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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 73

  • CHRONIQUES DE POURPRE 450 : KR'TNT ! 450 : GENE VINCENT / SLEEPY LABEEF / LEE FIELDS / CARIBOU BÂTARD / DYE CRAP / JOHNNY MAFIA / NOT SCIENTISTS / A CONTRA BLUES / POP MUSIQUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    LIVRAISON 450

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    06 / 02 / 2020

     

    GENE VINCENT / SLEEPY LABEEF / LEE FIELDS

    CARIBOU BÂTARD / DYE CRAP / JOHNNY MAFIA

    NOT SCIENTISTS / A CONTRA BLUES  

    POP MUSIQUES

     

    Il Gene en hiver

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    Vous avez déjà entendu parler de Luke Haines, plus connu sous le nom de Luke la Main Froide. Il fit jadis la une de l’actualité avec une tripotée d’albums dont ceux des Auteurs et deux romans que tout fan de rock anglais doit se faire un devoir de lire, Bad Vibes/Britpop And My Part In Its Downfall et Post Everything/Outsider Rock And Roll.

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    Mais nous sommes là aujourd’hui pour une autre raison : ses chroniques dans Record Collector qui, chaque mois, lui accorde généreusement une page. Oh, ce n’est pas grand chose, mais c’est souvent très intéressant. On lui doit de brillantes chroniques consacrées aux Pink Fairies, à Robert Calvert, ou encore à Steve Peregrin Took. Ce mois-ci, il consacre sa chronique à Gene Vincent et plus précisément à un petit film documentaire réalisé en 1970 qu’on peut aller voir sur YouTube, The Rock And Roll Singer. Quatre jours de tournage. Gene était alors de retour en Angleterre pour la promo de son album I’m Back And I’m Proud. Il avait 34 ans. Attention, ce film sans prétention est extrêmement émouvant. On y voit une ancienne star du rock nommée Gene Vincent qui tente de faire son retour.

    Luke la Main Froide n’y va pas de main morte : «Si vous êtes une rock star et qu’une équipe de télé vous a suivi pendant quelques jours, ça veut dire que votre carrière a été balancée au vide-ordures. Soit on va vous sortir du trash, soit vous êtes carrément le trash. Le docu rock n’est pas fait pour sauver une carrière.» Il fait ensuite la distinction entre deux genres de docus rock : ceux consacrés aux gens qui vont bien et qui n’intéressent personne, et ceux consacrés à ceux qui vont mal et qui vont mourir, et là bingo, coco !

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    Quand il débarque à l’aéroport, Gene est content : des Teds viennent l’accueillir et lui demander des autographes. Mais on sent tout de suite qu’il y a un problème, déjà en 1969 : Gene est passé de mode. Luke Haines : «Eugene Craddock was too much for rock». Ça, tous les fans de Gene Vincent le savent. Mais Haines va encore plus loin quand il suggère que le rock aurait pu s’arrêter à «Be-Bop-A-Lula». Car c’est après Be-Bop que commence son déclin. Haines rappelle brièvement l’accident de Chippeham où Eddie Cochran perdit la vie : «By now, Gene Vincent was a dead man barely walking and an almost living legend». C’est ce mec-là, un mort vivant et en même temps une légende vivante qu’on voit débarquer à Heathrow et aller répéter avec les Wild Angels dans une cave de Croydon.

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    Lucky Luke rappelle que Gene est complètement fauché quand il décide de repartir en tournée en Angleterre. Il doit du blé aux impôts. Il est accro aux anti-douleurs et siffle trois bouteilles de Martini par jour. Selon Luke la Main Froide, The Rock And Roll Singer is the greatest rock documentary ever made. Oui, le plus grand docu rock jamais réalisé, simplement parce que, dit-il, on y voit the greatest rock singer who ever lived, et que c’est du cinéma vérité, filmé dans l’instant. Gene, nous rappelle Haines, ne vivait que dans l’instant.

    On le voit boiter et s’arrêter pour répondre à des questions :

    — Pourquoi ce retour en Angleterre ?

    — I’ve got a new album out.

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    Il est affable et il est rincé. Haines le décrit comme «un Ratso Rizzo qui a grossi, une icône brisée qui boitille dans les couloirs et qui disparaît, avalé par les portes de l’oubli, en trimballant un pauvre étui à guitare». On retrouve Gene plus loin dans l’un des pires endroits d’Angleterre, nous dit Haines, le Dukes B&B. Une fois de plus, Gene se fait enculer par le promoteur, mais ce n’est pas si grave, vu qu’il s’est fait enculer toute sa vie : par des promoteurs, par son ex-femme et par sa rotten luck, c’est-à-dire la poisse. Il réclame son blé, mais le mec lui dit que le blé est dans un bureau fermé jusqu’à lundi. Gene est le roi des poissards, c’est l’une des raisons pour lesquelles on s’attache à lui depuis plus de cinquante ans - Our rock’n’roll hero is somewhat melancholic - Disant cela, Haines semble se marrer, mais pas tant que ça. Il aurait plutôt envie de chialer. La poisse continue : comme il arrive en retard au studio de télé, l’émission est annulée. Alors Gene prévient qu’il va aller se soûler la gueule, puisque ces cons ont annulé le show télé. Le film s’enfonce dans une insondable tristesse.

    Un journaliste lui demande :

    — What are your loves and hates ?

    — My loves are my wife and my dog, and my hates are the French groups. ‘Cause they never turn up.

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    Oui, il se plaint des groupes français qu’on attend pour des prunes avant les concerts. Ces branleurs ne viennent même pas. La caméra le filme assis à l’avant d’une bagnole qui roule dans Londres. Fantastiques images. Gene explique au chauffeur que la CIA a pris le pouvoir aux États-Unis. Le lendemain, l’émission est re-programmée. No alcohol, lui dit un responsable de Thames TV. Dans la loge, une dame lui lave les cheveux et les sèche au casque. Gene monte enfin sur scène avec les Wild Angels. Un mec annonce :

    — Tonite with the Wild Angels he gives you Be-Bop-A-Lula !

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    Alors on voit Gene penché sur son micro, la patte folle en arrière, all dressed in black. Les gens dansent dans le studio, ça fait partie du show, comme le veut la coutume de l’époque. Gene prend sa petite voix d’hermine frelatée et susurre my baby doll/ My baby doll. Il porte un gilet de cuir noir et médaillon pendouille au bout d’une grosse chaîne passée autour de son cou. À la fin, il est content. Un vrai gamin.

    Retour en loge et aux sempiternels problèmes de fric. Gene réclame son blé. Que dalle.

    — Tell’ em I want my money caus’ ther’s gonna be trouble.

    Il est gentil, il prévient que si on ne lui file pas son blé, ça va mal très tourner. Il va quand même jouer sur l’île de Wight. On le voit poireauter sur le ferry et poireauter encore. Il se plaint du poireau :

    — This is the hard part. Waiting to rehearse, waiting to get on.

    Sur scène, Gene dégringole son vieux «Say Mama». Puis «My Baby Left Me».

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    En fin de chronique, Haines nous rassure. Le film pourrait être très pénible, mais il ne l’est pas tant que ça, à cause dit-il du charisme de Gene Vincent (other-wordly magnetic charisma). C’est avec les extraits du set de l’île de Wight que tout finit par se remettre en place, avec un Gene singing like an angel from heaven. Après Be-Bop, les gens en veulent encore. One more ! One more ! Alors il revient EXPLOSER «Long Tall Sally». Le mot de la fin revient à cet aimable franc-tireur qu’est Luke la Main Froide :

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    — Commencez par visionner The Rock And Roll Singer puis écoutez sa version d’«Over The Rainbow». Et quand vous aurez séché les larmes de vos yeux, vous maudirez Dieu d’avoir autant maltraité le plus authentique de tous les chanteurs de rock’n’roll.»

    Signé : Cazengler, Gene vin rouge

    Gene Vincent. The Rock and Roll Singer. 1969

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    Luke Haines. Sweet Gene Vincent. Record Collector # 501 - January 2020

     

    Hang on Sleepy

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    Peter Guralnick rencontra Sleepy LaBeef pour la première fois en 1977. Sleepy se produisait chez Alan’s Fifth Wheel Lounge, l’équivalent d’un resto routier situé à une heure de route au Nord de Boston. Ce truckstop est le genre d’endroit que les Américains appellent un honky tonk. Michael Bane : «Vous pouvez appeler ce genre d’endroit honky tonk si vous voulez. Mais dans ce genre de bar éclairé aux néons qui vend de la bière pas chère, les habitués du samedi soir se sentent chez eux. Le honky tonk est aussi américain que peut l’être la tarte aux pommes. Il est aussi profondément ancré dans notre inconscient collectif que peut l’être la pute au cœur d’or. C’est un repaire prisé par la classe ouvrière qui pourrait se situer quelque part entre le passé et l’avenir, une zone tampon entre le trash alcoolique et le désespoir. Lumières tamisées et hard country music : un bon honky tonk, c’est tout ça et même beaucoup plus encore. C’est un endroit magique où toutes les règles sont temporairement suspendues. C’est vrai, vous pouvez danser dans un honky tonk, mais c’est beaucoup plus qu’une salle de bal, vous pouvez écouter de la musique, mais c’est beaucoup plus qu’une salle de concert, vous pouvez boire au point de sombrer dans un coma éthylique, mais c’est beaucoup plus qu’un bar où on va se soûler la gueule. Un bon honky tonk, c’est l’American dream limité à de la bière, des gonzesses et de la loud music.»

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    Si Guralnick cite Bane, c’est pour bien situer les choses : Sleepy LaBeef se produisait à longueur d’année dans des honky tonks un peu partout aux États-Unis : au Texas, puis autour d’Atlanta, près de Boston, ou alors au Kansas ou dans le Michigan. Il vivait de ses concerts. S’il a fini par s’installer dans le Massachusetts, c’est simplement parce que son bus de tournée avait pris feu sur la route et qu’il avait perdu tout ce qu’il possédait : fringues, disques, souvenirs, tout. Alors il s’est installé dans le motel derrière l’Alan’s Fifth Wheel Lounge et devint pour trois mois le house-band du truckstop. Depuis lors, il est resté basé dans la région.

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    Sleepy connaissait 6 000 chansons, il lui suffisait d’en entendre une dans un jukebox et si elle lui plaisait, il la retenait dès la deuxième écoute. Aux yeux de Guralnick, Sleepy LaBeef est un artiste considérable : «En une soirée, Sleepy LaBeef pouvait donner un cours d’histoire du rock’n’roll, en allant de Jimmie Rodgers à Jimmy Reed, en passant par Woodie Guthrie, Chuck Berry, Joe Tex et Willie Nelson. Ce multi-instrumentiste pouvait jouer de la guitare avec la niaque d’Albert King. En plus de sa connaissance encyclopédique de la musique, Sleepy avait du flair, de l’originalité et de la conviction.» Sleepy cultivait une autre particularité : il ne jouait jamais deux fois le même set.

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    Guralnick insiste beaucoup sur le côté «force de la nature» de Sleepy qui ne mesurait pas moins de deux mètres pour 120 kilos et qui fut the only rockabilly baritone, car oui, c’est ce qui frappe le plus à l’écoute de ses disques : la puissante gravité de sa voix. Guralnick va même jusqu’à comparer Sleepy à Wolf, tant par la présence que par la stature musicale. Mais tout ceci n’était rien comparé aux moments où, nous dit Guralnick, Sleepy prenait feu sur scène, tapant dans «Worried Man Blues» ou «You Can Have Her» avec une rare violence. Il entrait paraît-il en transe.

    En référence, Sleepy cite principalement Sister Rosetta Tharpe, qui fut aussi la muse de Cash et de Carl Perkins. Il cite aussi les noms de Lefty Frizzell, de Big Joe Turner et de Floyd Tillman. Mais il y en a d’autres. Quand on lui pose la question des autres, il demande de combien de temps il dispose, car la liste est longue. Et quand il entendit Elvis chanter «Blue Moon Of Kentucky» à la radio, il éprouva un choc, car il savait exactement d’où venait Elvis : de l’église. Car Sleepy avait chanté comme ça à l’église pendant des années.

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    Ce n’est qu’en 1968 qu’il rencontre Shelby Singleton, l’acquéreur de Sun Records et qu’il devient the last Sun recording artist. Mais c’est dix ans trop tard, même si Colin Escott voit en Sleepy le gardien de la flamme. Bad timing, disent les Anglais. Au lieu d’aller à Memphis comme le firent Jerry Lee, Roy Orbison et tous les autres, Sleepy préféra aller à Houston. Fatale erreur. Ça explique en partie qu’il ne soit jamais devenu une star, alors qu’il en avait la carrure, notamment grâce à son ‘basso profundo’. Le fait qu’il ne soit pas devenu une star tient aussi au fait qu’il n’ait pas bénéficié de l’aide d’un producteur du calibre d’Uncle Sam, ou, comme le suggère Guralnick, du calibre d’Art Rupe, le boss de Specialty, qui avait l’oreille pour le r’n’b et le gospel.

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    Selon Guralnick, Sleepy n’aurait jamais gagné un rond avec ses disques. Pour vivre et élever ses enfants, Sleepy fut obligé de tourner en permanence. Mais bon, pas de problème. Il le dit d’ailleurs très bien lui-même : «I never sold out. Nobody owns me. I know I’m good. I wouldn’t be honest if I didn’t tell you that.» (Je n’ai jamais vendu mon cul. Je n’appartiens à personne. Je sais que je suis bon. Je ne serais pas honnête avec toi si je ne te disais pas tout ça) (...) «Well quand j’ai débuté dans le business, je ne savais même pas qu’on pouvait y faire du blé. Et je pense que demain, je continuerai de monter sur scène, même si je ne fais pas de blé. Voilà comment je vois les choses.» Guralnick est en tous les cas convaincu que Sleepy était l’un des douze artistes les plus brillants qu’on pouvait voir sur scène aux États-Unis. Il lui consacre d’ailleurs dans Lost Highway un chapitre aussi important que ceux qu’il consacre à Elvis et Charlie Feathers. Et l’une des premières images du livre, c’est Sleepy en train de gratter sa gratte.

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    Les fans de Sleepy se sont tous jetés sur la belle box éditée par Bear Family, Larger Than Life. Cette box est une véritable caverne d’Ali Baba. On y trouve cinq CDs et un livret grand format aussi écœurant qu’un gros gâteau au chocolat : ça dégouline d’une crème de détails. Chacun sait que les Allemands ne font jamais les choses à moitié. Le disk 1 est sans doute le plus précieux car il rassemble tous les singles enregistrés par Sleepy entre 1955 et 1965 à Houston, Texas. On vendrait son âme au diable pour ce «Baby Let’s Play House» enregistré en 1956. Sleepy s’y montre digne de Charlie Feathers : même sens aigu du hiccup, jolis guitares claironnantes, slap in the face (Wendall Clayton), admirable déboulade - Bbbabe/ babebabe/ bum bum bum - Sacré Sleepy ! La B-side de ce premier single est un balladif atrocement efficace, «Don’t Make Me Go» : Sleepy impose sa présence aussi nettement qu’Elvis période Sun. Il enregistre aussi «I’m Through» en 1956. C’est admirable de vraie voix. L’accompagnement est un modèle de discrétion. Du biz à la Cash. On se régale à écouter chanter ce mec, même ses heavy balladifs texans passent comme des lettres à la poste. Toujours en 1956, il enregistre «All The Time» sur fond de barouf d’accords. Sleepy est le winner of the game, il allume comme un cake du ring, c’est énorme et fabuleusement hot, let’s get it now et solo de Charlie Busby, un mec qu’on peut voir en photo dans le livret, avec sa vilaine trogne et sa chemise à carreaux. Et crac, en 1957, il enregistre «I Ain’t Gonna Take It», ça slappe sous le menton, toujours Wendall Clayton, un môme de 13 ans. Sleepy amène «Little Bit More» à la folie Méricourt, il en veut encore - I’m gonna kiss you a little bit more/ Weeeehhh/ All nite long - Zyva Mouloud Labeef ! En 1958, Sleepy enregistre «The Ways Of A Woman In Love» sur un takatak à la Cash, mais il détient le power véritable. Il reprend d’ailleurs le «Home Of The Blues» de Cash. Durant la même session, il enregistre le «Guess Things Happen That Way» de Jack Clement, fabuleux popopoh de Deep sounding popopoh. Le single suivant s’appelle «Can’t Get You Off My Mind». On sent le rockab qui règne sur son empire. Fantastique cavalcade. Sleepy est un mec idéal pour Bernadette Soubirou. Ce big heavy shuffle texan est si bon qu’on hoche la tête en suçant le beat. Il fait aussi un «Turn Me Loose» digne de Buddy Holly. Ah ça sent bon le Texas ! En 1959, il reprend le «Tore Up» d’Hank Ballard et le racle bien au guttural. Il se prend d’ailleurs pour Billy Lee Riley. Il rend aussi un superbe hommage à Bo Diddley avec une reprise de «Ride On Josephine». Comment tu veux résister à ça ? Impossible.

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    Le disk 2 démarre avec sa reprise du big «Goodnight Irene» de Leadbelly. Wendall Clayton la slappe derrière les oreilles ! Sleepy est un weird outcast, il chevauche en marge de la société, il fait comme Jerr, il swingue son Leadbelly avec un max de gusto, good nite Iriiiiiine, tout ça sur fond des wild guitars de Red Robinson et Toby Torrey. Il faut voir aussi Sleepy bouffer la heavy country de «Oh So Many Years». C’est un vrai gator ! Il croutche tout ce qui traîne. Powerus maximalus, comme dirait Cicéron. Encore un fabuleux coup de heavy downhome baryton dans «Somebody’s Been Beatin’ My Time». En 1965, Sleepy enregistre pour Columbia à Nashville et ça s’entend. Il chante au creux de son baryton et son «Completely Destroyed» se révèle d’une puissance inexorable. Il adore ces vieux shoots de rengaines tagada. Il passe aux choses sérieuses avec une reprise de Chucky Chuckah, «You Can’t Catch Me». Véritable shoot de rockabollah, suivi d’une mise en coupe réglée du «Shame Shame Shame» de Jimmy Reed. Et voilà qu’il plonge dans le New Orleans Sound avec l’«Ain’t Got No Home» de Clarence Frogman Henry, ouh-woo-woo-woo, il le fait pour rire, il passe par tous les tons, même le cro-magnon. Sleppy éclate tout. Rien ne lui résiste. C’est sans doute là, dans sa première époque, qu’il montre à quel point il domine la situation. Il faut le voir attaquer «A Man In My Position», Goodbye Mary/ Goodbye Suzi, il fonce vers d’autres crémeries, d’autres chattes bien poisseuses. Sa voix transperce les murailles. De cut en cut, on s’effare de la qualité du stuff, comme par exemple ce «Sure Beats The Heck Outta Settlin’ Down», solide merveille pleine d’allant et de punch, country festive à la bonne franquette, un vrai joyau de good time music. On pourrait dire la même chose de «Too Young To Die» et de «Two Hundred Pounds Of Hurt», joués au fantastique swagger. Ce sacré Sleepy accroche bien son audimat. On le voit ressasser la vieille country d’«Everyday» à la poigne de fer. Powerful country dude ! Il termine sa période Columbia avec un sidérant «Man Alone». Ce mec sait chanter son bout de gras. Avec son Stetson noir et son blazer blanc, il fait figure d’aristo. Alors attention, en 1970, il enregistre chez Shelby Singleton. Il entre dans sa période Sun avec «Too Much Monkey Business» qu’il prend à la voix de heavy dude. Avec le «Sixteen Tons» de Merle Travis, il passe au ringing de wild rockab. Il sait de quoi il parle. Et puis voilà qu’on tombe sur un coup de génie : «Asphalt Cowboy». Fantastique résurgence de la source ! Il sonne comme Elvis dans le Polk Salad schtoumphing, Sleepy tape son Cowboy au dur du Deep South et le tempère à la pire aménité. Il en fait du big beat à ras la motte, typique d’un Tony Joe sous amphètes, sur fond de slidin’ du diable. L’un de quatre guitaristes présents dans le studio joue au picking demented. Sleepy ?

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    Le disk 3 démarre sur la suite de la période Sun et ça chauffe très vite avec «Buying A Book» que Sleepy chante du haut de la tour de Babylone puis il explose le vieux «Me And Bobby McGee» de Kris Kristofferson. Il l’emmène avec l’autorité d’un King. C’est la version qu’il faut écouter, car montée sur un heavy drive de slap. C’est plein de jus et gratté sec, lalala lalala ! En plein dans le mille. Sleepy laisse bien son Bobby en suspension - Good enough for me and/ ...Bobby McGee - Il rend ensuite hommage à Hooky avec «Boom Boom Boom» qu’il chante d’une voix de gator, croack croack, au right out of my feet du marais. Hooky devait bien se marrer en écoutant ça. S’ensuit un hommage torride à Joe Tex avec «It Ain’t Sanitary». Comme Elvis, Sleepy ne travaille qu’au feeling pur. Et bham, voilà l’«Honey Hush» de Big Joe Turner. Sleepy le yakety-yake d’entrée de jeu, il fonce dans le tas. Just perfect. Avec «A Hundred Pounds Of Hurt», il renoue avec le country power. En tant que Southern dude, Sleepy vaut mille fois Cash. On le voit ensuite monter sur le coup d’«I’m Ragged But I’m Right» comme on monte sur un braco. Sleepy monte sur tous les coups, comme Jerr. Il n’a pas froid aux yeux. Il va même exploser le cul de la pauvre country. Nouvel hommage, cette fois à T Bone Walker avec «Stormy Monday Blues». Ça pianote au fond du saloon. Sleepy honore ce géant du blues et l’hommage prend une sacrée tournure, c’est vraiment le moins qu’on puisse dire. Il faut voir ce chanteur passionnant monter dans ses gammes. Il ne fait qu’une seule bouchée de «Streets of Laredo» et va loin au fond de son baryton pour interpréter «Bury Me Not On The Lone Prairie». Il chante aussi «Tumbling Tumbleweeds» à la carafe implicite et barytonne de plus en plus. En 1974, il se tourne résolument vers la country, mais il est si bon qu’on l’écoute attentivement, même quand on n’est pas fan de country. Il reprend aussi le «Good Rocking Boogie» de Roy Brown qui est en fait le «Good Rockin’ Tonight» - Well I heard the news/ We’re gonna boogie tonite - Énorme swagger.

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    Suite de la période Sun sur le disk 4. Avec «Mathilda», il enfonce son clou cajun à coups de poing. Même niveau qu’Elvis question prestance et ça violonne à perdre haleine. Sleepy reste dans le cajun avec «Faded Love» - I miss you darling more & more - Très haut niveau d’instrumentation avec un Sleepy qui solote au glouglou dans le flow. Toute la session de mai 1977 est cajun, même la reprise de «You Can’t Judge A Book By Its Cover». C’est très spécial, rien à voir avec Cactus. Sleepy opte pour le mode cavalier léger, c’mon, can’t you see. S’ensuit un «Young Fashioned Ways» bien slappé derrière les oreilles décollées. Sleepy et ses amis n’en finissent plus d’allumer les vieux coucous : c’est le tour du «Sittin’ On Top Of The World» des Mississippi Sheiks, un heavy blues popularisé par Wolf et plus tard Cream. Sleepy does it right. Facile quand on est monté comme un âne. Ah qui dira la violence du country beat, avec la petite incision qui ne fait pas mal, cette guitare scalpel qui entre dans le cul du beat. Ces mecs y vont de bon cœur. Plus rien à voir avec Cream. Sleepy fait aussi une version royale de «Matchbox». Puis il rend hommage à Lowell Fulson avec une version superbe de «Reconsider Baby». Il en fait un carnage, même si la bite blanche est moins exposée aux aléas sentimentaux que la bite noire - I hate to see you go - Mais au fond, Sleepy ne manquerait-il pas un peu de crédibilité, si on compare sa version avec celle du géant Lowel Fulson ? Et la valse des covers de choix reprend avec «Polk Salad Annie», c’est une version ultra-musculeuse, Sleepy et ses copains ont décidé de fracasser la Salad, ils jouent au big Southern brawl. Fantastique énergie ! Ça bat sec et net, sur un beat bien tendu vers l’avenir. Sleepy crée l’événement en permanence. Il brame son «Queen Of The Silver Dollar» au fond du saloon et tape son «Stay All Night Stay A Little Longer» au Diddley beat, avec des chœurs. Wow, ils sont en plein dans Bo ! C’est un véritable coup de génie : Sleepy fond l’énergie country dans le cœur de Bo ! Du coup, ils retapent un coup de «Baby Let’s Play House» - Babbb/ I’ll play house for you - Sleepy tape aussi dans l’extraordinaire «Tall Oak Tree» de Dorsey Burnette, joli shoot de black country rock. Quelle autorité et quel son ! Ces sessions Sun rangées chronologiquement dans la box sont de vraies merveilles. Sleepy eut la chance de ne pas tomber dans les pattes du Colonel Parker et de RCA. Il put ainsi préserver son intégrité.

