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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 70

  • CHRONIQUES DE POURPRE 459 : KR'TNT ! 459 : HANNI EL KHATIB / ROKY ERICKSON + FRIENDS / THE SPRITES / SAINT JAMES INFIRMARY / ROCK ' N 'DANCE

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 459

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    09 / 04 / 2020

     

    HANNI EL KHATIB / ROKY ERICKSON + FRIENDS

    THE SPRITES

    SAINT JAMES INFIRMARY / ROCK 'N' DANCE

     

    Qu’as-tu Khatib ?

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    En fait, Hanni El Khatib va très bien. Il faudrait plutôt poser la question à deux de ses sidemen qui ont l’air drôlement bizarres. Le bassiste et le guitariste rythmique ont des têtes de gosses renfermés. Ils semblent atteints de l’autisme du Midwest, le plus incurable du monde. Ces deux-là fixent le sol en permanence et tentent de coincer derrière leurs oreilles de grands cheveux raides qu’on suspecte de n’être pas très soignés.

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    Ils parachèvent le spectacle de leur désolation avec des mines fermées à double tour et d’innommables vêtements. On dirait même qu’ils font tout pour que ça aille encore plus mal. On irait presque leur demander : «Comment peut-on vous aider ?». On sait à l’avance qu’ils ne répondront pas. Pourtant ces gens-là viennent de Californie, mais les deux loustics en question se situent aux antipodes du look des golden boys des plages de surf. Ils semblent même avoir des têtes à craindre le soleil, comme certains châtelains des montagnes de Transylvanie.

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    Étant donné qu’un petit buzz remue l’air autour d’Hanni El Khatib et que son premier album se défend plutôt bien face à deux tympans ruinés par quelques décennies de tambourinage, on est allé le voir jouer sur scène. Comme dit le maquignon, c’est là qu’on jauge la bête. Si en plus elle rue et tire la langue, alors c’est bon signe.

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    En fin limier, Hanni El Khatib a tapé dans le mille. Il est passé en deux temps trois mouvement du statut d’inconnu d’origine vaguement palestinienne au statut plus enviable de petite star du garage californien. En tous les cas, on ne peut pas lui reprocher de jouer des mauvais cuts, car son set tient remarquablement la route. Il gratte une Les Paul noire et chante comme un cake. Il attaque son set avec «Moonlight», le premier cut de son troisième album et enfile ses petites perles pendant une heure. Son garage est un garage qui ne veut pas dire son nom. Hanni El Khatib ne fait ni du Dirtbombs, ni du Makers, ni du JSBX, ni du BBQ, on pourrait peut-être parfois penser aux Black Keys, à cause de son deuxième album produit par Dan Auerbach, mais en règle générale, son style semble n’appartenir qu’à lui, ce qui relève du prodige, vu qu’on n’en finit plus de croire que tout a déjà été dit ou fait, dans ce domaine. Hanni El Khatib sur scène ? Oh, mais c’est tout bêtement la garantie de passer une bonne soirée. On ne risque pas de se décrocher la mâchoire en bâillant au bout de deux morceaux. On aurait plutôt tendance à sautiller, comme le font les voisins et les voisines.

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    L’ami Hanni tire bien ses marrons du feu. Pour son set, il tape dans ses trois albums et n’en finit plus d’allumer un public qui de toute façon est convaincu d’avance. Ce n’est pas la faune des concerts garage habituels, non, le public est différent. En tous les cas, aucun poto n’a radiné sa tirelire. Hanni va-t-il devenir énorme et faire partie d’une sorte de nouvelle aristocratie du rock avec des gens comme les Black Keys, les Black Lips, les Black Widows, les Black Crowes, les Black Stone Cherry, les Black Angels, les Black Flag, les Black Mountain, les Black Sabot et les Black Is Black ? Allez savoir. C’est fort possible, car d’ici dix ans, il ne restera plus rien ni de la première ni de la seconde vague des rockers qui constituaient l’aristocratie du rock, celle des années 70. Il semble bien qu’Hanni El Khatib soit partisan d’un maintien des traditions garagistes, ce qui devrait nous sécuriser.

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    En tous les cas, la scène ne trompe pas. Il terminait son set par un cut brillant tiré lui aussi du troisième album, «Two Brothers», une espèce de groove ensorcelant qu’il alla jouer dans la fosse au milieu de ses admirateurs fascinés. Ce fut pour le jeune bassiste renfermé l’occasion de sortir de ses gonds car il se mit à sauter partout avec sa basse et à jouer une redoutable ligne de funky strut. Franchement, il y avait là de quoi faire baver tous les bassistes présents dans la salle. Deux morceaux tout aussi spectaculaires en rappel et l’affaire était dans le sac.

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    Son premier album mit les amateurs de garage en confiance. Will The Guns Come Out proposait en effet une belle série de petits blasters, tiens comme ce «Build Destroy Rebuild» tout fumant de distorse. L’ami Hanni chantait ça d’une voix de folle échappée de l’asile et on le voyait chevaucher son Diddley beat avec une fière allure. Il passait ensuite aux grossièretés avec «Fuck It You Win» et nous tarpouinait ça avec un beau gras-double. On le voyait piétiner les plates-bandes de Jon Spencer et emprunter les accords d’«Under My Thumb», mais ça restait pertinent. Il savait très bien faire dérailler son chat perché. Puis il singeait Lou Reed pour raconter ses virées dans «Dead Wrong» et ça passait comme une lettre à la poste, car il s’appuyait sur une structure basique doublée de chœurs à la Dion. Non seulement ce mec montrait qu’il avait des ressources, mais il révélait en même temps une solide culture. Il cocotait ensuite le riff de «Locomotive Breath» pour emmener son «Come Alive» en enfer. Ce fin renard du désert recyclait toute l’aventure intellectuelle du rock dans des petits cameos irréprochables. C’mon ! Il passait ensuite au vieux garage avec «Loved One» qu’il traitait en mode Kinky. Pour sabrer, on peut dire qu’il savait sabrer, aussi bien que les Cosaques envoyés par le Tsar Alexandre à la chasse aux traînards de la Grande Armée, lors de la Retraite de Russie. Avec «You Rascal You», l’ami Hanni se prenait carrément pour Gary Glitter en titillant son stomp, mais il sauvait sa réputation avec un brillant solo vrillé. Il finissait avec une superbe pièce de puke de duke, «I Got A Thing», montée sur un riff d’attaque violente, et traversée par un solo à la coule. Berk !

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    Sans doute attiré par les feux de la rampe, il s’associe ensuite avec l’Auerbach des Black Keys pour enregistrer son deuxième album, Head In The Dirt. Comme l’Auerbach a le vent en poupe, l’ami Hanni imagine qu’il va pouvoir profiter de ce petit vent d’Ouest pour gagner le large. Les mauvaises langues appellent ça de l’opportunisme. Les âmes bienveillantes appelleront ça un échange de compétences. Les Black Keys ont en effet des profils de winners, et au rythme d’un album par an, ils causent pas mal de dégâts dans le porte-monnaie des ménagères. Dès «Family», on sent leur présence. L’ami Hanni se retrouve complètement phagocyté par l’Auerbach et son complice. T’as voulu voir Vesoul ? Eh bien t’as vu l’Auerbach ! Au passage, on note que le pauvre Hanni a perdu le joli son qu’il avait sur son premier album. La fine équipe bascule ensuite dans la pop avec «Skinny Little Girl» et le batteur des Black Keys tape comme un sourd. Il cogne encore plus fort que Denise, la batteuse de Schoolgirl. Après deux ou trois morceaux ineptes, on revient enfin aux choses sérieuses avec un «Can’t Win Em All» stompé au seuil des saturations catégorielles. Étant donné qu’Hanni chante comme Marc Bolan, ça vire glam. Et du coup, leur truc devient drôlement intéressant, d’autant que le mastering patauge dans la choucroute, ce qui donne une superbe trasherie. Quelle horreur ! «Pay No Mind» fait gamberger. Eh oui, ce mec ne devrait faire que du glam. Il a les muscles et les tatouages pour ça. En plus, il en pince pour le gros beat, celui qui craque les capotes. Attention à «Save Me» : ça part avec le beau gimmick des Them et des clap-hands dignes des bas-fonds de Soho. On croirait vraiment entendre les Stones qui reprennent Bo Diddley en 1963. On a en prime un solo d’antho à Toto. C’est même le meilleur coup de chapeau aux racines du British Beat qu’on ait entendu depuis belle lurette. Quelle efficacité ! Solo de désaille et pur riffing. Hallucinant ! Nouveau coup de Jarnac avec un «Sinking In The Sand» qui avance comme une Panzer Division. Motörhead n’est pas loin. L’ami Hanni pousse des aah aah aah de girl group. Il sait investir l’espace.

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    Hanni El Khatib tournait en France pour la promo de son troisième album Moonlight. Un conseil : il vaut mieux écouter cet album après le concert, car si l’on l’écoute avant, on économise un billet de quinze en n’allant pas voir le concert. L’album n’est pas bon. Mais curieusement, les morceaux passent bien sur scène. On retrouve le fameux «Moonlight» d’intro qui se veut stompique, mais qui sur le disque reste en suspension et refuse obstinément d’avancer. Avec «Melt Me», l’ami Hanni cherche la petite bête, mais le son n’y est pas et ça retombe comme un soufflé. Il tape dans l’esprit boogie des Status Quo pour jouer «The Teeth» et flirte à nouveau avec le glam de carton-pâte. S’ensuivent quelques morceaux ineptes. Avec «All Black», il riffe à qui mieux-mieux mais ça manque tragiquement de poids. L’esprit brille par son absence. On atteint les limites du système avec «Dance Hall». Hanni El Kahtib n’est pas Frank Black. Ni Graham Day. Encore moins Jon Spencer. Et ça ne pardonne pas. Car pour enregistrer des albums à la chaîne, il vaut mieux savoir écrire des chansons. Sinon, à quoi ça sert ? Il termine ce pauvre Moonlight avec le «Two Brothers» de fin de set, monté sur un joli thème. C’est d’ailleurs le seul cut intéressant de l’album, car d’esprit très moderne et battu en brèche au bassmatic. L’ami Hanni tape dans le registre du groove qui se met en route, accompagné de clap-hands et d’une bassline funky. Même effet que sur scène : le cut nous embarque pour Cythère. Rien à voir avec la daube qui précède. Hanni joue la carte du groove et ça redevient lumineux. Il nous embarque littéralement dans son trip de tripe et ça tourne à l’énormité. Voilà un cut salvateur qui s’insinue partout et qui, comme un serpent corail de Guyanne, remonte par la jambe du pantalon.

    Signé : Cazengler, le Kathinibé.

    Hanni El Khatib. Au 106, Rouen (76). 3 mars 2015

    Hanni El Khatib. Will The Guns Come Out. Innovative Leisure Records 2011

    Hanni El Khatib. Head In The Dirt. Innovative Leisure Records 2013

    Hanni El Khatib. Moonlight. Innovative Leisure Records 2015

    Roky le Roquet - Part Three

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    En attaquant au petit bonheur la chance sa carrière solo, Roky Erickson provoqua en son temps un shaking all over digne de celui des Cramps ou le Gun Club. Il entrait dans le clan des cultes. Sur la foi de deux choses : son antériorité dans les 13th Floor et un premier single so far out paru sur Sponge en 1977, le fameux Mine Mine Mind EP violet quatre titres, sur lequel se trouvait «Two-Headed Dog», l’un des hymnes du XXe siècle.

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    Il faudra attendre trois ans pour recroiser «Two-Headed Dog» sur un album, le fameux Roky Erickson & The Aliens, paru sur CBS UK en 1980, et qui reparaîtra au moins à deux reprises sous le nom de The Evil One, avec des variantes de track-list. Roky a la chance de tomber sur des bons Aliens, notamment le guitar slinger Duane Aslaken qui grouille de bon psyché. On entend aussi Steve Burgess ponctuer un beau bassmatic sur le «Two-Headed Dog» qui ouvre le bal de cet album haut en couleurs. C’est d’ailleurs une sorte de best of avant la lettre, puisque Roky enfile ses hits comme des perles. En fait, il va les rejouer pendant trente ans, mais personne ne s’en plaindra, bien au contraire. On le voit monter un hit («I Walked With A Zombie») avec une seule phrase. Il vire rock’n’roll avec «Shake Me Lucifer» et propose déjà une version extrêmement heavy de «Bloody Hammer» dont on va entendre par la suite des versions de plus en plus monstrueuses. En B, on voit Aslak faire le show dans «White Faces». Il multiplie les départs en vrilles acidulées. Il ne se refuse aucune tortillette. Roky ne bronche pas, il continue d’avancer, le regard fixe. Aslak fait encore des siennes dans «Creature With The Atom Brain». Il multiplie les climats délétères, c’est admirable de mise en place. Roky n’en finit plus de créer son monde. Il taille sa route dans le meilleur boogaloo qui soit ici bas. Il ramène tout l’éclat de l’excellence psyché des 13th Floor.

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    C’est Muff Winwood qui s’est occupé du premier album de Roky. Les ventes ne sont pas extravagantes, mais il demande un deuxième album. Winwood demande à Craig Luckin de ramener Roky en studio. Mais Roky ne va pas bien. Les tournées l’ont déglingué mentalement. Luckin a déjà beaucoup investi dans The Evil One, et il doit attendre un an avant que Roky n’accepte d’enregistrer Don’t Slander Me. Aslak accepte de revenir en studio avec Roky. Ils commencent à enregistrer en 1983. L’incroyable de cette histoire est que Jack Casady participe aux sessions. Il fascine Roky - Roky and Jack got along very well - Le batteur s’appelle Paul Zahl et joue avec Casady dans SVT. Comme Aslak produit, la guitare monte bien au devant du mix. L’album finit par sortir en 1986, trois ans plus tard, mais pas sur CBS UK, car Winwood n’y trouve pas son compte. Luckin réussit à trouver un label en Californie (Pink Dust) et Demon Records pour l’Europe. Aux yeux de Luckin, Don’t Slander Me est le meilleur album de Roky. Eh oui, dès le morceau titre, ça bouge. Aslak gratte sa gratte et derrière Jack Casady drive le Slander en enfer. Roky est en forme, mama ah-ah ! Il chante à la prodigieuse exacerbée. Retour en force au rock’n’roll avec «Crazy Crazy Mama», idéal pour un bassman comme Casady. Il faut l’entendre voyager dans la gum des gammes. Ça devient même très sensuel. On tombe en B sur l’effarant «Bermuda» qu’on retrouvera sur pas mal de boots. Fantastique pulsation. Jack the ripper rôde dans le beat. Ça ultra-joue à la Texane, dans l’esprit originel. Roky rend hommage à Buddy Holly avec «You Drive Me Crazy» et envoie son «Starry Eyes» exploser dans l’azur immaculé de la pop. C’est l’un de ses plus beaux hits. Aslak se positionne bien au centre du son. Encore un hit faramineux avec «The Damn Thing». La basse de Jack ronfle dans le son. Il se pose dans les passages d’accords avec tout le tact Tuna.

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    La même année paraît sur Pink Dust Gremlins Have Pictures, une espèce de compile où on retrouve The Explosives, The Aliens et quelques cuts enregistrés en studio avec Jack Johnson. C’est là qu’apparaît pour la première fois sa reprise d’«Heroin». Roky la prend au chat très perché, il en fait une version intraveineuse, bien tapée à l’hypno. On retrouve Aslak sur «The Interpreter». Si Roky chante «Night Of The Vampire», c’est parce qu’il est le plus habilité à chanter les louanges des vampires, sans doute à cause de son chat perché dans les ténèbres. Roky est le dark prince du boogaloo. Sur cette version live, The Explosives explosent. Ils explosent aussi «John Lawman». Roky adore la bonne bourre, ça se sent. Nouvelle dégelée avec «Cold Night For Alligators». Tous les hits de Roky sonnent comme des hits, c’est un peu le problème. Plus on l’écoute et plus il fascine. On finirait presque par aduler ce pauvre Texan. Il fait une version acou d’«I Have Always Been Here Before». Cet album de bric et de broc est d’une grande intensité. Wow ? Oui, mille fois wow.

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    On tient généralement Casting The Runes paru en 1987 pour le meilleur live de Roky & the Explosives. Forcément, ça démarre sur cette belle dégelée de gelée royale, «The Wind And More». Roky avale le rock comme d’autres avalent le bitume. Quelle cavalcade ! Cam King fait un festival dans «For You». Il joue des foisonnements mirobolants, il semble bien plus prolifique qu’Aslak. Nouveau coup de tonnerre avec «Mine Mine Mind». Roky tient son rock par la barbichette et il boucle l’A en beauté avec l’imparable Gonna Miss Me. Roky le screame à la vie à la mort. Belle section rythmique, Water Collie on bass et Fred KRC on drums. Alors Cam peut partir en maraude sonique. On B, on croise le Zombie puis les Explosives explosent avec «Bloody Hammer». Pour finir, Cam crame le fond de «Stand For The Fire Demon» et propose une belle extrapolation de Texana sonique.

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    Pendant ce temps, Patrick Mathé œuvre pour le compte de Roky et réussit à sortir plusieurs albums, à commencer par Clear Night For Love en 1985. Ce mini-album s’ouvre sur la pop parfaite de «You Don’t Love Me Yet». Puis le morceau titre semble venir en droite ligne de Buddy Holly. On a un vrai son. En B, «The Haunt» sonne comme du rock texan, mais sans les Explosives. Les deux guitaristes Harry Hess et John Reed ramènent du big sound. Roky boucle avec «Don’t Slander Me», mama ! Mini-album idéal. Roky sait ramener du gusto.

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    Mathé propose ensuite deux albums coup sur coup, The Holiday Inn Tapes, en 1987 et le premier grand live officiel, Live At The Ritz 1987 en 1988. Les deux valent le détour. Mathé est à Austin le 1er décembre 1986 et Roky vient le voir dans sa chambre à l’Holiday Inn pour lui jouer quelques chansons. C’est une promesse qu’il avait faite au téléphone et il la tient. Mathé n’en revient pas. Roky s’accompagne à l’acou aléatoire. Il fait un festival sur «The Singing Grandfather» et joue quelques cascades d’arpèges circulaires. On sent une présence extrême. Sur «The Times I’ve Had», il gratte quelques millions de notes en diguili des quatre doigts. Il rend un bel hommage à Buddy Holly en chantant «Peggy Sue Got Married» à l’encorbellement savant et chante comme un dieu sur «Mighty Is Our Love». Il n’en finit plus d’en imposer. En fin de B, Mathé complète avec la session Sponge, les quatre titres du fameux EP mauve, où trône «Two-Headed Dog», à la fois somptueux et impérial. Ça reste l’une des cimes de l’Everest, ever.

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    Live At The Ritz 1987 vaut aussi le détour, d’autant que Roky démarre avec «You’re Gonna Miss Me». Le guitariste s’appelle Will Sexton. Roky semble redorer son blason avec «Night Of The Vampire», car voilà une version terriblement psychédélique, il chante à la clameur des ténèbres et à la grandeur des candélabres. Il attaque la B avec «Two-Headed Dog», et le screame d’entrée de jeu. Il fait partie des wildest of them all. Encore une fois, ce cut sonne comme l’emblème du rock et l’étendard du Walking in the Kremlin with a two-headed dog n’en finira plus de claquer dans l’écho du temps. Will Sexton fait un joli festival dans «Take A Good Look At Yourself». Il joue des dégelées de gelée royale. Ce mec est un torrent à deux pattes. S’ensuit «Clear Night For Love», où Roky fait régner sa loi de la pop dans un rock à lui. Un rock parfaitement personnalisé qui ne doit rien à personne. Il devient férocement bloody avec «Bloody Hammer» et retrouve la vieille niaque texane des défenseurs d’Alamo face aux 50 000 hommes de Santa-Ana. Le beat est si bon qu’il rebondit, non, il n’a pas de bloody hammer, clame-t-il dans les volutes torrentielles, Roky et ses hommes jouent comme si c’était leur dernière chance de repousser Santa-Ana, Roky chante avec la foi de l’insecte qui croit pouvoir échapper au pied de l’éléphant qu’il voit arriver droit sur lui, un éléphant si énorme qu’il cache le soleil.

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    Paru en 1990, Reverend Of Karmic Youth fait partie des albums dispensables. Roky gratte l’A à coups d’acou et en B on retrouve les traditionnelles flambées d’Explosives.

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    Patrick Mathé ramène Roky dans le rond du projecteur en 1992 avec l’excellent Live In Dallas 1979. Cette fois, ce sont les Nervebreakers qui l’accompagnent - Please welcome the legendary Roky Erickson ! - Eh oui, pas plus legendary que la bravado d’accords de «The Wind And More». On a là le meilleur son de l’univers, ça tourne comme un moteur bien gonflé. Roky est au sommet de son beautiful power. Les Nervebreakers dégagent une énergie considérable. Roky a toujours la chance d’être bien accompagné. Ces mecs manient la mad psychedelia avec une maestria qui laisse coi. Encore un hit fulgurant avec «Mine Mine Mind». Roky l’avale tout cru. Les Nervebreakers riffent avec une violence terrible. Ils tapent plus loin un «Cold Night For The Alligators» au headbang, le soliste des Nerve joue dans le flux du move et tout explose avec «The Interpreter». Effarant de power ! Derrière Roky, le mec des Nerve titille à gogo. Ils tapent directement dans «You’re Gonna Miss Me». En plein museau. L’hymne d’un temps. Imparable. Roky taille sa route. You didn’t realise. Roky chante plus loin «Bo Diddley Was A Headhunter» à la glotte rouge, et explose «Two Headed Dog» d’entrée de jeu. C’est joué au power maximaliste. «Bloody Hammer» restera sans doute le hit le plus dévastateur de Roky Erickson. Il jure qu’il n’a jamais eu le bloody hammer. Il faut le croire. On a là le génie psychédélique du stomp texan, never had ! Never had ! Derrière, le Nerve shoote dans le bras du cut un solo au long cours. Chaque album live de Roky est un blast, il faut vite s’habituer à cette idée, car des tas d’autres vont suivre.

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    Tiens comme par exemple l’excellent Beauty & The Beast paru l’année suivante. Sur la pochette, on lit Roky Erickson & The Resurrectionists. Dès «Two Headed Dog», c’est l’horreur ! Le son coule partout. Roky le sent. Un démon nommé Jimmy Jones joue en purée continue. C’est une véritable insulte aux dieux de l’Olympe. Tous les hits de Roky redeviennent des énormités palpitantes. La soupe de «Cold Night For Alligators» devient effervescente. Les incursions de Jimmy Jones sont maléfiques. Ils enchaînent avec un «Hasn’t Anyone Told You» joué à la big energy. Ça devient une sorte de pop ultraïque. S’ensuit un «Mine Mine Mind» shaké du ciboulot, avec des éclairs dans le ciel. Stupéfiant ! Les Resurrectionnists jouent dans l’enfer de leur fournaise. Roky chante liquide. Effarant ! Roky shake le shit de Lucifer un peu plus loin, il invite tous les démons de l’univers à danser la gigue du diable. Oh, il faut les voir taper «You’re Gonna Miss Me» à la punky motion ! On a rarement vu des groupes déclencher un tel enfer sur la terre. Tout est saturé de chaos sonique et les hits de Roky resplendissent dans l’écho du temps. Il parvient même à transformer une chanson comme «Angel» en fournaise. Roky sort pour l’occasion son meilleur guttural. On revient au power suprême de «Bloody Hammer» et ces fous soniques repartent de plus belle avec «I Walked With A Zombie Last Night». Ils jouent le pire vrac sonique qu’on ait entendu ici bas. Tout est plombé de fournaise et ça ne s’arrange pas avec les derniers cuts. Explosif, pas d’autre mot possible.

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    On fait une petite pause avec Demon Angel. A Day And Night With Roky Erickson paru l’année suivante. L’album est enregistré à Halloween 1984 et Roky gratte tout à coups d’acou. Il joue «Bloody Hammer», «Two Headed Dog» et «Night Of The Vampire» au coin du feu. Force est de crier au génie quand Roky attaque «Cold Night For Alligators». On ne peut écouter ça que si la cervelle est ramollie. Derrière Roky, Mike Alvarez joue des coups d’acou à la Wilko. C’est d’une beauté désespérante. Fabuleux ! Le couple Roky/Alvarez décroche la timbale. À partir de là, le live devient fascinant. Roky attaque «The Interpreter» sans big sound, mais l’esprit est là. On entend Mike Alvarez voyager dans le fond de «Clear Night For Love» et on sent Roky au sommet de son art dans «Starry Eyes». On sent qu’il en bave avec «The Damn Thing», avec son vieux battage sophistiqué. Mike Alvarez revient pour «Hungry For Love #2» et shoote du junk dans le bras du cut. Roky devient fou avec cette version de «You’re Gonna Miss Me» travaillée aux deux guitares. Comme il est texan, il a le sang chaud, alors wouah yeah ! Il screame son ass off. Il hurle à la lune - This is the way it must be done - Il termine avec une belle version de «Blowin’ In The Wind». Roky est un artiste complet.

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    En 1995 paraît un nouvel album solo de Roky, All That May Do My Rhyme. Il démarre avec «I’m Gonna Free Her», un joli slab de heavy pop. C’est la grande force du troubadour psychédélique. Il est de la même engeance que Ron Asheton : kid brillant destiné aux couches supérieures. Il chante «Starry Eyes» avec Lou Ann Barton. Merveilleux hit pop, très jingle jangle. Lou Ann Barton entre au nasal pur dans la danse. Mais l’émotion vient de Roky. Avec «You Don’t Love Me Yet», Roky fait du pur dylanex. L’immédiateté de la mélodie en dit long sur le génie de Roky Erickson. Il se prend pour François Villon avec «Please Judge», il demande au juge de ne point le pendre et il appelle sa Mama dans «Don’t Slander Me». Killer tune, haché menu, paradis de la cisaille. Big version. La grande force de Roky c’est aussi d’allumer ses compos. Un bel exemple avec «We Are Never Talking». Roky rocks it. On pourrait même le qualifier d’empereur du balladif romantique. Kidding ? Non, il suffit d’écouter «For You (I’d Do Anything)». Il fait son petit bonhomme de chemin. Il est l’un des héritiers de Buddy Holly, avec ce côté romantique texan exacerbé. Il reprend aussi son vieux hit New Rose, «Clear Night For Love» et le claque aux accords secs. Il tourne un peu en rond. Il s’en va ensuite chasser sur les terres du Comte Zaroff avec un «Haunt» électrique en diable, chargé de menace. Roky sait créer les conditions.

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    En 1995, Sympathy For The Record Industry ressort, après celui de Roky Erickson & The Resurrectionists, un live intitulé Roky Erickson & Evil Hook Wildlife ET. Avec Crypt, In The Red et Norton, Sympathy fut en son temps l’un des quatre labels underground les plus prestigieux d’Amérique. On pourrait dire : «Bon ça va, les live de Roky c’est toujours la même chose !», et pourtant non, c’est à chaque fois très différent, comme si l’intensité de la fournaise variait. On est tout de suite frappé par cette version de «You Don’t Love Me Yet» d’ouverture et par son extraordinaire vibration. Roky tape dans le mille avec sa mélodie tordue. C’est un peu comme si Brian Jones chantait Jumpin’ Jack Flash accompagné par les Rolling Stones. On a là du pur jus d’énormité, avec des guitaristes aux noms inconnus. Roky sort son meilleur roaring. Comme c’est un radio slow, Roky parle dans un micro entre chaque cut. Dans le heavy blues de «The Beast», le guitariste Kerry Crafton fait des siennes. Puis Roky rend un sacré hommage à Lou Reed avec une version ultra cra-cra d’«Heroin». «Clear Night For Love» sonne comme un hit intemporel. On entre là dans le lagon de la magie ericksonienne. C’est mélodique et arrosé aux meilleures guitares d’Amérique. Cette pure merveille constitue l’apanage de l’underground. Plus loin, Roky incendie la plaine avec «Cold Night For Alligators». Il joue ça à la clameur et sans vergogne, au heavy beat de soudards à semelles de plomb. Il remet le l’huile sur le feu avec «Don’t Slander Me». Roky le diable secoue ses chaînes. Quelle violence ! Puis on prend en pleine gueule ce «Mine Mine Mind» explosé à coups de power chords. C’est noyé de son, dans l’appétence de l’effarence. Le riff surgit du chaos, pareil au saumon d’Écosse qui jaillit hors du torrent dans la lumière psychédélique d’un matin d’été. Ils écrasent ensuite «Starry Eyes» dans l’œuf du serpent et c’est tellement bardé de psychedelia qu’il semble que la messe soit dite.

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    Roky gratte sec sur Never Say Goodbye qui date de 1999. Il gratte même tout seul. La plupart des cuts sont enregistrés sur cassette à Rusk, par sa mère Evelyn. Il drive son drive à la déchirante nudité de son son, un peu à la manière de Skip Spence. Tout l’album est gratté aux poux, au somophore de son demeanor. Il gratte «I’ve Never Known This Till Now» dans la cage à poules. C’est sans doute l’album le plus barré de l’histoire du rock. Il tape dans Buddy Holly avec «Think Of As One» et fait avec «Birds’d Crash» du burn out sound. Sur la pochette, il a beaucoup de classe. Par contre, ses arpèges vont mal. Il faut se lever de bonne heure pour y trouver de la grâce. Le mythe a bon dos. On bâille mais on se dit en même temps que ce mec a la bonté de chanter pour des gens comme nous qui ne sommes rien. Harry Hess accompagne Roky sur «Something Extra» et ça sonne, Roky est couvert, on assiste au retour du grand esprit, celui du 13th Floor, c’est pulsé dans l’embryon du beat. Ce fleuron du psyché texan sauve l’album.

