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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 68

  • CHRONIQUES DE POURPRE 465 : KR'TNT ! 465 : PHIL MAY / LITTLE RICHARD / SEYMOUR STEIN / WEST, BRUCE & LAING

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 465

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB KR'TNT KR'TNT

    21 / 05 / 2020

     

    PHIL MAY / LITTLE RICHARD

    SEYMOUR STEIN / WEST, BRUCE & LAING

     

    Oh You Pretty Things - Part Five

    west,bruce & laing

    — Meuuuuh !

    Phil ouvre un œil. Il fait jour. Tiens, la tête d’une vache !

    — Meuuuuh !

    Le problème, c’est qu’elle est à l’envers. Mais non, elle est à l’endroit. C’est lui qui est à l’envers. Il est encore attaché par la ceinture de sécurité au siège de sa voiture qui est retournée sur le toit.

    Phil ne se souvient pas d’avoir quitté la route. La vache se rapproche encore et commence à lui lécher le visage. Berk ! Il déteste le contact de cette grosse langue râpeuse et se met à pester :

    — Fuck off, you bloody cow !

    La vache rigole.

    Phil ne se sent pas très bien. Il se tape une jolie gueule de bois.

    — Hé les filles, venez voir qui est là !

    Quoi ? C’est la vache qui parle ?

    Phil tourne la tête et ne voit personne, à part quelques vaches éparpillées à flanc de coteau. Ah ça y est, la mémoire lui revient petit à petit : les Alpes suisses, la route de montagne en pleine nuit, les flacons de cognac...

    Les vaches se rapprochent du véhicule retourné. Elles passent leurs grosses têtes par les ouvertures. Toutes les vitres de l’Audi ont explosé, y compris le pare-brise. Les tonneaux, ça ne pardonne pas. Phil a dû faire une sacrée chute. Les vaches semblent particulièrement excitées :

    — Wooow ! C’est Phil May ! Le chanteur des Pretty Things !

    Phil ne sait pas quoi penser de cette situation bizarre. Depuis qu’il séjourne en Suisse, les choses ont pris une drôle de tournure. Encore une idée à Wally ! Les vaches agglutinées autour de l’Audi poussent des cris perçants :

    — Woooooooow ! Phil May, notre idole, le plus sauvage de tous les rockers anglais !

    Elles font encore plus de barouf que ces petites garces d’hurleuses de l’Hammersmith Odeon.

    Phil se dit qu’il n’aurait jamais dû écouter Wally qui insistait pour monter ce projet absurde : emmener les Fallen Angels à Genève pour y enregistrer un album. Quel malin, ce Wally. Il sait y faire. Comme ils sont amis d’enfance, Wally n’a pas eu trop de mal à convaincre Phil de prendre part à cette aventure.

    Depuis le début, Phil sent que ce projet est maudit, comme l’est d’ailleurs l’historique des Pretty Things. Poursuivi par la malchance, le groupe s’est épuisé. Ils ont fini par se séparer dans des conditions dramatiques. Rendu fou de parano par l’abus de coke, Jon Povey sortit Phil d’un pub en le traînant par les cheveux : il soupçonnait Phil de draguer sa poule.

    Quelques mois plus tard, Wally refit surface avec un nouveau projet : les Fallen Angels. Un financier de la City nommé Godfrey Bilton avançait 100.000 livres aux Fallen Angels. Il pensait faire un bon investissement.

    Depuis, 500.000 livres se sont évaporées et les chansons composées pour l’album ne sont pas vraiment convaincantes, excepté «13 1/2 Floor Suicide», un rock puissant et racé sur lequel Phil sort le grand jeu : on l’entend y lâcher un aouuuh ! en fin de couplet avant de céder la place à un solo de slide épais comme la boue du delta.

    L’animalité de Phil May compte pour beaucoup dans ce qui fait le prestige du British Beat. Adolescent, David Bowie se faufilait jusqu’au premier rang pour assister aux concerts des Pretty Things et voir Phil shaker ses maracas.

    De tous les compositeurs passés dans les rangs des Pretty Things, Wally Waller reste le plus ambitieux. Wally rejoignit les Pretty Things en 1967, pour l’enregistrement d’Emotions, leur troisième album. Laminé par une production lamentable, l’album floppa. L’année suivante, Wally participa à l’enregistrement de S.F. Sorrow, un album brillant et incroyablement novateur qui lui aussi connût un destin tragique. C’est là que Dick Taylor, guitariste incomparable et co-fondateur des Pretties, jeta l’éponge. Phil décida de déjouer le mauvais sort en préparant un nouvel album. Wally montait en grade et passait du statut de bassiste à celui d’auteur-compositeur, et même, sur quelques chansons, à celui de chanteur. Pour Parachute, il composa avec Phil May une série de chansons qui, d’un point de vue mélodique, rivalisent avec les meilleures compositions des Beatles. Cet album hissait les Pretty Things au niveau des géants du rock anglais. Parachute fut sacré meilleur album de l’année par le magazine américain Rolling Stone, mais les ventes ne suivirent pas.

     

    L’alcool coule à flots au studio Aquarius de la rue Thalberg, à Genève. Wally cherche vainement à retrouver le filon de Parachute. Il n’y parvient pas. «California», «Girl Like You» et «Dogs Of War» sont d’honnêtes chansons, notamment «Dogs Of War», qu’on pourrait presque attribuer à Mott. Phil May fait la moue.

    — Tu baisses, Wally. Tu bois trop...

    En effet, ces chansons n’arrivent pas à la cheville de la trilogie «In The Square/Letter/Rain» ou encore de «Good Mr Square», ces effarantes merveilles nichées au cœur de Parachute.

    Les vaches s’enhardissent :

    — Helloooooo Phil, je m’appelle Rosalyn !

    — Et moi Mona !

    Une autre vache approche son museau humide de Phil :

    — CoooCoooo Philou, moi c’est Marguerite !

    Elles rient comme des folles. Phil aperçoit leurs grosses dents usées par la mastication.

    Il n’a jamais vu des vaches d’aussi près. Dans leurs gros yeux globuleux danse l’éclat d’une capiteuse vénalité champêtre. Les battements des gros cils roux n’arrangent rien. Rosalyn approche son gros museau humide :

    — Hey Phil, mon morceau préféré, c’est «Baron Saturday» ! Je connais les paroles par cœur : Oh ! Baron Saturday/ Sorrow, he’ll show you games to play...

    Les vaches se mettent à secouer leurs cloches en rythme. Un vrai Diddley-beat alpin ! Rosalyn chante d’une voix rocailleuse, tentant d’imiter Dick Taylor :

    — He bends his mouth up to your ear/ The words won’t disappear...

    Comme si elles lançaient des imprécations sataniques, les autres vaches scandent en chœur :

    — Oh ! baron Saturday ! Oh ! baron Saturday !

    Phil est sidéré. Il se fend d’un grand sourire et complimente la vache :

    — Merci Rosalyn, je suis très touché par ton érudition...

    Les autres vaches rigolent à gorge déployée. Rosalyn s’éloigne, vexée. Mona passe la tête par le pare-brise et approche son museau à quelques centimètres du nez de Phil, comme pour le humer :

    — Hey honey, j’adorais l’époque où vous vous appeliez Jerome & the Pretty Things et où tu reprenais les morceaux de Bo Diddley ! Ah ! Cette reprise de «Roadrunner» qui ouvrait le show ! Nous autres, les vaches suisses, on suivait tout ça à distance... On piquait Disco-Revue au paysan du coin et on le lisait en cachette. Nos petits cœurs battaient la chamade ! Dommage que tu n’aies pas eu l’idée de reprendre «Bring It To Jerome», car avec ce standard primitif, tu aurais pu leur niquer la gueule, aux Rolling Stones !

    Phil sourit. Décidément, les vaches suisses en connaissent un rayon. Le plus difficile, ça va être de raconter cette histoire-là à Wally et aux autres. Ils ne voudront jamais croire qu’il existe un fan-club bovin des Pretty Things dans les alpages. Phil a soudain une pensée émue pour ses amis. Il y a de fortes chances pour qu’ils soient encore en train de cuver au fond du studio.

    Drôle d’équipe que ces Fallen Angels. À part Wally, aucun membre des Pretty Things ne participe à cette aventure. Après la bagarre finale et une nuit au trou, Jon Povey quitta le groupe pour aller vendre des salles de bains. Skip Alan retourna travailler dans la boîte de son père et Peter Tolson partit faire équipe avec Jack Green.

    Wally ne voulait pas en rester là. Il décida de former les Fallen Angels et fit appel à Greg Ridley et à Twink. Chou blanc. En désespoir de cause, Wally recruta Chico Greenwood, Brian Johnstone, Mickey Finn et Bill Lovelady, des musiciens au pedigree beaucoup moins brillant. Mais qu’on ne se méprenne pas, Mickey Finn n’est pas le collègue de Marc Bolan. Par contre, il possède un atout majeur : Keith Richards - drogué notoire - et lui se ressemblent comme deux gouttes d’eau. Grâce à cette ressemblance, la police helvétique fait des raids quotidiens dans le studio de la rue Thalberg. Les Suisses sont très lents. Il leur faudra encore beaucoup de temps pour comprendre que Mickey n’est pas le guitariste des Rolling Stones.

    Marguerite a réussi a rentrer ses cornes dans l’habitacle. Elle fixe Phil intensément. Ses gros yeux globuleux ne cillent pas, malgré les mouches.

    — Comme je suis contente de te voir, mon Philou. Tu vas être choqué, mais quand le taureau de l’inséminateur me grimpe dessus, je pense à toi. J’entends alors dans ma tête la mélodie de «She’s A Lover». Ici, dans nos alpages, un disque comme Parachute prend une résonance siiiiiiii particulière... Cette mélodie me serre le cœur, et des larmes chaudes s’écoulent de mes yeux. Tu ne peux pas savoir l’effet que ça me fait de te voir ici. Je ressens quelque chose de mythique dans mes ovaires...

    Phil soupire. Chaque fois qu’on lui parle de mythologie, ça l’ennuie profondément.

    Il appartient pourtant à la caste des rockers mythiques de la vieille Angleterre. Il y côtoie des gens comme Mick Farren, Jesse Hector, Larry Wallis ou encore Screaming Lord Sutch. Bien sûr, on pourrait encore en citer d’autres.

    — Ça me fait une belle jambe d’être mythique...

    Par contre, l’Audi plantée au fond du pré n’a plus rien de mythique. C’est le troisième véhicule que Phil prend chez Hertz et qu’il plie. Comme ça, au moins, on saura chez Hertz qui sont les Pretty Things. Une autre vache arrive au trot. Elle est noire, beaucoup plus massive et porte une sorte de banane de crin entre les cornes. Elle n’a pas l’air commode, avec son anneau passé dans les naseaux. Elle approche de Phil et lance d’une voix d’Hercule de foire :

    — Hé toi, si j’te vois encore tourner autour des filles, j’t’embroche ! T’as pigé ?

    Tiens, une vache caractérielle ! Il ne manquait plus que ça... Phil hausse les épaules. Il songe de nouveau à ses amis. Dans quel état va-t-il les retrouver ? Hier, Mickey Finn jouait de la guitare allongé sur le dos. Il ne tenait plus debout. Wally qui boit trop lui aussi s’était coincé le doigt dans le goulot d’une bouteille vide. Il voulait jouer du bottleneck et avait tout simplement oublié de casser le goulot. Il hurlait d’une voix suraiguë. Voulant l’aider, Chico Greenwood alla décrocher la hache d’incendie. Peu habitué à manier la hache, il rata le crâne de Wally de quelques millimètres. Il leva de nouveau la hache au dessus de sa tête pour frapper, mais elle lui échappa en pleine course et alla se planter dans le crâne de l’inspecteur suisse qui venait d’entrer dans le studio pour sa descente de routine. Comme l’inspecteur brandissait son revolver, le coup partit accidentellement. Touché à l’épaule, Chico tomba sur les genoux en faisant une affreuse grimace, comme dans un western. Les autres flics se mirent à tirer, croyant tomber dans une embuscade. Alors Phil se leva en agitant son mouchoir et demanda le cessez-le-feu, au nom de la neutralité helvétique.

    Le taureau parti, les vaches reviennent voir Phil.

    — Dis-moi, mon Philou, as-tu des nouvelles de Vivian Prince ?

    — Il cultive des oranges au Portugal.

    Soudain, la terre se met à trembler. Les vaches disparaissent comme par enchantement. Un choc terrible déplace l’Audi sur plusieurs mètres, puis un second et encore un autre, bam ! bam ! bam ! L’Audi refait plusieurs tonneaux. Phil serre les dents et s’agrippe au volant. Heureusement, la berline est solide. Le museau écumant du taureau apparaît dans le rétroviseur.

    — J’t’avais prév’nu, s’pèce de branleur !

    Bam ! bam ! bam ! Bon, le chaos c’est bien gentil, mais Phil sent bien qu’il commence à s’en lasser.

    Signé : Cazengler, Pity Thing

    Phil May. Disparu le 15 mai 2020

     

    Richard cœur de lion

    - Part Two

    west,bruce & laing

    La scène se déroule dans une petite ville de province. Nous hantions mon frère et moi les rues d’un quartier inconnu et soudain, nous fîmes halte devant la vitrine d’un marchand d’électro-ménager : à côté des aspirateurs et des sèche-cheveux se trouvaient quelques 45 tours. Deux pochettes spectaculaires nous tapèrent aussitôt dans l’œil. Deux EP français de Little Richard. Sur le premier, on voyait Richard en costard, les bras en croix, sur un fond bleu vif, et sur le deuxième, on voyait sa tête en gros plan sur un fond jaune vif et bleu.

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    Il fallut attendre qu’on nous offre un petit électrophone Teppaz à piles pour pouvoir les écouter. L’EP jaune proposait quatre titres : «Rip It Up», «Ready Teddy», «Tutti Frutti» et «Long Tall Sally». Le bleu proposait «Good Golly Miss Molly», «Baby Face», «Hey Hey Hey Hey» et «Ooh My Soul». Le bleu me fit entrer en religion. Ces deux EP parus sur London en 1964 ont survécu à quelques naufrages et sont devenus de saintes reliques diaboliques.

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    Il fallut encore attendre quelques années avant de pouvoir choper une copie du premier album de Little Richard. Pochette de rêve : on le voit screamer sur fond orange. Le contenant augure bien du contenu car Here’s Little Richard est un classique du scream d’Amérique. L’album est enregistré chez Cosimo Matassa à la Nouvelle Orleans et Little Richard y invente le wild scream, un genre jusque là inconnu. C’est tout de même plus intéressant d’inventer le wild scream que la poudre, ne croyez-vous pas ? Le coup de génie de l’album s’appelle «Ready Teddy». Il s’agit là de l’un des plus gros bash-booms de l’histoire du rock’n’roll. Lee Allen et Richard mettent toute leur foi dans leur niaque. Ou toute leur niaque dans leur foi, c’est comme il vous plaira. L’autre bombe du disque ouvre le bal de la B : «Long Tall Sally». On a beau l’avoir écouté ou entendu des milliers de fois, ça reste d’une brûlante actualité, oui, car toute la pétaudière de la Nouvelle Orleans est au rendez-vous et Richard envoie les ouuuuh-ouuuh qui vont servir de modèle à tous les screamers en devenir. C’est d’autant plus spectaculaire que Lee Allen entre dans le cut comme dans du beurre. Lou Reed se disait fasciné par l’énergie de Lee Allen. Troisième bombe de l’album : «Rip It Up». Little Richard y invente la pétaudière sous le boisseau. Il s’y énerve avec délicatesse. Il y profile sa colère sous le vent. C’est d’une classe absolument indécente. Il éclaire aussi le monde avec «Slippin’ And Slidin’» et «Jenny Jenny» et bien sûr, Lee Allen surgit chaque fois en vrai chevalier de l’alerte rouge.

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    On monte encore d’un cran dans la démesure avec Little Richard paru en 1958. On retrouve un Richard cadré serré sur la pochette et c’est sur cet album que se trouvent ses cuts les plus explosifs : «Hey Hey Hey Hey» et «Ooh My Soul». Oui, je tiens «Hey Hey Hey Hey» pour le plus grand hit de hot wild rock de tous les temps, le plus déterminé à vaincre, screamé à l’outrance de la démence - Well bye bye baby so long - et il enchaîne ça avec un «Ooh My Soul» complètement déboîté du bulbe, joué ventre à terre, on a là une cavalcade allumée de la pire espèce, et en prime, un solo dynamiteur de Lee Allen. Tout est là, oooh my soul ! L’autre coup de génie ouvre le bal de l’A : «Keep A Knockin’». C’est aussi l’un des cuts les plus incendiaires de l’histoire du rock, le modèle absolu de la pétaudière, et Lee Allen y crache des flammes comme un démon. On ne peut que parler de génie de l’humanité, quand on entend un truc pareil : Michel-Ange et Lee Allen, c’est pareil. Il y passe même deux solos pour le prix d’un. Souvent, on se dit qu’il vaut mieux réécouter des vieux chefs-d’œuvre enregistrés chez le pote Cosimo, plutôt que de perdre son temps à écouter tous ces disques inutiles qui embouteillent le périphérique. Il faut aussi écouter attentivement «I’ll Never Let You Go», car Richard y boo-hoo hoo hooute comme un beau diable. Avec Screamin’ Jay Hawkins, il est certainement le seul chanteur américain à pouvoir atteindre ce niveau de fantaisie vocale. Il ouvre la bal de sa B avec l’increvable «Good Golly Miss Molly» qu’il explose au chant carbonisé, oui, ça sent le brûlé, et même quand on l’a entendu des milliers fois, on vibre encore. Ce sera encore d’actualité dans cent ans. Quelle bande de frappadingues, so like a bow et ce fou de Lee Allen arrive comme un serpent. Richard termine cet album indémodable avec «Lucille», son hit de prédilection, sans doute celui qu’il interprète sur scène avec le plus de détermination, comme on l’a vu lors de son dernier concert à l’Olympia. Au plan vocal, c’est une performance exceptionnelle, il chante son hit à la hurlette excédentaire. C’est avec cet album que le petit Richard Penniman devint l’un des plus grands artistes d’Amérique.

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    Hélas, le soufflé retombe avec The Fabulous Little Richard, paru la même année. Richard cherche à y rallumer son brasier, mais ça ne marche pas. Il nous propose des cuts pépères qui désespèrent. Il sort même des balladifs ineptes du genre «The Most I Can Offer». Il est fort possible qu’on lui ait demandé de se calmer et de rester poli. C’est en tous les cas ce qu’inspire l’écoute de «Lonesome And Blue». Il est arrivé la même chose à Elvis, ne l’oublions pas. Richard tente tout de même un petit retour à la sauvagerie avec «She Knows How To Rock», mais d’une manière beaucoup trop bordélique. C’est même n’importe quoi. On sent un sursaut en B avec «Kansas City» qu’il mixe avec «Hey Hey Hey Hey». Puis on l’entend yodeller sur «Early One Morning», mais l’étincelle continue de briller par son absence. Cet album tragique est celui des balladifs chantés à l’éplorée. Dommage qu’on ait mis de l’eau dans le vin de Richard. On essaya de réécouter l’album à des époques différentes, histoire de lui redonner une chance, mais ce fut en vain.

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    On saute plusieurs années pour tomber sur Little Richard Is Back, un album intéressant, car Richard y propose de sacrées reprises, à commencer par celle de «Hound Dog», jouée au piano de bastringue dans une belle atmosphère de pétaudière. Il fait aussi une version très jazzy du vieux «Only You» des Platters. Il renoue enfin avec sa belle démesure en envoyant «Groovy Little Suzy» gicler au firmament. Et l’album devient littéralement fascinant en fin de B avec notamment «Memories Are Made Of This». Quand il prend ses distances avec la formule rock’n’roll, Richard devient passionnant. Cette reprise et celle d’«Only You» sont les deux bonnes surprises de l’album. Richard met toute sa verve au service d’une vison concassée, et ça donne des résultats superbes. Il termine avec une reprise de «Blueberry Hill» et il s’éloigne légèrement de Fatsy pour revenir à quelque chose de plus richardien. Il cherche à se tailler un passage à travers le génie mélodique du gros, mais il se fait avoir : le gros est bien plus fort que lui.

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    Si on est fan de gospel, il est recommandé d’écouter Little Richard Sings Freedom Songs, car Little Richard y chante à profusion. Il s’en va screamer son «Milky White Way» dans la voie lactée. Il faut l’entendre repousser les limites de la clameur. Avec «Coming Home», il pousse sa vieille harangue de prêcheur hystérique. Autre belle pièce : «I’ve Just Come From The Fountain». Il s’y montre joyeux et fier, toute la chorale se joint à lui. Quelle fête ! On l’entend aussi swinguer «Need Him» dans l’église en bois.

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    Puis il va entamer une sorte de traversée du désert avec des albums sortis sur des labels improbables comme ce The Wild And Frantic Little Richard paru en 1967. Curieusement, le son varie d’une version à l’autre. Il est beaucoup plus incendiaire sur At His Wildest. «Do The Jerk» est en fait le fameux «Get Down With It» popularisé par Slade. En fabuleux screamer des enfers, Richard relance indéfiniment - Hey clap your hands/ Stomp your feet - Il tape aussi dans «Good Golly Miss Molly», mais il vaut mieux écouter la version de l’époque Specialty. Il repend le «Baby What You Want Me To Do» de Jimmy Reed et louvoie comme une anguille dans l’épaisseur du limon. Il travaille bien le groove d’«I’m Back» au corps, oh mah mah mah, il est dans la force de l’âge et il emboutit le groove à coups de reins. Il faut aussi entendre cette belle version d’«Holy Mackarael» qu’il envoie directement dans l’enfer du paradis. Il illumine le monde, le temps d’un cut de black cat bone.

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    Tiens, puisqu’on est dans les albums live, il existe ce qu’on appelle un Live non officiel que proposait Crypt à une époque, le fameux Live In paris 1966, qui repompe la pochette du single «I Need Love». C’est dire si ces bootleggers sont gonflés. Il passe son «Lucille» en force. C’est vraiment sur scène qu’on mesure sa puissance de shouter. Il enchaîne des versions pour le moins dévastatrices de «Rip It Up» et de «Long Tall Sally». C’est un peu comme s’il avait ramené la pétaudière de la Nouvelle Orleans à l’Olympia. En B, il passe «Jenny Jenny» et «Ready Teddy» à la casserole. Tous les veinards qui étaient à l’Olympia ce soir-là furent bien servis.

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    L’album du grand retour porte bien son nom : The Explosive Little Richard. Richard y renoue avec le génie, à travers deux cuts fantastiques : «Land Of Thousand Dances» et «Function At The Junction». Dans le premier, on assiste à un fantastique déballage d’énergie vitale. Richard surpasse Wilson Pickett, il développe un train d’enfer. Il s’inscrit dans l’implacabilité des choses. Il redevient le wild and frantic Little Richard de nos rêves les plus humides. Même chose avec Function, qui se niche en B. On a là un cut signé Holland/Dozier/Holland et franchement, Richard en fait un truc à se rouler par terre. Extraordinaire shout bamalama de Penniman, the rill thing of rock’n’roll. Il salue tous les géants, Marvin Gaye, Guitar Slim, Mohair Sam. C’est à cette aune-ci que se mesure son génie. Il attaque le bal d’A avec «I Don’t Want To Discuss It», un énorme standard de r’n’b qu’il plie en quatre. Il chauffe son raw comme nul autre au monde - caus’ I knew what you gonna say - il y met tout le punch de la pêche. Richard reste l’inégalable wild man d’Amérique. Johnny Guitar Watson l’accompagne. Autre petite merveille, «I Need Love», wild hot r’n’b monté sur un beat énorme et Richard y atteint les cimes de son art.

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    Il débarque chez Reprise en 1970 et il entame une nouvelle tranche d’albums intéressants avec The Rill Thing. Comme tout le monde, il va enregistrer à Muscle Shoals. Tous les artistes américains qui voulaient relancer leur carrière allaient enregistrer chez les surdoués blancs de Muscle Shoals. Et ça s’entend dès «Greenwood Mississippi» qui sonne comme un fabuleux groove de Soul emmené à la petite pétarade. Le son foisonne, c’est fabuleusement orchestré. «Two-Time Loser» sonne très rock seventies et on réalise très vite que Richard pose sa voix sur du rock blanc, et ça ne marche pas vraiment. Le son ne mord pas le trait. C’est admirablement bien joué, mais sans surprise. En tous les cas, pour un artiste comme Little Richard, il faut quelque chose de plus excitant. Il force son guttural sur «Spreading Natta What’s The Matter», mais le punch de la Nouvelle Orleans lui fait cruellement défaut. Le morceau titre qui ouvre le bal de la B parait jammy en diable. Chacun pique sa petite crise. Alors Richard en prend son parti et sur «Lovesick Blues», il s’amuse à falsetter sur ce rock blanc joué très serré, mais un peu trop sec. Il tape même une reprise d’«I Saw Her Standing There» des Beatles, il parvient à la swinguer, alors que derrière, ça joue des tortillettes country. Quel curieux mélange !

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    Avec The King Of Rock And Roll, Richard devient le Cassius Clay du rock, l’imbattable, le provocateur de rêve. On le voit trôner sur la pochette. Attention, cet album est une pure merveille. Il revient à son registre incendiaire dès le morceau titre d’ouverture du bal, il rallume ses vieux brasiers et par la même occasion nos imaginaires. Il joue la carte de la dévastation et du non-retour. Le roi du scream est enfin ressuscité. Il explose «Brown Sugar» dès l’intro. Ne lui confiez jamais un cut auquel vous tenez. Il l’aplatit, l’insulte, le métabolise, il lui arrache les tripes, le transcende - Just like a young girl should - il en fait gicler tout le jus. Il fait une aussi une version latino-wild de «Dancing In The Street», il devient du coup le cover king, l’absolu dévastateur, le redresseur de bitume, l’aplatisseur de montagnes. Monstrueuse version ! Le festival se poursuit en B avec «Midnight Special». Richard y fait le train, ouuh ouuuh, il fait la loco à deux pattes, il redevient le champion du monde toutes catégories et il tape ensuite dans Smokey avec «The Way You Do The Things You Do», il nous emmène à l’apogée de la Soul, il roule ses ouuuh dans sa farine et sort le beat le plus popotin d’Amérique. On assiste en direct à la renaissance d’un dieu du rock’n’roll.

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    Retournez la pochette et vous verrez à quoi ça peut ressembler. On reste dans la solidité avec «Green Power» monté sur un heavy groove et voilà qu’il tape dans Hank avec «I’m So Lonesome I Could Cry». Il le prend au contre-chant, ce qui est la marque jaune du génie. Il finit cet album fantastique avec une autre reprise, «Born On The Bayou» qu’il prend au gospel de boogaloo. N’oublions pas que Richard prêche dans les églises - Hey Richard how come you do such shake things ? - Évidemment, ça tourne encore une fois en coup de Trafalgar ravageur. Richard n’a aucune pitié pour les pauvres Creedence. Il explose leur vieille chanson.

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    Encore une belle pochette pour The Second Coming : on y dessine Richard en dieu du rock et des larmes de cristal roulent sur la peau douce de ses joues. Mais l’album est moins dense que le précédent. Richard chauffe pourtant «Mockingbird Sally» à blanc. Chuck Rainey amène du bassmatic volubile et Lee Allen fait son grand retour. Richard passe au funk avec «Second Line», un bel hommage au Mardi Gras de la Nouvelle Orleans. Ouf, il revient enfin à ses racines - Do what you can/ Stay in the second line - Nous voici de retour au Mardi Gras, avec the Zulu Queen - Everybody everywhere/ Hey do the second line - Il faut attendre la B pour retrouver un peu de viande et il charge bien la barque de «Rockin’ Rockin’ Boogie» qu’il prend au guttural enflammé. Il enchaîne avec le heavy boogie de «Prophet Of Peace» et cède enfin à la violence avec «Sanctified Statisfied Toe-Tapper». On sent derrière lui les experts de la puissance, ils lancent la machine et ça joue avec une pugnacité qui remonte bien le moral.

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    Devait sortir en 1972 un album intitulé Southern Child, mais il ne vit le jour que bien plus tard, sur Rhino, et c’est aujourd’hui devenu une sorte de collector intouchable.

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    Mr Big paraît sur Joy en 1971. On y trouve une version énorme de «Dancin’ All Around The World», une surprise de taille, oui car voilà un cut orchestré à l’insidieuse. Richard finit toujours par attirer les serpents dans la maison de Dieu. Il nous sort là un cut d’une profondeur abyssale. On trouve deux classiques de r’n’b en A : «My Wheels Been Slipping All The Way» et «It Ain’t Watcha Do». Ça joue épais et Richard raunche ses cuts jusqu’à l’os. Son Watcha do sonne comme du pur jus de r’n’b, monté sur un gros beat popotin, on se croirait chez Stax. Et la fête continue avec «Everytime I Think About It», que Richard swingue au meilleur punch.

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    Back to the Penniman Soul System avec «Talking ‘Bout Soul». Il manie la pétaudière comme nobody else. Il détient ce pouvoir surnaturel lui permettant de s’élever dans l’atmosphère. Tiens, encore un joli hit de juke avec ce «Dance What You Wanna» bardé de chœurs de blackettes dévergondées. C’est excellent car swingué à l’outrance de la partance. Joli cut de pop aussi que ce «Cross Over» accrocheur - You know you better cross over/ back to where you belong.

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    Il faut aussi écouter ce Little Richard Live paru en 1976 et enregistré à Nashville, ne serait-ce que pour voir «Lucille» glisser sur une peau de banane et se casser la gueule dans une mare de kitsch. On y entend aussi une version de «Bama Lama Bama Loo» bien sauvage, mais on lui préfère celle qu’en fit Tom Jones, sur cet EP magique où il porte une chemise rouge. Richard fait aussi des version solide de «Rip It Up» et en B de «Tutti Frutti». La terre entière a twisté là-dessus. On se régalera aussi de la version de «The Girl Can’t Help It» montée sur un puissant drive de basse. C’est même certainement sa meilleure version. Il finit avec un vieux coup de pétaudière : l’imparable «Keep A Knockin’».

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    Paru en 1979, God’s Beautiful City est un album de gospel pur. L’incroyable de la chose, c’est que Richard peut jouer du gospel seul au piano, et ça marche. Il propose sur cet album des cuts très beaux, très spirituels comme «It’s No Secret». Il finit par fasciner le profane. Mais c’est en B, que les choses prennent une vraie tournure, avec le fabuleux «Little Richard’s Testimony». Il raconte sa vie de rock star - Goin’ from city to city/ From country to country - Il narre ses errances et il raconte qu’il revient un jour à God - You need to give up drugs/ You need to have Jesus in your life - Quel prêche fantastique ! Puis il passe en mode gospel blues d’acou au coin du feu et tout ça se termine en gospel batch de haut vol. Franchement cet album est chaudement recommandable, car son Testimony révèle un immense artiste.

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    Richard a 54 ans lorsqu’il enregistre Lifetime Friend. En lisant les titres des cuts au dos de la pochette, on croit tomber sur un nouvel album de gospel, mais c’est encore autre chose. Avec «Great Gosh A’Mighty», il propose du gospel rock. Il rend hommage au Seigneur des annales et derrière lui, les filles swinguent comme un seul homme. En fait, Richard nous sort là un énorme boogie dévastateur. Il va faire avec cet album un fantastique numéro de cirque. «Operator» prouve bien qu’il règne encore sur le monde, tout comme Chucky Chuckah et Fatsy. La viande se trouve en B, avec «I Found My Way». Il n’a rien perdu de sa super-puissance, il shoute le scream du gospel batch échappé des églises. Même chose avec «The World Can’t Do Me». Il reste l’immense chanteur de rock’n’roll que l’on sait, et comme le veut la loi, il s’adapte à son époque. Il sait aussi se montrer spirituel, c’est toute sa force. Richard est visité par la grâce, comme le montre «One Ray Of Sunshine». Il propose du gospel pop avec «Someone Cares». Il fait un peu la même chose que Candi Staton qui mit le gospel à toutes les sauces - Somebody really cares/ I know somebody really cares for me - Et il termine cet album surprenant avec «Big House Reunion», un cut puissant et bien emmené. C’est du pur jus de clap your hands, superbement énergétique, bardé de cuivres et de solos de trombone, jazzé à l’os, persuasif et pertinent. À force de complimenter Richard, on finira bien par le faire rougir.

