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  • CHRONIQUES DE POURPRE 595: KR'TNT 595 : TELEVISION / HORRORS / GEORGE HARRISON / INSPECTOR CLUZO / BARRETT STRONG / MARIE DESJARDINS / ROCKABILLY GENERATION NEWS /ASHEN / CÖRRUPT / JHUFUS / ROCKAMBOLESQUES

     KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 595

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    06 / 04 / 2023

     

    TELEVISION / HORRORS

    GEORGE HARRISON / INSPECTOR CLUZO

    BARRETT STRONG / MARIE DESJARDINS

    ROCKABILLY GENERATION NEWS ( 25 )

      ASHEN / CÖRRUPT / JHUFUS

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 595

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Television Personality - Part One

     

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             De tous les punks qui sont arrivés en France en 1977, ceux qui foutaient le plus la trouille étaient certainement les quatre zombies de Television. On tremblait devant la vitrine où se trouvait exposée la pochette macabre de Marquee Moon, suspendue par deux pinces à linge. Les médias de l’époque n’en finissaient plus de décrire l’état de dégénérescence dans lequel la société new-yorkaise avait sombré, mais c’est en voyant la pochette de Marquee Moon qu’on réalisait à quel point c’était grave. On scrutait les peaux grises de ces quatre pauvres hères, leurs mains pleines de veines et leurs regards fixés sur le néant. On connaissait leur premier single Ork, le faramineux «Little Johnny Jewel» chanté d’une voix incroyablement maniérée, et bien sûr, c’est en B-side que le destin du groupe se jouait, grâce à ce solo interminablement délictueux. Mais en dépit de ce signe avant-coureur, rien ne pouvait nous préparer à la séance d’électrochocs que nous réservait Marquee Moon. L’âme de ce quatuor de zombies portait le doux nom de Tom Verlaine. Il partageait les prérogatives guitaristiques de Television avec un certain Richard Lloyd.

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             On se doutait bien que Tom Verlaine n’était pas en bonne santé et qu’il finirait, comme tout le monde, par casser sa pipe en bois, aussi l’heure est-elle venue de lui rendre hommage. L’idéal pour mieux connaître ce singulier personnage est de plonger dans les mémoires de Richard Lloyd qui eut le privilège de le côtoyer pendant de longues années, sans pourtant être son ami et confident. Dans Everything Is Combustible, Lloyd n’en finit plus de rappeler que Verlaine mettait un point d’honneur à garder ses distances. L’ouvrage est passionnant car il permet de pénétrer au cœur du mythe de Television qui fut, au temps de Marquee Moon, un groupe relativement révolutionnaire.

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             Lloyd vit à New York lorsqu’il rencontre pour la première fois Verlaine qui ne s’appelle pas encore Verlaine. Ça se passe au Reno Sweeney’s, un club du Village, on the South side of 13th Street - this house of weirdos - Terry Ork qui héberge Lloyd l’emmène voir jouer un inconnu. Richard Hell est aussi présent ce soir-là, il connaît Verlaine. Ils viennent tous les deux du Delaware. Quand Verlaine arrive dans le bar en trimballant son ampli et sa guitare, Hell lui file un coup de main pour s’installer. Puis Hell arrange son look : il agrandit les trous de son T-Shirt. Verlaine se retrouve avec une épaule et un téton à l’air. C’est le début du look. Verlaine joue trois cuts seul sur scène en s’accompagnant à la guitare électrique. L’une d’elles est «Venus De Milo». Lloyd le trouve intéressant. Il trouve que Verlaine has «it». Les lyrics sont à double, voire à triple sens, et les mains de Verlaine sont trop larges pour le manche. Alors il joue comme Jimi Hendrix, en partie avec le pouce - The thumb way over on the fretboard - Lloyd flashe sur Verlaine. Et comme l’Ork veut rééditer l’exploit d’Andy Warhol avec le Velvet, c’est-à-dire mentorer un groupe à dimension historique, Llyod lui indique, aussitôt après le set de Verlaine, qu’il vient de lui trouver son Velvet. What ? L’Ork ne pige pas. Alors Lloyd explique à l’Ork que «Verlaine a quelque chose de spécial, mais il lui manque quelque chose, et ce quelque chose, c’est lui, Lloyd.» Puis il renverse le raisonnement en expliquant à l’Ork qu’il est lui-même «quelqu’un de spécial mais qu’il lui manque quelque chose, et ce quelque chose, c’est Verlaine.» En conclusion, si l’Ork réussit à les réunir tous les deux, il aura son Velvet.

             L’Ork les réunit et Television commence à bosser dur. Six heures par jour. Verlaine chante quatre cuts, Richard Hell quatre aussi, et Lloyd deux. Llyod dit aussi qu’Hell ne bosse pas du tout sa basse chez lui, il n’en joue qu’aux répètes. Il y déjà une petite rivalité entre Verlaine et Lloyd, chacun voulant jouer les solos. Il se mettent d’accord sur un 50/50, qui va ensuite devenir un 60/40, mais bon, Lloyd n’est pas un chipoteur. Verlaine montre les basslines à Hell, mais comme il ne bosse pas chez lui, ça reste compliqué. Hell ne vit que pour la scène. Lloyd aime bien son style - wacky and loopy - un style qui lui rappelle celui de McCartney, surtout quand il est stoned - Richard amenait un rogut whiskey called Wilson’s qu’on partageait ensemble - Tout le monde s’amuse bien dans Television, sauf Verlaine qui se plaint du poids de sa responsabilité en tant que directeur musical. Pour leur premier concert, début mars 1974, ils louent une salle, the Townhouse Theater. Ils invitent la crème de la crème : Nicholas Ray bourré - You guys are four cats with a passion - Lenny Kaye et d’autres luminaries. Ils ont acheté des bières pour se faire un peu de blé, mais comme ils n’ont pas réussi à tout vendre, ils sifflent le reste du stock à trois, Hell, Lloyd et l’Ork. Bien sûr, Verlaine ne boit pas. Lloyd n’a jamais vu Verlaine fumer d’herbe ni picoler - Je l’ai seulement vu boire un verre ou deux dans toute l’année - Verlaine avait essayé les drogues psychédéliques, mais ça ne lui avait pas plu. Au CBGB, on les prend pour des junkies ! Hell en est un, c’est sûr, mais Lloyd ne l’est pas encore. Et Verlaine jamais de la vie.

             Avant de monter sur scène, Verlaine se mouche. Puis il demande à Lloyd de vérifier qu’il ne reste pas une crotte de nez dans sa narine. C’est sa hantise - He was neurotic about it - Lloyd finit par l’envoyer promener. Verlaine demande ensuite à Hell qui l’envoie aussi promener. Sur scène, Verlaine ordonne à Hell d’arrêter de sauter partout. C’est le commencement de la fin. Après les concerts, Verlaine ne traîne pas avec ses collègues. Lloyd dit être allé en tout et pour tout quatre fois chez Verlaine et Verlaine n’est jamais venu chez lui. 

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             C’est l’Ork qui négocie un set au CBGB avec Hilly Krystal. Premier concert fin mars 1974. L’Ork demande à jouer le dimanche, jour de fermeture, et promet que si la recette n’est pas bonne, il complétera de sa poche. Banco, dit Hilly. Et voilà, c’est ainsi que se font les choses. Il suffit d’avoir l’idée et d’engager les gens. Lloyd rappelle qu’avant Television, deux groupes jouaient au CBGB : les Leather Secret, un groupe SM en cuir noir, et les Stilettos, avec Debbie Harry et Fred Smith qui deviendra un peu plus tard le bassman de Television.

             Au départ, Lloyd joue au milieu de la scène. Puis un jour, Verlaine demande à jouer au milieu de la scène et à chanter toutes les chansons. Lloyd n’aime pas trop le procédé, mais il ira jouer à gauche jusqu’à, dit-il, «la fin de ma carrière dans le groupe». Hell sent qu’il est devenu indésirable et se barre - C’est exactement ce que Tom voulait - Lloyd envisage aussi de se barrer car il considérait Hell comme l’un des moteurs de Television - He had the crazy movie star look and the action to go with - En plus, c’est Hell qui a proposé le nom du groupe.

             C’est avec l’Ork et l’Hell que Lloyd passe à l’héro. L’Ork les emmène chez ses contacts and the three of us would get stoned.

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             L’un des premiers à s’intéresser de près à Television c’est David Bowie. Il propose de produire le groupe - Of course Tom said no - alors Bowie ira produire Iggy avec le succès que l’on sait. De manière générale, Verlaine dit toujours non. Hall And Oates les envoient rencontrer le manager Tommy Mottola. Verlaine se chamaille avec Mottola sur une question de pourcentages. Quand ils sortent du bureau de Mottola, Lloyd demande à Verlaine pourquoi il l’a envoyé promener et Verlaine lui dit qu’il n’a pas envie de finir sur scène à Vegas. Quand McLaren est à New York, il louche sur Richard Hell et sur son look. Il propose à Verlaine de manager Television et Verlaine lui répond : «No way». C’est juste avant la formation des Pistols. Lloyd pense qu’avec McLaren, ils seraient devenus millionnaires, but Tom said no. Donc, pas de manager. Patti Smith tombe amoureuse de Verlaine, mais Verlaine ne tombe pas amoureux d’elle. La relation ne fait pas long feu. Verlaine est antisocial, nous dit Lloyd. Il raconte aussi que Verlaine voyageait sans bagages, juste un sac en plastique - Tout ce que faisait Tom, c’était fumer des clopes, boire du café et ressembler à un clochard. He was an absolute embarrassment to be around, but I had no choice - Autre caractéristique de cet incroyable personnage : il cultivait un mépris souverain pour tout ce qui n’était pas lui, et il croyait que les gens passaient leur temps à le copier, notamment, nous dit Lloyd, David Byrne et Lloyd Cole.

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             C’est Verlaine qui insiste pour que «Little Johnny Jewel» soit le premier single de Television. Lloyd dit jouer très peu là-dessus. Verlaine et Lloyd s’engueulent et Lloyd quitte le groupe. Il va être remplacé par Peter Laughner, l’excellent guitariste de Rocket From The Tombs. Un jour, Laughner arrive chez Verlaine et fait le con avec un flingue chargé. Il fout la trouille à tout le monde. Verlaine is freaked out. Fin de l’épisode Laughner qui de toute façon va casser sa pipe en bois aussitôt après, grâce à une bonne petite cirrhose. Alors Llyod réintègre le groupe, sans plus de formalités.

             En ce qui concerne le CBGB, Lloyd remet les choses au clair : c’est lui et l’Ork qui ont programmé les groupes pendant trois ans au CBGB. Quand l’Ork ne sait pas ce que vaut un groupe inconnu, Lloyd le sait - Terry Ork et moi furent plus responsables du succès du CBGB que ne le furent Tom Verlaine, Richard Hell ou encore Television.

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             Lorsque Television va jouer à Cleveland, ils assistent au sound check des Rocket From The Tombs. Cheetah Chrome qui est sous acide se bat avec Crocus Behemot, a rather large fellow. Quand il les voit jouer, Lloyd les trouve heavy and poweful. Il rêve de se joindre à eux. Il ne le fera que 25 ans plus tard, lorsqu’il deviendra membre du groupe. L’ironie de l’histoire, c’est que Peter Laughner voulait prendre la place de Llyod dans Television, mais c’est Llyod qui prendra la sienne dans Rocket From The Tombs (il joue sur Barfly). Quand il les voit sur scène à Cleveland, Lloyd dit que c’est l’un de leurs derniers shows. En splittant, le groupe donne naissance à Pere Ubu d’un côté, et aux Dead Boys de l’autre.

             Le premier à approcher Television pour un contrat, c’est Seymour Stein, le boss de Sire. Mais son offre est pauvre. Il propose un budget d’enregistrement de 6 500 $ et 1 000 $ d’avance. Il ne prend pas de risques, nous dit Llyod, car il reçoit 2 500 $ d’un label anglais quand il signe un nouveau groupe. C’est comme ça qu’il a eu Talking Heads, les Ramones et les Dead Boys. Il veut aussi Television, mais Verlaine ne veut pas lui adresser la parole. Il dit à Lloyd de se débrouiller avec lui. De toute façon, c’est non. Alors Stein leur prédit qu’ils finiront comme le Grateful Dead : «Rabid audience but very little radio play.» Ce qu’on appelle ici un succès d’estime.

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             Bon, ils finissent par signer avec Elektra. Verlaine veut signer seul, c’est-à-dire en son nom pour le groupe, mais le label dit non. Il doit signer avec Lloyd, Fred Smith et Billy Ficca - On pensait tous qu’on formait un groupe, sauf Tom qui envisageait de prendre le contrôle, petit à petit - Quand ils enregistrent Marquee Moon, ça fait déjà trois ans qu’ils jouent ensemble. Après avoir commencé à bosser avec Brian Eno et Allen Lanier, ils optent pour Andy Johns, le petit frère de Glyn Johns. Andy commence par mettre au point le son de la batterie. Elle sonne comme celle de Led Zep et Verlaine flippe : «Oh no no no, we don’t want big drums. We want small drums without all the effects on.» Andy est vexé car il dit que ce son de batterie est «sa signature». Il menace de rentrer en Angleterre. Il demande aux Television pourquoi ils veulent un son tout pourri. «C’est une spécialité new-yorkaise que de vouloir un son aussi pourri que celui du Velvet Underground ?», demande-t-il aux quatre Television ahuris. Bon, il est en colère, mais il reste pour le bifton. Verlaine réussit à le calmer.  

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            Elektra les prévient qu’il faut plus de temps pour concevoir la pochette que pour enregistrer. Alors ils anticipent et font appel au pote de Patti Smith, le photographe Robert Mapplethorpe. Quand Lloyd va faire des copies de la photo choisie sur un Xerox, il altère accidentellement l’image et c’est cette image altérée qu’on retrouve la pochette de Marquee Moon. À propos de cette image, Lloyd rapporte une anecdote tordante : Billy Ficca ne mangeait que des fruits et  légumes, notamment des carottes. Il en trimballait partout avec lui. «Billy ate so many carrots that he got carrotmania.» Sa peau est devenue orange, comme le montre la pochette de Marquee Moon. C’est la fin de la rigolade quand Llyod écoute l’acétate de Marquee Moon : il éclate en sanglots, car il ne retrouve pas le vrai son de Television - It did not sound as robust as it sounded in the studio - L’album sort en février 1977.   

             Marquee Moon est un album exceptionnel qui affiche le parti-pris d’un groupe à deux guitares clairvoyantes. Et dès «See No Evil», ils installent leur emprise. Ils entrent dans «Venus» comme ils entrent dans «Little Johnny Jewel», par la veine mélodique. De leur malaise et de leur goût pour le néant naît une réelle modernité. On le sait, le monde appartient à ceux qui n’attendent plus rien. Alors Tom Verlaine tombe dans les bras de la Venus de Milo - I feel sideways laughing/ With a friend from many stages - Ils tarabiscotent toutes les circonvolutions et misent sur l’extrême puissance de la prestance, leur son est humide comme le salpêtre d’un mur de cave et sent bon la terre des cimetières. À défaut de patiner merveilleusement, Verlaine déclame merveilleusement. Ils inventent le swing funkoïde avec «Friction», et le développent au tortillon de clairette. Ils sur-jouent aux entrecroisements de guitares d’avant-garde, ça va loin, leur histoire, ils développent l’hyper-ventilation musicologique, ils s’exacerbent à en tomber, ce qui ne doit pas être trop compliqué, vu qu’ils sont gaulés comme des gaufrettes. Cet album se met à sonner comme un monument baroque très spectaculaire, le son semble même se régénérer en permanence, comme s’il était sous perfusion. Et puis bien sûr, c’est avec le morceau titre qu’ils emportent la partie. Les tiguiliguili annoncent le maelström, les ponts réveillent les hideux démons de la prog, ils s’offrent de belles plongées dans les abysses et remontent en épingle au son d’un clairon digne du solo de Johnny Jewel. Par contre, la B édifie moins les édifices. «Elevation» est sans doute leur cut le plus connu, par son leitmotiv Elevation don’t go to my head, mais le côté trop déclamatoire, trop collet-monté les dessert. Trop sharp. Trop stiff. C’est Lloyd qui prend le solo sur «Elevation». Même s’il n’accroche pas véritablement, l’ineffable «Prove It» plait par les qualités mélodiques du solo. C’est une œuvre en soi, emboîtée dans une carcasse de rythmique Soul. Le retour de manivelle chant est une merveille. Ces diables de Verlaine et de Lloyd savent partir en solo, ils savent tirer des bordées vers l’horizon.

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             Dans Vive Le Rock, Duncan Seaman revient sur Marquee Moon et sur le fait que Verlaine et Lloyd jouaient des cuts longs à deux guitares, à la différence des autres groupes qui jouaient des cuts courts - two-minute smash-and-grab numbers - Pour Seaman, c’est cette différence qui fait de Marquee Moon l’un des albums essentiels de cette époque. Seaman fait un bref détour historique pour rappeler qu’Hell, Verlaine et Ficca arrivaient du Delaware et qu’avant de s’appeler Television, ils s’appelaient en 1973 les Neon Boys. On l’a vu, premier concert de Television en mars 1974 chez Hilly Krystal, puis ils commencent à partager l’affiche avec Patti Smith qui est alors poétesse improvisatrice. Pour l’enregistrement de Marquee Moon, Verlaine exige d’en être le producteur, associé à un ingé-son expérimenté qui est comme on l’a vu Andy Johns, fraîchement émoulu de Goat’s Head Soup. Les deux guitares sont multi-tracked ce qui donne ce distinctive interlocking sound qui nous plaisait tant à l’époque. Nick Kent salue l’album en le qualifiant  d’«inspired work of pure genius». Puis après le demi-échec d’Adventure, Verlaine va dissoudre le groupe. 

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             On reviendra sur Adventure dans un Part Two. Ils l’enregistrent avec John Jenson qui a bossé avec Jimi Hendrix à la fin de sa vie. Lloyd dit son exaspération d’avoir à attendre que Môsieur Verlaine ait fini d’écrire en studio les lyrics «for his silly little songs». Il trouve que ses chansons sont devenues «introverties». Il les compare même à des ongles incarnés. En studio, Verlaine devient un «crazy maker - someone who drives me insane with his shenanigans.» Verlaine devient de plus en plus dictatorial. Le groupe a même abandonné sa vieille méthode de vote à la majorité. Verlaine a pris le pouvoir. En puis, à l’été 1978, Lloyd reçoit un coup de fil de Verlaine, ce qui ne se produit jamais. Verlaine appelle pour dire qu’il quitte le groupe. Pour Lloyd c’est à la fois «un choc et un soulagement». Il en profite pour dire à Verlaine qu’il avait lui-même envisagé de quitter le groupe. Chacun part de son côté mais, comme le dit si bien Lloyd, l’idée d’une reformation n’est pas exclue. Elle va se produire en 1992.

             Il y aura donc d’autres albums de Television, comme on va le voir dans le Part Two. En 2007, Lloyd finira par quitter le groupe définitivement. S’il se barre, c’est parce qu’il en a marre que Verlaine fixe le montant de ses honoraires - I was tired of having my income determined by someone else - namely Tom Verlaine - Mais avec le recul, Lloyd se dit fier d’avoir joué dans Television, un groupe qui se moquait de ce que les gens pensaient - Television was a band that just didn’t care - We played our music and all of the rest could go to hell.  

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             Le regard que porte Lloyd sur le rock en général, et Television en particulier, apporte des éclairages passionnants. Richard Lloyd est ce qu’on appelle communément une force de la nature. Verlaine l’est aussi, de toute évidence, mais pas de la même façon. Les gens trop singuliers sont systématiquement critiqués. Lloyd en voulait certainement à Verlaine d’avoir gardé ses distances.  Le cœur de toute cette histoire n’est pas le lien qui unissait Llyod à Verlaine, mais celui qui unissait Hell à Verlaine, arrivés tous les deux à New York pour devenir poètes et conquérir la ville. Hell et Verlaine ont travaillé tous les deux chez Cinemabilia, une librairie spécialisée dans le cinéma, où travaillaient aussi Victor Bockris et Terry Ork. Hell et Verlaine se trouvent très exactement à l’origine de la scène punk new-yorkaise. Il faut relire l’autobio de Richard Hell, I Dreamed I Was A Very Clean Tramp pour se goinfrer de cette histoire passionnante. Dans un texte fascinant, Hell fait de Verlaine «the Mr. America of skulls», et de Llyod «a perfect male whore pretty boy face». Alors qu’Hell veut de la sauvagerie, il voit bien que Verlaine a une autre idée du son en tête, ces cristal-clear crisp sweet-guitar suites, et bien sûr, il voit le son du groupe subordonné à sa guitare. Leurs visions divergent radicalement. C’est pour ça qu’Hell part jouer dans les Heartbreakers avec Johnny Thunders. Lorsqu’on croise les deux lectures, celle de l’Hell book et celle du Lloyd book, on a une vision parfaite des racines de la scène punk new-yorkaise. Diable comme tous ces gens pouvaient être brillants ! Et visionnaires.

             Dans son book, Lloyd évoque souvent l’héro, qu’il commence à tester au lycée - By my late teens I had gone through just about every drug kwown to man - Il devient a full-fledged junkie au temps de Television, en compagnie de Richard Hell et de l’Ork. Contrairement aux autres, l’héro lui donne de l’énergie - I could drink all night and fuck all night and play guitar all night - Dans les toilettes du CBGB, les murs sont couverts de graffitis : on le surnomme ‘Mr Machine’ - I screwed like a machine - À Londres, Peter Perrett lui fait tester some very strong heroin et lui dit de faire gaffe, mais Lloyd se shoote toute la dose d’un coup et overdose. Il teste tout en permanence. Au fil du récit, il revient souvent sur sa passion pour les expériences. Il décrit aussi les effets des amphètes sur son corps. Ça le fascine. Il teste aussi l’homosexualité par curiosité. 

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             L’autre grande passion de Lloyd, c’est Jimi Hendrix, via son ami Velvert Turner. Vers la fin du book, Lloyd rapporte une scène extraordinaire : il va chez Velvert qui est sous angel dust, «one of the worst drugs you can possibly encounter». Rien qu’avec la fumée, t’es stoned, dit Llyod. Velvert est au pieu avec deux filles, en train d’en baiser une qui est aussi sous angel dust et qui lui crie : «Fuck me you black devil.» Tous les chapitres qu’il consacre à Velvert Turner sont des sommets du surréalisme psychédélique. C’est l’autre bonne raison de lire ce book. Velvert jouait aussi avec Arthur Lee. Il vivait même chez lui. Un matin, il se réveille brutalement avec des plumes qui volent autour de lui. Puis il voit Arthur Lee à la porte de la chambre, avec un flingue à la main. Il vient de tirer dans l’oreiller et lance à Velvert : «You stole my crack !». Pris de panique, Velvert sort du lit et saute par la fenêtre du deuxième étage avant qu’Arthur Lee n’ait eu le temps de tirer une deuxième fois. LA is that kind of place, conclut Lloyd.

             L’autre grand lien de Lloyd, c’est Anita Pallenberg qui flashe sur lui au CBGB - It was platonic love at first sight - Pas de sexe, juste du platonic love et du deep, ajoute Lloyd. Comme Anita vit avec Keef dans le Connecticut, Lloyd rencontre un Keef very friendly. Les pages où Lloyd narre cette relation sont aussi passionnantes que celles consacrées à Television. Plus on s’enfonce dans ce book, et plus on se dit qu’on est content d’être là.

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             Côté influences, Lloyd cite Jeff Beck qu’il a la chance de voir sur scène au Fillmore West avec le premier Jeff Beck Group, celui de Rod the Mod et de Ronnie Wood. Il cite aussi Jimi Hendrix, Buddy Guy, Magic Sam, Mike Bloomfield, Roy Buchanan, et les trois Kings, Albert, B.B. et Freddie. Il rencontre aussi John Lee Hooker qui le prend à la bonne et qui lui confie le secret du blues : il peut être joué sur une seule corde, qu’on remonte et qu’on redescend. Lloyd vérifie et découvre que certains solos de Jimi Hendrix sont effectivement joués sur une seule corde. Il donne tous les détails.

             Il rencontre aussi Danny Fields qui est déjà assez célèbre pour avoir managé Iggy & the Stooges et qui managera pas la suite les Ramones. Fields flashe sur Lloyd et l’héberge. Llyod accepte à une condition : no sex. Okay. Mais la condition ne tient pas longtemps et Fields cavale après Lloyd dans la baraque. Lloyd n’a vraiment plus envie de faire ce genre d’expérience et il dit non. Alors Fields lui propose un deal. Tu restes là devant moi et je me branle rien qu’en te regardant. Il n’empêche que Lloyd n’est pas à l’aise et à la fin du chapitre, il demande pardon à Danny. C’est là qu’il va s’installer dans le loft de Terry Ork. L’Ork est aussi homo, mais il fout la paix à Lloyd. La nuit, l’Ork bosse à la Factory d’Andy Warhol. Il fait des sérigraphies que signe Warhol et qui partent ensuite dans les galeries qui commercialisent son œuvre. L’Ork manage aussi la fameuse librairie Cinemabilia où bossent comme déjà dit Richard Hell et Robert Quine.

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             La dernière grande rencontre qu’il évoque dans ce bon book est celle de John Doe. Doe cherche un «New York ace» pour son nouvel album, Meet Joe Doe. Alors Lloyd prend l’avion pour Los Angeles. Meet Joe Doe est un bon album. On en parlait ici, quelque part en 2021. Et sous le pont Mirabeau coule la Seine, faut-il qu’il m’en souvienne...

    Signé : Cazengler, Télé pasteurisé

    Tom Verlaine. Disparu le 28 janvier 2023

    Television. Marquee Moon. Elektra 1977                         

    Richard Llyod. Everything Is Combustible. Beech Hill Publishing Company 2019

     

     

    Horrors boréales

     

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             Dans un vieux Mojo de 2009, Chris Ziegler saluait l’ascension météorique des Horrors, un gang de gamins qui se déclaraient influencés par les Scientists et les Stranglers. Pour leur premier album - Strange House - ils se planquaient derrière leurs coiffures et leur maquillage. Ils revenaient à la charge avec des machines pour un deuxième album, Primary Colours, inspiré cette fois par Joy Division, Neu! et Silver Apples. C’est justement là que se trouve le problème des Horrors : le côté caméléon. Pour savoir jouer à ce petit jeu, il faut s’appeler David Bowie. Car c’est un jeu extrêmement risqué. Si on change de son et qu’on n’a pas les moyens du changement, on perd la confiance des fans. Dommage, car on avait adoré les Horrors de la première heure.

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             Avec Strange House, les Horrors nous faisaient même le coup de la pochette New York Dolls, assis tous les cinq sur une banquette avec des chevelures extravagantes. La photo est en noir et blanc, bien entendu. Au plan musical, ils n’ont hélas rien à voir avec les Dolls. Ils font sensation en démarrant sur une cover du «Jack The Ripper» de Screamin’ Lord Sutch. Ils jouent adroitement la carte du boogaloo, les chœurs sont des horreurs définitives, c’est chanté à la démesure de Lux Interior. Mais après, ça bascule dans le gaga d’orgue bien sevré de pan la la, allez-y les gars, dansez ! «Count In Five» fait le taf, ces petits mecs se prennent pour Nuggets, les aw yeah de Faris Badwan valent bien ceux des Shadows Of Knight. C’est bardé de bonnes intentions, mais ça finit par se paumer sur la longueur («Draw Japan»). Les guitares de «Gloves» sont celles des Dolls et Faris Badwan chante avec des accents de Johnny Rotten. Il domine bien la situation avec «Little Victories», il dispose de ressources vocales inexplorées, il mène bien sa meute. «She Is The New Thing» est amené au mal de mer, c’est un ressac des Pixies. Les mauvaises langues diront qu’ils n’ont pas de patrie. Pareil pour «Sheena Is A Parasite» qui se retrouve à la croisée des chemins, entre gaga et Pixies, avec une dominante folie Pixy-Méricourt. Mais on les voit ensuite se diriger vers la new wave («Thunderclaps») et c’est pas beau. Leur crédibilité fond comme beurre en broche. Dommage, pour un album si bien amené.

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             Pour se remonter le moral, on s’est tous jetés à l’époque sur The Horrors EP, parce qu’il s’y niche une fantastique cover de «Crawdaddy Simone», le hit mythique des Syndicats. Une fille donne la réplique à Faris Badwan, wouahhh ! C’est explosif ! Leur dialogue bat tous les records de ferveur élégiaque. Ah il faut avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie. Wouahhh ! Sinon, on retrouve leur version de «Jack The Ripper» qui reste un modèle de trash boogaloo et l’excellent «Sheena Is A Parasite» amené à la basse fuzz et chanté au scream pur, à cheval entre Frank Black et Peter Aaron. Dommage qu’ils n’aient pas continué d’explorer ce filon, car ils disposent d’une réelle énergie. En réécoutant «Excellent Choice», on découvre qu’ils utilisent les voix doublées du Velvet. «Death At The Chapel» est aussi une belle dégelée déflagratoire. Ils sont capables de tout. Et puis petite cerise sur le gâtö : on les voit tous les cinq au dos du digi avec leurs dégaines de Dolls. Wouaaahhh !

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             Deux ans plus tard arrive dans les bacs Primary Colours, l’album caméléon. Ils changent de son et passent à l’electro. En fait, ils cherchent leur voie, on se croirait chez les Psychedelic Furs, avec des petites virgules de new wave, dommage car Faris Badwan a une bonne voix, mais il fait sa pute, c’est plus fort que lui. Les quatre premiers cuts sont pénibles, ça pue l’arnaque, mais il y a un son et un horizon. Le peu de crédibilité qui leur restait disparaît avec «Do You Remember». Ils jouent avec le feu mais n’en ont pas les moyens. Les seuls capables de lever de telles tempêtes sont les Boo Radleys. Ces saintes Horrors sauvent leur album avec un «New Ice Age» amené au heavy drumbeat. Mais après, ça rebascule dans le sous-New Order, avec des cuts alimentés par des tensions de bassmatic et des synthés. Cette cloche se prend aussi pour Nico dans «I Only Think Of You». L’«I Can’t Control Myself» n’est heureusement pas celui des Troggs, et la suite tourne à la catastrophe. The horror.

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             Avec Primary Colours, on avait bien compris qu’ils avaient opté pour la new wave. Ce qui tendrait à confirmer Skying, une album encensé par la presse anglaise. Ils visent les grosses ambiances psychédéliques, c’est un son très anglais, très harmonique, peut-être un peu trop Britpop. Ils ont acheté des machines, c’est vraiment dommage. Ils jouent dans l’épaisseur des effets, ils font du Radiohead mais sans la qualité de Radiohead. Trop de machines. Ils tentent leur chance, cut après cut, et ça ne marche pas. On entend de très beaux chœurs de cathédrale dans «I Can See You Through», ils jouent leur petit va-tout et tartinent ça de prod all over. Ça devient enfin sérieux avec «Endless Blue», vite envenimé. On se croirait chez Grand Mal. Exactement le même son. Les Horrors se prennent pour Bill Whitten et ça devient enfin marrant, avec un son ravagé par des accords. Des accords, oui, mais des Panzani ! Puis ils amènent «Drive In» à la heavy psychedelia et ça marche. Ils ont le ticket to ride, ils jouent ça à la renverse sur canapé d’accords de réverb. Hélas après ça dégénère. Ils renouent avec la fucking Britpop dans «Wild Eyed», c’est délicat d’en parler car on croit se faire baiser à chaque fois et la suite devient carrément insupportable. Ils plongent dans des grooves de boogaloo assez empiriques et on finit par en avoir vraiment marre de leurs conneries.

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             Paru en 2014, Luminous est encore un album de machines. Dès «Chasing Shadows» on assiste au lever du soleil avec un parfum de psychelelia dans l’air et soudain, ça explose. Ils taquinent les cuisses de leur muse. Belle ampleur, en tous les cas. Mais ils retombent vite dans les travers de la Britpop avec «First Day Of Spring», sans doute subissent-ils une forte pression commerciale. Il y a dans leur son trop d’échos de groupes à la mode, dont on ne citera pas les noms pour ne pas salir le blog. «First Day Of Spring» sonne comme un atroce suicide hermaphrodite. En fait, on se demande pourquoi ces fans des Dolls et de Crawdadddy Simone ont viré new wave. C’est une énigme. Ils font du U2 avec un manche à balai dans le cul, et on ne peut vraiment rien faire pour les aider, à part acheter leurs albums et les écouter. Le pauvre Faris Badwan plonge son groupe dans la pire new wave jamais imaginée. Cet album est encore plus catastrophique que les précédents. «Falling Star» est un chef d’œuvre de soupe aux choux. Rrrrrrru ! Rrrrrrrru !

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             La pochette de V n’est pas belle : ils ont fabriqué un cœur avec des masques de cire. Côté son, ça ne s’arrange pas vraiment. Ils jouent la carte de la grosse electro house, c’est assez puissant, il faut bien le reconnaître. C’est la voix de Faris Badwan qui ne va pas. Il est trop britpoppé du ciboulot. Avec «Press Enter To Exit», ils repartent dans les machines. Trop de machines. On s’en doutait un peu, mais pas à ce point-là. Justement, ils ont un cut qui s’appelle «Machine», mais c’est joué à la basse avec des résonances. Ils en profitent pour redresser la barre, car c’est bien envoyé, in the face. Dommage que tout l’album ne soit pas de ce niveau. Ils sauvent cet album qui prend l’eau avec un «Weighed Down» amené aux guitares lointaines d’Arizona, celles de la Rivière Sans Retour et Faris Badwan fait sa rivière, alors ça devient un Big Atmospherix bien tempéré, assez convaincu et vite élevé sur les hauteurs. Ils attaquent «It’s A Good Life» aux machines et ils parviennent on ne sait comment à arracher la beauté du ciel. Alors là bravo ! 

    Signé : Cazengler, Horrorripilant

    Horrors. The Horros EP. Stolen Transmission 2006

    Horrors. Strange House. Loog 2007

    Horrors. Primary Colours. XL Recordings 2009

    Horrors. Skying. XL Recordings 2011

    Horrors. Luminous. XL Recordings 2014

    Horrors. V. Wolf Tone 2017

     

     

    Wizards & True Stars

    - Le roi George

     

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             George Harrison inspire un tel mélange de respect et d’admiration qu’on pourrait presque l’appeler le roi George. Mais lui n’aurait jamais accepté d’être bombardé roi. Tant pis, on va quand même le bombarder roi d’Angleterre. S’il faut un roi dans ce pays, autant que ce soit lui.

             En 2011, Martin Scorsese lui consacrait un film de quatre heures, l’excellent George Harrison: Living In The Material World, qui est du niveau de celui qu’il consacra en 2005 à Dylan, No Direction Home: Bob Dylan. Scorsese fait partie de ceux qui ont tout compris : il sait raconter la vie d’un homme exceptionnel. D’ailleurs, il ne s’intéresse qu’aux êtres exceptionnels, même s’il s’est bien vautré avec The Last Waltz. Peu importe, on ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs. Le portrait qu’il brosse du roi George est une œuvre grandiose, d’une justesse imparable. Scorsese a compris que ce qui caractérisait le mieux le roi George était l’émotion qu’il suscitait à la fois en tant qu’homme et en tant qu’artiste. C’est l’enseignement de ce film. Dylan suscite la fascination, Iggy Pop suscite un sentiment de filiation, John Lydon, Ray Davies et Mark E. Smith suscitent l’anglophilie, la vraie, celle du working class, Godard suscite le sentiment du divin, Gainsbarre l’affection, mais le roi George est un cas unique en Angleterre : on a beau chercher, personne ne suscite autant d’émotion que lui, surtout pas Paul McCartney, encore moins Ringo Starr et malgré tout le respect qu’on lui doit, certainement pas John Lennon. Pendant quatre heures, Scorsese s’applique à montrer cette différence fondamentale qui existe entre George et les trois autres. Des quatre Beatles, George est celui vers lequel on tend naturellement. Il n’est rien sans les trois autres et les trois autres ne sont rien sans lui. Scorsese brosse son portait à petites touches, rappelant par exemple que McCartney - qu’on va appeler Macac pour gagner du temps - se réservait toujours l’A-side des singles, laissant la B-side à Lennon, jusqu’au jour où Lennon a imposé le «Something» du roi George en A-side. Globalement, Macac ne sort pas grandi de ce film. Il parle d’une voix forte de vieil homme. On envisageait de l’introniser dans la série «Wizards & True Stars», mais il suscite une telle antipathie quand il témoigne qu’on doit renoncer à cette initiative. Par contre, Lennon est le grand absent de ce film. Il ne témoigne pas, ce qui semble logique, vu qu’il s’est fait buter. L’autre grand témoin est bien sûr l’invulnérable Ringo - Le rock est notre vice/ C’est la faute à Elvis/ Nous l’avons dans la peau/ C’est la faute à Ringo - C’est lui, le vieux Ringo, qui réussit à nous faire chialer à la fin de cette saga. Il nous explique que le roi George atteint d’un cancer est allé finir ses jours en Suisse, alors Ringo se rend à son chevet. Le roi George est alité, il ne peut plus bouger. Ringo lui explique qu’il doit ensuite se rendre à Boston où sa fille est hospitalisée pour une tumeur au cerveau. Et le roi George lui dit d’une voix faible (que Ringo imite au mieux) : «Do you want me to come with you ?». Le vieux Ringo se met à chialer. «Ce sont ses derniers mots», précise-t-il. Il enlève ses lunettes noires pour s’essuyer les yeux. Cette scène à elle seule résume l’histoire de George Harrison.

             Scorsese se montre à la hauteur de son personnage. Même quand on a déjà vu ce film plusieurs fois, on a chaque fois l’impression de le redécouvrir. Scorsese est passé maître dans l’art de déterrer des images d’archives extraordinaires et de les coupler avec du rock, le meilleur qui soit. Chacun sait qu’il a collé le Jeff Beck Group dans la BO de Casino et les Stones dans celle de Mean Streets. Pour illustrer l’historique de l’après-guerre, Scorsese cale un extrait de «Count Your Blessings And Smile» de George Formby. Comme le roi George est un enfant de la guerre, Scorsese balance des images de bombardiers nazis au-dessus de l’Angleterre. On pense alors à Lemmy qui lui aussi est né sous les bombes, puis c’est la victoire sur fond d’«All Things Must Pass», et Scorsese passe directement aux racines du mythe, avec le cocky little guy qui s’appelle George Harrison et son copain d’école «dickensienne» Macac, un Macac qui nous dit que son poto George avait beaucoup de cheveux, a fucking turban. Tous les deux, ils partagent une passion pour l’art - Art was a great golden vision - Il s’agit bien sûr du rock’n’roll. Comme Macac a commencé à fricoter avec Lennon, il ramène George qui sait jouer de la guitare - He could play the guitah - On connaît l’histoire par cœur, mais ça reste tellement excitant. George rigole parce que Lennon n’a que quatre cordes sur sa guitare et ne sait pas qu’il en faut six. Le jeune roi pratique une sorte d’humour anglais très froid mais irrésistible. Par exemple il indique qu’au début les Beatles n’avaient qu’une seule ambition : «Ballrooms, the big deal.»

