voici Luke the drifter d'Hank Williams, un disque un peu à part dans la production du country-man archétypal mais terriblement dans l'esprit américain, le pécheur qui se repent, entre deux chansons Luke vous exhorte à ne pas emprunter le sentier du mal, un véritable prêche, un sermon carabiné à la born again– entre parenthèses quand on voit comment la rencontre avec le Devil a été bénéfique pour Robert Johnson nous n' écouterons pas ses conseils - de toutes les manières Dieu himself qui devait s'ennuyer à écouter les cantiques à l'eau de rose des chœurs paradisiaques a envoyé fissa ses anges de la mort, avant que le temps réglementaire imparti à ces deux ancêtres du rock ne se soit régulièrement écoulé  afin de les avoir près de lui au plus vite. Preuve qu'il a bon goût.

    Bon, Philippou on passe au rock'n'roll, surprise, après le blues et le country, voici celui que l'on n'attendait pas. Dans Bye-bye, bye Baby, bye bye de Guy Pellaert et Nick Cohn il n'avait pas été oublié, mais il arrivait en dernier, juste à temps pour rappeler aux petits jeunes que la Voice les enterrerait tous. Ben là, même s'il est sur le podium en N° 3, Frank Sinatra ne rigole pas, le rital sardonique au sourire carnassier vous a une gueule d'enterrement pré-suicidaire, il pleure, et pas comme un crocodile, tout un album, In the Wee Small Hours, tout cela parce que Ava Gardner l'a laissé tomber, telle une vulgaire chaussette, un gros chagrin, suis allé entendre la fontaine amère couler sur You Tube, terrible, il en chante presque mal el povrecito, que voulez-vous le malheur des uns fait rire les autres.

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    Ouf : l'on est sauvé, voici Elvis, rien à dire quand les rockers ont le cœur brisé c'est revigorant. Ne pleurnichent pas comme des femmelettes, cassent la baraque quand ils n'ont pas la baraka avec les demoiselles. A part que chez RCA personne n'a pensé à glisser Heartbreak Hotel sur l'album ! Une regrettable erreur. Nous sommes d'accord. L'on saute au plafond en tournant la page, Johnny Burnette and the rock'n'roll Trio, l'album de rock parfait si l'on en croit les dithyrambes de Manœuvre, le crédite de tout, n'évoque même pas l'interrogation fatale qui de Grady Martin ou de Paul Burlison joue de la guitare sur tel ou tel morceau... Quand on aime on ne mégote pas.

    Nous sommes heureux, nous abordons le rivage des pionniers du rock, rien de mal ne saurait survenir. Ben si, il ne faut jurer de rien, un gars sympathique, que l'on aime bien Robert Mitchum, on doit se tromper de film, en plus une peau de banane trop mûre, un truc typico mes cocos, Calypso is like so... par acquis de conscience je suis allé écouter, pas vraiment mauvais, un peu cowboy aux envergures, le Mitchum s'en tire en professionnel, sympathique mais il manque un peu de sauvagerie rock'n'roll. Manœuvre fait tout ce qu'il peut pour se faire remarquer.

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    Se rattrape sur les trois suivants, Gene Vincent, Little Richard, Bo Diddley – ce vieux ( pas très ) Bo que l'on a l'habitude de passer sous silence – vous savez aux States dans les années cinquante les nègres qui n'en faisaient qu'à leur tête... - alors qu'il est une pierre angulaire du rock'n'roll, un paquet de fraises saignantes aux asticots de macchabées à lui tout seul, survient At Home with Screamin Jay Hawkins, là vraiment on est gâtés, pourris, surtout que deux pages suivantes encore un génie que l'on relègue dans les troisièmes zones des demi-soldes, Bobby ( Blue ) Bland, Two steps from the blues, l'on s'émerveille comme Alice en son pays miraculeux, attention à la face sombre et invisible de la lune, pas de Chuck Berry, pas de Buddy Holly, pas d'Eddie Cochran, Philippe Manœuvre mérite trois fois la mort, même si plus loin il nous entraîne au Star Club de Hambourg avec Jerry Lou, et surprise voici celui que l'on n'attendait pas, le fabuleux Vince ! de Vince Taylor. Because my Taylor is rich.

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    C'est que l'auteur éparpille ses papilles gustatives en papillon qui ne sait plus sur quelle fleur se poser. Pas tout à fait de sa faute. Tout le monde ne pourra pas monter in the blue bus, et puis l'histoire du rock'n'roll n'est guère rectiligne, elle ne se débite pas en tranches égales et millésimées de saucisson, quand les époques sont riches, ça part de tous les côtés, de 1956 à 1966 la musique s'avère sinuosidale, face sombre James Brown à l'Apollo Theater, face claire The Trashmen et leur Surfin Bird, on aurait attendu Dik Dale, mais autant rappeler la carrière de ceux qui n'ont surfé sur la vague montante de la gloire qu'une saison, ainsi si vous avez les Kinks, les Beatles, les Rolling Stones – pour ces deux derniers pas les titres des albums qui affleurent en premier dans les sables de votre mémoire - vous vous passerez des Animals ( crime impardonnable ! ) et des Yardbirds ( manquement irréparable ). Entre nous soit dit les Anglais sont sous-représentés dans le volume, à part les Pretty Things qui sont sauvés in-extremis... L'on commence à entrevoir la stratégie de Philippe Manœuvre, ne cherche pas à racoler ou satisfaire les fans, ménage les surprises, entre tous ces disques vous avez droit au Love Suprême de John Coltrane – Sainte Madone, c'est du jazz - et encore plus inattendu le Call me de William Burroughs, sans oublier pour autant le rock du garage, le Black Monk Time des Monks et Explosives des Sonics, pousse même le culot jusqu'à présenter ce précurseur des hippies que fut Eden Ahbez avec son Eden's Island paru en 1960...

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    Je m'arrêterai à l'année 1966, avec la grosse surprise nationale, encore mieux que Vince Taylor qui question nationalités est multi-cartes, an de grâce vocale 1965, un petit gars bien de chez nous, Ronnie Bird, carrière brisée par un stupide accident de camionnette non assurée, quant à dire que Le Pivert était son meilleur titre, voici le genre de contre-vérité à laquelle je ne souscrirai pas... pourtant qu'est-ce que nous l'avons aimé Ronnie qui était le chouchou du Président Rosco sur RTL, et sur France Inter le matin avant de partir au collège l'électrique Fais Attention '' demain tu te maries, yeah-yeah'' cela vous boustait le moral pour toute la journée, mais mince, stoppons les conduites criminelles, Noël Deschamps qui n'était déjà pas présent dans le volume Philippe Manoeuvre présente ( le ) Rock Français... est encore absent.

    Ce n'est pas mal écrit. Manœuvre profite de ses choix pour présenter le contenu du disque mais l'en profite aussi pour dresser l'air d'un pédagogue averti le panorama de l'histoire du rock'n'roll, les néophytes combleront les vides sidéraux de leurs connaissances, et les autres qui connaissent tout par cœur, feront comme les petits enfants qui chaque soir exigent la même histoire, celle du grand méchant loup Rock'n'roll qui finit toujours par grignoter leur âme de petit chaperon rouge qui ne rêve que d'être livrée à toutes les dépravations que leur fera subir la grosse bête vicieuse.

    Damie Chad.

     

    XV

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    Voici quelques précisions

     

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    Molossa et Molossito roupillaient sur la banquette arrière, nous roulions sereinement à une modeste vitesse de croisière de 160 km / H sur la bande d'arrêt d'urgence de l'autoroute en direction de Paris, le chef craqua une allumette pour allumer un Coronado, derrière les chiens dressèrent l'oreille, l'heure du grand conseil était venue, une question me brûlait les lèvres :

      • N'avez-vous pas remarqué Chef que chaque fois que nous sommes sur la piste de l'homme à deux mains, nous faisons chou blanc, rappelons-nous la pâtisserie, la maison bizarre et nos déboires tout récents en Normandie ?

      • Agent Chad votre constatation relève d'une analyse primaire, vous êtes comme le taureau qui voit le chiffon rouge et en oublie le torero meurtrier qui se cache derrière. Je dirais plutôt que chaque fois que nous suivons l'homme à deux mains, les Réplicants nous attendent. Je vous laisse réfléchir. Laissez-moi fermer les yeux pour goûter la saveur de ce Coronado. Ah, faites attention, si dans deux ou trois kilomètres, deux ravissantes jeunes personnes faisaient du stop sur cette bande d'arrêt d'urgence, appliquez la consigne N° 6.

    Le Chef avait raison trois minutes ne se sont pas écoulées que deux silhouettes de jeunes femmes pulpeuses me font des signes affriolants. J'applique sans faillir la consigne N° 6 : lorsque la survie du rock'n'roll est en jeu, l'on n'hésite pas occire les 3 / 4 de l'humanité si nécessaire. La panhard pistache fonce droit sur les deux donzelles, son aile gauche et le capot ressemblent désormais à une boule de glace à la fraise. Le Chef ouvre les yeux :

      • Excellent agent Chad, j'aperçois des morceaux de viande hachée sur la chaussée, ne reste plus qu'à attendre la preuve de mon raisonnement !

      • Elle arrive Chef, au loin une voiture fonce à toute allure, ils roulent au moins à 200 à l'heure, mais avec leur gyrophare bleu qui clignote on ne peut pas ne pas les voir !

    Une voiture de police sirène hurlante se range à notre hauteur, quatre types à lunettes noires scrutent notre habitacle, apparemment ils sont satisfaits, car l'un d'eux fait un signe, et le véhicule nous distance et continue son chemin, sans plus nous prêter d'attention !

      • Miraculeux Chef ! Nous avons enfin une piste, il existe un lien entre les Réplicants et la police !

      • Agent Chad, disons-le avec les mots idoines : l'Elysée a passé une alliance avec les Réplicants, pourquoi, comment, nous l'ignorons, mais nous n'allons pas tarder à le savoir !

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    Nous avons regagné le service sans encombre. Le Chef est assis à son bureau, il fume son Coronado, je sens que je l'énerve à me tortiller sur ma chaise. Moi-même je suis surpris, d'habitude lorsque je rajoute un chapitre à mon livre Mémoires d'un GSH ( Génie Supérieur de l'Humanité, pour ceux qui prennent le feuilleton en marche ) – mon stylo court sur le papier, une bombe atomique éclaterait à deux mètres de moi que je n'y prêterais aucune attention, mais cette fois-ci ce n'est pas le cas.

      • Agent Chad arrêter de vous trémousser, vous me gâtez mon Coronado !

      • Chef, ce sont les affres de la création, les mêmes qu'ont connues Proust et Joyce !

      • Alors ils étaient comme vous, ils avaient un gros objet qui les gênait dans la poche arrière de leur pantalon.

    Caramba, comment ai-je pu l'oublier, l'exemplaire de L'homme à deux mains d'Eddie Crescendo que j'ai récupéré dans la bibliothèque d'Alfred, avant qu'elle ne disparaisse aussi mystérieusement qu'elle était apparue, il est plus que temps de m'y plonger, malgré ma vie trépidante je n'ai aucune excuse, et le Chef qui l'a déjà lu ne m'en a pas parlé, c'est donc qu'il a besoin de comparer ses réflexions suscitées par sa lecture à celle d'un lecteur spécialiste et passionné de littérature, en l'occurrence un certain Agent Chad que je connais très bien... Ce soir-là de retour à Provins je me jurai de passer une nuit studieuse.

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    Je l'avoue je suis resté dubitatif. Le roman n'avait rien de bien prenant. Une vague embrouille policière, très mal écrite, à la va-vite, sans style ni soin, je l'ai examiné dans tous les sens, peut-être était-il codé, j'ai imaginé des tas de grilles de lecture, essayé de mettre en relation des mots qui me semblaient se rapporter à des évènements que nous avions traversés, mais ce tissu d'inepties ne présentait aucun intérêt.

    Le lendemain matin le Chef m'accueillit, Coronado et sourire ironique aux lèvres :

      • Agent Chad, vous me semblez fatigué, le roman d'Eddie Crescendo vous a-t-il tenu en haleine toute la nuit, ou vous a-t-il autant déçu que je le suis moi-même...

      • Pourtant Chef la seule fois que vous y avez fait allusion devant moi, il ne m'a pas échappé que vous y aviez puisé comme un enseignement !

      • Exactement Agent Chad, un récit déplorable, mais sa première page m'a interpellé, rappelez-vous Agent Chad, Mémoires d'un GSH !

      • Bien sûr Chef, j'en ai déduit qu'Eddie Crescendo se prenait pour un Génie Supérieur de l'Humanité, hélas, ses talents littéraires à l'opposé des miens ne...

