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swamp dukes

  • CHRONIQUES DE POURPRE 607: KR'TNT 607 : DOC POMUS / CHICKEN DIAMOND / PHILL LYNOTT /ANN PEEBLES / YVONNE FAIR / MUSTANG / SWAMPDUKES / DOOMOCRACY / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 607

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    29 / 06 / 2023

     

    DOC POMUS / CHICKEN DIAMOND

    PHIL LYNOTT / ANN PEEBLES

    YVONNE FAIR / MUSTANG

     SWAMP DUKES / DOOMOCRACY

     ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 607

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Le jeu de Pomus

     - Part Two

     

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             Comme chacun sait, l’histoire musicale des Amériques grouille de personnages légendaires et Doc Pomus, qui n’est pas le plus connu, compte parmi les plus attachants. Il fut hélas associé à Mort Shuman qui ne l’est pas. Voici presque 20 ans, Alex Halberstadt lui consacra un ouvrage assez haut de gamme, Lonely Avenue: The Unlikely Life And Times Of Doc Pomus. On l’avait ramassé à l’époque chez Smith. Ace qui démarrait alors sa fameuse Songwriter Series, avec Leiber & Stoller, déclencha une soudaine soif de Brill.

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             Doc, c’est d’abord Big Joe Turner, dont il est dingue. Dingue au point de vouloir chanter le blues, alors qu’il se déplace avec des béquilles. Frappé petit par la polio, il a perdu l’usage de ses guibolles. Puis c’est le Brill, et même le brillant Brill. Il fréquente Leiber & Stoller, Otis Blackwell, Donnie Kirshner, Totor, toute cette bande d’épouvantables surdoués. Et quand le temps du Brill passe, il recrée un autre cercle de surdoués, avec Doctor John, Willy DeVille et Lou Reed. Doc fascine, alors les gens viennent à lui. Halberstadt réussit à recréer l’ambiance bizarre des fameuses chambres d’hôtel de Manhattan où Doc a vécu la plus grande partie de sa vie, même si à une époque, il était marié et père de famille. Il rentrait chez lui à la campagne le week-end. En semaine, il restait en ville pour le biz.

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             Pour bien situer les choses, Halberstadt commence par nous montrer le jeune Doc en route pour Brooklyn avec ses béquilles. Il voyage en subway et se rend chez George’s, un club de blues. Il a décidé qu’il serait chanteur de blues. Il ne connaît qu’une seule chanson, le «Piney Brown» de son idole Joe Turner. Il sait aussi qu’il doit changer de nom. Jerome Felder, c’est pas très hip. Alors ce sera Doc Pomus. Un black vient le trouver à sa table : «Wadda they call you, anyway?», et Jerome répond à voix haute, pour que tout le monde l’entende : «My name is Doc Pomus and I’m here to sing the blues.» Une telle détermination en rappelle d’autres, notamment celle d’Ahmet Ertegun qui, ado, faisait lui aussi le mur pour aller écouter de la musique noire dans les clubs de blacks. Ses parents ne savent pas que Doc va dans les clubs de blacks.

             Halberstadt nous relate un autre épisode superbe : un jour de 1951, Big Joe Turner se trouve dans le bureau d’Ahmet, chez Atlantic et lui parle d’un handicapé qui avait chanté comme un dingue la veille au Harlem Baby Grand, et juste à ce moment-là, Doc qui connaît bien Ahmet, passe la tête par la porte du bureau. Turner saute en l’air ! «C’est lui !». Doc serra la pogne de son idole qui lui demande de lui écrire quelques chansons. Doc n’en revient pas ! Il prend la demande à cœur et pendant les années suivantes, il réserve ses meilleures compos pour Big Joe. Là tu es dans la vraie histoire du rock, celle d’artistes monumentaux qui s’admirent et qui se respectent. 

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             Un peu plus tard, Big Joe est à l’affiche d’un petit club de Newark, et en arrivant sur scène, il voit tout de suite Doc assis au premier rang : «Hiya Cuz!». C’est en écoutant Big Joe chanter ce soir-là, que Willi, l’épouse de Doc, comprit enfin la musique de son mari. Vers la fin de sa vie, Big Joe est à la ramasse, financièrement, et ça fout Doc en pétard. Il découvre que les chèques de royalties ont été postés chez une ex-épouse, alors il passe des coups de fils, agite quelques menaces et finit par récupérer 25 000 $ de royalties pour Big Joe. Puis il décide de le remettre en selle et organise une session avec le boss de Muse, un petit label de jazz new-yorkais. Big Joe est accompagné par Room Full Of Blues, un groupe de Rhode Island que Doc a produit avec Joel Dorn. Doc bosse à l’œil et finance l’enregistrement. Okay pas de problème. Il aurait payé dix fois plus, nous dit Halberstadt, pour pouvoir travailler une fois encore avec Big Joe. Ils répètent chez Doc et tapent le «Blues Train» co-écrit avec Mac. Ils répètent avec le pianiste Stuart Hemmingway qui est aveugle. Halberstadt se régale de la scène, il parle d’un «Fellini-esque trio». Comme Big Joe ne sait pas lire, Doc lui souffle les paroles à l’oreille. L’épisode est l’un des passages les plus fantastiques du book, Halberstadt nous décrit le retour de Big Joe à l’hôtel, après les répètes, dans le van de Doc, «his gargutuan voice booming inside the van.»

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             L’album de Big Joe Turner & Roomful Of Blues s’appelle justement Blues Train. Il date de 1983. Devant, tu as Big Joe en costard vert entouré du Roomful, et au dos, tu retrouves Doc dans son fauteuil roulant. C’est un big album de jump, sans surprise. Big Joe attaque en force avec «Crawdad Hole», il tape tout de suite dans le dur. Mac est là, lui aussi, en tant que special guest. Tu as un gros solo de sax à l’ancienne. Tout cela se tient très bien. Les deux mamelles de Big Joe sont le jump et le heavy blues, alors il passe ensuite au heavy blues de round midnite avec «Red Sails In The Sunset». Big Joe est un homme qui sait poser sa voix. Mac pianote comme un crack. Et puis ça repart comme on s’en doute en mode big jump de big band, propulsé par le bassmatic de Preston Hubbard. Dans tous les jumps, tu as des solos de sax, ils sont trois : un alto, un baryton et un tenor. C’est un régal que d’entendre le Roomfull dans le feu de l’action. Ce sont des blancs, étonnamment. Le «Blues Train» de Doc ouvre le bal de la B. C’est un jump de juju juice, Big Joe y va de bon cœur. Il dégouline de mâle assurance. Le guitariste qu’on entend faire des siennes dans «I Know You Love Me» s’appelle Ronnie Earl Hovarth. Ça maximalise de partout, l’intensité des nappes de cuivres, l’éclat de la voix, le backing. Ils font aussi une cover du «Last Night» des Mar-Keys et Big Joe conclut avec «I Love The Way (My Baby Sings The Blues)», encore un heavy jump. Big Joe ne sait faire que ça : ruer dans les brancards du jump. C’est une force de la nature, un bull ringer.   

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             L’autre grand pote black de Doc, c’est Otis Blackwell, qu’on surnomme The Preacher. Quand Doc le croise au Brill, il lui lance : «What’s good, Otie?». Otie bosse au huitième étage du Brill, pour Hill & Range, et devient riche, parce qu’il compose pour Elvis («All Shook Up» et «Don’t Be Cruel»). Otis a aussi composé «Fever» pour Little Willie John, puis «Great Balls Of Fire» et l’excellent «Breathless» pour Jerry Lee. Lorsqu’il traîne à Harlem, Doc rencontre Billie Holiday, et chez Cookie’s Caravan, à Newark, il voit Big Maybelle, «dont la voix allait du highest treble to the lowest bass.» Elle pouvait chanter nous dit Halberstadt «a complicated jazz ballad or a low-down blues, and everything in between.» Aux yeux de Doc, le plus grand chanteur d’Amérique, «si l’on excepte Big Joe Turner et B.B. King», c’est Andrew Tibbs - His records failed to capture his genius - Ça se passait mal en studio, mais sur scène chez Cookie’s Caravan, «Tibbs held an almost supernatural sway over the audience.» Halberstadt charge la chaudière : «Tibbs était petit, maigre et avait un visage angélique barré sur la joue par la cicatrice d’un coup de couteau, il avait l’air d’un enfant de cœur qui aurait mal tourné. Cette stature de good-evil, plus une voix qui avait une note de pure mayhem in the middle plongeait les femmes, et quelques hommes, into Pentecostal hysterics.»

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             On trouve sur le marché une petite compile d’Andrew Tibbs, The Chronological Andrew Tibbs 1947-1951, qui permet de se faire une idée. On a là un autre savant mélange de jump et de blues. Le «Bilbo Is Dead» d’ouverture de bal est un heavy blues de down in Texas sans aucun espoir de résurrection. Le son est très primitif, on entend même des craquements. Ça sent bon le 78 tours. «Toothless Woman Blues» craque aussi dans le cornet du gramophone. Quand il passe au heavy jump, ça donne «Drinking Ink Splink», avec le solo de sax brûlant. Il ne faut pas en attendre plus que ce qu’on sait déjà. Comme tous ses collègues des années 40, Tibbs tape dans le jump de big band. «Same Old Story» va plus sur le jump de jazz. On comprend que Doc ait flashé sur Big Joe et Andrew Tibbs : ce sont des bêtes de jump. Dans «Big Time Baby», Tibbs démonte bien la gueule du beat, et c’est claqué du beignet par un solo de wild sax, le mec sonne comme un cargo. S’il faut emmener un cut de Tibbs sur l’île déserte, ce sera «In A Travelin’ Mood», car c’est d’un primitivisme à toute épreuve. Andrew Tibbs excelle dans le heavy blues, comme le montre encore «I Know». Il fait vibrer sa glotte duveteuse. Tout cela nous renvoie au Harlem des années 30, il chante d’une voix perçante. Son «Achin’ Heart» est très persuasif. Ah comme son cœur lui fait mal ! «Rock Savoy Rock» sonne comme un rock d’avant le rock. Les musiciens qui l’accompagnent sont extraordinaires, tu as un guitariste liquide qui swingue le jazz. Tibbs termine avec un «Mother’s Letter» funéraire. Harlem, Desolation row. Joué au cœur de la matière. Puissant. Solo de sax, bien sûr.  

             Parce qu’il est pauvre, Doc commence par vivre dans des hôtels miteux. Il y fréquente une faune particulière «d’acteurs de théâtre ratés, de divorcées retraitées et de solitaires, d’étudiants fauchés et de tarés notoires.» Doc passe ses nuits dans les clubs à boire du café, du bourbon et à fumer de la marijuana. Il passait pour un «broke, glamourous white Negro». Lorsqu’il se produit sur scène au Club Musicale, il est accompagné par Mickey Baker et King Curtis, pardonnez du peu. Ça fait douze ans qu’il mène cette vie de patachon. En 1956, il réside au Broadway Central et c’est là qu’il rencontre Willi qui va devenir sa femme. Cette année-là, il constate que le r’n’b a franchi les frontières raciales. Le public blanc dresse enfin l’oreille. Par contre, il n’aime pas ce qu’il entend du rock’n’roll, Bill Haley ou Little Richard, il trouve que c’est «une forme lobotomisée» de la musique qu’il aime, «hot jazz, jump, rhythm and blues.» 

             Avant de fréquenter Ahmet Ertegun, Doc est pote avec Herb Abramson, qui co-dirige Atlantic avec Ahmet. Herb a produit Big Joe Turner, alors Doc l’aime bien. Mais en 1953, Herb est appelé sous les drapeaux et Ahmet embauche Jerry Wexler, «un turbulent Juif du Bronx avec une voix de chauffeur de taxi and a ten-dollar vocabulary.» Doc essaye d’enregistrer un disk chez Atlantic, mais Herb et Ahmet lui demandent plutôt de composer des chansons. C’est surtout Big Joe Turner, comme on l’a vu plus haut, qui va réussir à le convaincre de devenir auteur-compositeur. En 1955, Doc rencontre Mort Shuman. Il lui demande de surveiller sa bière pendant qu’il est sur scène au Club Musicale, avec Mickey Baker et King Curtis qui cassent la baraque.

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             Pour se tenir au courant de l’actualité, Doc met des pièces dans le juke-box. Pouf, il entend le «Mystery Train» de Junior Parker, mais ce n’est pas la voix de Parker, «it sounded like something that came out of the swamps.» Un mec lui dit que le chanteur est un blanc. «His name read just as backwoods», oui, son nom semblait lui aussi sortir des bois, Elvis Presley. «Doc had never heard anything like it.» Le contact avec Elvis va se faire via Leiber & Stoller qui bossent déjà pour Hill & Range, c’est-à-dire the Aberbach brothers, qui ont un «exclusive publishing pipeline to Elvis». Doc sait qu’il va devoir creuser de ce côté-là. Il compose «Young Blood» et le file à Mike Stoller. C’est un hit pour les Coasters. Là, on est au 1619 Broadway, c’est-à-dire au Brill. En 1957, Doc s’y rend chaque jour, accompagné de Willi et Mort. Ils font du porte-à-porte pour essayer de vendre des compos aux publishers. Ils ne sont pas les seuls. Ils commencent au 11e étage et descendent les étages pour aller frapper à des portes de moins en moins prestigieuses. Halberstadt nous décrit ça dans le détail, ah il faut lire ces pages, on s’en pourlèche les babines à voir ces trois pieds nickelés hanter les couloirs du Brill : Doc, massif, avec ses béquilles et sa grosse voix, Willi blonde platine, et Mort, encore adolescent, avec se petite gueule de fouine. C’est le trio fellinien par excellence. On se croirait dans Ginger & Fred. La cour des miracles débarque au Brill ! Quand on ne les envoie pas sur les roses, ils récupèrent 25 ou 50 $, et quand ils commencent à déprimer pour de bon, alors ils reprennent la vieille Chevy de Doc pour aller chez Atlantic, au 234 West Fifty-six, où ils sont - enfin - accueillis comme des amis. Doc finit par monter une boîte, R&B Records, au 1650 Broadway, le Brill du pauvre, deux blocs plus bas, au coin de la 51e Rue. Il essaye de lancer The Crowns, qui vont devenir les Drifters. Mais la boîte va aller valser vite fait dans le décor. Doc n’a pas les reins assez solides pour ça. 

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             Paul Case qui bosse pour Hill & Range lui met le pied à l’étrier. Il sait que Doc est talentueux, donc il le prend avec Mort sous contrat. Doc va bosser avec un petit mec du Bronx, Walden Robert Cassotto, mieux connu sous le nom de Bobby Darin, un Darin qui rêve de devenir Frank Sinatra. Pas de pot, Darin est petit et il porte déjà une perruque. Il vient trouver Doc & Mort qui lui pondent «Plain Jane», cot cot, et Doc lui file son «I Ain’t Sharin’ Sharon». Darin est pote avec Donnie Kirshner qui commence à grenouiller au Brill. Kirshner essaie de composer et quand il montre ses compos à Doc, celui-ci lui conseille plutôt de devenir publisher, ce que va faire Donnie. II commence par s’associer avec Leiber & Stoller. Il réussit à s’installer au sixième étage du Brill, deux étages en dessous d’Hill & Range, et fonde Aldon Music, l’une des publishing companies les plus importantes du Brill, concurrent direct d’Hill & Range. Le premier team d’auteurs-compositeurs d’Aldon sera Sedaka & Greenfield. Doc pond «Teenager In Love» pour Dion DiMucci qui lui rêve de devenir Hank Willams. Halberstadt qualifie le style de Dion d’«Alabama-by-way-of-the-Bronx twang.». Belle formule.

             Paul Case fait aussi bosser Doc & Mort pour Frankie Avalon et Bobby Rydell. Quand on les envoie faire de la promo à Londres, Doc & Mort sont étonnés de l’accueil qu’on leur fait. Eh oui, à New York on les considère comme des hacks, c’est-à-dire des moins que rien, des écrivaillons de teenage dance tunes, mais à Londres, ils sont reçus comme de grands artistes.

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             Doc retrouvera les Drifters plus tard, à l’apogée du Brill, lorsqu’avec des gens comme Burt & Hal David, il compose du sur-mesure pour Ben E. King. Halberstadt nous explique un truc fondamental : lorsqu’il propose ses démos aux Drifters, Doc les chante, et comme il a toujours été parfaitement à l’aise avec les blackos, ça devient un moment magique - Même dans le New York’s music business, très peu de blancs se sentaient parfaitement comfortable around blacks, and Doc’s ease put the group at ease - Le premier hit de Doc pour les Drifters est «This Magic Moment». Puis c’est l’irrésistible «Save The Last Dance For Me». Doc est lancé. Les Drifters sont alors plus célèbres qu’Elvis.

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             Elvis enregistre une première compo de Doc à son retour le l’armée : «A Mess Of Blues». Il en redemande. Doc pond «Surrender». Cot cot. Doc & Mort deviennent des chouchous d’Elvis qui redevient vite fait le chanteur le plus célèbre du monde. Co cot, Doc pond «(Marie’s The Name) His Latest Flame», puis «Little Sister» pour Elvis. En 1961, nous dit Halberstadt, Doc & Mort sont devenus «les songwiters les plus commercially successful du monde». Pour Doc, c’est la fin de la pauvreté et de la vie de patachon. Il achète une baraque à la campagne pour Willi et les enfants. Chaque week-end, on s’y bouscule au portillon - Doc’s Brill Building friends, Paul Case, Phil Spector, Dion, Leiber & Stoller, Ahmet Ertegun, Otis Blackwell, Snuff Garrett, Neil Sedaka and of couse Mortie - Ah comme on aurait bien aimé être là !

             Doc prend du poids, Willi s’inquiète. Ils s’engueulent. Il ne tient plus sur ses béquilles. Il est bon pour le fauteuil roulant. Willi insiste pour qu’il arrête de boire et de fumer. Doc lui dit sèchement de s’occuper de ses fesses. Il passe ses journées au lit, au Forest, et passe des coups de fil. La nuit il laisse sa porte ouverte. Esther Phillips loge aussi au Forest, et Doc lui a dit qu’elle pouvait venir quand elle voulait, alors elle vient la nuit, en petite tenue, complètement stoned, «Hiya Doc baby». Elle grimpe sur le lit et s’installe sur le gros bide de Doc avant de s’évanouir.

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             La relation avec Willi se dégrade. Avec Mort, itou. Mort a osé baiser la petite gouvernante française de Doc & Willi, et ça ne passe pas. Pendant que Doc est à l’hosto, Mort et Willi dînent ensemble. C’est pour ça qu’on ne m’aime pas le Mort. Dès le lendemain, il annonce à Doc qu’il met fin à leur collaboration puisqu’il quitte le pays pour s’installer en Europe. Le même jour, Willi demande le divorce. Doc est ratatiné de douleur, trahi par les deux personnes qu’il croyait les plus proches. Un petit peu plus tard, quand Hill & Range le vire, Doc sent clairement la terre s’ouvrir sous ses pieds - Tout ce qu’il tenait pour acquis, une famille, une maison et un job, l’argent, le respect et même la possibilité de se déplacer avec des béquilles, tout cela avait disparu d’un seul coup - De toute façon, l’ère du Brill s’achève, Doc l’a bien vu. «Le rock’n’roll est mort et tous ces grands artistes, les Shirelles, les Drifters, les Ronettes, Connie Franis, Fabian et Elvis ont été emportés», nous dit Halberstadt. Dylan déclare dans la presse : «Tin Pan Alley is dead. I put an end to it.» Kirshner a des ennuis lorsqu’il est viré à cause des Monkees, et personne ne sait plus quoi faire du gros barbu dans son fauteuil roulant. Doc essaye de remonter un team avec Neil Sedaka, mais les séances de travail sont bizarres, nous dit Halberstadt. Sedaka commence par jouer tous ses vieux succès au piano et lorsqu’il lève enfin la tête pour regarder Doc, celui-ci s’est assoupi. Halberstadt résume en quelques phrases la fin d’une époque, le temps de Doc : «Le Broadway Central Hotel s’écroula au mois d’août, recouvrant lower Broadwy de débris et de poussière, Damon Runyon Jr. se jeta dans le Potomac. Big Maybelle, âgée de 42 ans, alla mourir des suites du diabète et d’abus de dope chez sa mère à Cleveland. Et lors d’une nuit glaciale, Johnny Jungletree ivre mort tituba dans une cave et s’y endormit. On ne retrouva son corps qu’au printemps.»

             Pour survivre, Doc va jouer au poker. Il se retrouve chaque nuit autour d’une table avec des tricheurs et des gangsters. Halberstadt relate quelques épisodes gratinés. On se croirait dans Scorsese. Quand Elvis casse sa pipe en bois en 1977, Doc redevient riche à cause des royalties. Dead Elvis vendait encore plus de disques. Alors Doc arrête le poker et sort dans les clubs new-yorkais chaque nuit, il s’habille comme un gros cow-boy d’opérette et porte toutes ses bagues en or. Il adore aller au Lone Star Café sur la Cinquième Avenue pour écouter chanter Charlie Rich, Roy Orbison ou Delbert McClinton. Puis son van l’emmène au Kenny’s Castaway sur Bleeker, et il traverse ensuite la rue pour aller voir son pote Mac finir son show au Village Gate.

              Dans ce tourbillon de personnages célèbres qui gravitent en orbite autour de Doc, le plus important est sans nul doute Totor. Doc vient de s’installer au Forest Hotel, à deux pas du Brill et du Madison Square Garden. Doc est fasciné par le salon de l’hôtel, car il y retrouve la faune habituelle «de gens esquintés, solitaires et étranges». Quand il n’est pas dans son bureau d’Hill & Range, Doc reçoit au Forest - Son visiteur le plus fréquent est un petit Jewish boy de Los Angeles au cheveu rare, qui parle d’une voix douce, et qui trimballe une mallette contant un carnet de chansons, une miche de pain et un salami. Paul Case a présenté Phil Spector à Doc en lui disant qu’il allait devenir une big, big star in the business - Totor n’a pas un rond. Il dort dans le bureau de Leiber & Stoller au septième étage du Brill. Il s’est déjà infiltré chez Atlantic. Il idolâtre Sam Phillips. Totor veut composer, mais aussi produire, faire du publishing et monter un label. Doc qui est alors marié rentre le week-end chez lui à la campagne, à Lynbrock, retrouver Willi et les enfants. Totor s’invite et dort sur le canapé du salon. Il adore les tartes que cuisine Willi. La relation d’amitié entre Totor et Doc résistera à toutes les avanies. Au Forest, Doc fait écouter à Totor ses disques préférés. Totor est fasciné par «A Cottage For Sale», un vieux hit des Revelers popularisé par Sinatra, il redemande sans cesse à Doc de le passer pour chanter dessus. Dans les années 70, Doc traîne encore la nuit dans les clubs, souvent en compagnie de Totor. Halberstadt pense que Totor voit en Doc le père qu’il n’a pas vraiment connu, car suicidé trop tôt. Doc lui a appris les ficelles du métier et la meilleure chose qui leur soit arrivée à tous les deux et de n’avoir pas fait de biz ensemble. Doc a toujours envoyé des cadeaux d’anniversaire aux enfants de Totor et quand plus tard, Totor apprend que Doc est fauché, il lui envoie aussitôt un chèque en blanc. Doc l’encaisse pour 4 000 $, nous dit Halberstadt.

             De passage en Californie, Doc rend visite à Totor dans sa forteresse de Los Angeles, mais ça ne se passe pas très bien. Totor commence à perdre la boule, et il soûle Doc avec un monologue dans lequel il brasse «Dalene Love, son enfance, la mort brutale de JFK, Paul Case, River Deep Mountain High, Sonny Bono et Lenny Bruce.» Ça dure toute la nuit et Doc en a marre, Totor continue de bavacher, et il boit le pinard au goulot. Puis il sort son flingue et fait le con avec, alors Doc s’énerve : «Phillip, cut this shit out. Now!». Totor lui répond : «Aw Doc baby! I’m just kidding around.» Mais ils se séparent en bons termes, les gardes du corps de Totor emmènent Doc dans le van et Totor dit à Doc combien il l’aime. 

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             En 1973, Doc rencontre John Lennon dans une cérémonie officielle à New York, le repas BMI. Lennon et Doc causent ensemble toute la nuit. Lennon évoque Totor qui a produit ses albums et raconte que McCartney a pompé la mélodie de «Save The Last Dance For Me» pour «Hey Jude». Lennon veut absolument collaborer avec Doc. Il vient d’ailleurs de s’installer au Dakota, sur la 72e Rue, et donc, ils sont voisins. Il dit aussi à Doc que la première chanson que les Beatles ont joué en répète était «Lonely Avenue».

