Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

rockabilly generation news 26

  • CHRONIQUES DE POURPRE 608: KR'TNT 608 : THIN LIZZY / PM WARSON / THE REVEREND PEYTON'S BIG DAMN BAND / O.C. TOLBERT / LOU REED / ROCKABILLY GENERATION NEWS / ALAIN COURAUD / GENE VINCENT / DEMONIO / MELT / MY DEATH BELONGS TO YOU / AMER'THUNE / ROCKAMBOLE

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 608

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    06 / 07 / 2023

     

    THIN LIZZY / PM WARSON

    THE REVEREND PEYTON’S BIG DAMN BAND

    O.C. TOLBERT / LOU REED  

    ROCKABILLY GENERATION NEWS 

     ALAIN COURAUD / GENE VINCENT / DEMONIO

      MELT / MY DEATH BELONGS TO YOU

     AMER’THUNE / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 608

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    IRREMPLACABLES ADMIRATRICES

    &

    FOLDINGUES ADMIRATEURS

    NE CROYEZ SURTOUT PAS

    QUE NOUS PRENONS DES VACANCES,

    PAS DU TOUT

    NOUS PASSERONS CET ETE

    PENCHES SUR NOS GRIMOIRES ABSTRUS

    AFIN QUE LE  31 AOÛT 2023

    VOUS PUISSIEZ ENFIN VOUS REPAÎTRE

    DE CES CHRONIQUES SANS LESQUELLES

    VOTRE VIE MANQUERAIT

    D’UNE INJECTION HEBDOMADAIRE

    DE ROCK’N’ROLL !

     

     

    Tête de Lynott

    - Part Two

     

    , thin lizzy, pm warson, the reverend peyton's big damn band, o. c. tolbert, lou reed, rockabilly generation news 26, alain couraud, gene vincent, demonio, melt, my death belongs to you, amer'thune, rockambolesques,

             Chacun de nous a eu sa dose, et même son overdose, de Lizzy, surtout les ceusses qui dévorent la presse anglaise, une presse toujours aussi friande du rise and fall of the Lizzy King, Phil Lynott. On voit même encore paraître des numéros spéciaux de Classic Rock consacrés à Lizzy. Oui, Lizzy fait vendre, mais pour de bonnes raisons, ce qui est rare, alors autant le signaler.

             Phil Lynott reste un cas unique dans l’histoire du rock anglais. Black, il n’avait aucune chance. De la même façon que Jimi Hendrix, il doit tout à son immense talent. Sur les 13 albums de Lizzy, tu vas trouver une série de hits qui comptent parmi les joyaux de la couronne. On considérait jadis les albums de Lizzy comme des huîtres, tu les ouvrais et tu pouvais trouver une perle, parfois deux. Et pas des petites perles, ces grosses perles noires qui embrasent ton imagination. 

    , thin lizzy, pm warson, the reverend peyton's big damn band, o. c. tolbert, lou reed, rockabilly generation news 26, alain couraud, gene vincent, demonio, melt, my death belongs to you, amer'thune, rockambolesques,

             Il existe une petite bio du Lizzy King, signée Mark Putterford : Phil Lynott: The Rocker. Putterford n’est pas Nick Kent. Il propose néanmoins un bon book, un book sans prétention, dont la discographie constitue l’épine dorsale. Putterford ne s’est pas cassé la tête, il avance par petites étapes, comme un pèlerin sur le chemin de Compostelle, et s’arrête à chaque album pour s’extasier et sombrer dans une sorte de béatification. Quand on connaît la qualité des albums, on sait qu’il n’y a rien de choquant dans cette posture. 

             Dans son intro, Putterford met le doigt sur ceux faits essentiels : Lizzy est «the first internationally successful Irish rock band», et Phil est devenu «the biggest rock star since Jimi Hendrix». Putterford cite aussi son «astonishing capacity for drinks and drugs». Il a raison de chanter les louanges de Phil qu’il qualifie de first real Irish rock star - A musician, a poet, a performer, a leader, a Lothario, a Casanova, a fighter, a charmer, a gambler, a gyspsy, a rogue, a cowboy, a renegade, a hellraiser, a hero... he was unique in every way - Pas mal comme hommage, non ? Il le qualifie plus bas d’Hollywood Romeo avec son œil caché et sa fine moustache, ses longues jambes gainées de cuir noir, style and charisma, Putterford n’en finit plus de s’extasier, et il a raison. Phil est un très beau mec. Il cite encore son cheeky grin, son sourire assassin. Et ça continue avec le côté proud, «the proud man, l’homme fier de sa mère, Philomena, et de ses deux filles, fier de sa couleur de peau et fier de sa patrie, l’Irlande.» Réciproquement, Dublin est une ville qui se montre toujours fière de lui. L’Irlande, nous dit Putterford, c’est aussi «James Joyce, Oscar Wilde, George Bernard Shaw, W.B. Yeats, Sir Thomas Moore, Brendan Behan, Oliver Goldsmith, Jonathan Swift and more.» 

             Smiley Bolger rappelle tout de même qu’avant Phil, il y avait Van Morrison - But he was a more cool-headed kind of guy - et Rory Gallagher - Tout ce qu’il voulait c’était rester en 65, still playing the guitar - Phillip was different. He was the party man. He was into the grace of a black man, the cool dude - Et il ajoute : «He had the looks. He had the style. He had the ideas. He used to say, ‘Give me half an idea and I’m away.’» Bolger le voit comme a natural rock-star. Phil qualifiait sa facette rock star de ‘me act’. Parfois, il admettait qu’il était «sick of himself». Phil devenait trop Phil. Geldorf ajoute que Phil fut the only true Irish rock star : «Van Morrison ne fut jamais considéré comme une rock star, parce qu’il ne ressemblait pas à une rock star, d’une part, et d’autre part, il ne voulait surtout pas ressembler à une rock star.» Phil va vivre the mythical rock star existence jusqu’au bout, et selon Geldorf, ce qui causera sa perte.

             Au début, Phil est fan de Jimi Hendrix. Il se passionne aussi pour Astral Weeks et Beck-Ola. Il flashe en plus sur l’Hang Me Dang Me d’Heads Hands And Feet, et notamment sur le bassman Chas Hodges, qu’on retrouve dans Chas & Dave - One of his main bass playing influences - Phil flashe aussi sur There’s A Riot Goin’ On de Sly & the Family Stone, et of course, sur le White Album. Wow ! On comprend mieux d’où sort de génie de Phil Lynott. Il adore aussi Humble Pie.

             L’homme clé dans le destin de Lizzy n’est autre que Ted Carroll, le futur Ace man. Il s’occupe d’eux quand le groupe s’appelle encore the Black Eagles. Phil et Brian Downey tapent des covers des Yardbirds et des Small Faces. Puis Phil chante dans Skid Row, avec Brush Shiels, and a kid from Belfast called Gary Moore. Mais Shiels vire Phil qui est pourtant son meilleur ami. En dédommagement, il lui apprend à jouer de la basse. Skid Row va continuer de son côté et fera une petite carrière riquiqui. C’est Phil qui va percer.

             Il apprend vite. Il montre une détermination à toute épreuve. Il monte Orphanage avec son copain d’école Brian Downey, puis rencontre Eric Bell, qui jouait alors dans John Farrell & The Dreams. Bell propose de monter un groupe. Phil pose ses deux conditions : jouer ses compos et jouer de la basse. Bell : «Well let’s give it a go.» Par sa détermination, Phil impressionne Bell Bell Bell et Brian Downey - he worked hard to achieve that distinctive Lizzy sound - C’est Bell Bell Bell qui trouve le nom du groupe dans un comics nommé Dandy : un personnage robot nommé Tin Lizzy, «the Mecanichal Maid», qu’ils transforment en Thin Lizzy. Et pouf c’est parti ! Ted Carroll les co-manage. Ils jouent en Angleterre avec notamment les Flirtations, ou encore l’Edgar Broughton Band.

    , thin lizzy, pm warson, the reverend peyton's big damn band, o. c. tolbert, lou reed, rockabilly generation news 26, alain couraud, gene vincent, demonio, melt, my death belongs to you, amer'thune, rockambolesques,

             Frank Rogers signe l’early Lizzy à Dublin et les envoie enregistrer leur premier album sans titre au studio Decca de West Hampstead, à Londres, là où les Stones et Mayall ont enregistré. Dès Thin Lizzy, Phil montre les prédispositions d’une superstar. La qualité des compos ne trompe pas, surtout quand il s’agit d’«Honesty Is No Excuse». Il est là, épique épique et colegram, troubadour d’afro Irish roots, précoce expert du big fat deepy deep mélodique. Il met un certain temps à poser les éléments, accompagné par Bell Bell Bell le bien nommé, et soudain le Phil à la patte déploie ses ailes immenses - And now I know/ I see the light/ And honesty was my only excuse - On tombe plus loin sur un «Ray Gun» quasi hendrixien que nous wahte le Bell Bell Bell comme le jour. Il faut entendre Phil chanter «Look What The Wind Blew In» à l’éclat de la revoyure. Il se situe déjà à l’extrême pointe du progrès. On le sent intimement déterminé à vaincre. Il dubline tout sur son passage. Il ramène déjà la notion de Dublin Cowboys, l’Americana irlandaise selon le Phil en aiguille. Une autre perle noire se niche en B : «Return Of The Farmer’s Son», fabuleux shake d’heavy jam. C’est le pinacle du power trio, avec le Brian qui bat son beurre et le Phil qui rôde dans ses basses œuvres. Le voilà lancé, rien ne l’arrêtera plus. Il termine ce très bel album avec «Remembering» qu’il attaque à l’éplorée, mais avec une réelle assise. Il bâtira son vaste empire sur cette assise. Lizzy se barre en mode jam power, c’est leur petit apanage, Phil adore taquiner la bête, et il redémarre au keep remembering

    , thin lizzy, pm warson, the reverend peyton's big damn band, o. c. tolbert, lou reed, rockabilly generation news 26, alain couraud, gene vincent, demonio, melt, my death belongs to you, amer'thune, rockambolesques,

             Tout aussi impressionnant, Shades Of A Blue Orphanage paraît l’année suivante. Le titre s’inspire des deux formations précédentes : le Shades of Blue de Bell Bell Bell et l’Orphanage de Phil & Brian Downey. Tu as trois perles noires dans cette huître : «Buffalo Gal», «Chanting Today» et le morceau titre. Phil y fait son retour de mélodiste magique, il affabule sa Buffalo Gal dans le vestibule, c’est un homme fin et doux, et derrière, Bell Bell Bell le bien nommé joue liquide. Lizzy, c’est déjà une affaire sérieuse. Ils vont tourner pendant dix ans avec une moyenne de trois perles par huître. Avec Chanting, Phil pose sa tension mélodique en appui sur les espagnolades de Bell Bell Bell. Phil chante à la merveilleuse arrache. Il y a du Lord Byron en lui, une sorte d’élan naturel vers l’absolu marmoréen. Et puis il peuple son morceau titre de personnages, the clever con, the good Samaritan, the ras claut man, the loaded gun, the charlatan et plus loin, the laughing cavaliero, the wise old commanchero, the desperate desperado, the gigolo from Glasgow, the good looking Randolph Valentino & the female Buffalo. Comme Dylan, il pose les fondations de sa mythologie.

             Pendant l’enregistrement de Shades Of A Blue Orphanage, Blackmore fait de l’œil à Phil. Il essaye de le débaucher pour monter un super-groupe nommé Baby Face avec Ian Paice et Paul Rogers. Quelques répètes, mais Phil préfère rester avec Lizzy plutôt que de tenter l’aventure avec le big name Blackmore. Fin de Baby Face. Blackmore rentre à la maison, chez Purple.

             C’est l’époque de la fameuse tournée avec Slade et Suzi Quatro, et Lizzy en première partie. À Liverpool, Lizzy se fait jeter au bout de deux cuts à coups de canettes. Mais c’est en voyant Noddy Holder driver son public que Phil pige tout. Il apprend littéralement son métier de performer lors de cette tournée. Chas Chandler vient même trouver Lizzy dans la loge : «Soit vous faites un effort, soit vous dégagez de la tournée. Vous êtes là pour chauffer le public, pas pour l’endormir !» Chas s’énerve, il a raison, «Sort yourselves out!». Ce sera la grande leçon. Mais le public anglais est féroce. Un mec lance à Phil : «Get off yer black arse - get back to Africa!». Phil garde son calme et répond : «Look pal, just give us a chance, eh?». Putterford restitue bien le style vocal de Phil, ce slang irlandais aux tonalités descendantes - Gigantic pair of legs and thick Irish accent.

    , thin lizzy, pm warson, the reverend peyton's big damn band, o. c. tolbert, lou reed, rockabilly generation news 26, alain couraud, gene vincent, demonio, melt, my death belongs to you, amer'thune, rockambolesques,

             Troisième et dernier album de l’époque Bell Bell Bell, Vagabonds Of The Western World. L’huître propose trois nouvelles perles noires : «Whisky In The Jar», «The Rocker» et «Song For While I’m Away». Le Whisky est sans doute le hit le plus connu de Lizzy, Phil le prend à la bonne arrache. Ils sont tous les trois parfaitement à l’aise dans leur bel univers mélodique. C’est monté au petit beurre du brillant Brian. Bell Bell Bell te claque la grosse intro de «The Rocker». L’énergie est purement hendrixienne - I’m a rocker/ I’m a roller too baby ! - Saluons aussi le heavy boogie blues de «Mama Nature Said» en B. Phil grimpe directement au sommet de son chat perché, il est toujours très héroïque, très élancé, très brillant et derrière, Bell Bell Bell te claque des riffs au bottleneck. Comme on l’a vu dans l’hommage qu’on lui rendait ici même en 2019, Eric Bell est un fiévreux virtuoso, un tisseur de toiles faméliques. Le clou du spectacle est bien sûr «A Song For While I’m Away», qui donnera son titre au docu consacré à Phil - You are my life/ You are my everything/ You are all I have - Fantastique orchestration, bien nappée de violons, c’est une merveille intimidante, Phil chante un fondu de tendresse chaude. Impossible de se lasser de ce mec. L’autre grande particularité de l’album est sa pochette. C’est la première que dessine Jim Fitzpatrick pour Lizzy. Comme Petagno avec Motörhead, Fitzpatrick va signer quasiment toutes les pochettes de Lizzy.

             Bell Bell Bell craque. Il ne tient pas la pression - I was losing my mind and I couldn’t handle it - Pour finir la tournée, Phil fait appel à Gary Moore qu’il connaît depuis le temps de Skid Row.  Phil aimerait bien continuer Lizzy avec Gary Moore, mais Moore est incontrôlable. En quelques mois, il fait un burn-out. Et il y a une petite rivalité entre Phil et lui. Moore capte l’attention et ça ne plaît pas trop à Phil. Moore se barre. De toute façon, il n’allait pas tenir. Phil teste ensuite John Du Cann pour une tournée en Allemagne, mais ça se passe mal entre Phil et lui. Du Cann se prend pour Blackmore. Encore des problèmes d’ego - He expected to be treated like a superstar - Frank Murray raconte qu’en arrivant en Allemagne, Du Cann a posé sa valise par terre, attendant que quelqu’un la porte, et Murray lui dit : «Look pal, in this band you carry your own fucking case!». Fin des haricots.

             Puis Phil remonte le groupe avec deux guitaristes. Il entre dans une ère nouvelle, celle du twin guitar attack de Scott Gorham/Brian Robertson. Gorham est un Californien installé à Londres, et Robbo vient d’Écosse. C’est à ce moment-là que Ted Carroll arrête de manager Lizzy pour se consacrer à son Rock On stall. Il va ensuite monter Chiswick Records et signer Motörhead.

    , thin lizzy, pm warson, the reverend peyton's big damn band, o. c. tolbert, lou reed, rockabilly generation news 26, alain couraud, gene vincent, demonio, melt, my death belongs to you, amer'thune, rockambolesques,

             Premier album du quatuor flambant neuf : Nightlife. Lizzy décroche une belle avance de Phonogram et Fitzpatrick dessine la pochette. Par contre, la relation avec le producteur Nevison tourne au cauchemar. Phil compose à bras raccourcis, toujours au sommet du lard. Ah il faut l’entendre groover son morceau titre sur sa basse, c’est d’une classe invraisemblable, un vrai tour de force melodico-bassmatique. En B, tu tombes sur «Philomena», c’est-à-dire sa mère. Cut mélodiquement pur, monté sur un brave petit mid-tempo. Pas trop de twin guitar attack sur cet album, sauf ici, à la fin du solo de «Philomena». Phil renoue avec l’Hendrixité des choses sur «Sha La La». Gorham et Robbo jouent au puissant délié de twin guitar, avec le buzz buzz de Phil. Brian Downey se tape la part du lion, c’est lui qui claque le beignet du cut. L’album s’achève avec «Dear Heart», une nouvelle merveille d’harmonie mélodique, doucement violonnée. Le bassmatic de Phil transparaît bien dans le mix, on ne le perd jamais de vue. Globalement, Nightlife est un album élégant. Ce «Dear Heart» te va droit au cœur.

    , thin lizzy, pm warson, the reverend peyton's big damn band, o. c. tolbert, lou reed, rockabilly generation news 26, alain couraud, gene vincent, demonio, melt, my death belongs to you, amer'thune, rockambolesques,

             Ils jouent les gros durs des Batignolles sur la pochette de Fighting. Ils sont marrants, car pas crédibles. Il y eut même, nous dit Putterford, une photo de Lizzy avec les pifs sanguinolents, mais le label l’a refusée. Comme Nevison a laissé un très mauvais souvenir, Lizzy s’auto-produit. Le «Rosalie» d’ouverture de balda tape dans la Stonesy. C’est quasiment «Happy», même sens de l’envol et de l’insistance. L’album est très classique, très boogie rock. Phil y va au ya ya ya sur «Suicide» et on retrouve le twin guitar attack en contrefort de «Wild One». On les voit essayer d’exprimer la violence dans «Fighting My Way Back», en exacerbant le riff et le beurre. C’est assez marrant. Ça pourrait presque marcher. On se régale aussi du «King’s Vengeance» en B. Il y a toujours du flourish et du blooming dans l’univers musical du grand Phil à la patte. Les morceaux pauvres de l’album sont ceux des autres (Robbo signe «Silver Dollar»). Retour au vrai son de Lizzy avec «Freedom Song» qui préfigure «Boys Are Back In Town».

             Phil flashe pas mal sur l’Amérique, comme le rappelle Putterford, «un pays où les hommes sont des cats et les femmes des chicks, la police des cops, et les barmen des bartenders, les autoroutes des highways et les trottoirs des sidewalks.» Il est fasciné par la culture américaine, par cette loi de la jungle qu’on retrouve bien sûr dans ses lyrics.

    , thin lizzy, pm warson, the reverend peyton's big damn band, o. c. tolbert, lou reed, rockabilly generation news 26, alain couraud, gene vincent, demonio, melt, my death belongs to you, amer'thune, rockambolesques,

             On parlait du loup, le voilà : «The Boys Are Back In Town» ouvre de bal de B de Jailbreak, un Vertigo sorti en pleine aube punk, en 1976. C’est le hit définitif de Lizzy. Tout le town est là, merveilleusement là. C’est balancé, chaloupé au bassmatic. Retour du Dublin Cowboy dans «Cowboy Song», Phil y ramène son Buffalo et son Romeo. Le morceau titre de l’album est bien gratté, mais il peine à jouir. Par contre, «Running Back» ne paye pas de mine au premier abord, mais ça devient du pur Lizzy. C’est avec cet album que le twin guitar attack entre en full bloom.  Gorham avoue que Wishbone Ash l’utilisait déjà avant eux, mais en moins agressif. Le twin va devenir «the Lizzy sound». Après la catastrophe graphique de Fighting, Fitzpatrick est de retour.