      • Agent Chad, vous faites fausse route, les circonstances dans lesquelles ce roman nous est parvenu sont bien étranges, rappelez-vous, ce livre n'a pas été écrit par Eddie Crescendo, les seuls écrits qui nous soient parvenus de Crescendo sont ceux de la boite à sucre. Ce bouquin, trouvé dans la villa des Réplicants, a été écrit par les Réplicants, s'y sont mis à plusieurs pour le torcher, ce qui explique le décousu du récit, dans le seul but de nous tromper, de nous attarder dans nos déductions, mais il y en a un qui nous a adressé un message pour que nous n'y croyions pas...

      • Alfred !

      • Oui Alfred qui a glissé en première page cette grossière imitation du titre de vos mémoires, nous laissant ce message pour nous avertir du danger qui planait autour de nous !

      • Mais pourquoi Alfred aurait-il trahi les Réplicants, Chef, nous aimait-il donc tant que cela !

      • Pas du tout, ce qu'il aimait c'était le rock'n'roll ! Et s'il a trahi le peuple des Réplicants c'est parce qu'il connaissait le grave danger que courait le rock'n'roll, il a essayé de nous avertir, mais il a été tué avant de nous avoir tout révélé !

      • Chef, votre raisonnement est d'une logique éblouissante, je m'incline devant votre intelligence, je n'ai rien vu de tout cela cette nuit quand j'étudiais ce livre en le tenant bien fort à deux mains !

    Il se passa à ce moment-là un évènement mémorable. Molossa et Molossitos peuvent en témoigner. Le Chef ouvrit le tiroir de son bureau et me tendit un Coronado :

      • Agent Chad, prenez-le, je vous l'offre, vous en êtes digne, je suis convaincu que vous êtes un génie incompris !

      • Ne vous inquiétez pas Chef, un jour l'Humanité reconnaîtra ma supériorité, elle s'agenouillera devant moi et...

      • Peut-être, peut-être, agent Chad, je vous le souhaite, mais le premier qui ne pige rien à votre génie, c'est vous-même !

      • Chef, je n'y entrave que couic !

      • Vous voyez bien, Agent Chad, lorsque le génie parle, vous ne comprenez pas ! Mais vous venez de prononcer le nom de l'homme à deux mains !

      • Moi,Chef !, pas du tout !

      • Taisez-vous, l'homme à deux mains c'est vous Agent Chad !

    ( A suivre... )

  • CHRONIQUES DE POURPRE 491 : KR'TNT ! 491 : LESLIE WEST / CRASHBIRDS / GENERATION ROCKABILLY 16 / GRAND FUNK RAILROAD / STEPPENWOLF / ROCKAMBOLESQUES XIV

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 491

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    31 / 12 / 2020

     

    LESLIE WEST / CRASHBIRDS

    ROCKABILLY GENERATION NEWS 16

    GRAND FUNK RAILROAD

    STEPPENWOLF / ROCKAMBOLESQUES 14

     

    *Pourtant que la montagne est belle

    Part One

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    Felix Pappalardi observe la montagne à la jumelle.

    — Wow, la cime se perd dans les brumes ! Sacré morceau ! Quelle prestance dans la monstruosité !

    À quelques mètres de là, Corky et Gail préparent le café. Ils ont allumé un bon feu de branchages. Felix, Corky et Gail se préparent à conquérir le mont Weinstein, l’un des sommets les plus redoutables du monde. Dès l’aube, ils quitteront le camp de base et se lanceront à l’assaut des pentes. Felix s’accroupit auprès du feu. Gail lui tend une tasse de café brûlant.

    — Tu as l’air particulièrement excité, mon lapin, murmure-t-elle d’un ton lubrique...

    — Cette grosse montagne vaut le jus, Gail chérie... C’est la crème de la crème : après l’Aconcagua, l’Everest, le Mont Winson et le Kilimandjaro, on va se taper ce gros tas de caillasse !

    Il tortille sa moustache d’un geste nerveux.

    — Bon, départ à quatre heures ! D’accord ?

    Gail et Corky acquiescent. Puis nos trois co-équipiers font un repas hautement énergétique. Gail et Felix vont se coucher pendant que Corky fait la vaisselle. La nuit tombe, froide et opaque. Corky tend l’oreille. Des soupirs proviennent de la tente de Felix et de Gail.

    — Ce salaud de Felix pourrait au moins en faire profiter les copains, marmonne Corky entre ses dents. Puis Gail pousse des cris stridents qui se perdent dans la nuit.

    Corky rentre sous sa tente en soupirant comme un bœuf.

    — Bon, une branlette et puis dodo !

    Au moment où le soleil se lève, une activité intense règne déjà sur le camp de base. Felix plie soigneusement sa tente portefeuille. Gail est prête. Elle porte son costume esquimau. Corky est en débardeur rouge. La belle lumière rasante caresse ses puissants bras nus.

    — Hey Corky, tu n’as rien oublié ?

    — Non, pourquoi ?

    — Tu ne crains pas d’attraper froid, habillé comme ça ?

    — Ha ha ha ! C’est pas une montagne qui aura la peau du grand drummer Corky Laing !

    — Alors, vamos !

    Felix prend la tête de la cordée. Gail suit et l’intrépide Corky ferme la marche. Deux jours durant, ils grimpent le long d’un raidillon convexe couvert de tissu écossais. Ils ont chaussé les crampons, car le sol gélatineux n’est pas très stable. Au soir du deuxième jour, ils arrivent au pied d’une falaise de cuir. Felix examine le relief à la jumelle.

    — Hum, passé ce ceinturon de vingt mètres, nous devrions pouvoir accéder aux premiers bourrelets, là-bas, au-dessus...

    Un vent terrible s’est levé.

    — Écoutez, crie Gail, on dirait une chanson !

    Ils tendent l’oreille tous les trois. Une plainte rugueuse émerge du chaos des origines. La tourmente charrie les paroles d’un blues-rock gargantuesque.

    Bloooooooood of the sun, hurle la voix et le vent sculpte dans la nuit glaciale d’audacieux phrasés de guitare.

    — Fabuleux ! hurle Felix dans la tempête. Depuis le «Strange Brew» des Cream, je n’ai jamais rien entendu d’aussi puissant !

    Au bout de trois minutes, le vent se calme et la chanson s’éteint.

    — Cette montagne est hantée par une sorte de génie, lâche un Felix intrigué.

    Gail commence à rouspéter :

    — Je veux redescendre. Je n’aime pas la tournure que prennent les événements. Rentrons à la maison, Felix, je t’écrirai de belles chansons, si tu veux...

    — Non, c’est hors de question. Nous continuons par là. Il faut redescendre jusqu’à cette bosse proéminente et remonter par la boucle que vous voyez là-bas pour atteindre les premiers bourrelets. De là, nous devrons compter encore trois bonnes journées pour atteindre le sommet. À condition que la météo se maintienne, bien sûr. Allons Gail, je t’ai connue plus courageuse. Que va penser Corky de toi ?

    Dès l’aube, ils repartent vers la boucle géante qui étincelle au soleil levant. Ils descendent dans un immense creux tapissé de tartan rouge pour rejoindre la fameuse bosse dont parlait Felix la veille au soir.

    — Bon, Corky, tu grimpes jusqu’à la boucle. Une fois là-haut, tu nous lances une corde en rappel. D’accord ?

    Corky plante son piolet dans la paroi. Soudain la montagne tousse. Les immenses chairs s’agitent avec la violence d’un tremblement de terre. Une terrible secousse précipite Corky dans le vide. Il hurle pendant de longues minutes. On entend un très lointain splash. Felix et Gail se sont accrochés de justesse au fermoir d’une espèce de fermeture éclair géante. Les derniers soubresauts s’espacent. La montagne se stabilise.

    — Bon, Gail, il va falloir grimper à mains nues... Pas question d’utiliser les piolets. La montagne est trop sensible. Te sens-tu prête ? Je pars devant, j’envoie une corde. Tu n’auras qu’à te hisser.

    Felix grimpe jusqu’à la boucle géante. Il l’atteint. Il trouve de bonnes prises entre le cuir et l’acier. Au prix d’efforts surhumains, il parvient à se hisser au sommet de la boucle. Il tire Gail jusqu’à lui. Ils restent assis tous les deux au sommet de la boucle et admirent le paysage. Puis Felix se lève et repart.

    — Si on veut se mettre à l’abri des tempêtes, il faut atteindre un gros bourrelet avant la nuit...

    Il affronte son premier bourrelet. À la différence des régions inférieures, cette zone de la montagne est couverte d’un épais tissu noir à pois blancs. Felix affronte les rondeurs à mains nues. Il progresse au-dessus du vide, se hissant à la force des doigts. Il négocie prudemment chaque surplomb et se redresse à la force des bras jusqu’à la partie supérieure de l’excroissance. Là, il peut marcher. Il cale bien ses pieds et tire Gail jusqu’à lui.

    Le soir du troisième jour, une nouvelle tempête éclate. Gail se réfugie dans les bras de son mari. Jaillissant de nulle part, la voix gutturale se mêle au vent, portant haut les éclats toniques d’une puissance extraordinaire.

    Et tu sais qu’on se reverra... si la mémoire ne te fait pas défaut... oh, cette roue en feu...

    Felix exulte dans la tempête :

    — Mais Gail ! Écoute ça !

    Il reprend en cœur avec la voix de la montagne :

    Je fonce sur la route... tu ferais mieux d’alerter mes proches... ce pneu va exploser ! Mais Gail, fais un effort, voyons ! Ne reconnais-tu pas «This Wheel’s On Fire» de Bob Dylan ? Wooow ! Quelle version apocalyptique !

    Et Felix se met à sauter sur place comme un gamin. Il ne rebondit pas très haut, à cause la nature graisseuse du bourrelet.

    Dès l’aube, ils repartent à l’assaut des derniers bourrelets noirs tachés de pois blancs. Felix finit par déboucher sur une échancrure peuplée de grandes racines noires. Il se tourne vers Gail et lance :

    — C’est une zone de poils géants qui conduit au dernier obstacle, là-haut : ce triple menton qu’il va bien falloir escalader... Hum...

    Felix et Gail progressent à travers l’épaisse végétation, assurant bien leurs prises, car la paroi est quasiment verticale. Parvenu au pied du triple menton, Felix s’immobilise, en proie à l’incertitude. Il ne le voyait pas aussi gigantesque. Il commence à tâter la matière spongieuse. Il s’assure des prises en pinçant cette affreuse consistance. Si Felix a les doigts si musclés, c’est sans doute parce qu’il joue de la basse. Il parvient péniblement à gravir les trois rondeurs successives. Il se hisse sur le dessus du menton et lance la corde à Gail. Il la tire jusqu’à lui.

    Elle rouspète :

    — Je commence à en avoir assez de ta putain de montagne !

    — Regarde Gail ! On touche au but. Allons nous rafraîchir à ces lèvres pulpeuses que je vois là-haut, puis nous longerons l’éperon du nez que tu peux apercevoir au-dessus. De là, nous atteindrons ce chapeau noyé de brumes qui coiffe notre fabuleuse montagne ! Allons Gail, encore un effort ! Nous y sommes presque !

    Ulcérée, Gail sort un Derringer de la poche de son costume esquimau.

    — Écoute-moi bien, Felix le chat ! Nous redescendons immédiatement ! Je ne te le répéterai pas deux fois !

    — Mais tu es complètement folle, ma pauvre Gail ! Nous sommes si près de la victoire ! Gail ma puce, veux-tu ranger ce flingue ! C’est vraiment la dernière fois que je t’offre une pétoire pour ton anniversaire !

    Le coup part accidentellement. La détonation résonne sur des kilomètres à la ronde. Felix prend la balle dans le cou. Sous la violence de l’impact, il tombe et roule au sol sur plusieurs mètres. Il se relève et, sans un regard pour Gail, reprend l’ascension. Il atteint les lèvres pulpeuses et s’y abreuve de salive sucrée. Puis il continue de grimper. Il atteint l’éperon du nez. Il laisse à sa droite l’immense globe d’un œil rivé sur l’éternité et escalade la zone nue d’un grand front perlé de sueur.

    Felix atteint les premières boucles d’une toison ardente. Il connaît les forêts tropicales et sait comment se faufiler dans les végétations très denses. Il reprend sa position d’araignée pour s’engager sous le plat du grand chapeau. Au prix d’efforts surhumains, il atteint l’arête et se hisse sur le plat du chapeau. Il fait quelques pas et s’écroule, épuisé.

    Un vent terrible se lève. Felix ouvre les yeux. Une mélodie d’une beauté démesurée se glisse à nouveau dans la tourmente. La voix de la montagne hurle la douleur du monde, elle martèle des syllabes d’un poids titanesque :

    Ba-by I’m down ! Ba-by I’m down !

    Felix secoue la tête. Il se pince... Mais non, ce n’est pas un rêve. Il fond sa voix dans celle de la montagne. L’écho vient à son aide. «Baby I’m Down» dure une éternité. Felix Pappalardi tutoie enfin les dieux.