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    Paraît en 2004 sur Norton un très beau double album compilatoire de Roky Erickson & The Aliens : Don’t Knock The Rock. C’est d’autant plus un bel objet que Doug Hanners remplit tout le gatefold de notes sur Roky, du style : «One minute he’s a demonic fire hose, spraying 60,000 volts of wayward Sky Saxon qi, the next instant this son of an Episcopalian opera singer is crooning a Buddy Holly-ish Starry Eyes, not missing a note or failing to sustain the emotion.» (Pendant une minute il fait son Sky Saxon, crache le feu en dégageant 60 000 volts, et la minute d’après, il devient le fils d’un chanteur d’opéra pour crooner Starry Eyes à la manière de Buddy Holly, sans rater une note et en maintenant l’émotion). Turner révèle que Roky surnomme Aslak ‘Bird’, «a visual hybrid of James Williamson and Keith Richards, sort of, and plays like both of these archetypes put together.» (un hybride visuel de Williamson et de Keef qui jouerait comme les deux combinés). Turner n’en finit plus d’aduler les Aliens : «Let’s see, a Fuzzy, a Morgan, a Bird and an autoharp (later to be an) Angel, that sums up the Aliens.» Norton propose en fait une session inédite enregistrée en 1978 par Craig Luckin au studio de Creedence, Cosmo’s Factory. L’ingé son avait pour consigne de laisser tourner la bande pour TOUT choper. On entend Roky chanter «Angel Baby» à l’éplorée. Il adore faire le con, because I love, I love you yes I do. Puis il part en tagada Buddy Holly-ish avec «You Drive Me Crazy». Il fait ensuite sonner «Stand By me» comme le Kremlin, il chante ça au violent psyché et va chercher un niveau de chant stupéfiant. Cette version justifie à elle seule le rapatriement de ce double album. On entend aussi Aslak ramener du son dans «Untitled», du big heavy sound. En C, ils sonnent littéralement comme Moby Grape dans «Can’t Be Brought Down». Quelle vitalité ! Le son est très loosy sur l’ensemble, très libre. Ils sont en studio pour s’amuser.

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    Tiens, encore un live ! Il s’appelle Halloween et paraît en 2007. Cette fois, ce sont les Explosives qui accompagnent Roky. On peut compter ce live parmi les grands albums live de l’histoire du rock, car on en sort à quatre pattes. L’«I Walked With A Zombie» est la version définitive. Roky mord dans la chair de son mythe. Il plante ses crocs dans le zombie. Energy ! Fucking energy ! Pire encore, voici «Bloody Hammer», certainement l’un des plus gros blasts de tous les temps, quasi stoogien par les guitares, battu heavy et avec violence, à la Scott. Et Roky insiste une fois encore pour dire qu’il n’a jamais eu ce bloody hammer. Belle force de frappadingue et c’est bassmatiqué jusqu’à l’os. Bloody great ! Ils foutent le feu à la plaine avec «You’re Gonna Miss Me». Roky c’est Attila. On l’a reconnu. Il ne vit que pour la fournaise. Même chose avec «Creature With The Atom Brain». Roky s’élève au dessus du chaos monolithique pour glapir son texte. Véritable shoot de psych damage. Encore une terrifiante embardée avec «I Think Of Demons». Ils défoncent les culs de basse-fosse et tout passe au laminoir de l’assommoir. Trop de couenne de son. Trop de viande. Qui saura dire la violence de «The Interpreter» ? Ils nous riffent ça dans le gras du gras-double. Roky se jette dans la marmite et frit avec le son. Il est important de préciser que ce show est enregistré à Austin en 1979. Roky est alors au sommet de son art. Le guitariste s’appelle Cam King et il joue comme un fou. Il ravage les contrées dès «Two Headed Dog». Cam a une petite gueule, mais il bascule dans l’enfer de la véracité ericksonienne. Et on sait qu’il n’existe rien de comparable en matière de véracité. Cam gratte encore comme un démon dans «Bermuda». Il part en vrille sans prévenir - That’s the way in Bermuda - Ils enchaînent avec un «Starry Eyes» mirobolant. Cet Halloween va tout seul sur l’île déserte.

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    Roky Erickson enregistre un dernier album studio avec Okkervil River en 2010. Un portrait en gros plan de Roky orne la pochette de True Love Cast Out All Evil. Avec l’âge, Roky s’est assagi. Il va plus sur la mélodie, comme le montre cette merveille intitulée «Please Judge». C’est un plaidoyer d’une poignante beauté. Il nous refait le coup du cut hypno monté sur une phrase avec «John Lawman» - I sing my song/ Because I’m John Lawman - Seuls Lou Reed et Roky sont capables de tels prodiges. On retrouve ici cette fascinante facilité à pulser un hit. Avec «Goodbye Sweet Dreams», il retrouve son sens aigu du hit mélodique. Il s’agit là d’un album très poignant, très impliqué. En B, il tape un «Forever» qui flirte dangereusement avec la grandeur balladive, comme chez Mickey Newbury - Not for a little while/ Not for a day/ But forever/ One shows one the way - Fantastique «Think Of As One». Roky renoue avec l’inspiration.

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    Voici venu le moment d’entrer dans le monde des bootlegs. En ce qui concerne Roky, ils pullulent et certains valent le détour. En voici quatre, sélectionnés pour la qualité du son. Weird Tales date de 1982. Aslak accompagne Roky. Alors énorme ou pas énorme ? Énorme ! C’est un radio show de 1978. Bardé de son. Roky s’étrangle de froid dans «It’s A Cold Night For Alligators». Il chante «White Faces» à la bonne vieille exacerbée décervelée. Roky rocke son shit, tout est en place, l’univers, le son, Aslak, la légende, l’élan patriotique. Admirable ! Et tout explose avec «Bloody Hammer». Rokyky fleur de banlieue fout la pression et c’est bloody good. En B, il déclenche l’alerte rouge avec «Two-Headed Dog». C’est comme l’intro de «Born To Lose», on sait tout de suite qu’il s’agit d’un hit universel. Aslak et les autres bardent tout ça du son et du meilleur. Ils font bander le beat Texan. On retombe de sa chaise avec «Mine Mine Mind», ce big bad rock serti d’un refrain pop éclatant. Puis on tombe sous l’hypnose d’«I Walked With A Zombie», impossible d’y échapper, Roky dit qu’il a marché avec un zombie cette nuit, et on le croit sur parole. Oh mais ce n’est pas fini, car voilà «The Wind And Me», Aslak joue comme une bête, il fore sa voie dans le son comme une grosse termite. Et ça se termine avec «If You Have Ghosts». Sacré Roky, il joue dans l’infinie cohérence d’un rock éclatant de vie et de créativité. Chaque album de Roky Erickson est une leçon se savoir vivre.

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    Le voici avec The Explosives sur ce Live At Oyafestivalen paru 2007. On trouvait ces boots chez le Born Bad de la rue Keller. Belle photo de Roky sur la pochette, il s’est rasé la barbe et ressemble à un charcutier de la planète Mars. L’enregistrement est d’une qualité irréprochable et on se régale du son de la basse dès «Cold Night For Alligators». Ça boome bien dans l’air norvégien. La basse dévore aussi le «Don’t Shake Me Lucifer» qu’on croise plus loin. Belle version de «Bloody Hammer», bien pulsée des reins. Ces mecs ne font pas n’importe quoi. Ça pourrait sembler cousu de fil blanc comme neige, mais non, Roky veille toujours à secouer les colonnes du temple. Il aime le rock, ça se sent.

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    Autre boot chopé chez Born Bad, The Evil One Returns, qui propose un concert enregistré au Louxor à Cologne en 2010. On trouve en B une version de «John Lawman» déchirante de verdeur, criante de vérité. On sent qu’on atteint les limites du piratage. Roky propose aussi une version de «Roller Coaster». Un certain Jon Sanchez joue lead.

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    Voici enfin un boot russe de Roky Erickson & The Explosives : The Interpreter. San Francisco 2007. Joli son. Roky tape une version de «The Interpreter» somptueuse, le guitar slinger y multiplie les figures de style psyché. Roky enchaîne avec l’imparable «Bermuda» - That’s the way in Bermuda !

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    Inutile d’imaginer qu’on puisse faire l’impasse sur les tributes à Roky Erickson. Ils sont aussi indispensables à l’équilibre d’une cervelle psychédélique que le sont les albums du 13th Floor et le Alien stuff. Where The Pyramid Meets The Eye - A Tribute To Roky Erickson date de 1990 et ne propose pas moins de cinq coups de génie, ce qui semble logique vu la qualité des compos. La palme du coup de génie revient bien sûr à ZZ Top et à cette totémique reprise de «Reverberation». Il faut avoir écouté ça au moins une fois dans sa vie si on ne veut pas mourir idiot. Ils la saturent de reverb et transfigurent le beat texan, ils en font une version alarmante de solarisation. Billy Gibbons roule sa Reverberation dans sa farine de Texas Junk. Il n’existe rien de plus fidèle au monde que les vieilles barbes. Plus loin Doug Sahm & Sons tapent une version explosive de «You’re Gonna Miss Me». Doug sait. Il sait l’exploser. Sans doute a-t-on là la version de Miss Me la plus hargneuse jamais imaginée. Il n’y a décidément que des Texans pour aller jouer ça. Doug is the real deal. Encore des Texans, les Butthole Surfers, avec «Earthquake». On ne devrait jamais trop s’éloigner des ces Texas Gods of trash. Leur Earthquake est battu dans la matière de l’art. À part les Texans, personne ne s’autoriserait des arrêts en pleine course. On les voit même se faire rattraper par les solos. Sister Double Happiness propose un «Two Headed Dog» chanté au sommet d’un certain art. Il faut admirer la démarche. On a là un singer extraordinaire. Les Mary Chain font une autre mouture de «Reverberation» histoire de finir cette compile en beauté. Par contre, on voit les Primal Scream se vautrer avec une version electro de «Slip Inside This House». On voit aussi Bongwater rendre hommage à cette pop-song parfaite qu’est «You Don’t Love Me Yet», puis Julian Cope se vautrer avec «I Have Always Been Here Before» parce qu’il n’a pas de son et, égaux à eux-mêmes, les REM viennent frimer trois minutes avec «I Walked With A Zombie».

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    L’autre grand hommage collectif à Roky s’appelle Children Of The Night - What Music They Make. Ça date de 1997. On y croise les Nomads qui pulvérisent «Red Temple Prayer», qui est le sous-titre de «Two-Headed Dog». Les Nomads savent rocker Roky. Un groupe nommé Naked envoie «Roller Coaster» rouler au paradis du sonic trash. Ils délivrent là un excellent brouet de mad psychedelia. En fin d’A, un groupe nommé Shake Appeal tape dans «You’re Gonna Miss Me» et s’en tire avec les honneurs. Tous ces groupes se régalent, c’est évident. On trouve en B une belle giclée de sonic hell avec une version de «Don’t Shake Me Lucifer» troussée par Bates Motel. Power !

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    On trouve aussi dans le commerce deux films consacrés à Roky. Le premier est un docu signé Keven McAlester : You’re Gonna Miss Me, évoqué dans le Part Two mis en ligne la semaine dernière. L’autre film est un concert filmé de Roky Erickson & The Black Angels : Night Of The Vampire. Paru en 2010, ce film met très mal à l’aise. Les Black Angels offrent une version désespérément pauvre du 13th Floor. Une fille bat tout ce qu’elle peut en rebondissant sur son tabouret et un stupide barbu singe Tommy Hall en soufflant dans une fausse cruche, alors ça tourne au gag pathétique, ce qui bien sûr contredit l’essence même du phénomène qu’ont incarné les 13th Floor. Au milieu de cette absurdité, Roky chante du haut de sa voix, mais il doit forcément penser à ses anciens compagnons et à leur fulgurance à jamais perdue. Roky essaye désespérément de sauver «Roller Coaster» et «Reverberation», en vain, car le réalisateur utilise «Reverberation» pour le générique de fin. Insupportable.

    Signé : Cazengler, Riquiqui Erickson

    Roky Erickson & The Aliens. CBS 1980 (= The Evil One)

    Roky Erickson. Clear Night For Love. New Rose Records 1985

    Roky Erickson. Don’t Slander Me. Pink Dust 1986

    Roky Erickson. Gremlins Have Pictures. Pink Dust 1986

    Roky Erickson & The Explosives. Casting The Runes. 5 Hours Back 1987

    Roky Erickson. The Holiday Inn Tapes. Fan Club 1987

    Roky Erickson. Live At The Ritz 1987. Fan Club 1988

    Roky Erickson. Reverend Of Karmic Youth. Skyclad Records 1990

    Roky Erickson & The Nervebreakers. Live In Dallas 1979. Fan Club 1992

    Roky Erickson & The Resurrectionists. Beauty & The Beast. Sympathy For The Record Ind 1993

    Roky Erickson. Demon Angel. A Day And Night With Roky Erickson. Texas Records 1994

    Roky Erickson. All That May Do My Rhyme. Trance Syndicate Records 1995

    Roky Erickson & Evil Hook Wildlife ET. Sympathy For The Record Industry 1995

    Roky Erickson. Never Say Goodbye. Emperor Jones 1999

    Roky Erickson & The Aliens. Don’t Knock The Rock. Norton Records 2004

    Roky Erickson & The Explosives. Halloween. SteadyBoy Records 2007

    Roky Erickson & Okkervil River. True Love Cast Out All Evil. Chemikal Underground 2010

    Rocky & The Aliens. Weird Tales. Not On Label 1982

    Roky Erickson & The Explosives. Live At Oyafestivalen. Not On Label 2007

    Roky Erickson. The Evil One Returns. Not On Label 2007

    Roky Erickson & The Explosives. The interpreter. San Francisco 2007. Cheburashka Electric Records 2007

    Where The Pyramid Meets The Eye. A Tribute To Roky Erickson. Sire Records 1990

    Children Of The Night - What Music They Make. El Sound 1997

    Roky Erickson & The Black Angels. Night Of The Vampire. DVD 2010

    THE SPRITES ON 85 's

    GENE VINCENT IN MIND

    ( Crazy Cat Records / AL CD / 1985 )

    Les Sprites restent un groupe mythique du rock'n'roll français. Section Rockabilly. Les premiers à leur époque à avoir atteint l'international upper-class. Pas de chance pour eux : ils étaient malheureusement français, autant dire que les compagnies de disques ne se précipitèrent pas pour les enregistrer. Faute de perspectives le groupe se sépara. Les kr'tntreaders connaissent au moins les deux premiers membres de l'équipage déjà croisés en concerts : Red Dennis à la batterie – nous l'avons chroniqué en concerts à plusieurs reprises et espérons le refaire fin juin à Lusigny-sur-Barse avec Al Willis dans la Rock'n'roll Party II organisée par Billy – Pascal Guimbard à la lead que l'on retrouvera plus tard dans les Capitol's, Phillipe Servente au chant, François Gadotti à la double-bass, et Lionel Decaix à la rythmique.

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    Les Sprites n'ont même pas eu la chance d'enregistrer un disque. Ont seulement gravé Share of love et White Lighting sur une compilation vinyle de onze titres intitulée Big Noise Northwood sortie en Angleterre en 1983 et au Japon sous forme de CD en l'an 2000. En 1991 in the UK est également sorti B-i-bichey-bi-bo-bo-go sur la compil de vingt titres The Northwood Story disponible sous forme de CD et vinyle.

    Il existe quelques vidéos des The Sprites sur You Tube, il faut insister car elles sont ''mangées'' par un duo toulousain du même nom. Le mieux est de se procurer le Cd ci-dessous chroniqué, ce bel artefact qui ne court pas les rues, parvenues par les routes de l'amitié jusque dans mes mains.

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    STUDIO TRACKS

    Warm love : reprise des frères Burnette en ouverture, à l'identique, mais avec les burnes en plus, certes la batterie un peu trop devant, mais ils évitent le côté chansonnette du refrain qui parfume désagréablement l'original sorti sur Imperial en 1958, et surtout ce solo de guitare qui déchire, directement inspiré des Blue Caps de Cliff Gallup. Une belle mise en appétit. Well, I knocked bim bam : tant qu'à s'inspirer autant puiser directement sur l'original. Phil adopte d'instinct – il a dû beaucoup travailler tout de même - cette voix creuse si particulière que savait prendre Gene dans ses morceaux les plus flippés. D'ailleurs est-ce un hasard si Bobbie Carroll est aussi l'auteur de I flipped. Bim-bam, il faut que ça cogne, mais pas question de placer les horions sur le pif au pif. Red Dennis ne balance pas à tout berzingue dans le désordre, use de la méthodicité perverse des pros qui ne laissent rien passer. A peine la guitare a-t-elle repris son souffle qu'il vous pose une bûche sur le coin du museau qui vous ratiboise les ratiches et vous envoie au tapis. Love me : ne se gênent pas les farfadets, sur l'original de Buddy Holly, il y avait Sonny Curtis à la lead et Grady Martin à l'acoustique, ne respectent vraiment rien, Buddy fait souvent dans la douceur, alors Phil il est nettement plus viril lorsqu'il demande sa ration d'amour. Pour le background, tapent dans les Casquettes Bleues, et ça s'entend sévère.

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    ( Photo : Stéphane Baudon )

    I'm ready : en France dès qu'on prononce le nom de Buddy Holly, l'on y associe aussitôt celui d'Eddie Cochran - la faute d'Eddy Mitchell et son adaptation du Saint James Infirmary blues – n'ont pas choisi un des titres locomotives d'Eddie, mais ont puisé dans le répertoire des Cochran Brothers, vous le re-badigeonnent au jaune gentillet sable doré des plages insouciantes des prime-sixties, oui mais ils se dépêchent d'y adjoindre un peu de speed étincelant, ces fêlés de Sprites vous leur filez un vase Ming ils vous le transforment en vase Bing ! Bi-bichey-bi-bo-bo-go : l'on sentait que l'énervement les gagnait, alors ce coup-ci c'est le grand défouloir, le gueuloir flaubertien à la puissance 10, ça saute partout et façon rodéo le cheval fou qui s'engouffre dans l'armurerie des grenades explosives. Pour la petite histoire Jack Rhodes est aussi le compositeur de Woman love un des titres les vicieusement sexuel du rock'n'roll , de Red blue jeans and a pony tail et de Crazy Beat, tiercé gagnant. Sunny sides of the streets : ne faudrait tout de même pas les prendre pour de sombres brutes, voici le slow de l'été, avec une guitare trop anguleuse pour être honnête. Cette chansonnette tout le monde l'a chantée de Frank Sinatra à Johnny Cash, si je me souviens bien Kenny Rogers aussi, qui vient de passer du côté sombre de la rue, en tout cas, les Sprites nous la font step by step à la Gégène. Flat foot blues : encore un classique, z'ont marqué arrangement Sprites, certes l'ont modélisé à la Gene Vincent avec batterie fracassante, hurlements et guitares cisaillantes.

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    ( Photo : Stéphane Baudon )

    Share of love : ressemble un peu à un parcours de santé tel que les municipalités en installent un peu partout dans les allées pédestres. Tout y est, de l'occupation pour tout le monde. Mais l'ensemble des mouvements effectués est un peu attendu. White lightnin' : tous les rockers ont dans leur tête la version historiale malheureusement écourtée d'Eddie Cochran et de Gene Vincent, les Sprites proposent un modèle plus country-cow de ce classique du Big Bopper. Le venin du crotale plus les bottes qui dansent dans le feu de camp. Long blond hair : selon Howard Hawks les hommes préfèrent les blondes, Johnny Powers ne résiste pas à leurs charmes, une reprise soyeuse comme une chevelure qui coule entre vos mains, attention à la morsure du serpent. Un morceau qui n'a l'air de rien, en qui résident peut-être la pure essence et l'épure infrangible du rockabilly, les Sprites nous en offrent une version magistrale. Hold me, hug me, rock me : un petit dernier de Gene Vincent pour clore la série, le coup de l'étrier, nécessaire et vital car ça galope dans tous les sens, se débrouillent pour donner leur meilleur. Et ça s'entend, une étoile de shérif pour Phil et sa voix vénéneuse.

    LIVE IN FRANCE

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    ( Photo : Jean-Bernard Rivière )

    Cruisin' : en public, vous avez Red Dennis qui bat le rappel et la guitare qui tricote, un des des plus beaux titres de Gene, ça crie dans les coins, la prise de son n'est pas parfaite mais personne ne s'en plaindrait. I'm ready : et l'on enchaîne sur Cochran, certes on a l'impression que la cassette ne peut saisir que deux instruments à la fois, mais l'essentiel est sauvé, le bateau flotte et arrive à bon port. Long blond hair : toujours une sacrée joie de réécouter Johnny Powers et les Sprites car nos lutins font des merveilles. Ces mecs sont habités. Je n'y étais pas mais je connais des gars qui trente-cinq ans après s'en souviennent. Teenage partner : elle a seulement dix-sept ans mais elle a foutu une sacré fièvre chaude aux Sprites, ça marchotte tout doux au début, un petit trottinement sympathique et puis c'est parti pour des déchirures et des coups de guitares qui vous crèvent les yeux, très beau travail de Gado à la contrebasse. Pretty pretty pearly : sont joliment prêts pour la perle vincenale une reprise de Terry Dene, un des meilleurs rockers anglais de la première heure qui en 1974 sortit l'album au plus beau titre sombrement crépusculaire que je connaisse I thought Terry Dene was dead... Superbe voix de Phil qui semble emportée comme un fétu de paille dans un tourbillon meurtrier. Z'avez le hors-bord de la guitare qui arrive en trombe pour le sauver et tous les autres en chœur qui l'encouragent à tenir bon. Inutile il nage comme un marsouin. Warm love : une version qui louche davantage du côté Trio que des Brothers. Un gros problème, trop courte. The cat is back at town : un chat noir qui bondit toutes griffes dehors. Sûr que les souris ne dansent pas. Le morceau n'est pas long mais quand il s'arrête vous êtes couvert de sang.

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    Flat foot blues : une espèce de jazz-doo-wop qui déraille totalement dans les outrances blue-capsiennes. Trente ans de musique américaine synthétisés en moins de trois minutes. Share of love : une compo, qui ne dépare pas dans l'ensemble, une guitare moins pointue qui polit les angles, mais nos garnements n'échappent pas à une lourde hérédité. Quoi qu'ils fassent, même quand ils essaient de se tenir correctement, l'on ne sait pourquoi, la situation dégénère. Cat man : ne s'attaquent pas à plus faible qu'eux, une batterie qui adopte la démarche du tigre qui se tapit dans les broussailles avant de bondir, des cordes mortelles surmontées d'angoisse et une voix apnéique chargée de menace qui déchire les chairs innocentes. On eût aimé qu'ils nous rejouent la scène plusieurs fois, mais non, ce soir ce ne sont pas des tueurs en série, on le regrette. Well, I knocked bim bam : délibérément plus méchante et rentre-dedans que la version studio. Cette fois c'est Gado qui porte les coups mortels à la contrebasse, vous écoutez quatre fois à la suite uniquement pour gouter ses uppercuts. Vous êtes OK pour le KO. Maso-rock ! White lightnin' : le son n'est pas au mieux mais l'enthousiasme des Sprites est plus que communicatif. Un beau chantilly de guitare en prime. Plus électrique qu'en studio. On s'en ressert vite une grande rasade. Race with the devil : un petit tour en voiture, c'est le diable qui conduit, autant dire que ça secoue seulement, les filles en perdent leurs épingles à cheveux dans les virages spiralés, si vous préférez les chocs ouatés et sans danger des auto-tamponneuses, ce cut n'est pas pour vous. Mama don't allow : une reprise d'Arthur Big Boy Crudup, vraiment up, le blues bouffé aux mites par le rock'n'roll, Elvis quand il avait repris le That's all right Mama au même Big Boy, il s'était comporté en garçon respectueux, lui avait refilé une nouvelle jeunesse, les Sprites s'y jettent dessus et vous le démantibulent de toutes leurs mandibules. Ne respectent rien. C'est parfait. C'est moi qui le dis, un célèbre général se serait écrié : non à la chienlit !                                     ( Photos précédente et suivante : Stéphane Baudon ) 

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    I can't love you no more : une compo, méfiez-vous du titre, à le lire vous avez envie de larmoyer sur l'épaule d'une gerce, erreur fatidique, ce n'est pas un slow, juste le contraire un TGV explosif dans lequel ils ont collectionné tous les plans dynamite à la Gene Vincent. Bi-bickey-bi-bo-bo-go : d'ailleurs ils enchaînent les terribles onomatopées – quand je les ai lues la première fois de ma vie sur une pochette de Gene j'ai compris que ce n'était pas de la plaisanterie – les Sprites aussi, vu la version à l'emporte-pièce qu'ils en donnent. Par contre ils ne respectent pas sur la pochette la séparation entre le B et le I : il faut bien leur trouver un petit défaut. Big Sandy : elle est aussi grosse que cette grande maigre de Sally, et tout aussi sauvage qu'un rhinocéros que vous venez réveiller dans sa sieste. Son embonpoint lui vaut un bon point pour sa pointe de vitesse. Pink thunderbird : un morceau de Paul Peek, un clapper boy émérite des Blue Caps, autant dire que ça filoche sur la corniche lorsque le chien sort de sa niche et que les Sprites vous écraseront même si vous passez prudemment sur le passage clouté. Pas grave votre sang séché sur la carrosserie aura la couleur de la Thundebird. Au moins pour une fois vous aurez servi à quelque chose dans votre vie.

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    Sûr que les Sprites avaient intégré Gene Vincent and his fabulous and gallupin' Blue Caps dans leur maudite caboche. Avaient appris leur leçon par cœur et sur les bouts de l'âme. Mais savaient la décliner parfaitement. Ne répétaient pas comme des perroquets sur leur perchoir. Zétaient à l'aise sur le trapèze volant. Z'insufflaient tout l'enthousiasme de leur jeunesse dans le package. Ecoutez les Sprites c'est comprendre comment et pourquoi les rockers français furent traumatisés par Gene Vincent. Il est temps de ressortir vos mouchoirs et de maudire les destins qui ne leur ont pas permis de produire au minimum un album. Ce ne fut pas de leur faute, les Dieux étaient jaloux.

    Damie Chad.

    ( Photos : via FB : Red Dennis )

    SAINT JAMES INFIRMARY

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    La première fois que j'ai visionné – cela fait longtemps – Saint James Infirmary  sur You Tube, je suis tombé sur la magnifique version de Bobby Blue Band, mais à tout seigneur tout honneur, puisque c'est Louis Armstrong qui lui a donné ses lettres de noblesse en 1928, je n'ai pas manqué d'écouter. La voix, les cuivres, l'on atteint à la beauté absolue. Au bout de quelques instants YT m'en a offert une version avec transcription des lyrics. Vous connaissez ces amerloques, z'ont une fautive manière de bouffer les mots qui ne correspond en rien, en notre douce France, à la si parfaite prononciation des professeurs d'anglais de notre adolescence, qui eux savaient rester compréhensibles... Avais-je tout bien compris, autant vérifier.

    L'annonce était incomplète, oui il y avait les lyrics qui s'affichaient discrètement, mais ils n'étaient pas seuls, la vidéo offrait un supplément, tout un lot d'images grises et mouvantes. Des extraits muets de films, qui collaient merveilleusement bien au texte. Il me souvient d'avoir lu que la scène de l'enterrement était celle des obsèques de Rudolph Valentino, je ne peux pas le certifier. Je ne suis ni un cinéphile aguerri ni un fan inconditionnel de ce beau Rudolph pour qui ( la légende raconte que ) quelques jolies femmes ont été jusqu'à se suicider sur sa tombe. Geste absolutoire autant qu'abolitoire qui mêle l'effusion sentimentale à cette notion d'amour suprême chère à John Coltrane et à Villiers de l'Isle Adam qui n'est pas sans rapport avec la suite du montage.

    J'ai essayé ces derniers temps de retrouver ce document, en vain, j'ai insisté, le serveur ne m'a offert qu'une version espagnole qui devait être un repiquage de repiquage de repiquage, bref des images floues. Mais ce n'est pas tout, apparemment les espagnols ne connaissent pas les sous-titres, par contre ils sont les rois du sur-titrage. C'est leur côté aficionado de los toros qui ressort, vous agitent de grosses lettre rouges como una muleta sous les narines del bicho qui occupent si largement l'écran que vous essayez d'entrevoir ce qui se passe dans lalorgnette d'un O où sous les jupes des M, voire au-dessus de la jambe du Q. Mais l'on n'est pas là pour dire du mal de los habitantes de tras los montes mais pour évoquer Saint James Infirmary.

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    Vous connaissez la triste histoire. Un gars qui va voir sa petite amie morte à l'hôpital. De quoi vous déchirer le cœur. A sa place vous pleureriez comme une madeleine. Que dis-je comme un sachet de trois kilos de ces gâteries proustiennes. Mais vous savez, il est des gens, vous leur montrez le cadavre d'un être cher et au lieu de pleurer le malheureux défunt ils tournent leurs gros chagrin vers leur petite personne et s'apitoient sur eux-mêmes. Ramènent tout à eux. Le héros de cette tragédie en est un parfait exemple. Elle peut aller n'importe où dans l'outre-monde, jamais elle ne trouvera un mec aussi bien que moi affirme-t-il. Mais le guy n'est peut-être pas aussi mauvais que l'on pourrait le croire. Doit avoir des idées noires, pense à sa mort, demande à ce qu'on l'enterre dans un beau costume et que l'on rajoute une pièce en or de vingt dollars à sa chaîne de montre, afin que tout le monde sache qu'il n'est pas mort sans le sou ou dans la misère. Et puis Satchmo vous refile une fanfare funèbre à vous hérisser la moelle épinière, et ça se termine par une sonnerie aux morts aussi brève qu'un basculement de cercueil dans la fosse.