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    Curieux album que ce Little Richard Meets Massayoshi Takanaka paru en 1992. Richard n’en finit plus de surprendre. Cette fois, il mise tout sur l’énergie et ça démarre avec une version dévastatrice de «Good Golly Miss Molly». Quelle remontée de sève ! Il passe au son jap fumace. En réalité, il revisite tous ses vieux hits, accompagné par Takanaka. Richard babalamate comme un échappé d’asile, c’est très spécial, on a un son sourd et massif et avec «Miss Ann», on passe à la heavyness suprême. Une grosse basse dévore tout. Il retape dans sa vieille «Lucille» en gourmand, mais quelle audace dans le développé et Takanaka épouse les courbes au coulé de chorus du soleil levant. Richard ramène toutes les foudres du ciel pour «Long Tall Sally» et la basse revient au charbon dans «Jenny Jenny». Mais c’est de l’abattage, ils le jouent trop bas du front. Le son couvre la braise et Takanaka en profite pour vriller la couenne du cut. Ce disk présente une santé de fer, mais certaines versions déroutent les cargos, comme par exemple ce «Rip It Up» amené au petit shake de coiffeur. Richard charbonne comme un mineur frappé d’immunité. Il tape ensuite dans l’un de ses plus grands classiques, «Kansas City Hey Hey Hey Hey». Richard règne de plus belle sur la terre comme au ciel, I’m gonna stand on the corner, il redevient le king of rock’n’roll, la pêche miracle, il ressort le cut qui kill et il repart, Kansas City here I come. On n’en finira jamais d’adorer ce mec. Il termine avec un pur coup de Jarnac, «Ready Teddy», wild as ever. Il restera le roi des rois jusqu’à la fin des temps.

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    Un petit conseil : mettez le grappin sur The Implosive Little Richard paru sur un label espagnol en 2009 et qui propose l’early Little Richard, tout ce qu’il enregistra entre 1951 et 1953, juste avant Specialty, c’est-à-dire juste avant l’émergence du rock’n’roll. On y entend des versions intéressantes de «Get Rich Quick», d’un «I Brought It All By Myself» sacrément bien swingué et de «Thinkin’ Bout My Mother», un slow-blues mélancolique en diable - Well I said to my mother/ All I do is to cry - En B, on tombe sur du blues avec «Ain’t That Good News». Richard épousait déjà les formes de sa muse. Puis voilà l’excellent «Fool At The Wheel», un jumpy absolument enthousiasmant. S’ensuit un slow blues parfait, «Maybe I’m Right». Au fil des cuts, on réalise que cet album dégage un charme fou. On assiste à la naissance d’un immense artiste. Et voilà qu’il tape dans l’excellent «I Love My Baby» de Fatsy - Bah bah bah bah baby/ Bah bah babe I’m gone - Fantastique numéro de cirque - So long babah - Et il termine avec un «Little Richard’s Boogie» swingué au xylo. Cet album se révèle plein de charme et de mystère, de kitsch et de génie. Richard swinguait déjà comme un démon en 1953 !

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    Si on veut faire court et se contenter d’une compile solide, celle qu’il faut alpaguer s’appelle The Little Richard Story, un double album qui propose non pas le son Specialty, mais le son Vee Jay : tous les hits qui ont rendu Richard légendaire sont là, à commencer par un «Rip It Up» de l’âge d’or, «Lawdy Miss Clawdy» (emprunté à Lloyd Price, Richard y ramène tout le big banditisme de Kansas City), «Whole Lotta Shakin’ Goin’ On» (si on cherche de l’incendiaire, c’est là, très précisément, même si ça reste le pré carré de Jerry Lee), et puis on trouve un «Lucille» ultra-orchestré, un «Groovy Little Suzy» chauffé à blanc et ultra-remué par ce laboureur digne de Millet qu’est Richard, un «Ooh My Soul» beaucoup plus heavy que la version Specialty, plus rien à voir avec l’original, car c’est joué au tambourin et swingué aux cuivres de bastringue, un «The Girl Can’t Help It» bien heavy, graissé aux chœurs de mâles. On y sent la dépenaille de Chicago qui n’a plus rien à voir avec la pétaudière de la Nouvelle Orleans. Sur le deuxième disque se trouvent «Slippin’ And Slidin’» (joué hot mais pas autant qu’à l’origine des temps), «Tutti Frutti» (sans Lee Allen, ça perd tout son sens), «Keep A Knockin’» (beaucoup moins explosif que la version Specialty), «Money Honey» (solid rocker à la Penniman, bien emmené au combat), un «Good Golly» beaucoup trop orchestré, même si Richard le chauffe au guttural maximaliste. Il est vraiment capable d’aplatir les montagnes. Cette compile serait vraiment la compile idéale si «Hey Hey Hey Hey» ne brillait pas par son absence. L’eusse-tu cru, Lustucru ?

    Signé : Cazengler, Little Ricard

    Little Richard. Disparu le 9 mai 2020

    Little Richard. Here’s Little Richard. Specialty 1957

    Little Richard. Little Richard. Specialty 1958

    Little Richard. The Fabulous Little Richard. Specialty 1958

    Little Richard. Little Richard Is Back. Vee Jay Records 1964

    Little Richard. Sings Freedom Songs. Crown Records 1964

    Little Richard. The Wild And Frantic Little Richard. Modern 1967

    Little Richard. The Explosive Little Richard. Okeh 1967

    Little Richard. The Rill Thing. Reprise 1970

    Little Richard. Mr Big. Joy 1971

    Little Richard. The King Of Rock And Roll. Reprise 1971

    Little Richard. The Second Coming. Reprise 1972

    Little Richard. Talkin’ Bout Soul. The Little Richard Story. Dynasty 1973

    Little Richard. Little Richard Live. K-Tel 1976

    Little Richard. God’s Beautiful City. Word 1979

    Little Richard. Lifetime Friend. WEA Records 1986

    Little Richard. Meets Massayoshi Takanaka. Eastworld 1992

    Little Richard. The Implosive Little Richard. Jerome Records 2009

    Little Richard. Paris 1966. Odio

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    Little Richard. At His Wildest. Les Disques Motors 1974 (= The Wild And Frantic Little Richard)

    Little Richard. The Little Richard Story. Ariola Eurodisc 1973

     

    Rolling Stein

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    S’il en est un qui souffre d’une mauvaise réputation, c’est bien Seymour Stein. À part sa réputation et les Ramones, les conversations n’ont généralement rien d’autre à se mettre sous la dent. Seymour est un mot qui meurt dans le désert.

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    Stein a écrit un livre pour voler au secours de Seymour et remédier à ce fâcheux malentendu. Il y raconte l’histoire de sa vie. L’autobio s’appelle Siren Song/ My Life In Music. Il aurait très bien pu l’intituler Rolling Stein, car il a roulé sa bosse. Et pas dans le désert. Ni comme Sisyphe sur la pente d’une montagne. Enfin, ne soyons pas trop catégorique : dans cet Ulysse qui passe sa vie à céder au chant des sirènes, il y a aussi du Sisyphe, car Rolling Stein va passer sa vie à courir après les talents - talent hunting, comme il le dit lui-même - Il ne voit pas le côté absurde de sa vie, puisque c’est son moteur. Qui irait critiquer son moteur ? Critique-t-on l’absurdité d’une passion ? Bien sûr que non. Puisque c’est elle qui nous fait vivre.

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    Comme son nom l’indique, Stein est un juif new-yorkais, l’un de ceux qui ont contribué à la naissance et au développement mondial de cette industrie du divertissement qu’on appelle aujourd’hui le rock. Les gens que Stein fréquente à ses débuts sont essentiellement des juifs new-yorkais comptant parmi les principaux acteurs du showbiz des early sixties : Syd Nathan, George Goldner, Richard Gottehrer, Jerry Wexler et Morris Levy, autant dire la crème de la crème du gratin dauphinois. Et là ça devient foutrement intéressant, pour reprendre un adverbe cher à Sade. Sans Syd Nathan (qui c’est vrai n’est pas new-yorkais), pas de James Brown, pas de Hank Ballard ni de Freddie King. Pas de Little Willie John ni de Bill Doggett. Pas de King Records. L’ado Stein a la chance de démarrer sa vie de talent hunter comme stagiaire chez King, un label indépendant basé à Cincinnati, dans l’Ohio. Il a 15 ans quand son père l’amène à Cincinnati.

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    Fasciné par Syd Nathan, Stein commence par nous décrire sa paire de lunettes : des verres en cul de bouteille tenus par des montures renforcées à cause du poids - so heavy and bulbous - pas besoin de faire un dessin - des verres si épais que ses yeux semblaient zoomer devant comme derrière dans des tailles différentes. Mais ce n’est pas tout : «Quand Syd Nathan parlait, ce qu’il aimait bien faire, il fallait regarder sa bouche. Comme il était asthmatique, il émettait une sorte de sifflement continu, le boniment le plus fabuleux qu’il m’ait été donné d’entendre. Il devait forcer sa voix jusqu’à son registre le plus haut pour pouvoir parler.» Mais tout ceci n’est que roupie de sansonnet en comparaison de ce qui suit : «Il avait vendu des millions de disques en des temps difficiles à des gens qui étaient principalement des paysans et des noirs. Le crazy genius de ce record man me coupait la chique.» Et pour couper la chique à Stein, il faut se lever de bonne heure.

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    Cincinnati ? C’est un choix stratégique. Syd Nathan n’est qu’à quelques heures de route de Nashville, Detroit et Chicago. Car bien sûr il conduit. Il y voit que dalle, mais il bombarde. En 1947, il décide créer un marché et c’est ce qu’il va faire. «Autour de l’usine, il a ajouté des bureaux, des entrepôts et un studio d’enregistrement. Tout était fait sur place : l’enregistrement, le mastering, le design des pochettes, l’impression des pochettes, le pressage des disques. Des camions livraient les produits chimiques et le papier et repartaient chargés de caisses de disques. Puis il a recruté des gens pour monter un réseau de distribution, ville par ville.» Vous trouverez tout le détail de cette vision entrepreneuriale dans l’excellente hagiographie de Jon Hartley Fox, King Of The Queen City - The Story of King Records et dont on a déjà épluché le détail sur KRTNT (décembre 2013, au moment de la disparition de Mac Curtis qui, comme Charlie Feathers, enregistra quelques cuts sur King - seize titres, pour être précis, entre 1956 et 1957).

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    Le génie de Syd Nathan fut aussi de veiller à soigner la fonction d’A&R - Artist & Repertoire - le fameux job de talent hunter dont Stein va faire sa vocation. Chez King, les A&R men s’appellent Ralph Bass (découvreur de James Brown), Sonny Thompson et Henry Stone qui ira par la suite monter TK Records à Miami. Lorsqu’à la fin de sa vie d’A&R, Stein découvre, er..., Madonna, il déclare : «Que vous soyez Edith Piaf, Elvis, Frank Sinatra, Michael Jackson ou Madonna, c’est toujours la même chose. Virez l’emballage et tout le bullshit et observez à la loupe. Il n’y a que deux choses qui comptent : artists and repertoire. Right people, right songs.»

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    Syd Nathan avait su créer une communauté de talented music fanatics. Stein : «King était de loin le plus gros label indépendant des États-Unis, avec quatre cents personnes salariées, et plusieurs centaines de sous-traitants. King couvrait tous les genres : country-music, bluegrass, hot jazz, western swing, Delta blues, bebop, boogie, jive, polka, spirituals, chansons pour enfants et même du mambo et de la calypso qui avaient été repérés à Trinitad et à Cuba. Mais pas trop de pop.» Syd Nathan passait une bonne partie de sa vie au téléphone à régler des problèmes et à motiver ses troupes, usant et abusant de son bullshit-intolerent humor. «Là où il semblait être le plus heureux, c’était en studio. Il adorait prendre les baguettes pour montrer sa vision d’un rythme. Il pouvait composer des paroles de chanson, car il avait de l’imagination et un don pour trouver des slogans, du genre ‘Signé, scellé et livré’ qu’il avait conçu pour un single de Cowboy Copas.»

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    Et quand Stein aborde l’aspect économique des choses, ça devient extrêmement passionnant : «Nathan faisait tout sur place pour limiter les coûts, sachant qu’il allait perdre de l’argent avec la plupart de ses disques. S’il ne versait pas de grosses avances, c’est parce qu’il prenait chaque fois un risque, et c’était pour sa pomme.» Tout Stein est là : dans cet équilibre permanent entre la passion pour la chasse aux talents et le risque financier. Dans son livre sur les Undertones, Michael Bradley perçoit Stein comme un arnaqueur. Il ne voit qu’un seul aspect des choses. Stein prend l’exemple de James Brown pour illustrer l’extraordinaire complexité du métier de boss : «Syd prit James Brown sous son aile, le fit tourner et fit travailler des compositeurs pour lui. Syd fit tout pour lancer la carrière de James Brown qui n’était rien d’autre qu’un petit black sans éducation issu de la campagne, mais qui sut apprendre à gérer correctement son business. Quelques années plus tard, il voyageait à bord de son propre jet et se produisait dans des réceptions de dictateurs pour d’énormes cachets. Et quand James Brown devint son propre king, croyez moi, il n’était pas tendre avec ses musiciens, ses compositeurs et ses employés. C’est un job très dur, il faut bien que quelqu’un fasse le sale boulot.» Et pour parfaire l’éducation de Stein, Syd Nathan l’envoie dix jours en tournée avec James Brown - C’est là que j’ai compris ce que voulait dire ‘bâtir une world-class legend’.

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    Le sale boulot. La formule situe bien Stein. Avant d’en arriver là en devenant le boss de Sire et signer les Ramones, les Talking Heads, Madonna, Lou Reed, les Pretenders et des tas d’autres, il a encore du chemin à faire. Quand Syd Nathan le lâche dans la nature, Stein rentre à New York et réussit à trouver un job d’assistant. Il bosse pour George Goldner, l’associé de Jerry Leiber et Mike Stoller. Goldner dirige leur label Red Bird et son bureau se trouve au huitième étage de Brill Building. En 1964, Red Bird décroche un hit avec le «Chapel Of Love» des Dixie Cups, puis avec le «Leader Of The Pack» des Shangri-Las. Red Brid devient a hit factory. Stein a de la veine. Goldner a du flair. En plus, c’est un séducteur. Aucune femme ne lui résiste. Mais il a un talon d’Achille : les courses de chevaux. Il joue il perd. Goldner doit du blé. Beaucoup de blé. Un jour deux gorilles chopent Stein dans la rue, alors qu’il allait entrer au 1650 Broadway :

    — Morris Levy veut te parler.

    — Vous devez vous tromper de personne ! Je m’appelle Seymour Stein !

    — Yeah, c’est toi qu’il veut voir. C’mon !

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    Et hop direction Roulette Records. Stein fait la connaissance de Morris Levy et le trouve à la hauteur de sa réputation - He had a Mussolini jaw and piercing eyes - Stein précise qu’officiellement Levy dirigeait des labels et Strawberries, une chaîne de magasins de disques, mais son vrai business était de prêter de l’argent. Levy pousse son téléphone vers Stein et lui dit :

    — Tu vas appeler George et lui dire que tu es avec moi et qu’il doit venir immédiatement.

    Dans le bureau de Levy, il y a un certain Dominic, un gorille plus vrai que nature qui sort tout droit d’un film de Scorsese. Évidemment, Goldner rapplique aussitôt.

    En voyant la tournure que prenaient les choses, Leiber et Stoller revendirent leurs parts de Red Bird à Goldner pour un franc symbolique et Goldner refila tous les contrats Red Bird à Levy qui du coup annula les dettes - Au total, Morris Levy engloutit les sept labels juteux que Goldner avait développés : Tico, Rama, Gee, Roulette, Gone, End et Red Bird, 15 ans de hit records, de contrats d’artistes et de droits d’auteurs (...) Des centaines de milliers de dollars passèrent de la poche de Goldner à celle de Morris Levy - Et Stein conclut ainsi : «À l’âge de 49 ans, George était un homme brisé.»

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    Stein rencontre Richard Gottehrer au Brill et ils décident de monter Sire. Ils mixent les deux premières lettres de leurs prénoms respectifs pour faire Sire. Comme dit si bien Stein, c’est une British-variation de King. Ils réalisent leur premier gros coup avec l’«Hocus Pocus» de Focus. On l’a oublié, mais ce fut un hit à l’époque. Quand Gottehrer prend ses distances, Stein décide de continuer seul. Il passe le plus clair de son temps en Angleterre à chasser les talents. Il repère les Deviants à Londres. Ptooff est le premier album Sire. Il s’intéresse à Fleetwood Mac et bosse avec Mike Vernon. Il repère Jethro Tull qui lui échappe, puis signe le Climax Blues Band. Il découvre au passage que tous les British managers tirant les ficelles de la British Invasion sont gay : Brian Epstein, Kit Lambert, Simon Napier-Bell, Robert Stigwood, tous sauf Andrew Loog Oldham - Known as being very flamboyant even if he wasn’t gay - Stein aborde bien sûr la question, il ne cache rien de sa pente naturelle pour les garçons, mais il revient longuement sur son mariage avec Linda, suite à un coup de foudre. Ils ont deux filles ensemble, Mandy et Samantha. Après la fin du mariage, il retournera à sa pente naturelle.

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    Bon, Londres c’est bien gentil, mais en 1976, c’est à New York que se passent les choses. Stein va faire ses courses au CBGB : Ramones, Dead Boys, Talking Heads et Richard Hell. Il est surtout bluffé par les Ramones. Linda Stein se jette avec son époux dans un tourbillon de rock et de coke. Elle adore faire la fête et prendre des paumés sous son aile - généralement des homos, car elle était très jalouse des belles femmes. Son favori était Danny Fields, un rocher gay qu’on voyait toujours venir fouiner dans les parages. Je le connaissais en tant que journaliste ou attaché de presse pour des labels, mais avant toute chose, il était Danny Fields - Linda et Danny vont d’ailleurs co-manager les Ramones, la nouvelle signature de Stein sur Sire - Danny était l’Oscar Wilde de l’underground new-yorkais. Il aurait dû figurer dans le Walk On The Wild Side de Lou Reed. Durant les sixties, il traînait à la Factory d’Andy Warhol - Effectivement, on trouve difficilement plus légendaire que Danny Fields. Stein ajoute les nom d’Elektra, des Doors, du MC5 et des Stooges à son palmarès.

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    L’un des points forts de ce livre, ce sont les pages fantastiques que Stein consacre aux Ramones. Il voit Tommy Ramone comme le cerveau du gang : «Le cœur battant des Ramones était un métronome lumineux que Tommy plaçait au dessus de son kit pour tenir le beat, car il n’était pas batteur. Avec les thumping bass lines de Dee Dee, la pulsation lumineuse du métronome créait une sorte de climat hypnotique. C’était subliminal mais ça jouait un rôle considérable dans la modernité des Ramones. L’autre truc qu’ils ont utilisé sur leur premier album est la technique panoramique des Beatles, guitare d’un côté, basse de l’autre et chant au centre, une sorte de restitution sonique du groupe sur scène. Ça devenait du vrai pop art. Tommy gérait ça directement avec Craig Leon qui venait de la musique contemporaine et qui comprenait parfaitement ce que voulait Tommy. Ces 39 minutes d’electrifying rock’n’roll ne m’ont coûté que 6 000 $. On n’avait encore jamais entendu ça avant. Le plus difficile restait à trouver un public. Et vous pouvez me croire, début 76, longtemps avant que n’apparaisse le mot punk, les radios ne voulaient pas toucher aux Ramones, même avec un balai à chiottes.»

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    Comment va faire Stein pour vendre les Ramones ? C’est à Londres qu’il va trouver un retour sur investissement. Il y envoie les Ramones jouer avec les Groovies : «J’y étais et tous les autres punk wannabes du royaume aussi : Johnny Rotten, the Clash, the Damned, the Stranglers, Billy Idol, Pete Shelley, Keith Levene. Toute cette génération de futures punk stars furent hypnotisées par ce high-energy art rock from New York. Talk about a bolt of lightning hitting the primordial soup (je parle ici du big bang et de l’apparition de la vie sur terre). Les Anglais ne se sont toujours pas remis de ce week-end.» Et il a raison d’insister là-dessus, le concept des Ramones est d’une telle modernité qu’il dépasse tout ce qu’on a pu en dire ici et là, en bien et en mal, depuis quarante ans. Plus loin dans l’ouvrage, Stein revient à la charge : «L’alchimie d’un groupe est un phénomène étrange. Danny Fields dit exactement la même chose. Pour lui comme pour tous ceux qui ont approché les Ramones, le line-up original était le plus explosif. Quand Tommy a quitté le groupe en 1978, les Ramones n’étaient plus aussi excitants, même si Marky Ramone était techniquement un bien meilleur batteur. Tommy apportait quelque chose de très spécial, l’électricité du groupe reposait en grande partie sur son unorthodox whacking.»

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    Stein continue de chasser en Angleterre. Il entend «Teenage Kicks» sur l’auto-radio et il envoie aussi sec son assistant Paul McNally en repérage en Irlande du Nord pour voir jouer les Undertones. Signés. Puis il repère les Rezillos. Signés. Puis les Pretenders - Sure enough, when the Pretenders stepped up, I was completely knocked off my feet, ce qui veut dire qu’il est tombé de sa chaise au moment où les Pretenders sont arrivés sur scène - Qui ne serait pas tombé de sa chaise, hein ? Signés. Puis il signe the Cult - De tous les groupes anglais signés sur Sire, le plus américain est the Cult. Leur chanteur Ian Astbury n’a pas que des stars dans les yeux, il a aussi les stripes - Avec Sonic Temple vendu à un million d’exemplaires aux États-Unis, the Cult et Depeche Mode devinrent Sire’s biggest indie bands, nous dit Stein - mostly down to big touring, big investment and playing by local rules, much like U2 did in the same time (grâce à des tournées intensives, d’énormes investissements et le respect total des règles locales, comme ce fut le cas pour U2 à la même époque). Ah, le respect des règles locales ! Pour Stein, c’est un point capital de l’aspect business. Il cite l’exemple de Phil Oakley, le chanteur de Human League, qui n’acceptait pas de se plier aux règles qu’impose le showbiz américain : «Il ne supportait pas d’avoir à sourire, à danser et faire tout ce qu’impose le circuit de promo en Amérique. Il avait l’impression de se prostituer. C’est ce qu’on apprécie, chez les Anglais, leur sincérité, leur intégrité artistique, mais my God, quand vous investissez des milliers de dollars pour que des chansons entrent au top 40 dans l’espoir que les gens achètent les disques, vous n’avez qu’une seule envie : leur coller une tarte dans la gueule.» Le sale boulot. Stein n’en sort pas forcément grandi.

    Par contre, pas un mot sur les Flamin’ Groovies. Les fans des Groovies peuvent se passer de cette emplette et continuer d’investir dans Ugly Things.

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    L’un des grands espoirs de Stein est Andy Paley. Mais ça ne marche pas, en dépit de moyens considérables : «L’une de mes plus grosses déceptions fut de ne pas voir percer les Paley Brothers pour lesquels j’avais engagé Phil Spector.» Quand il rencontre Andy Paley pour causer production, Andy propose le nom de Jimmy Iovine, un protégé d’Ellie Greenwich qui avait travaillé avec Phil Spector sur l’album Rock’n’Roll de John Lennon. Et voilà. C’est à peu près tout ce que Stein dit d’Andy.

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    Il a aussi des principes : il ne signe pas les stars reconnues (established stars), mais il fait une exception pour Lou Reed. D’autant plus que Lou Reed est demandeur, dit-il. Stein le connaît, grâce à Danny Fields. Stein commence par évacuer la mauvaise réputation de Lou - Comme dans le cas de Bob Dylan, la mauvaise réputation de Lou était due aux questions de journalistes débiles qui finissaient par le rendre fou. Lou était un mec très calme qui aimait bien observer. Comme le montrent les paroles de ses chansons, il n’aime rien tant que la simplicité et le franc parler. On adorait tous les deux la old-school Brill Building pop. Avec les vieux hits pop des fifties, Lou était vraiment dans son élément - Stein sait aussi que Lou est allergique au showbiz, ce qu’il appelle the corporate bullshit. Il ne voulait pas avoir à les rencontrer - Il insistait pour traiter avec moi en direct, ce qui me flattait, mais sa présence me rendait nerveux. Quand on avait rendez-vous dans l’après-midi, j’étais un peu tendu dans la matinée - Lou enregistre l’album New York sur Sire, puis Songs For Drella, en hommage à Andy Warhol tout juste disparu, puis Magic And Loss - Ses fans les plus loyaux sont unanimes : the New York trilogy est le sommet de sa carrière solo.

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    Autre exception à la règle de Stein : Brian Wilson. Il se retrouve avec lui dans les coulisses du Hall Of Fame en 1987 et pour tromper l’attente, Stein lui parle de l’un de ses artistes, Andy Paley dont le rêve est de collaborer avec son héros Brian Wilson, lequel héros saute de joie comme un gosse et s’exclame :

    — Appelez-le tout se suite ! Je veux parler à Andy. Oui, faisons cela tout de suite !

    Ils trouvent une cabine de téléphone au Waldorf Astoria et pendant une heure Brian Wilson parle avec Andy - J’étais là à côté, comme un voyeur, attendant de pouvoir récupérer ma credit card qu’utilisait Brian Wilson pour téléphoner - Le coup de fil déboucha sur le retour de Brian Wilson en tant qu’artiste solo avec un budget de 200 000 $, budget extravagant pour l’époque, mais comme le précise Stein, Brian Wilson voulait les meilleurs musiciens et il aimait bien prendre son temps en studio. Au point que le budget allait enfler pour atteindre les 500 000 $. Simplement titré Brian Wilson, l’album fut pour beaucoup une déception, mais il permit à Brian Wilson de hisser les voiles.

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    Après Stein, le personnage principal de ce récit n’est autre que Mo Ostin, qui devint le boss de Stein après que Warner Bros. Records ait racheté Sire. Leur première rencontre a lieu dans un restau indien de New York, en 1977. Stein voit Mo comme l’incarnation du soft power. Il connaît toute son histoire par cœur. Encore un mec parti de rien et qui monte un label pour Sinatra, Reprise Records. Une fois que Sinatra est passé de mode, Ostin signe Jimi Hendrix, puis avec l’aide d’un ancien A&R d’Andrew Loog Oldham, il signe Jethro Tull, Van Morrison et Joni Mitchell.

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    Puis un génie financier nommé Steve Ross rachète tous les labels indépendants, Warner Bros., Elektra et Atlantic pour former WEA. Voilà que s’ouvre l’ère de ce que Stein appelle the entertainment superpower, une sorte de Moloch des temps modernes. Stein voit Ross comme un génie : «Ross avait vu le potentiel du record business d’après-guerre et l’avait développé de façon mathématique. Les artistes allaient et venaient aussi fallait-il miser sur des gens comme Ahmet Ertegun, David Geffen et Mo.» Ross comprend que les labels en vogue sont d’énormes machines à fric, nous dit Stein, comparés aux clubs, aux chaînes de télé, aux studio de cinéma et aux magazines qui demandent plus de temps pour générer du profit.

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    Ross met Mo aux commandes. Mo règne depuis Burbank sur une armée d’employés hip et intelligents, nous dit Stein, et développe la fameuse scène californienne des singers-songwriters, the whole Laurel Canyon scene - Adios the old school of jukebox jobbers and Brill Building cheescake, tout le monde disait ‘hey man’ et Mo développait ses creative services en direction de cibles précises : underground magazines & college radio - À la différence d’Ahmet Ertegun qui sortait pour prendre son pied, Mo Ostin était, nous dit Stein, toujours prêt à lécher le cul des corporate et ne pensait qu’à apprendre les combines de Wall Street pour transformer le rock’n’roll en big business. Mais derrière son masque de mec sympa, Mo Ostin était un dictateur, un businessman dans toute son horreur. Comme tous les autres labels indépendants, Sire finit par être englouti par Moloch Warner et Stein devient l’un des employés du conglomérat. Il doit continuer de chasser les talents et se voit obligé de demander de l’argent à Mo et à ses associés pour financer ses nouveaux contrats.

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    Stein repère, er... Madonna mais elle n’intéresse pas Mo. Elle sort quand même un premier single qui se vend à six millions d’exemplaires et c’est là qu’entre en scène cet extraordinaire personnage qu’est Allen Grubman, une sorte d’Allen Klein à la puissance dix. Grubman est l’avocat de Madonna. Comme Moloch tente de plumer sa cliente et Nile Rogers, le compositeur du hit, Grubman déboule en réunion pour remettre les choses au carré. Dans l’une des plus belles pages de ce book, Stein se transforme en Léon Bloy pour nous décrire la scène : «Dieu merci, j’avais ordre de me taire pendant la réunion. Quand Allen Grubman est entré dans la salle de réunion, on aurait dit un catcheur montant sur le ring. C’était un gros juif de Brooklyn. Chaque fois qu’il ouvrait la bouche, il lâchait un torrent d’immondices et d’insultes personnelles. Il allait par la suite s’affiner pour devenir l’avocat de toute une ribambelle de superstars, Bruce Stringsteen, Elton John, U2, Sting et Lionel Richie. Mais là, il était encore brut de décoffrage. En seulement trente minutes, le discours de Grubman devint tellement abject que Larry Waronker, pris de nausée, se leva brusquement de sa chaise pour quitter la réunion. On ne l’a jamais revu. Il ne restait plus que Mo et David Berman face à Grubman qui les bombardait de coups et d’insultes, et pour lui c’était du tout cuit, car Mo et Berman n’avaient absolument rien pour se défendre, ni légalement, ni moralement, ni stratégiquement. Mo testait en vain sa vieille tactique de nice guy sur Grubman : ‘Allen, nous sommes là pour construire une bonne relation de travail’ et Grubman vociférait de plus belle : ‘Bullshit ! Vous avez cru pouvoir enculer Nile Rogers ! Si le single s’était vendu à moins de deux millions et qu’il était revenu pleurnicher comme vous le faites maintenant, vous lui auriez dit d’aller baiser sa mère. Les artistes ont fait leur boulot. Vous, vous avez merdé. Et maintenant vous voulez baiser Madonna ! Hein, c’est ça, vous voulez baiser Madonna !’ Grubman était un avocat astucieux qui pouvait avoir recours à des pirouettes si les circonstances l’exigeaient, mais la méthode qu’il utilisait alors n’était pas légale. Elle était animale. On lui tendait des branches d’olivier et il les arrosait à coups de lance-flamme. Il farcissait ses phrases de fuck autant qu’il pouvait. Il utilisait le marteau-pilon face à des joueurs de tennis californiens. Chaque fois qu’il ouvrait la bouche, il leur emboutissait le crâne. Il balayait les bonnes manières en ouvrant les vannes d’un véritable pipe-line de raw shit. Il y en avait plein la salle. Quand Mo ne put plus en supporter davantage, Grubman se leva et quitta le champ de bataille. On connaissait le score.»

    Stein ne s’attend pas à voir Mo arriver à la fête que Linda organise pour son soixantième anniversaire :

    — Mo, je ne pensais pas vous voir ici...

    — Vous m’avez fait gagner énormément d’argent, répondit-il en souriant. Il savait que ces mots allaient me blesser et pourtant c’était un compliment. Typical Mo.

    Pendant des décennies, Mo Ostin va pomper Stein et Sire jusqu’à l’os et récupérer tout ce qui rapporte du blé, notamment le publishing de Sire, business oblige. Mais comme le disait si bien Stein au commencement de sa carrière, il faut bien que quelqu’un fasse le sale boulot.

    En fin de livre, Stein explique qu’il doit sa longévité à sa bougeotte. S’il était resté à New York, il n’aurait pas découvert tous les talents qu’il a découverts. Il termine sur une note d’espoir : «Soyez rassurés, il y a encore de la bonne musique et il y en aura toujours. Le seul moyen d’avancer dans la vie est de toujours garder le moral. Et de faire du mieux qu’on peut. Faites-le tant que vous le pouvez.»

    Signé : Cazengler, 'steint la lumière !

