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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 71

  • CHRONIQUE DE POURPRE 456 : KR'TNT ! 456 : MYSTERY LIGHTS / RON ASHETON / AMHELL & HER BACKDOOR MEN / ROBERT JOHNSON + GREGOIRE HERVIER / VINCE TAYLOR + OLIVIER LORQUIN / TONY MARLOW / JUKEBOX + HALLYDAY

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 456

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    19 / 03 / 2020

     

    MYSTERY LIGHTS / RON ASHETON

    AMHELL & HER BACKDOOR MEN

    ROBERT JOHNSON + GREGOIRE HERVIEUX

    VINCE TAYLOR + OLIVIER LORQUIN

    TONY MARLOW / JUKEBOX + HALLYDAY

     

    Magical Mystery Lights tour

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    The Mystery Lights ? Attention à Too Much Tension, cet album paru sur un sous-label de Daptone en 2019. C’est mastérisé par Gabe Roth, mais Roth qui est un orfèvre en matière de Soul n’y connaît rien en matière de garage. Pour aggraver encore les choses, Mike Brandon chante bizarrement. Il dispose d’une espèce de voix juvénile à la mormoille, mais elle ne fait pas bon ménage avec cette volonté de garage sixties clairement affichée. De toute évidence, ils cherchent un style. On se demande ce que ça peut valoir sur scène.

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    Les cuts paraissent si faibles. Ils multiplient les essais de petite pop inerte. Avec «Wish That She’d Come Back», ils s’enlisent dans une sorte de médiocrité latente. Ils vont même tenter le coup du post-punk avec «Thick Skin». C’est affreusement pauvre. Ils bardent leur morceau titre de spoutnicks en forme de cache-misère. Cet album fait mal au cœur. Ils n’ont rien dans le ventre, rien dans les mains, rien dans la culasse. Quand on arrive au cut numéro 11, on se tire une balle dans la tête.

    Pour les voir sur scène, c’est encore plus compliqué : il faut attendre que les usines arrêtent d’exploser. Ils étaient programmé une première fois au moment où l’usine du coin a explosé, alors tout a été annulé. Les voilà re-programmés dans les Nuits de l’Alligator, alors c’est l’occasion de se faire une idée précise sur la valeur de ce groupe dont la presse anglo-saxonne dit si grand bien. Mais l’écoute préalable de leur dernier album, Too Much Tension, fait entrevoir la possibilité d’un concert pénible. Dommage que l’album soit raté. Rien de pire que d’aller voir un concert avec un mauvais a-priori. C’est comme une punition. Mais aller voir un groupe au pif sans rien connaître, c’est encore pire. Il est mille fois préférable d’entrer dans l’univers d’un groupe inconnu avant de le voir jouer, car ça aiguise les sens. Et ça donne quelques repères.

    Bon alors ?

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    Eh bien, sur scène, ces New-yorkais d’adoption s’en sortent avec les honneurs. Ils sont mille fois et même dix mille fois meilleurs sur scène qu’en studio. Rien à voir. C’est le jour et la nuit. Inespéré ! De les voir sauver la soirée, ça remonte le moral. Ah comme ces mecs sont bons sur scène, surtout le chanteur guitariste, Mike Brandon, un petit mec exubérant qui saute partout et qui semble même se retrouver en compétition avec Pat Beers des Schizophonics. Ah pour sauter, il saute, il bondit et il rebondit, il shebamme, il powe, il bloppe et il wizze dans tous les coins de la scène, prenant à peine le temps de revenir au micro pour chanter un couplet.

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    À sa façon, il donne une leçon de tenue de scène, il montre qu’on peut arpenter des dizaines de kilomètres sur scène en une heure de concert, il va et il vient entre tes reins, il file au vent mauvais du garage d’automne et danse la javanaise des démons, c’est un fantastique embraseur d’imaginations, il fait son business en rigolant, pas les doigts dans le nez parce qu’il gratte sa gratte, mais s’il le pouvait, il le ferait, car pour lui, c’est enfantin d’exploser la scène d’une salle rouennaise, pour le plus grand bonheur des amateurs d’Alligators. Quand on voit jouer un mec comme Mike Brandon, il faut bien en profiter et ne pas en perdre une miette, car ce genre d’asticot bondissant ne court pas les rues. Réussir un tel tour requiert plusieurs critères : un corps léger, des baskets au pieds (ça permet de rebondir plus facilement), une technique de guitare bien au point (essaye de sauter en l’air en grattant des accords, tu vas voir si c’est facile !), une bonne chevelure (car l’esthétique est reine en ce domaine), une foi dans le garage forcément inébranlable et, petite cerise sur le gâteau, un brin de charisme, car c’est lui, le charisme, qui permet de faire passer tout l’ensemble plus facilement. C’est comme un suppositoire : ça agit immédiatement. Ce mec dispose de tout l’arsenal de la jeune rock star, il est extrêmement présent et immensément sympathique, on le sent ravi d’être sur scène, il sourit en permanence et semble se préoccuper du bien-être de son public, ce qui ne court pas non plus les rues. On a vu trop de groupes qui s’en battaient l’œil assez ostensiblement.

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    Mike Brandon est l’âme la plus charitable du garage américain contemporain, enfin quand on dit garage, ce n’est pas tout à fait exact. Ils sont dans un son sixties et privilégient les accents psyché, notamment dans les solos et les ambiances. Mike Brandon joue avec sa guitare sanglée haut sur la poitrine et par moment, on jurerait voir Jorma Kaukonen. Il en a le look et la posture. Peut-être pas la technique, il ne faut pas exagérer, quoique par moments Brandon claque des choses assez fines sur sa demi-caisse sanglée bien haut.

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    Pas facile de sortir un cut du lot. Les Mystery Lights n’ont pas à proprement parler de chansons, ils ont de quoi tenir une bonne heure sur scène, mais ils n’ont pas encore de hits comme pourraient en avoir des groupes comme les Schizo ou les Cynics. La force du set repose uniquement sur le charisme de Mike Brandon. Il porte ce groupe à bouts de bras et fait le show.

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    Bon batteur, oui, une fille aux claviers qui fait un peu pot de fleurs, un mec bien tatoué à la basse et un petit bras-droit sur une Vox Teardrop qui bricole des ambiances bien pysché à coups de réverb, mais rien de très différent de tout ce qu’on a déjà vu mille et mille fois. Un groupe garage ressemblera toujours désespérément à un autre groupe garage. Le seul truc qui fera la différence, c’est un mec comme Mike Brandon. On pourra dire exactement la même chose de Pat Beers pour les Schizo ou de Michael Kastelic pour les Cynics. C’est le charisme qui décide de tout et principalement du destin d’un groupe. Mike Brandon est d’autant plus balèze à ce petit jeu qu’il doit faire oublier les souvenirs de ses deux albums ratés. Alors bravo !

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    L’auto-titré Mystery Lights date déjà de 2016. On sent très vite chez eux un goût prononcé pour la bonne bourre. «Follow Me Home» coupe assez bien la chique, avec sa mise en place et ses éléments déterminants. Il suffit d’un waouuh placé au bon endroit pour emporter la partie. Ils tapent dans le mille avec leur «I saw you walking/ Walking down the street». Avec leur petit garage, on sent qu’ils cherchent à s’introduire dans le monde des géants de la terre. Mais ce n’est pas facile. «Too Many Girls» accroche bien, car chanté à la glotte désespérée.

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    Ces New-yorkais finissent par créer leur petite sensation. Ils tapent «Candle Light» au heavy groove gorgé de réverb et d’orgue. D’un point de vue caractériel, c’est une approche très sixties. Ça flatte les bas instincts. Mais en même temps, ils ne prétendent pas réinventer le fil à couper le beurre. Ils s’affirment un peu plus avec «Before My Own», un cut plus heavy teinté de fines herbes et de psychedelia. Ils terminent cet album laborieux avec «What Happens When You Turn The Devil Down». C’est trop sixties, trop ancré dans un temps révolu. Les groupes de garage commettent souvent cette erreur. Ils ne cherchent pas à moderniser leur son. Même avec la meilleure volonté du monde, ils ne parviennent pas à déclencher l’enfer sur la terre. Les bonnes intentions ne suffisent pas. C’est plein de son et d’effets à l’ancienne, mais l’extension du domaine de la turlutte, ça se mérite.

    Signé : Cazengler, mystery larve

    Mystery Lights. Les Nuits de l’Alligator. Le 106. Rouen (76). 15 février 2020

    Mystery Lights. Mystery Lights. Wick Records 2016

    Mystery Lights. Too Much Tension. Wick Records 2019

     

    Voir Ron et mourir

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    John Wombat mérite largement le qualificatif de bec fin. Après s’être entiché de Bryan Gregory au point de lui consacrer un livruscule, voilà qu’il récidive avec Ron Asheton. Bon, c’est vrai, on vénère tellement Ron Asheton qu’on accueillerait n’importe quelle publication le concernant à bras ouverts, mais The Stooges, Destroy All Monsters & Beyond n’est pas n’importe quelle publication. C’est même le contraire du pensum officiel. John Wombat a réussi l’exploit de publier un book qui, vu d’avion, offre la consistance d’un book de référence, mais qui est en réalité bricolé avec les moyens du bord. Wombat a ramassé toutes sortes de clopinettes, du bric et du broc, des bouts d’interviews, des coupures de presse et des photos tirées de la collection personnelle de Niagara et du Colonel Galaxy. Cette étrange démarche flirte dangereusement avec l’amateurisme, et c’est probablement cette absence de ton qui sonne juste, si l’on part du principe que Ron Asheton sut rester toute sa vie un mec singulièrement ordinaire. C’est en tous les cas le message que veut faire passer Wombat dans sa conclusion : «Warm, caring and generous nature», c’est-à-dire un homme de nature chaleureuse, attentionnée et généreuse, qui proposait une musique «unorthodox, creative and down to earth», ce qui veut dire ce que ça veut dire. Rien n’est plus down to earth que le son des Stooges. Comme si la source de cet immense fleuve qu’est la culture rock remontait à Ron Asheton et Muddy Waters. Ou à Scotty Moore et Chuck Berry, c’est comme vous préférez.

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    La pertinence de cet ‘ouvrage’ tient dans le fourmillement de petites informations, de celles dont on se nourrit dans les cas d’adorations compulsives. Wombat profite d’un raid éclair dans les années d’enfance du guitariste des Stooges pour faire la lumière sur une espèce de gros malentendu : Ron a huit ans quand il regarde à la télé avec son père des séries documentaires consacrées à la Deuxième Guerre Mondiale. Le côté complètement barré des discours d’Hitler capte aussitôt son imagination. Crazy motherfucker ! Ce n’est pas tout : le kid Ron est frappé par l’élégance des uniformes allemands, exactement de la même façon que le fut le kid Lemmy en Angleterre. Flash esthétique. D’où le gros malentendu : Lemmy et Ron seront ensuite obligés d’expliquer aux journalistes qui ne comprennent rien que l’idéologie ne les intéressent pas. Ron s’en branle. Sa came, c’est l’esthétique et les crazy motherfuckers. Peut-on imaginer un Ron Asheton sans croix de fer ? Non.

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    Deuxième point fondamental de la genèse ashetonienne : Ron a dix ans quand son père lui offre une guitare. Pas n’importe quelle guitare, une Martin. Il alterne les leçons d’accordéon et de guitare. Son chemin semble tout tracé. Troisième point fondamental de la genèse ashetonienne : il tombe en pâmoison devant un feuilleton comique télévisé qui s’appelle The Three Stooges. Les conneries des Trois Stooges exacerbent chez lui un sens de l’humour déjà très développé. Il les vénère au point de devenir président de leur fan club. Il raffole de leur madcap antics et connaît toutes leurs répliques par cœur. Un peu comme nous autres Français avec Coluche. Donc voilà la triple racine de la mandragore mythique : uniforms, guitar & comedy act. Magnifique et tellement américain ! Et tout ceci se déroule à Ann Arbor, un patelin situé à 90 km à l’Ouest de Detroit, en plein cœur du Middle West. Une sorte de trou du cul du monde.

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    Le premier copain d’enfance de Ron s’appelle Scott Morgan. À l’école, Scott voit des gamins écraser un œuf sur la tête de Ron, alors il vole à son secours et leur fout une raclée. Puis il emmène Ron au lavabo pour le nettoyer. Bien des années passent. L’ado Ron et son poto Dave Alexander décident d’aller passer quatre semaines en Angleterre. C’est le premier grand épisode de la légende ashetonienne. Ron se coiffe alors comme Brian Jones, porte un levis et des mocassins blancs, oui, comme ceux qu’on peut voir à l’intérieur de la pochette de Fun House. À Londres, Dave et Ron ont de la veine : ils voient jouer les Yardbirds et les Who. C’est le Colonel Galaxy qui raconte cette histoire, telle que la lui a racontée Ron. Après le concert des Who, tout le monde se retrouve dans un pub. Ron et Dave aperçoivent les Stones dans un coin. Dave demande s’ils peuvent s’asseoir près d’eux et Keef répond : «Sure, where are you guys from ?» Vous venez d’où les mecs ? Ils répondent qu’ils viennent des States. Quand Pete Townshend demande ce que les friends from the States veulent boire, Ron et Dave répondent en chœur : «Ice cold Red Stripe !» Ce qui fait éclater de rire toute l’assemblée. Dans le pub, on ne sert que de la Guinness tiède. Pour les Anglais, la Red Stripe c’est du piss water. Jagger s’assoit à côté de Ron et met le pied de sa chaise sur celui de Ron. Ron s’écarte. Ça recommence une deuxième fois. Au bout de trois fois, Ron comprend que ce n’est pas accidentel. Il se dit : «Waow, c’est dingue, il y a ici le même genre d’enculés que chez nous !» Pendant ce temps, Dave discute le bout de gras avec Bill Wyman et charmé par Bill, il prend la décision d’arrêter la guitare pour passer à la basse. Playing bass could be cool ! En rentrant chez eux, Ron et Dave prennent une autre décision : ils vont se consacrer au rock. C’est définitif ! No turning back. On monte un groupe ! Bye bye normal world. Ils montent les Dirty Shames, avec Scott (le petit frère de Ron), et un mec nommé Bill Chetham. Ils tapent dans les Byrds («The Bells Of Rhymney») et le Sir Douglas Quintet («She’s About A Mover»).

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    Et là on entre dans un nouveau chapitre de la genèse des Stooges : les visions. Celles d’Iggy et bien sûr celles de Ron. Comme chacun sait, Iggy commence par battre le beurre dans un collège band dont il parle très bien dans Total Chaos : The Iguanas. Iggy comprend très vite que d’autres gens battront toujours mieux que lui. Il part à Chicago jouer dans des groupes de blues et un jour il s’assoit au bord du fleuve avec un joint pour réfléchir - I had a brainstorm - «Et j’ai pensé que je pourrais prendre les mêmes thèmes, les mêmes attitudes, le même sens de l’espace pour en faire une musique urbaine blanche et délinquante.» Ce type de brainstorm en solitaire porte un nom : on appelle ça une vision. Il continue son brainstorm et se pose la question : «Avec qui pourrais-je bien partager cette vision ?» Il pense immédiatement aux frères Asheton qu’il connaît - Je voulais monter mon truc, et les deux seules personnes qui pouvaient me suivre étaient ces délicieux délinquants. Des school dropouts. Ils ont perdu leur père. Aucune discipline. Mais ils adorent la musique et ont du charisme - L’histoire a prouvé qu’Iggy voyait juste. Plus tard, au moment de Fun House, il aura une autre vision, telle que la rapporte Don Galucci : «C’est un album enregistré avec une approche qui n’était pas du tout conventionnelle à cette époque. Ils ne recherchaient pas le son produit, mais la restitution du son qu’ils avaient sur scène. Ils dégagèrent tout ce qui était lié aux techniques d’enregistrement, les panneaux d’isolation et tout ça, pour ramener leurs amplis face à face. Iggy ne voulait pas du son de studio qu’il avait sur le premier album. Pour éviter tout problème, il utilisa sa propre sono chant. Il eut aussi l’idée de ramener Steve MacKay pour donner encore plus de volume au son. Iggy prenait à l’époque du LSD quotidiennement et se montrait incroyablement créatif.»

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    L’anecdote la plus marrante à propos de Fun House est sans doute celle des Doors, qui au même moment enregistraient Soft Parade, leur quatrième album, au même endroit. Jim Morrison épiait Ron qui traversait la rue pour aller acheter une bouteille de bourbon dans l’épicerie d’en face. Ron l’apprit lorsque l’épicier lui raconta le jour suivant que Jim Morrison était venu lui demander quelle marque de bourbon il avait achetée. C’est le genre de détail qui fait marrer Ron Asheton. Il apprit aussi que le miroir du studio était une glace sans tain et que Jim Morrison s’en servait pour épier les Stooges. «Alors que je perçais mes boutons, le roi Lézard me voyait, de l’autre côté du miroir ! God knows what he thought !»

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    Ron cultivait lui aussi des vues intéressantes. The Psychedelic Stooges, c’est lui. Il demande l’autorisation à Moe Howard des Three Stooges d’utiliser le nom. No problemo - Yeah ! Use the name as long as you don’t have a comedy group or something - Ron allait aussi rendre visite à Larry Fine, un autre Stooge. Il lui amenait des cigares et du whisky. Raw Power ? Ron ne s’étend pas trop sur ce chapitre un peu trop compliqué. Pour lui, c’est le premier album solo d’Iggy. On n’est plus dans les Stooges - I didn’t play guitar. It belongs to James and Iggy - Quand après la fin des Stooges, Ron songeait à revenir dans le circuit, il joua un moment avec l’idée de monter un Stooges/MC5 hybrid avec Wayne Kramer, mais son plan échoua car en 1975, Brother Wayne se fit coffrer pour trafic de dope.

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    En 1977, Ron occupait un appart à Los Angeles. Pas un rond. Pas de groupe. Il cherchait désespérément à redémarrer. Comme Iggy roulait sur trois pattes, on ne pouvait plus compter sur lui. Alors Ron mena l’enquête pour retrouver la trace de Jimmy Recca qui avait été le dernier bassiste des Stooges et il fit venir à Los Angeles l’ex-batteur du MC5 Dennis Thompson qui se rongeait le cul à la vinaigrette dans le Michigan. Ron exultait, il disposait d’une section rythmique explosive - A dynamite rhythm section ! - Ils se mirent à répéter, répéter, répéter. Bon les gars il faut trouver un nom. Pouf ! The New Order ! Bon, les gars, il faut trouver un chanteur. Pouf, des annonces ! Un petit mec se présenta, un certain Jeff Spry. Bonne voix. Ron jubilait. Good guy ! C’est lui qu’on entend sur l’A de The New Order paru en 1977 sur un label français. «Declaration Of War» et «Hollywood Holiday» sonnent bien le tocsin, mais c’est Jimmy Recca qui vole le show. Il faut l’entendre voyager dans le son. Wow, un vrai gamme-boy ! Mais Ron n’allait pas jubiler longtemps : Jeff se fit poirer au volant avec un gros nez rouge et des drogues dans le sang. Direction le ballon. Ron dut tout reprendre à zéro avec un autre chanteur, Dave Gilbert. C’est lui qu’on entend sur la B de The New Order. Pas du tout la même voix. «Rock’n’Roll Soldiers» est typique de ce rock des seventies mal chanté qu’on entendait sur des tas de disques de prog anglais, même si Ron veille à la densité du son. «Of Another World» flirte un moment avec le prog et soudain, ça décolle : voilà typiquement le genre de cut dont on ne se méfie pas et qui vient percuter l’occiput de l’undergut. Ron Asheton redevient le maître d’œuvre que l’on sait, il développe de beaux accents harmoniques chargés de captivants regains dramatiques. Eh oui, ce diable de Ron profite de cette occase en or pour jouer la carte de la mélasse.

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    Bon les gars, faut qu’on se bouge le cul ! Pouf, la tournée ! Ron misait sur les références Stooges et MC5 pour attirer du monde, mais ça ne lui suffisait pas. Il voulait en plus du trash et il eut l’idée de monter un plan killer : il engagea un faux tueur qui après une altercation allait abattre le groupe sur scène. Calibre chargé à blanc et poches de sang. Pour faire bonne mesure, Ron rajouta un fausse cervelle, histoire d’horrifier les gonzesses du premier rang. Après l’échange d’insultes prévu - Motherfuckers ! - le killer fit feu, pif paf, Ron et les autres s’écoulèrent avec de la cervelle partout, panique générale dans le club et descente de flics. Ron se pâmait de rire, mais pas les flics. La réputation du groupe commença à enfler sérieusement et Kim Fowley vint proposer le jackpot à Ron en faisant venir lors d’un prochain concert son contact chez Mercury et un gros tourneur américain. Le concert eut lieu au Starwood, à Los Angeles, en présence du showbiz. Sold out ! Dave Gilbert arriva sur scène, bwwaarg, bwwaarg, incapable de se souvenir des paroles. What the hell ! Can’t sing ! Viré ! Fin du jackpot. End of the New Order. Ron rentra à Detroit la queue entre les jambes. Comme il avait emprunté du blé à un usurier, il avait tout perdu : ses disques, ses fringues, ses guitares et des objets nazis. À poil. Mais comme il le dit si bien, from bad comes good : cette sublime déconfiture allait lui permettre de rencontrer Niagara.

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    Il existe un album de démos de New Order qui s’intitule Victim Of Circumstances. On entend Dave Gilbert ruiner le morceau titre avec son chat perché. Mais dans «Sex Drive», Ron s’amuse comme un fou. Il semble même s’accommoder de l’horrible chat perché du pauvre Gilbert. Pendant qu’on va pisser un coup, Ron passe une petite vrille en loucedé. C’est encore Jimmy Recca qui fait le show sur «1975 No Taboos». Dommage que Gilbert chante si mal. Ron améliore l’ordinaire comme il peut. Il faut le voir noyer «Sidewinder» dans les clameurs et partir en maraude. C’est un guitariste extraordinairement inventif et mobile, il déboîte toujours sans prévenir.

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    Au début des années quatre-vingt, Ron part jouer an Australie avec Dennis Thompson et les mecs de Radio Birdman. Ils baptisent leur conglomérat New Race et un album live paraît en 1982 : The First And The Last. Tous les stoogés du ciboulot se sont jetés dessus, bien sûr. Mais ils se sont très vite aperçus que les compos de Tek ne fonctionnaient pas. Trop prétentieuses, tout le contraire de Ron. Forcément ça coince. «Gotta Keep Movin’» sonne très MC5, mais il faut se farcir des cuts comme «Breaks My Heart» ou pire encore «Sad TV», ce mauvais rock qui a coulé tant d’albums dans les années quatre-vingt. Et puis soudain, la vie reprend tout son sens avec «Loose». Ron sonne le glas et fait la différence, lookout ! Le pauvre Rob Younger doit faire son Iggy, mais il lui manque l’essentiel : la voix. On est down under, poor Rob tente le tout pour le tout, et derrière, Ron se marre, le deep inside n’est pas bon, alors que fait Ron ? Il part en vrille miséricordieuse pour cacher la misère et Dieu nous est témoin que ça gicle dans tous les coins. Ron enchaîne avec «November 22 1963», un cut composé en souvenir du killing de Kennedy et qu’on retrouvera dans Destroy All Monsters. Assis à l’arrière de la décapotable, Kennedy prend une balle en pleine tête, avec une Jackie all over his brains. Très ashetonien comme formulation et en prime, ça swingue. Comme Ron a de la suite dans les idées, il revient à l’un de ses vieux fantasmes : combiner les Stooges avec le MC5, alors wham bam ! Voilà «Looking At You». Pour rendre hommage à Brother Wayne, Ron nous plonge dans la friteuse du MC5. L’album se termine avec «Columbia». On y voit Ron monter un mur du son à mains nues. «Columbia», «Loose» et «Looking At You» sont les trois raisons d’écouter cet album. Tek qui est alors dans l’armée offre à Ron les fameuses tenues de camouflage qu’il continuera à porter jusqu’à la fin, à la ville comme à la scène.

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    Autre petite parenthèse : en 1992, Ron revient jouer à Los Angeles avec The Empty Set. Aux yeux de Len Fagan, Ron réanime tout simplement le spirit des Stooges, quinze ans après la fin du groupe. L’album Tim Slim & None/Flunkie en témoigne. Fagan se demande même ce que serait devenu le monde si Ron avait pu donner une suite aux deux premiers albums des Stooges. Michael Davis fait partie de l’aventure et dès «Roman Holiday», Ron voyage dans le son, il balaye tous les doutes. On le voit sauver les meubles de «Same Boat» à coups de démesure. Il passe par derrière les cuts et leur rectifie le portrait, un par un. Dommage que Ron Devore chante si mal. Ron doit jouer en suspension pour contrebalancer l’absence d’iguane. Il plane comme un vautour sur le medley «Don’t Know/1969», il redevient le son du son, c’est-à-dire le fils du dieu Son, il file dans l’au-delà de la disto, il liquéfie l’oh mind ouh ouh et envoie tout balader dans le cosmos. Sur la partie live de l’album (Flunkie), Ron attaque son vieux «TV Eye» avec une violence terrible. C’est ce qu’on appelle dans les bas fonds une version au vitriol, l’une des versions définitives.

    Ron passe les années quatre-vingt dix dans deux groupes, Dark Carnival et Destroy All Monsters. L’ex-bassman du MC5 Michael Davis fera encore partie de l’aventure. Profitons de cet épisode pour tracer un parallèle entre John Lennon et Ron : Lennon se maque avec Yoko Ono et Ron avec Niagara. Ce qui nous donne deux couples éminemment destructo-créatifs.

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    En imposant la présence de Yoko Ono dans le cercle magique des Beatles, John Lennon provoqua une belle catastrophe. Il suffit de voir Yoko chanter dans le Rock’n’Roll Circus des Stones, tourné en 1968 et commercialisé trente ans plus tard. Les Stones avaient invité la crème de la crème du gratin dauphinois, Lennon, Clapton, Taj Mahal, les Who, l’early Jethro Tull. Tout allait bien jusqu’au moment où Yoko Ono apparut, accompagnée de Lennon, de Clapton et du violoniste Ivry Gitlis, pour, comment dire, pas chanter, mais crier un truc débile qui s’appelle «Whole Lotta Yoko». «Ferme ta gueule !», criaient les gens devant leur télé, mais elle n’entendait pas. Son cri est tellement strident qu’il fait mal aux oreilles. C’est une simple provocation. Cette séquence permet d’imaginer ce qu’ont pu endurer les trois autres Beatles. Yoko traînait en permanence dans le studio. Ils ne pouvaient plus la schmoquer. Lennon voulait sans doute trancher avec l’aspect commercial de la beatlemania. Il s’intéressait de près au trash arty, celui de l’art moderne et des happenings dont Yoko Ono s’était fait une spécialité dans les galeries d’art londoniennes.

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    Et c’est là où le parallèle avec Ron Asheton saute aux yeux. Comme Yoko, Niagara vient du monde de l’art moderne. Elle s’est taillée une réputation d’artiste scénique dans le milieu universitaire de Detroit, elle fait des performances, elle peint et publie des choses très graphiques. Le portrait de Ron en couverture du livre de Wombat, c’est elle. Elle œuvre au sein d’un collectif. Elle monte sur scène avec des musiciens. Évidemment, elle chante comme une casserole. Mais c’est pas grave. Ron Asheton débarque un jour dans le collectif. La démarche arty du collectif l’intéresse. Il aura éventuellement une liaison avec Niagara qui est plutôt sexy. Elle n’hésite pas à se produire sur scène dans des tenues suggestives : lingerie noire, bas résilles et cuissardes. Le book de Wombat regorge d’images de Niagara en petite tenue. Qu’elle chante comme une casserole, ça ne gêne pas Ron. Au contraire, ça semble même l’amuser. D’autant plus qu’il vient de se séparer du meilleur chanteur de rock de l’époque, Iggy Pop. Comme Ron a toujours eu un faible pour le trash et les crazy motherfuckers, accompagner Niagara sur scène lui convient parfaitement. Le contraste est terrible. Les fans des Stooges qui le suivaient à la trace ne comprenaient plus rien. C’était le monde à l’envers.

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    Leur groupe s’appelle Dark Carnival. Ils commencent par sortir un album live qui en a tétanisé plus d’un à l’époque, parce qu’il propose deux reprises des Stooges complètement massacrées et deux reprises des Dead Boys chantées par Cheetah Chrome d’une voix de soudard ébranlé de la cervelle, cette voix blanche qui fait rire dans les films comiques, et qui fout les jetons dans les bars mal fréquentés. Franchement, ce live n’est pas celui qu’on emporte sur l’île déserte. Pourtant, le premier morceau est intéressant. «Here It Comes» sonne comme une stoogerie d’ambiance funeste. Puis Ron envoie gicler ses rivières de notes dans «Price Of Admission». Le morceau accroche bien. Pourquoi ? Parce que Niagara ne chante pas. C’est aussi bête que ça. Mais les choses se corsent avec une petite série de compos Niagara/Asheton : elle arrive en gueulant. Si on aime le trash, ça va. Si on ne supporte pas d’entendre une gonzesse chanter faux, alors ça devient horriblement compliqué. Niagara fait sa lionne de train fantôme. Elle chante avec des éclats rouges. La reprise de «Wanna Be Your Dog» dépasse l’entendement et bat tous les records de trash, y compris ceux de John Waters. Ron tente alors de calmer le jeu en attaquant délicatement «TV Eye». Derrière lui, ça joue. Niagara entre là-dedans comme dans du beurre et ça devient atrocement déviant. Elle chante tellement faux ! Ron se venge. Il met le turbo. Il n’a jamais aussi bien joué. Tous les fans de Ron Asheton doivent écouter cette version de «TV Eye». Derrière lui roule un bassman énorme nommé Joe Hayden. Toujours ce gros son sur «My Best Friend». Niagara arrive là-dedans comme Babar dans un jeu de quilles. S’ensuivent les reprises des Dead Boys. Niagara se jette dans «Ain’t Nothing To Do». Ça donne un trash qui dépasse les bornes du trash, atroce et juteux, à l’image du jus qui coule du fruit trop mûr qu’on écrase dans sa main. Ron remet le turbo. Il se marre. La pire chanteuse après le meilleur chanteur du monde, il fallait oser ! Ron envoie deux fois plus de purée qu’à l’ordinaire et les choses prennent une tournure monstrueuse. Autre reprise diabolique : «I’m Loose». Niagara plonge dans le fleuve de lave que vomit la guitare de Ron. Elle hurle tout ce qu’elle peut. C’est tellement atroce qu’on en pleure. Et Cheetah Chrome vient achever ce Welcome To Show Business Live comme on achève un fusillé, d’une double balle dans la nuque : deux reprises des Dead Boys dont on peut largement se passer.

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    Ron ne se dégonfle pas. Il continue son Dark Carnival. Tous les fans le suivent comme des petits chiens, Ron va par là, alors on va par là. Ouaf Ouaf ! Oh, il va aussi par là ? Alors on y va aussi. Ouaf Ouaf ! Le deuxième album de Dark Carnival s’appelle The Greatest Show In Detroit. Il remonte bien le moral des petits chiens. Album superbe. On s’est hélas habitué à la présence de Niagara et Ron semble en pleine forme. D’ailleurs ça démarre avec une fantastique reprise du hit de Robert Calvert, «The Right Stuff», mais sans Niagara. La voici de retour avec un «Anyone Can Fuck Her» qu’elle prend au chat perché. C’est son truc. Comme elle va chercher ses accents très haut, Ron vole à son secours. Preux chevalier. Globalement, leur fourbi tient bien la route. Niagara crée une ambiance de voûte céleste trash. Elle revient à la charge avec un «Party Girl» bordé par Ron et par la basse funk de Joe Hayden. Scott Rock Action bat le beurre. Drôle de mix : du Ron, du funk et de la folle. Bien vu. Art Lyzack chante deux de ses cuts, «Streets Of No Return» et «Just Another Mystery». Il s’en sort avec les honneurs, car c’est du rock de Detroit solide comme une emboutisseuse de General Motors. S’ensuit une version du «No Right» des Stooges qui entre directement dans la postérité, grâce au bronze que coule Ron. Les grosses pièces se trouvent en B. D’abord un «Wanna Be Your Dog» que Niagara prend à l’exacerbée. Elle vise la grandeur tutélaire. Puis on tombe sur un «These Boots Are Made For Walking» en forme de coup de Trafalgar. Ron nous stooge ça jusqu’à l’os du crotch, il sort le Grand Jeu, il repeint la mine du roi Salomon, il tire à boulets rouges et démâte tous les vaisseaux de l’amirauté, il dévaste tout, absolument tout. Si on n’a pas encore compris qu’il était le plus grand guitariste d’Amérique, c’est qu’on a rien compris du tout. Avec le fatal «TV Eye» qui suit, on assiste à un phénomène extraordinaire : l’envol des Stooges sans Iggy. Scott bat comme un dieu viking. Apparemment, c’est Art Lyzak qui chante. Encore une bombe avec «Bomb For Whitey». Section rythmique de rêve. Les trois mamelles du Carnival : le beat de Scott Asheton, la basse de Joe Hayden et la rythmique de Ron. Ô puissances des ténèbres ! Ron boucle son bouclard avec un extravagant solo amazonien.

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    The Last Great Ride n’a plus grand chose à voir avec les Stooges, hormis deux titres qui nous réconcilient avec la vie puisque Ron les riffe : d’abord «Cop’s Eyes», pur stomp stoogien de la première heure, groove unique au monde, digne du down in the street et du real cool time, binaire à souhait, dumbé jusqu’à l’os et wahté à la perfection, dans l’esprit du maybe call mom on the telephone. Puis «Bang», stompé sans pitié, tapé au beat mortel de la mortadelle, celui qui fit la grandeur des Stooges. Cette pièce s’ajoute au crédit du débit. Ron nous ramène au cra-cra de garage. LJ Steele bat comme un beau diable, d’une frappe bien lourde. On admire le big bassmatic de Peter Bankert. Pour Ron, c’est du gâteau. Rien ne vaut une bonne section rythmique. Niagara prend ses accents canaille, et pour une fois, on se régale. Quant au reste de l’album, c’est un peu lugubre. Niagara essaie pourtant de lui donner un certain élan. L’album est dédié à la mémoire de Lester Bangs. Long Gone John veille au grain, car The Last Great Ride sort sur Sympathy For The Record Industry, gage de qualité. Ron wahte «I Died 1000 Times» comme un fou. Il explore des contrées lointaines. Il se prend pour Marco Polo. Voyageur intrépide, il ne craint ni la mort ni le diable. Il relève les défis. Dommage que Niagara ait une voix si ingrate.