    Dans la version filmée ils n'y vont pas de main morte pour la mise en images interprétatives, ils rajoutent sur la longue introduction musicale une scène qui n'est pas mentionnée dans les paroles, un gars effondré dans un bar à qui l'on demande ce qui ne va pas et qui raconte qu'il est allé voir sa petite amie morte à l'hôpital...I went down to...et pendant qu'il sanglote sur sa chérie l'on voit le fantôme de celle-ci qui quitte son corps et erre dans les rues, elle porte à son cou le double pendentif des portraits miniatures des deux amoureux qui communiquent entre eux. Retour dans le bar, le boy avale un dernier verre et s'écroule mort. Enterrement de première classe, mais alors que le cercueil est porté dans l'église, le couple fantôme se retrouve et s'enlace pour une dernière valse... Save the last dance for me ! le clip se termine sur deux tombes rapprochées. Unis dans la vie, réunis dans la mort, l'on dirait du Tristan et Iseult.

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    Emouvant, mais c'est ce qui s'appelle colmater les interstices. C'est un vieux blues, et l'on sait que les paroles de ces antiques morceaux ne sont pas fixes, selon que vous vouliez rallonger ou raccourcir une prestation live, vous rajoutiez ou supprimiez des couplets. Yes, my son, mais ce n'est pas vraiment un vieux blues, c'est une vieillerie encore plus ancienne. Elle appartient au folklore traditionnel américain. Toutefois c'est un amateur de jazz qui en a fourni le texte '' officiel '' chanté par Louis Armstrong. Blues, folk, jazz, l'on sent la foire d'empoigne. Quoi qu'il en soit le jazz marque un point, et pas par un troisième couteau de la deuxième arrière-cuisine, Irving Mills. Bien connu des amateurs de jazz, l'a monté son propre Big Band avec entre autres Tommy et Jimmy Dorsey, Lionnel Hampton, Eddie Lang et quelques autres du même tonneau. Mais il n'a pas eu que cette corde à son arc, parce que voyez-vous l'ar(t)gent c'est encore mieux, avec son frère Jack, l'a monté une maison d'édition, ce qui nous explique pourquoi en passant, abondance de biens ne nuit pas, il s'est dépêché de prendre quelques droits sur le Saint-James, juste pour l'argent de poche, parce que l'Irving, il avait de l'oreille et du goût, l'a repéré Duke Ellington, s'est dépêché de le cornaquer et l'a aidé ( hum-hum ) à composer quelques morceaux, par exemple Caravan pour qui vous aboyez et frétillez ( je n'ose pas dire de la queue parce que les lectrices pourraient se vexer d'être privées de cet appendice naturel ) de plaisir quand vous l'entendez. Bref avec une dizaine de titres Jack et son frère sont devenus millionnaires. Pourtant Irving n'était pas très fort en math, sont trois à signer Caravan mais il s'est trompé dans la division, cette lamentable erreur lui a permis de toucher 50 % des droits. Comme quoi, il avait les idées larges. L'a été le premier à enregistrer sur un même disque des musiciens noirs et blancs. L'a aussi inventé le concept de jazz-group exclusivement féminin. Un petit truc en plus sur Irving, utilisait aussi quelques pseudonymes, Good Goodwin qui pour nous est une fausse piste et celui de Joe Primrose qui nous intéresse davantage. D'ailleurs parfois Saint James Infirmary  est signé : Joe Primrose. Mais les paroles ne sont pas identiques.

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    Mais retournons au blues. C'est Blind Willie Mctell né à la fin du siècle précédent mourut en 1959, en 1961 parut Last Session disque qui regroupe treize titres, le deuxième de la face A, enregistré en 1940, The Dying Crapshooters blues, l'est sûr qu'il peut avoir le blues Jesse , sa petite amie l'a quitté, pour un vieux plein aux as ( de cœur ), n'est pas tendre notre crapshooter a vite fait de régler ses comptes en lui refilant un as de pique ( en plein cœur ), l'a à peine trucidé son rival qu'une malencontreuse patrouille de police ( tout le monde la déteste ) survient, les flics l'abattent... tandis qu'il agonise il dicte ses dernières volontés, pas d'héritage, mais que les lanceurs de dés pipés qui furent ses amis, lui préparent un enterrement royal, une carte à jouer sur le cercueil et les plus belles filles des bordels en nombre, et que l'on danse le charleston... fait même preuve d'humour noir puisqu'il désire aussi la présence du shérif et du juge qui l'a maintes fois condamné... L'on reconnaît une situation similaire à celle de Saint James Infirmary ... Bref la triste vie d'un joueur. Retenez bien ce dernier mot.

    Il existe d'autres versions du Saint James Infirmary, beaucoup plus longues. Parfois l'on rajoute une strophe de quatre vers juste après le début, le gars vient de trouver sa baby en mauvais état, mais pas encore morte, alors il file se renseigner à l'étage auprès du toubib, mais quand tous deux reviennent près de la malade, elle vient de mourir... C'est alors qu'il décrète qu'il faut la laisser aller où elle veut, jamais elle ne trouvera dans l'autre monde un gars aussi merveilleux que lui.

    Ce petit couplet n'apporte pas grand-chose, peut-être le signe que l'histoire originelle est plus longue que la version d'Irving Mills pour Armstrong. En effet il en existe une autre version parfois nommée The gambler's blues. ( Souvenons-nous que Gambler signifie : joueur. ). C'est le même texte, mais avec un début et une fin. Un premier Narrateur qui raconte qu'il descend ( I went down ) au bar du vieux Joe, c'est l'heure de l'apéro mais son copain Joe McKennedy tire une drôle de trombine et ses yeux sont bien rouges. Ne se fait pas prier pour raconter son histoire, vous la connaissez, I went down to Saint James Infirmary... invite en plus un lot de jolies filles et un orchestre de jazz à son enterrement. Mais le Joe Kennedy est encore vivant, tournée générale et ne vous étonnez pas toutefois s'il a le gambler's blues ! Blues des joueurs. Chez certains interprètes il a chopé le Saint James Infirmary Blues. Dans ces cas-là le titre est attribué à Irving Mills. J'ai cru comprendre mais je ne saurais affirmer que Irving Mills en avait rédigé une version brève et une plus étendue, de toutes les manières l'on ne crédite que les riches.

    Reste une chose turlupinante. Que vous preniez le texte le plus long ou le plus court, il est un peu duraille pour la gent féminine, ( avec un peu de chance une pétition d'enragées interdira la diffusion de ce scandaleux morceau entaché d'idéologie ultra-machiste ), en grossissant un peu on résume ainsi : zut elle est clamsée, moi quand je mourrai je vous promets une fête d'enfer ! En France je ne vois que l'Alleluia de Jean Ferrat qui traite des fins dernières avec cet humour sardonique.

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    L'on a parlé Jazz, l'on a causé Blues, reste le Folk. Direction les Appalaches ( on ne lâche pas l'affaire ), en 1918 une chanson titrée St James Hospital débute par : As I went down by St James Hospital, one morning... mais là ce n'est pas un amoureux qui trouve sa petite amie hors-circuit, mais un père face au cadavre de son fils... ce serait une diversification d'une chanson de cowboy, The Dying Cowboy qui sur son lit de mort implore ses camarades de ne pas l'enfouir dans la prairie où hurlent les coyotes ( un truc qui fout les chocottes )... le morceau a été collecté par Cisco Houston qui fit partie des Almanacs Singers avec Pete Seeger et Woody Guthrie. Nous ne sommes pas loin de Dylan qui écrivit une chanson hommagiale à Blind Willie McTell...

    Remarque particulièrement sexiste : dans ces deux chansons, ce sont de jeunes garçons qui meurent... Autre piste, comme par hasard il existe encore de nos jours un St James Hospital à Dublin. En Irlande. Lorsque l'on connaît l'apport musical des Irlandais au folklore appalachien, on a tôt fait de traverser l'océan. L'existait aussi à Londres un Lock Hospital ( spécialisé dans les maladies vénériennes ) qui est mentionné dans une chanson dans laquelle un jeune gars, The unfortunate lad, est atteint de syphilis. Quand on grattouille, on chope la chtouille. Il a la trouille, il est sur le point de mourir, pas très stoïque, il se plaint, et rejette la faute sur une jeune prostituée qui ne l'a pas averti de sa maladie. Nous sommes aux alentours des 1770, cela se sent, le garçon reconnaît qu'il aurait dû écouter son papa et sa maman qui lui recommandaient de ne pas fréquenter les filles de mauvaise vie. Mon fils tu périras par où tu as péché. Mais cette chanson est une reprise d'un poème The Buck's Elegy ( L'élégie du mâle ) qui débute par : As I was walking down from Covent Garden, le narrateur rencontre un soldat mal en point qui demande que lors de ses obsèques, ses camarades déposent des roses sur son cercueil, qu'ils fassent résonner leur tambour, et qu'ils tirent des coups de fusil en son honneur... Ces deux derniers morceaux sont très proches de The Unfortunate Rake ( L'infortuné débauché ) : As I was walking down by the lock... traditionnel irlandais...

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    Les musicologues attirent notre attention : Saint James Infirmary Blues n'est pas un blues mais une ballade. Sa structuration musicale dénote une origine européenne. Laissons les spécialistes s'étriper sur le sujet. Ce qui est remarquable c'est la logique de la filiation et de la passation de cette chanson. Si très vite l'on se détourne de la jeune morte, c'est parce que l'imagination a été happée par les plaintes du jeune mourant. Dans le trad irlandais l'on ne s'attarde guère sur la fille, elle est la cause maléfique, cela pue la moraline chrétienne à plein nez, mais le morceau traite des tristes conséquences. A tel point que chez les cowboys on a évacué la maudite garce, mais dans le blues, l'on n'aime bien les filles surtout si elle sont ardentes. Le sexe, l'alcool, le jeu, le fric, la flambe, voilà la belle vie. Si vous avez mieux à proposer, passez vite un coup de fil. Certes parfois ce choix de vie peut vous refiler le blues, mais uniquement quand le flacon est vide.

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    Une ultime notule : la première attestation de la présence de la ballade venue de la perfide Albion aux Etats-Unis remonte à 1840. C'est en ces années que Edgar Poe travaille sur Le Corbeau. Quel en est le sujet : une jeune fille morte que le poëte ne peut oublier. Toutefois l'apparition du vil volatile n'incite pas à la joie. Le poëte n'en profite pas du tout pour veiller à l'ordonnance de ses obsèques, mais il reste dans son fauteuil anéanti dans son chagrin pour au moins l'éternité. Dans son dernier poème Annabel Lee publié en 1849, le poëte reprend la même thématique de la jeune fille disparue, là non plus il ne commandite pas les préparatifs de son enterrement, il n'en a pas besoin, ne passe-t-il pas toutes ses nuits à ses côtés '' sa tombe près de la bruyante mer''. Cette inter-sectionnelle similitude entre culture populaire et connaissance savante ouvre un abîme de réflexion quant à l'interaction d'une espèce de conscientisation collective inter-subjective, telle que le philosophe Husserl l'a initiée en ses derniers écrits. Pour moi j'ai toujours pensé que le rock'n'roll n'est qu'un surgeon du romantisme européen.

    Damie Chad.

     

    ROCK'N'ROLL DANCE

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    C'est Tony Marlow qui a mis cette vingtaine de minutes de Reportage France 3 Rock'n'roll sur son FB. Si vous avez de bons yeux peut-être parviendrez-vous à l'apercevoir derrière les danseurs. Lui ou quelques uns des membres du Tony Marlow Blue Five, Frank Guetatra est au sax, Jean-Marc Bouchet à une même embouchure, Dominique '' Zen'' Gimonet à la contrebasse, et Stéphane Moufflier à la batterie. Interprètent le vieux standard de Moustache, J'ai jeté ma clef dans un tonneau de goudron, en totale relation avec les heures glorieuses du lieu : le Caveau de la Huchette. Le Blue Five de Tony Marlow a sorti un single Mademoiselle Voulez-vous danser / Blue Five Boogie en 1991, vous retrouvez le titre de la face A sur la compilation de Tony : 40 ans de Rock'n'roll 1978 – 2018, qui se doit d'être dans votre discothèque.

    Mais le Marlow, il ne fait pas le marlou trop longtemps, deux minutes, en arrière-fond, ce n'est pas lui le héros de la pellicule. C'est Guilaine ( je ne sais si je respecte l'orthographe du prénom ) et Jean-Claude partenaire et mari de la belle. Les deux en vedette, mais surtout Elle en voix off. Une accro de rock'n'roll, comme moi plastronnerez-vous chers kr'tnt-readers, pas du tout, Guilaine est accro à l'acro. C'est ainsi, l'acro la branche. Quand vous la voyez longer le long de son quai de gare, vous ne pouvez imaginez que dans les images qui suivent, elle va s'envoler. Son péché mignon qu'elle partage avec Jean Claude c'est le rock acrobatique. Rien à voir avec le lindy hop pantouflard des familles du samedi soir.

    hanni el khatib,roky erickson + friends,the sprites,saint-james infirmary,rock'n'dance

    Musicalement le rock acrobatique, ce n'est pas toujours le pied, dans l'extrait ça va du pire au meilleur, des Forbans à Elvis... sportivement c'est un superbe challenge. Faut avoir les amygdales bien accrochées pour s'en aller virevolter à quatre mètres de hauteur, réaliser un double salto arrière et enchaîner sur un rythme endiablé vrilles et saltos-avant comme si de rien n'était. La tête en piqué vers le sol à la vitesse d'un Spitfire. Moins dangereux pour le cavalier qui reste à terre mais perso le poids de la responsabilité de la réception ratée me paralyserait... Davantage un sport que du rock proprement dit - ce sont souvent des gymnastes qui se lancent dans cette discipline - les résultats de ces performances attribuées par des juges m'ont toujours paru à caution. Mais pour notre couple, ce n'est pas le plus important. Se définissent avant tout comme des fanas de rock.

    J'aurais tendance à classer le rock acrobatique dans les arts du cirque, les paillettes, le bruit, les émotions, la foule... mais le rock lui-même m'est toujours apparu comme excroissance de cet art populaire et profondément élitiste et performant qu'est le cirque. Une tribu un peu à part. Lorsque Guilaine parle de ses sensations, de la griserie des applaudissements, des cris et des injonctions, l'on ressent la fièvre et la passion, le plaisir de se transcender, de se regarder dans le miroir des autres que l'on a allumé de désirs, une espèce de narcissisme provoqué que l'on partage pour mieux s'abîmer en sa propre image. Être soi en l'étant selon tous. Une étoile qui brille et s'éteint. Un moment de beauté ou de joie dans le monde. Et puis l'éclipse, qui n'est que l'absence de ce qui a eu lieu. A thing of beauty is a joy for ever a dit Keats.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 458 : KR'TNT ! 458 : KELLY FINNIGAN / 13 TH FLOOR ELEVATORS / BOBBY VEE / TENDRESSE DECHIRANTE / MANUEL MARTINEZ

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 458

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    02 / 04 / 2020

     

    KELLY FINNIGAN / 13 TH FLOOR ELEVATOR

    BOBBY VEE / TENDRESSE DECHIRANTE

    MANUEL MARTINEZ

    Finnigan’s wake

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    Pas de méprise : Kelly Finnigan ne sort pas d’un roman de Joyce. Il sort d’un univers aussi riche que celui de Joyce qu’on appelle la Soul blanche. Quand on lui demande qui sont ses Soul Brothers préférés, il prend un air extraordinairement déconfit :

    — Oooh, there’s too many...

    Il y en a trop... C’est vrai, il ne faut pas être bien malin pour lui poser une question pareille. Puis avec un sourire chargé de compassion, il commence à égrener les noms magiques :

    — I’ll say... O.V. Wright, Marvin Gaye... and Al Green...

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    Eh oui, il suffit de le voir chanter «Catch Me I’m Falling» sur scène pour comprendre que cet Américain de San Francisco n’écoute que des bons disques. Du trié sur le volet. Aw catch me ! C’est certainement le cut le plus émouvant d’un set d’une rare densité. Il chante ça au cœur de babe de sucre de Soul blanche. Il va chercher les accents les plus déterminants de la Soul. Il les réinvente et ça devient littéralement énorme. À part Todd Rundgren, aucun blanc ne chante la Soul aussi bien. Kelly is the king. Il travaille au sommet de l’art. Par moments, il sonnerait presque comme Esther Phillips. Il chante dans l’éternité de l’instant. Même chose avec «Since I Don’t Have You Anymore». Il chante au sucre suprême et génère une excroissance de véracité à la surface du mythe.

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    C’est un coup de génie fluctuant franchement digne des géants de la petite glotte. Son Since I est dément de feeling. Assis derrière son Korg, il chante au micheton maximaliste, il palpe la pulpe de la Soul avec ce sourire de compassion qui ferait presque de lui un saint, il fêle sa Soul et la swingue de ses mains de cordonnier, comme dirait Léo Ferré. Il nous entraîne dans des registres inconnus et rejoint par la magnificence de sa mélodie chant les firmaments jadis atteints par Jonathan Donahue avec Mercury Rev. On parle ici d’une magie fertile, d’un monde aveuglant de beauté mirifique.

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    Sur scène, Kelly Finnigan est bien accompagné : une solide section de cuivres (trompette et sax), une section rythmique rompue à tous les combats, si tant est qu’on puisse parler de combat, un guitariste vibrillonnant de Soul et deux petites choristes investies d’une mission sacrée qui est de doo-wopper en permanence cet infernal Soul System. Kelly Finnigan chante assis et joue de l’orgue comme son père, le légendaire Mike Finnigan. Encore une fois, on se dit qu’on a beaucoup de chance de pouvoir assister à un tel spectacle.

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    Avec «I Don’t Wanna Wait», Kelly Finnigan se prend pour Percy Sledge. Il ne veut pas attendre pour vivre son amour et il halète. Il veut en découdre avec les rigueurs de la Soul et s’en donne les moyens. S’il prête le flanc, c’est en parfaite connaissance de cause. Il y a du Saint-Sebastien en lui, son visage exprime à merveille l’infinie douleur de la Soul. Il communique énormément avec le public et annonce une chanson sur les simple pleasures, c’est-à-dire les petits plaisirs : «Smoking And Drinking» - It’s so hard to fly away from the good things - Les chœurs de rêve tombent du ciel. Les deux choristes sont rigolotes et très frétillantes. Il revient aux sentiments avec «I’ll Never Love Again», nouvelle pièce de hot Soul de rêve, bien travaillée au corps. Quand sa Soul veut se barrer, il la retient par la manche. Ce mec provoque de l’émotion en permanence. On ne peut plus le quitter des yeux. Même quand il se lance dans le heavy rumble de hot raw, comme par exemple avec «I Called You Back», il est excellent. Dans le public, toutes les gonzesses dansent. Il réussit à faire du Tamla, c’est quand même extraordinaire, non ? Quand il s’agit de driver la Soul à train d’enfer, on peut vraiment compter sur lui. Non seulement Kelly Finnigan est un Saint, mais il est aussi un mec extrêmement fiable.

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    Il va chercher la Soul au cœur de l’intrinsèque, comme on le voit avec «Can’t Let Him Down». Il chante à la pointe du progrès de la glotte et commence à sérieusement transpirer. Il touille sa Soul en profondeur et bat bien des records d’intensité. Il s’érige en parfait white nigger et rejoint Marvin Gaye par ses sister/sister. Demented ! On le voit parfois fondre dans la Soul, mais ne vous inquiétez pas pour lui, c’est sa façon d’entrer en osmose avec son cosmos.

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    Kelly Finnigan ne tombe pas du ciel. Avant d’entamer sa carrière solo, il jouait dans des groupes de Soul blanche devenus légèrement cultes. Ceux qui vont faire l’effort de rapatrier les albums des Monophonics ne seront pas déçus.

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    Tiens, par exemple In Your Brain, paru en 2012 dans un joli boîtage arty. Kelly et ses amis y proposent une belle reprise de Sonny & Cher, «Bang Bang». Ah il faut le voir se frotter au Beng Beng, il le fait bien, il percute bien sa gâchette, beng ben, my baby shot me down ! Ils reprennent aussi le «Thinking Back» d’Ike Turner et le tapent à la big energy, à la grosse patate germée d’instro, ces mecs ont toute la vie devant eux. On peut même dire que l’avenir leur appartient. D’ailleurs, il proposent pas mal d’instros sur cet album, notamment le morceau titre, qui dispose de tous les atours du Black Power. Kelly Finnigan chante aussi un «There’s A Riot Going On» en hommage à Sly Stone. Il charge son funk comme une mule et le dote d’une présence vocale inexorable. Il chante aussi la Soul de «Sure Is Funky» à la bonne aventure et c’est avec «Deception» que tout devient évident. Il chante au pointu imprécatoire, il vise la puissance de la heavy Soul, il tartine à bras raccourcis, ce mec est un fervent défenseur de l’Ordre des Templiers de la Soul, il accroche à belles dents. Nouvelle secousse avec «All Together», où il duette avec Fanny Franklin. Cette gonzesse chauffe comme Merry Clayton dans «Gimme Shelter», c’est exactement le même genre de souffle, c’est violent, et même virevoltant, all together, et ça joue à la pire wah de Black Power. S’ensuit un «So You Love Me» où Kelly se concentre sur son groove, doux et serré, il est dessus, très balèze, il est parfait et même astronomique de power. On le sent considérablement investi. Il shoute sa Soul comme un vieux pro, il est à cran, tout le temps à cran. Et puis voilà «Foolish Love», un cut idéal pour un shouter comme Kelly. Il descend dans l’arène comme s’il était dans l’«I’m Losing You» des Tempts, c’est le même genre de combat de titans, il en fait 8 minutes, mais c’est assez facile à digérer. Kelly ne le lâche, pas, il le shake jusqu’au bout du bout.

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    Par contre, il n’apparaît pas sur les deux premiers albums des Monophonics, Playin & Simple, paru en 2007, et Into The Infrasounds, paru en 2010. Avec son éléphant, Into The Infrasounds met une belle série d’instros en coupe réglée. Question power, les Monophonics sont bien lotis. On sent les mecs convaincus d’avance. Ils savent se servir d’un sax dans la nuit et d’une wah («Simon’s Song»). Un nommé Marcus Smith vient chanter le bout de gras dans «I’m Done», mais sa heavy Soul nous éloigne des finesses de Kelly. On admire le bassmatic demented de Myles O’Mahoney dans «Low Blow», c’est vrai que ces mecs sont excellents, dans le genre instro de big soul funk. Ils jouent «Grappa» au crépuscule du son. C’est très vivant, bardé de cuivres, de flûte et de nappes d’orgue. Chaque instro est très dirigé, et gagne très vite son autonomie. Dommage que Kelly ne soit pas là. Les Monophonics savent orchestrer un groove et dans «Rotten Ribs», on entend un mec au trombone s’élever dans le ciel. Le mec au sax qu’on entend dans «Loose Nules» s’appelle Nic Gillette. Ça ne s’invente pas. Cet album pourrait presque ressembler à un épouvantable must, même sans Kelly.

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    Playin & Simple est aussi un album d’instros assez confondant, à condition bien sûr d’aimer l’instro confondant. Sinon, ce n’est pas la peine de l’écouter. Tout est bien là dessus, on entend un solo de sax demented dans la cave de jazz de bas étage de «Lumberjack», d’autant plus énorme qu’il est doublé d’un solo de trompette, comme dans Mo Better Blues de Spike Lee. Ils duettent tous les deux comme des dingues ! Ces mecs foncent en roue libre, ils ravalent la façade du nouveau continent et s’en viennent même mêler leurs baves à un certain moment. On se croirait chez Roland Kirk, oui, c’est de ce niveau et de cette échevelure ! Wow ! Ça swingue atrocement bien, jazz power in the flesh. On comprend que Kelly Finnigan se soit rapproché de cette équipe de surdoués. L’autre big bang de l’album s’appelle «Baobab Tree», afrobeat de très haut rang. C’est gagné d’avance. Idéal pour les fans d’afrobeat. L’album se révèle passionnant à mesure qu’on avance dans les cuts. Les Monophonics jouent cartes sur table, avec tout le gut de l’undergut du jazz funk de Soul aux vermicelles. Ils jouent à la Kirk et battent bien des records d’inventivité. On a là un fabuleux groove d’africanité latente, avec un jezz de jazz qui semble remonter le courant. Le mec à la guitare joue comme un dieu. On note aussi une belle échappée de sax dans «Stardust». «Silver Peso» est encore un intro qui gagne à être connu. On écoute les Monophonics avec une attention telle qu’elle confine au recueillement.

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    Bon ben voilà encore un big album : Q-Sound Of Sinning, le dernier album des Monophonics paru en 2015. Big et même super big, notamment grâce à «Holding Back Your Love», une belle énormité amenée au heavy beat diskö, mais avec l’énergie des Tempts. Oui, ce démon peut déclencher ce genre de truc. Ça s’emballe tout seul. Kelly ne lâche pas prise, un vrai pit de cité, you keep holding on, il est dessus, en vrai carnassier de la Soul et c’est un hit. Avec «Find My Way Back Home», il entre à la furie de blanc dans le funk de noir, il tâte de la résistance des matériaux et c’est bon. Ce mec ne déçoit pas, tu peux le laisser entrer chez toi, pas de problème. C’est l’un des nôtres, un vrai white nigger. Encore un shoot de pulsion de raw avec «Hanging On», Kelly ramène les cuivres, vas doucement Kelly, c’est tout bon. He drives it wild, il pilote sa Soul comme un champion, c’est excellent, goody good ! L’autre hit de l’album s’appelle «Promises». Kelly taille dans la masse avec un bassmatic des enfers. Kelly is on the run, hot as hell, il chante comme un cake, il chauffe les zones érogènes de la Soul blanche. C’est admirable - I keep making promises - Il est infernal et c’est vraiment balèze. Big white Soul ! Le cut d’ouverture de bal s’appelle «Lying Eyes», c’est de la big heavy Soul de groove monophonique. On sent la présence d’un immense chanteur. S’ensuit le morceau titre qui sonne comme un groove de gosses de riches. Bienvenu et puissant, bien drivé à la voix. On le voit aussi chanter son gut out dans «Strange Love», une espèce de petit miroir aux alouettes. Il partage aussi au cut avec Ben l’Oncle Soul, «Too Long» et forcément, c’est pourri de feeling. Ils sonnent tous les deux comme des Smokey Robinson décolorés.

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    L’ami Kelly jouait aussi dans un groupe nommé The Destruments. Les amateurs de Soul jazz se régaleront de cet album paru en 2009 et pas très facile à choper, Shaped By The Sound. On voit les trois Destruments sur la pochette, avec des looks de hip-hoppers, mais ils jouent essentiellement ce groove gourmand qui est l’apanage des très grands musiciens. On entend un mec nommé Sean Wilson jouer de la basse comme un dieu dans «Feel It Like It Is». Tout un art du toutim. Kelly Finnigan chante sur «Take A Closer Look» et il se fond dans le groove, se montre admirable de lousdé doucereux et sort un son soft comme la caresse d’un vent d’été. Ils font aussi pas mal d’easy listening et l’amateur du genre se régalera de ce «Sippin On Blue Juice» monté sur une interjection du «Girl Blue» de Stevie Wonder. Ça se laisse convaincre tout seul. Ils font leur sauce dans leur coin, chacun est libre de venir y tremper son poireau. Kelly Finnigan repart en roue libre sur «OOlong». Côté son, ça reste une sorte de bloc soviétique du groove, avec son côté impénétrable et majestueux à la fois. Le bassmatic mène à nouveau le bal sur «Sun Bunn (Downpour)» et les voilà de nouveau plongés dans l’étude au long cours d’un heavy groove urbain processionnaire. Le hit du disk s’appelle «Searching», Kelly y chante ce groove de Soul à la glotte tiède. «Tometo O Dejeto» sonne aussi comme une merveille de réussite, car joué sous un certain boisseau. Le batteur fait son cirque parmi les surdoués dans «NASA» et ils reviennent à l’exotica avec «Bitchyo Self Togetha». Tout est bien sur cet album, à condition de savoir prendre le temps de savourer un Pina Colada sur la plage de Copa Cobana.