    Signé : Cazengler, Mounteigne

    Leslie West. Disparu le 22 décembre 2020

    ADIEU A LESLIE WEST

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    Triste nouvelle, Leslie West a cassé sa pipe en bois, ce 22 décembre. Durant le confinement de fin avril au début de juin, nous avions abordé ( livraisons 462 / 463 / 464 / 465 / 466 / 467 / 468 / 469 / 472 ) une partie du périple rock'n'roll du colossal guitariste. Sa guitare n'était ni d'argile, ni de papier. J'avais promis de poursuivre quelques éclats de cette saga, une des plus belles du rock'n'roll. L'actualité m'a devancé. Au lieu de reprendre l'histoire à son début, nous écouterons un de ses derniers albums, pourquoi celui-ci et pas un autre, peut-être parce que la guitare y est particulièrement à l'honneur.

    Il est difficile d'imaginer Paris sans la Seine et encore plus un rocker sans scène. 2011 est une année importante pour Leslie West, terrible parce qu'il doit se faire amputer de sa jambe droite le 20 juin, parce que le 13 août il est déjà sur scène. C'est ce que l'on appelle avoir le rock chevillé au corps. Lui qui avait l'habitude de s'adonner sur son estrade à la danse de l'ours sur le toit de tôle brûlante jouera désormais assis. Le premier titre de l'album mis en boîte avant son hospitalisation ne manque pas d'humour de la part d'un diabétique qui a mené une vie de bâton de chaise, bouffe, graisse, alcools, tabacs, drogues douces et dures, tournées épuisantes et interminables... RIR, qu'il repose in rock !

    UNUSUAL SUSPECTS

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    ( Provogue / 2011 )

    Kenny Aronoff : batterie, percussions / Fabrizio Grossi : basse / Phil Parlapiano : orgue, mellotron, claviers / Leslie West : guitares, vocal / + Prestigieux invités.

    One more drink for the road : un morceau en roue libre, du classique de chez classique, genre vous voulez du blues, en voiçà en voili, prenez-en plein les feuilles, car ne durera guère plus de trois minutes, démarrage avec un piano qui shuffle plus qu'il ne boogise, et c'est parti pour la partie de guitares, Steve Lukather ( non, ce n'est pas une blague à Toto ) est à l'acoustique, miaule menu, les yeux fermés imaginez que c'est un tigre qui geint parce qu'il s'est planté une épine empoisonnée dans la patte gauche, mais non c'est Leslie à la lead qui fait le boulot. Mud flap momma : ( composé par Jenni(fer) et Joseph, voir plus bas ) forme au plus haut, on crie chapeau, c'est Slash, l'homme à la guitare flash, le bretteur N° 1, qui vous emmène un bouquet de roses avec un fusil comme épine au milieu pour vous fusiller entre les deux yeux et partout ailleurs, rien à dire deux lead guitars, c'est mieux qu'une, certes ils n'inventent pas la foudre sur ce morceau mais ils savent s'en servir, un véritable feu d'artifice du quatorze juillet, finissent à l'unisson comme le gang des frères James qui s'en prennent au coffre-fort de la banque. Slash a toujours revendiqué Leslie West comme influence. To the moon : Leslie s'envole au vocal, contrairement à ce que l'on pourrait accroire Leslie n'attaque jamais sa guitare comme Attila se ruant sur Aquila, vous a un toucher tout doux, l'on dirait que chaque fois qu'il effleure ses cordes une plume d'ange glisse sur le dos soyeux d'un chaton, le problème c'est que parfois il ne résiste pas à ce que Jack London appelait the call of the wild, alors il vous réduit en trois coups de tonnerre le mistigri en charpie sanglante, se reprend vite et vous ensorcèle d'une longue glissande vaporeuse, on ne va pas se déguiser en militant de la cause animale, ce que l'on adore c'est quand il vous pourfend les matous en trois coups de guitare majeurs, et pour cela cet envol vers la lune avivera et ravira vos pulsions les plus sadiques. Standing on higher ground : le blues le plus crasseux du monde, c'est si bon, c'est si Gibbons, avec lui Leslie est au top. Vous avez l'impression d'être au cœur de Fort Alamo, vous connaissez le film par cœur mais qui se lasserait de le regarder ! N'y a pas une note qui n'appuie pas à l'endroit exact où cela fait du bien et du mal en même temps. Third degree : le vieux classique d'Eddie Boyd – gardez vos vieux disques les masters ont été brûlés comme ceux de milliers d'autres dans l'incendie d'un entrepôt d' Universal – qui fit les beaux jours de West, Bruce & Laing, comme feature Leslie n'a pas pris de la petite friture, Joe Bonamassa en personne, ce que l'on appelle un virtuose, au chant il ne vaut pas Leslie et cette version ne vaut pas celle de WBL, l'a tout ce qu'il faut le bonhomme Bonamassa, sauf, je sens que je vais me faire haïr, une authenticité blues. C'est tout de même mieux que ce que seraient capables de faire les 99, 999 pour cent des habitants de notre planète.

     

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    Legend : comme son nom ne l'indique pas le compositeur Joseph Pizza - il a participé à la composition de cinq autres titres de l'album - ne travaillait pas dans une pizzeria mais dirigeait une société pharmaceutique, c'est aussi un vieil ami de Leslie, c'est Jenni(fer) ( que Leslie a demandée en mariage sur scène – bonjour Johnny Cash - lors du concert organisé pour fêter l'anniversaire des quarante ans du Festival de Woodstock ) qui avait travaillé dans l'entreprise de Pizza qui l'a encouragé à montrer ce morceau qu'il avait composé trente-cinq ans auparavant. Bon ce n'est pas le slow de l'été mais la ballade de l'hiver. C'est fou comme les amerloques ont l'art de vous tourner la ritournelle... un peu déplacée sur cet album tout de même... Leslie se fait plaisir à la guitare... Nothing's changed : Leslie et Zakk Wylde sont à la lead, Zakk Wilde est un poème rock à lui tout seul entre autres guitariste-compositeur pour Ozzy Osborne et fan de Neil Young – parfois les contraires s'attirent – avec Leslie ils font des miracles, comment ne pas sortir du cadre du blues tout en cassant tout à l'intérieur de la baraque. Surveillez vos enceintes, ça fuse de tous les côtés, et vos esgourdes engourdies ne s'en plaindront pas. Vous non plus. I feel fine : la reprise que l'on n'attendait pas, des Beatles de 1964, faut entendre comment Leslie vous bouscule le cocotier, le larsen inopiné de Lennon en ressort tout tarabusté, tout fuzzillé, le plus marrant c'est qu'au vocal Leslie suit de près la structure originale du morceau. Love you for ever : le titre le plus long, un régal, répétons-le, Leslie ne redécouvre pas la bombe atomique, juste un morceau de rock comme il en existe des centaines, et l'on se prend au jeu et l'on balance la tête en cadence, tout est à retenir, cette cloche de vache, et surtout cette guitare qui n'en finit pas de gronder de toutes les manières possibles et inimaginables, Leslie a le pêchon, se croit au bon vieux temps de Mountain, nous aussi. My gravity : blues balladif, beaucoup plus crédible que Legend, une guitare qui grince et une voix qui crie, quoi de plus pour être heureux, tout est dans la nuance, dans la déglingue, le doigté, l'écorchure des cordes, une espèce de mini-symphonie qui ne déparerait pas dans certaines virtuosités instrumentales de musique classique expérimentale d'aujourd'hui, mais il faut savoir l'écouter. Parfois le serpent qui tue est tapi sous les feuilles mortes de l'automne. The party's over : Slash et Zack Wylde ont failli à l'époque jouer ensemble dans Guns N' Roses, Leslie les réunit et leur laisse le champ libre, vous jouent le hit de Willie Nelson de telle façon que vous comprenez qu'entre le blues et le country il n'y a pas plus d'espace qu'un feuillet à cigarettes, tout en force et tout en douceur. L'intro et la fin touchent au sublime de la simplicité. I don't know ( the Beetle juice song ) : beaucoup n'aiment pas cet ultime morceau, dédié à un ami nain de Leslie, une démo, une pirouette, une comédie, une parodie, une chansonnette, perso j'adore.

    Cet Unusual Suspects souffre d'un grave défaut. Les morceaux sont trop courts. Une moyenne de trois minutes, nettement insuffisantes de nos jours ( et même à cette époque presque lointaine ) pour le blues. L'aurait fallu élaguer et s'autoriser deux cachalots de sept minutes ( au minimum ) chacun, cela aurait permis aux invités de s'amuser. Leslie semble peu partageur sur ce coup-là, coupe le gâteau en deux, la moitié pour lui, le reste pour les invités, et encore il en profite pour grignoter la cerise rythmique sur la part des autres. L'est sûr que d'un autre côté en 2011 le concept de double-album n'avait plus trop la cote. Ce qui nous aurait privé de bien de nos frustrations. L'ensemble vous laisse un goût d'inachevé dans la bouche. Manque aussi un désir poivré d'aventure, les invités servent le maître, le maître ne se sert pas de ce jeune sang pour explorer des eaux tumultueuses. L'on eût aimé un trait d'union entre le Hard et le Metal et l'on assiste à un prudent repli vers le camp de base du blues. Toutefois ne l'oubliez pas : the West is the best.

    Damie Chad.

     

    *

    Il est des volatiles qui ne sont guère volatiles, ne se dissipent pas dans l'air ambiant, ne s'évaporent pas aussi facilement qu'on l'espère. Ces deux-là on a cru les faire taire une bonne fois pour toutes. Privation de concerts, deux confinements coup sur coup pour être sûr qu'ils ne s'en remettraient pas, hélas le deuxième n'est pas encore terminé que les maudits cui-cui viennent nous faire coucou sur leur chaîne You Tube. Ne sont pas morts. Faudra se résoudre à l'idée qu'ils ont survécu. Se sont pris pour des pigeons voyageurs, ont volé à tire d'aile jusqu'en Bretagne, avec leurs guitares et le chat – on pensait qu'ils l'auraient abandonné en région parisienne, mais ils n'ont pas osé – on se disait, au moins on est tranquille pour un bon moment, ben non, au lieu de rester à roucouler dans leur nid douillet, ils en ont profité pour enregistrer at home un album, titré Unicorns, n'est pas encore sorti, mais comme il leur restait du temps de rabe ils ont aussi tourné avec l'aide de Rattila Pictures quelques clips, et pour nous gâcher l'espoir insensé que l'année 2021 serait merveilleuse pour le monde entier, l'on n'était pas encore descendu du sapin de Noël que le matin du 26 l'on avait droit à un premier envoi de missile crashbirdien. La grande menace de l'éradication totale de l'espèce humaine n'était donc pas une vaine promesse...

    MEDALS AND BADGES

    CRASHBIRDS

    ( Clip / Décembre 2020 )

    Au début tout est parfait. Feu de cheminée, bibliothèque emplie de bouquin, parquet ciré, Delphine toute belle, toute sage sur son fauteuil. Rien de mal ne peut vous arriver. Pour un peu vous réciteriez du Baudelaire :

    Là, tout n'est ordre et beauté,

    Luxe, calme et volupté.

    Un léger défaut tout de même. Pourquoi l'image réduite au format d'un double-timbre-poste, n'occupe-t-elle pas tout l'écran ? La réponse est donnée deux secondes plus tard. Sur la noirceur droitière s'inscrit en lettres d'or – couleur normale pour des – Medals and Badges, pendant que Pierre s'en vient s'assoir au bureau devant le moniteur de l'ordinateur, et crac, voici l'image séparée en trois rectangles un grand, et deux petits. S'amusent dès lors à alterner les plans, tantôt les deux ensemble, tantôt en train de jouer, tantôt en train de se concentrer, pour nous une manière de participer en même temps à l'enregistrement des différentes pistes ou des manipulations diverses des appareils exigés par l'enregistrement lui-même. Les cui-cui nocifs sur-multipliés, non pas à l'infini, mais presque. Pour les reluqueurs de plans cordiques, vous en avez des pleins-écrans qui occupent tout l'espace, entourés d'un ravissant cadre mauve chaque fois que Pierre ramone un solo. En plus vous avez le résultat sonore final qui défile dans vos oreilles. Attention, z'ont laissé le fin boulot du mixage et du mastering à Eric Cervera. Verra pas plutôt, car n'est pas présent sur le clip, l'a dû logiquement s'atteler à la tâche après les séances d'enregistrement. Ceux qui n'ont pas l'oreille et l'œil parfaitement désynchronisés risquent de s'y perdre un peu, tant pis pour eux ! Il ne faut jamais prendre pour argent content ce que l'on voit et ce que l'on entend. Ne pas être dupe du monde immonde dans lequel on vit, c'est d'ailleurs un peu la philosophie profonde des textes des Crashbirds. Si vous êtes fiers de votre mention Très bien au bac, ou si vous arborez à votre veston la médaille du travail que votre patron vous a offert pour votre départ à la retraite, sachez que vous n'êtes pas dignes d'écouter la musique des Crashbirds. Elle vous restera incompréhensible, elle vous dépasse et vous enterre. Profitez-en pour goûter l'ironique enseignement du montage : toutes ces cases tracées à l'angle droit, nos deux cui-cui s'en amusent, volent de l'une à l'autre, refusent de rester enfermés, détestent les prisons et les étiquettes, sont partout à la fois, ici et là, à tel point que je suis obligé – ô crime insensé – de toucher au vers de Baudelaire, le grand Charles il aurait mieux fait d'écrire : Là, tout n'est que désordre et beauté !

