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  • CHRONIQUES DE POURPRE 691 : KR'TNT ! 691 : BRUCE JOYNER / DEATH VALLEY GIRLS / JOHN LYDON / NUGGETS / SAPPHIRES / PANICK LTDC / ZAVTOR / JARS / ASKEL / POSTMORTAL

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 691

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    22 / 05 / 2025

     

     

    BRUCE JOYNER / DEATH VALLEY GIRLS

    JOHN LYDON / NUGGETS 

     SAPPHIRES / PANICK LTDC

     ZATVOR / JARS / ASKEL / POSTMORTAL

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 691

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Joyner de la guerre

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             Pauvre Bruce Joyner ! Il lui est arrivé toutes les misères dans son enfance : une copine d’école lui a fait avaler du speed et il s’est brûlé les cordes vocales, ensuite, il a perdu un œil dans une bagarre, puis il a été écrabouillé dans un accident. C’est pourquoi on l’a vu hanter les pochettes de disques avec une canne et un regard qui fout les chocottes. Et pour couronner le tout, il vient de casser sa pipe en bois dans la plus totale indifférence. Injure suprême. Nous allons de ce pas réparer cette grave injustice.

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             S’il est arrivé chez nous, en France, c’est un peu grâce à Bomp! qui fit paraître son premier mini-album, Dream Sequence en 1981. Ce fut un événement. Ses musiciens arboraient des looks rockab, et Bruce, assis sur une chaise, nous fixait d’un air bizarre. Ça partait sur un beat lourd comme le pas d’un éléphant. Avec «Gun Fighting Man», ils frisaient le Next Big Thing, car ils mixaient le Southern Gothic avec des cavalcades de guitares et d’échos lointains. Ils enchaînaient avec «Actions Reactions», une pop alerte parfumée de polka, une pop tordue, serrée, mal ligotée. On les sentait en quête de devenir, mais ils se noyaient dans leurs contradictions. Le hit se nichait de l’autre côté : «Suzzanne», un pur hit de rock’n’roll pulsé au beat tendu et vrillé par un solo congestionné. Bruce chantait, l’œil de verre fixé sur le néant. On les sentait capables d’exactions. Le groupe semblait se plaire dans une ambiance de déraison cryptique judicieusement contrôlée. Un parfum d’étrangeté malsaine s’installait.

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             L’année suivante parut The Unknowns. On lisait au dos de la pochette que le groupe ne jouait que sur des guitares Mosrite. Le premier cut te happait ! «Pull My Train» était une véritable révélation, avec son loco-beat méphistophélique et son refrain sous le boisseau. Bruce avait le diable dans le corps. L’infirme menait le balda des maudits. Avec «Crime Wave», il tentait de semer la terreur dans les esprits, mais sa compo manquait d’air. Il passait ensuite avec armes et bagages au boogaloo avec «The Streets», un cut bien travaillé au corps, secoué de ruptures de rythme et monté sur un beat rockab. Boogaloo encore avec «Riptide» - It’s deep it’s dark - mais trop de couleurs, trop d’éléments et trop d’ambition finissaient par neutraliser le cut. En B, il dévoilait sa passion pour Buddy avec une magistrale cover de «Rave On», montée sur un gros drive de basse. Il y chantait aussi l’horrible histoire du «Common Man» qui bosse dur pour sa femme qui lui prépare le souper du soir. Il terminait avec «Modern Man», qui était certainement l’hit du disk : cette belle pop lumineuse entrait dans la catégorie des valses modernes.

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             En 1983, il remontait un nouveau groupe, Bruce Joyner & The Plantations et enregistrait Way Down South. Avec l’éclair dans le ciel mauve de la pochette, il affichait clairement ses couleurs : le fameux Southern Gothic dont se gargarisent tous les pseudo-experts. Greg Shaw produisait l’album. Avec «Winds Of Change», il avouait sa préférence pour la pop pressée qui allait en fait devenir sa distance idéale. On assistait dans ce cut à un fantastique travail de relance et on découvrait aussi en Bruce un songwriter prolifique. Bien qu’installé à Los Angeles, il continuait de s’inspirer du vieux Southern Gothic, comme par exemple avec «Wastelands» - Moonshine stays safely hidden among the sweet Georgia pines - Dans chaque chanson, il racontait une vraie histoire, comme celle de la petite ville du Sud dans laquelle il avait grandi («On The Other Side Of The Track»). Avec «Dream Lovers», il rendait un nouvel hommage à Buddy, mais aussi à Roy Orbison, avec un réel brio. En B, il racontait l’histoire d’un mec poursuivi par des flics et des chiens («Out On A Limb») et il revenait à son héros Buddy avec «Until You Cross The Line», une pop qu’il enjouait de manière maximaliste. Il y conseillait de ne pas trop se plaindre, car d’autres gens ont des problèmes plus graves. Et il bouclait avec «It Takes A Woman To Make A Man Cry», une histoire qui finit mal, puisque le héros de la chanson se retrouve dans le couloir de la mort.

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             Un an plus tard, il enregistre Slave Of Emotion avec la même formation. On retrouve l’éclair du Southern Gothic sur la pochette et Bruce planque son œil de verre sous une mèche de cheveux. Il s’est tout de même fait broder une toile d’araignée sur l’épaule, histoire de rappeler son allégeance au boogaloo. Avec ses pop-songs soignées, il cherche l’ouverture en permanence. Il faut attendre «Bobby Ran Away» pour trouver un peu de viande - She walks down Sunset Boulevard - C’est joué sous le vent et doté d’un solo déroutant. Pur régal que le jeu de basse de Tom Woods ! En B, Bruce renoue avec le boogaloo dans «The Snakes A Coming Soon», crampsy en diable et hanté par un rire de malade - Ha ha ha ha ha - On tombe plus loin sur l’envoûtant «When The Moon Is Full». Attention, cette petite cavalcade nocturne a des allures cauchemardesques. Tous les cuts qu’il compose sont pleins comme des œufs, longs, nuancés et parfaitement enjoués.

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             Le dernier album de Bruce avec les Plantations paraît en 1986. Des alligators ornent la pochette. Swimming With Friends pourrait bien être son meilleur album, pour deux raisons. Un, «Voodoo Love», monté sur un beau Diddley Beat georgien, imparable et filoché à l’harmo. Deux, «Think It Over», qui sonne comme un hit de juke à la Buddy. D’autres jolies choses tendent les bras aux esprits curieux, à commencer par «The Darkside Of Your Brain», que Bruce chante avec une réelle autorité voodoo, et servi par un son de batterie extrêmement intrigant. S’ensuit un «Burning Mansions», bien atmosphérique, étendu sur la longueur et sans concession. Bruce joue encore la carte de la singularité prioritaire avec un «Deep Green Water» monté sur un beat étrange. Il n’offre aucune prise à la normalité. Il remplit pleinement le contrat qu’il a passé avec le diable. 

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             Il débarque chez New Rose en 1987 avec Hot Georgia Nights, un album qu’on voudrait mythique et qui ne l’est pas. Avec le morceau titre qui fait l’ouverture, il tente pourtant de créer la sensation - All the girls seem to smile/ Like alligators on the Nile - Son soft-rock pulsatif accroche mais ne tétanise pas. Avec «Sweet Southern Summertime», il fait de la pop malhabile qui vieillit mal. Pas sûr qu’en 2080, les kids écoutent ça. Bruce tente le tout pour le tout avec «The World Needs A Little More Love» joué aux accords dissonants et drivé par un petit riff maladif. En B, t’as un «Violence In His Religion» à prétention inquiétante et monté sur beat de boogaloo, mais l’ensemble de la B reste faiblard.

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             The Outtake Collection 1978-1988 paru en 1988 couvre toute la carrière de Bruce. Les premiers outtakes datent de la période Plantations. Pour la plupart, ce sont des cuts doux et fins, joués au jingle-jangle, troussés de frais, dont un «Lonely» qui sonne comme un hommage à Roy Orbison. Par contre, sur le disk 2 se nichent deux bombes datant de l’époque de son premier groupe, The Strokes. «Green And Yellow» est un classique psyché-boogaloo sauvagement inspiré. Et l’intro de «Gunfighting Man» sonne comme celle du «Gimme Shelter» des Stones. C’est un véritable hit, doté du meilleur des solos de gras double. On a là un bon son de basse qui remonte comme la marée. T’as un son monstrueux.

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             Nouvelle équipe en 1990. Bruce Joyner & The Tinglers enregistrent Beyond The Dark. On y retrouve les deux mamelles de Bruce, le boogaloo et Buddy. «Tingler» est boogaloo comme pas deux, car ça raconte l’histoire d’une créature qui sort du swamp et qui rampe sur le plancher - What’s that crawling across my floor/ What’s that scratchin at my door ? - Il raconte que si une chose vous touche l’épaule pendant que vous dormez et que vous croyez que c’est votre chère épouse, réveillez-vous vite fait - You better check to see if it’s a tingler/ Or crack it’s gonna take your life - Bruce nous raconte toute la légende des tinglers dans le détail. Pure merveille. Plus loin, il honore la mémoire de Buddy avec «Buddy» - I just want to be you Buddy - et il en rajoute une louche - If you’ll be my Peggy Sue - On retrouve toutes les dynamiques éclairées du grand Buddy. En A, Bruce attaque avec «Lost Visitor», un softy softah de mid-tempo très délicat, presque orbisonien. Avec «Mary Writes», il devient évident que Bruce se prend pour le Big O. Et il nous ressert une part de tarte à la guimauve avec «I’m Really Coming Down With Somethin’». Bruce Joyner reste un artiste singulier. Il excelle aussi bien dans le voodoo surf que dans l’art délicat du grand balladif. On retrouve dans la plupart de ses cuts des dynamiques spéciales et des éclairs mélodiques d’une grande originalité.

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             En 1991 sort un nouvel album des Unknowns sur New Rose : Southern Decay. Ça alors ! Toutes les composantes du son unknownien sont là, fidèles au rendez-vous, comme on le constate à l’écoute d’«Happy Day» : une pop qui échappe à tous les pièges, une pop sauvage et libre qui vit sa vie. Puis «Desert Nights» se déroule comme une pièce de pop incertaine qui va au hasard des chemins avec des night moves qui épatent - Only the small survive in the desert nights - Le «Love Train» qui suit est un hit de juke joué au stomp de Georgie. Bruce chante ça comme un possédé. Il sonne exactement comme Dave Dee Dozy Beaky Mick & Titch. Infernal ! Quelle énergie ! De l’autre côté se niche une autre merveille, «Flip Your Switch», pur jus de rocky road claqué aux accords de réverb - Lord the music makes me rock’n’roll - C’est incroyablement hanté. Il termine sa B avec une version de «Shakin’ All Over» qui lui va comme un gant de cuir noir. Les Unknowns jouent ça à l’accord rampant.

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             Un an plus tard paraît Sir Real. On y retrouve ce qu’on préfère chez Bruce, l’étrangeté, notamment sur un «Sex Beat» qui ne doit rien au Gun Club - Can you feel the sex pistol ? - C’est relayé aux mélopées démoniaques de traîne de tourbe. On suivrait ce mec jusque dans les endroits les plus reculés du comté. «Swamp Fox» vaut aussi pour sa belle dose d’étrangeté. C’est vraiment tout ce qu’on attend de lui. Il doit le savoir. Le hit de Sir Real s’appelle «Love Done Killed My Baby», c’est une sorte de Gloria brucien, un jerk joynerien d’un aplomb invraisemblable - I shot my baby yeah - Ce hit pue la délinquance et t’as le bassman qui prend un solo de basse au bas du manche. Monstrueux ! Le son troue la rondelle des annales. C’est définitivement malsain, joué dans les sous-bois, et t’as le Bruce qui en rajoute !

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             Preludes And Nocturnes paraît en 1993, toujours sur New Rose. Son meilleur album ? Va-t-en savoir. En tous les cas, Bruce t’embarque aussitôt avec «Rainy Grey Day», sur un beat salace et des textes toujours très fournis - Every evening as the sun is going down/ I can hear the voices from the shadows - S’ensuit «The Dragon Fly» travaillé à la nappe d’orgue et aux trompettes mariachi. Il dote ce balladif entreprenant d’un son étrange et peu courant. Avec «The World Needs A Little More Love», il prend la suite de Burt pour nous expliquer que notre monde a vraiment besoin de love et on croit entendre le «Should I Stay Or Should I Go» des Clash. C’est la même séquence. Avec «Night Surf», Bruce renoue avec son goût prononcé pour l’instro d’excellence carabinée. Plus loin, il tape «Cat’s Meow» à la note descendante. Il fait le chat qui rôde, et la guitare sonne comme celle de McGuinn au temps des Byrds : excellent et d’une grande modernité. On entre ensuite dans une série de morceaux terribles, avec un «Time Machine» solide et musculeux, travaillé à la flûte, et gorgé d’énergie secrète. Tu cries au loup ! Restons dans le fantastique avec «They Were Expandable», un cut en forme de règlement de compte - Goodbye backstabbers/ Find someone else/ You think you’re not an asshole/ But you should play one on TV - Quelle santé, et ça continue avec un «Emotional Side» terrifiant d’allure - Oh we’ve earned this love/ I’m sure you will agree - et il fait tomber cette phrase terrible comme un couperet - So treat each other with respect and humanity - Ne perdons pas de vue ce point essentiel : Bruce Joyner n’est pas un animal de foire, comme on l’a souvent entendu, mais un immense songwriter. Le problème est que les Français n’écoutent pas les paroles. Alors il ne reste que la canne. Ce seigneur des annales regagne la sortie avec «Dreaming Of OZ». Sur chaque album, Bruce Joyner tient son auditeur en haleine, de bout en bout, aussi bien par le son que par le contenu. C’est assez rare.

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             Retour en 2011 avec une nouvelle équipe constituée d’anciens, Bruce Joyner & The Reconstruction. L’album s’appelle Elements. Bruce porte des shades comme son héros Big O. Il attaque avec «Invisible Smile», une pièce de pop baroque qui voudrait convaincre, et il enchaîne avec un «Swamp Fox Foxy» plus funky et joliment envenimé d’hey hey hey. On sent le vieux pro qui roucoule goulûment ses descentes de refrains. Mais les choses sérieuses se nichent en B. Il revient à ses chères «Hot Georgia Nights» que ses amis de la Reconstruction éclatent à coups de paquets d’accords. Bruce renoue avec son sens aigu de l’expressivité à coups d’ho ho ho ! C’est extrêmement bon. On retrouve avec «Evil Smile» ce qu’on a toujours adoré chez lui, un son différent. Depuis le début, Bruce Joyner a cherché à bricoler ce son différent, mais ça ne marche pas à tous les coups. Il s’appuie ici sur un beau Diddley Beat, il retrouve sa dimension épique, celle qu’on apprécie particulièrement. C’est dans ce genre de cut ambitieux qu’il donne sa pleine mesure. Il finit sa B avec «Hard Machine», un cut noyé et les excellentes guitares juteuses de Don Fleming. Bruce se lance dans une belle énormité en forme d’heavy boogie. Voilà sa grande force : il surgit là où on ne l’attend pas et il semble filer comme un reptile à travers les couches de guitares éthérées.

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             Il garde quasiment la même équipe pour Bruce Joyner & Atomic Clock, et l’album The Devil Is Beating His Wife paru en 2014. Il attaque avec «Another Day», un beau mid-tempo incisif et revient ensuite à ses chers balladifs. Dans «Prairie Dog», on l’entend aboyer après les chevaux. Il court les plaines de Georgie, comme au bon vieux temps. En B, on tombe sur «Dreamland», un beau balladif puissant et entreprenant, gluant comme un hit - Shadows dancing in the fire/ You never walk alone - Bruce vous aura prévenu. S’ensuit le morceau titre de l’album, un farfouillis de coups de guitares, de chuchotements et de bouillonnements circulaires. Comme son copain Howard Phillips Lovecraft, Bruce ne s’intéresse qu’à une seule chose dans la vie, l’étrangeté de la concomitance.

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             Il refait surface en 2018 avec The Netherglades, histoire de se moquer gentiment des Everglades, et un album intéressant, Love And The Blood Vodou. Ça démarre très bien avec «Alligators», classic Joyner sound, très Southern Gothic. On sent une vraie présence, Joyner shake son shook à coups de babe babe. C’est extrêmement swampy. Et ça swampe encore plus avec un «Shadows» complètement hanté, ça bruite divinement sous le boisseau, les Netherglades tiennent le cap sur le marais, et ça grouille tellement de sonorités exotiques que ça devient extraordinairement jouissif. Eh oui, la surprise vient encore du damn cripple. Puis le soufflé retombe un peu, car ça se calme au niveau son. «The Sun Goes Down» sonne comme un balladif crépusculaire. Bruce nous chante «Guitars On The Dance Floor» à l’espagnolade. On sent qu’il joue avec le feu sacré. En B, il revient en force avec «She’s A Rocker», il tape ça à la clameur, on veut absolument y croire, voilà un cut illuminé par le cristal acéré d’une guitare sous-jacente, et ça donne un balladif entreprenant bien chargé de la barcasse. Il termine avec «Traction». Il y recrée enfin de la menace - You were looking for some action -  et ça se réveille dans un hospital bed. Alors il se met à dérailler de façon salutaire, on retrouve le grand Joyner de nos amours anciennes, faut-il qu’il t’en souvienne, il redore son blason et chevrote dans les flammes de l’enfer.

    Signé : Cazengler, pas la Joy(ner)

    Bruce Joyner. Disparu le 9 mars 2025

    The Unknowns. Dream Sequence. Bomp 1981

    The Unknowns. The Unknowns. Line Records 1982

    Bruce Joyner And The Plantations. Way Down South. Invasion Records 1983

    Bruce Joyner And The Plantations. Slave Of Emotion. Closer Records 1984

    Bruce Joyner And The Plantations. Swimming With Friends. Closer Records 1986

    Bruce Joyner. Hot Georgia Nights. New Rose Records 1987

    Bruce Joyner/The Unknowns. The Outtake Collection 1978-1988. Fan Club 1988

    Bruce Joyner And The Tinglers. Beyond The Dark. New Rose Records 1990

    The Unknowns. Southern Decay. New Rose Records 1991

    Bruce Joyner. Sir Real. New Rose Records 1992

    Bruce Joyner. Preludes And Nocturnes. New Rose Records 1993

    Bruce Joyner And The Reconstruction. Elements. Bang! Records 2011

    Bruce Joyner And Atomic Clock. The Devil Is Beating His Wife. Closer Records 2014

    Bruce Joyner And The Netherglades. Love And The Blood Vodou. Closer Records 2018

     

    L’avenir du rock

     - Love it to Death Valley Girls

             On sonne à la porte de l’avenir du rock. Il ouvre. Fuck ! La Mort ! Avec sa cape noire et sa grande faux. L’avenir du rock se marre :

             — I’m not dead, comme dirait Jim Dickinson !

             D’une terrifiante voix d’outre-tombe, la Mort rétorque :

             — Avenir du rock, je suis venu pour jouer à quitte ou double...

             Intrigué, l’avenir du rock fait entrer la Mort et lui propose un fauteuil.

             — Voulez-vous boire une petite rasade du pirate ?

             Ils boivent un coup et la Mort lui explique le jeu : pour gagner, il faut trouver mieux. Sinon, couic.

             — Si je dis Christian Death, que proposez-vous de mieux, avenir du rock ?

             — Pfffffffff... Death Of Samantha !

             — Si je dis Death In June ?

             — Pfffffffff... Vous avez vraiment mauvais goût... Je réponds «Slow Death» !

             — Si je dis Dead Can Dance ?

             — Pfffffffff... Pas étonnant qu’on ne vous aime pas. Je réponds Dead Moon !

             — Si je dis Dead Or ALive ?

             — Pfffffffff... Qu’est-ce que vous pouvez être ringard ! Je réponds «Death Party» !

             — Si je dis Grateful Dead ?

             — Pfffffffff... N’importe quoi ! Connaissez-vous le Death des frères Hackney, à Detroit ? Je peux vous prêter les albums, si vous voulez...

             — Vous foutez pas de ma gueule avenir du rock, vous pourriez le regretter amèrement... Reprenons. Si je vous dis The Queen Is Dead ?

             — Pfffffffff... Ah non, pas les Smith ! Avec vous, ça devient le carnaval des horreurs. Vous avez autant mauvais goût que vous avez mauvaise haleine. Si vous me sortez encore une connerie, je vous vire à coups de pieds dans le cul !

             — Shut the fuck up ! Si je dis Dead Kennedys ?

             — Pfffffffff... Allez, trois singles, au maximum, mais certainement pas les albums. Je réponds «Dead Man Curve» !

             — Si je dis Dead Boys ?

             — Pfffffffff... Décidément, vos questions sont aussi prévisibles que vous l’êtes. Je réponds Death Valley Girls. C’est tout de même autre chose !

     

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             Death Valley Girls en concert ? T’y vas en courant. Tyva surtout pour Larry Schemel, le guitar slinger providentiel, l’enchanteur de la Vallée de la Mort, le bonheur des dames. S’il est un guitar slinger que tu rêves de voir sur scène, c’est bien Larry Schemel. Pouf, t’arrives au club du Tétris, tu te mets bien devant l’ampli

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    guitare, et t’attends qu’il radine sa fraise. Oh la fraise ! C’est une petite gonzesse aux cheveux rouges qui se pointe à sa place. En plus, elle est vraiment mal fagotée : grosse robe noire, pompes atroces et un soutif en velours crème par-dessus son chemisier en dentelle noire. On savait que les Californiennes s’habillaient mal, mais là, les Valley Girls battent tous les records. La bassiste porte une grande robe bleu

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    clair ornée de grands trous et bien sûr, elle est à poil en dessous. T’as aussi une saxophoniste en petite tenue, avec des socquettes blanches et des pompes à semelles compensées. Les moins pires sont Rikki Styxx derrière sa batterie en robe de soie minimaliste, et Bonnie Bloomgarden en petite robe gothique, toujours avec son gros maquillage vert fluo sous les yeux. Et son charmant petit sucre craquant de candeur candy. Elles vont réussir à rocker le boat, même sans Larry Schemel, mais ce n’est tout de même pas le même son. La red-haired woman sonne un peu sec, alors que le grand Schemel sonnait gras. Derrière son petit clavier, Bonnie mène bien sa meute,

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    on ne reconnaît pas facilement les cuts. T’as très vite le «Watch The Sky» du dernier album, Island In The Sky, suivi du morceau titre d’Island, et vers la fin, tu retrouves «Magic Power», suivi du velvétien «Journey To Dog Star». On sent qu’elles ont perdu au change. Leur son ne doit plus rien au temps de Street Venom et Glow In The Dark. Elles jouent quand même le fiévreux «Death Valley Boogie» de Glow In The Dark, mais sans le killering de Larry machin. Elles sont passées à autre chose, un son bien ambiancier, avec ici et là des bonnes petites crises de Méricourt. C’est le duo red-haired woman/Rikki Styxx qui dynamite l’ensemble, elles s’abandonnent toutes les deux et font voler leurs chevelures, et il faut voir cette folle géniale de Rikki

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    penchée en avant sur la batterie comme un animal, avec cette rage qui n’appartient qu’aux gonzesses, elle bat un beurre bien lourd et bien tribal, et red-haired woman saute partout avec sa Jaguar blanche. Elles sont tellement balèzes toutes les deux qu’elles te font oublier ta déception de n’avoir pas vu Larry Schemel. Comme elles

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     exultent, alors tu finis par exulter. Ça fait vraiment du bien d’exulter par les temps qui courent. Oh et puis n’oublions pas le plus important : en plein cœur de set, elles tapent un truc que tu connais... Qu’est-ce que c’est ? Tu tends l’oreille... I had a dream/ Last night... Fuck ! «Fire & Brimstone» de Link Wray - There’s a light shinin’ on - Quoi de plus exultant ? 

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             Ça fait dix ans que tu suis les Death Valley Girls à la trace. Depuis leur premier album, Street Venom, avec lequel elles entraient en vainqueuses dans ta cité. Street Venom grouille de coups de génie, à commencer par «No Reason», avec son intro vinaigrée, et pouf, ça part au petit sucre, avec un bassmatic qui descend les escaliers. C’est littéralement saturé de classe : tout est beau, le killer solo de Larry Schemel et le bassmatic. Coup de génie encore avec le «Gettin’ Hard» de bout de balda, vraiment heavy, avec une saine balance du beat et un solo apocalyptique, gratté au pied à pied. D’autres merveilles te guettent en B, comme par exemple «Red Glare», du heavy Death, toujours all over the riff raff, Larry Schemel veille au grain du lapin blanc, il faut entendre ses descentes de poux. Il ravage encore «Paradise Blues», il wahte dans la vallée de la mort, c’est un démon psychédélique. On le retrouve juste derrière «Girlfriend» avec ses poux grattés à sec, ses descentes somptueuses et le wild killer solo flash chauffé à blanc. Il rôde encore dans «Arrow» comme un requin blanc, et rentre au gras double dans le chou de «Shadow», une autre merveille d’agitprop. Il fait sonner sa gratte comme un éléphant de combat, il gratte tout ce qu’il peut au cœur du chaos. Il revient encore dans l’«Electric High» du bout du monde, il couvre toute la Vallée de la Mort. 

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             Très bel album que ce Glow In The Dark. Elles ouvrent leur petit bal avec un morceau titre bien énervé. Elles sont bonnes et shakent leur shook à la bravado du chevroté. Belle clameur ! Elles se sentent très concernées par l’explosivité, elles blastent le son, et t’as un joli killer solo flash à la clé. Wow ! Sur cet album, tout est saturé de chant, elles font de la dégelée royale hérissée d’allant. Elles tapent aussi dans le jump it off de petite niaque pychopathique avec leur «Death Valley Boogie». C’est de bonne guerre. Elles noient leur «Seis Seis Seis» dans un gros pâté de réverb. Elles vont rechercher d’anciens climats datant des années de braise, mais le big atmospherix restera toujours le big atmospherix et on continuera de l’accueillir à bras ouverts. Même si elles retombent parfois dans la petite pop, on s’attache à cet album et pouf, ça repart avec «I’m A Man Too», chanté à l’ingénue libertine. Elles tapent dans le mur du son. Elles font du girly-group boom-boom in the wall of sound ! Bonnie devient folle et gueule à la cantonade, jusqu’au moment où un solo vient balayer les doutes. On a là le vrai truc, the girl group on fire. Elles jouent à la perfection leur petit jeu dangereux, comme le montre encore «Love Spell». C’est bien claqué du beignet. Elles enveniment la power pop et produisent l’une des meilleures clameurs qui soit ici-bas. Elles battent nettement Suzi Quatro et Cherrie Curie à la course. C’est complètement explosif ! Tiens encore une énormité avec «Summertime». Elles y développent une sorte de transe hypno, elles s’en vont se perdre dans les steppes du génie sonique, ça gueule par-dessus les toits, on croirait entendre une goule de la vingt-cinquième heure. Elles titillent l’after, elles clouent leur chouette sur la porte de l’église. Et tout ça se termine avec «Wait For You» que Bonnie chante à la pointe de la glotte. Un gimmick connu descend le cut d’une balle entre les deux yeux. Elle tape dans un vieux renvoi d’estomac et ça part à la revoyure, à la coule de la coule avec des notes qui fondent dans les flammes. Ça frit sur place. Inutile de réclamer ta monnaie.

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             Darkness Rains ? Big album ! Il t’avale aussitôt «More Dead». Elles sont dans le vrai, dans le wet féminin d’ultimate spinash, c’est clamé à la retenue de la fistule, elles sont magiques, pleines de fringance, comme ces petites gonzesses excédées qui tapent du pied par terre, et là tu as le pire solo de wah de l’univers connu des hommes, elles te collent au mur. Douze balles. Tu en redemandes. Suite de la triplette de Belleville avec «(One Less Thing) Before I Die», elles tapent dans un fabuleux wild wet trash punk, ça t’enfume la cervelle. Fin de la triplette avec «Disaster (Is What We’re After)», les Death Valley Girls sont certainement ce qui est arrivé de mieux à LA depuis longtemps. Elles sont mille fois pires que les Pandoras. Elle groovent le big lard d’anymore, elles se répandent sous le boisseau, alors que soufflent des vents de wah, c’est d’un niveau qui te démonte les clavicules, mon pauvre Salomon, et en plus elles ramènent le sax du MC5. Alors évidemment, après les trois coups d’éclat du début, on attend la suite. Elle arrive avec «Abre Camino». Elles tentent encore le diable avec ce groove d’exaction panaméricaine, elles ramènent la wah nucléaire et se couronnent reines du Big Atmospherix. Elles s’étranglent encore de power avec «Street Justice», avec encore cette gratte prédatrice en embuscade. Elles développent d’incroyables mélanges, avec ce velouté intime qui ramollit leur Motörheadisme rampant. Cet album sonne comme un slab de remise à plat. Tu sais qu’il faut suivre les Death Valley Girls. Elles fonctionnent avec des éclats supersoniques, le moindre cut te met en alerte. Tiens voilà qu’elles tapent dans l’hypno Velvet avec «TV In Jail On Mars». Elles se sentent concernées jusqu’à la fin, raison pour laquelle on les admire.  

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             Under The Spell Of Joy échappe à l’oubli grâce à deux coups de génie : «Hold My Hand» et le morceau titre. Le premier  sonne comme un shoot d’L.A. gaga, elles sont terribles. Le génie des Valley Girls consiste à savoir tout brasser. Cet «Hold My Hand» est fabuleusement beau. Elles enchaînent avec le morceau titre, à la fantastique énergie de commitment aléatoire. Elles ont ça dans la peau. Une espèce de gigantesque mélasse te tombe dessus, elles swinguent avec des os de squelette et touillent une mélasse héritée du Gun Club. C’est d’une rare puissance. Puis l’album s’affaisse un peu, avec du big mood ambiancier («The Universe»). Elles cherchent la rédemption et se noient dans un son d’écho et de sax. Elles perdent encore du poids avec «Little Things», mais Larry Schemel passe un killer solo qui sauve les meubles. Même chose avec «No Day Miracle Challenge». Schemel reste en embuscade.   

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             On sent une très nette baisse de régime dans Islands In The Sky, même si le sucre de Bonnie Bloomgarden résonne dans l’écho du temps. Elle sucre bien les fraises sur «California Mountain Shake». Puis elle remonte en selle aussi sec pour «Magic Power». Ça tagadate dans la plaine du Far West, comme dirait Yves Montand. Mais on a déjà entendu ça mille fois. Magic Power n’est pas si magic, after all. Les Girls campent toujours dans l’heavy sound, Bonnie chante all over, on l’aime bien, elle est assez pure, avec du gros buzz derrière, mais les compos ne sont pas des hits. Bonnie se bat avec son sucre, elle est héroïque dans «Sunday» et par certains côtés, elle redevient trop girlish, trop pubère. On dénote même un côté superficiel dans son approche, ce qui à la limite peut l’excuser. Au fil des cuts, on finit par les perdre, elles se prennent pour le Velvet d’«All Tomorrow’s Parties» dans «Journey To Dog Star», elles se fondent dans le groove mais ne savent pas comment s’en sortir. Elles se prennent pour le Ronettes avec «Say It Too», comme si elles tentaient leur dernière chance. Et là ça redevient génial. Elles se réveillent enfin avec la mad psyché de «Watch The Sky». Elles shakent la dérive des continents. Ça explose au moment opportun, elles tapent en plein dans le mille du Floyd de Syd.

    Signé : Cazengler, dead balai brosse

    Death Valley Girls. Le Tétris. Le Havre (76). 29 avril 2025

    Death Valley Girls. Street Venom. Burger Records 2014  

    Death Valley Girls. Glow In The Dark. Burger Records 2016    

    Death Valley Girls. Darkness Rains. Suicide Squeeze 2018   

    Death Valley Girls. Under The Spell Of Joy. Suicide Squeeze 2020   

    Death Valley Girls. Islands In The Sky. Suicide Squeeze 2023 

     

     

    Wizards & True Stars

     - Public Image Illimited

     (Part Three)

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             Quand John Lydon apparaît à la une de Record Collector, on se frotte les mains. Rien que de voir sa bobine, ça nous repose des horreurs qu’on voit dans d’autres canards, notamment les trois autres Pistols acoquinés avec Frank Carter. Il faut tout de même bien se rendre à l’évidence : des Pistols dans Johnny Rotten, ça n’a tout simplement aucun sens. Tu vois d’un côté les vieux, Matlock, Steve Jones et Paul Cook, et de l’autre le jeune, l’éternellement jeune John Lydon.

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             Bon d’accord, notre héros a pris du poids, mais il reste infiniment crédible. Il donne une interview depuis sa maison de Malibu, en Californie. C’est un événement : 14 pages ! Il commence par évoquer son deuil de Nora, au terme de 44 ans de vie commune, puis de John Rambo Stevens, son meilleur ami et manager. En deux heures d’interview, il fume un paquet de clopes.

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             Le thème de l’interview concerne le radio show de juillet 1977, The Punk And His Music : Tommy Vance recevait Johnny Rotten qui à la surprise générale programmait Captain Beefheart, Van Der Graaf Generator, Gary Glitter et des tas d’autres hippies. Avant d’entrer dans le détail de ses choix, il commence par rappeler qu’ado, il adorait Sweet, Slade, Marc Bolan et Elton John - My taste is extrememely broad and open-minded - Il est aussi fan de reggae et surtout de Dr Alimantado. Son favourite reggae band of all times, c’est The Abyssinians. Dans l’émission de Tommy Vance, il avait choisi de passer un cut de Neil Young, tiré d’On The Beach  - God yes, but it’s Zuma I really love - Et il te développe ça à sa façon, la meilleure qui soit, la rottinienne : «It’s always going to be one of my favourite albums for the way the guitar so emotionally almost falls apart.» C’est exactement ce qu’on ressentait à l’époque. Le son du fall apart ! Et il ajoute que Neil Young «is one of the greatest songwriters of all time. Him, Ray Davies, just absolutely amazing words.» Et inexplicablement, il ajoute le nom de Bryan Ferry, parce qu’il comprend ce que Ferry lui dit.

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             Alors Simon Goddard tente une petite provoc et insinuant que McLaren ne devait pas être très content d’entendre à la radio Johnny Rotten chanter les louanges d’un vieux hippie comme Neil Young.  Et ça marche ! Rotten se fout en rogne : «Well, you couldn’t understand what the manager was yakking on about. Because I’m the bloke writing these songs and you’re telling me that it should fit to a specific catalogue of ideas? Go fuck yourself!». Et il ajoute qu’on ne peut pas écrire des textes comme ceux de «God Save The Queen» sans avoir «an open mind and open ears». Et paf, il en profite pour rappeler que «the rest of the band were musically ignorant.» Et d’ajouter qu’il s’est fait un devoir de leur montrer des «other ways of directing thoughts and agendas.»

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             Puis Goddard repart sur d’autres choix du jeune Johnny Rotten : Nico et Tim Buckley. John Lydon en pince toujours pour le «Sweet Surrender» de Tim Buckley, «one of the world’s most lovingly sad sons.» Il est assez lucide pour savoir qu’il ne pourra jamais atteindre la note de Tim Buckley, aussi se contente-t-il de rester en adoration.

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             Rusé comme un renard, Goddard ramène John Lydon sur le terrain de l’enfance. Alors attention, c’est passionnant, car le père du kid Lydon «was a bit of a teddy boy, so sweet Gene Vincent has always been in my mind.» Puis ses parents sont devenus des Mods - My mum and dad wre well into the Kinks. You Really Got Me was SUCH an impressive record when I was a nipper - Goddard le branche ensuite sur les music papers. Berk ! - Didn’t touch the music press. Not really, up until the Pistols - Il ajoute : «It was boring to me. People talking about music? Bloody hell! I’d much rather listen.»

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             Ce démon de Goddard le branche sur Van Der Graaf Generator et Lydon remet les choses au carré, disant qu’il n’a jamais aimé le groupe, «but I did like Peter Hammill on his own.» Retour sur Nico, au temps où ses parents lui balançaient : «Oh my God Johnny, that woman can’t sing», ce qui le renforçait dans sa détermination à adorer Nico. Il en profite pour avouer qu’il adore la bad music, d’où le choix de «The Blimp», tiré de Trout Mask Replica, lors du radio show de 1977. Il rend aussi hommage à Alvin Stardust - Oh Alvin yes! I hate rock’n’roll imitators getting it wrong, but Alvin had fun - Branché sur Todd Rundgren, il avoue un faible pour Todd - the one where he’s got long hair, half blue on the cover - Il qualifie encore Something/Anything de wonderful. Il trouve génial que Todd attaque un classique et ne le finisse pas - I liked that attitude, like Mozart when he didn’t finish Requiem - Et Dylan ? Oh pas grand chose à part «Hurricane». Pour l’anecdote, il croyait que «Blowing In The Wind» was about farting. Prout dans le vent ?  

