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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 71

  • CHRONIQUES DE POURPRE 487 : KR'TNT ! 487 : SPENCER DAVIS / ALICE COOPER / JARS / SOUL TIME / KLONE / ROCKAMBOLESQUES X

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 487

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    03 / 12 / 2020

     

    SPENCER DAVIS / ALICE COOPER

    JARS / SOUL TIME / KLONE

    ROCKAMBOLESQUES 10

     

    Spencer dévisse

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    Mitch Ryder disait de Spencer Davis : My favorite Englishman. Mimi aurait pu citer Sean Connery, Michael Caine ou encore Ray Davies, mais non, il préfère Spencer Davis, héros d’une autre époque, celle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, quand le British Beat venait jusque sous nos fenêtres accrocher sa fuzz et ses éclats. Tout n’était alors que désordre et beauté, luxe, calme et volupté. Sauf au Vietnam, bien sûr.

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    Spencer Davis vient de casser sa vieille pipe en bois et comme le font tous les vétérans de toutes les guerres, il laisse à la postérité une belle tripotée d’EPs mythiques. Tout le monde se souvient du Spencer Davis Group. On osera même un parallèle avec les Stones qui furent eux aussi coupés en deux avec l’avant et l’après-Brian Jones : le Spencer Davis Group eut droit à l’avant et l’après-Stevie Winwood.

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    En 1962, Spencer Davis est prof d’école. Dans sa classe, il a les frères Winwood. Le petit s’appelle Stevie, il porte encore des culottes courtes, et son frère aîné qui s’appelle Muff a déjà un peu de moustache. Pendant la récré, Stevie va sous le préau pour chanter et jouer aux billes. Spencer Davis dresse l’oreille : «Cor, the kid can sing !». Pendant qu’il joue à dégommer les pyramides de quat’ avec Muff, Stevie chante les tubes de Ray Charles qu’on entend à la radio. Alors Spencer Davis va trouver les deux frères et leur balance, avec l’accent le plus confraternel qui soit : «Cor kids, wanna start an orchestra ?». Oh oui oh oui oh oui !, fait Stevie en sautant sur place. Muff ne dit rien, occupé à percer un gros pâté d’acné sous le menton. Et pouf c’est parti. Muff fait la basse, Spencer Davis gratte sa gratte, Peter York bat le beurre et Stevie fait tout le reste. Il sait tout faire, l’orgue, la guitare, le Ray Charles, les billes, le piano. Mine de rien le groupe du professeur Davis devient l’un des meilleurs groupes anglais, ce qu’on appelle là-bas a driving force. Le petit Winwood monte tous les soirs sur scène en culottes courtes et nique la concurrence. Ils commencent à palper pas mal de blé mais Stevie ne veut être payé qu’en billes et en tablettes de chocolat au lait.

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    Quant à Muff, il veut une mobylette. Tout le monde se souvient de «Keep On Running» et son intro magique de big bad bassmatic, l’une des plus réussies de l’histoire du rock, l’intro de jerk par excellence, celle qui donnait aux jukes une vraie raison de vivre, hey hey hey. Paradis de la fuzz, battu à plates coutures, l’un des premiers hits punk, le pendant britannique de «Dirty Water».

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    L’autre magic Fontana EP, c’est «Gimme Some Lovin’», l’EP à la cravate à carreaux verts. Stevie y enroule son believe I dust my blues - babeli babeli blues my mind - On se prosterne devant l’incroyable qualité de ce swing de blues. Avec celle de Fleetwood Mac, c’est dirons-nous la version définitive d’I woke up this morning/ Believe I dust my blues. Sur cet EP magique, on trouve aussi «Neighbour Neighbour» et son solo de sature saturnale.

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    Alors bien sûr, on peut aussi écouter les albums. C’est même recommandé pour la santé. Comment le dire autrement ? Très simple : pas de discothèque idéale sans les trois premiers albums du Spencer Davis Group. Personne n’aurait misé un seul kopeck sur la pochette de Their First LP, paru en 1965, mais le seul nom du groupe nous rendait tous dingues, comme nous rendaient dingues ceux des Who, des Kinks, des Troggs, des Pretties et des Stones. Raide diiiiiingues ! Ces Birminghamais tapaient comme tous les autres groupes anglais des reprises absolument phénoménales : «My Babe» des Righteous Brothers, «Dimples» de John Lee Hooker et surtout «It’s Gonna Work Out Fine» d’Ike Turner. Chaque fois que le petit Winwood attrape le micro, il casse littéralement la baraque, et en plus il sort son harmo de sa poche pour faire son Little Walter. Avec «Midnight Train», ils révèlent une incroyable facilité à swinguer le beat du freight. Mais il faut aussi écouter Spencer Davis prendre un authentic lazy guitar phrasing dans «Here Right Now», un heavy blues de très bonne augure. C’est aussi lui qui chante «Sittin’ And Thinkin’» avec un joli brin de dandysme.

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    Paru en 1966, The Second Album reprend la pochette de l’EP «Keep On Running» qui les a rendus célèbres. Il faut savoir que pour la photo, Spencer Davis a obligé le petit Winwood a porter un pantalon. Il ne voulait pas, mais quand le professeur Davis lui a dit que ses jambes nues allaient attirer l’œil des pervers, il a capitulé. On ne se lasse de réentendre «Keep On Running». On les voit aussi jazzer «Georgia On My Mind» et «Strong Love» qu’ils swinguent au mieux des possibilités, c’est-à-dire une pop de jazz à la Georgie Fame. Ils jouent aussi le heavy blues à la perfection, comme le montre «Hey Darling». Avec la voix du petit Winwood, c’est du gâteau au chocolat. C’est l’un des albums clés de cette période trop riche en albums clés. On se noyait alors dans les clés. Un océan de clés.

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    Autumn 66 paraît la même année que The Second Album. C’est là-dessus que le petit Winwood fracasse «When A Man Loves A Woman». Il n’a pas à rougir de son trying. Sa voix entreprenante lui permet d’entrer dans les zones jusque-là réservées aux noirs. Il tape un peu plus loin une fantastique reprise de «Nobody Knows When You’re Down And Out», un vieux hit de Bessie Smith repris par Spoon et Bobby Womack. C’est la Soul du désespoir. Le petit Winwood n’en fait qu’une seule bouchée. Gnarf ! Il s’y montre même digne de son idole Ray Charles. En B, on retrouve tous ces petits cuts qui rendaient les EPs magiques : «Somebody Help Me» (embarqué au big beat avec du gras double), «Dust My Blues» (superbe hommage à Elmore James, grasseyé avec délectation - babeli babeli blues my mind) et «Neighbour Neighbour» (tartiné aussi au gras double, certainement le plus beau gras double de Londres à l’époque). En gros, cet album est l’EP «Gimme Some Lovin’» amélioré.

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    Pour les nostalgiques du Spencer Davis Group, il existe une compile idéale, Eight Gigs A Week, qui permet d’entendre tout ce que le petit Winwood a enregistré avec le Spencer Davis Group, c’est-à-dire trois albums et cette fantastique brochette de singles. Comme le montre «Dimples», la fournaise n’avait aucun secret pour eux. On les voit même se jeter dans la chaudière, comme Angel Face. Ils font partie de ces groupes précoces qui étaient beaucoup trop doués. Le petit Winwood et le professeur Davis chantent «I Can’t Stand It» à deux voix. Le petit Winwood chante d’une voix de white nigger pré-pubère, perçante et tranchante. Leur «Sittin’ And Thinkin’» préfigure tout le British Blues. Ils font du Spector Sound avec «I’m Getting Better» et le petit Winwood explose toutes les possibilités du Dust My Blues avec «Goodbye Stevie». On retrouve bien sûr cette admirable cover de «Georgia On My Mind». Il n’y a que lui en Angleterre qui puisse rendre un tel hommage à Ray Charles. On trouve aussi une version d’«Oh Pretty Woman» plus heavy que celle de Mayall, tartinée au gras double de guitare. Dans «Look Away», on entend les chœurs des Edwin Hawkins Singers avec le petit Winwood comme cerise sur le gâteau. On retrouve avec plaisir l’immense «Keep On Running», fuzz et chant chaud, beat sec et I’m gonna be your man, l’apanage du garage hey hey hey, avec ses giclées de fuzz au coin du bois et le chant d’un kid allumé dans la chaleur de la nuit, everyone is laughing at me, le petit Winwood nous claque ça au mieux du mieux, I wanna be your man ! Et ça continue sur le disk 2. Si on ne possède pas les vinyles, autant rapatrier cette compile explosive, car tout y est. On se damnerait pour l’éternité, rien que pour posséder ce «Somebody Help Me» digne de «Keep On Running» : heavy beat, gros pâté de disto et chant hot on heels. Le petit Winwood shake bien le vieux «Watch Your Step» de Robert Parker. Il est encore plus spectaculaire dans «Nobody Knows When You’re Down And Out», un heavy blues de round midnite. Merci Stevie Charles. Il y a aussi pas mal d’épluchures, mais quand arrive «Dust My Blues», le Spencer Davis Group reprend tout son sens. On oublie toujours de citer ce groupe dans les histoires du British Blues, et c’est une grosse erreur, car «Stevie’s Blues» vaut tous les classiques du genre. Encore un fantastique shoot avec «I Can’t Get Enough Of It». Ils font aussi de la politique avec «Waltz For Lumumba». Et puis voilà «Gimme Some Lovin’», le hit absolu : belle fournaise, souvent imitée et jamais égalée. Il y a du Little Richard dans cette façon de blaster en profondeur. On dira la même chose d’«I’m A Man» chanté à l’exaction parégorique, e-ve-ry day ! Mais c’est au moment où le groupe culmine que le petit Winwood quitte le Spencer Davis Group.

    Chris Welch nous explique que le professeur Davis est dévasté. Fin brutale de la machine à hits. Il perd la prunelle de ses yeux. Il lui faudra un certain temps pour surmonter ce traumatisme. C’est un type bien, Spencer Davis, nous dit Welch, «un chanteur plaisant et un guitariste extrêmement compétent. Ses points forts sont un enthousiasme immodéré pour tous les genres musicaux et un don particulier pour rassembler des musiciens et les motiver. Sa nature bienveillante fait de lui le band leader idéal. Tout le monde l’adore.» Bon, tout ça c’est bien gentil, mais il faut tout recommencer à zéro. Processus habituel : Spencer Davis passe une petite annonce et organise des auditions au Marquee studio. Un keyboardist du nom de Reginald Dwight se pointe, mais Spencer Davis n’en veut pas. Problème de look. Pas grave, Dwight se débrouillera tout seul et finira avec des trucs en plumes en se faisant appeler Elton John. Spencer Davis cherche quelque chose de plus solide. Pouf, il tombe sur Eddie Hardin que lui recommande le grand Paul Jones. Spencer Davis embauche aussi un guitariste assez doué, Phil Sawyer, qui va devoir rentrer dans les godasses du petit Winwood. Pas facile ! Heureusement, Phil a du métier, il a déjà travaillé avec Rod Stewart, les Fleurs de Lys et Berryl Marsden.

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    C’est donc cette équipe qui enregistre With Their New Faces On en 1968. Bien évidemment, c’est un nouveau son et les fans vont devoir s’y habituer. Eddie Hardin a ce qu’on appelle vulgairement de l’ambition compositale et quelque part dans une interview, il avoue sans méchanceté que Spencer Davis est vite dépassé. Hardin dit qu’il joue de la basse d’orgue, mais il se pourrait bien que ce soit l’ex-Taste Charlie McCracken qu’on entende, en tant que session man. Mine de rien, la basse rafle la mise sur «Moonshine» et «Don’t Want You No More». C’est inespéré de power ! Ça pulse au plus haut niveau. Quel drive ! Muff et sa mobylette peuvent aller se rhabiller. C’est le groove de basse dont on rêve toutes les nuits - Don’t want you no more ! - Ces mecs réussissent encore à sortir du son, la preuve avec «Morning Sun», c’est bardé à outrance, tendu à se rompre, solid body of work avec un Sawyer on the rocks et un son bien dévoré du foie par la basse. On les croyait finis, mais non, ils repartent de plus belle. Ils font aussi pas mal de pop orchestrale, sûrement l’influence d’Eddie Hardin. «Mr Second Class» et «Time Seller» sont des cuts typiques de l’époque, dans la veine des Beatles du bon Sergent Poivre. Eddie Hardin recasse la baraque avec «Alec In Transitland», un violent shuffle d’orgue doublé d’un bassmatic dévorant. On voit aussi Phil Sawyer renouer avec le Dust My Blues du Spencer Davis Group d’avant dans «Feel Your Way» et c’est sacrément bien balancé. Spencer Davis ne chante pas sur l’album. Il se contente de gratter sa gratte et de faire des backing vocals.

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    Le groupe tourne aux États-unis mais Eddie Hardin ne supporte pas les rigueurs de la vie en tournée, notamment les trajets interminables qu’ils sont obligés de faire en bus pas manque de moyens. De retour en Angleterre, il quitte le groupe pour monter Hardin & York avec Peter York. Traumatisé lui aussi par la tournée, Phil Sawyer se barre. Une fois de plus, Spencer Davis se retrouve le bec dans l’eau. Ray Fenwick entre dans le groupe pour remplacer Sawyer.

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    C’est là en 1969, qu’ils enregistrent Funky/ Letters From Edith, le lost album du Spencer Davis group. Suite à des problèmes contractuels, l’album est retiré des ventes : le groupe enregistre sur un nouveau label alors qu’ils sont déjà sous contrat. La version anglaise s’appelle Letters To Edith et bien sûr on peut l’écouter. Là dessus, c’est Ray Fenwick qui fait tout le boulot : chant, guitare, compos. Bon, disons que les compos de Ray Fenwick ne sont pas la panacée, mais le groupe continue d’avancer et c’est le principal. On sent chez Fenwick un goût pour le prog et certains cuts frisent un peu le ridicule. L’album se réveille brutalement avec «Funky», un bel instro d’anticipation joué à la vie à la mort. Mais après, le groupe débande et perd son identité. Le groupe s’enlise encore avec «Poor Misguided Woman», les voix ne sont pas bonnes, dommage, car le son grouille de bonnes dynamiques, mais ça ne vaut pas un week-end à Maubeuge, ni le petit Winwood. Les compos de Ray Fenwick ne marchent pas. Ils terminent avec un excellent «New Jersey Turnpike», un instro de folie pure qui les sauve des flammes de l’enfer. Mais bon, Spencer Davis en a marre de ramer et il décide d’arrêter le groupe. Terminus, tout le monde descend.

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    En 1973, Eddie Hardin va trouver Spencer Davis qui s’est installé en Californie. Il lui propose de remonter le groupe avec Peter York, Ray Fenwick et Charlie McCracken. Ils enregistrent Gluggo, un album qui comme les autres va passer à la trappe de Père Ubu. Hardin et Fenwick bouffent à tous les râteliers avec un certain panache : le glammy stomp à la Gary Glitter avec «Catch You At The Rebop», la pop aimable de type Sergent Poivre avec «Don’t You Let It Bring You Down», le «Living In The Back Street» qu’on va retrouver sur l’album suivant et qui semble monté sur le riff de «Gimme Some Loving», et le bel instro celtique avec «Today Gluggo Tomorrow The World». On se demande à quoi sert Spencer Davis dans tout ça. De prête-nom ? Certainement. «Feeling Rude» sonne comme l’un des derniers spasmes du Swinging London. Cet album sent la fin des haricots. Ils tentent un dernier coup de Jarnac avec «The Edge», où Ray Fenwick incendie la plaine. C’est un sérieux killer. On voit bien qu’ils tentent de recréer la vieille magie de la pop anglaise, mais le cœur n’y pas. Le Spencer Davis Group n’est pas un Group. Gluggo n’est en fait qu’un bel effort studio. Il faut être complètement taré pour aller écouter le Spencer Davis Group après le départ du petit Winwood. Ils finissent avec un beau boogie rock de Ray Fenwick qui s’appelle «Tumble Down Tenement Row». Fenwick s’amuse bien, pas de problème, il est comme un poisson dans l’eau, mais on perd définitivement la trace de l’identité du Group si cher au professeur Davis.

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    Ils enregistrent encore un album l’année suivante, l’excellent Living In A Back Street. C’est Eddie Hardin qui chante la cover de Fatsy, «One Night». Il s’y explose les ovaires. Roger Glover de Deep Purple produit l’album, d’où le big sound. Le morceau titre sonne comme un monster hit de British r’n’b. Doris Troy fait partie des back-up singers. C’est une véritable énormité. Ils tentent de recréer l’excellence de l’âge d’or. «Hanging Around» sonne comme un rumble de heavy rock. Bien joué les gars, ils sont dans le mood d’époque, ni trop peu ni pas assez, juste dans la moyenne. Leur «No Reason» ne ferait pas de mal à une mouche. Cette petite pop psyché correspond bien à l’époque et sonne comme une petite leçon d’élégance. Ils nous font le coup du vrooom-vrooom dans «Fastest Thing On Four Wheels», c’est excellent, bien tendu de la bretelle, il ne lésinent pas sur le shuffle d’orgue. Ils swinguent à coups de klaxon, c’est énorme et même assez révélatoire. Le morceau titre sonne comme un boogie en caoutchouc, on les voit même rebondir sur le beat. On va de surprise en surprise avec «Another Day», une belle petite pop aventureuse qui pourrait très bien figurer sur le White Album, tellement c’est léger et frais. Finalement, on se retrouve avec un album bien foutu, ce qui vient confirmer «Sure Needs A Helping Hand», un balladif élégiaque, signé comme quasiment tout le reste Hardin/Fenwick. On les respecte pour une telle abnégation. Ils sont très ramassés sur leur took out et flirtent avec les clameurs du gospel. Avec ses nappes d’orgue, Eddie Hardin jette pas mal d’élégance dans la balance.

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    Bon, cette fois, c’est fini. Spencer Davis arrête le groupe et entame une petite carrière solo. Oh rien d’exceptionnel, quatre albums en tout, échelonnés sur 30 ans. Le professeur Davis va raccrocher les gants du r’n’b pour se consacrer à l’Americana. En 1971, il enregistre avec Peter Jameson un album acou qui est sans doute le plus intéressant des quatre : It’s Been So Long. Belle pochette qui s’ouvre comme une enveloppe. «Crystal River» grouille de banjos et de vieux mineurs édentés, ils sortent un son enjoué et fouillé et c’est là, très précisément au bord de cette Crystal River qu’on tend l’oreille. L’«One Hundred Years Ago» qui suit est très impressionnant - Now you’re gone/ I sing my song - Ils restent tous les deux dans l’excellence musicologique pour «Balkan blues», une merveille de délicatesse. Ils jouent leurs espagnolades balkaniques à l’unisson du saucisson sec. Ça veut dire qu’ils grattent leurs poux à l’ongle sec comme des troubadours de l’ancien temps des magiciens. Dans le «Mountain Lick» qui se niche en B, ils racontent une histoire de gold digger. Ils finissent en beauté avec «Thinking Of Her» et l’extrême pureté du son et du filet de voix. Spencer Davis resplendit dans son univers d’arpèges florentins - I’m feelin’ fine/ Drinkin’ my wine/ Sittin’ here thinkin’ of her - C’est un très bel album. Tout y est soupesé et joué dans les règles d’un art léger.

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    Malgré sa très belle pochette signée Norman Seeff, Mousetrap déçoit un peu. Une ribambelle de cakes californiens accompagnent Spencer Davis : Sneaky Pete Kleinow, Larry Knechtel, Jim Keltner. Ceux qui lisent les dos de pochettes connaissent bien ces noms. Mais ça ne suffit pas à faire un big album. On a là du petit rock californien bien ficelé et même un peu d’Americana avec «Easy Rider». Spencer Davis y injecte le vieux deep blue sea & the women fishing after me. Comme tous les géants des sixties, Spencer Davis évolue vers un son plus ambitieux et sa musicalité transmute délicieusement. Son «Hollywood Joe» est très hollywoodien mais pas inintéressant. Ces mecs jouent dans la joie et la bonne humeur. L’Americana devient donc la grande obsession de Spencer Davis. C’est bien vu et bien chanté, donc pas de problème. Il termine avec une belle crise de country joyeuse, «Ella Speed». Inutile de dire que ça tient bien la route.

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    Dix ans plus tard, il refait surface avec Crossfire, un album très classique. Dommage qu’il ait l’air si con au dos de la pochette, déguisé en aviateur de la première guerre mondiale. Le hit de l’album s’appelle «Private Number», un duo avec Dusty Springfield, et là, on lève les bras au ciel en criant «Merci Dieu !», car c’est une merveille. Dusty chérie s’y révèle stupéfiante de présence. Pour le reste, Spencer Davis oscille entre le heavy boogie («Blood Red Hot», «Love Is On A Roll») et les resucées («I’m A Man»). Ça marche à tous les coups, même si la resucée sonne un peu electro. Disons que ça manque de Winwood. Son «No Other Baby» est bardé de clairette de country californienne et ça sent bon la bonne humeur. Sa petite pop reste bien construite, bien élevée, enjouée et sans complexe.

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    On ne se relève pas la nuit pour écouter So Far, son ultime album solo paru en 2006. Il y a un joli son, ça reste de la pop-rock bien produite, mais on passe un peu à travers. «The Viper» se veut powerful mais pas déterminant. Le producteur Edward Tree américanise le plus anglais des rockers de banlieue. Spencer Davis raconte ses souvenirs d’enfance à Swansea, au Pays de Galles, dans «The Mumbles Train» et «Uncle Herman’s Mandolin». Il fait aussi un «The Swansea Shuffle», histoire d’enfoncer le clou de sa nostalgie. C’est sa façon de créer du vieil enchantement à la Ray Davies. Il revient à son Americana chérie avec «I Can’t Stand Still», un piano-boogie de barrellhouse digne du New Orleans ou du Kansas City des roaring twenties. Retour à l’Americana de bon aloi avec «The Golden Eagle», et voilà, c’est à peu près tout ce qu’on peut en dire. Mais l’impression globale est très positive. Spencer Davis n’a jamais pris les gens pour des cons.

    Signé : Cazengler, Spencer du vide

    Spencer Davis. Disparu le 19 octobre 2020

    Spencer Davis Group. Their First LP. Fontana 1965

    Spencer Davis Group. The Second Album. Fontana 1966

    Spencer Davis Group. Autumn 66. Fontana 1966

    Spencer Davis Group. Eight Gigs A Week. Island Records 1996

    Spencer Davis Group. With Their New Faces On. United Artists Records 1967

    Spencer Davis Group. Gluggo. Vertigo 1973

    Spencer Davis Group. Living In A Back Street. Vertigo 1974

    Spencer Davis Group. Funky/ Letters From Edith. CBS 1969

    Spencer Davis & Peter Jameson. It’s Been So Long. Mediarts 1971

    Spencer Davis. Mousetrap. United Artists Records 1972

    Spencer Davis. Crossfire. Allegiance 1984

    Spencer Davis. So Far. Harbor Grove 2006

     

     

     

    Alice au pays des merveilles

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    Vraiment dommage. On sort un peu dépité du book de Dennis Dunaway, bassiste d’Alice Cooper dans les années 70. Avec un titre aussi racoleur que Snakes Guillotines Electric Chairs - My Adventures In The Alice Cooper Group, on s’attendait à autre chose. On va même jusqu’à se poser la question : histoire mal racontée ou non-histoire ?

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    S’il est un groupe américain qui avait tout misé sur l’extravagance, c’était bien Alice Cooper, c’est-à-dire le groupe composé de Dunaway, Neal Smith, Glen Buxton, Michael Bruce et Vince Furnier. Leur petite mythologie reposait sur deux mamelles : un premier article dans le Melody Maker montrant un mec nommé Alice vêtu d’un fourreau de lycra noir moulant et brandissant un fouet, puis un tout petit peu plus tard un concert à l’Olympia. Nous étions deux camarades de lycée installés au balcon juste à côté d’un mec de la télé qui filmait le concert et qui devait être Freddy Hauser. Indépendamment de tout le grand guignol, ce groupe américain nous faisait bien rêver. On flashait plus sur le batteur Neal Smith que sur le chanteur et sa chaise électrique. Ils incarnaient tous les cinq le groupe de rock américain parfait. Beaucoup de son et beaucoup d’allure. Il devait s’agir de la tournée de promo de Killer puisqu’ils jouèrent ce soir-là «Under My Wheels» qui fut t’en souvient-il l’un des grands hits de l’an de grâce 1972.

