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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 38

  • CHRONIQUES DE POURPRE 555 : KR'TNT 555 : ALICIA F ! / FAT WHITE FAMILY / QUIREBOYS / WHITE LIGHT MOTORCADE / DEOS / CÖRRUPT / TWO RUNNER

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 555

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    19 / 05 / 2022

     

    ALICIA F ! / FAT WHITE FAMILY

    QUIREBOYS / WHITE LIGHT MOTORCADE

    DEOS / CÖRRUPT/ TWO RUNNER

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 555

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :  http://krtnt.hautetfort.com/

     

    L’avenir du rock –

     Alicia au pays des merveilles

     

             L’avenir du rock n’est pas né de la dernière pluie. Si tu essaies de lui baiser la gueule, tu risques d’avoir de sérieux problèmes. Il a l’air gentil comme ça, avec ses grands airs débonnaires, le genre de mec dont on dit qu’il ne ferait pas de mal à une mouche, mais si tu lui cours sur le haricot comme l’a fait pendant deux ans fucking Pandemic, la note sera salée. C’est un principe : avec les cons, il faut toujours saler la note. C’est de la pédagogie de base. Remontons un peu en arrière. Voici quelques mois, l’avenir du rock est allé cracher sur la tombe de Pandemic. Rarement dans sa vie, il avait pris autant de plaisir à cracher sur une tombe. Pandemic avait bien failli avoir la peau du rock, rien qu’en fermant les salles et en obligeant les rockers de banlieue à porter des masques. On aurait dit des touristes japonais. Et puis voilà que tout récemment, dans un bar, un type racontait que Pandemic était sorti de sa tombe et que tout le cirque allait recommencer. Il semblait sérieux, il parlait comme un prof de biologie et s’appuyait sur des éléments scientifiques. L’avenir du rock sentit la moutarde lui monter au nez. Quoi ? Mais c’est horrible ! Il paya son verre et fila droit sur le Bricorama de Clichy. Il y acheta une hache, un pied de biche et une masse, les jeta dans le coffre de sa bagnole et prit la route en direction de Fontainebleau. Il se gara à l’entrée d’un chemin de rando et partit à la recherche d’un hêtre. Il en trouva un rapidement et se mit à tailler un pieu, un énorme pieu. Il suait à grosses gouttes. Le soir tombait. Ses dents étincelaient à la lumière du crépuscule. Il rentra sur Paris et se gara aux alentours du cimetière Montparnasse. Il attendit minuit pour passer le mur avec ses outils et alla se planquer juste derrière la tombe de Pandemic. Il surveillait l’heure à sa montre et alors que la nuit palissait, il vit arriver une silhouette au bout de l’allée. Pandemic ! Cet enfoiré sortait la nuit de sa tombe pour aller rôder en ville et réinstaller son chaos. Il arriva au pied de sa tombe, fit glisser la pierre et disparut dans la bouche d’ombre. La pierre reprit sa place. Le jour venait de se lever. L’avenir du rock fit glisser la pierre avec son pied de biche et vit Pandemic allongé dans son cercueil, comme un gros vampire de Murnau. Il s’empara de son pieu, le positionna à l’endroit du cœur et l’enfonça d’un violent coup de masse. Floffff ! Pandemic poussa un hurlement terrifiant qui leva des nuées de corbeaux et après une série de soubresauts spectaculaires, son corps prit feu et devint un petit tas de cendres. L’avenir du rock remit la pierre tombale en place, rangea ses outils et regagna sa bagnole. En face du cimetière, le rade venait d’ouvrir. Pour célébrer sa victoire, il s’offrit un bon ballon de blanc et rentra chez lui écouter l’album d’Alicia F que venaient de lui envoyer ses amis Rahan et Rouchka. Ouaf ouaf !

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             Sur la pochette de son premier album, Alicia F sort le grand jeu : elle te fixe dans le blanc des yeux et porte du vinyle rouge, des bas résille et des bijoux punk. C’est sa façon d’annoncer la couleur. L’album s’appelle Welcome To My F... World et comme au temps des Lords Of The New Church, le cœur d’Alicia F est transpercé d’une dague.

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    Ce n’est un secret pour personne : Alicia F est l’âme sœur de Marlow le Marlou, il faut donc s’attendre à des pluies d’étincelles, surtout depuis que notre Marlou préféré roule pour nous avec Marlow Rider. Accompagnés de Fred Kolinski (beurre) et Fredo Lherm (bassmatic), nos tourtereaux ont opté pour le punk-rock à l’Américaine, celui de Kim Fowley et des Ramones. Ils ramènent du très gros son et dès «Hey You», il pleut des (Cherry) bombs. Hey ! Avec un Marlou qui joue le killer flasher entre deux déflagrations. La seule cover de l’album est le «Cherry Bomb» que Kim Fowley composa pour les Runaways et ils restituent cette merveille avec un niaque exemplaire. Moins glam dans l’esprit que la version originale, mais sacrément bon esprit. Ils prennent ça en heavy rock d’exaction parégorique. Bel hommage à Kim Kong, le roi des elfes. Comme chacun sait, les bonnes intentions pavent le chemin de l’enfer, hello daddy, hello mum, on se régale. Dans chaque cut, Marlow le Marlou prend un killer solo flash et comme Dick Taylor, il fait en sorte que ce soit chaque fois différent. Dans «Freedom’s Running», il passe un solo hendrixien d’esprit Cry Of Love. C’est un guitariste surprenant. Dans «City Of Broken Dreams», le balladif de service, il joue les espagnolades de la romantica, il gratte des volutes de Gitanes, on a même des castagnettes, c’est excellent, une belle occasion pour lui de partir en vrille de biseau. Alicia F est parfaitement à l’aise dans tout ce battage. Elle impose en style qui évoque les louves à la Française, notamment Fabienne Shine de Shakin’ Street que Marc aimait beaucoup. Alicia boucle l’A avec un «Speedrock» monté sur un beau beat rockab, l’occasion d’entendre le Rikkha-man Seb le Bison faire le cat dans les chœurs. Ça repart de plus belle en B avec «Because I’m Your Enemy», encore un cut bardé de son, dévoré de l’intérieur par un bassmatic carnivore et allumé par un Marlou posté en embuscade. Derrière ça bat sec et net. Ils ramènent du son à la pelle et Alicia don’t give a fuck, avec sa gouaille inexorable. L’occasion une fois encore pour le Marlou de broder un killer solo sur mesure. Il est à la fois si insidieux et tellement rocky road. Avec «My Siver Fox» ils passent au boogie anglais, le Marlou veille au grain, il gratte des accords de glam et part en vrille à la Mick Ralph, alors ça donne du gut au cut. C’est avec «Kill Kill Kill» qu’ils se mettent à sonner comme les Ramones. Ils multiplient les hommages déguisés, avec une rythmique à toute épreuve. On entend même de vagues échos rythmiques de «Lust For Life». C’est un son tout terrain qui passe partout. Et puis voilà la cerise sur le gâtö : «Skydog Forever», fantastique hommage à Marc Zermati. Le cut sonne comme un classique des Seeds, c’est superbe, en plein dans le museau du mille - Lost in the heart/ The heart of the city/ With a rocker mind and a dandy Style/ Skydog forever - Chaque mot semble pesé, Alicia parle de dévotion - They called you the Godfather/ Of the punk rock mafia/ Fighting music fuckers/ With the first punk festival - Tout sonne incroyablement juste dans cet hommage. Ceux qui ont eu l’immense privilège de fréquenter Marc y retrouveront leur compte. En fin de cut, Alicia lui donne la parole, sous forme d’un extrait d’interview, et il déclare : «Skydog reste underground mais grâce à Dieu, c’est un underground international.» Alicia lui dédie d’ailleurs son album, ainsi qu’à Robert Fiorucci.

             Dans les remerciements, on trouve le nom de Damie Chad, donc tout va bien dans le meilleur des mondes.

    Signé : Cazengler, Aliscié

    Alicia F. Welcome To My F... World. Damnation

     

    Fat White Family Stone - Part Two

     

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             De tous les drug-books qui honorent de leur présence le panthéon de la rock culture, Ten Thousand Apologies: Fat White Family And The Miracle Of Failure pourrait prendre la tête du classement, s’il nous venait l’idée saugrenue d’établir ce genre de classement. Co-écrit par Lias Saoudi, frontman des Fat Whites, et Adelle Stripe, ce book fait passer tous les champions de la désaille pour des enfants de chœur, depuis Johnny Thunders jusqu’aux Happy Mondays, en passant par Lanegan et les 13th Floor. C’est bien simple, on trouve quasiment des drogues à toutes les pages de ce book, des drogues qui jouent bien sûr leur rôle d’élément provocateur dans le contexte d’un groupe de petits mecs qui cherchent à réussir dans un domaine où tout a déjà été testé en termes d’excès, le rock anglais. Les Fat Whites passent sous les sempiternelles fourches caudines du marche ou crève, jetant leurs vies dans la balance à chaque instant, comme le firent avant eux les Stones, les Pistols, les Spacemen 3, les Happy Mondays, pour ne parler que des Anglais. Le seul problème, c’est qu’à la différence des pré-cités, leurs disques ne sont pas bons. Tout ça pour ça ?

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             La parution du book semble entrer dans une stratégie de reconquête, la reconquête d’une notoriété perdue. Cette parution précède nous dit-on la sortie d’un documentaire : une équipe filma jadis les Fat Whites en tournée. Voici dix ans, la presse et les commères du village en faisaient leurs choux gras, cultivant une sorte d’obsession à vouloir voir en eux les nouveaux Pistols. Comme le montre le book, les Fat Whites ne faisaient pas semblant, ils pratiquaient le walk on the wild side qui fait la légende du rock, à partir du moment où tu mets ta vie en jeu. Ils le font pour de vrai, comme le firent d’une certaine façon les Pistols en leur temps. Mais les Fat Whites ont échoué là où les Pistols ont réussi : un album mythique et un mort. Zéro album mythique chez les Fat Whites.

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             On est pourtant allé fureter dans leur dernier album, Serfs Up. Ils y cherchent encore leur voie, car l’album sonne comme un melting pot de potes. Obligé de constater une fois de plus que ce groupe si brillant sur scène n’a jamais su enregistrer un bon album. Lias Saoudi fait de la diskö à la Kön avec «Feet» et les choses ne vont pas s’arranger avec «I Believe In Something Better», un cut particulièrement vide de sens. Méchante arnaque ! Ils proposent une sorte de deep noise sans intérêt. Cet album sent le coup monté. Ils manquent tragiquement de compos. «Kim’s Sunsets» sonne comme le plus inutile des cuts inutiles. Ils tentent de sauver les meubles avec le funk de «Fringe Runner», mais ils s’enfoncent encore plus, même si derrière des filles font des chœurs déments. S’il faut sauver un soldat Ryan de cette Bérézina, ce sera «Fringe Runner». On retrouve enfin cet excellent chanteur qu’est Lias Saoudi avec «Oh Sebastian». Il chante ça de l’intérieur. Ce mec a du talent, encore faut-il lui donner de bonnes chansons. Et voilà qu’ils reviennent (enfin) au glam avec «Tastes Good With The Money». Leur heavy glam sonne comme le meilleur heavy glam qu’on puisse espérer. On ne saurait faire mieux. Ce glam dégomme tout - And all my faith slides right into place/ The air up there so fresh and clean - L’album semble enfin se réveiller car voilà que s’ensuit un «Rock Fishes» assez puissant, mené au groove d’under the boisseau. Ils ont mis du gravier sur la pochette intérieure, ça veut dire ce que ça veut dire. Pour finir, ils plagient le Together des Beatles avec «Bobby’s Boyfriend». C’est assez mal embouché. C’est comme si on crevait les yeux des moines de Tarkovski une deuxième fois. Les Fat Whites sont éminemment malsains, ils cultivent une ignoble perpète de son et s’enivrent de torpeurs insalubres.

             Lias Saoudi doit une fière chandelle à Adelle. Elle manie l’historique des Fat Whites avec la maestria d’une romancière chevronnée. Bon c’est vrai qu’elle dispose d’une bonne matière de base, mais elle fait des miracles, rendant tous ces personnages un peu excessifs plus vrais que nature, à commencer par Lias et son frère Nathan, fils de Bashir Saoudi, arrivé en Angleterre dans les seventies, et petits-fils de Kaci, survivant du bagne de Cayenne où il a moisi vingt ans, accusé d’avoir occis un colon. Adelle réussit l’exploit d’exacerber la grandeur des Kabyles d’Algérie et de sublimer leur fantastique instinct de survie pourtant mis à rude épreuve par les bouchers colonialistes qui s’étaient crus autorisés à s’approprier leurs terres et à renier leur liberté, avec une brutalité digne de celle des nazis et du KKK. Le sort d’un combattant kabyle ne valait pas mieux que celui d’un nègre dans les pattes du KKK ou d’un juif dans celle des nazis. Adelle parle de populations de villages «traumatisées par les Français.» Le ton qu’elle emploie est si juste qu’on la croirait elle-même kabyle. Cherche-t-elle à donner du poids à son récit en évoquant ce passé troublé ?

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             Dans l’un des longs passages que Lias rédige pour entrelarder le récit d’Adelle, il raconte qu’un jour il appelle son père à l’aide depuis une cabine et Bashir arrive sur sa moto, armé du cimeterre qui décorait le mur du salon, le père est un guerrier kabyle, où sont tes ennemis mon fils, je vais leur trancher la gorge, slit their fucking throats, et Lias ajoute qu’en voyant son père dans cet état, il se sentait protégé. Il revoit son père comme un homme issu d’une tradition très ancienne. Cette tradition d’homme des montagnes veut aussi qu’on apprenne à boire comme un trou et surtout à rire des pires situations. Lias avoue qu’il aurait préféré être le fils de quelqu’un d’autre. Car il faut être à la hauteur d’une telle tradition. Néanmoins, il apprend à vivre héroïquement, à la Kabyle : penniless, shameless... victorious. No surrender! Il le dit avec ses mots, et c’est assez fascinant.

             Adelle entre dans les histoires de la famille Saoudi pour noircir des pages superbes, et puis dans celle de la famille Adamczewski, dont le rejeton Saul va former avec les deux frères Lias et Nathan le trognon de base des Fat Whites. Ils sont tous les trois issus de milieux qui accumulent tous les problèmes. La mère des frères Saoudi qui est anglaise divorce du père et va s’installer en Irlande du Nord en pleine période des Troubles, et donc Lias et Nathan apprennent à vivre à la dure. Quand il se retrouve dans une école du County Tyrone en Irlande, Lias en bave. C’est le dernier endroit au monde où il veut être - There was no place more depressing than Cookstown that year, a fact he was certain of - Il dit y être arrivé en 1998, «juste après la signature du Good Friday Agreement, and only three days before the detonation of the Omagh bomb 26 miles up the road.» Lias raconte pas mal d’épisodes d’agression dont il est victime en tant que filthy little Jew-nosed nigger, les crachats dans la gueule et la peur viscérale qu’il a de se battre, cherchant toujours à parlementer  pour éviter d’entrer dans une shoote perdue d’avance - My tactic was endless bargaining. I would attempt to talk my way out - Il dit qu’il n’existe pas de plus grande humiliation dans la vie que de tenter de «smooth things over with people who have just spat in your face.» Alors ça le précipite dans des abîmes de suicidal depression.

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    ( Lias, Saul, Nathan )

             Comme les frères Saoudi, Saul vit une enfance mouvementée. À l’école, il passe rapidement du stade de troubled pupil à celui de full-blown special case. Saul est viré de l’école parce qu’il jette des morceaux de sucre sur les instituteurs. Il se caractérise très vite par un manque total de respect pour l’autorité, il n’éprouve jamais aucun remords et cherche en permanence la confrontation. Et teenage Saul découvre le punk rock. Avant de jouer dans les Fat Whites, il jouait dans les Metros. Comme chacun sait, Saul a des yeux clairs fantastiquement beaux et ce qu’on appelle un sourire brisé : deux dents de devant pétées. Ça date du temps des Metros. Il faisait une grimace à Curly Joes à travers le pare-brise du van et Curly Joe lui a envoyé un tas à travers le pare-brise qui lui a cassé deux dents. Elles n’ont jamais été remplacées. Comme on va le voir, Saul va traverser tous les cercles de l’enfer de Dante. À une époque, il vit avec une girlfriend et ils tournent tous les deux au crack. Leur seule et unique préoccupation quotidienne consiste à trouver les £15 pour la dose. Quand sa girlfriend revient avec la dose, nous dit Adelle, Saul lui arrache des mains et elle se retrouve sans rien - There was an extreme selfishness in his addiction - Tous les désordres mentaux de Saul remontent à la surface et ça le conduit naturellement a ce qu’Adelle appelle des «violent interactions in his day-to-day life». Le jeu favori de Saul consiste à croire qu’il peut contrôler l’esprit de Lias.

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             Et puis voilà la musique. Lias vit son premier choc transcendental avec sa copine Jeanette qui est obsédée par Dylan. Lias craque sur «All Along The Watchtower», puis «Last Thoughts On Woody Guthrie», a poem about the nature of integrity - In that moment, Lias was changed forever, nous dit Adelle. Le lendemain, il achète sa première guitare. Plus tard, avec les Fat Whites, il découvre les vertus de la musique : «Jouer sur scène veut dire aller et venir sur la scène devant des tas de femmes soûles. Les effets de la musique sont immédiats et universels, la musique n’appartient pas aux classes supérieures ou aux classes moyennes, que je commençais à mépriser profondément. Tu n’as pas besoin de comprendre une chanson, you just need a bit of enthusiasm.» Puis il découvre le punk et le Lipstick Traces de Greil Marcus devient son handbook : «C’était le premier livre qui prenait en compte mes angoisses sociales et qui prônait l’engagement pour le combat culturel : de Dada à l’Internationale Situationniste, en passant par la naissance du punk et au-delà, et rétrospectivement, ce book saved me from making a dire fool of myself for the rest of my life.» Puis il rencontre a girl called Mitzy, «sophisticated and stylish, introducing him to Gaz’s Rockin’ Blues, cocaine and the wonders of oral sex.»

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             Lias se sent rapidement destiné à jouer dans un groupe de rock : «Like every other sexually frustrated young man with a drug problem who came of age during the Doherty era, being in a band looked like easy street.» Et boom, c’est parti ! Mais ça marche de pair, c’est-à-dire Fat White Family et la dope. L’un ne va pas sans l’autre.

             Sur scène, Lias prend vite l’habitude de baisser se froc et il va même parfois jusqu’à se branler ou se faire sucer par l’un des Fat Whites. La queue à l’air ? Il a découvert qu’Iggy en avait fait son fonds de commerce, alors il s’est contenté de pousser le bouchon un peu plus loin. Et comme il est monté comme un âne, il a une petite tendance à l’exhibitionnisme. On le voit souvent à poil sur les photos du groupe. Adelle parle même d’une abondante toison, his enormous bush. À la façon dont elle en parle, on sent une certaine admiration.

             Lias commence par s’installer à Londres en s’inscrivant dans une école d’art. Il reçoit un prêt du gouvernement qu’il investit aussitôt dans un gros pochon de coke qu’il compte revendre pour se faire du blé, mais comme tous les dealers amateurs, il commence par taper dans sa réserve qui se vide à vue d’œil - by the hour - En 72 heures, il vient à bout de sa réserve et donc son business-plan tombe à l’eau. Son frère Nathan le rejoint à Londres et ils vont tous les deux commencer à naviguer de squat en squat, tripping on acid et rigolant de tout. En vrais Kabyles.

             Le junkie dans la bande, c’est Saul. Il vit sa découverte de l’hero comme a source of real comfort - Heroin switched off the noise and chaos in his head. Plus de colère ni d’angoisse en lui. Juste un petit coussin qui rendait la vie quotidienne supportable et qui lui permettait de faire des rêves extrêmement pervers. Pire encore : il commençait à entendre la musique in an entirely new way - Saul prend de l’hero alors qu’il bosse avec un copain sur des chantiers de couverture. Il est en haut, sur le toit et il lui arrive de dégueuler dans la rue.

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             À une époque, ils sont hébergés au Queen’s, un pub situé à Brixton, peint tout en noir et tenu par the Landlord. Saul et Nathan se battent, puis se rabibochent en fumant de l’hero. Quand Thatcher casse sa pipe en 2013, les Fat Whites font la fête comme beaucoup de gens à Londres et accrochent une banderole au balcon du Queen’s : «The witch is dead.» Lias et Saul fument du crack pour célébrer l’événement. Ailleurs, Nathan et Adam se partagent un sac de meth - Nathan’s face was deranged and had transformed into a Cubist ruin - Curly Joe lui demande si ça va et Nathan lui répond qu’«it’s okay because now I feel like superman, an insane amount of confidence. Fuck!». L’histoire des Fat Whites n’est qu’une succession d’excès en tous genres. On ne sait pas si Adelle cède à la surenchère, ou si elle essaye de calmer le jeu, mais chaque page apporte sa pierre à l’édifice. Quand Saul et Nathan sont envoyés à New York signer un contrat. Saul est sous valium et comme il est terrorisé par le vol, il essaye de lire un book de Jaroslv Hasek. Ils transforment les dix jours qu’ils passent à Greenwich Village en speedball marathon. La nuit du septième jour, Nathan overdose et Saul lui dit d’aller marcher dans la rue, ça lui fera du bien - You just need to relax - Nathan survit miraculeusement. Quand Saul refuse d’aller jouer sur scène, Pete qui est leur manager lui propose £100 de crack, alors Saul accepte de prendre l’avion pour se rendre au concert. Puis Saul décide de décrocher et se retrouve en detox au Mexique, il revient clean en Californie. Il se retrouve chez des gens qui ont une piscine, et on lui met une ligne sous le nez. Alors Saul prend le billet roulé et sniff-snaff - I never said I was giving up everything - Puis quand il est de retour à Londres, il fume déjà du crack - The city equalled drugs, nous dit Adelle - There was no escaping it - Pas moyen de faire autrement. Pendant six mois, il parvient à rester relativement clean, mais jouer dans les Fat Whites à Londres rendait tout décrochage impossible - Drugs were far too easy to score - Lias confirme : «I had walked out onto the stage at Brixton Academy six months previoulsy with a head full of speed, MDMA, acid, mushrooms, heroin and liquor. We’d reached the summit, finally.»

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             Il y a aussi de la chimie dans les Fat Whites ou plutôt de l’alchimie, notamment entre Saul et Lias  - There was a natural affinity between us like no other - Lias dit aussi qu’une fois devenu junkie, Saul became tyrannical. Les Fat Whites, c’est d’abord l’histoire d’un groupe qui vit en collectivité. D’où les excès. Leur première préoccupation, aussitôt après la dope, c’est de se trouver un toit. On retrouve ça partout dans le récit. Pas d’argent, donc de grosses difficultés à se loger. Les Fat Whites vivent dans le trash collectif absolu, Adelle décrit les appartements qu’ils détruisent, les toilettes bouchées, alors ils chient dans des sacs qu’ils vont jeter dans les poubelles des voisins, et puis les cuisines, comme on les imagine, ils cultivent la dépravation, mais pour en faire de l’art - The level of depravity was a work of art in itself - Saul dort dans un placard à balais, tout habillé à cause des punaises de lit. Adelle nous parle de squalor - But it was a choice to live on that level of degradation - Les Fat Whites se baladent à poil dans l’appart et il n’est pas rare de voir des queues traîner sur la table du living room. On voit une photo de Saul à poil avec la queue enveloppée dans du papier alu. Il porte un Stetson et un ceinturon dans le lequel il a glissé trois boîtes de coca écrasées. L’image est magnifique. On se croirait dans le Trash d’Andy Warhol, avec Joe Dalessandro.

             Sur scène, les Fat Whites ramènent tout ce chaos. Le groupe commence par s’appeler Champagne Holocaust, d’après «the Fat White Duke» James Endeacott et une boucherie de Camberwell, alors ils optent pour Meat Divine and the Fat White Family. Quand Lias et Dan entrent pour la première fois en studio à Hackney, c’est avec une bouteille de LSD, mais sans le dire à Saul. Alors dès qu’ils voient Saul faire le moindre geste, ils sont pliés de rire. À une époque, ils louent un appart dans lequel ils répètent. Une voisine tape dans le mur. Les Fat Whites montent le son et continuent à jouer. Et puis un jour elle ne tape plus. Les Fat Whites voient arriver une ambulance. La voisine est morte d’un cancer. Nathan demande aux autres si c’est le krautrock qu’ils jouent qui a tué la voisine. Saul répond «Probably yeah», et ajoute : «Death by Damo Suzuki, it’s quite a way to go out, don’t you think?», mais Lias hausse les épaules : «What a rotten set of bastards we are.»

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             Adelle se régale avec les concerts chaotiques des Fat Whites. Elle se penche particulièrement sur celui du Purple Turtle, un pub où les videurs essayent d’arrêter le set, alors Lias se branle sur la foule qui pousse des cris d’horreur. Ils sont virés du pub comme des malpropres et les videurs jettent leur matériel en vrac dans la rue. Mais pour certains observateurs, les Fat Whites deviennent the most exciting band in years. Adelle nous dit que les Fat Whites écoutent à cette époque les Country Teasers, The Fall et The Make-Up.

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             Saul peaufine son esthétique du trash. Il veut que le premier album des Fat Whites soit perfect - but perfectly bad - He wanted it to sound shit - On a donc l’explication. Voilà pourquoi ce premier album est tellement insupportable ! C’est en s’installant au Queen’s qu’ils s’enfoncent dans la trashitude et qu’ils deviennent des sortes d’anti-héros. The Landlord leur passe tous leurs caprices, c’est-à-dire tous les excès liés à l’alcool et aux drogues. Jamais la moindre remarque. Lias est fier des Fat Whites : «Le groupe est issu du dépit le plus profond, celui causé par un monde qui nous a rejetés mes copains et moi à cause de nos tares. Mais notre addiction aux drogues, notre asociabilité et nos tares mentales ne sont pas une posture. Le groupe était une sorte de club pour jeunes gens en colère et sans avenir social.» Une fois devenus célèbres, Lias explique qu’ils n’ont jamais eu a payer pour boire un verre, et les foules qui les voyaient sur scène les applaudissaient pour les raisons qui les ont rendus asociaux. L’une de plus belles illustrations de cette éthique du déclassement, c’est un cut nommé «Tinfoil Deathstar», sur Songs For Our Mothers. «Tinfoil Deathstar» raconte l’histoire d’un homme nommé David Clapson. On lui avait coupé son allocation de chômage parce qu’il avait raté un rendez-vous à l’agence pour l’emploi. Radié ! Donc condamné à mort. La police l’a retrouvé mort dans son appartement. L’autopsie a révélé qu’il n’avait RIEN dans le ventre. Pire encore : comme il souffrait du diabète, il devait prendre de l’insuline, mais son frigo ne marchait plus. Il ne lui restait que £3.44 et une liasse de CVs. Clapson nous dit Adelle avait bossé toute sa vie et demandait une allocation chômage pour pouvoir s’occuper de sa mère. Alors quand Lias a lu l’histoire dans le journal, ça l’a rendu fou de rage. Adelle : «Joué lors d’une South London party, avec des hipsters qui fument de l’hero et qui pensent avoir des problèmes, le cut invoque le souvenir de David Clapson : c’est son fantôme qui vient taper à la fenêtre en brandissant sa liasse de CVs.» On est en plein dans Ken Loach. C’est de cette Angleterre dont parlent le vieux Ken et les Fat Whites, là où les pratiques des fonctionnaires envers les pauvres et les déclassés sont plus violentes qu’ailleurs. Un groupe comme les Fat Whites ne peut exister qu’en Angleterre. Même chose pour Ken Loach. Ils dénoncent, mais ça ne changera rien.  

             Lors d’un concert à New York, Matthew Johnson de Fat Possum Records demande à assister au soundcheck. Dan qui est à l’époque le batteur décide de saboter le set alors Saul vient vers lui et le frappe. Puis il revient le frapper encore une fois, plus violemment, alors Dan fout son kit en l’air et quitte la scène en chialant. The chaos must go on. Ça n’empêchera pas Fat Possum de les signer. En virant Dan des Fat Whites, le groupe atteint les tréfonds du désespoir. Saul est tellement conscient de ce désespoir social et environnemental qu’il est obligé de se réfugier dans l’hero.

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             Le second album des Fat Wites, Songs For Our Mothers est descendu par la presse. On parle d’émanations de fosse septique. Et Adelle en cite d’autres toutes aussi gratinées, s’empressant d’ajouter : «et ce sont les plus favorables.» 

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             Quand les Fat Whites jouent à la Cigale, c’est le soir des attentats. Ils ne le sauront qu’après : ils étaient la cible, et non les Eagles Of Death Metal au Bataclan. Le commando s’est gouré de concert. Saul est viré du groupe à ce moment-là. Le seul qui reste en contact avec lui est Nathan. En fait, les Fat Whites passent leur temps à se battre entre eux. Puis Saul revient et les tensions reviennent avec lui. Un jour, il s’en prend à Adam. L’occasion est trop belle. Adam rêvait d’en coller une à Saul depuis des années et, excédé, il saute sur l’occasion pour lui en décrocher une belle en plein museau. Lias assiste à tout ça sans jamais intervenir. Parmi les apôtres du chaos, tous les coups sont permis. Lias : «À Londres, on était un danger permanent pour nous-mêmes et pour les autres. De toute évidence, on avait perdu le contrôle. Alors j’ai ramassé mes sous et suis parti me planquer en Asie pendant trois mois. Juste pour retrouver some sanity. À mon retour, je suis allé à Sheffield, dans une petite maison en briques rouges.» C’est à Sheffield que les Fat Whites décident de se réinstaller. Loin de Londres et des dealers. Adelle dresse alors un fabuleux panorama : «Les Fat Whites étaient considérés par la presse comme le Next Big Thing et ils avaient sombré dans une spirale de crack et d’hero, ils avaient enregistré un deuxième album volontairement invendable et réussi à virer leur chief melodist and musical director (Saul).» Fantastique ! Et ce n’est pas fini. Lias finit même par virer Adam, l’un des vétérans du groupe, parce qu’il prend encore de l’hero et à Sheffield, Lias ne veut plus d’hero. C’est Nathan qui devient le compositeur du groupe, mais il en bave, car il n’est pas fait pour ça. The chaos must go on.

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             Lors du festival de Glastonbury en 2015, les Fat Whites sont assez fiers de se retrouver à la même affiche que The Fall. Mark E. Smith est un peu leur idole. C’est Lias qui raconte l’histoire. Il voit Smith sous la tente où les musiciens prennent leurs repas. Mais il n’ose pas aller lui parler. Alors Nathan va trouver Smith et se présente. Smith le fait asseoir à sa table et lui demande s’il veut un verre de cidre. Honoré, Nathan accepte. Smith remplit un verre et le balance à la gueule de Nathan. Humilié, Nathan se lève et lui dit qu’il n’aurait jamais dû faire ça ! Alors Smith lui dit de se rasseoir, sit down, I’m sorry, il s’excuse et lui verse un autre verre. Nathan l’accepte. Il prend le verre et le balance dans la gueule de Smith. Une fois la surprise passée, Smith apprécie le geste. Comme les Fat Whites, Smith est un fin spécialiste du chaos. Finalement, Lias va s’asseoir à côté de son idole pour papoter. Smith lui dit qu’il connaît les Fat Whites et que ça lui rappelle les Seeds. À sa façon, Lias salue le génie de Mark E. Smith : «A loathsome autocrat he may be, but a genius also.»     

    Signé : Cazengler, fat white finally

    Lias Saoudi & Adelle Stripe. Ten Thousand Apologies: Fat White Family And The Miracle Of Failure. White Rabbit 2022

    Fat White Family. Serfs Up. Domino 2019

     

     

     The Quireboys are back in town

     

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             Comme les Dogs d’Amour, les Quireboys firent partie à la fin des années 80 des grands prétendants au trône de la debauchery, avec bien sûr des racines dans la Stonesy et les Faces. Tous ces mecs déclinaient jusqu’à la nausée le look de Keith Richards, à grands renforts de foulards, d’épis, de bijoux et de mascara. Mais en même temps, ils parvenaient à pondre d’excellents albums, si tant est qu’on soit amateur de vrai son anglais. Un groupe comme les Quireboys n’est compréhensible qu’aux yeux et aux oreilles des kids qui ont grandi avec les Stones et les Faces. La moyenne d’âge de leur public tourne donc autour de 65 ans. Voire plus.

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             Les voilà donc en Normandie, ce qui est assez inespéré, en ces temps de vaches maigres.  Juste avant l’arrivée du groupe sur scène, un présentateur vient annoncer l’absence de Spike et ajoute que finalement, ce n’est pas plus mal. De quoi se mêle-t-il ? Puis ils arrivent. Des Quireboys au rabais ? Oh la la, pas du tout.

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             — Hello Cleonne, this is rock’n’roll !

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             Dès le premier accord, on sait que le concert va être génial. Vrai son anglais, Spike absent, mais les compos sont là et Guy Griffin n’est pas né de la dernière pluie. Fantastique présence, sous sa casquette de gavroche, il chante avec toute la bravado de Steve Marriott, il gratte sa Tele et établit le contact avec le public. Ce mec est fabuleusement doué. Par sa corpulence, il rappelle aussi Gary Holton, il est le kid rocker anglais par excellence. Il présente chaque cut, indique de quel album il provient et redit sa fierté d’avoir participé à tout ça depuis 15 ans. Ils attaquent avec l’excellent «Love That Dirty Town» tiré d’Homebreakers & Heartbreakers, ils réaniment avec brio l’immense panache des Faces, seuls des Anglais peuvent sortir un son pareil.

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    De l’autre côté se tient Paul Guerin, une grande perche coiffée comme Robert Plant, il est le prototype du guitariste anglais des seventies, il joue sur Gibson et ramène énormément de son, mais avec une finesse extrême. Diable, comme ces mecs sont bons ! Ils sont extrêmement bien conservés, aucune trace de délabrement physique chez eux. Ils tirent pas moins de sept cuts de leur premier album, A Bit Of What You Fancy, «7 O’Clock», «There She Goes Again», «Whippin’ Boy», «Long Time Comin’», «Roses & Rings», «I Don’t Love You Anymore» et le «Sex Party» qu’ils jouent en rappel. De l’autre côté se tient le bassman, un petit homme chapeauté qui semble sortir d’un groupe de ska, tout maigre, court sur pattes, très sec, avec une tête de Simonon et un corps de Topper Headon, il marque le rythme en hochant la tête d’avant en arrière et sort sur sa Precision un bassmatic infernal, ultra-présent. Sur l’excellent et quasi-dylanesque «Mona Lisa Smiled», il joue carrément comme Ronnie Lane, en amenant des descentes de gammes mélodiquement vertigineuses.

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    Leur set-list est une sorte de best of. Ils tirent aussi «Hello» et «Louder» d’Homebreakers & Heartbreakers. Toutes les compos sonnent bien, même avec leur côté classique. On appelle ça du good time rock’n’roll.