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    Paru la même année sur le même label, voici Bridge Through Time avec sa belle pochette en fish-eye. Cet album est un monster. Ces mecs jouent le groove de funk comme des blacks et on comprend que ce groupe soit devenu culte. On sent chez eux un don inébranlable pour la beauté latérale et Kelly entre en scène dès «What You Won’t Do For Love». Encore une fois, il se fond dans le groove et le son explose comme un bouquet de senteurs dans la bouche. Ils se spécialisent dans l’interlude qualitatif. Retour aux affaires avec «Rain Dance», pur jus de Destrumental Sound System, violemment bon, nappé de cuivre frais, c’est un heavy groove de Soul funk d’une tenue impeccable. Belle énergie du son, classe du solo de sax et surtout des solos d’orgue, aussi bons que ceux de Brian Auger, et ce n’est pas peu dire. Une nommé Viveca Hawkins chante sur «I Can’t Help It». Elle se montre très impliquée, c’est une vainqueuse et derrière elle joue un groupe doué d’un sens suraigu du groove. Nouveau coup de Jarnac avec «Bridge Through Time», monté sur une bassline plantureuse. Cet instro de groove colle au palais, on ne s’en lasse pas facilement, d’autant qu’il est épaulé par des nappes de violons. Les Destruments ont du son à revendre. Ces mecs savent distiller leur moonshine. Elle s’appelle Keniece Ford et elle chante sur «Keep On Walking». Cette petite poulette dégouline de feeling. Elle chante comme une reine de Nubie avec de faux accents d’Esther Phillips. L’album est une merveille de son abouti et d’inspiration. Cette petite démone de Keniece Ford rafle la mise, elle s’introduit dans le son avec une classe insensée. C’est Jacob Slim qui fait Shuggie Otis dans «Ant Uh Mi Hed» et Jess Imme chante le groove magique. Oui, on est bien obligé de parler de magie avec ces gens-là. C’est quasi Brazil.

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    Un autre album des Destruments paraît en 2011 : Surpassing All Others. C’est un album de hip-hop très hip, et hop, c’est fini.

    Signé : Cazengler, Kelly finissant

    Kelly Finnigan. Les Nuits de l’Alligator. Le 106. Rouen (76). 11 février 2020

    Kelly Finnigan. The Tales People Tell. Colemine Records 2019

    Monophonics. Playin & Simple. Monophonics Music 2007

    Monophonics. Into The Infrasounds. Ageless Records 2010

    Monophonics. In Your Brain. Ubiquity 2012

    Monophonics. Q-Sound Of Sinning. Transistor Sound 2015

    Destruments. Shaped By The Sound. Ivory Soul 2009

    Destruments. Bridge Through Time. Ivory Soul 2009

    Destruments. Surpassing All Others. Creative Juices Music 2011

    Roky le roquet - Part Two

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    Ha ha ha ha ha ! John Ike Walton se souvient de sa première rencontre avec Tommy Hall : «On a commencé par siffler une bouteille de Romilar (un sirop à base de codéine) puis on a fumé de l’Acapulco Gold, et là, mec, j’hallucinais, je voyais les maisons devenir des monstres et partir à travers champs.» Ils ne s’appellent pas encore les 13th Floor Elevators, mais ils se marrent bien. John Ike, Tommy et Stacy Suntherland sont des mecs d’Austin, au Texas. Drug-curious, amateurs d’effets spéciaux, ils prennent du peyote, un cactus aux vertus hallucinogènes qu’il suffit d’avaler. Au début, ça rend malade. Selon les Indiens, vomir est une façon de se purifier en chassant les mauvais esprits de son corps, alors ils vomissent. Bleuuurghhh ! Le peyote est tellement raide qu’on ne peut pas en prendre tous les jours. L’organisme ne pourrait pas le supporter. Pour John Ike, Tommy et Stacy, c’est un gros inconvénient. Alors quand le LSD arrive à Austin en 1965, ils optent pour le confort moderne. Rien de tel que la chimie ! Each and every day ! John Ike, Tommy et Stacy ne sont pas les seuls à apprécier le confort moderne : quand Dylan vient jouer à Austin en septembre 1965, il n’en revient pas : alors que partout ailleurs on le hue parce qu’il vient de passer électrique, les kids d’Austin ne le huent pas. Au contraire. Ils sont en adoration. Pourquoi ? Parce qu’ils sont tous sous acide. The whole underground scene tripping on acid !

    Dans le trio, Tommy Hall joue le rôle du bon Samaritain. Il veille à ce que les expériences hallucinogènes soient bénéfiques. Quand ils trippent ensemble, Tommy veille à ce que ses amis atteignent ce que Stacy appelle «the clear state, you know what I mean ?», demande-t-il. «C’est comme si on était libres, complètement libres.» John Ike est le seul de la bande qui éprouve des difficultés à tripper comme un âne. Il voit les murs bouger quand il bat le beurre et ça ne lui plaît pas trop. John Ike fait un peu de musique avec Tommy, Stacy et un bassiste nommé Benny. Leur groupe s’appelle les Lingsmen. Ils cultivent déjà un goût prononcé pour l’expérimentation. De la même façon qu’Henri Michaux, ils se voient comme des laboratoires à deux pattes. Alors que Michaux se contentait de distiller sa prose, les Lingsmen préfèrent s’auto-distiller.

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    La rigolade ne va pas durer pas longtemps. Au début, le LSD est légal mais la loi l’interdit très vite et les flicards locaux se frottent les mains. Hé hé hé... Dans ce Deep South dont fait partie le Texas, leurs deux hobbies favoris consistent à casser du nègre et du hippie. Hé hé hé...

    Bon et Roky dans tout ça ? Ah le voilà ! Tommy l’a repéré dans un club : «Hey les mecs, allons voir jouer Roky Erickson & the Spades ! Vous allez voir ! Quel fabuleux chanteur !» À la fin du set des Spades, Tommy invite Roky à venir jammer avec les Lingsmen. Wanna jam ? Okeh ! Roky apprécie très vite ses nouveaux amis : John Ike est son special drumming style, Benny et son upfront bass, tout cet écho dans le son, wouaaah, l’outer space guitar de Stacy et les jazz runs de Tommy dans sa cruche électrique, wouaaah ! Le son est déjà là, Roky n’est que la cerise sur le gâteau. Sur le space cake, devrait-on plutôt dire.

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    ( Red Krayola )

    Enfant prodige, Roky faisait l’école buissonnière pour aller s’entraîner au scream avec son copain Kinney. Wouaaaaaaahhhhhh ! Il en crachait du sang. Il vénérait Little Richard, Buddy Holly et commençait à écrire des petites chansons du style «You’re Gonna Miss Me». La découverte de la marijuana et de l’«Empty Heart» des Stones en 1964 le propulsèrent directement dans le cosmos. Wouaaaaaaahhhhhh ! Mentor de Red Krayola, l’autre groupe phare de l’underground local, Mayo Thompson trouvait Roky extrêmement intéressant, mais déjà un brin out there in some ways. Il ajoute que Roky fait partie des gens qui n’ont absolument aucun doute sur les choix qu’ils font. Trait de caractère fondamental. L’anti-girouette.

    Une fois Roky intégré, ils se baptisent les 13th Floor Elevators. Si Tommy est le cerveau de la bande et Stacy l’architecte du son, Roky en est l’âme. Ou comme le dit Paul Drummond, Tommy est le visionnaire du groupe, Stacy le son et Roky the face and the voice.

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    La Gestapo locale salue à sa manière l’éclosion des 13th Floor, avec une première descente chez Tommy, en janvier 1966. Ils sont sous mescaline quand la police défonce la porte. John Ike veut filer par derrière mais le canon d’un 45 se colle à son museau, alors il opte pour la prudence et fait marche arrière. Too much of a trip, marmonne Stacy qui plane sec, alors que les flics fouillent la baraque. Miraculeusement, ce bust se termine bien, mais il marque le début d’une longue partie de cache-cache avec les flics locaux. La brutalité répressive des juges texans terrorise les freaks et à partir de là, Tommy et ses amis entrent en semi-clandestinité : plus de domicile fixe. Sécurité maximale. Un peu comme s’ils étaient en cavale. Ils reproduisent sans le savoir le mode de vie des pilleurs de trains du siècle précédent. Même état d’esprit, la violence en moins. C’est le statut d’outlaw bien assumé - Paranoid and nomadic existence - Les 13th Floor n’accepteront jamais de changer de mode de vie, et ça ils vont le payer au prix fort, en devenant des martyrs psychédéliques.

    Le plus drôle, c’est que ce statut de martyrs leur va comme un gant. Tommy qui ne fait pas dans la dentelle établit un parallèle entre les 13th Floor et les disciples du Christ qui subissaient en leur temps une pression policière énorme. Mais ils parvenaient quand même à développer et enseigner leur philosophie. Pour lui, c’est exactement ce que font les 13th Floor. Tommy soutient mordicus que les drogues psychédéliques permettent d’atteindre les niveaux supérieurs de la connaissance. Il voit le LSD comme un learning tool, un moyen d’évoluer. Il contribue au courant de pensée développé par Timothy Leary et qu’on considère à juste titre comme la dernière utopie du monde moderne : le rôle bénéfique que pourraient jouer les drogues hallucinogènes sur cette société moderne rongée par le profit, la bêtise et la haine. De la même manière que Leary, Tommy imagine les flics et les beaufs sous LSD et ça le fait bander. Comme si le fameux ‘monde meilleur’ devenait possible.

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    Le problème, c’est que les 13th Floor n’y vont pas avec le dos de la cuillère. Ils mettent autant d’énergie à se défoncer qu’à jouer «Roller Coaster». Tommy prône la dose d’acide quotidienne, et pour soutenir le rythme financièrement, il est obligé de dealer à grande échelle. Il va s’approvisionner en Californie où sont installés les chimistes de renom.

    Dans le cas des 13th Floor comme dans celui de Syd Barrett et des Spacemen 3, musique et drogues sont indissociables. Mayo Thompson qui n’est pas un enfant de chœur trouve que les 13th Floor vont un peu trop loin : «Prendre de l’acide tous les jours, c’est un peu extrême !» Et c’est précisément parce qu’ils sont allés très loin dans l’expérimentation que leur musique est restée un modèle absolu. En matière de mad psychedelia, personne n’a pu challenger les 13th Floor. C’est en les écoutant qu’on comprend mieux le concept de Tommy Hall : expérimenter les drogues hallucinogènes pour repousser les limites de l’énergie créative et le diable sait si dans ce domaine, les drogues prévalent. Il suffit simplement d’écouter «Roller Coaster» pour comprendre ce que signifie la formulation ‘mad psychedelia’. Dans ce big brawl digne de Syd Barrett, les guitares déchirent le ciel. On assiste tout au long de la lente montée du trip de track à une implosion d’organes fluorescents, aw c’mon, et la cruche dada glougloute dans l’écho du temps. Ce cut fonde le genre, avec une rare combinaison d’énergie visionnaire et de real big power.

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    C’est en 1966 que paraît The Psychedelic Sounds Of The 13th Floor Elevators. En France, il faudra attendre la parution de Nuggets pour découvrir l’existence des 13th Floor et courir chez Music Action, au carrefour de l’Odéon, avec l’espoir de trouver une copie de ce premier album. Les gros cartonnés US valaient déjà à l’époque la peau des fesses, mais on arrêtait de se plaindre dès qu’on mettait l’album sur la platine : aussitôt les premières mesures, «You’re Gonna Miss Me» sonnait comme l’un des plus gros hits de tous les temps. Wouaaaaaaahhhhhh ! On a là l’apanage du Texas beat, avec sa belle progression d’accords et la cruche électrique ! Pure folie. Les screams de Roky Erickson font partie des plus passionnés de l’histoire du rock américain. Se niche plus loin l’excellent «Reverberation», chef-d’œuvre de fragrance cérébrale atomisée, comme molletonné par la fantastique surdité du beat psyché texan. Les Stones de «2000 Light Years From Here» sonnent à l’identique, c’est heavy à l’extrême et même assez perturbant. Billy Gibbons et ses Zizis en feront une cover spectaculaire sur le tribute aux 13th Floor, Where The Pyramid Meets The Eye. Retourne The Psychedelic Sounds Of The 13th Floor Elevators et tu vas tomber sur «Fire Engine», et là pareil, Wouaaaaaaahhhhhh ! Adieu veaux vaches cochons ! Roky et ses amis envoient leur giclée de Texas hell à la revoyure de freak-out. Le glouglou de la cruche hante la paillasse du mix. Les chœurs fantômes rendent le cut tellement louche qu’ils sonnent l’hallali du binarisme. Rien de plus nécessaire à la vie que cette gelée royale. S’ensuit un «Thru The Rhythm» en forme de haute voltige et d’ode à la cloche. Ces mecs jouent leur va-tout en permanence. Le bassmatic maraude dans le son avec une liberté alarmante. La messe est dite depuis 1966. Le raw Texas freak show est entré dans la postérité.

    Dans le docu de Keven McAlester (You’re Gonna Miss Me), Billy Gibbons raconte que lorsqu’il entendit pour la première fois les 13th Floor à Houston, il s’exclama : «Well, that’s it.» Pour lui, Roky est le meilleur chanteur américain avec Little Richard et Jerry Lee. Et il termine en se prosternant jusqu’à terre : «The Elevators were the big heroes, they were the guys.»

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    Au moment où les 13th Floor inventaient le rock psychédélique, il existait quelques signes avant-coureurs aux États-Unis, notamment du côté des Holy Moundal Rounders qui enregistrèrent en 1964 «Hesitation Blues». En 1965, Kim Fowley parlait de psychédélisme pour la promo de «The Trip». La même année, les Charlatans mixaient eux aussi rock et LSD. Ils jouaient sous acide au Red Dog Saloon de Virginia City, dans le désert du Nevada, un coin bizarre et comme figé dans le temps, où les gens étaient tous armés.

    Pour la promo de leur premier album, les 13th Floor vont s’installer quelques temps en Californie. La petite communauté texane les accueille à bras ouverts. Chet Helms qui a déjà fait venir Janis Joplin programme les 13th Floor à l’Avalon Ballroom. Quant à Doug Sahm il a décidé de quitter définitivement le Texas. Lui aussi victime de la brutalité policière, il n’avait pas apprécié qu’on l’attrape par les cheveux pour lui cogner plusieurs fois la gueule sur le capot de sa voiture. D’ailleurs, il recommande aux 13th Floor de rester en Californie, mais Stacy et les autres ont tellement le mal du pays qu’ils retourneront se jeter dans la gueule du loup.

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    Ils jouent énormément en Californie. Pour eux, l’Avalon Ballroom de San Francisco est une sorte de paradis, car on distribue gratuitement de l’acide à l’entrée. Le raga-rock sound de la cruche électrique intimide le public. Sur scène, les 13th Floor dégagent une énergie considérable - the agressive amphetamine beat of the British Mod scene - D’ailleurs sur scène, ils tapent des versions explosives d’«Empty Heart», de «You Really Got Me» et de «Gloria». Stacy se spécialise dans les déraillements, pas ceux des trains, mais ceux du freak-out. Sur scène, ils montent un mur du son autour des hurlements de Roky. Selon Billy Gibbons, les 13th Floor occasionnent un sérieux bouleversement en Californie - When the Elevators showed up, things changed real quick ! - Mais le public californien les juge trop frénétiques. Il est habitué à un autre genre de psychédélisme, celui de l’Airplane ou du Dead. Alors, les 13th Floor se referment comme des huîtres. Ils ne se mêlent pas aux autres musiciens et passent leur temps à se goinfrer d’acide. Paul Drummond parle d’extrem amount of acid. En bon alchimiste, Tommy veille à perpétuer le cycle sacré : le groupe génère du blé qui permet d’acheter des drogues qui permettent de faire de la musique, et ainsi de suite. Son Grand Œuvre s’appelle The 13th Floor Elevators. Tommy raisonne en termes de pierre philosophale. L’or ne l’intéresse que par son symbolisme initiatique. N’a de valeur que le parcours.

    Personnage fascinant que ce Tommy Hall. Le duo Tommy/Roky, c’est exactement la même chose que le duo Ron Asheton/Iggy Pop. L’un n’est pas possible sans l’autre. Tommy combine sa passion pour la musique avec la spiritualité. Les pochettes des albums du 13th Floor ne sont pas des gadgets de hippie. Si Tommy invente la cruche électrique, c’est tout simplement parce que les pédales d’effets n’existent pas encore. Il invente the psychedelic sound effects. Pourquoi ? Parce qu’il écoute Miles Davis, Trane, Charlie Parker et Mingus. Alors il tente de transférer sa passion des jazz runs dans la cruche, à l’instinct.

    Il prend aussi la manie de rassembler les gens pour leur expliquer des choses, comme le faisaient autrefois les prophètes. Dressé devant ses ouailles, Tommy déclare :

    — Ce groupe n’est pas un moyen de gagner de l’argent, mais un mode de vie !

    Côté drogues, il se veut extrêmement sélectif. Pas question de toucher au speed. Il juge cette came tout juste bonne pour les Stones. Il menace même de virer Stacy du groupe parce qu’il prend du speed. Tommy essaye de gérer l’ingérabilité des choses du 13th Floor. Il écrit aussi les paroles des chansons. Comment ? On lui glisse sous le nez une grande feuille de papier alors que le groupe joue et il écrit. Il intensifie tellement l’acte d’écriture qu’il lui arrive d’en pleurer.

    Ce n’est pas tout. Avant chaque concert, il impose un rituel : il réunit les 13th Floor et leur fait prendre du LSD trois heures avant de monter sur scène. Puis il préconise une heure de prêche, histoire de développer sa théorie :

    — God is LSD !

    Il joue vraiment avec le feu. C’est très dangereux de déconner avec God dans un coin comme le Texas. Les gens y sont extrêmement intolérants. Mais Tommy a étudié la Gnose, il sait exactement de quoi il parle. Avant le Christianisme, la Gnose reposait sur un concept très simple : chaque être humain porte en lui une part de divinité. Il repart de là, il n’invente rien. Il s’appuie donc sur la Gnose et sur William Blake pour décréter que Houston est la nouvelle Jerusalem. C’est au cœur de ce chaos subliminal que les 13th Floor enregistrent Easter Everywhere.

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    Ce deuxième album est considéré comme l’un des sommets du rock psychédélique. Nous irons jusqu’à dire qu’Easter est l’un des meilleurs albums de rock de tous les temps. Démarrage en trombe avec «Slip Inside This House», pulsé au big bassmatic de Dan Galindo, le remplaçant de Ronnie Leatherman. C’est l’un des grooves les plus rampants de l’histoire du groove rampant, un groove foncièrement nocif et en même temps magnifique de poignance psyché. Il se perche sur l’épaule lorsque la lumière s’éteint. Plus fluide, «She Lives In A Time Of Her Own» se montre digne des Byrds. On pourrait même parler d’une œuvre marmoréenne, comme on le dirait de ces falaises sculptées qu’on peut admirer au Moyen-Orient. La cruche se déchaîne. Tiens, encore un fantastique shock de rock avec «Nobody To Love», bardé d’accords solides et fidèles. De l’autre côté se niche l’effarant «Earthquake», porté par un heavy shuffle de big bassmatic, oh oh, dirait Merlin, on entend le dragon gronder juste sous la surface de la terre. Même chose avec «Levitation». Les 13th Floor sonnent comme des Beatles texans, c’est dire s’ils sont bons. Et puis voilà «Postures» qui s’auto-fascine, mais ils savent ramener du son, même dans une longue dérive abdominale - Leave your body behind !

    Hormis le LSD, Tommy ne jure que par le Romilar qu’il boit au goulot - comme le fait d’ailleurs Lester Bangs - Stacy préfère les downers et le speed. Jusqu’au moment où ils découvrent le DMT, qui fut comme le LSD mis au point par Sandoz. C’est pour vanter les mérites du DMT que Tommy et Roky composent «Fire Engine». Sous DMT, ils ont l’impression de foncer à bord d’une voiture de pompiers. Pin-pon ! Pin-pon ! De son côté, Benny découvre que les amphétamines permettent de contrôler les effets du LSD sur scène. Ils testent absolument toutes les combinaisons, toutes les manières de se schtroumpher. Les mecs qui organisent les concerts éprouvent d’énormes difficultés à entrer en communication avec les 13th Floor. Trop hagards. Comme Tommy veille à ce que tout le monde soit défoncé avant de monter sur scène, la partie est gagnée d’avance. Les 13th Floor sont extrêmement populaires auprès des kids texans venus recevoir le message psychédélique. Comme la magie du mythe opère, Roky, Tommy et Stacy entrent en lévitation. Ils défient les lois de la physique. Roky chante une chanson, il en gratte une autre sur sa gratte et les autres en jouent encore une autre. Chaos subliminal. Tout va bien car toute la troupe trippe, y compris le public.

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    Un jour qu’il est en studio, Stacy se met dans le cornet ce qu’il appelle un large hit of Sandoz acid : «Soudain, j’ai perdu le contrôle de mon corps, je suis tombé au sol, j’ai relevé la tête et j’ai vu de mes yeux vu Tommy et Roky se transformer en loups, avec les poils et les dents, oui, mec, en loups ! Wouaaaaaaahhhhhh ! » Stacy est intarissable sur son trip, il en fait deux pages dans le book de Paul Drummond. Bon courage ! Autre épisode assez poilant : un soir, alors que les 13th Floor sont sur scène, un flic vient arrêter Stacy en plein milieu de «Fire Engine». Il dégaine sons arme pour se frayer un passage à travers un public hostile et traîne Stacy jusqu’à sa bagnole.

    — Je vais t’emmener à la sortie de la ville et te buter, sale punk !

    Stacy est sous acide, alors forcément ça prend de drôles de proportions dans sa tête. Le flic en remet une couche :

    — Et je leur dirai que t’as essayé de me piquer mon flingue, putain de punk !

    Stacy voit la bagnole prendre la voie rapide qui sort de Houston. Il flippe pour de bon :

    — Hey attends une minute, mec, est-ce qu’on pourrait pas se calmer un peu ?

    Le flic roule encore un bon moment puis fait demi-tour pour ramener Stacy au commissariat. Il voulait juste lui flanquer la trouille de sa vie. Stacy avoue qu’il n’a jamais été aussi content de voir un commissariat.

    Une autre fois, les flics lui donnent ce qu’ils appellent une leçon de natation - Swimming lesson - C’est d’usage courant dans le coin : ils emmènent le candidat sur le pont qui surplombe le Buffalo Bayou et le balancent dans l’eau. Plouf ! Dix mètres de haut. Ça va. On en meurt pas.

    Ne supportant plus de voir les 13th Floor en liberté, les flics mettent la pression. Roky et ses amis se terrent dans des chambres de motels et jettent tout leur stash dans les gogues dès qu’on frappe à la porte. Pour eux, le véritable acid test est celui d’une nuit au trou sous acide. Quand le groupe enregistre, la session démarre à minuit et tout le monde est sous LSD.

    Roky revoit de temps en temps son copain d’enfance Kinney. Ils vont casser une petite graine ensemble et Kinney observe de drôles de changements chez Roky. À table, Roky n’en finit plus de s’extasier : «Oh my GOD ! Qu’est-ce que c’est bon ! Oh my GOD ! Wouaaaaaaahhhhhh !» Il s’extasie à chaque bouchée. Sur scène, il commence à oublier les paroles, alors ils s’enferme dans un mur de feedback. Il lui arrive même d’aller se planquer derrière son ampli. Il se met aussi à porter un bandeau sur le front pour masquer son troisième œil. L’hyper-lucidité l’épuise. Sacré Roky, on n’en finirait pas avec lui. Souvent les 13th Floor montent sur scène sans lui, parce qu’il a oublié le concert et qu’il est parti en virée ailleurs, avec son copain Charlie Powell, un Vietnam Vet bien esquinté avec lequel il communique sans parler - Spacial communication.

    Et c’est là que ce fantastique château de cartes qu’est le 13th Floor commence à s’écrouler. En voulant redéfinir la source du divin et inventer une nouvelle réalité, la réalité psychédélique, le groupe s’est épuisé. Comme Artaud et Henri Michaux, les 13th Floor ont cherché la source d’une créativité humaine inconnue, celle générée par the altered states of reality. Résultat, Tommy s’enfonce dans la Gnose, Roky perd un peu la boule et Stacy vient de passer à l’héro. On voit Roky tout de blanc vêtu arpenter les rues pieds nus alors qu’il fait un froid de canard. Sur scène, il devient une sorte de fantôme d’Abraham Lincoln, avec sa barbe, ses cheveux tirés vers l’arrière et son haut de forme.

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    Pour se faire un peu de blé sur le dos des 13th Floor, International Artists sort en 1968 un faux album live intitulé Live. Il s’agit d’une collection de chutes de studio agrémentée de faux applaudissements. Il faut cependant l’écouter, ne serait-ce que par acquis de conscience. Ça part en freakbeat texan avec une belle reprise bip-bip de Bo, «Before You Accuse Me». Tommy Hall cruchotte sec. Il bourre «Tried To Hide» de cruche jusqu’à l’os du crotch. Omniprésente, la cruche finit par tout dévorer. En créant sa transe chamanique, Tommy ramenait dans le son une véritable sauvagerie primitive, un côté indien psychotique. En B, ils tapent dans l’hypno avec «(I’ve Got) Levitation». Roky sème le vent et récolte la tempête. Quand on écoute le «Roller Coaster» qui suit, on mesure l’écart qui sépare les 13th Floor des Doors. Malgré une forte tendance au chamanisme, les Doors n’ont jamais pu atteindre un tel degré d’implication. Le boogie rentre dans le lard du freakout, doublé par la cruche folle de Tommy, et la basse vient swinguer tout ce carnage. Aucun doute : «Roller Coaster» secouera les paillasses pendant au moins mille générations. Le son des 13th Floor vaut tous les rituels du monde. D’ailleurs, les c’mon de Roky sonnent comme des invocations.

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    Le dernier album des 13th Floor s’appelle Bull Of The Woods. C’est l’album de la désintégration, parfaitement à l’image du groupe. Roky ne joue que sur quatre morceaux, dont l’excellent «Livin’ On». Ce n’est pas qu’il soit allumé, non c’est autre chose : ce mec a le génie du son. Il chante aussi un «Never Another» joliment congestionné. Pur jus d’acid trip. On le retrouve en B sur «Dr Doom», nouveau clin d’œil aux Byrds, une vraie sinécure, bien portée par le fat bassmatic de Duke Davis. Mais le mec qui tire vraiment son épingle du jeu est l’autre bassman des 13th Floor, Ronnie Leatherman, qui est de retour. Son bassmatic remonte à la surface sur «Barnyard Blues». S’il faut écouter la version vinyle de l’album, c’est parce que les basses sont beaucoup plus généreuses. Rien à voir avec le son numérique. Le jour et la nuit. Encore une bassline de rêve sur «Scarlet And Gold» qui ouvre le bal de la B. Elle groove sous le boisseau. Les Texans dotent leur pop insidieuse de grands chœurs matrimoniaux. Ce cut brille comme une pépite dans l’ombilic des limbes. Ronnie Leatherman se fait extraordinairement pressant, épaulé par des hoquets de relances invraisemblables. Stacy chante cette merveille. Au moment où ils enregistrent Scarlet, les 13th Floor ne sont plus que trois. On retrouve des accointances avec les Byrds dans «Till Then», que chante aussi Stacy, l’ultime survivant des 13th Floor. Le trio joue aussi «Street Song» à l’ambiance frite et entre en surchauffe quand on ne s’y attend plus. Si l’album finit par voir le jour, c’est grâce à l’obstination de Stacy. La référence au Bull n’est rien d’autre qu’un hommage à sa détermination.

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    Les 13th Floor auraient pu disparaître tranquillement, mais non, la Gestapo va en décider autrement. Tommy, Roky et Stacy vont devoir endosser leurs chasubles de martyrs psychédéliques pour de bon. Entre 1968 et 1972, Tommy disparaît de la circulation. Il se fait poirer à Seattle avec des substances illicites et va moisir quatre piges au trou. Pas cher payé, vu son niveau. En 1970, Stacy est envoyé au trou pour deux ans, et pas n’importe quel trou : Huntsville, l’enfer sur la terre, la taule qui terrorise Roky. Justement, pour éviter ça, Roky fait la même erreur que Jack Nicholson dans Vol Au Dessus D’un Nid De Coucous, il plaide la folie et pouf, on l’envoie à Rusk, une taule psychiatrique qui reçoit les psychopathes les plus dangereux d’Amérique. Mais il ne sait pas que c’est encore pire qu’Huntsville. Globalement, Roky dit que le régime d’internement de Rusk était beaucoup trop sévère. Il raconte par exemple qu’au début, il avait rangé ses fringues sous son lit et un infirmier était venu le rouer de coups en hurlant : «Ne remets jamais tes fringues sous le lit !». Pour le désintoxiquer, on lui fait prendre du Thiothixene : il sent sa langue grimper jusqu’au fond de son crâne et ses yeux se révulsent. Comme cette drogue le raidit comme un piquet, on lui en donne une autre pour le ramollir. Son frère Mikel qui vient lui rendre visite à Rusk trouve que Roky marche comme un zombie. Ça deviendra d’ailleurs une chanson. Comme tous les autres pensionnaires, Roky est obligé de faire son ménage. Si l’infirmier trouve le moindre grain de poussière, c’est la punition : debout toute la nuit face au mur. En cas d’assoupissement, c’est la raclée. Ils s’y mettent à trois, à coups de matraques. Bing ! Bang ! Mikel trouve que les conditions d’internement sont un peu trop dures pour un mec comme Roky, qui n’est au fond qu’un simple musicien. Pauvre Roky ! Il comprend cependant qu’il joue sa survie et qu’il doit développer une stratégie pour sortir indemne de cet enfer. Il sent que les drogues qu’on l’oblige à prendre l’abîment pour de bon. Ce sont les drogues officielles fabriquées par des laboratoires cotés en bourse. Le LSD des beaufs, si vous préférez. Roky prend soin de bien fermer sa gueule car il comprend qu’à chaque écart de langage, on lui rajoute un an de Rusk. Alors il fait le canard et finit par avoir la paix. Il commence à écrire des chansons et des livres. Son copain d’enfance Kinney réussit à sortir un manuscrit dans ses bottes. Openers paraît en 1972. Roky se met aussi à lire la Bible et devient une sorte de révérend, the Right Reverend Roger Roky Kynard Erickson. Il dit la messe et chante des psaumes à la chapelle. Il s’accompagne à la guitare. Entre 1973 et 1975, il écrit énormément de chansons. On en estime le nombre à 400. Il survit à l’horreur de Rusk en inventant un nouveau genre : the Horror Rock. Il recycle sa vieille fascination pour les films d’horreur dans ses nouvelles chansons : «I Walked With A Zombie» n’est autre que le Thorazine shuffle, «Night Of The Demon» est un hommage à l’enfer de Rusk et «Creature With The Atom Brain» évoque les délicieuses séances d’électrochocs. Il recrée tout un monde en repartant de zéro. Et ça va loin. Quand en 1975, il perd tous ses manuscrits dans un incendie, il parvient à réécrire toutes ses chansons une par une. Cette année-là, il demande à une avocate de lui taper un document officiel certifiant qu’il n’est pas humain, mais martien. C’est sa manière de dire que les persécutions de Rusk n’ont pu l’atteindre : «J’espère que ce document prouvera à l’homme qui m’a fait subir des électrochocs que je suis un alien.» À sa sortie de Rusk, Doug Sahm vole à son secours et l’aide à redémarrer. Grâce à Doug, Roky enregistre «Starry Eyes», un nouveau hit intercontinental composé en l’honneur de Dana, sa poule. C’est la plus éclatante des victoires.