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    Revenons au book. Ce phénomène d’histoire mal racontée n’est pas nouveau. On a souvent croisé des autobios que caractérisait une certaine platitude, au sens où le texte reste lisse et rien ne passe, ni info, ni émotion. Ce qui peut sembler logique, vu que l’exercice autobiographique reste l’apanage des écrivains. En matière de rock culture, nous en avons toutefois quelques-uns : Bob Dylan, Richard Hell, Mark Lanegan, Ray Davies et Mick Farren sont les premiers noms qui viennent à l’esprit. Le reproche qu’on pourrait adresser à Dunaway est de n’avoir pas su raconter cette histoire qui fut, comme on l’imagine, une histoire autrement plus extravagante que ce qu’il en dit. Mais en même temps, il y a une explication : l’absence de prétention. Ces cinq petits mecs originaires de Phoenix, Arizona, n’avaient d’autre ambition que celle de jouer du rock, à une époque où le rock était un devenu un choix de vie pour toute une génération. Jouer du rock en soi est déjà un gros boulot et devenir célèbre l’est encore plus. Seuls des artistes exceptionnels sauront passer au stade suivant qui est celui du mémorialiste. Dunaway se contente de rester au stade d’honnête bassman compagnon de route d’une belle aventure, et comme on va le voir, victime comme tant d’autres des manigances d’un business puant. On l’aime bien Dunaway, avec cet air mystérieux que lui donne son regard absent. On ne lui en veut pas trop finalement, même s’il nous prive d’une histoire qu’on veut continuer de croire gratinée, à moins que nous ne l’ayons trop fantasmée. C’est toujours le même problème avec la rock culture : il y a d’un côté la réalité et de l’autre ce qu’on fait nous autres les fans de cette réalité. On dit aussi qu’il vaut mieux éviter de rencontrer les gens qu’on admire. Pourquoi ? Pour éviter d’être déçu.

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    Dunaway nous ramène dans les early sixties en Arizona, au temps où Vince Furnier - c’est-à-dire Alice - et lui sont copains d’école. Dans la section photo qui se trouve comme dans la plupart des books située au milieu, vous verrez deux photomatons des copains d’école. Puis Dunaway, Buxton, Vince et deux autres mecs montent les Spiders et commencent à bâtir leur petite réputation locale. Ils font du garage et reprennent les classiques des Standells et des Count Five. Ils engagent Michael Bruce et Neal Smith, et décident de tenter leur chance à Los Angeles. Ils n’ont pas un rond et vivent un temps dans l’ancienne baraque des Chamber Brothers, sur Crenshaw Boulevard, dans le quartier noir de South Central, avant d’aller s’installer à Topanga Canyon. Ils s’appellent encore the Nazz, mais ils doivent changer de nom à cause du Nazz de Todd Rundgren qui vient de sortir un album. Ils cherchent des noms et Vince Furnier propose Alice Cooper. What ? Vince insiste : Alice Cooper. Il voit ça comme un nom de groupe. Une fois que Dunaway en accepte le principe, il se met à phosphorer avec son copain d’école : créons un personnage ! Il va d’ailleurs citer des tas d’exemples, comme celui du maquillage qui est une idée à lui, ou encore les accords d’«Under My Wheels» qui sortent aussi tout droit de son imagination délirante. En fait, ce qui motive Dunaway, ce n’est pas de se mettre en valeur, mais plutôt le côté sacré du collectif, ce qu’on appelle un groupe de rock. Sans Dunaway et les trois autres, Alice Cooper n’est rien. Mais le destin se montrera cruel puisqu’Alice finira par se débarrasser de ses compagnons de route, tout en conservant le nom d’Alice Cooper, qui était le nom du groupe.

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    L’épisode Topanga est capital car Dunaway et ses copains fréquentent la crème de la crème du gratin dauphinois dans les parties : les Doors, David Crosby et Arthur Lee. Hélas, Dunaway ne tire rien d’intéressant de ces rencontres. Il décrit sans décrire. Puis c’est la rencontre avec les GTOs, the Girls Together Outrageously, the queens of the Sunset Strip, qui logent dans le sous-sol de la maison de Frank Zappa, à Laurel Canyon, the log cabin, qui est l’ancienne maison de Tom Mix. Alice se tape Miss Christine et en bon opportuniste, il finit par lui demander : «Can you get Zappa to give us a record deal ?». Zappa accepte d’enregistrer le groupe et sortira Pretties For You sur son label Straight en 1969. En fait Zappa trouve le groupe intéressant, car capable d’accepter les concepts abstraits, comme par exemple enregistrer sur des bandes mal effacées, avec des «bruits» antérieurs qui remontent à la surface du son. Autre concept abstrait : ils choisissent pour la pochette a highly risqué painting d’Edward Beardsley qui est accroché au mur, chez Zappa. Dunaway considère qu’avec cet album Alice Cooper invente le glitter rock, même si, ajoute-t-il, d’autres artistes vont par la suite en revendiquer la paternité. Au plan musical, l’album est un peu dur à avaler. Ils attaquent avec une série de morceaux qu’on qualifiera charitablement de déconcertants. Leurs tentatives compositales se révèlent assez pathétiques, comme si elles étaient épuisées d’avance. On entend des coups de flûte et des tentatives de jazz-rock dans «Sing Low Sweet Cherio». Forcément le comedy act de «Today Mueller» devait bien plaire à Zappa, le grand spécialiste de la tarte à la crème. Il faut attendre «Living» pour entendre enfin un big push de trash guitars. On s’aperçoit que ces mecs sont déjà très au point. En B, ce vieil Alice se croit autorisé à casser la baraque de «Levity Ball», mais il n’y a pas de baraque. Trop ambitieux. Zappa essaye en vain de les faire revenir sur terre. C’est avec «Reflected» qu’ils sauvent les meuble de ce premier album, un joli shoot de power pop claqué du beignet par un solo trash de Bux, bizarrement produit, comme visité dans les profondeurs. Ces mecs avaient un sacré répondant car ce «Reflected» dégouline de trash de wah.

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    Grâce aux hasards de la programmation, Alice Cooper se retrouve sur scène au fameux Toronto Rock’n’Roll Revival en 1969, un festival qui propose l’une des affiches les plus appétissantes de l’époque : John Lennon & the Plastic Ono Band, Chuck Berry, Bo Diddley, Little Richard et Gene Vincent. C’est là que se produit l’incident du poulet dépecé vivant par la foule, un acte de sauvagerie qui fut attribué par erreur à Alice Cooper. Après leur set et au milieu des plumes qui volent, ils doivent rester sur scène pour accompagner Gene Vincent. Dunaway décrit d’autres épisodes de folie comme ce concert à Toledo où un mec balance un marteau dans la jambe de Bux. L’incident du poulet va d’ailleurs déclencher une avalanche de rumeurs toutes plus nulles les unes que les autres. On affirme qu’un jour, Alice Cooper et Zappa se seraient livrés sur scène à un concours de pets, qu’ensuite Zappa aurait coulé un bronze devant tout le monde et qu’Alice aurait ramassé l’étron pour le déguster. On ne peut que s’effarer de la qualité de l’imaginaire des rumouristes américains.

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    1969 est aussi l’année de tous les dangers, puisque les Stooges sont en tournée. Dunaway ne cache pas son admiration pour Iggy. En allant s’installer à Detroit, Alice Cooper crée la confusion. On a longtemps cru qu’ils étaient un groupe de la fameuse scène de Detroit. Pas du tout. Ils n’ont fait qu’y séjourner, car c’est là que se jouait à l’époque le destin d’un certain rock. Leur manager Leo Fenn les installa dans une ferme à Pontiac, un bled situé à quarante bornes au nord de Detroit. Ils baptisèrent l’endroit the Freak farm. Cette ferme isolée présentait le gros avantage de disposer d’une grange où le groupe pouvait répéter sans que ça ne gêne les voisins.

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    Leur deuxième album s’appelle Easy Action et paraît en 1970. Ils sont de dos sur la pochette, histoire de montrer qu’ils ont les plus belles crinières d’Amérique. On commence à peine à se familiariser avec la voix ingrate de Vince Furnier. C’est l’album de tous les râteliers. Ils nous font le coup de la good time music avec «Shoe Salesman», le coup du rock de cabaret avec «Mr And Mrs Misdemeanour» et le coup du psyché de bas étage avec «Still No Air». Sans doute leur façon de nous dire : «Bon les gars vous en avez pour votre argent.» Ils repartent en mode psyché sans queue ni tête (comme le poulet) avec «Below Your Means» et soudain, Bux et Bruce se partagent la part du lion, avec des échanges extrêmement fructueux de guitar licks. C’est en effet la grande époque des échanges fructueux. Bux et Bruce se couronnent rois de l’échange fructueux. Ils exultent ! Ils paramorent ! Ils dégueulent de génie, ce que va confirmer «Return Of The Spiders (For Gene Vincent)», cut hyper-tendu, wild as fuck et solid as hell. Bux et Bruce jouent à jets continus, les attacks se croisent dans l’effervescence d’une belle apothéose. Pas de plus bel hommage à Gene Vincent ! Neal Smith et Dunaway fournissent la tension, Smith bat ça tout droit comme le mec des Amboys Dukes dans «Baby Please Don’t Go». Après ça, il n’aura plus rien à prouver. Dommage que tout l’album ne reste pas perché à ce niveau d’excellence. C’est d’autant plus dommage que s’ensuivent des cuts d’une rare stupidité. Il faut attendre la fin, c’est-à-dire «Lay Down And Die Goodbye» pour retrouver le heavy psyché des tranchées de la Somme, avec la gadoue de fuzz et les obus de mortier. Bux et Bruce grattent leur heavy gaga et ça prend vite des tournures conséquentes. Comme c’est un cut long, attention aux embûches. Ces mecs sentent qu’ils deviennent des pros et ils deviendront même des légendes, alors ça les galvanise. Il faut donc leur faire confiance. Mais chacun sait que la confiance n’a qu’un œil. Ils basculent dans l’expérimental. Tant pis pour eux. Ils se tirent une branche dans le pied en voulant faire du bruitisme à la Zappa, exactement le genre de truc qu’on fuit comme la peste. Les collages sonores n’intéressent que les colleurs.

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    C’est en 1970 qu’ils rencontrent Bob Ezrin qui va devenir leur producteur et donc l’artisan de leur succès commercial. Et c’est là où les ennuis commencent. Malgré sa pochette fantastique, Love It To Death est un album catastrophique, car privé de relief. Dommage car ça s’ouvre sur la belle pop de «Caught In A Dream», Bux et Bruce grattent bien leurs poux, sur un beat assez sloppy, pour ne pas dire erratique. Comme le dit si bien Dunaway, ils se prennent au jeu. C’est avec «I’m Eighteen» que le personnage pas très sympa d’Alice Cooper commence à dévoiler son jeu. Désolé monsieur l’opportuniste, ce n’est pas bon. Si on écoute le «Black Juju» de 9 minutes, c’est uniquement par curiosité. Il faut s’attendre au pire, et c’est bien le pire, car joué à l’orgue. Il faut s’armer de patience pour écouter cette daube. Ces imbéciles croient faire du voodoo, mais en fait ils coulent leur album. «Black Juju» est l’archétype du cut complaisant et insuffisant. On essaye de se remonter le moral avec l’«Is It My Body» qui sonne un peu gaga, mais c’est très spécial. Bux et Bruce tentent de sauver les meubles, ça se sent. Ils continuent de s’enliser avec «Hallowed Be My Name», un cut affreusement mal chanté. La voix est mauvaise, renfrognée, à l’image de son mental calculateur. Dommage car il a derrière lui de bons musiciens. Le reste des cuts est du même ton, rédhibitoire, une sorte de prog aquatique, atroce, avec des palmes. Disgusting.

    En 1971, Dunaway et ses copains s’installent dans un domaine légendaire, le Galosi Estate, Connecticut, pas très loin de New York. Dunaway en profite pour faire le point : «On avait une maison, une salle de répète, un bon équipement, un contrat avec un label, deux grands producteurs, et notre ration de good-looking girls. Killer was going to be one hell of an album.»

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    Ils se pourrait bien que Killer soit non seulement le meilleur album de l’Alice Cooper gang, mais aussi son seul bon album, ne serait-ce que par la présence d’«Under My Wheels». Avec ce hit, Dunaway et ses copains grimpent au sommet de l’US rock, c’est merveilleusement chanté et roulé au got you under les aisselles. S’ensuit un «Be My Lover» qui plaît bien parce qu’un brin glam. Ce groupe jouait alors son va-tout, avec une vraie voix, une belle basse, un sérieux drumbeat et deux belles guitares qui ne la ramènent pas trop. Et puis l’affaire se corse avec «Halos & Flies». C’est là que commence à se creuser le déficit composital qui va entraîner la chute de la maison Usher Cooper. On y dénote une détestable absence d’inspiration qui les fait redescendre en deuxième division. Ce n’est pas bon du tout, mais alors pas bon du tout. Berk. On perd l’éclat d’«Under My Wheels». Ils retrouvent un peu de répondant en B avec «You Drive Me Nervous» et la carence compositale attaque la fin de l’album qui est catastrophique. Ces mecs sont incapables de tenir la distance d’un album. Ils terminent avec le morceau titre, plus ambitieux et certainement le plus intéressant après Wheels.

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    Contre toute attente, Killer fait un carton. En route pour la gloire ! Le tiroir caisse s’emballe et les tournées se multiplient. Le groupe tourne trop. Dunaway en halète encore : «Le premier stade du burn-out, c’est de se réveiller et de ne plus savoir dans quelle ville on est. Le deuxième stade, c’est d’avoir à demander à quelqu’un d’autre le nom de la ville où on se trouve. Le troisième stade, c’est de s’en foutre.» Ça fait des années qu’ils tournent, mais avec le succès de Killer, la pression augmente considérablement. Bien sûr, les drogues entrent dans la danse et Bux passe à l’hero. Here we go !

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    Nouvel album suicide avec School’s Out paru l’année suivante. Curieusement, l’album se vend bien. C’est dire si le monde d’alors pouvait être inquiétant. Ne parlons pas du monde d’aujourd’hui. Personne n’ose plus sortir dans la rue. On met ça sur le compte de la peste noire, mais non, c’est le monde extérieur qui fout la trouille. School’s Out sonne comme un non-album, même s’ils rendent hommage au vieux West Side Story de Leonard Bernstein. C’est Dunaway qui joue le passage de miaou à la basse. Cet album est un cas intéressant : un succès commercial qui est en même temps un échec artistique. You’re so very cool ! Tu parles Charles Cooper ! Avec ce «Blue Turk», ils tentent une drôle d’aventure dans la dentelle. Le «My Stars» qui ouvre le bal des maudits de la B est trop baroque. Ça ne peut plaire qu’aux fans d’Alice Cooper solo. C’est un monde à part, un peu pénible. Heureusement, Bux vient l’éclairer d’un beau solo. Mais le cut n’a aucun intérêt. On s’ennuyait comme un rat mort à l’époque. Pour se distraire, on ouvrait le pupitre en carton et on tripotait la culotte en papier avec laquelle ces imbéciles de Warner avaient packagé le vinyle. Tout sonnait faux dans cet album, sauf «Public Animal #9» qui gagatait bien, pulsé aux hey hey hey, un cut qui méritait une médaille car il sauvait l’album.

    En fait, ces albums étaient frustrants, car on avait trop fantasmé sur ce groupe. Chaque nouvel album sonnait le glas de la déception. Bux, Bruce et Neal Smith étaient un peu des héros, mais ils s’engluaient dans un truc qui ne leur correspondait pas.

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    Nouvelle tentative de réconciliation en 1973 avec Muscle Of Love et sa non-pochette. Et aussi ses non-cuts. Dès «Big Apple Dream» on savait à quoi s’en tenir : insupportable de médiocrité. La petite pop-rock de «Never Been Sold Before» manquait tragiquement d’inspiration. Bux pouvait y passer un solo, ça ne changeait pas grand chose. Ils ramenaient du dixieland dans «Crazy Little Child» et poursuivaient avec un «Working Up A Sweat» tellement cousu de fil blanc qu’ils devaient bien se douter que ça ne pouvait pas marcher. Ces pauvres gamins de Phoenix continuaient de dégringoler avec leur morceau titre. Mais au fond, on se demande vraiment pourquoi Alice Cooper va se séparer de Bux et Bruce. Peut-être leur fait-il porter la responsabilité du manque d’inspiration ? On a pourtant le sentiment qu’il ruine tous les cuts dès qu’il ouvre le bec. Le problème c’est que ça crève les yeux. Le seul cut que l’album qui passe bien est ce balladif pop-rock intitulé «Teenage Lament 74» qui tourne à la wild ride. Bux tente ici et là quelques glissades vénéneuses, mais on sent le groupe en fin de course. Il ne se passe rien dans «Woman Machine». Strictement rien.

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    Dernier spasme du groupe avec Billion Dollar Babies paru la même année. «Hello Hooray» est devenu une sorte de hit, mais on se demande bien pourquoi, car il ne s’y passe rien. «Raped & Frazin’» n’a rien dans la culotte. On a de la peine pour eux. Alors évidemment Alice Cooper solo rafle la mise avec «Elected» et sa façon de chanter crapuleuse. On entendait ça dans tous les jukes à l’époque et c’était insupportable. Difficile d’entrer dans l’univers de cet album. Ils font encore semblant d’être un groupe, mais ça manigance par derrière. Les choix sont faits : le chanteur oui, mais pas les autres. C’est comme ça que le Colonel a viré Bill Black et Scotty Moore, pour miser sur un seul canasson, Elvis. Les mecs de Warner misent sur leur canasson, Alice Cooper solo, et les autres, basta ! C’est curieux comme les cuts sont mauvais sur cet album honteusement surévalué. À l’époque, on s’entichait encore de «No More Mister Nice Guy», mais bon, ça ne vole pas haut. Écoutez plutôt celui d’Halfnelson. On reste sur cette impression que le chanteur gâte un groupe qui est excellent. Comme si Vince Furnier coulait Alice Cooper en faisant du Alice Cooper solo. «Sick Things» est la torpille fatale qui coule définitivement l’album. On voit rarement des projets tourner aussi mal. Bux, Bruce, Neal Smith et Dunaway ne parviennent plus à rallumer la flamme d’«Under My Wheels». C’est encore Bux qui fait tout le boulot sur cet «I Love The Dead» si mal chanté. Bux et les autres jouent leur dernière carte, celle d’un va-tout de la dernière chance, mais ils ne savent pas encore qu’ils sont condamnés.

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    La fin de l’histoire du groupe est assez glauque. Dunaway, Neal Smith, Glen Buxton et Michael Bruce sont virés sans être virés, on ne leur dit rien, c’est à eux d’en tirer les conclusions. Pour des raisons bassement matérielles, le management mise sur Alice Cooper solo : une part au lieu de cinq. Alors, chacun fait des albums solo dans son coin. Alice Cooper démarre avec Welcome In My Nightmare, produit par Ezrin, avec Dick Wagner et Steve Hunter aux guitares. Quand Welcome arrive à l’affiche du Madison Square Garden, Dunaway se voit interdire l’accès au backstage. Les vigiles ouvrent une porte sur le côté et chassent le pauvre Dunaway comme un malpropre. Dégage ! La presse n’a d’yeux que pour Alice Cooper solo. Le pire, dit Dunaway, c’est qu’on ne leur dit absolument rien : «À cette époque, la boîte aux lettres me terrorisait. Il n’y avait aucune communication avec le management. On ne nous a jamais informé officiellement qu’on était virés du groupe. Je croyais encore à un miracle.» Il poursuit : «Après dix longues années, il devint clair qu’Alice Cooper n’était plus notre groupe. Tout ce qu’on avait créé nous avait filé entre les doigts. C’était une période extrêmement sombre. Comme si on avait chassé ma vie sous le tapis. Un jour j’étais une rock star et le lendemain, j’étais indésirable. Boom. Dégage.» La pauvre Dunaway dit aussi que des groupes comme Kiss, les Dolls, Mötley Crue, Twisted Sister se sont inspirés de ce qu’il appelle our harlot culture. Il a raison de le préciser. On l’aime bien le petit Dunaway, avec son regard absent et ses rêves de kid arizonien. Même si son livre laisse un goût amer, on le préfère cent fois au m’as-tu vu parvenu qui n’a eu aucun scrupule à se débarrasser de ses copains d’école.

    Signé : Cazengler, Alice coupaire

    Alice Cooper. Pretties For You. Straight 1969

    Alice Cooper. Easy Action. Straight 1970

    Alice Cooper. Love It To Death. Straight 1971

    Alice Cooper. Killer. Warner Bros. Records 1971

    Alice Cooper. School’s Out. Warner Bros. Records 1972

    Alice Cooper. Muscle Of Love. Warner Bros. Records 1973

    Alice Cooper. Billion Dollar Babies. Warner Bros. Records 1973

    Dennis Dunaway. Snakes Guillotines Electric Chairs. My Adventures In The Alice Cooper Group. St. Martin’s Press 2015

    *

    C'est terrible je crois que j'ai attrapé une jarsiste aigüe, dans mon malheur une seule consolation, pour une fois le gouvernement n'a pas pris les mesures appropriées, je peux donc contaminer la population de la terre entière sans me sentir coupable de quoi que ce soit. Donc aucune retenue, gros plan sur le premier album de Jars, j'avais fait l'impasse dessus, sur ce coup-là, je reconnais mon erreur, j'espère que l'on ne me condamnera pas pour rétention d'information de première importance. Oreilles sensibles abstenez vous.

    JARS

    ( 2011 )

    Drôle de couve. Le premier plan est d'une banalité affligeante, une route bordée d'une haie, admettons de fusain – est-ce que ce végétal pousse en la tchékovienne steppe russe ? - ensuite une bande de terre d'une teinte rosâtre inusitée, avec cette espèce d'engin filiforme planté au milieu, on ne sait pas trop ce que c'est, disons une espèce de poteau électrique, sûr il n'y a pas de fils qui en partent, ou alors un filament bizarre, presque invisible, qui monte tout droit vers le ciel. Qui n'est pas bleu, l'est si blanc que l'on se demande si ce n'est pas seulement le support originel de l'image qu'un artiste négligent aurait laissé en blanc. Jusque-là tout va bien, même si en votre fort intérieur vous ne pouvez ressentir une ombre de malaise s'insinuer en vous. La peur vous gagne sur la gauche. Dans le lointain trois dégagements de fumée d'un rouge maladif, se réunissent en un énorme panache qui bouffe jusqu'au haut de la pochette. Ne serait-ce point une représentation de la centrale nucléaire de Tchernobyl qui vient d'exploser. Des idées noires se forment dans votre tête, ce qui n'est pas vraiment grave quand on pense à la nullité que vous représentez sur cette planète, par contre ce qui est affolant c'est que l'énorme panache de fumée rouge devient tout noir. Pratiquement sans prévenir, une ligne droite, une frontière rectiligne, normalement selon la théorie mathématique des catastrophes ça ne devrait pas se passer ainsi, les courbures des volutes répondent à des lois hasardeuses mais les probabilités du possible écartent ce type de réalisation, hélas le plus grave n'est pas là. J'ai dit noir, mais si vous regardez attentivement une nuance imperceptible s'impose, ce n'est pas noir, mais vert, foncé certes, mais cela ne ressemble pas à de la fumée mais possède une texture grumeleuse à l'imitation de feuillages que l'on retrouve dans les toiles les plus mystérieuses de Magritte. Etrange ! S'il vous plaît ne portez pas vos globes oculaires à l'extrémité de ce feuillage d'un autre monde, à l'endroit exact où dans les cieux les nuages de fumée commencent à se désagréger. Le houppier de cet arbre ( faussement ) céleste s'effiloche et l'on perçoit des rameaux effilés qui se détachent de la masse compacte. Il est encore de temps de vous éloigner, pensez à vos rêves peuplés de cauchemars... Tant pis pour vous. Délaissez votre vision botanique, n'est-ce pas l'aile immense d'un corbeau qui s'impose, celui maléfique du poème d'Edgar Poe. Les esprits forts s'amuseront : les ailes noires d'un corbeau sont bien noires affirmeront-ils tout moqueurs pour préciser que leur base n'est jamais rouge. Intelligences étroites, n'avez-vous jamais entendu de la signification grapho-symbologique de l'aile de corbeau dans les écrits alchimiques, la marque de l'expérience de la pierre rouge qui rate et redevient sombre materia prima, le corbeau n'est-il pas l'image du phénix qui ne renaît pas de ses cendres.

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    Je vous laisse méditer sur la noirceur désespérée de cette pochette.