             Dylan lui fait le même coup. Il lui dit au téléphone qu’il veut absolument le voir. Doc est intimidé, Dylan est tout de même le mec qui a démoli le Brill. La rencontre a lieu dans le salon de l’hôtel. Dylan est ponctuel, il arrive à l’heure, accompagné de son fils Sam - Dylan était à la fois sérieux, modeste et intensely likeable - Dylan propose une collaboration à Doc. Il veut composer des chansons avec lui. Il lui laisse une cassette avec des riffs et lui demande d’écrire des paroles. Après son départ, Doc se demande s’il a halluciné. 

             C’est Joel Dorn qui présente Doc à Doctor John, lors d’une visite chez Atlantic. Dorn présente Mac comme «un genius et le meilleur session man du monde». Mac porte une veste en peau de serpent, des sandales bibliques et brandit une grosse canne en bois sculpté. Il emploie une langue bizarre - a mix of Creole, street and sheer insanity, en comparaison duquel le Brooklyn jive de Doc est une amusette. Mac est en plus une encyclopédie vivante qui sait tout d’Eddie Bo et de la Louisiane, un expert en matière de cooking, de gris-gris, de religions, d’extraterrestres et de drogues. Doc liked him immediately - Coup de foudre ! Ils commencent à bosser ensemble dans la piaule de Doc, au Forest. Ils grignotent des petits plats cubains, boivent du thé glacé, fument des joints et pianotent sur le petit orgue.

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             Si on voulait citer un album qui incarne l’élégance, on pourrait fixer son choix sur City Lights. On y trouve des morceaux de Mac co-écrits avec Doc, alors forcément, ça fait tout de suite monter les enchères. Il suffit par exemple d’écouter «Dance The Night Away With You» pour réaliser à quel point ces deux vétérans bouffent l’écran. Brillante ambiance et refrain ensorcelant. Ils font un cut à la fois lourd de sens et léger comme une aventure alcoolisée. Mac chante «Street Side» avec une fabuleuse diction mouillée. Il chante à l’ancienne mode du Quartier Français de la Nouvelle Orleans. Il évoque la dangerosité des bas-fonds qu’il connaît bien. Quelle fantastique élégance de vieux chansonnier voodoo ! «Rain» est un balladif de fin de nuit chanté d’une voix d’accents aigus et joliment tendus. Il a derrière lui une merveilleuse mélasse de mélancolie orchestrée. Mac miaule un croon d’aube pâle, le coude sur le coin du piano et le col ouvert. Dans «Snakes Eyes», il raconte une partie de cartes entre voyous. Il propose là un fantastique conte moral digne d’un La Fontaine des bas-fonds - Better heed the tale of the snake eye’s trail - Puis il revient au piano bar avec «Sonata/He’s A Hero», co-écrit par Doc. On ne fera jamais mieux. Mac raconte l’histoire d’un héros de bar - He’s a big spender, a no interest lender/ For the local bar scene - Il finit l’album dans l’excellence suprême du balladif de fin de nuit, «City Lights», et nous enchante autant qu’à l’époque de Gris Gris - Too many midnights make me die for some everyday - Et là, on réalise subitement que Dr John fait partie des très grands artistes américains.

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             Merveilleux album que ce Tango Palace paru en 1979. Mac y joue le groove funky de la Nouvelle Orleans et donne ce qu’on appelait autrefois une leçon de choses avec «Keep The Music Simple». S’ensuit une belle profession de foi avec «Renegade». Il affirma sa différence - Well I’m a runner in the jungle/ Renegade from the law - Il se considère comme un hors-la-loi. Pas de pitié pour le conformisme. Puis il livre une pièce de fonk pur, «Fonky Side», magnifique autobiographie - My mama beat me for not going to school/ Don’t end up like your daddy/ An uneducated fool ! - Sa mère ne voulait pas que Mac finisse comme son père, un pauvre hère inculte. Il chante «Bon Temps Rouler» en cajun et c’est un régal - Laisse le bon temps rouler/ Vive la bonne foie/ J’me sens bien oh la la - Cet album est incroyablement inspiré. Puis il rend un fantastique hommage à la Nouvelle Orleans avec «I Thought I Heard New Orleans Say» - Red beans pinball machines/ Chickory coffee & hoodoo queens/ File gumbo & pralines/ Everything’s hot down in New Orleans - C’est le meilleur groove du monde et Mac le chante avec une gourmandise terrible. Il co-écrit «Tango Palace» avec Doc et chante ça avec une voix d’alligator des marais. Il partage d’ailleurs avec Tav Falco une véritable fascination pour le tango. Et il boucle cet album édifiant avec «Louisiana Lullabye» qu’il chante avec une diction de rêve - Fe dodo mon petit bébé/ Crabe dans cat a lou/ Maman li court la rivière/ Fe dodo mon petit bébé - Mac mâche ses syllabes avec une délectation surnaturelle.

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             Surnommé the Tan Canary à cause de sa voix, Johnny Adams est lui aussi un fan inconditionnel de Doc. Après avoir rendu hommage à Percy Mayfield, Johnny Adams passe à Doc avec Johnny Adams Sings Doc Pomus. Véritable coup de génie que sa version de «Blinded By Love». Quel merveilleux crooner ! Il te croone ça dans l’oss de l’ass, tu as le vrai truc, le charme à l’état pur, Johnny éclate son Love au croon de superstar. Tout aussi impressionnant, voilà «I Underestismated You», amené à la petite dégelée de Duke Robillard et là, amigo, tu as du son et la fabuleuse présence de Johnny Adams. Il y va au deepy deep, au heavy groove de blues en mode New Orleans, le Robillard t’en fout plein les mirettes. Et Johnny Adams finit par s’excuser. Encore un groove légendaire avec «She’s Everything To Me», tapé au shuffle d’orgue. Tout aussi exceptionnel, voilà «Prisoner Of Love», chanté au doux du groove, avec ce coquin de Robillard dans l’angle. La voix de Johnny le Premier Homme accroche l’esprit de la Soul. 

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             L’autre grand pote de Doc, c’est Willy De Ville. Pas surprenant au fond, Doc et lui sont des artistes atypiques. Cabretta et Le Chat Bleu sont des albums atypiques. Alors que Mac bosse plus dans une palette blues and funk, Willy est beaucoup plus éclectique, plus proche de l’esthétique Spanish Harlem. Ils composent ensemble «Just To Walk That Little Girl Home», qu’on retrouve sur Le Chat Bleu, ainsi que deux autre deux cuts, «That World Outside» et «You Just Keep Holding On». Le premier te fait tout de suite rêver, un sax suit la mélodie chant. Doc veille au grain de Willy. Dans le deuxième, on retrouve les castagnettes de Totor. On est en plein Brill. Willy navigue avec Doc. C’est du tout cuit. On ne peut pas rêver plus new-yorkais et légendaire à la fois. Les cuts de Willy sont captivants, il faut bien l’avouer, à commencer par «Slow Drain», c’est un groove de black. Avec «Lipstick Traces», il va plus sur le big heavy boogie rock, et puis avec «Bad Boy», Willy tape un heavy blues de black cat et redevient le white nigger que l’on sait. Il fait aussi de l’Americana avec «Mazurka», un groove Cajun. Willy De Ville a des éclairs de génie. Pour Halberstadt, «Willy had realized his fantasy of a new, completely contemporary Brill Building record.»

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             Et puis voilà Lou Reed qui habite deux blocks plus bas. Ils vient voir Doc dans sa piaule à l’hôtel. Ensemble, ils regardent des vieux combats de boxe, ou alors ils écoutent Big Joe Turner et Jimmy Scott. En présence de Doc, le Lou devient un gentil mec, vous dit Halberstadt. En 1992, le Lou enregistre Magic & Loss, un album qu’il dédie à Doc. On y entend des cuts extraordinaires, à commencer par «Power & Glory» où chante justement Little Jimmy Scott. Il y a un Part II de «Power & Glory» que le Lou chante en mode Velvet, c’est noyé de guitares et stupéfiant de grandeur totémique. Avec «Magician» il ramène sa présence inexorable - I want some magic to sweep me away - puis il atteint le cœur du dark avec «Dreamin’» - If I close my eyes I see your face - Il monte «Gassed & Stoked» au sommet du lard, il est probable que ce soit dédié à Doc - This is no longer a working number, baby - le Lou parle de cendres dispersées sur la mer - You had your ashes scattered at sea - et puis bien sûr le morceau titre, le Lou y va. Lou y es-tu ?

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             Il existe dans le commerce un tribute à Doc qui sonne comme un passage obligé : Till The Night Is Gone: A Tribute To Doc Pomus. Un festin ! Tous ses amis sont là : Mac, le Lou, Dylan, Dion, B.B. King, c’est un tribute de rêve. Les compos sont balèzes et les interprètes à la hauteur. Los Lobos ouvrent le bal avec «Lonely Avenue». Que peux-tu espérer de mieux ? Rien. Los Lobos jouent ça au gras double, au because of you/ I could cry, c’est du raw mythe pur, Los Lobos surpassent Ray Charles dans le now I need somebody/ Cause I live on a lonely avenue, et là tu as le true spirit d’Amérique. Encore un coup de génie avec le «Blinded By Love» de B.B. King, un Bibi qui caresse le Doc dans le sens du poil, il amène du volume au chant et du bon gratté de poux, alors ça bascule dans le power pur. Pire encore, le «Turn Me Lose» de Dion. Il y va au heavy boogie, tu as là le meilleur claqué de son du New York City. Comme Big Joe et B.B. King, Dion est un mec qui sait poser sa voix, alors c’est un pur régal. John Hyatt fait un carton avec «A Mess Of Blues» qui fut un hit pour Elvis. Fantastiques dynamiques d’oouh ouuh ! Toute l’énergie de Doc est magnifiée. Hyatt tape ça au stomp. Le Lou choisit «This Magic Moment» que Doc composa jadis pour les Drifters. Dans les pattes du Lou, c’est extrêmement balèze. Il jette tout le New York City Sound dans la balance de Doc. Fucking grrrreat ! Dylan ne s’embête pas, il reprend «Boogie Woogie Country Girl» au nez pincé. Irma Thomas tape dans «There Must Be A Better World Somewhere» et Rosanne Cash fait des merveilles avec «I Count The Tears». Elle a une petite voix d’humidité intime. On garde les meilleurs pour la fin. Mac tape dans «I’m On A Roll», il tape ça au slang. Avec Mac, c’est vite la rivière sans retour. Solomon Burke débarque à la suite avec «Still In Love», big, very big voice, c’est impressionnant de voir ce géant rendre hommage à un autre géant. Brian Wilson reprend «Sweets For My Sweet» repris en France par Frank Alamo. Bizarre que Brian Wilson se prête à cette petite mascarade sucrée comme un macaron. Et puis voilà, on monte directement au paradis avec le plus beau de tous les anges, Aaron Neville, qui transforme «Save The Last Dance For Me» en magie pure. Aaron est faramineux, et dans ce contexte, ça prend des proportions qu’il faut bien qualifier d’historiques. Il expurge la pulpe de la mélodie pour la faire vibrer dans la lumière du ciel. Ah il faut le voir monter dans des trémolos demented.

             Doc finit par choper un petit cancer. Il se retrouve à l’hosto pour la phase finale. Tous ses amis se manifestent, nous dit Halberstadt : «Ray Charles lui envoie une cassette. Totor traverse l’Amérique pour se rendre à son chevet. Lou Reed lui amène une chanson qu’il a composée pour lui, «What’s Good», et il propose à Doc de remplacer la télé en noir et blanc par une télé couleur, à quoi Doc répond : «Lou, this isn’t the time for long-terms investments.» Mac vient le voir pour qu’ils finissent ensemble l’«I’m On A Roll» qu’ils ont composé pour B.B. King. Doc lui dit : «Make it sound like an old Louie Jordan thing. And don’t fuck it up.» Ses enfants viennent aussi le voir, Sharin passe une cassette de Big Joe Turner et Doc lui demande de l’arrêter. Il veut juste passer un dernier moment en tête à tête avec chacun d’eux. Halberstadt nous dit que Doc ouvrit les yeux à 3 h du matin, jeta un dernier coup d’œil autour de lui et dit «Thank you» avant de casser sa pipe en bois. Et là, tu es comme un con au bas de cette page et tu vas chialer toutes les larmes de ton corps. Pourquoi ? Parce que tu es incroyablement attaché à cet homme. Alors merci Monsieur Halberstadt.

             À l’enterrement, ils sont tous là : Ahmet Ertegun, Lou Reed, Totor, Mac, rien que des héros, c’est pas mal, non ? Dernière chose : l’extraordinaire Philosophy Of Modern Song de Bob Dylan est dédié à Doc.

    Signé : Cazengler, Doc Paumé

    Johnny Adams. Sings Doc Pomus. The Real Me. Zensor 1991 

    Dr John. City Lights. Horizon Records & Tapes 1978

    Dr John. Tango Palace. Horizon Records & Tapes 1979

    Mink DeVille. Le Chat Bleu. Capitol Records 1979

    Till The Night Is Gone: A Tribute To Doc Pomus. Forward 1995

    Big Joe Turner & Roomful Of Blues. Blues Train. Muse Records 1983

    Andrew Tibbs. The Chronological Andrew Tibbs 1947-1951. Classics 2002

    Lou Reed. Magic And Loss. Sire Records 1992

    Alex Halberstadt. Lonely Avenue: The Unlikely Life And Times Of Doc Pomus. Da Capo Press 2007

     

     

    Chicken Diamond is the girls’ best friend

    - Part Two

     

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             On est content de retrouver Chicken Diamond dans ce restau rock de Montrouge. Chicken fait partie de ceux qui savent laisser de bons souvenirs, en matière de concerts comme de disques. En plus, c’est un mec éminemment sympathique. L’un de ceux qui écoutent les bons disques. Ceci expliquant cela. Alors le voilà assis sur son tabouret de batteur, avec sous le pied droit une sorte de pédale électronique qui simule la grosse caisse, et sous le pied gauche, une pédale de grosse caisse qui claque le beignet d’une cymbale.

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    Il a mis énormément de disto sur sa belle guitare rouge. Son truc c’est la purée. Chicken Diamond fait le métier difficile de one-man band. Difficile, car on s’en lasse rapidement, sauf quand il s’agit du Reverend Beat-Man et, justement, de Chicken Diamond, qui a lui aussi le petit truc en plus qui fait la différence. Le seul problème, c’est qu’il passe en première partie d’un super-crack, le Reverend Peyton, dont on va reparler. Chicken l’a entendu lui aussi au soundcheck et il sait qu’il part en position nettement défavorable. Le Reverend a un son américain, le vrai son. Mais bon, Chicken va faire le show. Tout repose sur son énergie. Deux problèmes cependant : Chicken force trop sa voix, et pendant qu’il joue, les gens bouffent et discutent. Il n’a pas la présence nécessaire pour capter l’attention d’un public qui n’est pas forcément un public rock. Alors il s’égosille, cloué sur sa chaise, et d’une certaine façon, il doit mettre les bouchées doubles.

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    C’est une sorte de combat désespéré pour capter l’attention, mais les gens mangent. Chicken devient une sorte d’attraction, un jouet mécanique censé distraire les tablées. Il gueule tellement qu’il en devient presque aphone, il sautille sur sa chaise, pas facile de jouer du blues rock et de la transe hypno inspirée du North Mississipi Hill Country Blues dans un restau parisien. C’est même complètement suicidaire. Il termine avec une version bien énervée de «Proud Mary», il s’égosille à coups de rolling, rolling/ Rolling on the river. Pas mal comme coup d’hallali.   

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             Juste un petit conseil comme ça, vite fait en passant : ne fais pas l’impasse sur les albums de Chicken Diamond, car ils grouillent de très bonnes surprises. Dans un Part One quelque part en 2016, on en avait salué quatre, et voilà le cinquième, Skeletton Coast, toujours sur Beast. Very big album, comme on dit de l’autre côté de la Manche. Dès qu’il ne force pas sa voix, Chicken devient génial. La preuve ? «A Little Hell Of My Own». Fabuleusement envoyé, il chante à la déconnade, il sort une espèce de gusto décadent et l’arrose de disto. Et ça vire hypno. Ah il faut le voir chanter à la petite avanie dans un fleuve de son. C’est là qu’on le prend très au sérieux. Il repart ensuite en mode heavy Chicken avec «Under The Ground». Dès qu’il chante normalement, il devient fascinant, il prélasse sa voix dans la mélasse d’un heavy gratté de poux, il y va doucement et c’est fabuleusement inspiré. Il propose aussi deux covers de choc : le «Cracked Actor» de Bowie, et un «Down In The Street» qu’on ne présente plus. Il est excellent sur le crack baby crack, il noie le glam dans sa disto, il sature le son à gogo. Il enchaîne ça avec la stoogerie de choc, no wall no wall ! Il en a les moyens, tu es content d’assister à ça, là il force sa voix, il en devient presque comique, ne fait pas l’Ig qui veut, alors il rajoute des layers de son, il joue sur lui, son «Down In The Street» très impressionnant. On pourrait même parler d’un «Down In The Street» artisanal, fait main. L’autre grosse énormité de l’album s’appelle «Deep Black Hole», il ramène de l’écho dans son Black Hole, le son passe, mais pas la voix de mineur silicosé, il n’empêche que l’album est passionnant car on voit ce mec se battre pied à pied avec ses compos, écoute Deep Black Hole et tu vas dire oh yeah. Ambiance extraordinaire. Parfois, il donne l’impression d’être un gosse qui veut jouer les gros bras. Il chante au dessus de ses moyens, mais il s’impose en doublant son gut d’undergut («12AX7»). Sur tous les premiers cuts de l’album, il chante à la silicose. Il doit se faire mal à la glotte. Comme Nino Ferrer, il voudrait être noir. Avec le morceau titre, il continue de traverser dans les clous, avec plus de disto et moins de silicose. C’est sans doute sa façon de rester dans la ligne du parti.

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             Bad Man date de 2020. Quand on connaît l’oiseau, Bad Man est un peu déplacé. T-Model Ford pouvait se le permettre, Chicken pas vraiment. Alors il s’agit sans doute d’un clin d’œil. Dès «Jerry Roll», il sonne comme un hard punker, il répercute tous les vieux clichés du genre. À ceux qui pourraient le lui reprocher, on dira : «En attendant, prends une guitare et chante, on verra si tu fais mieux.» Il devient héroïque avec «Coming Back Home», il gratte ça à l’hypno, il chante comme un mineur silicosé, mais il n’a pas la tête de l’emploi. Il se coule dans un tunnel de violence sonique. Plus il force sa voix, plus il s’enfonce dans l’erreur. Mais il a plein d’idées, il sonne presque comme Jeffrey Lee Pierce avec «Don’t Get Me Wrong», il fait penser à un gamin lâché dans un magasin de friandises. Dès qu’il laisse sa silicose au vestiaire, il devient excellent. Le morceau titre est une cover des Oblivians, mais Chicken se prend pour Lanegan. Il faudrait que quelqu’un lui explique qu’il n’est pas Lanegan. Il mord le trait. Ça devient compliqué. Toute la viande se trouve au fond de l’album, à commencer par un «No Escape» qui n’est pas celui des Seeds, mais une petite stoogerie. Les accords prennent feu. Chicken est capable de s’énerver tout seul et de sombrer dans la stoogerie. Dommage qu’il force sa voix. Il reprend le chemin de l’hypno avec «To The Woods». Dès qu’il chante sans forcer sa voix, il est bon, mais il refait son Lanegan et esquinte son cut. Ça ne tient que par l’excellence de l’hypno, Chicken maîtrise bien le flux. C’est même un virtuose dans le genre. Il flirte une fois de plus avec le génie. Toute sa culture North Mississippi Hill Country Blues remonte à la surface. Il enchaîne avec «Indian Summer» et une nouvelle attaque stoogy. Il renoue avec l’esprit Down In The Street, mais il ramène sa petite silicose, dommage. Son gratté reste authentique, sa grosse cocote ne pardonne pas. Chicken a de la rémona à revendre. Il est funny avec sa grande casquette, mais investi. C’est le genre de mec qu’il faut suivre à la trace. Il y croit dur comme fer. Bon, pas bon, ce n’est pas le problème, il y croit, c’est ce qui compte. Il joue et ça vaut tout l’or du monde. Débouler dans un restau rock avec sa gratte et son cymbalum, c’est tout de même gonflé. Il offre en plus sur un plateau d’argent tout un pan de la culture rock américaine, certainement difficile à transmettre car beaucoup plus underground que le Chicago Blues. Bravo Chicken.

    Signé : Cazengler, chiqueur

    Chicken Diamond. The Backstage. Montrouge (92). 22 juin 2023

    Chicken Diamond. Skeletton Coast. Beast Records 2018

    Chicken Diamond. Bad Man. Beast Records 2020

     

     

    Wizards & True Stars

    - Tête de Lynott

    (Part One)

     

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             Le lien qui nous lie à Lizzy ne date pas d’hier. Ça fait cinquante ans qu’on admire Phil Lynott. Depuis le premier album sans titre, paru en 1971. Chopé la même année que le Toe Fat, le Parachute des Pretties et le Last Puff des Spooky, chez un disquaire local. Quatre big albums sur les pattes, il fallait savoir gérer ce gros tas-là. On en pinçait particulièrement pour Phil Lynott, car il apparaissait dans les pages du Melody Maker, oh pas grand-chose, de tout petits articles, mais on en pinçait pour son look hendrixien. Depuis, on ne l’a jamais perdu de vue. En 1977, on écoutait «The Boys Are Back In Town». Le single avait autant de punch que le «New Rose» des Damned ou le «Cincinatti Fatback» de Roogoolator. Et puis après, tu as tout le bordel du twin guitar attack et les fabuleuses compos de Phil Lynott. On peut même parler d’un quasi parcours sans faute. On en reparle dans un Part Two à venir.

             L’amusant, avec Lizzy, est que les disquaires français classaient le groupe dans le rayon hard-rock, alors que Lizzy n’a jamais enregistré de hard. Motörhead et les Wildhearts étaient eux aussi victimes de cette tragique erreur d’aiguillage. Avec le temps, ça a fini par prendre une dimension anecdotique.

             Pour une fois l’actu fait bien les choses : paraît ces jours-ci une mini-box qui va faire le bonheur des fans de Lizzy : The Boys Are Back In Town/Songs For While I’m Away. Une aubaine d’inespérette sous forme de trois CDs : deux pour le Live At The Sydney Opera House October 1978 (audio et DVD) et le troisième pour le docu qui raconte l’histoire de Phil Lynott, Songs For While I’m Away. C’est ce qu’on appelle un fix. Te voilà fixé.

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             Ça commence mal : impossible de choisir entre le concert et le docu. Si tu essayes de raisonner comme un adulte, tu vas conclure que le docu ne t’apprendra rien, et le concert non plus. Alors vaut mieux raisonner comme un vieux branleur et attaquer par le concert, d’autant plus que sur la pochette, tu vois Phil danser sur scène avec sa basse. L’image est fantastique. Elle dit tout le rock anglais. Quatre mecs sur scène devant une mer de têtes. Et tu vois arriver cette immense star sur scène, veste blanche et baskets bleus, pouf, «Jailbreak», back to the seventies, ça reste d’une fraîcheur extraordinaire. À droite de Phil, sur l’image, tu as Scott Gorham en chemise blanche et boots blanches, avec la plus longue chevelure du monde, et de l’autre côté, Gary Moore qui croise la fer avec les descentes de gamme de Phil. Ces mecs jouent en flux tendu, killer solo sur killer solo, ils lancent leurs premières twin attacks et boom «Bad Reputation», ce ne sont que des hits, gonflés de power mélodique. Phil s’habille comme un punk, il a des clous partout, au poignet, sur le ceinturon, sur la bandoulière, il propose un mélange assez rare et plutôt réussi de tough guy et de super mélodiste, c’est toujours un régal que de voir ce mec-là sur scène, il est la rockstar parfaite, aussi charismatique que Jimi Hendrix ou Arthur Lee - Any cowboy out there ? - Il annonce son «Cowboy Song» et ça repart au twin, c’est le son de Lizzy propulsé par un hard beat. Bizarrement, le beurreman n’est pas Brian Downey, c’est un New-Yorkais, l’excellent Mark Nauseeef. Gorham et Moore concoctent un fantastique brouet de Les Pauls, une concorde de twin, pendant que Phil tape son Romeo et boom ! - Guess who just got back today/ Them wild-eyed boys that had been away - Phil entre dans le vif de la légende avec ses «Boys Are Back In Town» et ses chœurs de rappel, et son twin, toujours le twin, one more twin, gimme twin, Lizzy passe en mode full blown. Overdrive ! En voyant ça, on comprend qu’ils étaient l’un des fleurons du real deal, des géants du rock anglais. Phil chante les genoux fléchis, incroyablement concentré sur son Boys, il trousse des syncopes d’accords à contre-courant du twin again, encore une fois, c’est du très grand art, un cocktail explosif de power et de mélodie chant, cocktail que surent aussi servir John Lennon et les Small faces - Are you ready to rock ? - Ils amènent «Are You Ready» à la grosse cocotte et quand Phil présente ses collègues, Gary Moore lâche un torrent furibard. Dans les bonus, tu as d’autres extraits de ce concert devenu légendaire, notamment «Warriors» - a song written for Jimi Hendrix, nous dit Phil - Power encore avec «Don’t Believe A Word», les notes tombent sur Sydney comme une pluie d’or. Tu sors de là réconcilié avec la vie.