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    On continue avec le disk 5 qui propose ses chansons de gospel et notamment une reprise de son tout premier single, enregistré en 1955 et resté inédit, «I Won’t Have To Cross The Jordan Alone»/«Just A Closer Walk With Thee» : vieux gospel country demented. Il explose sa ‘old time religion’. Il prend aussi «Ezekiel’s Boneyard» en mode jumpy et occipute «I Saw The Light». Il chante tout ça d’autorité avec une insolente profondeur de ton. Sleepy ravage les églises en bois. Il joue tout son gospel batch à la country effervescente, avec une incroyable énergie du beat. On tombe plus loin sur les sessions d’un album plus rock, avec notamment des reprises musclées de «Rock’n’Roll Ruby» et de «Big Boss Man». Il les groove sous la carpette du boisseau, il leur fouette la croupe au mieux des possibilités du fouettage, et ça donne un vrai swing d’American craze. Sleepy y va toujours de bon cœur, il faut le savoir. Il claque aussi l’«I’m Coming Home» de Johnny Horton au country power et riffe en sourdine à l’huile. Tout est alarmant de power et de classe. Sleepy is all over. Il prend son «Boogie Woogie Country Girl» ventre à terre et devient violent avec son killer solo flash. On ne parle même pas de la version demented de «Mystery Train». Il va droit sur Elvis 56. Encore plus demented, voici «Jack & Jill Boogie» avec un Cliff Parker qui a le diable au corps. Hommage à Lee Hazlewood avec «Honly Tonk Hardwood Floor», beau brin de son of a gun, pas de problème, ça reste du Grand Jeu. Il gratte aussi son «Tore Up» au sec de Nashville et termine avec la doublette infernale de Billy Boy, «Flying Saucer Rock’n’Roll» et «Red Hot».

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    Quant au disk 6, il propose l’album enregistré à Londres avec l’excellent Dave Travis Bad River band. Cet album est un véritable festival de rythmique et de sawgger rockab. On ne saurait rêver mieux dans le genre. Pour les Anglais, ça devait être un rêve que d’accompagner un mec aussi brillant que Sleepy LaBeef. Sur cet album, tout est bon, il n’y a rien à jeter, ils tapent «Ride Ride Ride» au fouette cocher et envoient un fabuleux shoot de virtuosité avec «LaBœuf’s Cajun Boogie» : figures de style bien carrées et somptueuses descentes de gammes cajunes. Sleepy joue ça au gratté sauvage. Il faut dire que le mix de Bear ravive encore la fraîcheur enivrante de l’album. Avec «Go Ahead On Baby», Sleepy prend les choses au débotté et embarque «Mind Your Own Business» au heavy drive. Sleepy travaille ça en profondeur et passe une espèce de killer solo flash qui laisse rêveur. Cet album est une vraie bombe atomique. Sleepy saute sur le râble de tous ses solos, il joue tout à l’ouverture d’esprit. Il embarque son «Shame Shame Shame» au rumble rockab et se paye une belle dégringolade de bass drive avec «Cigarettes And Coffee Blues». Sleepy est dans son délire de swing et bat absolument tous les records de désinvolture.

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    On retrouve toutes les merveilles Sun sur les deux premiers albums de Sleepy, The Bull’s Night Out et Western Gold. Le plus diabolique des deux albums Sun est le premier qui s’ouvre sur la version nerveuse de «Too Much Monkey Business». On sent le cat accompli. Mais c’est en B qu’ils chauffent la marmite avec cette fantastique version de «Me And Bobby McGee» que Sleepy prend d’une voix de big guy. C’est gratté à l’efflanquée d’acou tutélaire. Sleepy fait son stentor terminator, il bat même Elvis à la course. Il charge ensuite la barque de la B avec «Boom Boom Boom», puis l’«It Ain’t Sanitary» de Joe Tex qu’il fait sonner comme du Tony Joe White avec le même sens du come along, puis «Honey Hush» qu’il prend à la cosaque d’une voix d’Ivan Rebroff. Cette B fulminante se termine avec l’excellent «Asphalt Cowboy» monté sur l’attaque de takatak Telecasté et on voit Sleepy naviguer à la surface du beat, fier comme un amiral de la Royal Navy.

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    Le Western Gold est plus country, avec un «Mule Train» bien cavalé et un «Cool Water» bien monté dans les gammes de chant. Sleepy fait là de la country de cornac. Il fait sa barrique avec «Tumbling Tumbleweeds» et retombe dans la vieille country de poids avec «Strawberry Roan». Il sort son meilleur baryton, celui de la prairie, pour «Wagon Wheels» - Carry me over the hills - et sombre dans un océan de nostalgie avec «Home On The Range». Et tout cela se termine avec «Ghost Riders In The Sky» qui sonne comme une cavalcade de cowboys à la mormoille. Avec cet album, on a disons l’équivalent des grands albums country de Jerr parus sur Smash.

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    Encore du Sun en 1979 avec Downhome Rockabilly et une série de reprises assez magistrales de «Rock’n’Roll Ruby» et surtout de «Big Boss Man» qu’il fait sonner comme une bombarde. Sleepy chante comme Hulk, du haut du ventre et ça swingue fabuleusement. Autre belle surprise : «Boogie Woogie Country Girls», un hit de Doc Pomus que Sleepy taille au swagger et ça slappe dur derrière lui. Belle version de «Mystery Train». Sleepy se positionne sur celle d’Elvis et il en a la carrure. Sa version lèche bien les orteils de l’original signé Junior Parker. En B, il salue Lee Hazlewood avec une cover d’«Honky Tonk Hardwood Floor» puis Hank Ballard avec un «Tore Up» hautement énergétique. S’ensuivent deux clins d’yeux à Billy Boy avec «Flying Saucer Rock & Roll» et «Red Hot». Ces mecs ont le diable chevillé au corps. Puis Sleepy va exploser le vieux «I’m Coming Home» de Johnny Horton. Il tape ça au fouette cocher. On se régale de l’incroyable carapatage de Sleepy LaBeef. Ça joue au meilleur country jive de derrière les fagots. Et cet album qu’il faut bien qualifier de miraculeux se termine sur le «Shot Gun Boogie» de Tennessee Ernie Ford. Wow shot gun boogie !

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    Charly s’est aussi jeté sur les sessions de Sleepy pour remplir deux albums, Beefy Rockabilly et Rockabilly Heavyweight, parus en 1978 et 79. Comme à son habitude, Charly tape dans le tas pour vendre. On retrouve sur Beefy Rockabilly toute la ribambelle : «Good Rockin’ Boogie», «Blue Moon Of Kentucky», «Corine Corina» qu’il chante dans les règles du meilleur art, «Matchbox», joué sec et net et sans bavure, «Party Doll» monté sur un solide drive de Nashville et l’irremplaçable «Baby Let’s Play House». Franchement, cette A vaut le détour et ça continue en B avec un «Too Much Monkey Business» chanté à la poigne d’acier, un «Roll Over Beethoven» irréprochable et un «Boom Boom Boom» transformé en big drive nashvillais. C’est joué à la frénétique, bien fouetté de la croupe, au vrai tagada. Charly charge bien la barque en ajoutant «Honey Hush» et «Polk Salad Annie», ce qui donne au final un album hélas beaucoup trop parfait. Sleepy ne vit que pour allumer les vieux cigares. Notez bien que les liners notes au dos de la pochette sont signées Guralnick. Il insiste : «Écoutez bien cet album. Avec ces morceaux qui s’inspirent du blues, du cajun, du swing, de la country et de la pure church-rocking Soul, on a une idée parfaite de ce que sont les racines du rockabilly, et comme dans le cas des géants du rockab original, Sleepy marie tout ça grâce à un incroyable style personnel.» Il s’enfièvre et compare le style vocal de Sleepy à ceux d’Elvis, de Big Joe Turner et de Wolf.

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    Et puis revoilà l’excellent Rockabilly Heavyweight enregistré à Londres avec le Dave Travis Bad River Band, repris dans la Bear Box en son intégralité. On y trouve des versions fringantes de «Shame Shame Shame» ou «Milk Cow Blues» que Sleepy arrose de killer solos flash. Au dos de la pochette, Max Needham nous raconte dans le détail ce concert donné au Regent Street studio, sur Denmark Street. Alors âgé de 44 ans, Sleepy ouvre le bal : «Come on bopcats, let’s rock !» et il attaque avec «Sick & Tired». La perle de l’album est sans doute «LaBœuf’s Cajun Boogie», un instro qui swingue de manière fantastique. Joli shoot de swing aussi dans «Mind Your Own Business», monté sur un drumming rockab de coin de caisse et des chœurs de mecs frivoles. Ah comme c’est fin et rusé ! Les Anglais se révèlent excellents, ils swinguent aussi «Lonesome For A Letter» et nous envoient au tapis avec un «Smoking Cigarettes & Drinking Coffee Blues» monté sur un drive infernal. Sleepy a bien raison de travailler avec Dave Travis. Ils font bien la paire. Sleepy prend plus loin «I’m Feeling Sorry» au gras d’attaque à la Jerr. C’est un album réjouissant bardé d’ol’ rock’n’roll furia del sol. Sleepy rafle la mise sans jamais forcer. Le festin se poursuit en B avec «Honky Tonk Man» et sa belle aisance swinguy - Hey hey mama/ Don’t you dare to come home - Sleepy n’en finit plus de jouer comme un dieu, surtout dans «My Sweet Love Ain’t Around».

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    En 1981, Sleepy entame sa période Rounder Records avec It Ain’t What You Eat It’s The Way You Chew It. C’est encore Guralnick qui signe le texte au dos de la pochette. Il décrit dans le détail toute la session d’enregistrement qui eut lieu au Shook’s Shack de Nashville. Il rappelle dans ce texte qu’il a fréquenté Sleepy pendant trois ou quatre ans et qu’il fut charmé à la fois par sa dimension musicale et sa dimension intellectuelle. Sleepy est un homme qui lit énormément. Une fois de plus Guralnick sort les noms d’obscurs contemporains de Sleepy, Frenchy D et Johnny Spain. Le reproche qu’on pourrait faire à cet album, c’est son côté trop Nashville. Sleepy perd son edge, même si Guralnick prétend le contraire. Même si «I Got It» (chanté aussi par Little Richard) sonne comme le rock’n’roll du diable. Il rocke bien son «I’m Ready», c’est fouetté et cravaché en toute connaissance de cause, mais sans surprise. Il tente en B le coup du heavy boogie avec «Shake A Hand» et reprend l’«If I Ever Had A Good Thing» de Tony Joe. Il fait aussi une belle version de «Let’s talk About Us», mais le «Walking Slowly» d’Earl King retombe à plat. Notons aussi qu’avec cet album, on sort de la période couverte par la Bear box.

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    Toujours sur Rounder, voici Electricity, paru en 1982. Steve Morse signe le texte au dos de la pochette. Il rappelle que Sleepy peut reproduite n’importe quel roots style : blues, country, cajun ou gospel. Mais s’empresse-t-il d’ajouter, c’est quand il rocke que ça devient intéressant - You’re under the spell of the real thing - À quoi Sleepy ajoute : «La seule musique qui m’intéresse est celle qui donne la chair de poule.» Alors en voiture Simone pour un album plein d’edgy boogie-woogie, de wild rockabilly et de pure overdrive rock’n’roll, nous dit Morse. Il ajoute que le soir d’un concert au Mudd Club à New York, Lux Interior vint trouver Sleepy pour lui demander un autographe. Première bonne surprise avec «Low Down Dog» repris jadis par Smiley Lewis et Big Joe Turner. Le beat rebondit aussi bien qu’une balle en caoutchouc dans la chaleur de la nuit et Sleepy transperce son Low Down en plein cœur d’un sale petit killer solo flash. C’est avec «Alabam» qu’il rafle la mise - I’m going back/ To Alabam - C’est cavalé ventre à terre, Sleepy fonce à la cravacharde. Morse précise que Sleppy reprend la version de Cowboy Copas. Puis il s’en va swinguer son vieux «I’m Through» qui date du temps où il chantait avec Hal harris et George Jones au Houston Jamboree, dans le milieu des années cinquante - Cause I’m blue/ I’m through with you - Il attaque sa B avec une cover de «These Boots Are Made For Walking» - The perfect rockabilly song, dit Sleepy - et il s’endort sur ses lauriers avec «You’re Humbuggin’ Me’» de Lefty Frizzell. Réveil en sursaut avec «Cut It Out» de Joe Tex, mais la prod ne met pas assez le cut en valeur. On a un problème avec cet album qui sonne comme le point bas d’une carrière.

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    Guralnick est de retour au dos de la pochette de Nothin’ But The Truth, paru en 1986. Attention c’est un big album ! Guralnick dit même qu’on l’attendait depuis longtemps, car c’est l’album live tant espéré. Guralnick est tellement fasciné par Sleepy qu’il le range dans son panthéon à côté de James Brown, Jerr et Wolf, in his pure ability to tear up a stage. Il veut dire que Sleepy explose une scène aussi bien que James Brown, Jerr le Killer et Wolf. Sleepy : «I’ll garantee you something’ll be going on !» Eh oui, Sleepy nous fout la chair de poule avec son «Tore Up Over You», real rockab madness. Sleepy a le diable au corps et il tore up dans les brancards. Il enchaîne avec un extraordinaire shake de Beefy Beef nommé «Boogie At The Wayside Lounge». Il drive ça à la voix d’homme, comme son copain Jerr le Killer. Même jus. Il nous embarque dans un interminable drive de boogie blast. Il annonce a little bit of bluegrass & rhtyhm & blues pour présenter «Boogie Woogie Country Man» et emmène son «Milk Cow Blues» à la force du poignet. En B, il prévient les gens qu’il adore cette chanson et pouf, voilà «Let’s Talk About Us». Il l’embarque aussi à la poigne de fer. Ce mec rolls on the rock et pique une crise comme son copain Jerr le Killer. S’ensuit un magnifique hommage à Bo Diddley avec «Gunslinger». Il jette dans la balance toute sa sincérité d’homme blanc et les chœurs font «Hey Bo Diddley !». Alors on monte directement au paradis. Il annonce : «Got a little boogie for ya» et boom, «Ring Of Fire» qu’il prend en mode boogie blast. Ah il faut avoir vu ce cirque si on ne veut pas mourir idiot. Et c’est avec le medley final qu’il va s’inscrire dans la légende des siècles. Fantastique tenue de route ! Les mecs y vont franco de port en démarrant avec le «Jambalaya» d’Hank Williams. Ils restent sur le même beat pour «Whole Lotta Shaking Goin’ On» que Sleepy chante au sommet de son art, sans jamais céder un pouce à la faiblesse. Toujours le même beat pour «Let’s Turn Back The Years» et «Hey Good Looking», pas de variante, avec Sleepy, tout coule non pas de source mais de muddy water et il termine sur un vieux shoot de Folsom. Le seul mot qu’on puisse ajouter au sortir de cet album, c’est wow. Alors wow ! Et même mille fois wow !

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    Ce sont les frères Guralnick qui produisent l’excellent Strange Things Happening paru sur Rounder en 1994. Sleepy rafle la mise dès «Sittin’ On Top Of The World» qu’il attaque au takatak. Il faut voir ce roi du monde parader dans son groove en toute impunité. Il est le grand vainqueur du rock américain. S’il est un mec qui inspire confiance sur cette terre, c’est bien Sleepy. Tu peux entrer dans la danse, tu ne seras pas déçu, c’est du big American sound claqué aux mille guitares et chanté au meilleur basso profundo. Sleepy récidive plus loin avec «I’ll Be There». On croit que la messe est dite depuis belle lurette, en matière de heavy boogie, et pourtant Sleepy claque ça sec. Il développe un extraordinaire swing de jive qui n’appartient qu’à lui. C’est encore un hit de juke comme on n’ose plus en rêver, chargé de wild guitars. What a swagger ! Il finit au guttural. Avec «Trying To Get To You», il sonne comme Elvis. Pur Memphis jive. Idéal pour un ‘gator comme Sleepy. Le titre de l’album est bien sûr un clin d’œil à Sister Rosetta Tharpe. Il embarque le morceau titre au heavy beat pianoté. Le géant s’adresse à une géante et le beat est au rendez-vous. Oh every day ! Clameurs de gospel ! Every day, là mon gars tu en as pour ton argent. Solo à la coule. Merveilleux Sleepy LaBeef. Son «Playboy» sonne comme un boogie classique, mais Sleepy en rajoute des couches. Il rend aussi un bel hommage à Muddy avec «Young Fashoned Ways» et à Ernest Tubb avec «Waltz Across Texas». Il finit avec une version live de «Stagger Lee» - ‘This is Stagger Lee now ! - Cette façon d’embarquer un cut n’appartient qu’à lui. Il fait sa loco et embarque Stagger Lee sur les rails à travers l’Amérique.

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    On pourrait voir I’ll Never Lay My Guitar Down comme un album de plus. Simplement, il s’y passe des choses, du genre «Treat Me Like A Dog», vrai shuffle de rockab moderne. Sleepy l’embarque au train train d’enfer de Mystery Train et donne une belle leçon de heavy shuffle. Il finit son cut à la folie Méricourt, à la Jerr, stay away from you, il explose son final au guttural, il shoute le train du try to try comme s’il se trouvait au Star Club de Hambourg ! Wow ! Il fait aussi sur cet album une nouvelle version d’«I’m Coming Home». Ah il aime bien Johnny Horton. Ça tombe bien, nous aussi. Il le claque au heavy claqué de boisseau, il le joue en mode bluegrass avec une gratte qui sonne comme un crapaud buffle du bayou, c’est fin et racé, digne des trains en bois du bayou et des grenouilles de Monsieur Quintron. Spectaculaire ! Il nous remet une couche de magnifique aisance avec «Little Old Wine Drinker Me» qui sent bon le «Route 66». Tiens puisqu’on parlait du bayou, Sleepy reprend l’excellent «Roosevelt & Ira Lee» de Tony Joe. Même race d’aventuriers du son et du swamp. Violent shoot de hot boogie down avec «Hillbilly Guitar Boogie». Sleepy adore le hot hillbilly blast, il en fait ses choux gras. Et il prend prétexte d’un «You Know I Love You» pour soloter à bras raccourcis.

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    Tomorrow Never Comes pourrait bien être l’un des meilleurs albums de Sleepy. Le morceau titre est une reprise d’Ernest Tubb, l’une de ses idoles parmi tant d’autres. «I grew up listening to Hank Williasm, Howlin’ Wolf, Bill Monroe, Tommy Dorsey, Muddy Waters, Bob Wills, Roy Acuff and Big Joe Turner». Sa version de Tomorrow est un vrai slab de rockab arraché à l’oubli. Une merveille de power, slappé par ce démon de Jeff McKinley. Autre reprise de choc : «The Blues Come Around» d’Hank Williams. Fantastique drive de heavy junk, Sleepy joue ça à la main froide, et ça pulse au beat rockab, avec un killer solo à la fin. Le «Detour» d’ouverture de bal est aussi un sacré romp de rockab. Sleepy sait prendre le taureau rockab par les cornes. Il joue ça au country power blast. Nashville romp, baby. Cette session nashvillaise de l’an 2000 compte parmi les sommets de l’art, avec des mecs aussi brillants que Jeff McKinley et David Hughes. Il fait aussi une version incroyablement rockab de «Too Much Monkey Business». Là-dessus, Sleepy est imbattable. Il faut voir comme il sait driver son Monkey Business. C’est assez fascinant. Il transforme le plomb du Monkey Business en or rockab. Mais ce diable de Sleepy est bien trop américain pour l’alchimie. On note la belle ferveur de David Hughes au slap. Maria Muldaur vient duetter avec Sleepy sur «Will The Circle Be Unbroken». Elle se fond dans l’exégèse. Elle sait shaker un couplet de gospel batch, pas de problème. Elle sait comment il faut la ramener. Sleepy rend plus loin hommage à Tony Joe avec «Poke (sic) Salad Annie». Belle tension, Sleepy adore Tony Joe et ses racines rurales, parce qu’il a les mêmes. Il descend au fond de sa cave pour y chercher le meilleur baryton. Il revient à ses premières amours avec un vieux coup d’«Honey Hush». Il connaît le Yakety Yack par cœur, mais on se régale du beau slap de Nashville. Jeff McKinley fait même un beau numéro de slap à vide. C’est une version de rêve, avec des chœurs de potos derrière et un solo de wild guitar. Il termine avec un fantastique shoot de «Low Down Dog». McKinley slaps it all over. Sleepy LaBeef serait-il the last of the great original rockabillies on earth ? En tous les cas, il slappe son shit, oooh oui, ooh oui. Si tu veux du vrai rockab, mon gars, vas voir Sleepy. Ou Jake Calypso.

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    Paru en 2001, Rockabilly Blues est une compile concoctée par Rounder à partir de cuts de blues restés inédits et enregistrés lors des sessions antérieures, comme par exemple celles de Nashville avec D.J. Fontana et Cliff Parker. Sleepy rend un bel hommage à Jimmy Reed avec une cover de «Bright Lights Big City» et ramène du violon cajun dans un «Fool About You» qu’il finit au yodell, comme Jerr. Sleepy tape aussi dans Muddy avec une reprise de «Mannish Boy», mais sa version manque tragiquement de heavyness. Elle n’est ni assez grasse ni assez spongieuse. Trop plastique. Pareil, il se vautre avec «Rooster Blues». On croirait entendre un gamin de 15 ans dans une surprise-party. Il sauve l’album avec «Night Train To Memphis», oh yeah, hallelujah ! Duke Levine y fait pas mal de ravages sur sa guitare. Sleepy tape une joli coup de gospel avec «This Train», mais se vautre lamentablement avec «Long Tall Sally» et «Rip It Up». Comme quoi, il faut parfois laisser les outtakes dormir au fond de leur tiroir.

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    Sur Roots paru en 2008, Sleepy a pris un coup de vieux. Il porte des lunettes et sa main droite qu’on voit posée sur la guitare est celle d’un vieux bonhomme. Mais quand il swingue son «Cotton Fields», il le fait d’une voix qui fait rêver tous les chanteurs. Il ramène même du violon derrière. Il en fait une version diabolique et chante au mieux de son basso profundo. Ah comme ce mec peut être génial ! Il fait encore du swagger protectionniste avec «Baby To Cry» et atteint des summums d’artistry. Il claque ensuite ce vieux balladif de «What Am I Worth» avec une ferveur qui en bouche un coin. Il chante l’Americana au deepy rap. Ce démon de Sleepy lègue ses cuts à la postérité avec la générosité d’un seigneur déchu. L’autre sommet de l’album, c’est «Miller’s Grave» qu’il chante comme Cash au soir de sa vie. Même intensité que le vieux Cash tombé dans les pattes de l’horrible Rick Rubin. Même délire de fantastique présence. Sleepy revient à son cher heavy blues avec «Completely Destroyed» - I’m just a shell of a man - et tape son «Foggy River» au meilleur baryton de l’univers. Il gratte son «Dust On The Bible» à coup d’acou. Véritable shoot de country jive ! C’est énorme d’American fever et de die for it. Sleepy est encore pire que Cash à l’article de la mort. Il se veut immanquable. Il reprend aussi «Detroit City», comme l’a fait Jerr à une époque, et étend l’empire de sa nostalgie des cotton fields at home - I wanna go home - Puis il embellit «In The Pines» de Leadbelly à l’embellie - And you shiver when the cold wind blows - Il faut aussi le voir se plonger dans la Bible avec «Matthieu 24» - I believe the time has come for the Lord to come again - Il y croit dur comme fer et se livre avec «Have I Told You Lately» à un sacré ramage en son plumage. C’est encore une fois digne du Cash de la fin des haricots. Avec «Amazing Grace», il ne pouvait pas trouver meilleure fin de non recevoir.