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             Et boom, Scorsese envoie tout ce petit monde à Hambourg. Voilà les plans couleur de la Reeperbahn, avec ses grosses putes allemandes, et puis voilà Klaus et puis Astrid la photographe, qui d’ailleurs témoignent tous les deux dans ce film. Klaus c’est Klaus Voorman, bien sûr, qui redit sa fascination pour les Beatles - So much personality - et c’est là qu’ils se mettent à porter du cuir noir, John, Paul, George, Pete Best et Stuart Sutcliffe. Ils dorment un temps dans un placard derrière l’écran d’une salle de ciné puis Astrid leur propose l’hébergement. Elle tombe amoureuse du beau Stuart dont l’histoire est superbement bien racontée dans un autre film, Backbeat, qu’il faut voir et revoir, car c’est probablement le meilleur film consacré aux Beatles. Tout le monde trouve George gracieux - The lovely sweet little George - Astrid trouve Paul et John so different  et pouf, catastrophe, Stuart meurt, en 1962. John qui n’a que 18 ans, est profondément affecté par ce drame. Retour à Liverpool. George place l’une de ses petits vannes mystérieuses : «How many Beatles does it take to change a light bulb ?» Le journaliste attend la réponse. «Four». Oui, il faut quatre Beatles pour changer une ampoule. Ça sent bon le Monty Python. On y reviendra.

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             Et boom badaboom les Beatles explosent, «I Saw Her Stranding There» et tu vois George prendre un solo de clairette exacerbée. Puis tu le vois sortir sa Rickenbacker. Toute l’imagerie du rock anglais est là, dans ces plans faramineux, tout vient de là, de George, son costard, ses boots et sa Ricken, une symbolique que cultiveront les Who comme les Byrds, le son, la classe. Les Beatles ne vieilliront jamais, car quel son ! Quelle énergie ! Autre personnage clé de cette histoire : George Martin, qui les rencontre en 1962. Et pouf, le label met la pression, il faut des hits et des albums, alors Macac et Lennon composent une chanson par jour, pas de problème, on a tout ce qu’il faut. George ne dit rien, il reste en retrait. Jusqu’au jour où il propose une compo, «Don’t Bother Me» - not particularly a good song, précise-t-il. C’est l’époque où Clapton devient copain avec George. Le loup entre dans la bergerie. Le roi George a pour épouse une très jolie petite blonde, Pattie Boyd, qu’on voit aussi témoigner dans le film. Plutôt bien conservée, pour une vieille Anglaise.

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             Le roi George expérimente le LSD par hasard. Il adore ça - I was in love with everything - C’est l’extase. Il décrit ses trips fabuleux. Il embraye directement sur Ravi Shankar et le sitar. Il recherche la perfection à travers la musique orientale. Shankar essaye d’expliquer à un journaliste anglais qui ne pige rien que la musique est une façon de communiquer avec Dieu. Pas besoin des mots, dit-il. Le roi George jubile : «My experience was of the best quality.» C’est ainsi qu’il définit sa quête : une recherche de la perfection. Dans sa façon de vivre, dans ses relations, dans sa musique. La perfection comme un art de vivre. C’est là qu’on commence à le prendre très au sérieux. Peu de gens dans l’histoire de l’art sont aussi résolument engagés dans ce type de quête. Après un épisode compliqué à Haight-Ashbury, le roi George laisse tomber le LSD et passe à la méditation. Il lui faut un maître et ce sera le petit Maharashi et sa voix de canard, de passage en Occident pour quelques conférences.

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             On arrive dans la zone la plus magique de l’histoire des Beatles, celle du White Album et Scorsese nous balance «Savoy Truffle». Les syllabes multicolores éclatent dans le purple haze - Cool cherry cream and a nice apple tart - tu entres dans le jardin magique de ton adolescence - Coconut fudge really blows down those blues - et tu tartines le But you’ll have to have them all pulled out/ After the Savoy truffle jusqu’à l’évanouissement. «Savoy Truffle» est un trip phonétique à part entière. Alors voilà Lennon qui entre dans ton champ de vision en costard blanc, Yoko qui évoque «Number Nine», l’une des clés du paradis, et voilà que Ringo quitte le groupe pendant les sessions du White Album  et qui revient - Reviens Ringo ! - Et puis on attend la plus importante, on sait que les notes vont surgir comme des fées au coin des images de Scorsese - See the love there that’s sleeping/ While my guitar/ Gently weeps - voilà donc l’un de tes morceaux préférés parmi tous les morceaux préférés du White Album - I look at the floor/ And I see it needs sweeping - tu chantais tout cela avec le roi George et ta peau frissonnait, car tout n’était ici que luxe, calme et volupté. «Why My Guitar Gently Weeps», c’était Baudelaire au XXe siècle. Mais à la différence de Baudelaire, George montait dans ses octaves, I don’t know why nobody told you et tu basculais dans un abîme de félicité.

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             Cet épisode magique prend fin lorsque Scorsese évoque la tension qui règne dans le groupe au moment de Let It Be, le roi George compose une merveille nommée «Something», puis «Here Comes The Sun» et ce little darling dansait au coin de ton esprit cette année-là, Little darlin’/ It’s been a long cold lonely winter, et puis voilà, les canards titrent Paul quits, c’est le fin du British Empire. Et George devient le roi d’Angleterre.

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             Il passe directement aux affaires royales : All Things Must Pass et Friar Park, son palais baroque. À disque royal, producteur royal : Totor débarque en costard noir et chemise rouge, il parle d’une voix de tenancière de lupanar et porte une perruque blonde, mais fuck c’est lui qui transforme «My Sweet Lord» en hit intemporel. L’œil brillant, Totor dit que le roi George a des centaines de chansons. C’est un roi, quoi de plus normal ? Ils passent douze heures sur le Sweet Lord, Totor qui se croyait le pire des perfectionnistes et dépassé par le roi George qui est encore pire que lui. Totor : «My Sweet Lord, that’s the hit !». Les autres trouvent la chanson trop religieuse. Totor tient bon. That’s the hit ! Quand un journaliste dit au roi George que cette chanson est intemporelle, il répond : «Oh is it ?». Puis il explique : «First its simplicity, and repetition. A mantra». Voilà la clé : le mantra.

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             C’est toujours un plaisir inégalé que d’ouvrir la box d’All Things Must Pass et d’en sortir ses trésors. On a salué longuement le charme pas discret de cette bourgeoisie fataliste lors de l’hommage à Totor, mais comme nous revenons faire un tour dans la cour des rois, nous allons nous replonger dans ce triple album qui fut, t’en souvient-il, l’un des plus hauts sommets de l’an de grâce 1970, un an pourtant riche en sommets. Aussitôt le balda lancé, force est d’admettre que le style du roi George est unique : mellow yellow, spirited au sens du spirit, de ce qui s’envole. Et puis... Uhm my Lord, le roi George entonne son chant avec une gourmandise distinguée, comme s’il était le vrai roi d’Angleterre, il faut le voir étaler «My Sweet Lord» au really want to show you Lord, il est le roi du gospel blanc et son gospel rivalise d’éclat avec l’Oh Happy Day, car bien monté en neige par l’autre génie de service, le Totor, et ça grimpe très vite au my-y-y Lord, en une belle apothéose de pâté de foi, hallelujah, la rythmique est une merveille de fouillis de beat et le roi George y tartine son miel de gratte. Tout cela est bien sûr joué au maximum des possibilités. Même quand le roi George fout le paquet avec «Wah Wah», c’est beau, mais beau vois-tu comme un paysage de Turner, ou pire encore, une plongée contemplative de Caspar David Friedrich. Beau et vif comme l’un de ces aplats carmins que Paul Gauguin appliquait sur ses toiles aux Marquises. Le roi George retrouve la veine mélodique de la beatlemania pour «Isn’t It A Pity». Totor te violonne ça vite fait bien fait jusqu’à l’horizon et le roi George ramène son pot de miel, tout cela reste très spectaculaire, comme si les génies respectifs de ces deux hommes se fondaient dans un ciel immense d’Eugène Boudin. On retrouve la magie mélodique en B avec «If Not For You», le roi George n’en finit plus de créer son joli monde d’harmonie et de miel de gratte, ce cut te cueille, c’est toi le fruit mûr qui se pose délicatement dans la bouche d’un roi et tu fonds dans ton propre jus sucré. Le roi George gratte la gratte du Paradis. En C, tu vas tomber sur un «Apple Scuffs» très dylanesque, secoué de gros coups d’harp mélangés au miel de gratte. Quel régal ! Tu ne sais plus si tu es le mangeur ou le mangé tellement le roi George te bouleverse les sens. Avec «Ballad Of Frankie Crisp», il propose une belle pop attachante de let it roll. On sent poindre dans sa joie de vivre l’ombre d’une immense mélancolie. Il y a du Goya en lui. «Awaiting On You All» permet de goûter à nouveau au génie productiviste de Totor, il donne à cette pop royale une profondeur incommensurable, une ampleur sans précédent. Tu ne croiseras pas tous les jours de telles convergences de génies. Une conjonction Totor/Roi George ne se produit qu’une fois par siècle. Totor ramène des trompettes mariachi dans l’«Art Of Dying» qui assombrit la D et on revient à la pop de suspension avec «Isn’t It A Pity», un cut tentaculaire qui s’étend aussi loin que porte le regard, et cette fois l’analogie avec Alfred Sisley s’impose naturellement. Le roi George clôt cet album fataliste avec «Hear Me Lord», une nouvelle rasade de purée spirited d’une fantastique ampleur. Sa voix évoque une matière très ancienne, il est à la fois l’océan et la montagne, le sable et l’écume, le vertige et la paix, la pierre et le bois, et Totor lui donne tous les pouvoirs du Wizard.

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             Le roi George a commencé à mépriser le matérialisme. Clapton en profite pour lui barboter Pattie, comme Keef a barboté Anita à Brian Jones. Clapton dit au roi George qu’il est amoureux de sa femme. Alors le roi lui répond : «Prends-là, elle est à toi.» Il n’est même pas fâché avec ce sale mec. Il a d’autres chats à fouetter, comme par exemple le Bengladesh. Le roi George s’engage pour le Bengladesh, il organise un benefit et porte un costard blanc comme celui de Lennon. On voit la belle Claudia Lennear danser dans les chœurs.

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             Dans sa quête de perfection, le roi George peaufine un son qu’on qualifié d’emotional. Il ne vise que la note juste. Puis sa voix se dégrade. On dit qu’il prend beaucoup de drogues. Il épouse Olivia et comme il est très lié aux Monty Python, il hypothèque son palais pour financer le tournage de La Vie De Brian. Quatre millions de dollars. C’est à cette époque que Lennon se fait buter à New York. Le roi George est en colère, angry que John n’ait pas quitté son corps in a better way. Quand Olivia lui annonce qu’on l’attend pour une récompense officielle, il refuse de s’y rendre - Find another monkey - Puis on tombe sur l’épisode tant attendu des Traveling Wilburys : pour le roi George, l’idée est de monter the perfect band. Il rassemble Roy Orbison, Bob Dylan et Jeff Lyne. Roy et lui chantent cette huitième merveille du monde qu’est «Handle With Care» - Everybody’s got somebody to lean on/ Put your body next to mine/ And dream on - Pur jus de roi George, dommage que Tom Petty frime autant. Puis arrive l’épisode dramatique de l’agression, une nuit, vers 4 h du matin, un mec rentre dans le palais du George pour le tuer et le rate. Alors pour le roi Geoge, le message est clair : il annonce qu’il doit se préparer à quitter son corps - À part l’amour du père pour son fils, I don’t see no reason to be here. À quoi bon tout cela, toute cette célébrité ? Toute cette fortune ?

    Signé : Cazengler, George Hérisson

    George Harrison. All Things Must Pass. Box Apple 1970

    Martin Scorsese. George Harrison: Living in the Material World. DVD 2011

     

     

    L’avenir du rock –

    Le culot des zozos de Cluzo

     

             L’avenir du rock aurait très bien pu s’appeler ‘Tu ne crois pas si bien dire’, ou mieux encore ‘Tu l’as dit bouffi’. Quelle relation avec le rock ? Aucune, c’est tout l’intérêt. Il pourrait aussi s’appeler ‘Aide toi et l’évidence t’aidera’, ou encore ‘À bonne évidence salut’. Ou encore ‘Il faut battre l’évidence quand elle est chaude’. Lorsqu’il croise son reflet dans un miroir, l’avenir du rock ne voit qu’une évidence. C’est à la fois son drame et son privilège : sa nature conceptuelle, comme celle de l’amour physique, est sans issue, hormis l’évidence. L’avenir du rock peut regarder en haut, en bas, à droite, à gauche, il retombe toujours sur l’évidence de son évidence. Dans la vraie vie, on appellerait ça un destin tragique. Dans le cas de l’avenir du rock, on appelle ça un schéma conceptuel forcé. Tu ne le sais sans doute pas, mais un concept peut aussi en baver, enfin c’est une façon de parler. Comme Atlas, l’avenir du rock est conçu pour porter le poids des évidences sur son dos. Ça ne paraît pas comme ça, mais les évidences peuvent peser des tonnes. Plus les évidences sont évidentes, plus elles pèsent lourd. Si tu veux chambrer l’avenir du rock, tu peux l’appeler ‘L’Atlas du rock’. Il ne sera pas fâché. Quand il en a marre de porter ses tonnes d’évidences, il fait son Sisyphe et les fait rouler sur la pente abrupte de l’Ararat, un schéma conceptuel d’autant plus cruel que la cause est juste, puisque ce sont des évidences ! Alors pourquoi s’inflige-t-il une telle corvée ? Pourquoi les évidences ne sont-elles pas de gros ballons multicolores flottant dans l’azur marmoréen ? Pourquoi s’épuise-t-il à faire rouler ses tonnes d’évidences sur une pente d’une telle raideur ? Parce qu’il entend bien assumer jusqu’au bout les aléas de son schéma conceptuel. Ça fait partie du job. Lorsqu’il arrive au sommet de l’Ararat et que sa tonne d’évidences lui échappe et bascule de l’autre côté pour dévaler la pente, l’avenir du rock s’assoit, allume sa clope et se dit que finalement une bonne tonne d’évidences dans la gueule de tous ces négativistes agglutinés en bas, c’est la meilleure des choses qui puisse leur arriver. Ça leur fermera une bonne fois pour toutes leur boîte à camembert. Après tout, l’essentiel est dans Lactel.  

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             Commence par dépasser tes a prioris (groupe français, bif baf bof, rock bio élevé à la ferme, baf bif bof, culturalisme régional, bof baf bif, réputation boogie rural, bif bof baf, white striping à la française, bif et baf et ratabof, en gros, tous les maux de la terre). Une fois que tu t’es débarrassé de toutes ces conneries et que tu te sens un peu moins élitiste, c’est-à-dire un tout petit moins con (mais pas trop), ça va mieux. Au pire, tu vas t’ennuyer pendant une heure. Alors, une heure, qu’est-ce donc comparé à l’univers ? Rien. Donc tout va bien dans ta pauvre tête de con.

             Tu retrouves ta chère barrière et les habitués du premier rang, toujours les mêmes. Tu regardes la première partie sans la voir, car tu penses à autre chose, une idée de conte. Il faut faire gaffe quand tu as des idées, elles peuvent t’échapper, il faut les matérialiser rapidement, mais sans ton ordi, c’est compliqué, alors il faut les amarrer dans ta tête, c’est-à-dire les construire, et tu mets en route le jeu des formulations, le premier jet est toujours fluide, tu sais que tu vas en perdre une grosse partie, alors tu reformules plusieurs fois tes phrases pour bien les mémoriser, ça demande un temps fou, ah il faudrait un bout de papier pour noter ça, mais pas de bout de papier, alors tu reprends tout au début, pour sauver ce qui reste de cette formulation d’intro si limpide, car c’est d’elle dont dépend toute la suite, oui car c’est dans les deux premières phrases que tu plantes le décor, que tu crées l’énergie du texte, tu y reviens, tu remanies et soudain les lumières s’allument et on te parle. C’est la fin de la première partie et tu as perdu le fil de ta formulation. Ah comme la vie peut parfois se montrer cruelle.

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             Et voilà qu’arrivent sur la grande scène les zozos de Cluzo. Le petit gros à la gratte s’appelle Malcolm et le maigre au beurre s’appelle Phil. Le petit gros annonce très vite qu’ils vont jouer les cuts de leur nouvel album, Horizon. Et hop, c’est parti ! Le gros gratte une bête à cornes, c’est-à-dire une Gibson SG bordeaux. Il est coiffé comme l’as de pique, autrement dit comme d’Artagnan, mais un d’Artagnan qui serait revu et corrigé par Abel Gance, très XIXe, avec la barbichette belzébutienne de Félix Fénéon, et dans ses tout petits yeux en trous d’aubépine, danse l’éclat vif d’une certaine malice. Non seulement il a du son, mais il aussi de la gueule, et il va vite basculer dans la démesure, et là mon gars, ça devient passionnant car tu as sous les yeux un artiste génial, une sorte de Pantagruel à la Leslie West, un personnage fabuleusement vivant et supra-doué, un petit gros comme on les aime avec des petites mains boudinées comme celles de Frank Black qui génèrent sur la gratte de fières giclées d’apocalypse, d’hallucinants ras-de-marée soniques, des vagues monstrueuses qu’il double d’arraches de glottes atrocement phénoménales, il se dresse dans sa tempête comme une sorte de Poséidon ivre de colère sourde, le cheveu en bataille et la bouche en entonnoir, il screame sa route à travers la jungle, il embrase les imaginaires agglutinés à ses pieds, il aspire le monde et recrache la vie, il illustre parfaitement le mythe des anciens dieux dressés dans les tourmentes, les cheveux dans les yeux, il développe tellement de puissance qu’il en devient surréaliste, mais on est bien embêté, car il n’existe pas de barbichettes chez les Surréalistes, des moustaches tout au plus, alors on va rester sur Abel Gance, car l’esthétique gancienne de la démesure convient parfaitement à notre gros bateleur.

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    Il n’est pas seulement gargantuesque, il est aussi et surtout homérique, tout le passif de la Méditerranée remonte en lui, comme sorti du sol et jaillissant à travers sa bouche grande ouverte, il screame du scream par paquets, il voue tout aux gémonies, il undergutte l’ultra-gut, ce bulldozer à deux pattes déblaye tout sur son passage, il te charrie le ramshakle, il te charrie avant les bœufs, non seulement il exhale des panaches de pur power incendiaire, mais il parvient au prix d’efforts surhumains à les rendre beaux, c’est-à-dire mélodiques. Sa sauvagerie le béatifie. On n’avait pas vu un tel diable depuis un bon moment, c’est-à-dire depuis Frank Black, lors de son dernier passage avec les Pixies. Eh oui, Malcolm Cluzo appartient exactement à la même caste, celle des gros géants géniaux.

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             Bon, d’accord. Son, physique, ça tient superbement la route. À deux, ils font plus de ramdam qu’un groupe à deux guitares. Au beurre, Phil Clouzo fait plaisir à voir. C’est même un bonheur pour l’intellect du spectateur. Il est partout dans le son, avec une exubérance qui rivaliserait presque avec celle de son collègue. Son beurre est une merveille de vivacité cinétique, un perpétuel ramshakle d’excelsior, c’est toujours un bonheur que de voir un vrai batteur à l’œuvre, il tient bon la rampe, il bat la campagne des chœurs, il sait que le gros s’appuie sur lui, alors il en rajoute, mais au bon sens du terme. Ah tu ne battras jamais ces deux mecs-là à la course. Tu as presque envie de dire aux White Stripes d’amener leur calepin et de prendre des notes. Mais aussi à plein d’autres groupes. Tu pourrais presque leur dire : «Notez bien et regardez comment on joue le rock, c’est pas compliqué : petit un, il faut un son, petit deux, une voix, petit trois, du bon beurre et petit quatre, des bonnes compos. C’est bien noté ?». Les zozos de Clouzo ont tout ça, et en plus, une certaine forme de génie, qu’on pourrait qualifier d’agraire, pour rigoler et faire écho aux petits discours de militant bio dont le gros abreuve la salle de temps en temps, une salle urbaine qui bien sûr ne se sent pas concernée par la problématique, mais bon, c’est pas grave, le gros est infiniment crédible, dès qu’il gratte sa gratte, il redevient un héros du rock, c’est -à-dire un hérock, a hero just for one day. On l’adore d’autant plus qu’il lance à un moment : «Tout le monde dit que le rock est mort ! Eh ben non. On prouve le contraire tous les soirs !» Et wham bam, il envoie rouler «Running A Family Farm Is More Rock Than Playing Rock N Roll Music», c’est le boogie rock le plus hot qu’on ait entendu depuis l’âge d’or de Nashville Pussy. Les deux zozos de Cluzo se transforment chaque fois en machine infernale. Il n’y a pas un seul passage à vide dans leur set. Ils maintiennent en permanence un très haut niveau d’intensité et de qualité. Le gros chante en anglais, mais diable comme il est bon. Il sonne comme une superstar, il tape dans l’immédiateté du rock, il hérite de toute cette culture du power et du riff, et il joue de sa voix comme d’un instrument. Il est constamment en équilibre entre ces deux pôles que sont Frank Black et Leslie West, mais avec un truc à lui en plus. C’est l’apanage des géants du rock.

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             Rien qu’avec les cuts d’Horizon, on est gavé comme des oies. Grosse ambiance dans la salle. Phil Clouzo va même faire un petit coup de stage-diving, histoire de rivaliser d’ardeur communicative avec les deux guitaristes d’Idles. On n’arrête plus de se dire : «Aw fuck comme ils sont bons !». Côté reprises, deux bonnes surprises : l’«Hey-Hey My My Rock’n’Roll Will Never Die» de Neil Young, un peu bateau, mais surtout l’extraordinaire «I Almost Cut My Hair» en hommage à Croz que le gros attaque à l’hendrixienne et qu’il sur-gueule dans la tempête des Cyclades, sa version est complètement démontée du bastingage, il hurle à l’accent fracassé, il est dans la divination Crozbique, il va chercher l’extrême de la screaminisation à s’en décrocher la mâchoire, tu ne peux pas aller plus loin dans l’exercice de la fonction sépulcrale, il s’en dilate la rate, il va au-delà de tout, il s’empale au sommet du lard, il s’en-dracularise de fureur abyssale, c’est le plus bel hommage à Croz qui se puisse imaginer ici-bas, il invoque le fantôme de Croz avec tellement de niaque qu’il finit par le matérialiser sous la forme d’un ectoplasme, comme dans une épisode du Professor Bell de Joan Sfar.

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             Et puis ils vont finir ce set mirobolant en mode destroy oh-boy : Phil Cluzo fout sa batterie en l’air, et ils t’explosent le concept de fin de sert à la cavalcade infernale. Tu as là tout le punk des Damned, de Kurt Cobain et de Keith Moon, un vrai concentré de tomate, cette vieille tradition du fuck shit up de fin de set, pareil, tu as presque envie de dire aux apprentis sorciers : «Amenez vos calepins les gars et prenez des notes !». Les zozos de Clouzo ont tout bon. Vivent les culs terreux !

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             Sur Horizon, les zozos de Clouzo ont encore plus de son, comme si c’était possible. Tu y retrouves les fameuses oies dont parlait le gros («Saving The Geese»), les oies qu’il a réussi à sauver quand les escadrons de la mort sanitaire abattaient tous les animaux de la région à cause de la grippe aviaire. Il amène ses oies au big riffing bien gras. C’est violent, d’une grande beauté et battu heavy, il chante son saving the geese à l’accent screamy demented, puis il part en solo d’explosion nucléaire, alors ça sonne comme un hit inter-galactique, il n’y a pas d’autre mot, et lorsque Phil Clouzo double au beurre, ça prend les proportions d’un Pandémonium. Tâte les oies pour voir, ça te donnera une idée de leur power. Il fait aussi du heavy boogie down de route 66 avec «Rockophobia», il opte tout de suite pour l’énormité, il y plonge le premier et tout le cut le suit, rock is dead long live rock, il n’en finit plus de clamer l’évidence de l’avenir du rock, rock ain’t dead, et pour ça, il va chercher un chat perché surnaturel. Il enchaîne ce blast avec «The Armchair Activist», fantastique shoot de punk’s not dead, le gros te rocke ta médina, fucking genius, c’est tellement plein de son que ça t’en bouche le coin, I’m an armchair activist ! Le gros a tous les pouvoirs, il va chercher du gros guttural de traffic jam pour «9 Billion Solutions», il passe encore en force, il porte le poids du monde comme l’avenir du rock porte le poids des évidences. Oh et puis il faut aussi écouter l’«Act Local Think Local» d’ouverture de balda. Il fait son Leslie West, il opte une fois de plus pour le passage en force, mais avec l’incroyable douceur de petits doigts boudinés, ça donne un extraordinaire cocktail de rentre-dedans et d’excellence de la persistance, le tout parfaitement tatapoumé par Phil Clouzo. Tu retrouves aussi sur l’album le fameux «Wolfs At The Door» embarqué au heavy Mountain side, le gros tape ça au gut des Landes et à la voix d’ange. Puis il passe à la bravado de type Nashville Pussy avec «Running A Family Farm Is More Rock Than Playing Rock N Roll Music». Il y va au scorch. C’est du blast à l’état pur, pas loin de ce que faisait Motörhead. Il s’en va ensuite te draper «The Outsider» de big atmospherix, c’est une vraie mine d’or, il a tout le power de Leslie West, il peut aller du grave de gut au pire chat perché. Il embarque son «Swallows» à coups de tasty crunchy little bugs et chauffe son morceau titre aux feux de la Saint-Jean, puis il l’empoisonne à la disto. Il est au-delà de tout.

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             Leur premier album sans titre est encore plus passionnant. Il pourrait même s’agir de l’un des albums du siècle, tellement c’est bien foutu. Ça démarre sur le morceau titre, «The Inspector Cluzo», un blast inexpugnable, ils plongent tout de suite dans les abysses du doom. Le gros envoie son chat perché et claque un riff à la revoyure. Les zozos de Cluzo te plongent littéralement la gueule dans leur soupe aux choux. Il faut les avoir vus sur scène pour comprendre la réalité de leur power. L’autre coup de génie s’appelle «Do You Make It Right», cut quasiment hendrixien, époque Band Of Gypsys. Le gros a déjà toutes les ressources. Il enchaîne avec «Turlulututututu», il te fait danser, il ramène dans son groove un fondu dément à la Lennon, that’s the meaning of love. «Do You Make It Right» est une œuvre d’art. Il donne corps à une autre idée avec «Two Days». Chaque fois, ça suit. Modernité à tous les étages en montant chez Malcolm. Il fait du genius de modernity à l’état le plus pur, il réussit un mélange sidérant d’heavy Al Green avec du riff garage. Fantastique pulsateur ! «Change #1» est très heavy, en plein trip d’à deux-on-y-va. Ce mec Malcolm est un monstre. Il te fait grimper dans les sphères supérieures du tonnerre. Tout dans cet album est bourré de power à l’état pur, tout se passe dans les petits doigts boudinés et dans le gras de la glotte, le gros n’en finit plus d’être aux aguets, on le voit même rapper le groove de Cluzo dans «Mad». Puis il passe au hard funk avec «Fuck The Bass Player» ! C’est un peu comme s’il avait joué dans les Famous Flames. Même énergie ! Il s’en va faire sa folle au sommet d’«US Food», c’est le big heavy funk system de Malcolm le héros. Ses descentes d’accords te donnent le tournis. Laisse tomber les White Stipes, écoute plutôt ces deux mecs-là. L’album est complètement jouissif. Le gros n’arrête jamais, il te remet le couvert avec «Yuppie Way Of Life Blues», il y joue un heavy groove de funk tendancieux, une vraie merveille de prévarication, ah il faut le voir plonger dans sa bouillasse et remonter à la surface !

             La suite au prochain numéro.

    Signé : Cazengler, sacré zozo

    Inspector Cluzo. Le 106. Rouen (76). 23 mars 2023

    Inspector Cluzo. The Inspector Cluzo. Ter A Terre 2008

    Inspector Cluzo. Horizon. Fuck The Bass Player 2022

     

     

     

    Inside the goldmine –

    Barrett de choc, pas de shit

     

             Dans sa vie, Barric n’a pas eu de chance. Pourtant fraîchement émoulu d’une grande école de commerce, bien buriné par un stage au sein d’un régiment de Spahis algériens, il entra dans la vie active par la petite porte, et, comme beaucoup d’autres, en sortit par la grande, après avoir frisé l’overdose de promotions. Il n’eut donc à son actif qu’une sorte de réussite sociale, rien de très appétissant. Le genre de truc dont on ne peut même pas se vanter au soir de sa vie. Un soir donc bien lugubre. La question est toujours la même : peut-on échapper à son destin ? Nous sommes tous bien placés pour savoir que ce n’est guère possible. Et donc, notre pauvre Barric se retrouva au soir de sa vie bien embarrassé, avec pour seule richesse une sorte de réussite sociale qui ressemblait à s’y méprendre à une vie ratée. Fasciné par le spectacle de sa déconvenue, il entreprit de vivre jusqu’à 100 ans pour pouvoir en examiner dans le détail tous les aspects. L’examen d’une vie ratée demande énormément de temps. Il se trouvait en outre dans les conditions idéales pour procéder à cette introspection qu’il voulait exhaustive : sa troisième épouse avait réussi à se débarrasser de lui en le «plaçant» dans un EPHAD, avec à la clé une bonne camisole chimique, histoire de le calmer s’il lui prenait la fantaisie de vouloir se trancher les veines, comme il menaçait régulièrement de le faire. Il passa les trois dernières années de sa vie assis sur le bord de son lit, prostré dans le silence. Il recevait de très rares visites, car il s’ingéniait à décourager les proches qui faisaient encore l’effort de s’intéresser à lui. En approchant de l’âge fatidique des 100 ans, il perdit sa mobilité et son élocution. Il bafouillait des mots incompréhensibles en bavant comme une limace. Il redevenait une sorte de gros bébé, c’était d’autant plus évident qu’il portait des couches. Son état physiologique empira très vite, il se mit à ressembler à un fœtus, sa peau devint un peu mauve, et un matin, alors qu’une aide-soignante lui changeait sa couche, il la renversa sur le lit, lui écarta les cuisses et s’enfourna dans son vagin. On le déclara «disparu sans laisser de traces». 

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             À la différence du pauvre Barric, Barrett a connu une existence beaucoup plus intéressante, puisqu’il appartenait au noyau de base de Motown, comme auteur-compositeur maison. Il bossait essentiellement avec Norman Whitfield. Ces deux poules aux œufs d’or, cot cot, pondaient les hits des Temptations, à commencer par «I Heard It Through The Grapevine», cot cot, mais aussi «Ball Of Confusion» et «Papa Was A Rollin’ Stone». Rien qu’avec ces trois bombasses atomiques, tu situes le niveau. C’est aussi Barrett Strong qui co-signe et qui interprète le fameux «Money (That’s What I Want)», connu comme le loup blanc et que tout le monde a repris.

             L’heure est donc venue de lui rendre hommage, étant donné qu’il vient de casser sa pipe en bois. En guise d’épitaphe, il conviendrait de graver dans le marbre de sa headstone : «Strong, c’est du solide !».

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             L’intérêt de sa discographie est qu’elle est maigre, donc on en fait (relativement) vite le tour. Maigre, mais de bonne qualité. Quand Berry Gordy déménage son bouclard à Los Angeles, Barrett reste à Detroit. Il signe sur Capitol et enregistre en 1975 l’excellent Stronghold. Il a l’air strong sur la pochette. Il attaque son balda au heavy r’n’b avec un «Do You Want My Love» bardé de son. Il a gardé les vieux réflexes Motown, avec des chœurs en place, un beurre solide et un bassmatic persistant. Les musiciens sont des inconnus, mais bons. Barrett finit son cut en groovytude parfaite. Et voilà qu’avec «Surrender», il fait son Marvin. Il est en plein dans «What’s Going On». C’en est troublant. Il a exactement les mêmes accents et la même orchestration. Il referme son balda avec le fantastique groove d’«Is It Time», une vraie merveille d’is it time. On l’aura compris, Stronghold est un album de groove. Il s’en va donc groover «I Wanna Do The Thang» sous le boisseau, en vieil habitué du snakepit et fait de «There’s Something About You» un r’n’b hardiment ramassé, ficelé comme un gigot, bien rond, bien dodu, bien Strong. Il passe au dancing r’n’b avec «Mary Mary You», sa voix éclot comme un chou-fleur dans la clameur d’Elseneur.

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             Barrett enregistre l’année suivante Live & Love. En voyant la pochette, on est un peu inquiet, car Barrett a des allures de diskö boy, mais il nous rassure aussitôt avec «Man Up In The Sky», un heavy groove de classe incontestable. Barrett est barré. Mais c’est avec sa version de «Money (That’s What I Want)» en ouverture de bal de B qu’il rafle la mise. Il fait du heavy Motown, mais tapé au maximum overdrive de Malaco, les filles derrière sont géniales, Dorothy Moore est dans les chœurs. Le fou à la gratte est le gratteur maison de Malaco, le fameux Dino Zimmerman. Il wahte son ass off. L’autre coup de génie de l’album se trouve aussi en B et s’appelle «Gonna Make It Right». Cut d’une rare puissance, Barrett jette tout son Strong dans la Soul, yeah oh yeah !, il remonte le courant à la force de ses écailles. Barrett Strong est un puissant remonteur de courant. Il sait aussi enchanter un balladif, comme le montre «Be My Girl». Encore un joli coup avec le morceau titre en fin de balda, too much confusion, il y va comme au temps des Tempts. Il y va carrément au raw de niaque d’arrache. Il finit avec une superbe cover de «Knock On Wood», il s’en tire avec les honneurs de Malaco, ah comme il est bon, il colle bien au palais. Logique, vu qu’il a un bon timbre. Solide Strong !

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             Avec Love Is You, il va plus sur la dancing Soul. Il conserve ses vieux réflexes, donc tout va bien. C’est quasi-Motown, aspergé de petites giclées de chœurs. On entend Dennis Coffey gratter son funk dans un «You Turn Me On» un brin diskoïde. Et puis voilà la merveille sauveuse d’album : le morceau titre. Et là, oui, mille fois oui, voilà un dancing groove gratté aux petites grattes funk. Fantastique allure, ça sent bon le Coffey chaud. En ce temps-là, on savait gratter ses poux. On entend même le riff de «Papa Was A Rolling Stone».

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             Bon, si tu veux entendre Barrett au temps de Motown, il existe une brave petite compile, The Complete Motown Collection. Alors attention, c’est pas terrible. Il vaut mieux se souvenir du Barrett compositeur de hits séculaires et oublier le Barrett interprète, d’autant que ça démarre sur «Money (That’s What I Want)», une belle tarte à la crème. Pour le reste, Barrett fait du early Motown qui, comme chacun sait, peine à jouir. Il peut parfois coller au palais avec un groove insidieux («You Know What To Do»), mais pas de hit à l’horizon, Capitaine Flint ! Il fait du gros groove de bas-étage avec «Whirlwind» - You know it hit me/ Like a whirlwind/ When your lips/ When your lips came close to mine - Il vire parfois calypso, parfois comedy act un brin cha cha cha, pourtant il est bon, mais il ne transcende pas l’inconscient collectif. À l’aube de Motown, le pauvre Barrett n’offre rien de probant. Avec «Misery», il est vite sur le pont du heavy groove, comme un bon matelot. Il sait carguer la grand-voile et affaler des vergues, pas de problème, il fait même du rock’n’roll avec «Let’s Rock». N’importe quoi ! Ses cuts n’ont pas d’avenir, sa heavy Soul n’accroche pas («Action Speaks Louder Than Words»). Il faut attendre «Who’s Taking My Place» pour sentir un frétillement du côté des naseaux. Et là, oui, il ramène du pur mama know, il devient le temps d’un cut le roi du groove. Mais juste le temps d’un cut. «Who’s Taking My Place» est même une merveille apocalyptique bien méritée, au bout de 15 cuts. Tout aussi dégourdi, voici «Suger Daddy», big Barrett is back in town avec un vrai jerk. Et le dernier joyau de l’époque Motown s’appelle «(I Don’t Need You) You Need Me», monté sur le modèle de Money. C’est du black rock. Ouh ! In the face ! Fantastique punch up de need me !

    Signé : Cazengler, bien barré

    Barrett Strong. Disparu le 28 janvier 2023

    Barrett Strong. Stronghold. Capitol Records 1975

    Barrett Strong. Live & Love. Capitol Records 1976

    Barrett Strong. Love Is You. Coup Records 1980

    Barrett Strong. The Complete Motown Collection. Tamla Motown 2004

     

    *

    Marie Desjardins n’est pas une inconnue pour les lecteurs de nos Chroniques de Pourpre, nous avons déjà chroniqué entre autres, le roman Ambassador Hôtel qui conte la vie imaginaire d’un chanteur de rock et la biographie du jazzman Vic Vogel Histoire de jazz et aussi repris certaines de ses chroniques consacrées à de grandes figures du rock… Voici que les Editions du Mont Royal (éMR), rééditent Ellesmere, roman paru en 2014 que nous n’avions pas hésité à qualifier de chef-d’œuvre dans notre Livraison 447 du 16 / 01 / 2020.

     ELLESMERE

    LA FAUTE

    MARIE DESJARDINS

     ( éMR / 2023 )

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    Un petit côté manga quand vous le prenez en main. Pas de panique, non ce n’est pas une version BD à la japonaise, simplement les éditions du Mont Royal offrent le texte en sa langue originale, le français, et en sa traduction anglaise réalisée par Julie de Belle. Les raisons de cette double entrée ne sont point mystérieuses, Marie Desjardins réside au Canada, et Pierre-André Trudeau éditeur a jugé qu’il était important de ne pas priver le lectorat anglophone canadien d’un texte de cette importance.

    Pour un lecteur français le titre Ellesmere s’avère énigmatique. Ellesmere est une île, aussi grande que le Sénégal, sise tout près du Groenland. Le Danemark qui régente l’ancienne terre verte des vikings a de toujours lorgné sur Ellesmere, le Canada n’a eu de cesse à s’opposer à ces intentions territoriales. En 1953, le gouvernement canadien propose à des familles inuites québécoises de s’installer sur cette île qui leur est présentée comme un territoire de chasse extrêmement giboyeux. Le raisonnement politique des autorités d’Ottawa est facile à comprendre : puisque des inuits de nationalité canadienne habitent sur cette terre il est logique que ce territoire appartienne au Canada…

    Tout est pour le mieux dans le meilleurs des mondes. A ce détail près, que les inuits débarqués sur l’île se retrouvent sous un climat arctique en des conditions déplorables par des températures extrêmes atteignant jusqu’à - 40°, sous des tentes plantées sur un sol de glace… Les souffrances endurées par ces exilés rejoints deux années plus tard par une nouvelle fournée d’immigrants sont atroces… En 1993 le gouvernement canadien se sent obligé de verser dix millions de dollars aux survivants, et de présenter ses excuses en 2008…  Cette nouvelle édition bénéficie d’un sous-titre : La faute, The offense en sa traduction anglaise…

            Nous voici donc partis pour une odyssée humaine, un livre de dénonciation, une charge politique sans concession, une généreuse défense d’un peuple opprimé. Non pas du tout.  Attention pas de méprise, Marie Desjardins ne prend pas fait et cause pour les monstrueux agissements de son pays, surtout pas, elle rappelle et condamne sans rémission les épouvantables traitements subis par ces populations inuites mais là n’est pas le sujet de son roman. L’on ne peut même pas dire que la tragédie d’Ellesmere est la toile de fond de son intrique. Là n’est pas son propos, il est tout autre, ce qu’elle nous montre c’est que la noirceur des âmes humaines est aussi dure et impitoyable que la blancheur gelée du sol d’Ellesmere.