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             Joni Mitchell ? Il cite un ou deux albums et s’exclame : Who the hell needs them? Il dit l’avoir rencontrée en Jamaïque, «and I didn’t like her very much.» Puis on passe aux choses sérieuses avec les Pistols. Goddard lui demande s’il écoute Nevermind The Bollocks à la maison - Are you joking? All the time! (...) it’s a poweful, powerful piece of music we put there together - Et bam, il allume Steve Jones - Poor old Steve, he still can’t play Anarchy or Pretty Vacant properly - Il explique ensuite que personne ne peut re-chanter «No Feelings» - Poor Billy idol attempted it. Good luck, man! You sound like you’re mumbling after the third line - Auto-compliment final de John Lydon  pour Nevermind The Bollocks : «Wow! Bloody hell, young fella. You had something going here!».

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             Il pense d’ailleurs la même chose de Metal Box. Puis il rend hommage au Sanctuary de The Cult, à Dolly Parton, John Coltrane, Miles Davis, notamment Bitches Brew, «one of my all-time favourite albums» qu’il rapproche du Tago Mago de Can. Britpop? What do you mean? Goddard lui dit : Oasis. Yes I like those lads.

    Signé : Cazengler qui remPiL

    Simon Goddard : The punk and his music revisited. Record Collector # 568 - March 2025

     

     

    Nuggets back

     Gets back to where you once belonged

     

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             Si tu veux te rincer l’œil avec du vocabulaire rock, alors saute sur le Nuggets Redux du Rev Keith A Gordon. Avec son petit book (180 pages en gros caractères pour super-bigleux), le Rev rend hommage à l’un des fleurons de la rock culture : Nuggets, cette compile Elektra parue en 1972 et sous-titrée Original Artyfacts From The First Psychedelic Era 1965-1968. On s’en souvient comme si c’était hier : ce fut une petite révolution. 

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             Le Rev reprend les cuts un par un et les ré-épluche, en électrisant sa prose. Il commence par les Electric Prunes et «I Had Too Much To Dream Last Night», histoire de rappeler que Dave Hassinger les produisit et fut leur manager. Le Rev affûte sa plume et se lance à l’assaut : «Even by the exagerated standards of 1960s garage-pop, ‘Get Me To The World On Time’ boils over with hormonal lust, accentued by the sudden break into a pulverizating psychedelic Bo Diddley beat.» Il a raison, le bougre. Ça boil pour de vrai chez les Prunes. Steve Kraskow ajoute : «I consider the Electric Prunes vital, raw, dead-cool psych rockers. Armed with massive amounts of Vox effects pedals, amps, and instruments, they created a fuzz vibrato roar matched by none.» Et voilà le travail. Matched by none. Ça sonne. Rien de tel que la langue anglaise pour dire le rock.

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             Le Rev est moins loquace sur les Standells : «‘Dirty Water’ brought a brash, proto-punk sound to the airwaves, even if the band themselves were hardly rabble-rousers.» Môsieur le Rev émet des réserves. Vazy Rev, prends ta gratte et essaye de sonner comme Tony Valentino.

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             Il rend plus loin hommage aux Vagrants de Leslie West qui tapaient alors dans le «Respect» d’Aretha. Il dit que leur version est «tuff as nails.» Pour lui, ça reste un mystère que les Vagrants n’aient pas explosé aux États-Unis, d’autant ajoute-t-il que leur label Atco savait y commercialiser les petits culs blancs de type Cream, Buffalo Springfield et les vaillants Vanilla Fudge, eux aussi basés à Long Island.

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             On saute en B avec les Shadows Of Knight et «Oh Yeah». Le Rev essaye de décrire ce qui se passe dans ce chef-d’œuvre impérissable : il commence par dire que la cover n’a rien à voir avec l’original de Bo Diddley, «with the singer doing his best Howlin’ Wolf imitation, guitars stinging like a horde of angry hornets, and minimalist instrumentation jumping around the mix like a juke-joint echo.» Pour une fois le Rev se plante, car on entend surtout la voix de Jim Sohns qui, avec celles de Van The Man et de Dick Dodd (Standells) devient l’archétype du proto-punk. Dans la rubrique ‘Another view’ de fin de chapitre, Scott Smith (Ugly Things) amène une info de taille, en évoquant le deuxième album des Shadows Of Knight, Back Door Men : «Selon Jim Sohns, c’était un bon album, mais les producteurs n’ont jamais pu choper le son du groupe. Les Shadows Of Knight comptaient parmi the first real loud bands, et il était difficile de les enregistrer. They were raw and basic but unique.» Et t’as un autre avis, celui de Cub Koda (Brownsville Station) qui déclarait dans All Music Guide : «Equal parts Rolling Stones, Yardbirds, Who and snotty little Chicago-suburb bad boys, the Shadows Of Knigh could easily put the torch to Chess blues classics, which make up the majority of the songs included here.» (Cub évoque leur premier album, Gloria).

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             Tu tournes la page et tu vois le Rev sauter sur le «Pushing Too Hard» des Seeds. On sent bien que les Seeds sont ses chouchous, car il sort le Grand Jeu : «Saxon’s vocals ride upon waves  of everswelling, repeated instrumentation, the perfomance punched up with shards of glassine rhythm guitar, occasionally punctured by razor-sharp barb-wire guitar licks, random keyboard runs that fall like a hard rain onto the recording tape, and the drummer’s locomotive rhythms which push the singer and other instrumentalists almost to the breaking point.» Pour décrire le rock, il faut savoir sortir du vocabulaire, mais surtout trouver un rythme qui soit autant que possible organique. Le Rev s’en sort pas trop mal. Mais l’expert dans ce domaine reste bien sûr Nick Kent, suivi de près par Kris Needs, et en français, bien sûr, t’as Eve Sweet Punk Adrien. Le Rev reprend : «Saxon’s vocals outsneeers anything Mick Jagger ever thought of singing, Sky’s emotional distress leaping out your speakers like a saber-rattling golem.»  C’est un régal que de lire ça. Une sorte de couche de perfection par-dessus la perfection. Personne n’aurait pensé à faire le coup du saber-rattling golem

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              Le Rev saute ensuite sur les Remains et «Don’t Look Back». Il n’y va pas par quatre chemins : «De toute évidence les plus talentueux musiciens du roster de Nuggets, les Remains sont l’exemple classique du ‘too much too soon’». Le Rev rappelle que les Remains ouvraient pour les Beatles lors de leur dernière tournée américaine en 1966. Barry Tashian a même écrit ses mémoires, Ticket To Ride: The Extraordinary Diary of The Beatles’ Last Tour, un bon book sur lequel on va revenir prochainement. Dans une interview pour Bad Trip magazine, Barry Tashian déclarait : «On montait sur scène pour jouer 20 minutes, puis on accompagnait Bobby Hebb qui chantait ‘Sunny’. Puis The Cyrcle montaient sur scène, c’était un groupe. Puis on revenait sur scène accompagner les Ronettes pendant 20 minutes. Elles chantaient ‘Be My Baby’.» «Comme on était the opening band, ajoute Tashian, on avait quelque chose à prouver. Les Beatles n’avaient rien à prouver.»

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             Le Rev n’y va pas de main morte sur les 13th Floor : «A near-perfect multi-hued slab of psych-rock energy with choogling rhythms and wiry fretwork riding atop oddball sounds produced by Tommy Hall’s electric jug, singer Roky Erickson’s high-losnesome vocals pierce the jumbled, busy mix with no little heart and soul.» Rick Johnson se charge de la cerise sur le gâtö : «The 13th Floor Elevators are the world’s greatest unappreciated psychotic rock band, who terrorized their fellow Texans with some of the most controlled manic hostility known to rock music outside of the Velvet Underground and Syd Barrett’s Pink Ployd.» Bien vu, Rick ! Puis tas Jon Mojo Mills (Shindig!) qui ramène sa fraise : «Erickson’s girl-done-me-wrong put-down-lyric, catatonic cave man wail and incessant punk riffing was an odd bedfellow with Hall’s and Powell’s spiritual subject matter.» Et il ajoute ça en guise de chant du cygne : «Erickson’s largely folk-rock music approximations, laced with Stones and Kinks raunch, was straight outta the garage.»

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             Le Rev saute en C avec le «Psychotic Reaction» du Count Five : «It’s one of a handful of truly magical moments in rock’n’ roll history, and one of the garage rock explosions’ most memorable songs.» Il a raison le Rev. C’est l’un des sommets du genre. Il passe plus loin aux Amboy Dukes et «Baby Please Don’t Go», pour saluer l’«axe-wielder Theodore Anthony ‘Ted’ Nugent qui twangs ‘n’ bangs away on his trustry Gibson Byrdland, coaxing unatural sounds out of the instrument that sounded right at home in the heart of the psychedelic ‘60s.» Puis c’est au tour de Plastic Crimewave de saluer les Dukes en fin de chapitre : «The Amboy Dukes were a solid, heavy-ass acid rock group whose flashy gear & American flag abuse doubtlessly had an impact on the MC5.»

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             Le Rev va ensuite flasher like airplane lights sur Saggitarius et «My World fell Down», et plus précisément sur Gary Usher. Un Usher qui avait déjà proposé «My World Fell Down» à Chad & Jeremy, qui l’ont refusé. Pourtant, Gary Usher insistait pour dire que c’était un «sure-fine chart hit», mais en pure perte. Alors Gary Usher a décidé qu’il allait l’enregistrer lui-même. Pour ce faire, il recruta des gens du Wrecking Crew, à commencer par Glen Campbell (qui chante), plus Bruce Johnston et Terry Melcher qui font des harmonies vocales. Pardonnez du peu. Clive Davis qui était alors le boss de Columbia flasha sur The Astrology Album de Saggitarius et exigea que le groupe parte en tournée. Gary Usher se vit contraint de monter un groupe, car Saggitarius n’existait pas. Il recruta Curt Boettcher qu’il avait rencontré au temps de The Ballroom. Boettcher fascinait Gary Usher. C’est bien que le Rev s’attarde un peu sur ces gens-là, car ils sont aussi importants que Brian Wilson et les Beach Boys. Puis Boettcher va monter son «next cult-rock project», The Millenium. Il ramène en studio ses vieux copains, Sandy Salisbury, Lee Mallory, Joey Stec et Michael Fennelly et ils enregistrent en 1968 l’album Begin, co-produit par un autre crack-boom de l’époque, Keith Olsen - At the time, Begin was allegedly the most expansive album ever recorded for Columbia Records - Et comme Curt Boettcher refuse de partir en tournée, l’album floppe. Lui et Gary Usher seront redécouverts dans les années 1990 et salués comme «the chief architects of the 1960-era sushine pop sound.»

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             On reste dans le très haut de gamme de la pop avec Nazz et «Open My Eyes». Le Rev profite de son hommage à Todd pour rappeler que sur les 27 Nuggets bands, seuls trois d’entre-eux ont connu le «bigtime» : The Vagrants (Leslie West), The Amboy Dukes (Ted Nugent) et Nazz (Todd Rundgren). En fin de chapitre, Stephen Thomas Erlewine affirme qu’«Open My Eyes» twists the Who’s «I Can’t Explain» around until it winds up in Roy Wood territory.» Comme c’est bien vu !

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             Partout ailleurs, le Rev jongle avec les rock words, à grands coups de «full-blown psych-drenched psychosis», de «backwards burst of fuzztone tremolo guitar», de «supersonic bee swooping into your speakers», d’«ear-shattering vibrating jet guitar», de «steady drumbeat», de «rinky-dink organ riff», de «circular guitar riff», de «red-hot slabs o’ R&B-styled proto-rock cheap thrills», de «mind-blowing screeching distorded guitars». Et Richie Unterberger se fend de ça, à propos de l’«It’s A Happening» des Magic Mushrooms - one of the finest pieces of early psychedelic garage madness : «The rave-up verses threatened to go out of whack like a cuckoo clock unwiding for the last time.» Vazy, essaye de traduire ça ! 

    Signé : Cazengler, Nuqué

    Rev Keith A Gordon. Nuggets Redux. Excitable Press 2023

     

     

    Inside the goldmine

     - Les Sapphires s’affairent

             On aurait dit qu’elle brillait comme un saphir dans la nuit. Baby Fab avait un éclat particulier, une voix particulière, un corps particulier. Elle disposait d’un atout majeur : elle parlait comme Arletty dans Les Enfants Du Paradis et se coiffait comme une reine de la nuit des années vingt. Elle parlait d’une voix à la fois grave et chantante, avec de délicieux accents coquins. Un charme fou ! Elle attirait l’homme comme l’aimant attire la limaille de fer. Nous nous rencontrâmes dans une fête d’anniversaire, aux quarante ans d’un ami. On ne voyait qu’elle dans la salle. Elle portait une robe bleue, assez courte. Son casque de cheveux noirs luisait sous les spots et sa voix charriait des tombereaux de sensualité rocailleuse. Elle accepta de danser avec un sourire, et son corps collé au mien signifia la brutale évidence d’un consentement. Les romanciers appellent ça un coup de foudre réciproque. L’attirance semblait avoir traversé nos deux corps, et fondu nos âmes, dirait Verlaine. Lorsque la fête s’acheva au lever du jour, nous nous séparâmes. Nous nous revîmes quelques semaines plus tard, et la relation suivit son cours normal : découverte des corps, confessions sur l’oreiller, nous brûlions un peu les étapes, nous commencions à envisager le «vivre ensemble», mais c’était compliqué car, bien sûr, nous étions chacun de notre côté engagés dans des relations établies, le genre de relations qui ne se défont pas en cinq minutes. Alors en désespoir de cause, elle se mit à boire plus que de raison. Nous nous retrouvions chaque week-end, en Normandie, où elle vivait. J’arrivais de Paris les bras chargés de cadeaux et de fleurs. C’était un rituel immuable : on prenait l’apéro au salon, elle nous versait deux grands verres de scotch, puis deux autres, et encore deux autres, on passait ensuite à table, elle avait préparé comme chaque samedi un gigot aux petits pois, elle ne servait pas de vin, on entamait la deuxième bouteille de scotch et invariablement, le plat du gigot lui échappait des mains, elle s’écroulait sur la table, toute flasque. Ce fut un privilège que de marcher dans les petits pois pendant les trois ans que dura cette aventure malheureuse.  

     

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             À côté du saphir dans la nuit, il y a les Sapphires de la Soul. C’est dans la compile qu’Ace consacre à Boyce & Hart qu’on a découvert les Sapphires, notamment avec «Thank You For Loving Me», un vieux shoot de doo-wop, et une Soul Sister à la barre : le swing du paradis. Il n’existe qu’un seul album des Sapphires, paru sur Swan et devenu intouchable, alors on se rabat sur une compile Sequel, The Best Of The Sapphires, parue en 1994. Celle-là, il faut se lever de bonne heure pour la choper. On y retrouve bien sûr le «Thank You For Loving Me» évoqué plus haut, mais globalement, c’est une compile compliquée. Le premier tiers des cuts est tout simplement trop kitsch. La petite pop d’«Oh So Soon» est trop fouettée de la crème, enregistrée au château Lacoste. Carol Jackson est pourtant une reine de la nuit. George Gainer et Livingston l’accompagnent. Comme le groupe est basé à Philadelphie, il semble que le quatrième larron qu’on voit sur les early shots soit le jeune Kenny Gamble. Le producteur Jerry Ross fait appel au jeune Kenny pour composer et hop, les Sapphires s’envolent vers le succès. Carol Jackson fait bien la part des choses dans «I’ve Got Mine You Better Get Yours», mais il ne se passe rien. On attend monts et merveilles des Spahhires et soudain la compile se réveille avec «Wild Child», Carol Jackson est dessus, et ça jerke ! Dans ses liners, Rob Hugues parle d’un «upbeat Gamble-Ross number with a Motownesque burping baritone sax». Elle remet le couvert avec «Come On And Love Me», elle y va au grand revienzy et se montre très lancinante.

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             Puis Jerry Ross emmène les Sapphires enregistrer à New York, aux fameux Bell Sound Studios. On entre dans la zone chaude de la compile, les Sapphires font du Motown sound avec «Baby You’ve Got Me», et là, amigo, Carol Jackson explose tout Motown. Boom ! Elle a tout le power des Vandellas. Ils reviennent au doo-wop avec un «Thank You For Loving Me» signe Boyce & Hart et soudain ça repart en full Motown blown avec «Gotta Have Your Love», fantastique pulsation et joie de vivre ! Encore du pur Motown sound avec «Gee I’m Sorry Baby», plus languide, et un mélange de chœurs masculins et féminins. Mais quelle prod ! Avec «Evil One», Carol Jackson explose une fois de plus Motown. C’mon ! Ça vire Burt avec «How Could I Say Goodbye», c’est une mélodie de rêve qui te monte droit au cerveau. Nouveau coup de génie avec «Gonna Be A Big Thing», elle va droit dans le mur, au pur et dur, c’est cuisiné au tortillettes de pur genius. Carol Jackson affronte encore la clameur de Motown dans «You’ll Never Stop Me From Loving You», mais elle le fait avec une rémona indescriptible ! La sueur te coule dans le dos. Elle fout encore une claque dans la gueule de Motown avec «Slow Fizz». Complètement dément ! Et c’est rien de le dire. Pourquoi les Sapphires n’ont pas explosé ? Personne ne peut comprendre.  Rob Hugues pense que le groupe a splitté en 1968.

    Signé : Cazengler, Satyre.

    Sapphires. The Best Of The Sapphires. Sequel Records 1994

     

    *

             Pas de panique ! J’ai le code. Non ce n’est pas LRDC, (parfois LRDK) vous connaissez j’espère, une opération alchimique un peu dangereuse, en toutes lettres La Rosée du Chaos. Le vrai code c’est LTDC, ça y ressemble mais ça ne désigne pas le même phénomène. Je transcris, Les Troubadours du Chaos. Vous voyez ça se termine à l’identique. En plus vous avez une alliance de mots de même calibre, Rosée et Troubadours, deux termes poétiques, en tête de gondole et chaos touché-coulé en fin de partie. Quoique la mythologie grecque nous apprend que le Kaos n’est pas le point terminal vers lequel on se dirige mais celui originaire d’où l’on précède.

             La preuve c’est qu’ils sortent tout droit d’un drôle de chambard, made in France, du punk, z’étaient déjà là en 1981 et en plus ils viennent de sortir un clip, un hors-d’œuvre d’un bientôt, je ne peux pas décemment écrire futur c’est un vocable non-autorisé dans les dictionnaires de la punkitude, album.

    Donc, on écoute et on regarde :

    Christian Panik : chant / Micky Boys : drums / Toons : guitare / Tom : Bass.

    LOVE

    PANIK  LTDC

    (YT / Mai 2025)

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             L’on est un peu surpris de ces lettres vertes qui squattent tout l’espace, LOVE c’est un truc pour les hippies tout de même, remarquez heureusement qu’elles sont là parce qu’après on ne voit plus rien.  J’exagère un peu. C’est vrai qu’on ne voit rien, juste un chaos. D’images. Vous les refilent à toute vitesse, comme les grands arcanes du tarot. Ceux qui aiment se tenir à la rambarde (illusoire) du réel clameront, c’est un groupe de rock, j’en suis sûr, en plus la musique le confirme. Erreur sur toute la ligne. Un corps à corps. Une partie d’échecs, mais vous ne voyez que les grandes plaques noires de l’échiquier. Le blanc c’est tout le reste. Des visages en punchline, des fragments d’instruments, une baguette qui s’agite, ce n’est pas une vidéo, imaginez un corps-à-corps, une espèce de combat intérieur avec soi-même qui ne regarde personne, et pourtant cette voix claire et distincte qui vous crache à la gueule son amour pour on ne sait qui au juste, n’empêche que quand il hurle Love, Love, Love, c’est un aboiement de chien méchant et en filigrane vous entendez I wanna be your dog, en plus question écolo, vue la dose d’électricité que jettent les guitares ils ne font pas gaffe à leur émission de carbone dans la stratosphère, par contre vous avez les lyrics qui s’écrivent en blanc bien droits, bien lisibles, des banderoles de revendication comme dans les manifestations houleuses, Christian Panik chante ses blessures comme l’on exhibe devant sa porte ses ordures intérieures aussi pures que des guipures de princesse. Panik nique à mort. Piqûre d’uppercut. Un véritable crachat d’amour pur.

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             Quel plaisir de retrouver Panik en pleine forme. Le groupe a eu ses heures fastes. Il était présent au tout début du punk français. Un premier album sorti en 1983, souvent programmé sur les radios libres. Une autre époque. Il s’est débandé, s’est reconstitué à plusieurs reprises. Sous une forme ou une autre il est toujours resté présent. Des départs, des changements. Mais toujours l’esprit rock.

    Damie Chad.

     

    *

    Soyons comme Janus. Le rock regarde souvent du côté de l’Ouest, du soleil couchant, de l’Occident, de la mort symbolique, portons donc notre attention de l’autre côté, vers L’Est. Serait-ce la direction du soleil levant puisque l’Orient serait celui de l’aurore matutinale de la vie… A moins qu’il n’y ait un orient qui soit dénommé Nord, le royaume hyperboréen…

    *

             Le traducteur  me donne grille, barrière, pour le nom du groupe. Sympa il m’indique qu’en croate le mot signifie prison. Mon translateur a de la suite dans les idées. Viennent d’une ville dont vous avez entendu parler Koursk. Oui ils sont russes. Les rares groupes russes que j’ai chroniqués sont noirs de chez noir. Celui-ci l’est encore plus.

    cмерть подождет

    ZATVOR

    ( Addicted Label / Mai 2025)

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                    Comment interpréter cette couve : serait-ce la recherche de la quadrature de l’Homme. A moins que ce ne soit une icône diabolique. La photographie est attribuée à Roman Dorodnykh.

    Katya Sumina : vocals, lyrics, keys / Denis Kolesnikov : guitar / Anton Eremin : bass / Kirill Kiryukhin ; drums.

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    Хозяйка ритуальных услуг : Hôtesse des services funéraires : frémissement, dérèglements, grondements, accrochez-vous aux petites herbes et aux fougères géantes du Crétacé, la batterie s’essuie lourdement les pieds sur le tambour qui lui sert de paillasson, sommes-nous dans un hall d’assemblages d’avions ou dans l’antichambre de l’attente, si vous n’y prêtez pas gaffe vous passerez à côté des subtiles variations quasi imperceptibles, l’est vrai que dans cette noirceur qui vous tombe sur les épaules, la subtilité des choses risque de ne pas être la première urgence, la maîtresse des Services Rituels a pris la parole, une voix monocorde, z’avez l’impression qu’elle s’ennuie, qu’elle serait mieux ailleurs, c’est comme le poids du sonore background, de l’imperturbable blackground, attention elle s’anime, elle garde toutefois le même rythme inaltérable et toutefois elle vous emmène dans une ronde infernale, la voix devient chant, le chant se transforme en clameurs, se répercute en échos, en approfondissements, en sursauts, elle vous entraîne, elle vous prend par la main, elle vous guide, elle  vous conduit sous les voûtes souterraines du rêve, pourvu qu’elle ne ressemble pas à la vieille mémé de la photo, car sa voix se fait pressante, elle vous attire, elle vous fait des propositions honteuses vertigineuses, est-ce une succube, vous consentiriez à ce qu’elle aspire la moelle de vos os par le canal de l’urètre, est-elle l’aragne qui vous attire dans la toile venimeuse de ses cheveux, l’on ne sait pas, plus aucune nouvelle de vous. Охотник : Chasseur : le premier morceau, c’est un peu quitte ou double, celui-ci est doublement inquiétant. Le vocal vous emprisonne, vous transporte ailleurs, réverbération totale, vous ne savez plus où vous êtes mais le plus terrible c’est que l’on vous demande de choisir votre rôle, c’est un peu comme dans Jumanji, mais là vous décidez : où vous serez la victime ou vous êtes le chasseur, impossible de vous fier à la musique, la batterie défile sans fioriture comme si elle connaissait la fin du film et les guitares sont comme des coups de ciseaux qui taillent la pellicule en confetti afin que vous ne puissiez y trouver aucun indice, alors chasseur ou chassé, quel chassé-croisé, de toutes les manières que teniez le rôle de l’un ou de l’autre c’est la mort qui est l’enjeu et qui mène le jeu, le son se brouille, il perce et écrabouille vos oreilles, vous ne savez plus qui vous êtes, peut-être les deux à la fois, égorgé ou égorgeur où se trouve le problème, puisque déjà vous vous ne savez plus qui vous êtes, peut-être êtes-vous la mort que vous fuyez, ce qui est sûr c’est que l’engrenage des évènements ne plaide pas en votre faveur, la voix roucoule, serait-ce le générique de fin, le plus terrible n’est-il pas d’ignorer si vous êtes en vie ou déjà mort, preuve que depuis le premier jour de votre naissance l’on ne vous a jamais rien dit. Ni vérité. Ni mensonge. Car ce sont exactement la même chose, comme la mort et la vie. Смерть подождет : La mort peut attendre : maintenant vous êtes au parfum, vous êtes à terre, le chasseur va-t-il vous achever, musique un peu westernienne, les dernières minutes du scénario, la guitare s’en donne à cœur joie, elles tissent nos aragnes électriques des tentures crépusculaires, comme vous êtes salement blessé, Katia parle pour vous, pas de panique, vous êtes si près de la mort que la mort peut attendre, elle n’est pas pressée, le gros du boulot est déjà accompli. Votre pouls s’alentit, Kathia hausse la voix, vu votre faiblesse vous devez avoir du mal à la comprendre. Elle vous console en répétant ce qu’elle a déjà dit la mort peut attendre. La zique imite le convoi funéraire qui vient vous chercher, le train ne s’est arrêté qu’un bref instant, déjà il quitte la gare, la locomohâtive tire ses wagons, elle s’éloigne, elle vous emporte loin, très loin… trop loin…

             Non ce n’est pas marrant. Mais que de palpitance ! Vous êtes happé par ce rythme lent d’un monde qui ne change pas de place. Alors que tout va si vite. Maintenant vous avez le temps de comprendre pourquoi sur la photographie la vieille vous a un de ces regards effrayés. Elle vient d’ouvrir la porte à la mort. Mais je vous quitte, j’ai entendu frapper sur le vantail. Un visiteur qui vient vous voir. Je me sauve ! Bonne soirée.

     

    *

             Le fait de chroniquer le groupe russe précédent m’a donné l’idée de me rendre sur l’Instagram de JARS groupe russe dont ces dernières années nous avions passé en revue l’ensemble de la discographie et que nous avions vu à la Comedia à Montreuil… Au lendemain de la déclaration de guerre de la Russie à l’Ukraine, ils avaient rédigé un texte dans lequel ils exprimaient leur opposition à ce conflit. Quelques jours plus tard le court mot de protestation avait été retiré… Rien de nouveau sur leur bandcamp. J’ai déniché ailleurs quelques lignes. Les membres du groupe sont séparés en des pays étrangers. Nous leur souhaitons bonne chance. Z’avaient un beau slogan : Nous sommes Jars. Vous êtes pires que nous. Ils ne se trompaient pas. Le monde était, et est encore, pire qu’eux.

    Damie Chad.

     

    *

              Nous quittons la Russie mais nous n’allons pas bien loin. Nous traversons juste la frontière. Nous voici en Finlande. A Helsinki.

    SUNDERED

    ASKEL

    ( K7 / Iron Corpse / Avril 2025)

    Tout ce que je suis capable de dire : un quatuor. 

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             Une pochette qui ne s’offre pas au regard. Un carré noir au centre un double triangle d’un rouge opaque, vous avez envie d’y voir la forme stylisée d’une vulve, mais lorsque vous l’examinez, vous optez pour l’idée d’un interstice, que l’on n’a pas rebouché sûrement pour vous signifier que le peu que vous verrez n’est pas là pour être regardé… Plissez les yeux, en haut une rose noire munie d’une longue tige, elle transperce un rat mort replié sur lui-même… Serait-ce un remake de la crucifixion du Christ ? Si oui, quel sens  faut-il lui donner… et quelle interprétation en tirer…

    Conflagration : même si vous n’avez pas vu le titre vous comprenez que vous êtes sur une mauvaise pente, comme moi lorsque retentiront les trois coups de cymbale vous vous sentirez en pays connu et esquisserez le sourire de la chatte qui vient de retrouver vivants ses petits dans les tubulures obscures de la cale d’un cargo infestée de rats plus gros qu’elle, avant le ding-ding-ding ce n’était pas vraiment la joie mais juste après un tsunami sonore déferle sur vous et vous sentez que votre cerveau vacille, peut-être même s’est-il séparé de vous s’écrasant sur le plancher après avoir pulvérisé votre cloison nasale. Difficile de dire à quoi ça ressemble, d’après moi la même sensation d’horreur que vous auriez si un T-rex vomissait sur vous les débris sanglants des enfants d’une école maternelle dont les quartiers sanglants enduits de suc gastrique causeraient fort inopinément quelques  infectes auréoles sur votre chemise blanche toute propre. Un hachis parmentier ultra-sonore particulièrement agressif que vous ne manquerez pas de qualifier de bienfaisance protectrice si par malheur vous parvenez à saisir le sens des mots que barrissent mille éléphants furieux. Non Askel ne vous souhaite pas une bonne année. Le groupe prononce une terrible malédiction, à vous et au reste de la population terrestre, il appelle sur nous une apocalypse, un armageddon de soufre et de feu destiné à vous faire périr en de terribles souffrances. Vermin : un engin de chantier ratiboise vos dernières espérances, la batterie concasse vos synapses pour que vous compreniez qu’ils ne vous traitent pas de vermine. Souvenez-vous qu’à la fin du premier morceau vous êtes mort depuis longtemps. Ces bruits de scierie, ces moteurs concasseurs, ces mots passés dans une turbine aux lames aiguisées sont à interpréter comme une métaphore de ce qui reste après vous. Pas grand-chose, des rues désertées, des maisons éventrées, des gravats, des herbes mauvaises, une laideur immonde, une espèce de tumulus de décombres que   des milliers de machines s’acharnent à aplanir, à aplatir, à rayer de la surface de la terre, comme quand vous agitez le paillasson de votre chez vous pour le débarrasser de la vermine… Sun : un titre qui sent bon les vacances, ne vous y fiez pas, rien qu’au bruit de presse-purée uni-dimensionnel qui n’en finit pas de réduire la moindre de vos positives attitudes en charpie chiffonnée vous intuitez que vous n’entrez pas dans une période de festivités… pour bien comprendre faut rétablir l’ordre chronologiques des périodes, ce n’est pas très difficile, les deux premiers morceaux annoncent note futur proche, la catastrophe qui s’annonce, un peu beaucoup à la folie climatique et guerrière. Par rapport à ce sombre avenir, ce troisième morceau est à considérer comme une préquelle, dans l’EP elle est située après mais de fait elle se passe avant, une antériorité qui   se situe dans notre présent. Mais comment font-ils pour que chacun de ces trois morceaux soient de plus en plus horribles. Il suffit de regarder autour de nous pour comprendre que celui-ci sur l’échelle de Ritcher qui mesure la force des tremblements de terre qui va de 1 à 9  doit être qualifié de 142. A première vue, cela n’apparaît pas si horrible, regardez ces crétinoïdes que sont vos voisins, vos collègues de travail, vos enfants, votre conjoint, sont tous heureux de vivre, sont les instruments dociles d’un système sociétal qui nous mène à notre perte. Tous coupables assoiffés d’honneur, d’argent, même ceux qui sont morts ne sont pas innocents, tous forment les rouages d’une machine qui nous mène à notre propre extinction. Soniquement ce morceau pourrait être nommé la grande démentibulation de l’acceptation humaine à sa propre servitude. Font tout le bruit dont ils sont capables pour vous avertir, mais qui aimerait à écouter de si sombres descriptions vaticinatoires de sa présence au monde. L’est sûr que le stoner doom est une musique du désert. Machine gun : s’ils ne l’avaient pas mis en note je n’y aurais pas pensé,

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    mais ils s’en vantent, une reprise de Portishead, à les croire ils ont transformé la minimaliste sérénité de l’original en un chant funèbre industriel. J’ai bien quelques mauvaises habitudes, comme tout le monde, mais je ne me réveille pas toutes les nuits pour aller écouter Portishead. N’écoutant que ma légendaire honnêteté intellectuelle je me suis fadé tout un album de Portishead avec en prime quelques babioles annexes. Je n’en suis pas ressorti convaincu. Ce n’est pas que ce soit intrinsèquement mauvais, pas du tout mon genre, l’ensemble est un peu répétitif à mon goût. Z’ont peut-être pensé que pour que l’écoute de Sundered ne se traduise par une vague de suicides collectifs, il leur fallait un rayon optimiste de soleil pour redorer la pilule triphasique de cyanure qu’ils avaient concoctée. Alors qu’ils viennent d’éteindre tous les lumières, coupé l’électricité et plongé l’humanité toute entière dans une fatidique obscurité, sont allés chercher un minuscule lumignon chez Portishead. L’histoire d’un individu qui s’est trouvé un sauveur et qui au bout de quelque temps s’aperçoit que le seul vrai sauveur qui serait capable de le tirer de sa déréliction ce serait lui-même. Ce n’est d’ailleurs pas certain qu’il réussisse… Askel m’a un peu déçu, se sont contenté de reprendre la même structure battériale, quatre coups, un faux silence, quatre nouveaux coups, la même amplitude mais pas la même musicalité, le tout répété sans férir, certes ils cognent plus fort, au lieu d’une mélodie guitarique ils vous déversent par-dessus  des tonnes de détritus soniques du meilleur effet, bref un régal de camion-benne. Sont tellement contents d’eux-mêmes qu’ils ne peuvent plus s’arrêter… l’on regrette que le chant se soit tu, en effet la grande force d’Askel c’est ce vocal amphigourique digne des premiers titans. J’eusse préféré une nouvelle compo, mais en ce bas-monde on ne peut pas avoir tout ce que l’on veut, et l’Ep vaut le déplacement.

    Damie Chad.

     

    *

    Nous finissons cette trilogie consacrée au royaume de la dérive entrevue au Nord-Est, par ce que parodiant un titre d’Oscar Vladislas de Lubicz de Milosz nous appellerons un chef d’œuvre lyrique du Nord.

    PROFUNDIS OMNIS

    POSTMORTAL

    ( CD / Aesthetic Death Records / Mai 2025)

             Encore un groupe polonais. De Krakow pour ceux qui veulent tout savoir. Ils n’en sauront pas davantage car le groupe ne révèle pas l’identité de ses membres. Seule notification adjacente : ces morceaux ont été enregistrés en 2024 avant la ‘’ suspension’’ du groupe. La formation serait-elle morte…

             Généralement les groupes se définissent postmetal, celui-ci postmortal. Sachez entrevoir la différence. La couve n’est guère engageante, au début je devinai un cœur bouffi de graisse, en inspectant un peu plus longuement il m’a semblé qu’apparaissait une bouche dans un morceau de barbaque infâme, la bouche d’ombre s’est ensuite métamorphosée en œil, après inspection approfondie je me suis arrêté à une tête de macchabée encore reconnaissable mais déjà en état de putréfaction lymphatique. Pas très ragoûtant je le concède. Nous ne reprocherons pas à l’illustration de coller à son sujet.