    , thin lizzy, pm warson, the reverend peyton's big damn band, o. c. tolbert, lou reed, rockabilly generation news 26, alain couraud, gene vincent, demonio, melt, my death belongs to you, amer'thune, rockambolesques,

             Pendant qu’il est à l’hosto pour une petite hépatite, Phil compose les cuts de l’album suivant, Johnny The Fox. Tu vas y trouver deux inexorables Beautiful Songs : «Borderline» et «Old Flame». Phil épouse la mélodie de Borderline, une véritable merveille d’élégance. On retrouvera cette qualité mélodique chez Midlake. Et en B, «Old Flame» sonne comme l’idéal Lizzy : chant mélodique enduit de Twin. C’est un son unique dans l’histoire du rock anglais. Dans «Johnny The Fox Meets Johnny The Weed», Phil travaille à l’insidieuse, avec un riff têtu comme une mule. Et avec «Massacre», il revient à ses chers Buffalos. C’est une obsession. On entend une belle mélasse de twin dans «Rocky». Ces mecs savent s’entremettre. Phil chante son «Fools Gold» sous l’alizé d’un twin douceâtre et il boucle cet album avec un «Boogie Woogie Dance» percé en plein cœur par un solo liquide. Lizzy reste sur des charbons ardents jusqu’au bout du Fox. Pour l’anecdote, il faut savoir qu’on a demandé à Fitzpatrick de dessiner la pochette de l’album alors que Lizzy n’avait pas encore choisi le titre. Il insiste auprès de Phil, «Just think of any title», alors Phil répond : «Ah call it Johnny The Fox, that’ll do.»

             Mais Phil a des problèmes avec Robbo, qui est incontrôlable. Robbo cogne. Phil demande à Gary Moore de partir en tournée américaine avec Lizzy. Robbo sait que Moore ne va pas rester avec Lizzy, il n’est pas trop inquiet.

    , thin lizzy, pm warson, the reverend peyton's big damn band, o. c. tolbert, lou reed, rockabilly generation news 26, alain couraud, gene vincent, demonio, melt, my death belongs to you, amer'thune, rockambolesques,

             Bad Reputation restera dans l’histoire du rock pour «Southbound», un chef-d’œuvre de ghost town mélodique, sucré au twin de rêve. Phil est dans son élément, c’est une merveille de contrôle des mesures, il sait driver une extra-balle de southbound. On retrouve ici le magicien, le fantastique pourvoyeur de chansons parfaites. Alors évidement, les autres cuts ont du mal à rester au même niveau. On trouve du twin bien moelleux, et même délicieux, dans «Soldier Of Fortune», et dans le morceau titre, joué nettement plus sous le boisseau. Scott Gorham joue tous les shoots de twin tout seul. Phil boucle avec un «Dear Lord» qu’il prend à l’éplorée, comme il sait si bien le faire, bien lubrifié par une lampée de twin. Pas de Robbo sur la pochette. Lizzy a voulu lui donner une leçon. Pas de Fitzpatrick non plus.

             Pendant la tournée américaine, Phil sniffe des tonnes de coke et prends des downers pour essayer de dormir un peu, mais il faut se réveiller de bonne heure pour monter dans le bus en partance pour la prochaine ville, alors Phil est de mauvaise humeur. Il cherche la bagarre.

             Puis Robbo revient dans Lizzy. Gorham est content, même si Robbo «is a fucking nutcase». Phil le tient à distance. Terrie Doherty : «Le problème de Robbo est qu’il était trop agressif. Il était toujours prêt à se battre avec quelqu’un, il m’a même menacé de me casser la gueule.» Dans les bars, Robbo, «completely out of it», cherche tout le temps la cogne. Quand on essaye de le calmer, il s’énerve encore plus. Alors Phil le chope et lui demande de s’excuser, ce qu’il ne fait pas. Robbo finit par être viré pour de bon - I was really just out of control, a complete asshole - Il boit comme un trou et prend du speed, ce qui n’arrange rien. Il se sent en permanence comme un bâton de dynamite, prêt à exploser. Il dit siffler à cette époque deux bouteilles de Johnny Walker Black Label par jour : «une demi-bouteille au soundcheck, une demi-bouteille juste avant de monter sur scène et une autre bouteille pendant le gig.» Maintenant, il sait qu’il s’est comporté comme un con - I now know what a prat I was. And we all know what a prat Phil was, parce qu’il n’est plus avec nous aujourd’hui - Pas mal, le Robbo. Il conclut ainsi : «Mais tu ne vois tes erreurs qu’une fois commises. Et alors, c’est trop tard.» Gary Moore le remplace. C’est son troisième stage en temps que «full time member» dans Lizzy en quatre ans.

    , thin lizzy, pm warson, the reverend peyton's big damn band, o. c. tolbert, lou reed, rockabilly generation news 26, alain couraud, gene vincent, demonio, melt, my death belongs to you, amer'thune, rockambolesques,

             C’est l’année suivante que paraît Live And Dangerous, considéré avec No Sleep Till Hammersmith comme l’un des meilleurs albums live de l’histoire du rock anglais. Facile pour Phil : il n’a que des hits. Comme Lemmy, d’ailleurs. Le balda est irrésistible. La marée commence à monter avec un «Emerald» gorgé de twin, et ils enchaînent avec «Southbound». Ah il faut le voir, le Phil, entrer dans son lagon d’’argent, suivi du twin le plus mélodique du monde. S’ensuit un medley «Rosalie/Cowgirl’s Song», heavy boogie de Bob Seger, idéal pour des blasters comme Lizzy. Avec les deux cocottes, ils ramènent tout le sel de la terre. La brutalité du riffing restera dans les anales. La B retombe complètement à plat et il faut attendre «The Boys Are Back In Town» en C pour reprendre de l’altitude. C’est le hit, pas de problème. On peut en dire autant de «Don’t Believe A Word». L’exercice du pouvoir doublé au twin, voilà le grand art de Lizzy, voilà sur quoi repose leur extrême crédibilité. Putterford rapporte une anecdote délicieuse. Chris O’Donnell évoque avec Bernie Rhodes la possibilité d’une double affiche Lizzy/Clash at the Roundhouse et Rhodes lui dit : «We don’t just do gigs, we make political statements. Everything has to be dangerous, do you understand?». Ça fait bien marrer O’Donnell qui appelle Phil pour lui suggérer un titre pour ce double album live : «How about Live and Dangerous?»

             Lizzy est l’un des rares groupes qui a su échapper à la purge punk. Phil a su garder sa street credibilty. Lizzy ne fait pas partie de ce qu’on appelle alors les dinosaurs. Phil est fin, il a tout compris : keep in the move. Il reçoit les punks chez lui. Sid & Nancy in the toilet - That fucking Sid he comes round here shooting up, il pose la seringue par terre, la ramasse et vlahhh straight back in his arm, it’s fucking terrible - Même si Phil en a vu d’autre, le Sid & Nancy in the toilet, c’est quelque chose ! Chez Phil, c’est porte ouverte et table ouverte - He was an open house, 24 hours a day - Phil est bien pote avec les London punks. Il monte une première mouture des Greedy Bastards avec Steve Jones, Paul Cook, Gary Moore, Scott Gorham, Brian Downey et Chris Spedding. Vient jouer qui veut. Les voilà sur scène à l’Electric Ballroom, «a few Lizzy songs, a few Pistols songs, le «Morotbiking» de Chris Spedding, le «My Way» de Sid Vicious and whatever.» Cette année-là, Phil joue aussi sur le So Alone de Johnny Thunders.

    , thin lizzy, pm warson, the reverend peyton's big damn band, o. c. tolbert, lou reed, rockabilly generation news 26, alain couraud, gene vincent, demonio, melt, my death belongs to you, amer'thune, rockambolesques,

             L’année suivante, Lizzy enregistre Black Rose à Paris avec Tony Visconti. Un Visconti qui sa plaint du Phil trop méticuleux : il peut passer en effet six ou sept heures sur un cut avant qu’il ne soit content de sa partie chant. Il a raison le Phil à la patte d’être méticuleux : ça engendre des coups de génie. Tu as deux perles dans l’huître : «Do Anything You Want To» et «Waiting For An Alibi». Gary Moore remplace Robbo. Le twin guitar attack est encore plus virulent qu’avant, et Phil y va à coups de compromise you, c’est plein de vagues de twin, Lizzy est au sommet du lard. Encore une chanson parfaite de Phil Lynott. «Waiting For An Alibi» sonne bien les cloches, avec la fantastique résonance de l’Alabaï dans les ponts de basse. Phil drive sa pop rock comme s’il drivait l’attelage d’une diligence et c’est couronné de fabuleux shoots de virtuosité signés Gary Moore et Scott Gorham. Leurs tours de twin donnent le tournis. «Toughest Street In Town» est plus poppy, mais Phil crée quand même l’événement, il produit du blossom et du blooming anthemic en permanence. Ses chansons sonnent pour la plupart comme des hits immémoriaux. On s’extasie encore à l’écoute de «Get Out Of Here», en B, car c’est chanté à la clameur sur de belles brisures de rythme et des relances mélodiques extraordinaires. Fitzpatrick se dit fier d’avoir dessiné les quatre Lizzy, surtout Phil : «Je lui ai mis les cheveux sur l’œil pour lui donner un petit air de Max la Menace, et un petit air de Little Richard avec la fine moustache (un look que va pomper Prince plus tard).»

             C’est pendant le séjour parisien que l’héro fait son entrée dans Lizzy, même si Gorham en prenait déjà quand il vivait encore en Californie. À partir de ce moment, ça ne s’arrêtera plus. Gorham : «It was always right there on the table, right in front of his face, all the time.» Mais Lizzy ne tape pas que l’hero, Lizzy tape tout - It was the real downfall of Thin Lizzy - Gorham ajoute : «We were living the image of the rock’n’roll band to the full, and it has to be said that we loved every minute of it.»

              Bob Geldorf rapporte une anecdote pas très glorieuse pour Phil. Geldorf vit alors avec une certaine Paula Yates. Un soir, Phil débarque chez eux et propose un rail à Bob qui sniffe sans savoir que c’est de l’hero. Il se retrouve aussitôt aux gogues en train de vomir ses tripes, et pendant ce temps, Phil file dans la piaule pour aller baiser Paula qui est couchée. Phil sort sa bite et dit à Paula : «This is my biggest gun, darling» !», ce qui ne la fait pas rire : «For fuck’s sake, don’t be so ridiculous, Phillip!». Geldorf : «Pour aller tirer ma poule, il m’a fait un rail d’hero qui m’a presque tué.» Mais au fond, il n’arrive pas à en vouloir à Phil. «Il tentait le coup, c’est tout. Comme il l’avait toujours fait. C’était pour rire. Et tu finis par en rire aussi.» Ces mecs-là ont un sacré savoir-vivre.

             Phil est donc un curieux mélange «de diamond geezer et de complete bastard, d’easy-going drinking pal et de moody ogre, the joker, the sulker», Putterford voit clair dans le jeu de cette superstar, «ce simple Irish boy qui regarde la télé avec sa grand-mère, et qui est aussi the international Playboy raging around the world in a chemically-induced frenzy.» C’est vraiment très bien senti et très bien écrit. 

             Chris O’Donnell rappelle que la vie de rock star est essentiellement constituée d’attente : avant les concerts, pendant les sessions d’enregistrement, d’où les drogues. Et puis après le rush d’adrénaline du concert, aller au lit ? Impossible ! Drugs ! 

             Mais ça reste tendu entre Phil et Gary Moore. Sur scène, ils s’insultent. Fuck you ! Pire encore : Don Arden fait de l’œil à Gary Moore. Il aimerait bien le signer en tant qu’artiste solo sur son label, Jet Records. En plus, sa girlfriend lui dit qu’il est trop bon pour Lizzy et qu’il devrait entamer une carrière solo. C’est à San Francisco que l’orage éclate entre Phil et Gary Moore. Scott Gorham doit jouer seul sur scène. Lizzy redevient brièvement un trio. C’est là que le manager Chris Morrison fait appel à Midge Ure pour rejoindre Lizzy en tournée. Ure joue dans Ultravox et accepte de dépanner Lizzy. Il prend l’avion pour l’Amérique. Phil compare Ure à Steve Marriott.

             Puis Phil embauche Snowy White, un mec réputé qui a joué avec «Peter Green, Linda Lewis, Al Stewart, Cockney Rebel et d’autres», nous dit Putterford.

    , thin lizzy, pm warson, the reverend peyton's big damn band, o. c. tolbert, lou reed, rockabilly generation news 26, alain couraud, gene vincent, demonio, melt, my death belongs to you, amer'thune, rockambolesques,

             Chinatown pourrait bien être le meilleur album de Lizzy. En B, tu as une nouvelle preuve du génie mélodique de Phil Lynott : «Don’t I». Il ramène de la mélodie dans le twin, et là, il atteint des sommets. Ce merveilleux artiste utilise le balladif pour prolonger sa vision. Cet homme est un ardent perfectionniste, un amoureux inconditionnel de la beauté. Il a su mettre le pouvoir mirifique du twin au service de la mélodie. Lizzy attaque «We Will Be Strong» au full twin guitar attack. Phil arrive à point nommé pour poser avec aplomb son will be strong. Le morceau titre sonne encore comme une fantastique machine, Brian Downey bat le beurre affreusement bien, il tape au beat rebondi. Cette fois, le twin se compose de Scott Gorham et Snowy White. Encore du classic Lizzy avec «Sweetheart». Phil a toujours un peu la même attaque au chant, son Sweetheart est beau comme un cœur, on ne se lasse pas de ce son gorgé de chœurs de lads et de twin. On se goinfre aussi de «Killer On The Loose» et de sa fantastique tension. Tu as là tout l’Irish power. L’«Having A Good Time» qui ouvre le bal de la B est encore une rock song à thème mélodique suspensif, l’une des grandes spécialités compositales du Phil à la patte. Pour l’anecdote, Fitzpatrick raconte que pour la première fois, on lui a donné un bon délai et un titre d’album - Je ne comprenais pas ce qui déconnait, car pour la première fois Lizzy semblait well-organized - Mais finalement ça finit par déconner pour de bon, car Lizzy a choisi le mauvais visuel pour le recto et le bon pour le verso. Mais Phil, qui se savait déjà iconique, préférait laisser planer le mystère sur la pochette, ce qui, de sa part, était extrêmement avisé.

             Sur scène, Snowy White n’est ni Robbo et encore moins Gary Moore. Il ne bouge pas. Bill Cayley, qui fait partie de l’équipe de tournée, raconte que les mecs du road crew se planquaient derrière le rideau avec des manches à balais pour le titiller et l’inciter à bouger sur scène.

    , thin lizzy, pm warson, the reverend peyton's big damn band, o. c. tolbert, lou reed, rockabilly generation news 26, alain couraud, gene vincent, demonio, melt, my death belongs to you, amer'thune, rockambolesques,

             Snowy White est encore là pour Renegade, paru en 1981, l’année de l’élection de François Mitterrand. Les perles sont en B : «No One Told Him» sonne comme un hit intemporel, un de plus à l’actif du grand Phil Lynott. Il sonne comme le roi du without you baby. Nouvelle rock-song parfaite, enveloppée au chaud dans la magnifique interprétation du Phil à la patte. Il termine Renegade en prenant son envol avec «It’s Getting Dangerous» - When we were young - C’est encore une fois du très grand art, du big Phil out, il développe sa mélodie, lui donne de l’air et des moyens, c’est assez fascinant de le voir à l’œuvre, de le voir s’élever dans son espace mélodique, il le fait en douceur, sans jamais forcer, when we were small, pur genius. Phil Lynott est le tenant de l’aboutissement. Snowy White est fier d’avoir joué sur cet album. Il estime que Lizzy «was a lot more song-oriented than most heavy bands.» Mais l’album connaît un retentissant échec commercial. Lizzy perd de la puissance. Lizzy runs out of steam.

             Snowy White se désintéresse de Lizzy. Il a pourtant adoré la première année de tournées, mais l’ambiance se dégrade, «Lizzy being Lizzy, repeating the same things over and over, c’est le problème de tous les groupes à succès, liés à une certaine image, à certaines chansons et à une façon de jouer sur scène.» Et puis Phil tient mal la pression du succès. Il picole et prend de l’hero - L’hero lui a permis de se relaxer avec l’idée de se retrouver au sommet - Même Chris O’Donnell en a marre de voir Phil et Lizzy se détériorer sous ses yeux - A once brillant band was turning into a pile of crap before my very eyes - Fin des haricots. Même Scott Gorham en a marre. Il dit à Phil qu’il se barre mais Phil réussit à le convaincre de faire encore un album et une tournée.

    , thin lizzy, pm warson, the reverend peyton's big damn band, o. c. tolbert, lou reed, rockabilly generation news 26, alain couraud, gene vincent, demonio, melt, my death belongs to you, amer'thune, rockambolesques,

             Phil embauche John Sykes pour enregistrer le dernier album de Lizzy, Thunder And Lightning. Malgré son titre prometteur, l’album retombe comme un soufflé. Le morceau titre est un peu metal. On sent une légère dérive. On perd complètement le Phil à la patte. Même les solos sont bizarres. On perd aussi le twin. On perd tout. En fait, lorsqu’on lit les crédits, on s’aperçoit que ça ne marche pas, lorsque Phil co-signe. Il retrouve sa veine avec «The Holy War», mais c’est trop tard, l’album est plombé. En B, ils sonnent comme un mauvais groupe de metal avec «Cold Sweat», et «Baby Please Don’t Go», qu’on trouve plus loin, est tout de suite plus lumineux, car signé Phil. Plus vivant, plus élégant, plus awsome, plus select. L’album et la carrière de Lizzy s’achèvent brutalement avec «Heart Attack». Adios amigos, thanks for the ride.

             Lizzy a gagné beaucoup de blé, nous dit Putterford, Jailbreak s’est vendu à 1,5 million d’exemplaires, mais tout a été dépensé : Phil voulait des avions et des limousines, pour les tournées américaines, il voulait des hôtels de luxe - He would insist on the rock star lifestyle - Chris Morrison lui dit que ça coûte cher, mais Phil s’en fout. Il indique que Lizzy coûtait à l’époque £500,000 a year, Phil veut que toute l’équipe soit salariée. Morrison ajoute qu’aujourd’hui, un groupe coûte £50,000 par an, alors on voit la différence. À la fin, il ne reste pas un rond.

             Le split de Lizzy est insupportable pour Phil. Il commence à déprimer, ce qui ne lui arrivait jamais. Fitzpatrick le voit prendre du poids, ce qui pour Phil est terrible, car il était très fier de son apparence. Rien n’empêche la dérive, tout part à vau-l’eau, son mariage, le groupe - Phil was so popular. Coke, speed, joints, champagne, anything you wanted, you could have it, dit Mark Stanway. Comme Phil ne supporte pas d’être seul, des tas de gens zonent chez lui, at the Ken Road house, jour et nuit. Porte ouverte, table ouverte, des gens dorment là pendant des mois. Robbo débarque en pleine nuit, John Sykes a sa chambre à l’étage, nous dit Sue Peters. 

    , thin lizzy, pm warson, the reverend peyton's big damn band, o. c. tolbert, lou reed, rockabilly generation news 26, alain couraud, gene vincent, demonio, melt, my death belongs to you, amer'thune, rockambolesques,

             Juste avant Thunder And Lightning, Phil enregistrait The Phil Lynott Album. Le problème c’est qu’on y entend de la diskö. Il rend hommage à sa fille Cathleen avec «Cathleen», a beautiful Irish girl, et il faut attendre «Ode To Liberty» en B pour renouer avec la bonne vieille heavy pop. C’est excellent. Il montre qu’il peut encore composer des hits. Il termine avec «Don’t Talk About Me Baby», un beau hit qui te réchauffe le cœur.