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    Les choses ne sont jamais aussi simples qu’on l’imagine. Figurez-vous qu’on trouve dans le commerce deux portraits à charge de Roky, le docu de Keven McAlester évoqué en amont et le chapitre que lui consacre Nick Kent dans The Dark Stuff. Pour essayer de tirer le meilleur parti du docu qu’a tourné McAlester, utilisons le principe des deux colonnes, avantages, inconvénients. Les inconvénients grouillent comme la vérole sur le bas clergé : McAlester nous montre un Roky clochardisé, cet enfoiré essaye même de faire des gros plans sur sa dentition, il passe un temps fou à filmer le capharnaüm qu’entasse un Roky rôti dans son appartement, la télé allumée en même temps que tout le reste. Si on veut rendre service à quelqu’un, on ne s’y prend pas ainsi. On commence par respecter son intimité et non par en faire l’étalage, sous prétexte de légendarité rock. Ce déviationnisme documentaire est typiquement américain. Ces pseudo-cinéastes recherchent la sensation en remuant du groin le fumier de la réalité. On trouve exactement les mêmes travers dans le film supposément tourné en hommage à Ginger Baker. Résultat : les gens ne retiennent de Ginger Baker qu’une seule chose : la violence, et de Roky, la clochardisation. Ce fucking docu est donc idéal pour ceux qui se complaisent dans le malaise. Plus globalement, on sent bien qu’on atteint avec ce film les limites d’un genre qu’on appelle aujourd’hui le rockumentaire. Dans le cas très précis de Roky, tout est déjà dit dans la musique. Le film est DANS la musique. Et le côté avantages ? McAlester nous montre pas mal d’acteurs de la saga Erickson, à commencer par Paul Drummond, l’auteur du 13th book, un mec assez jeune, d’apparence très psychédélique, mais aussi les quatre frères de Roky, Don, Mikel, Ben et le plus important, Sumner le sauveur qui a su aider Roky à se remettre en condition physique et à remonter sur scène. On croise aussi Clementine Hall, John Ike Walton et une Dana ‘Starry Eyes’, assez bien conservée. McAlester filme aussi les couloirs de Rusk, mais il ne sait pas quoi en faire. Tout le monde ne s’appelle pas Milos Forman. Mais le pot aux roses, c’est Evelyn Erickson, la mère, que Drummond accuse plus ou moins d’amour incestueux. Elle est tellement fracassée qu’on comprend tout. Ce docu se termine sur une scène déchirante : Sumner prend soin de son frère et lui prépare ses affaires pour la journée, alors l’émotion monte tellement qu’on enrage à l’idée que des gens aient pu se croire autorisés à se faire du blé sur le dos d’un mec aussi pur que Roky Erickson.

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    Dans ce style flamboyant qui le rapproche d’Oscar Wilde, Nick Kent brosse dans son Dark Stuff un portrait impitoyable de Roky - Si on était dans les années 90, on taxerait Roky Erickson de rocker alternatif. Mais nous ne sommes qu’en 1980, et les gens le voient surtout comme un cult-hero. Ce qui veut dire qu’il ne vend pas beaucoup de disques. Il n’en fait pas beaucoup non plus. Mais ce sont les gens les plus influents qui achètent le peu de disques qu’il parvient à enregistrer. Inutile d’aller lui demander ce qu’il en pense - Pourquoi cette chute en forme de remarque acerbe ? Tout simplement parce que Roky ne répond pas aux questions que lui pose le plus célèbre journaliste anglais. L’interview a lieu au Portobello Hotel de Londres. Nick Kent est pourtant bien documenté : il n’a ni vu le docu de McAlester ni lu le book de Paul Drummond, mais il sait tout d’Evelyn, du fondamentalisme religieux du Bible Belt et des quatre frères. Nick Kent change de stratégie et branche Roky sur la musique. Roky ne sait pas quoi répondre au plus célèbre journaliste anglais, alors il sort de son pif une belle une crotte de nez. Nick Kent se venge en torchant trois lignes lapidaires sur les 13th Floor : «L’histoire brève des 13th Floor Elevators constitue le modèle parfait d’une bohème psychédélique instaurée en mode de vie, centrée autour de ces idéaux utopiques qu’ont réduit à néant les drogues qui en étaient à l’origine.» Comme la grande majorité des Britanniques, Nick Kent répugne à se compromettre avec le trash américain. Il va même jusqu’à insinuer que les 13th Floor n’étaient pas si bons que ça : «des paroles plutôt stupides, un curieux grab-bag de folk rock, de jug band et de rhythm’n’blues qui débouchait parfois sur un résultat intéressant mais qui restait lourdingue et complaisant.» Mais un peu plus loin, il évoque «Two-Headed Dog» pour rendre le plus powerful des hommages : «Comme celle de Syd Barrett, la musique de Roky Erickson exprime un état mental dangereusement en désaccord avec les conventions.» Puis il se fout royalement de la gueule de Richard Hell et de David Byrne qui s’épuisaient à bosser leur psychotisme alors que Roky le pratiquait naturellement. Et c’est là où on se réconcilie avec Nick Kent : l’humour anglais se love enfin dans le giron bien tiède du trash texan.

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    Comme dans le cas du Velvet et des Stooges, la notoriété des 13th Floor ne se mesure pas en termes de ventes d’albums, mais en termes d’influence. Ces trois groupes ont indiqué le chemin à des milliers de gens à travers le monde. Mais la grosse différence qui existe entre les 13th Floor d’un côté, et le Velvet et les Stooges de l’autre, c’est que les 13th Floor n’avaient personne pour les protéger. Ni Warhol, ni Bowie.

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    Grâce aux 13th Floor, la scène Texane connut un bref essor : on vit arriver les albums de Red Krayola sur le même label, International Artists. Puis Rod Prince monta Bubble Puppy, et d’autres groupes mineurs firent parler d’eux : The Conqueroo, The Golden Dawn, Shiva’s Headband et bien sûr les Moving Sidewalks de Billy Gibbons, des groupes devenus aujourd’hui de beaux objets de spéculation. Les vrais héritiers des 13th Floor sont évidemment les Spacemen 3 qui surent emmener «Roller Coaster» vers de nouvelles frontières.

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    Par miracle, on a pu voir Roky sur scène aux Trans de Rennes, en 2010. Il semblait un peu paniqué, mais la voix restait fabuleusement intacte. Les hits aussi. Voir Roky, c’est comme voir Arthur Lee en chair et en os : on comprend immédiatement tout ce qu’il faut comprendre. Depuis, on a vu des choses moins glorieuses, comme par exemple les fameux Black Angels qui proposaient un set d’une heure entièrement pompé sur les 13th Floor, accords et son. Comme ils ne rendirent jamais explicitement hommage aux 13th Floor, ça leur valut quelques insultes bien méritées. Quand on pompe, la moindre des choses c’est de dire merci.

    Signé : Cazengler, Riquiqui Erickson

    13th Floor Elevators. The Psychedelic Sounds Of The 13th Floor Elevators. International Artists 1966

    13th Floor Elevators. Easter Everywhere. International Artists 1967

    13th Floor Elevators. Live. International Artists 1968

    13th Floor Elevators. Bull Of The Woods. International Artists 1969

    Paul Drummond. Eye Mind. The Saga Of Roky Erickson And The 13th Floor Elevators. Process Media 2007

    Keven McAlester. You’re Gonna Miss Me. DVD 2005

    Nick Kent. The Dark Stuff. Penguin Books 1994

    BOBBY VEE

    ROCK 'N' ROLL FOREVER

    ( Coffret / CD 20 / 2002 )

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    Bobby Vee est-il un vrai rocker ? Grave question à laquelle je n'oserais répondre ayant un sacré problème avec le concept de vérité. Le malheur des uns provoque le bonheur des autres. Le destin l'appela à remplacer au pied levé Buddy Holly emporté dans l'accident d'avion qui coûta aussi la vie à Ritchie Valens et au Big Bopper. Alors qu'il était déjà remarqué par Liberty Records grâce à son premier single Suzie Baby sur Soma Records, un appel de la Radio de Fargo qui cherchait un artiste pour remplacer Buddy Holly pour son concert de Moorhead qu'il ne pouvait plus assurer - les cimetières regorgent de gens irremplaçables - décida Bobby Vee à tenter sa chance avec The Shadows le groupe de copains qu'il vient de former, leur set se déroule mieux que prévu, la carrière de Vee est désormais lancée...

    Plus tard bien plus tard, Bob Dylan rendra dans ses Chroniques un hommage appuyé à Bobby Vee qu'il eut la chance de pouvoir accompagner à la guitare sur scène au tout début des années soixante, en ces temps-là Dylan n'était qu'une éponge qui savait écouter et regarder. C'était la première fois qu'il voyait du bon côté de la scène, un véritable professionnel en action. Travailler avec Bobby Vee pour Dylan, c'était aussi mettre ses pas dans les traces de Buddy Holly qu'il avait vu sur scène... Une autre version de cette histoire existe, Elston Gunn - pseudonyme du Zimmerman - n'ayant pas fait l'affaire, il n'arrivait à jouer correctement que sur une tonalité, aurait été remercié au plus vite...

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    Rubber ball : ( sorti en single en 1960 ) : tiens il y a Earl Palmer à la batterie, remarquez il n'a pas dû beaucoup se fatiguer pour remuer le bœuf en daube. Bobby Vee ce n'est pas un nerveux, une voix qui évoque immédiatement Buddy Holly, mais qui s'essouffle vite, pour le soutenir vous avez tout un chœur féminin aux voix pré-pubères, mais comme on ne lésine pas sur les moyens on lâche les violons aussi stridents que le crissement des cigales à l'heure de la sieste. Après le solo de guitare vous vous demandez si ce n'est pas le moment de sortir le chien. The night has a thousand eyes : ( sur l'album du même nom de 1963 ) : le premier titre vous a surpris, vous vous attendiez à mieux, celui-ci vous terrifie : un petit balancement à la Buddy Holly les quatre premières secondes, ensuite c'est la fin de l'épopée napoléonienne, Bérézina et Waterloo, version bubblegum, serait-ce le moment d'aller faire ses adieux à Bobby Vee dans la Cour des Honneurs de Fontainebleau. Nous sommes des rockers Damie, soyons stoïques, la garde meurt et ne rend pas. Devil or angel : 1960 : Bobby Vee sings your favorites, ils ont dû se tromper sur le titre de l'album, pas question que j'inscrive cette horreur dans mon harem musical. Ni ange, ni démon, un purgatoire, une purge, je vous l'échange les yeux fermés contre n'importe quelle bluette d'Elvis. Punish her : 1962 issu de l'album Golden Greats : n'est pas tout seul, l'est soutenu par les Johnny Mann Singers, on les retrouve sur certains enregistrements d'Eddie Cochran, des Crickets et de Johnny Burnette. Avec un tel soutien vocal derrière vous ne voilà-t-il pas que le beau Bobby, se met à parler, c'est encore pire que quand il chante. Ce qu'il ne manque pas de faire non plus. Punish him ! How many tears : ( 1961 ) : sur l'album Bobby Vee with Strings an Things. : mais pourquoi n'ont-ils pas crédité les chats qui miaulent atrocement en chœur à plusieurs reprises, n'ont pas eu leurs croquettes matinales et ça s'entend. Bobby a de temps en temps la mauvaise idée de les imiter. L'est pire qu'eux, et pourtant j'aime bien les chats ! Please don't ask about Barbara : ( 1962, sur le 33 tours A Bobby Vee Recording Session ) : accompagnement musical l'on se croirai dans un disque de Nana Mouskouri, au niveau rythmique c'est le générique Interlude Le Petit Train, pas très rapide donc, le malheur c'est que chaque fois qu'il s'arrête en gare, Bobby se hâte de rajouter un wagon. Restez sur le quai. More than I can say : ( 1960 ) : in Bobby Vee, écrit par Tony Allison et Sonny Curtis des Crickets. Un des plus grands succès de Bobby Vee. A l'eau de roses. Fanées. Après cette sucrerie, une cuillère de sirop d'érable vous paraîtra amère. Take good care of my baby : sur le même album que le précédent. C'est le meilleur de tous ceux que nous avons écoutés jusqu'à maintenant. Prenez soin toutefois d'éloigner le bocal de votre poisson rouge, il risquerait d'attraper une jaunisse. Come go with me : ( 1961 ) tiré de l'album Hits of the rockin 50's : l'est sûr que l'on ne doit pas avoir la même définition des rockin' fifties. De la musique rythmique épatante pour la surboum vintage de votre grand-mère. Heureusement qu'il y a un bon saxo et une belle voix grave dans les chœurs. Jetez le Bobby, gardez l'eau du bain. Earth angel : ( 1961 ) issu du même album que le précédent. Du rock, gentillet, douçâtre, propre sur lui, tout ce que vous ne voulez pas. Sixteen candles : ( 1961 ) idem pour la provenance : qu'elle souffle vite ses seize bougies, il y a vraiment des anniversaires où l'on s'ennuie à mourir ! Trop de sucre dans le gâteau et le jus d'orange tiédasse... restez poli, vomissez dans les pots de fleurs. Summertime blues : ( 1961 ) Hits of the rockin 50's : on n'y croit pas, chez Liberty ils détenaient le titre à leur catalogue... Tommy Allsup est à la guitare, ça s'entend, cette fois c'est du sérieux, même Bobby l'a compris, met sa voix dans les pas d'Eddie, le suit de près, et enfin nous avons le premier morceau rock'n'roll du CD. Ouf, il était temps ! Rock me baby : ( 1999 ) extrait de l'album Down the line qui regroupe des reprises de Buddy Holly par Bobby, encore un morceau qui se tient debout, un beau coulis de guitare, Bobby essaie d'imiter Buddy, mais manifestement il a mieux réussi avec Cochran. Susie Q : ( 1961 ) : tiens un corona virus échappé de Bobby Vee with Strings an Things : mais comment s'arrange-t-il ce pauvre Bobby pour nous changer la petite Suzie si frétillante chez tous les autres repreneurs en gamine nigaude et pataude ? Manque d'un minimum de sex-appeal. Butterfly : ( 1998 ) Fom the essential and collectable Bobby Vee. Qu'ai-je fait bon dieu tout puissant plein d'amour pour mériter un tel châtiment. Pardonnez-moi, je ne recommencerai jamais. Party doll : extrait de Rarities publié en 2010 : dieu m'a pardonné, pour me récompenser l'est allé me chercher un vieux truc de derrière les fagots : enfin une poupée que Bobby remue sans retenue, ne fait pas mieux que Buddy Knox mais ce n'est pas mal du tout. Sans doute le meilleur morceau de tout le CD. Bye bye love : Bobby Vee and the Shadows ( 1995 ) : encore une vieille bouteille. Certes les Everly Brothers c'étaient pas des sauvages, alors Bobby il se sent à l'aise, copie le modèle, fait des efforts, s'en tire pas si mal que ça, surtout qu'il joue à deux contre un. Maybe baby : ( 1963 ) from I remember Buddy Holly : chez Forever ils n'ont pas voulu que l'on se quitte sur une mauvaise impression. Bobby ne parvient pas à garder le tressautement vocal si particulier de Buddy mais ils se défend, d'autant plus que derrière la guitare électrique lui mord les jarrets à la façon d'un chien hargneux, et ne lui permet pas une semi-seconde au repos.

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    Je déconseille vivement à notre Cat Zengler d'emmener ce CD sur son île déserte, ne se sont pas fatigués chez Forever, toute la première partie est puisée dans les succès grand public de Bobby Vee. Etait-ce une bonne idée d'inclure Bobby Vee dans un coffret Rock'n'roll ? C'est quand même dix mille degrés au-dessous d'un Ricky Nelson, ou d'un Dion. avec ou sans Belmonts. L'aurait mieux valu taper avant tout parmi la disco de Bobby dans tout ce qui était en rapport avec Buddy Holly. Cela aurait eu au moins un intérêt documentaire.

    Maintenant je me demande ce que Bobby Vee a pu apprendre à Bob Dylan !

    Damie Chad.

    WHEEP

    TENDRESSE DECHIRANTE

    ( Vidéo-clip / You Tube )

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    Difficile en ces temps de confinement si vous êtes musicien d'un orchestre symphonique de répéter avec vos quatre-vingt-dix collègues dans votre deux-pièces cuisine. Pour Diane et Emilien qui partagent le même appartement et s'adonnent aux affinités électives et réciproques, le problème ne se pose pas. depuis quelques mois ils se sont imposés un petit jeu agréable. Ils ont formé le groupe Tendresse Déchirante. De temps en temps ils postent sur You Tube une vidéo d'un morceau qu'ils ont réalisée tous seuls, tous les deux, musique, parole, chant, enregistrement, tournage et montage. Wheep est leur quatrième opus. Reprise d'une improvisation qu'ils avaient concoctée lors d'un été pluvieux. Le proverbe est connu de tous les agriculteurs : quand on ne peut pas sortir les vaches dans les champs, on tape un bœuf à la maison.

    Diable sont deux, mais ils font autant de bruit que les grandes orgues de la basilique Saint-Sernin, bandes de mécréants c'est à Toulouse - je pressens que occupés par vos fesses vous n'allez pas à confesse toutes les semaines – au début vous voyez les mains d'Emilien sur le cadran du synthé, au plan suivant l'est prostré sur une chaise, l'air malheureux, quant à Diane l'est plantée toute droite comme un cierge funèbre sur la gauche de l'écran, à son visage fermé, l'on comprend que l'on n'est pas là pour rigoler. En plein drame, l'orgue s'avance à pas pesants et lugubres, Emilien se confie au micro, sa voix évoque un paysage crépusculaire qui ressemblerait à la pochette du premier album de Black Sabbath, l'a le phrasé de quelqu'un qui penserait à en finir avec la vie. Diane s'est saisie de sa basse et mêle ses arpèges frissonnants à ceux du clavier, se penche vers vous comme pour vous regarder dans les yeux et puis se recule. Remarquez son T-shirt à gueule de tigresse mangeuse d'hommes. Emilien a repris sa voix mouillée de chien noyé. Changement de plan, sont maintenant rapprochés mais tout aussi éloignés, dos à dos. Et tout change, lui devant et elle derrière, et tout à l'heure ce sera le contraire, mais au fond le lit semble obstinément fermé, Emilien s'agite, est-ce le souvenir des jours heureux ou une crise de folie qui commence, la séquence rythmique se termine par un hurlement d'aliéné privé du ciel bleu diaphané sur la basse de Diane. L'est serré contre elle, mais elle est plus attentive passer ses notes sur les fils tendus de son instrument. Longue séquence, elle vous regarde de ses yeux sans éclat, il respire le parfum de son corps elle semble y prêter quelque attention, mais non le voici seul à l'orgue. Un peu d'écho sur la voix, il a vu la lumière répète-t-il, a-t-il commis le geste fatal, elle se lève et quitte la pièce, l'on ne voit plus que la gueule royale de la féline sur le T-shirt, qui abandonne les restes de sa proie.

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    Ce coup-ci c'est la tendresse déchirante à pleines dents. Un esprit différent des trois clips précédents. Jouent un peu sur les clichés mélodramatiques du romantisme. Une musique davantage emphatique. Une espèce d'outrance lacédémonienne dans la mise en scène. Une perle un peu baroque ajoutée au collier. Un clip kitch and chic, qui attire et attise l'envie du désir enfui. Une frénésie pâle. Du clinquant mortuaire qui brille dans la nuit obscure. Une réussite.

    Damie Chad.

     

    *

    Manuel Martinez n'est pas un inconnu pour les kr'tnt-readers, nous les avions déjà emmenés visiter une de ses exposition à Versailles ( voir Kr'tnt ! 304 du 24 / 11 / 2016 ). Certaines des toiles que nous évoquons dans cette chronique étaient d'ailleurs présentes dans cette galerie. L'œuvre ( peinture et sculpture ) de Manuel Martinez est immense. Ce que vous apercevrez en consultant son FB ( Manuel Martinez Peintre ) est loin d'en représenter la totalité. Bien sûr il s'agit ici de peinture et pas de rock'n'roll, pour ceux qui auraient une vision du rock un peu étroite, nous nous contenterons d'ajouter que Manuel Martinez fut aussi le chanteur du groupe Les Maîtres du Monde, voir dans une de nos premières livraisons la chronique que nous leur avions consacrée.

    ANGELS IN DISGUISE

    MANUEL MARTINEZ

     

    Qui, si je criais m'entendrait, parmi les anges ?

    R. M. Rilke

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    Les anges ne sont plus ce qu'ils étaient. Surtout dans les tableaux de Manuel Martinez. Encore faut-il les reconnaître. Lui-même ne les attife que rarement de ce nom. Juste un motif. Récurent. Qui naît, se développe et s'absente. Pour mieux se métamorphoser. En d'autres signes. Des espèces d'évaporations diluviennes. Des semences idéennes qui poussent entre les formes envahissantes du monde, de la mauvaise herbe entre les dalles du jardin.

    1 / LE COLLOQUE DES ANGES

    ( 2016 - 230 / 140 )

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    Vous n'y croyiez pas. Les voici pourtant ces fameux anges. En plein ciel. Nous aimons les imaginer sur une des terrasses de l'Olympe. Quel est donc ce serpent noir qui ne siffle pas à leurs pieds. Chose étonnante ces anges ressemblent à de simples filles d'aujourd'hui qui se promèneraient sur les trottoirs du boulevard balnéaire qui longe la plage. Un premier indice : elles suivent la mode, ce qui les uniformise, oui mais l'irrésistible plaisir d'être habillée selon les modèles dessinées par le grand couturier Manuel Martinez n'a pas de prix, vous rend unique. L'on dit souvent que les filles sont des anges, mais là n'est pas la question. Il est bien plus important de savoir de quoi elles parlent. Serait-ce un colloque sentimental cher à Paul Verlaine. Comme si la rencontre avec la mort avait une importance quelconque pour des anges. Et puis l'amour vous savez aujourd'hui... Non elles abordent un sujet de moindre futilité. Même si elles n'ouvrent pas la bouche. Nul besoin de parler. Leur simple vision est un messange. Ce qui est en jeu en cette réunion au sommet n'est autre que le combat obstiné contre l'ange que la modernité mène contre le mythe.

    2 / LEO VALENTIN

    ( 201692 / 93 )

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    Celui-ci c'est un homme. Un homme mortel pour employer une figure pléonasmatique. Des sourcils se froncent, comment un ange mortel, quelle stupide incongruité en soi ! Sûrement mais n'est-ce pas Nietzsche qui déclarait dans Ainsi parlait Zarathoustra que l' '' on peut mourir d'être immortel''. Avec un tel nom, je crains qu'il ne devienne le chouchou des lectrices, ô Valentin, pour sa fête il nous offrira des fleurs et une parure de diamants. Non, ce n'était pas son style. C'était un dur, un vrai. Un qui avait los cojones bien accrochées. Lui, n'avait pas peur de voler avec les anges, faisait des sauts en parachute, montait à plus de sept mille mètres d'altitude et se laissait tomber. Pas comme une pierre. Valentin Léo aimait les hauts du ciel. S'était accroché des ailes qui lui permettaient de virevolter paisiblement. Un héros. Historique. S'est scratché à son sept cent et une unième saut...

    Une histoire splendide. A la place de Manuel Martinez vous en auriez barbouillé des sommités de ciel, vers le bas les vertes étendues illimitées du plancher à vaches folles. Vous n'avez jamais entendu parler d'économie de moyens. N'est pas croqué en plein vol vertigineux le Valentin, mais le coude appuyé à son bureau, un peu dans la position du penseur de Rodin, mais lui il se tient droit. Martinez connaît la tradition des portraits du grand siècle, juste quelques objets symboles de la profession du personnage représenté. Ici la tête d'aigle et les plumes. Tout est dit.

    Notez l'orange prédominant, couleur qui mêle l'or et l'ange, qui s'octroie toute la place. Ecorce amère. Pulpe intérieure sanguine.

    3 / ICARE

    ( 2016 – 70 / 80 )

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    Le même que le précédent. Le général en chef de tous les idéalistes. Car lui il a réussi. Certes lui-aussi s'est lamentablement écrasé, une figue trop mûre qui tombe de l'arbre. Mais lui vous n'avez pas besoin comme pour le précédent de vous renseigner dans la notice wikipédia. Tout le monde le connaît. Personne n'ignore son nom. Lui il est immortel. Il vit au-dedans de vous. Quand vous ne serez plus qu'une ombre lointaine, l'on parlera encore de lui. L'est tout en haut de la pyramide des anges. Archange en chef.

    Si ce n'était ses ailes qui dépassent de son dos, vous le prendriez pour n'importe qui. Une chemise pas tout-à-fait blanche et une veste mal fagotée. L'a toutefois une écharpe qui mêle toutes les couleurs de l'arc-en-ciel. Heureusement qu'il a un nom, ou plutôt heureusement que le tableau porte un titre. Vous êtes rassurés. Chez Manuel Martinez faut faire attention. Si  je vous passe un bâton avec une jolie flamme qui scintille au bout, quand vous déchiffrez la mention : dynamite, vous êtes nettement moins flambards. Le cartouche à côté du tableau, peut en orienter la lecture. Parfois, il vous désoriente totalement. Manuel Martinez cherche-t-il à vous élever ou à vous abattre en plein vol.

    4 / LE DOUTE DE NAUPACTE

    ( 201670 / 60 )

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    Demoiselle, belle comme un ange, peut-être les sublimes figures précédentes vous fatiguent-elles. Jamais vous ne les égalerez. Au combat de l'ange vous êtes sûre de perdre à tous les coups. Dans la bagarre vous ne risquez pas d'y laisser des plumes ! Avec un peu de chance, peut-être après l' échauffourée, en ramasserez-vous une, tombée de la ramure dorsale de votre ennemi intérieur. Inutile de le cacher, vous doutez de vous-même. Vous êtes la proie, mais pas l'oiseau, du doute métaphysique. Vous aimeriez sortir de votre chair physique et vous porter à la rencontre de l'ange qui se tient hors de vous. Mais vous avez peur. Le plateau de la balance reste en équilibre. Ne monte, ni d'un côté ni de l'autre. Seriez-vous en échec et Maât. Pourtant vous détenez votre cœur arrêté d'effroi sous le rose-petite-fille-sage de votre blouse. Et la plume qui se doit d'être plus légère que le froid de la tristesse bleue du monde qui vous cerne. La lancerez-vous.

    ( Nous sommes peu impacté par la figure mytho-historiale de Naupacté. )

    5 / DE TA PLUS BELLE PLUME

    ( 2016100 /100 )

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    Tu as revêtu le casque guerrier de l'infante décidée. L'heure aquiline est claire. Le bec conquérant est avide d'une autre chair à dévorer toute crue. Il est temps de dessiner l'impérieuse parabole. Un œil vers le tracé exigé, et une pupille au loin qui vérifie l'horizon. L'instant de prendre ton envol est venu. L'oisillon se laissera choir de son nid. Saura-t-il voler de ses propres ailes, parviendra-t-il à freiner sa chute et à s'élever dans les airs ? Tu te recueilles en toi, en la nostalgie de ce que tu ne veux plus être. Le bleu glacial s'enfuit dans les bords du tableau. Désormais tu seras rose épanouie en ta robe, de communion avec l'ange que tu appelles. Et tu penses aux correspondances baudelairiennes.

    6 / BIEN A VOUS

    ( 2016100 / 100 )

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    Jeune homme tu parles comme un homme. Touché en pleine tête. Missive missile. Il ne te reste plus qu'à te débattre avec ton ange. Est-il en toi ? Est-il en elle ? Est-il un obstacle infranchissable entre vous deux, d'où la nécessité de cette flèche dédiée à l'oiseau charognard de Stymphale, afin de l'abattre, lancée par l'amazone. Te tiens-tu droit comme un I car tu t'appelles désormais Icare. Attention, parfois celui qui veut faire l'ange fait le bête. Tu réfléchis, peut-être l'aventure est-elle plus risquée que tu ne le penses. Cette main qui se tend vers toi, est-elle caresse ou déchirure. Ta cravate désigne-telle le cœur de cible. Pourquoi la palette du peintre est-elle si noire. Pourquoi la peinture a-t-elle besoin de vocables. Les mots d'un titre disent-ils davantage que la représentation figurative du dessin. Est-ce que cela te fait du bien à toi. Valentin. Va lointain.

