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tim bogert

  • CHRONIQUES DE POURPRE 524 : KR'TNT ! 524 : TIM BOGERT / FRANCOIS PREMIERS / SOUNDCARRIERS / LEOPARDS / CARL McVOY / EKULU / DICK RIVERS / ROCKAMBOLESQUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 524

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    07 / 10 / 2021

     

    TIM BOGERT / FRANCOIS PREMIERS

    SOUNDCARRIERS / LEOPARDS

    CARL McVOY / EKULU / DICK RIVERS

    ROCKAMBOLESQUES

     

    Bogert back (to where you once belonged)

    • Part Three

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    Redevenu libre, Tim Bogert s’est lancé dans une multitude de projets polymorphiques. Timmy c’est l’incarnation de la joie de vivre, il peut jouer n’importe quoi avec n’importe qui. Dans le milieu, on l’aurait appelé Jo le Caméléon. Sa carrière solo est un véritable capharnaüm.

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    En 1977, on le retrouve sur Absolutely, le deuxième album de Boxer, une espèce de super-groupe monté par Mike Patto, Ollie Halsall et Tony Newman. Adrian Fisher remplace Ollie sur Absolutely. On les voit tous les cinq au dos. Chris Stainton et Fisher portent des peignoirs. On se demande ce qu’un géant comme Timmy vient faire là-dedans. Il se contente de bombarder ses triplettes de Belleville dans un petit rock concassé. Paru en 1977, cet album n’a effectivement aucune chance. Il faut bien dire que le rock américain un peu musclé de la fin des seventies vieillit très mal. En plus, ils n’ont pas de chansons. Ça complique tout. Patto peut créer du climat, ça ne sert à rien. En B, on voit Timmy se noyer dans la masse d’«I Can’t Stand What You Do». On sent son énergie, mais le cut ne décolle pas. Les Boxer font un rock qu’on ne réécoute pas, bon d’accord, c’est très ambitieux, très harmonique, un brin proggy mais ça nous passe par dessus la tête. On entend Timmy voyager dans le boogie d’«Hand On Your Heart», c’est très impressionnant, mais c’est vraiment tout ce qu’on peut en dire.

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    Deux ans plus tard, il se retrouve embarqué dans un autre projet, Pipedream. Le guitariste s’appelle Ben Schultz, un surdoué originaire de Floride avec lequel Timmy jouera encore plus tard. Pour compléter cette fine équipe, on trouve un ex-Iron Butterfly (Jan Uvena) et un ex-Captain Beyond (Willie Daffern). C’est donc un super-groupe. Ils n’enregistrent qu’un seul album : Pipedream. Bon alors attention, ce n’est pas l’album du siècle. Timmy chante en lead, épaulé par Ben Schultz au gras double. Ils ont du son à la pelle, c’est le moins qu’on puisse dire. Il faut attendre la fin du bal d’A pour voir palpiter ses narines : Ben Schultz joue la carte du gras double dans «Feel Free». La morale de cette histoire, c’est que Timmy finit toujours par s’associer avec d’excellents guitaristes. Ils font du Cream, ni plus ni moins. L’autre bonne surprise du bal d’A, c’est «Heather», un funky strut idéal pour le roi du bassmatic. Ils s’amusent à jouer dans des styles différents, c’est l’apanage des surdoués des alpages. La B peine à jouir malgré d’indéniables qualités de sur-jeu et il faut attendre «Lires» pour voir ses narines repalpiter, oui, car voilà une belle petite dégelée de big sound avec du chant à deux voix par dessus les toits. Ce Ben Schultz est vraiment très présent, quelle excellente clameur ! Et tout ce que fait Timmy est bon, ce «Lies» est même un modèle du genre, alors t’as qu’à voir. On assiste à un duel Schultz/Timmy en groove de train spectaculaire. C’est ce qu’on appelle généralement un duo d’enfer.

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    Fatigué des super-groupes, Tim Bogert entame en 1981 une carrière solo avec un bel album raté, Progressions. Carmine n’est même pas là. L’avantage, c’est qu’on entend Timmy chanter, il est bon, comme on l’a vu avec Pipedream, mais les compos calent en côte : cette pop ambitieuse arrosée de synthés s’éloigne à grands pas de Cactus. Timmy vise le rock symphonique. Ouille ouille ouille. Il cultive des ambitions démesurées. Écouter ce genre d’album permet de voir à quel point un mec doué peut se vautrer. «Make No Mistake» est une pop énergétique bien orchestrée mais saturée d’effets. Le guitariste s’appelle Jay Williams. Timmy tente peut-être de revenir aux sources du Vanilla Fudge qui visait aussi un idéal de pop orchestrale, mais ce qu’il propose ici est infiniment plus putassier. La B n’apporte pas d’eau au moulin d’Alphonse Daudet, alors on fait la gueule, on est triste pour Timmy, triste de voir le roi du bassmatic se vautrer. Il tente de sauver les meubles avec un «Caught In Her Flame» plus musclé et bien amené, mais on passe trop au travers de cette pop qui finalement ne veut pas dire son nom. American prog ? Ce pauvre album ne laissera pas de trace.

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    Deux ans plus tard, Timmy se déguise en sorcière pour apparaître sur la pochette de Master’s Brew. Cette fois, il ramène des pointures : Carmine Appice, Rick Derringer et Mark Stein. Il démarre avec «Let Him Know», une belle pop de Brill que Carmine bat comme un sourd. Il n’y a que deux cuts en A et «Devotion» sonne comme un rock atmospherix pas très catholique. Mais on remarque que Timmy peut aller chanter très haut dans le ciel. La B retombe elle aussi comme un soufflé. Voilà un «Don’t Leave Me This Way» très pompeux et très symphonique. Dave Platshon vole au secours de «Slow Dancin’» qu’il bat à marche forcée, et dans l’équipe, on retrouve Mark Stein et Brian Auger, excusez du peu. Timmy y joue un peu de basse funk, ça fait drôle de l’entendre pondre du klonk. Bon, cette histoire bizarre s’achève avec un «Trouble» plein d’allant et d’allure que Timmy chante vraiment bien. Mais bon, inutile de courir chez votre disquaire. Il semble que cet album raté n’ait jamais été réédité.

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    On retrouve Timmy dans le Ben Schultz Band et l’album Tri Ality qui sort en 1992. Il a toujours côtoyé de bons guitaristes, et après Jim McCarty, Jeff Beck et Vinnie Martell, voici Ben Schultz, un mec pas très connu mais un vrai fan de Jimi Hendrix, si on en juge par «You’ve Got Me Floating». Schultz ne recule devant aucun obstacle, il joue dans la mélasse funk hendrixienne et renoue bien avec l’esprit voodoo. Sur cet album, tout est déterminé et forgé à l’enclume. Timmy ne joue pas sur tous les cuts. Il faut attendre «Ready For Love» pour l’entendre. Avec Ben, ils sont dans quelque chose de grandiose. Timmy gère le background au bassmatic comme il sait si bien le faire. Schultz fait des cuts tout seul («2 Good 2 Be 4 Gotten») et des power-intros («Cabo Real»), il n’a aucun problème, le son est là. Étonnant guitariste. Pas étonnant que Timmy se soit maqué avec lui. On reste dans la puissance avec «In The Light Of You» et ils passent au heavy blues avec «Lestat». C’est l’occasion pour Timmy de renouer avec le heavy dirty bassmatic. Schultz est bon, il gratte son gras double. Il sait aussi faire des exercices de style comme Jimmy Page («Intermission») et Timmy s’en va brouter dans le pré carré de «Jazz Whizz». Schultz ressort le riff de «Locomotive Breath» pour «The Knife» et ça se termine avec un mini-opéra, «The Philosopher» en trois parties, où l’on voit ce Schultz jouer des tourbillons et entraîner toute la population dans son délire. Il faut bien se souvenir de ce nom, c’est un guitariste furibard capable d’exactions monumentales, ses descentes aux enfers sont spectaculaires, c’est bardé de son mais voué aux oubliettes. On se souviendra néanmoins de cette explosion finale. Schultz, Ben Schultz !

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    Timmy se spécialise dans le montage de projets biscornus. En 1993, sort l’album d’un consortium nommé Jon Bare, Tim Bogert & Chet McCracken. L’album s’appelle Killer Whales. C’est l’occasion de découvrir cet excellent chanteur/guitariste qu’est Jon Bare. Ils démarrent sur un «Be Young» explosif. On se croirait chez Cactus. Une certaine Sally Loloya chante sur «Be Young», mais après, Jon Bare reprend la barre. Quant à Chet McCracken, il bat le beurre. Ils sont donc en mode power trio. Sally Loloya reviendra néanmoins chanter sur «I’ll Give Ou More» qui est le hit de l’album. Et quel album ! Il semble qu’il ait échappé à tous les radars. Jon Bare met la pression sur la beauté pure, alors Sally enjolive à la perfe. Ça tourne au miracle d’élégance et d’équilibre. On est heureux de voir Timmy associé à des gens aussi brillants. Sally gère bien les ponts, ceux qui précèdent les éjaculations. Jon Bare monte tout simplement l’ensemble au cran supérieur. Non seulement ça tourne au miracle, mais ça se réécoute aussitôt. Avec «Who Do I Have (To Sleep With)», ils reviennent à leur Cactus trip avec du heavy riffing. Ils sont dans le son tous les trois. Tout ce que touche Timmy est visité par la graisse, à condition bien sûr qu’il trouve les bons associés. Ça joue encore gras dans «Spacey». Timmy s’entoure généralement de guitaristes qui jouent le gras à volonté. Il faut entendre le ramdam que fait Timmy derrière Jon bare dans «Mama Don’t Allow». C’est un spécialiste de l’anarchie bassmatique, il ne pense qu’à foutre le souk dans la médina. Et comme le montre le morceau titre, Jon Bare est un merveilleux guitariste, aussi vivifiant qu’une baleine, aussi juteux qu’un Carlos Santana de l’hémisphère Nord, il développe une profondeur de jeu purement absolutiste. Ils passent au heavy slowah d’orgue avec «Don’t Let The Sun Pass You By». Timmy rôde dans la mélasse et Jon Bare fait tout le boulot, il joue à n’en plus finir, il développe une mélodie spectaculaire. Bare est un bon. Bare c’est de l’or en barre. Ils terminent ce brillant album avec «Revenge Of The Killer Whales», un big instro. Pour Timmy, pas de problème, il bourlingue dans le son et Jon Bare surfe sur les vagues.

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    Dans la série des super-groupes, voici Derringer Bogert Appice, avec un album paru en 2001 : Doin’ Business As… Ils redorent le blason du power-triotisme dès «Blood From A Stone». Ils sont tous les trois de parfaits rockers américains. Pas de pire triplette que celle-ci. Derringer ne s’est jamais remis de son séjour dans le gang de Johnny Winter, alors il chante à la menace. C’est puissant, battu par le pire pourvoyeur de beat des Amériques, Carmine. Derringer titille du bas de manche et Timmy reste perché sur son bassmatic marmoréen. C’est tellement imparable que ça semble incongru. Ces trois surdoués sont capables d’étrangler le qu’en-dira-t-on. Ils sont encore un plein boom avec «Bye Bye Baby». Derringer se laisse aller et Carmine prend le chant, a long long time ago. Power absolu + balladif cogné sec + gras double = postérité assurée. Autre exemple de quintessence du power-trio : «Rhapsody In Red». Véritable jive de prog avec un Derringer qui part à la volée. On reste dans l’excellence avec «Turn On The Light». Bon, Derringer n’est pas un grand chanteur, il fait ce qu’il peut sur ce monster froti-frotah. Mais il a derrière lui la moitié du Vanilla Fudge. Un balladif comme celui-là n’aurait aucune chance ailleurs mais avec Timmy et Carmine, ça change tout. Ils ne font pas que jouer, ils défoncent toutes les rondelles qui traînent dans le coin, ils débordent de power, ils chargent la chaudière à outrance. Carmine prend le chant sur «Boys Night Out». Il est rompu aux jukes, il sait faire sonner un c’mon baby/ It’s so crazy, et forcément on s’incline devant une telle prestance. C’est encore lui qui chante «Everybody’s Coming», ce mec sait driver son affaire et Derringer passe le joli killer solo flash. Mais c’est avec «Telling Me Lies» que tout finit par exploser. Dès l’intro, avec Timmy au chant. Ce drive monstrueux bascule dans l’excellence marmoréenne alors Derringer entre dans la dynamique des géants. Brillant album. Un de plus.

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    Nouveau consortium en 2009. Il s’appelle The Onesko Bogert Ceo Project, et l’album porte le doux nom de Big Electric Cream Jam. Au moins comme ça on est prévenu. Mais ça ne t’empêchera pas de tomber de ta chaise, car le consortium fait du Cream à la puissance 1000. Dès «Crossroads», ils explosent le concept de Cream. Ça joue à la folie. Timmy joue dans tous les coins du Onesko, c’est monstrueux. On ne croise pas un bordel pareil tous les jours. Timmy devient fou, il multiplie les descentes d’organes bassmatiques et remonte dans le son comme un wild torpédo. Cream en rêvait, Timmy et Onesko l’ont fait. Ils vont ensuite taper dans tous les classiques de Cream, tiens comme «Politician», encore plus heavy qu’on ne l’aurait cru. Timmy fait barrage et Onesko chante à merveille. Ça joue à volonté. Onesko ramène sa science, Timmy veille au grain de l’ivresse, il mobilise le thème et l’explose en plein vol alors qu’Onesko est barré dans un délire de wah incontrôlable. Ces mecs sont des cracks demented, Timmy gratte la croûte du thème, c’est terrifiant, hey now baby. Autant Cream s’était vautré avec sa version de «Sitting On Top Of The World», autant le consortium l’élève. Onesko braille tout ce qu’il peut. Timmy se régale de jouer avec Onesko, c’est plein de vie et Onesko n’hésite pas à aller chercher l’Hendrixité des choses et à se fondre dans le son. Ils amènent «Outside Woman Blues» au riff bulldozer. Ils rejouent tout le concept, mais à l’Américaine. Timmy se fond dans la riffalama fa fa fa et il faut voir cet Onesko plonger dans le tumulte de la folie Méricourt. Ils tapent bien sûr dans le mythique «Tales Of Brave Ulysses». Onesko n’a pas la voix de Jack Bruce, mais il compense avec le power américain. Tout dégringole avec un Timmy qui arrondit les angles. C’est littéralement bouffé par la basse. Power absolu ! Modèle du genre ! Onesko fait un festival de wah avec un Timmy en maraude. Et pouf, voilà qu’ils tapent dans «I’m So Glad» qui fut aussi massacré sur l’album live de Cream. Ils feraient baver Jack Bruce, si Jack Bruce était encore en vie. Ils gavent I’m so glad d’énormité, Timmy joue des atonalités ballistiques et part en dérapage contrôlé percuter de plein fouet des vagues géantes de wah. Ils ont tout le power du monde. Ils explosent ensuite le pauvre vieux «Spoonful» que massacra Cream sur Fresh Cream. Timmy le Hun y passe un solo de basse. Onesko joue sur une Les Paul noire, comme le montre la petite photo du booklet. Ils enchaînent avec un version survoltée de «Toad». Impossible d’imaginer un son plus crémeux. Ils osent ensuite taper dans «We’re Going Wrong». C’est un territoire sacré, le cœur du London beat de Jack Bruce et de Pete Brown. Onesko s’en tire pas trop mal au chant. Ils terminent cette série de cartons en explosant «Sunshine Of Your Love». Sunshine sort de cet album sur les genoux et nous aussi.

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    Comme au temps béni du Vanilla Fudge, Javier Vargas, Tim Bogert, Carmine Appice s’acoquinent en 2011 pour enregistrer un album de reprises :VBA. Boom ! Ils tapent dans le vieux «You Keep Me Hanging On» et ramènent pour l’occasion toute la heavyness du monde. Timmy y voyage abondamment, si abondamment ! Carmine et lui nous resservent leur vieille surenchère. L’autre cover de choc est celle du «Surrender» de Cheap Trick - Pa is alrite/ Ma is alrite - Ils l’explosent et ils ont raison. The power station is back on the track, Jack, Carmine bat comme mille diables, il est plus puissant que le Thor du Valhalla. Il frappe si fort que le son rebondit. Pas de pire power que celui-là. Ils reprennent aussi le «Lady» qu’ils jouaient jadis avec Jeff Beck. La bavard à la guitare s’appelle Javier Vargas et le chanteur Paul Shortino. Timmy a les cheveux blancs, mais il bourdonne toujours aussi bien dans le son. Par contre Carmine reste brun, un vrai vampire de Little Italy. Que de son, my son ! Fantastique version, Timmy et Carmine y font la pluie et le beau temps, surtout la pluie. Un vrai déluge. Ils tapent aussi dans le vieux «Black Night» qui fut leur dernier grand single de Deep Purple. Hélas, le glou-glou n’est pas aussi beau que celui de Blackmore. La surprise de l’album est cette version de «Tonight’s The Night» de Rod The Mod. Ils sont gonflés de taper là-dedans sans la voix. Paul Shortino fait tout ce qu’il peut avec ses petits bras et ses petites jambes pour sonner comme Rod mais il a encore du boulot. Même s’il parvient à se fendre l’abricot au coin du couplet. Sur la photo qui est à l’intérieur du booklet, on les voit tous les quatre : Carmine la vampire aussi brun qu’en 1964, Timmy avec ses cheveux blancs et qui n’en a plus rien à foutre. Avec ses lunettes, il fait vieux pépère. Mais my Gawd il est avec James Jamerson le plus grand bassman de l’histoire du rock américain.

    Signé : Cazengler, Tim Boberk

    Boxer. Absolutely. Epic 1977

    Pipedream. Pipedream. ABC Records 1979

    Tim Bogert. Progressions. Town House 1981

    Tim Bogert. Master’s Brew. Takoma 1983

    Ben Schultz Band. Tri Ality. TVT Records 1992

    Jon Bare, Tim Bogert & Chet McCracken. Killer Whales. Mega Truth Records 1993

    Javier Vargas, Tim Bogert, Camine Appice. VBA. Roadrunner Records 2011

    Derringer Bogert Appice. Doin’ Business As… Steamhammer 2001

    Onesko Bogert Ceo Project. Big Electric Cream Jam. Grooveyard Records 2009

     

    1515 ? François Premiers !

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    Bravo ! 1515 est à peu près la seule date d’histoire de France dont on se souvient tous. Et celle de mai 1981, bien sûr, l’élection de François Mitterrand. Un autre François. C’est vrai que le set des François Premiers a aussi quelque chose d’historique. On sent bien que si ces mecs-là montent sur scène, c’est pour gagner, pas pour perdre. Ils sont moins cons que Napoléon. À cause de lui et de Waterloo, les Anglais se moquent encore des poor froggies. Le pire, c’est l’épisode de la vieille garde qui refuse de se rendre. Ça rend les Anglais hilares de voir l’épisode des grognards dégommés à coups de canons, comme au chamboule-tout.

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    Pas de danger qu’une telle mésaventure arrive aux François Premiers. Ils sont les têtes d’affiche du petit festival de la Friche Marignan et ils ne craignent pas la mort, surtout le joueur de mandoline Cyril Doche qui n’en finit plus de faire des galipettes et des sauts périlleux arrière au risque de se rompre le cou. Ces mecs sont définitivement enracinés dans le gaga-rock tel qu’on le joue en Normandie depuis quarante ans, ça Telecaste aux jambes écartées, ça beugle tout ce qu’il faut dans les micros, ça charge comme la brigade légère, ça chante à deux voix par dessus les toits, ça déboule sans prévenir, ça tagadate au voilà-les-Dalton, ça blow the roof en toile, ça prend d’assaut le camp du Drap d’Or, ça rase en Campagne Première, ça réchauffe les cœurs flétris, ça redonne du boom au baume, ça cocote sous le feu roulant, ça joue la carte de l’insubmersibilité des choses, ces mecs sont là pour nous dire qu’ils ont décidé de continuer, de perpétuer, d’entériner, d’enfoncer leur clou, de rester fidèles à leurs racines, quarante ans ont passé, mais bon, le blast reste le blast et les deux François en connaissent un rayon en matière de blast, ils savent envoyer une volée de bois verts dans les discours alarmistes, ils Telecastent leur pâté de foi comme d’autres prient dans des couvents, ils sont bénis des dieux du rock et s’il n’en reste qu’un alors ça sera celui là, François Premier et François Premier. Ce qui frappe le plus chez eux, c’est le pas d’âge. On sait qu’ils ont toujours été là, mais sur scène, c’est un peu comme au premier jour, avec le power en plus. Il faut voir Frandol passer ses killer solo flash, il a cette façon de tordre les doigts sur le manche qui ne trompe pas, ça sent le vétéran de toutes les guerres, le soudard rompu à tous les saccages, l’habitué des assauts et des petites salles. Quant à l’autre François, il plaque de façon extrêmement mécanique, ouvre la main et la referme aussi sec sur chaque accord, il semble serrer son manche comme s’il voulait l’étrangler. Quel spectacle ! Il joue en plus autant du corps que des mains, comme il est resté léger, il peut sauter un peu et c’est toujours juste. De toute façon, on l’a toujours vu juste. Le gaga demande une espèce d’implication de toutes les secondes et une pompe en bon état, celle qui envoie les rushes d’adrénaline au cerveau. Le gaga est pourtant un genre qui vieillit assez mal sur disque, sauf des cas exceptionnels comme les Chrome Cranks, le ‘68 Comeback ou les Gories. C’est un genre plutôt fait pour la scène. On ne retrouve jamais le feu d’un set sur un album de gaga, aussi bien foutu soit-il. Retrouver l’éclat de la victoire des François Premiers à la Friche Marignan, c’est impossible. Par contre, le spectacle va rester gravé dans la mémoire des veinards qui étaient là. Car oui, quel blastingage ! Trop court. On ne se lasse pas de ce genre de spectacle.

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    Parmi les reprises, on reconnaît le fameux «The Way You Touch My Hand» des Revelons, un hit gaga des années 80 repris et popularisé par les Nomads, qui étaient assez friands de ce genre de perle gaga-psycho-psyché. Les François Premiers n’en font qu’une bouchée, ils ont tout ce qu’il faut, les chœurs d’artichauts, le gratté de grattes et surtout un excellent batteur, un mec capable de power et d’économie à la fois. Ils tapent aussi dans le vieux «Don’t Put Me On» des Groovies, période Sire, que certains préfèrent à la période Roy Loney. Ils en font une bonne mouture, bien tartinée aux deux Teles, et ce n’est pas le hit le plus évident des Groovies, on sentait que Cyril Jordan et Chris Wilson peinaient à se renouveler. Pas facile de récidiver après un hit aussi parfait que «Shake Some Action».

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    Puis ils nous font le coup du lapin avec une reprise qu’il faut bien qualifier de géniale du «Let Me In» des Sorrows, l’un des hits les plus fumants de l’ère freakbeat anglaise, même chose, il n’en font qu’une bouchée, crunch, c’est vite expédié en enfer et on est tous ravis d’aller y rôtir avec eux. Terminer par une cover des Sorrows, ça veut bien dire ce que ça veut dire : coup de Trafalgar, remise au carré des élégances et hommage à l’un des groupes les plus intéressants d’Angleterre. Une certaine façon d’entrer en osmose avec la psychose.

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    Dans le trio de tête du set, on retrouve deux des cuts sortis sur des singles chez Poseur, un label dont le logo se dessine comme celui de Closer. Tu es au Havre, baby. Ils démarrent avec «Renaissance Man», une compo de Frandol bien énervée, mais il y met tellement tout, le répondant du renvienzy et la profondeur de champ, qu’il rafle la mise. Frandol ramone bien sa cheminée, il chante sa pop-rock sur-vitaminée à l’ass off, on peut dire sans risquer de se tromper qu’il a du génie. Ils jouent aussi «Franciscopolis» qu’on retrouve sur un autre single, un groove extrêmement inspiré et shooté aux intraveineuses lumineuses, ces mecs injectent de longs jets fantasmagoriques dans leur deepy groove, du coup ça sonne très californien et le killer solo flash se coule dans l’oreille comme un serpent.

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    C’est en B-side de ce single qu’on retrouve la version studio du «Don’t Put Me On» des Groovies de Sire et elle sonne mille fois mieux sur single que sur scène. Ils chargent aux Teles avec une belle attaque de basse comme dans «Shake Some Action», ils répercutent bien l’éclat de légendarité avec des arrivées d’accords tonitruants et des fondus de voix au crépuscule de San Franciscopolis. Une fois de plus, le solo coule comme une rivière de miel entre tes cuisses, un solo short dans sa plénitude persistante, ces mecs accompagnent le souvenir des Groovies avec toutes les finesses dont ils sont capables. Ah les Groovies, t’en souvient-il ? En B-side on trouve le «Glamorize Me» qui fait partie du rappel, et cette fois c’est l’autre François qui le claque au chant, de manière plus caverneuse, plus gaga-swamp, il sonne comme un amateur d’ombres et de tombes, son groove coule comme une lettre à la poste, c’est un heavy boogaloo qui donne le frisson et qui fait rêver, tellement il est bien foutu et bien orchestré. François Premier colle bien à ses syllabes, il les tortille jusqu’à la moelle et ça se déroule dans des descentes d’accords aussi humides que les marches d’une crypte de vampire. Ils sont les rois du big atmospherix. La bassline qu’on entend résonne en écho à celle de Noel Redding dans «Hey Joe». Pour un peu, on deviendrait royaliste.

    Signé : Cazengler, Fantoche Premier

    François Premiers. La Friche Lucien. Rouen (76). 12 septembre 2021

    François Premiers. Renaissance Man. Poseur 2020

    François Premiers. Franciscopolis. Poseur 2020

     

    L’avenir du rock

    - La carrière des Soundcarriers

     

    L’avenir du rock se réveille à l’hôpital. Plantés à son chevet, un médecin et une infirmière l’observent.

    — Alors, avenir du rock, vous sentez-vous mieux ?

    — J’aimerais bien si vous le permettez récupérer mes vêtements et rentrer chez moi !

    — Allons allons ! On se calme. Nous allons vous garder quelques jours en observation. Vous avez perdu connaissance dans la rue et les radios ne sont pas jojo. Vous avez une fracture du crâne, mais nous devons faire d’autres examens pour expliquer l’origine de votre malaise.

    — Il n’y a pas de malaise, j’ai juste glissé sur une peau de banane...

    — Ah oui, une peau de banane ?

    — Oui, je suivais un gorille.

    — Ah oui, un gorille ? Comme ça dans la rue ?

    — Oui, il marchait vite et je l’entendais faire honk honk, comme Lux Interior dans Goo Goo Muck...

    — Ah oui, honk honk...

    — Et puis il avait des disques sous le bras.

    — Ah oui, des disques ? De quel genre de disques parlez-vous ?

    — De vinyles, bien sûr !

    — Ah tiens, c’est intéressant, un gorille avec des vinyles ! Peut-être vous souvenez-vous d’un titre ?

    — Oui, j’ai reconnu la pochette psychédélique du premier album des Soundcarriers.

    Le médecin se tourne vers l’infirmière :

    — Isabelle, vous allez mettre l’avenir du rock sous morphine !

    — Quelle dose ?

    — Six grammes ! Vous augmenterez si besoin.

    L’avenir du rock est habitué à ce qu’on ne le croie pas. L’essentiel est qu’un gorille se balade avec l’album des Soundcarriers sous le bras.

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    Retro-futurists de Nottingham, les Soundcarriers sont devenus les grands chouchous des Shindigers. Ils sont même aux yeux de Christopher Budd one of Shindig! most treasured modern-day acts, avec leur subtil mélange de ‘60s film jazz, krautrock grooves, acid-folk fragility and analogue authenticity. Un vrai catalogue ! Pas étonnant que les Shindigers craquent. Budd ajoute qu’ils font aussi de la baroque psychedelia. En gros, la musique des Soundcarriers est une invitation au voyage à travers various shades of pulsating motorik, electronica and acid-folk. Ils existent tels qu’ils sont depuis 2008. On les a comparés à Stereolab et Broadcast. Ils disent aussi adorer Free Design, mais aussi du broader than ever : early Kraftwerk et de l’esoteric sound, c’est-à-dire Moondog et Silver Apples. Leur problème est de pouvoir dépasser leurs limites qui sont des limites de temps, d’équipement ou de compétences musicales. Aussi n’hésitent-ils pas à explorer des pistes en studio et de recourir à leur imagination, ce que, nous disent-ils, beaucoup de groupes ne font plus.

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    La parution d’Harmonium en 2009 fut saluée comme il se doit et c’est vrai que ce groupe sonne comme une aventure fantastique : elle commence avec ce groove épileptique qu’est «Time Will Come», hanté par la voix d’Ophélie qui s’appelle en réalité Leonore Wheatley. Sacré son, de toute évidence, porté au groovus maximalus. Paul Isherwood signe le toxic bassmatic. En fait, Isherwood est l’âme du groupe. C’est lui qui signe le big bass boom de «Calling Me Reprise». Il a le swagger du bassmatic des enfers. Retour en force de Leonore dans «Without Sound». Le groove l’embarque pour Cythère. Ces gens-là taillent leur route dans un groove de psyché anglais judicieux qui ne veut pas dire son nom. Retour d’Isherwood et de son bassmatic dans «Without Sound Part II». Il reprend simplement le thème à la basse. Avec «Glide», ils basculent dans la mad psychedelia. Ils amènent ça au drumbeat explosif de psyché anglais d’allégeance suprême. Rien d’aussi psyché que ce Glide inespéré. Isherwood l’enroule dans un riff de basse dément. Ils restent dans le psychout so far out avec un «On That Line» absolument renversant. Il faut voir Isherwood relancer au drive de basse. Le son des Soundcarriers enveloppe facilement. Ils ont un côté flux toxique qui capte l’oreille de manière irrémédiable, c’est encore ce que révèle «Falling For You». Leonore chante «Uncertainty» à s’en arracher les ovaires. Disons qu’il s’agit d’un rock épique bien porté par la clameur. On note aussi la présence d’un bel angle de rock anglais dans «Caught By The Sun». C’est chanté au coin d’une harmonie vocale à la big energy. On les sent possédés par leur truc. Le «Calling Me» qui suit reste assez entreprenant, on peut même parler de hit de good time music. Ils opèrent une belle glissade dans le monde océanique avec «Been Out To Sea». Ils visent clairement l’échappée belle. Ils ont une facilité pour ça. Et du coup, ça devient the real deal, c’est-à-dire le vrai truc. Le heavy groove shindigois est vraiment leur domaine, comme le montre «Cannonball», un petit chef-d’œuvre psyché à la Barrett. Terriblement persuasif. Fantastique présence !