    Seymour Stein. Siren Song. My Life In Music. St. Martin’s Press 2018

     

    WEST, BRUCE & LAING ( I )

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    LIVE ' N' KICKIN'

    Mountain est en tournée en Angleterre lorsque le groupe se débande. Pappalardi tient à reprendre son métier de producteur aux States, version officielle, Steve Knight le suit. Il sort de notre histoire. C'était Pappalardi qui l'avait recruté pour l'enregistrement du premier Mountain ayant eu l'occasion de produire l'album Hard Rock From The Middle East du groupe The Devil's Anvil dans lequel Knight jouait. Si vous ne possédez pas cette œuvre dans votre discothèque il est inutile de vous taillader les veines, voire de vous trancher la gorge, ce n'est pas vraiment fabuleux, s'intéressent aux sonorités arabes – nous sommes en 1967, bien avant que Led Zeppelin ne se lance dans Kashmir – mais ils sont à mille pieds en dessous du Moroccan Roll des Variations...

    west,bruce & laing

    Il semble que Steve Knight se soit complu à essayer tout genre de musique émergeant, s'est intéressé un peu à tout en diverses formations, de l'acid-rock au folk, dans une optique ''musique du monde'' vingt ans avant la création du genre... Steve présente un peu le même profil que Norman Landsberg, un musicien qui butine de-ci de là, plus intéressé par la musique au sens large du terme que par le rock'n'roll pur et dur. Fait partie de ces individus qui adoptent une position oblique par rapport à leur engagement. Gardent une espèce de distanciation protectrice vis-à-vis de leurs diverses entreprises. Attitude un peu intello-white-jazz qui n'est pas sans créer de hiatus lorsque l'on entre dans une aventure collective. Il a dû vivre sa participation à Mountain en témoin privilégié, et considéré sa place au sein du groupe en tant que poste d'observation analytique idéal. Il n'est pas donné à tout le monde d'être à l'endroit exact où l'Histoire se déploie. Sans doute est-il parti sans regret, il en avait assez vu, ce voyage au pays du rock'n'roll ne lui a certainement pas déplu, mais il a jugé qu'il était temps d'exercer son ironie critique en un autre lieu.

    Deux qui partent, deux qui restent, qui reçoivent un renfort de choc, Jack Bruce, le bassiste de Cream. Le cadeau d'adieu de Pappalardi. J'invite le kr'tnt-reader à relire l'article hommagial que le Cat Zengler lui a consacré ( Livraison 221 du 05 /02 / 2015 ). Un beau moyen de se faire une idée de l'énergumène. Les pessimistes seront affirmatifs, Bruce avec Laing et West, autant introduire le carcocapse dans une demi-pomme pourrie. Vision défendable, mais c'est oublier que ce fruit était présent au paradis et que ce sont les pulpes en décomposition avancée qui sécrètent le plus d'alcool au fond des alambics. Nos trois compères ne savent pas vraiment ce qu'ils veulent – en théorie un truc more lourd and loud que Cream - mais ils en veulent. Filent vers droit vers l'Amérique pour une tournée question de se dérouiller les doigts qui étaient d'ailleurs des plus agiles. Très vite Winfall ( en fait Columbia ) propose un contrat d'enregistrement. Si vous supputez des œufs d'or, il faut déjà s'assurer de la poule.

    WHY DONTCHA

    ( Novembre 1972 )

    Le disque n'est peut-être pas attendu comme le messie, mais au tournant sûrement. Pour trop de gens, personne ne peut faire mieux que God, et beaucoup ne sont pas prêts à changer de crèmerie. L'être humain est ainsi constitué qu'il s'accroche à son rêve qui très souvent n'est que de la réalité phantasmée. Les amateurs qui ne se fient qu'à leur feeling savent que cet opus est de l'or le plus lourd.

    Cream et Mountain ont réalisé quelques belles pochettes, notre trio a retenu la leçon, celle de ce premier disque attire l'œil, un montage de photographies de Rolland Sherman, sur un arrière-fond bleu parsemé de traînées roses. Ont abandonné la montagne pour la mer, sont dressés dans l'élément liquide, telles des statues de dieux émergeant des profondeurs abyssales. Au-dessus d'eux un ciel crépusculaire. Rien qui ne défie l'imagination, toutefois ce bleu de safre correspond exactement à ce blues de soufre électrique qui irradie le son du groupe. Regarder la pochette c'est déjà entendre la musique. Rares sont les albums qui expriment une telle osmose synesthésique entre l'objet et son contenu.

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    Why dontcha : c'est très simple, une basse, une guitare, une batterie, une voix – celle de West qui ravage le garage - rien de plus, le minimum vital, le kit de survie, la paire de sandalettes de rechange que vous emportez pour traverser l'antarctique à pieds, une fois que vous avez l'essentiel, rien ne saurait vous résister, un seul mot d'ordre chacun au maximum, et les riffs mastodontes seront bien gardés, un premier morceau genre bulldozer lâché sur votre maison, ne font pas dans la dentelle, un petit côté chasse au renard et c'est vous qui êtes le goupil. Vous n'y survivrez pas, ce n'est pas de la chasse à courre, plutôt la chevauchée fantastique. Out into the fields : ne cédez pas à vos mauvais instincts, il n'y a pas que la violence dans la vie, recueillez-vous, tendres sœurettes et très chers amis, frère Jack est à l'harmonium, vous avez aussi affaire à des êtres emplis de douceur, c'est sûr qu'ils ont l'art d'asséner une ballade comme s'ils vous défonçaient la tête à coups de triques, des envolées lyriques aussi grandioses qu'une symphonie titanesques de Malher, Bruce vous prend sa voix de castrat pour appuyer des chœurs féminins et transpercer les refrains. Vous êtes bien à la messe, noire. L'enfer est pavé de bonnes intentions, cette berceuse ressemble à un requiem. A un requin. Narvalien. The doctor : l'est sûr qu'après le morceau précédent une visite au docteur s'impose pour se remettre les idées en place. Vous avez choisi le bon praticien, un adepte des thérapies de choc, vous découpe les quatre membres et termine par une séance d'électro-chocs. Plus une trépanation pour chasser vos crises angoisses. Rien à dire ils ont le blues lourd, Bruce s'attaque à votre dentition avec sa basse, Corky vous bastonne méchamment pour tester vos réflexes, et West vous additionne les triple-croches pour vous présenter la note finale astronomique. Miracle, vous ressortez de la séance en pleine forme. Se sont donnés à fond, vous ne pouvez que les remercier. Turn me over : Jack s'est saisi de son harmonica, et c'est parti pour un blues de derrière le fagot. Pourquoi prennent-ils le train-express et pourquoi vous ont-ils réservé une place sur le boogie avant. Fermez la bouche pour ne pas avaler les grovillons du ballast. Pas le temps de répondre à la cette question, ça va tellement vite que vous oubliez d'avoir peur. Griserie. Laing s'est adjugé le vocal, dégoise sec. Third degree : vous croyez qu'ils ont triché avec ce blues de fou précédent passé à la moulinette, ils vous en jouent un à la bonne vitesse, un vrai d'époque crédité à Willie Dixon et à Eddie Boyd, dépouillé, comme il se doit, la guitare de West qui pleure à la manière d'un enfant privé de dessert qui s'aperçoit que le monde est injuste, même que Bruce se met au piano pour rendre la cruauté du moment encore plus intense, jusque là les apparences faussement respectées sont trompeuses mais le Corky il en fait trop, abat un arbre à chaque coup qu'il porte, et Jack vous l'ébranche aussitôt avec sa tronçonneuse, c'était trop beau, West s'emballe et c'est la tuerie finale, celle dont vous désespérez d'être sorti vivant.

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    Shake ma thing ( Rollin' Jack ) : ne nous attardons pas sur la chose à remuer, contentons-nous de remarquer que ça leur file le pêchon. Le truc bien balancé sans problème avec ces simili voix de filles qui font les chœurs et tout de suite c'est la pétaudière, le riff qui tombe comme le couperet de la guillotine et la guitare de Leslie roule comme la tête du supplicié dans la sciure sans pouvoir s'empêcher de crier son agonie. While you sleep : vite changeons d'atmosphère, un balladif au dobro rien de tel pour reprendre ses esprits. Leslie quand il chante il vous ferait pleurer un réverbère avec sa guitare qui lève la patte pour pisser un coup d'acide. Pleasure : ce n'est pas du pur rockabilly mais ça s'y rapproche, un piano fou, Bruce qui tortille sa voix, West qui vous éclate un petit solo, Corky le lui coupe avant qu'il ne devienne trop long, et ce maudit piano maboul qui vous touche de toutes ses touches, ce n'est ni tendre, ni touchant, very uppercutant. Love is worth the blues : rien qu'au titre l'on sent que c'est mal parti, durant une première minute West clame son mal de vivre et tout de suite l'on prend de la vitesse, rien de pire ne pouvait vous arriver, il conduit sa guitare à la foldingue à la manière d'une guimbarde aux pneus usés sur une route verglacée qui longe un précipice, mais ses copains reprennent le contrôle, ils ralentissent et imposent la rythmique chaloupée et bienfaisante du douze-mesures, Leslie qui se sent incompris hurle son désespoir de sa voix de stentor qui éclabousse les étoiles. Pollution woman : le dernier numéro de la kermesse du spectacle de centre aéré, nos trois gamins s'amusent comme des fous, font un peu n'importe quoi au synthétiseur et sur les acoustiques, Corky fait semblant de jouer au tambourin, la voix de Bruce est si aigüe qu'elle oblige les mouches qui marchent au plafond à s'envoler. Folie douce, pardonnez-leur car ils savent ce qu'ils font.

    Pari gagné. Ça ne ressemble ni à du Cream ni à du Mountain. Juste un trio de brontosaures qui s'amusent et folâtrent en toute innocence. Cet album est une petite merveille. Un de mes disques préférés. Mais je n'engage que moi.

    WHATEVER TURNS YOU ON

    ( 1973 )

    L'on attendait beaucoup du deuxième album. Rien de pire que les joueurs qui jettent leurs cartes alors que la partie n'est pas terminée. Trop de dope. Nos héros succombent à l'héroïne. Dans les groupes l'on règle souvent ses comptes au mixage. Ces séances tournent souvent au combat de coqs, confrontations stériles ou explosives d'égos. West et Laing prennent l'avion pour New York, Bruce terminera le travail à sa guise. La drogue a bon dos, sans doute y avait-il une divergence musicale, West et Laing rock'n'roll-à-fond-les-manettes-laisse-venir-le-venin et Bruce qui a vraisemblablement envie d'évoluer vers des structures plus complexes...

    Pochette de Joe Petagno. Pas n'importe qui, certaines de ses créations sont iconiques, l'ange cygnique, d'après un tableau de William Rimmer, sculpteur et peintre américain mort en 1879, qui sert de logo à Swan Song Records le label de Led Zeppelin, l'hideuse figure du Snaggletooth des disques de Motörhead. Au point de vue dessin, nous n'avons rien à reprocher à la pochette de Whatever turns you on. Nous aurions même un faible pour sa composition disruptive, entre l'espèce de fresque murale grisée du haut et les couleurs acides qui dessinent nos trois héros. Pour le sujet, un truc de mecs. Bouffe, booze et baise. Les 3 B dans toute leur ventralité. N'ont pas donné dans le finesse ni dans la recherche du concept aérien !

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    Backfire : son moins lourd que l'opus précédent, guitare en guirlandes, la voix un peu trop en arrière, un toucher de corde plus argentique, plus clinquant, on devine comment Page aurait pu monter le morceau en overdubant les grattes à foison, mais non, ici le son reste brut, l'on entend très bien la basse de Bruce qui ne s'est pas oublié, l'a tout pris le fromage et le dessert, mais West a accumulé les remorques qui chez les gens bien élevés suivent le café. Token : attouchements malhonnêtes de guitares, dommage que le mixage ne les ait pas projetés plein feu sous les projecteurs. Idem pour le chant qui se perd dans les champs du lointain, c'est au tour de la basse de prendre la place de devant, brusque coupure avec efflorescence de voix que West double de sa guitare, avant de s'adjuger le rôle de leader, l'on entend Laing qui tripote et tapote gentiment dans son coin genre coucou, ne m'oubliez pas, I'm on the band, yo tambien, mais West ne reconnaît plus personne sur sa Davidson en croisière. On eût aimé qu'il rajoutât quelques accélérations foudroyantes. Sifting sand : changement de climat, ce morceau est à entendre comme la préparation du suivant. Puissant, lyrique, émotionnant, l'on quitte le rock pour quelque chose de plus vaste. C'est un tournant dans le disque, une oreille distraite sera surprise en déboulant dans le triste mois de novembre. November song : attention, pures jeunes filles c'est l'instant poétique, pas n'importe qui aux paroles, Pete Brown le grand vociférateur, un ami de Jack le haricot magique, il a signé les plus beaux lyrics de Cream, son premier groupe se nommait The First Real Poetry Band... Bruce martèle son piano, et les deux autres ne mouftent rien, tout juste si West se permet d'allumer la bougie de sa guitare pour rendre l'ambiance encore plus belle. Bruce se souvient de tout ce que Pappalardi a apporté aux Cream... mais lui n'était pas venu les mains vides. Et encore moins les mains dans les poches.

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    Rock'n'roll machine : West mène la charge en tête, la machine est en marche et elle n'est pas molle, beau d'entendre la frappe de Corky, manifestement le mec joue pour lui, mais c'est lui qui mène le troupeau, pas question qu'il aille paître plus loin que l'espace qu'il délimite, la chèvre Bruce tente de passer la tête sous les barrières mais elle y renonce, la guitare de Leslie fait des galipettes dans le paddock et tout s'apaise, le lait qui s'apprêtait à déborder redescend sagement dans la casserole, hop ! l'on repart comme en quatorze sur la tranchée ennemie. Scotch crotch : le piano de Bruce secoue la salade, rudement. Bis repetita placent : ce deuxième morceau de la face B, introduit une nouvelle direction dans l'album comme Sifting sand L'avait fait pour la A, un boogie serré qui ne laisse pas le deuxième temps du woogie s'imposer. Page s'est-il souvenu de ce titre pour Carouselambra, le scotch crotche et accroche salement. Le meilleur morceau ? Je vous laisse juge. Slow blues : d'habitude c'est le piano qui accompagne, mais là c'est West qui se contente de jouer les utilités, imite le bruit des boules qui s'éparpillent sur le billard, le son part en quadriphonie, Jack vous hurle le blues à la Little Richard, dégueule toute la tristesse du monde, et martyrise son clavier comme s'il jouait sur l'orgue de Notre-Dame. Dirty shoes : piano bastringue, l'on se croirait à la New-Orleans, voix trop lointaines, en échange vous avez des bruits de cuivres qui fanfaronnent, West parvient à se faire entendre, c'est un peu la foire d'empoigne, le pianiste montera le premier à l'étage pour s'adjuger la poitrine la plus plantureuse, inutile de vous essuyer les pieds sur le paillasson le morceau est trop court. Like a plate : un truc qui vous laisse comme deux ronds de frites. Ça part dans tous les sens, l'on a même une montée graduée à la A day in a life, West est aux abonnés absents. Corky mouline à mort, Bruce est aux commandes, nous refile son petit opéra-soap personnel, un truc qui a plus à voir avec Kurt Weill qu'avec le heavy rock.

    Chaque morceau pris à part n'est pas mauvais en soi. L'est même plus que bon. Mais l'ensemble ne forme pas un véritable album. Trop disparate, il aurait été plus honnête de le présenter comme un disque de Jack Bruce featuring West & Laing. On ne m'enlèvera pas de l'idée qu'à l'époque Jack Bruce songeait à l'espace aventureux ouvert par les Beatles, mais ne possédait sûrement pas les mêmes moyens. De studio et de temps. Le groupe tournait beaucoup...

    LIVE 'N' KICKIN'

    ( Avril 1974 )

    Le groupe ne se reformera pas. Ne fera même pas l'effort d'annoncer le split. A tout hasard Windfall sortira un Live pour assurer l'avenir. Réitère la ruse cousue au fil bleu du Best of Mountain. Après la sortie de ce dernier disque le label se résoudra à annoncer la dissolution. Regardez bien la pochette, nous aurons l'occasion d'y revenir.

    West, Bruce & Laing ont beaucoup tourné, comment se fait-il que le contenu de l'album soit si maigre. Ces quatre titres semblent un assemblage hétéroclite de bandes récupérées à la va-vite...

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    Play with fire : si vous avez la cynique ballade des Rolling Stones aussi douce qu'un cachou au cyanure en mémoire, vous risquez d'être surpris... West, Bruce & Corky vous l'adaptent pour auto-tamponneuses, arrivent à la pervertir, la rendent vicieuse, c'est que le désir est pire que le rock ( à moins que ce ne soit le contraire ), une longue dérive de treize minutes sur les crêtes interdites, le Bruce rend sa basse plus moelleuse et attirante que la pernicieuse apparition du Devil dans les vers d'Eloa d'Alfred de Vigny, West en souligne l'incandescente beauté par des rafales de soufre, Bruce vous donne une idée de ce à quoi ressemble le baiser de la mort du vampire, le temps de vous laisser vous remettre de vos effusion sentimentale Corky se lance dans un solo, tape d'abord sur chaque tom un par un, le prestidigitateur qui vous tend son chapeau avant d'en extirper un cachalot, pour l'apparition de celui-ci comptez sur West qui vous produit un barrissement digne d'une éruption du Stromboli, ce qui est parfait car il est dangereux de jouer avec le feu. C'est fini, ils ont dû compresser le temps. The doctor : un petit tour chez le docteur ne vous fera pas de mal. De bien non plus. Je vous le rappelle, pas un chirurgien, un boucher, et nos trois compères vous désossent en un tour de main, après l'auscultation vous ressemblez à un hachis parmentier. Votre plat préféré. La guitare de Leslie vous adresse de ces sourires que vous l'embrasseriez rien que pour la remercier. Tout compte fait la séance se passe mieux qu'elle n'a débuté, ce n'était qu'un faux répit, finissent par une tornade riffique pas du tout riquiqui. Ouf ! Les dernières recommandations du Doctor Leslie vous pourrissent la fin de votre existence. Toutefois vous prenez un autre rendez-vous. Mieux vaut prévoir que guérir de cette étrange maladie qu'est le rock'n'roll.

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    Politician : un des morceaux-roi des Cream. Entre parenthèses dessus Jack Bruce y éclipsait pratiquement la guitare de Clapton, à tel point qu'il était facile de savoir qui marquait le point et qui renvoyait le contre. Aussi Bruce se dépêche-t-il d'envoyer la moutarde, cette fois l'a fait attention à prendre de l'extra-forte, West ne se mêle pas à son jeu, ne joue pas au serpent qui s'enroule sur la branche, joue un peu à part, à côté du vocal de Bruce, là il a l'espace pour cultiver son cactus aux aiguilles translucides et empoisonnées, bref c'est Bruce qui est obligé de lui courir après, Corky en profite pour rappeler que sans lui, ils seraient perdus. Finissent en apothéose. Powerhouse sod : enchaînent sur un morceau de Bruce, l'est comme chez lui le Jack, l'a la basse qui jerke, et ça remue des castagnettes de tous les côtés à la fois, trois chiens qui se disputent un os de diplodocus et aucun ne veut lâcher le morceau, Bruce montre qu'il peut pédaler aussi serré et rapide qu'une machine à coudre électrique, un peu trop de virtuosité gratuite tout de même, il achève de tuer la bête à l'espagnole, il prend son temps pour la faire souffrir, amis vegans signez une pétition, Corky tape la fin de la récréation et Leslie fait gronder sa guitare, un troupeau de bisons en colère déferle sur nous. Mais le Bruce insatiable en veut encore. Le rideau orchestral tombe. On n'est pas mécontents.

    La page semble définitivement tournée. Pas tout à fait. Presque quarante après, en 2009, les revoici. Ce n'est plus West, Bruce & Laing, mais West, Bruce Jr and Laing. Malcolm Bruce prend la relève de son papa. L'est sûr qu'il y a des statures de pères qui projettent de l'ombre sur leur progéniture. Faut être juste, Malcolm saura se faire une place au soleil. La réunion ne durera guère. A ma connaissance aucun enregistrement officiel ne fut effectué.

    Z'avez toutefois une vidéo sur you tube, West, Bruce Jr & Laing January 2010, Leslie vous déverse un torrent de notes avec cette facilité déconcertante avec laquelle chaque matin vous tournez votre cuillère à café... On ne le voit pratiquement pas, mais Corky, vous étrille sa batterie de bien belle façon. Quant au fils, faudrait qu'il se souvienne que son père tournait les potards jusqu'à la zone de non-retour.

    Cette reformation que l'on pourrait qualifier d'épisodique n'en est pas moins très révélatrice du fonctionnement avatarique de Mountain. Les tronçons d'un serpent coupé en deux ne frétillent-ils pas pendant longtemps dans le seul but de se réunir une nouvelle fois ?

     

    BONUS CONCERTS

    WBL in GERMANY

     

    Le Live 'n' Kickin' est un peu décevant, trop maigre, cheval étique n'est pas éthique. Toutefois vous trouverez quelques concerts, sur CD's plus ou moins officiels, par exemple le Radio City Mucic Hall à New York du 06 novembre 1972. Je vous promets qu'un jour je vous chroniquerai tout ce qui me tombe sous la main. Mais je ne voudrais pas que les kr'tnt-readers soient atteints d'une mountainite aigüe. Pour ceux qui frisent la surdose, protégez-vous, la saga de Mountain n'est pas encore terminée. Il paraît que ce virus se transmet plus rapidement que le Corona. Beaucoup plus dangereux par contre, quand vous êtes touché c'est pour la vie. Ma bonté naturelle m'oblige à chroniquer le concert de Munich, pioché sur You Tube.

    WEST, BRUCE, LAING

    ( Circus Krone, Munich, Germany )

    ( 13 / 04 / 1973 )

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    Don't look around : pas d'image, juste la bande-son. L'on n'est pas au tout début du concert, mais apparemment en plein milieu d'un solo de Corky, le son n'est pas fameux mais suffisant pour exciter l'imagination, lâchent la cavalerie lourde, la guitare de West devant comme si elle portait l'oriflamme du Conquérant. Directement dans l'entremêlement du combat. Une monstruosité. Pleasure : un petit rock'n'roll pour changer la donne, un truc ramassé avec des pointes de feu qui lasèrent de partout. La châtaigne plus la bogue empoisonnée avec la vipère dedans. On ne vous avait pas dit de ne pas toucher, tant pis, cela vous immunisera pour ce qui suit. Un minuscule break de basse et l'on prolonge le plaisir jusqu'à la petite mort. On a dépassé la limite de péremption pour un vieux rock, mais c'est encore meilleur. Why dontcha : le public tape dans ses mains sur les premières mesures, Corky accentue le binaire, West arrache le vocal, la langue le tube digestif et les tripes, vous secoue tout cela tel un trophée. Intermède, Bruce est au camp de basse, Leslie rajoute quelques échardes meurtrières just for fun, Corky augmente la pression, West assaisonne un solo attaque peau-rouge sur la diligence, faites-vous du souci pour la prisonnière du désert, la guitare amplifie ses cris de jouissance. Deux ou trois riffs pour offrir bonne mesure, hurlement de terreur, je préfère ne pas vous raconter la suite, vous ne dormiriez pas cette nuit. Third degree : calmons-nous, on n'est pas des sauvages, trois degrés, ce n'est pas des celsius, une échelle de valeur importée par des extraterrestres, vous appliquent le blues comme si le dentiste vous placardait au chalumeau un fer à cheval en guise de dentier, c'est du lourd de chez lourd, vous ne saviez pas que le blues pouvait vous tomber dessus avec tout le poids d'une armoire normande. Il n'y aura pas besoin de vous en sortir, elle vous servira de cercueil, non ce ne sont pas des utilitaristes au cœur sec comme la corne de rhinocéros, vous n'avez qu'à écouter la guitare de Leslie qui ne gémit pas à demi, une véritable pleureuse corse. Et le vocal brame à la manière des cerfs en rut au fond des sous-bois. Mississippi queen : temps de sortir le classique maison. A peine est-elle annoncée que le public exulte. Une version particulièrement lourde, la demoiselle a pris un peu de poids depuis la dernière fois. Roll over Beethoven : vous avez eu le rock à croupe poisseuse, voici la flammèche incendiaire, Leslie se la donne à fond, vous explose la dynamite chuckberrienne, avec toujours ce ralentissement qui est un peu sa marque de fabrique, le coureur qui sort de sa Ford Mustang pour admirer la rutilance des chromes qu'il caresse voluptueusement, ce coup-ci il s'attarde, puis il prend tout son temps pour faire ronfler son moteur comme une tuyère de fusée nucléaire et c'est parti pour s'arrêter avant même que l'on ait vu tourner une roue. Powerhouse sod : je plains le Corky pour arriver à poser un rythme sur ce tourbillon qui parfois se traîne comme un tortillard, et à d'autres moments ressemble au vortex de la mort. Morceau fétiche de Bruce, vous le fait brinqueballer à la manière d'un tombereau de ferraille. L'on dirait qu'il racle les fonds du tiroir de son imagination et du possible pour vous offrir de l'inédit, voire de l'inaudible, se sauve grâce à sa voix, ce qui ne l'empêche pas d'avancer à grosses chaussures de plomb, Leslie égrène quelques notes, Corky marque la cadence celle de l'ogre qui s'avance sur la pointe des pieds pour zigouiller les frères du petit Poucet, Leslie se souvient qu'il peut les réveiller en klaxonnant avec sa guitare, franchement n'y a que Bruce qui prend son pied d'acier suédois. Polititian : l'enchaîne tout de suite sur un rayon de miel, une crème délicieuse qu'il sort de l'armoire aux souvenir. Un véritable pousse-au-cream. Prend la plus grosse part du gâteau, tout juste si West parvient à placer son solo, quant au Corky il bat le beurre mais pas à cent kilomètres à l'heure. Y en a deux qui travaillent pour le roi de Bruce. Corky pose un dernier solo que West se dépêche de magnifier. Sunshine of your love : les assassins reviennent toujours sur le lieu de leur creem. Ce soleil c'est de l'or en barre, vont vous le ciseler d'une façon beaucoup plus précise que le précédent. Basse et lead à égalité, ne reste plus qu'à se laisser porter par le rythme de la vague. West nous régale d'un solo pointu comme un stylet florentin. Par derrière Bruce doit souffler dans sa basse, l'on entend presque un cor de chasse. Corky effectue une galopade dans la forêt, un de ces passages underdog que Leslie adore juste pour permettre à Corky le temps d'achever la bête. Exultation frénétique du public. S'ils continuent il faudra les abattre. Ces allemands qui sont célèbres pour leur retenue toute goethéenne donnent une triste image de leur peuple ! D'ailleurs tout ce déploiement constitue à lui tout seul le titre : Audience. : ouf, ils reviennent pour le rappel ! Sont sympathiques ont emmené The doctor : vous administre les premiers et derniers secours d'urgence. Respiration artificielle pour le public, le groupe aura intérêt à prendre quelques réconfortants après le concert, on les sent un peu fatigués, ce n'est pas qu'ils bâclent c'est qu'ils laissent jouer les instruments tout seuls, le Corky doit se prendre pour Zeus lançant la foudre, West mandoline dans les grandiloquences de fin de générique de film. Tonitruance finale. Avant de sortir vérifiez si vous ne vous êtes pas oublié.

    Ça c'était le 13 avril, le 14 ils ont recommencé.

    WEST, BRUCE, LAING

    ( Landwirtshaftshalle , Kaiserlauten, Germany )

    ( 14 / 04 / 1973 )

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    Don't look around : l'on entend bien le début, ne chôment pas prennent le public à froid et le servent brûlant, la guitare de Leslie sonne du clairon, la basse bruisse comme les sycomores de la mort et c'est parti, quant au vocal l'on dirait qu'il sort de la gorge étranglée d'un pendu mécontent de son triste sort, Corky impulse des moulinets aussi dangereux que les chars à faux de Darius à la bataille de Gaugamèles, Bruce en profite pour imiter les râles des mourants qui ont vu leur deux jambes coupées rasibus courir à côté d'eux, mais ce n'était que le début de la fin, voici maintenant la fin du début, le band vous tombe dessus à bras raccourcis. Pleasure : plaisir d'entendre Bruce qui mène le solo à la basse et qui casse le vocal comme les forçats réduisent des rochers de trente tonnes en poussière. Leslie vous fend en trois d'un long solo qui vous découpe en tranches. Corky exaspère ses deux camarades en intensifiant le rythme, et Bruce en profite pour glavioter les lyrics tel un punk au concert des Sex-Pistols. Le fait si bien que vous avez envie de lui passer la bruce à reluire. Why dontcha : nos trois pirates envoient le riff, sur ce West prend le vocal à l'abordage et au porte-voix, Bruce tire au canon, et Corky fout le feu à la sainte-barbe qui explose, un peu de calme pour compter les survivants et tout le monde se retrouve sur un radeau de fortune où Bruce souque ferme avec minimum de bruit pour s'approcher du navire amiral ennemi, et comme le monde est bien fait, une fois que West s'est servi de sa guitare comme d'une perceuse géante pour provoquer une voie d'eau, le Royal Navy descend direct au fond de l'eau tandis que Corky prend du plaisir à assommer de ses plus lourdes baguettes les têtes des rares marins ennemis qui surnagent. Final cacophonique. 3 rd degree : l'heure du blues a sonné. La basse de Bruce rampe au sous-sol infernal, la guitare de Leslie nous promène dans les régions éthérées, Corky fait la navette entre les deux, une fois sur deux il tape sur la pal qui traverse votre corps pour aussitôt vous étirer l'ossature jusqu'à ce que votre tête aperçoive la porte de l'empyrée, bref se servent de vous à la manière d'un yoyo, quant au vocal mieux vaudrait ne pas en parler, si menaçant que vous préférez ne pas l'entendre. Mississippi queen : une croisière sur le Mississippi s'impose, le fleuve est houleux, c'est le moins que l'on puisse dire, ce doit être le jour où les digues ont cédé, vous êtes emporté sur l'arche du déluge. Un seul amusement possible durant cette croisière inusitée, compter les cadavres gonflées comme des outres qui flottent les yeux ouverts. Le Mississippi est vraiment la reine des rivières. Cataracte finale. En plus ils sont sympas, pour une fois ils nous offrent une version longue. Roll over Beethoven : bien sûr qu'elle arrive l'expédition punitive sur Mister Beethoven, le rock destroy qui remet les pendules à l'heure universelle. Z'oui mais se moquer des maîtres c'est bien, les mettre au milieu du mobilier et foutre le feu c'est mieux, mais le pire c'est de les battre sur leur propre terrain, alors le West avant d'en venir à ses dernières extrémités, il prend sa guitare et se plante devant le tableau noir, et il improvise une démonstration de haute voltige, une équivalence de la symphonie numéro 6, dite La Pastorale, frôle ses cordes et votre âme se promène dans un paysage radieux, un souffle zéphyrien vous enlace et vous vous croyez au Paradis, hélas le temps se gâte et l'aquilon fond sur vous et vous transperce de terribles tornades, Leslie vous lie et vous délie tour à tour ces deux thèmes, le bonheur et le malheur, l'été et l'hiver, la vie et la mort, et quand il a fini tous les trois filent une bastonnade cul-nu à ce Beethoven qui a commis le crime de lèse-majesté d'ennuyer Chuck Berry dans sa jeunesse. Love is worth the blues : après Leslie, Bruce se dépêche de ramener sa tagada. Plaie inhérente aux super-groupes, ne pas se laisser distancer par le copain qui est aussi le rival. Bref Bruce à la basse abrasive et abrupte à bâbord, Leslie à la guitare aussi pointue que le trident de Neptune à tribord, l'auditeur choisit son camp, attribue le love ou le pire selon sa préférence, le problème c'est que le blues reste l'invité de marque absent. Entre les deux mon cœur balance Corky fait un travail de fou, l'a compris la leçon de Keith Moon, faudrait enlever la claque des battements du public qui un peu trop simpliste empêche de bien saisir les prolégomènes de son solo. Corky emporte le morceau. Les deux autres ouistitis ont compris, ils lui font une haie d'honneur. Politician : la démarche pateline du politicien la basse de Bruce l'évoque magnifiquement, n'est pas à son meilleur sur le vocal, Corky est au four et au moulin, West est bien discret, se réveille un peu tard pour dérouler le barbelé autour du manche de pioche, se rattrape toutefois. La basse de Bruce fait un peu descente de lit et la guit de West le tapis volant, échange de rôle sur la fin du titre. Sunshine of your love : quatre petites minutes d'amour et de soleil c'est un peu court, mais là ils jouent vraiment ensemble. Un régal.

    Morale de l'histoire : d'après moi, ils ont mieux joué le 14 que le 13. Que le temps passe vite, nous voici au 16 !