    7 / UNE IDEE QUI VA SON CHEMIN

    ( 2016130 / 100 )

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    Est-ce l'idée qui trace son chemin ou l'attente. Les ailes sont-elles dans son dos comme un coup de poignard. Toute ramure angélique est-elle si dure à supporter que cela devient trop lourd pour de frêles épaules. Les jambes écartées et les mains sur le sexe. Parce que les anges n'en auraient pas. Avec quoi l'adolescence peut-elle jouer. Sinon avec elle-même. La vie est-elle en pointillés. Alternance du vide de la chair et du plein du cœur. Un terrible déséquilibre qui cloue à terre. Ces heures où le corps n'est d'aucun secours. Et si ces chemins ne menaient nulle part. Pas plus loin que toi-même. Moins loin que l'autre. Se perdaient quelque part dans le monde. La cible est-elle indicible.

    8 / BORDERLINE

    ( 2016130 / 100 )

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    Il a volé à sa rencontre. Il a quitté les langes chrysalidaires de la réflexion pour la statue mobile de l'ange. Est-ce le moment redouté de la chute de l'ange. Toute vie côtoie-telle l'abîme. Court-il sur le bord tranchant du désir. Pourquoi ne s'envole-t-il pas. Qu'est-ce que cette attraction déclinante d'équilibriste. Qu'est-ce que cette lourdeur accaparante qui le gêne dans sa course. A moins que ce ne soit la limite extrême du spectacle du monde où nous sommes conviés. La peinture ne dit-elle pas tout. Tait-elle le spectacle des anges entre eux pour ne pas nous faire honte de notre solitude humaine. Ce grand bec d'ibis d'échassier incapable de se tenir sur ses deux pattes. Ô vide. De quel côté Icare tombera-t-il. Chut !

    9 / FIN PRÊTS

    ( 2016100 / 100 )

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    Ce n'est pas ici que nous aurons la réponse. Parce que le combat n'est pas commencé. Parce que nous savons que ces deux athlètes sont des symboles de ce qui se joue, qui s'amuse, qui se bat de l'aile dans la peinture de Manuel Martinez. Peut-être une occupation de l'espace. L'issue de cette lutte est incertaine. Chacun des deux adversaires est sûr de son fait. On va voir ce qu'on va voir. En fait on ne verra que ce que le peintre nous montrera. Avant de nous passionner, qui sont-ils. Des formes en mouvement figées en leur immobilité. Des anges en colère. Portent leurs plumes comme des coiffes de chefs indiens. Peut-être une représentation formelle de l'une et de l'autre au plus prés de l'acte érotico-métaphysique. L'union du pinceau et de la toile. La signifiance entretenue entre le mot écrit et la chose peinte. Une simple figuration abstraitement libre de ce qui est en train d'advenir.

    10 / NO GO ZONE

    ( 2016100 / 100 )

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    Qui gît là dans ce pugilat. Sumo au summum. Obéissent-ils à la ronde du monde. L'un dessus, l'autre dessous, tour à tour. A moins que ce ne soit leur tournoiement qui le fasse girer. Est-ce un ange qui se bat contre l'autre. Ce qui est sûr, c'est qu'il n'y a pas de sortie de secours. Pas de dégagement possible. Juste le lieu géométrique du combat et la toupie infernale de l'affrontement à la recherche de la cerclitude du carré. Les deux faces de Manuel Martinez, lui qui dans une première époque éclatait les cadres du tableau, lui qui depuis circonscrit le lieu, avec ce titre hors du tableau comme un ange échappé à la concentricité exemplaire de l'action figurée. Le sens de toute chose est-il séparé de la chose. Le couple alchimique efface-t-il les sexes. La peinture de Manuel Martinez casse-t-elle l'atome initial androgynique. Le dit de la littérature, et le monstre du représenté, en un face à face infini, réunis selon la fusion mentale de l'image suscitée, et par l'une et par l'autre, en une sempiternelle gestation séparative.

    11 / GRAVITE

    ( 2016 - 100 / 100 )

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    La situation était plus grave que l'on ne l'espérait. Retour à la solitude. La peinture revisite ses classiques. Ici le christ est redescendu tout seul de sa croix. L'a adopté l'attitude du boxeur groggy relégué dans les cordes du ring. L'ange a failli tout perdre. Encore heureux qu'il ait pu retenir de sa main droite une dernière poignée de plumes. L'on imagine son adversaire dansant la danse du scalp autour du carré de la scène. Le point de gravité est-il focal. Le monde de la peinture s'effondre-t-il dans le trou noir de la défaite. Qui a perdu. Qui a gagné. Le monde de l'homme ou l'homme du monde. Et si l'on veut élever le débat, le monde de l'ange ou l'ange du monde.

    12 / GABY

    ( 2017100 / 100 )

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    Gaby oh Gaby. L'effet de l'autre côté du miroir. Elle a gardé ses ailes. Etait-elle, aile, l'âme du monde. L'ange du monde tire une tronche pas possible. En fin de compte, en aussi mauvais état que son vis-à-vis. Que son vice-à-vice. Le match serait-il nul. Chacun renvoyé à lui-même. L'effusion ne s'est pas résolue en infusion. Dorure scythe. Serait-ce une icône de la peinture représentant la peinture. L'échec au pantalon troué. L'ange abattu en plein vol. Ramené à sa dimension la plus terre-à-terre. Dans la position éplorée de la vierge sans enfant et sans virginité. Déflorée par la seule pensée de l'acte de la peinture. Pinceau introductif du peintre.

    13 / IDEE RECUE

    ( 201865 / 50 )

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    Soyez sans inquiétude la demoiselle a de la ressource. Parfois tout coule de source. Elle a reçu l'annonciation d'une idée qui fera son chemin, dans sa tête ailée, en premier lieu. Mad' moiselle-n'a-qu'un-œil, rêve. Elle se tourne ses propres films. Rien ne la dérange. Cent fois, mille fois, elle retourne la scène primordiale. Mais quelle est-elle au juste. La chute de l'ange parmi les hommes ou la chute de l'homme parmi les anges. Cela demande réflexion. N'est-ce pas une transgression. Un peu comme si la peinture entreprenait de flirter avec la littérature, à moins que ce ne soit la littérature qui interviendrait en peinture. Lorsque l'on regarde le résultat d'une chose, n'importe laquelle, par exemple une plume d'ange, est-ce l'ange qui est allé à la plume ou la plume qui a voleté jusqu'à l'ange. En tout cas, cela porte un nom, cela s'appelle poésie.

    14 / Pas de titre

    ( 2018 - 140 / 115 )

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    Quand on ne sait pas, il vaut mieux se taire. Que l'humain ne pipe mot, qu'il laisse parler les dieux. Voici le vol de l'aigle. Voici le viol de l'aigle. Le rapt des Sabines. La cueillaison d'un rêve. L'image d'un désir. L'aigle vole ce qu'on lui offre. Osiris s'empare d'Isis. Le dieu et la déesse. L'acte et le geste. Les anges ne sont pas des anges. Pas de titre. Peut-être une figure de l'Innommable. Peut-être le mot de l'Indescriptible. Serait-ce la poésie la plus pure. Serait-ce la poésie la plus pute. Mais la première trace du pinceau, le premier mot de la plume appelle le dénouement du geste, implore le dénuement de l'acte, impulse le dénudement de la poésie, désirée et désirante. Le voile tombe. La toile apparaît. Cette toile se nomme Ravissement.

    15 / DEMAIN DES L'AUBE

    ( 2019100 / 100 )

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    Je partirai. La toile se résout en poésie. Le sacrifice a eu lieu. Tout est consommé. Noce d'équinoxe. L'un égale l'autre, l'autre égale zéro absolu. L'étoile mortuaire de la nuit a perdu un de ses joyaux, qui brille dans le crépuscule auroral. Chambre froide du petit matin bleu. Le minotaure n'a jamais tort. Malgré les tortueux replis de l'esprit. Il ne perd jamais le nord. Il mord tout ce qui dépasse sur les bords. Du tableau. Et de la démesure humaine. Puissance noire de l'angélisme. Apis peut faire pis. Mithra est sorti de la fosse. Est-ce l'acte suprême ou un incident dont nul ne se soucie. Le peintre a dressé sa toile comme une offrande.

    16 / Pas de titre

    ( 201680 / 80 )

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    Manuel Martinez a toujours eu des chats chez lui. Nous laissons la parole à Glycéro : '' Ceux qui se prennent pour des maîtres sont fatigants. Mériterait des gnons. A toujours péter plus haut que leur troufignon. Pour moi c'est très simple, tout ce qui vole haut ou bas m'intéresse, quand j'en chope un dans le jardin, ange ou mésange, je le bouffe tout cru. Au moins ils n'auront pas à voler leur mort. Je n'ai pas un mot à ajouter, mes actes parlent pour moi. Ce n'est pas toujours facile de les pister. Parfois l'ange change. Puissance élevée au carré. Manuel Martinez. ''

    Damie Chad.

    NOTES

    Ceci n'est qu'un chemin parmi l'œuvre de Manuel Martinez. Il est à considérer comme une de ces coupes stratigraphiques auxquelles s'emploient les archéologues pour établir leurs futures fouilles et escompter leurs prochaines trouvailles. Encore que Manuel Martinez soit bien vivant et continue à peindre et à exposer.

    J'ai choisi un unique motif dans cette œuvre foisonnante. J'aurais pu en élire d'autres, je les nommerai par exemple, ''filles pensives'', ''les chats'', ''regards contempourris '', je m'arrête, vous êtes assez grands pour bâtir vos paddocks mentaux. Certaines des toiles commentées ici peuvent être incluses dans ces trois catégories ou bien d'autres. Cela fonctionne un peu comme la théorie mathématique des Ensembles. Chacun se crée ses propres périmètres totémiques.

    Lorsque vous parlez avec Manuel Martinez, il se hâte de vous expliquer la programmatique de ses couleurs. Vous expose cela comme une triangulation de complémentaires. Intéressant certes. Mais subsidiaire ai-je envie d'affirmer. Une stratégie d'évitement. Evoquer les moyens évite de déclarer ses intentions profondes. Celles qui courent sur les abîmes.

    Quatre points d'encrage et d'ancrage pour entrer dans cette œuvre : mythe / modernité / peinture / littérature. Quant aux anges rilkéens est-il nécessaire de préciser qu'ils ne participent en rien d'une vision christianologique du monde. Les mots répétés comme autant de coups de pinceaux alignés, sagement et follement, côte à côte. Dans le but inatteignable que l'acte d'écrire imite et figure celui du peintre.

    Les petites vignettes qui surplombent le texte ne témoignent pas de la force des tableaux tels qu'en eux-mêmes les visiteurs des galeries s'y confrontent.

    D. C.

    P. S. : Pour la petite histoire : José Martinez, nous avons présenté dans notre livraison 451 du 12 / 02 / 2020 une série de 24 de ses dessins, est le frère de Manuel Martinez.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 457 : KR'TNT ! 457 : LORDS OF ATLAMONT / JACKIE McAULEY + FRIENDS / POGO CAR CRASH CONTROL / CRASHBIRDS / MARIE DESJARDINS + FRIENDS / JOHNNY & THE HURRICANES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    LIVRAISON 457

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    26 / 03 / 2020

     

    LORDS OF ATLAMONT

    JACKIE McAULEY + FRIENDS

    POGO CAR CRASH CONTROL / CRASHBIRDS

    MARIE DESJARDINS + FRIENDS

    JOHNNY & THE HURRICANES

     

    Altamont là-dessus et tu verras Montmartre

    Part Three

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    D’un simple point vue objectif, les Lords Of Altamont gagnent à tous les coups. Rien qu’en grimpant sur scène, c’est dans la poche. On peut les voir pour la énième fois, leur truc marche à tous les coups. Aucun effort à fournir pour entrer dans leur cirque. Même pas besoin de se pincer. Même pas besoin de réfléchir ni même d’analyser le pourquoi du comment, les Lords coulent de source. Comme si rien n’avait changé depuis 1965 : quelques accords de guitare électrique, deux ou trois petites nappes de Farfisa ici et là, un bon drumbeat bien primaire par derrière et un bassmatic bien monté en épingle, des cheveux longs, un peu de cuir noir, des tatouages, des chansons très simples qui traitent de vitesse, de voitures, de mort sur le highway, de gonzesses et du diable, et voilà, ça suffit. Rien qu’avec ça, les Lords ont de quoi rendre un homme heureux. Just for one day.

    Avec Nashville Pussy, Jim Jones, les BellRays et les Morlocks, les Lords font partie de cette poignée de groupes anglo-américains qui continuent de sillonner l’Europe vaille que vaille. Pour eux, pas question de lâcher l’affaire. Les gens disent que le rock est mort, les Lords affirment le contraire. Le rock ne s’est jamais aussi bien porté. Il sourit de ses trente-deux dents. Il suffit de le jouer pour de vrai et de ne pas prendre les gens pour des cons.

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    Pas de retour en arrière possible pour Jake Cavaliere, depuis qu’il s’est fait tatouer un aigle dans le cou. Il va devoir chanter avec les Lords jusqu’à la fin de ses jours. C’est une façon de s’engager, le même genre d’engagement que prend celui ou celle qui entre dans la fonction publique : c’est pour la vie, avec pour corollaire la savoureuse garantie de la sécurité de l’emploi. Jake Cavaliere jouit du même privilège : il ne perdra jamais son job dans les Lords. Et c’est même encore mieux, car au fond il s’en branle. Il s’en contre-branle. C’est ce qui fait sa force et sa supériorité. Son job ne tient que par son talent, ce qui lui vaut l’intégralité de notre modeste considération. Les compétences sont à la portée du commun des mortels, pas le talent.

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    Et si on se trompait, en prenant le spectacle des Lords au premier degré ? Et si au lieu de n’être qu’un brave petit fantassin de l’armée du rock, Jake Caveliere se prenait pour une rock star ? Il en a travaillé les poses et les impacts, les déhanchés et les rictus, il recycle à sa façon toute la gestuelle mythologique, celle de Jim Morrison, celle de Sky Saxon, et ça va encore plus loin car il y a aussi en lui du Kip Tyler, l’un des mythes les plus brillants et les plus obscurs du rock californien, mais on détectera aussi chez Jake Caveliere un fort relent de Peter Wolf, car «Death On The Highway» vaut bien «Born To Be Wild», les Lords sont dans cette esthétique du biker rock californien, et s’ils reprennent «Slow Death», ce n’est pas non plus un hasard, mon petit Balthazar, car les Groovies font partie de cet ensemble extraordinairement greasy du rock californien, la face cachée du West coasting.

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    Par sa haute silhouette filiforme, Jake Caveliere renvoie aussi au Lord Of Garbage, Kim Fowley. Et par le choix du nom de son groupe, Jake Caveliere établit bien sûr une filiation directe avec les Stones d’Altamont, le cœur de ce que les mythologues avertis appellent the Californian Hell, c’est-dire le jusqu’au-boutisme démonologique poussé dans ses retranchements, l’envers du paradis sous le soleil de Satan. L’autre filiation est bien sûr celle des Cramps dont Jake Caveliere fut le roadie et non, comme il a été dit lors de l’interview, le manager. Les cheveux noir de jais, les lunettes noires, le sens aigu du show, tout ça renvoie incidemment aux Cramps. Les Lords cultivent un petit pré carré extraordinairement fertile. On y trouve aussi Johnny Baker, le Wild One des origines, celui de Laslo Benedek. Si Hunter S. Thompson était encore en vie, aurait-il consacré un ouvrage aux exploits du wild biker Jake Caveliere ? Et Sonny Barger lui aurait-il offert les couleurs du chapitre d’Oakland en gage de considération ? Les Lords voyagent-il en moto de ville en ville avec leurs guitares accrochées dans le dos ? Captain America, Dennis Hopper et Jack Nicholson auraient-ils invité Jake Caveliere à s’asseoir avec eux autour d’un bivouac ? Pourquoi ne voit-on pas Jake Caveliere dans The Sons Of Anarchy ? Et pourquoi Davie Allan & the Arrows ne font jamais la première partie des Lords ? On n’en finirait plus de se poser les bonnes questions, avec ces mecs-là. Ils s’investissent tellement dans leur cirque qu’on ne sait plus où s’arrête le réalisme et où commence l’hypothétisme hypodermique.

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    Le principal, c’est qu’ils jouent. Ah pour jouer, ils jouent ! Vingt ans de métier. Une grosse heure de rock vroom vroom. On est là pour ça. Les Lords t’en donnent pour ton billet de vingt. On voit des têtes bouger dans le public. Les Lords savent travailler la couenne d’une salle. Jake Caveliere fait encore pas mal de pyrotechnics avec son petit Farfisa. Il adore offrir son clavier en pâture aux idolâtres du premier rang. Quand on le voit éclater de rire en faisant le pitre avec son collègue guitariste, on réalise qu’au fond, ils ne se prennent pas vraiment au sérieux. C’est comme au cirque : as-tu déjà vu un clown se prendre au sérieux ? Non, car d’un simple point de vue cartésien, c’est impossible. Un clown triste, oui, mais pas un clown sérieux. Par contre, le clown va faire son job avec le plus grand sérieux du monde, car rien n’est plus difficile que le métier de clown. Ce n’est pas donné à tout le monde de réussir dans cette branche. S’offrir en spectacle demande certaines dispositions, la première étant d’apprendre à être sûr de soi. Le mieux possible. Tu crois que c’est facile de monter sur scène et de faire le con dans un groupe de rock ?

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    À part les Groovies, les Lords tirent aussi un joli coup de chapeau à Wolf, dont ils reprennent «Evil (Is Going On)». Bien sûr, Jake Caveliere n’a pas la voix, mais l’idée l’honore. Ils font leur petit mix habituel en puisant dans tous leurs albums, sauf Lords Take Altamont où se trouvent toutes leurs fabuleuses reprises des Stones. Bizarre, aucune trace de ce big deal dans leur set. C’est bien sûr le dernier album qui est à l’honneur, The Wild Sounds Of The Lords Of Altamont, évoqué en long, en large et en travers dans un récent Part Two. Mais ils mixent savamment les époques, en ouvrant par exemple avec «Live Fast» et en fermant avec l’implacable «Cyclone», tous les deux tirés de Lords Have Mercy, leur deuxième (et excellent) album paru voici quinze ans. Eh oui, quinze ans déjà, tout ce temps qui, comme le dit Erik Satie, passe et ne repasse pas.

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    Signé : Cazengler, Lord of t’as quelle heure al ta montre ?

    Lords Of Altamont. Le 106. Rouen (76). 4 mars 2020

    From Cazengler, wuthering monts :

    Lords of Atlamont : on Chroniques de pourpre : Kn'tnt ! 213 du 11 / 12 / 2014

    Lords of Atlamont : on Chroniques de pourpre : Kr'tnt ! 344 du 19 / 10 / 2017

    Pas d’olé olé chez McAuley

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    Regardez bien la pochette du EP «Gloria» paru en 1965 sur Decca : le petit mec qui se déhanche au fond avec les bras croisés et la mèche sur les yeux s’appelle Jackie McAuley. Il est le keyboard player des Them et son frère Pat, deuxième en partant de la gauche, y bat le beurre. À cette époque, il était aussi vital de connaître les noms des musiciens que de comprendre les paroles des chansons.

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    McAuley ? Un nom quasiment inconnu du grand public. Après la désintégration des Them, les fans de Kim Fowley retrouvèrent sa trace dans les Belfast Gypsies, puis en 1970, il fit un brin de psych-folk avec l’ex-Fairport Judy Dyble dans Trader Horne. C’est à peu près tout. Pas de quoi en faire un fromage. Mais si.

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    L’an passé, on recroisait son nom dans la rubrique ‘On The Shelf’ d’Ugly Things. Tiens tiens, McAuley publie ses mémoires... À compte d’auteur, bien entendu. Les souvenirs d’une cinquième roue du carrosse n’intéressent pas les éditeurs, tout le monde le sait. Le titre ? I Sideman. Il ne s’est pas foulé. Mais bon. Si tu veux choper ce livre, il faut aller sur le site de l’auteur, jackiemcauley.com. I Sideman coûte un billet de vingt et deux clics. Qu’est-ce qu’un billet de vingt comparé à l’univers ? Rien.

    Quand on lit des choses publiées à compte d’auteur, il ne faut surtout pas s’attendre à des miracles. Mais si on part du principe qu’il n’existe quasiment pas de littérature consacrée aux Them, on peut très bien tenter le diable en consacrant une vingtaine d’heures à la lecture d’un livre, aussi mal barré soit-il. Qu’est-ce qu’une vingtaine d’heures comparée à l’éternité ? Rien.

    Contre toute attente, Sideman avale son lecteur comme la baleine avale Jonas. Gloups ! T’as voulu voir Vesoul et t’as vu McAuley ! Il nous chante sa chanson de naguère, celle du temps où il s’appelait Jackie. Grand et bon à la fois. On se cabre. Trop facile ! Mais oui, c’est facile quand on a keyboardé dans un groupe aussi capital que les Them.

    Est-il bien utile de rappeler que l’EP des Them provoqua le plus grand schisme du XXe siècle ? En termes de conséquences, l’impact de «Gloria» équivaut à celui qui fracassa le christianisme en deux blocs, catholiques et protestants, ou encore l’Islam, dont les chiites et les sunnites se disputent encore le dogme. En 1965, la jeunesse américaine dut choisir son camp, non pas entre les Beatles et les Rolling Stones comme voulaient nous le faire croire les médias de l’époque, mais entre les Them et les Beatles. D’un côté, vous aviez les popsters (Beach Boys, Byrds, Monkees, Lovin’ Spoonful et tous les preux shouters d’harmonies vocales) et de l’autre les gueules d’empeignes qui collaient leurs crottes de nez sur leurs guitares : les garage-punksters (Shadows Of Knight, Standells et toute cette faune interlope condamnée à fréquenter les araignées, oui, tous ces groupes improbables qu’on croise sur les Back From The Grave de Tim Warren).

    McAuley ne nous le dit pas expressément, mais les Them ne pouvaient être qu’irlandais. Dans The Commitments, Jimmy Rabitte s’exclame : «Les Irlandais sont les nègres de l’Europe !». C’est d’autant plus criant dans le cas de McAuley qu’il naît pauvre dans une famille nombreuse. L’expression consacrée en langue anglaise est dirt poor. La famille McAuley vit à Belfast et petit, Jackie entend sa mère dire à son père : «My God, on est condamnés à vivre dans ce ghetto pour toujours !» Pas de viande aux repas. Les seuls souvenirs que Jackie garde de sa petite enfance sont le froid et la faim. Du carton dans les chaussures trouées. Pas de manteau en hiver et une paire de chaussettes en guise de gants. Jackie ne lésine pas sur les détails, mais il le fait avec cette dignité dont seuls sont capables les pauvres. Qu’on se rassure, McAuley ne se prend pas pour Zola. Ce n’est que l’histoire de sa vie. Son sens de l’humilité va loin car il explique que ses frères et lui ne demandaient jamais rien à Mom and Dad, car ils savaient qu’ils n’avaient rien. Du coup, ils ne se sentaient pas privés, puisqu’ils n’attendaient rien. L’extrême pauvreté leur semblait ‘naturelle’. Comme Mom and Dad sont musiciens et qu’ils n’ont pas d’autre métier, ils vivent d’expédients. C’est à la fois le malheur et la chance de Jackie, de Pat et des autres qui par la force des choses deviennent multi-instrumentistes dès leur plus jeune âge. Rien à bouffer dans le taudis, alors ils jouent avec le banjo et le piano. Cling cling ! Oh ! Clong clong ! Wow ! Alors que les autres gosses jouent dans la rue, les McAuley jouent avec leur mère. Jackie va quand même à l’école, St Comgalls Catholic School, pour être précis. Il y apprend les deux clés de la survie en Irlande : «Baisse la tête» et «Ferme ta gueule». C’est tout ce qui lui reste de sa scolarité.

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    En 1960, Jackie découvre Lonnie Donegan. Il a quatorze ans. À travers Donegan, il découvre Leadbelly et Woody Guthrie. Alors c’est parti. Pat lui dit un jour qu’un groupe dément joue au Maritime, une espèce de grand hall tout en longueur avec une scène au fond - Who are Them ? What are Them ? - Grâce aux Them, le Maritime devient la Mecque du r’n’b. Les wild shows des Them entrent dans la légende. Van Morrison saute partout, tombe à genoux, jette son tambourin et ses pompes dans la foule qui devient folle - It was just that crazy - Quand Eric Wrixton, le premier keyboardist des Them quitte le groupe parce qu’il est mineur et que ses parents le forcent à finir ses études, Billy Harrison recrute Pat McAuley pour le remplacer, puis quand le batteur Ronnie Millings quitte le groupe à son tour pour bosser et trouver de quoi nourrir ses trois gosses, Pat passe derrière les fûts pour le remplacer. Billy lui demande s’il connaît un organiste et Pat dit yes. Jackie entre dans le groupe en 1964. Il n’a que dix-sept ans. Fier comme un pape. Les Them storment l’Angleterre, raw and hard-hitting - S’il fallait résumer le groupe en un seul mot, ce serait ‘dynamic’ - Les seuls capables de rivaliser de sauvagerie avec les Irlandais, ce sont bien sûr les Pretties.

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    Ça c’est le bon côté des choses. Les hits des Them resteront les modèles du genre jusqu’à la fin des temps, mais l’histoire du groupe atteint un niveau de réalité sordide rarement égalé.

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    La première chose que Jackie remarque au moment où il rejoint le groupe, c’est l’état physique et mental des autres : crevés et fauchés, like penniless beggars, hagards comme des clochards. Bon, Pat et Jackie ont de l’entraînement, mais passé le cap de la vanne, ils ont du mal à piger pourquoi l’un des fleurons du fameux ‘British Boom Beat’ n’a pas de blé. La réponse s’appelle les Solomon. Deux frères connus comme le loup blanc à Belfast. Ils ont commencé par lancer les Bachelors puis voyant les Them casser la baraque au Maritime, ils ont alerté Dick Rowe, le boss de Decca, oui, celui qui a laissé passer la chance de sa vie en hésitant à signer les Beatles. Dans les pattes des Solomon, les Them sont baisés. Signe là, mon gars, oui, là, sur les pointillés. Van signe et les autres aussi. Ils font confiance. Grave erreur. Plan classique à l’époque. Les Solomon empochent tout le blé des ventes et des tournées. Ils expliquent aux Them médusés que leur blé est stocké sur un compte en banque, ‘pour plus tard’. En attendant, ils distribuent un peu d’argent de poche, juste de quoi manger. Et encore. Les Them sont faits comme des rats, comme le furent les Walker Brothers dans les pattes de Maurice King ou Badfinger dans celles de Stan Polley. Ça va loin, car les Them ont signé directement avec les Solomon et non avec Decca, ça veut dire que tout ce qui porte le nom de Them appartient aux Solomon, qui eux ont signé avec Decca. Jackie apprendra plus tard que le père et l’oncle des Solomon sont en plus actionnaires de Decca. En français, ce montage ‘juridique’ porte un joli nom : arnaque légale.

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    Jackie et Pat retrouvent souvent Van dans un petit café proche du City Hall de Belfast. Mais ils n’ont pas assez de blé pour se payer une tasse. Billy Harrison se souvient d’avoir crevé de faim à l’époque. Mon pauvre Billy, c’est d’une banalité ! Il raconte par exemple qu’un jour en tournée, Van chope la grippe et Pat se tape une grosse crise d’asthme. Alors les autres fouillent au fond de leur poches et trouvent de quoi se cotiser pour financer une chambre d’hôtel. Les deux malades peuvent dormir au chaud, alors que Billy et Alan grelottent de froid toute la nuit dans le van. Essayez de dormir dans une bagnole en plein hiver, vous verrez si c’est facile. Ça se termine généralement avec des engelures aux pieds. Billy ajoute qu’ils crèvent tellement la dalle qu’ils finissent par chourer les bouteilles de lait sur les doorsteps, en plein Swingin’ London, à l’époque où on les invite à Ready Steady Go.

    Ils débarquent un jour en studio à Londres, mais l’exaltation de dure pas longtemps car des gros bras de Decca virent Jackie et les autres pour les remplacer par des session men. «Baisse la tête» et «Ferme ta gueule». Jackie et Pat ont bien appris leur leçon. La vraie raison n’est pas liée aux compétences des musiciens, car Jackie et Pat valent largement Bobby Graham et Jimmy Page. Non, c’est pire que tout ce qu’on peut imaginer : Solomon paye les session men, comme ça il ne doit rien aux Them.

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    Écœuré par toutes ces pratiques, Van Morrison réglera ses comptes plus tard dans une fantastique chanson appelée «Big Time Operators» - They were vicious and they were mean/ They were big time operators/ Baby/ On the music business scene - Il décrit ce cauchemar avec tout le génie vocal qu’on peut imaginer.