             Le docu ne t’apprend rien mais tu t’en goinfres, car Phil est un régal permanent pour l’œil. On aurait dû le surnommer Coco-bel œil, car il ne voit que d’un œil, l’autre reste planqué sous la mèche crépue. On le traite de «talented beyond belief», d’«one of the greatest songwriters of all time», d’homme sincère. Ceux qui le connaissent depuis le début indiquent qu’il était the only black kid in Ireland at that time. Problèmes à l’école, bien sûr. Two fights and that was the end of it. Avec Phil, tout est vite réglé. Tu veux ma photo ? Et pif et paf ! Direct au tapis. Sa mère s’appelle Philomena, ça ne s’invente pas. Des témoins racontent les débuts de Phil sur la scène locale irlandaise, c’est l’époque des showbands, c’est-à-dire de groupes de reprises qui se produisent dans les ballrooms, no alcohol and no sex. Brian Downey est un copain d’école. Et Gary Moore débarque dans les Black Eagles de Phil à l’âge de 16 ans. C’est le témoignage d’Eric Bell qui rafle la mise. Il voit les Black Eagles sur scène à Dublin et comme il cherche à monter un groupe - This is where it happens, folks - Toc toc. Bell entre dans la loge et leur propose de monter un groupe. Alors Phil lui répond :

             — On fait un groupe avec toi, Eric, on two conditions : I wanna play the bass.

             — Can you play the bass ?

             — I get lessons from Bruce Shiels.

             — Oh ! And ?

             — I wanna do some of my own songs.

             Oui, Phil sort à peine de l’adolescence et il écrit déjà des poèmes et des chansons. Il est obsédé par les cowboys, par le mystical as well as the mythical, the Lone Ranger, Beano. Il met aussi les gens qu’il connaît dans ses chansons. Il a ce qu’on appelle une imagination délirante.

             Bon, Dublin, c’est bien gentil, mais il faut aller à Londres. Pas facile pour des Irish boys de percer à Londres. Thin who ? Very difficult. On voit encore sur certaines portes de magasins le fameux écriteau «No Irish, no dogs, no blacks». Lizzy se retrouve en tournée avec Slade et Suzi Quatro. Mais le public de Slade les siffle - We want Slade ! We want Slade - Alors Phil s’approche du micro et lance avec son gros accent irlandais : «For fuck’s sake, give us a chance, will you ?». Le moral baisse chez Lizzy et Chas Chandler qui conduit la tournée menace de les virer s’ils ne se reprennent pas. C’est là que Phil reprend la situation en main. Il observe Noddy Holder chaque soir sur scène et s’en inspire. Le son de Lizzy se durcit. Phil devient une bête de scène - He was born to be on stage - Il passe soudain du statut de sensitive poet à celui de rock star. Lizzy se retrouve à Top Of The Pops avec «Whisky In The Jar». Hit énorme qui leur ouvre toutes les portes. Tournées incessantes. Eric Bell craque et jette sa gratte en l’air - End of me and Lizzy - Phil redémarre avec Scott Gorham et Brian Robertson. Ils inventent le twin guitar attack par hasard, lors d’une répète - Feedback in harmony - On ne voit plus que Phil dans la presse -  You never saw a bad photo of Phil Lynott - Et un mec ajoute : «On en oubliait presque à quel point il était bon.» 

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             C’est «Boys Are Back In Town» qui les catapulte au sommet des charts. The ultimate lads anthem, qualifié aussi de «most fabulous song ever» par un témoin de l’époque - A bona fide hit record in America - Alors Phil se jette dans l’Amérique des girls in bikini, des flash cars et des drogues. Le premier American Tour est écourté à cause d’une petite hépatite. Lizzy aura toujours la poisse avec les tournées américaines. Aucune d’elles ne se déroulera bien. Lizzy met le turbo : 3 albums en 14 mois : Jailbreak, Bad Boys et Johnny The Fox. Une pluie de hits. Un mec s’extasie et lance : «It’s the best rock band I’ve ever seen in my life !». Et pouf on qualifie Live And Dangerous d’one of the great albums of all time. C’est un peu la foire à la saucisse dans ce docu, mais il faut bien reconnaître que les albums sont bons. Alors, ça favorise la surenchère. Phil devient le héros du jour, prolific and creative. Commence alors le ballet des guitaristes, après le départ de Brian Robertson - Gary was in Gary was out - Puis arrivent Snowy White, John Sykes et puis Midge Ure.

             Phil semble trouver enfin un équilibre en se mariant. Il devient le daddy de deux filles, Sarah et Cathleen. Et puis comme dans toutes ces histoires-là, l’énergie baisse, les compos s’appauvrissent et Scott Gorham annonce qu’il veut arrêter, alors Phil lui demande one last world tour, so we can say goodby to the fans. S’ensuit le cassage de pipe en bois, comme chacun sait.

    Signé : Cazengler, Phil Linoléum

    Thin Lizzy. The Boys Are Back In Town/Songs For While I’m Away. DVD Universal 2022

     

     

    L’avenir du rock

    - Power to the Peebles

    (Part One)

             L’avenir du rock adore les vrais militants politiques. Il a toujours été intimement convaincu que l’engagement politique et le rock marchaient de pair, et la meilleure illustration de cette intuition est bien sûr Third World War. Mais les Hammersmith Gerilleros ne sont pas les seuls à lever le poing, tu as aussi les Armitage Shanks avec «Right To Work» et Bo Diddley avec «Working Man». Ah c’est autre chose que les défilés des petits protestataires du dimanche matin. Même Robert Wyatt s’y est mis avec «Foreign Accent». L’avenir du rock n’a jamais caché son faible pour le vieux Robert qui milita au Parti Communiste britannique avant de rendre sa carte, effaré par le néant qu’était devenu ce groupuscule. D’autres énervés encore, comme les Drive-By Truckers avec leur «Putting People On The Moon» et «21st Century USA», sans oublier les Stiff Little Fingers avec «Nobody’s Hero». Oh et puis l’appel à l’insurrection des Caesars avec «Burn The City Down», des Caesars mille fois plus crédibles que ne l’ont jamais été les Clash. Pour la cause des Noirs, tu as Mavis Staples avec «No Time For Crying», elle a raison la petite Mavis, c’est pas le moment de pleurnicher, il y a encore du boulot, et l’avenir du rock est bien d’accord avec elle. Avec Mavis, tu as aussi Andre Williams qui dans «Mississippi & Joliet» s’en prend aux indécrottables rednecks racistes, comme l’avait fait avant lui J.B. Lenoir avec «Alabama». À tous ces troubadours de la cause des Noirs, il faut maintenant ajouter Delgres avec «Respecte Nou» et «Ramene Mwen». Et puis Sharon Jones avec «This Land Is Your Land», et puis n’oublie pas les Impressions avec «Stop The War», Sam Dees avec «Heritage Of A Black Man», ou encore Lloyd Price avec «Bad Conditions», autant de superstars de la contestation et de la demande de réparation. Il y en a des centaines et c’est tant mieux. Le rock doit aussi servir à ça. Des blancs comme Phil Ochs et Dylan ont aussi chanté la cause des opprimés, même Bobby Charles s’y est mis avec «Cowboys & Indians». L’avenir du rock adorait aussi les Fugs pour le déterminisme de «CIA Man» qui leur valut bien des déboires avec le pouvoir américain. Même chose pour le MC5. Si on le ne retenait pas, l’avenir du rock irait même marcher en tête de cortège ! Non pour brailler «CGT vaincra !», mais plutôt «Power to the Peebles !»

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             C’est à David Less (is more) qu’on doit ce petit digi paru sur Memphis International Records : Ann Peebles & The Hi Rhythm Section. Live In Memphis. Même s’il est paru cette année, l’album n’est pas vraiment une nouveauté, car ce concert fut enregistré en 1992, au Peabody Hotel. Autour d’Ann Peebles, on retrouve deux des frères Hodges, Leroy (bass) et Charles (keys) plus Howard Grimes (beurre) et Thomas Bingham (guitar). David Less est un petit gros qu’on aime bien, car il fait un peu le même boulot que Robert Gordon, il se consacre corps et âme à la légende de Memphis. On a salué voici peu la parution de son book, Memphis Mayhem: A Story Of The Music That Shook Up The World. Dans un très court texte imprimé à l’intérieur du digi, David Less raconte les circonstances qui l’ont amené à produire cet album : il avait monté en 1991 sa boîte de booker pour, dit-il, promouvoir des artistes locaux. Un jour il se jette à l’eau avec une sacrée affiche : Otis Clay et Ann Peebles, et il baptise le spectacle «An Evening of Classic Soul». Mais le même soir, à Memphis, un certain Michael Bolton attire 18 000 personnes au Pyramid Arena. Il a donc très peu de monde pour sa soirée. Alors il perd de l’argent, une fois qu’il a payé tout le monde - But I learned the first rule of music promotion : Sometimes you eat the bear. Sometimes the bear eats you - Cette fois, le bear l’a mangé. Mais David Less est fier de son enregistrement, c’est dit-il le seul live recording d’Ann avec the Hi Rhythm Section. Il ne peut pas non plus s’empêcher de rappeler qu’Ann était l’une des chanteuses préférées de John Lennon. Alors, en moraliste avisé, il conclut ainsi : «Si vous devez choisir entre cet album et un album de Michael Bolton, faites le bon choix (choose wisely).»

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             L’album tient bien la route, c’est sûr, mais il ne fait pas de vagues non plus. Il reste dans la moyenne des bons albums à fort parfum légendaire. Hello Memphis ! C’est inespéré d’entendre Ann Peebles sur scène. Elle ramène très vite le Memphis Beat avec «Part Time Love» - I gotta find a part time love - Elle a une diction impeccable. N’oublions pas que Willie Mitchell demanda à Don Bryant de la prendre dans un coin et de lui apprendre à soigner sa diction. Du coup, Ann devint l’une des stars de Memphis et épousa Don Bryant. On se régale de l’écouter chanter «Didn’t We Do It» - When I go down the memory lane/ I don’t regret nothing/ I can look back at the good times - Fabuleuse Soul Sister ! Puis elle passe au heavy groove, la spécialité d’Hi, avec «I Feel Like Breaking Up Somebody’s Home». Wow, ça joue sous le boisseau d’Hi, ces mecs sont des spécialistes, Willie Mitchell les a formés pour ça. Sur ce groove du diable, Ann est terrifique ! Et ça continue de groover avec «I’m Gonna Tear Your Playhouse Down», pur jus d’Hi, joué en lousdé de Memphis, elle se coule dans le groove comme une délicieuse couleuvre, elle est superbe de contorsionnisme. Rappelons que le groove d’Hi est le plus beau d’Amérique. On le trouve aussi chez Al Green, Otis Clay, Syl Johnson et O.V. Wright, ce qui pourrait sembler logique, puisque ce sont les mêmes musiciens qui accompagnent tous ces gens-là. Ann revient au groove d’Hi avec «I Didn’t Take Your Man», Howard Grimes bat ça doux et Leroy Hodges drive son bassmatic en profondeur - What did you expect, demande Ann à celle qui l’accuse de lui avoir piqué son mec. Elle lui sort ses quatre vérités : «I didn’t take your man/ You gave him to me !». Elle cultive le smooth depuis trente ans avec le même art. Son «(You Keep Me) Hanging On» flirte avec le gospel. Et puis ça claque des mains sur «Let Your Love Light Shine», ça claque au shine shine shine et derrière, Howard fouette sa charley. Big Memphis beat ! Ces mecs se mettent en quatre pour groover comme des bêtes. Mais la prod manque un tout petit peu d’épaisseur, c’est très bizarre. Ann termine avec l’«I Can’t Stand The Rain» qui l’a rendue célèbre et qui a tant plu à John Lennon. Don Bryant en est l’un des co-auteurs. C’est un hit séculaire, même sécularité qu’Anita Ward avec son «Ring My Bell». Ann fait le show, c’est facile, avec un hit pareil. Elle le charge à la barcasse de la rascasse - I can’t stand the rain/ Against my window/ Ain’t got nothing to see - Logique pure.

    Signé : Cazengler, âne tout court    

    Ann Peebles & The Hi Rhythm Section. Live In Memphis. Memphis International Records 2022

     

     

    Inside the goldmine

    - Yvonne est très Fair play

             Pourquoi Baby Bonne ? Parce qu’elle est bonne. On pourrait croire que l’expression sort tout droit du vestiaire d’une équipe de rugby, ou d’une salle de garde à l’hôpital. Oh pas du tout. On dit parfois d’une femme qu’elle est bonne comme on le dit du pain, au sens propre, mais il s’agit surtout d’un trait de caractère qu’on aime à découvrir chez autrui et qu’on nomme la bonté. C’est un trait qu’on recherche inlassablement et quand on le trouve, on se sent devenir riche, beaucoup plus riche qu’après avoir trouvé de l’or. Baby Bonne se montrait tellement prodigue de bonté que ça finissait par devenir troublant. Elle partageait tout sans la moindre retenue, ses souvenirs enchantés d’adolescente à Casablanca, ses photos de famille, son corps bien sûr qui était d’une perfection totale, celui d’une femme blonde d’un certain âge parfaitement conservé, et bientôt une maison dont elle était propriétaire et qu’elle s’apprêtait à récupérer au terme prochain d’un bail locatif. Elle montrait des photos de cette résidence campagnarde qui ressemblait à un petit paradis : tout y était peint en blanc, et comme on voyait des végétations luxuriantes à travers les fenêtres, l’illusion était complète. Elle adorait préparer le dîner chez elle et ouvrait toujours l’une de ces excellentes bouteilles de Bourgogne qu’elle se faisait livrer par un caviste réputé. Elle se comportait littéralement comme une épouse aimante, veillant à ce que tout soit parfaitement délicieux. Elle offrait systématiquement des petits cadeaux, des livres, des bijoux, du parfum, des gants, elle ne savait plus quoi inventer pour saturer cette relation de plaisir, on se serait cru au XIXe siècle dans un roman de Balzac, lorsque par exemple Coralie couvre de cadeaux son cher Lucien de Rubempré. Sa bonté confinait au dévouement, et même si elle veillait à conserver scrupuleusement ses équilibres naturels, il lui arrivait de mordre légèrement le trait. Non pas qu’elle s’oubliât lors des ébats, mais son obsession de la perfection pouvait la rendre dangereusement carnivore. La chambre se trouvait à l’étage. Le matin, elle préparait le petit déjeuner dans sa cuisine et revenait dans le salon pour le servir. Elle portait toujours ce déshabillé transparent qui la rendait désespérément désirable. C’est ce matin-là qu’un détail capta son attention : il réalisa que les murs du salon n’étaient pas décorés. Le seul objet décoratif se trouvait juste au-dessus de la banquette où il était assis : l’objet sculpté qui devait mesurer vingt centimètres de large représentait trois petites têtes de diables cornus, dans l’esprit de gargouilles miniatures. Il les observa un moment et son sang ne fit qu’un tour : les yeux des figurines venaient soudain de bouger pour le fixer. Il comprit qu’il devait fuir.

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             James Brown a peut-être dit d’Yvonne qu’elle était bonne, peut-être l’a-t-il surnommé Baby Vonne au temps où elle bossait pour lui dans sa Revue. Oh c’est une lointaine époque, il faut remonter aux années soixante. Comme toutes celles qui ont fait partie de la fameuse James Brown Revue, Vicki Anderson, Marva Whitney et Lyn Collins, Yvonne Fair était prédisposée au hard funk. Puis dans les années soixante-dix, elle s’est rapprochée de Motown. Elle y a ramené sa prédisposition. Autre point de repère important : elle fut aussi l’épouse de Sam Strain, membre de Little Anthony & The Imperials qu’on retrouvera par la suite dans les mighty O’Jays, en remplacement du pauvre William Powell décédé en 1977.

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             C’est grâce à Norman Whitfield qu’on connaît Yvonne Fair. Il n’a hélas produit qu’un seul album d’Yvonne, l’excellent The Bitch Is Back, sur Motown, en 1975. On imagine le ramdam qu’elle aurait pu causer avec d’autres albums. Yvonne descend dans le snakepit avec le petit chien de sa chienne et une niaque considérable. Elle commence par niaquer le «Funky Music Sho Nuff Turns Me On», et comme elle est dure en affaires, elle se jette sur «It Sould Have Been Me», une compo signée Norman Whitfield et Mickey Stevenson. Comme toujours avec ces deux-là, c’est du très haut niveau composital. C’est d’ailleurs le cut qu’a choisi Ace pour la compile Psychedelic Soul (Produced By Norman Whitfield). Puis on Yvonne voit se battre pied à pied avec la fin de son balda, elle va même jusqu’à rugir comme une lionne dans le désert, mais c’est en B qu’elle ramène sa viande avec notamment «Love Ain’t No Toy», un extravagant slab de hard funk. C’est là qu’elle met les bouchées doubles et Norman l’encourage derrière la vitre : «Vazy Yvonne ! Vazy Yvonne !». C’est incroyablement puissant, tous les cakes de Motown sont là : James Jamerson, Eddie Bongo Brown, et puis on voit Dennis Coffey et Melvin Wah Wah Ragin avec leurs guitares. Elle reste dans le power smash avec «Walk Out The Door If You Wanna». Motown sort de ses gonds, Norman Whitfield ramène les descentes de beat dont il s’est fait une spécialité avec les Tempts. Elle termine cet album faramineux avec «You Can’t Judge A Book By Its Cover», claqué une fois de plus au hard funk. C’est la folie dans le snakepit, quelle ambiance ! Et cette folle jette encore de l’huile sur le feu. Non mais t’as vu ça ? 

    Signé : Cazengler, Fair à repasser (et clous) (Pas un cadeau)

    Yvonne Fair. The Bitch Is Back. Motown 1975

     

    *

    Toujours eu un faible pour les groupes qui s’appellent Mustang, la France en a connu deux, un instrumental des early sixties, un autre formé en 2005 à Clermont-Ferrand dont les fruits à mon goût n’ont pas tenu leurs promesses, mais celui-ci nous vient de Grèce, d’Athènes, un pays au climat sec peu propice à l’élevage des chevaux certes, mais comme j’ai un faible pour les mustangs et l’antiquité grecque, je chronique d’office.

    READY ? ACTION !

    MUSTANG

    ( Piste Numérique : YT / Bandcamp / Juin 2023)

    Se sont formés durant l’épisode covidique, un parfait antidote puisqu’apparemment ils ont survécu, preuve que le rock‘n’roll est indestructible. Sont cinq : Hans Millingen : vocal / Thanos Sar & Thanos Koursaris : guitares & Backing Vocals / Grigoris Serelis : basse / Marios Konidoris : batterie et percussions.

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    Premier opus, pour la pochette, ils ne se sont pas trop fatigués, on aurait préféré un peu plus d’imagination et d’originalité. Ne doivent pas avoir de copains qui font les beaux-arts. Ce n’est qu’une démo, sans doute l’amélioreont-ils.

    Ready Action : un bon rock heavy, bien en place, sans surprise ni invention, un chanteur qui emporte le gras et un solo de guitare qui broie les os, tout tombe pile-poil au quart de tour. Question paroles ce n’est pas Aristote, plutôt Anacréon, remis au goût du jour, manifestement ils préfèrent les rapports physiques à la métaphysique. Il est sûr que parfois il vaut mieux se livrer à un corps à corps qu’user de subtilités inopérantes. Ridin’ on the fast line : On attend une chevauchée fantastique, on n’est pas déçu, une grosse cylindrée c’est souvent moins problématique qu’une fragile ossature, alors ils foncent comme des madurles avec des courbes de guitares en épingles à cheveux, et la rythmique qui tumulte sans faillir, attention la mort assise sur le siège arrière vous bande les yeux, féroce et thanatos, on remet le titre sept ou huit fois, vivre vite est nécessaire. Sharp dressed lady : l’aurait dû rester sur sa machine au lieu d’essayer encore une fois avec cet animal nuisible, remarquez l’on ne perd pas au change car ça s’entrechoque méchant dans sa tête,  et le groupe illustre magnifiquement ce sentiment destructif que Nietzsche appelait le ressentiment, quand vous avez envie de détruire le monde entier et que vous finissez par vous faire du mal à vous-même, z’arrivent sans se départir d’une certaine harmonie à traduire le chaos de l’âme humaine. City depression : le blues comme on l’aime, torride, incandescent, quand il se transforme en tempête et roule sur vous à la vitesse d’un tsunami, une voix sans concession, aussi tranchante qu’un cran d’arrêt et une batterie qui martèle vos gencives comme un poing américain, les guitares  jouent les pétroleuses et la basse est partie pour un voyage au bout de la nuit, je ne pensais pas qu’ils pouvaient jouer plus vite que sur Ridin’on the fast line, lourde erreur de ma part, d’autant plus que les lyrics sont au niveau de cette modernité qui broie les êtres humains de l’intérieur. Same mistakes : un tapis magique de guitares vous emporte loin, au plus profond des conduites auto-punitives et revendicatrices des comportements individuels qui tournent vers elles le couteau de leur introspection, l’impression que chaque morceau est à chaque fois supérieur plus violent que le précédent. Avec en plus ce petit terminal tirement de langue d’une guitare ironique qui n’est pas dupe de ses limites. Mais seuls les borderlines sont prêts à passer la ligne. C’est ici que l’on se dit que le titre de l’opus n’est pas mal choisi, l’on a l’impression d’être dans un scénario captivant. Total damage : l’on se dirige vers la scène finale de seul est l’indompté, la voix davantage devant, les instruments pour souligner ce qui se joue vraiment, superbes backing vocals, tempête dialoguée dans une cervelle humaine, une guitare déroule un étendard vibrionnant, soleil couchant sur le struggle of life.

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             Superbe extended play. Ce Mustang m’a l’air taillé pour participer à de prochaines anabases tumultueuses. Faut le tenir à l’œil. A tout ce qu’il faut pour prétendre à mener la charge en tête de la horde.

    Damie Chad.

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    Chaussons nos bottes de caoutchouc, nous avions promis de retourner patauger dans les marais, c’était dans notre livraison 596 du 13 ( on aurait dû se méfier ) / 04 / 2023, deux courtes promenades éprouvantes, le temps d’explorer les deux premiers singles de Swamp Dukes, l’extended play qu’ils annonçaient vient de paraître. Vu la couve, nous pronostiquons que l’exploration risque de ne pas être une partie de plaisir.

    LIVING NIGHTMARE

    SWAMP DUKES

    ( Album Digital / YT / Bandcamp)

    Viennent de Serbie. J’espère que les autorités touristiques serbes ne commettront pas l’erreur d’user de la couve pour attirer les touristes, n’en viendra pas un seul. Peu engageant, rien d’attirant, ni le paysage ni le personnage, Louisiane, un de ces endroits reculés que même les autochtones ne fréquentent pas, au cœur des marais de la Nouvelle Orléans, si vous apercevez un alligator faites-lui une bise sur les deux joues, bien moins dangereux que cette infâme créature, tremblez ce n’est pas un animal mais un homme, l’espèce la plus nuisible de notre planète, il s’est si bien acclimaté que la végétation a pris racine sur le terreau de sa peau, de ses yeux phosphorescents il guette, il cherche, il chasse, les intrus comme nous qui veulent toujours tout savoir sont la cible de son diabolique tromblon. Il n’est plus temps de reculer, écoutons.

    Ne sont que trois, normal ne sont pas légions ceux qui hantent ces lieux désespérés :Bora Jovanovic : guitars / Stevan Fujto : bass / Ilija Stevanovic : vocals and harmonica.

