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  • CHRONIQUES DE POURPRE 565 : KR'TNT 565 : LOVIN' SPOONFUL / EDDIE PILLER / PICTUREBOOKS / SOUR JAZZ / LED ZEPPELIN / LE CRI DU COYOTE / ROCK BALLAD / SOUL BAG / ROBERT PLANT + ALISON KRAUSS

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 565

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    08 / 09 / 2022

    LOVIN’ SPOONFUL / EDDIE PILER

    PICTUREBOOKS / SOUR JAZZ

    LED ZEPPELIN / LE CRI DU COYOTTE  

    ROCK BALLAD / SOUL BAG

    ROBERT PLANT + ALISON KRAUSS

    Sur ce site : livraisons 318 – 565

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    Spoonful on the hill

     

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             Les Lovin’ Spoonful illuminèrent les hit-parades des sixties avec deux hits mirobolants, «Daydream» et «Summer In The City». Les Anglais ça appellent des anthems. C’est le propre de la pop que d’être universelle. John Lennon avait diablement raison d’affirmer - pour déconner - que les Beatles étaient plus célèbres que le Christ. Les Lovin’ Spoonful auraient pu devenir aussi célèbres que les Beatles, et donc plus que le Christ, s’ils avaient un tant soit peu songé à se déniaiser. Ceci pour dire que leur véritable histoire n’est pas dans leurs cinq albums (comme ça pourrait être le cas des Pixies), mais dans le recueil de souvenirs de Steve Boone, le bassman du groupe.

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             Et quel recueil les amis ! Voilà un mec qui sait raconter sa vie ! Hotter Than A Match Head: My Life On The Run With The Lovin’ Spoonful est un petit livre palpitant, au moins autant que celui de Tommy James, qui raconte dans Me The Mob And The Music ses démêlés avec la mafia new-yorkaise. Après être devenu une rock star, comme il le dit lui-même, Boone s’est retrouvé embringué dans une affaire pas terrible avec la brigade des stups, puis il est entré en délinquance, comme d’autres en religion, en transportant des tonnes d’herbe à travers la mer des Caraïbes. Pirate, comme il dit, mais par nécessité économique. Le récit de ses expéditions en Colombie rend le dernier quart de book palpitant. Du coup, son récit autobiographique dégage un violent parfum d’aventure. Qui aurait cru que le bassiste d’un groupe pop new-yorkais allait devenir un pirate des Caraïbes ? Est-ce qu’il est devenu pirate pour se racheter de l’épisode du bust au cours duquel les stups les ont forcés lui et Zal Yanovsky à coopérer ?

              Si Boone prend le temps d’écrire l’histoire de sa vie, c’est forcément pour en parler et faire un peu la lumière sur cette sinistre affaire, qui rappelons-le, a quand même réussi à couler les Lovin’ Spoonful. Zal et lui sont arrêtés le 20 mai 1966 à San Francisco pour possession de marijuana. Les stups leur proposent un deal : soit Zal et Boone coopèrent un introduisant un flic en civil dans une party, soit ils sont condamnés et Zal, qui est canadien, sera expulsé, sans possibilité de retour aux États-Unis, donc plus de Lovin’ Spoonful pour eux. Boone rappelle que leur bust se produit bien avant que ça ne devienne la mode, bien avant que les stups ne harcellent les rock stars un peu partout dans le monde. Boone évoque quand même les jazzmen arrêtés pour usage d’héro et Johnny Cash arrêté à la frontière mexicaine avec un flacon de pills, mais c’est tout. Boone insiste pour dire à quel point Zal et lui avaient la trouille, ce jour de mai 1966. Boone craint pour ce qu’il appelle sa «carrière», son petit confort de rock star. Mais s’ils acceptent de se rendre dans une party accompagnés du flic en civil, on leur promet que les charges seront abandonnées. Zal et Boone commettent la grosse erreur de prendre la décision tout seuls, sans en parler aux deux autres. Ils commettent la pire erreur de leur vie : faire passer un flic de la brigade des stups pour un ami. L’horreur. Donc ils y vont. Le pire, c’est que le flic ressemble à un flic. Puis ils doivent retourner au commissariat pour le debrief. Ils croient qu’on va leur foutre la paix. Mais l’affaire s’ébruite, évidemment. Le mec de la party qui a été arrêté a fini par raconter que Zal et Boone lui avaient présenté le flic. Tout le monde à San Francisco est au courant. La presse s’empare de l’affaire. On les traite de balances, on appelle à boycotter leurs concerts, leurs disques et on incite même les filles à boycotter leurs parties de cul. Zal et Boone entrent alors en enfer. Les pages au long desquelles Boone relate cet épisode sont d’une pénibilité sans fin, car il essaye de justifier l’injustifiable.

             Par contre, il s’en sort mieux avec l’épisode de la piraterie, comme il l’appelle. Boone est un mec qui a grandi sur la côte en Floride et qui adore les bateaux. Donc il sait naviguer, comme Croz. Il vit quelques années à bord d’un bateau dans les Caraïbes puis un jour un mec lui propose d’aller charger en Colombie une grosse cargaison d’herbe à bord d’un voilier et de la ramener aux États-Unis - 6,500 pound load - Trois tonnes ! - Being a pirate m’a donné tout ce que je voulais. La possibilité de naviguer, toute l’herbe que je pouvais fumer et plus d’argent que je n’en avais jamais vu dans toute ma vie - Un peu plus tard, il repend la mer à bord du Carolina Garnet et charge quatre tonnes d’herbe. Le jeu consiste à éviter les patrouilleurs de la marine américaine. Il repart une troisième fois à bord du Do Deska Din charger dix tonnes d’herbe en Colombie. Quand Captain Boone informe son commanditaire qu’un patrouilleur a repéré le Do Deska Din, il reçoit d’ordre de couler le bateau. Ne jamais laisser de traces. Un peu plus tard, il reprend la mer à bord du Carolina Garnet, mais ça se passe mal. Le vent casse le grand mât et le bateau dérive vers la côte cubaine, et comme il n’a pas envie de finir sa vie au fond d’une taule cubaine, Captain Boone décide de couler le bateau avec sa cargaison. Il envoie un SOS et y fout le feu. L’équipage est recueilli par un patrouilleur américain, mais comme il n’existe pas de preuve de trafic, on relâche Captain Boone et ses hommes. 

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             Alors Boone aventurier ? Pas évident. On trouve dans les pages photo du book un portrait de Boone ado. Il est spectaculairement laid. Il est aussi laid que Joe Butler - batteur des Spoonful - est beau. Deux extrêmes. Ça s’arrange un peu avec les cheveux longs, mais quand même, le Boone n’est pas joli. Quand il essaye de se faire passer pour une graine de violence au lycée, on ne peut pas le prendre au sérieux. C’est plus facile avec Marlon Brando.

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             Quand on lui dit qu’il sera bassiste dans le groupe, il sort deux ou trois anecdotes marrantes sur le statut du bassiste : Mike Watt qui dit que généralement, dans un groupe, on choisit celui qui est le plus mentalement retardé pour jouer de la basse. Il cite aussi Dave Davies qui indique qu’ils ont joué à pile ou face le job de bassiste dans les Kinks et que Pete Quaife a perdu. Boone apprend donc à jouer de la basse à Greenwich Village et là ça devient passionnant. Il découvre Lenny Bruce en 1962 au Village Vanguard. C’est l’époque où Dylan débute et Boone dit que grâce à lui, il apprend à réfléchir - Dylan m’a inspiré pour écrire des folk-songs qui étaient un peu stupides. Mais au moins j’écrivais... et je réfléchissais - Comme tous les kids qui écoutaient Dylan à cette époque, Boone se croit intelligent. Puis en 1964, il fait son Marlon Brando et part faire le biker plusieurs mois en Europe. Son pote Peter Davey et lui débarquent à Londres et s’achètent une moto chacun. Peter Davey se paye une Triumph Tiger Club deux cylindres 500 cm3 et Boone une Matchless G80 mono-cylindre 500 cm3. Vroaaaaaaaaarrrr ! Ils sillonnent toute l’Europe pendant quatre mois. Puis retour à Greenwich Village. Au Night Owl Cafe, il voit le concert le plus extraordinaire du monde : Buzzy Linhart au vibraphone, Felix Pappalardi à l’electric Guild bass, Fred Neil à la douze et John Sebastian, second guitar. Boone est émerveillé. Dans la foulée, Seb lui présente l’ex-US marine Tim Hardin. Il faut imaginer ce concentré de légendes vivantes. Merci Boone de nous faire assister à un tel spectacle. Une nommée Ruth lui présente aussi le Trol. Quoi ? Boone ne sait pas qui est le Trol. Oh fait Ruth, c’est un amphète, l’Escatrol. Tout le monde en prend. Popping pills, ça s’appelle. Tu ouvres le bec et tu pop ta pill. Tu te retrouves debout toute la nuit à bavacher. Alors Boone pop sa pill. Et là il comprend soudain pourquoi tous ces mecs dans le bar parlent si fort et tous en même temps : tout le monde tourne au Trol. Fantastique ! 

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             Au moment où Boone rencontre Zal et Seb, ils cherchent un  bassman et un beurreman pour monter un groupe. Ça tombe bien, car Boone est bassman. Seb explique aussitôt à Boone qu’il adore le blues et qu’il a accompagné Mississippi John Hurt. Seb est un petit mec extrêmement doué qui impressionne beaucoup Boone. Seb s’appelle en réalité Giovani Puglese. Quant à Zal qu’on surnomme Zalman, c’est un sacré zozo, un guitariste qui zèbre son jeu de «whoops and grunts». Joe Butler est engagé au beurre et une fois le groupe complet, Seb propose le nom de Lovin’ Spoonful, tiré d’une chanson de Mississippi John Hurt. Boone est contre, car il pense que le spoon renvoie à l’héro, mais le nom est voté. Chez les Spoonful, on vote à la majorité. Seb, Zalman, Butler et Boone jouent leur premier concert en février 1965 au Night Owl Cafe. Ils fument un joint de Mexican weed et montent les marches qui conduisent directement de la loge à la scène, comme des gladiateurs qui entrent dans l’arène. Boone nous décrit tout ça dans le détail. Le démarrage d’un groupe est toujours la période la plus fascinante : des gens se rencontrent, montent leur projet, apprennent à jouer ensemble et déboulent sur scène pour la première fois. Rien de plus excitant. Puis c’est le premier hit, «Do You Believe In Magic». Comme le Velvet, ils jouent au Cafe Bizarre et sont payés en sandwiches au thon, ce qui les arrange bien, car ils crèvent de faim. Les gens commencent à s’intéresser à eux, et pas n’importe lesquels : Phil Spector et Jac Holzman. Les Spoonful la jouent fine et laissent monter les enchères. Le duo Koppelman et Rubin s’occupe d’eux. Ils leur décrochent un deal avec Kama Sutra. Les Spoonful font plus confiance au duo qu’à Totor. Dommage, car Totor aurait pu tirer d’eux ce qu’il a tiré des Righteous Brother et de Dion. Ça ne les empêche pas de participer au Big TNT Show avec les Supremes, qu’organise  Totor, un an après le prestigieux TAMI Show. Les Spoonful débarquent donc à Los Angeles et Boone rencontre Croz avec lequel il sympathise car ils ont deux passions en commun : les voiliers et les voitures de sport. Alors Croz propose à Boone une virée dans sa nouvelle Porsche. Vroaaaaaaarrrr ! mais comme toujours, la fête ne dure qu’un temps. Les rapports entre Seb et Zal se détériorent. Zal fait le con sur scène. Seb finit par réunir Boone et Butler pour mettre aux voix le saquage de Zal. Deux voix contre une. Boone prend bien soin de préciser qu’il a voté contre. C’est le mari de Judy Henske, Jerry Yester, qui remplace Zal. Puis en 1968, Seb annonce qu’il quitte le groupe. Fin des Spoonful. Ils n’auront duré que trois ans. Ce qu’on appelle un feu de paille.

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             Pendant cette brève période de gloriole, Boone aura réussi de jouer de la basse pour Dylan sur «Maggie’s Farm», l’un des killer cuts de Bringing It All Back Home. Boone se souvient aussi avoir passé une journée avec lui, à rouler en ville dans son Plymouth wagon station, à fumer des joints et à causer motos. L’autre rencontre dont il est fier est celle de Totor qui vient voir les Spoonful backstage pour leur proposer de les signer et de les produire. Boone le trouve charmant, et de toute façon, à cette époque, tout le monde adule Totor. Boone évoque aussi le fameux concert du Rose Bowl à Los Angeles avec le Bobby Fuller Four. Il les revoit tous les quatre sortir de leur trailer en refermant leurs braguettes. Ils venaient tout juste de se taper les groupies qu’on entendait gueuler. Boone ajoute que de bourrer des groupies n’était pas le genre des Spoonful et qu’on a retrouvé Bobby Fuller clamsé sans sa bagnole à Hollywood. La rumeur dit qu’il aurait fricoté avec la copine d’un truand local et que ça n’aurait pas plu du tout à ce monsieur.

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             On apprend aussi que juste avant de recruter les Monkees, Bob Rafelson et Bert Schneider ont proposé les rôles aux Spoonful. Ils cherchaient déjà quatre personnalités bien distinctes pour reproduire le modèle d’Hard Day’s Night et les Spoonful correspondaient parfaitement à leurs critères - Joe for his chick-magnet good looks ans Zally for his zanniness and over-the-top personality - Jerry Yester faillit bien être retenu, mais il a décliné l’offre quand les producteurs ont refusé de voir les autres membres de son groupe, The Modern Folk Quartet.

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             Autre rencontre déterminante : pendant la tournée avec les Supremes en 1965, Boone est assis dans le bus à côté de James Jamerson qui lui montre des trucs à la basse - His long fingers stretched across the octaves in perfect time. Bum-ba-ba-bum, ba-ba-ba-bum-ba-ba-bum. Well, fuck - Lors d’un voyage en avion, les Spoonful repèrent Miles Davis, assis comme eux en première classe. Alors Seb se dévoue pour aller lui présenter les hommages du groupe. Miles le laisse déballer ses salades et, en le fixant droit dans les yeux, lui lâche : «I don’t talk to honkies.» Quand Seb revient à sa place, les autres Spoonful sont hilares. Pendant tout le reste du voyage, nous dit Boone, chaque fois que Seb essayait de reprendre la conversation, on lui disait : «I don’t talk to honkies.»

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             Lorsqu’ils tournent en Angleterre, les Spoonful rencontrent tout le gratin dauphinois. Ils sont même invités par le riche héritier et proche des Stones Tara Browne dans son château en Irlande pour faire la fête. Huit mois plus tard, Tara Browne allait se tuer à Londres au volant de sa Lotus Elan. Boone aime bien les voitures de sport. Il se paye en 1966 une Ferrari 250 GT Lusso, la même que celles de Clapton et de George Harrison. Côté groupes, Boone déteste les Doors, l’Airplane et le Grateful Dead - All of whom I frankly thought sucked - Boone voit les Doors chez Ungano’s à New York et les trouve boring and a downer. Il trouve que les paroles de «Light My Fire» frisent la pornographie - It was saying little more than «come on baby suck my dick» - Pauvre Boone, il n’a rien vraiment compris au film. Ça ne le grandit pas de démolir des Doors. Déjà qu’il n’a pas les cuisses très propres. Pour rester au rayon sales bonhommes, voilà Nash, comme par hasard. Nash traîne alors à Greenwich Village avec Croz, Stephen Stills et Seb. Croz et Stills envisagent déjà de monter un super-groupe (CS&N) et proposent à Seb d’en faire partie, mais Seb décline l’offre. Puis quand il apprend que Nash se tape sa fiancée en douce, il quitte New York pour la Californie. C’est une manie chez Nash que de se taper les copines des autres. On appelle ça une mentalité. On reste encore au rayon sales bonhommes pour un drôle d’épisode. En 1991, Seb réussit à obtenir par voie de justice un accès aux royalties des Spoonful. Il fait venir Butler et Boone pour proposer de partager les royalties en quatre, avec Zal. Cette fois c’est Boone qui refuse. Pourquoi partager avec lui, ça va nous faire de l’argent en moins ! Seb est choqué. Il indique que c’est le seul moyen de faire venir Zal pour une reformation des Spoonful. Alors ils votent tous les trois comme ils l’ont fait 24 ans plus tôt pour virer Zal du groupe. Deux voix contre le partage à quatre, une voix pour, celle de Seb. Stupeur ! Alors Seb leur dit à tous les deux : «You guys will regret this, wait and see.» Finalement, tout cette histoire n’est pas très sympa, mais il faut féliciter Boone pour sa franchise. Il lâche des trucs qui ne sont pas faciles à lâcher.  

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             Les Spoonful s’étaient déjà reformés en 1980 pour jouer dans un film de Paul Simon, One Trick Pony. La critique a coulé le film qui a disparu sans laisser de trace. Puis Boone va découvrir l’héro et s’y adonner corps et âme avant de réussir à se detoxer. Sacré Boone il aura réussi à collectionner toutes les conneries. Au fond, c’est pour ça qu’on l’aime bien. D’une certaine façon, il ressemble au Grand Duduche. 

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             Si on ne craint pas de s’ennuyer, on peut écouter ou réécouter les cinq albums des Lovin’ Spoonful, parus sur Kama Sutra, label fondé par Art Ripp. Les Groovies firent paraître Flamingo sur Kama Sutra, qui était aussi le label des Fifth Dimension, de NRBQ et du Gene Vincent de la fin des haricots. On trouve les Spoonful tout souriants sur la pochette du premier album, Do You Believe In Magic, paru en 1965. Le morceau titre de l’album est en réalité le troisième hit des Lovin’ Spoonful. C’est une belle pop sixties admirablement emballée par Seb le dreamer. Mais le reste de l’album donne véritablement le ton du groupe : un son de jug-band bien enraciné dans l’Americana et une tendance naturelle à la good time music, qui est en fait leur pré carré. Du blues aussi avec «Sportin’ Life». Seb y sonne comme un expert du feeling. Son rendu de glotte est superbe. Tout est délicieusement bien intentionné sur cet album. C’est le côté souriant des sixties, la part de rêve, l’antithèse des Rolling Stones. Avec «Fishin’ Blues», ils tapent dans le country-rock à la new-yorkaise, alerte et vitaminé, gratté à la mode des Appalaches. En B, on trouve d’autres jolies choses comme «Wild About My Loving», une pièce de pop habilement montée sur une carcasse de blues et richement instrumentée. Mais le cut qui fend vraiment le cœur, c’est bien sûr l’«Other Side Of This Life» de Fred Neil, un groove psyché digne des Byrds d’«Eight Miles High». S’ensuit un balladif d’orfèvre intitulé «Younger Girl», mais l’«On The Road Again» qu’on trouve ensuite n’est pas celui de Canned Heat. Seb nous embarque plutôt dans un petit coup de boogie rock classique et sans histoires.    

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             «Summer In The City» se trouve sur Hums Of The Lovin’ Spoonful, paru l’année suivante. Ils sont toujours très souriants sur la pochette. Ils attaquent cet album avec une grosse rasade de country-rock de bastringue («Lovin’ You» et «Best Friends»). Ils sonnaient déjà trop américains pour les oreilles européennes. Seb essaye de faire son Wolf dans «Voodoo In My Basement» et ils reviennent à leur chère Americana avec «Darlin’ Companion» et au western swing avec «Henry Thomas». Ils sont dans leur monde. En B, il passent du groove jazzy des Caraïbes («Coconut Grove») au gaga («4 Eyes»), en passant bien sûr par le country-rock avec «Nashville Cats». «Summer In The City» qui clôt la B sauve l’album. 

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             Dernier album de l’âge d’or des Spoonful : Daydream, paru la même année. Le morceau titre est l’un des hits quintessentiels des sixties, joué au pur swing new-yorkais, siffloté et franchement digne des Groovies de Sneakers. John B Sebastian signe ce coup de génie. Ils sont plusieurs à savoir chanter dans le groupe. Joe Butler prend «There She Is» à la belle énergie. Ce groupe pouvait avoir très fière allure, c’est vrai. Seb chante «Warm Baby» d’une voix d’ange, mais hautement prévisible. Il faut bien admettre que l’originalité brille par son absence. De toute évidence, ces mecs sont fans de blues. Seb revient attaquer «Let The Boy Rock & Roll» avec cette intro magique - I heard Mama & Papa talk that night/ I heard Mama tell Papa/ Let the boy rock & roll - En B, ils ont un cut de pop franchement digne des Beatles : «You Didn’t Have To Be So Nice».

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             Everything Playing est un album beaucoup trop fleur bleue. Et puis le groupe a pris un mauvais coup, avec l’arrestation de Zal et Boone pour possession de marijuana. Les flics les ont terrorisés pour les forcer à coopérer. Évidemment, ça n’a pas plu en Californie et on a vu paraître dans la presse des appels à boycotter les Lovin’ Spoonful, comme déjà dit plus haut. Terminé, tout le monde descend. Sur cet album, ils essayent de revenir à un format plus pop avec des trucs comme «She Is Still A Mystery To Me» et «Six O’Clock». On sent la pop artisanale, travaillée avec passion, à la lueur d’une bougie. C’est peut-être avec «Old Folks» en B que Seb se rapproche le plus de John Lennon, avec des intentions généreuses un peu typées années trente. Par contre, ils reviennent à leur cher folky folkah avec «Money».