             Le livre débute loin d’Ellesmere dans le cocon d’une maison familiale, le père, la mère et les trois enfants. Des blancs, pas des inuits. Le père est vétérinaire. La mère, parfaite épouse dévouée au tempérament d’artiste a bridé celui-ci pour s’occuper de son mari et de la fratrie. Le père ne se soucie que de Jess son fils aîné. Les deux autres ne sont que quantité négligeable. Dans son esprit Jess devra prendre la suite, il l’élève à la dure, l’emmène avec à toute heure du jour et de la nuit pour soigner vaches et chevaux malades ou décidés à mettre bas… Jess apprend la vie. Il serre les dents, ne se plaint pas. A ce régime il deviendra un enfant différent de tous les autres. Il sait ce qu’il veut. Adolescent il est déjà adulte, il a décidé de ne compter que sur lui-même. Il est un jeune gars, les filles lui courent après, il est un chef naturel, un meneur d’hommes, il ne connaît pas la peur, il ne s’interdit aucun excès, dans sa tête une chose est claire, de toute son existence il ne fera que ce qu’il désirera. A seize ans il partira de la maison.

             Une forte personnalité. Qui n’est pas sans effet sur le reste de la famille. Sa mère l’adore. Son petit frère le regarde vivre, il comprend tout, il intellectualise, il tire les leçons, il voit tout, il ne dit rien, c’est lui qui raconte l’histoire. Un narrateur qui ne croit pas en grand-chose. Ses jugements sur l’humanité sont sans appel. S’il n’est pas dupe des autres, il ne l’est pas non plus de lui-même. Un beau garçon, il attire les filles et les femmes se pâment, non seulement il est beau mais il a encore un atout supplémentaire sur tous les membres de la famille et sur la majorité de tous ses contemporains, il est doué, extrêmement doué. Il a hérité du tempérament artiste de sa mère, de son don pour le dessin et la peinture. Trois coups de crayon suffisent à étaler sa virtuosité. Ne s’en fait pour son avenir, il est tout tracé. Pas besoin de se fatiguer. La vie s’annonce si facile qu’il se rapproche de son oncle écrivain renommé, de son oncle ministre…

             Enfin la sœur, la petite dernière. Un ange empli de naïveté. Avant que vienne l’heure du sommeil Jess se rend dans la chambre des petits, Jess se glisse dans son lit et lui lit des histoires. Le petit frère observe, il écoute, il ne dit rien, il comprend tout, il est déjà revenu de tout. La sœurette adore son grand frère, lorsqu’il quitte la maison elle réfugie dans sa solitude et dans son occupation favorite, le dessin et la peinture, sous l’œil du puiné qui se moque d’elle. Secrète, enfouie en elle-même elle continue ses mièvres études de fleurettes.

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             Nous sommes à plusieurs milliers de kilomètres d’Ellesmere, mais puisque nous n’allons pas à Ellesmere elle arrive à nous. Elle ne se déplace pas comme la montagne du proverbe. Elle se présente à nous sous forme d’un tableau, d’un triptyque. Les enfants ont grandi, Jess vit sa vie, très sex and drugs, la petite sœur continue à peindre dans l’anonymat le plus complet, et notre narrateur dégote enfin une idée de génie. Il a entendu parler du scandale des inuits parqués sur l’île d’Ellesmere, ce sera le sujet de son tableau monumental. Du jour au lendemain, il devient célèbre, l’artiste vivant que l’on compare aux plus grands des siècles précédents. Il est riche à millions, il profite et abuse de la vie, de sa célébrité, des femmes, il boit, baise, fume, habite à la perfection son personnage de génie supérieur de l’humanité. Ce qu’il ne dit pas : sa petite sœur lui a apporté une aide décisive dans la mise en œuvre de son tableau, un jugement sûr, elle voit ce qu’il ne sait pas voir, les défauts de sa réalisation, il se moque d’elle, mais il obéit et corrige…

             Nous avons ici tous les éléments du drame. Chaque homme dans sa nuit s’en va vers sa lumière, dixit Victor Hugo. Un triptyque, trois enfants, trois destins. A part que Marie Desjardins inverse et mélange les problématiques. Elle joue avec le blanc et le noir. L’on a l’impression qu’ici chacun dans sa lumière intérieure s’enfonce dans son ombre. Il n’y a pas de bons et de méchants. Il n’y a que des faibles et des forts. Et parfois les plus faibles se révèleront les plus forts. Est-ce vraiment ce qui importe ? Tout ne finit-il pas par s’égaliser. Tous victimes et tous bourreaux si l’on envisage les choses à l’aune de soi-même. Tout dépend du jugement que le lecteur leur accordera. Que chacun construise, s’il le désire, le chemin de sa rédemption. La seule nécessité est de toujours garder les yeux ouverts, sur les gouffres que l’on côtoie et surtout sur soi-même.

             Marie Desjardins ne pose aucun jugement moral. Elle expose. Elle explose toutes les catégories sociales. Où et quand se situe la faute. Y en a-t-il une seule ? Pourquoi n’y en aurait-il pas plusieurs. A moins que la seule faute soit celle de vivre dans la réalité de sa propre vie. Cynisme et innocence ne sont-ils pas l’avers et le revers de la même mouvance que l’on nomme la vie. En sa nudité, en sa cruauté, en son masochisme, en son sadisme, en sa crudité, en son authenticité.  Ne sommes-nous pas vis-à-vis de nos semblables, de ceux qui nous sont les plus chers, de nos frères et de nos sœurs tantôt humains tantôt inhumains, comme les icebergs d’Ellesmere qui se détachent de la stabilité des banquises, qui dansent dans les courants violents, et s’entrechoquent les uns les autres, dans une espèce de fureur sacrée qui n’a d’autre but que de détruire les autres et de se détruire soi-même. 

             En cent-vingt pages, Marie Desjardins bouscule toutes les convenances, toutes les représentations sur lesquelles repose l’hypocrisie humaine, tant au niveau sociétal qu’individuel. On ne ressort pas indemne d’un tel livre. Le mieux serait de l’oublier, de ne pas s’appesantir sur son implacable déroulement, d’essayer de penser à autre chose, mais il agit tel un maelström, il vous force à vous pencher sur l’abîme du monde et lorsque la spirale vous happe et vous aspire, vous n’avez plus qu’une peur et qu’un espoir, celui de vous connaître enfin tel qu’en vous-même aucune éternité ne vous changera.

             Un chef d’œuvre.

             Merci à Marie Desjardins de nous ouvrir les yeux.

    Damie Chad.

     

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 25

    AVRIL - MAI – JUIN ( 2023 )

     

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    Un soleil de printemps pour accueillir la vingt-cinquième livraison de Rockabilly Generation News, avec cette fois non pas un mais deux pionniers. Sympa mais pas de quoi pavoiser, Johnny Powers est parti pour l’autre monde, on espère pour lui qu’il est meilleur que le nôtre, le 16 janvier de cette année, précédé de quelques jours par Charlie Gracie qui a plié bagage le 17 décembre 2022. Soyons cyniques, respectivement nés en 1938 et 1936, ils n’ont pas trop à se plaindre, d’autant plus qu’ils ont eu une vie bien remplie, des hauts et des bas bien entendus, mais qui n’en a pas connu, et ce privilège extraordinaire d’avoir fait partie des fondateurs de la plus belle musique du monde. La nôtre, celle des fans de rockabilly.

    J’exagère à peine, il existe d’autres musiques aussi belles et puissantes que le rockabilly, n’empêche qu’au lieu de présenter comme à mon habitude article par article le contenu du magazine, je vais le lire en diagonale, picorant de-ci de-là quelques phrases qui mises bout à bout veulent dire davantage qu’elles ne le paraîtraient lues séparément. Je commence par moi, le mot nôtre sur la dernière ligne du paragraphe précédent. Nôtre n’est pas un mot neutre. Je le retrouve sous d’autres formes par exemple dans l’interview de Lorenzo Chiara, chanteur et guitariste des Rotten Rockers, l’a cinquante-huit berges, quand il parle des fans il les définit comme ‘’ la famille’’, c’est chouette, ça illustre bien le rapport que son groupe ( comme beaucoup d’autres ) entretient avec les fans, mais une famille même élargie c’est tout de même un milieu assez étroit, si en plus on met cette expression en relation avec cette constatation : Un Teddy Boy en 1923 c’est un passionné qui maintient vivant un milieu qui est en danger. Sergio Katz qui mène l’interview remarque pour sa part ‘’ Crazy Cavan décédé, le mouvement Teddy Boy est vieillissant’’. Ce ne sont plus les pionniers qui désertent notre planète, mais la deuxième génération qui commence à prendre du plomb dans l’aile… Lorenzo est optimiste, il rencontre plein de jeunes formations, surtout en France, qui assurent la relève…

    Moi aussi, voici quelques semaines, dans ma série Rockabilly Rules, j’ai failli présenter Haylen, me suis ravisé au dernier moment ne la trouvant ni assez rock, ni assez rockabilly, et plouf ! RGN lui consacre sept pages ! Quelles magnifiques photos ! Merci Sergio ! Un drôle de pédigré tout de même pour une rockabilly girl, elle a participé à The Voice, à cette occasion  sa voix puissante  a fait le choix difficile du rhythm ‘n’ Blues, elle a intégré  un opéra rock, Le Rouge et le Noir, ce n’est pas que je n’aime pas l’opéra, ce n’est pas que je n’aime pas Stendhal mais l’on est plus près d’une comédie musicale à la française que de Quadrophenia des Who… n’empêche qu’elle se débrouille bien dans son interview, un personnage attachant, parle de sa passion pour les années cinquante, de ses origines iraniennes, l’a l’air de mordre la vie à pleines dents, je viens de regarder une vidéo sur un concert du 23 mars 2023, rhythm ‘n’ Blues oui, rockabilly non. J’attends de voir.

    Troisième ( ? ) génération. Déjà morte. La fille d’Elvis. Pas folle la guêpe, n’a pas cherché à faire du rock ‘n’ roll. S’est lancée dans la pop. Pas si mal que cela. Quand je compare avec Haylen, elle me paraît plus authentique.

    Retour aux origines des origines. Pas le blues cette fois, le country. Avec Charline Arthur, née en 1929, je n’apprécie guère sa voix mais elle a dans les années cinquante révolutionné le country par ses attitudes, une outlaw d’avant l’heure, mais féministe, ce qui change tout. L’article de J. Bollinger est passionnant. On y retrouve un personnage bien connu des fans de rock’n’roll, le fameux Colonel, Parker de son faux nom, l’avait les dents longues, et des idées qui rayaient le plancher, dès avant Presley il avait tout prévu et savait ce qu’il voulait faire.

    Ce numéro est passionnant.

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois),  6 Euros + 4,00 de frais de port soit 10 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 40 Euros (Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de tous les magazines... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents ! Surtout que les numéros 1, 2, et 3 ne seront plus réédités, il en reste une vingtaine d’exemplaires, qu’on se le dise ! Avis aux amateurs !

      

    *

    Dans notre livraison 545 du 10 / 03 / 2022 nous présentions trois vidéos, Hidden, Outlier, Sapiens, du groupe Aschen dans lequel nous retrouvions Clem Richard, son groupe Fallen Eigh dissout, nous les avions suivis tout le temps de leur ( trop courte ) existence, les mois s’accumulaient et malgré la promesse de Clem de reformer un groupe le temps avait passé, le Covid a joué les prolongations, et quelle surprise de retrouver Clem dans une nouvelle formation, Ashen, preuve que la braise rougeoie toujours sous les cendres.

    ASHEN

    Ashen n’a pas encore sorti de disques. Leur démarche est différente. A ce jour ils ont produit quatre vidéos, les trois que nous avons déjà présentées et une toute dernière, façon de parler puisqu’elle est déjà parue depuis neuf mois. Ils ne sont pas pressés, ils ont opté pour le label Out Of Line / Music, basé à Berlin, tout de suite l’on pense l’on ne sait pourquoi à Low de David Bowie, ces dernières années ce label s’est intéressé à ces nouvelles musiques issues du rock et du metal. Du son certes mais aussi un certain parti-pris esthétique. S’il est un mot caméléon qui ne veut plus rien dire, c’est bien celui d’esthétisme, car il peut être employé pour définir tout genre de style. Disons qu’il s’agit de la recherche d’une beauté qui entretiendrait des relations suivies avec l’Ange du Bizarre, cher à Edgar Poe.

    NOWHERE

    (Dirigée par Ashen, filmée par Aurélien Mariat)

    ( YT / Bandcamp) 

    Clem Richard : vocal : / Antoine Zimer : guitars / Niels Tozer : guitar, additional vocals / Thibaud Poully ; bass / Tristan Broggeat : drums.

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    Mise en scène d’une idée. Noire. Le clip fonctionne à la manière de ces puzzles dont il suffit d’assembler les pièces pour parvenir au résultat final. Je n’évoque en rien une jolie biche dans un sous-bois, pensez simplement à tous ces fragments de votre vécu qui une fois accomplis représenteront votre existence, n’oubliez pas que lorsque le dernier aura trouvé sa place, à l’instant où il sera intégré au reste de votre composition, votre vie sera achevée, car toutes les bonnes choses ont une fin. A cette nuance près qu’ici il n’y a que de mauvaises choses. N’avez même pas besoin de comprendre les lyrics ou de lire les mots qui s’écrivent en grosses lettres pour signifier les étapes du chemin, il suffit d’entendre et de voir Clem chanter. Les quatre musicos derrière lui, tout de noir vêtus, guitares noires et logo noir tatoué sur la grosse caisse, ambiance définitivement sombre. Bien sûr il y a du soleil, ces teintes jaunes et mordorées en toile de fond, pensez au titre du roman Le soleil des morts de Camille Mauclair, et vous comprendrez.  Clem est magnifique, une marionnette enragée transcendée par le désespoir, son vocal aspire la musique mortuaire de ses congénères, une splendeur riffique sans égale, vous n’entendez que lui, il vous conte comment le soleil qui se couche au fond de l’eau n’aspire qu’à la mort, et qu’il ne remontera plus jamais de l’abîme terminal. Vous avez des petites scénettes mélodramatiques, dont une assez surréaliste, vous êtes à la croisée symbolique des chemins de Paul Valéry et Jim Morrison,  avec un peu de chance vous en avez déjà interprété deux ou trois dans votre vie, à votre corps défendant, à votre grand regret, mais Ashen ose ce qu’il ne faut pas faire, le clip séditieux, si vous n’êtes pas trop idiot, vous avez repéré cet insigne métallique, avec sa croix christique inversé, mais ce qu’ils inversent c’est le sacrifice de l’ordre du temple solaire, l’on ne meurt pas pour trouver un monde meilleur mais pour ne plus supporter notre monde actuel. Nihilisme in nihilo. L’ensemble est un pur chef d’œuvre.

             Reste maintenant à regarder Ashen en live. Plusieurs enregistrements amateurs sont à disposition, parfois les prises de vue ne sont pas au top, la voix de Clem et les musicos s’en sortent bien. Mais si l’on compare avec les vidéos chiadées de Out Of Line, l’on se dit que le groupe se défend bien, toutefois la distance avec le produit fini est trop grande, ce n’est pas que le groupe n’est pas capable, ce sont les moyens qui manquent. Le groupe est là, mais le show est absent. Sans doute faudrait-il un véritable metteur en scène et des moyens financiers adéquats. Ils ont le son mais ils n’ont pas l’image. Ce n’est pas de leur faute. Les structures du metal français n’ont malheureusement pas la capacité d’offrir à un groupe comme Ashen, non pas une simple scène pro, mais une machinerie capable de restituer live de véritables créations dignes d’un opéra. D’où l’importance de soutenir un groupe d’un tel niveau.

    Damie Chad.

     

    *

    Encore un groupe que l’on suit. Depuis leur début. Ce clip ils l’ont gardé au chaud durant un an et demi, c’est un morceau issu de leur Ep sorti au joli mois de mai 2022.

    JEALOUSY

    CÖRRUPT

    ( Clip / Hardcore Worlwide ( Official 4K version HCWW ) / YT  )

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    C’est court. Moins de deux minutes. Oui mais ça vous arrive comme un coup de batte baseball sur le coin de la figure. Idéal pour chasser les idées noires. La preuve c’est qu’au début vous ne voyez que du vert. Des verres aussi, enfin des cannettes et un pack de bières éventré, mais nous étudierons cela après. Pas de panique, aucun besoin de prendre des notes. Bref un beau vert, entre gazon artificiel de terrain de football et tapis de billard. Posons le décor, un semi canapé cuir de vache limousine directement importé de Chine, un reste d’agapes liquides jonchent le plancher, une télévision fracassée. Toute ressemblance avec les rues de Paris durant la grève des éboueurs ne serait pas malvenue, toutefois question précision historique le clip a été tourné avant. C’est tout. Moins de 100 secondes, chronomètre en main. Un haiku hardcore. (traduction française un : Aïe ! coup encore ).

    Nicolas Pignoux n’est pas un pignouf, c’est lui qui sous le nom de NPX Production a eu la charge de réaliser la vidéo. S’est amusé comme un petit fou. Les quatre joyeux drilles de Cörrupt aussi. Ne leur a pas demandé de jouer. Juste de faire semblant. Pas tous ensemble. Pour procéder l’a dû se constituer une collection d’images animées. Des espèces de figurines Panini, joyeuses ou grotesques in action. Ensuite les a montées à la manière d’un prestidigitateur. Hop, t’étais là, t’as disparu. C’est réglé comme un ballet d’opéra. Ne manque que les petits rats parmi les détritus. Une chorégraphie totalement loufoque qui débloque. Un film muet, mais avec une bande son. Les acteurs ne prennent pas leur rôle au sérieux.  S’il fallait trouver un titre ce serait lendemain d’orgie sans nu descendant l’escalier. Pas de panique, il n’y a pas d’escalier. Ne tombez pas des nues. Une soirée de mecs qui a mal tourné, une répète épileptique, une scène de jalousie peu orthodoxe. A moins que ce ne soit un groupe de rock emporté comme fétus de paille par le souffle du morceau qu’ils viennent d’enregistrer.

    Un malin NPX, lorsque le morceau est terminé et que l’on n’entend plus rien, nous refile quelques secondes de rabe, avec Cörrupt qui nettoie le studio à toute blinde. Des garçons bien élevés. Ils lisent même la bible.

    Damie Chad.

     

    *

    Mister Doom 666 signale sur YT la sortie du nouvel EP de Jhufus, combo madrilène qui depuis 2019 a sorti l’équivalent de six EP, le titre de ce septième nous interpelle, n’avions-nous pas chroniqué dans notre précédente livraison 594 du 30 / 03 / 2023 Myesis de Telesterion premier volet consacré aux Mystères d’Eleusis ? Nous voici donc de retour à Eleusis avant l’heure présumée… 

    BACK TO ELEUSIS

    JHUFUS

    ( Pistes Numériques sur Bandcamp / Mars 2023 )

    Une couve monumentale représentant le propylée donnant accès à la grande salle de réunion télestérique du complexe architectural du sanctuaire d’Eleusis. Il est étrange de remarquer qu’alors que les couves des précédents EP ne se laissent pas facilement décrypter au premier regard, pour ces cérémonies hélas trop mal connues d’Eleusis Jhufus n’hésite pas à nous en mettre plein la vue avec cette entrée cyclopéenne des plus imposantes.  

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    Kykeon recipe : le kykeon est ce breuvage encore non formellement identifié offert aux adeptes lors de l’initiation, était-il fabriqué à base d’orge, d’eau, de lait, de vin, les avis divergent, longtemps il prévalait l’idée que la céréale utilisée était le seigle. Ce qui change tout, l’ergot de seigle est un champignon parasitaire de cette céréale dont les effets sont similaires à ceux du LSD… L’on en déduisait donc que les fidèles étaient ainsi soumis à des visions qui devaient être le moment le plus important de l’initiation… dans les années 70 une autre thèse a prévalu, le kykeon aurait été une boisson inoffensive, les visions étant simplement des hallucinations auto-hypnotiques générées par l’esprit surexcité des fidèles, explication peu convaincante, de nos jours il semble convenu les mystères étaient d’ordre purement symbolique, ce qui se discute : un gargouillis de liquide qui coule dans votre gorge, s’y mêle une basse fuyante scandée de quelques émoluments de tapotements battériels, les guitares se joignent à la course, a-t-on atteint le palier terminal assez décevant, longtemps l’on croit que l’on restera coincé sur ce diapason, surviennent des clinquances sur lesquelles embrayent des halètements distordus de basse, des bourdonnements d’avions s’éloignent dans une autre direction, le trip commence-t-il lorsque les riffs se dispersent en guirlandes fleuries… Back to Eleusis : résonnances de basse hautement feutrées, la batterie imite la démarche des impétrants, le drumming laisse la place à une zizanie zigzagante de guitare, les sons deviennent plus fort comme s’ils traduisaient des éclatements psychiques, ouvertures perceptionnelles, décollement subit, un clavier joue aux grandes orgues, fréquences vibraphoniques en apnée, l’on atteint à un niveau d’être un peu spécial, tous nos sens semblent communiquer entre eux. The mysteries experience : un son venu d’ailleurs, résonnances d’étranges musicalités, pulsation battériale le son se déploie, nos oreilles sont devenues des antennes spéciales, largement déployées pour accueillir l’étrange nouveauté de ces glissements acoustiques, brutalement la musique nous assomme, des ondes radios permettent encore de nous repérer dans un espace coloré qui adopte de multiples formes, de faux tortillements vocaux imitent les chants indiens rapidement balayés par une nouvelle arrivée sonore bousculante, des vents d’espaces violents nous emportent et nous emmènent encore plus haut, nouveau palier de compression auditive, nous ne savons plus où nous sommes, des roulements de batterie nous tourbillonnent comme des feuilles mortes, nous déposent l’on ne sait où. Enlightement : stase finale, les rythmes s’apaisent, redescendrions-nous, ou serions-nous parvenus au faite de notre expérience, couleurs pastels, de doux et féériques tintamarres nous enveloppent de leur soie auditive, le son des guitares s’allongent à l’infini, si vous ne voyez pas Dieu c’est que vous êtes devenus une parcelle du divin, supporterez-vous la cascade fanfarique qui se déverse sur vous, il est des orgies sonores qui essaient de reproduire l’extase de votre mort, peut-être est-ce cela que l’on appelle l’immortalité cette longue fulgurance se déclinant en berceuse définitive.

    Pas du tout désagréable mais l’on est plus près d’un trip hippie à consonnance orientalisante que de l’outrance des Dieux de la Grèce antique. Humain, trop humain.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

     

    EPISODE 22 ( Allusif  ) :

    120

    Les derniers conseils du professeur Laffont avaient été clairs :

    _ Evitez les grosses émotions, pas de sport, pas d’exaltation, je vous conseille une soirée calme, pas d’excitation, écoutez de la musique classique, par exemple en buvant une tisane, couchez-vous de bonne heure, dans la nuit votre cerveau vous donnera accès aux souvenirs les plus secrets stockés dans le subconscient de M. Lechef.

    J’ai suivi les prescriptions à la lettre, j’ai tout de même remplacé la tisane par quelques verres de moonshine, je me suis demandé si je n’allais pas écouter le premier disque de Black Sabbath, j’ai résisté à la tentation en optant pour les Gymnopédies d’Eric Satie, bref à minuit je dormais comme un loir, Molossa étirée de tout son long contre mon flanc gauche et Molossito roulé en boule dans le creux de mon aisselle. Avec de tels gardiens à mes côtés, j’étais prêt à me risquer à forcer les portes nervaliennes de corne et d’ivoire des rêves du Chef.

    121

    Bien sûr un agent du SSR ne dort jamais vraiment, il sait qu’à tous moments un danger peut survenir, les ennemis du rock ‘n’ roll sont nombreux sur cette planète, prêts à se débarrasser de ces farouches gardiens de la nation-rock qui jour et nuit montent la garde dans le seul but de préserver de toute attaque ce trésor culturel qu’est le rock ‘n’ roll. Ainsi au plus profond de mon sommeil, je ne perds jamais totalement conscience puisque lorsque je dors quelque part en moi quelque chose me dit que je dors. De même lorsque je rêve je sais que je rêve…

    122

    J’ai tout de suite eu l’intuition souterraine que l’opération transmutative de nos subconscients n’avait pas marché. J’ai immédiatement reconnu le rêve dans lequel j’étais entré, il me visite souvent, il faut dire qu’il est particulièrement hilarant. Un restaurant huppé fréquenté par l’élite parisienne m’ayant refusé l’entrée à cause de mes deux chiens j’étais revenu une quinzaine de jours plus tard avec Le Chef. La salle fumeur était comble, au milieu du repas le Chef avait allumé un Farso y Atrapo, une nauséabonde odeur de boule puante s’était répandue à la vitesse d’une bombe atomique, alors que nous croulions de rire autour de nous c’était Hiroshima, les serveurs vomissaient dans les assiettes, les enfants suffoquaient, les mères poussaient des cris stridents, courageusement les maris se battaient pour s’échapper en premier de ce cloaque odoriférant… une belle partie de rigolade, que nous nous remémorions souvent le Chef et moi-même lors des heures creuses au local, tiens une variante, le patron s’avance vers nous, en guise d’excuses et de dédommagements il nous emmène visiter sa cave à cigares, c’est moins marrant, nous parcourons des kilomètres et des kilomètres de rayonnages, le patron a disparu, tous les deux mètres le Chef s’arrête, allume un cigare  et commence à commenter d’abondance ‘’ Voyez-vous Agent Chad ce Tornado 47 ne saurait en rien rivaliser avec la saveur d’un Coronado 29…’’ c’est alors que je comprends que Le Chef partage avec moi un même rêve et que je suis bien rentré dans son subconscient…

    123

    Je crois que désormais je pourrais écrire une thèse de quinze cents pages sur les voluptés coronadiennes, je le confesse je me suis légèrement ennuyé à parcourir les rêves du Chef… au terme de quatre ou cinq heures l’ambiance a changé, je me suis retrouvé à marcher, je dis ‘’je’’, mais ce n’est pas moi, c’est le Chef, j’ai du mal à savoir où je suis, je suis incapable de définir le type d’endroit dans lequel je me trouve, ce n’est que petit à petit que je réalise que mon chemin est bordé d’arbres, de plus en plus resserrés, ce doit être une forêt, je n’arrive pas à m’en persuader, cette forêt me semble factice, pourtant je la parcours, l’herbe est rase, l’air est vif, des suites interminables de bouleaux et des sapins, maintenant uniquement de sombres conifères à perte de vue, pourtant je n’y crois guère, c’est immense mais j’ai l’impression d’un décor de théâtre, une expression s’affiche dans mon esprit, je suis dans une forêt de papier, ma remarque est idiote, ce n’est que peu à peu en faisant la relation bois / papier que l’évidence s’impose à moi, je ne suis pas dans une forêt mais dans un livre, dans la description d’une forêt, celui qui marche c’est moi, en fait je me suis projeté dans la tête du Chef, c’est lui le lecteur et l’homme qui marche c’est bien moi, à chaque mot lu par le Chef une de mes jambes exécute un pas, dans son souvenir le Chef lit un livre et moi je suis comme un personnage off qui n’existe pas dans le souvenir, c’est un peu comme quand un instituteur lit une histoire à ses élèves, l’élève qui écoute dans ma tête vit l’histoire, il l’imagine,  se la représente, il la suit selon une démarche personnelle, dans un univers parallèle. Brusquement je me réveille, Molossa et Molossito à mes côtés hurlent à la mort. J’ai du mal à les calmer. J’ai saisi mon Rafalos sous l’oreiller. Suis-je bête, si j’étais en danger ils n’auraient pas fait de bruit Molossa m’aurait averti en posant son museau sur mon jarret, les chiens me mettent en garde, c’est dans mon rêve que le péril me guette, comment le savent-ils, je n’en sais rien, ils le sentent, je peux leur faire confiance, d’ailleurs comme s’ils voulaient que je replonge dans mon rêve Molossito se pelotonne tout contre mon cœur et Molossa se colle contre ma tête, tous deux au plus près de ces parties de mon corps qui courent de grands risques, frôlerais-je l’accident cardiaque, vais-je devenir fou, tels les spartiates de Léonidas au défilé des Thermopyles un agent du SSR ne recule jamais, je respire profondément et je ferme les yeux.

    124

    Je me retrouve dans la forêt toujours en train de marcher, toutefois ma perception a changé j’ai la pleine conscience d’être dans un livre, pour une raison objective sur ma droite j’entrevois une bordure blanche, je comprends que c’est le blanc latéral droit qui borde la page, je peux donc continuer à marcher dans la forêt mais aussi me mouvoir sur la page même, je décide  de remonter vers le haut dans l’espoir que le titre de l’ouvrage et pourquoi pas le nom de l’écrivain apparaissent comme en frontispice au-dessus du texte, un usage topographique somme toute courant. Il m’est beaucoup plus difficile de réaliser cette opération, je dois couper ligne par ligne en me faufilant dans les intervalles qui séparent les mots ou en me glissant entre les interstices plus ou moins étroits entre les lettres. Je procède difficilement, le rêve vire au cauchemar, quand je passe sous la barre d’un t elle se transforme en une monstrueuse branche de sapin sur laquelle mon front s’en vient cogner, les jambes des p des j, des y, des q se muent en racines qui s’enroulent autour de mes pieds, les c se transforment en gueule ouvertes qui essaient de me dévorer, les o roulent vers moi comme de monstrueuses barriques qui cherchent à m’écraser, les m se changent en pythons interminables, les nœuds coulant des e  m’enserrent le cou, des X majuscules me barrent le chemin, les i me jettent des coups de point, je ne me décourage pas, je persiste, je me cramponne, je repousse, j’opère détours sur détours, je progresse slowly but surely comme le chante Ray Charles, ça y est j’y suis, je suis tout en haut, les lettres se détachent devant moi, je ne sais pourquoi, je pense au Hollywood sign ces grosses lettres géantes blanches sur les flancs escarpés de la colline Lee à los Angeles qui désignent la ville mythique du cinéma. Attention les images vacillent, je comprends que mon rêve s’estompe, qu’il ne me reste que quelques secondes, je tente un saut désespéré, je vole comme un aigle à la vitesse du vent, me voici sur l’autre page, tout en haut je lève la tête et je déchiffre la deuxième inscription, chance ce n’est pas la même que celle que je viens mémoriser, ce coup-ci c’est le nom de l’auteur, je l’ai, je me réveille, le réveil affiche huit heures du matin.

    125

    Neuf heures du matin, j’ai roulé comme un fou furieux, essoufflé je pénètre en coup de vent dans le local, le Chef est assis au bureau, il allume un cigare :

              _ Agent Chad pour une fois je vous félicite pour votre exactitude !

              _ Chef, je ramène aussi deux indices, nous tenons enfin une piste sérieuse !

              _ Agent Chad, pas de précipitation, procédons avec ordre et méthode, commencez s’il vous plaît par le commencement !

    Le chef est tout ouïe. Sans cesse il me coupe et exige des détails, il rallume un Coronado, lorsque j’ai fini de raconter la scène du restaurant, l’épisode de visite de la cave à cigares le ravit :

            _ Ai-je vraiment dit qu’un Tornado 47 ne vaut pas un Coronado 29 ? Je devais être dans un bon jour, un Tornado 47 arrive péniblement à se hisser à la hauteur, que dis-je au niveau de cette morne plaine de Waterloo, si bien chantée par Victor Hugo, de ces cigarillos de bas étage confectionnés avec des débris de havanes récupérés dans les centres de tri des ordures cubains et que l’on vend aux fumeurs de pacotilles.

    Pendant trois heures et demie j’ai droit à une étude exhaustive sur les mérites respectifs des différences marques de cigares à notre disposition dans les bureaux de tabac de par notre vaste monde… Mais le Chef ne se laisse point emporter par sa passion :

             _ Enfin Agent Chad, venons-en au fait, arrêtez de pérorer sur les Coronados, vous n’y connaissez rien, quels sont donc ces deux fameux indices ?

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 581 : KR'TNT 581 : CLIFF BENNETT / HAWKWIND / Dr JOHN / SUEDE / MAXAYN / THE MEMPHIS BLUES CREAM / BARABBAS / CÖRRUPT / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    LIVRAISON 581

    cliff bennett, hawkwind, dr john, suede, maxayn, the memphis blues cream, barabbas, cörrupt, rockambolesques,

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    29 / 12 / 2022

      CLIFF BENNETT / HAWKWIND

    Dr JOHN / SUEDE / MAXAYN

    THE MEMPHIS BLUES CREAM / BARABBAS

     CÖRRUPT / ROCKAMBOLESQUES

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 581

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

    *

    C’est une ancienne chronique parue le 18 / 09 / 2015 dans notre livraison 247, écrite par Pat Grand, une amie chère de toujours,

    aujourd’hui ses cendres ont été dispersées au vent…

    …semences des mondes qui viennent…

    NOTULES DE TOULOUSE

    LA DERNIERE CHANCE – 11 / 09 / 15 

    THE GRAVE DIGGERS / THE WILD ZOMBIE

    LES ENNUIS COMMENCENT

     

             L'ami Chad nous l'avait conseillé : ne ratez sous aucun prétexte Les Ennuis Commencent. Les voici annoncés à La Dernière Chance. Nous voilà donc partis, Eric et moi, non pas en teuf-teuf, mais en tram et en métro, très vite. Peur de ne pas avoir de place mais en fait nous nous sommes retrouvés une poignée de pèlerins devant le cabaret de La Dernière Chance. Nous sommes pressés de saisir la nôtre, mais nous attendons car la billetterie ne trouve pas la caisse.  Z’avaient fait la fête jusqu’à sept heures du mat la veille et effectuaient un sommaire nettoyage du lieu. Z'auraient dû se reposer, on n'aurait pas vu la différence, tout juste si  le tenancier  commençait à éponger le comptoir. Et nous voici en train de descendre un escalier, dans le noir profond - les mines de charbon ne sont plus à Decazeville - pour aboutir dans une petite salle avec une scène éclairée de trois mètres sur deux (difficile de se mouvoir pour les musicos ! ). Transportés dans un lieu comme il en existait il y a quarante ans, en une dimension non écologique où les gens fumaient sans que cela inquiétât qui que ce fût ! Heureusement nous n'étions que dix au départ pour finir une trentaine en fin de soirée. Z’avons vite compris en arrivant qu’il fallait bien choisir sa place car les semelles collaient tellement au sol - n'avait pas vu la couleur de l’eau depuis belle lurette – qu’une fois kitchés on ne pouvait plus bouger.

     THE GRAVE DIGGERS

             Dès le premier morceau de The Grave Diggers, de Toulouse, on comprend vite qu’on en ressortira tous sourds. Mais comme tu ne peux plus bouger car tes pieds sont collés... Groupe sympathique, bons techniciens, corrects mais bon, un peu «flou»,  nous jouent les génériques de Pulp Fiction» comme de  L'inspecteur Gagdet»….

    THE WILD ZOMBIES

             Puis arrivent The Wild Zombies, quatre gars de la ville rose, deux guitaristes, basse et batteur,  des colliers de dents autour du cou. Après une mise en scène : statuette Baron Samedi  et encens, ils jouent de la bonne musique, le chanteur a une belle voix  intéressante. Bons musicos. Nous ne sommes plus que six à les écouter, dommage car  la musique est nettement supérieure à celle du groupe précédent.

    LES ENNUIS COMMENCENT

             Gus Tattoo, le contrebassiste s’installe (je kiffe, comme dirait l'amie Béa, sur la contrebasse. J’en veux une comme ça, trop belle!). Puis arrive Atomic Ben, directly from Decazeville – un autre fils du Sud - je me précipite pour le prendre en photo et ne voilà-t-il pas qu’il pose en me disant : « d’habitude c’est le contrebassiste que l’on prend en photo! ». Suis contente, toute troublée... comme la photo! Ils paraissent tellement timides que l’on ne voit pas arriver le reste des musiciens, deux petits jeunes tout fins, Arno le guitariste et Hugo le batteur.

             Et puis, c’est le nirvana, bon n’exagérons pas mais quelle explosion!  Nous serons finalement une trentaine à jubiler pendant une petite heure seulement, car il a fallu laisser la place à un DJ, n'aurions-nous donc vécu que pour cette infamie ? Dommage, les Ennuis étaient bien partis pour jouer une heure de plus. On ne les tenait plus, et nous non plus. Enfin une super ambiance, de la bonne musique, de l’humour, des musiciens qui vous offrent, tout simplement, leur talent et leur amour en partage. Bref, la classe !!!

    Ils sortent leur dernier album le 28 novembre !

    LA VIE APRES LE CHARBON

    Et c’est complètement sourds que nous nous sommes extirpés de ce sol gluant mais sans regret d’être venus.

    Pat'

    Avec Bennett, c’est net

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             Il existe deux façons d’entrer dans l’univers de Cliff Bennett : soit par les compiles Mod,  soit par Toe Fat, le groupe qu’il a monté en 1970, après la fin des Rebel Rousers.

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             C’est grâce aux compiles Mod qu’on est retourné fureter du côté de Cliff Bennett & The Rebel Rousers, de Geno Washington & The Ram Jam Band ou encore de Jimmy James & The Vagabonds. Toutes ces vaillantes équipes shakaient cette London Soul si précieuse aux handy Mods de London town et du Nord de l’Angleterre. En matière de Soul blanche, les trois albums de Cliff Bennett & The Rebel Rousers, sont des must-have, à commencer par le premier, l’album sans titre paru en 1965, on y voit le Bennett faire son white nigger sur «Talking About My Baby», une cover de Curtis Mayfield. Il tape aussi l’«It’s Alright» de Curtis, c’est dire la classe du Cliff, taper dans Curtis n’est pas si commun. Il tape aussi dans Don Covay avec «Mercy Mercy» - Have mercy baby/ have mercy on me - Une vraie dégelée de coverture, c’est plein de spirit et même terrific ! Et puis tu as l’«I Can’t Stand It» d’ouverture de balda, ces mecs ont le feu au cul, ils jouent fast and wild, ils démultiplient les exploits, les questions/réponses d’I can’t stand it, ça échange dans le groupe, et ils filent ventre à terre, comme de prodigieux Soul scorchers des plaines, ils chauffent la marmite au no no no et ça repart toujours à la folie. Ils tapent aussi dans Smokey avec «You’ve Got A Hold On Me», les Anglais s’aventurent en plein territoire Motown, ils ont du courage et il faut les saluer pour ça, car s’aventurer en territoire Motown pourrait leur briser les reins, crack ! Mais avec Cliff, ça passe. Ils tapent aussi dans Jimmy Reed avec «Ain’t That Lovin’ You Baby», ils transforment le heavy rumble de Jimmy Reed en London bus, c’est un double decker de bonne humeur à la mormoille. Le «One Way Love» qui ouvre le bal de la B te réveillera si tu somnoles, en plus tu l’as déjà rencontré dans des écoutes de pas d’heure et tu dis que ce Cliff est vraiment bon. Encore une cover de choix avec le «Steal Your Heart Away» de Bobby Parker, Merveilleusement restitué.

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             Le Cliff fait encore quelques ravages sur Drivin’ You Wild, un beau mono paru en 1965. Il sauve les meubles de l’A avec un fantastique «Sweet Sorrow» signé Mann & Weil, gros shoot de Brill qu’il chante comme un crack. Mais c’est en B qu’il planque sa viande, il rivalise de scorching avec Tom Jones dans «Who’s Cheatin’ Who», puis il tape dans le dur avec «I’ll Be Doggone», gros shoot de r’n’b. Le Cliff est l’un des chanteurs qui allument le plus en Angleterre. Il refait son white nigger avec «Strange Feeling» et retape dans le Brill de Mann & Weil avec «I’ll Take You Home». Globalement, on est assez content du voyage.