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    Ron et Niag ont un autre groupe qui s’appelle Destroy All Monsters. Ils s’entourent d’autres musiciens et se consacrent à une musique plus expérimentale. Ron fait venir Michael Davis qui est au chômage technique. L’album Bored propose quelques cuts entreprenants. Hélas, la voix de Niagara ne s’arrange pas. On peut même dire que ça dégénère. Mais elle se bat. Elle sait que tous les fans des Stooges l’écoutent, alors elle se surpasse. On aurait aimé savoir comment l’aider à l’époque. Et puis soudain, un cut sauve l’album : «Meet The Creeper», monté sur un tempo stoogien. Ron scande «Meet the creeper», ça prend la tournure d’un hit planétaire, mais quand Niagara ramène sa fraise, tout s’écroule. Alors Ron reprend : «Meet the creeper ! Meet the creeper !» Il veut sauver son Creeper. En vain. Niagara n’en finit plus de ruiner ses efforts. Ça devient un jeu - Do me a favor.

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    Pas la peine de suivre Destroy All Monster à la trace. Leur parti-pris est celui d’un projet expérimental. Ils font de l’anti-rock, un mélange d’arts graphiques, de vidéos et de bruitisme. Dans ces cas-là, il vaut mieux aller faire un tour ailleurs. C’est un peu comme si on visionnait un film expérimental sans les images. Il faut se débrouiller avec une espèce de bande-son, comme c’est le cas avec Silver Wedding Anniversary, le live du Reunion Tour de 1995, mais sans Ron Asheton. Niagara se retrouve entourée de trois mecs (Mike Kelley, Cary Laren et Jim Shaw). Pour paraphraser le Professeur Choron, on s’y fait chier comme un rat mort. Niagara harangue le public, elle fait sa folle primitive, mais ça ne marche plus. Le seul morceau écoutable de ce disque pourtant sorti sur Sympathy est «That’s My Ideal», chanté trash par l’un des mecs du groupe et on se fout de savoir qui c’est. Abandonnons Niagara à son destin et félicitons-la d’avoir partagé l’intimité de Ron Asheton. Comme Yoko Ono, elle a réussi à se faire un nom dans l’histoire du rock, peut-être pas de la façon la plus orthodoxe qui soit, mais en ayant partagé la vie d’un géant, elle mérite sa part de légende.

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    Rebondissement spectaculaire : Munster sort en 2015 un fantastique coffret blanc intitulé Destroy All Monsters. Une vraie bombe ! On y retrouve les deux époques du groupe, avant et pendant Ron Asheton. L’avant Ron est un peu difficile, comme le montrent «I Want To Live» ou «Magic Bag», shoots de garage en forme de visites de mondes perdus, que la pauvre Niagara chante atrocement mal. «The Queen» est même monté sur les accords de «Gloria». Mais à partir du moment où Ron arrive, ça devient fascinant. Il joue «You’re Gonna Die» à la note tirée et revient sur le killing de Kennedy avec «November 22, 1963». On retrouve aussi l’excellent «Meet The Creeper». Le creeper, c’est Ron - Creeper/ Meet the creeper - Et il le solote all nite long. Avec «What Do I Get», tout s’électrise. Michael Davis pousse à la basse. Ils repartent du bon pied avec «Nobody Knows». Niagara chante comme une casserole, mais Ron joue killer comme au temps des Stooges. Il n’a rien perdu de sa stupéfiante hardiesse. Avec «These Boots Are Made For Walking», Ron augmente la mise. Il tape dans l’extatique. La pauvre Niagara chante si mal qu’elle ne se rend plus compte de rien. Ron explose tout au riffage et il part en vrille comme ce Stuka que vient d’abattre la DCA anglaise. Zwwwwwwwawkkk ! Une stoogerie de plus. Tiens, encore une : «Anyone Can Fuck Her». Pour une fois, Niagara ne chante pas trop faux. Ron fait les chœurs. Riffs d’Ann Arbor. Il est LE son. Puis il embarque «Enough Is Enough» pour Cythère en solotant comme un crazy motherfucker. Pur Detroit Sound ! Dommage que Niagara ne soit pas aussi douée qu’Iggy. Mais ça fait partie du jeu. Ron se marre. Nouveau festival avec «I Just Wanna Be Sleepy» ! Ron casse la baraque dès l’intro. Il crée les conditions de l’exaction. Dans les tranchées, Ron ne fait pas de prisonniers. Il les grille tous comme des saucisses. On entend même Ron et Michael Davis se battre à coups de basse et power-chords. Avec «Bored», ils nous offrent l’une des intros du siècle. Ils vont au-delà de tout ce qu’on peut imaginer. C’est bom-bar-dé de son. Le MC5 rivalise de sauvagerie avec le Stooge. Ron repart en vrille, c’est plus fort que lui. Il est certainement le plus beau killer de l’histoire du rock, et ça, on le savait dès le premier album des Stooges. L’énorme «Party Girl» qu’on entend là est enregistré live à San Diego. Michael Davis joue en solo, et derrière, Ron lâche sa purée, tout ça sur fond de chœurs malades. Ces gens-là brûlent tout sur leur passage. Ron part en solo sur un tapis de rave de basse. Le son ! Good Lord, le son ! Ron repart à l’aventure, il ne vit que pour ça. Beautiful beast ! Un riff définitif emporte «Little Boyfriend». Ça monte vite, très vite en température. L’über-Ron y veille. Il claque tout à l’accord lance-flamme. Retour au legendary stuff avec «The Right Stuff». Ron défonce la rondelle de cette énormité à coup de solo pulvérisateur. Lui et Michael Davis drivent ça aux pulsions fondamentales. Ils ne génèrent que de la fournaise. Ron joue ce cut à la dementia carabinatus. Pendant qu’il part dans son délire de vrille, le pouls du cut continue de battre comme si de rien n’était. Alors Ron monte au chant avec Niagara et les voilà en transe ! Ce «Right Stuff» est avec celle de Monster Magnet la version définitive.

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    Ron et Niagara vont vivre ensemble un certain temps, puis elle finira par se marier avec le Colonel Galaxy, l’ex-pilote automobile qui manage le groupe. Comme il a encore des connexions dans le monde automobile, il branche Ron sur un boulot bien payé : livrer des Porsches et d’autres bagnoles de sport à travers les États-Unis pour le compte d’une boîte. C’est payé 125 $ par jour et tous les frais sont pris en charge. Tous les frais ? T’es sûr ? Oui, trois repas par jour, dans les restos de ton choix. Ce sont les restos qui intéressent Ron. Alors le Colonel et Ron deviennent the Gallopping Gourmets, une sorte de gang trash. Ron aime la bonne gamelle et s’en met plein la panse. Il s’arrête dans les meilleurs gastos d’Amérique. En partant de Detroit, il faut compter quarante heures de route pour atteindre Los Angeles. Quinze heures pour atteindre New York. Il fait ça pendant deux ans, de 1987 à 1989.

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    Ron fait aussi du cinéma. Et là ça devient assez drôle car il peut renouer avec ses racines, the crazy motherfucker & The Three Stooges. Il commence par jouer dans Frostbiter - Wrath Of The Wendigo, un film d’horreur underground. L’action se déroule dans les bois du Michigan où rôde justement Wendigo, l’esprit des bois. Ron et les autres personnages vivent dans une caravane. Ce sont des vacanciers. Une nuit, Ron aperçoit Wendigo rôder dans les bois. Il revient à la caravane et déclare : «It’s big, man, real big !» Ce qui plaît infiniment au réalisateur Tom Chaney, sensible au génie trash de Ron. Dans Hellmaster de Douglas Shulze, Ron joue le rôle d’une nonne diabolique baptisée Mama Jones. Schulze pense que cet insane role ne peut convenir qu’à une insane rock’n’roll guitar legend, et il ne se trompe pas. Ron a du charisme. En plus, il ne la ramène pas. Il sait rester low key. Ça plaît beaucoup aux gens du cinéma. Tom Chaney refait appel à lui pour Mosquito. Ron y joue le rôle du Park Ranger Hendricks. Des moustiques ont sucé le sang d’un extra-terrestre mort et s’en vont semer la terreur, ce que les Anglais appellent un gory rampage. Ron joue ensuite dans Legion Of The Night de Matt Jaissle. Un certain Professor Bloom travaille sur la régénération des tissus des morts et bien sûr, il crée des super Zombie Killers. Dans ce film, Ron joue le rôle de Russell, l’assistant du Professor Bloom, cousin éloigné du Professor Von Bee.

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    Côté musique, c’est le calme plat. Appelons ça le calme avant la tempête. En 2001, J. Mascis monte the Stooges Project avec Mike Watt et les frères Asheton. Ils tournent pas mal aux États-Unis et embauchent chaque soir un nouveau chanteur. Quand Iggy entend parler de ce Stooges Project, il reprend contact avec Ron. Il l’appelle pour lui demander si ça l’intéresse de venir jouer sur son album Skull Ring. Pas si simple. Ron n’a pas vu Iggy depuis 25 ans. Mais bon, Ron n’est pas rancunier, c’est même un gentil mec et il descend voir Iggy chez lui en Floride - I was a little nervous - Ron est un peu nerveux, Iggy le sent et le met tout de suite à l’aise. En quelques minutes, tout rentre dans l’ordre. Le cauchemar de Raw Power est oublié. Skull Ring fait le carton que l’on sait. Paru en 2003, Skull Ring pourrait bien être l’un des meilleurs albums d’Iggy, car c’est une sorte de retour aux sources, c’est-à-dire aux Stooges. Le festival commence avec «Little Electric Chair». Iggy y pousse des cris de jouissance. Ron et Scott l’accompagnent et ça claque des mains comme au bon vieux temps de «No Fun». Iggy renoue avec ses yeahhhh d’antho à Toto. Ron semble jouer son va-tout. Il dote aussi le morceau titre d’un solo magistral. On se croirait dans un film de Tarantino. C’est un cut frénétique, monté sur le riff ultime. On retrouve les Stooges dans «Loser». Iggy dit qu’il ne peut plus continuer à vivre. Ron joue comme un démon, en suspension. Il prend un solo oblique qui entre dans le cut comme dans du beurre. Par contre ce sont les Trolls qui accompagnent Iggy sur «Perverts In The Sun», une belle pièce de dementia à la Raw Power, puis sur «Whatever», une espèce de grosse pop épaisse chargée de bonnes doses de destruction massive. Iggy l’éclate aux cris d’orfraie. Il renoue avec le magistère définitif. Ce sont aussi les Trolls qui accompagnent Iggy sur «Blood On Your Cool», mais ils foirent tous les ponts.

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    Tiens, puisqu’on est dans les retrouvailles, Scott Morgan invite Ron à venir jouer dans Powertrane et un superbe Ann Arbor Revival Meeting paru en 2002 (et tout juste réédité) témoigne de ces retrouvailles bénies de dieux. Ron Asheton glisse 5 jetons dans la fente : «1969», «Wanna Be Your Dog», «Down In The Street», «No Fun» et «TV Eye». Ron match. Boom ! Scott fait son Iggy et il le fait bien. Ron joue sa meilleure carte, celle du génie imputrescible. This is the Ron stuff. Le cocktail Ron/Powertrane est aussi explosif que celui du Sonic’s Rendezvous. Mais on peut aussi écouter les autres cuts : Scott tape un «Ready To Ball» écrasant de supériorité. On admire l’extraordinaire architecture du smashing dévastatoire, c’est riffé à la féroce et gueulé par dessus les toits. Un guitariste nommé Robert Gillespie incendie la ville d’un coup de killer solo flash. Lost in Ann Arbor with the Detroit Blues again. «Blood From A Stone» démet quelques vertèbres. Ces mecs jouent à outrance. S’ensuit un «Taboo» qu’on va retrouver sur l’autre album de Powertrane, un blast de white hot Soul. Ils tapent aussi dans le répertoire du Sonic’s Rendezvous avec «Earthy», un cut qui ravale la façade du rock, qui la nettoie au chalumeau. Tout est très dynamique sur cet album. Scott repart toujours fièrement au combat et il semble que sur scène, le son soit encore plus explosif qu’en studio. Il tape aussi une magistrale version de «Love & Learn» et donne l’extrême onction à «What Gives». Ils jouent ça à la nowhere man de no limit. Scott s’en revient hanter les remparts de «Dangerous», tel un héros du moyen-âge risquant sa vie à chaque seconde. Mais dans l’underground, la vie d’un héros ne compte que pour du beurre.

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    Comme un parfum de reformation des Stooges flotte dans l’air, les renards du désert quittent leurs terriers pour partir en chasse. Les organisateurs du festival de Coachella contactent le bureau d’Iggy et proposent une grosse valise de billets pour UN concert de reformation des Stooges. Okay. Pose la valise ici. Iggy fait confiance, il ouvre jette un coup d’œil sur les billets. The deal is done. Mais le soir du concert, Ron a l’impression de monter à la potence. C’est risqué. Les Stooges n’ont plus vingt ans - It was either going to glory or hell - Quitte ou double ! Mais comme ils jouent tous leurs classiques, c’est-à-dire les deux premiers albums, ils passent comme des lettres à la poste. Iggy réalise que le groupe n’a jamais été aussi bon et dans la foulée de Coachella, il propose à Ron et Scott de reformer les Stooges pour de bon. Mais attention, Ron veut que ça soit à parts égales. Il ne veut pas revivre le cauchemar de Raw Power, lorsque les frères Asheton étaient payés pour accompagner Iggy. Pour Ron, il s’agit des Stooges et non d’Iggy & the Stooges. C’est bien clair ?

    L’incroyable de toute cette histoire, c’est que Ron et Scott ont vécu quasiment toute leur vie dans une forme de précarité. Ron n’est pas dépensier, donc il a su maintenir un train de vie minimaliste qui lui a permis d’éviter de se lever le matin pour aller bosser. Par contre, Scott a une famille à nourrir, donc il doit aller au chagrin, le plus souvent comme chauffeur de taxi. Alors bien sûr, quand le blé de la reformation des Stooges arrive, c’est l’Amérique ! Ils n’ont jamais palpé autant d’oseille ! Pour la première fois de sa vie, Ron peut s’acheter une bagnole. Le Colonel Galaxy raconte qu’il passe des week-ends au bord du lac avec Ron. Ils pique-niquent en se payant du pain et des fromages qui coûtent la peau des fesses, il s’offrent les meilleures bouteilles de vodka et de whisky. Avec la reformation des Stooges, Ron empoche 100 000 $ par concert. Avant ça, il se faisait péniblement 10 000 $ dans l’année. De la même façon que Lemmy, Ron commence à se payer de vrais objets nazis de collection. Il vit encore là où il a toujours vécu, sur High Lake Avenue, mais il achète à sa poule Dara une maison dans le voisinage. Il s’achète aussi une cabane de plage à Lake Huron, où il peut se planquer pour guetter Wendigo.

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    C’est l’époque des shows du grand retour dans le monde entier, avec en France un Bol d’Or et surtout un Zénith qui va rester aux yeux des fans l’équivalent de ce que fut la découverte du Graal pour les chevaliers de la Table Ronde. Petite cerise sur le gâteau, Skydog sort Telluric Chaos, en écho au Metallic KO d’antan. C’est enregistré au Japon et ça part sur les coups de cymbales de Scott. Aw look out ! Baaam, «Loose» ! Ron entre dans la danse. C’est resté intact. Ron part en maraude de wah. Il redevient le pape des kids et joue avec d’antiques férocités. Ces démons enchaînent avec «Down In The Street» - No wall ! No wall ! - Ça n’a pas pris une seule ride. Ron is on the run. Il attaque «1969» à la wah - Awite ! - Iggy salue les kids de 1969 all over the USA, bien épaulé par le bassmatic de Watt. Wow ! Ron krakatoate dans un ciel rouge de wah. Iggy annonce alors a fucking animal song : «Wanna Be Your Dog». Idéal pour faire chanter quelques dizaines de milliers de Japonais. Ce double album fonctionne comme un roman d’aventures. À peine est-on sorti du tome 1 qu’on se jette sur le tome 2 pour savourer la fantastique riffalama de «TV Eyes». Tout repose sur le Ron way qui est une authentique diabolisation des choses et sur l’attitude fabuleusement punkoïde d’Iggy. Il se fond merveilleusement bien dans cette mélasse mirifique. Power & style, comme dans le cas des Heartbreakers, avec le poids des antécédents en prime. Pour déconner avec les métaphores, les Stooges pourraient incarner une machine de guerre du moyen-âge, haute et lourde, en bois clouté, qui avance en couinant (la wah) au rythme des tambours de guerre (Scott), that’s right, «Real Cool Time», la légendaire B-side de «1969», come over tonite ! S’ensuit le hit parfait, encore plus parfait que les précédents, «No Fun», taillé pour traverser les siècles. Quand on sera tous enterrés, des kids danseront encore sur «No Fun», with nobody else. Les Stooges sautent d’un an dans leur calendrier pour «1970». Ron ouvre les digues. Pure folie. Il libère cette stoogerie qui déferle sur le Japon et Iggy qui ne craint pas la mort se jette dedans. Il est avec Jerry Lee et Lux Interior le plus beau specimen de hellraiser américain. Steve MacKay porte la stoogerie à ébullition. C’est du feel alrite de fin du monde. Le tome 3 s’ouvre sur «Fun House» - Ouh ! Watt : Ouh ! MacKay : Ouh ! Iggy tente d’ériger «Skull Ring» au rang de classique imputrescible à coups de Skull ring/ Fast cars/ Hot chicks/ Money et tout se casse la gueule avec «Rock Star». Ron ne peut pas passer sa vie à faire des miracles. Il essaye aussi de sauver «Electric Chair» en grattant des atonalités métaboliques. Mais ça ne décolle pas. Trop lourd. Ils explosent le dernier tome avec le heavy groove de «Little Doll», l’un des grooves les plus heavy de l’histoire des heavy grooves. Ils retapent dans «Wanna Be Your Dog» pour récupérer la clameur de la ville et finissent avec «Not Right». Il faut tendre l’oreille car c’est le dernier grand solo d’un géant des temps modernes. Ron wahte pour l’éternité.

    Comme le fait de son côté Marc Zermati, Ron rappelle qu’Iggy doit absolument tout au public européen - Europe has always been Iggy’s bread and butter - «Oh boy, les Européens, spécialement les Français, sure love the Stooges.» Et il ajoute avec cette candeur extraordinaire qui le caractérise : «C’est génial de jouer pour des gens qui connaissent les paroles des chansons. Quand Iggy chante ‘Now I wanna’, il tend le micro au public qui répond ‘Be your dog’. Très poilant !»

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    Dernier chapitre de la genèse des Stooges : il enregistrent en 2007 The Weirdness. Ce nouvel album ne plait pas aux fans. Le Colonel indique que les cuts sont ceux que Niagara ne voulait pas enregistrer avec Dark Carnival. Selon lui, il s’agit des épluchures de patates. C’est vrai que dans l’ensemble, The Weirdness sonne comme un album solo d’Iggy Pop raté. Les frères Asheton ont beau batailler sur «Trollin’», le cut ne passe pas. C’est même très mauvais. Même chose avec «You Can’t Have Friends». Rien à voir avec les Stooges. C’est même assez catastrophique. Bad Pop stuff. Il faut attendre «My Idea Of Fun» pour retrouver un peu de ce son qui fit la grandeur des Stooges. C’est tiré par les cheveux, mais la grandeur revient. Ron recrée enfin les conditions de la stoogerie. Le grand shaman du sonic trash est enfin de retour. Il part même en vrille. L’autre miracle s’appelle «Greedy Awful People», claqué au clap-handy shot. Pur jus de stoogerie abdominale, Iggy s’enveloppe dans la cape de Saint-Martin et Ron balance l’un de ses meilleurs coups de wah. On voit Iggy tenter de recréer l’ambiance d’American Caesar avec «The End Of Christianity», mais ça foire complètement. On note aussi l’intervention de Steve MacKay dans «Passing Cloud», comme s’il volait au secours des Stooges en désarroi. Mais ni Ron ni Steve MacKay ne peuvent sauver un cut aussi foireux. Bye bye myth.

    Ron n’en revient pas de voir les gens bouder The Weirdness. Ça lui coupe la chique. Il demande au Colonel :

    — Mais que veulent les gens ? Ils veulent Fun House ?

    — Ben oui !

    Il n’aura pas le temps de refaire Fun House. Son cœur s’arrête de battre en 2009.

    Signé : Rond Micheton

    John Wombat. Ron Asheton. The Stooges, Destroy All Monsters & Beyond. 2019

    Iggy Pop. Skull Ring. Virgin 2003

    Stooges. Telluric Chaos. Skydog 2005

    Stooges. The Weirdness. Virgin 2007

    New Order. The New Order. Fun Records 1977

    Ron Asheton’s New Order. Victim Of Circumstances. Revenge Records 1989

    New Race. The First And The Last. WEA 1982

    Dark Carnival. Welcome To Show Business Live. Revenge Records 1990

    Dark Carnival. Greatest Show In Detroit. Revenge Records 1991

    Empty Set. Tim Slim & None/Flunkie. Flipout Gramophone Foundation 1996

    Destroy All Monsters. Silver Wedding Anniversary. Sympathy For The Record Industry 1996

    Dark Carnival. The Last Great Ride. Sympathy For The Record Industry 1997

    Destroy All Monsters. Bored. Cherry Red Records 1999

    Destroy All Monsters. Destroy All Monsters. Munster 2015

    Scott Morgan’s Powertrane. Ann Arbor Revival Meeting. Real O Mind Records 2002

    ET POUR QUELQUES STOOGERIES DE PLUS !

    DU MÊME AUTEUR :

    Voir Ron Asheton et mourir : livraison 160 : 23 – 10 - 2017 ( sur krtnt.hautetfort.com )

    Pop Art : Iggy Pop : livraison 313 : 26 – 01 - 2017

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    TROYES / 14 – 03 – 2020

    3 B

    AMHELL & HER BACKDOOR MEN

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    La journée avait terriblement mal commencé. Une ignominie. Trois filles qui me posent un lapin. A 11 heures du matin, c'était OK ! '' Oui Damie, on tient nos promesses, on t'avait promis de venir exprès pour toi en Seine & Marne. Ce n'est pas un vilain corona virus qui nous empêchera de te voir'', mais deux heures plus tard, je pleurais à chaudes larmes ( de crocodile ), ''nous sommes désolées mais le concert est annulé !'' Maudit conard virus ! Combien de jours me faudra-t-il encore attendre pour entendre The Jinets, groupe fastueux qui regroupe les trois plus jolies filles du 77. En l'occurrence, Ady, Emilie et Vaness, que les lecteurs de Kr'tnt ! connaissent bien ! En plus elles n'étaient pas seules, elles emmenaient dans leurs bagages tout un lot de big boys, The Swinging Dices et le One Dollar Quartet.

    Soyons un peu stratège me dis-je, si la route de l'ouest est bouchée, prenons celle de l'est. Bref le soir j'arrivais tout pimpant au 3 B, dans tous les cas il faut faire confiance à Béatrice la patronne, elle se débrouille toujours pour vous proposer des combos de qualité. Je ne croyais pas si bien dire.

    AMHELL & HER BACKDOOR MEN

    Une fille et quatre mecs. Je vous parlerais d'abord des four boys. Pour la simple raison que le set débute par un instrumental et que Amheel se tient sagement sur le côté. Et là franchement, c'est l'horreur horrible. Ce n'est pas du rockabilly ! Au mieux c'est du swing. Au pire c'est du jazz. Et vous savez dans ce bas-monde le pire est toujours certain.

    Soyons juste, ne nous laissons pas emporter par la déception et le ressentiment. Ils ont un sax. Et un saxophone dans un orchestre c'est comme une lumière dans la nuit, une île salvatrice pour le radeau du naufragé... C'est rassurant. Ça vous met du baume sur le cœur déçu des rockers. Souffle un peu doux, Arnaud, non ce n'est pas l'aboiement rauque du rock'n'roll, mais cela s'écoute bien, à tel point que l'on oublie ses trois congénères...

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    Et puis tout change. En fait tout continue comme avant. A la différence près que Amhell toute pétulante se plante devant le micro. L'évidence vous saute aux yeux. L'est comme chez elle. Aussi à l'aise dans cet univers impitoyable de rockers que dans son jardin mollement étendue sur une chaise longue à l'ombre d'un cerisier japonais en fleurs. Se moque un peu de vous, pour le début une chanson un peu jazz parce que nous on fait un peu de tout, du swing, du blues, du rhythm'n'bues mais pas vraiment de rock'n'roll - avec ce sourire qui signifie bande de macaques mal dégrossis – mais elle est déjà à moitié pardonnée.

    Elle le sera tout à fait lorsqu'elle aura fini ses deux premiers morceaux, Till the well runs dry et Such a cutie. Apparemment deux chansonnettes aussi inoubliables que vos premières savonettes. En fait deux petites merveilles de Vynona Carr et de Big Maybelle - elle enregistra Whole shakin' on avant Jerry Lou – mais elle nous en offre des versions bien trop alanguies, exprès j'en suis sûr, vous connaissez ces espèces de blanchitudes déplorables de l'american entertainment, z'oui mais avec ce timbre de petite fille capricieuse, craquante, irrésistible, qui n'en fait qu'à sa tête, qui se joue de tout, de vous, de ses boys et d'elle-même. Et puis ce jeu, de poser sa voix où elle veut, un peu n'importe où, en équilibre, sur une terminaison instrumentale, et ce sourire espiègle, coucou je vous ai eu, tant pis pour vous, il faut suivre.

    Alors comme vous êtes un peu récalcitrant à ce jazz de supermarché et que vous êtes tout de même séduit, même si vous ne voulez pas tout à fait vous l'avouer, vous la regardez. Robe noire, talons noirs, cheveux noirs, tout est noir chez elle, sauf cette blanche protubérance charnelle des seins engoncés dans leur corsage surmontée de la neige de ses épaules d'autant plus nues que pimentées de tatous colorés, vive, joyeuse, amitieuse, complice, pétillante, comédienne naturelle.

    Les deux titres suivants allument le feu, She 'll be gone de Betty O'Brien, parce que les filles aiment leur liberté et King Size Papa de Julia Lee parce que les filles aiment les beaux mecs ( comme ceux qui essaient de me ressemler ). C'est-là qu'on s'aperçoit qu'elle a de sacrées pointures derrière elle. Je ne sais pas d'où elle sort ces musicos, mais ce n'était certainement pas des articles avariés en solde, alors Amhell la mutine badine, avec sa voix sucrée de profitérole elle en profite, elle jongle avec les lyrics, vous donne l'impression de les jeter au hasard, de s'en débarrasser au plus vite, s'amuse comme une petite folle, et plof pile-poil au bon moment, l'armoire à pharmacie est impeccablement rangée quand elle termine, alors elle éclate de rire, une cascade de notes aussi délicieuses que son ramage de merle moqueur.

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    L'enchaîne sur un standard de Georgia Gibbs Silent Lips, et l'on se dit que l'on a de la chance, que ces lèvres ne vont pas rester silencieuses durant un bon bout de temps, eh bien non, elle nous sourit et nous annonce que l'on va avoir droit à un instrumental. Sont beaux ses accompagnateurs, avec leurs fringues impeccables, leurs cheveux bien peignés et parfois même une cravate, mais enfin... bon, on les écoute, juste pour lui faire plaisir.

    Pour le nôtre aussi. Diable de guys, prenez par exemple Pascal avec sa grosse guitare, imprévisible le gars, pour le spectateur car lui il sait très bien ce qu'il fait, brutalement il vous balance une trille de notes, une poignée de louis d'or qui giclent de sa main de prince fastueux sur la table de la misérable auberge qui ne lui a offert qu'un vieux quignon de pain moisi, vous aimeriez qu'il répète ce geste de grand seigneur à l'infini, mais non subitement il se fait tout petit et rentre dans le background communautaire de l'orchestre, ces insupportables passages à vide du jazz où l'on pédale dans la choucroute... C'est alors qu'il faut prêter l'oreille à la contrebasse de Xavier. Non il ne slappe pas comme un sauvage des Appalaches, chaque fois qu'il tire sur une corde c'est comme s'il déchirait les pointillés qui séparent les timbres dans leur carnet, minutieux et rapide, une dent à chaque fois, mais avec une dextérité et une célérité étonnante. C'est lui qui impulse la sourdine diabolique, l'homme de l'ombre qui manipule l'élastique du swing sans remords.

    Dans toute société vous avez toujours des saboteurs. Ici il s'appelle David. Son rôle n'est certainement pas d'entretenir la béchamel. Au début, vous n'y faites pas gaffe. Un fieffé filou. Ne sort jamais la grosse batterie – son set est d'ailleurs chichement fourni – des effets spéciaux, style largage abominable de bombes atomiques, pour lui c'est effets spécieux, minimum de moyens, maximum de rendements. Joue le rôle du petit caillou qui dévie l'avalanche, un coup sur le rebord de la caisse claire et un tintement de cymbale sont amplement suffisants pour casser le rythme. Pas besoin de faire sauter le barrage, une légère charge de plastic sur le bon pylône et la ville est privée d'électricité. Un virtuose du billard rythmique à douze bandes. Vous avez beau tirer la chevillette des hypothèses vous n'arrivez pas à prévoir le moment fatidique où la cassure cherra. Ce qu'il y a de fabuleux, c'est qu'avec sa frappe économique il parvient à faire du bruit. Pas du vacarme, non mais chaque coup porté retentit admirablement, l'a compris que si vous voulez vous faire entendre faut d'abord vous taire, que le moindre tapotement ou coup sourd de grosse caisse prend ainsi une ampleur titanesque. La collision inopinée de voiture qui bascule dans le ravin et bouscule votre week end.

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    La diva revient. Amhell expédie Jeopardy et Scorched, d'une telle manière bondissante que vous avez envie d'aller sur le champ faire tinter les cloches de Notre-Dame, hélas c'est impossible d'y mettre le feu, c'est déjà fait, alors on suit Amhell les yeux fermés (ce dernier adjectif est un véritable mensonge, vous n'êtes pas obligés de croire tout ce que je dis ) elle nous emmène là où l'on ne pose jamais nos santiags, exemple à Stompin' at the Savoy, avec sa voix brut de pomme et de pétillance de champagne, son minois mignon d'enfant gâté qui vous tient par la barbichette et vous file une tapette mentale d'une petite phrase goguenarde. Les Backdoor Men – little girls understand - prennent la clef des champs et la poudre d'escampette interprétative, à chacun son petit solo, se repassent le bébé stylé dans la plus pure tradition jazzistique, je montre ce que je sais faire et laisse pressentir que j'ai encore des réserves. Si vous êtes sages, vous aurez une nouvelle distribution, mais ça se mérite. Le pire c'est que toute l'assistance commence à prendre goût à celle huile de foie de morue, et en redemande. En plus entre chaque titre ils entretiennent une étrange parlotte entre sketch désopilant et conciliabule de conspirateur pour savoir s'ils vont le jouer en fa ou en la.

    Trois sets, la dose coutumière du 3 B. Mais ce sont des tricheurs, vous servent de ces tord-boyaux du temps de la prohibition, vous avez le cerveau qui cuit dans son jus à vous inscrire dans un cours de jiu-jitsu, beaucoup esquissent des pas de l'ours plus ou moins balourds, voire des lindy hop frénétiques. Y a des filles comme cela, elles vous tiennent dans les doigts de leur menotte, mais Amhell elle a une poigne de fer, vous domestiquerait un doberman enragé rien qu'en entrouvrant l'exquise framboise de ses lèvres. Les gars se rapprochent d'elle lui susurrent des choses dans la rose de ses oreilles, et alors même qu'elle est en train de chanter, elle sourit gentiment et les éloigne sans problème d'un geste de la main à peine esquissé, fiers comme Artaban, subjugués de n'avoir pas été renvoyés comme des chiens battus alors qu'ils n'ont rien obtenu. Elle va même réussir le miracle auquel aucun groupe – plus d'une centaine à ce jour – n'est parvenu, détacher les gars qui tiennent le bar – c'est alors que l'on s'aperçoit que par miracle il tient tout seul – pour les emmener devant l'orchestre. Amhell est un crockronar virus, une tarentule méphitophélesque, elle prend votre âme et pour la retrouver vous êtes contraints de la suivre.

    robert johnson + grégoire hervier

    Ambiance survoltée. Le saxophone d'Arnaud n'est pas aphone, il flamboie sur tous les morceaux comme le pelage des biches qui se tiennent à l'orée des forêts pour absorber la dorure bienfaisante des soleils matinaux. Sait trompéter pour sonner la cavalcade du swing, mais ce qu'il préfère ce sont les interventions obliques, ces stratégies oblongues qui vous détournent le courant principal d'un fleuve tranquille pour le jeter dans des déclinaisons torrentueuses. Possède cette douceur traître qui vous entraîne sur les mauvaises pentes. Au bas desquelles se rejoignent étrangement les marlous du jazz et les matous du rock.

    La fin du troisième set approche. Amhell qui nous a incité toute la soirée à combattre le mal viral et coronaire par des lampées de franches boissons alcoolisées nous prévient : attention David va surgir de derrière le rideau noir. Non ce n'est pas David le batteur, mais David le régisseur, qui jaillit en tenant avec une agilité diabolique un plateau et de l'autre une bouteille au contenu safrané, passe et offre – les volontaires n'ont qu'à tendre la main - un verre à goutte débordant d'une boisson magique. Du rhum ! Avec un goût prononcé de revenez-y, délectable, un moonshine strasbourgeois qui vous fait immédiatement aimer l'Alsace. L'on finit tous en chœur en chantant à l'unisson Ding Dong Daddy qui remonte à la nuit des temps. L'on s'en moque, ce soir we saw the light, elle s'appelle Amhell.

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    Sûr on a un peu honte parce qu'elle durant trois heures nous avons oublié jusqu'à l'existence du rockabilly. Mais l'on s'en fout. Tous touchés par la grâce.

    LOST PARADISE

    Ne rêvons plus. Retournons à la dure réalité. N'oubliez pas de réviser votre leçon d'anglais : je rappelle : I am hell, you 're hell, She 's hell. Inutile d'aller plus loin. Maintenant qu'elle est partie, c'est ainsi qu'est devenue votre vie !

    Damie Chad.