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             Fin des haricots avec Revelation - Revolution 69. Tout le monde est parti, sauf Butler qui passe du statut de batteur à celui de leader du groupe. Butler est assez malin pour aller taper dans des grosses compos du genre «Never Going Back», joliment soutenu par une guitare folk-rock. On se régale de «The Prophet» et de son weird sound absolument somptueux. Butler plonge dans la belle pop arpegiée avec «Only Yesterday», qu’il finit en sifflant. Finalement, tout n’est que balladif enchanté sur ce disque et Butler se paye même une tranche de heavy groove avec le morceau titre, brillamment éclairé par un solo de guitare américaine. Encore de la pop ambitieuse et terriblement chargée d’affect avec «Me About You». Ça sent terriblement bon le songwriter et Butler finit son petit album avec «Words», une belle pièce de pop classique. Une fois de plus, il se rapproche des Beatles. Cette pop est un vrai travail d’orfèvre, bâti sur des arches solides. C’est d’ailleurs Butler qu’on voit courir sur la pochette, à côté du lion. On a là l’une des pochettes les plus ridicules de l’histoire du rock.

             Dans le Boone book, on voit une photo de reformation récente des Spoonful avec Butler, Boone et Jerry Yester. Butler ressemble à un retraité de l’éducation nationale, Duduche Boone n’a plus un cheveu sur le caillou et Yester s’en sort un tout petit peu mieux. On se console en retournant voir les pochettes des trois premiers albums.

     Signé : Cazengler, emporté par la Spoonfoule qui nous trrrraîne et nous entrrrraîne

    Lovin’ Spoonful. Do You Believe In Magic. Kama Sutra 1965  

    Lovin’ Spoonful. Hums Of The Lovin Spoonful. Kama Sutra 1966

    Lovin’ Spoonful. Daydream. Kama Sutra 1966

    Lovin’ Spoonful. Everything Playing. Kama Sutra 1968 

    Lovin’ Spoonful. Revelation - Revolution 69. Kama Sutra 1969   

    Steve Boone. Hotter Than A Match Head: My Life On The Run With The Lovin’ Spoonful. ECW Press 2014.

     

     

    In Mod We Trust - Piller tombe pile (Part Three)

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             Avec son nouveau box set, Eddie Piller tombe plus pile que jamais. Il tombe mille fois pile et c’est peu dire. Cent cuts de pure Mod craze, cent singles tirés de sa collection personnelle, sans doute tient-t-on là la plus grosse compile de l’histoire des compiles, c’est le Nuggets des Mods, c’est aussi l’un des pires moments à passer, pour des oreilles de chrétien, le moindre single tiré de l’obscurité sonne comme un hit dans les pattes de Piller, il a cette facilité à imposer des choix qui nous renvoie aux grands spécialistes du genre, c’est-à-dire Guy Stephens et les gens d’Ace. Cent cuts de ce niveau, ça veut dire quatre soirées sur des charbons ardents, quatre soirées à encaisser des coups de Jarnac, quatre soirées à bénir les dieux du rock, quatre soirées à se dire que finalement la vie n’est pas si pourrie, tu aurais presque envie de collectionner tous ces singles dont on voit les rondelles dans les pages du booklet. Cent cuts et mourir, pourrait-on s’exclamer, plutôt que d’aller voir Rome. Les cent cuts de la vingt-cinquième heure, la compile qui tombe du ciel. Pourtant ce n’est pas la première box qu’il fait, son précédent exploit concernait le Mod Revival, cette fois, il remonte à la racine de ce phénomène tellement unique que les Anglais appellent Mod tout court, un phénomène qui est à la fois élitiste (au sens des élus), working-class (au sens des racines), et qui repose sur l’énergie (au sens de la chimie) et la vraie culture (au sens de l’intelligence). Mod, c’est un peu comme l’early rockab, celui de Charlie Feathers, c’est un gigantesque feu de paille auquel on peut consacrer toute une vie de fan. De box en box, Eddie Piller s’évertue à nous montrer l’éclat de ce feu de paille. Quand Piller fait sa box, il faii des choix, il rassemble sous son aile et il ne commet jamais aucune erreur. En même temps, il nous rappelle qu’on ne connaît grand-chose. Non seulement ça passe parce que c’est lui qui le dit, mais en plus il a raison. Tu écoutes les 100 cuts et souvent tu te demandes d’où sort ce truc-ci et d’où sort ce truc-là, malgré tes cinquante ans de fouilles et de recherches appliquées. Et tu as même l’impression que plus tu fouilles et plus tu recherches, et moins tu connais de choses. Ça te permet de reprendre de la distance avec ta fucking suffisance de pseudo-érudit à la petite semaine, avec ta misérable auto-satisfaction de collectionneur bidon. Piller te ramène au point de départ. T’as douze ans, tu ne sais rien et tu écoutes des 45 tours. Alors tu peux jerker dans ta chambre.

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             Cette box s’ouvre comme un livre. Si tu l’ouvres, tu pars en voyage. Cette notion de voyage est primordiale, car elle s’accompagne de découvertes. Piller t’emmène. Avant même de lancer le premier cut, tu sais que tu vas te régaler comme un régalien. C’est automatique. Mais tu ne sais pas à quel point tu vas te régaler. Petit conseil : étale ça sur quatre soirées, car chacun des quatre disks est beaucoup trop dense. Gros risque d’overdose. Il est essentiel d’attaquer chacun des quatre disks avec une oreille aussi fraîche qu’une laitue de jardin.

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             «I’m The Face» sonne comme un évidence. Le voyage ne pouvait commencer qu’avec les High Numbers, c’est-à-dire les early Who. Là tu as tout : le coup d’harp de triomphe et l’expert du Mod expect. Piller tombe toujours pile, il faut bien se rentrer ça dans le crâne. Il va chercher les vieux crabes, Cyril Davies, Tom Jones (Hello Gildas) et John Mayall, ils amènent de l’énergie, énormément d’énergie, surtout le «Country Line Special» de Cyril Davies, jamais on aurait cru que ça pouvait sonner comme un shoot de wild trashy r’n’b de London town, Tom Jones shoute en plein dans le Mod boom avec «Chills & Fever» et puis voilà les Koobas avec «You’d Better Make Up Your Mind» et soudain, le voyage monte en puissance avec l’enchaînement «Desdemona» (John’s Children), «Tick Tock» (heavy Mod rock de Shyster, c’est-à-dire les Fleur de Lys) et «Wasn’t It You» (Billie Davies). Rien qu’avec Billie Davies et Shyster, t’es content de faire partie du voyage. Et tu n’es qu’à mi-chemin du disk 1 ! Piller continue de te gaver comme une oie avec Kenny Lynch (une vraie sinécure), The Frays (avec une cover hargneuse du vieux classique de Big Dix «My Babe»), The Shots («Keep A Hold Of What You Got Now Baby», wild Bristish beat, pur genius), l’encore plus fantastique Mike Stevens & The Shevelles (Get on board «The Go-Go Train») et ça grimpe encore en température avec P.P. Arnold et «(If You Think You’re) Groovy». Et là tu vas rester au sommet avec Dusty Springfield (Hello Jean-Yves) qui fait son Aretha blanche avec «Little By Little». Elle te firmamente ça fermement. Bienvenue au paradis. On est chaque fois subjugué par la qualité des choix d’Eddie Piller. Il sait exactement ce qu’il fait. Rien d’étonnant à voir arriver The Poets de Glasgow avec «Wodden Spoon», hey hey hey, et des filles qui font ouh ouh ouh au fond de l’écho du temps, et ça repart comme si de rien n’était avec les excellents Muleskinners et leur cover de «Backdoor Man», wow, câdö d’Ed le jerkeur, version imbattable, grosse tension nerveuse, il faut entendre ces Anglais faire leur Wolf, et puis voilà ce shouter héroïque, Jimmy Winston qui fait son «Sorry She’s Mine» dans la prod bourbeuse d’un obscur single, l’occasion de mesurer une fois de plus la grandeur d’âme d’Ed Piller, car voilà un homme qui donne chaque fois qu’il le peut une dernière chance à un single menacé de disparaître définitivement. Derrière ça, il ramène Rod Stewart («Good Morning Little Schoolgirl»), les Yardbirds (l’effarant «Over Under Sideways Down», l’un des plus beaux singles de tous les temps), James Royal («A Little Bit Of Rain») et les Rockin’ Vickers («It’s Altight», l’early Lemmy fan des Beatles) qui ont eu plus de chance. On l’a un peu oublié, James Royal, mais Piller lui n’oublie pas ce fabuleux shouter qui danse sous la pluie de London town.

     

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             Le disk 2 ? Encore pire qu’Ali Baba, c’est Ali Boom-Boom, ça part en «Circles» avec les mighty Fleur De Lys, heavy craze de Mod pop psyché, au somment du lard de round and round, genius direct, avec le killer solo qui s’étrangle dans le cours du fleuve, là tu es au maximum overdrive du swingin’ London. Ne pouvait leur succéder que David Bowie et son fabuleux «Can’t Help Thinking About Me», bourré de tension Moddish, en plein cœur de la cocarde. On reste dans le club des aristos de la lanterne avec Georgie Fame («Sweet Thing») et les imparables Small Faces («Don’t Burst My Bubble»), tu crois une fois de plus avoir atteint le sommet. Grave erreur, camarade, le sommet le voilà : Tony & Tandy avec «Two Can Make It Together». Tony & Tandy ? Mais oui, Tony Head, plus connu sous le nom de Dave Antony, l’un des later members des Fleur de Lys, et Tandy n’est autre que Sharon Tandy qu’on va retrouver, rassure-toi, sur le disk 4 avec «Hold On», l’un des singles historiques du Swingin’ London. On ne remerciera jamais assez Eddie Piller d’avoir exhumé ce hit de Tony & Tandy. Et il continue d’en déterrer d’autres comme l’excellent «Ain’t No Big Thing» de Jimmy James & The Vagabonds, cut de rêve qui te lèche les cuisses dans la chaleur de la nuit, et voilà l’autre tenant de l’aboutissant Soul à Londres, Geno Washington & The Ram Jam Band avec «Michael (The Lover)», cut nickel, tiré à quatre épingle. S’ensuit une cover monstrueuse de «Big Bird» par Dog Soul, version extrêmement musculeuse, à l’anglaise, avec une basse qui vibre, tellement elle sature. Rien de plus violent en matière de shuffle que l’«Henry’s Panter» de Wynder K. Frog, suivi d’Alan Bown Set avec «Emergency 999», tapé à la voix de Soul Brother, oh no no no. Ed Piller aménage ensuite une petite phase groovy avec Timebox («Soul Sauce») et Harold McNair («The Hipster»), ça groove à la flûte et ça fuse un certain jazz. C’est une fois de plus l’occasion de mesurer le génie sélectif du Piller System. Un Piller qui reprend du poil de la bête avec l’«High Time Baby» du Spencer Davis Group et son big bass fuzz, suivi d’un «Gotta Get A Hold Of Myself» chanté au puissant front corporatif des Zombies. Nouvelle poussée de fièvre jaune avec le «Don’t Ask Me What I Say» de Manfred Mann, claqué juste derrière l’oreille du beignet, aïe, ça fait mal ! Paul Jones siffle comme un voyou, il est bien plus déniaisé que Jag et ça bascule dans la pure Mod craze, Manfred Mann est l’un des meilleurs groupes de l’époque, il faut s’en souvenir. Avec «I’m A Man», The Top Six recycle l’infernal shuffle du Spencer Davis Group. Ils n’ont pas la voix, mais ils ont les brûlots, ils ramènent leur petite niaque des faubourgs et on serre la pince d’Ed pour lui dire merci, car quelle tarte ! Il va ensuite enchaîner trois monstres sacrés : Steve Ellis avec Love Affair («Everlasting Love», voix unique, vrai maître de cérémonie), Madeline Bell («Picture Me Gone», Madeline elle aime bien ça, elle gueule par-dessus la coupole de Saint-Paul, elle éclaire la nuit) et Cliff Bennet qui vient stormer «Good Times» avec ses Rebel Rousers. Il faut faire gaffe avec Cliff Bennett, il va ensuite former Toe Fat.

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             Nouvelle rafale de noms mythiques avec le disk 3 : Syndicats, Attack, Artwoods, Creation, Sorrows, Birds, Eyes, Move. Eddie Piller ne nous épargne rien. Ce ne sont que des hits intemporels qui constituent les fondations d’une culture. Piller ouvre son bal des vampires avec le «Crawdaddy Simone» des Syndicats - He got no friends - la pire craze de toutes, avec bien sûr un killer solo flash au coin de la rue, «Crawdaddy Simone» est avec «Gloria» l’emblème du gaga Brit de brutes, le rave-up définitif. John Du Cann fait des étincelles dans le «Magic In The Air» d’Attack et Dave Davies passe un killer solo flash dans le «She’s Got Everything» des Kinks. Piller est culotté d’avoir choisi ce cut pas très connu des Kinks. Big sound encore avec le «Who’s Wrong» de The Truth, ces mecs rôdent dans le Mod rock avec du gusto, on sent chez eux une appétence pour la violence. C’est le bassmatic qui dégomme l’«I Take What I Want» des Artwoods. Art Wood y fait son white nigger. On n’en finirait plus avec tous ces géants. Piller les collectionne. Le festin se poursuit avec le «Making Time» des Creation, une cathédrale de son engloutie, quand ça part, ça ravage tout, même chose avec les Sorrows et l’excellentissime «Take A Heart», ils arrivent par en haut pour mieux gicler. Piller tape encore dans la crème avec The MeddyEvils et «Ma’s Place», de parfaits inconnus et tu n’as même pas le temps de souffler car voilà qu’arrivent les Birds avec «How Can It Be» (d’une extrême violence, l’un des cuts les plus violents jamais enregistrés en Angleterre) et l’«I’m Rowed Out» des Eyes (claqué dans l’écho, aussi bon que les Who et les Creation). Le «Bald Headed Woman» des Sneekers est une giclée de rave-up que tu reçois dans l’œil. Et quand on entend la violence du shuffle d’orgue de «Bert’s Apple Crumble», on comprend qu’Ed Piller ait pu craquer sur the Quik. On ferait tous la même chose. Ça repart en trombe avec «You’re The One I Need» des Move, ses chœurs de Mods de Brum City, sa guitare fantôme, son énergie fondamentale et Carl Wayne qui chante comme Stevie Winwood. On revient au pré-Creation et Mark Four avec «I’m Leaving», fabuleux raw de British beat, digne des Downliners Sect et des early Stones. Tout le monde danse sur le «Hay That’s What Horses Eat» des Nocturnes : shuffle épouvantable dans les clameurs de la civilisation occidentale. Encore un vrai brûlot avec l’«Everything’s Alright» des Mojos, hot as hell, tout est vraiment parfait dans cette box, chaque cut brille d’un éclat particulier. On ne dit pas ça parce qu’on admire Eddie Piller, mais parce que c’est une réalité. Il nous déterre aussi un single de The Silence, c’est-à-dire les early John’s Children, avec Andy Ellison et John Hewlett : «Down Down», fabuleux petit shoot de London swing. Apostolic Intervention est le premier groupe de Jerry Shirley qu’on va ensuite retrouver dans Humble Pie : «Madam Garcia» est comme on s’en doute un instro assez puissant, sinon, il ne figurerait pas sur le disk 3 d’une Piller box. On croit que la messe est dite. Non, il reste encore le coup du lapin : The Deejays avec «Blackeyd Woman», pur jus de wild gaga à gogo, London blast qui nous replonge au cœur du mayhem de la cocarde, les Deejays ont le feu au cul, c’est demented are go. 

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             On se doutait bien qu’Ed allait ouvrir la bal du disk 4 avec the Action. Belle embardée que ce «Never Ever». Tu as là-dedans tout le son des pantalons à carreaux. Joli shoot de wild British beat avec l’«Anytime» de The Riot Squad où traîna un temps David Bowie et puis voilà The Spectres avec «(We Ain’t Got) Nothing Yet». Piller est dingue de ce son et il a raison, cette belle cover des Blues Magoos vaut son pesant d’or du Rhin. On tombe ensuite nez à nez avec l’«Hold On» de Sharon Tandy, hit emblématique des nuits chaudes de Harlem avec cette garce de Sharon a dada sur le beat, rien de plus parfait que ce cut transpercé par le wild killer solo de Bryn Haworth. On reste dans le mythe pur avec l’«Early Roller Engine» de Quiet Melon, et ses échos de Rod the Mod dans le chant : c’est en gros les Small Faces + le Jeff Beck Group, alors quel bazar ! Qui dira la violence du beat de «Think About Love» par Dave & The Diamonds ? C’mon c’mon, c’est une dévastation d’une incroyable sauvagerie. Encore du solide avec le «Reservations» de Simon Dupree & The Big Sound. Une fois de plus, Piller tombe pile, comme Simon Dupree, c’est un wild entertainer, il ouvre sa boîte Pandore et répand sur la terre tout le Mod craze. Avec «Elbow Baby», The Habits proposent un shoot de wild r’n’b de c’mon babe. Ils jouent ça au fond de leur cave d’undergut. Plus loin, les Shapes Of Things révèlent un goût pour la profondeur avec «Striving», c’est excellent, complètement obscur, en plein dedans, comme d’ailleurs les singles de Maxine, des Blue Rondos et des Mindbinders qui précèdent. On applaudit bien fort l’«I’m Out» de The Richard Kent Style, car voilà du London swing staxé jusqu’à l’os. Nouvelle surprise de taille avec Sean Buckley & The Breadcrumbs et «No Matter How You Slice It», énorme Mod sound, from the back of my brain ! Piller ne peut pas s’empêcher de sortir le Syd’s Crowd single («Times Are Good Babe») qu’on dit être un single de l’early Syd Barrett, et Tony Colton va plus sur le jazz avec «Further On Down The Track». Diable, comme ça swingue ! Quasi Georgie Fame. Piller renouvelle son coup du lapin avec The Troop et «You’ll Call My Name», un single saturé de belle sature, big muddy sound, ils avancent dans l’épaisseur du son avec un killer solo au coin du bois. Et ce beau voyage s’achève avec Dave Anthony’s Mood, c’est-à-dire le Tony Head des Fleur de Lys et de Tony & Tandy.

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             Eddie Piller ne signe que la préface de la box. Il commence par dire qu’il est impossible de faire the definive Mod collection et ce, pour deux raisons. Un, la subjectivité de ses choix et il ajoute que quoiqu’il fasse, il y aura toujours des gens qui ne seront pas d’accord avec ses choix. Deux, la difficulté d’obtenir des licences : «I haven’t been able to secure important tracks from the likes of The Graham Bond Organisation, The Rolling Stones, Brian Auger Trinity, The Who, Them, Linda Lewis, The Andrew Loog Oldham orchestra and a dozen more, all for a variety of often quite bizarre reasons!». Il rappelle aussi que «the most important thing about the Mod scene was that is was about the music and the dancing as much as it was the clothes and the scooters. From jazz and Blues to R&B and Soul, from Ska and Rocksteady to Freakbeat and Psych, it’s a very broad church.» Et il conclut en écrivant : «J’espère que vous allez écouter cette collection avec autant de plaisir que j’ai eu à la constituer.»    

    Signé : Cazengler, tripe à la mode de Caen

    Eddie Piller Presents British Mod Sounds Of The 1960s. Box Edsel 2022

     

     

    L’avenir du rock - Picturebooks of Lily

     

             S’il est une chose que l’avenir du rock adore par dessus tout, c’est feuilleter ses livres d’art. Il déambule devant les étagères et en choisit un au hasard. Tiens, aujourd’hui, pourquoi pas replonger dans le délire des visages angulaires d’Otto Dix et errer une fois encore dans le cauchemar graphique de l’Allemagne de l’entre-deux guerres, lorsque les bourgeois ressemblaient à des porcs et les soldats de la Grande Guerre à des pantins brisés. Oh et puis Christian Shad, découvert dans le petit musée Maillol de la rue de Grenelle, Shad et sa prostituée au visage barré d’une gigantesque cicatrice, cet hyperréalisme troublant, cette véracité des présences qui défie le temps. Oh et le catalogue de l’expo Picabia au Palais de Tokyo, Picabia-Jésus-Christ et ses machines symboliques, Picabia-rastaquouère et son hyperréalisme de carte postale, Picabia-je-ne-suis-pas-peintre et le parfum enivrant d’une modernité de chaque instant, et bien sûr ce portrait d’Apollinaire à l’encre sur papier, auquel on revient toujours, comme on revient à ses premières amours. Pascin fait partie de ceux qui ressortent le plus souvent de l’étagère, pour sa fantastique liberté de ton, la poésie de sa touche, sa légèreté de pendu, Pascin admirable prince de la nuit dans son autoportrait en costume de toréador. Et puis Andy Warhol, forcément, toujours réactualisé par les écoutes furtives du Velvet, toujours dans son époque, le plus moderne d’entre tous, critiqué par les esprits médiocres, adulé par les autres, le Warhol des crânes et d’Elvis, le flaming Warhol de Marilyn et d’Audrey Hepburn, d’Elizabeth Taylor et de Mao. Ces tonnes de grands formats qui n’en finissent plus de te rappeler que l’histoire de l’art est mille fois mieux documentée que celle du rock, d’une part, et qu’elle se révèle mille fois plus passionnante, d’autre part. Chaque année au printemps, l’avenir du rock s’en retourne Gauguiner paisiblement à Pont-Aven et aux Marquises. Il va aussi s’enivrer des aplats rouges et verts de Van Dongen, des demi-teintes d’Edgar Degas, des chairs marbrées d’Édouard Manet. Ahhh les Picturebooks ! Seraient-ils le sel de sa terre ?