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             C’est en 1967 que le Cliff enregistre l’excellent Got To Get You Into Our Life. C’est un pur album de white nigger, rien qu’avec la version de «Barefootin’» qui ouvre le bal de la B, il rend un sacré hommage à Bobby Parker. Il y met tout son soin, woow comme ce mec Bennett peut être net ! Toujours en B, il rend hommage au Stax sound avec «You Don’t Know What I Know», il en met plein la vue à Gawd, c’est fameux, le Cliff fait son Sam & Dave. S’ensuit une cover de «CC Rider Blues» amenée à l’orgue comme celle d’Eric Burdon et avec du raunch à la pelle. Le coup de génie se l’album sur trouve aussi sur cette B détonnante : «Stop Her On Sight (SOS)», fantastique énergie du beat, avec des cuivres en embuscade, c’est un fantastique shuffle à l’Anglaise. Et l’A dans tout ça ? Oh, elle n’est pas en reste avec sa version de «Roadrunner». Le Cliff en fait une version à la Jr Walker, il emmène Bo rôtir en enfer. Version faramineuse du «Got To Get You Into My Life» des Beatles. Et encore une belle énormité avec «It’s A Wonder», heavy pop Soul de Cliff, power & glory all over. C’est clair et net. Ce mec est effarant de grandeur totémique. Il frise le Wilson Pickett en permanence.

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             Paru en 1986, Got To Get You Into My Life est un Best Of qui permet de récupérer les singles, notamment le morceau titre. Leur version de «Got To Get You Into My Life» est aussi bonne que celle de McCartney. La grande spécialité du Cliff et de ses Rebel Rousers, ce sont les covers, et là, tu en trouves une tonne, et c’est du sérieux, principalement les hits signés Hayes/Porter, le dream team de Stax : «Hold On I’m Comin’» et «I Take What I Want», le Cliff les bouffe tout crus. Il reprend aussi le «CC Rider Blues» avec l’attaque d’orgue en forme de virevolte d’Eric Burdon et c’est embarqué au heavy stomp de Bristish Beat. Fabuleuse cover de «Back In The USSR», le Cliff est dessus, sans l’éclat vocal de John Lennon, mais avec une ferveur qui ne trompe pas. En B, il tape le «Barefootin’» de Bobby Parker, jerky jerk de Mod craze. Ah la classe des Rousers ! Il faut les entendre dans «Hurtin’ Inside», puissant rockalama avec un solo qui vient te claquer le timpani du beignet au cœur de l’action.

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             Sur Cliff Bennet Branches Out paru en 1968, on retrouve la cover d’«I Take What I Want» évoquée plus haut, une cover pleine d’urgence de white Cliff power, il en fait l’une des covers du siècle passé, aucun doute là-dessus. Il reprend aussi le «Good Times» des Easybeats pour le transformer en heavy r’n’b. Il le chauffe à blanc. Fucking genius ! Il tape dans deux cuts pas très connus d’Isaac, «Ease Me» et «I Said I Weren’t» qu’il chauffe encore à blanc. Le Cliff est l’un des grands white niggers d’Angleterre et cet album est un big album, un de plus à l’actif du Cliff. Encore un coup de Jarnac avec la cover du «Taking Care Of Woman Is A Full Time Job» de Joe Tex, un vrai shoot de wild r’n’b. Le Cliff est bien dans le Tex. Il fait aussi une belle cover du «Lonely Weekends» de Charlie Rich, il la tape au heavy swing avec une vraie voix. Il a tout bon. Et pour l’ouverture de son balda, il a choisi «You’re Breaking Me Up», une heavy pop cuivrée dans laquelle résonnent des accents de «Got To Get You Into My Life». Wow, ça sent bon les Beatles ! 

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             On change d’époque avec Cliff Bennett’s Rebellion paru en 1971. La pochette est volontairement imprimée à l’envers, c’est-à-dire que le disk sort par la gauche. Terminé le temps des covers de r’n’b. Le Cliff passe au rock blanc. Il ne fait que deux reprises sur cet album, le «Blues Power» de Clapton et le «Sandy Mary» de Peter Green, joué bien heavy. Le Cliff attaque son balda avec «Say You Don’t Love Me», un heavy balladif à la Bennett, propre et nett et sur «Please Say You’ll Come», un guitariste nommé Robert Smith fait des siennes. On ne lui en demandait pas tant. «LA» sonne comme un slow rock d’époque joué à la basse. Le bassman qui s’appelle John Gray est un bon. Avec le chant puissant du Cliff, ça passe comme une lettre à la poste.

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             En 1976, le Cliff se retrouve dans l’un des groupes de Mick Green, Shanghai, et donc sur l’album Fallen Heroes. Bon, ce n’est pas l’album du siècle, même si Mick Green est l’un des guitaristes les plus intéressants d’Angleterre. On n’échappe pas à une petite reprise de «Shakin’ All Over», puis ils passent au heavy boogie qui ne rigole pas avec «Lets Get The Hell Off This Highway». Pour Mick Green, c’est du gâtö, il tape même une partie de bluegrass en fast picking. Ils terminent l’A avec un «Nobody’s Fool» en forme de longue variation. C’est du gros Cliff et du gros Green. On peut leur faire confiance. Le «Candy Eyes» qui ouvre le bal de la B préfigure le Toe Fat à venir : heavy beat et grosse masse volumique. Alors le Cliff pose sa voix de big man dans l’écrin rouge d’une prod parfaite. S’ils ont autant de son, c’est parce que le groupe comprend deux bons guitaristes. En plus de Mick Green, un certain Brian Alterman fait des siennes sur «Over The Wall». Puis avec «Solaris», ils font une espèce de Led Zep bien heavy, avec deux solos de guitare structurels dignes de ceux de Jimmy Page, à l’époque des grands vertiges.  

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             Pour la petite histoire : Shanghai est un groupe qui existait avant l’arrivée de Cliff Bennett. C’était un quatuor assemblé par Mick Green et le chanteur était un black nommé Chuck Bedford. Leur premier album est une petite merveille qu’on ne peut que recommander chaudement. Il est même bien meilleur que Fallen Heroes. Shanghai est sorti sur Warner en 1974, et Chuck Bedford amène de la Soul dans le rock blanc, de la même façon que Ray Owen avait amené de la Soul dans Juicy Lucy. Alors, un chanteur black et un géant comme Mick Green, ça ne peut faire que des étincelles. L’album sonne vraiment bien, «Weekend Madmess» est une véritable énormité, avec l’envolée du sweet sweet madness. Et dans «Joy Joy Joy», le Green passe l’un de ces brillants solos dont il a le secret. Ils attaquent leur B avec «Hobo», à la systémique du totémique et calment le jeu avec «Sparks Of Time», un gratté à coups d’acou, mais porté par cette solide rythmique qui n’en finit plus d’épater. C’est plein de son, en permanence, ils proposent une incroyable variété de tons et d’attaques, «If You Can’t Live (You’re Dead)» est encore une bonne surprise. Le Soul Brother est de retour sur «Magic Lady». Diable, comme ce mec est bon ! Heavy loose de goose avec «Loose As A Goose», ils sont irréprochables de bout en bout. Bravo les gars !   

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             Toe Fat est donc la deuxième entrée dans l’univers de Cliff Bennett. Dans les early seventies, bon nombre de kids furent fascinés par la pochette surréaliste du premier album sans titre de Toe Fat, et pour eux, ce fut l’occasion de découvrir Cliff Bennett, qui était relativement inconnu en France. On trouvait aussi deux futurs Uriah Heep dans Toe Fat, Lee Kerslake (beurre) et Ken  Hensley (guitar), plus l’excellent bassman John Konas, un nom qui serait difficile à porter en France, mais en Angleterre, ça passe. Toe Fat date de 1970. Ils annoncent la couleur avec «That’s My Love For You», solide Toe Fat rock avec le Bennett on the cliff. Il est bien grimpé sur sa falaise, le vieux white nigger. Le hit de l’album s’appelle «Nobody», un heavy groove à la Status Quo, le Cliff mène grand train, il chante comme un seigneur de l’An Mil, c’est énorme, gras, seyant, imparable, Fat à souhait. C’est John Konas qui vole le show dans «But I’m Wrong». Tout est bien heavy sur cet album, ils embarquent «Just Like Me» au just like me et Ken Hensley fait un carnage dans «I Can’t Believe», on le voit sortir son agressivité au coin du bois. Retour au heavy boogie à la Status Quo avec «You Tried To Take It All», ils chargent la barque de Fat à outrance, et le Cliff y rajoute tout le gras double dont il est capable.

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             La même année paraissait Two. L’album est nettement moins dense que le précédent. Cliff Bennett fait son heavy bump, mais ce n’est pas très bon. Et quand tu penses que des gens vont sortir un gros billet pour ça, tu rigoles. «Indian Summer» sonne comme du conglomérat de pré-Uriah Heep et de post Rebel Rousers. C’est assez pauvre et même proggy. On sait que le prog est un cache-misère. On perd complètement l’énergie du premier album. Il ne faut pas être clerc de notaire pour voir que ces mecs sont cuits, et Cliff en premier. C’est un white nigger, il n’a rien à faire dans le prog anglais. Ils passent au heavy blues avec «There’ll Be Changes», comme s’ils n’avaient plus rien à dire. Toe Fat a perdu sa spécificité. Ils font du gros n’importe quoi. En B, Cliff Bennett tente de sauver les meubles avec «Since You’ve Been Gone», il y va au heavy guttural, c’est-à-dire à la force du poignet, mais on ne voit que ça, l’efficacité. Il reste l’un des meilleurs shakers d’Angleterre. Il reste dans le heavy Fat avec «Three Time Loser» et là ça devient intéressant. On le retrouve au sommet du cliff de marbre avec «Midnight Sun», prêt à plonger dans le lagon d’argent, tellement il se sent mythique. Mais ce ne sont en aucun cas les compos du siècle. Toe Fat est un groupe qui peine à jouir. Ils ont un problème de carence compositale. Cliff fait son cliff de marbre, il reste très concerné, il est parfois si impliqué qu’il en devient insupportable. Il fait comme il peut.    

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             En l’an 2000, Cliff Bennett entame une carrière solo avec Loud And Clear. Autant l’avouer : c’est une véritable rafale de covers, à commencer par le vieux «Got To Get You Into My Life» que chantait si bien McCatney à l’époque et que Cliff s’est approprié au temps des Rebel Rousers. Il chante toujours aussi bien son ooohhh every single day of my life, il remonte bien le courant, c’est un vrai saumon, le vieux Cliff. Il tape aussi un fantastique «Knock On Wood», il est tout de suite dans Stax, c’est quasiment automatique chez lui, il sature sa cover de classe de Cliff, il travaille ça au heavy groove de vétéran. Encore du pur jus de Stax avec «Soul Man», you got some ! Il revient à sa vieille obsession pour les Beatles avec une brillante cover de «Back In The USSR», cover magique, il la prend à sa façon, c’est plus âpre, très cuivré, in USSR you know how lucky you are ! La cerise sur le gâtö est sa cover d’«A Woman Left Lonely». Le Cliff est l’un des mieux placés pour taper dans Dan, il grimpe très vite très haut, Cliff est une âme sensible, donc légère, il peigne le Penn sans peine. Cliff Bennett est une bonne adresse. Si tu en pinces pour le r’n’b, alors tu as «Raise Your Hand». En matière de raw r’n’b, il est imbattable, et c’est cuivré de frais. Encore du purisme avec «You Don’t Miss Your Water». Fantastique présence. Comme il adore la Soul, il la traite comme une reine. 

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             Attention au Soul Blast! paru en 2001 : il fait un peu double emploi avec Loud And Clear. On y retrouve «Kock On Wood», «Soul Man», «Get Back», le «You Don’t Miss Your Water» de William Bell et l’«A Woman Left Lonely» de Dan Penn. Le vieux Cliff sait s’aplatir dans la heavy Soul, il sait s’accroupir pour couler le bronze du siècle. Mais il nous tape aussi le «See-Saw» de Don Covay. En fait, le vieux Cliff est le cover-man idéal, quand il s’engage, il est sérieux. 

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             Comme Cliff a de l’humour, il baptise son dernier album Nearly Retired. On voit bien sur la pochette qu’il a pris un coup de vieux, mais musicalement, il n’a jamais été aussi bon. Comme Tonton Leon, il se bonifie en prenant de la bouteille. La preuve ? «That’s The Way Love Is», il continue de viser l’énormité. Le voilà barré de nouveau dans le wild r’n’b, il est même d’une certaine façon assez révolutionnaire, aux frontières de la fusion, du funk et du heavy Cliff. Pur genius ! Là, tu as tout le wild side d’un vieux loup de mer. On retrouve le power du Cliff dans «Why Me», ça joue sec et net derrière Bennett, il reste fabuleusement enjoué, c’est cuivré à outrance. Il y a chez lui quelque chose d’inexorable. Son «Somebody To Love» arrache tout au passage, les espoirs et les arbres, il est trop puissant pour être honnête. Il a du power plein la voix, comme le montre encore «Love To Burn». Il reprend son costume de white nigger pour « A Fool In Love», il enfonce tous ses clous et se jette tout entier dans la balance. Superbe artiste ! Il orchestre son blues à outrance, comme le montre «I Sing The Blues». Il ira chanter jusqu’à la fin des temps et c’est exactement ce qu’on attend de lui. Encore un cut extrêmement puissant avec «That’s The Way I Feel», sa voix claque dans les ténèbres comme les portes d’airain de la cité des morts. Il nous fait aussi le coup de la petite morve de white hot r’n’b avec «Love Sickness», le white nigger rôde dans le coin, juste derrière the twilight zone.

    Signé : Cazengler, Cliff Bénêt

    Cliff Bennett & The Rebel Rousers. Cliff Bennett & The Rebel Rousers. Parlophone 1965

    Cliff Bennett & The Rebel Rousers. Drivin’ You Wild. Music For Pleasure 1965

    Cliff Bennett & The Rebel Rousers. Got To Get You Into Our Life. Parlophone 1967

    Cliff Bennett & The Rebel Rousers. Got To Get You Into My Life. See For Miles 1986

    Cliff Bennett & His Band. Cliff Bennet Branches Out. Parlophone 1968 

    Cliff Bennett’s Rebellion. Cliff Bennett’s Rebellion. CBS 1971 

    Shanghai. Shanghai. Warner Bros. Records 1974  

    Shanghai. Fallen Heroes. Thunderbird 1976  

    Toe Fat. Toe Fat. Parlophone 1970

    Toe Fat. Two. Regal Zonophone 1970   

    Cliff Bennett. Loud And Clear. Delicious Records 2000 

    Cliff Bennett. Soul Blast! Castle Pie 2001         

    Cliff Bennett. Nearly Retired. Wieerworld Presentation 2009

     

     

    Nik est niké

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            Chacun sait que la légende du proto-punk britannique repose sur six piliers : les Pretty Things, les Pink Fairies, Third World War, l’Edgar Broughton Band, les Deviants et bien sûr Hawkwind. Nik Turner qui fut l’un des membres fondateurs d’Hawkwind vient tout juste de casser sa pipe en bois, alors nous allons lui rendre hommage avec les moyens du bord.

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             C’est Carole Clerk qui nous raconte dans le détail l’histoire extraordinaire de Nik Turner dans son chef d’œuvre biographique, The Saga Of Hawkwind, une sorte de passage obligé pour tous les amateurs éclairés de rock anglais.

             En 1964, Nik passe l’été à Margate, une charmante station balnéaire du Sud de l’Angleterre, à vendre des chapeaux, des lunettes de soleil, des seaux et des pelles pour les gosses, des cartes postales et des conneries psychédéliques aux vacanciers. C’est là qu’il rencontre Robert Calvert, un marginal qui allait jouer un rôle capital dans la saga d’Hawkwind. Nik a un van, il monte régulièrement à Londres et flashe sur la scène underground, alors en plein essor. Comme il est passionné de jazz, il apprend à jouer du sax. Et boom, il retrouve Dave Brock qu’il avait déjà croisé en Hollande. Comme Nik a un van, Dave Brock et son pote Mick Slattery lui proposent un job de roadie dans le groupe qu’ils sont en train de monter. Quand l’été revient, Nik roule son duvet, grimpe dans son van avec Robert Calvert et fonce sur Londres. Le marchand de chapeaux fait ses adieux au front de mer. Le groupe commence à répéter. Dave : «Nik avait un sax. Il ne savait pas en jouer. Il soufflait dedans et produisait une sorte de  jazz d’avant-garde. On lui disait que ça sonnait bien et qu’il pourrait très bien monter sur scène. Puis Dikmik a acheté un générateur audio et une chambre d’écho. Il s’est mis à en jouer.» Nik confirme : «Je m’entendais bien avec Dave Brock. Je dormais chez lui, à Putney. Je jouais énormément sur mon sax ténor, il prenait sa guitare et on allait jouer dans les rues, à North London Poly.» Mais il existe déjà une petite différence entre eux. Dave : «On était des freaks planants, mais très franchement, c’était moi le patron. Il doit y avoir un capitaine à bord du vaisseau, autrement, on ne fait rien.» Nik ne voit pas les choses de la même façon : «Je croyais que le groupe était un groupe communautaire. Dave n’avait pas plus de responsabilité dans ce groupe que n’en avaient les autres.» Leurs points de vue légèrement différents allaient poser par la suite de sérieux problèmes : Nik allait se faire virer deux fois du groupe.

             Au commencement, le groupe n’a pas de nom. Alors ils se présentent comme Group X. Ils s’invitent dans un concert qui a lieu dans une église désaffectée, the All Saints Hall. Ils n’ont pas de morceaux, alors ils jamment. Le public est sidéré. Mick Slattery : «Dikmik bidouillait son générateur, Nik soufflait comme un dingue dans son sax, Dave et moi on jouait en feedback, comme Jimi Hendrix et Terry massacrait ses fûts. Les stroboscopes jetaient dans ce chaos une pointe de folie furieuse !». Présent dans l’église, John Peel flashe sur Group X. Il recommande à son voisin, un mec de l’agence Clearwater, de les signer. Nik Turner : «John Peel nous voyait comme des Sex Pistols de l’époque, comme quelque chose d’entièrement nouveau. On générait du chaos, on était sauvages et indomptables.» Clearwater les signe, mais il leur faut un vrai nom. Ils optent pour Hawkwind Zoo. Le zoo, c’est la façon dont ils se voient : une ménagerie de freaks hauts en couleurs. Hawkwind est le surnom de Nik, à cause de sa surproduction de pets et de mollards. Dave : «Nik pétait (wind)... C’était horrible. Et il se raclait la gorge, pour parler (hawking)... Il n’arrêtait pas.» John Peel intervient encore une fois pour leur conseiller de virer le Zoo pour ne garder qu’Hawkwind. Et voilà comment on lance un mythe.

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             En novembre 1969, Dave Brock, Nik Turner, Mick Slattery, Terry Ollis, John Harrison et Dikmik signent là où on leur demande de signer. Mais comme Mick Slattery décide de retourner au Maroc, il est remplacé par Huw Lloyd-Langton, lead guitar. Le premier album sans titre d’Hawkwind paraît sur Liberty en 1971. C’est là-dessus que se trouve l’excellent «Hurry On Sundown», gratté à coups d’acou. C’est la première mouture d’Hawkwind. Dave Brock balance les coups d’harp. Aw quel son ! Alors après, ça se gâte terriblement. Ils font un peu n’importe quoi, ça jamme dans tous les coins. Il faut attendre «Mirror Of Illusion» pour les voir renouer avec l’excellence et Dikmik envoie ses spoutniks. Il est essentiel de rappeler que Dick Taylor produit ce premier album.

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             Arrivé à Londres comme on l’a vu avec Nik Turner, Robert Calvert grenouille dans l’underground. Il est déjà all over In Search Of Space, mais il n’y chante pas. C’est sur cet album qu’on trouve l’énorme «Master Of The Universe». Dave Brock est l’un des grands rois du riff, c’est aussi solide que le «Silver Machine» à venir, même unité de l’unicité, même embolie de l’embellie, même solidité de la solidarité. L’autre bonne affaire de l’album est le «You Shouldn’t Do That» d’ouverture de balda, joué à la violence intentionnelle. Ah on peut dire que les Anglais savent battre la campagne du space-rock ! Ils proposent ici un bel élan d’hypno avec le sax tourbillonnaire de Nik Turner. Ils créent leur monde à la force du poignet. Fantastique énergie d’équipe, avec un line-up qui a déjà commencé à changer : autour de Dave Brock, on trouve Dave Anderson (bass), Dikmik & Del Dettmar (spoutniks) et Terry Ollis (beurre).

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             L’année suivante paraît l’un des meilleurs albums d’Hawkwind, Doremi Fasol Latido. Lemmy est entré dans la bergerie et Simon King a remplacé Terry Ollis. On assiste à l’incroyable décollage de «Space Is Deep», en plein cœur du cut. On entend aussi Lemmy jouer en solo dans «Lord Of Light». Il joue littéralement dans le cours du fleuve, son drive brouteur bouffe le Lord de l’intérieur. Il n’en finit plus de remonter à la surface du fleuve avec ses drives mécaniques. Encore une merveille avec «Time We Left This World Today», un cut frappé en plein cœur par un énorme break de basse signé Lemmy.  Ça vaut tous les breaks de Tim Bogert. Lemmy est un grand fracasseur, un titan du break, qu’on se le dise. Et ça repart de plus belle avec «Urban Guerilla». Comme ces mecs sont bons ! Ils bombardent comme des avions américains, avec cette basse sous-jacente qui avance en mode walking bass dans le chaos.

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             On trouve «Silver Machine» sur le Space Ritual Alive paru en 1973. C’est Robert Calvert qui écrit les paroles de cet albatross of a summer hit. Dans l’une de ses chroniques, Luke la main froide se marre car tout le monde croit qu’il s’agit d’un texte sur un vaisseau spatial alors qu’en fait Calvert raconte ses virées en mobylette à Margate, où il a grandi. Puis Calvert est promu Space Poët et se retrouve sur Space Ritual. La main froide a raison de dire que tout a été dit sur Space Ritual, mais à toutes les gloses, il préfère le slogan publicitaire qui accompagna la parution de l’album : «Ninety Minutes of Brain Damage». Voilà pourquoi Hawkwind et Luke la main froide nous sont si précieux. Sur ce fastueux album live, on retrouve tous les hits qui font déjà la réputation d’Hawkwind, à commencer par l’effarant «Master Of The Universe», proto-punk de bon aloi, fast tempo avec un bassmatic dévorant et des spoutniks. On retrouve aussi en D l’inestimable «Time We Left This World Today» qui cette fois repose sur les chœurs. Lemmy s’empresse de démolir ce cut infiniment totémique. Les coups de sax et les harangues sonnent comme des clameurs antiques. C’est très spectaculaire. Sur «Born To Go», Lemmy prend tout de suite la main avec son bassmatic mangeur de foie. Il met tout le cut sous tension. C’est extravagant ! En B, on l’entend encore chevroter dans «Lord Of The Light», survolé par le vampire Nik Turner. Ils jamment comme des dingues. C’est un album qui s’écoute et qui se réécoute sans modération. Un seul défaut : la guitare de Dave Brock se perd dans le mix. Lemmy et Nik Turner se partagent donc le festin. Ils se tapent une belle montée en température avec «Space Is Deep». Tous ces cuts sont parfaits, taillés pour la route. Ces punks d’avant le punk savent voyager dans l’espace. Nik Turner vient hanter «Orgone Accumulator» en B et on assiste à une pure Hawk Attack avec «Brainstorm». Grande allure, riff en avant toutes, heavy proto-push plein de poux et de spoutniks. Un riff que vont d’ailleurs pomper goulûment les Damned pour «Neat Neat Neat».  

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             Encore un big album l’année suivante avec Hall Of The Mountain Grill. Qu’est-ce qu’on a pu fantasmer à l’époque sur cet album et sur cette pochette ! Il faut bien dire qu’on était dingues d’Hawkwind comme de Third World War, d’Edgar Broughton et des Pink Fairies. Tous ces groupes relevaient du sacré et leurs albums ne décevaient guère. Sur Hall, se trouvent trois bombes, à commencer par «The Psychedelic Warlords (Disappear In Smoke)» : classic Hawk, bien riffé et superbement chanté, avec Dave Brock en tête de la meute. C’est un hit tentaculaire, assez tribal dans son essence, chanté à la clameur, avec une fantastique insistance de la persistance. Dave Brock nous plonge là dans un véritable lagon d’excelsior épistémologique. Sur la réédition d’Hall Of The Mountain Grill parue en 2014, on trouve en D la version single de ce hit fantastique. La deuxième bombe est un autre gros précurseur proto-punk : «You’d Better Believe It», un cut directement inspiré du Velvet, avec le délire de Nik Turner embarqué par le tourbillon. La troisième bombe s’appelle «Lost Johnny». Dave Brock l’embarque et le chante à la revoyure. On se régale aussi de «Paradox» et de son indéniable présence. Ces mecs savent mettre en marche l’armée d’un cut. Dans les bonus de la red, on trouve «It’s So Easy» monté sur les chœurs de «You Can’t Always Get What You Want». Quelle extraordinaire résurgence ! 

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             Leur dernier album sur United Artists s’appelle Warrior On The Edge Of Time. Belle pochette mais compos plus proggy. Nik Turner joue de la flûte, ce n’est pas bon signe. Ça turbine pourtant bien derrière, avec Lemmy et deux batteurs, Simon King et Alan Powell. On voit Lemmy se balader sur le beat d’«Opa-Loka». Dave Brock sauve l’A avec «The Demented Man», un balladif d’un très haut niveau mélodique. La viande se trouve au bout de la B avec deux cuts, «Dying Seas» et «Kings Of Speed». Tout le power d’Hawk est de retour, ça joue heavy au pays d’Hawk. Surtout sur «Kings Of Speed», et son fantastique déballage. Dave Brock sait générer des chevaux vapeur, c’est un exubérant, il doit être la réincarnation d’une locomotive du XIXe siècle. On entend même un violon dans cette volée de bois vert.

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             Astounding Sounds, Amazing Music est le dernier album d’Hawkwind où apparaît le nom de Nik Turner. Robert Calvert déclara au Melody Maker qu’avec Astounding Sounds, Amazing Music, ils visaient «le croisement d’une démarche intellectuelle avec la bande dessinée.» L’album vaut sacrément le détour, ne serait-ce que pour l’infernal «Reefer Madness» d’ouverture de balda. Comme toujours, Calvert se trouve mêlé au meilleur d’Hawk, ça part en heavy rffing. On ne se lasse pas de cette solidité, on y retrouve le beat du stomp anglais et un goût certain pour l’hypno. C’est même jazzé au sax par l’everlasting Nik Turner. Effarant ! Calvert chante «Steppenwolf» avec de faux accents à la Bryan Ferry. Son côté gothique décadent remonte à la surface. Et puis, il faut bien dire qu’il adore tout ce qui chevauche le gros beat. Avec Nik Turner, Calvert reste le meilleur maître de cérémonie qu’on ait pu voir dans Hawkwind. On retrouve de la belle hypno en B dans «The Aubergine That Ate Rangoon», visité au sax galactique de Nik Turner. Ces mecs travaillaient une vision du son intéressante. Encore du so solid stuff avec «Kerb Crawler». Dave y bat bien le nave.

             Bon, après avoir été viré comme un chien d’Hawkwind, Nik Turner ne va pas rester les mains dans les poches. Il va enregistrer des dizaines d’albums, avec notamment Inner City Limit, Nik Turner’s Fantastic Allstars, Nik Turner’s Outriders Of The Apocalypse, Nik Turner’s Sphynx, Space Mirrors, Space Ritual, The Imperial Pompadours, The Moor, et ce n’est pas fini, c’est un vrai délire, à l’image du grand Nik ta race, l’un des héros les plus attachants de la grande saga du rock anglais. Thank you for the ride, Nik Turner.

    Signé : Cazengler, Nik Tumeur

    Nik Turner. Disparu le 10 novembre 2022

    Hawkwind. Hawkwind. Liberty 1971

    Hawkwind. In Search Of Space. United Artists 1971

    Hawkwind. Doremi Fasol Latido. United Artists 1972

    Hawkwind. Space Ritual Alive. United Artists 1973

    Hawkwind. Hall Of The Mountain Grill. United Artists 1974

    Hawkwind. Warrior On The Edge Of Time. United Artists 1975

    Hawkwind. Astounding Sounds, Amazing Music. Charisma 1976

    Carol Clerk. The Saga Of Hawkwind. Omnibus Press 2006

     

     

    Wizards & True Stars

    - Oh Dr John I’m only dancing (Part Three)

     

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             Tout le monde le croyait mort et enterré. Dr John enterré ? Quelle rigolade ! Si tu vas faire un tour dans la Cité des Morts, under the Hoodoo Moon, tu le verras chanter, accompagné par the Jiving Skeletons, oui, l’orchestre des squelettes séculaires. Si tu domines ta peur et que tu approches, tu verras qu’ils portent tous des bicornes, des hauts de forme et des foulards noués autour du crâne, comme ceux des pirates, et qu’au fond de leurs orbites brille une lueur, plus loin, tu reconnaîtras Marie Lavaux, et si tu ouvres bien les yeux, tu verras aussi des milliers d’ombres, celles de ses dévôts, rassemblés là chaque nuit depuis des siècles. La vie dans la mort, la mort dans la vie. Un journaliste anglais approche son micro et Dr John croasse : «I have no plans to die during my lifetime.» Et il reprend sa litanie, «Walk on gilded splinters with the king of the Zuluuuuu.»  

             Le vieux Mac n’en finit plus de revenir aux racines du Gris-Gris, s’il le fait, c’est avec une classe affolante, tu entres chez lui à tes risques et périls, bienvenue brother, bienvenue en enfer. Il tend son art, I walked through the fire and I fly through the smoke, il devient le temps d’un mythe l’œil du typhon. On n’en connaît que deux aux États-Unis : lui et Jerry Lee Lewis. Mais Mac te titille son typhon avec une patte de lapin, com’ com’... Les deux grands sorciers du rock, Mac et Jerry Lee, avec, il faut bien l’admettre, des techniques différentes. Mais c’est exactement la même violence. Jerry Lee te précipite dans le chaos de l’enfer sur la terre - hellfire - parvenant au passage à le transformer en temple de vie, alors que Mac te précipite directement au royaume des morts, attention, la dégringolade peut être brutale - Get it burn it - tu vas rouler sur une pente, à travers un tunnel et tu ne pourras plus revenir en arrière - Things happen that way.

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             Chose curieuse, c’est le titre d’un album qualifié de «posthume» dans la presse anglaise. Pour une fois, les journalistes anglais n’ont rien compris. Pire encore : Things happen that way est qualifié d’album «country & western». De toute évidence, l’imbécile qui a écrit ça ne l’a pas écouté. Il n’y a rien de «country» chez Dr John. Comme Tonton Leon, il adore les grandes compos et chacun sait qu’Hank Williams et Willie Nelson en sont prodigues, il paraît donc naturel que Dr John tape dans le tas. Pas pour en faire de la soupe nashvillaise, mais plutôt un florilège macabre, une sorte de collier de fleurs de cimetière. Dans Uncut, Sharon O’Connell parle d’un easy-swinging record full of trans-generationel spirit, ce qui se rapproche un peu plus de la vérité. Le meilleur exemple est sans doute la reprise de l’«End Of The Line» des Traveling Wilburys. Il y duette à la lune avec Aaron Neville. Country & western ? Non, pur jus de New Orleans. L’ange Aaron te swingue grassement. La terre est grasse. Pour faire honneur au vieux Willie Nelson, Mac choisit «Funny How Time Slips Away». One two three four. Mac tape ça avec tout son feeling de white niggah de la Nouvelle Orleans, il groove le vieux Willie aux accents de gator, d’un ton chargé de gourmandise carnassière, il fait la différence avec les foies blancs, il injecte dans ce vieux classique éculé par tant d’abus une gigantesque dose de weidness mal blanchie. Mac le sorcier te plonge dans l’extrême mythologie de la Nouvelle Orleans, cette mythologie qui dans le cœur des kids du XXe siècle a remplacé celle de la Grèce antique, pourquoi, parce qu’elle leur parlait directement : Juju, Splinters, Hoodoo, Zulu, tu as le son des origines et celui de la fin de tout, et quand Mac revient au chant, I gotta now, il t’écrase ton petit champignon. Si tu ne comprends pas ça, alors tu n’as rien compris. Tout est là, dans le gras de l’interprétation, dans le fruit pourri du Mac tombé dans la mousse.  

             Mac salue le vieux Hank à deux reprises, d’abord avec «Ramblin’ Man», puis avec la vieille écultette d’«I’m So Lonesome I Could Cry», qu’on pourrait aussi qualifier de chanson parfaite. L’embêtant avec Hank, c’est qu’il n’a écrit que des chansons parfaites. Mac fait de l’art moderne avec «Ramblin’ Man», il le chante à l’éclate de glotte calleuse, en bon sorcier, il titille le jive avec sa patte de lapin, il swingue son jazz aux serpents à sonnettes, il est juste derrière le groove, dans l’ombre, tu le distingues à peine, plutôt que d’avoir peur, tu devrais l’admirer, il va même t’enlacer, python d’écailles luisantes, c’est le power de New Orleans, baby, et Mac t’invite à danser avec les morts de la Cité des Morts, c’est épais, son «Ramblin’ Man» te laboure bien la gueule. Si tu cherches de l’épais, c’est là. Bizarrement, il chante «I’m So Lonesome I Could Cry» à la voix qui va pas, mais comme on l’a déjà dit, la chanson est parfaite, alors ça passe. Il en fait une vieille chanson à boire de fin de soirée, il chante d’une voix grave, mais il faut entendre le grave au sens anglais, tombe, il te bouffe le Lonesome tout cru, sous sa casquette, et avec des mains couvertes de verrues.

             Le vieux Willie vient duetter avec lui sur «Gimme That Old Time Religion», un classique qu’a aussi repris Jerry Lee. Les deux vieux claquent leurs boîtes à camembert dans le brouillard du cimetière. Ils produisent un brouet qui se met à bouger, un phénomène organique un peu surnaturel et une petite black poppe le mot «Religion» à point nommé. Ils s’amusent à sonner comme des vieux pépères, mais ils figurent tout de même parmi les plus grandes stars des Amériques. Les filles reviennent avec parcimonie et ça donne un ensemble absolument dégoulinant de mythologie. Ça suinte de partout. Là tu as le nec du nec. Au point qu’on se sent parfois dépassé. Comme c’est souvent le cas lorsqu’on fréquente des sorciers.

             Quand il tape dans le heavy blues avec «Holy Water», le heavy blues a du mal à bouger. Trop écaillé. Trop gorgé de vieux jus. Vieille peau. Oh et puis l’odeur ! Atroce et superbe à la fois, pas loin de la définition du beau selon Baudelaire. Heavy blues si ancien, comme chanté à l’éclat du jour. Du coup, l’album «posthume» devient une sorte d’album inespéré, comme le fut d’ailleurs l’album «posthume» de Tonton Leon. Mac continue de bâtir sa légende avec «Sleeping Dogs Best Left Alone». Une façon de chanter unique au monde, des chœurs de blackettes l’épaulent. Il te swingue son Dogs à la pointe d’une glotte de junkie brother, il chante seconde après seconde, en une sorte de progression rampante qui renvoie cette fois au gros popotin du wild r’n’b de la Nouvelle Orleans. Restons donc dans la Cité des Morts avec «Give Myself A Good Talkin’ To», il chante cette fois par dessus la jambe, à cheval entre la vie et la mort, entre le groove et la gloire, entre le jour et la nuit, tout à coup, il devient évident que Mac est un vampire issu de temps très anciens. «Funny How Time Slips Away». Pourquoi est-ce si évident ? Parce qu’il sait rester ambivalent et délicieusement génial. Mais aussi parce qu’il enregistre un album «posthume». Seul un vampire peut s’offrir ce luxe désuet. Il te croake le clack du boogie biz. Il termine cette virée nocturne avec son morceau titre, un heavy balladif. Beware my friend, c’est probablement la dernière fois que tu entends chanter ce vieux sorcier/vampire/zombie, qui fut dans les années cinquante et soixante tellement fasciné par le peuple noir de la Nouvelle Orleans qu’il sombra dans l’osmose. Profite bien ce cet album «posthume», car il ne reste plus beaucoup de vampires sur cette terre. 

    Signé : Cazengler, Dr jauni

    Dr John. Things Happen That Way. Rounder Records 2022

     

     

    L’avenir du rock

    - Blue Suede chou(chou) (Part One)

     

             Pour l’avenir du rock, chaque (bon) groupe a son charme particulier. Chaque pays aussi. Oh, il ne les connaît pas tous, alors il ne va pas commencer à frimer, mais il aime bien rêvasser au souvenir de ceux qu’il connaît assez pour y avoir longuement séjourné. En matière de voyages, comme d’ailleurs en matière de musique, la nostalgie ravive l’éclat des souvenirs au point de les sublimer, ce qui peut générer une certaine distorsion, raison pour laquelle il est parfois bon d’aller soit revoir, soit réécouter, histoire d’ajuster les souvenirs à la réalité. Qu’il s’agisse des rues de Chelsea où il faisait bon déambuler, des rives de l’Amazone où il faisait bon bivouaquer à la tombée du jour, ou des jardins d’Allah qu’il faisait bon traverser pour rejoindre à dos de chameau les premières dunes du désert, le simple fait de retourner sur place remplissait le cœur d’aise, car rien de ce qui fit en première instance le charme de ces endroits n’avait subi la moindre altération, et s’il y avait distorsion, la cause en était toute autre : ces redécouvertes démultipliaient jusqu’au délire le capharnaüm émotionnel que chacun de nous héberge à bon compte. La plus belle chanson consacrée à la nostalgie est sans doute «Le Retour à Paris», lorsque le Fou Chantant fait valser dans ses bras son «Prendre un taxi/ Qui va le long d’la Seine», tu le sens le taxi, tu les vois les quais et les dômes des bâtisses, «et me r’voici/ Au fond du bois d’Vincennes», et plus loin, la chanson s’évanouit dans ses bras lorsqu’il roucoule «Bonjour... la vie/ Bonjour mon vieux soleil/ Bonjour ma mie/ Bonjour l’automne vermeil», un automne vermeil sans doute emprunté à la Chanson d’Automne de Paul Verlaine. Le jeu de la joie consisterait à transposer cette magie en d’autres lieux, «prendre un taxi/ Qui va le long d’la Thames», et remonter Park Lane jusqu’à Hyde Park, juste pour s’offrir le luxe de pouvoir chanter «et me r’voici/ Au fond du bois d’Hyde Park». Ah les possibilités sont infinies, s’il avait un peu de place, l’avenir du rock évoquerait aussi la Scandinavie dont l’art de vivre reste à ses yeux un modèle. Entrez dans une maison en Suède et le piège se refermera : vous souhaiterez y vivre le restant de vos jours.    

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             Même chose avec l’autre Suede, the London Suede. En 1992, tu entrais dans «The Drowners» et crac, t’étais baisé. Ils sont tous les deux Brett Anderson et Bernard Butler à Leyton quand ils travaillent sur la démo de ce qui va devenir l’un des joyaux de la couronne d’Angleterre, «The Drowners» : «Ça partait sur un gros beat tribal de boîte à rythme suivi de violentes vagues de guitare quasi-glam. On s’est regardés et on a su à ce moment-là qu’il se passait quelque chose. Je suis vite rentré chez moi avec la cassette et j’ai passé la nuit à écrire les paroles. Au matin on avait ‘The Drowners’, la chanson qui d’une certaine façon allait changer nos vies.» Brett Anderson raconte ça dans le premier volet de son autobio, Coal Black Morning, un petit book paru en 2018. Eh oui, tout est là, dans «The Drowners», l’absolute beginner par excellence. Le winner of it all. Le déluge du Niagara. Nanard does it well. Fabuleuses dégelées de dégringolade glam - You’re taking me ahh-ver - Ils savaient très bien à cet instant précis qu’ils détrônaient tous les autres - So slow down - Il fallait à l’époque se jeter sur cet instant de pure vérité - You’re taking me ahh-ver ! - De l’autre côté du single, on trouvait «To The Birds» que Nanard travaillait aussi au corps, et on sentait le maître chez Brett, il hantait sa song, il relevait tous les niveaux et il faisait passer l’idée d’un monde à lui, alors tout devenait extrêmement sacré. De tels singles nous tétanisaient à l’époque, cette pop sécrétait sa propre verve et semblait même vouloir dominer le monde. On ne pouvait que constater l’immense présence de Brett Anderson. Avec «My Insatiable One», ils revenaient au glam de king is come. Nanard encartait le glam dans son son, on s’en couvrait le visage, on s’en aspergeait le corps, aw king is come, ça sonnait tellement glam, dans la veine de Ziggy, soleil d’Angleterre, même génie, même volonté de plaire. Brett et Nanard faisaient la loi. Suede surfait sur cette vague de social thumbling down et Nanard nous solotait ça à la charcute.