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    Passons aux choses sérieuses. A la musique. Au nouveau morceau des Crashbirds. Pierre n'est pas comme Empédocle qui a abandonné ses sandales sur le bord du cratère avant de se jeter dans l'Etna. Lui il n'oublie jamais ses pantoufles soniques. Les emmène toujours avec lui dès qu'il joue de la guitare. Adepte du Do It Yourself, il les a bricolées lui-même, prend son pied avec ces boîtes en bois résonnantes. Les martèle, l'en tire le rythme originel, le temps fort celui de la haine, et le temps doux du silence celui de l'amour, j'invite le lecteur à se rendre compte que le battement du pied lehouliérin bat pour ainsi dire à contre-sens du système philosophique d'Empédocle, chez lui la haine coup porté rapproche et l'amour pied levé éloigne. C'est vraisemblablement pour cette ambiguïté congénitale que des millions de personnes détestent le rock'n'roll.

    Pas besoin de batterie chez les Crashbirds, toutefois un instrument de percussion, la cloche de vache que Delphine Mississippi Queen Viane active dans les moments cruciaux. La cloche à vache joue dans la musique des cui-cui le rôle du tocsin dans les catastrophes médiévales - cités en flammes, population massacrée - un tap-tap lugubre qui vous glace le sang, justement dans le morceau qui nous occupe Delphine ne se prive pas de s'en servir. Comment une fille si ravissante peut-elle déclencher de tels mouvements de frayeur dans votre imaginaire phantasmatique...

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    Pierre est du genre pragmatique, à allumer le bâton de dynamite du rock'n'roll autant mettre le feu aux deux bouts en même temps. Donc si son pied droit n'arrête pas une seconde de frapper le sol de ses boîtiers – c'était ainsi que les anciens grecs suscitaient la colère élémentaire des puissances ténébreuses de la Terre – ses deux mains sont rivées à sa guitare. A l'horizontalité phonique il rajoute la verticalité cordique. Donne l'impression qu'il en extrait un jus noir qui coule sans fin pour ajouter de la noirceur funèbre au monde. L'univers des Crashbirds n'est pas rose.

    Rouge vif, flamme ravageuse qui court et réduit en cendres les forteresses de la bêtise oppressive. Ce rôle est dévolu à Delphine, à sa guitare à la sonorité beaucoup plus claire, entêtante et enivrante. Une voix ardente et ravageuse, rythmée et sans pitié, coupante comme une serpe qui, inflexible, s'abat sur les prétentions indues, et dénonce les faux-semblants de la comédie humaine.

    Medals and Badges est un morceau entraînant - ne souriez pas, ne sautez pas de joie - à la manière du joueur de flûte de Hamelin, cette musique vous transporte, elle agit en tant que manipulation mentale, dès qu'elle retentit, vous ne pouvez qu'être d'accord, en harmonie avec elle. Elle vous enfièvre, elle vous soulève, elle vivifie votre sang, vous file une nouvelle énergie, ces fameux cui-cui vous leur pardonnez tout, car ce qu'ils expriment, vous le reconnaissez, c'est le vieux fond primal du blues, magnifié, électrifié, carbonisé, cabonarisé, qui s'insinue en vous et ne vous lâche plus. Le serpent chthonien qui vous enlace et vous communique l'esprit reptilien de survie et de révolte. Celui qui refuse de pactiser. Surtout pas pour une médaille en chocolat.

    Damie Chad.

     

    Talking ‘Bout My Generation

    - Part Three

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    A dream come true, comme aiment à le dire les Anglais lorsque leurs rêves se réalisent : Jake Calypso en couve de Rockabilly Generation. Portée symbolique pour un premier numéro de l’année à venir qu’on espère tous moins pourrie que celle qui se termine. Ah la vache !, comme disait Jacques Vaché en tirant une bouffée sur la pipe d’opium qui allait le tuer. D’autant plus Ah la vache que Jake est l’un des artistes les plus intéressants de notre époque, mais ça, Damie Chad l’a très bien dit voici 15 jours. C’est même un vrai coup d’encensoir qu’il a balancé sur la gueule du pauvre Jake. Bing ! Trente-six chandelles ! Jamais rockab n’avait reçu pareil hommage, même pas Charlie Feathers sous la plume du vaillant Guralnik. Bravo Damie pour l’analogie avec Bernard Palissy, car oui, c’est exactement ça, Jake est un héros car les héros ne renoncent jamais. On l’a vu à l’œuvre et on sait pourquoi il monte sur scène : pour rendre hommage à ses héros. L’histoire du rock (le bon rock bien sûr) n’est faite que de ça : de héros qu’on appelait jadis les pionniers et de kids qui ont assez de talent pour savoir leur rendre hommage. Et personne n’est mieux placé que Jake pour ça, jugez du peu : Buddy Holly, Little Richard, Elvis, Johnny Burnette et Gene Vincent, cinq tribute albums dont on a déjà dit le plus grand bien ici dans KRTNT. Damie a raison de parler de «rêve sans trêve» et de «walk on the wild side», et de tirer à l’équerre cette chute qui tinte si juste à l’oreille du lapin blanc : «Un des engagements les plus créatifs du monde rock actuel, y compris en comptant les anglais et les américains». Oui Jake mérite bien cet éloge, car il est simplement formulé et encore une fois d’une justesse confondante. Tous ceux qui ont vu Jake sur scène ou qui connaissent ses disques le savent pertinemment. Il faut aussi le voir à la page 6-7, Jake, là, devant sa cabane où il vous invite à entrer, cette cabane qu’on retrouve stylisée sur la pochette de Boogie Around The Shack. 25 Blues Boppers Selected By Jake Calypso. Alors entrez les gars ! Mettez-vous à l’aise, on va causer. Et Jake te raconte sa vie, la vie d’un mec normal passionné de musique, ses deux enfants, sa copine, ses boulots et ce here we go qui revient en permanence, le besoin de monter sur scène, même si comme il fait bien de le rappeler, «c’est pas un métier où on gagne bien sa vie». Il s’en fout, il y va. C’est pas le genre de mec à compter ses sous en se grattant les couilles. Go cat go !

    Comme tout le monde aujourd’hui, et surtout les musiciens qui n’ont plus le droit de jouer, il fait une brève allusion à l’actualité, il appelle ça «ce bordel de corona» : rester chez toi à écouter des disques et regarder des DVD ? «Mais non, il manque un truc», dit-il et quel truc ! La scène ! C’est-à-dire le plus important, une espèce de raison de vivre. Sans la scène, tout ça n’a plus aucun sens. Surtout pas les pseudo-concerts à la mormoille dans les ordis et sur les smartphones. Ce qui frappe le plus dans cet interview fleuve, c’est la simplicité du ton. Jake est un mec bien, l’anti-m’as-tu-vu par excellence, il répond aux questions parce que c’est l’usage mais dès qu’il peut, il revient à la musique. Elle a changé sa vie, dit-il. Par contre, l’interview se termine en queue de poisson. «Pas de projet phare parce que nous ne savons pas où nous allons.» Tu rigoles ? Pas de meilleure auspice que cette couve. C’mon, Jake ! On continuera d’aller boire des coups pour aller faire les cons dans les concerts, pas de problème. Jake en couve, ça veut dire bientôt Béthune et bientôt les bars, bientôt le retour des contrebasses et des cool cool cats. Ça va rebopper sec dans les estaminettes !

    Rockabilly Generation ajoute deux annexes à cette superbe interview : la discographie complète de Jake montée avec les visuels des pochettes, ce qui permet de mesurer l’étendue de l’œuvre et pour les ceusses qui suivent, de compléter, car on y trouve des trucs nouveaux parus en 2020, et deux pages plus loin, une double qu’on peut décrocher pour la punaiser au mur, comme quand l’ado avait bon dos. Bon alors après on feuillette, nouvelle interview, cette fois c’est le Big Beat boss Jacky Chalard qui dresse un panorama captivant de la culture rock’n’roll en France, on tourne la page et pouf ! On tombe sur la photo d’un mec coiffé d’une casquette blanche. Petit moment de stupeur accompagné d’une bulle au dessus de la tête : «L’ai déjà vu ce mec-là...».

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    ( Photo de : rocky-52.net : Camping Cats )

    Eh oui, Bruno Grandsire, l’un des mecs les plus élégants qu’on pouvait voir sur scène à l’époque du Bateau Ivre, un endroit que vénéraient les oiseaux de la nuit rouennaise car on pouvait s’y piquer la ruche jusqu’à quatre heures du matin. Au Bateau passaient chaque soir des groupes dans des genres différents, garage, metal, reggae, rockab, chanson, avec chaque fois des publics différents en plus des habitués, une faune extraordinaire et l’ambiance était tellement bonne qu’on faisait systématiquement la fermeture. Un soir, Orville Nash était à l’affiche, accompagné par les Camping Cats. Les Cats jouèrent en première partie et wow, le mec à la gratte était franchement bon, the real deal, assez haut, d’une grande maigreur, comme sur les photos, en marcel blanc et coiffé d’une casquette bleue. Le jeu dans le public aviné consistait à réclamer des morceaux pendant les blancs et on réclama «One Hand Loose» que le grand maigre en casquette bleue attaqua aussi sec au débotté de tiptop daddy. Non seulement il connaissait bien le cut, mais il en fit une version fabuleuse. Voilà, c’est Bruno Grandsire. La classe. Puis les Camping Cats accompagnèrent ce vieil Orville qui lui aussi gagne à être connu. Ce serait peut-être l’occasion de rappeler tout le bien qu’il faut penser de son premier album, Nashin’ Around, paru sur Rollin’ Rock à une autre époque. Autant dire que retrouver l’excellent Camping Cat comme ça au détour d’une page, c’est la même chose que sortir de l’enveloppe le nouveau numéro de Rockabilly Generation et tomber sur Jake : a dream come true.

    Signé : Cazengler, dégénéré

    Rockabilly Generation. N°16 - Janvier Février Mars 2021

     

    Que le Grand Funk me croque

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    L’histoire de Grand Funk Railroad est celle d’un groupe américain immensément populaire dans les années soixante-dix mais détesté par l’establishment de la critique rock. Mark Farner, Mel Schacher et Don Brewer ne comprenaient pas pourquoi on les haïssait tant dans la presse rock, alors qu’ils remplissaient le Shea Stadium aussi facilement que les Beatles. Avec An American Band - The Story Of Grand Funk Railroad, Billy James apporte quelques éclaircissements sur ce phénomène aussi peu sympathique qu’incompréhensible. C’est vrai qu’avec le recul, on se demande si les critiques de l’époque ont écouté les albums. Comme dirait l’autre : Pourquoi tant de haine ?

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    Bon alors attention, Billy James ne se prétend pas écrivain, mais c’est sans doute parce qu’il ne vole pas très haut, littéralement parlant, qu’il colle bien à son sujet. Billy James propose un récit purement chronologique et ne produit aucun effet de manche. Pas de réflexions philosophiques ni de fins de chapitres spectaculaires. Il se contente de remonter le fil de l’histoire album après album et pour étoffer un peu, il cite les réactions systématiquement négatives des journalistes anglais et américains.

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    L’histoire de Grand Funk est aussi celle d’un groupe plumé par un manager/producteur un peu trop gourmand, Terry Knight. D’ailleurs, Farner démarre comme bassman de Terry Knight & the Pack, le heavy band de Flint, Michigan, qui était en vogue dans la région à la fin des sixties. Il fut embauché à cause de sa ressemblance avec Brian Jones, car Terry Knight était fan des Stones. Il était aussi le DJ le plus populaire de Detroit. Quand Terry Knight part à New York faire un peu de business, Farner et Brewer montent Grand Funk Railroad. Farner se dit fortement influencé par Howard Tate et Aretha, côté voix, Jimi Hendrix et early Clapton côté guitare. Il voit le groupe comme un groupe de hard rock, comme on l’appelait alors, dans la veine de Mountain et d’Iron Buterfly. Il tire le nom du groupe d’une institution de l’époque : The Grand Trunk & Western Railroad. Bonne pioche, Mark.