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             Grâce au hasard des programmations, on découvre qu’il existe aussi des Picturebooks en chair et en os.

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     Rien qu’à voir le kit du batteur, on sait que le set sera bon. C’est un vieux kit de bric et de broc, composé des deux énormes tomes de chèvre et d’une grosse caisse, pas de cymbales, avec en plus des bricoles accrochées en hauteur. C’est donc une première partie de concert en forme de pochette surprise. On ne sait rien d’eux. Ça fait partie du jeu. Ça permet de découvrir. Pas d’a priori. Pas d’idées préconçues.

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    Autre élément qui joue en leur faveur : le logo du groupe affiché en grand sur le fond de scène : c’est le travail d’un graphiste doué, les mots ‘Picture’ et ‘Books’ encadrent un poignard de pirate et l’ensemble est dessiné au trait dans un style primitif qui fonctionne bien. Donc on se dit que si le groupe est à la hauteur de son logo, on va se régaler. Ils arrivent et ne sont que deux, un batteur et un chanteur guitariste. L’option à la mode : le duo minimaliste à la Black Keys. On a vu tellement de duos minimalistes à la Black Keys qu’on finit par en connaître les limites, même si certains d’entre eux, comme The Left Lane Cruiser, parviennent à transcender ces limites. On salue leur audace, car rien n’est plus difficile que de tenir une heure sur scène à deux.

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    Le barbu chevelu qui bat le beurre le bat comme un sourd et devient très vite l’attraction principale. Jamais encore on avait vu un mec frapper ses fûts avec autant de violence. Il utilise des maillets à boules rouges qu’il finit par briser, tellement il ratacogne. Il frappe de toutes ses forces, on se demande comment tiennent les peaux sous les coups de cette brute atroce. Il aurait une petite tendance à vouloir voler le show.

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    Mais heureusement, le chanteur guitariste n’est pas né de la dernière pluie. Il est même taillé pour la route. Il reprend les choses là où Rory Gallagher les a laissées, pas seulement au niveau du son, mais surtout au niveau du look : même crinière, mêmes rouflaquettes, même stature de Taste-man, ce mec qu’on prend d’abord pour un Anglais est extrêmement brillant et surtout extrêmement rock’n’roll. Il ne porte que du noir et il gratte une acou électrifiée. Il ne joue pas d’accords, il tartine son heavy blues au bottleneck. À lui seul, il est capable de balayer tous les discours annonçant la mort du rock, il jette toute son énergie dans la balance et il sonne incroyablement juste. Le rock a la peau dure, comme disait Schmoll. Tant que des mecs comme lui vont monter sur scène, le rock peut dormir sur ses deux oreilles. En plus, il sait chauffer une salle, il établit un excellent contact avec le public, il parle aux gens entre chaque cut et promet de revenir jouer dans cette ville qu’il dit bien aimer. Le set des Picturebooks est un véritable festival de blues-rock qui navigue au même niveau que ce qu’on a déjà pu voir de bien dans le genre, notamment Left Lane Cruiser et Daddy Long Legs. On découvre après coup que le duo est allemand et que le guitar god habillé en noir s’appelle Flynn Claus Grabke. Il a tout l’avenir du rock devant lui.  

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             On découvre ensuite que les Picturebooks ont six albums au compteur. Sur les deux premiers, ils sont trois. C’est après le départ du bassman qu’ils vont devenir un duo. Alors faut-il écouter tout ça ? La réponse est comme d’habitude dans la question.

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               List Of People To Kill date de 2009. Dix ans de carrière déjà ! Ils font sensation avec le morceau titre, qui est comme porté par une énergie glam dévastatrice, bien urbaine, en plein dans le mille de l’idée. Du coup ça sonne comme un petit coup de génie. Ils travaillent l’art de la clameur. Autre surprise de taille : «Take It», tapé au big bass drum. Ils visent les plus hauts standards en raclant les fonds de tiroir du heavy trash gaga. Encore une énormité avec «Hustler», bien démoli de l’intérieur, chanté au laid-back de heavy stomp. C’est noyé de son et de chœurs déviants, ils sont dessus, c’est indéniable. Autrement, ils sortent des cuts comme ce «Bloody Lies» vite fondu dans le four Bessemer. En matière de fours, les German boys s’y connaissent. Ils sont aussi capables du pire, comme cette new-wave de la poste, «Prince Traffic Light» ou encore «Machine», hardcore germanique trop extrême pour être catholique, même si on y entend des accords stoogy. Grabke chante «Les Chats Noirs» en français pour mieux les noyer dans la soupe de tatapoum. Ils terminent cet album intéressant avec «Simple Solution» amené au petit gratté gaga, comme s’ils négociaient leur entrée dans nos oreilles. Ils s’y prennent comme des vétérans de toutes les guerres et travaillent l’effet heavy punk blues qui deviendra leur fonds de commerce.

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             Big album que cet Artificial Tears et sa pochette rouge, comme au temps de Grand Funk Railroad ou de Slade Alive. Et ça explose très vite avec «Twisted Truth/Milslead Youth». Grapke s’accroche à son chant à coups de twisted truth, il est d’une crédibilité sans nom, on assiste à un développement de cut spectaculaire, bien pulsé par les chœurs. Avec «Finders/Keepers», ils visent clairement l’apocalypse, ils sonnent comme l’un des grands power trios et la plongée dans le son est garantie. Grabke tape «I’m Drawing Hearts On Your Jean» au heavy blues-rock de préfiguration. Il sait allumer un feu, pas de problème. Il est dans l’écho du temps du blues, oh oh oh. C’est avec «Running Out Of Problems (You Can Have Some Of Mine)» qu’ils se mettent à sonner comme le JSBX. Mêmes coups de guitare en biseau, ils connaissent bien les ficelles. «Sensitive Feeling All Electric» montre encore leur sens de l’attaque, c’est presque un modèle du genre, leurs cocotes sont hard, ces mecs allument au premier degré. Encore une belle flambée de violence avec «Kiss Me Goddbye». Ils sont capable d’excellence. Ils terminent avec un «Phone Won’t Ring For You Tonight» gratté au delà de toute attente. Non seulement le son suit, mais the sound suits. Bien vu les Books. 

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             Après le départ du bassman Tim Bohlmann, les Books deviennent un duo et enregistrent Imaginary Horse en 2014. Ils semblent alors monter d’un cran avec cet album de rock primitif germanique. Ils tapent leur «Your Kisses Burn Like Fire» au heavy tribal Krupp, c’est assez demented, mille fois plus puissant que ne le seront jamais les Black Keys. Les Books visent clairement la démesure et là, on les prend vraiment au sérieux. Ils saturent littéralement l’écho. Pire encore, voici «1000 Years Of Doing Nothing». Voilà comment on bombarde un coup de génie : au pilon des forges Krupp. L’écho rend gorge, complètement saturé. On n’entend ça nulle part ailleurs. Nouveau départ avec «The Rabbitt & The Wolf». Grapke ne trompe pas sur la marchandise. «These Bridges I Must Burn» est très connoté - Ain’t no coming back - Grapke passe une sorte de solo de gras double, trois notes pas plus, mais c’est un riff du plus bel effet. Ça grouille d’idées chez les Books.

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             On ne comprend pas pourquoi ils ont mis une petite gonzesse à poil sur la pochette d’Home Is A Heartache, mais bon, c’est pas grave. On ne compte pas moins de trois bons cuts sur l’Home, à commencer par «Fire Keeps Burning». Le heavy trash-blues leur va bien. Comme ils ont du son, on guette la magie. Ils taillent leur petite bavette au heavy revienzy. Mais attention au son trop allemand, l’efficacité peut leur jouer un mauvais tour. Avec «I Need That Ooh», ils visent l’explosion du big American raunch et ils ont raison. Ils touillent leur soupe à deux, ils ont beaucoup plus d’ampleur que les Black Keys. Ils descendent au bord du fleuve avec «Zero Fucks Given». Leur heavy beat est tout de même bien allumé. Ils se prennent pour des mecs de Memphis, ils sont marrants. Leur «Cactus» est très puissant mais ils redeviennent trop allemands avec «Get Gone». C’est vite écrasé de son. On pourrait parler de grosse Bertha. Ils mettent le paquet sur «Heathen Love», c’est pas mal, mais on voit un peu à travers. Même s’ils ne sont pas aussi bons que GA-20, ils font leur biz et c’est bien que des groupes taillent la route à deux avec du son.

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             Une petite gonzesse tire la langue sur la pochette de The Hands Of Time. Ils rendent très vite un énorme hommage à Wolf avec «Howling Wolf», à coup de gros tatapoum et de clameurs de Salammbô. Très radical et même imparable. On aime bien ces deux mecs, ils font du bon barouf. Ils jouent leur va-tout en permanence. Ils maîtrisent bien leur tribalisme de Grosse Bertha. Ils amènent leur morceau titre au heavy beat de bottleneck. On se croirait chez les trash-punks d’Alabama. Remember the Immortal Lee County Killers ? Et voilà qu’ils flirtent avec le glam dans «Electric Nights». C’est bien embarqué, quasi T. Rex. Ils font du heavy glam de Books, c’est très intéressant. Côté photos, ils flirtent avec Easy Rider. On les voit tous les deux avec leurs choppers dans des déserts américains. Auraient-ils besoin de se faire mousser ? Le petit coup de génie arrive : il s’appelle «Lizard», amené au big drive de ventre à terre, c’est excellent, un vrai son de Harley, une belle dégelée dans la barbe du dieu des autoroutes. Les dynamiques sont des modèles du genre, c’est dingue comme ces deux petits mecs savent exploser la rondelle des annales et à la fin, un riffing d’acier dévore vivante cette hideuse énormité. Ils ont un fabuleux sens de la destruction massive. C’est là où tu les prends encore plus au sérieux. Fini de rigoler.

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             The Major Minor Collective est l’album des collaborations : des invités en pagaille. Pas mal de déchets, mais trois bonnes pioches. Trois, c’est leur moyenne. C’est déjà mieux que zéro. Ils font un «Corrina Corrina» superbe avec Neil Fallon de Clutch. Ils poussent bien le bouchon du heavy mud. C’est avec le heavy mud qu’on fait les grands albums. Ils font aussi un «Here’s To Magic» avec Dennis Lyxzen des Refused, un sacré screamer qui arrache bien le limon du Gulf, il tape ça à la hurlette de Justify. C’est la petite blonde des Blues Pills qui chante sur «Too Soft To Live & Too Hard To Die». Elle ramène sa fraise bien fraîche. C’est vite expédié en enfer. Quelle aventure ! Le reste est assez compliqué. Ils font du heavy blues avec le mec de Black Stone Cherry («Catch Me If You Can») et ça n’a aucun intérêt. Il faut faire gaffe avec les congrégations à la mormoille. «Beach Seduction» vire petite pop et avec le glam germanique d’«Holy Ghost», on se croirait dans le catalogue de la Redoute. La petite gonzesse qui chante «Rebel» ferait mieux de la fermer et celui qui braille «Multidimensional Violence» sort tout droit d’une caverne de cro-magnon. Drôle de mélange des genres. Les petits Books se grillent avec cet album un peu raté. La fin est pénible. On ne l’écoute que par sympathie.      

    Signé : Cazengler, Biturebook

    Picturebooks. Le 106. Rouen (76). Le 28 juin 2022

    Picturebooks. List Of People To Kill. Nois-O-Lution 2009

    Picturebooks. Artificial Tears. Nois-O-Lution 2010

    Picturebooks. Imaginary Horse. RidingEasy Records 2014

    Picturebooks. Home Is A Heartache. RidingEasy Records 2017

    Picturebooks. The Hands Of Time. Century Media 2019

    Picturebooks. The Major Minor Collective. Century Media 2021

     

    Inside the goldmine - Sour Jazz comme un pot

     

             Il s’agissait d’une invitation à réveillonner en bonne et due forme. Chez Jack, un peintre suisse installé à Saint-Denis. L’un des derniers surréalistes. Dans le salon trônait un bronze de Giaco assez massif et haut d’environ 1,20 m. Dès notre arrivée, notre hôte nous conduisit dans une pièce annexe pour nous montrer sa collection d’art nègre. Comme Breton et Apollinaire, Jack aimait à partager sa fascination pour les masques africains ramassés dans les villages par les colonialistes et dont on faisait à Paris dans l’entre-deux guerres un commerce intensif. Il accompagnait la description de chaque pièce d’un luxe de détails frisant le délire surréaliste, ça faisait partie du jeu, il promenait ses doigts de sorcier sur les bois rugueux jadis sculptés au plus profond des savanes et des forêts tropicales. L’épisode dura un peu plus d’une heure et quand nous revînmes au salon, les autres convives sablaient déjà le champagne. La charmante compagne de Jack nous proposa de rattraper le peloton de tête en remplissant des flûtes qui semblaient elles aussi sortir d’une collection d’objets d’art. Au mur trônaient quelques huiles que notre hôte s’abstint de commenter, nous laissant le soin de trouver nous-mêmes les noms des peintres. Certains devaient être des fauves, et des choses plus abstraites en petit format durent faire l’objet de trocs à l’époque avec des gens comme Juan Gris ou Braque dont Jack aimait à rappeler qu’il appréciait la fréquentation. L’hôtesse fit passer de main en main un plateau d’amuse-gueule que Jack s’empressa de nous recommander, car ils étaient fourrés à l’opium. En hôte parfait il ne cachait rien de ses addictions et nous passâmes à table dans un état qu’il fallait bien qualifier de second. La conversion repartit sur les métaphores sexuelles dont grouille la poésie de Rimbaud et sans qu’on eut pu le prévoir, l’atmosphère se tendit lorsque le nommé Bernard eut le mauvais goût de s’en prendre à la mémoire de Paul Gauguin, la traitant littéralement de «sale mec» et de «tripoteur de gazelles», ce qui déclencha une violente polémique, d’un côté les infâmes détracteurs, Jack et son sbire, de l’autre les Gauguineurs qui tentaient en vain de promouvoir cet idéal de liberté à tout crin auquel Gauguin conforma sa vie. L’échange dégénéra sur fond de free jazz et des assiettes volèrent à travers la pièce. Sour jazz. Jack nous jeta dehors comme des malpropres et, en arrivant dans la rue où nous l’avions garée, nous découvrîmes que la bagnole avait disparu. Nous décidâmes de rentrer à pieds en passant par le pont de l’Ile-Saint-Denis mais un petit gang de blacks nous prit en filature. La copine crevait de trouille. Rien ne pouvait plus la rassurer, les blacks rappaient derrière nous et s’adressaient à elle, «Pétasse suis-moi dans mon hôtel/ Pour une agression sexuelle volontaire». Ça valait bien Rimbaud après tout. 

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             Ce quatuor new-yorkais nommé Sour Jazz fit des siennes dans les années 2000 et dans le temps de sa courte existence, ces surdoués enregistrèrent quatre albums qui restent pour beaucoup des objets hautement référentiels. Le chanteur Lou Paris bénéficiait du double avantage de ressembler à Lux Interior et de chanter comme Iggy. Pour les amateurs de mythologie facile, Lou Paris était le client idéal. Et les albums ? Oh quels albums !

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              Départ en trombe en 1999 avec No Values. Joli clin d’œil à Iggy. D’ailleurs, deux cuts semblent fortement inspirés par les Stooges : «Fortune Cookie» et «(I’m A) Prick». Ces mecs adorent jouer avec le feu. Ratboy fait du pur Ron Asheton. Le Prick est d’obédience purement stoogienne, riffé à la vie à la mort. L’intensité est réelle, elle n’est pas là pour rigoler, Lou Paris chante au burning down, mais avec de l’harp et du sax en fin de parcours. Sur «I Live On A Street Called Rock’n’Roll», il sonne comme un Iggy des bas-fonds de New York City. Il fait du stomp d’urbi & d’orba, et Ratboy sort le son le plus acide de son époque. Cocotte grave et sans pitié. Lou Paris est un fantastique chanteur, on l’entend encore faire autorité dans «I Gotta Change». Il déroule bien son story-telling et fait bien l’Iggy doux dans les baisses de tension. Ratboy amène énormément de son dans la soupe de «Crawling». Il est de toutes les clameurs, il distribue tous les retours de manivelle. Il fait encore son nid dans un «Mountain High» noyé de sax, de chant et cette belle aventure se termine avec «Steamroller», l’awite d’intro est du pur Iggy et ça tourne à la belle dégelée de bonne aventure, avec tout le ras-de-marée habituel. Lou Paris y va au ridin’ high et à l’another glass of wine, pendant que Ratboy contre-casse tout ça à coups de power chords.

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             On trouve un gros clin d’œil de péripatéticienne aux Stooges sur Lost For Life : «No Fun (House)». C’est même l’un des hommages stoogiens les plus distingués de l’histoire de la stoogerie. Ils tapent ça au deepy deep avec un Lou Paris qui fait son Iggy à coups de baby. C’est en plein dans le mille, en plein dans les expectatives, awite ! «Mr Popular» fait aussi des étincelles, c’est extrêmement bien balancé, chanté à l’effarée avec des faux accents iguanesques. Encore une énorme présence du son dans «Easy As PI». Lou Paris compte parmi ceux qui comptent. Et cet «Hold On Me» vaut pour un fiévreux mid-tempo d’adjonction métempsychotique. Le bassmatic qui porte le «Dig It Up» de bal de B vaut lui pour un modèle de groove urbain. Et c’est là sur ce deuxième album que se niche la fameuse cover des Saints, «Messin’ With The Kid». Lou Paris fait son Chris Bailey dans un espace noyé de son. On y retrouve tout le pathos génial des Saints avec les arrangements de trompettes. C’est du pur génie interprétatif. 

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             Produit par Daniel Rey, Rock And Roll Ligger pourrait être un album des Stooges, pour au moins quatre raisons, à commencer par le «Big Generator» d’ouverture de bal. C’est Stoogy, mais seulement du chant. Lou Paris est le sosie vocal d’Iggy. Il refait son Iggy dans «King Me» et cette fois Mr Ratboy ramène de la wah pour faire bonne mesure - Come on/ Get along  with me/ King me - Ils stoogent encore la baraque avec «That’s Cool Too», ils sont l’un des groupes capables de stooger pour de vrai, la pulsion stoogienne n’a aucun secret pour eux, c’est la voix de Lou Paris qui fait tout le boulot. Down on the street encore avec «Know Where To Hide». C’est en plein dedans. Et Mr Ratboy est en plein dedans lui aussi, ils sont dans le c’mon viscéral des Stooges, c’est battu à la régalade, ils coulent un bronze qui fume, les accords que joue Mr Ratboy sont bien ceux du grand Ron Asheton - There’s nowhere to hide - Ils font un «Rock’n’Roll Star» bien supérieur à celui d’Oasis. Mr Ratboy y rajoute quelques explosions stoogiennes et ça fait toute la différence. Lou Paris attaque son «Drinking Alone Under The Moon» par en dessous, c’est un scenester énorme, aussi powerful qu’Iggy. Encore deux dégelées de stoogerie avec «Panzer» et «Antecedent». Jamais aucun mec n’a aussi bien égalé Iggy.

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             On retrouve une belle petite stoogerie sur American Seizure. Elle s’appelle «Fun Dumb Dance», c’est balayé par des vents ashetoniens et Lou Paris refait son Iggy. Ça cogne dans les tibias, tout prend feu, c’est le même genre de folie sonique, mais un peu plus sophistiquée. Si on aime les énormités, on va se régaler de «Cigarettes & Coughing», cette fois c’est Mr Ratboy qui fait des ravages avec son soloing envenimé qui croise un big drive de basse. Ils attaquent «Nippon Trust» au pushin’ in. Lou Paris plonge dans le groove comme le fait Elvis - Come along baby/ Cause we’re going downtown - Avec «Bad Times Coming», Lou Paris se rapproche de Peter Perrett. Les accords de «Without You» sont ceux des Heartbreakers, power & stuff, ils sont dans cette énergie mirobolante, avec du sax sur le dos d’âne. C’est tellement insidieux que ça devient fantastique, au sens littéraire du terme. Mais le coup de génie de l’album est le «Masquerader» d’ouverture de bal, c’est une stoggerie grattée à la cocotte malade, c’est violent et tout de suite mythique, c’est même au-delà des Stooges, de la cocotte et des mots. C’est Sour Jazz. 

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             En 2001, Munster proposait une petite compile explosive, Dressed To The Left. Explosive car ravagée par des stoogeries, et ce dès «Mr Popular (Part One)» - I wanna be popular/ That’s what I need - Pure Iggy motion. Une motion qu’on retrouve dans «(I’m A) Prick». On se croirait sur Raw Power, avec le riffing et le go d’assaut. Ça joue à la vie à la mort. Lou Paris fait son croco dans «Hold On Me», ça croasse dans le marigot. Et ça riffe à l’enfer du Search dans «Fortune Cookie». Son awite est une pure stoogerie. Il chante «I Like The City» à l’Iggy maximalus - I like the city/ Under the stars - Il refait son croco dans «I’ve Got It All» - I lose my mind/ I’ve got it all - et il force encore l’admiration avec sa reprise mirifique des Saints, «Messin’ With The Kid». On a tout, la voix de Chris Bailey, les cuivres et les accords d’Ed Kuepper, c’est joué aux tempêtes de front de mer avec des paquets de son en pleine gueule. La basse bouffe tout sur «Mountain High» et ça repart en stoogerie définitive avec «Streamroller». On l’aura compris, ces mecs sont des fans des Stooges ce que vient encore prouver «I Gotta Change». Ils terminent par le Part Two de «Mr Popular», et les riffs des Stooges dans le coin de l’oreille. Mr Popular est le plus stoogien des suiveurs, il est dans l’exercice de la fonction, les guitares rôdent comme des grosses abeilles autour de Babylone, c’est assez dément, au sens où l’entend Nabuchaudonosor et on voit sa barbe friser dans l’argile de la muraille, here you go my friend.