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    Alors du coup, on jette un œil sur les albums suivants, histoire de voir si la révélation tient bien la route. Celeste date de 2010. Cet album est nettement moins effervescent que le précédent. Ils embarquent «Last Broadcast» au drive de Canterbury. On sent le prog-rock des maîtres de l’ancien temps. Oh oui, ils reviennent parmi nous, les Caravan et les Hatfield, via l’organe délicat de Leonore. Les Soundcarriers ultra-jouent leur crise de prog, mais le côté marbré du chant plombe le pauvre cut. Bon, c’est leur monde. Libre à toi d’y entrer ou pas. Ce diable d’Isherwood revient faire des ravages dans «Step Outside». C’est un mélange jusque là inconnu. La basse est remarquablement bien mixée dans le beat carriériste. Ce mec joue comme Jack Bruce, à la folie douce. Si on cherche les hits, il faut aller jusqu’à «Rolling On». Leonore monte devant, comme Laurie Anderson, en atonie d’unisson du saucisson. Elle vise le dévolu et ça devient énorme. C’est un hit de petite vertu, du all the time de cosmic boogie. Paul Isherwood embarque l’autre hit, l’infortuné «Signals». Voilà encore un cut assez révélateur de leur capacité à rebondir dans le monde des affaires. Sur cet album, tout est monté au haze de girl voice et de bass drive. Isherwood entre dans la lard du «Morning Haze» avec un sens aigu du devoir psychédélique. Comme c’est étonnant de trouver cette basse au cœur du mix. Bon, on ne va tout de même pas en faire les génies du siècle, comme le voudraient les Shindigers, mais il vrai qu’un cut comme «Broken Sleep» capte bien l’attention et va même flatter les bas instincts. Tous les cuts ne sont pas d’un accès direct, c’est parfois compliqué, il faut savoir se montrer patient. La voix de Leonore perdue dans le fog de prog brouille parfois les pistes. Avec «Rise And Fall», ils restent dans leur modèle de groove longitudinal et tapent dans la clameur de la chandeleur. Paul Isherwood y mène le bal. Il referme la marche avec un «Hideaway» gratté à la basse sourde, puis avec le morceau titre joué au heavy bassmatic. Il joue tout seul, et comme il en a envie. Ce mec est doué et une flûte vient lui chatouiller les castagnettes.

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    C’est donc la curiosité qui pousse à écouter un troisième album des Soundcarriers, le bien nommé Entropicalla, paru en 2014. On y dénichera deux jolis slabs de mad psychedelia, «Boiling Point» et «Somewhere To Land». C’est même une mad psychedelia d’influence faramineuse, comme incendiée d’orient, ravagée de pestes cistériennes, enjolivée d’ardeurs marmoréennes, gonflée de vents gazeux d’andronénisme caractériel. On sent les carriéristes motivés, profondément axés sur le vertige et salement incisifs. Ils adorent cette flûte qui vient de la nuit des temps, on la retrouve aussi dans «This Is Normal». La flûte rôde dans le son comme un chacal. Ils touillent un groove qui ne peut plaire qu’aux Shindigers. Il faut écouter «So Beguiled» sans s’écouter parler et savoir s’effacer devant les cuts qui s’effacent. Avec ce troisième album, ils deviennent encore plus difficiles d’accès. Tout le monde n’est pas admis dans «Low Light». Il jouent un psyché qui s’en va à vau-l’eau, bien nappé d’orgue. Avec les carriéristes, il vaut mieux se lever de bonne heure. Ils se montrent assez pragmatiques avec le morceau titre et tapent une fois encore dans une sorte de mad psyché, mais bon.

    Signé : Cazengler, Soundcarie dentaire

    Soundcarriers. Harmonium. Melodic 2009

    Soundcarriers. Celeste. Melodic 2010

    Soundcarriers. Entropicalla. Ghost Box 2014

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    Christopher Budd : A certain future. Shindig! # 39 - May 2014

     

    Inside the goldmine

    - Les douze Leopards

     

    Recroquevillé au fond de la tranchée et transi de froid, Guillaume Apollinaire se préparait à rédiger une réponse au pamphlet que lui avait adressé la Société des Poètes Parcimonieux. Il prévoyait d’écrire sa réponse sur la page garde du recueil du Mercure de France qu’il avait reçu le matin même au courrier et de glisser la page arrachée dans une enveloppe de récupération. On ne trouvait plus guère de papier en première ligne, même pour se torcher le cul. Il suçait son bout de crayon gras en observant pensivement cette grosse lune ronde qui éclaboussait de sa lumière blafarde la zone calcaire dans laquelle la troupe avait creusé la tranchée. Il pensa titrer sa réponse ainsi : Messieurs les douze salopards, puis cibler ensuite sur la lâcheté des ‘planqués de l’arrière’, comme on disait au front, sachant qu’il s’attirerait automatiquement la sympathie du lectorat. D’un naturel grincheux, la Société des Poètes Parcimonieux s’en prenait à lui pour la raison bête qu’il avait oublié le léopard dans l’inventaire de son Bestiaire, et ces gens qui ne transigeaient pas y voyaient une faute impardonnable, un impair indigne d’un poète publié, le déshonneur de la patrie. Eut-il songé au léopard, Apollinaire ne doutait pas qu’on l’eût accusé d’avoir oublié la loutre ou bien encore la limace. Chez ces redoutables cloportes tout était prétexte à chicanerie, il le savait. Ravi d’avoir à relever le défi d’un duel, il allait pouvoir se montrer d’une rare férocité, et y prendre un plaisir immodéré, comme lorsqu’il fessait Marie Laurencin qui d’ailleurs ne cherchait pas à se défiler, bien au contraire. Il commença à écrire, Messieurs les douze... quand soudain un obus explosa à quelques mètres de lui. Blarghhhh ! Un éclat vola en sifflant, bzzzzzzzzzz, et enfonça son casque, boiiiing ! Le choc l’envoya rebondir contre la paroi. Il s’écroula, tira la langue et roula des yeux. Sa main se mit à tracer des lettres comme si elle était devenue un automate. L’alerte passée, le colonel Dax vint lui-même faire le tri dans les étripés. Il se pencha sur Apollinaire. Comme sa main écrivait, Dax en déduisit qu’il vivait encore.

    — Brancardiers, embarquez-moi ça à l’arrière !

    La main écrivait, elle écrivait encore. Messieurs les douze léopards. Messieurs les douze léopards. Messieurs les douze léopards. Messieurs les douze léopards.

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    Rassure-toi, Apollinaire va survivre, grâce à une lobotomie pratiquée non pas à l’hôpital de campagne, mais plus loin à l’arrière, dans une clinique parisienne. Quant aux salopards devenus des léopards, ils ne sont pas douze mais quatre. C’est déjà pas si mal.

    Si on t’avait dit qu’il existait des Kinks à Kansas City, l’eusse-tu cru ? Et pourtant c’est vrai. Il te suffit d’écouter Kansas City Slikers. Cet album des Leopards paru en 1977 est la preuve formelle qu’il existait bien des Kinks à Kansas City.

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    Le Ray Davies de Kansas City s’appelle Dennis Pash et dès «Road To Jamaica», il impose un son gracile et lumineux qui évoque vaguement les TV Personalities, mais surtout le kinky konk des early Kinks. Le «Mind Of My Own» qui suit sonne aussi très anglais. Ce gentle puppy à l’anglaise ravira les amateurs de petit biz. Puis on assiste à un curieux phénomène : Dennis Pash s’illumine de plus en plus. «Dancing In The Snow» sonne comme un hit sixties. Faramineux ! «Bugle Boy» est directement inspiré par les Kinks, mais avec goût certain. Ils s’enfoncent toujours plus profondément dans la kinkologie. Paf, Pash finit l’A avec un «I Wonder If I’ll Ever See You Again» d’une finesse et d’une légèreté qui sèment le trouble dans la cervelle. Pash se rapproche toujours plus de Ray du cul, avec une réelle douceur mélancolique. Paf, Pash revient en B avec un joli brin de mersey beat («Recess») et une subtile pincée de kinky Sound («It Must Be Love»). On irait bien jusqu’à insinuer que son kinky Sound surpasse celui du maître, mais on risquerait des ennuis. Il n’empêche que ce bougre de Pash n’hésite pas à bafouer l’autorité morale de Ray Davies. On est bien obligé de le constater, mais en même temps, personne ne nous oblige à écouter cet album. Et pouf, Pash revient se lover dans le giron kinky avec un «I’m On My Way» délicat, jouissif, coloré, gracieux et inespéré. C’est du pur Village Green Preservation Society. Rien de plus kinky que ce truc-là. Il se pourrait bien que Dennis Pash soit avec Fred Neil le seul chanteur blanc délicat d’Amérique. Il termine cet album étrangement sublime avec un gros clin d’œil aux Beach Boys : «Summer’s Gone».

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    Bon ça ne marche pas. Dix ans passent et pouf, Pash revient avec un nouvel album, Magic Still Exists. Pash passe à un son plus musclé. Il est désormais sur Voxx, le label de Greg Shaw qui n’a jamais caché son anglophilie. «Black Party» pourrait bien l’un des emblèmes de la passion que nourrissent les Californiens pour la pop. C’est une sorte de gaga-pop bien drivée au gimmick infectueux. Bien sûr, Pash revient à son cher kinky sound avec «Back On The Track», «Empty People» et «Last Night». Il y excelle, puis il va s’éparpiller. Comme il a les mains balladeuses, il va tâter différents styles. Il va y perdre l’unité de ton qui fait le charme de son premier album. Dommage. Il faudra attendre «Harlean’s House» pour crier au génie. Waouhhhh ! Voilà un artefact pop fascinant de qualité et corseté de kinky motion. Fier comme un pape, Pash boucle l’A avec un «Psychedelic Boy» plus poppy et donc moins éclatant. Disons que ça reste très anglais, même si ça frise le comedy act de type Winchester Cathedral. Pash revient à sa chère kinky motion en B avec «Famous Herbal Cure Show». Il se tape aussi un vieux coup de Diddley beat avec «I’m Drowning». Admirable, fruité, marrant et intéressant. On a là un vrai hit Voxx. On l’a bien compris, Pash est un mec intéressant qu’il ne faut pas prendre pour une bille. Il enchaîne avec «Waiting», nouveau slab de pop-rock solide et captivant. Il termine cet excellent album avec un ultime hommage à Ray Davies intitulé «Maggie Lane». On se croirait sur Dead End Street, ce n’est pas rien. Les Leopards n’étaient pas loin de tenir du miracle. Ah quel dommage qu’ils aient disparu sans laisser de traces.

    Signé : Cazengler, le haut part (en couille)

    Leopards. Kansas City Slikers. Moon Records 1977

    Leopards. Magic Still Exists. Voxx Records 1987

     

    CARL McVOY( 1 )

    J'avais totalement oublié le cousin. Pas le mien. Celui d'un gars beaucoup plus prestigieux. C'est peu dire, le cousin de Jerry Lee Lewis. Du côté de sa mère. Le nom m'est revenu en écoutant – un petit plaisir égoïste, la Rock'n'Roll Stories consacrée à Jerry Lee Lewis. C'est sur You Tube, décliner la vie de Jerry Lou en une demi-heure est une gageure, Franco ne se perd pas en anecdotes fabuleuses, tient bon le cap, celui de la discographie, l'émerveillement squatte l'éblouissance de vos yeux, toutes ces pochettes originales, un régal, singles, EPs, LPs, 25 cm, CDs, défilent à toutes vitesse, vous aimeriez vous accrocher à votre rêve, mais non, les galettes mythiques se succèdent sans fin ! Ah, Jerry Lou !

    Mais le cousin d'abord. De droit d'aînesse. Jerry Lee est né en 1935 ( tout comme Elvis et Gene Vincent, très bon millésime ). Carl McVoy en 1931. Jusque-là tout va bien. C'est après que le diable s'en mêle. Carl est passionné de piano. Notamment de boogie woogie, un modèle pour le jeune Jerry, à tel point que notre satané Jerry Lou qui a appris le piano tout seul en un mois, rendra à son cousin quelques visites décisives, vient chercher tout ce qu'il pressent ne savoir pas encore, et le cousin Carl qui est généreux lui dévoile tous ses meilleurs plans comme les plus infects, plus tard il déclarera sans ostentation ni jalousie que Jerry a développé les bases de ce qu'il lui avait transmis.

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    ( Photo : Rocky-52 - net )

    L'histoire de Carl pourrait s'arrêter là. En bon américain pragmatique soucieux de gagner de l'argent il embauche dans une entreprise de construction. Manque de chance il bosse à côté de Ray Harris qui ne pense qu'à fonder une compagnie de disques. Le rêve se concrétisera, Harris, Bill Cantrel, Quinton Claunch et Joe Cuoghi qui, élément décisif, possède une boutique de disques, fondent le label Hi. Carl ira à Nashville afin d'enregistrer pour Hi You are my sunshine et Tootsie, le premier décembre 1957. L'amateur averti ne manquera pas de remarquer la présence de Chet Atkins dans le studio. En 1958, Hi fera paraître un deuxième single de cette même session. Mais Hi n'a pas les reins solides, le contrat sera revendu a Sun en avril 1958.

    Les faits ne sont pas très clairs, il se pourrait que Carl ait déjà, dès l'année 1957 commis deux sessions chez Sun, quoi qu'il en soit, et malgré de nouvelles séances chez Sun, Sam Phillips ne commercialisera rien de Carl McVoy. Les titres sortiront plus tard, en compilation chez Charly, Bear Family et Sun racheté par Shelby Singleton.

    Carl McVoy n'a pas la grosse tête. Dès 1959 il retrouve son job dans le bâtiment ce qui ne l'empêche pas de rejoindre une formation dont le patron était déjà célèbre pour avoir tenu la contrebasse derrière Elvis, le Bill Black Combo's. Etrange de voir la proximité de Carl avec deux des plus grands pionniers du rock, Elvis et Jerry Lou !

    Nous nous intéresserons dans cette première partie aux titres de Carl McVoy compilation chez Sun. Carl garda toujours un lien avec la musique, son job et puis sa propre entreprise lui permirent de prendre des parts dans Hi, ce qui n'était peut-être pas un placement mirobolant... Il nous a quitté en 1992. Une vie bien remplie.

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    Born to loose : une voix de velours, un piano qui coule, un fond de mélancolie, une rythmique qui ne se prend pas la tête, l'on est plus près de Bing Crosby que des hoquets désespérés du rockabilly, une belle facture, vous le rangerez dans la série des chef-d'œuvres oubliables. It's make no difference now : un peu moins de velours, et voix magique, le piano roucoule mais McVoy arrache les mots d'une belle manière, ce n'est pas du rock, mais l'on y est presque, la chaudière est sous-pression, ne reste plus qu'à relâcher la vapeur. There's be no teardrops tonight : avec un tel titre on redoutait une roucoulade, mais non le piano est pointu, un sax saligaud essuie ses godasses boueuses sur le paillasson, l'ensemble ressemble à une parodie de chanteur de jazz avec grand orchestre. You are my sunshine : A : les amerloques ont une manière qui n'appartient qu'à eux d'imiter l'accent américain, savait chanter le Mc, peut-être trop bien, capable d'épouser tous les styles, un peu jazzy, un peu rhythm'n'blues, chœurs sixty féminins, et entertainment à la Broadway, un petit côté très professionnel. You are my sunshine : B : prise pas fondamentalement différente, un peu moins jazzy, plus près de Pat Boone si l'on veut être méchant, plus proche de Ricky Nelson parce que l'on est gentil. Tootsie : B : un piano qui pumpine dans les bémols, un sax qui impulse l'énergie, une voix parfaitement ajustée à la rythmique. Un peu plus enlevé que les précédents toutefois un peu gentillet. En réfléchissant l'on en vient à se dire que le Pelvis enfonçait toute sa génération. Pas de photo. Tootsie : A : une voix plus friponne, cette version est vraiment supérieure à la précédente, en plus cette manière de mettre la pression si forte sur le vocal, il semble que Carl a des mots en trop qu'il se dépêche de caser pour tomber pile à la rime. Si je m'appelais Tootsie, j'aurais été séduite.

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    You are my sunshine : encore un peu moins jazz et nettement plus rock, surtout au début car ensuite il se perd un peu, mais sur la fin il sort sa grosse voix qui ne vous laisse pas sur votre faim. ( Suivi de la version B de Tootsie pour reprendre le single sorti chez Phillips International. ) Be honest with me : enfonce les touches du piano comme s'il voulait bouffer le clavier, la voix rentre-dedans qui arrache la tapisserie sur les murs et par dessous un sax qui a oublié d'être asthmatique. Oh Yeah : l'on sent que l'on est passé aux choses sérieuses, tout est dans la façon de de poser les mots, l'air de rien, comme s'il était en train de consulter l'annuaire du téléphone en même temps, les instrus aiguisés au maximum mettent le feu, le secret du rockab dévoilé, c'est le vocal qui emporte la nappe à sa suite et qui fout le feu à l'appartement. Lonely heart : un slow à la Presley, la musique qui tangue et vous file envie de vomir, mais vous ne quitterez pas votre cavalière pour un empire. Même si vous lui dégueulez dans le corsage. Quand on tient le bon bout, on ne le lâche pas. Little girl : l'en fait trop, lui crie dans les oreilles, un truc à rendre la poupée électrique, devaient être survoltés lors de cette prise de speed , le rock comme on l'aime qui vous écrase de ses pompes bleues les chaussons de satin rose. A woman'love ( Thrill of your love ) : cela vous a un air de ballade à la Gene Vincent, à part que le Mc il vous a oublié son timbre de velours, vous meugle telle une vache perdue au fond de son pré. Le mec a trop picolé et il vient crier son amour sous la fenêtre. Pas la meilleure façon de se faire admettre par les parents. Ses copains l'encouragent. Little John's gone : l'était déchaîné, en plus le mec au sax, à chaque fois qu'il envoie son souffle on dirait qu'il débouche un magnum de champagne, la petite frappe à la batterie écrase tout ce qui bouge et même ce qui reste immobile. Le Carl impérial, toréador qui attrape le taureau par la queue et le tue en lui fracassant la tête contre les palissades. Acclamation des aficionados. You're my only star in my blue heaven : l'on devrait voir les anges roses traverser le ciel, c'est raté, avez-vous déjà entendu un garçon vacher vociférer un slow, le guy vante si fort les qualités de la génisse qu'il emmène à l'abattoir qu'il vous tarde qu'on vous la serve sous forme de steak tartare. I'll be satisfied : l'est tout content, ne se retient plus, le piano sautille et son vocal s'adjuge la première place. N'est pas pour rien le cousin de Jerry Lou !

    Montée progressive vers le plaisir. Sur la première moitié le Carl McVoy se retient aux rideaux au cas où ils lui tomberaient dessus, dans la seconde – mais que s'est-il passé entre temps, docteur Freud ? - il s'est débarrassé de toutes ses inhibitions, il crie, il stentorise, il s'époumone, cherche-t-il à imiter Jerry Lou, je ne sais pas, mais là il emporte la cerise et le gâteau à la crème qui est dessous. Bon sang ne saurait mentir !

    Damie Chad.

     

    EKULU

    UNSCREW MY HEAD

    ( Cash Only Records / Juillet 2021 )

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    Comme souvent la pochette m'a attiré en premier. Trois jeunes femmes enlacées assises sur deux bancs de pierre qui se font face, rien de charnel, leurs silhouettes bleutées induit une idée de sérénité – n'est-ce pas ainsi que l'on pourrait traduire le nom du groupe – tout serait parfait, s'il n'y avait ces bougies allumées, disposées en un carré brisé ou inachevé, tels des luminaires d'appel d'un rituel en cours d'exécution. Cette première impression est vite confortée par la vision du sorcier noir au masque grimaçant. Un ricanement de guingois de très mauvais augure. Quelles mystérieuses passes maléfiques effectue-t-il de ses longs bras étendus au-dessus de celles qu'il faut bien se résoudre à nommer ses trois victimes envoûtées ? Ekulu nous délivre un message simple, notre monde n'est pas aussi serein que l'on voudrait nous le faire accroire. Méfions-nous des manipulations mentales que nous subissons alors qu'en toute inconscience nous nous sentons bien.

    Souvenons-nous que le mot Ekulu signifie ''Grand'' en langue kwa parlé par le peuple Igbo qui réside au sud-est du Nigéria, près du fleuve Ekulu. Sans doute faut-il interpréter le mot ''grand'' en tant qu'expression d'une force incommensurable, un courant d'impavide puissance, auquel rien ne saurait résister. Pour mieux comprendre le sens de ce vocable, il suffit de penser à la racine latine ''rumen'' que l'on retrouve dans les termes familiers à nos oreilles d'européens de Rome, Rhin, Rhône, les noms de certains lieux signifient souvent beaucoup plus qu'ils ne disent.

    Quittons nos errances philologiques. Ekulu est un groupe new yorkais. Pas particulièrement novateur qui s'inscrit dans cette mouvance de formations qui au début des eighties ont voulu se démarquer – plus vite, plus fort, plus violent – de Metallica qui offrait à cette époque une synthèse harmonieuse, équilibrée mais bourrée d'énergie des différents courants musicaux du hard, du heavy et du metal. Ces groupes comme Cro-Mags ou Leevay ou Agnostic Front ajoutèrent à l'alliage réalisé par Metallica de nouveaux ingrédients, punk hardcore, trash, créant un nouvel orichalque surnommé Crossover Trash... depuis dans les marmites de fonte de ce metal éruptif, les combos ont pris l'habitude de doser tous ces ingrédients selon leurs envies...

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    Les membres d'Ekulu proviennent de ce chaudron de sorcière, ont tous participé ( et continuent encore ) à d'autres groupes, Glory, Illusion, Funeral Youth... Formés en 2018, ils ont déjà trois commis trois monstruosités mais l'on peut dire qu'avec Unskrew my head ils ont atteint une maturité indéniable qui les classe pour les amateurs de musique violente parmi les valeurs sures de cette année.

    Becoming / New Life jam : ti-tiou ! c'est quoi ce truc, une guitare qui sonne en catimini comme une sirène d'incendie, une batterie au pas de l'oie cadencé, et derrière cette espèce d'oratorio cordique qui miaule tel un chat devant une boîte de sardines à l'huile irrémédiablement fermée. Proven wrong : vous ont pris par surprise, ouf ça s'assagit, façon de parler, disons que ça balance du riff sur les murs mais sans ostentation, ça se gâte vite lorsque Wilson se pose au vocal, un véritable accélérateur de particules et tout le bataclan derrière qui file le train, doivent se croire dans un synchrotron, il y a une guitare qui prend la tête et qui franchit la ligne d'arrivée en vainqueur, elle gémit et hennit d'une belle manière, je suis sûr que le manche est gonflé à l'hélium. Half alive : toujours cette batterie qui tasse les petits pois dans la boîte, ricanement obsolète, un avion à réaction à fond passe au fond du studio, un train siffle et c'est parti pour la poursuite infernale, le type devant ne s'en sortira pas, n'a aucune chance avec la locomotive qui le talonne de fer, si je comprends bien le titre il doit se traduire par à moitié mort, en tout cas le singer il s'époumone le chasse-buffle collé au cul, le batteur accélère le rythme, il cogne sur les bielles à la manière d'un dératé, z'avez un cliquetis de guitares qui ondule salement, l'histoire se termine mal, on s'y attendait, un grand cri et puis plus rien. Les meilleures boucheries sont celles où l'on vous abat le plus promptement. Pick your fight : sont sympathiques, vous laissent choisir l'arme du crime, c'est vous la victime, le chanteur s'égosille comme s'il était pressé de vous planter sa botte de Nevers dans le trou du cul, s'arrache la gorge et postillonne dans tous les sens, les copains sont avec lui et martèlent la rythmique de toutes leurs forces, maintenant tous ensemble ils jouent au vibra(méga)phone avec votre corps. Le pire c'est que si vous avez le temps de faire le point, vous êtes obligé de reconnaître que ce sont de sacrés musiciens,ne se marchent jamais sur les pinceaux du copain, d'une précision absolue. Who's incontrol : riff d'entrée vicieux, de la bonne pâte à dentifrice pour haleine fraîche, dès que vous l'avez dans la bouche, le verre pilé des guitares vous déchire les gencives et les baguettes de Mike Ralstor sont agrémentées de lames de rasoir qui vous lacèrent la langue, évidemment le hurleur de service se met à vociférer, à croire qu'il ne sait pas faire autre chose dans sa vie, alors ses potes le soutiennent de la voix, la grâce d'un chœur de mêlée de rugby de seconde division, autant l'avouer au fur et à mesure que le morceau se déroule, la situation s'aggrave, incontrôlés, oui s'ils le veulent, mais ces lascars maîtrisent leurs instruments à la perfection. Unscrew my head : Ralstor abat ses cartes sur ses toms, Wilson n'est plus qu'une explosion nucléaire vocale, les guitares seraient parfaites pour remplacer des pleureuses corses de vos obsèques, ce que l'on voit à l'intérieur de sa tête tétanise tout le monde, Ralstor se lance dans un solo désespéré, le morceau n'ira pas plus loin. Nous oui, ce pèlerinage aux portes de la folie s'avère aussi intéressant que de descendre les chutes du Niagara à la nage. Crossed : définitivement barrés de l'autre côté, c'est pour cela qu'ils affectent un faux calme majestueux qui ne durera que vingt secondes, Wilson se lance dans l'abîme sans parachute, la descente est vertigineuse, hurlements, coups de semonce et flèches de sang qui vous transpercent la conscience de vous-même que vous n'avez plus depuis longtemps. Wake up : l'est vraisemblablement temps de reprendre ses esprits, fissa, fissa, boutent le train, foncent tout droit dans le labyrinthe, mettent les bouchées doubles, cavalent à fond de tender, et la galopade continue sur l'intro de World of uncertainty ( Sandman's theme ) : charge finale dans le monde de l'incertitude, les hommes de sable retournent-il à la poussière ou se concrétisent-ils en conglomérats aussi durs et solides que les roses de vent des déserts, quelque part entre la victoire du rêve et les désastres des Waterloo intimes, la ferblanctique horde ekuléique passe devant nous et s'éloigne en un dernier grondement.

    Hormis cet album sur Bandcamp sont facilement accessibles les premiers titres du groupe qui ont éveillé l'intérêt des connaisseurs ( The ruminator / Melt the ice / S.O.D. / Half alive ) vous les retrouvez aussi sur leur disque live enregistré à London intitulé Live in the graveyard. Pour ceux qui aiment les groupes en chair et en os, nous signalons sur You Tube la vidéo :

    EKULU

    UNSCREW MY HEAD RECORD RELEASE

    / FULL SET / BROOKLIN, NY, 9 / 3 / 21

    FIST FIRST PRODUCTION

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    Bien entendu en différé. Filmé le 3 septembre de cette année. L'occasion idéale de faire le point sur la formation. Première constatation, le Gold Sounds n'est pas immense, la modeste et chaleureuse affluence de la foule ne rendra pas les fans de rock français jaloux... N'est-ce pas une des meilleures chances du rock'n'roll de redevenir une musique de franges, de meutes, de petits groupes passionnés... Disons-le tout de suite, l'on ne retrouve pas sur le live cette glissade continue que constitue l'enregistrement le disque dû à Arthur Pisk. La musique s'avère non pas plus violente mais davantage fragmentée et rugueuse. Le public est à l'image du groupe, de grands gaillards baraqués. Restent calmes, même si le jeu consiste à monter sur scène pour en redescendre le plus vite possible de façon plus ou moins singulière. Le lecteur qui comparera avec les vidéos que ce dernier printemps nous avions présentées des groupes similaires ( Sunami par exemple ) de la côte ouest sera frappé par la différence, à NY l'ambiance est nettement plus détendue, moins virile même si elle est son immense majorité d'hommes ( blancs ) jeunes. L'on ressentait beaucoup plus la présence de sang mexicain dans l'assistance californienne. C'était notre quart d'heure sociologique. Un dernier conseil, play loud. Very loud.

    Damie Chad.

     

    RAUNCHY BUT FRENCHY ( 1 )

    Chez KR'TNT ! L'on ne recule devant aucun sacrifice, si le Cat Zengler vous présente chaque semaine L'avenir du Rock, l'agent Chad exhumera des sables heideggeriens de l'oubli de l'oubli de l'Être du rock 'n' roll français quelques prestigieuses rondelles issues de décennies prodigieuses, hélas révolues, qui figurent parmi les plus étranges fleurons de notre legs culturel national.

    Le lecteur attentif jugera avec raison le style de notre paragraphe de présentation quelque peu ampoulé, mais nous avons tenu à nous élever à la hauteur du texte introductif par lequel débute le double-vinyle de Dick Rivers présente Linda Lu Baker. Rappelons que les années 80 furent mitterandiennes, il est donc normal que la poétique évocation de la vie de Linda Lu Baker soit lue par Frédéric Mitterrand neveu du Président, ne l'aurions-nous pas cité que vous auriez reconnu le grain ( et la paille ) de cette voix inimitablement lyrique.

    Pour ceux qui ne connaîtraient pas par cœur la discographie de Dick Rivers, nous dirons que ce double trente-trois tours s'inscrit dans la lignée de L' ? ( L'Interrogation ), entre concept-album et comédie musicale, produit en 1969, nous vous en reparlerons une autre fois. Rivers applique la même méthode, qui lui allait si bien mais qui n'a pas toujours séduit les vastes foules, je fais ce que je veux, comme je le sens. Qui m'aime me suive, que les autres se débrouillent selon leur bon vouloir. Une morale un tantinet aristocratique.

    DICK RIVERS PRESENTE

    LINDA LU BAKER

    ( Mouche Records / 1989 )

    Paroles et / ou musique : Jean-Gilles Guzik / Michel Héron / Bernard Droguet / Jean-Claude Collo / Jean-Charles Laurent / Alain Labacci / Didier Lord / Claude Moine / Claude Samard / Félix Gray / Christian Gulluni /

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    A chacun son rêve américain. Linda Lu Baker c'est une Marilyn Monroe qui n'a pas réussi. La faute à pas de chance. Inutile de sortir votre mouchoir et d'accuser l'injuste et implacable dureté du destin. Que Linda ne s'en prenne qu'à elle-même. Sa triste et désopilante existence n'est qu'un prétexte pour Dick ( et sa bande de joyeux drilles qui l'accompagnent dans cette aventure ) pour s'amuser et rendre hommage à la musique américaine qu'il aimait par dessus tout.