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    Alors voilà son dernier album, Sleepy LaBeef Rides Again, paru en 2012 et doublé d’un DVD, l’excellent Live At Douglas Corner Café. L’idée de doubler la séance d’enregistrement de Rides Again au fameux RCA Studio B de Nashville est jaillie du cerveau de Dave Pomeroy, le bassman de Sleepy. Eh oui, il fallait y penser : on a donc la version studio ET la version live du même set. Sleepy sort le Grand Jeu puisqu’il tape dans ses vieux coucous, à commencer par «Honey Hush» - Umm honey hush - Il lui sonne bien les cloches et enchaîne avec un «Lost Highway» en père peinard sur la grand mare des canards. Look out ! Fantastique ramshakle ! Les points forts de l’album se trouvent vers la fin, à commencer par un medley explosif, «Tore Up Over You/ I Ain’t No Home/ Ring Of Fire» - Tore up ah ha ! - Il ne faut pas lui confier ce genre de truc, il va l’exploser ! Il embroche son Ain’t no home sur le même beat, Sleepy est un spécialiste du glissé de cut en cut sur le même beat, il sait aussi faire monter la température et pouf, voilà Ring of Fire qu’il explose. Sleepy est le roi des medleys. Juste derrière se trouve l’excellent «Willie & The Hand Jive», un vieux boogie de Johnny Otis. Sleepy lui fait honneur - Do the hand jive one more time ! - On retrouve aussi sur cet album de vaillantes versions de «Red Hot» et d’«Hello Josephine». Infernal ! How doo yoo dooo ! Sleepy sait pincer les fesses de Josephine, doo yoo remember me baby ? Il nous claque à la clé un sacré solo de belle gueule à la Clémenti - How doo yoo dooo - Il ressort tous ses vieux classiques, «Young Fashioned Ways», «Blues Stay Away From Me» et «Boogie Woogie Country Man» - I like a little rock, I like a little roll - Et pouf ! Il part bille en tête. On le voit gratter «Wolveron Mountain» avec un appétit de géant qui en dit long sur son admiration pour Rabelais. Il termine cet album qu’il faut bien qualifier de classique avec «Let’s Turn Back The Years». La fête continue. Il faut en profiter.

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    Dans le film du concert au Douglas Corner Café, c’est Dave Pomeroy qui présente Sleepy, the one and only Sleepy LeBeef, oui, prononce le a de la le et cette grande baraque de Sleepy attaque son «Honey Hush» en vieux pro. Des témoins viennent dire la grandeur de Sleepy entre deux cuts, notamment Peter Guralnick : «Sleepy is the greatest performer I have ever seen.» On voit Kenny Vaughan soloter en alternance avec Sleepy. Tout est extrêmement carré, articulé sur ces trois musiciens exceptionnels que sont Sleepy, Kenny Vaughan et Gene Dunlap au piano. Sleepy : «I recorded it en 1959, a Hank Ballard twist.» Pouf, «Tore Up» ! Les témoins n’en finissent plus de saluer la grandeur de Sleepy : «It became a Sleepy trademark : he plays all nite long and never stops it !» Ils font de «Willie And The Hand Jive» un fantastique groove climatique, bien drivé par cet excellent batteur rockab qu’est Rick Lonow - Do the hand jive one more time - Tout le monde descend sauf Sleepy qui va continuer de gratter sa gratte jusqu’à la fin des temps.

    Signé : Cazengler, Sleepy LaBave

    Sleepy LaBeef. Disparu le 26 décembre 2019

    Sleepy LaBeef. The Bull’s Night Out. Sun 1974

    Sleepy LaBeef. Beefy Rockabilly. Charly Records 1978

    Sleepy LaBeef. Downhome Rockabilly. Sun 1979

    Sleepy LaBeef. Rockabilly Heavyweight. Charly Records 1979

    Sleepy LaBeef. It Ain’t What You Eat It’s The Way You Chew It. Rounder Records 1981

    Sleepy LaBeef. Electricity. Rounder Records 1982

    Sleepy LaBeef. Nothin’ But The Truth. Rounder Records 1986

    Sleepy LaBeef. Strange Things Happening. Rounder Records 1994

    Sleepy LaBeef. I’ll Never Lay My Guitar Down. Rounder Records 1996

    Sleepy LaBeef. Tomorrow Never Comes. M.C. Records 2000

    Sleepy LaBeef. Rockabilly Blues. Bullseye Blues & Jazz 2001

    Sleepy LaBeef. Roots. Ponk Media 2008

    Sleepy LaBeef. Rides Again. Earwave Records 2012

    Sleepy LaBeef. Larger Than Life. Bear Family Box 1996

    Peter Guralnick. Lost Highway. Back Bay Books 1999

    Seth Pomeroy. Sleepy Labeef Rides Again. Live At Douglas Corner Café. Earwave DVD 2012

     

    Battle Fields - Part Two

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    Si on aime la Soul à en brûler bien qu’ayant tout brûlé, alors il faut écouter Lee Fields. Comme Brel, Lee Fields cherche l’inaccessible étoile. Telle est sa quête. Quand il vient chanter «Honey Dove» en rappel, il brûle du même feu que Brel, c’est en tous les cas ce que ressentent tous ceux qui eurent l’immense privilège de voir l’Homme de la Mancha au Théâtre des Champs Élysées. Lee Fields atteint lui aussi les niveaux supérieurs de l’interprétation dans ce qu’elle peut avoir de mercurial et d’implosif à la fois. Jacques Brel reste le modèle absolu de l’intensité interprétative, et Lee Fields dispose à la fois du talent et de «Honey Dove» pour le rejoindre dans ce lointain firmament. On pourrait aussi citer James Brown, bien sûr. Même genre de volcan, même genre de professionnalisme exacerbé, avec cette façon spectaculairement élégante de rappeler que la Soul et le funk sont avant toute chose une affaire de black power.

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    Bien sûr, si on veut prendre un coup de black power en pleine gueule, il faut faire l’effort d’aller voir Lee Field sur scène. Les mauvais clips mis en ligne font insulte à sa grandeur. Comme s’ils le ratatinaient.

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    À l’âge de 69, ce petit bonhomme rondouillard tournoie sur scène comme une toupie et shoute la meilleure Soul des temps modernes. Il est le spectacle, le monstre sacré, dans sa veste de smoking brodée de fil d’or, son pantalon noir à baguettes et ses boots argentées. Lee Fields vient d’une autre époque, celle des grandes revues de la Soul américaine d’antan, lorsque que les blackos prenaient leur revanche sur la société des blancs en conquérant le monde sans la moindre violence, avec un art qu’on appelle la Soul Music. C’est un point qui mérite d’être sérieusement médité. Les fils d’esclaves n’eurent pas besoin de B52 ni de fucking snipers pour conquérir le monde occidental et faire danser les petits culs blancs. Rien ne pouvait résister au rouleau-compresseur de cette Soul dont les figures de proue étaient Stax, Tamla et James Brown. Lee Fields perpétue la tradition avec en plus le punch de Cassius Clay. Il met le monde moderne KO en dix manches, et franchement, le monde moderne est ravi d’avoir été mis au tapis par un petit nègre aussi brillant que Lee Fields. Si on osait, on dirait même que c’est un honneur.

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    Oui, Lee Fields nous met KO. C’est une réalité. Il attaque son «Work To Do» au chaud d’intonation à la Otis, il perpétue cette vieille tradition d’émotion contenue qui fait la force de la Soul, il chante au chaud-bouillant de son âme. En cours de set on sent sa mâchoire se décrocher à plusieurs reprises, surtout quand Lee pique sa crise de hurlette de Hurlevent au terme d’un «Love Prisoner» lancinant et harassé par des brisures de rythme, set me free, implore-t-il, mais la Soul est un long parcours, c’est du all nite long, le nègre a l’endurance qu’un blanc n’a pas, même sous coke. Deux siècles d’esclavage, ce n’est pas rien. Set me free ! Il prend le prétexte d’un drame sentimental pour hurler son set me free/ I’m your love prisoner/ Set me free. Well done, Lee !

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    Il sait aussi enflammer les imaginaires avec du funk politicard - We can make the world better/ If we come together - Comme Mavis, il y croit encore. D’ailleurs il fait pas mal de participatif dans le show, il sollicite énormément le public, lui demande de chanter avec lui, de taper dans les mains, de remuer les bras en l’air ou d’embrasser sa voisine. Sacré Lee, il sait chauffer une salle. C’est son job, il le fait merveilleusement bien et son orchestre de petits blancs tient sacrément bien la route. À noter qu’on y trouve deux Jay Vons, le guitariste et le keyboardist - It’s time for me to sing that song called a Faithful Man and it goes like this - Il renoue avec le déchirement suprême, il rallume la chaudière de la Soul la plus hot de l’histoire, celle de James Brown. «Faithful Man» est l’un de ses tubes les plus convaincus d’avance. Il l’arrose de screams terribles et tire sa sauce à n’en plus finir. Typiquement le genre de cut qu’on aimerait voir continuer. Tank you ! Thank you ! Lee se montre éperdu de gratitude, il revient hurler comme James Brown dans son micro, please don’t baby ! Il faut pourtant se résoudre à le voir partir. Oh mais il va revenir !

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    Il faut écouter le nouvel album du dernier des grands Soul Brothers. Il ouvre le bal d’It Rains Love avec le morceau titre. Il n’a aucun problème de puissance. Il y va de bon cœur, porté par un bassmatic de rêve. On se retrouve dans une prod épaisse et bien cogitée, une prod à grumeaux, finement parfumée d’excellence de la pertinence. Cette Soul cabossée ressemble à l’étain blanc qui a vécu. Lee Fields sort un «Two Faces» aussi âpre et dense qu’un hit de James Brown.

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    Il fait de la Soul à crampons qui accroche bien. Il finit son cut au beat défenestrateur. Il fait ensuite du Bobby Womack avec «You’re What’s Needed In My Life». Cet admirable Soul Brother avance dans le son à pas mesurés et en chaloupant des hanches, soutenu par des chœurs de filles saturnales. Ça sonne comme un hit des temps modernes. Tu as ça dans l’oreille et tu vas au paradis du Soul System. Quel aplomb ! Il envoie une nouvelle giclée de heavy Soul avec «Will I Get Off Easy». Il chante au ciel, c’est un perçant, un puissant seigneur, il n’a pas besoin de scream. Sur la pochette, il a l’air d’un pharaon serré dans une veste d’écaille. Il chante son «Love Prisoner» à l’avenant, dans les règles de l’art du set me free. Il fait du pur James Brown à coups de Please have mercy on me. Il reste dans cette Soul de pleine voix avec «A Promise Is A Promise», il la télescope en plein vol et revient à la profondeur avec «God Is Real». Il chante à outrance et nous laisse un bel album. Il termine avec «Don’t Give Up» et ne lâche pas la rampe. Il souffle la poussière des volcans et les nappes de violons. Ce petit black possède une voix qui nous dépasse.

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    My baby love/ My honey dove. Que ne donnerait-on pas pour le voir chanter cette merveille une fois encore. Lee Fields y atteint les niveaux jadis atteints par James Brown («It’s A Man’s Man’s World) ou Marvin Gaye («What’s Going On»), avec en plus un sens de l’extase combinatoire unique dans l’histoire de la Soul. Il finit en mode apocalyptique comme sut si bien le faire Otis en son temps dans «Try A Little Tendreness». À la fin, ce héros titube, comme vidé, mais il revient shooter get up ! Yeah yeah !

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    Signé : Cazengler, Lee Fiel

    Lee Fields. Le 106. Rouen (76). 21 janvier 2020

    Lee Fields & The Expressions. It Rains Love. Big Crown 2019

     

    30 / 01 / 2020 – PARIS

    SUPERSONIC

    CARIBOU BÂTARD / DYE CRAP

    JOHNNY MAFIA

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    Rendez-vous au Supersonic. Qui fête ses quatre ans d'existence et lance son magasin de disques. Longtemps que je voulais voir Johnny Mafia, depuis qu'ils ont tourné avec Pogo Car Crash Control. Genre d'accointances prometteuses que j'aime bien. En plus deux groupes inconnus mais qui viennent du pays du Cat Zengler. De Rouen, une ville qui chauffe dur depuis au moins la sainte année 1431, le bûcher de Jeanne d'Arc. Pour ceux qui n'étaient pas présents le jour de ce funeste événement, la lecture de Le ravin du loup ( et autres histoires mystérieuses des Ardennes ) de Jean-Pierre Deloux s'impose.

    CARIBOU BÂTARD

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    L'on n'a jamais su qui était le caribou et qui était le bâtard, mais vu qu'ils ne sont que deux sur scène nous n'avions qu'une chance sur deux pour nous tromper. Batterie + guitare, le binôme rock par excellence, peut-être économique. Sûrement pratique. C'est fou ce que l'on rencontre de caribous dans les romans d'aventures canadiens, se font systématiquement et bêtement abattre par des chasseurs émérites. Notre Caribou Bâtard a compris la leçon, la meilleure façon de ne pas mourir c'est de vivre et pour cela de se battre. Donc sur la droite vous avez un batteur fou. Vite, fort et bien. Peut faire mieux : très vite, très fort, très bien. Pas une seconde d'arrêt. Enchaîne les titres comme un forcené. En plus il chante, paroles sommaires et répétitives. A la cadence avec laquelle il frappe, vous comprenez qu'il ne lui reste plus assez de cerveau disponible pour se lancer dans la haute littérature. Un registre de voix plutôt étrange comme s'il la montait au plus haut de son octave naturel afin de se frayer un chemin dans le délicieux tintamarre qu'il déverse sur le public. Douche de décibels indélébiles dans vos oreilles. En plus il réussit ce tour de force de ne jamais vous ennuyer, à fond de train, à une cadence infernale, mais il sait varier les rythmes et les factures ( véritables coups de bambous ) architecturales de chacun des morceaux.

    Mais que serait le rock sans guitare ? Le n'ai pas le temps de répondre à cette angoissante question métaphysique. Ce n'est pas que je ne connais pas la réponse, c'est que le guitariste m'en empêche. Vous voulez de la guitare, et vlan il vous file le grondement assourdissant qui accompagnera la fin du monde et dont Jean aurait dû noter la présence dans son Apocalypse. En tout cas chez Caribou Bâtard ils n'ont pas oublié son indispensable tonitruance. Cette machine tue les fascistes avaient noté Woodie Guthrie sur sa guitare, celle de Caribou elle ne se perd pas dans de subtiles et arachnéennes distinctions, elle tue tout le monde, c'est beaucoup plus efficace. Au moins ils sont sûrs de n'oublier personne. Je me risquerai à oser le concept de sonorité submergeante pour qualifier cette monstruosité sonore. Si vous êtes sonophobe, sortez fumer une clope, pas devant la porte, de l'autre côté de la rue, si vous êtes sonophile tentez de rester, si vous êtes mégasonophile ce set est pour vous. Les amateurs apprécieront cette guitare qui pétarade divinement dans votre cerveau, à la manière du générique de L'Equipée Sauvage, certes il ne vous restera plus beaucoup de neurones par la suite, mais au moins une fois dans votre vie, vous aurez vécu quelque chose, c'est si rare de nos jours que je pense que bientôt que tout le monde voudra un Rangifer Tarandus comme animal de compagnie. Précisez bien la sous-espèce, le caribou toundrique possède cette mauvaise habitude de bouffer la moquette, mais avec le Caribou Bâtard, il éliminera vos voisins indélicats avec une célérité ahurissante. Sont épuisés à la fin du set, alors pour les récompenser le public leur offre un bruit d'enfer.

    DYE CRAP

    Quatre sur scène. Non ils ne sont pas là pour faire de la surenchère sonore. Même que pendant qu'ils attendent le batteur parti on ne sait où, l'on patiente à écouter les caresses cordiques bienfaisantes de la guitare Vox, la forme d'une mandoline ou d'une larme, mais de crocodile, car si elle peut vous émouvoir grâce à sa parfaite musicalité, elle sait devenir sans préavis aussi tranchante que l'ivoire de ces amphibiens somme toute peu sympathiques.

    Les voici au complet. Démarrent sans plus attendre. Ils ont le son, ils ont l'énergie, ils ont le savoir-faire, vont vous dérouler le show comme un tapis rouge devant les grands hôtels parisiens de luxe. Ce n'est pas ce que j'appelle du rock, mais de la pop. La différence entre les deux peut sembler hasardeuse. Mais dans la pop même si le tapage nocturne a empêché le client de dormir, on lui offrira au petit matin une séance sauna-relaxation-épilation intégrale gratuite pour le dédommager. Que voulez-vous le caca coloré aux senteurs de rose ça fleure plus bon que bon. Alors Dye Crap ils ne ménagent pas leur peine, il y a des batteurs sur lesquels les groupes se reposent comme ces familles qui piquent-niquent sur la pierre tombale de leur cher défunt, et d'autres qui emportent les copains en un tourbillon de feu. Celui de Dye Crap est un escalator volant, fend l'air à la vitesse d'une fusée et comme les deux guitares lui emboîtent les réacteurs au quart de tour vous n'avez pas le temps de regarder votre montre. Bassiste et chanteur, le guy se défend bien, l'a une voix qui porte et qui accroche, lorsque le rotor est lancé, Dye Crap est une belle machine de guerre. Mais ils vous ménagent aussi des instants d'autoroute, des aires pique-nique avec toboggans pour les enfants et des sous-bois pour promener le chien, c'est là où je m'ennuie un peu, mais autour de moi, l'on apprécie les jeunes filles ferment les yeux et se laissent bercer par cette houle de bon aloi, qui vous porte et vous balance sans brutalité. Mais au bout de cinq minutes, c'est encore une fois la séquence speed, qui vous fait traverser la moitié de l'Atlantique en moins d'un jour, et alors que vous croyiez toucher au but, retour au clapotis rassurant dans les moiteurs tropicales. Si vous avez rêvé de naufrage et d'un radeau de survie poursuivi par un cachalot affamé, c'est raté. Faut reconnaître qu'ils savent alterner le bien et le mal. Vous plongent en enfer mais vous renvoient au paradis. La salle adore, elle hurle dès que les flammes comminatoires s'approchent et ronronne de plaisir dès que les heaven gates s'entrouvrent. Un bon moment. Mais je préfère les mauvais. L'utile et agréable c'est bien mais l'inutile et le désagréable, c'est mieux.

    Dans l'inter-set, sur ma gauche mon voisin opine, oui ça ressemble un peu à Muse ce qui m'amuse, mais sur ma droite une de mes voisines se rebelle contre cette comparaison qu'elle trouve profondément déplacée et injuste. Ô ma muse, je suis désolé !

    JOHNNY MAFIA

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    La faute à leur réputation. M'attendais à des visages burinés de durs à cuire échappés du bagne, poursuivis en hélicoptères par des tueurs à gage, pactisant avec des tribus anthropophages, traversant les pieds nus sans sourciller des jungles luxuriantes infestées de serpents, mais non, Théo, Fabio, William, et Enzo, n'ont même pas l'insolence hautaine de la jeunesse, sont souriants, amènes, des looks de lycéens, pour certains d'entre eux un peu abruptement tignassés mais sans plus, par contre ils sont très mal entourés.

    De jeunes gens très mal élevés. Les filles comme les garçons, vous savez ma bonne dame tout se perd en ce bas-monde. Ils ne savent pas se tenir. Et encore moins se retenir. Un signe qui ne trompe point. Très vite les photographes ont arrêté de photographier les artistes. Une photo par-ci, une autre par-là, parce que tout compte-fait ils étaient venus pour eux, mais ils ont préféré braquer leurs appareils reproducteurs sur cette masse d'agités. Les éditorialistes alarmistes ont raison, la mafia est partout et gangrène tout. Ce soir par exemple elle était aussi bien sur scène que dans le public.

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    '' Ce soir, exceptionnellement nous allons commencer par un solo de batterie'' nous ont-ils prévenus. Ultra-mensonger. Ils n'ont pas du tout débuté par un solo de batterie, ou alors z'ont juste fait un solo qui a duré tout le set. D'un bout à l'autre sans arrêt. Dans les tempêtes les plus dévastatrices, faut bien qu'il y en ait un qui se dévoue pour garder la barre. Chez Johnny Mafia, c'est le batteur. L'a mouliné grave et sec, de toutes ses forces, tant pis si parfois il a même recouvert basse et guitares. Le genre d'incidents totalement anodins. Pas de quoi en faire des gorges chaudes, de toutes les manières le spectacle n'était pas sur la scène quoique tous les yeux étaient braqués sur eux. Alors ils ont fait comme tout le monde. Non ils ne sont pas descendus dans le public. Mission impossible. Ça criait, ça hurlait, ça tanguait, ça s'écroulait, ça se relevait, ça tourneboulait, ça réclamait des titres, ça interpellait, l'on a même vu un soutient-gorge atterrir sur le manche de la basse, de temps en temps ça s'affaissait dangereusement d'un côté puis de l'autre, il y avait des poussées subites de fans pliés sur les retours, eux ils continuaient leur cirque, des morceaux courts méchamment jerkés, entre Ramones et Wampas, cent pour cent Johnny Mafia, puis il y a eu des gars qui se sont faits promener sur les mains des copains, des jambes en l'air désespérées, des têtes qui ont évité des poutrelles de fer par miracle, peut-être certaines se sont-elles entrouvertes en touchant le sol à la manière de ces coquilles d'œufs que vous fractionnez sur le rebord du saladier, des gens qui vous tombaient dans les bras, d'autres qui vous poussaient dans le gouffre, le public n'était plus qu'une masse gélatineuse mouvante se ruant tantôt dans un sens, refluant vers un autre au mépris de toutes les lois de la gravité. Preuve que c'était très grave. Alors comme ils ne pouvaient pas descendre parmi nous – je reprends le fil du récit – le chanteur est monté sur nous, il a refilé son micro à un quidam compressé dans le pudding humain, il a tout de même gardé sa guitare, et là il a été splendide, l'a joué à King Kong sur l'Empire State Building, certes il n'est pas allé plus haut que le premier étage, mais aucun avion de chasse n'est intervenu, s'est accroché comme il a pu et est parvenu à enjamber la rambarde du balcon. N'y avait plus qu'à attendre qu'il revienne, on l'a suivi à la trace auditive pendant qu'il descendait les escaliers.

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    Si vous croyez que cet exploit à calmé le public, vous avez tort. La horde de fans gesticulait tellement que nos johnnymen ont essayé la technique du bateau pirate qui se sert des pièces d'or de leurs sanglantes rapines pour mitrailler à bout portant le gros vaisseau de ligne qui fonce sur eux. Z'ont refilé leur guitare à l'assistance, tenez c'est pour vous faites-en ce que vous voulez, elle a voyagé de main en main, mais chacun s'est trouvé dans le cas du molosse meurtrier à qui vous avez jeté un os à moelle en peluche et qui ne sait comment se dépatouiller du cadeau trop mou pour ses canines, alors la guitare leur est revenue sagement. Ne sont pas restés sur cet échec, sont des pédagogues, ils savent que la répétition est la base d'une saine pratique éducative, en ont tendu une autre à un grand gaillard en lui désignant les retours, le gars a hésité deux secondes, allait-il la fracasser tout de go, l'a opté pour la production de larsen, une note délicate dans le remue-ménage collectif. Vous connaissez le principe centenaire des mafieux, tu travailles pour nous, nous on te couvre. Z'ont intimé à un gars de s'occuper du micro, et à un autre de riffer comme si sa seconde vie en dépendait. Sont malheureusement tombés sur des timides, alors ils se sont vengés sur un téméraire qui était grimpé sur scène, lui ont passé deux guitares autour du cou, le zigoto était ligoté comme Houdini, en mieux car pas enfermé dans une malle, l'on a pu assister à ces efforts maladroits pour retrouver la liberté.