    Anton / Konstantin / Sergey / Leonid

    Pentacar ( Inverted me ) : très rock, les guitares qui froncent le son de colère et un crécelle vocalique rauque qui n'est pas sans rappeler AC / DC, l'on croit être parti pour un bon rock sauvage, mais la basse appuie si fort que l'on est ailleurs, loin des australiens rivages, un gars qui hurle son envie de solitude, qui n'en peut plus des attentions que lui portent les autres, z'avez l'impression que la batterie massacre les crânes de vos amis à coups de batte de baseball pendant que le couteau électrique géant de la guitare découpe le corps des vos copines envahissantes. La deuxième partie du morceau s'atomise en une sanguinolente boucherie de bas étage. Crise de paranoïa aigüe. C'est fou ce que l'être humain possède de virtualités inemployées. Heureusement que la musique adoucit les mœurs. Que serait-ce sans cela ! Don't wanna visit your show : Cordes menaçantes, le gars hurle, plus seulement paranoïaque pour deux sous, vous pique une crise de jalousie hystérique dont même le Marquis de Sade n'a pas eu la prescience. Les instrus imitent ce qui se passe dans sa tête, pas beau à voir, magnifique à entendre. Ici les analystes se serviront de cette piste pour expliquer comment le jusqu'au-boutisme rock s'est historialement transformé en noise-rock. Song to sing alone : après les deux crises de folie furieuse vous comprendrez que le gars a un besoin urgent de changer de milieu. Alors comme le poëte lamartinien sur son vallon, il jette un regard mélancolique sur tout ce qu'il va abandonner. Bref c'est un blues. Ou plutôt un ravage mental qui voudrait donner le change et ressembler à un blues, il y a bien une guitare dans un coin qui fait semblant de pleurer, mais l'ensemble ressemble à un écroulement d'une pyramide d'un millier de boîtes de conserves dans un supermarché, le gars sort ses tripes de son gosier et joue de la lyre dessus. Quand on nous dit que les slaves ont une sensibilité exacerbée, après l'écoute de ce morceau vous pigerez. Les Possédés de Dostoïevski mis en musique. I rise – You shine : le gars hurle tel un goret dans son auge que l'on est en train d'égorger, les instrus essayent de le couvrir, arrivent à le faire taire durant trente secondes de pont, mais depuis le parapet vous gagne l'envie de vous suicider pour échapper au pandémonium qui suit, l'est tout seul le gars, lui reste encore un ennui et un ennemi, c'est lui-même. Instrumentation sans pitié pour vos neurones. Est-il possible de meugler si fort ? Roughside song : le titre ne pousse pas à l'optimisme. Vous n'aimeriez pas être à la place du gars, du bruit dans votre caboche qui cloche, la musique résonne comme ces coups de cognées que les bûcherons manient pour abattre les arbres des certitudes mentales : le gars ne sait plus où il en est, ce qu'il vit est-ce la réalité, ou un scénario qu'il édifie dans sa tête, alors il crie pour fondre les barreaux d'une prison peut-être imaginaire. La musique rampe, comme vous quand on vous a coupé les bras et les jambes. Eprouvant. Larsens loopingés. Highway : dernier morceau, la violence de la musique, vous force à réfléchir, difficile parmi les hurlements du gars, vous croyez qu'il est fou, et si ce n'était qu'une métaphore politique d'une société qui vous enferme dans la seule prison dont vous ne pouvez vous échapper, celle de votre chair, celle de votre esprit, la cacophonie instrumentale s'allonge comme une vis sans fin, il faudra encore supporter des effondrements des murs du son de la batterie, des portes de prison psychique qui claquent ne font pas de bruit plus destroy-cyniques.

    A première écoute je m'étais dit, ils ont réuni tous leurs titres les plus percutants pour ce premier album. Beaucoup plus que cela, un véritable concept album, l'on est loin des malaises psychologiques petits-bourgeois de Tommy des Who. A l'image d'une société russe avec laquelle la nôtre présente de troublantes et négatives ressemblances.

    Damie Chad.

    SOUL TIME

    LONELY FOR YOU BABY

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    Z'ont un culot monstre chez Soul Time, lonely et puis quoi encore ! J'espère que lors de votre dernière virée dans les bayous vous n'avez pas négligemment laissé traîner votre main dans l'eau et qu'un alligator affamé ne vous a pas croqué en guise de biscuit apéritif deux ou trois doigts parce que là vous avez besoin de la dizaine réglementaire, si vous ne me croyez pas comptez avec moi, un: Torz Rovers officie à la batterie, deux : Laurent Ponce, ne lui jetez pas la pierre s'il joue de la trompette, trois : Mathieu Thierry ténorise au sax, un homme qui a du chœur, quatre : Richard Mazza en fait des tonnes au baryton, cinq : Julien Macias n'y va pas doucement à la basse, six : François Fraysse joue le rôle du guitar-héros, sept :Thierry Lesage pianote sur son clavier, huit : tout s'éclaire Claire Franjeau bichonne la porcelaine de sax alto, encore une qui ne manque pas de chœur, la numéro neuf et la numéro dix, ne sont pas sur la photo à cause des aléas du confinement, se prénomment Carla et Lucie et occupent toutes deux le poste de lead-singer. Un véritable big band pour un futur big bang.

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    De cette marée humaine nous ne connaissons que Torz Rovers, martelait déjà la grosse caisse de Midnight Rovers dans notre livraison 149 du 20 / 06 / 2013 à La Miroiterie, un haut-lieu de l'underground-alternatif dont la mairie de Paris a fini - tous les prétextes sont bons pour empêcher les squats-culturels de survivre - par fermer...

    Proviennent de tous les horizons, rock, jazz, ska, reggae, soul, mais se sont retrouvés autour de ce nouveau projet Northern Soul, rien de bien neuf, mais ce qui compte c'est la part de son âme qu'on engage.

    Pour le moment n'est accessible qu'un sel morceau sur You Tube, on ne les voit pas, juste un disque qui tourne, un conseil ne le regardez pas, vous entendrez mieux. Une reprise de Sam Dees – il a été producteur chez Chess ce qui vous classe un homme – le Lonely for you baby qui est devenu un ( peut-être, le ) classique de la Northern Soul, autant dire que Soul Time ne manque pas d'ambition.

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    Je commence par être pointilleux : inutile de préciser qu'ils ne surpassent pas l'original, indépassable par définition. Mais n'ont pas non plus à rougir d'eux. Perso j'aurais inversé le mix, les cuivres devant et la rythmique sur la pédale douce, faut que ça rutile et que ça fasse du bruit comme trente boîtes de conserves ficelées au pare-choc de la voiture de votre percepteur, du malpropre hasardeux, mais si la fanfare mène la charge rien ne lui résistera. Le solo de sax scratché est très bon, trop bon, je l'eusse gardé pour un dérapage final incontrôlé.

    Je finis par tresser des couronnes : la chanteuse, je ne sais si c'est Carla ou Lucie, elle y va franco, et ce n'est pas facile, excusez-moi de cette remarque genrée, mais Lonely for you baby, ça sent le mec, une fille ne le dirait pas comme cela, alors Carlu ou Lacie, elle y jette toute sa gourme, elle vous crache le morceau et tient le haut du pavé c'est elle qui entraîne les cuivres à sa suite, et ça déménage, une vraie reine. Ne vocifère pas. Survole. Autre remarque importante, sont bien tous réunis, pas un qui traînasse en queue de peloton ou qui sprinte à quinze mesures devant le troupeau attardé, tous ensemble, on sent qu'ils vont gagner. Misent sur la musique et pas sur la danse. Z'ont déjà le secret de la réussite. Ne se sont pas embarqués sans biscuits, et ils ont les dents longues pour les dévorer, et vous avec.

    Bref on attend la suite avec impatience.

    Damie Chad.

    THE SPY

    KLONE

    On parlait d'eux voici trois semaines ( in Kr'tnt ! 484 du 12 / 11 / 2020 ) dans les regards conjoints sur les spectacles métalliques auxquels Hélène Crochet organisatrice des Apéros 77 et blogueuse sur égoutmetal et mézigue pâteux avons depuis la fosse aux lions participé sans nous connaître. Elle n'avait pas aimé la prestation de Klone, pas spécialement celle de ce soir-là mais la sorte de musique qu'ils pratiquent, perso j'avoue que si je préfère les tintouins méchamment plus électriques, je dois reconnaître que leur live fut en leur style particulièrement réussi. Et voici que dans mon fil FB deux mots attirent mon attention, deux minuscules syllabes de trois lettres chacune, The Spy, tiens une vidéo des Doors, tout ce qui touche à Jim Morrison m'intéresse, non ce ne sont point les Doors, mais Klone qui ont repris le morceau des Doors. Faut un sacré culot en ce bas monde pour s'offrir de telles fantaisies.

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    En septembre 2019 Klone a sorti son sixième album, intitulé Le Grand Voyage, chanté en anglais, qui fut fort loué et moult encensé sur tous les webzines métalleux du pays. L'est vrai que l'album en impose. L'on en a dressé l'oreille jusqu'aux States, avec cet opus Klone a atteint un haut niveau d'intensité, joue désormais dans le haut du panier international en leur genre que nous qualifierons de progressive-metal. Même si les étiquettes sont faites pour être arrachées. Rien qu'au soin apporté à la pochette, l'on comprenait que Klone avait compris que le rock doit être appréhendé en tant qu'art total et que rien ne doit être laissé au hasard. En juin Klone sortit une vidéo officielle sur You-Tube, de Yonder le titre qui fit l'unanimité dans les multiples chroniques qui saluèrent la sortie du disque. Pas tout à fait une vidéo, eux-mêmes la qualifient de short-film. L'est sûr que dans un festival de courts-métrages poétiques Yonder aurait toutes les chances de remporter le premier prix. La beauté des images est à couper le souffle. Un homme vêtu de noir – large chapeau qui n'est pas sans évoquer les premières images des Aventuriers de l'Arche Perdue, ou pour ceux qui aiment les références françaises la silhouette de Johnny Hallyday dans Le spécialiste – c'est tout. Scénario d'une simplicité sublime. L'homme dont on ne sait rien, tout comme vous, marche vers son destin. Ne vous réjouissez pas trop de la comparaison, va d'un pas tranquille vers la mort. Mais au contraire de vous, il traverse des montagnes désertiques de rocs et de sables nimbées d'une merveilleuse lumière orange. Comme quoi un voyage, fût-il grand peut mal se terminer.

    L'album possède neuf titres + une gosth track : la reprise de The Spy des Doors.

    The Spy figure sur le cinquième album des Doors, enregistré en 1970. Belle pochette, la photo a été prise impromptue, les Doors passent devant l'hôtel par hasard, le gérant leur refuse la permission de take the pic, ils repassent plus tard devant la vitrine, la salle d'accueil est vide, ils se précipitent, s'installent au comptoir, dans la boîte en quelques secondes, ils s'esquivent, ni vus, ni connus. Hormis cette anecdote, le disque est une réussite parfaite. Les disques des Doors, à l'exception de The Soft Parade qui développe peut-être le concept le plus intéressant mais qui reste inabouti, sont autant des objets-rock incontournables que des objets de poésie. Ptyx mallarméens assez rares. Cela tient à la qualité des morceaux certes mais avant tout à cette étrange atmosphère dans laquelle ils baignent. Synesthésiquement parlant, Morisson Hôtel flotte dans une mystérieuse aura d'algue verte...

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    Derrière Klone se trouve la Klonosphère, groupes centrés sur la région de Dijon, les anciens membres, le groupe de scène, le groupe qui enregistre en studio. D'autres formations avec lesquelles certains membres jouent aussi. Nous sommes très loin par exemple des rencontres hasardeuses qui au milieu des années soixante ont permis à un groupe de rock comme Variations de se réunir. Il existe tout un background artistique derrière Klone, en un demi-siècle un véritable terreau french-rock a vu le jour. La tête pensante et actante de Klone est formée du trio : Guillaume Bernard ( guitare ), Aldrick Guadagnino ( guitare ) Yann Ligner ( chant ). C'est sur ce dernier, doté d'une technique vocale prodigieuse que repose le groupe, ce qui ne signifie pas que les autres sont des tâcherons ou des mercenaires, quant le chant est pointu, les accompagnateurs ne sauraient être obtus. D'ailleurs pour s'attaquer à une reprise des Doors, faut être, je reprends un adjectif qui revient souvent dans les articles qui leur sont consacrés, couillus.

    THE SPY / DOORS

    ( version avec lyrics sur YT )

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    Au juste c'est quoi The Spy. Pas autre chose qu'un blues. La version remastérised 2020 le démontre à l'excès. Lorsque l'on a restauré le plafond de la Chapellle Sixtine et que l'on a découvert ses couleurs tendres et crues, l'on a crié au scandale. Mais personne n'était assez âgé pour se vanter d'avoir vu les teintes originales. Pour les Doors, les versions non-remastérisées sont encore dans l'oreille de beaucoup de monde, et certains ont gardé avec soin leurs microsillons et le matériel d'écoute adéquat. Le confort d'écoute moderne d'aujourd'hui sera jugé totalement obsolète dans un demi-siècle, qu'écouteront au juste nos descendants, la magie des Doors ne se sera-t-elle pas totalement évaporée... Donc un blues, mais transfiguré, la blue note métamorphosée en ritournelle qui devient vite obsédante. Et puis de temps en temps, les Doors descendent le rideau de fer avalanchique de l'orchestration, bien chiche et frustre certes car le trio des musicos n'use guère d'additifs ou de subterfuges. N'en éprouvent pas la nécessité, z'ont mieux à leur disposition qu'un orchestre symphonique, le plus bel instrument qui ait jamais été inventé, la voix humaine. Mais là ce n'est pas la voix de n'importe qui, celle de Jim Morrison, chargée de mystère, de profondeur, baignée d'une lointaine mélancolie, mais si présente en vous qu'il vous semble que le roi lézard chantonne à votre oreille, rien que pour vous. C'est d'ailleurs le sujet de la chanson. L'espion qui connaît tout de vous, vos rêves, vos envies, vos désirs. Des espions de cette sorte qui murmurent à votre âme vous en connaissez beaucoup, qu'ils vous tendent leurs livres, ou leurs tableaux, leurs films, leurs poèmes... Cela Morrison, le sait très bien, l'énonce avec des mots très simples, I'm the spy qu'il dit, O. K Jim on a compris, et c'est là que l'animal érectile morrissonien vous plante son dard dans le dos, cinq mots qu'un élève de sixième comprend sans difficulté, in the house of love, le mystère et le mal-être s'épaississent, ce n'est plus un mec qui vous embrouille à l'épate en faisant des claquettes solfégiques, il vous le chuchote dans le cou tel un secret honteux, l'a sorti son arme fatale, son organe vocal, ce n'est plus un espion, c'est pire, c'est l'indiscrétion en personne qui se charge des révélations, n'en parle qu'à vous, mais elle vous plonge dans une inquiétude généralisée, ne serait-ce pas vous qui vous parleriez à vous-même... Et c'est donc à cela que Klone se mesure.

    The Spy / Klone

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    Que voulez-vous, il y a des mecs qui ne doutent de rien, qui déklonent à plein tube. Je n'ai pas voulu les enfoncer, j'ai décidé de leur laisser une chance. J'aurais pu d'abord me conforter dans mon idée de base, en écoutant les Doors en premier lieu, mais non, bon prince, suis allé d'abord à leur version. Sont des malins chez Klone, les Doors vous en mettent plein les oreilles, ne craignez rien, nous aussi, mais en plus vous en aurez plein les yeux. Les deux pour le prix d'un. A croire qu'ils ont fait la chanson pour illustrer la vidéo. De belles images certes, mais tout le monde peut en faire autant, une bonne banque de données, style photos de Géo Magazine et c'est dans la poche. Celle des imbéciles. Je ne sais pas s'ils ont concocté l'affaire en un brain-trust de trente jours avec tentes de sudation obligatoires et jeûnes à répétition à effrayer une armée de spartiates, ou si l'idée géniale est arrivée comme un cheveu sur la soupe. Bordel de bordel, c'est quoi cette house of love. Question irritante. Mais eux ils ont trouvé. Ce n'est pas la réponse qui est intéressante, c'est la manière dont ils vont vous la donner sans le dire, mais en le montrant par des images. Si par hasard ils finissent en prison, portez-leur des oranges, car ce sont des adeptes de leur couleur. Font ainsi le lien avec la vidéo de Yonder. Superbes paysages, au loin une ville, laquelle, n'importe laquelle, la Cité Morrissonienne par excellence celle qui ouvre le recueil de The Lords & The New Creatures. '' La ville forme souvent physiquement mais inévitablement psychiquement un cercle. Un anneau de mort avec le sexe à son centre'' . Mais ne s'arrêtent pas là. La courbure du globe apparaît à l'horizon et nous voici plus haut que notre monde sublunaire, là où commence l'anneau de l'éther illimité. On se croyait dans une miteuse maison de passes et nous voici dans l'apeiron d'Anaximandre...

    Mais vous vous méfiez des illusionnistes qui vous traumatisent la rétine, alors taisez-vous et écoutez. Vous la prennent un ton plus bas, mais sans trop. L'orgue de Manzareck, l'ont laissé au garage, ce sont les guitares qui s'en chargent avec une basse en même temps lourde et feutrée. Yann Ligner se place dans une lignée jimique, sur les deux premiers vers, vous pensez à une pâle imitation, mais non sa voix monte, monte, plus haut, plus haut, non il ne pousse pas dans l'aigu mais dans l'amplitude, pas sur le spectre horizontal mais sur le vertical, ne s'étend pas en largeur, mais sa voix semble se détacher du cordon musical et se mettre en orbite très haut à l'altitude excentrée d'une planète inconnue, découpe les vers, chaque accentuation nous éloignant de la terre pour le monde des songes, lorsque voix et musique se taisent, l'écran devient noir, et l'on repart vers les étoiles comme si l'on était une sonde spatiale dont l'image aurait été occultée par un astre inaperçu ou la béance d'un trou noir, le morceau est raccourci, condensé, et s'arrête sur l'évocation répétée de cette peur qui grignote nos synapses.

    Une belle réussite. Fidèle aux Doors, aucun iconoclasme nihiliste dans cette démarche qui ouvre une autre voie. Une autre voix.

    Damie Chad.

    P. S. : il existe une version 2, Jim avec un accompagnement style piano-bastringue, qui efface l'atmosphère angoissante, la voix de Jim est beaucoup plus désinvolte, un peu comme un assassin qui plaisante avec sa victime qu'il tuera dans quelques heures. Sur le pont le piano se permet quelques discrètes dissonances jazzy qui installent l'amorce d'un malaise. Ne vaut pas celle qui a été retenue, bien qu'elle soit digne d'attention.

     

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    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    Voici quelques précisions

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    Nous l'invitâmes à boire un café. Il parut soulagé mais se confondit en excuses, soucieux de nous poser tant de tracas, une fois assis à table, nous n'eûmes pas besoin de l'interroger. Il raconta d'un seul trait son terrible destin.

      • Je m'appelle Jean-Pierre Dupont, j'avais six ans lorsque je fus victime d'un terrible accident de voiture. Mes parents étaient morts. Moi aussi. On nous transporta à la morgue. C'est-là qu'un chirurgien s'est intéressé à mon cadavre. Pour une noble cause, il devait le lendemain recoudre une main à une personne accidentée à son travail. Une opération difficile, par conscience professionnelle il voulait s'entraîner, dans mon malheur j'avais eu les deux mains tranchées, écrasées, réduites en charpies. Pour mon bonheur – excusez-moi, c'est ainsi – deux autres enfants étaient décédés dans le service de cancérologie, leur taille correspondait à la mienne. Emporté par l'amour immodéré de son métier et le désir de renvoyer un ouvrier au plus vite au boulot, Auguste – c'est le prénom du chirurgien - m'a greffé deux mains au bout de chacun de mes deux moignons. C'est alors que je me suis réveillé. Je n'étais pas vraiment mort. Auguste s'est affolé, il a vu sa carrière brisée, mais c'était un homme bon et intègre, il m'a emporté chez lui... Durant des mois il m'a soigné, au bout de deux ans j'avais récupéré l'usage de ces quatre mains qui n'étaient pas à moi...

      • Voilà qui n'est pas banal, murmura le Chef, j'en profite pour allumer un Coronado, mais qui vous a dit de venir nous trouver ?

      • Encore une longue histoire... Auguste m'a gardé chez lui, il ne savait pas quoi faire de moi, s'il me mettait à l'école, il y aurait une enquête, alors j'ai toujours vécu avec lui, il m'a appris à lire, à écrire, s'est très bien occupé de moi, un deuxième papa, il me disait que quand je serais grand il m'inscrirait à l'université, mais je n'ai pas voulu, je suis resté avec lui, le monde me faisait peur... aujourd'hui j'ai vingt-deux ans, il est mort l'année dernière, à son enterrement je me suis habillé de ce grand imperméable pour que personne ne voie mes mains et j'ai continué à vivre dans la maison, en me faisant livrer ce dont j'avais besoin...

    Alfred servit le café. Je ne pouvais détacher mes yeux des mains de Jean-Pierre, avec une il remuait le sucre tandis que sa voisine trempait un petit gâteau dans la tasse...

      • J'ai essayé de rentrer en contact avec des gens... j'avais peur, je me suis dit que ce serait plus facile avec des enfants, je suis allé à la sortie d'une école, à cause de mon imperméable et de mes mains dans les poches j'ai été pris pour un exhibitionniste... J'ai été poursuivi par une meute de bonnes femmes en furie... Je ne suis plus jamais sorti de chez moi !

    L'on entendit craquer l'allumette avec laquelle le Chef allumait un nouveau Coronado.

      • Il y a trois jours au fond de la poche d'un veston j'ai trouvé un numéro de téléphone... j'ai appelé on a répondu tout de suite...

    La porte s'ouvrit brutalement. C'était Thérèse...

      • Ils arrivent, s'écria-t-elle !

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    Lors des batailles décisives Napoléon sortait sa lorgnette, le Chef se contenta d'allumer le Coronado des grandes occasions, celui qu'il ne fumait que dans les passes difficiles, facilement reconnaissable à sa robe marquée de stries rouges qui ne sont pas sans rappeler les traits carminés dont les peaux-rouges marquaient leurs poneys lorsqu'ils empruntaient le sentier de la guerre. En quelques secondes la villa s'était transformée en fourmilière. Molossito et le curieux Westie blanchâtre, cornaqués par Molossa effectuaient à toute vitesse des allées venues entre la cuisine et le camion que j'avais rentré en marche arrière dans le jardin. Chacun ramenait dans sa gueule des bouteilles de Moonshine polonais dont Thérèse se hâtait d'enfourner le contenu dans le réservoir du camion et des deux solex. Alfred avait pris l'initiative d'emmener Jean-Pierre dans la cave, où ayant fait basculer un rayonnage de la bibliothèque Alfred dévoila une véritable cache d'armes, trois grosses caisses qu'ils hissèrent dans la benne. Jean-Pierre arborait un lumineux sourire : '' C'est la première fois de ma vie que je m'amuse'' ne cessait-il de répéter en courant de tous les côtés.

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    Je m'installai au volant du Dodge, je ne vous l'avais pas précisé parce que les lectrices n'aiment pas être embêtées avec des détails techniques, mais enfin c'était un de ces véhicules – en reste-il seulement trois en état de marche de nos jours – qui avaient débarqué avec les ricains en 44, petits gabarits, inusables, robustes, capables de pousser un train de marchandises de quarante wagons – roues d'acier sans pneus, j'avais eu la chance inouïe de le dégoter sur le premier chantier que j'avais visité, preuve que les dieux sont du côté de rock'n'roll. Molossito s'était casé sur le plat-bord à gauche du volant, Molossa à droite fut la première à pousser deux aboiements brefs, nous arrivions au niveau du parc où Thérèse et moi... il était rempli de CRS et de gardes mobiles qui ne semblèrent nous accorder qu'une attention amusée, '' Ouah ! Ouah ! Ouah ! '' Molossito s'égosillait, devant nous surgirent d'une rue adjacente, deux énormes camion à eau qui de front s'avancèrent vers nous. Un gars, je reconnus le conseiller du Président qui nous avait si ironiquement congédié lors de notre entrevue, s'avança au milieu de la chaussée et mégaphone en main hurla '' Rendez-vous, vous êtes cernés'' Il n'avait pas tort, derrière le Dodge, CRS et gardes-mobiles s'étaient déployés sur la chaussée pour fermer la nasse. Le piège se refermait.

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    Sur eux. Dans le jardin de la villa le Chef jeta son cigare à terre, c'était le signal. Thérèse mit les gaz de son vélomoteur dopé au moonshine polonais, Alfred l'imita, les pauvres agents de la sécurité publique crurent que deux torpilles téléguidées fonçaient sur eux, ils s'écartèrent et s'égaillèrent dans toutes les directions, mais c'était trop tard, déjà comme Metzengerstein dans la nouvelle d'Edgar Poe poussait son cheval sur les cadavres de ses ennemis, les roues des solex roulèrent sur leurs corps, lorsque les deux vélos arrivèrent à ma hauteur, j'appuyais sur l'accélérateur, j'entrevis le sourire ravageur du Chef qui brandissait un bazooka, Jean-Pierre faisait de même, pour un gars qui n'était jamais sorti de chez lui, il semblait parfaitement à l'aise. Les deux camions citernes déchiquetés de part en part par les roquettes explosèrent, je freinais brutalement le temps de laisser les quatre cavaliers me rejoindre, le Chef s'installa dans la cabine tandis que les trois autres se hissèrent dans la benne.

      • Agent Chad, écrasez-moi ce cloporte au mégaphone pendant que j'allume un Coronado !

      • Voilà, c'est fait Chef, très proprement, le mégaphone n'est même pas cabossé, il ne faut pas dépenser les deniers de l'Etat, déjà que le Président vient de perdre un de ses conseillers !

      • Agent Chad je vous félicite pour votre conduite citoyenne, ne pas gaspiller les impôts de nos concitoyens devrait être le premier souci de tout dirigeant. Mais trêve de bavardages, foncez droit devant, l'ennemi ne va pas tarder à se reprendre ! Tout droit !

      • Tout droit, bien sûr Chef, mais dans quelle direction, au juste !

      • Vers la tour Eiffel, nous allons leur jouer un tour de fer à notre façon !