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    Fallen : donc la mort, l’on s’attendrait à du vide, à ne rien entendre, mais comme des coups de balai, la batterie qui titube, un peu maladroitement, comme quelqu’un qui vient de recevoir un coup et qui finit par retrouver un semblant d’équilibre et qui s’en va claudiquant, dans sa tête cela se comprend, les morts ne marchent pas, il reprend conscience peu à peu, d’abord surviennent les souvenirs de ce qu’il a été, les bons et les mauvais, s’aperçoit qu’il tombé dans son propre piège, l’Enfer c’est soi-même, oui il est mort, sa voix n’est plus qu’un souffle d’angoisse, des stridences, une longue procession, il est mort, désormais il mangera des cadavres pour survivre, une basse de plus en plus grave et sourde, mais il avance dans sa tête, il lui faut comprendre, c’est un souffle vocalique mortel mais de plus en plus assuré qui prend sort voiture de la casse, maintenant il murmure, révélation des secrets les plus terribles, il est urgent qu’il devienne sa propre immémoire, qu’il ne soit plus sa propre remembrance,  la mort est un crime, peut-être est-on son propre assassin, il parle, il profère des paroles, il est sa propre damnation, ce qui a été subsistera toujours. Darkest desire : notes funèbres, un tantinet mélodramatiques, ce dont il prend conscience, ce secret, cet arcane majeur qu’il va révéler, c’est l’ultime profération qui s’adresse autant aux morts qu’aux vivants, luxure et intelligence sont les deux jambes de l’homme, qu’il soit mort ou survivant, le lucre, l’envie et le désir immodéré sont les vomitoires qui nous maintiennent en vie et en mort, ne regrettons rien, n’écoutons pas les impuissants  qui nous conseillent la retenue et la chasteté. Notre héros-zéro se tait seule la musique morbide prolonge son message, comme si l’indicible confirmait son dire. Decay of paradise : le paradis est la fleur du péché, autrement dit une pourriture, comme des chants d’anges aux ailes flétries, la paradis c’est la vie, et la mort son absence ou plutôt sa décoloration, la mort aspire à la mort pour ne plus être le regret de ce qu’elle a été, même l’intelligence pourrit, maintenant le mort mugit comme un loup enfoncé dans un univers stérile et désertique qui hurle à la mort du désir, la sagesse commune n’est plus que ruines avec conscience de ce terrible secret que ce n’est pas la mort qui est mauvaise, mais la vie qui se finit en la mort comme le fleuve se jette dans la mer. Et n’en continue pas moins à rester de l’eau telle qu’en elle-même, mais ajoutée de l’amertume du sel. Prophecy at the endless : encore des révélations, rythme de grande lenteur, la bouche d’ombre parle, il a connu la source du fleuve et la fin du cycle. Maintenant navigue-t-il vers la source lui qui est sûr d’être dans le flux de la fin, il a été poussière, il est retourné au fleuve égyptien au Nil qui n’est pas Nihil, l’eau clapote doucement, tout au bout règnera la fin intemporelle, la fin qui n’a pas de fin, car la fin de la fin n’est autre que le début. Tout se précipite  car quoi qu’il dise une fin qui ne finit pas n’est pas la fin. Queen of woe : après la prophétie, l’adresse à la mort, il ne s’agit plus de moriginer en dedans de soi mais de prendre la parole, de s’en prendre à la Reine, à la Mort, car les morts sont cannibales et veulent vous garder aux tréfonds d’eux-mêmes afin que le mort qui pense encore soit encore davantage mort, il a la pensée mais il veut en surplus le désir de l’autre qui ne peut être que le désir de la Mort, faire l’amour avec la Mort, ne faire plus qu’un avec elle, est-ce pour cela que la batterie bat comme un cœur qui s’affole et que la musique s’empresse, que le vocal devient presque caressant, puis que l’on assiste comme à une explosion de gratitude car être uni à la Mort n’est-ce pas participer à l’Être que l’on n’était plus. The master piece of the thing that once was but will never be : le chef-d’œuvre de ce qui fut une seule fois et qui ne sera jamais plus, les derniers mots égrenés selon une funèbre lenteur, des perles claires et un second rang de perles sombres, trois étapes, mais de qui parle-t-il, de sa propre naissance ou de celle du monde, de la création splendidement déclinée jusqu’à la perle de la chute, demandons-nous laquelle, sa propre mort, ou l’affaissement d’un cycle vers sa propre fin, serait-ce donc sa propre fin d’être-mort, ce qui équivaudrait à une renaissance.  Derniers coups d’une même note grave répétée tel un glas funèbre. La dernière perle noire se nomme oubli, la voie de garage éternelle, mais la notion de création n’exige-t-elle pas l’antéposition de l’oubli car s’il subsiste encore quelque chose d’un cycle précédent la création ne serait pas une véritable création.

             Répétons-le, un véritable chef-d’œuvre funèbre.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 511 : KR'TNT ! 511 : LLOYD PRICE / YARDBIRDS / TEMPLES / CRASHBIRDS / JARS /BLACK INK STAIN / DRAIN / SUNAMI / JOAN BAEZ / ROCKAMBOLESQUES XXXIV

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 511

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    20 / 05 / 2021

     

    LLOYD PRICE / YARDBIRDS / TEMPLES

    CRASHBIRDS / JARS / BLACK INK STAIN

    DRAIN / SUNAMI / JOAN BAEZ

    ROCKAMBOLESQUES

     

    Lloyd Price n’a pas de prix

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    Voici venu le moment de rendre hommage au grand Lloyd Price qui vient tout juste de casser sa vieille pipe en bois d’ébène. L’idéal avant d’aller écouter ses albums serait de lire son autobiographie, car il s’y passe des choses étonnantes. L’ouvrage s’appelle Sumdumhonky, ce qui signifie some dumb honky, l’honky étant l’homme blanc dégénéré, évidemment. Lloyd Price qu’il faut considérer comme l’un des pionniers du rock («Lawdy Miss Clawdy», c’est lui) est un homme en colère. Son petit livre est un violent pamphlet contre le racisme des blancs du Sud, et plus particulièrement ceux de Kenner, une bourgade du Sud de la Louisiane, proche de la Nouvelle Orleans, où a grandi le petit Price. Comme le fait Willie Dixon dans son autobio, Lloyd Price dénonce la barbarie des blancs, mais avec encore plus de virulence. Il commence par expliquer que dans les années trente et quarante, les noirs n’étaient rien du tout (the black people were nothing) aux yeux des habitants de Kenner. Et il s’empresse d’ajouter : «Non, ce n’est pas ça, ils pensaient que les noirs étaient encore moins que rien. Ils pensaient que les chiens étaient au dessus des gens de couleur.» Et ça va très loin, la haine du blanc pour le nègre. Lloyd Price explique que sa mère avait toujours peur de perdre l’un de ses enfants - Quand on sortait de la maison, elle craignait qu’on ne revienne pas. Il se passait des choses étranges dans le Sud et si l’un de nous ne rentrait pas, ça voulait dire qu’il ne rentrerait jamais - En grandissant, le petit Price s’étonne de voir les noirs considérer les blancs comme des gens bien, et si l’on écoutait parler les blancs, les noirs étaient tous bêtes. Lloyd Price va se demander toute sa vie comment les gens de son peuple ont pu gober un truc pareil. La peur, tout simplement la peur. Le noir avait tellement peur du blanc qu’il le respectait, comme on respecte un prédateur dont on a peur. Le Shérif de Kenner était un vrai Américain qui expliquait à l’église que le bon nègre était un nègre mort. Il appliquait aux nègres le traitement moral que les générations précédentes avaient appliqué aux Indiens. Lloyd Price essaie de ramener le débat sur le terrain de la moralité et se demande s’il existe des blancs qui éprouvent de la honte pour les traitements infligés aux gens de couleur, pour cette peur sociologique dans laquelle les sumdumhonkys du Sud ont plongé des générations de noirs. Les gens imaginent que la ségrégation était la limite, mais Lloyd Price s’empresse d’ajouter qu’elle n’était que le commencement. «Le blanc ne peut pas mesurer les dommages causés par l’humiliation dans le corps et dans l’esprit. Quand on est insulté au point de se sentir comme une bouteille de champagne secouée en plein soleil. Un homme noir d’âge mur ne pouvait pas répondre aux insultes d’un gamin blanc, ou s’asseoir dans un endroit public pour manger sans être insulté.» Mais il ajoute que les noirs ont réussi à survivre, et son raisonnement va loin, car il considère que les noirs ont énormément contribué au développement de l’Amérique mais apparemment, ça compte pour du beurre. Il termine ainsi son réquisitoire : «Avant de conclure, je souhaite vous faire part de mes deux plus grandes sources de confusion. Un, je pensais qu’on était si maltraités dans ce pays par le blanc, et de façon tellement impardonnable que j’en arrivais à la conclusion que le blanc était le diable. Deux, le blanc prêchait tellement ces conneries de paradis et d’enfer que nous avions tous peur du moindre de ses mots, et quand le tonnerre de l’orage grondait, c’était encore pire. Je n’ai pas besoin de vous rappeler que la mort est la mort, quelle que soit la façon dont elle survient, et bien que le blanc n’ait rien à voir avec la façon dont on meurt, il a tout de même réussi à nous faire craindre la mort en nous prédisant les flammes de l’enfer. Alors oui, le blanc est le roi du marketing, il sait vendre ses idées, il faut avoir des couilles pour aller dire à un crétin qu’il va aller rôtir en enfer s’il n’obéit pas aux ordres. J’en était arrivé à la conclusion que le blanc était le pire cauchemar de l’homme noir. Jusqu’à ce que j’aille en Afrique.»

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    Eh oui, à une époque de sa vie, Lloyd Price veut renouer avec ses racines et il se paye un voyage au Nigeria. Ça commence mal, car il se fait racketter à l’aéroport par les militaires. Il doit verser le dash, c’est-à-dire 500 $, ou c’est la mise en quarantaine. Quand il s’aperçoit qu’il se fait baiser par des Brothers, il a envie de retrouver l’esclavagiste qui a kidnappé sa famille et de le remercier de les avoir aidés à quitter ce pays de fous. Lloyd Price est tellement outré par le comportement des Nigérians qu’il se dit prêt à serrer dans ses bras les trafiquants d’esclaves. Et s’il y avait eu un vaisseau négrier en partance pour les Amériques, il aurait été le premier à bord, histoire d’échapper aux griffes du service d’immigration nigérian - These niggers made Ol’ Jake look like an angel (Ol’ Jake était le flic de Kenner qui descendait un nègre pour un oui pour un non) - Mais il n’est pas au bout de ses surprises ! En traversant Lagos à bord d’un taxi, il voit les noirs chier dans la rue devant tout le monde, même les femmes. Et ce n’est pas fini. Il arrive à l’hôtel, une sorte de Hilton nigérian : pas d’eau au robinet et pas de courant électrique. La réalité africaine l’oblige à réfléchir.

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    Avec tout ça, la musique passe au second plan. Si on cherche des infos sur les tournées dans les années cinquante, ou le Birdland que Lloyd Price racheta à New York pour y organiser des concerts, ce n’est pas dans ce livre qu’on les trouvera. Il évoque rapidement Dave Bartholomew qui fut à la Nouvelle Orleans le chasseur de talents engagé par Art Rupe, boss de Specialty Records. Bartholomew découvre Lloyd Price dans la boutique de sa mère alors qu’il jouait «Lawdy Miss Clawdy» sur un petit piano. Le petit Price rappelle qu’en 1952, il était devenu le heart and soul du new Beat in New Orleans - They say I was the first black teenage idol and Shirley Temple was the white one - Quand Lloyd Price doit partir à l’armée, Art Rupe lui demande s’il connaît une autre poule aux œufs d’or. Alors Lloyd lui glisse le nom d’un petit mec qui se débrouille pas mal, Little Richard - I shot myself in the foot when Art Rupe found Richard - Deux ans plus tard, Lloyd est libéré de l’armée, mais Little Richard a pris sa place chez Specialty. It was over for me. Philosophe, Lloyd ajoute : «That was fine, he was a real talent and every loss is some gain.» (Pas de problème, il avait un talent fou. Un gagnant pour un perdant).

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    Avant d’entrer dans l’univers passionnant du grand Lloyd Price, il est essentiel de savoir qu’il appartient à la génération d’avant la Soul, celle du jump et des big bands. Mais comme Pricey a un don pour la pop, il devient très vite moderne et donc célèbre. Ses deux premiers albums paraissent en 1959 et contiennent tous les hits qui vont le rendre célèbre dans le monde entier : «Personality» (groove de vieille souche de swing, walk ! Talk ! Charm ! Smell ! Il swingue son I’ll be a fool for you comme un cake), «Stagger Lee» (co-écrit avec Archibald), «Lawdy Miss Clawdy» (chanté dans l’art de la matière). Il est aussi essentiel de préciser qu’on est avec ces deux albums au cœur du New Orleans sound. Pricey propose une version spectaculaire d’«I Only Have Eyes For You», orchestrée à outrance. Il faut le voir épouser cette orchestration alerte et vive. Sur la pochette de Mr Personality, il porte un smoking rouge et les mecs de sa section de cuivres des vestes blanches. On le voit photographié au dos en compagnie de son producteur Don Costa. On trouve aussi sur cet album un «I’m Gonna Get Married» à forte personnalité, bien foutu, avec des clameurs de chœurs extraordinaires. Pricey impose un style à la force du poignet, ce qui est tout à son honneur quand on sait d’où il vient. Diable, comme il a eu raison d’écrire son livre ! Il tâte aussi de la calypso comme le montre «Poppa Shun» et il termine avec «I Want You To Know», une heavy Soul de haut rang qui deviendra la marque de fabrique de James Brown.

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    The Exciting Lloyd Price est aussi du pur jus de New Orleans, avec une pochette dynamique à la Little Richard : Pricey en polo rouge, les bras en croix sur fond jaune et au dos, on le retrouve sanglé dans l’un de ces gros pantalons qui remontaient très haut au dessus des hanches. C’est un album de jump de jive impénitent, une pétaudière à l’ancienne. On retrouve des relents de «Personality» dans «You Need Love» et de «Stagger Lee» dans «Oh Oh Oh», mais c’est normal. Pricey enfonce son clou avec notre bénédiction. Il chante son «Foggy Day» au groove de jazz in London town.

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    Il sort trois albums en 1960, Mr Personality’s 15 Hits, Mr Personality Sings The Blues et The Fantastic Lloyd Price. Il faut voir la classe de Pricey sur les pochettes, notamment celle du premier des trois. Comme son nom l’indique, Mr Personality’s 15 Hits est un best of où on retrouve tous les hits pré-cités, notamment «You Need Love», bardé de chœurs qui restent des merveilles de fraîcheur, des valeurs sûres, avec en plus un solo de sax à la Lee Allen. Alors wow ! On retrouve aussi l’excellent «I’m Gonna Get Married». Pricey s’arrange toujours pour ramener un son et des compos intéressants. Ce Get Married est une petite merveille de black pop d’époque. Même ses slowahs comme «Just Because» ont des angles modernes. Pricey crée son monde et se donne les coudées franches avec cet excellent «Lawdy Miss Clawdy» qu’on est toujours ravi de croiser. «Stagger Lee» restera l’un des plus beaux brins de rock de l’histoire du rock, et c’est signé Pricey.

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    Quand on voit la pochette de Mr Personality Sings The Blues, on s’émerveille : les gens savaient faire des pochettes à l’époque. Pricey lève les yeux au ciel et porte une belle veste à carreaux, une chemise blanche et une petite cravate noire. Ça c’est du portrait ! Sur cet album, Pricey ne fait pas du blues au sens où on l’entend ordinairement, il chante le blues des années 50, celui de Percy Mayfield («Please Send Me Someone To Love») et du jive de big band. Son «Sitting There & Rocking» s’assoit sur des hautes nappes de violons - My baby left town last nite/ And I just got the blues today - et il tente plus loin le coup du heavy blues avec «Feeling Lowdown» - Feelin’ lowdown/ Just messin’ around with the blues.

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    Par contre, la pochette de The Fantastic Lloyd Price ne le met pas à son avantage. Pricey porte la banane et sourit de ses trente-deux dents, mais le photographe doit être un brin raciste car la pose évoque celle d’un chimpanzé, alors que Pricey est plutôt un très bel homme. Disons qu’avec ce portrait, le côté africain prend le pas sur l’afro-américain et cette manie qu’avaient les blacks dans les années 50 de vouloir se blanchir en s’aplatissant les cheveux et en s’habillant comme des courtiers d’assurances.

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    Au dos de la pochette, on trouve un portrait nettement plus avantageux de Pricey en veste de smoking, nœud pap et souriant comme le tombeur de ces dames. Côté son, pas de surprise. Pricey fait du Cole Porter, du jump de big banditisme bien rebondi aux nappes de cuivres, avec des solos de sax dans le corps du texte. C’est toujours l’avant-Soul de Whiterspoon et de Brook Benton. Tous ces blackos font leurs armes dans le jump. Il faut le voir chanter «Because Of You». Il n’a pas vraiment de voix, juste un style et un sens du show. Il a su saisir sa chance au bon moment. Dans «Undecided», il propose du real good jive bien balancé - So what you’re gonna do ? - Globalement, il propose du cabaretier bien foutu et sacrément orchestré. Ces artistes avaient alors derrière eux tout l’or du monde. Son «In A Shanty In Old Shanty Town» d’ouverture de bal de B se veut suprême et ça l’est. Big Broadway sound ! Pricey n’a aucun effort à fournir, ça swingue tout seul. Son ‘Great Orchestra’ fait tout le boulot. Il termine avec un «Five Foot Two» admirable de coochie-coochie-coo d’if anybody see my girl !

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    Avec Cookin’, la pochette s’enhardit. Joli shoot de modernité avec un Pricey explosé de rire sur une chaise anglaise, le tout sur un joli fond bleu primaire. L’esthétique frise celle des pochettes d’EPs de Little Richard, même sens de l’exubérance et des tons primaires. Dommage que l’album soit un peu faible. Il y tape une version swinguy de «Summertime» et fait son Cole Porter avec «Is You Is Or Is You Ain’t My Baby». Il y jive dans les grandes largeurs. C’est un fast drive d’upright qui amène «Deed I Do». Fantastique jive de jazz ! Ça ne traîne pas avec Pricey, il faut voir ces mecs derrière souffler dans leurs trompettes. On voit aussi Pricey enrouler «Since I Fell For You» dans ses gros bras noirs pour danser le mambo. Mais la B ne veut rien savoir : elle refuse d’obtempérer, même si «I’ll Always Be In Love With You» sonne comme du Percy Mayfield. Il boucle avec «Rainbow Joe», un shoot de calypso très orchestré et battu à la cymbale claire.

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    Sur Sings The Million Sellers paru l’année suivante se nichent deux merveilles : «Once In A While» et «C’est Si Bon». Avec Once, Pricey fait autant de ravages que Liza. C’est mélodiquement parfait. Puis il se prend pour Sacha Distel avec «C’est Si Bon». Il chante d’autres standards du type «Save The Last Dance For Me», «Corrina Corrina» et «Spanish Harlem». On retrouve la pétaudière de la Nouvelle Orleans dans «Ain’t That Just Like A Woman». C’est le son qu’avait Little Richard à ses débuts. Pricey passe le «Shop Around» de Smokey à la casserole. Ça swingue au big banditisme avec une pincée de Trinitad. Pricey adore le son des îles. Encore un gros numéro de jump avec «The Hoochie Coochie Coo» et voilà le travail.

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    Bon prince, Pricey donne la parole à son orchestre avec This Is My Band. Ouverture du bal d’A avec le part 1 et le part 2 de «Trouble». On entend rarement des jives aussi fiévreux. Quelle fabuleuse tension rythmique derrière le sax ! Le bassman rôde dans le son comme un démon dans les ténèbres. En B, on retrouve avec «Pan Setta» l’excellent drive de rythmique derrière les solos d’orgue et les nappes de cuivre. Ces mecs ont des pieds ailés. «No Limit» vaut pour un bel instro d’anticipation envoyé aux gémonies.

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    Pricey revient en force en 1963 avec Misty et une pochette superbe. Le voilà une fois de plus explosé de rire dans un fauteuil de bureau. Il va tout se suite se plonger dans l’excellence du Broadway shuffle avec «On The Sunny Side Of The Street». Il chante ça à la revancharde avec un gusto stupéfiant. Nouveau coup de Jarnac avec le retour d’un «Trouble» monté sur un shuffle de stand-up. Wow, le drive dévore l’instro tout cru ! D’autres belles surprises cueillent le curieux au menton en B, à commencer par le morceau titre, fabuleux shake de big jive et de too much in love. C’est excellent car extrêmement joué et surtout très chanté. Pricey sait honorer sa muse. Encore du swing antique avec «Tennessee Waltz» relayé aux chœurs de gospel batch. Il fait aussi un «Pistol Packin’ Mama», une version cha cha cha de bonne guerre, avec des chœurs rétro.

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    Il se pourrait bien que le meilleur album de Pricey soit ce Now paru en 1969 sur son propre label, Lloyd Price’s Turntable. C’est un album énorme et sans concession qui démarre avec «Bad Conditions», un funky strut politicard qui dénonce les conditions de vie des blacks aux États-Unis - Uh We’re living in baaaad/ Conditions - L’énorme bassmatic rentre dans le lard du baaaad conditions. Il passe ensuite à une belle cover de «Light My Fire» et swingue le fire en profondeur. Pricey a du power et les chœurs sont redoutables. Il revient à son cher carribean sound avec «Feeling Good» et comme Wicky Picky, il s’attaque à la reine des pommes, le vieux «Hey Jude» des Beatles, et se tape une belle crise de hurlette en fin de cut. Oh mais ce n’est pas fini ! Il enchaîne trois merveilleuses covers en B, à commencer par «For One In My Life», cette grosse poissecaille qui semble orchestrée en sourdine, rehaussée d’un fouetté de fûts assez jazzy. Ce démon de Pricey chante ça au mieux des possibilités. Il revient à son cher swing avec un «I Understand» porté par un big bassmatic au devant du mix et ça continue avec une version de «Phoenix» très différente de celle d’Isaac. Il faut dire que ses covers sont toutes très inspirées. Il bénéficie en outre d’une prod de rêve, comme le montre encore un «Don’t Talk To Me» chargé de basse et de chœurs, de percus et de cuivres. Wow, Pricey swingue ça comme un crack.

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    L’autre big album de Pricey n’est autre que To The Roots And Back, paru en 1972 et sur lequel il réactualise tous ses vieux hits. On le voit danser sur la pochette et le dos propose quatre petits snap-shots de Pricey sur scène. Il est alors un big back man moustachu, avec un look à la Wilson Pickett. Il fait pas mal de heavy funk en A , mais c’est en B que tout explose avec une version sidérante de «Lawdy Miss Clawdy». Son remake funky passe comme une lettre à la poste. Que de son ! Il modernise tous ses vieux coucous. On le croirait à Muscle Shoals avec «Lady Luck». Il barde aussi son vieux «Stagger Lee» de son. Voilà une version savamment cuivrée. On se croirait chez Stax tellement ça sonne bien. Il groove merveilleusement son vieux «Personality» et ça devient une sorte de groove des jours heureux, avec ces chœurs de filles délurées. Extraordinaire retournement de situation ! Pricey redevient un Soul Brother de rang princier, il navigue à la pointe du progrès et il a les compos, alors c’est du gâteau ! C’est une version dont on se souviendra. Il termine avec un «Where Were You On Our Wedding Day» chargé d’accents de calypso, l’un de ses péchés mignons.

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    Finalement, Pricey finit par aller comme tout le monde à Muscle Shoals enregistrer Music-Music, un album mi-figue mi-raisin, qui paraît en 1978, sous une pochette un peu ratée. Dommage, car la vraie pochette est au dos : on y voit un Pricey en afro et en tunique blanche sourire comme un roi africain.

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    Il est comme beaucoup de Soul Brothers à cette époque dans sa période Marvin Gaye : il mise sur les nappes de violons. Il s’engage résolument dans la voie d’une Soul orchestrée et ça lui va plutôt bien, sauf que les compos ne sont pas au rendez-vous. Il essaie de ramener de la belle aventure en B avec «You Brought It On Yourself» et sort le grand jeu pour illuminer l’art de la matière dans «Uphill Peace Of Mind», mais bon.

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    Le voilà en trois pièces blanc sur la pochette de The Nominee. Le morceau titre est un groove urbain dont il n’a pas à rougir. Pricey reste superbe de décontraction. Mais le reste de l’A n’accroche pas. Pricey propose un son trop passe-partout, un brin diskö-pop, sans aucune incidence sur l’avenir de l’humanité. Il tente de sauver l’album en B avec «I Found Love In You», une espèce de soft-diskö de 1978, mais la loi du marché ne tolère pas les albums ratés.

    Signé : Cazengler, Lloyd pisse

    Lloyd Price. Disparu le 3 mai 2021

    Lloyd Price. Mr Personality. ABC-Paramount 1959

    Lloyd Price. The Exciting Lloyd Price. ABC-Paramount 1959

    Lloyd Price. Mr Personality 15 Big Hits. ABC-Paramount 1960

    Lloyd Price. Mr Personality Sings The Blues. ABC-Paramount 1960

    Lloyd Price. The Fantastic Lloyd Price. ABC-Paramount 1960

    Lloyd Price. Cookin’. ABC-Paramount 1961

    Lloyd Price. Sings The Million Sellers. ABC-Paramount 1961

    Lloyd Price. This Is My Band. Double-L Records 1963

    Lloyd Price. Misty. Double-L Records 1963

    Lloyd Price. Now. Lloyd Price’s Turntable 1969

    Lloyd Price. To The Roots And Back. GSF Records 1972

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    Lloyd Price. Misty. UpFront Records 1974 ( Compilation )

    Lloyd Price. Music-Music. LPG Records 1976

    Lloyd Price. The Nominee. Olde World Records 1978

    Lloyd Price. Sumdumhonky. Cool Titles 2015

     

     

    Du Yardbirds dans les épinards - Part One

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    Par chance, il existe pas mal de bons books sur les Yardbirds : The Band That Launched Eric Clapton, Jeff Beck And Jimmy Page d’Alan Clayson et The Ultimate Rave-Up de Greg Russo. On verra ça dans un Part Two. Mick Wall en rajoute une louche avec l’un de ces fastueux panoramiques dont il a le secret dans Classic Rock. Il commence par rappeler que sans Yardbirds, pas de Led Zep. Tintin. En fin stratège, Wall attaque par la fin de l’histoire des Yardbirds, qui se situe en mars 1968, quelques jours avant la mort de Martin Luther King. Les Yardbirds jouent leur dernier concert à New York. Keith Relf et Jim McCarty n’en peuvent plus, trop de pression. Les gens du management ne leur permettent pas de faire un break : ils craignent que le public n’oublie le groupe. So play every night. Pfff. Ras le cul. Keith Relf et Jim McCarty songent depuis un moment à quitter le groupe pour partir sur autre chose. Chris Dreja et Jimmy Page ne sont pas au courant. Une chose est sûre, ils veulent continuer. C’est ce fameux dernier concert à l’Anderson Theatre qu’on peut entendre sur l’excellent Yardbirds 68 récemment publié par Jimmy Page.

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    Le coffret Yardbirds ‘68 vaut soixante euros. Quelle méchante arnaque ! Pour ce prix, on nous propose le concert de l’Anderson Theatre et un ramassis de démos. Sur scène, les Yardbirds commencent bien évidemment avec «Train Kept A Rollin’» et enchaînent avec «You’re A Better Man Than I Am». Jimmy Page sort sa Tele pour l’occasion et taille du psyché blast all over the rainbow. Il peut jouer à l’infini et les attaques de Keith Relf sont des modèles du genre. Les Yardbirds avaient la chance de pouvoir aligner une série de hits imparables. «Heart Full Of Sound» sonne comme l’emblème du psyché anglais. Jimmy Page l’amène sur un plateau d’argent. Il joue ça si sharp. Et puis voilà le pot-aux-roses : «Dazed And Confused» qui annonce si bien Led Zep. Tout est déjà là, sauf Robert Plant. Le pauvre Keith ne sait pas qu’il va disparaître, balayé par Robert Plant. Mais le son est là, au complet, avec toutes les transitions de notes titubantes, exactement le même déballage de talalalala. Jimmy Page a même l’air de jouer de l’archet. On retrouve aussi le violent redémarrage qui fit la grandeur du Led Zep 1. Chris Dreja bombarde bien sa basse. Il mise sur la présence. Avec «Over Under Sideways Down», les Yardbirds s’arrogent la couronne du British beat, c’est même l’un des grands hymnes universels. Jimmy Page le taille sur mesure et Chris Dreja sort un bassmatic rusé comme un renard du désert. On ne peut parler que de génie flamboyant. On pourrait dire la même chose de «Shape Of Things», bien sûr. Keith Relf redevient l’espace de deux minutes le roi du monde. Et si on aime Jimmy Page, alors on se régale avec «I’m A Man». Le disk 2 propose comme on l’a dit des chutes de sessions. Idéal pour un professionnel comme Jimmy page. Il fait des étincelles dès «Avron Knows». On a là une jolie toupie de psyché britannique jouée à ras du sol. Jimmy Page gratte «Knowing That I’m Losing You» à l’acou édentée. On sent le groupe abandonné de Dieu. Ce disque confirme le sentiment d’arnaque : on avait raison de se méfier, «Taking A Hold On Me» est une démo minable. En fait ce coffret fait partie d’une nouvelle vague d’arnaques, on n’avait encore jamais vu l’industrie musicale bluffer autant : vendre un live soixante euros, accompagné d’un livret vide de contenu et d’un mauvais ramassis de démos. La seule démo sauvable pourrait bien être l’excellent «Drinking Muddy Water» joué au fever de Delta blues. Keith Relf y sonne comme the tight white ass of it all. On sauvera également «Avron’s Eyes», car Jimmy Page y joue à la mortadelle du petit cheval blanc. Il joue son va-tout en direct, pas d’intermédiaire, pas de Keith dans les parages, Little Jimmy joue full blown. C’est très impressionnant. On ne se lasse pas facilement d’un mec comme lui. Ce sera d’ailleurs tout le problème de Led Zep.

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    Mick Wall ne tarit pas d’éloges sur ce groupe qui fait partie des pionniers de la scène anglaise - The Yardbirds had always been fantastically flash, inscrutably cool, fabulously out of reach - Et il continue de brouter le mythe à coups de wild hair-down kickers-off parties for the wilfully far-out, the fashionably fuck you. Et il ajoute qu’ils n’étaient pas des Mods traditionnels, they weren’t poncey Mods, but they dressed to the nines, part King’s Road part Haight-Ashbury. Lemmy dit que le line-up avec Jeff Beck était intouchable. Il ressentira la même chose en découvrant le MC5 - They just attacked you. En France, on dirait de manière plus triviale : ils vous sautaient à la gueule.

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    Montés par Keith Relf et Paul Samwell-Smith, le groupe tire son nom de Charlie ‘Yardbird’ Parker et ne joue que du trié sur le volet : Wolf, Muddy Waters, Bo Diddley, Elmore James - Strictly high-quality underground purist R&B - C’est pour ça que Clapton se rapproche d’eux, il se dit lui aussi puriste. Giorgio Gomelsky devient leur manager et là attention aux yeux ! C’est comme dit Mick Wall un mover-and-shaker qui gère des clubs, qui écrit des chansons, qui fait des films, qui produit des disques - Whatever you needed, Giorgio could get it. Fast - Il n’y a pas de hasard, Balthazar, les histoires des grands groupes passent toutes par l’étape de la conjonction surnaturelle. Pas de Yardbirds sans Giorgio, ni de Stones sans Andrew, ni d’Elvis sans Sam, ni de Who sans Shel. C’est Giorgio qui tient le Crawdaddy Club et qui manage les Rolling Stones, des Stones qui profitent d’un voyage de Giorgio en Suisse pour l’enterrement de son père, pour signer avec Andrew Loog Oldham qu’ils trouvent plus adapté à leur tough attitude. Quand Giorgio revient et qu’il voit le travail, il demande à son assistant Hamish Grimes de trouver un groupe pour remplacer les Stones. Ce sont les Yardbirds. Giorgio les envoie tourner pendant 18 mois avec Sonny Boy Williamson, qui est comme chacun sait le beau-frère de Wolf. Sonny Boy trimballe un mallette en croco dans laquelle il range ses harmos et une bouteille de whisky, un plan que va pomper Keith Relf. Sonny Boy ne pense pas grand bien des Yardbirds - This British band over there and they wanted to play the blues so bad... and they really did play them so bad - Qu’importe, Giorgio sort un live en pleine Yardbirdmania, le fameux Sonny Boy Williamson & the Yardbirds. Mais les albums de puristes n’intéressent que les puristes et donc assez peu de gens.

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    On se demande bien pourquoi cet album qui s’appelle Five Live Yardbirds vaut aussi cher aujourd’hui. C’est loin d’être l’album du siècle. Celui qui tire le mieux son épingle du jeu n’est pas celui qu’on croit : ni Keith, et encore moins Clapton. Non la star des early Yardbirds n’est autre que Paul Samwell-Smith et son rumble de basse, grand dévoreur devant l’éternel. Le rave-up c’est lui, avec Jim McCarty. Il faut l’entendre dévorer «Respectable» et redégringoler dans le son de «Smokestack Lightning». C’est une façon de jouer assez unique, un façon d’allumer la gueule de la conjoncture qu’on retrouva aussi chez Chas Chandler et chez les Pretties de l’époque Vivian Prince. Samwell-Smith monte encore en puissance en B avec le «Pretty Girl» de Bo. Le rave-up n’est pas une légende, c’est une réalité. On le voit aussi rôder dans le son de «Louise». Il est en mouvement permanent et swingue comme un dingue. La pauvre Keith n’a pas de voix, ça s’entend sur «I’m A Man», mais derrière lui Samwell-Smith bouffe le Man, croutch croutch, c’est le roi des rythmiques infernales. Samwell-Smith ? L’un des meilleurs bassistes anglais, pas de doute.

    C’est là où Giorgio sort de sa manche un gros coup de Jarnac. Il chope un truc écrit par un certain Graham Gouldman juste avant qu’on ne le propose aux Beatles : «For Your Love». Giorgio sait que c’est un hit. Clapton n’aime pas ce truc qu’il traite de ‘pop crap’ et quitte le groupe. Ouf ! - In an age of art for art’s sake, blues-precious Clapton just didn’t fit in - Giorgio avait vu juste : «For Your Love» parade en tête des charts anglais et américains. C’est le 21 years old maverick Jeff Beck qui va remplacer Clapton. Pourtant, ça commence mal. Beck n’aime pas les Yardbirds et c’est réciproque - They didn’t say hi or anything - Jeff Beck pense que les autres sont dépités parce que Clapton s’est barré avec le son du groupe. Mais Jeff Beck va rallumer le brasier et focaliser l’attention sur lui. Pendant un an, Jeff Beck blaste le son des Yardbirds, hit after hit - each more rule-bending than the last - Oui, Jeff Beck défie toutes les lois. Comme Keef, il a intégré Chucky Chuckah, Bo Diddley et Buddy Guy dans son jeu, mais aussi Freddie King, Galloping Cliff Gallup et Scotty Moore.

    Puis le groupe commence à en avoir marre des idées lunatiques de Giorgio. En plus, les comptes ne sont pas clairs. Viré. Les Yardbirds signent avec Simon Napier-Bell, recommandé par Rosie, la fiancée de Paul Samwell-Smith. Napier-Bell commence par re-négocier le contrat des Yardbirds et Keith peut enfin s’acheter une baraque en banlieue Ouest de Londres.

    Précisons toutefois que Jeff Beck n’était pas le premier choix du groupe qui préférait Jimmy Page, mais celui-ci déclina l’offre, pas parce qu’il était comme Clapton un blues-purist, mais tout simplement parce qu’il était d’un niveau beaucoup trop élevé pour un groupe comme les Yardbirds - He was out of their league - En 1964, Little Jimmy Page avait déjà accompagné toute la crème de la crème du gratin dauphinois, Shirley Bassey, Dave Berry, les Them, les Kinks, les Who, Lulu, on en passe et des meilleurs. À ses yeux, les Yardbirds ne sont que des one-hit wonders. Mais c’est lui qui leur recommande Jeff Beck - One of those cats on the fringes - Un individualiste. Ses groupes were built for speed, not for comfort - Ce mec aimait la vitesse, non le ronron. Trois semaines plus tard, Jeff Beck est en studio avec les Yardbirds pour enregistrer un nouveau hit intemporel, «Heart Full Of Soul», une autre compo de Graham Gouldman. Avec Jeff Beck, the Yardbirds are at the peak of their powers, aux plans commercial et artistique, pop and rock-tastically. De hit en hit, ils en arrivent au fameux «Shape Of Things», the most exotic sounding single of 1966. On dit même que c’est le premier single psychédélique.

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    Paru en 1965, For Your Love est un album hybride, avec le cul entre deux chaises : Clapton joue sur la plupart des cuts et Jeff Beck sur des trucs bien wild comme «I’m Not Talking», cette belle cover de Mose Allsion. Alors là oui ! Quel punch ! Un vrai coup de Beck. Il rentre dans le lard du cut avec sa Tele. Pour l’époque, il est rudement dégourdi. Il joue aussi sur «I Ain’t Done Wrong». Dès que c’est Beck, ça vit, il faut le savoir. On a là une compo de Keith bien sentie. Le troisième Beck cut est le dernier, «My Girl Sloopy», vieux sloopy de hang on. Keith groove son sloopy au cul du camion. C’est sûr que Beck doit s’emmerder dans cette histoire. Il attend de pouvoir partir en vrille. Alors et le reste ? C’est du Clapton coincé et quand on n’aime pas particulièrement Clapton, c’est compliqué. Sur «I Ain’t Got You», il est assez atroce avec son solo segmenté. Les Yardbirds sont encore dans une phase d’apprentissage à la mormoille. Le professeur Clapton leur apprend le blues. C’est nul. Keith nous sauve l’«I Wish You Would» de Billy Boy Arnold en B, il est même assez monstrueux avec son harmo, oh-oh yeah, on croit entendre Charles Bronson in hell. Pur jus de rave-up. Ils font aussi un coup d’éclat avec «A Certain Girl», ce vieux rumble de swinging London. On aime bien voir les Yardlirds devenir wild, comme c’est le cas ici.

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    Sorti lui aussi en 1965, Having A Rave Up With The Yardbirds reste un album trop typé d’époque. La B est un gros live cousu de fil blanc. On y trouve une série de classiques de type «Smokestack Lightning» et «I’m A Man», qui dénotent une magistrale volonté d’en découdre, mais avec le temps va tout s’en va. C’est donc en A que se nichent les points forts de l’album, «You’re A Better Man Than I» (enregistré chez Sam Phillips à Memphis) et «Heartfull Of Soul», fantastiques tranches de psyché palpitantes. On assiste à de lentes montées des phénomènes. On pourrait parler en termes d’achèvement Becky, tellement il joue en sous-main, avec une sorte de prestance longiligne. C’est avec ces deux hits que leur belle musicalité arrive à une sorte de maturité. Ils visent l’excellence psychédélique en devenir. «Evil Hearted You» reste et restera du typical Swinging London Sound, plein de you try to put me down et la reprise du «Train Kept A Rollin’» sent bon le Beck. Quelle ultra-présence ! Jeff Beck était alors le maestro des épopées électriques. Même si l’album est considéré comme un coup d’Epic - a grab bag of previoulsy released material - il est aussi the most influential album des Yardbirds, celui qui a lancé des vocations aussi bien chez les groupes de hard que chez les groupes de psyché américains. L’album restitue bien le côté expérimental qui rendait les Yardbirds uniques en 1965.