             On retrouve Phil inanimé chez lui le jour de Noël 1985. Il casse sa pipe en bois à l’hosto une semaine plus tard. On dit que c’est le «prolonged drug abuse» qui a eu sa peau. 36 ans, ça fait quand même un peu jeune. «Philip could eat and drink and do everything more than everyone else. He liked it like that», indique Smiley Bolger. Il était paraît-il solide comme un bœuf.

    Signé : Cazengler, Phil Gnognote

    Thin Lizzy. Thin Lizzy. Decca 1971

    Thin Lizzy. Shades Of A Blue Orphanage. Decca 1972

    Thin Lizzy. Vagabonds Of The Western World. Decca 1973

    Thin Lizzy. Nightlife. Vertigo 1974

    Thin Lizzy. Fighting. Vertigo 1975

    Thin Lizzy. Jailbreak. Vertigo 1976

    Thin Lizzy. Johnny The Fox. Vertigo 1976

    Thin Lizzy. Bad Reputation. Vertigo 1977

    Thin Lizzy. Live And Dangerous. Vertigo 1978

    Thin Lizzy. Black Rose. Vertigo 1979

    Thin Lizzy. Chinatown. Vertigo 1980

    Thin Lizzy. Renegade. Vertigo 1981

    Thin Lizzy. Thunder And Lightning. Vertigo 1983

    Phil Lynott. The Phil Lynott Album. Vertigo 1982

    Mark Putterford. Phil Lynott: The Rocker. Omnibus Press 2002

     

     

    PM at six p.m.

    , thin lizzy, pm warson, the reverend peyton's big damn band, o. c. tolbert, lou reed, rockabilly generation news 26, alain couraud, gene vincent, demonio, melt, my death belongs to you, amer'thune, rockambolesques,

             Il régnait sur ce parc d’attraction un tenace parfum d’ennui, qu’amollissait en le réchauffant un soleil ardent. Les esprits dylanesques appellent ça the Desolation Row caniculaire. On se souvient que Mark E. Smith haïssait l’été et préférait rester chez lui au frais - J’adore l’été, parce qu’en été je ne sors pas. Quand arrive le mois d’avril, les gens sortent comme des chiens, aussi je reste chez moi. Summer is hell - L’organisation du festival avait réussi l’exploit de dresser une petite scène en plein cagnard, ce qui semblait convenir parfaitement aux festivaliers appâtés par la gratuité de l’événement. Cette période de l’année marque l’apogée du fameux pantacourt, une coquetterie à laquelle le caveman moyen ne se prête guère.

             Histoire de varier les plaisirs, la prog cultivait l’éclectisme. Trois groupes étalés sur l’après-midi. Nous n’étions pas là pour les fruits de l’éclectisme, mais plutôt pour un certain PM Warson. Il devait être six p.m. lorsque PM est monté sur scène. 18 h en français.

    , thin lizzy, pm warson, the reverend peyton's big damn band, o. c. tolbert, lou reed, rockabilly generation news 26, alain couraud, gene vincent, demonio, melt, my death belongs to you, amer'thune, rockambolesques,

             Pour être tout à fait franc, PM en plein cagnard, ce n’était vraiment pas idéal. Ce jeune groover de London town propose une Soul-jazz très sophistiquée, qui conviendrait plutôt à un club de style round midnite, certainement pas au contexte décrit plus haut. En comme un cours d’eau longeait le parc, on entendait en plus glouglouter les petits flots bleus et quelques rires d’enfants occupés à s’éclabousser. Mélangez ça aux odeurs que dégageait le camion à pizza garé tout près et vous aurez une idée du malaise que dut éprouver PM sur scène. Pour corser l’affaire, il dut jouer devant une assistance réduite à portion congrue, le gros des festivaliers ayant préféré rester à bonne distance, à l’ombre des jeunes filles en fleur et des tamariniers. Par miracle, PM est un artiste passionnant, ce qui nous permit de tolérer des conditions aussi peu propices à l’éclosion de l’art. Alors il enfila ses perles, une par une, il joua softy-softah, accompagné d’une petite gonzesse à l’orgue, d’un excellent beurreman et d’un bassman jazzy qui groovait tout au doigt sur sa bonne vieille Fender. PM portait un chapeau de mover-shaker du jazz world et des lunettes noires. Il semblait sortir tout droit de Mo’ Better Blues, le chef-d’œuvre de Spike Lee. Et pour compléter ce tableau presque idyllique, PM sonnait exactement comme Nick Waterhouse. Il évoluait dans ce son, cet élégant groove de Soul Jazz que promotionne Eddie Piller sur son label Acid Jazz. Profitons de l’occasion qui nous est donnée pour rappeler qu’Acid Jazz et Daptone sont devenus les deux pôles de la modernité, et donc arbitres des élégances. Leur enfant caché s’appelle Colemine.

             Donc pas de problème. PM jouait sa carte avec brio. Il claqua une belle cover d’«I Don’t Need No Doctor». Il tapa même un bref instro de surf. Sur la plupart de ses cuts, il passait des solos flash extrêmement bien ficelés. Il boucla son set avec une autre cover, «The Letter», qu’il groova admirablement. Ce ravissant clin d’œil aux Box Tops fit danser la maigre assistance. On était vraiment ravi de l’avoir vu jouer, même dans ces conditions exotiques. Comme la scène était ouverte aux quatre vents, le groupe dut en plus surmonter le handicap d’une extrême déperdition du son. Quelques mots échangés après coup avec PM permirent de découvrir un personnage éminemment sympathique, comme éclairé de l’intérieur par un regard d’un bleu très vif. À tout hasard, on lui demanda s’il connaissait James Hunter. Pouf ! En plein pot aux roses : c’est son idole. Pas surprenant, quand on y réfléchit. Tous ces artistes fantastiques, James Hunter, Nick Waterhouse et PM Warson ont un sacré point commun : l’avenir leur appartient.        

    , thin lizzy, pm warson, the reverend peyton's big damn band, o. c. tolbert, lou reed, rockabilly generation news 26, alain couraud, gene vincent, demonio, melt, my death belongs to you, amer'thune, rockambolesques,

             PM a déjà enregistrés deux albums. Coup de pot, ils sont au merch. Le premier date de 2021 et s’appelle True Story. On y retrouve la cover d’«I Don’t Need No Doctor». Il en fait une cover qu’il faut bien qualifier d’évolutive. Le hit de l’album est une merveille nichée au bout de la B, «(Just) Call My Name», c’est un groove magique, qui se faufile comme une couleuvre de printemps, PM chante ça au coin du menton, à l’accent sinueux des nuits chaudes de Soho. Par contre, le «Losing & Winning» d’ouverture de balda va plus sur une ambiance à la «Fever», c’est un heavy groove de London town joué à pas feutrés dans la chaleur de la nuit. PM joue à fond sa carte de dark groover blanc, exactement comme le fait Nick Waterhouse. Avec «In Conversation», il force un peu la main du groove, il vise la fournaise sous le boisseau. Il fait du Waterhouse à l’Anglaise, et au fil des cuts, lui et ses musiciens semblent avoir de plus en plus de son. PM est un mec très fin, c’est l’image qu’on retient, celle d’un groover qui se faufile et qui place des petits solos bien ciblés.

    , thin lizzy, pm warson, the reverend peyton's big damn band, o. c. tolbert, lou reed, rockabilly generation news 26, alain couraud, gene vincent, demonio, melt, my death belongs to you, amer'thune, rockambolesques,

              Dig Deep Repeat date de l’an passé. On y trouve une nouvelle cover évolutive en deux parties, le fameux «Leaving Here» signé HDH, qu’enregistra en son temps Eddie Holland, puis repris par les Birds de Ron Wood et aussi - et surtout - Motörhead. PM tape sa version au wild groove de jazz et c’est excellent, comme réinventé. Il y revient pour un Pt 2 travaillé au shuffle d’orgue et au sax. C’est incroyable comme il le groove bien - Caught the right train/ Found the right place - C’est du pur London jive, tu ne saurais espérer plus jivy. Ce deuxième album est un festin de groove, et ce dès «Insider», pur jus de Waterhouse, c’est le même déballonnage de déballage, et des filles couinent «insider» derrière. C’est smoothé à l’orgue, très fin, très Mod Jazz. Jean-Yves aurait adoré cet album. PM retrouve son terrain de prédilection avec «Game Of Change», il tape ça de plein fouet avec une réelle élégance. Il se glisse encore partout avec «Never In Doubt», il est le gendre parfait, celui auquel on souhaite la bienvenue avec sincérité. Tout est bien lisse et bien foutu, pas d’histoire, ça coule de source. Voici son petit shoot de surf, «Dig Deep», puis retour au groove avec «Out Of Mind», puissant car bien balancé des reins, il joue un peu en crabe, il a des chœurs épisodiques qui entrent quand il faut, sa structure semble dessinée par Le Corbusier, un peu oblique, mais solide. Il s’enfonce dans l’excellence à la Waterhouse avec «Nowhere To Go». Ça finit par devenir envahissant. Disons que c’est le petit privilège du groove : il finit toujours par conquérir l’Asie mineure.

    Signé : Cazengler, PM enrayé

    PM Warson. Festival Rush. Union B. Malaunay (76). 25 juin 2023

    PM Warson. True Story. Légère Recordings 2021

    PM Warson. Dig Deep Repeat. Légère Recordings 2022

     

     

    L’avenir du rock

    Peyton c’est du beyton

    (Part One)

     

             Quand on demande à l’avenir du rock s’il va à l’église, il hausse les épaules. Mais il ne s’en va pas. Ça l’intrigue qu’on puisse lui poser une telle question. Oh ce n’est pas le fait qu’elle soit indiscrète, il s’inquiète plutôt de savoir pourquoi c’est resté un critère de jugement. À une autre époque, oui, mais aujourd’hui ? Les Révolutions sont passées par là, et les bouffeurs de curés ont dératisé les villes et les campagnes, en exterminant cette faune ecclésiastique qui pendant des siècles avait réussi à maintenir les populations dans la peur la plus abjecte. Comme tous les gens qui réfléchissent un peu, l’avenir du rock sait que la spiritualité ne se trouve pas dans le sein de l’église catholique. Elle se trouve dans chaque être, comme le voulait, à l’aube des temps, la gnose. Connais-toi toi-même. Si l’avenir du rock admire tant Tommy Hall, c’est justement parce qu’il professait la gnose à son petit auditoire de freaks psychédéliques. C’est la raison pour laquelle la musique du Thirteen Floor est tellement spirituelle, tellement révélatrice. Depuis, d’autres saints sont venus prêcher la bonne parole gnostique parmi nous. L’avenir du rock s’agenouille volontiers devant le Reverend Horton Heat qui professe à coups de Gretsch les principes gnostiques du rockab sauvage. Chacun trouve sa voie, le Reverend Horton Heat indique la direction. Viens par là, mon gars. 400 Bucks ! Tu y vas en courant. Un autre saint homme montre aussi la voie, le Reverend Beat-Man, plus austère parce que suisse, mais diablement œcuménique, il bat sa coulpe en mode binaire et parcourt le monde avec sa gratte et son big bass drum. Les adeptes du Reverend Beat-Man se comptent désormais par centaines, dit-on, dans les campagnes. C’est ce que les Catholiques n’ont jamais compris : si les curés avaient pensé à jouer du rockab, les églises seraient pleines à craquer. Au moins, les afro-américains sont moins cons, car ils savent rocker leurs églises en bois avec du gospel batch. L’avenir du rock est tombé en adoration pour un autre saint homme, le Reverend Peyton. Avec ses grattes et des doigts en or, il t’engnose dès le premier coup de bottleneck, et offre à chacun de ses adeptes d’un petit paradis personnel.

    , thin lizzy, pm warson, the reverend peyton's big damn band, o. c. tolbert, lou reed, rockabilly generation news 26, alain couraud, gene vincent, demonio, melt, my death belongs to you, amer'thune, rockambolesques,

             Si tu as la chance d’assister au soundcheck du Reverend Peyton’s Big Damn Band, tu sais que la soirée va être torride. Hot as hell. Car le Reverend est une bête de Gévaudan, mais pas le Gévaudan d’ici, le Gévaudan de l’Indiana. Son fury blues sort des bois les plus sauvages d’Amérique. Et quand on a dit ça, on n’a rien dit. Son expertise du roots punk-blues dépasse l’entendement. Il s’enracine dans Charlie Patton et Bukka White, mais joue avec le gusto d’un hard punkster. On cherche à le comparer, mais il est incomparable. Le seul qui s’en rapproche est sans doute Fred «Joe» Evans IV, le slinger fou de Left Lane Cruiser, mais force est de constater que le Reverend sort du lot.

    , thin lizzy, pm warson, the reverend peyton's big damn band, o. c. tolbert, lou reed, rockabilly generation news 26, alain couraud, gene vincent, demonio, melt, my death belongs to you, amer'thune, rockambolesques,

    L’homme est assez massif, large d’épaules, une sorte de gros dur des Batignolles de l’Indiana, il porte une barbe noire et une casquette de marlou, des beaux tatouages sur les épaules, un marcel blanc dans la journée, un noir dans la soirée, et une vraie salopette de farmer des backwoods. Son éthique est la même que celle d’Hasil Adkins, Sur scène il utilise sept guitares, bien rangées près de lui, des instruments chargés d’histoire, il se branche sur un petit rack de ricks et sort sur un ampli Silvertone. C’est l’enfer qui sort de son ampli. Il vise le loud. Il carillonne des quatre doigts et joue les basses à l’onglet du pouce. Cet homme a les allures d’une superstar, au bon sens du terme. Jamais le blues électrique ne s’est aussi bien porté.

    , thin lizzy, pm warson, the reverend peyton's big damn band, o. c. tolbert, lou reed, rockabilly generation news 26, alain couraud, gene vincent, demonio, melt, my death belongs to you, amer'thune, rockambolesques,

    Le voir à l’œuvre te permet de réaliser à quel point ce son reste essentiel. Tout vient de là et du gospel, et tout repart de là. Il attaque le set avec «My Old Man Boogie», tiré d’un album assez ancien, Big Damn Nation, mais c’est «Ways And Means» qu’on attend au virage, car c’est le cut qu’il sound-checkait, et là, mon gars, tu as l’un des hits du siècle, dans le genre descente au barbu, t’as pas mieux, il carillonne ses accords dans un délire de slide et joue un petit motif de basse à l’onglet de pouce. C’est un peu la même dynamique que le «Milk Cow Blues» des North Mississippi Allstars, mais en plus Peyton, c’est-à-dire ravageur. D’ailleurs, il annonce le cut en précisant qu’il en est très fier - Wayssss ‘n means, pour que tout le monde comprenne bien - Il lève tout simplement un véritable vent de folie.

    , thin lizzy, pm warson, the reverend peyton's big damn band, o. c. tolbert, lou reed, rockabilly generation news 26, alain couraud, gene vincent, demonio, melt, my death belongs to you, amer'thune, rockambolesques,

    Sa femme Washboard Breezy l’accompagne au washboard, un washboard qu’elle porte accroché autour du cou, et qu’elle gratte avec des gants rouges équipés de griffes d’acier. Et pour compléter cette piste aux étoiles, tu as un mec au beurre derrière qui bat son ass off, il est très spectaculaire et s’appelle Max Senteney. Beurreman américain, diabolique d’efficacité, qui ne ménage pas ses efforts. Il va souvent battre son beurre au bord de la Méricourt.

    , thin lizzy, pm warson, the reverend peyton's big damn band, o. c. tolbert, lou reed, rockabilly generation news 26, alain couraud, gene vincent, demonio, melt, my death belongs to you, amer'thune, rockambolesques,

    Comment peux-tu faire autrement, quand tu accompagnes le Tornado Peyton, l’un des plus grands guitaristes d’Amérique ? Il faut le voir balayer son manche de gestes larges et lâcher de véritables rafales d’accords, c’est à la fois violent et magnifique.

    , thin lizzy, pm warson, the reverend peyton's big damn band, o. c. tolbert, lou reed, rockabilly generation news 26, alain couraud, gene vincent, demonio, melt, my death belongs to you, amer'thune, rockambolesques,

    Le show est explosif. Bim bam boom du début à la fin. Ils tapent aussi le morceau titre de Poor Till Today et font bien le train avec l’imparable «Train Song». Rien à jeter chez le Reverend Peyton, il est bel et bien l’aw my Gawd du blues moderne. 

    , thin lizzy, pm warson, the reverend peyton's big damn band, o. c. tolbert, lou reed, rockabilly generation news 26, alain couraud, gene vincent, demonio, melt, my death belongs to you, amer'thune, rockambolesques,

             Tu plonges dans l’œuvre du Rev comme dans un lagon d’argent : chacun de ses albums sonne comme une bénédiction. Tiens, prends Big Damn Nation, au hasard. Six coups de génie. Tu découvres en plus que c’est produit par Jimbo Mathus. Le Rev attaque avec «My Old Man Boogie» qu’il reprenait sur scène. Il ramène tout le flux et tout l’influx du peuple noir. C’est chargé à ras-bord. Il gratte des frivolités dans l’enfer du beat. C’est puissant et sans pitié pour les canards boiteux. Le Rev joue le boogie des bois. Autre splendeur tentaculaire : «Worrying Kind». Il se fond avec ça dans un prodigieux heavy groove de black blues. Et ça continue avec «Left Hand George». Fatal ! Fantastiquement inspiré ! Il porte son chant à la force du poignet. Avec «Long Gone», il sonne encore plus black que les blacks, il joue à la syncope des trois notes. Tout est somptueux sur cet album. Il s’immerge dans l’excellence du big damn blues, le Rev est fou de black genius, comme le montre encore «Mud». «Plainfield Blues» sonne comme le blues le plus lumineux du fleuve. Il finit par échapper à toutes les catégories. Le Rev détient le power du fleuve. Il y a dans «Plainfield Blues» une énergie fondamentale. Il te repeint tout Dockery. Il ramène du punk dans le blues.

    , thin lizzy, pm warson, the reverend peyton's big damn band, o. c. tolbert, lou reed, rockabilly generation news 26, alain couraud, gene vincent, demonio, melt, my death belongs to you, amer'thune, rockambolesques,

             Chaque album du Rev sonne comme un passage obligé. The Wages n’échappe pas à la règle. Beau visuel, qu’on dirait peint par Wes Freed, le mec qui faisait les pochettes des Drive-By Truckers. Mais non, ce n’est pas Wes Freed, il s’agit d’un certain Shelby Kelley. Le coup de génie de l’album s’appelle «Clap Your Hands», qu’il reprend sur scène. C’est avec ça qu’il chauffe la salle. Il veut le clap your hands et le stomp your feet. Il peut déclencher l’enfer sur la terre. Il propose trois shoots d’Americana, à commencer par «Born Bred Corn Fed», qu’il prend au wild bottleneck. Toute l’Amérique résonne en lui. On dira la même chose de «Sugar Creek» - Take my baby back/ To Sugar Creek - C’est une Americana bien wild, bien poilue. Il ramène son immense talent dans «Just Getting By». Il fait l’une des meilleures Americanas de son temps, bien drivée et fluide. Son «Two Bottles Of Wine» est wild as superfuck, et puis avec «Train Song», il fait le train. C’est en plein dans le mille. Il redevient le white nigger de rêve. Il module toutes les substances, tous les jus informels. Le Rev est si bon que tu finis par écouter tous les cuts de tous ses albums mécaniquement. Ce mec te balaye tout, même le devant de ta porte.