             Suede, oui forcément. Et pour une fois, on va faire les choses à l’envers. On va commencer par la fin, c’est-à-dire leur dernier album, Autofiction, et le deuxième volet autobiographique d’Anderson, Afternoons With The Blinds Drawn, un petit book qui vient de paraître. On reviendra sur tout le reste dans un Part Two.

             L’album et le book sont comme qui dirait inséparables. Deux visuels sombres, dans des gris plombés, des niveaux de gris qui fluctuent entre 80 et 90 % au noir, ces gris qui jadis charbonnaient à l’impression, tellement le point de trame était chargé, l’angoisse suprême des conducteurs offset à l’époque, oh la la, ça va maculer, Colette ! Pour l’album, Brett est allongé sur un matelas, et pour le book, il pose torse nu et pensif dans une loge. L’album comme le book sont d’une austérité extrême, durs comme des falaises de marbre noir, chargés d’atmosphères pesantes.

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    Afternoons With The Blinds Drawn est un ouvrage extrêmement difficile à pénétrer, tant le style d’Anderson est dense, massif, quasiment privé de respiration. On pourrait presque comparer son style à celui de Marcel Proust, tant les phrases s’éternisent, tant les gris typo sont massifs, tout est très rectangulaire, comme privé de fantaisie. Privé de sensualité. Privé de dessert. C’est un ouvrage purement introspectif, Anderson va loin à l’intérieur de lui-même, sharp et sensible, il décortique ses sentiments jusqu’au délire presbytérien, et comme c’est extrêmement bien écrit, on le suit, mais le texte peine à jouir, la lecture est lente, constamment ralentie par des figures de style beaucoup trop soignées. Il faut beaucoup de temps pour venir à bout d’un chapitre. Mais comme c’est remarquablement bien écrit, on va jusqu’au bout. 

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             L’ouvrage est d’autant plus inattendu qu’Anderson annonçait à la fin de Coal Black Morning qu’il n’y aurait pas de suite. Il désirait s’arrêter aux portes de la gloire. Puis il a changé d’avis - Aussi suis-je assis là à écrire le book que je ne devais pas écrire, à évoquer les choses que je ne voulais pas évoquer. Je suppose que d’écrire ce book était inévitable. Je me demande ce qui m’a conduit là, sans doute un besoin enfantin de me faire entendre, un besoin criant de révéler mon histoire au monde entier - Ça lui permet néanmoins d’expliquer que la vie de rock star est une rude épreuve - Pour illustrer notre carrière, j’ai expliqué jadis que c’était comme si on s’était retrouvés tous les quatre dans un landau qu’on avait poussé du haut d’une colline. C’est la bonne métaphore. Toute cette époque fut très précaire, hors de contrôle et un peu terrifiante. Nous étions tous les quatre dans la poussette, hurlant dans le vent de la vitesse alors qu’on cahotait dans la circulation - Anderson garde une nostalgie de l’époque où il s’entendait bien avec Nanard. Ils composaient des hits ensemble, Nanard sortait les mélodies sur sa guitare et Anderson écrivait les lyrics - C’était une époque merveilleuse lorsque nous étions amis, on était très proches et on éprouvait le plus grand respect pour ce qu’on composait ensemble - Très vite, le groupe devient la coqueluche de la presse anglaise, avant même d’avoir enregistré un album, et c’est un privilège qu’ils vont payer très cher. Un jour, Anderson et son pote Mat le bassiste se promènent sur Great Marlborough Street et soudain, ils tombent sur la une du Melody Maker : c’est leur photo avec le titre ‘Best New Band in Britain’. Anderson ressent un malaise qu’il explique fort bien - Je suis triste, car beaucoup de gens voient encore Suede comme un buzz médiatique créé de toutes pièces dans le laboratoire ténébreux et Shelley-esque d’IPC, et bien sûr les gens devaient penser qu’on était les complices de ce crime et donc coupables du pire des péchés : l’inauthenticité. Bien sûr, à l’époque, on était galvanisés par ce heady rush qui bouleversait nos vies et on ne s’inquiétait pas vraiment des conséquences de ce buzz médiatique, mais avec le recul, je crois vraiment que les gens qui ont permis ce buzz et qui nous ont mis dans cette situation étaient à la fois irresponsables et aveugles - Anderson en tartine des pages entières, il décortique ce sentiment de culpabilité jusqu’au délire, comme le ferait un Jésuite qui se flagelle - Pour beaucoup de gens, nous avons toujours été un groupe ‘over-rated’ (surestimé) and ‘overhyped’, et ces critiques qui sont les conséquences de notre gloire précoce continuent encore aujourd’hui de me hanter - C’est vrai qu’à l’époque, les gens avaient une fâcheuse tendance à prendre Suede pour des branleurs, mais comme d’habitude, il s’agissait principalement des ceusses qui n’écoutaient pas les disques, car les disques étaient tout sauf des disques de branleurs. Avec un peu d’habitude, on avait appris à se méfier des buzz médiatiques et à faire le tri, pour ne se fier qu’à ce que nous racontaient les (bons) albums, par exemple ceux des Mary Chain, des Boo Radleys et bien sûr de Suede, car les albums allaient arriver tout de suite après le coup de bluff médiatique. Brett et Nanard comprirent que leur vie ne tenait qu’à un fil et qu’il fallait pondre vite fait un hit anglais, ce qu’ils réussirent à faire avec «The Drowners». Mais le buzz allait encore enfler. Brett raconte qu’au moment de la parution de leur premier album, ils se sont retrouvés en couverture de 19 magazines.

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             Non seulement Brett sait écrire des textes de chansons, mais il sait aussi choisir des visuels pour ses albums - J’ai toujours adoré voir comment une pochette peut définir et refléter la musique de l’album, voir comment le bon visuel peut être le synonyme des chansons - Alors il choisit un visuel d’Holger Trulzsch. Le modèle dont le corps nu est peint en bleu s’appelle Verushka. Brett Anderson crée son monde, exactement de la même façon que le fit Ziggy vingt ans auparavant. Et là, l’Anderson exprime sa fierté : «On avait réussi à développer un panache et un élan qui nous étaient propres, l’expression d’un son nouveau et éclatant, et le plus important c’est que je m’en félicite, because the songs were good.» Plus loin, dans le cours du récit, il revient sur ce qu’il appelle les big singers from the past - like Sinatra and Brel and Piaf, performers who could transform a song into a drama, et j’ai essayé de m’inspirer d’eux pour devenir plus mélomane - Il cite d’ailleurs l’exemple d’une chanson parfaite, «The Wild Ones», qui se trouve sur le deuxième album du groupe, Dog Man Star : «C’est la chanson que je choisirais si je devais en choisir une seule dans ma carrière, en tant que compositeur, et je dirais : ‘This is what I have done in my life’.» Ceux qui connaissent bien Suede savant que «The Drowners» et «The Wild Ones» sont leurs deux meilleures chansons.

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             Anderson ne traite en fait dans son livre que d’une seule obsession : la composition des chansons - Depuis l’enfance, j’ai été obsédé par la puissante interaction entre les paroles et la mélodie, et avec Bernard, je sentais qu’on devenait de vrais songwriters, un art qui me semble-t-il est perdu depuis des années - Il a tout compris, le jeune Brett, sans les chansons, tu n’es rien. Comme il ne cite personne, on va le faire pour lui : sans leurs chansons, John Lennon, David Bowie, Ray Davies, Martin Carr ne sont rien, sans parler des Américains. Anderson y revient inlassablement - Notre seule cupidité fut pour les chansons, la prochaine chanson, on la cherchait dans la chambre, comme on chasse des papillons argentés - Ils sont vite courtisés par les labels indépendants américains, car ils sont considérés comme les nouvelles sensations. The New British Invasion.

             Alors Anderson plonge dans l’art d’écrire des bonnes chansons - Pour moi, écrire à propos du sexe, c’était comme d’écrire à propos de la vie, explorer avec minutie, aller sous les couches pour observer l’échec et la peur, les moments d’hésitation et de confusion, avec un soin identique à celui qu’on met à observer les fonctions binaires dans lequel le genre est souvent confiné.

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             Il évoque aussi ses compagnons, la folie des tournées mondiales, le besoin de sentir la réaction du public, la vie du groupe, les tensions, les ruptures, la dope, mais rien, pas un mot sur les autres groupes. Si tu cherches des petits cancans, madame la commère, Anderson n’est pas la bonne adresse.

             Il revient aussi sur l’une de ses erreurs de jeunesse, une déclaration qu’il fit dans la presse - Je me voyais comme ‘un homme bisexuel qui n’avait jamais eu d’expérience homosexuelle’. C’est l’une des choses les plus stupides qu’il m’ait été donné de déclarer et elle sera certainement gravée sur ma tombe. Je regrette profondément d’avoir été un jeune homme si naïf, non parce que je mentais ou j’affabulais, mais parce que je n’avais pas compris à l’époque qu’il n’existe, en aucune manière, aucun espace pour la subtilité et les nuances dans les médias modernes, dès lors qu’on traite de sujets salaces - Il se repent aussi amèrement de s’être fait passer dans la presse pour un dandy, the overly English popinjay. Que d’erreurs de jeunesse ! C’est bien qu’un mec comme lui reconnaisse toutes ses erreurs. Ça ne doit pas être simple d’être une rock star en Angleterre quand on a vingt ans. On est pas loin de l’histoire d’Icare.

             Avec la quête du Graal, c’est-à-dire l’écriture des bonnes chansons, l’autre focus du book concerne la folie des tournées et la façon dont cette folie finit par détruire des relations entre les gens - La tournée américaine s’était transformée en une spirale d’agression passive et d’hostilité latente, on voyageait chacun de notre côté, on se boudait sur scène. Pour voir les relations se désagréger, les liens s’abîmer de façon irréparable, c’était le masterclass - Brett résume bien la chose : «Abrutissant : c’est la seule chose intéressante qui me vienne à l’esprit pour qualifier la vie en tournée.» (Il dit ça au sens anglais : numbing, pas au sens de la fatigue).

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             La tension monte tellement entre Nanard et Brett qu’un jour Nanard lance un ultimatum : soit lui, soit Ed, le manager, l’un des deux doit partir. Brett réunit le reste du groupe qui décide de garder Ed. Alors Nanard se barre. Et c’est la fin d’un brillant duo de compositeurs. Cette décision va lui rester sur le cœur - La décision que je pris ce jour-là de soutenir le coup de bluff de Bernard fut pour le pire comme pour le meilleur, un moment décisif dans ma vie, qui continuera de me hanter jusqu’à la fin de mes jours - Le problème c’est qu’ils ne connaissent personne pour remplacer Nanard. Anderson ne fréquente pas the London music scene - Le problème était que nous n’étions pas des gens qui traînaient avec les autres groupes. The London music scene ne m’intéressait pas, et après une brève période de fréquentation, l’anxiété liée à mes modestes origines sociales se transforma vite en névrose, une névrose favorisée par une gloire naissante, et l’arrivée des narcotics dans ma vie ne fit qu’empirer les choses - Suede est considéré par la presse comme fini. Kapout ! Un jour, Anderson reçoit au courrier une enveloppe avec une cassette : c’est la candidature spontanée d’un certain Richard Oakes qui voyant que la place était libre, proposait ses services. Miracle : «Richard est le musicien le plus doué avec lequel j’ai jamais travaillé.» Pris dans son élan, Anderson cite même Schopenhauer à son propos : «Le talent atteint la cible que personne d’autre ne peut atteindre, le génie atteint la cible que personne ne voit.» Wow, Brett ! Quel décochage ! Brett découvre ensuite que Richard s’intéresse essentiellement aux guitaristes post-punk comme Keith Levene et John McGreoch, et au «wiry surrealim of the Fall». Mais à l’été 1995, Brett constate que Suede est sur le déclin, la presse les voit comme un groupe anachronique or a cautionary tale and at last an irrelevance. La presse fait de lui un marginal irascible «qui ne fut jamais capable de pardonner à l’air du temps de continuer sans lui». Formule délicieuse.

             Et puis bien sûr la dope. Alors attention, nous ne sommes pas chez les Fat White, Anderson en fait une consommation abusive mais il n’en tartine pas ses pages comme le fait Lias Saoudi. Il indique seulement que l’addiction se transforme en quête de dose quotidienne, il décrit ça très bien, «une pulsion animale pour trouver la dose qui vous fera redevenir normal, qui vous permettra de ressentir les choses à nouveau.» Pourquoi recourir à la dope ?, il s’interroge au long de pages entières, il reconnaît son anxiété, ses petites névroses, sa parano, mais il ne trouve aucune trace de traumatisme dans sa vie qui lui permettrait de dire : «c’est la raison pour laquelle je me drogue !». Alors il y revient pour nous expliquer tout ça clairement : «En y repensant, la raison de mon entrée dans cette arène pitoyable, je dois bien l’admettre, était une simple quête d’échappatoire romantique, une façon d’emprunter les chemins transgressifs jadis empruntés par Aldous Huxley, John Lennon ou Thomas De Quincey, une quête de glamour pour un jeune citadin frustré, the glamour of the outré, une autre réalité par-delà les vies grises et suffocantes que menaient les gens qui nous entouraient.» Non seulement Brett Anderson est profondément honnête, mais il est en plus intéressant. Et comme il chante bien, ça en fait un artiste complet.

             L’addiction, il y revient le bougre - Je suppose que ça ne doit pas être très intéressant pour vous de lire l’histoire d’un homme qui recherche l’abstinence. On s’éloigne du mythique archétype Jungien de l’artiste rebelle - the bullshit, le guitar hero rock and roll lie - L’ironie de l’histoire, c’est que je consacre une grande partie des pages de ce livre à ma propre chute en spirale pour en faire la parodie d’une rock star camée, alors qu’en réalité, j’ai toujours détesté ces misérables clichés, des clichés que beaucoup de gens aiment secrètement, j’ai toujours espéré que la vraie nature artistique avait plus à voir avec le courage d’exprimer la vérité de sa vie plutôt que de rouler en Harley - Il en arrive assez vite à sa conclusion, qui est celle que ferait n’importe quel observateur affûté : «La théorie selon laquelle l’addiction et l’intempérance sont liées à des formes de créativité vient peut-être du fait qu’historiquement des tas de gens créatifs ont mené des vies dissolues. En fait, je proposerais bien une autre idée : pour moi, les gens créatifs étaient curieux des effets que procuraient the alterate states, (les états d’altération de l’esprit) mais une fois arrivés là, leur créativité s’est rarement développée.» Anderson ne cite pas de noms, mais on pense bien sûr à Syd Barrett. Mais à côté de ça, tu as des contre-exemples : Dr John et Keith Richards.

             Le book s’achève dans la tristesse : l’album A New Morning que Brett considère comme raté - I wish we hadn’t made this album - pour lui, même la pochette est ratée. S’ensuit bien évidemment le split du groupe. 

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             Bon, la bonne nouvelle, c’est qu’ils vont se reformer et enregistrer trois nouveaux albums, Bloodsports, Night Thoughts, The Blue Hour, qu’on épluchera dans le Part Two, puis un quatrième, paru cette année, le bien nommé Autofiction. Trois cuts y stand-outtent, tu t’en doutes : «The Only Way I Can Love You», «That Boy On Stage» et «It’s Always The Quiet Ones». Ils stand-outtent car ils battent tous les records de Big Atmospherix, Anderson n’en finit plus de remonter à l’assaut, c’est le roi du coup d’épée dans l’eau, l’héroïque popster par excellence, et ça ne doit pas être facile de faire du Suede après tant d’années. Avec «That Boy On Stage», il devient heavy on the sludge, c’est gorgé de guitares et de chant gloomy, tout se noie dans l’épaisseur du son. C’est la prod qui fait tout, ici, avec la voix. «It’s Always The Quiet Ones» sonne comme du classic Suede, bien mélodique et over the top. Ça confirme ce que raconte Anderson dans son book : chez Suede, tout est dans les chansons et Anderson n’en finit plus de chercher l’ouverture. Pour ça, il a besoin d’une belle cathédrale sonique. C’est avec «Black Ice» qu’on voit encore se distinguer ce très grand chanteur. Il fait vraiment le show. Il crée son monde en permanence, il travaille la grande pop atmosphérique, c’est un chanteur exceptionnel, tu y vas les yeux fermés. De toute évidence, ils cherchent le hit, mais c’est compliqué, tout ce qu’ils trouvent, c’est du son, des averses de son, et malheureusement, il leur arrive de retomber dans les routines de la Brit Pop. Autre petit défaut du Brett vieillissant : il a perdu son glamour, il chante parfois comme un vieil homme avec une voix privée de caractère. Dommage, il perd le Suede de The Drownvers pour aller chercher une pop matelassée et grise, à l’image de la pochette. Il reste cependant un charme discret, on tombe sous son emprise avec «What Am I Without You». Malheureusement, l’album s’achève sur une fausse note avec «Turn Off Your Brain And Yell», ils font de la soupe à la U2 orchestrée à outrance et fabuleusement inutile. Ils redeviennent ce qu’ils étaient au début : rien. Tout ce qu’il leur reste, c’est la prod. Il leur manque «The Drowners». Ni coup de Jarnac ni coup de Trafalgar dans l’Autofiction. Seulement trois bonnes chansons. Mais ça devrait suffire aux Suedois et aux Suedoises.

    Signé : Cazengler, suédoigt dans l’œil

    Suede. Autofiction. BMG 2022

    Brett Anderson. Afternoons With The Blinds Drawn. Abacus 2020

     

     

    Inside the goldmine - Maxayn fait le max

     

             Le soleil darde de tous ses rayons sur les collines d’Hollywood. John Phillips reçoit le gratin dauphinois du showbiz dans cette coquette villa de Bel Air qu’il vient tout juste d’acquérir. Parmi les invités, voici l’ambassadeur de la planète Mars avec ses appareils respiratoires et sa garde rapprochée. Voici Croz qui va de groupe en groupe, il buzz-buzz-buzze, distribue des stickers et des bonbons, mais réserve semble-t-il son freebasing à quelques privilégiés, ceux qu’il appelle les bathroom bimbos. Voici Arthur Lee qui arrive. Il gare sa Porsche au bord de la piscine.

             — Tu vois, la grosse qui danse si bien là-bas, c’est Mama Cass. Faut reconnaître que les grosses remuent plus d’air que les maigres, pas vrai ? Oh et ce petit mec bizarre là-bas, c’est un protégé de Dennis Wilson. Les gens l’appellent Charlie.

             — Charlie Manson ?

             — Oui, oui, un peu barré, on sait pas trop, il vit dans un ranch là-bas dans le désert avec une tripotée de gonzesses, toutes sous acide, c’est Owsley qui les fournit en direct, et l’autre un peu plus loin c’est Bobby Beausoleil, il revient d’un trip au Mexique, il deale du lourd, mais chut, faut pas en parler, paraît que des mecs du FBI ont infiltré les parties. Oh pas pour ce que tu crois. Ils veulent juste leur part du gâteau. Ah ah ah, c’est de bonne guerre ! Si j’étais agent fédéral, je ferais pareil. Faut bien arrondir les fins de mois, hein ? C’est pas en étant payé à coups de lance-pierre que tu vas pouvoir te payer tes douze grammes de coke par jour. Ah, on m’a dit que Truman Capote était là, mais déguisé.

             — En quoi ?

             — Bah chais pas trop. En cardinal de la ligue Évangéliste ou en Fu Manchu. Il adore se faire passer pour Fu Manchu, ce mélange d’exotisme et de cruauté lui sied à ravir. Tiens regarde là-bas, le chinetoque, ça pourrait bien être lui. On parie ? 500 $ ? Tope-là ! Et la fille là-bas en jumpsuit jaune... Tu sais qui c’est ?

             — Beuhhhh...

             — Elle s’appelle Maxayn. Très jolis seins. Fais gaffe elle est mariée.

     

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             Effectivement, son mari s’appelle Andre Lewis. En 1972, ils enregistrent un premier album simplement titré Maxayn.

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    C’est un classique. Il a pour première particularité de proposer deux covers des Stones, et pas des moindres puisqu’il s’agit de «Gimme Shelter» en B et de «You Can’t Always Get What You Want» en A. Et pour deuxième particularité de mixer le rock des blancs avec la Soul des blacks, alors ça donne des résultats étonnants. Comme Maxayn et ses amis injectent de la Soul dans un son déjà bien en place, ces hits des Stones montent encore d’un cran, ça groove in the face, à la puissance pure et dans «You Can’t Always Get What You Want», la descente de basse va et vient entre tes reins, alors les couplets magiques n’en swinguent que de plus belle. Marlo Henderson joue son bassmatic en contretemps, il est le roi de monde. Leur «Gimme Shelter» est différent de celui de Merry Clayton. Ils le travaillent à leur façon qui est plus épaisse, Maxayn est à l’aise avec le groove de la Stonesy, elle en fait un heavy groove avec du tikitik de keys à contre-emploi, elle arrache bien son Gimme du sol, elle le fait à la force du poignet, c’est très puissant, elle screame son ass off et fourbit un vrai modèle de Black Power. Elle frise l’hystérie. L’autre gros cut de l’album est le «Tryin’ For Days» d’ouverture de balda. Le mari Andre Lewis est un sacré funkster, un compagnon idéal pour Maxayn qui shake bien son petit funky butt. Wow, elle persiste et signe !

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             L’année suivante paraît l’excellent Mindful. Ils proposent en fait un heavy funk très influencé par Sly Stone, comme l’indique d’ailleurs le titre «Moan To The Music». Ils alternent les cuts de Soul funk ambitieuse avec des balladifs souples et languides qui sonnent comme de puissantes proliférations harmoniques («Stone Crazy»). Ils bouclent leur balda avec un «Tellin’ You» extrêmement élégant, un authentique shoot de Soul-blues. Le guitariste Marlo Henderson fait des merveilles et la petite qu’on entend derrière n’est autre que Pat Arnorld, alors t’as qu’à voir. Ils repartent de plus belle en B avec «Feelin’», nouvelle giclée de funk moderne à la Sly, ils y multiplient les cassures de rythme et les difficultés. On se retrouve une fois de plus avec un album parfait dans les pattes, ce que vient encore confirmer «Check Out Your Mind», un slow groove de funk qui se fourvoie bien sous le boisseau. Et puis les balladifs sont de vraies splendeurs («The Answer» et «I Want To Rest My Mind»). Ils restent au même niveau d’excellence jusqu’au bout du «Travelin’», un slow space groove d’inspiration maximale.  

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             Le dernier album de Maxayn s’appelle Bail Out For Fun. Au dos de la pochette, on les voit sauter en l’air tous les quatre. Cette fois le guitariste s’appelle Hank Redd. On l’entend gratter son petit funk insidieux sur «Life Is What You Make It». C’est encore une fois du funk à la Sly. Funky flavor ! Andre est là, lui aussi, l’homme à tout faire (moog, bass & drums). Leur funk est d’une grande délicatesse, une vraie dentelle de Calais. C’est Hank Redd qui joue du sax dans «Moonfunk». Il casse bien la baraque, l’Hank. Le hit de l’album se planque en B : «Trying For Days». C’est en fait un big shoot de r’n’b bien syncopé par ces rois du funky bootin’. Ils sont aussi bons que Sly, leur groove de basse se glisse sous la peau. Ce Trying sonne comme une fantastique extension du domaine de la lutte ouvrière. Ils font en plus durer le plaisir ad vitam æternam. Ces gens là ne lésinent pas sur les pelletées de charbon. Ils finissent avec un «Everything Begins With You» de rêve éveillé, une merveilleuse prestation du couple Lewis, Andre & Maxayn. Ils se lovent dans le doux du groove et nous emmènent séjourner le temps d’un cut au paradis.

    Signé : Cazengler, maxillaire

    Maxayn. Maxayn. Capricorn Records 1972

    Maxayn. Mindful. Capricorn Records 1973

    Maxayn. Bail Out For Fun. Capricorn Records 1974

    Inside the goldmine - Maxayn fait le max

     

    ROCKABILLY RULES !

    N’oubliez jamais que toutes les règles sont faites pour être contournées, dépassées, chamboulées, piétinées, car l’important avant tout c’est d’avoir un cœur fidèle et rebelle !

    706 UNION AVENUE

    THE MEMPHIS BLUES CREAM

    ( Around the Shack & Yokatta Records / ATSR CD 005 / Décembre 2022 )

    Jake Calypso : vocals, guitar / Earl ‘’ The Pearl’’ Banks : guitar / Vince Johnson : harmonica / Rodney Polk : drums / Gunnar Samson : piano / Stephane Bihan : upright bass , saxophone, Harmonica.

    Lors d’un concert au 3B de Troyes Jake Calypso de retour de son premier voyage dans le Sud des Etats-Unis me disait son rêve de vivre là-bas le restant de sa vie et d’être enterré dans cette terre où reposent les premiers bluesmen, souhaitons que la dernière partie de ce rêve ne se réalise pas avant longtemps. Les partisans racialistes du white rockabilly ne m’ont jamais convaincu, étonnant comme l’on peut être insensible à cette veine de sang noir qui irrigue le rock‘n’roll. Le delta du Mississippi s’ouvre sur un autre beaucoup plus large celui de la musique populaire américaine qui roule dans ses nombreux bras qui s’entrecroisent des influences diverses venues et d’Europe, et d’Afrique et d’Amérique.

    Cet album de Jake Calypso est un retour aux sources. Pas aussi difficiles à localiser que celles du Nil. L’adresse est connue, votre GPS vous y mènera sans problème, c’est à Memphis, Tennessee, 706 Union Avenue. C’est-là où en janvier 1950 Sam Phillips ouvrit son studio. Quatre ans ans plus tard un petit chat des collines, pas n’importe lequel, l’Hillbilly Cat Elvis Presley, s’en vint enregistrer quelques faces qui allaient révolutionner le monde. L’on a dit que Sam Phillips a inventé le rock’n’roll, c’est aussi faux que de prétendre que Christophe Colomb a découvert l’Amérique, l’on oublie souvent d’ajouter que s’il a ouvert son micro à de jeunes blancs-becs il était aussi talent-scout pour les disques Chess qui commercialisaient les artistes de blues, noirs comme il se devait. Le seul regret que Sam Phillips a exprimé bien après avoir vendu son studio c’est que débordé par la folle vague initiée par Elvis, Carl Perkins et Jerry Lou, il avait à l’époque délaissé les enregistrements des chanteurs noirs…

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    Pour la pochette le lecteur se reportera à notre livraison 573 du 03 / 11 / 2022 pour lire la splendide chronique hommagiale du Cat Zengler - la plus belle qui ait été écrite à la disparition du killer  - dans laquelle sont passés en revue quelques disques de Jerry Lee Lewis dont le fameux Rock & Roll Time.

    Dernière précision d’importance : avant d’écouter bien se souvenir que les musiciens regroupés autour de Jake Calypso n’avaient jamais joué ensemble avant ces enregistrements…   

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    Bear cat : surprise, ça déboule sur vous alors que vous vous attendez à quelque chose de sauvage, mais là c’est du wild de chez wild, cette batterie qui transbahute des tonnes pesantes de miel empoisonné et tout le reste de la bande qui vous griffe le dos sans pitié. L’original est de Rufus Thomas, n’allez pas chercher pourquoi l’on retrouve son nom dans l’aventure Sun et Stax. Tiger man : après l’ours le tigre, l’on reste entre bêtes indociles, Rufus Thomas s’est d’ailleurs empressé d’enregistrer  ce morceau signé par Joey Hill Louis, certes l’on retrouve le rythme chaloupé de base du blues mais l’on est en pleine tempête force 10, z’avaient dû avaler un alligator avant d’entrer dans le studio, mention spéciale pour Gunnar Samsom et son piano diabolique qui ne s’en laisse pas conter par le vacarme de ses acolytes, quant à l’oiseau Loison, vous connaissez sa prédilection pour les tapages nocturnes, l’est aussi à l’aise là-dedans que les quatre cavaliers dans l’apocalypse. Red hot : les amateurs connaissent, mais c’est une version basée sur l’original de Billy Emerson, vous pouvez être victime d’une interrogation métaphysique, sommes-nous dans un bastringue renommé ou un juke perdu, la réponse n'a aucune importance, l’est sûr que ça chavire dur, une grande fête nègre dionysiaque dont on a hélas perdu le secret depuis quelques décennies. Runnin’ around : je ne sais pourquoi l’on a souvent qualifié le style de Sleepy John Estes de geignard, Calypso se joue de cette réputation, l’a un vocal qui s’amuse à bouter le feu intonnatif, une véritable pièce de théâtre, le monologue du fou qui mord la vie à pleine dents, l’est méchamment secondé par Earl Banks à la guitare écarlate et Vince Johnson qui pousse son harmonica comme l’on enfonce un couteau dans le ventre d’un gars qui ne vous revient pas. Baby I’m coming home : ils avouent leur faute dans les notes, ils sont plus que pardonnés, normalement ils auraient dû nous le faire en mambo, ils ont oublié, faut dire qu’avec cette section rythmique qui transbahute des armoires à travers l’appartement, ils se sont laissé aller à une espèce de grand capharnaüm sonore, un tel remue-ménage que vous ne savez plus où poser le pied pour danser, mais quel régal ! I gonna murder my baby : un programme alléchant que son auteur Pat Hare se hâta de réaliser dans la vraie vie, nos musicos vous restituent la scène à merveille, vous croyez y assister en direct, vous tartine une épaisse couche de blues funèbre bien balancé sur laquelle chacun se laisse déborder par ses penchants les plus pervers, à écouter comment chacun s’implique dans la scène vous comprenez que l’espèce humaine est vraiment prédatrice, mélodrame en direct, grosse caisse de bateleur et tous les instruments tremblent à foison, c’est beau et grand-guignolesque, un art consommé du grotesque ainsi que l’entendait Edgar Poe.

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    Last time : beaucoup plus carré et bien enlevé, la voix de Calypso traîne de temps en temps sur les syllabes pour mieux repartir en sprint de jaguar, le piano et l’harmo se tirent la bourre, vous mènent la patache à un train d’enfer, ne vous disputez pas pour savoir qui arrivera le premier, c’est Stéphane Lebihan qui tient le morceau entre ses mains, c’est sa big mama qui cavalcade en tête du début à la fin, il trace le chemin pour tout le monde. Baker shop boogie : de ce temps-là les bluesmen étaient rarement des anges alors ne soyez pas étonnés si vous ressentez une certaine violence pour ne pas dire une brutalité prononcée dans cette huitième piste. Vous plongent dans l’ambiance tout de suite, la batterie halète comme une locomotive, l’harmo vous déchire les oreilles à tous les tours de roue, Calypso hurle tout son soul comme s’il courait sur les toits des wagons et le restant de l’équipe vous précipite dans le pétrin. Ne faites pas les fines bouches, ce pain-là vous ne le mangerez pas vous le dévorerez à pleines dents. Love my baby : guitare fine et tambourinade exaltée, l’est sûr que le phrasé et la rythmique rappellent Mystery Train, normal les deux morceaux sont de Junior Parker, la racine noire du rockabilly n’a jamais été aussi évidente, le Jake parfaitement à l’aise, l’ancien membre de Mystery Train se retrouve chez lui, alors les copains lui font un accompagnement aux petits oignons qui piquent et brûlent. Come back baby : Calypso devant et la bande qui suit, on ne risque pas de l’oublier, L’Oiseau revient, aussi ils reprennent derrière avec encore davantage de rage, Thierry Tillier des Hot Chickens met en marche la machine à laver non électrique, ce n’est pas la bougie du sapeur mais le boogie des tapeurs, vous avez envie que la baby ne revienne pas de sitôt rien que pour le plaisir que procure cette attente. Sweet home Chicago : le morceau précédent n’était qu’un canter d’entraînement, car attention l’on donne ici dans le mythique, le nom de Robert Johnson reste collé à ce morceau, alors ils y vont à fond, que le grand-père putatif n’ait pas à rougir d’eux, par contre sûr que ses os se sont entrechoqués dans sa tombe, ça swingue à mort, offrent tout ce qu’ils ont le bouquet de fleurs avec le revolver dedans, c’est maintenant que votre cœur tressaille, il ne reste plus qu’un morceau et tout s’est déroulé si vite avec un tel brio que vous n’avez pas vu le temps passer perdu au milieu de cette tourmente. Boogie in the park : l’on retrouve un titre de Joey Hill Louis, harmoniciste, batteur et guitariste renommé pour son heavy tune, autant dire un beau challenge pour nos impétrants qui se surpassent. Ce n’est pas très long mais ils ont laissé la gomme sur la chaussée des géants.

    Un disque de blues qui ne hulule pas le malheur du monde, vous refile une pêche extraordinaire, et remet même les pendules du blues à l’heure. Un groupe de guys survoltés qui ont refusé les poncifs et les idées toutes faites. Ne criez pas au scandale, Earl ‘’The Pearl’’ Banks en a vu d’autres, du haut de ses quatre-vingt-six ans, l’a tout vu, tout connu, des débuts du Sun Studio, à Beale Steet, l’a joué avec Joey Hill Lois et BB King et n‘a pas hésité une seconde à se joindre à cette Memphis Blues Cream réunie autour de Jake Calypso. Les vieux renards reniflent de loin les fromages alléchants.

    Dans notre précédente livraison Jake Calypso était avec les Hot Chickens pour It’s Time to Rock Again, et cette fois ci- c’était It’s Time  to Blues again. Entre nous soit dit, c’est le même esprit.

    Qui a dit que le bleu était une couleur froide ?

    Damie Chad.

     

    *

             Une chronique d’un genre nouveau, un peu, toute proportion gardée ce que Karl Marx et Friedrich Engels avaient initié avec leur Critique de la critique critique contre Bruno Bauer et consorts, cet acharnement critique était une manière de dévoyer le chemin de pensée idéaliste de la critique de la raison pure kantienne en faveur d’une analyse de plus en plus serrée et précise du rapport que les hommes entretiennent successivement avec la réalité vivante du monde.

             Disons qu’ici nous nous intéresserons avec ce que l’on pourrait dénommer la réalité mortelle du monde. Nous avons été subjugués par la force de LA MORT APPELLE TOUS LES VIVANTS du dernier album de BARABBAS, voir notre chronique 578 du 08 / 12 / 2022.

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             Ce CD a fait quelque bruit dans tous les sens du terme. Question phonation nous ne pouvons rien pour vous, nous vous renvoyons à vos chères oreilles, par contre nous allons explorer quelques articles relatifs à cet opus magnus.

    In ROCK HARD ( # 237 / Dec 2022 )                                   

    Une belle revue, des spécialistes de musiques dures, sombres, doom, etc… z’ont pas mis le Jolly Roger en couverture mais Mötor Head ce qui ne vaut guère mieux pour les tympans fragiles, bref Barabbas est entre bonnes mains, sont Album du Mois, et Charlélie Arnaud a programmé une interview, s’affichent tous les cinq sur la photo, cinq sombres monolithes posés sur un arrière-fond de trois croix granitiques, mais c’est Saint Rodolphe qui répond aux questions. Echanges de vue sur la situation du doom en France qui propose des groupes reconnus à l’étranger mais qui bénéficient hélas de par chez nous d’un maigre public. N’empêche assure notre vénéré Saint Rodolphe qu’ ’’il existe vraiment une scène doom traditionnel’’.

    Vous vous procurez Rock Hard si vous voulez lire la suite, notamment la réponse au choix du chant en français… C’est encore Charlélie Arnaud qui se charge de la Kronick – n’emploie pas le mot critique qui pèse un peu trop comme une épée de Damoclès – l’écrit trop bien Charlélie, ne le lisez pas, vous seriez obligé d’acheter le disque. En plus j’ai oublié de noter le super titre : Fais-moi la mort !

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    Attention, achetez la revue en kiosque c’est bien mais les abonnés ont droit à des documents sonores complémentaires.

    From MIEDZY UCHEM A MUZGIEM

    Ne soyez pas ignorants, c’est juste du polonais, un beau titre de blogue : entre l’oreille et le cerveau. Inutile de vous décourager devant la longue et interminable colonne de langue polonaise, descendez au bas de l’article vous avez la traduction en anglais. Se débrouillent bien nos amis polonais interviewent Saint Stéphane qui en profite pour glisser de nombreux noms de groupes français dans la discussion.

    Sur EKLEKTIC-ROCK

    Une courte et sympathique chronique en français pour ceux qui ne connaissent ni l’anglais, ni le polonais.

    Sur DESERT- ROCK

    Une chronique intelligente par des adeptes du genre, je ne résiste pas citer in extenso la phrase suivante : ‘’ En fin de compte, La Mort Appelle Tous Les Vivants est probablement l’un des meilleurs disques du genre sortis ces derniers mois, et pas seulement en France.’’ Signé : Laurent, de Pau, né en 1976. Un site à visiter.

    Sur le Webzine METAL INTEGRAL

    Jolie chronique élogieuse. Si la mort appelle tous les vivants, ce disque aimante en sa faveur les jugements de ses auditeurs : ‘’ ‘Le Cimetiere Des Reves Brises’ is sumptuous, and could well have been written as an ode to all doom bands who have passed before. ‘’

    Sur le fil du rasoir de THE RAZOR’S EDGE ROCK

    Belle intro de Matthew Williams : ‘’  J'aime ( I do like, en anglais c’est plus fort ) un album qui a une ouverture mystérieuse, et "La Mort Appelle Tous Les Vivants" des doomsters français Barabbas a certainement cela, car c'est comme un appel aux armes, avec les sirènes qui retentissent, à travers la voix hypnotique, construisant le anticipation, puis BOOM, le son monstrueux vous frappe alors que les guitares, les claviers, la batterie et la basse explosent tous dans la vie, et la puissance du riff ressort très, très clairement.’’

    Sur Loud TV

    Pratiquement un poème, un titre rilkéen : La voix des anges, je devrais recopier in extenso, je pioche au hasard : ‘’ Un voile grisâtre tombe, la beauté mortuaire de BARABBAS se lève, puis pas à pas prend forme innocemment dans le cœur de la noirceur du néant. Maintenant, la créature foule la terre, écrase le sol, et fait retentir sa force herculéenne. Emprunte ( le traducteur pourrait faire un effort ) menée tambour battant dans l’énergie délivrée d’un séisme metallique, aux relents nauséabonds dommesques. ‘’ 

    Sur MUSIPEDIA

    Une analyse titre par titre de l’album dans un article consacré à plusieurs groupes.

    J’ai passé sous silence tous les sites qui se contentent de noter la sortie de l’opus, pour la plupart en affichant la photo de la couve et en notant les titres un par un. De l’information pure qui semble être l’apanage des premiers grands sites de metal qui paraissent dépassés par un trop gros nombre de sorties ou qui peut-être voient le nombre de leurs chroniqueurs diminuer avec les années qui passent et qui usent…

    Oui l’album de Barabbas fait l’unanimité, mais peut-être le plus important c’est sans aucun doute la mise en évidence de ce réseau de passionnés à l’affût des nouveautés qui font circuler au minimum l’information et qui essaient de susciter le désir du lecteur par la force de leurs vocables.