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             Alors on ressort pour l’occasion quelques albums de l’étagère, à commencer par l’excellent A Bit Of What You Fancy paru en 1990. Le guitariste du groupe est alors Guy Bailey qui comme Nikki Sudden et Marc Bolan, porte un chapeau claque. Tous les hits sont déjà là, c’est un album qui à l’époque ne passait pas inaperçu, à condition bien sûr d’aimer le son des Faces. Top départ avec «7 O’Clock», leur vieux coucou d’oh yeah qu’ils vont nous resservir pendant quarante ans. Avec leurs chœurs d’oooh oooh, ils se prennent pour les Dolls. Ils sont dans leur délire de c’mon, de coups d’harp et de Rod the Modelism, oh yeah, alors ils méritent mille fois le respect. Ils y vont franco de port avec «Sex Party», joli shoot de ce heavy boogie blast qui deviendra leur fonds de commerce. Et puis Spike éclate en tant que chanteur avec «Sweet Mary Ann», avec son suitcase in my hand. Il faut bien dire que ce mec chante comme un dieu, comme d’ailleurs son idole Rod The Mod, dont il produit un bonne émulation. Il refait encore des miracles sur «I Don’t Love You Anymore», il chante comme un poète romantique perché sur la falaise face à la tempête, il développe les mêmes testostérones que Rod The Mod. «Hey You» et «Misled» sonnent comme de bons hits de rock anglais, Guy Bailey n’y va pas de main morte. «Roses & Rings» sonne aussi comme un hit, Spike y développe de belles dynamiques de Stonesy et ça devient une pure énormité. Belle compo, c’est la raison pour laquelle ils la resservent régulièrement. Spike chante comme Rod, aux mieux des possibilités du rock anglais. Spike est un héros.

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             C’est «7 O’Clock» qui ouvre le bal de From Tooting To Barking. Spike et son copain Guy Bailey prennent un peu les gens pour des cons : on retrouve sur Tooting tous les cuts d’A Bit Of What You Fancy. Avec «Hey You», ils s’adonnent aux joies du heavy-blues rock de London Town. Guy Bailey se tape une jolie descente en dérapage contrôlé sur sa guitare. On tend l’oreille car ce mec est assez fin. «Man On The Loose» est un véritable chef-d’œuvre de Stonesy, ils tapent dans l’excellence de don’t care/ It’s alrite ! L’album est bardé de son, on a même des coups d’harp dans «Mayfair», et Guy Bailey ramène pour l’occasion tous les arpèges de la vieille Angleterre. C’est très impressionnant. Les Quireboys ne sont pas des pieds tendres et encore moins des oies blanches : ils ont au moins vingt albums à leur palmarès. Spike survit à toutes les vagues, ce qui fait sa grandeur. Ils finissent quand même par se vautrer avec des slowahs ridicules («Devil Of A Man», «Hates To Please») et ça se termine avec «Roses & Rings». En Angleterre, on en revient toujours aux roses. Ils sont fous des roses. C’est du mauvais cliché. À force de s’étrangler la glotte, Spike devient ridicule. Il s’imagine qu’à force de raw, il va conquérir l’Asie Mineure. Il se fout le pieu de Minerve dans l’œil et on espère bien que les chacals finiront de dévorer son impudence.

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             Paru en l’an 2000, Lost In Space pourrait très bien être un album des Faces. Tout là-dessus renvoie aux Faces, à commencer par le «Don’t Bite The Hand That Feeds Ya» d’ouverture. Ils sont dans ce son et ça les honore. Ils sont même marrants à vouloir sonner exactement comme les Faces. Et ça continue avec «Tramps & Thieves», ils sont dedans jusqu’au cou, même son, même chant. On retrouve les vieux coucous comme «Milsed» et «Roses & Rings» - I still love you baby - Ce sont les dynamiques de «Maggie May», beaucoup plus évidentes dans cette version live, oui, car il est important que préciser que Lost In Space est un album live. «Ode To You (Baby Just Walk)» est un cut assez puissant. Ils ramènent un peu de Stonesy dans «My Saint Jude» et puis les vieux coucous reviennent encore, «Man On The Loose» (Guy Bailey se prend pour Keef), «Sex Party (machine infernale, ils n’inventent rien mais jouent comme quatre) et ils terminent avec l’insubmersible «7 O’Clock» - I say/ What’s the time ? - Spike is on fire, il en perd sa voix.   

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             Attention ! This Is Rock ‘N’ Roll est un big album de heavy boogie britannique. Ils annoncent la couleur dès le morceau titre, ils visent la fusion de l’atome du rock, ça fond dans la température. Ils tartinent «Show Me What You Got» au pire heavy de la heavyness. Personne n’est allé aussi loin dans le coulé de bronze. La heavyness des Quireboys, c’est quelque chose ! Ils se tapent une belle envolée de power pop avec «Six Degrees» et du coup ça devient énorme. Quel entrain et c’est claqué aux meilleurs accords d’Angleterre. Leur «C’mon» est hallucinant de c’monnerie et ça bascule dans le demented are go à gogo. Cet album est décidément très convainquant. Ils allument «Turn Away» comme un vieux cut de Mott, ça joue aux accords anglais et Spike plonge dans la sauce, c’est excellent, tellement anglais, turn away yeah, Spike gueule tout ce qu’il peut dans la clameur du turn away. On revient dans l’esthétique des Faces avec «Enough For One Lifetime», même classe que les lads. Ils saturent leur «Never Let Me Go» de son, ça devient ultraïque. On entend parfois des éclos de glam, les Quireboys ont tellement de métier ! Ils singent Humble Pie sur «Misled 2014» et les Faces sur «7 O’Clock 2014». Ils cultivent bien leur pré carré.    

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             C’est sur l’Homewreckers & Heartbreakers paru en 2008 qu’apparaît pour la première fois cette petite merveille qu’est «Mona Lisa Smiled», puissant balladif qui t’embarque pour Cythère, qui te transforme en brindille sur le Yang-Tsé-Kiang, quel flow et quel flux de nappes d’orgue, mais tu n’as pas les lignes de basse du concert. «One For The Road» et «Hello» pourraient figurer sur n’importe quel album des Faces, surtout «One For The Road» qui est du pur Plonk Lane avec le violon et les odeurs de roulotte. Spike repart à l’assaut de Rod avec «Hello», c’est plus fort que lui, il ne peut pas s’en empêcher, même chose avec «Hello» qui est Facy/Quiry en diable, avec une vraie mélodie chant - Hello/ Can you remember how it felt to be winning - Il faut dire que la quasi-totalité des lyrics sont des gros tas de clichés, mais il peut nous arriver de chanter parfois en chœur avec Spike. On l’aime bien ce mec, avec sa tête de romanichel et ses deux petits yeux barbouillés de mascara. Il fait aussi du Rod The Mod avec «I Love That Dirty Town», il ramone la cheminée fatiguée du vieux boogie rock britannique. On ne saurait imaginer meilleure osmose avec la Rodose de la Modose. Spike chante encore «Louder» au sommet de sa red hot Rod machine. Si on a besoin d’un autre Rod, il est là, pas la peine d’aller chercher ailleurs. Il travaille son «Late Night Saturday Call» à la rocaille, comme son idole. Leur boogie reste d’une efficacité redoutable. Ces mecs jettent tous leurs œufs dans le même panier. «Take A Look At Yourself» est très cousu de fil blanc, très orchestré et très chanté, on trouve même des cuivres dans la soupe aux vermicelles.

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             Au fil des albums, on est tenté de penser que Spike devient une caricature. Il pousse le vieux rock des Faces à l’extrême, alors qu’il est totalement passé de mode. Mais si on réfléchit bien, c’est une bonne chose que des vieux crabes en santiags maintiennent cette tradition, au risque de se caricaturer. Le danger est là. Mais bon, Spike et ses amis y vont de bon cœur et on trouve quelques merveilles sur Beautiful Curse. Les Quireboys sont un petit écosystème fragile et mal protégé, comme le sont les cervelles de leurs fans les plus anciens. On tape ici dans de la vieille moute, on les voit s’amuser avec le «Chain Smoking». Spike sait bien qu’il va choper un cancer, mais le chain smoking fait partie du cirque. Premier coup de cœur avec «Talk Of The Town», bien souligné à l’orgue. Il chante plus loin «King Of Fools» à la Rod the Fumaga, la glotte carbonisée, c’est une vraie voix de mineur malade de la silicose. Il y va le vieux Spike, dans un dernier spasme sur sa paillasse. Ils ressort l’excellent «Homewreckers & Heartbreakers» et cette fois il sonne comme une vieille sorcière, celle de Walt Disney dans les 101 Dalmatiens. Il va chercher sa pulpe au cœur du Heartbreakers. Quel vampire ! Le morceau titre est la troisième merveille de cet album. On croit entendre un hit des Faces, c’est dire si ! À peu près la même ampleur et ça vaut pour un compliment. Les plongées dans le climat sont superbes. Les Quireboys maîtrisent bien l’art profane du balladif et comme d’usage, c’est très anglais, avec de forts accents de Rod The Mod.     

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             C’est avec Black Eyed Sons paru en 2014 que les Quireboys lancent l’esthétique des masques peints sur les visages. Il existe une version trois CDs de cet album : en plus de l’album proprement dit, on trouve un CD2 Unplugged In Sweden et un DVD Live In London. C’est la foire à la saucisse. Deux des cuts de l’album pourraient très bien figurer sur un album des Faces : «Julieanne» et «Stubborn Kinda Heart». Ils amènent ça au Rod way, c’est exactement le même push de hush, avec les mêmes nappes d’orgue et le même drive. Spike fait bien son Rod sur Stubborn, il ne peut pas s’en empêcher, il tape cette fois dans la romantica. Lorsqu’ils attaquent «What Do You Want From Me», ils plongent dans leur cadavre exquis. Et quand ils ne singent pas les Faces, ils font du boogie («Lullaby Of London Town»). Spike ressort sa voix de cacochyme pour «The Messenger» et tape une belle cover de «You Never Can tell». L’Unplugged est extrêmement intéressant, ils retravaillent tous leurs vieux coucous à coups d’acou et de piano. «Don’t Bite The Hand That Feed You» et «There She Goes Again» sont presque plus beaux en mode acou, ils sonnent comme des hits d’oh wow wow. Et puis voilà la huitième merveille du monde, la version acou de «Mona Lisa Smiled». Pas d’orgue, mais c’est beau. Spike porte le monde sur ses épaules, comme le fit Rod en son temps - Paul Gerin on guitar ! lance Spike - Il annonce ensuite «Roses & Rings» from the first  Quireboys album. C’est du big Quiry sound, pas de problème. Spike fait encore son Rod avec «Misled», il chante à la force du poignet, pas facile sans électricité, mais il y va, cu’mon ! Et ils terminent avec le sempiternel «7 O’Clock» - What’s the time ?, demande-t-il au public qui répond 7 O’Clock - You got it ! Et ils refont les Faces.

             Le DVD Live In London vaut son pesant d’or du Rhin. Objet indispensable à tous ceux qui n’ont pas eu la chance de voir les Quireboys sur scène. Très beau spectacle, celui d’un groupe accompli qui peut tenir 90 minutes avec un répertoire solide - We’re the Quireboy, and this... is rock’n’roll - Spike fait bien l’annonce. Il tient son pied de micro comme Rod The Mod,  et le groupe attaque avec «Black Mariah». Paul Guerin et Guy Griffin ont sorti les Gibsons pour jouer le riff de «TV Eye». En fait, les Quireboys font beaucoup d’emprunts, puisqu’on les voit enchaîner avec un «Too Much Of A Good Thing» monté sur les accords d’«Alright Now». Merci Free ! Et puis voilà «Misled», pur jus de Stonesy teintée de Rod The Mod. Mais ça tient sacrément bien la route. Ils jouent tous leurs hits et font la promo de l’album précédent, Beautiful Curse. On passe bien sûr par «Mona Lisa Smiled» et là tu as la ligne de basse faramineuse du concert de Cléon. C’est lui, le petit mec, qui emmène Mona Lisa au paradis, on l’entend tricoter dans le fond du cut. On apprend par le générique qu’il s’appelle Nick Mailing. À l’époque du Live in London, il est barbu. Il n’est quasiment pas filmé, comme si les Quireboys avaient donné la consigne de ne filmer que les quatre membres officiels, Spike, Guerin, Griffin et Weir, jamais le batteur ni le bassiste. Très bizarre comme attitude. Heureusement, Spike les présente à un moment donné. Comme on l’a vu à Cléon, Guy Griffin communiquait énormément avec le public. Spike présente lui aussi tous les cuts. Quand arrive «Beautiful Curse», on réalise que c’est une merveille digne du Rod de l’époque Mercury. Et Spike indique qu’«I Love That Dirty Town» is about my hometown of Newcastle. Plus loin, il demande l’heure au public qui répond «7 O’Clock», you got it, et ils terminent en beauté avec «Sex Party».

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             Le St Cecilia And The Gypsy Soul qui paraît en 2015 est encore un gros morceau : quatre disques. Là ils exagèrent. D’autant qu’ils nous resservent toujours les mêmes vieux coucous sur Halfpenny Dancer, qui est ensuite redécoupé sur deux disks pour la version live. Disons que c’est une occasion de repasser une bonne soirée en réécoutant «Mona Lisa Smiled», «There She Goes Again», «Hello» et «Roses & Rings». Ce ne sont que des hits d’un romanichel qui aime bien sa roulotte, comme ce fut le cas de Plonk Lane. Spike ramène sa voix pleine de gravier, sa voix de Rod silicosé, son ceinturon et sa veste à rayures. Les petits Français n’ont pas accès à  tout ça. Sur l’album proprement dit, on trouve deux petites merveilles : «Out Of Your Mind» et «The Hurting Kid». Sur le premier, Spike fait son crocodile, il rampe dans le boogie, ses écailles luisent à la lune. Il chante si intensément. «The Hurting Kid» sonne comme un hit de heavy pop, mais c’est la pop de Spike, vite faite bien faite. Le reste de l’album est très classique, très Quiry, vite embarqué («Gracie B»), pas le temps de dire ouf. Spike s’en va chanter ça sous le boisseau. Il s’arrange toujours pour faire son cirque. Il est une sorte de real deal. Sur le morceau titre, il se met un peu en colère et retombe dans le cousu de fil blanc avec «Can’t Hide It Anymore». Retour au toxic sound avec «The Best Are Not Forgotten», ils sont dans leur élément.

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             Ils continuent de cultiver l’esthétique des masques pour la pochette de Twisted Love paru en 2016. C’est une bonne esthétique. Comme les Drive-By Truckers dans un autre genre, ils se fabriquent une identité graphique très forte. Ils démarrent sur des chapeaux de roues avec «Torn & Frayed». Ils sont très doués pour ça, pour le hot as hell. Ils se montrent à la hauteur de leur réputation. Spike chante comme mille démons, il fait feu de tous bois, sur «Ghost Train», il a des chœurs fantastiques - Ghost train/ To paradise - Le hit de l’album s’appelle «Gracie B», joué à l’orgue Hammond. Ça en bouche un coin. Voilà ce qu’il faut bien appeler un hit, avec un solo hendrixien à la clé. L’Hammond leur va comme un gant. Spike chante son «KillingTime» à ras les flammes du lac de lave, comme le Hollandais, il navigue aux confins de l’enfer. S’ensuit le morceau titre, un heavy balladif Quiry joué à la sale petite cocote insistante, I know you’re lying, Spike ressort pour l’occasion sa voix de dernier stade de cancer de la gorge. Ils chauffent enduite le bouillon de «Breaking Rocks» à outrance, le chant prend feu, c’est encore autre chose que Rod The Mod, Spike carbonise littéralement son hot as hell. Leur truc consiste à charger les climats à outrance, ils font ça à l’Anglaise, avec un certain talent. Encore un stormer avec «Life’s A Bitch» et dans «Stroll On», on les voit tripoter tous les vieux schémas du rock anglais pour en faire du Quiry pur. C’est très bien foutu. Admirable.

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             White Trash Blues paraît l’année suivante. Fin des masques. Ils tombent dans le panneau de l’imagerie américaine, avec une vieille bagnole rouillée. Dommage. C’est un album de covers qui ne présente pas grand intérêt. On sauve «Boom Boom», même si leur cover n’arrive pas à la cheville de celle d’Eric Burdon. Spike en fait trop et il se vautre. Il tape aussi l’«Help Me» rendu célèbre par Ten Years After. Il ne peut pas rivaliser avec Alvin Lee. Coup d’épée dans l’eau. Spike s’esquinte la voix d’entrée de jeu dans «Crosseyed Cat», comme s’il se filait un coup de rasoir dans la glotte. Ils tapent dans toutes les tartes à la crème, notamment «Going Down». Mais encore une fois, tout le monde est passé par là, surtout Bobby Tench avec le Jeff Beck Group. À force de vouloir égaler tous les géants de la terre, Spike finit par devenir caricatural. Encore une grosse tarte à la crème avec «Hoochie Coochie Man». Muddy est passé par là, alors laisse tomber. On trouve aussi une version d’«I’m A King Bee». Ils ne l’attaquent pas comme les Stones, c’est autre chose, la version Quiry est trop savonnée. Pour taper dans Slim Harpo, il faut s’appeler Brian Jones. Leur version est trop pépère, on y entend même du piano. Le piano ne buzze pas all nite long, nous dit le dicton. Ils se vautrent encore avec «Walking The Dog». Ça appartient à Rufus, alors laisse tomber, Spike. Ils s’en sortent de justesse avec «Little Queenie», car ils sonnent comme les Faces. C’est éculé de fil blanc. Mais bon, ainsi va la vie. 

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             Très bel album que le dernier album en date des Quireboys, Amazing Disgrace. Ils renouent une dernière fois avec l’esthétique des masques pour la pochette avec ce gros plan sur l’œil noir d’une gitane un peu sorcière et boom, ça démarre avec «Original Black Eyed Son» que Spike prend au plus heavy de la heavyness, il va chercher la racine du Quiry Sound. Ils ont un son qui plane comme une ombre au-dessus de l’Angleterre. Pas de doute, c’est puissant, plein de grumeaux, Spike chante dressé sur la barricade, comme Gavroche sous les balles des Versaillais, got a feeling ! Vive la liberté ! On reste dans les grumeaux avec «Sinner Serenade», le vieux Spike allume le meilleur British rock du XXIe siècle, il porte le flambeau. Avec «Seven Deadly Sins», ils fondent des petits riffs à la Stevie Wonder dans leur purée invraisemblable. Ce groupe est passionnant, on les croit usés jusqu’à la corde, pas du tout. Ils sont encore capables de clameurs superbes. Ils montent leur morceau titre en neige extraordinaire. Ils savent gérer les dynamiques. Ils s’enfoncent même dans l’excellence compositale, du coup, les voilà bombardés au niveau supérieur. Spike refait son Rod silicosé dans «Eve Of The Summertime». Il n’a pas l’air en forme. Ça va Spike ? Arrrgghhhh. Il semble mal en point. Mais il chante sa mélodie. Un vrai rossignol. On a là du pur Quiry Sound visité par l’Amazing Disgrace. Spike pousse son bouchon loin dans le cancer, comme s’il se triturait la gorge avec un gros tisonnier. C’est assez spectaculaire, au plan médico-légal. «California Blues» est un peu plus musclé, Spike chante en lévitation au-dessus des guitares. On le voit ensuite ramoner la purée de «Slave #1» avec son tisonnier, puis danser à Paris on a saturday night avec «Dancing In Paris». C’est un enchanteur. Il t’emmène où il veut et ce fort bel album s’achève avec un «Medusa My Girl» pulsé à l’énergie des violons tziganes. Très spécial et accueilli à bras ouverts, la voix de Spike coule comme du poison dans les veines du son.

             Ce texte est pour Laurent, qui rêvait de revoir les Quireboys sur scène en Normandie.

    Signé : Cazengler, Quirebotte de radis

    Quireboys. La Traverse. Cléon (76). Le 2 avril 2022

    Quireboys. A Bit Of What You Fancy. Parlophone 1990

    Quireboys. From Tooting To Barking. Essential 1994

    Quireboys. Lost In Space. Snapper Music 2000  

    Quireboys. This Is Rock ‘N’ Roll. Sanctuary Records 2001   

    Quireboys. Homewreckers & Heartbreakers. Jerkin’ Crockus Promotions Ltd 2008

    Quireboys. Beautiful Curse. Off Yer Rocka Recordings 2013      

    Quireboys. Black Eyed Sons. Off Yer Rocka Recordings 2014  

    Quireboys. St Cecilia And The Gypsy Soul. Off Yer Rocka Recordings 2015

    Quireboys. Twisted Love. Off Yer Rocka Recordings 2016

    Quireboys. White Trash Blues. Off Yer Rocka Recordings 2017

    Quireboys. Amazing Disgrace. Off Yer Rocka Recordings 2019

     

     

    Inside the goldmine - Motorcadors

     

             Le visage sculpté par la lueur tremblante de la chandelle, le vieux forban parlait d’une voix rauque et sourde à la fois :

             — En ce temps-là, on considérait les groupes comme des vaisseaux chargés d’or. Nous repérâmes un groupe new-yorkais nommé White Light Motorcade. Il fit son apparition dans le début des années 2000 avec un album baptisé Thank You Goodnight que quelques vagues critiques s’ingénièrent aussitôt à ovationner. Il nous fallut donc le guetter et quand il fut en vue, nous approchâmes par tribord pour lancer les grappins et monter à l’abordage. Il n’opposa aucune résistance. Au contraire, il semblait même s’offrir impudiquement, comme s’offre la courtisane grassement payée. Vénal au point d’en paraître détestable, il béait et dégageait de lourdes senteurs, ces fameuses senteurs sauvages et fauves dont aimait à se griser Baudelaire... 

             Il s’interrompit, le temps d’avaler une solide gorgée de rhum, puis reprit son récit.

             — Lorsque nous descendîmes en cale, nous fûmes estomaqués par l’abondance des richesses qui s’y trouvaient entassées. D’innombrables coffres regorgeaient de pièces d’or, on voyait des rivières de diamants et de pierres rares s’écouler de jarres éventrées. Aucun de nous autres forbans chevronnés n’aurait pu imaginer un tel amoncellement de richesses.

             Puis il souffla dans un murmure :

             — Le croirez-vous, les amis ? Nous fûmes soudain saisis d’effroi. Et si ce vaisseau renfermait un maléfice ? Et s’il s’agissait d’un mauvais tour que nous préparait le diable ?

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             Le vieux forban n’avait pas tort de se méfier, mais les superstitions dont son esprit était la proie altéraient son jugement. Quand on écoute Thank You Goodnight de White Light Motorcade, on risque au minimum un choc esthétique, et au pire une crise cardiaque, mais à condition d’être hypersensible, ce qui n’est pas le cas - fort heureusement - de la grande majorité de nos contemporains. Le choc esthétique, c’est déjà pas mal. On peut s’en contenter. D’autant qu’ils ont tendance à se raréfier, mais ceci est un autre débat.

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             Le chanteur de White Light Motorcade s’appelle Harley Di Nardo. Ce jeune rock’n’roll animal est comme ses trois collègues brun, beau comme un dieu et atrocement doué. Il porte en plus un nom de moto, ce qui de toute évidence le prédestine à devenir légendaire. Dès les premières mesures d’«Open Your Eyes», on est avalé par un kraken sonique. Vlouuuuffffffff ! C’est l’immédiate apothéose, la curée d’excellence stoogienne, ils jouent au petit jeu dangereux du trasho-destructif oasien, mais avec un truc à eux. Ils font dirons-nous de l’Oasis magnanime, ils outrepassent les lois du référencement. Cette tendance à l’Oasis va reparaître dans pas mal de cuts, tel l’«I Could Kick Myself» amené au dirty gaga, heavy et cra-cra, chanté à la petite vérole de vague à Liam. On sent le souffle d’une puissance inexorable. Voilà ce qui rend les Motorcade médusants. Harley Di Nardo fait aussi des vocalises à la Brett Anderson dans «Useless». Tout chez eux n’est que luxe extérieur, non calme et volupté australe. Ils taillent «Dream Day» dans l’apanage oasien, avec le même genre de démesure en filigrane et le solo qu’y passe Mark Lewis est un chef-d’œuvre de déglutition paraplégique, on ne peut pas résister à cette coulée de bave fumante. Et le génie dans tout ça ? Pas d’inquiétude, il arrive, sous la forme d’«It’s Happening», et d’un son de basse écrasant digne des colères de Poséidon, c’est-à-dire joué à la folie et hissé au sommet d’un art déjà très fréquenté, notamment par les groupes de Detroit. Cette merveille de dérèglement sonique bascule dans des abysses jusque-là inconnues. On se retrouve en présence d’un son qui s’écroule tout seul, d’un son qui va se perdre dans le lointain, tout est poussé à l’extrême, c’est tellement tutélaire qu’on a parfois l’impression d’écouter l’un des meilleurs albums de tous les temps. Le seul reproche qu’on pourrait leur faire serait d’avoir trop de son. Ce serait comme de reprocher à une belle femme d’avoir de trop beaux seins. Oserait-on ? Bien sûr, si on est con. L’autre sommet de cet album riche en sommets s’appelle «Semi Precious». Ils se jettent tous les quatre dans un grand four Bessemer pour y fondre comme du plomb et devenir du pur acier de Damas d’un bel éclat gris bleu, l’acier Motorcade. Rien d’aussi tranchant que cet acier. Leur tranchant n’a d’égal que leur science de la tension. On fait des bulles en écoutant «Semi Precious». Harley Di Nardo va chercher des accents terribles pour chanter «Closest». On pense aux Boo et au Rev, Di Nardo s’éclate dans un cosmos d’accords délictueux, il part à la reconquête du  sommet de l’art fumant. On voit d’autres cuts comme «We Come Together» dégringoler des escaliers et l’«On Top» de fin exploser au nez et à la barbe du rock. Boom !

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             Harley Vroom Vroom Di Nardo et son gang ont motorcadé une deuxième fois en 2005 avec Take Me To Your Party. L’album est moins spectaculaire, mais en même temps, ce n’est pas de la tarte. Ils y vont et nous aussi. On voit bien qu’ils essaient de rééditer l’exploit du premier album avec «Giant Hole» qu’ils explosent d’entrée de jeu, comme ça au moins les choses sont claires. Il faut voir comme ils tartinent la gueule de ce pauvre Giant Hole ! Ils font du Oasis, mais du Oasis cra-cra et ça prend vite des proportions. Avec «One In Three», ils tapent dans l’extrême du revienzy. Merveilleux Harley Vroom Vroom, il chante cette fois à la pétarade, mais c’est le batteur qui fait le show, il bat ventre à terre. Ils s’installent cependant dans une pop qui ne veut pas montrer son cul. La pop doit toujours montrer son cul. On ne lui demande pas d’écarter les fesses, juste monter son cul pour la beauté du geste. Les cuts se suivent et se ressemblent, et il faut attendre «Worst Case Scenario» pour retrouver un peu viande. Le son arrive comme un ouragan. Là tu la fermes et tu écoutes. C’est violent. Ça te secoue une baraque vite fait. Ils proposent une autre énormité un peu plus loin avec «Let’s Get Together», et comme dirait Yves Adrien, c’est du right now. Le hit de l’album est une nouvelle histoire d’insatisfaction : «Unsatisfied». Ils amènent ça comme une pop bien dégringolée et ça saute vite au paf. Ces mecs ont du mordant, mais le pire des mordants, le morcidus. So unsatisfied ! C’est encore pire que le can’t get no no no du Jag. Ils sont les rois de l’apothéose, c’est l’un des cuts les plus explosifs de l’histoire on va dire du rock américain. S’ensuit un «Beautiful Life» qui a des faux airs d’Adorable, ils ratissent les mêmes plates-bandes et en profitent pour revisiter les abîmes du big atmospherix. Harley Vroom Vroom conclut avec «After Party». Il tartine l’after-party comme d’autre tartinaient l’Afterpunk. Ah ces Yves ! 

    Signé : Cazengler, Motorcade à vous !

    White Light Motorcade. Thank You Goodnight. Octone Records 2002

    White Light Motorcade. Take Me To Your Party. Fatbone Records 2005

     

    DEOS

    Voici deux semaines, nous chroniquions les deux premiers opus de Deos. Le troisième ne va pas tarder à sortir. Ce disque est doublement prémonitoire, parce qu’il s’appelle Furor Bellis et parce que la guerre, comme, jamais depuis longtemps, est aux portes de l’Europe.

    Se pencher sur l’Histoire de Rome ne saurait nous laisser indifférents. Elle n’est que le récit d’une autre Europe qui a existé et qui a disparu. Le négliger serait une erreur.

    Pour cela il suffit de se laisser aller, quitte comme moi à parfois se laisser emporter sur certains morceaux à des évocations qui vous sont chères mais peu en adéquation avec ces brûlots véhéments que vous utiliserez comme des tremplins du Rêve d’une Rome infinie…

     

    FUROR BELLIS

    DEOS

    ( Wormholedeath / 27 Mai 2022 )

     

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    Beau chromo de couverture qui allie les styles des couves des opus précédents,  la bleuité spectrale de Ghosts of the Empire et la splendeur agressive du rouge de  In Nomine Romae, l’on retrouve le bois de la table et son crâne symbolique de la première et cette irrémissible envie de meurtre de la seconde, mais ici la tête de mort semble vivante, son œil droit est encore ouvert, sa main se tend vers on ne sait quoi et dans l’orbite de son œil creux est plantée  la lance  à laquelle est accroché le labarum impérieux de l’album surmonté de l’aigle et de l’inscription SPQR (Le Sénat et le Peuple Romain).

    C’est sur cet haillon de pourpre sacrée qu’est perché le Corbeau, le charognard des champs de bataille, par cela même intercesseur des vivants et des morts auprès des Dieux, mais aussi l’emblème de Mithra dieu du soleil immortel (  Sol Invictus ).  Le légionnaire qui désirait devenir adepte de Mithra devait descendre dans une fosse bouchée par une grille au-dessus de laquelle était égorgé un taureau, l’initié qui recevait le sang sur son corps était ainsi investi de la force du dieu taureau qu’était Mithra.  

    Jack Janus Graved : bass, vocals / Fabio Battistella : guitar, backing vocal / Cedric Cedd Bohem : guitar, backing vocal / Loic Depauwe : drums.

    Dichotomia Mediterranea : d’une richesse incroyable ces cent secondes d’introduction, une flûte matinale à lointaines consonnances orientalisantes, bruits d’ablutions hypothétiques, clapotements des sabots d’un cheval peu motivé, des appels de trompes perdus, des rumeurs de choeurs d’hommes de plus en plus affirmées, puis brutalement plus graves et recueillies, déchirement final d’un buccin qui met fin aux tâtonnements indistincts des réveils d’aube. Un mix étonnant d’une mouture metal-jazz surprenant, une très belle évocation de ces moments où l’âme humaine de chacun se réadapte à la réalité du monde, une légion à l’aurore qui s’éveille. Tâche sacrée : l’Imperium est à construire à l’intérieur des terres Méditerranéennes. Decimatio : c’est ici le lieu de la véritable dichotomie, après la vie matitunale du point du jour, la face la plus obscure, la nuit, la mort. La moins glorieuse, la plus honteuse, celle qui transforme l’homme en tête de bétail. La décimation fut très peu employée dans les légions mais son rappel dans les consciences était un   aiguillon pour la victoire. Après une défaite, les hommes se regroupaient en cercles de dix. Un tirage au sort désignait la future victime que ses neuf déjà anciens compagnons devaient mettre à mort à coups de massues. Les camarades lâchement soulagés de n'avoir pas été tirés au sort se dépêchaient d’accomplir le massacre… musique lourde et lente, palpitations battériales de cœurs affolés, la voix insidieuse, le destin ne crie pas il murmure à votre oreille et son annonce fait un bruit terrible dans votre tête, le morceau se traîne rapidement, une marche fatidique qui avance à la vitesse de la foudre, l’orchestration traduit admirablement cette double perception temporelle, implacable, ordonnatrice, accusatrice, qui vous accule à votre tâche qui est de mourir. Il existe une vidéo de Decimatio ( Official  Lyrics ) sur la chaîne YT de Deos, un judicieux montage, une espèce de bande dessinée semi-animée hyper-expressive mêlant images probablement tirées de jeux-vidéos et de la participation des membres du groupe. Un artwork patchwork qui a intégré l’esprit de ces peintres du dix-neuvième siècle que l’on a dédaigneusement surnommés pompiers alors que toute l’imagerie représentative de l’ illustration  moderne ( films, affiches, BD, livres pédagogiques, jeux-vidéos… ) de la Rome Antique descend en droite ligne de ces premiers concepteurs. Si certains usent du terme très péjoratif de kitch nous préférons y retrouver la force mythifiante d’une esthétique expressionniste.  Cerberus : au plus près des crocs de la mort, ne rien cacher, la mort n’en finit jamais, elle n’est pas qu’un mauvais moment à passer, mais une interminable descente d’escaliers souterrains, le terme n’est jamais atteint ; même lorsque vous avez franchi le sinistre fleuve qui vous sépare à tout jamais des vivants, le morceau fonctionne par paliers, parfois il se précipite parce que vous avez hâte d’arriver au terme, une guitare narquoise vous avertit, marchez, allez de l’avant, sans espoir et sans répit, le son s’assombrit, est-il possible que la voix devienne encore plus sépulcrale et sans pitié, elle marque le pas mais vous pousse dans le dos dès que vous vous arrêtez. Le temps est suspendu selon de lentes dégoulinades de la basse, feulements de cymbales, la marche reprend, puisque le temps n’existe plus il est temps de passer la porte de l’infini du néant. Arrêt brutal. Primus Pilus : rien ne semble pouvoir arrêter la mort. Si, le courage face à elle. Le grade de Primus Pilus était le plus haut  auquel pouvait accéder un légionnaire issu des classes subalternes, il commandait une des cohortes ( 800 hommes ) de la Légion. C’était un poste auquel on accédait en ayant fait preuve durant des années de vaillance, de ténacité, d’obéissance et d’esprit d’initiative… tambours honorifiques, le morceau débute par la  nomination à haute voix du récipiendaire à ce poste convoité, guitares, basse, et batterie entonnent une marche militaire, le primus pilus aboie ses consignes et donne l’ordre d’avancer, la musique se compactifie tandis que les rangs se resserrent et poussent, l’adversaire est devant, il porte toujours le même nom, la mort. Le tout est de la traverser, la musique s’amplifie, et de se retrouver sur la rive de la vie et de l’honneur.