    WEST, BRUCE, LAING

    ( Jahrhunderthalle, Frankfurt, Germany )

    ( 16 / 04 / 1973 )

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    Don't look around : non de Zeus, c'est de la folie, ce coup-ci prennent leur temps. Sortent le grand jeu. Grandiose. Prise de son un peu juste parfois, mais groupe dans son acmé. Ne reprennent pas un titre de Mountain, ils le réinterprètent, ils l'enrichissent, en densifient la trame, le West une véritable machine à foudre, Le Bruce qui vous surfile les coups de tonnerre à la perfection, et le Corky tellement fondu dans la masse sonore que vous ne l'entendez pas alors qu'il actionne le pédalier avec une constance indépassable. Une manière insurpassable de déployer le riff, le zeppe a réussi plus clinquant mais n'est jamais parvenu à cette puissance tutélaire. Idem pour Pleasure moins rock'n'roll mais plus rock. Pourquoi ? parce qu'ils jouent ensemble, qu'ils n'essaient pas de se marcher continuellement sur les pieds. Le morceau y gagne en autarcie et en puissance. Moins à l'arrache, mais un équilibre minéral qui le booste. Why dontcha : un démarrage plus blues, une scansion plus lente, Corky se croit à Perchman, apporte la preuve qu'il aurait eu l'étoffe d'un bon bagnard. Enregistrement un peu trop lointain, le témoignage permet toutefois de restituer l'atmosphère, le rôle de chacun est beaucoup mieux dessiné, et l'agencement tripartite du morceau saute aux oreilles, se trahit à la manière de ces vues aériennes des villas romaines dont les fondations sont cachées par la végétation lorsque vous êtes sur le site même. J'invite tous les trios qui se montent à étudier, comment ils parviennent à ce que leurs trois jeux parallèles se complètent à la manière des pointillés qui finissent par donner l'illusion du dessin d'une droite ou d'une courbe. Pour faciliter l'apprentissage, ils ne le jouent pas à la sauvage. 3 rd degree : Pham Cong Thien maître philosophe s'amusait à dire que la vitesse des Dieux était la lenteur, WBL illustrent à merveille cet aphorisme paradoxal, un blues doit être joué avec cette application des égyptologues qui s'obstinent à dés-enrouler les momies de leur linceul qui les isole du monde depuis des milliers d'années, adresse et précaution. Travail d'équipe qui exige doigté et dextérité. Pesanteur de la basse, piqûres d'abeille de la guitare, et à-coups drumiques pratiquement à contre-temps pour donner l'illusion d'être en avance sur le coup suivant. Prodigieux. Mississippi queen : Corky envoie la cloche à vaches et le troupeau d'aurochs déboule sur vous. Pas pressé. Mais une puissance dévastatrice. Ne trottent même pas mais l'écume de leur toison moutonnante sur leur bosse donne l'impression d'une mer immense et infinie. Leslie en profite pour son solo, tableau idyllique de bêtes placides broutant l'herbe bleue du Kentucky, le chant des oiseaux, soudain les mâles suspicieux qui grondent et précipitent la cavalcade. Qui s'arrête. Puis reprend. Le delta du solo s'achève dans l'océan du rock'n'roll chuckberryen, Roll over Beethoven : plus fidèle au modèle initial que toutes les précédentes, avec toutefois de temps en temps cette particularité de West de ralentir les accords pour mieux les pressuriser par la suite et les noyer dans un torrent de lave. Bruce vient l'épauler afin que ses dernières notes atteignent les constellations du zodiaque. Powerhouse sod : le morceau de bravoure de Bruce qui nous le joue tribal, une friture d'africanade tel que Bo Diddley n'en a jamais rêvé. Ce soir Bruce ose tout, le morceau quitte les membranes éclatées du rock pour entrer dans quelque chose de plus free, de plus aventureux, sa basse sonne râga, l'Inde se mêle à l'Afrique, n'a plus besoin d'un rideau de fumée pour toucher au jazz, a totalement disparu ce côté capharnaüm dans lequel les chattes dissimulent leurs petits, Bruce donne libre cours à ses ambitions, montre ce vers quoi il se dirige. L'on comprend que WBL n'est qu'une étape pour lui, autant Cream aura été une structure fermée, autant West par sa virtuosité d'étalagiste rock de haut niveau lui aura permis d'entrevoir des ouvertures musicales que la structure monolithique et performative de Cream interdisait. Et ce soir West accepte de chevaucher à ses côtés non pour faire mieux mais pour lui servir de soutien effectif. L'on est déjà dans Love is worth the blues : rien à dire ni à redire, encore moins à écrire, écouter est nécessaire, une dérive sans fin, qui se termine par le rituel du troisième homme, l'offrande du tambour, est-ce un solo, ne serait-ce pas plutôt une espèce de marche ou de résolution sonore mathématique, Corky enchaîne les équations rythmiques, de plus en plus élaborées et réussit à les résoudre avec une élégance rare. Ne cherche pas la puissance, joue sur l'écoulement, essaie de saisir le temps en quelques fractions de secondes virevoltantes, qu'il emprisonne dans le déroulé d'une boucle d'éternel retour. Politician : les deux gâteries habituelles pour terminer, la crème chantilly sur les éclairs au chocolat. Prennent leur temps, un peu comme des photographes qui savent que la prise de vue est moins importante que le nombre de minutes dans la marinade des bains révélatifs plus ou moins prolongée. Le pas traînant de Bruce encore plus ralenti, c'est sur le noir le plus sombre que in Sunshine of your love resplendira le soleil de la guitare de Leslie. Mais entre ces deux titres ils auront instillé une défonce rock'n'roll frappée d'une longue et étonnante subtilité : The Doctor. Toutefois les quatre derniers morceaux participent d'un même élan. Le groupe soudé comme il ne l'a jamais été, même sur ses disques studios. Avaient atteint en ce mois d'avril 73 une cohésion, voire une complicité qu'ils ne sauront pas maintenir.

    Le 14 était meilleur que le 13, après ce 16 qui surpasse les deux précédents je me demande ce qu'a été le 17 !

    Ces trois concerts allemands s'inscrivent dans la tournée de 23 dates qui débuta le 26 mars 1973 à Oslo et se termina le 26 avril à Leeds. Le kr'tnt-reader consciencieux poussera le vice jusqu'à écouter sur You Tube celui du 4 avril 1973 donné à Stadthalle, Vienna, Austria, Hélas, ce doit être l'enregistrement d'un fan qui avait caché sous une doudoune d'hiver son mini-cassette au fond d'un sac... Nous ne quitterons pas West, Bruce & Laing sur cette déconvenue auditive, bientôt nous vous offrirons une session de rattrapage intitulée : More Live 'n' kickin' ( WB&L, II ).

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 464 : KR'TNT ! 464 : LITTLE RICHARD / CHARLIE WATTS / LITTLE VICTOR / MOUNTAIN / CONFIDENTIEL SSR

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 464

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB KR'TNT KR'TNT

    14 / 05 / 2020

     

    LITTLE RICHARD / CHARLIE WATTS

    LITTLE VICTOR / MOUNTAIN ( III )

    CONFIDENTIEL SSR

     

    Richard cœur de lion - Part One

    mountain,confidentiel ssr

    — Hey Richard ! Faut les laisser entrer, sinon y vont démolir cette fucking porte !

    Perché sur son trône, Little Richard apporte les dernières retouches à son maquillage. Il est au Cobo Hall de Detroit pour y affronter Jerry Lee Lewis. Terrible combat en perspective ! Le titre de roi du rock’n’roll est en jeu.

    — Ah ces journalistes ! Ils ne connaissent rien à la patience ! Pffffff ! Bumps, sois cooooool, fais-les attendre encore un p’tit chouille...

    Little Richard réactive sa pompadour. Elle s’élève à cinquante bons centimètres au-dessus de son front. Ses yeux de chat espiègle sont soigneusement soulignés au khol. Il passe un doigt humide sur la fine moustache qui surligne ses lèvres peintes.

    Bumps Blackwell entrouvre la porte :

    — Encore un peu de patience, messieurs... Le king se coiffe...

    Une houle de protestations s’engouffre par l’ouverture. Bumps repousse la porte avec d’énormes difficultés. Little Richard brille de mille feux. Les miroirs cousus sur sa tunique renvoient les faisceaux des projecteurs braqués sur lui.

    — Come on, Bumps, I’m ready ! Rrready rrready rrready ! Fais entrer la meute !

    La meute envahit la loge. Les flashes crépitent. Little Richard surplombe la cohue du haut de son trône. Des bras tendent des micros. Les questions commencent à fuser :

    — Monsieur Richard, vous allez affronter le killer en combat singulier. Franchement, croyez-vous pouvoir le battre ?

    Piqué au vif, Little Richard se lève d’un bond :

    — Jerry Lee Lewis a tout appris de moi ! Tout, vous m’entendez, tooooo ! Sans moi, il n’existerait pas ! Je suis le roi du rock’n’roll... ainsi que la reine !

    Et il éclate d’un gigantesque rire cristallin. Comme contaminés, les journalistes éclatent de rire à leur tour.

    Un vieux renard de la presse sportive se faufile jusqu’au premier rang :

    — Monsieur Penniman, j’apprends à l’instant que vous passerez avant le killer. Le tirage au sort en a décidé ainsi. Pour vous, le combat est perdu d’avance, n’est-ce pas ?

    Little Richard s’effondre dans son trône et s’enfouit le visage dans les mains. Il sanglote comme une jouvencelle. Des perles d’une grande pureté coulent sur ses joues et vont rouler aux pieds des journalistes qui les ramassent. Soudain, il se relève, prend une pose acrobatique, les jambes écartées, les bras tendus en croix et les yeux rivés au plafond. Son visage s’illumine. Un immense sourire lui ouvre le visage comme un fruit. Il s’adresse au ciel :

    — Je suis à l’origine du rock’n’roll et le seigneur almighty est avec moi ! Je suis le roi du rock’n’roll, awop-bop-a-loo-mop alop-bam-boom !

    Bumps s’interpose :

    — Messieurs, j’vous prie de quitter la loge fissa. Little Richard a besoin de se préparer pour le combat...

    La meute quitte la pièce et file au trot jusqu’à l’aile opposée du Cobo Hall. Le killer les attend lui aussi dans sa loge pour une conférence de presse. Jerry Lee accueille la meute, négligemment assis sur une chaise en fer. Le franc sourire du vainqueur éclaire son visage. Son large front est encombré de mèches rebelles qu’il réincorpore occasionnellement d’un geste lent. Jerry Lee est ravi d’accueillir les témoins de sa gloire.

    — Ha ha ha ha ! Ha-ha ! Entrez, bande de foies blancs !

    Son rire guttural roule comme la foudre sur les têtes agglutinées devant lui.

    — Monsieur Lewis, vous êtes donné favori ! Mais Little Richard a du punch... Il risque de vous en faire baver, vous ne croyez pas ?

    Jerry Lee se lève et se dirige vers le piano en ricanant comme une sorcière shakespearienne.

    — Chuck Berry a déjà essayé de me faire avaler une couleuvre à Saint-Louis... On ne fait pas avaler de couleuvre à Jerry Lee... Il faut être nègre ou complètement fou pour croire qu’on peut faire avaler une couleuvre à Jerry Lee...

    Il sort de sa poche un petit flacon d’essence, asperge le piano et gratte une allumette. Floufff ! Les flammes s’élèvent.

    — No sonofabitch n’ose la ramener après ça ! Ha ha ha ! Ha-ha !

    Les journalistes raffolent des coups d’éclat de Jerry Lee.

    — Ha oui, monsieur Lewis, vous n’en ferez qu’une bouchée de ce petit nègre arrogant, pour sûr !

    — Ha ha ha ha ! Ha-ha ! Yeah-yeah-yeah-yeah...Yeaaaaahhhhhhhhh !

     

    Le Cobo Hall est plein comme un œuf. Assoiffé de sang, le public est venu en masse pour assister au combat du siècle. Little Richard monte sur scène. La foule l’acclame. Il ruisselle de lumière. Sa tunique à miroirs renvoie des centaines d’éclats. Il s’approche à pas feutrés du piano et soudain, il s’électrise, comme s’il recevait une violente décharge ! Il plaque avec sauvagerie les premiers accords de «Lucille» et attaque à la hurlette définitive :

    — Louciiiiiiiiile ! you won’t do your daddy’s will... Louciiiiiiiiile ! you won’t do your daddy’s will... you ran off and married but I love you still !

    Il hennit comme un poney apache. Le rock jaillit de sa gorge. Little Richard a décidé de terrasser son adversaire, aussi enchaîne-t-il tous ses hits. C’est une véritable entreprise de démolition. Il reçoit ovation sur ovation. En l’espace de quelques hits incendiaires, il redevient le plus grand showman du monde. Il saute sur le piano et jette ses boots blanches au public. C’est le délire. Puis il ôte sa tunique à miroirs et la jette aussi en pâture à une foule en délire. Une gigantesque clameur s’élève de la salle. Little Richard finit en caleçon et en chaussettes, debout sur le piano. Il déclenche l’enfer sur la terre. Il enchaîne avec «Jenny Jenny», «Tutti Frutti» et «Ooh Poh Pah Dooh». Il repère Mitch Ryder au premier rang et le fait monter sur scène. La foule hurle de plus belle, car Mitch Ryder est le roi de Detroit. Ils chantent tous les deux mais les hurlements de la foule devenue folle couvrent leurs voix. Little Richard donne le coup de grâce avec une version apocalyptique de «Long Tall Sally», qui est certainement la pire teigne rock de l’histoire, et il quitte la scène, trempé de sueur. En passant près de Bumps, il lâche dans un râle :

    — Jerry Lee est mort, ha ha ha ! Il ne pourra pas faire mieux...

     

    Quelques instants plus tard, Jerry Lee monte sur scène. Il reçoit un accueil chaleureux, mais qui n’a rien à voir avec l’hystérie déclenchée par Little Richard. Jerry Lee s’assoit au piano et attaque «You Win Again», une chanson country assez pépère. Il enchaîne avec une autre chanson country, toujours sur le même tempo. Le public commence à manifester son mécontentement.

    — À poil !

    Les plus courageux réclament «Great Balls Of Fire» et «Whole Lotta Shaking Going On». Jerry Lee arrête de jouer et croasse :

    — Si vous z’êtes pas contents, la sortie c’est par là !

    Des centaines de gens sifflent. Alors Jerry Lee gronde comme le tonnerre :

    — Roooaaarrrrrrrrrr ! Ooooooh yeah-yeah-yeah-yeah...Yeaaaaaaaaaaah!

    Et il enchaîne sur «Money». Puis il cueille la foule au menton d’un coup de «What’d I Say» :

    — Tell your momma, tell your pa... gonna mov’ you back to Arkansas !

    Puis il assène le coup du lapin avec sa version démente de «High Heel Sneakers». L’hystérie gagne à nouveau la foule. Jerry Lee reprend les rennes du pouvoir. Il chauffe la salle à blanc. En seulement trois morceaux, il a galvanisé le public. Les filles hurlent à s’en arracher les ovaires. Jerry Lee va chercher dans ses réserves gutturales les accents les plus sauvages. Il reprend la main à coup de yodell, la victoire lui appartient. Il crache le feu, il tient le rock par les couilles. Il martèle ses paroles avec l’insolence du vainqueur.

    — And a bring along some boxin’ gloves... in case some fool might wan-na fight !

    Jerry Lee s’est levé. Le visage couvert de mèches rebelles, rooooaaarrrr, le cerbère des enfers gronde. Il pianote convulsivement, donne des coups de talons sur les touches et d’un bond, saute sur le piano. Il calme le jeu quelques minutes, le temps de préparer l’explosion finale. La foule l’acclame comme on acclamait l’empereur dans la Rome antique.

    C’est le moment que choisit Little Richard pour donner le coup de grâce à cet enragé de Jerry Lee. Il apparaît tel un ange de miséricorde dans l’allée centrale. Il avance d’un pas léger, avec de grandes ailes blanches déployées dans le dos et une auréole que scintille au dessus de sa pompadour. Les gens n’en croient pas leurs yeux. Little Richard signe des autographes ! Il embrasse les filles sur la bouche. Il serre des mains en pagaille. Bumps fait de son mieux pour le protéger mais des dizaines de mains arrachent les plumes des ailes. La foule déchaînée s’agglutine autour de cette apparition surnaturelle.

    Debout sur son piano, Jerry Lee n’en croit pas ses yeux, lui non plus. Se faire rouler comme ça ! Par un nègre en plus ! Il sent la moutarde lui monter au nez. Il voit les premiers rangs se vider. Little Richard remonte l’allée centrale et se dirige vers la sortie, suivi d’une foule en délire. Alors, Jerry Lee fait signe aux techniciens. Il leur murmure des trucs à l’oreille. Puis il quitte la scène en donnant un violent coup de pied dans le tabouret du piano.

    Little Richard et ses milliers d’admirateurs remontent l’avenue. Le roi du rock’n’roll devient celui de Detroit. La foule grossit de minute en minute. Les curieux se joignent à l’immense cortège. Des clochards, des mères de famille, des vendeurs de journaux à la criée et des centaines de passants affluent.

    — Qui c’est ?

    — Little Richard, le King !

    — Mais non, c’est Elvis le King !

    — Bullshit !

    Little Richard marche en tête et distribue cérémonieusement ses grâces aux manants qui le courtisent. Un camion arrive de l’autre bout de l’avenue. Il ralentit et se gare en travers de la chaussée. Jerry Lee descend de la cabine et grimpe sur le plateau où est installé un piano. La foule s’immobilise. Jerry Lee reste un moment debout, le regard vissé dans celui de son adversaire. Les deux prétendants au trône s’affrontent du regard pendant d’interminables minutes. Des murmures parcourent la foule :

    — Que se passe-t-il ?

    — Chais pas...

    — C’est qui, l’autre sur le camion ?

    — Jerry Lee, le perdant...

    — Oh bah dis donc, l’a pas l’air content...

    Assez plaisanté. Jerry Lee se plante devant le clavier et le balaie de la main droite.

    — You shake my nerves/ and you rattle my brain !

    Il démarre «Great Balls Of Fire» sans crier gare. Il chante sans micro. Sa voix porte dans toute l’avenue. Il gronde, secoue ses mèches folles et martèle ses accords avec un violence terrible.

    — Goodness, gracious, yeahhhhhhh !/ Great balls of fire !

    S’ensuit un killer solo de piano. Il ploie les jambes, bascule le buste en arrière et les yeah-yeah-yeah-yeah qu’il hurle s’en vont défoncer la rondelle des annales.

    La réaction de la foule ne se fait pas attendre. C’est une explosion. Des milliers de gens se mettent à danser le twist. Jerry Lee enchaîne sur «Whole Lotta Shakin’ Goin’ On». Il fait rouler les diamants de ses accords et regarde la foule, un sourire psychotique au coin des lèvres :

    — I said/ come on over baby/ a-whole lotta shakin’ goin’ on...

    La foule se calme car Jerry Lee met la pédale douce. Mais ce n’est que l’accalmie qui précède la tempête. Elle finit par éclater. Jerry Lee fait littéralement exploser son Lotta. Son guttural couvre le tonnerre du piano et des acclamations. Il hurle, se contorsionne, lève un bras au ciel, se tourne et écraser les basses à coups de cul, puis il saisit le piano, le lève au dessus de sa tête et le jette dans une vitrine.

    La foule hurle :

    — Jerry Lee ! Jerry Lee ! Jerry Lee !

    Little Richard approche du camion.

    — Bumps, aide-moi à monter.

    Bumps le hisse sur le plateau. Little Richard s’agenouille devant Jerry Lee et lui baise la main.

    Signé : Cazengler, Little Ricard

    Little Richard. Disparu le 9 mai 2020

     

    J'ai la Watts qui s'dilate - Part One

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    S’il en est un qui a la dent dure, c’est bien Mike Edison. On ne le surnomme pas Sharky pour rien. Pour bien situer les choses, Sharky fut, entre autres choses, le batteur des Raunch Hands, un groupe Crypt des années 80/90 et c’est en tant que batteur qu’il rend hommage à Charlie Watts avec l’excellent Sympathy For The Drummer - Why Charlie Watts Matters, un ouvrage que liront tous les fans des Stones, mais aussi tous ceux qui s’intéressent au rude métier de batteur.

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    Ce book hautement énergétique et comme écrit à coups de relances permet de revisiter dans le détail toute la discographie des Stones, ce qui n’est jamais du temps perdu, car on redécouvre des choses à chaque réécoute. À travers Charlie Watts, Sharky rend hommage à des quantités d’autres grands batteurs qui ont fait l’histoire du rock et il encense comme seul un batteur peut le faire, avec l’œil rond comme une cymbale et une niaque de chamboule-tout. Ce livre est une fantastique galerie de portraits, aussi va-t-on prendre le temps d’aller y musarder un peu.

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    Revenons à la dent dure. Car c’est là que Sharky s’impose. Il ne tourne jamais autour du pot. Le pot, ce n’est pas son truc. S’il n’aime pas un mec, il le cloue à la porte de l’église. Il commence par clouer les Doors - they reprensented the worst sort of rock mendacity: a blues band that could not play the blues (le pire genre d’arnaque : un blues band qui ne sait pas jouer le blues) - Et paf, à dégager. Il pourfend ensuite Cream en les accusant d’avoir massacré «Spoonful», l’un des chefs-d’œuvre de Wolf. Ils en font dit-il de l’atonal cacophony, ce qui n’est pas une mauvaise choses if you are John Coltrane or Cecil Taylor, but Cream were not John Coltrane or Cecil Taylor. Cream n’était ni Trane ni Cecil Taylor. Et il conclut en assénant ceci : «The damage they did can still be felt.» (Les dégâts qu’ils ont faits sont toujours d’actualité). Sharky a le courage de ses opinions et ça lui vaut les encouragements du lectorat. Vas-y Sharky ! Cloue-les tous à la porte de Notre Dame ! Plus loin il s’interroge sur le choix de Kenney Jones pour remplacer Keith Moon : «C’était comme échanger Jackson Pollock contre un peintre en bâtiment.» Il a raison, au fond, car après la mort de Moony, les Who n’avaient plus aucun sens. N’importe quel batteur aurait été un peintre en bâtiment. Il s’en prend aussi à Kiss, un groupe si ugly qu’il devait se maquiller. Le passage que Sharky consacre aux groupes qui vendirent leur cul en passant à la diskö vaut les pires coups de hache pamphlétaires de Léon Bloy : «Kiss a prouvé une bonne fois pour toutes qu’ils n’avaient ni honte ni scrupules en enregistrant ‘I Was Made For Lovin’ You’», et il épingle plus loin les smarty-pants prog-rockers Pink Floyd qui eux aussi ont trempé dans la diskö à des fins commerciales. Sharky pourfend plus qu’il ne cloue. Mais à ce petit jeu, Luke Haines est beaucoup plus violent. Nous y reviendrons, c’est promis.

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    Sharky est aussi un auteur convainquant : il faut voir avec quel brio il défend une idée, comme par exemple celle du minimalisme, dont Charlie Watts est un expert : «Ginger Baker allait devenir une sorte de drumming superhero, alors que Charlie allait poursuivre son petit bonhomme de chemin, en se contentant de veiller sur le roll des Rolling Stones, with little if any fanfare, c’est-à-dire sans jamais la ramener. Il existe d’autres grands minimalistes dans notre culture : Coco Chanel me vient tout de suite à l’esprit, mais aussi Monk, Miles Davis, les Ramones, Keith Richards et les grands batteurs de Chess Records, ils ont tous de l’importance car ils ont prouvé que le moins est souvent supérieur au plus.»

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    Ailleurs, il définit à sa façon ce qui fait la grandeur d’un groupe de rock : «Les grands groupes sont des gangs - et il met le mot gang en ital - Ils savent rester ensemble. Ça ne veut pas dire qu’ils s’aiment les uns les autres, ou qu’ils s’apprécient - tous ceux qui ont traîné assez longtemps avec des groupes savent très bien quel genre de merdier y circule - mais une fois que tu as franchi le cap et compris qu’un groupe peut vibrer comme un seul homme, et que le groupe est devenu plus important que la somme des individus, alors tu n’as plus envie de tout bousiller.»

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    Il donne plus loin une vision terriblement lucide de l’évolution des choses : «Si tu allais voir les Stones en 1969 ou dans le début des années soixante-dix, tu assistais à une révolution. Les choses ne seront plus jamais comme ça. Ce que je dis n’a rien à voir avec la nostalgie. Je fais référence à un fait scientifique. L’environnement dans lequel le rock est apparu ne peut être recréé. Le public a beaucoup trop changé. Le monde culturel contemporain serait incapable de supporter un truc aussi radical que les Stones de 1969. Trop de choses se sont passées depuis, et trop de choses ont disparu. Il n’existe plus aucune trace de danger dans la musique.» Puis il envoie une bourrade aux pseudo-temps modernes : «C’est la grande arnaque de l’ère Internet, confondre l’accès à l’information et la connaissance. Les vidéos gratuites ne remplaceront jamais l’expérience. Tout le monde cherche un shortcut, c’est-à-dire un raccourci. Charles Watts vous dirait qu’il n’existe pas de raccourcis.»

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    Sharky est un excellent écrivain. Il sait mortaiser le chêne pour étayer sa pensée. Mais dès qu’il rend hommage à des gens, ça devient encore plus impressionnant. Eh oui, on connaît tous les grands disques, mais sait-on seulement comment s’appellent tous les batteurs géniaux qui jouent derrière ? - Little Richard’s drummers were monsters - his music demanded nothing less - Sharky dit que Little Richard était trop black, trop sexuel, trop sauvage pour l’Amérique en plastique d’Eisenhower et pouf, il rend directement hommage à Charles Connor, le héros inconnu qui joue l’intro de «Keep A Knockin’», puis il cite l’autre monster, Earl Palmer, un peu plus connu et qu’on entend aussi derrière Fatsy, à l’époque. Tiens voilà Ebby Hardy, le premier batteur de Chucky Chuckah, qui foutait la trouille au public avec son snaggletooth grin et qui, nous dit Sharky, a slammé the hardcore hillbilly madness of «Maybellene», practically a Motörhead prototype ! (En slammant à la folie Maybelline, cet homme au sourire monstrueux préfigurait Motörhead). Sharky exagère un peu, mais bon, c’est un enthousiaste et il ne faut pas le contrarier. Puis voilà Fred Below, the undisputed King of Chess Studios drummers. Charlie Watts déclara : «Je dois tout à Fred Below.» Et pouf, Sharky embraye - Below brought it all : blues thump with jazz roots, easygoing double shuffles, a killer backbeat, anticipation, penetration, and high-octane propellant (le blues beat avec les racines jazz, la souplesse du shuffle, le killer backbeat, l’anticipation, la pénétration et la propulsion) - Et il envoie son hommage au firmament des hommages en lâchant ça : «Comme Earl Palmer, il avait le don surnaturel de mélanger les shuffle beats à l’ancienne avec le tout nouveau rock’nroll telemetry sans perdre son swing.» C’est la piste aux étoiles ! Sharky se fait virtuose du rock language pour honorer ses idoles.

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    Il fait un passage obligé par Bo qui ne s’intéressait qu’à la pureté du beat : «Bo était à la fois primitif et futuriste, il jouait des sons de l’espace sur des rythmes purement africains et il épiçait tout ça d’espagnolades. It was true jungle music, every song a sex bomb.» Et puis on tombe plus loin sur une double page en hommage à Bo, illustrée par une petite photo de Bo avec the Duchess et Jerome Green en veste à carreaux avec ses maracas. Sharky évoque une tournée anglaise des Stones avec Bo - Mick et Keith le regardaient jouer chaque soir and they learned, boy-oh-boy did they learn - Ils ont tout appris de Bo Diddley, le son primordial African swamp-rock and futurist blues, de ses chansons qui puaient la sueur et le sexe, son hypermodern wash of rhythm guitar paying, his tropical boogie, his explosive shimmy and shake, tout ce bazar tiré des anciens dieux de la fertilité, des space aliens et de la racine de mandragore, qu’on appelle John the Conqueror root en Amérique. Sharky brosse tout bêtement le portait d’un génie. Il rend ensuite hommage aux femmes que Bo ramenait sur scène, the Duchess (Norma-Jean Wofford) et avant elle, Lady Bo (Peggy Jones) qui chaloupait sur scène avec sa guitare customized, doing the Ancient Art of Weaving with the man himself. Et juste en dessus de cette image du trio mythique, ce démon de Sharky écrit : «This was exactly the strain of primal Negro eroticism that Mick and Keith mainlined, at least until the drugs took over.» (Mick and Keith cultivèrent cet érotisme négroïde avant de passer à, autre chose, c’est-à-dire les drogues).

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    Sharky rend ensuite hommage à Earl Phillips, le batteur de Jimmy Reed, the master of laid-back shuffle. Plus loin, il brosse les portraits des grands batteurs blancs qu’il admire, par exemple John Bonham, qui comme Charlie Watts et Keith Moon, sut inventer une façon originale (unprecedented) de battre le rock. Sharky félicite Bonham d’avoir inventé les double strokes, les triplettes de Belleville, et des untouchable chops. Mais il réserve le gros de son admiration pour Keith Moon dont le jeu était une extension de sa personnalité - outrageous, capricieux, drunk, charismatic, generous, honest and out of control - mais Sharky lui reproche aussi d’avoir influencé les kids qui croyaient bien faire en rajoutant des tas de cymbales et de gamelles sur leurs kits, et qui se mirent à faire n’importe quoi, croyant faire du Keith Moon. Il rend aussi un fier hommage à Jerry Nolan qui ne fut jamais aussi célèbre que les autres grands batteurs mais dont le drumming était the musical equivalent of a zip gun, leather jacket and pegged pants, c’est-à-dire l’incarnation musicale du zip gun, du blouson de cuir et du pantalon à pinces.

    Bon tout ça c’est bien gentil, mais les Stones ?

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    Sharky entre chez les Stones comme on entre en religion. Plus que des individus, il voit surtout un groupe, un son et un phénomène. Tous ceux qui ont vécu ça en direct savent que les Stones furent le plus gros phénomène rock du siècle passé. Sharky dit d’eux qu’ils ont créé un univers où le country blues se mêlait à la violence et au LSD, où les steel guitars infestaient le diskö beat, où le gospel pouvait être malsain et où tout puait le sexe. Quand les Stones passent au Ed Sullivan Show, Sharky dit qu’on sentait the Stones’ sex pouring off the television screen. Oui, le sexe dégoulinait de l’écran de télé. Et pour lui, comme pour tous, «Satisfaction» reste the first guenine punk rock song. Entre 1966 et 1969, les Stones passent du noir et blanc à la couleur et trouvent leur public : «Les ados vierges avaient laissé la place aux vétérans du Summer of love : stoners, burnouts, freaks, déserteurs, révolutionnaires occasionnels, sans parler des mannequins de mode, des intellectuels, des réalisateurs de cinéma, des artistes et de tout ce qui constituait la drug-culture aristocracy.» Sharky décrit à merveille la construction d’un monde nouveau. Puis il raconte comment les Stones se vautrent avec Their Satanic Majesties Request - Chaque fois que les Stones ont voulu suivre une mode ou une tendance, ce fut une horrible erreur - Puis ils redressent la barre avec «Jumping Jack Flash» - qui était au hard rock ce que «Satisfaction» était au punk - Keef parle de turbo overdrive - You jump on the riff and it plays you - Et Sharky revient inlassablement à la charge, il jette des mots dans ce chaudron intellectuel qu’il appelle the Rolling Stones music - Il n’y avait aucune différence entre les blancs et les noirs, entre le gospel et le hard rock, entre Bo Diddley et l’apocalypse - Ses formules prennent feu sous nos yeux, la verve dépasse le fan, le book se met à vivre sa propre vie, certains paragraphes sont comme possédés. Fan-tas-tique écrivain ! Bill Wyman explique à un moment que tous les groupes suivent le batteur. Pas les Stones. Charlie suit Keith. So the drums are very slightly behind Keith. Et Bill dit qu’il est un peu devant, «I tend to play ahead.» - It’s dangerous because it can fall apart at any minute - Il explique en gros qu’ils ne jouent pas ensemble : Charlie derrière le beat et Bill devant, ça peut se casser la gueule à tout moment. Et Sharky s’extasie : «The essence of the Stones style - Tight but loose. C’était terriblement sexuel et merveilleusement steamy.» Et il ajoute, tétanisé par l’aveuglante lumière de la révélation : «Les leçons de Chuck Berry, Bo Diddley, James Brown et Little Richard s’étaient déversées dans le cerveau de Keith et voilà ce qui en ressortait.» Quand ils arrivent à l’époque d’Exile, les Stones ont évolué. «Avec Brian Jones, les Stones jouaient des chansons. Avec Exile, ils jouaient de la musique.» C’est là que les Stones intègrent the all-Texas horn section - Bobby Keys and Jim Price - alors ils deviennent encore plus énormes, nous dit Sharky. «Comme si Keith les avait kidnappé à Muscle Shoals et conditionnés en leur injectant des amphétamines militaires, du crystal pur, pas la merde des bikers, the good stuff, the shit that won wars. Ils avaient tous des gueules de mecs s’apprêtant à cambrioler une pharmacie.» C’est là où Sharky devient puissant, sa langue dépasse sa pensée et sa vision transfigure la réalité pour mieux la lester de plomb véracitaire. Il utilise les formules idéales pour dire la grandeur décadente des Stones. Il parle aussi d’une symphonie de boogie-woogie, de sexe, de glam rock et de violence et il va loin en affirmant que les Who et Led Zeppelin sonnaient rococo next to the Stones’ highly distilled strain of mayem.