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    S’il fallait hisser un album des Yardbirds sur le podium, ce serait sans doute Roger The Engineer. L’album grouille en effet de beaux hits, à commencer par l’impérissable «Over Under Sideways Down». The big Beck is on the run. La belle fluidité du son se marie bien avec le bassmatic de Paul Samwell-Smith. On est là dans la perfection du Swinging London, auréolée de belles poussées de fièvre. Ces diables de Yardbirds savent finir dans la tension maximaliste. Ils adressent un beau clin d’œil à Elmore James avec «The Nazz Are Blue» et en B, Beck passe au jazz avec «Jeff’s Boogie». Il joue son Boogie à la violente pompe de Django. Ils reviennent à l’évanescence psychédélique avec «He’s Always There», bel exercice d’anticipation emblématique joué au suspense des grillons. Ça bruisse délicieusement dans le smog londonien. Tiens, encore deux hits en fin de B : «What Do You Want», embarqué à la fantastique énergie. On croirait entendre l’effervescence débridée de Moby Grape ! Même élan vital. Grosses influences américaines, en tous les cas. Et puis «Psycho Daisies», authentique rave-up des Yardbirds, boogie endiablé qui sonne comme un classique avec une jolie fin de non-recevoir. Jeff Beck amène énormément de son. Ils conservent aussi leurs accointances avec le british r’n’b à travers «Lost Women», monté sur le petit riff riquiqui de Paul Samwell-Smith. Joli son caoutchouteux ! Et Keith Relf nous shake ça si sec ! Mais le vrai hit de l’album pourrait bien être «I Can’t Make Your Way», étrange cut de pop élégiaque et terriblement enchantée. On tombe sous le charme de cette admirable tension bon enfant que Jeff Beck tisonne au long cours. Il est à noter que Roger est le premier album de compos originales et surtout un chef d’œuvre de joyful experimentation. Roger arrive juste avant Sergent Pepper, juste avant Hendrix, juste avant Blonde On Blonde, Pet Sounds, Aftermath et le premier Velvet. Voilà pourquoi les Yardbirds étaient uniques. Ils étaient l’un des groupes les plus intéressants de leur génération.

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    Pendant ce temps, Jimmy Page croule sous les demandes de sessions et commence à loucher sur le succès des Yardbirds. Au moment où Paul Samwell-Smith quitte le groupe, il propose de venir donner un coup de main, d’autant que les Yardbirds paniquent en raison du nerver-ending touring schedule qui suit la sortie de Roger The Engineer. Jimmy Page ne rejoint pas les Yardbirds pour une question de blé, parce qu’il gagne en une semaine beaucoup plus que ce gagnent les Yardbirds en un mois, mais tout simplement parce qu’il rêve de jouer SA musique. À force de jouer de la rythmique pour les autres en session, il sent qu’il régresse en tant que guitariste. Quand il joue pour la première fois avec les Yardbirds au Marquee, il joue de la basse. Puis en août 1966, il participe à une première tourne américaine avec les Yardbirds. Chris Dreja passe à la basse et Jimmy Page retrouve sa chère guitare. C’est la première twin-solo guitar line britannique. Les Yardbirds deviennent the most incendiary group on the planet. Pour Chris Dreja, l’arrivée de Jimmy Page dynamise le groupe : «It definitively gave the band a kick in the arse.» Pas aussi weighty (chargé de son) que Cream, pas aussi laddish (glimmer twins) que les Stones, mais certainement plus mordants que les Beatles qui d’ailleurs sont sur le point d’arrêter les tournées. Dreja rigole aussi à propos de son retour à la basse : «Jimmy Page est tellement mauvais à la basse que j’ai dû prendre sa place.» Comme en plus Dreja a joué de la rythmique avec les trois cocos, Mick Wall lui demande lequel des trois cocos il préférait - Clapton was a bluesman. Jeff Beck was a bloody genius, wasn’t he ? But I loved to play with Jimmy Page. He was full of energy. Go go go ! And I liked that. He was very positive. Still is today - C’est un bel hommage à un géant. Jimmy Page et Chris Dreja rencontrent plein de gens pendant cette tournée américaine et ils se régalent de ces rencontres et des histoires qu’on leur raconte. Par contre, Keith Relf broie du noir et boit comme un trou. Pour lui, l’âge d’or des Yardbirds, c’est avec Clapton. Il préférait le temps des clubs à Londres et des concerts de blues au Marquee et au Crawdaddy. La nouvelle mouture ne lui convient pas. Et soudain, c’est Jeff Beck qui craque. Il ne supporte plus les tournées. Il décide de rester à Hollywood pendant un Dick Clark Tour. En fait, Jeff Beck tombe amoureux d’une actrice nommée Mary Hughes. Le groupe repart en tournée à quatre et Jeff Beck rejoindra les Yardbirds pour la tournée de septembre 66 en Angleterre. Dernier coup de Jarnac : «Stroll On» sur scène, filmé par Antonioni - Beck, solemn, threatening, Page, smiley, cool, noooo problem - On le voit bien sûr exploser a cheap old thirty-five-dollars japanese model. La force des Yardbirds réside dans ces two huge personalities, même s’il y a trop de son. Jimmy Page : «It was a bit much sometimes !»

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    L’axe Beck-Page pouvait surmonter les Stones, pour lesquels ils ouvraient lors de cette tournée anglaise - McCarty recalls the Beck-Page axis at its best one night outgunning the Stones - Hélas, la seule trace qui reste de cet axis Beck-Page, c’est «Stroll On», qu’on retrouve sur la bande son de Blow Up. Et le single «Happening Ten Years Time Ago» que Mick Wall qualifie de ground-zero 70s rock - If you’re looking for the real rock roots of Led Zeppelin and every other out-there band that came helter-skelter in their wake, this is the definitive place to start.

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    Comme Jeff Beck dispose d’un ego sur-dimentionné, il joue fort, ce qui pose des problèmes à Keith Relf sur scène. Le power de Jeff Beck va même l’effacer. En fait, Jeff Beck ne supporte pas les crises d’asthme de Keith sur scène : «Yeah, l’ampli avait cramé, ma guitare était désaccordée et Keith toussait sur scène. Il utilisait un spray pour son asthme et en plein solo de blues, j’entendais les sssss sssss sssss de son spray, c’était insupportable, j’en pouvais plus alors je pétais la guitare.»

    C’est pendant la tournée américaine suivante que Jeff Beck craque et quitte le groupe - Full-on nervous breakdown - Il est épuisé, et en mauvaise santé, il combine les inflammations, amygdales et bite. Il jette l’éponge. Les Yardbirds se retrouvent à quatre.

    Lorsqu’ils font un point avec Napier-Bell sur l’état des finances, les Yardbirds tombent encore sur un os : Napier-Bell sort une feuille de papier et se livre à un étrange tour de mathématiques. Après trois mois de tournées incessantes, les Yardbirds se retrouvent chacun avec 200 £. Napier-Bell rend son tablier et transfère tout le biz chez Mickie Most, qui compte parmi ses clients Donovan, les Animals et les Herman’s Hermits.

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    Little Games est le seul album enregistré avec Jimmy Page. Bon inutile de tourner autour du pot : ce n’est pas le meilleur album des Yardbirds. Loin de là. Le seul cut qui pourrait éventuellement sauver l’album, c’est «No Excess Baggage», en B, joliment pulsé par Chris Dreja et le batteur McCarthy. Quand on regarde la photo du groupe au dos de la pochette, on voit que Keith Relf ressemble étrangement à Brian Jones. Avec sa fantastique partie de bassmatic, ce cut vaut pour le hit du disk. Mais le reste de la B est d’une grande faiblesse. On passe aussi à travers des cuts comme «White Summer». C’est le grand problème des Yardbirds : dès que Beck n’est pas là, les cuts manquent d’épaisseur. À la différence des Pretties, des Kinks et des Who, les Yardbirds restent très lisses. «Tinker Tailor Soldier Sailer» sonne comme de la petite pop psyché, mais la petite crise d’effervescence s’éteint bêtement au bout de deux minutes. Ils tentent de retrouver le feu psyché de «Heart Full Of Soul» avec «Glimpses», mais ça ne peut pas marcher, car Jeff Beck n’est plus là. Quant au reste, mieux vaut oublier. Jimmy page explique que l’album est pourri parce que tout est du one take et de toute façon, Mickie Most ne croit qu’aux singles, pas aux albums. Devenu le producteur des Yardbirds, il se dit fervent partisan d’un son plus commercial. Sans doute est-ce la première fois qu’il flingue un groupe. C’est d’autant plus dommage qu’un an plus tard, il va produire les deux albums du Jeff Beck B-Group. C’est à n’y rien comprendre.

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    Il engage Peter Grant pour veiller sur les Yardbirds. Bien sûr Jimmy Page trouve en Peter Grant un allié de poids. Mais pour Keith Relf et Jim McCarty, suivre Jimmy Page dans une nouvelle direction musicale est tout simplement au-delà de leurs forces.

    Et après ? Jimmy Page fait table rase et reconstitue son équipe pour lancer Led Zep, Chris Dreja devient photographe à succès, Keith Relf et Jim McCarty montent the gentle Renaissance et vont gentiment disparaître dans les ténèbres.

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    Justement, le book de David French tombe à pic : Heart Full Of Soul raconte l’histoire de Keith Relf. C’est un petit book sans prétention, mais qui a le mérite de jeter un éclairage sur la personnalité du pauvre petit Keith. Au Richmond Jazz & Blues Festival, Keith s’évanouit sur scène. On l’embarque à l’hosto et les médecins ne donnent pas cher de sa vie. Il a un poumon crevé. Mais il s’en sort et recommence à chanter. Le poumon crevé entre même dans la légende. Sur scène il chante avec son inhalateur et inspire une certaine pitié aux gens. En fait, David French a condensé une montagne de témoignages pour brosser le meilleur portrait possible du pauvre Keith. C’est vrai qu’il n’a jamais été un grand chanteur, au sens où on l’entend quand on parle de Lennon ou de Jag. Il n’a pas de force dans la voix. Les gens qualifiaient sa voix de plaintive, même parfois de sinistre. Mais c’est parce qu’il a ce handicap qu’il en rajoute. Il compense par une énorme présence scénique. Bien que chanteur d’un groupe en vogue, le pauvre Keith n’a pas les épaules d’une rock star. Il est d’un caractère renfermé, introspectif, d’une timidité maladive, idéaliste et incapable de supporter la pression du music biz. Il ne fait pas partie de l’in-crowd. Il vit à l’écart. Napier-Bell le traite d’énigme. Et là ça devient passionnant, car Keith l’asthmatique aime tellement la musique qu’il chante qu’il parvient à surmonter son aversion pour le music biz. Par chance, ce sont les guitaristes successifs des Yardbirds qui focalisent l’attention des journalistes. Côté musique, Keith adore le Modern jazz Quartet, Brian Auger, Burt Bacharach et Dylan.

    Pour supporter l’ennui des tournées américaines, Keith boit comme un trou. Et l’alcool le rend con, mais personne ne vient à son aide. Il vit un peu le même genre de cauchemar que Brian Jones. Napier-Bell : «C’était un type charmant, il portait la même veste en daim chaque jour, même s’il s’était vomi dessus la veille. Il chantait avec énergie, jouait très bien de l’harmo, il semblait un peu introverti, il buvait comme un trou. Keith faisait parfois partie de la bande, mais il pouvait aussi rester très distant.» Jeff Beck le qualifie de manic depressive. Il ne l’aime pas beaucoup, en fait. Il reproche aussi à Keith de lire le magazine Guns And Ammo et de vouloir tuer tout le monde.

    French parle bien des Yardbirds. Il rappelle qu’à la différence des Beatles et des Stones, les Yardbirds ne disposaient pas des personnalités hors normes, ni même l’ambition, la confiance et the love of the game que requiert le métier de rock star. Les Yardbirds ont aussi influencé énormément de groupes, French cite les Groupies, les Misunderstood, les Count Five, Litter. Beaucoup de groupes ont repris «I’m A Man», le MC5, les Stooges, le Chocolate Watchband, les Buckinghams, les Sonics et Q65. Comme les Stones, les Yardbirds débarquent aux États-Unis et fascinent les millions de kids. Mais ça ne marche pas à tous les coups : le Dave Clark Five passe comme une lettre à la poste, mais pas les Kinks. Lors de leur première tournée américaine, avec Giorgio au volant, les Yardbirds vivent des épisodes extraordinaires, notamment à Hollywood où Kim Fowley organise pour eux a house party. Il fait venir toutes les gloires locales, les Byrds, Peter & Gordon, Jackie DeShannon, Phil Spector et Danny Hutton. C’est le lancement officiel des Yardbirds en Californie. C’est aussi l’idée de Giorgio d’aller enregistrer un cut chez Sam Phillips à Memphis. Ils l’attendent devant la porte et quand Uncle Sam arrive, Giorgio va le trouver pour lui expliquer la raison de sa présence. Uncle Sam l’envoie chier - I don’t deal with limeys - Mais quand Giorgio lui met sous le nez 600 $, Uncle Sam accepte d’ouvrir le studio. Les Yardbirds enregistrent «You’re A Better Man Than I». Giorgio : «I got the drum sound I was looking for.» Comme l’attente est longue, Keith picole et quand il doit chanter «Train Kept A Rolling», il n’a plus de voix, ce qui met Uncle Sam hors de lui. Il dit à Giorgio que le groupe est bon mais il faut virer le chanteur - You gotta get rid of that singer - Mais en réalité, les Yardbirds n’ont jamais sonné aussi bien que lors de cette session à Memphis. Jeff Beck ne garde pas un bon souvenir de cet épisode, car il a vu Uncle Sam insulter Keith - J’ai immédiatement pris sa défense. Je haïssais Sam Phillips. Je ne comprenais pas son animosité. Peut-être qu’on lui a fait peur avec notre son, comme si on avait été les Sex Pistols - Quand ils débarquent à Phoenix Arizona, les Yardbirds partagent l’affiche avec les Spiders, un groupe local tellement fanatique qu’ils vont s’appeler the Nazz, en référence à «The Nazz Is Blue» - Ne pas confondre avec le groupe de Todd Rundgren - Les Spider/Nazz sont les futurs Alice Cooper, d’ailleurs obligés de changer de nom à cause du Nazz de Todd.

    Finalement les Yardbirds s’épuisent avec ces tournées. Jeff Beck est malade, Keith boit comme un trou et Paul Samwell-Smith n’attend plus que l’occasion de se barrer. En 1967, Beck is gone, ainsi que la magie et les hits. Puis quand Mickie Most les reprend en main et leur impose d’enregistrer «Ten Little Indians», c’est la fin des haricots. Les drogues entrent en plus dans la danse. Keith prend tout ce qu’on lui donne. Ils vont réussir à faire sept tournées américaines. C’est maintenant McCarty qui tombe dans les pommes. C’est là que Keith et lui pensent à se recycler dans un genre musical plus paisible. Ils écoutent Simon & Garfunkel... Jimmy Page est horriblement déçu quand il apprend que Keith et McCarty jettent l’éponge : «J’étais déçu car les morceaux qu’on développait étaient vraiment bons. Les concerts se passaient bien et le public nous appréciait. Ça marchait bien, même si on devenait plus ésotériques et underground. On était en plein dans l’air du temps. On aurait pu faire un très bel album. Mais peut-être en avaient-ils assez.»

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    Bon alors si on écoute le coffret Live At The BBC Revisited, c’est à cause de David French. Il recommande ce coffret et un autre, Live And Rare, paru lui aussi sur Repertoire en 2019. Au total, ça vous coûte un billet de 100, mais on ne perd jamais son temps à réécouter les Yardbirds. Le premier coffret couvre les années 64 à 68. Pour mémoire, Jimmy Page rejoint le groupe en juin 1966 et Jeff Beck le quitte en novembre de la même année. Jusqu’en 1968, ils jouent donc à quatre. Les enregistrements de la BBC sont réputés pour leur qualité. On pense notamment au BBC sessions du Jimi Hendrix Experience, des Mary Chain ou encore celles des Only Ones. Celles des Yardbirds tapent dans le mille. On sent le son du groupe changer du tout au tout après le départ de Clapton en 65. Ça sent bon le Beck. Il y a une dynamique. Ouf, le groupe respire. Beck amène de la vie et du sharp. Et quoi qu’on en dise, Keith Relf s’en sort bien avec «I Ain’t Got You». Il est dessus. Les Yardbirds sont capables d’explosions collatérales. C’est assez unique dans l’histoire du British Beat. Beck allume «I’m Not Talking» et ça a de l’allure. Beck claque ses notes et ramène de la petite folie intrinsèque. C’est Paul Samwell-Smith qui vole le show dans «Spoonful». Il sort un drive explosif. Et avec «Heart Full Of Soul», ils commencent à sérieusement friser le génie. Beck claque sa chique, and I know, et part en solo vainqueur. Il est le London guitar God, the real deal. Sur le disk 2, on retrouve pas mal de vieux plans du style «I’m A Man» et le psyscho London beat de «Still I’m Sad». Keith Relf se vautre avec «Smokestack Lightning», le pauvre, il n’a pas la voix pour ça. Il est bien meilleur dans «You’re A Better Man Than I», magnifique machine psychédélique. Autant il se plante sur tous les classiques (Smokestack, «Dust My Blues»), autant il est bon sur le Yardbirds sound, comme «Shapes Of Things». Là, Keith Relf peut arrondir les angles. C’est sur le disk 3 qu’on retrouve ce qui est sans doute leur plus beau hit, «Over Under Sideways Down», version assez demented avec le mad drive de Paul Samwell-Smith, toute l’énergie vient de lui, ça crève les yeux. On trouve aussi deux versions de «The Sun Is Shining» - The sun is shining/ But it’s rainin’ in my heart - Il faut noter l’élégance du jeu. Beck fait ce qu’il veut dans «Jeff’s Boogie», il est bel et bien le meilleur guitar slinger d’Angleterre, il multiplie les figures de style et dans la deuxième version, il joue carrément le jazz manouche. Il est à l’aise dans toutes les configurations. Puis on les voit se vautrer avec «Little Games», même si on sent le souffle du Led Zep à venir. Ils ont plus de son que sur l’album studio, mais la compo n’est pas à la hauteur. Ils rendent un superbe hommage à Dylan avec «Most Likely You Go Your Way (And I’ll Go Mine)», et là Keith Relf fait ce qu’il veut, car sa voix va. La deuxième version est même assez monstrueuse. La période de l’album Little Games n’est pas bonne et il faut attendre la fin du disk 3 pour retrouver la terre ferme : «Dazed & Confused» annonce la couleur. C’est du Led Zep, mais le pauvre Keith Relf n’a pas la voix pour ça. La version est très belle. Mais Robert Plant en fera le chef d’œuvre que l’on sait.

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    Il faut un peu de temps pour digérer le box Live And Rare : quatre CDs plus un DVD avec du footage qui, nous dit French, n’est pas en ligne. La box est bien documentée et les infos précises. Rien qu’avec le disk 1, on est gavé comme une oie : ça démarre avec une session de juin 66. Les Yardbirds sont cinq, Jeff Beck on guitar et Jimmy Page on bass. C’est Page qui rafle la mise avec son drive de basse demented dans «Train Kept A Rollin’» et «Shape Of Things». Il est all over. McCarty bat ça à la vie à la mort. Mais si on doit emmener un cut, un seul, sur l’île déserte, c’est la version d’«Over Under Sideways Down» qui suit. On y voit Page rentrer dans la gueule du groove. Genius ! Pendant trois minutes, les Yardbirds sont les rois du monde. What a bass drive ! Page démolit tout sur son passage, on croirait entendre Ronnie Wood dans le Jeff Beck Group, mais à la puissance mille. Ces trois cuts sont capitaux car il existe très peu de choses enregistrées avec cette formation. Très vite, Page va reprendre la guitare et Chris Dreja va passer à la basse. Bon alors après on retombe dans le Yardbirds sound classique avec Samwell-smith on bass. Quand arrive une autre version live de «Train Kept A Rollin’», Samwell-Smith reprend son rôle de locomotive. On tombe un peu plus loin sur une version d’«Happening Ten Years Time Ago» enregistrée en 66 avec Page & Beck on guitars et John Paul Jones on bass. Nous voilà de nouveau au cœur des riches heures du Duc de Berry. L’espace d’un cut, les Yardbirds redeviennent le plus puissant rock-band d’Angleterre. En fin de disk, on tombe sur les solo cuts de Keith et notamment «Knowing» avec Jimmy page on bass. Le disk 2 concerne l’année 1967 et donc la formation classique Keith/McCarty/Dreja/Page. Il se pourrait bien que Dreja vole le show à son tour car on le voit foncer dans le tas dès «Happening Ten Years Time Ago». Page fait bien son Beck, il claque tout ce qu’il peut. Toutes ces versions ont quelque chose de fascinant car on entend un groupe extraordinairement en place. Les Yardbirds tournent comme une horloge. Dans les interviews, Jimmy Page disait qu’il était vraiment content du groupe. Encore une version explosive d’«Over Under Sideways Down» que Dreja fait ronfler. Dans «Heart Full Of Soul» et «You’re A Better Man Than I», Page joue comme un dieu. Rien à voir avec Led Zep. Il sait ramener un vent de folie quand il faut. Les versions se succèdent au gré des sessions. On entend Page enclencher un «Heart Full Of Soul» au pire incendiaire en 1967 en France et ce coffret devient une vraie bénédiction. Live, les Yardbirds ont mille plus fois d’énergie qu’en studio. Ce disk 2 se termine avec une version d’«Over Under Sideways Down» encore plus explosive que les précédentes, Dreja is on fire, Page in the move, Keith is hot, McCarty is big au beurre et ça explose pour de vrai, rien à voir avec la version studio, on ne sait pas que les Yardbirds étaient à ce point capables de folie Méricourt. Méricourt toujours, bien sûr. Avec le disk 3, on arrive en 1968, et ça fait évidemment double emploi avec le Yardbirds 68 que Jimmy Page vient d’éditer. Dans «My Baby», Page ramène du son qui ne sert à rien. On sent un léger essoufflement. Page rallume la chaudière avec «Think About It» et Chris Dreja fait son John Paul Jones dans la première mouture de «Dazed And Confused». On tombe sur une série de cuts enregistrés dans cette émission jadis mythique, Bouton Rouge. Dreja refait son Samwell-Smith dans Train. Ils sont marrants. Quant au disk 4, il reprend les enregistrement de la BBC et fait donc double emploi avec l’autre box Repertoire, mais bon, c’est pas si grave. On ne se lasse pas d’écouter des mecs comme Jeff Beck. Sur la version d’«I’m A Man» enregistrée en août 1964, ce n’est pas Keith qui chante mais un certain Mick O’Neil. On entend des belles envolées de Samwell-Smith dans la version de «Respectable». Il peut être vertigineux. Fin de la période Clapton en mars 65 avec l’arrivée de Jeff Beck sur «I’m Not Talkin». Il joue avec une réelle violence. Il explose un peu plus loin le vieux «Spoonful». Cette version vaut tout l’or du Rhin. C’est d’une classe sans équivalence à Valence. Beck nous la claque sec et net, épaulé par le beat rebondi du géant caoutchouteux Samwell-Smith. Beck est à nouveau on fire dans «I’m Not Talking», vieux standard inutile mais joué dans les règles du Beck. Il pèse de tout son poids dans les Yardbirds. Avec «For Your Love», il touche de nouveau à l’imparabilité des choses de la vie. C’est comme de conduire une Guiletta sous acide : magic carpet ride. Beck ramène des crocs à tout va et c’est avec sa reprise de «The Stumble» qu’il emmène les Yardbirds au firmament. Laisse tomber Mayall. C’est cette version qu’il faut écouter, Beck remonte les bretelles du vieux cut de Freddie King et derrière lui, ça joue. Eh bé oui, c’est les Yardbirds ! Ça se termine avec les deux versions de «Beck’s Boogie» présentes elles aussi dans le box BBC. Beck est LE guitariste anglais par excellence, on ne se lasse pas de l’entendre jouer, il fait de la haute voltige, à la fois lumineux et ultra-moderne, il sait claquer une pompe et rester dans le rave-up.

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    Avec le DVD que Repertoire a glissé dans sa box, la fête continue et c’est très intéressant de voir Keith en 1964 chanter «Louise». Il a une certaine classe. On ne dirait pas qu’il est asthmatique. Ah les journalistes, il faut toujours qu’ils exagèrent ! Clapton joue sur une Tele. Parfaitement à l’aise, Keith alterne ses parties chant et ses coups d’harmo. Ils sont incroyablement crédibles, comme l’étaient tous ces groupes anglais en 64. Puis avec Train en 66, on assiste à un coup de rave-up, Beck fait son sale punk sur Les Paul, il harnache un heavy rumble, Samwell-Smith joue au pouce. Il refont Train en France en 66, habillés en blanc et cette fois Jimmy Page est au bassmatic. Ils enchaînent avec Over Under et là Page fout le souk dans la médina avec son drive de basse demented. C’est certainement l’attaque de bassmatic la plus violente de l’histoire du rock, hey, les Yardbirds font les chœurs, hey ! et Page descend au bas du manche pour exploser les ovaires de l’Over. En 67, Page passe à la Tele, ils jouent Shapes en Allemagne. Keith a le cheveu court, mais une belle présence. Il est essentiel de voir ce footage fou pour mesurer la grandeur des Yardbirds. Ils refont l’Over Under, et chaque fois on frétille. Une autre séquence nous montre les Yardbirds en France en plein air en 67. Page porte sa veste trois-quarts brodée. Keith contourne les obstacles du chant pour éviter de forcer sa voix, il évite les montées sur Better Man, il ne grimpe pas, il opte pour l’effet judicieux. L’Over Under reste le meilleur rave-up des Yardbirds. Tout ça se termine avec Bouton Rouge en 68. Page en jabot, Keith porte une petite moustache blonde, ils jouent Dazed, notes psyché, Tele peinte, c’est dingue comme ce son a pu nous marquer. Avec les Yardbirds, Jimmy Page fut plus sauvage qu’il ne le fut jamais avec Led Zep.

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    Keith n’a que 25 ans quand il quitte les Yardbirds, épuisé par cinq années de tournées. Il n’est plus que l’ombre de lui-même. Fini le kid souriant des Clapton days. Son but est de retrouver le calme et il monte Renaissance avec Jim McCarty, sa sœur Jane et Paul Cennamo, ex-Herd, devenu session man virtuose. Ils embauchent John Hawken des Nashville Teens. Keith joue de la guitare. Ils font une musique beaucoup trop ésotérique pour leur époque et se grillent auprès des fans des Yardbirds. Mais Keith dit que les kids ont vieilli, puisqu’un groupe de vieux comme Jethro Tull peut avoir du succès. Il cite en outre comme nouvelles influences Fairport Convention, Joni Mitchell, Tim Buckey et Tim Hardin, d’où le son de Renaissance. Leur premier album s’appelle tout bêtement Renaissance et sort sur Island en 1969. On s’épate de la pochette. Elle s’orne d’une toile d’un certain Claude Génisson, The Downfall of Icarus, mais on s’épate moins de la musique elle-même, très prog. En fait ce sont les surdoués du groupe qui mènent le bal, dès «King & Queens», ils s’élancent dans un délire prog ambitieux joué à l’Andalousie méritoire. Ils sont extrêmement déterminés. Cennamo et McCarty fournissent le pulsatif. Toute trace de la pyschedelia des Yardbirds a disparu. On entend Keith claquer sa wah dans «Innocence», il essaye de redresser la barre, c’est un bon gars, il ne baisse pas les bras. Mais Hawken et Cennamo volent le show. Who needs prog ? Certainement pas nous. On voit Cennamo se fondre dans la toile d’«Island» et là ça devient énorme, ils montent en pression harmonique avec un Keith à l’unisson du saucisson. En fait ces mecs s’amusent, comme tous les musiciens de prog. Cennamo vient comme un page se greffer à la florentine sur la cuisse d’un prélude de clavecin et Hawken emmène l’assaut final, «Bullet» qui dure 11 minutes. Sérieux client que ce Hawken, qu’on retrouvera d’ailleurs dans Third World War. Il mène bien sa barquette. On imagine la gueule des fans des Yardbirds. «Bullet» passe assez vite en mode groove à la Doctor John, Ils font du Splinters, ils sont capables de belles échappées belles, mais comme dans toutes les histoires de prog, ça dégénère, ça devient oblique, bruitiste, pas motivé, un brin d’avoine de tue l’amour toujours. Cennamo fait ses gammes et on finit par se sucer l’os du genou, tellement on s’ennuie. Renaissance aurait pu s’appeler Miscarriage. Et des stridence algorythmiques renvoient l’audimat dans l’hors du temps, à l’image de l’Icarus de Claude Génisson.

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    Enregistré en 1971, Illusion est un album surprenant. Pour ce deuxième album, Renaissance opte pour une pop libre. Dès «Love Goes On», on les sent libres de leurs choix et de leurs dynamiques. Jane chante comme elle a envie de chanter, n’allez pas les importuner en leur disant ce qu’ils doivent faire. Et puis avec une telle section rythmique, ils sont à l’abri du besoin. On sent chez eux une certaine paix intérieure, même si ça passe par la voie de la prog. Ils proposent avec «Love Is All» une petite pop à prétention hymnique, mais c’est solide, ça dure trois minutes et donc l’oreille gère ça bien. Ils passent d’un genre à l’autre sans prévenir et dans «Face Of Yesterday», on voit Louis Cennamo suivre à la note la mélodie piano. C’est assez puissant. Le plus marrant c’est qu’il s’agit d’une compo de Jim McCarty. Jane chante ça comme si elle chantait du Michel Legrand. Incroyable que cet album soit passé à l’as car il est très beau, très digne, Jane chante superbement, John Hawken pianote comme un dieu et Cennamo suit la mélodie à la trace. Pure merveille. Puis avec «Past Orbits Of Dust», ils s’engagent résolument dans la prog. Ils développent des choses extravagantes. C’est la vision de Keith, elle est bonne. Rien à voir avec le prétendu folk dont parlent tous les critiques qui n’ont pas écouté l’album. Cennamo swingue les transitions, il devient un bassmatiqueur fantasmagorique, Jane est portée par la vague. Keith joue les parties de guitare sur le drive de Cennamo, c’est plein de tact d’attack, Cennamo se révèle toujours plus brillant, alors Keith joue des accords à la reculade et l’ensemble éberlue pour de bon. Jane revient sur le groove et l’album prend une dimension irréelle. McCarty bat ça jazz, Cennamo groove comme un dieu du Péloponèse, on a là une sorte de prog parfait, certainement l’une des plus belles échappées belles du rock anglais. Leur délire de prog évolutif dure 14 minutes.

    Le problème, c’est que Renaissance se trouve embarqué dans les tournées américaines comme au temps des Yardbirds et ça ne pardonne pas. Le premier à craquer, c’est McCarty. Paul Cennamo : «Je pense que c’est revenu trop tôt pour eux, après le stress des tournées avec les Yardbirds. Avec Renaissance, ils voulaient faire quelque chose de plus paisible, mais le music business n’est pas paisible et ça ne pouvait pas fonctionner.»

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    Après avoir quitté Renaissance, Keith fait un bout de chemin avec Medecine Head et s’installe à la campagne, in Staffordshire. Il s’achète une basse et joue avec John Fiddler. Ils enregistrent ensemble Dark Side Of The Moon, le troisième album de Medecine Head au studio Olympic. John Fiddler profite de la parenthèse pour indiquer que le Pink Floyd leur a pompé le titre. Un batteur nommé John Davies vient muscler le son. On sent bien que John Fiddler court après l’inspiration. Cet album propose une succession de cuts assez insignifiants. On éprouve une immense tristesse pour John Fiddler qui semble retourner au néant dont il est issu. On retrouve des accents d’«I’m The Walrus» dans «You And Me», mais les cuts suivants font l’effet d’une douche froide. John Fiddler enchaîne des balades mélancoliques. On sent qu’il n’y croit plus. Il semble abandonné des dieux. Il est épaulé par Keith Relf, loser notoire. John Fiddler entame avec cet album une période de déclin tragique.

    En 1974, Keith n’a que 31 ans et sa carrière semble terminée. Il a quitté les Yardbirds, puis Renaissance, puis Medecine Head, et il se retrouve dans la dèche. No new money coming in. Quand sa femme April le quitte, emmenant leurs enfants pour aller vivre à Brighton, Keith commence à sérieusement rôtir en enfer.

    Puis un jour Louis Cennamo qui jouait dans Renaissance avec lui l’appelle et lui propose de monter un groupe avec Martin Pugh - Oh do you fancy coming to the States and starting a band? - Aller aux States, c’était un crazy plan to crack the big time. Eh oui, c’est Armageddon. Ça tombe bien, ils ont un contact chez A&M Records. Ils proposent à Ainsley Dumbar le job de batteur mais il vient de signer avec Journey. Il leur recommande Bobby Caldwell, l’immense batteur qui joua avec Johnny Winter et Captain Beyond. Dee Anthony accepte de les manager. Anthony est le spécialiste des groupes anglais qui veulent breaker l’Amérique : Humble Pie, Joe Cocker, Jethro Tull et King Crimson, c’est lui. Mais il y a vite des problèmes dans Armageddon, des problèmes de santé et des problèmes de dope. Le groupe se fracture, d’un côté Keith et Cennamo, de l’autre, Pugh et Caldwell.

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    Armageddon est un big album. Ils passent des mois à répéter pour une tournée qui n’aura jamais lieu. Paru en 1975, l’album s’est noyé dans la masse. Martin Pugh y joue le rôle d’un sorcier du son. On sent la très grosse équipe de surdoués. Sur la pochette, on les voit allongés dans les gravats, mais ils se comportent comme des princes du prog. Pugh plugs it ! Il vrille des torsades définitives dans «Buzzard». Il joue son va-tout, il enfile ses prises de guerre, par derrière et par devant. Il y a quelque chose d’indiciblement barbare dans son jeu. Keith Relf chante comme un hippie. Fini le temps des Yardbirds. Il navigue au long cours, comme s’il suivait la mode. Avec «Paths & Planes & Future Gains», Martin Pugh nous réveille à la cocotte. Il profite de ce groove demented pour ramener toute sa viande. Il fait la loi dans ce cut et part en virée abominable. Il fait le show. On le retrouve en B dans «Last Stand Before», une sorte de rumble de rêve. Pugh joue en embuscade. Puis Armageddon nous propose un long cut intitulé «Basking In The White Of The Midnight Sun» et découpé en quatre épisodes. C’est ce prog bien musclé qu’on détestait tant à l’époque. Pendant que Bobby Caldwell bat ça sec et net, Pugh part en traître et balance quelques retours de manivelle. Il joue en force et Bobby frappe comme un sourd, alors ça prend une drôle d’allure. On les voit piquer une crise et s’emballer avec Basking. Keith rime nights avec rights et Pugh joue des accords liquides. Il se paye aussi une belle partie de wah dévastatrice, il surjoue son riffing et bat tous les records d’insistance. Et ça explose avec la reprise de Basking. On entend même des clameurs d’éléphants, Pugh joue comme un dératé, ça frise le funk et le génie rétributif.

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    Bien qu’il ait de l’asthme, Keith fume deux paquets de Senior Service cigarettes sans filtre par jour. Il n’arrive même plus à monter les escaliers. Il a une crise, direction l’hosto et on lui annone la bonne nouvelle : il a chopé un emphysème. Bon, il ressort avec son emphysème et rentre chez lui. Et puis un jour, il branche sa gratte, mais pas avec une prise, il enfonce les deux fils dans la prise et pouf, court jus, raide mort. On le retrouve écroulé au sol avec sa guitare.

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    Pour lui rendre un dernier hommage, Repertoire sortait en 2020 une petite compile fourre-tout intitulée All The Falling Angels (Solo Recordings & Collaborations 1965-1976). L’objet se destine bien évidemment aux die-hard fans des Yardbirds prêts à tout écouter, y compris Renaissance. On peut y entendre les singles qu’enregistra Keith en solo, alors qu’il était encore dans les Yardbirds. «Mr Zero» n’a pas grand intérêt, mais «Knowing» impressionne au plus haut point. Keith est servi comme un prince, avec une belle pop de swinging London. On croise aussi pas mal de démos foireuses comme celle de «Glimpses» et il faut attendre «Shining Where The Sun Has Been» pour retrouver la terre ferme, car voilà un cut assez pur, plein d’écho et gratté dans l’azur marmoréen. Pour un asthmatique, Keith s’en sort plutôt bien. Tiens voilà un balladif d’excellence de la traînasse : «Love Mum & Dad», co-écrit avec McCarty. Haut niveau, brillant laid-back, ils sortent un son fantastique. Encore une surprise de taille avec «Together Now». Keith chante vraiment bien. On s’émeut encore à l’écoute de «Line Of Least Resistance», une belle pièce de psychedelia. Mais après, ça se gâte at the gate of dawn. Keith compose des choses ambitieuses qui n’obtempèrent pas et soudain arrive la surprise : «I’d Love To Love You Till Tomorrow», une belle pop tendue vers l’avenir comme une bite au printemps, mais Keith qui n’aime pas la gloire fait tout pour que ça reste ordinaire. Dernier coup d’éclat avec le morceau titre, beau comme tout et joué au feeling pur, violons et basse, «All The Falling Angels» crève l’écran. Il aurait dû appeler ça «All The Electrocuted Angels».