    Bonjour : donc la voix nasillarde si particulière de Frédéric Mitterrand, les grincheux de service fronceront les sourcils et se demanderont ce que vient faire ce chroniqueur des émissions télévisées consacrées aux grandes familles et belles demeures royales européennes dans un disque de rock, ce n'est pas si mal vu que cela quand l'on pense que son timbre traînant n'est pas tant éloigné que cela de l'accent choucrouteusement voilé des petits fermiers blancs des Appalaches... Serait-ce un message politique qui tenterait de révéler une jonction secrète entre les ploucs prolétaires américains et les noblesses décadentes des anciennes dynasties décaties du vieux continent ? Je vous laisse à vos réflexions métapolitiques. Oh ma rose d'amour : un seul repère la voix de Dick, roule les R comme un ténor vieillissant, mais où est-on au juste, ou plutôt on est quand, à quelle époque, ce n'est pas du rock, ne manque que l'accordéon pour les froufrous de cette valse populaire et chaloupée dans laquelle plane un fumet de Mon amant de Saint-Jean d'Edith Piaf ! Quel rythme : l'on retrouve enfin notre Dick de toujours, un bon rock qui swingue bien, santiags, Elvis, tout le décorum est-là, repoussons la nostalgie, prêtons l'oreille, le rythme part un peu dans tous les sens, un vrai capharnaüm musical, les paroles le confirment, nous trouverons dans cet opus tous les styles, les plus et les moins orthodoxes, un patchwork variétique dissolu dans la lignée programmatique de L'?, un son différent pour chaque morceau, tu veux du rock coco, ben t'auras aussi du caca ! Sale mambo : oubliez 1956, reculez le curseur vers les années trente, un mambo aussi verdâtre qu'un mamba frétille des hanches, Dick a le tempo dans la peau, nous le fait à l'espagnolade, sa voix de satin glisse sur les congas, reconstitution musicale historiale à l'identique, clin d'œil appuyé, une réussite, ceux qui n'aiment pas les trémoussements d'hidalgos caribéens s'abstiendront. Pas d'pitié pour le crooner : retour aux années soixante, le slow qui tue, garanti d'époque, avec les chœurs qui vous brisent le cœur, une bluette rose, attention le crooner ne drague pas les pré-nubiles, ce n'est plus de son âge, s'adresse surtout aux dames mariées qui courent après leur passé qui ne reviendra plus... Chansonnette perfide qui remue le couteau dans la plaie des jours et des jeunesses perdus. Tais-toi et chante : surfin' song, l'hymne des perdants pathétiques qui ont l'idée de génie du siècle, les pantoufles ringardes c'est comme la confiture de la déconfiture qui dégouline sur les doigts et empègue les boutons de manchette de la chemise propre. Ça glisse comme un rêve. Dans la poubelle. Rythme léger. Chanson triste. Ainsi soit-elle : hymne à la femme, pas à la sainte-vierge, un gospel frénétique, du monde sur le pont – jusqu'au Golden Gate Quartet - des chœurs féminins à la recherche de l'extase, un joyeux bordel généralisé, du fait-main, du cousu d'or, drôlement bien foutu, tant pour les paroles que pour le chant. Servi chaud, avec tant de zèle que l'on n'y croit guère, Dick met dans sa voix ce petit sourire en coin, qui nous avertit que ce n'est que du toc, que dans ce disque il est à la recherche d'un rêve perdu qui s'est échappé de ses mains, un jour sans qu'il s'en aperçoive... Comme le loup de Tex Avery : quand tout fout le camp, l'on se raccroche aux vieilles images des dessins animés qui bougent encore, l'on s'attendrait à une rythmique échevelée, non c'est le retour au sixties-slow, plus vrai que nature, un morceau figé du temps, une carte-postale retrouvée dans un vieux tiroir, Dick en fait des tonnes, un peu le chanteur abandonné qui donne tout ce qu'il a dans le ventre... pour la petite histoire, c'est la première fois depuis le début que le nom de Linda Lu Baker est prononcé. Elle veut tout : petit rock bien propret et sautillant comme l'on en fabriquait tant aux Amériques une fois que le rock sauvage fut amadoué et mis en cage. Attention, un genre en soi à part entière. Dick y excelle et s'amuse comme un fou.

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    A part moi ça va : la ballade country est au slow ce que la symphonie est à la chansonnette, sûr que ce n'est pas folichon, rien de tel pour vous refiler le blues, la pedal steel guitar pleure, et Dick essaie de survivre à son chagrin. C'est comme dans les films ces scènes larmoyantes qui vous serrent la gorge, pour ne pas vous engluer dans l'émotion, vous vous dites, que ce n'est pas vrai, ce n'est que du cinéma. Goodbye amigo : un titre de western italien, la sombre guitare à la Johnny Cash nous ramène aux Amériques dans une bobine de Raoul Walsh, une belle ambiance de départ que le refrain pompier en uniforme hélas saccage à tel point que l'on est content quand on arrive à la fin. Des larmes des larmes : le slow grand public qui met tout le monde d'accord, la guerre ce n'est pas bien, l'on ouvre les vannes et l'on pleure tous ensemble, Rivers nous fait son Live Aid à lui tout seul. A fond les trémolos. Le truc gonflant. Baudruche. Baby relax : ouf ! On respire, un peu de sexe n'a jamais fait de mal à personne, le rock enlevé qui s'adonne à la bagatelle, un saxophone qui klaxonne dans les coins, que voulez-vous de plus ? Sûr que sur ce morceau Dick n'invente pas la poudre. Mais il sait la manier. Lunettes noires : les montures noires ne cachent pas le moine, c'est Schmoll qui a écrit les paroles, d'ailleurs le titre ressemble un peu avec sa cuivrerie enlevée aux morceaux que l'on trouve sur beaucoup de disques de Mitchell, ( tendez l'oreille vous entendrez Eddy prononcer trois mots ) ça pulse et c'est enlevé, une bouffée d'air pur qui chasse les miasmes de la mélancolie. Elle m'a fait mal : l'a repris du peps Dickie, chante bien le Dick, sa voix rebondit sur la batterie, telle une balle de ping-pong, y a de la vie là-dedans, c'est d'autant plus voyant qu'il nous conte une rupture abîmale, mais l'on s'en fout, ça froufroute comme un cabri qui batifole de rocher en rocher. Si je tenais la mort : rien de funèbre dans ce qui n'est pas une ballade mais un rock bien carré qui roule à tombeau ouvert, un solo de guitare vermifuge de cheval qui revigorerait un mort, la piste la plus vivante de tout le disque. Elle dort chez les anges : un doux feulement de saxophone, c'est parti pour un slow-jazz aux yeux bleu-pâle, on avait oublié de vous le dire mais Linda Lu est morte, et Dick se retrouve tout seul, tout triste, avec son rêve de Linda (petit lu) Lu croqué jusqu'au trognon. Linda house Baker : Surprise, soirée funk and house, pas question que l'on ressorte le cadavre de sa housse, l'époque de Linda Lu s'éloigne, place à la jeunesse, l'on mixe à tout va, l'on raconte n'importe quoi, quoi de plus terrible que cette lourde chape de ciment recyclabe que la modernité coule sur le temps passé pour être sûre qu'il ne ressortira pas de sa tombe.

    Au final, agréable à écouter, mais loin d'être le meilleur opus de Dick Rivers. La mélancolie chez Rivers est toujours aussi pure que la méthadone, un produit de substitution, du rock de second degré, mais authentique.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    UNE TENEBREUSE AFFAIRE

    EPISODE 01

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    RECAPITULATIF N° 1

    Nous n'étions plus en odeur de sainteté, apparemment le président du Sénat qui avait selon les lois de la Constitution endossé le rôle du Président de la République décédé – ce tragique événement est dument relaté dans le dossier L'affaire du Coronado Virus, cote KRTNT 477 – 512 - n'aimait pas le rock'n'roll. A sa décharge, l'avait d'autres chats à fouetter, notamment à préparer les prochaines élections présidentielles.

    Un beau matin, nous trouvâmes la porte du service condamné. Ce n'était pas grave, nous nous en doutions, nous le pressentions, la veille au soir le Chef avait emporté sa réserve de Coronado, pour ma part j'avais eu la présence d'esprit de sauvegarder le manuscrit de mon journal intime, sobrement intitulé Mémoires d'un GSH.

    Note 1 : tout Coronado étant unique, ce nom royal ne prend jamais de S. ( Signé : le Chef )

    Note 2 : en toute simplicité les initiales GSH signifient Génie Supérieur de l'Humanité. ( Signé : Agent Chad ).

    INTERLUDE

    C'était l'heure des grandes décisions. Le Chef alluma un Coronado :

    • Agent Chad, la situation est grave, je compte sur vous et vos deux fins limiers pour nous récupérer un repaire indétectable, un antre indécelable, dans lequel nous serons aussi à l'aise que deux piranhas en eaux troubles. Pour ma part je rentre à la maison, ce monde ensauvagé a besoin de calme et de méditation.

    Un agent du SSR chargé d'une mission difficile n'a pas une seconde à perdre. J'avisai presto subito une terrasse de café et après avoir commandé une bouteille de bourbon j'entrepris de motiver la piétaille :

      • Les chiens vous avez entendu ce que désire le Chef, mettez-vous en piste tout de suite, dans deux heures, je vous veux au rapport ici même, action !

      • Ouah ! Ouah ! Molossito piaffait d'impatience !

      • Ouah ! Molossa connaissait la vie, elle se contenta d'un oui approbatif sans emphase, elle huma l'air par trois fois, posa sa truffe au sol et démarra, Molossito la contemplait avec admiration, il hissa sa queue en panache tel un oriflamme et suivit sa mère adoptive en toute confiance.

    PETIT DIALOGUE PSEUDO-PLATONICIEN

    Même attablé à la terrasse d'un troquet, un agent du SSR est sans cesse à l'affut, par expérience il sait que si vous ne courez pas après les problèmes, ils arrivent tout seuls sans qu'on ait besoin de les appeler. Le gars avait une tête sympa, genre un peu bobo-hippie, tandis qu'il traversait la rue je remarquai que la pâleur de son teint seyait à merveille à ses tatouages sur ses avant-bras. Arborait un T-shirt Neil Young. L'avait sûrement terminé un gros pétard depuis pas très longtemps car il se contrôlait pour ne pas trop zigzaguer sur la chaussée. Se laissa tomber – plutôt qu'il ne s'assit - lourdement sur une des chaises de ma table.

      • B'jour ! Scuse-moi ! Et sans rien demander il enfila mon verre de bourbon, illico il s'en resservit un deuxième qu'il se versa dans l'œsophage aussi sec !

      • Ah ! Ah ! Je vois que vous êtes un amateur de bourbon !

      • Non pas du tout, avec ma copine l'on boit surtout du thé au jasmin, mais là j'avais besoin d'un remontant, et hop il en avala un troisième sans transiger.

      • Je comprends, votre copine s'est tirée avec le voisin !

      • Pas du tout, elle n'y est pour rien, c'est la faute de Charlie Watts !

      • C'était votre batteur préféré, une triste nouvelle oui, il est mort et enterré depuis huit jours, que voulez-vous ce sont les meilleurs qui partent les premiers !

      • Non !

      • Philosophiquement vous n'êtes pas d'accord, vous supputez que les imbéciles peuvent mourir avant les autres. Vous n'avez certainement pas tout à fait tort, votre point de vue est défendable quoique si l'on suit les enseignements de Berkeley l'on puisse toutefois en déduire que chacun juge du réel selon sa seule approche...

      • Non !

      • Vous n'êtes donc pas un adepte de Berkeley, logiquement vous pensez qu'il existe une réalité, somme toute objective, indépendante de notre Moi, je dois donc vous classer parmi les matérialistes brevetés !

      • Non !

      • Là, franchement je suis dans l'impasse – commençait à m'agacer l'espèce de Neil Young de pacotille – si je vous suis...

      • Non !

      • Non quoi ! Expliquez-vous !

      • Il n'est pas mort !

      • Berkeley, si en 1754 !

      • Non ! Foutez-moi la paix avec votre Berkeley, je parle de Charlie Watts ! C'est lui qui n'est pas mort !

      • Vous savez, on disait la même chose d'Elvis !

      • Oui je sais, mais Charlie Watts, il n'est pas mort...

      • Pas mort, pas mort... me coupait la chique cet abruti !

      • Non pas mort, je viens de le croiser dans la rue !

      • Impossible, un sosie, un fan qui s'est habillé à l'identique, en hommage...

      • Non puisque je vous répète qu'il n'est pas mort ! Oh puis vous m'agacez, vous êtes un esprit obtus, et hop il termina la bouteille au goulot, se leva en titubant et repartit d'une démarche saccadée !

      • L'est pas frais votre zèbre, l'a dû charger la mule toute la nuit, c'était le garçon diligent qui de sa propre initiative se hâtait de m'apporter une deuxième bouteille.

      • En plus il prétendait qu'il venait de voir Charlie Wats ! Attention vous avez failli laisser tomber votre plateau ! Un fou, ou alors il a inventé cette blague pour boire gratos !

      • Ça alors ! ( J'ai cru qu'il allait me faire une crise cardiaque et tomber raide mort sur mon guéridon ) Vous n'allez pas me croire, monsieur, mais aux infos sur France- Inter ils ont signalé un cas similaire en Auvergne !

    Mon portable sonna. C'était le Chef :

      • Impossible de fumer un Coronado tranquille dans ce pays. Je sors de l'Elysée, on m'a appelé d'urgence, z'étaient tout gentils, m'ont ouvert une ligne de crédit longue comme un TGV, une drôle d'affaire sur le paletot.

      • Je vois Chef, un truc qui brille à la manière d'un million de watts !

      • Exactement Agent Chad, à force de me fréquenter vous parvenez à émettre des hypothèses qui tiennent la route ! Je suppose que vous n'êtes pas allé plus loin que le premier café, et que vous attendez les chiens, j'arrive dans une demi-heure le temps de voler une Lamborghini.

      • Bien Chef, je vous attends !

    Les chiens survinrent à fond de train alors que le Chef arrêtait la Lamborghini devant la terrasse, à leurs yeux pétillants je compris qu'ils avaient déniché la perle rare, mais le Chef ne voulut rien savoir.

      • On vérifiera plus tard, zou, les cabots sur la banquette arrière en vitesse – ils ne se firent pas prier – agent Chad, prenez le volant !

      • Oui Chef, où allons-nous au juste ?

      • En Auvergne !

    ( A suivre... )

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 520 : KR'TNT ! 520 : TIM BOGERT / NEON ANIMAL / BETTY HARRIS / DAN SARTAIN / SHARYN McCRUMB / RURAL SINGERS / JUKE JOINTS BAND QUARTET / JIM MORRISON / ROLLING STONES / RAGTIME

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 520

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    09 / 09 / 2021

     

    TIM BOGERT / NEON ANIMAL

    BETTY HARRIS / DAN SARTAIN

    SHARYN McCRUMB / RURAL SINGERS

    JUKE JOINTS BAND QUARTET

    JIM MORRISON / ROLLING STONES

    RAGTIME

     

    Bogert back (to where you one belonged)

    - Part Two

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    L’histoire de Tim Bogert s’étend sur cinquante ans. Sa durée correspond en gros à celle de l’histoire du rock. Non seulement Timmy fut toujours à la pointe du progrès, mais il réussit à partager avec James Jamerson, la couronne de roi du bassmatic américain. Si à une certaine époque, disons en 1967 ou 1968 on écoutait le Vanilla Fudge, c’était surtout pour entendre ronfler la basse de Timmy. Jack Bruce, John Entwistle et Timmy sont à l’origine de nombreuses vocations de bassistes.

    Manque de pot, la seule fois où on a pu voir le Vanilla Fudge sur scène (au Divan du Monde en 2014), un certain Pete Bremy remplaçait Timmy dans le groupe. Mais les trois autres Vanilla étaient en rendez-vous et quel rendez-vous ! On aurait cru voir des vampires, tout de noir vêtus, aussi chevelus qu’en 1967, mais le moindre cheveu blanc, et pas la moindre trace non plus de baisse de régime, ils enfilent les hot blasts comme des perles, «Ticket To Ride», «Some Velvet Morning», «Season of The Witch», «Take Me For A Little While», «Eleanor Rigby», «Bang Bang», «People Get Ready» et «Shotgun». Une pétaudière épouvantable. Un mystère aussi épais que celui de Toutankamon. Mais comment font ces mecs pour jouer aussi fort et aussi bien cinquante ans après leur âge d’or ? This is the Vanilla Fudge baby, et on n’ose même pas imaginer ce que serait devenue cette pétaudière avec Timmy sur scène. Dès le début, ces New-yorkais mettaient un point d’honneur à sonner comme des titans. Ils inventaient le rock titanesque dont vont s’inspirer des gens comme Dave Wyndorf ou Jaz Coleman.

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    On retrouve leur cover extatique de «Ticket To Ride» sur leur premier album sans titre, Vanilla Fudge, paru en 1967 sur ATCO. Ils battaient aussi en neige du Kilimandjaro une reprise du «Take Me For A Little While» de Dusty chérie, alors ça montait, ça montait et soudain Timmy stoppait tout d’un gigantic break de basse. S’ils reprenaient le «She’s Not There» des Zombies, c’était surtout pour se livrer à quelques dérives expérimentales, une manie que Timmy n’allait plus cesser de développer. En B, ils tapaient dans les Supremes avec «You Keep Me Hanging On», version suprême noyée d’orgue et de gras double que Timmy venait bombarder de notes de basse. Et là on a compris : Timmy allait devenir LE bassman le plus aventureux des Amériques, aussi aventureux que l’était Jeff Beck sur sa guitare. En 1967, Timmy portait des lunettes à montures d’écaille, comme celles de Woody Allen, et il allait tout au long de son histoire conserver ce look de binoclard, avec les cheveux un peu plus longs. Il allait aussi former avec Carmine Appice l’une des meilleures sections rythmiques de l’histoire du rock. Ce n’est pas un hasard si Jeff Beck enregistre un album avec eux.

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    Avec les deux albums suivants, Renaissance et The Beat Goes On, le Fudge allait prendre des risques inconsidérés. Ils viraient un peu prog et semblaient s’égarer dans le son. On ne sauvait qu’un seul cut sur Renaissance : «That’s What Makes A Man» et en B, Vinnie Martell tentait de sauver «Faceless People» en grattant du gras sur sa Les Paul.

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    The Beat Goes On sonnait comme l’album des premiers de la classe. Ils tapaient dans «Hound Dog», les Beatles et «The Beat Goes On» de Sonny & Cher, mais tout cela était découpé en rondelles de saucisson pour un résultat baroque et tragiquement anti-commercial. En fait, ils proposaient une histoire de la musique à travers les âges, passant du ragtime des années 30 aux élans classiques de «La Lettre À Élise», dont visiblement Mark Stein était fan. Le Fudge pouvait TOUT jouer. Et mieux que quiconque. Mais ce n’était pas ce qu’on attendait d’eux. On voulait de la viande. Du shuffle fumant et du gros gras double. Du rock de titans.

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    Il allait arriver avec Near The Beginning. C’est là qu’on trouve «Shotgun», l’archétype du rock des titans, avec ce chaos de bassmatic, ce shuffle hugolien, ce gras double, ce pounding de galère phénicienne et ces chœurs extravagants qui s’en vont télescoper le bassmatic en folie de Timmy. «Shotgun» est une source inépuisable d’explosivité, d’hystérie collective et de relances indécentes. C’est l’apanage du Fudge. S’il fallait emmener un seul morceau du Fudge sur l’île déserte, ce serait «Shotgun». C’est aussi sur cet album qu’on trouve la cover du fameux «Some Velvet Morning» de Lee Hazlewood. Bienvenue au paradis sur terre, le Fudge plonge Lee dans un bain d’excellence. Cette mer de nappes d’orgue s’ouvre comme la Mer Rouge pour laisser passer le dogme qui s’en va rejoindre les cimes. Avec cette version, le Fudge atteint l’extrême clarté de la pureté. La voix de Mark Stein se réduit à sa plus simple expression : un filet harmonique ténu et douceâtre.

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    Paru en 1969, leur dernier album s’appelait Rock &Roll. Rien qu’avec la pochette et ce titre en Futura ultra-bold rouge sur fond blanc, on croyait tenir en main le plus gros disque de rock américain de tous les temps. Au dos, on les voyait tous les quatre photographiés sous des néons, une scène qu’on croyait sortie d’un bad trip d’Abel Ferrara. Et pouf, Timmy commençait par secouer le cocotier de «Need Love», il recréait son cher empire du chaos et bien sûr ça screamait dans tous les coins. Mais la suite de l’album retombait comme un soufflé. Malgré son soul-punk blow in the face, son big blast de bass dans le bide et son harsh break down in the guts, «Street Walking Woman» allait perdre son âme dans des accalmies. Ces enfoirés jouaient avec nos nerfs. Ils sauvaient leur B avec une reprise héroïque de «The Windmills Of Your Mind», une compo géniale de Michel Legrand, monstrueusement bien chantée par Mark Stein, grand amateur de moulins devant l’éternel. À travers ça, le Fudge nous faisait bien comprendre qu’il ne recherchait pas le succès commercial, oh la la pas du tout. Ils n’avaient de goût que pour l’explosivité et le télescopage. Sur tous les cuts de l’album, ce démon de Timmy veillait à claquer des trilles de notes en permanence.

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    Avant de devenir une glace à la vanille, Mark, Timmy et Vinnie (Carmine n’était pas encore là) s’appelaient les Pigeons. Les fans connaissent cet album de reprises paru en 1973 sur lequel on trouve «Midnight Hour» (version swing), «Upset The People» (Charles & Inez Foxx) et «Mustang Sally» (summum de la décontraction).

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    Paru en 1984, Mystery est l’album de la première reformation du Fudge. C’est une catastrophe. Son bien propre sur lui, limite diskö. L’époque veut ça. On ne sauve qu’un seul cut, la reprise du «Walk On By» de Burt, rendu célèbre par Dionne Warwick. On y retrouve le soutien logistique qui fit la grandeur du Fudge.

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    Le groupe se reforme une deuxième fois en 2004 et nous balance un brillant album intitulé The Return. Bill Pascali remplace Mark Stein au chant et à l’orgue. On retrouve le légendaire power du groupe dès «Ain’t That Peculiar» et la flash guitar de Vinnie Martell. Pour ce retour en force, ils rejouent les reprises de leurs débuts, avec encore plus de punch, comme si c’était possible ! «You Keep Me Hanging On» monte vite en température alchimique, l’énormité Motown se transmute en énormité à la vanille. Ah si Paracelse pouvait voir ça ! La mélodie des Supremes reçoit des coups de boutoir. On croise aussi une version dévastatrice de «Shotgun». Bill Pascali la prend au raw d’under the belt. Retour au rock des titans. Ils lèvent des vagues géantes de shuffle. Ils dégagent les bronches des dieux. Et ils donnent le coup de grâce avec «Take Me For A Little While», ce heavy Motown sound qui est la marque jaune du groupe. Génie à l’état pur. C’est au-delà du langage. Ils lâchent aussi une version définitive de «Good Lovin’», il y coule des solos de lave, c’est l’archétype du hit ultime et asphyxiant. Cette version de «Need Love» sonne comme une déclaration de guerre totale, sans aucun espoir de retour à la paix.

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    Les fans du Fudge connaissent aussi cet album live enregistré en Allemagne, Good Good Rockin’. Bill Pascali remplace Mark Stein et Teddy Rondinelli Vinnie Martell. C’est donc une moitié de Fudge. Carmine et Timmy préservent le nom, comme l’ont fait Russell Hunter et Duncan Sanderson pour les Pink Fairies, ou Billy Talbot et Ralph Molina pour Crazy Horse. Cet album live permet de renouer avec l’urgence sonique d’antan. Souvenons-nous que ces princes de la démesure mirent à bas bien des basiliques. D’entrée de jeu, «Good Good Lovin’» défonce la rondelle des annales. Comme Blue Cheer avec leur album live enregistré au Japon, le demi-Fudge nous plonge dans la fournaise. Avec «Take Me For A Little While» et «Shotgun», on est rôti comme une merguez oubliée sur un barboque. Ils sont encore plus pharaoniques que le roi. Timmy et Carmine défoncent tout sur leur passage. Ils fondent les grumeaux, ils rasent les montagnes. L’ange Pascali pose sa voix au sommet d’une machine de guerre, certainement la plus puissante du monde. Avec ces mecs-là, tout n’est que luxure, clash et volupté. Ils plongent comme des crabes ivres de liberté dans la bassine d’huile bouillante. Ils se rient de tout, surtout des métaphores. On les croit grillés dans l’huile, mais non, ils nagent ouvertement, ils font des brasses expiatoires dont la mesure échappe à toute logique. Bill Pascali descend à la cave chercher son guttural. Et pour «Shotgun», Carmine ramène son beat d’Odin et tout s’écroule. Ce punk blast n’existe pas ailleurs, inutile de perdre ton temps à chercher. Carmine le vital blaste ses fûts dans une chaleur d’étuve. «Shotgun» s’élève comme une masse impérieuse, comme l’un des plus gros cataplasmes de l’histoire du rock. S’il est un cut à la fois mirifique et épique, c’est bien «Shotgun». Timmy envoie des giclées dans tous les coins, ça n’en finit plus d’exploser. Puis ils lancent un nouveau raid kamikaze sur «She’s Not There», et là, désolé d’avoir à le dire ainsi, ça devient indécent de puissance voluptueuse. Dommage que les cuts soient si longs - six à huit minutes - mais n’est-ce pas le temps qu’il faut à un monstre pour sortir de sa torpeur ? Difficile de répondre à ça, car très peu de gens peuvent témoigner. Une fois le monstre réveillé, il chope sa proie dans la seconde.

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    En 2007, la formation originale du Fudge entrait en studio pour enregistrer Out Through The In Door, un tribute album à Led Zep. En bon titans, ils font une version titanesque d’«Immigrant Song». Le «Ramble On» qui suit n’est pas bon, mais bons princes, ils le transforment en groove énorme. Mark Stein envoie des nappes qui balayent tout. Il traîne le petit sucre d’orge de Led Zep par les cheveux jusqu’au sommet de la Soul. Une fois de plus, le miracle s’accomplit : la Soul blanche se fond dans le grand rock américain. Difficile de faire mieux. Ils doivent être les seuls à opérer à cette altitude. On s’en souvient, «Dazed and Confused» est l’un des sommets du premier Led Zep. Mark Stein le tient par la barbichette. Timmy coule un énorme bronze de basse. «Dazed and Confused» sonne comme un chef-d’œuvre prodigieusement désespéré. Mais Mark Stein ne cherche pas à faire son Plant. Il vise le punch. Et puis voilà qu’arrive le fameux pont où Jimmy Page joue de l’archet. Ensuite la machine se remet en route, sauf que chez le Fudge, la machine est une machine de guerre capable de rivaliser avec les Famous Flames ou le Family Stone de Sly. Rien que pour ce redémarrage de folie, l’album vaut d’être rapatrié. L’autre sommet du Led Zep 1, c’est bien sûr «Baby I’m Gonna Leave You», un cut si parfait qu’il est intouchable. Mais pas intouchable pour Mark Stein qui prend doucement son envol. Il sait qu’il s’attaque à un morceau parfait, il ne grimpe pas dans les aigus. Il reste bien au sol. Il chauffe à sa façon. Comme il dispose d’une voix de grand décideur, aucun couplet ne peut lui résister. Un solo de guitare donne le signal de l’envolée, mais le hurlement attendu brille par son absence. La version reste épaisse, infiniment moins fine que l’original, mais elle a des qualités intrinsèques - walking through the park/ every day ! - Dommage qu’ils n’aient pas tapé dans «Communication Breakdown» ou «Since I’ve Been Loving You». Vinnie Martell prend le chant pour une version cocasse de «Rock’n’Roll». Il monte très haut pour retrouver le chant hurlé de Robert Plant - Houllière ! Houillère ! - C’est la bande-son de Germinal. La version est solide, pleine de vox et d’Hammond. «Your Time Is Gonna Come» vient aussi du premier Led Zep. Cette reprise est une bénédiction. Mark Stein y tortille son chant de manière subversive. Il en fait un gospel dantesque et la grande machine de guerre se remet en route. Basse en folie, nappes d’orgue, démolition doll beat, ces gens-là n’ont plus rien d’humain.

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    Le dernier album du Fudge s’appelle Spirit Of 67 et paraît en 2015. Ils nous refont le coup de l’album de reprises. Ils sont certainement le meilleur groupe de reprises du monde, et ils savent choisir les morceaux. La preuve ? «I Heard It Through The Grapevine» qui vire à l’énormité d’entrée de jeu. Stein noie ça d’orgue. Carmine tend bien le beat. Nos vieux héros tapent dans les vieux hits des sixties pour en faire des montagnes effarantes et le vieux Vinnie part en solo. Ils tapent aussi dans l’«I Can See For Miles» des Who. Ils le tremblent à outrance et le noient dans une purée d’orgue dévastatrice. Puis ils tapent dans le «Break On Through (To The Other Side)» des Doors, mais ils ne peuvent pas les surpasser, car c’est impossible. La version du Fudge est trop arty, trop orientalisée. Vinnie sauve le cut de la faillite avec un solo fabuleux. Sais-tu que Vinnie Martell n’est jamais cité dans les classements des 10 meilleurs guitaristes de rock ? Les gens préfèrent Clapton, Brian May et David Gilmour, alors t’as qu’à voir. Le Fudge tape ensuite dans le vieux «Tracks Of My Tears» de Smokey Robinson et en fait de la charpie de heavy Soul. C’est eux qui ont inventé ce genre très particulier. S’ensuit une reprise terrible d’«I’m A Believer» qu’ils traitent à la heavyness apoplectique. C’est plombé comme un ciel d’orage. Impossible d’échapper à la colère de dieux. La mélodie appelle au secours. Stein la noie dans ses nappes et Carmine lui brise les reins. Ah les brutes ! Et ce n’est pas fini, car Vinnie part en solo fantôme. Ils tapent aussi dans «Gimme Some Lovin’». Ça leur va comme un gant. Vinnie chante ça d’une petite voix de nez, avec une sorte de prégnance intrinsèque - Awite, uh - Les copains le suivent dans la brèche et enfournent le souffle d’une déflagration nucléaire. C’est là que Vinnie part en solo coulant, fuyant, hors du temps, killer oui, mais à la revoyure du no way out. Ces mecs ont toujours eu le génie du son. Ils sont dans l’implacabilité des choses. Ils tapent aussi dans Buffalo Springfied avec «For What It’s Worth», idéal pour le heavy pathos à la petite semaine. Il y a des gens qui adorent ça. En plus c’est embarqué sur le tard par des dynamiques extraordinaires. Ah pour ça, on peut leur faire confiance. Ils finissent avec un «Ruby Tuesday» bombardé au heavy sound, pas de surprise, et une version superbe d’«A Whiter Shade Of Pale». Le Fudge plonge avec délectation dans le dandysme britannique de vestes brodées et de moustaches poudrées. Il faut voir tout le son qu’ils ramènent, des tonnes de son ! Du coup, ça s’élève et ça s’arrache du sol. Ils vont trop loin. Gary Brooker serait pétrifié à l’écoute de cette horreur grandiloquente. Le Fudge blaste le refrain au turbo-compresseur et Mark Stein envoie de gigantesques nappes de shuffle qui noient celles de Matthew Fisher. Quand le Fudge débarque en ville, les classiques s’enfuient en courant.

    Lorsque s’achève la premier époque du Fudge en 1969 avec l’album Rock &Roll, Timmy et Carmine décident de monter le premier d’une longue série de super-groupes : Cactus.

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    Si tu collectionnes les grands albums de rock américain, n’oublie surtout pas le premier Cactus. Cette bombe atomique s’appelle tout bêtement Cactus et fut larguée en 1970. Diable, comme on a pu la vénérer cette petite bombe. Pas de pire démarrage que celui de Carmine dans «Parchman Farm». Appelons ça le beurre infernal. Il bat l’imbattable. Et l’ex-Detroit Wheels Jim McCarty coule littéralement de source. Ils sont tous les quatre terrifiants de power. Avec Cactus et Motörhead, on a fait le tour. Hélas, ils abîment leur bal d’A avec deux horreurs et sauvent les meubles in-extremis avec «You Can’t Judge A Book By The Cover». Fantastique fourvoiement, c’est chauffé à l’harmo avec des fous derrière, et Rusty fait son rintintin, ils sont mille fois plus incendiaires que ne le fut jamais Led Zep. Peut-on rêver meilleure giclée dans l’œil ? Non. Le petit préféré se trouve en ouverture du bal de B : «Let Me Swim», amené au tah tah poum Carminé et vite riffé par McCarty, le tout télescopé par Timmy et ses tiguilis de bas de manche, alors oui, c’est l’apanage du cheval blanc, le boogie américain le plus dévastateur qu’il soit permis d’imaginer, allumé à l’Oh yeah Rustyque, pas de meilleur boogie down ici bas. On voit même Timmy partir à contre-courant du solo de guitare. C’est d’une rare puissance trismégiste. Dans «No Need To Worry», McCarty fait son Jimmy Page, il joue au volubilisme vertigineux, perché à la note de revoyure. Ils tapent ensuite «Oleo» au heavy boogie rock de Cactus overdrive. Ils font le show tous les quatre, chacun dans son coin et tous ensemble, comme les Who, avec au cœur de la fournaise un solo de basse de Timmy qui vaut tout l’or du Rhin. Ils terminent avec la bonne grosse ambiance de «Feel So Good». McCarty sort des accords jazz incendiaires qui secouent les colonnes du temple, c’est le roi du heavy shaking de sonic blast et les démons cornus et poilus qui l’accompagnent ne font qu’aggraver les choses. It’s awite !