    Damie Chad.

     

     

    *

    Appel à l’aide de Cörrupt, ils ont sorti une vidéo en octobre 2022, ne donnent pas de détails mais il y a eu problème de droits avec la Sacem, bref elle s’est retrouvée bloquée sur You Tube, ils ont dû gagner le bras de fer puisque ce 20 décembre elle est de nouveau visible, mais ces désagréments n’ont pas aidé à la faire connaître, si vous voulez supporter ce nouveau lancement n’hésitez pas à aller voir. Et surtout à entendre.

    C’est en batifolant sur Bandcamp que nous étions tombés par hasard sur Cörrupt. Le tréma bien sûr, et cette idée sous-entendue d’une corruption de notre monde actuel. Bref dans notre livraison 498 du 18 / 02 / 21 nous avons chroniqué leur premier EP, et pas du tout dégoûté dans la 455ième du 19 / 05 / 22 leur deuxième EP six titres au titre prometteur de Disgust. Nous avions aussi mentionné deux vidéos de concert de 2015, un peu passe-partout et beaucoup plus réussi un clip appétissant. D’où la nécessité de visionner le nouveau.

    LUST

    CÖRRUPT

    ( Hardcore Worlwide / 2022 )

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             C’est le premier titre de l’EP, possède une particularité quasi-inquiétante, sa longueur, il ne dépasse pas une minute quatorze secondes. Ce n’est pas que c’est court c’est que l’on est en droit de se demander comment l’on peut faire rentrer tant de violence en si peu de temps. Cörrupt ne propose pas une musique séraphique. Pour l’écouter vous avez une solution de rechange à portée de la main, il suffit de l’écouter plusieurs fois à la suite pour comprendre comment il fonctionne. Vous me direz que c’est la même chose avec une vidéo, pas tout à fait à mon humble avis, l’image doit signifier une plénitude en elle-même, sinon l’on se trouve face à un rush qui demande à être mis en forme, sans quoi l’on ressent une forte impression de brouillon ou de travail bâclé.

             De fait il n’en est rien. Il y a une unité dans cette vidéo. Remarquable, mais qu’il est difficile d’attribuer à un réalisateur ou à un monteur, puisque aucune nominale signature ne nous est proposée. Tout juste une minute, une tornade qui passe. Des éclairs de guitares qui se suivent et se juxtaposent. L’on a l’impression qu’elles ont la même impédance musicale que la batterie. Bref une série de claquements secs, sectionnés par deux-tiers de seconde de silence. A ce stade on se dit que le timing pourrait se prolonger à volonté. Oui mais c’est sans compter sans les inserts sur la gueule à favoris du chanteur, il est là le fil conducteur cette vision pas du tout omniprésente qui donne au chant toute son importance, une unidimensionnalité quasi-homérique, un peu comme dans une tornade ce ne sont ni les toits qui s’envolent, ni les murs qui s’effondrent qui témoignent sur son passage de sa violence,  mais la sensation au-travers de tous nos sens, de la puissance de son souffle irrépressible, cette vibration inhabituelle d’une ampleur déraisonnée qui permet de comprendre que l’on a affaire à un évènement herculéen exceptionnel. Que les débris épars ne sont que des détails superfétatoires et non nécessaires. Une vidéo dans laquelle l’image intensifie le son. Rare. Très rare. Ultra rare. Avec un peu de chance un exercice d’école à proposer dans toutes les écoles aux vidéastes amateurs.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    cliff bennett,hawkwind,dr john,suede,maxayn,the memphis blues cream,barabbas,cörrupt,rockambolesques

    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 11 ( sous les ifs ) :

    56

    Le Chef alluma un cigare.

              _ Soyons justes, ce que racontent nos deux gaziers est assez proche de la réalité, ont arrangé la sauce à leur manière pour être considérés comme des héros par leur lectorat mais je me demande comment ils vont tirer leur épingle du jeu lors de la deuxième partie de la soirée.

              _ Ne me faites pas languir Chef, je suis toute ouïe, j’aime entendre votre voix grave de baryton, même Molossito et Molossa vous écoutent avec attention.

              _ Absolument d’accord avec vous agent Chad, la nature m’a doué d’un un bel organe viril, qui d’ailleurs est toujours une bonne entrée en matière avec les demoiselles, mais ne nous égarons pas, j’allume un Coronado et je reprends ma lecture.

    57

    Olivier Lamart : j’étais un peu étonné des déclarations péremptoires des deux agents du Service Secret du Rock ‘n’ roll prêts à éliminer la population de la terre entière pour une pochette de disque légèrement cornée et je m’apprêtais à leur faire part de ma stupéfaction, qui s’accentua encor plus lorsque je vis que tous deux avaient sorti de leur poche un superbe revolver d’une dimension impressionnante, je crus qu’ils allaient à l’instant mettre en action leur profession de foi, mais non ils ne tirèrent pas, ils se contentèrent de regarder fixement en direction de la grille du cimetière, et s’écrièrent en un ensemble parfait : 

              _ Pistol Packin’ Mama !

    J’avoue que je n’ai pas encore compris le sens de cette expression, mais suivant leur regard, j’aperçus au fond de l’allée comme une ombre qui se mouvait vers nous.

    Martin Sureau : elle avançait lentement, ce n’était encore qu’une silhouette, bientôt je discernais un long manteau noir dont les bords traînaient à terre, sous un capuchon l’on ne voyait qu’une face blanche qui avait l’air de rire, nous nous taisions tous, quand elle eut franchi une trentaine de mètres je sursautai, moi qui croyais qu’elle s’appuyait sur un long bâton, compris que sa main décharnée tenait… vrai de vrai, une faux ! C’est alors que dans le silence glacial retentit la voix moqueuse de la jeune Alice Grandjean :

              _ Tiens la vioque qui revient ! On va encore avoir droit à une leçon de morale !

    Et à notre profonde stupéfaction un dialogue s’engagea entre cette vieille femme, pour ne pas dire la Mort, mais qui pourrait la nommer autrement !

    • Insupportable gamine, veux-tu bien rentrer dans ta tombe immédiatement, dépêche-toi où je me fâche !
    • Tu dis toujours ça et rien ne se passe ! Si tu crois m’intimider avec tes menaces à la noix, tu ferais mieux de fermer ton claque-merde !

    Je me serais bien insurgé contre cette grossière façon de parler, la jeunesse se doit d’être déférente envers une vieille femme, fût-elle, et peut-être à plus juste raison, la Mort, mais Olivier Lamart devinant mon intention me fit signe de me taire.

               _ Ecoute petite, ce n’est pas parce que tu bénéficies d’un traitement de faveur que tu dois exagérer ! File-moi sous la pierre que je ne t’entende plus de la soirée !

               _ Pas question, des journalistes sont venus m’interviewer, je profite de l’occasion pour discuter un peu, on s’ennuie un max chez toi ! Messieurs, j’attends la question suivante !

    58

    Olivier Lamart : je me suis permis de m’immiscer dans cet invraisemblable dialogue :

               _ Alice Grandjean, je ne comprends plus rien, vous nous avez déclaré que vous étiez morte, tuée dans un accident de voiture, et je vous vois traiter avec désinvolture une vieille femme d’un âge respectable, seriez-vous des comédiennes en train de répéter une scène de théâtre pour la fête de fin d’année du lycée. Quant à vous madame, votre déguisement est certes très réussi, je me demande ce vous venez faire dans cet accoutrement digne d’Halloween dans ce cimetière !

               _ Je suis ici chez moi, par contre il ne me semble pas que vous soyez propriétaire d’une concession à perpétuité par ici, alors filez vite avant que je ne me fâche !

               _ Madame, laissez-nous faire notre travail de journaliste, en plus je vous avertis nous avons une permission spéciale du Président de la République pour pousser le plus loin possible nos investigations sur la personne d’Alice Grandjean !

    59

    Le Chef allumait un nouveau Coronado :

              _ Lorsque j’ai vu sa main se crisper sur la hampe de la faux je ne donnai plus très cher de la vie de Lamart, mais non elle s’est calmée.  Je suis curieux de savoir comment ils ont continué l’article, tenez lisez agent Chad, ce Coronado demande à être savouré avec soin.

    60

    Je me saisis du Parisien Libéré que me tendait le Chef, m’éclaircit la voix et entrepris de lire les quelques paragraphes qui terminaient le récit de nos deux chieurs d’encre, ainsi les appelait Jean Lorrain l’auteur de Princesses d’ivoire et d’ivresse :

    Donc toujours d’ Olivier Lamart : C’est à ce moment-là que les deux membres du SSR qui nous avaient invité à cette soirée commencèrent à tirer, des espèces de balles explosives qui arrachaient des morceaux du corps de la vieille femme, il en volait de tous les côtés, il nous a semblé qu’ils tentaient de se regrouper afin de reconstituer le corps, le plus terrible c’étaient les deux billes rouges – nous comprîmes au bout d’un instant que c’étaient ses yeux totalement dissociés et qu’une fois qu’elle les aurait réunis - quel cauchemar ces deux mains osseuses qui tentaient en vain de les saisir – nous serions en danger de mort, nos deux tireurs amorcèrent d’ailleurs une retraite sans s’arrêter une seconde de faire feu vers la sortie du cimetière, nous étions suivis par des lambeaux de squelette, des haillons de tissus noirâtres et ces infernales petites boules qui rougissaient de plus en plus férocement.

    Martin Sureau : une fois que nous eûmes la grille franchie, cette vision d’horreur s’évanouit… dans la voiture personne ne dit mot… Nous sommes revenus au plus vite au journal pour écrire cet article…

    Olivier Lamart : nous étions interloqués par le déroulement de cette soirée. Après en avoir longuement discuté entre nous nous sommes mis d’accord sur les trois points suivants :

    1°) Peut-être avons-nous été victimes d’une manipulation due au savoir-faire de l’Agent Chad et de son Chef.

    2°) Si ce n’était pas le cas, cette enquête remet en cause bien des certitudes sur lesquelles repose notre société.  Elle risque de saper la confiance que tous les citoyens éprouvent pour ainsi dire naturellement envers les autorités de l’Etat et de déboucher sur une crise politique de grande ampleur.

    3°) L’affaire est si extraordinaire que nous avons décidé de poursuivre cette enquête jusqu’au bout. Nous sommes certains que nous parviendrons à dissiper et à expliciter tous les mystères de cet étrange fait-divers. Rien ne saurait résister à l’analyse d’une pensée rationnelle. Nos lecteurs peuvent compter sur nous, il n’est nul besoin de s’affoler, nous parviendrons incessamment sous peu à repérer les investigateurs cachés dans l’ombre qui tirent les ficelles de ce scénario digne d’un film de Zombies. Nous sommes sûrs que nous communiquerons bientôt à nos lecteurs des révélations qui ramèneront ces étranges évènements à ce qu’ils sont en vérité : au-travers de puissantes mises en scène des actions d’intoxication du peuple français venues d’une puissance étrangère.

    Olivier Lamart et Martin Sureau.

    61

    Le Chef ralluma un nouveau Coronado :

               _ Avez-vous remarqué le changement de ton entre le début de l’article et la péroraison finale en trois points, je suis sûr qu’ils ont passé un coup de fil à Octave Rimont Commandant en Chef de la Gendarmerie de Seine & Marne qui s’est tout de suite mis en rapport avec l’Elysée qui a ordonné de minimiser cette affaire, décidemment plus nous avançons plus cette affaire se corse comme dirait Napoléon ! Agent Chad nous ne sommes pas encore sortis de cette auberge !

               _ Absolument d’accord avec vous Chef, mais cette fois-ci nous possédons un fil d’or que les autres seront incapables de discerner et qui nous mènera droit au cœur de l’imbroglio !

              _ Agent Chad, je double la mise, nous en possédons deux !

    A suivre…

  • CHRONIQUES DE POURPRE 498 : KR'TNT ! 498 : BOB DYLAN / SUPREMES / CÖRRUPT / ANASAZI / ANIMALS / ROCKAMBOLESQUES XX

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 498

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    18 / 02 / 2021

     

    BOB DYLAN / SUPREMES

    CÖRRUPT / ANASAZI / ANIMALS 

    ROCKAMBOLESQUES 21

     

    Ce numéro 498 arrive avec deux jours d'avance.

    Le numéro 499 aura deux jours de retard.

    Si ce retard devait se prolonger pas d'inquiétude

    nous ne tarderions pas à revenir

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME !

    Dylan en dit long - Part Two

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    Avec Chronicles, Bob Dylan est entré au panthéon des grands auteurs américains. Chronicles tient plus de la littérature que de ce qu’on appelle vulgairement le book rock. Dans le regard que porte Dylan sur son pays et sur les gens qu’il croise passent des éclairs de Steinbeck, de Kerouac et d’Henry Miller. Les pages qu’il consacre à ses voyages en auto-stop ou à ses virées en Harley pourraient très bien se trouver dans On The Road, celles qu’il consacre à la faune des clubs de folk new-yorkais semblent sortir tout droit de Plexus, et certaines pages sont tellement profondément américaines par la musicalité du style qu’elles semblent sortir de The Grapes Of Wrath. Les pages qu’il consacre à la Nouvelle Orleans rivalisent d’intelligence sensorielle avec celles d’Erskine Caldwell et bien sûr, le comparatif le plus direct est celui que Dylan établit avec Richard Hell en arrivant en stop à New York en 1960, pauvre et prêt à tout, surtout à survivre. Hell et Dylan n’ont pas que ça en commun : au goût pour la pauvreté s’ajoute celui de l’indépendance, ce qu’on appelle aussi la liberté à tout crin, le refus total de toute forme de concession, et une passion immodérée pour la littérature et le sexe, un sujet sur lequel Dylan ne s’étend pas, mais qu’Hell explore, comme le fit avant lui Henry Miller. Si Hell baptise son cocktail ‘sex & drugs & rock’n’roll & Maldoror’, Dylan pourrait baptiser le sien ‘folk & blues & Rimbaud’.

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    Un autre parallèle s’impose, cette fois avec Dickinson, qui lui aussi fonctionne en chroniques dans cette merveille intemporelle qu’est I’m Just Dead I’m Not Gone. Comme Dylan, Dickinson moissonne les métaphores et creuse ses sillons dans ces mystères que sont la vie et l’art en général. D’ailleurs Dylan ne s’y trompe pas, lorsqu’il se retrouve seul à la Nouvelle Orleans en 1989 pour enregistrer Oh Mercy : «Plus tard, je pensais à Jim Dickinson. J’aurais bien voulu qu’il soit ici, avec moi. Il était à Memphis. Il a commencé à jouer en même temps que moi, en 57 ou 58, on écoutait les mêmes trucs et il jouait et chantait plutôt bien. Chacun de nous était originaire d’une des deux extrémités du fleuve Mississippi.»

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    Alors bienvenue au paradis. Même s’il se dégage parfois de Chronicles une certaine forme d’austérité, la fierté d’être allé jusqu’au bout fait une excellente consolation. On aura même en prime cette curieuse impression d’être un tout petit peu moins con. Ça va même encore plus loin : on sort de là complètement tétanisé, comme si on sortait d’une première lecture du Gai Savoir. Chronicles fouette le sang. Chronicles met du rouge aux joues. Chronicles fait bander comme un âne. Chronicles se prête à toutes les métaphores, comme une chatte en chaleur. Miaou miaou, c’est moi, Chronicles tu viens mon amour ?

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    J’allais découvrir un monde étrange, un monde strié d’éclairs. Beaucoup de gens ont tenté d’y entrer et n’ont jamais su y rester. J’y suis allé tout droit. C’était grand ouvert. Une chose est sûre, ni Dieu ni le diable n’y faisaient la loi - Voilà comment Dylan finit Chronicles, avec quatre lignes dignes de «Desolation Row». Certaines phrases sont comme chantées. On entend sa voix, comme on entend celle de Lanegan à la lecture de Sing Backwards and Weep, cet autre chef-d’œuvre confessionnal d’une insondable profondeur. Les gens comme Dylan et Lanegan bénéficient d’un gros avantage sur les écrivains : l’avantage d’avoir enregistré des albums devenus aussi classiques que des classiques littéraires. Quand Dylan évoque sa grand-mère, il la chante : «Elle n’était que noblesse et bonté. Elle m’expliqua une fois que le bonheur ne se trouvait pas au bout d’un chemin. Le bonheur, c’était le chemin. Elle me conseilla aussi d’être gentil, car tous les gens que j’allais rencontrer livraient dans leur vie des combats difficiles.» De page en page, il se produit comme un phénomène d’élévation du texte. Dylan intrigue et passionne, tout ce qu’il peut dire de lui se boit comme l’eau claire au sortir du désert. C’est là dans ce principe d’élévation qu’éclot l’idée du rôle capital que joue le rock dans le monde moderne : Dylan donne à ceux qui n’ont rien reçu en héritage de leurs parents des éléments de réflexion, des éléments de valeur. Tiens, cadeau, c’est gratuit. Oh merci Bob ! Alors Dylan, vie spirituelle mode d’emploi ? N’exagérons pas. Il donne juste quelques indications mais en même temps il laisse entendre que chacun doit se débrouiller pour avancer. On part tous quasiment de zéro. Lui a l’avantage de la grand-mère. Il a un peu d’avance. Éclairé par sa grand-mère, il peut affronter la vie plus facilement et comme Hell, se pencher sur les mystères de l’art, car c’est tout ce qui l’intéresse. La vie normale du métro/boulot/dodo ne le concerne pas, il se sent destiné à autre chose, à une vie de chansons et de liberté : «Picasso avait fracturé le monde de l’art et l’avait ouvert en grand. Il était révolutionnaire. Je voulais être comme lui.» C’est déjà en lui. Chronicles ne parle que de ça, du processus de révélation et de ses conséquences.

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    Il articule donc Chronicles autour de deux thèmes principaux : ses débuts dans la scène folk new-yorkaise (influences, rencontres, genèse d’un style), puis les épouvantables conséquences de son succès avec le harcèlement qu’il doit ensuite subir de la part des fans et des médias. À ce niveau de popularité, ça devient un fléau. Les gens veulent le voir à la tête des forces contestataires, mais ça ne l’intéresse pas - On pouvait lire à la une d’un journal : ‘Le porte-parole nie être un porte-parole.’ J’avais l’impression d’être devenu un morceau de viande qu’on jetait aux chiens - Dylan dut quitter sa maison de Woodstock pour mettre sa famille à l’abri des fans qui arrivaient de tous les coins d’Amérique. Il les entendait marcher la nuit sur le toit de sa baraque. Il ne lui restait rien d’autre à faire que de disparaître pour échapper à tous ces pauvres gens. C’est bien que ce soit lui qui le dise. Venant de quelqu’un d’autre, on peinerait à prendre ça pour argent comptant. «J’avais une femme et des enfants que j’aimais plus que tout au monde. Je m’efforçais de prendre soin d’eux et de les protéger, mais les médias voulaient absolument faire de moi le porte-parole et même la conscience d’une génération. C’était tordant. Je m’étais juste contenté de chanter des chansons bien carrées et d’exprimer avec force de nouvelles réalités.» Si Dylan est tellement excédé, c’est surtout parce que les gens n’ont rien compris : «J’en avais assez de la contre-culture. Ça me rendait malade de voir la façon dont on extrapolait les paroles de mes chansons et dont on en détournait le sens pour faire de moi le Big Buddah of Rebellion, le Grand prêtre de la Protestation, le Tsar de la Dissidence, le Duc de la Désobéissance, le Grand Chef des Parasites, le Kaiser de l’Apostasie, l’Archevêque de l’Anarchie, the Big Cheese.» Peut-être voulait-il faire comprendre aux gens que la vraie révolution commence par soi-même et que les vrais changements ne sont pas collectifs mais individuels. Généralement, on appelle ça la prise de conscience. Pas besoin de leader charismatique. Il suffit de capter les messages que diffusent des gens comme Dylan, Gandhi ou Coluche.

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    Avec une sincérité qui nous laisse comme deux ronds de flan, Dylan livre tous les secrets de sa genèse. Il commence par fixer son choix sur le folk : «J’ai choisi le folk pour explorer l’univers. Les chansons de folk contenaient des images et les images avaient plus de valeur que tout le reste. J’avais découvert l’essence du folk. Je pouvais aisément assembler les morceaux.» En même temps, il affiche une méfiance terrible pour le monde réel - Je n’éprouvais aucun intérêt pour ce monde moderne si compliqué. Il n’avait ni poids ni sens à mes yeux. Il n’offrait aucune séduction - Vers la fin du livre, il va même beaucoup plus loin : «Je n’étais pas à l’aise avec tout le psycho polemic babble. Ce n’était pas ma came. Même les actualités me rendaient nerveux. Je préférais les histoires anciennes. Toutes les actualités n’étaient que des mauvaises nouvelles. Je m’arrangeais pour les éviter. Une journée entière d’actualités télévisées était pour moi une image de l’enfer.»

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    Puis il commence à faire travailler sa mémoire, nous expliquant qu’il lit des poèmes de plus en plus longs, s’entraînant à les mémoriser et voir jusqu’où il peut les mémoriser. C’est une gymnastique. Quand il lit le Don Juan de Byron, il se concentre du début à la fin. Il se remplit le cerveau de poèmes intensément longs comme le ferait un comédien. Il dit se sentir transformé en wagon qu’il remplit de plus en plus et donc il doit tirer de plus en plus fort. Ceci explique en partie cette facilité qu’il va montrer un peu tard à interpréter des chansons aux allures de poèmes fleuves. Il dit aussi vouloir comprendre les choses pour pouvoir s’en débarrasser. Il apprend à télescoper les idées, il pousse le jeu de la gymnastique mentale toujours plus loin - Les choses étaient trop grosses pour le regard, comme le serait une bibliothèque, voir tous ces livres d’un seul coup, c’est impossible. Il fallait pourvoir en faire des chapitres ou des couplets de chansons pour en sortir quelque chose de correct - Dylan est obsédé par le contenu, car avant d’être une musique, le folk est un contenu. Il sent parfois qu’il réfléchit trop, alors qu’il n’a pas 20 ans - Dans Par Delà Le Bien et le Mal, Nietzsche dit qu’il se sentait vieux au commencement de sa vie. J’éprouvais la même chose - Serait-ce le prix à payer ? On appelle ça la maturité. Mais il revient inlassablement à l’objet de sa quête : composer des chansons - Une chose est sûre, si je voulais composer des folk songs, je devrais inventer un nouveau modèle, une espèce d’identité philosophique à l’épreuve du temps. Elle devait venir d’elle-même from the outside, de l’extérieur - S’il en parle aussi bien, c’est qu’il sait qu’il va réussir. Le plus miraculeux dans cette histoire, c’est qu’à aucun moment Dylan ne cède à la prétention. Ce qu’il décrit de sa réflexion est à l’image de ses chansons : il y règne une sorte de pureté d’intention, une modestie immanente dont la seule grandiloquence serait le génie mélodique. C’est un phénomène unique dans l’histoire culturelle du monde moderne. Dylan met en gage sa probité intellectuelle, et ce geste n’a pas de prix. Mais il doit continuer de travailler son projet : «Je faisais tout très vite, je pensais, je mangeais, je parlais et je marchais vite. Je chantais même vite. Il fallait que je ralentisse mes chansons si je voulais devenir un auteur-compositeur avec des choses à dire.» Pendant quelques mois, il va vivre à droite et à gauche chez des gens qui l’hébergent. Sa seule richesse est cette foi qu’il a en son avenir : «Elle me versa une tasse de café bouillant et j’allai à la fenêtre. La ville entière se balançait sous mon nez. Je savais précisément où se trouvaient les choses. Je ne craignais pas l’avenir. Il était terriblement proche.»

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    Il dit aussi qu’une chanson, c’est comme un rêve qu’on essaye de rendre vrai. Le soir il chante et joue au Gaslight qui est à l’époque le club le plus réputé de la scène folk new-yorkaise. Un jour, une certaine Terri propose à Dylan de prendre rendez-vous avec Jac Holzman, le boss d’Elektra, un label folk new-yorkais, mais Dylan décline la proposition : «I don’t want to sit down with anybody, no.» Il est très bien comme il est, il joue aux cartes, boit des coups, fume ses clopes et le soir, il monte sur scène au Gaslight. Quand il rencontre John Hammond Sr, l’homme qui va le signer sur CBS, c’est complètement par hasard : il accompagne un mec à la guitare et à l’harmo. John Hammond le trouve intéressant et lui propose un contrat. Dylan lui fait confiance. Où je signe ?

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    Lorsqu’il se retrouve à la Nouvelle Orleans en 1989 pour enregistrer Oh Mercy et que Daniel Lanois lui demande s’il a des chansons du calibre de ses grands hits des années 60, Dylan lui dit non. Pourquoi ? Parce que c’est impossible : «Je ne pourrais plus composer ce genre de chansons aujourd’hui, ni pour lui, ni pour personne d’autre. Pour les composer, il faut du pouvoir et le contrôle des spirits. Je l’ai fait une fois, et une fois, c’est assez. Mais il se peut très bien que quelqu’un réussisse à le faire, quelqu’un qui serait capable de voir le cœur des choses, la vérité des choses, pas de façon métaphorique, bien sûr, je parle du vrai regard, celui qui permet fixer le métal et le faire fondre, le regard qui permet de voir les choses et de les révéler pour ce qu’elles sont avec des mots crus et une vicieuse perspicacité.» Il pousse d’ailleurs le bouchon assez loin en expliquant qu’il fait une musique archaïque, sur ce nouvel album. Il n’ose pas le dire à Daniel Lanois, mais c’est ce qu’il ressent. Dylan pense que l’avenir est chez les rappers comme Ice-T et Public Enemy - Une nouvelle star allait apparaître, mais pas une star comme Presley. Il n’irait pas remuer les hanches en fixant les minettes. Il allait chanter avec des mots crus et bosser 18 heures par jour - Dylan sait qu’il doit évoluer parce que le mode évolue. C’est la métaphore du mouvement, qu’il illustre en disant qu’on compose mieux lorsqu’on est en mouvement, dans un train par exemple. Composer en mouvement dans un monde en mouvement. C’est l’un des grands secrets de Dylan, le secret de sa modernité. Il l’a d’ailleurs illustrée de façon spectaculaire avec le never ending tour, cette tournée devenue mythique qu’il voulait imprévisible, aussi bien au niveau des dates que de la composition du groupe qui l’accompagnait sur scène. À l’image de la vie. Qu’est la vie sinon un mouvement perpétuel ?

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    Quand il parle des femmes, il sait se montrer délicieusement mystérieux. Voici ce qu’il dit de Suze Rotolo, sa première poule officielle : «La chose que j’aimais en elle, c’est qu’elle ne laissait croire à aucune personne qu’elle lui devait son bonheur. Pas plus à moi qu’aux autres.» Il est encore plus délicieusement mystérieux quand il parle du paradis : «J’aimais la nuit. Les choses grandissent la nuit. C’est là où mon imagination se débride. Je perds toutes mes idées pré-conçues. Parfois vous cherchez le paradis au mauvais endroit. Il est parfois sous vos pieds. Ou dans votre lit.»

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    Et puis voilà les portraits. Le film de Scorsese, No Direction Home fait d’ailleurs écho à Chronicles, car Dylan y salue tous les géants de la scène folk new-yorkaise des early sixties, Odetta, Dave Van Ronk, Woody Guthrie et tous les autres. Il s’est aussi construit avec ces rencontres. Le nombre d’hommages qu’il rend dans ce petit livre est considérable. À la différence de Cash ou de Ronnie Wood, Dylan ne se met jamais en valeur, il met les autres en valeur, c’est sa façon de les remercier. Les gens intelligents ne disent jamais qu’ils sont intelligents, par contre ceux qui ne le sont pas abuseront facilement de cette prétention.

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    Fred Neil apparaît très vite dans le récit. Dylan le rencontre au Café Wha?. Fred Neil y chante et y officie en plus en tant que Maître de Cérémonie : il engage les artistes - Il était l’empereur de l’endroit, il avait son harem et ses dévots. On ne pouvait l’approcher. Tout s’organisait autour de lui (...) Je n’ai jamais chanté mes chansons au Café Wha?. J’accompagnais Neil et c’est ainsi que j’ai commencé à jouer régulièrement à New York - Mais ça ne s’arrête pas là, Dylan se trouve de sacrés points communs avec cet extraordinaire artiste qu’est Fred Neil : «Il semblait n’avoir aucune aspiration. On était très compatibles, on ne parlait jamais de nous. Il était comme moi, poli mais pas plus, not overly friendly, il me donnait un peu de blé en fin de journée et me disait : ‘Tiens, ça t’évitera d’avoir des problèmes’.» Dylan l’observe, ce vieux Fred - J’ai demandé un jour à Neil s’il avait enregistré des disques et il m’a répondu : ‘Ce n’est pas mon truc.’ Il cultivait sa zone d’ombre, mais aussi puissant fut-il, il lui manquait quelque chose en tant qu’interprète. Je ne savais pas quoi, exactement. C’est en voyant Dave Van Ronk que j’ai compris - L’éclairage arrive avec le grand portrait de Van Ronk, vers la fin du récit.

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    Dylan nous ramène sur un plateau d’argent un gigantesque Van Ronk avec sa moustache de cachalot et ses longs cheveux raides - Il tournait chaque folk song en surreal melodrama, en pièce de théâtre, avec du suspense jusqu’à la dernière minute. Il allait au fond des choses. On aurait dit qu’il disposait d’une réserve infinie de poison et j’en voulais encore. Van Ronk semblait venir d’une époque très ancienne. Chaque soir, j’avais l’impression d’être assis au pied d’un monument battu par les vents. Il chantait des folk songs, des standards de jazz, du Dixieland et des blues ballads, ses chansons étaient à la fois délicates, expansives, personnelles, historiques et volatiles - C’est ainsi que Dylan fait la différence entre Van Ronk et Fred Neil : d’un côté le chanteur et de l’autre le bateleur. Et il repart de plus belle sur Van Ronk : «Il était bâti comme un bûcheron, il buvait sec, parlait peu et avançait machines avant toutes.» Et Dylan achève ce portrait avec la chute des chutes, un exercice dans lequel il est passé maître : «Il dominait la rue comme une montagne et ne voulait pas entendre parler de célébrité. Il ne donnait que ce qu’il voulait bien donner. Personne n’aurait pu le manipuler. Il était immense et je devais lever les yeux pour le voir. Il venait du pays des géants.» Sans doute a-t-on là la chute la plus spectaculaire d’un ouvrage plutôt riche en chutes spectaculaires. Son autre grand héros est bien sûr Woody Guthrie, dont il va faire son modèle. Dylan parvient à le dénicher lorsqu’il arrive à New York : Woody Guthrie se trouve au Greystone Hospital de Morristown, dans le New Jersey. Alors Dylan s’y rend en bus, une heure et demie de trajet suivie d’une balade à pieds jusqu’à l’hosto perché sur une colline. Pour Dylan, Woody Guthrie is the true voice of the American spirit. Quand il découvre les chansons de Woody Guthrie, Dylan est fasciné : «Je n’en revenais pas. Guthrie avait une prise incroyable sur les choses. Il était si poétique, si dur et si rythmique. Il y avait tellement d’intensité.» C’est la diction et les textes de Guthrie qui le fascinent, certains de ses mots ont du punch, ses chansons échappent à toutes les catégories - Il y avait de l’humanité dans ses chansons, aucune d’elles n’était médiocre. Rien ne pouvait résister à Woody Guthrie. Pour moi, il était l’épiphanie, une sorte de grosse ancre marine plongée dans l’eau du port -

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    Forcément le jeune Bob apprend ses chansons, puis il met le grappin sur son autobio, Bound For Glory, et c’est un choc équivalent à celui qu’il éprouva à la découverte de Rimbaud : «Je l’ai avalé d’un trait, concentré sur chaque mot, et ce livre chantait en moi comme une radio. Guthrie écrit comme le vent et sa musique vous embarque. Ouvrez le livre à n’importe quelle page, et vous décollez.» Et il applique à Woody Guthrie le même traitement qu’à Van Ronk, celui de la chute spectaculaire : «Il est le singing cowboy, mais il est encore plus que ça. Woody est une âme poétique, le poète de la croûte de crasse et de la purée de bouillasse, il divise le monde en deux, d’un côté ceux qui travaillent et de l’autre ceux qui ne travaillent pas. Ce qui l’intéresse, c’est de libérer la race humaine de ses chaînes. Il veut créer un monde qui soit digne du genre humain. Bound For Glory is a hell of a book. Un livre énorme. Presque trop énorme.»

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    Au Café Wha?, Dylan rencontre aussi Karen Dalton qu’il admire car dit-il elle chante comme Billie Holiday et joue de la guitare comme Jimmy Reed. Il croise aussi le chemin de Moondog qui chante principalement sur la 42e rue. Plus loin il salue Roy Orbison, qu’il entend à la radio, qui chante sur quatre octaves et qui peut réveiller des morts. Il découvre que ses chansons contiennent des chansons et qu’il passe des accords majeurs aux accords mineurs sans aucune logique. L’une de ses rencontres les plus spectaculaires est sans doute celle de la bibliothèque de Ray, le mec qui l’héberge. C’est un vertige, d’autant qu’il cite les noms de mémoire et pas seulement les noms, il feuillette et se souvient de Thucydide, de Périclès, de Gogol et de Balzac, un Balzac qu’il trouve poilant - Sa philosophie est simple, il dit que le matérialisme engendre la folie. Balzac ne croit qu’en la superstition. Il analyse tout. Gérer son énergie, c’est le secret de la vie. On apprend des tas de choses avec lui. C’est une compagnie très amusante. Il porte une robe de moine et boit du café toute la journée. Trop de sommeil ralentit son esprit. Si une de ses dents tombe, il se demande ce que ça signifie. Il interroge tout. Si sa manche prend feu à cause de la chandelle, il se demande si c’est bon signe. Balzac est hilarant - Croiser Balzac dans un Dylan book, c’est un peu la même chose que de croiser Baudelaire dans un Hell book. Dylan revient à cette bibliothèque extraordinaire et se souvient aussi de Machiavel et de Dickens, de Dante et de Rousseau, des Métamorphoses d’Ovide et de Sophocle, de Faulkner et des poètes, ceux qu’il préfère, comme Byron, Shelley, Longfellow et Poe, il s’amuse à mémoriser The Bells de Poe pour le chanter en s’accompagnant à la guitare.

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    Puis Leopardi et Freud, et les Russes, Pouchkine et Dosto, puis Tolstoï qui l’impressionne car il est allé mourir dans les bois à 82 ans. Comme Debord, Dylan flashe aussi sur Clausewitz, le «premier philosophe de la guerre». Dylan trouve dans son portrait une ressemblance avec Montgomery Clift - D’une certaine façon, Clausewitz est un prophète. Sans que vous vous en rendiez compte, certaines de ses pages peuvent façonner vos idées. Si vous pensez être un rêveur, vous comprendrez que vous êtes incapable de rêver après l’avoir lu. Le rêve est dangereux. Lire Clausewitz, c’est une façon de vous prendre un tout petit moins au sérieux - Comme dirait Dickinson, méditez là-dessus.

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    Dylan croise aussi Bobby Neuwirth qu’il compare à Neal Cassidy, personnage principal d’On The Road de Jack Kerouac. Dylan trouve dommage que personne n’ai immortalisé Neuwirth - He was that kind of character. Il pouvait parler aux gens et leur siphonner toute leur intelligence - Et il ajoute que Neuwirth avait du talent, mais absolument aucune ambition - On aimait les mêmes choses, on choisissait les mêmes chansons sur le juke-box - Il admire aussi Bobby Vee - Je n’ai pas revu Bobby Vee pendant trente ans, et bien que les choses aient changé, je l’ai toujours considéré comme un frère. Chaque fois que je lis son nom quelque part, c’est comme s’il se trouvait dans la pièce -

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    Dylan aime bien Crosby aussi, parce qu’il le trouve coloré et imprévisible, avec sa cape de Mandrake le Magicien - Il ne s’entendait qu’avec très peu de gens et avait une voix magnifique, un architecte des harmonies. Il jouait alors avec la mort et pouvait semer la panique dans un quartier entier, mais je l’aimais beaucoup. Il n’avait rien à faire dans les Byrds - Il rend un hommage très particulier à Al Kooper. Ce petit chef-d’œuvre elliptique est du pur Dylan, elliptique et précis en même temps : «Kooper était un découvreur de talents, l’Ike Turner des blancs. Il avait besoin d’une chanteuse dynamique, et Janis Joplin aurait été parfaite pour lui. Je l’ai dit à Albert Grossman, l’homme qui fut mon manager et qui est ensuite devenu celui de Janis. Grossman m’a répondu que c’était le truc le plus stupide qu’il ait entendu. Mais je ne trouvais pas ça stupide. Au contraire, je voyais juste. Hélas, Janis allait disparaître et Kooper allait sombrer pour l’éternité dans le grand limbo musical. J’aurais dû être manager.» Quand il est à la Nouvelle Orleans, Dylan va au Lion’s Den Club écouter Irma Thomas, one of my favorite singers. Il a pensé à lui demander de duetter avec lui sur une chanson ou deux, comme, dit-il, Mickey and Sylvia, mais ça ne s’est pas fait - That would have been interesting - Du pur Dylan.

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    On l’a dit plus haut, les quelques pages qu’il consacre à la Nouvelle Orleans sont spectaculaires. Il vient y séjourner seul pour rencontrer Daniel Lanois et enregistrer l’album Oh Mercy. Tout le détail est dans le book. Ils fondent la qualité de leur relation sur une première discussion. Comme il faut constituer un orchestre, Lanois demande à Dylan s’il pense à des musiciens en particulier, et Dylan lui dit non. Puis Lanois indique que les hit records ne l’intéressent pas, arguant que Miles Davis n’en a jamais eu. Alors Dylan qui se régale d’entendre ça écrit que l’argument lui plaît beaucoup. Ces gens-là parlent peu mais ils parlent bien. Dylan précise que Lanois est un mec du Nord, qu’il vient de Toronto - chaussures de neige, mode de pensée abstrait - et il ajoute que les gens du Nord ne s’inquiètent pas quand ça caille car ils savent qu’il refera chaud. Et inversement, il refera froid - Le truc que j’appréciais chez Lanois c’est qu’il n’aimait pas flotter à la surface. Ni même nager. Il voulait sauter et plonger au plus profond. Il voulait épouser une sirène. Ça me plaisait - Si Dylan descend à la Nouvelle Orleans sans musiciens ni équipement c’est dit-il pour tester Lanois - J’espérais qu’il allait me surprendre. Et il m’a surpris - Le pauvre Lanois devait être ému de lire ça. On ne peut décemment espérer plus bel éloge. Du coup on prend Lanois un peu plus au sérieux, même si on voit son nom associé à des artistes qu’on n’aime pas trop. Après Oh Mercy, il fera d’ailleurs un autre album avec Dylan, Time Out Of Mind.

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    Dylan profite des sessions d’enregistrement d’Oh Mercy pour nous pondre un conte magique : «Pendant le final de ‘Where Teadrops Fall’, le joueur de sax John Hart joua un solo qui me coupa le souffle. Je me suis penché en avant pour voir son visage. Il était resté assis dans l’ombre toute la soirée et je ne l’avais pas remarqué. Cet homme ressemblait à s’y méprendre à Blind Gary Davis, le révérend que j’avais bien connu et suivi pendant toute une époque. Qu’est-ce qu’il foutait là ? C’était exactement le même type, même menton, mêmes joues, mêmes lunettes noires, même corpulence, même taille, même long manteau noir. C’était incroyable ! Le Révérend Gary Davis, l’un des sorciers de la musique moderne, il semblait superviser l’ensemble. Il me regarda d’une façon bizarre, comme s’il pouvait voir au-delà du moment présent. Soudain, je sus que j’étais exactement au bon endroit, au bon moment pour faire le bon truc et que Lanois était the right cat. J’eus l’impression d’avoir tourné au coin de la rue et d’être tombé face à face avec Dieu.» Il écrit comme il chante, bien sûr, avec des élans lyriques qui font de lui l’artiste que l’on sait, the one and only Bob Dylan. On sent battre le cœur de certaines pages. Cette prose est d’une grande pureté et Dylan déroule son fil de pensée comme un fil magique.