    ( A suivre... )

  • CHRONIQUES DE POURPRE 486 : KR'TNT ! 486 : MARTY WILDE / BOB DYLAN / MEZZADRI BROTHERS / JARS & FRIENDS / INSURRECSOUND / ROCKAMBOLESQUES IX

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 486

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    26 / 11 / 2020

     

    MARTY WILDE / BOB DYLAN

    MEZZADRI BROTHERS / JARS & FRIENDS

    INSURRECSOUND / ROCKAMBOLESQUES 9

     

    Born to be Wilde

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    L’an passé, RPM publiait un petit coffret magique consacré à Marty Wilde : A Lifetime In Music 1957-2019. His Highlights And Rareties. En l’ouvrant, vous allez tomber sur un booklet bien dodu. Marty Wilde s’y fend d’une bien belle introduction : «J’ai toujours été dans le business, je crois bien. J’ai démarré ma carrière à l’âge de 17 ans et aujourd’hui j’en ai 80 !». Le vieux Mart reconnaît avoir souvent changé de style, mais il avoue en même temps qu’un truc est resté constant en lui : my tremendous love of music. Et quand on connaît bien les galettes de Mart, on ne peut qu’hocher la tête en signe d’assentiment. Il règne dans tout ce qu’il fait une sorte d’esprit. Mart dit avoir connu tous les studios, à commencer par le mythique Philips Studio de Stanhope Place, puis le Regent Sound sur Denmark Street et bien sûr le fameux Abbey Road rendu célèbre par les Beatles. À travers Mart, c’est toute l’histoire du rock anglais qui défile sous nos yeux globuleux.

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    Avant de devenir célèbre sous le nom de Marty Wilde, Mart s’appelle Reg Smith. Il gratte un peu sa gratte au Condor, un club de Soho, et Bart le repère. Bart parle de Reg à Parnes qui se met en chasse. Il croit le choper au club but Reg is gone, lui dit le boss, to catch his bus. Oh fuck, fait Parnes. Il n’a qu’une seule info : Reg vit à Greenwich, alors Parnes le cherche et finit par le trouver. Il sonne chez Smith. Mom Smith ouvre. Oui, Reg c’est bien ici. Come on in ! Have a cup of tea ? Have a biskit ? Parnes a le contrat dans sa poche. Il le sort, le déplie et le pose sur la table. Il tend son bic à Reg. Signe là mon gars ! And now tu t’appelles Marty Wilde. What ? Reg coince mais finit pas s’y faire.

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    Larry Parnes est un fabriquant de stars. Il débute dans le biz comme associé de John Kennedy, pas le président, non, mais le mec qui a découvert Tommy Steele. Puis Parnes se sépare de Kennedy pour monter son écurie. Mart est son premier poulain, suivi de Ron Wycherly (Billy Fury), Ray Howard (Duffy Power), Clive Powell (Georgie Fame) et d’autres moins connus comme Vince Eager, Dickie Pride, Lance Fortune ou encore Johnny Gentle. Tous bien sûr rebaptisés par Parnes. Et si Mart a très vite du son, c’est pour deux raisons : un, John Franz le prend sous son aile et deux on trouve dans ses Wildcats Big Jim Sullivan et deux des plus grands batteurs du temps d’avant, Bobby Graham et Bobbie Clark. Mart va enregistrer une palanquée de singles énormes, on y revient tout à l’heure, et une poignée d’albums plus ‘commerciaux’. Il est grand temps de redire haut et fort que Marty Wilde est l’un des plus prestigieux rockers d’Angleterre. Peut-être même LE plus prestigieux.

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    Son premier album,Wilde About Marty, est sorti en 1959, longtemps avant que tout explose en Angleterre. Philips a fait le choix d’une pochette très américaine, une esthétique qui rappelle celles des pochettes de Dion ou de Ricky Nelson. On trouve pas mal de hot stuff sur ce premier tir, à commencer par cette reprise superbe et battue à la folie du «Down The Line» de Buddy Holly qu’il chante avec des accents de Gene Vincent. Autre merveille en fin de B : «Splish Splash» - Open the door ! - Quelle dégaine ! Il finit sa B avec un joli shoot de heavy blues, «So Glad You’re Mine» qui préfigure le believe I dust my blues du Spencer Davis Group. C’est bardé de son, comme le seront tous les grands hit de Mart. Il tente de foutre le feu à Londres avec «Put Me Down» mais pour ça, mon gars, il faut s’appeler Jesse Hector. Il taille ensuite une croupière au «Blue Moon Over Kentucky». Il démarre sa B avec l’excellent «All American Boy» bien ramoné de la cheminée. Mart y croit dur comme fer et ça s’entend, en dépit des faux airs de comedy act. Il se prend pour Jerr avec «High School Confidential». Pas facile de jouer la carte des géants. Il s’en sort avec les honneurs, même si son high school bop est un peu léger.

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    C’est sur Showcase paru en 1960 qu’on trouve sa version de «Fire Of Love», un hit gluant signé Jody Reynolds que reprendra vingt ans plus tard Jeffrey Lee Pierce avec le Gun Club. Mart est un fantastique précurseur. S’ensuit un autre hit de Jody Reynolds, «Endless Sleep», assez éperdu, chanté au vieux footsteps. Mais l’album a ses faiblesses, avec les cuts plus poppy comme cette reprise d’un hit de Dion & The Belmonts, «A Teenager In Love». Il faut souligner l’incroyable qualité du son. Avec «It’s Been Nice», Mart sonne comme Buddy Holly. On retrouve chez lui le même genre de ferveur lumineuse. Mart est the real wild guy d’Angleterre, il fait tout à la voix, il explose sa petite pop. Dommage qu’on l’oblige parfois à enregistrer des navets. Il sauve son album avec «Bad Boy» puis «Johnny Rocco». «Bad Boy» est le grand hit de Mart. S’il est un hit qui illustre bien la délinquance britannique c’est celui-ci. Mart le chante à l’insidieuse carabinée. On salue aussi bien bas l’immense «Johnny Rocco».

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    Paru la même année, The Versatile Mr. Wilde manque un peu de sauvagerie. Mart fait l’impossible pour sauver son album, mais on l’oblige à chanter des cuts assez ineptes. Il doit avaler des couleuvres toutes plus grosses les unes que les autres. Alors qu’en parallèle, il ne sort que des singles magiques, comme on va le voir par la suite. Marty Wilde disposait d’un vrai potentiel. Comme Vince Taylor, il aurait pu exploser l’Angleterre, alors il fallait le calmer. Et puis soudain voilà qu’en fin de bal d’A apparaît un hit : «Amapola», monté sur un drive de big band. On se croirait chez Sinatra. C’est bombardé de son. En B, il cherche à faire venir une poule chez lui avec «Come On-A My House» - I’ll give you a candy/ I’ll give you everything - C’est du sexe pur. On croirait entendre une bite chanter. Il essaye de sauver l’album avec «To Be With You» et il finit avec un «Autumn Leaves» très Broadway.

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    C’est aussi l’époque où il participe à des comédies musicales. Il chante trois cuts dans Bye Bye Birdie, un spectacle donné dans un théâtre londonien en 1961. C’est du comedy act à la con. «Put On A Happy Face» ? Fuck you Happy Face ! Les seuls cuts intéressants sont ceux que chante Mart the crack. Il fait un brin d’Elvis dans «Honestly Sincere», se ridiculise dans «One Last Kiss» et sauve les meubles avec «A Lot Of Livin’ To Do». Mart ramène sa classe dans le to do, mais une super-connasse vient casser les noix du cat. Et comme c’est du big Broadway bash, Mart y éclot avec tout le confort qu’apporte le big band, il donne tout ce qu’il a dans le ventre. Mine de rien, Mart sauve Birdie de l’avanie.

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    Mais comme on l’a indiqué plus haut, tout le jus de Mart se trouve sur les singles. Il suffit de ramasser n’importe quelle compile de singles pour en avoir le cœur net. Marty Wilde fut sans doute le seul rocker d’Angleterre à pouvoir chanter du rockab, c’est en tous les cas ce que montre «Wildcat», visité par un solo de sax et monté sur un wild drive de slap. Même chose avec «Love Bug Crawl» et sa ferveur haletée. C’est d’une crédibilité sans nom. Encore une merveille avec «Oh Oh I’m Falling In Love», monté sur un fabuleux shake de clap-hands. On voit aussi qu’il dispose de gros moyens dans «Sing Boy Sing», pur jus de swing de jazz anglais. Il continue de faire les 400 coups avec «Her Hair Was Yellow». Avec ses singles, il sonne comme le roi du UK beat.

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    Il devient littéralement phosphorescent avec «Mysery’s Child» et il claque bien le beignet de «Love A Love A Love A», un cut emmenée au drive de slap descendant. Wow ! «Hide & Seek» sonne comme une fuite en avant et on adore Mart pour cette faculté de fuite. Encore un exploit hautement productiviste avec «Tomorrow’s Clown» : quelle atmosphère ! Mart chante ça heavy dans le mellow d’une sourde ondulation. La heavy pop de «Come Running» se montre digne de Del Shannon, même si elle est très exacerbée. «Jezebel» sonne comme le real deal, monté sur le plus impérieux des riffs. Mart chante son «Don’t Run Away» à la passion pure et il swingue son «Ever Since You Said Goodbye» comme une vieille pop, mais on se doute bien que ce genre de classe n’intéresse plus grand monde aujourd’hui. Mart ancre sa pop dans un culture trop ancienne. Et pourtant «Danny» éclate au grand jour, avec son claqué de guitare et un gusto digne d’Elvis. Mart entre dans sa période big sound avec «Little Girl» et revient au rockab pur et dur avec «My Baby Is Gone». Si on s’interroge sur le sens du mot véracité, la réponse est là. On se croirait même sur un single Meteor tellement ça sonne les cloches. On voit rarement des cuts aussi explosifs qu’«Angry» : big band for big Mart. Même chose avec le «Rubber Ball» de Bobby Vee, un son de rêve, et là, on se croirait carrément au Brill. C’est dire si ce mec a tout bon. Encore une belle attaque rockab avec «Your Loving Touch» - You don’t care for me/ Why don’t you set me free - Son attaque est celle d’une big American star. Mart est un crack. Encore un shoot d’American craze avec «When Does It Get To Be Love». Mart y croit, c’est un convaincu du to be love, il est même encore pire qu’Elvis, il enfonce sa canne dans l’ass du rock et les filles derrière font waddy waddy wahhhh. C’est un kitsch qui dépasse toutes les espérances du cap de Bonne Aventure.

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    Wow, la classe de Mart sur la pochette de Rock ‘n’ Roll ! Il chevauche une Triumph en gilet de cuir noir et fixe l’objectif avec la mine stoïque d’un rocker anglais. Fantastique allure et on peut dire la même chose de cet album produit par John Franz. Depuis le début, Marty Wilde nous habitue à une belle forme de pertinence et son «Hound Dog» ne fait que renforcer l’impression d’être en excellente compagnie. Il nous bricole une version râblée, sérieuse, corsée, bien cousue, bâtie sur un drive de basse solide et dévorant. S’ensuivent un «Summertime Blues» de caractère et un «Wake Up Little Susie» bardé de son. Marty Wilde tient bien son rang de prince des pionniers britanniques. Il fait encore un carton avec son «Rave On» et nous expédie au paradis avec le fantastique swagger qu’il met en œuvre pour trousser «Lawdy Miss Clawdy». Cet album est un monster, les chœurs de filles donnent le vertige et Marty Wilde chante ça au beat des reins. Power & hip shake ! Il attaque sa B avec un violent shoot de «Good Rocking Tonight» - I heard the news/ There’s a good rocking tonite ! - Il est l’un des plus habilités à chanter ça, il injecte du rockab dans son Rockin’. Ce mec swingue comme un démon. On entend rarement des albums de covers rock’n’roll aussi bien foutus. Comme on est en Angleterre, il adresse un gros clin d’œil aux Beatles avec une reprise gonflée de «Paperback Writer», sans doute l’un des cuts les plus difficiles à reprendre, car c’est gorgé d’harmonies vocales insidieuses. Mais Mart se marre, il s’en tire avec les honneurs. Il tape plus loin dans «The Fool» et rend un fuckin’ great hommage à Sandford Clark.

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    Difficile de se lasser d’un chanteur aussi parfait que Marty Wilde et encore moins d’un album comme Diversions, paru en 1969 et devenu culte. On entre au paradis avec «Any Day». Le paradis, c’est-à-dire la grand pop orchestrée de London 69. On sait dès l’intro d’Any Day qu’il faut attendre un miracle : Mart y explose la pop en plein ciel. Il nous plonge dans l’artefact aristocratique pop et les chœurs font «Any day !». Stupéfiant. Il enchaîne avec «It’s So Unreal», il groove son shit par l’abdomen et l’album devient demented, tout ici est supérieur : le chanteur, la prod, l’ambiance. Mart explose au-delà de toute commune mesure. Il reste dans le haut vol avec «Zobo», dans le confort d’une prod de rêve et s’appesantit sur «Learning To Love», mais en même temps, il ultra chante. C’est un timbre qui oblitère. Il attaque sa B avec «Ice In The Sun» et chante comme the real deal d’Angleterre. Il monte en pression dans «Alice In Blue», mais de façon extravagante, il use et abuse de son power, il peut exploser à n’importe quel moment. Il avance dans l’air du temps à la seule force du poignet. «Felicity» et «In the Night» sonnent encore comme des pures merveilles. Il monte comme Richard Harris dans «MacArthur Park», même power et même grandeur dans le développé. Ce mec nous balade dans son monde, sa classe le met à part. Dommage que cet album génial soit passé inaperçu à l’époque.

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    Revenons à cette petite box jaune RPM qu’on peut acheter les yeux fermés : A Lifetime In Music 1957-2019. His Highlights And Rareties. Pourquoi ? Mais parce que c’est de la dynamite. Si on ne savait pas que Marty Wilde était l’un des géants du rock anglais, cette petite box jaune est là pour le rappeler. On y trouve quatre disks et un livret bien documenté. Comme ceux d’Ace, les gens de RPM ne font jamais les choses à moitié. Le disk 1 ne propose que des singles. On y retrouve «Wild Cat». Mart y fait le rock anglais à lui tout seul, avec un solo de sax dans la folie du drive. «Love Bug Crawl» est du vrai rockab anglais joué aux guitares claironnantes. Il faut aussi entendre ce «Oh-Oh I’m Falling In Love Again» joué aux clap-hands et l’excellent «Sing Boy Sing» allumé au chant délinquant. C’est Mart qui fait la première cover de «The Fire Of Love». Il fait sa star et chante «Bad Boy» au petit développé. Il sait monter en puissance au long cours d’un cut. On se régale aussi du son de guitare dans «My Heart And I», aw c’mon Mart ! On finit par adorer sa voix. Il y a toujours un petit côté killer chez lui. Avec «Angry» et «Little Girl», il passe au drive de big band, et emmenée par un bassmatic élastique, sa pop bascule dans des tourbillons de folie douce. On note chez Mart une incroyable profusion de bons cuts. Il chauffe son «My Baby Is Gone» à la manière de Gene Vincent et revient au big jump à la Count Basie dans «Amapola». Perché au somment du beat, Mart fait le cake. Nous voilà dans le Kosma des Feuilles Mortes avec «Autumn Leaves» - I see your lips/ The sorry kisses - L’incroyable de cette histoire est qu’il bénéficie toujours d’orchestrations extravagantes. En fait, Marty Wilde était surtout l’homme des singles. Tout est extrêmement intéressant. Encore une merveille avec «When Does It Get To Be Love». Les filles derrière sont déchaînées, elles en rajoutent et Mart roucoule dans l’enfer du wa-choo-wah. Il chante tout à la régalade et sonnerait presque comme Elvis dans «Your Loving Touch».

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    Le disk 2 qui propose encore des singles se révèle encore plus diabolique, mais il faut attendre «Jezebel» pour tomber de sa chaise. Pur jus d’Angleterre de 62, une vraie pépite montée sur un gros drive de riff. Mart n’en finit plus de bénéficier d’une prod superbe. Ses singles sont généralement des merveilles palpitantes, comme ce «Honestly Sincere» joué au pire London drive. Les filles poussent des cris et ça bascule dans la folie. Dans «A Lot Of Living To Do», il duette avec une sucrée des enfers, Sylvia Tyside. Comme derrière joue un big band, nous voilà embarqués à Broadway. S’ensuit un hommage spectaculaire à Doc Pomus : «Lonely Avenue», heavy et beau, noyé d’harmo, parfaitement mythique. Puis on voit Mart évoluer avec les modes, «Save Your Love For Me» est assez pop. Il s’adapte bien aux changements. Puis il passe au heavy London rock avec un «Bless My Broken Heart» bardé de son et d’excitation. Derrière, des mecs font «Ahum !». Encore de la heavy pop avec «I Can’t Help The Way That I Feel». C’est à se damner tellement c’est bien foutu et bien chanté. Mart the cat reste en prise sur l’actu avec «Kiss Me». Il sonne juste de bout en bout. Quelques bonus viennent compléter cette impressionnante série de singles, à commencer par une version live de «Move It» avec Hank Marvin. Il faut les voir swinguer le vieux London rock. C’est très viscéral - C’mon pretty babe - Ils en font une horreur sublime. S’ensuit un «Milk Cow Blues» bien sonné des cloches. Mart rocks it out ! On trouve les racines du pub-rock anglais dans «The Price Of Love». Ils sont dedans jusqu’aux oreilles.

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    Le disk 3 propose une session Radio Luxembourg datant de 1959 suivie de quelques bonus. Dès «My Babe», Mart rocke comme un démon. C’est très sauvage, chaque départ en solo casse la baraque. Puis ils tapent une énorme version de «Blue Moon Of Kentucky». On observe une montée en puissance du slap. Mart sait rocker sa chique. On le voit encore tout casser dans «Go Go Go (Move On Down The Line)». Il a le diable au corps, il radiguette à qui mieux mieux. C’est littéralement bardé d’accès de folie. Il racle plus loin son «I’m In Love Again» au vieux rumble de rockab et après un faux départ, «My Baby Left Me» explose au firmament des reprises. Mart fait son King et le fait encore dans «Trouble». Il s’en donne les moyens. Il adore Elvis, ça crève les yeux. Il fait aussi une version bien speed de «Blue Suede Shoes». Après un mauvais départ, ils redémarrent et tout bascule une fois de plus dans la folie pure. Ils attaquent «High School Confidential» à la Jerr. Mart est réellement le real deal du rock anglais. Il faut prendre ce mec très au sérieux. On s’émerveillera aussi de ce «Need Your Love Tonight» amené au tiguili de vieux rumble américain. Quelle énergie, ces mecs jouent leur ass off. Mart rend ensuite hommage à Little Richard («Rip It Up») et à Buddy Holly (Oh Boy») - All my love ! - Fantastique ! Alors attention aux bonus, car ça démarre avec «Caterpillar». Eh oui, Mart vire glam. Il en bouche un coin. Marc Bolan peut prendre des notes ! Mart revient à la pop avec «Yesterday Started For Judy». Il ne fait que du big body of work. Il redevient plus ambitieux avec «All Night Girl», c’est plus axé sur the Wilde réputation et les oh-oh flirtent avec le glam. Watch out, here she comes ! Il tente un énorme retour au heavy rock avec «She’s A Mover». C’est stupéfiant car le son est d’une réelle modernité. Mart shakes it wilde. Paumé dans les seventies, il parvient pourtant à faire son boulot. Il reste un artiste passionnant avec un truc comme «I Love You». Ses essais tardifs accrochent aussi bien que ceux de ses débuts. On a là une vraie présence, une vraie voix et donc un authentique artiste. Il rend hommage à Roy Orbison avec une version d’«In Dreams». Bravo Mart ! On sent le fan investi de tous les pouvoirs. Il réussit même à faire exploser «In Dreams» et à monter par dessus. Voilà pourquoi il faut écouter Marty Wilde. En 1982, il passe à l’electro avec «Hard To Find Easy To Love». Pour la première fois, il se vautre lamentablement.

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    C’est là où les mecs de RPM sont très forts : ils proposent un disk 4 bourré d’INÉDITS. Après le beau heavy blues d’I told you mama («The Next Hundred Years») et un «Feel The Mood» monté sur le groove humide de «Shakin’ All Over», on file directement sur un «Since You’re Gone» enregistré en 1965 et encore plus pop que tout le Swingin’ London réuni. Mart chante à l’unisson du canasson de Carnaby. Fantastique qualité du son et de l’esprit. C’est bardé, complètement bardé. Il duette sur «Just As Long» avec une copine sucrée et un tambourin. Même le folk-rock de «Daddy What’ll Happen To Me» est indécent de qualité. Avec «Jesamine», il est encore une fois en plein dedans, il sonne exactement comme les Beatles, très 68. Marty Wilde aurait dû exploser à la face du monde. Il se prend pour Ronnie Lane avec «Riffles & Firewater» et il a raison. Mart suit l’évolution. Ses démos sont très pop, très décidées à en découdre. Il chante la heavy pop très orchestrée d’«It Didn’t Have To Be This Way» avec l’aplomb d’un crooner au poitrail velu. Et voilà qu’éclate la fantastique pop de «Sunny St Louis». Il s’y affirme encore comme l’un des géants du rock anglais, il plie sa pop en quatre. Il sort des harmonies vocales dignes de l’âge d’or des Beach Boys. «A Place In My Heart» est plus capiteux, car chanté du haut de la falaise de marbre, mais vraiment chanté. Il y a chez Marty Wilde la justesse de ton qu’on trouve chez Fred Neil, Jimmy Webb ou Emmit Rhodes. Il revient à la chère folie de craze avec «Leaping About». Non seulement il peut allumer un cut, mais il sait aussi en faire un hit avec deux fois rien : un bout de stomp en caoutchouc, une voix et un peu de nostalgie. Il fait ensuite du bubblegum avec «Jungle Jim», et casse ensuite la baraque avec «I’m A Mover». On se croirait chez Free. Il explose son Mover en parfait glamster, aw right ! Il fait carrément du proto-punk avec tous les réflexes de bon aloi et s’il y a un mec en Angleterre qui est autorisé à proto-punker, c’est bien Marty born to be Wilde. Hey babe, I’m a mover. Il va shaker son move jusqu’à la fin des temps.

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    L’un des meilleurs investissements que l’on puisse faire avec le coffret magique RPM, c’est cette compile intitulée The Wildcat Rocker, parue en 1981. Au dos, Nick Garrard se fend d’un texte superbe : il y raconte l’histoire de Reg devenu Mart, grâce à Larry Parnes, qui le découvrit au Condor, à Soho. Dès le «Wildcat» d’ouverture de bal d’A, on est conquis. Mart dispose d’une merveilleuse niaque. Il y a un peu d’Elvis en lui et du brit grit dans le déhanché. Très haut niveau, sens aigu de l’insistance et de la persistance. Encore un joli shout de wild rock avec «Put Me Down». Mart does it right, il sait tempérer le suspense. On le voit faire du Brit Elvis dans «So Glad You’re Mine» et «Danny». Il sait dérouler un déroulé. En B, on tombe sur un «Bad Boy» qui date de 1959. C’est une merveille de profondeur wildy. Mart chante à la délicatesse pervertie. Il nous fait ensuite le coup du big band blast avec «Angry» et revient à Elvis pour «Your Loving Touch». Marty Wilde est ce qu’on appelle un artiste complet.

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    Ce serait aussi une grave erreur que de faire l’impasse sur ce Solid Gold, paru en 1994. Pas parce qu’il porte un nom clinquant, mais parce que Mart y fait une délicieuse cover de «Dedicated To The One I Love». Il parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, celui du temps des lilas qui couraient jusque sous les fenêtres des Shirelles et des Mamas & the Papas. Mart en a l’esprit et les chœurs, mais avec le power d’Angleterre et tout le vibré de glotte dont il est capable. C’est pourri de feeling, il swingue son chat perché au déhanché magnifique. On se régale aussi du «Dancing In The Dark» et de la fantastique tension chantante. Dommage que ce soit du Spingsteen. Il fait un «Billy Fury Tribute» plus rococo et on voit avec «Shane» qu’il a du ventre à revendre. Il duette avec sa fille Roxanne sur «I’ve Learnt It All To You» et rend un fier hommage à Elvis avec «Little Sister». Donc voilà.

    Signé : Cazengler, Marteau Wilde

    Marty Wilde. Wilde About Marty. Philips 1959

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    Marty Wilde. Showcase. Philips 1960

    Marty Wilde. The Versatile Mr. Wilde. Philips 1960

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    Marty Wilde. Diversions. Philips 1969

    Marty Wilde. Rock ‘n’ Roll. Philips 1970

    Marty Wilde. The Wildcat Rocker. Philips 1981

    Marty Wilde. Solid Gold. Select Records 1994

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    Marty Wilde. A Lifetime In Music 1957-2019. His Highlights And Rareties. Box RPM 2019

     

    Dylan en dit long - Part One

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    C’était au temps des disquaires, voici plus de quarante ans. Les kids entraient dans le bouclard et commençaient à fureter. Le vieux disquaire en interpellait un de temps en temps :

    — Tu cherches quoi mon gars ?

    — Du pounk !

    — Regarde dans le bac, à ta gauche. Mais pourquoi n’écoutes-tu pas Dylan ? Ça te plairait beaucoup.

    — Chais pas ! Comprends ‘ren de c’qui dit !