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    L’année suivante paraît Restrictions. On les cherche partout les restrictions, mais il n’y en a pas. Timmy embarque le moreau titre au glou-glou de bas de manche. Ça chante au pousse-toi-de-là-que-je-m’y-mette et McCarty part en vadrouille, alors que font les autres ? Ils tambourinent à la folie Méricourt. Voilà en gros ce qui se passe sur un album de Cactus. Ils rajoutent en plus des dynamiques de chœurs traînards, alors t’as qu’à voir. En 1971, ces mecs étaient les rois du monde. Leurs descentes d’organes sont terrifiantes. McCarty prend feu et Timmy dérape dans des flaques de chœurs, c’est un moment d’éternité. Il faut bien se rendre à l’évidence : Cactus est l’un des gangs les plus violents d’Amérique. Leurs explosions de chœurs sont stupéfiantes. On y décèle des échos de Jack Bruce dans Cream, «Tales Of Brave Ulysses» ou «Swlabr». Aw my Gawd, quel big bang ! Cart + Timmy + Carmine, ça ne pardonne pas. McCarty joue à la vie à la mort, poursuivi par Timmy et Carmine. Ils attaquent leur B avec «Evil». Timmy le pulse au bubblegum de bassmatic. Cette fois, il vole le show. Il joue aussi en contrefort des accords vinaigrés de Cart dans «Sweet Sixteen» qui vole le show à son tour, il joue à l’insistance du paramedic. Et voilà un «Bag Drag» contrebalancé dans un bourbier de heavy boogie down. Cart démolit ça à coups de revienzy oh-riffique - Oh what a drag - et Rusty chante à l’argh arrache, aw what a baaad drag !

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    Malgré sa pochette qui ne ressemble à rien, One Way Or Another est un superbe album. En 1971, «Big Mama Boogie Pt 1 & 2» frappa bien les imaginations. Cactus amenait ça au boogie d’harmo, dans l’esprit Little Walter et ça virait Deep Southern shuffle. Puis ils embarquaient le Pt2 au Cactus stomp et là, attention à Boogie Mama ! L’autre point chaud de l’album s’appelle «Rock’n’Roll Children». Ils étaient sur le pont tous les quatre et développaient vite leur business. Timmy se baladait dans le son avec une liberté totale, il incrémentait des notes et encapsulait ses triplettes de Belleville. En gros, il broutait la motte du son. C’est lui qui raflait encore la mise avec le morceau titre en B. Carmine et lui terminaient l’album de façon explosive avec cette espèce de funk-rock à la Cactus. Comme le Vanilla Fudge, Cactus était un phénomène unique. Ils tartinaient du pathos de dynamiques et avaient avec Rusty un excellent shouter. Timmy bâtissait en permanence un empire dans le son. Rusty Day chantait «Long Tall Sally» en criant comme une folle. Il méritait franchement d’être enfermé. Mais les autres ne valaient pas mieux : Carmine tapait comme un sourd et Timmy roulait tout dans sa farine. «Hometown Bust» nous permettait enfin de comprendre une chose essentielle : ces quatre mecs savaient enfoncer un clou dans un crâne. Tout sur cet album tient bien la route. Beaucoup trop bien.

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    Comme le Rooster a tourné avec Cactus aux États-Unis, Timmy et Carmine on repéré Frenchie. Et le jour où il leur faut remplacer Rusty Day, ils font appel à lui. Frenchie rejoint donc Cactus en 1972 pour enregistrer Ot ‘N’ Sweaty. Un nommé Werner Fritzschings remplace le mighty Jim McCarty et dès le «Swim» d’ouverture de bal d’A, on se reprend une giclée dans l’œil. Le Werner en question est bon, mais pas aussi bon que Cart. Bon, alors les voilà repartis dans leur boogie hot & sweaty, c’est très cousu de fil blanc, pas de surprise. On perd un peu la niaque du premier Cactus qui était on s’en souvient un petit chef-d’œuvre bombastique. Le cut de Frenchie qui ouvre le bal de la B est très intéressant. Il s’appelle «Bad Stuff» et sonne très Jeff Beck Group. C’est un beat têtu comme une bourrique qui va son chemin de Bad Stuff, hey ! On se calera l’estomac avec un «Bedroom Mazurka» bien joué, monté sur un joli beat pulsatif et chanté à l’Anglaise. C’est dingue ce que Frenchie amène dans le jus de Cactus. On croirait entendre les Faces avec la folie du team Appice/Boggert en sur-couche. Excellent ! Frenchie montre encore les dents avec «Telling You». Il se fond idéalement dans le Cactus.

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    Pendant que Timmy & Carmine font les cons dans Cactus, Mark Stein monte Boomerang pour enregistrer quelques belles pièces de heavyness. Dès «Juke» on est saisi par la puissance démoniaque du groupe. Le cut se noie dans les bonnes vieilles guitares seventies et Mark Stein tient tout ça à l’orgue. Stein ne stipule pas, il joue. Il passe ensuite au balladif avec «Fisherman». Eh oui, Mark Stein va au balladif comme d’autres vont aux putes. Il sait admirablement bien gérer un balladif. Il en comprend l’essence et la distance. C’est un excellent maraudeur. On ne se lasse pas d’entendre sa voix écarlate pleine d’échos du soleil couchant. Mark Stein est un soul man à la new-yorkaise, toujours dressé on the fringe of chaos. «Hard Times» confirme l’excellence de l’album. C’est plein d’allant, teinté de folk et tapissé de shuffle d’orgue. Avec «Mockingbird», il invente la heavyness des enfers du paradis. C’est le son dont rêvent tous les romantiques en haillons. On se croirait presque chez le Fudge, mais il manque les télescopages de Timmy et les coulis de Vinnie Martell. Encore une perle noire avec «Cynthia Ferver» : on y entend un solo malin comme un crocodile du Nil. Pure merveille que ce dernier cut qui s’appelle «The Peddler». C’est onctueux et bardé de son, de ponts et de dons. Ça n’en finit plus d’exacerber les notules. Le nommé Rameriz part en coulée de solo et obtient les faveurs du géant Stein, le maestro vanillé, capitaine de l’un des groupes phares de l’âge d’or du rock américain. Oui, ils savent dépiauter l’arbalète, ils savent ériger un bye bye d’hymne de Peddler.

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    Lorsque s’achève la première époque de Cactus, Timmy et Carmine s’acoquinent avec le meilleur guitariste de rock anglais, Jeff Beck. L’album qu’enregistrent Beck Bogert & Appice en 1973 n’a pas de titre. Pas non plus de pochette. On les voit tous les trois au dos, heureusement. Il est important de savoir que Don Nix produit l’album. C’est en gros le même cas de figure qu’avec West Bruce Laing : un album de surdoués en forme de pétaudière, un sabbat dont les acteurs ne seraient pas des sorcières mais des fous géniaux. Il faut entendre Timmy se balader dans le son de «Lady». On croit tous que Jeff Beck est le virtuose, mais non, c’est Timmy. Il pétarade et il télescope, il joue dans tous les coins et dans tous les sens, il fout le souk dans la médina. Le chant évoque celui de Jack Bruce. C’est Carmine qui chante. Il chante aussi l’«Oh To Love You» qui suit. Les harmonies vocales sont dignes de celles du White Album, c’est dire si. Une vraie merveille. Et puis voilà la première bombe : une cover de «Superstition» que chante Timmy. Version heavy et délectable, farcie de power comme une dinde de Noël. Non, il n’existe décidément pas de meilleure section rythmique sur cette terre. C’est monté aux harmonies vocales et bombardé au bassmatic invétéré. Jeff Beck joue comme Jimi Hendrix au Vietnam, il arrose la jungle de napalm. En B, ils passent en mode Southern rock avec «Why Should I Care» que chante encore Timmy. Puis avec «Lose Myself With You», ils glissent dans une excellence qui n’en finit plus d’exceller. C’est encore plus fin que le Fudge. Timmy chante ça au chat perché. Un juste équilibre semble s’installer entre les trois Béhémoths. Nouveau shoot d’exemplarité du power trio avec «Livin’ Alone», joué au meilleur boogie blast de super bowl. Quel festin de power ! Il faut voir comme leur beat balance bien, il semble même élastique, quasi-caoutchouteux, comme une bite au printemps, alors pour Jeff c’est du gâteau. «I’m So Proud» confirme la tendance globale, celle d’une qualité d’album exceptionnelle. On comprend que ces trois-là se soient acoquinés. Et d’ailleurs, chaque fois qu’on retrouvera le team Timmy/Carmine ce sera la même chose : qualité d’album exceptionnelle. On l’a vu avec Vanilla Fudge, Cactus et dans tous les plans que Timmy va monter dans l’avenir.

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    Trente-cinq ans après Ot ‘N’ Sweaty, Cactus refait surface avec Cactus V. Tout ce qu’on peut en dire, c’est qu’il s’agit d’une bombe atomique. Et ce dès «Doing Time», amené au heavy boogie down. Cart hante le son. Le chanteur s’appelle Jimmy Kunes et, comme le disent si élégamment les Anglais, he sings his ass off. Voilà du big sound de non-retour, celui dont rêvent toutes les générations de rockers de banlieue. Aw, il faut voir le furet Cart partir en killer goguette. On dirait qu’il a fait ça toute sa vie, alors schlouf ! C’est claqué au plus haut niveau de l’état. Quand un mec comme Cart ouvre le bal au heavy riff, c’est du gâteau pour le chanteur. Jimmy Kunes chante son «Muscle & Soul» à la belle insidieuse, she knocked me flat, on veut bien te croire, Kunes, et ce démon de Cart part en solo greasy, en shoot supérieur de sleazy bang, il traîne bien ses notes dans la boue. Et Timmy dans tout ça ? Oh il est juste derrière, il joue ses atonalités dans un coin. S’ensuit un «Cactus Music» bien embarqué pour Cythère. Timmy hoquette derrière et va fureter dans ses triplettes de bas de manche. Cactus serait donc le groupe de rock le plus powerful d’Amérique ? Oui, sans aucune doute, avec Vanilla Fudge. Ce qui ne surprendra personne, vu qu’ils ont la même section rythmique. On ne se lasse pas de voir ce démon de Cart partir en vrille de non-retour, il est dans l’énergie de la vague, comme le fut avant lui Jimi Hendrix, il crée du jus en jouant, c’est très spectaculaire. Il repart même une deuxième fois. Cart fait le show dans tous les cuts, il se balade dans le boogie d’harmo de «The Groover» comme un affreux virtuose sans foi ni loi. C’est simple : on attend autant de sauvagerie de la part de Cart que de celle de Ron Asheton. Ils sont de la même école : Detroit. On voit encore Cart planer comme un vampire au dessus de «High In The City» et il revole un show déjà bien volé avec le heavy blues de «Day For Night». Il faut dire que Cart a du pot d’avoir Carmine et Timmy derrière. Voilà donc le big heavy blues de Cactus. Cart craque ses notes à la bloblotte, c’est magnifique. En matière de fast boogie blast, ils n’ont pas perdu la main, comme le montre «Living For Today». Ils sont incapables de la moindre retenue. Par moments, Kunes gueule un peu et mord le trait, dommage. C’est Cart qui fait le son. Il fonce en permanence. Il nous fait la grâce d’un killer solo flash dans «Electric Blue», heavy on the rocks comme un Martini de coyote. Ah les vrilles de Cart, on n’en finirait plus de les célébrer ! Cart rôde dans le son comme un requin en maraude, pendant que Carmine bat tribal - you are the singer, you are the song - et Cart part en vrille de suraigu d’accès total, il vrille à la renverse dans un abîme sonique. Cet album n’en finit plus d’exceller. Retour à la big heavyness avec «Part Of The Game», somebody help me ! Ils nous plongent dans le chaos du heavy blues de l’ère psychédélique et c’est fameux ! Une vraie merveille arachnéenne, pleine de climats changeants, gorgée de venin sonique, Carmine tente de juguler les tubulures, mais c’est compliqué, alors il bat à la folie et ça devient la pire des énormités qui se puisse imaginer ici bas. Et tout explose à nouveau avec «Gone Train Gone». Ce délicieux chanteur qu’est Kunes s’écroule dans les flammes, Carmine et Timmy sont les dieux du feu. Cactus n’est rien d’autre qu’un ramassis de dingoïdes faramineux. Ils terminent cet album somptueux avec «Jazzed» qui sonne comme un défi. Eh oui, ils se mettent à jazzer, ils bouffent le jazz à leur façon. Cart jettent les dés du jazz, il est écœurant d’aisance et du coup, Timmy et Carmine chopent le mythe du jazz-rock et le clouent tout sanguinolent à la porte de l’église. Voilà le travail.

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    L’histoire de Cactus ne s’arrête pas là. Le groupe refait surface en 2016 avec Black Dawn. On y retrouve l’excellent Jimmy Kunes. Timmy ne joue pas sur cet ultime Cactus, un certain Peter Berry le remplace. Donc on l’écoutera principalement pour Cart.

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    Par contre, Timmy est bien sur l’excellent Cactus Live, un concert filmé New York en 2007 et donc dispo sur DVD. On ne peut pas se lasser de revoir ces mecs jouer : on a longtemps considéré Cactus comme des bourrins, mais c’est une erreur, ils sont la suite logique du Vanilla Fudge et des Detroit Wheels, rien à voir avec les bourrins du hard. Comme Motörhead, la presse a voulu en faire un groupe de hard. C’est exactement le même malentendu. Ni Cactus ni Motörhead n’ont jamais trempé dans le hard. Ce sont des groupes de power rock, ce qui n’a rien à voir et certainement les meilleurs du genre. On le comprend mieux quand on voit Cart faire son Béhémot sur sa Les Paul noire, Carmine exploser d’ultra-présence subterranean et le vieux pépère Timmy claquer ses microdots des dix doigts. La vieille démesure du Vanilla Fudge est toujours là, minus l’orgue Hammond. Timmy continue de pulvériser ses volées de notes à la croisée des chemins, pas ceux de Vinnie Martell, mais ceux de Cart. Et bien sûr, l’excellent Jimmy Kunes chante son ass off. C’est le seul chanteur américain qui puisse égaler Rod The Mod. Il fait même le con avec son pied de micro comme le fit jadis Rod The Mob, au temps des bas-fonds de Chicago. Kunes se montre même plus juteux que Rusty Day sur «Let Me Swim», un Swim idéal pour ce batteur des galères qu’est Carmine, wow, il faut le voir battre à la lourde, il passe à la cadence d’éperonnage. Dans le feu de l’action, l’excellent Jimmy Kunnes amène un jus considérable à cette machine infernale. Grâce à lui, Cactus tient toujours debout, depuis la mort de Rusty Day. Ils dédicacent d’ailleurs «One Way Or Another» au pauvre Rusty Day qui, tu t’en souviens, fut abattu de plusieurs rafales de mitraillette lors d’un bad deal de dope. Cette fois, les choses avaient vraiment mal tourné. Mais bon, Cactus continue et c’est un bonheur pour l’œil que de voir jouer Timmy les jambes écartées, comme un vétéran de toutes les guerres. Cart mène le bal des vampires, comme il le fait depuis quarante ans. Idem pour Timmy qui joue la carte de l’ultra-présence. Cart fout le feu à tout, à l’immeuble, à la plaine, rien de nouveau, en fait, lui et Timmy occupent tout l’espace, but after all, c’est Cactus. Cart revient inlassablement, il traîne dans le son à la note dégueulasse, toujours en contrepoint du bassmatic aléatoire de Timmy, qu’on appelle aussi l’aventurier de la basse perdue. Ils pourraient très bien virer hard ou prog, mais non, ça reste du Cactus emblématique. Leur intégrité est intacte. Ils sont intouchables. Dans «Muscle & Soul», Cart prend l’un ces killer solos dont il a le secret, grimaçant comme un diable de grimoire. Il fourbit avec Timmy l’abominable final apocalyptique, Cart le fusille même à la slide, t’as qu’à voir ! C’est dans «Oleo» que Timmy prend son solo de basse. Il joue sur une six cordes et claque tout en harmoniques délétères. Il fait sonner sa basse comme une guitare fuzz. Avec lui, le seul qui sait faire sonner une basse comme une guitare, c’est Jack Bruce, dans un Live At Klook Kleek, au temps du Graham Bond ORGANization. Avec «Evil», ils réveillent tous les démons du That’s evil goin’ on. La bassline de Timmy est un véritable chef-d’œuvre de constructivisme vitupérant. Dommage qu’il y ait ce solo de batterie. Et le festin de son se termine avec «Parchman Farm» et le gimmicking endiablé de Cart. Carmine et Timmy battent la campagne. Pour les plus curieux, un bonus nous montre le groupe dans le backstage : ils jouent deux cuts sur des petits amplis de répète. Carmine bat sur une chaise et l’excellent Jimmy Kunes chante sans micro. Il est important de rappeler que Jimmy Kunes est excellent.

    Signé : Cazengler, Tim Boberk

    Vanilla Fudge. Vanilla Fudge. ATCO Records 1967

    Vanilla Fudge. Renaissance. ATCO Records 1968

    Vanilla Fudge. The Beat Goes On. ATCO Records 1968

    Vanilla Fudge. Rock & Roll. ATCO Records 1969

    Vanilla Fudge. Near The Beginning. ATCO Records 1969

    The Pigeons. While The World Was Eating Vanilla Fudge. Metronome 2001. 1973

    Vanilla Fudge. Mystery. ATCO Records 1984

    Vanilla Fudge. The Return. Worldsound 2003

    Vanilla Fudge. Good Good Rockin’. Music Avenue 2005

    Vanilla Fudge. Out Through The In Door. Escapi Music group 2007

    Vanilla Fudge. Spirit Of 67. Purple Pyramid Records 2015

    Boomerang. Boomerang. RCA 1971

    Beck Bogert & Appice. Epic 1973

    Cactus. Cactus. ATCO Records 1970

    Cactus. Restrictions. ATCO Records 1971

    Cactus. One Way Or Another. ATCO Records 1971

    Cactus. Ot ‘N’ Sweaty. ATCO Records 1972

    Cactus. Cactus V. Escapi Music 2006

    Cactus. Black Dawn. Sunset Blvd Records 2016

    Cactus Live. DVD MVD 2007

     

    L’avenir du rock -

    Le cran des Screw - Part Two

    Comme tous les avenirs, l’avenir du rock n’a ni dieu ni maître. Il vit uniquement selon ses règles et s’adonne à tous les vices. Il adore par dessus tout transgresser. Curieux, gourmand, vénal, il n’est pas l’avenir du rock qu’on imagine, le menton volontaire et les dents d’une éclatante blancheur, non, l’avenir du rock se fond dans le mess around et veille à voir ce qui doit être vu. Il ne se prive d’aucun écart, pourvu qu’il fût jouissif. L’un de ses vices consiste justement à jouir en dehors toute contrainte morale ou esthétique, mais sans se livrer, comme le firent en leur temps les Surréalistes, au rite suranné de l’automatisme psychique de la pensée. L’avenir du rock voit les choses disons plus prosaïquement, il aime à enfiler les cuts comme des culs et à polir en cadence le chinois du beat, il préfère la lie de la terre au lit de la tare, il boit sa coupe plutôt que de battre sa coulpe, il pêche dans le désert plutôt que de prêcher dans un derrière, il préfère s’empêcher de rêver plutôt que de s’épancher en trêves, il libère des gaz plutôt que de gazer des Ibères, il promeut l’excès plutôt que l’accès au meuh, il préfère cent fois donner un gage plutôt que de gager la donne et presser le pas plutôt que de passer après. Il tient surtout à préciser qu’il ne faut pas confondre l’avenir du rock et l’avenir des groupes de rock. Certains groupes n’ont pas d’avenir, mais leur rock peut en avoir un. C’est ça en fait l’avenir du rock.

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    C’est le cas de Bubblegum Screw, un groupe basé à Londres qu’on découvrit en 2014, dans un bar havrais. Bubblegum Screw s’appelle désormais Neon Animal et la parution de leur nouvel album servira en fait de prétexte à saluer la mémoire de Laurent, un compagnon de route disparu en début d’année, qui à l’époque flasha sur les Screw, au point d’aller acheter leur T-shirt après le concert. Rien de moqueur là-dedans, Laurent avait le bec fin et un goût prononcé pour ce genre de groupe qui avait pour double particularité d’être excellent sur scène mais de n’avoir aucun avenir. Nous n’étions tout au plus qu’une dizaine dans le bar. Comme les gens qui étaient là, nous savions que la prog de l’Escale était exceptionnelle, au moins autant que pouvait l’être celle du Ravelin toulousain, au temps de Gildas. Alors que les toulousains affectionnaient les groupes gaga-punk, l’Escale jetait son dévolu sur la scène glam-punk anglaise.

    Quelle hécatombe, quand on y pense ! Des quatre noms cités, seul le Ravelin a survécu.

    Rien n’est plus excitant qu’un bon groupe de glam-punk. Comme les DeRellas, Kevin K, D-Generation, Silverhead, les Dogs d’Amour, les Hollywood Brats, les Richmond Sluts, les Anglais de Bubblegum Screw se réclament des Dolls : peaux de léopard, yeux soulignés au khôl, tattooos, tignasses en liberté, ceinturons à clous, platform boots, son bien gras, big beat et chœurs d’artichauts. Le chanteur s’appelle Mark Thorn. Il ressemble de façon troublante à David Johansen. Sur scène, il évoque aussi le Jagger de 1965 et l’Iggy de 1969. Il trépigne et arrose de sueur l’unique rangée de spectateurs pétrifiés. On voit rarement un type gesticuler avec autant de hargne sur une scène. Il est tellement surexcité qu’il martyrise le peu d’ustensiles laissés à sa disposition : le micro, le câble de micro et le pied de micro. Il saute, se cabre, hennit, frétille, ahane et s’ébroue. Il fait tout ça très bien dans le feu de l’action, mais ce qu’il fait le mieux, c’est chanter. Il a le même genre d’énergie que David Johansen. Il ne dispose pas du même registre vocal, c’est sûr, mais sa voix tient admirablement la route. Il sait se placer au dessus du chaos des guitares. Il est à la fois dollsien, stoogien et stonien. Franchement on se demande pourquoi ce mec n’est pas déjà en couverture de Rock&Folk. On croise rarement des glamsters de son acabit. Sur scène, il ne porte qu’un gilet en peau de léopard, un jean ultra-moulant qui a du vécu et des boots de sleazer. Voilà pourquoi Laurent flasha.

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    Ce groupe fut tellement maudit, qu’il ne parvint jamais à signer sur un label. Leurs deux albums sont apparemment auto-produits. Jamais pu mettre le grappin sur le premier. Par contre le deuxième était en vente au merch ce soir-là. Il s’appelle Filthy Rich Lolitas et on le recommande chaudement aux amateurs de glam-punk. Beau clin d’œil à Nabokov, «Lolita» est fait pour se glisser dans ta culotte. Le guitariste nommé Zach Rembrandt profite de cette apologie de la nymphette pour passer un solo scintillant. Autre clin d’œil magistral avec «Tura Satana». Comme les Dustaphonics, Mark Thorn et ses amis rendent un bel hommage à la grande Burlesque Queen - Dressed to kill ! Dressed to kill ! - sur fond de boogie-rock chauffé à blanc. Mais l’hommage le plus spectaculaire de cet album est celui qu’ils rendent aux Stooges avec «Play Some Fucking Stooges». Zach Rembrandt a recyclé les paroles les Stooges que nous connaissons tous par cœur - So messed up when she is there/ In my room rock action’s near/ I burn myself on her record sleeve/ And I’m face to face to that guillotine - Il reprend même les riffs stoogiens les plus connus - Aw c’mon - et du coup cet album devient rudement excitant. On s’en goinfre. Le batteur Seb Frey embarque «Second Class Citizen» au beat des forges et ils bricolent tous les quatre l’une de ces fabuleuses montées en température qui font la grandeur de leur set. Seb Frey bat comme un beau diable. Ils jouent aussi «I Wanna Fuck You So Much It Hurts Me» au rentre-dedans - Fuck you, Fuck you ! - Leur «Cannibal Girl» vaut aussi le détour car ils vont loin dans la débauche énergétique. Leurs deux grands hits sont «Glam Rock Doll» et «Rock And Roll Dream». En tous les cas, ce sont les deux cuts qui percutent le plus sur scène - My little glam rock girl ! - C’est embarqué à train d’enfer. Seb Frey bat ça si sec ! Il bat le beurre punk, mais le punk anglais. Et derrière ça braille - See you next rock’n’roll ! - Justement, voilà «Rock And Roll Dream», joué à l’envolée. Ils deviennent assez monstrueux - You better watch out for the rock’n’roll dream/ You don’t have to stay if you don’t like what you hear - Ça sonne presque comme un hit. Héroïque, Zach Rembrandt relance tant qu’il peut.

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    On avait bien apprécié ce groupe sur scène, mais on voyait bien que leur glam-punk n’intéressait pas grand monde. N’étant pas homme à baisser les bras, Mark Thorn vient de remonter Neon Animal. Grâce à Vive le Rock, on apprend qu’il fait paraître un album, Bring Back Rock’n’roll From The Dead. On le rapatrie aussi sec. Bon, alors cet album a ses qualités et ses défauts : ça démarre sur un «I’m Killing Myself» très stoogy, joué à la raw energy. Ils stoogent leurs power-chords jusqu’à l’os et font illusion le temps du cut. Mais le «Spin» qui suit paraît terriblement inutile. Mark Thorn a beau gueuler Spin, ça ne sert à rien, personne n’est là pour l’entendre. Avec le morceau titre, Mark et ses amis se prennent pour les Hellacopters. Aucun espoir d’avenir. C’est même absurde. Quand tu n’as pas de chansons, t’es cuit, c’est aussi bête que ça. Le disk continue de s’enfoncer avec «Kiss Like Dynamite». Qui va aller écouter ça aujourd’hui ? On croit parfois entendre Stiv Bators, ce qui n’est pas franchement un compliment. Ils ressurgissent du néant composital avec «From Hero To Zero». Mark Thorn sonne comme Iggy. C’est joué dans l’esprit du temps d’avant. Ce mec est bon, mais il arrive beaucoup trop tard.

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    Le deuxième album de Neon Animal vient de paraître : Make No Mistake. Même affaire que précédemment : son gras du bide et un Mark Thorn à l’affût, comme un vieil oiseau de proie. Il chante son «Rock’n’Roll War» à l’emphase glam-punk et le bassmatic tient le cut en haleine. L’avantage est qu’on sait tout de suite où on est : sur l’album d’un groupe qui n’a pas d’avenir mais dont le rock est criant de véracité. Mark Thorn ne fait que perpétuer un art, mais il le fait bien. Ses cuts se suivent et se ressemblent, c’est comme dirait l’autre du déjà vu. Et pourtant ils y croient dur comme fer. C’est bardé de son et le solo descend bien sûr en enfer. Leurs cuts sonnent tous comme des belles dégelées. Ils tombent dans tous les panneaux, les uns après les autres. Dans «Rock’n’Roll Suicide», ils multiplient les dégoulinures de solo, mais c’est précisément ce qui fait leur grandeur, l’héroïsme. Ils sont probablement le dernier groupe capable de ce genre d’exaction. Ils ont le mérite d’exister en ces temps de désintégration et ça vaut d’être salué. Si KRTNT ne le fait pas, qui le fera ? Cet album est une collection de clichés intrinsèques, c’est malheureux à dire, mais c’est hélas la vérité, fuck me baby ! Comme le guitariste joue sur une Les Paul, on entend des solos fabuleux. Si on aime la soupe épaisse, on se régale. Il faut se dépêcher d’en profiter, car après eux, il n’y a plus rien. Mark Thorn chante comme un dieu et il se prête avec «Hello LA» au petit jeu du balladif toxique et c’est absolument superbe. Il se pourrait bien qu’«Hello LA» aille tout seul sur l’île déserte. Mark Thorn explose l’Hello. On retrouve le rebondi riffique des Stooges dans «Raquel» et ils jouent leur dernière carte avec un «Rock’n’Roll War Edit» explosif, alors on les suit jusqu’en enfer. Merci Mark Thorn d’avoir croisé notre chemin.

    Signé : Cazengler, l’eusse-tu screw ?

    Bubblegum Screw. Filthy Rich Lolitas. 2014

    Neon Animal. Bring Back Rock’n’roll From The Dead. Neon Animal 2017

    Neon Animal. Make No Mistake. Cargo Records 2020

     

    Inside the goldmine - Betty à risques

    En débarquant sur ce rivage inconnu, Cabretta de Vaca et ses hommes mirent le genou en terre. Ils déclarèrent solennellement ce territoire propriété du très saint roi d’Espagne. Ils se mirent ensuite en route et pénétrèrent dans une forêt extraordinairement antipathique. En homme avisé, Cabretta de Vaca fit se déployer les arquebusiers de part et d’autre de la petite colonne, de façon à protéger ses flancs. Des flèches tirées depuis le haut d’arbres gigantesques transpercèrent quelques gorges espagnoles, mais ne voulant pas mettre l’expédition en péril, Cabretta de Vaca préféra laisser les blessés derrière lui. Croyant pourvoir effrayer les sauvages, il obligea le sacristain de l’expédition a prendre la tête de la colonne en brandissant un crucifix. Comme le sacristain tremblait de peur, Cabretta de Vaca lui fit crever les deux yeux et lui ordonna, en échange de la vie sauve, de marcher tout droit et de réciter des psaumes, ce qu’il fit sans rechigner. Ils marchèrent ainsi pendant des mois, quittant les zones de forêt tropicale pour entrer dans des zones désertiques, puis de zones vallonnées. Ils convertirent quelques tribus indiennes et décimèrent celles qui refusaient d’embrasser le crucifix que brandissait le sacristain aux yeux crevés. Des guides indiens se joignirent à l’expédition. Ils parlaient d’une cité mystérieuse du nom de niou-orlinne. Comme Cabretta de Vaca avait fait crever les yeux du sacristain chargé de tenir le registre de l’expédition, il dut s’en charger lui-même, car aucun de ses hommes ne savait écrire. Ils n’étaient pour la plupart que des soudards. Cabretta de Vaca restait donc sur ses gardes. Sa survie dépendait uniquement de l’impact de son look de séducteur aristocratique aux joues creuses. Ils traversèrent pendant des mois un immense marécage que les Indiens appelaient bayou. Conçu de toute évidence par le diable, le bayou était infesté de monstres carnivores que les indiens appelaient aligâteaux. Ils arrivèrent enfin en vue de niou-orlinne. Les guides étaient affirmatifs. Si, si, señor, niou-orlinne ! Pouet pouet ! Ils entrèrent dans la cité sans rencontrer la moindre résistance. Ils virent des êtres à la peau noire souffler dans des instruments inconnus. Pouet pouet ! La cité était étrangement construite, par carrés de huttes rococo. Cabretta de Vaca et ses hommes hésitaient à massacrer cette population étrangement pacifique. Pouet pouet ! Il demanda aux guides indiens de lui expliquer la signification du Pouet Pouet. Se moquaient-ils du Christ ? Fallait-il en pourfendre quelques douzaines pour donner l’exemple de la foi ? No, no, señor, niou-orlinne ! Pouet pouet ! Cabretta de Vaca sentait la moutarde lui monter au nez. Pouet pouet ! En passant devant l’une des huttes rococo, il aperçut une très belle femme à la peau noire. Elle se tenait face à la lumière du jour, en position de locus solus. Il demanda aux guides quel était son nom. Ils répondirent qu’elle était la quinne de niou-orlinne pouet pouet !