    Signé : Cazengler, Yardburne

    Yardbirds. Five Live Yardbirds. Columbia 1964

    Yardbirds. For Your Love. Epic 1965

    Yardbirds. Having A Rave Up With The Yardbirds. Epic 1965

    Yardbirds. Roger The Engineer. Columbia 1966

    Yardbirds. Little Games. Epic 1967

    Yardbirds. Yardbirds ‘68. JimmyPage.com 2017

    Yardbirds. Live At The BBC Revisited. Repertoire Records 2019

    Yardbirds. Live And Rare. Repertoire Records 2019

    Armageddon. Armageddon. A&M Records 1975

    Medecine Head. Dark Side Of The Moon.

    Keith Relf. All The Falling Angels. (Solo Recordings & Collaborations 1965-1976) Repertoire Records 2020

    Renaissance. Renaissance. Island Records 1969

    Renaissance. Illusion. Island Records 1971

    Mick Wall : Shapers of things. Classic Rock #245 - February 2018

    David French. Heart Full Of Soul: Keith Relf Of The Yardbirds. McFarland & Co Inc 2020

    L’avenir du rock - Dans l’air du Temples

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    Temples, c’est encore une histoire de buzz. Chacun sait que l’avenir du rock ne se nourrit que de buzz. Comme les gros singes, il va chercher le buzz dans les branches des arbres. Grâce à Frédéric Rossif, on a vu l’avenir du rock se régaler en se léchant les doigts, buzz buzz buzz.

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    Ce buzz-ci tient bien ses promesses car Sun Structures paru en 2013 fut un excellent premier album, et ce dès «Shelter Song». On s’épatait du pointu des guitares et le son éclatait non pas au Sénégal avec sa copine de cheval mais dans le bel écho du temps. Et pourtant, ces trois Anglais semblaient avoir trop de répondant. Ce beau psyché paraissait louche, comme si les Temples exhibaient ces deux mamelles que sont les chœurs parfaits et la belle ampleur. Petit à petit, «Shelter Song» tournait à la bénédiction, ça sonnait comme une tempête sous le vent et leur bouquet garni de chœurs donnait le vertige. Nous sachant conquis, ils enchaînaient avec le morceau titre, une belle aubaine de mad psychedelia. Ils traversaient un océan stroboscopique. Par contre, «Keep In The Dark» sonnait comme un hit extraordinairement pop, agité par une fantastique pression de stomp. Ils semblaient disposer de tout le son du temple. Nous n’étions pas au bout de nos surprises car on découvrait à la suite un «Move With The Seasons» plus lent, mais terriblement évolutif. Ça sortait du bois au détour d’un couplet, cette petite pop posait son cul dans la légende des siècles, elle semblait vouloir s’inscrire dans l’élongation psychédélique avancée, elle paraissait à la fois surélevée et infinie, d’obédience quasi-évangélique, comme surchargée de Spector Sound. Ils stompaient ensuite «Colours To Life» et battaient bien des records d’ampleur. On avait donc là un album gorgé de big sound entreprenant. Ils s’inscrivaient encore dans le lard de la matière avec «Test Of Time» et jouaient «Sad Dance» aux heavy chords de bonne taille. Ces mecs brillaient dans l’univers comme des étoiles. Anglais jusqu’au bout des ongles, ces trois Temples étaient beaucoup plus qu’un buzz. C’est d’ailleurs le fameux Shindig! 50 qui les mit au firmament des Shindigers, en compagnie de 49 autres albums monumentaux.

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    Leur deuxième album s’appelle Volcano. Ils vont plus sur les machines avec leur volcano. Pour un groupe à vocation psyché, c’est une faute. Le chanteur fait son biz de soft comme il peut, mais le son est un tue-l’amour. Trop de machines, laisse tomber la pluie, affreux connard. Jamais les Heads ni les Vibravoids ne se seraient permis un tel écart de conduite. James Bagshaw se prend pour Bowie avec «Oh The Saviour», mais avec un son inepte. Pourra-t-on jamais lui pardonner cette incurie ? Retour au big sound avec «Born Into The Sunset», mais les vagues de synthé ruinent tous leurs efforts. Les Temples sont à la merci des machines. C’est incroyable comme un groupe peut se couler en faisant les mauvais choix de son. Bagshaw chante «Open Air» d’une voix de femme, sur le beat de «Lust For Life». Étrange conglomérat. C’est pourtant le gros cut de l’album. Puis ils font de la pop spectaculaire avec «In My Pocket» alors qu’on ne s’y attend pas. Il faut saluer le retour des belles dynamiques. Bizarrement, l’album redevient intéressant à mesure qu’on avance. Ils claquent un bon climat dans «Celebration», des vagues salées viennent lécher les falaises de marbre qui adorent qu’on vienne les lécher. Vas-y lèche-moi, font-elles avec des soupirs. Ils finissent par regagner des suffrages à Suffragette City. Quel album surprenant ! Autant Bagshaw déplaît au départ, autant il rafle la mise avec des trucs comme «Mystery Of Pop». Il fait du glam à la petite semaine avec «Roman God-like Man». Bagshaw vole le show, il a de la suite dans les idées, c’est vraiment le moins qu’il puisse faire. Forcément, un titre comme «Roman God-like Man» ne peut être que glam. Il termine avec un vieux shoot de n’importe quoi qui s’intitule «Strange Or Be Forgotten». Enfin, si ça l’amuse, c’est le principal. Aussi surprenant que ça puisse paraître, on voit Bagshaw partir en mode heavy pop de heavy prod et c’est plutôt balèze.

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    Et puis tout rentre dans l’ordre avec leur troisième album, l’exemplaire Hot Motion. C’est un album de belle pop conquérante, très rundgrenien, chargé d’explosions de son, très travaillé dans les layers, très reposé sur ses lauriers, à l’image du morceau titre. On se fout des paroles, ces mecs sont là pour le son, et plus précisément le wall of sound. «You’re Either On Something» sonne comme un double rebondissement de pop extralucide. C’est l’un des meilleurs sons qui se puise imaginer ici bas, une incroyable perclusion d’extraballe, Bagshaw chante au sucre candy, il est surnaturel d’anamorphisme, sa pop éclate en épaisses volutes déflagratoires. On se croirait chez les Raevonettes. Par endroits, il peut même sonner comme Bolan. Ce disque est produit pour vaincre. Ils attaquent «The Howl» au gras du bide et flirtent avec un glam mal défini, puis ils reviennent à la foire à la saucisse avec un «Context» tellement bardé de son qu’il en devient génial. Encore un cut très puissant avec «The Beam». C’est sur-saturé de prod et de bonnes intentions. Ils sonnent comme des fantômes prodigieux dans «Not Quite The Sam», une pop d’arbalète, une pop de pas de cadeau, chargé de son comme une mule berbère dans les cols du Haut Atlas. Tiens, encore une grosse escalope de pop avec «It’s All Coming Out». On peut même dire qu’elle écrase tout sur son passage. Les Temples font de l’évolutif, ils visent une sorte de démesure et claquent tous les beignets un par un. Leur Coming Out est souligné à l’orgue et aux guitares dévorantes. Nous voilà dans les temps modernes des Temples. Retour à Bolan avec «Stop Down». C’est glammy à souhait, Bagshaw dévoile enfin son jeu. Les Temples battent à leur façon bien des records. Ils bouclent cet album mirobolé du bulbique avec «Monuments». Il n’existe rien de plus function at the junction. Bagshaw chante l’absolu pop power. Les Temples savent enclencher des dynamiques et c’est exactement ce qu’on attend d’un groupe : la science de l’enclenchement. On se souviendra de cet album comme d’un album bardé de son et du meilleur.

    Ne te fais pas de souci pour l’avenir du rock.

    Ah autre chose : début mars 2020, juste après le set des Lords Of Altamont, nous papotions dans le grand hall. Il planait déjà comme une menace dans l’air et à un moment, Nathalie déclara : «J’espère qu’ils ne vont pas nous supprimer le concert des Temples !». Les Temples devaient jouer le 20 mars 2020 et bien sûr, le concert fut annulé, en même temps que notre liberté de circulation. On ne remerciera jamais assez la Gestapo de nous avoir permis de survivre à l’épidémie de peste noire. Histoire de se vautrer un peu plus dans l’abjection, on irait même jusqu’à rouler une pelle à la Gestapo pour la remercier de cet acte de bienveillance.

    Signé : Cazengler, carotte du Temple

    Temples. Sun Structures. Heavenly 2014

    Temples. Volcano. Heavenly 2016

    Temples. Hot Motion. ATO Records 2019

     

    *

    Etrange, les oisillons ne font plus de bruit. Doivent être malades. Qui s'en plaindrait ? Personne. La Bretagne respire. Nous ont envoyé un message. Un seul mot. Silence. Nous n'y avons pas trop cru, l'était accompagné d'une photo de la dernière moto pétaradante de Pierre. Mais il ne faut pas voir le mal partout, après tout peut-être ont-ils eu une illumination mystique et ont-ils décidé de rentrer dans les ordres, la bécane pour filer au monastère le plus proche, au plus vite. A vrai dire on les aurait plutôt vus s'enfoncer dans les désordres, genre Attila, là où les Crashbirds passent, les oreilles ne repoussent pas, et les bonnes gens trépassent... Il s'avère que nos pressentiment étaient bons. Z'ont encore fomenté un nouveau clip !

    SILENCE

    CRASHBIRDS

    ( Clip / You tube / Mai 2021 )

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    Première image, avant même que ça démarre, idyllique, paradisiaque, écologique. Soleil, herbe type english lawn, s'il n'avait pas sa guitare vous confondriez Pierre et sa chemise à carreaux ( pas un seul de cassé ) avec un gentleman-farmer vaquant dans sa propriété de trois cents hectares, quant à Delphine dans le drapeau rouge de sa veste à carreaux, elle éblouit, une star de cinéma dans une scène culte. Si je m'écoutais oubliant mon plus strict devoir de chrockniqueur je resterais là à rêver au bonheur perdu de l'Humanité. Est-il vraiment nécessaire de lancer le clip, l'injonction SILENCE ne s'étale-t-elle pas en grosses capitales amarantes en haut, à droite.

    Pour être franc, connaissant mes volatiles, je me méfie, mes sens sont aux aguets, je ne me suis pas laissé endormir par les deux gâteries que les zoziaux nous tendent. Premièrement, un départ harmonieux, deux belles sonorités de guitares entrecroisées, à cette opération de séduction instrumentale je reste de marbre, alors pour la deuxième entourloupe ils tapent après le sucré dans ce que vous avez de plus sacré ( non ce n'est pas votre carte d'électeur ), ils ne respectent rien, vous traquent dans votre enfance, devant vos yeux émerveillés se dresse brusquement un castelet de guignol, tout blanc avec son rideau rouge encadré de ses colonnes ( imitation ordre dorique Grèce Antique ), du coup vous vous imaginez tout petit sur les genoux de votre douce mamanou, une bouffée émotionnante vous submerge, votre attention se relâche et c'est pourtant dans ces deux secondes de plongée en vous-même que se profile la menace. Elle porte un nom, je ne l'ai pas inventé, il est sur le générique. Comme toute menace qui se respecte, elle s'appelle Max.

    J'ai déjà à maintes reprises qualifié la barbichette de Pierre de méphistophélesque, voici la preuve que mes adjectifs ne sont jamais gratuits, de derrière le théâtre surgit un gros matou roux ( la couleur des flammes de l'enfer ) il traverse d'un bond la moitié de l'écran et disparaît au plus vite. Maintenant nous en sommes sûrs, le pire est certain. Pourquoi croyiez-vous qu'ils cachent leur regard derrière des lunettes aussi noires que leurs âmes damnées.

    Aiguisez votre sagacité, commence maintenant une séquence assez longue que l'on pourrait qualifier de subluminante, ou de manipulation mentale. Le jeu consiste à vous préparer, à vous amener à accepter en toute bonne foi le message honteux et immoral qui vous sera délivré par la suite. Apparemment ce n'est pas très grave, la musique est bonne, Pierre et Delphine esquissent d'élégants mouvements, et lorsque retentit la cloche à vache vous vous imaginez qu'un paisible ruminant ne va pas tarder à entrer dans le champ de la caméra pour paître l'appétissante pelouse. Ici tout n'est que beauté, rythme et volupté d'écoute.

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    Le rideau du guignol s'ouvre et apparaissent les marionnettes. Pas vraiment des personnages, des figures découpées dans du carton. De simples amusements ! Non, il est nécessaire de savoir déchiffrer les symboles. Une visite à la ferme, poule, oie, canard, coq, de quoi raviver et ravir votre âme d'enfant, notez toutefois que ces volatiles sont de couleur blanches alors que dans toute leur iconographie nos deux crashbirds se dessinent sous forme de corbeaux noirs au sourire sardonique... voudraient-ils insinuer dans nos esprits qu'ils sont blancs comme la neige ! Tiens l'on quitte la basse-cour, voici le mouton innocent, que disons-nous, l'agneau pascal blanc comme la colombe de la paix qui se charge de toutes nos méchancetés et de tous nos péchés. C'est ici qu'il faut penser à la notion de réversibilité des symboles, certes le mouton est un animal pacifique mais il représente aussi l'imbécile heureux qui se laisse tondre et mener à l'abattoir en toute quiétude.

    Et la seconde suivante, tombe le couperet de la guillotine, ou plus exactement on aimerait que tombât le couperet de la guillotine, cette image poétique pour marquer la brutalité de l'apparition, car ce sont deux têtes de la haute cour qui apparaissent. Des gens bien connus de tous, qui ont été élus présidents de la République, s'agitent et gesticulent, seront rejoints par un troisième larron ( sans doute pour une partie de poker menteur ), la musique se fait plus violente et pour que vous compreniez mieux le message c'est la tête de Delphine qui entre dans le théâtre qui leur intime l'ordre de cesser de claironner leurs discours, '' Shut up '' hurle-t-elle en anglais ce qu'en bon français l'on pourrait traduire vu la vigueur de l'intonation par '' Ferme ton claque-merde ! ''.

    Bon Dieu, seigneurs tout-puissants, si le rock devient politique, où tout cela va-t-il nous mener. Si les gens ne croient plus au mensonge des médias, s'ils se mettent à penser qu'un bon coup de balai, un monumental kick out the jam, s'avère nécessaire pour en finir avec ce théâtre d'ombres... et ces maudits volatiles qui en rajoutent ! Imaginez qu'au lieu de se plaindre la populace finisse par se révolter, quel scandale !

    En plus c'est bien fait, du bon boulot, z'ont raison d'être contents d'eux et de se prélasser sur leurs transats – un musique qui tranche sec, un vocal de pasionaria, de belles prises de vue, des trucages dus à Rattila Picture, une réussite esthétique, ils vont faire un malheur !

    Vous avez raison, Monsieur le Président !

    Damie Chad.

     

     

    JARS

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    Un petit single de Jars en attendant mieux, un morceau non utilisé issu des séquences du dernier album Jars III paru en décembre 2020, et un remix. Une pochette un peu différente – l'artwork est de Nikita Rozin - certes le fond noir et le trait blanc du dessin sont préservés mais inversés, la symbolique de la rose épineuse et de l'aigle éployé laisse place à ce que nous nous amuserons à définir comme appartenant à l'esthétique du réalisme soviétique, un jeune homme en équilibre sur son skateboard, bien propre sur lui, une bouteille à la main, attaché-case dans l'autre, que signifie-t-elle ? Que tout mode de vie tant soit peu en rupture identitaire finit par être récupéré par le système marchand ou que la gangrène des comportements déviants tend à lézarder les sociétés sclérosées...

    Anton Obrazeena / Pavel / Misha.

    Le meilleur des festivals : ne vous leurrez pas le meilleur des festivals ce n'est pas le Hellfest ou toute autre festivité concertique dont tout le monde rêve depuis d'un an, serait-il réduit à la seule prestation d'un unique groupe inconnu au fond d'un bar paumé dans les steppes sibériennes, non toute autre chose : un de ces rêves interdits que l'ordre et la morale réprouvent, ce geste gratuit qui vous traverse l'esprit et que vous n'oserez jamais réaliser par manque d'aplomb et de courage, celui de Jars est des plus simples et des plus percutants puisqu'il s'agit de filer un grand coup de poing sur la gueule d'un flic, hélas notre héros ne s'en sent pas capable, un autre le fera à sa place, c'est ainsi que l'on vit ses désirs les plus fous par procuration, est-ce là l'explication à la fan-attitude rock'n'rollienne, ne nous perdons pas une discussion oiseuse, écoutons : grêlons lourds sur toit de tôle suivis d'averses sans fin de grésil, batterie obstinante, hennissements de doigts sur les cordes chuintantes, des élans successifs qui n'éclatent pas, poursuite d'un rêve inassouvi, rejeté, repris, jamais assumé, désir clignotant qui ne sait pas vers où se tourner, et c'est l'éclatement des frustrations accumulées depuis l'enfance qui déchaînent le vocal, vomissement de haine froide, final en grande pompe une silhouette se détache sur le rougeoiement d'un soleil noir, c'est le crépuscule du héros qui a failli à sa mission, qui se retrouve au pied du mur intérieur qu'il n'a pas franchi. Moscow doesn't believe in tears : remix de Frailtyline ( une fan anglaise qui n'a rien rajouté aux sons de l'original ) : difficile de reconnaître le morceau original ( voir in Kr'tnt ! 493 du 14 / 01 / 2021 ) qui dépasse les dix minutes et celui-ci ne parvient pas à dépasser les trois minutes, plus qu'un remix j'évoquerais plutôt le concept cinématographique de montage, évidemment ici sonore, une espèce d'alignements d'échantillons, un peu comme quand vous disposez sur la table de la cuisine tous les ingrédients dont vous allez vous servir pour préparer votre plat, tout est là mais il manque l'essentiel, les premières secondes sont les plus réussies, cette monstrueuse clinquaillerie de cymbales, homard retiré de l'aquarium qui se débat pour ne pas être ébouillanté vivant et mangé à la sauce armoricaine sont magnifiques, mais ensuite c'est la cuisson rythmique à feu doux, certes vaseuse et funèbre, il manque aussi le soufre ardent du vocal.

    Damie Chad.

     

    INCIDENTS

    BLACK INK STAIN

    ( P.O.G.O RECORDS / ATYPEEK MUSIC

    ARAKI RECORDS / DAY OFF RECORDS )

    ( Avril 2021 )

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    Incidents, incidents, ils y vont fort si l'on en juge par la pochette, ce serait plutôt incendie, ne subsiste pas grand-chose du bâtiment, juste la structure noyée dans un océan de flammes, une charpente noircie, pas de souci à se faire, dans un quart d'heure il ne restera plus rien, rien que des cendres, d'ailleurs ils ont omis les couleurs rougeoyantes et rutilantes, n'ont gardé que noir, gris, et blanc, genre faire-part de deuil imagé pour vos illusions au cas où vous seriez du genre optimiste qui assimilez la musique à un agréable passe-temps. Inutile de leur chercher noise, ils font du noise.

    Trois de Clermont-Ferrand : Fab : guitare, vocal / Jean : basse, backing voices / Ugo : batterie.

    Slice of pain : un motif sonore, et un ouistiti qui sautille en contrepoint, le genre de truc qui ne fait pas particulièrement peur, mais très vite vous vous apercevez qu'ils ont décidé de s'en prendre spécialement à vous, d'abord le volume sonore en hausse, là on ne moufte pas, quelque part c'est la règle du jeu, mais ils reviennent vous titiller le système nerveux l'air de rien, une espèce de triptyque fondamental qu'ils épicent et martèlent à chaque fois sous un nouveau déguisement tintamarresque, jusque là ce n'est pas grave, vous encaissez, et vling ils rajoutent le malheur de l'œil crevé exprès pour vous pousser dans vos retranchements, le vocal de Fab vous mord les talons à pleines dents, et tout se dérègle en un long tortillis qui finit en générique de film d'horreur, juste pour faire monter l'adrénaline avant l'invasion des araignées géantes, magnifiques hurlements de fin du monde. I see you dead : le genre de déclaration d'amour que vous aimez, ils envoient la sauce au sang sans faiblir, sont partis pour vous saigner de belle façon, le Fab vous hurle toute la haine du monde dans vos oreilles, et tout compte fait vous trouvez ça beau, alors ils ralentissent le tempo pour que vous preniez compte du peu de temps qu'il vous reste à vivre, Ugo tonne à la batterie, la guitare lance des éclairs et à la basse Jean se sert de la lymphe qui coule de votre corps pour cirer le plancher. Sans façon : vibrations cordiques, manœuvres au sifflet, quelques coups d'enclumes et la catastrophe déambule vers vous, sans se presser, une espèce de papier calque géant qui se colle à vous et appuie de plus en plus fort, des tubulures surgissent du néant et tournent leur tentacules vers votre chair ensanglantée, rigoles de sang, fontaines de jouvence mortelle. Non merci, sans façon. STO2 : entrée rock, brûlante et au laminoir, la voix de Fab rageuse et aplatie, vous avertit mais avec cette masse sonore qui tombe sur vous, c'est trop tard, la batterie riffe à coups de riffles, tout s'emmêle le son n'a plus de sens, vous souhaiteriez que l'urgence s'arrête mais la pression augmente, tout semble s'éloigner, c'est pour mieux revenir mon enfant, et vous voici cassé et concassé, tassé et entassé, désordre moral et perfidie insane. STO de sinistre mémoire. Stuck : cordes de basse à vous pendre, l'air brûlant d'une guitare qui danse le scalp de votre chevelure piétinée et souillée de crachats blafards, c'est mal parti, donnent l'impression de jeter tout le son comme un sous-marin touché-coulé qui se défait de ses torpilles pour détruire en un dernier feu d'artifice le monde et l'emporter avec lui au fond des abysses. Touché-collé.

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    Pont des goules : un endroit certainement charmant, mais cette musique poisseuse vous détrompe et vous détrempe le cerveau à l'acide, le Fab devrait s'abstenir de son vocal racloir parfaitement désagréable, lui-même ne le supporte pas, il se met à crier sans rémission et derrière l'armada déboule sur vous, vous pensez que c'est la fin qui approche, pas du tout, prennent leur temps avec cette batterie spongieuse et ces cymbales cliquetantes, et vlang, une dernière tournée, le coup de l'étrier avec le cheval qui piaffe de bonheur sur le tapis de votre chair charpie. Frozen stance : surimi vivant de basse surgelée, le poëte Fab vous décapite ses octosyllabes à la manière d'un cyclope qui recrache la tête des olives humaines qu'il est en train de croquer, un morceau qui fait froid dans le dos. Alors ils en rajoutent des tonnes pour vous réchauffer. Déversent du décibel avec sadisme et cruauté. Froideur absolue. S.O.M.A. : rien qu'à entendre l'intro vous somatisez grave, ils inaugurent une plaque tectonique d'un nouveau genre, Fab qui vitupère dans les creux des ondulations et la masse sonore qui appuie de toutes ses forces dans les pleins. Je vous plains. Tiens déjà terminé. Hélas, c'était une fosse fin, ça recommence mais ce coup-ci c'est plus inquiétant, tapent dans le registre de l'angoisse. N'ayez pas peur, le pire était à venir. Finition apocalyptique de toute beauté. Derniers coups de merlin sur de tubéreuses protéiformes caverneuses un enchantement.

    Bruiteux et musical en même temps. Pas un seul morceau faiblard qui plombe l'ambiance. Ces Incidents qui forment le premier album de Black Ink Stain revêtent d'une tache noire l'innocence perdue des jours à venir.

    Damie Chad.

    *

    Voici quinze jours nous étions en Californie. Pas exactement à San Francisco en 1966, un tout petit plus bas à San José, de nos jours, nous restons dans la même mouvance avec des groupes comme Gulch, Sunami et Drain, sur lequel nous nous attardons en cette livraison. Ne sont pas tous seuls, sont entourés d'un public qui ressemble à leur musique, brutale et sans chichi. Du hardcore sans exclusive, mâtiné de sonorités metal, punk, grind, trash, straigh edge, noise et tout ce qui fait du bruit. Du core à core.

    CALIFORNIA CURSED

    DRAIN

    ( Avril 2020 )

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    Premier album du groupe, l'a été précédé les deux années précédentes de morceaux qui se retrouvent sur l'opus. A première vue une pochette passe-partout mais qui n'arrive nulle part. Votre conditionnement scolaire déclenche la touche, l'aurore aux doigts de rose avec les palmiers de l'île paradisiaque au loin, mais cette mer couleur de sang séché n'est pas vraiment engageante, les cumulus dans le ciel présentent la forme caractéristique des étrons et les ailerons de requins ne sont en rien engageants. Des planches de surfers dégarnis de leurs occupants sous-entendent que nos sélachimorphes ont l'estomac bien rempli. Pour vous en convaincre sur la plage aux détritus visez la cage thoracique. California dream is over. Inutile de sortir votre mouchoir, ce tableau désolant ressemble trop à une vignette de comix pour ne pas vous arracher un sourire. Ce n'est pas parce que notre monde n'est pas beau qu'il est nécessaire de sombrer dans le désespoir le plus noir. Arrêtez de vous plaindre, apprenez à jouir de la vie.

    Sam Ciaramitaro : vocals / Cody Chavez : guitar / Justin Rhodes : basse / Tim Flegal : drums.

    Feel the pressure : mouettes plaintives et vagues déferlantes, borborygmes glouglouteurs siphon de WC géant, l'on monte les étages soniques, crashs de cymbales scandent le départ d'une batterie épileptique qui pousse en avant le godet monstrueux de la basse et le halètement saccadé du moteur de la guitare, drumerie en action, vocals enfoncés dans la gorge, enfin expulsés, cris de haines et affirmation de soi, revendications différentielles, la guitare de Chavez se déchire sur les barbelés électrifiés de la bienséance comportementale, court-circuit incendiaire, toujours ces cymbales qui cinglent l'œsophage, déchaînement monstrueux qui débouche sur Hyper vigilance : Drain fonctionne comme le Led Zeppelin du pauvre, pas le temps d'artitiser et de funambuliser, ici, c'est plus fort et plus vite, l'on ne cherche pas le speed mais la cassure qui se bouscule vers une autre cassure, l'on tire scud sur scud mais la trajectoire n'est pas prise en compte, juste l'impact, car pour aller loin il ne suffit pas d'aller vite mais de raccourcir la route, trivial poursuite entre vocal et batterie, le premier pousse le deuxième, et le second pressure le premier, course en sac explosif sur terrain miné, avec dégagement monstrueux en fin de partie. Sick one : pas tout à fait l'on est déjà dans le morceau suivant, après l'état paranoïaque précédent, l'on accélère le processus ne plus se soucier de soi, éliminer les autres, tuer le mal à la racine, hymne à la destruction pure, quand vous êtes malade éradiquez la maladie, tirez sur tout ce qui bouge. Servez-vous du rock comme d'un hachoir mécanique. Army of one : démarrage en flèche de feu, vocal les doigts dans la prise, batterie démente et les guitares qui construisent des talus de riffs aussi vite qu'elles les détruisent, joie émulsifiante, seul contre tous, seul contre l'univers, le rock comme un miroir auto-glorificateur, perversité narcissique de l'adolescence parvenue à l'âge adulte, le rythme se ralentit pour laisser s'exprimer le déluge glossolalique, éclats de guitares agités tels des oriflammes victorieux, et l'emphase du délire reprend le dessus pour le seul plaisir égotiste d'atteindre à la jouissance phatique de sa propre unicité, lancée à la face du monde telle une grenade assourdissante. Character fraud : trop c'est trop, retour du bâton, auto-flagellation accusatrice, ô insensé qui crois que je ne suis pas toi, remarquez ce n'est pas le genre d'acte restrictif qui amène Drain au calme de la réflexion, peut-être ce morceau est-il plus violent que les précédents, au niveau vocal certainement, cette espèce de mea culpa est encore plus agressif que les cinq premiers assauts. Hollister daydreamer : ce n'est qu'un rêve de guitare fluide, très vite la guitare brûle de toutes ses larmes, pas de panique, cela ne dure qu'une minute. White coat syndrome : Drain draine le mal et la folie, vous applique des compresses d'acide sur vos plaies intérieures, la batterie comme le supplice de la roue se joue de vous, les guitares compriment vos cauchemars, vous êtes fait comme un rat, tumultueuses décharges radiographiques, terrible révélation, la société malgré votre rock chalumeau est plus forte que vous. The process of weeding out : la momie se relève de la table d'opération, elle a arraché ses bandelettes, elle est revenue du pays de la mort, vivante, elle hurle, elle exulte de rage, chaque mot est une bombe, la batterie bombarde sans retenue, basse hurlante et attaque de guitare en piqué, Drain n'est pas venu pour apporter la paix de l'âme mais le triomphe de la volonté de puissance. Bad Faith : profession de foi, la mauvaise, l'anarchiste, la stirnérienne, vivre uniquement pour soi et selon soi, la voix s'étrangle, la langue est devenue serpent à deux têtes, le jardin des délices s'équalise en l'éden des supplices. Riffs à la mitraillette, la batterie assénée en coups de batte à base ball, vous n'aimiez pas le rock, désormais vous le détesterez. California cursed : le morceau du retour, c'est ainsi que se terminent tous les bons disques de rock, at home, comme l'escargot dans sa coquille, comme la flamme dans la poudre, au cas où vous n'auriez pas compris, après deux minutes de speed ultra compressé, vous avez droit à dix secondes de country. Passé à la moulinette.

    L'ensemble ne dépasse pas les vingt-deux minutes – ne confondons pas quantité et déperdition d'énergie - quelques secondes supplémentaires et ils arrivaient à vingt-trois, le chiffre de l'Eris, la déesse du kaos.

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    Le dernier morceau existe aussi en vidéo-officielle. Le hardcore de Drain s'écoute très bien avec des images. Leurs disques sont colorées et ils soignent leur merchandising. Si vous voulez en savoir plus se reporter sur YT par exemple sur les 12 minutes de la vidéo : Drain 02 : 02 / 08 / 2020 enregistré lors de la prestation du groupe au LDB Fest. Il y en a d'autres plus virulentes. Le public est essentiellement composé de garçons... Un peu brutal diront les filles. Z'oui mais un véritable public rock. N'ont pas inventé le hardcore californien mais en sont les dignes héritiers. Fun, Fun, Fun, comme disaient nos ancêtres les Beach Boys voici un demi-siècle. Mais il est nécessaire de savoir s'adapter, aujourd'hui les vagues sont plus hautes et les requins ne sont plus exclusivement dans l'écume et les flots azurés... Faut bien que les gamins s'amusent, surtout quand les temps tournent à l'aigre...

    Damie Chad.

     

    Tout vient à point pour qui sait attendre. Donc voici l'autre moitié, pas du ciel, plutôt de l'enfer, plus prosaïquement la face B du split que Sunami a partagé avec Gulch voir notre chronique sur Gulch dans notre avant-dernière livraison509.

    SPLIT

    SUNAMI / GULCH

    ( 2021 / Triple B Records )

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    Ce n'est pas un hasard si Sunami et Gulch se sont retrouvés sur ce disque. Sunami est constitué de membres provenant de Drain, Gulch, Hand of God et Lead Dream, ces quatre groupes faisant partie de la scène hardcore californienne actuelle. Si Josef Alfonso est le shouter boy de Sunami, il passe beaucoup de monde derrière le micro lors des trois EP produits par le groupe. Davantage une réunion de copains qu'un véritable projet. Ces deux titres n'étaient pas particulièrement prévus, mais le public n'avait pas oublié les deux premières tranches de pain d'épice au piment de Cayenne.

    Step up : une avoinée de haine comme on les aime, se sont mis à trois pour le vocal et ça s'entend, la batterie sonne la charge mais lors de l'attaque des tranchées à la baïonnette les guitares attendent que les voix se soient tues pour lancer l'assaut perforatif. Die slow : crève lentement que tu aies le temps de souffrir, les musicos te passent le rouleau compresseur sur le corps pour que tu aies la possibilité de réfléchir sur ton triste sort, pas de chant, des imprécations théâtrales, mais quand la colère se déchaine, vous comprenez que les avertissements préparatoires n'étaient pas de vaines promesses.

    Damie Chad.

     

    IMMUABLE JOAN

    MARIE DESJARDINS

    ( Le Mag / Profession SpectacleMai 2021 )

    En règle générale quand on parle d'un chanteur ou d'un musicien on l'aborde par ses productions musicales. Suffit de se laisser mener de disque en disque, de concert en concert, etc... Facile de choisir le bon fil : le déroulé de sa carrière. Je ne dis pas que c'est du tout cuit, mais au moins vous savez où vous mettez les pieds. Mais parfois derrière l'artiste on cherche l'homme. Ou la femme. Entre le fan les yeux fermés qui ne se pose pas question, qui gobe l'œuf et la poule d'une même mouvement et celui davantage sourcilleux qui s'interroge pour savoir si tel ou telle correspond à ses propres catégories d'analyse, la distance peut se révéler prodigieuse... Pour prendre un exemple personnel, j'adore l'album Craveman de Ted Nugent et pourtant ses prises de position politiques me rebutent au plus haut point même si je pense qu'il existe une certaine logique corrélative entre la violence de sa musique et ses brutales assertions idéologiques. Lorsque l'on aborde ce genre de sujet l'on est vite confronté à ses propres nœuds gordiens, et souvent se refuse à notre disposition l'épée d'Alexandre pour trancher dans le vif de nos contradictions, bref nous manquons de courage pour nous affronter à nos intimités et nos inimitiés viscérales, nos choix instinctifs et nos préférences innées... qui sont au fondement de notre personnalité sociale et de notre idiosyncrasie individuelle.

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    Donc Marie Desjardins et Joan. Pas Jett. Baez. Bien sûr que Marie Desjardins apprécie hautement Joan Baez. C'est une grande chanteuse, une grande interprète me corrigerait-elle avec raison aussitôt. Une voix de tourterelle d'une limpidité absolue. Quiconque peut lui en préférer une ou plusieurs autres, là n'est pas la question. Joan est aussi ce qu'en notre doux pays de France l'on nomme une chanteuse engagée. Comprendre selon nos critères nationaux, à gauche. Pour rester sur le sol américain, elle participa aux marches civiques ( lutte des noirs ) et aux manifestations anti-Vietnam ( contre la guerre impérialiste ). Genre d'endroits où elle ne risquait pas de rencontrer Ted Nugent ! Aujourd'hui Joan Baez aborde fièrement ses quatre-vingts ans. Le temps a passé, elle n'a rien renié de ses engagements, elle ne s'est pas excusée, elle reste fidèle à ses prises de position, relisez l'adjectif ( vraiment ) qualificatif que lui décerne Marie Desjardins dans le titre de la chronique, Immuable Joan Baez. L'on a assisté pendant ces quarante dernières années, parmi nos dirigeants politiques, pour ne citer qu'eux, tant de retournements de vestes et de grotesques palinodies que l'on ne peut que s'incliner devant tant de constance.

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    Mais il y a plus. Marie Desjardins nous le rappelle. On y pense moins, ou plutôt on en parle moins. Nous l'avons noté dans la chronique ( in Kr'tnt ! 221 du 05 / 12 / 2015 ) de ses mémoires Et une voix pour chanter, Joan Baez a eu le courage intellectuel et physique de mettre ses actes en accord avec ses idées. Contre la guerre du Vietnam, elle ne se contente pas de défiler et des signer des pétitions qui vous donnent bonne conscience, citoyenne américaine en opposition à son gouvernement, elle se rend au Vietnam pour témoigner, sous les bombes, des destructions et des victimes perpétrées par les avions de son pays. Une femme courageuse. Devant laquelle l'on ne peut que s'incliner.

    Tout cela Marie Desjardins le raconte. Elle n'omet pas non plus les aspects moins plaisants de la chanteuse. C'est Joan Baez en personne qui l'énonce calmement face à la caméra. La douce Joan avoue qu'elle a parfois privilégié sa carrière à ses enfants. L'on n'est pas surpris, elle n'est pas la seule dans ce cas, l'on passe l'éponge, la rançon de la gloire, l'attrait de la célébrité... Il y a plus grave. Elle aurait pu le taire. Mais elle le dit. Elle a demandé à sa petite sœur Mimi ( Farina ) Baez de mettre sa carrière en veilleuse, ayant peur qu'elle lui fasse de l'ombre... Pas très beau, du coup avec cet aveu la part d'ombre de Joan se teinte d'une trouble opacité...