    Quand Knight écoute jouer le power trio, il accepte de les aider à une condition : contrôle absolu en tant que manager, producteur, porte-parole et mentor musical, c’est-à-dire qu’il veut tout superviser, l’image du groupe et la direction musicale. Aujourd’hui encore, on peut se demander comment Mark, Schach et Donnie on pu être assez cons pour accepter une telle proposition. Non mais franchement ! Alors après, ils peuvent venir se plaindre. Ouine ouine, il nous a pompé tout notre blé, ouine ouine, il nous poursuit en justice, ouine ouine, comment qu’on va faire pour sortir des griffes de cet escogriffe ? Pas de panique les gars, John Fogerty et les Stones ont subi le même sort et ils ont réussi à s’en sortir.

    Et pourtant, Terry Kinght les avait prévenus, en les faisant asseoir dans la cuisine de Chuck Klipper en mai 1969 : faites gaffe les gars, si vous signez, vous renoncez à votre liberté et à toute vie privée ! Ils signent et fracassent un six-pack de bières pour célébrer ça. Tout ce qu’ils voulaient, c’était devenir célèbres. Ils en avaient assez de jouer dans les bars. Oh pour devenir célèbres, il vont le devenir !

    Ils commencent par faire un carton à l’Atlanta Pop Festival et un mec de Capitol qui les voit sur scène les signe on the spot. Ils ont déjà une démo, celle de leur premier album, On Time, qui a été rejetée par tous les label de l’époque, y compris par Capitol à deux reprises, mais le coup d’Atlanta les propulse dans le stardom. Knight produit mais c’est un certain Kenneth Hamman qui enregistre. Hamman a bossé pour Human Beinz et il bossera pour Bloodrock, James Gang et Pere Ubu.

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    Leur premier album s’appelle On Time et paraît en 1969. On y trouvera du seventies rock du Michigan, ni meilleur ni pire qu’un autre seventies rock du Michigan. Mais on s’y attache, via des choses comme «Are You Ready». Ils proposent un funk de rock à la bonne aventure et Farner part en virée de gras double à l’ancienne. Il fait du méthodique, sans fluidité particulière. C’est très rock, très axé sex appeal. Ils jouent avec «Time Machine» la carte d’un son efficace, celui du heavy boogie bien dodu, bien en place. Ils cultivent encore leur power-triotisme patenté avec «High On A Horse». Cette fubarderie les rend infiniment louables, Farner attaque au bon son, il est là, on peut compter sur lui. C’est un brave mec.

    L’album est massacré par la critique. Personne n’en veut à la radio. C’est le commencement du grand Grand Funk Bashing qui, nous dit Billy James, dure encore. Les critiques s’acharnent sur Grand Funk : «L’un des groupes les plus simplistes, les plus nuls, les plus plats de l’année.» Pourtant, que la pochette est belle - comme l’est la montagne de Jean Ferrat - nous dit le petit Billy James - Don the wildman drummer, Mel the dark brooding bassist and Mark the sex symbol of the group - Cette image est même un peu surréaliste, bien dans le ton de l’époque. Ils brandissent tous les trois des morceaux de train.

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    Leur deuxième album paraît la même année sous une pochette rouge devenue mythique : c’est bien sûr l’excellent Grand Funk. Schach y trône avec sa jazz bass. C’est Grand Funk at their loudest and heaviest, nous dit le petit Billy James. Tout est bien là-dessus. On est frappé dès «Got This Thing On The Moon» par la prééminence du son de la basse et l’excellente dynamique triétale. Ils vont enchaîner une série de cuts bien catapultés, drivés par une basse sourde comme un pot. Farner intervient ici et là pour farcir la dinde. Certains cuts comme «Mr Limousine Driver» paraissent un peu figés dans le temps. Les dynamiques sont comme retenues par l’élastique du pantalon et Farner se fend d’un solo féroce aux dents pointues. Excellent ! En B, on tombe sur un «Paranoid» qui n’est pas celui de Sabbath. Ce heavy tempo du Michigan se laisse déguster tranquillement et s’orne de beaux bouquets de voix et de retours de voix gonflées aux trois voix. Le hit de l’album est une reprise des Animals, «Inside Looking Out». Idéal pour le Funk - Woo baby all I need is some tender lovin’ - Farner peut-il vraiment rivaliser avec Eric et rac ? Dommage que les trois Funk délayent la sauce, c’est l’une des manies des seventies, on délayait à longueur de temps et soudain ça part en dérapage contrôlé sur le riff de basse, let me feel alrite et ça finit en beauté.

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    Selon le petit Billy James, Closer To Home is considered the definitive Grand Funk Railroad album, car il contient tous les éléments qui vont faire la renommée internationale du groupe. Selon lui, «I’m Your Captain/Closer To Home» est la plus belle compo de Mark. C’est vrai que l’album ne laissait pas indifférent. On y retrouvait bien sûr l’énorme son de basse de Schach : «She’s A Good Man’s Brother» et «Aimless Lady» ont largement de quoi rendre un homme heureux. Curieusement, la guitare de Farner reste planquée dans l’ombre. Grand Funk, c’est Schach ! Ils font l’instro de la concorde avec «Get It Together» et tout explose en B avec «Hooked On Love», un heavy tempo presque joyeux et des filles aux chœurs, très Southern, dans l’esprit Allman Brothers, une sorte de désinvolture ombragée, comme ça, ni vu ni connu, ils chantent à deux voix, I don’t care who you are, les chutes de couplets sont superbes et avec l’arrivée des filles, ça donne du very-very-big sound. Ils finissent l’album avec l’archétypal «I’m Your Captain». On y sent une volonté de beauté michiganesque, ils cherchent la voie du paradis - I’m getting closer to my home - Étrange parti-pris d’extension du domaine de la turlutte. Ça finit par devenir très beau car très orchestré.

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    Bon, les gars, si on faisait un album live ? Banco ! Et pouf, voilà le fameux Live Album. Il paraît la même année que Closer. Les Funkers ont trouvé leur vitesse de croisière : deux albums par an et des concerts sold-out à travers les États-Unis. Un Farner the farmer qui arrive toujours torse nu sur scène et qui envoie avec ses deux vaillants compagnons l’un des meilleurs blasts des Amériques. Sur ce double album tellement typique de l’époque des double albums (Steppenwolf, Doors, Allman Brothers), on trouve une belle version d’«Inside Looking Out», avec un Schach qui rôde dans le marigot comme un gator en maraude. Avec ses grandes dents pointues, ce Schach est un carnassier du son, il faut l’entendre pousser des pointes dans le heavy groove des Animals. Quel spectacle ! Il faut aussi le voir redémarrer au wild drive d’orverdrive, ce mec abuse, il profite du privilège d’un son énorme, il se déplace à notes lourdes, à pas d’éléphant pendant que Farner the farmer s’épuise en vain à soloter. On assiste médusé à un final exceptionnel de dérapage, aïe aïe aïe, fantastique power du Funk ! En fait Schach embarque tous les cuts un par un, il faut aussi le voir déménager la fin d’«Heartbreaker» et faire tout le jobby jobbah sur «Mean Mistreater». On l’entend aussi broder à l’infini dans «Are You Ready». Tel un dieu effréné, il joue au pulsatif dévorant. Live, «Paranoid» se transforme en merveille de heavy seventies sound. Avec «In Need», ils jouent leur carte favorite, celle du power-trio. Schach s’y tape un énorme passage de transe. Il pousse le bouchon jusqu’au paroxysme. En fait ils groovent à deux, Schach et Donnie, comme le montre si bien «Mark Say’s Alright». C’est une vraie machine et Farner the farmer semble paumé dans le fond du son. Ils terminent en D avec un long «Into The Sun» que Schach bouffe tout cru, il broute et il broie, il nettoie tout sur son passage, il joue à l’absolute power drive dévastateur, tout en lignes géométriques et définitivement rockantes. Il faut vraiment avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie, car outch !

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    Mark Farner finit par prendre les réactions de critiques à la rigolade : «Le lendemain du concert, on se demandait toujours ce qu’allaient dire les critiques, car de toute évidence, ils n’avaient vu le même show que celui où on jouait.» Un critique anglais finit quand même par prendre la défense de Grand Funk : «C’est sûr, ils ont un son agressif et ils jouent fort, c’est même assez cru, mais c’est bien foutu. Leur son correspond au goût américain. Ils sont las de la guerre du Vietnam et voient leur société se désintégrer. Ils jouent en réaction contre tout ça et expriment simplement leur colère. Il vaut mieux exprimer sa colère en jouant du rock plutôt que d’aller se battre dans les rues.» Le petit Billy James vole une fois encore à leur secours en déclarant : «Grand Funk a un truc que n’ont pas les autres. Creedence ne l’a pas, Sly et Zeppelin non plus. Il faut monter jusqu’à des gens comme Presley, les Beatles, les Stones et Sinatra pour trouver ce truc. Eux comme Grand Funk sont plus importants sociologiquement que musicalement. Grand Funk transmet à son public un truc que ne peuvent transmettre les autres groupes. Voilà pourquoi ils sont devenus un phénomène. Mark Farner dit à son public : «Nous sommes une partie de vous, nous sommes votre voix.» Phénomène typiquement américain.

    Bon les sous rentrent dans les caisses et Farner achète sa ferme dans le Michigan près de Hartland. Elle va jouer un rôle considérable dans la suite de cette aventure. Farner the farmer y construira le Swamp, c’est-à-dire le studio dans lequel le groupe va enregistrer ses futurs albums. Il exploitera aussi ses terres, car il a grandi dans une ferme. À tel point qu’il finira par ne plus porter de pattes d’eph à cause des herses et par se couper le cheveux pour ne pas se les coincer dans des machines agricoles.

    À l’époque, Farner the farmer fréquente aussi assidûment John Sinclair et son Rainbow People’s Party. Pour leur premier concert en Angleterre, ils jouent à guichets fermés à l’Albert Hall sans aucun support médiatique, ni radio, ni presse.

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    Ils sont devenus le groupe du peuple. Pour bien synthétiser l’idée, il se déguisent en hommes des cavernes sur la pochette de Survival. Urgh ! Album cromagnon, donc, avec une basse à l’avenant. Dès «Country Road», Schach monte devant au gros popotin, c’est le tagada semelles de plomb du Michigan. Ils parviennent tous les trois à développer des dynamiques intéressantes, même dans un balladif mi-figue mi-raisin comme «Comfort Time». Ils font aussi deux belles covers, à commencer par le «Feelin’ Alright» de Dave Mason. Comme ils la passent pas les fourches caudines du Michigan, ce n’est pas de la dentelle. Tout est monté sur le taratata de Schach, il est vraiment au cœur du son, il le bouffe tout cru. Farner the farmer sait aussi très bien placer sa voix, comme le montre «I Want Freedom» qui ouvre le bal de la B : joli travail d’orgue et de chœurs, très Southern rock, Farner the farmer va chercher le feeling du gospel batch. L’autre bonne pioche est le «Gimme Shelter» des Stones. Alors ça te donne de la Stonesy du Michigan avec un Schach on bass fuzz lancé à l’assaut du ciel. Il ramone sa ligne de basse comme un petit savoyard. Quelle allure ! Il fallait y penser. Quelle bonne idée que d’aller éclater ce cut qui est la prunelle de nos yeux au bassmatic.

    C’est l’année où ils organisent le fameux concert du Shea Stadium et Knight embauche les frères Maysles pour le filmer. L’idée est de faire un film sur Grand Funk, puisqu’ils sont devenus aussi célèbres que les Beatles et les Stones. Et Knight profite d’une conférence de presse pour indiquer que la presse n’est pas la bienvenue et qu’il n’a pas besoin d’elle. Le groupe va très bien, merci. Pour la première tournée européenne, Knight embauche Humble Pie pour jouer en première partie. C’est à cette occasion que les Anglais découvrent l’ampleur du despotisme de Knight qui interdit à Mark, Schach et Donnie de sortir le soir, car il veut qu’ils soient en forme le lendemain. Mais les trois Funkers mettent des oreillers sous les couvertures et sortent en douce par la fenêtre pour aller faire la fête avec Humble Pie. Comme les Stones, ils donnent aussi un concert gratuit à Hyde Park. Les Funkers ne se privent d’aucun luxe.