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    Cinis Ad Cinerem : nous ne sommes que la poussière qu’un vent léger disperse si facilement, morceau philosophique, l’important est d’accepter sa condition de mortel, mourir à la guerre est dans la logique des choses, tuer ou être tué sont les mêmes choses, nous devons accomplir ce pour quoi et de quoi nous sommes, de grands coups de balais de guitares s’appesantissent, le vocal pèse des tonnes il écrase toute volonté de lâcheté, la musique avance, il est impossible de se dérober, la batterie déblaie toute velléité de résistance, elle incite à se conduire selon un stoïcisme d’acceptation de l’essence de la condition humaine. Morituri Te Salutant : il ne suffit pas d’être un homme, en prenant pour titre cette mythique formule de la gladiature, ce morceau d’assaut nous livre une des clefs de la compréhension du titre de l’album, Furor Bellis ne signifie pas que la fureur de la guerre est une bonne chose ou un agréable passe-temps, il est à mettre en relation avec ce que l’on nomme communément l’éthique du guerrier, il ne faut pas croire que le guerrier se précipite vers la mort mais qu’au contraire il est poussé dans le dos par cette force constitutive de la nature humaine, une nécessité bien plus puissante que la simple volonté humaine. Morceau puissant et violent, triomphal, une parade orgueilleuse, un mépris souverain envers la vanité des existences sans grandeurs. Peut-être le plus beau morceau de l’opus.  Cocles : Nous sommes à la moitié du disque, vous avons exploré sa face la plus sombre, la plus sanglante, la grandeur sans la décadence. Encore reste-t-il à définir la raison qui peut pousser à mourir. Les guitares se font un peu pompeuses, pour accueillir Cocles, ce héros qui a lui tout seul empêcha l’armée du roi Etrusque Porsenna de s’emparer du pont qui lui aurait permis de prendre Rome, musique et vocal  rageurs, nous suivons les mouvements de  Cocles qui se bat comme un lion,  nous sommes au cœur de l’action, là où ça se passe dans le tumulte de La présence torrentueuse du monde, des voix s’élèvent pour le féliciter de son exploit. Le simple citoyen a sauvé Rome. Scaevola : nous sommes encore dans les premières années de la République Romaine, un nouvel épisode de cette même guerre que précédemment contre Porsenna, un véritable thriller musical mené de main de maître, Scaevola qui a mené le personnel projet insensé de poignarder Porsenna se trompe et tue un de ses conseillers, prisonnier pour démontrer la détermination romaine il plonge sa main dans un brasier. Emu et ébranlé dans ses convictions guerrières par une telle détermination Porsenna le libère, et tente un rapprochement avec Rome. Il est nécessaire d’écouter ce morceau en lisant Tite-Live, Deos ne démérite pas, le brasier ardent de ce titre est à la hauteur de la prose de l’Historien romain. Germanicus : un bond de plusieurs siècles, Germanicus aurait-il succédé à Tibère, sa mort plus que suspecte l’en empêcha, il a existé de son vivant et durant des siècles un mythe et une mystique Germanicus, l’Imperator qui n’a jamais régné et dont le règne hypothétique qu’on lui prête aurait empêché la future décadence de l’Imperium… cette évocation de Deos se rattache à ce courant par ses couleurs contrastées tantôt éclatantes, tantôt sombres, le vent des guitares secoue les voiles funèbres des Destins funestes et peut-être injustes. Vallum Hadriani : instrumental, en opposition complète avec l’introduction du début, ce mur protecteur fortifié par l’Empereur Hadrien au nord de l’Angleterre est ici lourd de menaces. Nous sommes dans les années où Rome domine encore le monde. Cette barrière de pierres qui ne joua aucun rôle dans la lente dégradation de l’Empire n’est-elle pas ici envisagée en tant que symbole de la future fin de Rome, les hordes barbares se rapprochent et la déliquescence morale ronge l’antique virtus qui fut la force de Rome, le morceau s’arrête brusquement et se continue par Virgo Vestalis : musique sombre, le feu entretenu par les Vestales, prêtresse sacrées, était le symbole de la pérennité de Rome et de la protection que les Dieux apportaient à la cité, ce morceau est un retour aux origines fondationnelles, attenter à la virginité des Vestales était un crime, le feu ne couve pas sous la cendre, il brûle, il consume toute chose impure, une  fois éteint il aura raison de Rome, ce titre est un ravage traversé de bruit et de fureur, s’il en est un qu’il faut préférer dans ce disque c’est celui-ci, une tourmente vivante, une tornade qui emporte tout, lorsqu’il s’arrête vous avez l’impression de marcher dans un champ de cendres. Très belle participation vocale exacerbée de Jess Vee qui confère au morceau l’allure d’une grande scène d’opéra. Venenum Rex : dans la lignée du précédent, un déchaînement total, le screamer feule comme un tigre blessé acculé, le groupe est saisi d’une hybris autodestructrice sans égale, un monde s’écroule, les Dieux s’éloignent, tout est fini, rien ne sera plus comme avant, l’énergie primitive est perdue. L’on n’est jamais trahi que par soi-même.

             Un disque somptueux.

    Damie Chad.

     

    *

    Le 18 février 2021 – cela ne nous rajeunit pas, mais nous ne vieillit pas non plus – dans notre livraison 498 nous chroniquions le premier EP de Cörrupt, sont en train de préparer leur album, ce sont des gars sympathiques, pour que l’on ne se morfonde pas trop en attendant sa parution ils viennent de sortir un deuxième EP au titre trop répugnant en anglais Disgust pour que je le traduise en notre douce langue françoise,  toutefois rien ne saurait rebuter un rocker, aussi penchons-nous sur l’objet du délit, de la plus haute vertu comme dirait Maurice Scève.

    Rappelons pour ceux qui n’auraient pas suivi ce précédent épisode que l’on pouvait ranger leur premier opus sous l’étiquette mathcore, ce style de metal pouvant être défini en quelques mots comme du metal-noise-kaotif- super-élaboré ce qui explique la production hyper chiadée de cet E(ruptif) P(éremptorif) un tantinet exhorbitif pour les oreilles sensibles. J’ai la grande joie d’annoncer aux tympans modérés que le confinement n’a pas assagi nos Rochellois,  ne keupons pas les cheveux en quatre, z’ont recadré en plus crade, le nouveau bébé fort agité vagit à merveille.

    DISGUST

    CÖRRUPT

    Belle couve. Une fenêtre murée, obstruée par le bas d’un visage de géant de pierre, juste le nez et la bouche d’où s’échappe comme une barbe vomitoire, l’on distingue des formes informes, des grumeaux d’on ne sait quoi, des têtes de poissons et des courbures féminines qui peuvent si on les scrute un bon moment s’anamorphoser en queue de Mélusines voire en corps de batraciens, est-ce Saturne vomissant ses enfants qu’il a dévorés à leur naissance, ou la représentation de la corne d’abondance de notre modernité dégurgitant les déchets et immondices que nous sommes…

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    Lust : comment quoi ? j’ai une chronic à écrire ? excusez-moi, je n’ai pas vu passer, j’ai entendu un gros bruit assourdissant qui m’a tétanisé, j’ai cru que c’était la fin du monde, ah, bon ! c’était Cörrupt, je n’ai pas réalisé, je réenclenche, ah, je comprends mieux, oui c’est très court, mais z’ont une manière d’emmener le riff que quand c’est fini ils l’ont déjà cassé en trois morceaux. Faut suivre : une esgourde pas gourde pour la batterie qui estampille les rhinocéros sur les baobabs, une deuxième esgourde – elle peut être sourde, elle entendra quand même le vocal de Greg War qui s’égosille tel un gorille en colère, et une troisième plus lourde pour supporter le scribouillis sonore emphatique de la guitare de Renaud Galliot et la basse de Florian N’ Diet encarcassées et encastrées en un pantagruellique dégueulis démentiel, vingt secondes, vous n’y tenez plus, la basse fait le gros dos pour vous permettre de respirer et ça recommence illico les coquelicots, mais en pire. Cris et guitares emmêlés til the end, qui survient très vite. Corrosif, vous allez adorer. Born to lose : reprenez vos esprits, les vingt premières secondes sont idéale pour endormir votre bébé, vous savez quand vous lui cognez avec amour la tête sur le rebord du lavabo, la suite est moins drôle, une espèce de hachis parmentier de folie noire vous engloutit, vous n’êtes qu’au début de vos peines, un vocal engluant vous lapide, des voix d’outre-mort vous parlent,  un riff de locomotive vous écrase, un bourdon de basse vous entortille en escadrille, y’a une guitare qui dérape et tout le monde fonce dans le décor, un bête féroce rugit sur votre gauche, dommage que vous n’ayez pas regarder sur votre droite c’est de là que surgit la grande faucheuse. Né pour quoi au juste ? C’était deux minutes vingt secondes de malheur. Jealousy : la jalousie est un vilain défaut, vont vous en convaincre, d’abord une espèce de voiture qui klaxonne comme l’on tire la langue dans les cours de maternelle, ensuite le copain qui vous tape sur la tête avec sa pelle en fer dans le bac en sable, vous hurlez comme un dinosaure attaqué par des millions de fourmis rouges, ensuite vous ne savez pas, des milliers d’images sonores fondent sur vous et vous ne comprenez plus rien. Quand vous vous réveillez, le morceau est fini depuis longtemps vous êtes dans un petit cercueil de bois blanc avec une couronne de fleurs rouges que vous venez de déposer dessus. Je sais ce n’est pas logique, mais c’est l’effet que ça vous fera quand vous l’écouterez. Judging : tiens un truc qui ressemble à une intro d’un morceau rock, comme quoi un malheur n’arrive jamais seul, Greg War est subitement atteint d’une crise de délirium tremens, on le comprend il perçoit des bruits inaudibles dans sa tête, le problème c’est que l’auditeur les entend aussi, une espèce de guimbarde géante vous bombarde, et c’est alors que de tout là-haut les aliens vous parlent, essaient plusieurs langages incompréhensibles, comme vous n’y pigez rien vous poussez un cri fatidique pour les faire taire. Silence radio. Le morceau est fini. A cause de votre ignorance crasse, l’Humanité a perdu sa chance de survie. Les extraterrestres vexés ne nous recontacterons plus jamais. Vile Dog : là ils ont fait un gros effort, ils dépassent les quatre minutes trente, dans une interview accordée à  Loud TV ( YT ) ils déclarent tout fier que c’est leur première œuvre ‘’ prog’’. On veut bien, c’est pourtant assez loin de Pink Floyd. Pour être plus précis nous dirons c’est comme les quatre autres morceaux précédents, non pas en version lente  mais décomposée, un peu comme un prestidigitateur qui vous refait le coup de la disparition du seau de champagne sur votre table en quatre minutes, au lieu des soixante secondes qui lui ont suffi pour le faire disparaître auparavant. C’est aussi bon et violent que précédemment, vous avez l’impression qu’enfin on ne vous enlève pas l’assiette alors que vous n’avez pas fini le potage, mais lorsque ça s’arrête vous auriez encore écouté durant une heure. Cörrupt n’est pas là pour satisfaire vos besoins mais pour créer le manque.

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             Pour les fouineurs : deux vidéos concert de Born to lose et de Vile dog enregistrée au @ Aion Bar de La Rochelle en juillet 2015, Hélas ! le public n’a rien à voir avec celui des groupes de metalcore californiens, + le Clip Official Music Video featuring Stéphane Buriez de Loudblast, qui vaut le détour. Genre feu orange que l’on passe au rouge.

     Idéal pour les amateurs de Pogo Car Crash Control comme moi. Ne pas en abuser, vous risquez d’être corrompus. De la lave live !

    Damie Chad.

     

    News From :TWO RUNNER

     

    Dans notre chronique 541 du 10 févier 2022 nous avons présenté deux vidéos enregistrées en 2021 des Two Runner. La période n’était pas à la fête, concerts et festivals annulés, un temps peu agréable pour les musiciens et les chanteurs… Pour tout le monde aussi, mais Kr’tnt, nous le rappelons pour les lecteurs distraits, s’intéresse justement à la musique. Très symptomatiquement la vidéo la plus longue que nous avions regardée était un concert à la maison donné par Paige Anderson et Emilie Rose… Une visite sur le FB de Two Runner prouve  qu’en quelques mois les évènements se sont précipités.

    Z’ont réamenagé leur site. Un petit tour sur la rubrique ‘’tour’’ s’impose : déjà une bonne vingtaine de concerts ( Californie, Nevada, Nashville, Montana… ) pour les mois qui viennent, sont en finale d’un concours réunissant plus de sept cents candidats, et cerise sur le gâteau deux nouvelles vidéos :

    RUN SOULS / TWO RUNNER

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    Paysage forestier, la caméra s’envole vers la cime des arbres pour revenir vers la terre, cabane dans les bois, paysage typiquement américain tels qu’on les imagine en Europe, Two Runner se présente en quelques mots, c’est sur des vidéos similaires que sont jugés les candidats de Gems in the rough 2022, ( est-il utile de préciser que ce n’est pas du playback ).

    A gauche, Emilie Rose, moulée dans son ensemble bleu jeans, cheveux blonds courts et clairs, ses doigts arrêtent de taquiner les cordes de son violon, lorsque Paige, campées sur ses longues jambes dans ses bottes à lacets qu’elle affectionne, cheveux longs et veste à carreaux, entame la course sur son banjo. Pourquoi dit-on que les notes du banjo sont aigrelettes, celles de Paige roulent en cascades en une profusion d’harmoniques à mille résonnances, courent directement à l’âme. Dès que s’élève la voix de Paige, l’on est perdu, l’on ne sait plus trop où l’on est, cette manière si particulière de hausser le ton et de n'en jamais descendre, très roots et en même temps si novatrice, bluegrass certes, mais quelle nuance exactement, serait-ce la couleur tombée du ciel de Lovecraft, Emilie se joint à Paige pour le refrain, ensuite c’est son violon qui prend la place, il crisse et grince, porteur d’une affreuse nostalgie, maintenant elles chantent et jouent ensemble, plus fort, le violon est devenu souffrance et le banjo marteau, deux filles et un seul chant qui culmine dans une apothéose hors de la portée des simples mortels.  

    DEVIL’S ROWDIDOW / TWO RUNNER

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    Extérieur. Encore un paysage typiquement américain. Un hangar au toit rouillé isolé dans la plaine, pas si solitaire que cela puisque la caméra effectuant un quart de tour nous apercevons la façade d’une maison d’habitation, les filles sont debout devant un mur de tôle bleue pas très neuf… A peine la vidéo a-t-elle commencé que déjà raisonnaient le  banjo et le crincrin, elles sont en train de jouer à fond de train avec entrain, Page bras nus, foulard bleu de cowgirl autour du cou dans une robe blanche à motifs floraux, Emilie ceinturon à boucle de cheval retenant une jupe chinée de bleus sombres à larges pans, l’on n’a pas le temps de les admirer, le morceau cavale à la manière d’un mustang sauvage, le diable doit souffler dans le micro puisque l’on entend le vent, Paige prend le chant comme l’on lance sa monture au galop, Emilie baisse l’archet le long de sa jambe pour chanter avec elle le refrain aux harmonies finales évanescentes, ne sont que deux mais elles se livrent à  un tutti instrumental d’enfer qui ira crescendo, même si l’on discerne des subtilités de calme dans la tempête, il est étrange de voir combien Emilie semble lointaine, le regard vide, perdue en elle-même, puis prise d’une espèce de transe intérieure, Paige un tant soit peu soumise à une mécanique  fantastique qui se serait emparée d’elle, lorsque c’est fini, elles se regardent et se sourient comme si elles sortaient d’un étrange rêve. L’on serait prêt à parier que le Diable n’a pas dû être le dernier à rire.

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    Première fois que grâce à Emilie et Paige, je me retrouve sur TikTok, elles y ont posté une bonne vingtaine de vidéos, manifestement mises là pour appeler à voter pour elles. L’ensemble est frustrant. Certes elles interprètent de nombreux morceaux, à part trois ou quatre exceptions, ils ne durent au maximum qu’une minute. Rageant, par exemple leur interprétation du classique d’Utha Phillips ( inspiré de The Lonesome River des Stanley Brothers )  Rock Salt and Nails rive son clou à celle de Tyler Childers malgré toute l’admiration que nous portons à celui-ci.

             Bref, les filles vont bien, et nous aussi. Ce soir l’herbe est davantage bleue.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 554 : KR'TNT 554 : JORDAN / SAINTS / JOHN PAUL KEITH / KEVIN JUNIOR + CHAMBER STRINGS / MARLOW RIDER / AIICIA F ! / KREATIONIST

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 554

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    12 / 05 / 2022

     

    JORDAN / SAINTS

    JOHN PAUL KEITH / KEVIN JUNIOR + CHAMBER STRINGS

    MARLOW RIDER / ALICIA F !

    KREATIONIST

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 554

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :  http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Jordan franchit le Jourdain

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             Aujourd’hui, on la vénère. Jadis, elle foutait les chocottes. Jordan fut la vendeuse d’une petite boutique de fringues située tout au bout de King’s Road, un coin qu’on appelle World’s end. En 1976, le NME nous expliquait que les Sex Pistols s’étaient formés dans cette boutique de fringues, alors on s’y rendait rituellement, mais on n’osait pas entrer, à cause de cette grosse blonde qui ne semblait pas aimable. Au-dessus de la vitrine minuscule était accroché le mot SEX en très grosses lettres de vinyle rose, hautes d’environ un mètre. Jordan se tenait adossée dans l’entrée, maquillée de noir, vêtue de noir, et portait un brassard nazi. Pour être tout à fait honnête, on se sentait un peu largué. On ne voyait pas la relation qui pouvait exister entre le punk-rock et les gadgets fétichistes que vendait Jordan dans cette échoppe perdue au milieu de nulle part. SEX se situait très exactement dans l’esthétique des boutiques spécialisées qu’on voit encore aujourd’hui à Pigalle.  

             Jordan vient tout juste de casser sa pipe en bois. Aussi allons-nous lui rendre hommage, car c’est elle la vraie punk, comme le dit si bien Derek Jarman : «As far as I was concerned, Jordan was the original. Du point de vue de la mode, tout vient d’elle, même Vivienne et la boutique. Sans Jordan, la boutique n’aurait pas marché. She was the original Sex Pistol. Tous ceux qui entraient voyaient comment elle était habillée, voyaient son allure, et tout venait de là. Elle était the Godfather, the Godmother, si vous préférez. She was the purest exemple of all.»

             Alors qu’ailleurs les mouvements naissaient dans des clubs (Greenwich Village puis le CBGB à New York, l’Avalon Ballroom et le Fillmore à San Francisco, le Troubadour et le Whisky A Go-Go à Los Angeles, The Cavern à Liverpool), le London punk trouve son épicentre dans une minuscule boutique de fringues, et c’est bien ce qui rend l’épisode à la fois déroutant et fascinant. Une fois qu’on arrivait devant cette vitrine, on comprenait qu’il ne s’y passait rien. Hormis Jordan adossée dans l’entrée, on ne distinguait pas grand monde à l’intérieur, à peine quelques clients, et un mec derrière le comptoir, Michael Collins. Le punk était à l’image de cette boutique, une bulle, une ephemera, et pourtant, le London punk allait secouer la vieille Angleterre encore plus violemment que ne l’avaient fait auparavant les Rolling Stones.

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             On connaît Jordan sous trois noms : Pamela Rooke (son nom de jeune fille), Jordan Mooney (son nom de Jordan mariée), et Jordan tout court. Deux ans avant sa malencontreuse disparition, elle avait publié son autobio, un gros book fortement recommandé, car comme on l’a souvent constaté, ce sont les seconds couteaux qui font la véritable histoire du rock. Jordan raconte l’histoire du London punk de l’intérieur, c’est-à-dire de derrière le comptoir de SEX, et c’est passionnant. Est-il bien utile de rappeler que le London punk (1976/1977) fut le dernier grand spasme de l’histoire du rock ? Le book a pour titre Defying Gravity: Jordan’s Story. Vu que la couverture s’orne d’un portrait de Jordan avec un sein à l’air, on croit que c’est ce sein qui défie les lois de la gravité. Pas du tout, Jordan explique vers la fin de son récit qu’adolescente, elle dansait pour défier les lois de la gravité. Oui, elle a commencé comme ballerine. Le book est gorgé de photos superbes et sexy, notamment celle que reprend l’illusse, où on la voit déambuler sur King’s Road vêtue d’un T-Shirt FUCK et d’une jupe transparente.

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             Dans son book, Jordan fout plus le paquet sur la mode que sur la musique. Pour elle, les fringues que fabriquait Vivienne Westwood marchaient de pair avec le son révolutionnaire des Pistols. Le premier concert qu’elle voit quand elle est ado, ce sont les Faces à Edmonton - dressed in satin and ostrich feathers - Elle ne s’étend pas trop sur le son, mais elle flashe sur le look de Rod The Mod - His look was kind of viable - Elle rappelle qu’on pouvait acheter ce genre de fringues chez Biba, à Londres.   

             Pour une poignée de lycéens français, le Londres des années 70 était la Mecque : les disques, les concerts, les gonzesses, les rues, tout y était parfait. Kensington Market (plus que Biba) pour les fringues, Rock On et Goldborne Road pour les disques, le Marquee pour les concerts, et pour draguer, les discothèques, où on dansait sur du glam et où les filles était faciles. Les séjours londoniens étaient d’une densité à peine croyable, surtout quand les groupes punk ont commencé à jouer partout en 1976.

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             Pamela se rebaptise Jordan en 1973. Elle s’inspire de Jordan Baker, l’un des personnages de Gatsby le Magnifique, roman culte de Francis Scott Fitzgerald.       

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             Dans ce gros book, les rois de la fête sont bien sûr Malcolm McLaren et sa compagne Vivienne Westwood. Jordan les qualifie d’unlikely couple, c’est-à-dire de couple pas comme les autres - L’une des grandes énigmes, à mes yeux et aux yeux de tous ceux avec qui j’ai parlé pendant la rédaction de ce livre, c’était ce couple : comment deux personnalités aussi opposées avaient-elles réussi à former un couple ? - Au début, la boutique s’appelait Paradise Garage et appartenait à Trevor Miles. McLaren y vendait quelques disques rachetés sur le Ted Carroll’s Rock On stall in Goldborne Road indoor market. Fin 1971, McLaren et Vivienne reprennent le pas de porte à leur compte. À cette époque, McLaren est obsédé par le rock’n’roll anglais des fifties et notamment Larry Parnes et son écurie de rockers, Billy Fury, Marty Wilde et tous les autres. Il rebaptise la boutique Let It Rock et vend des fringues de teds, jusqu’au moment où il change de cap et rebaptise l’endroit Too Fast To Live Too Young To Die et se met à vendre des cuirs de bikers, des vestes en peau de panthère, des pantalons fuseau et des American zoot suits. Il fait peindre un crâne et deux tibias sur l’enseigne pour que ça ressemble au dos d’un cuir de biker.

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             La boutique attire tous les gens intéressants. Jordan rappelle que Chrissie Hynde bossait at No 430 avant elle et un jour son boyfriend Nick Kent est arrivé dans la boutique pour la frapper à coups de ceinturon : il la soupçonnait de le tromper avec un client de la boutique. Steve Jones fait partie des clients et Jordan énumère ses frasques : vol d’un tuner dans le backstage d’un Roxy Music gig, vol de deux guitares chez Rod the Mod à Winsdor (ce que dément Jonesy dans son autobio, arguant que Windsor était un peu trop loin de Londres pour un petit voleur comme lui), et son plus gros coup nous dit Jordan, c’est le barbotage de toute la PA de Ziggy le soir du concert d’adieu à l’Hammersmith Odeon, en juillet 1973. Parmi les clients de la boutique, on trouve aussi les Dolls, de passage à Londres lors de leur première tournée en 1972. Sylvain Sylvain raconte que son copain d’enfance Billy Murcia avait les poches pleines de mandrax. Sylvain disait à Billy de faire gaffe avec les mandies, et Billy le rassurait en lui disant qu’il les cassait en deux pour n’en prendre qu’une moitié à chaque fois. Après s’être engueulé à l’hôtel avec Johansen, Billy est allé dans une party à Earl’s Court où il a fait un malaise et s’est évanoui. Les gens ont essayé de le ramener à lui mais n’y sont pas parvenus. Sylvain dit que c’est un tragique incident. Marty Thau remit les Dolls dans l’avion avant que les flics ne mettent leur nez dans cette histoire. Comme chacun sait, McLaren va proposer ensuite à Sylvain d’être le frontman des Sex Pistols. Après la fin des Dolls, McLaren et Sylvain passent quelques jours ensemble à la Nouvelle Orleans. Sylvain : «Malcolm était incroyable. Il appelle Allen Tousaint et lui dit que je vais être the next big thing in England,  il me vend à Toussaint et Toussaint croit que Malcolm est Brian Epstein, car il est persuadé que tout ce qu’il dit est vrai.»

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             Quand il revient à Londres en mai 1975, McLaren ramène des idées neuves - A new momentum to push his vision to the limits, nous dit Jordan. Désormais, la boutique s’appelle SEX. Sa réputation grandit. Jordan : «Un groupe de quatre jeunes gens commençait à fréquenter la boutique. Ils s’appelaient tous John. John Beverley, sometimes known as Sid, John Wardle, qui allait devenir Jah Wobble, John Grey et John Lydon qui se distinguait du lot avec ses cheveux teints en vert et son T-shirt Pink Floyd qu’il avait customisé en rajoutant le célèbre «I HATE» au feutre.» Vivienne est plus impressionnée par John Beverly qu’elle voit comme le chanteur des Pistols : «Sid était un type tellement adorable, mais il ne savait pas faire la différence entre le bien et le mal. Il était dangereux, mais si intelligent et drôle. Et manipulateur. Il s’arrangeait toujours pour qu’on l’aime. On ne pouvait pas faire autrement.» Mais McLaren est intrigué par John Lydon. C’est donc lui qu’il invite à venir rencontrer les autres Pistols dans un pub, après la fermeture de la boutique à 7 h. McLaren avait déjà proposé le job de chanteur à Midge Ure, nous dit Jordan, mais, thankfully, Ure n’était pas intéressé.

             Sid va commencer à bosser à la boutique, en remplacement - He was an expert at doing absolutely fuck all - Quand un client lui demandait quelle taille faisait la fringue, il répondait que c’était écrit dessus. Ou le prix ? Il répondait «I dunno. Don’t ask me.»  

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             Quand McLaren organise les premiers concerts des Pistols, c’est principalement l’occasion pour lui d’orchestrer le chaos. Il met en pratique les idées subversives du Situationnisme de Guy Debord, un théoricien du chaos qui le fascine. Jordan raconte le concert au 100 Club en mars 1976 - The gig was a fiasco - John et Glen Matlock s’engueulent, alors John sort de scène en plein milieu d’un cut et McLaren le rattrape à l’arrêt de bus et lui ordonne de remonter sur scène. McLaren évite le split de justesse et le groupe joue le set en entier. Il faut savoir que sur scène, ils répétaient, on les voyait donc essayer des trucs, ça leur venait du cœur, d’où cette colère - Marco Prioni qui assiste à ce concert est conquis : «Ils étaient mon groupe favori, parce que cette attitude n’existait pas auparavant, Rotten’s attitude.» Pour Bertie Marshall, le show des Pistols était un anti-show, tout s’écroulait sur scène. Pour les fins connaisseurs, les Pistols deviennent le real deal. Pas les Clash. Paul Cook : «Les Clash semblaient bien plus manufactured que nous, avec leurs slogans, leurs blousons de cuir, leurs cols relevés et tout ça.» Simon Barker : «Les gens pensaient que les Clash étaient des working-class heroes, mais Jasper Conran leur faisait leurs fringues et Sebastian Coran était leur roadie.» Pour Jordan, les Clash et les Pistols avaient deux styles très différents - J’avais un problème avec les Clash, ils semblaient si nostalgiques, les fringues avec les slogans peints, le chapeau melon de Bernie et les Jackson Pollocks, ils ressemblaient à des décorateurs - Jordan évoque aussi le fameux concert au Chalet du Lac en 1976, au Bois de Boulogne, avec les Damned, les Pink Fairies et Roogalator.

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             Juste avant le fameux festival punk du 100 Club en septembre 1976, McLaren fait signer un contrat aux quatre Pistols. McLaren ramasse 25 % de leurs cachets et 50 % du merch. Glen Matlock veut montrer le contrat à un avocat avant de signer, mais les trois autres signent, donc il signe. En octobre 1976, les Pistols entrent en studio pour enregistrer «Anarchy In The UK». Jonesy est ravi de bosser avec Chris Thomas qui a produit le premier album de Roxy Music. C’est Thomas qui va mettre au point le fameux wall of sound des Pistols.

             Et puis la presse s’empare du phénomène, et ça devient horrible. Paul Cook : «On était dans un restau, un bar d’hôtel et la presse était là. ‘Vas-y Steve, balance ce pot de fleurs !’ Alors Steve le balançait. ‘All right, here you are!’ Et ça faisait la une des journaux le lendemain. ‘Pistols destroy pot. Whooops ! There goes another !’ C’est là que l’histoire s’est transformée en dessin animé. Mais ce n’était plus drôle du tout. C’est même devenu sérieux. On nous tapait dessus. Les Teds et les punks voulaient s’entre-tuer.» 

             Dans le Jordan book, des témoins racontent que Vivienne déclenche les bagarres, elle est tellement bourrée qu’elle ne se rend plus compte de rien - Au Nashville she caused a fight that went on the front cover of Melody Maker, at Andrew Logan’s party, she got punched by John Rotten - She loved it, actually, nous dit Simon Barker - Et tout s’accélère. En janvier 1977, Matlock est viré, remplacé par Sid. Mais comme il ne sait pas jouer, c’est Matlock qui joue en mars pour une audition A&M. Jordan rigole et ajoute : «He was paid a £2,966.68 severance fee.» Paul Cook : «Sid voulait être as outrageous as possible, plus que n’importe qui d’autre. That’s what fucked it up. C’est John qui l’a amené dans les Pistols, il avait un copain dans le groupe and then Sid totally took over and the chaos took over. La tension est montée tout de suite entre Sid et John. Sid trouvait que John n’était pas assez outrageous, qu’il devait être le king punk rocker et semer la chaos partout. Et ce n’est pas ce qu’on voulait à l’époque. C’était même la dernière chose qu’on voulait.»

             McLaren tire bien les ficelles. Jordan : «Le groupe avait reçu £125,000 en six mois (de la part d’EMI et d’A&M), mais ils percevaient toujours un salaire de £40 par semaine.» En mai 1977 les Pistols signent avec Virgin qui verse une avance de £15,000 pour financer l’enregistrement de l’album, suivi de £50,000 un mois plus tard. C’est une pluie d’or.

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             Ce retentissement médiatique est unique dans les annales. Ce groupe parti d’une boutique de fringues de rien du tout génère des profits considérables. Le parallèle avec Elvis s’impose : lui aussi parti de rien, il se met à générer des profits astronomiques. Dans les deux cas, l’explication porte un nom, celui de manager. McLaren pour les Pistols d’un côté, le Colonel Parker pour Elvis de l’autre. Pareil pour Brian Eptein et les Beatles. Ou l’art de faire monter la mayonnaise. Le Colonel Parker choisit the soft way, il séduit l’Amérique des grosses épouses réactionnaires, pareil pour Epstein. McLaren préfère scandaliser la vieille Angleterre.

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             Mais la vieille Angleterre se rebiffe réagit brutalement. La presse anglaise lance une croisade anti-punk : «Punish the punks.» Jordan nous dit qu’un matin Jamie Reid est attaqué au coin de sa rue par des mecs qu’il ne connaît pas : nez et jambe cassés. Le samedi suivant, c’est au tour de John Rotten et de Chris Thomas d’être attaqués près du studio où ils enregistrent. Les mecs crient «We love the queen» et frappent Rotten à coups de machette. McLaren poursuit sa stratégie de sabotage en s’engueulant avec Virgin à propos du choix des titres pour l’album. Il profite de l’occasion pour sortir son bootleg, le fameux Spunk, avec les démos enregistrées par Dave Goodman en 1976. Quand Richard Branson entend parler du bootleg, il précipite la parution de l’album officiel qui sort en octobre 1977. Puis c’est la tournée américaine, et comme le dit si bien Paul Cook, «everything was so fucked-up», avec un Sid qui overdosait aussitôt après le dernier concert à San Francisco.

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             SEX ferme en décembre 1976 et devient Seditionaries en janvier 1977. Vivienne demande à tout le monde de donner un coup de main à coudre et pour Jordan, c’est l’enfer. Elle déteste ça. Alors elle arrive en retard et Vivienne la vire. Quoi ? Jordan n’accepte pas d’être virée et revient. Le principal reproche qu’on fait à Vivienne et à ses fringues, c’est le prix. Elle vend ses fringues extrêmement cher et pour ça, Jordan a un argument : c’est de l’art, donc ça vaut cher - You have to be a genius to make those clothes - En fait, c’est cette énergie de la reconnaissance qui sous-tend tout le book : Jordan est persuadée que Vivienne a du génie et elle se dit fière de bosser pour elle.

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             Et puis voilà l’épisode final de la saga Pistols : The Great Rock’n’Roll Swindle. Questionnée à ce propos, Jordan répond qu’elle ne voulait pas être impliquée dans ce projet - Early on I heard the rumblings of it when it was started to be filmed and it was obviously going to be really shit. There was no way I wanted to be in it - Même chose pour Paul Cook : «Julien Temple a fait The Filth And The Fury, je pense que c’est le meilleur film qu’on ait pu faire sur nous. Mais moins on parle de The Great Rock’n’Roll Swindle, mieux ça vaut. C’est une catastrophe pour le groupe, c’est horrible. John hait se film et il ne supporte pas l’idée d’y avoir été impliqué, ce que je comprends parfaitement.»

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             La deuxième fin de la saga Pistols, c’est celle de Nancy Spungen à New York. Quand elle apprend la nouvelle, Jordan éclate de rire. C’est Vivienne qui la lui donne au téléphone et elles piquent toutes les deux une méchante crise de rire - Nancy had caused so much trouble and bad feeling, it felt like a relief that she had gone - Vivienne fait aussitôt un T-shirt avec la mention : «She’s dead, I’m alive, I’m yours», qu’elle met en vente dans sa boutique. Elle dit aux gens qui lui achètent le T-shirt qu’elle se préoccupe plus de Sid que de Nancy. Quand on lui fait remarquer que ce T-shirt est de mauvais goût, elle répond que c’est logique, vu qu’il est fait pour choquer.

             Après que les cendres soient retombées, Paul Cook et Jonesy songent à redémarrer le groupe : «Quand on composait des chansons sans Glen, ça donnait ‘Bodies’, ‘EMI’, ‘Holidays In The Sun’, aussi on aurait pu faire un great album. Mais il aurait fallu le faire sans Malcolm. On aurait aussi pu le faire sans Sid, car de toute façon, Steve avait joué toutes les parties de basse sur Never Mind, ça n’aurait pas été un problème. On aurait pu le faire tous les trois, John, Steve et moi. Mais on a préféré Malcolm à John. On ne voulait pas revivre ce qu’on avait déjà vécu. John était déjà avec une autre équipe, il était déterminé. Il avait a good band around him.»

             La relation intense qu’entretiennent Jordan et Vivienne sous-tend tout le récit. Quand Jordan tourne dans Jubilee, le film de Derek Jarman, Vivienne le prend très mal. Elle fait un T-shirt qui porte la mention «The most boring and therefore most disgusting film». Un témoin de l’époque pense que Vivienne était assez possessive avec Jordan qui était sa star. Elle ne voulait pas qu’on la lui barbote. Autre illustration : quand Jordan se marie avec Kevin Mooney, Vivienne lui fait un beau cadeau de mariage : virée ! - I’ve got a wedding present for her - the sack ! - Vivienne était outragée par l’idée du mariage. Elle ne pouvait pas accepter l’idée qu’un être aussi singulier que Jordan pût se marier. Trente ans plus tard, Jordan demande à Vivienne pourquoi elle a aussi mal réagi. Vivienne répond qu’elle traversait alors une très mauvaise passe, car McLaren venait de la quitter pour se maquer avec une couturière/designer allemande. C’est là que Vivienne explique qu’elle a vécu un enfer avec McLaren, «a horrible relationship, just leave at that» - I was extremely loyal to him but he just had to hurt you every day - He was an awful, awful person to live with - Quant au mariage proprement dit, Vivienne est contre pour des raison éthiques : «Elle nous a trahi en se mariant. On fait partie des gens qui ne se marient pas. Question de principe. On ne veut pas alimenter le système en acceptant ce type de relation réglementaire. J’étais réellement en colère après toi», dit-elle à Jordan.