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    Le malentendu ne date pas d’hier. En France, la fameuse barrière du langage n’a pas arrangé les choses. Le gros avantage qu’ont les Français sur les Anglais, c’est de pouvoir écouter du rock sans comprendre les paroles. Et Dylan sans les paroles, ça fonctionnait bien au temps de «Like A Rolling Stone». Mais le vieux disquaire s’y prenait comme un manche. Il essayait de vendre Bob Dylan à des kids en perfecto qui ne rêvaient que de délinquance et non de littérature anglo-saxonne.

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    Car c’est là que se trouve le fond du problème. On voit Bob Dylan comme une rock star, alors qu’il se situe complètement à un autre niveau. Dans son dernier numéro, Mojo nous entraîne encore plus loin dans le malentendu. On sent que Dylan nous échappe complètement, mais on n’imagine pas à quel point. Les plus raisonnables d’entre-nous le percevront comme un poète universaliste, un équivalent américain de Léo Ferré, une sorte de messie rimbaldien passé maître dans l’art de l’ellipse prophétique. Mais l’œuvre est tellement considérable qu’elle déclenche d’autres phénomènes, des phénomènes incontrôlables de type Fantasia. Dylan est certainement l’artiste contemporain qui a généré le plus de vocations d’exégètes. D’ailleurs ça a fini par lui poser un problème, car un nommé Alan Jackson raconte que Dylan n’accepte les interviews que dans la pénombre et sans contact visuel. En gros, regarde tes pompes et évite les questions trop pointues - Don’t be a superfan, c’est ridicule et c’est triste - Mais vous les connaissez les exégètes, plus vous leur dites de fermer leur boîte à camembert et plus ils s’excitent. Rien ne pourrait empêcher ces fanatiques de voir Dylan comme l’incarnation humaine d’un dieu dont chaque parole serait chargée de sens. Dans l’Odyssey de Mojo, un certain Grayson Haver Currin nous tartine quatre pages d’exégèse bubonique sur Rough And Rowdy Ways, le nouvel album de Dylan. Une façon de nous dire que si on ne lit pas sa fucking exégèse, on passera à côté de l’essentiel. Il a raison, on est vraiment trop cons. C’est en gros ce que le vieux disquaire disait aux kids en perfecto, pas intentionnellement bien sûr, mais le résultat est le même. T’es trop con pour écouter Dylan. Alors que de toute évidence, Dylan a choisi le rock pour justement pouvoir s’adresser au plus grand nombre. Comme John Lennon, il avait mesuré l’ampleur du rock en tant qu’outil de propagation d’une révolution pacifique, un outil bien plus efficace que la politique, la littérature ou le cinéma. Ça a bien failli marcher.

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    Chacun voit Dylan à sa façon, et c’est toujours intéressant. Aux yeux des gros veinards qui ont grandi avec les sixties, Dylan eut le même impact en 1965 que les Stones et les Beatles : à la radio, «Like A Rolling Stones» rivalisait de grandeur tutélaire avec «Satisfaction» et «Day Tripper». On parle bien sûr du Dylan électrique, car l’early Dylan passait mal, trop folky folkah pour des oreilles habituées à Jerry Lee et Little Richard. Mais la sauvagerie de «Tombstone Blues», oh yeah ! D’ailleurs, dans l’Odyssey, on trouve cet extrait du book d’Al Kooper (Backstage Passes & Backstabbing Bastards, un book pas très bon) dans lequel Kooper raconte comment il s’est retrouvé au studio Columbia en 1965 pour les sessions d’Highway 61 Revisited. Un coup de pompe dans la porte du studio et voilà qu’arrive Dylan suivi d’un mec qui porte sa Telecaster sur l’épaule, comme un fusil. La Tele est trempée car dit Kooper il pleuvait à verse et le mec s’appelle bien sûr Mike Bloomfield. Et puis il y a cette recommandation que fait Dylan à Bloomy et qui n’est pas dans Mojo : «Don’t play no B.B. King shit !». Le message est bien passé. Comme l’ont fait les Stooges, Jimi Hendrix et le Velvet, Dylan lègue à la postérité une trilogie d’albums magiques sur laquelle on reviendra : Highway 61 Revisited, Bringing It All Back Home et Blond On Blonde. Pour Mick Farren qui le vit à l’Albert Hall lors de sa première tournée anglaise, Dylan c’était Jesus Christ on a Harley (on trouve deux pages somptueuses sur Dylan dans Give The Anarchist A Cigarette, l’une des bibles du rock anglais). La copine Bémolle qui aimait aller au théâtre et «faire» des expos au Grand Palais n’écoutait pas beaucoup de rock, mais elle avait acheté deux albums dirons-nous tardifs de Bob Dylan, Time Out Of Mind et Love And Theft. Elle ne savait pas dire pourquoi elle aimait tant ces deux albums, mais lorsqu’on rentrait tard d’une virée en ville, on les écoutait religieusement tout en descendant une dernière bouteille de pif. Dylan on le sait a toujours plu aux intellos et aux intellotes pour des raisons mystérieuses. Le charme discret de la bourgeoisie ? Va-t-en savoir. Et l’autre jour, on écoutait justement Rough And Rowdy Ways chez un bon copain qui venait d’en faire l’emplette et qui ne savait pas non plus dire pourquoi il aimait le vieux Dylan. Recherche d’un confort culturel ? Goût prononcé pour la chaleur d’une voix ravinée ? Va-t-en savoir. Du coup le vieux Dylan servit de musique de fond pendant le repas, un sort auquel il devait être habitué, après tout. Mais l’album ne remplissait pas son rôle qui était de détendre l’atmosphère, il générait au contraire un léger malaise. Car s’il est un artiste qui ne supporte pas qu’on cause pendant qu’il chante, c’est bien Dylan. On notait par instants que sa diction s’était améliorée, ce qui rendait encore plus pénible le fait de ne pas pouvoir l’écouter plus attentivement en sirotant quelques bons verres de pif.

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    Du coup, l’idée d’un rapatriement de Rough And Rowdy Ways commençait à germer, bien dopée par la parution du Mojo pré-cité, mais la tartine du brave exégète nous ramène au point de départ : que peut-on piger sans l’aide d’un exégète ? Pas grand chose. De ce point de vue, Currin est encore pire que le vieux disquaire. Pour pallier notre manque d’érudition, il nous explique par exemple que «False Prophet» sort tout droit d’une B-side Sun de Billy The Kid Emerson. Il nous replonge alors le museau dans les Sargasses du Theme Time Radio Hour. Il dit même que «False Prophet» est le condensé d’un épisode entier du Theme Time Radio Hour. Débrouille-toi avec ça. Et ce n’est pas fini car il en rajoute une couche en affirmant que «Murder Most Foul» sort à la fois de Bud Powell, de Burt Bacharach, des Eagles, de St James Infirmary, il dit aussi que Dylan accouple Gene Vincent et Carl Perkins, Al Green et Libba Cotten.

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    ( Statue d'Edgar Poe / Boston )

    C’est ça les exégètes, tu leur donnes la parole et t’es baisé. Ce gros malin de Currin nous rappelle ce qu’on savait déjà, que Dylan est un juke-box à roulettes. Mais aussi une bibliothèque à roulettes, et là, ça explose, comme une crise de dysenterie : le poète irlandais Anthony Raftery, William Blake et Edgar Allan Poe surgissent dans «I Contain Multitudes», puis Currin accuse Dylan de faire son Frankenstein en charcutant Shakespeare, la Bible, Steinbeck, Ovide et les Mémoires de César pour en faire des ready-made à la Duchamp, mais là il se vautre, car Duchamp n’a jamais rien charcuté, au contraire. Alors, on s’y perd, avec toutes ces conneries. Ce délire référentiel s’inspire de toute évidence du passage de Chronicles où Dylan décrit de mémoire le contenu d’une bibliothèque, mais c’est à un autre niveau. Nous y reviendrons.

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    L’autre fou continue. Il dissèque «Mother Of Muses» comme une grenouille en cours de sciences nat’ et y trouve Mnémosyne, la mère des neuf muses de la mythologie grecque, puis Calliope, mère d’Orphée, comme s’il voulait attirer l’œil de Damie Chad. Dans «Goodbye Jimmy Reed», Currin compte combien de fois Dylan cite le nom de Jimmy Reed. Côté paroles d’évangile, Currin ne mégote pas. Il conclut son paragraphe Jimmy Reed en nous rappelant que nous ne sommes pas éternels - sur un album qui se joue de la vérité, la mort reste le seul fait intangible - ça, on est bien d’accord. Et puis voilà une autre parole d’évangile, cette fois signée Dylan : «Key West est l’endroit où il faut être/ Si vous recherchez l’immortalité.» Du coup on est complètement paumé.

    Signé : Cazengler, Bob Dilemme

    A Bob Dylan Odyssey. Mojo #325 - December 2020

    *

    Dans notre livraison 316 du 16 / 02 / 2017, nous présentions Croquis Rock & Roll d'Ange-Mathieu Mezzadri, publié aux Editions Autres Temps un recueil de poèmes-rock récupéré dans un bac à soldes – c'est dans le sable des rivières que l'on trouve les pépites d'or – un texte fort, pas du tout du gnan-gnan rock'n'roll, l'était bien spécifié qu'il existait aussi un cd, mais un petit malin n'aimant pas lire ( on le déplore ) mais adorant le rock ( on le félicite ) avait dû le subtiliser, nous ne lui en voulons pas, surtout si son geste s'inscrivait dans une démarche de réappropriation économico-culturelle. Et ce matin, au courrier, le chien rentrant de me promener, le susdit CD. Pour ceux qui ne souscrivent pas à l'existence des anges-gardiens, sachez que le mien s'appelle Ange-Mathieu Mezzadri.

    CROQUIS ROCK & ROLL

    poesie rock

    MEZZADRI BROTHERS

    ( Editions Autres Temps / 2016 )

     

    Ange-Mathieu Mezzadri : textes + voix, harmonicas, percussions / Olivier Mezzadri : musique, basses, guitares, autres instruments.

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    La race des seigneurs : vous attendez le rock'n'roll, apparemment il y a plus fort, la poésie seule. La musique est aux abonnés absents. Elle est juste reléguée au bout extrême des vingt-six laisses vocales, un bruit bref de ressort, qui ne s'attarde pas. Façon de rappeler le crissement de la page que l'on tourne. Surprenante cette voix, tranquille, sereine, agréable, dépourvue de la moindre convulsion. Elle n'est pas au diapason des timbres rouillés du blues originel, lui manque même l'ampleur lyrique que l'on serait dans notre droit d'imaginer. Non, une coulée pure, l'allure de la glace qui fond au fond de l'assiette et avance sans se presser, ou alors en élevant notre point de vue, un astronaute qui de très haut observerait cette traînée flamboyante de limace qui se hâte avec lenteur sur la courbure de la terre. Mais si vous descendiez à l'endroit exact de cette douce avancée lumineuse, vous seriez confrontés à une lave de volcan qui dévale les flancs abrupts d'une montagne, qui se rue à travers champ, sur les hameaux, sur les villages, sur les villes qui s'engouffrent en torrents de feux dans les larges avenues et détruisent, voitures, maisons, hommes, femmes, enfants, dans un bruit apocalyptique étourdissant. Tout ce qui précède n'est qu'une image. Nous pourrions la qualifier de nietzscheénne, en le sens où elle prophétise notre passé et notre futur. Car notre futur a débuté, il y a très longtemps, au moment où l'homme s'est retiré de l'homme, le barbare est dans l'être humain, les hordes faméliques ne viennent qu'après, une fois que l'on s'est endormi dans notre confort, que l'on n'a plus l'envie de préserver l'empire que nous avons bâti. La voix épelle calmement la généalogie de nos errements, de nos démissions, que personne ne veut plus entendre. Ce n'est que sur la piste douze que d'étranges reptations bruiteuses atteignent nos oreilles. La race des Seigneurs n'est que celle des esclaves. Les punks nous disent le même message, lorsque ils lancent le slogan, no future. Mais cela se passe quand les chiens ont déjà envahi le royaume, depuis longtemps. Ange-Mathieu Mezzadri se réclame de la pensée mythologique de Jim Morrison. Nous sommes à l'exacte moitié du poème, la voix craquelée, se brise de temps en temps, sacrifices humains, meurtre et viols, cela viendra. Ce que nous n'avons pas su garder, d'autres le rebâtiront, et la roue tournera et reviendra. Pirouette finale désinvolte, tout recommencera à la fin du voyage. L'homme ne peut se tenir droit trop longtemps. Sa propre stature l'écrase. Il finira par ramper comme l'esclave en devenir. qu'il a toujours été. Dio Vi Salvi Regina : flûte ! Intermède lyrique, une flûte agreste s'élève, Que Dieu te garde reine de la patrie, ou God save the queen, c'est du pareil au même. Pipeau ! Les racines du militant corse Mezzadri affleurent. Bordel mexicain : que serait le rock'n'roll sans le sexe. Pas de panique, la terre est partout un bordel mexicain, si vous vous ennuyez à mâchonner des sexes, essayez le viol et le meurtre. Faut bien pimenter la vie. C'est qu'à force de vivre dans le bordel généralisé de la planète, l'on ne sait plus à quels seins se vouer. Nous n'inventons que des dieux obscènes et n'aimons que les pacotilles manufacturées. Quelques bribes d'harmonica ne nous rassurent guère sur l'état de notre guerre intérieure que nous avons déjà perdues. Les idoles sont à déboulonner, Oscar Wilde, et les politichiens et le poëte aussi parce que le réel phantasmatique arrivé et avéré est bien plus dense et coruscant que le plus beau de ses vers. Ne gêne plus dans le paysage. L'inversion des valeurs marche dans les deux sens. Marché aux puces : si vous avez peur d'entendre l'horrible révélation de votre présent, reportez-vous aux Tableaux Parisiens de Baudelaire, il est indéniable que les fleurs du mal de ces croquis rock & roll dégagent des senteurs plus âcres, qu'elle dévorent les êtres sans rien leur laisser que leurs misères, qu'il n'y a pas d'issues, ni de pardon, ni de rédemption, ni de remords, uniquement de la cruauté aussi flasque que vos désirs. Le marché aux puces n'est qu'un marché d'esclaves. On y vend les chaînes que certains ne parviennent même pas à s'acheter. Au bout de l'horreur que reste-t-il si ce n'est ce Chroma : dépassé que l'on surnomme rock & roll, c'est fou comme une bouffée de hard mélodique fait du bien au moral. '' Rock is dead '' : le rock est mort, nul besoin de longues et minutieuses analyses musicales, le métro et ses bataillons d'esclaves disciplinés le démontrent à l'envi. De temps en temps une courte plage musicale, style générique film de gangsters-rock, l'on espère encore la révolution et ses brutalités, mais ce sont les hordes barbares de bikers, ce n'est plus l'ange Mezzadri, mais les anges de l'enfer qui châtient les chapons de bourgeois châtrés par leur propre goinfrerie, le générique s'étoffe, l'envie de tuer, d'assassiner, le goût du crime odieux, les vainqueurs le proclament, mais tout cela n'est peut-être que phantasmes qui s'avachissent dans la fumée des joints. Le rock est-il résurgence des antiques légions romaines, les hordes chevelues qui se constituent sont-elles le signe d'une renaissance, la musique rythmique embraye la piste, se diversifie, se colorise, la voix sur la guitare, et toute une imagerie séculaire de violence tournoie sans fin, est-ce cette brutalité que charrie le rut du rock ? Bouncing balls : rififi de riffs infinis.

    Peu d'instrumentation en fin de compte. Pourtant vous ressortez de là, comme de l'écoute d'un disque de Metal particulièrement agressif. Encore plus surprenant les textes sont formés de poèmes rimés et la lecture mezzadrienne fait tout pour que la rime classique claque à vos oreilles. Pas question qu'elle passe inaperçue. Ces Croquis Rock & Roll, n'ont pas à mon humble connaissance d'équivalent dans le rock'n'roll français, seuls quelques rappeurs se sont aventurés à de telles violences, s'il fallait les rattacher à un moment précis de la lyrique française, ce serait aux évocations des civilisations écroulées de la poésie parnassienne, l'adresse Aux Modernes de Leconte de Lisle et aussi aux trois volumes du Vicomte de Guerne intitulés Les Siècles Morts. Toutefois les alexandrins rutilants du Parnasse ont une ampleur, un poids et un impact bien plus puissants que les vers trop banvilliens d'Ange Mathieu Mezzadri. Aurions-nous perdu jusqu'au sens de la beauté nous soufflerait Ange Mathieu Mezzadi...

    Ce disque ravira ceux qui aiment errer aux lisières, aux confins, aux orées qui débouchent sur d'autres mondes.

    Damie Chad.

     

     

    *

    Les groupes de rock apparus dans Kr'tnt ! le temps d'un concert ou d'un disque continuent leur chemin de leur côté, profitons de ce confinement dépourvu de prestations scéniques pour rendre visite sur leurs sites à des artistes qui nous ont vivement impressionnés les mois ou les années précédentes, après Blondstone et Justin Lavash, nous quittons la douce France pour la Russie tumultueuse.

    Le concert de Jars à la divine Comedia le 21 novembre 2019 ( voir notre livraison 439 ) fut un des plus beaux et des plus violents auquel nous avons assisté, le surlendemain Jars était rentré à Moscou. Pour ceux qui aiment à chercher noise à la noise-music le bandcamp de Jars vaut le détour. Nous chroniquons ici, les deux derniers enregistrements qui ont été ajoutés depuis notre précédente visite. Nous y joignons une vidéo prise sur You Tube. Jars n'est ici représenté que par Anton Obrazina ( parfois transcrit Obrazeena ) son guitariste, en compagnie à chaque fois d'un ou plusieurs partenaires aussi aventureux que lui dans la transe sonique.

    Pitié pour nos traductions sûrement aberrantes puisque nous ne connaissons pas la langue de Lermontov...

     

    LIVE AT T-MODEL

    MASSACRE

    Anton Ponomarev +Anton Obrazeena

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    Enregistré le 12 Octobre 2018 au Model-T, club situé à Moscou. Anton Ponomarev saxophoniste et responsable du matériel électronique, Anton Obrazeena à la guitare.

    Soif nauséabonde : en douceur si ce n'est ces poinçons de cordes suivies de tirs électroniques sur vos zones de réception auditive, tout cela reste très doux, malgré ce semblant de saxophone réticent qui rampe dans un souterrain, au loin de terribles explosions et des rafales incessantes de kalachnikovs, qui êtes-vous en train de tuer sur votre écran mental, cela a l'air de se passer si loin, un film de guerre qui passe à la télévision dans une autre pièce, toujours cette étrange douceur, le saxophone crie comme une plaque de zinc que le vent secoue, cela s'accentue, et ce rythme de lenteur qui emmène avec lui cette impression d'ouate, alors que le sax s'égosille, lance-t-il un appel au secours ou imite-t-il le bruissement insupportable à votre esprit de votre âme qui rampe sur le plancher, maintenant il s'époumone tel un asthmatique qui manque d'air, fermez les yeux, décrochez mentalement, c'est ainsi que l'on survit dans l'insupportable angoisse de la frousse à vos trousses. Le danger se rapproche, le sax crisse, imite le grincement des patins à glaces, maintenant le son se coule à vous, vous enlace, impossible de s'en défaire, une spirale qui s'enroule autour de vote corps, le serpent prêt à insinuer sa langue chignole dans votre cerveau, est-ce vous qui poussez ces cris de porc égorgé toujours sur cette lente procession, que vous identifiez à votre propre marche funèbre, des moustiques géants s'acharnent sur votre cadavre et vous ressentez leurs trompes fouisseuses qui n'arrêtent pas d'excaver le néant dans le réseau de vos artères, le son avance, très lentement à la vitesse d'un rouleau compresseur, d'une charge de cavalerie au pas, dont vous ralentissez la vitesse sur votre magnéto, ne ne sont plus qu'une armée de fantômes hurlants qui accourent sur vous implacables, vous martèlent les chairs et vous entendez vos os crier sans fin, une agonie avec ses montées d'adrénaline, l'animal inconnu qui progresse au loin dans le terrier de Kafka, l'anéantissement se rapproche, le son devient plus ample un générique de fin du monde, ce bruit de robinet est-ce la vie qui vit ou l'eau du néant qui s'engouffre en vous et vous remplit comme une outre pour que vous puissiez passer outre, bruit de poutrelles découpées au chalumeau, résonance de cordes de guitare pour vous ramener à la mort. Coups de maillets incertains, tout s'amenuise. Battements ultimes de la mécanique d'un cœur détraqué qui s'arrête définitivement.

    Magnifique, splendide oratorio qui se prêtera à toutes les variations les plus aventureuses de vos idées noires. Ode à la mélancolie humaine.

    MASSACRE

    Anton Ponomarev +Anton Obrazeena

    29 octobre 2018 / Vidéo

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    Le même morceau – simplement un extrait de huit minutes -enregistré non pas dans la salle de réception du Kremlin, mais dans la cuisine désaffectée du Manor, vidéo enregistrée le 19 décembre 2018, ce qui explique sur les toutes premières images, ces visions fugitives de fresques ou d'icônes décolorées et ces empilements de casiers de tasses à café. Dans les notes nous apprenons que Anton Ponomarev est saxophoniste dans le quartet d'avant-garde-no-jazz nommé Brom ce qui signifie Bruit. Massacre se situe dans la suite d'un Stephen O' Malley – experimental metal-doom-death ou d'un Mats Gustafsson saxophoniste explorant avec son instrument les poreuses frontières aux limites du rock, du noise et de l'expérimental...

    Cette vidéo permet de pénétrer dans la cuisine de ces faiseurs de sons qui travaillent la pâte sonore. Rien de bien spectaculaire, des espèces de bricolos plutôt relax, Ponomarev agenouillé à terre qui manipule les boutons de tout un jeu de pédales, l'a un petit air affairé d'ado sur sa console de jeu, l'on se demande si toutes ces actions répondent à une espèce de partition mentale ou s'il se laisse guider par l'inspiration et le hasard. Obrazeena un œil sur la guitare posée à plat sur un réchauffe-plat et l'autre sur son outillage pédalesque, parfois du doigt il influe sur le son en touchant une corde. Maintenant il est debout, passe ce qui ressemble à un simple couteau de cantine sur l'ensemble du cordier, même s'il a plutôt l'allure d'un pâtissier s'affairant sur une plaque de cuisson prête à être enfournée il ne fait que répéter l'antique geste des vieux bluesmen caressant de leur goulot de bouteille cassée leur guitare et plus avant peut-être ces premiers fils de fer que les noirs fixaient sur le mur en planche de leur baraque pour par frottements successifs en tirer des effets de dégradations sonores. Ponomarev s'est redressé, il souffle maintenant à plein gosier dans son saxophone, se courbe en arrière, se penche en avant, cherchant à expulser le mamba noir du son tapi au fond de ses entrailles. Des vagues successives nous assaillent, des avions de chasse se perdent dans le lointain, vision finale d'une planète fluctuante qui n'est que l'eau d'un bac à vaisselle qui remue, les bulles produites par la mousse d'un produit nettoyant, évoque la multitude des astres de la voûte ouranienne, un reflet mallaméen de lumière scintille comme s'il voulait témoigner que s'est d'un astre en fête allumé le génie...

    JARS + POZORI

    ( Mai 2020 / Enregistrement maison )

    Anton Obrazeena + Lena Kuznetsova

    ( Bandcamp Jars ou Pozori )

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    Pozori est un groupe de Tomsk ( région sud-est de la Sibérie ) que l'on pourrait qualifier de post-atomic-industrial-noise. D'après ce que nous avons pu glaner comme renseignements ils tournent pas mal et leur premier album Sexiste publié en février 2019 fut décrété disque de l'année. Nous ignorons par qui. Pozori signifie Honte, peut-être les synonymes Opprobre et Confusion qui sonnent beaucoup mieux en français rendent-ils comptent de la signification du terme russe ?

    Violences domestiques : lourde rythmique, ronflements de guitares, Anton s'occupe de la boîte à rythme, de la guitare, de la basse et du synthétiseur, Lena Kuznetsova s'est contentée de chanter – on ne peut pas dire que le partage des tâches soit très égalitaire, mais je n'en dirai pas plus, sa voix grave n'incite pas à la plaisanterie. Revendication féminine ! A son timbre de colère rentrée et d'ironie amère vous comprenez qu'elle règle ses comptes, est-ce une diatribe théorique ou la mise au point d'une aventure individuelle, nous pencherions plutôt pour la première hypothèse, d'après ce que nous avions pu comprendre, certains termes – c'est elle qui écrit les textes - proviendrait d'une vieille comptine russe. La typologie du morceau n'a rien à voir avec les expérimentations de Massacre. Ici nous sommes prêts d'une chanson non pas réaliste mais qui emprunte à la mimétique du réel des effets d'une écriture empreinte d'un formalisme que nous définirons de russe pour rester fidèle à la couleur locale. Homme conventionnel : musique davantage indus, et la voix de Léna presque mutine qui jure bien avec le son touffu, un long pont d'orchestration plus rock, mais l'indus reprend, tambourinades davantage appuyées, puis tapotements et nouveaux éclats, Léna la sorcière jette ses imprécations, le morceau se termine en une terrible jactance répétitive. Léna crache son mépris aux hommes engoncés dans les archétypes du machisme.