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    Apparemment ici je m'éloigne des points soulevés par la chronique de Marie Desjardins qui n'évoque en rien d'une manière précise ce morceau de Joan Baez, The night they drove old Dixie Down qui est mon préféré de sa discographie ( je ne la connais pas en son intégralité ). La version qu'elle en offre me semble supérieure à celle de son créateur Robbie Roberston avec son groupe The Band. Elle est même meilleure que celle qu'en donnera Johnny Cash. Nos deux artistes la déclament d'une manière un peu pompeuse ou funèbre. Cela se comprend, le morceau évoque la disparition du vieux Sud. Pas du tout passéiste ou triomphaliste. Ne s'inscrit pas dans un registre de parti-pris politicien revanchard, simplement la guerre vue du côté des petites gens. Joan Baez y insuffle un souffle et une vivacité qui manquent à nos deux compères. Le sujet est empreint d'émotion et de tristesse, mais pour notre folkleuse de l'Est progressiste – elle n'hésite pas à modifier le texte pour en gommer des aspects qu'elle juge trop outranciers - la défaite du Sud réactionnaire, malgré toutes les souffrances subies par sa population, est quelque part un pas en avant de l'Humanité, l'abolition de l'esclavage est un progrès...

    Tout ce qui précède pour en revenir au texte de Marie Desjardins. Un nouveau personnage vient d'entrer en scène. The Band aura été le groupe de scène de Bob Dylan. Des vieux briscards qui précédemment accompagnaient Ronnie Hawkins, mais avec Dylan nous rentrons dans la grande histoire du folk, celle de ses années triomphales, celle à laquelle Dylan portera un coup fatal en commettant le sacrilège d'électrifier le folk. Un véritable éléphant dans un magasin de porcelaine le Bobby, non seulement il pactise musicalement avec l'ennemi héréditaire : le rock'n'roll, mais de surcroît il brise le cœur amoureux de Joan.

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    Joan aura du mal à s'en remettre. Marie Desjardins prend fait et cause pour elle. Quel ingrat c'est elle qui lui a ouvert les portes du succès. Sans elle, il serait resté un petit gratteux anonyme. Solidarité féminine ! Certes Dylan s'est peut-être montré quelque peu inélégant dans les modalités de la rupture, nous voulons bien le croire, mais le mal était beaucoup plus profond. En-dehors de toute affinités électives entre deux êtres, il existe aussi des failles de séparations souterraines. Elles sont politiques et idéologiques. Ce qui sépare Dylan et Joan c'est ce qui différencie l'esprit de rébellion de l'esprit révolutionnaire. La révolte de Dylan relève de l'individu, celle de Joan s'inscrit dans un processus sociétal. C'est le ''moi contre presque tous'' qui s'oppose au '' moi avec les autres '' .

    Marie Desjardins transcrit cela selon un autre registre : idéologiquement Joan était trop pure, Dylan beaucoup plus prudent. L'une sans concession, l'autre prêt à pactiser. Préfère jouer sa carte en solitaire que devenir la caution morale des autres. Si doué que l'on soit l'on ne devient pas Dylan tout seul, l'arrive un jour où la maison de disques vous propose le deal : coco on met le paquet sur toi – pub, presse, radio, TV, réseaux - mais en retour tu suis les conseils et tu fais ce que l'on te dit...

    Marie Desjardins nous prend un contre-exemple, Sixto Rodriguez qui ne fera pas la carrière qu'il se devait dans le showbizz, elle se dépêche d'ajouter que Dylan n'y est pour rien, mais lorsque le disque de Rodriguez sort en 1970 Dylan est déjà une légende, nos deux auteurs-interprètes ne jouent pas dans la même catégorie, reconnaissons que Sixto est prêt à faire moins de concessions que Dylan... Si les circonstances avaient été autres de quels opus aurait accouché Sixto Rodriguez. Nous n'en savons rien. La vie est remplie d'injustices destinales.

    Nous n'y pouvons rien, chacun de nous est victime des autres et de lui-même. Le Christ lui-même n'a pas échappé à cette règle de fer... C'est à Lui que Marie Desjardins se rapporte pour terminer son article, en vieux mécréant nous dirons que s'il était un homme il n'a pas fait mieux que nous, et que s'il était un dieu, il n'a rien fait. En plus il n'a jamais mieux chanté que Joan Baez et il n'a jamais mieux écrit que Marie Desjardins. Sinon cela se saurait !

    Un bel article qui vous oblige à réfléchir et à méditer sur les implications de vos actes sur vous-même et sur les autres.

    Damie Chad.

     

    XXXIV

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

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    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    Voici quelques précisions

     

    139

    Même pas le temps de respirer que le téléphone sonna une nouvelle fois. C'étaient les filles, Charlotte et Charlène s'ennuyaient chez leurs parents, est-ce que par hasard nous pourrions les emmener en weekend, au bord de la mer par exemple.

      • Au bord de la mer oui, en weekend anticipé, départ ce soir à vingt heures, rendez-vous au pied de la Tour Eiffel !

    Le Chef reposait tout juste le bigophone que la sonnerie se fit entendre une fois de plus, c'était Vince, la voix angoissée :

      • Il faut se voir au plus vite, avec Brunette nous avons mis la main sur des documents importants, je monte à Paris, je prends le train ce soir !

      • Inutile, on descend sur Cannes, on sera au Majestic, à 10 heures on t'attend !

      • Parfait, mais faites attention, les nouvelles que j'apporte ne sont pas bonnes.

    140

    Je ne devrais pas le dire mais l'on a roulé, non pas à tombeau ouvert mais à fosse commune épidémique géante, bref le matin à six heures piles j'arrêtai la Lamborghini devant l'entrée du Palace. Nous étions attendus. L'ensemble du personnel nous fit une haie d'honneur, des grooms se précipitèrent pour se charger des deux valises du Chef, durent se mettre à trois pour la malle à Coronado. A peine le Chef eût-il sorti un Coronado de sa poche que trois majordomes se disputaient pour lui offrir du feu, tandis qu'un quatrième se tenait à sa portée un cendrier à la main. Les filles se virent offrir une bague en diamant, mais les plus heureux furent Molossa et Molossito chacun trônant sur un magnifique coussin de soie précautionneusement portés par deux maîtres d'hôtel empourprés de confusion d'avoir à transporter deux si illustres canidés. Le directeur du palace s'excusait :

      • Nous avons eu peu de temps pour refaire les décorations, néanmoins toutes les salles ont été en votre relooké rock'n'roll, des photos de Gene Vincent et d'Eddie Cochran ornent toutes les chambres, mais peut-être désireriez-vous petit-déjeuner à moins que vous ne préférassiez an american hot brunch...

    141

    La porte du royal penthouse judicieusement rebaptisé Heartbreak Hôtel, s'ouvrit à dix heures tapantes, deux chasseurs s'effacèrent après les avoir annoncés pour laisser passer Vince et Brunette, nous n'eûmes même pas le temps de les embrasser, qu'un autre visiteur fut introduit, il se présenta de lui-même :

      • Mon nom ne vous dira rien, appelez-moi Hector, je viens vous apporter le cadeau de mon maître, si vous voulez vous donner la peine et il tendit au Chef une simple enveloppe !

    Le Chef la déchira et apparut un mince bristol bleu qu'il lut à haute voix : '' Ceci est le cadeau promis, suivez Hector, il se fera un plaisir de vous le remettre. Un conseil d'ami prenez une petite laine ou un blazer. Je vous souhaite une bonne journée.''

    142

    Une énorme voiture ( télévision grand écran, bar et cuisine aménagée dans laquelle nos canidés ne tardèrent pas à se partager un rôti de porc aussi volumineux qu'eux ) nous attendait devant l'hôtel, le chauffeur se dirigea vers le port, et s'arrêta au bout d'un quai, juste devant un splendide yacht.

      • Super bateau, super cadeau ! s'écrièrent les filles

    Hector eut l'air vexé :

      • C'est mal connaître mon maître que de croire qu'il offrirait une barcasse de troisième ordre à ses invités. Ce rafiot nous emmènera au cadeau proprement dit, couvrez-vous le temps fraîchit.

    143

    Les filles pariaient pour une île paradisiaque mais la surprise fut kolossale. Une brume épaisse s'était levée, le yacht se dirigeait vers le large, une véritable purée de poix, nous n'y voyions pas à trois pas, les moteurs de notre embarcation stoppèrent brusquement, nous ne distinguions rien, nous fûmes surpris lorsque Hector nous conduisit à bâbord devant un escalier métallique sorti de nulle part qu'il nous conseilla d'emprunter sans peur, je resterai avec le yacht pas très loin, si vous avez besoin de quelque chose faites signe.

    Les filles poussaient des petits cris, mais lorsque nous fûmes arrivés tout en haut, un rayon de soleil troua la brume révélant la nature du cadeau : un porte-avions !

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    Le commandant nous attendait : '' Bienvenu sur l'Impérieux, ce porte-avions vous appartient, moi-même et l'équipage que j'ai l'honneur de commander sommes à votre disposition, je vous conduis au poste de commandement. Je suppose que vous n'y connaissez pas grand-chose, je resterai auprès de vous pour vous seconder.

      • Pas besoin dit le Chef, l'agent Chad est un pilote émérite, quant à moi, je pense que le maniement d'un tel engin demande moins d'expérience, de tact et de subtilité que l'allumage d'un Coronado, nous nous débrouillerons très bien tout seuls !

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    Je le reconnais, c'est un peu plus complexe qu'un tableau de bord de Lamborghini, des cadrans à aiguilles partout, une multitude boutons de toutes les couleurs qui clignotent sans discontinuer, des écrans qui affichent des données incompréhensibles, au bout de dix minutes je parviens à comprendre qu'il suffisait que je donne les ordres directionnels à voix haute dans le micro rouge pour qu'ils soient aussitôt exécutés dans une pièce attenante.

    Enfin seuls, Vince est soulagé, il prend la parole :

      • Avec Brunette nous n'avons pas perdu notre temps, nous avons échafaudé une hypothèse relativement simple : si Eddie Crescendo a disparu il devait savoir qu'il courait un danger, il n'était pas une tête brûlée, sans doute a-t-il pris la précaution de laisser des documents quelque part !

      • Nous les avons découverts, le coupa Brunette, dans l'appartement de sa mère, que nous avions fouillé ensemble, rappelez-vous son cadavre dans le hall d'entrée, nous étions alors obnubilé par les boîte à sucres... Nous avons brisé les scellés posés par la police et avons recommencé les recherches, nous cherchions un gros dossier, c'était simplement trois feuilles A4 pliées en deux dans le cahier de cuisine de la pauvre maman posé sur le buffet... une chance extraordinaire, j'aurais pu ne pas les voir, c'est en vérifiant par gourmandise la recette des crêpes au nutella que j'y suis tombé pile dessus, incroyable figurez-vous que Mme Crescendo ajoutait de la crème fraîche dans la pâte chocolatée !

      • Personnellement je verse directement dans la crêpière les fragments d'une robe de Coronado, ainsi j'obtiens une saveur inimitable mais cela ne serait rien si auparavant je...

    Hélas, aujourd'hui que je rédige mes mémoires je suis dans l'incapacité totale de vous révéler à quelle opération préliminaire se livre le Chef pour réussir ses crêpes au nutella car depuis un moment j'éprouvais une gêne inexplicable au niveau de ma fesse gauche et je concentrai toute mon attention sur cet étrange phénomène...

    A suivre...

  • CHRONIQUES DE POURPRE 493 : KR'TNT ! 493: EXPLORERS CLUB / CHRIS NEEDS / JARS / STEPPENWOLF / ROCKAMBOLESQUES XVI

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 493

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    14 / 01 / 2021

     

    EXPLORERS CLUB / KRIS NEEDS

    JARS / STEPPENWOLF

    ROCKAMBOLESQUES XVI

     

    Bienvenue au Club - Part One

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    En 2016, ce coquin d’Andy Morten nous mit à la bouche : il demandait à un mec à tête de big baby binoclard nommé Jason Brewer et membre d’un groupe nommé The Explorers Club quels étaient ses disques préférés, alors Brewer citait Friends et Sunflower des Beach Boys, disant que «Busy Doing Nothin’» était musical genius in a way no one but Brian could do it. Il ajoutait que Pet Sounds était son favorite album of all time et que le CD de Sunflower était resté pendant deux ans dans sa bagnole. Il citait aussi Burt Bacharach (Reach Out), The Fifth Dimension, à cause de Jimmy Webb (The Magic Garden. JIMMY WEBB. He’s king among writers and arrangers). À tout cela s’ajoutaient les noms des Simon & Garfunkel (Bookends), McCartney (Ram, qu’il compare à Smile - This is Paul’s Smile), Neil Young (After The Gold Rush), The Carpenters (Close To You) et Dylan (Nashville Skyline).

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    Donc alerte rouge. D’où sortait ce big baby binoclard ? Il faisait l’actu pour la parution du troisième album de The Explorer Club, Together. Donc, il fallait se rendre à la fin du canard, et chercher Together dans la partie Now des chroniques d’albums. C’est une autre Shindiger nommé Richard Allen qui se chargeait de besogner l’éloge. On apprenait en lisant son petit texte que le groupe était américain, originaire de Caroline du Sud. Oh Caroline ! L’Allen parlait de vintage 21st century sunshine pop bursting with craftmanship worthy of major league budgets. C’est vrai.

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    Quand on écoute Together, on est complètement craftmanshippé par la sunshine pop du 21st century, et plutôt deux fois qu’une. Le morceau titre est du pur jus de Brian Wilson, un vrai bouquet d’harmonies vocales speedées dans l’oss de l’ass, écrasé du champignon au bon moment, bardé d’énergie cosmique. Coup de génie avec «Gold Winds», puissamment orchestré dans une magie de piaillements d’oiseaux des plages, avec de la brise dans le son. Ce mec descend dans son lagon d’argent pour chanter sa pop californienne. Il renoue avec la nonchalance de l’ensoleillement dilettante. Avec toutes ces vagues de son et cette onction de la pertinence, on se croirait dans Smiley Smile, ce compagnon des heures sombres de l’adolescence. Il attaque «Perfect Day» en déclarant : «It’s such a perfect day/ To be in love with you», et là tout s’écroule dans le fracas du bonheur, dans le deafening sound dont parle Liza Minnelli. C’est joué dans le clair obscur d’un effondrement des notions temporelles. Ce mec n’en finit plus d’aller éclater au grand jour, les grimpées de son sont dignes de celles de Brian Wilson. Il reste dans le plénitif de taille avec «No Strings Attached», chanté au mieux du désespoir amoureux. Ce mec tient son destin entre ses mains. Il joue la pop de sa compréhension. Ce binoclard inféodé va jusqu’au bout de sa fascination.

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    Trois ans plus tard, Andy Morten récidive, avec un grand portait de Jason Brewer, pour annoncer la parution de deux albums enregistrés au Columbia Studio A de Nashville, endroit rendu célèbre par des gens comme Dylan, Cash ou encore les Byrds - It was an honour to just be in those rooms - some serious magic - Morten nous apprend que Brewer est l’âme de ce groupe informel et qu’il enregistre deux albums, dont un album de covers. Affecté par la disparition de Scott Walker, Brewer annonce qu’il enregistre une reprise du «Sun Ain’t Gonna Shine Anymore». Il cite Scott Walker comme l’une de ses principales influences. Il cite encore comme influences les noms de Spector, des Turtles, d’Astrud Gilberto, de Dusty Springfield et des Byrds.

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    L’album de covers vient de paraître. Il s’appelle To Sing And Be Born Again et contient effectivement deux coups de génie productivistes : «The Sun Ain’t Gonna Shine Anymore» et «This Guy’s In Love With You». Accord de piano magique et on sait tout de suite que c’est Burt avec This Guy - You see this guy/ This guy’s in love with you - Et là Brewer prend de la hauteur, when you smile, la magie de Burt est idéale pour un fan de Brian Wilson, c’est l’une des covers les plus puissantes de la stratosphère, il monte très haut dans le ciel et devient l’une des révélations des temps modernes. Il chante son Scott à la perfe. Brewer est un peu comme le mec de Drugdealer, il repousse les limites de la magie pop. Il rend aussi hommage aux Turtles avec «She’d Rather Be With Me» et en profite pour tirer l’overdrive productiviste. Fantastique hommage à Dylan avec «Quinn The Eskimo (The Mighty Queen)» et il se prosterne ensuite devant les Zombies avec «Maybe After She’s Gone». Autre coup de chapeau remarquable : Lovin’ Spoonful avec «Don’t Want To Have To Do It». Brewer file droit sur le goove comme un requin affamé. John Sebastian a du feeling, mais il reste entre deux eaux, coinçant Brewer dans l’intervalle.

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    Quant à l’autre album, attention, c’est une bombe atomique. Mais ne gagnez pas les abris, car c’est une bonne bombe atomique. The Explorers Club (Original Album) est sans doute l’un des meilleurs albums de notre époque. Brewer démarre avec un hommage a Brian Wilson intitulé «Ruby». Son plein à ras-bord, c’est stupéfiant d’éclat. Il va ensuite enfiler les coups de génie comme des perles, à commencer par «One Drop Of Rain», une pop d’attaque frontale d’extrême violence. Et ça continue avec «Love So Fine», comme s’ils reprenaient les choses là où les avait laissées Brian Wilson. On a du mal à respirer tellement c’est oppressant de puissance. Ils se situent au-delà de tout, mais vraiment au-delà de tout. Chaque fois, ils débarquent dans le cut avec du big bash d’explosion pop nucléaire. Ils mixent Phil Spector et Brian Wilson. Avec «It’s Me», ça vire un brin Brazil. Brewer chante au génie pur, il chante une pulpe de dieu pop et «Dawn» coule comme une fantastique gelée de groove liquide. Brewer transforme le plomb de chaque chanson en or du temps. Avec «Say You Will» il fait la pop des jours heureux. On se pose la question en permanence : mais d’où sortent des gens aussi doués ? Avec «Look To The Horizon», il foncent dans le wall of sound, mais avec des dynamiques de genius all the way. Ces mecs rivalisent de grandeur avec Phil Spector. Ils tapent en plein dans le mille, look to/ The horizon, ils malaxent le heavy genius d’harmonies vocales et Brewer ramène sa voix de belette avariée dans le groove des dieux. On assiste là à l’incroyable réinvention du génie sonique de Phil Spector.

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    Il existe dans le commerce deux autres albums des Explorers, Freedom Wind qui date de 2008 et Grand Hotel paru en 2012. On pourrait presque considérer le premier comme un album des Beach Boys, car oui, ils sont dedans jusqu’au cou - We could last forever/ But baby don’t you cry - Jason sait emmener une équipe d’aspirants Beach Boys jusqu’au firmament. Ils sont en pleine Wilson-mania. Ce n’est que leur premier album et on sent déjà qu’il faut attendre des miracles. Alors justement, en voilà un : «Lost My Head» - I lost my head/ Under the sunshine/ Thinking of you - En plein dans Smiley Smile avec du banjo et ça continue avec «Do You Love Me», véritable flambée de bonheur sonique, Jason y va franco de port, il a tout étudié, il sait exploser au moment opportun avec des tambours noyés dans le wall of sound. Ils repartent en mode Bibi Sound avec «Hold Me Tight», bien rocky avec du smooth de ooh-ooh et des pointes de chant démentes à la Brian Wilson. Power absolu ! Jason s’y croit et il a bien raison de s’y croire. Il reste dans le Bibi Sound avec «Last Kiss» et termine cette cavalcade insolente avec un morceau titre qui n’a plus rien à voir avec le Bibi Sound, puisqu’il s’agit d’une pop brewerienne chantée et jouée à l’outrance de l’outrecuidance.

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    Par contre, Grand Hotel est un album très différent. Jason va plus sur Burt, il propose avec la bossa de «Run Run Run» une leçon d’aisance qu’on apprécie en ces temps atrophiés. Il propose ensuite de la pop de rêve avec «Anticipation». Une certaine Krista Brewer vient mettre son petit grain de sel et «Bluebird» conjugue chaleur et grandeur, avec tout ce qu’on aime en plus, le beat rapide qui vivifie la peau et qui rend amoureux. Jason éclate son «Go For You» au sommet du refrain et plus loin, il chante «It’s You» à la glotte devenue folle - I just want to stay/ Stay by your side - Comme toutes les bites d’ailleurs, elles veulent rester. Jason fait du collant supérieur, un collant doo-woppy digne des Flamingos. Il fait un instro de dream come true avec «Acapulco (Sunset)» et il envoie toute sa sauce dans «Summer Days Summer Nights». Question sauce, il n’a plus rien à apprendre de personne. Il fait du Burt à l’état pur. Et ça se barre en routine de jazz sixties. Il termine cet excellent album avec le Spectorish «Open The Door». Ces mecs ne se refusent aucune grandiloquence. Ça pourrait ressembler à du faux Spector, mais c’est du vrai, pas du toc.

    Signé : Cazengler, Jason Bouilli

    Explorers Club. Freedom Wind. Dead Oceans 2008

    Explorers Club. Grand Hotel. Rock Ridge Music 2012

    Explorers Club. Together. Goldstar Recordings 2016

    Explorers Club. The Explorers Club (Original Album). Goldstar Recordings 2020

    Explorers Club. To Sing And Be Born Again. Goldstar Recordings 2020

    Andy Morten. Old Friends. Shindig # 56 - May 2016

    Andy Morten. Leave no stone unturned. Shindig # 97 - November 2019

     

    Looking for a Kris  

    Part Two

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    Et vrooom badabooom, Kris Needs remet le turbo en route pour le volume 2 de son 1969 Revisited. Même délire, même profusion, même tarif, un nouveau shoot de 200 pages brûlantes de passion et grouillantes d’infos. À tel point qu’on se demande comment il a fait à l’époque pour écouter autant de choses, et ce ne sont pas des petits disques de branleur, jugez-en par vous-mêmes : Sun Ra, Bowie, Roberta Flack, les Stooges, Love, Can, Mott, Van Der Graaf, Tim Buckley, Moon Dog, Albert Ayler, Pearls Before Swine, Spirit, Syd Barrett, les Last Poets, Graham Bond, Buffy Sainte-Marie et les Deviants. Ptooof ! Intello le Kris ? Non il a le rock dans la peau, et qui dit rock dit curiosité. Le rock t’aide à traverser les frontières. Pas de rock sans exploration de terres inconnues, pas de rock sans découvertes révélatoires. Comme le volume 1, ce volume 2 n’est fait que de découvertes révélatoires et d’hommages à sa trilogie suprême : Keef, Syd & Jimi. Une trilogie suivie de près par une autre trilogie toute aussi suprême : Bowie, Bond & Ra. Rien qu’avec les pâtés qu’il fait de ces deux trilogies, on frise l’indigestion.

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    Tous ses lecteurs et toutes ses lectrices vont se poser la même question : qu’est-ce qui fait la force de ce book en deux volumes ? La réponse est simple : l’idée. Son idée consiste à prendre l’une des années les plus prolifiques de l’histoire du rock, à inventorier les albums qui l’ont marqué et à étoffer cette rétrospective de larges pans autobiographiques. Needs ne s’est pas contenté d’écouter les disques et d’aller voir les concerts, il s’est aussi arrangé pour faire de sa passion un métier qui allait lui permettre de rencontrer les gens qu’il admirait tant. C’est aussi simple que ça. Après, la difficulté, c’est de savoir maîtriser le bal des affinités électives pour ne pas fréquenter n’importe qui et écouter n’importe quoi. Ces deux books n’ont d’intérêt que par la qualité des gens et des albums évoqués. Comme tous les gens qui ont grandi avec Hendrix et les Stones, Needs ne s’éparpille pas. En 1969, il réussit l’exploit de ne pas commettre une seule faute de goût. Ce qui ne l’empêchera pas d’en commettre plus tard, en allant patauger dans l’electro et le m’as-tu-vu du sex & drugs d’Ibiza.

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    Avant d’entrer dans le vif du sujet, saluons le styliste qui se cache en Needs. Il est capable de vif-argent. La bonne musique qu’il écoutait le dopait : «Avec le recul, il apparaît qu’un espèce de phénomène planétaire surnaturel tissait à l’époque des liens étranges entre le jazz, Woodstock et le Krautrock. C’est tellement vrai que dans ce chapitre, je vais aborder Love et l’un de mes albums préférés de tous les temps. Attachez vos ceintures, mettez un casque et let’s go !». C’est vrai que certains chapitres frisent l’hystérie. Needs travaille une langue de flash, car comme Nick Kent, il a compris qu’il fallait façonner un langage pour parler du rock. Il reformule à un moment sa vocation : «Mon activité n’a pas été très lucrative, elle a connu des hauts et des bas, mais quelques décennies après avoir quitté un confortable job de journaliste local, je peux reprendre à mon compte la fameuse phrase de Lou Reed : ‘My weak beats your year.’» Dans son hommage aux Deviants et à Mick Farren, Needs brûle aussi la stylistique par les deux bouts : «En remettant en cause l’ordre établi et en établissant les fondations de la contre-culture, les hippies ont plus choqué la société que ne l’ont fait les punks. Ils furent les premiers à incarner la rébellion (en prenant des drogues plus puissantes et plus intelligentes). Dans les années 60, ils innovaient, créant plus de shock horror que n’en créa jamais l’Anarchy tour.» De là, Needs fonce droit sur Ladbroke Grove, le bastion des Deviants : «Pour un teenager comme moi qui bouffait du weekly tabloid et du fanzine, Ladbroke Grove était un quartier chargé de mystique toxique où des créatures exotiques se livraient à des activités inimaginables sur fond de heady psychedelic soundtrack et de harcèlement policier.» Ces quelques phrases résument à merveille le mystère qui entourait l’art subversif des Deviants. C’est vrai qu’on était quelques-uns à être fascinés par les Mystères de Labroke Grove. Needs rivalise ici d’excellence avec Eugène Sue. Il poursuit sur Farren : «Farren était l’agent provocateur de cette scène, il vantait plus les charmes du combat de rue que ceux du peace and love. En août 67, le DJ Jeff Dexter taxa des Deviants de punk rock band.» Needs établit un parallèle entre les Fugs dont il évoque longuement les charmes dans le volume 1 de 69’ Revisited et les Deviants, «qui sortaient de squats insalubres pour monter dans des vans tout pourris», qui organisaient des concerts gratuits pour y insulter ouvertement le pouvoir britannique. Needs ajoute qu’après avoir été viré des Deviants pendant une tournée américaine, Farren enregistra Mona And The Carnovorous Circus, écrivit des chansons pour Motörhead (& Wayne Kramer) et finit par atterrir au NME. C’est là que Needs fit sa connaissance, «trundling about drunk with a seen-it-all smile», c’est-à-dire traînant bourré dans le coin avec le sourire d’un homme qui a tout vu.

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    Bien sûr, ce qui compte le plus pour Needs, c’est de rappeler son appartenance à un monde précis. Alors il affûte son meilleur style pour flasher sa pensée : «N’oublions pas ceci : Rod était là avant Bowie avec ses épis sur le crâne et nous encourageait tous à faire quelque chose d’intéressant de nos coiffures alors abondantes. Les barbes restaient l’apanage des folkeux. Grâce à Rod, les vestes en satin de Kensington devinrent nécessaires. À ce point de ma réflexion, je réalise que tous mes héros sortaient de l’ordinaire : à commencer par Keith, Jimi et Syd, puis Mott et Rod, et bientôt Bowie. C’est la raison pour laquelle je ne pouvais pas faire partie de la foule des anonymes, tous ces gens ordinaires qu’on voit passer dans la rue habillés de vêtements de sport et coiffés comme tout le monde. Même encore aujourd’hui, je ne pourrais pas.»

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    Alors justement, les héros, parlons-en. Tiens à commencer par le héros Syd. Needs rappelle que Syd n’a pas supporté the sudden pop stardom et que bien sûr l’acide n’a rien arrangé, «scorching the inner circuits in his already fragile mind». Needs cite Jenny Fabian, une groupie célèbre : «On ne sait pas ce qui a réellement détruit sa créativité, les drogues ou bien une décision qui l’a stoppé net, car il ne voulait pas faire partie du cirque.» Needs rappelle ensuite que Roky Erickson, Sky Saxon et Skip Spence ont connu le même sort. Dommage qu’il oublie de citer Ace Kefford des Move, qui buvait lui aussi l’acide au goulot. Et comme il l’a déjà fait pour Shindig!, Needs repart en virée dans la légende de Syd, rappelant qu’à l’origine, Roger Waters et lui parcouraient la campagne anglaise en mobylette, partageant «similar interests in rock’n’roll, danger, sex and drugs». Ça ne s’invente pas. À l’été 65, le LSD - the heaven and hell drug - était encore légal et Syd se payait de beaux voyages dans l’inconnu. Il écrivit des choses comme «Arnold Layne» et «See Emily Play» qui fascinaient Pete Brown : «I suddenly saw that I didn’t have to be Transatlantic.» Eh oui, Syd inventait un certain rock anglais. Pour Pete Brown, Syd était un génie : «Lyrically, he was a genius. The rhymes are clever and the technique really fucking good.» La succès arriva et Syd s’installa au fameux 101 Cromwell Road, où l’acide, nous dit Needs, coulait à flots. La première à remarquer un changement chez Syd, ce fut Jenny Spires, une ancienne copine. Mais la machine se mettait en route, rien ne pouvait plus l’arrêter, le Floyd grossissait trop vite et Peter Jenner forçait Syd à entrer en studio, mais Syd résistait et se plaignait : «I don’t want to be a pop star !». Hélas, une tournée américaine s’ensuivit, avec Jimi Hendrix, les Move, Nice et Outer Limits, mais comme certains soirs Syd ne voulait pas ou ne pouvait pas jouer, Davy O’List le remplaçait sur scène. Jenny raconte que cette tournée a complètement ratatiné Syd, physiquement et mentalement. En 68, David Gilmour fut embauché comme roue de secours. C’est en janvier 68 que le Floyd partit jouer en concert en oubliant d’aller prendre Syd chez lui - Floyd elected not to pick Syd up for a gig and embarked on their rise to world domination with a different guitarist - Après on s’étonne qu’on n’aime pas le Floyd post-Syd. En matière de rock, la mentalité est plus importante que la musique. Et Needs ajoute en guise d’épitaphe de fayotage qu’à la différence de Brian Jones qui avait été purement et simplement éradiqué, Syd est toujours resté une sorte de cinquième Floyd. Tu parles Charles.

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    Needs profite d’un coup de projecteur sur la tournée Ya-Ya’s Out des Stones pour rebalancer un sacré portrait de Keef : «C’est là que démarre le culte de Keith. Il semble avoir vieilli de dix ans depuis 67, in a good way. Coiffure en épis, penditif à l’oreille, dents pourries, le regard soit brillant soit éteint d’un mec qui sort du lit pour livrer le plus grand match de sa vie. Le magazine Rolling Stone dit qu’il ressemble à une pute du Bronx. Il porte généralement ce haut rouge de Nudie à paillettes et un T-shirt Marylin Monroe, et il joue sous les lignes de blues bien propres de Mick Taylor ses accords en open tuning, as the ultimate rhythm guitarist.» Dans la partie Records de ce volume 2, il salue Let It Bleed de manière spectaculaire : «Le rock n’a jamais sonné aussi décadent, aussi irrespectueux et en même temps aussi révélateur pour les marginaux, les rebuts de la société et les aspirants freaks en quête de lien spirituel.» Needs dit aussi qu’il a vu les Stones 30 fois en 46 ans et son concert préféré reste celui de Brixton Academy en 1995. Il conclue son hommage aux Stones avec cette belle tirade : «Il existe des modèles bien pires que Keith Richards. En vieillissant, il ne perd rien de sa sagesse, de son humour et de sa passion pour la musique. Il ne perd rien de son côté edgy et de l’impressionnante force de sa personnalité. Les Stones continuent, moi aussi, en dépit de ce que peut nous réserver la vie.»

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    Dans le fourmillement des hommages, voilà qu’apparaît Tom Rapp et ce groupe qui tailla une belle croupière à la postérité, Pearls Before Swine. Needs rappelle qu’il explorait alors les bacs de disques exotiques à Kensington Market. Ces deux albums des Pearls l’intriguèrent car ils sortaient sur le label des Fugs et de Sun Ra. Le seul moyen de savoir comment ils sonnaient était de demander au vendeur une écoute au casque, ce qu’il appelle a headphone blast. «Voilà comment j’ai écouté Pearls Before Swine pour la première fois et ça a bouleversé ma vie. Je n’étais plus le même. C’est là que ce groupe et le label ESP ont occupé une place de choix dans ma cervelle, place qu’ils occupent toujours aujourd’hui, me ramenant chaque fois que nécessaire au temps où je fouinais dans les bacs mystérieux en quête de nouvelle découvertes.» Needs ajoute que les Pearls ont inventé l’acid-folk. Tom Rapp dit qu’à l’époque il venait de lire un article sur les weird groups dans un magazine de cul (dirtier than Playboy) et qu’il avait flashé sur l’histoire des Fugs. Comme les Fugs enregistraient sur ESP-Disk, il pensait qu’il pourrait lui aussi y enregistrer un disque. Ils sont donc montés de Floride à New York, ont dormi chez les parents de Bernard Stollman, dans l’Upper West Side, et ont enregistré leur premier album à Impact Sound avec Richard Alderson en quatre jours. Sans Richard, nous dit Rapp, il n’y aurait jamais eu de Pearls. «Il avait travaillé avec Dylan et avait été son ingé son pour ses tournées anglaises des mid sixties. Quand on est arrivés à New York, il travaillait avec Sun Ra et les Godz, aussi était-ce l’endroit idéal pour faire un album.» Needs ajoute que les albums de Pearls proposaient des balladifs «qui lui tiraient le tapis sous les pieds». Il va même jusqu’à dire que «The Man In The Tree» (sur These Tings Too) lui coupe le souffle, car c’est trop beautiful. Il indique aussi que The Use Of Ashes est l’un des plus beaux albums jamais enregistrés. Needs parle des Pearls comme d’une obsession.

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    Une obsession en engendre toujours une autre, c’est bien connu. Alors il file droit sur Albert Ayler. «Son brûlant silent scream est à mes oreilles aussi vital que les soul-wrenching pyrotechnics de Jimi Henrix, les poignards glaciaux de Miles Davis, les torrents fabuleux de John Fahey ou le puissant grondement de Captain Beefheart.» Pour Needs, le génie d’Albert consiste à injecter dans le même temps la joie et la douleur extrême, selon ce que l’auditeur va entendre. Il fut ajoute-t-il le messager le plus féroce du ghetto et du free, celui qui menait la charge - Et aucun coup de sax n’était aussi puissant que le sien, un honk craqueur de murs qui arrive comme une marée de raw intensity - Needs cite Max Roach : «Politiquement, je vois des gens comme Leroy Jones, on peut qualifier John Coltrane d’esprit révolutionnaire, but Ayler was the man.» Val Wilmer ajoute : «Ayler was the Great Black Music personified.» Needs ose aussi de sacrés parallèles : «En tant que réponse jazz aux Sex Pistols, Ayler a lui aussi subi l’hostilité des critiques qui se plaignaient de son côté agressif et de la violence de sa provocation.» Et là, Needs se fend de l’un ces passages dévastateurs dont il a le secret : «Son jeu n’avait rien perdu de sa force, comme on le voit en janvier 69 lorsqu’il monte sur scène au New York Town Hall avec brother David to unleash fire-storms of rampant cross-currents, swooping around magisterial fanfares like a flock of invading wild birds clutchning the critics’ foreskins in their beaks.» Wow ! Les mots parlent d’eux-mêmes, pas besoin de traduire. Les mots crépitent. Needs crache le feu, au moins autant que son copain Albert.

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    Et hop, il repart de plus belle avec les Groovies, une autre October obsession : le voilà en tournée européenne avec les Groovies et il voit the most excitingly joyous gigs qu’il ait jamais vu, possibly the closest I’ve encoutered to rock’n’roll purest unfettered essence, en gros il dit que les Groovies incarnaient la plus pure des essences du rock’n’roll. Il cite Dickinson s’adressant aux Groovies : «You guys are the real THANG !», au moment bien sûr de l’enregistrement de l’album Teenage Head dont Needs s’éprend à la folie, comme nous tous d’ailleurs, à cette époque. Needs a des bons souvenirs de Cyril : «Quand il me passe un joint qu’il appelle a Thai stick, je tire dessus j’ai aussitôt l’impression de m’écraser dans un cerebral crash barrier, en plein dans l’ovale blanc entouré d’étoiles d’un Dr. Strange comics.» C’est son premier interview, et pendant une demi-heure, il est incapable de sortir un seul mot, tellement il est stoned. Par chance, son ami Peter Frame qui assiste à l’interview vole à son secours et pose les questions. Cyril parle de Shake : «Ce phrasé descendant que je joue dans Shake Some Action est overdubbé six fois. Dave Edmunds aime bien disposer des micros dans le studio, pour étoffer certains passages. Je te le dis mec, le son de cet album knocks me out.» Needs adore voir les Groovies répéter - among the most jaw-dropping musical experiences of my entire life - lorsqu’il entend les guitares monter comme la marée dans «19th Nervous Breakdown» et qu’il voit Cyril conduire l’assaut des Groovies avec un rare plaisir de jouer.