             Quand Jordan se marie avec Kevin Mooney qui fut le bassman d’Adam & the Ants, elle se marie aussi avec l’hero. Elle en parle très bien : «Il n’existe rien de plus dangereux. Aux plans  physique comme psychologique, pendant et après. Tu joues avec ta vie chaque fois que tu te shootes. Tu ne sais pas ce qu’il y a dedans. C’est potentiellement létal. L’hero n’est jamais une dope solitaire. Tu trouves toujours quelqu’un qui veut t’initier et qui ensuite te fournir. Il veut rester en ta compagnie quand tu en prends, et ça forme des petits groupes de gens qui meurent quand ils se retrouvent seuls. Leur truc c’est de dire : je vis en enfer, so I want you, you and you to join me. Ce dont je me souviens du junkie time, ce sont des gens terrorisés par la venue de l’aube, terrorisés par la moindre contrainte sur leur vie.» Jordan et Kevin montent un groupe et reçoivent une avance de 50.000 £ de la part du label, qu’ils craquent en dope en moins d’un an - Bought lots of drugs, lots of clothes, lots of things - Et quand ils se sont retrouvés à sec, Kevin a vendu les fringues et les bijoux de Jordan, mais sans le lui dire, prétextant qu’il les faisait mettre à l’abri. Elle découvre le pot aux roses par des gens qui ont vu ses fringues portées par d’autres gens et quand elle en parle à Kevin, il lui répond que ce qui est à elle est à lui. En entendant ça, Jordan comprend qu’elle doit se barrer vite fait pour sauver sa peau. Elle retourne s’installer chez ses parents et ne veut plus entendre parler de ce mec. La première chose qu’elle fait en arrivant, c’est de se désintoxiquer - C’est l’une des choses dont je suis la plus fière : je me suis débarrassée de Kevin et de l’hero en même temps - Dans son élan, elle repense à tous les gens qui lui étaient chers : «Dee Dee Ramone, Johnny Thunders, Jerry Nolan and of course Sid - All died because they could never get away from it. They were stuck

             Vivienne et McLaren apparaîtront une dernière fois ensemble, en tant qu’associés, en 1983, lors d’un défilé de mode. Et Vivienne se barre aussitôt après en Italie avec son nouveau mec, Carlo d’Amario, «au grand chagrin de Malcolm», nous dit Jordan. Après le départ de Vivienne, la boutique de King’s Road est restée fermée pendant un an.

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             Le dernier épisode de la saga McLaren/Vivienne, ce sont les funérailles de McLaren. Quand Vivienne commence à prononcer son discours, Bernie Rhodes l’interrompt brutalement : «Oh shut up Vivienne. It’s always about you.» Jordan se dit choquée par cette intervention. Vivienne répond à Rhodes qu’elle a du mal à mettre ses pensées en ordre et que c’est dur, alors Rhodes répond : «It’s Bernard actually», alors Jordan excédée se lève et lance : «Bernard. You’ve never been Bernard!». L’injure suprême, surtout venant de Jordan. L’anecdote comique des funérailles, c’est le message adressé par Steve Jones et que lit Joe Corré : «Dear Malcolm, as-tu emmené les sous avec toi ? Est-ce qu’ils sont dans le cercueil ? Est-ce que ça t’embête si je viens demain te déterrer pour les récupérer ?»

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             Pour conclure, nous dirons que le book est vraiment bon, Jordan porte un regard sans complaisance sur toute cette histoire extraordinaire. C’est l’un des meilleurs témoignages de cette époque, avec l’autobio de Jonesy (Lonely Boy) et la massive bio de McLaren (The Life & Times Of Malcolm McLaren: The Biography) dont on va reparler incessamment sous très peu.

             Ce texte est pour Jean-Yves. Il me disait l’autre jour qu’il avait eu le courage d’entrer chez SEX, mais qu’il avait peur de Jordan et de se ramasser «un coup de gros nichon». Il voulait juste voir le juke-box.

    Signé : Cazengler, Jordanse avec les loups

    Jordan. Disparue le 3 avril 2022

    Jordan Mooney. Defying Gravity: Jordan’s Story. Omnibus Press 2019

      

    Les Saints à l’air - Part Two

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             Dans la vague d’albums qui a submergé le monde entre 1976 et 1977, se trouvait l’(I’m) Stranded des Saints. Ces albums avaient pour particularité d’être à la fois des premiers albums et d’être des albums géniaux. Allez, tu les connais : Ramones, Heartbreakers, Damned, Sex Pistols, Richard Hell, Television, Clash et tu pouvais foutre tout le reste à la poubelle. Par leur classe et leur agressivité, les Saints étaient un peu les chouchous, avec un son qui s’enracinait dans les Them et les Shadows Of Knight et qui développait en prime une sauvagerie jusque-là inconnue.

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             En fait, le single «(I’m) Stranded» est arrivé un tout petit peu avant, en éclaireur. On en trouvait quelques-uns à Londres. Ho le poids du beat là-dessus ! Le son tombait du ciel. Les Saints jouaient au heavy sludge d’awite. Les awite de Chris Bailey sont restés les plus purs du marigot, avec ceux d’Iggy Stooge. Ce fut un hymne, au même titre que «New Rose», «Anarchy In The UK» et «London’s Burning». Tout ça marchait ensemble. Le rock renaissait de ses cendres. Depuis, on a jamais revécu un tel phénomène. Never ever. Et l’album est arrivé comme un rouleau compresseur, même power que le premier album des Stooges, avec la voix de Chris Bailey à la surface du chaos, un album saturé de wild sound. Même feu sacré, Ed Kuepper joue le wall of sound on fire dans «One Way Street» et puis à la suite il y a cette reprise des Missing Links, «Wild About You», l’emblème du gaga-punk, avec le chant à l’aise et derrière, la fournaise définitive, et des poussées de fièvres qui resteront aux yeux de tous des modèles du genre. Ils bouclaient l’enfer de ce balda avec «Erotic Neurotic», un cut wild and frantic complètement ratatiné par Ed Killer le solo flasheur. Et ça repartait de plus belle en B avec «No Time» et l’une des pires intros de l’histoire des intros, une intro signée Razor Sharp Ed K - Got no time/ For messin’ around - Kym Bradshaw hantait ce fleuve de lave avec un bassmatic innervé. S’ensuivait l’un des meilleurs blasts de l’époque, la reprise du «Kissin’ Cousins» d’Elvis, wild as fuck. Razor Sharp Ed K refaisait des siennes dans «Demolition Girl», encore un claqué de blast dévastateur. Elle portait bien son nom, la Girl, elle démolissait tout. Tout ça se terminait avec une cerise sur le gâtö, «Nights In Venice». Razor Sharp Ed K sonnait exactement comme Ron Asheton, même envie d’en découdre, même volonté de détruire la ville. C’était d’une violence sonique rarement égalée, avec un Razor Sharp Ed K qui grattait sa cocote et qui arrosait an même temps. Napalm fire, baby, comme chez les Stooges, c’mon ! L’ho no de Chris Bailey était une œuvre d’art et l’Ed K n’en finissait plus de nous plonger dans sa bassine de friture. Avec «Night In Venice», les Saints mettaient le chaos K.O.

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             L’idéal pour se faire une idée précise du power des Saints est d’écouter un live. Il en existe  un paru en 2009, le fameux Live At The Pig City Brisbane 2007. C’est un concert de reformation, avec Razor Sharp Ed K, Ivor Hay et Chris Bailey. Attention, ce live est une poudrière, alors éteins ton mégot avant de le lancer. On y retrouve tous les blasts qui ont fait la légende des Saints, à commencer par «No Time» que Chris Bailey présente ainsi : «The last time we played this song here, we got kicked out !». C’est du heavy Saints, fast as fuck. Il amène «Stranded» au one two three four, c’est une bombe, Chris Bailey se prête bien au jeu, il développe ça au c’mon. Ils tapent aussi «This Perfect Day» tiré du deuxième album, Eternally Yours. Pour l’ouverture de bal, ils ont opté pour «Swing For The Crime», tiré de Prehistoric Sounds, joué en mode overdrive de full blast, Chris Bailey tombe du ciel, comme l’aigle sur la belette. Il reste l’un des pères fondateurs du garagisme, avec Van The Man. Il calme un peu le jeu en grattant «The Prisoner» à coups d’acou sur son Ovation et refout le feu à l’Australie avec «Know Your Product». Et puis voilà l’apocalypse selon Saint-Chris, «Nights In Venice», pour commencer, on se croirait chez les Stooges, même démesure, même violence intrinsèque, ils tentent de rallumer les vieux brasiers, c’est Ivor Hay qui mène le bal ici, il bat comme mille diables et puis ils enchaînent avec «River Deep Mountain High», c’est un peu le real deal de Chris Bailey, on a tous flashé sur ce double 45 tours paru à l’époque, mais la version live est encore plus spectaculaire, c’est une véritable fournaise que Chris Bailey élève au rang de mythe, avec toute la folie de wild gaga dont il est capable, pas de pire cover dans l’univers yeah yeah yeah et soudain, il élève le niveau du River Deep comme s’il voulait rendre hommage aux dynamiques de Totor le titan. 

             On ne peut pas dire que la presse officielle se soit ruinée en couvertures pour les Saints. Elle préfère investir dans Pink Floyd et Led Zep. Le seul article consacré aux Saints paru ces dernières années se trouve comme d’habitude dans Vive Le Rock. Douze pages, mon gars, et la couve en prime, alors t’as qu’à voir ! Pour un groupe culte, c’est le moins qu’on puisse faire.

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             Duncan Seaman commence par citer un journaliste de Sounds qui écrivit à propos d’«(I’m) Stranded» : «Single of  this and every week». C’est vrai que ce single est resté pour beaucoup de fans le meilleur single de l’année depuis toutes ces années. Seaman s’empresse aussi de rappeler qu’Ed Razor Sharp Kuepper et Chris Bailey ne sont pas australiens, mais respectivement allemand et irlandais, leurs familles ayant émigré en Australie après leurs naissances respectives. Ils ont grandi à Brisbane et sont devenus proches car ils avaient en commun une passion pour la musique et les cheveux longs. Au commencement, ils forment un trio avec Ivor Hay et en 1975, il se rebaptisent The Saints en l’honneur de Leslie Charteris. Et puis tout se met en place rapidement, car Chris Bailey dispose de l’atout majeur : the good rounded and pretty powerful voice. Les influences déterminantes arrivent comme la cerise sur le gâtö : Stooges, MC5, Velvet et Dolls. Chris Bailey aime bien causer des influences. Pour lui les Ramones évoquent les Archies et les Ronettes, alors que les Saints renvoient directement sur Eddie Cochran et Little Richard : d’un côté, la grande pop américaine, de l’autre the wild & frantic rock&roll. Dans la foulée, il cite les Pretty Things et les groupes anglais that had the same twist on American R&B. On entend presque le son de sa voix. C’est la même chose quand on lit Lanegan : on l’entend.

             Chris Bailey rappelle aussi qu’il haïssait Brisbane - It was like the worst part of Texas, it was just a horrible, hot wasteland - Ivor Hay rappelle que croiser un flic dans la rue quand on avait les cheveux longs était systématiquement source de problèmes.

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             Puis arrive l’épisode déclencheur : l’enregistrement auto-financé du premier single, pressage à 500 exemplaires et révélation miraculeuse dans la presse anglaise. Avec le Spiral Scratch des Buzzcocks, «(I’m) Stranded» reste le sommet du DIY de 1976/77. Pas besoin de record company pour sortir un single révolutionnaire. «(I’m) Stranded» sort six mois avant «New Rose» et John Peel le passe encore et encore dans son radio show. EMI London alerte EMI Australia et les Saints se retrouvent en studio à Brisbane avec le Néo-Zélandais Rod Coe pour enregistrer leur premier album. C’est torché en deux jours, one or two takes, mixage compris. Wham bam thank you mam ! Les Saints n’ont pas l’expérience du studio, aussi jouent-ils à la revoyure. Chris Bailey : «So we basically stood up and played live.»

             Les louanges commencent à pleuvoir : Nick Cave qui voit les Saints sur scène en Australie en 1977 dit que c’est the best band I’ve ver seen. Quant à Robert Forster, il affirme avoir été «pulvérisé» quand il a entendu «(I’m) Stranded» pour la première fois. Brad Shepherd des Hoodoo Gurus traite les Saint d’«atomic bomb going off.»   

             C’est en juin 1977 que les Saints montent s’installer à Londres. Et là, les choses commencent à mal tourner. EMI veut les voir porter des costumes. Quand on voit la pochette du premier album, on comprend que l’idée ne peut pas plaire aux Saints. Fuck it ! Les Saints commencent à tourner en Angleterre et au début, ils adorent ça, mais ils s’aperçoivent très vite que le mouvement punk est devenu une mode et qu’ils n’en font pas partie - We weren’t part of that - Puis Kym Bradshaw quitte le groupe. Comme les Saints repartent tourner en Australie, Kym choisit de rester à Londres. Il va jouer dans les Lurkers. Quand les Saints rentrent à Londres, il parvient à rétablir le contact et à maintenir de bonnes relations avec ses anciens collègues.

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             Fin 1977, ils entrent en studio pour enregistrer leur deuxième album. Chris et Ed produisent. Eternally Yours constitue avec le premier album le sommet de l’art des Saints. «Know Your Product» t’embarque la bouche aussi sûrement que le ferait un boulet d’abordage. Pas de pire punk dans la stratosphère - Cheap advertising/ You’re lying/ It’s never gonna get me what I want/ All that smooth talking/ Brain washing/ It’s never gonna get me what I need - et c’est salué aux trompettes de la renommée. C’mon ! L’autre coup de génie de l’album c’est le «No Your Product» de bout d’A, un brin stoogy, qui monte terriblement en pression avant de retomber sur la barbarie du beat. Personne ne peut rivaliser avec les Saints en Angleterre. «Lost And Found» est vite embarqué en enfer et «Private Affair» vaut pour du pur jus de punk’s not dead, ah qu’elle arrogance dans la décadence - We got new thoughts/ New ideas it’s all so groovy/ It’s just a shame that we have/ Seen the same old movies - Encore du hard beat des Saints en B avec «This Perfect Day» - What more to say - Chris Bailey reste intraitable. C’est la section rythmique Algy Ward/Ivor Hay qui vole le show sur «(I’m) Misunderstood». Une fois n’est pas coutume.  

             Algy Ward est le nouveau bassman. L’enregistrement d’Eternally Yours dure trois semaines, mais le son est beaucoup plus ambitieux. On commence à prendre les Saints au sérieux. Bizarrement, l’album n’obtient pas le succès escompté. Ivor Hay pense qu’ils sont victimes de leur singularité. Le public punk les boude. Ils sont vraiment bizarres les gens : on leur colle un album génial dans les pattes et ils font la gueule, ça ne leur plaît pas. Les Saints ne sont pas politically correct comme les Clash qui sont alors considérés comme des superheroes en Angleterre. Les Saints sentent qu’on les méprise - The Saints were seen as kind of on the side line - ou pire encore, «colonial copysts of some sort». Alors les tensions apparaissant dans le groupe. Chris Bailey et Ed Kuepper ne voient plus les choses de la même façon. 

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             Paru en 1978, Prehistoric Sounds est le dernier album de Razor Sharp Ed K avec les Saints.  Les deux coups de génie de cet album sont les deux reprises de r’n’b, «Security» et «Save Me» - All I need babe is security yeah - Chris Bailey y va de bon cœur - So darling how can I forget - Il est le plus puissant raver shaker d’Angleterre, il fait du punk r’n’b, c’est un cas unique dans l’histoire du rock - I want security/ Without it I’m at a great loss/ I want security yeah/ I want it at any cost now/ I don’t want no money/ No no no no - Son no no no est criant de vérité. Personne ne ramone le raw r’n’b aussi bien que Chris Bailey. Il reste dans le punk de raw avec «Save Me», sa version prend feu, c’est du punk r’n’b de dévastation massive, rien d’équivalent en Angleterre - Love leaves you cold and hurt inside/ Those tears of mine/ They are justified - Et il lui demande de le sauver. Chris Bailey défonce les annales du raw. Le reste de l’album est plus Sainty, c’est-à-dire très chanté, seriné au deepy deep de glotte frontale. Chris Bailey se complaît dans le heavy balladif des relations tourmentées, il exploite massivement le filon de l’incommunicabilité des choses. On finirait bien par s’en lasser. Il devient très tranchant avec «Every Day’s A Holiday Every Night’s A Party». Il n’a jamais été aussi profond dans sa façon de chanter. Il chante à fond de cale. Personne ne chante comme lui. Il prend sa meilleure voix de crapaud pour croasser «Crazy Goldenheimer Blues» et il dégringole l’«Everything’s Fine» d’ouverture de bal de B. «The Prisoner» est encore un outstander - You’re the man in a cage/ I see you everyday - Ah quel fantastique refrain ! - You’re a prisoner/ Just like everybody else - Et il revient à sa chère incommunicabilité des choses avec «This Time» et l’I’m talking to you/ But you’re in a trance/ You’re talking to me/ But you ain’t got a chance. C’est ainsi, on n’y peut rien.

             C’est la fin des haricots pour les Saints : EMI ne renouvelle pas le contrat. Les Saints n’ont plus de manager, ni de label, ni de revenus. C’est le split. Chris Bailey reste à Londres, Ivor et Ed rentrent en Australie, pour ne pas crever de faim. 

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             Pour les fans des Saints, le mini-album Paralytic Tonight Dublin Tomorrow fait figure de relique. Parce qu’on y trouve «Simple Love - And your simple love/ Will always/ Sa-ave me - et «(Don’t Send Me) Roses», deux cuts qu’on reprenait lorsqu’on rendait hommage aux Saints sur scène. Pas mal de désespoir dans ces deux cuts, Chris Bailey semblait y jeter tout son poids - What I can’t understand/ Is why we all make plans - et ça coulait tellement de source - Don’t make no apologies - Quand on a joué ça pendant quinze ans, on en connaissait toutes les ficelles, mais franchement, il fallait être cinglé pour jouer ces deux cuts sur scène. Les gens n’y comprenaient rien et ça les ennuyait. Chris Bailey bouclait son balda avec l’excellent «Miss Wonderful» et attaquait la face obscure avec l’«On The Waterfront» cuivré à bras raccourcis. Il chantait à la force du poignet, il y mettait le paquet et ça pouvait devenir très spectaculaire. 

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             Après la tempête des trois premiers albums vient le calme de The Monkey Puzzle. On entre dans la longue période New Rose. Rescapée de Paralytic, «Mrs Wondeful» fait l’ouverture de balda. Mais il n’y a plus d’Ed, plus de Kym, plus d’Ivor, rien que des nouveaux dont un certain Barrington aux guitares. Chris Bailey s’oriente désormais sur les heavy balladifs, «Always» donne le ton, très ambitieux par la textures du contexte. «Let’s Pretend» est aussi un plaisant balladif d’if I could have been you. Chris Bailey joue ça aux arpèges sur son Ovation. Il a mis beaucoup d’eau dans son vin. Il voudrait bien s’énerver sur «Monkey (Let’s Go)» qui lance la B, mais ça joue à la petite cocote sous le boisseau, avec un très beau son de basse et le riff de «Summertime Blues» comme cerise sur le gâtö. On retrouve aussi le «Simple Love» de Paralytic et il finit en foutant le souk dans la médina avec «Dizzy Miss Lizzy».

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             Suite de l’ère New Rose avec Out In the Jungle, sans surprise et sans déconvenue. Ils restent cultes, malgré des albums moins denses. Hormis la pochette signée George Crosz, le coup de génie de l’album est le «Come On» qui ouvre le bal de la B, car nous voilà back to the roots, back to the push, the Sainty push, come on, Big Bailey le démolit comme un come-on man, inutile de vouloir lui résister, come on ! On se croirait sur Eternally Yours. Même panache, même sens aigu de la punkitude. On attendait aussi des miracle des deux cuts sur lesquels joue Brian James, à commencer par «Animal». Il y claque des petits riffs secs et nets dans la belle fournaise du New Roser et collègue d’écurie. Les deux font la paire. On entend Brian James jouer des queues de solos dans la souricière. On le retrouve sur «Beginning The Tomato Party», un cut plus long, monté sur un délire tribal qu’orchestre Iain Shedden. Ça joue dans l’écho du bon temps roulé, avec un Brian James qui se fond dans le moule du Bailey. Il joue de jolis petits riffs derrière le rideau, c’est un Stooge-addict qui sait se tenir en société. Big Bailey aimerait bien faire son «Sister Ray» avec Tomato, il ramène du sax free, mais Tomato refuse d’obtempérer. C’est à «Follow The Leader» que revient l’honneur d’ouvrir le bal des vampires à grands renforts de trompettes de Jéricho. Big Bailey semble toujours chevaucher en tête, foncièrement déterminé à l’emporter, chez lui, c’est inné. Follow the leader ! Mais le cut qui rafle véritablement la mise, c’est «Senile Dementia», une mélasse fabuleusement heavy qui sonne comme un atroce ressac d’hold on. Quelle puissance ! Un sax free monte dans la marée et finit par emporter la bouche du cut. 

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             On a longtemps accusé la pochette d’A Litlle Madness To Be Free d’être ratée. Après les fastes des deux premiers albums, c’est vrai qu’elle a quelque chose de choquant. Le problème c’est que le contenu de l’album est en osmose avec la pochette, avec des cuts comme «Walk Away» qui sonnent comme des vieux débris de balladifs inconsolables. Big Bailey cultive son goût pour la neurasthénie. Il est même parfois plus fatiguant que Nick Cave. Avec «The Hour», il repart sur les traces de «Simple Love», avec du telephone et du ciel plombé, à l’image des photos qui ornent le recto et le verso de la pochette. L’album devient glauque. Big Bailey durcit un peu le ton avec «Angels», mais ça reste du tout venant. Il ne parvient plus à s’arracher du sol. Il se contente de continuer de chanter au meilleur raw de Desolation Row. La B n’est guère plus brillante. Ils font avec «Imagination» une espèce de musique à la mode, bâtarde de reggae et de radio friendly. S’ensuit l’à peine plus joyeux «It’s Only Time». Cet album pue la panne d’inspiration. Chris Bailey s’enfonce dans un marécage de non-compos, il fait des efforts désespérés autant que désespérants pour garder la tête hors de l’eau. «Someone To Tell Me» se veut puissant, mais ça n’est puissant qu’en apparence. Pas de quoi casser trois pattes à un canard. Les trompettes de Jéricho font leur retour avec «Heavy Metal», il tente le tout pour le tout avec du simili-Eternally Yours et il boucle cet album pénible avec le grand «Ghost Ships». L’intro trompe énormément, car il s’amène en mode troubled troubadour d’arpèges d’ovation. Il faut attendre le deuxième couplet pour le voir hisser les voiles de son merveilleux Ghost Ship, c’est puissant, bien sonné des cloches de misaine, il renoue enfin avec cette ampleur qui fit jadis sa légende.

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             Live In A Mud Hut donne une idée très précise de ce que sont les Saints sur scène en 1985. Ils jouent essentiellement des cuts tirés de The Monkey Puzzle («Let’s Pretend», «Roses», Always») et le «Ghost Ship» qu’on trouve sur Out In The Jungle, certainement l’un des meilleurs balladifs de Chris Bailey. Il y va franchement, la heavy pop sent bon l’air du large. On dira la même chose de «Follow The Leader», c’est même à l’époque la pop la plus lourde d’Angleterre, avec des accords scintillants. Si on cherche une illustration sonore de l’élégance, c’est «Follow The Leader». Tout est monté sur le même modèle, comme le montre «Always» : mid-tempo puissant et bassline voyageuse, avec cette voix qui flotte à la surface. Chris Bailey réussit le tour de force de donner de la profondeur au refrain de «Roses». Comme chacun sait, la profondeur est l’apanage des grands interprètes. Il termine en faisant claquer l’étendard des Saints («Know Your Product»), mais sans les trompettes. Il ramonent ça comme ils peuvent.

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             Sur l’All Fools Day paru en 1986, on trouve trois Sainty hits, «Just Like Fire Would», «Hymn To Saint Jude» et «Temple Of The Lord». Par Sainty hit, il faut entendre grosse compo, gros battage d’accords et grosse présence vocale. De ce point de vue, «Just Like Fire Would» reste emblématique. Chris Bailey fait claquer son Fire au vent. Ivor Hay est de retour et comme il adore cogner, alors on l’entend bien. Et pour couronner le tout, des cuivres somptueux radinent leur fraise. Chris Bailey embarque son «Hymn To Saint Jude» au not coming back again et nous fait la grâce d’un superbe final. Le style de Chris Bailey reste un étonnant mélange de pathos et d’élégance, de gravité et d’éclat. Il s’inscrit d’office dans l’intemporalité des choses, il veille à ce que chaque syllabe soit bien grasse. En B, on tombe sur un étonnant «Big Hits (On The Underground)» salué aux trompette de la renommée. Ah quelle déboulade ! Chris Bailey reste dans son cher pré carré avec «How To Avoid Disaster», un balladif up-tempoïdal drivé par une bassline voyageuse. Il se promène lui aussi à l’intérieur de sa mélodie chant. Il revient au heavy Saint des Saints pour «Temple Of The Lord». Comme il veut en découdre, il ramène ses trompettes et ses hein hein, Ivor Hay propulse tout ça au beat des forges et ça bascule très vite dans l’énormité.

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             On trouve encore une version de «Ghost Ships» sur Prodigal Son. Ah il faut le voir allumer le deuxième couplet - Cold is the wind that blows in my mind - Et il chute sur I don’t know about tomorrow, ce qui est une belle fin de non-recevoir. L’autre stand-out track de Prodigal, c’est «Sold Out», car salué aux cuivres - Sold out/ Like a miner I’m digging for gold - Il n’en finit plus d’affirmer sa différence - I could never believe what I was told - Encore une belle dégelée avec «Grain Of Sand», battu sec et net dans l’écho du temps. Choix de son idéal pour un grain de sable. Chris Bailey s’est complètement débarrassé de sa punkitude. Le voici devenu troubled troubadour.

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             Paru en 1996, Howling pourrait bien être le plus bel album des Saints. Il repose sur quatre piliers : l’effarant morceau titre, le somptueux «Something Somewhere Sometime», l’infernal «You Know I Know» et l’imbattable «Second Coming». Dès le morceau titre, ce démon de Chris Bailey entre dans le Saint des Saints, c’est heavy à un point qu’on n’imagine pas. Ça y va au heavy bassmatic et ça chante au heavy Chris Bailey. C’est atrocement bon. Encore une fois, il n’existe aucun équivalent de ce son dans le monde. Aucun chanteur n’est allé aussi loin dans le marigot. «Something Somewhere Sometime» nous éberluait tellement à l’époque qu’on décida de le reprendre. Il n’existe pas beaucoup de cuts qui atteignent ce niveau de perfection à la fois mélodique et tempétueuse - Took some wine to turn my mind from you/ And it did do - Il faut voir comme il amène bien sa chute - C’est la vie ! - Alors on tombe dans le tourbillon des petits accords de mi-manche à la Chris Bailey, on s’explose la rate avec les descentes de guitare, c’est le cut de génie par excellence. On retrouve toute la clameur du riffing dans «You Know I Know» - Not have to say what’s on my mind - C’est le grand retour du punk Bailey - Confused by abuse of ecstasy - Ça joue au gras double de sixties boomers - You’ve gone and bought another face - Comme toujours, les lyrics sont tirés au cordeau. Big Bailey ! Et l’apothéose arrive avec «Second Coming», où il règle ses comptes. Encore une fantastique descente du barbu, on a un riffing de rêve, salué aux arpèges de disto. Te voilà de nouveau plongé dans le Saint des Saints, tu as même en prime le fin du fin, l’une des meilleurs chansons de Big Bailey avec un son définitif, ça prend feu au coin du couplet - Everyone was waiting for the salvation singers/ No one was waiting for me - Big Bailey en a gros sur la patate, c’est bien qu’il l’écrive et qu’il le clame - At the wheel of the hearse/ Sat my sole recollection - Cette façon superbe qu’il a de broder sur le thème de l’incommunicabilité des choses de la vie - We talked it over/ And I thought we’d reached an understanding/ But really all we had/ Was a lack of expectations - Cette voix et surtout cette diction, et par dessus tout cette phraséologie aristocratique - And time still flying by/ And I don’t mind - Les seuls en Angleterre qui soient habilités à lâcher un I don’t mind sont Big Bailey et John Lydon. ‘Cause they mean it. L’album propose deux autres énormités, «Only Stone» et «Good Friday». L’«Only Stone» dégorge de son, Big Bailey y fracasse encore une fois le ciel des Saints. Et ça continue avec «Good Friday» - And I can feel it/ I can feel it in the air/ I can move it/ Between my fingers - Comme celle de Lanegan, c’est l’une des voix qui marquent les cervelles au fer rouge. Chaque fois, Big Bailey jette tout son poids dans la balance, «All my words get blown away», clame-t-il dans «Blown Away». 

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             Encore un album cher au cœur des fans : Everybody Knows The Monkey, grâce ou à cause de «Fall Of An Empire», qui fait partie des plus gros coups de l’immense compositeur que fut Chris Bailey. On disait même à l’époque que «Fall Of An Empire» était avec «River Deep Mountain High» l’un des plus grands hits de tous les temps, victime lui aussi de l’incompréhension du public - It’s in the air/ It’s the mood of the moment - Le power des Saints, c’est un peu comme un phénomène naturel, une réalité indiscutable. Chris Bailey lance des vagues de pur génie à l’assaut de son Empire - I’m talking down - Et il remonte - Close your eyes/ Consider yourself in the scheme of thing/ Yeahhhhh - Il amène ça sur le terrain de l’innocence, mais what a sludge ! - And I don’t care - Boom. On voulait reprendre «Fall Of An Empire» à l’époque, mais c’est impossible sans organiste. L’autre monstruosité de l’album s’appelle «Everything Turns Sour». Sainty en diable - When you’re standing in the shadow/ With no way to get across - Ça cisaille dans la mortadelle, Chris Bailey retrouve tout le power de l’Empire, il ramène des éclairs aussi bien dans le son que dans les lyrics. Mais l’ensemble de l’album souffre de la présence d’Empire. On ne peut pas  surmonter un chef-d’œuvre comme Empire, humainement, c’est impossible. Chris Bailey revient avec «Vaguely Jesus» sur son vieux balancement de Saint homme - Lying on the floor/ Being vaguely Jesus - La plupart des autres cuts sont compliqués. Chris Bailey le sait. Il tente de reprendre le contrôle du Saint Empire avec «Working Overtime». C’est un combat de tous les instants. Oui il s’agit bien d’un Saint Empire. En Angleterre, à part les Pistols, nobody did it that way, c’est-à-dire des compos qui fondent une religiosité. Punk Bailey est de retour avec le «What Do You Want» d’ouverture de bal des vampires - What do you want from me - Il te pose la question. Ça joue au heavy sludge. Le cut entre en osmose avec la plus disturbing des pochettes, tout y est mal gaulé, la typo et puis cette bouille de godmichet qui regarde en coin. What do you want ? 

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             Comme l’indique son titre, Spit The Blues Out est un album de blues. Chris Bailey opte pour du classic boogie blues, mais le chante à sa façon. Quand on entend «Who’s Been Talking», on croit entendre le vieux shuffle de Ten Years After : c’est exactement le même son - My baby bought a ticket - On peut faire confiance à Chris Bailey pour le baby et le bought. Ils sont bien lestés. Il ne se passe pas grand chose dans le balda. Rien de nouveau sous le soleil de Bernanos. Le morceau titre ouvre le bal de B et fait la différence avec son joli départ de be my demolition demon/ Come and rob me off my reason. C’est une grosse compo, avec une mélodie chant.

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             En 2005, un nouvelle bombe atomique tombe sur l’Europe : Nothing Is Straight In My House. Chris Bailey retourne au sources du Sainty punk, et ce dès «Porno Movies». Il est entouré d’une équipe de démolisseurs. Il veut rétablir le Saint Empire des Saints et lègue à la postérité un bien beau blast. Le fan n’aura guère le temps de souffler sur cet album, tout est dégringolé de prime abord et en particulier le morceau titre. Le seul au monde à pouvoir faire du heavy Saints, c’est Chris Bailey. Sa heavyness confine au génie pur - I ain’t coming back - Même lorsqu’il creuse sa tombe, ça l’amuse - I’m digging a hole/ Do you want to join me in ? - C’est sa façon d’annoncer qu’il want to rise again («Digging A Hole»). Il amène «Paint The Town Electric» au beat glam. Sa voix continue de résonner dans les profondeurs du rock. Il chante jusqu’à l’overdose. Nouvelle énormité avec «Taking Tea With Aphrodite», sans doute le meilleur gaga d’Europe, gratté aux meilleurs accords de l’époque, avec un chanteur qui ne peut pas s’empêcher de ramener sa sensibilité de troubled troubadour. Il trimballe encore son aristocratie dans «Garden Dark», jusqu’aux early hours, yeah ! C’est un hommage déguisé à l’«All Along The Watchtower» repris par Jimi Hendrix, des échos de guitare tirés de cette version mythique sonnent dans le creux de l’oreille. Il termine avec «Nothing Straight (Slight return)», amené au heavy sludge, c’est le sludge définitif des Saints, monté en épingle, sans doute en hommage à Ron Asheton, car voilà une dégelée fondamentale qu’emporte le courant.

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             Fort bel album que cet Imperious Delirium daté de 2006. Les photos de pochette sentent la misère, mais diable que de punch, et ce dès «Drunk Babylon», ce dragged-out wild punk blast. Pas de meilleure description de cette attaque frontale - One shot/ You get - avec un solo de gras double encapsulé dans le couplet chant ! Fucking blast de punk out. Ils ne sont que trois. Caspar Wijnberg bassmatique et Peter Wilkinson bat le beurre. Big Bailey calme le jeu avec «Declare War» - I you declare war on me/ Where shall I stand ? - Il nous épuise avec ses problèmes matrimoniaux. Il nous ramène à Paris avec «Trocadero», il chante à fleur de peau - Truckin’ down the Trocadero - C’est une absolue merveille, suivie d’une autre merveille, «Je Fuckin’ T’aime», même s’il joue avec les clichés de motor bike et d’all night long, il rafle la mise, et en plus il s’amuse avec la langue - Je fucking t’aime/ Plus belle chanson/ On y va mes enfants/ I think I kown what you want/ Alright ! - En se moquant du rock, Chris Bailey fait du génie pur. Il reste dans le Big Bailey avec «Other Side Of The World» et reprend le fil de son autobiographie avec «So Close» - So close to breaking down/ So low/ I was living underground/ Stepping out/ Out into the town/ With nowhere left to go - Encore une vraie déboulade des Saints avec «Drowning» - Me and Alex Harvey are feeling good/ But we are drowning - Il envoie tout balader à coups de wah - With Keith Moon in a motor boat/ Driving through the Hilton Hotel/ Still drowning - Puis il revient au heavy punk des Saints avec «Enough Is Never Enough», il l’allume, enough is never enough, c’est gratté dans l’épaisseur du gras double, with music ringing in my ears. Il semble avoir laissé tomber les balladifs cacochymes. Il embarque son «Learning To Crawl» au Bailey drive - C’mon plant my flag in the burning sands/ And wait for it to come to me - C’est vite balayé par du solo d’outer Saints. Il termine avec «War Of Independance» en mood heavy Saints - See you theer/ Who knows - Ce sont quasiment ses adieux.

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             Le dernier album qu’enregistre Chris Bailey en 2012 s’appelle King Of The Sun. Au dos de la pochette, on le voit assis. Il porte un petit bouc. L’écoute est spéciale, car il s’agit apparemment des derniers enregistrements de cet homme qu’on a depuis le début admiré et même adulé. Bon alors autant le dire tout de suite, ce n’est pas un grand album. Le morceau titre et «A Millions Miles Away» restent du Bailey classique, avec les trompettes à la sortie et toujours cette grosse présence vocale. Il reste égal à lui-même. Les deux cuts qu’on sauve sont «All That’s On My Mind» et «Mini Mantra Pt1». Il lance le premier au hey now - Hey now/ Don’t think that this is over - Il lance un pont sur la rivière Kwai - Hey now/ I knew you would never believe me - Avec le Mini Mantra, il perd encore la tête - Where is my mind - Retour à la heavyness, c’est joliment tourné et un killer solo s’étale dans la durée. Voilà un cut digne des early Saints. Dommage que le reste de l’album de soit pas de ce niveau. Adios Chris Bailey, tanks for the ride !