    Ce qu'il y a de bien avec les groupes russes, c'est que dès que vous commencez à vous intéresser à l'un d'eux, de nouveaux se présentent, la scène rock-punk-metal-noise a l'air d'être en pleine ébullition. L'entraide et la collaboration semblent être les moteurs essentiels de cette mouvance underground. Quant à Jars, j'adore leur slogan '' Nous sommes Jars, vous êtes pires que nous'' ils sont sur la deuxième compil d'InsurrecSound ( voir ci-dessous ) et le 11 décembre 2020 ( enfin, incroyable mais véridique, une évènement musical qui n'est pas reportée sine die ) sortie de leur nouvel album !

    Бытие на нож

    ( Sur le fil du couteau )

    JARS

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    Difficile de quitter Jars. Jamais j'arsrrête ! Une dernière vidéo. Pas bien longue. Dépasse de dix secondes les deux minutes. Assez pour faire écrouler la tour de Pise. Enregistré en live au D. T. H. studio. Frustre. Très frustre. Toutefois rien de misérable. Rien de sale. Le frustre russe cancérique n'a rien à voir avec le frustre visqueux de chez nous. Il est froid. Glacé. Inaltérable. Peut-être pour le comprendre faut-il d'abord regarder la vidéo Meht. Une mise en scène. Des jeunes aux regards figés. Engoncés en eux-mêmes. Qui entrent dans un club. Jars joue. Sur la piste des jeunes vus de dos pogotent, autour d'eux des regards vides qui regardent. Nous en suivons un encore plus frigorifié que les autres, comme s'il était saisi dans un énorme glaçon-cercueil-mental invisible. Nous le suivons de chez lui au club et puis du club à chez lui. Une vie vide dans un appartement vide. Ne cherchez pas? c'est un flic. Un homme pétri de contradictions, un militaire en mission d'observation et de surveillance ? Nous n'en saurons rien. Il est comme tous les autres. Qui est qui ? Le clip fait froid dans le dos. Rien d'exceptionnel au niveau filmique. Ce n'est pas Eisenstein qui tient la caméra, mais la vidéo vous pétrifie. L'on sent une société d'une dureté extrême. La méfiance est partout. Sur la piste rien à voir avec les pogos festifs de chez nous. On ne joue pas collectif. Quelque chose de dur et de cassant. Une société de surveillance. Chacun dans sa paranoïa. Donner à chaque instant l'illusion que l'on ne pense pas plus haut, et même pas plus bas, que le geste que l'on est en train de faire. Sur le fil, sur la crête, prêt à tomber, c'est cette musique que joue les Jars. Puissante, simple, hypnotique, et en même temps le tourbillon de lave, le volcan qui bout en vous, qui éclate, mais celui qui est à côté de vous, qui subit les mêmes éruptions ( peut-être ), ne doit pas le savoir, ni s'en apercevoir, ni même le subodorer. Une musique chargée de haine. Tout ce que vous tuerez ( en vous et chez les autres ) vous rendra plus fort.

    Positivons : vu la vitesse avec laquelle notre société se transforme en état policier, nous aurons bientôt nous aussi des groupes aussi puissants que Jars.

    Damie Chad.

     

    INSURRECSOUND

     

    What is it ? It's french my dears ! C'est quoi au juste ? Une association ou un label , les deux mon général. D'abord une association, et comme il n'y a pas de hasard en ce bas monde, elle vit le jour à Montreuil, première cité rock de France. Elle a été fondée le 02 juillet 2020. Elle n'est pas vieille. N'est pas née comme ça par opération du Saint-Esprit, car même le chiendent et l'ivraie ont besoin de mauvaises graines pour proliférer. Une idée qui traînait dans plusieurs têtes pas tout à fait la même à chaque fois, mais qui se débrouillait pour toujours souffler du même côté.

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    Le nid originel de prolifération est connu. Kr'tnt n'a pas failli à sa mission d'information, on en rendait compte, une analyse fouillée dans sa livraison 472 du 09 / 07 / 2020, juste avant les vacances d'été, une compilation de quatorze titres, rien que l'appellation générique aurait dû vous mettre le mammouth à l'oreille, Nasty Nest, une espèce de nidification de frelons non asiatiques, que du punk-rock bien de chez nous. Elle est arrivée un peu en retard because le confinement, mais in nitro veritas comme disait Jules César.

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    L'appétit vient en faisant la cuisine. L'objet était trop beau. L'envie de recommencer s'est manifestée. Une seule pomme vous pourrit tout un panier, c'est bien connu. En mieux et en couleur. Donc création d'une association et germination spontanée d'une seconde antho. Exit le blanc et noir pour la couve et le dedans, un truc flashy qui vous arrache les yeux, on a surélevé de quatre étages le nombre des titres, et puis l'on a vu grand, fini les gaulois, le côté Astérix franchouillard dépassé, le concept a été élargi, pas encore à l'univers mais à la planète entière, des groupes de partout, du Mexique, de la Finlande, de la Belgique, de la Russie, de l'Argentine, et d'ailleurs, jusqu'à la France... Si vous n'y croyez pas, passez sur Bandcamp, vous pouvez écouter la face A du disque, et laisser une modeste obole pour la concrétisation du projet. Pour ceux qui veulent faire partie de l'équipage, découpez le bulletin d'inscription qui s'affiche ci-dessous et renvoyez-le z'a l'adresse z'indiquée.

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    Jusque-là tout va bien, ensuite ça va mieux, ou pire, tout dépend de vos goûts musicaux et de votre orientation, non pas la sexuelle, la politique, c'est un peu à la gauche de la gauche, pour le dire blanc sur noir anarchie... trois projets en direction de l'Europe de l'Est, notamment une anthologie de groupes punk de l'ex-Yougoslavie qui s'érigèrent contre les dérives nationalistes, et qui refusèrent de rejoindre les armées de leur soit-disant appartenance ethnique.

    Vous trouverez les document idoines sur le FB : Kr'tnt Kr'tnt au-dessous de l'annonce de cette livraison 486. Damie Chad.

    Damie Chad.

    IX

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    Voici quelques précisions

    marty wilde,bob dylan,mezzadri brothers,jars & friends,insurrectsound,rockambolesques 9

    35

    Je l'avoue honteusement, alors que les trois chiens semblaient devenir les meilleurs amis du monde, Thérèse et moi, profitant d'un épais fourré du square nous commîmes l'immonde péché de l'acte de chair. Nous étions prêts pour une deuxième fournée, j'emprunte cette tournure si romantique aux Contes drolatiques d'Honoré de Balzac, lorsque la voix du Chef nous arrêta net en nos élans priapiques.

      • Agent Chad, où vous êtes-vous encore fourré, sortez-moi de de ce guêpier, et allez me voler de toute urgence un camion à plateau, dépêchez-vous, c'est urgent, le sort du monde en dépend !

    36

    Pendant que je m'acquitte brillamment de ma mission, j'invite les lecteurs à lire les premiers feuillets d'Eddie Crescendo retrouvés dans la boîte à sucre.

    '' Quand je regarde le monde s'agiter autour de moi, je me rends compte combien je suis éloigné des vaniteuses turpitudes de mes contemporains. Souvent je n'arrive pas à le croire, pourtant le moindre de mes gestes me le confirme, je ne suis pas comme les autres, je suis décalé !''

    Suit un ensemble de six feuilles où le mot décalé est répété trois cent soixante huit fois, écrits rageusement ou soigneusement calligraphié, sous forme de colonnes ou jetés de travers un peu partout, en minuscules ou en majuscules.

    37

    Je vous laisse à vos méditations. Le Chef avait raison, la journée s'annonçait fatigante. Il me fallut transbahuter les huit tonnes de cigares que nous avions entreposés au rez-de chaussée sur le plateau du camion que je m'étais procuré sur un chantier.

    • Chef, pourquoi n'avons-nous pas gardé le camion qui est venu les livrer, il nous suffisait de nous débarrasser du chauffeur, d'enterrer son corps dans le jardin, et...

    • Agent Chad, cessez vos stupides récriminations, quand vous aurez fini, vous descendrez à la cave, vous m'en rapporterez la chaîne dernier cri sur lequel Alfred écoute ses disques, j'ai vu qu'elle est équipée d'un micro, cela nous sera utile.

    • Chef, je ne comprends rien à...

    • Agent Chad, si au lieu de batifoler dans les hautes herbes vous aviez pris le temps de vous plonger dans le numéro 2037 de la Série Noire, sans doute seriez-vous capable de comprendre !

    Je sursautais, le bouquin était encore dans ma poche. Saisi d'un doute post-cartésien je me précipitais dans la bibliothèque. Je piochais de-ci de-là un livre sur les étagères, à chaque fois sous une fausse couverture je trouvai un exemplaire de L'Homme à deux mains d'Eddie Crescendo !

    • A table !

    C'était Alfred qui nous appelait pour le repas.

    38

    Pendant qu'Alfred faisait la vaisselle nous tînmes conseil au fond du jardin. Le Chef alluma un Coronado et prit la parole :

      • Autant que je puisse en juger l'affaire qui nous préoccupe est d'une simplicité extrême.

      • Ouah ! opinèrent les deux chiens.

      • Entièrement de votre avis Chef, prenons par exemple le mystère de la fameuse boîte à sucre, elle contient exactement 368 sucres, vous ne pouvez pas en ajouter un autre, or Molossito a trouvé le 369 ième dans l'escalier de la villa, ce qui signifie que ce qui impossible partout ailleurs est possible dans cette villa.

      • Que comme par hasard Eddie Crescendo a louée, comme vous l'avez découvert, je me permets de vous le rappeler, agent Chad.

      • Or cette maison est sujette à d'étranges phénomènes, un jour elle est habitée, le lendemain elle est inhabitée depuis quinze ans, qui plus est peuplée par des réplicants !

      • Avec qui vous semblez être en de très courtoises relations, agent Chad

      • Certes Chef, mais la devise du Service n'est-elle pas Sexe, rock'n'roll et Coronado !

      • Ne nous égarons pas, agent Chad, pendant que j'allume un Coronado, poursuivez votre raisonnement !

      • Or nous savons que dans ses notes Eddie Crescendo a écrit trois cent soixante huit fois le mot décalé, et si nous comptons bien une trois-cent soixante-neuvième fois dans son introduction. Nous pouvons donc en conclure qu'Eddie Crescendo se trouve dans la situation de ce morceau de sucre qui est... comment dire... par rapport aux autres...

      • Décalé ?

      • Décalé, oui c'est cela, Chef, vous avez le mot juste !

      • Agent Chad, nos remarquables analyses sont en pleine progression, toutefois il reste encore un obstacle majeur à franchir. Tout comme Crescendo nous sommes venus dans cette maison, franchement entre nous, vous sentez-vous particulièrement décalé, pour ma part je répondrai non !

    Je n'eus pas le temps de réfléchir à une réponse. Molossito se mit à pousser jappements sur jappements ! Une silhouette se profilait devant la grille.

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    L'homme semblait hésitant. Les mains dans les poches d'un vaste imperméable il lançait de tous côtés des regards fuyants d'un représentant de commerce qui en aurait été manifestement à son quarantième refus. C'est en m'approchant que je compris qu'il avait peur des crocs retroussés de Molossa qui tapie derrière un pot de fleurs semblait prête à lui sauter dessus pour l'égorger.

      • N'ayez pas peur, c'est une tueuse redoutable mais elle n'est pas méchante !

      • Oui une belle bête, mais les chiens ne m'aiment pas, c'est... C'est comme ça... je n'y peux rien !

    Le gars se tut. Il était mort de trouille. Il me faisait pitié...

      • Je... je m'excuse de vous déranger... mais... mais je crois que vous m'avez appelé... alors je suis venu...

      • Je ne vois pas du tout, nous n'avons demandé les services de personne, peut-être vous êtes-vous trompé de numéro, nous n'avons besoin de rien !

      • Si... si vous avez besoin de moi... spécialement de moi, vous et... et votre ami qui fume des Coronados !

      • Enfin Monsieur, que voulez-vous, expliquez-vous et d'abord qui êtes vous ?

      • Mon nom ne... ne vous dira rien, je... je suis... l'homme à deux mains !

    Et le gazier les sortit de ses poches, il avait deux mains au bout de chaque bras, et, je frissonnai lorsque ses vingt doigts se refermèrent sur quatre barreaux de la grille !

    ( A suivre... )

  • CHRONIQUES DE POURPRE 485 : KR'TNT ! 485 : ESP-Disk / PRETTY THINGS / CRASHBIRDS / BORDERLINES / JUSTIN LAVASH / ROCKAMBOLESQUES VIII

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 485

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    19/ 11 / 2020

     

    ESP-Disk / PRETTY THINGS

    CRASHBIRDS / BORDERLINES + MANUEL MARTINEZ

    JUSTIN LAVASH / ROCKAMBOLESQUES 8

     

    Yes I need ESP - Part One

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    C’est grâce à Jason Weiss qu’on peut enfin lire de nos yeux lire la fantastique non-histoire d’ESP-Disk, l’un des labels les plus mythiques de l’histoire du rock américain. Le titre du book ronfle comme un gros buveur : Always In Trouble - An Oral History Of ESP-Disk, The Most Outrageous Record Label In America. Weiss a bien fait les choses : il a non seulement réussi à recueillir les propos d’un Bernard Stollman pas très loquace, mais il a en plus rassemblé les témoignages d’une multitude d’artistes liés à l’histoire d’ESP-Disk. Attention, l’ouvrage se distingue par sa densité. Il faut donc s’aménager une large portion de temps pour espérer en venir à bout.

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    ESP-Disk ? Un label bien connu des fans de free jazz, notamment ceux d’Albert Ayler, de Pharoah Sanders et de Sun Ra. Le free est la grande passion de Stollman, fondateur du label et avocat de formation. Les fans d’un certain rock connaissent aussi le label pour quatre raisons, et pas des moindres : Pearls Before Swine, les Fugs, les Godz et bien évidemment les Holy Modal Rounders. Disons pour simplifier qu’ESP-Disk fut le grand label d’avant-garde new-yorkais, et qu’en plus, les Godz et les Fugs redorent à eux seuls le mighty blason du proto-punk américain. On irait même jusqu’à dire que ces deux groupes l’ont mythifié.

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    L’histoire d’ESP-Disk se situe à l’opposé de celle des gros labels indépendants américains, comme Atlantic, Elektra ou même Stax. C’est l’histoire d’un one-man-operation un brin kamikaze, car les artistes qu’il signe sont tellement avant-gardistes qu’ils n’ont aucune chance de percer commercialement. Mais c’est le truc de Stollman. Et il s’y tient. C’est ce qui va le transformer à son tour en statue de sel. Sans Stollman, pas d’Ayler, pas de Godz ni de Fugs. Pas de Rapp ni de Rounders. ESP-Disk devient dans les early sixties l’équivalent des grands labels underground britanniques de type Dandelion. Plus c’est obscur et plus ça fait mal aux oreilles, plus c’est culte. Dans l’interview qu’il accorde à Jason Weiss, Stollman explique qu’ESP-Disk doit tout à sa mère qui pour l’aider lui verse une somme correspondant à deux ans de salaire d’un young executive. Il n’avait pas d’autre source de revenus. Et quand Weiss lui demande d’où lui vient cette passion pour l’improvisation et le free, Stollman explique que son père adorait improviser et harmoniser. Quand la famille Stollman partait en virée, le père chantait en conduisant et la mère harmonisait avec lui. Puis Stollman fait vite la différence entre art et divertissement. D’où cette passion du free qui pour lui est de l’art. Ses parents s’intéressent à ses activités, car ils vont assister à des concerts et hébergent parfois des musiciens, comme Tom Rapp et Pearls Before Swine qui, précise-t-il, ont dormi dans leur salon, in spleeping bags. Quand Stollman fait écouter à sa mère - a woman of very few words, c’est-à-dire une taiseuse - le Spiritual Unity d’Albert Ayler, il la voit sourire. Elle est fière de son fils. Stollman voit l’industrie musicale comme l’ennemi du processus créatif. Alors il met au point un nouveau type de contrat, sous forme d’une collaboration : l’artiste conserve le contrôle total du processus créatif. Stollman se fend même d’un slogan : «L’artiste seul décide de ce que vous entendrez sur son ESP-Disk.» Au lieu des contrats habituels de 36 ou 45 pages, Stollman propose un contrat de 2 pages valable pour un seul album. ESP devient copropriétaire de l’album pour l’éternité. C’est un partenariat. ESP gère les droits.

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    Stollman veille aussi à ce qu’ESP-Disk ne devienne pas ce qu’il appelle un label niche. Pour lui l’art est avant tout anarchique et s’il devient prévisible, il perd tout son impact. Stollman voulait surtout que son label soit un instantané de la culture new-yorkaise à une époque précise. Il n’ambitionnait rien d’autre que de capter l’audio art de son époque, comme le ferait un documentariste. Il avoue au passage qu’il n’était pas à la hauteur, ni au plan créatif, ni au plan business, mais en même temps il ne voit pas son activité comme un business. Il va plus loin en considérant qu’il est difficile d’avoir les deux casquettes, business et créa. C’est vrai qu’on ne croise pas des tonnes de double-casquettes dans l’histoire du rock, à part Uncle Sam ou Art Rupe. Stollman pense que l’un ou l’autre prédomine, soit le biz, soit le créa. Alors il préfère se contenter d’écouter ce qui se passe autour de lui. Il ne se demande jamais si ça va se vendre, car pour lui ça n’a pas de sens de vouloir faire du business en voyant les choses sous l’angle du business. Il faut nous dit-il voir les choses autrement, comme une vocation ou une obsession. La faillite d’ESP-Disk ? Stollman sait qu’il n’a pas commis d’erreur, il dit juste s’être contenté de planter des graines et pensait pouvoir moissonner 10, 20 ou 30 ans plus tard. Il n’avait pas de famille donc pas de charges ni de responsabilités. Ça devait donc fonctionner. Alors pourquoi ça s’est cassé la gueule ?

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    C’est le gouvernement qui a coulé ESP-Disk en 1968, dit-il, à cause de son engagement contre la guerre du Vietnam. Il avait quatre personnes avec lui dans le bureau d’ESP-Disk : ses collaborateurs étaient tout simplement les Godz. Les albums des Fugs et de Pearls Before Swine se vendaient relativement bien. Puis un jour les téléphones ont cessé de sonner. Stollman raconte qu’il est allé à l’usine de Philadephie qui pressait ses disques pour découvrir qu’elle ne pressait plus ses disques, mais des bootlegs des Fugs et des Pearls pour le compte de la Mafia. Il comprit alors qu’ESP-Disk était foutu. Mais dit Weiss, existait-il un recours ? Pfffffffffffff... Stollman aurait pu traîner l’usine en justice, mais à l’époque il n’existait aucune loi fédérale contre le bootlegging. L’administration Johnson avait trouvé le moyen de faire taire ESP-Disk en coulant son business. Les lois anti-bootlegging ne furent votées qu’en 1974. Il était trop tard pour ESP-Disk. Stollman rappelle qu’il a vendu 20 000 à 30 000 Pearls et lors d’un concert, Tom Rapp annonçait au public que son album s’était vendu à 200 000 exemplaires : la différence, ce sont les bootlegs, dit Stollman. Il ajoute aussi qu’un agent de la CIA avait coaché Ed Sanders et Tom Rapp chez Warner Bros. Records et qu’il avait empoché les 70 000 $ d’avance avant de disparaître. Une fois dans les pattes des majors, les Fugs et Tom Rapp furent définitivement muselés. No more protest songs against the Vietnam war. Stollman ajoute en conclusion que le gouvernement américain utilise deux façons de faire taire les opposants : la première est dirty, et l’autre consiste à les acheter en leur donnant une rondelette somme d’argent. Shut the fuck up.

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    Le dernier témoin à intervenir dans le book est le petit frère de Bernard, Steve Stollman. Comme il a bossé un peu pour son frère, il profite de l’interview pour remettre quelques pendules à l’heure, rappelant qu’ESP-Disk a permis à pas mal d’artistes de commencer à exister, et pour ça, son frère mérite la reconnaissance éternelle. Bernard Stollman se contentait de lancer les gens, il ne souhaitait pas être impliqué dans la suite, the dirty work. Le petit frère rappelle aussi que les parents Stollman s’occupaient des entrées à l’Astor Place Playhouse où se produisaient les Fugs et Sun Ra. Steve Stollman indique que ses parents s’étaient endurcis. Ils avaient su échapper aux nazis et rien ne pouvait plus les atteindre ni les choquer, pas même les Fugs ou Sun Ra. Il est très bien le petit frère car il rappelle encore un élément déterminant : les frères Stollman ont reçu une éducation intéressante. En effet, leurs parents leur ont surtout appris à ne pas devenir matérialistes. C’est la raison pour laquelle Steve pense que la démarche de son frère à travers ESP-Disk avait quelque chose de noble. Pour lui, c’était courageux de critiquer la CIA et la guerre du Vietnam - Je suis très content que Bernard ait ainsi agi. Il tient ça de nos parents, de simples paysans juifs qui réussirent à rester miraculeusement en vie puis à fuir en Amérique pour y réussir. Leur grand mérite fut de savoir apprécier la vie de tous les jours et transmettre le simple bonheur d’être en vie à leurs enfants - Le book s’arrête là-dessus.

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    C’est bien que le petit frère intervienne car les témoignages, pour la plupart, épinglent l’avarice de Bernard Stollman, c’est même quasiment systématique. Le batteur Sunny Murray se souvient d’un contrat fifty-fifty avec Stollman, mais dit-il, je n’ai jamais vu mon fifty. Ils ne sont que deux ou trois à prendre la défense de Stollman, comme le batteur Milford Graves : «Je ne supporte pas qu’on dise du mal de Bernard. Je ne sais qu’une seule chose : personne à part ESP ne nous enregistrait dans les années 60. Et le blé qu’il ne te filait pas, tu aurais de toute façon dû le sortir pour payer les honoraires d’un attaché de presse.» Le batteur Warren Smith dit à peu près la même chose : «La raison pour laquelle Bernard et moi sommes restés amis est dû au fait que je ne lui ai jamais mis la pression. Je me foutais de savoir s’il avait le blé ou pas. J’étais heureux et ma famille aussi. Mais il est bien évident qu’on ne pense pas tous la même chose quand on ne dépend que de sa musique pour manger.» L’ingé-son Richard Alderson se plaint que Stollman n’ait pas tenu ses promesses, après le redémarrage du label. Le bassiste Alan Silva dit aussi avoir reçu que dalle de Stollman - I never received anything from Bernard actually - Et il poursuit de façon extrêmement intéressante : «Tout le monde accuse Bernard. Je ne marche pas dans cette combine. Il est comme il est. Des tas de gens affirment s’être fait rouler. M’a-t-il donné des disques ? Des royalties ? Si tu me poses la question, la réponse est non.» Et il continue un peu plus loin : «Je crois que Bernard est un idéaliste. On était à une black disk jockey convention et Bernard essayait de vendre ses disques. À Atlanta, en Georgie ! Sun Ra, man, who the fuck is that guy ?». Alan Silva travaillait avec Stollman et un jour, en 1967, Stollman lui demande de téléphoner dans tous les record shops d’Amérique pour vendre Sun Ra : «All these record shops. Wisconsin, you know about Sun Ra ? Voilà à quoi était confronté Bernard. Il ne disposait pas d’un budget d’un million de dollars pour vendre Albert Ayler. Il se débattait pour survivre. Tous les labels indépendants se débattaient pour survivre.»

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    Le pianiste Burton Greene pense lui aussi que Bernard était cinglé, aussi cinglé que les musiciens qu’il enregistrait. Personne, dit-il, ne comptait faire de blé avec ce genre de disque. Leo Feigin qui fondit Leo Records en 1979 déclare qu’il faudrait même ériger un monument en l’honneur de Stollman : «Des rumeurs disaient que Stollman ne payait pas les musiciens pour leurs enregistrements. Il mériterait qu’on lui élève une statue. C’était compliqué de vendre ces disques parce que personne n’en voulait. Bernard Stollman investissait et perdait de l’argent avec son label. Rien que pour ça, il mérite une certaine reconnaissance.» Le bassiste Sirone dit en gros la même chose : «On peut dire ce qu’on veut de Bernard, mais il a aidé pas mal de gens à se faire connaître. Il n’y avait pas de blé chez ESP, mais le label s’est fait connaître pour son côté innovant et les artistes incroyables qu’il proposait.» C’est l’extraordinaire Marc Albert-Levin qui tranche définitivement en faveur du pauvre Bernard : «Il n’avait jamais rien existé de semblable auparavant. Comme le disait le slogan de Bernard, c’était une musique entièrement nouvelle - the music was unheard of - et il dépensait le blé que lui donnait sa famille. Il ne faisait aucun profit. Le fait qu’on puisse dire qu’il ait fait du profit sur le dos des musiciens est une plaisanterie. Ce n’est pas juste de dire une chose pareille. Il s’est ruiné. Il a dû reprendre une activité d’avocat pour vivre.»