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    Quand «Baby Please Don’t Go» explose la gueule des pauvres charts anglais, les Them réclament un van plus confortable pour les tournées, par exemple un Mercedes. Non, hurle Solomon. «Je suis juif, il est hors de question d’acheter un produit allemand !» C’est tout ce qu’il trouve comme excuse pour financer à la place d’un van confortable un mini-van Ford d’occase complètement inadapté aux tournées d’un groupe devenu célèbre : deux places devant et les autres derrière, au sol avec le matos. Petite cerise sur le gâteau : le mec qui supervise les tournées en Angleterre n’est autre que Maurice King. Un King qui se régale des pleurnicheries des Irlandais et qui leur répond : «Mais les rockers ne mangent pas ! Ils ne dorment pas non plus !» Manger au restau ? Dormir à l’hôtel ? Pffffff ! Momo adore se foutre de leur gueule. Il les traite de «thick fuckin’ paddies». Jackie ne peut pas encadrer ce sale bonhomme. D’autant qu’il le voit emplâtrer les recettes des concerts. Le pire est que Solomon et King mettent la pression et bookent des concerts sans arrêt partout en Angleterre. La vie des Them commence à ressembler étrangement à celle d’un cotton picker nègre de l’âge d’or de l’agriculture esclavagiste : tu bosses tous les jours de l’aube à la tombée de la nuit pour des nèfles. C’est comme ça. Les Them jouent tous les soirs, travelling up and down without a break. On n’a pas idée de la rapacité des gens du business à cette époque. Elle vaut largement celle des patrons blancs de plantations. Un jour Jackie tombe sur un bel écriteau à la porte d’un Bed & Breakfast : «No blacks, no Irish, no Jews, no Dogs». Il ne savait pas à quel point les Britanniques pouvaient haïr les Irlandais. Au moins comme ça les choses sont claires. Les Them sont souvent obligés de rentrer à Londres pour trouver un endroit où dormir. Et c’est là qu’ils se mettent aux amphètes, juste pour pouvoir tenir. Marche ou crève. Un matin, Jackie ne se réveille pas, et le groupe reprend la route sans lui. Viré.

    Le deuxième à lâcher prise, c’est Pat. Il comprend vite que personne ne récupérera jamais le blé que doit Solomon au groupe. Puis Billy Harrison jette l’éponge à son tour. Van et Alan Henderson tentent de continuer, mais les Them sont morts.

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    Revenons un instant sur la fameuse pochette du EP «Gloria» : on voit dans l’ordre Alan Henderson (bassman cravaté), Pat, Van Morrison et juste derrière lui se tient Billy Harrison, le heavy guitar-slinger de «Baby Please Don’t Go» qu’a longuement interviewé Richie Unterberger dans Ugly Things. Deux fois quinze pages ! Damn it ! Billy ne lésine pas sur les détails. Il nous rappelle qu’à l’origine, Van joue du sax et se passionne pour le blues. Il tape dans la collection de son père qui collectionne les disques des bluesmen les plus obscurs. Avant de rejoindre les Gamblers (Billy, Alan Henderson et Ronnie Millings), Van a déjà roulé sa bosse et joué dans des showbands de tous styles, rock’n’roll, jazz ou country. Mais il ne chante pas. Puis les Gamblers deviennent les Them - Who are Them ? - Ils optent aussitôt pour le raw to the bone - The Rolling Stones, the Pretty Things, the Yardbirds ? Them were ahead of them, We were playing something they hadn’t reached - Billy affirme que les Them avaient une belle longueur d’avance sur les autres groupes, en matière de rawness. Selon lui, les Stones détestaient les Them car ils les voyaient comme une menace. Excepté Brian Jones qui appréciait beaucoup Billy. Les Them jouaient une cover du fameux «Turn On Your Lovelight» de Bobby Blue Bland qui durait une demi-heure, avec laquelle ils transformaient le Maritime en madhouse. Puis Billy se met à foutre des grands coups de pompes dans la fourmilière du mythe : il rappelle qu’il a composé «Gloria» chez sa mère, dans le salon, avec Van et Alan - I made the sound, the riff and the whole thing - Billy s’énerve tout seul - Again it’s that I said : Van was Van, but I was Them. I made the sound of Them - Billy revendique la paternité du son des Them. Et quand Unterberger lui parle des groupes qui ont repris «Gloria», Billy hennit comme l’étalon de Zorro - Non, non non ! Cause they all play these three chords E, D and A and they play ‘em all jerky, it doesn’t roll like that at all - Il a raison Billy de s’énerver, des centaines de groupes ont massacré «Gloria» en jouant bêtement les trois accords - There’s a lot more to it than the three chords. It’s what I used to call three chords and four tricks - Trois accords et quatre trucs. Billy explique que le roll traverse tout le cut. La seule version de «Gloria» qu’il accepte de citer est celle de Van avec John Lee Hooker. Mais tout le reste, non, «cause you don’t have my guitar and you don’t have Van’s voice. Game over.» Il revient aussi sur les changements de line-up et le départ du batteur Ronnie Millings qui était aussi le chauffeur du vieux van. Ronnie parti, qui veut conduire ? Personne n’a son permis. Alors Billy se dévoue. Pas de permis, pas d’assurance, no nothing, et voilà les Them en route pour l’aventure on the mainland, comme ils l’appellent, la Grande-Bretagne - We gotta go and do the gigs - Fin 64, ils font leurs premières télés à quatre, juste avant l’arrivée de Jackie.

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    Ils reviennent en session à Londres en 1965 avec le producteur américain Bert Berns pour enregistrer «Baby Please Don’t Go» et «Here Comes The Night». Billy rend hommage à ce génie du son, un Bert Berns qui harangue le groupe à coups de «Let’s get this cooking, guys !» En studio, Berns crée l’atmosphère, comme il le fit auparavant avec Solomon Burke et Garnet Mimms. Billy explique que son «Baby Please Don’t Go» sort d’un vieil album de Big Joe Williams entendu chez le père de Van, mais l’idée était d’en faire un truc très différent. Something différent... Ça ne vous rappelle rien ? La vieille obsession de Sam Phillips lui aussi en quête du something different. C’est-à-dire le Graal. Billy Harrison cherche exactement la même chose. Il précise que deux batteurs jouent sur «Baby Please Don’t Go» : Bobby Graham et Ronnie. Jimmy Page ? Yes, il gratte sa gratte en rythmique. Billy ne l’aime pas. Il n’a pas besoin de lui. Et Jimmy Page ne l’aime pas non plus. Billy est furieux. Il dit à Berns qu’il n’a pas besoin de ce mec-là pour jouer sur «Baby Please Don’t Go». Il n’y a qu’un seul accord en sol - On and off a G on the bass string - En jouant l’accord sur sa guitare, Page dit qu’il donne du volume au drone. Billy ne réussit pas à le faire virer du studio. Unterberger joue un peu avec le feu quand il demande à Billy ce qu’il pense de cette rumeur qui a longtemps couru : Jimmy Page aurait joué le riff de «Baby Please Don’t Go». Billy saute en l’air. Fuck it ! Ça le met hors de lui qu’un mec comme Page n’ait jamais démenti de lui-même cette rumeur - Fuck ‘im ! He still can’t play it ! - On ne marche pas sur les pieds d’un mec comme Billy.

    Par contre, il n’est pas très tendre avec Jackie - Not that great - C’est vraiment pas gentil. Viré, comme on l’a dit et remplacé par Peter Bardens pour l’enregistrement de The Angry Young Them. Billy affirme que le line-up de ce premier album est le vrai line-up des Them : Van, Alan, Pat, Bardens et lui. Puis le groupe commence à se désintégrer. Ça va très vite, comme toujours. Billy considère les Them comme son groupe, alors il en devient le porte-parole. Il demande à Phil Solomon où passe le blé. En guise de réponse, Solomon menace de renvoyer le groupe en Irlande et de les rayer de la carte. Billy constate ensuite qu’en tournée, Van commence à voyager seul, sans les autres. Jusqu’au jour où il apprend incidemment que Van auditionne des musiciens en douce. C’est là qu’il arrête les frais. Il ne faut pas prendre Billy Harrison pour un con - I just blew the fuck up - Simple as that. Le groupe repart sans lui. Il reçoit une lettre le lendemain. Viré.

    Quand Billy retrouve son calme, la lumière se fait dans sa tête. Il comprend que Solomon voulait se débarrasser de lui. À vouloir défendre les intérêts de ses copains, Billy était devenu le troublemaker qui osait demander des comptes ! Il comprend aussi l’arnaque des crédits de chansons. Comme par hasard, tout est signé Morrison. Facile à comprendre : Van signe les cuts et Solomon le protège. Diviser pour mieux régner. Pratique courante à cette époque. Comme les frères Chess à Chicago, Solomon vit principalement des droits des chansons, ce que les Anglais appellent le publishing. C’est aussi sordide que ça. Étant donné que Billy ne signe pas les compos, il ne vaut pas un clou. Et pourtant il compose. Il fait confiance. Van est un pote. Le résultat de tout ça, c’est que Billy finit par travailler à la Poste. Comme il le dit lui même, il passe du statut de star à celui d’asshole, qu’on peut traduire par moins que rien, si on veut rester poli. Pour couronner le tout, il affirme qu’il n’a jamais vu un seul penny de royalties. Du coup, il se remet en colère. Il est d’autant plus vert de rage qu’il s’est battu comme un délégué CGT au nom des autres qui écrasaient leur banane devant Solomon. On aurait dit des nègres devant le patron blanc. Le même genre de peur bleue. Billy s’étrangle de rage - Solomon ruined a potentially big big group, he really did - Il donne un violent coup de poing sur la table. Cette fois c’est Unterberger qui saute en l’air.

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    L’interview d’Unterberger est capital, car il met en lumière l’importance de Billy Harrison dans l’histoire des Them, ce que ne fait pas Jackie dans son livre. Jackie ne s’étend pas non plus sur un autre épisode capital : la rencontre avec Kim Fowley et la formation des Belfast Gyspsies dont l’album vaut aux yeux des spécialistes tout l’or du monde et pour une fois, c’est vrai. Pat décide de relancer les Them et bombarde Jackie chanteur. Kim Fowley surgit de nulle part, pareil au comte Dracula, nous dit Jackie, et propose de manager le groupe. Jackie ne veut plus du nom des Them, alors Kim Fowley propose les Belfast Gyspsies et leur décroche un deal chez Sonet Records, un label suédois. L’album est aussi indispensable à toute collection qui se respecte que peuvent l’être les albums des Standells ou encore ceux de Pretties. Ne serait-ce que pour «Gloria’s Dream», ce hit parfait qu’on vit renaître récemment sur scène grâce aux mighty Cynics. Jackie chante quasiment comme Van, il lâche un feel alrite dégoulinant de proto-punkitude, il faut voir sa gueule sur la pochette, c’est celui de gauche et Pat se trouve à droite. Il bat le funky night comme un guerrier africain. Ce cut pue l’adrénaline et l’ombre de Kim Fowley plane sur ce festin de délinquance. L’incroyable de la chose est que tout l’album est bon, même leur «Aria», qui est humide et sombre comme un caveau mortuaire. Ils sortent aussi un «Midnight Train» digne de Bo Diddley et des Yardbirds, Jackie y fait sa Mona avec le meilleur snarl d’Angleterre. Nouveau coup d’éclat avec «People Let’s Freak Out» monté au pire Diddley Beat de l’époque. Jackie démolit plus loin un «Boom Boom» que vient jazzer Pat sur ses fûts. Ils font aussi une version de «Hey Gyp (Dig The Slowness)» digne de celle des Animals. Jackie buy you the Chevrolet et le sugar cube comme Eric Burdon, mais en plus ténébreux. Ça joue à la sourdine malsaine, c’est bardé de réverb et ils finissent en beauté avec le freakout de «Secret Police», ivre de ce génie punkoïde qu’on retrouve sur l’I’m Bad de Kim Fowley. Jackie s’y livre à ses ultimes exactions de garage-punkster. Dommage qu’il n’ait pas continué avec les Belfast Gyspies. Personne n’est mieux placé que Kim Fowley pour saluer Jackie McAuley : «Tu aurais voulu que Van Morrison ait la tête de McAuley. Quand tu entendais sa voix, c’était la même que celle de Van Morrison. Mais Jackie ressemblait à Jack Palence Jr. He had a great rock’n’roll look. Il était la version Elvis d’un Jack Palence à l’Irlandaise. Il avait la fibre d’une rock star, the mysterious dark vibe avec la voix de Van Morrison (...) Ils avaient la même voix. L’un avait une dégaine de rock star et l’autre ressemblait à un clerc de notaire.»

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    Si les épisodes Them (quelques mois dans sa vie) et Belfast Gypsies (quelques mois aussi) relèvent de la fugacité, ses relations d’amitié s’inscrivent par contre dans la durée. Celle d’une vie entière et le récit ne s’en porte que mieux car les amis de Jackie ne sont pas n’importe qui. Il croise pas mal de gens intéressants pendant sa vie de Londonien (John Peel et Lemmy, par exemple), mais c’est avec Gus et Henry McCullough qu’il fraternise. On reconnaît souvent la qualité des gens aux qualités de leurs amis. Gus ? Mais oui, Johnny Gustafson, disparu récemment, un mec de Liverpool qui jouait dans The Big Three - l’ultra-mythic power trio de Liverpool - puis avec l’encore plus mythique John Du Cann. Gus fut aussi bassman pour Roxy Music, on le retrouve ensuite dans l’effarant Quatermass et bien sûr dans les Pirates, aux côtés de Mick Green, certainement l’un des meilleurs guitaristes anglais avec Dick Taylor et Eddie Phillips. Jackie rencontre Gus à Tin Pan Alley, l’endroit où les musiciens de session viennent chercher du travail pour survivre. Les sidemen, justement. Jackie aime bien Gus parce qu’il prend toujours les choses du bon côté - If Dazit, Dazit - telle est sa philosophie. Dans la liste des remerciements, à la fin du livre, Jackie dit de Gus : «My best ever friend», suivi de près par «my hero Henry McCullough». Des millions de gens ont vu McCullough miauler des chœurs de rêve derrière Joe Cocker à Woodstock, pendant la fameuse reprise de «With A Little Help From My Friends». À une époque, Henry veut monter un groupe avec Jackie, mais Jackie hésite. Alors chacun poursuit sa route. Henry monte Eire Apparent et sort un album produit par Jimi Hendrix. Puis il décolle avec le Grease Band et finit par rejoindre McCartney dans Wings. Mais la gloriole ne l’intéresse pas. Il préfère la fréquentation des mecs comme Jackie ou Ronnie Lane. Le voilà dans Slim Chance. Retour à la bohème. Tous les fans de Ronnie Lane qui ont vu le docu The Passing Show savent de quoi est capable cet effarant guitariste qu’est Henry McCullough : dans les bonus, on le voit jouer «Kuschty Rye» en picking demented, façon Delivrance.

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    L’autre sujet de fierté de Jackie, c’est la confiance de Lonnie Donagan, son premier héros, qui lui confie le leadership de son backing band. Tiens, encore une fascinante connexion : Badfinger. Jackie fréquente à une époque Tom Evans, le bassman de ce groupe jadis chaperonné par les Beatles. Pete Ham comme on le sait s’est pendu dans son garage, incapable de supporter l’idée de s’être fait plumer par Stan Polley. Jackie et Tom se voient régulièrement pendant cette période sombre, et bien sûr, Tom ne parle que d’une chose : le suicide de Pete. C’est même obsessionnel. Il se demande comment on fait pour trouver le courage de se pendre. Pour faire le nœud et écrire une lettre. Comment fait-on ? Et il ajoute : «Mais si le cou ne se casse pas ? Tu t’étrangles ?» Il épluche tellement tous les détails qu’il fout les chocottes à tout le monde. Bien entendu, Tom Evans va finir par se pendre. Pas dans son garage, mais dans son jardin, à la branche d’un arbre. C’est un peu moins glauque.

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    Cette autobio est un vrai carnet d’adresses. Après les deux pendus, on tombe sur le roi des excentriques britanniques. Ginger Baker ? Keith Moon ? Non, Vivian Stanshall. Un Stanshall que Ronnie Lane engage comme Master of Ceremony pour son Passing Show, mais un jour, en montant dans la roulotte de Kevin Westlake, Ronnie tombe sur un étrange spectacle : Stanshall, un verre à la main et le pantalon sur les chevilles, demande : «Ya got any toilet paper, old bean ?» (T’as pas du papier cul? ). Viré le lendemain. Ce n’est pas que Ronnie Lane n’ait pas d’humour, mais Stanshall pousse le bouchon beaucoup trop loin. Il en a fait un métier et peu de gens peuvent suivre. Jackie est assez fier de faire partie des gens qui suivent.

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    Un jour, Stanshall l’appelle car il cherche un guitariste pour l’accompagner sur scène. Jackie arrive chez lui. Il tombe sur un Merlin à barbe rouge, enveloppé d’une robe de chambre sans rien en dessous. Dans le salon trônent de grands aquariums. Quelques serpents, des tortues carnivores et des poissecailles. Stanshall s’agenouille et regarde sous la banquette. Jackie lui demande s’il cherche quelque chose. Oui un serpent, lui répond laconiquement son hôte. Ils échangent quelques banalités et Stanshall demande à Jackie d’aller lui chercher un petit sac en plastique dans le frigidaire. Oui, oui, là-bas, dans la cuisine. En ouvrant la porte du frigo, Jackie pousse un cri d’horreur. C’est bourré de sacs de souris crevées. Il ramène le sac et Stanshall balance la souris dans un aquarium. Piranhas ! Puis avec un accent châtié à la Oscar Wilde, il demande à son invité : «Would you like a drink ? Some cider perhaps ?» (Vous prendrez bien quelque chose, un peu de cidre ?). Après avoir essuyé un refus poli, Stanshall propose de commencer à travailler sur ses chansons, l’objet réel du rendez-vous. Jackie se dit à la fois traumatisé et émerveillé.

    En réalité, Viv Stanshall fait le coup du serpent évadé et des piranhas à tous ses visiteurs. Ça lui permet de tester la résistance des matériaux. Certains craquent et s’en vont aussi sec. Ne restent que les plus solides, comme Jackie, dont la curiosité reprend le dessus. Et puis, il faut bien reconnaître que Vivian Stanshall dégage un charme extraordinaire.

    Ils vont jouer tous les deux dans des pubs. Il faut savoir qu’en Angleterre, les gens vénéraient les Bonzos et Vivian Stanshall en particulier. L’équivalent français pourrait être l’immense Professeur Choron, un géant de l’excès, barbare et raffiné à la fois, la bite à l’air et le fume-cigarette au coin des lèvres. Le duo Stanshall/McAuley s’appelle Vic Stanshall’s Vivarium. Stanshall joue de l’ukulélé et des instruments de sa fabrication, et Jackie l’accompagne à la guitare. Sideman. La clientèle des pubs raffole de leurs numéros baroques. Comme celui-ci : une longue sangle élastique, Viv en tient un bout entre ses dents pour avoir les mains libres et Jackie l’autre bout des deux mains. Ils reculent de quelques pas chacun de leur côté pour tendre la sangle au maximum. Viv bat des bras comme un oiseau et Jackie lance : «Ladies and gentlemen, the amazing Viv Stansh...» et à ce moment précis, il lâche la sangle - ça fait partie du numéro - et Viv la prend en pleine gueule, schpounz ! Au tapis ! Le numéro le plus absurde qui ait jamais été imaginé, nous dit Jackie, qui en meurt de rire à chaque fois - In fact it was stupid but Viv thought it was hilarious - Numéro stupide que Viv trouvait hilarant. Bienvenue au royaume wonderfully insane de Vivian Stanshall. Mais comme Keith Moon, Viv ne pouvait plus faire autrement que d’être un Viv de tous les instants. Passé un certain cap, on ne peut plus revenir en arrière.

    Dans l’excellent Ginger Geezer, Lucian Randall et Chris Welch rappellent à quel point Moonie et Viv savaient se marrer. Ils entrent un jour chez un marchand de fringues à la mode.

    — Que désirez-vous messieurs ?

    Moonie et Viv répondent en chœur :

    — Strong trousers !

    Un pantalon solide ? Le mec ramène un beau pantalon en mohair. Viv prend une jambe et Moonie l’autre. Ils tirent chacun de leur côté. Crac ! Ils déchirent le pantalon en deux morceaux. Alors ils crient au scandale :

    — Vous appelez ça des strong trousers ?

    Le vendeur ne comprend pas. Ce type d’événement se situe hors de sa portée. Soudain, un complice unijambiste entre dans le magasin et vient droit sur les deux morceaux de pantalon :

    — Oh my God, c’est exactement ce que je cherchais ! J’en prendrai deux paires !

    Vivian Stanshall collectionne les coupures de presse dans un classeur qu’il appelle The Book Of Madness. L’une de ses préférées : «Un homme accusé d’avoir abattu son copain comparaît au tribunal de Lagos et dit qu’il a tiré par erreur : il l’a confondu avec un gorille.» L’histoire de Vivian Stanshall est une infernale partie de rigolade qui ne prend fin qu’avec sa mort - Viv had lost his greatest battle - against himself. Si vous tenez vraiment savoir comment Stanshall est mort, sachez qu’il a cramé dans l’incendie de sa chambre, avec toutes ses possessions, comme un roi Viking à bord de son drakkar en flammes. On trouve cette scène dans le film de Richard Fleischer avec Kirk Douglas qui fascinait tant Stanshall.

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    Unterberger profite aussi de la parution du livre de Jackie pour l’interviewer dans Ugly Things. Quand il lui demande pourquoi il publie à compte d’auteur, Jackie se marre. Il met les éditeurs dans le même panier que les gens du showbiz et pour lui, publier à compte d’auteur, c’est un moyen de ne pas se faire arnaquer. On comprend qu’il soit chatouilleux sur la question. Quand Unterberger revient sur l’arnaque Solomon, Jackie sort ça : «The band was basically ripped up big time.» Dans la presse anglaise, le seul reproche qu’on ait fait à l’auteur est de ne pas avoir donné plus de détails sur les Belfast Gypsies. Alors Unterberger saute sur l’occasion. Jackie brosse un portrait de Kim Fowley superbe, «un homme maigre et très grand, avec les bras constamment en l’air, presque comique. Un homme very strange (...) On écrivait les chansons avec lui.» Jackie lui fait confiance. Comme il voit qu’Unterberger commence à baver, Jackie ajoute : «On bossait dur. Mais il n’y a rien de spécial à raconter.» Quelques concerts au Danemark, pas de blé, à quatre dans une chambre d’hôtel, toujours la même histoire. En fin d’interview, Jackie avoue qu’il n’avait pas non plus assez de blé pour financer la publication de son livre. Alors ses frères se sont cotisés. Vieux réflexe irlandais.

    Pas de livre sur le rock à Belfast sans référence à la violence et à ce qu’on appelle ‘the Troubles’. Mais à la différence des Stiff Little Fingers qui les évoquent si bien, Jackie n’a pas vécu en direct cette guerre civile qui a déchiré l’Irlande du Nord pendant trente ans, opposant les républicains catholiques aux unionistes protestants pro-britanniques. Coup de pot, Mom & Dad McAuley réussirent à quitter Belfast au moment où ça commençait à devenir très dangereux de sortir dans la rue. Mais tout le monde n’a pas eu cette chance-là. Jackie consacre tout son chapitre 10 à son ami Steve Travers et au groupe Miami dont personne n’a jamais entendu parler pour une raison bien simple : on les a transformés en passoires au bord d’une route par une belle nuit d’été.

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    En 1975, Steve devient bassman de Miami, un Irish showband qui a le vent en poupe. Ils jouent partout en Irlande à guichets fermés. Le chanteur s’appelle Fran O’Toole, le guitariste Tony Geraghty. Le trompettiste Brian McCoy conduit le minibus Volskwagen bleu qui ramène le groupe à Belfast après un hot set au Castle Ballroom de Banbridge, de l’autre côté de la frontière. Ils écoutent une cassette d’Edgar Winter et chantent en chœur «Tobacco Road». Un peu plus loin sur la route, les forces spéciales de l’armée britannique ont installé un check-point. Contrôle de sécurité. On fait généralement sortir les gens du véhicule pour les aligner et chacun doit dire son nom et son adresse. Pas de problème, les Irlandais sont habitués. «Baisse la tête» et «Ferme ta gueule». Le problème est que des miliciens de l’UVF se joignent aux soldats britanniques. Leur plan est simple : faire passer les musiciens pour des gens de l’IRA transportant des armes dans leur minibus. Pendant qu’on leur demande leur nom et leur adresse, on charge discrètement une bombe et des armes dans le minibus. Ne cherchez pas de sens dans cette histoire, car il n’y en a pas. Tout repose sur l’exercice pur et dur de la haine, comme dans toute guerre civile. Quand ils arrivent au check-point, les Miami ne sont pas surpris. Mettez-vous en rang ! Le problème est qu’on leur demande en plus de mettre les mains sur la tête. What ? Ça sent l’embrouille. Soudain, le mini-bus explose et le souffle projette les musiciens dans le champ. Les soldats commencent à canarder dans le noir. Steve Travers sent qu’une balle le traverse. Gravement blessé, il les entend arriver et comprend qu’ils viennent finir le boulot. Ils commencent par descendre Brian McCoy à bout portant. Steve ne peut pas bouger. Il sent soudain des mains le prendre sous les bras pour le soulever. Tony et Fran risquent leur peau pour le sauver. Mais courir en transportant un blessé n’est pas l’idéal quand il faut fuir. Ils lâchent Steve et détalent, mais c’est trop tard. Neuf balles pour Tony vingt-et-une pour Fran. Si Steve Travers a survécu, c’est uniquement parce qu’on le croyait mort. Il va même réussir à survivre miraculeusement au passage d’une balle dum dum à travers son corps. Voilà pourquoi Jackie McAuley tenait à consacrer un chapitre à ces mecs-là : il craignait qu’on ne les oublie.

    Signé : Cazengler, Jacky soupe au lait

    Jackie McAuley. I Sideman. Publié à compte d’auteur 2017. jackiemcauley.com

    Richie Unterberger interview with Billy Harrison. Part One. Ugly Things # 31/Spring 2011 & Part Two. Ugly Things # 32/Fall Winter 2011

    Belfast Gypsies. Them Belfast Gypsies. Sonet 1967

    Richie Unterberger interview with Jackie McAuley. Ugly Things # 48 - Summer/Fall 2018

    Lucian Randall & Chris Welch. Ginger Geezer. The Life Of Vivian Stanshall. Fourth Estate 2001

    TêTE BLÊME

    POGO CAR CRASH CONTOL

    ( Clip )

     

    Le problème n'a jamais été de vivre mais de survivre à soi-même. Ou alors se répéter inutilement. Deuxième album de Pogo Car Crash Control à paraître ce quinze mai. Comme d'habitude Baptiste Groazil a déjà desquamé son artwork. Travaillé au grésil. Exactement au Crésyl, ce produit en vente dans toutes les bonnes drogueries, dont on se sert pour nettoyer les chiottes publiques. A croire que notre monde est en attente d'un désinfectant à toute épreuve pour se porter mieux.

    lords of atlamonts,jackie mcauley + friends,pogo car crash control,crashbirds,marie desjardins + friends,johnny and the hurricanes

    En attendant la date fatidique du grand oral Pogo nous donne un os à ronger. Pas n'importe lequel, le crâne. En un autre siècle les romantiques se plaisaient à faire flamber leur punch dans ces cratères à ciel ouvert, au moins en buvant on pouvait regarder la mort les yeux dans les yeux. Nous n'en sommes peut-être pas encore là puisque apparemment il subsiste de la chair, le clip ne s'intitule-t-il pas Tête Blême. On a du pot, il reste de la peau.

    Ça commence tout doux. Avec les Pogo cela veut dire qu'il n'y a pas de musique. C'est l'équipe de Contrefaçon un music-vidéo-band qui s'est chargée de la réalisation et d'introduire la bête. Une mise en scène de la vie quotidienne. De ceux qui n'ont pas de compte-banque assez florissant pour s'acheter une berline hybride made in Germany. Tant pis pour eux. On ne va pas s'apitoyer sur les pauvres, d'autant plus que très vite on rit jaune.

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    Pas du tout un jaune serein. D'ailleurs tout de suite on est en zone rouge. Y aurait comme un clin d'œil prophétique à l'actualité. Combinaison de protection coronaphobique ? C'est très vache cet humour noir, surtout que l'on est dans une ferme. Va-t-il falloir faire étable rase ? A l'image suivante c'est l'herbe d'un champ qui est rasibus. Avec les Pogo au milieu en pleine transe. Il y a de beaux basculements d'images, comme ces feuilles d'esquisses barbouillées qu'un peintre rejette, évidemment tout est dans le montage, et dans le démontage, les images s'emmêlent et s'interpénètrent, défilent à toute vitesse, mais certaines, comme cette silhouette d'arbre éclairée par la hagarde pupille d'une lune de cimetière, sont de véritables engrammes. Le clip s'arrête bêtement parce qu'il est terminé. Aucune logique intérieure qui voudrait que l'on sorte du marasme de cette tête blême. On aimerait une chute. Qu'on la coupe, qu'on la repeigne en bleu et en vert. Mais non, c'est fini. On abandonne les Pogo et leur matos en pleine campagne, dans un champ indéterminé. On ne peut plus rien pour eux. Ni eux pour nous. Peut-être qu'ils feront du stop pour rentrer chez eux, mais la seule bagnole du film est en panne sèche.

    Enfin ce n'est pas notre problème. Il y a plus grave au monde. Suffit parfois d'un mot pour bouleverser une situation pré-établie. Ici il déboule vite dès qu'ils entament les lyrics. On aurait parié qu'ils ne le connaissaient pas. Ou alors qu'ils l'avaient rayé de leur vocabulaire. Expulsé du dictionnaire. Ramené à la frontière de leur univers. N'essayez pas de trouver, c'est aimer. Oui, le verbe aimer, même pas à la forme négative. Les Pogo ont besoin d'amour. Qu'un esclave aime sa servitude, on veut bien l'admettre, mais que les Pogo aient envie d'aimer, alors que leur précédent album s'appelait Déprime Hostile, c'est à n'y rien comprendre !