    Singé : Cazengler, Sourdingue

    Sour Jazz. No Values. Ghost Rider Records 1999

    Sour Jazz. Lost For Life. Ghost Rider Records 2001

    Sour Jazz. Rock And Roll Ligger. Acetate Records 2005

    Sour Jazz. American Seizure. Acetate Records 2009

    Sour Jazz. Dressed To The Left. Munster Records 2001

     

    LA REVUE DES REVUES

     

    1

    LED ZEPPELIN

    LES LEGENDES DU METAL N° 1

    ( Août / Septembre / Octobre 2022 )

    ( Part I )

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             Je ne sais pas si vous êtes comme moi mais dès que j’aperçois sur un présentoir, le nom de Led Zeppelin en couverture de revue, je sors mon revolver et me hâte d’abattre les trois ou quatre quidams qui ralentissent mon avancée vers l’objet de mon désir. Ce n’est pas bien, je l’avoue, mais c’est ainsi. Je me saisis de mon butin, en garçon honnête et bien élevé par ma maman je file à la caisse, toutefois j’attire l’attention du kiosquier sur ces cadavres qui jonchent le sol sur lesquels une vieille mamie pourrait trébucher.

             Je le confesse, cette fois-ci aucun être humain vaquant à de vagues divertissements pascaliens ne m’a empêché d’accéder à la revue, j’ai compris pourquoi à l’annonce du prix : 16 euros 50 centimes. D’accord, dos carré, grand format, photos-couleur, 132 pages, z’enfin la guerre en Ukraine et l’inflation tombent à pic…

             Depuis une vingtaine de mois les amateurs de rock’n’roll auront remarqué une nouvelle revue ROCK ( en grosses lettres ), au-dessus en plus petit, Les Légendes du, exemples : David Bowie, Les meilleures reprises rock, Genesis, Def Leppard… mais aussi Les Légendes de la Musique avec par exemple L’Histoire du blues, Kiss, les Beatles et Bob Marley… voici donc Les Légendes du Metal, le numéro 2 serait consacré à Van Halen… L’on s’interroge sur une telle stratégie éditoriale, brouillonnes improvisations, ou tactiques tous azimuts finement ciblés... L’ensemble est cornaqué par le groupe de Presse Oracom dont le Président-Directeur-Général Jean-Philippe Pécoul est nommé dans l’ours de la revue comme principal actionnaire.  

             0racom qui existe depuis 1995 jouit d’une bonne réputation, aurait des pratiques innovantes dans le métier. Je veux bien l’admettre, mais pour ce qui est du secteur musique, rien de nouveau sous le soleil de Satan, cela rappelle étrangement les numéros spéciaux de Rock & Folk… Faut toujours savoir qui tient le manche de la casserole, lorsque vous servez de menu fretin pour la friture…

             La revue est française, mais les textes proposés sont des traductions de l’anglais… Citons par exemple Mick Wall et Barney Hoskyns auteur de bouquins incontournables parus sur le Dirigeable, voici déjà plusieurs années. Ce qui dans l’ensemble permet d’offrir aux lecteurs des textes de qualité. Revers de la médaille, n’y aurait-il personne en notre douce France pour proposer des articles originaux. Il semble que les éditions Oracom ne prennent pas de risque. Une attitude pas tout à fait rock ‘n’ roll quand on y pense.  

             Reconnaissons que le book est bien fait. Se divise en deux grandes parties : les huit albums de Led Zeppelin radiographés à la loupe interstellaire, la trentaine des pages restantes relatant les diverses aventures des trois protagonistes survivants. Certes sur l’ensemble on n’apprend pas grand-chose, les jeunes lecteurs pour qui le Zeppe n’est plus qu’un nom prestigieux dont ils ne connaissent que deux ou trois titres seront ravis d’appréhender l’ampleur du phénomène.

             Les amateurs de Metal seront sans doute surpris de la prégnance du blues dans le répertoire du Zepplin. Ils ont su s’en éloigner et s’en défaire mais le blues est-là comme un lac souterrain et séminal, le travail du groupe se résume très simplement : à partir du moment que vous avez un riff de blues sur les cordes de votre guitare qu’en faire pour ne pas donner l’impression monotone et lassante de le répéter ad aeternam…

             Page a sa petite idée sur la réponse. Musicien de studio durant des années il a plié son savoir-faire créatif aux nécessités limitatives et aux désirs idéaux de ses clients, l’a acquis ainsi une vision tri- et même multi-dimensionnelle de la musique, toute la différence entre peinture et sculpture, n’oublions pas que Pline l’Ancien privilégiait les rondeurs du volume à la platitude des aplats, la peinture était tout juste bonne à peindre… les statues. Page n’est pas qu’un amateur de rock, l’a aussi laissé traîner ses oreilles sur les musiques orientales ( indiennes et arabes ) et enfin se sent vivement interpellé par la musique classique, notamment Arnold Stockhausen. Bref il y a le rock et le son. Deux univers différents que Led Zeppelin s’occupera à entrechoquer, un peu comme si vous vous amusez à pousser avec un remorqueur un iceberg contre un autre pour vous délecter du bruit apocalyptique de la glace qui casse et qui s’effondre… Avec un minimum de chance sur vous.

             Quant au blues, Page ne le révère pas. L’en use comme d’un matériel de base. N’agit pas sentimentalement. Main basse sur tout ce qui lui plaît. Oublie de créditer les bluesmen originels. Ethiquement condamnable au regard des millions de dollars en jeu. Agit volontairement. Envoyez-vous de l’argent à l’arbre que vous avez coupé pour vous chauffer ! Willie Dixon peut se plaindre, ne s’est-il pas approprié en y apposant sa signature des dizaines de traditionnels anonymes.

             Page n’est pas raciste. Pique aussi aux blancs. Même à son ami Jeff Beck. Le Zepplin n’est pas seul à défricher des terres inconnues. Cream a montré le chemin, mais le Jeff Beck Group a déjà commencé à ensemencer les terres vierges. Page ne fait pas de sentiment, il se veut le maître de Led Zeppelin et le seul créateur de la formation. L’on murmure que si le Dirigeable a constamment changé de studio et surtout d’ingénieurs du son c’est pour que personne ne puisse être présenté comme le cinquième homme du groupe. Un George Martin chez les Beatles, OK ! mais pas chez Led Zeppe.

             N’est pas seul. Chacun apporte sa part. Les propositions sont essayées, adoptées, métamorphosées. L’on part de peu de chose, un roulement de tambour, un morceau de riff, ensuite l’on améliore, l’on trafique, l’on fignole. Il existe une exaltation souveraine dans ce groupe. Le principe est simple, chacun peut demander à l’autre de faire mieux. Cent fois l’on abandonne, cent fois l’on se remet à l’ouvrage. Plant se débrouille toujours pour poser sa voix sur les plus hautes cimes ou la faufiler dans les gorges les plus étroites des massifs les plus tonitruants. Bonham est l’inventeur du beat ( fait davantage boum-boum que bip-bip ) parfait, celui qui convient exactement à la situation tout en rajoutant encore ce petit ( souvent  gros ) plus qui magnifie le tout. Quant à Jones, l’est un sorcier, vous lui apportez un morceau en mille morceaux, un salmigondis irréconciliable, il sort son fer à souder et pond l’arrangement qui vous transforme les os démantibulés du squelette en tyrannosaurus royal qui se hâte de dévorer votre femme et vos enfants dans le jardin.

             Si j’aime Led Zeppelin c’est parce qu’ils n’ont jamais fait le même disque. A l’écoute du premier l’on pouvait prévoir le deuxième. Sûr qu’ils nous sortiraient quelque chose de plus fort.  Z’ont ouvert la porte et l’on s’est aperçu qu’ils lançaient sur les pâturages du monde une espèce de mammouth sonore géant. Kitch et monumental. Le rocher qui ne vous tue pas mais qui vous tombe dessus et dont vous n’arriverez pas à vous dégager.

             Après le deux on a eu le trois, on attendait du colossal, de l’éverestien, l’on a pris une giclée spermatique de folk en plein visage. Notons au passage que plus tard certains groupes de musique industrielle ont viré leur cuti en se lançant eux aussi dans un néo-folk-paganiste.  Et puis cette pochette qui tournait comme la terre et qui ne dévoilait rien de très définitif. Genre le messager est le message mais il n’apporte aucun message. Nous refont le coup des petits fenes-trous qui ne dévoilent que l’insignifiance de l’humanité avec la couve de Physical Graffiti. Je sais, j’ai laissé la ruine et les runes du Quatre et The house of the hollies. Mais je suis pressé d’arriver à Presence. Je partage la préférence de Page, c’est l’album du Zeppelin que j’emporterais sur l’île déserte, chère au Cat Zengler, si je ne devais n’en emmener qu’un seul de leur discographie. Parce qu’il comporte Achille’s last stand mon morceau favori du brontosaure, mais avant tout pour la pochette.

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    A première vue, pas inoubliable. Une famille typique américaine ou anglaise. Pas populaire. Middle class. Le père, la mère et les deux marmots. Un peu straight. Coincés du cul en bon gaulois. Un an plus tard, les Sex Pistols ont repris l’idée sous forme d’une bande dessinée pour leur troisième single Holidays in the sun, en 1977. L’esprit punk ressemble à la pelleteuse. Ne fait point dans la subtilité. Ont oublié l’essentiel. L’aspect métaphysique. Pourtant il crève les yeux. Comme l’arbre qui cache la forêt. C’est un objet, posé sur la table, l’a un peu, à mon humble avis, l’aspect géométrique d’un canard. Evidemment il ne représente pas un anatidé. Ni à l’orange, ni   aux olives noires même s’il est noir. En fait ce n’est pas un objet. C’est l’Objet. Dans l’esprit crowleyien de Page il doit équivoquer le mégalithe mystérieux qui surgit au début de 2001 Odyssée de l’Espace. Le Dirigeable aimait flirter avec l’ésotérisme, c’était là son moindre défaut.

    Pour moi, je l’ai identifié au premier coup d’œil. Pas à tortiller. De toute évidence, c’est un ptyx, cet objet mystérieux dont l’absence encombrait les crédences dans le salon vide et mental de Mallarmé. Est-ce vraiment un hasard ( voir notre Kronic sur Maison Rouge dans notre précédente livraison 564 ) si l’on retrouve Stéphane Mallarmé dans cette chronique ? Répondrons-nous à cette angoissante question lorsque nous aborderons dans notre part II la deuxième partie de cette revue ?

    Damie Chad.

     2

             Quel est donc ce bruit dans ma tête. Tremblez chères lectrices, pas de doute possible, reconnaissable entre tous, l’horrifique couinement du coyote. Une légende indienne raconte que si vous l’entendez tout près de votre tipi il annonce votre mort. Même scénario que le tambour des sables, il squatte votre oreille et le lendemain on creuse un trou dans une dune du Sahara pour y jeter votre cadavre. Vous ne me croyez pas, tenez, je vous en ai apporté un !

     LE CRI DU COYOTE N°38 

    Revue des musiques américaines

    ( Hiver 1995 / 25 F ) )

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             Séchez vos larmes, chères lectrices, n’ayez crainte, le glapissement est si horrible que lui-même en est mort. Vous ne risquez rien, l’a disparu durant l’hiver 2021, à son cent-soixante neuvième numéro, après plus de trente ans de bons et loyaux services à la cause du country, des origines les plus lointaines jusqu’aux diversifications les plus modernes… Encore quelques pleurs, vous êtes si charmantes que j’ai envie de boire à cette source, souriez un coyote ne meurt jamais, survit actuellement sur le net et sur le blogpost de Sam Pierre qui chronique les dernières nouveautés…

             Des passionnés, dans la première équipe l’on retrouvait cette génération de collectionneurs et d’amateurs qui ont soutenu mordicus la cause du rock ‘n’roll et de la country durant les années de disette, Marc Alesina, Bernard Boyat, Michel Rose pour n’en citer que trois. Un travail de fond, et de fourmis. Des passionnés. Espérons qu’un jour sortira un livre retraçant le combat de ces pionniers.

             Pour ceux qui ont lu nos deux dernières livraisons, le blog offre une vision bien différente du film Elvis, dans son article A propos du film  Elvis, l’esthétique du mensonge Eric Allart défend bec et ongles la haute figure de Hank Snow. Vingt-deux pages et pas un centimètre carré de blanc, textes sur trois colonnes, mini caractères émaillés quelques photos petits formats en noir et blanc.

             Un peu étrange de lire une revue vieille de plus d’un quart de siècle, tiens cet article qui commence par ‘’Golden Smog est inconnu chez nous’’, je ne crois pas qu’ils soient depuis devenus célèbres, sur Discogs quatre album, le premier en 95 – le Coyotte collait de près à l’actualité – le dernier en 2007.

             N’empêche qur la page de gauche l’on touche à l’intemporel : la chro du coffret What You Been Missin’ de Buddy Holly, ne lisez pas vous en tomberez malade si vous ne l’avez pas.

             Festival country de Mirande d’un côté, tiens en face Lone Riders j’ai failli chroniquer quelques uns de leurs albums en juin dernier. Question livres, le Que-sais-je ? Country Music de Gérard Herzaft, ce mec est une encyclopédie américaine à lui tout seul, et coucou les revoilou Led Zeppelin, les années métalliques de Franck Roy, et une bio de Dolly Parton qui avoue aimer les pâtisseries, Dieu, la musique et le sexe. Dommage, l’on ne pourra jamais s’entendre je n’aime pas Dieu, je le remplace avantageusement par une religieuse au chocolat.

             Passons sur les radios, les concerts, les disques et les news, j’ai gardé le meilleur pour la fin, elle est en couverture : Allison Krauss. Aujourd’hui une grande dame du bluegrass et du country. Née en 1971, l’a commencé comme tout le monde (dans le monde du bluegrass ), par apprendre le violon ( classique )  à cinq ans, à huit elle participe à son premier concours de fiddle… ensuite c’est l’engrenage de quinze à dix-sept ans elle truste toutes les nominations possibles et imaginables dans la difficile sphère de l’herbe bleue, en 1987 elle enregistre son premier album , elle a déjà participé au disque de son frère ( Viktor Krauss ), fait preuve d’un esprit d’indépendance d’autant plus que dans les petits milieux musicaux un tant soit peu traditionnels l’on n’aime guère les mélanges des genres. Le public la suit et la soutient, elle enregistrera notamment avec Union Station, que l’on peut s’appeler son propre groupe à géométrie variable, puis avec The Cox Family en 1994. Le Cri du Coyote s’arrête à peu près à cette date. Ne pouvait pas aller plus loin, et pour cause. Bernard Boyat qui rédigea l’article sans oublier de préciser qu’Alison écoutait aussi bien d’autres choses notamment des fariboles rock ‘n’ roll, ne pouvait pas imaginer quel malicieux clin d’œil le destin adressait à la livraison 38 du Coyote, puisqu’en 2007 Alison enregistrait un album avec le chanteur de Led Zeppelin dont Jacques Bremond dans sa Coyothèque inventoriait quatre pages plus loin les bruyantes années métalliques…  

             Le Cri du Coyotte n’a pas eu l’audience qu’il méritait. Un bon conseil rapatriez les numéros qui vous tomberaient sur la main. Il faut espérer que tout ce colossal travail se retrouvera un jour ou l’autre en consultation libre sur le net. Respect et admiration.

    Damie Chad.

     3

             Le vendeur n’en croyait pas ses yeux. Vous avez eu ça où ! Question pertinente, le magasin regorge de ce genre de bricoles dans lesquelles les amateurs de rock’n’roll aimeraient être enfermés jusqu’à la fin de leur vie ( et plus si j’en juge par le volume ). J’ai indiqué l’endroit. L’a soupiré. L’a hésité. Allez cinquante centimes !

    ROCK BALLAD

     ( 14 F / Septembre 1987. N° 1. )

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             L’est née la même année que Le Cri du Coyote, n’a pas vécu aussi longtemps, l’a rendu l’âme en 89, rien que cela démontre combien les coyauteurs ont dû s’accrocher pour tenir un tiers de siècle. Pourtant Rock Ballad avec son papier glacé, sa maquette davantage aérée offre un sourire moins spartiate que le satané chien des prairies…

             Dans l’édito Bernard Fretin nous apprend que ‘’ Rock Ballad traitera de tout un secteur de la musique rock ignoré ou dénigré à savoir la pop ‘’ j’avoue que ce genre de déclaration me laisse perplexe, je n’aime les étiquettes que lorsque on les fait valser. Surtout que sur la couve les noms de John Cougar Mellencamp et de Little Bob tiltent les regards.

             Un grand article sur Elliot Murphy, deux pages sur les australiens de Celibate Riffles, une seule sur Hour Glass ( avec Greg et Duane Allman ), une interview de Dramarama, deux pages sur les Road Runners ( d’Evreux), le reste de la revue, la moitié, est dévolu aux chroniques, peu nombreuses, de disques…

             L’on ressort de la revue un peu mi-figue, mi-raisin, pas mal, mais il manque un allant, un punch, une cible. Rock Ballad était établie à Bordeaux. Les numéros suivants furent-ils davantage incisifs, je n’en sais rien, peu de traces sur le net…

             Les news signalent l’originalité du groupe rockabilly bordelais Les Frégates. Je tape le nom sur le net qui me renvoie sur leur facebook. Dernier post de mai 2017, ne doivent plus exister, pire que cela, le mec avec le chien sur le quai ( bateaux derrière lui ) c’est Bernard Saubiette, le chanteur, n’a pas survécu à sa greffe… si j’en juge les clichés, z’ont dû donner leurs derniers concerts en 2015… Ça m’a coupé la chique pour écrire cette chro…

    Damie Chad.

     4

    SOUL BAG

     ( N° 247 / Juillet- Août- Septembre 2022 ) 

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             Je ne devrais pas écrire cette kronic sur Soul Bag, suis sûr que dès qu’il aura lue, le Cat Zengler viendra chez moi en prélever les pages 42 à 53, puis par précaution il s’emparera de la revue pour que je ne m’aperçoive pas de son geste ignominieux, ayant réfléchi quelque peu pour effacer toute trace il mettra le feu à la maison, enfin, pour éloigner les soupçons, il boutera l’incendie à toute la ville. Entre nous soit dit il aura raison. Moi j’avais acheté la revue pour Musselwhite sur la couve, c’est en lisant le magazine que je suis tombé sur les douze pages consacrées à Ace Records. Déjà vous comprenez, vous excusez, vous encouragez le Cat Zengler à commettre ces horribles turpitudes. Vous le connaissez, vous l’appréciez au plus haut point lorsqu’il décortique les coffrets Ace, vous savez comment dans ces moments-là sa prose atteint les zones céruléennes de la poésie.

    Ace Records, ce sont les trésors de la musique populaire américaine, préserves et sauvés de l’oubli, en d’inestimables coffrets, si vous ne me croyez pas zieuter les 40 perles épinglées en fin de dossier. Ce genre de lecture est très dommageable pour votre carte bancaire, mais dans la vie faut savoir ce que l’on veut. Ace Records c’est aussi et surtout une aventure humaine, trois amis anglais dépités de ne pouvoir trouver les disques qu’ils aimeraient écouter fondent une maison de disques… Cinq décennies se sont écoulées, se font un peu moins jeunes, pensent à l’avenir, mais avant de monter au ciel rejoindre leurs idoles ils ont remis leur bébé entre de bonnes mains. Normalement si tout se passe bien, dans le demi-siècle qui vient Ace Records devrait continuer…

    Retournons à Charlie Musselwhite. Son patronyme l’indique, il est blanc. Partage cette particularité avec des centaines de millions d’êtres humains. Mais lui ce n’est pas pareil. C’est un bluesman. Certes il y a des milliers de blancs qui jouent du blues, mais lui, provient de la grande époque, l’a côtoyé tous les grands noms, a entendu des histoires incroyables sur Charley Patton et Robert Johnson rapportées par des témoins qui les ont vus et connus. Charlie Musselwhite a joué de l’harmonica avec les plus grands, n’est pas non plus un manchot sur sa guitare, faut l’écouter parler du haut de ses soixante-dix-huit berges, Clarksdale, Memphis, hier et aujourd’hui, le blues est immortel…

    N’ y a pas que ces deux articles, Soul Bag, le magazine du blues et de la soul est inépuisable, vous présente des artistes, des vieux de la vieille, des disparus, des espoirs, de tout nouveaux arrivés, en plus ils les suivent, ne les lâchent pas au cours des années, c’est une des plus vieilles revues de France. Z’ont débuté en 1968 la même année que R & F, z’ont su garder la ligne, le petit fascicule agrafé a connu bien des améliorations et des régressions ( suppression du CD, parution devenue trimestrielle ), il flotte mais il ne coule pas.