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    Puis Sharky aborde le chapitre du déclin, avec Goats Head Soup, le premier album qui relève plus de l’obligation que de l’inspiration. À cette époque, Keith explique dans la presse qu’il prend la route downhill to Dopesville alors que Mick s’envole pour Jetland. C’est l’époque où Keith assoit sa légende d’unrepentant dope fiend, qu’il se gave de coke et de speed, qu’il oublie de dormir pendant 9 jours, qu’il boit comme un trou et qu’il travaille comme un fou, and bless his soul, making it work. Alors Sharky reprend son bâton de pèlerin et examine les albums un par un. It’s Only Rock’n’Roll est à ses yeux un semi-échec, avec un morceau titre qui ne vaut même pas a good T. Rex song. Selon Bobby Keys, l’âme des Stones, c’est Charlie and Keith - This is were the engine room is - Puis Sharky annonce que Black And Blue est l’album le plus sous-estimé des Stones. On y note l’arrivé de Ronnie Wood sur quelques morceaux et le retour de l’Ancient Art of Weaving qui prévalait au temps de Brian Jones et qui joua un rôle tellement essentiel dans la genèse des Stones - Ils avaient besoin de Brian pour conjurer le hoodoo de Muddy, de Wolf, de Bo et de Chuck, leurs maîtres spirituels. Mick Taylor avait été embauché comme chirurgien pour tailler dans le vif et sortir le groupe des sixties. Le temps de l’Ancient Art Of Weaving avec Brian était donc révolu - Mais l’arrivée de Ronnie Wood allait le ressusciter. Autre métamorphose : les Stones avaient aussi remplacé leur vieille section de cuivres par le funk de Billy Preston. Sharky indique que Billy avait tendance à sur-jouer et son Afro occupait la moitié de la scène, si bien que, nous dit Sharky, Keith dut lui mettre son cran d’arrêt sous la gorge pour lui rappeler que les Stones n’étaient pas son groupe. Avec Ronnie, Keef trouve un nouveau drug buddy - they were running on pure pharmaceutical Merk cocaine - one song, one line, a reasonnable dose for an adult Rolling Stones - et hilare, Sharky ajoute : «Une fois de plus, les Stones étaient tellement dans leur époque qu’ils paraissaient l’inventer. You could practically HEAR the cocaine !».

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    Et la verve de Sharky repart de plus belle : «Keith was no longer playing Chuck Berry riffs, he was playing Keith Richards riffs, or more likely, they were playing him - C’était impossible de savoir où s’arrêtait l’homme et où commençait la musique.» Sharky sort des disques et entre dans la matière de l’art, il s’y fond spirituellement comme s’il entrait dans le cercle magique du divin, dans un au-delà de la compréhension des choses. Il écoute Some Girls et trouve la diskö de «Miss You» intéressante - Well for one they were really good at it. They made disco sound greasy and wet - Gras et humide, bien vu ! On trouvait tous que c’était un sacrilège à l’époque, mais Sharky a raison, il faut écouter ce que fait Charlie Watts. Il ajoute que Some Girls remet les pendules à l’heure, il parle de toughest and sleaziest record the Rolling Stones would ever make. Il dit aussi que Charlie n’a jamais aussi bien joué que sur Some Girls - Every song was a fresh take on the art of rock’n’roll drumming - Aux yeux de Sharky, Some Girls est l’album de la rédemption - The so-called punk songs on Some Girls twanged with clarity and Telecaster thump - et dans le feu de l’action, il ajoute : «It wasn’t punk-by-numbers, it was the Rolling Stones and their music was far closer to the edge of chaos - Puis il qualifie Tattoo You d’unexpected jewel, their last truly great record et il en arrive à la conclusion que c’était aussi bien Charlie que Keith qui rendaient toute chose Stonesy, et que Charlie amenait ce zork que lui seul pouvait amener, que c’était devenu indéniable, it was dogma. Et puis quand Jagger se négocie un deal solo pour sa pomme, c’est le déclenchement de la guerre atomique. Sharky : «Pour Keef, ça va plus loin que la sédition. C’est un manque de respect, c’est minable, malhonnête, une trahison. Personne n’est plus important que le groupe. Ils ont construit cette cosa nostra ensemble, alors Keef se sent trahi, et Charlie, dont la loyauté est encore plus profonde que l’océan, le vit encore plus mal.»

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    Puis au moment où Charlie sombre dans la dope et la booze, les Stones enregistrent Undercover - This is not Goats Head Soup fucked-up, c’est complètement autre chose. Non seulement Keef et Mick ne se parlent plus, mais ils viennent chacun à leur tour en studio pour saboter ce qu’a fait l’autre - Making Rolling Stones records used to be fun. Now it’s like digging graves (faire des disques était marrant auparavant, mais ils semblaient alors creuser des tombes) - Fin des haricots ?

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    Non car Dirty Work paraît en 1986, et Sharky y trouve the last great Rolling Stones song, «Had It With You». Dirty Work est selon lui the sound of Mick and Keith fighting. Puis les Stones basculent dans un tourbillon de tournées byzantines et d’unfocused studio records dont Steel Wheels (1989). Les Stones ne font plus ce que Phil Spector appelait une contribution, il faut, nous dit Sharky, un pendule pour trouver les bons cuts dans les albums, comme Voodoo Lounge. Avec A Bigger Bang, Sharky a l’impression que les Stones sonnent à nouveau de la façon dont ils croient devoir sonner.

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    Il termine ce brillant panorama avec Blue & Lonesome, un retour aux sources - The entire record was a minimalist masterpiece. Clapton qui intervient sur deux cuts n’a même pas réussi à le ruiner - Pour Sharky, Blue & Lonesome était l’album tant attendu après le bullshit de la demi-douzaine d’albums qui ont précédé.

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    Il ne s’étend pas longtemps sur les personnalités, sauf bien sûr Charlie auquel ce livre est consacré. Brian Jones ? Sharky le salue pour avoir su inventer avec Keef the Ancient Art of Weaving, une interaction entre les deux guitares qui générait un ragoût organique dans lequel ni le lead ni le rhythm ne dominaient. Brian allait injecter dans cet Ancient Art of Weaving l’exotica du dulcimer, des mirambas et du mellotron - A beautiful man, la musique coulait de ses doigts et sa contribution aux early hits des Stones brûlait d’un éclat sans pareil, jusqu’à son burning out, conséquence des mœurs en pratique à cette époque. On lui demanda de quitter le groupe en 1969 et on le retrouva mort dans sa piscine peu de temps après, laissant derrière lui une légion de cœurs brisés et une mystique intemporelle - Cet hommage à Brian Jones est aussi beau que celui que lui rend Marianne Faithfull dans son autobio. En fait la situation de Brian Jones n’était plus tenable - la double hélice psychedelic pop star et bluesman était trop tordue pour être viable - et comme les Stones devaient évoluer, Brian devait dégager. Sharky : «Se consumer avec les drogues et le pop stardom est devenu un cliché, mais le mérite en revient à Brian qui sut si bien l’incarner.»

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    ( Photo : André Fernandez )

    Ron Wood ? «Il semblait destiné à devenir un Rolling Stone. Comme Ronald Reagan, Elvis Presley et quelques autres, il était né sous sa bonne étoile et une fois lancé, pour le pire ou pour le meilleur, rien ne pouvait arrêter son ascension.» Les Stones le voient plus comme un chiot qui adore jouer. Il est le sideman parfait, nous dit Sharky, une menace pour personne. Quant à Keef, tout le monde l’aime. He is a man of the people. Sharky revient longuement sur la guerre atomique qui oppose Keef et Jagger dans les années 80. Un soir, dans un hôtel, Jagger appelle Charlie dans sa chambre et se croit assez malin pour s’exclamer : «Where’s my drummer ?». Alors Keef raconte que 20 minutes plus tard, on frappe à la porte. C’est Charlie, sur son trente-et-un, il sent même l’eau de Cologne. Charlie avance droit sur Mick et lui dit : ‘Ne m’appelle jamais plus TON drummer’, il le prend par le col, le soulève de terre et lui colle son poing en pleine gueule. Dans leurs échanges, Keef appelle Jagger ‘Brenda’, ou ‘Madame’, ou ‘Sa Majesté’. Et quand un mec lui demande : «Quand allez-vous arrêter de bitcher at each other», c’est-à-dire vous envoyer des insultes, Keef rétorque : «Ask the bitch.» Et quand l’album solo de Jagger sort dans le commerce, le tristement fameux She’s The Boss, Keef lâche ce commentaire d’un laconisme souverain : «C’est comme Mein Kampf. Tout le monde en a une copie mais personne ne l’écoute.» Par contre, tout le monde ADORE Talk Is Cheap. Eh, oui, on ne joue pas dans la même cour.

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    Sharky finit tous ses chapitres avec des stances qui constituent au bout du compte un extraordinaire dithyrambe à Charlie Watts. Ça commence en douceur quand il indique que Charlie ne jouait pas de solos de batterie, non pas parce qu’il n’en avait pas le niveau, mais parce qu’il était assez bon pour ne pas avoir à le faire. Sharky rappelle aussi que Charlie ne souriait pas en jouant. The best jazzers never did. Il prend le temps de préciser que Charlie was a man of true style. Quand un journaliste lui demande comment il évite les pièges de la vie de rock star, Charlie répond qu’il n’est pas une rock star - This speaks well to the character of Charlie Watts, I would say - Le style de Charlie watts is more music than muscle. Sharky entre dans le détail du hit hat thing, mais c’est trop technique pour les novices. Et cette phrase «This is why Charlie Watts matters» revient comme une sorte de leitmotiv religieux dans les pages de cette bible Stonesy : «Il y avait l’anticipation dans le groove et la pénétration était laissée de côté, comme il se devait, pour ce qui était prévu après l’heure de fermeture.» And this is why Charlie Watts matters : He made them sound unique again. Et Sharky entre dans le détail de la China cymbal, un délire encore trop corsé pour le novice. Il dresse ensuite un parallèle entre le drumming de Charlie dans Tattoo You et le Kama Sutra : il enfilait chaque roulement de batterie avec un nouvel angle. Encore un matter de taille : Vous pouviez toujours compter sur Charlie Watts quand tous les autres avaient perdu la boule - when everyone else has lost their fucking minds - Et retour au drum style, it was never about chops, c’est-à-dire la technique, it was about style. Et quand à 40 balais Charlie décide de faire le con en passant à l’héro, il entre en concurrence avec Keef : «J’ai failli en mourir. J’étais très malade au terme de deux ans sous héro et sous speed. Ma fille me disait que je ressemblais à Dracula.» Il va subir deux interventions, faire une semaine de rayons pour soigner son cancer et s’en sortir avec les honneurs, sous le regard ô combien admiratif de Sharky : «He is Charlie fucking Watts and he comes back strong.» Oui, Charlie passe à travers !

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    Sharky explique dans le dernier chapitre qu’il a appris à jouer de la batterie en jouant sur les disques de Sabbath, des Who, de Led Zep, d’Hendrix, de Little Richard, de James Brown, de Professor Longhair, du MC5, de Chuck Berry et des Ramones, mais ce que faisait Charlie était beyond, c’est-à-dire bien au-delà.

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    Sharky redescend de son nuage d’écrivain en rappelant, avec un art consommé de la synthèse, que Charlie a survécu au cancer et à l’héro, à cinquante ans de tournées avec Keef et Jagger et qu’il n’a jamais quitté les Stones, même lorsqu’il avait de bonnes raisons de le faire. He had the patience of a fucking saint. Oui, la patience d’un saint. Et il termine ainsi : «This why Charlie Watts matters : on pouvait toujours compter sur lui pour swinguer.»

    Dernière chose : en janvier dernier, Gildas descendit de chez lui en tenant un book à la main. Nous l’attendions en bas.

    — Tiens, c’est pour toi, tu nous feras une chronique !

    — Wouah ! Mais c’est le book de Mike Edison ! Quelqu’un que tu connais bien m’en a dit le plus grand bien !

    La chronique n’est pas parue, car cet enfoiré a cassé sa pipe en bois fin février. Je la confie donc à Damie, elle est entre de bonnes mains.

     

    Dans la vie, on va vite à mythifier. Il est possible que ce book soit l’un des plus beaux de la rock-culture et comme par hasard, ce fut l’ultime cadeau de Gildas. D’où sa valeur considérable.

    Signé : Cazengler, charlot Ouate

    Mike Edison. Sympathy For The Drummer. Why Charlie Watts Matters. Backbeat Books 2019 (Advance Uncorrected Reader’s Proof )

     

    La petite victoire de Little Victor

    - Part Two

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    Little Victor n’est pas avare de petites victoires. Sa nouvelle petite victoire s’appelle Deluxe Lo-Fi, un album dont le nom dit tout. Si tu aimes le luxe et que tu n’es pas riche, cet album est pour toi. Et si tu sors l’insert de la pochette, tu verras Little Victor photographié avec sa casquette de capitaine, tu sais ces casquettes de contrebandiers San Francisco, qui datent du temps des films noirs : un look un brin Bogey, mais avec une barbichette et une allure à l’Ali Baba. Il gratte sa gratte derrière un gros micro vintage accroché au plafond et ferme les yeux pour chanter «Gambler’s Boogie», un fier boogie à la Louisianaise. Little Victor se montre à la fois digne de son idole le grand Louisiana Red et de John Lee Hooker. D’ailleurs, «My Mind» qui ouvre le bal de l’A est dédié à Louisiana Red. Il chante aussi au velouté ce big heavy blues de rentre dedans qu’est «I Done Got Tired». Quel son, my son ! Un son chargé à ras-la-gueule comme un canon confédéré pointé sur ces damned Yankees, un son puissant et seigneurial de lo-fi bien roulé au déroulé, mais pas n’importe quel déroulé, un déroulé lourd de sens. Ah comme c’est powerful ! Little Victor montre aussi qu’il peut rocker comme mille diables, il suffit d’écouter «Slow Down Baby», vrai boogie demented à gogo chanté avec la foi du charbonnier.

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    Ou pire encore, ce «Graveyard Boogie» tapé à l’énergie rockab, une absolute departure de beginner. «I don’t play no pretty guitar ! I always try to play the meanest possible guitar !» dit-il dans la note d’intention accompagnant sa petite victoire. En B, il envoie un beau clin d’œil ferrailleux à Elmore James avec «Rocks». Il va down the road de bon cœur et se montre encore plus royaliste que le roi Elmore, il joue à la déglingue fondamentale et avale son chant à l’édentée salivaire des faubourgs de Vicksburg. Par contre, il chante «Whats The Matter Now» à la rocaille de la victorisation des choses. Il sonnerait presque comme Little Richard ou même Larry Williams, c’est d’un authentisme qui frise l’attentisme. Sérieux client que ce Little Victor, il se montre parfaitement capable de rocker la couenne du vieux rock’n’roll de la Nouvelle Orleans. Il adresse un autre clin d’œil, cette fois à Big Dix avec «Rockin’ Daddy». Il joue le boogie en père peinard sur la grand-mare des canards, ça suit sa route, ça fluctuat nec mergitur et ça swingue la couenne du meilleur boogie victorien. Il rocke le blues à l’estomac. C’est porté par un son délié, monté sur un bassmatic bien rond et une frappe légère. Ah comme ce mec sonne juste. On entend là the real black white man blues.

    Signé : Cazengler, Little Victordu

    Little Victor. Deluxe Lo-fi. Stag-O-Lee 2018

    MOUNTAIN ( III )

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    Troisième rendez-vous hebdomadaire avec Mountain. Chiffre idéal quand on aborde le dernier volet d'une trilogie. Celui de la fin. Il y aura un quatrième tome, un os ( moelleux, très bon ) jeté en pâture aux fans pour les faire patienter, et accroire que va bien. En attendant, un beau titre Flowers of Evils, emprunté à Baudelaire. Chacun trouve ce qu'il lui plaît dans une œuvre poétique, ou ce qui l'interpelle. De fait Mountain est confronté à une double problématique, historiale et personnelle. La guerre du Vietnam, elle eut par chez nous un retentissement souterrain, invisible, dès 1966 dans les lycées et les facultés se créèrent des Comités Vietnam d'obédience trotskiste ou maoïste, ces groupes furent les embryons de Mai 68. La conscription mit la jeunesse américaine directement en prise avec la guerre. De nombreux boys laissèrent leur peau dans les rizières. Ceux qui avaient la chance d'en revenir ramenèrent avec eux de sérieux malaises psychologiques. Beaucoup trouvèrent un dérivatif dans les drogues. L'époque s'y prêtait mais certains changèrent simplement d'enfer...

    Les membres de Mountain étaient dégagés des obligations militaires, les produits plus ou moins illicites faisaient partie à part entière de la culture rock. Le groupe tournait beaucoup, une aubaine pour les dealers, les filles, la route, l'alcool, l'argent, la fatigue, la dope, un cocktail explosif. Le succès renforce les égos et exacerbe les conflits latents ou artificiels... tout était réuni pour le split...

    FLOWERS OF EVIL

    ( Novembre 1971 )

    Est-ce que ces dissensions seraient à l'origine de la discrétion de Gail Collins sur cette pochette. Certains de ces messieurs ont-ils exigé d'avoir leur trombine en couverture ? Certes la photographie est de Gail, heureusement que la graphie du nom du groupe lui fût revenue. A touch of Gail qui brise l'anonymat de nos quatre chevelus. Des milliers de disques interchangeables arborent la tronche de leurs géniteurs, le lettrage de Gail détourne nos regards de nos quatre héros. Ce n'est pas qu'ils soient particulièrement laids c'est qu'ils sont comme tout le monde. Les huit signes de Gail se déchiffrent, des runes colorées qui racontent une histoire que chacun doit s'inventer. Et cette princesse de cœur qui semble remonter le courant de l'alphabet, est-ce pour signifier sinon son désaccord du moins une fêlure ? Les créations graphiques de Gail relèvent d'une ambivalence synesthésique peinture /musique qui a agi en tant que chambre artefactique de distorsion quant à la réception du groupe. Comme par hasard Baudelaire a beaucoup réfléchi sur l'impact réceptionnel et opératoire d'une toile sur le public.

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    Side A : Studio : Flowers of Evil : pas si violent que cela, c'est que le mal est plus rusé que vous ne le croyiez, s'insinue dans vos veines l'air de rien, même qu'au début vous avez l'impression qu'il vous fait du bien, un petit côté country, pas radisiaque mais presque, c'est bien de cela qu'il s'agit, du retour à la maison, le boy n'est pas en meilleure forme, n'a pas envie d'offrir des bouquets de fleurs à tout le monde, n'est plus ici, l'est ailleurs, barjote, barbote en lui-même, fini par rempiler au Vietnam pour trois ans, le titre est à la hauteur du sujet, d'un certain côté il ne vous satisfait pas tout à fait, et de l'autre vous ne pouvez vous empêcher d'y revenir. Ne cherchez pas, la solution est impossible à trouver. Une similitude avec le son du Creedence n'étonnera personne. L'eau qui coule des montagnes n'est pas toujours aussi claire et revigorante que l'on pourrait s'y attendre. King's Chorale : nous refont le coup de Taunta sur le Nantucket Sleighride, l'instru-mental qui tue. Même pas une minute. Knight se la joue sonate de Beethoven, vous enfile les arpèges du désespoir et les asperges de la solitude, à peine commencé, déjà terminé. Le mieux c'est de vous l'enregistrer en boucle. Faites attention à ne pas vous la passer autour du cou. Un malheur est si vite arrivé. Si cela survenait, vos amis seront tous d'accord pour affirmer que vous avez trouvé la musique appropriée pour votre générique de fin. One last cold kiss : Vous avez aimé The Wild Swans at Coole de William Butler Yeats, alors vous adorerez cette ballade. Froide comme le baiser de la mort. Paroles de Felix et Collins. Pratiquement prophétiques si l'on y pense. La mort du cygne est un lieu commun de la poésie symboliste. Avec ici un arrière goût moyenâgeux à la Swinburne. Mountain n'a pas donné dans la facilité, n'importe quel groupe de heavy-hard vous aurait traité cela à la manière grandiloquente des peintres pompiers du dix-neuvième siècle, non y ont introduit une pointe narquoise, pour mieux se tenir dans l'entre-deux de la mort et l'agonie de la beauté de vivre. Vous déroule la ballade comme le tuyau d'arrosage du jardin, au moins quelqu'un versera des larmes. Encore faudrait-il que le jardinier ait compris la signification de son geste. Crossroaders : retour à la mythologie rock, West devait en avoir marre ces quatre premiers morceaux larmoyants font un peu truc de gonzesse qui s'apitoie sur l'oiseau tombé du nid, alors là il vous le met riff profond, avec cette élégance toute britannique à la Eric Clapton, entendez ce morceau entre deux portes et instinctivement vous étiquèterez Cream, non vous n'êtes pas dans la bonne crèmerie, mais ici les blancs montés sur la neige de la montagne sont une spécialité. Inégalable. Pride and passion : Knight fait mumuse-couic avec son clavier. Longuement, ne vous impatientez pas, il y en a pour sept minutes et quand ça part c'est un peu dans tous les sens, de temps en temps vous avez un relent de fado de portugais, mais ce n'est pas fade. Une espèce de mini-opéra à la Kinks, retour au thème du début, la guerre qui tue les enfants des pauvres gens, encore un truc de nana, tout à fait Gail, pas vraiment gai, marmonne West, mais il met sa guitare en sourdine et vous tresse des harmonies à faire pleurer un crocodile dans son marigot. Dans toutes les montagnes qui se respectent vous avez des gorges profondes qui débouchent sur des grottes dont les parois sont recouvertes de dessins inattendus mais inoubliables.

    Side B : Live enregistré au Filmore-Est de New York : 1 / Dream Sequence : A : Guitar solo : tournez le disque, surprise, bien sûr c'est la face de West, une pyramide à sa gloire, oui mais c'est beaucoup plus subtil que cela. Vous vous focalisez sur la section suivante, un bon vieux Chuck Berry ce n'est pas spécialement fait pour piquer un petit roupillon, tout-à-fait d'accord avec vous, mais avez-vous remarqué qu'au début de cette dream sequence Knight vous re-pond ( et ron et ron petit patapon ) son pointu tchik-tchik du début de Pride and Passion, le disque est composé à la manière d'une symphonie avec des thèmes qui s'en vont et qui reviennent, même que West il commence par s'amuser avec la knighteuse mouchette chichiteuse, et puis il n'y tient plus, l'a son naturel de guitariste diplodocus qui le reprend et il vrombit de colère comme si vous aviez eu la malencontreuse idée de lui couper une corde. B : Roll over Beethoven : contrairement à ce qu'affirmait Eddy Mitchell, ici Beethoven  ne se repose pas, le West n'a aucun respect pour les classiques, vous le malmène salement, t'as voulu savoir ce que c'était que les coups du destin, tiens prends-ça, les riffs en rafales trafalgariennes, le Corky vient à son secours comme s'il avait besoin d'aide, l'agilité d'un lézard des murailles qui dépasse les cent cinquante tonnes, là où la guitare de West passe, la forêt hercynienne ne repousse pas, un vocal à la tronçonneuse et Corky à la bétonneuse, si vous sautez au plafond en écoutant cela prenez garde de ne pas percer le plancher du voisin d'au-dessus. En fait je retire ce que je viens d'écrire, à la fin c'est l'immeuble entier qui s'écroule. Pire que les Twin Towers ! C : Dream of milk and honey : le Leslie l'est comme le taureau qui vient de tuer le torero, ça lui file le peps,  le rêve de lait et de miel il en change la recette, les autres se dépêchent de dresser la table, programmation démente, cauchemar avec dynamite et vitriol, vous ne reconnaissez plus le film, ils n'ont gardé que les scènes de carnage et d'abattoirs, et le West l'est à la guitare comme le divin Ajax qui frappé de folie s'en va tuer les réserves de vaches folle, que les Grecs gardaient pour les Dieux. Tout va mal, nous sommes aux anges. D : Variations : si vous n'avez jamais entendu ces variations, vous n'avez aucune idée de comment on peut tripoter une guitare, chaque cinq secondes une révélation, du coup Corky s'en va taper sur sa cloche à long horns sauvages et évidemment la guitare de West se met à meugler telle la charolaise neurasthénique qui sentant le soir venir appelle le fermier pour être ramenée à l'étable, aussi technique que les Variations Goldberg de Bach mais sans clavecin. Essayez d'imaginer le désastre. E : Swann theme : Corky agite ses plumes sur la batterie et l'on rentre dans la reprise du Cygne. Est-il vivant ou est-ce son âme brillante qui s'élève rapidement et qui fonce à toute vitesse vers la ligne d'horizon. Derrière lequel il disparaît d'un dernier coup d'aile. 2 / Mississippi Queen : vous en voulez encore, en voiçà en voili, la pièce montée après le cuissot de mammouth, Mountain s'amuse, la reine du Mississippi nous fait tous les plans-drague qui marchent à tous les coups, soulève sa robe et dévoile son sein, par Toutatis une partouze-party à vous péter les rotules sur le tatami.

    J'en connais, je ne citerai pas de nom mais les tiens à la disposition des journalistes, qui n'ont pas du tout aimé la première face, ce qui ne les empêche pas de déclarer que vous vous ne trouverez pas mieux que le trésor de la B-side. D'autres posent le problème autrement : le groupe est à court d'inspiration, il patauge en studio et donne le meilleur sur scène. Cela sent le sapin. L'est vrai que le groupe se sépare – officiellement il prend un peu de repos – pour garder une casserole sur le feu, au cas où l'arrête ne serait pas définitif en 1972 Windfall leur maison de disques fait paraître un live.

    LIVE : THE ROAD GOES EVER ON

    ( Avril 1972 )

    Le titre hobbitique sonne un peu comme la formule rituelle, quand un artiste est tombé du trapèze dans la fosse aux crocodiles affamés, the show must go on ! Même si vous n'êtes pas diplômé des Beaux-Arts vous reconnaissez la patte de Gail, elle fait attention à ne pas se montrer, pas de jeune lady féérique sur la couverture qu'elle ne tire pas à elle. Toutefois l'on reconnaît les couleurs et le pic auréolé de Climbing ! Mais la paisible présence du cygne de Flowers of Evil devrait-elle être considérée tel un avatar baudelairien de l'albatros ? Et ces fleurs contournées - ces espèces de clématites délirantes, ces corolles carnivores qui se nourrissent de nos rêves - ne s'étalent-elles pas comme des forêts de symboles.

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    Long red : Smart est à la batterie. C'est norsmart, ce morceau est issu du set de Mountain à Woodstock. ( août 1969 ). Nous l'avons chroniqué dans la livraison Kr'tnt 462. Waiting to take you away : même remarque que pour la piste précédente. Crossroaders : légers glissandi de guitare, deux tapotements de baguettes et la machine démarre. Beaucoup plus bluesy que la version studio. Encore plus crémeuse aussi. Pappalardi vous a de ces profondeurs de basse capable de chavirer le Titanic, quant à West, sait qu'il doit faire mieux que vous savez qui. Alors il fait mieux. Simple, il suffit de vouloir, c'est dans les fioritures qu'il installe la différence, le riff c'est facile, c'est tout le reste qu'il fait en même temps, j'imagine ses doigts comme des essaims de mouches qui courent partout sur une surface plane, vous les chassez, elles reviennent encore plus insistantes. Six minutes de bonheur qui vous aident à comprendre pourquoi parfois l'éternité c'est trop court. Nantucket sleighride : on ne repartira pas à la chasse à la baleine, nous l'avons aussi chroniqué dans notre livraison 462. Le disque se terminait là, je sais c'est frustrant mais en 2018 pour une réédition CD, Bonus track : Stormy Monday : ( in Byron, in Georgia ) le vieux classique de T-Bone Walker dont on se plaît à dire qu'il fut le Prométhée moderne qui apporta l'électricité à la guitare, au blues et au rock. Peut-être un peu trop pour un seul homme, l'on ne prête qu'aux riches. Le blues c'est comme l'élastique plus vous l'étirez à chaque centimètre gagné il sonne différemment, alors Mountain ils vous le tirent durant dix-sept minutes, je vous laisse imaginer comment ce genre de facétie agrée un guitariste tel que Leslie, le Corky peut bien activer son drumin', vous ne quittez pas West de l'oreille, ce diable d'homme a toujours un chapelet de notes en rab, le mec il jette des perles aux pourceaux que nous sommes à pleines poignées. Chez la plupart des groupes de rock, quand on se lance dans un blues, c'est un peu l'aire de repos sur l'autoroute, vas-y mollo Julot, ça ne mange pas de pain et c'est autant de gagner sur la pendule, le Leslie il arrache les feuilles des marguerites une par une et les recolle à l'identique. C'est son passe-temps, un miniaturiste, un perfectionniste, c'est fou tout ce qu'il est capable de fabriquer, vous décoche ses notes comme un indien pawnee ses flèches mortelles, ou alors il se lance dans l'élevage des puces sauteuses, vous refile des croches cinglantes comme des barres de fer, ou  vous les envoie par-dessous la ceinture, en catimini, vous les fait planer très haut comme des cerfs-volants, et quand vous essayez de les suivre vous comprenez que vous n'êtes qu'un gros balourds. The West is the best.

    THE BEST OF MOUNTAIN

    ( Février 1973 )

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    Never on my life / Taunta / Nantucked Sleighride / Roll over Beethoven / For the Yasgur's farm / The animal trainer and the toad / Mississippi Queen / King's chorale / Boys in the Band / Don't look around / Theme for an imaginary western / Crossroader / + BONUS TRACK Réédition 2003 : Long red / Dream of milk and honey / Silver paper / Travelin' in the dark.

    En règle générale je n'aime guère les greatest hits and consorts, les visées commerciales y sont bien plus prépondérantes, prennent le pas sur la démarche artistique. Celui-ci est bien fait. Si l'on excepte la pochette hideuse – une espèce de grossièr duplicata du Paranoid de Black Sabbath - pour laquelle l'on n'a pas pensé à demander la participation de Gail Collins. Il regroupe des titres issus des trois premiers albums du groupe et aussi du Mountain de Leslie West. Certes il n'apporte rien de neuf pour le fan de base mais l'écoute des morceaux aide à percevoir la profonde unité de la production montagnarde. Y éclate la puissance du groupe et met en évidence une sourde nostalgie un peu surprenante. Il n'existe pas vraiment de séparation entre les morceaux rentre-dedans et ceux plus lents que l'on qualifiera pour être plus explicite de ballades. Cela est dû en partie au toucher magique de Leslie West qui même dans les envolées les plus warm semble n'effleurer les cordes que du bout des doigts. Mais surtout au fait que Mountain a su créer une ambiance quasi-poétique ( au sens fort de ce terme, qui ne signifie pas mièvre joliesse mais issu d'un véritable processus créatif ) auquel peu de formations sont capables d'accéder.

    Ce best of permet de souligner un paradoxe, Mountain aura de nombreux fans inconditionnels, les critiques seront la plupart du temps élogieuses, mais les ventes s'avèrent pour une formation de cette importante décevante. Elles n'atteindront jamais le grand public, celui qui achète les oreilles fermées, sur la réputation... D'où une certaine déception chez les principaux protagonistes de l'aventure. L'on peut s'interroger sur ce manque de saut quantitatif. Pour ma part je l'explique par la nature même de la musique. A l'emporte-pièce, capable de décapsuler n'importe quelles esgourdes bouchées, mais mises alors en présence d'une réalité plus complexe que la facilité escomptée. Mountain ouvre des espaces dans lesquels beaucoup refusent de s'engager, celui des abysses du rêve irradié d'un miroitement de verre brisé. Une dangereuse fragilité de la réalité du monde suggérée par le pinceau de Gail Collins, ses belles acanthes torturées éprises d'une préciosité de princesse impérieuse prisonnière de sa propre tour d'ivoire et d'ivresse.

    L'aventure Mountain semble terminée. Mais il est des cachalots échoués sur une plage qui se refusent à mourir et parviennent à regagner les eaux du large.

    Damie Chad.