    ( Photos : FB : Béatrice Berlot )

     

    DARK WAS THE NIGHT

    GREGOIRE HERVIER

    ( Au Diable Vauvert / Février 2020 )

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    Au Diable Vauvert est une des maisons d'éditions les plus innovantes de l'hexagone, son catalogue vaut le détour. Nous avions chroniqué dans notre livraison 336 du 06 / 07 / 2017 un des romans de Grégoire Hervier, Vintage. La figure mythique de Robert Johnson apparaissait déjà dans ce livre, au titre un peu racoleur mais à l'intrigue mouvementée. Dark was the night repose un peu sur le même schéma. Celui de la recherche de l'arche perdue du rock'n'roll, dans Vintage c'était La Moderne, la guitare de Gibson mise au point en 1957 qui ne fut jamais commercialisée. C'est un peu comme le mystère du Graal de Montségur, vous connaissez l'emplacement, vous n'avez qu'à creuser la montagne pour le retrouver... Cette fois-ci ce n'est pas un instrument que l'on recherche, mais un enregistrement, pas du premier venu, de Robert Johnson, n'insistez pas, vous possédez le coffret intégral, mais il s'agit du trentième morceau, que vous n'avez pas... Moi je sais où il se trouve. C'est explicitement expliqué à la fin de la nouvelle. C'est bête mais à cause du confinement actuel dû au virus mortel je ne peux aller le récupérer. Si vous voulez savoir et tenter votre chance vous n'avez qu'à vous procurer le bouquin. Entre nous soit dit sans vouloir me moquer de vous, à vue d'œil, je ne vous crois pas assez débrouillards pour cette tâche. N'y a que les terrestres extra comme moi qui réussiront. Ce n'est pas de ma faute si vous n'êtes pas naturellement doués.

    Un lot de consolation vous est offert, Grégoire Hervier nous présente douze morceaux de blues selon lui indispensables. Le premier est : Dark was the night, Cold was the ground de Blind Willie Johson, le douzième : Dark is the night de Ry Cooder. Serait-ce une piste, le titre de ce bouquin n'est-il pas Dark was the night, vous brûlez, vous avez raison, vous avez trouvé ! De toutes les manières on ne prête qu'aux riches... Proverbe malheureux, ni Robert Johnson, ni Blind Willie Johnson, ni Robert Lockwood n'étaient fortunés...

    Par contre Robert Johnson a bien composé Mr Down Child. Qu'il n'a pas enregistré. Ce qu'il y a de bien avec le blues c'est que dès que vous soulevez un lièvre vous trouvez un éléphant, et c'est aussi énormément touffu que le principe d'indétermination d'Heisenberg.

    En tout cas ce mini-bouquin est une très belle introduction au blues. C'est le principal.

    Damie Chad.

    ABRACADABRA ROCK'N'ROLL

    VINCE TAYLOR

    OLIVIER LORQUIN

    ( Visible sur You Tube )

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    Un court-métrage de moins de quinze minutes réalisé en 1976 par Olivier Lorquin. Vince dix ans après la dégringolade, serait-on tenté de sous-titrer. L'occasion bien sûr de voir quelques d'images d'archives – les fameux fauteuils renversés du Palais des Sports – et d'entendre Eddie Barclay donner sa propre version, un artiste incomparable, mais un garçon peu sérieux, qui s'y croyait, rien à voir avec ce bosseur de Johnny Hallyday... Le patron n'a surtout pas envie de se remettre en cause, l'est sûr que l'on ne gère pas Vince Taylor comme les petits français issus de Belleville. Il prononce pourtant la phrase la plus significative du film '' Ce qui est intéressant c'était la façon dont on a fait la promotion de Vince, auprès des gens de la haute société. '' l'on aimerait savoir comment, mais cela a sauté au montage, et quelques secondes après lorsque l'on revient à la suite de l'interview, il est en train de parler des concerts de rock qui parfois dégénéraient en émeute... L'idée ne lui vient pas de se demander s'il n'y a pas eu maldonne dès le début dans la gestion de la carrière de Vince Taylor, si l''on n'a pas laissé à Vince le temps de se tailler un public rock à sa mesure au lieu de l'enfermer dans une cage dorée. Vince a été lancé comme un produit, un coup publicitaire qui a mal tourné. L'on a offert à l'intelligentsia artistique un phénomène de foire, venez voir le grand méchant loup du rock'n'roll, approchez, approchez, n'hésitez pas à le caresser, il n'est pas méchant, mais il peut mordre, frissonnez et rassurez-vous, nous le tenons fortement par sa chaîne. Manque de chance l'adoption de Vince par les blousons noirs a brouillé le calcul promotionnel...

    Les plus beaux moments du film sont ceux où Lorquin et Marc Zermati donnent la parole à Vince, certes Vince est un peu perdu en lui-même, enfermé dans la tour d'ivoire d'une mythologie rock, mais ses propos si l'on y prête attention sont emplis d'une cohérence logique à toute épreuve. Que l'on rapprochera des textes superficiellement les plus énigmatiques d'Alfred Jarry. Et puis quand il chante, c'est monstrueux, tout est là, sans effort, une espèce de désinvolture sérieuse, Vince donne l'impression qu'il se cite lui-même, je l'ai fait, je peux le refaire, et je le referai, n'importe où, n'importe quand, n'importe comment... En prime, une très belle prestation de Moustique.

    OLIVIER LORQUIN ET LA CONNEXION MARSEILLAISE

    Olivier Lorquin né en 1949 n'est autre que le fils de Dina Vierny qui fut la dernière modèle du sculpteur Maillol. Très logiquement il s'occupe du Musée Maillol. Mais ce n'est pas cet aspect de sa personnalité que nous tenons à couvrir. Entre 1980 et 1982 Olivier Lorquin a enregistré quatre quarante-cinq tours avec La Connexion Marseillaise. Ils valent le détour. Les collectionneurs de belles pochettes se jetteront dessus, elles sont dessinées, recto et verso par Franck Margerin. L'écoute est loin d'en être désagréable. Je ne sais pas pourquoi mais musicalement cela m'a rappelé au niveau de l'impact Larry Martin Factory – peut-être par association d'idées parce que Larry a travaillé pour Vince Taylor – mais avec un petit côté nettement plus typiquement frenchy vraisemblablement dû aux paroles qui nous plongent dans cet univers rock très symptomatique de l'imagerie nationale – filles, motos, dèche, fric et flambe - telle qu'elle fut constituée de break et de brock dans les années soixante et qui perdure encore dans l'inconscient collectif. Lorquin est au chant et se débrouille bien, réussit ce miracle de balancer sans bouffer les mots, un peu à la Lucky Blondo, mais nettement plus vigoureux et énergique.

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    Discographie : Olivier Martin et La Connexion Marseillaise : 1980 : Le rock dans l'sang / J'ai un coup de cafard. 1981 : Martine tu déconnes / Coquine. 1981 : J'aime ma grenouille / Je suis un flambeur. 1982 : Le joker / Carnet de chèques.

    Damie Chad.

     

    INTERVIEW TONY MARLOW

    sur RADIO INTEMPORELLE

    14 / 06 / 2019

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    Première fois que j'écoute Radio Intemporelle, disponible sur le net et qui revendique 300 000 auditeurs. Puisque Tony Marlow était dans nos livraisons 454 et 455, aucune raison ne s'oppose à ce qu'il soit présent dans la 456. Cette fois il n'est pas à la guitare aux côtés d'Alicia Fiorucci mais au téléphone pour une interview menée par Patrick Leveille, de près d'une heure, entrecoupée de quelques uns de ses morceaux, que ce soit avec les Rockin'Rebels ou plus tard dans sa carrière.

    Patrick Leveille se révèle vite être un nostalgique des années 80, sans doute cette dilection entraîne-telle le déséquilibre de l'émission dont la moitié est consacrée aux Rockin'Rebels. Certes ce groupe formé par Tony Marlow a beaucoup compté pour sa carrière, notamment grâce à Branche Le Poste titre qui lui a assuré l'accès aux grands médias de masse. Ce qui lui a permis de réunir un carnet d'adresses qui a facilité la suite de la carrière lorsque la formation s'est séparée. L'on aurait aimé quelques détails de plus sur ses premiers groupes au lycée, et qu'il puisse s'étendre s'étendre davantage sur ses toutes premières influences, Johnny Hallyday, Eddy Mitchell – c'est Aldo Martinez l'ancien bassiste des Chaussettes Noires qui supervisera l'enregistrement de Branche le poste – Dick Rivers, et le coup de semonce du Come Back d'Elvis en 1969.

    Nous connaissons Tony le guitariste, mais Tony aime à rappeler qu'il fut d'abord batteur et que ce fut la défection du chanteur Rémi Rice des Rockin'Rebels qui finit par le porter derrière le micro. Conséquence de la conséquence : le besoin d'un instrument pour ancrer davantage le chant dans les notes. Il se met donc à la guitare. N'emploie pas par hasard le mot travail, quand on l'entend jouer. Le Marlow il ne gratouille pas à la petite semaine, l'a bossé et étudié, il suffit de lire le Numéro Spécial de JukeBox Magazine consacré à l'analyse des grands guitaristes de la génération des pionniers ( + Brian Setzer, les Rockin' ouvrirent pour la tournée française des Stray Cats ) pour comprendre qu'il sait de quoi il parle et joue. Patrick Leveille nous fait entendre Get Crazy enregistré au Kaiser Studio avec Lucas Trouble à la console, faut écouter les deux fausses fins de ce morceau, le serpent sur lequel vous avez marché et qui vous a déjà piqué, qui se retourne encore deux fois, rien que pour vous faire comprendre qu'il n'est pas content. Un peu plus tard ce sera Hot Rod Special, Tony adore imiter les pétarades des engins à moteurs destinés aux propulsions rapides, je ne sais comment il se débrouille mais il ne se départit nullement d'un fondu mélodique qui ne fait qu'accentuer la tonytruance de sa guitare. C'est un peu pareil dans Week end in Memphis, mais là c'est la voix comme voilée d'ombre qui mélodise le rythme rock'n'roll du morceau. Faudra un jour se pencher sur la façon dont Tony construit ses titres. Vous filent entre les deux oreilles vitesse grand V, et vous adorez, mais c'est comme ces monuments qui s'imposent par leur beauté évidente. Si vous avez un architecte à côté de mieux, vous comprenez davantage 

    la démarche créatrice des concepteurs. Nous sommes en 2019 et il annonce son projet blues-rock pour 2020.

    Tony fait un rapide bilan de son existence, n'est pas mécontent de lui, il a vécu de sa passion, un privilège incomparable. Certes il regrette que les médias ne s'intéressent guère aux artistes qui émargent dans des courants qui ne sont pas mainstream. Il s'inquiète pour ces tas de musiciens ou de chanteurs doués – quel que soit leur style – qui sont dédaignés par les maisons de disques. La situation qui n'était pas non plus florissante dans les années soixante-dix et quatre-vingt s'est encore dégradée. Il a eu la chance de pouvoir enregistrer son premier quarante-cinq tours chez Skydog, le label de Marc Zermati. Comme par hasard nous épinglons le nom de Marc Zermati dans la chronique précédente Et comme le hasard fait bien les choses, Tony a aussi joué avec Vince Taylor. A croire qu'il n'y a pas de hasard dans le monde du rock'n'roll !

    L'émission se termine trop vite avec cette impression d'avoir tout juste entrouvert le coffre au trésor pour le refermer séance tenante.

    Précisions intéressante : les disques de Tony Marlow sont chez Rock Paradise de Patrick Renassia , 42 rue Duraton, 75 015, voir le FB et site de la boutique.

    Damie Chad.

     

    JUKEBOX MAGAZINE

    ( Avril 2020 / N° 400 )

    mystery lights,ron asheton,amhell & her backdoor men,robert johnson + gregoire hervieux,tony marlow,jukebox + hallyday

    J'ai triché. J'ai commencé par la fin. Par la faute d'une fille. Evidemment. Pas n'importe laquelle. Alicia Fiorucci pour la nommer. Je regarde toujours ces chroniques sur les bouquins. Commente la bio de Brigitte Fontaine, de Benoit Mouchart parue au Castor Astral. L'on voit bien ce qui peut attirer Alicia Fiorucci chez Brigitte Fontaine, toutes deux aiment n'en faire qu'à leur tête. Je bois rarement de l'eau à cette Fontaine, mais son dernier titre dédié à notre président est des plus jouissifs.

    J'avais acheté le journal pour la couve, la collection des douze albums de Johnny Hallyday, les plus terribles, d'après la votation de l'équipe du journal. Suis un peu déçu par le traitement de l'article. Je m'attendais à un minimum de deux pages sur chaque album, avec cette précision maladive de maniaque en laquelle consiste l'irrésistible attrait du magazine. 33 ou 25 centimètre n'ont droit qu'à une colonne d'un tiers de page !

    Sont douze, chacun a choisi dans les cinquante albums enregistrés par Johnny. Grand triomphateur avec plus de trente points d'avance sur le suivant : Les Rocks les plus terribles. Et comme par hasard ( voir la chronique précédente ) l'on retrouve Tony Marlow, qui présente la merveille. Profitons bien de cette chronique marlowienne, c'est en effet pratiquement la seule qui se livre à une véritable analyse musicale de son opus maximus preferitus. Perso j'aurais mis en première position le numéro 2, présenté par Jean-Yves Billet, je vous en fiche mon billet - expression favorite de Long John Silvet l'inquiétant pirate de L'île au trésor -  Rivière... ouvre ton lit me semble la pierre angulaire hallydéenne.

    Ce genre de classement est encore plus nocif que l'introduction du Corona Virus, il risque de semer le trouble et la désolation dans les familles françaises. Disputes, amitiés brisées, divorces, meurtres et assassinats menacent de conduire le pays à la guerre civile. A lire les douze contributions, l'on se dit qu'à part Tony Marlow et Jean-William Thoury qui explicitent leurs choix selon un argumentaire musical, tous les autres se laissent entraîner par une passion dévorante. Un peu pour Johnny certes, mais surtout pour eux-mêmes. Ce n'est pas qu'ils sont de purs égotistes qui n'auraient d'yeux que tournés uniquement vers leurs petites personnes, c'est que le disque de Johnny qu'ils ont choisi les ramène aux temps souverains et glorieux de leurs jeunesse, ces jours d'intransigeance passionnée que vous ne sauriez oublier sans vous renier... Johnny est parti en 2017, les douze disques commentés ont été enregistrés entre 1961 et 1975, huit sur douze dans les années soixante. Les statisticiens nomment cela des indices générationnels.

    Bien sûr, il y a un curieux Judas parmi ces douze apôtres : François Jouffa. Les rockers se souviennent avec émotion de L'âge d'or du rock'n'roll qui au tout début de la calamiteuse décennie quatre-vingt indiquait le chemin à suivre. Il passe la première moitié de sa contribution à s'horripiler de l'horribilité de la pochette de Flagrant Délit. A l'en croire, la plupart des fans esthétiquement ébranlés par la laideur de cette horreur ne parviennent pas à écouter le disque en son entier, en style hugolien, la pochette était dans la tombe et les regardait, dans le troisième quart il reconnaît que Oh ! Ma jolie Sarah est un joyau mais il glisse très vite sur un sujet adjacent : les prochains disques de Johnny pris en charge par un unique compositeur.

    L'on regrettera toutefois que Christizan Eudeline ait coupé court à son commentaire de la photo de Insolitudes, une préfiguration de la couve de So Alone de Johnny Thunders parue cinq ans après en 1978, l'était bien parti pour une méditation philosophique.

    Il reste encore beaucoup à lire. Toutefois évitez les pages cinq et six. On se croirait au Père Lachaise, un véritable cimetière, Graeme Allwright, Ralph Danns, guitariste des Gladiators, Hector qui ne réussit jamais à être le Screamin' Jay Hawkins français, et Joey Greco, le flamboyant soliste des Rocks les plus terribles de Johnny, nous ont quittés... Comme dit mon ami Vince Rogers, c'est une génération qui disparaît... et à la page 7 rebelote sur la pelote mortuaire : Crazy Cavan et Kenny Linch... Sale temps pour les rockers !

    Damie Chad.

  • CHRONIQUE DE POURPRE 455 : KR'TNT ! 455 : ROWLAND S. HOWARD + FRIENDS / GORILLAS / THE UNCLE BIKERS / THE PESTICIDES / CHRIS THEPS / GAST / ALICIA F ! / LAIBACH

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 455

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    12 / 03 / 2020

     

    ROWLAND S. HOWARD + FRIENDS / GORILLAS

    THE UNCLES BIKERS / THE PESTICIDES

    CHRIS THEPS / GAST / ALICIA F ! / LAIBACH

     

    La chanson de Rowland

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    Alors c’est à J.P. Shilo qu’échoit le job de l’ersatz. Et pas n’importe quel ersatz : celui de Rowland S. Howard, certainement l’un des guitaristes les plus originaux de son temps, comme le fut Robert Quine à New York. Pour s’en convaincre définitivement, il suffit de sortir de l’étagère n’importe quel Row disk, qu’il s’agisse de the Birthday Party, These Immortal Souls, Crime & The City Solution, ou bien des albums enregistrés en duo avec Lydia Lunch ou Nikki Sudden, ou encore ses deux albums solo : il s’y passe chaque fois des événements soniques assez uniques dans l’histoire de l’événementiel incriminé. Row fut un sculpteur de son exceptionnel, un authentique tisseur de soies, un Jaguar-man féérique, une espèce de force motrice qui sut, comme le fit Robert Quine avec Richard Hell, porter aux nues un rock ambitieux qui rompait les amarres avec le commun des mortels. Oh bien sûr, on ira pas jusqu’à dire que ce rock est à la portée de tous, mais il comblera d’aise les esprits curieux et enchantera les âmes aventureuses. Car c’est bien de cela dont il s’agit, d’une aventure sonique sans concession. Il ne s’agit plus de pop, ni de rock, il s’agit d’une course folle vers le néant, d’une soif d’inconnu, d’un aller simple pour les limbes. Cette musique sent parfois la mort, mais paradoxalement, son énergie la rend terriblement vivante. Les vampires incarnent eux aussi ce merveilleux paradoxe. Et Row l’incarnait mieux que personne : physiquement, artistiquement. Et J.P. Shilo ? Il fait de son mieux. On sent qu’il est fan, il était déjà là au temps de Pop Crimes, mais sa condition ne lui permet pas d’accéder à l’aristocratie.

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    C’est plus facile pour des invités comme Lydia Lunch ou Bobby Gillespie. Ils sont devenus légendaires et ils entrent dans le show comme s’ils étaient chez eux. Pas de problème, ça marche à tous les coups. Lydia Lunch est certainement la plus attendue. C’est aujourd’hui une vieille dame mais elle a suffisamment de métier pour ramener le focus sur les chansons. Elle sait encore shaker son shit, on l’a vue l’été dernier rendre un hommage spectaculaire à Alan Vega.

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    Cette fois, elle salue la mémoire de Row dont elle fut la compagne avec un «Endless Fall» rocké jusqu’à l’os de l’ass, accompagnée par Mick Harvey à la guitare acide et Harry Howard au chant. Rien de tel qu’une New-yorkaise issue du sérail de la no-wave pour rocker Paname.

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    Elle fait ensuite entrer Bobby Gillespie pour une somptueuse reprise du «Some Velvet Morning» de Lee Hazlewood. On ne sautait espérer meilleur cocktail de légendarité. C’est aussi un hit que Gillespie reprit en duo avec Kate Moss et dont on recommande l’écoute, chaque fois que l’occasion se présente. Lydia Lunch va ensuite reprendre «Still Burning», l’un de ses all times faves, dit-elle.

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    Mais c’est Bobby Gillespie qui va exploser le set un peu plus tard, avec une version demented de «Sleep Alone». Il fait son Jagger, danse le rock comme un dieu, le coule dans le groove infectueux que triture Shilo dans son coin. On croirait entendre Primal Scream, Gillespie shake le set en vieux pro du rock anglais, il ramène tout le saint-frusquin auquel on s’attache depuis cinquante ans. Gillespie fait son asperge, il en a les moyens physiques et spirituels. Encore un beautiful freak. Le tribute tourne à la féerie. C’est un peu comme si tous ces gens-là nous conviaient à un festin de mets délicieusement avariés.

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    L’autre totem de la soirée, c’est bien sûr Harry Howard, le frère de Row, le même genre de beautiful freak, même classe, même présence. Au début su set, il dédie «Marry Me (Lie Lie)» à Epic Soundtracks et le joue sur une basse Ricken rouge. Ce rock extrêmement désespéré ouvre le bal du premier album de These Immortal Souls, dont justement Epic était le batteur. Vers la fin du set, Harry Howard reviendra chanter «The Golden Age Of Bloodshed», l’une de ces chansons désespérantes qui finissent par donner le mal de mer. C’est un son dont il ne faut tout de même pas trop abuser. Ce tribute interminable va quand même durer plus de deux heures. On est content quand ça s’arrête.

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    L’instigateur de cet événement n’est autre que Mick Harvey qu’on voit jouer de tous les instrument, principalement de la batterie. Le voilà devenu entrepreneur conceptuel. C’est aussi lui qui drive le tribute à Gainsbourg et qui s’entoure pour ce faire d’un aréopage de chanteuses nubiles, perpétuant ainsi la légende d’un Gainsbarre qui avait le bec fin en matière de chair fraîche. Mick Harvey gère le tribute à Row de la même manière, en invitant sur scène des petites gonzesses toutes plus roses les unes que les autres, notamment l’excellente Jonnine Standish qui chantait déjà en duo avec Row sur Pop Crimes, en 2009.

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    The Birthday Party ? Si on y revient, c’est à cause de Row. Un album comme Prayers On Fire ne s’écoute pas de la même façon si on l’écoute pour Row. Cave met le paquet mais Row veille au grain de l’ivresse. Il sort un son très particulier, comme s’il imaginait la grande finesse d’un chaos barbare. Il semble se faufiler dans les couches en jouant un funk androïde rusé comme un renard du désert. C’est en tous les cas l’impression que donne «Zoo Music Girl». On le voit ensuite jouer de la scie sur sa gratte pour créer le climax de «Cry», un cut tapé à l’excédée tétanique. Ces mecs n’en finissent plus d’allumer autour du feu et Cave fait le fou. Mais pour une raison qui nous échappe, aucune parenté ne s’établit avec les rois du scuzz-fuzz, les Chrome Cranks. Et pourtant, le Birthday Party vise le même genre de chaos sonique. On tombe plus loin sur un «Nick The Stripper» assez rampant. Ils créent une espèce de mousse de déstructuration. Seul le drive de basse ressemble à quelque chose. Row se promène dans la pampa. Il faut l’entendre gratter à l’intentionnelle ses tiguilis de gratté de poux. C’est un son gorgé de nuances d’inceste, plein d’horribles sous-entendus, un son qui se pervertit en permanence. Row joue en parallèle une suite de chorus des catacombes. Il a comme on dit le physique de l’emploi. On les voit tourner autour du pot avec «Figure Of Fun» et derrière, Row abat un travail considérable, comme s’il décorait la voûte d’une cathédrale. Ils passent à la heavyness avec «King Ink». Heavyness, chez eux, ça veut dire Max la Menace avec un Row en strapontin de résonance. Il ne joue qu’une matière de son et quand Cave arrête de déconner, Row est là. Ils tapent «A Dead Song» en mode rockab de catacombes. Au fond du boyau, fidèle au poste, Row sonne comme un écho moisi. Well this is the end, chaos supérieur stoppé net. Cave en fait trop dans «Yard». Ils reviennent à la grosse matière avec «Dull». C’est un album dont on ne sort pas indemne. Il faut le dire aux autres. Faites gaffe les gars, n’approchez pas trop près de ce truc. Il a peut être des maladies. Bon, Row fait son travail d’habillage habituel et quand ça s’emballe, alors attention aux yeux. En rééditant l’album, 4AD a rajouté deux cuts, «Blundertown» et «Kathy’s Kisses». Row fait des miracles dans «Blundertown». Il s’installe au fond du son et gratte comme un misérable à deux niveaux. Ses petits accords inoffensifs sonnent comme de la paille, et il double avec du ciselé florentin de bloblotte. Il tisse ses trames maladives dans l’air putride d’un mauvais squat. Terminus ! Tout le monde descend avec «Kathy’s Kisses». Il faut voir ce taré de Cave rentrer dans le lard de ce mauvais funk indus. Il fait le show avec une belle hargne. On comprend qu’il ait survécu à toutes ces horreurs.

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    Leur deuxième album s’appelle Junkyard. La pochette illustrée renvoie au garage des années de braise. Ce qui frappe le plus dans le bordel de «Blast Off», ce n’est pas la voix de Cave, mais le son de Row. Il est aussi nécessaire au son qu’un squelette l’est à une tombe. Il shake it hard. Il invente un genre nouveau, le catabeat des catacombes. C’est encore Row qui ramène de la crème dans la culotte de «She’s Hit». Il travaille aussi «Dead Joe» au corps de la matière. Pas vraiment de vision, Row semble lancer des attaques. Il sait qu’il faut surprendre l’ennemi, alors il en rajoute. Il amène des choses terribles. Dans «Hamlet», Cave pousse les cris du diable confronté à un bréviaire, mais «Big Jesus Trash Can» est trop exacerbé pour être honnête. Ils se lancent dans une extraordinaire aventure d’anti-rock. À l’époque, il fallait oser. De cut en cut, Cave continue de faire pas mal de ravages et Row reste derrière, toujours en embuscade. Il fait un excellent travail de couverture. «Kewpie Doll» sonne comme une entreprise de démolition, ils sont beaucoup plus secs et austères que les Chrome Cranks. Ils vont sur quelque chose de plus funéraire.

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    Quand le Birthday Party implose en 1983, Cave et Mick Harvey montent les Bad Seeds, mais sans Row. Probablement à cause de l’hérow. Alors en 1987, Row monte These Immortal Souls avec son frère Harry, Genevieve McGuckin et Epic Soundtracks. Leur premier album s’appelle Get Lost (Don’t Lie). Ils restent dans les big atmospherix avec des cuts comme «Hey Little Child» et «Once In Shadow Once In Sun». Row y va même de bon cœur, il monte vite son swagger de heavy hey en mayo howardienne, avec le festin de notes lunatiques habituelles. L’Once in shadow est même plutôt heavy, tapé dans l’excès, c’est rampé dans un absolu de gutter groove que Row chante à l’écœurette insensible maximaliste. C’est assez puissant. On se repaît de son Once. Ce mec sait de quoi il parle. C’est tentaculaire et impitoyablement drivé dans la tourmente. Quant au reste, ça demeure assez obscur. Si t’es paumé, tu te débrouilles. Tu as voulu faire le con avec ton trip d’acide, alors ne viens pas pleurer si tu n’as plus de repères. Avec Row, telle est la règle. Il envoie ses gerbes de beautiful dégueulis éclabousser le cul du culte. Il a raison de vouloir sanctifier la glorification de l’externalisation. Il sait roamer comme un vieux crocodile épuisé dans la vase, à bout de coke et de daze, ahhh, c’mon. Ce mec te plombe la soirée facilement. Extraordinaire. Disons qu’il poursuit la mission divine de Birthday Party. Il perpétue l’ornière du mec qui ne va pas bien. Il traîne son son comme une serpillière glacée et se prend pour un languide, c’est-à-dire une grosse langue de bœuf à deux pattes.

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    Le deuxième album de These Immortal Souls s’appelle I’m Never Gonna Die Again, et c’est là dessus qu’on trouve l’un des hauts lieux de Row, «The King Of Kalifornia». Tu as tout de suite le son du mec qui ne va pas bien. Ce génie ravagé de Row ravale la façade de son heavy rock déstructuré. On peut même dire qu’il joue à la folie. C’est jeté dans le mur. Ce dégueulis sonique ressemble à s’y méprendre à une œuvre d’art. The space guitar de Row hante ce cauchemar. Mais tout cela n’est rien en comparaison d’«Insomnicide». Row y sonne la charge des éléphants de Salâmbo Bovary, c’est monstrueux, aussi monstrueux qu’un shoot de Weird Omen. Il joue à l’embolie de dégoulinure fatale. On suivrait Row jusqu’en enfer. Il est capable d’exactions extraordinaires, il gonfle ses notes comme des crapauds. Il n’existe rien de comparable sur cette terre, non, rien de comparable à cette pulsion des mille et une nuits. C’est même monté sur un riff des Stooges. Row repeint le génie, avec ce côté anglican qui lui va si bien. C’est un cut fait pour être visité. Il tartine sa pop qui va mal à longueur d’album. En fait Row est influencé par un Cave qui va mal et qui ne veut pas aller bien. Row triture son son à n’en plus finir, il triture comme un maître tourmenteur de l’Inquisition, il pousse le rock dans ses retranchements, pour le forcer à avouer des péchés qu’il n’a pas commis. «Black Milk» ? Impossible ! Le lait ne peut être noir. Mais Row en décide autrement. Il t’empale et te prévient qu’il va t’empaler le crâne si tu le fais chier, alors fais-le pas chier. Ce monde ne nous correspond plus, c’est un monde biaisé. Laisse tomber, tu ne comprendras rien. Avec «Hyperspace», Row navigue à vue. Il laboure aussi à vue. C’est un laboureur suprême, digne des grands laboureurs du Soviet Suprême. Il peut exploser n’importe quel concept quand il veut. C’est titubé et bardé d’accords malencontreux. Tu as peu de cuts qui sonnent ainsi. Row ne s’intéresse qu’au nowhere land. Row claque son cut jusqu’au bout de l’Hyperspace. Quand il chante «All The Money’s Gone», tout s’assombrit. Pas facile d’être le pape de la Tombe Issoire. Et puis voilà, il termine avec «Crowned». Merci Row pour cette partie de plaisir coupable, thank you wonderful freak. Derrière, l’Epic bat ça sec.

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    Row participe aussi à l’aventure de Crime & The City Solution, avec son frère Harry, Epic Soundtracks, Mick Harvey et Simon Bonney. Un premier mini-album, Just South Of Heaven, parait en 1985. On les voit tous les cinq au dos de la pochette, frais émoulus du moulin à café. C’est Browyn Adams qui peint le ciel tourmenté de la pochette, une sorte de Boudin qui ne va pas bien. Boudin ? Eugène, bien sûr, l’empereur des ciels. Alors dès «Rose Blue», on voit que ça ne va pas. Ils sortent un son très caviste, extrêmement pesant. Ça va mal, oh la la. Voilà un disque dont on ne fera pas ses choux gras. Rien n’est au format chanson, Row et ses amis se complaisent dans le dark atmospherix, un monde opaque, sans port d’attache. En B, c’est Harry Rowland qui mène le bal avec son stomp de basse dans «Five Stone Walls» - Going to hate those walls/ Till the day I die - Puis Row fait la pluie et le beau temps dans «Trouble Come This Morning» avec un thème spatio-temporel assez admirable.

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    On retrouve Row sur le deuxième album de Crime & The City Solution, Room Of Lights, paru l’année suivante. On peut parler ici d’un album assez dense. Simon Bonney chante à la vraie voix et «No Money No Honey» renoue avec l’esprit howardien des cauchemars gériatriques. Soudain, Row fout le souk dans la médina avec «Hey Sinkiller». Epic bat le beurre. On retrouve chez Crime la passion du big atmopsherix, et quand Row mène le bal, ça tourne au puissant délire comateux. Simon Bonney ultra-chante son «Six Bells Chime». Ce mec est une force de la nature et les arpèges surnaturels de Row l’excitent au plus haut point. Row sculpte l’espace sonore en permanence et joue des arpèges qui ressemblent à des spectres. Chez eux, tout est chargé de nuages noirs. Simon Bonney plombe d’entrée de jeu «Untouchable» et Row décore le cut de notes rondes comme des boules de sapin de Noël. Il joue ses trucs avec un sens aigu de l’apesanteur et vise de toute évidence l’apocalypse. C’est un spécialiste de la descente aux enfers, ses notes stridentes sentent bon la folie douce. On le voit aussi allumer «Her Room Of Lights», hey hey, il gratte la java des catacombes, avec un son unique au monde, si dense et si proche du rrrrring d’une roulette de dentiste, ce mec rayonne comme un soleil noir, c’est battu à la Bo Diddley et d’une rare densité maladive. Sur la version CD, on trouve des bonus dont l’excellent «Five Stone Walls» monté sur un big bassmatic impérieux. Row revient teinter le clair de la lune dans «The Wailing Wall», il gratte dans l’espace temps, il navigue au niveau qui l’intéresse et ce n’est pas forcément le tien, d’où l’intérêt de la démarche. C’est Row qui décide, comme dans «Trouble Come This Morning». Il peut jouer dans sa résonance et trouver le moyen de sortir un son terrible. Il est partout dans le son, c’est un voyageur, il rôde en permanence, il joue tout ce qu’il peut jouer avec la parcimonie d’un vampire récalcitrant.

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    Nikki Suden et Rowland S. Howard ont enregistré pas mal de choses ensemble, notamment Kiss You Kidnapped Charabanc. C’est un album assez sombre que hante le fantôme Row. Il ne faut rien attendre de ces deux là, ils ne feront aucun effort pour se rendre aimables. Leur «Don’t Explain» est assez désespérant. Ils ne sortent pas de leur routine de coups d’acou. Tout est très plombé, comme privé d’avenir. «Better Blood» est presque une chanson de vampire. Nikki Sudden ne peut pas s’empêcher de faire du Sudden avec son «Debutante Blues». Il semble toujours gratter la même rengaine, avec des faux semblants de Stonesy. Par sa finesse, la partie de slide de Row rappelle celles de Brian Jones. D’ailleurs, Row tâte de tous les instruments, sur cet album, dulcimer, bouzouki, comme le fit jadis Brian Jones. Le cut captivant de l’album s’appelle «Sob Story», du pur jus de Row joué au sonic groove des catacombes.