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    Comme ils sont en plein élan, ils enregistrent un deuxième album en 1971, l’excellent E Pluribus Funk. On devrait plutôt dire qu’ils le frappent, car la pochette est un écu d’argent. C’est encore Schach qui embarque le «Foot Stomping Music» et Donnie fouette ses peaux de fesses. Ils font de la haute voltige et on les applaudit bien fort. Farner the farmer écrase sa wah dans le brûlot anti-guerre «People Let’s Stop The War». Il est enragé. Ils montent encore en régime avec «Upsetter» et «Come Tumblin». Ils élèvent l’art du power trio au rang d’art majeur. C’est excellent car Farner the farmer sort un jeu funky. «Quelle santé !» s’exclame-t-on en redécouvrant «Come Tumblin». Sans doute est-ce là leur meilleur album. Ils ramonent tout le Michigan et la vieille rondelle flappie des seventies. On ne comprend toujours pas que les critiques aient pu les détester à ce point. Leur Tumblin est magnifique, plein de vie, bien remonté des bretelles au bassmatic, joué funky dans les virages et battu à la diable. Schach y passe même un solo de basse énorme et terriblement ventru. La B reste au même niveau, avec un «No Lies» bardé de big American sound. Ils multiplient les variations et Farner the farmer chante plutôt bien, perché sur la pointe de sa glotte rurale. On l’imagine debout, torse nu, face au stade, tout seul avec sa guitare. Il faut du courage pour aller s’exposer de la sorte. Il a la chance de pouvoir compter sur ses fidèles amis Schach et Donnie. C’est vraiment excellent, il faut le redire, ils multiplient à l’infini les lourdes dynamiques du Michigan et Farner the farmer relance à coups de ahhhh perçants. Par contre, «Loneliness» est tellement épique qu’on se croirait chez Wagner.

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    Et voilà, les Funkers ont vendu 20 millions de disques en deux ans. Rien qu’avec six albums. Farner the farmer, Schach et Donnie demandent à Knight où est passé le blé. Et c’est là que commence la sérénade habituelle. Knight possède 20% de Grand Funk Railroad Enterprises, un conglomérat qu’il a monté pour préserver ses trois poulains de la rapacité des impôts. Il touche 5/8èmes des royalties sur les ventes et la moitié des droits sur les compos de Farner the farmer et Donnie. Donc, il ramasse plus de blé que les musiciens. Farner the farmer, Schach et Donnie estiment qu’ils ont généré entre 3 et 5 millions de dollars en deux ans et donc ils se demandent où est passé tout ce blé. Toujours la même histoire. En désespoir de cause, ils font appel à John Eastman Jr, le beau-frère de Paul McCartney pour les aider. Leur objectif prioritaire est de casser le contrat avec Knight. Ça va coûter bonbon. D’autant que Knight engage une équipe d’avocats spécialisés et demande 25 millions de dollars de réparation pour cassure de contrat intempestive. Eastman fait interdire à Knight tout accès aux comptes du groupe et dans la foulée, Donnie appelle le Madison Square Garden pour annuler les concerts prévus, c’est-à-dire qu’ils font une croix sur quelques millions de dollars de recettes. Cette fantastique machine qu’est le Grand Funk Railroad s’arrête brutalement, comme le dit si bien le petit Billy James.

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    Comme le Phoenix, les groupe va renaître de ses cendres en 1973, sous la houlette de leur ami Andy Cavaliere. D’ailleurs le nouvel album s’appelle Phoenix. Changement radical de son, car Knight ne produit plus. C’est là qu’arrive Craig Frost, le keyboard man. C’est lui qu’on entend dans «Flight Of The Phoenix», un instro bien râblé. Tout l’album est bien noyé d’orgue. Les Funkers étoffent leur son comme s’ils voulaient chasser le souvenir de Knight. L’orgue est plutôt bienvenu. Pas accueilli en vainqueur mais bienvenu. Mais l’A peine un peu à convaincre les cons vaincus. Farner the farmer s’assoit à sa fenêtre pour regarder tomber la pluie dans «Rain Keeps Falling» - Oh yeah rain keeps falling on my window pane - Le Funk se réveille un peu en B avec «I Just Gotta Know», un cut assez majestueux très chanté et sérieusement nappé d’orgue, mais on note que Schach joue maintenant en retrait. «Freedom Is For Children» sonne très prog anglais avec un chant monté en neige du Kilimandjaro. Ils terminent avec un «Rock N Roll Soul» joué au charivari d’orgue. Ils campent bien sur leurs positions qui sont celles du gros popotin des seventies. L’album ne se vend pas très bien, mais Farner the farmer, Schach et Donnie se sentent mieux, débarrassés de ce rapace de Knight.

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    Le groupe reprend son envol avec We’re An American Band. Ils font appel au boy genius, c’est-à-dire Todd Rundgren, pour le produire. Le résultat ne se fait pas attendre : tight performance, great vocals, catchy hook et great production. À l’époque Rundgren a produit the Band, Paul Butterfield, Jessie Winchester et Badfinger, c’est donc un affûté. Il prend très au sérieux la mission qui lui est confiée : «Le but de mon travail avec eux était de les valoriser en tant qu’artistes. Ça a été clair dès le début.» Rundgren les encourage, même quand Farner the farmer n’a pas l’air sûr de lui : «Good, really good. Je pense qu’on a quelque chose d’intéressant.» Le morceau titre de l’album est de la dynamite, les critiques le reconnaissent enfin - Grand Funk n’a plus rien à prouver, enfin, et ça prouve aussi que leurs fans avaient raison depuis le début - C’est la réparation d’une injustice. Ils entraient enfin dans le cercle de ce que le petit Billy James appelle les «superstar rock’n’roll groups of the early 70’s - avec leur private Lear jet, wild parties and groupies, cannabis maximus et même a not-too-hostile press, bien que le groupe ne fut jamais totalement accepté par les critiques.» C’est vrai qu’on trouve des petites merveilles en B, du genre «Walk Like A Man» et «Loniest Rider». Rundgren met les guitares en avant et ça donne un vrai festival de la guitarra del sol bien sonnée des cloches. Du coup, Schach passe complètement à l’arrière. Le Rider est bardé de son et du meilleur, celui de Rundgren, qui est alors au sommet de sa gloire visionnaire. Ce rider est beau, comme emblasonné, joué à la lancinance des lignes errantes. Absolue merveille productiviste, voilà un cut dont on peut s’abreuver jusqu’à plus soif. C’est joué dans la grandeur d’une latence dont seul est capable Todd Rundgren. Le son est comme suspendu au dessus des jardins suspendus de Babylone. Tout aussi bien produit, voici «Ain’t Got Nobody». C’est un peu comme si les Funkers passaient de l’âge des cavernes aux temps modernes. Farner the farmer passe des solos excellents. Encore de belles guitares dans ce heavy groove de funk qu’est «Creepin’». On sent l’influence de Rundgren dans le jeu liquide de Farner the farmer. Et puis avec «Black Liquorice», les Funkers s’en vont secouer le grand cocotier. Quelle belle cavalcade !

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    Rundgren accepte de produire un deuxième album avec eux. C’est l’excellent Shinin’ On. Il introduit les cuivres dans l’univers musical des Funkers et ça leur donne un Detroit Wheels sound. C’est là que se niche leur reprise de «The Loco-motion», véritable coup de génie sonique, avec la basse de Schach qui remonte à la surface du son et Farner the farmer y passe un solo killer flash d’étranglement cadencé. Rundgren joue de la guitare dans «Carry Me Through», avec un son typique de «Little Red Lights», il joue sa vieille carte fatale, celle du solo suspensif. On a un beau fondu de voix dans le morceau titre qui fait l’ouverture du bal d’A. Ce rock grouille de son, de nappes d’orgues et de shinin’ on. Tout l’album grouille de vie et de puces, on se pourlèche aussi les babines de «To Get Back In», c’est là que les cuivres entrent dans la danse, c’mon Todd ! Et puis il y a ce «Mr Pretty Boy» en B qui guette l’imprudent voyageur, c’est merveilleusement délié, une vraie sinécure, ce Pretty Boy incarne le génie du rock américain.

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    Comme Rundgren n’est pas libre, Farner the farmer, Schach et Donnie font appel à Jimmy Ienner pour produire All The Girls In The World Beware. Il est important de rappeler que Ienner fut le producteur des Raspberries. Et là, boom, nouvel album énorme. Dès «Runnin’», ils se placent sous l’égide du real good time rock’n’roll. C’est solidement cuivré, aussi solide que du Blood Sweat & Tears. Excellent, plein de vie et superbement produit. Tout est bien foutu sur cet album, Farner the farmer mène bien ses troupes dans «Look At Granny Run Run», il chante au feeling de niaque du Michigan, n’hésitant pas à vriller certaines syllabes pour amener du relief. C’est en B qu’ils stockent la viande, tiens, comme ce morceau titre qui évoque un fantastique déploiement d’énergie. Ça grouille encore une fois de tout ce qu’on peut imaginer. Craig Frost noie tout ça d’orgue. Les Funkers jouent vite et bien et nous plongent dans un véritable bain de jouvence. Ils tapent plus loin «Good & Evil» au heavy groove des seventies et comme Farner the farmer est en verve, il nous plonge dans des abysses. Nouveau coup de génie avec «Bad Time». Back to the good time music des jours heureux. C’est une vraie bénédiction. On y sent l’influence de Rundgren, ils frisent l’«I Saw The Light» de Something/Anything. Extraordinaire bouquet de good vibes ! C’est l’un des plus beaux hommages jamais rendus à Todd Rundgren. Ils terminent avec une flamboyante reprise de «Some Kind Of Wonderful». Du coup, les voilà devenus rois de la cover fatale. The Michigan Cover kings !

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    Comme leur notoriété atteint son sommet, ils en profitent pour sortir un deuxième album live, Caught In The Act. On y retrouve tous les classiques du Funk et ce qui fait leur spécificité, le big beat de foot stomping («Foot Stomping Music») et les belles giclées de Michigan power qui illustrèrent si bien les seventies. Ce démon de Schach ronfle bien dans le son («Rock & Roll Soul»). Comme de vieux monarques, ils jouent en permanence la carte du pouvoir absolu : la poigne d’acier dans un Michigan de velours. Leur «Closer To Home» est si savamment orchestré qu’on finit par se faire avoir. Ils alignent de belles reprises, «Some Kind Of Wonderful» et «The Loco-Motion» et se tapent une belle échappée belle avec «Shinin’ On». Le shuffle d’orgue leur va comme un gant (de velours). Farner the Farmer est parfaitement à l’aise dans le son, il faut le voir tortiller son long cours dans «The Railroad». Ils finissent avec leur deux plus grosses énormités, «Inside Looking Out» et «Gimme Shleter». L’inside des Funkers est assez démoniaque, avec ce redémarrage à contre-courant, à coups de Yes I feel alrite.

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    Malgré les quatre cercueils présentés sur la pochette, Born To Die est un album plein de vie. Farner the farmer gère toujours son business au mieux, comme le montre le morceau titre d’ouverture de bal d’A. On sent l’influence de Rundgren dans le fond de ce rock étrange en qui tout est comme en un ange aussi subtil qu’harmonieux. L’indicible règne dans l’ombre des cercueils. Farner the farmer frappe un grand coup avec «Sally». Il ne baisse jamais les bras. Il reste ce rocker pur et dur du Michigan qu’on admire depuis le début. Excellente Sally, Farner the farmer la travaille au yeah yeah yeah, au solo d’harmo, sur un beat de good time music de rêve. C’est un bonheur pour l’œil que de voir ces mecs grimpés au sommet de leur art. On trouve encore du bon big beat en B avec «Take Me». Ils savent torcher un album, on peut leur faire confiance. Ils font du gros menu fretin de Funk avec «Politician» et soudain tout s’éclaire avec «Good Things». Farner the farmer l’allume à coups de guitare électrique. Ce mec a le rock dans le sang. Il sait driver un heavy rock à fière allure. Avec le temps, il a appris à balancer ses mesures et maîtrise le good timing à la perfection. C’est excellent, vraiment excellent.