     

    UNE ETONNANTE EXPERIENCE

    ( confidentiel SSR )

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    Molossa s'est subitement figée. Nous étions à quinze mètres de la porte de l'immeuble. La rue était déserte. J'étais aux aguets, j'ai glissé la main dans ma poche. Pas de panique avec un Glock 26 en bon état de marche, un agent du SSR ( Services Secrets du Rock'n'roll ) peut aller jusqu'au bout du monde. Je ne croyais pas si bien penser. Trêve de philosophie, il restait les sept étages à monter. Sans ascenseur. Molossa me suivait le nez planté sur mon jarret gauche. Elle m'avertissait. Quelque chose ne tournait pas rond. Sur ce coup-là j'augurais mal de la suite des évènements. C'est en arrivant sur le palier du deuxième étage que moi aussi j'ai entendu. Un bruit, une espèce de ronronnement insaisissable. Etrange, à part les bureaux du SSR au septième, tous les appartements sont inhabités. Ce n'était pas une fausse impression. A chaque marche le bruit s'amplifiait d'une façon démesurée. C'est quand j'ai posé le pied sur la dernière marche que mon esprit subtil réalisa avec une netteté prémonitoire le scénario de la catastrophe. Le service était attaqué, un commando en hélicoptère menait un raid-suicide, comptaient passer par les fenêtres, des professionnels, faut un pilote hors-pair pour se risquer à faire tournoyer les pâles d'un EC665 Tigre, au ras d'une façade. Déjà Molossa la brave chienne, fidèle mais féroce galopait à fond de train dans les escaliers, elle passa dans la rue, s'arrêta pile devant la porte arrière-gauche de la teuf-teuf, poussa trois jappements brefs et incisifs qui déclenchèrent l'ouverture automatique de la portière. Maintenant elle remontait les escaliers les mâchoires serrées sur mon bazooka de poche toujours posé sur la banquette arrière. Je vérifiais mon chrono, 1 mn 35 s, mieux qu'à l'exercice. Me restait plus qu'à entrer en scène. J'ai pratiquement arraché la porte de ses gongs, me suis précipité à l'intérieur le bazoo tourné vers la baie vitrée, le bruit était intenable, il s'est arrêté brusquement :

      • Agent Chad, vous répétez une scène pour un remake des Oies Sauvages ?

    Le Chef était vivant. L'hélico n'existait plus. Franchement j'aurais préféré mourir qu'assister à ce que mes yeux me montraient mais que je me refusais à voir. Non, le Chef n'était pas à sa place, à son bureau, en train de fumer placidement un Coronado. J'avoue que cette hypothèse puisse à la rigueur se concevoir dans l'absolu hypothétique, mais le reste relève de l'impossible, Kant le philosophe n'aurait pas hésité à décréter la chose moralement inconcevable. Le Chef lui-même passait l'aspirateur !

      • Chef, vous ne devriez pas, ce n'est pas un travail d'homme, Marie-Odile chargée du ménage le fera demain, vous ne savez même pas vous en servir, vous l'avez détraqué, vous avez entendu le potin, quand c'est Marie-Odile il ronronne si doucement, presque voluptueusement ! Elle a une manière de presser le flexible tuyau dans ses mains potelées que...

      • Agent Chad, ce n'est pas le moment de s'égarer en des considérations subalternes, nous avons mieux à faire, un immense défi à relever, une tâche grandiose et insurmontable, l'Humanité ne comprendra jamais pourquoi nous lui faisons un tel cadeau, évidemment ce n'est pas pour elle - nous n'y pouvons rien, parfois certaines actions prodigieuses produisent des bienfaits collatéraux - mais nous l'accomplirons uniquement pour la gloire du rock'n'roll et le bonheur des seuls rockers !

         

    Je ne peux vous révéler le projet auguste fomenté par le cerveau du Chef, vous mettre devant le fait accompli vous suffira. Vous communiquerais-je la conversation que nous tînmes que vous nous feriez enfermer à l'asile. Sachez que notre entretien fut long – il demandait des connaissances intellectuelles bien supérieures à vos pauvres capacités – le Chef fuma moult Coronado, Molossa et moi en profitâmes pour laper chacun son tour dans le même verre, au moins trois bouteilles de Jack...

     

    Nous avions repeint la teuf-teuf en vert kaki. Le plus difficile fut de parvenir à ce que Molossa ne se délestât point de son béret artistiquement posé sur ses oreilles. Le Chef avait endossé un costume de colonel et moi celui de sous-lieutenant. Les deux troufions qui nous virent arriver rectifièrent leur position. Ils n'osèrent même pas sourire lorsque Molossa s'avancer pour les passer en revue.

      • Sous-lieutenant Chad, c'est quoi ce ramassis de cloportes, ne me dites pas que ce sont des soldats, à la façon dont ils se trémoussent, tout au plus des danseuses de french-cancan.

      • Vous avez raison, Colonel, je parie la moitié de ma solde qu'ils n'ont même pas la clé !

      • Si, si, nous l'avons, la voici !

      • Alors qu'attendez-vous pour ouvrir ?

     

    L'immense hangar était totalement vide. Mais le Chef se contenta de tâter les murs, sa moue me prouva qu'il était satisfait :

      • Hum, impeccable, 5 sur 5 !

      • Si... Si... je peux me permettre mon Co-colonel bafouilla l'un d'eux, c'est un abri-anti-atomique de dernière génération, anti-radiation, vous pouvez le bombarder avec cent bombes à neutron, rien ne traversera ses murs, tout comme aucune émanation intérieure ne pourrait s'échapper de leur structure moléculaire, totalement étanche et hermétique du sol au plafond, spécialement conçu pour protéger l'Etat-Major en cas de guerre atomique ou même bactériologique !

      • Exactement ce qu'il nous faut, soldats, je suis content de vous, vous êtes venus avec la jeep là-bas, prenez-là, je vous file six semaines de permission immédiate, ne retournez pas à la caserne, je me charge des paperasses.

      • C'est que... normalement personne ne garde le bâtiment mais la nuit dernière on a fait le mur, en punition l'adjudant nous envoyé ici en pleine forêt pendant trois jours.

      • Parce que vous préférez obéir à un trou du cul d'adjudant plutôt qu'à votre colonel, hurlai-je, obéissez immédiatement ou je vous fais coffrer pour six mois.

    Ne se le firent pas répéter, surtout que Molossa s'approchait d'eux, la bave dégoulinant de ses crocs pointus...

     

    Le plus difficile fut de de ménager une ouverture pour passer le tuyau de l'aspirateur. Il nous fallut des heures pour découper un cylindre de trois centimètres de diamètre et toute la nuit pour en détacher quelques parcelles obtenue à coups de râpes et de dissolvants divers afin de les transformer en un ciment de jointure qui possédât les mêmes qualités d'étanchéité totale que le reste de l'abri. Ensuite nous sortîmes l'aspirateur du coffre de la teuf-teuf l'arrimâmes au tuyau. Il n'y avait plus qu'à appuyer sur le bouton.

      • Chef, il fait quand même du bruit votre aspirateur !

      • Agent Chad, ceci n'est pas un aspirateur, ceci est un excavateur métaphysique.

      • Chef quand vous parlez, des fois vous me faites peur !

      • Agent Chad, vous avez raison. Moi-même j'éprouve une légère appréhension, ce que nous sommes en train de faire, personne ne l'a encore tenté, même pas dans les laboratoires secrets des amerloques et des ruskofs. Maintenant il suffit d'attendre.

    Le soleil se levait, Le Chef alluma un Coronado, Molossa me rappela que nous avions emmené quelques sandwiches.

     

    Le Chef regarda sa montre et leva la main. L'aspirateur s'arrêta.

      • Les calculs sont justes. Nous avons retiré tout l'air qui se trouvait dans ce bâtiment. Voyons agent Chad, d'après vous que reste-t-il à l'intérieur ?

      • Rien Chef, l'espace est totalement vide.

      • Ne dites-pas tout et son contraire, agent Chad, il n'y a pas rien, puisque vous venez de dire qu'il restait l'espace. Voyez-vous agent Chad, le bouton vert sur lequel vous avez appuyé a permis à l'excavateur d'attirer l'air, l'orange sur lequel vous poserez votre doigt dans quelques secondes permettra à cette prodigieuse machine d'accomplir sa deuxième mission, maintenant nous allons retirer l'espace de l'intérieur du bâtiment.

     

    Le bruit fut nettement plus agréable, un sifflement insistant mais très supportable. Par contre le spectacle fut extraordinaire. L'immense bâtiment se ratatina sur lui-même comme un canot pneumatique que l'on dégonfle à la fin des vacances. En fin de compte il ne resta qu'un gros tas aussi volumineux qu'un énorme cube de ciment.

     

      • C'est insensé chef, au fur et à mesure que la masse volumétrique se volatilisait, le bâtiment s'est tassé sur lui-même, à croire que les murs se sont adaptés d'eux-mêmes aux changements incessants de dimension, c'est à penser que la matière est pourvue d'intelligence

      • Agent Chad, ne racontez pas n'importe quoi, la matière obéit à des lois physiques elle s'adapte en se concentrant à ses propres capacités de déploiement dans l'espace, puisqu'il n'y a plus d'espace il ne reste plus que les murs, et comme les ingénieurs de l'armée avaient donné aux parois, au plafond et au toit la réglementaire et unitaire épaisseur de trois mètres, ne reste plus qu'un bloc de béton précontraint pour ne pas dire post-contraint, soit exactement un cube de 696 m3.

      • En fait Chef, nous avons éliminé les trois dimensions de l'univers physique, c'est fabuleux !

      • Agent Chad, ne nous contentons point d'une médiocre réussite à la portée de la majorité de nos contemporains !

     

    Nous convînmes qu'il était temps de poursuivre notre protocole. Expression des plus heureuses, puisqu'il s'agissait d'extraire de cet amas cimenteux la quatrième dimension de l'espace, le temps qui n'avait pas jugé bon de sortir avec ses trois consœurs, j'appuyais donc sur le bouton rouge. Il y eut un très doux chuintement qui dura quelques minutes.

      • Extraordinaire Chef, l'on dirait un glaçon qui fond, qui s'évapore dans l'air ambiant !

      • Agent Chad, pour une fois que vous dites quelque chose d'intelligent ! C'est cela même, les atomes de temps qui sont les véritables particules du vide volumique se sont réfugiés dans les murs, et maintenant que nous les arrachons de leur repaire, et les expulsons, la matière privée de temps n'existe plus.

     

    Molossa qui venait de terminer son douzième sandwich ( roquefort – tête de veau – crème vanille en guise de mayonnaise ) se rapprocha de nous. Son instinct ne la trompait pas, nous nous apprêtions à enclencher la phase 4, c'est d'une main tremblante d'émotion que je poussais sur le bouton noir surchargée d'une tête de mort.

    Pendant trois heures il ne se passa rien du tout. L'excavateur métaphysique gisait sans bruit dans l'herbe tel un hippopotame vautré dans la vase du Zambèze. Et subitement Molossa tressaillit, elle pencha sa tête sur la droite et sembla écouter longuement, au bout de quelques heures elle remua la queue de contentement, puis elle se mit à aboyer joyeusement, et l'impossible se produisit, loin très loin nous entendîmes comme un aboiement !

     

      • Chef, il répond, c'est lui Molossos, le frère de Molossa, il revient, c'est inouï !

      • Agent Chad, apprenez à modérer vos émotions, ce qui se passe est d'une simple logique aristotélicienne, puisque nous avons détruit le temps en un point donné de l'univers, nous avons du même coup tué la mort, et puisque la mort n'existe plus, les morts reviennent à la vie, nous avons ouvert un couloir qui leur permet de revenir.

      • Chef, chef, regardez, c'est lui, c'est Molossos !

     

    Et Molossos surgit brutalement bondit dans mes bras me lécha abondamment la figure, et entama une poursuite endiablée avec Molossa heureuse de retrouver son frère. Mais subitement il s'arrêta, et disparut dans le trou de l'espace-temps que nous avions opéré...

      • Chef, il n'est pas loin, je l'entends aboyer, c'est un chien fidèle, il me rapporte un cadeau, c'est son truc, rappelez-vous la fois où il nous avait amené en le tirant par la queue l'anaconda de douze mètres de long qu'il avait volé au zoo de Vincennes !

      • Si je m'en souviens, heureusement que je me suis aperçu que cette maudite bestiole détestait la fumée du Coronado ! J'espère que ce coup-ci il n'aura pas choisi un tyranosaurus, parce que je n'ai jamais lu dans un traité de paléontologie que ces bébêtes ne supportaient pas les suaves effluves du Coronado.

      • Chef, ne vous inquiétez pas, Molossos est un chien de rocker, que dis-je, c'est un rocker lui-même, ne comptez pas sur lui pour nous ramener n'importe qui !

     

    J'avais raison. Quelques minutes plus tard, coup sur coup, devant nos yeux extasiés, surgirent Eddie Cochran, Buddy Holly et Gene Vincent. Ils nous regardèrent mais ne paraissaient pas extrêmement heureux '' The acoustic is better donw the line s'exclama Buddy, oh Yes, three steps to heaven, chantonna Eddie, I'm comin' home to see my baby'' déclara Gene Vincent et sans plus tergiverser ils retournèrent sur un dernier signe de la main dans le trou suivi de Molossos.

    Je voulus les suivre mais le Chef s'y opposa.

      • Agent Chad, votre mission d'agent du SSR n'est pas terminée sur cette terre. Nous allons remettre tout en place, en inversant le sens de rotation du moteur. Songez que demain Marie-Odile vient passer l'aspirateur au local. Il nous va falloir redonner sa physionomie habituelle à ce ramasse-poussière breveté, et faire disparaître toutes les améliorations qui nous ont permis de le customiser en excavateur métaphysique. Maintenant nous savons que les rois du rock sont immortels, que voulez-vous de plus ! Inutile d'ébruiter cette affaire. Personne ne vous croirait. Vous avez mieux à faire. En plus, suprême lot de consolation pour un esprit comme vous bassement attaché à la chair des choses, je pense que Marie-Odile en pince pour vous.

     

    Et comme toujours le Chef avait raison.

    ( Rapport confidentiel ultra-secret de l'Agent-Chad ).

  • CHRONIQUES DE POURPRE 463 : KR'TNT ! 463 : KNOX PHILLIPS / DAVE BROCK / ROBERT WYATT/ PETER GREEN / / MOUNTAIN / LEONARD COHEN

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 463

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB KR'TNT KR'TNT

    07 / 05 / 2020

     

    KNOX PHILLIPS / DAVE BROCK

    ROBERT WYATT / PETER GREEN

    MOUNTAIN / LEONARD COHEN

     

    Knox out

    mountain,leonard cohen

    Nouveau trou dans l’eau pour le clan Phillips : Knox Phillips vient de casser sa pipe en bois. Peut-on dire qu’il vécu une vie de rêve ? Ça paraît évident, quand on est le fils d’Uncle Sam, un homme que les prêtres de l’antiquité auraient appelé l’égal des dieux, s’il avait vécu dans l’antiquité. Uncle Sam a changé la vie de beaucoup de gens. On peut parler de millions de gens. Il a su le faire sans guerre ni politique. Avec seulement de la musique. C’est toute la différence. Et la raison pour laquelle il faut se prosterner devant lui jusqu’à terre et continuer d’ignorer les politiques et leurs chiens fidèles des médias.

    mountain,leonard cohen

    Knox et son frangin Jerry ont grandi auprès de cet homme. Peter Guralnick nous donne de tout petits aperçus de cette éducation dans l’immense ouvrage qu’il a consacré à Uncle Sam, Sam Phillips - The Man Who Invented Rock’n’Roll. Il nous montre comment Sam Phillips enseigne à ses fils Jerry et Knox l’importance de devenir soi-même, la nécessité de devenir rebelle sans basculer dans la marginalité, de toujours choisir l’individualisme plutôt que le conformisme. C’est son crédo : «You don’t need to be an outcast to be a rebel !». Uncle Sam dit aussi un jour à Guralnick : «Ne laissez jamais la célébrité et la richesse interférer avec ce que vous ressentez au fond de vous, Peter, si vous vous savez créatif.» Fasciné, Guralnick voit Uncle Sam professer le Verbe. Nous voilà de retour en Palestine voici deux mille ans.

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    Guralnick nous décrit une autre scène de la vie d’Uncle Sam : certains soirs, il convoque toute la famille, Jerry, Knox et Sally (sa maîtresse) pour leur enseigner les aspects psychologiques du business. Les voilà tous à table, dans le dining room. Uncle Sam parle pendant des heures. Jerry n’en peut plus : «Ça devient ridicule, on est assis là pendant dix heures à l’écouter parler.» Une fois débarrassé du business, Uncle Sam placera toute son énergie de prédicateur et toute sa foi dans le Verbe, non seulement pour modifier la structure de l’atome et déplacer des montagnes, mais aussi pour ramener le Rock And Roll Hall Of Fame à Memphis. Il s’épuisera en vain. Le Hall restera à Cleveland. Uncle Sam ne pardonnera jamais à Ahmet Ertegun d’avoir influé pour le choix de Cleveland alors que de toute évidence, le choix de Memphis s’imposait.

    Guralnick nous parle aussi du temps où Uncle Sam voyait sa passion pour le business s’éteindre rapidement. Son frère Judd et ses deux fils gravitaient autour de lui. Judd qui s’occupait alors de ce qu’on appelle maintenant le marketing s’était mis à boire comme un trou. En bon trou qui se respecte, il buvait en allant se coucher et il buvait dès le réveil. Mais il était tellement flamboyant que personne n’aurait pu dire s’il avait bu ou pas. Un jour, Uncle Sam s’aperçut que Jerry commençait à se faire tatouer. Ça ne lui plaisait pas. Alors il lui mit ça dans la barbe : «Man, if you want to be a freak why don’t you just cut your damn arm off ?» (Fils, si tu veux faire l’intéressant, pourquoi ne te coupes-tu pas un putain de bras ?). Cette sortie digne des oracles de Delphes est entrée, nous dit Guralnick, dans la légende du clan Phillips.

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    Vous vous souvenez d’Elvis ? Lorsqu’il fréquentait encore Uncle Sam, il était considéré comme un proche du clan Phillips. Elvis considérait Jerry et Knox comme ses neveux. Évidemment, les deux gamins éprouvaient une indicible fierté au contact de ce mec qui rayonnait encore plus que leur père, et ce n’est pas peu dire. Quand plus tard, Elvis se produira à l’International Hotel de Las Vegas, il enverra des invitations à toute la crème de la crème du gratin dauphinois, comme on peut l’imaginer. Dans le public, on pourra voir Burt Bacharach et sa femme Angie Dickinson, mais aussi Sam, Knox et Jerry Phillips.

     

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    ( Jerry Phillips / Billy Wulfers / Eddie Roberston / Teddy Page )

    Désillusionné par l’industrie du disque et éminemment conscient de l’impossibilité de conserver son indépendance dans cet univers impitoyable, Uncle Sam n’encourage pas Knox et Jerry à suivre sa voie, mais les deux frères ont grandi dans l’ombre d’Elvis, de Wolf, de Jerr, de Charlie Rich, de Roy Orbison et de tous les autres, alors forcément, ils veulent en croquer. Jerry qui s’est mis à la guitare commence à fréquenter un certain Teddy Paige - Others cite Paige as the first in the area to say that the Beatles ruined music (Certains disent que Teddy Paige fut le premier à accuser les Beatles d’avoir ruiné le rock) - Jerry avait réussi à dénicher ce punkish kid with lots of attitude qui écrivait des chansons et qui jouait de la guitare - Teddy was semi-anti-social - Teddy Paige s’appelait en réalité Edward LaPaglia. Ensemble, ils montent les Jesters, avec Tommy Minga au chant. Ils ont un son qui tend plus vers le juke-joint que vers le teen club, alors en vogue en 1965. Teddy Paige apprécie les groupes anglais jusqu’à un certain point, mais il préfère un autre son - I was into Chicago blues and some of the Memphis style. I loved Freddie King and tried to get that sort of sound - Knox trouvait Teddy extrêmement bizarre, l’un des êtres les plus bizarres qu’il ait jamais rencontré : «He was one of the weirdest people I’d ever met.» Comme Uncle Sam autorise ses fils à utiliser le Sam Phillips Recording Studio de Madison, Knox commence à enregistrer les Jesters.

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    Ils jouent quelques reprises, «Heartbreak Hotel» et le «Boppin’ The Blues» de Carl Perkins, mais ce sont les tremendous compos de Tommy Minga qui font la différence - sheer punk-blues ferocity - Alec Palao voit les influences de Willie Cobbs et des 5 Royales dans «Get Gone Baby», une bombe inédite qu’on trouve sur une compile Big Beat, Cadillac Men. The Sun Masters, parue en 2008. Fantastique machine rythmique ! Don’t come back no more ! Teddy Paige joue à la fucking insistance de suspension demented. Pour l’époque, c’est le son le plus moderne d’Amérique, avec celui du 13th Floor. Paige claque son beignet à chaque break, et derrière, quelle pétaudière ! On croirait entendre les Dixie Flyers ! Tommy Minga fait la pluie et le beau temps dans «The Big Hurt», encore une bombe inédite. Teddy Paige y joue comme le roi des punks, il joue au rentre-dedans, toute la violence du punk-rock de Memphis est là, dans ce raw définitif qui n’a d’équivalent que celui des Pretties et du 13th Floor. Si on aime les guitaristes qui ont du son, alors il faut écouter Teddy Paige défoncer «Stompity Stomp». Il faut imaginer la bête de Gévaudan avec une guitare électrique. Sa modernité d’attaque vaut bien celle de John Du Cann. Le génie de Knox est d’avoir su capter ce son, comme son père sut le faire avant lui avec celui de Scotty Moore. Et comme Dickinson saura le faire avec Tav Falco et Alex Chilton. Avec «What’s The Matter Baby», les Jesters se jettent dans l’excellence de la pétaudière. Tout explose dans le fond du studio avec ce fou de Teddy Paige livré à lui même. Pure mad frenzy ! Ils sont infernaux. Ils combinent les Anglais avec les Shadows of Knight, ça explose dans la purée. Ils montent «Strange As It Seems» sur le riff d’«I’m A Man», mais Teddy Paige rentre dans la couenne du lard avec une malveillance extraordinaire. Quel sale punk ! Les Yardbirds devraient prendre des notes. Teddy Paige a tout compris, il tiguilite sous la ceinture avec une violence surnaturelle. Merci Knox d’avoir chopé ce génie en plein vol.

    Avec les Jesters, Jerry et Knox reviennent aux sources, au primal Sun sound. Knox avoue que depuis cet épisode, il n’a jamais eu l’occasion d’enregistrer anything with that kind of energy. Dans le studio, Tommy Minga saute partout et Teddy Paige gratte une Les Paul branchée sur un Fender bassman crevé, avec trois speakers qui pendouillent - To get a distorded sound - Knox adore that Minga’s voice et le guitar blend de Teddy Paige : «Il n’y avait rien de comparable à Memphis, chez les white people !». Teddy Paige compose «Cadillac Man», mais il n’aime pas la façon dont le chante Tommy Minga. Minga est viré. Teddy appelle Dickinson qui à l’époque est réputé pour son expérience et son anti-conformisme. Dickinson croit qu’il ne vient que pour jouer du piano, mais Teddy lui demande de chanter - He sang straight old blues things well, but he was always trying to do something unatural and kooky - C’est ce qui l’intéresse, un mec capable de bien chanter les vieux trucs de blues, mais en leur twistant la chique. Du coup les Jesters deviennent selon Knox a two-headed monster, Dickinson d’un côté et Teddy Paige de l’autre - his guitar was another vocal in itself - Pur jus de roackalama, Dickinson chante au raw pur, il chante comme un nègre de bastringue et Teddy rentre dans le break de piano, ah quelle dégelée ! On croirait entendre le house-band d’un juke joint local. Knox est frappé par la monstruosité du son - With Jim there was more anarchic energy - Et la guitare de Teddy Paige is the proverbial headless chicken rockabilly yore, hot-rodded with a corrosive blues edge, c’est-à-dire le strut rockab de poulet décapité, aggravé d’un edgy blues sound corrosif.

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    Les Jesters enregistrent deux autres cuts avec Dickinson, une cover de «My Babe» et un «Black Cat Bone» qui a disparu. «My Babe» servira de B-side à «Cadillac Man». Dickinson y ravage Little Walter qui n’en demandait pas tant. Vas-y Dick ! Il sait prendre son My Babe. Aw Dick doest it right ! Derrière, Teddy Paige joue des gimmicks, il grelotte d’impatience, jusqu’au moment où il entre en lice pour se mettre en pétard, cet enfoiré joue au poignant, oh Boy, tu as tout le Memphis Sound dans cette cover, toute la folie du monde. Sur la compile Big Beat, on entend aussi la version de «Cadillac Man» qui ne plaisait pas à Teddy Paige, celle que chantait Tommy Minga. Pourtant, la version est bonne, même s’il chante plus à la discrétion. On comprend ce que voulait Teddy : un chant plus black.

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    «Cadillac Man» sera le dernier single Sun (Sun 400), avec, nous dit Palao, une erreur de crédit sur l’étiquette (Tommy Minga à la place de Teddy Paige). Le gros intérêt de ce single, dit Dickinson, est qu’il réveille momentanément l’intérêt d’Uncle Sam pour Sun. Judd et Sam demandent à Dickinson de signer sur Sun pour faire partie des Jesters. Uncle Sam : «Boy, you gotta cast your lot !», et Dickinson lui répond : «I’m afraid my lot’s already cast !». En effet, Dickinson est déjà sous contrat avec Bill Justis, mais Uncle Sam lui dit que Bill s’en fout. C’est vrai que Bill ne moufte pas quand le single paraît. Le plus fascinant dans cette histoire, c’est qu’Uncle Sam s’enflammait pour ce projet, même si Dickinson refusait de signer. Knox : «Sam loved it all : he loved Teddy, he loved anybody that was trying to express something in an extraordinary way.» (Sam adorait tout ça, il adorait Teddy, il adorait les gens qui cherchaient à s’exprimer de façon extra-ordinaire). Knox ajoute que son père était tout sauf un suiveur. Malgré l’enthousiasme d’Uncle Sam, l’épisode Jesters va retomber comme un soufflé. Teddy va vite déchanter, car Judd ne sait pas comment promouvoir «Cadillac Man» : le temps du rockab de Memphis est largement dépassé - It was kinda odd for the time - Et en 1966, les Jesters disparaissent.

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    Et puis voilà, Uncle Sam en a marre, il vend Sun à Shelby Singleton qui maintient Sun en vie au long des années soixante-dix, avec des gens comme Sleepy LaBeef qui arrive vingt ans trop tard. Et Jimmy Ellis, plus connu sous le nom d’Orion Eckey Darnell et que l’Escott étripe dans son book sur Sun - His style began and ended with affectation - Après avoir vendu Sun, Uncle Sam reste un peu dans le business, mais pas trop. Il manage des stations de radio et gère son portefeuille d’actions. Il se dit intéressé à produire Bob Dylan et aide Knox et Jerry à produire John Prine en 1978.

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    C’est l’album Pink Cadillac enregistré au Memphis Sounds. On tombe sur une belle «Automobile». Ça joue au softy-softah d’excellence. Pus jus de Memphis Sound. Billy Lee Riley vient même donner un coup de main sur «No Name Girl». Si Robert Gordon ne recommandait pas cet album, il ne viendrait à l’idée de personne d’aller l’écouter. Uncle Sam se montra extrêmement charitable à l’écoute de l’enregistrement. Il aurait dit à John Prine que c’était de la «basically good and honest music and I met the song and the song met me.» (c’est la bonne musique, j’ai chopé la chanson et la chanson m’a chopé).

    C’est là que Dickinson raconte l’anecdote du projet qu’il monte avec Knox et B.B. King. Knox demande à son père s’il veut bien assister à la session d’enregistrement de B.B. King et Sam refuse. No. Knox veut savoir pourquoi il refuse. Et Sam répond : «Tu ne peux pas aller voir Picasso et lui demander de peindre une petite toile comme ça, vite fait.» Dans un premier temps, Dickinson n’en revient pas que Sam refuse, puis il comprend. Sa réponse peut paraître présomptueuse, mais elle ne l’est pas du tout, c’est simplement sa vision des choses. Une fois qu’on sort d’une rude aventure créative, il est quasiment impossible d’y revenir - Everything in recording is input and output and when you lose that signal flow, you never get it back - On perd l’influx. Rien de plus vrai.

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    Avec Peter Guralnick, Robert Gordon est l’autre grand mémorialiste du Memphis beat. Dans cette bible qui s’appelle It Came From Memphis, Gordon passe toute la mythologie au peigne fin. Cette bible est à la fois une inépuisable source d’informations qui ramène à Sun, à Elvis, à Stax, à Jim Dickinson, à Furry Lewis, à Dan Penn et à Big Star, mais c’est aussi une fabuleuse galerie de portraits, comme par exemple celui de Dewey Phillips, qui joua avec son émission de radio Red Hot & Blue un rôle capital dans le double avènement d’Elvis et d’Uncle Sam. Dickinson rappelle que Dewey passait tout dans son émission, Billy Lee Riley, Little Richard, Sister Rosetta Tharpe, du blues, de la country. John Fry dit aussi que Dewey à la télé fut le truc le plus bizarre qu’il ait vu de toute sa vie. D’autres portraits encore, ceux de Lee Baker et de Chips Moman - His house rhythm section, unlike the cultural collision at Stax, was a group of musicians raised together and familiar with each other charms idiosyncrasies (à la différence du house-band multi-racial de Stax, le house-band de Chips était un groupe de gens qui avaient grandi ensemble, ils savaient tout des leurs qualités et particularités respectives).

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    Avec celui des Jesters, Knox réussira a associer son nom à d’autres gros coups, comme par exemple le troisième album des Gentrys, sobrement titré The Gentrys, qu’il produit sur Sun en 1970, pour le compte de Shelby Singleton. On a là un album extrêmement solide, une sorte de gosse pop de Memphis dynamisée par un bassmatic énergétique. C’est enregistré au Sam Phillips Recording Studio de Madison, on reste donc au cœur de la mythologie. Les Gentrys se montrent à la hauteur avec notamment une reprise du «Stroll On» des Yardbirds. Ils sont sur le heartbeat, et Jimmy Tarbutton solote comme un poisson dans l’eau. Encore pire : «I Need You», où Jimmy Hart crie qu’il est un lover et pas un fighter. En B, ils drivent un fabuleux «Southbound Train». Ils jouent à la big energy, c’est bien nappé d’orgue et pulsé au bassmatic sévère de Steve Speer. On ne peut que se prosterner devant Knox, car il nous sort là un sacré son. Tout l’album tient en haleine. On est à Memphis et ça se sent, la pop se veut plus coriace, elle rocke le beat. Ils finissent leur «Help Me» avec un final qui sonne comme celui de «Sympathy For The Devil», pas moins. «Can’t You See When Somebody Loves You» vaut pour une belle pop d’élan martial, cuivrée à gogo. Il se passe toujours quelque chose à Memphis. On note aussi la présence d’une belle reprise de «Cinnamon Girl». Ces mecs ont tout pigé. Ils savent travailler la couenne de la psychedelia avec tact, mais en gardant tout le punch du Memphis beat. Ils font aussi une excellente cover du «Rollin’ And Tumblin’» de Muddy et passent avec «He’ll Never Love You» à la pop de grande envergure. Jimmy Hart monte se mêler aux harmonies vocales supérieures, alors que ça cuivre hardiment dans les parages. Quel festin de son ! Knox knocked it down.

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    L’autre grand coup de Knox, ce sont bien sûr les fameuses Knox Phillips Sessions de Jerry Lee. Dans les années soixante-dix, Jerr était sous contrat chez Mercury et comme il enregistrait des albums de country à Nashville, il s’emmerdait comme un rat mort (dixit Choron). On tentait de le domestiquer pour mieux le vendre - Domesticity is for losers, not for the killer ! - Alors, il prenait sa bagnole en pleine nuit et filait à Memphis. Il appelait Knox pour lui dire de ramener sa fraise au studio : «Meet me at the studio, I wanna cut». Évidemment, Knox accourait. Jerr prenait un malin plaisir à garer sa Rolls dans les parterres de fleurs de la pelouse. Et quand pendant la séance d’enregistrement ils faisaient une pause, ils allaient boire un verre dans l’un de ces clubs de strip-tease ouverts toute la nuit. Jerr entrait dans le club et il attirait les filles comme un aimant. Le club reprenait vie. Parmi les musiciens qui l’accompagnaient lors de ces sessions légendaires, se trouvaient Kenny Lovelace qui est un cousin de cousin de Knox, et Mack Vickery, un vétéran du rockab que Jerr avait la bonne. Knox ajoute que si Jerr adorait revenir au Sam Phillips Recording Service de Madison, c’était surtout pour le son. Knox explique que son père avait conçu et construit de ses mains les chambres d’écho. Jerr adorait s’installer dans la salle de contrôle pour y entendre le son plein de sa voix et de son piano, ce qu’il n’avait évidemment pas à Nashville. Si l’album est si bon, c’est pour une raison bien simple. Knox mettait en pratique l’un des enseignement que lui avait transmis son père :

    — Si tu veux qu’un génie se laisse aller, tu dois créer les conditions pour ça !