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    Needs flashe aussi sur Moondog, le vieil aveugle coiffé d’un casque viking qu’on voyait chanter à une époque dans les rues de Manhattan. S’il porte un casque viking, c’est surtout pour se protéger le crâne des enseignes métalliques dans lesquelles il se cogne parce qu’il ne les voit pas en marchant. S’il est un personnage légendaire dans l’histoire de la scène new-yorkaise, c’est bien Moondog. Needs ne pouvait pas le rater. D’autant que Moondog est un pote à Charlie Parker qui à une époque s’arrêtait dans la rue pour causer musique avec lui. Moondog a toujours vécu selon ses propres règles, et ce depuis les années 40. Les sixties n’eurent aucune prise sur lui. Il était libre bien avant le free love and drugs and protest qui allait arriver dans les rues avec les sixties. En 69, Needs s’éprend de l’album Epic - Si une chanson me ramène à ma chambrette de 1969 et à mes émotions adolescentes, c’est bien «Symphonique #3 Ode To Venus» - Needs parle d’une vision unique. Alors faut-il se fader l’Epic de Moondog ? Chacun fait ses choix et chacun cherche chon chat.

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    Avec Spirit, Needs entre dans un nouveau monde magique. Spirit, ce n’est pas de la tarte. Comme chez Soft, tout repose sur un jazz genius. Cette fois ce n’est pas Robert, mais Ed Cassidy, un batteur de jazz qui a accompagné Art Pepper, Cannonball Adderley, Zoot Sims, Dexter Gordon, Roland Kirk, Lee Konitz et Gerry Mulligan. Pire encore, il a fait partie des Rising Sons avec Taj Mahal et Ry Cooder, un groupe qui faillit devenir mythique et qu’il dut quitter après s’être cassé le bras. L’autre mamelle de Spirit, c’est bien sûr Randy California. Randy rencontre Jimi Hendrix au Manny’s Music Store, à New York, lors d’un séjour de vacances avec ses parents. C’est la première d’une longue série de connections hendrixiennes dans ce volume 2. En 1966 Randy et Jimi jouent pendant quelques mois ensemble au Café Wha?, jusqu’au mois de septembre, lorsque Chas Chandler embarque Jimi à Londres. C’est Jimi qui baptise Randy Wolfe Randy California. Il veut que Randy vienne avec lui à Londres, mais les parents du petit Randy s’y opposent et Chas Chandler fait la sourde oreille car il a déjà des plans précis concernant Jimi. Quand il rentre chez lui en Californie, Randy monte Spirit avec Ed. Le nom du groupe vient du roman de Khalil Gibran, Spirits Rebellious qu’ils réduisent à Spirit. Le groupe s’installe dans la fameuse Yellow House de Topanga Canyon où vit John Locke. C’est Jan Berry qui les repère et qui met Lou Adler sur le coup. Les voilà signés sur Ode Records, le label d’Adler. Ils enregistrent leur premier album et sont choqués de découvrir qu’Adler a rajouté des violons et des cuivres sans leur demander leur avis. Bientôt Randy commence à se goinfrer de coke et de LSD. Il est assez fragile de constitution mentale, mais ça s’aggrave lorsqu’il tombe un jour de cheval. Pouf sur le crâne. Fracture. Il se réveille à l’hosto et continue de se goinfrer d’acide. Needs nous ressort le fameux épisode de la tournée anglaise, lorsqu’il croise un Randy au regard fou et torse nu dans le hall de Friars. Plus tard dans son Spirit panygeric, Needs salue le fameux double Spirit Of 76, schizophrenic, eccentric and often fried qu’il taxe dans la foulée de one of the great overlooked works of the 70s et il a raison, il parle même d’un epic ‘Like A Rolling Stone’ that shimmers lile a water-rat’s rump romping in the swamp. Randy y rend aussi hommage à son copain Jimi avec «Hey Joe» et à Keef avec «Happy».

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    Nouvel éclat en société avec les Last Poets, formés à Harlem en 68 - Calls for action on bare conga beats - Alan Douglas qui avait entendu parler des Poets les chercha, les trouva et leur proposa d’enregistrer un album, le fameux The Last Poets - Our combined ages were a hundred years so you were listening to a hundred years of oppression, being spat out like a snake spits out venom, Jalal told me - Nouvelle connexion hendrixienne : Jimi vient jouer 13 minutes de liquid funk, ajoute de la basse et Buddy Miles de l’orgue. En fait, Jimi souhaite resserrer ses liens avec la communauté noire de Harlem, mais il n’en aura guère le temps. Jalal Mansur Nurridin of the Last Poets : «Hendrix essayait de renouer avec ses racines. Il devait le faire. Il n’avait plus de contact avec son peuple. Il se l’était aliéné. À cause de sa popularité auprès des blancs. Quand je l’ai rencontré, il m’a dit qu’il appréciait ce que faisaient les Poets, mais il ne voulait pas non plus renoncer à son statut de black rock star. Il se sentait coincé. Son regard criait help. On s’est serré la main comme ça (high five fingers acrobatics), tous les brothers savaient le faire, mais pas lui, alors je lui ai appris à le faire.» Needs entre dans le détail de l’histoire compliquée des Last Poets et jongle avec tous ces noms impossibles à mémoriser. Mais il insiste sur les racines politiques du groupe. C’est un activiste sud-africain nommé Keoraptse Willie Kgositile qui déclara : «Guns and rifles will take the place of poems and essays, therefore we are the last poets of this age.» Le nom du groupe vient de là. Dans une pizzeria, Jalal Mansur Nurridin déclara aussi à Needs que la pizza n’était pas une nourriture pour l’esprit, aussi n’en mangeait-il pas - Ces gens sont dans le show business. Nous ne sommes pas dans le show-business. We show, c’est notre business. Nous éclairons, nous ne divertissons pas (To enlighten, not entertain).

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    Puisqu’on est dans les activistes, restons-y avec Buffy Sainte-Marie et Nina Simone auxquelles Needs rend un fier hommage - En termes d’esprit de 69, personne ne l’a incarné avec autant de férocité que Nina Simone - Il enchaîne directement sur Buffy pour rappeler que son album Illuminations était tellement en avance sur son temps qu’il ne pouvait que flopper. Il rappelle aussi que Buffy était une militante de la cause indienne, ce qu’on a tous tendance à oublier. Au temps du Président Johnson, elle figurait sur la liste noire des gens à éliminer. Mais rassurez-vous, Buffy est toujours là, bien vivante et elle continue de militer et même d’enregistrer. Dommage que Needs ne parle pas de son dernier album Medecine Songs paru en 2017.

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    Et puis on retrouve bien sûr Graham Bond, une autre obsession récurrente. En 68, il est allé enregistrer Love Is The Law aux États-Unis. C’est aussi l’époque où nous dit Needs, «Magick a remplacé le smack en tant qu’obsession de base, mais comme c’est dans sa nature, il pousse son obsession à l’extrême. Il porte des robes et des accessoires cérémoniaux.» Needs cite Peter Brown : «Quand les gens décrochent d’une addiction, ils doivent la remplacer par une autre. Graham était un homme très intelligent, mais sans éducation, et donc il tomba dans certains pièges. Je veux dire qu’en gros, the magic thing ne lui a pas fait de cadeaux.» Needs dit aussi qu’il vit Bond sur scène à Friars lors d’une Christmas Party et que c’est resté l’un de ses meilleurs souvenirs de concerts. Il décrit ensuite le Behemot à l’œuvre, son elemental thunder d’orgue Hammond doublé de brute-force virtuosity, d’alto sax et de powerhouse Ray Charles shout. Pour les ceusses qui ne le connaissent pas, il est vivement conseillé d’écouter le coffret 4 CD intitulé Wade In The Water, paru en 2012. Enormous charisma, authentic R&B, masters’s energy and Hammong onslaughts. Needs a tout dit. Il conclut avec l’épisode de la mort de Bond, sous le métro, à la station Finsbury Park. Suicide ? Pete Brown pense qu’on l’a poussé. Soit des sinister magick acquaintances, soit des drug dealers. Allez savoir.

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    Dans le tourbillon de 69 glougloutent aussi les noms de Van Der Graaf Generator et d’Isaac Hayes, de Can et de Silver Apples. Avec le Graaf, on passe au prog, mais quel prog, baby ! Needs a raison de dire qu’à l’époque ils passaient pour des wild outsider outlaws - One shronk from VdGG could reduce arrogant narcissist Phil Collins to hamster’s genitals dimensions if he wasn’t already - Et pouf, en pleine poire. Needs règle ses comptes. Il entre ensuite dans le vif du sujet avec le songwriting genius of Peter Hammill - le seul homme qui puisse conduire leur thermonuclear assault - Needs parle aussi de rare intensity, de possession, d’un psych-saxist David Jackson qui soufflait dans ses deux sax - alto et tenor - comme son héros Roland Kirk. Alors oui. Needs parle aussi de whirling cataclysm - Certains soirs, Van Der Graaf was heavier than any other group on the planet (et on avait vu the comedy metal of Black Sabbath) - Ainsi commença dit Needs my lifelong love of all things Van Der Graaf, particularly Hammill, qu’il interviewa à plusieurs reprises, au cours de sa carrière solo, alors qu’il enregistrait des albums qu’il qualifie d’emotional diaries or self-exorcising blasts. Là aussi, il y a du boulot, car c’est une discographie tentaculaire. Hammill continue d’enregistrer des albums, année après année, après avoir miraculeusement survécu à un fatal stroke.

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    Pour évoquer le génie d’Isaac, Needs cite les Stones qui transformèrent la black music en white rock et Jimi Hendrix qui emmena ensuite ce white rock à un niveau jamais égalé depuis. Isaac fit exactement la même chose avec la Soul, qu’il retourna upside down avec Hot Buttered Soul. Il créa un truc qui n’existait pas, making the music EPIC, avec son anguished crooning against lush orchestral backdrops. Mais Isaac nous dit Needs fut surtout un loud civil rights figurehead et sut se fabriquer un look de proud macho avec sa superbad image of bald head, shades, hefty gold chains and floor-length furs. Après le succès de son «By The Time I Got To Phoenix», il fit subir au «Walk On By» de Burt le même sort au studio Ardent. Needs ne tarit plus d’éloges sur Isaac : «Along with Roberta Flack, Ike had changed the face of black music et depuis, l’un des mes passe-temps favoris est de m’allonger and let him work his unique brand of magic.»

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    Pour célébrer la grandeur de Can, Needs donne la parole à Irvin Schmidt : «Pour moi, la musique moderne, c’est Stravinsky et Jimi Hendrix. Ils ont créé un nouvel instrument. Pareil avec Can, on a créé un nouvel instrument. Le synthétiseur n’était pas encore un instrument, alors j’ai dû le créer.» Il ajoute que Can était un compositeur fait de quatre ou cinq individus et ils choisirent le nom de Can comme acronyme pour Communism, Anarchism and Nihilism. De Can à Simeon, il n’y a qu’un pas et Needs redit bien haut son admiration pour lui : «Simeon is one of the most important innovators to emerge in the last century.» Et pouf, il annonce qu’il a commencé la rédaction d’une biographie de Simeon Coxe. Donc bientôt des nouvelles des Silver Apples. Chouette !

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    1969 est aussi l’année d’Edgar Broughton Band et du fameux «Out Demons Out» qui a révolutionné plus d’une piaule de collégien. Needs eut la chance de le voir sur scène à l’époque et de crier Out Demons Out en chœur avec eux - up to twenty minutes of unadulterated mayhem - Il salue aussi the quiet revolution of Roberta Flack dont l’album First Take ne fit pas grand bruit à l’époque. Côté disques, ça n’en finit plus de grouiller dans tous les coins : Needs ramène à la surface le Steve Miller Band (Brave New World), les Blossom Toes (If Only For A Moment), Fairport Convention, bien sûr (Unhalfbreaking), le jazz-tinged psychedelic boogie d’Al Wilson et de Canned Heat (Hallelujah). Cette volonté d’embrasser l’extraordinaire profusion d’albums parus cette année-là fait de Needs une sorte de Victor Hugo du rock, il y a quelque chose de tutélaire et d’irrépressible en lui, on peut même parler d’un prodigieux état de possession. Il brasse encore d’autres chefs-d’œuvre comme le Blues Obituary des Groundhogs, le New York Tendaberry de Laura Nyro, le Volume Two de Soft Machine, le Caravan de Caravan, le Green River de Creedence. Mais il y aussi This Was de Jethro Tull, Nice et Peter Green, on n’imagine pas cette avalanche d’albums passionnants, tiens comme le premier King Crimson que salue Needs - rampant guitar solos scream all over you - les Charlatans de Mike Wilhelm, le Renaissance de Keith Relf et l’implacable Hot Rats de Frank Zappa où se niche le «Willie The Pimp» du old mucker Beefhart on scabrous vocals. Needs cite aussi Doris Duke, le Paul Butterfied Blues Band et l’excellentissime Monster de Steppenwolf. Arrggh ! N’en jetez plus, mais si, Kevin Ayers (Joy Of A Toy), Manfred Mann Chapter Three (like Dr John hoodoo meets Graham Bond), le Ballad Of Easy Rider des Byrds, le Scott 4 de Scott Walker, Led Zep 2 et le Volunteers de l’Airplane. Rien qu’avec tous ces disques, on a la discothèque idéale de 1969. Le pire, c’est qu’il en cite encore d’autres, alors on fait comme on peut pour suivre.

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    Needs consacre aussi pas mal de place à Tim Buckley. Il parle de lui en termes d’unmatched musical spontaneity, de freedom organically structured from within by creative brillance, de fluid and flexible rhythms, de vivid sonic tapestries, de fierce emotional climates, de rushing river-rage of inspired creative energy. Tout le langage du feeling et de l’élégiaque y passe. Neels met la pression en permanence. Dans le feu de l’action, il cite Bruce Botnick qui dut interrompre son travail avec Love et les Doors pour enregistrer les trois albums Elektra de Tim Buckley : «Le talent de Tim était incontrôlable.» Needs reprend la barre dans la tempête des élégies : «Sur ‘Lorca’, Tim utilise ses cinq octaves pour franchir des limites du freedom catharsis (inspiré par le travail de Luciano Berio et de la cantatrice Cathy Berberian), sur fond du sinistre pianotis à la Herbie Hancock de Ian Underwood et de l’encore plus sinistre pipe organ de Balkin.» Incapable de se calmer, il ajoute que «Cafe» (sur Blue Afeternoon) est certainement le plus beau balladif de tous les temps - Je l’ai écouté des centaines de fois, généralement le matin très tôt et chaque fois je flotte dans la rêverie intemporelle de Tim - Flotte mon gars ! On flotte avec toi. Alors il nous sort la botte de Nervers en nous rappelant - et il a raison de le faire - la connexion Buckley/Rotten : en 1977, Johnny Rotten créa la sensation lorsqu’il fut invité par Tommy Vance sur Capital Radio pour présenter les disques qu’il aimait bien. Il proposa «Sweet Surrender» de Tim Buckey, mais aussi des cuts de Peter Hammill, Can et Captain Beefheart. Ça éclaira pas mal de lanternes à l’époque.

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    Pas de 1969 sans les Stooges, forcément. On s’étonnait de ne pas les voir dans le volume 1. Pas de problème, le gars, les voilà. Les Stooges arrivent en August, c’est-à-dire au chapter eight, it’s 1969 Okay, c’est d’ailleurs le mois où il recommande d’attacher sa ceinture. Il sort son meilleur vocabulaire pour les saluer : basic, bludgeonning and nihilisitic, il parle ensuite d’une obvious influence sur les Sex Pistols, de punk rock prototype, hell yeah - À la différence de leur big brother band le MC5, les Stooges n’avaient pas l’intention de démarrer une révolution sauf peut-être dans leurs futals - Et vroarrrrrr, il fout le turbo : «Les Stooges n’ont fait que ce qui leur venait naturellement, Iggy lâchait le dirty dog sur les inhibitions, Ron Asheton injectait son amour du raw agressive slash des Who dans son merciless behemot churn, la matraquage de son frangin Scott avait remplacé ses tambours du bronx et Dave Alexander complétait le chaos avec son malovelant rumble.» Needs s’encanaille avec les Stooges, il doit se montrer à la hauteur des deux chantres éternels de la stoogerie que sont Yves Adrien et Nick Kent, alors il redouble de violence syntaxique. Mais il en fait peut-être un peu trop lorsqu’il traite les Stooges d’adultes lobotomisés qui auraient enregistré une relique intouchable, a primitive blast from the teenage underbelly. Mais il a raison d’affirmer que ce premier album des Stooges out-rockait tout ce qui était sorti cette année là.

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    Il démarre ce volume 2 en rappelant qu’il fête ses quinze ans le 3 juillet 1969. C’est le jour que choisit Brian Jones pour casser sa pipe en bois. À cet âge, Needs n’a encore aucune idée de ce que signifie la mort, death is a stranger, dit-il. Mais il va vite apprendre : Jimi Hendrix allait casser sa pipe en bois peu de temps après son 16e anniversaire, et corne de bouc, Jim Morrison allait casser la sienne de pipe en bois le jour de son 17e anniversaire. En guise d’épitaphe, Needs déclare : «The death of a Rolling Stone was a tough one to handle.» C’est vrai que pas mal de petits mecs au lycée ont porté le deuil aux trois époques. Un peu plus tard, on est même allés avec le frangin se recueillir au Père Lachaise sur la tombe de Jimbo qu’on vénérait à en perdre haleine. Needs rappelle aussi l’infamie du concert gratuit de Hyde Park, où Jag lut un poème de Shelley en mémoire du pauvre Brian Jones tout juste éradiqué du groupe qu’il avait fondé, et symboliquement, les papillons lâchés à ce moment-là tombèrent comme des mouches dans le public. Needs appuie encore là où ça fait mal en épinglant les percussionnistes africains qui transformèrent «Sympathy For The Devil» en pantomime d’Uncle Tom - There was Marianne, looking like a ghost - Oui, on se souvient que Marianne Faithfull était une proche de Brian Jones et qu’elle n’avait pas une très haute idée de Jag qui fut aussi son fiancé.

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    Alors Jimbo le voici - Qu’est-il donc arrivé aux Doors qui semblaient être le groupe parfait quand ils apparurent, avec ce jazz impulse on acid alors qu’ils emmenaient le rock’n’roll dans des régions imaginaires inexplorées et mystérieuses, guidés par leur beautiful shaman charismatique. Les Doors furent les premiers à incarner les profonds changements de société aux États-Unis et le volatile mood qui régnait dans les rues, tout en se faisant passer pour des cool pop stars - Needs voit le premier album des Doors comme un bond en avant, avec ses paroles évocatrices, les pop songs intelligentes et ce qu’il appelle the studio-combusted sonic expression. Needs donne la parole à Ray Manzarek pour décrire ce phénomène unique que furent les Doors : «Oui, il est possible qu’on soit tombés du ciel. Robby Krieger joue aussi bien le flamenco que le rock’n’roll avec ses doigts. Il peut aussi jouer du bottleneck comme il le fit au temps de son jug-band. Puis tu as ce keyboard player qui vient de Chicago, avec des blues roots mais qui a aussi étudié la musique classique et qui est fan de jazz. Tu mélanges cette sombre âme slave au jeu vipérin de Robby Krieger et tu ajoutes à ça John Densmore, un batteur de jazz. Pour finir, tu injectes un Beat-French symbolist, southern gothic poet capable de chanter des textes très très très intéressants et voilà le travail. Comment a-t-on sorti ce son ? Y’know sometimes magic does happen.» Ray y croit dur comme fer à la magie. Au début, Les Doors n’avaient pour seule ambition que d’entrer en concurrence avec Love qui régnait sur Sunset Strip. Needs rappelle aussi que «The End» a récupéré son monologue œdipien un soir d’août après de Jimbo eut ingéré quarante fois la dose normale d’Owsley acid. Les Doors furent virés du Whisky A Go Go mais signé par Jac Holzman sur Elektra, sous la pression d’Arthur Lee. Le destin des Doors est aussi inséparable de celui de l’ingé-son Bruce Botnick qui avait travaillé avec Jack Nitzsche, mais aussi avec Brian Wilson sur Pet Sounds. Holzman l’engagea pour produire les premiers gros coups d’Elektra : les deux premiers albums de Love, puis le premier Tim Buckey et donc le premier Doors. Quand Krieger compose «Light My Fire», il décide d’y mettre tous les accords qu’il connaît - Let’s do it like Coltrane - De pur classique pop, le cut va évoluer naturellement vers des versions longues et organiques. Jimbo se retrouva bien vite à endosser un rôle qui ne lui plaisait pas, celui d’une icône de la contre-culture doublé d’une teen idol. Plus le groupe grossissait et plus il se réfugiait dans l’alcool. Jim ? Are you here ? lui demandait Ray - Oh my God it’s not Jim at all, it’s Jim-bo, that was weird, man. On était rattrapés par les Strande Days - Et puis c’est la catastrophe avec The Soft Parade qui déçoit les fans. Pire que les amères désillusions de Lucien de Rubempré.

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    Needs se dit encore plus impressionné par le chant hanté d’Arthur Lee. Pour situer l’art musical de Love, il invente des formules du genre ectoplasmic vapour trail et indique que leur musique semble parfois descendre des dieux, notamment the supremely evocative luminescence de «The Castle», sur Da Capo. Il ajoute que le rampant poetic genius d’Arthur Lee atteint son sommet avec Forever Changes. On apprend aussi au passage qu’Arthur Lee travaillait à son autobiographie mais la mort le surprit en 2006, à Memphis, l’empêchant de la mener à son terme. Il faut donc de contenter du big book de John Einarson, qui est basé sur l’autobio inachevée. On y reviendra, pour l’instant c’est pas l’heure. L’artisan de Forever Changes est en fait David Angel, un arrangeur de métier qui s’entendit comme cul et chemise avec Arthur Lee et qui passa trois semaines chez lui à Lookout Mountain, à transposer sur le papier les trucs qu’Arthur lui jouait au piano et les parties de cuivres et de cordes qu’il avait en tête et qu’il chantait - Angel écrivit les arrangements, Arthur le crédita comme arrangeur sur l’album alors qu’il était plutôt orchestrateur - Autre particularité essentielle de Forever Changes : Arthur ne voulait pas d’overdubs, comme en font tous les autres groupes de rock, il voulait une musique organique, avec l’orchestration dans le groove. Et puis il y avait aussi les textes qui fascinaient Angel. Botnick dit aussi que ses deux poètes préférés sont Jim Morrison et Arthur Lee. Mais 69 est surtout l’année de Four Sail qui pour beaucoup est le big album de Love. Needs ne s’y trompe pas, il a repéré le cataclysmic «August», le hoodoo shuffling de «Singing Cowboy», le complex guitar ballad de «Robert Montgomery» et le desperate «Always See Your Face». En fait, ces cuts sont mille fois plus géniaux que ce qu’en dit Needs. Four Sail pourrait bien être l’un des dix meilleurs albums de rock de tous les temps, tous mots bien pesés.

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    Bien sûr, l’autre mamelle du mythe Arthur Lee c’est la connexion hendrixienne. Nous y voilà. Oh ils se connaissaient depuis longtemps, car ils avaient enregistré «My Diary» ensemble au Gold Star Studio de Los Angles, en 1964. Leurs chemins se sont séparés quand Arthur est resté en Californie alors que Jimi partait à New York. Arthur ne savait pas que le petit blackos qu’il avait connu et celui qui cassait la baraque à Londres étaient le même Jimi. C’est Leon, le frère de Jimi, qui lui apprend ça un jour, lui expliquant que Jimi avait emprunté le look black hippie d’Arthur. Quand ils se retrouvent à Londres en 1970, Arthur est horrifié de voir Jimi se faire plumer vivant. Ils vont ensuite enregistrer ensemble «The Everlasting Love» à l’Olympic studio de Barnes, un cut qu’on trouve sur False Start, un autre album exceptionnel. C’est à ce moment-là que Jimi, au cœur du désespoir le plus noir, montre à Arthur sa strato blanche posée sur l’étui à guitare et déclare : «C’est tout ce que je possède.» Allez-y les gars achetez des disques !

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    La connexion hendrixienne semble courir comme un fil rouge sur la peau du book. Elle revient par Juma Sultan : Studio We était le «Communauty Music Project du Lower East Side où traînait Martin Rev et où il joua. Le trompettiste James DuBoise et le percussionniste Juma Sultan avaient ouvert l’endroit en 69. Sultan avait fait partie de Gypsy Sun and Rainbows qu’avait monté Hendrix.» Juma Sultan était donc à Woodstock. Needs en profite pour rappeler qu’avec les poings levés de Tommie Smith et John Carlos aux jeux Olympiques de Mexico en 68, le «Star Sprangled Banner» joué à Woodstock fut la plus belle manifestation du black power as pure physical presence. C’est l’époque où Jimi cherche à renouer ses liens avec la communauté noire de Harlem, comme on l’a vu avec l’épisode Last Poets. Needs dit que si Jimi avait vécu, il aurait travaillé avec Juma et emmené l’electric jazz impulse bien plus loin que n’avait su le faire Miles. Jimi dut monter Gypsy Sun and Rainbow après que Noel Redding ait quitté l’Experience, ce qui fait bien marrer Needs - Ça doit être un effet secondaire de la cocaïne qui a poussé Redding à quitter le meilleur groupe du monde, au lieu de savourer la chance qu’il avait d’accompagner cet extra-terrestrial genius qui jouait de la guitare - Jimi se sentit libre, il voulait échapper à la routine des tournées incessantes et voulait se consacrer à cette «sky church» dont il parlait avec son poto blackos Juma. Jimi voulait tellement secouer ses chaînes qu’il organisa dix jours après Woodstock un concert gratuit à Harlem, sans en informer le manager Jeffery. Et puis bien sûr, il y a le fameux réveillon du jour de l’an 1970 et le concert du Band Of Gypsys avec lequel Needs termine son book. Pour ça, Needs sort le Grand Jeu : «Jimi déploie tout son arsenal de Vox wah wah, Roger Mayer Axis fuzz, Fuzzface, Univibe and Mayer’s Octavia harmoniser, et il ajoute encore d’autres courants et fait monter de sa black strato une énorme marée d’incandescent supernatural power. Après quelques couplets, l’Octavia lâche un grondement océanique qui nous jette dans les killing fields du Vietnam, avec des hélicoptères, des langues de napalm, des rafales de mitrailleuses et des plaintes de mourants. Pendant ces quelques minutes, Hendrix ne joue pas vraiment de guitare, il illustre plutôt musicalement ce que le poète Wendell Berry appelle ‘des millions de petites morts’. Alors Buddy Miles reprend le chant pour ramener le cut sur terre, la guitare de Jimi gémit comme un animal blessé, juste avant la salve fatale.» C’est vrai, s’il est un album qui pousse vraiment au délire verbal, c’est bien celui du Band Of Gypsys. Mais Jeffery ne supporte pas ce projet. Il le voit comme un manque à gagner. Un autre concert du Band of Gypsys fut organisé le 28 janvier au Madison Square Garden. Le groupe ne monta sur scène qu’à 3 h du matin et Jimi était complètement stoned. Jeffery lui avait filé des acides. Jimi réussit néanmoins à jouer deux cuts avant de poser sa guitare et de quitter la scène en déclarant : «That’s what happen when one fucks with space.» Fin du Band of Gypsys. Buddy Miles accusa Jeffery d’avoir filé deux tablettes d’Owsley acid à Jimi et Jeffery le vira sur le champ - This trip is over - Avant de disparaître, Jimi Hendrix aura réussi nous dit Needs à donner une sacrée allure au black power, initiant un fabuleux courant musical : «conscious lyrics, raging guitars powered by big amps, as picked up early by Funkadelic, then Miles Davis, Sly & the Family Stone, Detroit’s Black Merda, the Chambers Brothers and Undisputed Truth.» Bien vu Needsy. On l’adore quand il fait des listes aussi délicieusement somptueuses.

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    Dans la liste, on retrouve Miles Davis, et ça tombe bien, car Needs se fend d’un beau chapitre Betty Davis. Comme tout le monde, il a lu le Harlem 69 de Stuart Cosgrove et vu le fameux docu de Phil Cox consacré à Betty, They Say I’m Different. Le premier à reconnaître l’importance de Betty Davis, c’est Miles - She was really into new, avant-garde pop music - Alors en bon fin limier, Needs repasse au peigne fin le rôle capital que joua Betty Davis au cœur de cette révolution du black Power, en composant «I’m Going Uptown To Harlem» pour les Chambers Brothers puis en connectant son mari Miles avec Sly & the Family Stone, Otis Redding, Cream et bien sûr Jimi Hendrix. C’est Betty qui emmène Miles se saper chez Stella, la femme d’Alan Douglas : vestes à franges et liquettes en satin. C’est un petit cercle d’initiés que Jimi aime bien fréquenter, nous dit Needs, quand il est à New York et principalement Alan Douglas qui vient de monter le fameux label portant son nom. Il sort les albums de The Last Poets, Richie Havens, Etric Dolphy, Lenny Bruce et Malcolm X. Pardonnez du peu. Partout où il met le nez, Needs met la gomme. Il est en quelque sort de roi des listes révélatoires. Son côté Rouletabille fait mouche à tous les coups. Et puis voilà le fameux épisode des sessions Columbia. Miles essaye de lancer la carrière de Betty et rassemble une équipe de surdoués : McLaughin, Wayne Shorter, Herbie Hancock, Mitch Mitchell, Larry Young, Billy Cox et Harvey Brooks. Ils tapent dans des trucs comme le «Politician» de Jack Bruce et «Born On The Bayou» de Creedence. Mais Columbia rejette le projet. Atlantic itou. Il faudra attendre 2016 pour enfin entendre ces sessions mythiques. Dans les notes de pochette, Harvey Brooks dit de Betty qu’elle était the real deal. Après s’être séparée de Miles et de sa jalousie, Betty entama sa carrière solo et tenta sa chance à Londres, aidée par Marc Bolan, avant de retourner aux États-Unis. Mais on a déjà dit en mai 2018 tout le bien qu’on pensait de Betty Davis sur KRTNT.

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    La valse des monstres sacrés se poursuit avec Bowie. July, c’est le décollage de Ziggy Stardust, dont l’impact d’image sur la société est comme celui des Stones, plus profond que celui de la musique. Il a raison de dire ça, le petit Needsy Needsy petit bikiny, d’une part parce que c’est vrai et d’autre part parce qu’il y croit dur comme fer et cette croyance fait la foi du pâté de foie. Ziggy a révolutionné les espaces culturels et les tabous sociaux, rendant les beaufs et les homophobics encore plus enragés qu’ils ne l’étaient. Needsy rappelle aussi que les traditional rock fans ne réagissaient pas très bien face au délire de Ziggy (who I’ve found to be among the most conservative stick-in-the-muds over the decades). Ziggy arrivait en plein âge d’or du denim et préparait l’avènement du punk-rock - Pop music was being invaded by a vision from the future and rock’n’roll was about to changer forever - Alors il y va, Needsy, avec le nuclear reactor brain de Bowie qui lâche sur l’Angleterre un flash flood of brillance, oui, c’est exactement ça, il parle d’un Bowie-phénomène qui a épongé toutes les influences comme a crazed sponge, après que Lindsay Kemp eût ouvert les vannes. Les Spiders deviennent cet extraordinaire edgy proto-metal band qui allait explorer the Nietzschean paranoia, genetic engineering and cataclysmic insanity avec The Man Who Sold The World, l’un des albums les plus délicieusement heavy jamais enregistrées en Angleterre. C’est à Friars que Bowie confie à Needs qu’il va devenir Ziggy Stardust et devenir a huge rock star. Il avait déjà tout en tête à Haddon Hall, il savait qu’il devait mourir pour renaître en Ziggy Stardust, un personnage de son invention, un composite du kamikaze nihilism d’Iggy, du Legendary Stardust Cowboy, de Marc Bolan - Needs précise que Weird and Gilly sort d’un poème que Bolan avait écrit pour Jimi Hendrix, ‘who played it left hand’ - et puis bien sûr Vince Taylor que Bowie rencontra un jour dans la rue et qui lui affirma être un Jesus Christ reincarned from the outer space. Ziggy Stardust est comme Elvis et Vince Taylor : la parfaite synthèse d’un mythe contemporain qu’on appelle le rock’n’roll. Bowie complète le panorama avec des costumes directement inspirés de Clockwork Orange, des wrestling boots de Russell and Bromley et une coupe de cheveux post-Rod Stewart, qui anticipe le punk et qui lance une révolution dans les chambrettes adolescentes. En Angleterre, filles et garçons se coiffaient comme Ziggy. Et boom, glam, punk tout ça va couler de source - Here was the future - Il a raison Needsy, on l’a clairement senti à l’époque. Un futur enraciné dans le showbiz à la Judy Garland, l’underground new-yorkais d’Andy Warhol, Lou Reed et Stanley Kubrick. Le nuclear brain de Bowie surchauffe le temps qu’il faut. Wham bam thank you mam, Ziggy adresse un beau clin d’œil à Little Richard. Needs dit qu’il régnait aux concerts de Ziggy Stardust une ambiance géniale qu’il n’allait revoir qu’avec la vague punk quatre ans plus tard.

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    September démarre en trombe avec Mott et Guy Stevens. Nouveau shoot violent d’overdrive car Mott est avec les Stones le groupe chouchou de notre héros. Dans son regard égaré de fan transi, Mott reste le groupe des high extremes, des loudest amps, longest hair and highest platform boots, tout ça organisé par un mec que Needs considère comme un visionnaire, Guy Stevens, qui déclara un jour : «Il n’y a que deux Phil Spector dans le monde et je suis l’un d’eux.» Big portait du Guy, qui entre dans le biz dès 1963, président du fan club de Chuck Berry, tête de pont Chess en Europe, puis artisan du succès de Sue Records, il lance en Angleterre les premier singles d’Ike & Tina Turner, Rufus Thomas, Elmore James, Lee Dorsey, Bob & Earl et quatre volume de The Sun Story. Puis, il s’acoquine avec Chris Blackwell et commence à produire des gens comme Alex Harvey. Et c’est là que commence l’extraordinaire parcours du découvreur Stevens. Il signe les VIPs sur Island, change leur nom, les baptise Art, puis après leur avoir adjoint l’organiste américain Gary Wright, ils deviennent les Spooky Tooth. Tout va bien jusqu’au jour où Keith Moon file à Guy sa première pill d’amphète et, nous dit Needs, the passionate musical evangelist devint le mad-eyed firecracker of popular legend que l’on sait. Boom ! Il rencontre ensuite Gary Brooker et les Paramounts et les rebaptise Procol Harum, d’après le nom du chat siamois d’un pote à lui, mais le groupe n’intéresse pas Blackwell et s’en va signer chez Decca. Guy continue néanmoins à flairer les talents et finit par faire d’Island le label de pointe des early seventies. Après avoir essayé de ramener Creedence, il ramène Free, Heavy Jelly et Mighty Baby, rien que des gros trucs - Son enthousiasme dévastateur tournait systématiquement en mayhem - Il devait produire Traffic, mais invité à la ferme, il préféra se piquer la ruche en vidant leurs bouteilles. Puis il décide de monter un groupe qui n’existe pas : un mélange de Dylan et de Stones. C’est Mott. Il monte le groupe de toutes pièces, il est le seul à repérer le charisme de Ian Hunter que les autres ne voient pas. Puis il les produit. Hunter lui rend hommage en tant que producteur. Pour évoquer le son de Mott, Needs parle d’infernal alchemy et d’elemental monster. Hagard, il n’a plus de mots pour célébrer la grandeur du early Mott. Il parle d’un Guy en studio complètement incontrôlable qui hurle, qui jette des chaises dans le mur et qui pousse les Mott à se surpasser - You are the Rolling Stones ! You are Bob Dylan ! You’re better than them ! - Mais oui, c’est ça, t’as raison, mon gars. Les Mott font ce qu’ils peuvent. Alors Guy les force à picoler, et ils se mettent à mal jouer, mais Guy trouve ça génial, il crée du chaos, il les pousse en permanence dans leurs retranchements, ils testent leur résistance, du chaos naît la vie, c’est bien connu. Il agit en mad-ass rock’n’roll maniac. Pendant l’enregistrement de Brain Capers, Guy se fout en pétard, fracasse des chaises dans le mur, puis il réduit l’horloge du studio en miettes, arrose tout ça de ketchup et finit par y mettre le feu. Tous les fans de Mott savent que Brian Capers est L’Album clé du groupe. On a passé à l’époque un an à fantasmer sur cet album, avec Jean-Yves. Ian Hunter dit qu’avec Brian Capers, ils étaient le premier groupe punk anglais. Merci nutcase Guy. Pete Frame raconte que lors des réunions chez Island, Guy s’amusait à balancer les téléphones dans la gueule des gens assis autour de la grande table - Island Records was the coolest label by far at that time - Needs a raison de rappeler que Mott allait devenir en 1970 the UK’s wildest live rock’n’roll act, préparant le terrain for glam & punk.