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    Il rend aussi hommage à Sam Phillips pour «avoir créé les disques les plus vitaux et les plus puissants de l’histoire du rock». À côté des disques Sun, les autres disques paraissent sucrés, dit-il - Sur Sun Records, les artistes semblaient mettre leur vie en jeu et venir des régions les plus mystérieuses de la planète - C’est exactement ça. Il rend hommage à Cash et en particulier à «Walk The Line», et encore plus précisément à la façon qu’a Cash de dire les choses - I keep a close watch on this heart of mine - avec sa grosse voix, Cash, dark and booming, the rippling rhythm and cadence of click-clack, oui il y a un truc qui ne lui a pas échappé - Quand j’entendis «I Walk The Line» il y a longtemps, j’eus l’impression qu’une voix me disait : ‘Que fais-tu là, boy ?’ et j’essayais moi aussi de garder les yeux grand ouverts - Hommage aussi à Leiber & Stoller - They were the masters of the Western World, ils ont écrit toutes les chansons populaires, avec des mélodies soignées et des paroles simples qui devenaient si puissantes à la radio - Dylan encense le Brill et Neil Sedaka en particulier parce qu’il composait et interprétait ses propres chansons. Dylan ajoute pour conclure ce chapitre enflammé qu’il ne connaissait pas tous ces gens-là car le Brill et la scène folk ne se mélangeaient pas.

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    Puis arrivent tous les gens qu’on voit dans le film de Scorsese, à commencer par John Jacob Niles, «a Mephistolean character out of Caroline, il s’accompagnait d’une sorte de harpe et chantait d’une voix de soprano qui donnait des frissons. Niles était surréaliste et illogique, terriblement intense et vous donnait la chair de poule. On aurait pu le prendre pour un sorcier.» Puis Joan Baez bien sûr - Tout ce qu’elle faisait fonctionnait, mais il le dit à l’envers, Nothing she did didn’t work, le simple fait de savoir qu’elle avait le même âge que moi me faisait me sentir inutile - Et plus loin il opère un curieux rapprochement : «Comme John Jacob Niles, elle était assez étrange. J’avais la trouille d’elle.» Mais il en revient toujours à l’essentiel : «Peu de gens savent convaincre avec des chansons. Vous devez croire ce que dit le chanteur ou la chanteuse. Joan savait vous convaincre.» La meilleure preuve de ce qu’avance Dylan se trouve dans le Woodstock movie : Joan Baez chante «I Dreamed I Saw Joe Hill Last Night» (Alive as you and me) a capella et c’est sans doute le moment le plus émouvant d’un film pourtant riche en grands moments. D’autres portraits extrêmement bien foutus guettent le lecteur imprudent, des portraits de gens comme Lord Buckey, Luke Askew qui nous dit Dylan chantait comme Bobby Blue Bland ou encore Len Chandler qui chantait du quasi-folk avec énergie «et qui avait un truc que les gens appellent le charisme». Et puis voilà le portait d’un dandy à l’américaine, Paul Clayon, et sous la plume de Dylan, on imagine une sorte de Christopher Walken - Clayton était unique, en partie Yankee gentleman et en partie Southern rakish dandy. Il ne portait que du noir et citait Shakespeare. Il passait son temps entre New York et la Virginie. On est devenus amis. Ses compagnons étaient des gens qui fuyaient la ville comme lui, a cast apart - ils avaient de l’attitude, mais ça restait entre eux - D’authentiques anti-conformistes, des bagarreurs, mais pas dans le genre des personnages de Kerouac, pas ceux qui courent les rues et qu’on reconnaît. J’appréciais beaucoup Clayton et ses amis. Grâce à Paul, j’ai rencontré des gens qui me proposaient de m’héberger en cas de besoin et de ne pas me faire de souci pour ça.

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    Comme toujours, on garde le meilleur pour la fin : Robert Johnson. La découverte de Robert Johnson a chez Dylan le même retentissement que celle de Woody Guthrie. C’est John Hammond Sr qui lui offre l’acétate d’un album de Robert Johnson alors complètement inconnu. L’album va paraître sur CBS. Dylan en tombe dingue - Ses coups de guitares auraient pu casser les carreaux. Quand Johnson commençait à chanter, il semblait sortir tout droit de la tête casquée de Zeus. J’ai tout de suite compris qu’il était différent de tous les autres. Ses chansons n’étaient pas que des simples blues. Il s’agissait de chansons extrêmement perfectionnées, chacune d’elles comprenait quatre ou cinq couplets et chaque couplet interférait avec le suivant, mais pas d’une façon directe. Tout chez lui n’était que fluidité - C’est donc de là que vient le rocking Bob Dylan, de cette perfection arrachée à l’oubli par John Hammond Sr. Dylan fait écouter l’acétate à Dave Van Ronk qui se montre sceptique. Van Ronk est un érudit du blues. Il dit que Robert Johnson vient de Leroy Carr, de Skip James et d’Henry Thomas - Dave pensait que Johnson était okay, qu’il était puissant mais qu’il n’avait rien inventé - Et Dylan ajoute un peu plus loin : «En 1964 et 65, j’ai probablement utilisé 5 ou 6 blues song forms de Robert Johnson, de façon inconsciente, mais plus sur l’aspect imagerie poétique des choses (the lyrical imagery side of things).» Et en guise de conclusion paranormale, Dylan raconte une belle anecdote : «Johnny Winter, le flamboyant guitariste texan né deux ans après moi, a ré-écrit la chanson de Johnson à propos du phonographe, pour en faire une chanson à propos d’un poste de télévision. Dans la chanson, la télé de Johnny est morte et il n’y a pas d’images. Robert Johnson aurait adoré ça. Johnny a aussi enregistré l’une de mes chansons, ‘Highway 61 Revisited’, qui fut aussi influencée par Johnson. C’est drôle comme les boucles se referment. Le code de langage de Robert Johnson est différent de tout ce que j’ai entendu avant ou après lui.» C’est là qu’il embraye sur Rimbaud, un Rimbaud que lui fait découvrir la sexy Suze, et là Dylan met les gaz, comme s’il pilotait sa Harley : «J’aurais bien aimé qu’on me fasse découvrir Rimbaud avant. Il allait bien avec la nuit noire de Robert Johnson et les sermons survoltés de Woody. Tout était en mouvement et j’attendais de pouvoir entrer. J’allais entrer bien chargé, bien vivant et bien excité. Mais le moment n’était pas encore tout à fait venu, tough.» Il dit souvent «tough», à la fin de ses phrases, tough.

    Signé : Cazengler, Bob Divan

    Bob Dylan. Chronicles. Volume One. Simon & Schuster UK Ltd, 2004

    La suprématie des Supremes

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    La petite black qu’on voit à gauche sur l’illusse, c’est Mary Wilson. Florence Ballard se trouve au centre et Diana la rosse à droite. Comme Mary Wilson vient de casser sa pipe en bois, nous allons tenter de saluer les Supremes.

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    Les Supremes ont pendant dix ans incarné la magie Tamla Motown. L’Amérique entière jerkait sur le beat Tamla. Diana Ross, Florence Ballard et Mary Wilson enfilaient les hits planétaires comme des perles. Berry Gordy avait mis toutes ses ressources à leur disposition : l’orchestre maison, les fameux Funk Brothers et surtout ses compositeurs maison, des équipes qu’il payait à l’année pour composer des hits, notamment le trio Holland/Dozier/Holland. Berry Gordy avait construit un Brill Building à l’intérieur du Hitsville, USA. Il produisait ses hits à la chaîne. Motown devint l’un des plus gros labels indépendants d’Amérique. Un label de musique noire monté par un noir, c’était sans précédent dans un pays où la ségrégation régissait encore les codes sociaux, même après le vote des lois en faveur des civil rights. Les autres labels de musique noire étaient dirigés par des blancs (Chess, King, Fortune, Excello, Stax, etc.). Ces gens-là empochaient les pesetas et éprouvaient d’insurmontables difficultés à les redistribuer. Et on ne parle même pas des petits labels qui payaient les bluesmen noirs avec des bouteilles de whisky.

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    Pour protéger ses artistes, Berry Gordy a dû bâtir en empire. Tous les géants de la Soul étaient sur Motown : les Tempations, Smokey Robinson, Marvin Gaye, mais aussi les géantes : Martha Reeves, Mary Wells, les Supremes et des tas d’autres. Il existe une ribambelle de singles magiques. Puis quand le marché s’est transformé et que le public se mit à préférer les albums, Gordy a augmenté la cadence pour produire des albums à la chaîne.

    L’âge d’or des Supremes va en gros de 1962 à 1969. En 1970, Motown semblait avoir perdu son âme. Le son avait évolué, mais de façon bizarre. Obsédé par sa stratégie de pénétration du marché blanc, Gordy avait fini par blanchir le Motown Sound. La diskö acheva de détruire l’une des plus belles aventures de la musique moderne.

    Diana la rosse et Berry Gordy ont comme tout le monde publié leurs mémoires. Mary Wilson et Florence Ballard aussi, et il vaut peut-être mieux commencer par elles. Les témoignages des personnages de second plan sont toujours plus riches. D’autant plus qu’on découvre, à la lecture des souvenirs de Florence et de Mary que Diana Ross portait bien son nom : une vraie rosse, capable de tout pour réussir.

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    C’est Florence Ballard qui est à l’origine du groupe. Le nom du trio, c’est elle qui le propose. Elle aurait dû devenir riche comme Diana et vivre heureuse. Mais la machine Ross/Gordy l’a broyée. Son histoire racontée dans le petit livre de Peter Benjaminson, The Lost Supreme, est une véritable tragédie. À 21 ans, Flo était une superstar. À 32 ans, elle mourait dans la pauvreté. En dix ans, elle est passée du statut de superstar à celui de RMIste, avec trois fillettes à charge et un mari absent. Elle est morte d’un accident coronarien. Devenue dépressive, elle buvait de la bière et se croyait alcoolique. Atroce. La seule qui l’aidait un peu, c’était Mary Wilson.

    Dans son admirable introduction, Benjaminson affirme que des trois Supremes, Flo avait la plus belle voix et qu’elle pouvait rivaliser de Soul power avec Aretha. Il dit plus loin qu’elle était grande, sensuelle et dotée d’un caractère indépendant, comme Martha Reeves et Mary Wells qui quittèrent Motown assez rapidement, lassées de se faire plumer vivantes. Flo savait aussi composer, mais pour une raison qui lui échappait, Berry Gordy ne voulait pas de ses chansons, alors que les autres Supremes les trouvaient bonnes - For some reason, me and Berry didn’t click.

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    Des trois amies d’enfance, Diana était la plus déterminée. Elle impressionnait Berry Gordy par sa pugnacité, son ambition et son talent. Qui se ressemble s’assemble, dit-on. Et Ross admirait Gordy pour les mêmes raisons. Non seulement elle le vénérait, mais elle flirtait avec lui et fit tout pour se le farcir. Leur relation débuta en 1965 et malheur à celles qui allaient essayer d’entraver l’ascension de Diana Ross. Les anecdotes concernant son comportement odieux vis-à-vis de Mary et de Flo pullulent. Ross arrachait des micros des mains des autres et manipulait Berry pour que les Supremes deviennent le backing band de Diana Ross, ce qui finit par se produire. Et au passage, Flo fut éjectée sans ménagement, car sa classe faisait de l’ombre à Diana Ross.

    L’autre aspect terrible de cette époque est le rapport à l’argent. Au terme d’une première tournée de trois mois à travers les USA et avec un numéro un au hit-parade, elles n’avaient pas un rond. On avait défalqué tous leurs frais des recettes de la tournées : publicité, chambres d’hôtels et sandwiches. C’était inscrit dans leur contrat. Elles devaient rembourser tous les frais occasionnés. Bien sûr, on ne leur montrait pas les comptes. Flo : « We were just working and Berry Gordy was the pimp. » Flo traite Berry de mac et elle a raison. Il était le seul à s’enrichir et les artistes ne gagnaient pas un rond. Elle signèrent un nouveau contrat : leur salaire de 50 $ par semaine passa à 225 $. Gordy leur expliquait que l’argent des royalties qui coulait à flots était investi sur un compte, dans leur intérêt, bien sûr. Flo ne vit jamais cet argent. Benjaminson estime qu’on lui devait plusieurs millions de dollars, car les Supremes vendaient des millions de disques et se trouvaient au sommet des charts du monde entier. Les filles ne savaient pas à l’époque qu’il fallait demander à voir les comptes et payer un avocat.

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    Flo fut virée des Supremes à l’été 1967 par Gordy.

    — You’re fired !

    — I’m what ?

    — You’re fired !

    — I’m not !

    Flo eut beau lutter, elle était foutue. Elle n’avait que 24 ans et Gordy l’avait brisée net. L’épisode vida Flo de toute son énergie et de toute sa joie de vivre. Cet été-là, les Supremes devinrent Diana Ross and The Supremes. Gordy voulait faire de Diana une superstar, il fallait que Flo dégage. Un nommé Michael Roshkind lui fit signer un document certifiant qu’elle n’était plus rien et qu’elle renonçait à tout. Choquée, elle refusa de signer ce torchon, puis brisée par le chagrin et par un tel affront, elle finit par le signer et éclata en sanglots. Elle se ressaisit un peu plus tard en engageant Leonard Baun qui réussit à obtenir des sommes importantes en guise de dédommagement (environ 500 000 $) mais la pauvre Flo ne palpa pas un seul billet, car évidemment l’avocat Baun empocha tout. Elle entra dans le tourbillon judiciaire pour essayer d’obtenir justice et de récupérer son bien, mais c’était trop tard. Elle n’avait plus un rond, plus de maison, plus de bagnole, plus de mari et donc plus les moyens de se battre. Les deux ou trois tentatives de redémarrage de sa carrière se soldèrent par des flops inexplicables. Elle comprit alors qu’il ne lui restait plus qu’une seule chose à faire : disparaître. Ce qu’elle fit. L’horreur, c’est que Diana Ross ramena sa fraise aux obsèques alors qu’elle n’était pas invitée et qu’elle se fit photographier avec Lisa, la plus petite des trois filles de Flo. Bien entendu, la photo fit le tour du monde. Une fois la foule partie, il ne restait plus autour de la tombe que Mary Wilson, les Four Tops et les proches de Flo. Zola aurait pu écrire cette histoire terrible.

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    Dans ses deux livres de souvenirs, Mary Wilson règle aussi ses comptes avec cette rosse de Diane - She has done many things to hurt, humiliate and upset me, but strangely I still love her - Mary Wilson est une nature étrange, elle a su écraser sa banane au moment où on virait sa copine Flo comme une chienne. Mary est la Supreme qui a tenu le plus longtemps. Elle dut même affronter Berry Gordy qui ne voulait plus entendre parler des Supremes, puisqu’il finançait la carrière de Diana Ross. Mary raconte aussi que cette rosse de Diane s’est frittée avec toutes les stars de Motown : Mary Wells, Dee Dee Sharp, Brenda Holloway et surtout Martha Reeves. Elle raconte aussi comment cette rosse monopolisait les interviews en répondant aux questions posées à Flo et à Mary. Bien sûr, ce livre n’a d’intérêt que pour l’hommage rendu à Flo. Aux yeux de Mary, Flo était la meilleure. Elle sonnait comme Aretha. Mary vit aussi Flo commencer à sombrer. Elle picolait et prenait du poids, ce que lui reprocha Gordy un soir dans un club :

    — Tu dois perdre du poids ! You are much too fat !

    — J’en ai rien à foutre de ce que tu penses ! Et elle lui balança son verre à la figure et sortit du club en trombe. Elle venait de se faire un ennemi qui allait avoir sa peau. Pour corser l’affaire, Flo ne venait plus aux concerts et les Supremes devaient chanter à deux. Alors Gordy décida de chercher une remplaçante. Il lui redonna une chance, mais dès qu’elle prenait un verre, Diana appelait Berry. Ça ne pouvait plus durer. Elle fut convoquée dans le bureau de Berry Gordy. Comme Peter Benjaminson, Mary Wilson revient sur ce sinistre épisode. Flo arriva accompagnée par sa mère. Mary et Diane assistaient aussi à la sombre. Flo réussit à garder son sang-froid, mais sa mère éclata en sanglots quand Berry lui expliqua que sa fille ne voulait plus faire partie des Supremes. Une fois Flo et sa mère parties, Berry et Diane semblèrent soulagés. Cette sale rosse de Diane lança :

    — Free at last, great God Almighty !

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    Mary se demandait comment ces deux-là pouvaient être aussi heureux après une exécution. On trouve aussi des pages fascinantes sur la première tournée des Supremes en 1962, les fameux packages Motor City en autobus avec les Miracles, les Marvelettes, les Contours, les Temptations, les Velvelettes, Stevie Wonder, Marvin Gaye et Mary Wells. Et bien sûr, elle évoque le racisme ordinaire en Alabama, illustré par des coups de feu dans la carlingue du bus et la panique à bord. Mais les pages les plus fascinante sont les passages plus féminins dans lesquels Mary décrit à longueur de page des séances de maquillage, les cours de style et les sommes vertigineuses investies dans la garde-robe des trois stars. Elle revient longuement sur Gordy dans son deuxième livre, Supreme Faith. Elle l’affronte pour essayer de sauver les Supremes mais elle ne fait pas le poids. Elle raconte que Gordy a tout appris à Diane et que la différence qui existait entre eux était que Gordy pouvait charmer un serpent, ce que Diane ne savait pas faire. Un peu amère, Mary concède que Motown, comme tous les autres labels de l’époque, n’avait absolument aucune considération pour les artistes. Le conseil qu’elle donne aux débutants est de comprendre le fonctionnement du show-business pour essayer ne pas se faire avoir. Et lorsqu’elle visite le musée Motown à Detroit, elle est complètement écœurée : sur les photos des Supremes, Flo a disparu. Comme si elle n’avait jamais existé. Berry Gordy pourrait bien être le Staline de la Soul music.

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    Le premier album des Supremes sortit en 1962. Il n’y avait pas de quoi se rouler par terre avec Meet The Supremes. C’était encore l’époque de la petite pop de salon de thé, une époque où on dégustait des macarons avec la voisine du rez-de-chaussée de l’avenue Montaigne. Cette musique dansait mollement dans les rideaux de taffetas rose. Gordy composait des slows ineptes et Diana et ses copines se livraient à des petites tentatives de mambo. Le seul cut dansant sur cet album était « You Bring Back Memory », l’un des premiers standards de r’n’b. On les sentait déterminées à danser le jerk de l’oie au bord de la piscine municipale. « Time Changes Things » semblait préfigurer les futurs grands hits classieux des Supremes. Un petit brin d’enchantement se dégageait de ce mid-tempo mambique, morceau plutôt agréable et visité par un solo de guitare féérique. Diana chasseresse se montrait déjà délicieusement persuasive.

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    Avec Where Did Our Love Go, on passait aux choses sérieuses. Le morceau titre de l’album était un hit sixties de la meilleure catégorie, secoué de clap-hands et de doublettes de basse. On voyait en rêve éveillé la tête de James Jamerson dodeliner au fil du beat. C’était magnifique d’élégance soul, on avait là le miel de la Detroit Soul, la pierre philosophale de l’Oncle Paul. À partir de là, elles n’allaient plus arrêter de pondre des œufs d’or : « Run Run Run » (chanté à la pince à linge, avec tout le chien des villes du Nord, pas de gras, comme chez Stax), « Baby Love » (l’effarant voile de beauté vert et brune s’abattit sur la planète, à l’image de cette pochette qui faisait rêver les ados romantiques) et surtout « Ask Any Girl » (beat suprême et enjôleur, la Soul de rêve, prodigieusement mélodique et fendeuse de cœurs, chargée de toute l’insolence de la gloire de Diana chasseresse, qui ne lâchait plus le manche du charme. Sa voix planait dans toutes les dimensions, elle filait comme une traînée d’étoiles dans le dessin animé de nos pauvres vies esquintées par la brutalité du monde adulte).

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    Sur A Bit Of Liverpool, on trouve quelques cuts des Beatles, mais aussi d’autres choses comme « House Of The Rising Sun » où elles essaient de grimper toutes les trois, mais il manque la viande d’Eric. C’est la B qui nous intéresse, car les covers des Beatles y sont brillantes, à commencer par « You Can’t Do That », chanté à la rosserie, véritable hit de jerk, suivi d’une version ballocharde de « Do You Love Me ». Mais les deux pures merveilles sont les covers de « Can’t Buy Me Love » (solidement swinguée, bien dans l’énergie des Beatles), et « I Want To Hold Your Hand » qu’elles cherchent à magnifier en démultipliant les harmoniques de la féminisation outrancière. Elles vont même jusqu’à détroitiser les Beatles.

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    Autre coup de Jarnac : We Remember Sam Cooke paru en 1965. Elles sertissent « Cupid » sur la couronne de leur féminité et chantent « Chain Gang » en cadence, comme des forçats en pyjama de soie. Elles tapent ensuite dans le gros hit de Sam, « Bring It On Home To Me ». On entend Mary et Flo faire yeah derrière la Ross. C’est aussi en B que ça se corse, avec « Havin’ A Party », un vrai hit de r’n’b, pour jus de Supremes. Mary et Flo font yeah yeah yeah derrière la Ross. Elles tapent ensuite une belle version de « Shake » et le swinguent à la bonne rosserie. La perle de l’album est sans aucun doute la version d’« A Change Is Gonna Come », chanté au chat perché de rêve et admirablement violonné - It’s a long long long time comin’ but I know a change is gonna come - Il semble que Marvin ait pris la suite de ce classique immensément beau. Elles terminent avec une énorme version d’« (Ain’t That) Good News ». On y admire principalement leur port altier.

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    L’album live At The Copa qui sort en 1965 fonctionne comme un bon documentaire. Oh, ce n’est pas Jerry Lee au Star Club de Hambourg. On est même aux antipodes et si on espère entendre du r’n’n endiablé, c’est raté. Diana, Mary et Flo se livraient plutôt à un numéro de music-hall et elles tapaient dans le registre des grandes chanteuses de jazz qui les avaient précédées. On ne trouvait que deux classiques de r’n’b sur ce disque : « Stop In The Name of Love », cuivré et emmené sur un beat palpitant, avec un petit vent magique, et « Back In My Arms Again », où on entend les accompagnateurs taper comme des sauvages derrière. Une vraie pétaudière.

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    La même année parut More Hits By The Supremes, un album beaucoup plus consistant. On y retrouvait l’excellent « Ask Any Girl », une vraie bénédiction, puis « Nothing But Heartaches », une monstruosité, bassmatic, tambourins, tout y est et Diana drive tout ça avec une aisance confondante. Elle incarne le pur heartbeat des sixties, l’alliance supérieure du beat masculin et du charme féminin. Le beau rouge turgescent coulisse à merveille dans le swing de voix féminine. Avec « Mother Dear », on savoure l’élégance supérieure d’une attaque de doux beat doux wah. Diana chasseresse se glisse dans le bleu de la nuit de Detroit. La véritable élégance de la Soul Motown, c’est elle qui l’incarne. Et paf ! « Stop In The Name Of Love » arrive comme un don du ciel. Certainement l’un des plus gros hits de tous les temps. Un phare dans la nuit des sixties. Les chœurs de Flo et Mary donnent le vertige. Et la production ? À tomber. Somptueuse et inégalable. Berry Grody avait réussi à créer une usine à rêves. Mais on ne pouvait pas tomber amoureux de Diana Ross parce qu’elle était trop flamboyante. Avec « Back In My Arms Again », c’est la suite - et jamais fin -  de la magie suprême. Elles enchaînaient les hits comme des perles, alors forcément, elles distançaient les concurrentes. Et avec quelle aisance ! Tambourins et big bassmatic sur « Whisper You Love Me Boy ». Elles sont littéralement portées par le son. James Jamerson rôde toujours dans les parages, sous la surface des choses.

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    En 1966, on est au cœur de l’âge d’or Motown. Les Supremes sortent deux albums : A Go-Go et I Hear A Symphony. A Go-Go contient son petit lot d’énormités, comme par exemple « Love Is Like An Itching In My Heart », Soul magique de sucre d’orge chantée d’une voix de pinsonne éberluée, archétype des années légères et lumineuses. Et le festival continue avec « This Old Heart of Mine », nouvelle conjugaison coulissante du gros beat et du softy softah moelleux. « You Can’t Hurry Love » est un autre hit déterminant des sixties, chanté avec charme mais sans puissance, juste une ampleur bien définie, un petit côté féérique. Diana monte dans son registre en sucre d’orge et chante à merveille le tranché du beau. Et ça continue comme ça jusqu’à la fin de cet album mirobolant. Il semblait à l’époque que Diana Ross incarnait une certaine forme d’aristocratie de la Soul. On la sentait un peu princesse. James Jamerson fait un numéro de haute voltige dans la reprise de « These Boots Are Made For Walking ». Sur la B se nichait un autre hit exceptionnel, « I Can’t Help Myself », gorgé de l’excellence du groove jerky. Jamerson nous pulsait ça au prorata de l’élégance suprême. Diana chasseresse modulait à l’infini le doux sucré du miel de voix et nous embobinait pour de bon. Elles finissaient l’album avec deux curiosité kitschy-bitchy, « Come And Get These Memories » (un hit composé pour Martha & the Vandellas qu’elles traitent au mid-tempo joliment swingué) et « Hang On Sloopy » (bien mambique, dans l’esprit de ce que faisait Bert Berns, grand amateur de rythmes cubains).

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    On se régale tout autant d’I Hear A Symphony. Le morceau titre relève une fois de plus de la magie. Les Supremes étaient probablement les seules à savoir proposer ce mélange de puissance rythmique et de délicatesse vocale. Diana Ross était une petite personne raffinée au grain de voix sucré et pointu. C’est ce mélange qui a fait la force des Supremes. Les trésors se trouvent sur la B. « My World Is Empty Without You » illustre la grandeur du Motown Sound. On le sucré et la beauté. On sent bien que ces hits de Soul étaient destinés à traverser les siècles, car ils étaient parfaits. Grande classe encore avec « Any Girl In Love », chœurs à la clé et toute l’innocence des petites blackettes de Detroit. Lamont Dozier et les deux Holland fourbissaient des compos de rêve. Ces trois mecs savaient swinguer la beauté formelle. Dans ce morceau, on retrouve l’éclat magique de « Jimmy Mack », lorsque les voix croisent les notes de basse dans les octaves. Ultime énormité avec « He’s All I Got », swingué à la manière forte.

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    The Supremes Sing Holland Dozier Holland et The Supremes Sing Motown proposent exactement les mêmes morceaux. Ils font partie des très grands albums des Supremes. La fiesta commence avec « You Keep Me Hangin’ On », encore un hit absolu des sixties. L’an prochain il aura cinquante ans d’âge et il n’a pas pris une seule ride. On a un groove suprême avec « Love Is Love And Now You’re Gone ». Comme Esther Phillips, les Supremes définissent les conditions des jours heureux. Elles flottent au sommet de la légende Motown. Dans « Mother You Smother You », Diana se tortille au sommet du beat gracile. Cut après cut, on patauge dans l’excellence. « It’s The Same Old Song » fut composé par le trio pour les Four Tops et elles en font une version fraîche et juteuse. Encore un merveilleux jerk de cave avec « Going Down For The Third Time » et retour à la good time music avec « Love Is In Our Hearts », excellence de la belle ambiance, groove princier et harmonies vocales sucrées. Que te faut-il de plus ? C’est à ce genre de morceau enchanté qu’on mesure le talent des compositeurs. À ce niveau d’excellence, on pense à Burt Bacharach et à Gainsbarre. Beau jerk des familles avec « There’s No Stopping Us Now ». Ça repart au tambourin et aux doublettes de basse jumpy. C’est hallucinant de grandeur productiviste. Diana et ses amies restent perchées au sommet de l’excitation. Elles ont su rendre leur époque délicate.

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    Avec The Supremes Sing Rogers & Hart, on se retrouve à Broadway. Little Willie John rêvait de devenir Frank Sinatra. Les Supremes devaient rêver de devenir Liza Minnelli. Sur cet album, elle étaient accompagnées par un big band. La seule trace du Motown sound, c’était la voix sucrée de Diana. En B, elles revenaient enfin au son de base avec « My Heart Stand Still » et retrouvaient tous les tenants et les aboutissants du beat Moyown, veiné de frais, vibrant d’allure, palpitant et arrogant. La perle de cet album s’intitulait « Falling In Love With You », une jolie pièce de good time music qui rappelait à quel point les Supremes se situaient dans l’excellence.

    C’est à là que Flo est virée. Pendant que Diana Ross et les Supremes se produisent dans les clubs prestigieux, Flo sort chaque nuit après que ses filles se soient endormies et roule dans les rues de Detroit jusqu’à l’aube en écoutant les cassettes de son ancien groupe. Et quand elle n’aura plus de bagnole, elle marchera des nuits entières, errant dans les quartiers au hasard - It was like I was in a daze. It was like I didn’t care anymore. I had given up - Flo avait renoncé définitivement.

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    Attention : Diana Ross & The Supremes Join The Temptations est une bombe atomique. En matière de Soul suprême, il n’existe rien au dessus de cet album. C’est le super-groove de Detroit, embarque par Eddie Kendricks d’un côté, et de l’autre, Diana, Mary et Cindy Birdsong, la remplaçante de Flo. « Ain’t No Mountain High Enough », c’est tout simplement la Soul du diable. Le mélange des genres donne le vertige. Eddie et Diana, c’est une expérience extrême. « I’m Gonna Make You Love Me » atteint les sommets. Diana essaie de monter comme Eddie, mais elle peine à suivre ce démon. Ils tapent dans Burt avec « This Guy’s In Love With You ». C’est mélodiquement pur, une vraie plage de bonté pour l’esprit. Mielleux à souhait, la Soul à son sommet, dotée de contrechants à l’unisson du saucisson. Mais là où ils dépassent les bornes, c’est avec la version de « Funky Broadway ». C’est d’une violence indescriptible. Diana arrive là-dedans comme un ange de la mort noire. En B gigotent d’autres puissantes merveilles, comme « I’ll Try Something New » et son mélange capiteux des deux tons de Soul. Mais les Temptations swinguent dix mille fois plus que les Supremes. James Jamerson démarre « A Place In The Sun » à la basse. « Sweet Inspiration » est un fantastique jerk de grosse caisse secoué aux clap-hands et emmené à l’énergie du gospel batch. Imbattable. Et ils osent taper dans l’inaccessible étoile de Jacques Brel. Ils essaient de monter, mais c’est impossible. Personne ne peut aller rejoindre Brel là-haut.

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    Reflections assoit encore un peu plus la suprématie des Supremes. Que de hits Motown sur cet album Motown ! Diana emmène tout le monde, y compris les auditeurs, dans son chariot de feu dès le premier cut qui est le morceau titre de l’album. Grimpage direct. Avec « I’m Gonna Make It », elle marie le suave et la Soul. Délicieuse union. Diana sucre les fraises de la Soul avec une fascinante ardeur. On passe à la pulsasivité inconditionnelle avec « Forever Came Today » que Diana drive à bride abattue. La Chasseresse file à travers les bois qui bordent le lac Michigan. Pour une fois, la déesse mythologique est noire. Ça nous change. En B, elle tape dans le vieux coucou de Burt déjà repris par Cilla, Jackie et Dusty chérie : « What The World Needs Now Is Love ». Diana ne peut pas résister à l’appel des stratosphères. Mais dans l’esprit, elle est beaucoup plus soft que ses collègues. Elle ne recherche pas la performance physique, ce n’est pas son style. Diana est une suave, une féline. Elle boucle l’affaire avec une reprise d’« Ode To Billy Joe ». Elle prend ça d’une voix blanche, mais désolé, Diana, on préfère Bobbie Gentry.

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    Nouvel album collaboratif avec les Temptations la même année : The Original Soundtrack Of TCB (Taking Care of Business). Ça explose dès « Stop In The Name Of Love ». On retrouve ce qui fait la magie des sixties - My name is Diana Ross, this is Mary Wilson and that’s Cindy Birdsong. Our business is singing - Elles font une fantastique reprise du hit des Four Tops, « You Keep Me Hanging On » et on passe au génie pur avec le « Get Ready » des Temptations - Here come the Tempts ! - C’est embarqué à train d’enfer. Plus loin, les Supremes balancent un medley « Mrs Robinson/Eleanor Rigby » et les Tempts se cognent le « Respect » d’Aretha. En B, on retrouve le hit des enfers définitif, « (I Know) I’m Losing You » et ils terminent avec un version un peu pauvre de « The Impossible Dream ». Tout le monde n’est pas Cézanne, nous nous contenterons de peu, disait Aragon. Même chose pour Brel. Le seul qui puisse l’approcher, c’est Scott Walker.

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    On crut bien que les Supremes étaient foutues en 1968, avec la sortie de Love Child. Le morceau titre sonnait comme de la diskö violonnée, et ça illustrait toute la dérive du Motown sound. Pour les fans de la première heure, ce fut un sale moment à passer. Berk ! Motown ressemblait à une vieille tante. Mais Diana n’avait pas dit son dernier mot. « How Long Has That Evening Train Been Gone » renouait avec le beat SNCF et on entendait Jamerson faire un festival. Du coup, ça redonnait espoir car ça jouait à la haute voltige. Diana et James Jamerson, c’était un peu l’âme de Motown. Jamerson remontait au front avec « Honey Bee ». Il ressortait le dynamic bassmatic des Four Tops. Fucking enormity ! On avait là une véritable horreur de raw r’n’b avec des chœurs à la traîne, et comme chez les Four Tops, ça roulait sur des grosses notes de basse. Jamerson était le roi du big bass romp. S’ensuivait une autre pièce d’allure supérieure, « Some Things You Never Get Used To ». On sentait que Diana retrouvait son éclat dès qu’elle avait un gros cut à se mettre sous la dent. Elle savait dégager le passage. Elle nous sortait ensuite un joli groove des jours heureux, « He’s My Sunny Boy », et elle poursuivait sa fantastique croisade avec « You’ve Been So Wonderful To Me », pur chef-d’œuvre de good time music. Elle étendait son empire à l’infini, elle chantait son groove avec une sensualité de lèvres humides, elle en devenait hallucinante, elle se lovait dans le creux de l’oreille et on tombait définitivement sous le charme de cette rosse infernale. Elle s’introduisait aussi dans le groove de « You Ain’t Livin’ Till You’re Lovin’ » comme une petite souris. Elle chantait au sucre d’orge magique. Et elle finissait avec deux énormités cavalantes, « I’ll Set You Free », digne de Hangin’ On, et là, elle explosait la Soul, elle grimpait si haut qu’elle donnait le vertige, et « Can’t Shake It Loose », une énormité à tomber de sa chaise.

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    Petit album live vite fait la même année avec Live At London’s Talk Of The Town. Diana et ses copines sont accompagnées par un grand orchestre et donc elles peuvent se permettre de taper dans le music-hall. Elles font ce que tous les artistes de r’n’b faisaient à l’époque, des medleys. C’est assurément du grand cru. Parmi les bonnes surprises, on trouve une version fantastique de « Love Is Here And Now You’re Gone ». Diana embarque le public londonien dans sa pop fraîche et parfaite. Une pop parfaite, comme peut l’être une femme dans le regard d’un homme. On ne voit plus les défauts et on s’émerveille. Elles font une version ultra-rapide de « You Keep Me Hanging On » et un medley beatlemaniaque avec « Michelle » et « Yesterday ». Diana chante le début de Michelle en Français - sont des motes qui vont tlès bien ensemble - Elles avaient toutes les trois une classe terrible.

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    Paru en 1969, Let The Sunshine In sentait un peu la fin des haricots. Avec « No Matter What Sign You Are », elles revenaient à une sorte de pop soul funky de bon niveau. Diana conservait ses réflexes de reine des rosses et chantait sa belle pièce de sunshine pop violonnée avec la grâce habituelle. Il fallait attendre la fin de la B pour retrouver un hit digne des Supremes de la grande époque. Avec « I’m So Glad I Got Somebody », elle reprenait le beat en main et refabulait la Soul, comme au bon vieux temps.

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    La même année, sortait un nouvel album de collaboration avec les Temptations, Together. Il faut voir comment les Temptations relèvent le niveau de la Soul. C’est flagrant dès « Stubborn Kind Of Fellow ». Diana essaie de rivaliser de génie avec eux. Ils continuent d’exploser la Soul avec « I’ll Be Doggone ». Diana entre au second couplet. Elle a un sacré toupet. Elle ose se faufiler entre les pattes des géants pour tenter de s’imposer. Hey hey hey, les gars envoient ces chœurs de background dont ils ont le secret. Et puis on tombe de sa chaise avec « Uptight (Everything’s Alright) », l’un des plus grands hits Motown, l’absolue puissance du beat Tamla. C’est eux, les Temptations, qui l’incarnent. Diana rentre bien dans le lard du cut. Elle peut être fantastique quand elle veut. D’autres monstruosités guettent l’imprudent visiteur en B, comme par exemple ce « Sing A Simple Song » qui conduit droit à l’enfer un peu funky des Temptations. Ah, ils savent dégommer un hit, ces mecs-là ! Et Diana entre dans le cirque en vraie shouteuse de la victoire. Puis ils tapent dans le grand hit de Smokey Robinson, « My Guy My Girl ». C’est ultra-joué à la basse. À la reprise du thème, David Ruffin nous enfume comme des lapins dans un terrier. Ce mec joue avec le miel du génie. Rien n’est aussi doux à l’âme que le son des Temptations. Diana revient et David lui donne la réplique, alors tout le boisseau monte tranquillement au ciel. Vous ne trouverez pas beaucoup d’albums qui frisent autant la perfection que celui-ci.

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    Cream Of The Crop parut aussi en 1969, année érotique. On s’attendait à une sorte de déclin, à cause la pochette où Diana paraît en gros plan coiffé d’une atroce perruque. Mais l’album est encore très solide. Avec « Can’t You See It’s Me », Diana et ses collègues reviennent au pur jus r’n’b des Supremes, langueur et classe. Elles restent dans ces haut de gamme auquel elles nous ont habitués. « You Gave Me Love » est aussi une vraie chanson, dans la tradition Tamla, montée sur un beat imparable. Et on entend la basse de Jamerson cavaler derrière. Elles font une reprise de « Hey Jude » puissante car entièrement jouée à la basse. Il faut entendre cette bassline voyager dans le fond du studio B. Jamerson joue les effrontés avec un son rond et terriblement présent. Pour le final, Diana a tente d’égaler McCartney, mais elle se contente de pousser des petits cris de hyène lubrique. On retrouve ce fantastique travail de bassmatic dans « Shadows Of Society ». Encore une fois, c’est Jamerson qui porte le poids du monde Motown. Il place de violents décrochages de gammes et des chevauchements de cordes intempestifs. Belle B avec « Loving You Is Better Than Ever », une vraie classe longiligne. Les Supremes naviguent à un tel niveau que rien ne saurait plus nous surprendre. Elles restent dans la grande veine des hits d’antan avec « When It’s To The Top » et on retourne faire une promenade de trois minutes dans le jardin magique de la Soul de rêve. On y retrouve Diana et les violonnades des jours heureux. Elles tapent aussi dans « Blowing In The Wind », mais franchement, elles auraient mieux fait de s’abstenir.