    Plus de cent disques chroniqués, deux tiers de nouveautés, un tiers de rééditions, des chros que l’on lit et relit, super informées et judicieuses. L’histoire du blues et des musiques noires décortiquées au fur et à mesure qu’elles se déploient. Un trésor national.

    Damie Chad.

     

     

    ALISON KRAUSS & ROBERT PLANT

    Je n’avais pas prévu cette chronique, donner un verre de vin à un ivrogne qui essaie d’arrêter de boire est une erreur, heureusement dans mon cas je n’ai jamais arrêté de téter au biberon de cette sombre liqueur appelée rock ‘n’roll… Puisque Alison Krauss et Robert Plant sont en train d’effectuer une tournée ( débutée en juin 2022 - terminée en 2023 ) jetons un œil sur les vidéos qui n’arrêtent pas d’affluer sur You Tube.

    Je vous refile les musicos, ce sont les mêmes qui reviennent sur toutes les vidéos :

    Robert Plant : vocals / Alison Krauss : vocals / Jay Bellerose : percussion / JD McPherson : guitar, backing vocals / Dennis Crouch : upright bass  / Stuart Duncan : acoustic guitar, electric 12-string guitar, ukulele, violon, backing vocals / Viktor Krauss : electric bass, electric guitar.

    ROCK’N’ ROLL

    ( Live au Boonaro Festival Music and Arts 17 – 06 – 2022 )

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    Ont inscrit pas mal de titres de Led Zeppelin à leur répertoire. Je me précipite sur Rock ‘n’ roll, parce que Rock ‘n’roll, et parce que je me demande comment on peut chanter encore ce titre lorsque l’on est né en 1948, et comment Alison Krauss pourra-t-elle s’intégrer à cette mécanique de précision. La réponse est évidente. Elle n’y glisse pas le bout de son petit doigt, à peine si on l’entrevoit deux secondes, balançant son corps à quelques mètres de distance. La caméra se fixe sur Robert Plant et ne le laissera pas sortir de son objectif. L’est vrai qu’il est beau, sur le fond bleu de la scène sa tunique blanche le dessine parfaitement, l’est satisfait et tout sourire, splendide notre moustachu chevelu auréolé de sa crinière grisonnante, retentissent les premiers notes, l’affaire devient sérieuse, son visage vous prend un de ces airs méchants qui vous font croire que vous avez peur. Pas de panique l’orchestre y va tout doux, en sourdine presque, garde le rythme originel même si l’on n’est plus au bon temps du Dirigeable, Robert s’empare du micro à deux mains et c’est parti pour la mayonnaise. La voix n’est pas la hauteur, mais il s’en fout, nous aussi, car il a une présence indiscutable et une classe irréfutable. Est follement heureux, sourit aux acclamations qui fusent de la foule, l’on profite du pont pour nous montrer les musicos, tout à l’heure lorsque vieux lion jerkera il rappellera la maladresse fatiguée d’Eddy Mitchell dans son spectacle d’adieu à l’Olympia, il ne fait pas bon de vieillir mais tant que le rock ‘n’roll vous insuffle l’énergie de vivre, le bonheur est tout près. Il s’incline très bas, désigne du geste les musiciens. Pathétique et grandiose.

    WHEN THE LEVEE BREAKS

    ( Festival de Glastonbury / 24 – 06 – 2022 )

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    L’on aime bien Plant, toutefois si l’on pouvait éviter le film un homme se penche sur son passé et si l’on pouvait aussi entendre Alison Krauss chanter ce serait bien. Il suffit de demander pour être exaucé, la vidéo produite par la BBC est de meilleure qualité, et dès le début Alicia est-là dans sa sur-robe flottante un micro devant elle et cerise sur le gâteau elle tient d’une main son violon et de l’autre son archet. Pas de doute l’on va assister à un grand moment. Silence et respect, une des plus belles pépites du Led. Une reprise de Memphis Minnie et de Kansas Joe McCoy évoquant la terrible crue du Mississippi de 1927. La foule se tient coite. Des bannières colorées, au bout de longues hampes sont agitées par le vent. Parfois le cadre s’élargit et l’on aperçoit les écrans géants qui encadrent la scène.

    Les stridences du violon d’Alison soutenu par celui de Stuart Duncan déchirent l’introduction martelée sourdement ( une invention de Bonham ), dans sa chemise bleue Plant est en faction,  visage empierré près du micro, les violons sont maintenant plus graves, la voix de Plant s’élève, il n’a aucun mal à accéder au registre du morceau, merveilleux comme le violon d’Alison marque ces espèces de cassures si caractéristiques de Led Zeppelin, un peu à l’imitation de ces sauts de haies que franchissent les chevaux, la montée au-dessus de l’obstacle, une violente dégringolade et au moment où l’on croit qu’ils  s’effondrent sur la terre, les coursiers reprennent leur galop forcené et foncent illico vers l’obstacle suivant où ils recommencent la même saccade rythmique, Plant mène le chant mais par-dessous coule le miel de la voix d’Alison, les parties d’harmonica  de Plant  de la version originale sont laissées à la virtuosité de Stuart Dunca , claquements de guitares, un son sourd qui vient de très loin et de la poussée sournoise des eaux contre les digues, l’argile du violon s’effrite, la batterie à coups répétés défonce tout et emporte le morceau. Visage rêveur d’Alison les yeux fermés dans la blondeur de ses cheveux… Ovation de la foule. Parfait.

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    CONCERT COMPLET

    ( Tjuholmen Arena - Oslo – 01 -07- 2022 ) 

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    Ce n’est pas le meilleur des concerts de la tournée mais il est complet et cela donne une idée assez précise de la cérémonie. Plant porte beau une superbe chemise de bûcheron à carreaux, Alison dans sa sur-robe flottante à ramages, cette fois-ci à dominante verte, la couleur que la blondeur des filles privilégie. Le plan fixe durant une heure et demie, un peu monotone, permet de voir l’ensemble de la scène et les changements incessants d’instruments de Stuart Duncan. L’orchestre, de sacrés musicos, joue low down, imaginez du rockabilly exécuté avec lenteur, une espèce de vidéo de démonstration pour montrer où les disciples doivent poser les doigts sur les cordes. L’on ne s’y attend pas mais les morceaux les plus vifs sont ceux qu’Alison Krauss chante seule. Lorsqu’elle accompagne Plant, elle se contente la plupart du temps de murmurer, de souligner d’un trait fin son vocal, un tantinet sous-employée, une Ferrari contrainte de suivre une Deux-chevaux. Quant à Plant l’on dirait qu’il a pour objectif de faire oublier ses miaulements zeppelinesques, l’on conçoit qu’il ne puisse plus monter au plus haut de la tour des aigus mais tout de même… soyons honnête, même à bas régime il s’en tire bien, fait preuve d’un savoir-faire indéniable, et possède une prestance naturelle imposante. Son Rock ‘n’roll est bien meilleur que celui de Boonaro mais When the levee breaks n’égale pas celui de Glastonbury. Au final une impression mitigée. L’on a envie de dire ‘’Peut mieux faire’’ mais comme c’est Plant l’on n’ose pas. Damie Chad serait-il un hypocrite ?

    Damie Chad. 

    TINY DISK HOME CONCERT

    ( NPR MUSIC2021 ) 

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             Ceci n’est pas un concert public mais une séance de préparation à la tournée qui suivra. NPR Music est une organisation privée et publique qui accumule du matériel sonore pour les radios. L’enregistrement a eu lieu au South Emporium Studio de Nashville où ils venaient d’enregistrer leur deuxième album  Raise the Roof quatorze ans après leur premier Raising sand.

             Trois morceaux seulement, le Can’t Let Go de Lucinda Williams dépouillé pour ainsi dire de son arrangement rock, n’ont gardé que le squelette de la rythmique dont ils accentuent ainsi le balancement. Chantent à l’unisson, c’est fou comme Alison sonne américain et Plant anglais, remarque un peu naïve mais qui saute immédiatement aux oreilles, pas une question d’accent, mais d’accentuation, ne jettent pas les mêmes mots de la même manière. Plant tout de noir vêtu, une tenue un peu négligée, du moins naturelle, contrastant avec l’ébouriffé recherché de la chevelure Alicia dans sa robe noire éclaboussée de larges fleurs roses aux feuillages verts et bleus...

    La caméra s’attarde aussi sur les musiciens, jouent précis et pénards, donnent l’impression de survoler leur sujet, avoir de tels gars derrière soi doit être un véritable régal pour des chanteurs. Conduisent en souplesse et sans à-coups. A la façon dont ils assurent les ponts donnent l’impression d’avoir vu couler beaucoup plus d’eau qu’Apollinaire dans son poème mirabeaulant.

             A peine terminé Plant annonce une chanson qu’il aime particulièrement le Searching for my love ( 1966 ) de Bobby Moore & the Rhythm Aces ( chanté par Chico Jenkins ), ce fut la  première formation de chez Chess envoyés enregistrer au studio Fame de Muscle Shoals, Alison fait des miracles à elle seule sa voix crée le son particulier du Rhythm ‘n’blues et remplace avantageusement les cuivres que ne possède pas sa formation typiquement bluegrass, Plant se montre aussi à la hauteur, un travail collectif d’orfèvres, de la belle ouvrage. L’on ne quiite pas la musique noire, Alison Krauus se lance dans Trouble with my lover de Betty Harris ‘’ The lost Queen of New Orleans soul ‘’ , écrit par Allen Toussaint, qu’elle présente simplement comme an american song, elle rit lorsque sur le coup Plant fait un pas en arrière comme s’il se sentait de trop devant la porte du paradis, faut un sacré culot pour se lancer dans ce monument, s’en tire comme une reine, ne mise pas sur le groove funky de l’original, elle le remplace par une inclination jazz à la manière de Peggy Lee, tout repose sur la plasticité de la voix, Plant se rattrape sur le refrain, sonne très noir, mais la limpidité du vocal d’Alison emporte le morceau.

             Dans cette vidéo l’on comprend les choix esthétiques de la tournée à venir. Pas d’esbrouffe, l’on chante en quelque sorte à l’économie. Ne pas se donner en spectacle, n’en faire jamais trop. L’on ne cherche pas à impressionner, tout juste à dessiner l’épure, à susciter la beauté par la seule fulgurance de son dévoilement entrevu…

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 229 : KR'TNT 349 : PETER PERRETT / LED ZEPPELIN / HOBSBAWM JAZZ

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    LIVRAISON 349

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    23 / 11 / 2017

    PETER PERRETT / LED ZEPPELIN /

    HOBSBAWM JAZZ

    Perrett et le pot au lait

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    Il serait illusoire de vouloir entrer dans l’univers de Peter Perrett sans passer par Nina Antonia et son livre-tabernacle, The One & Only qui fut réédité et augmenté en 2015. Comme dans la grande majorité des cas, l’œuvre et la vie de l’artiste sont indissociables. On sait que Peter Perrett aime les drogues, mais on ne sait pas à quel point. On sait qu’il aime les femmes, mais on ne sait pas non plus à quel point. Peter Perrett est l’homme de tous les excès : junk, femmes, fringues, fast cars, rock, antiquités. Il ne fréquente pas n’importe qui. Des gens comme Keith Richards, Johnny Thunders et Nick Kent entrent dans son orbite. Les chansons qu’il compose pour les Only Ones sont à l’image de l’homme : vouées à ce néant fascinant qu’on appelle le dandysme, et par conséquent, les Only Ones valent cent fois mieux que toute cette fucking new wave amputée du cerveau, de la même façon que les chansons de Syd Barrett valent cent fois mieux que celles de ses anciens collègues.

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    Le livre de Nina Antonia fonctionnerait presque comme un polar, car il y règne une certaine tension. Peter Perrett fut ce que la volaille appelle une grosse poissecaille, c’est-à-dire un gros dealer. Pourquoi travailler quand on peut se faire des montagnes de blé dans le deal ? - L’un des mes amis italiens revint de Bolivie avec un kilo de coke. C’était la première fois, on testait pour voir. On faisait cinquante cinquante, ce qui nous permettait de ré-investir. On avait un seul revendeur et on lui fourguait l’once au prix de 400 livres. On faisait un profit d’environ 700% - Peter raconte que jusqu’en 1975, il ne fumait que du hash. Il avait testé la coke, mais ça ne lui faisait pas assez d’effet. Puis il commença à consommer celle qu’il importait avec les Italiens. Elle était pure à 100% - Quand tu prends beaucoup de coke, tu bois de plus en plus et tu ne dors plus. Je buvais donc comme un trou. Puis je pris de l’héro une fois par mois, puis une fois la semaine - Peter redouble de prudence, mais la brigade des stups le harcèle. Le récit de Nina Antonia fourmille d’incidents policiers, de portes explosées au petit matin, de séances de tribunal et de nuits au trou avec ces fameuses couvertures qui sentent le vomi et qui sont bien sûr destinées à faire craquer les gens qu’on oblige à dormir avec.

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    C’est avec le deal qu’il finance son premier groupe, England’s Glory. Il baptise son groupe du nom de marque qui figure sur la boîte d’allumettes qu’il utilise pour allumer ses spliffs. Un petit label anglais réédita l’album dans les années 2000 et bien sûr, Nina Antonia signait le petit livret d’accompagnement. L’intéressant de cette affaire est qu’on voyait déjà apparaître ce qui allait caractériser le style des Only Ones, disons une certaine forme de décadentisme, notamment dans «Flowers Die», un vieux balladif fané qui, comme son nom l’indique, nous parle de dead flowers, un thème déjà bien exploré par les Stones ou encore les Saints. Avec «Weekend», Peter se rapprochait nettement de Lou Reed. On y entendait les accords de «Rock’n’Roll». Le cut ployait sous le poids des influences. «Shattered Illusions» se montrait digne des Only Ones à venir, poppy, baroque, inusité. On avait là un petit objet de curiosité finement travaillé, sans autre originalité que celle de sa propre existence. Avec «All In White», on entrait dans la décadence, le decaying side of it all chargé de toute la quintessence de fourrure mitée, de mascara périmé et de foulards en soie aux couleurs passées. Par contre, avec «In Betweens», on voyait que ça tournait un peu en rond et que ça puait la vieille ficelle de caleçon. Il fallait attendre «So Divine» pour frémir une dernière fois. Peter Pan et ses amis repompaient goulûment les accords du rigoletto nocturne de «Walk On The Wild Side», trempant leur doom de street urchin et de Jack the Lad dans une sauce indienne.

    Pour entériner l’affaire, Nina Antonia cite Timothy Leary : «Trois catégories de gens vont amener une profonde transformation dans le new age. They are the dope dealers, the rock musicians and the Underground artists and writers.» Amusée par cet éclairage prophétique, Nina ajoute : Avec Peter, on en a deux pour le prix d’un.

    C’est encore avec le deal que Peter finance le lancement des Only Ones dont personne ne veut à l’époque. Ils sont inclassables et donc invendables. Peter vient de rencontrer John Perry, Alan Mair et surtout Mike Kellie. Alan Mair ne touche pas à la dope, mais John Perry adore ça - La première année, je fréquentais Peter assidûment. We just got phenomenally stoned. The main activity at that point was coke - Ce groupe se présente comme une sorte de crème de la crème. Vu que l’argent coule à flots, Peter peut financer les heures de studio et le matériel. À cette époque, Peter dit adorer Dylan et le Velvet - Probably three quarters of the music I listened to was American - Et au plan personnel, il partage sa vie entre plusieurs muses : l’héro, Zena, Lucinda et les copines de Lucinda - Il roula un billet de cent dollars, sniffa une ligne de poudre blanche puis une ligne de poudre brune. Les lèvres de Lucinda suçaient son pénis et la langue de Jill explorait son anus. Jill qui était l’amie de Lucinda était aussi son cadeau d’anniversaire.

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    La femme de sa vie s’appelle Zena, issue d’une famille d’immigré grecs. Mais Peter aime aussi les autres femmes, et comme le lui dira plus tard Johnny Thunders, il a beaucoup de chance d’avoir rencontré Zena. Elle reste quarante ans avec lui, ça veut dire qu’elle partage les énormes risques du deal. Elle lui donne aussi deux fils, Peter Junior et Jamie, et quand les Services Sociaux britanniques lui retirent le deuxième, elle sombre elle aussi dans l’héro. Dans cette ambiance de chaos permanent, elle réussit à manager les Only Ones et dessine des fringues que copie Vivienne Westwood. Vivienne et Malcolm apprécient les «risqué designs» de Zena. Elle essaie de vendre Peter à McLaren qui cherche à monter un groupe à sensation, des «raunchy Bay City Rollers» - He wanted the Rollers, but he still wanted someone debauched looking like the New Yok Dolls, but not fucked up on drugs - Mais Peter se méfie du côté manipulateur de McLaren.

    Zena pourrait bien être le personnage central de cette wild saga, car c’est elle qui rend tout possible en acceptant l’extravagance de Peter. Cette forme d’acceptation est un modèle du genre, celui dont rêvent tous les hommes qui n’ont pas la chance de côtoyer une telle femme - Si tu aimes quelqu’un, tu ne l’obliges pas à devenir ce que tu veux qu’il devienne. Peter ne m’appartient pas. Il me disait ceci : ‘Ce n’est pas que je ne t’aime pas, au contraire, je t’aime, mais j’aime aussi une autre femme.’ Il me disait aussi qu’il aimait passer du temps avec d’autres filles. Qui étais-je pour prétendre que j’étais la seule à pouvoir le satisfaire ? Ça venait peut-être de mon éducation, mais je ne voyais rien de mal à penser qu’on pouvait aimer quelqu’un d’autre. J’étais amoureuse de Peter, mais je faisais semblant de ne pas l’être. Je ne voyais pas comment faire autrement - Une prodigieuse intelligence filtre à travers cette confession. Zena retourne le principe d’amoralité comme une peau de lapin pour en faire un précepte d’une rare puissance. Il porte un nom : la générosité.

    Danny Eccleston rend aussi hommage à Zena (qu’il appelle Xena) à sa façon : «Peter Perrett is friendly, funny, frank and guileless, but it’s his fears for Xena that make your heart most go out to him. He owes her everything.» (Peter est chaleureux, drôle, franc et naïf, mais c’est sa façon de se préoccuper de Zena qui le rend attachant. Il lui doit absolument tout).

    La première fois qu’il prend de l’héro, c’est avec Lucinda - It was the best feeling in the world. We were like naughty kids together. Zena allait se coucher et on restait au salon - C’est l’époque où ils font ménage à trois - La première fois que tu prends de l’héro, ça rend le sexe mille fois meilleur et tu crois devenir très émotionnel - Peter ne se pique pas. Il chasse le dragon, c’est-à-dire qu’il inhale la fumée d’héro qu’il chauffe sur un papier alu - J’ai toujours fait les choses à l’extrême. The way I approached drugs was by taking as much as I possibly could - si je prenais des drogues c’était à l’excès. Quand tu fumes l’héro, tu mets un quart de gramme sur un papier alu et ça met 10 à 15 minutes à monter. C’est plus lent qu’un shoot, mais on overdose plus facilement avec un shoot - Mais il finit par se piquer lors d’une tournée américaine. Une fille l’embarque chez elle à Atlanta pour un shoot et Peter chope une hépatite. Mais Peter étant Peter, ses pairs lui reconnaissent des qualités, par exemple Nick Kent : «As a drug addict, Peter was a really nice guy and that’s very rare.»

    Plus tard, Johnny emmène Peter dans le Lower East Side pour lui montrer ce qu’est le deal on wheels - Très peu de taxis acceptaient d’aller dans ce coin. Ceux qui acceptaient savaient pourquoi tu t’y rendais. Le taxi ralentissait, mais ne s’arrêtait pas, car c’était trop dangereux. Alors, des mecs arrivaient, ils couraient à côté du taxi, ils te montraient ce qu’ils avaient, et dès que tu avais filé le blé, le taxi repartait en trombe - Dans l’interview qu’on trouve à la fin du livre de Nina, Peter retrace nonchalamment son parcours : «Dans ma vie, j’ai eu 100% de réussite dans tout ce que j’ai entrepris. J’ai réussi dans le rock, et quand j’ai arrêté le rock et que je suis devenu un vrai drug addict, j’ai aussi réussi. J’ai toujours eu les meilleures drogues, je n’en ai jamais manqué, j’ai toujours été très organisé, je n’étais pas obligé d’aller chercher des doses dans la rue. I was a very privileged junkie.»

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    C’est Zena qui négocie le contrat des Only Ones avec CBS : 70,000 livres, avec 250,000 livres à venir pour dix albums. Sur le premier album des Only Ones, on trouvera une belle énormité : «The Beast». Monté sur un joli groove envoûtant, le cut s’emplit de son et lâche des vagues de pop ondoyante. C’est même joué jusqu’à la dernière goutte de son. Les Only Ones vont faire de ce genre de final éblouissant une vraie spécialité. L’autre gros cut de l’album s’appelle «City Of Fun», Mike Kellie y retrouve ses marques et muscle bien le beat. Mais les autres cuts de l’album sont très particuliers, on sent une tendance à la pop sophistiquée, une sorte de dandysme underground. Avec «Creature Of Doom», ils vont plus sur l’épique, mais c’est trop théâtral et trop valorisé par les excès de langage. Trop de mélange de genres et on finit par y perdre son latin. Un cut comme «Language Problem» semble âprement combattu, arraché de force à l’inertie, oui, ils font une sorte de pop informelle et peu décidée à en découdre. Dans Sounds, un journaliste compare Peter à Syd Barrett et à Kevin Ayers - Both parties write almost narrative lyrics that don’t follow the conventionally accepted styles.