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             Allez, une dernière tournée pour la route, avec cette grosse compile parue en 1999, 7799 Big Hits On The Underground. On la ramasse surtout pour les deux portraits de Chris Bailey qui apparaît maquillé, fard vert sur les paupières et rouge à lèvres. Il rédige aussi un petit texte à l’intérieur. Cette compile permet de revisiter tout l’art sacré des Saints. Le seul défaut est l’absence de leur version de «River Deep Mountain High», parue sur le fameux double 45 t, One Two Three Four. Ça commence avec l’incontournable «(I’m) Stranded», puis «No Time» et on saute dans l’explosion thermonucléaire de «Know Your Product». On connaît tout ça par cœur, mais chaque fois qu’on l’écoute, le cœur bat la chamade comme au premier jour. Rien de plus punk que ce Product. Peu de groupes ont su développer un tel power. «No Your Product» est aussi de la dynamite, comme chacun sait. Chris Bailey y est emporté par la vitesse du long long time. Et puis tiens, voilà cette version démente de «Save Me», tirée de Prehistoric Sounds. Quelle violence ! Il fond comme une tablette de chocolat blanc entre les cuisses d’Aretha - Save me/ I want you to save/ Me - C’est l’apanage des Saints, la Soul-punk de save me right now. On retrouve plus loin l’intro légendaire de «Ghost Ships». Comme c’est un double CD, tu as quarante cuts, alors t’as qu’à voir. On tombe à la fin du disk 1 sur une version absolument démente de «Simple Love». Le disk 2 repart de plus belle avec tous ces standards que sont «Temple Of The Lord», «Grain Of Sand», où il chevauche un dragon en tête de la brigade légère, puis revient la grosse prestance de «Before Hollywood» et plus loin, on retombe nez à nez avec l’effarant «Howlin», un cut alarmant d’excelsior pathologique. Ça fait du bien d’entendre ça une dernière fois, get the fuck out, Chris Bailey s’y montre assez définitif. On redécouvre aussi cette merveille qui s’appelle «Only Dreaming», c’est vite fait bien fait, good day/ ay/ ay - And Christ I was only dreaming - Explosif ! Son yeah est encore une preuve de génie, il tape encore une fois dans le twilight. S’ensuit l’implacable «Fall Of An Empire», dont on a déjà dit si grand bien. Il atteint là le sommet de son art, le sommet du smart, de l’I don’t care et du close your eyes. Boom ! Redécouverte encore de «Good Friday», tout repose sur le cataplasme de la voix, il a une façon de retomber sur l’accord qui est unique au monde, tu peux tâter le flesh du Good Friday. Ah il faut le voir articuler tout ça. S’ensuit l’abominable «What Do You Want» claqué au early power des Saints. Chris Bailey entre dans la danse avec une sorte de bienveillance. Il s’inscrit dans la mythologie des Saints, c’est-à-dire la sienne, et soudain le chant prend feu, yeah ! Encore une compile qui va toute seule sur l’île déserte. 

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             En marge de Saints, Chris Bailey a enregistré quelques albums solo, qui à l’époque firent bien fantasmer les fans, à commencer par Casablanca. En réalité, il ne s’y passe pas grand-chose. Chris Bailey continue d’y explorer le labyrinthe des aléas relationnels avec «Rescue» - I want you/ To rescue me - Il fait un peu de heavy blues avec «Insurance On Me» - You know I love you baby/ You know I love you true - et l’album décolle en fin de balda avec «Curtains». Il ramène une guitare électrique dans le heavy battage de curtains et ça prend tout de suite une certaine ampleur. En B, il tape une version acou de «Follow The Leader» qu’il sature de guitares. 

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             Paru en 1984, What We Did On Our Holidays est un album live enregistré lors d’une tournée australienne. On y trouve des covers superbes, comme par exemple le «Bring It On Home To Me» de Sam Cooke. Chris Bailey jette tout son poids dans la balance. Il enchaîne avec un autre classique de la Soul, «I Heard It Through The Grapevine». Il adore les grands hits black, cette fois il attaque à l’insalubrité délinquante du garagiste, c’est très gonflé de sa part, il faut le voir malaxer les syllabes de la Soul - Oh I’m just about to lose my mind - Il y a un solo de trompette sur le tard du cut. Il fait aussi une belle version d’«In The Midnight Hour» et pique une crise de fast rock’n’roll avec un «All Night Long» digne de figurer sur Eternally Yours. Il se prend au jeu, frise l’égosillement et lance de fabuleuses nappes de cuivres. C’est aussi sur cet album qu’on trouve sa belle version d’«Amsterdam». Le voilà sur les traces de Bowie et de Scott Walker !

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             Très beau portrait du Big Bailey sur la pochette de Demons, paru en 1990. Il a des faux airs de Russell Crowe. Le stand-out track de l’album s’appelle «Bridges», gratté aux heavy chords de walking down the boulevard. Il pose bien les éléments du pathos, c’est le roi du genre, le prince des pâtés de pathos - There are no more bridges/ To burn/ No more lessons/ To learn - C’est heavy, brillant et mélodiquement parfait. Avec le morceau titre qui ouvre le bal des vampires, il déblaye la place. Il arrive comme un roi dans un palais qui est sa musique. Il étale ses lyrics à la face du monde. Il le fait avec un aplomb assez rare dans l’histoire du rock anglais. Et toujours les fucking trompettes ! Il adore ça ! S’ensuivent des cuts assez problématiques, le pauvre Bailey se fourvoie dans le radio friendly («Return To Zero») et avec «Fade Away», il continue de jouer sa carte d’aristocrate perdu dans les montagnes. Retour au heavy power balladif avec «Running Away From Home», c’est bardé de son et d’intentions. Il rend deux hommages sur set album : «Edgar Allan Poe» et «Marie Antoinette».

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             Toujours dans sa période New Rose, Chris Bailey enregistre Savage Entertainment en 1992. Deux raisons essentielles d’écouter cet album : le morceau titre qui relève du coup de génie et «Do They Come From You» qui relève du big atmospherix. Oh ces climats ! Big Bailey est très impliqué dans l’expression de sa grandeur, il flirte en permanence avec le génie, il maintient la pression par derrière avec des trompettes. Oh il adore les trompettes, surtout les trompettes de la renommée. Quant au morceau titre, c’est un hit - We all need some savage entertainment - Il pousse bien le bouchon, ça vire à l’énormité - I’m not satisfied with my electric whore - Encore une fois, il opte pour le décervellement - To take my brain away - «What Am I Doing There» sonne comme un ressac, il plonge dans ses incertitudes et reste mélodique - Don’t make me disappear/ I could get lost - La perdition est son thème de prédilection. Tout est très littéraire chez Big Bailey, c’est sa nature profonde. Il ramène de l’accordéon dans «Road To Oblivion» et redevient le troubled troubadour le temps d’un «Key To Babylon». Son «Hotel De La Gare» est purement autobiographique, ça se sent au sipping brandy/ on the balcony et à l’early morning madness. Il joue tous ses cuts au heavy gratté de poux. Il façonne une esthétique de l’underground parisien des années 90. Il va toujours chercher l’utter et il pose sa voix comme un cataplasme sur son gratté de poux. Il l’étale bien, sa voix, comme s’il utilisait une spatule, il tartine jusqu’au bout de la nuit.

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             On sent une petite baisse de tension sur 54 Days At Sea paru deux ans plus tard. Rien ne change sous le soleil de Bailey, il ramène son vieux pâté de pathos. Il s’en va se noyer au large avec sa belle voix profonde, il reste dans son sempiternel système de désespérance. Il fait un peu de heavy pop avec «On The Avenue», il chante d’une voix claironnante et dans «Unfamiliar Circles», son it’s alrite est toujours égal à lui-même - I’m only wandering round/ In unfamiliar circles - Avec «Drowned In Sound» il passe au heavy mid-tempo et propose avec «She Says» une belle dégelée de fin de non-recevoir. On est difficilement admis à entrer dans cet album. Il termine avec «In The Desert». Le voilà paumé dans le désert, comme l’avenir du rock. Il va son chemin, c’est tout ce qu’il lui reste à faire. Why the music is so loud ? Il s’en sort toujours avec son grain de voix. Il imprime l’imprimatur du rock underground, mais au fond, il doit être furieux d’être resté underground, sans un rond.

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             En 2011, on vit apparaître dans les bacs une étrange pochette blanche sur laquelle figurait le dessin d’un homme portant un masque de tête de cheval, et au dessus, dans une étiquette noire était portée la mention «Chris Bailey & H. Burns. Stranger.» En fait, il s’agit d’un album collaboratif, chacun chante ses cuts, les coquins alternent, Chris Bailey d’un côté et un certain Renaud Brustlein de l’autre. Bon d’accord, ce mec chante bien, mais on n’est pas là pour ça. On est là pour Chris Bailey, qui, fidèle à sa vocation de poule aux œufs d’or, nous en pond quelques uns, cot cot, à commencer par un «Visions Of Madonna» qui n’a rien à voir avec Johanna. C’est du classic Sainty sound, avec le beau swagger d’accords princiers. Il boit encore du vin - I took a drink/ The wine tasted like water - Il revient plus loin avec l’excellent «Muse» - I got a bitter sweet companion/ That girl is everything I need - Puissant coup de Bailey ! Il nous en pond encore deux en B, cot cot, dont un amusant «Hey You» où il bâtit un couplet entier avec ses vieux clichés Sainty : ghost ship, a perfect day, don’t send me roses, I could be stranded et il plonge vers la fin dans le big atmospherix d’it’s all too crazy now. Il termine avec «Stranger». On note une certaine majesté. C’est le mot clé de Chris Bailey.

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             Pour aller vite, on peut se contenter d’une bonne compile de Chris Bailey : Encore, car on y retrouve «Savage Entertainment» (quasi-Dada, il se marre et fait jouer un accordéon), «Just Like Fire Would» (swamp de la rue Sarrazin), «The Prisonner» (Avec Ed), et les vieilles reprises de What We Did On Our Holidays, «In The Midnight Hour» et «Amsterdam». Comme souvent dans ce type de compile, on trouve des inédits et là attention, ce sont des petites bombes, à commencer par une version de «Can’t Help Falling In Love With You», fantastique hommage à Elvis, un véritable objet d’art. On en trouve même un autre : «Suspicious Minds», hommage d’un géant à un autre géant - Oh what can you see/ What you’re doing to me - C’est du mythe à l’état pur, Big Bailey navigue à la même hauteur qu’Elvis, avec des moyens plus modestes. Il tape aussi une version mirifique d’«I Hear You Knocking», c’est le ballsy Bailey qui revient - I hear you knocking/ But you can’t come in !    

             En mémoire de Jean-Jean, brillant émule de Chris Bailey. Repose enfin en paix, mon pauvre vieux.

     

    Signé : Cazengler, Chris Balai

    Saints. (I’m) Stranded. EMI 1977

    Saints. Prehistoric Sounds. Harvest 1978

    Saints. Eternally Yours. Harvest 1978

    Saints. Paralytic Tonight Dublin Tomorrow. New Rose Records 1980

    Saints. The Monkey Puzzle. New Rose Records 1981

    Saints. Out In the Jungle. New Rose Records 1982

    Saints. A Litlle Madness To Be Free. New Rose Records 1984

    Saints. Live In A Mud Hut. New Rose Records 1985

    Saints. All Fools Day. Polydor 1986

    Saints. Prodigal Son. Mushroom 1988

    Saints. Howling. Blue Rose Records 1996

    Saints. Everybody Knows The Monkey. Amsterdamned Records 1998

    Saints. Spit The Blues Out. Last Call Records 2000

    Saints. Nothing Is Straight In My House. Liberation Music 2005

    Saints. Imperious Delirium. Wildflower Records 2006

    Saints. Live At The Pig City Brisbane 2007. Shock 2009

    Saints. King Of The Sun. Highway125 2012

    Saints. 7799 Big Hits On The Underground. Last Call Records 1999

    Chris Bailey. Casablanca. New Rose Records 1983

    Chris Bailey. What We Did On Our Holidays. New Rose Records 1984

    Chris Bailey. Demons. New Rose Records 1990

    Chris Bailey. Savage Entertainment. New Rose Records 1992

    Chris Bailey. 54 Days At Sea. Mushroom 1994

    Chris Bailey & H. Burns. Stranger. Vicious Circle 2011

    Chris Bailey. Encore. Last Call Records 1995

    Duncan Seaman : Wild about you. Vive Le Rock # 89 - 2022

     

    L’avenir du rock

     - John Paul Keith et les autres (Part Two)

     

             Bien malgré lui, l’avenir du rock se retrouve coincé pour le week-end dans une maison de campagne avec des amis de longue date. Il savait bien au fond de lui qu’il valait mieux décliner cette invitation. Mais dans la vie on ne fait pas toujours ce qu’on veut. Comme l’un de ces fameux amis insistait lourdement, prétextant que les autres pourraient lui en vouloir de faire faux bond, il a fini par céder. Alors vous connaissez bien ce type de situation : ça commence en général par l’«apéro dînatoire» du vendredi soir censé établir les fondations d’une convivialité à toute épreuve, puisqu’elle va devoir durer 48 heures. C’est atrocement long 48 heures quand il faut écouter des gens qui n’ont rien à dire et qui bavachent à longueur de temps. Ne parlons pas des grosses épouses réactionnaires ! On boit, on mange, on entend vaguement de la musique sans jamais savoir ce que c’est, un chat amputé du cerveau n’en finit plus de miauler pour réclamer des bouts de viande alors qu’on est à table, ça parle bien sûr de choses vues, oh pas celles de Victor Hugo, non, celles de la télé, ce poison moderne qui ramollit les cervelles au point qu’on les entend faire flic floc dès que ça bouge un peu pour servir le pinard, et puis François coupe le gigot, alors pour alimenter la conversation, Paul demande à Juliette si elle n’a pas un autre couteau, puis chacun ramène son petit grain de sel sociologique, à commencer par Paul qui prend sa meilleure voix de maître à penser du Quartier Latin pour déclarer : «Ceux qui n’ont pas d’argent ils n’ont qu’à s’arranger, ou pour en avoir ou pour s’en passer», ce qui ne plait pas à ce vieux militant d’extrême gauche qu’est Vincent qui lui jette son verre à la figure, alors Paul arrache l’os du gigot des mains de François et frappe Vincent à la volée, faisant gicler des dents jaunies qui vont rouler sur le chêne massif de la table de ferme en faisant cling clong, et l’avenir du rock observe la scène avec une compassion mêlée de dégoût, se répétant à longueur de temps qu’il n’est pas bon de vieillir, que ça rend les gens décidément très cons, et que de toute façon la vie est ainsi faite, et qu’il va falloir trouver un prétexte pour mettre les bouts, quitter cette assemblée pathétique, tout juste bonne à servir de prétexte à l’une des divagations scénaristiques d’un réalisateur des années soixante-dix. Une fois calmés et dessoulés, Vincent, François, Paul et les autres se rabibocheront, mais sans l’avenir du rock qui leur préfère définitivement John Paul Keith et les autres.

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             John Paul Keith ? Pas de problème. Cet excellent Memphis cat fit une première apparition en Normandie en mars 2019. Le voilà de retour pour une deuxième apparition.

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    Il joue en trio, accompagné par un jeune bassman new-yorkais et un jeune beurreman bostonien. Ils jouent la carte du tight triumvirat. Pendant 90 minutes, ils règnent sans partage sur l’empire des sens. Ils sont pro jusqu’au bout des ongles et se payent le luxe de passer par toutes les fourches caudines, celles du rock, de la pop, du jazz, du groove, du heavy groove, de la southern Soul, du Texas swing, du Memphis beat, du jumpy jumpah. Ils jouent tout ça les doigts dans le nez, avec une aisance confondante qui nous laisse comme deux ronds de flan, c’est même parfois trop beau !

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    Énorme boulot pour le public que de se montrer digne d’un tel ramshakle. On appelle ça l’inversement des rôles. Ça se produit de temps en temps : on croit assister au spectacle d’un petit mec tombé là par le hasard des tournicotages et on se retrouve à deux mètres d’un très grand artiste qui en plus ne la ramène pas. C’est peut-être ça qui perturbe le plus la compréhension du Français moyen : zéro frime chez John Paul Keith. Il donne une espèce de leçon de maintien sur scène, il montre comment on peut être virtuose et rester normal dans son comportement, jamais de grimaces, jamais de posture, pas la moindre faute de goût, ce mec est à sa façon un dandy du Memphis beat et en matière de rebondissements mirifiques, il est prolifique.

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    Comprenez qu’avec John Paul Keith on est à l’exact opposé des Clapton et des autres rois du m’as-tu-vu. Il tape en plus dans un répertoire riche et varié, il rend des hommages spectaculaires à des gens aussi divers que Dutronc, Don Bryant et surtout Buddy Holly dont il restitue avec une délectation non feinte le crazy power. Par souci d’identité, les groupes et les artistes s’enferment généralement dans un style musical. John Paul Keith fait exactement le contraire, il va dans tous les styles, mais avec une unité de ton : le son extrêmement incisif d’une Tele pailletée. Ses solos sont tous vivaces et classiques à la fois, il fait honneur aux géants du jump avec des progressions d’accords qu’on croyait réservées aux big bands des années 50, il recrée ces fantastiques climats avec une section rythmique qui joue la carte du minimalisme, et, n’ayons pas peur des grands mots, ça devient littéralement fascinant. Ils se payent même le luxe du big atmospherix par le seul jeu des dynamiques internes.

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             Il tourne en Europe pour la promo de deux nouveaux albums, The Rhythm Of The City et un album live, A World Like That. Live At B-Side. L’album studio est enregistré et mixé par Scott Bomar qui a repris le flambeau du Memphis Sound (Electraphonic) avec Boo Mitchell (Royal Studios). Dans sa passionnante autobio, Howard Grimes rendait hommage à Bomar : «Je ne suis pas en colère après Hi, ni après Stax, but Scott Bomar at Electraphonic est la seule personne qui m’ait payé rubis sur l’ongle. Ça m’a choqué qu’il me paye pour la session de Cyndi Lauper. Il a juste dit que je le méritais. Bosser avec Scott, c’est un peu comme bosser avec Willie Mitchell. Electraphonic is the only place left that feels like the glory days.» On est donc entre gens sérieux. Écouter le dernier album de John Paul Keith c’est exactement la même chose que d’ouvrir le dernier livre de Robert Gordon - Robert Gordon ? Oh he’s a friend of mine, lâche John Paul Keith avec un grand éclat de rire - Il démarre The Rhythm Of The City avec un vieux groove de round midnite in Memphis, «How Can You Walk Away». John Paul Keith chante au petit sucre candy, soutenu par des chœurs de filles fabuleuses et il passe son solo dans l’écho du temps, mais pas n’importe quel écho du temps, mon gars, celui de Memphis, cet écho mythique qui résonne encore dans les disques Sun. «The Sun’s Gonna Shine Again» sonne comme un coup de génie. John Paul Keith s’en va groover sur le côté ensoleillé de la rue (hello Gildas), et comme Jimmy Webb, il est on his way. On a là une pop incroyablement lumineuse, oui John Paul Keith a du génie, il dégouline de facilité, il retombe sur le shine again avec la souplesse d’un chat, logique pour un Memphis cat, c’est une merveille, well I know, il s’explose littéralement dans la clameur d’un summer day in Memphis. S’ensuit le morceau titre, un heavy groove de qualité supérieure, si infiniment supérieure. Même si on connaît ce son par cœur, on sent bien qu’il existe une différence de niveau. C’est un peu comme quand on écoute Lazy Lester ou Ted Taylor, ce n’est jamais tout à fait la même chose. Quand il part en mode rock’n’roll avec «Love Love Love», John Paul Keith se paye le luxe d’un gros virage jazzy. Quand il tape un power-groove («Keep On Keep On»), il s’infiltre dans le drive par tous les trous. Son «I Don’t Wanna Know» est une pop de Southern Soul à la Dan Penn et son «Ain’t Done Loving You Yet» rend à la fois hommage à Big Star et à Buddy Holly. Il en restaure le double éclat, c’est très étrange, il a une façon très personnelle d’exploser la pop. Puis il rend hommage aux géants du jump avec «If I Had Money». Il est rompu à toutes les disciplines, il sonne exactement comme Pee Wee Crayton ou Amos Garrett, il vaut bien tous les cracks du jack, il se veut clean dans le clear, il joue dans les règles du meilleur lard avec du shuffle d’orgue et des coups d’horn claqués derrière les oreilles du beignet, ces mecs jouent avec tes nerfs, méfie-toi, ils sont beaucoup trop bons pour être honnêtes. Et pour boucler cet album qui te cale dans ton fauteuil pour mieux t’emporter la tête, il envoie «How Do I Say No», un heavy mix de real deal, de groove et de tell me tell me save me girl, John Paul Keith est un seigneur des annales du groove, un binoclard de génie comme le fut Buddy avant lui, il a du son, il a Bomar, il a sa stature et il finit en mode Dan Penn.

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             Et voilà A World Like That. Live At B-Side, un bien bel album live qui sert d’écrin à cette absolue merveille qu’est l’«How Can You Walk Away» tiré de The Rhythm Of The City. John Paul Keith y groove le chant de l’intérieur du menton. Il tape le «Something So Wrong» d’ouverture de bal au heavy groove, vite fait bien fait, avec toute la mécanique des relances de la prescience, il chante comme Buddy et c’est extrêmement excitant. Il tire aussi l’excellent «The Sun’s Gonna Shine Again» de The Rhythm Of The City et laisse son groove partir en balade. Ça devient assez magique, comme exposé au soleil de Jimmy Webb. Les cuivres recuisent cette merveille. Ah il faut le voir plonger à la voix de Memphis cat dans le lagon d’argent du Memphis Beat ! Sur «The Rhythm Of The City», il fait pas mal d’étincelles. Les éclats d’accords qui brisent le rythme sont ceux des Beatles. C’est là que John Paul Keith pique sa crise hendrixienne et il pousse le bouchon si loin qu’on le perd de vue. L’autre stand-out track est le final cut «How Did I Say No» qu’il prend en mode big band - What I was supposed to do ? - Il a raison de se poser la question. C’est à ce genre d’éclat qu’on mesure le génie de ce petit mec. Un détail qui vaut son poids d’or du Rhin : John Paul Keith dédie l’album à Howard Grimes : «In loving memory of Howard Grimes. 1941-2022. THE REAL RHYTHM OF THE CITY.»

             Merci à la Nouvelle Machine qui nous aide à enterrer le souvenir de Pandemic.

    Signé : Cazengler, Jean Pauv Kon

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    John Paul Keith. Le Trois Pièces. Rouen (76). Le 2 mai 2022

    John Paul Keith. The Rhythm Of The City. Wild Honey Records 2021

    John Paul Keith. A World Like That. Live At B-Side. Wild Honey Records 2022

     

     

    Inside the goldmine

    - Quand le Kevin est tiré, il faut le boire

           En France, on transforme aisément un Jean en Johnny, mais attention, ce n’est pas forcément le Johnny qu’on croit. Non, ce Johnny-là se réclamait de Johnny Thunders, pas du Johnny national. Il tenait à le préciser pour éviter les incidents diplomatiques. Et comme il était d’un naturel batailleur, il valait mieux les éviter. Johnny commit à l’époque de ses 18 ans une fatale erreur : il s’engagea dans l’armée, persuadé qu’il allait pouvoir partir à Tahiti, mais il fut envoyé dans un camp d’entraînement de parachutistes, quelque part dans le Sud-Ouest. Il voulut bien sûr démissionner mais on le roua de coups ce qui le convainquit de rester dans le rang. Garde à vous ! Six mois plus tard, la cervelle bien lavée, il débarquait au Tchad et participait aux missions de nettoyage des villages qui soi-disant alimentaient la guérilla. L’armée utilisait toujours les anciennes méthodes, celles des guerres d’Algérie et du Vietnam : éradication des populations soupçonnées de soutenir l’ennemi. Alors Johnny obéissait aux ordres. Pour ne pas devenir complètement fou, il écoutait chaque nuit la seule cassette qu’il avait emportée dans son paquetage, celle du premier album des New York Dolls. Lorsqu’il fut démobilisé, il n’était bien sûr plus le même. Il se remit à porter son vieux perfecto et nous découvrîmes qu’il planquait dans sa botte un couteau de combat. Dès qu’il croisait un noir dans la rue, il sortait son arme et nous n’étions pas trop de quatre pour le ceinturer et le ramener au calme. Certaines nuits de beuverie, il cherchait une épaule compatissante pour y pleurer à chaudes larmes. «Quand le vin est tiré, il faut le boire», disait-il, à quoi il ajoutait : «Jusqu’à la lie», pour que la métaphore soit bien compréhensible. Il ne s’est bien sûr jamais remis de cet épisode méprisable et il passa le restant de sa vie à tenter de concilier l’inconciliable, c’est-à-dire le quotidien et ses souvenirs. Il fondit une famille, vit de nombreux psychiatres, reprit du service dans un groupe de rock et finit enfin par perdre la boule pour de bon.

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             Le destin de Kevin Junior n’est pas beaucoup plus joyeux. Luke la main froide nous rappelle dans sa column que cet Américain basé à Chicago rencontra à une époque Nikki Sudden et Epic Soundtracks, qu’Epic et lui devinrent inséparables et qu’il cassa sa pipe en bois relativement tôt, à 47 ans, non pas à cause du Tchad mais de l’hero. La main froide situe donc le petit Kevin comme the final part of the Nikki Sudden-Epic Soundtracks axis of burning talent and horrible early death. Avant d’aller s’installer à Londres pour bosser avec son pote Epic, le petit Kevin avait enregistré deux albums avec son groupe, the Chamber Strings. La main froide se montre élogieux avec ces deux albums - The culmination of his influences (Carole King, Alex Chilton, Brian Wilson, power pop, country, gospel, blue-eyed soul, the Go-Betweens) - et donc, on se fait un devoir de les écouter, car ce sont des influences qui font baver.

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             Le premier date de 1997 et s’appelle Gospel Morning. Big, big, very big album, c’est enregistré à Chicago mais dès «Telegram» on se croit en Angleterre. Le petit Kevin et ses amis proposent une pop brillante, ils sont les rois de l’anglicisme, on se croirait dans la roulotte de Ronnie Lane. Le petit Kevin joue la carte des renversements mélodiques avec «Everyday Is Christmas», bam bam bam, ça regorge d’excellence, les descentes de chant sont superbes, la main froide a raison de s’émouvoir. Le petit Kevin dispose de pouvoirs surnaturels, comme le montre encore «Dead Man’s Poise», il tire son Dead man dans la psychedelia à coups de retours de manivelles et ça devient vite énorme. Globalement, c’est trop anglais pour être honnête, ces mecs louvoient au pied des falaises de marbre, power absolu & pureté mélodique, voilà les deux mamelles du petit Kevin. Il abat «The Race Is On» aux power chords. Quel allant et quelle allure ! Il fait son Nikki avec «All Of Your Life», c’est tellement Nikké que ça casse la baraque. Il passe directement au coup de génie avec «Cold Cold Meltdown», encore très Nikké dans l’esprit, c’est un balladif jacobite bien embarqué aux guitares, avec des échos de Sway dans le son, d’où l’intensité de la Stonesy. Quand on écoute «Thank My Lucky Stars», on pense immédiatement aux pleins pouvoirs. Le petit Kevin se les octroie tous, il a le répondant d’un magicien, il est exactement dans la même veine que Nikki : la romantica dans ce qu’elle peut offrir de plus jouissif. Ses balladifs sont visités par les esprits, tout est traité dans la dignité du big sound. Dans les bonus se trouvent une reprise du «Baby It’s You» des Shirelles repris par les Beatles et Johnny Thunders, puis d’«I Pray For Rain» de Dan Penn dont le petit Kevin est un fan transi.

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             Le deuxième album date de 2001 et s’appelle Months Of Sundays. Le petit Kevin apparaît à la fenêtre, sous un parapluie. Il rend deux hommages pour le moins spectaculaires à Brian Wilson : «The Fool Sings Without Any Song» et «Beautiful You». Il va vite au sucre avec le premier,  il connaît tous les secrets du swagger des Beach Boys. Il est d’un niveau qui se situe au-delà des niveaux. Il tape dans l’exergue d’excelsior. Ce que confirme «Beautiful You». Direction Pet Sounds, il avoisine la pire excellence instrumentale, celle de Pet Sounds. Il tape encore dans une pop de rêve avec «Last Lovers». C’est tout de suite parfait. Il semble plonger dans la pop avec une obsession superbe, sa pop jaillit comme une fontaine, une pop qui rivalise en qualité et en pureté avec celles de Brian Wilson et de Todd Rundgren. Il rôde bien, trop bien. Cette pop est tellement parfaite qu’on dresse l’oreille. Il drive le groove d’«It’s No Wonder» à la Junior pour en faire une merveille absolue, il sait groover à l’infini et se faire orchestrer. Ah qui dira la violence de son excellence ? Il est partout et il est bon, il est plein de son et plein d’esprit. Il attaque la pop de «The Road Below» comme le ferait Nikki, même poids jeté dans la balance, même élégance du gratté de poux. Il taille encore bien sa route avec «Our Dead Friends» - Our passing friends - et termine avec une version acou de «Last Lovers», histoire de montrer un peu mieux à quel point cette chanson est parfaite. Le petit Kevin navigue dans son rêve d’excellence, il faut s’abandonner à lui.

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             Il existe aussi une petite compile parue sur Sunthunder, le petit label espagnol qui hébergea Kuss en fin de parcours. Comme les deux albums des Chamber Strings, Ruins (A Collection Of Rareties B-sides & Outtakes) vaut à la fois le détour et le rapatriement. On y trouve un hommage superbe à Johnny Thunders, «It’s Not Enough», c’est en plein dedans, les guitares croisent au large comme des requins. D’ailleurs l’hommage à Johnny Thunders n’est pas innocent : ils ont un petit côté lookalike. Autre belle cover : «Whiskey In The Jar», clin d’œil à Phil Lynott, avec du solo à la coule de moule. Fantastique énergie. On croise aussi sa reprise du «Baby It’s You» des Shirelles, son «I Pray For Rain» de Dan Penn et on retrouve des cuts qui datent du temps de Chicago, comme «Thank My Lucky Star», «Dead Man’s Poise» gratté au raw to the bone, «Last Lovers» et un «Telegram» bardé de barda, absolument génial, car il tartine de la Soul dans sa pop. Le «Common At Noon» d’ouverture de bal date de l’époque de son premier groupe, The Rosehips. Le petit Kevin y chante au doux du chant sur des glissés de cordes à la Small Faces et des arpèges lumineux. Il prend son «Kevin Junior» par dessus la jambe et son «Ragdoll» qui date aussi des Rosehips est visité par des guitares extraordinaires. Tiens, voilà «Contact High» qui date de l’époque d’un autre groupe, Mystery Girls. C’est du Junior débouling, il arrive dans le chant comme un chien dans un jeu de quilles. Ce mec est une véritable aventure. Il monte sur tous les coups.

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             La main froide recommande aussi l’écoute de l’album posthume d’Epic Soundtracks, Good Things, enregistré chez Epic à West Hampstead en 1996, sur un quatre pistes, avec le petit Kevin - There are still a few copies out there. Seek one and you will never be without - C’est le petit Kevin qui écrit les liners en 2004. Il raconte que le projet est resté shelved, c’est-à-dire dans un placard pendant 8 ans. Il raconte aussi la tournée européenne qu’ils ont faite à deux et puis la mort d’Epic. No hard drugs, broken heart. Un mystère. Puis le petit Kevin se décide enfin à faire profiter le monde des démos enregistrées en 1996, il transfère les bandes sur Pro Tools et c’est ça qu’on entend sur le CD. Epic et lui font sur cet album du pur Nikki Sudden, c’est le petit Kevin qui gratte les notes fantômes d’«I Do Declare» et avec «Dedications», ils passent tous les deux à la wild psychedelia de West Hamspead, le petit Kevin gratte à l’ongle sec des solos qui vont se perdre dans l’air du temps. Avec «I Got To Be Free», ils créent une fabuleuse ambiance, avec des chœurs latents. Puis Epic craque «Maybe You’re Right» à la voix d’introspection tranchante et derrière lui le petit Kevin fournit les chœurs d’artichauts. Comme Fred Neil, Epic fait du lard puissant, il va chercher des valeurs avec «Good Things Come To Those Who Wait», il cherche l’envol. Encore de la pureté à gogo avec «House On The Hill», il retape dans le mille à l’accent tranchant, Epic est assez épique, c’est encore un privilège que d’entrer dans le groove d’Epic, dans cet excellent «A Lot To Learn». Il y développe un groove à la petite perfe de West Hampstead. Il termine avec «You Better Run», une vraie petite pop de better run, une pop anglaise qui ne mène nulle part mais qui a pour particularité d’être infectueuse.

    Signé : Cazengler, Kevin Geignard

    Chamber Strings. Gospel Morning. Bobsled Records 1997

    Chamber Strings. Months Of Sundays. Bobsled Records 2001

    Kevin Junior. Ruins (A Collection Of Rareties B-sides & Outtakes). Sunthunder Records 2009

    Epic Soundtracks. Good Things. DBK Works 2005

    Signé : Cazengler, Kevin Geignard

    Chamber Strings. Gospel Morning. Bobsled Records 1997

     

     

    MARLOW RIDER / ALICIA F !

    QUARTIER GENERAL

    ( Paris / 06 – 05 – 2022 )

     

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    Longtemps que je n’avais mis les pieds à Paris. Beaucoup de monde sur les terrasses des cafés, l’on sent que toute une jeunesse rattrape le temps perdu, cette joie de vivre est la meilleure introduction possible à un concert de rock’n’roll.

     MARLOW RIDER

    Heureusement que l’on était debout sinon c’était tout droit la chaise électrique. D’ailleurs Tony débute le set par Debout. Fred Kolinski est assis lui, royal derrière ses fûts, en grand ordonnateur du désastre, étrangement calme, imperturbable, manie le tonnerre avec flegme, vous déclenche l’apocalypse sans même feindre de s’intéresser à la conséquence de ses coups, sûr de lui, l’onde sonore qui embrase la scène témoigne pour lui.

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    ( Photo : Peter Dumber )

    Pas de panique, les deux autres oiseaux devant lui ont de la répartie. Chemise festive et regard sombre Amine Leroy slappe sans remord. Vous rentre dans la cathédrale sonique érigée par Kolinski comme s’il était chez lui, normalement il devrait être écrasé par l’ampleur de l’architecture, point du tout, Amine s’emploie à la consolider, à l’étayer méthodiquement par des rangées de piliers que ses slaps sèment comme des champignons géants à pousse rapide. Consolide l’armature.