     

    Historiquement, Cabretta de Vaca fut donc le premier à découvrir Betty Harris.

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    Elle avait 19 ans quand elle découvrit Big Maybelle sur scène à l’Apollo Theater. Fascinée par la chanteuse, Betty alla la trouver dans sa loge pour lui demander comment il fallait s’y prendre pour devenir chanteuse de Soul. Big Maybelle la prit sous son aile. Elle l’emmena en tournée pour lui apprendre les rudiments du métier. Big Maybelle présenta un jour Betty à Solomon Burke et Solomon la présenta ensuite à Bert Berns.

    C’est donc grâce à Bert Berns que Betty Harris est arrivée jusqu’à nous. Bert avait du goût. En effet, dans son studio venaient aussi chanter Erma Franklin, Little Esther Phillips, Lorraine Ellison et Tami Lynn, vous voyez le genre. Et on ne parle pas des mâles ! Bert Berns ne s’intéressait qu’aux gens fabuleux, comme le fit d’ailleurs Phil Spector.

    Un jour Bert lui proposa de reprendre « Cry To Me », un hit de Solomon Burke qu’il avait déjà produit et d’en ralentir le tempo. Bingo ! Betty fit son entrée dans les charts. En 1964, elle partit s’installer à la Nouvelle Orleans et tomba dans les pattes d’une autre monstre sacré : Allen Toussaint. S’établit entre eux le même genre de relation qu’entre Dionne Warwick et Burt Bacharach. Ils enregistrèrent ensemble une petite série de singles magiques et elle se retira du showbiz en 1970 pour élever ses enfants.

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    Alors, évidemment, les collectionneurs de Soul se disputent aujourd’hui les singles qu’elle enregistra entre 1964 et 1970. Une âme charitable eut l’idée de les rassembler sur une compile intitulée à juste titre Soul Perfection qui est aussi devenue inaccessible. Miraculeusement, un petit label australien a réédité le même genre de compile en 2005 sous le titre The Lost Soul Queen. Ouf ! Au moins, ceux qui veulent écouter les singles magiques de Betty Harris peuvent le faire démocratiquement, sans avoir à sortir de leur poche un billet de cent.

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    Très franchement, il faut avoir écouté ça au moins une fois dans sa vie. Pour Clive Anderson, spécialiste de la Soul, Betty Harris est «the best soul singer caught on wax today». Mais oui, Betty Harris est une chanteuse atrocement douée et Bert Berns l’avait bien compris. C’est justement le remake de «Cry To Me» qui ouvre le bal compilatoire et il faut voir comme elle hurle dans le slow étouffant de chaleur. À partir de là, on va aller de choc en choc. Monstrueux cut que cet «I Don’t Want To Hear It» - Now you can call me on the telephone - Elle nous fait le coup de la démence de la femme noire émancipée. Féline, elle rôde dans le groove et l’explose. On la sent bien, dans l’ombre, à quatre pattes. Elle fait en fait du Tamla beaucoup plus wild que le Tamla qu’on connaît. Et ça continue avec «The Trouble With My Love», un vieux groove dément plombé par la basse. À se damner pour l’éternité. On songe avec tristesse aux pauvres malheureux qui ne connaissent pas Betty Harris. C’est une barbare, une véritable brouteuse de beat, une blasteuse d’envergure. Elle nous fait plus loin le coup du slow gravement imprégné de péché avec «What Did I Do Wrong». Elle est aussi sensuelle que l’early Tina. Elle culpabilise à outrance et charge sa barque de tout le pathos du monde. Elle attaque ensuite «I’m Gonna Get You» au gros frisson. Elle rattrape ses grooves juste au moment où ils basculent dans le vide. Spectacular ! Encore plus monstrueux : «Mean Man», groove Staxy avec des chœurs qui s’insinuent - Mean man/ He’s a cool man - On n’avait encore jamais vu ça ! Les hits de Betty Harris ont une portée immédiate et universelle. On reste dans l’énormité avec «Hook Line And Sinker» qui va bien au delà de Stax et de Tamla. Elle fait la crème de la crème à elle seule, elle hurle les mains sur les hanches - Baby I love yeahhhh - S’ensuit un solo de cochon. On goûte là l’excellence d’une Soul Sister hors du temps. On reste dans le gros r’n’b avec «Twelve Red Roses». Encore une énormité qui dépasse l’entendement. La Soul de Betty Harris emporte les barrages. Son énergie submerge tout. Elle tape dans le vieux hit de Lee Dorsey, «Ride Your Pony» : voilà le pire truc qu’on puisse imaginer. Betty sucre les fraises du pony et elle redouble d’onomatopées - Now shook shok ! Ride ! Hey hey Hey ! - Les Meters sont derrière et ils dégagent une énergie considérable. C’est pas compliqué : tout est bon sur ce disk. Quand on entend «Sometime», on comprend qu’elle est la plus sexuelle des chercheuses d’or. Elle revient à l’énormité du groove avec «All I Want Is You». Il faut voir comme elle pose sa voix sur le cut. Elle reste terrifiante de classe. Elle finit avec une pure sorcellerie intitulée «Break In The Road», un modèle de beat.

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    Et puis, comme par miracle, elle fit son retour en 2007 avec un album inespéré, Intuition. On croit rêver : l’album est mixé par Jake Burns et Dan Penn ! Inutile d’ajouter qu’il s’agit là d’un album ex-tra-or-di-naire. Tous les morceaux sans exception sont bons. Elle fait un peu sa Tina sur «Is It Hot In Here», mais elle veille au bon niveau de ce shoot de boogie. Elle chante son morceau titre sous le manteau, mais avec une grosse présence. Voilà l’archétype du groove placide que Betty chante d’une voix sucrée. On ressort de ce cut complètement envoûté. Elle tape dans le r’n’b à l’ancienne avec «Still Amazed». Betty a su garder sa voix. Freddie Scott duette avec elle dans «Since You Brought Your Sweet Love» et elle nous sort son timbre le plus âpre. On retrouve Jerry Ragovoy un peu plus loin avec l’une de ses compos, «How To Be Nice». Jerry fut lui aussi très proche d’elle, à l’époque du Brill et des premiers enregistrements avec Bert Berns. Avec «Time To Fly», Betty revient au gros son des seventies et à Bonnie Bramlett. Elle a suffisamment d’envergure pour transformer ce cut en huitième merveille du monde. Jerry Ragovoy joue du piano sur «It Is What It Is», un vieux groove écœurant de qualité. On reste chez les géants de cette terre avec «Need», un hit signé Don Covay. Betty claque le groove comme si elle était la reine de Saba. Elle gronde sous la surface du groove - I don’t need no love - Les hits de Don Covay sont d’une efficacité remarquable, Aretha et Wilson Pickett sont bien placés pour le savoir. Betty ramène tout le ruckus du r’n’b à la vie. On appelle ça un tour de magie. Et ça continue comme ça jusqu’à la fin de l’album, avec «Tell It To Te Preacher Man», véritable coup de génie, elle bouffe Tony Joe White tout cru et elle finit avec «Happiness Is Mine», énorme r’n’b à la sauce Tamla et elle y va !

    Signé : Cazengler, Betty à manger du foin

    Betty Harris. Soul Perfection. Sansu 1980

    Betty Harris. The Lost Soul Queen. AIM 2005

    Betty Harris. Intuition. Evidence Music 2007

     

    Un certain Sartain

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    Il n’existait pas d’homme plus discret que Dan Sartain. Pour rester en cohérence cette qualité devenue rare à l’âge d’or du m’as-tu-vu, le pauvre Dan a cassé sa pipe en bois dans la plus parfaite discrétion. Pas de vagues, pas de couvertures de magazines. Dan Sartain est resté underground jusqu’au bout des ongles. Dan Sartain lives no more.

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    De son vivant, il évoqua la vie à deux reprises : en 2010 avec Dan Sartain Lives, et en 2012 avec Too Tough To Live. Le petit dépliant qui accompagne Dan Sartain Lives propose une série de portraits d’un Dan plutôt émacié. C’est vrai que les artistes pauvres n’ont pas grand chose à se mettre sous la dent en Alabama. Il a ce regard hagard des gens qui crèvent la dalle. Mais sur certaines images, il arbore aussi un beau look rockab. Le hit de l’album s’appelle «Voodoo», une espèce de heavy gaga d’Alabama qui laisse baba, assez comique et bien pensé, vraiment excellent. Il est encore plus imparable avec ce «Walk Among The Cobras IV» qu’il ramone au rumble de rockab. On le voit aller chercher l’itchy crampsy dans «Bohemian Grove» - What I expect - Le problème, c’est qu’il va chercher chaque fois un son qui n’a aucune chance. L’album sent la pauvreté. Pourtant il cherche à en imposer, c’est très curieux comme ambiance. Il drive son «Ruby Card» en mode rockab mais avec des effets, il est partout, oh baby doll, il sait rester présent dans le son. De toute évidence, Dan est doué, il ne lui manque qu’une chose : les compos. Il repart en mode rockab sur «I Don’t Wanna Go To The Party». Il est parfaitement à l’aise, Dan est un polyvalent, un homme rompu à tous les arts, rockab, pop, punk, electro, no problemo. Mais c’est son enthousiasme qui frappe le plus, sa bonne nature.

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    Too Tough To Live est un bel album de punk-rock. Il a même deux cuts qui sonnent comme des classiques des Ramones, «Rona» et «Indian Massacre». Il est en plein dans le oh-oh-oh des Ramones, sauf qu’il le fait tout seul. Trois cuts sonnent comme des classiques punk : «Nam Yet», «Swap Meet» et «Fuck F*iday». Il attaque tout ça en mode trash-punk d’Alabama, bien infiltré et solide. Il est dedans, il y croit dur comme fer, il flirte vite avec le génie du punk’s not dead. Dan Sartain est un vaillant guerrier, il ramène du solo d’Alabama dans le punk-rock et ça devient fascinant, quel mélange de genres ! L’énormité de l’album s’appelle «I Wanna Join The Army». Il est marrant, il joue tout à la pulsion et au tressauté, dans l’énergie des soirées glauques et consanguines de l’arrière pays, on l’entend jouer des solos bizarres dans les fourrés derrière la cabane. Excellence de la punkitude ! L’ambiance rappelle Hasil Adkins. Il joue une sorte de punk-rock des rêves inavouables, il joue au tâte-moi les miches de fin de repas aviné entre cousins et cousines pas regardants. Avec son barda d’accents sourds, le son intrigue. Et quand on écoute «Even At My Worst I’m Better Than You», on se dit que Dan est un don de Dieu. Il sonne comme un redoutable punkster et il termine avec un «In Death» d’une beauté purpurine.

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    Dans les années 2000, Dan fricote avec John Reis, le boss de Rocket From The Crypt et de Sawmi Records. Ils vont enregistrer ensemble deux albums extrêmement intéressants, Dan Sartain Vs The Serpientes en 2003 et Join Dan Sartain en 2006. Le sens du son qui caractérise si bien John Reis permet à Dan Sartain de canaliser son esprit feu follet et de se recentrer sur la viande. Son goût pour la dispersion et la pauvreté prend alors un sacré relief. Et du coup, on prend sa carte au parti. Vive Dan ! Mais surtout vive John Reis ! L’autre point commun des deux albums est le suicide : sur la pochette du premier, Dan se pend, et sur la pochette du deuxième, il se tire une balle dans la tête. On peut donc en conclure qu’il ne tient pas spécialement à la vie. Dès le «PCB 98» qui fait la quasi-ouverture de Sartain Vs The Serpientes, la partie est gagnée, car ce qu’on entend là est du petit punk-rock gratté au sec et comme ce mec est bon, ça s’enfume rapidement et ça prend feu. On sent une sérieuse présence dans le studio. Les choses redeviennent passionnantes avec «Walk Among The Cobras Pt1», monté sur le riff de «Baby Please Don’t Go», c’est embarqué au gratté sévère, chanté à la classe supérieure. Dan indique dans ses commentaires qu’il gratte a guitar with bass strings. La perfection du son donne un équilibre naturel. Pour un pendu, Dan est drôlement vivace. Avec «Place To Call My Home», il se prend pour Nick Cave. Il réussit l’exploit de bricoler une mélodie chant dans les pompes du pump organ. Well done, Dan ! Il continue de naviguer en père peinard sur la grand mare des canards et attaque «Leeches Pt 1» de plein fouet, accompagné de John Reis et de Mario. C’est une section rythmique infernale, l’une des meilleures d’Amérique, n’ayons pas peur des mots. Un vrai modèle ! Et les notes de guitare bien rondes se perdent dans la cavalcade infernale. Rappelons que John Reis est un spécialiste des cavalcades infernales, il faut se souvenir des concerts des Hot Snakes. Cet album se révèle donc passionnant. Ça coule de source jusqu’au bout. John Reis joue du marimba sur «Auto-Pilot» et Dan se fend d’un heavy blues dévastateur avec «Romance». C’est un heavy blues plein de jus, plein de pus, plein d’esprit, gratté à la ramasse de rascasse dégueulasse.

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    On reste dans le viandox avec Join Dan Sartain. L’album met un peu plus de temps à donner de sa personne. Dan se paye un petit tour de chauffe avec le rockab gaga de «Guns Vs Knife» et fait entrer un orchestre mariachi dans «Fight Of The Finch», histoire de créer les conditions de l’exotica. Ça décolle enfin avec «Young Girls». Aucune raison de s’inquiéter, c’est extrêmement bien foutu, John Reis amène un big backdrop dans la structure. Même chose avec «Thought It Over», ça a tout de suite de l’allure, ça swamise dans le marigot, Dan does it right. Il revient à son cher rockab avec «Replacement Man» et part même en rockab demented avec «Hangers On». C’est incroyable comme ce mec sait se positionner aux confins du rockab et de l’evil gaga. Bon on passe sur la resucée de «Besa Me Mucho» et on revient au big sound avec «I Wanted It So». C’est gratté au wow wow yeah yeah, mais pas n’importe quel wow wow yeah yeah, c’est un wow wow yeah yeah raw to the bone. John Reis veille bien au grain, alors Dan peut faire éclore la rose d’un beau killer solo. Il y a du son à gogo dans chaque chanson. Et comme Dan ramène sa grosse guitare et sa voix d’écorché vif à chaque instant, la recette finit par marcher.

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    Dan ramène du punk-rock dans Dudesblood. On est en 2014 et Dan rocks it out avec «Smash The Tesco», petit shoot de trash-punk inespéré après un début d’album laborieux. Il reste dans une certaine excellence punk avec «Love Is Suicide». Dan rentre définitivement dans le clan des punksters d’Alabama. Il a du son et de l’esprit. Il crée de bonnes ambiances. Il développe des trucs qui flattent les bas instincts, comme ce «HPV Cowboy». On le verra aussi se prêter au petit jeu de la power pop avec «You Gotta Get Mad To Get Things Done». Il est très à l’aise. C’est à peu près tout ce qu’on peut dire de Dan.

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    Le Dan Sartain Sings qu’il enregistre en 2014 est un album coupé en deux : une A qui ne moufte pas, et une B qui te tend les bras. L’A ne marche pas, car le pauvre Dan se prend pour Nick Cave et se planque dans les ténèbres. Il cultive bien son côté outlaw avec «If You Never», mais comme on l’a annoncé, c’est en B que ça se danse, et ce dès la Country Soul de «Same Situation», montée sur un thème d’acou plongeant. Le «Mexiacan Girl» qui suit est extrêmement weird, c’est joué aux instrus bizarres, le son intrigue. Dernier spasmes avec «In The Night», gratté à l’ongle sec, encore un cut intéressant qui ouvre l’appétit.

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    Paru en 2015, Century Plaza va rameuter tous les fans d’electro et faire hennir tous ceux qui ne supportent pas les machines. Eh oui, l’affreux Dan se lance dans les petits sons electro. Disons pour rester charitable avec lui qu’il devient polyvalent. Bon c’est risqué la polyvalence dans ce type d’activité, ça revient à changer de style comme de chemise, on en a vu d’autres se vautrer à vouloir faire les malins, tiens, comme les Primal Scream ou Luke Haines. Ah moi je peux tout faire ! Oui, c’est ça mon gars, on a vu le résultat. Le seul cut sauvable de cet album electro s’appelle «Cabrini Green», car Dan y sonne comme Eno, l’Eno d’Here Come The Warm Jets. On croirait entendre «Baby’s On Fire» ! On ne croyait pas que les gars d’Alabama pouvaient être aussi cultivés. Dan s’offre un sursaut en forme d’off-shout dans «First Bloods» : il envoie sa guitare rouler dans la farine d’electro et crée avec ce killer solo trash-flash une forme de sauvagerie qui lui donne l’absolution.

    Signé : Cazengler, Dan Sale teigne

    Dan Sartain. Disparu le 20 mars 2021

    Dan Sartain. Dan Sartain Vs The Serpientes. One Little Indian 2003

    Dan Sartain. Join Dan Sartain. One Little Indian 2006

    Dan Sartain. Dan Sartain Lives. One Little Indian 2010

    Dan Sartain. Too Tough To Live. One Little Indian 2012

    Dan Sartain. Dudesblood. One Little Indian 2014

    Dan Sartain. Sings. Slice Of Wax Records 2014

    Dan Sartain. Century Plaza. One Little Indian 2015

    *

    Les rockers sont des êtres magnifiques. La preuve, j’en suis un. Soyons honnête, certains pensent que ce sont de sombres brutes frustes, des obsessionnels qui ramènent tout et n’importe quoi au rock ‘n’ roll, Sans doute n’ont-ils pas tout à fait tort même s’ils n’ont pas entièrement raison. J’avoue avoir été parfois moi-même victime de ces emballements prématurés qui vous font acheter un bouquin rien parce que le titre possède un mot qui irrésistiblement évoque le rock ‘n’ roll mais un peu comme la célèbre boisson du Pink Floyd ce n’est pas du rock ‘n’ roll, ni de l‘alcool fort. Je vous laisse en juger par vous-mêmes.

    Le livre je ne l’ai pas payé, l’était sur une étagère devant une bibliothèque municipale, le passant étant appelé à se servir selon son bon plaisir. Pas grand-chose de fabuleux mais tout de même ce mot magique Appalaches, pour un rocker synonymes de rock ’n’roll, de country, de blues, et sûrement on doit y causer d’Elvis Presley, d’autant que tout en bas de la couve y avait un autre mot magique Tennessee, alors je m’en suis emparé avec la rapacité d’un capitaine pirate jetant son dévolu sur un galion espagnol chargé d’or. Arrivé à la maison, je l’ai lu.

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    RETOUR DANS LES APPALACHES

    SHARYN McCRUMB

    ( France-Loisirs / 1999 )

    Je ne connais rien de Sharyn McCrumb, romancière célèbre pour un ensemble d'une dizaine de livres réunis sous le titre de Ballade dans les Appalaches, dont celui-ci, paru en 1990, est un des volets. Auteur née dans les Appalaches, ayant étudié en Caroline du Nord et vivant dans les montagnes bleues de Virginie, aucun de nos lecteurs ne s‘étonnera que l‘action de ce livre ne se déroule point dans les Pyrénées Orientales,

    En tout cas pour Elvis, j’avais visé juste, l’apparaît pour pousser la canzionetta dans une réunion d’anciens lycéens. Remarquez qu’il y a un problème, nous sommes en 1986, soit dix ans après sa mort. Pour Elvis, au détour d’une page Sharyn McCrumb spécifie l’air de rien que le King n’a pas inventé le rock ‘n’ roll, qu’il n’a fait qu’imiter et copier Roy Orbison, je lui laisse l’entière responsabilité de ses dires, ce n’est pas le moment de se lancer dans une polémique à ras les pâquerettes. Pour le country j’étais aussi tombé pratiquement juste, l’un des personnages est une chanteuse de folk, Peggy Muryan un peu ( beaucoup ) au creux de la vague. D’ailleurs le titre original du roman sonne très country : If ever I return, Peggy-O.

    Pour la musique, désolé c’est à peu près tout, la zique n’est en rien le sujet du book. Sûr que ça se passe dans un bled paumé du Tennessee, Hamelin. Etrange ce nom de patelin qui ressemble à la cité du célèbre Chasseur de rats de la légende, celui qui emmène les gamins de la ville se noyer en jouant de la flûte. De toutes les manières, l’histoire racontée aurait pu se passer dans n’importe quelle bourgade de n’importe quel état de la Grande Amérique. Sont toutes concernées par la thématique abordée. Le Vietnam.

    Si l’action se déroule en 1986, c’est que la promotion 1966 du lycée de la ville se retrouve vingt ans après, le plaisir de se revoir, de se situer sur l’échelle des réussites sociales. Ils avaient dix-huit ans en 66, l’âge idéal pour l’année suivante partir en safari dans les rizières et les forêts d’Ho-Chi-Minh… La guerre du Vietnam ! Un fabuleux détonateur - couplé avec la lutte des droits civiques - pour toute une génération, des années foutrement rock quand on y pense. Mais ce n’est pas le sujet. Pas plus que la guerre du Vietnam proprement dite. Ceux qui sont morts sont considérés comme des héros. Pour eux la cause est entendue. Paix à leur âme valeureuse. Le hic, ce sont ceux qui sont revenus. Le premier tiers s’est réinséré sans histoire, sont devenus avocats ou hommes d’affaires, le deuxième tiers n’en pipe mot, en restent marqués pour la vie, traumatisés en leur fort intérieur, se gardent bien de faire chier leurs voisins, par contre le restant ne sait pas faire semblant, sont des asociaux, des solitaires, ne bossent pas, boivent et se droguent, souvent une arme à portée de la main, se permettent des accès de violence et parfois de démence. Dans le roman vous croisez les spécimens des trois ordres. Les premiers inodores, les deuxièmes psychiquement détruits, si vous ne ressemblez pas aux troisièmes posez-vous des questions.

    Bref dans le roman le Vietnam est partout et nulle part. Chacun s’en arrange comme il peut. Certains écoutent du Gratefull Dead et d’autres trimballent leurs fantômes sans rien dire à personne. Nos deux enquêteurs émérites font partie de la deuxième catégorie. Pas de chance pour nos deux flics, trois meurtres coup sur coup, deux bêtes innocentes et une adolescente. Signés, du nom d’unités ayant glorieusement combattu au Vietnam. Si vous n’êtes pas tout à fait idiot vous identifiez le coupable dès qu’il pointe le bout de son nez. Pas la peine de vous décorer du titre du nouveau Sherlock Holmes du vingt-et-unième siècle, car le problème ce n’est pas le Vietnam.

    Faut arriver à la fin du livre pour comprendre de quoi veut parler Sharyn McCrumb. Sur la quatrième de couverture une phrase désopilante sortie de Ouest-rien-de-nouveau-France, je ne résiste pas au plaisir de la citer in extenso pour en désigner la bêtise crasse : ‘’ Un polar rural profondément original où transparaît à chaque page l’amour de l’auteur pour le Tennessee et ses habitants’’. Sharyn McCrumb aime peut-être les habitants du Tennessee mais qu’est-ce qu’elle déteste l’être humain ! Certes tout individu se débat dans ses propres problèmes, mais quel qu’il soit tout un chacun aime lécher ses plaies. L’on se regarde dans le miroir de sa conscience mais l’on se jauge dans celui des autres, tous des ratés, des gens qui n’ont jamais eu le courage, voire l’occasion d’aller jusqu’au bout de leurs désirs, de surmonter leurs peurs et leurs lâchetés. Vingt ans après si les femmes ont encore de l’allant, les hommes ont gagné en poids et en calvitie, dans les têtes c’est encore pire, le monde est petit et misérable.

    Vous connaissez le meurtrier depuis la moitié du livre. La fin est surprenante. Non, nous ne nous étions pas trompés. A double titre. Parce qu’elle s’inscrit dans l’ordre des choses. Un chancre qui suppure infecte aussi les organes sains. Tellement naturelle qu’elle vous semble évidente. Hâtez-vous de liquider les ultimes pages, les sillons de la bien-pensance américaine, sont-là pour vous empêcher de réfléchir. Si ce n’est pas le cas, si votre intelligence vous titille, vous vous apercevrez que vous ne valez pas mieux que les gentils habitants du Tennessee, que vous ne voulez pas voir ce que l’auteur vous montre, vous fourre tous les détails dans la main, si vous désirez en savoir plus, vous êtes condamnés à relire depuis le début. En trois cents pages Sharyn McCrumb vous refile un roman policier, deux histoires d’amour, une réflexion critique sur l’obturation des esprits par la religion, des linges sales de famille, et un essai sur l’âme humaine que ne renierait point Schopenhauer. Peu de rock ‘n’ roll mais du sex, drugs and death. Tout cela, l’air de ne pas y toucher.

    C’est à croire que l’on a tous en nous quelque chose du Tennessee et des Appalaches.

    Damie Chad.

    *

    Pas de confusion, mes vacances ne se sont pas déroulées au pays de l‘herbe bleue de l‘autre côté de l‘Atlantique mais dans la verte Ariège. Cette chronique relate un concert - le premier depuis longtemps et vraisemblablement le dernier pour un bon bout d‘éternité, car votre chrockniqueur n’a aucune confiance en la mauvaise médecine proposée par Big Brother Pharmatic - donc un concert qui servait de clôture au Neuvième Vagabond’ Arts de Baulou. Joli coin de montagne à vaches qui tous les deux ans vous propose de visiter au travers d’un agréable paysage agreste des artistes en tous genres ( peinture, sculptures, photos dessins, tissus, ferrailles, bois… ) disséminés de part et d’autres d’une ancienne voie de chemin de fer reconvertie en Voie Verte, dans les granges, les hangars, et les soues désaffectées des anciennes fermes plus ou moins rafistolées en résidences modernes… A midi et le soir, repas collectifs, et orchestres divers. Ambiance sympathique, alternative, perso je ne regrette que le choix des formations trop souvent pas franchement rock ‘n’ roll, mais surprise en ce dimanche :

    08 - 07 - 2021 / BAULOU

    THE RURAL SINGERS

    BLUEGRASS BAND FROM ARIEGE

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    Du bluegrass en Ariège, pourquoi pas trimballer une machine à laver sur l’Annapurna tant qu’on y est ! En tout cas se regroupent tous les trois sur la scène. Comme normalement ils sont quatre, Antoine tripote son banjo le temps que Denis rejoigne enfin sa contrebasse. Sont tous là mais ne semblent pas pressés de débuter. Parlementent entre eux, enfin ils démarrent. Des modestes, ne nous apprendront qu’à la fin du deuxième morceaux que ce sont deux compositions de leur cru. Elles auraient mérité un peu plus de mordant et d’assurance car elles n’auraient en rien déparé ce qui va suivre. Bluegrass oui, bluegrass non. Ne sont pas des puristes acharnés, sonnent aussi country, folk, cajun, rock. Mais le tout à leur sauce. Aigre-douce. Pas le temps de s’ennuyer, ont leur instrument de prédilection mais en changent sans arrêt. Antoine est au violon, et le crin-crin agile dégèle l’atmosphère, les enfants entrent dans la danse, entremêlés de chiens auxquels ne tardent pas à se mêler les adultes. Ça décolle sec. Toujours pas de machine à laver sur l’Annapurna mais Julien vous essore la rythmique à la washboard, se permet au pipeau une intro Titanic sur un air échevelé, se sert d’une valise pour marteler un cajon infernal, possède une belle voix mais c’est surtout Olivier qui drive le vocal, nous mène par le bout du nez, on n’y voit que du blue bien grass lorsqu’ils se lancent dans Fortunate Song du Creedence Clearwater Revival, l’on se dit que ce n’est pas bête et même logique, ce qui est sûr c’est que cette version plus roots qu’un classique dument estampillé séduit le public qui n’en croit pas ses oreilles, mais quand ils abordent Hot rail to Hell, z’enfoncent Hayseed Dixie, ce n’est pas fini, se permettent tout, comme cette citation de Morricone qui ravit tous les bons, toutes les brutes et tous les truands de l’auditoire, un tour de chant qui fuse de partout, des tours de passe-passe incongrus, vous repeignent en bleu tout l’Americana, cartonnent même dans le rhythm and blues(grass). Z’ont aussi une compo fétiche, les tueurs de serpents sont des motherfuckers, un slogan que je vous laisse interpréter selon vos idées ( politiques ou autres… ). Rural et pas banal. Rural et original.

    Damie Chad.

    N.B. : pour Hayseed Dixie, le lecteur ira moissonner la chro du Cat Zengler sur notre livraison 261 du 24 / 12 / 2015.

     

    21 / 08 / 2021LAC DE MONTBEL

    L'ECUME DES JOURS

    THE JUKE JOINTS BAND QUARTET

    Longtemps que l'on ne s'était pas rendu à un concert du Juke Joints Band, pas de notre faute et encore moins de la leur, Mister Pandémic oblige, deux années blanches, mais les voici enfin, pas n'importe où en août, dans un cadre idéal, un resto ouvert aux quatre vents et aux aventures musicales, à flanc de rive surélevée, de l'eau, de l'herbe, des arbres, des chiens, des enfants et du monde en liberté. L'on se croirait revenu au temps d'avant, qui n'était pas si fabuleux que cela, ne faudrait tout de même pas mythifier non plus...

    Le Juke band est comme le crotale, change de dimension à volonté, roulé en rond sur lui-même sont deux, l'un qui chante l'autre qui gratte, parfois il allonge la tête et ils sont trois, mais les jours de grande colère et de haute prédation ils sont quatre, duo, trio, quatuor, vous n'y voyez que du bleu, la morsure est toujours douloureuse, le venin du blues s'instille en vous et c'est tant pis pour vous. Par contre personne ne s'en plaint, l'homme serait-il un être schizophrénique qui oscille perpétuellement entre volonté de bonheur et sensation d'incomplétude. Sans trop savoir faire la différence entre les deux.

    HELP ME

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    Donc quatre sur la scène. Et tout de suite le coup qui tue. La balle en plein cœur. Au tout début c'est déjà la fin. On ne l'a pas vu venir. L'était tout tranquille derrière sa basse Michel Teulet, grand gaillard immobile, qui attendait le départ avec placidité, alors quand c'est parti, il a sagement laissé tomber un doigt sur une corde. Pas plus, ni moins. N'aurait pas dû. D'un mini mouvement de phalange il a effacé tout ce qui existait. Plus de passé. Plus de futur. Juste le présence de ce lingot d'or pur et lourd, un fracas de cercueil qui choit de tout son poids au fond de la fosse, ah, vous voulez du blues mes cocos, en voilà, du sombre, du profond, du grave qui gave, le battant du bourdon de Notre-Dame qui s'abat sur votre crâne et vous le rompt en deux, sans rémission, respirez c'est fini, non ce n'était qu'une note, voici la suivante, à l'identique, le Michel quand il sonne le blues, il ne s'arrête pas, faudra vous y faire et essayer de survivre, il a le son et il le tient bon, deux sets entiers à asséner le plomb fondu qui tue et qui troue, vous poinçonne l'âme, ce n'est pas qu'il est méchant, ce n'est pas qu'il est cruel, c'est qu'il est juste, détient le secret de la vibration bleue, celle de l'éros fou qui crie au secours en enjambant la fenêtre du vingt-septième étage et qui vole en savourant la chute vertigineuse. Celle qui ne finit jamais.