    Sans doute influencé par Uncle Sam, Dickinson, avait lui aussi tendance à prophétiser et à énoncer des vérités. Selon lui, la grande spécificité de Memphis est de favoriser l’individu, et pas seulement la musique. À Memphis, les réussites sont toutes des réussites individuelles. Elvis, Jerr et Carl Perkins en sont les meilleurs exemples.

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    Knox participe à un autre gros coup : l’album Elektra de Charlie Feathers, paru à l’initiative de Ben Vaughn en 1991, le sobrement titré Charlie Feathers. Dans le petit interview qui accompagne le disk, Charlie, sans doute influencé par Uncle Sam et Dickinson, commence par énoncer ses deux grandes vérités : la mort de la musique en 55 quand RCA a racheté le contrat d’Elvis. Puis l’origine du rockabilly : «It comes from cotton patch blues and from bluegrass.» (Le rockab vient du cotton patch blues et du bluegrass). Pour Charlie, pas besoin de drums pour jouer du rockab. Le slap suffit. Si on ajoute des drums, ça devient du rock’n’roll. Il rend ensuite hommage à Junior Kimbrough et aux black people who would pick up a git-tar and get to rappin’ on it. Il rend aussi hommage à Narvel Felts, the best singer in the world, et à Elvis - Those old records by Elvis on Sun, the sound that he got was unbelievable. Those records really explode ! (C’est dingue le son qu’avait Elvis sur ces vieux disques Sun, ces disques t’explosent en pleine gueule) - Sur cet album enregistré au Sam Phillips Recording Studio de Madison, la crème de la crème l’accompagne : Roland Janes et Bubba on guit-tahs, James Van Eaton on drums et Stan Kesler on bass. Des special thanks to Billy Poore apparaissent dans les crédits. Eh oui, la seule vraie littérature disponible sur Charlie se trouve dans l’excellent book de Billy Poore, Rockabilly - A Forty-Year Journey (et chez Guralnick, bien sûr, qui lui consacre un copieux chapitre dans Lost Highway). À cette époque, Uncle Sam s’est depuis longtemps retiré du circuit. Il laisse Jerry, Knox, Roland Janes et Stan Kesler s’occuper de tout. Charlie croit que Sam va venir au studio et le dit à Billy. Personne n’y croit. Mais Sam vient. Charlie avait raison. Sam reste quatre heures en studio.

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    On retrouve Knox à la console sur pas mal d’albums de Dickinson, à commencer par le mythique Dixie Fried. Le son ! Good Lord, le son qu’ils ont là dessus ! Merci Knox ! Savourez cette excellente pièce de shuffle qu’est le morceau titre, signé Carl Perkins. Jim secoue le cocotier et des folles échevelées font les chœurs. Il pianote avec une belle violence, on est à Memphis, capitale de l’empire du fouillis foutraque. Dickinson et ses amis y coulent le bronze d’un groove de nègre à tête de whitey. Cousu de fil blanc mais bon. Encore une vérole avec «O How She Dances», présentation de cirque, avec the Tom Tom Orchestra et le son ! On a là un vrai boogaloo. Que dire de «Wine» ? Une fournaise classique, mais ça grouille de véracité apocalyptique. Ces mecs n’ont pas usurpé leur réputation, ils jouent comme des dingues. Si on veut savoir à quoi ressemble la frénésie dans un studio, alors il faut écouter ce wine wine wine all the time. Ils sont complètement incontrôlables. Comme son nom l’indique, Charlie Freeman joue librement. En plus, c’est cuivré à outrance. Oh la démence de l’effervescence ! Ils font aussi de la country, mais bien frite, avec «Louise». Là on est dans un bar du Deep South, désolé les gars. Si on n’aime pas ce son, eh bien il faut aller voir ailleurs. Ils font une belle cover de Dylan avec «John Brown». Jim groove ça sec, on a là un cut incroyablement bien tempéré et saxé dans la nuit. Tout le monde est là : Sid Selvidge, Dr John, Jerry Wexler, Dan Penn, Sam Phillips et John Fry.

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    Knox est aussi associé aux fameuses Delta Experimental Projects Compilations. Le volume 1 est extrêmement intéressant, car consacré au blues primitif de Memphis. On y entend Furry Lewis, bien sûr, mais aussi Sleepy John Estes qui fourbit avec «Holy Spirit» un gospel blues de bastringue assez extraordinaire. Quel son ! On l’entend plus loin attaquer directement «Blind Mind In The Tear Gas», accompagné par Ry Cooder et Dickinson. Comme Jesse Fuller, Sleepy est un vétéran de toutes les guerres. Il a tout vécu avec sa guitare et c’est bien que Knox soit mêlé à ça. L’autre star de ce volume 1 n’est autre que Johnny Woods, accompagné par Lee Baker et Teddy Paige à la basse. Fantastique pétaudière que cet «Ol’ Man Mose» - Shake your boogie - Dickinson et Jimmy Croshwait font partie de l’aventure. Plus loin, on voit Johnny yodeller «Blue Moon» à la revoyure, comme s’il chantait du haut des Alpes autrichiennes. Mais le plus spectaculaire de tous s’appelle Thomas Pinkston. Il faut le voir gratter «Dozens» aux accords de valse primitifs. C’est du real downhome. On l’entend plus loin attaquer un autre cut en accordant sa guitare. Il éclate de rire et claque un accord complètement faux. Fuck, on est à Memphis !

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    Oh, ce n’est pas fini. Il existe aussi un Beale Street Saturday Night produit par Jim. On y entend une belle ribambelle d’artistes, comme Sid Selvidge qui ouvre le bal avec «Walkin’ Down Beale Street». On entend ce merveilleux bluesman jouer du piano. Il est suivi par des chœurs du paradis et des trompettes New Orleans. Pure démence de la prestance ! Son truc pue la vraie vie. On entend plus loin Sleepy John Estes et Furry Lewis, mentor de Sid Selvidge, et plus loin encore Teenie Hodges, avec «Rock Me Baby», un blues spongieux chanté à l’agonie. Avec son «Frisco Blues», Johnny Woods bat tous les records de primitivisme. Il fait le train, comme tous les vieux renards du Delta. Surprise, voilà Mud Boy & The Neutrons avec une version trash d’«On The Road Again». Ils sont complètement à la ramasse et c’est noyé de violons. Encore un disk d’île déserte. Diable, elle devra être grande, cette île déserte !

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    On retrouve aussi la patte de Knox sur deux des albums Mercury de Jerr, Odd Man In et 1-40 Country. Les deux albums sont enregistrés à Nashville et Knox supervise les overdubs. Le coup de génie d’Odd Man In se niche en B : «Jerry’s Place» - Well when you are feeling low/ What you need is a solid good lift - Jerr embarque ça en mode boogie - It’s great down at the Killer’s place - Fantastique montée en pression et joli haché de diction. Il ouvre le bal d’A avec le fameux «Don’t Boogie Woogie» repris en France par Schmoll et il enchaîne avec le heavy pounding de «Shake Rattle & Roll», histoire de saluer l’un des grands oubliés de l’histoire, Bill Haley. Il revient à son cher mid-tempo avec «I Don’t Want To Be Lonely Tonight» et ne peut s’empêcher de saluer une nouvelle fois LeadBelly avec le rompy rompah de «Goodnight Irene». Il évoque le paradis avec «When I Take My Vacation In Heaven» - I’ll rest on my burden forever - et réveille ses vieux démons avec un «Crawdad Song» qui sonne comme «High Heel Sneakers». L’harmo le suit à la trace. Jerr reste le maître du jeu. Il chante un couplet en coupe-gorge, il ne peut pas s’empêcher de rallumer sa vieille chaudière. Il boucle cet album fantastique avec une belle resucée de «Your Cheatin’ Heart» qu’il chante au chaud du menton, comme lui seul sait le faire. Morale de l’histoire : ne prenez pas les albums Mercury de Jerr à la légère.

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    Par contre, 1-40 Country est nettement plus country. Jerr fait du plaintif pur. Avis aux amateurs de mélancolie, ceux qui savent verser des larmes dans leur bière.

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    Quand en 1972 Jackie DeShannon vient à Memphis enregistrer Jackie, Knox fait partie du staff. Avec lui, il y a du monde dans la cabine : le trio de choc Tom Dowd/Jerry Wexler/Arif Mardin pour Atlantic et l’équipe d’American Recordings, notamment Reggie Young. On voit tout de suite qu’il y a du son avec «Heavy Burdens Me Down», belle tranche de heavy Soul. Jackie sait mener sa barque. Elle nous cueille au menton avec «Laid Back Days», une compo aussi ambitieuse qu’océanique. C’est juste gratté à la sèche et lointainement orchestré. En six minutes épiques et bien senties, cette fabuleuse pièce fondamentale nous embarque aussi facilement qu’une complainte de Laura Nyro. On peut bien dire la même chose de «Vanilla O’Lay» : cette pop lumineuse nous expédie dans un infini de beauté. Superbe, léger et idéal. Elle fait aussi une reprise de Van Morrison, «I Wanna Roo You». Elle s’en sort admirablement, sans barbe ni poil aux pattes. Comme elle a du chien, c’est facile. Elle épiphénominise l’armature d’un classique masculin.

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    Tout comme la compile des Jesters, c’est sur Big Beat qu’on trouve celle de Randy & The Radiants, Memphis Beat - The Sun Recordings 1964-1966. Mais les Radiants, contrairement aux Jesters, apprécient les Beatles et la British Invasion. Randy Hasper est un fan des Beatles de la première heure - Once we saw the lads on Ed Sullivan, it was all over - Palao considère même Randy Haspel comme the Memphis answer to Allan Clarke des Hollies. La réputation des Radiants grandit assez vite, et leur manager John Dougherty les présente à un jeune homme blond très stylé - looking like he’s just stepped out of Gentleman’s Quaterly - Il s’agit d’un certain Knox Phillips qui les félicite - You guys are great - Knox les trouve même tellement bons qu’il parvient à convaincre son père de les recevoir. En fait, Knox croit avoir trouvé le pot aux roses : the Memphis commercialy-potent interpretation of the British beat. En 1964, Randy Hasper et ses amis débarquent au Sam Phillips Recording Service de Madison. Uncle Sam les reçoit chaleureusement, vêtu d’une chemise Ban-Lon et coiffé de sa casquette de yatchman. Les Radiants passent l’audition et Uncle Sam leur propose un contrat Sun de cinq ans. Sun Records, baby ! Randy a l’impression qu’Uncle Sam tente, dix ans après le coup d’Elvis, de rééditer le même exploit avec les Radiants. Une fois le contrat contre-signé par les parents, les Radiants entrent en studio. Uncle Sam est à la console et Knox l’observe attentivement. Les Radiants enregistrent «The Mountain’s High» en une prise. Uncle Sam exulte : «That’s a hit !». Ce sera le single Sun 395, mais ce n’est pas vraiment un hit. Randy en est bien conscient - That wasn’t very good, wasn’t it ? - Il trouve Uncle Sam trop bienveillant. Mais en même temps, Randy comprend sa philosophie qui consiste à tirer d’artistes amateurs le meilleur d’eux-mêmes. Le conte de fées se poursuit : les Radiants se retrouvent bombardés en première partie du Dave Clark Five au Memphis Coliseum, devant 12 000 personnes. En 1965, les Radiants étaient devenus rien de moins que the hottest band in Memphis. Leurs seuls rivaux à l’époque sont les Gentrys. C’est Uncle Sam qui leur recommande d’enregistrer une compo de Donna Weiss, «My Way Of Thinking», qui sera le single Sun 398. Les Radiants jouent avec l’énergie des early Kinks de Really Got Me. Pas de problème, on est à Memphis, ça joue au kinky blast. Thinking est une véritable horreur de Memphis punk infestée par les jambes, ils risquent l’amputation, c’mon, mais ces mecs s’en foutent, c’est leur way of thinking, c’mon. En tout, les Radiants n’enregistrent que deux singles sur Sun, mais Big Beat rajoute vingt titres pour donner une petite idée du potentiel qu’avait ce groupe destiné à devenir énorme. Un cut comme «Nobody Walks Out On Me» va plus sur la pop de tu-tu-tu-tulup, mais avec Memphis dans l’esprit. Dommage qu’ils n’aient pas un Teddy Paige en réserve. Leur pop est souvent passe-partout, on attend du gros freakbeat, mais rien ne vient. Tout repose sur la voix de Randy Hasper. Ils foirent complètement leurs reprises de «Boppin’ The Blues», de «Money» et de «Blue Suede Shoes». Par contre, celles de «Lucille» et de «Glad All Over» sont des overblasts. Et ils deviennent passionnants quand ils passent au heavy folk-rock avec «Grow Up Little Girl». On peut parler ici de Memphis beat évolutif et même d’énormité de la modernité. Ils font aussi une version ultra-punk de «You Can’t Judge A Book By The Cover», ils la secouent du cocotier à coups de yeah yeah, sans doute avons-nous là, avec celle de Cactus, la meilleure cover de ce vieux coucou. Avant de refermer le chapitre radieux des Radiants, il faut saluer les compos de Bob Simon, notamment ce «A Love In The Past» qui groove à la perfection, comme une merveilleuse chanson de proximité bourrée de sexe, that’s all I do.

    Signé : Cazengler, vieux chknox

    Knox Phillips. Disparu le 15 avril 2020

    Jesters. Cadillac Men. The Sun Masters. Big Beat Records 2008

    Randy & The Radiants. Memphis Beat. The Sun Recordings 1964-1966. Big Beat Records 2007

    Jerry Lee Lewis. The Knox Phillips Sessions. Saguaro Road Records 2014

    Jerry Lee Lewis. 1-40 Country. Mercury Records 1974

    Jerry Lee Lewis. Odd Man In. Mercury Records 1975

    John Prine. Pink Cadillac. Asylum Records 1979

    Charlie Feathers. Charlie Feathers. Elektra Nonesuch 1991

    Gentrys. The Gentrys. Sun 1970

    Jim Dickinson. Dixie Fried. Atlantic Records 1972

    Delta Experimental Projects Compilation Vol. 1. The Blues - Down Home. Fan Club 1988

    Delta Experimental Projects Compilation Vol. 2. Spring Poems. Fan Club 1990

    Beale Street Saturday Night. Omnivore Records 1979

     

    Les vieux de la vieille

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    Quand on les croise tous les trois dans les pages de la presse anglaise, un fort sentiment de fin des haricots s’installe. Et ce n’est pas une vue de l’esprit. Dave Brock, Robert Wyatt et Peter Green tombent en ruine, comme tous les autres gens. Et si ce symbole de la jeunesse éternelle qu’était le rock prenait lui aussi un coup de vieux ? L’idée déplaît. Va-t-on si mal pour aller penser une chose pareille ? Ce rock qui joua cinquante ans durant le rôle d’un jardin magique nous protégeant des beaufs et des cons autoritaires serait-il en passe de se déliter avec ses chantres ? Gros malaise.

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    Par définition, un jardin magique ne vieillit pas, mais voir surgir le visage parcheminé de Dave Brock plein pot en ouverture du Mojo Interview, ça bloque la cervelle. Fini le panache space-rock d’Hawkwind. Voilà qu’apparaît un vieux pépère au regard espiègle et au visage sillonné de rides même pas psychédéliques. Dave Brock ressemble à l’un de ces très vieux paysans usés par les labours et la misère, chapeauté d’un canotier à l’ancienne, le visage encadré de longues mèches filasses et barré d’une moustache de poils drus comme de la paille, le cou flanqué de deux horribles bourrelets de peau proéminents, comme l’est celui du dindon. Deux pages plus loin, une autre image nous montre Pépé Brock singulièrement affaibli, l’œil torve au fond de deux orbites profondément encavées et cernées de noir, la lèvre inférieure un peu pendante, comme si l’interview avait pompé ses dernières forces. Il reçoit Phil Alexander dans la cuisine de sa ferme du Devon, une région du Sud-Est de l’Angleterre.

    — Vous prendrez bien un peu de yogourt ? Recette maison.

    Pépé Brock n’attend pas les questions du journaliste occupé à cuillérer dans son pot en verre. Il se met à babiner. Comme tous les vieux, il raconte les mêmes histoires, celles du temps où il ne s’appelait pas Jacky, mais Dave Brock, pionnier de l’underground britannique. Et le voilà parti en goguette dans les méandres de ses vieux souvenirs d’Eel Pie Island, le fameux West London club, où il accompagnait des gens comme Memphis Slim, Sonny Boy Williamson ou encore le terrible Champion Dupree qui, détaille-t-il, l’index crochu levé bien haut, s’amusait à changer d’accord en plein cut pour se moquer des petits culs blancs et leur balancer : «You white boys can’t play the blues properly !». Pépé Brock évoque aussi le souvenir du premier manager des Who, Peter Meaden, qui l’initia au LSD. Il se souvient aussi des débuts d’Hawkwind à Ladbroke Grove, un temps béni où les gens vivaient ensemble, écoutaient des disques et prenaient tous du LSD. Ah le temps de la bohème !

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    — Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, Ladbroke Grove en ce temps-là accrochait ses lilas jusque sous nos fenêtres... Oui, un temps où on vivait tous ensemble. On était tous sous acide, on grattait nos grattes et on montait des cuts sur un seul riff - Everyone had taken acid so it was a madhouse really - Une maison de fous ! Vous en voulez un autre ?

    — Un quoi ?

    — Un yogourt !

    Par politesse, Phil Alexander n’ose pas refuser. Après avoir sorti un deuxième yogourt du frigo, Pépé Brock ouvre alors le bal des célébrités, avec John Peel qui lui conseille de prendre Doug Smith comme manager, puis Dick Taylor qui produit leur premier album sur United Artists. Entre deux coups de cuillère dans l’épaisse mixture verdâtre, Phil Alexander demande :

    — Pourquoi le deuxième schmilibiliblick d’Hawkwind est-y-mily-mily...

    Il se reprend :

    — Est-y plus heavy que le premier ?

    — Huwie Lloyd-Langton avait quitté le groupe. He was a wonderful guitarist but he freaked out on LSD. Le pauvre Huwie ne supportait pas le LSD ! Et quand notre manager a vu qu’on battait tous les records de consommation d’acide, même ceux des 13th Floor, il nous a tous exilés à la campagne. Alors on s’est tous mis à la mescaline. Non c’est faux. Tous sauf John Harrison qui ne voulait toucher à rien. Alors on lui a mis de la mescaline dans son yogourt. Comme il aimait bien jouer au golf, on l’a soudain vu jouer au golf à poil, hé hé hé hé !

    Grosse crise de rire. Phil Alexander pose son pot et se met à rire tout doucement lui aussi. Soudain, il explose de rire. Il est même pris de convulsions.

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    Pépé Brock reprend le bal des célébrités avec le graphiste Barney Bubbles, Robert Calvert et Lemmy, tous les trois excentriques et tous les trois disparus. Pépé Brock se bidonne en racontant comment il s’est débarrassé de Robert Calvert à Paris, en l’abandonnant à l’hôtel où était descendu le groupe. Puis de Lemmy, en l’abandonnant aussi pendant une tournée américaine :

    — Comme vous le savez, dans un groupe, les petites choses finissent par prendre une importance considérable. Vous êtes en tournée et un mec est toujours en retard, alors, ça finit par devenir in-sup-por-table. C’est ce qui est arrivé. On n’en pouvait plus de devoir l’attendre.

    Alors que Phil Alexander commence à se déshabiller tout en pleurant de rire, Pépé Brock annonce la parution d’un nouvel album d’Hawkwind :

    — Oui, j’adore entrer en studio et enregistrer a good piece of music. J’ai l’impression qu’on continue d’avancer. Et à mon âge, un sens du fun est très important, car c’est une façon de dire que ce n’est pas fini.

    Arrive alors le souvenir d’une conversation au bar avec Kevin K qui se lamentait : «Comment peut-on imposer le spectacle du Keith Richards of today à des gosses ?». Pour lui, ça n’avait plus aucun sens. Il conservait visiblement une haute opinion du rock et continuait à jouer dans des bars pour le montrer. Mais il fallait bien admettre que Kevin et son public n’étaient plus de toute première jeunesse non plus. Soixante ou soixante-dix balais, c’est vrai qu’il y a encore une marge. Mais bon.

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    Robert Wyatt et Peter Green, c’est encore autre chose. Ça fait une bail qu’ils sont tous les deux ratatinés, dose massive de LSD pour Peter et chute d’un quatrième étage pour Robert. L’un comme l’autre étaient cuits aux patates depuis longtemps mais ils font partie des musiciens anglais qui ont su devenir légendaires par la seule grâce de leur talent et d’une approche visionnaire du son. On feuilletait tranquillement Uncut l’autre jour quand soudain une photo nous fit bondir en l’air : Donovan qui était jadis si gracieux semble être devenu une sorte de gnome au visage en forme de poire, et l’image date de 2011. Quarante pages plus loin, nouveau cri d’horreur : Robert Wyatt fixe l’objectif d’un œil mauvais en tordant de ses grosses mains noueuses une pauvre trompette. Et encore trente pages plus loin, une photo de Peter Green donne le coup de grâce : un homme qui fut jadis considéré comme le roi des punks de l’East End ne ressemble plus à grand chose, avec une tête en forme de grosse courge et pas de cou. Peter a plus de veine que Pépé Brock : il échappe au cou de dindon. Uncut semble vouloir mettre un point d’honneur à montrer la réalité des choses. C’est un parti-pris éditorial assez courageux mais assez dangereux, car la réalité des choses peut décrédibiliser les gens et altérer l’éclat de certaines légendes. Comment fait-on ensuite pour aller écouter les derniers albums de Peter et de Robert qui sont pourtant excellents ? Pourquoi ne pas utiliser, comme le font les magazines putassiers, les photos plus ‘artistiques’, par exemple, si on prend le cas de Robert, celle qui orne la couve de Different Every Time, la biographie de Marcus O’Dair parue en 2014 et sur laquelle nous reviendrons d’ici peu.

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    L’image d’un vieux Robert tapi le regard mauvais au fond de son fauteuil roulant ne choque pas longtemps, car ça ne marche pas. Pourquoi ? Parce que Robert compte parmi les personnages les plus attachants de l’histoire du rock. Et il ne faut souhaiter à personne de vivre ce qu’il a vécu depuis son accident en juin 1973. Il a pourtant su trouver en lui les ressources nécessaires pour enregistrer l’un des grands classiques du rock anglais, Rock Bottom, puis par la suite d’autres albums pareillement réussis. Il en parle librement avec Tom Pinnock, qu’il reçoit dans sa maison de Louth, une petite ville d’Angleterre située à la même hauteur que Liverpool, mais de l’autre côté, face à la Mer du Nord. Comme tous les vieux, il reçoit son invité à table, et propose une part de gâteau aux carottes - Carrot cake - Oh, il a oublié le cake knife. D’un coup de fauteuil roulant, il fonce vers la cuisine et revient en brandissant un énorme couteau. Tom Pinnock croit sa dernière heure arrivée ! Robert ricane : «It’s a bit Agatha Christie !». C’était pour rire. Puis il enchaîne sur les avantages du fauteuil roulant, expliquant à Pinnock, occupé à mastiquer péniblement une énorme bouchée de carrot cake, qu’en fauteuil roulant, on peut s’asseoir où on veut, partout en ville. Pas besoin d’attendre qu’un banc soit libre. Pinnock qui est un être cultivé sait qu’il est tombé dans les griffes d’un pataphysicien aguerri. C’est Alfie, la femme de Robert, qui a trouvé cette spacieuse maison de Louth. Robert y a sa music room, avec tous ses instruments, son piano, ses livres et ses vinyles. Pendant que Pinnock mastique laborieusement une deuxième énorme bouchée de carrot cake, Robert est allé mettre un disque en route sur la chaîne. Il fout le volume à fond. Blast !

    — Ché quoi, formule péniblement Pinnock.

    — Shahram Nazeri, une chanteuse iranienne, hurle Robert par dessus le son.

    Comme c’est le jour de son annive, Robert ressert une autre part de carrot cake à Pinnock qui n’ose pas refuser. 75 balais, ça se fête ! Et comme beaucoup de vieux, Robert a un fils qui est infirmier à l’hosto local, donc ça aide, d’autant que la santé d’Alfie commence à flageoler. En plus, Sam sait bricoler, il répare tout dans la maison. Pinnock aimerait bien attaquer sur Soft Machine et Matching Mole, mais Robert ne parle que des petites choses de la vie, comme tous les pépères de son âge. Il observe Pinnock du coin de l’œil et guette le moment où il aura fini d’avaler sa deuxième part pour lui en servir une troisième. En attendant, il se fend d’une confidence :

    — L’une des choses qui change le plus quand on vieillit, c’est le passé. C’est comme si vous étiez né dans un village de la vallée. C’est tout ce que vous connaissez. Puis vous passez votre vie à escalader la montagne et en vous retournant, vous voyez que votre village n’est qu’un village parmi tant d’autres. Puis vous découvrez l’horizon, et votre village devient tout petit. Si loin.

    Tout rouge, comme congestionné, Pinnock demande, la bouche pleine :

    — Vous chauriez pas un verre d’eau ?

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    Robert revient avec une carafe d’eau du robinet et embraye sur une autre tirade métaphysique :

    — Ma vie ne fut qu’une suite de sprints, et fuck me, l’un après l’autre. It was fucking marathon ! Personne ne me l’avait expliqué. J’ai vécu constamment dans la panique, au lieu d’avancer tranquillement... Il est bon, hein ? Je vous ressers !

    Comprenant qu’il va devoir finir l’énorme gâteau, Pinnock cesse brutalement les politesses et passe à l’offensive : il branche Robert sur Choft Machine. Robert lève les yeux au ciel.

    — C’est dur de jouer dans un groupe, toute cette diplomatie et toutes ces testostérones qui bouillonnent dans les corps de ces jeunes gens ! Je préfère faire des disques seul.

    Il profite de cet aparté pour recadrer le débat.

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    — Les concerts et les musiciens célèbres ? Oh la la, je préfère me souvenir des virées dans la petite voiture d’Alfie, avec le fauteuil roulant dans le coffre, en route pour ce marchand de frites ambulant installé au bord de la route, a cup fo tea and a fag, moments of utter happiness that I remember.

    Oui, bien sûr, des gens célèbres l’invitent encore à se rendre à Londres pour participer à des événements médiatiques, mais Robert décline les invitations, car il ne fait rien sans Alfie. Entre deux interminables bouchées de carrot cake, Pinnock tente une dernière fois de brancher Robert sur le rock :

    — Mais vous devez bien encore avoir des chidées ?

    — Je chante pour moi. De temps en temps, je joue un peu de piano et me dis, tiens, ça sonne bien, il faudra que je m’en rappelle. Mais c’est un drôle de boulot que d’enregistrer un disque. Cumberstone business. Je préfère m’intéresser à d’autres musiques, celles que font les peuples diabolisés.

    — Cha veut dire quoi diaboliché ?

    — Si je suis si triste maintenant que j’ai 75 ans, c’est parce que le colonialisme n’a pas disparu. Il est devenu beaucoup plus subtil. On dit aux gens : on va vous débarrasser de vos tyrans et on va mettre à la place des MacDo et du coca-cola. Ça me rappelle le développement du catholicisme, abandonnez vos idoles et vos sorciers, prenez notre Christ et notre Bible et retournez au boulot. Notre modèle économique est la nouvelle Bible, c’est le même genre de piège à cons.

    Et Robert avoue aller sur YouTube pour voir comment les gens luttent contre la diabolisation :

    — J’ai trouvé des belles chorales scolaires en Syrie. C’est un bonheur que de les voir chanter. Il y a aussi une saxophoniste qui s’appelle Sophia Tyurina, en Russie. Les Ruses adorent les enfants prodiges. Ce que je préfère en ce moment, ce sont les musiques de danse moldaves. It’s a knockout !

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    Peter Green vit dans le Sud-Ouest de l’Angleterre. Comptez deux heures de route en partant d’Oxford. Si vous débarquez chez Peter, il vous fera entrer rapidement et après une tasse de thé avalée sur le pouce, il faudra passer au front-room pour jammer, car chez Peter, on ne cause pas, monsieur, on jamme. Le voisin Paul arrive et hop, c’est parti pour une jam informelle, un coup de «Lucille», un coup de ce vieux coucou des Shadows qui s’appelle «The Young Ones», un coup d’«Help» et exceptionnellement un coup d’«Oh Well» le seul cut de la grande époque que Peter accepte encore de jouer. Oui, car il fut un temps où Peter disposait d’un supernatural talent pour transmuter le plomb du blues des Amériques en or sonique, c’est-à-dire un Green sound unique au monde. Ses camarades Jeremy Spencer, John McVie et Mick Fleetwood le voyaient comme un génie, ce qu’il était au fond, mais ça le barbait qu’on le considérât ainsi.

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    Peter n’a jamais été très bavard. Pour lui tirer les vers du nez, il fallait se lever de bonne heure. Quand Clapton qui venait de se faire friser comme un caniche lui fit remarquer que pour devenir célèbre, il valait mieux faire un effort vestimentaire, Peter ne répondit rien et se contenta de sourire. Comme son héros Skip James, Peter aurait bien aimé ne jamais naître, comme ça au moins, pas besoin de parler pour ne rien dire. Tout le monde se souvient qu’à une époque Peter portait la barbe et une grande robe blanche sur scène. C’était sa façon de dire non à tout, surtout à la mode, à Clapton et au succès. Il distribuait tout son blé dans la rue et s’il parlait, c’était uniquement pour essayer de convaincre ses collègues de Fleetwood Mac d’en faire autant. En 1970, après trois ans de Fleetwood Mac et trois albums bourrés à craquer de Green sound, il largua les amarres. Adios amigos.

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    Comme il devait encore un album par obligation contractuelle, il alla passer une nuit en studio pour jammer. On entend le résultat sur The End Of The Game paru en décembre 1970. Cet album bizarre portait bien son nom : le fin de la rigolade. On y trouve qu’un seul bon cut : «Bottoms Up». Peter semble jouer dans son coin alors que de l’autre côté, la rythmique fait chambre à part. On est à l’hôtel des culs tournés. C’est un véritable chef-d’œuvre de violation des accords dichotomiques. Peter transmute le plomb de la connerie contractuelle en or-nithorynque à sept pattes. Dans l’idée, c’est superbe et même insolite, digne du Bestiaire de Guillaume Apollinaire. Et comme il faut une petite cerise sur ce gâteau, «Bottoms Up» est en plus interminable, comme l’impose l’étiquette apanagique des jams. Par contre, après, ça se dégrade horriblement. Avis aux amateurs. On se croirait parfois chez John McLaughin ou sur l’un de ces mauvais albums de jazz expérimental qui ne servent à rien d’autre qu’à nous faire bâiller d’ennui mortel. Tous ceux qui ne l’ont pas écouté sont même allés jusqu’à considérer The End Of The Game comme un album culte ! Franchement, qui irait s’amuser à faire un disque culte par obligation contractuelle ?

    Puis Peter entama sa période de clochardisation. Il en avait la tête de l’emploi. Ça aide. Il commença par séjourner dix jours chez son copain Zoot Money sans décrocher un mot. Puis pendant quelques décennies, il disparut des radars, enregistrant un album ici et là. Il fit tous les petits métiers inimaginables, fit même un brin de zonzon à Brixton pour avoir accusé son comptable de lui barboter tout son blé, puis alla s’échouer comme une baleine à l’agonie chez son frère à Great Yammoth : il mangeait, il dormait, puis il remangeait et redormait. Il transmutait le plomb du temps en caca.

    Pendant ce temps, des journalistes s’amusaient à délirer sur la malédiction qui frappait les guitaristes de Fleetwood Mac. Une sorte de destin malveillant les avait précipités tous les trois dans d’insondables abîmes de perdition : Peter, comme on a pu le voir, puis Jeremy Spencer qui, un an après le départ de Peter, quitta le groupe en pleine tournée américaine pour rejoindre une soit-disant secte religieuse, et enfin Danny Kirwan, qui finit pauvre et alcoolique avant de casser sa pipe en bois il y a un an ou deux. Alors évidemment, si un journaliste s’amène la bouche en cœur pour brancher Peter sur la malédiction, il aura la réponse qu’il mérite.

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    Le plus surnaturel de toute cette histoire, c’est que Peter refit surface dans les années 90 avec le Splinter Group et quelques excellents albums. Cozy Powell y battait le beurre, et quel beurre ! Un docu de la BBC datant de 1996 nous montre un Peter fraîchement marié et étrangement volubile, comme s’il avait repris une dose massive de LSD. Le Splinter Group commençait à devenir énorme, mais en 2005, Peter décida de stopper brutalement les machines, au motif de problèmes de concentration.