    Toutefois on se doit d'essayer. Les Pogo ont tout ratiboisé devant eux. Là où ils passaient vos illusions ne repoussaient pas. Z'avaient des lyrics ravageurs, des paroles à l'emporte-pièce. Leur mot de désordre, c'était après moi le nihilisme. Une batterie fracassante et des guitares en folie. Des shows orgasmiques. On était contents, avec ces zèbres au moins, la boussole indiquait le néant. C'était rassurant. On savait où on allait. Nulle part.

    Mais ce n'était pas assez. Se sont réunis. Ont trastégé grave. Un défi impossible à relever : comment faire toujours plus dans le moins absolu. Z'ont vu le fond du trou dans lequel il ne fallait pas tomber. C'était déjà fait. Alors maintenant ils apportent quelque chose. Parce que le moins que moins c'est au moins un tout petit truc. Autant vous le dire ce n'est pas grand-chose. A tel point que certains risquent de ne pas le remarquer. Ce n'est pas la bougie au bout du tunnel, c'est simplement l'existence du tunnel. La voix davantage devant et le grabuge derrière qui n'arrive pas d'un coup mais sous forme de grosses vagues qui reviennent plusieurs fois à l'assaut.

    Certains diront que le groupe s'est assagi, d'autres qu'ils ont gagné en maturité, c'est oublié qu'après le pogo le car et le crash, le control est programmé depuis le début. Tout le monde peut être méchant, mais méchant et intelligent, ce n'est pas que ce soit plus difficile, c'est que c'est davantage subtil.

    Damie Chad.

    EX-VOTO CRASHBIRDS

     

    Pas de concert à chroniquer. Quand on ne peut pas tenir la proie, on se contente de l'ombre. Attention chez Kr'tnt on ne vous refile pas une ombre toute noire de désespoir, mais toute colorée d'un arrière-fond rouge feu vital, ne dites pas que ça n'existe pas, relisez plutôt le Traité des Couleurs de Joan Wolfgang Goethe, bref au lieu de vous emmener au dernier concert des Crashbirds – il y en aura d'autres, ces maudits volatiles sont des durs à cui-cuire - nous vous offrons, faute de mieux, le flyer de leur prestation. Si vous n'êtes pas un vil mécréant vous le rangerez soigneusement dans le deuxième tiroir de la commode, sous les chaussettes sales, dans le lieu sacré où vous avez relégué l'image pieuse de votre première communion.

    Certains crieront au favoritisme, pourquoi les Crashbirds et pas un autre groupe. Premièrement parce que les flyers des Crashbirds sont particulièrement beaux, collectionneurs, lors des concerts dans leur merchandising vous pouvez vous en procurer format-affiche plastifié. C'est Pierre Lehoulier qui se charge de leur confection, il n'a aucun mérite puisque en sus d'être guitariste il est dessinateur. Les curieux qui veulent tout voir n'ont qu'à faire un tour sur leur FB, ou alors lire dans notre livraison 351 du 07 / 12 / 2017 le seul article au monde qui ait été consacré à ces miniatures crashbirdéennes. Il y a une deuxième raison, plus spécifique, celui-ci est particulièrement réussi. Lorsque je l'ai montré à des amis, je me suis aperçu qu'il accrochait diantrement l'attention, surtout ceux qui aiment peindre et dessiner. Z'alors j'ai voulu en savoir plus. En voir davantage.

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    Un truc évident, quand vous jetez un coup d'œil, l'est certain que vous vous sentez devenir le taureau dans l'arène obnubilé par le chiffon qu'agite sous son mufle un torero assassin, un rouge pétant, entre alizarine et vermillon, soyons synesthésistes, plongez-y votre langue pour vous régaler de cette cerise écrasée, vous m'en direz des nouvelles, oui, il est indubitable que cette griotte en compote a aussi un goût de banane. Il y a du jaune au fond de ce rouge. Grâce à cet apport velvetien nous obtenons de l'orange, ni abricot ni mandarine, soyons précis, tangerine. Bref ça claque au vent comme la cape de L'Imperator sanglant sur le ciel enflammé du sonnet Soir de bataille de José-Maria de Heredia.

    Bon ce n'est pas tout. Cet artwork n'est pas un monochrome. L'est même très figuratif. Pierre Lehoulier possède sa propre héraldique. Tout un vocabulaire, toute une grammaire. La figure centrale de ces blasons flyeriques réside en le signe composite dit des deux cui-cui. Généralement ils sont noirs, d'un noir aussi maléfique que le corbeau d'Edgar Poe, mais adorables, avec toutefois ce regard torve, un en-dessous hypocrite qui franchement vous veut du mal. Des espèces de bébés-vautours au plumage charbonneux qu'ils arborent comme s'ils avaient déjà revêtus les habits de deuil qu'ils porteront le jour de votre mort imminente.

    Mais cette fois, Lehoulier ne les a pas teints de leur habituelle houille noirâtre, il les a peints d'une magnifique teinte jaune-poussin. Nos cui-cui ont l'air de sortir de l'œuf, de ravissantes peluches innocentes, éloignez vos enfants, ils ne résisteront pas à l'envie de les prendre, de les serrer contre eux, de les couvrir de mille bisous, soyez-sûrs que les cruels cui-cui en profiteront pour leur crever les yeux.

    Vous ne me croyez pas, vous pensez que j'exagère, qu'ils ressemblent à deux pauvres canaris, enfermés dans une cage, qui s'ennuient sur leur perchoir. Insensés qui vous voilez la face devant le mal ! Regardez sur quoi reposent leur pattes, sur le canon d'une winchester, ils en ont même deux autres en surplus alignées sur leur flanc, n'ont qu'à étendre l'aile pour s'en saisir et vous expédier en enfer. Z'ont l'air d'attendre le passage des bartavelles, mais ce coup-ci les bartavelles c'est vous. Se moquent de vous avec leur bec en biais. Et leurs lunettes d'aviateur aveugle. L'est vrai que vous êtes stupides, c'est écrit en gros au bas de l'affiche, rue de sille, en d'autres mots rue de la raillerie, se foutent carrément de votre gueule, et ils en rajoutent encore, Loiseau de la Ferme, Loiseau parce qu'ils sont chez eux, de la ferme, vous voulez une précision, de la ferme... d'abattage.

    Voilà, maintenant quand vous irez à un concert des Crashbirds, vous savez à quoi vous attendre avec leur Dirty Rock'n'Blues. C'est simple, Delphine Viane et Pierre Lehoulier sont les Bonnie Parker et Clyde Barrrow du rock'n'roll.

    PIERRE LEHOULIER

    Vous avez failli ne jamais voir la profonde analyse sémiotique précédente. Une seconde de plus et je l'éjectais de la livraison. J'étais content, j'étais heureux, lorsque de bon matin, FB m'a averti, ''Pierre Lehoulier vous a envoyé une photo sur laquelle vous apparaissez''. Un vrai poteau ce Pierre, dès l'aube naissante il pense à moi, se lève du lit sans bruit pour ne pas déranger Delphine et le chat enfouis dans leurs rêves, s'extirpe de ses chaudes couvertures à l'aurore juste pour m'envoyer une photo, de mon immodeste personne assistant à un concert des Crashbirds, ce mec c'est un bon copain, un pur ami, un véritable frère, que dis-je un père tutélaire, je me dépêche de cliquer sur ce document iconographique d'une importance capitale pour l'histoire du rock'n'roll, hélas, septante-sept fois hélas, je manque de mourir de saisissement, ah! oh ! le traître, le malfaisant, le pervers, la vermine, je n'y crois pas mais c'est écrit en grosses lettres...

    LE RETOUR DE SUPER GROS CON !

    Calme-toi Damie, me dis-je, avant de sauter dans la teuf-teuf pour partir, illico presto subito expresso bongo, trucider cet ignoble individu, ce dégénéré impavide, ce rebut de l'humanité, pense à la manière dont tu le priveras de sa misérable vie de cloporte, il est nécessaire qu'il souffre un max dans son agonie, c'est à ce moment que je réalise en jetant un coup d'œil à l'image, juste dessous le bandeau calomniateur ma funeste erreur, non je ne suis pas un super gros con, il ne parle pas de moi Pierre, mais de sa nouvelle bande-dessinée qui est sur le point de sortir. Promis je vous la chronique dès que je l'aurai, à ceci près qu'ici la poste ne livre plus le courrier, droit de retrait. En attendant je vous file la photo de Pierre Lehoulier avec son book. Quand on n'a pas la proie, on prend l'ombre !

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    Damie Chad.

     

    PORTRAITS ROCK

    MARIE DESJARDINS

     

    Marie Desjardins n'écrit pas que des romans, nous avons chroniqué dernièrement La voie de l'innocence ( Livraison : 449 du 30 / 01 / 20 ), Ellesmere ( 447 – 16 / 01 / 20 ), SylvieJohnny ( 442 – 12 / 12 / 19 ), Ambassador Hôtel ( 440 – 28 / 11 / 19 ), elle sème aussi dans diverses revues des articles-rock, vous pouvez en trouver quelques exemples sur son FB Marie Desjardins Portraits rock.

    LE ROCK DE GEORGE MARTIN

    Avec cette nomination passe-partout, l'on s'interroge, certes il y a plus d'un âne qui s'appelle Martin mais cet équidé-là est aussi célèbre que L'Âne d'or d'Apulée. Quand de ces petites menottes il approchait des manettes il en tirait des bruits paradisiaques. Les gens exagèrent toujours. D'abord je suis un mécréant et de toutes les manières je préfère les Rolling Stones. Vous l'avez deviné, nous parlons de George Martin le cinquième Beatles, le sorcier du 16-pistes. Mais cette fois nous suivons George Martin en villégiature. Désolé mais il ne se contentait pas d'un deux pièces-cuisine dans une banlieue populaire de Londres.

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    Avait jeté son dévolu sur l'île de Montserrat. Pas très loin de l'ile Saint-Barthélémy où repose Johnny Hallyday, repère insurpassable pour un français qui ignore la géographie. N'imaginez point un trip à la Robinson Crusoé, juste une villa de rêve et question de ne pas s'ennuyer, Sir George fit bâtir Air, un studio d'enregistrement. C'était comme ouvrir un pot de confiture à côté d'une ruche, toutes les rock stars de la old England et de la new-America vinrent y bosser, à tout seigneur tout honneur nous citerons par ordre de préséance les Rolling Stones qui y concoctèrent Steel Wheel – non ce n'est pas leur meilleur – Linda et Paul McCartney, Sting et Police ( tout le monde la déteste ) et même Black Sabbath – mais que venait donc faire ce démon noir dans ce paradis... bref près de soixante-dix albums y furent enregistrés.

    La Bible nous l'a enseigné, l'éden, même celui des milliardaires du rock, ne saurait durer longtemps, un vent mauvais – ainsi les qualifiait Verlaine – plus prosaïquement les météorologistes usent du mot ouragan, s'en vint en l'an de disgrâce 1989 transformer Air en un tas de tôles brinquebalantes, mais quand le Dieu jaloux de la Genèse ( peut-être était-il comme Eric Clapton amoureux de Linda ) est en colère, il ne lésine pas sur les moyens, refit quelques années plus tard à Montserrat ( la montagne sûre ! ) le coup de Sodome et Gomorrhe, une nuée ardente s'en vint détruire les deux-tiers des habitations.

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    Croyez-vous que ce soit le genre de désagrément qui puisse intimider Marie Desjardins. Non, elle y est allée, et a tout visité, a enquêté, non plus de rock-star à séduire, mais des souvenirs, photos, disques et surtout Danny Sweeney roi de la planche à voile qui connut bien des aventures avec toutes ces stars du rock... Marie Desjardins ne nous rapporte qu'un petit échantillon des confidences de Sweeney... De quoi s'évader en ces jours de confinement...

    JIMI L'ETERNEL

    ( paru le 18 / 09 / 2016 sur le site Pop Rock 2. 0 )

    Ce n'est pas un article de plus sur Jimi. Une évocation. Qui touche à la poésie. Je n'en dirai rien de plus. Cela serait inutile. L'on n'ajoute pas à l'émotion. On la ressent. Ceux qui veulent la partager n'ont qu'à lire.

    JIM ZELLER EN JETTE PLUS QUE JAMAIS

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    Cette fois Marie Dejardins est au Canada. Normal, elle est canadienne. Nous emmène au Rosewood à Montréal. En France, moins à cheval sur la langue française, nous appelons ce genre de soirée une release party, avec son orchestre il présente son dernier disque Blues from an another planet. Le nom de Jim Zeller ne vous dit peut-être pas grand-chose, c'est un natif du Quebec, mais toutefois il vous semble que... sans doute l'avez-vous aperçu dans Renaldo et Clara le film de Bob Dylan avec entre autres Ronnie Hawkins, Jack Elliot, Roger McGuinn et Joni Mitchell la somptueuse... Exerce une louable profession. Un souffleur de verre bleu. Un virtuose de l'harmonica. Un bluesman, un vrai, a poussé la réalité jusqu'à faire deux ans de prison à Rikker Island, l'Alcatraz new-yorkais... Depuis l'est devenu une figure légendaire de Montréal, l'a joué avec tout le monde, n'est jamais en rade d'un bar pour l'inviter à cornemuser, lui, sa compagne choriste Bella Godmer et son guitariste Jimmy Jamers, trio extrême blues. Vous ne le connaissez pas, Marie Desjardins nous campe un personnage, vous ne l'avez jamais entendu, vous l'aimez déjà. Magie des mots et du style.

    VIC VOGEL

    Vic Vogel ( prononcez Voguel ) est un personnage qui s'inscrit dans la même lignée que Jim Zeller. Enfin c'est juste le contraire, Zeller est né au début des années soixante, il pose ses pas dans la grande tradition, blues, rock, country, punk, Vogel près de trente ans avant, né en 1935 comme Gene Vincent, mais ce n'est pas un rocker, provient d'un autre courant celui du jazz. Je ne le connaissais pas, il est une sommité en son pays. Pour le situer selon un paysage très français, nous reconnaissons que les entrées sont rares, il fut en 1961 au piano l'accompagnateur du trio vocal les Double-six.

    FAMILLE ROCK PLEURE AVEC FAMILLE JAZZ

    ( 26 septembre 2019 )

    Encore un article où il n'y a rien à dire. L'on arrive trop tard, Vic Vogel est mort. Marie Desjardins relate son enterrement ( 23 / 09 / 2019 ) pour Pop rocK. CA. Des mots qui sonnent juste. Forte charge émotive. Photos de Léo Giguère.

    LA VIE DEVANT SOI !

    MARIE DESJARDINS

    CHEZ LES SOUVERAINS ANONYMES

    ( Janvier 2014 )

    ( You Tube )

    Qu'est-ce que ces souverains anonymes ? Marie Desjardins ferait-elle partie de ces neuf Supérieurs Inconnus censés régenter le monde ? Entre nous soit dit, les résultats obtenus ne sont guère brillants, mais il est inutile de s'appesantir sur les débats qui divisent depuis plus d'un siècle les milieux hermétistes. Pour ceux qui voudraient en savoir plus, nous vous indiquons chez Baglis TV, l'intervention de Philippe Pissier : Crowley et les Supérieurs Inconnus. Nous avons chroniqué à plusieurs reprises les traductions d'Aleister Crowley établies par Philippe Pissier, pour les amateurs de rock nous rappelons que : qui dit Crowley dit Jimmy Page, et qui dit Page dit Led Zeppelin. Mais ici nous empruntons une fausse piste, il ne s'agit pas de rock mais de jazz.

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    Quand je vous aurai susurré à l'oreille que Les Souverains Anonymes n'est qu'une émission de radio, et que Marie Desjardins a fait paraître une biographie intitulée : Vic Vogel, une vie de jazz en 2013, vous croirez avoir tout compris : ben oui, Marie Desjardins est interviewée pour parler à la radio de son denier bouquin. Elémentaire mes chers Watson, mais vous êtes comme ces chasseurs qui tuent la mouche, mais ratent l'éléphant sur lequel elle était posée. Désolé mais vous êtes passés à côté de l'essentiel.

    Apportons quelques précisions. Encore une fois nous arrivons trop tard, l'émission est censée s'arrêter au mois de mars 2009. Elle a débuté en 1989. Mohammed Lotfi en est le concepteur et le présentateur. Elle est enregistrée à Bordeaux. Au Canada. Non je plaisante. Pour ne pas pleurer. Ce n'est pas à Bordeaux, mais à la prison de Bordeaux. Sise à Montréal. Au début, vous avez droit à une vingtaine de gars assis face à face, au fond un tam-tameur et c'est parti pour cinq minutes d'un chant syncopé à saveur africaine. Se lèvent tous et font une haie d'honneur comme devant les églises pour la sortie des mariés, mais c'est Marie Desjardins qui passe sous cet arc de triomphe frémissant.

    L'est jeune, toute belle, à l'aise, pas intimidée, du moins en donne-t-elle l'apparence, mais elle a un sourire rayonnant qui embellit le monde et qui peut-être fausse votre appréhension de la situation. S'assoit sur la causeuse vis-à-vis de son interviewer et commence à répondre aux questions. Tout ronronne, oui elle a côtoyé très régulièrement durant trois ans Vic Vogel, bien sûr qu'il est devenu son ami. Certes il lui a donné le droit d'écrire ce qu'elle veut, ce ne sera pas une autobiographie autorisée, cette liberté est un bon point en sa faveur, sans cet accord indispensable elle n'aurait pas fait le livre, mais ce qui la retient chez cet homme de plus de soixante-dix ans c'est son intransigeance. Un homme tout d'une pièce. Qui ne négociait pas ses exigences. Si vous n'étiez pas d'accord avec lui, vous n'aviez plus qu'à vous retirer. Tant pis pour vous. Tant mieux pour lui. Ne s'est jamais écarté de son chemin. L'a connu le succès, l'a connu les échecs, l'oubli, et une reconnaissance tardive. En sourit. Ses proches, ses musiciens sont là pour témoigner de sa droiture, de sa rigueur, de son honnêteté intellectuelle et musicale. Un maître reconnu et accepté. Le gars qui refusait les concessions, mais on l'adorait.

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    Il ne s'est pas fait tout seul. Ici l'émission prend un virage, mais si vous n'êtes pas un auditeur familier, vous ne vous en apercevez pas. Il n'était pas né avec une cuillère d'argent dans la bouche. Fils d'une famille d'immigrés polonais. Mais son père lui donnera un trésor. Certes il mangera à sa faim, certes il sera aimé, même si gamin il se sent délaissé par rapport à son frère malade qui accapare l'attention de ses parents, mais tout cela n'est rien : son père lui offre la liberté. Peut courir et venir à sa guise, ce qui ne veut pas dire qu'il peut faire n'importe quoi, son père lui transmet une certaine éthique toute simple, tout ce que tu auras c'est parce que tu l'auras conquis par toi-même. Marie Desjardins ne répond pas aux questions à la va-vite, celles-ci d'ailleurs poussent à la réflexion, incitent à l'auto-questionnement, l'on sent qu'ici l'on n'est pas en promotion, que l'on n'attend pas des réponses convenues, et Marie est la première à soulever les écailles du serpent pour faire apparaître ce qu'il y a dessous. On la sent passionnée et sereine. Elle n'est pas venue pour vendre un bouquin mais pour parler d'un homme entier.

    L'émission pourrait se terminer là. Vous en ressortiriez satisfait. Même si vos détestez le jazz, vous sentez que vous venez de rencontrer une pointure. Quelqu'un qui sort de l'ordinaire. Mais le plus beau reste à venir. Martin, Youssef, Pascal, prennent successivement la place de l'interviewer, ils ne sont pas là pour poser des questions. Mais dire ce qu'ils ont ressenti en lisant le livre. Ce sont des prisonniers, d'âge et de culture différents. Le rapport au livre n'est pas toujours facile. Ils veulent approfondir leur rapport à Vic Vogel, ce n'est pas Vic qu'ils veulent connaître, inutile de leur refiler sa discographie complète, mais leur propre vie, mieux comprendre leur vécu, mesurer leur manquement et leurs efforts par rapport à la manière dont Vic a mené son existence, ils ne sont pas venus les mains vides, que ce soit un poème de leurs propres mains, un dessin ou une récitation, ô cette récitation du Vaisseau d'or d'Emile Nelligan, cet Hölderlin canadien foudroyé, jamais je ne l'avais reçu avec une telle force. Je ne sais pas comment j'aurais réagi - sûrement avec balourdise - à la place de Marie, mais non Marie est à l'écoute, attentive, rassurante, l'on sent que si ses hommes se dévoilent si intensément, c'est parce qu'elle est là, que ses gestes, ses acquiescements, ses sourires de miel discret inspirent confiance et confidences existentielles. Quand elle sortira, tous viennent la remercier et lui serrer la main. Les derniers de la file sont les plus malins, ils lui font la bise, n'allaient pas laisser partir une jolie fille comme ça, et puis cette heure a été follement émotionnante...

    Marie Desjardins donne cette impression de se comporter dans la vie comme avec ses personnages dans ses livres. Elle accompagne les êtres de chair ou de papier, et les éclaire de son sourire radieux. Pas plus. Ni moins. Ariane au fil tendu sur les abîmes intérieurs.

    Damie Chad.

    JOHNNY AND THE HURRICANES

    ROCK 'N' ROLL FOREVER

    ( Coffret / CD 13 / 2002 )

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    On retrouvait toujours un ou deux titres de Johnny And The Hurricanes à la fin des années soixante et au début des années soixante-dix, sur les anthologies old-rock'n'roll, on écoutait une fois, et quand on y revenait on sautait le morceau pour aller au plus vite au gros Domino ou ia tornade Jerry Lou. C'est un peu injuste – mais le monde est rempli d'injustices. L'on ne peut pas dire que Johnny Paris le leader des Hurricanes n'ait pas été persévérant, s'est battu jusqu'au bout de 1957 à 2005. Pas étonnant que Johnny soit mort le jour de la fête des travailleurs en 2006. Question longévité, dans leur catégorie font jeu égal avec les Shadows qui levèrent le pied en 2009...

    Les Hurricanes ont un peu triché, certes il y eut des changements chez les Shadows, mais Johnny Paris a vu passer, près - ou plus - de trois cents musiciens dans sa formation. Evidemment comme pour nombre de groupes, ce sont les débuts qui sont les plus intéressants. Difficile pour un groupe musical de se renouveler, les Hurricanes finiront par enregistrer à leur manière des reprises de succès déjà connu d'un vaste public. Mais en leur commencement aidés par leur manager ils proposèrent quelques compositions de leur cru.

    Les Hurricanes eurent leur titre de gloire. A posteriori. Non pas d'avoir accompagné sous le nom de The Orbit le chanteur de rockabilly Mack Vickery - ses compos furent reprises par Jerry Lee Lewis, Waylon Jennings, George Jones, Johnny Cash – mais lorsque le succès décrut ( très vite ) aux USA, nos petits gars de Toledo ( Ohio ), visitèrent l'Europe et eurent en première partie de leur show au Star Club de Hambourg : les Beatles !

    Ce cd n'est en rien un original, l'est toutefois sorti sous licence Charly, il fait partie d'un coffret dit économique de 21 CD's, le vingt-et-unième reprenant un titre des vingt premiers...

    Johnny Paris : saxophone / Paul Tesluk : orgue / Dave Yorko : guitare / Lionel Mattice : guitare / Tony Kaye ou Bill Savich : batterie.

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    Red river rock : ( 1959 ) : si dans les premières secondes l'on peut se dire, diable ils ont un bon son électrique, l'on a l'oreille squattée par une espèce de cristallerie adjacente, un peu guillerette c'est l'orgue de Paul Tesluk, à l'époque c'était nouveau, aujourd'hui cela fait un tantinet vieillot, ça sonne un peu comme un synthétiseur, et ça prend de l'espace que l'on préfèrerait occupé par le saxo de Johnny Paris. Malgré la ''modernité'' du son, cela évoque les grands espaces américains, tout à fait normal, cette rivière rock prend sa source dans une vieille chanson de cowboy intitulée : Red River Valley. En tout cas il y a de beaux solos de guitare introduits par des espèces de concrétions sonores rétractatrices. Beatnick fly : ( 1959 ) : ne vous croyez pas à l'époque des beatniks, faut remonter dans le temps des Minstrels, vers 1848 la chanson s'appelait alors Jimmy Crack Corn, ça commence tout doux, elle fut souvent utilisée comme berceuse, ici elle dégommerait bien, si ce n'est que les tralala-tralalères de l'orgue sont embêtants mais la guitare et le sax se répondent super bien. Reveille : ( 1959 ) : l'on est un peu interloqué, l'on aimerait que ce morceau soit une diatribe musicale contre l'armée américaine, mais non, vraisemblablement un plan commercial : ni plus ni moins que la reprise des notes du réveil des soldats au petit matin dans leur chambrée, après le boum-boum de la batterie ce sempiternel et maudit clavierclaironne dans nos têtes, les guitares s'en donnent à cœur joie, Bill Savich à la batterie mène bien l'assaut. Crossfire : ( 1960 ) : superbe, cette fois l'orgue est totalement supplanté par le saxophone et nous voici enfin en plein rock, les guitares crachent joliment leur venin, splendide. Quand on écoute cela, on comprend pourquoi ils ont plus tard repris Misirlou de Dick Dale. Rockin' Goose : ( 1964 ) : ce qu'il y a de bien c'est que vous voyez comment ils se sont partagés le travail, le sax imite le cri de l'oie et pendant ce temps l'orgue bat des ailes, et quand le volatile s'arrête de voler, ils rockinent tous à fond. En poésie on appelle cela de l'harmonie imitative. Là c'est tellement bien fait que vous n'avez pas envie d'abattre la bestiole d'un coup de fusil. Money Honey : ( 1960 ) : l'argent a toujours fait courir les hommes, eux ils galopent, la fameuse syncope du morceau ils vous l'expédient au sprint, une course d'équipe. Remportent la coupe aisément. Se permettent même de gueuler Money Honey, sûrs qu'ils sont de passer la ligne en tête. La vitesse et le style. Applaudissements. Down yonder : ( 1961 ) : se sont tous ligués contre l'orgue, mais celui-ci n'en finit pas de rouler sur son chemin comme le petit bonhomme de pain d'épice, le sax lui fait la nique, la batterie essaie de l'écraser à coups redoublés de grosses caisse, les guitares lui démontrent qu'elles font mieux que lui, mais non rien ne l'arrête, le chiendent repousse toujours. Ja – Da : ( 1961 ) : vieux standard de jazz de Bob Carleton, un truc facile à jouer que les musicos envoyaient quand l'attention du public se relâchaient, genre rythmique obsédante qui vous rentre dans la tête pour ne pas en sortir. Un peu insipide, par contre quand les guitares s'amusent à briser le rythme ça ressemble méchamment à Tequila des Champs sortie en 1958... High voltage : ( 1959 ) : pour la haute tension c'est un peu raté, faut attendre le milieu du morceau, un superbe passage, un truc à devenir fou d'amour, mais la sottise envahissante reprend au bout de vingt secondes. Minnesota fats : ( 1962 ) : Minnesota Fats fut un célèbre joueur de billard, et là on s'y croirait, tout y est, la fièvre, le suspense, les paris, la mafia et ses tueurs... la mort qui rôde à pas de chat velouté sur le tapis vert. Old smokie : ( 1961 ) : si vous êtes condamné à mourir à petit feu sur la chaise électrique, ne demandez pas comme dernière volonté que l'on vous passe ce morceau pendant votre supplice, il vous importunerait grave, vous auriez l'impression que ça n'en finit jamais, super beau solo de sax, mais l'orgue sautillant vous nargue grave. Revival : ( 1960 ) : un peu le même que le précédent. Vous commencez à vous ennuyer. Un trottinement rythmique tellement insupportable que l'orgue est obligé d'improviser un petit solo presque agréable. Salvation : ( 1961 ) : un peu militaire, c''est quand même mieux que la fanfare de l'armée du salut surtout ce solo de guitare qui semble s'être trompé de décennie, sonne ultra seventies. Whatever happens to baby Jane : ( 1962 ) : qu'est-il arrivé à Baby Jane, faut regarder le film pour le savoir, vous traite le thème sous forme de gospel, avec chœur féminin, ma foi le solo d'orgue manque d'amplitude religieuse. You are my sunshine : ( 1960 ) : l'on dit que c'est le morceau qui a été le plus repris, une belle chanson d'amour, ils vous la passent à la moulinette du twist. Vaut tout de même mieux écouter la version de Johnny Cash. Farewell, farewell : ( 1961 ) : dans le traitement du son vous ne pouvez pas ne pas penser à Duane Eddy, un bel écho sur le sax, mais une fois de plus l'orgue vient casser l'ambiance. Ce piano cybernétique a peut-être apporté une note d'originalité en son temps mais il a aussi empêché les Ouragans de souffler plus fort. Une marque de fabrique qui a stérilisé l'imagination et qui s'est transformée en gimmick redondant. L'on sent que le groupe n'a pas exploré toutes ses possibilité. Des gars hyper-doués qui se sont enfermés en une formule. A écouter non pas pas comme le passage de témoin mais le chaînon auto-sabordé entre Bill Haley et la prégnance électrique d'Eddie Cochran, mais sans doute venaient-ils trop tard, ou alors ils n'ont pas senti le sens du vent de l'Histoire...

    Damie Chad.