    Du coup Ben Jacobacci a sorti sa Fender verte, fini le tabouret du haut duquel il aime à gratter son acoustique avec ce sourire sardonique de vautour qui vous regarde depuis son observatoire lamper la flaque d'eau empoisonnée qui va vous emporter ad patres. Non ce soir, ce n'est pas le blues-roots qui rampe hors des marécages, c'est l'autre, le vindicatif qui fracasse les portes des pénitenciers et allume les incendies, peut couler son plomb fondu à satiété Michel Teulet, Ben a de quoi répondre. L'a sa guitare full metal jacket, sur laquelle il tricote méchant, va chercher la note au bout du manche, vous croyez qu'il l'a obtenue, non ce n'était pas encore celle-là, l'en a encore une autre plus loin qui vous vrille les oreilles et vous poignarde par derrière. Vous donne l'impression qu'un riff n'est jamais fini, qu'il y a toujours un mot à rajouter à la phrase définitive qui vous a coupé la chique, et que non que ce n'est pas terminé, qu'il vous réserve un chat écorché tout sanguinolent à rajouter à votre chienne de vie, une goutte de blues de plus pour épaissir la potion de colère qui s'accumule en vous et que vous n'osez pas encore expulser, alors Ben il pousse et il tire, les notes explosent comme des bulles de nitroglycérine, écartent sans ménagement les carillons funèbres de Michel, conquièrent l'espace nécessaire à leur épanouissement et à votre bonheur.

    Je n'aurais pas aimé être à la place de Rosendo Frances. Entre les deux ostrogoths précédents, je n'aurais pas su quoi faire. Me serais senti de trop, inutile. Le problème n'est pas simple. Où glisserez-vous une baguette entre deux pachydermes collés l'un à l'autre . Rosendo possède la solution, elle trahit un esprit pragmatique, et décisionnel, puisque que je peux pas m'insinuer entre les deux mastodontes, je vous le fais en papier cadeau. Pesé, emballé, vendu. Pas difficile, suffit de démarrer avant eux et de finir après eux. Un quart de temps avant, un quart de temps après, z'ont l'impression de manigancer tout ce qu'ils veulent, mais sont enfermés dans le mouchoir séquenciel qui les englobe, sont libres de batifoler à leur guise mais c'est Rosendo qui dirige le jeu, délimite les limites. Le turn over balancé du blues, à peine commencé, déjà terminé et hop l'on recommence. Séquence suivante, un truc qui vous file le tournis, Rosendo c'est la batterie-derviche tourneur, l'envoie l'eau du bain et le bébé en même temps, fait tourner la boutique de main de maître, l'imprime le rythme, connaît l'intime recette de la mayonnaise du blues, la monte au ras-bord de la soupière, ne déborde pas, une frappe de boa constrictor qui se love sur elle-même et enserre dans ses replis la machine bleue psychopompe dont il détient le fonctionnement impavide.

    Ne suffit pas d'avoir le blues. Faut encore le chanteur. Capable de se faire entendre dans le maelström. Chris est là. Ne force même pas sa voix. Croyez-vous qu'un crotale a besoin d'un mégaphone pour faire entendre le raquèlement de ses écailles. Terrible comme la voix dit plus que les mots. Le son transcende le sens. Tout est dans le timbre, écorché à vif. Ou vous avez vécu. Ou vous avez fait semblant. L'attitude aussi. Cette façon de hausser les bras lorsque le ton monte. Danse gesticulatoire qui fusionne les paroles. L'idiome du blues s'exprime autant avec le corps qu'avec le gosier. Chris unique dans sa tunique. Chris n'est qu'un cri bleu de poudre et de sang. Le blues en tant qu'imprécation jetée à la face du monde. Tant de hargne et d'impuissance amassées, depuis Howlin' Wolf à Tony Joe White, Chris est un passeur, un brasero de tendresse et de violence, d'humour et de détestation car il ne faut jamais oublier d'être la risée de soi-même pour boire le vin de la vie sans se prendre trop au sérieux, afin que chaque gorgée soit gouleyante à souhait et à regret. Le blues brûle, et la voix de Chris en recèle toutes les cicatrices et toutes les scarifications. Un shaman qui s'agite et qui transmet. Le public ensorcelé ne s'y trompe pas, se lève et s'en va onduler devant la scène, des goules hagardes attirées par le sexe bleu de la musique du diable dans l'écume de la nuit zombiïque.

    Quelle soirée de feu et de blues électrique ! Deux sets d'incandescence absolue. Plus l'harmonica de Didier Kraft sur les trois derniers morceaux. Le Juke Joints Band au summum !

    Damie Chad.

    LECTURES D'AOÛT

     

    I : JIM MORRISON : PATRICK EUDELINE

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    Ce n'est pas un livre, juste un article de quatre pages paru dans le N° 648 de Rock&Folk du mois d'août 2021, signé par Patrick Eudeline. Les derniers jours de Jim à Paris. Une histoire mille fois racontée et écrite. Patrick Eudeline n'apporte rien de nouveau, aucune révélation fracassante, ce qui ne l'empêche pas de donner sa propre vision de ces évènements sinon tragiques du moins pathétiques.

    N'aime pas Pamela, la compagne de Jim, la décrit intéressée par l'argent et l'héroïne. Ce serait sur ses conseils que Jim se serait mis à l'héro pour juguler son addiction au vin. Médicamentation plutôt hasardeuse ! Qui lui réussit mal, puisqu'elle se termina par une overdose fatale dans les toilettes du Rock'n'roll Circus.

    Mais là n'est pas le problème. Morrison à Paris, c'est un peu comme Patti Smith en pèlerinage à Charleville-Mézières. Un remake de la recherche de l'Atlantide perdue. A la différence près que Morrison ne courait pas après une île paradisiaque mais après deux. L'on connaît l'antienne. Morrison chanteur de rock par occasion. Son truc à lui, c'était le cinéma. A peine a-t-il mis les pieds sur notre continent qu'il assiste au tournage de Peau d'Âne en compagnie d'Agnès Varda et de Jacques Demy. Perfidement Eudeline insinue que le Roi Lézard ne recevra des deux réalisateurs aucun encouragement à poursuivre dans cette voie... l'étudiant de l'Ucla n'avait pas, semblerait-il, l'envergure d'un maître...

    Toujours avoir deux sorties à son terrier. Morrison n'est-il pas venu en notre doux pays pour s'adonner à la poésie. Le mythe Rimbaud-Verlaine a fortement marqué les Amerloques. Eudeline reste sceptique. Les textes de Morrison publiés après sa mort ne lui sont manifestement pas apparus comme la révélation littéraire du vingtième siècle... Insiste, une fausse piste. Une voie sans issue. Faut vivre avec son temps. La poésie c'est terminée. La revue, le recueil, le livre, c'est dépassé. Depuis le dix-neuvième siècle. La poésie se trouve aujourd'hui chez Dylan.

    Déduction logique du lecteur : Morrison aurait mieux fait de rester chanteur de rock. N'était-ce pas ce qu'il faisait de mieux. Eudeline abat sa carte maîtresse. Depuis Paris le chanteur a toujours gardé le contact avec les Doors. S'inquiète des ventes de L.A. Woman. Si le sort ne s'en était pas mêlé, sans doute son escapade européenne se serait-elle terminée plus vite que prévu. Serait rentré au bercail, l'aurait repris le collier...

    Avec des Si... l'on sortirait Paris de sa bouteille de vin rouge... Peut-être vaut-il mieux écouter la voix de Callimaque : '' Il est heureux celui à qui les Dieux donnent la mort en pleine jeunesse''...

    Cela ( vous ) empêche de se survivre à soi-même...

    II : ROLLING STONES

    ( Collection R&F # 19 + Uncut )

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    Les poëtes ont toujours raison mais parfois les Dieux sans pitié laissent courir votre vie comme un film interminable. D'où ce plaisir de remuer les cendres froides d'un passé révolu. D'où ce désir de feuilleter sans fin cette nouvelle saga des Stones. Depuis le début, disque par disque, entremêlés d'interview-phares, cent cinquante pages, photos et petits caractères... Un demi-siècle d'archives. Tout lu, sans sauter une demi-ligne. Avec en arrière-plan cette question insidieuse. Du moins pour la première moitié du bouquin. O. K. Damie, c'est bien, tu prends ton pied mais cette histoire tu la connais de l'intérieur. Non tu n'étais pas le studio d'enregistrement, mais leurs disques tu fis partie de cette génération pour qui la sortie d'un trente-trois ou d'un simple 45 tours des Stones c'était pratiquement du pareil au même. A l'annonce de la parution d'un opus tu savais d'instinct que c'était une page d'Histoire à laquelle tu adhérais, en cette époque le monde était d'une simplicité extrême, d'un côté il y avait les Stones, de l'autre il n'y avait rien. Le néant absolu. La moindre pochette était examinée à la loupe, discutée avec les copains, se transformait en icône absolue. Un exemple, la couve de ce magazine, z'ont l'air particulièrement tarte, des faces d'apple pie particulièrement stupides, oui mais c'étaient les Stones, on leur pardonnait.

    D'où la question : un quidam qui n'était pas né à l'époque et qui pour en savoir un peu plus se procure le news, que ressent-il au juste. Un sentiment de curiosité satisfaite. Un complément d'informations à son tableau de chasse. Et s'il prend la décision de se mettre à l'écoute des morceaux, la magie opérera-t-elle. Et si oui, quel pourcentage d'esprits sera touché ? Certes disques, films, vidéos, photos bouquins ne manquent pas. Mais tout cela n'est-il pas que témoignages de seconde main. L'on trouvera toujours des intelligences humaines prêtes à se passionner pour des époques révolues et à s'extasier sur la demi-phalange d'une aile de dinosaure retrouvée dans le fond asséché d'un marécage du Crétacé, mais le gros de la population s'en moque et s'en contrefout. Reste totalement imperméable à ce genre d'évènement. Mitterrand aimait à répéter que lorsque un griot africain meurt c'est toute une bibliothèque qui disparaît. Je veux bien, mais à la moindre personne qui passe l'arme à gauche c'est une énorme collection de sensations et d'émotions qui est retirée de l'univers.

    Les Stones ne sont plus les Stones. Depuis longtemps. Du moins pour les fans de la première heure. N'ont plus donné de disques essentiels depuis belle lurette. N'empêche que la deuxième moitié du bouquin, je l'ai lue sans coup férir. C'est un peu triste, ce n'est pas que les nouveaux opus soient moins bons, z'arrivent souvent à glisser un titre qui s'insinue agréablement dans votre oreille, et c'est cela qui est scandaleux. Ne sont pas des manchots. Savent s'entourer. Z'ont remplacé l'inspiration poétique par l'expérience. Ne sont plus des créateurs mais des faiseurs. Tiennent leur rang. Mais en rock l'on préfère les outsiders venus de nulle part. Connaissent les recettes par cœur. N'en n'inventent plus. Pourtant c'était si bon quand ils laissaient la coquille de l'œuf pour fabriquer leurs omelettes baveuses.

    Un été accaparé par mille choses hors rock'n'roll. Si ce n'est ce temps de lecture mélancolique. L'actualité m'a rattrapé au petit matin. J'étais heureux, j'avais terminé le magazine la veille, un coup de jeune en quelque sorte. Les infos rajoutent un point final. Disparition de Charlie Watts. Dans la série Si toi aussi tu m'abandonnes... l'on ne pouvait pas m'offrir de conclusion plus bluesy. Mon Stones préféré. Me faire ça à moi. Ce gars ce n'était pas l'âme des Stones , mais le cœur battant du groupe. Z'avaient déjà perdu par deux fois ( au minimum ) leur âme, Brian Jones et Ian Stewart, mais ce balancement hypnotique, ce sourire en coin du gars qui faisait tout ce qu'il fallait pour que ça chaloupe moult, tout en sachant qu'il existe mieux, mais qu'alors ce ne serait plus les Stones...

    Pas de panique, les affaires reprennent, nouvelle tournée en préparation, ami si tu tombes un autre ami entre dans les spotlights et prend ta place, pas de souci, le rock'n'roll est immortel. C'est pour cela que l'on aine les Stones. Nous enterreront tous.

    Damie Chad.

     

    THE RIGHT TIME IS THE RAG TIME

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    Un gros pavé, 768 pages, L'Odyssée du Jazz, de Noël Balen, paru en 1993 aux Editions Liana Levi, le genre d'ouvrages que l'on garde pour les longues soirées d'hiver, oui mais parfois la tentation est trop forte, ai glissé un œil sur le chapitre 1 consacré au Gospel, bien fait mais pas de révélations époustouflantes, idem pour le blues, ne voudrais pas avoir l'air de me la jouer mais je n'y ai pas appris grand-chose, en fait soyons franc rien, par contre le chapitre 3 Ragtime, stride et boogie woogie m'a subjugué.

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    Aux sources du rag l'on rencontre un drôle de zèbre, Louis Moreau Gottshalk né en 1829 à la Nouvelle-Orleans, d'une mère créole issue d'une famille aristocratique française ( cocorico ! ) et d'un père anglais. Un surdoué, à tel point que la famille l'envoie en France parfaire ses dons naturels. L'est refusé au conservatoire, pour son jeu un peu sauvage, mais il reçoit des leçons de celui qui sera le professeur de piano de Saint-Saëns... En 1845, lors de son premier concert il est félicité par Chopin pour l'interprétation de son Concerto pour piano en mineur. Théophile Gautier – le plus grand critique romantique – et Hector Berlioz loueront son talent.

    Après une longue tournée européenne Louis Moreau rentre aux Etats-Unis où il poursuit à travers tout le continent sa carrière. Les amateur de Jerry Lou ne manqueront pas de cet épisode picaresque de San Francisco qu'il doit fuir en toute hâte car épinglé pour avoir eu une relation avec une toute jeune fille...

    Non content d'emprunter à la biographie de Jerry Lou il décède, tout comme Nietzsche, en 1869 à Rio de Janeiro des suites de la syphilis. Il laisse plus de trois cents partitions. Certains titres sont sans équivoque, Bamboula danse nègre, Ballade créole, Chanson nègre...

    Pour ma petite histoire personnelle, la notice de Wikipedia se termine sur la mention d'enregistrements de morceaux de l'artiste par le pianiste américain Noel Lee. Je suis incapable de dire pourquoi en 1970 ( ou 71 ) je me suis retrouvé à Toulouse à un récital de piano de Noël Lee dont je ne connaissais rien, même pas le nom avant de l'avoir lu sur une affiche. Le flair du rocker. Privilégiez sa version de Bamboula, beaucoup plus rythmée que les autres disponibles sur le net.

    Le ragtime n'est pas une musique instinctive. Elle est un art savant. Fallait déjà avoir une certaine capacité d'analyse musicale pour s'aventurer. C'est un art de perversion. Ce que fait la main gauche sur un instrument, c'est la main droite qui s'en chargera, et vice-versa. Le principe est simple mais ses effets dévastateurs. Peut-être le premier à s'essayer à cette galéjade n'est pas autre que Liszt dans sa Rhapsodie hongroise. La concomitance avec la musique classique n'est pas anodine, Scott Jopplin gamin jouait du Chopin sur son piano alors que sa mère grattait du banjo selon une technique dite folk rag qui consistait à ce que le pouce de la main droite ne joue pas en harmonie avec les autres doigts.

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    Scott Joplin, né en 1868, encore un gamin surdoué, en 1897 sa première composition Maple Leaf Rag qui lui apportera renommée et une certaine stabilité financière. La vingtaine de rags qu'il écrira en font un musicien fondateur du rag et du jazz. Sans doute était-il trop en avance, son opéra Treemonisha en 1915 sur les conditions de vie de la communauté noire ne remportera aucun succès, il finira en 1917 dans un asile d'aliénés.

    La rencontre de Scott Joplin sera déterminante pour le jeune James Scott ( encore un surdoué, né en Caroline du Nord en 1886 ), il écrira quelques pièces qui sont au fondement du répertoire rag, survit en accompagnant les séances de cinéma, accompagnera Bessie Smith et Ma Rainey, les doigts dévorés par l'arthrose il meurt dans l'anonymat en 1938.

    Joseph Lamb, un protégé de Joplin, un étage au-dessous toutefois, finira sa vie dans la variété à Tin Pan Alley. Tony Jackson un allumé de la première heure né en 1876, qui mènera une vie de patachon, alcool, bordel, piano, épilepsie... il décède en 1921. Son nom sera sauvé par Jelly Lee Morton qui le considèrera comme un maître. En partagera le mode d'existence débridée, poker, alcool, billard, flambeur, mythomane, sans cesse en tournée, conduit des orchestres, se vantera d'avoir inventé le rag, le jazz, le stomp, le swing, l'aurait pu ajouter le rock'n'roll, mais il est mort dans l'oubli en 1941. En 1938 il a été retrouvé par Alain Lomax qui l'enregistrera...

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    Le rag évoluera, selon un principe simple celui de la surenchère : plus vite, plus fort, au cours de duels homériques lors des rent parties harlémiques. Eubie Blake né en 1883 finira centenaire. On lui doit une grande partie des connaissances du mouvement rag qu'il a su transmettre. Il fera partie des premières comédies musicales noires de Broadway, notamment avec Joséphine Baker. Il formera le jeune James P Johnson, qui sera considéré par ses compositions comme le King of stride. Il accompagnera les meilleures chanteuses noires de blues : Ethel Waters, Bessie Smith, Ida Cox et composera un opéra blues De Organizer sur un livret de Langston Hughes.

    Les temps changent à vitesse grand V, Fats Waller est né en 1904, avec lui nous changeons d'époque, ce n'est plus tout à fait du rag et cela sent de plus en plus le jazz , c'est lui qui fait la passation de pouvoir entre le stride et le swing. Les deux dernières pages du chapitre sont consacrées à l'apparition du boogie woogie, j'aimons beaucoup le boogie mais nous sommes loin de la folie du rag.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 494 : KR'TNT ! 494: TONY MARLOW / SYL SYLVAIN / VIVE LE ROCK / MOJO / ABOUT VINCE TAYLOR / UNCUT / STEPPENWOLF / ROCKAMBOLESQUES XVII

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 494

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    21 / 01 / 2021

     

    TONY MARLOW / SYL SYLVAIN / TIM BOGERT

     VIVE LE ROCK / MOJO / ABOUT VINCE TAYLOR

    UNCUT / STEPPENWOLF

    ROCKAMBOLESQUES XVII

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    Sale temps pour le rock privé de salles. On aurait voulu le tuer que l'on n'aurait pas trouvé mieux. Mais c'est quand l'heure est grave que les résistants sortent de l'ombre. De la mauvaise graine ( de violence ), c'est comme le chiendent, vous en trouverez toujours pour chantonner I want to be your dent de chien. Prenons un exemple au hasard, Tony Marlow, pourrait se prélasser sur ses lauriers, l'a publié voici peu un coffret qui retrace ses quarante ans de carrière au service du rock'n'roll, c'est bien Marlou, tu peux te reposer, tu le mérites, de toutes manières, t'es privé de concert, comme tous les enfants pas sages, rentre à la maison et arrête de faire du bruit avec ta guitare, il serait peut-être temps que tu penses à faire quelque chose de sérieux dans la vie.

    Faut se méfier des rockers, tous des voyous rimbaldiens dans l'âme. Pensez à votre gamin que vous avez enfermé dans sa chambre pour étudier sa leçon de géographie et qui depuis sa fenêtre a balancé un cocktail molotov sur votre voiture stationnée au bas de l'immeuble. Ben le Marlou, il est pareil, vous lui interdisez de se produire sur scène, il ne dit rien, vous croyez qu'il se calme tout seul dans son coin, non il contacte en douce ses amis et hop le temps de deux confinements, il enregistre un disque.

    FIRST RIDE

    MARLOW RIDER

    ( Rock Paradise Records / RPRCD 52 )

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    On les reconnaît tout de suite sur la pochette. Sur la gauche, c'est bien Amine Leroy, je confirme, un si gentil garçon, avec ses lunettes noires et sa chemise hawaïenne rouge ( idéale pour cacher les taches de sang ) une allure de tueur de la mafia qui ne connaît ni le remords ni le regret, à droite c'est peut-être pire, Fred Kolinski, binoclardes noires et longs cheveux blanc, il aborde le sourire inquiétant de celui qui est préposé aux interrogatoires un peu spéciaux, et au centre Marlow le patron, le regard dur, énigmatique, voilé de verres noirs, tourné vers le futur sombre de ses ennemis. Trois oiseaux de proie. Fascinants, évidemment une fille les admire, nous n'entrevoyons que la roue arrière de sa motocyclette mais sur sa cuisse l'on reconnaît Alicia F à son tatouage barbelé. Vous croyez que j'exagère, que je me tourne un film, ouvrez le gatefold cartonné, une fois que vous aurez poussé un cri d'horreur en voyant la rondelle du CD, tirez le livret intérieur, évitez la photo centrale et la crise cardiaque, lisez les petites notes, l'artwork est d'Eric Martin, librement inspiré de Born Losers film ( de bikers ) de Eric Laughlin sorti en 1967.

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    Tony Marlow : vocal & guitar / Amine Leroy : double bass, backing vocals / Fred Kolinski : drums, percussions, backing vocal.

    Alerte mauve, les deux lignes précédentes risquent d'aiguiller le lecteur distrait sur une mauvaise voie, façon de parler parce que le rockabilly est l'une des meilleures qui puissent s'offrir à un amateur de rock'n'roll, oui mais la contrebasse d'Amine Leroy vous indique une fausse piste. Tony Marlow a plus d'une corde à sa guitare. Certes il n'est pas le seul, mais là il exagère, ceci n'est pas un disque de rockabilly, point du tout. Bye-bye les années cinquante, nous voici plongé en pleine révolution électrique, en plein psyché, fuzzée objectif lune mauve, de quoi faire hurler les puritains du rock'n'roll, que voulez-vous il n'y a pas que Cliff Gallup, y'a aussi ( entre autres ) un certain Jimi...

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    Debout ! : si vous n'avez pas compris la guitare du Marlou vous le fait vite entendre, tout de suite des giclées de piment de Cayenne au fond de la marmite en ébullition pour relever le goût, vous arrachent la gueule illico, et Marlou vous refile une seconde surprise, l'on a beau s'y attendre vu le titre, mais c'est du français, ce n'est pas que Marlow choisit la difficulté, mais par ici quand on y pense c'est aussi naturel de chanter le rock en français qu'en anglais, en plus vous avez de ces salmigondis de gratouillis instrumentaux à déguster à grosses louches. The gypsy says : bonjour la bande de gypsis, un peu sur le thème hugolien de la Esmeralda, mais chanté en anglais, faudrait plusieurs oreilles pour se brancher dessus, le galop de la contrebasse d'Amine, lui il mène les hordes mongoles qui cavalent derrière Gengis Khan, vous fournit le métronome, rien ne les arrêtera, du coup le Kolinski en profite pour se prendre le bec avec la l'excalibur de Tony, combat de coqs, ergots, go, go, cats, sur la fin du morceau en sont au sabre-laser, et le Marlow qui mène la danse vocale ne s'en laisse pas compter, ne mettez pas les doigts dans la mécanique, vous finirez par être emportés par ces coups de laminoirs orientaux qui volent en éclats. Shut up ! : z'étaient en forme au titre précédent, là ils deviennent méchants. Au début la section rythmique casse des arbres, juste pour fabriquer des cercueils, Tony ne tarde pas à vous apprendre pour qui ils sont prévus, allongez-vous messieurs les politiciens, comme par miracle voix, guitares et chœurs deviennent doucement ironiques, parfois les moutons mangent les ours, alors ils y vont tous les trois à toute vitesse et ils enfoncent les clous avec une hargne inconcevable. C'est en anglais, oui mais vous pigerez aisément. Hey Joe : un truc à se faire des ennemis, le Marlou se paye tous les risques, et Jimi Hendrix et Johnny Hallyday dans la même voiture. En plus il conduit la bagnole les yeux fermés, vous le prend sur un tempo plus rapide, Amine et Kolinski n'arrêtent pas de jeter des chardons ardents sur l'huile du moteur. Ça roule comme les chutes du Niagara. Au final, ce n'est ni du Jimi ni du Johnny, c'est du Tony Marlow. Jute une autre chanson d'amour : calypso à la mandoline grinçante, l'on quitte Jimi, l'on est plutôt sur la face cachée, l'autre versant de Chuck Berry qui aimait autant caresser les matous grassouillets des rythmes exotiques qu'exciter les chats sauvages du rock'n'roll. Suivez la guitare, pas de trop près, elle grésille et fume à la manière d'un grille-pain tout près de déclencher un court-circuit. Among the zombies : promenade parmi les zombies, toujours agréables qu'ils soient de pacotille ou vrais, alors le trio maléfique s'en donne à cœur joie, l'est comme chez lui, ils y vont à donf, le Marlou n'est pas du genre à louper ses loopings sur les cordes raides, l'Amine envoie la marmelade plein pot, et Kolinski patauge dedans avec cette malignité du gamin barbotant dans une flaque boueuse juste pour entendre crier sa mère vexée et horrifiée qui l'emmène à la messe. Que va dire M. le Curé de cette dépravation caractérisée ? Je ne sais pas, mais vous, vous adorerez. Marlow rides again : pour les esthètes, un instrumental, le plaisir de montrer ce qu'ils savent faire, une chevauchée comme l'on n'en entend plus, un petit parfum de ces instrumentaux que l'on trouvait sur les 45 Tours de années soixante avec le passage obligé du solo de batterie, et ici même de contrebasse, tout le reste pour la guitare, certes les doigts de Marlow savent la mettre en valeur tout seuls, mais c'est comme au restaurant huppé, ce qui compte certes c'est le canapé foie gras / caviar dans votre assiette, mais il y a l'art et la manière des garçons de vous glisser l'assiette sous le coude et de remplir votre verre de champagne, faut reconnaître que l'Amine et le Fredo, ils usent et abusent d' astuces diaboliques pour servir la targui de tous ces apprêts périlleux qui la mettent en évidence. Jimi freedom : un peu de funk en intro, Jimi se dirigeait par là au moment où il a cassé son calumet de la paix, mais voici la guitare qui couine tel un goret que l'on égorge, Amine vous le larde de coups de coutelas dans le dos, et Fredo l'assomme à coups de masses grandiloquentes, ne pleurez pas l'âme du cochon monte au ciel et les anges l'accueillent avec des hosannas de triomphe. Totalement hendrixien dans l'esprit. Sur la route du temps : métaphore motarde, l'occasion pour Tony de s'amuser à tous les dérapages incontrôlés que vous pouvez vous permette sur la Harley du rock'n'roll, de temps en temps ça appuie comme dans Born to be wild mais ce qu'ils aiment ce sont les pirouettes assis sur le guidon avec la mort sur le porte-bagage. Quant aux deux mécanos, le mot frein ne fait pas partie de leur vocabulaire. Mutual appreciation : la camarde en croupe ce n'est pas mal, mais roulez de concert avec Alicia Fiorucci, c'est encore mieux. Duo d'amoureux, le moteur de Tony gronde comme s'il voulait la dévorer toute crue, l'a la Durandal qui imite les grelots du traineau du Père Noël, et la petite futée derrière avec sa voix de lance-flamme, elle ne fait rien pour qu'il se calme. Rowdy : il est terrible le Tony, dès que vous le branchez moto, c'est parti pour toute la nuit. A train d'enfer. Le problème c'est qu'il confond moto et guitare, même que parfois la guitare dépasse la moto, autant dire que le morceau déboule à la manière d'un boulet de canon. Parlez-moi de ses copains, le Leroy et le Kolin' sont sur ses talons et le poussent dans ses ultimes retranchements. Non, il a encore de la marge. Vapeur mauve : un dernier challenge, Purple Haze, en français de surcroit, à faire un sommet de l'Himalaya que ce soit une aiguille anapurnienne, le Tony il est sûr de lui, ses fidèles lieutenants à ses côtés, quand il déploie l'étamine mauve au sommet, vous n'avez plus qu'à dire respect.

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    Un nouveau Marlow, pas de la piquette beaujolaitte, un grand cru enivrant, un arôckme puissant. Qui détraque les pendules des habitudes pour les remettre à l'heure des explosions solaires. Un projet sur lequel il travaillait depuis plusieurs années. Ce disque est un aboutissement. Un régal. Marlow Rider scintille de mille feux. Mauve avec rayonnement ultra-violet. Radiations dangereuses.

    Damie Chad.

     

     

    Syl Sylvain m’était conté

    - Part One

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    Sylvain Sylvain vient tout juste de casser sa pipe en bois et pour lui rendre hommage, nous allons exhumer des archives un texte déjà paru en 2019 dans le dernier numéro de Dig It!. On y saluait la mémoire de Johnny Thunders, via In Cold Blood, l’excellent book de Nina Antonia, et celui de Sylvain Sylvain, qui venait de paraître, arrivait en contrepoint. Fascinant contrepoint, en vérité.

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    Sans vouloir se vanter, Sylvain Sylvain rappelle dans There’s No Bones In Ice Cream qu’il est à l’origine des deux mots clés de la mythologie des poupées : le nom du groupe et celui de Johnny Thunders. C’est en effet Sylvain Sylvain qui embauche Johnny en lui demandant : «Hey man, me and Billy have got a band, do you wanna join ?» Johnny répond qu’il aimerait bien, mais il ne sait pas jouer :

    — I can’t play anything.

    — Mais si, c’est facile, I’ll show you.

    Johnny commence par jouer de la basse, car c’est plus facile. Seulement quatre cordes. Dix pages plus loin, Syl évoque the business that operated across the street, la boutique d’en face et dont l’enseigne au néon allait hanter son imagination pour le restant de sa vie : «It was called the New York Dolls Hospital. It sounded soooooooo good.» Alors il en parle à ses deux potos Billy et Johnny :

    — Pas mal pour un nom de groupe, hein ?

    — What ? The New York Dolls Hospital ?

    — No, the New York Dolls !

    Vous remarquerez ça dans toutes les histoires des groupes de rock, la période de la formation reste la plus passionnante et dans la grande majorité des cas, la plus touchante. C’est la période où le groupe se bricole sa petite réalité. C’est là où les kids s’apprêtent à vivre leur rêve.

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    On a longtemps sous-estimé le rôle de ce kid d’origine égyptienne dans l’histoire des Dolls. Ce livre rééquilibre un peu les comptes. On y découvre un kid extrêmement créatif, bourré d’énergie, plutôt rigolo et là on touche à l’essence même des Dolls qui relevait plus du monde des comics que du caniveau dans lequel la presse voulait absolument les enraciner. Johnny Thunders qui dégueule sur les journalistes à l’aéroport, c’est du pur Vuillemin. Les Dolls secoués dans ce van qui traverse l’Angleterre en 1972, c’est du pur Muppet Show. Syl Sylvain, c’est Charlot avec une Gretsch. Le chaos tragique de Johnny Thunders, c’est Laurel & Hardy Conscrits, avec un Oliver Hardy qui meurt dans l’accident d’avion et qui se réincarne en âne. Ce que corrobore Syl dans sa magistrale introduction. Quand on lui demande de raconter l’histoire des Dolls, il pense tout de suite à Bugs Bunny et Daffy Duck. Eh oui, Bugs est déjà une star, il entre sur scène, lève les bras en l’air et le public l’acclame. Wouahhh ! Par contre, Daffy peut jongler sur scène en pédalant sur un monocycle, personne ne l’applaudit. Que dalle. Bugs revient sur scène, siffle deux notes, et la salle explose à nouveau. Alors Daffy comprend qu’il doit passer à la vitesse supérieure. Il revient sur scène, avale une grosse lampée d’essence et une bouteille de nitroglycérine, quelques bâtons de dynamite et un gros tas de poudre, il ajoute par dessus tout ça de l’uranium 238 et saute sur place pour que ça se mélange bien dans son estomac. Puis il gratte une allumette. Pour la première fois, le public fait attention à lui. Wooow... Daffy prévient les filles : «Accrochez-vous à vos copains !» Et il avale l’allumette. Boum ! Il y a des plumes partout, oui, car pour les ceusses qui ne le sauraient pas, Daffy Duck est un canard. La foule l’ovationne. Même Bugs n’en revient pas ! Il crie «Encore ! Encore !». Mais le fantôme de Daffy flotte dans l’air et murmure : «Oui, oui, je sais, c’est un great show, mais je ne peux le faire qu’une seule fois !». Et Syl ajoute : «That for me is the story of the New York Dolls.» Voilà le niveau auquel navigue ce petit mec né en Égypte. Pour lui, les Dolls ne pouvaient monter sur scène que pour exploser comme Daffy Duck. And that is all you need to know about showbiz : le public veut du sang, alors il faut lui en donner. Les gens veulent voir Daffy Duck exploser. Caligula, note-t-il, aurait adoré les Dolls, comme il aurait adoré Gene Vincent et Vince Taylor. Et en guise de chute, Syl lance : «Comme Daffy Duck, on a triomphé. We wanted to give them a killer show every night.»