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    I Knew Buffalo Bill fut longtemps considéré comme un album culte, car on y retrouve un sacré conglomérat : Jeremy Gluck, Nikki Sudden, Rowland S. Howard, Epic Soundtracks et Jeffey Lee Pierce. C’est le weird sound qui domine sur les quatre faces. «Looking For A Place To Fall» file sur un big easy drive de workout Rowlandish. On le sent rôder dans le son, il le gorge de stridences. Avec «Too Long», ils quittent le chemin de Damas et vont plus sur la pop. Tout au long de l’album, Row joue son petit rôle d’efflanqué du son dans les ténèbres, là-bas au fond du studio. Nikki Sudden domine largement l’ensemble avec ces délicatesses d’acou auxquelles il nous a tellement habitués. «Four Seasons Of Trouble» sonne comme du Sudden d’essor mesuré et prend enfin tournure dans un torrent de relentless. Nikki Sudden reste bel et bien le roi des mélancoliques, il n’en finit plus de tartiner sa plainte à la surface du rock anglais, c’est bardé d’ambiances superbes, de basses, de drums et de chœurs fêlés. Puis on voit Row venir hanter «All My Secrets» à la slide du cheval mort. Il est spectral, et certains relents de son renvoient aux Stones de «You Got The Silver». Row hante les corridors du son, il se passe des choses extraordinaires dans les couches du cut, il gratte à double dose. Le thème remonte à la surface après un blanc en forme de suspense. En rééditant l’album, Munster a rajouté un disque entier de démos et d’outtakes. Le «Burning Skulls Rise» rappelle le Brian Jonestown Massacre. Row et Lydia Lunch le reprendront ensuite sur scène. «The Proving Trail» est certainement le hit de l’album. On trouve aussi un «Threw This Away» monté sur la progression d’accords de «Like A Rolling Stone». Il se pourrait que Jeffrey Lee Pierce chante «Prayer Of A Gunman», tellement c’est désespéré. Tout cet album est bardé de son et d’allant.

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    Lydia Lunch & Rowland S. Howard enregistrent Honeymoon In Red en 1987. On y trouve une excellente version de «Some Velvet Morning». Elle duette avec un Row qui chante à la petite dégueulée. Aw my God, il se prend pour un Lee Hazlewood en difficulté et Lydia fait sa Nancy avec un ton atrocement faux de lullabye bye. Ils sont immondes. Ils enterrent vivant l’un des plus baux classiques de la pop américaine. Il ne faut pas s’aventurer trop loin dans les parages de cette femme. Elle cultive une sorte de goût pour la dérive mal intentionnée et l’ancolie sadiste. Avec «Three Kings», elle vient se couler dans un dirty groove de funk punkoïde orchestré par son ami Row. Ah comme ce mec est vénéneux ! Il fait aboyer sa guitare dans la nuit. Il joue le groove des squelettes dans une scène de George A. Romero, il vise le dénaturé implacable, il distille le malencontreux jerk des catacombes. On a encore du Row pur et dur avec «Still Burning». Il chante encore plus mal qu’elle. C’est à la fois mauvais et comique. Quasi-caricatural. Aussi inutile qu’une brebis périmée. Lydia Lunch fait encore des siennes sur «Fields Of Fire». Diable, comme elle chante mal, parfois. Elle tartine plus qu’elle ne chante. On serait presque tenté de plaindre cette pauvre fille. Mais on se régale de «Dead In The Head», balayé par les infernales pluies acides du grand Rowland S. Howard. Il chante derrière elle et gratte sa gratte avec une singulière appétence. C’est mortifère en diable. Il ne vit que pour la ferraille de son. Il frise régulièrement le génie.

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    Paru en 1991, Shotgun Wedding est le grand album classique de Lydia Lunch & Rowland S. Howard. C’est du Kill Bill avant la lettre. Quel album ! «Burning Skulls» fait partie des cuts qui ne devraient jamais s’arrêter. Sur un tempo bien heavy, Lydia écrase ses syllabes comme des mégots, avec l’insistance d’une prédatrice. Et ce diable de Row joue à la clameur délétère. C’est à la fois superbe, gothique et plombé, embrasé aux alentours et monté sur un beat qu’il faut bien qualifier de royal. Row vole le show. Il lancine atrocement et arrose le cut du meilleur jus d’acide disponible sur le marché. Ils font un duo historique avec «Endless Fall». C’est vrai, ils sonnent comme une bénédiction, Row crée des dynamiques à coups de renvois, people die, et ils relancent à deux. L’autre énormité de l’album s’appelle «Pigeon Town», riffé d’entrée de jeu. Row ne rigole pas avec la marchandise et cette garce de Lydia Lunch chante comme la plus vulgaire des putes. Ah ils sont jolis ! Row n’en finit plus de jouer à l’alerte rouge et se montre d’une incroyable théâtralité. Le son fait foi. Row joue ça jusqu’au trognon. Des mecs comme lui ne courent pas les rues. Tiens, voilà «Cisco Sunset», monté sur un heavy groove de basse. Lydia Lunch s’y glisse humidement. C’est du grand Lunch. Elle chante à la racine du beat, Row concasse ses septièmes d’accords de jazz pendant qu’elle part à la dérive dans le moonshine. Elle chante avec toute la maturité de chipie mal dégrossie dont elle est capable. En guise de clin d’œil à Alice Cooper, Row joue «Black Juju» à la pire clameur de l’univers connu. Cette diablesse de Lydia Lunch tente de calmer le jeu, mais à quoi bon ? Les bites lui échappent des mains, c’est foutu d’avance. Elle profite d’«In My Time Of Dying» pour rivaliser de nullité avec la Wendy O Williams des Plasmatics. Elle n’a aucune présence vocale. Elle bâtit sa réputation sur autre chose. Ils chauffent «Solar Hex» à blanc et tapent «What Is Money» au mood berlinois, avec tout l’undergut d’une femme qui a du vécu à revendre. Row gratte ses puces, il joue au circus géométrique de l’after-punk et Lydia Lunch se vautre dans la mélasse avec sa voix aigre et grasse d’une vétérante de la campagne de Russie. C’est encore du big heavy sound. On peut faire confiance à Row pour ça.

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    On retrouve la plupart de toutes ces merveilles sur un live paru chez Bang et intitulé Siberia. Row et Lydia Lunch jouaient au Paradiso en 1993 et foutaient le souk dans la médina avec «Pigeon Town». Row y multiplie les coups fourrés. Cette femme et cette guitare constituent sans doute l’une des meilleures associations de l’époque : junk new-yorkais + gothique howardien. On y entend un Row jouer dans les dernières convulsions du spasme ultime. Il ne fait que passer des tourmentes solotiques exceptionnelles. Ce mec sort du son à n’en plus finir. Il le monte en chantilly gothique. Encore des fantastiques climats soniques dans «What Is Memory». Lydia Lunch vient touiller ce brasier impérieux, en bonne touilleuse de braise qui se respecte. Elle élève le niveau de l’Atmopsherix à n’en plus finir. On voit bien que Row est lui aussi au sommet de son art tempestueux. Il joue des rafales extraordinaires. Ils bouclent leur bal d’A avec «Still Burning» qu’ils chantent à deux. Row hante le son, et plus la bassline est grasse, plus il est virulent. La B vaut elle aussi le détour, avec cet «Incubator» emmené à la grosse lancinance. Le gang de Row avance à pas d’éléphants et il tisse dans ce bordel d’infernales toiles de venin sonique. Tiens, voilà «Burning Skulls» et son riff de cathédrale. Plombé et magnifique à la fois. C’est leur hit le plus convaincu, il semble luire dans la nuit. Row tisse sa dentelle flamboyante dans le background du cut. Il est étincelant de présence, il irradie son son comme le ferait le soleil noir des légendes barbituriques. Ils terminent avec l’excellent «Black Juju» d’Alice Cooper. C’est visité par des vents terribles. Row est le prince du vent mauvais. Avec sa tête de piaf, il foutrait presque la trouille aux épouvantails. Beau final apocalyptique gratté à l’essaim bourdonnant par un Row en pleine crise mystique. Ah comme c’est puissant !

    Dans Mojo, Andrew Perry décrit bien le style de Row : «He chanelled rock’n’roll through a cyclone of avant-noise.» Oui, c’est exactement ça, un cyclone d’avant-noise, un son unique. Mick Harvey raconte que Row l’appela en 1999 pour lui demander de venir en Australie l’aider à enregistrer son premier album solo. Row suivait un ‘weird’ traitement de détox et pendant deux semaines, dit Harvey, ils enregistrèrent intensively - It was like all the stars were aligned and he made his best record - Brian Hooper des Beasts Of Bourbon vint faire des overdubs de basse sur l’album, mais après. Harvey et Row enregistrèrent donc tous les deux, playing wild and free. Harvey ajoute que Row n’était pas un prolific guy. Il ne composait qu’une ou deux chansons dans l’année. Il soignait particulièrement ses textes et chaque vers tapait en plein dans le mille. Sur son premier album solo, les chansons représentent six ans de travail.

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    Ce premier album solo s’appelle Teenage Stuff Film. Il démarre sur un «Dead Radio» violonné à la grinçante malencontreuse - You’re there for me like cigarettes/ But I havn’t sucked enough on you yet - Voilà, le ton est donné. Il vise comme d’habitude le climatique tourmenté. Il chante son «Breakdown» d’une voix pâteuse très peu zélée - Sweet Jesus/ Ask for Christ - Joli breakdown, en vérité. En fait, Row tartine son miel. Il ne cherche pas à plaire. On est pas chez Stong. Il fait son job de loser patenté, avec des guitares latentes qui renvoient bien sûr au Velvet. On sent qu’«I Burnt Your Clothes» est déterminé à ne pas s’en sortir. C’est monté sur un bassmatic infâme. Row fait du pur Row, il erre comme un Fantôme du Bengale perdu dans la Nuit des Longs Couteaux, sur fond d’heartbeat orloffien. S’ensuit un «Exit Everything» arpenté au kilomètre et peu suivi d’effets. On trouve deux reprises sur l’album, «She Cried» de Jay & The Americans et «White Wedding» de Billy Idol, que Row admirait pour son funny side of rock-star posturing nonsense. Le groove de «Silver Chain» refuse lui aussi d’aller bien, porté par un orgue en point d’orgue. Parfois on écoute Row errer, parfois on passe au cut suivant. Le génie lugubre de Row peut fatiguer l’ouvrier, surtout au soir d’une rude journée de labeur. Il faut imaginer le pauvre ouvrier qui rame pour se payer un disk comme celui-là et qui dégueule de fatigue en écoutant son achat. Row ne se préoccupe pas du confort de la classe ouvrière, mais il n’est pas le seul. On sait que les intellos de gauche ne s’en préoccupent pas non plus. Ils pensent surtout à savonner leur savonnette. Alors que Row, c’est un peu moins pire, il ne songe qu’à rower dans les brancards. Il sort parfois des accords effervescents. «Undone» vaut pour un tour de Row long de 7 minutes. Big Row on the run. Mick Harvey : «Rowland was one of those rare guitar players with a completely distinctive sound and style, and he really cultivated that.» (Row était l’un de ces guitaristes capables de sortir un son très distinctif et il cultivait cette singularité). Et il ajoute : «Mostly he was working inside the song on what his guitar was adding to the atmosphere and how it was playing around the vocals.» (Row travaillait essentiellement à l’intérieur de la chanson, il enrichissait l’atmosphère et rôdait autour du chant).

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    En fait, le tribute à Rowland S. Howard programmé à la Maroquiqui porte le nom de son deuxième et dernier album solo, Pop Crimes, paru en 2009, l’année de sa disparition. Non seulement on y retrouve la plupart des cuts joués sur scène, mais aussi trois des principaux acteurs de la soirée : Mick Harvey, J.P. Shilo et Jonnine Standish qui, justement, se tape la part du lion dans l’album en duettant avec Row sur l’excellent «(I Know) A Girl Called Jonny». Elle chante à la langueur monotone, d’un ton qui colle au palais comme le bonbon colle au papier - I’m a Joan of Arc/ Of teenage lust - C’est excellent. La configuration du tribute est celle de l’album, puisque Mick Harvey bat le beurre et Shilo joue de la basse (et de la strangeness - sic). Row chante son «Shut Me Down» d’une voix incroyablement tentaculaire. Il va chercher les meilleurs effets dévastatoires. Il paraît jouer un son en constant glissement, c’est en tous les cas l’impression que donne «Life’s What You Make It», ces glissements de matières glacées qu’on filme dans les zones du globe inhabitables. Ça va même encore plus loin, puisque le son paraît enveloppé de son. Row ne cherche pas midi à quatorze heures, la clé des Pop Crimes, c’est l’absolu du son, c’est-à-dire le son pour le son. Autrement dit, une ambiance à l’arrêt, mais un arrêt un peu spécial, l’arrêt de mort, avec ses stridences de terminalité afférentes. Ça ne va pas au-delà. Row se montre pourtant assez héroïque. Il tente des virées spectaculaires, mais il faut que le groove s’installe pour qu’il puisse virer. Il y a du Artaud en Row, de toute évidence. Au bassmatic, Shilo fait bien son job de maître groover, il charge même ses lignes d’arrière-pensées, alors Row peut piquer sa crise. Il entre dans le morceau titre avec une étrange ferveur. Ce démon de Row arrose son groove des fièvres habituelles - Nothing good can comme out of this/ But the open hole of the zero/ And the open heart surgery kiss - Tout est moufté dans le son de Row et personne ne moufte. Il faudrait presque être initié pour écouter «Wayward Man» - And when I kiss you darling/ Does it stick in your craw ? - Fantastique shake de gutter shit - Was there a poverty of care/ When I cared for you - C’est explosif. Il faut en profiter tant qu’il est encore temps, car après ça, Row c’est fini. Comme le fit son frère Harry l’autre soir, Row boucle le set avec le lugubre «The Golden Age Of Bloodshed». Big heavy Row de fin de non-recevoir.

    C’est à Mick Harvey que revient le mot de la fin : «Rowland was a very gentle person, and a gentleman, but he was carrying some things with him which were pretty negative as well.» (Row était un homme charmant et même un gentleman, mais il avait aussi des côtés extrêmement négatifs). Harvey rappelle que Row était furieux de voir Harvey et Cave continuer sans lui après Birthday Party, mais comme le précise perfidement Harvey, il n’a jamais compris pourquoi c’était nécessaire.

    Signé : Cazengler, Roland Coward

    Tribute to Rowland S. Howard. La Maroquinerie. Paris XXe. 8 février 2020

    The Birthday Party. Prayers On Fire. Missing Link 1981

    The Birthday Party. Junkyard. Missing Link 1982

    These Immortal Souls. Get Lost (Don’t Lie). Mute 1987

    These Immortal Souls. I’m Never Gonna Die Again. Mute 1992

    Crime & The City Solution. Just South Of Heaven. Mute 1985

    Crime & The City Solution. Room Of Lights. Mute 1986

    Nikki Suden & Rowland S. Howard. Kiss You Kidnapped Charabanc. Creation Records 1987

    Jeremy Gluck, Nikki Sudden & Rowland S. Howard. I Knew Buffalo Bill. Flicknife Records 1987

    Lydia Lunch & Rowland S. Howard. Honeymoon In Red. Widowspeak 1987

    Lydia Lunch & Rowland S. Howard. Shotgun Wedding. Triple X Records 1991

    Rowland S. Howard. Teenage Stuff Film. Relient Records 1999

    Rowland S. Howard. Pop Crimes. Liberation Music 2009

    Lydia Lunch & Rowland S. Howard. Siberia. Bang Records 2017

     

    Gare aux Gorilles - Part Two

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    En 1977, Giovani Damono déclarait dans Sounds : «The Gorillas are unashamesly out to make good-time rock’n’roll pure and simple. They’re the nearest in spirit to early Small Faces, Slade and The Who.» (Les Gorillas ne sont là que pour jouer du rock pur et dur, dans l’esprit des Small Faces, de Slade et des Who). Phillip King ressort cette coupure de presse pour célébrer la parution de Why Wait ‘Till Tomorrow 1974-1981, un double album compilatoire des Hammersmith Gorillas paru sur Just Add Water, ce petit label de San Francisco spécialisé dans la réédition de glam des seventies. Ils rééditent aussi Terry Stamp, Trevor White et les Coloured Balls. Go see their site.

    En 1976, les Hammersmith Gorillas étaient en route pour la gloire. Rien ne pouvait les freiner. Ceux qui les connaissaient n’avaient aucun doute là-dessus. Le plus convaincu était bien sûr Jesse Hector qui décida un jour de se réinventer : «Un jour je me suis mis devant le miroir et j’ai coupé mes cheveux. Je voulais trouver un look that would kill. J’ai coupé court sur le sommet et gardé mes rouflaquettes. J’avais une coupe de skinhead par derrière, mod sur le sommet du crâne, avec des rouflaquettes de rockab et une raie au milieu. J’étais le seul à être coiffé comme ça. J’avais le plus beau look du monde. Mais je ne pouvais pas sortir. Dans la rue, les gens devenaient dingues en me voyant, les bagnoles se rentraient dedans, les chauffeurs livreurs me lorgnaient d’un sale œil. C’était génial. Ça marchait. C’était le commencement du mouvement punk.» Tout le monde trouve les Gorillas superbes, sauf Mickie Most : Jesse Hector et ses deux amis viennent le trouver chez lui à Maida Vale et Most les envoie sur les roses. En bande son de cet épisode tragi-comique, on entend ce fantastique hit mod digne des Small Faces, «I Live In Style In Maida Vale», terrific de délicatesse arty (qui figure d’ailleurs sur le double album compilatoire). Tout ce qui touche à Jesse Hector est d’une classe absolue, le moindre détail, la moindre anecdote tape en plein dans ce mille qu’on adore, qui fut aussi le mille des New York Dolls, des early Stones et tous les groupes qui y croyaient dur comme fer et qui savaient s’en donner les moyens. Dans ces cas qu’on peut qualifier d’extrêmes, il faut comprendre que le rock est une religion. Où comme le dirait Diderot, une vocation religieuse. C’est ça ou rien. Le rien n’est pas possible et dans le ça, tout est possible.

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    Sur scène, Jesse Hector en donne aux gens pour leur argent. Il leur fait du concentré de windmill, une sorte de résumé de Keith Richards et de Pete Townshend, il dynamite les dynamiteurs, c’est-à-dire les Kinks de Really Got Me, heavy bash in the face, dégelée d’Excalibur de barroom de bonne bourre, avec son look-out, son k-k-k-killer solo flash et son plombé de référence. Il redonne aussi au stomp ses lettres de noblesse avec «She’s My Gal». Jesse Hector annonce à Chris Welsh qu’il vont ravager l’Angleterre - We’re going to take the country by storm - et annonce fièrement qu’après l’Angleterre, ce sera le tour de l’Amérique. Et pouf, il préfigure les terribles provocations des frères Reid et des frères Gallagher dans la presse anglaise : «C’est simple. Je suis un mec très spécial. Bientôt les kids m’admireront autant qu’ils ont admiré Jagger, Townshend et Hendrix. Chacun son tour. C’est maintenant le mien !»

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    Dans ses liners d’une extraordinaire densité, Phillip King évoque la filiation Gorillas/Third World War («Hammersmith Guerilla») et les étapes qui ont précédé l’avènement des Gorillas : Crushed Butler (avec Darryl Read et Alan Butler) puis Helter Skelter dont le mini-album est régulièrement réédité. Comme Mickie Most a jeté les Gorillas, Jesse Hector se tourne alors vers Larry Page qui lui conseille de reprendre «You Really Got Me», le mesmerizer définitif qu’on trouve aussi sur le double album compilatoire. Lors de cette session historique avec Larry Page, les Gorillas enregistrèrent en plus «I Live In Style In Maida Vale» et une cover du «Luxury» des Stones - Working so hard/ I’m working for the company/Working so hard/ To keep you in the luxury - et le plus choquant de cette histoire, c’est que ces merveilles vont rester inédites jusqu’en 1999, quand paraît Gorilla Got Me sur Big beat. Histoire incompréhensible !

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    Pour vivre, les Gorillas doivent abandonner leurs rêves de gloire et bosser comme tout le monde. La batteur Gary Anderson travaille chez un imprimeur, alors que Jesse Hector et Alan Butler bossent early in the morning pour des boîtes qui font le ménage dans les bureaux. Jesse prend les choses du bon côté et dit que ça laisse du temps pour répéter dans la journée. Ils tentent plusieurs fois de redémarrer et enregistrent de nouvelles merveilles épouvantables, «Moonshine» et «Shame Shame Shame» qui, une fois de plus, restent inexplicablement lettres mortes. On entend pourtant de vieux relents de cocotage glam dans Shame. Pareil, ces trucs n’apparaîtront que beaucoup plus tard, sur Gorilla Got Me et bien sûr, Just Add Water n’oublie pas de les caser dans son trip compilatoire. C’est drôle, car on connaît tous ces cuts par cœur, mais chaque fois qu’on les recroise, ils produisent un effet particulier, un sorte d’émotion non feinte, comme si ces cuts d’apparence ordinaire frétillaient d’excitation. On retrouve aussi l’excellent «Miss Dynamite» en B, heavy boogie hectorien hanté par des chœurs dignes de ceux des Stones dans «Sympathy For The Devil». C’est un son très anglais, très pur, très proche de celui des Stones de l’âge d’or. Rien qu’avec sa «Miss Dynamite», Jesse Hector avait largement de quoi foutre le souk dans la médina.

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    Foutre le souk ? Nous y voilà. Le souvenir le plus spectaculaire des Gorillas est sans doute celui que Phillip King pointe dans Ugly Things. Comme vous le savez, Cyril Jordan publie dans chaque numéro d’Ugly Things un feuilleton de ses souvenirs intitulé The San Francisco Beat. Dans le numéro de l’été 2016, Cyril Jordan évoque une tournée des Groovies en France avec les Gorillas en première partie. Miam miam. Les voilà au Mans et à 9 h les Gorillas démarrent en trombe de blitz avec «Purple Haze». Cyril Jordan dit qu’ils jouent fort, encore plus fort que the Frost from Ann Arbor Michigan. Et pouf, le courant saute. Plus rien. Plus de lumières dans la salle. Panique générale. Plus de lumières non plus dans la rue, ni dans la ville, ni dans le département. Alerte rouge ! Holy shit ! fait Cyril ! Havoc ! Les gens fuient dans les ténèbres en poussant des hurlements, on entend des sirènes de police comme à Detroit en 1967. Les chars arrivent. Les Gorillas entrent dans la légende : kings of blackout !

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    Pour les ceusses qui ne disposent ni du Gorilla Got Me ni des singles, le double compilatoire que vient de pondre Just Add Water est une véritable aubaine, car tout y est, à commencer par le heavy glam de «Leavin’ ‘Ome» bien cocoté à l’undergut d’Hammersmith, mais aussi ces merveilles héroïques que sont «Gatecrasher», «Gorilla Got Me» et sa belle frenzy, avec un Alan Butler qui mène le bal du bassmatic, et puis cette incroyable dégelée tirée de l’album Message To The World (paru en 1978), «Outta My Brain». C’est joué dans l’urgence des Small Faces, hanté par le bas de manche d’Alan Butler et embarqué dans une sorte de spectaculaire précipitation. Power & style. On trouve aussi ces puissants coups d’épée dans l’eau que sont «I’m Seventeen», modèle absolu de claquemure hectorienne, comme si Jesse Hector donnait rendez-vous à tout ce qui fait la grandeur du rock anglais, et «Move It», dernier single des Gorillas, modèle de stomping ground véracitaire. La seule nouveauté se trouve sur la D : six cuts enregistrés live au Nashville Room en janvier 1997. Bon, le son n’est pas fameux et les Gorillas jouent extrêmement heavy, comme si les piles du magnétophone étaient usées. On sent qu’ils ont du mal à casser la baraque. Ils taillent la route à coupes de «Leavin’ ‘Ome» et de «Gatecrasher». Le «Come On Over» vaut pour une belle incitation à l’émeute des sens.

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    Apparemment, Jesse a plus de chance aujourd’hui qu’avant, car les canards anglais lui déroulent le tapis rouge. Le dernier en date, c’est Vive Le Rock, avec trois pages bien remplies, illustrées par la photo de pochette de l’album Message To The World. En guise de hors-d’œuvre, Jesse réaffirme sa foi inextinguible - I’m gonna die that way - Soixante-douze balais et toujours aussi incapable de se calmer - Rock’n’roll will always be there - Ça fait du bien de lire de telles déclarations. Le bon rock n’a-t-il pas toujours été l’affaire des esprits éclairés ? C’est un point sur lequel on vous laisse méditer. Mais l’embellie ne dure pas longtemps, car Hugh Gulland pose des questions à la con, du genre : «N’êtes-vous pas un pub rock band ?». Jesse est obligé de tout reprendre à zéro. Il rappelle qu’on les a considérés tour à tour comme un pub-rock band, un punk band, un glam band, un mod band ou un heavy metal band. Il est bien obligé de se marrer avec toutes ces conneries. Il se débarrasse du problème en disant que les Gorillas étaient un punk rock’n’roll Soul mod heavy band. What more do you want ? À ce moment là, Guilland comprend qu’il a raté belle une occasion de fermer sa gueule. Jesse affirme que les Gorillas étaient surtout un sixties band féru de Beatles, de Small Faces, de Who et de Jimi Hendrix, git it ? Il ajoute qu’il leur doit tout. Absolument tout. Il a observé leur façon de bouger sur scène, their unique way of moving, il s’en est inspiré en poussant le bouchon un tout petit peu plus loin. Du coup, Guilland s’étonne :

    — Alors ça aurait dû marcher ?

    — Non !

    — Pourquoi ?

    — Parce qu’on a fait les cons en quittant Chiswick et Ted Carroll pour aller chez Raw. Fatale erreur.

    — Pourquoi ?

    — Parce que c’est Ted Carroll qui organisait les tournées en Angleterre.

    Jesse rappelle aussi qu’il a adoré les punks, car il revivait avec eux l’explosion du British Beat et de tous ces groupes ultra-énervés comme les Small Faces et les Who. Jesse n’en finit plus de dire que les punks méritent le respect, rien que pour ça et pour les accents politiques. En 1977, les Gorillas étaient ancrés dans les sixties et jouaient avec les punks, ce qui était assez inconfortable. On appelle ça le cul entre deux chaises.

    — Les Dolls chez Biba ? Oui je les ai vus, mais je ne les ai pas approchés de trop près.

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    Il dit adorer leurs deux albums comme il adore le premier album des Stooges - It was fucking crazy wasn’t it ! Yeah we were with that, all the way through ! - Puis le voilà parti dans les hommages à ses pairs, Third World War et Jook - Look at Jook, their singles are all hits ! They should have gone to number one, all bloody five of them ! (Regarde Jook, tous leurs singles étaient des hits, ils auraient dû être des number one, tous les cinq).

    — Alors pourquoi ça n’a pas marché ?

    — La BBC voit des photos et dit : «Oh they’re hard, we don’t want ‘em». Et pouf terminé, à dégager.

    On en vient enfin au point le plus important : la bonne santé de Jesse et son allure de rock star incroyablement bien préservée. Son secret ? Pas l’alcool ni de clopes ni de dope. Il fait un boulot très physique qui lui permet de s’entretenir et, pour finir, il fait gaffe à ce qu’il avale. Pas de junk food. Que de la bonne came : des crevettes et des coques. Coques en stock, as would say Captain Ad Hoc.

    Signé : Cazengler, Vessie Hectare

    Hammersmith Gorillas. Why Wait ‘Till Tomorrow 1974-1981. Just Add Water 2019

    Hugh Gullang : Gorillas and the myth. Vive Le Rock # 69

     

    BAGNOLET / 06 – 03 – 2020

    ESPACE DENNIS HOPPER

    UNCLES BIKERS / THE PESTICIDES

    CHRIS THEPS / GAST / ALICIA. F !

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    Question épineuse. Rue de L'épine Prolongée. Ma vaste mémoire flanche, moi qui ai durant plusieurs années travaillé à Montreuil, où est-ce au juste ? Mais la Teuf-Teuf rigole et me console, ne fais pas la moue Damie c'est à la Noue, un jeu pour nous, t'inquiète, toutes les bagnoles connaissent Bagnolet, un coup de guignolet dans le réservoir, et hop mon fidèle destrier à quatre roues me dépose sans coup férir et sans GPS devant l'Espace Dennis Hopper. Lieu dédié à toutes les contre-cultures assure son FB. Toutes je ne sais pas, mais ce soir, indéniablement c'est bikers et rock'n'roll. Accueil sympathique et vaste local. Food-truck garé dans un hall immense rempli de véhicules, paddock à motos au fond de la salle à concert, sol cimenté, murs revêtus d'un noir fuligineux, endroit parfait pour des concerts de rock garage !

    Entrée en haut d'un escalier extérieur, sur votre gauche le bar dans une pièce dans laquelle une cinquantaine de personnes tiendraient à l'aise, pour les amateurs de vieux films américains un billard trône dans une espèce d'antichambre, immédiatement suivie d'un incongru salon de vieux fauteuils rococo dépenaillés, décor idéal pour une de ces glauques nouvelles de fantômes dont Jean Lorrain possédait le génie angoissant. En tout cas le lieu oscille entre loft délabré d'artiste new-yorkais et local de MJC des années 70.

    UNCLES BIKERS

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    Rien à dire une galure, ça file de l'allure, ça vous pose un homme. Demandez à Sonny Boy Williamson, le deuxième, pas le premier qui fut assassiné dans une rue de Chicago, mais celui qui venu à l'American Folk Blues Festival refusait de se départir de son chapeau melon. Est-ce pour cela pour que sur la balance le chanteur chapeauté des Uncles Bikers sortit son harmonica pour illustrer de longues trilles le Suzie Q de Dale Hawkins. En tout cas les Uncles Bikers sont plutôt sixties-seventies-road que Delta. Pas de surprise, groupe à reprises. Sixties-seventies. Z'aiment les Stones, cela tombe bien, nous aussi. Nous font un appel du pied avec ce vieux morceau ultra-macho, Under my thumb maintes fois cité dès sa sortie pour mettre en évidence l'irrespectueuse et cynique attitude des Rolling envers la gent féminine. Se débrouillent bien, même si Pascal à la batterie, nous semble marquer les temps forts avec trop de netteté. C'est que la frappe de Charlie Watts est des plus difficiles à imiter, à première oreille rien de plus carré, hélas avec des angles pas très droits, elle est marquée par un déséquilibre perpétuel, une instabilité chronique qui infuse à chaque morceau ce roulement d'avalanche qui reste la marque la plus prononcée du style stonien. Mais le Pascal va vite nous en mettre plein la vue pour quelques ronds de zinc. Au début l'on n'y croit, non ce n'est pas possible, ils n'oseraient jamais, comment peuvent-ils se permettre cette hérésie, certes ce tremblement de guitare, et ces avancées à pas de loups de la basse, indiscutable, c'est Riders on the storm, et l'orgue, ils ont oublié qu'il se taille la part du lion et la peau de la panthère sur ce titre culte des Doors, et c'est là que Pascal, nous azimute, pas besoin d'orgue puisqu'il a des cymbales et il vous trousse la mayonnaise au manganèse, vous installe l'ambiance, un incoercible bruissement de pluie sur la chaussée mouillée, qui aurait pu imaginer que l'on puisse rendre l'ambiance ouatée si particulière de ce chef-d'oeuvre sur une simple batterie. L'est sûr que sur sa basse Hervé ne chôme pas, vous dépose la noirceur du monde sur le bitume de l'âme. Rebel Rebel, ne dites pas bof oui, mais Bowie, un riff un tantinet bébête quand on y pense, un véritable casse-gueule, paraît facile, deux funambules, guitare et vocal, obligés de se croiser sur un fil unique, ne s'agit pas de s'emmêler les pinceaux, chacun à sa place, et que personne ne fasse un pas de trop sur les plates-bandes de l'autre. N'ont pas sorti toute la marchandise en une seule fois. Notamment Jean-Michel qui au début est resté discret, on le prenait presque pour un accompagnateur, et puis il faut réviser son jugement, ne s'est guère étendu dans les premières interventions de pyromane patenté, bien fait, toutefois le minimum syndical, mais à chaque fois il la ramène un peu plus, et bientôt vous vous espérez l'instant où il plante sa guitare dans un rayon de projecteur, et qu'il vous égrène ses soli solides à la lead, oui qu'il prenne son temps, qu'il vous envoûte, que vous puissiez vous délecter, et lui crier chapeau ! On l'avait oublié celui-là, il y a longtemps que maître corbeau s'en est débarrassé, nous apprend que c'est la deuxième fois qu'il joue en public avec le groupe, l'est à l'aise, le gaillard prend du plaisir à se pavaner sur le devant de la scène.

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    L'est comme le Monsieur Loyal du cirque qui annonce le numéro du trapèze de la mort, ou du tigre mangeur d'hommes, mais c'est lui qui s'y colle sans souci, et il chante avec cette certitude courageuse du dompteur qui plonge sa tête entre les crocs sanguinolents du sauvage félin rayé, et c'est parti pour un Brown Sugar tumultueux qui ravit son monde. De temps en temps il sort son harmo pour glisser deux ou trois maux de plus au malheur bleu -ombre du monde, mais ce qu'il préfère c'est jouer avec la hampe du micro qu'il manipule avec l'adresse diabolique d'un spadassin arrêtant de son hallebarde une charge de cavalerie. Sont vivement applaudis. Pour deux raisons. D'abord ils ont mis le feu, ensuite avec avec leur interprétation, beaucoup plus incisive qu'au sound-check, de Suzie Q ils nous ont convaincu que la donzelle devait avoir un joli petit cul.

    THE PESTICIDES

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    L'est seul. A la guitare. Vissé dans sa vareuse blanche, un look entre Brian Jones et Cyril Jordan. Mais un visage plus ravagé. En lame de couteau, sous des épanchements de cheveux blonds. Les affres de l'artiste maudit. Le génie incompris. Toute la légende dispersée du romantisme rameutée dans cette position de corps cassé en deux, comme penché au-dessus de l'abîme d'un naufrage. A ses pieds, delays et boîte à rythmes. Pas une accumulation. Le strict minimum. La beauté et la pose de l'ange déchu solitaire. Byronien.

    Sont là toutes les deux. Trois pas en arrière. Sur sa gauche. Vous ne voyez qu'elles. Depuis un moment elles attirent tous les regards. Leurs pantalons rouges à carreaux écossais dardent toutes les brûlures. Talons-boots boostent leur silhouette. Le bas est d'amarante, le haut est de sable. Vous aimeriez monter plus haut, mais la blancheur pallide de la coupole de leurs seins qui dépassent un peu de l'échancrure de leur justaucorps noirs vous retient malgré vous. Blancs aussi les bras sous les rémiges alanguies de leur tunique noire, leur lèvres saignent telles les entailles d'une plaie mortelle, les ailes noires de leur longue chevelure encadrent leur visage. Noir, blanc, rouge. Couleurs du grand-œuvre alchimique. Filles charnelles, oui. Âme sœurs, oui. Mais l'une est l'autre. Et l'autre est l'une. Pour le moment immobiles. Sont-elles la vie qui s'offre ou la mort qui se refuse, toute deux en chacune indiciblement mêlées, cygnes blancs qui font signe et cormorans noirs de leurs corps mourant d'opalescence.