    , thin lizzy, pm warson, the reverend peyton's big damn band, o. c. tolbert, lou reed, rockabilly generation news 26, alain couraud, gene vincent, demonio, melt, my death belongs to you, amer'thune, rockambolesques,

             So Delicious reste dans la même lignée : ça grouille de son et de génie révérentiel. Il attaque en mode colonne infernale avec «Let’s Jump A Train». La niaque est là, dès la première mesure. Il gratte sa National, et derrière, ça bat le tribal des sous-bois. Il shoote du punk dans son hard-blues rural. Quelle barbarie et quelle bravado ! Il enchaîne avec l’aussi énorme «Pot Roast & Kisses». Il tient la dragée haute à l’Americana. Il claque un thème ambivalent et s’appuie sur le hard beat. Que de musicalité ! Il amène un gratté de poux ardent et coloré, unique en son genre, un gratté multi-facettes. Un enchantement. Il joue encore son «Dirt» dans d’effroyables règles du lard. Il n’en finit plus d’enfoncer son clou dans la paume du blues messianique. Avec «Raise Hell», il fait exactement ce qu’il annonce : il raise hell. Il joue le punk-blues des origines de l’humanité, bien wild as cro-magnon. Plus loin, «Front Porch Trained» sonne comme un fantastique jump d’Indiana gratté au washboard et au bottleneck délibéré, il ramène toute l’énergie white trash et toute la Méricourt des bois. Il devient le white nigger le plus pur avec «Pickin’ Pawpaws». Il ne fournit aucun effort. Tu vas encore tomber de ta chaise avec «We Live Dangerous», il drive ça vite fait, fast and wild. Il mène sa barque en enfer. Il est all over the place, jusqu’au bout de la nuit, et il finit en beauté avec le mirifique «Music & Friends.

    , thin lizzy, pm warson, the reverend peyton's big damn band, o. c. tolbert, lou reed, rockabilly generation news 26, alain couraud, gene vincent, demonio, melt, my death belongs to you, amer'thune, rockambolesques,

             Comme le montre encore Front Porch Sessions, le Rev crée sa mythologie tout seul. Il n’a besoin de personne en Harley Davidson. Il n’en finit plus de défoncer la rondelle des annales. C’est un vieux bouc. Il ne rencontre aucune résistance. Avec «We Deserve A Happy Ending», il rentre dans les annales comme dans du beurre. Il profite de «When My Baby Left Me» pour faire son heavy white nigger, c’est puissant, ouvert sur l’univers, la force du Rev est d’ouvrir de nouvelles portes. Il tape «What You Did To The Boy Ain’t Right» au stomp des backwoods. Power du diable ! Il gueule dans sa cabane, c’est du pulsatif primitif, avec un écho terrifique, le Rev t’aplatit tout ça vite fait. Il couvre tous les domaines du genre, avec le souffle de sa voix chaude. Le solo de slide qu’il passe dans «One Bad Shoe» est une merveille apocalyptique. Tu suivrais le Rev jusqu’en enfer. Il fait encore tournoyer son bottleneck ad nauseum dans «It’s All Night Long». C’est la Méricourt du rodéo. Le Rev est un effarant virtuose. Puis il s’en va te shaker le gospel blanc de «Let Your Light Shine» au stomp du fleuve. Il gueule tout du fond du cut, le Rev est une bête, sans doute la meilleure bête du monde. Il repart à l’aventure avec «Cornbread & Butterbeans», accompagné de Breezy au washboard. Il reste égal à lui-même, c’est-à-dire effarant de wild présence, saturé de sous-bois. Il t’explose l’Americana en plein vol. Il porte tous ses atouts au sommet du lard. Il est à la fois un éminent spécialiste de l’Americana et un gratteur de poux hors normes. Il va bien au-delà de toutes les expectitudes.

    , thin lizzy, pm warson, the reverend peyton's big damn band, o. c. tolbert, lou reed, rockabilly generation news 26, alain couraud, gene vincent, demonio, melt, my death belongs to you, amer'thune, rockambolesques,

             Quand on les voit tous les trois sur la pochette de Poor Until Payday, on comprend bien que ça va chauffer. Et c’est exactement ce qui se passe. Boom dès «Dirty Swerve», slab de wild boogie blues. Embarqué sur le beat du diable. Le Rev secoue toutes les parties molles des cuts. Pendant que Breezy fait des chœurs sataniques, le Rev descend au barbu avec des doigts crochus. Te voilà transporté dans un Conte d’Andersen, dans l’âtre du diable, c’est l’apothéose de tous les apanages. Le Rev conduit le bal des vampires. Et ça continue avec «So Good», il va chercher le meilleur wild punk blues, c’est à la fois explosif et contenu, ça vaut tout le JSBX, avec toute l’énergie du genre, mais magnifiée. Comme le montre encore «Church Clothes», il surmonte tous ses cuts au chant pur. Le Rev est intrinsèquement black, l’éclat de sa voix ne trompe pas. Encore un coup de génie avec «Get The Family Together», c’est tout simplement l’heavy enfer sur la terre, le Rev cultive les menaces définitives, il intra-utérine les intérims, il ramène toute l’urgence du beat black, il fait du wild as Rev. Diable, comme sa pulsion est pure ! Sa barbarie l’est encore plus. Il harangue encore les harengs avec «I Suffer I Get Together», c’est l’Apollinaire du punk-blues, avec une barbe. Il termine cet album superbe avec «It Is Or It Ain’t». Tu retrouves tout le gaga du monde dans le boogie du Rev. Il finit par t’assommer à coups d’heavy slide. Il parvient toujours à ses fins. Ce saint homme est un démon.

    , thin lizzy, pm warson, the reverend peyton's big damn band, o. c. tolbert, lou reed, rockabilly generation news 26, alain couraud, gene vincent, demonio, melt, my death belongs to you, amer'thune, rockambolesques,

             Voilà encore un album qu’il faut bien qualifier de génial : Dance Songs For Hard Times. Il date de 2021, le dernier en date. C’est là que tu retrouves le cut magique joué sur scène, «Ways & Means», monté sur un riff obsédant, ces quatre notes grattées à l’onglet du pouce. Le Rev maintient une pression hors normes, il maîtrise l’excellence du hot rod blues, il faut le voir riffer à blanc, avec le thème qui revient. Il devient à moitié fou avec «Rattle Can», comme s’il chantait au dessus de ses moyens, puis il retourne écumer les archipels avec «Dirty Hustlin’». Oh le Rev est un pirate ! Il coule tous les vaisseaux qu’il croise. Que dire d’une abomination comme «I’ll Pick You Up» ? C’est sa façon de te tomber dessus avec une barbarie indescriptible. Tous ses cuts sont des idées géniales, tout est bourré d’énergie, chanté à pleins poumons et mené à train d’enfer. Que demande le peuple ? Ce Rev de rêve peut même taper un cut en mode fast jazz, comme le montre «Too Cool To Dance». Quel que soit le format, le Rev est à l’aise. Comme il t’aime bien, il te groove le jazz vite fait. Puis on le voit tenir «Sad Songs» par les cornes. Le Rev est le roi du hard punk-blues. Tu as là tout ce que pu peux désirer en la matière : c’est d’une rare puissance et chanté d’en haut. Le Rev condescend. Il relance et Breezy fait les chœurs. Un petit coup de stomp d’Indiana avec «Crime To Be Poor», et il repart en mode heavy blues avec «Til We Die». Le Rev reste un fervent cognoscente, et son chant une merveille d’authenticité. On le sent concerné à la vie à la mort. Il boucle avec un «Come Down Angels» des enfers, tu as le big Rev, le washboard et le fou au beurre - Come down angels/ Please come down - Il arrose tous ses cuts de prodigieuses giclées de blues électrique. Tout ce qu’il entreprend est visité par la grâce du power pur. Si tu aimes l’action, alors écoute le Rev, l’ultimate punk des bois.

    Signé : Cazengler, Reverend Péteux

    The Reverend Peyton’s Big Damn Band. The Backstage. Montrouge (92). 22 juin 2023

    The Reverend Peyton’s Big Damn Band. Big Damn Nation. Family Owned Records 2006

    The Reverend Peyton’s Big Damn Band. The Wages. SideOneDummy Records 2010

    The Reverend Peyton’s Big Damn Band. So Delicious. Shanachie 2015

    The Reverend Peyton’s Big Damn Band. Front Porch Sessions. Family Owned Records 2017

    The Reverend Peyton’s Big Damn Band. Poor Until Payday. Family Owned Records 2018

    The Reverend Peyton’s Big Damn Band. Dance Songs For hard Times. Family Owned Records 2021

     

     

    Inside the goldmine  

    Tolbert nique

             Nous formions en ce temps là un joyeux conglomérat. Tous un peu paumés, un peu peintres, un peu poètes. Si un mec comme Talbin faisait partie de cette fine équipe, c’est uniquement parce qu’il savait conduire une machine offset. Et l’offset constituait le cœur de notre activité. Sans cette bécane et son conducteur, nous n’existions pas. La revue tournait bien, on tirait à 5 000, on diffusait sur abonnements et on parvenait à assurer les équilibres vitaux, c’est-à-dire la croûte, les encres et le papier. On tirait en A3+ et on façonnait à la sortie : assemblage, pliage, piqure deux points, massicotage et routage. Talbin était beaucoup plus âgé que nous. Il portait en permanence une veste à carreaux. Physiquement, il se tenait encore bien. Il avait encore ses cheveux qu’il peignait soigneusement, les traits du visage assez fins, toujours rasé de frais, avec un léger soupçon de malice dans le regard. Une sorte de vieux beau. Talbin avait dû beaucoup plaire aux femmes. Il restait très solennel dans ses propos et n’aimait pas les questions trop personnelles. Alors évidemment, on passait notre temps à l’asticoter. Il s’arrangeait toujours pour paraître plus con qu’il ne l’était. C’était son système de défense. Il ne risquait pas de se voir entraîné dans une conversation sérieuse. Il savait aussi que les petites vannes s’arrêtaient d’elles-mêmes. Chacun sait que les charrieurs n’ont guère d’imagination. Talbin se contentait de charger ses rames, de monter ses plaques et de préparer ses encres. Lorsqu’il préparait ses couleurs Pantone, il utilisait une petite balance pour peser ses mélanges et ça nous épatait de le voir faire, car on croyait vraiment qu’il faisait n’importe quoi. Il participait à toutes les fêtes, notamment les fêtes de parution, car ça faisait partie des usages. Il aurait préféré rentrer chez lui s’occuper de son chat, mais il savait qu’il devait rester parmi nous. Ces fêtes étaient toujours des moments d’extrême dissolution. Nous avions initié Talbin aux agapes d’alcool, d’herbe et d’acides. Ce soir-là, nos moyens nous permirent de tester le speedball. Confiant et même jovial, Talbin inhala en singeant les autres, et comme il avait coutume de le faire, il se leva pour déclarer que la dope ne produisait aucun effet. Soudain il s’écroula à la renverse. Son crâne heurta le carrelage de l’atelier. Il venait de faire sa première overdose. 

    , thin lizzy, pm warson, the reverend peyton's big damn band, o. c. tolbert, lou reed, rockabilly generation news 26, alain couraud, gene vincent, demonio, melt, my death belongs to you, amer'thune, rockambolesques,

             Il n’existe bien sûr aucun lien de parenté entre Talbin et Tolbert, mais on se demandait à une époque s’il existait un lien entre Colbert et Tolbert. Des fouilles approfondies permettraient certainement d’y voir plus clair, mais en attendant, contentons-nous d’affirmer que Tolbert en impose, à la différence de Colbert qui imposait le peuple de France. Mieux vaut en imposer que d’imposer, comme chacun sait.

             Dans le booklet de la compile Black Diamond, Andy Croasdell rappelle qu’O.C. Tolbert n’a pas fait long feu : cassage de pipe en bois à 52 ans. C’est grâce aux gens d’Ace qui ont racheté les archives du producteur Dave Hamilton qu’on peut découvrir cet immense Soul Brother qu’est O.C. Tolbert. Parcours classique : fils de pasteur en Alabama. Bambin, l’O.C. chante à l’église. Comme les prêches ne rapportent pas gros, le père d’O.C. doit conduire le tracteur et cueillir du coton pour arrondir les fins de mois. L’O.C. cueille donc le coton. Quand Daddy Tolbert casse sa pipe en bois en 1966, l’O.C. monte dans le Nord et s’installe avec sa femme à Detroit. Il tape à la porte d’un gros label black qui lui dit de revenir dans un an. Vexé, l’O.C. se met à haïr les gros labels. C’est là qu’il se maque avec Dave Hamilton. L’histoire d’O.C. est classique, mais Croasdell la raconte très bien. Son récit est passionnant. Puis un certain Fat Man Jack Taylor entre dans le circuit avec son label Rojac. Sur son label, il a Big Maybelle. Croasdell insinue que Big Maybelle ne dépend pas de Jack Taylor que pour les royalties. Il parle bien sûr de dope. Comme Jack Taylor opère à New York, l’O.C. s’y installe, laissant sa femme Velma et ses deux fils à Detroit. Et comme Velma finit par en avoir marre de Detroit et de la violence urbaine, elle retourne s’installer à Selma, Alabama. Le couple tient le choc. L’O.C. descend régulièrement passer du temps en famille. À un moment, Croasdell insinue qu’O.C. fut garde du corps de Jack Taylor, ce que Velma réfute catégoriquement, arguant qu’O.C. était un homme bien élevé.

    , thin lizzy, pm warson, the reverend peyton's big damn band, o. c. tolbert, lou reed, rockabilly generation news 26, alain couraud, gene vincent, demonio, melt, my death belongs to you, amer'thune, rockambolesques,

             Black Diamond grouille littéralement de coups de génie, tiens, on va en prendre un au hasard : «Fix It». L’O.C. y va au hard drive de hard funk liquide, c’est dire si l’O.C. est bon, si l’O.C. a la niaque ! Il y va au scream de fix it, il prend feu, c’est exceptionnel de sauvagerie et derrière, ça joue à contretemps. Ah il faut entendre l’O.C. hurler ! Il t’invite plus loin à monter à bord du Gopsel Train dans «Ride The Gospel Train», c’mon get on board, il chante à la silicose de pur genius. Et pris en sandwich entre ces deux hits de rêve, tu as deux autres énormités, «Everybody Wants To Do Their Own Thing» et «Along Came A Woman». Derrière lui, ça joue à la folie, les petites guitares funky fuient dans la brousse, l’O.C. est un dur à cuire, il chante tout à la grosse arrache, il fait mal, tellement il martyrise sa glotte, il chante son gloomy r’n’b dans des lueurs de néon. Là, tu as une Soul hors du commun. Autre énormité digne de ce nom : «Hard Times» - Since my baby’s been gone - Il en bave, avec du woke up this morning. Ah comme il est raw ! Il gère le heavy groove comme on gère l’amour physique : avec un tact purement organique. Pas la peine de faire un dessin. Il tombe toujours sur le râble de son r’n’b avec une extrême violence. Avec «That’s Enough», il ramène le groove en enfer. Il y va l’O.C., c’est un vrai black de combat, il s’arrache encore la glotte sur «You Gotta Hold On Me». Ne commets pas l’erreur de prendre l’O.C. pour un branleur. Il passe par tous les états de la grande Soul de son temps, «You Got Me Turn Around» sonne comme un hit de r’n’b, et quand il rend hommage aux blackettes dans «Message To The Black Woman», il le fait avec une réelle profondeur d’intention. Fantastique Soul Brother ! Il t’en met encore plein la vue avec «Goodness», il fond sa niaque dans le groove, l’O.C. est un géant, Hello Goodness ! La séance d’électrochocs révélatoires se poursuit avec «Message To Mankind». L’O.C. est un scorcher extraordinaire. Tiens, encore une merveille avec «Rough Side Of The Montain», monté sur un heavy bassmatic. Si tu aimes la Soul, te voilà au paradis, amigo. Comme elle n’est pas rentrée cette nuit, l’O.C. lui demande : «Where Were You?». Il revient au gospel batch de son enfance avec «Somebody Is Here With Me», un mood vertueux de presbytérien dédié à Jésus. Il finit avec «All I Want Is You», du heavy O.C. de diamond ring qu’il tartine au baby baby baby ! Il remonte le courant à coups d’all I want is you, les cuivres pouettent comme des fanfarons à une table de banquet, pouet pouet, et l’O.C. navigue, comme on dit, dans la semoule, il avance, vaille que vaille, oh babe ! 

    , thin lizzy, pm warson, the reverend peyton's big damn band, o. c. tolbert, lou reed, rockabilly generation news 26, alain couraud, gene vincent, demonio, melt, my death belongs to you, amer'thune, rockambolesques,

             Pour les ceusses qui ne le sauraient pas, Dave Hamilton est un ancien guitariste de session pour Motown. De là à aller choper Dave Hamilton’s Detroit Funk (Rare And Unreleased Twisted Funk 1967-1975), il n’y a qu’un pas qu’on franchit allègrement. Car oui, quelle compile ! On y retrouve bien sûr l’O.C. avec «The Grown Folk Thing», shoot de hard funk, et «Message To Mankind», gros paté de pathos. On se prosterne devant les Barrino Brothers et «Just A Mistake», un fantastique shoot de r’n’b soufflé à l’énergie pure. Ils sont sur Invictus. Belle presta aussi de The Future Kind avec «The Devil Is Gonna Get You», un drive à la Screamin’ Jay. Mais le crack de la compile s’appelle Billy Garner, avec quatre bombes, à commencer par «Brand New Girl Part 1», un shoot de funk à la James Brown, il y va à la tête cognée, il t’emmène au cœur de la fournaise, c’est le hard funk de Detroit. Même topo avec «You’re Wasting My Time», Billy Garner rivalise directement avec James Brown - You make me so mad/ You’re wasting my time - Il y revient avec un Part 2, il y va le Billy, il charge la barcasse du relentless. Et puis voilà «I Got Some Part 1», suivi du Part 2, montés tous les deux sur un real deal de riff de funk. Dave Hamilton est un sacré point de repère.

    Signé : Cazengler, Tolbec dans l’eau

    O.C. Tolbert. Black Diamond. Kent Soul 2011

    Dave Hamilton’s Detroit Funk (Rare And Unreleased Twisted Funk 1967-1975). BGP Records 2006

     

     

    Wizards & True Stars

    - Le grand méchant Lou

    (Part One)

     

    , thin lizzy, pm warson, the reverend peyton's big damn band, o. c. tolbert, lou reed, rockabilly generation news 26, alain couraud, gene vincent, demonio, melt, my death belongs to you, amer'thune, rockambolesques,

             Mick Wall s’est bien amusé à épingler le côté tordu du grand méchant Lou. Le petit book qu’il lui consacre (Lou Reed The Life) est un véritable précis de décomposition, comme dirait Cioran, un mode d’emploi à l’usage des anti-carriéristes et des amateurs de néant, une ode à l’amer, une exégèse des pieux communs, un vrai Necronomicon. Eh oui, Mick Wall a très bien compris que Lou Reed ne supportait pas les cons, c’est-à-dire ceux qui ne comprennent rien. Comme Léon Bloy en son temps, il rêvait de les anéantir.