    Elle en a besoin. Tony Marlow a sorti sa Fender blanche. Je dis blanc pour réunir en seul mot toutes les teintes que le balayage luminescent des spots lui prête Ne la ménage pas. C’est sur le troisième morceau, une attaque creaminelle de Sunshine of your love que l’on comprend que ce soir le marlou est dans une forme éblouissante. Va nous tisser toute la soirée des dentelles de pierres qui finissent par s’épanouir en vapeur mauve. Tous les yeux de l’assistance sont fixés sur ses mains. En pure perte d’ailleurs, à peine s’il bouge un doigt par-ci par-là, vous triture des riffs stalactites, vous tombent dessus comme des coups de massues préhistoriques sur des crânes de mammouths, ou alors vous verse dans les oreilles une friture de stalagmites qui s’évadent de vos tympans pour ricocher aux quatre coins de la pièce. La guitare de Tony a décidé d’habiter le monde. Vous y englobe dedans, crée l’atmosphère nécessaire à votre survie, vous emmène sur une autre planète où tout est plus beau, elle colorise vos rêves, élargit et allège vos pensées, vous emporte dans un ailleurs psychédélique. Les échos de la voix veloutée de Tony dansent devant vos yeux, des mots vous traversent comme des vols d’hirondelles venues de mystérieuses et lointaines contrées, elle nous envoûte, notre âme devient un paysage choisi.

    Marlow s’enfuit, à plusieurs reprises il descend de scène et d’une démarche chaloupée disparaît au fond de la salle, même pas besoin de le suivre des yeux, il suffit de les fermer pour voyager et voler dans l’astral des sonorités, quand il revient de ses escapades les riffs sont encore plus acérés, trempés dans l’acier des joies explosives.

    Ce qui est sûr c’est que le trio prend un plaisir fou à jouer. S’installent dans une sorte de démesure créatrice étonnante. Sont au taquet, nous offrent les morceaux du prochain album, les séances sont prévues dès le lendemain, ces nouveaux titres leur brûlent les doigts, sont partis, le set irradie une incroyable puissance, sont habités par une grâce titanesque.

    Z’ont dû jouer une heure et demie, Chris Theps ordonnateur des lieux fait un signe discret, ce sera le dernier morceau, Among the zombies, prémonitoire car lorsque la pluie de soufre et de feu se terminera, il ne nous restera plus qu’à retourner nous enterrer dans la tombe de l’existence quotidienne.

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    ( Cette photo appartient au set d'Alicia, elle est comme les trois ci-dessous de Franck Bonilawski )

    ALICIA F !

    Alicia F ! nous a refait le coup de la fusée d’Einstein, tant que vous êtes dedans tout est parfait, lorsque vous en sortez, vous vous rendez-compte que le monde a vieilli.

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    Au début de l’expérience, vous ne vous en doutez pas, tout semble normal, un groupe de rock comme on les aime, batterie, basse, guitare, le kit maximal de survie en zone urbaine. Fred Kolinski immobile, figé en une attitude papale, prêt à déchaîner la foudre de sa malédiction urbi et orbi sur l’assistance, Tony Marlow a échangé sa tunique contre un T-shirt et s’est muni en guise de trident neptunien de sa Flying V Gibson, arme redoutable pour les petits poissons que nous sommes, quant à Matthieu il arbore outre son T-shirt météorite en grosses lettres noires sur le corps de sa basse la meurtrière inscription, telle une revendication oriflammique originelle, la rune magique prête à ravir le cœur des adorateurs de Gene Vincent, Pistol Packin Mama…

    Elle se glisse à la manière furtive d’un mamba noir sur la scène, si ce n’est le rouge vipérin de ses lèvres, elle paraît inoffensive, profitez de ces quelques secondes de rémission, le temps de jeter un coup d’œil sur la setlist et de s’emparer du micro.

    Décollage immédiat. Le triangle bermudien qui l’entoure, les trois boosters de poudre noire, lancent tout de go l’impulsion sonique, mais l’ogive nucléaire c’est la voix d’Alicia.  Tout est donné d’emblée, l’attitude, le chant, l’accompagnement, cette extraordinaire coalescence du signifié et du signifiant, n’en déplaise aux grammairiens académiques, est au fondement du mystère du rock ‘n’roll. Ou vous y atteignez, ou vous restez définitivement hors-champ. Pas de juste milieu, le signe et le sens ne doivent former qu’un à la manière dont le poing et la frappe, le geste et l’intention, s’amalgament pour activer un uppercut.

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    Blitzkrieg Bop pour ramoner les consciences. Avertissement sans frais le set sera bop et point pop. Mais déjà nos yeux ne quittent plus Alicia. Elle n’occupe que l’espace de son corps. La main sur la pliure intime du pantalon de cuir, négligente et souveraine désignation du lieu métaphysique du rock ‘n’ roll, Alicia bouge selon l’immobilité rayonnante circonscriptionnelle de son corps, jamais un pas en-dehors de son aura de chair. Ramassée en elle-même, insaisissable, elle saute sur-elle-même, tressaute et sautille, la reine ne danse avec personne d’autre qu’elle-même. Auto-suffisante. S’adresse à nous par l’entremise de ses gestes vindicatifs, ses Hey oh !  Let’s go ! sont autant des appels que des mises en garde. Désirs et menaces. Alicia impose sa règle. Et ses règles, Montly Visitors, morceau saignant et bannière sanglante de sa féminité revendiquée, le rock appartient aux filles. Dans le dernier tiers du set, elle reprendra Cherry Bomb de Joan Jett, la garce qui aimait le rock’n’roll. Sur I wanna be your dog, elle sera louve lascive, allongée à terre, les jambes secouées de frissons-pâmoisons, la main tel un croc inquisiteur sur l’entrejambe de Tony, couchée à ses pieds, quémandeuse, exigeante, maîtresse de cérémonie.

    Les boys ne chôment pas. Assurent un accompagnement métronimique, les titres s’enchaînent, racés jusqu’à l’os, en offrent une épure quasi-idéelle, qui frôle la perfection, verbiage inutile, tout et tout de suite, pas d’oiseuses discutailleries, Matthieu allonge des notes noires, brèves et incisives, vous font une boutonnière au cœur chaque fois qu’elles vous percutent, Fred y va d’une percussion serrée, filigranique pourrait-on dire, une véritable machine à coudre, cogne des pointillés pour suivre le vocal d’Alicia qui ne laisse aucun répit, les mots se suivent, comme une file d’ours noirs sur la banquise mazoutée, surviennent en langue de serpent, à peine sortie que déjà rentrée dans l’oubli du gosier, l’auditeur attentif à la prochaine piqûre venimeuse d’un nouveau vocable knock outé, le Marlou se débrouille pour fourrer des soli étincelles, entre deux syllabes, économie de moyens et maximum de rendement auditif.  

    Une reprise pyramidale de Paranoid, car le rock côtoie la folie, I’m eigtheen – Alicia rencontre Alice au temps du lapin pressé de sa jeunesse – des originaux, un Kill ! Kill ! Kill ! assassin ou Skydog Forever en hommage vibrant à Marc Zermati.

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    Svelte et menue, Alicia, elle a tout compris, la simplicité et la subtilité, les racines et l’outrance, une enfant montée en graine de violence, une adolescente à la poursuite de ses rêves, une grande dame du rock ‘n’roll qui nous est née, et que nous attendions depuis longtemps.

    Damie Chad.

     

      

    WELCOME IN MY F… WORLD !

    ALICIA F !

    ( Damnation Records )

     

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    Alicia Fiorucci : lead vocals / Tony Marlow : guitar + Backing vocals / Fredo Lherm : bass + Backing vocals / Fred Kolinski : drums, percussions + Backing vocals

    Hey you ! : pas pour rien le poing d’exclamation, un, deux, trois, c’est parti, Alicia pose les limites, joyeusement en fille qui n’entend pas que l’on étende la marmelade sur ses tartines à sa place, elle y va gaiement, Kolinski se fait un plaisir de métamorphoser sa batterie en hachoir mécanique, et le morceau déboule à la vitesse d’un boulet de canon. Marlow se paye un court solo en fil de fer de barbelé, et vous n’avez pas fini d’apprécier que c’est déjà terminé. Beau bonbon acidulé, entre sucre et piment de Cayenne. Cherry bomb : deuxième affirmation féministe empruntée à Joan Jett, plus musclée que la première qui n’était pas spécialement un modèle de coolitude, ici nous avons droit à la perfidie hargneuse, ah ! ces tse ! tse ! tse ! de la langue aussi dangereux que le cliquètement d’une queue de crotale, Alicia chante avec le plaisir de celui qui pousse un rocher pour qu’il écrase son ennemi au bas de la falaise, pas sadique, sadien. Sachez entrevoir la différence. Freedom’s running : une chasse à courre, le renard s’appelle liberté, là n’est pas le problème,  au lieu d’alerter la SPA profitez de la galopade, Alicia en tête, vous conduit le vocal comme un traineau tiré par deux cents malamutes, et les boys n'y vont pas avec le dos de l’instrument, jouent comme si leur vie en dépendait, remarquez comment Fredo fronce les sourcils de la basse, l’occasionne ainsi de sacrées bousculades, le Marlou a chaussé sa guitare de sept lieues, et le Kolinski descend la pente sur ses skis, Alicia termine en tête. Même pas essoufflée. Du grand art.  N’empêche que ses trois premiers titres sont des empêcheurs de tourner le disque en rond. A peine en avez-vous écouté un qu’il vous faut retourner en arrière pour le réécouter. City of broken dreams : un peu de douceur dans ce monde de brutes, rien que le titre donne envie de pleurer, Alicia se sert de sa voix comme d’un archet qu’elle passe sur les fibres émotionnelles de votre coeur, de la guitare de Marlow tombent des larmes et les deux Fred se retiennent pour ne pas exploser. Une façon très américaine de poser la voix sur le refrain. Monthly visitors : c’est reparti pour une partie de quilles tirées au canon, Anita hisse sans pudeur et sans honte le drapeau rouge de sa féminité, femme jusqu’à son rouge à lèvres, Marlow en profite pour un solo écorché qui saigne, c’est tellement bon que l’on regrette que ces fameux visiteurs ne passent pas toutes les semaines. Speedrock ! : tiens une tonalité country, attention les cats, presque du rockatbilly, normal c’est un morceau à la gloire de Speedrock son chat qu’Alicia a recueilli tout petit et affamé aux abords d’un concert (de rock, est-il besoin de préciser), chant félin, et les boys lui concoctent un arrangement aussi glissant et ondoyant que les tuiles d’un toit sous un ciel pluvieux. Promenade idéale pour les matous. Because I’m your ennemy : Alicia sort ses griffes. Elle a raison, mais à la manière dont elle mord les mots l’on comprend qu’elle cherche la bagarre, d’ailleurs derrière les boys pressent d’un peu trop près l’assistance, l’est descendue dans la rue avec son gang et ça cagnarde sec, l’écoute de ce morceau est fortement déconseillée aux enfants pourraient avoir envie de devenir des blousons noirs une fois grands, surtout que la voix insidieuse d’Alicia et les bousculades tomiques de Kolinski sont très impressionantes. Silver fox : jusqu’à présent Alicia donnaient l’impression d’être contre tous, la voici tout contre un seul, un conseil n’y touchez pas, il pourrait vous en cuire parce que ce titre déménage sec, met autant de force à vouloir ce qu’elle veut qu’à ne pas vouloir ce qu’elle ne veut pas. Kill, kill, kill : un peu de politique n’a jamais fait de mal à personne, cette vision éruptive de notre monde se termine toutefois par un mot d’ordre sans appel, ne vous étonnez pas que ce morceau soit rentre-dedans, sur une rythmique bulldozer. Les killers ne sont pas toujours où l’on croit. Une conviction dans le chant qui emporte tour. Aileen : une balade en l’honneur d’Aileen ( Wuormos ), tueuse en série, une vie cabossée, dérangeante, prostituée, exécutée en 2002, dans l’esprit de certains morceaux de Bob Dylan, parce que parfois le rock sait être intelligent. Et courageuse. Gimme a break : profitons de ce titre pour souligner l’importance de l’utilisation des backing vocals dans ce disque. Ici Alicia s’amuse : une voix davantage de gorge sur certains passages afin de mieux faire remarquer la clarté de ses montées vers des aigus modérés. Un bon rock des familles disruptives, une véritable piste d’envol pour les musiciens qui bourrent très dur le mou. Skydog forever : une autre ballade, hommagiale adressée au maître de Skydog, Marc Zermati, une présence chère pour Alicia, sur la fin du morceau l’on entend la voix tutélaire du rock et du punk national et international. Osmose parfaite entre les jeux de voix et le tapis volant de soie pure que tissent les boys.

             Le premier album d’Alicia F est une petite merveille. Qui fera date. Une balade entre punk et country, mais quel que soit le genre abordé, toujours très rock ‘n’ roll.  Si Tony a composé les musiques, Alicia a écrit les lyrics, pas étonnant que le disque lui ressemble tant. Alicia trimballe et expose ses propres mythologies, c’est sans doute cela qui fait que cet album tranche par son authenticité comparé aux parutions du moment.  Alicia F, une foutue sensibilité rock ‘n’ roll !

    Damie Chad.

    P. S. : si vous avez lu la chronique il aurait été plus malin de commencer par ce post-scriptum qui reprend le très court de texte de présentation qu’elle a écrit : ‘’ Ca cause de pisse , de merde, de crevards, de sang de règles, d’une tueuse en série. Mais aussi de liberté, de l’amour à mon "Cat ", de monsieur Skydog et d’un chat mignon. En passant par les incontournables sentiments propres à la comédie humaine comme la jalousie, l'hypocrisie, la "faux cusserie. Welcome To My F... World" un album riche en émotions! " .

    C’est comme la couve, elle se passe de commentaire.

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    *

    Kreationist est un one man band, l’artiste qui le compose – notez la double polysémie de ce verbe - se présente sous le nom de Vidi. N’est pas seul sur les deux disques que nous chroniquons. L’a fait appel à un couple de jumeaux stellaires et tutélaires. Rimbaud et Verlaine, les Castor et Pollux de la grande lyrique françoise, indissociablement associés dans leur mort.

    Attention nous sommes ici dans les franges du metal, dans une de ces marches vers l’extrême qui semblent se fuir elles-mêmes pour mieux se retrouver dans le point d’ancrage de leur propre perte.

    INDULGENCE

    KREATIONIST

    ( Artic Ritual Records / 13 décembre 2019 )

    La couve pose problème. Certes l’identification du personnage est facile : Arthur Rimbaud, une de ses représentations les plus célèbres. Extraite de la toile de Fantin-Latour intitulée Coin de table parfois surnommée ( à tort ) Le dîner des vilains bonhommes. Sur les sept hommes représentés sur le tableau la gloire littéraire ne s’est attachée qu’aux deux premiers, le jeune Arthur ( le seul qui soit opportunément situé au coin de la table ) et son ami-amant Paul Verlaine. L’iconographie n’est guère mystérieuse. Le titre de l’album davantage. Disons que la notion d’indulgence semble de prime abord mal-appropriée pour évoquer de près ou de loin la personnalité de Rimbaud. Sans doute est-il emprunté à un article de Verlaine ( Arthur Rimbaud / Chronique ) dans lequel il récuse les accusations d’indulgence dont il aurait fait preuve envers Rimbaud dans un précédent papier, comme si ce Rimbaud qui a écrit des vers si extraordinaires avait besoin d’indulgence !

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    Les amis : le morceau finit comme il commence, des coups de batterie, ces coups de bâton qui ouvrent les pièces de théâtre et qui ici aussi indiquent la closure. Lever et baisser de rideau d’une fantasmagorie rimbaldienne. Ensuite la musique déroule ses anneaux tel l’anaconda originel des mythologies amazoniennes dont les violents coloriages des tatouages de la peau sont censés représenter le spectacle du monde, la voix de Vidi n’est pas divine, elle se fond dans la pâte sonore, les trois strophes du poème sont dites mais point énoncées, quel secret murmure-t-il entre les strophes, l’on ne perçoit bien que les phonèmes ‘’sa-ge’’ comme s’il s’agissait de détenir sans le divulguer le secret de toute sagesse poétique. Ce poème fait partie de l’ensemble de ces vers de Rimbaud écrits en l’année 1872, soit après Le Bateau Ivre qui date de 1871, faut-il les entendre après ses premières poésies comme une nouvelle tentative poétique de Rimbaud pour fixer tous les vertiges de ses sensations par le vers qu’il ne poursuivra pas et qu’il abandonnera au profit de la prose d’Une Saison en Enfer et des Illuminations… Faut-il expliquer le silence ultérieur de Rimbaud par justement ce constat qu’il fit de ne pas réussir à forger un vers à sa démesure et qu’il ait perçu l’adoption de la prose comme un échec encore plus mortifiant. Tête de faune : ces trois quatrains, un thème rebattu de la poésie française, n’ont rien de poétiquement révolutionnaire, à première vue, car sous la tête du satyre se cache la figure de Verlaine, cette apparition faunesque Vidi l’entrevoit selon une orchestration similaire au premier morceau, mais il est des notes qui klaxonnent et qui percent les tympans comme de joyeuses sonneries de cor enjouées, la voix légèrement moins basse, davantage audible même si dans le blanc qui sépare les strophes elle revient noyée sous un désordre orchestral, qui se déploie de plus en plus pour terminer en une espèce d’exultation finale. Pièce heureuse, l’on sent l’exaltation quasi érotique de l’adolescent Rimbaud. Vidi ne dit pas, il profère. L’esprit : fait partie de cette même et deuxième tentative poétique que Les amis. Cette fois c’est le vocal accentué et presque crié qui conduit la musique. Un chant de désespoir, Rimbaud clame l’inanité de ses anciennes visions de ces folies déréglées, n’en est pas moins brûlé de l’intérieur par une soif d’absolu qu’il lui est impossible d’étancher. Les mêmes coups violents de batterie que dans Les amis terminent le morceau. Jouent le même rôle que les coups du destin beethovenien dans la cinquième symphonie. Exultation romantique fracassée. La première soirée ( Part 1 ) : double changement d’atmosphère, tam-tam-bourinade quasi africaine, agrémentée d’un groove électrique induisant l’intrusion par rapport aux trois premiers poèmes d’une modernité musicale actuelle peu révolutionnaire, pour le texte on ne dira jamais assez combien le jeune Rimbaud est redevable aux odelettes de Théodore de Banville, l’on peut dire que le génie de Rimbaud a consisté à essayer de donner un sens métaphysique à la gratuité, donc insatisfaisante, du concept funambulesque mis en œuvre par cet ‘’aîné’’ prestigieux pour le jeune lycéen. Qu’est-ce que cette première soirée que le récit d’une idylle érotique entre une jeune demoiselle qui n’a pas peur du loup et un adolescent tout fier de jeter sa gourme… afin d’enlever à ce texte tout ce qui tient de l’exercice imitatif de style, Vidi mélodramatise le vocal, lui confère une dimension burlesque correspondant assez bien aux vantardises d’un jeune mâle qui de fait doit son triomphe davantage au bon vouloir de la jeune femelle qu’au rut présupposé sauvage de notre jouvenceau. Ne pas oublier que malgré   ses proclamations victorieuses Rimbaud est un maître de l’auto-dérision. La première soirée ( Part 2 ) : cette deuxième partie n’est que la suite du poème dont la première partie n’était consacrée qu’aux quatre premières strophes, voici donc les quatre dernières,  suite acoustique qui prend non plus le pied de la belle mais le contre-pied de la première interprétation, le même thème mais ici la bravache du garçon prend le dessus, presque un Casanova désargenté, mais la musique acquiert une densité lyrique bien plus forte, les arbres qui se penchent malinement à la fenêtre, tout près, tout près, semble ne plus faire qu’un avec l’action copulatoire, comme si l’acte sexuel du Don Juan en herbe mettait en branle une osmose souveraine avec la nature et l’univers, mais après l’instant extatique de la décharge, la simple et sempiternelle œuvre de chair accomplie l’acoustique revient, tel le sifflotement victorieux de l’amant satisfait.  Le faim : retour aux poèmes de 1872, il existe une autre version de Faim intitulée Fêtes de la Faim dans laquelle Rimbaud s’essaie à une version qui tend à rapprocher le poème d’une chanson notamment par l’introduction des onomatopées dim ! dim : dim ! dim ! qui ne sont pas sans évoquer les cloches des églises - ne pas y voir une critique de prélats dodus mais plutôt la recherche d’une écriture illuminante empruntant sa puissance à la naïveté brutale des arts populaires, si je fais allusion à cette version c’est que dans l’introduction musicale du morceau le lecteur ne manquera d’entendre dans la noirceur instrumentale s’élever le clairon dim-dimesque de ces trilles sonnantes, que l’on peut rapprocher de leitmotivs wagnériens du pauvre, repris par la suite en sous-main au piano,  une manière pour Vidi d’exposer  au travers de l’infatuation lyrique le déchaînement de cette soif d’absolu qui le dévore. Et dont la faim le tenaille. Faute de poésie céleste, mange de la terre.

    Quatre poèmes suffisent à Vidi pour silhouetter une image intérieure de la démarche de Rimbaud. L’œuvre est à écouter dans sa continuité. Elle risque de désorienter les auditeurs français nourris aux interprétations des poèmes de Rimbaud et Verlaine qui prennent un sacré coup de vieux. Nous excluons toutefois la version d’Une saison en Enfer du même Ferré mais s’accompagnant en solitaire au piano.

     

    DANS L’INTERMINABLE

    KREATIONIST

    ( I, Voidhanger Records / Novembre 2021 ) 

    Après Rimbaud, Verlaine ! Mme principe pour la couve, un tableau emprunté à un peintre du dix-neuvième siècle. Verlaine n’y figure pas. La toile offre cependant un contraste parfait avec L’Indulgence. Les fresques allégoriques de Puvis de Chavanne ne sont guère en odeur de sainteté artistique de nos jours. Elles empruntent trop, pour nos goûts de modernes chasseurs tohu-bohuques à un discours symbolique trop explicite. Intitulée Le rêve, le tableau nous montre en même temps un dormeur et son rêve. Notre modernité aurait effacé le dormeur et nous aurait dessiné les éclats  d’un cauchemar labyrinthique peuplé de monstruosités freudiennes… Or Puvis de Chavannes le représente sous le blanc virginal de leur céleste apparence trois jeunes femmes apportant au bienheureux endormi les symboles de l’amour, de la gloire et de la richesse. Quelle fadeur !

    Encore faut-il apercevoir sous la grâce diaphane de cette triple apparition, la mise en abyme de la scène mythologique de Pâris sommé d’élire la plus belle de trois déesses, lorsque l’on se souvient des dix années de guerre de Troie engendrées par le choix de Pâris, l’on comprend la fadeur mortuaire des teintes qui représentent le Rêveur couché à même le sol.

    Le titre de l’album est propice à la rêverie. Nous y reviendrons. C’est quoi qui est interminable, la vie, la mort, le rêve, la poésie, cochez la case qui vous convient le mieux.

    jordan,saunts,marlow rider,alicia f !,kreationist,kevin junior + chamber strings

    Mandoline : le titre est prometteur en plus extrait des Fêtes galantes, les premières notes nous détrompent vite, certes le rythme est relativement   tourbillonnant mais comme brouillé, ouaté, séparé de nous, un piano trop nostalgique l’interrompt de temps en temps, mais la musique ne s’arrête pas et tourne infiniment, Vidi chante à mi-voix, il susurre, il expire, l’on ne tarde pas à comprendre tout cela est du passé depuis longtemps, Vidi nous en rapproche autant qu’il nous en éloigne, des échos d’un temps oublié qui ne saurait s’effacer ni perdurer non plus, ombres bleues de la mort figées dans le temps. Il pleure dans mon cœur : intro emphatique, précipitations, ce doux murmure de la plus douce des Romances sans paroles, Vidi la dit avec rage, un piano se pose sur sa souffrance, comme des éclats de mitraillette, la rancœur prend le dessus, la haine affleure sous les mots, maintenant presque une musique de film qui ronronne, tout cela importe-t-il vraiment. Kreationist nous mouline Verlaine au nihilisme. Colloque sentimental : ( + Flika ) retour aux Fêtes Galantes, la même rage qu’au précédent, cette fois-ci pas de tergiversation pas, nous sommes au royaume de la mort, deux ombres parlent, un dialogue qui sonne faux, Flicka a l’air d’une débutante qui passe une audition pour un rôle mineur dans un théâtre de province de douzième catégorie, à la douceur de Verlaine Vidi a substitué sa violence, le temps emporte et décharne toutes les illusions de l’élan vital. Walcourt : rythmique binaire, musique forte et presque joyeuse si ce n’est ce leitmotiv en catimini qui n’a l’air de rien, et ce paysage charmant décrit avec ce doublement psalmodié de nombreux mots, Vidi chante comme on dégueule, comme on gerbe, un piano ouvert sur l’apparente beauté du monde, exaltation rythmique épanouissante, trop beau pour être gai, la musique s’arc-boute sur elle-même et s’arrête brusquement. Nous ne faisions que passer. Interlude : titre verlainien en diable, de la musique avant toute chose, morceau musical, reprend l’atmosphère des titres précédents, Vidi veut-il nous laisser retrouver souffle, pas très longtemps en tout cas. Extase langoureuse : encore une de ces Romances sans paroles qui disent toute la tristesse du monde, ce qui est passé depuis moins d’une seconde est définitivement perdu, la musique fonce en avant comme si elle voulait rattraper le bonheur en allé, ce vide qui nous constitue. Le morceau le plus rock du disque. La bonne chanson ( XI ) : même vitesse, même empressement, ce n’est plus le passé qui n’est plus, c’est le futur qui n’est pas encore, n’est-ce pas la même chose, la même absence, des ondées d’inquiétude parfument le background musical, le vocal essaie de forer le mur du temps qui nous enserre. Soleil couchant :   encore un extrait de Romance sans paroles, débute par un long prélude pianistique, doucement la musique prend de l’ampleur, à croire que c’est un poème sans mots, d’ailleurs qu’attendre de beau et de bon d’un poème saturnien, est-il vraiment utile d’en chanter les paroles, tout soleil couchant n’est-il pas comme une prémonition de notre déclin, la musique se fait douce, de l’ouate, un pansement pour nous consoler, et puis cette évocation encolérée au soleil. Couché. Dans l’Interminable : ainsi écourté le titre prend une dimension métaphysique, si vous rajoutez le vers suivant Ennui de la plaine, cette romance sans parole semble toucher terre. Hélas une terre vide. Est-ce pour cela que la musique semble prise d’une frénésie d’urgence, d’une pamoison d’espoir infini, hélas si brutalement achevée !

             Pour cet opus consacré à Verlaine, Kreationist n’a choisi que des textes provenant de ces quatre premiers recueils, ce qui est obligatoirement réducteur quant à la totale préhension de son cheminement poétique. Vidi nous offre toutefois une lecture toute personnelle des premiers textes de Verlaine embués d’une sourde nostalgie qu’il a magnifiquement transcrit par son metal doom atmospheric empruntant à bien d’autres styles musicaux tout en gardant une grande unité de ton.

    Ma préférence se porte toutefois sur L’Indulgence de Rimbaud, ce personnage arborant une bien plus grande dimension êtrale.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 553 : KR'TNT 553 : DAVID A. LESS / DOWNLINERS SECT / FLEET FOXES / SEWERGROOVES / DEOS / ERIC CALASSOU / POGO CAR CRASH CONTROL

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 553

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    05 / 05 / 2022

     

    DAVID A. LESS / DOWNLINERS SECT

    FLEET FOXES / SEWERGROOVES

    DEOS / ERIC CALASSOU

    POGO CAR CRASH CONTROL

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 553

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

    Less is more

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             Tiens, c’est bizarre, personne n’a parlé de Memphis Mayhem: A Story Of The Music That Shook Up The World, le petit book de David A. Less. Ni Record Coll, ni Shindig!, ni Uncut, ni Vive Le Rock, ni Mojo. Personne ! C’est en écoutant l’album live d’Alex Chilton accompagné par Hi Rythm (On The Loose) qu’on a découvert son existence. What ? A Memphis Mayhem ? Rapatriement d’urgence. Pinpon pinpon les pompiers !

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             On attend un Stanley Booth ou un Robert Gordon. C’est un petit gros qui radine sa fraise. Oh il a une bonne bouille, pas de problème. Sur l’illusse, on le voit serrer la pogne de Ben Cauley. Comme ses collègues Booth et Gordon, Less se passionne pour Memphis et va trouver les gens pour les interviewer. Le seul problème, c’est que tu n’apprendras rien de plus que ce que tu sais déjà : Ben Cauley raconte comment il est le seul survivant des Bar-Kays après que l’avion d’Otis soit tombé dans le lac Monona, Howard Grimes raconte qu’il voit arriver Al Green chez lui avec une valise pleine de billets par un soir de tempête, l’exécution du Dr King au Lorraine Motel, Stax, Chips, Uncle Sam, Dan Penn, Willie Mitchell, Dickinson, ils sont tous là, il n’en manque pas un seul. Qui peut le moins peut le plus, Less is more. Comme il sait que tout a été épluché en long en large et en travers, il a opté pour un autre angle. Il s’est posé la question de savoir ce qui pouvait bien faire la spécificité du Memphis Beat, en dehors des artistes. Son petit book est le résultat de sa cogitation.  

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             Pour lui, le Memphis Beat est le résultat d’une équation qui mixte des professeurs d’école, des églises, une radio, un disquaire, quelques clubs et deux ou trois studios d’enregistrement. La mythologie de Memphis ne s’arrête pas à Elvis, Jerry Lee, Big Star, Isaac Hayes, Ann Peebles et Al Green. Elle prend racine dans le jazz et le gospel et prend forme grâce à Sun, Stax, Hi, American, Ardent, Red Hot & Blue, Poplar Tunes, Club Handy et The Plantation Inn. Une conjonction magique qu’on retrouve aussi bien sûr dans l’histoire de Londres, de Detroit, de la Nouvelle Orleans, de New York et bien sûr de Los Angeles, dont on a longuement parlé la semaine dernière. Et comme tous ces endroits, Memphis a sa spécificité et c’est d’elle dont nous parle l’ami Less.

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             Less situe en partie les racines du Memphis beat dans les quartiers noirs et bien sûr les écoles noires. Dans l’entre-deux guerres, la ségrégation règne à Memphis, on ne mélange pas les torchons avec les serviettes. Ça convient très bien aux Blacks qui n’ont pas à fréquenter les petits blancs dégénérés. Ils jouent de la musique entre eux. Lee pense que les Bar-Kays représentent la fin de cette tradition d’orchestres noirs des quartiers noirs, souvent en concurrence sur des bases non pas de jalousie haineuse comme chez les blancs, mais d’excellence artistique. Less cite l’exemple de la rivalité qui existe entre Dub Jenkins & His Playmates et The Chickasaw Syncopators qui représentent deux écoles noires, Manassas et Booker T. Washington (attention, rien à voir avec le Booker T. des MGs). Tout vient de là, de ces deux écoles. ET des professeurs de musique, qui y jouent le rôle qu’ont joué les fameux professeurs de piano dans les quartier pauvres de la Nouvelle Orleans. Ce sont les mêmes vieux crabes qui repèrent des talents et qui forment les gosses pour qu’ils deviennent des pros. Lee rencontre le vieux Dub Jenkins, un saxophoniste vétéran de toutes les guerres. Ne perdons pas de vue que les gens de cette génération viennent du jazz. OU du gospel. Une fois formés, les jeunes blacks vont faire carrière à New York, qui est alors, dans les années 40, la capitale mondiale du jazz. Less cite l’exemple de Jimmie Lunceford. L’un des personnages clés de la scène de Memphis, Floyd Newman, a fait ses études à Booker T. Washington. Newman donnera ensuite sa chance à Isaac Hayes. Andrew Love qui va faire partie des mythiques Memphis Horns vient lui aussi de Booker T. Washington. Less nous rappelle au passage qu’Andrew Love joue sur 83 disques d’or. Ça veut dire ce que ça veut dire. Les Memphis Horns jouaient pour tout le monde à Memphis, pour Stax, bien sûr, mais aussi pour Chips chez American et Willie Mitchell chez Hi.

             Less est allé jusqu’à retrouver les noms des fameux professeurs, le plus important étant selon lui Professor McDaniel à Manassas, auquel succédera Matt Garett. Parmi les élèves les plus illustres sortis des pattes de ces professeurs, Less cite Booker T. Jones, Maurice White qu’on va retrouver dans Earth Wind & Fire et bien sûr l’immense Isaac Hayes.

             Après les écoles, Less attaque les clubs et nous raconte que des gamins blancs comme Mose Allison ou Steve Cropper traînaient dans les parages du Club Handy sur Beale Street. Ils écoutaient la musique de l’extérieur, car bien sûr, ils n’avaient pas le droit d’entrer.

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             Côté blanc, il se passe en gros la même chose que dans les quartiers noirs. Cropper, Duck Dunn et Don Nix font connaissance à Sherwood Elementary, où ils sont scolarisés. Ils commencent à jouer ensemble en 1955, l’année où Uncle Sam vend le contrat d’Elvis à RCA. Les trois blanc-becs vont former les Mar-Keys avec un autre gosse qui se débrouille bien avec sa guitare, Charlie Freeman, qu’on va retrouver plus tard dans les Dixie Flyers. Un jour, un autre gamin vient trouver Cropper pour lui dire qu’il aimerait bien jouer dans son groupe. Cropper lui répond qu’il ne cherche personne en particulier. Cropper lui demande toutefois de quel instrument il joue. L’autre dit qu’il joue du saxophone. Alors Cropper lui dit qu’il n’a pas besoin d’un joueur de sax. Il lui demande toutefois depuis combien de temps il en joue. L’autre répond trois mois. Et il ajoute aussi sec que son oncle et sa mère ont un studio d’enregistrement. Cropper tend l’oreille. Hein ? Quoi ? Le joueur de sax s’appelle Packy Axton, le fils de Miz Axton. Comme le studio intéresse Cropper, il engage aussitôt Packy. Bon prince, et même assez débonnaire, Cropper ajoute : «But man, he turned out to be one of the best saxophone players for soul and feel.»

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             Cropper revient aussi sur l’histoire de «Last Night», le premier hit des Mar-Kays qu’on attribue à Chips. Selon lui, c’est l’organiste Jerry Lee Smoochy Smith qui a amené le riff en studio. Less ajoute que le crédit comprend cinq noms : Packy, Chips, Smoochy et deux vétérans du Plantation Inn, Floyd Newman et Gilbert Caples. «Last Night» sera le premier hit de Stax et le mètre-étalon, avec «Green Onions», du Memphis Beat.

             Un Memphis Beat que Less tente d’expliquer, au plan technique. Certains musiciens jouent on top of the beat, c’est-à-dire sur le beat. D’autres jouent un peu en retard, later on the beat. Charlie Watts avait remarqué que les Stones jouaient légèrement later on the beat. La zone de confort pour les musiciens s’appelle the pocket. Selon Less, les musiciens noirs de Memphis trouvent leur pocket later on the beat. Less cite d’autres exemples, notamment «Twist & Shout», que les Beatles jouent on the beat et les Isley Brothers further back and relaxed. Avec «Walking The Dog», les Stones sont behind the beat. Selon Less, la version de Rufus Thomas est la parfaite illustration du Memphis Beat. Les MGs le jouent encore plus behind the beat que n’osaient le faire les Stones. On dit qu’Al Jackson rattrapait miraculeusement les cuts qui menaçaient de s’écrouler dans le chaos, notamment l’«In The Midnight Hour» de Wilson Pickett. Less cite encore l’exemple d’Abbey Road, l’album des Beatles que les MGs ont repris. Ils jouent «Come Together» laid back in the beat alors que les Beatles le jouent on top of the beat. C’est une notion qui a l’air cucul comme ça, mais qui est essentielle. Ça se joue au centième de seconde, seuls les musiciens sentent la différence. Tu es dessus ou tu n’es pas dessus. Si tu apprends à jouer un riff de Soul sur une basse avec un pro, il va t’écouter le jouer pendant une heure. Il fera non de la tête jusqu’au moment où tu sauras le jouer correctement. Et à ce moment-là, tu comprendras ce que veut dire savoir jouer un riff de basse just behind the beat. Il faut te le figurer et là tu sauras le jouer.