    Malgré le contrat mirobolant, les Only Ones ne roulent pas sur l’or. Mike Kellie est habitué à la dèche - La seule indépendance économique qu’on avait était celle qu’on ramenait avec nous. Je n’ai rien récupéré de Spooky Tooth and never had two pennies to rub together - Mike explique qu’il ont touché 500 livres chacun. Le reste du blé est parti dans l’équipement. Comme il n’a pas une thune, Mike vit chez à l’époque chez les Perrett. «Je croyais dans ce groupe. Je ne pleure pas sur mon sort, mais je me souviens d’avoir vécu cette histoire comme une frustration. It wasn’t terribly fair, but life isn’t fair. You want fairness, go to hell. If you want justice, become a Christian.»

    On a jamais compris ce que venaient faire les Only Ones dans la vague punk de Londres. John Perry poussait la logique encore plus loin : il trouvait que l’anachronisme, c’était le punk-rock et non les Only Ones - We are a perfect expression of late ‘70 English rocn’n’roll and it was punk that was the oddity.

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    Even Serpents Shine sort un an plus tard et s’ouvre sur un cut purement wildien, «From Here To Eternity». Peter Perrett s’y livre à son exercice favori, celui d’une délicieuse déliquescence vocale. Puis il passe à la petite pop allègre avec «Flaming Torch» et tout le reste de l’A s’enfonce dans le non-événement. Le groupe se réveille en B avec l’excellent «Curtains For You», groove psychédélique dans la veine du «Cowboy Movie» de Croz. En ramenant son talent de batteur dans les Only Ones, Mike Kellie fait bien le lien entre les sixties et les seventies. Il appartient à la génération des Knox et des Chris Spedding qui ont su mettre un peu de plomb dans la cervelle du mouvement punk. Et dans «Someone Who Cares», Peter Perrett sonne comme un Lou Reed alangui. Selon Nina, cet album «has a certain baroque feel in common with the Doors at their most mesmerizing.» Quel drôle de compliment ! Pour Mike Kellie, l’album est un mélange de satisfaction et de déception. Selon lui, la pochette fut un cauchemar pour la maison de disques - A marketing man’s nightmare !

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    Et puis voilà le troisième et dernier album studio des Only Ones : Baby’s Got A Gun. Ils attaquent avec «The Happy Pilgrim» qui sonnerait presque comme une rumba, tellement le beat se veux joyeux et enlevé. Ils tapent dans le Diddley beat pour «Me And My Shadow». C’est de bonne guerre, après tout. On a encore de la petite pop indicatrice des penchants des Only Ones avec «Strange Mouth». Ils cherchent tellement à sophistiquer qu’ils en oublient de sceller le destin des chansons. On ne peut pas courir deux lièvres à la fois. Il semble que le laid-back soit leur vrai terrain de chasse, car «The Big Sleep» éclate au grand jour, plein de décadence mortifère. En B, on tombe sur une petite merveille intitulée «Re-Union», dotée du meilleur son psyché et joliment martelée par Mike Kellie. Le heavy doom leur sied à merveille. En matière de laid-back, ils frisent la perfection. On a là le meilleur cut des Only Ones, léger et délié, joué avec un âcre raffinement. Par contre, «My Way Out Of Here» sonne comme du Buddy Holly. Mike Kellie bat ça à la petite cavalcade d’Hopalong dans les vastes plaines du Far-West. Ils sont marrants, à vouloir faire du Buddy Holly. Mais globalement, l’album manque de punch. Alan Mair : «Je pense que les chansons de Peter devenaient trop druggy. Elles étaient trop lentes, just too drug oriented.» Comme le rappelle si bien Nina, il faut bien dire que le riche mélange de séduction, de destruction et d’addiction que proposaient les Only Ones ne pouvait pas cadrer avec les aspirations superficielles du public des années quatre-vingt. Dans la presse, on se moquait de Peter : «The last survivor of the make-up and fake leopard skin wars.»

    Alan Mair finit par ne plus pouvoir supporter le ballet funeste de Peter. Le groupe débarque à Amsterdam pour une tournée et plutôt que de préparer le concert, Peter et John Perry disparaissent pour aller faire leurs courses. Alan prévient que si Peter continue de monter sur scène complètement défoncé, il va quitter le groupe - He had been a magical bloke but that aura had gone - Pourtant, Peter tente de réagir : «Je n’aime pas que les gens nous fassent passer pour un groupe de drogués. Ça ne plait pas à ma mère. Elle m’inspecte les bras. C’est aussi très mauvais pour Alan qui ne boit même pas. Ce serait terrible qu’on se retrouve affublés de la réputation de Keith Richards, une réputation de junkie célèbre.» Mais comme l’ajoute Nina, c’est déjà trop tard.

    Les Only Ones se séparent à l’issue de leur deuxième tournée américaine. Dans le show-business, on s’est bien moqué d’eux : pendant des années, dans les séminaires, les gens de CBS citaient les Only Ones as an exemple of how no to make it in the music industry - L’art de rater une carrière. Danny Eccleston en rajoute une couche : «The band who rewrote the rules on how not to get ahead in the music business, and a singer who earned more money selling drugs than making records.»

    Pour leur quatrième album, les Only Ones avaient proposé à CBS un album de covers : «My Way Of Giving» des Small Faces (qu’on retrouve sur Remains), «Mamma You’ve Been On My Mind» de Dylan, «Gantanamera», «You Can’t Hurry Love» des Supremes, et «The Girl From Ipanema» d’Antonio Carlos Jobim. Dommage.

    John Perry revient longuement sur la personnalité de Peter : «Dans son genre, Peter était un mec unique. C’est la raison pour laquelle j’ai commencé à bosser avec lui. De toute évidence, sa voix n’allait pas plaire à tout le monde. It was a specialist taste. Tout en lui était unique : son look, le son de sa voix et les chansons qu’il écrivait.» Pour mieux situer le personnage de Peter, Nina cite Edmund White : «Le dandy remplace les traditionnelles hiérarchies de valeurs morales par des règles esthétiques qui lui sont propres.» John Perry voit chez Peter un mélange désarmant de timidité et de candeur, il voit aussi un esprit très calculateur contrebalancé par une extraordinaire naïveté - You have to look in terms of paradoxes. Mais la meilleure définition du dandysme, qui d’autre qu’un dandy comme Peter Perrett pourrait la donner : «I like to stand out, so I was fortunate at that time (1977). I like not fitting in - That’s what gives me great pleasure.» (J’aime me distinguer des autres. À cette époque (1977), j’ai eu beaucoup de chance de pouvoir le faire. Me distinguer des autres est ce qui me donne du plaisir).

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    Et pour corser encore un peu le chapitre charme discret, Peter ne fréquente pas n’importe qui. Nick Kent confie que Johnny Thunders voulait Peter comme guitariste dans son groupe - Can you imagine ? For him to abnegate his ego to that point, which shows you how much Johnny respected Peter - Oh c’est vrai, l’admiration que portait Johnny à Peter surpassait celle qu’il avait pour lui-même. Ça montre à quel point il le respectait. Peter joua dans The Living Dead, mais ce n’était pas un groupe très officiel. Et Nick Kent ajoute : «They were a good pair, but Johnny let the lifestyle corrupt him, whereas Peter didn’t. Je ne l’ai jamais vu tenter d’arnaquer quiconque, mais la dope commençait à le ralentir.» Nick Kent raconte qu’il est allé en studio avec Peter au temps des Subterraneans. Il y avait aussi Mike Kellie et Tony James de Gen X. On trouve ça sur le fameux Punk From The Underground édité par Skydog. L’amitié de Peter et de Johnny remonte au temps des Heartbreakers, évidemment. Les Only Ones et les Heartbreakers n’avaient rien de commun avec la vague punk. Comme les Stones et les Who, les Only Ones et les Heartbreakers avaient un sens des dynamiques de r&b que n’ont jamais eu les groupes de punk-rock. Leur relation d’amitié reposait sur un goût commun pour la dope, bien sûr, mais aussi sur un «mutual level of respect, attraction and affection that was unusual for either of them.» Et ce n’est pas un hasard si Peter et Mike Kellie se retrouvent sur So Alone, le premier album solo de Johnny.

    Tiens puisqu’on parle des Stones et des Who : les Only Ones seront invités à jouer en première partie des Who sur une tournée américaine, mais comme Daltrey ne peut pas les schmoquer, ils sont virés après cinq soirées au LA Sports Arena, «for failing to bond with the main band.» Quant à Keef, c’est une autre histoire. Il se disait intéressé par les Only Ones et voulait les produire - Keef was too stoned to roll. With his heavy lidded eyes, ruined teeth and Eucharist pallor, Richards had become the patron saint of white, middle-class junkies - Les Only Ones allèrent le rencontrer dans la maison qu’il louait à Donald Suntherland sur Old Church Street, à Chelsea - It was just before the Toronto bust and he was in the depth of his addiction. There was a great deal of fog to penetrate - Le projet échoua justement grâce au Toronto bust.

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    Pas mal de belles choses sur Remains paru en 1984, à commencer par la fameuse reprise des Small Faces, «My Way Of Giving». Idéal pour une rock star aussi anglaise que Peter Perrett. On a aussi «Flower Die» qui date d’England’s Glory, un cut salement atmosphérique, sans doute l’une de leurs meilleures exactions, et Mike Kellie double en fin de cut, alors ça décolle merveilleusement, d’autant que John Perry devient loquace. On a aussi un final flamboyant dans «My Rejection». Ces gens-là savent exploser une fin de cut, et c’est là où la présence d’un vétéran de toutes les guerres comme Mike Kellie se révèle déterminante.

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    Curieusement, c’est sur les albums live comme The Big Sleep enregistré en 1980, ou encore les Peel Sessions, que les Only Ones deviennent géniaux. The Big Sleep est un album absolument extraordinaire, bourré de son et de dynamiques jusque-là inconnues. «As My Wife Says» sonne tout de suite comme un classique de pop anglaise, bien claqué aux accords clairs de John Perry. En fait c’est lui, John Perry, qui fait le son du groupe, avec sa manie de faire tournoyer le son. L’«Oh Lucinda» live n’a plus rien à voir avec celui de l’album studio, c’est même le jour et la nuit, car claqué d’intro aux accords de Stonesy et bien emmené, bien dynamique et fruité à l’excès, même si Peter Perrett chante avec de la mélasse plein la bouche. Même chose avec «Language Problem», toxique et trituré par John Perry et Mike Kellie multiplie les effets de style. Sur l’album, tout est très joué, très enlevé, très touffu, très chanté. On a cette impression de densité qui n’existe pas sur leurs trois premiers albums. C’est encore plus frappant avec «The Beast», chef-d’œuvre de pop décadente et sacrément latente. C’est extraordinairement ambiancier, aux limites de l’imparable. Même l’«Another Girl» qui suit n’a rien à voir avec la version originale, tellement c’est joué vite, avec un punch terrible. Sur scène, ce groupe devient un véritable buisson ardent. C’est dingue ce qu’ils sont bons ! Ils tapent chaque fois un final éblouissant. Extraordinaire «City Of Fun», joué à l’énergie concomitante, Mike Kellie s’en donne enfin à cœur joie, il tape dans tous les coins. Tout le jus des Only Ones est là.

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    Si on aime bien les Only Ones, il faut aussi écouter Darkness & Light, la compile des BBC sessions. C’est l’un des disques qu’on emmènera sur l’île déserte, avec The Big Sleep. Quasiment tous les cuts sonnent comme des énormités cavalantes et bien sûr, toute la décadence du rock anglais rapplique au rendez-vous. On tombe très vite sur une version d’«Another Girl Another Planet» claquée au riff salace par ce dingue de John Perry. Même chose avec «The Beast» : on sent ramper le souffle nauséeux dès l’intro. C’est aussi profond et jouissif qu’un hit des Doors. Les Only Ones flirtent avec la démence. On a là l’apocalyptic side of it all, avec un final démentoïde. Voilà les Only Ones qu’il faut écouter. «Langage Problem» déborde aussi d’énergie, ils jouent ça à fond de train, emmenés par Mike la loco, ce Kellie killer de beurre. Tout aussi incroyablement tonique, voici «Miles From Nowhere», surchargé de basslines cavaleuses, chanté à la junky motion et pulsé par ce dingue de Mike Kellie. On a là l’une des meilleures équipes de popsters d’Angleterre. Ce groupe maîtrisait l’art des dynamiques fulgurantes et curieusement, on ne les retrouve sur aucun des trois albums studio. John Perry amène «From Here To Enternity» au pinacle, et ça continue comme ça avec «Prisoners», véritable slab de good time music à l’Anglaise, mais là, ça prend des couleurs et du volume ! Quelle incroyable vitalité du son, my son. John Perry boucle tous les cuts à coups de violentes dégelées impavides. Dans «The Happy Pilgrim», on l’entend mettre en valeur le chant accidenté de Peter Pan. Et Mike Kellie se bat comme un dieu affûté. Tout dégouline de jus et de son. On plonge à la suite dans «The Big Sleep» infesté de requins, avec un Perry qui bien sûr part en vrille. Le seul conseil qu’on puisse vous donner à ce stade d’effusion est d’écouter «Why Don’t You Kill Yourself». Ils y explosent le carabinage. C’est au-delà de tout ce qu’on peut imaginer. Ce diable d’Alan Mair fait des prodiges sur son manche de basse. Alors bien sûr, on retrouve plusieurs fois les mêmes cuts, car les sessions se succèdent les unes aux autres, mais à aucun moment on ne décroche, car dès le retour de «The Beast», on sent l’embardée, on sent l’aura de l’empereur romain, on sent la fin de règne et l’écroulement des illusions. On ne trouvera jamais ça ailleurs. Tiens, encore un coup d’Another Girl, histoire que vérifier que cette jungle sonique est toujours aussi épaisse. Alan Mair charbonne comme un dingue sur sa basse et Mike Kellie tape dans tous les coins. Il aurait fallu les enfermer, à l’époque. On a aussi un «She Says» complètement explosé du cortex. Enfin bref, ce double album est une nécessité. John Perry : «I particularly like the Peel Sessions because they reveal what the band was best at, which was playing more or less live. They were very concise, ordered sessions, recorded in an afternoon and mixed in an evening.» Nina Antonia parle de «far greater depth of emotion both vocally and musically», et même de «much more of a Perrett melodrama, complete with pushy bass runs, knock-out drums and crackling guitars.»

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    En 1996, Peter Perrett enregistrait un excellent album solo, Woke Up Sticky. On avait avec le morceau titre un merveilleux spécimen de Beautiful Song, un chef-d’œuvre mélodique qui tombait comme une bruine de lumière sur la terre. Il enchaînait avec «Nothing Worth Doing», une fantastique explosion de power-pop balayée par des vents de guitares. Aucun cut des Only Ones n’avait jamais sonné comme ça. Il poussait encore le bouchon de l’excellence avec «Falling», une sorte de descente aux enfers de la pop. Peter Pan peut devenir monstrueux si on lui donne de bonnes chansons. C’est ici le cas. Il semblait qu’avec cet album, il atteignait enfin les cimes. Il avait derrière lui un fabuleux guitariste nommé Jay Price. Il tapait aussi dans les Kinks avec «I’m Not Like Everybody Else», d’une façon tellement impeccable qu’on avait l’impression que Ray Davies avait écrit ce hit spécialement pour lui. Derrière, un bassmatic nommé Richard Vernon jouait à l’outrance de la prestance. Il nous pulsait ça au bottom line et Peter Pan réanimait la magie des sixties. On s’affolait d’entendre un disque de rock anglais aussi parfait, car tout y était : la classe, la stature, l’allure, le port et le maintien. Et ça continuait avec «Sirens», joué à l’excellence du gospel according to Peter. On avait là un cut solide, bardé de dynamiques jugulaires nappées en couches superposées, oui, un cut chargé de son et d’élan à ras la gueule du mousqueton. Oh et puis, il fallait aussi écouter attentivement «Land Of The Free». Peter y jouait le Dominatrix kinda thing, avec une décadence qui suintait par tous les pores d’attache de sa légende. Il psalmoldiait dans la pénombre, les yeux couverts de khôl.

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    Quand Danny Eccleston rencontre Peter Perrett pour parler du nouvel album, il lui demande sur quoi portent les chansons et Peter lui répond en souriant : «Mostly about death». Et il ajoute : «Seriously, the one thing that is new on the horizon is the proximity of mortality. When I was young, I was indestructible. Now I think about what it would be if my wife died.»

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    Et pouf, son nouvel album solo vient de paraître. Il s’appelle How The West Was Won et vaut son pesant d’or. Peter Pan l’attaque avec le morceau titre, une sorte de groovy cut à la Lou Reed et refait l’histoire du Far West avec les Indiens et les Mexicains qui en prennent plein la gueule, qui feel the rope, the blade, the gatling, puis c’est au tour des buffalos de passer à la casserole. Tout au long de cette infernale diatribe, Peter soigne son style de dandy décati. Avec «An Epic Story», il propose tout simplement une Beautiful Song, c’est-à-dire un grand balladif élancé. C’est sûr Sam, c’est un smash - It’s too late for repentance of sin/ Don’t worry babe - et il lance son message fatal - I’ll always be your man/ No one could love me the way you can/ If I could live my whole life again/ I’d choose you every time - Cette façon qu’il a de tartiner son every taïme ! Eh bien, avec «An Epic Story», on se retrouve une fois de plus gros Jean comme devant avec un hit planétaire sur les bras. C’est aussi beau et puissant que «L’Inaccessible Étoile» de Jacques Brel - Aimer jusqu’à la déchrirrrrure/ Aimer même bien même mal - ou «L’Hymne À L’Amour» d’Edith Piaf - Que m’importe si tu m’aimes/ Je me fous du monde entier - Peter ajoute : «Quand tu es avec quelqu’un, tu peux rire de tout et même des choses les plus cruelles de la vie. Le monde fait très peur, mais quand on est deux, c’est moins dur. Comme le dit Dylan dans Brownsville Girl, Strange how people who suffer together have stronger connections than people who are most content.» Il revient à la femme de sa vie dans «Troika» - I’ll always be a part of you - Si on veut savoir à quoi ressemble le romantisme à l’Anglaise, c’est là. Love is the drug. Mais la B est encore plus spectaculaire, car «Man Of Extremes» est un véritable coup de génie. On a là une belle pop d’action directe immédiatement accessible, classique en diable, ultra chantée, mais la distanciation du dandy - It’s a sick so-caï-ty/ Thre is no place left to hide to be free - Franchement, c’est digne du Dylan de 1966. Et ça continue avec «Sweet Endavour», une pop typique des Only Ones, très épique et secouée de belles dynamiques internes. Il nous fait ensuite la grâce de chanter un balladif intitulé «C-Voyeurger». Cet indubitable romantique n’en finit plus de bercer nos cœurs de langueurs monotones - Can’t live without the girl I love/ There’s no point living in this world when she’s gone - Et ça repart de plus belle avec «Something In My Brain», fantastique groove perrettien amené sous le boisseau - Now rock and roll is back in me/ Oh yeah - et il en profite pour glisser des petites insinuations autobiographiques : il se compare à un rat de laboratoire qui préfère le crack à la vie - He could choose life/ Or he could choose crack - Cet album fantastique se termine avec «Take Me Home», joué aux grandes eaux de la power-pop - I wish I could daïe in a hail of bullets some taïme - Avec sa diction dépravée, Peter Perrett restera l’un des plus grands chanteurs d’Angleterre. Danny Eccleston confirme tout ça à sa manière : «The headline news : Peter Perrett is back from the dead and has made an album that’s worthy of his legend.»

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    Dans Uncut, Alastair McKay dit à Peter que son nouvel album ne sonne pas comme un discours d’adieu et Peter confirme. C’est pour lui la possibilité de faire de la musique, which not many people of my age are privileged enough to expérience. Et quand McKay lui demande si c’était facile de retrouver la santé, Peter lui répond que ça revenait juste à prendre une décision - But once I make a decision, I find it very easy. Et il ajoute que lors d’un séjour récent à Berlin, il avait commandé une bière sans alcool, and my tolerance is so low, I got drunk on that. That shows how clean I am. Peter appelle son humour the gallows humour (If you’re on the gallows and the trap door is about to open then your best friend is gallows humour - c’est-à-dire l’humour du pendu, quand on a la corde au cou et que la trappe sous les pieds va s’ouvrir).