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    Marc Albert-Levin est un personnage complètement exotique. Ce poète journaliste dadaïste français s’installe à New York dans les années 60 et publie un book sur les Fugs, Tour De Farce. Quand il arrive à New York, c’est en tant que correspondant pour Les Lettres Françaises, une prestigieuse revue alors dirigée par Louis Aragon. Il rencontre l’electronic genius Richard Alderson, puis le saxophoniste et ethnomusicologue Marion Brown qui le met en contact avec Pharoah Sanders et Sun Ra. Albert-Levin a 25 ans et il est éberlué. Qui ne le serait pas ? Il s’émoustille tant qu’il écrit un deuxième roman, Un Printemps À New York. Puis comme il a besoin de croûter, il fait des petits boulots et devient le cuistot le Miles Davis. Comment s’y prend-on pour devenir le cuistot de Miles Davis ? C’est simple, il suffit d’avoir une copine qui est copine avec Sheilah, la copine de Miles Davis. Et comme Sheilah dit à Miles qu’elle ne fera ni le ménage ni la cuisine, Miles lui dit d’engager quelqu’un. Voilà comment Marc Albert-Levin récupère le tuyau. Il se pointe à l’adresse. Drrrring ! Miles qui le reçoit en robe de chambre. Albert-Levin se dit frappé par le magnétisme du regard de Miles, un Miles qui l’observe et qui lui balance de sa voix d’outre-tombe : «You’re a short motherfucker, aren’t you ?». En bon dadaïste, Albert-Levin prend ça pour un compliment, jauge un Miles qui est aussi petit que lui et lui rétorque du tac au tac : «Vous aussi !». Ça brise la glace. Miles lui répond «Go ahead Indian !», et il le fait entrer. Mais Albert-Levin explique qu’en fait il va cuisiner pour des prunes car Miles ne mange rien - Il était dans une période où il ne se nourrissait que de bière Heineken.

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    Alors bien sûr Sun Ra. Stollman lui consacre un portrait dans le chapitre intitulé On Individual Artists. Sun Ra, dit-il, a enregistré plus de 75 disques sur son label El Saturn dans les années 50 et 60, des disques qu’il vendait lors des concerts. Il n’avait pas de distributeur. Sun Ra raconta aussi à Stollman comment il fut bloqué à la frontière égyptienne par un douanier qui fut choqué de lire le nom de Sun Ra sur son passeport. Dans la religion égyptienne, Sun Ra est le nom d’un dieu. On ne plaisante pas avec les dieux dans ce pays. Il refusait de faire entrer Sun Ra et ses musiciens en Égypte. Alors Sun Ra lui demanda d’appeler le conservateur d’un musée égyptien qui accepta de venir rencontrer Sun Ra à l’aéroport. Ils discutèrent ensemble d’Égyptologie. Ra avait étudié les Rosicruciens, il était féru dans ce domaine. Le conservateur dit alors au douanier : «Il est qui il prétend être. Laissez-le entrer.» Le conservateur invita Ra à une émission de télé égyptienne. Le groupe alla aussi visiter les pyramides. Une équipe de cinéma allemande qui se trouvait sur place filma Ra qui envoya ensuite quelqu’un confisquer le film. Richard Alderson fut aussi fasciné par Sun Ra lorsqu’il enregistra l’Arkestra pour ESP : «Pas évident d’enregistrer la musique de Sun Ra, parce qu’ils étaient très disciplinés et très au point. Ils jouaient des arrangement très précis et très soignés jusqu’au moment où Sun Ra déclenchait le free blowing section. Je veux dire que Sun Ra, c’est Duke Ellington sous acide.»

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    Rien que pour la présence de Marc Albert-Levin et de Sun Ra, on est content de faire ce petit bout de chemin avec Stollman. Ra brille et réchauffe ce monde flapi. Stollman fait aussi un portrait des Godz qui furent ses employés : Jay Dillon était directeur artistique d’ESP, Larry Kessler manager des ventes, Paul Thornton et Jim McCarthy s’occupaient des envois (shipping clerks). Stollman : «Faire la promo des Godz était impossible. Ils essayaient de jouer ensemble, mais ils finissaient toujours par se battre. C’était le chaos. Je leur ai loué une salle de concert sur Times Square, mais personne n’est venu les voir jouer. Larry Kessler et Jim McCarthy se crêpaient le chignon. ‘Je suis le leader !’, ‘Non, c’est moi !’. Ce genre de conneries.» Plus loin Paul Thornton intervient à son tour. Il aime raconter l’histoire de cette chanson des Godz qui s’appelle «White Cat Heat», où il jouent n’importe quoi en miaulant. Mais c’est justement ce qui a plu à Stollman qui en les entendant miauler voulut les signer immédiatement sur ESP. Cette merveille de pur jus dada se trouve sur le premier album des Godz, l’inénarrable Contact High With The Godz. Thornton rappelle aussi que Jay Dillon et Larry Kessler ne savaient jouer d’aucun instrument, du coup il se dit étonné d’avoir vu paraître ces trois albums sur ESP. Et il ajoute : «Quand notre premier album est sorti, Bernard disait qu’il s’agissait d’organic tribal body rock. Sa définition ne nous plaisait pas, alors on est rentrés chez nous pour chercher une autre définition de notre musique. Vers 3 h du matin, je regardais dans the Late Late Show un film avec James Cagney, 13 Rue Madeleine. Sam Jaffe était le chef du French underground et je me suis dit, wow underground, underground music. Ça sonne mieux que le tribal body music de Bernard !»

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    ( JIMI HENDRIX & MIKE JEFFERY )

    Dans la galerie de portraits, vous trouverez aussi Jimi Hendrix. Ça n’a rien de surprenant. Stollman : «En août 1966, par un bel après-midi ensoleillé, je trotinnais allègrement sur MacDougal Street quand soudain j’entendis le son d’une guitare électrique. Il sortait d’un sous-sol. Je n’aimais pas trop le son des guitares électriques mais celui que j’entendais me plaisait bien. Alors j’ai descendu les marches et suis entré dans le Café Wha?. La porte n’était pas fermée et le club était vide. Au fond, un musicien jouait de la guitare, debout, avec un petit ampli près de lui. Je me suis approché et quand il s’est arrêté de jouer, le lui ai dit : ‘Ce que vous jouez est très beau. J’ai un label. J’aimerais beaucoup vous enregistrer. Êtes-vous libre ?’ Je lui ai précisé le nom du label. Il m’a répondu : ‘J’aime bien l’idée. Mais on vient de me donner un billet d’avion pour Londres. À mon retour, j’aimerais bien en discuter avec vous.’ Il était très ouvert. Et il s’est rappelé de notre rencontre.’ Et voici la suite de cette histoire fascinante. En 1968, Stollman est à Londres, alors qu’il est en route pour le MIDEM, et dans un magasin de disques, il entend un son qui lui plaît. Il demande ce que c’est et le mec lui répond : «Quoi ? Mais c’est Jimi Hendrix, vous ne le saviez pas ?». Stollman ne lâche pas l’affaire. L’année suivante, il réussit à obtenir un rendez-vous avec le manager de Jimi, Mike Jeffery. Dans la salle d’attente, il tombe sur Jimi qui lui dit qu’il aime bien ce qu’il fait avec ESP-Disk. Bon c’est l’heure du rendez-vous, Stollman entre dans le bureau de Jeffery. Assis derrière son gros bureau, Jeffery ne le salue même pas. Il ne lève pas non plus les yeux. Stollman vient pour vendre l’idée d’une association avec ESP, arguant que Jimi bénéficierait beaucoup d’être associé avec les artistes de pointe qui enregistrent sur son label. Sans même lever les yeux, Jeffery balance un «Not interested» sec comme un jour sans rhum. Chou blanc. En sortant, Stollman espère retrouver Jimi. Deuxième chou blanc : Jimi s’est volatilisé.

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    Tom Rapp fait aussi partie des témoins privilégiés. Il rappelle que pour le premier album de Pearls, ils sont arrivés à New York sans un rond et ont dormi chez les parents de Stollman at 90th and Riverside : «Ils avaient un appartement d’au moins dix pièces, un chandelier et un piano à queue. L’appartement donnait sur le parc, the whole deal. On a enregistré notre album à Impact Sound, là où enregistraient les Fugs et les Holy Modal Rounders. Richard Alderson était l’ingé-son.» Rapp indique aussi qu’il n’a jamais reçu d’argent de Stollman - The one big problem was we never got any money from ESP - Alors Weiss lui raconte l’histoire de la mafia (pour les bootlegs) et de la CIA qui ont coulé ESP - Oui, j’ai entendu cette histoire. Je pense plutôt que Bernard a été enlevé par des extraterrestres qui lui ont lavé le cerveau et donc il ne se souvenait plus où se trouvait l’argent. Mais c’est vrai que les histoires de mafia et de CIA sont plus crédibles. Au fond et en dépit du fait qu’on n’a jamais été payés, je trouve que Bernard mérite une certaine reconnaissance pour avoir sorti ces albums, surtout les albums de free et d’expérimental. Ce qui est arrivé aux gens qui ont enregistré ces disques, c’est une autre histoire - Rapp dit aussi qu’il n’aurait jamais existé en tant que Rapp sans Bernard. Avec le temps, il a fini par lui pardonner. Il dit en matière de conclusion qu’il aimerait bien voir un jour arriver un chèque pour les 200 000 albums vendus, you know what I mean ? That would be nice.

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    Richard Alderson indique que l’enregistrement du premier Fugs en 1966 fut the most creative thing I had done for anyone. Quant aux Holy Modal Rounders, c’est encore une autre histoire. Peter Stampfel raconte que son collègue Weber refusa de composer des chansons à partir du moment où il comprit que le groupe commençait à percer commercialement. No way. Steve Weber témoigne lui aussi, à propos du docu tourné sur les Holy Modal Rounders, Bound To Lose : «Au début, je croyais que c’était un projet universitaire. J’ai demandé aux réalisateurs quelles étaient leurs intentions, et ils m’ont dit qu’ils voulaient commercialiser le film. Alors j’ai demandé à voir un contrat qui m’assurait du contrôle artistique et d’un pourcentage des recettes. Ils ont dit ok, mais j’attendais toujours de voir le contrat. Alors ils m’ont dit : ‘Vous n’aurez pas d’argent. Nous allons vous rendre célèbre.’ Alors j’ai dit stop, on ne me filme plus. J’ai même dû annuler le concert annuel de Portland. Quand le film a été fini, j’ai demandé à voir une copie. C’est là que la relation s’est dégradée, ils n’étaient plus mes amis. Finalement leur avocat m’a envoyé une copie et quand j’ai vu ce film, ça m’a rendu malade. C’était complètement hors contexte. Ça n’a rien à voir avec les Rounders. Aujourd’hui encore ça me rend malade. C’est à cause de ce film que j’ai arrêté les Holy Modal Rounders. Les autres ont décidé de continuer. J’étais celui qu’on roulait dans la boue. J’en ai dit assez.» (Big sigh). Silence.

    Signé : Cazengler, nanard Stollmerde

     

    Jason Weiss. Always In Trouble. An Oral History Of ESP Disk. Wesleyan University Press 2012

     

    Oh you Pretty Things - Part Eight

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    Sort ces temps-ci un album posthume des Pretty Things, Bare As Bone Bright As Blood. Posthume, c’est bien là le problème. Ça fait cinquante ans qu’on les regarde de traviole, les posthumes. Pourquoi ? Parce qu’ils engraissent les charognards. C’est un business bien établi. Plus le nom est gros, plus il y a de posthumes. C’est mathématique. On appelle même les posthumes de Jimi Hendrix les Dead Hendrix. Quand tu vas sur un salon, tu vois des mecs demander aux marchands des Dead Hendrix. On a aussi des articles dans les fanzines américains sur les Dead Hendrix, car au fond de leurs labos réfrigérés, les prêtres du culte n’en finissent plus de trifouiller dans les viscères des enregistrements. Masqués et gantés, ils ne craignent rien, alors ils en profitent, ils jonglent avec leurs scalpels et leurs tubes de colle pour rajouter des instruments et des voix sur des prises intermédiaires. C’est la technique qu’ils utilisent pour remplir des albums doubles qu’ils vont ensuite vendre la peau des fesses à des collectionneurs d’armoires normandes qui n’écoutent jamais les disques qu’ils y entassent, car ça ne sert à rien de les écouter, ce qui est important c’est de les posséder. On rigolait de tout ça récemment avec un bon pote qui est dans le circuit du disque. Il trouvait étrange que le monde du disque de rock soit à la fois un monde magique et un monde peuplé d’une faune de gens atteints de pathologies junkoïdales souvent très graves, mais ajoutait-il, «après tout, pourquoi pas ?». C’est vrai que si on y réfléchit un instant, le rock est avant toute chose une passion, et chacun sait que sous l’empire de la passion, la raison peut aller se faire cuire un œuf. Chacun sait aussi que la cervelle est faible. Ce petit organe spongieux et rose n’est pas fait pour encaisser cinquante années de chocs de rock à répétition et les millions de références qui vont avec. C’est normal que ça finisse par mal tourner. Un fan de rock ne finit pas comme un retraité du Crédit agricole. Le plus difficile dans cette sombre affaire est de savoir assumer son destin. Ce n’est pas à la portée de tous. Ceci expliquant cela.

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    Maintenant que le décor des posthumes est dressé, on peut annoncer la mauvaise nouvelle : cet album des Pretties qui vient de paraître ne va pas bien du tout. Phil May et Dick Taylor ont tenté le diable en enregistrant un album de Delta blues, mais ça ne marche pas. Il faut se souvenir que sur scène Phil May s’autorisait deux classiques de blues pour reprendre son souffle, accompagné du vieux Dick Taylor à l’acou, mais on avait hâte que ça se termine, car nous n’étions pas là pour ça. Nous étions là pour les Pretties de SF Sorrow et de LSD. Ce break d’acou renvoyait à des mauvais souvenirs d’MTV unplugged et à toutes ces conneries que le business a tenté de nous faire avaler.

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    Alors comme tous les fans des Pretties, on rapatrie l’album pour l’écouter en priant Dieu que tous nous veuille absoudre. Mais c’est mal barré, car déjà la pochette n’est pas belle. On trouve à l’intérieur l’inévitable laïus de Mark St John et franchement le titre n’est pas jojo non plus. Un a-priori défavorable peut parfois rendre une surprise plus jouissive, tous ceux qui l’ont expérimenté dans le jeu des rencontres amoureuses le savent. Ça peut aussi marcher dans le cadre d’une écoute mal barrée. Et hop, vous partez à l’aventure, pour un heure de rootsy drive qui s’ouvre sur le vieux «Can’t Be Satisfied» de Muddy Waters. Autant que vous le sachiez tout de suite, ça n’a aucun intérêt, sauf que Phil May chante de l’intérieur du menton avec une sorte d’inspiration divine. Il fait des petits effets de glotte et sauve in extremis son satisfiah. Le seul moyen d’apprécier cet album bancal en forme d’exercice de style, c’est de se concentrer sur la voix de Phil May. Mais ça n’a plus rien à voir avec les Pretties. On est dans autre chose. On attend d’eux des turpitudes, on voudrait voir la cabane branlante s’écrouler, ils pourraient nous balancer un shoot de raw to the bone comme le font Charlie Musselwhite et Elvin Bishop sur leur dernier album, mais Phil & Dick prennent leur mission au sérieux et on s’emmerde choronniquement comme des rats morts. «Come Into My Kitchen» tourne à la tragi-comédie. Ça ne peut pas marcher. Peut-être parce qu’ils sont blancs. Il faut s’appeler John Hammond pour oser chanter le Delta Blues. Leur «Ain’t No Grave» ne vaut pas un clou. Et du coup, on se fout en pétard. Car c’est le charisme des Pretties qui en prend un grand coup dans la gueule. Ça serait bien la première fois qu’ils ratent un album. Il faut quand même bien faire attention à ne pas accepter n’importe quoi. D’un autre côté, ce genre d’exercice de style risque de plaire aux gens qui ont des guitares en open tuning et qui les grattent au coin de feu, mais bon, cet album pue l’arnaque. Avec «Redemption Day», ils s’enfoncent dans un monde de rédemption en carton-pâte et ça frise le Nick Cave. Quelle déconvenue et quelle tristesse ! Une si belle voix !

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    Ça fait parfois de bien de parler d’un album qui déçoit. On parle trop des albums qui montent au cerveau. Et ça finit par devenir une routine. Avec cet album, le cerveau ne risque absolument rien. Entendre Phil May faire du Nick Cave c’est tout simplement hors de portée d’une compréhension ordinaire, pour ne pas dire intolérable. Ça empire encore avec «The Devil Had A Hold On Me». Oui, ça empire comme une maladie, ça tombe bien, c’est d’actualité. On ne parle plus que de ça. Les Pretties se retrouvent bien malgré eux dans l’air du temps. Écouter ce disk, c’est à la fois souffrir dans sa chair et assister à l’écroulement de l’empire dans un nuage de soufre. Il n’existe aucun lien entre ce Devil à la mormoille et le Baron Saturday. Le problème c’est que le pauvre Phil chante son truc jusqu’au bout et personne ne lui dit que ça ne va pas. Oh, ils sont dans leur truc, il ne faut pas les embêter, il vaut mieux les laisser tranquilles. Inutiles d’ajouter des commentaires, les dés sont jetés, de toute façon. On note toutefois un petit regain d’intérêt avec le vieux «Love In Vain» de Fred McDowell, jadis repris par les Stones. Mais bon ce n’est plus l’heure, Phil arrive après la bataille. Dommage car il ramène infiniment plus de feeling que n’en ramena jamais Jag, il passe le train came in the station à sa sauce et il redresse brutalement la situation avec le fameux I looked her in her eyes. Mais c’est avec le «Black Girl» de Lead Belly qu’il sauve cet album atrocement austère. Phil May rentre enfin dans la gueule de la mythologie, in the pines where the sun never shines. Voilà enfin l’éclair de génie tant attendu. Phil May rejoint au panthéon des dieux Kurt Cobain et Lanegan qui surent en leur temps rendre hommage au génie tentaculaire du grand Lead Belly.

    Signé : Cazengler, Pity Thing

    Pretty Things. Bare As Bone Bright As Blood. Madfish 2020

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    Kr'tntreaders votre blogue avait trois ans d'avance ! En effet c'est dans notre livraison 351 du O1 / 12 / 2017, dans l'article intitulé Une incroyable découverte, répertorié dans notre catalogue raisonné sous l'appellation Crashbirds Flyers, que nous tendions notre micro au grand professeur Damius Chadius qui pour la première fois au monde se livrait devant la Communauté Scientifique Internationale ébahie de tant de connaissances accumulées dans le cerveau d'un seul chercheur, à une analyse sémiotique des plus pointues sur une des plus grandes énigmes picturales de l'humanité.

    Et voici que maintenant un certain Pierre Lehoulier ayant compris l'importance des aperçus fulgurants et prophétiques des travaux du grand Damius Chadius publie sur le même sujet un ouvrage dont nous ne saurions que vous recommander la lecture.

     

    AFFICHES CRASHBIRDS

    2010 – 2020

    ARTWORK de pierre lehoulier

     

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    Words and music, indispensables au rock'n'roll. Mais cela ne suffit pas. Il faut davantage. Surtout si l'on exige que le rock'n'roll soit un art total. Peu de groupes y songent. Se contentent de penser que le visuel cosiste en ce que le spectateur voit alors qu'il réside en ce que l'on désire qu'il voie. Vu sous cet angle, le rock'n'roll est un art de manipulation mentale. Souvent les gros mastodontes vous en mettent plein la vue, fumées, feux d'artifices, pensez à la locomotive d'AC / DC, les éléphants d'Eddy Mitchell... Pour les petits groupes – cet adjectif n'est en rien péjoratif, nos premiers bluesmen n'avaient qu'une guitare à peu près pourrie – le challenge est plus difficile, faut davantage compter sur ses propres talents que sur des moyens surajoutés qui vous entraînent dans une surenchère artificielle.

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    Propos politique. Les riches ont toujours pensé que l'argent était à voler aux pauvres. Et les pauvres admiratifs payent pour regarder ce qu'on leur a confisqué avec des yeux comme des ronds de frites molles, ne s'apercevant même pas que sur quoi ils s'extasient vient de chez eux, leur appartenait en propre, que dans le miroir qu'on leur tend c'est leur propre image qu'ils admirent. Avec une plume dans le cul. Le choix n'est guère cornélien, ou vous dye de votre ( pas si ) belle mort ou you diy tout seuls comme des grands.

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    Malgré leur cervelle d'oiseaux, les Crashbirds l'ont compris. Soignent leurs images. Facile rétorquerez-vous quand on est doué en dessin comme Pierre Lehoulier. Sûr que ça aide. Mais Lehoulier serait-il le meilleur dessinateur du monde que cela ne suffirait pas. Comme tous les grands peuples, les cui-cui ont d'abord pris soin de créer leur mythologie. Une fois que vous êtes parvenu à ce stade il ne reste plus qu'à peindre les images qui vont avec. Certains les imaginent en chemin de croix, d'autres en icônes extatiques, mais chez les Crashbirds on n'est guère porté à s'en remettre au premier dieu ( ou prétendu tel ) qui passe, portent un regard lucide et sardonique sur notre monde.

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    Voici quelques mois nous chroniquions la première saga que Pierre Lehoulier avait dessinée en l'honneur plus grand des héros de nos temps modernes, le fameux Super Gros Con. Que vous connaissez tous. Car l'on a les gouvernants que l'on mérite. Cette fois, nous en rêvions, il l'a réalisé, un bouquin collecteur – elles n'y sont pas toutes, ce qui implique d'ores et déjà un deuxième tome – d'affiches d'annonce de leurs lives. Sont comme cela les Crashbirds on les prive de concerts, vous croyez qu'ils font du boudin dans leur coin, pas du tout, font la nique au destin, sont en train de préparer un clip, d'enregistrer un sixième album, tout ça chez eux, et ce livre qui vient de sortir. Petit à petit l'oiseau fait son nid. Mais les Crashbirds construisent des aires d'aigles libres.

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    Mais que contient ce livre. Stricto sensus soixante sept reproductions d'affiches de concerts de Crashbirds, rangées par ordre chronologique, du vendredi 10 novembre 2011 au 30 octobre 2020. C'est comme si vous visitiez une galerie du Musée du Louvre, sans gardien mais avec le droit de toucher avec les doigts, vous pouvez glander tout le temps que vous voulez devant chacune des œuvres. Nous y reviendrons dans quelques paragraphes. Les à-côtés valent le détour. Les passionnés de théâtres affirment que l'on voit de plus près les actrices dans les coulisses que sur la scène.

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    Un petit laïus de présentation, les douceurs automnales de la dédicace à son papa et à maman, Lehoulier tire sur la corde sensible de tout ce qui a disparu depuis dix ans, pour un peu vous hisseriez votre mouchoir hors de votre poche afin d'essuyer discrètement une larme. Boum, Pierre Lehoulier tout sourire vous fait le coup du cadeau de Pif Gadget, les affiches certes, mais une glace à la fraise empoisonnée avant l'estouffat des haricots au gigot d'affiches, une bande-dessinée, rien que pour vous. Ne vous réjouissez pas de sitôt, vous voici en plein attentat terroriste, un avion ( à peine ) non identifié vient de s'abattre sur le World Trade Center. Précipitons-nous, des blessés ont sûrement besoin de soins. Serions-nous en train de revivre le massacre des Twin Towers. Non ce n'est pas si grave que cela. Les pilotes sont bien vivants. Ont réussi on ne sait comment à s'extraire de la carlingue plantée dans le sol, z'ont un drôle d'air, l'on n'arrive pas à savoir s'ils sont contents d'eux-mêmes, ou bien marris de leur mésaventure. Faudrait être ornithologue pour répondre à coup sûr, vous les avez reconnus ce sont ces oiseaux de malheur, les fameux cui-cui, perchés sur l'arbre de la couverture comme le corbacée sur celui de La Fontaine. Ne tiennent pas en leur bec un fromage, mais un livre, qu'ils lancent à la tête de la petite fille innocente ( mais les petites filles sont-elles vraiment innocentes ) venue les secourir. La voici revenue chez elle, elle se lance dans la lecture de l'ouvrage que vous êtes en train de lire. Ah ! Ah ! C'est rigolo. Vous prenez les choses du bon côté, vous êtes des optimistes, et si c'était sérieux, si c'était un-je-ne-sais-pas-quoi moi, tiens un apologue anarchiste par exemple, un truc pour vous inciter à réfléchir.

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    Nous avons vu la coulisse ( on y prend son pied ) côté cour, portons-nous à son opposée, située à la fin du livre, coulisse côté jardin , y prend-on aussi son pied ( au cul ), une double page, très instructive comme disent les pédagogues, ville en flammes, style incendie de la Commune, foule en colère, mais prudente, ce ne sont pas des gilets jaunes, mais ils portent comme signe de reconnaissance des masques blancs. Z'ont des z'allures de z'ombies, peut-être parce que le mouvement social est mort tué par un virus. Je vous laisse à vos initiatives.