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    Southern cross : bonjour l’ambiance, elle s’attaque directement à votre moelle épinière,  une cloche solitaire qui sonne lugubrement, des pas qui s’avancent l’on discerne  un clapotis peu engageant, une grosse corde, celle qui sert à se pendre, de guitare résonne, une voix même pas humaine, rehaussée d’un écho funèbre, beaux tracés d’harmonicas qui vous écorchent la peau, chant éraillé, chœurs bêlants, la batterie en chaines de prisonnier, vitres brisées, le riff survient lourd et dérapant, incrusté de voix venues d’ailleurs. Inutile de faire un signe de croix, il ne vous protégerait en rien. L’on aimerait être ailleurs, il est des circonstances selon lesquelles il est impossible de reculer. Death House rescue : vous êtes avertis, vous êtes dans la maison de la mort et du meurtre. Le pire c’est qu’ils vous refilent une efficace énergie, vous vous y sentez bien, le riff vous emporte sur un tapis volant, certes il rase les eaux saumâtres de la peur et du désarroi, le danger est partout mais la batterie est survoltée, la basse plus sombre que la mort, les pistes de guitare tellement entraînantes que vous vous laissez  mener par le bout du nez comme un enfant qui ne comprend pas qu’il est dans un film d’horreur, le vocal étrangement filtré vous raconte des horreurs sans nom, mais vous le suivriez jusqu’au bout du monde. Dig deeper : le genre de chausse-trappe dont on ne réchappe pas. Vous font le coup du tandem démonstration basse-batterie, tout rocker se sent en pays connu , hélas cette sensation de terre ferme ne dure pas, point de rupture franche, aucun avertissement, vous êtes dans la continuité rythmique initiale, mais ça déraille sous vos pieds, la voix coule de travers, elle fait comme si elle ne s’en apercevait pas mais elle vous entraîne sur un sentier glissant, idem pour tout l’accompagnement solide comme un roc qui roule dans la mauvaise direction, et qui part en vrille d’eaux stagnantes, terrible maintenant vous pédalez dans la choucroute, mais les Swamp Dukes ne sont pas là pour aider les petits frères des pauvres. N’ont rien à faire de vos errements, leur musique n’est guère résiliente. The Devil in the details : quand on le cherche on finit par le trouver, il suffit d’ouvrir grand les yeux, ce serpent visqueux qui rampe n’est-ce pas le bout de sa queue, Ilia n’arrête pas de vous avertir, vous répète mille fois la même mise en garde, le même conseil, jusqu’à ce que le background s’arrête pour mieux reprendre aussitôt, c’est dans ce genre d’interstice dans lequel il vaut mieux ne pas glisser les doigts, sans quoi vous serez happés et digérés, paraissent fatigués de réitérer mille et mille fois leur conseil de prudence, tant pis pour vous ils continuent jusqu’au bout du seuil, à ne pas franchir. The house of void : fréquence plus basse, est-ce la dernière hésitation, maintenant ils iront jusqu’au bout, la maison est vide mais leur musique est pleine, elle ne forme plus qu’un tout indissociable, des éclats de symboles, cette voix sortie d’un mégaphone, ce riff sans cesse martelé et ce solo de guitare.  Vous attendez la suite. Reprenez vos esprits.  C’est fini et bien fini.  Vous espériez de l’horrible, une scène de cannibalisme, du cri, du sang, un monstre, que sais-je encore, dans la maison du vide vous ne trouvez que du vide, même pas rien, juste du vide qui n’est même pas une absence de quelque chose. Le morceau s’arrête car si l’on peut marcher sur l’abîme, le vide est par nature infranchissable. Vous ne pouvez même pas y tomber dedans, vous êtes comme dans la mort. Elle ne se pénètre pas, elle ne se continue pas. Ne croyez pas que les plus beaux marais du monde sont à la Nouvelle Orléans. C’est ce que racontent et montrent les nouvellistes et les dessinateurs. Le monde est un immense marécage. A chaque pas votre pied oscille entre le plein de sa réalité et le vide de son irréalité. Swamp Dukes vous conseille de ne pas mettre vos pompes n’importe où… Sans quoi, elles sont souvent funèbres.

             Un disque de derrière les fagots, là où l’on cache les bouteilles de moonshine, et de là où l’on jette un voile pudique sur la réalité mouvante des choses. A écouter et à méditer.

    Damie Chad.

     

    *

    Le titre de l’album et le nom du groupe m’ont plu, autre élément important : important ils viennent de Grèce, d’Héraklion, cité de Crète, voisine du fameux palais de Knossos, lieu fondateur de la Grèce où les amours tumultueuses de Pasiphaé avec le taureau blanc offert par Poseidon au roi Minos engendrèrent le Minotaure que vint tuer Thésée avec l’aide d’Ariane et de Dédale, je ne déroulerai pas loin la pelote mythologique… Un autre détail beaucoup plus contemporain, sur leur FB, m’a interpellé, viennent en octobre ( 2023 ) faire une tournée par chez nous avec un groupe ami, Barabbas dont nous avons présenté et beaucoup aimé Messe pour un chien et La mort appelle tous les vivants.  

    UNORTHODOX

    DOOMOCRACY

    ( Vinyl / CD / Novembre 2022 )

    Doomocracy un beau jeu de mot pour un groupe doom grec,  s’est formé en 2011, leur premier album The end is written est paru en 2014, le deuxième : Visions & creatures of imagination en 2017.

    Michael Stavarakakis : vocal / Angelo  Tzanis & Harris Dikos : guitars / Manolis Shizakis : bass / Minas Vasilakis : drums

    Etrangement la pochette n’est pas sans rappeler celle de Other People ( voir livraison 606 du 15 / 06 / 2023 °) que nous présentions la semaine dernière, ce rapprochement deviendra davantage signifiant lorsque l’on saura que dans leur très brève présentation de leur opus Doomocracy emploie l’expression people lost… L’artwork est de Marius Lewendowski : peintre surréaliste polonais né en 1960, décédé en 2022 quelques mois avant la sortie du disque. Discogs présente une trentaine de pochettes réalisées pour de nombreux groupes, celle de Unorthodox est la plus sombre de toutes, très souvent illuminées de couleurs chatoyantes. Vous pouvez aussi regarder son Instagram. Une visite s’impose.

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    Aeons of winter : orage et musique sérielle venus d’ailleurs, trente secondes pour vous mettre en condition, ici l’on donne dans le grandiose pour ne pas dire dans le grandieuse, rappelons que l’éon est ce par quoi se manifeste la puissance avatarienne de l’Un chez Plotin… z’ont rajouté une courte note pour palier le manque de lyrics. Attention c’est du tordu de chez tordu, faut-il comprendre que l’éon de l’hiver n’est autre que la mort, ce moment de glaciation intellectuelle, où l’on essaie de garder en soi le souvenir de nos actions passés. Eternally lost : attention ici le riff qui survient n’est en rien salvateur, il s’adoucit très vite en une douce rythmique, une voix caresse les mots, une flûte court comme de l’eau de mort que l’on verse en cascades sur certaines tombes, l’exquis vocal de Stavarakis monte haut, au-dessus du riff en sourdine, comment peut-on être perdu et en même temps éternel, la mort est une immobilisation en sa propre vie que l’on se remémore, que l’on se remet mort, sans fin, désormais dans la closerie solitaire de l’esprit jeunesse et échecs demeurent éternels. Prelude to the Apocalypse : imaginez le serpent de mer d’un riff grondeur nageant dans les vagues d’une musique religieuse, chœur de moines et voix perchée au pinacle pour être au plus près du souffle de la révélation, essoufflements, grondements, gélatines guitariques, où sommes-nous à l’intérieur d’une âme humaine entrant en hibernation ou en dehors de ce microcosme égotique dans le macrocosme du monde extérieur victime d’un hiver mental, l’annonce prophétique de celui que Jean dans le quatrième évangile nommait l’Antechrist, qui aujourd’hui délègue son fils pour semer la déroute spirituelle. Que l’on n’avait pas vu s’avancer. Mais que les signes désignent. The hidden gospel : le cantique hideux déploie ses moires maléfiques, quelques notes de piano la lecture de quelques versets, sans aucune grandiloquence, juste l’énonciation de ce qui adviendra, l’avenir est tracé, une route de sang pour ceux qui suivront l’imposteur qui se seront laissé berner… The spiritualist : hymne triomphal, le nouveau christ est arrivé, les guitares vous ont d’étonnants éclats de trompettes, et la batterie effectue un apparat de cavalcade, des chœurs saluent le renouveau spirituel qu’il apporte, ceux qui le suivront seront plus forts et plus libres, ils ne craindront plus la mort, c’est si ressemblant au message christique qu’il en devient parodique. Sans doute sommes-nous trop mécréants pour croire à ses promesses. D’ailleurs qui est-il ce nouvel éon gnostique trop marqué de christianisme à notre goût. Novum dogma : attention, il va parler, il se présente, musique en même temps emphatique et allègre, les guitares sonnent comme des cloches pascales, la voix monte, il monte il promet  la vie éternelle, il semble apporter le même message que le messie précédent, sa voix fuse plus haut, elle touche le ciel, non il ne porte pas de croix, il n’est pas de dieu sauveur, c’est à vous de vous faire dieu de devenir votre propre Dieu, ce n’est peut-être pas la voie la plus facile mais c’est le seul chemin qui vous mènera à l’immortalité, car même mort vous serez toujours en vous-même un dieu, le seul dieu qui compte. Death a taste of mind : le moment de l’incertitude, lequel des deux choisir, le timbre de Stavarakis acquiert une certitude indépassable, la mort n’est-elle vraiment qu’un état de l’esprit, ne serait-ce pas une tromperie, la musique semble se perdre, un réservoir qui coule finira par être vidé. Ne disent-ils pas tous deux la même chose, l’un promet la vie sans la mort et l’autre la vie dans la mort, quel est l’avis le meilleur. La vie la meilleure. Our will be done : rien n’est plus près du doute que la certitude, la musique papillonne tel un coléoptère qui bat frénétiquement des ailes pour s’éloigner dans la flamme claire et consumer le baiser de feu de notre volonté, notes de pianos en mineur, guitares grondantes en majeur, en fin de compte c’est nous qui décidons, pensez à l’archange enfermé qui sera libéré et alors il faudra pour une bonne foi choisir.  October 14 th 1582 : jusqu’ici, il faut l’avouer l’on ne comprend pas trop où veut nous mener cette histoire d’un second Jésus entée sur les Evangiles et une vision qui emprunte autant au néo-plotinisme qu’aux doctrines gnostiques, avec ce titre nous touchons enfin à quelque chose de stable, d’identifiable et même d’historique. Le morceau en lui-même, s’il est très court n’en n’est pas moins explicite, une proclamation papale vindicative et emplie de haine, imaginons-la proclamée sur le parvis de la basilique Saint Pierre du Vatican, l’on entend bruits de foule et clameurs de fond, s’élève une voix hargneuse ponctuée de coups de feu lorsque l’on tombe la menace de mort pour ceux qui ne se plieraient pas à l’ordonnance papale... Lorsque j’ai lu la date j’ai pensé à la Saint Barthélémy, mais non vérification faite c’était en 1572. Le 14 octobre 1582 s’est déroulé un évènement dont nous vivons ou subissons, tous les jours de notre vie et même de notre mort, les conséquences. Ce jour-là le pape Grégoire range dans le grenier des vieilleries dépassées l’ancien calendrier Julien qui au fil des siècles avait pris quelques jours de retard par rapport au positionnement des planètes. Dix jours passent ainsi à l’as, ainsi l’on se couche au soir du 4 octobre pour se réveiller au matin du 15… Pas de quoi fouetter le chat de la Mère Michel objecteront la plupart de nos lecteurs, à l’époque cette mesure unilatérale ne passa pas comme une lettre à la poste, la Grèce fut le dernier des pays catholiques à s’y rallier, il y eut disputes, révoltes, insurrection populaires… Vous avez maintenant toutes les clefs ( ni de sol ni de Saint Pierre ) pour assembler les pièces du puzzle. Unorthdox : comprendre le mot ‘’orthodoxe’’ en son acceptation contemporaine. Aujourd’hui elle désigne l’Eglise Orthodoxe qui se sépara, tant pour des raisons théologiques que politiques, de l’église romaine catholique en 1504.  Le mot unorthodoxe désigne ici le personnage imaginaire de l’opus, The Spiritualist, cette espèce de nouveau christ plus ou moins gnostique qui aurait pris la tête de la révolte contre l’annulation du calendrier Julien ( dans la série rendons à César ce qui appartient à Jules ). Celui qui est par rapport à l’Eglise romaine contre la règle droite (orthodoxe en grec ) catholique. Sans doute voulez vous savoir la fin de l’histoire. Guitares grondeuses, l’Eglise est sans pitié pour les hérétiques, elle appelle à le tuer, pas trop vite, il faut qu’il souffre longtemps, qu’on lui brise les membres sur une roue, d’infortune, qu’on l’enferme dans un taureau d’airain sous lequel on aura allumé un brasier pour qu’il ait un avant-goût des flammes de l’Enfer, qu’on le fouette et mille autres joyeusetés ordonne une voix vindicatrice, mais sous la torture le supplicié ne se renie pas, il refuse d’abjurer, il revendique tous ses actes, sa voix est douce peut-être parce que sa souffrances est grande. Malgré les cris de ses fidèles il est conduit au bûcher… les guitares flamboient et des notes s’éparpillent telles des cendres que le vent emporte au loin… Catharsis : un titre ô combien aristotélicien, mais selon une interprétation chrétienne. Si pour Aristote la catharsis par son exemplarité dramatique doit nous déprendre de nos passions, la passion chrétienne entendue en son sens étymologique de souffrance n’est pas là pour aguerrir l’âme mais pour déchirer le corps. Les cendres du morceau précédent ne sont pas encore totalement dispersées, il est temps d’en tirer la leçon morale, les religions espèrent mais n’entendent rien, le mieux serait de s’en débarrasser au plus vite de les mettre au rancart, n’oubliez pas que vous êtes divins… Du haut de son bûcher le supplicié jette ses derniers enseignements, la souffrance ne le fait pas taire, la lumière est en l’homme, pas dehors, pas dans les religions, il tonne d’une voix angélique, son discours ne provoque que la colère chez ses bourreaux, on ordonne, on l’enferme dans une grotte, il est nécessaire qu’il soit oublié, que l’on s’en prenne aussi à ses disciples, qu’ils soient pourchassés, qu’ils connaissent le châtiment suprême, rien ne doit subsister. Ils n’ont plus qu’à reconnaître leur défaite, tout est perdu, tout sera oublié, jusqu’au nom de ce nouveau prophète qui était venu nous libérer de la foi dogmatique. Une dernière imprécation en langue latine et ecclésiale.

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              L’ensemble est d’autant plus fort qu’il est construit comme un requiem, une suite symphonique rock, qu’il s’est coulé dans un schéma de musique religieuse chrétienne. Un peu comme une messe qui serait dédié aux cathares. La partie chantée n’est pas facile, tout l’opus repose sur les subtilités de la voix de Constantin Stavarakakis, une partition qui exige du souffle et une solide maîtrise vocale. Unorthodox peut s’écouter sans prêter beaucoup d’attention aux paroles, il suffit de se laisser emporter par le déroulement des séquences. C’est du doom, c’est du metal, mais sans effet de grosse caisse, pas de soli dévastateurs, toute l’instrumentation participe d’une économie esthétique épurée.

             Une parfaite réussite. Qui exige attention et réflexion.

    Damie Chad

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    EPISODE 31 ( Récapitulatif  ) :

    175

              Carlos s’est réinstallé au volant de son 4/4. A ses côtés le Chef fume paisiblement un Coronado. Sur la banquette arrière Molossa et Molossito blottis tout contre moi dorment paisiblement. Je ne quitte pas des yeux le rétro central qui me permet de voir les véhicules qui nous suivent. Et qui nous dépassent en klaxonnant bruyamment. C’est que Carlos ne dépasse pas les quinze kilomètres à l’heure. Le Chef a été formel :

             _ Quand on ne sait pas où aller, il faut attendre que l’ennemi vienne à notre rencontre. Je parie que je n’aurais pas fumé trois Coronados, qu’il aura montré le bout de son nez. Carlos cessez de martyriser cet accélérateur, suivons les enseignements de Sun Tzu tels que le sage chinois les a rédigés dans son livre De la Guerre.

              Mon œil scrutateur ne tarde pas à entrevoir une voiture d’apparence banale qui depuis une demi-heure fait tout ce qu’elle peut pour rester obstinément à cinq véhicules de nous, se laisse doubler mais ne nous perd pas de vue, j’ai beau écarquiller les mirettes, je n’arrive pas à apercevoir les occupants, le pare-brise n’a pas vu une éponge depuis plusieurs semaines, j’ai même du mal à voir si le conducteur est seul ou accompagné. Je ne suis pas le seul à l’avoir remarqué. Carlos explose :

              _ Je n’aime pas les fleuristes, mais l’intellectuel qui conduit la sixième bagnole qui nous suit s’il continue à rester derrière nous il ne va pas tarder à avoir des nouvelles de mon Rafalos, ce gars nous suit et retarde la file qui le suit, il se croit où ce zigoto !

                 Le Chef allume un Coronado :

              _ Carlos vous avez bien dit un intellectuel ?

              _ Oui et je vais le renvoyer d’ici peu à ses chères études !

              _ N’en faites rien Carlos, gardez-le bien au chaud derrière nous, je le répète pas plus de quinze kilomètres heure, cette allure doit lui laisser le temps de réfléchir, vous savez Carlos, les intellectuels ne sont pas des hommes d’action comme nous, ils ont besoin de calme et de quiétude, c’est une espèce fragile sur laquelle il nous faut veiller attentivement.

              Je préfère ne pas rapporter la réponse de Carlos relative à l’admiration qu’il porte aux intellectuels. J’ai peur que le secrétariat de la langue française de l’Académie Française ne nous envoie un message d’avertissement quant à la verdeur de ses propos. Je ne quitte plus du regard cette voiture grise, elle m’intrigue de plus en plus. OK pour le conducteur, mais à côté ce truc informe qui n’arrête pas de bouger. What is it ? Ne serait-ce pas un chien !

               _ Chef, j’ai bien peur que l’intellectuel de Carlos n’ait un chien avec lui.

               _ Agent Chad, un intellectuel qui prend un chien, j’opterais plutôt pour un chien qui ait pris un humain – Molossa et Molossito poussent un ouaf d’approbation – et si vous voulez toute ma pensée, personnellement j’ai bien peur que cet intellectuel soit davantage à vous qu’à Carlos. Tiens je crois qu’il faut que j’allume un Coronado.

    La réponse du Chef m’intrique mais je remets à mon poste d’observation.

    176

    Ça ne s’arrange pas dans la sixième voiture. Même le conducteur s’agite, il lâche le volant des deux mains et fait de grands gestes. L’ouvre la bouche comme un cachalot qui s’apprête à avaler un baleinier. Dommage qu’il n’y ait pas le son, le mec doit agonir son insupportable cabot d’injures, il doit le maudire jusqu’à sa trente-septième génération…

    • Carlos après le feu, vous prendrez sans avertir la troisième rue à droite, attention c’est un sens interdit, au bout à gauche, puis à droite, puis à gauche et l’on débouche sur le périphérique, l’on va voir comment va réagir notre intellectuel !

    Soyons fair play. Pas trop mal. Alors que les cinq premières voitures continuent tout droit, notre intello n’hésite pas une seconde pour s’emmancher sans l’ombre d’un remords dans le sens interdit.

               _ Chef, il nous suit et il accélère, ce gazier n’est pas là au hasard

               _ Pfft ! c’est un intello, il a oublié ses lunettes, il ne s’aperçoit même pas qu’il est en sens interdit !

               _ Carlos, pas d’a priori – il est le seul de la file à nous nous avoir emboîter la roue, je l’avais prévu, quand on ne va pas à l’affaire c’est l’affaire qui vient à nous, je jubile, tiens j’allume un Coronado, Agent Chad continuez vos observations, Carlos on est sur le périph, passez sur la file de gauche  à fond la caisse et plus vite que ça !

    Carlos est tout heureux, il nous annonce qu’il va emprunter la diagonale du fou, aussi sec il traverse les quatre voies, il exécute plutôt une perpendiculaire, klaxons, carambolage, bruits de tôles froissées, derrière nous, le moteur de Carlos rugit de contentement tel un tigre qui vient de trancher le cou du dompteur qui avait introduit sa tête dans sa gueule. Derrière nous, plus une seule voiture, si en voici une, évidemment c’est notre intello !

               _ Ah ! Ah ! Monsieur veut tâter de mon Rafalos, à l’avance je me fais un plaisir de lui prêter ma baballe !

                _ Carlos je vous préfère quand la part d’humanité prend le dessus en vous, n’accélérez pas trop, je pense pas que la torpédo de notre suiveur puisse dépasser les cent-soixante, maintenez-le à bonne distance, j’aimerais savoir jusqu’où et jusqu’à quand il va nous suivre.

    177

    Un accord tacite s’est établi entre nos deux voitures. Le gars reste à plus de cinquante mètres de nous, pas trop loin mais pas trop près, quand la distance grandit Carlos ralentit, le zigue pâteux se rapproche mais il respecte le no man’s road entre nos deux voitures.

    Le Chef allume un Coronado :

    • Carlos, nous nous éloignons de Paris, prenez la A4, si vous êtes sages je vous offrirais un tour de manège au Parc Disney.

    Seuls Molossito et Molossa remuent la queue de contentement. Carlos et moi ne sommes pas enthousiasmés par le tour de manège, par contre dans la voiture suiveuse, dès que nous avons dépassé le panneau annonçant la proximité de Disney le chien qui avait dû s’endormir bercé par la vitesse semble tout excité. Il bondit de tous les côtés, son maître semble l’admonester, mais cela n’a pas l’air de le calmer. Brusquement je n’en crois pas mes yeux, la vitre passager a été ouverte, et quelque chose s’agite frénétiquement. Impossible de me tromper non ce n’est pas le museau d’un chien, je ne peux que reconnaître une main humaine. S’apprête-t-elle à nous tirer dessus. Non elle est grand-ouverte, sans être grande pourtant, une main d’enfant !

    Le Chef n’a pas l’air d’être étonné :

              _ Agent Chad, ne vous excitez pas, je ne vois pas pourquoi un intellectuel n’aurait pas un enfant, rien ne s’oppose à ce genre de phénomène.

               _ Enfin Chef, s’il amenait son gamin à Disney pourquoi nous a-t-il suivi lorsque nous roulions à 15 km / H dans Paris au lieu de dépasser pour arriver au plus vite ?

              _ Agent Chad c’est moi qui ai décidé de nous diriger vers Disney, je n’ai pas cru une minute à votre chien, cela ne cadrait pas avec le début de notre aventure. Carlos, ralentissez, prenez la direction Gare de Chessy et montez vous garer tout en haut du parking.  Il n’y a pratiquement jamais personne, je suis sûr que du monde va venir à notre rencontre. 

    178

    Nous sommes adossés contre le 4 / 4, la voiture suiveuse s’est arrêtée à l’autre bout du parking. On ne peut pas la voir, nous avons entendu les portières claquer, des pas se dirigent vers nous, deux silhouettes se découpent sur le ciel : un homme et une toute jeune fille. Ils s’arrêtent assez loin de nous. L’homme n’avance plus, la jeune fille semble hésiter. Elle se dirige vers nous. Elle n’a pas peur, Carlos et le Chef font disparaître discrètement leurs Rafalos. Elle s’approche de moi, les yeux tournés vers Molossa et Molossito, elle se baisse pour les caresser. Ils se laissent faire avec plaisir. Elle se redresse et me regarde dans les yeux. C’est alors que je la reconnais. 

             _ Alice !

             _ J’ai un cadeau pour vous, je l’ai trouvé dans le bureau de mon père, tenez.

    Elle me le tend. C’est un petit livre, j’ai juste le temps de lire le titre : ECILA.

    A suivre… 

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 596: KR'TNT 596 : TELEVISION / HOUSE OF LOVE / IGGY POP / RUBY JOHNSON / THE FALL / DIVORCE FINANCE / VERITI RITUS / SWAMP DUKES / AMER'THUNE / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 596

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    13 / 04 / 2023

    TELEVISION / HOUSE OF LOVE

    IGGY POP / RUBY JOHNSON

    THE FALL / DIVORCE FINANCE

    VERITI RITUS / SWAMP DUKES

    AMER’THUNE / ROCKAMBOLESQUES

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 596

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Television Personality

     - Part Two

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             Après le flash planétaire de Marquee Moon, Television va rester allumé le temps de deux albums, Adventure en 1978, et un album sans titre, en 1992.