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    Le maître de cérémonie allume sur son cordier les zébrures électriques. Alors derrière les ballerines s'animent. Doucement. Elles chantent aussi. Mais pour l'instant vous ne voyez que leurs mouvements à l'unisson, presque saccadés, une pantomime qui se peu à peu se complexifie. Elles sont face à vous mais l'effet de miroir se déroule entre elles côte à côte. Si au début elles ont fait les mêmes gestes ensemble, bientôt ce haussement de la main gauche jusqu'au visage, l'autre l'exécute de la main droite et tout un enchaînement gesticulatif de jeux de psychés dissociés se suivent comme si le geste de l'une était le négatif photographique de l'autre. Vous êtes perdu dans un labyrinthe infini. Est-ce un hasard si ce premier morceau s'intitule Death Circle.

    Mais le jeu se dédouble. Le même principe sera appliqué au chant. Elles alternent, chacune étant tour à tour l'écho de l'autre. Et puis elles se dissocient, chacune dans sa partie. Au début, les voix sont comme étouffées, mais elles prennent force et intensité. Une fission s'opère. Elles se séparent, chacune jouant sa partie, bizarre comme si elles chantaient a capella sur les stridences de la guitare. le sang afflue et gonfle les veines du désir. Elles étaient vestales et les voici lubriques vénustés. Sex Share.

    Elles ont allumé le feu. Et lui qui ne les regarde pas subit cette pression dévorante du désir. Se munit d'un archet pour infliger une fessée à ses cordes, et le doigt ganté d'un bottleneck, pointé droit debout, symbole phallique prêt à appuyer sur le bouton atomique, elles viennent à lui, se collent à lui, l'une l'excite, l'autre l'incite, la guitare mugit comme le taureau de Pasiphaé, Take Me.

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    Il s'éloigne du devant de la scène, la musique hurle toute seule, elles chantent et lui revient, ouvre un cahier et nous restitue la signification des paroles anglaises. Prends moi, Attache-moi, Sois brutal, vous leur auriez donné le bon dieu sans confession et maintenant ce sont elles qui vous offrent leurs confessions de jeunes femelles désirantes, et si vous restez, le bon dieu lui s'est enfui pour ne pas entendre.

    Le musicien de ces damoiselles appariée est revenu, il était vêtu de blanc candide mais il jouait la musique du diable, la musique vrombit, la guitare vous cisaille les oreilles, toutes deux sont déchaînées. Trashy twin girls. Elles engoulent l'appel des goules affamées le soir dans les cimetières, elles vous hélent pour que vous veniez vous joindre à cette nuit walpurgienne, le public s'est dangereusement rapproché, sex and rock'n'roll. Elles quittent la scène sur une dernière sarabande infernale C'mon let's go !

    C'était leur première apparition publique. Un grand pas écologique vient d'être franchi dans votre vie. Vous n'avez plus peur des pesticides.

    CHRIS THEPS

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    L'a une dégaine incroyable Chris Theps, vous donne l'impression que le grand Keith est un de vos potes. Mais ce soir il a encore mieux, un orchestre. Pas symphonique avec violons pleurnichards et harpe doucereuse. Un rock band. Un vrai. Avec des zicos qui savent jouer. Et qui ne s'en privent pas. Si par hasard vous n'aimez pas le rock, décampez avant qu'ils commencent, car sinon le piège se referme sur vous. Imaginez que vous êtes entré par hasard sans le faire exprès dans le Colisée juste à l'heure où l'Empereur Néron avait décidé d'octroyer leur nourriture à cinq ou six fauves affamés, je ne donne pas cher de votre peau. C'est exactement ce qui s'est passé lorsqu'ils ont lancé les hostilités. A la différence près que nous on adore les grandes tourmentes qui fondent sur vous et vous ratiboisent le cerveau en moins de deux.

    Faut répartir les dommages. Au fond vous avez le batteur. Un fou furieux. Doivent le sortir de sa cellule capitonnée de Charenton juste pour les concerts. Un gars qui manque cruellement de vocabulaire, ne sait pas ce que veut dire des verbes tout simples comme s'arrêter ou respirer. N'est pas comme le Vésuve endormi depuis deux mille ans. Lui il vous détruit une Pompéi et un Herculanum systématiquement à chaque morceau. Attention pas une brute, un artiste. L'on se demande pourquoi il a deux mains, tape avec l'une et avec la seconde il s'amuse à imiter les majorettes avec sa baguette. Une frappe infernale, vous passe les breaks à une cadence folle, avec lui les peaux tendues de ses tambours ne chôment pas, ça résonne de partout, vous donne l'impression qu'ils les frappent toutes en même temps, c'est un peu comme les coups de fusil, l'est si rapide que le son claque après que la balle vous a déjà traversé le corps.

    Le guitariste est peut-être encore pire. N'a pas joué un seul solo de toute l'heure. Non il n'était pas en grève. Chris Theps a dû lui dire tu pourrais me faire un petit solo, et le guy il est entré en solo perpétuel. L'a la guitare qui agonise sans arrêt. Nous fait le coup du chant du cygne immortel qui ne parvient pas à mourir. Vous déverse des ribambelles de notes à n'en plus finir. Des traînées de poudre infinies. Guitar super-héros. Un maniaque de la six cordes, avec lui, ce n'est jamais trop. De temps en temps lorsque Chris l'appelle il s'avance et vous vous apercevez qu'il peut jouer encore plus vite, qu'il vous torpille les oreilles avec de notes encore plus aigües et vous avez l'impression que votre tête explose, touchée-coulée.

    Les ennuis volent en escadrille. Vous pensiez que le pire était dans les deux paragraphes précédents. Erreur sur toute la ligne de basse. Il reste encore un criminel. L'a dû lire Il ne fait pas assez noir de Joë Bousquet, si vous comparez les deux artistes à un feu d'artifice, celui-ci est un générateur de nuit. A hautes fréquences. Des ondes scorbutiques qui vous déchaussent les dents. Un pervers. Apparemment il ne fait rien. Mais c'est un exponanteur. La tonitruance fracassante et le flamboiement de ses deux camarades, il a décidé de les rendre encore plus percutantes, plus perçantes. L'a compris que ce sont les obscurités indélébiles de la voûte céleste qui rendent les étoiles filantes encore plus visibles, alors il bouche tous les blancs sonores, vous noircit tout l'espace auditif, ce qui était avalanches d'éboulements il vous le compactise, vous le transforme en aérolithe monstrueux d'une extraordinaire densité qui fonce sur votre planète. Vous comprenez enfin ce qu'ont dû ressentir les dinosaures dans les instants qui ont précédé leur extinction.

    Chris devrait être en crise. Comment voudriez-vous qu'il place un seul mot dans ce magma. Comme si de rien n'était. En plus il se met à votre portée, chante en français, pourquoi choisir la facilité du volapük d'outre-manche quand on sait faire plus compliqué en le vieil idiome des terres françoises. Ce qui est inquiétant avec Chris c'est son aisance. L'est aussi à l'aise parmi cet équipage de pirates que s'il faisait des entrechats pour présenter le gala de charité des petits rats de l'Opéra. L'a une grâce féline instinctive. Le rugissement du tigre aussi. Dès qu'il ouvre la bouche il couvre le vacarme de ses camarades. Attention l'a une science consommée du chant, sait quand il faut porter la voix, en ces moments de kérosène kairosique où il faut glisser la coque de son bateau entre les redoutables masses des icebergs qui s'entrechoquent.

    Une loi innée du rock'n'roll. Si vous avez de bons musiciens c'est bien. Si vous y adjoignez un bon vocaliste c'est mieux. C'est-là que se fait la différence. Les deux parties se transcendent. Avec Chris c'est un régal. Vous invective de toute sa raucité. Vous prend à partie, vous menace. Elle n'est pas Belle la vie ? Commente comment il a écrit Paris en réaction à Charlie ( l'hebdo qui rencontra plus bête et plus méchant que lui ). Des paroles violentes Flinguez mais teintées d'optimisme. Le jour se lève.

    Non je n'ai pas oublié. Sur certains morceaux, il y avait un sax et en plus sur la fin du concert Pascal à l'harmonica. Pas facile pour eux d'intervenir sur cette boule noire de forte compacticité, surtout avec un seul micro pour deux, mais ils ont réussi à dégoupiller quelques grenades dans les tranchées.

    Un set uppercut, un grand moment de rock'n'roll, la force des Faces pour ceux qui connaissent.

    GAST

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    Il aurait mieux valu suivre la programmation prévue. Mais Gast s'est précipité pour squatter la scène et passer avant Alicia F ! Un manque évident de courtoisie, une attitude pas vraiment rock'n'roll d'autant plus que les enjeux étaient minimes... En furent mal récompensés, le public qui déserta et des ennuis systématiques pour lancer les morceaux. Se définissent comme un groupe de Love Rock Metal. Une formule un peu curieuse. D'autant plus qu'ils n'ont guère manifesté d'amour...

    Mi-figue, mi raisin. Pas résolument rock, pas résolument metal. Il semblerait que Gast mise avant tout sur les lyrics. Les titres ne sont pas sans une certaine grandiloquence : Le calme m'emporte, Odyssée, Le sacre de l'homme, d'où cette impression qu'ils veulent installer un certain climat poétique pour les accompagner. Une musique comme immobile, un océan au repos, mais qui couvre les paroles ce qui contrevient quelque peu au projet initial. D'autant plus dommage que les voix trafiquées doivent participer d'un projet dont on a du mal à envisager l'ampleur. Un parti-pris difficile par nature. Soit vous privilégiez le sens des vocables et toute la partie musicale se réduit en musique d'accompagnement – cela est patent sur leur soundcloud – soit vous favorisez l'aspect musical ce qu'ils ont fait sur scène mais alors il faut y aller franco de port. On a envie de leur dire d'écouter comment des groupes comme Yes ( celui des débuts ) ont agi pour réaliser l'équilibre voix /musique.

    Gast possède les ingrédients, notamment Julio un batteur à la frappe très personnelle, un bon guitariste Jeco, mais ils n'ont pas encore la recette. Et puis, bien se rappeler une chose élémentaire : aucun groupe de rock n'est parvenu à sauver le monde.

    ALICIA F !

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    Chez Kr'tnt ! on ne vous fait pas le coup des Vingt ans après à la Alexandre Dumas chez nous c'est carrément la semaine suivante. Vous avez aimé Alicia F ! dans la livraison 454, ce sera bis repetita, Farenheit 455 ! Mais attention ce n'est pas le retour à l'identique. Les circonstances ne sont pas les mêmes, comparée au timbre-poste de l'Holy Holster, la scène de L'Espace Denis Hopper c'est un terrain de foot. Vous savez les garnements plus on leur en donne, plus ils en prennent. Et puis quand ils montent sur scène sont encore un peu remontés, un reste de zeste de mauvaise humeur, personne n'aime qu'on lui subtilise sa place dans la file d'attente du cinéma, sont comme le boa constrictor contrarié.

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    Sont à leur poste en trente secondes. N'y a qu'à regarder Fred Kolinski, d'habitude il ne départit jamais d'une certaine attitude Olympienne au-dessus de la mêlée bassement humaine, mais ce coup-ci il a le visage marqué de la même expression déterminée que Ramsès II, quand lors de la bataille de Qadesh, il s'est saisi des rênes de son char de guerre pour mener la charge sur la cavalerie Hittite, et un et deux, l'a adopté la frappe cataphractaire, celle par laquelle il vous rapproche de votre catafalque mortuaire. Tony Marlow lui a emboîté le pas séance tenante. Pour les fioritures psychédéliques l'on verra la prochaine fois, cette fois il plonge direct dans l'ergonomie rock'n'roll, au plus près du riff, vous plante directement le harpon de la guitare dans le ventre de la baleine blanche, elle se démène comme une tornade, mais Tony la tient ferme, et l'on sait d'avance qui va gagner la partie. Même Fred Lherm en a oublié de sourire, l'en a la basse qui grimace de rage, d'habitude elle est plus coulante, plus détendue, cette fois-ci elle a les sourcils froncés et sur ses lèvres se dessine l'ombre d'un rictus vindicatif... Ce soir le plat de la vengeance sera servie brûlant. Comme par hasard l'assistance qui s'était éclipsée au set précédent rapplique en nombre.

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    Tout ça pour une fille ! C'est que vous n'avez jamais croisé ses yeux verts. Quand elle les pose sur vous vous ressentez les vipères de Cléopâtre qui rampent sur votre torse. Se tient sagement devant vous, une collégienne qui attend le feu vert du professeur pour réciter la leçon d'histoire. Toutefois une tenue un peu provocante d'élève rock'n'roll, sa mini-jupe, sa manière de la porter telle une corolle vénéneuse de pétales noirs, ses bras de nacre nue, ses jambes résillées, ses cheveux de flamme, ses tatous de ceux que l'on retrouve dessinés dans les marges des cahiers j'écris-ton-nom : désir ! Celui fiévreux des drames de Tennessee Williams.

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    Alicia chante rock'n'roll, c'est-à-dire qu'elle utilise aussi bien sa voix que son corps. Sa chair autant que son cœur. En un seul mot, cette quadrature se nomme l'esprit. Elle a une manière d'entrer dans un morceau, que ce soit un vieux classique mille fois repris ou ses propres compositions ( musique : Tony Marlow ), et de s'y impliquer avec une telle force que son interprétation vaut certificat d'authenticité. Elle restitue un héritage, d'instinct elle s'inscrit dans une lignée qui vient de loin, elle projette les mots comme des crachats de cobra du Mozambique, atteignent tous leurs cibles, à l'intérieur de vous, transpercent les nodosités de vos rêves, et pour qu'ils fassent encore plus mal, pour que la plaie purule davantage, elle pousse de temps en temps des cris qui s'enfoncent en vous comme des doigts de chirurgien dans une fracture ouverte.

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    Mais peut-être que ses prestations s'apparentent davantage à de la danse qu'à un tour de chant. Une espèce de ballet solitaire, tel que Mallarmé en a rêvé pour le finale des Noces d'Hérodiade. Juste le corps et le désir. Une espèce d'abstraction mise en scène aux yeux de tous pour exprimer, par les ulcérations du mime, les pulsions animales qui nous construisent et nous détruisent. Juste quelques pas sur Speedrock, l'hymne à son chat, mais cette manière de miauler et de déplacer que vous ne savez plus si c'est la peluche d'une petite fille qui s'anime à la manière d'un dessin animé ou le Seigneur Immémorial des Toits qui rôde à la recherche d'une proie pour sa cruauté de félin en chasse.

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    Vous avez eu le chat. Vous aurez l'autre face. La chienne vicieuse de I wanna be your dog, la voici à terre, sur le ventre, jambes écartées, elle lèche le micro-pénis qu'elle se tend à elle-même, et puis elle s'expose, s'assoit, ramène ses jambes devant vous, les écarte afin de vous montrer les rousseurs de ses dessous, elle vous aveugle de sa féminité, de sa liberté à vous lancer des miettes d'envie comme l'on nourrit les pigeons dans les squares municipaux. Et tout cela dans une vertigineuse retenue, elle ouvre l'abîme pour mieux le refermer. Elle a tout donné en vous empêchant de rien prendre. Alicia ou l'ambiguïté du rock'n'roll.

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    Un set torride. De bout en bout. A bout portant. Ils ont aussi joué I fought the law, et ils ont gagné.

    Damie Chad.

    ( Photos : FB : Armando Carvalho )

    P. S. : il restait encore deux groupes à passer, mais très tôt, le matin même, j'avais à faire. Sorry.

     

    LAIBACH

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    Le livre n'arbore aucun titre. Il n'est pas facile à lire. Ce n'est pas que le texte soit d'une complexité inouïe, mais quand vous le tenez il vous brûle les mains. Pas du tout au sens métaphorique. C'est que sa couverture vous ébrèche les doigts, elle est réalisée en papier de verre. Particulièrement épais. D'un noir peu engageant. Celui que vous utilisez lorsque vous grattez la grille de votre portail que vous désirez ( est-ce vraiment un désir ? ) repeindre. En plus elle est agrémentée d'une croix en acier, pas un dessin, un objet, qui évoque quelque peu la croix nazie. Son titre relégué en bas de page de garde – teinte gris souris - intérieure risque de vous sembler énigmatique.

    NSK

    Neue Slowenishe Kunst

    RENDEZ-VOUS GRENOBLE

    ( Editions Kasemate )

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    Les Editions Kasemate n'existent plus depuis décembre 2019. Elles ont été sabordées par leur éditeur-animateur Alexandre Thévenot. Dégoûté du milieu littéraire. Nous ne pouvons que le comprendre. Ce qui nous empêche pas de le regretter. Deux années d'existence auront suffi à faire d'elle un objet littéraire non identifié. Ses tirages minuscules, confectionnés à la main, encres, papiers, matières, formats, finement appariés sont appelés à devenir des objets de collection. Ce qui leur permettra de ne pas se perdre dans la mémoire humaines mais les inscrit d'office dans ces convulsions accapareuses qui motivent trop souvent les adeptes de la bibliophilie davantage intéressés par la valeur marchande d'un produit que par le contenu des idées manifestées dans ces brûlots idéens... Nous avions particulièrement apprécié ces plaquettes dédiées à la littérature symboliste et fin de siècle, par exemple cette réédition de poésies de Georges Rodenbach.

    Ce NSK Rendez-vous Grenoble avait été préparé pour accompagner la semaine du 11 au 14 octobre 2018 consacrée en la cité grenobloise aux activités ( conférences, expositions, films, éditions ), de la NSK.

    IL ETAIT UNE FOIS EN YOUGOSLAVIE

    AURELIE DOS SANTOS

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    Qui se cache derrière les initiales NSK ? Un regroupement d'artistes slovènes. Notamment à partir du groupe Irwin ( voir plus loin ). Les membres du NSK, dont Laibach est un organe des plus importants, entendent promouvoir un art total. Cette volonté fait sans doute référence à l'idée d'art total initiée par Wagner qui entendait allier musique, chant, théâtre, danse, poésie, peinture, sculpture – pensez aux décors pour ces deux derniers ingrédients - dans ses opéras. L'idée de collectif artistique réside en le principe participatif que chacun des membres apporte selon ses moyens d'expression ses créations à l'émergence d'une vision commune. Mais il vaudrait mieux envisager cette notion d'art total en art totalitaire et même en art de dénonciation du totalitarisme politique. L'on aborde vite des terrains mouvants. Il ne s'agit en rien de dénoncer les totalitarismes en opposition aux vertus démocratiques. Ce genre de discours très en vogue de par chez nous sur les médias de masse n'était pas de mise dans la pratique du NSK, né en Tchécoslovaquie au début des années 80, sous le communisme.

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    Cet Art Total joue sur les symboles, ceux des iconographies communistes et fascistes, le but est de montrer que des régimes politiques qui se sont en leurs temps farouchement opposés et qui se sont livrés une guerre sans merci, relèvent d'une même pratique totalitaire. L'idée n'est pas neuve. A tel point que va naître le concept d'art-rétro-futuriste. Le NSK joue avec les représentations graphiques des régimes communistes et fascistes pour en dénoncer l'inanité pornographique représentative. Lorsque la Tchécoslovaquie sera démembrée et que ses différentes parties pourront goûter aux délices du capitalisme démocratique financier, celui-ci sera aussi considéré sous ses aspects totalitaires et aura droit aux mêmes dénonciations.

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    Le NSK se revendique autant du suprématisme que du constructivisme russe, autant de Dada que de l'Internationale Situationniste, autant de Marcel Duchamp que de Guy Débord, le tout en une espèce de dé-constructionisme déleuzienne... qui politiquement se manifestera dans les faits par l'éclatement de la Tchécoslovaquie en plusieurs états nations. L'on touche ici à une certaine contradiction, la dénonciation initiale de l'existence d'un état totalitaire qui se traduit par la création de plusieurs mini-états tout aussi totalitaires. L'on peut ainsi se dire que la partition de la Tchécoslovaquie n'a guère engendré sur le plan politique quelque chose de bien nouveau, et peut-être même en déduire que si la NSK a emprunté les vieilles formes des avant-gardes du début du vingtième siècle c'est qu'elle a été autant incapable de créer de nouvelles formes artistiques que la société tchécoslovaque - dont elle n'était qu'un surgeon et qu'elle voulait transformer - n'a réussi à fomenter de nouvelles esquisses associatives politiques. A tel point que la NSK en est venue à créer un Etat trans-national virtuel, une espèce d'utopie fantôme – si vous voulez rester optimiste vous le qualifierez d'organisme non gouvernemental - qui pour ma part évoque quelque peu la démarche de Robert Musil qui dans son roman L'Homme sans qualité transforme l'Autriche-Hongrie en Cacanie afin de dénoncer d'autant plus librement et vivement la folie des nations européennes en train de se précipiter tête baissée dans la guerre de 14-18, conflit dont l'inanité aura, entre autres, pour conséquences la germination des avant-gardes politiques du vingtième siècle et la naissance des totalitarismes fasciste et communiste... Le serpent se mord la queue mais a du mal à n'en faire qu'une bouchée...

    '' WE COME IN PEACE '' : LAIBACH

    OU L'ART DE LA FUGUE

    FREDERIC CLAISSE

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    La NSK n'est pas sans rappeler l'éclosion du mouvement futuriste en Italie et en URSS. Deux pays comme par hasard dévorés par le fascisme et le communisme. Le futurisme fut un mouvement artistique multiforme dont les tentatives les plus significatives s'exercèrent en peinture et en musique. Question peinture nous renvoyons le lecteur à la troisième partie de cet ouvrage. S'il est une figure oubliée du futurisme, c'est celle du compositeur Luigi Russolo, il est l'auteur d'un manifeste intitulé L'Art des Bruits qui est au fondement de la musique bruitiste, électro-acoustique et industrielle. Il construisit ses propres instruments qu'il cacha dans un grenier parisien – il était réfugié anti-fasciste – mais qu'il ne retrouva pas après la guerre... Les esprits curieux peuvent aller sur You Tube écouter les rares documents sonores ( Serenata per intonarumori e strumenti, par exemple ) qui nous restent.

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    Laibach – ce nom n'a rien à voir avec l'expression américaine laid-back qui désigne une musique facile à écouter, il est le nom de la ville slovène Trbovlje lors de la présence allemande dans la région, ce qui équivalait à une provocation pour le régime communiste de Tchécoslovaque - est vraisemblablement le groupe constitutif du NSK le plus célèbre, il est même une des premières formations industrielles européennes à obtenir une aura internationale.

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    Musicalement Laibach ne me semble pas une réussite. Je ne veux pas dire qu'il joue de la mauvaise musique mais que celle-ci est tellement fidèle à l'idéologie du NSK qu'elle tourne à la parodie. Laibach s'en défend en affirmant que cet aspect est à entrevoir comme une ironie critique au deuxième degré. N'empêche que sa fausse musique pseudo-classique est peu évolutive, écouter un morceau de Laibach c'est un peu les entendre tous. Regarder une vidéo du groupe nous plonge dans la peinture pompière dans le plus mauvais sens de cette expression. Une question vient vite à l'esprit, se moque-ton du nazisme ou du spectateur ? Question stupide car elle en cache une autre ; celle des engrammes encéphalodiens, que veut-on au juste insuffler avec cette mimétique militaro-romanticico-nazie particulièrement cheap ? D'autre part la répétition de cette imagerie ne trahit-elle pas un essoufflement créateur ? Pour ne pas employer le terme d'infertilité incapacitante, celle-ci d'autant plus marquée que le groupe s'est vite adonné aux reprises, que ce soit l'album Let It Be des Beatles ou les hymnes patriotiques européens. Une démarche en quelque sorte idéologique, qui correspond à l'impossibilité actée ou théorisée de toute tentative d'élaboration de formes musicales nouvelles. Remarquons que si l'on compare l'enthousiasme créatrice des années 1920 à l'encéphalogramme artistique du début de nos années 2020, le fléau de la balance ne penche guère en notre faveur. Le rétro-futurisme nous semble beaucoup plus rétro que futuriste. La raison annonciatrice la plus prophétique reste la geste punk : No future !

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    IRWIN

    LE PROGRAMME DU GROUPE IRWIN

    Traduction : MARYLENE DI STEPHANO

    Vous l'avez compris, je suis plus que circonspect quant à la teneur créatrice tant iconographique que musicale, et cela même en dehors de toute position politicienne, de Laibach. J'avoue par contre avoir été atterré par les cinq textes qui forment comme le manifeste du collectif de peintres Irwin. Que lit-on : un succédané de formules empruntées à Hegel. L'idée de Totalité certes, mais une totalité ajoutée pour emprunter une formule à la mode ces temps-ci. Que peut-on ajouter à la Totalité. Rien répondront les esprits simplistes. Que si, se hâtent de répondre nos théoriciens, ce qui est en dehors de la Totalité ! Vous ne voyez rien ? Mais Dieu voyons ! Philosophiquement parlant l'on pourrait arguer qu'ils ont mal lu la Phénoménologie d'Hegel qui au-dernier moment, en un tour de passe-passe tout-à-fait ironique, substitue l'Esprit à Dieu. Chacun fait le ménage a sa manière, multiples sont les coups de balai sur le vain plumage de Dieu dirait Mallarmé. Mais que reste-t-il à l'Homme si Dieu persiste à ne pas être tué. Et plounck ! La solution irwinesque retombe dans le vieux christianisme des familles : la souffrance ! Grand bien nous fasse !

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    L'on me répondra que c'est pour me plonger le nez dans le caca, que dans n'importe quel état terrestre national, nous ne connaîtrons qu'oppression. Que le seul refuge consiste en le NSK State in Time. L'état transnational par excellence qui n'existe pas en tant que Etat car ne reposant sous un aucune surface ou délimitation terrestre. Ce qui entre parenthèses n'abolit pas les Etats existants mais qui se révèle tout autant étatique que tous les autres Etats, certes il est trans-frontalier, une espèce de phalanstère emblématique d'artistes réunis au travers du monde, mais cet Etat in Time est porteur d'une esthétique aussi dirigiste que les élites de nos pays, et qui dit esthétique dit idéologie et qui dit idéologie dit absence de pensée puisque celle-ci est corsetée par des principes manifestes.

    LAIBACH

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    D'autres lectures beaucoup plus libertaires de ce mouvement artistiques peuvent être établies. Nous ne les ignorons pas, mais nous nous en tenons à nos propres vues qui portent davantage sur l'implication philosophique de la démarche que sur ses réalisations objectivales. Cette chronique est à mettre en relation avec celle du livre de Max Ribaric, Blood Axis. Day of Blood. ( in Livraison 452 du 20 / 02 / 2020 ), groupe de Michael Moynihan dont la démarche paraît beaucoup plus authentique et moins artificielle. Tout ce qui sépare la dangerosité du loup solitaire d'une intelligentsia artistique qui joue sur la facticité miroitante de la société du spectacle.

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    Peut-être que Tomaz Hostnik chanteur du premier Laiback – plus proche d'un bruitisme exacerbé que du pompiérisme pseudo-classique que le groupe adopta par la suite - et qui en 1982 se pendit en une sorte de rituel sacrificatoire était-il plus près d'une démarche nationaliste plus radicale similaire à celle entreprise par le jeune adolescent Mickael Moynihan. Hostnik pose par son suicide une question essentielle : la copie à l'identique de l'idéologie fasciste est-elle une dénonciation ou une prise de position pro-nationaliste sincère ? Il semble qu'après la mort de Tomaz Hostnik, Laibach laisse à dessein planer l'ambiguïté laissant à chacun le soin de se positionner. Le groupe agissant comme un révélateur des affects politiques des spectateurs qui assistent à ses concerts soit en reconnaissant en son fort intérieur qu'il est partisan de cette forme d'autoritarisme soit en prenant conscience des dangers d'une société qui s'organiserait sur de telles modalités.

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    Le rock a souvent été décrit comme l'expression d'une révolte anti-sociale. Contre quoi au juste ? Comme tout art, il peut être la proie de manipulations idéologiques de toutes sortes. Il est bon de le savoir. Tout comme de se rendre compte qu'il s'inscrit aussi dans une filiation et des enjeux culturels, pas uniquement musicaux, qui remontent et s'inscrivent en des déploiements politiques dont il convient de ne pas être dupes.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 454 : KR'TNT ! 454: GENE VINCENT / ROD HAMDALLAH / JOHN FOGERTY / ALICIA F ! / TWANGY & TOM TRIO / JAMES BROWN

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 454

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    05 / 03 / 2020

     

    GENE VINCENT H.S. ROCKABILLY GENERATION

    ROD HAMDALLAH / JOHN FOGERTY

    ALICIA F ! / THE TWANGY & TOM TRIO

    JAMES BROWN

     

    GENE VINCENT

    LA LEGENDE DU ROCKABILLY

    ROCKABILLY GENERATION

    ( Hors-Série / Série Limitée / Février 2020 )

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    Rockabilly Generation nous offre son premier numéro spécial consacré à Gene Vincent. Quarante pages dédiés à un des pionniers du rock'n'roll les plus emblématiques. Si cher à de nombreux fans français. La bio de Gene visitée pas à pas, sous la supervision éclairée de Gilles Vignal. Toute une carrière qui aurait pu être plus resplendissante mais il des diamants noirs qui étincellent au cœur des nuits les plus profondes.

    Certes on ne résume pas toute une vie aussi riche que celle de Gene Vicent en quarante pages, mais l'essentiel ( et même plus ) est dit. Nombreux documents iconographiques intelligemment choisis et significatifs. Ce numéro spécial ravira autant les connaisseurs que les amateurs de la première et de la dernière heure. L'étrange carrière de Cliff Gallup est aussi présentée par un des meilleurs guitaristes français, Tony Marlow.

    Ce premier tirage limité à cent exemplaires est destiné à devenir un collector des bibliothèques des heureux possesseurs. Merci à Pascale Clesh, Maryse Lecoultre, Bryan Kazh, Tony Marlow, Damie Chad, Dominique Faraut et Sergio Kazh.

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    Hamdallah au pays de l’or noir

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    Rod Hamdallah n’est pas aussi farceur qu’Abdallah, le jeune prince héritier qui fait tourner tout le monde en bourrique dans Tintin Au Pays de l’Or Noir, mais il a un petit côté freluquet qui pourrait à l’extrême limite le rapprocher de ce personnage jadis croqué par l’immense Hergé pour les besoins de la cause des jeunes de 7 à 77 ans. Rod Hamdallah allume aussi des pétards, mais des pétards plus intéressants, ceux du punk-blues tel que pratiqué voici vingt ou trente ans par le Jon Spencer Blues Explosion. Il en a récupéré le panache et l’énergie, et le voyant à l’œuvre se livrer à ses exactions, force est d’applaudir des deux mains.

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    Pour sa mini-tournée européenne, il est accompagné par les Weird Omen et là, on ne rigole plus. Le jeune prince héritier ne pouvait pas rêver mieux. Pas d’équipe plus dédiée, plus rentre-dedans, plus appropriée que celle-là. C’est même peut-être mieux que s’il avait été accompagné par, mettons, le JSBX. Comme grosse cerise sur le gâteau, le jeune prince héritier dispose du sax de Fred Rollercoaster et ce n’est pas rien. Le son hante le son, et c’est un phénomène qu’on observe que dans deux univers : celui des Weird Omen et celui de Rowland S. Howard.

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    Sous sa casquette de marin breton, Rod Hamdallah shake bien sa chique. On pourrait croire qu’il a fait toute sa vie. On sent chez lui la petite impatience du big guitar slinger. De toute évidence, ce mec sait naviguer comme un capitaine. On l’avait déjà vu à l’œuvre dans les Legendary Shack Shakers, lors d’un set historique au Cosmic Trip. Cette fois, il récupère le premier rôle et tient bien le cap derrière le micro. Il a tout ce qu’un jeune prince héritier peut espérer : le son, l’aisance, les chansons, le guitar-slinging, la casquette de marin, la fraîcheur juvénile, les flaming sideburns, tout est parfait. Il sait glisser des petites tortillettes fatales entre deux power-chords, il est certainement l’un des guitar killers les plus redoutés de la frontière, il joue en tension permanente, il est plutôt prodigue en matière de ferveur, il ne laisse rien au hasard, aucun blanc ni aucune note errante, tout coule en flux tendu et, comme dirait le Capitaine Haddock, ça rocke en stock, mille sabords ! Il gratte des notes comme s’il en pleuvait, il peut même faire du Kramer, il fait tout ce qu’il veut, comme s’il cédait à tous ses caprices. Il claque ses notes sur sa petite guitare noire sans jamais trop regarder où il pose les doigts. Il joue du médiator comme s’il se taillait à la machette un chemin dans la jungle de Bornéo, ah il faut le voir sur scène, sous sa casquette de capitaine Haddock. Le jeune prince héritier Hamdallah est un sérieux prétendant au trône.

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    Pour l’instant, il n’existe d’un EP cinq titres sur le marché, mais ce n’est pas un coup d’EP dans l’eau. Et comme sur scène le jeune prince héritier Hamdallah n’en finit plus d’annoncer de nouvelles chansons, et il faut s’attendre à l’avènement prochain d’un big bad fat album. Ce mec est capable d’embarquer n’importe quel groove de heavy rock en enfer. Il s’est spécialisé dans les montées de fièvre, c’est même un orfèvre en la matière. Il faut essayer de l’écouter religieusement, car ça vaut la peine. Il a voix au chapitre, il agit comme s’il se sentait investi d’une mission divine. Il faut voir comme il dégage les bronches avec son «Carry You Home».

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    Et comme par hasard, qui disait de lui le plus grand bien à la radio ? Mr G, évidemment, sur le mighty Dig It! Radio Show. L’an passé, il en proposa même trois rincettes dans la même soirée, «Think About It», «I Don’t Mind» et «Heartbeat». Comme ça au moins, on savait à quoi s’en tenir. Plus de tergiversation possible. Impossible de rester perplexe, comme un con, les bras ballants et la bouche ouverte. Le message était clair. Rod Hamdallah, avec son nom à coucher dehors ? Vas-y mon gars, saute sur ta mobylette et fonce chez ton disquaire !