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    La chienlit aurait dit un célèbre général. Un chahut-bahut-dahut comme l'on n'en fait plus. Musicalement, un peu foutraque, mais chaud, si chaud ! Un dernier conseil si vous voyez une annonce de leur concert dans votre patelin, mafiez-vous de Johnny. Ce sont des tueurs.

    Damie Chad.

     

    NOT SCIENTISTS & JOHNNY MAFIA

    ( 45 Tours / 2019 )

    ( Kicking Records / 112 )

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    L'ont annoncé durant le concert, 4 titres, 5 euros, après le concert ce fut la ruée, on se serait cru à l'amap du samedi matin quand on vous prévient que le kilo de topinambour a encore baissé. Chemise cartonnée présentée dans une pochette plastique. Design géométrique qui attire l'œil mais qui ne le retient pas assez longtemps. Le vinyle est d'un beau bleu tendre.

    Side A : NOT SCIENTISTS : vous ne confondrez pas avec The Scientists groupe after-punk d'Australie, encore moins avec We-Are-Scientists des USA. Nos Not Scientists viennent de chez nous, sont composés d'Ed Scientist ( guitare, voix ), Jim Jim ( guitare, voix ), Thib Pressure ( basse ), Bizale le Bazile ( batterie ). Tournent en France et en Amérique du nord.

    Bleed : entrée quasi-guillerette. Attention parfois la fausse joie est plus acerbe que l'acrimonie la plus violente. Une espèce de rocktournelle adolescente emplie d'énergie et de fierté blessée. D'autant plus dangereuse donc. Poison : Entrée emphatique et puis l'on se dépêche d'avaler la coupe de poison à pleins traits. Une rythmique qui galope et les voix qui explosent comme une caution mélodique. Comediante et tragediante, voici que la musique se met à retentir d'accents mélodramatiques à l'espagnole. Mais l'on revient à quelque chose de plus typiquement rock anglais avec fin échoïfiée.

    Side B : JOHNNY MAFIA : On les entend beaucoup mieux qu'en concert. Surtout les guitares. Davantage mélodiques aussi. Voix comme épaissie. De beaux vrillés de guitares. Ressemblent un peu à des groupes anglais de la belle époque. Eyeball : des espèces d'allées et venues de guitares fabuleuses, ça s'en vient et ça s'en va. Au milieu du morceau une espèce de cafouillage mélodique inventif et l'on repart pour ne pas terminer, soyons précis le début du morceau suivant est comme enchâssé dans la fin du dernier. A moins que ce ne soit le contraire. Spirit : comme des tremblés de guitares et puis les voix surviennent, ce sont-elles qui prennent le lead. Qui mènent la mélodie, la batterie en oublie son battement par trop entêtant. Il y a encore une petite surprise dans ce morceau comme dans le précédent. Johnny Mafia quitte l'autoroute sur laquelle ils s'étaient lancés à pleine puissance, comme s'ils avaient un truc de trucker urgent à montrer à leur passager. Qui le changera de l'habitude de vivre.

    Deux groupes qui ne se sont pas associés artificiellement. Se ressemblent même presque trop.

    Damie Chad.

     

    EN VIVO / A CONTRA BLUES

    ( Enregistré les 17 et 18 mars 2012

    au Conservatoire de Liceo / Barcelone )

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    Souvenez-vous c'était au mois d'août 2016, je vous racontais l'histoire de cette petite fille écrasée de fatigue et de froid dans son camion, en pleine nuit ariégeoise, j'aurais parié pour sa mort sous hypotension prochaine, quand je l'ai vue installée derrière la batterie d'A Contra Blues, je me demandais si elle aurait la force de soulever une baguette, et tout de suite en trois coups elle a nous a offert Tchernobyl et Hiroshima sans amour, une frappe atomique, et à ses côtés cette espèce de géant issu d'un conte de sorcières, chaque fois qu'il ouvrait la bouche il y avait un building qui s'écroulait à Chicago, un des meilleurs concerts de blues que je n'aie jamais entendu. ( les amateurs se reporteront à la livraison 293 du 08 / 09 / 293. )

    Et hier dans la pile de CD's, celui-ci encore enveloppé dans son emballage transparent ! Non ce n'est pas une malheureuse inadvertance, c'est pire qu'un crime contre l'humanité, c'est in crime contre le blues.

    Alberto Noël Calvilla Mendiola : guitare / Hector Martin diaz : guitare / Joan Vigo Fajin : contrebasse / Jonathan Herrero Herreria : vocal / Nuria Perich chastang : batterie.

    Everyday I have the blues : certains l'ont plus davantage que d'autres, l'on se souvient des versions inoubliables de B.B. King et de Memphis Slim, longues et lentes déclarations d'amour haineux au blues, chez A Contra Blues l'on ne flemmarde au lit au petit matin en se réveillant, pas question de s'apitoyer sur soi-même, ils n'ont pas à proprement parler le blues, mais la fièvre du blues, vous sentez la différence tout de suite, un tempo mid-jazz, mi-funk pour commencer, ensuite c'est la dégringolade, Jonathan vous jette son vocal comme s'il était en train d'invectiver un taureau qui retarde un max le moment de la mise à mort, ensuite une guitare qui s'énerve méchant, mais c'est Nuria qui vous exécute la bête avec le solo de batterie expéditif qui tue. Standing at the crossroad: attention avec un tel titre l'on rentre dans la mythologie blues par excellence, commencent par là où les autres finissent, le solo de guitare qui klaxonne d'habitude en fin de morceau vous arrache ici les oreilles dès le début, et puis shuffle vénéneux toujours parsemé de stridences cordiques et Jonathan qui vous mollarde le vocal comme une lettre d'insultes à votre banquier, ne s'attardent guère au milieu du carrefour, vous expédient le tout en un final définitif au diable vauvert. Yon never can tell : qui dit blues, dit rock, c'est logique, une association d'idées naturelle, et pan un classique, Jonathan nasille encore mieux que Chuck Berry, certes à la fin il n'y tient plus et vous jette les dernières pelletées de mots à la manière des croques-morts pressés de terminer le boulot avant la pause-déjeuner, et l'orchestre derrière, ben il n'oublie pas sa nationalité espagnole, n'ignore pas que le grand Chucky n'a pas fait que du rock, l'avait aussi une prédilection pour le calypso-caribean, alors il s'y colle à merveille, les guitares deviennent langoureuses et Nuria vous bat la marmelade comme si elle accompagnait Compay Segundo à la Havane. Guitar man : l'on connaît l'anecdote Jerry Reed convoqué par Elvis pour jouer de la guitare sur sa reprise de Guitar Man et le pauvre Jerry tellement ému qu'il est obligé de s'isoler dans sa bagnole pour retrouver le riff qu'il n'arrivait pas à sortir devant le King, Jonathan lui rend un bel hommage et puis se jette sur le vocal pour le bouffer tout cru, vous le descend à la vitesse de ces piliers de bistrots marseillais qui vous enfilent un mètre de pastis en moins de trente secondes, derrière guitares et contrebasse sont à la fête, vous expédient le bébé vitesse grand V. 44 : chasse gardée pour Jonathan, un morceau taillée à la démesure de sa voix, les musicos vous font un beau raffut sur les deux ponts, mais Jonathan se la joue un peu à la Tom Jones survitaminé, étale ses octaves comme d'autres le linge sale à la fenêtre. Spoonful : retour au blues le plus pur, le morceau roi du disque, du pain bénit pour la contrebasse de Joan, Un bel hommage à Howlin' Wolf, Jonathan ne tombe pas dans le piège de coller au phrasé enroué du loup du blues, nous la joue à Peggy Lee sur Fever, mais il reste fidèle à l'esprit du blues par deux longs passages de spoken words du meilleur effet, le public se prête au jeu et hulule en douceur pendant que Nuria caresse ses cymbales, les guitares restent discrètes se contentant de claquer en fin de vers comme les rimes des sonnets de José-Maria de Heredia. Wine : du blues alcoolisé au rock'n'roll, le shuffle parce que le corps tangue, mais le vocal explose car dans votre tête tout s'entremêle et les guitares deviennent folles. How blues can you get : dissipation des vapeurs, lendemains d'extase et jours de solitude, à la B. B. King, les guitares qui envoient des notes à l'économie, de temps en temps, mais qui font mouche à chaque fois. Toute la tristesse du monde tombe sur vous. Vous êtes foutus, heureusement qu'Alberto et Hector enfilent des perles sur les cordes de leur guitare et finissent par vous offrir un collier de rutilances qui ne tardent pas à se dissiper dans le néant du désespoir. Tempête en fin de morceau. Night time is the right time : longue présentation des musicos et de la team d'accompagnement en milieu de morceau, avaient commencé en force terminent en beauté accompagné par le public qui s'époumone avec plaisir.

    Blues éclectique mais de la meilleure farine dont on fait les biscuits royaux. Un Regal !

    Damie Chad.

    UN SIECLE DE POP

    HUGH GREGORY

    ( Vade Retro / 1998 )

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    Pas un livre de plus sur le rock'n'roll. Le titre n'est pas menteur. Pop au sens de musiques populaires. Pluriel non hasardeux. En entrouvrant le livre rapidement vous glanez au hasard quelques noms en grosses lettres, Glenn Miller, Buddy Holly, David Bowie, Rolling Stones... mais ce n'est pas le récapitulatif des grandes vedettes du rock'n'roll et de la pop qui sont chronologiquement épluchées une à une. Le book ne s'intéresse pas aux individus mais aux courants musicaux, exemple vous n'apprendrez pas l'essentiel que vous devez savoir sur Elvis Presley, juste quelques rudiments de base, et la notice ne s'attarde pas uniquement sur la divine personne du King, très vite elle embrasse toute la période et cite quelques pionniers, sans s'attarder outre mesure. En gros un amateur de rock connaît cela par cœur. N'empêche que le bouquin est bien fait.

    Cela fonctionne à la manière d'une mosaïque labyrinthique mobile. Un jeu de go à vous rendre fou, à vous faire perdre vos certitudes. C'est qu'aucune tesselle ne possède un emplacement vraiment fixe dans le dessin final. Ce qui ne veut pas dire que vous pouvez la placer n'importe où. Même si en y réfléchissant quelque peu il point en vous le désir anarchisant de décréter que sa place pourrait se nicher en n'importe quel endroit et cette idée absurde n'est pas aussi idiote et illogique qu'il n'y paraîtrait.

    Hugh Gregory vous vient en aide. Attardez-vous longuement sur les deux premières double-pages, à la limite vous n'avez plus besoin de lire la suite, la première ne vous sera compréhensible qu'après avoir vu la deuxième, mais prenez toutefois le temps de l'étudier. La tentation de passer très rapidement sera grande, ce n'est que la table des matières ! Première constatation, quel charcutier ce Gregory, ne voilà-t-il pas qu'il vous découpe l'histoire de la musique populaire en tranches égales à la manière d'un salami. La dernière est légèrement moins épaisse ( un dixième ) mais l'on ne peut lui en vouloir, elle s'arrête en 1999 et non en 2000, normal le livre est sorti en 1999 en sa version française. Je ne sais si en Angleterre elle s'arrêtait en 1998 !

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    Certes nous utilisons très facilement les expressions sixties, seventies... pour désigner les périodes de notre musique, mais ce découpage nous paraît à première vue bien superficiel. Et puis tout de même il y a des trucs qui clochent : pourquoi par exemple ranger les Rolling Stones dans la décennie 1980 – 1990 à côté de la House et du Hip-hop. Et cette fin en queue de poisson, terminer sur la rubrique La musique de films que vous n'attendiez pas obligatoirement, l'on a l'impression que l'auteur abandonne son armée de lecteurs en pleine campagne en ne leur spécifiant même pas qu'ils doivent maintenant se débrouiller par eux-mêmes pour rentrer chez eux. Leur a tout de même laissé quelques indices, les petits filets de couleurs différentes associés à chaque période temporelle.

    Il est temps de tourner la page. Le plan s'étale devant vos yeux. Vingt-six rectangles de sept couleurs différentes, sagement alignés comme des petits soldats. Entre eux des flèches qui se dirigent de l'un à un autre et qui dessinent un véritable parcours labyrinthique. Et là tout s'éclaire. Remarquez toutefois que la lumière a peut-être été conçue pour donner plus d'importance à l'obscurité primordiale. Je prends un exemple réduit à l'état squelettique : avez-vous déjà pensé que l'influence des musiques orientales s'est exercée aussi bien sur le bhangra, le funk et le Heavy Metal... Certes vous pensez à Kashmir de Led Zeppelin, par contre si vous n'avez que des notions très floues quant au banghra faire un tour par ce bouquin, il pourrait vous aider. ( Vous le trouvez à moins de trois euros sur le net ) Tout ceci pour vous expliquer pourquoi les deux pages consacrées à Miles Davies se rencontrent dans la dernière décennie du siècle précédent alors que son chef d'œuvre Kind of blues date de 1959, et In a silent way de 1967. Hugh Gregory s'intéresse avant tout aux influences tant historiques ( transfert des populations, migrations ) que technologiques ( électrification de la guitare, apparition de l'appareillage électro-acoustique dans les foyers, apparition de la radio et de la télévision... ).

    Reste que la lecture de l'ensemble de l'ouvrage se révèle enrichissante. Une étonnante constatation, les cinq premières décennies sont les plus passionnantes. Ce n'est pas que l'auteur ait bâclé les dernières, c'est que la première moitié du siècle est en quelque sorte quantitativement moins riche. Irremplaçable certes, et vraisemblablement musicalement la plus authentique, mais il n'y a pas la profusion d'artistes qui ira en un galop exponentiel par la suite. Pour le tout début manquent les enregistrements, ce qui est un énorme frein quant à la vision subséquemment parcellaire de ces époques lointaines quelque peu floutées. La synthèse des rares données s'en trouve de ce fait facilitée.

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    Deuxième constatation : le livre n'est pas partisan. Gregory nous parle de musiques populaires, ce que nous pouvons traduire par qui plaît au peuple, et l'on s'aperçoit que le rock ( en englobant ce que lui dissocie en Rock'n'roll / Rockabilly et Rock en un sens beaucoup plus large quasi-totalitaire ) n'est pas selon nos préférences le vecteur principal des goûts du public. Que votre fierté de rocker n'en prenne pas un coup, au contraire, plus le rock sera minoritaire plus il retrouvera sa pernicieuse faconde. Ce sont les minorités actives qui mènent le monde car elles portent en elles la faculté d'influencer les modes de vie. Même s'il brouille un peu le message en ne différenciant pas ce qui tient de la musique au sens strict et de la culture au sens large et surtout en employant le terme rock par trop générique pour traiter du travail des majors dont Hugh Gregory dénonce l'effet délétère sur sa transformation en musique grand public. Donne tout de même l'impression de plaider pour un affadissement de la production au cours des années. A le lire on se demande comment il envisage la production actuelle des cinq premiers lustres du troisième millénaire...

    Remet un peu la hiérarchie des vaches sacrées en place. Par exemple pas de pages génériques consacrées au mouvement hippies, aux bikers, teds et autres '' mauvais garçons''. Entre musique blanche et musique noire, son cœur balance pour la noire, la soul au détriment du rock'n'roll, c'est elle qui mène le bal, plus organique, plus matricielle, plus morcelable, plus fertile, moins figée. La musique européennes dont il discerne les racines les plus profondes, la musique savante '' classique '' religieuse et profane, notamment l'Opéra, et la folklorique plus vivante mais un peu ossifiée par la préservation qu'en effectuèrent les générations venues du continent, une conservation formelle à comprendre comme un signe identitaire de rattachement à leurs origines, aurait par ses charpentes structurelles empêché toute liberté créatrice si ce n'est par une déliquescence des plus mortifères. Des chansonnettes de Tin Pan Alley à l'easy listenin d'aujourd'hui, la pente fatale se serait poursuivie sans anicroche. Pensons à Eno qui jouit d'une réputation de novateur et sa Music for Airports de 1978, comme si l'originalité aboutissait à la revendication de la notion d'insignifiance. Le savoir-faire se métamorphosant en manipulation mentale. Les originelles percussions africaines frappant encore à la porte du paradis pour demander à y entrer. Quand on entend le rap-variétoche que diffusent les stations nationales de par chez nous l'on se demande si elles n'ont pas réussi à s'asseoir à la droite du bon dieu blanc. Cantiques édulcorés pour tout le monde.

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    Livre qui pousse à réfléchir, pour aider à cela, un index final n'aurait pas été de trop. De même, parfois les photos deviennent envahissantes. Bizarrement la section que j'ai préférée traite de la house. Ce n'est pas que j'éprouve une quelconque satisfaction à l'écouter. Un son trop monotone et trop maigrichon à mon humble avis. Mais quand ce mouvement est apparu en nos vertes contrées je participais à une radio locale et deux jeunes collègues avaient réussi à fédérer autour de leur émission, je ne me souviens plus de son titre ( cinq fois par semaines, horaires en fin d'après-midi ) toute une jeunesse qui habitait dans des patelins perdus dans les fonds désertiques de la Seine & Marne, longtemps depuis les tout premiers disques des Rolling Stones que je n'avais ressenti une telle ferveur chez des ados d'une quinzaine d'années. Rassurez-vous, l'émission fut vite supprimée ! Pour une fois qu'une chronique offre une fin morale vous n'allez pas vous plaindre !

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 449 : KR'TNT ! 449 : UNDERGROUND VILLEJUIF / RICHARD GOLDSTEIN / NO NAME BAND / ROCKABILLY GENERATION NEWS / MARIE-JOSEE NEUVILLE / MARIE DESJARDINS

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 449

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    30 / 01 / 2020

     

    UNDERGROUND VILLEJUIF / RICHARD GOLDSTEIN

    NO NAME BAND / ROCKABILLY GENERATION

    MARIE-JOSEE NEUVILLE / MARIE DESJARDINS

     

    Underground toi-même !

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    Ils vont devenir énormes. Vous voilà prévenus. Quand on voit le Villejuif Underground sur scène, on pense immédiatement à Fat White Family, qui à leurs débuts ramenaient eux aussi une espèce de ramshakle scénique d’une fraîcheur inespérée, une façon de briser les codes et de réinventer le rock sur scène qui n’appartient qu’à eux. On croit toujours que la messe est dite depuis longtemps, depuis les Stones, le Velvet ou le punk. Faux. Archi-faux. Il existe au moins trois groupes qui ont décidé de tout réinventer : Fat White, les Schizo et le Villejuif. Il faut imaginer une réjouissante villejuiverie de weird garage funk emmenée par une espèce de McGowan blond, haut et sec, qui a toutes ses dents et qui danse le jerk des Batignolles.

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    Les Villejuif jouent sur des instruments qui viennent droit du tas de ferraille qu’on trouve au fond de la cour des Emmaüs. Installé au centre, Antonio Beltran joue sur deux petits claviers posés sur une grosse valise en fer blanc. Fuck l’esthétique ! À sa droite, Thomas Schlaefflin gratte sa gratte et programme une boîte à rythme posée devant lui sur un tabouret. Fuck la frime !

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    Quand il se trompe de séquençage, il se marre comme un bossu. Chez les cons, on l’aurait viré pour ça, mais les autres Villejuif se marrent aussi. En fait, ils n’en finissent plus de se marrer. Ils sont vraiment là pour déconner. Et puis à gauche voici le bassman, Adam Karakos, une espèce d’Ubu du funky boot qui joue sur une basse de droitier complètement inversée, mécaniques et cordes graves en bas, et sommairement suspendue à son épaule par une cravate.

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    Ah il faut le voit danser le funk de Villejuif en feu de plancher, vêtu d’une énorme doudoune en cuir fatigué, les cheveux dans la figure et drivant son punk de funk à grands pas d’éléphant, corne de gidouille, comme s’il se croyait à la cour du roi de Pologne. De par ma chandelle verte, fuck the funk ! Mine de rien, ces mecs donnent un vrai spectacle, sans même se douter de son énormité. Il n’est rien de plus jouissif que l’extravagance quand elle sonne juste.

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    Et lorsqu’on voit Nathan Roche danser le jerk des Batignolles derrière son micro, on remercie Dieu d’avoir enfin créé sur cette terre un groupe décidé à battre tous les records d’extravagance, même ceux d’Arthur Cravan.

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    Les Villejuif sont tout le contraire du groupe bien préparé et bien coiffé qui veut devenir riche pour s’acheter une piscine pleine de putes. Ils sont là pour le fun et rien que pour le fun, mais s’ils ne sonnent pas comme un groupe de MJC, c’est tout simplement parce qu’ils ont tout ce dont un groupe de rock peut rêver : le son, les chansons et la voix. Nathan Roche joue à la perfection le rôle de dynamo du groupe. Il sait en plus établir le contact avec le public.

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    Cet Australien débarqué en France depuis quelques années a zoné un moment à Villejuif (d’où le nom du groupe), avant d’aller s’installer en Ariège où, comme il le dit si drôlement dans son français bien lesté d’accent australien, il fait du saucisson avec son beau-père. Il est sur scène ce qu’on appelle une présence magnétique. Un vrai pôle à deux pattes ! Il chante en dansant et place sa voix bien au-dessus du chaos environnant, comme surent le faire en leur temps Shane McGowan ou Lou Reed, auquel les gens le comparent. Ce mec est une rock star même pas en devenir, car il se fout du rockstarisme comme de l’an quarante, il préfère s’amuser sur scène avec ses copains. Si le parallèle s’établit très vite avec Lias Saoudi, la chanteur de Fat White, c’est sans doute parce qu’ils développent tous les deux le même genre de powerhouse gidouillante dans un environnement de bric et de broc. On se croirait chez des ferrailleurs.

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    Et si le nom du Villejuif Underground nous est devenu familier, c’est bien sûr grâce au Dig It Radio Show qui déjà en 2017 diffusait «Can You Vote For Me». Mr. G aimait à raconter l’histoire d’un Nathan Roche confronté aux persécutions administratives des services d’immigration. Et tout de suite, le son du groupe faisait dresser l’oreille.

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    Alors pour en avoir vraiment le cœur net, il suffit d’écouter When Will The Flies In Deauville Drop ? On a là un big album. Eh oui, un de plus, mais que serait la vie sans tous ces big albums ? Pas grand chose. Une sorte de mauvaise plaisanterie. Ce sont précisément les big albums qui rendent plaisante cette mauvaise plaisanterie. Quel plaisir que de retrouver «Can You Vote For Me» et sa harangue de Vote for me/ Vote for me ! Voilà un cut qui part en mode post-punk et qui devient vite le meilleur cru du cru du l’eusses-tu-cru, quasi-Casimodal, garage d’essence inflammable, punk de MJC branlante, branlette de razzmatazz d’extase, Vote for me/ Vote for me ! Là oui, on vote. Et quand Nathan Roche jerke son vote for me, il n’a besoin de personne en Harley Davidson. Ils jouaient aussi ce qu’ils appelaient le château sur scène, un «Haunted Chateau» amené au heavy groove de choo choo train fantôme de Fantomas. Ces mecs sont épouvantablement drôles, Nathan Roche chante comme un Comte Orloff qui aurait trop bu, il valse avec son candélabre au fond de sa crypte et fait des efforts considérables pour se montrer inquiétant. Mais c’est le big laugh d’Orloff sur le plat, ce singer stomachal qu’est Nathan Roche nous fait un numéro de cirque à peine croyable. Et quand on entre dans l’album par la grande porte d’airain, on tombe sur un «John Forbes» chargé de son comme une mule et titillé à l’arpège envenimé. Ce démon de Nathan Roche enfonce son clou, avec la persévérance d’un Lou Reed, dark & deep. Ils tarpouillent le relentless comme ces champion éthiopiens de la course à pieds, en travaillant leur souffle méthodiste aux aplanages des hauts plateaux, avec cette énergie primitive dont rêvèrent certainement en leur temps Pierre de Coubertintin et son vieux Milou. Ils enchaînent sans coup férir avec «I’m Sorry JC». Nathan Roche saute en croupe du groove pour le chevaucher non pas à travers la plaine, mais à travers le bush, histoire de rappeler qu’il vient d’un pays gouverné par les kangourous. Tagaga, c’est tout un art, les gens ne se rendent pas compte. Ils croient que c’est facile, mais non, il faut savoir crier yahoo Rintintin !, en allumant le gueule d’un groove, comme le fit Lou Reed au temps béni de «Sister Ray». Ils profitent de cette escapade pour basculer tous les quatre dans l’énormité.