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    Il fut un temps où on ramassait encore les DVD. Le concert filmé à Shepherds Bush en 2007 valait vraiment le détour, car on y voyait apparaître un Peter Perrett arbitre des élégances, lunettes noires, grand manteau d’épouvantail, chemise à motif floral et pantalon flottant. Il attaquait un drôle de set d’une voix perçante au timbre frelaté - I’m always in the wrong place/ In the wrong time - John Perry y jouait sa dentelle et Alan Mair labourait les terres en profondeur. Ils reprenaient le «Flowers Die» qui date du temps d’England’s Glory, sur les accords de «Wild Horses». La dynamique des Only Ones se mettait alors en route et ils concluaient sur un final éblouissant. Ce concert filmé permettait de confirmer cette vieille théorie : sur scène, les Only Ones avaient le génie pop-rocky des dynamiques internes et externes. Peter enlevait son manteau et annonçait : «This is a new song, it’s called Dreamt She Could Fly». Bien sûr, le set souffrait de certaines longueurs, comme d’ailleurs les albums studio, certains cuts semblaient traîner en longueur, mais John Perry n’en finissait plus de les enluminer. Il était intéressant de noter que Peter Perrett avait alors exactement la même morphologie que Keith Richards, avec un visage taillé à la serpe, construit comme un dégradé de frange puis de nez en surplomb d’un menton sec, et ses joues étaient celles d’un crâne de catacombe. On reconnaissait le gratté d’accords d’Another Girl dès l’intro et John Perry l’ornait de son vieux phrasé glorieux. Et tout le Shepherds Bush Empire dansait. «The Beast» sonnait aussi comme au bon vieux temps, avec ses fantastiques descentes dans les soutes du blues-rock de facture classique et John Perry piquait une merveilleuse crise de solotage. Rien qu’avec ça, on pouvait considérer les Only Ones comme des Beasts de finitude, ils explosaient leur vieux boogie à la cantonade, ils montaient ça en grosse apothéose shepherdienne de Bush bash. On sentait bien sûr le puissant Spooky Tooth derrière tout ça. Eh oui, Killer Kellie n’est pas né de la dernière pluie ! On voyait même Peter gratter comme un con, il fouettait sa pauvre Télé comme s’il se fût agi du cul rebondi de Justine dans Les Infortunes De La Vertu.

    En guise d’exergue à l’épilogue du livre, Peter déclare : «Don’t believe everything you read - ne croyez pas tout ce que vous lisez.» Et il s’en explique ainsi : «À l’âge de 24 ans, je pris la décision de ne plus lire. Je voulais que toutes mes idées soient les miennes.»

    Et quand il aborde le chapitre Mike Kellie qui vient de mourir, Peter n’y va pas par quatre chemins : «Kellie was the one person who you didn’t expect to die. He used to walk up mountains and stuff, he’d go hiking.»

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    Aujourd’hui, le problème de Peter est de pouvoir respirer, comme il le confie à Hugh Gurland : «I used to smoke thirty or forty joints a day and skunk tends to be quite strong. I was still pretty useless up until I stopped smoking cigarettes and joints, which was April 8th 2011(...) I try and make the best use of my lungs that I possibly can.» Alors forcément, quand on se rend au Point Éphémère pour assister à son concert, on s’attend à le voir diminué, comme ce fut le cas pour Johnny Winter qui ne tenait plus debout, ou Andre Williams qui peinait à retrouver du souffle au deuxième cut. Va-t-il chanter assis dans une chaise roulante, avec un masque à oxygène ?

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    En réalité, cet enfoiré se porte comme un charme. Il arrive sur scène serré dans un petit costard à rayures. Il porte beau, lunettes noires, le cheveu brun et un beau sourire cadavérique aux lèvres. Il passe la bandoulière de sa Strato noire et hop, c’est parti pour une heure trente de show incroyablement intensif. Franchement c’est à ne pas croire, de voir ce mec qui se disait mourant mener le bal comme il le fit voici quarante ans. Sans même transpirer, ou si peu. Et avec une classe qui laisse rêveur. On n’avait pas revu ça depuis Ronnie Lane. Très peu de gens se pointent sur scène avec autant de grâce rock’n’roll. Il est l’une des plus brillantes incarnations du dandysme rock. Le moindre geste est une merveille d’élégance, sa voix est intacte et les chansons parfaites. Il tape dans tout et les cuts du dernier album tapent dans le mille, surtout «Something In My Brain» qui fait pas mal de ravages dans les imaginaires des fans agglutinés au pied de la petite scène. «How The West Was Won» passe comme une lettre à la poste et sa diction est telle qu’on refait l’histoire en direct avec lui. Il tire aussi «Living In My Head», «C Voyeurger» et «Take Me Home» du dernier album.

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    Sur scène, les nouveaux cuts prennent un relief particulier. Son fils Jamie joue lead et deux petites poules ramènent du Yin dans le Yan perettien. Il tape dans «The Big Sleep» et même l’excellent «Woke Up Stick». Il faut toute une vie de rock pour produire un phénomène aussi spectaculaire que Peter Perrett. C’est en le voyant qu’on comprend que tous les excès mènent à Rome. Ça va si loin qu’on ne peut même pas le plaindre, puisqu’il n’est même pas abîmé. Il enterre déjà tous les vieux punks qui vieillissent si mal.

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    Quand arrive le riff d’intro d’Another Girl lors du premier rappel, le public explose, c’est de bonne guerre. Pour entendre cette exaltante merveille qu’est «Troika», il faut attendre le second rappel, et là, franchement, on se sent au bord des larmes, car Peter pulvérise absolument tous les records de grandiloquence sentimentale classieuse. C’est là qu’on prend l’I’ll always be a part of you en pleine gueule, c’est encore autre chose que d’écouter un disque à la maison. Voilà sa force, voilà sa grandeur, voilà sa vraie nature. Sur scène, cet homme revenu de tout a l’air vraiment heureux. Il ne parvient même plus à maîtriser son sourire.

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    Signé : Cazengler, Only Âne

    Peter Perrett. Le Point Éphémère. Paris Xe. 14 novembre 2017

    England’s Glory. The First And Last. Diesel Motor Records 2005

    Only Ones. The Only Ones. CBS 1978

    Only Ones. Even Serpents Shine. CBS 1979

    Only Ones. Baby’s Got A Gun. CBS 1980

    Only Ones. Remains. Closer Records 1984

    Only Ones. The Big Sleep. Live In Europe 1980. Jungle Records 1993

    Only Ones. Darkness & Light. The Complete BBC Recordings. BBC 1996

    Peter Perrett. Woke Up Sticky. Demon Records 1996

    Peter Perrett. How The West Was Won. Domino 2017

    Nina Antonia. The One & Only Peter Perret, Homme Fatale. Thin Man Press 2015

    Danny Eccleston : Ballad Of A Thin Man. Mojo #284 - July 2017

    Hugh Gulland : Once Upon A Time In The West. Vive le Rock #46 - 2017

    Alastair McKay : How The West Was Won. Uncut #243 - August 2017

    Only Ones. Live At Shepherds Bush - 9th June 2007. DVD 2008

     

    CABALA

    LED ZEPPELIN OCCULTE

    PACÔME THIELLEMENT

    ( HOËBEKE / Octobre 2009 )

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    Dès sa préface Philippe Manoeuvre vous invite à poser vos grosses valises rock'n'roll dans le vestibule. Oui John Bonham savait vous battre les oeufs en neige mieux que quiconque, OK John Paul Jones était un arrangeur hors-norme, yes Jimmy Page était un sacré guitaro, ya Robert Plant savait feuler comme un puma agonisant, mais il ne s'agit pas de cet aspect-là des choses dont il est traité en cet opus. Le Cat Zengler le rappelait la semaine dernière dans sa chronique sur les Stooges, que pour être une espèce de showman un tantinet destroy l'Iguane, déjà à cette époque, n'était pas un abruti. L'était pourvu d'intelligence et de flair. Savait où il allait et ne partait pas à la conquête du monde avec la tête creuse.

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    Tout le monde n'est pas Sid Vicious. Encore qu'être Sid Vicious n'est pas donné à tout le monde. L'est un principe de base qui préside à l'écriture de ce livre, les gars qui ont fomenté le projet Led Zeppelin ne se sont pas lancés à l'aventure les yeux fermé. De fabuleux musiciens certes – ça aide – mais la tête pleine d'idées, même si c'est avec des instruments que l'on fait de la musique. Pacôme Thiellement part du principe que les membres de Led Zeppelin ne manquaient pas de culture. Culture rock, cela va sans dire, la liste de tous ceux qu'ils ont pillés dans le blues trahit une compétence acérée. Mais aussi, tout un acquis de connaissances, de lectures, d'observations et de réflexions diverses qui ont orienté leurs choix autant stratégiques que philosophiques. Les interviewes de Jimmy Page et de Robert Plant ne laissent planer aucun doute quant à cela. Même si à partir d'un certain point d'investigation par trop précise, ils éludent les questions et bottent rapidement en touche...

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    Vu de l'extérieur Zeppelin était une grosse machine à cash. Ramassait les liasses de billets par ballots. Mais le groupe ne mégotait pas sur la quantité et la qualité. Concerts extraordinaires, enregistrements historiaux. Une pompe à phynances qui aurait ravi le Père Ubu. Toutefois ce sont vos ennemis qui révèlent le mieux vos points faibles. Portent toujours l'attaque, là où ça fait le plus mal. Très vite pour le Led, les campagnes de déstabilisation n'ont pas manqué. Le sexe – n'avaient pas fait vœu de chasteté – les drogues – y ont succombé sans se cacher – et le rock'n'roll – particulièrement tonitruant, clinquant et déchiré chez eux, s'en vantaient, en étaient particulièrement fiers. Petite bière que tout cela, autant reprocher à un alcoolique de boire de l'alcool. S'ils s'étaient contentés de ces trois vices rédhibitoires, on leur aurait presque pardonné. Mais non, z'étaient comme Socrate, mais en pire, corrompaient la jeunesse, ébranlaient l'édifice moral de la société, mais aggravaient leur cas, attention lecteurs kr'tnteurs, retenez votre souffle – les ligues de vertu sont toutes d'accord sur ce point : z'étaient z'avant tout des zuppôts de Zatan ! L'on s'en inquiéta publiquement jusque dans les plus hautes sphères de la Maison Blanche. Arrêtez vos rires gras et de vous taper sur les cuisses. La vérité c'est que c'est la vérité vraie. Et Pacôme Thiellement prend à cœur de nous l'expliquer de long en large. Avec tout de même ce bémol d'importance, c'est que la vérité tout comme le mensonge possède plusieurs facettes, plus ou moins attrayantes, à tel point d'ailleurs qu'il peut vous arriver de les confondre...

    CIA. Non, ce n'est point un début d'accusation contre la célèbre agence américaine, pour une fois, elle n'y est pour rien. Ou alors elle l'a bien caché. C pour Celte - désolé les rockers ce n'est pas pour country, I pour India je reconnais une légère influence hippie, A pour Arabe, pas spécialement des terroristes. Simplement les influences musicales revendiquées par le Zeppe. De Bron-Y-Aur à Kashmir pour ceux qui ont la disco dans la tête. Mais pas que. Chaque musique véhicule sa culture. C'est là que les non-initiés vont décrocher. Car le savoir officiel, Le Zep il s'en moque, s'intéresse à la connaissance sacrée, à l'ésotérisme, à la gnose.

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    Thiellement aussi. C'est son dada. On le lui a beaucoup reproché lorsque le livre est paru. Il est étrange de voir combien les gens se fâchent quand on leur tend un miroir dans lequel ils ne se reconnaissent pas. Parfois je me dis que s'ils avaient lu par exemple Oscar Vladislas de Lubicz Milosz ils ne se cabreraient pas autant devant l'image de leurs ignorances. C'est sûr que Jimmy Page ne fait rien pour arrondir les angles. S'est toujours revendiqué d'Aleister Crowley. Vous ne trouverez pas plus charlatan que lui. Nous avons déjà évoqué sa figure dans KR'TNT ! Mais s'en référer à Crowley en public, c'est comme si vous improvisiez une conférence sur les bienfaits de la prostitution sacrée dans une assemblée de féministes. Les enseignements de Crowley sont incompatibles avec la raison raisonnante qui gouverne notre monde ( qui se porte si bien ). Fut un adepte de la magie ( rouge dirait Philippe Pissier ), pratiqua entre autres des rituels d'invisibilité, diaboliques et sexuels. Vous n'êtes pas obligés d'y croire. Mais dans la vie, il ne faut pas croire. Il faut savoir. Sinon, vous vous taisez. Derrière Crowley se profile en notre vieille Old England tout un monde intellectuel de haut niveau, de Lewis Carroll à Yeats, de Shelley à John Dee. Des gens qui professent des théories sociales et comportementales que Nietzsche définissait par delà le bien et le mal. C'est qu'au bout d'un certain moment, que le dieu ou le diable soient votre support cela importe peu si vous pensez chevaucher le tigre.

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    N'y a pas que les anglais, la littérature française est aussi à l'honneur, Raymond Abellio et sa Structure Absolue, et une sentence comminatoire à méditer de Jean Parvulesco. Les Italiens se taillent la part du lion avec Marsile Ficin, en profitent pour s'infiltrer à la suite du protégé des Medicis, les soufis et toutes les théories déviantes de l'Islam, la légende du douzième Iman et toute la théologie transgressive des Fidèles d'Amour, je vous fais grâce des classifications tantriques d'Inde... L'étude des textes du Dirigeable réserve bien des surprises. Page et Plant en connaissent bien plus qu'ils ne l'admettent. Ne sont pas fous, ne vous écrivent pas ce qu'ils pensent noir sur blanc. Faut savoir lire les indices. Ne faites pas comme Thiellement qui ne vous dit pas tout. Cherchez plus à fond. Par exemple penchez-vous sur le Led Zeppelin III, ne serait-ce que l'étrange roue à symbole de sa pochette ( procurez-vous un 33 tours d'époque ), Thiellement insiste beaucoup sur le IV, le disque sans nom, revient sans cesse sur cette Dame qui achète – mettez en relation avec la machine à cash – un escalator électrique pour le paradis et attendez-la lorsqu'elle redescend. Relisez en attendant, par exemple, El Desdichado de Nerval, Cela ne peut pas vous faire de mal. Que sont ces maisons sacrées de Houses of the Holly – voilà une question qu'elle est bonne – et de quels fils ( prononcez de deux manières ) est tramé le cachemire du tapis volant de Kashmir, et pourquoi Achilles Last Stands sur Presence ? Thiellement ne répond pas à toutes les questions mais il apporte des questions éclairantes. L'ouvre des portes, à vous de les franchir...

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    Cabala, ce n'est pas la Kabbale juive, mais le caballum que l'on charge de tous les acquis que l'on a ramassés ou glanés tout au long de sa vie. Nietzsche employait le terme de chameau pour désigner cet animal de bât intellectuel. C'est au lion ensuite de mettre de l'ordre, de déchiqueter de ses dents et de ses griffes tout ce qui est inutile. Peut-être alors deviendrez-cous comme les enfants blonds sur la chaussée des géants de Houses of the Holly. Mais personne ne vous oblige à grandir. Assumez vos choix. N'oubliez pas que tout maître fût-il aussi prestigieux que Led Zeppelin se doit de périr de la main de celui qui a cru en lui.

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    Ce qui est prodigieux dans Led Zeppelin – en dehors de sa musique – et nous ne sommes pas ici pour savoir si sa qualité intrinsèque dépend ou non de sa mise en situation – c'est la manière dont le groupe en tant qu'entité rock'n'roll a été pensé. Ce qui fait la différence dans le rock ce sont les quatre-vingt dix-neufs pour cent d'énergie qui doit impérativement le constituer. Mais le mystérieux un pour cent restant est tout aussi important. Un sacré multiplicateur, tout dans le dosage, manipulation commerciale, ou manipulation mentale ? Vous fait-on cracher au bassinet, ou accéder à un nouvel état de conscience ? Généralement les pourceaux d'Epicure de la consommation auditive n'entrevoient même pas la possibilité de la question. Ce livre de Pacôme Thiellement est parfait pour mettre les groins en chemin vers des nourritures d'un autre genre.

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    Esthétiquement le livre est une réussite. Intellectuellement il heurtera les sensibilités cartésiennes qui sont convaincues que deux droites de savoirs parallèles ne se croisent jamais. L'exige une faculté à s'étonner. Pourquoi par exemple, l'auteur traite-t-il en si peu de lignes L'Objekt qui prolifère sur la pochette de Presence - la jaquette de Hollydays in the Sun des Sex Pistols en est une délicieuse et imbécile parodie – alors qu'il revient systématiquement en pleine page à chaque nouveau chapitre ? Répondez en quinze pages. Vous n'êtes pas obligés. Faites ce que vous voulez.

    Damie Chad.

     

    COLLECTION ROCK & FOLK N° 4

    LED ZEPPELIN

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    Les menées souterraines du hasard ? A peine venais-je de terminer l'article précédent que dans le kiosque à journaux sur le présentoir, deux chevelures rapprochées, l'une noir corbeau, l'autre de toute blondeur léonine, m'arrachent la vue. Pas encore lu le titre que j'énonce à la grande joie du tabagiste qui en fait tinter d'aise son tiroir caisse avant même que je ne lui aie tendu l'objekt de tous les délices, une maxime définitive ''Led Zeppelin, je prends d'office !''

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    Ne se sont pas beaucoup fatigués chez Rock & Folk, n'ont pas pris la peine de pousser la rédaction à carburer sur de nouveaux articles définitifs, l'annoncent en toute honnêteté et sans honte au bas de la couve, En collaboration avec Uncut. Ont adopté un principe simple : premièrement : traduction des articles d'Uncut présentant dans l'ordre chronologique les dix disques du Zeppe, deuxièmement : les chroniques d'époque du Melody Maker qui ont précédé ou suivi la sortie des galettes à effets catatoniques, troisièmement : les interviewes principalement de Jimmy Page et de Robert Plant relatives à chacune des étapes foudroyantes du Dirigeable, quatrièmement : visite commentée de l'épave du Dirigeable foudroyé avec suivi des aventures personnelles de chacun de nos héros. Loi du boomerang, ce sont les Titans qui forgèrent la foudre de Zeus qui en furent les victimes désignées. Terrible, vous ne pouvez pas évoquer Led Zeppelin sans que les Dieux de l'Olympe ne s'en viennent sonner à la porte.

    , PETER PERRETT, LED ZEPPELIN, HOBSBAWM JAZZ,

    Apparemment les journalistes d'Uncut ne sont pas des membres clandestins de l'Ordre Trismégiste de l'Aube Dorée Reconstituée, ne s'en tiennent qu'aux faits – lieux, dates, personnes - et leurs jugements même quand ils sont des plus subjectifs quant à la valeur de tel ou tel opus ne s'écartent jamais de données purement objectivales, ne se laissent jamais tenter par des méditations erratiques dans le genre de Pacôme Thiellement. Signe que la musique du vaisseau amiral de la flotte du rock'n'roll est assez riche pour susciter de nombreuses approches. L'on peut ergoter sur l'originalité et la créativité du numéro mais pas sur son amplitude. Six heures de lecture assurée. Plus les photographies à admirer avec recueillement et attention. Un ouvrage idéal pour les jeunes générations, les Doors et Led Zeppelin restent les groupes historiaux encore écoutés et respectés par les lycéens qui connaissent tant soit peu leur musique mais point par le menu la monstrueuse saga du plus grand des dinosaurocks ayant vécu sur notre planète.

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    Lorsque Edward Gibbon intitula sa grande fresque Histoire de la Décadence et de la Chute de l'Empire Romain, il rassura par deux fois ses lecteurs. Certes l'Imperium s'était écroulé, mais cela avait pris du temps. Deux siècles avant la syncope finale, les élites s'interrogeaient sur la survie de ce pachyderme qui dépassait les mille ans d'existence. Désormais il n'y avait pas plus à s'interroger sur l'inéluctabilité future des catastrophes que sur l'imminence proximale de leur survenue. Pour le Led Zeppelin, ce fut terminé en six semaines. En vrai à la mort de John Bonham, étranglé dans son vomi – les éléments sordides sont typiquement rock and roll – les carottes étaient cuites. Ne fallut qu'un mois et demi aux trois survivants pour rédiger le communiqué final signifiant au monde entier la mort de l'aventure.

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    L'est une autre manière d'analyser les ferments décadentistes. A peine l'homme a-t-il atteint l'âge de sept ans – les biologistes l'assurent – nous ne progressons plus, nous nous renouvelons, nous nous étoffons, nous grandissons, mais les ferments mortuaires nous inclinent déjà vers notre tombe, même si les transformations de l'âge adolescent et l'éclat de notre jeunesse nous donnent l'illusion que nous suivons une voix royale de floraison infinie... qui inexorablement nous conduit au cimetière. Envisagé sous un angle similaire la trajectoire de Led Zeppelin est des plus inquiétantes. Le groupe est formé en 1968, il livre dès 1969 deux albums époustouflants, le I récapitule toute l'histoire du blues anglais en cinq morceaux, efflorescence absolue, épanouissement total. Le II fonde le heavy metal, ce n'est pas qu'il n'y a pas eu des précurseurs, un peu partout et autour d'eux, c'est qu'ils le propulsent avec une puissance inimaginable en leur temps. Le passé du blues et le futur du rock en deux disques. Personne n'avait fait ça avant eux. Et chose plus grave, personne n'est capable de le refaire. Rajoutez des tournées américaines époustouflantes, et dites-vous qu'en deux ans le Led a réalisé en ving-quatre mois ce que la plupart des bands ne réaliseront pas en vingt longues années d'approximations incertaines.

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    Déjà avec le III les choses se gâtent. Perso, je le préfère aux deux précédents. Ce n'est pas parce qu'il est meilleur, c'est parce qu'il est différent. Passons sur les fans désorientés par son côté folk. Le Led se suicide. Tout seul. Généralement les artistes subissent des contraintes, des pressions de la maison de disques, de leurs staffs à l'affût des schémas prévisionnels de vente à un accès très grand public, mais le Zeppe a fignolé ses contrats, ont imposé la liberté artistique totale, et d'eux-mêmes ils coupent court à la surenchère sonique que l'on attendait d'eux, font de la dentelle au marteau-pilon, bref ils interrompent d'eux-mêmes le processus de sur-rajeunissement phonique pléthorique incessant qu'ils avaient eux-même initié.