    , thin lizzy, pm warson, the reverend peyton's big damn band, o. c. tolbert, lou reed, rockabilly generation news 26, alain couraud, gene vincent, demonio, melt, my death belongs to you, amer'thune, rockambolesques,

             Lou Reed en a bavé. Pas facile d’être un artiste visionnaire incompris - A complete one-off, utterly misunderstood in his lifetime, poorly treated and ignorantly underevalued - Le mépris qu’affichait la critique rock pour Lou Reed ne date pas d’hier, elle remonte au temps du Velvet. Ne va pas croire que le Velvet était un groupe célèbre aux États-Unis, oh la la la, pas du tout. Lou Reed a créé un monde que le grand public ne comprenait pas, ne pouvait pas comprendre - La vérité, c’est que Lou Reed commence là où le rock s’arrête. Avant lui, le rock était de l’entertainment, avec lui, le rock devenait littéraire, dark, disturbing et incroyablement honnête. Son œuvre a plus à voir avec William S. Burroughs, Hubert Selby Jr., Andy Warhol et le brillant Delmore Schwartz, son mentor, qu’avec les Beatles et les Stones - Et Mick Wall conclut son introduction avec l’une de ces chutes spectaculaires dont il s’est fait une spécialité : «Voici donc mon hommage, sincère, écrit au speed, taché de sang, torché d’une façon que Lou, qui avait enregistré le premier album du Velvet Underground en quatre jours, aurait appréciée.»

             Et pouf, il attaque violemment - A jew. A fag. A junkie - Avec Mick Wall, on n’en finit plus de se marrer. Juif, pédé, junkie - À 17 ans, il avait atteint deux de ces objectifs, et ses parents l’envoyèrent subir des séances d’électrochocs, une thérapie en vogue dans l’Amérique des années 50, utilisée pour soigner les délinquants en herbe. Grâce à cette thérapie, Lou Reed allait rapidement atteindre le troisième objectif, junkie - C’est merveilleusement bien amené. Mick Wall le fait mieux qu’on ne le fera jamais. 

    thin lizzy,pm warson,the reverend peyton's big damn band,o. c. tolbert,lou reed,rockabilly generation news 26,alain couraud,gene vincent,demonio,melt,my death belongs to you,amer'thune,rockambolesques

             Un peu plus tard, quand Lou compose à la chaîne pour le compte de l’éditeur musical Pickwick, il se sent tellement frustré qu’il propose un jour «The Ostrich», a new dance-craze tune. Pour jouer, ça, nous dit Wally, Lou accorde ses six cordes sur la même note. Il s’en explique : «J’ai fait ça parce que j’ai vu un mec qui s’appelle Jerry Vance le faire. Il n’était pas vraiment un artiste d’avant-garde. Il bricolait. Il ne se doutait pas qu’il avait un truc, mais je l’ai vu.» Lou fait une parodie des cuts dansants de l’époque, «The Twist», «It’s Pony Time», mais il y fout son grain de sel - Take a step forward/ Step on your face - et, nous dit Wally, il remplace le refrain par un hurlement terrifiant. Ça va loin cette histoire, car Lou Reed se servira de ce modèle pour «Sister Ray». Avec «The Ostrich», il ouvre une porte. Deux ans plus tard, il joue de l’Ostrich guitar sur le premier album du Velvet. Pour Lou, ce n’est pas le son qui compte, c’est l’idée de la subversion. C’est la raison pour laquelle il va bien s’entendre avec John Cale, «jumeau intellectuel et provocateur d’instinct». Tous les deux, ils allaient créer «something new and possibly even dangerous.»

             Il faut bien comprendre que Lou Reed & John Cale, au même titre que les Stooges et Bob Dylan - et avant eux Elvis, Little Richard, Jerry Lee et Chucky Chuckah - sont les pionniers sans lesquels rien de ce qu’on aime aujourd’hui n’aurait pu exister.

             Mick Wall consacre pas moins de la moitié de son petit book au Velvet. Lou Reed & John Cale, oui, mais aussi Andy et Nico. C’est un tourbillon de légendes qui n’a rien perdu de sa fraîcheur, depuis l’époque de la découverte, via un article d’Actuel. Le Velvet de Lou Reed & John Cale s’appelle d’abord, comme chacun sait, The Primitives. Quand John Cale revient d’un voyage à Londres avec une pile de 45 tours des Who, des Small Faces et des Kinks, il demande à Lou Reed de laisser tomber son Dylan twang et d’évoluer sur un autre son, c’est-à-dire le sien, «ostinato piano and droning repetitive-to-the-point-of-screaming viola.» L’impulsion de John Cale est fondamentale. John Cale vient de l’avant-garde, et Lou Reed du rock. Lorsqu’elle est bien racontée, on se délecte chaque fois de la genèse du Velvet qu’on croit bêtement connaître par cœur. Mick Wall ramène son énergie dans ce qui est déjà une énergie. Il faut en effet comparer la genèse du Velvet à celle de Dada à Paris en 1919, lorsque Tristan Tzara vient retrouver Picabia qui vit alors chez Germaine Everling. C’est exactement le même Krakatoa de créativité, l’invention du fameux something new. Comme Tzara et Picabia en leur temps, John Cale & Lou Reed créent un monde. Mick Wall charge bien sa chaudière, ça y est, le Velvet avance, Sterling Morrison : «The path suddenly became clear. We could work on music that was different from ordinary rock’n’roll.» Le Velvet commence à jouer à la Cinémathèque, lors de la projection du Scorpio Rising de Kenneth Anger et là, Wally se régale : «Scorpio Rising mixait des thèmes occultes avec l’imagerie des bikers, le catholicisme, le nazisme et tout ce que les spectateurs camés à outrance pouvaient y lire.» Et boom, il fait entrer en scène Al Aronowitz, un hip American rock writer qui traînait en 1965 avec Brian Jones et qui manageait un groupe nommé The Mydle Class. Aronowitz propose 75 $ au Velvet pour jouer dans un lycée du New Jersey. Puis ils recrutent Moe Tucker qui ne touche pas aux drogues, une Moe qui bat debout, sans cymbales ni charley ni caisse claire, boom boom, metronomic, sur le tom bass, un son qui va devenir la signature du Velvet avec le crazed viola de John Cale et la deadpan voice de Lou Reed. Lou déclare en 2003 : «I think Maureen Tucker is a genius drummer.» Il dit même qu’elle a inventé cette façon de jouer. Toujours en 1965, le Velvet joue au Café Bizarre sur Bleeker Street. John Cale se marre, il rappelle que les seules personnes qui restaient pour les écouter jouer étaient ceux «qui étaient too drunk to leave.» Pas grave, on avance. S’ils sont pas contents, qu’ils se cassent. «Black Angel’s Death Song» est fait pour ça, pour que les gens se cassent, surtout que John Cale l’arrose d’un «distordant sonic hailstorm of manic electric viola.» Quand le patron du Café Bizarre chope Sterling pour lui dire que s’ils rejouent encore une fois ce «Black Angel’s Death Song», le groupe est viré. Pouf, ils le rejouent immédiatement, deux fois plus long et beaucoup plus fort. Virés ! Mais Barbara Rubin les a vus jouer au Café Bizarre et elle parle d’eux à Andy. Elle insiste. Viens les voir ! Bon d’accord. Andy rapplique avec elle et Gerard Malanga. Andy flashe !

    thin lizzy,pm warson,the reverend peyton's big damn band,o. c. tolbert,lou reed,rockabilly generation news 26,alain couraud,gene vincent,demonio,melt,my death belongs to you,amer'thune,rockambolesques

             Andy, c’est déjà un monde magique, le monde que chante Bowie sur Hunky Dory. La Factory, les portraits, et puis les personnages que cite Wally, Edie Sedgwick («le plus beau papillon dont on allait bientôt arracher les ailes»), Brigid Polk, et puis les drag queens venues de la rue comme Jackie Curtis et Candy Darling, et puis aussi la transgenre Holly Woodlawn. Et puis les superstars d’Andy, Ultra Violet et Baby Jane Holzer, et bien sûr d’autres superstars se pointent à la Factory, Wally les cite, Dylan, Jimbo, Leonard Cohen. Quand Lou voit Andy rappliquer au café Bizarre, il flashe. Et c’est réciproque. Lou ne sait pas qui est ce mec, mais il sait qu’il est one of us - And so smart with charisma to spare - Lou ajoute une remarque fondamentale : «But really so smart, and a, quote, ‘passive’ guy, he took over everything. He was the leader.» Lou sait tout de suite que ça va fonctionner, c’est hallucinant comme il le sent bien : «Bingo. Interest? The same. Vision? Equivalent. Un monde différent et il nous a intégrés. It was mazing. I mean, if you think in retrospect how does something like that happens? C’est incroyable. J’étais avec Delmore Schwartz qui m’a appris à écrire, et me voilà avec Andy where you get all the rest of it.» Mais Andy va encore plus loin que Lou Reed : il veut le remplacer au chant par Nico. L’idée est d’avoir sur scène «something beautiful» pour «contrebalancer the screeching ugliness they were trying to sell.»  

    thin lizzy,pm warson,the reverend peyton's big damn band,o. c. tolbert,lou reed,rockabilly generation news 26,alain couraud,gene vincent,demonio,melt,my death belongs to you,amer'thune,rockambolesques

             Nico ? Elle arrive en 1965 à la Factory au bras de qui ? Brian Jones, bien sûr. L’érudit Wall fait feu de tous bois : «Nico qui avait pris des cours chez Lee Straberg apparaissait sur la pochette de Moon Beams de Bill Evans paru en 1962 et avait joué deux ans plus tôt dans un film de Jean Poitrenaud, Strip-Tease, dont elle chantait le morceau titre composé par Serge Gainsbourg.» Andy demande deux choses à Lou : composer des chansons pour elle, et la laisser chanter sur scène. Lou est scié, Quoi ? «Comment aurait réagi John Lennon si Brian Epstein lui avait demandé de céder sa place au chant à Cilla Black ?» Wally se paye un petit délire avec ce comparatif, mais c’est exactement ça. Lou est le boss du Velvet et il s’offusque, mais il compose quand même «Femme Fatale» et «I’ll Be Your Mirror» pour Nico. Il lui file aussi «All Tomorrow’s Parties», «another post Ostrich wig-out». Nico ramène sur scène ce que Wally appelle le «monochrome European avant-gardism.» Et hop, on avance ! Andy invente le concept du show multimédia, «plus spectaculaire, plus innovant, more of a real art happening» que celui de Piero Heliczer, le show s’appelle Andy Warhol Uptight, qui va devenir The Exploding Plastic Inevitable.

    thin lizzy,pm warson,the reverend peyton's big damn band,o. c. tolbert,lou reed,rockabilly generation news 26,alain couraud,gene vincent,demonio,melt,my death belongs to you,amer'thune,rockambolesques

             C’est encore Andy qui pilote l’enregistrement de ce qu’on appelle tous «le premier Velvet». Quatre jour au Scepter Studio sur West 54th Street. Andy co-finance avec Columbia, mais à l’écoute des bandes, Columbia rejette le projet. Pareil pour ceux que Wally appelle «the A&R geniuses at Atlantic Records and Elektra Records» : ils n’en veulent pas. Berk. Andy réussit à passer un deal avec Verve qui fait partie d’MGM. Verve vient de signer les Mothers Of Invention. Andy négocie avec Tom Wilson qui a produit cinq albums de Dylan et le Freak Out des Mothers. Andy produit tout l’album sauf «Sunday Morning» que produit Tom Wilson. Ouf, le Velvet est entre de bonnes mains. Comme quoi ! Ça tient parfois à peu de choses. Lou reconnaît qu’Andy est leur protecteur - We were nothing. Qui pouvait nous critiquer ? Personne ne nous avait entendus. Comme ils ne pouvaient pas nous critiquer, ils ont critiqué Andy. C’était le cadet de ses soucis - Et il ajoute, au sommet de son dégoût pour la critique rock : «(Ils disaient :) comment peut-il produire un album ? Il n’est pas musicien.» Et Wally opte une fois encore pour une chute fantastique : «People were stupid. How many times did Lou have to tell ‘em?».

             Le Velvet va jouer sur la côte Ouest, mais leur son ne passe pas - These Velvet Underground motherfuckers looked like a bunch of junkies and fags - Lou Reed en a autant à leur service : «Well, we were also really, really smart and the (West Coast hippy) stuff was really, really stupid.» Et il croasse pour conclure : «It was purely a matter of brains.» Par contre, Jimbo flashe sur le Velvet, et notamment la danse du fouet de Gerard Malanga, dont il va s’inspirer pour sa danse shamanique. Il va aussi récupérer Nico. Et puis, «The End» s’inscrit comme chacun sait dans le prolongement d’«Heroin».

             Le Velvet est lancé, mais Lou envisage de se débarrasser d’Andy, de Nico et du «seemingly more calm, self-assured John Cale.» Le grand méchant Lou veut rester le seul maître à bord du Velvet. Rupture avec Andy. C’est la raison pour laquelle il n’existe pas de sérigraphie de Lou Reed. Rupture avec Nico qui enregistre en 1967 Chelsea Girls avec Tom Wilson. En juillet de cette année-là, elle se pointe au Monterey Pop Festival au bras de qui ? De Brian Jones.

    thin lizzy,pm warson,the reverend peyton's big damn band,o. c. tolbert,lou reed,rockabilly generation news 26,alain couraud,gene vincent,demonio,melt,my death belongs to you,amer'thune,rockambolesques

             Le Velvet enregistre son deuxième album au Mayfair avec Tom Wilson. Boom, «White Light/White Heat» ! Boom, «I Heard Her Call My Name» - another methedrine-spike of feedback and hollow backing vocals - Boom ! Wally consacre une page - UNE PAGE - à «Sister Ray» - an unheard of confluence of the male and the female - et Wally tire l’overdrive, c’est pour ça qu’on est là, pour le voir injecter son énergie dans l’high enegy du Velvet, et là ça devient de la littérature, tu comprends, tu n’es plus dans R&F - to its woozy, falling-out-of-your-seat fairground ride of crunching, whinning guitars, brutal, face-slapping drums and truly nightmarish pantom-of-the-opera keyboards, supplied by Cale by running the organ through a distorted guitar amp, c’est une étrange et terrifiante nouvelle forme de rock, dont personne ne soupçonnait l’existence, et que personne n’avait essayé d’explorer - Et là Wally délire complètement, la page est sublime, tout fan du Velvet devrait la lire et s’en repaître, car il parvient à dire avec des mots ce qu’on éprouve quand on écoute «Sister Ray», même cinquante ans après sa découverte.

             Le plus gros morceau reste à évacuer : John Cale. Cale sent bien venir le truc, il résiste. Il se bat pour préserver «the very soul of the Velvet Underground». Lou se bat pour «son rêve de rock stardom, pure and simple.» Alors Lou convoque Sterling et Moe dans une réunion pour leur annoncer que John est viré. Ils acceptent, mais nous dit Wally, Sterling n’a jamais pardonné à Lou. D’autant plus qu’il est chargé s’aller porter la bonne nouvelle à John Cale qui est écœuré par ce coup fourré. Il crie à la trahison. Pour aggraver les choses, le manager Sesnick publie un communiqué de presse annonçant le départ de John Cale, dans lequel Lou déclare : «Espérons qu’un jour John sera reconnu comme the Beethoven of his day.» C’est du pur grand méchant Lou, son cynisme dépasse les bornes. Mais Lou ne vit que pour ça : dépasser les bornes. C’est l’essence même du Velvet. Alors il ne faut s’étonner de rien. 

    thin lizzy,pm warson,the reverend peyton's big damn band,o. c. tolbert,lou reed,rockabilly generation news 26,alain couraud,gene vincent,demonio,melt,my death belongs to you,amer'thune,rockambolesques

             Le Velvet enregistre son troisième album sans titre. Et là, tu as «Pale Blue Eyes». Le Velvet perd son avant-gardisme et gagne en pureté pop. Puis c’est Loaded. Comme les mecs d’Atlantic voulaient que l’album soit «loaded with hits», Lou le baptise Loaded. Il se sent enfin libre - Free to sit down and actually write a song called «Rock And Roll». Free at last to be a star, goddammit, motherfucker - Lou engage Doug Yule et là, on commence à laisser tomber, parce que le Velvet n’a plus d’intérêt. Sterling se barre en 1971 et retourne enseigner à la fac. Pour le remplacer, Yule embauche en CDD Willie Alexander. Le problème, c’est que Yule se prend pour Lou. Il finira par le bouffer tout cru, et Lou quittera le groupe. Mort du Velvet et naissance d’un mythe. Voilà le genre d’épisode qui nous occupe la cervelle depuis cinquante ans : vie et mort du Velvet, vie et mort de Brian Jones, vie et mort de Jimi Hendrix, vie et mort d’Elvis et de Gene Vincent. Et tous les autres, ceux dont on parle ici. On a de quoi s’occuper. 

    thin lizzy,pm warson,the reverend peyton's big damn band,o. c. tolbert,lou reed,rockabilly generation news 26,alain couraud,gene vincent,demonio,melt,my death belongs to you,amer'thune,rockambolesques

             S’ensuit un sérieux passage à vide. Lou rentre chez ses parents et prend un job de typist. Puis, sous l’impulsion de Richard Robinson, il entame une carrière solo. Autant le dire tout de suite : le Lou Reed solo doit tout à David Bowie. C’est Robinson qui négocie un deal chez RCA pour Lou. Wally s’empresse de préciser que sans l’intervention de David Bowie, il est certain que Lou Reed n’aurait jamais pu poursuivre sa carrière solo, à la suite du two-album deal chez RCA, signé en 1971. Bowie est alors dans sa phase «Lauren Bacall», c’est-à-dire Hunky Dory. À ce moment-là, Lou Reed ressemble à un plombier. Il porte du denim et une coupe de l’armée - His air cut almost army short - En 1972, Lou va travailler un nouveau look et «s’habiller chez Hernando, sur Christopher Street, là où Andy Warhol achetait ses cuirs.» Il va se farder le visage de blanc et se barbouiller les yeux de mascara, comme on le voit sur la pochette de Transformer. 1972 ? Mais oui, le glam ! Lou a toujours vécu dans l’ombre de mentors : Delmore Schwartz, Andy, maintenant, c’est Bowie, le sauveur d’idoles en danger. Il vient de sauver Mott The Hoople, il va sauver Iggy, et maintenant, il propose de sauver Lou Reed. Mais il faut agit vite, car son calendrier est chargé. Si tu veux emmener Lou en studio, mon gars, c’est maintenant ! Early 1972. Direction le Trident, à Londres, le studio où Bowie a enregistré Hunky Dory et Ziggy Stardust, avec bien sûr Ken Scott qui a produit les deux albums. Ronno fait des arrangements qui stupéfient Lou. Un Lou qui se goinfre de downers et que Ronno trouve «laid-back». Il le voit s’asseoir et gratter sa gratte, oublieux du fait qu’il «was way out of tune». Ostrich guitar ? Paul Trynka ajoute que Lou «was extremely messed up. Like a parody of a drug fiend.» Mais bon, on avance. Bowie est de la partie, alors c’est comme avec Andy, il faut que ça avance. No time to lose. Trois backing tracks dans la journée, Ronno et Bowie font des chœurs déments. Bowie explose «Stallite Of Love», un vieux leftover du Velvet. De toute façon, Transformer grouille de hits. On n’avait encore jamais vu un album de cette qualité - The whole album was a hit from start to finish - Wally n’en finit plus de s’extasier. C’est bien qu’un mec comme lui s’extasie : «The songs were simply so good.» Il cite «Walk On The Wild Side» et «Perfect Day» comme faisant partie des meilleures qu’il ait jamais écrites. Ça crève les yeux. Et pouf, comme il l’a fait avec «Sister Ray», il part en délire sur le walking upright bass d’Herbie Flowers, les doo-doo-doo des Thunderhighs, les violons de Ronno lifted up, comme suspendus dans le ciel, et puis alors que le cake n’en pouvait plus de toute cette crème, nous dit Wally en proie à la pire extase, on fait entrer le sax de Ronnie Ross, le vieux prof de sax de Bowie, comme une sorte d’apothéose de la mort lente. Au dos de la pochette, on voit un mec avec une trique énorme. C’est Ernie Thormahlem, un pote à Lou, un Lou qui ajoute, goguenard : «We just put a banana down there.»

    thin lizzy,pm warson,the reverend peyton's big damn band,o. c. tolbert,lou reed,rockabilly generation news 26,alain couraud,gene vincent,demonio,melt,my death belongs to you,amer'thune,rockambolesques

             Mais Lou étant Lou, il ne supporte pas longtemps d’être le protégé de Bowie. Il va tout faire pour saborder le succès de Transformer, et à la première occasion, il va agresser violemment Bowie, auquel il doit tout, mais Lou étant Lou, il ne veut rien devoir à personne. Ce n’est pourtant pas difficile à comprendre ?

    thin lizzy,pm warson,the reverend peyton's big damn band,o. c. tolbert,lou reed,rockabilly generation news 26,alain couraud,gene vincent,demonio,melt,my death belongs to you,amer'thune,rockambolesques

             Pendant quelques années, Lou vit avec Rachel. Wally marche sur des œufs : «Rachel était-il un transsexuel ? Probablement pas. La rumeur disait que Rachel haïssait sa bite, mais rien n’indique qu’il s’est fait opérer. Lou adorait la bite de Rachel. Et alors ? Ça ne regarde personne. C’était le New York des années 70. Lou se battait tout le temps avec tout le monde.» Et Wally te refait le coup de la chute du siècle : «L’essentiel est de savoir que Rachel a rendu Lou heureux à cette période de sa vie, alors que le bonheur était devenu un concept inventé par les beaufs pour écarter les gens comme Lou et Rachel d’un monde auquel ils ne souhaitaient d’ailleurs pas participer.» Avant Rachel, Lou avait épousé Bettye, puis avait divorcé. Après Rachel, il épousera Sylvia, puis Laurie Anderson. Et puis, il reste les albums qui vont faire l’objet d’un Part Two. Un vrai continent. Saluons encore une fois l’extraordinaire écrivain rock qu’est Mick Wall, avec cette perle chopée dans l’huître  : «Like, hey man, a cat like Don Cherry ain’t gonna put up with no fag junkie shit, better getcha ass up there and wail, bro. Which, pleasingly, is exactly what Lou Reed now did.»