    C’est sans doute à cause d’un cut comme «Post Master Failure» qu’on les range dans le pot post-punk, mais comme Houdini, ils s’en évadent. D’ailleurs, ils s’évadent de tous les genres. Les Villejuif ne sont pas des gens prêts à accepter l’étiquetage. Pas de danger qu’ils aillent se vautrer dans l’electro-pop à la mormoille. Ils préfèrent tailler la route à coups de shooo ah ah ! Nathan Roche drive son post master failure ah ah en parfait expert. Son «Come Back Special» ne doit rien non plus à Elvis, il joue sa carte à la mode ancienne, c’est-à-dire à mains nues. Il n’a que son beat et son couteau à huîtres d’Oléron. Et comme il adore les animaux, il passe au heavy groove de crocodile avec «Subterranean Skies». Croutch ! Il bouffe son Subterranean dylano-Nick-Kentish tout cru. D’ailleurs, il chope tout ce qui traîne dans les parages, même les grooves ordinaires qui essaient de passer inaperçus. Il joue merveilleusement bien son rôle de croco crâne d’œuf Orloff à la coque. Il ne fait qu’une bouchée de «Wuhan Girl», heavy on the beat, ses dents luisent au clair de la lune. Il est sans doute le seul à pouvoir chanter des trucs pareils aujourd’hui, maintenant que Lou Reed, Cash et Sleepy Labeef se sont fait la cerise. Il sait aussi faire son Hannibal on est mal quand ça lui chante, en faisant avancer ses troupes à marche forcée. Cornegidouille ! Quand on écoute «Backpackers», c’est un peu comme si on les voyait grimper un col des Alpes en plein hiver, montés sur des éléphants.

    Signé : Cazengler, undercroûte

    Villejuif Underground. Le 106. Rouen (76). 24 janvier 2020

    Villejuif Underground. When Will The Flies In Deauville Drop? Born Bad Records 2018

     

    Weird scenes into the Goldstein mine

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    Qui ? Richard Goldstein ? Inconnu au bataillon ! Son nom surgit au détour d’un radio show, fin 2019. Pas n’importe quel radio show, the mighty Dig It Radio show. Mister G. reçoit ce soir-là deux invités, l’éditeur et le traducteur d’un recueil de mémoires signé Richard Goldstein, journaliste américain. En anglais, l’ouvrage s’intitule Another Little Piece Of My Heart/ My Life In Rock & Roll In The 60s, en devient en français Rock & Révolution/ Mes Années 60. Dans l’opération, on perd le petit côté Joplin, mais on gagne un peu en politique, ce qui tombe à pic car l’ami Goldstein se préoccupait à l’époque de sa jeunesse autant de politique que de rock music. Il n’emploie pas le mot révolution par hasard.

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    Souvenez-vous : dans les années soixante, militantisme et rock marchaient de pair pour beaucoup de gens. Richard Goldstein rappelle les noms d’Ed Sanders (Fugs), du MC5 et d’Abbie Hoffman à notre bon souvenir, des gens qui furent extrêmement impliqués dans le bras de fer engagé par la jeunesse américaine avec le despotisme des pigs, car oui, c’est ainsi qu’on appelait les flics aux États-Unis, et l’un des slogans les plus célèbres fut sans doute Kill the pigs ! Goldstein rappelle que la culture rock, la vraie, celle des rues (et non celle de la Fnac), se nourrissait d’une haine viscérale des flics. Il faut se souvenir du dialogue fatal dans La Haine, de Mathieu Kassovitz avec ce flicard qui dit au black : «On est là pour vous protéger» et le black qui lui répond du tac au tac : «Mais qui nous protège de vous ?». Dans les années soixante, Richard Goldstein et des millions d’autres kids à travers le monde militaient contre la brutalité policière. En France, on gueulait «CRS SS !», car c’était une réalité. Aux États-Unis, les kids avaient encore plus de chats à fouetter avec deux luttes combinées, celle pour les droits civiques des pauvres nègres et l’autre contre cette phénoménale infamie que fut la guerre du Vietnam, une guerre d’Algérie à la puissance mille. L’horreur totale.

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    Si le récit de Richard Goldstein nous tient par la barbichette, c’est sans doute parce qu’on le sent passionné par son engagement, même si sa vraie passion reste l’écriture, mais il la met au service de cette révolution culturelle qu’on appelle communément le rock. Il vit cette révolution en direct, d’abord à New York, puis à San Francisco et à Chicago. Plutôt que de devenir écrivain, il opte pour le journalisme et comprend assez vite que pour faire ce métier, il faut savoir se fondre dans son sujet. Summer of love ? Okay, no problemo, Richard devient hippie. Il se laisse pousser les cheveux et traîne avec les drop-out de San Francisco. Il voit des groupes, prend des drogues et baise des gonzesses. Il participe au grand Trip californien.

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    Il comprend très vite que la musique fédère les gens. Elle est pour lui comme pour tous les autres kids «un moyen de savoir qu’on est pas seul». Comme il grandit à New York, il démarre avec les Ronettes, les Shirelles et Dion qui, comme lui, vient du Bronx. Des références qu’on retrouve bien sûr à la racine du mythe des New York Dolls. Richard tape dans le mille en consacrant son premier article aux Shangri-Las, «quatre gamines du Queens qui pouvaient se déhancher tout en se refaisant le chignon» et s’initie à l’underground militant en rencontrant Ed Sanders dans la fameuse librairie de la Dixième rue, Peace Eye Bookstore. Comme il jouit du privilège de vivre à New York, ce gros veinard de Richard voit les Primitives qui vont devenir le Velvet. Il en profite pour dresser une belle apologie de Lou Reed, «qui donnait à sa poésie une grâce bancale et à sa voix grincheuse un aspect brut, tout comme le journalisme avait simplifié ma prose». Il passe tout naturellement du Velvet à Andy Warhol, qui selon lui, «façonna la culture du futur».

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    Richard ajoute : «Entre ses mains, chaque moyen d’expression était une orthodoxie attendant d’être réformée.» Tout ce qu’il dit de Warhol sonne étrangement juste. Il voit en Warhol l’inventeur d’une nouvelle éthique de l’art : «Tout à coup vous étiez le produit de votre propre création.» - On croirait entendre Bowie, you can be a hero/ Just for one day - Richard va loin, car à travers Warhol, il fait l’apologie d’une certaine forme de ‘perversion’ (il n’est pas certain que le mot français soit bien choisi). On a eu tendance à oublier le rôle considérable qu’a joué Warhol dans le processus d’émancipation de la jeunesse américaine. Il a zigouillé plus de tabous que n’importe quel autre maître à penser de l’époque, y compris Dylan. On a pris pleinement conscience de tout cela en visitant l’expo Velvet, à la Philharmonie de Paris en 2016. L’expo racontait en fait de l’histoire d’un mouvement artistique aussi complet que purent l’être Dada ou le Bauhaus, et dont le Velvet n’était que l’une des composantes. Tiens, on parlait de Dylan. Richard le salue à sa façon, le hissant sur le même piédestal que Warhol et Godard, un Dylan capable de tout avaler et doté d’un féroce appétit. Richard réussit à le rencontrer dans sa loge, mais il n’ose pas lui parler. Ils ont un échange assez surréaliste. Dylan lui dit : «J’ai beaucoup entendu parler de vous», à quoi Richard le tracard répond : «Moi aussi.»

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    Il évoque aussi le Brill, mais sans y entrer. Il connaît l’adresse et pour le reste, débrouille-toi avec le book de Ken Emerson, Always Magic In The Air. Richard en pince surtout pour John Lennon et pour son côté working-class hero, une classe ouvrière dont il se réclame lui aussi. Quand un mec abat Lennon devant le Dakota en 1980, Richard fait une gosse déprime. Il cite d’ailleurs Robert Christgau : «Pourquoi est-ce toujours Bobby Kennedy ou John Lennon ? Pourquoi n’est-ce pas Richard Nixon ou Paul McCartney ?». Tiens voilà un autre pacha new-yorkais : Jerry Wexler qui prédisait l’avenir en annonçait la fin du r’n’b, avec l’arrivée des sons synthétiques et «une précision de la tonalité qui allait tuer l’imperfection essentielle à la Soul». «Plus de backbeat», lance Wex lors de l’entretien qu’il accorde à Richard.

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    Son voyage à travers l’âge d’or des sixties se poursuit avec les Beach Boys dont il célèbre l’hédonisme poppy («Je ne pense pas qu’on puisse faire mieux que Fun Fun Fun/ Till your daddy takes the T-Bird away.»). Ce veinard de Richard va même rencontrer Brian Wilson, et tous les fans des Beach Boys devraient se régaler du compte-rendu de cette entrevue, avec notamment un Richard qui se croit malin comme un renard en demandant à Brian si Fauré compte parmi ses influences et un Brian qui tire une méchante gueule et qui répond : «Jamais entendu parler de ce gars-là». Comme il traîne sur la côte Ouest, Richard le veinard en profite pour rencontrer Jim Morrison, un mec «assez doué pour les concepts philosophiques», à l’imagination «vagabonde» et quand Morrison lui fait l’apologie du chamane, Richard le veinard flashe. Selon Morrison, le chamane est un individu hors normes qui va devoir s’intoxiquer pour raconter son voyage aux gens de la tribu.

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    Weird scenes into the gold mine. C’est exactement ce qu’il va faire avec les Doors : raconter son voyage aux gens de la tribu, c’est-à-dire nous, les fans des Doors à travers le monde. Par contre, Richard le veinard se montre moins charitable avec Jimi Hendrix. Lorsqu’il le rencontre, Jimi a «du vomi séché sur sa chemise». Du coup, il s’abstient de publier l’article, car il ne veut pas faire ombrage à sa réputation. Mais en rapportant cet épisode malheureux, le mal est fait. L’évocation de Jimi Hendrix est son premier faux pas. Hendrix ne saurait se limiter à une histoire de vomi. C’est absurde. Mais en même temps, Richard le veinard épingle un aspect fondamental de sa démarche journalistique qui est celle de l’éthique. Au contraire de la grande majorité des journalistes, il refuse de traiter ses sujets «comme des morceaux de viande».

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    Il se lie d’amitié avec Janis Joplin qu’il aurait voulu «pouvoir sauver». Janis incarnait à ses yeux «la promesse des années soixante - et leur tragédie». Mais ce qui sous-tend l’ensemble du récit, c’est une passion viscérale pour l’écriture. Jeune, Richard le vantard décide de devenir le James Joyce du Bronx. Il n’y va pas avec le dos de la cuillère et il a raison. Ça s’appelle avoir de l’estomac. Et sans estomac, on ne va pas loin. Il se heurte très vite au monde de l’édition : «Nous sommes là par amour des mots et par besoin d’attention, eux sont là pour l’argent.» Il se passionne pour l’enfant terrible du Nouveau Journalisme, Tom Wolfe, puis pour Norman Mailer, «un fauve terrifiant qui peut être l’égal des dieux de la guitare». Disant cela, Richard le renard met le doigt sur un point capital : la parenté qui existe entre les géants de la littérature, du cinéma et du rock. C’est la même énergie. Il dit avoir «aiguisé ses lames sur la meule de Norman Mailer». Puis il voit les écrivains américains devenir des personnages médiatiques, c’est-à-dire sachant manipuler les médias : Mailer en premier, puis Andy Warhol, Gore Vidal, Truman Capote et celui qu’on aurait tendance à oublier facilement, Marshall McLuhan, «un érudit de James Joyce devenu un savant des médias». Richard le thésard le situe ainsi : «Il incarnait le style de la pensée fluide dont l’époque raffolait». Et il continue de le rouler dans sa farine en constatant que plus personne ne le cite aujourd’hui, «sauf dans les cours de communication», et pince sans rire, il ajoute : «Ça en dit long sur la qualité de sa pensée». McLuhan prévoyait l’avenir de médias, longtemps avant Internet et il inventa un nouveau rôle, «celui de gourou médiatique» - Gotta get a goulou-goulou, braille Eric Burdon dans «Year Of The Guru» -

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    Beaucoup plus flatteur est le chapitre que Richard consacre à Susan Sontag (qu’admirait aussi Eric Burdon) - Elle appelait l’Amérique le cancer de la civilisation occidentale - Bien vu, Susan ! Et Richard en rajoute en disant d’elle qu’elle «privilégiait la sensualité au détriment de la moralité». Il finit l’éloge à Susan en recommandant chaudement la lecture de son traité d’éthique, Sur la Photographie. Par contre, pas de pitié pour Timothy Leary - Il avait le regard vaseux et de la merde de pigeon séchée sur son pull - Aïe, ça commence mal ! Richard le soupçonne de s’être fait renvoyer d’Harvard à cause de «sa médiocrité intellectuelle». Il parle d’un discours en forme de «ramassis d’idées flottantes dans la soupe culturelle». Richard le revanchard se prend pour Léon Bloy ! Il taille à la hache : «Comme tout intellectuel célèbre, il était lisse et télégénique». Et pouf, Richard le hussard inscrit Leary dans la lignée de McLuhan «qu’il admirait jusqu’à un certain point». Mais Leary rêvait surtout de voir McLuhan sous LSD. Un Leary qui disait le monde coupé en deux, d’un côté «ceux qui sentaient la vérité» et de l’autre «ceux qui la saisissaient pleinement sous acide». Visiblement, Richard ne supporte pas les théories psychédéliques de Leary qui déclarait par exemple : «L’art doit faire appel aux sens. Chaque drame original est psychédélique». Pour illustrer son propos, Leary expliquait que le théâtre était à l’origine une expérience religieuse, ce qu’avait très bien compris Artaud. Comme il a de la suite dans les idées, Richard recroise Leary avec Jim Morrison, «toujours cette satanée routine du chamane» puis achève la pauvre Leary ainsi : «Il était aspiré dans le vortex de son époque, la conviction que ses pulsions comptaient plus que le raisonnement». Puis vient le coup de grâce : «J’étais habitué à ce type de d’illusions mais mon expertise se cantonnait à la culture pop. La sienne concernait la mort de l’esprit». Amen.

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    Peut-on parler de Richard Goldstein comme d’un écrivain ? Oui, car il use et abuse de cette manie de l’introspection typique des grands écrivains américains. Il parle autant de lui qu’il parle des autres, mais c’est une façon de mieux le connaître, comme si on entrait dans son texte par l’intérieur. On entre chez Henry Miller de la même façon, par l’intérieur de sa pensée. On sait à peu près tout ce qu’il faut savoir de Miller avant qu’il ne parle des putes qu’il fréquente à Clichy ou a New York. Et bien sûr, cette manie de l’introspection vient en droite ligne de Joyce et de Proust qui firent de ce regard porté sur soi un genre littéraire à part entière. Un genre que Céline va transfigurer, pour le seul bonheur des amateurs d’apocalypse.

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    Bon alors, et la politique dans tout ça ? Pour Richard, le rock fut essentiellement une force révolutionnaire. Il a vécu ce mouvement social en direct. Vers la fin du récit, il décide que «le rock cesse d’exister en tant que force révolutionnaire» ce jour du printemps 1968 où il entend «MacArthur Park» à la radio. Dommage, car il avait réussi à rencontrer tous les grands acteurs de cette révolution, en commençant, par Abbie Hoffman, qui fut mordu par des chiens policiers. Richard cite le portait qu’a fait Avedon d’Abbie et pouf il embraye aussi sec sur la Convention démocrate de Chicago en 1968. Abbie Hoffman et Jerry Rubin y organisèrent des manifestations, Country Joe McDonald et le MC5 tentèrent d’y participer. C’est peut-être dans le récit de ces événement marqués par une spectaculaire violence policière que l’ouvrage de Richard le tricard prend tout son sens. Il parle d’un climat de guerre civile. Il rappelle que Country Joe fut agressé dans son hôtel par des gens portant des brassards. S’ensuit un bel hommage hélas trop court au MC5, sans doute le groupe le plus habilité à illustrer le thème ‘rock et révolution’. Écœurés par les politicards, les kids présentent leur candidat à la convention, un cochon nommé Pégase. On assiste en direct à une extraordinaire flambée de violence - Kill the pigs ! - Les kids s’arment pour le combat de rue et Richard le soudard s’enroule la tête dans une écharpe mouillé pour pouvoir supporter les lacrymo. Les pages qui relatent ces événements renvoient bien sûr à celles de l’autobio de Mick Farren, lui aussi équipé pour se défendre des flics anti-émeutes anglais montés sur des chevaux et armés de longues matraques. Richard clôt le chapitre des événements de Chicago en rappelant qu’Abbie Hoffman s’est suicidé en 1980 - La Révolution fut une échappatoire cruciale pour lui, plus encore que pour moi. Quand elle se termina, il perdit sa meilleure défense. Et moi aussi - Voilà une façon très élégante d’exprimer la profonde désillusion qu’ont vécu tous les militants de la grande époque. Mais comme le rappelle Wayne Kramer dans son autobio, tous ces kids éprouvèrent l’incroyable fierté d’avoir lutté pour les droits civiques et contre la guerre du Vietnam.

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    À la question : «Faut-il lire ce livre ?», la réponse est oui. Mille fois oui. D’autant plus qu’il est traduit en français et que Nicolas Mesplède s’est battu pied à pied avec son texte. Cling clong ! De taille et d’estoc.

    Signé : Cazengler, Richard Goldmiché

    Richard Goldstein. Rock & Révolution. Mes Années 60. Les Fondeurs de Briques 2019

     

    TROYES / 25 – 01 – 2020

    3 B

    NO NAME BAND

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    Teuf-teuf du retour. Je médite. Sur les méfaits du sport national. Non, ce n'est pas le foot. Mais l'apéro. N'ayez crainte je ne me lance pas dans une croisade anti-alcooliques. D'abord parce que tout le pays se dresserait contre moi comme un seul homme. Je me dépêche d'ajouter : comme une seule femme. Cette dernière comparaison pour le lectorat féminin ( ô combien irremplaçablement charmant ) de Kr'tnt ! Ce sont les révélations de Béatrice, la patronne du 3 B, juste avant que je ne parte qui m'ont poussé dans cette méditation ultra-méditative. Figurez-vous que voici quelques semaines la bande du B 3 s'était donnée rendez-vous pour partir en concert, le destin aux ailes de fer ne l'a pas voulu, comme ils étaient légèrement en avance, ils ont décidé d'un petit apéro avant l'envol. Vous devinez la suite, l'escadrille du B 3 n'a jamais quitté son tarmac.

    Ce genre d'incident n'est pas réservé aux amateurs de rock. C'est la conversation qui s'ensuivit qui concerne directement cette chronique. En gros cela a vite tourné autour de la formation idéale du french rockabilly band. Dans la vie il ne suffit pas de réfléchir : il est nécessaire d'agir. N'est-ce pas Karl Marx qui a répondu à cette angoissante question : comment l'homme connaît-il le goût de la pomme ? Tout simplement en la goûtant ! Bref voilà pourquoi durant la soirée nous avons assisté au premier concert de ce groupe mythique nommé le No Name Band. En fait c'est le deuxième car la premier fut plus informel, mais là ils étaient tous là, facile pour les quatre premiers qui crèchent dans la région parisienne, mais le cinquième l'est arrivé tout droit de Nantes en début d'après-midi.

    THE DREAM TEAM

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    Difficile de se frayer un passage dans le 3 B rempli comme un nid de guêpes. A croire qu'ailleurs l'on s'ennuie un tantinet dans la bonne ville de Troyes en fin de semaine. Plein partout, même sur la scène. Si bien qu'en plus du No Name Band l'on a eu droit au drummer invisible. Ce n'est pas de sa faute à cet innocent bambin. Ce n'est pas non plus que Béatrice la patronne aurait disposé un paravent japonais devant lui pour faire plus joli. Heureusement qu'il quémandait régulièrement au micro s'il pouvait avoir '' un petit peu de la bière'' au moins l'on était sûr qu'il ne s'absentait pas en douce dans l'arrière-cuisine profitant honteusement du mur de séparation qui nous cachait sa silhouette. Je reviendrais plus tard sur la nature de cette frontière infrangible. Soyons franc, il ne s'est pas dérobé une seconde à sa tâche. Mais voyez-vous le pauvre Philou, l'a joué le rôle du prolétariat anglais qui au dix-neuvième siècle, à grands coups de pics dans les galeries des mines de charbon, a trimé durant des journées de quatorze heures pour créer les richesses de la britannique nation dont d'autres que lui profitaient. ( Toute coïncidence avec la réalité de nos jours n'est sûrement pas un hasard malheureux de l'Histoire ). Donc Phil, de l'ancien et légendaire Ghost Highway, à la batterie.

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    A peine vous ai-je refilé le nom de Phil, que vous ne pensez plus qu'à sauter le mur pour savoir qui qu'y a devant. Un véritable gentleman. Lui n'a pas tenté de blackbouler son copain. L'aurait pu, avec sa grosse contrebasse aussi noire qu'un cercueil, il vous aurait rayé le Phil de la surface de vos yeux. Non seulement, il s'est serré sagement dans un coin mais lorsque ça chauffait grave, il allait se ranger à côté de son camarade, manière de montrer au monde entier qu'ils étaient bien deux à la rythmique, bref cet homme de cœur qui n'oublie pas son copain, il est juste que son nom soit écrit en lettres d'or, c'est Thierry '' Try Rock'n'roll '' Gazel, je ne vous cite qu'un seul de ses anciens hauts faits, l'a officié dans les Four Aces, nous avons assisté ( voir KR'TNT ! 362 du 22 / 02 / 2018 ) au dernier concert de cette formation de haut calibre.

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    Pour le mur du son devant. C'est très simple. Une + Une + Une. Guitare + Guitare + Guitare. Guild + Gretsch + Squire. Non, vous ne phantasmez pas. Pas une, pas deux, mais trois leads. C'est cela le monstre à trois têtes, le Cerbère orphique sorti de brain storming totalement tordu des mordus de la bande au 3 B. Trois guitaristes, alors qu'un généralement fait très bien l'affaire. N'ont pas pris des brelles. Ni des tocards de la dix-septième division des bras cassés. Dans l'ordre alphabétique : Franky Gumbo, ancien guitariste des Capitols, pas besoin d'en ajouter davantage, Mister Jull un des esprits de la Highway mythique, and last but not the least, Raf la rafale, le guitar-hero des Atomics.

    Voilà les présentations sont terminées. Mais comme vous êtes toujours pressés, vous voulez les entendre jouer tout de suite ! Pauvre de moi, la vie d'un rock-kronikeur n'est pas de tout repos.

    NO NAME BAND

    Les moutons à cinq pattes obtenus par manipulations génétiques ne sont pas obligatoirement ceux qui marchent le mieux. Dès les premières notes No Name Band n'a pas éprouvé de difficultés particulières pour galoper à fond de train ( kept-a-rollin' ) sur les sablières cahoteuses de ce que l'Empereur Julien, appelait la piste des onagres. Z'avaient pas effectué trois enjambées que déjà l'on était en plein pure rockabilly.