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    Tu vas trouver en ouverture du balda d’Adventure un «Glory» qui semble tout droit sorti de Marquee Moon, tellement c’est taillé sec dans le lard télévisuel, avec un chant de sale petit décadent. Verlaine en joue jusqu’à la nausée, ça fait partie du jeu, il revient au Marquee avec la même volonté de ne pas en découdre, même volonté de corrompre la formule. Il sait rester expressif et donc convainquant, Verlaine continue de faire son Rimbaud. On trouve encore tous les travers de Marquee Moon dans «Days», Verlaine continuer d’exploiter son petit filon de florentin malingre aux veines saillantes. Il joue les victimes désignées, il se sacrifie sur l’autel des dieux, pas besoin de prêtres. Tout l’album reste dans le même acabit, même balancement, même sens aigu de la mauvaise santé. Ce vieux Verlaine n’en démord pas, il campe dans sa déliquescence avec le chant qui sied. On sent bien que Verlaine se prend pour un poète dans «Carried Away», il a du répondant et fait l’effronté. Retour à Marquee Moon avec «Ain’t That Nothing», Verlaine ressort le riff de Johnny Jewel, il sent qu’il faut sauver les meubles, alors il tarpouine sa vieille recette et bascule dans l’«Happy» de Keef. Quel mélange ! Le voilà en plein Exile, avec une belle descente au barbu d’electrak. Au final ça donne un cut inexorable.

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             On trouve encore deux ou trois belles choses sur l’album sans titre paru en 1992, à commencer par «In World», un beau funk blanc, c’est sec et net, et même intraitable, serti d’un solo hirsute de clairette maladive signé Richard Lloyd. C’est encore lui le petit Richard qui allume «Call Me Lee», son solo est un vrai festin d’entrailles, il joue à l’outrance carnassière. Avec «Beauty Trip», ils passent au wild TV groove d’Hoochie Coocha, Verlaine taille sa route au señor, il y va, c’est monté sur un bassmatic de Fred Smith, ils te groovent l’Empire State Building, et ça donne une merveille absolue. Verlaine fait le fanfaron sur «Shame She Wrote This». Il adore rebondir sur le vieux beat en bois poli. L’air de rien, avec son air fourbe, il passe son Television en douce. Il donne encore une suite à Marquee Moon avec «Rhyme». Tu peux considérer Verlaine comme un grand parnassien. De la même façon que Lou Reed, il a une vision très spéciale du rock, il voit le rock à travers les binoculaires de New York. Il déploie toujours les mêmes draps de satin âpre. Ça va te gratter le cul, mais derrière il y a beaucoup de travail aux guitares. Il tape «The Tube» à la réserve, sur des accords d’acier bleu. Tout reste acéré chez Verlaine, même la Television. Surtout la Television. Il touille sa salade avec des airs compassés de martyr, il est même assez rigolo dans son rôle d’archange déchu, il s’en sort avec un groove de baskets aux pieds, il swingue sa carcasse en fer blanc, Verlaine est un mec très débrouillard. Tous ses cuts sentent un peu la débrouille. Il crée en quelque sorte les conditions de sa perte, il adore s’écrouler dans les immeubles, alors il peut hurler comme un con, comme il le fait dans «Mars», il va même essayer de se faire passer pour un génie. On ne sait jamais, ça peut marcher.

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             Si tu veux entendre de belles guitares, écoute The Blow-Up, le fameux bootleg officialisé paru sur ROIR en 1982. On y trouve des belles versions à rallonges de «Little Johnny Jewel» et de «Marquee Moon». À force d’être solotées, ces versions finissent par te fendre le cœur. C’est monté en neiges du Kilimandjaro, elles bénéficient quasiment du même beat indolent. On retrouve dans ces enregistrements de fortune tout ce qui fait le charme malsain de Television : le chant à l’efflanquée et les molles torpeurs envenimées. Ils font aussi une très belle version de «Knockin’ On Heavens Door», ils prennent le temps d’y développer leurs conjonctions d’entrelacements congénitaux. Leur côté ambiancier reste décidément du meilleur goût.

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             Puisqu’on trempe dans les sources aléatoires, on peut écouter Arrow, un bootleg tombé des nues au son très convenable. Cool a fuck et hot as hell. C’est comme on s’y attend ultra-joué aux guitares et la version de 15 minutes de «Johnny Jewel» emporte bien la bouche. On sait exactement ce qui va se passer, mais on se régale de ce long solo excédé d’exemplarité symboliste. En B, «Prove It» tient en haleine, car Verlaine y passe un beau solo liquide d’une qualité irréprochable. Toute l’énergie riffique du groupe est de retour avec «Friction». Ces gens-là savaient honorer un contrat. Même la version de «Satisfaction» passe bien, car infestée de solos razor sharp. On a là une véritable dégoulinade de sonic hell excédé. Sur scène, Television reste un groupe fascinant.

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             Tom Verlaine attaque sa carrière solo avec un album sans titre paru sur Elektra en 1979.  Il fait bien sûr du Television. C’est tout ce qu’il sait faire. Oh, ce n’est pas un reproche, au contraire. «Red Leaves» est du pur jus de Television. Verlaine reste dans le même son, il tente de recréer l’excelsior. D’ailleurs, il a tout Television derrière lui, sauf le petit Richard. Encore du TV pop avec «Breakin’ In My Heart». On se croirait sur Marquee Moon. Même voix, même son. Il deviendrait presque une caricature du TV show, à tortiller ainsi son chant maladif. Il finit par sonner comme une superstar. Verlaine a vraiment inventé un style de rock, un rock excuriating de zombie exacerbé, repoussante créature parcourue de veines saillantes et dotée d’une voix d’asperge mal fleurie. Verlaine continue de faire son Television sans Rimbaud, il garde son lard dans sa poche, il gratte ses accords de 1977. Pour tous les fans de Television, cet album sonne comme le gendre idéal. Il repart en mode bien maladif avec «Kingdom Come». Il twiste ses guiboles de zombie et n’en finit plus de larmoyer. Franchement, a-t-on besoin d’une nouvelle «Venus De Milo» ? En attendant, Verlaine connaît sa Jaguar par cœur. 

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             Son deuxième album solo s’appelle Dreamtime. Ça reste du big TV sound apoplectique. Rien n’a changé dans la culotte de Verlaine, ni les veines saillantes ni les vieux jus. Il abuse de sa vieille recette. Les deux gros cuts de l’album sont «Always» et «Mr Blur» : son de tape-dur et psaumes d’exacerbation, acid guitars et beat d’acier, tu es à New York, mon gars, c’est du rock-solid, admirable à bien des égards. Les accords de Mr Blur sont ceux du premier TV, ce gros gratté de poux infectueux, vite contaminé par un chant encore plus infectueux. So Mr Blur ! Verlaine moissonne le va-pas-bien. Il n’a jamais éteint sa télé. «Without A Word» sonne comme de l’early TV motion, Verlaine est encore plus décadent qu’au temps de Marquee Moon, il colle au papier comme un gros bonbon périmé, dans ses veines saillantes coule toute la décadence de l’avant-siècle, sa glotte vibre maladivement. Il y a du Des Esseintes dans Verlaine. Il revient encore à ses vieilles amours transies pour les fièvres avec «A Future In Noise», Verlaine sait piquer des crises d’apoplexie, il connaît le secret des veilles convulsions de la 42e Rue, il faut voir comme ça pulse dans l’ass du percuteur. Cet album est aussi balèze que Marquee Moon. Même poids dans la balance de l’imbalance. Verlaine secoue bien les circuits de son vieux récepteur. Il jette un regard tellement torve sur le rock qu’il frise en permanence la modernité.

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             Pour Words From The Front, son troisième album solo, Verlaine s’offre un beau portrait pour sa pochette. Il dégage une sorte de sainteté. Sur cet album, il renoue avec le beat tourmenté et les éclats de voix qui firent la réputation de Television. Il n’en finit plus de jeter l’ancre dans les eaux noires de la vieille psychose new-yorkaise. C’est en B que se trouve toute la viande, à commencer par un morceau titre très atmosphérique, faux récit de guerre un peu macabre, avec un John died last night/ he had no chance/ beneath the surgeon’s drunken hands, et on le voit même partir en solo de dérive abdominale. Ça se veut beau et ça l’est. Tom Verlaine s’inscrit dans le domaine de la mélancolie sinueuse. Encore mieux, voici «Coming Apart» où il dit se sentir mal, il part en morceaux, I’m coming apart, il ne sait pas ce que ça signifie, mais ça lui permet de renouer avec la fantastique pulsion new-yorkaise, celle des gens qui décidément n’iront jamais bien. Il termine avec l’excellent «Days Of The Mountain», joué au long cours d’un solo délicat et entreprenant. Verlaine finit toujours par emporter la partie.

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             Paru deux ans plus tard, Cover est un album qui laisse sur sa faim. Verlaine revient au funk télévisé avec «Travelling». Son vieux pote Fred Smith joue le drive de basse intermittent. Fred a l’habitude, Verlaine peut compter sur lui, c’est un brave mec. On retrouve aussi du TV Sound en B avec un «Miss Emily» chanté au when the sun goes down. Verlaine n’en finit plus de montrer qu’il maîtrise bien son art et qu’il sait créer des ambiances. Comme s’il n’avait fait que ça toute sa vie. Pire encore : comme s’il ne savait faire que ça. Il faut dire que ce mélange de grattes clairvoyantes et de voix aux abois est unique en Amérique. Si on garde un bon souvenir de «Little Johnny Jewel», alors «Rotation» passe comme une lettre à la poste. Oui, c’est le même son, exactement le même beat décharné et le même faux funk pas très franc du collier.     

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            On trouve une belle énormité sur Flash Light. Elle s’intitule «Song». Verlaine chante sa Song de manière épique, avec une espèce de petite démesure à la clé de Sol, et ça devient beau très vite - When you wait/ It is not hours/ But forgotten sense of time - C’est bien déstructuré au chant et secondé par une gratte brillante. Mais c’est le texte qui force l’admiration - It’s very kind of all those powers/ To feature love without design - Cette merveille est d’une grande élégance littéraire. Par contre, si on va chercher l’«At 4 AM» en B, c’est la qualité du chant qui va emporter tous les suffrages. Verlaine est un prodigieux décadent - Rosie rosie/ The violets bloom - Fantastique hommage rendu à Rosie - At 4 am I’ll be back/ In San/ Antone - On tombe plus loin sur un «Annie’s Telling Me» monté sur le beat du vieux «Friction». C’est beau, une fois de plus - It’s like a factory/ Cranking out them part - Belle musicalité latente, hantée par des éclairs de virtuosité. On s’attache à Verlaine. On s’amourache.

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             Puis on va le voir commencer à tourner en rond avec The Wonder, qui paraît en 1990. On y sauve le «Kaleidescopin’» d’ouverture de balda. Verlaine y joue sa très vieille carte de TV funk blanc. C’est toujours le même son et Verlaine chante du fond d’un gosier parcheminé. Il tortille bien son astro-funk groovytal. Il refait le cirque de Johnny Jewel dans «August» qui n’a rien d’auguste. Il drive sa chique, mais loin du Quartier Latin et des Zutiques. Il n’en finit plus de reproduire son vieux modèle maladif. Le white funk d’«Ancient Egypt» finit par indisposer. Ce no-wave sound frise le Talking Heads. On perd le hard-talk de TV. Il n’empêche que derrière le rideau, les grattes sont voraces. Ça dégénère même en gratté de poux épileptique. Verlaine fait bien son biz. Mais il peut indisposer, il faut le savoir. De toute évidence, il n’entre pas dans l’histoire de la fameuse bataille avec «Stalingrad». Il y perd un peu de sa crédibilité. Mais on l’écoute car, d’une certaine façon, ça reste puissant. Verlaine finit par s’inscrire dans le heavy balladif, son «Pillow» est solide, on sent le vrai songwriter, il s’inscrit dans le marbre de la télé - A bluebird in a tree - Il travaille encore son «Storm» au corps à coups de love me up a storm, c’est-à-dire au heavy funk drop. Il reste dans son style et dans son beat. Peut-on parler d’une œuvre ? Pas vraiment. C’est juste un style, mais un style unique qui s’affirme, album après album, un style qui le sort du troupeau des moutons de Panurge. Ça l’arrange bien Verlaine d’avoir un style unique, ça lui permet de s’imposer comme un artiste. Il finit son album en mode petite pop avec «Cooleridge», il joue de ses charmes frelatés et sonne comme une vieille pute, puis «Payer», plus bossa nova à la mormoille, limite new wave. Il fait n’importe quoi pour remplir son album. C’est dur de voir un si bel altiste se griller en prenant les gens pour des cons.    

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             La belle ampoule qui éclaire la pochette de Warm And Cool est censée indiquer la présence d’idées. Tintin pour les idées ! C’est un album d’instros. Billy Fica bat toujours le beurre et un certain Patrick A Derivaz bassmatique. Si tu veux t’ennuyer, c’est l’album idéal. Zyva copain, elle t’attend ton idole des jeunes ! Verlaine se prend pour Peter Green dans «The Deep Dark Clouds», c’est agaçant. On perd vite patience avec ces mauvais tours de passe-passe. Pour «Saucer Crash», Verlaine y va au Saucer. On a envie de lui dire : «Laisse tomber poto, tu nous les tarabustes.» On attend de la viande et il ne nous ramène que le squelette. Mine de rien, il réussit presque à t’entraîner dans son délire. C’est tout de même incroyable qu’on en vienne à écouter des albums qui n’apportent rien. Méfie-toi des ampoules ! C’est souvent l’arbre qui cache la forêt. Quel gâchis cet «Harley Quinn». C’est pas beau. Tu as besoin de choses plus solides pour ton équilibre mental.      

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             Rebelote avec Around. Encore un album d’instros paumés. Il faut boire le calice jusqu’à la lie, sinon, on ne sait pas. Disons que Verlaine expérimente. Il fait de l’exotica de gratte paumée. Alors tu suis ou tu suis pas. C’est ton problème, pas celui de Verlaine. Si tu es fan, on va dire inconditionnel, et que tu es curieux, tu suis. Tu marches sur des œufs. Verlaine flirte en permanence avec le discrédit. Et pourtant il semble continuer de créer son monde. Il a l’air sûr de lui. Il gratte pour des prunes, comme dirait Gide. Avec «Balcony», il revient à son vieux TV sound. Il ne fait que suggérer, c’est tout le propos de cet album. Mais il reste très directif. Sa gratte chante pour lui. Avec «Eighty Eights», il fait un cirque assez pur, presque mélodique, par contre, il devient malencontreux avec «Wheel Broke», un heavy boogie grossier, atrocement dérisoire. Il termine en mode prévisible avec «Rings», une vieille jam de fin de non-recevoir, bien travaillée dans la couenne du lard, du pur Verlaine.   

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                 Et puis en 2006 tombe du ciel un album quasiment parfait : Songs And Other Things. Il renoue avec son funk d’agonisant dès «Heavenly Charm», en plein dans la veine de Johnny Jewel, et ce n’est pas une métaphore. Ça redevient bougrement captivant. Verlaine chante ses cuts dégueulasses avec une sorte de dégoût profond, on s’essuie les doigts tellement ça pue. On le voit éructer dans la valse des étrons de «Blue Light», il n’a plus aucun espoir. Back to New York City avec «From Her Fingers», Verlaine y va au fa fa fa, le côté diskö est inadmissible, c’est d’ailleurs cette tendance qui a coulé Blondie et les Talking Heads, leur attirance pour le dollar diskö, mais le fa fa fa de Verlaine passe comme une lettre à la poste. Rien de plus insidieux que le «Nice Actress» qui suit, Well I got you come, il cueille la rose à la bouche de la décadence. Et boom ! Les heavy chords de «The Earth In The Sky» éclatent, c’est très spectaculaire, ça se passe au meilleur niveau tremblant, tu as vraiment le Verlaine des temps modernes, il écrit des vers, de la prose, en attendant le jour qui vient, te voilà en pleine magie. Il développe ensuite des langueurs pas monotones, il se meut dans le groove frappé sec de «Lovebird Asylum Seeker» et travaille sa défaite dans le détail avec «Documentary». Ce genre de mecs n’aiment pas qu’on les embête quand ils scient la branche sur laquelle ils sont assis. Pour eux, c’est important de pouvoir creuser sa propre tombe. Le poète doit toujours se noyer dans le jus de sa déliquescence. Ce qui fait très bien Verlaine. Il gratte son «Singalong» dans le free d’un funk de no way out. C’est sa vision de la modernité. Il déconstruit le funk à la plaintive. Il provoque les savants. Il leur rit au nez. Il salomonte ses clavicules et force sa langue à danser le jerk. Verlaine te propose ici un album atrocement inventif, un album sans peur et sans reproche, il gratte fabuleusement dans la couenne du lard et se plaint en permanence. Il revient à son cher vieux TV rock avec «All Weirded Out», bien claqué au sommet du crâne, c’est effarant de much better, Verlaine n’a jamais fait couler autant de bave de rock, il est fabuleux d’éclat terni. Et puis voilà le coup de génie : «The Day On You», tu ne sais pas d’où ça sort et boom ! Ça tombe du ciel, là tu peux y aller, c’est solide, la pop scintille et le chant danse le mambo avec la muse, Verlaine te harponne comme si au fond tu n’étais rien d’autre qu’un vieux cachalot blanc.

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             Tom Verlaine n’est pas le seul ex-Television à mener une carrière solo. Richard Lloyd compte à son actif une petite ribambelle d’albums solo. Si on les écoute, c’est forcément par curiosité, d’autant que le premier est paru sur Elektra en 1979, alors que le label était encore en vogue. Mais hélas, Alchemy n’est pas ce qu’on pourrait appeler un bon album. Le pauvre Richard y joue une pop gentillette et toute la tension de Television a disparu. C’est le genre d’album qu’on va renvoyer dans le circuit aussitôt après l’avoir écouté. On s’y ennuie légèrement. La pop gentillette ne mène nulle part. Il paraît même bizarre que cet album si faible soit sorti sur Elektra. Le pauvre Richard n’a pas de voix. On retrouve ça et là des bribes de TV Sound, comme dans «Should Have Known Better», mais il manque l’essentiel, le côté tourmenté. Le jeune Richard est trop gentil. 

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             Il se fâche un tout petit peu sur Field of Fire paru en 1985. On sent dès l’ouverture une belle détermination à vaincre. Le jeune Richard n’a toujours pas de voix, mais il tente quand même le coup. On le voit même beefer son son dans «Losin Anna». Du coup, il retrouve sa crédibilité de TV man. Mais c’est en B que se joue le destin de l’album, avec un «Pleading» joué sur les accords de «Friction». Le jeune Richard renoue enfin avec le TV Sound. Il ressort son vieux son Fender lancinant et tellement new-yorkais. Encore mieux : le morceau titre, paré d’une admirable ambiance. Comme son compère Verlaine, le jeune Richard peut jouer de très beaux solos entreprenants. Il vise lui aussi le firmament. Ce cut pourrait très bien figurer sur le premier album de Television, rien que par la lancinance du beat et la qualité des échappées belles.

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             Deux ans plus tard, le jeune Richard se fait peindre avec une guitare rouge pour la pochette de Real Time. C’est un album live qui démarre sur une cover assez médiocre de «Fire Engine», un vieux hit du 13th Floor. On note au fil des cuts une absence tragique de viande. On observe un petit sursaut avec «Lost Child», joli slab de rock insistant mais difficile à cerner dans l’océan de médiocrité qu’est hélas cet album. Le jeune Richard n’a définitivement pas de voix. Tout repose sur son passé de TV man. On n’écoute la B que par conscience professionnelle. Quelques relents de TV s’échappent de «The Only Feeling». On y retrouve en effet la froideur du beat et l’alchimie solotique, ces chapelets de notes cristallines égrenées dans la lumière des matins blêmes. Il tape plus loin dans le «Field Of Fire» de l’album précédent et on le voit visiter les couches supérieures des mondes aléatoires. Les luttes s’y font très intestines, le jeune Richard va vers la beauté, c’est indéniable. Il ressort aussi son beau «Pleading» et là, il remporte une sorte de petite victoire : il réussit à convaincre. Ce mec n’a pas de voix, mais il amène autre chose, une présence, un certain ton guitaristique, un parfum de pop-rock new-yorkaise, c’est très spécial et très communicatif. «Pleading» est un joli cut. 

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             Sur la pochette de The Cover Doesn’t Matter, le jeune Richard s’emmitoufle. Il démarre sur une belle énormité nommée «The Knockdown». Oh le petit démon ! Il déballe un heavy sludge d’heavy as hell, il combine la grosse attaque et la folle énergie. Il a tout in tow. C’est pas compliqué : il te fait du real deal de wild as fuck. L’autre belle énormité s’appelle «Strange Strange», il chante ça au funk TV. Le jeune Richard est comme son pote Verlaine, un immense artiste. Il ne joue que des solos miraculeux. Il revient dans le giron du TV sound avec «Torn Shirt». C’est du pur NYC blues punk, un vrai pulsatif de bad funk. On reste dans le pur TV sound avec «Raising The Serpent», il fait de l’excelsior télévisuel, il osmose à outrance. Tu ne perds pas ton temps à écouter les albums de ce mec-là. Ses solos voltigent, il ne vit que pour le wild as fuck. Ça sent bon le Marquee Moon. Il passe au fast TV sound avec «Submarine». Il voyage dans son cut comme un fantôme du Bengale, de liane en liane, le jeune Richard perce bien ses boutons de pus, il incube de jolis éclats d’excelsior, tu n’en reviens pas d’entendre un mec aussi doué, il embobine tout avec ses solos, il cavale sur la crête du son comme un Hendrix blanc, il traverse le son de part en part. Le jeune Richard est un homme qui a du son, énormément de son. Sur «Ain’t It Time», il est capable de sonner comme les Byrds. «She Loves To Fly» est encore plein de son, plein d’accords, avec le killer solo flash à la clé. Les relances pop qu’il fait dans «I Thought» sont absolument somptueuses. Il finit sur une note intense avec «Cortege», comme le fait Gene Clark sur ses albums.  

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             Allez, tiens, encore un superbe album du jeune Richard : The Radiant Monkey. Tu y trouves encore deux cuts dignes de Marquee Moon : «Only Friend» et «One For The Road». Il est dans le bain, il nappe sec, avec des accords crades, il fait du TV shot, il réinvente l’énergie maladive de son pote Verlaine et finit même par chanter comme lui - Yeah gimme one for the road ! - L’énormité de l’album s’appelle «Big Hole», il sort ses chops hendrixiens, il reste le fabuleux mover & shaker que l’on sait, il pulse son suppo dans la rondelle des annales, il fait du real deal inverti, il huile ça pour que ça coule dans les bas fonds, fabuleux Richard Cœur de Lion, il hendrixifie jusqu’au bout de la nuit célinienne. Le «Monkey» qu’il claque en ouverture de bal est heavy as hell. Il se sert du TV sound pour aller sucrer les fraises de sa heavyness. On se croirait chez Blue Cheer. Il arrache le foie du Monkey. Il frise l’«I’m a Monkey» de Jag. Il ramène les accords de Verlaine dans «Glurp» et va vite en besogne avec «Swipe It». Il vise naturellement le pandémonium. Il revient aux racines du TV set avec «Kalpa Tree» et on voit bien qu’avec «Amnesia», il ne baisse pas d’un seul cran. Chez lui, le TV sound devient une obsession. Le pire c’est que tout ce bordel est bon, au-delà de toute expectitude. Nouveau shoot d’heavy groove avec «Carousel» - C’mon girl/ Let’s go for a ride - Il s’énerve avec «Wicked Sun», il en a les moyens. Il bricole une sorte de fast heavy dumping, tu te régales, il pique une belle crise et échappe au TV Set à coups d’ooouh yeah.  