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             Less évoque les musiciens de jazz, mais aussi les vieux bluesmen noirs comme Gus Cannon. C’est Dickinson qui raconte l’histoire de Gus à Less. Gus bosse comme jardinier pour un patron blanc. Quand Gus dit qu’il a dans le passé enregistré des disques pour RCA, le patron blanc lui répond : «Yeah Gus, sure. Cut the grass.» Dickinson avoue avoir vu chez Gus, encadré au mur, un certificat BMI pour «Walk Right In» vendu à un million d’exemplaires. Less ne parle pas beaucoup de Dickinson dans son book, c’est dommage. On est surtout là pour ça. Mais on grapille quand même des petites infos, notamment le fait que Dickinson entretenait une relation cordiale avec Lenny Waronker, le président de Warner Bros. On apprend aussi que le nom de Mud Boy & The Neutrons est une fantaisie inventée par Ry Cooder dans le cours d’une conversation, et l’entendant, Dickinson lui demande s’il peut l’utiliser. La statuette qu’on voit sur le premier album de Mud Boy est une œuvre de John McIntire réalisée avec de l’argile extraite du fleuve Mississippi. Less nous dit ce qu’on sait déjà de Mud Boy, que l’album est sorti en France sur New Rose (merci New Rose) et que le groupe s’est arrêté avec la mort violente de Lee Baker.

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             Avec les écoles noires, l’autre racine du Memphis Beat c’est bien sûr l’église et le gospel. Less évoque des grands bluesmen devenus révérends, comme Robert Wilkins ou encore Gary Davis. Et bien sûr Al Green qui ouvre à Memphis son fameux Full Gospel Tabernacle Church. Less remonte jusqu’à la formation du COGIC (Church Of God In Christ) en 1907 et indique que Sister Rosetta Tharpe en fit partie. Less la cite car elle est née à Cotton Plant, à 100 bornes de Memphis et à 19 ans, elle épouse le pasteur Thomas Tharpe. C’est elle qui révolutionne le son du gospel avec sa guitare électrique et sa disto. C’est elle qui ramène le gospel dans les salles de spectacles et qui impressionne Elvis, Little Richard, Jerry Lee et Cash.

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             Quand Less interviewe Jack Clement qui comme chacun sait bossa pas mal pour Uncle Sam, il lui pose une drôle de question : «Savez-vous quand Sam est devenu fou ?». Oui, Jack sait. Il indique que c’est arrivé après sa dépression et les électrochocs. Less trouve la réponse pertinente, car, dit-il, il fallait être fou pour inventer le rock’n’roll. Ça tombe sous le sens. Inventé par un fou, le rock’n’roll allait donc rendre les gens complètement fous. Il s’amuse bien, notre pépère Less. Un vrai boute-en-train. Il serait même capable de nous sortir des bonnes blagues, du style «Sais-tu ce qui sépare l’homme du singe ?».

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             Après les écoles noires et le gospel, il attaque la radio avec un autre personnage clé, Daddy-O-Dewey Phillips et son fameux Red Hot & Blue radio show qui a lancé Elvis. Less indique que le show de Daddy-O-Dewey n’était pas seulement sur les ondes, il était aussi dans le studio, car ses admirateurs venaient le voir faire le clown derrière sa vitre. C’est lui qui a fait découvrir le blues et le rhythm & blues à toute une génération de Memphis kids. À cette époque, Ahmet Ertegun et Jerry Wexler faisaient la tournée des radio-DJs pour placer les singles Atlantic. Ahmet Ertegun : «On faisait la tournée. À l’époque, il n’y avait pas trop de disc jockeys, un ou deux dans chaque ville, à raison de deux ou trois villes par état. Alors vous faites le voyage. Vous apportez les disques à ces gens-là. » Ils débarquent donc dans le studio de Daddy-O-Dewey qui les fait asseoir et qui déclare en direct : «Je reçois à l’instant un couple de voleurs de disques originaires de New York. Ils ne savent pas que Leonard Chess est passé la semaine dernière et qu’il a tout barboté.» Ahmet demande alors si Leonard a déjà chanté au micro l’une des chansons qu’il vend sur Chess. Daddy-O-Dewey dit que non. Alors Ahmet lui dit qu’à la différence de Leonard le renard, il connaît toutes les chansons qui sortent sur Atlantic et qu’il pourrait les chanter. Et qu’il peut aussi chanter l’une des chansons de Leonard. Ah bon ? Et pouf, il chante «Hoochie Coochie Man». Daddy-O-Dewey est plié de rire. Il en tombe de sa chaise nous dit Less qui nous fait assister à cette rencontre qui est celle de deux titans de l’histoire du rock. Comme Daddy-O-Dewey devient une sommité, on lui propose d’animer un show télé, Pop Shop. Il a pour co-animateur un étudiant en art nommé Harry Fritzius qui se balade dans le studio avec un masque de gorille. L’émission dégénère si vite qu’elle est supprimée. 

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             Et puis voilà le disquaire, le fameux Poplar Tunes de Joe Cuoghi et John Novarese, tous deux issus de la petite communauté ritale de Memphis. Cuoghi commence par vouloir faire le commerce de bananes, mais quand il reçoit son premier container de bananes et qu’il l’ouvre, des milliers de tarentules s’en échappent. Alors il laisse tomber les bananes pour se lancer dans la vente de disques. Ça s’appelle Poplar Tunes parce que le magaze, comme dirait Laurent, est situé sur Poplar Avenue. Poplar Tunes va tenir 75 ans, bien après que les poètes Cuoghi et Novarese aient disparu. Dans les années 50, ces mecs-là inventent le métier de disquaire. Après la fermeture du magaze, ils organisent des soirées spéciales avec Daddy-O-Dewey, Bob Neal, Sam Phillips et des gens de passage comme Ahmet Ertegun et Jerry Wexler. Elvis vient tous les jours chez Poplar, au moment de sa pause repas du midi, pour écouter des disques. C’est là qu’il fréquente Bob Neal qui sera son premier manager. Cuoghi et Novarese embauchent Frank Berretta pour tenir le magaze, alors ils peuvent se consacrer au développement de leur petit biz. Ils commencent par s’associer avec un gros distributeur de juke-boxes, ce qui est pour eux le meilleur moyen de placer des disques. En 1957, ils démarrent un label, Hi, avec des mecs qui ont traîné chez Sun, Homer Ray Harris, Quinton Claunch et Bill Cantrell. Au même moment, Lester Bihari, l’un des quatre Bihari Brothers, s’installe à Memphis pour lancer Meteor. Et un employé de banque amateur de country lance Satellite Records. C’est Jim Stewart et Satellite va devenir Stax.

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             Cuoghi et ses trois associés montent Hi pour lancer un certain Carl McVoy. Quand les Beatles débarquent aux États-Unis en 1964 pour leur première tournée, ils demandent que le Bill Black Combo joue en première partie. Mais Bill Black n’est plus dans le groupe à cause du pet au casque qui va l’emporter l’année suivante. Reggie Young fait partie du Combo et il aura la chance de fréquenter John, Paul, George and Ringo. Young dit que sur scène, le Combo était bombardé de détritus par la foule qui ne voulait pas d’eux. Eh oui, le Bill Black Combo jouait une série d’instrumentaux. Ils servaient ensuite de backing-band aux Righteous Brothers, à Jackie DeShannon et aux Exciters. Les Beatles arrivaient après. Comme Satellite et Sun, Hi était un label destiné à promouvoir des artistes blancs et du rock’n’roll. C’est Packy Axton qui ramène des blackos chez Satellite qui devient Stax, et de son côté, Uncle Sam avait compris qu’il n’irait nulle part avec les blackos et qu’il lui fallait des blancs qui chantent comme des noirs.

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             C’est après la disparition de Cuoghi en 1970 qu’Hi va devenir un label de Soul. Ray Harris démissionne de sa fonction de président et vend ses parts d’Hi à Willie Mitchell. L’avocat Nick Pesce devient président et Willie vice-président. Willie commence à orienter le label vers la Soul. Ce trompettiste/arrangeur est depuis longtemps le leader d’une big band célèbre dans la région. En 1964, il a commencé à former Teenie Hodges qui vient d’une famille de 11 enfants, dont trois paires de jumeaux. Comme Reggie Young et Bobby Emmons qui bossaient pour Hi se sont fâchés à cause d’un problème de fric et sont partis bosser avec Chips chez American, Willie  met en place le house-band de ses rêves avec les trois frères Hodges, les batteurs Howard Grimes et Al Jackon et son gendre Archie Turner aux keyboards. 

             Et puis le Memphis Beat va s’écrouler comme un château de cartes. Stax est coulé par les fucking banquiers en 1975, Hi est vendu à Cream Records en 1977 et Chips ferme American à Memphis pour aller tenter le diable à Atlanta.

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             Less termine sa tournée des popotes avec le studio Ardent et John Fry. Le premier studio Ardent est sur National Street. Dickinson et Terry Manning bossent alors pour Fry. En 1971, John Fry ouvre un Ardent plus moderne sur Madison Avenue. Il bosse énormément pour Stax qui est alors submergé et reçoit des clients de prestige comme Led Zep, Zizi Top, Tonton Leon, Cheap Trick qui a toujours la trique et Journey. Less sort son mouchoir pour nous rappeler que John Fry a cassé sa pipe en bois en 2014, mais apparemment, sa femme Betty Fry a pris la relève.

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             En guise de cerise sur le gâtö, Less nous sert Tav et ses Unapproachable Panther Burns. Visiblement il adore cette histoire de paysans du Mississippi qui en eurent marre de voir une panthère noire bouffer leur bétail et qui réussirent à la coincer dans un champ de canne à sucre. Ils mirent le feu et on entendit les hurlements de la panthère brûlée vive. Less dit que ses cris étaient nerve-racking, c’est-à-dire éprouvants pour les nerfs, comme l’est - c’est Less qui le dit, pas nous - la musique de Tav Falco - Panther Burns shows were often nerve-racking - Pour apporter de l’eau à son petit moulin, Less explique que Tav recrutait des gens qui ne savaient pas jouer de leur instrument et qui n’avaient aucune aspiration commerciale. Le seul qui savait jouer dans les Panther Burns, c’est Alex Chilton, qui lui était encore plus fasciné par le suicide commercial, tellement les pratiques du music biz l’écœuraient. Hilare, Less ajoute que Tav grattait une gratte horribly out of tune. On sait aussi pour l’avoir vu maintes fois scène que Tav adore chanter faux, surtout «Goldfinger». Mais c’est ce qui fait son charme, n’est-il pas vrai ? En tous les cas, merci à David Less de nous avoir emmenés faire un tour à Memphis et de finir avec un invité aussi attachant que Tav Falco. Au lieu de regarder des conneries à la télé, lisez son livre. Ça ne vous prendra que quelques heures.

    Signé : Cazengler, David lèche (cul)

    David A. Less. Memphis Mayhem: A Story Of The Music That Shook Up The World. ECW Press 2020

     

    Sect shop

     

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             C’est en octobre 2004 qu’on les vit à Paris pour la dernière fois. Ils jouaient à la Maroquiqui et comme on était en avance, on les vit arriver au bar du restau, en haut.

             Don Craine et Keith Grant en chair et en os ! Cheveux blancs, mais pas chauves. Quelle prestance ! On reconnaissait immédiatement les rockers anglais, même ceux du troisième âge. Don Craine était haut comme trois pommes. Il n’avait pas l’air d’être un mec facile. Mais celui qui dégageait le plus, c’était bien sûr Keith Grant, le grand bassman à tête de Lord Anglais. On ne voyait que lui, sur les pochettes des Downliners Sect, avec son air empreint d’un ennui distingué. Il avait les cheveux blancs comme neige et coupés en épis comme ceux du Rod The Mod de la grande époque. Vraiment ce qu’on appelle une gueule. Il portait un jean noir clouté comme celui d’un bandito mexicano et des chaînes brillaient sur ses grosses boots noires. Tout en lui n’était que luxe, calme et rock’n’roll. Il était resté dans le bain, aucun doute là-dessus. Pur nock’n’roll animal.

             Sur scène, ce fut malheureusement une autre histoire. Du cousu de fil blanc. Tous les classiques du r’n’b y passaient. Keith Grant monopolisait le micro. Don Craine ne chantait que très rarement et grattait ses poux avec un conformisme sidérant. Rien n’échappait à l’ornière des douze mesures. Keith Grant jouait un bassmatic très caoutchouteux, la main posée à plat sur les quatre cordes. Ils tapèrent pourtant une fantastique version de «Little Egypt», mais la salle se vidait. Les papys n’arrivaient pas à stopper l’hémorragie. En l’espace de deux ou trois morceaux, la salle s’était vidée. Les Downliners jouèrent le tout pour le tout en envoyant la reprise d’un morceau qu’aucun groupe de rock n’avait jamais osé reprendre, le fameux «Hey Hey Hey Hey» de Little Richard, l’un des brûlots explosifs qu’il enregistra en 1958 sur Specialty. Keith Grant le prit au chant avec une merveilleuse aisance et traîna héroïquement ses vieux companeros vers le sommet de l’Olympe.

             Ce soir-là, les Downliners ont fini leur show devant une poignée d’inconditionnels, avec un tel professionnalisme enragé que les bras nous en catacombaient.    

             On ressort ces vieux souvenirs pour rendre un dernier hommage à Don Craine qui vient de casser sa vieille pipe en bois. Après la fin des Downliners et des Pretties, on peut dire qu’il ne reste plus grand-chose. Ainsi va la vie. Tu nais, tu vis et tu meurs. Les Downliners ont en plus rayonné.      

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             S’il est un groupe culte en Angleterre, c’est bien Downliners Sect. Don Craine a trouvé le nom sur un B-side de Jerry Lee. Ils naviguaient exactement au même niveau que les Pretties. Mêmes influences : Bo Diddley et Jimmy Reed ! Il suffit d’écouter leur explosif premier album, The Sect, paru en 1964. Don Craine y porte déjà le headcoat qui va faire sa légende et que portera dix ans plus tard Wild Billy Childish en guise d’hommage. Dès «Hurt By Love», on est embarqué dans le meilleur gaga sixties, le plus raw qui soit avec celui des Pretties - I say yeah yeah - Pur jus de gaga râpeux de gruyère râpé de rat d’égout. Puis Keith Grant nasille «One Ugly Child» et invente le gaga de nez gras. Plus loin, on tombe sur une bombe nommée «Our Little Rendezvous». Keith le wild cat y fait un numéro sauvage et pulse à fond son bassmatic, alors que Terry Gibson tape un solo rusé comme un renard. Ils font aussi une version parfaitement sauvage de «Too Much Monkey Business». Chez les Downliners, on sait jerker le shake, baby. Ces mecs ont le génie du son. Ils terminent cette face effarante avec un appel à la secte, «Sect Appeal», magnifique clin d’œil à Bo, l’apanage du Bo punk. Rien d’aussi sauvage dans l’histoire du rock ric et rac ! Ils vont à la B comme d’autres vont aux putes et tapent un «Baby What’s On Your Mind» emprunté à Jimmy Reed. C’est admirable de yeah-yeah-yeahterie. Puis Keith mène le bal des «Cops & Robbers» du grand Bo. Plus loin ils re-dépassent le bornes avec «Bloodhound» - I’m a bloodhound baby and I won’t give up - Fantastique dégelée de punkitude ! Retour à la sauvagerie avec «I Wanna Put A Tiger In Your Tank», pur jus de gaga noyé d’harmo et véritable apanage du chant de nez. Voilà le grand bristish beat ! Ils referment ce fumant chapitre avec un «Be A Sect Maniac» à la Bo.

             Charly a réédité cet album dans les années 70 en rajoutant «Little Egypt» sur l’A.      

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              Par contre, leur second album fut une déception. Paru l’année suivante, The Country Sect portait bien son nom, car nos amis y proposaient une curieuse série d’hillbilly songs. S’ils cherchaient à dérouter l’auditoire, c’était réussi. Bravo ! En plein dans le mille ! Don Craine y chantait deux ou trois balladifs kitschy d’une voix de stentor gominé. «I Got Mine» fut choisi comme single and it promptly sank like a stone, comme le dit si bien Mike Stax dans Ugly Things

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             The Rock Sect’s In paru en 1966 est l’un des albums classiques du grand gaga britannique. Il faut les voir taper dans l’«Hey Hey Hey Hey» de Little Richard ! Ah les brutes, ils osent ! C’est joué à l’élastique du British beat, comme à la Maroquiqui. Ils en font même autre chose. «Outside» est un joli shoot de wild gaga digne des Pretties et on passe aux choses extrêmement sérieuses avec un «Comin’ Here Baby» effarant de prescience garagiste, on a là le pur esprit de cave sixties, avec un break au centre, une idée que vont repomper les Deviants. L’autre bombe de l’album s’appelle «Why Don’t You Smile Now». Ils font du Lou Reed avant le Velvet. C’est du pur jus de gaga psyché infesté de fuzz rampante. Toute l’esprit de la Sect se concentre dans ce cut malade. S’ensuit un «Don’t Lie To Me» franchement digne des Pretties. Une dernière bombe pour finir : «I’m Looking For A Woman». C’est du Bo bardé de reverb. L’essence du son emporte les langueurs monotones et Keith Grant fait un véritable festival avec sa basse.  

             Fin de la première époque. Les Downliners vont resurgir dix ans plus tard pour un nouvel épisode.

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             Showbiz paraît en 1979. L’album sonne comme un disque de pub-rock. On y trouve du boogie rock anglais bien sonné («Let’s Ride»), du rock seventies («Break Up», le wild gaga est parti faire un tour à la campagne), du rock joué à la cloche, comme chez Atomic Rooster («Out Of School»), et du vrai pub-rock à l’ancienne («Play My Guitar»). On trouve de l’autre côté une petite merveille nostalgique, «Richmond Rhythm & Blues» - Take a trip to the Station Hotel with me baby - C’est chauffé à l’harmo et assez fulgurant.

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             Paru en 1991, The Birth Of Suave pourrait bien être l’un des grands disques classiques du British beat, au moins pour quatre raisons. Un, «Everything I’ve Got To Give» qui est du pur jus de gaga avantageux, relancé à chaque coin de rue. Deux, «Outisde» - You left me outside ! - pièce unique de wild gaga. Trois, «One Ugly Child» avec son admirable chant de nez de petite frappe, vraiment digne des Pretties et vrillé d’un solo de fuzz. Quatre, «Sect Appeal», joué au Diddley beat parfait, yeah avec ses gros glissés de basse et sa monstrueuse présence. On peut ajouter une cinquième raison, qui est la raison d’état, celle de la fuzz, avec en B «Why You Don’t Smile Now», absolument noyé de fuzz, spectaculaire de putréfaction garagiste. Arrrgghhh ! Ils finissent avec le «What’s Wrong» de Jimmy Reed et ils l’explosent. Ils jouent comme des sales petites frappes invétérées.

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             La même année paraît Savage Return. On y trouve un «Piccadily Run» digne de Bo, explosif et solide à la fois, prodigieux clin d’œil à Saint-Bo. Ah ces Anglais, comme ils ont pu idolâtrer Bo Diddley ! Le cut mythique de l’album s’appelle «Eel Pie Memories», Keith Grant évoque les bons souvenirs et les black boots - Sounds looking good - Venant de la Sect, c’est une offrande suprême - Music in the trees - Ils font aussi une version spectaculairement bonne de «Down The Road Apiece». Keith cherche à imiter Chuck, en chantant ça sous le boisseau. On retrouve du beau monde sur «Bad Penny» : Eddie Phillips (Creation) et Jim McCarty (Yardbirds). Ils font de la pure Stonesy, avec des chœurs de vainqueurs. Et quand Eddie Phillips part en solo, il redevient le plus grand guitariste d’Angleterre. Tout le reste de l’album est solide, bien foutu, du son, rien que du son. On en boufferait à s’en faire péter la panse. Ils tapent aussi dans le meilleur gaga d’Angleterre avec un «Talking About You» bien sonné des cloches. Matthew Fisher joue du piano sur la reprise de «Bye Bye Johnny» : rien de neuf sous le soleil de Papa Satan.

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             Showbiz paraît en 1998. Sur la pochette, on voit nos amis de la Sect entassés sur un side-car. Ils font un «Wild Time» presque glammy dans l’approche. On sent que nos amis s’amusent bien. Mais on sent aussi les pros. L’affaire se corse avec «Mismanagement», plus punky et même visité par un killer solo. C’est admirable de sectarisme et digne des Vibrators. On retrouve l’excellent «Richmond Rhythm & Blues» - Take a trip to the Station Hotel with me/ The Rolling Stones they’re gonna burn the house - Fantastique énergie ! On a le même genre de densité que chez Third World War, et leur inventivité passe par du boogie carnassier. Il tapent plus loin «Showbiz» à la cocote punk et c’est plombé au stomp de beat sectaire. Encore un cut solide truffé de solos. Oh ils font un break énorme et on voit la machine repartir au cocotage des enfers. Nous voilà aux confins de Motörhead. La frénésie règne et ça repart inlassablement. On a là une vraie dynamique de vainqueurs. Ils jouent plus loin «Out Of School» à la cloche de glam. Ils sont d’une incroyable véracité véracitaire, et ça suit à l’harmo, c’mon ! Quand on commence à écouter «Playing My Guitar», on ne se méfie pas, car ça sonne un peu comme «Johnny B. Goode». Mais Keith Grant joue ses gammes avec la lancinance d’un bagnard et ça tourne à l’énormité - My guitar/ My guitar ! - Keith Grant sait chanter un hit, on le sait depuis des lustres. Les Downliners nous sortent là un autre punk-rock à la Vibrators, incroyablement bien foutu !        

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             Que dire de Dangerous Ground sinon que c’est encore un disque énorme ? En plus, l’ami Art Wood a peint la pochette. Les Downliners proposent pas moins de cinq bombes sur ce disque, à commencer par «Keep On Rocking», une énormité cavalante. On sent les Anglais bien formés à Richmond. Ils sonnent comme les Pirates. Voilà ce qu’on appeler a high octane blend of r’n’b.  Ils rendent hommage à Bo avec «Escape From Hong Kong» et «In The Pit». Puis on tombe sur la bombe suivante qui est en fait le morceau titre, un gaga-cut bien plié au bombast d’ambiance rampante. S’ensuit une autre bombe intitulée «Lucy’s Bar Room». Del Dwyer fait un véritable festival, il chauffe le cut à blanc. Il arrose cette somptueuse rythmique de guitar licks éclatants. Encore deux belles bombes pour finir : «Quicksand» et «Deamon Lover». «Quicksand» pourrait sortir du Crusade de Mayall. Les Downliners vont chercher le guttural pour honorer ce boogie blues d’excellence définitive. Tu vas aussi te régaler de «Deamon Lover», fantastique shoot de rocky road pulsé au beat anglais et plein de son. Pur jus de rave-up. Ces mecs ont du génie.

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             Certains veinards auront réussi à mettre la grappin sur l’album des F.U.2. (Fuck You Too) intitulé Punk Rock. On retrouve nos amis Don Craine et Keith Grant sur la pochette, en compagnie du batteur policier Stewart Copeland, de deux autres mecs et d’une épingle à nourrice. L’album est surprenant de qualité et on pense encore aux Vibrators. Ils tapent «Playing My Guitar» qu’on va retrouver sur Showwbiz et comme on sait à qui on a affaire, un cut comme «Tax Exile» prend tout de suite du relief. Ils traînent avec eux des vieux restes de british beat et on entend même un harmo. Pure merveille que ce «Manic Depression» monté sur le riff du «Really Got Me» de Dave Davies. Ils ressortent les vieilles recettes miracles. Ils font du sixties punk, ce qu’ils ont toujours fait, d’ailleurs - Drop your dress/ Show your Breasts/ Change your adress - La B est encore plus sauvage. Ils tapent «Stars In The Streets» au gaga-maxima - Looking for trouble - Ils retournent le punk à leur avantage. Il faut entendre ce «Move Around» joué au tambourin. C’est quasiment stompé et magnifique de santé sectaire. Rien à voir avec le mauvais punk anglais. Keith Grant fait une belle intro de basse pour «Rock Club (Down The Roxy)» et ils partent aux échanges de voix, comme les Buzzcocks de Spiral - Yeah I’m going over there/ Do you wanna dance/ Do you wanna dance - Ils jouent à la cloche le fantastique «Out Of School», un cut qu’on va aussi retrouver sur Showbiz. Ils terminent avec «Fuck You Too», une magnifique fin de non recevoir.

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             Be A Sect Maniac est une très belle compile. On profite d’ailleurs de la photo qui orne la pochette de leur quatrième album paru en Suède, Downliners Sect. On y voit Ketih Grant porter l’un de ces incroyables taille-basse à carreaux qu’on portait alors. Pas mal de déchets sur cette compile, mais on se régale de «Baby What’s Wrong», avec son gros son de cave saturé de basse et amené à la violence gaga maximaliste. C’est le son des Pretties, mais chanté à la dépouillarde dégénérée. Ils swinguent ça à l’ancienne avec du poil à gratter dans le chant. Une autre merveille se niche de l’autre côté : «Glendora». C’est le gaga des primates, et des filles font les chœurs. C’est épais et salement bien produit à l’écho du temps. La perle se trouve au bout de la B : c’est le reprise de «Roll Over Beethoven». Ils en font un cut punk monté sur une basse en dominantes haletantes. Pur génie.

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             Le maxi The Sect Sing Sick Songs offre un intérêt purement anecdotique, car Don Craine et Keith Grant optent pour la parodie, avec notamment «Leader Of The Sect» - Is she really going out with the leader of the sect ?/ I don’t know already - Il faut souvenir que l’humour de la Sect est ravageur. Et dans «Midnight Hour», on entend un solo de piano magique.

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             Par contre, le maxi Burning Snow édité sur un petit label espagnol n’a rien d’anecdotique, ne serait-ce que parce que Mike Stax rédige des liner notes. Il a raison de le redire : on parle de Jagger/Richards, de May/Taylor, il faut aussi parler de Grant/Craine ! Ce maxi est un enregistrement live qui explose avec «Before You Accuse Me». Quel fantastique hommage à Bo ! Keith Grant joue sa bassline bien devant. Oh la perfe ! Il swingue comme un dieu du rock anglais - Before you accuse me/ Take a look at yourself - Ils tapent ensuite dans Jimmy Reed avec «Baby What’s Wrong». C’est leur son, c’est le son du pur British Beat dans tout son éclat. De l’autre côté, Keith Grant chante «I’m A Lover Not A Fighter» à la pure méchanceté. Il sait encore jiver un vieux classique. Ils tapent aussi dans «Dust My Broom». On a là une vraie version de rêve gorgée de jus, d’incidence, de rage gaga et e puissance motrice. S’ensuit un «One Ugly Child» glorieux et vainqueur. Les Downliners sont de fatidiques blasteurs de vieux beat anglais. Ils terminent avec Bo et un «Nursery Rhymes» noyé de slide. La bassline roule sous la peau du beat tendu vers l’avenir. C’est hélas ruiné par un solo de batterie. Mais bien sûr, on leur pardonne cette faute de goût.

    Signé : Cazengler, Saucisson Sect

    Don Craine. Disparu le 24 février 2022

    Downliners Sect. The Sect. Columbia 1964       

    Downliners Sect. The Country Sect. Columbia 1965

    Downliners Sect. The Rock Sect’s In. Columbia 1966       

    F.U.2. Punk Rock. Les Tréteaux International 1977

    Downliners Sect. Showbiz. Sky Records 1979

    Downliners Sect. The Birth of Suave. Hangman Records 1991

    Downliners Sect. Savage Return. Promised Land 1991

    Downliners Sect. Showbiz. Indigo Recordings 1998       

    Downliners Sect. Dangerous Ground. SteadyBoy Records 2011

    Downliners Sect. Be A Sect Maniac. Line Records 1982

    Downliners Sect. The Sect Sing Sick Songs. Line Records 1983

    Downliners Sect. Burning Snow. Penniman Records 2000

     

     

     L’avenir du rock - Foxes on the run

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             Tous les ans, l’avenir du rock envoie un chèque à la Société Protectrice des Animaux. Il signe de son nom et mentionne au dos, de sa belle écriture violette : de la part d’un bienfaiteur. Aussi loin qu’il s’en souvienne, l’avenir du rock a toujours adoré les animaux, il fut un temps où il chantait «Call Me Animal» chaque matin sous la douche. Il porte encore ce collier de chien qui remonte à son adolescence, son vieux côté Wanna Be Your Dog. Ouaf ouaf ! Son animal préféré ? Sans doute le singe. Il adore se gratter les puces et manger des bananes en l’honneur de «Monkey’s Gone To Heaven» ou du fringuant «Monkey Man» des Stones. Ah il adore aussi imiter les oies lorsqu’il marche dans la rue, cot cot cot, en mémoire de Mitch Ryder et de son fameux «Long Neck Goose». Mais ce qu’il adore par-dessus tout, c’est montrer sa petite queue de rat à ses fiancées en chantant le vieux «Rat Crawl» de Third World War. L’avenir du rock est un sacré boute-en-train. Il lui arrive aussi de grimper dans un arbre pour aller y croasser, non pas en hommage à La Fontaine comme on pourrait le penser, mais en l’honneur de Captain Beefheart, avec les premiers couplets d’«Ice Cream For Crow». Si tu le vois se rouler dans la boue, c’est parce qu’il vénère les cochons, comme Pussy Galore au temps de «Pig Sweat». Dans le domaine animalier, l’avenir du rock est intarissable, il pourrait bzz-bzzzer autour du pot de miel et se proclamer King Bee, esquisser le Chicken Walk en souvenir d’Hazil Adkins, hurler à la lune comme Wolf et s’approcher à pas de loups d’un poulailler pour s’ y introduire comme un renard, en souvenir du «Fox On The Run» de Sweet, ou peut-être même en l’honneur des Fleet Foxes, allez savoir.

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             Le premier album des Fleet Foxes date de 2008 et n’a pas de titre. Robin Pecknold et ses amis créent leur buzz à coups d’acou et à la petite voix blanche. Le son grouille d’échos superbes et un solo de guitare s’en va résonner dans l’ombilic des limbes. Voilà en gros comment on pourrait résumer l’art subtil de Fleet Foxes. Ajoutons à cela qu’ils savent se montrer très inventifs et développer une belle énergie. Le pire, c’est qu’on se régale. Il semble que Robin des bois veuille réinventer l’Americana, c’est en tous les cas ce que tendrait à prouver «Ragged World», cut puissant et magnanime, plein d’allant et d’allure, d’avant et d’après, comme chatouillé par des petits arpèges tendancieux. On irait même jusqu’à dire qu’on entend l’Americana du futur, celle qui débouche sur le grand large, ou le grand néant, c’est comme tu veux. En magasin, ils ont aussi la power pop de « Quiet Houses ». Ils y vont franco de port, ils sont sérieux, comme devaient l’être les femmes de chambre en 1850. Le point fort de l’album s’appelle «Your Protector». Ils ramènent pour l’occasion du Wall of Sound. La compo se fait désirer, mais c’est l’intention qui compte. On s’éprendra aussi d’«He Doesn’t Know Why». Pourquoi ? Parce que noyé de son. Robin des bois sait travailler son mythe. Il joue la carte poignante du there’s nothing I can do et du nothing I can say. Ça marche à tous les coups. Robin des bois est un mec très intéressant, très protéiforme, il fait tout avec un esprit d’à propos, il module bien ses wah wah et ses oh oh oh. Sans doute est-ce pour lui une façon de se faire respecter. Il fait son truc à la sensiblerie, comme le montre «Oliver James», un cut qui éclot à l’aube des temps. 

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             Si tu en pinces pour les ambiances, Helplessness Blues est l’album idéal. Rien que pour «Grown Ocean», qui se trouve vers la fin. Voilà un cut qui s’anime soudainement, on ne sait pas pourquoi, et ça vire pop racée et toxique. Le mec est bon, il développe une pop puissante, une pop qui respire à pleins poumons. Robin des bois est un mec très christique, tout le monde s’agenouille devant lui, il est à la fois très mélodique et très plombé. Il fait tomber des herses du paradis dans «Montezuma», c’est un son très spirituel. Il tape aussi dans l’exotica à la con («Bedouin Dress») et fait appel aux flûtes du désert, après tu te débrouilles comme tu peux avec cette espèce de son bon esprit, bien enveloppé. Disons que c’est autre chose. Dans le digi, tu as un gros poster qui se déplie, au cas où tu t’ennuierais. Mais le poster ne sert à rien, comme d’ailleurs certains cuts de cet album, zéro shuffle, pas d’émotion dans «Sum Sala Rum», mais Robin des bois veille à chauffer ses cuts et ça le rend intéressant. «The Plains/Bitter Dancer» sonne comme du CS&N, Robin des bois cherche la petite bête. En fait, il ne fait qu’explorer les voies impénétrables. Il gratte ses coups d’acou dans «Helplessness Blues» et concasse son chant. Du coup l’album devient une aventure. Il étend encore son empire avec «Lorelai», il n’a peur de rien, sa pop tient bien au corps, c’est même le psyché des temps modernes, bucolique et puissant. Peut-être faut-il commencer à s’habituer à  l’idée que le psyché mute ? Une idée que caresse aussi Kevin Parker, de Tame Impala. «Someone You’d Admire» est aussi très ouvert sur l’horizon, Robin des bois tartine ses coups d’acou, mais il peut aussi devenir trop aventureux et générer de ci de là des petites zones d’ennui. «The Shrine/An Argument» est l’archétype du cut qui ne sert à rien. Globalement, les Fleet Foxes explorent des nouveaux continents, mais si tu les suis, c’est à tes risques et périls.

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             En 2017, Stephen Deusner nous tartinait six pages de Fleet Fowes dans Uncut. C’est vrai qu’à l’époque, les Foxes faisaient encore le buzz. Deusner annonçait l’arrivée de Crack-Up, un album radicalement différent des précédents. Pas de chansons, cette fois, mais des ambiances, de longs passages instrumentaux, le meilleur moyen de perdre ce qui faisait le charme du groupe, le West-Coast folk-rock d’antan. Le problème c’est que Deunser n’a rien d’intéressant à nous raconter à propos du groupe : pas l’alcool, pas d’overdose d’hero, pas de rien. Robin des bois parle beaucoup de son nombril. Ah on peut dire qu’il l’adore. Deusner dit aussi que Robin des bois a radicalement changé de look en six ans : terminé la barbe de mountain-man et le shaggy hair, Robin des bois porte désormais le cheveu court, il semble se mettre en quête de spiritualité ou de sagesse philosophique. Comme il était végétarien depuis l’adolescence, il ne se sentait pas très bien et pouf, il s’est remis à manger de la viande puis à faire du vélo, du jogging et du surf.