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    Désignons le coupable. Thierry. Le thierryble. Pour comprendre la nature du rockabilly, quelques explications sont nécessaires. Vous connaissez le shuffle du blues. Une fois que vous êtes embarqué, vous n'avez plus qu'à vous prélasser sur la banquette. Le balancement régulier du wagon, vous emmène dans une douce somnolence, vous n'êtes pas totalement endormi parce qu'il y a un mec quelque part qui braille toutes les misères du monde, mais ce n'est pas grave, vous avez l'impression de régresser dans le ventre de votre maman, elle vous promenait au travers des horreurs de l'existence mais vous étiez en sécurité, les portes du paradis s'étaient refermées sur vous et là tout n'était que luxe, calme et volupté, ainsi que le nota Baudelaire. Ben, le rockabilly, c'est exactement la même chose. Tout à fait pareil. Complètement identique. A part que c'est plus mouvementé. C'est très simple, vous montez en courant un escalier de quarante étages poursuivis par une horde de mort-vivants qui veulent à tout prix que vous les rejoigniez, vous sentez que votre cœur est prêt à exploser, mais arrivé tout en haut la porte est fermée et vous n'avez plus qu'à redescendre par les escaliers de secours extérieurs. Evidemment vous les dévalez sur le dos et à chaque palier vous vous rompez une vertèbre. J'ai oublié de le préciser : le rockabilly, c'est un peu plus sauvage que le blues. Bref pour vous permettre de traverser ces cascades cahotiques, vous avez besoin d'un contrebassiste qui vous caoutchouctise vos rebondissements, c'est Thierry qui se charge de cela. Sa contrebasse halète comme le mufle d'un taureau furieux qui vous poursuit dans l'arène. Impossible de fuir ou de vous arrêter. La corne du rockabilly vous pique les reins et vous n'y pouvez rien. Inutile de jouer au plus malin, de ruser, de tourner brusquement à gauche ou brutalement à droite, furax le fauve vous suit de près, vous marque à la culotte, et ne vous laisse plus en repos.

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    Le pire est toujours certain. Déjà que vous n'arrivez plus à vous défaire des entrelacements des serpents thierryfiques qui vous suivent partout, voici que Phil à qui vous ne demandiez rien se radine. Encore un adepte du tchac-à-tchac, mais ce qu'il préfère c'est le poum-poum, agrémenté des sonnailles de ses cymbales. Méfiez-vous de son sourire. Genre mec occupé qui ne fait pas attention à vous. Mais l'œil aux aguets sur les trois guitares et puis cette narquoiserie innocente, mine de rien, d'augmenter la cadence. Et le volume sonore. Il est comme cela le Philou, ce ne sont pas trois malheureuses guitares qui vont se prendre pour la sainte trinité, c'est lui qui distribue l'extrême-onction, davantage à coups de sabre que de goupillon. Malgré cela, ça se goupille plutôt très bien pour les guitares, Thierry et Phil sont de véritables pousse-au-crime, ah, vous vouliez jouer et bien chantez maintenant !

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    Quand il y en a pour un, il n'y en a pas généralement pour trois. C'est au moment de se partager le gâteau que les ennuis commencent. Mais l'on n'a pas affaire à d'innocents gratteux bleus qui ne sont jamais sortis de chez eux. Si le corbeau a un seul fromage pour deux renards, l'est sûr que ça va mal tourner. Il existe une parade. Simple mais il faut avoir la combine. Je vous révèle le secret. Pas uniquement un seul calendos. Pas uniquement un seul baba au rhum. Mais une infinité inépuisable. Alors tout s'éclaire, quand il y en a pour un, il en reste pour les autres. Le petit Jésus il a appelé cela la multiplication des pains. Eux, ce sera la multiplication des sets. Les trois sets réglementaires du 3 B ils les ont pulvérisés. Faudra rebaptiser le bar, désormais ce sera le 5 B. Et pas des zigouigouis minuscules aussi courts qu'un ver de terre qui gigote au bout de l'hameçon, eux ils sont pour les anacondas géants de trente mètres minimum. Y a en eu un quatrième. Presque aussi reptilien que les trois premiers mis bout à bout. Un truc rapide qu'ils avaient dit. Tu parles, Charles, ils avaient la gaule. On a commencé à s'inquiéter pour le cinquième quand on a vu Béatrice foncer au premier rang. Elle allait leur demander d'arrêter, de stopper tout de suite, les morigéner sans se gêner, leur rappeler les horaires, le règlement municipal, la ronde des polices, point du tout les toutous, elle s'est mise à danser comme une folle ensauvagée, sauf le respect que je lui dois.

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    On y était pour quelque chose, on n'était pas les derniers à réclamer un petit supplément, et puis ces filles qui criaient si forts que parfois on ne les entendait plus, les gars ont dû se sentir galvanisés. Mais revenons à nos guitaristes. C'est Franky qui s'est lancé le premier. Chant et guitare. De toute beauté. Le son américain sur toute la ligne. Plus vrai que nature. De l'autre côté de l'Atlantique, certains ont dû mal le vivre. L'a cassé une corde celle du bas. Celle du haut c'est Raf qui s'en est chargé. Parce que si vous croyiez que les deux autres zigoguitars comptaient les mouches pendant ce temps, vous vous trompez. Intervenaient à tout moment. Ce qui ne veut pas dire n'importe quand. Bien sûr que toute la soirée ils se refilaient les solos comme les grands-mères attentionnés s'échangent le bébé, ça c'est facile, deux la mettent en sourdine et le pote se débrouille très bien tout seul. Le fun du fin au fond c'est d'intervenir au bon moment, pour signifier, exacerber encore plus amplement ce que le copain est en train de faire, parfois bien sûr on repique ce que le flamboyant vient de trastéger, chacun y va de sa surenchère, mais attention c'est du rockab, l'on ne brode pas à l'infini comme dans le jazz, l'on ne s'enroule pas dans la couverture de la virtuosité, l'on préfère le flip-flap arrière ou le saut de la mort au trampoline, mais le plus goûteux, c'est comme dans les ateliers de la Renaissance, vous avez un gars qui peint un cheval blanc, et son alter-ego qui rajoute sur la patte arrière une minuscule tâche rouge qui donne à l'ensemble du canasson un extraordinaire relief. Trois musiciens trois styles. Franky, comment s'y prend-il pour raccourcir ses phalanges comme cela, l'on dirait qu'il n'a plus de doigt et pourtant ça court de tous les côtés. Tout le contraire de Jull dont les digitaux tentacules barrent toute la largeur du manche, un peu comme sur les photos de Robert Johnson.

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    Quant à Raf, il les jette sur ses cordes comme des avions de chasse qui attaquent en piqué, oiseaux de proie qui s'abattent sur une malheureuse musaraigne. Faut que ça saigne. L'est beau Raf, la plus belle rock attitude, très rentre dedans, du sauvage, le vocal qui sarcle la hargne, la guitare qui allume les incendies dans les titres de Chuck Berry, et tous les autres qui balancent ce tempo de navire qui vient de toucher un récif sur Brown Eyed Handsome Man.

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    Une merveille cette soirée. Z'ont mouliné tous les classiques. Ah ! Ce Franky, l'est comme ces garçons de café qui vous apportent la note juste, vous êtes obligés de lui laisser le royal pourboire de la reconnaissance absolue, l'a le secret de vous servir dans l'alcool qui tue, la petite goutte de venin de crotale qui vous réchauffe le sang et vous désagrège le foie en moins de trois secondes.

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    Jull plus réservé. Un pas un arrière. Comme ces athlètes de l'Antiquité qui prenaient le temps de bander leurs muscles, de se concentrer, et puis l'attaque imparable. Réfléchie. D'une seul coup de poing. Le taureau du sacrifice s'effondrait mort. C'est après que l'on s'aperçoit du résultat, et que celui-ci a été préparé par la beauté du geste. Ce n'est pas la force qui tue. Mais l'intelligence assénée à bout bras. Et puis la rage du chant. Et là c'est tout le contraire. Comme la voix s'est renforcée de furiosité depuis les Ghosts, elle éclate, elle se presse, elle éructe et c'est elle qui mène et pousse les doigts. Dans la salle l'on frise le Parthénon ! Le rockabilly bouscule les digues, et lorsque le torrent s'arrête, un dernier coup de bigsby prolonge le débordement et vous entendez comme un feulement encoléré de tigre énamouré dont vous venez d'abattre la femelle. C'en est fini pour vous. Mais vous n'échangeriez cet instant ni pour un cheval, ni pour un empire.

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    Reste l'angoissante question subsidiaire à trancher : était-ce vraiment le meilleur groupe de rockabilly hexagonal ? Peut-être que oui. Peut-être que non. Ce qui est sûr c'est qu'ils ne sont pas passés loin du cœur de la cible. En tout cas une exceptionnelle réunion émulatrice de complices survoltés. Et c'est là le plus important, avec ce public chaud de braise, qui est reparti avec les oreilles pleines de rêve.

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    Damie Chad.

    ( Photos : FB : Christophe Banjac / Béatrice Berlot 

    Audrey Demange / Valérie Horn )

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N°12

    JANVIER / FEVRIER / MARS / 2020

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    Tiens, il y a le feu à la boîte à lettres. Pas de panique, c'est le nouveau Rockabilly Generation qui est arrivé. Tout beau comme une pin-up en tutu rose transparent, les jambes ouvertes sur le capot d'une pink thunderbird. Ne rêvez pas, c'est juste une métaphore, sur la couve c'est Graham Fenton moins affriolant que notre évocation, mais le regard empreint d'une telle passion inextinguible pour le rockabilly que vous avez envie de sauter directement sur l'interview. Attardez-vous tout de même sur la génération montante, celle de Thomas Pichot des Drifting Sailor, très belle pleine page photo country-style de Sergio Katz.

    Dominique Faraut nous conte la carrière de Graham, des Houseshakers, qui accompagnèrent Gene Vincent, à Matchbox, un des groupes phares du renouveau Ted, que l'on ne présente plus. Je vous laisse découvrir l'interview réalisée par Bryan Kazh, toute l'histoire du rock défile là-dedans, avec peut-être encore plus essentiel celle d'un homme qui sait faire la part des choses.

    Béthune Rétro dédié aux vingt ans des Hot Chickens, le show explosif de Jake Calypso, mais aussi la présence de Viktor Huganet, Tony Marlow, Didier Wampas, Didier Bourlon ( premier guitariste des Hot Chickens ), Crystal Dawn, et quelques autres dont Don Cavalli, le Cat Zengler vous a relaté son concert dans notre livraison 428 du 05 / 09 / 2019.

    Relation de Dance on border line 10, avec Captain Dock, Ray Allen and his Band, Marcel Riesco, et le dernier concert de Dylan Kirk avec les Starligths. Toujours en Bretagne, une région chère à Sergio Kazh, le compte-rendu de Rock'n'Roll in Pleuguenec featuring Greaser Rockers, Joe Fury, Kick'Em Jenny, et l'on arrive à la chose triste. Le Rock'n'roll Weekenders, festival de trois jours ( nous ne retiendrons que Darrell Higham et son Gene & Eddie Show ) qui ne déçut pas son public mais qui quinze jours après sa fin vit la disparition de Dominique Rouaud, le Grand Dom, décédé à cinquante-cinq ans. Toute une vie au service du rockabilly, emportée en quelques jours. Bel hommage de Sergio, qui rappelle l'homme qu'il fut, tout d'une pièce, qui ne transigeait jamais avec ses rêves. Une des personnalités les plus respectées et aimées du mouvement Ted en France. Ce n'est pas un départ, c'est une perte.

    Comme en écho, une interview de Crazy Cavan réalisée par Bryan qui interroge davantage Mister Grogan que la star Cavan, l'enfance et l'âge qui survient, la vieillesse pour employer le mot qui refroidit...

    Inutile de signer une pétition contre Sergio Kazh sous prétexte que ce numéro 12 fait l'impasse sur les pionniers. C'est carrément un numéro Spécial Gene Vincent qui sortira ce mois de février qui s'approche. Question pionnier, c'est difficile de faire mieux que Gene Vincent !

    Un numéro qui atteint à une dimension humaine à laquelle tous les précédents n'étaient pas encore parvenus. Il est indéniable que Rockabilly Generation News progresse à la vitesse d'un mustang sauvage au galop.

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois), 4,60 Euros + 3,62 de frais de port soit 8,22 E pour 1 numéro. Abonnement 4 numéros : 32, 90 Euros ( Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents. Une bonne nouvelle tout de même : devant la demande générale, les numéros 1, 2 et 3 ont été retirés. Les originaux c'est toutefois mille fois plus classe !

     

    MARIE-JOSEE NEUVILLE

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    Cette chronique sort tout droit de la précédente. Pas de n'importe qui, de Crazy Cavan. Difficile d'avoir une caution rock'n'roll plus solide. C'est bien lui qui à la fin de son interview nous apprend que dans sa jeunesse il aimait la France et Brigitte Bardot. Pas vraiment des propos d'une folle originalité, ni traumatisants, c'est la suite de cette déclaration d'amour que je cite in extenso : '' J'ai trouvé récemment un album par une jeune fille, une chanteuse française, Marie-Josée Neuville. J'étais captivé par sa façon de jouer de la guitare acoustique, dans le style de Jimmy Rogers. C'était une jeune fille française en 1956, donc elle est ma nouvelle découverte !''

    Diantre voici qui interroge. Marie-Josée Neuville, le nom me disait très vaguement quelque chose, peut-être entrevu sur les récapitulations alphabétiques des pochettes de disques proposées par Jukebox Magazine. Le pire, le rare, et le meilleur, y sont systématiquement répertoriés avec la cote associée. Oui mais attention Jimmy Rogers. Pas n'importe qui. Alors je suis allé fouiner sur You Tube et Wikipedia.

    Marie-Josée Neuville est née en 1938. Elle enregistre son premier quarante-cinq tours en 1955. Elle est surnommée la Collégienne de la chanson. Aujourd'hui on la surnommerait la lycéenne de la chanson. Elle a dix-huit ans lorsqu'elle devient célèbre. Une grande jeune fille. L'est sûr que les paroles de ses premiers disques sont bien gentillettes. Un peu niaises même. De la chanson pour enfant. Petite fille de bonne famille qui se prépare à passer son bac. Cultivée, cite Villon et Victor Hugo. A première ouïe elle s'inscrit dans le sillage de Georges Brassens. Guitare et paroles. N'en possède ni la verve ni la crudité. Trop lisse. Et pourtant sa chanson Nativité ( mais comment naissent les enfants ! ) ne manqua pas d'effaroucher les esprits pondérés.

    Mais sachons se replacer à l'époque. L'un de ses morceaux Le monsieur du métro va choquer la France profonde. A moins que ce ne soit la superficielle. L'hypocrite certainement. Le sujet fait rire lorsque l'on pense à Me Too. Une jeune fille qui se fait serrer de près dans le métro par un vieux grand-père. En refrain les recommandations de sa maman qui l'a avertie que dans ses cas-là, on ne dit rien... L'évolution libératoire sera rapide, en 1959, bye-bye la guitare, accompagnement orchestral, les paroles de La Dérive sont celles de l'innocence perdue mais pas tant regrettée que cela...

    Mais revenons-en à la guitare. Jimmy Rogers. Un bluesman. Pas n'importe lequel. Accompagna Muddy Waters en ses débuts. Entre Muddy et Brassens, question guitar-sound, il existe une petite différence. En effet, il n'y a pas photo. Jimmy Rogers qu'il joue avec Muddy ou en solo, rien à voir avec Marie-Josée et George. J'ai vérifié par acquis de conscience. J'essaie Jimmy Rodgers au cas où la retranscription de l'interview en anglais ne serait pas exacte. Trop pré-rock'n'roll à première écoute. Ne reste donc que Jimmie Rodgers, je choisis au hasard – pas tout à fait – Pistol Packin' Papa, et là dès les premières notes je dois reconnaître que Crazy Cavan a raison. Certes le jeu de Jimmie est plus fluide que celui de Marie-Josée plus anguleux, mais l'on ne peut que reconnaître des similitudes. Une certaine nonchalance en moins.

    Pour la suite de l'histoire : Marie-Josée Neuville s'est mariée avec Gérard Herzog ( le frère de l'alpiniste ) qui fut homme de télévision, elle fut aussi animatrice sur Europe 1 et est aujourd'hui une vénérable grand-mère de 82 ans. Pour les rockers ne pas oublier qu'elle assura la première partie des Platters en 1958 à l'Olympia. Tout cela ne nous rajeunit pas...

    Être remarquée par Crazy Cavan n'est pas donné à tout le monde. J'aurais dû intituler cette chronique : L'égérie secrète du mouvement Ted ! Nettement plus vendeur !

    Damie Chad.

    LA VOIE DE L'INNOCENCE

    MARIE DESJARDINS

    ( Humanitas / 2001 )

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    INTRODUCTION GENETIQUE

    Quatrième fois que nous nous penchons sur un livre de Marie Desjardins. Les deux premiers allaient de soi pour un blogue rock. Leurs titres parlent pour eux. Ambassador Hotel, La mort d’un Kennedy, la naissance d’un rocker, et Sylviejohnny love story recencés, pour le premier dans notre livraison 440 du 28 / 11 / 2019, et dans notre livraison 442 du 12 / 12 / 2019 pour le deuxième. Pour le troisième Ellesmere ( voir notre avant-dernière livraison 447 du 16 / 01 / 2020 ), nous avions évoqué Jim Morrison et les Doors pour mettre nos lecteurs sur le chemin d'accès à ce chef-d'œuvre de feu et de glace. Pour cette voie d'innocence il nous serait facile de prendre le bâton que Marie Desjardins nous tend au détour d'une page. Notre héros n'écoute-t-il pas Stairway to heaven de Led Zeppelin. Entre la voie de l'innocence et cet escalier vers le paradis, le chemin semble tout tracé. Mais lorsque l'on gravit une montagne, fût-ce les hauteurs de la nuit walpurgique de Goethe, il faut se souvenir de ce que Heidegger dit de tout cheminement de pensée et de parole, qu'il est nécessaire de prendre garde au sentier qui part dans une direction très précise et qui brutalement se retourne, et s'enfuit dans une autre. Tel le serpent qui cherche à vous mordre.

    Donc, quoique le héros du roman soit anglais nous partirons au Canada pour nous lancer sur la piste de Le piège d'or roman de James Olivers Curwood qui se déroule au Canada. – nous rappelons que Marie Desjardins réside à Montréal. L'on trouve dans ce superbe roman d'aventures tout ce que les éditeurs ont regretté de ne pas voir au premier plan d'Ellesmere. De la neige et des esquimaux. Du froid, de la faim et du struggle for life and dignity. La dignité, c' est ce qui se fait de mieux dans la catégorie du littérairement correct. En plus Curwood, il ne lésine pas sur le casting, par exemple les féroces Kogmollocks que je vous souhaite de ne pas rencontrer ce soir en rentrant chez vous. Quant au piège d'or vous êtes tellement pris par l'action que vous en oubliez qu'il n'est que la tresse du désir qui vous relie aux autres. Mais cela il vaut mieux ne plus y penser. Surtout si vous tenez à vérifier les deux bouts de l'attache. Manque de chance, c'est exactement à cette tâche dangereuse à laquelle s'attelle Marie Desjardins dans La voie de l'Innocence. Dans le roman de Curwood c'est un ours blanc que vous trouvez au bout de la chaîne. Une bestiole pas vraiment sympathique. Encore pire que les Kogmollocks. Le problème c'est que dans ce roman de Marie Desjardins, les ours blancs animés des meilleures intentions – prenez un peu la place de la bête qui rugit en vous pour voir un peu le monde à leur manière – ils foisonnent. Sur les icebergs des bons sentiments.

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    FAMILLE JE VOUS HAIS

    Ça commence par un marmot qui sort du ventre de sa mère. Reçoit un drôle de nounours comme objet transactionnel vers la tendresse. La haine. Sa propre mère le déteste. Elle sait pourquoi. Il est le symbole de tout ce qu'elle aurait voulu être. Le boulet de trop. Elle a déjà un mari, une fille et ce frère jumeau qu'elle préfère évidemment au héros maudit, bref une vie étriquée – pas tant que cela, le père gagne de l'argent – épouse au foyer qui élève ses enfants puisqu'elle n'a pas su devenir ce qu'elle aurait pu être. Vous entrevoyez la suite de l'histoire. L'implacabilité sociologique. Je vous la passe en accéléré. Enfant mal-aimé, père trop faible, doué en dessin, qui ne fait rien à l'école, un seul ami et des copains de bar, l'alcool, la dope, petits trafics. Trois ouates bienfaisantes qui servent de rempart face à la vie. L'autisme est-il une maladie ou une protection ? L'igloo que l'on se construit sur la banquise. Pour se protéger des ours.

    LES BÊTES FEROCES

    Les ours c'est un peu comme les chats. De bien beaux animaux. A qui vous ouvrez la porte, qui s'installent sans plus de salamalecs dans votre intérieur. C'est fou comme ils comblent votre solitude et éliminent vos angoisses. Restent-ils chez vous pour les caresses et la pitance ? Ou pour vous ? Ou pour elles, oui parce que Peter il n'ouvre la porte qu'à des femelles. Douces et mignonnettes comme des chatons, mais qui avec le temps se révèlent être de féroces ourses blanches au cœur noir comme la nuit. Peter en hébergera trois. Jay la jalouse. Paula la practicienne. Susan la sinueuse.

    A y regarder de près Jay n'est que le portrait craché, et crachat de gorgone, de sa mère. Pour la fuir Peter s'enfermera chez les hommes, les vrais, les durs, ceux qui sentent bon le sable chaud. C'est pourtant là que Paula viendra le chercher. Une intellectuelle. Qui sait poser le doigt là où ça fait mal. Qui lui apprend à se défaire de ses peurs. Et les voies de la liberté. Mais qui promettait plus qu'elle ne pouvait donner. Elle partira. C'est encore un homme, son seul ami d'enfance, qui lui apprendra à s'insérer dans la vie, un boulot et la présentation d'une amie qui... si vous voulez savoir la suite, il vous suffit de lire le roman. Âmes tendres et esprits positifs, s'abstenir.

    VIVRE

    Un roman d'initiation. Le titre l'indique. Le tout est d'apprendre à accepter. Mais à accepter quoi ? L'infinité de la société. Seul contre tous. Tout de suite les grands mots. Les postures romantiques sont de superbes lots de consolation. Chacun se taille dans cette toile amarante le manteau qui lui convient. En règle générale, l'on préfère se débrouiller pour s'assurer une petite niche écologique de survie. Plus ou moins confortable. Faute de mieux l'on s'y fait... Ce n'est pas là le plus difficile. A part pour quelques inadaptés.

    Le plus dur ce sont les autres. Pas tous les autres. Pas le monde entier. Ceux qui vous sont proches, familles, voisins, amis, connaissances et ceux que vous aimez. Ce sont ces derniers qui sont très embêtants. Peut-être parce que vous leur demandez de vous ressembler. Peut-être parce qu'ils vous ressemblent trop. Puisqu'ils exigent que vous leur ressembliez. L'on est toujours l'ours blanc de quelqu'un.

    Inutile de vous poser la question. Le problème c'est vous. Avant toute chose c'est vous que vous devez accepter. Peter qui roule sur ce chemin n'amasse pas mousse. La voie de l'innocence est-elle celle de l'ignorance ! Vous ne pourrez jamais accepter les autres si vous ne vous acceptez pas vous-même. L'âme sœur et l'âme frère sont sur un bateau. L'une des deux tombe à l'eau. Qui reste-t-il. Qui reste-t-elle. Laquelle a trahi, celle qui s'est jetée à l'eau, celle qui n'est pas tombée. Peut-être les deux. Puisqu'elles sont inéluctablement deux depuis le début. Deux et pas doubles. Seraient-elles jumelles.