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             Comme chacun sait, Richard Lloyd fréquentait Velvert Turner. Ils étaient très liés et partageaient la même fascination pour Jimi Hendrix, un Hendrix qui prit un temps le jeune Velvert sous son aile. Alors il faut écouter ce spectaculaire album nommé The Jamie Neverts Story, Jamie Neverts étant le pseudo inventé par Richard et Velvert pour parler de Jimi. C’est l’un des plus beaux hommages jamais rendus à Jimi Hendrix. Dès «Purple Haze», tu es au paradis. Le jeune Richard joue la rockalama hendrixienne au power de spell on me, il groove entre tes reins, tu peux en être certain. C’est une révélation, comme le fut d’ailleurs le «Puple Haze» que joue Jeffrey Lee Pierce dans l’Hardtimes Killin’ Floor Blues d’Henri-Jean Debon. Sur cet album, le jeune Richard est accompagné par Keith Hartel (bass) et Chris Purdy (beurre). Dans les liners de l’album, le jeune Richard raconte l’histoire de son amitié avec Velvert qui allait chez Jimi on West 12th Street prendre des leçons d’Hendrixité et qui revenait chez Richard lui transmettre le précieux savoir. C’est en souvenir de cette amitié triangulaire que le jeune Richard a voulu enregistrer cet album - So here you hold in your hands the payment of my debt to Jimi and Velvert - Puis le jeune Richard tape «Ain’t No Telling» avec toute l’énergie de l’Hendrixité tentaculaire, tout le guitarring mythique est là, just around the corner. Stupéfiant ! Et ça repart de plus belle avec «Spanish Castle Magic», il se fond dans l’art supérieur du hang on my darling, il recrée tout le flush de l’Hendrixité, ça bombarde au Spanish Castel Magic, c’est effarant de véracité, look out ! Il est dessus, à la mesure près, le Castle vibre de toutes ses pierres caoutchouteuses. Il tape ensuite «I Don’t Live Today» au punk new-yorkais, il négocie bien l’accès au génie suprême, une note, I don’t/ note/ Live today, c’est tendu et boudu sauvé des eaux, no no no. Le jeune Richard joue comme un dieu, il attaque «Little Music Lover» à la dure et pique sa crise. Il fait ses choix. Ses choix lui appartiennent. Billy Fica bat le beurre. «Wait Until Tomorrow» n’est pas la plus évidente des Hendrixités, mais le jeune Richard en fait ses choux gras, until tomorrow/ Good night yeah. Il tape aussi «Bold As Love» et boucle avec «Are You Experienced», l’ultimate de l’Hendrixité, la vieille question qu’il te posait, petit branleur, en 1967 : Are you experienced ? Comme si toute ta vie se déroulait à partir de cette chanson. Richard la joue à la purée mortelle de la mortadelle.

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             Il ne faut surtout pas s’empêcher d’aller écouter Live New York 1979, car le jeune Richard y fait comme on s’en doute des étincelles. Tu veux entendre jouer l’un des meilleurs guitaristes américains ? Alors écoute «Pretend > Should Have Known Better». Pur TV power, saturé de heavy guitars : ils sont trois, James Maslon, Matthew Mackenzie et Richard, ça joue à la sature des saturnales, au perçant de heavy TV set, c’est le guitah cut par excellence, outrancier, sonique, impavide, le jeune Richard s’envole dans la démesure du gratté de poux. Avec «Number Nine», il sonne comme Verlaine. Il chante exactement avec la voix de son maître. Il est marrant et si powerful. C’est Fred Smith qui bassmatique. Avec «Misty Eyes», il lance la curée du curé de Camaret, il joue à la folie du crève-cœur, il tisse des toiles à l’infini, on sent bien la Television, il creuse un tunnel dans l’underground et la qualité de sa disto épate la sauce tomate. Il fuite en permanence. Avec «Alchemy», il se prend encore pour le TV set, il essaie de reconstituer l’ancienne magie de Marquee Moon. Du son, rien que du son et des grosses veines saillantes, le tout balayé par de violentes bourrasques d’accords.

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             Et puis voilà de quoi refermer le chapitre Richard Lloyd en beauté : The Countdown, paru en 2018. Très bel album, bien hendrixien dès le «Wind In The Rain» d’ouverture de bal. Il y propose un mix d’hendrixité et de TV. Ce mec est bon - C’mon little darling/ let me hold you close - Il est fabuleusement rock’n’roll, il a tous les réflexes du c’mon little darling et là tu te régales, car voilà un très beau shoot de heavy TV show. Il a des descentes de manche superbes, il va au contact, il t’hendrixifie les choses jusqu’à plus soif. Il reste dans son mélange toxique d’hendrixité et de TV, il devient d’une certaine façon the king of New York, un Christopher Walken sonique, il tape son heavy groove aux notes montantes, il swingue son manche - Just like smoke/ It tends to disappear/ That’s the way/ That it goes - Tu le prends encore plus au sérieux avec «So Sad», il coule son heavy TV sound dans le so sad, il te sature toutes les itérations, c’est un fabuleux guitariste d’adventisme killer-sharp. Il joue dans l’œuf du serpent. En fait, c’est lui l’infectueux dans Television. Plus loin, il opte pour la power pop avec «Something Remains» et c’est excellent, comme s’il tapait du poing sur la table. Il tricote une fantastique trame de notes sur ses couplets et il stoppe soudain le tempo pour mieux repartir. Effet superbe, puis il passe bien sûr un solo d’excelsior. Richard ne serait pas Richard sans ce type de solo de très haut niveau. Il passe au heavy down the drain avec «Down The Train». Retour fulgurant à l’hendrixité, cut parfaitement génial, doté d’un vrai pouls battant. Richard Lloyd est un géant, qu’on se le dise. Il a tellement de son qu’il balaye tout Verlaine et tout TV. Il termine cet album subjuguant avec le morceau titre, il y va même franco de port, c’est littéralement bardé de son. 

    Signé : Cazengler, télé pasteurisé

    Television. Adventure. Elektra 1978

    Television. The Blow-Up. ROIR 1982

    Television. Television. Capitol Records 1992

    Television. Arrow. Boot

    Tom Verlaine. Tom Verlaine. Elektra 1979

    Tom Verlaine. Dreamtime. Warner Bros. Records 1981

    Tom Verlaine. Words From The Front. Virgin 1982

    Tom Verlaine. Cover. Warner Bros. Records 1984                            

    Tom Verlaine. Flash Light. IRS Records 1987

    Tom Verlaine. The Wonder. Fontana 1990   

    Tom Verlaine. Warm And Cool. Rykodisc 1992        

    Tom Verlaine. Around. Thrill Jockey 2006                    

    Tom Verlaine. Songs And Other Things. Thrill Jockey 2006

    Richard Lloyd. Alchemy. Elektra 1979

    Richard Lloyd. Field of Fire. Mistlur 1985

    Richard Lloyd. Real Time. Celluloid 1987

    Richard Lloyd. The Cover Doesn’t Matter. Evangeline Recorded Works 2001 

    Richard Lloyd. The Radiant Monkey. Parasol Records 2009   

    Richard Lloyd. The Jamie Neverts Story. Parasol Records 2016  

    Richard Lloyd. Live New York 1979. Air Cuts 2017

    Richard Lloyd. The Countdown. Plowboy Records 2018

     

     

    House Of Love sort de sa housse

     

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             Tous les fans de rock ses souviennent de Guy Chadwick et d’House Of Love, qui fit sensation dans l’Angleterre poppy/popette des années 80. Pour les ceusses qui ne le sauraient pas, House Of Love est le petit nom charmant du vagin féminin. Quand une dame accueille une grosse bite chez elle, elle lui dit : «Welcome in my house of love». Bizarrement, il n’y a rien de sexuel chez Guy Chadwick et ses collègues. Ils sont même un peu austères. On sent les Anglicans, et les vieux fonds de protestantisme et d’habits noirs.

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             Leur premier album sans titre n’avait pas laissé de grands souvenirs, même s’il paraissait sur Creation. Il s’agissait essentiellement de petite pop, mais ça restait décent, car House Of Love était ce qu’on appelait alors un groupe à guitares. Toute la réputation du groupe de Guy Chadwick repose sur deux cuts : «Christine» qui se trouve sur ce premier album, et «The Beatles And The Stones» qui se trouve sur le suivant, non rapatrié à l’époque, le premier House ayant été jugé trop faible en Conseil d’Administration. C’est vrai qu’à part «Christine», il n’y a pas grand-chose à se mettre sous la dent, sur le premier House. C’est encore pire à la réécoute. L’album fait partie de ceux qui vieillissent très mal. Ces albums englués dans les maniérismes d’un temps reculé. Sur «Christine», Guy Chadwick et Terry Bickers taillaient pourtant leur route aux accords d’essaim magique. C’est de la pop bien enfoncée du clou. Bickers était l’un des enfants prodiges de la pop anglaise, il naviguait un peu au même niveau que Johnny Marr. Puis après, ça commence à se déliter. On sent une certaine forme de carence compositale. Un manque d’appétence pour l’avenir. Un côté pop trop conventionnel. «Sulphur» est d’un ennui mortel. On décroche. «Man To Child» ne marche pas non plus. Un coup pour rien. Le pauvre Guy Chadwick essaye de récupérer des suffrages, en vain. C’est d’autant plus désespérant que le son est soigné. Sur «Love In A car», il sonne comme U2, ce qui d’une certaine façon sonne le glas. Il revient à de meilleurs sentiments avec «Happy», comme s’il voulait déplacer des montagnes. Et ça se termine en beauté relative avec «Touch Me», et une belle partie de wild guitars signée Bickers, et bien combinée aux ambiances poppy/poppah.

             En fait, on ressortait l’House de l’étagère pour préparer une réunion du Conseil d’Administration. Il s’agissait de mettre au vote le financement d’une place de concert : House Of Love à Rouen. Du moins la reformation d’House. Comme il n’y a qu’une personne au Conseil d’Administration, le oui l’a emporté à l’unanimité. Budget voté.

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             Voilà comme on se retrouve dans une salle de concert aux pieds de Guy Chadwick qui comme tout le monde a pris un sacré coup de vieux. 67 balais. Ça va encore. Il est encore plus austère qu’on ne l’imaginait, mais ça fait du bien de voir des Anglais sur scène. On dit toujours que le groupe anglais le moins bon sera toujours meilleur que le meilleur groupe français, ce qui n’est pas tout à fait vrai, ni tout à fait faux. Ça dépend de la façon dont on s’est réveillé le matin, et donc de la façon dont on est luné. Enfin bref, voilà des Anglais avec leur petit biz poppy/popette. Guy Chadwick et son guitariste, un certain Keith Osborne, jouent sur des fringantes demi-caisses, et aussitôt après le cut d’intro, ils tapent une fiévreuse mouture de «Christine». C’est incroyable comme la Christine tient bien la route, elle doit avoir une belle house of love sous sa jupe, car elle n’a rien perdu de sa verdeur carabinée. Puis après, il faudra attendre «The Beatles And The Stones» pour sentir un naseau frémir, car oui, quelle belle approche de la nostalgie - The Beatles and the Stones/ Made it good to be alone - Diable, comme on a pu adorer ce balladif en filigrane, comme on a pu s’identifier à cette dentelle de Calais faussement psychédélique et doucement caressante. Et puis l’autre hit d’House c’est le fameux «Shine On», mais le charme finit par s’évanouir, chassé par trop de chansons monotones.

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    Alors on reporte toute l’attention sur cet extraordinaire guitariste qu’est Keith Osborne, un petit homme d’un certain âge, aux joues dévorées par des belles rouflaquettes de rockab, et le mec joue avec une posture de main gauche superbe, au poignet cassé et au pouce avancé, il faut le voir gratter ses incursions sélectives, il amène dans l’House une science diffuse, il joue en retrait mais avec une connaissance parfaite des secrets de la persistance insidieuse, il joue des bribes de filets et parfois il part en blossom de freakout le temps d’un killer sharpy fulgurant, on réalise petit à petit qu’Osborne est un guitariste magnifique, l’un de ces petits soldats de l’ombre du rock anglais qui ramène sa science guitaristique pour recréer la magie évanouie d’un groupe qui connut son heure de pâle gloire voici trente ou quarante ans, on arrondit pour aller plus vite, il n’empêche que ce mec vole le show, il est dans tous les coups fourrés, il monte sur tous les bracos, il tinte ses sinusoïdes, il contourne ses filocheries, il tactile et il tisse, il trame ses tournicotis, il est fabuleusement industrieux sans l’être, c’est d’une certaine façon l’apanage des grands sbires. Tout le prestige de l’empire repose sur leurs épaules. Osborne, c’est exactement ça, la cheville ouvrière d’un son perdu dans les méandres du passé. Mais il le fait avec un brio qui force l’admiration. Et le diable sait si l’admiration aime à être forcée. Elle n’est jamais la dernière à monter son cul.

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    Signé : Cazengler, housse-toi de là !

    House Of Love. Le 106. Rouen (76). 22 mars 2023

    House Of Love. The House Of Love. Creation Records 1988

     

     

    L’avenir du rock - Pop art (Part Three)

     

             S’il est une chose que l’avenir du rock apprécie particulièrement, c’est bien d’aller flâner la nuit au bord du marécage. Il tient cette manie de son vieil ami Monsieur Quintron qui, comme chacun sait, allait la nuit enregistrer le chant des grenouilles. Son album Frog Tapes n’est jamais entré dans aucun hit-parade, mais il a fait le bonheur d’une poignée d’excentriques. L’avenir du rock se réjouit d’en faire partie. On a les tribus qu’on peut, pas vrai ? N’étant jamais en panne d’imagination, l’avenir du rock s’enfonce dans le swamp, rêvant d’y croiser le fantôme de Tony Joe White, ou peut-être un albinos échappé du Petit Arpent Du Bon Dieu d’Erskine Caldwell, ou encore les trois taulards psychédéliques évadés de l’O’Brother des frères Coen. Car oui, tout est là, dans ces petites mythologies marécageuses, si propices aux fièvres imaginaires. Aux yeux de l’avenir du rock, chaque œuf de têtard est un mythe en devenir, alors, il ouvre bien grand les yeux en avançant dans les ténèbres. Le marais vit la nuit. Les créatures sont de sortie, soit pour casser la croûte, soit pour tirer un coup, il en est ainsi depuis l’origine des temps. On fait tous exactement la même chose. On ne vit que pour béqueter et forniquer. La seule différence avec les créatures du marais, c’est qu’on dort la nuit. L’avenir du rock continue d’avancer, éclairé par la lune. Les créatures font un raffut terrible. Et puis soudain, trois silhouettes apparaissent, assises au bord d’une grande mare. L’avenir du rock se rapproche sans faire de bruit pour mieux les observer. Leur peau humide luit faiblement. Elles portent toutes les trois des bijoux très anciens. Au centre, se tient une créature hybride à corps de grenouille et à tête d’homme. L’avenir du rock se frotte les yeux. Il n’en revient pas. Il croit reconnaître ce visage outrageusement fardé et comme entraîné vers le bas par des paupières lourdes et une épaisse moustache roussâtre. Serait-ce Jean Lorrain qui dit-on vouait un culte séraphique aux grenouilles ? Pas de doute, c’est bien Monsieur de Phocas, consignateur des dégoûts et des vices que lui inspirèrent son époque ! À sa droite se tient une autre créature hybride, un lézard à tête d’homme. L’avenir du rock le reconnaît immédiatement : Jimbo, le Roi Lézard, beau comme un dieu, couvert d’écailles, les bras chargés de bracelets d’ivoire et d’or massif. Et bien sûr de l’autre côté, se tient l’Iguane, tout droit sorti de la pochette de Lust For Life, et dont la longue queue écaillée de camaïeu trempe dans l’eau noire.

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             Cette rencontre était assez prévisible. Iggy Pop et Jim Morrison ont su créer leurs légendes respectives et rejoindre l’immense Jean Lorrain dans sa vénération des créatures amphibiennes.

             On papotait l’autre soir après un concert. De choses et d’autres, comme toujours dans ces cas-là. Blih blih blah blah. Oh oui blah blah ! Blih blah ? Oh la la blih blih ! Il demande à un moment si j’ai écouté «le nouveau Iggy».

             — Patencore... Comment quilé ?

             — Mmmmhummmuhhggrrrhjjr...

             — Avec Iggy, faut jamais taffier aux premières zimpressions...

             — Ouhhuais mais mmmhhmmmuhhggrrrhjjr...

             Si un chipoteur comme ce mec-là réagissait ainsi, ça signifiait en clair que «le nouveau Iggy» ne pouvait être que bon. Ce que les gens n’ont jamais compris, c’est que chaque «nouveau Iggy» te donne un accès direct à Iggy qui est depuis nineteen and sixty nine baby ton meilleur ami. On ne peut pas avoir d’avis mitigé sur les «nouveaux albums» de son meilleur ami. Les gens ne se rendent pas compte à quel point ça doit être compliqué de rester génial pendant cinquante ans. Un autre incident du même type s’est produit lors de la parution d’Après, l’album sur lequel Iggy chante «La Javanese», «Syracuse» et d’autres merveilles du même acabit. Un autre mec, un ami qui avait encore alors pignon sur rue, pestait, il ne décolérait pas, il traitait «Jim» de tous les noms, parce qu’il avait «trahi» l’esprit des Stooges en voulant jouer les crooners et chanter en français. Il n’avait pas compris qu’Iggy est un crooner de choc et que son hommage à Gainsbarre est en soi un véritable coup de génie.

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             «Le nouveau Iggy» s’appelle Every Loser. On avait bien raison de le supputer : c’est une bombe. La bombe d’un vieux schnoque de 76 balais. Boom dès «Frenzy». Si tu l’écoutes au casque, ton casque saute, tellement c’est saturé de son. Iggy opte cette fois pour le blast de frenzy, il y va comme au premier jour, il tape dans le ventre du wild punk as fuck, et au loin, tu as des mecs qui gueulent «frenzy !». Un shoot pareil, ça te tétanise un tétanos, il pleut des apo, des apo, oui mais des apocalypses, tu twistes sous un déluge de feu et Iggy sonne une fois de plus comme le cœur du problème. Il passe au deepy deep avec «Strung Out Johnny», Iggy t’enrobe, il t’emmène une fois de plus au paradis du Passenger, ça joue dans tous les coins, ça te sature les saturnales, Iggy sonne comme le roi de Babylone, il est le Nabuchodonosor du XXIe siècle, le puissant seigneur de la cité construite en briques émaillées. Puis il redevient le fantôme de feu que l’on sait avec «Modern Day Ripp-Off» attaqué au riff stoogy. Andrew Watt joue comme Ron Asheton, alors tu reviens à la source du big heavy Stoog-fuck off. Même pulsion. C’est noyé de son. Il faut ensuite attendre «All The Way Down» pour le voir renouer avec le heavy groove, son vieux fonds de commerce. Pure hell ! C’est plein d’esprit et de stoogerie. Come down ! Il repique aussi la veine du Passenger dans «Comments», avec une classe écœurante - Show my face to Hollywood - Il termine avec «The Regency». C’est Dave Navarro qui monte au brac sur ce coup-là. Iggy dérive au mieux de son baryton déviant. Impressionné par les tattoos du Navarin, Iggy vire hardcore, il fait son cirque, du haut de sa grandeur, fuck your regency, il a raison, il ampoule son propos, il cale son carré dans Cicéron et couaque des cliques dans des claques, tu es dans l’univers d’un artiste qui te dépasse depuis toujours, un artiste espiègle et profond à la fois, tu te prosternes à ses pieds, même s’il ne te le demande pas, fuck the regency, on espère seulement que ce ne sera pas le dernier «nouveau Iggy».  

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             Dans la presse anglaise, Iggy est à l’honneur. Le voilà en couverture de Record Collector. C’est un événement considérable, une sorte de consécration. Iggy en couve d’un magazine, remember «Five Foot One» ? - And I wish life could be/ Swedish magazines - Il accorde une interview fleuve à Chris Roberts, 10 pages, de l’encore jamais vu ! Avec dans la double d’ouverture un shoot du vieux pépère de 76 balais. Une classe épouvantable. Peau fripée mais classe d’Iguane. Comme d’ailleurs la couve, où il sourit faiblement, cheveux filasses, barbichette blanchie et regard bleu d’eau. On comprend que des milliards de gonzesses à travers le monde soient encore folles de lui. On adore l’idée que des vieux crabes comme Croz et Iggy aient pu vieillir aussi dignement. Ils emblasonnent ce qui est pour nous le plus précieux : la légende du real deal.

             Roberts présente Iggy comme «the most intelligent, articulate rock star you could hope to meet.» Et il ajoute plus loin : «He has in abundance what Bowie called ‘the power to charm’.» Roberts fait d’Iggy la plus belle présentation qu’on ait vu dans la presse anglaise depuis celles de Nick Kent. Pas de révélations dans l’interview fleuve. Iggy répond aux questions pointues de Roberts en balançant quelques évidences, disant par exemple, quand il entre en studio pour enregistrer, «I want it to be really good», ou lorsque Roberts évoque la parution du «nouveau Iggy», «the classic rock albums usually have three ou four that rock out, then the rest tend to be a little more slow or... mirrored.» Il explique aussi qu’il a rencontré son nouveau producteur Andrew Wattt lorsque Morrisey l’a invité à venir chanter avec lui sur l’un des cuts d’un album à paraître (Bonfire Of Teenagers) - He’s mentioned me that his producer was extraordinary. So that’s how I became acquainted with Andrew - C’est vrai que Watt est bon, il suffit d’écouter «Frenzy». L’ig dit aussi qu’Andrew Watt est un grand chanteur. Il fait tous les backings sur Every Loser. Iggy dit pour rire qu’Andrew aurait pu chanter dans les Four Seasons - He’s that fabulous a singer - Iggy rappelle aussi qu’il connaît Duff McKagan (bassman sur Every Loser) depuis Brick By Brick, enregistré en 1990. Il avoue qu’ils ont fait les 400 coups ensemble - we’ve discussed Playboy models, done cocaine together, swilled vodka, chased a rainbow together, stolen a truck - Il raconte aussi le mal qu’il a eu à arrêter de fumer, dans sa petite maison de Miami. Il indique que le 3e jour est le jour clé. Quand il évoque l’époque de Kill City en 1977, il rappelle qu’il était all over the place - There was no fixed address. There was no income. There was no affiliation. There was no... sense. Nothing. And I was as stoned as possible at all times. And yet, the lyrics and the delivery are very orderly. I was still orderly. That’s the dream. For all musical artists - Ordonné ? C’est le moins qu’on puisse dire, car quel fantastique album, paru à l’époque sur Bomp!. Alors Roberts revient sur le dream et demande à Iggy ce qu’il entend par the dream. La réponse ne se fait pas attendre : «The dream is what’s important here is The Work. And my Art. And it should have life to it. It should have truth to it. Il devrait y avoir aussi une partie de moi là-dedans. Mais aussi une partie des gens, tu veux que les gens l’acceptent et y croient. Ils doivent y croire. Ces choses-là sont d’une importance capitale (of paramount importance).» Iggy revient aussi longuement sur l’extraordinaire Fuck The Regency qui clôt Every Loser : c’est une réponse à Bono qui lui reprochait de jeter sa couronne en se jetant dans le public. Iggy dit n’avoir pas très bien compris l’ensemble de cette «lettre ouverte», mais ça le fait marrer - Again, only an idiot would throw away his crown, ah-ah - Iggy et John Lydon même combat ? Eh oui ! Fuck The Regency ! Et quand Roberts lui demande s’il est encore le même mec que l’Ig de Raw Power, l’Ig répond sans ambiguïté : «C’est moi, mais c’est vrai que je suis aussi une autre personne aujourd’hui. I’m under a whole repertoire of constraints now, qui m’ont permis d’avancer dans la vie. Et de continuer à vivre. Given the limitations I work with, including the limitations of a talent which everybody has, you should have to do what you need to do.» Iggy dit aussi que son album de l’année 2022 et l’Everything Is Beautiful de Spiritualized. C’est l’info la plus importante de l’interview, clin d’œil d’un géant à un autre géant. Ça devient hilarant quand il indique qu’il se calme un peu sur scène et qu’il arrête par exemple de sauter dans la foule - I did 38 shows last year and I didn’t stage-dive at all. (...) I’m too rickety - Qui ira lui reprocher de ne pas sauter dans la foule à 76 balais ? Qu’il soit encore sur scène, c’est un miracle.