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    Tu comprendras mieux quand tu vas entendre «I Don’t Mind». Le jeune prince héritier tape dans la désinvolture du heavy blues punk jadis promu par le JSBX. Rod Hamballah l’a à sa main, vas-y Rod, on est avec toi. C’est bien qu’il réanime la flamme des vieux JSBX qui furent les héros du temps d’avant. Rod le fait bien raide, à sa façon, il joue la puta del sol jusqu’à l’os de la cucaracha. Que le grand cric le croque, comme dirait le Capitaine Haddock dont Rod a de toute évidence piqué la casquette pendant qu’il cuvait l’une des ces grosses bouteilles de rhum remontées par le Professeur Tournesol des cales de la Licorne. Ah ceux qui ont raté les épisodes de Tintin ne savent pas ce qu’ils ont raté. On pourrait aussi plaindre ceux qui vont rater l’épisode du coup d’EP dans l’eau du prince héritier, ils n’auront plus qu’à sortir leur vieux mouchoir à carreaux pour y verser de chaudes larmes, car quand on a tout raté, c’est la seule chose qui reste à faire. Dommage, car le paradis était à portée de main. Le Capitaine Haddock pourrait en parler savamment, lui qui a écouté l’EP du jeune prince héritier et qui, tonnerre de Brest, l’a trouvé sympa. Pas comme les disques des moules à gaufres qu’on ne nommera pas ici pour ne pas salir le joli blog de Damie Chad, même si l’envie tape au carreau. Tiens, puisqu’on patauge dans les bonnes intentions, voilà un scoop : le morceau préféré du Capitaine Haddock. Il l’avoue sans minauder, c’est «Take Me Back», pourquoi, parce qu’il est aussi explosif que son ancêtre le chevalier François de Hadoque qui fit sauter la Sainte-Barbe de la Licorne. Le jeune prince héritier allume sa mèche lui aussi et boum ! Ça saute. Il fait sauter toutes les possibilités du punk-blues avec une aménité qui l’honore, avec un sens du rampant qui n’attend aucun pardon en retour. Attention à ce jeune prince héritier : il pourrait détrôner Spencer 1er, le Napoléon du blast furnace.

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    Signé : Cazengler, Rod Abdomen

    Rod Hamdallah. Les Nuits de l’Alligator. Le 106. Rouen (76). 15 février 2020

    Rod Hamdallah. Think About It EP.

     

    C’est jeudi, c’est Fogerty

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    La scène se déroule en 1969, chez un petit disquaire caennais installé en face des Galeries. De mémoire, il portait des lunettes et arborait une tignasse noire bien frisée. Tout excité, il brandissait une pochette et parlait d’une voix aiguë :

    — Tu connais ça ?

    — Euh bah non...

    — Creedence Clearwater, un groupe de ricains ! Ça vient tout juste d’arriver. ‘Coute ça !

    Il le posa sur la platine et poussa le volume à fond. Et boom, «Born On The Bayou» fit brutalement grimper la température dans la boutica. Le ricain chantait son gut out à l’éraillée vermoulue - Chasin’ down a hoodoo there/ Chasin’ down a hoodoo there !

    — Ouh la la ! Ben dis donc !

    — Pas mal, hein ? Tu le prends ?

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    Le disquaire savait très bien ce qu’il faisait. C’était vendu d’avance. Il s’agissait d’un gros cartonné US, une copie de Bayou Country sur America, avec cette horrible pochette divisée en quatre pour recevoir quatre grosses bouilles mal dégrossies. Elles étaient cadrées si serré qu’elles en devenaient laides. Ces mecs ressemblaient à des anti-rock stars mais l’album sonnait le tocsin de la révélation. N’oublions pas qu’en 1969, le Bristish Blues monopolisait l’attention, et les cœurs penchaient plus facilement pour Peter Green et Stan Webb que pour d’obscurs challengers américains. Les Creedence nous bourraient ensuite le mou avec un beau brin de heavy groove ferroviaire intitulé «Graveyard Train», monté sur un seul riff, comme chez Bo Diddley. John Fogerty chantait ça de toutes ses forces. En B, ils continuaient de jiver leur Californian Hell avec «Penthouse Pauper» et ses accords bien acérés - If I were a gambler/ You know I’d never lose - Fogerty chantait comme un dieu, il fallait bien l’admettre - And if I were a guitar player/ Lord/ I’d have to play the blues - On tombait à la suite sur la version définitive de «Proud Mary», l’un des plus beaux hits venus des Amériques, idéal et bien balancé, joué aux beaux accords de revoyure. Ils bouclaient cet album somptueux et rude à la fois avec «Keep On Chooglin’» qui reste l’un des sommets du bon vieux boogie d’antan. Quelle attaque ! Ils maîtrisaient déjà l’art de monter en pression, à coups de shuffle d’harmo dans le rumble doucereux. Un modèle du genre. Les sept minutes du cut étaient bien méritées. Ces mecs n’en finissaient plus de remonter dans l’estime des estaminets.

    Malgré l’aspect révélatoire, on a ensuite lâché l’affaire. Pourquoi ? Parce que Creedence était dans tous les jukes avec des hits qui semblaient trop parfaits, aussi parfaits que pouvaient l’être le «Venus» des Shocking Blue ou «Whole Lotta Love» qu’on entendait aussi partout. Trop, c’est trop.

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    Cet été là, Yves, un copain du lycée, me refit le coup du disquaire :

    — Tu connais ça ?

    — Euh bah...

    — Creedence Clearwater, un groupe de ricains ! C’est leur premier album. ‘Coute ça !

    Il posa le disque sur sa platine et mit le volume à fond.

    — Mais c’est «I Put A Spell On You», l’hit de Scrrrrreamin’ Jay !

    — Oui, mais ‘coute leur version !

    Effectivement, John Fogerty lui explosait littéralement la bobinette. Exploser Screamin’ Jay, il fallait oser ! On aurait dit que ces mecs descendaient jouer à la cave avec des guitares rouillées. Non seulement Fogerty foutait le feu au chant, mais sa partie de guitare se voulait encore plus terrible. Aw, ces mecs étaient les champions du climax. En retournant la pochette, je vis que cet album sans titre était paru un an avant l’autre, le révélatoire, Bayou Country. Ils jouaient le groove exacerbé de «The Working Man» au gratté de côtes, et on entendait encore une fois une incroyable partie de guitare. On tombait ensuite sur ce remake de «Suzi Q» qui allait les rendre célèbres dans le monde entier. Ils s’imposaient par la grâce de leur groove et basculaient dans l’hypno, avec un Fogerty claquant sa chique et tournicotant dans des effets à sec. C’était un peu trop beau pour être vrai. Qui pouvait prétendre incendier un cut comme il le faisait dans «Ninety Nine & A Half» ? Qui pouvait chanter avec un ton aussi abrasif ? Tout l’album était gorgé de ce son acerbe et bienvenu, sec et claironnant. Ils sortaient parfois des solos du meilleur cru et ils terminaient avec «Walk On The Water», un beau spécimen de boogie blast. John Fogerty y rongeait son os. Il chantait ça à la revancharde de pitbull des cités.

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    Pour des raisons économiques, j’évitais de passer tous les jours devant la vitrine du petit disquaire évoqué plus haut. Sa vitrine était la plus parfaite illustration de la tentation. Oscar Wilde disait de la tentation que le meilleur moyen d’y résister était d’y céder, à quoi il eût fallu ajouter : à condition d’avoir le portefeuille bien garni, ce qui n’était évidemment pas le cas d’un lycéen boutonneux issu de la classe très moyenne. Mais je fus pris ce jour-là d’une crise de hardiesse mêlée d’inconscience et entrai d’un pas aussi ferme que possible dans la boutica. Me voyant ainsi lancé, le frisé alla aussitôt extirper un album d’un bac :

    — Tu connais ça ?

    — Encore un Creedence ? Mais y viennent-y pas d’en pond’ un ?

    — C’est leur troisième ! Ça vient tout juste d’arriver. ‘Coute ça !

    Même pas le temps de dire non. Ça partait au triple galop avec «Down On The Corner». Fogerty semblait y chevaucher à la tête d’un bataillon de Confédérés, avec un chapeau à plumeau claquant au vent. Du coup, il perdait tout le spongieux bactériologique du Bayou. Trop aéré, mais quand même bien swingué des bretelles. Ces mecs jouaient cartes sur table. Il n’existait pas de meilleur coup de bluff que Creedence. Les accords d’«It Came Out Of The Sky» sonnaient comme du fer blanc. Délicieux effet. Fogerty élaguait son passage, il ne laissait rien traîner, il claquait son razor sharp au vu et au su de tout le monde. L’album s’appelait Willy And The Poor Boys et la pochette n’inspirait pas confiance. On tombait plus loin sur une version de «Cotton Fields» assez dense et bien fouillée, chantée à la chemise à carreaux bien rugueuse, très différente de celle des Beach Boys. On voyait bien que Fogerty était un mec sincère et qu’il chantait à la demande.

    — Alors, pas mal, non ?

    — Je préfère Bayou Country. Mais c’est vrai, on voit bien que Fogerty est un mec sincère et qu’y chante à la demande.

    Comme il me voyait dubitatif, il retourna l’album et bhhham, «Fortunate Son» explosa dans la boutica. Il s’agissait d’un vrai hit en fer blanc, claqué à l’accord et au shout d’attaque. Fogerty semblait sauter à la gorge de son hit. On sentait chez eux la violente énergie des kids américains qui ont tout pigé. Le disquaire sauta un cut pour aller au suivant, «The Midnight Special». Fogerty y proposait rien de moins qu’un Memphis groove, mais on avait envie de lui dire : «Fais gaffe, Fog, ne déconne pas avec le midnight special, c’est le train des taulards, ce n’est pas un jouet.»

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    Le paternel venait de se faire muter en Haute Normandie et la veille du départ, j’allai dire adieu au copain Yves. Il paya son spliff et sa mousse, et sortit un album de la pile posée par terre contre le mur de sa chambrette.

    — Tu connais ça ? Y vient tout juste de sortir !

    — Quoi ? Y viennent d’en pond’ deux ! Y sont compèt’ment tarés, ces mecs-là !

    — Ah oui mais là, tu vas voir ce que tu vas voir !

    Il le mit en route et monta le volume. Boum ! John Fogerty sortait un riff noyé dans les sous-bois pour allumer son «Green River». Il développait une dynamique infernale.

    — Tu vois, faut pas prendre ces mecs pour des pines d’alouettes !

    — Tu l’as dit bouffi, c’est vachement balèze. Comment qu’y s’appelle ton album ?

    Green River !

    — Ah ouais ! Quelle pochette !

    C’était battu sec et net et sans bavure, ils faisaient du punk des bois, flirtant avec un certain minimalisme et chanté à l’écho du Fog. On aurait presque pu parler d’étalon or du rock américain.

    — Attends, t’as pas tout vu !

    Avec «Commotion», ils retrouvaient l’esprit de Bayou Country. La basse courait dans le cut comme le furet et Fogerty chantait au gras du menton, c’était plein de rustines de son, de relances de batterie approximatives, mais ces mecs y croyaient dur comme fer, ils jouaient avec la foi du charbonnier et nous embarquaient dans leur délire de véracité exacerbée. Ils offraient encore un festin de son avec «Tombstone Shadow», le riff semblait grossir pour devenir phénoménal. Plus qu’ailleurs, Fogerty semblait y créer un monde. Creedence devenait un groupe épais, ces mecs savaient claquer des notes à la volée. Le copain Yves retourna le disque et «Bad Moon Rising» fit vibrer les carreaux de la fenêtre. On avait beau se dire que leur beat était trop sincère et le chant trop in the face, on cédait au charme toxique de ce hit extrêmement rock’n’roll. Les accords semblaient rebondir, ces mecs n’en finissaient plus de ramener du gusto. «Cross-Tie Walker» sonnait comme le meilleur boogie de tous les temps et ils terminaient avec une version épouvantablement géniale de «The Night Time Is The Right Time». Ils swinguaient leur Night Time à l’extrême, l’infestaient de remugles, le bardaient de chœurs tendancieux qui préfiguraient ceux des punks et Fog chantait à l’incendiaire. Alors qu’ils renouaient avec le divin groove de swamp, Fog vibrait son night time à la folie.

    — Génial !

    — Tiens, j’te le file, c’est mon cadeau d’adieu.

    — Mais non t’es jobard ! J’le ramasserai à Rouen, t’inquéquète donc pas !

     

    Ado, on trimbale pas mal de superstitions. L’une d’elle consistait à croire qu’un changement de région allait calmer l’ardeur productiviste des Creedence. Il n’était tout simplement pas possible de les suivre, ni au plan économique, ni au plan émotif. D’autant qu’à l’époque, les bons albums se bousculaient littéralement au portillon.

    Un disquaire rouennais s’était installé dans une encoignure, comme une araignée. Physiquement, cet homme n’avait rien d’un disquaire, il aurait pu être prof de techno ou contremaître dans une usine d’aspirateurs, mais il vendait des bons disques, du genre Toe Fat ou Gasoline Alley. Il me laissa farfouiller un bon quart d’heure dans ses bacs, puis il engagea la conversation :

    — Vous cherchez quelque chose en particulier, jeune homme ?

    — Bah non, j’jette just’ un œil.

    — Vous connaissez ce groupe ?

    Il brandissait un album. Je vis les barbes et les moustaches et les reconnus immédiatement. Je décidai de faire l’érudit interloqué :

    — Mais c’est les zèbres de Creedence ! Y zont pas encore sorti un album, quand même !

    — Mais si, il s’appelle Pendulum. Les gens se l’arrachent, vous voulez l’écouter ?

    — Alors just’ un ou deux morceaux, just’ pour voir...

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    Je pris la pochette et vis que le cut qu’on entendait s’appelait «Pagan Baby». Fogerty semblait encore travailler l’inventivité du raw et gardait la mainmise sur le drive. Il se permettait même le luxe d’enclencher de sacrés vieux coups d’overdrive.

    — Qu’en pensez-vous ? C’est pas mal, non ?

    — Ben ouais, le problème c’est qu’c’est toujours bien. Pour vous, ça doit être sympa de vendre ce genre de p’tite galette.

    — Tous les clients n’ont pas forcément bon goût.

    Je fis semblant de ne pas entendre le compliment caché. Il sauta le cut suivant pour aller au troisième, «Chameleon». Fogerty semblait monter à bord de son cut comme un mec saute dans un train, avec l’énergie d’un nègre fuyant les champs de coton et les chiens du patron blanc.

    — Ah la gueule du truc ! On s’croirait chez Stax !

    — Vous allez voir le suivant, c’est un tube !

    C’est vrai que «Have You Ever Seen The Rain» sonnait comme le hit pop absolu. Fog chantait à l’aube du rock. Le disquaire retourna l’album pour passer «Born To Move», que Fog semblait chanter sous la carpette.

    — Et maintenant, vous allez avoir encore un tube pour le même prix...

    Eh oui, comment résister à l’ampleur d’un hit comme «Hey Tonight» ? Fogerty n’en finissait plus d’exploser son vieux boogie blast, et cette affaire commençait à devenir drôlement mythique.

     

    Comme je ne voulais pas qu’il me colle sous le nez un nouvel album de Creedence à chaque fois que je mettais les pieds chez lui, je cessai tout simplement d’y aller. Je ne voulais pas passer ma vie à acheter des albums de Creedence. Au moins avec les Stooges et le MC5, on était moins sollicité, ces mecs-là avaient l’élégance de se limiter à trois albums.

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    C’est chez un nouveau copain de lycée que je découvris par inadvertance le petit nouveau. Le copain Pierrot bricolait des motos anglaises et écoutait accessoirement un peu de rock. Après qu’il m’ait filé la trouille de ma vie en m’emmenant faire un tour aux Essarts derrière lui sur sa BSA, il voulut se faire pardonner en me payant un coup de cidre chez lui. Il vivait dans une ferme, avec ses parents. Il sortit un album de la petite pile posée contre le mur du salon.

    — Tu connais ça ?

    — Ben ouais, c’est Creedence ! Comment qu’t’as chopé c’truc-là ?

    — C’est mon cadeau d’annive ! Ma mère voulait une nouveauté et le disquaire lui a dit que ça venait tout juste de sortir.

    — Ouais, je sais, Creedence, ça vient toujours d’sortir. Y z’arrêtent pas, ces mecs-là !

    Sur l’horrible pochette on pouvait lire Cosmo’s Factory. Fogerty continuait son petit bonhomme de chemin en chantant ses cuts à la meilleure profondeur de champ. «Ramble Tamble» sonnait comme du big time stuff. Il reprenait aussi un cut de Bo Diddley, «Before You Accuse Me» en mode boogie down et soudain tout valsait avec «Travellin’ Band». Fog s’y montrait aussi raucous que Little Richard, c’mon c’mon ! Ils revenaient plus loin au jungle beat avec «Run Through The Jungle». C’était à la fois sans surprise et terriblement convainquant. Tout le dilemme de Creedence semblait se concentrer dans ce cut emblématique. Pierrot retourna l’album et ça repartit de plus belle avec «Up Around The Bend» qu’on allait entendre continuellement à la radio. Il était impossible d’échapper à l’emprise de ce hit universel. Fog le chantait une fois de plus à l’arrache définitive, il se voulait démesuré, brûlant, c’mon around the wheels ! Il riffait son gimmick dans le feu de l’action. Il rendait ensuite hommage à Elvis avec une version sidérante de «My Baby Left Me». Ça pulsait comme chez Uncle Sam. Fog réinventait la bravado d’Elvis. Le festival se poursuivait avec «Who’ll Stop The Rain», un autre balladif imparable. Fog l’emmenait haut dans le ciel. Il transformait cet album en paradis du rock. On sentait que Fog était devenu l’un des plus brillants songwriters d’Amérique, il naviguait au même niveau que Lou Reed et Bob Dylan. Il savait faire éclore la rose du meilleur rock américain. Il enchaînait avec une version hallucinante d’«I Heard Through The Grapevine» qu’il swinguait comme un démon. On sentait chez lui une passion dévorante pour la Soul et la musique des blacks et il ramenait un léger accent américain dans l’éclat du groove. On voyait bien qu’il allait perdre la tête - About to lose my mind - il faisait du very big Creedence gratté à l’accord.

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    En rentrant du lycée se soir-là, je vis mon cadeau d’annive posé sur la table à manger du salon. Il fallut attendre la fin du repas pour l’ouvrir. Le dernier Creedence, Mardi Gras ! La belle-doche me dit qu’elle avait suivi le conseil du disquaire.

    — Lequel ?

    — Celui qui se trouve dans une encoignure.

    — Ah bah d’accord ! Y l’en rate pas une, ce mec-là !

    Un peu plus tard, je descendis dans la cave où je dormais et mis Mardi Gras sur la platine, histoire de tâter le terrain. Ce démon de Fog attaquait à la ferveur des cabanes avec «Looking For A Reason». Avec ce shoot d’Americana, il devenait the king of the Cajun thang ! On ne pouvait décidément rien espérer de mieux. Il revenait ensuite aux racines du big American rock à la ZZ Top avec «Take It Like A Friend». Fog ne chantait pas sous le boisseau, il le râclait, et Stu Cook faisait pouetter sa basse. Avec toute cette désinvolture, ils grimpaient une fois de plus au sommet de leur art. On se régalait d’entendre cette basse pouet-pouet dans le fond ! Fog terminait son bal d’A en chatouillant sa femme entre les cuisses et ça semblait faire son effet, en tous les cas «Someday Never Comes» passait comme une lettre à la poste. Fog se spécialisait dans une Americana de gros sabots. La B semblait moins évidente. Il fallait attendre «Sweet Hitch-Hiker» pour renouer avec le pur jus. Fog y swinguait sa chique et chantait à l’échaudée, la bouche en feu, avec du reviens-y de riffing. Terrific ! Il redevenait tout simplement énorme, il fallait le voir rebondir dans le beat.

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    Tous les fans de Fog devraient lire son autobio, même si elle est écrite en anglais et pas encore traduite. Fog n’est pas un crack de l’écriture et donc sa prose est d’un accès extraordinairement facile. Rien à voir avec Oscar Wilde. Autre particularité : ce n’est pas à proprement parler un livre sur la musique. Fog traite principalement d’un sujet : l’arnaque dont il a été victime. Il consacre les deux tiers de son livre à nous raconter comment il se l’est fait mettre profond en signant bêtement un contrat. Il l’a vraiment très mal vécu. Un vrai traumatisme. On croyait que l’histoire de Creedence était une histoire gaie, celle de quatre kids qui pondaient des tubes comme d’autres pondent des œufs, mais Fog fait de cette histoire un vrai cauchemar, un truc encore plus kafkaïen que les pires délires de Kafka. On comprend à un moment donné que si Fog écrit un livre, ce n’est pas pour vanter les mérites du rock, c’est plutôt pour régler ses comptes, pas seulement avec le boss de Fantasy, Saul Zaentz, mais aussi avec ses collègues de Creedence, qu’il accuse de tous les maux, le pire étant la trahison. Fog est un homme amer, épuisé par quarante ans de luttes intestines et incapable d’accepter de s’être fait plumer comme une oie blanche. À un moment, on se dit en lisant ça qu’il faut être très con pour aller signer un contrat qui donne tous les droits au label boss. Fog raconte en plus qu’ils ont tous les quatre signé ce contrat dans un resto italien très sombre : il n’y avait pas assez de lumière, ils n’arrivaient même pas à lire le menu. En plus ils étaient tous étaient mineurs, sauf Tom, le frère de Fog. C’est une histoire incompréhensible. En plus, les patrons du label qui sont encore les frères Weiss obligent Fog et les trois autres à s’appeler les Colliwogs - A hip-sounding name. Mod. It’s mod - leur disent ces escrocs.

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    Fog et les trois autres ne savent même pas ce qu’est un Golliwog. Des poupées voodoo imaginées par les soldats de l’armée coloniale britannique pour sympathiser avec les indigènes ? L’horreur. Fog déteste le nom. Pourquoi il l’accepte ? Incompréhensible. Quand Saul Zaentz rachète Fantasy aux frères Weiss en 1967, Fog croit retrouver sa liberté. Il commence par changer le nom du groupe et le baptise Creedence Clearwater Rival, après avoir envisagé Whiskey Rebellion. Il en fait deux pages pour montrer à quel point il est intelligent. Stu Cook voulait appeler le groupe Hardwood et Doug Clifford avait trouvé Gossamer Wump and Gumby. Ça ne volait pas très haut chez ces mecs-là. Alors évidemment, quand Saul Zaentz les voit tous les quatre, il se frotte les mains. Il copine avec eux, leur fait croire qu’ils sont en sécurité, et leur fait signer un contrat qui est encore pite que le premier : Zaentz devient propriétaire du copyright de toutes les chansons - lock, stock and barrel, comme dit Fog - mais comment peut-on être assez con pour aller signer un contrat pareil ? Oh, ils ont bien un copain dont le père est avocat...

    — Hey Jack, ton père a vu le contrat ?

    — Ouais...

    — Alors il en dit quoi ?

    — Bah rien...

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    Évidemment, le père du copain n’a jamais vu le contrat et personne ne s’en inquiète. Alors allez-y les gars, écrivez des tubes. Le contrat prévoit 10% de royalties, ce qui rétrospectivement paraît désastreux aux yeux du pauvre Fog qui a dû pleureur toutes les larmes de son corps à voir Zaentz s’enrichir sur son dos et acheter un IMMEUBLE à Los Angeles avec le blé gagné par Creedence, enfin non, pas par Creedence, mais par John Fogerty, car c’est lui qui fait tout. D’ailleurs les trois autres lui en veulent, ils sont jaloux, ils l’accusent de despotisme, évidemment puisque Fog ne s’arrête pas à la composition de SES tubes, il en fait aussi les arrangements, il fait les backing vocals, il mixe des journées entières, il sait exactement comment doit sonner chacun de SES tubes, il ne veut voir personne dans le studio, alors les autres deviennent fous - Y s’prend pour qui John Fogerty ? - Ils devraient pourtant fermer leur gueule, car les tubes se succèdent à une vitesse hallucinante, mais non, ils veulent aussi composer et même chanter. Ce que Fog appelle la mutinerie remonte à l’enregistrement de «Proud Mary», quand il annonce aux autres qu’il ne veut pas les voir traîner dans le studio ni pour les voix ni pour le mix. En 1970, au moment d’entrer en studio pour Pendulum, les trois autres font la gueule et réclament une réunion. Fog sent que la bombe à retardement ne va pas tarder à péter. Un groupe, c’est souvent ça : une bombe à retardement. Les trois autres veulent écrire des chansons. Ok, fin de la dictature et bonjour la démocratie : pour calmer le jeu, Fog dit ok, allez-y les gars, chantez donc vos chansons, mais ce qu’il entend est catastrophique. Les trois autres sont parfaitement incapables de chanter ou de composer. In-ca-pables ! Quand on a la chance de jouer avec un rock genius comme Fog, on devrait avoir la décence de fermer sa grande gueule. On devrait savourer l’incroyable privilège de pouvoir l’accompagner. Fog s’est quand même posé la question de savoir s’il était un tyran - I don’t feel that I was, even now. Was I sure-handed, a perfectionnist, even bullheaded about what I wanted ? Yeah, you bet, sometimes (Je ne crois pas avoir été un tyran, j’étais simplement très sûr de moi, perfectionniste et même assez obstiné, vous l’avez bien compris) - En lisant ce livre, on comprend que Creedence était drôlement mal barré avec ces super-cons et ça n’a tenu que par l’éclat et le panache invraisemblable des compos de Fog. Diable, comme cet homme a dû en baver : écrire des chansons géniales au beau milieu de ce cloaque ! Fog revient inlassablement au contrat : non seulement Fantasy lui pompe une fortune, mais le label possède aussi son avenir, car visiblement, le contrat s’auto-reconduit automatiquement - I was enslaved - Il se voit réduit à l’esclavage. On a envie de lui dire : bien fait pour ta gueule, tu n’avais qu’à pas signer. Encore plus bête qu’un nègre, ce mec-là ! Cette histoire est tellement horrible qu’on doute à un moment de sa crédibilité. Puis Zaentz propose à Fog d’acheter 10% de Fantasy. Fog refuse. Il se méfie. Il découvre plus tard que Fantasy n’a jamais été mis sur le marché. Encore une combine ! Quelques semaines après la mutinerie que Fog appelle The Night of the Generals, Tom, dit nous Fog, «did a remarquable thing. He left the band. I was stunned.» Oui, Tom a eu l’idée remarquable de quitter le groupe, et j’étais scié. Du coup Creedence devient un trio et fait une tournée complètement foireuse. C’est là que Fog décide tout arrêter - I am not going to do this anymore. This is dumb (Je ne veux pas continuer à faire ce truc, c’est complètement con) - Quand le groupe se sépare, Fog croit retrouver sa liberté. Manque de pot, Zaentz l’informe qu’il exerce son pouvoir de renouveler une option sur son contrat, car le contrat ne concerne pas que le groupe, il concerne aussi chacun des quatre individus, dont la poule aux œufs d’or, Fog. Baisé. Ce n’est pas fini. Horrifié, Fog apprend que Fantasy a libéré Tom, Stu et Doug de ce contrat. Zaentz ne garde que Fog. Argghhh !

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    Quand Fog démarre sa carrière solo, il rencontre David Geffen qui prend pitié de lui et qui rachète son contrat pour un million de dollars. Mais seulement pour les États-Unis et le Canada. Ailleurs, Fog dépend encore de Fantasy. Geffen donne le million de dollars à Fog qui doit le donner à Zaentz. Résultat des courses : Fog doit payer des impôts sur ce million de dollars qu’il n’a même pas encaissé - The whole thing was totally fucked - Là, il commence à battre tous les records de l’enculade. Mais ce n’est pas fini ! Zaentz avait fait croire aux Creedence qu’il avait déposé leur blé à la Castle Bank, dans un paradis fiscal aux Bahamas, pour leur éviter de payer des impôts sur leurs 10% de royalties. Évidemment, il n’y a pas plus de Castle Bank que de beurre en broche. Horrifié, Fog réalise qu’il n’a jamais gagné un rond avec ses tubes. Et en plus, il doit encore quatre albums à Fantasy. Pourquoi ? Le contrat. Alors Fog enregistre un album de reprises, comme ça l’autre enculé ne se fera pas de blé sur son dos. Et puis, de toute façon, il est tellement épuisé par toute cette merde qu’il est incapable d’écrire une nouvelle chanson. C’est là qu’il arrête de façon complètement inconsciente de faire le con. Il commence même à se demander comment il va réussir à sortir de cette histoire. Se faire plumer, c’est une chose, c’est même acquis, mais composer à l’œil pour un escroc en est une autre. Composer à l’œil, c’est tout juste bon pour les nègres. Puis tout se complique car ses trois anciens collègues lui intentent des procès. Ils croient que Fog a tapé dans la caisse, car eux aussi ont vu leurs économies se volatiliser, c’est-à-dire l’argent déposé dans cette fucking Castle Bank qui n’existe pas. Le procès est une manie américaine. Fog en tartine des pages entières : la préparation des procès, le déroulement des procès, les conséquences des procès. Sa nausée devient vite contagieuse. Quand Fog compose «The Old Man Down The Road», Zaentz l’accuse de pomper «Green River», compo (de Fog) dont il possède les droits et pouf, il lui colle un procès dans la barbe. Il réclame 144 millions de dollars de dommages et intérêts. Ce livre est vertigineux de conneries en tous genres. Parfois, il vaut mieux aller travailler dans une charcuterie plutôt de vouloir faire une carrière de rock star. Zaentz lui colle un deuxième procès dans la barbe pour diffamation, à cause de «Zanz Kant Danz», un cut qu’il juge injurieux à son égard. Fog chante en effet l’histoire d’un little pig nommé Zanz - Zanz can’t dance/ But he’ll steal your money - Pour calmer le jeu, Geffen fait retirer l’album des ventes et demande à Fog de corriger la chanson pour débouter le charognard. Fog parvient péniblement à gagner ses procès, en allant devant la Cour Suprême. Mais ça lui coûte la bagatelle d’un million de dollars en frais de justice. Fog demande l’aide de Bill Graham pour convaincre Zaentz de lui revendre les droits de SES chansons. Ok. Comme la somme est énorme, Fog se fait aider par Warner et signe le chèque. Zaentz l’encaisse mais bien sûr il ne tient pas sa parole et ne rend pas les droits des chansons. Une nouvelle fois, Fog se fait rouler la gueule en beauté - I realized that Saul was just evil, pure evil - Bill Graham va disparaître, puis Saul Zaentz, le même jour que Phil Everly, nous dit Fog. Il envisage d’aller pisser sur sa tombe, mais bon, il est temps de passer à autre chose. Fog va aussi découvrir le petit business que Tom, Stu et Doug ont manigancé avec Zaentz derrière son dos : ils ont vendu leur accord 30 000 dollars à Zaentz qui voulait faire des compiles commerciales de Creedence, le genre de trucs qu’on trouvait à l’époque dans une station service. Évidemment, Fog était contre. Zaentz avait la majorité des votes du groupe et donc il pouvait faire n’importe quoi avec les disques de Creedence, sans que Fog en soit informé.

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    Fog parle quand même un peu de musique dans son autobio : il commence par faire l’éloge de Scotty Moore qui selon lui inventa the rock’n’roll guitar, et Danny Cedrone qui jouait dans les Comets de Bill Haley. Puis Carl Perkins qu’il rencontre en 1986 à Memphis, dans le studio de Chips Moman. Puis Wolf avec lequel il fume des Kool. Il rend aussi hommage à Jimmy Reed - Why has no one ever done Jimmy Reed since Jimmy Reed ? - Puis, Bo Diddley - In my eyes Bo was like Elvis - et il ajoute : «The song ‘Bo Diddley’ is probably my favorite. Spooky as all get-out (...) The most primitive mumbo jumbo !». Little Richard - He’s probably the greatest voice ever in rock’n’roll - Puis James Burton - James just shines ans sparkles - Il dit que son solo sur «Believe What You Say» is the greatest solo you ever heard. Coup de chapeau à Buddy Holly aussi, buy every record he made, puis Jody Reynolds dont le «Endless Sleep» is one of my favourite songs of all time - Wow, he’s talking about suicide ! - Il a 14 ans quand il voit James Brown. Forcément, ça traumatise - His legs are going crazy - C’est là qu’il comprend ce que veut dire le mot showman. Il voit d’autres géants de la scène : Larry Williams et Jackie Wilson, dont les femmes (blanches) arrachent les vêtements. Puis gros coup de cœur pour Booker T & the MGs - The greatest rock and roll band of all time - Les Beatles ? No one ever had it like Booker T & the MGs, affirme Fog - I’m talking about soulfulness, deep feeling, especially in between the beats - Fog dit même qu’en jouant son solo dans «Proud Mary», il essaye de faire son Steve Cropper - That’s me doing my best Steve Cropper - Puis il tire un sacré coup de chapeau aux Sonics - The Sonics I loved. «The Witch» ? I’m still going to do that song one of theses days. Hell Yeah ! - Il rend aussi hommage à Albert King qu’accompagne son groupe préféré, Booker T & the MGs.

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    Fog parle aussi du son. Quand l’aiguille du vu-mètre va dans le rouge, à l’enregistrement, il dit que c’est là que ça vit - That’s where rock’n’roll lives - et il ajoute : «We don’t stop where it starts to go into the red - That’s the holy grail !». Puis, à cause de Lead Belly, il apprend à accorder sa guitare en Ré (low-tuned D-chord) - It was just... the sound and I go brrrring. That was the holy grail.

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    Fog est aussi très à cheval sur le métier de rocker. Il ne supporte pas le Grateful Dead, par exemple. Il préfère James Brown ou Hank Ballard qu’il a pu voir à l’Oakland Auditorium - There was so much energy - Il ne supporte pas de voir le Dead s’accorder pendant dix minutes. Ce qu’il supporte encore moins, c’est voir des mecs stoned sur scène. Pas question d’être stoned si tu montes sur scène avec Fog - You dare not be stoned playing music around me. Not in MY band. No - Il profite du passage pour voler dans les plumes de Timothy Leary - What a jerk - Fog voit des gens proposer des pilules au Carousel Ballroom de San Francisco et ça le terrifie - This scared me. LSD ? I didn’t want to jump out a window (Il n’a pas envie de sauter par la fenêtre sous l’emprise du LSD) - Et Fog nous explique qu’il prit très tôt les choses en mains, il ne voulait pas que les autres Creedence viennent mettre leur grain de sel quand il mixait - I didn’t need that distraction - D’où le ressentiment déjà évoqué. Il rappelle qu’au début, ils allaient vite : les trois premiers albums n’ont coûté que 5 000 dollars. Fog se dit borné, au sens où il ne lâche jamais une compo avant qu’elle ne soit parfaite. On connaît les résultat de son obsession - I was pretty tenacious. I’d lock my alligators jaws onto an idea and never let go - Et il ajoute en guise de chute : «Until it worked.» Il voulait que ses hits soit parfait et il ne lâchait jamais le morceau.