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    Comme les Cramps un peu plus tard, les Dolls créèrent en leur temps un univers unique, une théâtralisation du rock inspirée des comics trash. À leur modeste niveau ils produisirent sans même s’en douter de l’art moderne, au sens où l’entendait Joos Swarte. Libre à nous cinquante ans plus tard d’interpréter tout ce bordel comme bon nous semble. Mais une chose est sûre : on va pouvoir se ronger l’os du genou en attendant que réapparaissent des groupes aussi révolutionnaires que les Dolls et les Cramps.

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    Côté influences, Syl cite Gary US Bonds, une dévotion qu’il partage avec David Johansen, et puis aussi Edith Piaf, dont il va retrouver l’expression de la douleur et le goût du scandale chez Johnny Thunders. Piaf comme égérie du chaos tragique, c’est bien vu. Syl parle de Piaf car il a vécu en France durant son adolescence, après que Nasser eût incité la communauté juive à quitter l’Égypte. Syl vit rue Cadet, puis ses parents émigrent aux États-Unis, en quête «d’une vie meilleure». Comme tous les kids de son âge, Syl prend la British Invasion en pleine gueule, à commencer par le Dave Clark Five et les Beatles, bientôt détrônés par les Stones. Mais la plus grosse influence, ce sont les Ventures, un groupe qu’on connaît mal en Europe mais qui est vital pour les New-Yorkais. Syl apprend à jouer avec l’album Play Guitar With The Ventures - That taught you everything - et quand on savait jouer leurs cuts, on pouvait tout jouer. Syl adore tellement l’énergie des Ventures qu’il fait écouter «Pipeline» à Johnny. Il lui apprend à le jouer. Vas-y, regarde, talalalalala talala et là tu montes. Wow ! Johnny l’adore. Il le jouera toute sa vie et en calera une version spectaculaire sur So Alone. Syl adore aussi les Rascals dont le batteur, Gino Danelli, reste son batteur favori, loin devant Jerry Nolan. Il cite aussi Humble Pie comme son groupe préféré.

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    Et comme il vit dans le Queens, il doit apprendre à se battre dans la rue. Un jour, des Portoricains plus âgés et plus baraqués le coincent et lui disent : «Tu vois le mec là-bas, c’est mon frangin. Tu vas te battre avec lui !» Le gang forme un cercle et Syl se retrouve au centre face à un autre kid. «Fight ! Fight ! Fight !» crient les autres. Les filles pleurent parce qu’elles voient bien que ce freluquet de Syl va se faire dégommer vite fait. Mais par miracle, Syl reconnaît son adversaire. Ils ont tous les deux été exclus du cours de gym parce qu’ils n’avaient pas le survêtement adéquat et en guise de punition, ils durent rester debout en slibard dans un coin jusqu’à la fin du cours. Alors ça fait marrer Syl qui lance : «Hey William !». William sourit à son tour et fait : «Hey man !», et pour satisfaire le public, il se mettent à singer les boxeurs qui se tournent autour en décrivant des cercles avec leurs petits poings nus. Le cercle mugit :«Fight ! Fight ! Fight !» Ah tu veux du sang ? Voilà qu’ils se jettent l’un sur l’autre. Non pour s’étriper, mais pour s’étreindre. C’est là nous dit Syl qu’ils deviennent les meilleurs amis du monde et s’en retournent ensemble dans leur quartier en rigolant. And that is how I met Billy Murcia. Syl et Billy vont fonder les New York Dolls. Alors vous imaginez un peu la gueule de Syl quand Billy casse bêtement sa pipe en bois à Londres lors de la première tournée anglaise des Dolls. Il ne s’en remettra jamais.

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    Syl admire plus Johnny qu’il ne l’aime. Avant même de devenir Johnny Thunders, Johnny se comporte comme une rock star. Syl voit cette grâce en lui mais aussi le pouvoir qu’il tire d’un ego surdimentionné. Autre détail capital : quand un jour Mercury octroie une belle somme aux Dolls pour acheter du mathos, Johnny reçoit 800 $ car il est lead et Syl seulement 300 parce qu’il est rythmique. Il est fumace ! Il doit se contenter d’une Les Paul Junior jaune, alors que Johnny se paye une Les Paul Black Beauty. Mais quand il entend le son que Syl sort sur sa Junior, il lui propose immédiatement un troc et Syl récupère la Black Beauty. Johnny va garder ce faible pour la Junior jusqu’au bout. En fait, Syl et Johnny passent leur vie à faire du troc. C’est leur mode de relation, comme dans la cour de l’école, quand on troque des calots ou des petites bagnoles de course. Eux troquent les fringues et les guitares. Un autre jour, Syl tombe amoureux d’une Gretsch White Falcon qu’il croise dans une vitrine sur le 48e rue. Elle coûte 800 $ mais il parvient à se l’offrir. Quand il arrive avec elle en répète, les autres sont impressionnés. «Holy smoke !» «Aw my God !» Évidemment Johnny la voit et la veut : «I’ll trade you for it now ! Syl, je te donne tout ce que je possède en échange !». Mine de rien, avec tous ces petits épisodes, Syl en dit plus sur Johnny que n’en rêve ta philosophie, Horatio.

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    Le book est déjà bien vivant quand Syl entre dans le vif du sujet, c’est-à-dire l’épopée des New York Dolls, déjà mille fois rabâchée. Mais Syl apporte des éclairages nouveaux et intéressants. Qui compose «Frankenstein» ? Lui. C’est en fait l’histoire des Dolls. Syl raconte qu’ils font tout à l’envers dès le départ. Il prend l’exemple des Stones qui ont commencé avec le best rock’n’roll, puis the best drugs et enfin the best chicks. Well guess what ? Les Dolls font la même chose, mais à l’envers : d’abord les plus belles filles, puis les meilleures drogues et enfin the best rock’n’roll. Syl a cette énergie rigolote de la dérision, mais basée sur des faits réels qui relèvent de la flamboyance. You build the legend first, and then justify it - Tu construis ta légende et tu te débrouilles pour que ça tienne la route. Dans Interview, la mythique feuille de chou d’Andy Warhol, on qualifie le rock des Dolls de Subterranean Flash Sleazoid Rock. Malgré tout ça, les Dolls ont peu de chance de réussir aux États-Unis. Syl dit que par contre les Anglais et les Français avaient tout compris. Autre petit détail éclairant : Syl voulait Bowie pour la prod du premier album, car l’Anglais avait déjà produit Lou Reed et Iggy, c’est-à-dire Transformer et Raw Power - Think about it ! - Il aurait complété la trilogie - Classic American Gutter Rock - Malheureusement, Bowie n’est pas disponible car il tourne.

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    Flamboyants les Dolls ? Syl est obligé de relativiser quand il entre dans le monde d’Andy Warhol, via the back-room at Max’s Kansas City. Il y voit Eric Emerson porter le jean en cuir argenté que va lui emprunter Iggy pour Raw Power. Emerson grimpe sur une table, baisse son fute et commencer à se branler devant tout le monde. Syl fréquente aussi Holly Woodlawn, l’une des superstars d’Andy Warhol qui lui explique que si les Dolls se croient flamboyants, c’est une erreur, car selon elle, ils n’ont pas encore commencé à le devenir. Syl qualifie Holly de femme intelligente, créative and what a survivor, une notion capitale dans l’histoire d’un groupe comme les Dolls. Et pourtant, le Killer Kane en tutu flirtait avec la flamboyance. Syl : «Il avait cette expression sur le visage qui semblait dire ‘j’ai mis toute mon âme dans cette note que je viens de jouer, ladies and gentlemen.’ En tutu. Quelques années plus tard, Captain Sensible fera lui aussi une fixette sur le tutu, mais je le jure devant Dieu, le Captain avait l’air d’un enfant de chœur comparé à la full Killer Kane experience.» Syl parle de cette frontière à peine visible qui sépare l’insanité de la flamboyance.

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    Quand le premier album des Dolls paraît en Espagne, le gouvernement de Franco interdit la pochette, mais les spanish kids l’achètent en masse. Syl est ravi de voir qu’en Europe, les kids ont compris l’humour des Dolls, leur côté excitant et toute la sexualité qui va avec. Syl pense que les Dolls auraient dû s’implanter en Europe où le public les recevait cinq sur cinq.

    Et puis avec la pression, les excès arrivent : Arthur a la bloblotte parce qu’il boit comme un trou, et dès qu’il commençait à trembloter, il fallait lui donner une bière. David buvait aussi et pouvait devenir un nasty drunk as well. Johnny was Johnny et Jerry était le seul qui ne semblait pas affecté par sa consommation massive d’héro. «He’s the only person I ever met for whom heroin was the better drug», en gros c’est le seul mec qu’ait connu Syl qui s’entendait bien avec l’héro.

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    Par contre, le deuxième album des Dolls annonce la fin des haricots. Syl dit que ce n’est pas un album des Dolls, car Shadow Morton fait venir des musiciens de session en studio. Pour Syl il s’agit plutôt du premier album solo de David Johansen. Après cet épisode dont personne n’est content, le groupe commence à se désintégrer. Syl essaye de redonner du souffle aux Dolls en composant, car le mal vient de là, de la stagnation. Il pond «Teenage News», certain que c’est un hit. Il organise une répète, mais à part David, personne ne vient. Mercury arrête les frais, le management les lâche pour lancer Kiss et Aerosmith, les ventes chutent et les copines se barrent vers des horizons meilleurs. Tout ça se termine avec un plan délicieusement trash dans un camping de Floride. Syl ramène son lot de détails gratinés, notamment ce voisin qui passe ses journées entières assis à la porte de sa caravane : il démonte son flingue pour le nettoyer et le remonte. Puis il le redémonte et le reremonte. Et ainsi de suite. Syl évoque aussi les beaux-frères de Jerry, qui débarquent régulièrement à l’heure des repas : «Hey, vous êtes tous des pédés ? On sait que vous venez de New York, mais c’est vrai que vous êtes des pédés ?» Du pur Vuillemin.

    Signé : Cazengler, Sylvain est tiré

    Sylvain Sylvain. Disparu le 13 janvier 2021

    Sylvain Sylvain. There’s No Bones In Ice Cream. Sylvain Sylvain’s Story Of The New York Dolls. Omnibus Press 2018

     

    Bogert back (where you one belonged)

    - Part One

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    Tim Bogert vient de casser sa pipe en bois, le même jour que Sylvain Sylvain. Pour rendre hommage à celui qui fut sans doute le plus grand bassman des Amériques, nous ressortons des archives un conte bien con qui célébra en son temps Cactus, le plus piquant des groupes de full blasting power.

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    Thor Fergüsson achève son festin. Il s’essuie les mains dans son énorme barbe rousse.

    — Ah ! comme les viandes étaient grasses !

    Il s’empare du pot d’étain posé devant lui et le vide d’un trait. Rrrrrrrrrrah ! En rotant, il éteint la moitié des chandeliers.

    — Bon, au boulot !

    Il ramène vers lui le gros téléphone rouge qui trône sur la table parmi les victuailles. Il décroche et compose religieusement l’un des numéros tatoués sur son avant-bras gauche.

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    — Allo ? Pourrais-je m’entretenir avec monsieur Carmine Appice ?

    — Lui-même...

    — Permettez-moi de me présenter. Thor Fergüsson ! Mon nom ne vous dira rien mais sachez que j’organise chaque année un concert historique en Scandinavie. J’invite les géants du rock. Les dieux par chez nous en sont très friands. Mais vous savez, les dieux font parfois des caprices, comme les enfants. Et si par malheur on ne cède pas à leurs caprices, ils en prennent ombrage... Gare aux conséquences...

    — Monsieur Fergüsson, mon temps est précieux, venez-en fait, je vous prie !

    — D’accord. Les dieux veulent voir Cactus... Cactus est à leurs yeux le plus grand groupe de speed-rock des seventies...

    — Quoi ? C’est une blague ? Vous feriez mieux d’essayer de me vendre une cuisine, vous auriez plus de chance, hé hé hé...

    Thor Fergüsson déteste qu’on le contrarie. Une rougeur terrible lui monte au front et ses yeux se plissent.

    — Le cœur de Thor Fergüsson est en argent et sa parole est en or, n’oubliez jamais cela, Monsieur Appice !

    Carmine ne comprend rien, mais il sent bien que l’homme ne plaisante pas.

    — Restez en ligne une minute ou deux, monsieur Fergüsson, il faut que j’en glisse un mot à mon associé ! Ce ne sera pas long...

    Carmine met la ligne en attente et se penche vers Tim Bogert qui est vautré dans la banquette, juste à côté.

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    — Hey Timmy, un espèce de cinglé me demande de remonter Cactus pour un festival en Scandinavie...

    Tim qui sirotait un grande goulée de bourbon s’étrangle.

    — Mais on vient de remonter notre vieux Fudge !

    — Oui, mais ce n’est pas le problème ! Tu sais bien qu’on peut jouer dans les deux groupes en même temps, mon p’tit Timmy ! N’oublie pas que nous sommes à nous deux la plus grande section rythmique du monde ! Ha ha ha ha !

    — La plus belle powerhouse station de tous les temps ! Ho ho ho ho !

    — La plus grosse loco d’Amérique ! Hi hi hi hi !

    — Le plus beau bulldozer des temps modernes ! Hé hé hé hé !

    — Et dire que Jeff Beck et tous les autres se prosternaient à nos pieds ! Ha ha ha ha !

    Tim et Carmine hurlent de rire et se tapent sur les cuisses.

    — Bon, qu’est-ce qu’on lui dit, à l’autre allumé du bec benzène ?

    Tim réfléchit un instant.

    — Tu sais bien que la reformation de Cactus pose un sérieux problème... Jim McCarty serait certainement d’accord, mais Rusty est mort...

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    Le regard de Tim se voile instantanément. Il adorait Rusty. Carmine et lui venaient de lâcher le Vanilla Fudge après le bide du second album, The Beat Goes On. Ils montaient Cactus et cherchaient un screamer. Ils finirent par dénicher Rusty Day à Detroit. Rusty chantait dans les Amboy Dukes, l’un des groupes phares de la scène de Detroit. Il avait exactement le profil du fou hurlant que recherchaient Tim et Carmine. Avec ses cheveux longs, sa mauvaise barbe rousse, ses grosses lunettes noires, ses cris d’orfraie et son goût immodéré pour le chaos, Rusty Day allait répondre à toutes les attentes, non seulement celles de Tim et de Carmine, déjà vétérans du circuit de clubs et rois de la débauche, mais aussi celles d’un public américain lassé des groupes précautionneux et prévisibles. Cactus allait servir sur un plateau d’argent un chaos total saupoudré de la démesure qui caractérisait déjà le Vanilla Fudge. Avec leur premier album, ils allaient lâcher deux bombes au napalm : une reprise du fameux «Parchman Farm» de Mose Allison et «Let Me Swim», un boogie aussi endiablé qu’incontrôlable. On pouvait y entendre le solo de Jim McCarty courir comme le furet, Carmine multiplier les breaks acrobatiques,Tim caramboler ses notes de basse et Rusty hurler à s’en arracher les ovaires. Cactus jouait le boogie à la vie à la mort, et ce bassiste fou qu’est Tim Bogert percutait des notes atonales, des résidus de bas de manche, des trilles prohibées et des gimmicks d’une indécente virtuosité.

    — Allo ? Monsieur Fergüsson ? Vous êtes toujours en ligne ?

    — Oui... Alors, dites-moi... Quelle est votre décision ?

    — À priori, Tim Bogert et moi-même sommes d’accord. Vous savez, nous ne vivons que pour le rock. C’est notre destin et nous l’assumons pleinement, yo ! Nous devons cependant contacter notre guitariste Jim McCarty et lui demander son avis, mais nous savons bien qu’il sera fou de joie à l’idée de rejouer dans Cactus. Vous savez, Jim n’est pas n’importe qui. Il est en quelque sorte l’inventeur du power riff. Il faut dire qu’il a eu beaucoup de chance, puisqu’il a joué dans les Detroit Wheels de Mitch Ryder, à Detroit, puis dans le Buddy Miles Express... Ça laisse des traces, comme vous pouvez l’imaginer...

    Thor Fergüsson produit un raclement de gorge. Il sait tout cela, mais ne laisse rien paraître de son agacement. Il sait être en de rares occasions d’une discrétion à toute épreuve. Carmine reprend :

    — Nous allons cependant nous heurter à un gros problème... Rusty Day n’est plus de ce monde...

    — Ah bon ?

    — Voici quelques années, Rusty se trouvait en Floride et vivait du trafic de drogue, comme l’ont toujours fait les rockers de Detroit. Il s’était mis en cheville avec le gang de Scarface et les choses ont mal tourné. Rusty, son fils et deux de ses amis séjournaient dans un motel, à la sortie de la ville. Scarface et son gang de portoricains ont débarqué un soir et ont nettoyé la chambrée à coups de mitraillette. Ta-ta-ta-ta-ta-ta ! Ta-ta-ta-ta-ta-ta-ta-ta-ta-ta-ta ! Vous voyez un peu le genre ?

    — Oui oui...

    — Évidemment, la police n’a jamais retrouvé les coupables. Rusty était criblé de balles, comme Nate Diamond dans The Gates Of Heaven. Inutile d’ajouter que l’avenir de Cactus est compromis... Mais peut-être avez-vous une solution ?

    — Que voulez-vous dire ?

    — J’ai cru comprendre que vous aviez des accointances avec certaines divinités...

    — Je ne vous suis pas bien...

    — Bon, je vais aller droit au but, puisque vous ne semblez pas vouloir me comprendre. Pour que Cactus rejoue un jour sur scène, il faut ressusciter Rusty Day... Cactus sans Rusty Day ne sera jamais Cactus, suis-je assez clair ?

    — Monsieur Appice, vous me demandez de ressusciter Rusty Day, c’est bien cela ?

    — Vous m’avez parfaitement compris !

    — Bon, je vous rappelle dans un heure.

    Carmine raccroche en hurlant de rire. Tim enlève ses lunettes pour s’essuyer les yeux. Il en pleure. Il a suivi la conversation à l’écouteur. Il sert deux grands verres de Jack Daniels. Ils n’avaient pas ri comme ça depuis longtemps. Ils se renversent dans la banquette. Carmine lève les bras au ciel :

    — Thor Fergüsson, le sorcier vaudou du walalah ! Ha ha ha ha !

    — Le White Zombie du cercle polaire ! Ho ho ho ho !

    — Le Vincent Price des fjords ! Hi hi hi hi !

    Tim se tord de rire.

    — Arrête ! J’ai mal au ventre !

    — Thor Fer... Fergüsson, hi hi hi, le ressusciteur du train fantôme ! Ho ho ho ho !

    — Le Fergüsson toujours deux fois ! Hé hé hé hé !

    Carmine se redresse.

    — Sers-m’en un autre Timmy, le rire me dessèche la gorge !

    Tim se lève pour aller chercher une autre bouteille dans la cuisine.

    — Tu crois qu’il va rappeler, notre ami To-Thor ?

    — Ça m’étonnerait... Il doit déjà être en train de rappeler Marky Ramone pour lui proposer de remonter les Ramones avec trois zombies, ha ha ha ha !

    — C’est vrai que ce serait un bonne idée de remonter Cactus... On était quand même les meilleurs. Les Ten Years After se croyaient les plus rapides avec leur fucking Goin’ Home... Comment on les a coiffés sur le poteau avec «Parchman Farm» ! Quelle rigolade !

    — On devrait appeler Jim pour lui raconter cette histoire... Il va bien se marrer...

    — Bonne idée !

    Carmine attrape le téléphone et compose le numéro.

    — Allo Jim ? Carmine à l’appareil...Tu vas bien ? Attends une seconde... Timmy tu n’as pas entendu frapper à la porte ?

    — Non...

    — Vas voir, il me semble qu’on a frappé... Ouais, Jim, excuse-moi, et ta femme, elle a toujours ce joli cul ? Bon. Oui, figure-toi qu’il nous est arrivé une drôle de mésaventure aujourd’hui...

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    Carmine lève la tête et voit Tim revenir dans le salon en titubant. Il est blanc comme un linge.

    — Tim ! Qu’est-ce qui t’arrive ? Excuse-moi, Jim, attends, ne quitte pas, Tim a un problème !

    Crack ! Tim s’écroule d’une pièce, face au sol. Les verres de ses lunettes se brisent.

    Affolé, Carmine se met à beugler :

    — Ho Tim, réveille-toi ! Qu’est-ce que c’est que ce cirque ? Ho Tim, merde, à quoi tu joues, là ?

    Carmine entend des pas très lourds dans le couloir. Il lève la tête et, à la vue de l’apparition, il bondit hors du canapé, comme s’il avait reçu une énorme décharge électrique.

    Rusty Day se tient dans l’encadrement de la porte du salon.

    Tétanisé, Carmine commente d’une voix chevrotante :

    — Oh shit, Jim... Tu ne voudras jamais me croire ! Rusty se pointe à l’instant dans le salon ! Mais si c’est vrai ! Mais c’est quoi ce bordel ?

    Rusty Day semble flotter sur ses jambes. Il avance les bras ballants. Une sorte de glaise parsème ses cheveux et ses vêtements en lambeaux. La couleur de sa chair tire sur le gris vert cadavérique. Son T-shirt est criblé d’impacts de balles. Il fixe Carmine d’un regard bizarre, ouvre lentement la bouche et marmonne d’une voix d’outre-tombe :

    — Hello ! Carmine... T’es toujours aussi con ?

    Signé : Cazengler, Tim Boberk

    Tim Bogert. Disparu le 13 janvier 2021

     

    Le rock est (pas) mort - Vive le rock !

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    L’épidémie de peste noire n’épargnait rien : ni les bourgeois, ni les paysans, ni les larrons, ni les fêtes de fin d’année rituellement consacrées au renversement des réacteurs abdominaux et à l’instigation de liquides sénescences. Alors que l’épidémie faisait rage et qu’on jetait des centaines de milliers de pestiférés dans des bûchers dressés aux carrefours, Dieu eut un geste de miséricorde : il fit parvenir aux lecteurs de Vive Le Rock une petite compile compatissante.

    Elle arriva par courrier séparé. L’enveloppe matelassée ne contenait que le petit objet cartonné. Pas de courrier explicatif, rien. Sur le recto, un père Noël punk brandissait une bouteille de Vive le Grog et trinquait à votre santé : Cheers ! Et il ajoutait : «Thanks for being a Vive le Rocker». Pour être tout à fait franc, nous restâmes un moment béat devant le petit objet carré, ne comprenant ni sa provenance ni sa signification. Ce n’est qu’en le retournant que la lumière se fit. Quatre lignes : «Merci d’être un VLR Subscriber et de votre aide en cette année particulièrement difficile. On espère que vous apprécierez cette petite sélection de morceaux enregistrés par des amis à nous et qu’elle va rocker votre christmas tree !». Il n’y avait aucune trace de l’existence de cette compile dans le canard lui-même, ni dans le # 77 (december) ni dans le # 78 (january). Il s’agissait d’un pur élan de générosité conviviale placé sous l’égide de la miséricorde divine.

    Nous décidâmes de l’écouter aussitôt en coiffant le casque, ce qui permettait de joindre l’utile à l’agréable : les hurlements des guitares allaient enfin couvrir ceux qui provenaient de la rue, c’est-à-dire les hurlements des gens suspectés de porter les germes et qu’on jetait vivants dans les bûchers. Les pouvoirs communautaires n’y allaient pas de main morte et nul n’était censé ignorer la loi de la sélection naturelle. La raison ne faisait plus partie de ce monde.

    Cette compile Cheers tombait à pic, en ce sens qu’elle tisonnait le brasier introspectif. Dès le ska beat de Neville & Sugary Stapple et le punk à l’ancienne d’un groupe nommé Noise, force fut d’admettre que Cheers s’enlisait dans le passé. Cette compile s’ingéniait à rebrousser chemin, alors que celle de Mojo indiquait clairement la direction de l’avenir. Un groupe nommé Southern Ulster s’affairait à réveiller les vieux démons de la guerre civile irlandaise en singeant le Rotten. Tous ces cuts pouvaient très bien dater de 1977, mais ils dataient de 2020. Oh bien sûr l’énergie restait intacte et c’est ainsi que Vive Le Rock affirmait sa position, en tant que bastion d’une punkitude éternelle qui de toute façon n’était pas conçue pour évoluer. Tous ces groupes jouaient au bardus maximalus cubitus, et rien n’aurait pu les détourner de leur entêtement.

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    On tombait un peu plus loin sur quatre écumeuses qui font le buzz, Maid Of Ace, avec «Live Fast Or Die». Bien soutenues par un joli son de batterie, elles besognaient le destroy punk oh boy à l’arrache, ces harpies mettaient en charpie le gaga-punk et l’infra-basse remontait dans les jambes du pantalon. Rien de révolutionnaire, mais la pensée que des groupes pussent encore défier ainsi les règles de bienséance réchauffait le cœur. Avec son «Shadow Of Dreams», Tara Rez provoquait le même genre d’émoi : voix magnifique, présence très toxique, elle se fondait dans le moule comme une tranche de lard dans la poêle. Elle s’ingéniait plus à exploser le doom qu’à l’explorer. Mais en parallèle, la réflexion couvait : tous ces groupes ne devenaient-ils pas inutiles avec l’interdiction des concerts ? Et sous le casque, ne devenaient-ils pas doublement inutiles ? La meilleure illustration de cette petite mort de la pensée fut l’irruption des Ruts DC, avec «Dangerous Minds». Les Ruts sans Malcolm Owen, c’était un peu la même chose que les Doors sans Jimbo : une sinistre arnaque. La compile s’enfonçait ensuite dans l’obscurité avec des luninaries comme Youth, Paul-Ronney Angel, le rock festif de Ferocious Day et les Restarts. Nous dûmes convenir avec Eugene Butcher, la tête pensante de Vive Le Rock, que nous n’avions pas les mêmes goûts. Envoyés eux aussi par Dieu, deux sauveurs allaient arracher cette compile des flammes auxquelles nous la destinions : Nik Turner et Jaz Coleman. Auréolé de légende, le vieux Nik embouchait son saxophone chamanique pour jazzer «The Cracker». Il continuait d’arpenter les cercles magiques, comme au temps d’Hawkwind, il dansait au bord de l’abîme qui est aussi la fin du monde, the edge of time. Et Jaz rallumait les brasiers de «Wardance», magnifique illustration du pandémonium dans lequel nous étions tous précipités. Killing Joke fut l’un des groupes les plus extrêmes de l’histoire du rock, mais en ces temps d’apocalypse, cette version live de «Wardance» tapait en plein dans le mille car elle indiquait clairement qu’avec la raison, l’espoir avait lui aussi abandonné ce monde.

    Signé : Cazengler, Vive le roquefort !

    Compile Vive Le Rock - Cheers ! Thanks For Being A Vive Le Rocker - December 2020

     

    Got my Mojo working

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    Crack ! Crack ! C’est le bruit que font les pipes en bois qui cassent. Deux en même temps, cette fois, Tim Bogert et Sylvain Sylvain. Deux pages d’histoire du rock se tournent d’un coup. Jusque là les défaitistes parlaient de rock de vieux, maintenant ils ne parlent plus que du rock des morts. Tous les héros se font la cerise, bientôt il ne restera plus que nous, les fans. Alors forcément l’horizon s’obscurcit, d’autant plus vite que l’épidémie de peste noire se pose comme un suaire sur la fin des haricots du rock. Que veux-tu faire ? Recommander ton âme à Dieu ? Ha ha ha ! Mais ça ne sert à rien ! Jamais la marge de manœuvre ne fut plus ténue.

    En fait, on s’inquiète pour des prunes, car le rock, c’est Zorro. On le dit mort, pfffff, mais non, il surgit hors de la nuit, il court vers l’aventure. Son nom ? Il le signe à la pointe de l’épée, d’un R qui veut dire Rocko. Rocko est invincible. Bon d’accord, des héros disparaissent mais d’autres arrivent, avec leurs idées, leur énergie, leurs boots et leur fierté de porter cet héritage, sans doute le seul qui vaille, car suprêmement dématérialisé. On parle ici d’héritage culturel, d’hommages rendus avec des guitares, pour que la grande fête païenne se poursuive envers et contre tout. En ce début d’année vérolée, Mojo nous fait le plus beau des cadeaux avec sa compile Psych Ops!. Mojo lâche sa meute, quinze groupes féroces comme des loups, Rocko n’a jamais été aussi carnivore, aussi affamé de chair fraîche. Le fait qu’ils soient lâchés en même temps donne encore plus d’impact à tous ces groupes, ça les rend encore plus brutaux. Il est des compiles qui marquent l’histoire du rock au fer rouge et celle-ci pourrait bien en faire partie. Tim Bogert et Sylvain Sylvain seraient les premiers à s’en repaître.

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    Tiens, rien que pour l’«I Need A Doctor», des Hot Snakes ! Mais oui, le groupe de John Reis qui jadis mit le feu aux poudres avec Rocket From The Crypt. On les connaît les Hots Snakes, on les a vus sur scène, ce sont des barbares. Ils ne savent faire qu’une seule chose : brutaliser les oreilles des chrétiens. Chez eux tout est tendu à se rompre, le beat, le bassmatic, le chant, wow, ce mec a besoin d’un doctor, il gueule tout ce qu’on peut gueuler dans ces cas-là, et nous on danse dans la cuisine, on savoure chaque goutte de cette merveilleuse rincette d’excellence dévastatrice. John Reis forever ! Souviens-toi de ces mecs de San Diego. Ils sont la saveur du rock. Et voilà que revient le temps des géants avec Ty Segall, John Dwyer et Sonic Boom. Mojo a choisi un cut relativement ancien de Ty Segall et Mikal Cronin tiré de Reverse Shark Attack, mais ce «Take Up Thy Stetoscope And Walk» est d’une brûlante actualité, car ils allument la gueule de Dieu qui s’approche trop près, ils jouent avec toute la violence du monde, mais une violence intentionnelle, celle qui fout la trouille, leurs explosions outrepassent celles des Who et du MC5, ils sont dans la brutalité sonique délibérée, leur rentre-dedans pourrait bien sauver l’humanité. Pourquoi ? Parce qu’on sort de là régénéré. John Dwyer tape lui aussi dans la transmutation des gènes du rock avec Thee Oh Sees et «Encrypted Bounce». Comme son pote Ty, il règne sans partage sur le vrai monde, celui qui nous intéresse, le monde du Psych Ops so far out, alors on lui colle au train, car il est à la pointe de la modernité. Dwyer nous rappelle que la sauvagerie est une valeur universelle, sans doute la plus précieuse. Quant à Sonic Boom, on en disait le plus grand bien ici même il n’y a pas si longtemps. Mojo sort «I Can See Light Bend» de son dernier album, All Things Being Equal, et le cut prend dans ce contexte une résonance particulière : il semble tiré comme Moïse tiré d’un panier sacré trouvé dans les roseaux du Nil. L’avenir appartient à ces mecs-là, Segall, Dwyer et Boom. Mais aussi aux Wooden Shjips de Ripley Johnson que Mojo qualifie de benign guitar god. C’est juste, car avec «Golden Flower», Ripley Johnson mixe le dronerock des Spacemen 3 avec le son du early San Francisco freak-out. Ce barbu est un merveilleux driver de circonvolutions, il chante au doux du menton mais il entraîne derrière lui une escadre entière pour une partie d’hypo à faire pâlir d’envie Sister Ray.