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             Dans Mojo, il papote avec Tom Doyle. Il raconte sa journée à Miami : réveil avec un triple expresso au lit, un coup de jacuzzi, puis la piscine, il se peigne ensuite sur la terrasse, joue un peu avec Biggy Pop le cacatoès, puis 20 minutes d’exercices respiratoires (Qigong), 20 génuflexions pour chasser le début d’«happiness belly», et un breakfast à base de yogourt, de pistaches et de macadamia (beurre de cacahuètes). Puis il s’en va nager à la plage, un endroit précise-t-il inconnu des touristes. Il prépare ensuite son émission pour BBC Radio 6 (Iggy Confidential) et hop, il est prêt pour l’interview. Mais l’interview n’est pas terrible, trop axée sur les clichés, les excès dont la fucking presse spécialisée a fait ses choux gras. Iggy continue à jouer le jeu, mais on est aux antipodes de l’échange qu’il a avec Roberts dans Record Collector. C’est dingue comme ça peut changer d’un support à l’autre. Quand on demande à Iggy quelles sont les qualités qu’il attend de ses collaborateurs, il répond : «They must be lifelike. That’s the number one condition.» Il ne veut ni des gens raides ni de ceux qui poussent à la roue - Try to avoid, like, full professionals. I don’t like them - Il cite en exemple les frères Asheton comme ses collaborateurs les plus importants, avec David Bowie («The greatest single collaborator»). The Ashetons number one and Bowie number two. L’Ig conclut le chapitre Bowie en saluant Dark Star - Woah it’s very very very strong music - Et puis il reparle de sa limite d’âge et du fait qu’il ne plonge plus dans le public, il redit qu’il est too rickety, mais il affirme qu’à ses concerts, le public est génial. Pour illustrer son propos, il raconte les quatre âges de Wanna Be Your Dog : «Vous savez, je chantais I Wanna Be Your Dog et les gens me regardaient horrifiés. Puis je chantais I Wanna Be You Dog et les gens se contentaient de boire leur bière et de me regarder d’un air amusé. Puis j’ai chanté I Wanna Be You Dog et les gens groovaient. Quand je le chante aujourd’hui, les gens connaissent toutes les paroles des couplets par cœur. So that’s a beautiful thing.» Il a raison d’être fier, Iggy. Pour le repas du soir, il a fait décanter une bouteille de Château Haut-Brion, un «highly expansive Grand Cru Bordeaux», comme l’écrit le pathétique qui l’interroge. Au programme de la soirée, manger et boire en contemplant la rivière, et en écoutant chanter les grenouilles.

    Signé : Cazengler, Guy Pot (de chambre)

    Iggy Pop. Every Loser. Atlantic 2023

    Tom Doyle : Lust never sleeps. Mojo # 351 - February 2023

    Chris Roberts interview : I can take a punch. Record Collector # 540 - January 2023

     

     

    Inside the goldmine - Ruby sur l’ongle

     

             Passe, passe le temps, t’en souvient-il de Baby Cam ? Passent les jours et passent les semaines, comme le scandait si bien Apollinaire, rien ne revient, ni le temps et encore moins les amours, car sous le Pont Mirabeau coule la Seine et elle coulera encore longtemps après que les poètes auront disparu. Baby Cam fut l’un de ces merveilleux amours de jeunesse, l’un de ces antiques amours junéviles qui se résumaient au simple bonheur d’être ensemble. Oh un tout petit peu de sexe, mais surtout une insatiable faim de la présence de l’autre. Un amour de cour d’école, où l’on se jure de ne jamais se quitter en se coupant les pouces pour sceller cette union dans le sang. Elle était haute et maigre, des cheveux noirs de jais extrêmement soyeux lui couvraient les épaules. Elle ressemblait de façon troublante à June Millington, la guitariste de Fanny. Elle compensait l’obstacle de sa maigreur par l’éclat de son sourire. Il y avait dans son attachement quelque chose qui relevait de l’appartenance, une qualité d’attachement qu’on passe sa vie à rechercher ensuite chez d’autres femmes, en vain. Elle vivait dans la grande banlieue de Lille et ce qui fascinait le plus chez elle, c’était cette impression qu’elle pouvait se donner au premier venu, tellement elle incarnait cette insoutenable légèreté de l’être si chère à Kundera. Lui tenir la main devenait alors une façon de l’arrimer à la vie, et surtout de ne pas la perdre. Un soir de réveillon du Jour de l’An, nous décidâmes de partir en stop à l’aventure en Belgique. Il neigeait. Nous découvrîmes ce que l’on appelait alors une boîte, et nous nous installâmes confortablement dans une grande banquette. Nous passâmes la nuit à boire et à écouter de la musique. À cette époque, les DJs passaient encore du rock et nous fûmes gâtés car nous entendîmes l’intégralité de Let It Bleed. Et bien d’autres choses. Ce fut notre plus beau Jour de l’An. La boîte ferma au lever du jour et nous nous retrouvâmes tous les deux frigorifiés sur une petite route de campagne. Évidemment il n’y avait personne. On claquait des dents et ça nous faisait rire. Soudain une bagnole apparut dans le brouillard. Le mec, un barbu, accepta de nous ramener en France. Nous n’habitions pas ensemble, le barbu me déposa d’abord à Roubaix, puis il proposa d’emmener Baby Cam jusqu’à Lille. Un peu plus tard, elle m’avoua que le barbu l’avait violée. Une chape s’abattit soudain sur le souvenir de cette nuit magique et notre histoire mourut sur le coup.       

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             Plutôt que de monter dans la bagnole d’un barbu, Ruby Johnson est allée enregistrer chez Stax à la grande époque. Elle eut la chance de chanter du r’n’b accompagné par le team de choc : Isaac, Steve Cropper, Duck Dunn et Al Jackson. I’ll Run Your Heart Away est une compile qui rassemble ses singles Stax et Volt. Ruby Johnson ne fait pas partie des plus connues, mais elle vaut largement le détour. Lee Hildebrand qui signe les liners estime que cette compile équivaut à l’album jamais sorti de Ruby Johnson et qu’il rivalise directement ceux de Carla Thomas (Carla Thomas), d’Irma Thomas (Something Good/The Muscle Shoals Sessions), d’Etta James (Tell Mama), et des premiers albums de Candi Staton et d’Ann Peebles. Elle fut repérée dans un club de Washington DC par Never Duncan, le manager de Bobby Parker. Duncan produisit les premiers singles de Ruby sur son petit label, Nebs, et un disc-jokey local nommé Al Bell les passa sur une station locale nommée WLOK. Et quand Al Bell s’installa à Memphis pour co-diriger Stax avec Jim Stewart, il rapatria aussi sec Ruby. Malgré la présence d’Isaac et de David Porter, les singles de Ruby flippèrent et floppèrent.

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             Incompréhensible, car Ruby Johnson est, comme ses consœurs, capable de coups de génie, tiens comme ce «Weak Spot» de fin de compile, une énormité de Stax Sound. Avec «Come To Me My Darling», elle plonge dans le sexe pur d’I’m so lonely, elle souffre de la solitude du blues, elle fait de la Soul de need you. Avec «What More Can A Woman Do», elle tape dans le heavy slowah, wow, elle est bonne dans sa robe serrée, avec ses gouttes de sueur, elle chante au petit raw d’ultra proximité, elle fait l’Otis au féminin. Elle se donne encore les moyens du raw pour «I’d Rather Fight Than Switch», mais ce sont les moyens du bord, tu t’en doutes bien. Elle s’engage pour de vrai, alors il faut l’encourager. Ruby est une vraie bête de Stax du Gévaudan. Quand elle accompagne un cut, c’est au big raw, comme le montre encore «Won’t Be Long». Il y a quelque chose d’exemplaire en Ruby, elle crée très vite un réel attachement. Elle entre dans une sorte de clameur de gospel avec «Why Not Give Me A Choice», elle le fait avec une classe effarante, tout en douceur, c’est nappé d’orgue au why not, elle cueille la cerise du give me a chance. Elle est fine et tellement belle. Elle rentre dans le chou des cuts avec une facilité déconcertante. Hildebrand rappelle dans ses liners qu’elle surprenait tout le monde en studio et sur scène. Encore un vieux groove de Stax avec «It’s Better To Give Than Receive». Elle chante son r’n’b à l’accent cassé, comme une grande artiste. Nouveau coup de Jarnac avec «Keep On Keeping On», c’est énorme et elle est dessus. Elle chante le heavy blues de «Need Your Love So Bad» avec une niaque phénoménale. Elle monte sur tous les coups, avec un égal bonheur. Même en heavy blues de Stax, elle est géniale - I hope you need me too - Cropper nous gratte «I’d Better Check On Myself» à la réverb et on reste dans le heavy boom de Stax avec «No No No». Pur Stax genius. 

    Signé : Cazengler, Ruby à XV

    Ruby Johnson. I’ll Run Your Heart Away. Stax 1993

     

     

    Wizards & True Stars

    - Fall de toi (Part Five)

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             C’est en janvier 2018 que Mark E. Smith a cassé sa vieille pipe en bois. Dans la foulée de sa disparition est paru un étrange petit livre, Messing Up The Paintwork - The Wit And Wisdom Of Mark E. Smith. Ce Messing Up est un hommage (A celebration), un petit format qui s’avale d’un trait. Pas d’auteur. Messing Up propose une sélection d’extraits d’interviews, de petites histoires, d’hommages rendus par des fans et quelques photos. En couverture, on voit Mark E. Smith tirer sur sa clope. C’est l’une des plus belles images de cet inconditionnel du no sell-out. Ici, on adore les gens qui ne vendent pas leur cul.

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             Pour gagner du temps et de la place, on va faire comme les Anglais : on va appeler Mark E. Smith MES. MES ne nous parlait pas de rock mais d’art. Bon d’accord, on pouvait se contenter d’écouter les albums, mais les ceusses qui se sont aguerris en explorant l’histoire littéraire ont très vite compris que MES se situait à un autre niveau, celui des artistes visionnaires qui, consciemment ou pas, font de leur vie une œuvre d’art. Pour illustrer cette affabulation, traçons un parallèle entre la vie d’Arthur Rimbaud et celle de MES : ils surent tous les deux allier talent visionnaire et jusqu’au-boutisme. On pourrait aussi citer Oscar Wilde, bien que brisé, ou encore William Burroughs, magnifique spécimen de no sell-out. Ou encore Wyndham Lewis. Ou encore Van Gogh. Comme Van Gogh, MES n’est jamais content. Il vire les gens. Il leur tape dessus. Il boit comme un trou. Il travaille sans relâche. C’est à l’échelle d’une vie. On se demande comment il fait pour tenir aussi longtemps en buvant autant. Des pintes et des pintes et des shoots de Jameson, c’est ce que rapportent les interwievers. Et glou et glou. Stuart Maconie brosse en intro un portrait de trois pages du MES, et commence par rappeler que The Fall n’est jamais passé à Top Of The Pops et qu’aucun Fall cut n’est jamais grimpé dans aucun hit-parade. MES n’a jamais garé de Maserati devant une résidence à Knightbridge. Et boom, Maconie s’emballe : «MES était irascible, distant, drôle, belligérant, rebelle, fuyant, complexe et smart. Il était beaucoup plus qu’un personnage haut en couleurs. Ce esprit brillant a créé l’une des formes de British modern art : the music of the Fall.» Oui irascible, agressif, drôle, comme le fut Van Gogh, enfin, le Van Gogh que nous montre Maurice Pialat dans son film qui, faut-il vraiment le préciser ?, est extrêmement bien documenté. Pialat ne prend jamais aucune liberté avec la vérité. Alors quand on voit MES, on pense à Dutronc/Van Gogh qui tape sur son frère. Qui boit trop. Qui détruit ses toiles. Dans un extrait de son autobio Renegade, MES déclare : «Je suis incapable de regarder en arrière, comme le font les fans. I can’t get beyond the fact that most of it was shit.» MES détruit ses toiles comme Van Gogh détruit ses disques. MES voit l’avenir du rock comme Rimbaud voit des soleils bas tâchés d’horreurs mystiques.

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             Maconie trace lui aussi des parallèles, pas avec Van Gogh, Rimbaud ou Burroughs, mais avec le vorticiste Wyndham Lewis et Kafka - a bitter, diamond-hard Modernism, or Vonnegut and Phillip K. Dick, the amphetamine clarity of a hyperactive, restless mind - On n’imagine pas Rimbaud autrement que sous cet angle : «the amphetamine clarity of a hyperactive, restless mind.» C’est exactement ça, que ce soit dans les bras de Paul Verlaine, au long des fleuves impassibles ou sur les pistes d’Éthiopie. Là, nous sommes sur les pistes de Manchester, et plus précisément Prestwich, le Charleville working-class de ‘Chester. Ce démon de Maconie creuse encore, il va chercher le Dada en MES : «En fait MES était suprêmement convaincu que l’essence même du Modernisme consistait à choquer le bourgeois (giving offence to the comfortable) et que c’était un devoir pour l’artiste que de choquer le bourgeois. Il a développé un mépris total pour l’establishment, allant jusqu’à qualifier l’industrie du disque de middle-class executive business like the police force.» Et paf, l’industrie, prends ça dans ta gueule.

             Maconie raconte que pendant l’interview, MES a en permanence quatre pintes sur la table et qu’à la fin de la journée, l’addition est de £1000 - Pendant toute sa carrière, MES a eu une relation très compliquée avec la presse. Il pouvait être charmant ou explosif, mais le résultat était toujours fascinant - Un petit exemple : Dans Q en 2001, on demande à MES s’il vote aux élections : «Je vote toujours pour le nom de parti le plus stupide. Non, je n’ai pas voté pour Raving Loony - You don’t fucking get Raving Loony candidates in Salford. You get things like Orthodox Jews For More Pavements In The Area. Je vote toujours pour eux.» Pur Dada strut. Here we go !

             MES n’en finit plus de fasciner. On cueille des éclats ici et là, et chaque fois, on croit entendre sa voix. Écoute-le parler de musique - Si tu joues out of tune, alors joue out of tune properly - ou de The Fall - The Fall est la honte de ma vie et en même temps the best thing in it - Il détruit ses toiles, il a raison. MES est un homme libre, comme le fut Rimbaud. Rien ne pouvait le dominer, rien ne pouvait l’entraver, ni un groupe ni aucune de ses épouses successives. Il n’existe pas de liberté sans brutalité. Alors évidemment, la presse s’est régalée avec MES qui, sur scène, tapait sur ses collègues. Dans un docu de BBC4 datant de 2004 (The Wonderful And Frightening World Of Mark E. Smith), il déclare : «Mon grand-père attendait à la sortie des prisons et quand des gens sortaient, il leur disait ‘come and work for me’. Je fais un peu la même chose avec le groupe.» Alors effectivement, quand on lit les mémoires de Brix Smith (qui, comme Tina Turner et Pat Arnold, a conservé le nom du mari après le divorce), on ressent un certain malaise car cette Américaine n’est pas tendre avec son ex, et c’est d’autant plus choquant qu’elle ne lui arrive même pas à la cheville. Elle le voit comme «un sorcier, un psychic, un warlock» qui hypnotisait les membres du groupe. Ce que ces imbéciles n’avaient pas compris, c’est que la tension qui régnait à l’intérieur du groupe rendait le groupe plus fort. MES ne supportait pas de voir des musiciens de rock craquer et chialer à cause de la pression. Il avait compris très tôt que ça allait être dur, surtout les tournées américaines, et donc pour pouvoir tenir, il fallait s’endurcir. The Chester way. À coups de poings dans la gueule. Un nommé Dave Simpson voit MES comme un patron d’usine à l’ancienne : il recrute et vire les ouvriers. Il surveille leur rendement. Dans le Melody Maker, Dave Jennings va encore plus loin : il compare les méthodes de MES à celle de Thatcher qui virait les gens de son cabinet dès qu’ils avaient un peu trop de caractère. Heureusement, John Peel vole au secours de son chouchou MES en déclarant dans le docu BBC4 évoqué plus haut : «C’est devenu un sujet de plaisanterie, sauf bien sûr pour les gens concernés. En gros, les gens disparaissent sans laisser de traces. Peut-être qu’il les a tués, va-t’en savoir...» Humour anglais. Quasi Monty Python. C’est pas loin de la chorale du Golgotha, à la fin de La Vie De Brian - «Always Look On The Bright Side Of Life», chantent en chœur les crucifiés. Pied de nez suprême. Encore plus fort que l’«on est plus célèbres que le Christ» de John Lennon.

             Et puis, il y a ces sorties très poétiques dont on raffole depuis quarante ans, depuis qu’on lit ses interviews dans la presse anglaise : «J’adore l’été, parce qu’en été je ne sors pas. Quand arrive le mois d’avril, les gens sortent comme des chiens, aussi je reste chez moi. Summer is hell.» Quand il mord, il mord, c’est tout un art que de mordre. En 1998, un mec du NME lui demande ce qu’il pense du film Titanic : «Titanic ? What a load of crap. C’est comme de regarder une PlayStation. The fucking boat coule. I mean, you know how it ends, don’t you ?». De toute façon, MES ne supporte pas le passé. Quand c’est coulé, c’est coulé, à quoi bon bavacher ? Il ne voit que l’avenir. Dans le même canard, il déclarait en 1996 : «Maintenant tout est rétro, innit ? C’est pour ça qu’on a un canard comme Mojo. Je balance ça à la poubelle. Je m’en sers pour la litière du chat.» On l’interroge aussi pas mal sur la scène anglaise et MES n’est pas tendre. En 1993, dans Alternative Press, il scelle le destin de U2 : «Si Jésus avait vu U2, ça l’aurait rendu malade. Jésus aurait lancé des bouteilles à U2.»

             On interroge aussi l’auteur. MES est un parolier de génie. Et voilà comment il met les choses au point : «Qu’entends-tu par love ? Pour moi, love is the love of life. Tu vois the love chaque jour : un père avec son gosse, une mère avec le sien. La question est de savoir de quelle façon tu mets ça sur le papier.»

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             Et puis tu peux aller au pub, grâce au DVD Perverted By Langage, c’est là que tu vas trouver MES adossé contre le mur, sssson ! Atroce papier peint et Brix assise à côté qui tire la gueule pour les besoins du post-punk de Wingsssshhh - Day by day/ The moon came towardsssh me/ By sssuch thingssshhh - British oh so Britissshhh et Brix annonce «Totally Wired», my favourite, obsédant, totally wiredssshh ! Avec des lignes de basse à la John Cale, I’m totally wiredsshhh/ Can’t you see?/ I’m totally wiredssshhh, et les chœurs décousus font totally wired, il sort ses quatre vérités - You don’t have to be weirdssh to be wiredsshhh/ You don’t have to be an American to be shhtrange/ You don’t have to be shhtrange to be strange-shhh/ You don’t have to be weirdshh to be weirdshhh - et les chœurs décousus font totally wired, c’est à la fois le Velvet, Captain Beefheart et il n’existe rien de plus British oh so Britissshhh que ce décousu des chœurs de société branlante, MES et ses deux batteurs cultivent l’art désuet de la déconstruction pentatonique-ssshhh.

             Pour finir, on va se régaler avec une petite histoire. Stuart Maconie vient de poser son small magnéto sur la table du pub pour l’interview, et MES lui demande : «Où t’as trouvé ça ? J’en cherche un comme celui-là. Suis allé dans un petit bouclard asiatique de Prestwich pour acheter un magnéto comme le tien. J’en avais besoin pour enregistrer mes idées. Le mec m’a dit : ‘Voilà ce qu’il vous faut, sir, a little mini cassette recorder, un dictaphone.’ Alors je lui ai dit, no, mate, j’en veux un qui prend les cassettes C60 ordinaires. Si je suis à Oslo, à Naples ou a Chicago, je veux pas être obligé de galérer pour trouver tes mini-cassettes. Alors il me dit : ‘Vous vivez dans le passé, sir. Tout le monde les utilise aujourd’hui. Et on trouve les mini-cassettes partout.’ Bon. Je lui dis, alors vas-y, file-moi l’un de tes recorders... Et avec ça, t’as intérêt à me filer une dizaine de tes mini-cassettes. Et tu sais pas ce qu’il m’a répondu ? Sorry sir, je ne vends pas de cassettes.»

    Signé : Cazengler, (a real) Mess

    Messing Up The Paintwork - The Wit And Wisdom Of Mark E. Smith. Ebury Digital 2018

    The Fall. Perverted By Language. DVD Cherry Red 1984

     

     

    *

    Un groupe anglais. De la région de Leeds. Z’ont eu quatre dates en France en ce début d’avril. Ne se contentent pas de faire de la musique. Essaient de réfléchir. Z’aimeraient avoir une vision du monde, mais celle-ci est floue. L’est vrai que la période actuelle bla-bla-bla… Ce n’est pas tout à fait cela. Ne jouent pas les stratèges métapolitiques en chambre, jettent simplement un coup d’œil sur la réalité qui les entoure. Un peu comme les Pistols à leur époque. En ces temps bénis, tout allait mal, on avait au moins des certitudes, on était convaincu qu’il n’y aurait pas de futur. Hélas nous y sommes en plein dedans.

    Divorce Finance, c’est leur nom, pour la petite histoire nous rappelons que ces deux mots qui sont si français appartiennent tout autant à la langue anglaise, pourraient signifier que notre groupe se désolidarise de cette financiérisation économique et libérale du monde qui nous accable, ils proviennent d’une conversation entendue par Mr Discipline dans un train, un chemineau ( non pas celui qui conduit une locomotive, ce terme désignait au temps de la jeunesse de Jean Giono, ceux que l’on appelle aujourd’hui les Sans Domicile Fixe ) et un jeune cadre de la city se racontaient leurs malheurs, vous imaginez très bien les difficultés rencontrées par notre nomade, le cadre aussi avait les siennes, en instance de divorce il parlait des déboires relatifs au financement de cette séparation…

    Finance Divorce évoque une toute autre sorte de divorce, qu’ils jugent beaucoup plus grave, ils estiment que les gens d’aujourd’hui sont séparés de la réalité, ils emploient le terme de déréalisation, ne vivent plus tout à fait dans leur époque, normal puisqu’ils passent leur existence dans un futur qui n’existe pas, où peuvent-ils donc être ? Dans la nostalgie du passé. Ce qui entraîne chez eux mal-être et frustration. Ils emploient un nouveau terme pour désigner cet état de fait : haunthology. Un mot valise formé à partir d’anthology, car à vivre dans le passé autant choisir les meilleurs moments, et haunted qui signifie être hanté. Nous serions donc comme des fantômes qui ne cessent dans leurs pensées, leurs affects, de vivre dans des représentations idéalisées du passé d’autant plus prégnantes que les jeunes générations n’ont pas connu les années de l’après-guerre. La deuxième. La période qu’en France l’on surnomme les trente glorieuses et les anglo-saxons la guerre froide.  

    DIVORCE FINANCE

     ( single numérique / Bandcamp / Juillet 2022  )

    Mr Discipline / Dr Fuck / Kylie Monoxide / Hugh Jass / Quick Lewinsky.

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    Django vous pensez à Reinhardt le gitan, vous avez raison, rajoutez-y le Django héros des westerns spaghetti de Sergio Corbucci, définissez le premier comme un grand artiste, et le second comme être violent assoiffé de justice vengeance, là n’est pas le problème, d’abord l’on ne vous demande pas votre avis… j’aurais pu classer ce titre ma rubrique Rockabilly Rules, disons que c’est une parfaite ballade country avec une guitare pro-rockabilly, un petit rythme tapoté – puisque l’on parlait de western italien allez écouter Addio a Cheyenne d’Ennio Morricone – ici les sifflets typiques del maestro  remplacés par les interventions d’une douce voix féminine qui contraste avec le timbre rêche de Mr Discipline aussi sec que la winchester sur la pochette…

    Django et Django sont bien des idoles de Mr Discipline, mais il faut se méfier les héros modernes ne sont souvent que des héros de papier, nul besoin de se réfugier derrière eux, ne vivez pas procuration, soyez vous-même, aussi complexe que le jeu de la Maccaferri de l’un et aussi définitif que le colt de l’autre.

    C’est en ce même mois caniculaire de juillet 2022 qu’enfermé dans un ancien abri atomique désaffecté que Divorce Finance a enregistré son premier EP : 

    LIVE FROM THE BUNKER

    ( EP numérique / Bandcamp / 01 – 04 - 2023  )

    Matt Heuck / Louisa McClure / Jacob Wardie / Benjamin Parry / George Chadwick.

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    Auto-communist dream girl : sur les premières notes vous retrouvez le même son de guitare que sur Django, surviennent des sifflements mal-appropriés pour des oreilles sensibles, sur le balancement de base vient se poser la voix de Mr Discipline, un peu comme s’il chantait dans un mégaphone, le rêve de la fille auto-communiste tourne au cauchemar, le morceau vire au noise, tout en respectant la cadence initiale, une espèce de voyage au bout de la nuit de l’utopie assez monstrueux, un cauchemar sonore que vous ne manquerez pas de revisiter, ne serait-ce que pour retrouver ces courts mirages rockabillyens de la voix éparpillés dans le morceau. Loneliest twink on the ranch : n’imaginez pas Elvis mais le Colonel haranguant la foule au porte-voix dans le brouhaha de l’entrée d’un cirque, un truc circulaire qui vous scie les neurones et vous éclate les synapses, un barnum innommable, voire inécoutable pour beaucoup, mais l’ouïe des rockers auront reconnu à la base de cette calamité le balancier tournant du roll and rock. Il ne leur en faut pas plus pour être heureux.