    C’est là que, profitant d’un hiatus du Fleetwood Mac américain, Mick Fleetwood et John McVie eurent l’idée saugrenue de monter un gros coup à Londres en reformant le Fleetwood Mac original. Les gros coups ont le vent en poupe, comme on sait. Contactés, Peter et Jeremy Spencer donnèrent leur accord. Ils semblaient guillerets. Mais au dernier moment, Peter se retira du projet, il n’était pas question d’aller re-transmuter le plomb des vieilles peaux en une pluie d’or qui allait tomber dans les caisses des tripatouilleurs du showbiz. Il leur répondit d’aller transmuter leur mère.

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    Tout ce qui l’intéresse, c’est aller à la pêche et jammer dans son front-room. Faut pas le faire chier avec les projets à la mormoille. Il aime bien aussi passer du temps au téléphone avec Jeremy. Oh, ils ne se sont pas vus depuis dix ans, mais Jeremy l’appelle deux fois par an, pour Noël et pour son annive, comme le font tous les vieux. Peter parle du livre sur Socrate qu’il est en train de lire et avoue qu’il a du mal à arquer et qu’il doit utiliser un fucking déambulateur, comme tous les vieux. Ils discutent un peu de musique et tombent d’accord pour dire que «Temptation» des Everlys est un sacrément bon morceau.

    Signé : Cazengler, vieux schnock

    Tom Pinnock : I’m so somewhere else now. Robert Wyatt. Uncut # 274 - March 2020

    Rob Hughes : Man of the world. Peter Green. Uncut # 274 - March 2020

    Phil Alexander : The Mojo Interview. Dave Brock. Mojo # 282 - May 2017

    MOUNTAIN ( II )

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    Debout les morts ! C'est au flanc du rocher que l'on voit les premiers de cordée in action. Pas pour rien que les ricains ajoutent souvent le terme '' missing'' devant les deux derniers mots de la phrase précédente. Chose promise, chose due, chez Kr'tnt ! l'on ne recule devant aucun sacrifice. Nous voici dans le piémont himalayen, au camp de base numéro 1. Au programme cette fois, l'ascension de la bête par la face Est, le côté du soleil levant. Certes, un peu moins prise de tête qu'une virée sur Le Mont Analogue de René Daumal, mais pas obligatoirement une partie de plaisir, n'ayez crainte si au premier contrefort le soleil se retrouve avec son œil crevé, ne confondez pas la traversée du passage piéton d' Abbey Road avec les deux premiers disques de Mountain. Bien sûr, il y a deux entourloupes dans la chaloupe, le premier album présenté n'est pas de Mountain, mais ce n'est vraisemblablement pas un hasard s'il porte le titre de Mountain, et à la manœuvre est déjà présente une bonne partie de l'équipe du futur groupe montagnard à savoir Leslie West, Felix Pappalardi, Gail Colins. En second lieu ne soyez pas étonnés, songez que Martin Heidegger nous a prévenus : l'origine n'est pas nécessairement au début ! Pensez aussi à cette théorie mathématique qui nous assure que le milieu d'un segment de droite n'est pas obligatoirement sur ce segment.

    C'est Felix Pappalardi qui a repéré Leslie West avec son groupe : The Vagrants. Nous reparlerons de ces vagabonds une autre fois. On ne refuse pas une proposition de l'homme qui a travaillé avec Cream... Plus qu'un honneur, un devoir.

    MOUNTAIN / LESLIE WEST

    Leslie West : guitar, vocal / N. D. Smart II : drums / N. Landsberg : organ / Felix Pappalardi : bass, keyboards, production

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    Blood of the sun : Leslie bourdonne à la guitare pratiquement en tapinois, par contre il arrache le vocal, vous le dégueule à la manière d'un blues shouter qui se serait caressé le gosier à la toile émeri, avec l'hypocrite rythmique bélier qu'assure le reste de l'équipage l'on ne peut pas dire qu'ils soient vraiment discrets, imaginez plutôt un vol d'hatzégoptérix en vitesse de croisière vers le soleil, sûr qu'il y aura du sang quand ils le traverseront car l'on sent bien qu'ils ne sont pas du genre à faire un détour quand un obstacle se dresse sur leur chemin. Long red : tout frais, tout léger au début, vous vous croiriez sur le Led Zeppe 3, Norman Smart trottine allègrement, mais le Leslie vous a une voix à vous transporter dans une tragédie de Sénèque, et pour brouiller le miracle sa guitare vous tire la langue sur les dernières mesures. Vos interrogations métaphysiques vous reprennent : est-ce du blues folklérisé, ou du folk bluesérysé ? Pentes douces. Better watch out : amplitude vocale, Leslie l'ouvre comme un lion qui rugit, rajoutez-y sa guitare impertinente et vous comprenez que vous n'êtes pas sorti de l'auberge, Leslie vous offre en même temps et la peau soyeuse du tigre et les filets de sang séché sur la fourrure. Belle ménagerie ! Blind man : assez plaisanté, l'on est planté en plein dans le blues le plus puissant, un petit côté à la Hendrix pour les paroles et la guitare, et le band derrière qui vous enfonce quelques poignards dans le dos juste pour voir s'ils savent bien viser. Vous êtes obligé de reconnaître qu'ils gagnent à tous les coups à ce petit jeu. Cruels, mais efficaces. Baby, I'm down : l'on hausse le ton, toujours dans le blues mais l'on en rajoute à tous les étages, l'on n'est pas encore au sommet de la montagne, un sacré groupe d'alpinistes tout de même. Prennent leur temps, mais ils vous surprennent à chaque détour du chemin. Une sacrée dégringolade à la fin sans corde de rappel pour limiter les dégâts. Dream of milk & honey : que disions-nous, ils ont déjà trouvé l'archétype du Mountain sound, ne misent pas sur l'écho en réverbe, non sont plutôt des partisans de la masse sonore qui s'impose d'elle-même sans avoir besoin de bouger le petit doigt. Manière de parler parce que les phalanges de Leslie elles s'activent méchant sur sa guitare clitoris. Storyteller man : un orgue qui carillonne joyeusement à l'église comme pour un mariage, tout à l'air de marcher mais il est sûr qu'il vaudrait mieux se méfier, et maintenant le Leslie il chante comme s'il vous crachait des becs de chalumeau sur le museau, pas de panique, vous vous êtes fait sonner les cloches, mais en douceur. This wheel's on fire : tiens, tiens un morceau de Dylan qui rappelle quelque peu le titre d'un album de Cream, peut-être une manière symbolique de hausser la barre, en tout cas le Leslie chante comme s'il était en train de taper à la porte des fournaises de l'enfer, et derrière le band vous tisse une musique néronienne, mélodramatique à souhait, et tout cela se termine par un bouquet de notes aussi cristallines que des étoiles de Ninja qui s'enfonceraient dans vos paupières. Look to the wind : l'on se calme, fausse impression, l'on repart pour une nouvelle anabase, et derrière vous avez un orchestre qui vous pond un générique de film, puissant et lyrique, la voix de West vous entraîne et vous le suivez en sachant que vous risquez d'y perdre la vie, mais le jeu en vaut la chandelle. Southbond bound train : fonce dans la nuit, inutile de regarder par la fenêtre, le mieux c'est de courir sur le toit des wagons en compagnie des pistoleros de la mort foudroyante vers la voiture qui transporte la paye des mineurs, sera toujours temps après d'échapper à la cavalerie comanche. Rien à reprocher, parfois la vie est excitante. Because you are my friend : on le sentait venir, le Leslie n'est pas uniquement une grosse brute qui vous applique le riff chaud brûlant sur la cuisse comme s'il marquait un long-horn de son troupeau, se la joue cool, le soir autour du feu de camp, vous sort l'acoustique et vous farfouille un truc tout doux rempli de sentiment et de délicatesse. Un peu comme s'il voulait s'excuser de vous avoir de temps en temps malmené. Ne lui dites pas que vous adorez. C'est un tendre.

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    ( Pochette française )

    Vous frétillez, vous croyez que l'on va s'attaquer illico à Climbing ! Que non on est trop bon, on vous a réservé une petite surprise, ce dimanche-là, Steve Knight, qui vient de remplacer Norman à l'orgue, Smart à la batterie, Pappalardi et West, qui viennent de monter Mountain, donnent leur troisième concert. Un peu de monde, ce dimanche 17 août 1969, juste un demi-million de personnes, à Bethel, au Festival de Woodstock, si vous préférez. Feront sensation, mais ne seront pas retenus pour le film, ni sur le disque, un scandale...

    MOUNTAIN LIVE AT WOODSTOCK

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    Stormy monday : le gros blues qui tâche. A la puissance mille. Steve Knigth fait du rase motte sur son clavier, Pappalardi poinçonne à mort, Corky gâte divinement la mayonnaise, la guitare klaxonne et le chant de West dévale de la montagne tel un gros rocher qui roule sur vous et vous transforme en charpie sanglante. Vous êtes cuit aux petits oignons. Ne vous laissent même pas les larmes pour pleurer. Theme for an imaginary western : c'est Pappalardi qui l'a emmené dans ses bagages, le morceau a été écrit par Jack Bruce de Cream. C'est lui qui chante, belle voix, romantique, une manière bien à lui de faire traîner les syllabes sans ralentir son flow, beau travail de Corky qui ponctue à la perfection l'air de rien, et puis Leslie s'en mêle, Felix emmène la nostalgie, mais West emporte l'imagination. Tapis volant. Escalier roulant vers les étoiles. Long red : tombent dans la démagogie demandent au public de taper dans les mains, suit comme un seul homme, le morceau s'y prête, Steve fait des bulles sur son clavier, et Leslie doit prendre un orgasme chaque fois qu'il gueule ''long red''. Facétieux, un gamin. L'a la guitare qui joue du fifre. Who I am but you are the sun : une belle ballade, Pappalardi est au chant et West par derrière vous pousse des gueulantes à briser les chênes dont on fera votre cercueil. On se croirait à l'opéra dans un duo de ténors. C'est beau comme du Wagner, d'ailleurs à la fin l'orgue déborde comme les eaux du Rhin. Beside the sea : un blues comme on n'en fait blues depuis longtemps, un truc qui vous décolle la rétine. Au début si vous faites gaffe aux paroles vous vous dites qu'il y a un hiatus, pas de quoi faire un drame de se promener au bord de la mer avec la copine, sur le dernier couplet vous comprenez l'atmosphère surréelle qui baigne le morceau, reviendront sur cette plage quand ils seront morts, dans la nuit noire, la voix de Leslie qui rawe et sa guitare qui ardente comme un buisson d'épines sur le Sinaï, vous êtes au septième ciel, aussi sombre qu'un poème d'Edgar Poe. Waiting to take you away : ah, cette sonorité de Mountain, the Mountain sound, z'ont une manière de profiler les intros qui n'appartient qu'à eux, une fourrure de renard charbonnier dans les rousseurs de l'automne, c'est terrible avec Mountain, ils ne peuvent pas se lancer dans une ballade toute gentillette sans vous la transformer en une monstruosité épique. Défaut majeur, vice supérieur ! Blood of the sun : attardons-nous sur Steve Knight, n'est pas là pour regarder pousser les petits pois ni le gros poids de Leslie. Cheville essentielle. Essayez d'imaginer un film sans les décors et même un orchestre sans musique. Cet enregistrement devrait  être dédié à notre chevalier du clavier. Southbound train : vraisemblablement pas enregistré à Woodstock, mais l'on ne va s'en plaindre, de toute beauté, suis parti faire un tour sur des enregistrements de Cream, pour juger de la différence, pas photo, chez le trio anglais il y a toujours la recherche de l'effet étudié, sûr qu'ils savent y faire, je les adore, mais chez Mountain, Leslie  vole. Un planeur au-dessus des nuages, solitaire, ses doigts caressent les cordes, et les notes sont au-delà d'elles-mêmes... Dream of milk and honey : ne vous mentent pas, sucré comme du miel, doux et nourrissant comme le lait maternel, du grand Mountain, avec Steve Knight comme on ne l'entend jamais aussi bien sur tout autre disque du groupe. Une longue dérive de seize minutes, la guitare de West venant comme les abeilles de l'Hymette butiner les lèvres de Platon, ne soyez pas jaloux maintenant elle gronde dans votre oreille, tant qu'à y être elle vous transperce les tympans et un délicieux venin s'instille dans vos méninges sans ménagement. Changement de programme de gros pataugas de montagne piétinent votre corps tandis que résonne l'ambulance qui vous transporte à l'asile. Cet homme à la guitare est vraiment dangereux, il ne faut surtout pas l'arrêter, d'ailleurs ses copains lui réservent un accueil enthousiaste. Au cas où vous ne l'auriez pas reconnu un crieur annonce ''Leslie West !'' Ferait mieux de lui tresser une couronne de laurier comme pour César.

    Vous trouvez ces morceaux sur le Official Live Mountain Official Live Bootlegs Series paru en 2005 : Woodstock Festival / New Canaan H. S. 1969. Seuls les six premiers morceaux proviennent de Woodstock, mais vous avez eu droit à quelques louches de potion magique supplémentaire.

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    N. D. Smart II quitte Mountain. Lorsque l'on écoute son précédent groupe Kangaroo [ + Barbara Keith ( vocal ), Teddy Spelies ( guitar, vocal ), John Hall ( keyboars, guitar, vocal )], qui promeut un folk influencé par les Beatles, l'on n'est pas surpris par la suite de le voir accompagner Ian & Sylvia duo folk canadien qui plus tard enregistra deux albums à Nashville que l'on considère comme pro-country-rock, très logiquement Smart II se retrouvera aux côté de Gram Parsons. Il travailla aussi avec Todd Rungren et cerise sur le gâteau par ces temps de guigne qui courent il participa en 1997 avec le groupe Hungry Chuck à l'enregistrement de The Deadly Ebola Virus ! Comment arriva-t-il à participer à Mountain, grâce à Felix Pappalardi qui en 1966 lui signala qu'un groupe de Boston, The Remains, cherchait un batteur. Les Remains tournèrent avec les Beatles en Amérique et leur leader Barry Tashian jouera avec Emily Harris et Gram Parsons... N'oublions pas que Pappalardi a débuté son travail à New York, qu'il a gravité dans le milieu folk, produit et participé à de nombreux disques, notamment de Tom Paxton.

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    Quant à Norman Landsberg qui n'a été présent que sur trois pistes de Mountain de Leslie West, il est avant tout un pianiste de jazz que l'on retrouvera dès 1970 avec le groupe de rock-jazz Hammer. Le premier disque du groupe quoique beaucoup plus jazz n'est pas sans présenter quelques analogies avec le son de Mountain, cela grâce à l'orgue de Landsberg mais aussi cette manière de compresser toute l'énergie du groupe en de courtes séquences-pivots  qui chez Hammer permettent de démarrer de longues tirades swing échevelées. On peut entendre Ken Janick qui participa en tant que batteur avec Landsberg à la première mouture du groupe de West ( qui ne satisfit pas Pappalardi ) pour un seul titre sur le premier album de Hammer.

    CLIMBING ! MOUNTAIN

    Gail Collins est très présente sur le premier disque de Mountain, elle co-signe six morceaux sur neuf mais c'est elle qui se charge de la couverture. Leslie n'aimera pas la couverture, selon lui Gail n'a pas résisté au plaisir pervers de se représenter sur l'illustration, ne cherche-telle pas à cacher la montagne sous sa vaste robe ? Ne dévoilait-elle pas par ce voilement même – Aristote ne définit-il pas la vérité selon ce clignotement aléthéïque – sa volonté d'imposer son ascendance sur la communauté montagnarde ? Les sectateurs freudiens ne manqueront pas de signaler l'ambivalence sexuelle de l'image, est-ce une salutation au pénis ou une tentative d'occultation... Les amateurs de Tolkien n'hésiteront pas à nommer Le Seigneur des Anneaux, pour ma part, tout en étant dans l'incapacité d'en apporter le moindre début de preuve, j'y vois une filiation quasi-formelle avec le récit d' Alice au pays des merveilles, pas à une quelconque illustration du récit, mais une parenté spirituelle et mathématique avec l'esprit de Lewis Carroll. Une espèce d'approche du mystérieux concept des angles morts appliquée à la division fractale des apparences. Souvent mes amis affirment que je délire.

    Leslie West : vocal, guitar / Steve Knight : Mellotron, organ /Corky Laing : drums, percussion / Felix Pappalardi : bass, production.

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    Mississippi queen : ah! Cette reine du Mississippi nous l'avons tous aimée, adorée, adulée, ce n'est rien qu'un simple morceau de rock 'n'roll, mais rien n'y manque, un vocal à l'arrache qui cloue votre cercueil, ce final impromptu qui exige une réécoute, sans quoi la vie ne vaut pas la peine, et surtout ce gimmick de cloche de vache qui vous appelle à l'étable du paradis, rien qu'avec ce triple battement Corky va plus laing que vous et même si vos détestez que l'on vous dépasse, là vous vous inclinez, il a raison.Theme for an imaginary western : un grand moment, un grand film, ceux que vous tournez dans votre tête, qui se déroulent à l'infini, dont vous vous repassez les séquences ad vitam aeternam, tout cette grandiloquence à laquelle vous n'accédez jamais dans votre vie, la voici ouverte dans vos rêves, la guitare de West n'est plus un instrument de musique mais un symbole, un aigle qui plane dans le ciel, très loin, très au-dessus du monde, vous êtes parti en voyage et vous savez que vous ne reviendrez jamais parmi la petitesse de vos contemporains. Never in my life : le genre d'envoi piégé qui ne fait pas de cadeau. Vous explose tout de go, vous arrache la tête, effondre votre maison, ensevelit votre femme sous les décombres, écrase les enfants sous les poutres, n'oublie ni le chat, ni le chien, ni le canari ni les poissons rouges. Laing a le diable au Corky et les autres s'entendent comme larrons en foire pour bousculer le monde, le froisser comme une vulgaire boule de papier et l'envoyer valser dans la poubelle des étoiles. Silver paper : serait-ce un hymne au soleil, les empereurs Julien ou Aurélien auraient pu le psalmodier, toute victoire dépend de vous, se tapit une miraculeuse hégémonie du bonheur vital dans ce titre, la guitare de Leslie resplendit comme un rayon de soleil qui éclaire sans éblouir. Des intermittences de splendeurs dans ce titre. For Yasgur's farm : autre titre de Who I am but you are the sun, au début c'était une simple chanson d'amour, mais après Woodstock le titre a pris une nouvelle dimension, pratiquement philosophique, l'expression de nouveaux rapports entre les êtres vivants, ne plus s'enfermer dans le miroir de l'autre, laisser entrer la multitude générationnelle dans l'entre-soi, le morceau n'échappe pas à une certaine emphase, plus question de se perdre dans le rêve d'un western imaginaire, une autre vision de l'amour considéré dans son universalité spirituelle. To my friend : que dire de plus après l'amplitude précédente, que substituer à l'amour de plus grand sinon ce sentiment d'amitié, qui relève davantage du ressenti et moins du maladroit bavardage des mots, pas une seule parole, juste un instrumental, un son de gratte très anglais, cette espèce de néo-folk très en vogue à l'époque, très expérimental, la recherche d'une équivalence lyrique à ces orages électriques que le hard-rock fomentait. Une manière aussi d'échapper à ce country blues qui était à son fondement. J'ai toujours eu l'impression que Mountain avait un coup d'avance sur le Zeppe III. The laird : ce morceau le confirme, des paroles d'outre moyen-âge, des harmonies en sous-main comme s'ils avaient tenté d'écrire un musique pour le baladin du monde occidental de Synge. Douceur des fausses paroles et des fins grattés de guitare qui ne sont que toiles d'araignées perlées de rosée sur la laideur du monde. Sittin' on a rainbow : changement de registre, rock'n'roll pour tous, pas méchant non plus, terriblement ambigu, ceux qui rêvent d'arc-en-ciel et ceux que la modernité télescope. Parfois le rock est moqueur et frondeur. Attention une seule pierre qui percute un éboulis et c'est l'éboulement, sauve-qui-peut-général, essayez de vous en échapper comme vous pouvez. Le morceau est très court, Mountain tire son épingle du jeu très rapidement. Boys in the band : mélancolie de guitare en ouverture, où sont les beaux jours, sur la rock'n'road ou sur celle du retour ? L'on se serait attendu à une catapultade rock dont Mountain a le secret pour terminer en beauté. Mais non, l'on est au sommet, la victoire semble amère, beaucoup plus décevante que la joie de la réussite escomptée. Mais la pourpre des nuages dont on est enveloppé est de grande intensité, d'une irrémédiable beauté.

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    L'on a tendance à penser que les groupes de hard sont des soudards ivres de brutalité. Ils sont capables du pitre. Ne nous cachons pas la réalité, nous les aimons pour cela. Il importe toutefois de les écouter avec attention. Pour les mieux comprendre et les mieux entendre, il est nécessaire de les remettre dans le contexte de leur apparition. Ils usent d'une pseudo-poésie mi-toc, mi clinquante, qui n'est pas sans signifiance.

    Ce qui est sûr c'est qu'il vaut mieux regarder la couverture de l'album due à Gail Collins après avoir écouté l'album qu'avant. L'on s'aperçoit que non seulement elle n'en trahit en rien le contenu mais qu'elle le subsume. Il y a dans ce disque mastodonte une grâce surprenante. Faut-il parler d'une dissemblance de dessein ultime entre les personnalités de Pappalardi et de West, ou du dessin originel de la présence de Gail qui introduit une faille profonde entre l'élément femelle et l'élément mâle. Entre l'action et le rêve aurait dit Baudelaire. Le troisième album de Mountain ne s'intitulera-t-il pas Flowers of Evil ?

    Une affaire à suivre.

    Damie Chad.

    LE LIVRE DU DESIR

    LEONARD COHEN

    ( Le Cherche-Midi / 2008 )

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    L'ouvrage est paru en 2006 en langue anglaise sous le titre de Book of longing. Cette version est due à traduction de Jean-Dominique Brierre et Jacques Vassal, le spécialiste folk dans le Rock & Folk de la grande époque. Elle a été précédée en 2007 d'une première aux éditions de l'Hexagone traduite par Michel Garneau. Que nous n'avons pas lue. Outre qu'il soit lui-même poëte et ami de Leonard Cohen, sa simple traduction du titre en Le Livre du Constant Désir – Mallarmé dans sa Prose pour des Esseintes ne nommait-il pas la Gloire du long désir - nous semble davantage en osmose avec l'original et possède le mérite d'inscrire l'ouvrage dans la tradition de la poésie amoureuse troubadourienne née en Provence, ce qui n'est pas sans intérêt puisque dans son livre l'auteur rappelle à plusieurs reprises qu'il a habité dans le Luberon.

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    Le recueil regroupe plus de deux cents poèmes très souvent agrémentés de dessins dus à Leonard Cohen. Un peu décevants, car très répétitifs, l'on ne peut pas parler d'illustrations proprement dites. Tout au plus des motifs qui ne fonctionnent même pas comme une héraldique sacrée, des images prégnantes qui reviennent comme des cartes à jouer dont le retour distributif semble trop hasardeux pour exprimer une véritable signifiance. Plus intéressants nous semblent les sceaux porteurs d'une volonté magique dont parfois les textes sont comme frappés ou mis sous protection. Les poèmes, vers courts et proses, ne sont pas très longs, très rares ceux qui excèdent une page. Beaucoup ne dépassent pas la partie médiane de la feuille, le vide excédentaire doit être générateur de la présence des dessins.

    Il convient de l'avouer, Leonard Cohen est meilleur poëte que dessinateur. S'il fallait jouer au portrait chinois, et si le livre était une figure géométrique, laquelle serait-il ? La réponse s'impose. Un triangle. Equilatéral. Avec un trou en son milieu. Qui représenterait le poëte en personne. Un puits sans fond. Ou l'extrême pointe d'une pyramide des âges. Rappelons que Leonard Cohen est né en 1934 et que le livre paraît en 2006. Bref un bouquin de vieux. Et un vieux même pas beau. Cohen ne se leurre pas. Griffonne une trentaine de fois son auto-portrait. Pas un jeune premier. La vieillesse est un naufrage nous a avertis Chateaubriand.

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    Pour que nous en soyons sûrs Cohen signale une fois qu'il s'inspire d'un des poèmes de Cavafy, intitulé Les Dieux abandonnent Antoine, ce n'est pas que Cohen s'estime digne de l'attention des Dieux de l'antique Hellade, c'est une jeune amante qui se lève de son lit pour ne plus revenir... Nous avons-là une des clefs de compréhension du livre. Constantin Cavafis ( 1863 – 1933 ) n'a écrit tout au long de sa vie qu'une centaine de poèmes qui ne furent définitivement réunis en un recueil qu'après sa mort. Ses Poèmes sont une longue réflexion sur le Destin, imagée selon l'histoire de la Grèce Antique, croisée au thème de la fuite des jours. Toutefois le poëte triomphe de ses deux forces redoutables par l'évocation des jours anciens, ceux qui le mirent au contact de la Beauté lors de ses étreintes amoureuses. Homosexuelles cela s'entend, Cavafy était grec jusqu'au bout du pénis et comme disait la vieille plaisanterie homophophe romaine, si tous les pédérastes ne sont pas grecs, tous les grecs sont des pédérastes... Que ce pseudo-syllogisme graveleux ne vous empêche pas de lire Cavafis, un des quatre ou cinq grands poëtes de notre modernité.

    Ne nous égarons pas, revenons à notre géométrie. Quels sont les trois angles d'attaque de notre triangle évoqué plus haut. Le premier est tellement important que la typologie de notre figure géométrique peut servir de représentation symbolique et physique du sexe dans lequel son encoignure angulaire se fixe : le féminin. Le deuxième et le troisième sont d'une ascendance nettement moins empreinte d'une telle concrétude. Le néant pour l'un, le vide pour l'autre.

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    Soyons plus précis. Je ne ferai pas l'injure aux kr'tnt-readers de rappeler la discographie de Leonard Cohen. Il fut aussi écrivain et poëte. Son roman Les perdants magnifiques connut son heure de gloire au milieu des années soixante. Ses albums lui permirent de toucher un vaste public, notamment rock. Une belle carrière. Une vie bien remplie. Le succès est une chose, le sentiment d'atteindre à une certaine plénitude une autre. Durant cinq ans Leonard Cohen arrêta tout et se fit moine bouddhiste. Tout le début du Livre du Désir relève de cette expérience. Z'oui mais. L'équanimité spirituelle devant le spectacle et les attraits du monde est certainement ( je vous laisse juge ) un plaisir, que dis-je une sérénité rayonnante... encore faut-il réussir ! Leonard s'astreint à de longues et bénéfiques méditations, n'empêche que son esprit batifole un peu, une fille qui passe et voici qu'il trique dur... En avançant dans le livre l'on s'aperçoit qu'il accorde de moins en moins d'importance à son maître vénéré, Roshi est âgé de quatre-vingt neuf ans ce qui lui permet peut-être d'être dépourvu de toute attirance charnelle, ce qui n'est pas le cas de Leonard Cohen. Qui ne pense qu'à ça... Le Zen le rend zinzin. Le vide du nirvana l'énerve, il s'en détournera...

    N'en devient pas pour autant un farouche athéiste. N'oublie pas ses origines. Juives. Fils de rabbin. Aucune allusion aux rites dans le livre. Si ce n'est la prière qu'il faut comprendre comme une confrontation à quelque chose de bien plus grand que soi. D'une absoluïté éternelle tellement sans commune mesure avec sa propre relativité individuelle éphémère que l'on n'en peut juger, que l'on ne peut en prendre mesure, que toute tentative vous donne l'étrange sensation de faire l'expérience non pas d'une présence mais d'une absence. Cohen n'est pas un mystique. Il ne s'aventure pas à décréter comme Angelus Silesius ou Jacob Böhme, que D-eu serait pure négativité. Il se refuse à descendre dans un tel abîme. S'éloigne très vite de ce seuil dangereux. L'incommensurabilité de D-eu il s'en sert comme d'un paratonnerre métaphysique qui lui permet de se tirer de ses dépressions chroniques, D-eu est une présence englobante, savoir qu'il existe s'avère un rempart idéal contre le doute et les contradictions. Contre la peur de la mort, un seul refuge, les formes du corps féminin.

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    Objection votre honneur. Certes la beauté et le don des femmes est un puissant contre-poison, à part que... la jeunesse est loin, et que la vieillesse n'en finit pas de s'insinuer dans ses artères, ses membres, ses organes... L'en est réduit comme Cavafy à se remémorer les anciennes fiancées, les rencontres de passages, les occasions fabuleuses, les femmes qui ont partagé sa vie durant des périodes plus ou moins longues. Des instants de bonheur qui ont fui parce tout a une fin, ou qu'il a froidement rejetés. Certes il a eu de la chance, sa vie, son aura, sa célébrité ont attiré bien des filles autour de lui. La sarabande fastueuse est en train de s'achever. La musique ralentit la cadence.

    Pratiquement tous les poèmes du recueil sont d'amour. Ou de sexe. Mais traversés et foudroyés de fragilité. Cimetière en vue. Qu'est-ce que ce contact d'épidermes et cet échange jouissif de glaires quand l'on se souvient que tous ces soubresauts érotiques sont appelés à disparaître, que leurs répétitions spasmodiques fournissent maintes distractions pascaliennes, il ne faut surtout pas oublier qu'au moment où la mort présentera l'addition tous les chiffres s'égaliseront à un beau zéro aussi vide et béant qu'un crâne humain, et qu'en fin de compte comme le disait avec humour ce nihiliste d'  Alexandre Vialatte  à la fin de ses chroniques, seul Allah est grand. Et plus grand que vous. Que tous vos actes ne sont que de vaines barricades qui ne vous protègeront guère.

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    Leonard Cohen pourrait en pleurer. Il préfère en rire. Un peu d'humour noir pour contraindre le désespoir, quelques sourires sardoniques pour égayer l'as de pique fatidique, jouent le rôle du terreau noirâtre dans lequel un jour ou l'autre ces corps sublimes, ces caresses paradisiaques seront engloutis. Cohen rappelle les moments les plus forts de sa vie, ces instants de communion enflammée, comme s'il essayait de s'envelopper dans la couverture bigarrée de son existence, il reconstitue le patchwork de ses moments les plus intenses, pièce par pièce, s'il était Arthur Rimbaud il aurait cyniquement intitulé son recueil Les remembrances du vieillard idiot, mais il n'est pas Rimbaud, peut-être un peu Verlaine, plus tendre, plus sentimental. Un Cavafy canadien, qui n'a pas le recours prodigieux d'une légendaire historicité pour teindre son linceul d'une pourpre souveraine. Il n'est qu'un simple mortel, un petit homme auréolé de la faiblesse illuminative de toutes les femmes qu'il a rencontrées.

    Difficile de juger d'une poésie sur une seule traduction. Mais si les rockers peuvent être des paroliers de génie, atteindre à la plus haute poésie est beaucoup plus rare. Le livre du Désir confine à l'élégie, il n'accède pas à l'épopée mythographique de Jim Morrison. La lecture est loin d'en être déplaisante.

    Damie Chad.

    Note 1 : Cavafis, nouvelle transcription phonétique du grec moderne qui remplace peu à peu l'ancienne : Cavafy.

    Note 2 : D-eu n'est pas une erreur de saisie, dans le texte hébreu  de la Bible le nom de Dieu dépourvu de voyelles ne se prononce pas. Leonard Cohen et ses traducteurs ont tenté de reproduire cette particularité, en omettant ici une voyelle.

    BOOK OF LONGING

    PHILIP GLASS / LEONARD COHEN

    ( Orange Mountain Music / 2007 )

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    Pour ceux qui n'aiment pas lire il existe une version récitée et chantée par Leonard Cohen secondé par un quatuor vocal sur une musique composée par Philip Glass. Amis rockers, l'accompagnement de Philip Glass s'inscrit dans  une démarche classique. Ne soyez pas surpris par les sonorités. Rappelons que si l'œuvre de Glass se déploie   dans la tradition des grands compositeurs Bach, Beethoven, Debussy, Fauré, Chostakovitch, Honeger... il s'est aussi inspiré d'artistes comme David Bowie, Eno, Tangerine, Laurie Anderson... A ses débuts Philip Glass est avec Steve Reich un adepte de la musique minimaliste basée sur des structures répétitives. Le travail de Glass est à mettre en relation avec celui que Robert Fripp effectuera avec King Crimson, Eno et Bowie. Sentiers croisés de la musique populaire et de la musique savante.

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    Damie Chad.