    Et le problème c'est que lorsque vous avez compris tout cela, renoué tous les fils, rassemblé toute la trame, vous n'en êtes pas plus heureux pour autant, pas moins dans l'indécision, juste au milieu de la fêlure, juste entre les deux cotylédons du sexe féminin qui vous a engendré. Vous pouvez chercher, en cet endroit il n'y a que vous. Vous vous croyez dans la fêlure, mais la fêlure c'est vous.

    Marie Desjardins esquisse en ce roman les prolégomènes d'une espèce de théosophie psychanalytique des plus osées. Il ne s'agit pas de tuer le père – c'est déjà fait, l'aragne maternelle s'en est chargée - mais de tuer la mère. C'est la seule manière de ne pas rester éternellement un enfant. De ne pas être en attente et en recherche d'un sein symbolique à sucer. De ne pas être le jumeau de sa mère. Ou la jumelle de ses parents. Même quand ils sont absents. Un combat psychique. Introspection ouranienne. Contre soi-même. Vous ne trouverez pas plus cruel et plus innocent au monde. Un roman autant émasculateur que femmasculateur. Mort à l'amour. Pour parvenir à la liberté du désir. Stairway to heaven.

    Souriez, vous êtes arrivé.

    Vous pouvez remercier Marie Desjardins.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 448 : KR'TNT ! 448 : ERVIN TRAVIS / BRYAN GREGORY / BELPHEGORZ / SUPERHEROÏNE / DARK REVENGES / JUSTINE / NEVERMIND THE CAR / KROPOL TRIO / PIERRE CUDNEY

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 448

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    23 / 01 / 2020

     

    ERVIN TRAVIS

    BRYAN GREGORY / BELPHEGORZ

      SUPERHEROÏNE / DARK REVENGES

    JUSTINE / NEVERMIND THE CAR  

    KROPOL TRIO / PIERRE CUDNEY

     

    05 / 12 / 2019LE SEQUESTRE ( 81 )

    SAMY'S DINER

    ERVIN TRAVIS & THE LITTLE BOYS

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    Non, je n'y étais pas, mais combien aurais-je aimé y être ! L'on pensait la chose impossible. Les dernières nouvelles d'Ervin du mois de novembre n'étaient pas bonnes. La maladie de Lyme est une belle saloperie. Les quelques très rares heures de rémission que le mal lui octroie et qu'Ervin met à profit pour donner le change, sortir de chez lui, voir un peu de monde, il les paye dès les jours suivants au centuple. Et puis ce matin, faisant un tour sur son FB : Ervin Travis ( gene vincent tribute ), mes yeux sont accrochés par une vidéo de concert datée du cinq décembre 2019. En fait pas moins de sept vidéos avec Ervin sur scène.

    Un véritable concert – pas un come-back officiel, juste un test nous est-il précisé - de deux heures en deux sets. Avec quelques uns de ses anciens musiciens, comme Edwin Garrouste, qui montèrent sur scène pour rejoindre les Little Boys avec le fidèle Alain Neau à la guitare, Louis Bic aux drums et Sébastien Boyer au chant.

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    Donc sept vidéos qui donnent une idée même si parfois elles privilégient les danseurs et oublient quelque peu de resserrer la focale sur Ervin, notamment lorsqu'il nous restitue les attitudes mythiques de Gene Vincent sur scène. Ce qui est sûr c'est qu'Ervin n'a pas perdu ses automatismes. L'a toujours cette classe innée de félin dans son pantalon rouge l'Ervin, amaigri un poquito – mais il n'a jamais été épais – et la voix est-là, si elle n'a pas perdu en force – la chant corse, Ervin a toujours revendiqué fièrement ses origines insulaires, Quando sero per Cordi, interprété a cappella le démontre amplement, peut-être lui manque-t-il encore un brin de finesse mais nous pouvons faire confiance à Ervin pour qu'avec l'exercice le larynx retrouve sa plasticité originelle. En plus mon écoute est dépendante d'un vieil appareil bien fatigué !

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    Quatre perles de Gene Vincent, You are my Sunshine, She she little Sheila, Rocky Road blues et Baby blue, Peggy Sue de Buddy Holly, et le Shazam de Duane Eddy et Lee Hazelwood – ce dernier on le retrouve sur bon nombre des mauvais coups du rock'n'roll – qui permet à Ervin de nous montrer son jeu de guitare royalement secondé par Alain Neau.

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    Une deuxième prestation a eu lieu pour la nuit de Saint-Sylvestre à Saint Amans dans l'Aude, quand je pense que j'étais exactement ce soir-là à trente kilomètres de l'endroit, je me maudis jusqu'à la cent-soixante dix-huitième génération. Vous avez quelques photos et une vidéo sur le FB de Jason Rock. L'on y voit notamment Ervin à la batterie.

    Quoi qu'il en soit, quel plaisir de savoir qu'Ervin Travis est en train de remonter la pente. Le phénix renaît de ses cendres !

    Damie Chad.

    La vie de Bryan

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    John Wombat poursuit son petit bonhomme de chemin avec des livres étranges et pénétrants, pour reprendre une expression verlainienne. Après Ron Asheton, Brian James et Johnny Thunders, il se penche sur le cas ô combien sulfureux de Bryan Gregory qui joua dans les Cramps un rôle comparable à celui que joua Brian Jones dans les Stones, le rôle du personnage iconique. Bryan Gregory semblait en effet sortir d’une tombe, ce qui tombait à pic, dans un groupe qui se piquait de voodoo-you-lover son prochain.

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    Wombat peaufine sa méthode de livre en livre : il retravaille l’histoire pour l’adapter à un style qu’il veut résolument léger, il musarde pour échapper aux pesanteurs de l’érudition, il opte pour la désinvolture d’un fer à gauche à seule fin d’éviter les rigueurs despotiques d’une justification qu’il sait fermée à tout dialogue. Sa méthode consiste aussi à grapiller des bouts d’infos pour en faire mousser le suc et donner vie à son sujet sans s’aventurer trop loin dans la psychologie, il se contente d’un portrait de bric et broc, choisissant astucieusement ses éléments. Il finit par donner l’illusion d’écrire en prose, car il veille à l’équilibre d’une insoutenable légèreté de ton, à un point tel qu’il semble ne vouloir conserver que l’ersatz de l’essentiel. Son livre ne fait que 68 pages. D’où l’impression de tenir en main un petit ouvrage raffiné, du style de ceux que publièrent jadis les éditeurs dilettantes pour le compte de Paul-Jean Toulet ou encore Natalie Clifford Barney.

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    Il se peut aussi que la vie de Bryan Gregory soit tellement courte, au propre comme au figuré, qu’il faille se limiter à ce type de distance. Gageons que Wombat réalise un exploit en parvenant à étirer sa sauce jusqu’à la page 68. L’ajout de nombreuses photos ne fait qu’aggraver la perfidie de cette hypothèse. D’où l’aspect héroïque de cette démarche. Franchement, il fallait oser.

    Wombat touche au délire référentiel des Cramps avec des pincettes, il veille à ne pas marcher dans les plate-bandes de Dick Porter. Il se contente de citer rapidement deux films (Robot Monster et The Yesterday Machine), deux early heroes de Lux (Ghoulardi et Mad Daddy Myers), et la triplette de Belleville (Elvis, Link Wray et Carl Perkins). Il évoque brièvement la rencontre historique de Lux avec Kirsty Marlana Wallace à Sacremento, et du cours qu’ils vont suivre ensemble à la fac, le fameux Art and Shamanism dont les crampologues feront leurs choux gras. Lux et Ivy vont aussi se passionner pour ces losers notoires que sont Andre Williams, Thee Midniters, Marvin Rainwater et Bailey’s Nervous Kats. Ivy gratte un peu de guitare et se dit fascinée par le jeu de Link Wray - Just the simplicity and the starkness, the stark chord of Link Wray and the stark single-note thing of Duane Eddy - Ce qui par la suite générera des tensions avec Bryan Gregory qui préfère un son plus ‘moderne’ (Joy Division, Stooges et Banshees). (C’est vrai qu’on voit souvent la modernité qui nous arrange, comme on voit midi à sa fenêtre).

    Petit rappel de l’auteur : au commencement des Cramps était non pas le Verbe mais le Mix : Lux rêve de jouer un rock’n’roll loud and raw et de mixer Carl Perkins avec les Shadows of Knight. Il oublie de préciser que les Cramps iront beaucoup plus loin et qu’ils inventeront un genre à part entière : les Cramps.

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    Bryan quitte Detroit, s’installe à New York et bosse chez Music Maze. C’est là qu’il rencontre Lux. Ils vont monter le groupe ensemble sans savoir jouer d’aucun instrument. Toute la puissance originelle des Cramps vient de là : du niveau zéro de l’exaltation. Le Detroiter Gregory Beckerleg devient Bryan Gregory en l’honneur de Brian Jones et s’achète une guitare. Il ne sait pas jouer, mais il va inventer un son à base de feedback et de fuzz - Playing bass lines and noise and fuzz effects - Oui, il va inventer a unique feedback playing style, a noise all of his own. Le premier album des Cramps en est bourré à craquer. Bryan crée son monde, il colle des stickers blancs sur sa Flying V noire et se teint une mèche de cheveux en blond, un blond qui va blanchir sous les projecteurs. Il devient la créature subliminale des Cramps et avale ses cigarettes sur scène. Bryan est un performer et non un musicien, dit de lui Johnny Thunders. Bryan amène ce qui va asseoir la réputation des Cramps : l’attitude. Beaucoup plus que les punks, les Cramps sonnent le glas du rock virtuose. Bryan pousse encore le bouchon en foutant les jetons aux gens. Personne n’ose l’approcher. Il a une mauvaise peau et un regard noir - The Cramps were the real deal, they lived and breathed their musical life style - Et c’est là où ca devient très fort, Wombat insiste beaucoup sur ce point : les Cramps étaient beaucoup plus qu’un simple groupe de rock, ils incarnaient ce rock sauvage et primitif qu’ils vénéraient, ils surent créer un monde à partir de leur passion pour les films d’horreur, le rockabilly et le sexe. Lux écrivait les paroles, Ivy la musique et ils choisissaient ensemble les covers qu’allait jouer le groupe sur scène. Lux voulait retrouver le côté choquant, sexy et révolutionnaire des pionniers du rock des années 50, mais sans les imiter. L’esprit rebelle, voilà ce qui le fascinait. Voilà toute la grandeur de leur démarche.

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    Quand Nick Knox arrive, Bryan ne s’entend pas bien avec lui, et puis leur relation évolue et ils prennent un appartement ensemble. Et pouf c’est parti, les Cramps tournent en Europe et enregistrent leur premier album à Memphis. Mais la tension s’accroît entre Bryan et le couple Lux/Ivy. Andrella qui est la copine de Bryan s’occupe du light show sur la tournée américaine des Cramps en 1980 et quand Lux et Ivy la virent, Bryan le prend mal. Il quitte le groupe après le show de San Francisco. Sans rien dire. Les commères du village ont raconté que Bryan avait barboté le van du groupe qui contenait tout l’équipement, mais Andrella affirme le contraire. Tout cela n’est pas très clair. C’est là où Wombat s’enlise. Il cite Ivy. Elle accuse le pauvre Bryan de n’avoir pas eu autant d’intégrité rock’n’roll qu’elle et Lux pouvaient en avoir. Puis Lux prend le relais en reprochant à Bryan d’avoir voulu faire des chansons plus politiques, alors que les Cramps ne se mêlaient jamais de politique. Et Lux achève Bryan impitoyablement en l’accusant d’être un connard cupide - He was just a money grubbling creep is what he turned in to - En fait, Lux et Ivy devaient en vouloir à Bryan de les avoir lâchés sans raison valable. Bryan se conduira pareillement avec Beast, lâchant le groupe la veille d’un départ en tournée européenne.

    Kid Congo remplace Bryan et ne cache pas son admiration - I really loved Bryan Gregory and so I wanted to do what I loved about him - That oozy fuzz bassy sound - Après Kid Congo, d’autres musiciens vont tenter de combler le trou béant laissé par Bryan dans les Cramps.

    Plus tard en Floride, Bryan va provoquer une rencontre avec Lux et Ivy qui sont en tournée dans le coin, caressant bien sûr l’espoir de renouer, mais comme l’indique si finement Wombat, Bryan sent clairement qu’on boude sa main tendue.

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    Bon alors, après, Wombat nous détaille par le menu les épisodes Beast et the Dials, avec Andrella et James Christopher, mais tout foire tragiquement au moment où un médecin diagnostique un cancer des cordes vocales dans la gorge de la pauvre Andrella. Bryan tente de redémarrer avec Shiver. En 2001, il ressent des douleurs, mais refuse d’aller voir un toubib. Il va quand même à l’hosto pour y casser sa pipe en bois, à l’âge de 49 ans. Et Wombat conclut sur un bel éloge : «Bryan was a true individual».

    Signé : Cazengler, John Wombite

    John Wombat. The Cramps, Beast And Beyond - A Book About Bryan Gregory. Amazon 2018

     

    BelphegorZ

    fantôme du boogaloovre

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    Tallulah semblait ravie. Comme dopée par un bel accent marseillais, sa voix chantait : «Nous avons quatre pages dans Rock Hardi !» Elle sortait de scène et savourait sa fierté d’avoir donné un bon show. C’est vrai que BelphegorZ ne laisse pas indifférent. Ils ne cherchent pas à foutre les chocottes comme le fit Juliette Gréco, au temps où elle hantait les couloirs du Loovre. Ce groupe marseillais propose un rock bardé de guitare et d’orgue, mu par une puissante section rythmique, et drivé par Tallulah qui fonctionne avec une telle intensité qu’on pourrait presque la comparer au cœur d’un réacteur nucléaire. Il y a de la Soul Sister en elle, ses montées en puissance valent bien celles d’Etta James, même si le son du groupe reste dans une veine disons post-moderne. Dans le chapô d’intro, Rock Hardi cite les noms de X-Ray Spex, de Blondie, des Revillos et de T. Rex. Oui on peut citer tous ces noms et dire aussi qu’ils reprennent le «Radioactivity» de Kraftwerk, mais il semblerait que le groupe se situe à un autre niveau. Leur set donnait déjà cette impression, et l’écoute de l’album ne fait que l’amplifier : inutile de vouloir comparer BelphegorZ à d’autres groupes. Ils valent mille fois mieux que ça. Pour la première fois depuis les Dum Dum Boys, Weird Omen et les Cowboys From Outerspace, on voit apparaître en France ce qu’il faut bien appeler un phénomène, c’est-à-dire un groupe à très forte identité.

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    Et l’artisan de cette identité n’est autre que Krees D, le guitariste du groupe. Sous sa casquette de marin, il arbore des faux airs de Johnny Thunders et sur scène, il sait se mettre en retrait pour laisser le champ libre à Tallulah. Mais sur l’album, il est partout et si vous vous retrouvez en manque de very big sound, alors jetez-vous dessus. L’album s’appelle BelphegorZ tout court et sort sur Closer, l’ex-label havrais qui semble reprendre du poil de la bébête. Par son ampleur, cet album sonne les cloches à la volée. On croise rarement des sons aussi ambitieux, aussi bien foutus, aussi magistraux. Tallulah va vous choper dès «Vintage Girl», car elle chante sous le beat, et quand Krees D vient cisailler la mortadelle, Tallulah se glisse entre les mailles avec une aisance sidérante. Ils visent une pop énergétique bien battue en brèche par ce démon chapeauté de Mekanikman qu’on a vu à l’œuvre dans la cave. Ce groupe rafle la mise avec sa belle énergie, son goût parfait pour l’instrumentation et ce sens inné de la propulsion nucléaire. Le cut suivant s’impose encore plus facilement par sa dimension imagée : avec «Creepy Birthday», il visent le climax et l’ambition des grands élans patriotiques. On assiste alors à un joli coup de creepy creepah secoué de beaux départs en coulisse. Krees D est un homme assez complet, il sait charger la barque d’un son entreprenant, il joue dans les couches, il connaît les secrets du lointain, il développe une prodigieuse énergie. On y plonge le museau avec une délectation non feinte. En deux cuts, la partie est gagnée.

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    Dans l’interview de Rock Hardi, Tallulah nous confie que Krees «est constamment en recherche de création». Il écrit aussi les textes et Tallulah ne joue qu’un rôle «d’arrangeur ou de mise en forme». Elle dit aussi qu’il sait dès le départ où il veut aller, et il suffit d’écouter «Claim» pour comprendre ce que ça veut dire. Krees D amène son Claim à la grosse cisaille, mais c’est Tallulah qui drive le bestiau, parmi les spoutnicks et les ombres du Loovre, elle chante au relentless - Cash is all you need - Merveilleuse baby shaker, elle sait mener la sarabande. Franchement, c’est un album très complet, tous les cuts sont pleins comme des œufs et chaque fois, Krees D s’arrange pour faire monter des grosses émulsions de guitares et de spoutnicks. Parfait exemple avec «Stinky City», il claque ses accords dans le corps même du son, ils dépotent une pop-rock gothico-stinky de haute tenue, ça prend vite des tours, il se montrent capables de big atmospherix et se hissent facilement au niveau des grands groupes anglo-américains. On comprend que le Closer man ait flashé sur eux. Il a toujours eu le bec fin. Ce «Stinky City» balayé à l’orgue sonne comme une révélation, comme une sorte d’épitome de chèvre du rock moderne. Marseille ou anywhere, ils sont partout avec un son qui redore pas mal de blasons.

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    Et c’est peut-être là le point essentiel : le ‘rock en France’ reprend du sens, par la plus juste des conjonctions : un superbe concert underground + un article dans le plus underground des fanzines + un excellent album sur l’un des derniers grands labels underground français. Le cœur du rock bat toujours et il semble vouloir battre plus fort que jamais. En tous les cas, la qualité est au rendez-vous, et quand on se prévaut du privilège d’être blasé d’avoir vu tellement de choses, il est parfois difficile de remonter sur ses grands chevaux pour clamer son enthousiasme. Mais là, ce sont les grands chevaux qui te grimpent dessus, il n’y aucun effort à fournir, chacun sait que l’enthousiasme délie la langue aussi sûrement que pouvait le faire un maître tourmenteur de la Sainte Inquisition.

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    Dans l’interview, Krees D se fend la gueule. La question traite de la difficulté à se faire connaître en France quand on est un groupe de rock et il répond qu’il faut simplement continuer à écrire de bonnes chansons et se démarquer, puis il ajoute, «mais bien sûr, cela ne suffit pas sinon c’est pour le New York Times que l’on ferait cette interview». Mais il doit se sentir beaucoup mieux dans Rock Hardi, c’est en parfaite cohérence avec la modestie qu’impose le statut de groupe français, même si par certains côtés, le statut de leur album relève de l’international. «It’s All Inside» ne hante pas que les galeries du Loovre. Depuis les grands albums des Afghan Wigs ou des Saints, on a perdu l’habitude des climats et du repoussage des limites. Il faut se souvenir que les big atmopherix sont difficiles à réussir. Mais Krees D y parvient, apparemment avec une étrange facilité. Il développe avec son Insider une malovelante horreur de bonheur brutal, impression qu’affûte derrière Mekanikman avec son beat des galères, c’est puissant, chanté dans l’âme de la carcasse, nappé d’orgue comme au temps béni de Procol et de Matthew Fisher. Krees D place ses transes d’accords dans l’excellence d’un son somptueusement ramassé. On voyage à travers le son, c’est franchement digne d’un Piper At The Gates Of Dawn, mais en plus marseillais, en plus humain. Ces gens-là sont tout simplement dans le vrai de leur son. Et quand on les voit jouer sur scène, on remarque très vite une absence totale de prétention. D’ailleurs, quand Krees D annonce timidement la reprise de «Radioactivity», on s’attend à un truc un peu froid, mais ils en font du BelphegorZ, c’est même une version assez demented. On voit alors ce démon de Krees D fléchir les genoux et se déplacer dans les couches du son avec une autorité qui laisse songeur.

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    Dans l’interview, il s’en prend aux politicards et au phénomène des tributes bands qui semble prendre une certaine ampleur. Pour lui, ces pâles copies ne servent à rien et il a raison. Il préfère se réclamer du Sex & drugs & rock’n’roll qui prévalait à une certaine époque et c’est vrai que ce goût pour the wild ride aurait tendance à disparaître. Lorsque Rock Hardi aborde la question ‘Marseille ville rock’, Tallulah abonde dans ce sens. Elle rappelle que les Cowboys From Outerspace existent depuis un bon bail et que Jim Younger’s Spirit est aussi basé à Marseille. Et quand ils abordent la question des disques de l’île déserte, Krees D dégouline de classe en citant le Saints, T. Rex, les Damned, les Stones, les Beatles, Burt Bacharach et Lee Hazlewood. Wow. Ça en dit long sur la finesse du bec fin !

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    Tellement fin qu’on a l’impression d’entendre le nouvel album de Johnny Thunders, à l’écoute de «Waiting For Nightlights». Tallulah entre dans ce groove vengeur au tremblé désespéré. Ce hit de fin de nuit sonne comme un coup de génie, il semble dévoré par des lèpres de son - Please please please - Avec ce balladif infernal, ils vont bien au-delà de tout ce qu’on imagine. Elle entre aussi dans «Still Alive No Fantasy» par la bande, sous le boisseau, elle est excellente à ce petit jeu.

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    Magnifique chanteuse, toujours présente mais jamais trop devant, la voilà servie par les chœurs des Dolls. Elle campe dans l’excellence et s’y colle avec un aplomb qui méduse. Cet album est une véritable auberge espagnole : on y est accueilli à bras ouverts et on y mange non seulement à l’œil mais aussi à volonté, no fantasy, ces gens-là ne s’arrêtent jamais, tout est architecturé dans la couenne du son pour le bonheur de l’oreille. Les chœurs des Dolls produisent leur effet, le cut se met à bander. Ce démon de Krees D a écouté les Dolls, c’est évident. Tallulah allume «Don’t Push» à l’accent coquin, elle l’embarque au don’t push me down, c’est bardé d’espoir, une vraie source de revenus d’entre les morts, elle taille sa route à l’accent canaille et derrière elle, Krees D taille le riff à la serpe. Tchack-o-tchuck ! Ils développent des énergies qui devraient convaincre le pays, fuck ! Écoutez BelphegorZ, ils ont assez de jus pour un régiment, ils vont certainement devenir énormes, ils savent relancer et finir en mode apoplectique, avec une spectaculaire débinade de cris d’orfraie. Histoire de faire le lien avec le chapô de Rock Hardi, ils se mettent à sonner comme les Rezillos avec «Not Really Tasty For 2». Même beat et même ambition. Belle virtuosité de la virevolte. Très haut niveau, chanté par dessus la jambe, elle est en plein dedans. Power exceptionnel. C’est une groupe français ? Non, t’es sûr ?

    Signé : Cazengler, Belphegare du Nord

    BelphegorZ. Le Trois Pièces. Rouen (76). 4 décembre 2019

    BelphegorZ. ST. Closer Records 2019

    Rock Hardi # 56 - Hiver 2019/2020

    17 - 01 – 2020 / MONTREUIL

    LA COMEDIA

    SUPERHEROÏNE / DARK REVENGEs

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    La teuf-teuf vire sec à Croix de Chavaux, ne lui reste plus qu'à trouver une place de stationnement, faites-lui confiance, elle vous dégote en haut de l'avenue un espace dans lequel vous amarreriez un tanker de 300 000 tonnes. Heureusement que ces jours-ci les rades portuaires sont bloquées ! C'est en claquant les portières de notre infatigable coursier que les choses ont commencé à mal tourner. Comment nous faire subir un tel affront à nous, innocents rockers au perfecto noir aussi blanc que la colombe de la paix universelle. Au début nous avons cru à un incident bénin, le crash de deux voitures en bas de la côte avec des cadavres ensanglantés un peu partout sur la chaussée. Mais non, il est sûr que nous sommes confrontés à un scandale inouï, pas de doute possible, c'est bien l'intolérable pulsation basique de la disco qui s'installe sans demander l'autorisation dans nos pavillons écoutatoires. Un tel scandale mérite un châtiment exemplaire, et immédiat. Nous hâtons notre pas martial vers le lieu du délit. Surprise, il y a à peine cinq minutes lorsque nous sommes passés par le bas du simili rond-point il était désert, et maintenant ça grouille de monde. Une espèce de conglomérat informe et indistinct, de loin l'on ne voit rien si ce n'est quelques flambeaux épars qui brillent dans l'obscurité fuligineuse.