    Signé : Cazengler, Lou Ridé

    Mick Wall. Lou Reed: The Life. Orion 2014

     

     

    Talking ‘Bout My Generation –

    Part Seven

     

    thin lizzy,pm warson,the reverend peyton's big damn band,o. c. tolbert,lou reed,rockabilly generation news 26,alain couraud,gene vincent,demonio,melt,my death belongs to you,amer'thune,rockambolesques

             Alors tu ouvres le nouveau numéro de Rockabilly Generation et pouf, patapouf, aussitôt après le dossier Cash salué bien bas par Damie Chad la semaine dernière, sur qui tombes-tu ? Wild ! Pas le wild as fuck qu’on croise ici à tous les coins de rue, mais Wild tout court, le label rockab de Reb Kennedy, basé en Californie.

             Pour tous les fans de rockab, Wild est devenu en vingt ans the function at the juction, le real deal du ding-a-ding, le Rockamadour du Rockab, le phare dans la nuit, comme le fut In The Red Recordings au temps béni du raw gara-punk. Mis à part les singles, Wild ne sort pas trop de vinyles, essentiellement des CDs, des petits objets vendus au compte-gouttes par quelques disquaires TRÈS spécialisés. Quand tu arrivais sur le stand de ton disquaire préféré à Béthune, la petite box Wild était déjà dévalisée. Rentré à Paris, tu en trouvais quelques-uns chez Born Bad, mais c’était la croix et la bannière. Le mieux était encore le merch des groupes, quand par bonheur Béthune Rétro en programmait.

    thin lizzy,pm warson,the reverend peyton's big damn band,o. c. tolbert,lou reed,rockabilly generation news 26,alain couraud,gene vincent,demonio,melt,my death belongs to you,amer'thune,rockambolesques

             Rockabilly Generation consacre onze pages au Wildest Weekender qui s’est tenu en Hollade au mois de mars, avec vingt groupes. C’est à la fois un vrai festin d’images et une machine à remonter le temps, car on retrouve de vieilles connaissances, à commencer par Little Victor qu’on eut le privilège de voir stormer le Vintage Weekender de Roubaix en 2016. Little Victor porte toujours son fez. Il reste assez souple pour son âge, car une photo nous le montre à genoux avec sa gratte. Comme on a déjà salué en 2018 son excellent album, Deluxe Lo-fi, on ne va pas le re-saluer, mais on peut en profiter pour rappeler que cet album est un passage obligé pour tout fan de rockab averti. Signalons aussi les deux albums demented qu’il a mis en boîte avec Louisiana Red sur Ruf. Pareil, on a épluché tout ça en 2016, après que ce démon de Little Victor nous eût sonné les cloches au Weekender roubelaisien. Depuis, il n’a rien enregistré et c’est dommage. Le fait qu’il soit invité au Wildest Weekender préfigure peut-être l’imminence d’une actualité discographique. Little Victor de retour sur Wild ? On peut toujours rêver, ça ne coûte rien, comme dirait Jo-le-pingre.

    thin lizzy,pm warson,the reverend peyton's big damn band,o. c. tolbert,lou reed,rockabilly generation news 26,alain couraud,gene vincent,demonio,melt,my death belongs to you,amer'thune,rockambolesques

             Au rayon des vieilles connaissances, voilà Roy Dee & The Spitfires, un groupe qu’on avait découvert au Rétro 2017. Ils venaient tout juste de signer sur Wild, mais leur album ne parut que l’année suivante. Sur scène, Roy Dee et ses Portugais cassaient bien la baraque, ils portaient des casquettes de Gavroches et d’immenses anneaux de pirates aux oreilles. Leur look de gouapes des faubourgs tenait sacrément bien la route. À droite de Roy Dee, le slappeur fou volait le show. On savait en les voyant qu’ils allaient devenir énormes. En tous les cas, ils faisaient bien la différence, en 2017, dans une affiche extrêmement chargée. Ils étaient à l’exact opposé du rockab professoral qu’on devait parfois subir.

    thin lizzy,pm warson,the reverend peyton's big damn band,o. c. tolbert,lou reed,rockabilly generation news 26,alain couraud,gene vincent,demonio,melt,my death belongs to you,amer'thune,rockambolesques

             On retrouve aussi les Desperados, qui furent la révélation du Rétro 2015, quatre Chicanos toqués de rockab sauvage comme on l’aime. Diable comme ils étaient bons ! Ces Chicanos shootaient une grosse bouffée d’air frais dans le vieux rockab et lui redonnaient une nouvelle jeunesse. On avait salué bien bas leur album Won’t Be Broken. Wild, c’est d’abord un son, les fans ne s’y trompent pas. On devient accro et on finit par guetter tout ce qui sort sur Wild. Tiens, voilà Gizelle, qui fut tête d’affiche du Rétro 2013, mais ce n’était pas du rockab. Autre chose. Il faudrait peut-être réécouter, voir ce que c’est devenu.

    thin lizzy,pm warson,the reverend peyton's big damn band,o. c. tolbert,lou reed,rockabilly generation news 26,alain couraud,gene vincent,demonio,melt,my death belongs to you,amer'thune,rockambolesques

             Ce n’est pas fini ! Voilà Barny & The Rhythm All Stars, qu’on avait chopé au Rétro 2017, la même année que Wildfire Willie qui porte bien son nom, mais qui n’est pas sur Wild. Ils avaient un album sur Lenox, le légendaire disquaire de la rue Legendre. Par contre, Barny l’est, sur Wild, comme le fut son père Carl, sans doute le meilleur rockab français, un pionnier, puisqu’après avoir démarré sur Sfax, il est allé enregistrer trois fan-tas-tiques albums sur Wild, et là, mon gars, si tu veux entendre du real deal, c’est lui. Drunk But Thirsty ? Pochette démente, album dément, on a salué tout ça plus bas que terre ici-même en 2013. On avait vu Carl sur scène à Crépy et ce fut la révélation. C’est assez rare de voir un rockab français piquer une vraie crise d’épilepsie et se rouler par terre avec sa gratte et la bave rockab aux lèvres. Il vendait à l’époque de la main à la main son single Wild, «I’m Gone» qui est du même niveau que les classiques de Charlie Feathers. Wild as fucking fuck ! Carl reste un héros du rockab, et son fils Barny a pris la relève, avec la même formation. Pour une fois qu’on a une lignée digne de ce nom, profitons-en. D’ailleurs, l’une des deux photos de Barny dans le dossier Wild nous le montre à terre avec sa gratte. En 2017, on a aussi salué le premier album de Barny sur Wild, Young And Wild. Tous les albums évoqués ici sont des classiques du genre, tu peux y aller les yeux fermés. Surtout Carl.

             Pas mal de nouveaux noms dans les pages Wild, donc des découvertes en perspective. Miam Miam. Par contre, les anciennes têtes de gondole semblent avoir disparu : pas de Delta Bombers, ni de Stompin’ Riffraffs, ni de Pat Capocci, ni de Luis & The Wildfires, ni d’Omar Romero.

    thin lizzy,pm warson,the reverend peyton's big damn band,o. c. tolbert,lou reed,rockabilly generation news 26,alain couraud,gene vincent,demonio,melt,my death belongs to you,amer'thune,rockambolesques

             Alors l’occasion est trop belle : on va sortir l’Hog Wild d’Omar pour dire à quel point Wild est un label révolutionnaire. L’Hog Wild est l’un des albums les plus sauvages de l’Ouest. Pareil que pour Carl : pochette démente, album dément. Sur la pochette de l’édition spéciale, Omar les cheveux dans les yeux ! Et le sooooooon ! C’est du hard Wild ! On comprend que des mecs se fassent tatouer le logo Wild sur le bras. Pas de plus belle allégeance. Kaboom dès le morceau titre, Omar ramène l’énergie punk dans le rockab, c’est d’une beauté ultraïque, du magnifico de Chicano, coulent dans les veines d’Omar tout le génie de Charlie Feathers et tout le ramdam du proto-punk, il te claque le beignet de la praline, il violente le cul rose du slap, il pète et il clique en montant chez Kate. T’es sonné en deux minutes, dès le premier round. Mais tu y retournes. Le deuxième punch-up s’appelle «Step Back Baby», monté sur un riff fatal de Johnny Kidd, c’est quasi-Please Don’t Touch délinquant avec dans la glissade le super killer solo flash. Dire qu’il y a des gens qui croient que le rockab est un truc de vieux. Vazy Archibald prends ta gratte et essaye de sonner comme ça. À la fin du deuxième cut, on espère sincèrement qu’Omar va se calmer. Mais derrière lui joue un démon nommé Santiago Bermudez qui va clouer «You May Run» comme une chouette à la porte de l’église. Pire que ça : il te carillonne tout le beffroi d’effroi de pâté de foi. Chez Wild, les chicanos font la loi. Si tu es guitariste, écoute ce que fait Santiago Bermudez. Un autre Chicano accompagne Omar sur «That’s Fine». Il s’appelle Danny Angelo, il est fin et puissant, précis et présent. Avec «I’m Gone», Omar fait du Wild as chicano fuck. Big brawl ! Tout est bien sur cet album, le truc d’Omar, c’est le pur jus d’unstoppable. Il remet la pression plus loin avec «Gypsy Woman», il te carbonise ça vite fait à la calamine chicanotte et au put a spell on me ! Il repart sur des charbons ardents avec «Gonna Find You». C’est complètement ravagé de la façade et en prime, tu as un killer solo flash d’Angelo.

             Comme c’est une limited edition, tu as un deuxième CD d’outtakes et de démos, alors on ne va pas cracher dessus, d’autant qu’il attaque avec un «My Baby Don’t Breathe» tapé au déboîté de slap sans clignotant. Pure madness, la craze de la craze. Omar est un bon. Il est le meilleur indicateur de Wild, avec Carl. Plus loin, «Rock To It To My Baby» va t’envoyer au tapis, fais gaffe. Encore un vieux relent de Johnny Kidd dans «Put The Blame On Me» et nouveau coup de génie avec une démo d’«Everybody’s Trying To Be My Baby», tapé au pur slap, avec une gratte au fond du son. Omar devant, tout seul avec le slap, c’est quelque chose !   

             Alors merci Rockabilly Generation pour des onze pages en forme de bouffée d’air frais. 

    Signé : Cazengler, wild as phoque

    Omar Romero. Hog Wild. Wild Records 2007

     

    *

    Non ce n’est pas pour rien que j’ai mis la chro du Cat Zengler sur la présentation du label Wild dans Rockabilly Generation News ( 26 ) et que je l’ai faite suivre par une autre consacrée à Gene Vincent, c’est pour glisser entre les deux la photo d’Alain, il aurait préféré un papier sur Eddie Cochran, mais entre Wild et Gene Vincent, je sais qu’il se sent bien.

    Alain Couraud

    nous a quittés ce 02 juillet 2023

    thin lizzy,pm warson,the reverend peyton's big damn band,o. c. tolbert,lou reed,rockabilly generation news 26,alain couraud,gene vincent,demonio,melt,my death belongs to you,amer'thune,rockambolesques

    ( Si vous lisez KR’TNT ! c’est grâce à lui ! )

     

    *

    Vendredi 30 juin, aux alentours de 10 heures, je rentre les chiens dans la voiture, je démarre et roule la galère, la radio se met en route, sur France Inter, facile à deviner, Provins étant dans un trou, seules quelques grandes stations peuvent être écoutées, pour une fois le hasard fait bien les choses, Bruce Springteen cause dans le poste, dernière émission de l’année, Rebecca Manzoni qui présente Totemic livre en best-of de courtes séquences, lorsque Bruce Springteen a fini de parler résonnent les premières notes de

    BE BOP A LULA

    GENE VINCENT

    thin lizzy,pm warson,the reverend peyton's big damn band,o. c. tolbert,lou reed,rockabilly generation news 26,alain couraud,gene vincent,demonio,melt,my death belongs to you,amer'thune,rockambolesques

                    C’est Hervé Guibert qui parle, je connais un peu, voici quelques années j’ai chroniqué dans le mensuel Alexandre le premier tome de Le Photographe qui raconte les aventures du photographe Didier Lefèvre en Afghanistan… aucun rapport avec Gene Vincent mais Hervé Guibert raconte que ses parents possédaient le disque acheté à sa parution, c’est à l’âge de huit / neuf ans qu’il l’entend pour la première fois. Commotion immédiate il a l’impression d’entendre la voix d’un enfant comme lui, débordant de désirs comprimés et de vitalité débordante. Cela n’est pas étonnant, lorsque en 1967, dans sa séquence rock de 23 heures du Pop Club de José Arthur, Pierre Latttès interviewe Gene Vincent, je constate à ma grande surprise que Gene, le rocker sauvage, possède un timbre de jeune fille… les années passent mais Hervé Guibert n’en a pas fini avec Gene Vincent, il grandit, il entre au collège, il doit être en troisième lorsqu’ en français il étudie le mouvement poétique de La Pléiade cornaqué par Du Bellay et Ronsard. S’impose à lui comme une évidence que les vers du célèbre poème de Ronsard Mignonne, allons voir si la rose présentent la même facture octosyllabique que les lyrics de Gene Vincent… je vous laisse juge de cette assertion versificatrice, toujours est-il qu’il interprètera avec ses premiers groupes de rock cette littéraire adaptation. Preuve à l’appui il se lance en direct dans un frénétique Be Bop Lula ronsardien, ce n’est pas mal du tout et il reçoit les applaudissements du public.

             Nous l’en remercions, d’autant plus chaleureusement que Rock’n’Roll et Poésie sont les deux mamelles auxquelles nous nous abreuvons.

    Damie Chad.

     

     *

    Etrange comme les choses sont faites, en règle générale ceux qui proclament rechercher la lumière sont le plus souvent attirés par  l’obscurité, un peu comme nos lecteurs vous leur montrez en premier plan un cimetière ils ne regardent que le corps nu de la jeune femme relégué sur le côté, au moins avec Demonio vous êtes tranquilles, affichent leur objet de prédilection, le côté obscur de la force, dès leur dénomination, leur démonination suis-je tenté de dire, de surcroît je rassure les curieux, nous écoutons leur quatrième opus, les pochettes de leurs deux premiers parutions sont fémininement très suggestives.

    SEARCHING FOR THE LIGHT

    DEMONIO

    ( Piste numérique Bandcamp / Juin 2023)

    thin lizzy,pm warson,the reverend peyton's big damn band,o. c. tolbert,lou reed,rockabilly generation news 26,alain couraud,gene vincent,demonio,melt,my death belongs to you,amer'thune,rockambolesques

    Viennent d’Italie. Sont trois : Anthony :  stratocasters, vocals / Paolo : drums / Matteo : bass, production.

    La pochette est de ZZ Corpse, son Instagram est fort instructif quant à ses zones érogènes, elles se réduisent pratiquement à deux, éros et thanatos, il n’est pas le seul en ce bas monde, mais avec une force expressive attachante. A son actif : nombreuses pochettes, t-shirts, posters… Il est aussi membre du groupe argentin The  Black Furs, appellation très évocatrice.

    thin lizzy,pm warson,the reverend peyton's big damn band,o. c. tolbert,lou reed,rockabilly generation news 26,alain couraud,gene vincent,demonio,melt,my death belongs to you,amer'thune,rockambolesques