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    Et puis pour finir en apothéose, voici l’hommage le plus fulgurant d’un book déjà bien secoué du cocotier, celui que ce démon de Needs rend à Sun Ra. Needs parle tout de suite d’apocalyptic Mardi Gras style of the time, ça résume bien la situation. Il dit aussi que le roaring organ de Sun Ra dans l’insane 68 Ra set from New York’s Electric Circus ressemble à celui de John Cale dans «Sister Ray». Needs sait faire bander son lecteur. Il découvre Ra en 1969 avec The Heliocentric Worlds Of Sun Ra Volume Two. Il parle de cet album en termes d’unearthly intergalactic onslaught qui ont transformé sa cervelle adolescente en dancing globules, renvoyant l’«Interstaller Overdrive» du Pink Floyd au vestiaire. Et hop ça continue à coup de space chords blowouts, chamber space jazz & lonely planet serenades. Tout le vocabulaire du rock s’est donné rendez-vous chez Needsy, comme jadis chez Nick Kent. C’est du jour où il découvrit The Heliocentric Worlds Of Sun Ra Volume Two nous dit Needs que date sa passion pour Sun Ra, une passion qui n’a jamais voulu voir se calmer. Il dit aussi avoir passé des décades à traquer les albums de Sun Ra dans les record emporiums du monde entier et dans les rues de New York. Il parle d’impossibly-rare albums achetés 1 dollar sur les trottoirs de New York, de quoi faire baver n’importe quel spécialiste. À ce petit jeu, Needs est très fort. Il dit posséder des centaines de disques de Ra et a même fait sa compile de Ra en 2012, A Space Odissey, From Birmingham To The Big Apple pour le label Fantastic Voyage. Il considère Ra comme l’un des principaux innovateurs du XXe siècle - Sun Ra was the ultimate outsider, poursuivant son propre chemin vers des mondes fantastiques de son invention, le premier musicien à déclarer space is the place et créant une musique pour décrire sa vision. Il fut aussi le premier à promouvoir l’improvisation au sein d’un big band, à utiliser le piano électronique en jazz, et fut à la fois le pionnier de la psychedelia et de l’Afrocentrisme, utilisant des danseurs, des costumes exotiques et des effets multi-média pour illustrer ses concepts - Un spécialiste de Ra nommé D. Anderson prétend qu’il est aussi important qu’Hendrix ou les Beatles. Needs cite bien sûr ses albums de Ra préférés, car c’est une jungle, mais il a des boussoles pour s’y retrouver. L’épisode le plus marquant de cette wild Ra Saga qu’orchestre Needs est celui du concert commun de Ra et du MC5 à Detroit en 1967, suivi deux ans plus tard d’un séjour d’un mois à Detroit. Ra et son Arkestra sont invités par John Sinclair. Wayne Kramer et le MC5 étaient des major fans de Ra, au point d’utiliser son poème ‘There’ pour ce sommet du space-trash rock qu’est «Starship». Needs cite alors Ben Edmunds : «MC5 et Sun Ra étaient des frères d’armes visionnaires, des explorateurs de territoires inconnus.» Ra & the Arkestra se retrouvèrent à l’affiche du grande Ballroom, blowing Led Zeppelin off the stage. Voilà, on sort épuisé et excité à la fois de ce book, avec des tas de choses à écouter ou à réécouter, à la lumière de tous ces feux. Il faut remercier Needs pour cette fantastique virée à travers le monde magique des disques et des légendes. Dommage qu’il ait oublié l’un des symboles les plus importants de cette année-là : «69 Année Érotique».

    Signé : Cazengler, Krise de nerfs

    Kris Needs. Just A Shot Away. 1969 Revisited Part. 2. New Haven Publishing Ltd 2020.

    Betty Davis: voir livraison 373 DU 10 / 05 / 2018

    JARS III

    ( Pogo Records 150 / Décembre 2020 )

     

    Dans les livraisons 486 et 487 je vous entretenais de Jars, notamment de ce chef-d'œuvre ( oreilles sensibles s'abstenir ) qu'est leur premier disque. Or deux semaines plus tard sortait le troisième album du groupe. Du moins le troisième album à couverture noire qui s'en vient compléter la série Jars I et Jars II. La discographie de Jars comporte à l'heure actuelle dix-huit pièces, mais Anton Obrazeena qui est l'épine dorsale du groupe, combien cette expression est bien choisie quand on se souvient que le I et II portent sur leur couve le dessin d'une rose carnivore, pense que ces opus présentent les moments décisifs de l'ensemble des productions de Jars.

    L'Artwork est de Peter Psymuline. L'aigle impérial n'est pas au mieux de sa forme. N'est plus qu'une espèce de double-plumeau squelettique. Est-ce pour signifier comme l'indique une courte notice que Jars se détourne sur cet album de l'épouvantail du politique pour aborder des thématiques davantage intimistes car il faut se battre autant au plus près qu'au plus loin de sa propre implantation dans le monde.

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    Alexander Seleznev et Vladilir Veselik ont aussi participé à la mise en place des titres suivis du signe ° lorsqu'ils faisaient partie de Jars.

    Anton Obrazeena : guitar, vocals / Pavel Orlov : bass / Mickail Rakaev : drums

    Sick : c'est vrai que le mur du son ne vous écrase pas, vous avez une guitare qui klaxonne comme une file de voitures à elle toute seule, pour l'édulcoration politique, nous entrons en relativité restreinte, un constat implacable sur la situation sociale. Tout ce que propose la société capitaliste est une grosse flaque de caca boudin, plus on avance dans le morceau, plus la condamnation est sans équivoque, la basse orlovienne ne vous laisse aucun doute sur la nocivité du système, au volant de son poids-lourd battériel Rakaev ne respecte pas le feu rouge et roule sur les limousines sans regret, comme quoi il y a une solution à tout pour avancer dans la vie. Anton vous le scande, désormais ce sera survivance autonomiale. Mr Visionary° : on devrait avoir le droit de porter plainte pour agression sonore après l'écoute d'une telle diarrhée sonique. Obrazzena vous chie carrément dans les oreilles, ça rentre par l'une et ça ne ressort pas par l'autre, jugez de l'état de vos synapses, et ses deux compères en rajoutent un max, en plus c'est tromperie sur la marchandise, notre visionnaire ne nous parle que de son passé de soumission. A l'énergie qu'ils déploient, si intense que le morceau dépasse à peine la ( dernière ) minute, celle qui vous reste à vivre, l'on espère de tout cœur qu'ils vont trouver une solution, parce que Victor Hugo nous l'a dit à peu près en ces mots dans la préface des Contemplations : ô insensé qui crois qu' Obrazeena ne parle pas de lui. Curse, curse, curse° : la musique tombe sur vous comme une malédiction, grandiloquente et obèse, reflets de guitare, le scalde Obrazeena prononce les mauvaises paroles, la batterie roule avec la volupté d'une division blindée, tout est noir, le passé et l'avenir, mais d'un noir anarchie, étamine noire du désordre qui doit flotter sur le monde, la musique touche à la folie pure, régression vers un ahan de bûcheron abattant tous les arbres des forêts mentales. Quand ça s'arrête vous vous demandez par quelle chance inouïe vous vous en êtes sorti. Wich empire are you : démarrage de la batterie à la manivelle, et lorsque le moteur commence à tourner, c'est si brutal, si violent, si rapide que vous en êtes effrayé, les instruments font la course entre eux, ont un sacré souffle, subito silence cristallisé, tombe un rideau de plomb, une fois, deux fois, trois fois, minuterie en marche, quatre fois, mais ce coup-ci les dégâts sont énormes et les débris roulent de tous les côtés, s'agit de rompre les ponts qui nous relient avec le passé, de les concasser en petites pierres tombales, jetez un regard derrière vous, la sainte Russie est morte, n'existe plus, rire de schizophrène qui vient de couper un des deux bouts de la queue de sa folie qui l'amarrait au vieux monde. Ultramarathon° : courir contre soi-même, au travers des hurlements comprendre sa paranoïa, ce n'est pas que l'on m'en veuille, c'est que le monde entier est dans le même état que moi. Anton récite les mantra de la déculpabilisation individuelle, comment voudriez vous que la musique ne soit pas violente puisque c'est le monde entier qui brûle et se consume, et qu'elle n'est que le reflet d'une terreur libératrice. Mechanism : au sax tromblon Anton Ponomarev, retour sur soi-même identification des coupables, morceau à facture rock davantage prononcée, la batterie d'Orlov montée en mécanisme d'horlogerie du désastre, guitares lyriques, Anton Obrazeena psalmodie, il nomme tous les ustensiles de la modernité un par un, de son portable à sa machine à laver, tous le même rôle, l'aseptiser de lui-même, lui arracher toutes ses particularités, le transformer, d'ailleurs à la fin il crie comme un zombie et plus personne ne contrôle la musique qui s'engloutit en son tourbillon. Cascade de cacophonie extrémiste. I need ennemies° : l'impersonnalisation ne suffit pas, lorsque l'on n'est plus ce que l'on a été, ce n'est pas pour cela que l'on est déjà ce que l'on aurait dû être, voix pratiquement suppliante au début qui s'emplit en un second moment d'une exigence pratiquement auto-mutilatoire, les instruments en rajoutent une couche arasante, a-t-on vraiment besoin du regard de l'autre pour être, ne peut-on se reconnaître que sous la torture. Dramaturgie du désir d'être soi poussé jusqu'à l'expérimentation de son propre non-être. Théâtre de l'auto-cruauté aurait dit Artaud. Grandiloquence paroxistique. Speedcop° : accord funèbre, traversée des miroirs de la folie, ne plus être soi, devenir ce que l'on n'est pas, être l'incarnation du mal qui vous empêche d'être. Morceau court et ultra violent. Tout vole en éclats. Moscow do not believe in tears° : quincaillerie des cymbales, Anton récite un poème d'amour sur un groove très vite remplacé par des clinquances de joints  qui pètent une culasse, ensuite la musique couvre la chanson comme on recouvre un cadavre d'un drap de lit pas très propre, Anton revient en force, on l'entend mal, mais qu'il parle d'une fille ou d'une ville, vous sentez bien que cela finira mal, l'on sabre les guitares comme des bouteilles de champagne pour fêter le prochain suicide programmé. Long passage instrumental, invraisemblable tunnel, la machine halète comme le corps de Gérard de Nerval se balançait dans la rue de la Vieille lanterne. Maintenant Anton s'égosille, il est trop tard, la vieille locomotive ralentit, et finit par s'arrêter, interminables crissements de freins, si j'étais vous je ne descendrais pas, cette gare d'outre-tombe ne me dit rien du tout. Un mort peut en cacher un autre.

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    Certes le son a changé, un peu moins assourdissant, moins franchement noise, mais sans plus, l'on sort de cette écoute un peu tourneboulé, commotionné, griffé d'émotions difficiles à analyser. Tout va trop vite, trop fort. Jars ne vous laisse pas le temps de réfléchir, ni même de sentir, Ce n'est qu'après que vous mesurez la force de l'impact, que le trou s'agrandit en vous.

    Damie Chad.

    MONSTER

    STEPPENWOLF

    ( ABC Dunhill / 1969 )

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    Pochette de Gary Burden, une des dernières qu'il effectuera pour Steppenwolf. Dans la continuité de celle d'At Your Birhday Party, le même principe qui mêle photographie couleur et une masse grise à laquelle l'on serait au premier regard tenté de ne prêter aucune attention, ce surplomb grisâtre de la photo prend l'apparence de la voûte d'une caverne, l'effet est d'autant plus renforcé que nos quatre héros torses nus semblent poser à l'intérieur d'un boyau. Encore faut-il réaliser lorsque l'on a retourné le disque que ces quelques centimètres supérieurs dans lesquels on a fini par discerner des personnages entassés les uns sur les autres ne sont que le bas du dessin qui occupe tout l'espace du dos de la couve dépourvu de toute indication que l'on s'attendrait à trouver quant aux titres des morceaux, noms des compositeurs et des participants à l'enregistrement.

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    L'on comprend facilement pourquoi l'on n'a voulu surcharger le dessin de notes malvenues. Il s'agit d'une œuvre de Rick Griffin. Le nom ne vous dira peut-être rien mais l'artiste est loin d'être un inconnu pour les amateurs de surfin' et de Gratefull Dead. Sans doute avez-vous aussi, sans le savoir, admiré ces affiches pour promouvoir les concerts du Fillmore de San Francisco. Le maître du dessin psychédélique, un coloriste hors-pair, son influence est immense, avec Crumb il renouvela l'art du comix américain. Il suffit de taper son nom sur le net pour en prendre plein les mirettes. Griffin est un visionnaire, imaginez un Edgar Poe hippie, son œuvre oscille entre délire et épouvante, entre les fissures mentales éclaircissantes provoquées par le LSD et la remontée des monstres intérieurs. Pas étonnant qu'elle se soit retrouvée sur la pochette de Monster. Ce dessin se retrouve dans Man From Utopia ( 1972 ) , méfiez-vous, la couverture est digne d'un comix bas de gamme, l'intérieur est une série de planches que l'on pourrait comparer pour l'impact sur vos neurones imaginatives aux célèbres escaliers de Piranèse, Griffin est un des des maîtres de la phantasmatique rock. Une vie californienne à la hauteur de ses exigences. Tout comme Gabriel Mekler producteur des premiers albums de Steppenwolf, il meurt, à l'âge de 47 ans, d'un accident de moto. Son dernier dessin représente un artiste attendant l'ouverture des portes du Paradis. Three steps to heaven, knocking on heaven's door...

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    Pour la pochette elle-même je vous laisse seul juge, vraisemblablement inspirée par l'imagerie Born to be wild – je ne suis pas sans me demander si elle n'a pas influencé quelque peu le Snaggletooth de Motörhead – tapant aussi bien dans l'imaginaire Biker que dans la légende du vaisseau fantôme, totalement en accord avec la thématique politique de l'album.

    John Kay : lead vocal, harmonica, guitar / Larry Byrom : lead guitar / Nick St. Nicholas : bass / Goldy Mc John : Hammond organ, piano / Jerry Edmonton : drums

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    Monster : tout doux presque une introduction de musique classique, des images de menuet dans un beau salon vous passent par la tête, trois coups de boutoir fracassent les murs, la comédie peut commencer, John Kay vous conte une histoire, d'une voix cérémonieuse, derrière la vipère noire du rock'n'roll ondule et ses anneaux virevoltent lourdement, le morceau est construit sur cette ambivalence, tantôt le coup du charme, tantôt les coups de poing sur la gueule, si la musique sourde et violente ne mâche ses notes, Kay ne marmonne pas ses lyrics, droit au but, c'est l'histoire des Etats-Unis qu'il raconte, ces hommes qui fuient l'oppression politique et religieuse, on les comprend, on les soutient, on les porte dans notre cœur, ne sont pas des enfants de chœur, pour gagner de l'argent ce sera l'esclavage, pour s'emparer de terre l'on tuera des indiens, vous avez beau énoncer les choses le plus délicatement possible, les mots percent vos illusions comme des balles, pas bien beau tout cela, l'on comprend que parfois la musique s'aggrave et pèse des tonnes, de regrettables erreurs, de toutes les manières l'on ne peut revenir sur le passé, mais maintenant c'est à un monstre que nous sommes confrontés. Le drame peut commencer. Suicide : tout devient noir, un rythme qui fait écho à Perchman, cette fois Kay dégobille les mots qui font mal, vous comprenez pourquoi par la suite Le Loup n'est pratiquement plus entré dans les charts, ce n'est plus une attaque en règle mais une entreprise de démolition, le genre de lyrics qui poussent les démocrates au suicide, le Loup accuse sans retenue et ne respecte rien, le monstre est aussi le produit de nos veuleries, l'américain moyen gros et gras qui vote tous les quatre ans en prend pour son grade, le gouvernement compte sur la police pour que les gens réagissent comme des moutons, ne lèvent même pas la tête quand on envoie les fils se battre – pas besoin de préciser que c'est au Vietnam - musique de plus en plus violente à la mesure de l'état policier oppresseur. America : pour clôturer l'on revient aux sources du rock'n'roll voici les chœurs du gospel qui en appelle à l'Amérique, pas celle de Dieu, celle des citoyens endormis qui refusent de s'éveiller, là où il y a tyrannie, il y a esclaves disait La Boétie, Kay ne lance pas un appel p aux armes mais la logique de ses paroles y conduit. Ces trois premiers morceaux n'en forment qu'un, une suite, un oratorio ponctué de passage musical de grande expressivité. Un véritable chef d'œuvre de grande violence mais si subtilement déployée qu'elle ne porte en elle aucune brutalité. Draft resister : splendeurs d'orgues, trot de batterie, une charge légère, attention l'ennemi n'est pas des plus faibles ce sont les institutions les plus puissantes que vous puissiez trouver, l'(in)Justice et l'Armée, Kay s'en prend au Pentagone et offre le titre de résistant à ceux qui refusent la conscription. Honneur à ceux qui se battent du fond de leur prison pour notre liberté. Très beau morceau chatoyant et étincelant tel un insaisissable mirage du désert, qui passe et ne vous laisse que des regrets. Power play : un vieux morceau qui date des Sparrow, preuve que la révolte couve depuis longtemps. Un blues de colère dans lequel Kay mord à pleines dents, musique compressée comme le Loup sait si bien le faire, une acerbe réflexion sur les relations de l'individu et de l'état. La guitare de Byrom est terriblement efficace. Bouche les trous de la trame musicale. Titre idéal pour se rendre compte des multiples séquences entrecroisées qui fonde la musique du Loup. L'on entre dans une boucle musicale que pour en sortir. Non pas pour s'en évader mais pour en créer une autre qui elle-même laissera la place à une autre. La couleur des instruments jouent le rôle des leitmotivs wagnériens qui permettent de construire la carcasse des morceaux, c'est pour cela que la voix de Kay n'a pas plus d'importance que le son du clavier, le Loup construit une musique fondamentalement unitaire qui n'appartient qu'à lui.

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    Move over : piano enjoué, finesses de guitares, casse-toi mon vieux, l'a une manière peu diplomatique de traiter du conflit des générations le Loup, faut entendre comment Edmonton vous enfonce les croulants dépassés dans les poubelles des vieilles lunes qui ont fait leur temps à coups renforcés de baguettes sur le crâne, et Kay vous les hache menu par la seule manière dont il cravache les lyrics. Je ne connais pas de sociologues qui se soient penchés sur ce texte. Pourtant dans les universités américaines les étudiants ont dû l'écouter en boucle. Fag : instrumental. Retour au blues. Un des secrets du Loup d'inclure dans ses albums, des morceaux purement musicaux, avec la plupart du temps un goût d'inachevé. Peut-être pour nous signifier qu'il ne faut pas céder aux vertiges de la musique. Qu'il faut garder son esprit critique... What would you do ( if I did that to you ) : un morceau qui sonne plus rhythm and blues que les autres, normal il est composé par Nolan Porter un des rois de la Northern soul, est-ce un hasard si l'on peut facilement discerner dans les premiers couplets une remise en cause de la ségrégation même si la deuxième partie passe à une situation plus classique, le gars qui se fait congédier car un plus riche a pris sa place auprès de sa bébé, le chœur féminin qui accompagne la fin du morceau a l'air de se délecter de la situation. From here to there eventually : c'est Jerry qui gère le vocal, au casse-pipe sociétal une cible avait été épargnée, à peine un peu évoquée par ci par là, alors là le loup y fait sa fête, joyeusement, allègrement, la religion passe un mauvais quart d'heure, orgue + chœurs féminins, l'on se croirait dans une église, rien de mieux pour tuer un ennemi que de le faire avec ses propres armes, que l'on retourne avec délectation contre lui, en plus dans un long intermède musical l'on est plongé dans une séance sado-maso et une voix féminine en pleine crise d'hystérie en appelle à Jésus, l'on se doute qu'il ne s'en tirera pas uniquement avec des paroles apaisantes, l'imposition des mains et plus puisque affinités sur la victime consentante s'impose.

    Avec un tel album le Loup n'a pas dû se faire que des amis. Il est resté très longtemps non-réédité. C'est pourtant un des meilleurs du Loup. Ignoré de nos jours par beaucoup. Le Loup est sur ce disque aux antipodes de bien de groupes de rock qui crient bien fort, retenez-moi, je vais faire un malheur. Et ils vous pondent un bonheur de belle musique brillante à l'excès mais qui très souvent sonne creux. Le Loup ne dit rien mais il commet le sacrilège de s'attaquer aux valeurs morales de la bonne conscience.

    Damie Chad.

    STEPPENWOLF LIVE

    ( ABC / Dunhill Records / 1970 )

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    Changement de style de pochette. Garry Burden laisse place entière à Tom Gundelfinger. Ce n'est pas un inconnu, il a déjà fourni les photos à partir desquelles Gary Burden a effectué son boulot de designer. Souvent l'on peut se demander qui du design ou de la photo tire profit de l'autre... Tous deux sont des connaissances de Mekler qui produit les albums, comme il faut s'y attendre notre photographe a aussi travaillé sur les couves de Nolan Porter. Tom Gundelfinger réalisera une cinquantaine de couvertures de disques. Il s'est fait remarquer par ses portraits backstage des vedettes du Festival de Monterey Pop en 1967. Ses photos d'artistes les plus célèbres sont celles de Joni Mitchell. Il triche un peu, avec une fille si belle il faudrait être un sous-doué congénital pour parvenir à rater un cliché. Il a aussi réalisé la légendaire photographie ( avec le chien, non prévu, du voisin qui s'en est venu prendre la pose de son propre chef ) de Déjà Vu de Crosby, Still, Nash and Young. Si vous faites un tour sur son site n'oubliez pas de zieuter ses paysages, sont magnifiques et d'après ma modeste personne bien supérieures à ses photos rock. Qui ne sont pas de la gazoline éventée.

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    Steppenwolf, Gundelfinger n'a pas cherché à finasser, qui dit loup des steppes, dit loup. Pour la steppe vous repasserez. Les loups sont de charmantes bestioles qui ont l'habitude de mordre leur proie. Inutile de chercher plus loin. Voici un loup gueule ouverte, les crocs bien en vue. Fond bleu-noir, pelage blanc, langue rouge sang ( bien frais ). Pas du tout une représentation hyperréaliste. La réalité suffit. La force de l'image se situe exactement entre l'idée de la réalité et la réalité de l'idée. Simple mais efficace. N'a même pas l'air méchant, presque un gros chien affectueux. Mais l'on ne s'y fie pas. Dangereux. Vous le voyez et illico vous mettez votre finger sur la gâchette de votre gun.

    Il existe une version de ce disque qui ne comporte qu'un seule galette. C'était le projet initial du Loup. La maison de disques ne l'a pas voulu ainsi. L'on gagne davantage lorsque l'on double la mise. Surtout si le groupe a le vent en poupe. Ce sera donc un double-album. Quand on l'écoute avant ou après l'Absolutely Live des Doors sorti la même année vous avez l'impression que gang morrisonien a rajouté une cinquième face tant le timing du Live des Loups est ridiculement court... Et encore, aux dix morceaux enregistrés en public ont été rajoutés trois autres peaufinés en studio... Les cadences imposées au Loup sont trop fortes, deux disques par an, à chaque fois chacun précédé et puis suivi d'une tournée. Le Loup n'a plus le temps de composer et ce Live n'apporte rien de nouveau et même pas d'original.

    John Kay : lead vocal, harmonica, guitar / Larry Byrom : lead guitar / Nick St. Nicholas : bass / Goldy Mc John : Hammond organ, piano / Jerry Edmonton : drums

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    Sookie, Sookie : beaucoup plus sale que la version sur le premier album, beaucoup plus rock, un son et une ambiance, Byrom assure comme une bête à la guitare, l'est partout comme le diable sur la terre promise, ce qui est étrange c'est comment la deuxième partie du morceau se range sans prévenir sous les auspices épicés du rhythmn 'n' blues, alors que le début est très rock'n'roll, avec des éclats traînants de voix de Kay qui semblent de lointaines interventions de Wilson Pickett. Don't step on the grass, Sam : extrait de the Second, une entrée en marchant sur la pointe des pieds puis tout le groupe appuie pour laisser de vastes empreintes sur la terre grasse. Le Loup marche d'un pas lourd. Prend son temps, faudrait pas que tout s'en aille et se perde en fumée, ce qui est primordial, c'est cette force cohésive du groupe, terriblement en place, avec cette guitare qui mange l'orgue et ne se tait que lorsqu'il faut marquer l'articulation du morceau, titre assez long pour que l'on puisse s'apercevoir du travail de Nick à la basse. Public enthousiaste. Tighten up your wig : un vieux morceau qui était déjà au menu des Sparrow, que l'on retrouve sur le Earlier Steppenwolf et sur le Second, le Loup recycle sans désemparer les vieilleries. John Kay vous la descend à toute allure et derrière ça suit sans problème, un petit solo d'harmo niqué pas piqué des hannetons, le combo joue sur du velours. Ceux qui l'entendent pour la première fois doivent trouver le truc au poil. C'est vrai qu'il y a une cohérence harmonique dans le découpage et Byrom et Goldy se payent non pas un solo mais un binôme guitar / organ comme l'on en a rarement entendu. Ce qui est sûr c'est que le groupe est fabuleusement en place et n'a besoin de mise au point de la part de personne. Mais la face 1 est déjà terminée. Monster : trois morceaux issus de Monster pour la face 2. Petit laïus de Kay qui espère que tout le monde sera d'accord avec lui pour assurer que le pays aurait besoin de quelques changements. Met de la hargne sur le vocal qu'il débite plus rapidement que sur l'album éponyme, volonté de persuasion et nécessité de marquer les esprits. Le groupe le suit, plus franc, plus direct, effets de batteries insistantes pour faire monter l'attente, la voix s'enroue comme un python réticulé s'enroule autour de vous pour vous convaincre de sa morsure, Byrom repeint sa guitare en bleu enfoncé, et le Loup remue galamment sa queue comme s'il invitait une demoiselle à entrer dans la danse. Celle des morts. L'orgue vous emporte sur l'hymne d'America que vous ne confondrez pas avec la star spangled banner même si derrière le groupe se permet autant de grabuge ( et même plus vu l'épaisseur du son ) que la version d'Hendrix l'année précédente à Woodstock, mise sous-tension organique, final d'éclaboussance. Draft Resister : le moment d'envoyer un des meilleurs boomerangs de l'album, rien n'arrêtera le Loup, les images défilent, vous galopez au milieu de la horde et vous savez que vous portez le sort du monde au bout de vos pattes comme John Kay sur ses cordes vocales et c'est toute la musique qui hurle avec vous, Jerry galope le rythme et lorsque vous croyez que tout va s'arrêter, vous êtes propulsé dans une accélération prodigieuse, quinze secondes qui vous arrachent de votre raison orbitale. Power play : posent les pieds dans le blues pour reprendre terre, la vieille rythmique bancale que l'homme adopte dès qu'il a un problème à régler avec le monde. Jouent le morceau à l' échauffourée, crocs dehors et le sang qui scintille sur les notes de la guitare qui pointille et vous troue la peau. A mi-morceau ils rajoutent une couche de colère, dramatisation de la haine tisonnée jusqu'à ce qu'elle s'enflamme et vous brûle jusqu'à l'os. Cette deuxième face est enthousiasmante.

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    Corina, Corina : morceau déjà présent sur Early Steppenwolf mais qu'ils ré-enregistrent en studio, z' auraient pu faire un effort, les caves du rock'n'roll sont emplies de trésors oubliés qui ne demandent qu'à être exhumés. C'est le moment de douceur et de mélancolie country qui jure avec tout ce qui précède. L'effet d'un joueur de foot qui marque un but homologué avec la main. Allumez les briquets et faites la vague. Avec un peu de chance elle vous emportera et ne rendra pas votre cadavre bouffé par les crabes. Twisted : deuxième morceaux enregistré en studio, l'ont déniché chez les Sparrow, fait moins tache que le précédent, notamment grâce à ce solo d'harmonica que Kay fulgure au cyanure comme si l'on était en train de l'étrangler, sinon c'est beau, c'est propre, mais il manque la rusticité sauvage d'un chalet de haute montagne construit au bord d'un glacier qui s'apprête à le pousser vers l'abîme. From here to there eventually : après ce double intermède nous informons nos auditeurs que nous reprenons notre programme malencontreusement coupé par un incident indépendant de notre volonté, voici donc le quatrième mouvement de la Symphonie Monstrueuse de l'ensemble à cordes steppenwolfien, et splouf l'on retombe dans la même hargne mais teintée d'une ironie encore plus méchante, un véritable blasphème, le rock'n'roll qui crache sur la sainte vierge du gospel qui l'a engendré, et sur la fin c'est funky sur le kiki. Hennit soit celui qui chevauche. Le Loup ne respecte rien. Hey Lawdy Mama : troisième morceau studio pour ouvrir la face 4, remarquable guitare de Byrom et original clapotement toussoté de Jerry, tous deux se sont gâtés, normal ils ont cosigné le morceau avec Kay, sympathique, mais entre nous j'eusse préféré une version revolverisée de Lawdy miss Clawdy, celle d'Elvis plutôt que celle de Lloyd Price, sans quoi le morceau est un peu passe-partout. Genre d'ouvre-boîte qui ne force jamais le coffre au trésor du capitaine pirate. Magic Carpet Ride : finissent sur les titres qui ont bâti leur renommée. Ce tapis volant m'a toujours fait l'impression de ces filles pas très jolies et pas très intelligentes mais qui vous accrochent, vous ne savez pas pourquoi. Elles ont du chien, elles dégagent et vous aimeriez bien partager leur niche. Un truc un peu insignifiant, mais qui marche encore. Je viens d'en faire l'expérience. The pusher : le combat anti-drogues dures de John Kay, courageux à l'époque, déjà présent avec les Sparrow, vous le servent sur un plateau d'orgue envoûtant, mais sur le Early Steppenwolf le vocal est beaucoup plus rugueux et accrocheur. Si c'était un recueil de poèmes, ce serait La mort viendra et elle aura tes yeux de Pavese. Ici jeté comme un pavé dans la mare. Born to be wild : ne pouvaient pas ne pas terminer sur celui-ci, quoique le titre ne se trouvait pas sur le premier tirage monodisque. Cette version est bien meilleure que l'originale de leur first album. N'empêche qu'il en existe de beaucoup plus violentes que celle produite par le Loup. Ici vous avez cette particularité d'une guitare pointue comme celle d'Al Casey.

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    Quoi qu'il en soit, ce devait être un spectacle envoûtant le Loup, rodé, soudé, puissant.

    Damie Chad.

     

    XVI

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    Voici quelques précisions

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    J'allumai mon Coronado. J'avais besoin de reprendre mes esprits. Quel être humain aurait-il pu supporter la terrible révélation auquel le Chef venait de se livrer. Imaginez-vous à ma place, venant d'apprendre que vous êtes l'homme à deux mains, celui-la même que le Service Secret du Rock'n'roll recherchait depuis le début de cette hallucinante enquête, qu'auriez-vous fait si vous étiez le récipiendaire de cette terrible assertion ? Dix minutes de relaxation ne seraient pas de trop. Pourquoi durant ce moment de répit, alors que la suave fumée du Coronado emplissait ma cage thoracique, ne pas laisser ma vaste intelligence vagabonder en parcourant d'un œil distrait les nouvelles du matin. Pourquoi pas même, me lancer dans un article sérieux, difficile et touffu, Damie me dis-je en piochant dans le tas de brochures que le SSR recevait chaque matin, pourquoi ne pas étudier mon horoscope, que pourrait-il m'arriver de pire que la nouvelle de ce début de journée. D'une main ragaillardie je déchirai la bande d'abonnement du Figaro, et dépliai le journal. Au cri d'horreur que je poussais le Chef en laissa choir de ses lèvres d'acier le Coronado sur le bureau :

      • Diable, agent Chad, y aurait-il une mygale facétieuse qui se serait fourrée entre les pages de ce quotidien !

    J'eusse préféré une myriade d'araignées venimeuses, il était désormais clair que la journée se terminerait mal, jugez-en par vous-mêmes, en première page :

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    L E F I G A R O

    Depuis quelques jours de nombreux lecteurs nous ont signalé avoir remarqué dans leur voisinage et jusqu'au sein de leur famille des cas de fièvres aigües, subites et inexplicables... Nous n'y aurions prêté que peu d'attention si hier en fin d'après-midi ne s'étaient produits plusieurs décès dus à des fièvres aigües et inexplicables dans pratiquement tous les hôpitaux parisiens.

    Le gouvernement s'est réuni de toute urgence. Dans la nuit des cas similaires se sont produits en plusieurs pays du monde. Tous les continents sont touchés. Hélas notre pays est au cœur de la tourmente. Toutes les enquêtes menées par les autorités médicales de toutes les nations du monde convergent vers une source unique : toutes les personnes malades ou un de leurs proches ont ces derniers jours visité notre capitale. Il ne fait aucun doute que l'épidémie se soit manifestée pour la première fois à Paris. Sans doute s'agit-il d'un virus encore non identifié mais tous les services de l'Etat travaillent à localiser le lieu précis de l'apparition de ce fléau.

    DERNIERE NOUVELLE

    Nous mettions sous presse lorsqu' une dépêche provenant de l'Elysée, nous est parvenue, la voici telle quelle, nous n'avons pas le temps nécessaire pour l'expliciter ou la commenter :

    '' Nos services de police et de santé sont parvenus à remonter à l'origine du virus qui a déjà causé plusieurs centaines de morts dans la population mondiale. Nous sommes en mesure d'affirmer que celui-ci a été criminellement et gratuitement distribué sous forme de cigares de la marque CORONADO lors d'une manifestation festive organisée sous la Tour Eiffel par une organisation secrète et terroriste surnommée le Service Secret du Rock'n'roll. Les coupables sont identifiés, ils ont été repérés pour la dernière fois roulant à toute allure sur la bande d'arrêt d'urgence de l'autoroute Normandie – Paris. Leur arrestation est une question d'heures.''

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    Le Chef alluma un nouveau Coronado :

      • Agent Chad, je crois qu'il est temps de prendre des vacances.

      • Excellente idée Chef, je propose un repli stratégique chez le Cat Zengler, son Bourgogne n'est pas mauvais et il possède une excellente collection de disques de rock'n'roll, nous pourrions attendre tranquillement, le temps que l'évidence de notre innocence éclate au grand jour et que nous réintégrions nos bureaux en grande pompe !

      • Ne rêvez pas Agent Chad, un piège tentaculaire est en passe de se refermer sur nous, nous ne ferions pas long feu en Normandie, non, prenez les chiens et débrouillez-vous pour réquisitionner une 2 CH, si possible avec un aspect un tantinet délabrée, mais un moulin du tonnerre, prenez quelques sandwiches, un filet à papillons, deux cannes à pêche, une épuisette, deux chapeaux de paille, deux chemises bariolées, dans une heure tapante, je vous veux place de la Bastille, stationnée au bas de la colonne.

      • Une heure Chef , c'est un peu juste !

      • Bon alors prenez soixante minutes, mais pas une de plus la survie de rock'n'roll est en jeu !

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    Je n'aime pas me vanter mais j'accomplis ma mission sans encombre. Les chiens m'aidèrent beaucoup. Cavalèrent à toute vitesse le long des trottoirs, lorsque Molossito aboya joyeusement et leva la patte sur la roue avant d'un véhicule stationné à une cinquantaine de mètres je sus qu'il avait trouvé la perle rare. C'est Molossa qui dénicha le fouillada dans lequel par miracle je trouvai les divers effets et ustensiles dictés par le Chef. Le magasin était désert à part les deux caissières qui avaient l'air de s'ennuyer. Molossito sauta sur le tapis roulant de la caisse, ce qui lui valut force caresses, Molossa eut aussi sa part.

      • Comme ils sont beaux !

      • Oui, nous partons en vacances, ils ont besoin de changer d'air.

      • Comme ils ont de la chance ! Et nous pauvres étudiantes obligées de rester à Paris pour travailler à gagner des clopinettes !

    Une intuition géniale traversa mon esprit.

      • Avec mon ami, nous ne possédons qu'une modeste 2 CH, mais si vous voulez profiter de l'occasion, elle est garée devant le magasin !

      • Pourquoi pas ! Super ! Le temps de faucher deux maillots de bains et quelques rechanges, on arrive !

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    Nous étions depuis trente secondes au pied de la Colonne lorsque le Chef surgit une lourde valise à chaque bras. Son sourire s'illumina en apercevant Charline et Charlotte.

      • Agent Chad, félicitations pour votre initiative. Plus on est de fous plus on rit, je vous remercie d'avoir fait un si beau choix.

    Charlotte se précipita – dès les premières secondes il fut clair qu'elle en pinçait pour le Chef - elle voulut l'aider à disposer ses bagages dans la malle, non non celui-ci reste avec moi à mes pieds, celle-là pas de problème elle ne contient que des choses sans importance, tout juste de quoi alimenter la gamelle de nos deux canidés, et pour bien montrer de quoi il s'agissait il souleva le couvercle. Lorsque les filles virent les liasses de billet, elles comprirent qu'elles venaient de rencontrer leurs amoureux de l'été.

    77

    • Où allons-nous ? demanda Charline

    • A Nice répondit le Chef, en passant par les petites routes, l'agent Chad aime beaucoup la Nature.

    • Moi j'aime beaucoup l'argent Chad répondit Charline, et nous éclatâmes de rire tous les quatre.

    ( A suivre... )