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    Pour l’anecdote : Tom voulait engager le Colonel Parker comme manager et Fog dut lui dire que c’était une mauvaise idée, car Creedence était trop raw. Ils rencontrent aussi Allen Klein en 1970 pour lui demander de les arracher des pattes de Fantasy et Klein répond : «There’s nothing I can do» (Il n’y a rien que je puisse faire). Autre passage purement anecdotique : Woodstock. Fog à l’époque considère que Creedence est le plus grand groupe de rock du monde, il veut donc la tête d’affiche. Mais ils sont programmés après le Dead. Fog poireaute pendant des heures, d’autant que le matos du Dead tombe en panne en plein set et qu’ils redémarrent après la réparation - The Grateful Dead had put half a million people to sleep - Quand Creedence monte sur scène, c’est au cœur de la nuit et tout le monde roupille. Fog ne voit que les premiers rangs, des gens couverts de boue et à moitié nus. Il compare la scène à l’enfer de Dante. Creedence réussit à en réveiller quelques-uns. Si Creedence n’est pas dans le film, c’est parce que Fog a dit non : public endormi, la batterie cassée, mauvais son. Il croit même se souvenir que Creedence n’a pas été payé. Fog ne voulait pas que le monde entier puisse voir un mauvais set. Il ajoute, comme pour se justifier, que Creedence faisait des tas de bons sets ailleurs, à l’époque. Il ne veut même pas avouer qu’il a fait une grosses connerie. Mais il n’en est pas à sa première.

    Pour en finir avec Creedence, Fog dit que Green River est son album préféré - My favorite place musically - Il explique aussi qu’ils ont changé de méthode pour enregistrer Pendulum : ils sont entrés en studio sans compos et se sont mis à jammer et à expérimenter. Processus démocratique ! Tout le monde voulait faire Sergent Pepper, mais seuls les Beatles en étaient capables - No one else could, including Creedence - Fog explique qu’«Have You Ever Seen The Rain» concerne la fin du groupe - I was watching the band disintegrate right in front of my eyes - Puis il coule Mardi Gras, à cause des compos de Stu et Doug - They thought they’d written some good songs.

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    En 1975, Fog entame sa carrière solo avec un album sobrement titré John Fogerty. On y va les yeux fermés. Quel album, les amis ! On trouve au moins trois hits là-dedans, à commencer par «The Wall». Back to the big Creedence rumble. Seul un mec comme Fog peut allumer un tel brasero. Il sort là un gros gimmick en fer blanc, aussi puissant qu’un riff de Billy Gibbons. C’est monté sur un beat pilon des forges et ce riff fabuleusement américain sent bon la poussière des dirt roads. Même chose avec «Travelin’ High» : Fog s’embrase, sa voix dégage un souffle brûlant, quelque chose qui relève de la physique nucléaire, et c’est cuivré de frais, alors t’as qu’à voir ! Le troisième hit de l’album ouvre le bal de la B et s’appelle «Almost Saturday Night». Encore un fantastique exercice de style, un nouveau hit à la Creedence, éclaté au sommet de l’art foggy. Il tente aussi une reprise de «Sea Cruise». Cette cover lui va comme un gant, mais il ne dispose pas du son New Orleans. C’est autre chose, Fog chante à volonté, à pleine gueule, les bras en croix, face au monde. Il faut aussi saluer «Rocking All Over The World», car dans le genre, on fait difficilement mieux. Fog chante tous ses cuts à la force du poignet, ce mec n’accepte pas l’idée de rencontrer un obstacle, il est de toute évidence la réincarnation d’un bulldozer, ou pour rester dans un référentiel moins travaux publics et plus mythologique, la réincarnation du Minotaure. Celui de Fellini, bien sûr. En guise de commentaire, Fog lâche ceci : «The Shep album is not my best work. I was having flashes of brillance in the middle of the incompetence.» (Shep album, à cause de son chien qui est avec lui sur la pochette, le Shepherd, c’est-à-dire le berger).

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    Chacun son tour.

    — Tu connais ça ?

    Et comme le frisé de Caen, on fait des petits bonds en brandissant la pochette de Blue Ridge Rangers. Il n’y a personne en face, mais on le fait juste pour la rigolade, en souvenir du bon vieux temps.

    — ‘Coute ça !

    Il faut savoir que Fog joue de tous les instruments sur cet album. One-man band ! Il attaque avec un gros coup de bluegrass, «Blue Ridge Ranger Blues». Quel enfoiré ! Débrouille-toi avec ça. Si on aime cette Americana très spéciale de tapé de pied au saloon, on se régale. Zy va Mouloud ! Quelle rasade ! Et pouf, Fog tire l’overdrive avec «Somewhere Listening (For My Name)». Il chante au coin du grand feu de bois sous le ciel étoilé avec des anges qui font les chœurs. Pur jus de gospel batch, baby ! Fog emmène sa mélodie par dessus les toits du monde. On le sent complètement investi de sa mission. Pas plus convaincu que ce mec-là. Mine de rien, il fait de cet album un vrai classique d’Americana. Il tape «You’re The Reason» aux tortillettes de yodell. Comme Fog dispose d’une vraie voix, il se paye tous les luxes intérieurs. Il est tout simplement exceptionnel de chant canard. Il rend ensuite un bel hommage à Hank Williams avec «Jambalaya (On The Bayou)». Il est dessus, avec une incroyable justesse de ton. Fog est l’un des grands chanteurs américains, ses accents perçants ne trompent pas. Ce sont les éclats brûlants de sa voix qui font toute la différence. Et ça continue comme ça jusqu’au bout de l’A avec «She Thinks I Still Care» (chanté au sommet de la glotte) et «California Blues» - I’m going to California/ Where I’ll sleep out every night - le rêve du bouseux, le pensum du rêveur. Il repart de plus belle en B avec «Working On A Building» qu’il chante comme un blackos, wow my Lord, c’est un peu osé, d’autant qu’il n’est pas noir, alors il fait du Creedence et du bon, du chanté serré, il bosse sur un building, c’est bien épicé, avec du gratté de boogie et des chœurs en fer blanc. Il en fait une authentique merveille. Il passe au vieux boogie avec «I Ain’t Never». Admirable Fog, il anime un album entier avec du son et une présence vocale inexorable. Wow comme ce mec est bon, il est tellement américain, il gratte son riff bien sec. Quand on écoute «Heart Of Stone», on se dit qu’il faudrait encourager ce mec, mais il n’a pas besoin de nos encouragements. Il se débrouille très bien tout seul.

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    Comme il n’y a personne en face, alors on s’adresse directement à Fog.

    — Bon, ton nouveau truc, là, Centerfield, c’est pas gagné. Comme tous les géants, te voilà confronté aux ravages des années quatre-vingt !

    Fog a l’air surpris, il arque le sourcil gauche bien haut.

    — Et «Big Train (From Memphis)», c’est du 80 ? Tu te fous de ma gueule ou quoi ?

    Et voilà, encore perdu une occasion de fermer ma gueule. Fog a raison, il ramène dans son Big Train un vieux parfum de magie, il y va à coups de when I was young, il recrée sa vision d’un rock parfait, et il faut le respecter pour ça. Il ramène aussi du Creedence dans «The Old Man Down The Road». Il ne peut pas s’en empêcher, the hidey-hide, c’est un accro, ce vieux dieu du rock n’en finit plus de gratter sa vieille harpe, quel son, tout est là, le chant, le juke, la caisse de résonance, l’hidey-hide, il n’a pas bougé d’un seul iota, il n’en finit plus de creedencer avec les loups. Il repart à la conquête avec «Rock And Roll Girls». À la conquête de quoi ? On s’en fout. Il va plus loin se perdre dans un balladif country assez puissant, «I Saw It On TV». Pas de problème, ce mec sait rester crédible - Time to sing/ Time to join a band - Il reprend son bâton de pèlerin pour «Mr Creed» et chante à la brûlante. Il n’en finit plus d’y croire, alors nous aussi. Il reste creedencé jusqu’au bout des ongles avec «Searchlight» et tape dans un truc plus festif avec le morceau titre. Il adore faire la fête, ça fait partie de ses attributs. Tout le monde est invité. Les gens ne l’écoutent que parce qu’il perpétue son extraordinaire saga - Aw put in coach/ I’m ready to play today ! - Fog explique dans son book qu’il est désormais chez Warner qui a racheté Asylum et qu’il bosse avec Mo Austin et Lenny Waronker, enfin des mecs bien - Two of the best guys I’ve ever known in my life - Fog concède que le Old man concerne Zaentz - Take that you fuckin’ old man! It was a catharsis (...) Thus was a triumph over evil - Fog en plus est assez fier de cet album, car il l’a enregistré au Record Plant de Sausalito, dans une pièce qu’avait utilisée Sly Stone et qu’on appelait the Pit. Fog est encore un one-man band à cette époque. Mais il avoue que c’est trop de boulot. C’est comme de monter un film d’animation image par image.

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    — Désolé, Fog, mais Eye Of The Zombie ne mérite aucune pitié. C’est le point bas de ton admirable carrière...

    — Bon, ça va, arrête de me cirer les pompes. Ça fait vingt ans que j’allume, alors j’ai pas besoin qu’on m’explique comme ça se creedence !

    — C’est vrai, mais tu n’aurais jamais dû mettre un cut aussi poussif que «Going Back Home» en ouverture de bal. Les bras nous en tombent quand on écoute ça !

    C’est vrai qu’ensuite, ce démon de Fog se réveille très vite, notamment avec le morceau titre. Il repend les rênes, he rocks it out, comme un vieux rocker des Amériques. Quel shock de rock ! Même chose avec «Headlines», Fog le martèle, on voit bien qu’il restera incendiaire jusqu’à la fin de ses jours. Il fout littéralement le feu au rock. Mais après, ça se gâte, il fait un peu de variété avec un «Knockin’ On Your Door» assez putassier, même si on le voit jeter toute sa niaque dans la bataille du Péloponnèse. Il revient au swamp le temps de «Change The Weather». Il fait sa chèvre et se prend pour Tony Joe. Pas forcément la meilleure idée. Il a perdu ce qui faisait le charme de Bayou Country. On le voit chercher sa pitance dans la mode avec «Wasn’t That A Woman». Atroce ! Il fait une espèce de Soul diskoïde à la mormoille.

    — Fuck you Fog !

    — Bon, ça va ! ’Coute plutôt «Soda Pop» !

    Oui, il a raison, «Soda Pop» sonne comme du gospel batch groové à la basse funk. Quel incroyable retournement de situation ! Inespéré, voilà Fog en mode diskö-funk ! Mais en réalité, il le reconnaît lui-même, I messed with my sound. Les synthés et les boîtes à rythme, c’est pas pour lui. Il a la stupidité de croire qu’il peut faire sonner une boîte à rythme comme un vrai batteur. C’est comme vouloir transformer du plomb en or, dit-il. Un batteur ne doit pas sonner comme un robot. Il se lève d’un bond et les bras au ciel, il s’exclame : «On ne peut pas comparer une boîte à rythme avec Al Jackson !». Il considère cet album comme raté. «How the album is shaped and played just doesn’t seem like me.». Même Mo Ostin lui dit que l’album est foireux. Alors Lenny Waronker demande à Fog de faire un autre Centerfield.

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    — Alors là, mon pote, avec Blue Moon Swamp, tu remontes dans notre estime.

    — Oui, j’avais bouffé un gros steak d’alligator, j’avais une de ces triques, mon vieux !

    Ça s’entend dès «Southern Streamline». Il amène ça au midnite train, il fait du Creedence avec un aplomb qui laisse rêveur. Wow, il est dans son train et nous avec, il fait une apologie de l’apanage définitif, Fog forgette à qui mieux mieux, fabuleux pusher ! Il claque un solo d’acier et revient au chant comme Arsène Lupin, déguisé en Chef de la Sûreté et tout le monde n’y voit que du feu. Il tape ensuite son «Hot Red Heart» au meilleur stomp de swamp, c’est claqué du beignet au punch élastique, celui qui rebondit dans le feu de l’action, une merveille de démesure punchingballique ! Yah ! Il lance son solo comme on lançait autrefois le Septième de Cavalerie sur un village indien sans défense, mais comme Fog est un héros, alors on claque des mains et on tape du pied. Duck Dunn l’accompagne sur l’effarant «Blueboy» et diable comme il fait chaud dans «A Hundred And Ten In The Shade» !

    — Fog, donne-nous un coup à boire, on crève de chaud dans ta chanson !

    — Oh pas le temps, je dois chanter mon rumble de vieille cabane pourrie !

    Et tout doucement, Fog glisse dans le gospel des esclaves...

    — Vas-y Fog, on est avec toi !

    Il repart de plus belle avec «Rattlesnake» en mode heavy boogie de chemin poussiéreux. Il plie tout à sa volonté et joue à l’os du crotch. Heavy as hell ! Nouvelle virée rock avec «Walking In A Hurricane», il bat toujours le fer pendant qu’il est chaud, il chante à la ferveur la plus inflammatoire. Fog est un rocker à toute épreuve. Tiens, voilà un nouveau shoot de Creedence : «Rambunctious Boy». Il rallume sa vieille chaudière et nous ressert du c’mon baby sur un plateau d’argent. Ce mec a tellement d’appétit qu’il boufferait un régiment de lanciers du Bengale au petit déjeuner. Il tape «Joy Of My Life» à la slide.

    — Vas-y Fog, on est avec toi !

    Did I tell you baby/ You are the joy of my life !

    Ce mec est un shaman. Sous son air benêt, il remue le ciel et la terre. Il termine avec «Bad Bad Boy» monté sur un heavy riff bien cracra. Il ne laisse absolument aucune chance au hasard. Il taille une route assez unique dans le paysage du rock, shame on you, il revient invariablement aux grandes heures de Bayou Country. C’est une merveille de swamp rock, shame on you ! Il n’existe rien d’aussi délicieusement moisi que le rock de Fog. Le secret de la réussite de cet album, c’est le Mississippi et la découverte du Dobro. Du coup, Fog considère cet album comme l’un de ses favoris.

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    — Là Fog tu exagères avec Premonition !

    — Faudrait savoir ce que vous voulez les gars !

    Eh oui, dès les premières notes fédératrices de «Born On The Bayou», les gens savent. Fog rentre dans le meilleur lard de rock, il ramone son backwood bare/ Chasing a hoodoo there, il est fantastique, il grimpe dessus comme le loup sur le chaperon rouge, ça chauffe pour les abattis du Saint-Frusquin, on ne pourrait pas s’en lasser, il fait jouir son bayou, alors la foule l’acclame, c’est du live, I thank you so much. Peut-on rêver d’une meilleure entrée en matière ? Non. Il va enfiler les hits comme des perles, «Green River», «Suzie Q», «I Put A Spell On You» et là Fog va chercher les heavy vibes du vieux Jay, il brûle de fièvre et râle ses yeahhhhh comme un hérétique tombé dans les griffes de l’Inquisition. Et paf, il enchaîne avec «Who’ll Stop The Rain», vieux hit parfait et sans histoires, ce mec a tout en magasin, on peut lui demander n’importe quoi, il l’a, il fait du country rock les deux doigts dans le nez, il bat tous les autres à la course. Puis il annonce a new song : «Premonition», le morceau titre. Il revient à ses gros sabots, avec une solide pop-rock on the loose. Et soudain, tout explose avec «Almost Saturday Night», il annonce que c’est une ancienne chanson piratée à outrance, but I don’t mind, here we go ! Admirable ! C’est le hit le plus exaltant de tout le tas, taillé pour la route, aussi powerful qu’un hit des Beach Boys, effarant d’allant. Il revient à son cher vieux «Rocking All Over The World» et le chauffe à la perfection. Il fait du Alvin Lee, puis cet enfoiré vient vanter les mérites de l’amour avec «Joy Of My Life» - This is a song I wrote for my darling wife Judy !

    — C’est comme si tu te branlais quand tu chantes ça, mon pauvre Fog...

    — Si tu veux, je peux aussi gratter les cordes de ma guitare avec ma bite !

    — T’es pas obligé de devenir vulgaire.

    Fog repart naviguer à très haut niveau avec «Centerfield». Son set sonne comme un jukebos bourré de hits séculaires. Ce mec est infatigable. Il finit toujours par l’emporter haut la main. C’est un privilège que de le fréquenter. Quand il revient à son cher swamp rock avec «Swamp River Day» il donne l’impression d’avoir inventé le genre. Son rock sent bon la chaleur moite des plans lubriques et les chemises à carreaux ouvertes sur des poitrines généreuses. Il continue de mettre le rock en coupe réglée avec «Hot Red Heart» et roule son boisseau dans la farine. Il claque tout le beignet qu’il peut claquer. Il agit en seigneur, même si cette distinction ne signifie rien dans un pays qui n’a pas connu de moyen-âge. Il multiplie les retours de c’maw, cet album n’en finit plus de friser la perfection. Impossible d’imaginer un rocker plus accompli. Fog annonce que le vieux est sur la route dans «The Old Man Down The Road» et ça bat la chamade côté guitares. Fog fait rouler les hits comme d’autres font rouler les dés, laissez le bon temps roulé, c’est exemplaire, pour un peu, on ferait de lui le guide spirituel du rock. On l’écoute les yeux fermés.

    — Vas-y Fog, fonce dans le fog ! On te suit !

    Ils enchaîne avec ses hits les plus terribles, «Bad Moon Rising» et «Fortunate Son».

    — Des mecs comme toi, il faudrait les faire piquer à la naissance.

    — Pourquoi ?

    — Parce que tu nous épuises la vervelle avec tes rafales de hits tentaculaires !

    Et ceux-là ne sont pas des moindres. «Fortunate Son» est l’un des plus vitupérants, amené par un authentique riff royal. Il l’allume avec une constance qui scie toutes les branches. Fog vaut à lui seul une armée de bûcherons. Pour finir, il nous sort la doublette fatale, «Proud Mary» et «Travelin’ Band». Ah il peut être fier de son good job in the city et son hommage déguisé à Little Richard qui est sans doute sa plus grosse influence. Il chauffe sa hurlette à blanc.

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    — T’as l’air fin sur la pochette de Deja Vu All Over Again. Tu ne sais pas qu’il faut porter un casque pour conduire une moto ? J’espère qu’y t’ont collé une prune !

    — Fuck the cops and fuck you !

    — Oh la la, ce que tu peux être susceptible. Tout de suite les grands mots ! Et tout de suite les gros accords ! Tu es vraiment le roi du pathos à la sauce tomate, tu plombes le rock dès les prémices, on sait que c’est toi dès les premières mesures de «Deja vu (All Over Again)» ! Tu es reconnaissable entre mille et c’est bien ce qui faut ta force, puissant Fog !

    — Ugh !

    Oui, le puissant Fog a su instaurer son règne au pays des jukeboxes. Album après album, il reste dans les mêmes ambiances et ne génère jamais le moindre soupçon d’ennui. Les deux blasters de l’album se trouvent à la fin : «Wicked Old Witch» qu’il claque au son de vieille cabane creedencée et qu’il braille au big brawl, et «In The Garden», encore plus explosif, un vrai retournement de situation, Fog y plombe tout le rock américain, il stompe le crâne du rock et redonne au power de Creedence une nouvelle jeunesse. C’est une révélation, il bombarde comme peu savent bombarder.

    — Fucking genius !

    — Ugh !

    Même s’il fait une calypso inepte avec «Sugar Sugar», il se rattrape avec «She’s Got Baggage». Il adore frapper sans prévenir, comme la plupart des mecs dans les combats. Fog est une sorte de Cassius Clay du rock, sa prune ne fait pas de cadeau. Par contre, son «Radar» pue des pieds, on entend des synthés derrière et il fait encore n’importe quoi avec «Honey Do». Le manque d’inspiration ne pardonne pas. Ah comme la vie peut être parfois cruelle. Avec son «Nobody’s Here Anymore», il fait sa pute et se prend pour Dire Straits. Il nous remonte le moral avec un coup de country intitulé «I Will Walk With You». Après les horreurs qui précèdent, c’est un réconfort. Et puis ça recommence.

    — Tu nous prends vraiment pour des cons avec ton «Rhubarb Pie».

    — T’aime pas la tarte à la rhubarbe ?

    Petite précision de taille : Deja Vu concerne la guerre en Iraq, une guerre qui lui rappelle la grosse arnaque de la guerre du Vietnam, à laquelle il a échappé de justesse, bien qu’ayant été mobilisé. Fog dit aussi que cet album est l’un des sommets artistiques de sa vie, même s’il n’a pas gagné un rond avec, dit-il en faisant ha ha, comme le font tous les gens qui se croient drôles.

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    Alors pour bien remettre les pendules à l’heure, Fog se fend en 2006 d’un double live qui contient TOUS ses hits : The Long Road. C’est une bombe ! D’autant plus une bombe qu’il attaque au chaud bouillant avec «Travelin’ Band». Il a récupéré Billy Burnette et Bob Britt on guitars. C’est à la fois heavy et dévastateur. Il n’existe pas dans l’histoire du feuilleton de plus bel épisode. Puis il tape «Green River» à la cisaille de tibia. Le riff taille dans l’os et déclenche l’invasion des frissons dans l’inconscient collectif. Fog joue au pire gusto d’Amérique, son Green River claque dans le bel azur des mythologies adolescentes.

    — Vas-y Fog ! This is the heavy load of the CCR !

    Cet enfoiré enchaîne avec «Who’ll Stop The Rain». C’est facile quand on a les hits. Il tape dans l’apanage avec la grâce flasque d’un demi-dieu fellinien, il éclate la coque du chant à coup de who’ll stop the rain, il sait ce qu’il fait, il ne laisse aucune chance à la complaisance, Fog est l’artiste parfait. Plus loin, il touille les vieux remugles de boogie rock avec «Hot Red Heart» et revient aux affaires avec «Born On The Bayou» que tout le monde attend comme le messie. Magie pure ! Le solo emporte la tête. Pas besoin d’avaler un truc. C’est un extraordinaire festin de son. Il enchaîne avec l’excellent «Bootleg» tiré du même album et reste dans la jungle avec «Run Through The Jungle» qu’il chante d’autorité. Il attaque le disk 2 avec l’imparable «Have You Ever Seen The Rain». Il chante au brûlot définitif, c’est mélodique en diable, comin’ down on a sunny day. Fog restera l’un des créateurs de hits les plus somptueux d’Amérique, son wanna know éclate au firmament. En matière de pop, on a rarement fait mieux. Pas de plus bel allumage que celui de «Tombstone Shadow». Fog mord dans le métal, il chauffe sa heavy pop rock avec une niaque qui fout les jetons, c’est éclaté au grand jour, ça retapisse des pots d’épices, ça nettoie les parois. Quelle vigueur ! Fog baise tout le rock par devant et par derrière. C’est un immense fucker. Attention, ça explose encore avec «Keep On Chooglin’». Avec Fog, il faut s’attendre à tout et surtout au blast du Chooglin’. C’est démoniaque, on croit entendre Thor battre le fer dans le Bayou, ça bat si dur. On entend rarement des coups de Chooglin’ d’une telle intensité. Cet enfoiré monte encore d’un cran avec «Sweet Hitch Hiker». Fog chevauche en tête, il a derrière lui la meilleure armée du monde, il chante à la force du poignet. Il déborde de power. S’ensuit un autre hit intersidéral, «Hey Tonight», pur chef-d’œuvre d’effervescence universaliste qui dévore tout cru l’inconscient collectif. La clameur l’embarque. À part Chuck Berry et les Beach Boys, personne n’a jamais pondu autant de hits aussi flagrants. D’une certaine façon, Fog est l’un des rois du monde. Il joue son «Centerfield» à la petite entourloupe et se rattrape aussitôt après avec «Up Around The Bend». Le riff indique la voie. Fog nous fourvoie une fois de plus. Et cette façon de hurler son yahhh le rend unique dans l’histoire du rock. Méchant gueulard ! Chaque riff de Fog est un chef-d’œuvre d’art binaire. Il va terminer en beauté avec un enchaînement de cinq titres, à commencer par l’excellent «The Old Man Down The Road», ce heavy groove de swamp rock de hidey-hide. Il y atteint la perfection. S’ensuit «Fortunate Son» claqué au riff vainqueur. Il saute en selle et file ventre à terre, it ain’t meeee ! Ça fracasse tout, c’est bardé de riffs et chanté à l’incendiaire. Fog grimpe au sommet de son art. Il sort ensuite «Bad Moon Rising» de sa manche. Fog est un phénomène. Rien ne l’arrête. Puis il sonne les cloches du rock avec «Rockin’ All Over The World», nous voilà au bal des vampires et boom, il envoie «Proud Mary» éclater en bouquet final. Fog a raison de conclure avec son hit le plus connu.

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    Ah tiens, voilà le bien nommé Revival.

    — Dis donc Fog, tu renais de tes cendres ?

    — Oh une petite envie de faire des étincelles...

    — Décidément, c’est une manie.

    Tiens tu vas mettre l’album dans ton lecteur, attacher ta ceinture et aller directement au 7 : «Summer Of Love». Ça y est ? Fuzze-moi, Fog ! Là on ne rigole plus. Fog te pulse le bulbe au fuzzy crash de CCR, il rince tout ça à la petite rincette hendrixienne, comme si de rien n’était. Tu veux un autre shoot ? Va au 12 : ««Longshot» - I ain’t no doctor - Fog pique sa crise de Stonesy les deux doigts dans le nez. Tu veux du big old CCR ? Va au 6, «Long Dark Night». C’mon, il ressort son bon vieux vitriol, il exacerbe son c’mon. Inespéré ! Pur jus ! Il roule son c’mon dans sa farine de riff. Encore besoin d’un petit shoot, honey babe ? Alors va au 8, «Natural Thing», il y shuffle son Natutal avec une incroyable facilité. Il nous refait le coup du CCR. Fog est un démon doré sur tranche, le roi du développé d’orgue, de chant et de guitare. Laisse filer le 9, «It Ain’t Right», et tu verras que Fog ne lâche rien. Il nous refait son Little Richard en 10 avec «I Can’t Take It No More». Il en a les moyens et il reste dans l’inflammatoire en 11 avec «Somebody Help Me». Fog est un lance-flamme à deux pattes, il est le pyromane par excellence, il n’a rien perdu de sa superbe des origines. Bon maintenant reviens au 1, «Don’t You Wish It Was True». Il y chante son gut à l’undergut. Il fait ce qu’il veut de nos oreilles. Fog est le seul maître à bord de son art. Il est le champion du don’t you wish you push too. C’est un sacré régal que de l’écouter braire, il chante à l’intégralité de l’émerveillement. Une fois que tu as rapatrié le disk, Fog te file tout à l’œil, tout ce qu’il a. Il refait du CCR sans foi ni loi, en vrai desperado. Puis il explose «Gunslinger» de son. Il tue carrément la peau de l’ours, Fog chasse dans les forêts, ça se sent au ton de sa voix. Il a la peau cousue de cicatrices, il joue à la revancharde, en vrai grizzly man à la barbe drue. Il veille si bien au grain de l’ivraie. Il erre en Gunslinger dans un monde violent et primitif. Puis il revient sur ses traces avec «Creedence Song». Il est encore pire qu’un renard. Alors évidement, il fend le cœur de ses fans. Fog n’en finit plus de faire le show. Même à l’époque de CCR, il n’avait besoin de personne en Harley Davidson. On le voit bien avec «Broken Down Cowboy», il fait tout le boulot à lui tout seul. Ça prouve ce que ça prouve.

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    Avec The Blue Ridge Rangers Rides Again, Fog revient à sa passion pour la country music et un choix de reprises qui va faire bander les amateurs de country. À commencer par le «Garden Party» de Ricky Nelson. Il tape aussi dans John Denver avec «Back Home Again», country pépère et sans histoire. Il passe aussi par John Prine avec «Paradise», down in Kentucky where my parents were born, puis il s’arrête au bar du saloon pour taper dans Delaney Bramlett avec «Never Ending Song Of Love». Fog adore danser la gigue de country ball. Il rend aussi hommage à Phil Everly avec «When Will I Be Loved», mais c’est avec «Change The Weather» qu’il décroche la timbale. Eh oui, Fog nous pète un coup de CCR. Inespéré. Du CCR au cœur d’un océan de country ! Il ramène son vieil épouvantail et le fait avec aménité, très benoîtement, bien appliqué, il fait twanguer sa réverb et sa voix sonne comme elle n’a jamais sonné. Il faut aussi voir le numéro qu’il fait avec «I Don’t Care» : il lance sa country avec un allant qui laisse perplexe, car son East to West swingue la grosse couenne de la country motion. Quel jus ! - I don’t care if the bells don’t ring ! - Il fait comme si de rien n’était.

    — Sacré Fog, tu t’arranges toujours pour te mettre à la pointe du progrès !

    — J’adore faire progresser le progrès !

    Il a raison au fond, car si personne ne le fait, le progrès n’avancera jamais. On ne remerciera jamais assez Fog pour son dévouement. On retombe en plein dans la country avec «I’ll Be There». Il sable le champ’ du champ, on danse à la campagne de la country, Fog adore cette abondance de good vibes, la nature lui monte au cerveau, il n’a jamais été aussi joyeux. Tu vas aussi te régaler de «Moody River». Fog traite d’égal à égal avec la rivière. Encore du pur jus de country flow avec «Fallin’ Fallin’ Fallin’», même si ça violonne à la mormoille, Fog s’empiffre de toute cette vieille fiesta redneck mais il le fait avec un tact qui en impose.

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    — Bonne idée Fog, ton Wrote A Song For Everyone.

    — Yes, un invité par cut. Tiens on commence avec «Fortunate Son» que j’avais écrit pour épingler les fils de sénateurs qui s’arrangeaient pour échapper à ce fuckin’ draft qui envoyait les kids d’Amérique se battre au Vietnam. J’ai écrit ça en vingt minutes, it was very personal to me !

    — Tu as été appelé sous les drapeaux ?

    — Oui, en 1965, mais on m’a affecté à l’Armée de Réserve et je suis rentré chez moi six mois plus tard, au moment où ça commençait à barder sec.

    Fog tape une version extrêmement musclée de «Fortunate Son» avec les Foo Fighters. C’est explosé de son, écartelé à la Ravaillac, ça gicle dans tous les coins, Fog devient fou, complètement fou, un malade bat le beurre derrière lui, alors il en rajoute encore. On entend rarement des blasters aussi ravageurs. Fog c’est le Capitaine Fracasse du Rock.

    — Il paraît que tu n’as pas de bons souvenirs d’«Almost Saturday Night»...

    — Non, Creedence venait de splitter et j’ai compris que j’étais baisé par mon contrat avec Fantasy. Alors j’ai voulu écrire une chanson joyeuse - Somehow in the midst of this dark times I wrote a very cheerful song - Tout le monde aime le samedi soir.

    Qui dira la fabuleuse santé du rock de Fog ? Ça bouillonne dans les artères. On entend même un banjo claironner dans la chtouille. Puis Fog chante «Lodi» avec ses fils Shane et Tyler. Il mène la meilleure des barques.

    — «Mystic Highway» est une chanson ancienne, n’est-il pas vrai, señor Fog ?

    — Oui, je l’ai composée il y a vingt ou trente ans et conservée dans mon carnet. J’y parle des voyageurs en route vers leur destin. Ils ne savent pas exactement où ils vont ni combien de temps ils voyageront, mais ils savent qu’au bout du compte, leur voyage aura valu le coup.

    C’est un vrai hit CCR bardé de son. Herb Peterson amène de la bluegrass guitar à gogo, il gonfle le Fog System à outrance et on entend cette voix se consumer dans le crépuscule ! S’ensuit le morceau titre que chante Miranda Lambert. Fog doit bien aimer son cul pour la laisser démarrer toute seule. Il reprend heureusement les rênes et Tom Morello prend un solo étourdissant.

    — Ça devait être en 1999. J’assistais à une réunion de parents d’élèves et un type que je ne connaissais pas est venu droit vers moi pour me dire qu’il avait combattu au Vietnam. Il m’a raconté qu’il faisait partie d’une patrouille qui devait aller chaque nuit dans la jungle traquer ‘Charlie’. Pour se donner du courage, lui et les membres de sa petite patrouille foutaient le volume à fond pour écouter «Bad Moon Rising» avant d’entrer dans la jungle.

    Alors Fog le joue jumpy et funny, mais à très haut niveau. Le soliste Guy Bowles fait de la dentelle de Calais. My Morning Jacket accompagne ensuite Fog sur «As Long As I Can See The Light» et Jim Jones démarre au chant. Fog entre au deuxième couplet.

    — Dis donc, Fog, «Born On The Bayou» est un vieux coucou !

    — Oui, on était programmés à l’Avalon Ballroom, avec Creedence. On était en sixième position sur l’affiche et tout à coup cette chanson m’est arrivée en tête, comme ça, bham !

    — Dommage que tu fasses entrer Kid Rock dans cette merveille absolutiste. Il vaut mieux écouter l’original. C’est mieux quand tu partages le chant avec Bob Seger sur «Who’ll Stop The Rain».

    — Ahhh «Who’ll Stop The Rain» ! C’est une chanson à propos de Woodstock, a huge gathering of my generation. On y cherchait un maître à penser, a spokesman. Je suis rentré chez moi en pensant qu’on le cherchait encore. This s a song about seeking the truth.

    Fog et Bob ramènent tous les deux leurs vieux powers de vieilles biques. Ça devient forcément infernal. Ce hit terrific grille en enfer comme une vieille merguez oubliée sur le barboque. En fait c’est Bob qui voulait reprendre ce vieux hit. Puis Fog part en fog de bonne aventure avec «Hot Red Heart». Brad Paisley nous y claque des accords qui ne laissent pas indifférent. Ce démon de Fog s’arrange toujours pour développer du son. Puis il attaque «Have You Ever Seen The Rain» avec Alan Jackson.

    — J’ai écrit cette chanson alors qu’avec Creedence on était arrivés au sommet de la montagne et plutôt que de profiter du soleil, on a préféré avoir la pluie - We should have been having a sunny day, but chose instead to invent rain.

    — Finalement, t’es un mec drôlement mélancolique, Fog !