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    C’est Frank Zappa qui produit Good Singin’ Good Playin’. Quand Andy Cavaliere prend contact avec lui, Zappa lui demande ce qu’il espère. Cavaliere lui demande de faire en sorte que le son du groupe soit très spontané. Alors Zappa dit okay, je veillerai à la spontanéité. Ils enregistrent l’album au Swamp de Farner the farmer. Zappa s’entend bien avec les trois cocos : «J’ai vraiment apprécié ce job de producteur, car je suis devenu pote avec les mecs du groupe, ce qui n’est pas toujours le cas quand je travaille avec d’autres gens. Ils ont un très bon sens de l’humour. C’est rare dans le rock de tomber sur des gens aussi sympathiques. Dans ce milieu, les gens sont généralement assez pénibles. Ils se prennent le plus souvent au sérieux et je ne cherche pas à socialiser avec eux car ils ne présentent aucun intérêt. Ils n’évoluent pas. Ils sont dans leur stardom et sont complètement fucked up. Mais les Grand Funk pètent et s’envoient des boulettes au lance-pierre, c’est le genre de personnes auxquelles je peux m’identifier. L’autre truc qui nous rapproche, ce sont les articles insultants dans la presse. J’en ai eu autant qu’eux, alors je suis de leur côté.» Zappa explique aussi comment il a travaillé : «Tout ce que je me suis contenté de faire, c’est de les enregistrer. Ce sont leurs notes, c’est leur musique. Je me suis contenté de mettre ça sur bande. C’est le premier album de Grand Funk qui sonne vraiment comme Grand Funk. Les précédents albums ont été produits dans un mouchoir de poche. Si cet album ne rétablit pas la vérité de Grand Funk auprès du public, ça veut dire qu’il ne reste plus aucune oreille potable en Amérique. C’est le rock’n’roll album of the year, my friends.» Il a raison, l’animal. Selon le petit Billy James, c’est certainement le meilleur Grand Funk album. C’est vrai qu’on s’y cogne dans les merveilles, d’autant que Zappa met la batterie au devant du mix, avec un son bien sourd. On retrouve donc le côté épais du Grand Funk avec la légèreté de la pop supérieure. Mélange très intéressant, comme le montre si bien «Just Couldn’t Wait». Et le festin se poursuit avec «Can You Do It». Farner the farmer et ses copains ont du répondant. Voilà encore un cut bien soulevé des chœurs et sourd comme un pot, avec un petit côté Remake It/Remodel. Sur chaque album du Grand Funk se trouve un cut qui accroche particulièrement et c’est ici le cas avec «Pass Around». Farner the farmer y passe un solo glouglou qui restera un modèle du genre. Derrière lui, ça joue au heavy beat et Farner the farmer amène du développement, il reste à l’affût du big beat avec une présence incroyable. Et ça continue avec «Miss My Baby», un joli balladif de fin d’A - I miss my baby/ I think I’m going crazy - Farner the farmer pousse des ouh ouh comme Lennon le fait dans «Cold Turkey». Ils attaquent leur belle B avec «Out To Get You», un instro épique bien bardé de barda. Farner the farmer le charge au solo liquide, mais il semble que ce soit Zappa qui coule un bronze au Michigan. On tombe plus loin en arrêt devant «Crossfire», un groove d’anticipation subalterne très bien foutu. Zappa a bien pigé les dynamiques du Grand Funk. Ils montent ensuite leur «1976» sur la mélodie chant de «Gimme Shelter», avec la même insistance et le même développé de coin du bois, mais qui leur en fera le reproche ? Pas nous, en tous les cas.

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    En 1976, Grand Funk est burned out, nous dit Donnie. Le groupe se sépare. Donnie, Schach et Craig Frost montent Flint. Leur album Flint sort en 1978. C’est la première fois que Schach joue de la guitare. Ils ne sont pas jolis sur la pochette, avec leurs grosses afros de cromagnons et tous ces poils sur la poitrine. Ils démarrent avec un remake de «Back In My Arms Again», un hit signé Holland/Dozier/Holland. C’est bien foutu, bien lesté de plomb du Michigan et de big guitars. Oh pour ça on peut leur faire confiance. C’est Donnie qui chante. L’autre belle reprise est celle de «For Your Love» avec Todd Rundgren on guitar ! C’est traité très 10 CC, on retrouve les accents pop de Gouldman. Todd joue aussi sur «Too Soon To Tell» et bien sûr il fait des merveilles. On se régale aussi du power des chœurs féminins sur «You Got It All Wrong». Les filles derrière sont fabuleuses. C’est cuivré de frais et bien monté côté beat. Todd revient en B allumer la gueule de «Keep Me Warm». Belle Soul pop, chœurs de rêve, elles s’appellent White Lightning et sonnent très Motown, très veloutées et très chaudes, très scéniques. «Better You Than Me» sonne comme une bonne aubaine. Zappa on guitar, cette fois. Il sait rentrer dans le lard d’un cut et faire l’infectueux. Il coule se source, littéralement. Il envenime le cut assez fiévreusement. Donc au final, on a pas mal de viande sur cet album. Ça continue avec «Rainbow», une belle pop de Soul cuivrée à la volée, avec du beau monde derrière. Son de rêve. C’est tout de même incroyable que ce groupe n’ait pas marché. Zappa revient jouer dans «You’ll Never Be The Same». Toutes ses parties de guitare sont spectaculaires et juteuses. Il se fond dans le mood de Flint avec une gourmandise bien affichée. C’est même une grosse compo, de type groove urbain et orbi, sevré à la folie musicologique. C’est d’un niveau extrêmement élevé. Mais comme CBS traverse une crise, le groupe est viré. Le second Flint ne verra jamais le jour.

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    De son côté, Farner the farmer entame une carrière solo et débarque sur Atlantic en 1977. Son premier album s’appelle tout bêtement Mark Farner. On le voit à cheval sur un poney apache. Il adore cette imagerie. Il monte sans selle, bien sûr. Il a du beau monde derrière lui : Bob Babbit on bass et, sur un cut ou deux, Dick Wagner on guitar. Ce démon de Farner the farmer chante vraiment bien, comme le montre une fois de plus «Dear Miss Lucy». Il n’a décidément besoin de personne en Harley Davidson. Il manque de se vautrer avec ce «Social Disaster» qui frise le rock symphonique à la mormoille. Il boucle son bal d’A avec «He Let Me Love», un balladif bien vivace, chanté à grands renforts de glotte alerte et territoriale. Il adore chanter torse nu depuis le haut du promontoire. Mais en même temps, il n’est plus vraiment dans le son de Grand Funk. C’est autre chose. «You And Me Baby» montre qu’il sait rester entreprenant. C’est le principal. Il propose plus loin un «Lady Luck» assez musclé. Il adore les muscles. Au fond, il est bien ce petit Farner, il continue de faire des trucs dans son coin. Il boucle son bouclard avec un «Ban The Man» dégoulinant de heavy boogie. C’est du rock d’Atlantic.

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    L’année suivante, il enregistre un deuxième album solo, No Frills. Belle pochette, on le voit assis dans un avion à côté d’un big businessman qui déjeune. En gros, Farner the farmer reste dans le même son, il joue toutes ses cartes, mais les cuts de l’A refusent d’obtempérer. Rien à faire. Il s’en sort en B en retapant dans les Animals avec une cover de «We Gotta Get Out Of This Place». Rien de tel qu’un vieux stomp de Newcastle pour remettre les pendules à l’heure. Il renoue enfin avec le big beat du Michigan dans «Greed Of Man». C’est là qu’il fait la différence, en joignant le power riffing au chant de chat perché. Judicieux mélange.

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    Farner the farmer et Donnie décident de remonter le groupe en 1981, mais Schach refuse, prétextant une phobie de l’avion. En fait il ne voulait plus avoir affaire au cirque habituel du management et des publicistes - I gave them my apologies. I helped them write both albums - Bon tant pis, ils prennent un nommé Dennis Bellinger pour remplacer Schach à la basse et enregistrent Grand Funk Lives. Ça barde dès l’ouverture de bal d’A avec «He Sent Me You» : stomp du Michigan + chat perché + belle prod de Jimmy Iovine, c’est une espèce de formule gagnante. On se régale du gratté de guitare. Andy Newmark bat le beurre, c’est beautiful et bien senti. L’autre hit de l’album est la reprise de «Just One Look» en B. Farner the farmer la dote de tout le power du Michigan et ça devient génial. Muscler les vieux hits des sixties, c’est vraiment sa spécialité. Il tape aussi une reprise de «When A Man Loves A Woman» et nous régale d’un très bon «Crystal Eyes» joué bien heavy. Réflexe d’acier.

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    Dernier spasme du très grand Funk en 1983 avec What’s Funk. Malgré sa pochette putassière, c’est un bon album. Farner the farmer n’a jamais pris les gens pour des cons. Il propose une belle cover de Martha & The Vandellas, «Nowhere To Run». On sent que Farner the farmer est de plus en plus à l’aise sur sa guitare et au micro. Mine de rien, il est en train de devenir un vrai pro. Il faut l’entendre taper «It’s A Man’s World» de James Brown en B. Il est gonflé. En fait, il l’adapte à son registre. Il l’apprivoise, en quelque sorte. Il en fait du Farner the farmer. Il chante aussi le freedom d’«El Salvador» à la cocote lourde, sur le riffing de «Satisfaction». C’est plein de bons échos, y compris ceux du «Freedom» de Jimi Hendrix. Il se replace sous l’égide de la good time music pour «I’m So True». Ça lui va comme un gant. On entend là-dedans des échos de Brian Wislon, c’est dire si c’est bon ! Il finit avec une belle giclée de heavy rock, «Life In Outer Space». Il sait tartiner, il n’a plus rien à prouver. C’est extrêmement bien foutu, car chanté à l’étalée constituante.

    Le mot de la fin revient à Donnie le fidèle batteur : «Nous n’étions que des gamins de Flint, Michigan. En deux ans, de 1969 à 1971, on est passé du stade de petit garage band à celui d’un groupe qui remplit le Shea Stadium plus vite que les Beatles. Nous n’avions que 21 ans. C’était comme dans un rêve.» Et Schach ajoute : «Ce fut un tourbillon. Tout est arrivé très vite et on avait du mal à tenir la pression. Tout ce qu’on pouvait faire c’était s’accrocher pour tenir ce train d’enfer.»

    Signé : Cazengler, petit funk

    Grand Funk Railroad. On Time. Capitol 1969

    Grand Funk Railroad. Grand Funk. Capitol 1969

    Grand Funk Railroad. Live Album. Capitol 1970

    Grand Funk Railroad. Closer To Home. Capitol 1970

    Grand Funk Railroad. Survival. Capitol 1971

    Grand Funk Railroad. E Pluribus Funk. Capitol 1971

    Grand Funk Railroad. Phoenix. Capitol 1973

    Grand Funk Railroad. We’re An American Band. Capitol 1974

    Grand Funk Railroad. Shinin’ On. Capitol 1974

    Grand Funk Railroad. All The Girls In The World Beware. Capitol 1974

    Grand Funk Railroad. Caught In The Act. Capitol Recors 1975

    Grand Funk Railroad. Good Singin’ Good Playin’. Capitol 1975

    Grand Funk Railroad. Born To Die. Capitol 1976

    Grand Funk Railroad. Grand Funk Lives. Full Moon 1981

    Grand Funk Railroad. What’s Funk. Full Moon 1983

    Flint. Flint. Columbia 1978

    Mark Farner. Mark Farner. Atlantic 1977

    Mark Farner Band. No Frills. Atlantic 1978

    Billy James. An American Band. The Story Of Grand Funk Railroad. SAF Publishing ltd 1999

     

    THE SECOND

    STEPPENWOLF

    ( Dunhill, ABC Records / 1968 )

     

    Du mal avec cette pochette, d'après moi pas la meilleure réalisation de Gary Burden qui semble s'essayer avec maladresse au symbole psychédédic, pas de quoi faire exploser les engrammes dans votre boîte crâniennes. S'il était cuisinier, je ne lui refilerais pas une étoile.

    John Kay : lead vocal, harmonica rhythm guitar / Michael Monarch : lead guitar / Goldy McJohn : piano, organ / Rushton Moreve ; bass / Jerry Edmonton : drums.