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    Dans les histoires de haine, c'est comme dans les histoires d'amour, faut toujours une tête d'affiche. Les Crashbirds ont les moyens. Z'en z'ont deux. Aussi inséparables que les Dupond et Dupont ( parfois ils arborent leur plumage jaune comme de frais pondus ) de Tintin, en beaucoup moins bêtes et en plus méchants. Vous les trouvez partout, posés sur la selle de leur cinquante cm3 aussi innocents que des blousons noirs méditant un mauvais coup, au volant d'une Simca mille la voiture des malfrats des early seventies, sur le camion des pompiers avec cette mine atterrée de pyromanes qui viennent considérer l'étendue de leur forfait, méditant sur le chapeau d'un pistolero mexicain ou d'un Capitaine pirate, sur le toit d'une voiture qu'ils ont précipitée sur un arbre, pas très fiers à plusieurs reprises sur l'avion qu'ils viennent de crasher, sur une moto-ski au pôle sud, ou alors ils ne reconnaissent personne sur leur Massey-Ferguson, peu pressés de prendre leur envol sur un rouleau-compresseur, jouant à Nomades du Nord en compagnie d'ours furieux, sur la carte de l'as de pique, sur l'écu du Chevalier noir, ( j'écris leurs noms ), veillant sur un campement de romanichels, faisant du grand-bi, jouant de la guitare, buvant de la bière, perso je les préfère, courant sus à l'anglois et tout autre peuple de la triste humanité, sur la grand-voile de leur brick pirate, prêts à déclarer la guerre au monde entier.

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    N'y a pas qu'eux sur ses affiches. D'abord il y a celui qui n'y est pas. Pierre Lehoulier. Le fauteur de troubles, l'instigateur. Ne se dessine jamais, mais c'est sa patte, pardon son aile, car il tient la plume et le feutre, que l'on retrouve partout. Des dessins figuratifs, mais derrière les objets représentés, c'est l'esprit Crashbirds et rock'n'roll que l'on retrouve. Pas saint du tout. Lehoulier joue avec les images toutes faites, une  inspiration un peu ( beaucoup, à la folie ) rebelle, mais qui met entre elle et le monde la transparence de l'humour, reprend les tubulures de cette mythologie sortie tout droit des rutilantes années soixante, époque où la société de consommation promettait de vous apporter le bonheur encore plus vite que la notion de progrès social. Une ère de prospérité sans précédent. Certes, mais sans futur. Examinez de près ces satanées affiches, le monde pue la déglingue, des objets rafistolés, des tas de détritus partout, des idéaux des justiciers des siècles passés ne subsistent que des images d'Epinal. Certes l'on rit, mais l'on devrait serrer les dents. Le pire n'est pas à venir, il est déjà là.

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    Ces affiches sont comme les grandes arcanes d'un jeu de tarot taré. Vicié à la base. Elles sont magnifiques, Pierre Lehoulier a d'abord le génie des fonds, des espèces de monochromes en accord parfait avec le sujet qu'il traite. Le papier apporte à ses dessins le glacé inaltérable de l'hyperréalisme. Une conformité-critique se dégage de ces images, tout semble vrai, respecté au moindre détail, et pourtant la réalité présentée bat de l'aile. Avec ces affiches Pierre Lehoulier en dit plus sur l'état de notre monde que bien des articles bourrés de statistiques et d'analyses pertinentes. Chaque page comme un coup de poing au-dessous de la ceinture et dessus de votre pensée. A croire qu'il s'amuse avec ses images immobiles au bouscule-tout, au bascule-moi-ça, au pim-pam-poum graphique. Ce n'est pas le portrait de nos gouvernants honnis qu'il a peints sur les boîtes de conserve avariées de ce casse-pipe coloré, mais nos représentations mentales du rock'n'roll. Un pinceau meurtrier qui ne respecte rien, ni ses propres goûts ni ses propres couleurs. Pierre Lehoulier use d'un stabilo déstabilisateur le seul moyen pour que le rock'n'roll ne devienne  ( version +++ ) pas, ne reste ( version - - - ) pas une marchandise comme une autre.

    Damie Chad.

    Un grand merci à Fred Herbert qui a beaucoup fait pour ces affiches. Et une bise à l'autre moitié ( la plus belle, et la non moins intransigeante ) de Crashbirds.

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    *

    Kr'tntreaders, je doute de vous. Je ne crois pas que vous vous réveilliez en pleine nuit pour vous demander si Henri Troyat s'est inspiré de Premier de Cordée de Frison-Roche pour rédiger La neige en deuil. Si je vous posais cette question je pense que vous m'enverriez bouler, que vous m'assèneriez froidement que ce problème ne vous taraude pas et que de toutes manières vous n'avez aucune envie de vous plonger dans la lecture de ce volume qui ne parle point de rock'n'roll. Je vous rassure moi aussi. Manuel Martinez – ne me dites pas que vous ne connaissez pas, à plusieurs reprises je vous ai emmenés soit à ses exposition, soit à vous pencher sur certains de ses tableaux - est comme nous. Mais lui, c'est différent.

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    Voici plus de vingt ans Manuel Martinez avait rédigé les Chroniques d'un Contempourri, peut-être que vous ne connaissez pas, mais vous vous reconnaîtriez sans peine dans le portrait déjanté qu'il trace de l'homo modernus. Deux minuscules plaquettes en blanc et noir, mêlant dessin et écriture, une espèce de bande-dessinée dans laquelle tracés et lettrages semblent s'engendrer mutuellement, à tel point que l'on ne sait si l'on doit d'abord regarder l'image, ou lire le texte, et que lorsque l'on tente l'opération conjointe, la difficulté n'en est pas résolue pour autant. Et ne voilà-t-il pas que l'année dernière le démon de la perversité cher à Edgar Poe l'a poussé à recommencer, en plus grand, en plus long, en plus complexe, en plus coloré.

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    A ses moments perdus, j'en ai été témoin, entre deux visiteurs venus s'extasier dans sa galerie. Une œuvre de longue haleine mais fragmentée en minutes grappillées de-ci, de-là. De ces heures de l'entre-d'eux, est sorti un livre, un seul, nommé :

     

    BORDERLINES

    MANUEL MARTINEZ

    ( Livre Unique )

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    L'a commencé comme les moines copistes du Moyen-Âge qui dans le coffre aux merveilles philosophiques de l'Antiquité prélevaient au hasard un parchemin, par exemple le traité du non-être de Gorgias, pour le recouvrir d'insipides et insignifiantes litanies christologiques, mais lui Martinez a œuvré en sens inverse. S'est saisi d'un exemplaire du roman d'un écrivain de seconde zone, La neige en deuil d'Henri Troyat, l'a choisi pour son format, son nombre de pages relativement restreint, et la qualité de son papier, afin de le transformer en objet unique. S'est muni de feutres, de crayons de couleurs et de tous ces ustensiles qui traînent dans tous les coins d'un atelier de peintre, je le soupçonne fort de s'être contenté de prendre l'outil le plus proche de lui à l'instant T. Puis il a rédigé et dessiné Bordelines. 128 pages.

    Vous aimeriez que l'on en vienne au fait, que je vous résume grosso-modo, le contenu de l'ouvrage. Nous y étions juste au début, avec notre fin de paragraphe précédent sur l'instant T. . Borderlines c'est comme une réécriture d' Une brève histoire du temps de Stephen Hawking, mais avec Manuel Martinez vous n'aurez pas besoin de faire semblant d'avoir compris. C'est beaucoup plus complexe. Vous met dès le début au pied de l'horloge temporelle, devant une expérience universelle à laquelle vous n'avez pas comme tout le monde échappé. Pour l'heure d'hiver faut-il avancer ou retarder le cadran de votre vie d'une heure. Oui, mais dans les deux cas que deviennent ces minutes perdues, où sont-elles ?

    Voilà vous êtes à l'entrée du labyrinthe, ne tremblez pas vous ne rencontrerez pas le minotaure, pour la simple et bonne raison que le labyrinthe est-lui-même le minotaure, vous ne me croyez pas pourtant le temps saturnien est bien connu pour dévorer les petits enfants mignons. Je vous laisse continuer la lecture, attention aux fausses pistes. Il y en a partout, les dessins et les ''bulles'' splashées de Martinez ne couvrent pas toujours tout le texte de Troyat, l'en reste des fragments que vous ne pouvez vous empêcher de lire à la recherche d'une indication quelconque, parfois le scriptor se moque de vous, il entoure certains mots qui ne sont pas sans écho avec ce qui est écrit et dessiné, faut-il les incorporer au sens du texte ou sont-ce de faux hasards, et qui nous dit que tel autre qui ne semble pas avoir plus de rapport avec le récit martinezien que le blanc du mur sur lequel un peintre réalise son tableau, n'ait pas été le départ d'une idée graphique, d'une inflexion de l'histoire, multiples sont les sentiers entrecroisés de la création.

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    Une chose rassurante, Manuel Martinez est aussi perdu que vous, mais lui ça le réveille, il se lève en pleine nuit, qui a dit qu'un peintre ne peut pas peindre dans le noir, surtout que ce sont les idées noires qui le guettent, qui surgissent, qui l'assaillent, pas besoin d'être détective privé ou commissaire chevronné pour trouver la coupable, la, car c'est bien sûr une fille, passons sur le rappel des scènes délicieuses et pénibles, au final l'on est toujours seul et empêtré dans de savants calculs, où sont passés ces 3600 secondes ( fatidiques ), l'artiste seul face à la résolution de son problème, inclusion d'une notice d'ordinateur, nous ne sommes plus aux temps ( pas si ) anciens où Ezra Pound recopiait dans ses Cantos les idéogrammes chinois des boîtes de thé, le peintre ne sait plus s'il doit recolorier sa vie ou tourner définitivement la page, apocalypse sur ses neurones, il a maintenant atteint une certaine maîtrise. Mais de quoi au juste. Peut-être de lui-même. Parfois il suffit de pousser les cloisons mentales pour mieux respirer. Mais tout recommence comme avant. Cette fois, cela ne se passera pas comme autrefois. Chut, ne le réveillez pas il s'est endormi. En fait c'était juste une heure de sommeil en plus. Pas de quoi faire tant de tralala. Morale de l'histoire : dehors dans le monde c'est comme dans la tête. A moins que ce ne soit l'inverse. C'est peut-être dans la tête que c'est comme dehors. C'est comme le sablier, il fonctionne dans les deux sens. Posez-le droit comme un i, ou tournez-le cul en haut, tête en bas, c'est la même heure qui s'écoulera.

    Je vous ai raconté ma version de l'histoire, dans un labyrinthe chacun trace son chemin. Nous l'avons lue. Nous allons maintenant la regarder. Ce qui compte ce n'est ni le dessin, ni les couleurs, c'est la façon dont l'ensemble fonctionne. Vous ne comprendrez rien au bouquin, si vous vous ne vous mettez pas dans la tête qu'ici il ne faut pas chercher à quoi ressemble le dessin, mais ce qu'il signifie. Une lecture qui s'apparente davantage au déchiffrage des hiéroglyphes toutankhamontesques, et mieux encore, à l'unité idéographique de tout élément d'une notion dessinée, nécessité de partir de la représentation de l'objet ( ou de la situation ) pour l'aborder en tant que son idéification abstraite. Comme si chaque dessin correspondait à un caractère sinomorphique d'un alphabet que l'on ne connaîtrait pas en son entier et que l'on s'efforcerait de déchiffrer malgré tout.

    Le livre est abracadabrantesque à parcourir, l'on tourne les pages, le bleu de la nuit vous saute aux yeux, mais aussi les chats, l'alcool, l'homme-singe, le sourire, le désir, le rouge-suicide, l'orange intellectuel, l'homme loup, le cheval fou, le bateau ivre, tout un bestiaire, des hectolitres d'hétéroclite, des traces de couleur comme si le peintre s'était torché les mains sur ses dessins afin de les métamorphoser en faux tableaux, s'il est un livre rock'n'roll, c'est bien celui-ci. Il contient nos rêves brisés et nos vains efforts pour les recoller. A l'image de notre monde.

    Le livre pose aussi la questions essentielle de la peinture : est-ce la forme qui détermine le sens, ou le sens qui détermine la forme. Posez la même question en changeant le mot forme par couleur et puis par geste. Dans les trois cas : la remplacez par : la peinture se lit-elle ou se regarde-t-elle ? A vous de tenter l'expérience.

    Damie Chad.

    ( Borderlines se feuillette de la première à la dernière page sur

    FB : Manuel Martinez ou FB : Kr'tnt Kr'tnt )

     

    LOCK ME DOWN !

    JUSTIN LAVASH

     

    Justin Lavash réside à Prague. Je n'ai jamais mis les pieds dans cette ville. Hormis les Histoires Pragoises de Rainer Maria Rilke – savoir que la race humaine ait pu engendrer un tel individu vous réconcilie avec notre espèce – et Le golem de Gustav Meyrink – comme les gens bizarres qui écrivent des choses tordues me sont sympathiques - je ne connais que peu de chose de cette cité renommée. J'ai toutefois fait connaissance avec deux pragois. Jiri Volf fantasque poëte mort de froid dans une église désaffectée de Toulouse et le dénommé Justin Lavash rencontré en des circonstances moins dramatiques sur le marché de Mirepoix. Je ne précise pas où se trouve cette bourgade éminemment touristique puisque personne dans le monde n'ignore qu'elle campe fièrement aux portes de l'Ariège.

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    Le lecteur pressé de faire sa connaissance se reportera à notre livraison 310 du 05 / 01 / 2017 dans laquelle je relatais notre rencontre et chroniquais son album : Programmed. Depuis Justin Lavash et sa guitare, le bourlingueur et Miss Bluezy, sont rentrés à Prague. Et voici que dans mon fil facebook apparaît sa face boucanière munie d'un bandeau de pirate sur l'œil droit. La situation doit être grave puisqu'il demande ( apparemment ) à être enfermé. S'il exige à ce qu'on le libère j'écouterais quand même, car entendez-vous il a une superbe voix de sirène rouillée.

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    Lock me down : vidéo clip sur You tube. Novenbre 2020. Réalisé par Scott C. De Castro. Un truc magnifique fait avec les moyens du bord. Attention le mec est doué, cela n'a l'air de rien, mais question angles de prise de vue, et apport kaleidoscopiques surnuméraires sur des images répétitives, vous ne trouverez pas dosage plus savant, ce gars quand il fait la cuisine il doit compter les grains de sel un par un. Mais que serait un film sans acteur ? L'a de la chance le Scott, l'en tient un, aussi ne le relâche-t-il pas. Ne fait pas grand-chose le Justin Lavash, mais oh la vache il a ces 99, 9999 pour cent que le reste de l'humanité n'a pas, la rock attitude. Faut le voir remuer derrière son micro. La grande classe, avec son bandeau à la Johnny Kidd, son félinique déhanchement d'iguane en chemise faussement hawaïenne et sa gueule de taulard au bord du transfert en cellule de crise capitonnée, l'est irrésistiblement résolument rock. Le mec qui craque tout en restant craquant pour toutes les filles sauvages que porte notre terre. Image en faux-blanc et gris de la grande époque. Mais ce n'est pas tout. Il y a le morceau, commence par un grattement de souris acoustique à qui l'on a rebouché le trou de sortie. Et puis c'est parti, le truc électrique méchamment balancé et la voix de Lavash, celle qui sort de votre gosier après trois nuits à traîner dans les quartiers chauds avec la pègre et les putes de Mexico. Une espèce de gimmick entraînant, je ne sais qui est aux guitares, Lavash peut-être, mais quel doigté et quelle imagination ! Mais ce n'est pas tout. N'y aurait-il que cela que ce ne serait rien. Car à écouter les paroles, l'on se rend compte que Lavash a écrit le premier hit, en d'autres termes le l'hymne définitif, sur le confinement, d'autant plus vicieux et insidieux qu'il n'en parle pas. Une réussite majeure.

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    The hardest thing ! : Vidéo-clip : octobre 2020 : Justin Lavash : guitar , vocals / Gejza Sendrei : keys / Simon Lavash . Trumpet / Pavel “Košík” Košumberský : percussion / Tonda Moravec - percussion / Cut-up clip réalisé avec une grande intelligence par Barbora Liska Karpiskova à partir de photos d'Anna Bastyrova. Z'ont pensé à un ensemble signifiant pour la mise en scène, notamment l'inscription des lyrics en tant que motif indétachable des images. Ce n'est pas un blues comme on n'en fait plus mais un blues comme on en fera demain, avec pour celui-ci cette saveur d'épice jamaïcaine reléguée au quatrième plan mais absolument présente grâce à cette moqueuse trompette de mariachi qui tire la langue à la mort. Surprise, pour une fois dans un blues contemporain les paroles conditionnent la musique. Peut-être Lavash est-il le parolier ( en anglais ) qui manque au blues européen. Morceau de confrontation de soi à soi. Post-déprimal. Un état des lieux sordides. La guitare vous entraîne sur des chemins de solitude. Un constat amer, définitif comme un procès-verbal d'autopsie. Et puis la chute vertigineuse. Une coupure de lame de guillotine. Est-il possible de changer de vie. Mille chemins fermés.

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    Guitar : Vidéo-Clip : septembre 2020 : Justin Lavash : guitar, Genja Sendrey : clavier. Etrange, le premier instrumental chanté, oui Lavash chante et gratte sur ce morceau mais Scott C. De Castro qui est aux manettes est un véritable sorcier, vous donne l'impression que ce sont les incrustations des quinze participants qui rythment le morceau. Mais Lavash ne fait pas que jouer. Il joue aussi. Occupe la première place. Le devant de l'écran est pour lui tout seul. Il gesticule, il mime, il interprète, à croire que ce diable d'homme a fait aussi un peu de théâtre dans sa jeunesse. L'est doué pour tout. Vous racole pour pour mieux vous coller à son jeu. Le morceau n'excède pas cinq minutes, mais vous avez toute l'histoire de la guitare racontée, la classique, la bluezy et tous les errements qui ont suivi. Un festival, une véritable déclaration d'amour à la six-cordes. Sûr que c'est un peu à l'attrape-œil et à l'attrape-oreille. Ces trois derniers morceaux de Lavash visent un public beaucoup plus large que les trois derniers passionnés de blues sur un marché de province française. Un autre plan de carrière semble s'annoncer. Un côté moins crade, moins roots, mais sur ses trois titres Lavash parvient à rester authentique. Authentiquement Lavash, et c'est cela la marque d'un grand artiste.

    Damie Chad.

     

    VIII

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

     

    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    Voici quelques précisions

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    30

    C'est vers dix heures du matin qu'une voiture du Corps Diplomatique du Guatemala s'arrêta freina brutalement devant le perron de l'Elysée. L'on se précipita pour nous ouvrir les portières. Nous suivîmes les huissiers qui nous menèrent diligemment au bureau du Président. D'un petit grognement Molossa intima l'ordre à Molossito de se tenir correctement, interdiction formelle de s'oublier sur la moquette. Le Chef avait décidé d'enclencher le protocole 27. Je rappelle au lecteur ignorant que ce fameux article 27 des Services Secrets permet à un responsable supérieur d'une branche du Service Action d'obtenir au plus vite un entretien avec le Chef de l'Etat s'il jugeait qu'un danger grave et imminent menaçait le pays. Le Président arborait une face glaciale.

      • Vous tombez bien, hurla-t-il, j'avais justement besoin de vous entretenir de la mort suspecte de six de nos agents, je...

      • Président, nous règlerons cette question subalterne à la fin de l'entretien, mais nous sommes venus pour un tout autre problème, celui de la boîte à sucre.

    Le Président pâlit. Du rouge cramoisi, il passa au blanc cadavérique. Déjà Molossa et Molossito avaient sauté sur le bureau et je déposai la boîte à sucre sur le bureau. J'allais commencer ma démonstration, le Président fit un geste pour m'arrêter et appuya sur un bouton, la porte s'ouvrit et deux individus entrèrent.

      • Messieurs je vous présente deux de nos plus grands mathématiciens, de la Faculté mathématique d'Orsay, de la cellule Action et Recherche Pythagore.

    Il était clair que nous étions attendus au-delà de nos espérances. Le Chef alluma un Coronado pendant que Molossa et Molossito secondaient de leurs aboiements le déroulement de mon raisonnement. Les deux scientifiques m'écoutaient avec attention, je remarquais que si l'un d'eux vérifiait le résultat des opérations sur une calculette électronique, le deuxième semblait plus attentif aux réactions des deux canidés. Ce fut d'ailleurs lui qui s'empara du trois-cent soixante-neuvième morceau de sucre, qu'il coupa en deux et il en offrit une moitié à chacun des deux chiens qui le croquèrent sans se faire prier :

      • Comme ces bestioles sont ravissantes, de véritable bêtes de cirque, Monsieur le Président, rien de neuf sous le soleil, le vieux paradoxe de la boîte à sucre connu de tous les étudiants de mathématique de première année, je crois que nous pouvons nous passer des services de ces montreurs d'animaux savants, certes divertissants mais franchement peut-on prêter attention à des amateurs de rock'n'roll, nous avons à vous entretenir de dossiers beaucoup plus sérieux.

    Comme le Chef allumait un second Coronado, il se tourna vers nous :

      • Quant à vous Messieurs nous ne vous retenons pas, vous avez certainement des choses plus intéressantes à accomplir que de voler des voitures du Corps Diplomatique du Guatemala et de faire perdre au Président un temps précieux dévolu aux affaires importantes de notre nation.

    La porte du bureau présidentiel se refermait sur nous, je me retournais, le visage du Président exprimait un soulagement ineffable.

    31

    Un sacré coup de pied dans la termitière avait dit le Chef, voilà pourquoi ce soir-là deux vélo-solex filaient à vive allure vers la banlieue Sud de Paris. Les évènements vont se précipiter avait-il ajouté. Molossito coincé sur ma poitrine et mon Perfecto dormait paisiblement. A l'arrière assise sur le porte-bagage Molossa méditait sur les vicissitudes de l'existence avec l'air détaché d'un bonze ayant atteint à plusieurs reprises l'illumination. Devant moi, sur sa monture pétaradante le Chef n'arrêtait pas de se retourner pour vérifier l'arrimage de la caisse à Coronados capitonnée qu'il avait emportée. Nous eûmes l'impression d'être suivis par un ballet de voitures discrètes, quelque sens interdits, quelques allées privées dont nous possédions les passes, nous permirent de nous défaire de ces gêneurs.

    Nous freinâmes devant la grille. Elle était ouverte. Diable, pensais-je, cela dépasse les bornes de la logique aristotélicienne ! Une petite loupiote au-dessus du perron éclairait chichement le jardin. C'était à croire que l'on nous attendait. La porte s'ouvrit. J'espérais Thérèse. C'était Alfred.

    Dans la cuisine, il nous avait préparé une petite collation, café, gâteaux, bouteilles de moonshine polonais, vastes cendriers pour les Coronados du Chef. Je tentais un regard vers la porte de la chambre.

      • Désolé Damie, Thérèse est partie, nous nous sommes séparés, elle a apparemment trouvé mieux que moi.

    Le Chef alluma un Coronado...

    32

    Durant deux jours nous ne bougeâmes pas de la villa. Restons prudents avait dit le Chef, les tueurs de l'Elysée sont à nos trousses. Nous ne nous ennuyâmes pas. Alfred fit coulisser un rayonnage de sa bibliothèque de la cave, apparut alors des centaines d'albums vinyles... pas grand-chose minauda-t-il mais assez pour se remplir les oreilles. Ce que nous fîmes à satiété.

    Ce matin-là, le Chef tournait en rond dans le jardin, Coronado au bec, toutes les cinq minutes il regardait sa montre. Alfred s'était absenté pour les courses de première nécessité. Je descendis à la cave, une question me taraudait quel album de Jerry Lou écouterai-je ? Il s'avéra que le pauvre Alfred ne possédait aucun disque de Jerry Lou ! Dépité j'attrapais au hasard un livre sur un rayonnage et m'assis sur un fauteuil. J'ouvris la première page et sursautais violemment ! Mémoires d'un GSH ! Je n'étais pas au bout de mes découvertes, je zieutais la couverture : L'homme à deux mains. Eddie Crescendo. Série Noire 2037 ! Je n'eus pas le temps de ne pas comprendre. Deux violents coups de klaxons résonnèrent dans toute la maison. Je sortis précipitamment dans le jardin. Un énorme camion s'était arrêté devant la grille. Le Chef était déjà en pourparlers avec le chauffeur devant la grille. Alfred arrivait avec son panier de commissions.

    33

      • Au boulot vite ! Je prends le commandement des opérations, agent Chad ouvrez la porte du camion, Alfred pressez-vous, dans cinq minutes je veux que tout soit déchargé !

    Il nous fallut trois bonnes heures d'allées et venues pour transborder les huit tonnes de Coronados que le Chef avait commandés à la Maffia italienne. Nous les entreposâmes dans les deux pièces vides du rez-de-chaussée. Lorsque tout fut fini le Chef exultait : Maintenant la guerre peut commencer ! déclara-t-il d'un ton comminatoirement jouissif. Puis il ajouta. Alfred s'il vous plaît préparez-nous un repas fortement calorique, la journée sera fatigante, agent Chad sortez les chiens, ils m'embêtent à batifoler dans le jardin, j'ai besoin de méditer dans le calme !

    34

    J'emmenais les bestioles canines dans un petit square situé à une centaine de mètres de la villa. J'avisai un banc, sortis de ma poche L'Homme à deux mains d'Eddie Crescendo, Série Noire 2037, mais déjà Molossito aboyait. Je me retournais. Une petite vieille qui tenait un Westie décrépit en laisse marchait dans l'allée. Elle s'arrêta à ma hauteur. C'était Thérèse !

    Damie Chad.