    Que sont-ce ? Doivent atteindre le millier, pas de doute ce sont des lycéens qui manifestement ne sont pas restés sagement à la maison pour faire leurs devoirs insipides. Drapeau rouge et noir, banderole de drap marqué d'un A cerclé de noir, nous expliquent qu'ils partent en manifestation nocturne contre les retraites et la triste vie de travail précaire sous-payé qu'on leur prépare. Sont déterminés, la place se vide en trois minutes, ont dégagé vent debout pour mettre le sbeul et le dawa ( ô tempora ! ô mores ! ) dans les rues et réveiller la conscience des honnêtes citoyens endormis en geignant devant la télé et leur porte-feuille vide. Une belle énergie qui vous regonfle le moral. L'est à craindre que la fin de l'hiver soit plus chaude que les prévisions météorologiques... Que voulez-vous ma bonne dame, c'est le dérèglement climatique !

    SUPERHEROÏNE

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    Débutaient juste leur troisième morceau lorsque nous sommes rentrés, Jean-Jacques le copain a effectué une station christique au bar, moi courageux pour deux, j'ai traversé le large mur opaque de l'assistance pour me faufiler au premier rang. Pas question de laisser une super héroïne perdue toute seule au milieu d'un monde cruel. Manifestement elle n'a pas besoin de moi, elle repose dans le triangle protecteur de trois grands et jeunes musiciens, basse, batterie, guitare, donc Juliette a trois gardes du corps derrière elle. J'imaginais une sirène fatale, mais non c'est une fille toute simple, comme toutes les autres. Enfin presque, un look androgyne, avec sa boule de cheveux frisés elle ressemble à un garçon, un charme indéfinissable en plus. L'air de rien, c'est elle qui mène la barque. Si l'on peut dire parce qu'elle reste derrière son micro, retranchée dans l'illusion protectrice de sa guitare, mais personne ne moufte. L'on entendrait un infusoire voler. Par contre dès la fin du morceau applaudissements et exclamations crépitent.

    Non, ce n'est pas du rock violent, ni à effets convulsifs. Du rythmique, un petit côté groupe de lycéens qui veulent bien faire, c'est propre et bien foutu, rien de révolutionnaire, le fait de chanter en français, d'articuler les mots, de ne pas les mordre et les déchirer, n'aide pas aux grands éclats lyriques et ravageurs. Mais ça passe et ça retient. La certitude que quelque chose a lieu. Bizarrement c'est sur L'enterrement que le groupe devient plus percutant, comme quoi rien de plus vivant que de sentir le souffle de la Camarde dans votre âme pour vous insuffler une plus grande envie de vivre. Après Multicolore, ce sera une reprise de Marcia Baïla des Rita Mitsouko, l'est sûr que l'on est loin des flamboyances rock, mais cela se tient. Finissent sur Jamais seul. L'on hurle pour un bis, mais les voici tout décontenancés, n'en ont pas d'autre. N'osent pas en reprendre une. Dommage, c'est le seul moment où ils déçoivent le public. Préfèrent laisser la place à Dark Revenges. N'empêche qu'il y a dans Superhéroïne une grâce fragile et une authenticité émotionnelle qui touchent au cœur. Quelque part l'on est loin du rock, mais tout près de l'humain. Le public vient les remercier, de ce miracle d'être, en notre monde de clones interchangeables et évanescents, pleinement là.

    DARK REVENGES

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    L'on change de registre. Un groupe de reprises. Pas un genre attirant d'après moi. Se paieront même le luxe de n'interpréter que deux de leur propres compositions. Et la deuxième vraiment belle nécessitait l'achat du CD dont ils avaient laissé les exemplaires à la maison ! De surcroît d'une générosité sans faille. Presque deux heures de concert, mais ils en avaient toujours une infinité de petites dernières à faire. Z'auraient bien continué, mais non hélas, il existe aussi des horaires pour limiter le tapage nocturne. Pourtant ça s'annonçait mal. L'on va vous faire du disco et des titres de hard, nous a annoncé Pat. C'est dingue comme une fille peut vous détruire le moral rien qu'en ouvrant la bouche. De disco ils n'en feront qu'un – un truc hyper connu dont je suis incapable de vous rapporter le titre. A leur manière, un peu hard, nous a-telle rajouté. Vous auriez aimé, c'est un peu comme si demandiez au Marquis de Sade de réécrire les Albums de Martine. Dark Revenges ils ne font pas dans le produit bas de gamme. Quand ils font du hard, c'est plus dure sera l'élévation vers les étoiles. Même au début quand ils nous jettent des eigthies-tunes du genre Sweet Dreams, ils vous les dopaminent méchant. Z'ont des manières de synthétiser l'absence des synthétiseurs à vous faire peur. Des déclencheurs d'avalanches.

    Des rusés. Au micro Pat. Une ogresse. Jolie comme une fleur carnivore mais quand elle se jette sur un morceau c'est le sang de votre cerveau qu'elle aspire. Une voix à réveiller les morts. La lyre d'airain aurait écrit Victor Hugo s'il avait dû rédiger cette chronique. Une insatiable, n'a pas fini un morceau qu'elle se jette sur son classeur pour choisir la prochaine. Vous feuillette les transparents comme un tigre qui se repaît des entrailles de sa victime pantelante. L'on se demande pourquoi elle cherche, parce qu'elle connaît les lyrics par cœur et que derrière elle ils démarrent au demi-huitième de quart de tour.

    Prenez Gégé, à la basse. Le mec vous pouvez lui proposez ce que vous voulez, la colère des Dieux ou l'Apocalypse, il s'en contrefiche, vous prend les cataclysmes comme ils viennent, pas de quoi en faire un drame, pour lui c'est du cousu au fil blanc, l'est aussi à l'aise que sur sa chaise longue. Rien ne peut l'émouvoir. Un roc. Imperturbable. La basse à fond la caisse, prête à traverser la montagne qui se mettrait en travers de sa route. Un bassiste comme Gégé c'est un cadeau pour un batteur. Pas besoin de regarder du coin de l'œil s'il suit, un véritable incendie australien qui ne s'arrête jamais. Quand il aura racorni la végétation du continent, il s'en ira mettre le feu aux vagues de l'océan. Confiance absolue.

    L'on parlait de lui, voici donc Myrko le batteur. Encore un à qui il ne convient pas d'aller lui conter fleurette quand il tape. Pareillement vous vous abstiendrez de lui demander d'épousseter vos babioles en porcelaine de Limoges. L'est un Mallarmé de la frappe, vous aboli les bibelots en moins de un. Le pire, c'est que l'on peut qualifier son drummin' de progressif. A chaque titre plus lourd, plus fort, plus violent. L'a commencé dans le genre fric-frac de bijouterie à la voiture bélier, ensuite nous a envoyés quelques ogives nucléaires manière de vous décapuchonner les oreilles pour le restant de votre vie. Evidemment ce triste sieur a le défaut de ses qualités. L'est du genre, une fois que je vous ai occis, ne venez pas à gigoter bêtement alors que vous êtes déjà morts. Alors il en remet un coup – définitif – pour signifier que le boulot est achevé et qu'il est totalement inutile d'y revenir dessus.

    Franchement dans le public il n'y a personne pour la ramener. Mais sur scène, si. Il en reste un. Un jeune. Un inconscient. Un gars incroyable. D'abord il a une guitare. Alors il s'en sert. Attention là, les Dark Revenges ils sortent l'argenterie royale, puisent dans Led Zeppe, Thin Lizzy, AC / DC, Lynyrd Skynhyrd, Iron Maiden, vous voyez le topo, jusqu'à Scorpion pour la balade pour les esgourdes fragiles nettoyées au coton-tige en fil de fer barbelé... Et là, Sek il démarre sec. Vous sort à chaque fois le solo qui tue et l'accompagnement tramontane. C'est simple, possède un plan d'enfer pour toutes les occasions. Suis sûr que si on le torturait un peu il nous livrerait les descriptifs du dernier sous-marin atomique russe. Ou de la future fusée intercontinentale des ricains. Un mec inventif. Et d'une précision absolue. Moi je n'ai pas hésité, me suis collé sur l'enceinte et mon regard n'a pas quitté ses doigts. Un artiste. Un orfèvre avec la fièvre de l'or. Le zigue, il ne fait pas que jouer, il prend plaisir à jouer. Toute la différence est là. Lui en faut toujours plus. Ne peut pas envoyer une note sans en avoir sept cent quarante trois autres dans le paletot à vous refiler au cas où. Quand il s'embarque dans un solo, c'est navigation au long cours sans escale. Vous faites dix-huit fois le tour de la terre sans vous en rendre compte. Le Myrko, ça le rend fou, sur le final. Le Sek il vous l'étire à l'infini, et le Myrko la baguette levée il n'attend que l'instant fatal où il pourra lui clouer le bec à Sek, mais pas n'importe quand, lui laisse terminer son envol, mais attention il faut qu'il vous écrabouille le moustique avant qu'il ne refile un coup d'aile. S'amusent tous les deux, l'un dans le rôle de gros matou et l'autre dans celui de Titi. Et illico Pat leur refile un nouveau titre comme les Romains jetaient un chrétien aux lions affamés dans l'arène.

    Pat – pas de velours, pour le sourire et la convivialité certes oui – mais Pat tubulaire d'acier chromé - quand elle elle vous niaque le vocal, une voix pleine - ne donne pas dans la facilité du timbre à la toile émeri du genre j'ai beaucoup vécu et beaucoup souffert – jamais essoufflée, la vivacité épanouie d'une pivoine dans un jardin japonais, celle que vous regardez une dernière fois tout en vous faisant hara kiri. L'on a jamais su de quoi Dark Revenges cherche à se venger, mais le jour où ils trouveront le coupable sûr qu'il passera un mauvais quart d'heure. Pour nous, ce fut infernalement paradisiaque.

    Damie Chad.

     

    19 / 01 / 2020MONTREUIL

    L'ARMONY

    JUSTINE / NEVER MIND THE CAR

    KROPOL TRIO

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    Rappel de Raphaël Rinaldi, en plus j'avais complètement oublié, heureusement la Teuf-teuf hennit de joie dans le paddock, toujours prête pour la route du rock ! Pas de manif au rond-point de Chavaux cette fois, le froid poussant je m'engouffre vite dans l'Armony. Deux groupes que je ne connais que de nom, une aubaine.

    JUSTINE

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    Une invitée surprise. Sur une chaise haute perchée. Elle tient non pas un fromage en son bec mais un joli brin de voix devant son micro et un accordéon rouge sur ses genoux. N'a pas l'aspect du vaniteux volatile de la fable, toute classieuse, toute simple, mais tout un univers dans ses chansons. Elle parle de sa mère et de son père. L'offrande et les gerçures de la vie en quelques mots tendres ou tranchants. Qui ne seraient rien sans les arabesques de cette voix, envol joyeux et mélancolique de palombes. Et les trilles de cet accordéon orchestral à la si belle sonorité, si loin des flonflons goguenards du musette, et ses doigts sur les touches comme ceux d'une infirmière qui vous refait le pansement de votre âme malade du bonheur et du malheur de vivre. Rien que l'onction balsamique de cinq à six chansons, mais qui établissent une jonction magique avec une assistance principalement venue pour écouter du rock qui tâche. Et l'oiselle s'échappe, laissant à chacun, pour toute signature, une plume plantée en plein cœur.

    NEVERMIND THE CAR

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    Changement de direction. Rien de mieux qu'une voiture pour dévorer les grands espaces du rock. Ceux qui aiment à flâner les doigts de pied en éventail sur le tableau de bord, les vitres ouvertes sur les interminables rubans des american highways risquent d'êtres déçus. Never Mind the Car préfèrent les trajets courts mais à vitesse incontrôlée. Conduisent aussi mal que le drummopathe qui drive sa batterie. Un malheureux garçon vraisemblablement atteint d'un terrible parkinson, il semblerait qu'il ne pourrait parvenir à coordonner les mouvements de ses bras et de ses jambes. Donne l'impression de conduire à fond et freiner à mort en même temps, d'où une succession ininterrompue, une cascade de saccades intempestives qui vous remuent jusqu'à la moelle épinière dans les vertèbres.

    Femme au volant, cimetière ambulant. L'adage comporte sa part de vérité. Sabrina nous le prouve. Hors de scène elle paraissait une personne des plus sensées, mais quand elle est montée dans sa truckin' bass, elle s'est métamorphosée, incapable se suivre une ligne droite. Petite ses parents ont dû contrarier une vocation de patineuse sur glace, alors maintenant elle se rattrape, elle zigzague, elle entrelace les courbes, elle empiète sur les bas-côtés et s'en vient virevolter sur la chaussée à contresens, des caprices de papillon, de sphinx à tête de mort en quête de carambolages mortels.

    Pour sa guitare Manu est un fervent partisan de la technique hot-rod. Ne l'insultez pas en disant que c'est un super gratteux. Que voulez-vous, son job ce n'est pas tout à fait de répéter le même riff durant une heure, pas du tout un gratteur à la petite semaine qui tape le stop en fumant un joint sur le bord de la route. Lui sa spécialité c'est la fulgurance. A peine a-t-il touché une corde – il prend son temps, fait son choix, tourne un bouton sur un delay, non pas celui-ci, à réfléchir ce sera l'autre, à moins qu'il n'en choisisse en fin de compte un troisième, vous en concluez que c'est un intermittent du spectacle, en période creuse qui ne sait pas trop quoi faire de ses neuf doigts, et c'est à ce moment que le dixième qui était resté coincé sur une corde, vous prend subitement la poudre explosive d'escampette et file tel un une chaparral sur les plans inclinés de la boucle mortelle d'Indianapolis vers le haut du manche où elle freine à mort et là, manque de chance, elle s'écrase contre la tribune des juges de course qui s'effondre sur les spectateurs innocents. Notamment une classe de maternelle emmenée par leur gentille et ben-aimée maîtresse. Que voulez-vous le rock'n'roll n'est pas un dîner de gala.

    Dans un désastre, l'important est de rester stoïque. Pour cela il vous faut un Homme. Un vrai, qui ne s'affole jamais. Ils en ont un dans Never Mind the Car – peut-être la preuve que la providence divine existe – il s'appelle Alainman. Il a mis des lunettes noires, des ray-ban de policier américain, pour que vous le reconnaissiez. Bien sûr quand il est venu constater l'accident et compter les cadavres il a conduit sa guit-car aussi mal que Manu, mais son rôle à lui, c'est le micro. Cette voix imperturbablement rassurante, sèche et sans appel, dans les microphones qui vous dit ce que vous devez savoir – à partir de maintenant toute note de musique que vous entendrez pourra être retenue contre vous – oui, vous savez ce que vous risquez à écouter Nevermind the car, et pourtant vous restez en connaissance de cause.

    Avec ces trois trafal-gars et celle trafal-gal en goguette vous pourriez penser que NTC ( Nique Ta Carrosserie comme on dit en banlieue ) c'est la chienlit assurée, le chaos incoercible, une éruption volcanique à la Santorin qui a rayé l'Atlantide de la carte routière. La preuve : ne nous ont-ils pas offert la reprise The girl you want des pernicieux activistes anarchisants adeptes de la Devolution. Erreur sur toute la ligne blanche. Rien n'est plus beau que le procktotype de Nevermind The Revolution. Rien à voir avec les pare-chocs en tôle ondulée de notre industrie nationale, ni avec les chromes fastueux et vastueux des grasses berlines disgracieuses appréciées par ces m-a-tu-vu des amerloques. La Nevermind est un bolide racé, une ligne anglaise, l'on sent la puissance rien qu'à regarder l'agressivité des angles, et le bruit de son moteur, une turbine à kérosène, idéale pour les courses de côtes. Par contre question empreinte carbone, ce n'est pas tout à fait cela, nous avons effectué quelques essais Things, Turn me on, Fool, Sweet Love, indéniable ils en sont à un taux de nuisance qui dépasse les cents pour cent. Faut être franc, nous la déconseillons fortement aux bons pères de famille et à tous ceux qui ont ( et sont ) bobo partout dès qu'ils se cognent à l'Elastic de la vie qui vous rebondit en pleine gueule sur le pare-brise de votre vie étriquée.

    Je vais même vous dire le fond de ma pensée : il n'y a que ces fous furieux de rockers amateurs de sensations fortes qui pourront aimer ce genre de trompe-la-mort.

    KROPOL TRIO

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    Pôle blues ou pôle groove. Paul ou Kröpol. Fils ou père. Pierre ou Paul. Possibilités multiples. Commencent par le groove. Le groove c'est comme la chasse à la grouse. Au chien d'arrêt. A peine avez-vous marqué une syncope rythmique qu'il faut s'arrêter, suspendre le mouvement, comme la patte du braque hongrois à poil court, levée, dès l'objectif atteint, et puis repartir. Un drôle de tricotage. Excellent pour les batteurs qui ont une tendinite, pas besoin de gestes amples et mélodramatiques, suffit de se concentrer sur deux fois dix centimètres carrés d'impact des baguettes et c'est parti mon kiki pour une éternity. Idem pour les guitareux, vos doigts jouent au perroquet retenu par une chaîne, il a beau tenté de s'envoler, ses deux pattes rejoignent obstinément les mêmes emplacements. N'allez pas croire pour cela que c'est de tout repos. Le groove c'est répétitif, mais c'est aussi subtil et complexe que La Phénoménologie de l'esprit de Hegel. Si le groove était un film ce serait La fièvre monte à El Paso. Lentement. Très lentement. Trop lentement. Mais sûrement. Sans angoisse. De l'hypnotique sur l'hypoténuse rythmique. Faut prendre votre mal en patience. Ne soyez pas pressés, laissez au virus de la peste que vous êtes en train d'incuber le temps de faire éclater le bubon de pus fatidique qui est en train de germer dans votre attente. Avec Pierre à la batterie et Paul à la guitare, vous en avez pour un bon bout de temps, des jeunes qui ont toute la vie devant eux, veulent retarder le plus longtemps possible la survenue de l'extase sexuelle ( elle ressemble tant à une métastase envahissante ) qu'ils s'escriment à vous transmettre, alors papa Kröpol – il fit partie des Négresses Vertes, plus maintenant quoi qu'il soit toujours viride et adepte des rythmes négroïdes – vient à votre secours. Délaisse sa basse et se saisit de son trombone. A coulisse, comme le pied que nous allons prendre. Le trombone à coulisse n'est-il pas un instrument typiquement africain avec son cou de girafe qui se dresse vers la cime des arbres ? En plus le pavillon de l'embouchure que le dénommé Kröpol agite de haut en bas et de bas en haut au-dessus de la tête des spectateurs, parmi lesquels il déambule pachydermiquement, n'évoque-t-il pas le bout facétieux de la trompe du roi de la savane ! S'en échappe des ricanements faisandés de hyènes putrides ravies de découvrir une charogne appétissante.

    Après la vague de groove, ils nous offrent une tournée générale, Tequila – le champ' des péones – pour nous remettre de cette longue exploration équatoriale. Profitons de cet intermède musical pour examiner de près le coléoptère Pierre. S'il n'y avait pas ses sourires moqueurs qui clignotent chaque fois qu'il commet un mauvais acte en douce, vous ne vous en apercevriez pas. L'a l'art du cochon du tchac-poum-poum qui tombe par hasard juste au moment où il ne faudrait pas, le coup qui tue juste à l'instant où vous ne l'attendiez plus pour l'avoir si longtemps espéré, ou alors cette interjection à demi-étouffée qui en dit mille fois plus en une demi-syllabe que Marcel Proust dans les huit mille pages de la Recherche du temps perdu, que lui il ne perd jamais sur sa caisse claire. Un sardonique. Qui vous fait la nique.

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    Et puis il y a l'autre? le fiston Paul, le piston fol, qui offre même sa guitare à son pauvre père heureux de sa progéniture filiatoire pour lui récupérer sa basse afin de groover encore plus gras, encore plus grave. Comme tous les gamins mal élevés, il ne sait pas ce qu'il veut, la lui reprendra à plusieurs reprises  – remarquez dans la famille, ce n'est du flambant neuf, elles ont un petit aspect affirmé radeau de la Méduse – mais attention Kröpol se hâte alors de lui montrer le bon chemin. La piste bleue. D'un bloc, Saint James Infirmary, à l'Armstrong, avec le trombone qui devient fou de douleur, la voix qui pleure, s'enroue et grince comme les gonds rouillés du portail du paradis interdit à tout jamais. Y a tout là-dedans, le désespoir mélancolique des vieux spirituals qui remontent du fond du Mississippi, la surchauffe contenue et explosive des fureurs délivratoires du gospel, les fanfares éclatantes des enterrements harlémiques, les lamentations des alligators du bayou, et les hiéroglyphes illisibles du destin. Hot chocolate blues ! Nékropole !

    Un dernier passage d'Elephants et voici que le vent du blues gonfle les voiles. L'on commence clopin-clopant, à la manière des esclaves peu soucieux de se rendre de bon matin aux champs de coton. Ne doivent pas se rendre compte du privilège qu'ils ont de travailler gratis pour les maîtres, l'on sent que la colère monte. La voix de Paul se modifie, la plainte se requinque en mâchoire de requin, elle prend de la vigueur et éclate bientôt comme le vent dans les roseaux de la colère. Un final éblouissant, une montée en puissance folle, Pierre au tambour comme s'il menait la charge, et l'on terminera sur le Whole Lotta Love en blues échevelé, Paul la tignasse plus ébouriffée que s'il était sous les rafales tempêtueuses d'Ouessant, non pas le Lotta du II de toute puissance mastoc et pyramidale, mais à la manière du III, aux glapissements du country-blues dans les tuyauteries des catacombes de l'insoumission métaphysique. Galop pôle blues hystérique.

    Encore une fois le concert s'achève pour ne pas dépasser oultre-mesure les limites horaires légales... Merci à Raphaël Rinaldi de cette programmation hors-pair.

    Damie Chad.

    NOUS, LES BLOUSONS NOIRS

    PIERRE CUDNY

    ( Vidéo : You tube )

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    L'a les cheveux blancs maintenant Pierre Cudny, l'a roulé sa bosse sur les pistes du rock, du blues et de la country durant des années, fit même partie d'un groupe nommé les Provos. Aujourd'hui l'on ne parle pas plus des Provos que du fromage de Hollande, dans les années soixante ces rebelles néerlandais essayaient d'inventer une nouvelle vie. Je crois que c'est en 2014 qu'il a sorti Nous, les blousons noirs un hymne nostalgique aux bandes des cités hexagonales au tout début des années soixante. Le clip est constitué d'images d'époques mêlées ( l'ancienne et l'actuelle ) et de vues de films. Une belle voix, une musique rock qui roule un tantinet sur les pelouses du country-rock, mais l'ensemble est méchamment bien foutu. Sans doute est-il accompagné par le Cadillac Band avec qui il a écumé toutes nos routes durant des années.

    Nostalgique bien entendu cette évocation, mais aussi passéiste et quelque peu ambigüe. Certes la révolte était belle dans les années soixante. Mais elle est belle à toutes les époques. Avant c'était mieux que maintenant, c'est normal parce qu'avant est toujours plus jeune et moins vieux qu'après. Les temps ont changé. Les mentalités aussi. Tout s'est durci. Les conditions économiques, les individus et la police, que tout le monde déteste, a abandonné le bon vieux bidule pour des armes de guerre. Le futur a un avenir mais de moins en moins agréable. Entre les blousons noirs et les black blocs, c'est toujours la même couleur noire qui domine.

    Damie Chad.