    Heavy dose : généralement dans les notes des pochettes les guitaristes sont annoncés comme des joueurs de guitars, parfois sans ‘’S’’ terminal, plus rares sont ceux qui se revendiquent d’une marque ou d’un modèle précis, pas pour rien qu’Anthony mentionne qu’il joue sur stratocaster, la strato il en use et en abuse pour notre plus grand plaisir, rien de plus râlant que le tigre dans sa cage qui ne pousse pas un seul rugissement et dédaigne de feuler, ici la strato gronde de la première à la dernière note de l’opus. Anthony n’a pas trop le temps de faire autre chose, or comme c’est lui qui se charge des lyrics, il évite les longues tirades, petits ruisseaux, entre sept et douze lignes. De l’éloquence spartiate, c’est un avantage, vous recevez le message en une seule dose, effet remède de cheval administré avec le coup de sabot qui va avec. A vous de vous débrouiller avec les effets secondaires qui ne sont pas répertoriés sur la boîte. Y-a-t-il une intro dans ce morceau ? Non vous êtes projeté dans un fleuve torrentueux qui vous emporte sans préavis, c’est sûr que tous les trois assurent le job sans discontinuer. Une basse trémoussante qui se niche dans le creux de votre oreille et qui ne le quitte plus sinon de temps en temps pour d’étranges circonvolutions dans votre conduit auditif, Paolo joue deux rôles en même temps, il fuse ses fûts comme l’on roulait les tonneaux de poudre et de rhum sur les bateaux pirates, comment fait-il pour ne pas oublier un millième de seconde de frapper ses cymbales qui claquent comme le vent dans la voile de misaine et gonflent le clin-foc à l’arracher. Anthony ne joue pas de la guitare, il la fait parler, courir, sonner, raisonner, frétiller, tirebouchonner, je crois qu’il y a douze mille verbes dans la langue française, vous comprenez que je ne vais pas vous recopier la liste, surtout que parfois elle se laisse aller à d’étranges sonorités venues de nulle part et d’ailleurs qui vous éblouissent et vous inquiètent… Question vocal, l’est fondu dans la masse sonore, se marie avec et ne se fait pas trop remarquer. Une ruse démoniaque, le démon vous parle tout bas pour que vous ouvriez tout grand vos oreilles, et hop il en profite pour s’introduire dans votre esprit. Ne vous étonnez pas si vos amis disent de vous que vous êtes habité par le démon. Fire guru : davantage bruissant, c’est le mystère des incarnations stonériennes, parfois vous écoutez et vous restez à l’extérieur, et parfois vous êtes dans la musique, elle s’installe en vous et vous êtes prisonnier de cette chaîne répétitive qui ne se répète jamais, c’est illogique certes mais c’est ainsi et la strato d’Anthony vous imite le vol du papillon qui s’envole plus haut que le ciel et qui déclenche en vous un tsunami d’émotions extatiques que vous ne pouvez contenir, un peu comme si vous étiez noyé dans votre propre sperme. Par-dessus le marché alors que vous vous prenez pour le roi tout puissant de l’univers, Demonio vous fait le coup du morceau-baisser-de-rideau-terminal, avec coup de frein brutal, chuintement instrumental et coup de baguette magique. I’m free : attention le morceau de la toute puissance, pire que l’anarchiste déclaration stirnérienne du Moi absolu, se moquent de vous, la strato dans un simili groove qui vous perce l’ouïe, la basse qui poinçonne les billets du concert commencé avant l’heure à toute vitesse, Paolo qui court à fond les caisses, relax max, je suis libre donc j’y vais tout doux, pas tout à fait un rythme d’enterrement, juste de belles sonorités planantes qui vous coupent en deux à la manière des chars à faux de Darius à Gaugamèles. Et ça s’arrête, pourquoi continueraient-ils puisqu’ils vous ont découpé en tranches de saucisson pour accompagner les apéritif-cubes. Shiva’s dance : vous devriez arrêter les substances illicites, vous devenez totalement fou, avec la rythmique vous êtes Nyarlathotep le dieu du chaos rampant qui agonise sur le sable du désert parmi les étrons des serpents, et de l’autre la strato vous ouvre les cercles divins et vous dansez le jerk avec Shiva la croqueuse d’hommes, et vous remuez vos jambes jusqu’à ce qu’elles soient usées, vous êtes devenu un cul-de-jatte, ce n’est pas grave la voix d’Anthony vous dévoile les secrets de l’univers et vous n’êtes plus qu’un tourbillon de sarabandes, de vous maintenant ne reste plus que votre tête, aussi le rythme diminue-t-il un peu, la strato hallucinante vous poignarde les yeux, elle vous emporte en un délire hendrixien vers la planère Mars rouge de votre sang. Death trip : trop beau, ça ne pouvait que bien finir, psychez-moi le camp de cette vie d’ici, ça roule et ça rolle plein rock avec ces strates de stratos que vous suivriez les yeux fermés de l’autre côté juste pour l’entendre vagir dans le désert, Matteo   passe le rouleau compresseur de sa basse sur les herbes du sentier du Paradis, mais la Strato nous fait le coup de la trompette de Jéricho qui vous réveillerait un mort, reprenez votre esprit. Reaching for the ligth : c’est le réveil, vous recouvrez vos esprits, l’est sûr que vous avez avalez la maxi-dose ce qui n’empêche pas cette diablesse de strato et  ses deux gardes du corps de foncer à la vitesse interplanétaire, descente sur le parachute ventral, ce qui souffle à Anthony l’envie de se taper un petit solo d’anthologie, juste pour montrer qu’il sait le faire, alors qu’il joue comme s’il baisait les étoiles, d’ailleurs les deux autres adoptent le background de croisière pour qu’on puisse admirer comment il s’envole haut très haut… quand il a dépassé les limites de l’univers on ne l’a plus entendu.

             On ne lutte pas contre un démon. Socrate se vantait d’en avoir un. Moi aussi, je peux vous donner son nom Demonio. Je vous le prête, n’oubliez pas de me le rendre.

    Damie Chad.

     

    A BAND CALLED MELT

    Ils sont trois et ils s’appellent Melt, ce qui m’a attiré c’est leur façon de titrer leur FB, c’est tout simple, tout bête, une formule à la Just Call Me Blue Berry, suffisant pour retenir l’attention. Z’et puis dans la courte définition du premier single qu’ils ont sorti ce mois de juin 2023ils se revendiquent de Led Zeppelin, pourquoi pas, Gérard de Nerval ne prétendait-il pas qu’il descendait de l’empereur romain Nerva…

    MELT

    PROBLEM CHILD

    ( Juin 2023 )

    Proviennent de Pittsburgh en Pennsylvanie, cité qui s’enorgueillit de posséder le plus grand musée américain consacré à un seul artiste, les fans de Lou Reed ne manqueront pas de le visiter puisqu’il s’agit d’Andy Warhol.Joey Troupe : guitar / James May : bass, vocals / J. J. Young : drums, vocals.  

    thin lizzy,pm warson,the reverend peyton's big damn band,o. c. tolbert,lou reed,rockabilly generation news 26,alain couraud,gene vincent,demonio,melt,my death belongs to you,amer'thune,rockambolesques

              La pochette pose tout de suite problème, elle est signée d’Emily Woodell, apparemment l’enfant a grandi, l’est devenu adulte, l’est au cœur de cible de quatre cercles colorés, s’affiche sur un fond cosmologique noir, l’est assez inquiétant avec ses lunettes noires. Une entrée classique, un groove s’installe, il peut mériter l’épithète zéplinesque. Dès qu’arrive le vocal ce n’est pas Robert Plant, mais le gars a la prudence de se cantonner dans le cercle de ses possibilités, question accompagnement manque un peu la pesanteur, la force de gravitation, du Dirigeable, ce sont les lyrics qui emportent le morceau, émanent d’eux un attrait mystérieux qui vous donne envie de comprendre l’incompréhensible. L’ensemble reste problématique. N’est-ce pas la preuve qu’ils sont parvenus à leurs fins ?

    DIVINER

    ( Juin 2023 )

    thin lizzy,pm warson,the reverend peyton's big damn band,o. c. tolbert,lou reed,rockabilly generation news 26,alain couraud,gene vincent,demonio,melt,my death belongs to you,amer'thune,rockambolesques

                Le problème s’éclaircit avec un deuxième single sorti quelques jours après le précédent. Une pochette moins inquiétante mais tout aussi curieuse. Cette fois ils sont deux, enfin un seul en duplicata dupliqué, toujours ses lunettes noires, une barbe plus fournie, toujours sces mêmes insignes sur son sweat-shirt blanc, à moins que ce ne soit un uniforme,  l’est comme le Dieu Janus regarde des deux côtés, mais une des faces de Janus donnait l’impression de voir le passé du monde et l’autre son avenir, ici notre enfant problématique semble s’interroger sur sa propre situation en notre monde. Bye-bye Led Zeppelin, du moins fuzz en pédale douce, une nonchalance rythmique typiquement américaine, sur laquelle se pose la voix, ça se corse bientôt, c’est que la situation est grave, au début le gars faisant semblant d’être comme tout le monde, arborait le visage souriant de l’américain moyen plein de bonne volonté. Dans sa tête il barjote méchamment, l’est un enfant des étoiles, abandonné sur la terre on ne sait dans quel but, l’aurait bien besoin d’un devin pour connaître son avenir, le chant et l’accompagnement imposent, la guitare ne fuzze plus elle fuse comme un engin interplanétaire… Splendide.           

              Pour nous aider à comprendre ils ont sorti an official video : Nos extra-terrestres sont des terrestres extra, des maris reconstruits pour les féministes – l’on ne dira jamais assez de mal de nos philosophes déconstructivistes – ils nettoient le parquet et ils repassent le linge, en ce bas-monde rien n’étant parfait il y a un résistant, une forte tête qui bouquine une canette à la main,  un chien se repose sur le canapé et brusquement tout change, des zébrures colorées parcourent l’écran, c’est la fête dans l’appartement, z’ont organisé une party dans l’appartement avec un mec déjanté déguisé en chat, rassurez-vous, les filles sont là et éclusent en rigolant les boissons, y a juste un gars dans ce charivari qui n’est pas à place, l’est protégé de l’ambiance collective par une ouate de solitude qui lui embrume le cerveau et le met hors-circuit, une copine compatissante mélanges quelques cristaux dans un verre  et en offre à l’assistance, le chat de la maison devient fou, transe collective bientôt tout un chacun vomit une espèce de mousse verdâtre et gluante, nos trois compères sortent dans nuit et portent leur regard vers le ciel noir, sont tous les trois tout seuls et  eux aussi commencent à vomir. Je vous laisse apprécier l’avant-dernière image, par contre la toute dernière est essentielle, c’est la couve de leur nouvel album à paraître le 07 / 07 / 2023 : Replica Man dont les trois derniers singles viennent de sortir.

    thin lizzy,pm warson,the reverend peyton's big damn band,o. c. tolbert,lou reed,rockabilly generation news 26,alain couraud,gene vincent,demonio,melt,my death belongs to you,amer'thune,rockambolesques

    SIGHT TO SEE

    ( Mai 2023 )

    thin lizzy,pm warson,the reverend peyton's big damn band,o. c. tolbert,lou reed,rockabilly generation news 26,alain couraud,gene vincent,demonio,melt,my death belongs to you,amer'thune,rockambolesques

                Evidemment on écoute illico, le lecteur intelligent les remettra dans l’ordre vinylique. Couve toujours d’Emily Woodell. Gros plan sur le bustier de notre problème maintenant enfantin, l’on voit entièrement le emblèmes qui ornent sa combinaison spatiale, Astronaut est-il écrit dessus. Vient juste d’arriver, déjà les curieux le photographient. Rires bruyants, intro élastique, la basse de James May est à la fête, la guitare de Joey Troupz s’attroupe autour de ces grondements bassmatiques, la batterie de J.J. Young les précipite dans leurs retranchements, ainsi se permettent-ils d’expliciter le pourquoi du comment de cet ‘’enfant’’ beaucoup plus perdu que l’homme qui tombait des étoiles de Bowie, ne comprend rien à rien, ni aux questions qu’on lui pose, font entendre un bruit d’engin spatial qui décolle et s’évanouit dans l’espace. On s’y croirait, on monterait dedans si ce n’était ce magnifique vocal désespéré qui pour un peu nous tirerait des larmes de crocodile.              L’histoire complète de cet E. T. adulte est-elle une métaphore pour décrire notre extra moderne solitude, la lecture de la phrase d’introduction sur le FB de Melt apporte une réponse glaçante : ‘’ a future we desserve’’ : le futur que nous méritons.

    Damie Chad.

     

    *

    THE WORLD SEEMS TO BE FADINGMY

    DEATH BELONGS TO YOU

    ( Funere / Octobre 2020)            

    Drôle de nom pour un groupe, vous n’avez pas tort ce n’est pas un groupe mais un homme seul. Enfin pas si seul que cela, l’a ses propres hétéronymes comme Pessoa le poëte portugais à la différence près que ces hétéronymes ne sont pas des personnages poétiques mais des effulgences musicales. Chacun de ses opus correspond à un état d’âme particulier, ou à une expérience dirigée, une espèce de rassemblement de forces élémentales en vue d’explorer des aspects du monde dont le commun des mortels préfère se détourner. C’est que beaucoup de gens sont davantage à l’aise pour explorer leur part communautaire que mortelle.           

              Bornyhake Ormenos, disons que c’est son nom d’artiste, mène de front plusieurs projets depuis 2010 à aujourd’hui, ainsi Ancient Moon, Astral Silence, Borgne, Décomposition, Diurnal, Enoid, Excreta, Lypectomy, Moisissure, Nivatakanachas, Pure, Porifice, Serpens Lumini, Snorre, de lui jusqu’à ce soir je n’avais croisé que The Two Boys Sandwich Club croyant avoir affaire à un groupe de rockabilly, aux premières notes je m’étais aperçu de mon erreur et n’avais pas poursuivi… Le lecteur aura remarqué que notre multiplex one man band emploie beaucoup de vocables français, une explication toute logique : Bornyhake est suisse. Attention en plus de ces hétéronymes il utilise aussi certains pseudonymes. N’entrevoyez aucune ironie dans l’adage suivant : pourquoi faire simple quand on sait faire compliqué. Le monde est vraisemblablement beaucoup plus complexe qu’on ne le suppute, alors pourquoi ne pas diversifier les moyens d’approche. Sur certains projets, Bornyhake peut être accompagné par d’autres musiciens.  

                 Toujours est-il que la phrase My death belongs to you a attiré mon attention, j’ai d’abord cru que c’était le titre d’un morceau, mais non, c’est celui du groupe, groupe réduit à une seule unité : celle de Bornyhake.

              Avant même d’écouter l’on peut s’interroger sur la manière d’interpréter le nom du ‘’groupe’’. Si l’on tient compte de l’image qui l’accompagne, elle est d’Ekahyn Rob, on peut facilement la comprendre comme une modulation ultra-romantique, selon laquelle l’on est prêt à mourir pour quelqu’un d’autre, peut-être déjà mort, peut-être vivant. Les esprits plus pondérés ou moins exaltés diront que tout un chacun fait ou fera la même expérience de la mort que quiconque. En ce cas la mort ne peut être mienne, elle est interchangeable avec toutes les autres, déjà réalisées ou à venir.

                Quant au titre, le monde semble s’affadir, signifie-t-il que le monde perd de son intérêt car la seule existence de la mort qui nous attend en atténue violemment les saveurs, ou au contraire que c’est l’attrait de la mort qui pourvoie le monde d’une fadeur décevante. Dans la première postulation la mort gâche le plaisir de vivre, selon la seconde la mort nous procure l’infini et suprême plaisir de mourir, auprès duquel la vivacité mondéenne perd tout éclat.

                Une courte note nous apprend que le projet My death belongs to you commence à 2013, sept longues années seront nécessaires à l’élaboration de l’opus composé à partir de nombreuses bandes enregistrées qui laissèrent à Bornyhake un goût amer de profonde insatisfaction… Il lui aura fallu retirer tous les éléments dont elles regorgeaient et les réorganiser d’une telle manière qu’ils deviennent significatifs. Si la mort lui paraissait obscure c’est parce que l’obscurité par laquelle il l’appréhendait n’était pas en elle mais en lui. La mort se brûle elle-même et se réduit en cendres blanches et volatiles – il ne donne aucune explication – et Bornyhake la considérait comme une œuvre au noir.

    thin lizzy,pm warson,the reverend peyton's big damn band,o. c. tolbert,lou reed,rockabilly generation news 26,alain couraud,gene vincent,demonio,melt,my death belongs to you,amer'thune,rockambolesques

    The morning after death : funèbre combien de fois devrai-je répéter cet adjectif pour qualifier cette musique auprès de laquelle le Requiem de Mozart manque de densité, coups de butoirs, une frayeur insondable, celle de l’inéluctable, déjà réalisé dont les pas lourds ébranlent les fondations de la raison humaine, une voix sourde parle, le sens des mots est inutile, ils éclatent comme des bulles de non-savoir et de piètre consolation, tumulte grumeleux, après la catastrophe la catastrophe est encore là, elle ne s’achèvera jamais, elle ne marche pas, elle n’avance pas, elle piétine, tout se délite, se fragmente, se désosse, terrible fatigue, hurlements de loups dans les tuyaux des grandes orgues sépulchrales, il faudrait que cela s’arrête, l’on ne stoppe pas la mort, elle est immobile, elle occupe le monde et le transforme en le monde de la mort. Tout est consumé. Tomorrow is the last day : notes aigrelettes, demain ne sera pas un autre jour, la musique revient encore plus violente, encore plus écrasante, le jour d’après est semblable au jour d’avant, il n’y en aura pas d’autres car il n’est plus possible qu’il existe d’autres jours, le son s’amplifie, il s’accroît et accapare tous les espaces temporel s du monde, la mort souffle dans sa trompette et lance sa malédiction aux hommes effondrés de son pouvoir unilatéral. Rien ne saurait résister, une grande fatigue encore une fois celle de l’assaut de ces vagues géantes et grondeuses qui envahissent le monde. Le jour d’après est pire que le jour d’avant, il est parti pour durer une éternité. Ce qui est répété deux fois procure un plaisir doublement victorieux. Des feuilles se détachent de l’arbre du monde. Mon tombeau : retour à soi-même, l’art du tombeau est un art total qui apporte une certaine autosatisfaction non négligeable, il est un cri de triomphe, un hululement grandiose qui perturbe les assises du monde, car ce qui croît, s’élève et se dresse est ce qui est le plus prêt de tomber, si je suis tombeau, le monde est mon tombeau et je suis le monde, le monde mort ou le monde vif, le son déborde et s’empare de l’entièreté de la terre.  Un dernier fracas, juste avant de reprendre la route, ton beau tombeau si beau. Tourne autour afin de… Your dark embrace : est-ce toi,  est-ce le noir, toujours la même lourdeur, où que tu ailles le pas de la mort m’accompagnera, une plainte, un hurlement, ce qui entre ou ce qui jaillit, le bruit devient assourdissant, est-ce normal que la mort reprenne encore des forces, elle semble détruire ce qui déjà n’existe plus, très grand excitation destructrice, noce de ce qui existe encore avec ce qui n’existe plus, folie submergeante, tout est arasé, réduit en pierres, en cendres, en poussières, rien ne saurait résister à cette étreinte sauvage, beuglements de bête ardente et du sacrificateur , tout dérape, tout s’emmêle, s’entrechoque, s’entredéchire, j’égrène les égrégores, de plus en plus gores. Tout est consommé. The world seems to be fading : résonnances de notes calmitudes, la marche reprend, un peu moins forte, est-ce ainsi que le monde s’érode, à moins que ce ne soit la mort qui brille maintenant de mille éclats de joie, dans ma poitrine, sur le monde, partout et ailleurs, des degrés d’intensité en moins, la bête deviendrait-elle civilisée, est-ce seulement une impression, quelque chose a-t-il voulu avoir lieu, un soupçon de fatigue, serait-ce le signe de la vieillesse du monde, pourquoi pas de la vieillesse de la mort, si vieille que l’on commence à s’y habituer, que rien n’est commencé, n'a commencé pour décréter un changement quelconque dans l’ordre immuable de l’apparence des choses. De celles qui sont vivantes. De celles qui sont mortes. Une cloche sonne. Sont-ce les marteaux désormais qui donnent l’heure. L’on ne pire qu’ils veulent nous réveiller. Peut-être juste nous dire au revoir. Une sonate d’adieu éternel. 

               Lugubre. Magnifique.

    Damie Chad.  

     

     LA MONNAIE DE LEURS PIECES AMER’THUNE

    ( Autoproduit  / 2012 )

     Sébastien Fournier, Mathieu Relin et Mickaël Denis

    thin lizzy,pm warson,the reverend peyton's big damn band,o. c. tolbert,lou reed,rockabilly generation news 26,alain couraud,gene vincent,demonio,melt,my death belongs to you,amer'thune,rockambolesques

              Ce qui frappe l’auditeur au premier abord, dès la première écoute, c’est l’humanisme, l’humanité des trois artistes.      

                Tout au long des sept titres de cet album se déploie le cri de révolte contre un monde qui cherche à faire passer les profits des puissants avant l’existence des hommes. Il ne s’agit pas là d’une indignation à bon compte, pour se donner bonne conscience, mais bien d’une condamnation sans appel de la destruction de ce qui est au cœur de l’existence humaine, de l’esprit humain. La recherche des profits pour leur accumulation et non pour permettre à la vie de se déployer dans toutes ses dimensions, la recherche des profits comme fin et non comme moyen est la négation même de ce qu’est, de ce que doit être la vie d’êtres de chair. 

               L’argent, non celui qui, fruit du travail, est nécessaire pour vivre, mais celui qui s’accumule dans les poches boursouflées de quelques uns, peut rendre amer, mais cette amertume est de celles qui font ressortir la richesse des saveurs du monde. Elle permet de lutter contre les tentatives d’adoucir les volontés de révolte, d’édulcorer les pensées, autrement dit elle est l’instrument qui appelle au réveil face aux discours mielleux et lénifiants dont nous sommes abondamment abreuvés, dans lesquels d’aucuns voudraient bien que l’on se noie avec la complicité de ceux qui devraient au contraire sonner le réveil. Le titre, La Monnaie de leurs pièces, montre bien que nous sommes plongés dans une lutte entre deux classes, deux visions de la société, deux conceptions du monde.