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    L’autre légende à roulettes s’appelle Tim Presley. Ce mec a traîné avec Ty Segall et a joué un temps dans the Fall, sur l’album Reformation Post TLC, ce qui lui vaut le respect de tout l’underground. Mais ce qui le grandit encore, c’est sa fascination pour Syd Barrett. Son groupe s’appelle White Fence et Mojo propose «Neighborhood Light». On sent chez Tim Presley une volonté de brouiller les pistes. Il fait son coup de Syd, poussant nous dit Mojo les explorations musicales de Syd dans une direction encore plus étrange. L’autre magnifique prestation est celle des Death Valley Girls, avec «Hypnagogia», tiré de leur dernier album, Under The Spell Of Joy. Mojo parle d’un mélange de sax free et de Ronettes occultes. Alors banco ! On y va les yeux fermés. Elles sont le totem, elles sortent un son puissant, explosif, d’une profondeur insondable. On croise aussi un certain David Vance. Ce mec joue dans les bois. Comment ça dans les bois ? Eh oui, il tire une très très très longue rallonge électrique pour brancher son ampli. Il gratte donc sa gratte au coin du bois et souffle des coups d’harmo. Il vise clairement le striped down et présente son cinquième album. Jouer loin des villes, c’est sa façon de dire que le rock a la peau dure. Wand restera sans doute le plus étonnant de tous ces groupes férus d’avenir : le boss s’appelle Cory Hanson, un mec qui a joué avec Ty Segall et Mikal Cronin, et son «Perfume» permet de constater qu’il en connaît en rayon en matière de freak-out. Il sort un son plein d’espoir, un composé de hardcore angelino et de pop de Brill, bien gorgé d’harmonies vocales, alors on va voir si la rose est éclose et après une fausse fin, Wand explose, les girls sonnent les cloches du cut et naviguent tout là-haut, dans les nuées de l’imparable félicité. Par contre, on a deux ou trois trucs qui ne marchent pas, comme White Denim, la Luz et cette grosse arnaque qu’est King Gizzard. On peut aussi se pencher sur le cas d’Olivia Jean qui nous dit Mojo est descendue de Detroit pour aller lancer les Black Belles à Nashville. Suivie de près par le riffing de la scierie, cette petite égérie fait son élégie. Alors qu’on lui scie les pattes, elle saisit l’esprit mais affiche un mépris total du qu’en dira-t-on. Pendant qu’elle campe son personnage, certaines phases explosent et d’autres captivent.

    Signé : Cazengler, Mojobard

    Psych Ops - 15 new garage rock nuggets. Mojo # 327 - February 2021

     

     

    ABOUT VINCE TAYLOR

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    De Marc Villard nous avons déjà chroniqué dans notre livraison 49 du 22 / 10 / 2011 Sharon Tate ne verra pas Altamont et La vie d'artiste, beau polar-jazz, dans notre livraison 51 du 05 / 11 / 2011, mais ce coup-ci, c'est différent. Il s'agit d'un recueil de courtes nouvelles intitulées Bonjour, je suis ton nouvel ami. Un truc sympathique, publié chez L'Atalante en 2001, marrant, vite écrit, plein de vide et de pages blanches, vite lu, mais dont la lecture est loin d'être nécessaire pour votre survie mentale. Sauf les pages 87 – 89 sobrement intitulées Vince Taylor.

    Elles dénotent dans le book. Un trou noir, dans les mésaventures désopilantes d'un cadre un peu ventripotent, de quarante ans, ce qui signifie rideau pour les filles, qui jette un regard désabusé sur sa vie d'écrivain dont il refuse d'être dupe, au moins autant que de ses existences professionnelle et familiale, mais l'on n'est pas obligé de le croire, aux prise avec l'absurdité du monde contemporain. On aime, parce que dans les flèches qu'il envoie tous azimuts, sur ses proches et ses collègues de travail, il privilégie sa propre cible. Dans la série, vaut mieux en rire pour ne pas pleurer, il ne se fait pas de cadeau.

    Oui mais ces quelques lignes terribles relatent ce que l'on ne peut même pas appeler de véritables rencontres, à quinze années de distance, avec Vince Taylor, elles font froid dans le dos. Tout ce qui sépare la dèche de l'ange de la déchéance.

    Damie Chad.

    *

    L'année dernière, pas besoin de remonter aux calendes grecques, c'était il n'y a pas longtemps, au tout début du mois de décembre, nous évoquions Klone et sa très belle version de The Spy des Doors. Dans la cronic nous en venions à parler de la Klonosphère, cette structure issue d'un collectif artistique regroupant Klone, Hacride et Trepalium, créée en 2001. Vingt ans après comme écrivait Alexandre Dumas, plus de cinquante groupes, rock ( pas mal ), metal ( beaucoup ), et pop ( un peu ), gravitent, tels des électrons libres, et à des degrés divers autour de cette structure qui leur propose aides et services. Régulièrement ils mettent quelques combos en promotion ( le mot n'est pas très bon, il sent un peu trop fort la grande distribution ), nous avons été alertés par Lewis qui présente son premier clip, oui mais dessous, il y en avait un autre avec cette inscription, Bee Blue, lorsque le mot blues s'étale devant nous il agit sur notre imaginaire comme le gruyère sur la souris prise au piège, surtout que la vidéo s'étant déclenchée toute seule, une espèce de bruit s'est fait entendre, cela ressemblait à un crissement de pattes d'alligator sur le carrelage de la cuisine. On se serait cru dans une cabane au cœur du bayou, nous n'en étions pas si loin, puisque Uncut est originaire de Poitiers, et qui dit Poitiers dit marais Poitevin. Nous avons voulu en savoir plus sur ce groupe qui se nomme Uncut.

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    La chance sourit aux audacieux. A peine avions-nous risqué le non d'Uncut sur l'ordi qu'il nous envoie immédiatement chez eux, dans leur local de répétition, à Poitiers, tronches intelligentes, belles étagères d'album vinyles, fauteuils confortables, on aperçoit même Jim Morrison dans sa baignoire en arrière plan, on se croirait chez soi, en trois minutes France 3 Nouvelles Aquitaine, nous file une vision du combo en entremêlant à ses images celles d'un clip du groupe, viennent se sortir leur premier EP, et l'album ne tardera pas... L'on suppose que tout cela a dû être plus ou moins malmené par le covid, mais au final, ils ont tracé leur route, sont arrivés à passer entre les gouttes... Donc on écoute

    Alexy Sertillange : vocal and baritone guitar / Enzo Alfano : guitar / Pablo Fathi : drums

    UNCUT

    FROM BLUE

    ( KLONOSPHERE / 10 / 11 / 2019 )

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    Blue eyes lover : un texte un peu macho destroy qui se la joue romantico-ténébreux, par contre pour le bleu, vous avez plusieurs teintes, un clair au début, genre doucement les basses, on clopine grave, le bleu-blues de base, et brutalement ils le foncent à mort, les guitares se font lourdes et la voix devient enragée, vont nous refaire à plusieurs reprises le coup du ripolin à deux prunelles, et chaque fois ils rajoutent du pigment, un coup je le délaye, un coup je vous le beurre-noircise, n'arrêtent pas d'être inventifs, cinquante nuances du bleu en cinq minutes, un morceau tellement bien foutu que ça crève les yeux des amoureux, des amourocks. Belle carte de visite. Sûr, ces mec ne sont pas des bleus. Bee blues : ( + Paul Brousseau : keyboards ) :majesté du riff, la voix qui s'élève, les guitares qui s'égrènent, la batterie qui tamponote, des chœurs qui ululent, et puis la montée progressive, le riff se déploie, un incendie de forêt dans votre âme, car tout se passe dans la tête, ne suffit pas de jouer le riff le plus beau qui soit, faut encore que ceux qui l'écoutent sachent l'habiter, faut qu'il brûle dans leur imagination, qu'il se déchire aux ronces du vocal, ces coups de boutoirs de la batterie, sont-ce les dieux qui frappent à la porte de la réalité, ne vous étonnez pas des brisures, des cassures, Uncut vous refile le riff, c'est à vous de le transformer en or pur... les paroles osmosiquent la musique, elles apportent un plus, autant que chez Led Zeppe, qui lui aussi procédait du blues, de cette mythologie animale des instincts de survie primale. ( Voir le clip sur You tube ). Deandra : ( + Jean Marie Canoville du groupe Howard : vocal ) : le riff se lève sur Deandra comme le soleil sur la ville, comme le sourire sur les lèvres d'une fille sauvage. La batterie sur toutes les étagères des états de l'être, tout le reste autour, le vocal qui commence à moaner puis à bramer tel le cerf au fond du bois et les guitares qui cassent du bois. Coup de folie, ravages collatéraux, la ménagerie de verre se brise. Snake boogie : le boogie du serpent, un truc vieux comme la Bible, l'histoire du désir qui pointe et siffle. Classique, l'on en profite pour réfléchir à ces temps abrupts de silence qui essaiment dans les morceaux de Uncut, l'instant de se demander comment ils font pour ne pas rompre la force de l'avalanche sonore. Ces gars maîtrisent un max. Blue eyes lover : la preuve, vous pourriez penser qu'avec le volume vous écrasez les détails, alors ils vous refont deux morceaux en acoustique. Pas de tricherie possible. Vous pouvez suivre les pointillés de la guitare, et profiter des dénivelés. Que reste-t-il de votre ampoule lorsque vous la privez d'électricité. L'expérience d'Uncut s'avère positive, elle éclaire tout autant. Bee blues : celui-ci aussi privé de courant et en live comme le précédent. Plus près de l'early blues, peut-être plus beau, plus inquiétant, davantage ramassé tel le serpent sur lequel vous avez marché et qui s'apprête à vous mordre pour vous punir de vivre, une chose que vous savez mal faire. Murmures ululés tout doux, ou brandis tels des brandons de braise folle. Gold digger woman : leur première démo, pour plus tard, pour se rappeler d'où ils sont partis. Déjà Uncut mais pas encore eux-mêmes, trop de citations, un condensé de ce que les autres qui les ont précédés ont mis au point. Toutefois l'on pressentait que les élèves parleraient bientôt d'égal à égal avec les maîtres.

    Pour ceux qui auraient bêtement cru ( j'en fis partie ) que From blue signifiait qu'ils venaient du blues, ce qui n'est pas faux, le titre de l'album qui suit, tout simplement, Blue, ouvre une autre porte, montre que le groupe possédait un coup d'avance, sortait un EP en pensant déjà qu'ils amassaient les pierres d'assise de leur prochain opus.

     

    UNCUT

    BLUE

    ( Novembre 2020 )

    Si le feuillage dionysiaque qui couronnait la tête de nos trois riffeurs sur le premier EP nous renvoyait à une antique mythologie, la couve de l'album procède d'un autre mythos beaucoup plus récent, celui du farwest, Uncut veut-il nous signifier de faire gaffe, qu'ils sont armés, qu'ils ne sont pas uncolt...

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    Family blues : un riff qui rebondit comme sur un billard à douze bandes, et Sertillange qui murmure puis plante ses éclats de voix dans vos oreilles, ne suffit pas d'avoir le blues dans la vie, ce n'est qu'un début, débrouillez-vous pour en faire quelque chose, c'est comme le blues, vous l'asseyez sur une chaise électrique et il fait des étincelles à n'en plus finir. Le morceau en est la preuve évidente. Paul Brousseau et son orgue vous le soulignent au gros feutre rouge dans la cavalcade finale. Highway to Cagne : ça démarre sur les chapeaux de roue, et ça file sec, le combo a le diable au cul – on le rencontre sur toutes les highways to hell du monde – des accélérés de guitare à vous suicider pour en finir au plus vite, Alexy vous hache les mots à l'abordage, un stoner du tonnerre qui court plus vite que son ombre, sur la fin vous n'aboutissez pas, vous emboutissez la violence du rock'n'roll. Deandra : ( + Jean Marie Canoville : au vocal ) : repris de From Blue. Blue eyes lover : repris de From Blue. Bee blues : repris de From Blue. Small steps : intro barytonique et sonore, le riff s'est arrondi, écho sur les voix, celle du dessus, et celles du dessous, la beauté du morceau repose sur la splendeur des sonorités, étrangement le riff est ici moins découpé que sur les autres titres, mais la brillance de l'instrument évoque beaucoup plus le Dirigeable. Idem pour ces écartèlements de notes finales. Snake boogie : repris de From Blue. Display : blues un jour, blues toujours, Sertillange vous prend sa voix la plus cruellement incisive, l'on dirait qu'il sonde la plaie de son âme avec de gros doigts sales, les guitares pleurnichent des accords pour affirmer leur désaccords et l'on monte sur les hauts chevaux du drame, c'est le grand jeu, le drummin' rebondit sur le tronc d'un arbre plus dur que du fer, et l'on entre dans le grand tohu-bohu des passions humaines qui se déchaînent sans répit à la la manière de tronçonneuses dont vous avez perdu le contrôle. Diplodocus : quand on joue à jeu égal avec les dinosaures des ères précédentes, ne soyez pas étonnés de cette arrivée diplodocusive, musique lourde, qui écrase tout sur son passage Sertillange cornaque le monstre de sa voix, c'est sans surprise, mais quel beau spécimen de l'ère jurassique. Un fossile digne des plus grands musées. Mais attention, sur la fin vous avez des toussotements éruptifs et covidiques de saxophone initiés par Pierre Renaud... Le monstre ne serait-il pas en train de s'éveiller ? The trap : long morceau de plus de huit minutes, des larmes qui tombent bientôt recouvertes par d'autres larmes, la voix ne chante pas, elle parle, frissons de cymbales et l'on repart, pas plus fort, plus aigu, plus clairement pointu comme la souffrance qui s'insinue en l'esprit des petites filles dont le papa est mort à la guerre et dont la maman ne survivra pas, alors le murmure devient cri et le blues éclate comme une grenade à l'intérieur de votre tête et communique le feu au monde entier, gouttes de rosée lacrymale pour éteindre l'incendie, le lac débordera, l'orgue de Paul ride la surface salée de l'océan qui déferle et recouvre le monde'univers. Le blues gémit et se tord de douleur. L'est comme un serpent qui se hisse sur l'arbre de Dieu, l'on n'entend plus que le sifflement de ses écailles. L'on ne sait pas lequel aura tué l'autre.

    Uncut fait partie des grands.

    Damie Chad.

     

    STEPPENWOLF

    7

    ( Dunhill Records / Novembre 1970 )

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    La pochette est créditée à Tom Gundelfinger. L'on remarquera que le Live de 1970 offrait au dos sa couve, une fantomatique tête de mort blanchâtre perdue dans un noir absolu, dont les yeux vides vous fixaient étrangement. Etait-ce une simple vanité pour rappeler aux fans de base que nous sommes tous mortels, même les loups issus des steppes de nos désirs, nous ne savons pas, la mort qui ne dit rien interroge toujours les vivants. Un an plus tard sur la pochette de leur second live sorti en octobre 1971, le Grateful Dead nous offrira une sardonique couronne mortuaire à son effigie. Mais sur cette pochette la mise en scène est beaucoup plus grandiose. Deux gigantesques têtes de mort se regardent. L'on ne peut pas dire que tout comme les augures de l'antique Rome ne pouvaient se voir sans éclater de rire nos deux chefs de squelettes incitent à l'humour noir. La pochette est sculpturale, le paysage stérile et la mer immobile sur lesquelles elles reposent évoquent un paysage post-atomique, quant à la photographie du groupe, d'un bleu-vert cadavérique au milieu d'étranges protubérances de lichen végétatifs elle servirait très bien de jaquette au Précis de Décomposition d'Emil Cioran.

    Le 7 de Steppenwolf n'eut pas le succès escompté. Le Loup était peut-être trop en avance. Cinquante ans plus tard l'on ne compte plus les disques de groupes de hard et de metal qui ont emprunté et galvaudé le thème des têtes de mort sur leurs pochettes. Quant au logo de Guns N' Roses formé par Axel Roses, il adopte la forme de la forme de couronne mortuaire du live du Grateful dead, titré Skull and Roses...

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    Changement de décor à l'intérieur du gatefold. L'on retrouve les membres du Loup dans les ocres sables d'un désert impitoyable qui se font face, tels deux tribus qui s'affrontent, déguisés en guerrier improbables qui évoquent autant les peaux-rouges d'Amérique que les cataphractaires perses ou les hordes préhistoriques. Mais ce n'est pas fini, au dos de la pochette, surgissent, plantées, les longues jambes d'un cowboy – une attitude qui rappelle celle de John Kay sur les photos du groupe – pas plus haut que les talons de ses bottes, à ses pieds le groupe ressemble à un peuple de liliputiens. Chacun interprètera cet artwork à sa guise, serait-ce une vision glaçante et pessimiste de l'Humanité qui depuis des millénaires passe son temps à se battre pour finir par mourir, ou alors Tom Gundelfinger qui apparaît au bout de la photographie en minuscule David opposé au géant Goliath en un duel que l'on ne saurait qualifier de mortel car il tient, non pas un revolver, non pas une fronde, mais un appareil photo, preuve que ne subsistent que ceux qu'un artiste par son art a immortalisés.

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    John Kay : lead vocal, rhythm guitar, harmonica / Larry Byrom : lead guitar / Goldy McJohn : organ, piano / George Biondo : bass / Jerry Edmonton : drums

    Ball crusher : ce Byrom à la gratte c'est vraiment un lord. Le Loup n'a jamais été aussi au point, tiré d'équerre, rien ne dépasse et tout est plénitude. S'en sont rendu compte car sur les quatre minutes il y en a deux réservées en fin de route à l'orchestration. Tout commentaire serait superflu. Pour les paroles, cela m'étonnerait qu'à l'époque ils aient reçu les félicitation du MLF, aujourd'hui seraient cloués au pilori. Forty days and forty night : se rattrapent aux petites branches, le Kay chiale comme une madeleine puisque sa baby a fichu le camp depuis quarante jours, genre d'aventure qui est déjà arrivé à Muddy Waters, il ne faut jamais se couper de ses racines alors le Loup bleu plonge dedans comme aux grands jours de Chicago, Kay vous mord à la gueule, Jerry tapote méchant, un harmo porc-épic déchire, tout bouge dans le bouge, essayez de suivre vous deviendrez rouge de honte, car le Loup il ramone grave dans l'authenticité. Le vieux tube de Bernie Roth reprend un coup de jeune. Fat Jack : Chez le Loup on ne tire pas la gueule aux nouveaux arrivants, George Biondo ne peut pas se plaindre, non seulement il compose et il joue de la basse - l'a été embauché pour remplacer Nick Saint Nickolas - mais il se charge aussi du micro. Longue intro pour lui permettre de se lancer, l'on a mixé sa basse tout devant, et il assure, la voix un peu plus pointue que celle de Kay, mais les autres l'enveloppent comme s'ils avaient à déménager la Vénus de Milo, c'est charnu et plein jus, le fat man y perdra sa graisse de patron rondouillard, vous le font tourner en bourrique et tout le monde applaudit. On adore comme ils conduisent sans respecter les limitations de vitesse, ni les feux rouges. Renegade : un des morceaux les plus célèbres du Loup, Kay l'allemand raconte son évasion, son passage de la ligne, de l'Est vers l'Ouest. Car lui et sa mère sont des renégats qui quittent le paradis communiste pour l'enfer capitaliste ( ce qu'il y a de terrible c'est que si vous écrivez qu'ils échangent l'enfer communiste pour le paradis capitaliste, ça ne sonne pas plus rassurant ), certes il ouvre la bouche bien fort et vous découpe les vocables au chalumeau, mais il ne chante pas bien longtemps, laisse la musique parler à sa place et le Loup épouse sa colère, la fait sienne, l'endosse, les notes prennent l'ampleur des mots de Morrison et le flot orchestral devient plus puissant que celui des Doors. La voix de Kay se teinte de fiel et d'ironie. Lorsque le morceau se termine vous avez l'impression d'avoir passé la ligne, d'être un survivant à votre propre histoire. Foggy mental breakdown : retour au blues, après la claque de Renegade qui terminait la face précédente, où pourriez-vous vous retrouver sinon là. Kay et George se partagent le vocal, pas tout à fait dans le jeu originel question / réponse qui structure l'originélité du blues, mais à la manière du binôme des chevaux de tête qui s'entendent et s'entraident pour tirer la diligence encore plus vite, est-ce pour cela que l'harmonica vous colorise et vous countryse l'ambiance, toujours est-il que l'on se laisse transporter par ce tapis volant équipé d'un turbo surdimensionné. Snowblind friend : Kay ne lâche pas son combat contre les drogues dures, de Toyt Axton il avait donné une version démentielle du Pusher, texte anti-dealer, ici il évoque les ravages de l'héroïne, ce morceau ne suit pas par hasard le précédent qui évoquait le brouillard qui s'installe dans votre âme soumise à un coup dur, ce n'est pas une raison pour se laisser tenter par les enfers artificiels semble-t-il nous dire. Guitare acoustique, une ballade pour un ami mort, mais la voix qui se fait douce accuse tout autant que des cris comminatoires. L'âme country de l'Amérique dans cette berceuse qui arrive trop tard. Détone un peu dans l'album jusque là très électrique, mais résonne bien. Who needs Ya : retour à l'électricité, ça fume de tous les côtés, l'on ne quitte pas la mystique country, le gars qui se fait foutre dehors par sa chérie mais qui tient un discours sans fêlure, se mettent à deux – George et Kay - pour les invectives, le morceau roule tout seul, peut-être trop, heureusement qu'à la fin il y a ces touches de piano qui tombent comme des petits pois que vous êtes en train d'écosser et qui ricochent dans la passoire de la dureté du monde. Earschplittenloudenboomer : tradition Steppenwolf, un instrumental, Kay parle en Allemand ( le titre avec ses mots-valise collés l'un à l'autre le laissait prévoir, je ne connais pas la langue de Goethe mais en faisant court cela a l'air de signifier : super-casse-oreille ) alors que le disque n'a pas commencé. Pas vraiment génial, et ses cuivres qui s'en viennent rompre l'ambiance de l'album sont même désagréables. Hippo stomp : la chanson de l'hippopotame, trop gravement humoristique pour être un blues. Une fable sur le comportement humain. Un peu trop didactique, Kay y prend plaisir, nous un peu moins, l'impact sonore sauve le morceau qui s'améliore sur la fin. Gagne à être réécouté, l'est rempli de subtilité. Si les trois derniers morceaux de l'album sont un peu plus faibles que les précédents, le disque en son entier reste solide et vaut le détour.

    Damie Chad.

     

    XVII

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    Voici quelques précisions

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    78

    Les filles se révélèrent d'un grand secours. Le Chef et moi-même les attendions prudemment à l'écart dans la voiture, à l'entrée ou à la sortie du village. Charline et Charlotte se chargeaient du ravitaillement dans les épiceries ou les boulangeries locales, tellement mignonnes, souriantes et polies que nul vendeur ne se méfiait d'elles et quand elles s'éloignaient les sacs débordants de victuailles personne ne songeait à leur demander d'où elles venaient, où elles allaient. Vite, elles nous rejoignaient, et je démarrais la vieille deutchole cahotante et nous reprenions notre périple par les routes secondaires et les chemins vicinaux. C'est que les nouvelles dispensées par l'auto-radio n'étaient pas bonnes. Nous étions recherchés, les reporters se rendaient sur les barrages établis par la gendarmerie dans l'espoir d'assister en direct à notre arrestation. Le Chef haussait les épaules et allumait un Coronado.

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    Nous mîmes quinze jours pour arriver près de Nice. Il était temps. Malgré nos chapeaux de paille et nos chemises hawaïennes lorsque nous croisions le citoyen de base sur la route l'on nous décochait des regards furibards. Ce n'est pas que l'on nous reconnaissait mais nos allures décontractées de vacanciers insouciants semblaient ulcérer les gens. Rien n'y faisait, même pas l'attitude pudique qu'adoptaient désormais nos deux passagères. Molossa et Molossito dument chapitrés se terraient sous les sièges, les filles avaient ramené un journal sur laquelle leur photo occupait la première page barrée de la mention '' Chiens Enragés''.

    Ce n'était pas le plus grave. Le troisième jour, apparurent les premiers masques, à chaque flash d'information, l'on annonçait le nombre des morts. Le coronado-virus était devenu l'ennemi N° 1. A chaque fois pour nous remonter le moral le Chef allumait un Coronado. Et nous éclations de rire comme des tordus.

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      • Agent Théodule, l'on s'arrêtera à la Théoule, à la villa des Trois Pins, ordonna le Chef

      • Je croyais que l'on allait à Nice s'exclama Charlotte

      • Trop dangereux ma chérie, Vince Rogers nous attend, il nous a préparé une base secrète depuis laquelle le SSR lancera sa contre-attaque

      • Mais comment sait-il que nous arrivons ?

      • Lorsque je lui ai rendu visite au début de la sombre affaire de l'homme à deux mains, nous avions convenu d'une cache cryptique au cas où... Agent Chad, ce prénom de Théodule vous sied à merveille, qu'en pensez-vous Charline, tournez à gauche, cette bâtisse esseulée sur sa colline, klaxonnez deux fois devant le portail, pas trop fort toutefois, restons discret !

    Le large vantail s'ouvrit pour nous laisser passer et se refermer aussitôt, à peine l'avions-nous franchi que les filles poussèrent des cris de joie en apercevant la vaste piscine. Molossa et Molossito entamèrent une poursuite effrénée entre les massifs du jardin. Vince Rogers nous attendait le sourire aux lèvres.

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    Le repas avait été copieux mais dès que le café fut servi, le conseil de guerre commença :

      • Nous avons quatre problématiques à résoudre exposa le Chef, la première est d'une facilité déconcertante. Il est clair comme de l'eau de roche que tout ce cirque médiatique autour du coronado-virus n'est qu'un prétexte pour se débarrasser définitivement du SSR. L'Elysée profite d'une manifestation épiphénoménale et habituelle d'un épisode grippal pour nous accuser. Les autres pays lui emboîtent le pas, il vaut mieux que le foyer infectieux originel soit en France que chez eux. J'aimerais maintenant que Vince Rogers nous éclaire un tant soit peu sur l'affaire Eddie Crescendo.

      • J'ai beaucoup réfléchi sur le cas Eddie Crescendo. Le destin de ce malheureux, il y a perdu la vie – les filles frissonnèrent de peur – n'est que l'arbre qui cache la forêt. Celle des Réplicants – les filles blêmirent – je suis persuadé que Crescendo s'apprêtait à révéler l'existence des Réplicants, c'est pour cela qu'il a été tué.

      • Les Réplicants sont très méchants l'interrompit Charline

      • Pas du tout, reprit Vince Rogers, ce ne sont pas les Réplicants qui ont fait disparaître Crescendo.

      • Ce sont des extraterrestres qui ont fait le coup assura Charlotte avec un tel aplomb que l'on aurait pu croire qu'elle avait assisté à la scène.

      • Pas tout à fait, répartit Vince, les extraterrestres se moquent de nous, peuvent survoler notre planète de temps en temps, vous avez vu les images de mon film, d'après ce que j'ai compris, au cas où un jour, peut-être dans dix mille ans, ils auraient besoin de notre monde, ils l'ont infiltré avec des Réplicants. Les Réplicants ne sont pas des êtres vivants mais des machines fabriquées à notre ressemblance.

      • Les extraterrestres ont donc ordonné aux Réplicants de faire disparaître Crescendo qui avait découvert leur présence conclut Charline qui aimait bien avoir toujours le dernier mot, c'était là son moindre défaut !

      • Pendant longtemps je l'ai cru, répondit Vince, mais si vous repensez à tous les évènements qui se sont déroulés depuis le début de l'affaire, vous vous apercevez, que quand les Réplicants entrent en jeu, la police n'est jamais loin comme par hasard. Non, voici mes déductions : l'Elysée a passé un accord secret avec les Réplicants, la machine s'est enrayée deux fois, voici quelques années quand Eddie Crescendo a décidé d'avertir, preuves à l'appui, les manigances qui relèvent de la haute trahison au plus haut sommet de l'Etat, et dernièrement quand Alfred le facteur censé espionné le SSR s'est pris d'une passion immodérée pour le rock'n'roll !

      • J'irai jusqu'à dire, cher Vince que tes hypothèses convergent avec les miennes – le Chef prit le temps d'allumer un Coronado – si l'Elysée veut anéantir le SSR, c'est parce qu'il connaît l'attrait d'Alfred pour le rock'n'roll, ils l'ont fait abattre croyant s'en débarrasser, mais les Réplicants sont des machines qui sont capables de s'auto-réparer. A force de vivre avec les humains, et de les imiter pour se fondre dans la masse, les Réplicants ont intégré dans leurs circuits nos habitudes, ils se sont assimilés, pensez à Thérèse la copine d'Alfred qui s'est pris d'amour pour Jean-Pierre !

      • Comme c'est romantique ! s'écrièrent en même temps Charline et Charlotte.

      • Sans aucun doute, mais le SSR ne peut vivre uniquement d'amour et d'eau fraîche, dès demain matin, le SSR se met en chasse, un seul but, neutraliser la tête pensante de ce micmac intolérable, une seule cible l'Elysée !

    Les filles en béaient d'admiration.

      • Sommes-nous assez nombreux, hasarda timidement Charlotte

      • Peuf ! – un nuage de fumée s'éleva du Coronado – si je compte autour de cette table, nous sommes cinq, c'est au moins quatre de trop, déclara péremptoirement le Chef, ayez confiance en moi pour établir le plan idoine et adéquat suffisant pour éliminer ce minuscule problème !

      • Super, on veut en être, s'écrièrent les filles tout excitées.

      • Vous en serez, affirma Vince, mais avant il faudra en finir avec les deux tentacules les plus noirs et les plus mystérieux qui s'en prennent à nous. Mes demoiselles, la mise à néant de l'Elysée, un jeu d'enfant, du pipi de chat, de la roupie de sansonnet, mais au début du conseil nous avons signalé quatre problématiques, et il nous reste à traiter des deux plus difficiles...

      • Ouah ! Ouah ! Ouah ! Ouah !, Molossa et Molossito tournaient comme des fous autour de la table en aboyant sauvagement, et en grognant si fort que l'on croyait entendre le tonnerre...

      • Voilà, demoiselles – tout le monde remarqua que le Coronado du Chef s'était éteint tout seul – nos chiens féroces et fidèles en savent plus que nous sur la nature du danger...

    ( A suivre... ).