    — Oui, mais bien des années plus tard, cette chanson prend un nouveau sens à mes yeux : j’y vois un rainbow.

    «I know !» gueule Alan Jackson et Fog reprend le dernier couplet. Quelle merveille ! C’est le hit parfait, ultra-joué à Nashville avec du violon et de la slide à gogo. Fog revient à ses affaires on a sunny day. Il termine avec «Proud Mary». Allen Toussaint l’accompagne au piano. Mais une folle se prend pour Tina.

    — Que veux-ru que je te dise de plus, Fog ? Que c’est putassier ?

     

    Ce foggy panorama est bien sûr dédié à Mr G, qui démarra son dernier radio show avec «I Put A Spell On You». Well done, G ! Et la paternité de la formule ‘C’est jeudi c’est Fogerty’ lui revient, bien sûr.

    Signé : Cazengler, creerance darkwater

    Creedence Clearwater Revival. ST. Fantasy 1968

    Creedence Clearwater Revival. Bayou Country. America Records 1969

    Creedence Clearwater Revival. Willy And The Poor Boys. Fantasy 1969

    Creedence Clearwater Revival. Green River. Fantasy 1969

    Creedence Clearwater Revival. Pendulum. Fantasy 1970

    Creedence Clearwater Revival. Cosmo’s Factory. Fantasy 1970

    Creedence Clearwater Revival. Mardi Gras. Fantasy 1972

    John Fogerty. John Fogerty. Asylum Records 1975

    John Fogerty. Blue Ridge Rangers. Fantasy 1980

    John Fogerty. Centerfield. Warner Bros. Records 1984

    John Fogerty. Eye Of The Zombie. Warner Bros. Records 1986

    John Fogerty. Blue Moon Swamp. Warner Bros. Records 1997

    John Fogerty. Premonition. Reprise Records 1998

    John Fogerty. Deja Vu All Over Again. Geffen Records 2004

    John Fogerty. The Long Road. In Concert. Fantasy 2006

    John Fogerty. Revival. Fantasy 2007

    John Fogerty. The Blue Ridge Rangers Rides Again. Verve Forecast 2009

    John Fogerty. Wrote A Song For Everyone. Vanguard 2013

    John Fogerty. Fortunate Son. My Life My Music. Back Bay Books 2015

    PARIS / 29 – 02 – 2019

    HOLY HOLSTER

    ALICIA F !

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    La rue Basfroi débouche dans la rue Charonne. Quand vous apercevez sur un mur l'inscription '' Nous sommes toutes des héroïnes '' en grosses lettres capitales, vous n'êtes plus loin. Les filles se vantent un peu trop mais je ne dis rien puisque ce soir je vais justement voir mon héroïne rock à moi ( et à quelques autres ). Une petite merveille qui s'appelle Alicia F !

    L'Holy Holster n'est qu'un bar, mais l'on s'y sent bien. Un de ces vieux rades comme l'en fait plus. Un antre à rockers, pas très grand mais muni d'un outil indispensable, une scène surmontée d'un beau drapeau pirate. Gros flots de bonne musique, bières et affiches de concerts jusqu'au plafond.

    ALICIA F !

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    Elle a sa garde rapprochée derrière elle. Mais c'est Alicia, devant. Alicia F. Les lettres ont leurs résonances secrètes. Robert Graves nous en dévoile quelques unes dans son ouvrage La Déesse Blanche. Ce F, comme hache d'abordage levée bien haut, prête à frapper. A moins que ce soit le signe du feu dévorant s'attaquant à l'arbre du monde. Quelle que soit la lecture de cet alphabet celtique, Alicia porte une mini-kilt, tartan aux teintes d'or blanc, qui irradie et attise l'œil abstrait des désirs épanouis.

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    Elle chante. Pas Alicia, pas encore. Ce ne sont que les premières secondes du set, mais la basse de Frédéric Lherm entonne le péan guerrier. Elle ne hisse pas le drapeau noir habituel des lignes de basse, l'est particulièrement inspiré ce soir Frédéric Lherm, sa basse est un chant de pourpre profonde, une flamme qui ne s'est pas ralentie une seconde de tout le show, une orange coulée d'annamite suave qui a distillé son poison vital toute la soirée. Rien que cette sonorité inextinguible et c'était gagné.

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    Et Alicia s'est glissée là-dessus comme une gamine sur le toboggan de la mort. Une voix qui déclare la guerre au monde entier, et à ses côtés Tony Marlow a effleuré sa guitare trident, et Fred Kolinski a frappé, non pas la fin de la récréation, mais le début de la création. Elle a tout compris Alicia. Que le rock'n'roll est une relecture infinie de l'éclat vital de vivre. Qu'elle ne sera intensément Elle que si elle devient la prêtresse du public. Que si elle infuse cette fusion de rêve et de réalité, cet alliage d'énergie et d'attente qui émane d'elle et du public pour le transformer en aile de foudre.

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    Alors Tony Marlow a allumé le feu de sa guitare. Dès Monthly Visitors parce qu'Alicia y évoque le rougeoiement de sa féminité, ce sont de gros caillots de sang psychédélices qui se sont échappés des cordes de Tony, et Alicia a mordu dans la chair vive du vocal. Etrange comme elle semble portée par son corps, son âme de feu exsudée dans chacun de ses mouvements, arquée en elle-même, elle est en même temps la lave bouillonnante contenue dans le volcan et l'éruption fatidique. Alicia F c'est un peu si vous me permettez ce mauvais jeu de mot systole packin mama, ça ne dure jamais longtemps, un fragment de seconde, durant lequel elle se tait, se rétracte sur elle-même, qui lui est nécessaire pour capter les effluves invisibles du rock'n'roll qui émanent d'elle, elle les rappelle, chienne de berger qui ramène les moutons à la maison, et alors seulement, après cette contraction musculaire, ce bras qu'elle a ramené tout près d'elle, elle vous regarde, elle sait votre attente, et elle libère toute l'énergie amassée. Diastole atomique qui gronde et pulvérise le monde autour d'elle.

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    Derrière Fred Kolinski mène la danse. Il frappe les mille coups saccadés du destin d'Alicia F, et toute la salle reprend en chœur, I love rock'nroll, l'hymne sacré du rock'n'roll féministe, qui lui colle à la peau, telle une lèpre voodooïque. Et Kolinski magistral, royal, impérial, avec ses longs cheveux d'écume neptutienne qui roule sur ses épaules, le visage impassible, à croire qu'il est sereinement étranger à cette ferveur qu'il a déclenchée, il semble présider une cérémonie secrète dont il marque le déroulement fatidique de ses baguettes catacombères.

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    Le morceau suivant à vous couper le souffle, le vieux classique malmené de bien belle façon par Tony, une guitare qui se permet toutes les libertés, tous les outrages, une horde de pillards qui boutent le feu au palais, et vous le reconstruisent encore plus beau, car il faut savoir brûler la part humaine pour ne garder que les éclats de divinité dont le rock'n'roll est criblé. Ce soir, tout le long du show, la guitare de Marlow crisse et crise, course poursuite, les pneus qui chuintent sur l'asphalte, dans la grande tradition américaine du blues qui s'est enflammé et a enfanté le démon du rock'n'roll, le fils du diable encore plus méchant et fascinant que son père.

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    Question angoissante : nos deux deux Fred et Tony, tous trois sur les chapeaux de roue, vont-ils finir par submerger Alicia toute seule avec sa voix et ces trois monstres grondant derrière elle. Dissipez vos doutes, non ! D'abord parce que ce sont des gentlemen. Ensuite parce que seraient-ils les pires des malappris que notre héroïne ne se laisse pas marcher sur les pieds. Ce n'est pas qu'elle commande. C'est qu'elle paye de sa personne. En coupures d'authenticité. Elle ne triche pas. Elle ne joue pas à la diva. Elle s'asperge simplement de l'essence du rock'n'roll et elle craque l'allumette. Qu'elle interprète ses propres morceaux ou les classiques inusables, elle va jusqu'au bout.

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    Vous seriez en droit de vous demander, avec ses bras résilles, son justaucorps noirs et ses tatous bleus sur ses bras nus, ce qu'elle veut de vous. La même chose qu'elle donne. Tout. Car Alicia une fois qu'elle est dans sa voix, n'est plus avec vous, elle est en elle et en son désir de rock'n'roll. Exhibitrice solitaire. D'abord elle chante pour elle. Et puis pour vous. Ah ! cette manière d'entrer dans un morceau, et surtout d'y rester de bout en bout, de s'y camper dedans, de s'y cramponner comme si elle ne voulait plus en sortir, ne plus jamais le laisser échapper. Elle vous aligne les lyrics comme si elle entreposait des pots de confiture à la dynamite sur l'étagère. Une voix ample et puissante. Et puis elle crie. Des rugissements de panthère. Courts mais intenses. Pour vous avertir que vous êtes sur son territoire de chasse, et que c'est chasse gardée. Mais pas interdite. A vos risques et périls. Et tout le monde s'y risque. Du moins des yeux.

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    Car il n'est de pire piège que ceux qui se voient. Magie du cirque. Elle sait vous attirer. De ses yeux taquins. De cette main qui descend sous la jupette. Mais qui remonte aussitôt comme pour vous épargner la tentation. La belle hypocrite. Elle fout le feu et elle se tire. Allumeuse de fantasmes. La voici chienne couchée à terre, soumise et aguicheuse, elle se traîne, elle rampe, elle aboie, elle remue de la croupe et du bassin, elle est ce vous voudriez être et que vous n'osez pas devenir, elle froisse les draps de satin de vos intimités et vous exultez, I wanna be your dog, le rock est autant outrage qu'orage. Sinon, bien avant sur City of broken dreams, magnifiquement orchestré par ses trois acolytes, elle a été la grande dame romantique, l'intouchable qui vous a brisé le cœur, votre vie est finie et les vautours du malheur vous dévorent l'âme. Vous la verrez aussi à terre, à genoux, assise, gosse dans le bac à sable, puis pratiquement star de revue, et insupportable Lolita, telle que Nabokov n'a réussi à la rendre si charnellement insaisissable dans son roman. Ses yeux tour à tour lumineux et souverains, cruels et complices, ses cheveux de feu qui brûlent, Alicia toute belle, toute et uniquement rock'n'roll.

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    Deux rappels et en final un You never can tell, bien nommé, car jamais vous ne pourrez dire les émotions qu'Alicia F a instillées dans les fibres de l'assistance, ce ravissement admiratif qu'elle a suscité dans les esprits d'un public de connaisseurs et d'amateurs, ce sentiment de satisfaction comblée sur les visages. Une soirée rock'n'roll. Merci, Alicia and his boys.

    Damie Chad.

    ( Photos : fb : Armando Carvalho )

    1, 2, 3, 4 !

    THE TWANGY & TOM TRIO

    ( Twang 002 / Mai 2018 )

     

    Un groupe pythagoricien, pythagrockricien pour employer le mot juste, qui essaie et réussit de démontrer la quadrature du triangle, vous annonce la couleur dès le titre, 1, 2, 3, 4 ! , bref un trio à quatre angles – chacun aigu et très pointu en sa matière – inutile de chercher l'erreur, ils ont deux contrebassistes mais n'en utilisent qu'un à chaque fois. Vous trouvez cela bizarre mais pourtant vous avez bien quatre roues à votre voiture et une cinquième en réserve dans la malle !

    Phil Twangy : guitar / Long Tom : harmonica / Gégene : contrebasse / Bout d'Fil : contrebasse.

    Artwork : Milouf / Photos : Arnaud LD & Jack Torrance. Faut féliciter ces gars. Rien de plus difficile que de réussir une pochette de CD, cela ressemble en poésie classique à l'art imposé du sonnet, caser quatre gars sur une surface réduite et leur donner l'expression de ce qu'ils sont ou ne sont pas selon une esthétique directrice, n'est guère donné à tout le monde. Ici c'est subtil, remarquez l'angle droit formé par le manche de la guitare protubérante qui a l'air de s'échapper du cadre avec celui de la contrebasse croisé aussi à angle droit avec le bras de Gégene qui lui-même initie le troisième côté d'un carré formalisé par la bande blanche de la tunique. Si vous rajoutez au fond la tête et l'épaule de Gégene qui forment l'hypoténuse d'un triangle rectangle, vous vous dites que l'ensemble est construit comme ces tableaux de la Renaissance à consonance structurelle ésotérique élaborés à partir des traités de Macile Ficin.

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    I got pain : avez-vous fait gaffe au sourire sardonique de Twangy sur la pochette, vous zieute avec ce regard qui en dit plus long que le temps qu'il vous reste à vivre, en corrélation étroite avec sa voix, un froissement inquiétant de reptile qui rampe sur du verre, I got pain qu'il dit mais vous avez plutôt l'impression que le jeu de la contrebasse et les giclées de twang de la guitare ont plutôt envie de vous envoyer un pain sur la gueule. Et derrière le Long Tom qui joue de l'harmonica comme s'il vous enfonçait une vrille dans les yeux. Si vous n'aimez pas, c'est que vous ne savez pas ce qui est bon. Tore apart : essaient de se faire pardonner au morceau suivant de belle facture rockabilly, une histoire classique elle est partie et le gars lui demande de revenir. Même que Long Tom vous envoie un de ces solos encore plus poignant que la Plainte d'automne de Verlaine, voudrais pas me mêler de ce qui ne me regarde pas mais à sa place je ne reviendrai pas, avec cette dégelée de guitare qui va lui tomber sans préavis sur le dos au deuxième solo, je me méfierais. En plus ses copains le soutiennent, on dirait qu'ils caressent leur batte de baseball. Let's do the wrong : y a des gars qui sont attirés par le mauvais côté des choses, vous n'y pouvez rien, c'est leur nature, vous envoient une petite rythmique guillerette pour amadouer la compagnie, et après on ne les arrête plus, des rockies qui se livrent à tous les excès permis par le rock'n'roll, et chacun essaie de faire mieux que l'autre, inutile de vous apprendre que cela se finit par un de ces charivarocks du meilleur effet et vous aimeriez que ça ne s'arrête jamais. Jusqu'à la mort qu'ils disent. Blue moon baby : ça a l'air tout mignon avec sa brillance de guitare ce vieux truc de Dave Didllie, mais ce n'est pas pour rien que les Cramps l'ont repris, c'est comme la téquila, la première avalée vous requinque, à la soixantième vous ne savez plus, je vous certifie que les Twangy ils tanguent salement. En plus ils vous font le coup du morceau qui s'arrête. Pour reprendre en pire. Mais vous ne regrettez pas. Somebody's been rocking my boat : qui se souvient encore de Norman Witcher et de son Somebody's...boat, avec guitare déjantée et cette espèce de saxophone dont le son oscille entre la clarinette et le violon, une belle occasion pour le trio de remplacer cette étrange sonorité par celle de l'harmonica. ( L'amateur en profitera pour réécouter le Who is pushing your swing baby since I've been gone de Gene Vincent, et méditer sur la confluence jazz-rockabilly ) en tout cas les Twangy restent dans l'orthodoxie rockab tout en prenant soin pour Phil Twangy de noircir quelque peu sa voix et d'isoler les notes de son solo, et c'est l'harmo qui booste la vitesse en accord avec le pumpin' incessant de la contrebasse. Le chœur final apporte une touche de vieilloterie ancestrale, preuve qu'ils ont dû salement intuiter pour respecter l'esprit du morceau. Please give me something : le gars sait ce qu'il veut et il insiste pour l'obtenir, comme elle n'a pas l'air de comprendre, ils s'y mettent tous à tour de rôle, et ma foi je vous jure qu'ils sont convaincants. Z'ont compris que sur les trente premières secondes de son hit Bill Allen n'était pas assez vindicatif. Pas de temps à perdre à amadouer les greluches, foncent tout de suite, un solo de guitare à faire péter l'élastique de la culotte, et ça finit en un étrange cri de satisfaction. Plus rut que roots. Going strong : ne jamais relâcher la pression. Un harmonica démoniaque qui klaxonne pour vous avertir de ne pas traverser sur le passage clouté, et ça roule à fond la caisse. L'on se doute bien de l'endroit où ils se rendent, alors on monte en passager clandestin dans la remorque et ne croyez pas que l'on va descendre en route, de toutes les manières ce serait trop dangereux. Please don't leave me : plus c'est gros plus ça domine, peut-être est-ce pour cela qu'ils vous le sulfatent avec plus de force, la french touch c'est pas Hou ! Hou ! sous forme de jérémiades plaintives, c'est Ho ! Ho ! qui trompette de la mort si tu fais un pas de plus. Nettement plus percutant. ( I got ) a hole in my pocket : l'on quitte la New Orleans pour le Grand Ole Opry, attention pas la country nostalgique et pleurnicharde, les parties de guitare de Little Jimmy Dickens n'étaient pas piquées de hannetons, faut dire qu'avec Grady Martins derrière ça aide un peu, un beau challenge pour Phil Twangy, mais dans la vie qui ne risque rien n'a rien, et lui il empoche un max, par dessus le marché le Long Tom vous le seconde tout du long. Ain't that a dilly : même genre que le précédent mais les rôles sont un peu inversés, c'est la guitare qui ponctue et l'harmo qui se plante devant et qui ne lâche pas le morceau. La contrebasse poinçonne le shuffle à la TGV et la voix qui aboie vous mordrait presque. Le détour par l'original de Marlon Grisham s'impose toutefois. I'm back again : peut-être le meilleur morceau du CD, mais il n'y a que du meilleur sur cette galette merveilleuse. D'abord cette fragrance de mélancolie dans la voix du gars qui a tout vu tout vécu, cet harmonica qui pousse en douce à la manière de ces taureaux vicieux qui introduisent leur corne dans le ventre du torero et ces éclats de guitare aussi tranchants que du verre. Tore up over you : et un petit dernier pour la route pour vous faire oublier que sur cette terre toutes les choses ont une fin, même le CD du Twangy & Tom Trio. Ne réclamez pas que c'est trop abrupt, vous abreuvent de ces interruptions fatidiques qui vous trouent le cœur pour mieux vous injecter une double potion d'adrénaline à la seconde suivante. Si vous n'êtes pas déjà en train de l'écouter c'est que personne ne peut rien pour vous. Que jamais vous ne serez assis à la droite du diable. Tant pis pour vous. Vous n'avez rien compris au film.

    Un disque de rockabilly moderne qui sonne juste.

    Damie Chad.

     

    METS LE FEU ET TIRE-TOI

    JIM McBRIDE

    ( eD : Gallmeister / Col : Totem / Oct 2019 )

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    Ceci n'est pas une biographie de James Brown. Pour ceux qui veulent suivre dans l'ordre chronologique James Brown dans ses tournées et participer à ses séances d'enregistrement les unes avec les autres, c'est raté. Le choix d'un autre bouquin s'impose. Mais de quoi nous parle donc Jim McBride ? D'abord de lui-même, il est bien connu que charité bien ordonnée, commence par notre petite personne. N'était pas particulièrement enthousiaste pour écrire le bouquin mais son agent littéraire n'avait rien d'autre à lui proposer. Pour être très précis, notre auteur n'avait plus de fric. Passage à vide. Dans ces cas-là, en dernier recours, on ne mégote pas. Soyons honnête ce n'était pas une proposition malhonnête, Jim McBride est un passionné de musique noire. Pour deux raisons, il n'est pas qu'écrivain, l'est aussi musicien, saxophoniste de jazz pour être précis. Une deuxième plus intime : l'est un afro-américain, un noir pour employer le mot qui peut vexer.

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    Ensuite tout dépend de la méthode employée. Sur n'importe quel type de sujets beaucoup de chercheurs qu'ils soient professionnels ou amateurs, se contentent de lire tous les ouvrages pondus avant eux, compilent les articles de presse, n'oublient pas de visionner l'ensemble des images disponibles, et puis se mettent au boulot... Travaillent chez eux bien au chaud dans leur bureau. McBride n'a pas mis ses pas dans les empreintes laissés par ces devanciers. L'a pris son téléphone et sa voiture et est parti interviewer ceux qui ont côtoyé de près le godfather of funk. Aucun voyeurisme chez lui, n'est pas allé explorer les fonds de culotte des maîtresses ( nombreuses ) de James. Uniquement ceux et celles qui ont permis à James Brown d'être James Brown, les musiciens qui ont bossé pour l'aider à parfaire son style, le staff qui s'est chargé de tout l'aspect organisationnel de l'aventure. Les petites mains si précieuses comme ceux qui s'occupèrent des finances. Nous sommes en Amérique et l'argent-roi est ce qui structure la société... N'a pas interrogé tout le monde, une vingtaine de témoins essentiels. Ce qui induit un double regard. Celui apporté par les réponses aux questions posées par l'interviewer à l'intéressé qui raconte ses souvenirs et fait part de son analyse des évènements, et puis c'est comme en physique quantique il y a toujours une interaction entre l'électron observé et l'observateur. McBride rapporte autant les propos de ces témoins que la façon dont il est entré en contact avec eux, leurs attitudes, leurs mimiques, le décor, et tous ces non-dits qui en disent souvent davantage que les déclarations officielles... Chaque interview est habilement mis en scène, de véritables débuts de romans, parfois policiers, souvent psychologiques, avec présentation, descriptions, analyses, aller-retours incessants entre le passé et le présent. Méfions-nous, ce n'est pas un journaliste qui a rédigé ce bouquin, mais un véritable écrivain. Qui vous en apprendra beaucoup sur James Brown, mais qui avant tout se sert du personnage dont il dévoile des facettes ignorées pour mieux vous communiquer aussi sa vision du monde à lui. Ce qui ne signifie pas qu'il vous raconte des bobards mais qu'il nous livre avant tout ses propres réflexions. En gros, il y va beaucoup plus gonzo-gonzo que mollo-mollo.

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    James Brown est né en Caroline du Sud. Pour les Européens ce n'est qu'un territoire sur une carte de la grande Amérique. Pour un américain, c'est beaucoup plus précis, c'est le Sud. Pas le Sud géographique des Etats-Unis. Le pays des esclaves. Le pays de la ségrégation. Ne dites pas que c'était il y a longtemps, que c'est de l'histoire ancienne. Que cela n'existe plus. Un mauvais et triste souvenir sur lequel il vaudrait mieux ne pas revenir. James McBride nous dit l'exact opposé. Le racisme est toujours là. Feutré, mais omni-présent. Au Sud. Et au Nord. McBride ne chausse pas les gros sabots revanchards. Ne peint pas la situation en noir et blanc. Il n'y a pas d'un côté les pauvres noirs surexploités et de l'autre les méchants blancs oppresseurs. C'est beaucoup plus complexe que cela. Beaucoup plus subtil. Simplement si vous voulez comprendre le personnage de James Brown, vous ne devez jamais oublier qu'il est né en 1933, que sa carrière a commencé au moment des luttes pour les droits civiques, qu'elle s'est poursuivie lors des soubresauts des révoltes idéologiques des Black Muslims, des Black Panthers, et des émeutes de Watts... Mais ceci n'est encore que l'écume historiale des évènements, la vague est plus profonde, l'histoire de la musique noire est marquée au plus profond de sa psyché, bien des épisodes qui peuvent paraître dramatiques, incompréhensibles, voire cocasses, sont uniquement explicables par la purulente fêlure jamais refermée de l'esclavage.

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    Pour comprendre James Brown il ne suffit pas d'écouter sa musique, de dire qu'elle est belle, qu'elle est un jalon indispensable de la soul bla-bla-bla... James Brown a fait comme il a pu. Comme toute sa communauté il s'est protégé. Une loi intangible : ne pas faire confiance à l'homme blanc. Ne jamais s'opposer directement. Sourire mais n'en penser pas moins. Baisser les yeux mais tisser ses murailles auto-protectrices. Un unique précepte : ne compte que sur toi-même. Ta famille peut être un rempart, et James McBride arrive à retrouver la filiation familiale du petit James qu'il n'a jamais dévoilé de lui-même. Cet ancêtre qui s'est échappé du pénitencier, qui s'est enfui de Georgie pour fonder une famille en Caroline, de son père qui le laissera à une tante qui s'occupera de lui. Mais cette idée fortement implantée dans sa tête, qu'il est lui James Brown la seule personne qui le tirera de la misère. Une première tragédie incompréhensible : toute une portion du comté, notamment son village natal de Barnwell, dont la population sera expulsée pour construire les usines nécessaires à la confection des bombes atomiques nécessaires à l'Amérique... Sa famille s'installera à Augusta en Georgie. C'est là qu'il rencontrera Leon Austin. L'ami fidèle. Indéfectible. Qui choisira une vie simple : une femme aimée, des enfants. L'anti-James Brown par excellence. Un refuge auquel il retournera souvent.

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    La suite ressemble à un film, le trafic de pièces de voitures, l'arrestation, trois ans de prison. Libéré à dix-neuf ans, le désir de chanter, de danser de ne pas courber l'échine dans un boulot mal-payé, l'amour de Velma Warren, le mariage, la formation des Flames dans la suite logique des chants à l'Eglise et le rhythm'n'blues de Louis Jordan, les soirées, les fêtes, et le premier succès ( plus d'un million de disques vendus ) Please, Please, Please... Nous sommes en 1956, la partie n'est pas gagnée mais James Brown est déjà tel qu'en lui-même. Ce n'est pas qu'il s'est trouvé, c'est qu'il a tout compris.

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    L'écriture du livre repose sur la logique de ce que sera désormais la conduite brownienne. A part égale : lui et la communauté noire américaine. Brown s'en tiendra toute sa vie à la même stratégie. D'abord et avant toute chose : c'est lui le patron. Ainsi ce ne sera plus les Flames mais les Famous Flames et bientôt sur les affiches : James Brown and his Famous Flames. Voilà c'est écrit en grosses lettres, le boss c'est James Brown. Ceux qui ne sont pas d'accord peuvent décamper. La plupart des musiciens et des choristes dégageront au bout de quelques années. Brown est intransigeant. L'on obéit au doigt et à l'œil et l'on ferme son claque-merde, sinon l'on est viré. L'est un tyran, une minute de retard à la répète, une chaussure mal cirée, une erreur sur scène, et l'on est foutu dehors tambour battant. Parfois les colères de Brown tournent à la folie, vous pouvez être renvoyé chez vous et rappelé dans les quinze secondes suivantes pour illico presto être de nouveau radié des effectifs et la scène peut se renouveler plus de quarante fois. Brown peut être odieux. Il le sait, mais il ne se soigne pas. N'a même pas envie de guérir. Oui il est terrible avec les femmes, oui elles aussi sont virées de son lit et de sa vie, il les maltraite, il les frappe, il le reconnaît, l'est le premier à avouer que ce n'est pas bien, mais ce n'est pas de sa faute puisqu'il ne peut pas s'en empêcher. Aujourd'hui la bonne mauvaise foi de Brown rendrait folles les militantes de Me Too, il est même étonnant qu'elles n'aient pas encore exigé que l'on brûle ses disques.

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    C'est que Brown se méfie de tout le monde. Sans doute est-il un tantinet paranoïaque. Envers les blancs et les noirs. Envers ses proches, et toute personne qui pour une raison ou une autre entre en contact avec lui. James Brown contre le monde entier. Mais pas seul. Il sait s'entourer d'amitiés indéfectibles. Le titre du livre explique ce miracle. Mets le feu et tire-toi, l'éditeur a-t-il tiqué devant le titre original : Kill'em abd leave, littéralement Bute-les et barre-toi. C'est le grand secret de James Brown, quand tu fais quelque chose tu le fais et tu décampes aussitôt, après parce ce qui se passe après n'a plus d'importance. Tu as fait ce que tu voulais réaliser, pas la peine de bavasser dessus par la suite. Une règle d'or, le show terminé, pas de réception avec les autorités du coin ou les fans, l'on charge les camions et l'on démarre en pleine nuit. Nombreux témoins dans le bouquin le répètent à l'envi. James Brown, ne faisait pas le service après-vente, ni les risettes à la femme du maire. L'était comme cela avec tout le monde. C'était ainsi qu'il recrutait ses fidèles : le jeune gars sans envergure qui n'osait même pas lui adresser la parole, il lui refilait le deal tout de suite : écoute moi my guy, si tu veux réussir, agis comme je te le dis, suis-moi et je t'apprendrai, facile, obéis-moi, fais comme moi, on les écrase et on se calte !

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    Pédagogie un peu frustre et expéditive ! Encore faut-il en connaître les deux versants. Si James Brown était dur envers les autres c'est parce qu'il était encore plus dur envers lui-même. Un travailleur infatigable. Ne se tolérait aucune faiblesse. Ne croyait qu'à la persévérance, qu'au travail. Avait l'œil à tout, aux détails les plus insignifiants. Tirait les leçons de ses moindres échecs et y remédiait sur l'heure. Aux jeunes noirs qu'il rencontrait il répétait le même message : travaille, ne quitte pas l'école, instruis-toi, c'est ta seule chance de t'en sortir dans cette société de requins. Avant de mourir James Brown a tenu à rédiger son testament. Pas une feuille de papier griffonnée à la va-vite, un document officiel conforme aux recommandations légales. Ses volontés sont très simples. Près de trois millions de dollars pour ses enfants. Le reste entre cent et cent cinquante millions de dollars versés à des associations ou à des fondations pour que les enfants pauvres ( noirs et blancs ) puissent suivre des études. Brown meurt en 2006, en 2016 date de l'écriture du livre, pas un seul centime n'est parvenu aux enfants. La famille a remis en cause le testament, et des dizaines et des des dizaines d'avocats ont multipliés à l'infini les procédures. Coûteuses. Très coûteuses... Brown avait raison de ne faire confiance à personne.

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    Brown s'était forgé une éthique. On l'appelait Monsieur Brown et lui-même donnait ce titre à n'importe quelle personne que ce soit le président des Etats-Unis, ses musiciens, ou le moindre anonyme qu'il rencontrait dans la rue. Il exigeait le respect et ne le refusait jamais à un tiers. Depuis tout petit Brown savait que la puissance d'un homme tient pour lui-même à sa valeur morale et selon le restant de l'humanité à sa fortune. Un bon compte en banque vous pose n'importe qui, mais Brown n'avait pas confiance en les banques. Entre 1956 et 1960, cela ne posait guère de problème, il n'avait pas grand-chose, tout ce qu'il gagnait était dépensé pour agrémenter le show ( paye des musiciens, décors, costumes, choristes... ), entre 1960 et 1980, il n'y avait pas non plus de problème, l'argent coulait à flot, et tout le monde y trouvait son compte, lorsque la vague disco a tout submergé, l'étoile de James Brown a pâli, moins de disques vendus, le montant des cachets pour ses shows a fondu comme neige au soleil. Brown s'est battu, des années de vaches maigres mais il a toujours cru qu'il remonterait la pente, l'a tout perdu, ses stations de radio, ses commerces, ses meubles, ses voitures, son avion, mais il s'est obstiné, il est revenu au sommet. Mais entre temps les vautours se sont déchaînés : les agents du fisc lui ont réclamé quinze millions de dollars d'impôts, on allait enfin lui faire la peau à ce négro, tout le monde le crut perdu, mais Brown a su trouver les conseillers financiers qui l'ont tiré de la panade. Il ne les a pas aidés ces alliés inespérés, James Brown a toujours préféré le cash, de la main à la main, faisait parvenir à ses experts ce qu'il voulait, en gardait une grande partie pour lui, d'abord il était dépensier, ensuite il en cachait un peu partout, des réserves au cas où l'aventure tournerait mal...

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    L'âge est venu. La fatigue, et les douleurs aussi. Des genoux en capilotade. De l'arthrose partout, ses anciennes articulations nickel-chrome totalement niquées. Mais plus que cela, une fatigue morale. James Brown veut bien admettre que la musique ait évolué, que son vieux funk des familles fait partie de ces monuments nationaux que plus personne ne visite, même s'il le juge supérieur à la daube disco et au rap des jeunes générations noires. Ce sont celles-ci qui lui causent du souci. Certes l'est un peu comme ces grands-parents qui poussaient des cris d'horreur devant les cheveux longs de leurs gamins en 1966, lui ce sont les pantalons à mi-cul qui le choquent. Après ces shows il passait systématiquement trois heures sous le sèche-cheveux pour remettre en ordre sa pompadour refusant de recevoir quiconque qui n'était pas de son entourage... Mais il ressent un laisser-aller général dans ces jeunes qui viennent quémander des milliers de dollars pour enregistrer un disque. Qu'ils commencent par travailler, Rome ne s'est pas faite en jour, mais chacun se construit lui-même, brique après brique. Il est devenu la conscience morale de sa communauté, le premier qui leur ait crié haut et fort qu'ils étaient noirs et qu'ils devaient en être fiers. Les pages consacrées aux obsèques de Brown sont édifiantes et bouleversantes à cet égard.

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    Mais le livre ne s'arrête pas à la mort de James Brown. Le saxophoniste McBride établit une filiation entre Miles Davis, John Coltrane et Brown, des créateurs infatigables qui ont su se remettre en question. Coltrane a reçu cent cinquante dollars pour l'enregistrement de Kind of blue le disque de jazz qui s'est le plus vendu au monde. L'on comprend mieux pourquoi James Brown tenait à être maître chez lui ! Mais dans la vie tout se paie. Et Brown a payé cher. Derrière les barrières protectrices érigées, une terrible solitude. Il a tout connu, la gloire, deux fois la prison, et pire que tout, la honte, lorsque la pression s'est faite si forte, lui qui ne buvait pas d'alcool, que l'on n'a vu que très rarement – jamais en public – une clope au bec, a fini par se droguer, en cachette afin de ne pas donner le mauvais exemple aux jeunes noirs, s'est abruti de produits afin d'oublier la déshérence   de ces temps nouveaux de renonciation générale qui, lui semblaient-il, s'annonçaient pour sa communauté...

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    McBride finit par deux personnages. Vous connaissez le premier : Michael Jackson qu'il présente comme un perfectionniste digne de James Brown, terriblement solitaire comme Brown et terriblement croyant comme Brown. Et puis une dernière, Sister Lee qui tenait l'orgue de l'Eglise que les parents de McBride ont fondée. Une femme un peu stricte qui passait son temps à enseigner la musique aux enfants... La mise en pratique de la grande idée de James Brown, travailler pour soi-même, veiller à éduquer les autres.

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    Un beau livre, vous y apprendrez beaucoup sur la musique de James Brown et aussi sur l'interdépendance et l'entre-soi des deux communautés américaines, la noire et la blanche, deux culs, entre acceptation et répulsion, posés sur la commode du racisme, un tiroir ouvert et l'autre fermé.

    Damie Chad.