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    Faster than the speed of life : pas d'erreur c'est Jerry Edmonton qui se charge du vocal, le morceau est de Mars Bonfire aka Dennis Edmonton qui recycle un peu l'idée de base de son Born to be wild, mais apparemment dans l'imaginaire populaire il est plus sauvage de chevaucher un cheval d'acier que le corps d'un être féminin, bref l'ensemble semble un peu léger, s'en détachent les deux longs hennissements pianistiques de Goldy et surtout cette frappe bondissante de Jerry qui a déjà sauvé beaucoup de titres des Sparrow, avec ce grille-pain l'on est plus près du Moineau que du premier album du Loup. Tighen up your wig : l'ambiance change de tout au tout avec ce titre de Kay qui prend les commandes, l'est manifeste que l'on quitte le psyché pour le proto-hard, le son est raffermi, ramassé, tassé un vieux fond de blues qui ne veut pas mourir et que l'on revigore à l'aide d'un moonshine survitaminé. None of your doing : morceau écrit par Kay avec Gabriel Mekler, producteur des quatre premiers albums du groupe, un des protagonistes essentiels de Steppenwolf, c'est lui qui proposera de donner ce nom au groupe à Kay qui hésitera avant d'accepter, n'ayant pas lu le bouquin, c'est encore lui qui aura eu une influence déterminante sur l'écriture de Born to be wild, notamment de l'expression heavy metal, ironie de la vie il décèdera à 34 ans en 1977 d'un accident de moto, et comme le monde est petit, c'est lui qui fonda les labels Vulture Records et King Lizard Records sur lesquels enregistra Nolan Porter de qui le groupe français de Northern Soul, Soul Time vient de reprendre If I only could be sure, ce que nous présentions dans notre numéro 488 du 10 / 12 / 2020, et comme il est des hasards étranges dans la même livraison nous nous intéressions à une évocation par Marie Desjardins de Janis Joplin, dont Gabriel Mekler produisit en 1969 l'album I got dem ol' kozmic blues again, mama sur lequel on retrouve parmi les musiciens Michael Monarch, Jerry Edmonton, Goldy McJohn, plus au clavier Gabriel Mekler himself qui cosigne avec Janis le titre Kozmic Blues... et qui driva aussi les enregistrements pour Three Dogg Night et Etta James... Dans la série j'ai beaucoup vécu, Kay prend sa voix la plus sympathique, Goldy se sert de son orgue à la manière des prestidigitateurs de fêtes foraines qui jouent du xylophone sans le toucher pour appâter le public et le pousser à entrer admirer le monstre dans la baraque fermée. C'est un loup sauvage qui passe par trois fois son museau par un trou de la toile, si vous voulez le voir et surtout l'entendre, faites la queue ( leu leu ) comme tout le monde. Spiritual fantasy : la suite de la chansonnette précédente, mais le décor a changé, Kay vous la chantonne doucement mais c'est pour mieux vous enjoindre de vous méfier, des beaux discours et des belles chansons. Le violon doucereux est là pour vous endormir. La fantaisie est beaucoup plus politique que spirituelle. Une veine parallèle au Strange Days des Doors, mais Morrison vous entrouvre davantage la porte de corne et d'ivoire de la poésie. Don't step on the grass, Sam ! : l'on entre dans le vif du sujet, tout est politique même l'herbe sur laquelle on marche et que l'on fume, rythme hypnotique, la fumée dans les yeux un serpent me regarde, magie noire du Loup, Jerry et John se soutiennent au vocal, à deux l'on est plus persuasifs, longtemps que je n'avais écouté ce morceau, et il est encore plus puissant que dans mes souvenirs, commence à poindre l'idée que ce disque est monté comme une parade de bateleurs qui vous refilent le rêve frelaté dont vous avez toujours rêvé... 28 : un orgue entraînant, une mélodie pimpante, un pas en avant dans la comédie du monde, l'on finit la face A, dans la vie l'important c'est de ne pas perdre la face, la soupe à la grimace vous réchauffe tout de même le ventre. Le loup est noir, mais le monde est d'un gris sale.

     

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    Magic carpet ride : un des morceaux les plus connus du Loup, ça commence par un bruit de pales d'hélicoptère... mais l'apocalypse n'est pas pour maintenant, laissez-vous glisser sur le tapis de l'orgue, vous entraîne au loin, surtout n'ouvrez pas les yeux, vous ne savez pas ce que vous pourriez voir. Musique inquiétante. Plus près de l'early Pusher que des mille et une nuits d'amour. Disapointment number ( unknown ) : blues primal, Kay crie sur le quai de la vie que ce n'est pas OK, plus on avance dans ce disque, moins on rigole, la musique vous pousse au cul et vous ne pouvez plus reculer. Devant c'est l'abîme, derrière c'est le précipice, Monarch merveilleux à la guitare, quintessence du blues, plus rien à perdre ni à gagner. Lost and found by trial and error : on efface tout et on recommence, plus enjouée, plus optimiste, Monarch qui rigole ses accords à la guitare, suffit d'un trois fois rien pour dissiper le malheur, parfois le hasard fait bien les choses. Hodge, podge, strained, through a leslie : la suite de l'historiette, ou plutôt le tronçon qui s'adapte à la brutale coupure du précédent, une rythmique un peu jazzy-funk, le loup folâtre gambade à pleines pattes, le petit chaperon rouge s'avance vers lui pour entrer dans la danse. Monarch en profite pour piquer les hannetons avec sa guitare. Resurrection : tout va mieux, le Loup secoue gentiment le panier à salade, l'on sent que ce soir le porte monnaie du blues sera ouvert en grand et que chacun pourra y puiser à pleines mains. Liesse générale. Rythme précipité. Reflections : berceuse pour s'éveiller, soleil, aube, tout va bien.

    La face 2 est pratiquement un mini-opéra – fille et solitude - à elle toute seule. Etrange disque en même temps très disparate et très unitaire. L'on s'attend à un déluge de feu, seules quelques balles de tireurs d'élite sifflent à vos oreilles, mais elles font toutes mouche. Le comble pour un Loup ! 1968 est une année de grand bouillonnement pour le rock'n'roll, il était difficile à l'époque de savoir, non pas où il allait, mais comment il y allait. Suffisait de se laisser porter sur son escalator volant. Ce second disque de Steppenwolf n'a pas laissé un grand souvenir dans la mémoire morte des générations, mais son écoute s'avère passionnante.

    Damie Chad.

     

    XIV

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    Voici quelques précisions

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    Je ne vous décris pas la mine du Chef et du Cat Zengler, lorsque nous nous transportâmes devant la voiture stationnée au bas de l'appartement du Zengler Man :

      • Agent Chad parfois j'ai du mal à comprendre, vous arrivez avec une superbe jeune fille – Noémie se rengorgea ( c'est vrai qu'elle avait une très belle gorge ) – et au lieu de la faire asseoir à vos côtés, vous donnez cette place à un macchabée de vieille grand-mère toute dégoulinante de sang !

      • Invraisemblable surenchérit le Cat Zengler, il l'a donc faite asseoir derrière à côté d'un chiot qui n'arrête pas de vomir son repas, d'après ce que j'en juge, le sacrispant avait au moins avalé deux mètres de saucisse de Strasbourg !

      • Cher Cat, désolé de te contredire mais les vomissures de Molissito n'ont rien à voir avec la charcuterie alsacienne, cette bidoche c'est du cent pour cent normand !

      • Cher Chad, je ne voudrais pas te contredire, mais cela n'a rien à voir avec l'andouillette à la rouennaise !

      • Totalement d'accord avec toi my Cat, ce sont des doigts humains !

    Cette dernière déclaration jeta un léger froid, sans s'émouvoir outre mesure le Chef prit les opérations en main :

      • Procédons avec ordre et méthode, d'abord fourrons la mamy sanglante à l'abri dans le congélateur de Zengler, une fois cette opération terminée, j'aimerais bien m'asseoir au calme pour fumer un Coronado et écouter le rapport de l'agent Chad !

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    J'épargnerai aux lecteurs ma semaine de recherches infructueuses tout comme je ne me suis guère étendu sur les heures passées sous les branches du pommier avec Noémie...

      • Molossa avait trouvé une piste, nous la suivîmes, elle se dirigeait tout droit vers le cimetière au milieu duquel s'élève l'Eglise de Triffouilly-les-Vikings. Dès que nous eûmes passé la grille Molossa fila tout droit sur l'allée de gauche, c'est alors que nous entendîmes des bruits bizarres, nous débouchâmes en plein festin, une vingtaine de chiens s'affairaient autour de tombes toutes fraîches qu'il avaient ouvertes, certains grattaient encore la terre mais la majeure partie était fort occupée autour de trois cadavres qu'ils déchiraient à belles dents de fort bon appétit. Au milieu d'eux je récupérai Molossito qui s'attaquait comme un grand aux cinq doigts d'une main inerte. Il devait être repu, car il nous suivit dans rechigner à l'autre bout du cimetière où la truffe au sol Molossa nous guida.

      • Attendez que j'allume un deuxième Coronado intima le Chef, je sens que nous sommes sur une bonne piste, continuez agent Chad ! Nous sommes tout ouïe, votre entrée en matière nous a mis l'eau à la bouche !

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      • Vous souvenez-vous Chef, des aventures d'Arthur Crescendo tournées par Vince Rogers ?

      • Inoubliable certes, s'exclama le Chef, ah ce combat dans les sous-sols morbides de ce bâtiment désaffecté contre les réplicants, ces petits cris indistincts et terriblement inquiétants qu'ils poussent, je passe toujours cette séquence lorsque ma belle-fille emmène sa marmaille à la maison, filent tout droit se cacher sous les couvertures et il n'y en a pas un qui moufte avant le lendemain midi ! Nettement plus efficace que la pédagogie Montessori !

      • Exactement les mêmes cris se faisaient entendre dans la nuit noire du cimetière, nous nous sommes approchés à pas de loup et tapis derrière une tombe nous les avons vus ! Ils étaient quatre en train de creuser fosse, en retrait il y en avait un qui donnait des ordres, devait être un réplicant de la dernière génération, un évolué, parlait aussi distinctement que vous ou moi !

      • Diable, si les Cramps avaient pu assister à une telle scène, quel merveilleux album de rock'n'roll en auraient-ils tiré se lamenta le Cat Zengler

      • Ah, my cat, n'oublie pas non plus, le grand Screamin' Jay Hauwkins ! L'aurait pris la même voix glaciale que le cinquième réplicant '' Vous deux allez chercher la vioque, qu'on la foute au fond du trou, personne ne pensera à venir la chercher ici ! Et les deux autres aplanissez le fond proprement'' C'est à ce moment que Molossito a poussé un rot monstrueux, un véritable meuglement de vache à l'heure de la traite. Nous ont repérés tout de suite, se sont rués sur nous pioches levées. J'ai dégainé et fait feu. Cinq coups entre les deux yeux. Ne restait plus qu'à les jeter dans le trou et à les recouvrir de terre. Nous avons récupéré la cadavre de la Mamy et avons filé pour être à l'heure au rapport. Mission accomplie Chef.

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    Le Chef semblait aux anges, il souriait, mais lorsque Noémie dégrafa son corsage pour en retirer une enveloppe rose, il exulta :

      • Vite que je prenne un nouveau Coronado, cette écriture à l'encre violette me laisse subodorer que vous avez récupéré un ultime message de la Mamy, je m'attends à des révélations extraordinaires, ouvrez vite ce courrier, chère Noémie, le temps presse, refoulez votre émotion, la survie du rock'n'roll est en jeu.

      • Je l'ai récupéré dans la l'horloge de Mamy, elle adorait ce meuble, et j'ai pensé que...

      • Arrêtez de penser, chère enfant, lisez !

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    '' Ma chère Noémie, tu as de toujours été ma petite-fille préférée, une enfant douce et sensible et tu as compris que je gardais un terrible secret au fond du cœur, le voici je te le livre : mon grand-frère Christophe et moi étions amants, nous nous voyions souvent la nuit, je le rejoignais et nous passions des heures de bonheur dans sa Panhard vert pistache... J'étais dans la voiture lorsqu'elle s'est écrasée, un peu de ma faute, je l'ai embrassé un peu fougueusement et il a perdu le contrôle du véhicule... J'en suis sortie miraculeusement indemne, personne ne l'a jamais su... Plus tard je me suis mariée avec ton grand-père que tu as connu, c'était un homme gentil, mais jamais je n'ai oublié Christophe, mon grand amour... J'aimerais être enterrée à ses côtés, c'est-là ma dernière volonté. ''

    P. S. : pour la petite histoire et pour te faire sourire, le lendemain de l'accident un journaliste d la Normandie-libre, qui tenait la rubrique des chiens écrasés, est venu à la maison, histoire de glaner un peu de copie, j'y ai raconté n'importe quoi, que Christophe revenait de voir un concert d'un groupe de rock, L'homme à deux mains, le premier nom idiot qui m'est passé dans la tête. Ce n'était pas vrai, mais plus tard mes parents ont trouvé dans les affaires de Christophe des lettres passionnées et sans équivoque que nous nous adressions. Pour que rien ne transpire, aux voisins qui avaient lu la Normandie-libre et qui s'interrogeaient sur ce groupe de rock local inconnu, au fil des mois ils ont raconté qu'ils avaient entendu dire qu'ils étaient tous morts... Depuis tout le monde a oublié, mais si cette histoire parvient à tes oreilles, n'y prête aucune attention.

    Ma chérie, je t'embrasse, ta Mamy qui t'aime.

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    Il y eut un moment d'émotion, le Chef en profita pour allumer un Coronado. Son œil pétillait de joie, c'est avec entrain qu'il édicta ses ordres :

      • Enfin tout s'éclaire, procédons avec méthode, Zengler et Noémie, vous restez ici, débrouillez-vous pour enterrer Mamy à côté de son frère, quelques coups de pioche cette nuit et l'affaire sera vite réglée. Agent Chad, faites prendre un vomitif à Molissito et une fois qu'il sera rétabli, on file à Paris à tout berzingue dans la panhard pistache !

      • Chef, elle ne marche pas très bien, cette panne devant l'église, nous sommes revenus sans jamais dépasser la seconde !

      • Agent Chad vous n'avez donc rien compris ! Je parie un Coronado tout neuf que si vous enlevez le chiffon que les Réplicants ont fourré dans le pot d'échappement, elle filochera comme jamais !

    Evidemment il avait raison !

    ( A suivre... )