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             On sauve un cut sur Crack-Up : «Third Of May/Odaigahara», qui sonne comme une pop d’avenir du rock, tellement les dynamiques sont élégiaques. C’est comme soulevé par la vague. On sent une ambition démesurée typique de Brian Wilson ou de Jimmy Webb. On se régale aussi d’«On Another Ocean (January/June)». C’est du tiercé gagnant, avec un final en chou-fleur, c’est fin, souterrain, attaché à l’attachement, ça coule comme un fleuve d’or au crépuscule, une aventure sur le Mekong, une fin en soie, un impératif respiratoire, Brian Wilson n’est pas bien loin. «I Should See Memphis» fait aussi dresser l’oreille, car souterrain, gratté par en dessous, tendu à se rompre, c’est évident, les Foxes ont un truc, un sens de la pop orchestrée, ambitieuse et profonde, dans le genre ‘réconcilions-nous avec l’univers’, il n’est pas si méchant que ça, l’univers. Et pourtant, l’album se prend les pieds dans le tapis avec le premier cut, «I Am All That I Need/Arroyo Seco/Thumbprint Scar» : aucune grâce, comme s’ils prenaient les gens pour des cons. C’est pas très gentil de leur part. On envisage même de les virer du lecteur. «Cassius» sonne aussi comme une belle arnaque. Il faudrait les dénoncer, mais ça ne se fait pas. Ce début d’album est assez catastrophique, ils profitent d’un buzz et n’ont rien à proposer : pas de mélodie, pas de son, malgré des efforts qu’on devine désespérés. Ça se réveille un peu avec «Naiads Cassadies», très Midlake, et «Kept Woman», très ambiancier, avec des zones de lumière. Voilà l’histoire : l’album va décoller, mais il faut se montrer charitable et patient. Plus loin, ils proposent un «Mearcstapa» assez balèzoïdal.

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             Le quatrième album des renards paraît en 2020 et s’appelle Shore, comme un shore, c’est-à-dire un rivage. Robin des bois  y ramène sa pop au fil de l’eau. En fait il cherche le secret de la pop qui bande au printemps, c’est en tous les cas ce que «Sunblind» laisse entendre. Il se prend un peu pour le sauveur de la pop, mais il ne sauve pas grand-chose, en vérité. Il faut quand même se montrer tolérant et lui reconnaître une certaine ampleur. Il cultive bien la dérive. Certains cuts ne mènent nulle part. Les Foxes se situent dans un son très sophistiqué qui manque parfois tragiquement de magie. Encore une fois, certains cuts frisent la petite arnaque. Il faut attendre le milieu du Shore, «A Long Way To The Past», pour trouver la viande. C’est une pop de Foxes à laquelle personne n’est encore habitué. Robin des bois se jette dans «Maestranza» comme on se jetait autrefois dans la bataille. Il vise ouvertement l’élégiaque épique. S’ensuit un «Young Man’s Game» énorme. Il pose de nouvelles règles. Désormais c’est comme ça. Il fait du heavy Foxes, il brouille les pistes, mais de manière éblouissante. Globalement, il réussit à créer des ambiances assez spectaculaires. Comme on dit quand on voit un magicien : il y a un truc ! Il amène son «Going-To-The-Sun Road» au grand air, il vise le Todd, l’excellence de la pop atmosphérique. Il est tellement bon qu’il finit par émouvoir et là t’es baisé, car c’est beau. Son truc, c’est la beauté. Son défaut est peut-être d’avoir trop de son et de cultiver les incartades.

    Signé : Cazengler, faux fleet

    Fleet Foxes. Fleet Foxes. Sub Pop 2008

    Fleet Foxes. Helplessness Blues. Sub Pop 2011

    Fleet Foxes. Crack-Up. Nonesuch 2017

    Fleet Foxes. Shore. Anti- 2020

    Stephen Deusner : Crazy Like a fox. Uncut # 241 - June 2017

     

     

    Inside the goldmine

    - Le groove sévère des Sewergrooves

     

             La superficialité qu’on observe chez certaines personnes peut parfois intriguer. On ne sait jamais si elle masque une grande timidité ou une absence tragique d’intelligence. Jiminus semblait cependant fort bien s’en accommoder. Derrière un sourire candide se planquait l’être le plus énigmatique qu’il fût possible de fréquenter. Il n’émettait jamais aucun avis, sauf des avis d’une banalité désarmante, du style «c’est super». Il ne parlait jamais des autres, se refusant le droit de juger, sauf les Rolling Stones, qu’il ne supportait pas. Musique de vieux, disait-il. Il parlait encore moins de lui, au point qu’il semblait avoir banni de son vocabulaire le ‘moi’ et le ‘je’. Raison pour laquelle on appréciait sa compagnie qui nous reposait des rois du moi-je, mais d’une certaine façon, c’était comme de passer d’un extrême à l’autre, ce qui générait au final le même genre de malaise. Et plus on l’observait, plus le mystère s’épaississait, sans qu’il ne donnât à aucun moment l’impression d’en être l’instigateur. Le seul point sur lequel il pouvait se montrer exigent, c’était la technique. Cet autodidacte jouait à l’oreille et avait pendant plusieurs décennies tellement formé sa main gauche au manche qu’elle ressemblait à une sorte de grosse tenaille de chair. Même quand il ne jouait pas, sa main semblait pincer des cordes. Et pour lui, le pincé de corde était une religion, la seule dont il semblait se réclamer. Lorsque qu’il entendait un ré mal pincé, il arrêtait le groupe pour faire reprendre, ce qui peut paraître déplacé quand on joue du trash-punk. Mais à ses yeux, le trash-punk devait rester précis et bien joué. Comme cette exigence était chez lui la seule trace visible d’humanité, on s’y pliait tous. On allait même jusqu’à jouer des fausses notes pour la voir se manifester. Nous comprîmes alors qu’en le mettant en colère, on verrait peut-être surgir sa vraie nature. Lors d’une répète particulièrement intense, nous multipliâmes les couacs, les retards aux breaks et les foirages de fins. Le stratagème fonctionna plus que nous ne l’espérions. La colère le transforma physiquement. Son visage commença par jaunir, puis son menton s’allongea, sa peau se rida comme celle d’une vieille sténo-dactylo, ses lèvres gonflèrent, son sourire se transforma en grimace atroce, les cheveux qu’il avait rares se mirent à pousser. La colère transforme parfois les physionomies mais qui aurait pu imaginer pareille mutation ? Sous nos yeux ronds de stupeur, il devint un ignoble sosie de Jagger, le personnage qu’il haïssait le plus au monde.

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            Dommage qu’il n’ait pas pensé à se transformer en Kurt Dräckes, le chanteur des Sewergrooves. Dräckes est quand même plus joli que Jagger. Mais bon, on se transforme comme on peut, c’est la loi des fables, comme dirait La Fontaine.

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             Le premier album des Sewergrooves date de 1999 et s’appelle Songs FromThe Sewer. On les sent très influencés par les Detroiters de Sonic’s RendezVous. «Yesterday Zest» est du pur jus de Tele incisif, même plombé de chant et même progression d’accords pressés. Ils mêlent à ça leur énergie viking, on sent qu’ils en pincent pour les Detroit stormers. Nouvelle dégelée avec «Do It Again». Ah quelle belle attaque : «Do me a favour !». Ils sont pleins aux as et pratiquent la science mécanique du heavy beat. Leur «Frame Up» est heavy comme un coup de hache viking. On retrouve ce rock viking joué en tension à l’ouverture du bal de B avec «I Don’t Know», ils jouent à pleins tubes et collectionnent les envolées spectaculaires. Comme le font les Sonic’s RendezVous, ils bâtissent la plupart des cuts sur une carcasse d’accords cinglants joués en contrefort d’un pounding soutenu.

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             Paru l’année suivante, Guided By Delight pourrait bien être leur meilleur album. Ils attaquent avec un «Living In Another World» monté sur un authentique pounding sewergroovy. «Do It Like You» sonne comme un hit des Sonic’s RendezVous, avec cette belle inflammation de la mandibule, oui, on croit entendre Scott Morgan ! Ces mecs sont tellement pleins de son et d’allure qu’ils plombent tous leurs cuts aux accords de plomb. Et tout explose en B, avec «Paralysed», belle dégelée emmenée ventre à terre. A-t-on déjà vu une dégelée filer ventre à terre ? Non, et pourtant ça existe. C’est une spécialité des Sewergrooves. «Like Never Before» sonne comme une horreur dévorée de l’intérieur, avec des accords en forme de coups de crocs, c’est d’une hargne peu commune, avec un solo qui coule comme de la morve sur le break. Ils jouent sur les accords de «Down In The Street». Retour aux Sonic’s RendezVous avec «Shoot Em Up», ça étincelle dans l’éclat des coups de taille, c’est un son d’estoc. Avec son intro d’une rare violence, «Break The Chain» sonne comme l’invasion des barbares. Voilà un cut fantastiquement emmené par des dynamiques barbares jusque là inconnues. Ils brisent les reins du cut et le relancent pour repartir de plus belle. A-t-on déjà vu une telle violence ? Non.

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             Paru en 2002, Revelation Time est un album d’un excellent rapport qualité/prix : 7 gros cuts sur 13, c’est rare pour un gaga-disk. Ils sont tout de suite d’actualité avec «Five Times More», ils ramonent la cheminée d’Odin à une fantastique allure, ces démons savent y faire. On peut faire confiance à Kurt, il nous remplit tout ça de wah. Kurt est un hard nut, un besogneux qui ne lâche pas l’affaire, oh no no no no. Ça repart de plus belle un peu plus loin avec «Anything For You», Kurt ressort ses vieux accords de Sonic’s RendezVous et c’est tout à son honneur. Il ramène toute l’ampleur du Detroit Sound. Puis il tape «It’s My Century» dans l’éclat du seventies Sound. Il adore construire des cathédrales. Sur «The Jug», Kurt shake sa chique comme un dieu, c’est bien amené et sans remords. Ces Suédois font du Sewer jusqu’à plus soif. Encore du blast Viking avec «16 Thousand Satellites». Tu ouvres le leaflet et tu as la photo des Sewer en Stooges. Avec «Ain’t Coming Home» ils basculent dans le chaos de génie Viking. Ils terminent avec «Hey Sister (I’m Out Of Here)», Kurt se jette dans toutes les combines, il est de tous les coups de ruckus et finit en apoplexie de power chords. Pure énormité. Une de plus.

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             Saturday Night Tonight We’re Gonna Have Some Fun laisse un peu l’amateur sur sa faim, même si le «Boogie Woamn» d’ouverture de bal laisse espérer quelques belles espérances, car c’est amené au gratté ultimate de boogie tonite - Saturday nite/ Gonna have some fun - mais ça tourne vite au cousu de fil blanc scandinave. Awite ! Tonite ! Il faut attendre «Up The Line» pour retrouver ces bombardements qu’on aime bien. Ils tapent ça à perdre haleine. Quant au reste, c’est du sans surprise, ils nous resservent le fast gaga-punk scandinave plongé dans l’huile bouillante et on voit rapidement apparaître une belle carence compositale. Malgré les cocotes, ils n’ont rien dans la culotte, disons qu’ils jouent un rock très athlétique bien rattrapé au vol. Ils tapent «I Really Love You» au fast drive, ils filent à 100 à l’heure et se montrent assez radicaux avec les radis. Ils commettent en gros les mêmes erreurs que les Hellacopters qui ont fini par nous indisposer avec leur surenchère. Ils terminent avec «No Time For Resignation» et deviennent les cracks de l’ambiance invétérée. Ils se répandent longuement dans l’excellence et collent bien au terrain qui nous intéresse.  

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             Malgré sa belle pochette, Constant Reminder déçoit. Le son est devenu plus lisse. Ça joue à deux guitares. Ils vont chercher les vieilles cocotes sourdes. Mais la prod est plus soignée, on entend les chœurs se fondre dans le son. Le son est nettement moins flamboyant que sur Guided By Delight. Ils visent un autre degré d’impact, un confort plus moelleux, avec ce fondu de chœurs dans le son. Mais aucun cut n’accroche véritablement. Ils ont cependant le goût des belles intros, comme celle d’«I’m On The Run» - You must be joking ! - Et Kurt y va, c’est excellent - I’m like a loaded gun/ And now I’m on the run - Il chante ça à la belle arrache. En B on retrouve un joli shoot de ventre à terre («Look Again»), bien fluide et monté sur un thème poppy étrangement bon. Nouveau shoot de ventre à terre avec «On Fire». Ils adorent up-temper dans la pampa, mais rien n’est plus difficile que de vouloir faire des miracles en permanence.

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             Bien bel album que ce Rock ‘N’ Roll Receiver paru en 2006. On retrouve les Vikings de la légende avec «She’s A Punk (Just For One Day)», le genre de cut qui te met le dos au mur. Radical et sans appel. Les Sewer tapent comme des dingues dans la mythologie Viking, ils chantent à l’excédée, c’est d’une rare violence, ils tirent tout leur crédit de cette violence. Pas de répit, pas de remords, pas de rien. Ce mec Kurt chante à s’en arracher les ovaires, il tombe sur le râble de son cut avec une niaque unique au monde. On le retrouve aux commandes de «Remember Everything», pulsé par des grattés olympiques, ça joue à la violence frustre de vieux Vikings, ceux qui savaient affûter des haches et courir ventre à terre après les paysans normands terrorisés. C’est une énergie particulière rattrapée au poil de menton et battue à la diable. Même traitement pour «Wrote This Song For You», Kurt explose la rondelle en chou-fleur du Song for you, il joue à coups redoublés, c’est exacerbé à outrance, il est sincère, il a vraiment écrit cette Song for you. Pas mal de cuts ne fonctionnent pas, comme par exemple le morceau titre, trop de surenchère et de ooooh de relance. Par contre, ils restent les rois de la montée en température. Disons qu’ils se spécialisent dans le burn-out, comme leurs collègues Hellacopters. Ils ne connaissent que ça, l’odeur de cramé. Ils terminent cet album solide avec «I Sold My Soul To Rock’n’Roll So Help Me Save Me Lord», un stomp qu’il faut bien qualifier de faramineux, car expéditif et convaincu d’avance, c’est le stomp des Vikings, ouvert à tous les excès de violence et on assiste à de fantastiques rebondissements.

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             Paru en 2011, Trouble Station est un sacré coco d’album. Ils renouent avec le Sonic’s RendezVous dès «Oh Trouble», Kurt chante au tremblé de chat perché comme le fit Scott Morgan en son temps. Il maîtrise admirablement ses dérapages contrôlés, même sens de l’emballage et des progressions d’accords sous pression. Encore un joli démarrage avec «Burning Desire». Ils sont excellents dans les départs arrêtés et toujours cette profusion de son et d’énergie, cette curieuse musicalité Viking. Kurt nous refait le coup du départ en solo bien sous-tendu par le pounding des copains. Ils ont une vraie dimension, comme le montre encore «He’s The Destroyer», un cut bien insistant, bien martelé, bien sewervé, belle clameur et belles guitares. Ils ne manquent décidément pas de charisme. En B, ils attaquent «One Of Those Tings» aux accords du MC5. Kurt chante en chef de meute et derrière ça blaste comme au temps du Grande Ballroom. Kurt prend une partie du solo de Wayne Kramer dans «Looking At You», mais sans la montée au note à note. Ils restent dans cette fabuleuse énergie héritée de l’âge d’or de Detroit avec «Touch Of Sympathy». Les accords resplendissent dans l’éclat des violences suburbaines, fabuleux cachet du pounding et killer solo, on a tout ce qu’on peut espérer. Le clairon qu’on entend à l’orée de «Keep Moving» est celui des Stooges.

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             Comme on l’a vu, les Sewergrooves sont les rois de la dégelée, ce que vient encore confirmer No Hidden Tracks, un modeste CD paru à la sauvette en 2012. Ils chantent leur «Trouble» à l’excédée caractérielle et c’est couronné de succès. S’ensuit un «Easy To Pretend» monté à l’harmonie sur fond de beat sévère. Ils avancent à la manière dure, Biribi, baby. Les montées au chant sont des montées inexorables. Chez eux, c’est un peu gaga-punk all the way, notamment dans «Don’t Mess With The Standards». Ils basent tout sur le trop-plein d’énergie. Ils pavent le chemin vers «Ending My Days» de mauvaises intentions, ouvrant la voie à une grosse attaque de proto-punk désordonnée et hirsute. Ils coulent un gros bronze fumant, ils mélangent tout, le chant, les accords, le beat. Ils proposent aussi trois covers : «Smith & Wesson Blues», «I’ve Never Known This Til Now» et «Where The Wolfbane Blows». Le Smith & Wesson est un cut du Tek, et comme d’habitude, c’est pas bon, les Sewergrooves jouent ça au fast-off. L’«I’ve Never Known This Til Now» passe mieux, car c’est du Roky et ils ramènent tout le son dont la Suède est capable, ils tombent dans les délicieux travers texans, ils nettoient ça aux arpèges de vinaigre, c’est un paradis dont les bonnes sœurs n’ont pas idée, l’acid freak paradise, et ça explose. Le Wolfbane est bien sûr celui des Nomads, ils jouent ça au tire-bouchon dans la mélasse de fuzz scandinave et le solo entre comme un ver dans le fruit du jardin d’Eden. Admirable. Tiens, encore une belle échappée belle avec «Tonight Tonight». Ces mecs ont bien choisi leur camp, il visent le swedish trash-gaga punk qu’ils radoucissent aux accents de power-pop.

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             Pour finir, on peut se rincer l’oreille avec ce mini-album paru sur Estrus en 1999, Three Time Losers. «Whole Again» pourrait figurer sur l’un des albums du MC5, tellement c’est bien échevelé. «Dead Letter River» est plus classique, mais ce beau solo d’intraveineuse furtif et mortifère te plaira beaucoup. C’est un son de rouille et de vinaigre, pur jus de Kurt Dräckes. Il faut préciser que ces cuts sont enregistrés chez Tomas Skogsberg, l’homme qui a mis en boîte le mythique album de Supershit 666. En B, «Could’ve Been Dead» reste bien tenu en laisse, chanté d’une voix d’agonisant, c’est encore une fois excellent, très motivé. Et ça continue comme ça jusqu’au bout, avec un son classique et typique de ces années de revival gaga. 

    Signé : Cazengler, Sewergrave

    Sewergrooves. Songs FromThe Sewer. Low Impact Records 1999

    Sewergrooves. Three Time Losers. Estrus Records 1999

    Sewergrooves. Guided By Delight. Low Impact Records 2000

    Sewergrooves. Revelation Time. Low Impact Records 2002

    Sewergrooves. Saturday Night Tonight We’re Gonna Have Some Fun. Sounds Of Subterrania 2002

    Sewergrooves. Constant Reminder. Wild Kingdom 2004

    Sewergrooves. Rock ‘N’ Roll Receiver. Wild Kingdom 2006

    Sewergrooves. Trouble Station. Sounds Of Subterrania 2011

    Sewergrooves. No Hidden Tracks. Pitshark Records 2012

     

    *

    L’on parle beaucoup d’Europe ces jours-ci, Europe par-ci, Europe par-là, à en croire les uns elle est la source de tous nos malheurs, selon d’autres la promesse de tous nos bonheurs, ces genres de discours me fatiguent, il n’y a jamais eu qu’une Europe, encore ne s’appelait-elle pas ainsi, en ces temps-là elle dépassait nos frontières étriquées, je suis de ceux pour qui il n’y a jamais eu, et pour qui il n’y a, et il n’y aura que l’Imperium Romanum, comme tous les rêves il ne meurt jamais. Ceci dit écoutons un peu de musique. Car parfois, les Dieux nous font signe.

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    Justement les voici. Pas tout à fait eux, mais Deos, un groupe de metal basé à Annecy, formé en 2014 qui vient d’achever une tournée ( France et Belgique ) qui les a emmenés le 27 avril dernier au Bacchus de Château-Thierry, c’est en voyant sur le FB de Sabine Meunier que j’ai appris leur existence et que je les avais manqués – j’ai une bonne excuse j’étais dans l’antique Narbonaise. Ce 27 Mai 2022 sortira sur Wormholedeath & Announce le troisième album de DEOS intitulé Furor Bellis, occasion rêvée de réécouter les deux premiers.

    DEOS

    Jack Graved : vocals, bass / Fabio Battistella : guitar / François Giraud : guitar / Loïc Depauwe : drums / Harsh : keyboards 

    GHOSTS OF THE EMPIRE

    ( Septembre 2015 )

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    Overture : note funèbre prolongée sur laquelle s’articulent des tintements de glaives, ce n’est pas pour rien que Deos fait souvent suivre son nom de Legio, nous sommes loin de la Rome décadente, guitares martelantes qui avancent avec la lourdeur des légionnaires chargés de leur barda qui s’en vont étendre les frontières de l’Empire. Le morceau est court mais l’on sent que rien ne les arrêtera. Lupa mater : les fils de la louve entonnent le péan de la victoire, une course échevelée, au pas de charge, rumeurs de gorges en feu, ralentir, guitares et batterie reprennent souffle, cymbales balayées de glaives, la basse gronde, nuées d’orage lâchées sur le monde, attaquent en meutes. Song for courage : battre le fer tant qu’il est chaud, que ton cœur soit une forge dans laquelle tu tremperas tes armes, la meilleure des épées est celle qui bat dans ta poitrine… en contrepoint les larmes de la mort humidifient tes haillons de pourpre, les uns contre les autres, que la haine et l’envie du combat s’exaltent hors de ta gorge, c’est ainsi que résonnent les chants de la victoire, dans cette avancée terrible vers la gloire ou le néant. Attention l’en existe une version live sur YT qui permet de voir le groupe en action, habillé à la romaine, quoique le chanteur avec ses cheveux longs a un côté barbare non déplaisant, le son paraît davantage hypnotique que sur le disque.  Warfield : c’est sur le champ de bataille que se joue le sort de Rome, excitation et puis le calme et le silence juste avant l’assaut, chacun vers son destin, les grognements gloutons de Pluton au fond des enfers, la cavalcade de Mars, à tes côtés ou contre toi, aie confiance, les Dieux s’ils ne décident pas pour toi tranchent en faveur de Rome, elle est la fleur immortelle qui se nourrit de ta fierté et que tu arroses de ton sang, debout et en avant, une trace sanglante te suit jusqu’au bout du monde, une fois le combat engagée, l’appréhension de la peur n’a jamais existé, tu cours, tu fonces, tu enfonces, tu disloques, tu perces, tu tues, sans frémir, sans haine et sans reproche, exultation finale, tu lèves haut l’aigle de Rome sur des monceaux de cadavres. Souviens-toi, malheur aux vaincus ! Pompeii : roulements torrentueux, vocal comme un nuage noir qui obscurcit le jour, pierres et cendres tombent de partout, rythme implacable, nul n’échappera à son destin, la colère ou l’indifférence des Dieux est sans appel, éruption, rythme hachoir qui s’abat sur les malheureux humains, vocal cruel, impuissance des hommes, fin brutale. Cet album ne raconte pas l’histoire de Rome, chaque morceau est à écouter comme une carte postale que les morts de l’Empire nous enverraient depuis les Enfers, une simple image dérobée à un film de plusieurs siècles, c’est à l’auditeur d’interpréter les quelques mots non effacés et de les intégrer à son propre rêve. Britania : c’est aux limites du monde septentrional, en Bretagne, notre Angleterre, que les légions rencontrèrent une résistance désespérée, une fois celle-ci difficilement vaincue, elles s’aperçurent qu’elles n’avaient encore rien vu, les pictes furent intraitables, il fallut tout au nord du pays dresser un mur fortifié qui coupa l’île en deux afin de les contenir et de les isoler. Deos nous livre de bout en bout un chant tumultueux de victoire, désormais Rome était en sécurité. Imperator : un morceau à la gloire de Jules César. Musique écrasante, l’Imperator par excellence se dresse devant nous et Deos conte sa magnificence, son efficience, ses victoires, cet esprit de décision et son intelligence politique qui fit la différence. La batterie aussi lourde que les brodequins de ses légionnaires et le rythme aussi rapide que les déplacements de ses troupes. Mimesis : à voir le titre l’on ne s’attendrait pas à un tel déferlement, quelle est cette mimesis, est-ce celle de Jules César imitant les actions des principaux hégémons grecs, ou celle des membres de Deos s’interrogeant sur la manière dont leur art métallique se doit de donner une forme signifiante de la réalité de l’Histoire de Rome, n’oublions pas que César fut aussi homme de lettres et connaissait Aristote et Platon, mais pendant que nous nous interrogions la musique se calme, l’intensité est maintenant dans le vocal, les mots et les notes sont-ils des atomes parcellaires chargés de la puissance romaine. A notre avis, le plus beau morceau de l’album. Veni vidi vici : célèbre formule auto-glorificatrice de César, le morceau s’inscrit dans ces cavalcades victorieuses qui parsèment l’album. L’on est au plus près de l’action, dans le corps à corps, dans ces glaives que l’on assène sur les corps des ennemis. Incessant cliquètements des épées. Ce que tu veux, tu dois aller le chercher. Britania : ( Acoustic version ) : c’est un plaisir subtil auquel nombre de groupes de metal aime à sacrifier, ne sont pas que des brutes assoiffées de sang, alors ils coupent l’électricité et ils envoient l’acoustique, ici c’est assez réussi car la voix de Jack n’en paraît que davantage chargée de violence.

    IN NOMINE ROMAE

    ( Septembbre 2017 / Buil2Kill Records )

    Une couve qui ne fait pas de quartier. Comparée à celle-ci, celle de Ghosts of  the Empire, malgré son crâne ricanant et le bois de la table qui n’est pas sans évoquer les planches dont on assemble les cercueils est une évocation de la joie de vivre, soyons raisonnable, elle ressemble à une méditation sur la vanité de toute entreprise humaine. Nous ne sommes plus sous la tente d’un Imperator face à la carte qu’il vient d’étudier avant de livrer bataille, l’on peut ainsi envisager la guerre sous son aspect stratégique, voire intellectuel, vue de loin, elle n’est qu’une idée, la voici ici dans toute son horreur, le glaive taché de sang, la main de la future victime, et surtout cette détermination, ce désir de tuer sans pitié, sans culpabilité, un rictus de jouissance aux lèvres… Au cas où vous n’auriez pas compris, c’est écrit en toutes lettres, au nom de Rome. Pour ceux qui font la collection des images pieuses, un trailer de trente-cinq secondes vous présente de manière très peplumique le disque.

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    Armatura dei coragiosi : (armure du brave, n’oubliez pas que l’italien descend en droite ligne du latin) : qui dit italien dit opéra, l’on a droit à un super générique avec cuivres et grands mouvements d’enthousiasme. Pas très long, mais l’on pressent que sur son deuxième opus Deos a mis de la couleur dans son noir et blanc initial.  Pro Iovis Pro Mars : pour Jupiter dieu de la puissance et pour Mars le belliqueux. Entrée monumentale, se mettre sous l’égide de ces deux ouraniens c’est déjà se proposer un destin exceptionnel. Une partition lyrique mouvementée qui vous emporte, entrecoupée de vocaux, vous ne savez si c’est un homme ou un dieu qui marmonne, vous comprenez que c’est important. Caput Mundi : le monde ne possède qu’une tête, elle s’appelle Rome, c’est elle qui commande, qui décide, qui ordonne, ce qui a été invoqué au morceau précédent arrive et déboule sur vous, à toute vitesse, mais vous sentez la lourdeur de son passage, rien ne saurait lui résister. Des voix s’élèvent, il importe peu qu’elles acquiescent ou qu’elles soient mécontentes, le sens de l’Histoire peut parfois s’écrire en lettres de sang. Sapere aude : ose savoir, entrerions-nous dans le domaine de la sagesse, si le morceau commence doucement le rythme s’accélère, le plus important n'est-il pas de savoir oser, de dépasser les limites étroites qui vous emprisonnent et qui sont faites pour être repoussées… Oderint dum metuant : célèbre formule de Caligula, qu’ils me haïssent pourvu qu’ils me craignent, la sagesse n’est-elle pas le péristyle de la folie, les frontières ne sont-elles pas aussi au-dedans de soi, l’humain serait-il le microcosme du macrocosme, cris et assouvissements, roulements égarés de tambour, ne suis-je pas à moi tout seul Rome et le monde. Tragédie intime. Memento mori : lors de son triomphe, un général vainqueur défilait dans son char sous les acclamations du peuple, l’esclave qui tenait une couronne de lauriers sur sa tête lui murmurait souviens-toi que tu n’es qu’un homme promis à la mort… il est si facile d’outrepasser son humanité, de sentir en ses veines couler la puissance des immortels, Rome ne vous monte-t-elle pas à la tête. Le rythme est si rapide que rien ne semble pouvoir l’arrêter, ni dans le monde, ni dans vos méninges. Cincinnatus : une voix raconte l’histoire de Cincinnatus, que l’on vient chercher en son champ afin de lui accorder les pleins pouvoirs de la dictature, en seize jours il défait l’ennemi, et rejoint sa charrue s’abstenant de tout honneur. Même rythme triomphal, mais ce coup-ci ce n’est pas pour célébrer la folie humaine mais la vertu romaine, Si elle peut s’imposer au monde elle peut aussi vous donner des fondations mentales inébranlables. Ainsi vous devenez l’assise de Rome la plus sûre. Laudatio funebris : éloge funèbre, intro musicale magnifique, fermez les yeux, vous voyez le film, le mourant qui agonise, l’appel aux survivants, une scène grandiose avec chœurs et orchestration quasi-symphonique. Imperial et impérieux. Honneur à ceux qui ont assez de caractère pour accepter de mourir pour Rome. Rendre à Rome ce qu’elle vous a donné. Mylae : navire glissant sur l’onde amère, Rome risque gros, inexpérimentée sur mer elle livre combat à la redoutable flotte carthaginoise, scène de film, la batterie martèle la cadence aux rameurs, ahanements et impulsions décisives, choeurs de matelots, Mylae fut la première victoire navale de Rome. Post tenebras lux : voix de basse claironnant la victoire de Rome, lumière après les ténèbres. Cunctator : ce surnom de temporisateur fut donné à Fabius Maximus qui refusa de livrer combat à Hannibal qui marchait sur Rome, non par peur mais par prudence. Après deux défaites écrasantes l’Histoire lui donna raison. Bourdonnement d’abeille qui se heurte contre une paroi de verre, les contraires se rejoignent pour mieux s’opposer, rythmique martelée, il faut parfois savoir se résoudre à renoncer à ses habitudes de victoire pour triompher. Aut vincere aut mori : les mots d’abord, l’on a tendance à réduire Rome à son histoire, ses monuments, sa légende, c’est oublier avant tout qu’elle fut une volonté synthétisée en de courtes formules dispensatrices d’une énergie folle, c’est cette volition du vouloir vivre que tente d’exprimer ce morceau. La musique sort des paroles comme le fruit est engendrée par la fleur, ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort a dit Nietzsche, ce qui vous tue aussi pensaient les romains. Un des meilleurs titres de l’album, une espèce de cantate métallique baignée de la foudre des Dieux.  Delenda Carthago : grandiose, l’obsession romaine, vaincre ou périr, détruire ou être détruit, le disque se termine en apothéose musicale, les dieux ont enfoui Pompéi sous une pluie de cendre, Rome a eu raison de Carthage. Un point partout. Egalité. Incendie au centre. Vae Victis.

    Cet album, paru en 2017, empli de violence mélodique n’est pas sans résonnance avec l’actualité. Il faut l’écouter et le méditer. Rome n’en finit pas d’apporter des réponses aux questions que l’on n’ose pas se poser.

    Damie Chad.

     

     

    SNOW COUNTRY

    ERIC CALASSOU / RAUL  GALVAN

    ( YT / 25 – 04 - 2022 )

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    Tiens, pendant mon absence quelqu’un a posté un truc de country sur mon FB, je ne voudrais pas critiquer avant d’avoir entendu mais l’image ressemble plus à un paysage japonais qu’à une vue des Appalaches, pas étonnant c’est d’Eric Calassou. Les kr’tntreaders lèvent l’oreille, le Calassou on connaît sur le site, ses photos et surtout son groupe, Bill Crane, style rockabilly dissident si vous voulez une étiquette, mais quoi qu’il fait au pays du Soleil Levant ? Rien du tout, pour la simple et bonne raison qu’il s’est installé en Thaïlande.

    J’avoue mon ignorance, j’ignorais jusqu’à l’existence de Raul Galvan, j’ai découvert en écoutant la vidéo, facile à reconnaître même si on ne le voit pas, l’est le seul à jouer. De la guitare classique. Quant à l’Eric – un gars doué, il chante, il joue, il photographe, il peint, il écrit – il n’en touche pas une, s’est contenté de composer, ne l’avait jamais dit mais je me suis aperçu en zieutant les vidéos que Raul Galvan interprète deux autres de ses compositions Valse et In the mood for love. Raul Galvan n’est pas un rocker, s’inscrit dans une autre tradition, celle de Villa-Lobos pour le situer un peu.

    Eric Calassou a composé Snow Country après la lecture de Pays de Neige de Yasunari Kawabata, voici quelques années la lecture de ce court roman de l’écrivain japonais m’a laissé un peu froid. Nous sommes à l’opposé du style manga, tout est dans la subtilité ce qui n’est pas un mal en soi, mais me suis senti étranger à l’atmosphère idéologique trop datée à mon goût de ce récit écrit en 1935, perso je préfère les manieurs de sabre à la Mishima, mais ceci est une autre histoire.

    Quel beau son de guitare, ce Galvan, sait faire résonner ses cordes à la perfection, pas besoin de trois tonnes d’amplis pour donner de l’épaisseur, z’avez envie de vous y enfermer dedans comme un escargot dans sa coquille. Vous donne l’impression d’être un flocon de neige qui se pose sur une branche de cerisier. Réalise un autre exploit, écoutez bien, vous n’entendrez pas le silence, juste la musique, l’on dirait qu’il a collé les notes entre elles, l’obtient cet effet par la résonnance des cordes qui comble les vides. Le mieux est d’écouter sans regarder les images qui se suivent sur la vidéo. Elles sont un peu superfétatoires même si la dernière nous montre la photo de Matsuein l’onsen Geisha qui a inspiré le roman.

    Plus difficile, reste à cerner le mode et le monde du compositeur. Un instant d’âme ou de rêve dévasté. Un pays de neige qui n’appartient qu’à lui, dont il a effacé les traces pour que l’on ne puisse l’y rejoindre. Un Calassou sous le sceau du secret.

    Damie Chad.

     

     

    CRISTAUX LIQUIDES / RESTE SAGE

    POGO CAR CRASH CONTROL

    ( Clip Officiel ) 

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    Encore une trentaine de jours et paraîtra Fréquence Hostile, le nouvel album de Pogo Car Crash Control. En avant-première le 12 avril, z’ont été gentils, nous ont refilé deux des titres, Cristaux liquides et Reste sage. Sur You Tube avec la photo de la couve de l’album. Mais ce n’est pas de cela dont je veux parler, mais de la parution, trois jours plus tard, du clip officiel qui met en scène les deux morceaux.

    En fait je ne veux même pas en parler, juste signaler sa présence. Y aurait beaucoup à dire sur l’évolution du son, mais là n’est pas le sujet. Ce clip est une petite merveille de mise en scène. Aucun crédit ne permet de l’attribuer à son  / ses  concepteurs, c’est dommage l’auraient mérité. Les premiers clips du groupe ont amplement fait connaître les P3C à ceux qui n’avaient pas encore eu la chance de les voir sur scène. Mais là l’on passe à une dimension supérieure. Les plans s’enchaînent d’une manière diabolique. N’hésitez pas à arrêter la vidéo pour vérifier le moindre détail, nous avons affaire à un montage de haute précision, ce qui n’empêche pas de retrouver l’esthétique chère aux Pogo, ce kitch lourdement grossier et nécessairement subtil qui pourfend les représentations sociétales de la vie convenable.

    Les Pogo nous livrent un film de six minutes. Ne leur en faut pas plus pour dynamiter les situations archétypales sur lesquelles sont fondées les réactions humaines. Touchent là à l’essence iconoclastique du rock ‘n’roll. Les images que nous adorons et que nous renvoyons au monde ne sont pas faites pour nous ressembler mais pour déchirer nos existences. Si nous sommes des êtres pour la mort, de quelle mort s’agit-il ? Celle que nous vivons tous les jours, ou celle que nous regardons sur nos écrans. Et surtout, quelle est celle qui tue le plus ?

    Damie Chad.