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    Avec le IV nous font le coup du chemin heideggerien qui s'infléchit brutalement dans la direction opposée à celle qu'il suivait. En même temps nous font remarquer que le chemin qui monte ( Black Dog ) est aussi celui qui descend ( Stairway to Heaven ) – étrange comme le paradis se trouve à la place habituelle de l'Enfer - bref le Wild and the Mild entrent en de curieuses concomitances. Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. Et hop, nous resservent avec le V le coup du III. S'en vont habiter d'étrange maison. Houses of The Holly. Rien à voir avec la Fun House des Stooges. Z'ont mis des housses sur les canapés, vous avez peur de les salir si vous vous y allongez dessus avec votre petite amie. Une ambiance perverse et pernicieuse. Ça embaume les trafics illicites, les trucs louches, du rock'n'roll trafiqué, de la pop dégriffée, du la symbiose douteuse, du bio négatif. A peine y avez-vous goûté que vous y retournez. Poison mortel. Irrésistible.

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    Vous commencez à comprendre comment le Zeppelin fonctionne. Gonflent le ballon explosif à bloc. Puis le vident de son hydrogène, le voici tout flasque, du dur au mou, de l'érection à la débandade. Et chaque fois l'état atteint est délicieux. Evidemment le Physical Graffiti est très physique. Bodybuilding appuyé. Muscles d'acier. Pectoraux chromés. N'empêche qu'à y réfléchir la saga du Zeppelin se déroule selon un rythme déroutant. Un coup trampoline éblouissant, un coup matelas pneumatique crevé. Ne donnent jamais dans la demi-mesure. Les médecins vous déconseillent ce genre de vie. Qui cherche le bâton de chaise finit par se faire battre. Vous connaissez l'apologue de la mort lente et de la vie vive qui se battent dans un duel à mort. Donc vous savez comment cela finira.

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    Lorsque paraît en 1979 In Throught the Out Door, Bonham est rongé par l'alcool, Page par l'héroïne, Plant anesthésié par la mort subite de son fils de cinq ans, et le disque tient davantage du génie de la bricole – mais de ces étudiants doués qui vous fabriquent une bombe atomique sur leur gazinière – extrêmement prometteur, mais la disparition de Bonham stoppe tout développement ultérieur.

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    Presence paru en 1976 est le dernier véritable disque de Led Zeppelin. The Last True Record. A sa sortie le couperet est déjà tombé. Robert Plant se remet difficilement de son accident de voiture. Mon disque mascotte de Zeppelin, celui que j'emporterais sur l'île déserte du Cat Zengler. Je dois être le seul fan du combo à émettre un seul choix. L'est celui du retour aux origines. Non pas au blues, mais au rock. Le Led a déplacé le curseur du noir au blanc. Ce basculement d'intérêt n'est pas étranger aux fortes réticences de Robert Plant à la reformation du groupe. Un désaccord musical fondamental l'oppose à Jimmy Page responsable de cette évolution. Ne s'agit pas de position idéologique inébranlable, si l'on suit de près les itinéraires des deux complices, l'on voit que leurs intérêts ne cessent de se croiser, l'un se dirigeant vers la source sombre quand l'autre s'en vient s'abreuver à la pâlichonne, et vice-versa. Le dernier tiers de la revue qui se penche sur l'après Led Zeppelin de chacun des deux principaux protagonistes du Zeppe aide à une telle lecture.

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    Les réticences de Page et Plant devant l'émergence du punk sont éloquentes. Ne peuvent pas être contre, mais ne sont pas pour. Le punk est une solution trop simple. Certes, il a ringardisé leur image de super-groupe, ne sont plus à la une de l'avenir du rock, la mode a changé, le vent a tourné, mais leur condamnation est aussi le signe de leurs propres interrogations quant à la poursuite de l'évolution du rock. Led Zeppelin a épuisé une forme. L'a mené le riff à son accomplissement terminal. Ont épuisé le style. Ont développé toutes les possibilités formelles et esthétisantes de cette manière d'appréhender le rock'n'roll. Et après ?

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    Plant s'essaie à toutes les fusions ethniques. Page se replie sur le groupe. Elabore et échantillonne avec un soin scrupuleux les rééditions, une manière pour lui de préserver l'héritage et peut-être aussi de conférer un sens à sa vie et une intensité existentielle similaire à celle ressentie lors de la carrière du groupe. J'émettrais l'hypothèse que dans ses tiroirs doit traîner des bandes d'espèces de suites symphoniques guitaristiques des plus novatrices que pour de mystérieuses raisons il garde par-devers lui. L'est capable de les emmener avec lui lorsque viendra son heure de grimper les marches du staiway to heaven.

    Damie Chad.

    REBELLION

    LA RESISTANCES DES GENS ORDINAIRES

    ERIC HOBSBAWM

    ( Editions Aden )

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    Un gros livre. Cinq cent trente pages auxquelles viennent s'ajouter une trentaine de notes. L'ensemble se présente comme une suite de vingt-six articles dans leur très grande majorité déjà publiés, dans des journaux américains ou britanniques, ce qui n'est en rien d'extraordinaire puisque l'auteur, décédé en 2012, résidait en Grande-Bretagne. Marxiste convaincu, membre du Parti Communiste, il fut un écrivain engagé qui s'intéressa à l'histoire du mouvement ouvrier. Fut de toujours attiré par les marginaux, les outlaws, les déclassés, les pauvres. Sujets passionnants mais qui ne recoupent que partiellement le champ principal d'exploration kr'ntique. A part que dans ce volume pas moins de sept chapitres sont dévolus à des figures charismatiques de l'histoire du jazz ou à l'analyse de la réception de cette musique. Eric Hobsbawm n'est pas un musicologue mais ses réflexions sur le jazz envisagé sous un angle d'attaque original valent le détour. Cerise rouge sur le gâteau, nous sommes parfois en pays de connaissance puisque la France n'est pas absente de ces études.

     

    SIDNEY BECHET

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    Décapant. A quoi tient la gloire et à la célébrité ? Peut-être pas à pas grand-chose mais sûrement à un jeu de circonstances dont les bénéficiaires ne sont pas spécialement les promoteurs. Nous présente Bechet comme un personnage antipathique au possible. Rejeté d'Angleterre pour une sombre histoire de viol, mêlé à un règlement de compte avec armes à feu à Paris, doué d'une personnalité peu amène, égocentrique, radin, têtu et peu généreux. Oui mais un sacré musicien, rétorquerez vous ! Oui, un peu. Non, beaucoup. Il est indéniable que tout jeune sa virtuosité instrumentale éblouit. Armstrong et Ellington en furent témoins et nous faisons confiance à leurs jugements. Très vite Sidney quitte l'Amérique, voyage en Europe et pénètre en Russie dans les premiers temps de la Révolution. En profite pour courir les concerts de musique classique. Ce qui laisse entrevoir une certaine ouverture d'esprit. Lorsqu'il rentre aux States, n'a en rien perdu sa virtuosité, par contre en dix années le jazz a évolué. L'on se dirige vers les grandes formations savantes, les petits groupes au coin des rues ou dans les bars miteux, c'est de l'histoire ancienne. A tel point que ne trouvant pas de boulot – son sale caractère décourageant les rares admirateurs qui apprécient son jeu – il abandonne la musique pour successivement ouvrir une friperie et un garage. Mauvais gestionnaire il revient au jazz par la force des choses. Foutu, fini, radié des listes. Plus personne ne pense à lui. N'y a pas un nègre prêt à miser un dollar sur lui. Normalement l'histoire devrait s'arrêter là. Ne devraient rester que le souvenir de la demi-douzaine de faces enregistrées au tout début. Mais aux States, au dernier moment, vous avez le Septième de cavalerie qui vient vous sauver des indiens. Pas un cheval à l'horizon, mais beaucoup mieux que cela, la mauvaise conscience des intellos blancs. Ceux du cru ( qui souvent tournent autour du Parti Communiste ) et Européens, notamment, cocorico ! les français dont Hugues Panassié reste la figure emblématique... Problème pour nos intellectuels qui se convertissent au jazz davantage en tant qu'idéologues qu'en amateurs éclairés. Sont horrifiés, les grands orchestres de jazz sont en vogue, gagnent de l'argent, commencent à être connus en Europe, ces satanés noirs sont en train de s'embourgeoiser, de devenir des Oncles Tom. De quoi désespérer des pauvres qui ne pensent qu'à s'enrichir ! C'est dans leurs têtes que s'élaborent le mythe du jazz perdu, qui aurait conservé sa pureté initiale, mais où le trouver ? La réponse ne tarde pas à émerger, ni à New York, ni à Boston, ni à Philadelphie, ni à Chicago, tout simplement à l'endroit où il est né. A la New Orleans ! On se met à courir les bouges où remuent les derniers hasbeen, tout ceux qui ont conservé des relents old style sont les bienvenus. Ne sont pas de merveilleux musiciens, mais Sidney se fait connaître. Il sauve la mise de ce jazz New Orleans ossifié qui se répand comme la sclérose en plaque, aux Etats-Unis, en Europe et si bien en France qu'il ne tarde pas à s'y installer et à y jouir d'une notoriété et d'une ferveur qui ne se démentiront jamais. Un merveilleux musicien mais pas un créateur... L'article pourrait s'arrêter là mais Eric Hobsbawm ne résiste pas à une dernière méchanceté idéologique, les racines créoles de Sidney en font l'un des descendants de cette bourgeoisie semi-blanche qui s'est un temps formée dans la ville des bayous... L'on n'échappe pas à son destin de classe, on porte en soi le sang de la trahison. Expression inconsciente d'une espèce de racisme biologique à rebours qu'il ne cesse de condamner dans son article ! N'empêche que l'analyse donne à réfléchir et dénoue bien des contradictions.

    COUNT BASIE

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    Le ton change du tout au tout avec Count Basie. Un homme modeste à qui le hasard de la chance sourit. Un petit pianiste noir du New Jersey, agile de ses mains mais pas un grand musicien, qui se retrouve en carafe un jour de déveine à Kansas City. Court les boîtes, les bars et les filles. N'en demande pas plus. Mais l'est tombé dans la bonne ruche. En pleine récession il est tombé dans l'oasis. Ne mythifions pas, gagne juste tous les soirs – l'on travaille au chapeau – ce qui lui permet de survivre jusqu'au lendemain midi. Un détail qui ne trompe pas, au début de la ''célébrité'' de son ''grand'' orchestre il porte encore sans fausse honte des pantalons rapiécés. Ne soyons pas idéaliste, émerveillons-nous plutôt sur cet étrange fait que de Kansas naquirent et la populaire musique de danse et l'aventurisme musical novateur de Charlie Parker... Count sera à l'origine du premier filon. N'est pas le premier musicien de son band, donne le rythme sur son piano et sait avec un extraordinaire instinct introduire chacun de ses musiciens au moment opportun, le laisser s'exprimer et lui signifier d'arrêter juste avant qu'il ne commence à se répéter. Ne sait pas lire la musique, n'a que des bouts d'idées novatrices, mais autour de lui tout le monde, ses propres musiciens mais aussi des personnalités des formations voisines, s'empresse pour les conforter et les mettre au point. Des musiciens solidaires, et cette union se ressent dans les parties communes lorsque l'orchestre en son entier reprend un riff et lui donne un allant extraordinaire qui bouleverse et emporte le public. C'est ce dernier issu des ghettos qui imposa un répertoire imbibé des patterns blues, qu'à son arrivée à Kansas Count Basie maîtrisait mal... Deuxième as de cœur dans son jeu, c'est John Hammond qui en 1935 l'entendit dans sa voiture à la radio et qui subjugué par le jeu de son orchestre lui permit d'accéder à une audience nationale. Count Basie permit à des pointures comme Lester Young et Jimmy Rushing – un des plus grands blues shouters – d'atteindre un même niveau de célébrité.

     

    DU BLANC AU NOIR

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    Nous sommes dans les grands orchestres. De jazz noir. Toutefois une constatation s'impose, ce sont les blancs qui ont eu l'idée de ce genre de formation. C'est à San Francisco que Art G. Hickman élargit aux alentours de 1915 son sextet en rajoutant une grosse section de cuivres qui le transforma en l'un des tout premiers Big Bands de jazz, puisque spécialisé dans les musiques populaires de danse et empruntant pour cela pas mal d'éléments aux musiques noires. Paul Whiteman, qui avec Ferde Grofé, travailla à l'orchestration de Rhapsodie in Blue de Gershwin, s'essaya avec son orchestre au jazz symphonique ce qui lui apporta notoriété et reconnaissance de la part de musiciens noirs comme Miles Davis. Pour sa part Ferde Grofé reste connu dans l'histoire de la musique classique américaine pour avoir composé des suites symphoniques comme Niagara Falls, Mississippi, Grand Canyon... Cette rencontre entre sourciers noirs et défricheurs blancs éclaire l'intérêt qu'artistes d'avant-garde et musiciens classiques européens comme Cocteau et Stravinsky portèrent dès les années 20 au jazz.

    THE DUKE

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    Cet état de fait entrevu en son aspect généalogique explique les prétentions de Duke Ellington à se définir en tant que compositeur et pas en simple chef d'orchestre. Eric Hobsbawm insiste sur sa situation de fils de bonne bourgeoisie noire, le décrit comme un enfant gâté, dilettante paresseux en son oisive jeunesse, qui la trentaine advenue décida d'embrasser une carrière de musicien qui lui semblait peu accaparatrice. Nous trace un profil psychologique similaire à celui de Sidney Bechet, directif, sec, dépourvu de tact tant avec les femmes qu'avec les hommes, vindicatifs et égoïste. En contre partie il exerce un fort attrait sur tous ceux qui le croisent où sont amenés à le côtoyer tant sur le plan professionnel qu'humain. Emprunta beaucoup quant à la direction d'orchestre à Fletcher Henderson un des pionniers du big band noir et à Paul Whiteman dont les partitions symphoniques le confortaient dans l'idée que lui, the Ducke, n'était pas spécialement un musicien de jazz mais un grand musicien tout court, à inscrire dans la lignée des Beethoven... Le problème c'est que question composition c'était à chaque musicien de développer ses propres improvisations sur les simples quatre premières mesures indiquées au piano par le Maître... Savait presser le citron de ses solistes et des ses pupitres, en extrayait le jus le meilleur, les poussait jusqu'aux limites des dissonances les plus aventureuses, qui n'étaient pas sans évoquer les avancées de la musique sérieuse européenne. S'arrangeait aussi pour que les créations de ses solistes ne s'écartent point trop de la coloration de son thème initial... Reste à ne pas oublier après ce réquisitoire implacable que le grand chef est-ce celui qui fait tout tout seul, ou celui qui est capable de déléguer à ses subordonnés ! Dans ce second cas, le mythe du créateur solitaire, de l'Artiste avec un grand A majuscule souligné au feutre rouge, en prend tout de même un sacré coup... Dans les dernières pages de son article Eric Hobsbawm effectue un rétropédalage notoire, en les conditions sociales, temporelles, et économiques de sa création – Ellington n'est tout compte fait que le patron d'un big band dont le premier objectif est de ne pas ennuyer son public – il n'a pu, et même n'aurait pu, faire mieux. Le Duke, dont il s'avoue un grand admirateur, a réalisé une oeuvre populaire et collective – en tant que communiste, on le devine sensible à cet aspect – de grande qualité artistique et de forte densité culturelle.

    LE JAZZ ARRIVE EN EUROPE

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    Contrairement à ce qui viendrait à l'esprit de prime abord ce n'est ni la radio ni l'invention du disque qui facilitèrent l'arrivée du jazz en Europe mais les transatlantiques qui permirent de traverser l'océan en quelques jours. La revue musicale The Origine of the Cakewalk est visible la même année à New York et à Londres, en 1898 ! Le fox-trot arrive en Belgique en 1915 ! En 1917 des formations de jazz prennent pied sur le territoire européen. Qu'une musique populaire noire se soit infiltrée jusque dans les couches bourgeoises et intellectuelles de la société reste étonnante. A part Toulouse-Lautrec et ses représentations de danseuses du French-Cancan – musique née aux alentours de 1830 en tant qu'opposition, crypto-païenne et anti-chrétienne affirmée, à la morale officielle ré-instituée par la réaction blanche de la Restauration royaliste de 1815 – les sociétés européennes tempérées n'étaient point habituées à un tel phénomène. Il y eut des signes précurseurs, la danse de salon codifiée perdit dès la fin du dix-neuvième siècle les rigueurs de ses codifications, signe que sa pratique rituelle en tant que convention d'accès au monde aristocratique était en déclin. La fin de la grande guerre enregistra cette émergence proto-démocratique. Dès 1927, le jazz avait à Paris pignon sur rue, prôné par de larges couches de la jeunesse et de minorités intellectuelles. Le blues bénéficia aussi, surtout en Angleterre, d'un tel accueil. L'éclosion du rock'n'roll en ce pays lui en est en partie grandement redevable. De l'accueil de l'Original Dixieland Jazz Band à l'apparition des Rolling Stones au tout début des années soixante, le fil pour être invisible n'en est pas moins présent et solide. Le Melody Maker – qui fut un organe important de diffusion de la culture rocck – était dès l'année de sa création en 1926 acquis au jazz. En ces mêmes années, l'auteur estime que les amateurs de jazz ne dépassaient pas cent mille individus. Ce que l'on appelle les minorités actives. Ironie des choses le trad-jazz d'Angleterre permit par sa permanence l'éclosion du rock qui raya le jazz de la carte du monde. Cette dernière expression est bien de Hobsbawm.

    LE SWING DU PEUPLE

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    Chapitre peu musical centré sur la personnalité de John Hammond. Fils de la grande bourgeoisie blanche américaine farouchement convaincu de l'égalité des races qui par son entremise permit à de nombreux artistes noirs – Ella Fitzgerald par exemple – d'atteindre à une notoriété nationale et internationale. Mais l'on força quelque peu la main du public. La mise en œuvre du New Deala resserra les liens entre les jeunes, les noirs, les communistes, les étudiants d'extrême-gauche et les milieux folk. Les Big Bands et leur corollaire le swing furent systématiquement mis sur le devant de la scène. Le swing devint la danse populaire par excellence. Même si toute une majorité silencieuse du public aurait préféré entendre de la chanson sentimentale... Après la guerre – le fait est totalement avéré dès 1948 – les big bands sont au chômage, le public se tourne vers la country music ou la variété. Franck Sinatra est l'exemple parfait de cette nouvelle donne, il passe des grandes formations jazz à l'enregistrement de belles mélopées amoureuses. C'est le commencement de la fin pour le jazz, les big bands sans public débauchent, et les musiciens de Be Bop trop convaincus de jouer une musique élitiste entament une démarche qui mènera vingt ans plus tard sur les sentiers d'une musique savante et ennuyeuse dans laquelle la jeunesse ne se reconnaît pas. John Hammond finira sa carrière de producteur en ouvrant les portes à Bob Dylan... qui cinq ans plus tard électrifiera sa musique. Page définitivement tournée.

    LE JAZZ DEPUIS 1960

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    Jusqu'aux début des années 90. Constat sans appel, dès 1963, le rock'n'roll domine le monde musical. Les Beatles sont cités, mais en tant qu'intellectuel de haut niveau, notre auteur fait total impasse sur la première génération des rockers. Lâche du bout des lèvres Bill Haley, Chuck Berry et Elvis mais il n'est manifestement pas inscrit dans la société des Sunophiles ! Le jazz ne représente plus que 1,3 % des ventes de disques. Un peu de sa faute, la façon dont les amateurs de jazz ont insulté le rock'n'roll ( voir le méprisable exemple de Boris Vian par chez nous ) n'était pas une bonne stratégie de coexistence pacifique, les avancées du Free Jazz et de la New Thing dans l'atonalité ont découragé les auditeurs, les prises politiques souvent extrémistes de ses leaders n'a guère aidé à leurs diffusions sur les ondes institutionnelles, mais plus grave, les innovations technologiques, enregistrements et amplifications sont l'œuvre du rock'n'roll et non des jazzmen... Hobsmawm se console, une petite renaissance autour des années 80 lui donne quelque espoir, mais il reconnaît que cela ne va pas bien loin, beaucoup de musiciens qui se la jouent au lieu de jouer, un bon marché de réédition, et cette constatation de la jeunesse noire détachée du blues, qui s'adonne au rap... Un seul espoir, le jazz est une musique qui a connu tellement de mutations que peut-être bientôt, incessamment sous peu, Anne ma sœur Anne ne vois-tu rien venir ?...

    BILLIE HOLLIDAY

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    Courte notice nécrologique rédigée en 1959 à la mort de Billie Holyday. Un récapitulatif des plus réalistes de la vie de celle qu'il considère comme une artiste suprême. Le plus bel hommage se trouve dans les quelques lignes d'introduction de l'article. Il vient de John Hammond sur son lit de mort, vieil ami de l'auteur qui lui demande – il n'est jamais trop tard pour bien faire – le nom du chanteur ou du musicien qui, parmi tous ceux qu'il a lancés vers la gloire, lui est le plus cher. La réponse ne se fait pas attendre. Billie Holliday !

    Choix des plus émérites et judicieux !

    Damie Chad.