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    À une époque, on trouvait en DVD les vieux rogatons d’Ed Sullivan et c’était l’occasion de revoir les Supremes de l’âge d’or. On peut même parler de magie avec « Come See About Me ». On ne voit que Flo, la plus petite des trois, la plus racée et dotée d’une poitrine avantageuse. Mary est la plus grande des trois et les gros yeux globuleux de Diane la Ross choquent un peu. Tout aussi magique, « Love Is Like An Itching In My Heart », mais Flo et Mary sont cette fois très en retrait. Elles portent des robes jaunes et dansent le jerk. Il faut avoir vu ça au moins une fois dans sa vie, car c’est exceptionnel. On peut aussi voir « I’m Living In Shame » mais Flo vient d’être virée. Le groupe s’appelle désormais Diana Ross & the Supremes.

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    Puisqu’on est dans les DVD, l’idéal est aussi de pouvoir jeter un œil sur Dreamgirls, l’adaptation cinématograhique ultra-romancée de l’histoire des Supremes. La grosse Jennifer Hudson joue le rôle de Flo et chante comme Aretha. Elle est la révélation de ce film. De la même façon que les Supremes s’appelaient les Primettes, les filles s’appellent les Dreamettes. Lors d’un concours à Detroit, elles sont repérées par Jamie Foxx qui joue bien sûr le rôle de Berry Gordy. Mary et Diana sont un peu effacées. Comme dans la vraie histoire, Berry passe Dina/Diane au premier plan. Effie/Flo le prend mal et Berry lui donne l’ordre de se calmer, sinon... Sinon quoi, trésor ? Il finit par virer Effie/Flo le soir du Motor City’s Burning, baby. Le groupe devient Dina Jones & the Dreams. L’autre personnage clé du film est joué par Eddie Murphy qui campe un sulfureux mélange de Wilson Pickett et de Marvin Gaye, puisqu’on le voit chanter vers la fin un groove coiffé d’un bonnet de laine. La fin du film est beaucoup plus morale que la réalité, puisque Effie/Flo retrouve un job de chanteuse dans un club et le soir du concert d’adieu des Supremes, elle est même invitée à chanter sur scène avec les trois autres. Berry Gordy ne sort pas grandi de ce film. On y voit un dictateur qui gère la vie de ses artistes jusque dans le moindre détail. Un soir, il dit à Dina/Diana : « Tu sais pourquoi tu chantes en lead ? Parce que ta voix n’a aucune profondeur, sauf la mienne. » Ce qui explique pourquoi il s’est débarrassé de Flo.

    Signé : Cazengler, Sousprême

    Supremes. Meet The Supremes. Motown 1962

    Supremes. Where Did Our Love Go. Motown 1964

    Supremes. A Bit Of Liverpool. Motown 1964

    Supremes. We Remember Sam Cooke. Motown 1965

    Supremes. At The Copa. Motown 1965

    Supremes. More Hits By The Supremes. Motown 1965

    Supremes. A Go-Go. Motown 1966

    Supremes. I Hear A Symphony. Motown 1966

    Supremes. The Supremes Sing Hollan Dozier Holland. Motown 1966

    Supremes. The Supremes Sing Motown. Motown 1967

    Supremes. The Supremes Sing Rogers & Hart. Motown 1967

    Diana Ross & The Supremes Join The Temptations. Motown 1968

    Diana Ross & The Supremes. Reflections. Motown 1968

    Diana Ross & The Supremes With The Temptations. The original Soundtrack From TCB. Motown 1968

    Diana Ross & The Supremes. Love Child. Motown 1968

    Diana Ross & The Supremes. Live At London’s Talk Of The Town. Motown 1968

    Diana Ross & The Supremes. Let The Sunshine In. Motown 1969

    Diana Ross & The Supremes. Together. Motown 1969

    Diana Ross & The Supremes. Cream Of The Crop. Motown 1969

    Peter Benjaminson. The Lost Supreme. The Life Of Dreamgirl Florence Ballard. Lawrence Hill Books 2008

    Mary Wilson. Dreamgirl - My Life as A Supreme. Cooper Square Press 1999

    Mary Wilson. Faithfull. Harpercollins 1990

    Bill Comdon. Dreamgirls. DVD 2007

    Ed Sullivan Show. The Temptations & The Supremes. DVD Eagle Vision

     

    BACKSTAB

    CÖRRUPT

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    Je n'ai jamais aimé les maths – ceci n'est pas l'expression d'un racisme primaire, ce sont les maths qui ont été incapables de s'infiltrer dans les complexes réseaux de neurones qui forment ma vaste intelligence - par contre je n'ai jamais eu de difficulté particulière pour entrer en communion avec le mathcore. Qu'est-ce que cette abomination encore demanderont les lecteurs excédés de ces rencontres chadiennes envers des groupes radicalement bruiteux. C'est vrai que hier encore je ne connaissais par Cörrupt mais l'appellation incontrôlée aperçue sur le net ( I'm the midnight rambler ) m'a attiré. Des gens qui cherchent à vous corrompre parce qu'eux-mêmes s'estiment corrompus ne sauraient nous effrayer, ils ressemblent tellement à notre société qu'ils sont inscrits dans notre quotidienne normalité. Ou alors ils se contentent de nous tendre un miroir dans lequel nous sommes obligés de reconnaître que notre tête est particulièrement gorgonesque. Avant d'écouter nos Corrüpt, une leçon de math de rattrapage pour les cancrelats auprès du radiateur. En ses débuts, en ses prémices, le noise-rock cherchait avant tout à faire du bruit. Cela vous avait un petit côté anti-bourgeois léniniste, cependant avec le temps il fut urgent et nécessaire d'argumenter et de revendiquer intellectuellement ce parti-pris de tonitruance, je vous dérange, c'est bien fait contre vous, j'exprime ma différence, du coup le noise est devenu un rameau arty qui mêlait esthétisme, futurisme et décadentisme. Reproches et critiques n'ont pas tardé à fuser : c'est du n'importe quoi, du vulgaire boucan, des trucs simplistes que voulez faire passer pour du grand art, c'est alors que le mathcore se mit en place, le noise est devenu plus difficile qu'une équation du dix-septième degré, certains affirment que le germe fatal du mathcore se niche dans les compositions de King Crimson, pourquoi pas remonter jusqu'au Manifeste intitulé L'art des bruits paru en 1913 de l'expérimentateur Luigi Russolo...

    De toutes les manières toutes ces subdivisions métallifères possèdent des frontières poreuses, et Cörrupt peut aussi cocher les cases death, black et hardcore. Le groupe existe depuis une dizaine d'années, sont obligatoirement quatre à l'image des sergents de la Rochelle dont ils proviennent, Greg War est au chant, Renaud Galliot à la guitare, Florian Piet à la basse, Pablo Fathi occupe le poste de batteur, nous l'avons déjà rencontré puisqu'il officie aussi à cette pelleteuse dans UnCut ( voir notre livraison 494 du 21 / 01 / 2021 ).

    Backstab est leur premier EP, l'est sorti en 2017, sont en train de bosser le suivant. Backstab signifie coup de poignard dans le dos. Le dos du CD est d'ailleurs orné d'une illustration qui n'est pas sans rappeler le logo de Pogo Car Crash Control, comme quoi les mauvaises herbes se rencontrent toujours.

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    You are about to crack : grincement machiavélique suivi d'une parmentière de batterie particulièrement brutale, Greg a déclaré la guerre au vocal, il grogne tel un ours en cage qui brise les barreaux de ses dents et les écarte de ses griffes, âmes sensibles abstenez-vous, une fois sorti il se rue sur les visiteurs de la ménagerie et les écrabouille en purée sanguinolente, le pire c'est qu'ils se contrôlent, vous pensez que Cörrupt fonce à l'aveuglette pas du tout, ils sont du côté noir de l'intelligence de la force, une fureur calculée au millimètre près. Le morceau dépasse à peine les deux minutes, et c'est si bien calculé que vous ne vous en apercevez pas. Finally free : un bruit de ferraille rémoulante qui vient de loin et qui s'affirme, moteur qui prend son temps pour démarrer mais après rien ne l'arrêtera, implacable comme la lame des guillotines, des guitares qui pulsent, une batterie qui s'énerve grave, Greg qui hurle tandis que les autres emboutissent le son à coups de bulldozer. Eloignement progressif. Lorsque vous n'entendez plus rien, vous soupirez, vous croyiez qu'ils avaient tué le silence. Politicians on television : on n'a pas les paroles mais on les comprend, des guitares qui résonnent comme si Renaud et Florian s'en servaient comme des élastiques XXL pour expédier des harpons géants sur nos dirigeants mal-aimés, Greg récate les malotrus de son lance-flammes vocal, s'enfonce dans un hurlement infini suivi d'un long grésillement, le fuzzible des guitares a lâché. Your reality : une intro comme un jeu de quilles humaines dans lequel Greg lâche le boulet d'acier de son vocal qui décanille tout ce qui est debout, l'a son mot d'ordre, rien ne doit subsister, articulation guitare-batterie pour compter les cadavres, doit encore y avoir des survivants, les blindés font un demi-tour pour écraser tout ce qui ose bouger, la batterie s'active et mitraille sans rémission, notre réalité ne doit pas être jolie car la voix de Greg s'acharne sur elle, elle déverse dessus une benne à ordures géante qui vous ensevelit sous des immondices peu ragoûtants, des avions de chasse survolent longuement le champ de bataille, la voix sépulcrale de Greg plane sur les décombres, elle profère la victoire de la mort triomphatrice, et maintenant elle en appelle aux légions maudites des spectres qui envahissent la planète, les guitares se taisent lorsque l'étiage supérieur est atteint. L'on entend une mouche voler.

    L'ensemble ne dure même pas treize minutes, mais l'EP est une démonstration parfaite d'un savoir-faire supérieur, ces quatre gars sont habités par l'esprit du Metal, de véritables illuminés. L'on attend le futur artwork. Devrait paraître sous le titre de You are all fakers, doit-on en conclure qu'ils ne sont pas décidés à nous passer la brosse à reluire, ils préfèrent user du fouet à pointes d'acier. Sont pour les thérapies de choc. N'ont pas tort, car des EP de cette facture vous requinquent le moral jusqu'à la fin de l'année.

    Damie Chad.

    ASK THE DUST

    ANASAZI

    ( Avril 2018 )

     

    Lorsque dans notre livraison 496 nous nous étions intéressés à Croak nous avions appris que toute une partie de Croak était formé par des membres d'Anasazi, une excuse idéale toute trouvée pour jeter un œil perçant sur ce groupe que nous ne connaissions pas. J'ai bien dit œil et pas esgourde car la pochette de leur dernier album entrevu au hasard de mes pérégrinations nettiques avait déjà attiré mon attention... Ask the Dust est leur cinquième album paru en 2018, ils travaillent actuellement sur le prochain Cause et Conséquences - un titre très aristotélicien - ils ont aussi deux EP à leur actif... Anasazi originaire de Grenoble est né en 2004.

    Mathieu Madani : vocal, guitare rythmique, keyboards / Christophe Blanc-Tailleur : basse, mixage / Bruno Saget : lead guitar / Anthony Barruel : drums.

    Un CD qui se regarde et qui se médite. Pas le genre de truc dont vous vous hâtez d'attraper la rondelle pour la glisser dans votre lecteur. La pochette exige une attention prolongée. Parce qu'elle est belle. Mais cela ne suffit pas. Grégory Pigeon est doué, aucun doute sur son habileté technique. C'est face à de telles réussites que l'on regrette les anciens formats des 33 tours... Mais il est des images qui disent davantage qu'elles ne montrent. Certaines mêmes vont plus loin, elles interrogent.

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    A priori un manège qui flotte sur la mer. L'on imagine l'anecdote, un raz-de-marée subit, un tsunami vindicatif qui aurait emporté une attraction foraine... Toutefois rappelons-nous que le propre d'un symbole est de désigner une réalité autre que celle que dévoile son aspect ( ici ) graphique. Serait-on en présence de l'ultime arche de Noé, non pas celle fondatrice de la race humaine, mais la dernière la conduisant à son extinction. Le manège tourne-t-il à vide comme ces moulins à prières tibétains que le vent affole. Et ses chevaux de bois ( ou de résine ) pourquoi ne galopent-ils pas sur les flots déchaînés, pourquoi menés par Poseidon ne se ruent-ils pas en vagues tumultueuses, tels les étalons écumeux de Walter Crane, sur les rivages... Ô Neptune, les Dieux sont-ils morts, et le monde est-il réduit à n'être plus que le réceptacle des vides épaves de nos rêves échouées sur d'infertiles îlots... Le dos de la pochette répond à cette question.

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    Ask the dust, titre d'un roman de John Fante, nous rappelle que tous nous sommes mortels, que nous retournerons tôt ou tard à la poussière, amis rockers, je sais ce n'est pas gai, mais Anasazi n'est pas groupe de rockabilly qui relate d'enjouées éjaculations sur la banquette arrière d'une Cadillac rose. Bonbon. Ce qui entre nous n'est pas désagréable et assure la propagation de l'espèce. Anasazy est un groupe de metal-prog dont les racines plongent jusqu'à Dream Theater qui lui n'hésite pas à citer Yes. Perso, là je dis No.

    Staring at the sun : cela commence tout doux, une espèce de mélodie folk qui s'assombrit peu à peu, l'innocence trompée qui redresse la tête tandis que la musique s'alourdit comme si toutes des quinze secondes l'on rajoutait quelques pistes de guitare supplémentaires, elle sonnait étrangement jusques à lors en tintements de cloche, et l'on débouche dans un long passage qui là aussi s'alourdit de séquence en séquence, guitare de plus en plus pesante et batterie claquante, le vocal se fait chant, le désespoir exacerbe la lucidité. Longtemps le soleil glapira sur votre pierre tombale. Miles away : guitare dénudée, la voix blanche et creuse, une ballade dépourvue de toute sentimentalité, un poule vidée de ses entrailles dont le sang goutte sur l'évier, une chanson sereine, celle de l'éloignement de soi et de l'arrachement des autres qui nous furent chers, une guitare rampante comme un feu qui s'avive sur le flanc d'une montagne, traversée des souffrances, subtiles orchestrations, la voix en ses propres échos comme perdue en son puits de liberté. Et de solitude. Les grands espaces, les miles away en surfaces corrigées, juste un coup de ciseaux sur les liens affectifs qui vous rattachent aux autres. Ce morceau git comme un poison d'autant plus définitif qu'il est facile à avaler. Feeling nothing : beaucoup plus sombre, guitare froissées, batterie qui décompte l'inéluctabilité du temps qui vous reste à vivre, Madani menace et sardonise, la voix de l'assassin qui prend son temps, certain que sa proie ne peut lui échapper, fait durer le plaisir, la musique se fêle comme du cristal, et tout se précipite, l'orchestration est le poignard avec lequel le killer se fera hara-kiri, le sang bat dans ses tempes tandis que des guitares moqueuses lui tirent des langues de vipère, vient de s'apercevoir qu'il est sa propre victime, baisse le ton, se parle à lui-même, le son lui parvient comme s'il provenait d'une radio qui traduirait ses propres sentiments, tout s'emmêle. Drift away : berceuse, celle de l'échec, celle du trop tard, la chanson amère des défaites consenties, dans le premier tiers l'orchestration est presque insupportable comme des reproches qui ne servent en rien, elle prend sa revanche dans la séquence médiane, occupe toute la place, se torsade et s'emmêle sur elle-même, un serpent désespéré qui ne se supporte plus et se transforme en une tresse de détresse mutilatoire, la voix revient, s'en mêle et domine, la musique se calme et se tait. Falling : l'on ne peut pas dire que les titres inclinent vers l'optimisme ! Pourtant pour une fois la voix se fond dans le background instrumental, du trompe-l'œil parce que bientôt elle s'exhausse du brouhaha et dresse l'inventaire d'un faux sursaut velléitaire de vouloir-vivre schopenhaurien, la guitare miaule sur les toits comme pour lui signifier qu'elle est son amie, qu'ils tomberont tous ensemble devant l'implacabilité du constat. Ce qui ne manque pas d'arriver. The second before : tic-tac tambouriné, notes égrenées qui ne sèment pas à tous vents, même si les guitares tournent les pages d'un livre déjà écrits, des voix qui viennent de partout, qui redisent la même chose, toute seule ou à plusieurs, qu'une seconde avant on aurait pu accéder à la lumière, mais que c'est raté, que c'est tant pis pour nous, les guitares se font consolantes, puis cette déconnexion soudaine à soi-même. Fausse porte de sortie. Still I can't hide : basse résonnante, une voix qui vient de loin, comme d'une brume qui l'isolerait d'elle-même, une ligne mélodique qui ramène le malheur au bout de son hameçon, pouvez le chanter avec toute l' intensité désirée, des cordes de plus en plus grinçantes, le rêve poursuivi se laisse prendre, s'insinue en vous, prend les commandes de votre cerveau, un cauchemar dont vous ne sortirez jamais. Déploiement lyrique de l'orchestration. Chut ! L'ombre grandit autour de vous. And the grudge ( still here ) : plus de huit minutes, l'on ne se méfie pas, semble la suite du précédent, mais les guitares bruissent et la batterie gronde en sourdine, tandis qu'une mélodie bat de l'aile telle un oiseau blessé, c'est le retour sur moi-même le déroulé d'un vécu qui quelque part a foiré, une valse qui déraille, ce fut beau et vivifiant, les guitares crépitent à la manière des feux de joie, le son devient plus fort, des arabesques orientales luisent de tous leurs festons, le vocal se fait accusateur, maintenant tout s'envole, est-ce moi, est-ce l'autre, mais tout a été ressenti si fort que la tête vous tourne telle un manège qui ne pourrait plus s'arrêter et se brise. Into the flood : quelques notes sépulcrales coulent comme des larmes, le temps de l'acceptation est venu, rien ne sert de vouloir survivre, tout est déjà consommé, des mots tous doux qui aspirent au néant, qui sont prononcés après la lutte et les débats, une triste histoire, si belle que l'on en ferait une chanson pour les enfants, les claviers prennent ici leur revanche, ils ont été tout le temps là en tant qu'accompagnateurs, mais ici et maintenant ils noient le morceau d'une musicalité irréelle. Once dead : que voulez-vous dire de plus un fois que vous avez atteint l'autre rive, quand on est mort on se tait, ce morceau est strictement musical. Le finale d'un opéra. Mort d'Isolde. Marche funèbre, comme si le héros refaisait une fois encore, du fond de sa tombe, le parcours non pas de sa vie, mais d'une existence. Grandiloquence mesurée. Sans doute ne valons-nous pas davantage. Silence. Ce n'est pas fini. Ask the dust : une dernière mélopée sur une guitare, une voix affadie comme si elle nous parlait d'outre-tombe, qui s'affirme qui ne nous révèlera rien, sinon que nous ne sommes que poussière. La musique coule et grince comme du sable qui s'écoule dans le sablier de l'éternité. Un dernier chœur à la tonalité semi-éteinte comme un adieu définitif.

    Une œuvre ambitieuse. Elle ne se livre pas de prime abord. Fortement déconseillée aux amateurs de bruits metallifères prononcés. L'exhibitionnisme sonique en est totalement absent. La trame du drame est tissée dans les nuances vocales. Tout effet de gosier est banni. La musique est comme réduite au minimum. Elle ne mène pas le bal. L'or peut enchâsser une pierre, mais la pierre est plus précieuse. C'est elle qui étincelle. Mais Anasazi a choisi un rayonnement pâle. Ce qui n'empêche en rien sa radio-activité de vous ronger insidieusement les synapses.

    Damie Chad.

     

    THE ANIMALS / 1964 ( II )

     

    Deux 33 tours paraissent dans le dernier trimestre de l'année. L'un aux Etats-Unis, l'autre en Angleterre, tous deux s'intitulent The Animals mais ne présentent pas exactement les mêmes titres. Certains d'entre eux étaient présents sur des singles précédemment chroniqués. Nous nous contentons de signaler leur présence sur tout disque ultérieur en utilisant la couleur rose. Ces parutions spécifiquement multi-nationales continueront sur les cinq autres 33 tours des Animals, ce qui entraînera la parution de divers 45 tours pour que sur les deux continents les fans puissent se procurer sur leur marché national les titres qui leur manquent. Dans de nombreux pays comme la France paraîtront des super 45 tours proposant leurs propres assortiments...

    SEPTEMBRE 64

    THE ANIMALS ( US )

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    The house of the rising sun / Blue feeling : ( ne pas confondre avec l'instrumental de Chuck Berry qui porte le même titre ) étrange morceau avec ce refrain qui résonne à nos oreilles tellement french-slow-early-sixty-style et qui contraste avec la voix blanche qu'emprunte Burdon, l'ensemble présente un petit côté pop ( pour ne pas dire variétoche ) l'on est beaucoup plus proche de la chanson sentimentale cucul la praline que du blues. A la toute fin Burdon reprend un peu d'énergie, hélas c'est trop tard. The girl can't help it : les choses sérieuses reprennent, s'attaquent à un monument, la grosse cuivrerie de Little Richard, surmontent l'obstacle, pas de filles dans les chœurs mais les boys se débrouillent pour le contre-chant et le Burdon vous débite le vocal à deux cents à l'heure, Hilton vous place un petit solo d'antho au trapézo qui fera votre régalo, profitez-en parce que c'est déjà fini sur une dernière pirouette de la baguette de Still. N'ont pas à rougir, s'en sont sortis comme des chefs. Babt let me take home / The right time : ce coup-ci, la prod a fait tous les sacrifices, ils ont offert des filles – pas beaucoup il ne faut pas non plus délirer - pour le chœur, du coup le morceau vous a un petit côté Ray Charles très releattes à roulettes, et les boys font les jolis cœurs, Burdon leur donne la réplique comme s'il leur offrait son âme, le Price vous sort un solo d'orgue qui ressemble à un gros câlin sucré, la virile basse de Chas sonne comme une corne de brume. Notons la bienséance du titre qui ne nous dit pas que le right time is the night time. Talkin' 'bout you : version courte : même pas deux minutes alors que la longue dépasse les sept, s'écoute bien, le morceau y gagne force et concision. Around and around : la même année le standard de Chuck Berry est repris par les Rolling Stones, il faut l'avouer Burdon enfonce le Jag qui chante comme un petit blanc, en plus les Cailloux qui Roulent ne se démarquent pas del maestro Chucko, le clavier de Price oblige à une recomposition formelle, les Animals vous repeignent et vous repoussent les murs, encore une fois il faut admirer le solo d'Hilton vous piaffe quelques notes aussi belles et graciles qu'une bande de girafes galopantes, les parties pianistiques de Price sont à bénir. I'm in love again : du beau monde sur l'écriture de celui-ci, Fats Domino et Dave Bartholemew, bye-bye le petit côté primesautier et fringuant du vieux Fats, pas de saxophone non plus, c'est Hilton qui le remplacera, l'orgue de Price apporte une lourdeur bienvenue à l'interprétation sans en dénaturer l'esprit. Quant à Burdon, il chante selon une ligne médiane, sur la crête, tantôt un pied intonatif sur le versant white rock, tantôt une foulée incantatoire vers le black and blues. Une merveille d'équilibre. Gonna send you back to Walker / Memphis tennessee : de petites ridelettes d'orgue c'est tout ce que les Animals se permettent d'ajouter, quand on met ses pas dans les traces de Maître Chuck on ne fait pas les malins, le Burdon retient la puissance motrice des chevaux-vapeurs de sa voix, ne va pas pousser l'affront à chanter plus noir que Chuck, bref ils sont sages comme des images, l'on eût aimé qu'ils se comportassent en gamins mal élevés. I'm mad again : c'est un peu le Boudu sauvé des eaux de John Lee Hooker, le gars qui héberge chez lui un gus dans la mouise qui pour le remercier lui fauche sa copine, mais alors que le Hooker vous raconte l'histoire sans fioriture sur une de ces rythmiques secrètement lentes qui portent l'eau de votre âme à ébullition les Animals vous la transforment en tragédie racinienne, commencent tout doux, mais très vite le drame prend de l'ampleur, la voix de Burdon donne de l'intensité au sujet, la guitare d'Hilton déraille ferme, l'orgue de Price vous a des trémolos funèbres d'enterrement, et Burdon vous pousse des cris d'assassin. I've been arond : un joyeux petit Fats pour terminer, dans le genre faut se quitter sur un sourire obligatoire, celui-ci appuyé légèrement plus que le Fats qui joue les mijaurées avec ses petits oh ! oh ! oh ! un peu ridicules et son orchestration de jouet de noël... mais enfin il faut le dire ce titre n'apporte rien à la gloire impérissable des Animals.

    OCTOBRE 64

    THE ANIMALS ( UK )

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    Story of Bo Diddley : une glissade d'orgue et l'orage du jungle sound survient on ne sait comment, Burdon vous fait le boniment, aussi bon et même meilleur qu'un camelot de la 52 Th rue, Steel tambourine à croire qu'il est dans une cérémonie vaudou, Price vous pond des tortillons d'orgue à la queue-leu-leu mais nos Animals s'amusent, abandonnent vite la trame didldleyenne pour filer à l'anglaise, tour à tour nous aurons droit aux Beatles, aux Stones, à Newcastle, sont-ils en train de commettre un crime lèse-pionniers du rock, non ils respectent l'esprit du talkin' dozens blues, le cuisent à leur sauce, s'émancipent de la copie hommagiale, un jour les Animals deviendront Eric Burdon and the Animals... Bury my body : un vieux traditionnel qu'Alan Price ne manquera pas de porter à son crédit, il est difficile de perdre ses mauvaises habitudes... L'on s'attendrait à un blues dévastateur, ce n'est pas l'optique envisagée, la voix enjouée de Burdon, les notes joyeuses de Price, la basse de Chas qui n'a rien de funèbre, tout indique qu'ils ont délibérément choisi l'option chrétien heureux de mourir et de monter tout droit au ciel sans encombre, rien de plus fun que d'être rappelé par Dieu, y a même des moments qui frisent l'hystérie désopilante, pour un peu vous l'incluriez dans un recueil de chansons pour colonies de vacances. Ont-ils voulu renouer avec la foi intransigeante des negro-spirituals ou alors méritent-ils d'être accusé d'impiété moqueuse... Dimples : un des classiques de John Lee Hooker ( Dale Hawkins s'en est fortement inspiré pour les paroles et le reste de Suzie Q ), les Animals n'en font pas trop, vous le tournent à leur manière, la voix de Burdon fait monter la pression dans la chaudière, le tutti instrumental continue à pulser la vapeur et puis l'on renvoie en arrière, Burdon trottine avec le ballon, insensiblement il accélère et soudainement il fonce droit devant évite trois adversaires qui mordent la poussière à vouloir le plaquer, et finit sa course en beauté en marquant l'essai. Du cousu main, rugby sur l'ongle. I've been around / I'm in love again / The girl can't help it / I'm mad again / She said yeah : une vieille piste pas des plus connues de Larry Williams, au moins Burdon trouve un sérieux rival à qui se mesurer, soyons juste, Burdon n'est pas la hauteur, peut-être parce qu'il n'ose pas emprunter ses cordes vocales les plus noires, Price se débrouille mieux pour remplacer le solo de sax, l'absence de cet instrument dans la formation a-t-il obligé à blanchir quelque peu l'interprétation. Les Stones la chiperont aux Animals et il faut admettre que leur version avec cet arrière-fond de guitares caverneuses qui font trembler les murs annonce l'ossature sonique de Have you seen your mother, baby, standing in the Shadow... Nettement supérieure. The right time / Memphis Tennessee / Boom boom : le morceau qui fait boum ! Burdon chante comme un tigre qui arrache à pleine voix des morceaux de viande saignante à une proie encore vivante, ensuite c'est le grand charivari, l'ultime capharnaüm, la fin des haricots verts, les Animals se sont évadés du zoo des convenances modélisées et sont devenus libres et sauvages. Around and around .

    Deux inédits que l'on retrouve su la compilation Double CD, The Complete Animals :

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    F. E. E. L : du pur Animals, mais cela ressemble à ce qu'en équitation l'on appelle un canter, un galop d'entraînement, l'inanité des paroles arque-boutée sur le mot -feel – mot magique et miracle des sixties, l'est sûr que si à l'époque vous n'aviez pas le feeling, vous étiez un tocard de la pire espèce, tout juste bon pour l'abattoir municipal, alors Burdon ( lui, ne craignez rien, il l'a chevillé au corps ) s'amuse, il filoche le feel all rigth à cent quatre-vingt kilomètres heure, module, accélère, exulte, ralentit, et les autres derrière le suivent de près, agréable à écouter, bien fait, tout propre, mais si vous ne l'avez jamais entendu, inutile d'aller creuser votre tombe au fond du jardin, par contre si à l'écoute vous ne ressentez rien... Don't want much : méritait au moins un simple à lui tout seul, attention les rockers, Rosco Gordon est l'auteur du morceau sous le titre Just a little bit, ce gazier enregistra aussi chez Sun, c'est rare mais il faut le dire Burdon pulvérise le modèle, l'a une fougue et un aisance incomparable, Gordon nous la faisait un peu en dilettante hyperdoué, Burdon vous entortille les scoubidous sur le bout de sa langue avec une facilité déconcertant. Il ne chante pas, il éblouit. Les autres suivent et vous expulsent l'orchestration avec une dextérité consommée.

    L'existe un maximum de vidéos d'époque qui proviennent de leurs passages sur différentes chaînes de télévision, ouvrez les mirettes aux alouettes, en voici deux, ne craignez rien, vous irez du pire au meilleur :

    BLUE FEELING

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    Du fond de votre kitchenette si vous aimez le kitch vous adorerez ce clip extrait du film Get yourself your College Girl, une ânerie un peu dans le style du clip tourné à leur début par Mountain... Celui-ci a été réalisé aux USA dans l'Idaho, ce que l'on appelle une mauvaise hidée, l'on acceptera même l'adjectif hideux pour le qualifier... Mon Dieu ( oui mon fils Damie que veux-tu – oh, un double djack pour me remettre – tout de suite mon fils ! ) quelle horreur, même Burdon sur son rideau rouge est le plus beau de toutes, si l'on doit en croire ces images, les filles sont plus belles et moins nunuches aujourd'hui qu'en 1964, quel troupeau insipide de dindes farcies, les acteurs surjouent de toutes leurs bajoues, quant aux Animals ils croient si peu en leur playback que seul John Steel qui n'a pas oublié son chewing gum donne l'apparence d'une fausse réalité. Le petit Eric n'arrête pas de se bidonner ce qui le rend sympathique. C'est ce que l'on appelle un émouvant témoignage d'une époque révolue. L'on comprend pourquoi les Grecs ne nous ont légué que des fragments d'amphores, ils avaient peur que l'on se moque de leurs artefacts qui nous seraient parvenus en entier.

    BOOM BOOM

    ( Live at Wembley 1965 )

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    Images en noir et blanc, public sagement assis, la scène grouille d'une multitudes de roadies qui installent le matériel, Burdon s'approche du micro et nous souhaite un retentissant '' good morning''. Chas lui fauche le micro, Steel s'installe, on attend encore un peu, et c'est parti, Burdon lance la machine, comment de ce petit bonhomme peut-il sortir une telle voix, bouge beaucoup, une espèce de danse du scalp qui se termine à genoux, imaginez un cormoran qui amerrit les ailes éployées et qui glisse sur l'eau de tout son corps dressé, Chas et Alan sont au chœur avec la conviction des pirates du rail qui trafiquent les aiguillages pour envoyer le train au fond du précipice, Hilton – lui qui a l'air si sage d'habitude - armé de sa guitare pique une crise de delirium tremens, lorsque Buron revient au micro il lève le bras comme s'il lançait l'assaut d'un régiment de cavalerie et c'est reparti pour une cacophonie rock'n'roll comme on les aime, l'on se demande pourquoi le public n'est pas en train d'incendier les tribunes sur lesquelles ils ont posé et collé leur cul...

    Damie Chad. ( A suivre, 1964 / 1965... )

     

    XXI

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    Voici quelques précisions

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    96

    A peine les deux battants furent-ils ouverts que la meute des journalistes se précipita en une folle cavalcade, Vince releva avant qu'elle ne se fasse piétiner par ses collègues la petite brunette qui dans leur précipitation l'avaient renversée sans s'en apercevoir. A la décharge de nos impatients envoyés médiatiques, ceci dût-il étonner nos kr'tntreaders, on n'y voyait rien. Une espèce de brouillard opaque noyait toute la pièce. A moins de cinquante centimètres il était impossible de reconnaître l'ombre qui se mouvait devant vous. Un brouhaha indescriptible s'éleva de la meute journalistique. Tout se tut, lorsque le Chef prit la parole :

      • Mesdames, messieurs, je ne doute pas de votre déception, mais notre Président bien-aimé vous autorisera à mon signal à vous servir exceptionnellement de vos plus gros projecteurs, branchez-les, et vous verrez ce pour quoi vous avez été appelés, le Président a une importante communication à vous faire, vous pourrez la retransmettre en direct sur les chaînes de télévision, et les radios. Je vous demanderai simplement d'attendre quelques minutes que Monsieur l'Adjudant emmène avec lui son groupe de fusiliers-marins, si je ne trompe pas, c'est l'heure de leur footing matinal au Bois de Vincennes, nous sommes en démocratie et il n'est pas normal que l'on aperçoive des hommes armés tout près de notre Président.

    Dans la pénombre l'on s'agita, la porte s'ouvrit pour laisser passer les soldats, les journalistes cherchèrent en tâtonnant que les prises pour leur appareil, l'on entendit un petit rire discret je pense que c'était la main de Vince qui s'était égarée sans le faire exprès sur la petite brunette...

      • C'est bon vous pouvez allumer !

    Il y eut un oh ! de stupéfaction, les journalistes, même les plus chevronnés, n'avaient jamais vu une telle scène de toute leur carrière. En demi-cercle assis en de confortables fauteuils de velours cramoisis était rassemblé le Haut-Conseil Scientifique de Surveillance de la Pandémie, tous les plus grands épidémiologistes du pays, le fauteuil central était occupé par le Président. Juste derrière lui, le Chef était debout. Je crois que c'est la seule fois fois de ma vie où en une circonstance extraordinaire le Chef ne profitait pas de l'occasion pour allumer un Coronado. Le fait était d'autant plus exceptionnel que chaque membre du Haut-Conseil Scientifique de Surveillance de la Pandémie était en train de déguster à pleine haleine un Coronado, un 45, un des plus fumiteux, le Président lui-même extirpa son bâton de chaise de sa bouche pour prendre la parole :

      • Françaises, français, je tiens à vous révéler en direct les conclusions de la dernière réunion tenue très tôt ce matin par le Haut-Conseil Scientifique de Surveillance de la Pandémie. Premièrement une bonne nouvelle qui ravira tous les patriotes et les fumeurs de cigares, les analyses des laboratoires sont formelles. La piste du Virus répandu sous la Tour Eiffel par le Service Secret du Rock'n'roll était fausse. Pour réhabiliter ce malheureux service le Haut-Conseil Scientifique de Surveillance de la Pandémie et moi-même avons tenu à fumer en direct notre Coronado, notre pays et notre peuple ne supportent pas l'injustice, lorsque la France commet une erreur, elle avoue ses torts. Mesdames, messieurs les journaliste, nous vous remercions de communiquer cette nouvelle au monde entier. Pour vous remercier nos charmantes hôtesses remettront à chacun de vous en guise de souvenir de cette journée historique un Coronado 45. Enfin pour terminer, une deuxième nouvelle, la France n'est en rien responsable de la propagation du Coronado-virus. Toutes les analyses médicales coïncident, ce sont des touristes chinois arrivés tout droit de Pékin, pour visiter Paris, la plus belle capitale du monde, qui l'ont emmené et répandu dans les meilleurs endroits touristiques de la France. Françaises, français, je vous remercie. Vive la France !

    Le Chef a aussitôt repris la parole :

      • Mesdames et Messieurs les journalistes, le Haut Conseil Scientifique de Surveillance de la Pandémie a encore beaucoup de travail. Je vous demanderai de vous retirer au plus vite, l'agent Vince vous raccompagnera à vos voitures, nos deux hôtesses distribueront les derniers Coranados en notre possession aux amateurs. Avec l'agent Chad nous sortirons en dernier pour nous assurer qu'aucun cachotier n'essaie d'écouter les décisions secrètes qui seront prises dans la suite de l'entrevue.

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    Aussitôt dans la cour d'honneur s'engouffrèrent dans leur voitures les journalistes comme volée de moineaux du parc du Luxembourg rassasiés de la becquée providentielle prodiguée par une vieille dame qui se charge de les nourrir, les fusiliers-marins n'avaient manifestement pas encore enfilé leur tenue de sport pour leur jogging matinal, ils formaient une haie d'honneur devant notre appareil volant :

      • Présentez armes ! La voix de l'Adjudant ne plaisantait pas... Repos ! Soldats je suis fier de vous, vous avez obéi à votre Adjudant alors que ses ordres étaient, semble-t-il, en contradiction avec la mission qui vous a été confiée. Vous avez fait confiance à votre Adjudant qui vous laisse quartier libre pour le reste de la journée, sauf pour soldat Pierre, et soldat Marc qui ont ignominieusement profité de leur tour de garde pour draguer d'honnêtes demoiselles alors qu'il est totalement interdit d'adresser la parole aux passants, consigne de sécurité N°1, je tiens à le leur rappeler ! - se tournant vers nous - quant à nos héros miraculeux tombés du ciel, je les invite à prendre place dans leur taxi de la Marne volant, et à disparaître au plus vite, ce sera mieux pour vous, demoiselles, messieurs, et ces braves canidés sans qui rien n'aurait été possible, nous adopteront leurs photographies comme mascottes de notre régiment. Putedesaintevierge !

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    Notre aéronef eut un peu de mal à s'élever, la faute à Vince qui tenait sur ses genoux la petite brunette énamourée qui avait refusé de retourner à son journal. Dès que nous fûmes à une quinzaine de mètres au-dessus de la cour d'honneur, les fusiliers-marins se regroupèrent et déclenchèrent un tir meurtrier à notre encontre.

      • Enfin ! - le Chef extirpait de sa poche un Coronado – ne craignez rien, ce sont des tireurs d'élite, ils font attention à surtout ne pas nous toucher. Agent Chad, vitesse maximum, aucune crainte à avoir les images de la réunion sont déjà reprises par toutes les télévisions du monde, le SSR a de nouveau pignon sur rue !

      • En tout cas, moi j'aimerais savoir ce que c'étaient ces points rouges qui nous ont permis de nous diriger tout droit vers le palais de l'Elysée, demanda Charlotte

      • Des amis répondis-je, à droite c'était les Crashbirds, nous leur avons demandé par SMS de se poster sur le toit de leur maison du côté de Bondy, et de tirer furieusement sur leur Coronado dès qu'ils nous apercevraient, Delphine Viane et Pierre Lehoulier ont parfaitement rempli leur mission, tout comme Tony Marlow et Alicia F sur le toit de leur immeuble de Montreuil, le SSR possède des alliés dans le monde entier, qui se battent depuis des années pour le rock'n'roll, grâce à ces deux points fixes, déterminez la direction de l'Elysée n'était plus qu'un minime problème de triangulisation...

      • Moi, ce que je n'ai pas compris c'est à peu près tout, affirma Victorine, ainsi se dénommait la jolie petite brunette, et surtout pourquoi le Président a tenu de son plein gré cet étrange discours et cette mise en scène du HCSSP !

      • Ah ! charmante enfant, je suppose que vous n'êtes pas la seule et que nombre de kr'tntreaders doivent être dans votre cas ! Essayons de répondre à vos interrogations !

    A suivre...