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     Director’s cut : (ci-dessus la couve du single paru en mars  2023 ) : beaux bruits de guitares country survitaminée, le réalisator parle, il s’énerve, il gueule, l’on sent qu’il a l’habitude de se faire obéir et qu’il n’est pas content, nous refont le coup de la ballade country explosée à la dynamite, vous avez des cordes à l’uranium enrichi, faut pas lésiner sur les moyens, le cinéma est le principal pourvoyeur de vos rêves héroïques, ici l’on vous montre l’envers du décor. 10 years with Lisa : le slow que vous attendiez tous, dépareillé, tortueux, interminable, Lisa Ann est une actrice célèbre, ce qu’elle a fait de mieux en tant qu’artiste, d’après moi c’est le titre de ses mémoires, Ce qui est arrivé de mieux à mon cul c’est qu’il soit resté derrière moi, ce qui tranche avec ses rôles sentimentaux à la noix de coco, z’oui mais lorsqu’il était gamin notre chanteur adorait… L’a dû par la suite comprendre que la vie ne suivait pas toujours les bons sentiments enseignés par la Bible, ce qui explique que le slow oscille entre moiteurs contenues et fureurs irréversibles. Bitchkrieg : démarrage battérial, encore le Colonel Parker au mégaphone, mais les chevaux galopent parmi les spectateurs enchantés, les tigres sont sortis de leurs cages et vous avalent le dompteur en moins de deux, la foule applaudit à tout rompre. Une trombe de deux minutes paillarde et jouissive. Cauchemardesque. 

             L’on pense aux Cramps, des Cramps davantage désespérés et qui n’y croient plus vraiment. Divorce Finance a ressorti le vieux rockab rouillé de l’ancien temps, l’ont trempé dans un bain de psychobilly pour lui refiler quelques couleurs, l’ont requinqué comme ils ont pu à leur manière, le résultat est là, exposé sur la place publique, tout cabossé et cisaillant. C’est aussi beau que de l’art contempourri. Cela pourrait s’intituler : La perte de l’innocence.

    Cet EP est un miroir aux alouettes, il attire, certains le décrieront et le traiteront de grotesque, beaucoup adoreront. Un opus qui ne laisse pas indifférent.

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    Il existe une vidéo sur YT : Anti-communist dream girl, Live at Wharf Chambers : sont tous les cinq sur scène : batteur, trois guitares, une basse, un beau son électrique, moderne dans lequel les racines rockab sont absentes, ce qui est un peu décevant. 

    Un groupe à suivre.

    Damie Chad.

     

     

    DEFIXIONES

    VERITI RITUS

    ( Bandcamp  / 29 - 03 - 2023 )

    Tout chaud. Tout beau. Comme renseignements je ne peux vous donner que les maigres éléments fournis par Bandcamp et leur FB n’est pas vieux. Sont de Silésie région du sud de la Pologne.

    Smyg : lead guitar / Aro : rhythm guitar / Tymon : drums / Sagittarius :  vocals, bass.

    Etrange couve qui tient des bustes antiques mais ici le chef est couronné d’une espèce d’engrenage métallique, un mécanisme d’horlogerie implacable, la roue de fer du destin.  L’on ne peut s’empêcher de penser aux auréoles qui entourent les têtes des saints et des empereurs des mosaïques et des icones byzantines. Evidemment ces Malédictions ( Defixiones ) ne font pas référence au même Dieu mais à une autre entité. Du côté sombre de la force pour employer une expression consacrée.

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    Devotion to the entity : en plein dans la tempête, le sol tremble sous des milliers de sabots de milliers de chevaux, la voix du sagittaire lance la horde, le temps de reprendre ses esprits, il est trop tard, Veriti Ritus nous transporte ailleurs, peut-être faudra-t-il abattre nos montures pour apaiser la terrible entité vers laquelle nous nous dirigeons, déjà des flots de sang noirs se transforment en torrents, une force nous propulse vers un point fixe pivot immobile autour duquel le globe terrestre se met à tourner à une vitesse folle sur lui-même, nous ne savons plus rien, sinon que la terrible énergie qui se dégage de la chose enfouie est en train de prendre possession du monde devenu un immense tourbillon. Odpływam w nicość : (Je dérive vers le néant ) : vibrations de cordes, véritable baume sur les blessures auditives provoquées par le premier morceau, une batterie marque la marche, mais la voix du Sagittaire nous tire de notre bien-être, nous sommes au bout du monde, un pas de plus et nous tomberons dans l’abîme, intermède musical sous-tension, le rythme s’accélère trébuche sur lui-même, se catapulte sur ses propres contrepoints, peut-être ne saisissons-nous pas la portée du drame qui se joue, des notes s’espacent, un roulement de batterie lance le moteur du rotor retors qui nous ventile des atomes de néant sur le visage, comme des pierres qui effacent les contours des statues sur lesquelles elles rebondissent , la musique s’appesantit, nous courbe à même la terre, prend toute la place, envahit le vide au fur et à mesure qu’elle le crée… Levers : avez-vous déjà entendu des guitares rugir comme cela, une fusée interplanétaire s’envole vers l’espace.  Jak wygląda nic ? (Hallucination) : le Sagittaire récitent les litanies qui tétanisent les reptiles, la batterie roule d’un côté et de l’autre ralentit le rythme, des vibrations vibraphoniques  nous berceraient si ce sommeil ne traversait pas un mer écumeuse, Smyg nous réveille de sa guitare perçante, émotions, le Sagittaire nous réconcilie avec la vie, Tymon crée des merveilles roucoulantes, brusquement tout se précipite, nous sommes entre les branches d’un hachoir géant, tout le monde se presse, ceux qui passeront survivront, le morceau devient urgence démentielle, normalement il devrait se terminer au plus vite. Ce qu’il fait en accélérant.  ZWID :: ( à quoi ça ressemble ? ) : un temps de réflexion sur un tempo sans pitié, nous accédons enfin à la pensée pour poser les interrogations essentielles, sans doute notre cerveau ne raisonne pas assez vite, nous passons sous les fourches caudines du martèlement de notre impuissance. Court ? Certes ! mais une aire de repos bienvenue sur l’autoroute du désespoir. Noce : ( nuits ) : cristal de roches résonnantes dans les oreilles, coups de marteaux sur les enclumes de la pénombre, le Sagittaire hurle, l’est devenu un cauchemar ambulant, il avance lourdement, il crie, il met en garde, la musique mène l’attaque, vague irrésistible sous laquelle tout redevient poussière, violence déchaînée, concassage de l’esprit, tout doit être liquidé, rien ne doit subsister, le drumming s’acharne à arraser tout ce voudrait manifester une volonté de vivre, les guitares fauchent les espérances, n’espérez plus rien, même pas en l’espoir du désespoir, la monstruosité réveillée montre sa gueule nécronomiconencielle, un déluge de noirceur s’écroule sur vous. Apocalypse sonore. La comédie est terminée. Les plis du rideau qui tombe ensevelissent le monde. Blind and helpless : le vent souffle, Tymon mène le bal, feulements exclamatifs du Sagittaire, votre esprit n’est plus qu’une canne blanche titubante, vous avez voulu savoir, vous avez voulu voir, vous n’avez pas réfléchi aux dangers de l’Innommable, vous ne saurez jamais rien et vous ne voyez rien, tant pis pour vous, les oiseaux noirs du malheurs tournent sans fin dans la vacance de votre âme, une ronde incessante sur les ailes du néant, inutile de vous plaindre et d’exciter la pitié, la partie est jouée et vous avez perdu, définitivement jusqu’au plus profond de votre mort. Les prêtres entament l’hymne sacrificiel de remerciement. Tout est bien, qui finit mal.

    Magnifique. Si vous n’aimez ni le metal, ni le stonner, ni le doom, abstenez-vous.

    Damie Chad.

     

    SWAMP DUKES 

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    Encore des inconnus. N’ont sorti que deux singles sur Bandcamp, en mars et avril de cette année décidément maudite. Il nous plaît de savoir que d’ici quelques mois ils seront réunis sur un EP intitulé Living Nightmares. Cueillir des fleurs vénéneuses à leur naissance n’est pas interdit, comment connaître le goût d’un prochain poison si l’on n’y goûte pas.

    Proviennent de deux groupes : Stevan Fujto de Concrete Sun, de Serbie, qui sortit en 2011 l’album Sky is High, Bora Jovanovic et Ilija Stevanovic  et Sangre Eterna dont on trouve sur Bandcamp une seule piste : Dead Man’s Tale, Les contes de l’homme mort, nous irons écouter prochainement car de ce titre se dégage un léger parfum d’Edgar Poe. Evidemment ce sont aussi des serbes.

    Une seule phrase suffit à Swamp Dukes pour définir son projet : ‘’ Des profondeurs des marais surgissent les Dukes pour vous lapider la cervelle dans une autre direction ‘’ Rien à redire d’un tel programme.

    DEATH HOUSE RESCUE

    ( Bandcamp / 09 – 03 – 2023)

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    Kitch and chic, un dessin qui ne déparerait pas sur une couve des romans d’épouvante des années cinquante, tout comme Vince ‘’ L’Invincible’’ Rogers activiste rock niçois j’adore cet art populaire, ah ! ce vert excessif, et cette tête de mort prête à mordre la vie à pleines dents, à défaut de plonger la tête première dans le marais, écoutons ce premier opus :

    Une voix peu encourageante vous avertit, inutile d’avoir peur elle est vite remplacée par un superbe déferlement rock ‘n’roll, une tornade qui passe et qui ne repousse pas. Inutile, en deux minutes les songes miraculeux dont  votre âme se plaisaient à se bercer se sont évanouis, se sont enfoncés dans une vase qui glougloute sinistrement. 

    Percutant et définitif.

    DIG DEEPER

    ( Bandcamp / 01 – 04 – 2023)

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    Une couve plus classique. Le noir est inquiétant. La verdeur du single précédent est horrifique. Ici nous sommes en paysage connu. Avec cette croix perdue au milieu des marécage et l’œil insistant de cette lune blanche, nous sommes en pays connu, presque une version semi-aquatique du crossroad de Robert Johnson, Nouvelle Orléans et vaudou. Presque chez nous.

    Un gros solo de basse pour vous mettre dans l’ambiance et le rock’n’roll des guitares décoiffe les décapotables, un vocal moins rapide, le rythme s’assouplit, pour mieux repartir par la suite, l’est sûr que Baron Samedi s’est assis à vos côtés, moins affriolant qu’une blonde pulpeuse, mais il s’amuse avec les vitesses d’une manière démentielle. Attention, freinez à temps si au prochain virage vous ne désirez pas virevolter dans le marais gluant.

    Le rock comme on l’aime !

    Vivement l’Ep !

    Damie Chad.

     

    *

    Un groupe français pour changer. De ceux que l’on classe ces temps-ci parmi les gaulois réfractaires. L’album date pourtant de 2012, ont beaucoup tourné, se sont ensuite un peu reposés, ont envie de reprendre le collier, l’époque s’y prête.  La couve du CD représente un porte-monnaie, vous comprendrez vite pourquoi.

    LA MONNAIE DE LEURS PIECES

    AMER’THUNE

    ( Auto-produit / 2012 )

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    Sébastien Fournier : compositeur, ( contre)bassiste, claviste / Mathieu Relin : auteur, compositeur, guitariste, chanteur / Mickael Denis : compositeur, batteur, percussionniste.

    Jusques là tout est normal, font suivre leur nom, non pas de leur plat préféré ou de leur émission télévisée favorite mais, ce qui est plus rare, de leurs délits commis : je vous livre un package global : incitation au mouvement insurrectionnel, conduite en état de stupéfaction, outrage au président, incitation à la rébellion, détournement de train, filouterie, refus d’obtempérer, abus d’état d’ignorance et de faiblesse, complot, dégradation volontaire des idées d’autrui… comme quoi ils ont plusieurs cordes à leur violon d’Ingres, une véritable instrumentation symphonique !

    Ce test (réussi) d’accréditation personnelle nous permet d’entrevoir un groupe de rock aux convictions solidement charpentées qui ne met pas son mouchoir, je vous laisse deviner la couleur, dans sa poche.

    Ludivine : étonnant au vu de leur passé je subodorais une diatribe politique, ben non une chanson d’amour, enfin de sexe, le gars enflammé qui ne s’occupe plus des affaires du monde, avec un son qui décolle, bon elle est un peu bizarre avec sa petite corne belzébutine, en tout cas ils lui tressent une de ces fanfares rutilantes avec leurs guitares, pas très malin de s’accrocher à la fille de Satan, son désir est si chaud qu’on lui pardonne. La crise secondaire : attention on change de registre, une basse presque mortuaire accompagnée de chœurs d’enterrement, le monde d’en bas, le monde d’en haut, ceux qui triment et  payent, ceux qui exploitent et se gavent, quelques notes de pianos toute claires et le titre bascule dans un tsunami de révolte, l’on désigne le coupable, en lettres capitales, l’on se calme l’on revient au monde des gagne-petit, à la vie étriquée, prisonniers de ces crises si fréquentes qu’elles en deviennent secondaires… Histoire de France : le genre de texte sans langue de bois, l’on ne risque pas de l’entendre sur les radios d’état, dommage car musicalement c’est aussi chaud et aussi rock qu’une barricade, c’est que parfois la démocratie est l’ennemie de l’insurrection, le système est à mettre à bas, le beau monde en prend pour son compte, certes le peuple a perdu le pouvoir, malmené par la droite, trahi par la gauche, cette histoire de France gronde comme une menace. Encore un effort companeros. Ravis au lit : le jeu de mot est connu, n’y a que les nouilles qui ne comprennent pas, dans la vie tout est question d’écriture, soit l’on file le KO, soit l’on file la métaphore, c’est ici que l’on s’aperçoit que les textes sont écrits, super chiadés même. Nous la font à l’espagnole avec l’entrée du torero dans l’arène, plus groove concassé, ne nous laissons pas prendre par l’ambiance, les comédies érotiques tournent souvent au vinaigre. En silence : au début l’on se croirait dans une déception amoureuse, mais non, n’en veulent pas à leur copine, mais à ce peuple avachi, endormi devant sa télé, apathique et dépité, qui n’y croit plus, qui refuse de prendre ses responsabilités, ce qui précède c’est pour l’idée générale, faut écouter c’est goupillé comme un chapelet de grenades, on lance, elles explosent, on attend un peu et on en relance, le tout appuyé sur une orchestration imaginative et colorée. Un bijou. Le héros de pixel : petits bruits électroniques, chic on va pouvoir jouer au jeu-vidéo, la basse jazotte et fait ses gammes, quand on ne se bat plus dans le monde extérieur l’on joue au héros sur l’écran, l’orchestration vous construit une bande-son triomphale, ça console, le pire c’est quand on prend conscience que l’on n’est pas un héros mais un zéro. Apocalypse : entre geste musicale et fable ironique, ce qui est sûr c’est que pendant l’apocalypse c’est comme la vente pendant les travaux, la lutte de classe continue, groove, valse, piano, bruits, lenteurs, clavier, voix, se succèdent, à chaque épisode sa partition, personne n’y a gagné, mais certains y ont perdu davantage. A méditer.

             Très original. Des textes, de la musique, de la révolte. Un petit côté chanson française dans l’écriture des textes. L’on a l’impression que la musique s’adapte au texte, les américains de Chuck Berry à Jim Morrison en passant par Dylan nous ont appris que texte et musique ne doivent former qu’un.  Une belle tentative.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 23 ( Corn beef  ) :

    126

    Le Chef allume un Coronado pour mieux m’écouter :

              _ Oui Chef, deux indices de première importance. Je résume : je marche dans une forêt, une sensation étrange s’empare de moi, au bout d’un certain temps je réalise que je ne suis pas dans une forêt mais dans la description d’une forêt dans un livre que vous êtes en train de lire.

              _ Vous me décevez beaucoup agent Chad, je m’attendais à quelque chose de faramineux, d’obscur, de calamiteux, de je ne sais quoi comme si lire un livre était en soi le genre d’acte dont mon subconscient m’interdirait la connaissance, à quatre ans je lisais déjà l’Anabase de Xénophon, dans le texte grec bien sûr ! J’étais même capable de le réciter in extenso à mon institutrice de maternelle qui n’y comprenait rien. C’est tout ce que vous avez à me rapporter ?

              _ Non Chef, excusez cette question à brûle-pourpoint, elle est essentielle pour la compréhension de la suite, pourriez-vous me dire avec quoi se prépare une omelette ?

              _ Agent Chad, auriez-vous subi une lobotomie depuis hier soir ! Avec des œufs, non d’un Coronado abandonné sous la pluie !

              _ Non chef, c’est ainsi que s’annonce le titre du livre que vous étiez en train de lire.

              _ Par une omelette ! Agent Chad, sauf votre respect, vous commencez par me briser la coquille.

              _ Non Chef pas par une omelette, par la moitié d’un œuf !

    Le Chef éprouve le besoin impérieux d’allumer un Coronado :

              _ Oui Chef par la moitié d’un œuf, avec E dans l’O !   

              _ Comme Œuvres Complètes d’Honoré de Balzac par exemple si je ne m’abuse Agent Chad !

              _   Comme Oecila !  Maintenant nous savons que Ecila se prononce Eucila et non écila !

              _ Vous avez pu lire le récit ?

              _ Hélas non, le rêve s’est brutalement terminé par contre j’ai pu déchiffrer le nom de l’auteur. Vous êtes concerné en premier chef, Daniel Lechef !

              _ Vous plaisantez Agent Chad, si certains m’appellent Lechef parce qu’ils vous entendent m’appeler Chef, n’oubliez pas que je m’appelle Alexandre Legrand. Partez-moi plutôt à la recherche de ce satané bouquin. J’en veux au plus vite un exemplaire sur mon bureau !

    127

    J’ai saisi le paltoquet par le colbac et lui ai collé mon Rafalos sur la tempe. Je suis énervé, j’ai passé ma matinée à farfouiller sur internet et à courir les plus grandes librairies, les bouquineries et les marchands de livres anciens, personne n’a jamais lu, vu ni même entendu parler du roman Oecila et encore moins de Daniel Lechef, quand le clampin a refusé de m’emmener voir son directeur, je me suis fâché tout noir. Je préfère ne pas vous dire comment. Me mène tout droit sans broncher au septième étage de la Bibliothèque Nationale François Mitterrand. Sans même lui laisser le temps de frapper à la porte je l’ouvre et nous déboulons. Par politesse j’ai remis mon Rafalos dans la poche.

             _ Mon-Monsieur le Di-directeur, un client un peu particulier !

    Rien qu’à voir sa moue dépréciative qu’il jette sur mon perfecto, la haine m’envahit, je ressors illico mon Rafalos et lui tire un bastos juste au-dessus de sa tête.

              _ Ecoute moi bien, vermine, la prochaine fois je t’en tire une dans la bouche et l’autre dans le trou du cul  !

    L’est pas directeur pour rien, l’a vite compris la situation, l’est prêt à collaborer les yeux fermés.

    • C’est simple tu appliques les consignes d’évacuation du public, tu lances le plan alerte noire et tu donnes rendez-vous à ton personnel dans la grande salle de réunion.

    Pour une fois je suis fier de l’Administration Française. Quelle célérité ! Quelle efficacité ! En trois minutes des hordes de CRS déboulent de leurs véhicules d’intervention rapide, ils expulsent manu militari à coups de matraques lecteurs et chercheurs qui n’ont même pas le droit de prendre leurs affaires personnelles, les plus récalcitrants sont visés au LBD, et tout le monde se retrouve dehors chassés par des nuages de lacrymo. Sont sur le champ emmenés en garde à vue.

    Dans la grande salle tous les bibliothécaires écoutent religieusement le bref discours de leur Directeur :

              _ Mesdames, messieurs, vous me ramenez illico tous les exemplaires d’Oecila de Daniel Lechef, vérifiez tous les fichiers, explorez tous les rayonnages, n’oubliez pas les réserves, je compte sur vous. Vous avez compris, c’est grave et urgent.

    Ça court de tous les côtés, une   véritable fourmilière, les employés mettent du cœur aux ouvrages, l’on en voit passer en courant les bras surchargés de piles de bouquins, pendant que d’autres penchés sur leurs écrans consultent les fichiers des grandes bibliothèques internationales et des universités américaines.   

    Les heures passent, le Directeur essaie de faire bonne contenance en riant jaune citron (pourri), il est dix heures du soir lorsque des clameurs de triomphe montent des plus profondes réserves souterraines, des galopades surexcitées se dirigent vers la grande salle de réunion, le personnel enfin réuni entonne La Marseillaise d’une vois voix vibrante, d’un geste souverain le Directeur les arrête alors qu’ils s’apprêtent à continuer avec L’Internationale. Dans le silence une voix fluette glapit :

              _ C’est moi, c’est moi, je l’ai trouvé, dans la section mathématique, à la lettre L, mal rangé entre Lèche et L’échelle, c’est bien Daniel Lechef, le titre n’est pas sur la couverture mais sur la première page !

    Le Directeur sourit avec orgueil :

              _ C’est ma fille Alice, elle est venue faire son stage d’entreprise de classe de troisième ! Ma fille, je suis très fier de toi, tu marches dans les traces de ton père, un jour tu me remplaceras, je…

    Je ne l’écoute plus j’ai arraché le livre des mains d’Alice la jeune collégienne, je descends les escaliers en courant, saute dans ma voiture et je fonce vers le local.

    128

    Je pousse la porte. Molossa et Molossito sautent et hurlent de joie, le Chef est en train d’allumer un Coronado.

              _ Agent Chad, je souhaite que vous ayez fait bonne chasse, pour ma part…

    Je ne le laisse pas terminer, j’exhibe victorieusement mon livre que je dépose sur le bureau avec précaution :

              _ Tenez Chef, je ne l’ai pas ouvert, j’étais trop pressé de vous le ramener, pas facile d’y mettre la main dessus, le Directeur de la Bibliothèque Nationale a été très obligeant, le personnel a eu du mal à le trouver, il était mal classé, enfin on l’a, regardez Daniel Lechef est écrit en gros sur la couverture.

    Le Chef s’empare du bouquin, le soupèse et le repose avec une moue dubitative.

              _ Vous avez bien travaillé Agent Chad, toutefois je me demande si vous n’avez pas perdu votre temps. Examinons quand même l’objet, dans cette étrange affaire aucune piste ne doit être négligée.

    Le Chef ouvre le livre, tourne quelques pages sans prendre le temps de lire et le repousse d’un air dégoûté :

              _ Non Agent Chad, il vous faudrait apprendre la méticulosité, rien ne sert de s’emballer, oui sur la couverture il est bien écrit Daniel Lechef, pour le titre si je lis à haute voix je prononce bien Ecila mais si je lis avec mes yeux : Et Si Là, ce qui paraît bizarre pour un titre, tout s’éclaire lorsque je lis la page suivante : Pas Ailleurs. Je récapitule : Et Si Là Pas Ailleurs, ce qui à première vue semble un peu une lapalissade, quand je tourne les pages je tombe sur des colonnes de chiffres.

              _ Le texte est codé ?

              _ Pas du tout Agent Chad, nous sommes face à une vulgaire table de logarithmes, quant au titre, c’est une plaisanterie, si vous voulez calculer la longitude et la latitude d’un point précis sur la mer, vous avez besoin d’utiliser une table de logarithmes pour savoir que vous êtes là et pas ailleurs !

    Je suis mortifié. Echec sur toute la ligne. Je m’attends à ce que le Chef me sermonne grave. A mon grand étonnement il est tout sourire. Il m’offre même un Coronado avant d’en allumer un.

              _ Agent Chad, j’ai passé toute cette après-midi à penser au récit de votre rêve. J’avais l’intuition que quelque chose clochait. Après une douzaine de Coronados, une déchirure s’est produite en mon esprit. Maintenant je reconnais un de mes rêves, il vient me visiter assez souvent même si je n’en garde aucun souvenir au réveil. Votre récit a permis d’ouvrir une brèche dans mon subconscient, tout ce que vous avez raconté est juste mais votre interprétation est fausse. Vous avez cru que le lecteur c’était moi, par contre ce n’est pas vous qui cherchez en traversant le texte le titre et l’auteur du livre. C’est moi.

    Je commence à comprendre. C’est comme si j’avais confondu le négatif  blanc et noir d’une photo avec le résultat de son développement, j’ai inversé le blanc et le noir, quand j’ai cru reconnaître le Chef en train de lire, le lecteur n’était que Moi ! Ainsi cette mystérieuse Ecila n’a rien à voir avec le passé du Chef, c’est moi qui détiens la clef du mystère ! Enfouie au fond de moi !

    A suivre…