                Les compositions des trois compères permettent de mettre en valeur les mots de Mathieu Relin tout en laissant toute sa place à la musique. Cette recherche de l’équilibre entre ces deux pôles de la chanson contribue à donner plus de poids à cet engagement dont la présentation des trois membres du groupe, que l’on découvre à l’intérieur de la pochette, témoigne de manière exemplaire. Avec cette mesure au service de l’humanité, nous voyons encore la dénonciation de la démesure financière, de l’hybris de ceux qui veulent dépouiller le peuple de son pouvoir.

                Cet album est un appel à se souvenir que notre liberté ne se négocie pas, que l’Histoire de France est avant tout une histoire de lutte, lutte pour la liberté, lutte pour l’humanité, lutte pour l’humanité libre !

    Philippe Guérin (28/06/2023)

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    thin lizzy,pm warson,the reverend peyton's big damn band,o. c. tolbert,lou reed,rockabilly generation news 26,alain couraud,gene vincent,demonio,melt,my death belongs to you,amer'thune,rockambolesques

    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 32 ( Exterminatif  ) :

    179

    Le père d’Alice s’approche de nous. Il m’adresse un regard haineux, je comprends qu’il n’a pas aimé mon entrée fracassante dans son bureau.

    _ C’est Alice qui a tenu à ce que ce livre vous soit remis, parce que vous étiez beau m’a-t-elle avoué – en moi-même je me dis que cette jeune Alice a du goût, un véritable sens esthétique développé – comme toujours depuis que sa mère est morte je cède à toutes ses lubies, j’ai retrouvé  ce volume dernièrement dans ses affaires de jeune fille que ma femme avait remisées dans une vieille valise au fond d’un placard, je ne savais même pas qu’il existait, il était dans une enveloppe sur laquelle elle avait tracé quelques mots : A remettre à celui qui viendra le chercher. Alice a décidé que c’était vous, je lui obéis, si ça ne tenait qu’à moi vous auriez été la dernière personne à qui j’aurais permis de le lire.

    Le directeur de la Bibliothèque Nationale attrape la main de sa fille et l’entraîne à grands pas. Ils n’ont pas fait vingt mètres qu’Alice lui échappe et court vers nous en criant :

    _ Papa, attends-moi, je fais un bisou aux chiens et on s’en va !

    Elle est déjà à genoux devant Molossa et Molossito qui l’accueillent en sautant de joie. Elles les caresse, elle ne nous regarde pas, mais entre deux ‘’ braves toutous’’ elle glisse à voix basse : ‘’ c’est moi qui l’ai mis dans la valise, maman me l’a donné la dernière fois que je l’ai vue à l’hôpital’’, elle rejoint son père excédé qui l’attendait : ‘’ Dépêche-toi papa, on va à Disney !’’. Tous deux s’éloignent main dans la main.

    180

    Carlos nous ramène au local. Il paraît soucieux. Comme il arrête la voiture pour nous permettre de descendre :

              _ Je suis peut-être un peu curieux mais qui de vous deux lira le livre en premier ?

    Le Chef qui a déjà entrouvert sa portière, allume un Coronado avant de répondre :

              _ Aucun des deux Carlos, seul l’Agent Chad le lira, c’est à lui qu’Alice l’a tendu, ce n’est pas un cadeau pour faire plaisir ou être gentil, c’est une transmission, quelque chose d’important, de sacré, d’une morte à un vivant.

              _ Chef, songez à ce livre que vous étiez en train de lire lorsque j’ai pénétré en rêve dans votre mental, je ne suis peut-être que l’un des maillons de la chaîne.

              _ Agent Chad s’il en était ainsi vous vous en apercevrez et vous me le ramènerez demain matin, laissez-moi avec Carlos nous trouverons bien un bon resto où nous pourrons inviter sa nouvelle Alice, rentrez chez vous Agent Chad et plongez-vous dans cette lecture que je pressens fort instructive.

    181

    Ils m’ont laissé avec les deux chiens. Ils passèrent une excellente soirée. L’Alice avait eu l’excellente idée d’amener avec elle une de ses amies, oui chers lecteurs, vous commencez à comprendre, elle se prénommait aussi Alice…

    Rentrés à Provins, après le repas Molossito et Molossa s’installèrent sur le sofa et fermèrent les yeux. J’ouvris une bouteille de Moonshine, m’installai à ma table de travail et me saisis du livre.

    182

    Je m’appelle Ecila, je suis née dans un pays de vastes forêts, c’est tout ce que je sais de moi, je suis incapable d’en savoir plus. Mon enfance fut solitaire, mes premiers souvenirs résident des courses vagabondes sous les cimes majestueuses d’arbres centenaires… Je me suis enfoncé avec Ecila sous le dôme majestueux de ces épaisses frondaisons, j’ai essayé de la suivre dans ces errements, plus j’ai avancé dans ma lecture plus je l’ai perdue de vue. Au bout d’une vingtaine de pages Ecila avait disparu, certes elle disait toujours ‘’je’’, c’était bien elle qui racontait son histoire, mais elle n’était plus là. Il était indubitable que c’était elle qui errait dans une vaste sylve, mais elle n’existait plus. Etrange sensation de lecture, la narratrice n’est plus là mais elle continue son récit.

    A la fin de ce premier chapitre, j’ai décidé une pause réflexive, je me suis versé deux grandes rasades de moonshine, peut-être la suite me permettrait de mieux comprendre. J’ai sursauté aux premières lignes du deuxième chapitre : Je m’appelle Ecila, je suis née dans un pays de vastes forêts, c’est tout ce que je sais de moi, je suis incapable d’en savoir plus… Je n’en croyais pas mes yeux le deuxième chapitre se révéla du début à la fin identique au premier.

    Je n’étais pas au bout de mes surprises, après trois rasades de moonshine j’attaquai le troisième chapitre qui était la simple répétition du premier et du deuxième. Peut-être d’infimes variations me permettraient-elles de comprendre, j’ai comparé minutieusement les trois textes, c’étaient bien les mêmes, je me suis même amusé de mesurer le blanc qui séparaient les mots, non les trois versions étaient identiques.

    Je le reconnais, oui j’ai bu quatre rasades de moonshine avant d’aborder le quatrième chapitre, cinq avant le cinquième, six pour le sixième. Je vous rassure il n’y avait pas de septième chapitre. Quel intérêt de recopier six fois la même chose ? 

    Etais-je bête, pas besoin de recopier, il suffit d’imprimer six cahiers identiques et de les relier, mais dans quel but ?

    A cinq heures du matin, je me suis endormi entre mes deux chiens…

    183

    Le Chef fumait un Coronado lorsque j’ouvris la porte du local. A son regard interrogatif j’ai compris qu’il avait dû se lever tôt pressé de recueillir mes impressions de lecture. Je lui ai tout de suite résumé le satané bouquin :

              _ C’est simple Chef, c’est une fille qui s’appelle Ecila qui se promène dans une forêt ensuite c’est une fille qui s’appelle Ecila qui se promène dans une forêt, après c’est une fille qui s’appelle Ecila qui se promène dans une forêt, c’est encore une fille qui s’appelle Ecila qui se promène dans une forêt, puis c’est une fille qui s’appelle Ecila qui se promène dans une forêt, enfin c’est une fille qui s’appelle Ecila qui se promène dans une forêt.

            _ Agent Chad je vous remercie pour ce résumé qui m’a si bien tenu en haleine que j’ai laissé s’éteindre ce Coronado, un roman passionnant, vous avez dû passer une soirée fertile en émotions, quand je pense qu’avec Carlos nous nous sommes contentés d’un bon repas qui s’est terminé par une petite sauterie avec sa nouvelle copine qui d’ailleurs avait emmené une de ses copines à elle. De la roupie de sansonnet si je compare à votre soirée.

              _ Chef permettez-moi de modérer vos ardeurs, lire vingt pages qui n’apportent rien à notre enquête s’avère un peu décevant, mais les lire six fois de suite c’est carrément ennuyeux…

              _ Agent Chad, je vous connais, vous avez dû agrémenter votre lecture de trois ou quatre bouteilles de moonshine, votre esprit trop embrumé n’a pas été capable de saisir le sens de ce roman aussi évident qu’un troupeau de pachydermes dans un couloir.

              _ Chef, à part de dire que le livre raconte six fois la même histoire, je ne vois point poindre le moindre éléphant significatif !

              _ Agent Chad pas d’éléphant je le concède puisqu’il s’agit d’un éléphant femelle, une éléphante si vous préférez !

             _ Chef, je ne comprends rien à vos chinoiseries !

             _ Agent Chad je vous trouve un tantinet obtus ce matin, laissez-moi éclairer votre lanterne.

    Le Chef allume un Coronado. Il prend son temps je le soupçonne de faire durer le plaisir :

               _ Agent Chad, je n’ai pas lu le livre, mais vous l’avez si bien résumé que j’ai tout compris. Il faudra aussi que vous fassiez un stage de perfectionnement CP pour que vous appreniez au moins à compter jusqu’à dix ! Voyez-vous Chad…

    Le Chef écrase son Coronado dans le cendrier, il en choisit un autre dans le tiroir de son bureau, le soupèse délicatement, le repose, en saisit un autre, ce doit être le bon puisqu’il l’allume :

              _ Non Chad, il n’y a pas six fois la même histoire dans ce livre, vous avez mal compris, il y a six Ecila !

    Je reçois une décharge électrique de six mille volts, mon cerveau tourne six fois sur lui-même dans ma boîte crânienne, illumination transcendantale, je viens de comprendre :

             _ Chef vous voulez dire que dans ce livre on ne voit que des filles qui s’appellent Ecila comme dans notre vie toutes celles que l’on rencontre s’appellent Alice !

              _ Bravo Chad vous progressez, toutefois dans votre bouquin vous avez trouvé six Ecila, rajoutez celle du titre vous en avez sept…

              _ Chef, votre lecture nous ouvre des perspectives infinies, serions-nous sur une application physique de la théorie de alephs de Cantor !

               _ Au fait Chad, sur le chemin du resto, j’ai passé quelques coups de téléphone, savez-vous que la mère de notre jeune Alice s’appelait Ecila ?

    A suivre…

  • CHRONIQUES DE POURPRE 606: KR'TNT 606 : CHIPS MOMAN / BETTYE LAVETTE / DOC POMUS / LOS PEPES / SIMON STOKES / ROCKABILLY GENERATION NEWS / ORDER OF THE BLACK JACKET / HEX ENGINE / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 606

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    22 / 06 / 2023

     

    CHIPS MOMAN / BETTYE LAVETTE

    DOC POMUS / LOS PEPES / SIMON STOKES

    ROCKABILLY GENERATION NEWS

    ORDER OF THE BLACK JACKET

     HEX ENGINE / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 606

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

                                                                                                                                                                                                             

    Le Moman clé

    - Part Four

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

    Chips aime bien Ronnie Milsap. D’ailleurs, il le reçoit chez American et Dan Penn produit son premier album sobrement titré Ronnie Milsap. Ça sort sur Warner Bros.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

    En 1971, sous une belle pochette. Ronnie y apparaît solarisé en gros plan. L’outstanding cut se trouve en B et s’appelle «Crying». Ronnie s’aventure sur les terres de Big O et rivalise d’excellence de chat perché avec lui. On note aussi l’excellence du «Sunday Rain» signé Mark James. Ronnie le prend en charge sans ciller. Ce mec chante comme un dieu et Dan orchestre à outrance. Vas-y Dan, tartine-nous ça ! Ronnie tape dans Dan et Spooner avec «Blue Skies Of Montana». Ça frise la carte postale, car Ronnie nous traite ça à l’épique du Tennessee. On note aussi la présence en B d’une belle compo de Jim Dickinson intitulée «Sanctified». Chez American, on ne mégote pas sur la marchandise.

             Dans le tas de grands artistes venus enregistrer chez Chips, on trouve aussi Petula Clark et Brenda Lee. Elles sont venues toutes les deux faire leur Memphis album. Le Memphis de Petula sort en 1970. En Europe, Petula traîne surtout une réputation d’artiste de variété, mais chez Chips, elle a tout de suite du son. Tous les copains sont là pour s’amuser avec elle, Reggie, Bobby et Gene.

             — Que fais-tu là Petula, si loin de l’Angleterre ?

             — Mais tu le chais Chips, j’enregistre my Memphis ellepie !

             — Ah oui, sorry j’étais dans la lune ! Que dirais-tu de reprendre «Neon Rainbow» ?

             — Chic idée, Chips !

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Cette diablesse de Petula transforme la pop de Memphis en pop anglaise. Elle sait elle aussi gueuler par dessus les toits. Elle se montre aussi pétulante avec «Goodnight Sweet Dreams». Elle se jette admirablement bien dans la bataille. Il faut aussi entendre le délire psyché que bricole Reggie Young derrière elle dans «Right On». C’est d’ailleurs le seul intérêt du cut. Chips refourgue aussi à Petula une compo de Mark James, «When The World Was Round», on ne sait jamais, des fois que ça devienne un tube. Mais ce n’est quand même pas du Paddy McAloon. Elle termine avec un bel hommage à Curtis Mayfield en reprenant «People Get Ready», mais on peut en rester là.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Encore un coup dur pour Chips. L’album Blue Lady qu’il enregistre en 1975 avec Petula Clark ne sort pas. Le label ABC Records boude. Il finira par sortir vingt ans plus tard sous le titre Blue Lady - The Nashville Sessions. Bizarrement, Petula se vautre sur Burt («Don’t Make Me Over»), elle le chante au petit sucre d’Angleterre et pour Burt, elle est trop poppy, trop criarde. C’est avec «Pickin Berries» signé Toni Wine & Chips qu’elle explose les Nashville Sessions. Elle tape en plein cœur de l’excellence, elle amène ça au petit popping de cueillette et ça bascule dans la grosse énormité de pop américaine. C’est le nec plus ultra de la grande pop US et c’est l’occasion de rappeler que Chips avait du génie. C’est tartiné dans les grandes largeurs. L’autre coup de maître du producteur Chips, c’est le morceau titre. Il nous fait le coup de Bernard Hermann à Nashville, c’est-à-dire le coup du groove urbain, et Petula excelle dans la mélancolie bleue. Chips lui orchestre ça aux petits oignons. Elle chante magnifiquement «You’re The Last Love» et c’est la raison pour laquelle Chips la chouchoute. Elle se fond bien dans Chips avec «Charlie My Boy», elle truffe la compo de Chips de magic stuff, car elle chante d’une voix de rêve. Encore une panacée de Petula avec «If You Think You Know How To Love Me», elle en fait une petite énormité vite fait bien fait. Le reste n’est pas très bon, dommage.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             L’album que Brenda Lee enregistre chez Chips l’année suivante est nettement plus passionnant. Il s’appelle Memphis Portrait. Elle démarre avec une reprise un peu ratée des frères Gibb, «Give A Hand Take A Hand» et s’en va ensuite musarder chez John Denver avec «Leaving On A Jet Plane». Elle très nasale. Chips lui propose le «Games People Play» de Joe South et on entre en terrain de connaissance. Oui, ce hit du vieux Joe est connu comme le loup blanc. Elle revient à Joe en B avec «Walk A Mile In My Shoes» qui vire très vite white Soul de qualité supérieure. Elle est extrêmement pugnace, comme Lulu, même genre de tempérament, vraiment far out. Avec «Too Heavy To Carry», elle tape dans l’extrême Memphis Soul, avec Mike Leech on bass. Quel son ! Les mecs d’American n’ont rien à envier aux MGs. Chips glisse à Brenda un balladif signé Reggie : «Hello Love». Bien vu, Chips ! Brenda fait aussi une cover irréprochable de «Proud Mary». Comme s’il n’y avait rien à en dire. Puis elle tape dans le saint des saints avec le fameux «Do Right Woman Do Right Man» que Chips et Dan Penn composèrent jadis pour Aretha. Cette fière shouteuse de Brenda finit bien sûr par l’exploser.  

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Avec Bobby Womack, on entre dans la zone protégée des albums culte, à commencer par Fly Me To The Moon, paru sur Minit en 1968. C’est l’époque où Bobby vient traîner à Memphis et Chips l’adopte. Bobby intègre les Memphis Boys et profite des installations pour enregistrer deux albums. Le morceau titre de ce premier album est unE merveille tentaculaire. On a le big American Sound avec Bobby Emmons à l’orgue et Reggie sur sa gratte derrière Bobby. «Fly Me To The Moon» est un fantastique cut de Soul vertigineuse. Bobby screams his ass off et Reggie entre dans la Soul avec une patte de velours. C’est aussi sur cet album qu’on trouve l’imparable «I’m A Midnight Mover». Bobby y fait son wicked Pickett qui d’ailleurs est le co-auteur de ce hit de Deep Soul bien bassmatisqué par Mike Leech. Wow ! Bobby screams it off. Encore une combinaison gagnante : un Soul Brother avec le gratin dauphinois de Memphis. Ce dingue de Bobby chante aussi «What Is This» avec toute sa niaque et derrière les Memphis Boys chargent merveilleusement la barque du Memphis Sound. Les dynamiques sont superbes. Quel bel achèvement ! Cet album est si bon qu’il donne envie de se replonger dans tout Bobby. Il sait embarquer ses cuts dans les hautes sphères de l’exaction maximaliste. Tous les cuts flirtent avec l’énormité. En B, Bobby tape dans l’«I’m In Love» de wicked Pickett. Il chante ça à la pire arrache qui se puisse concevoir. Il monte tellement dans les tours de scream qu’il bat wicked Pickett à son propre jeu. Il groove ensuite de «California Dreamin’» de John Phillips. Quel beau numéro de Soul Brother ! Reggie brode de la dentelle de Calais dans la couenne du son et le groove progresse dans la chaleur de la nuit. Toute cette aventure se termine avec «Lillie Mae» et l’admirable rumble des Memphis Boys in full bloom. C’est heavily good, ils jouent ça à la merveilleuse évidence de la mouvance. C’est à la fois percutant et perfusant, perméable et perpétuel, plerclus de classe et pertinent, pervertisseur et perfecto.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Bobby enregistre My Prescription dans la foulée. L’album grouille de coups de génie, à commencer par «How I Missed You» qui sonne comme un hit de country Soul. Just perfect. Bobby chante avec la rigueur d’un Soul Brother débarqué à Memphis. Idéal pour les amateurs de mythes. C’est si bien nappé d’orgue qu’on en bave de plaisir. Et Gene Chrisman bat ça au nec plus ultra. Encore un coup de génie avec «I Left My Heart In San Francisco». Les Memphis Boys jouent ça au groove pressé de semi-acou paradisiaque. Voilà le genre de miracle dont sont capables Chips et ses chaps. Pur jus de Memphis Soul typecast, avec un Bobby qui part en goguette et qui screame sa crème. Encore un slow groove de Soul avec «More Than I Can Stand». Chips l’orchestre à gogo, il envoie des vagues de cuivres et de violons à l’assaut du ciel et Reggie Young brode sa dentelle de Calais dans un coin. En B, on retrouve l’inébranlable «Fly Me To The Moon». À la réécoute, ça sonne encore plus légendaire, faites l’expérience, vous verrez. Bobby a du génie, un sens aigu du hit qui fait mouche. Il screame à bon escient. On trouve deux autres merveilles productivistes en B, «Don’t Look Back» et «Tried And Convicted». Le premier vaut pour un beau brin de groove de Soul aérienne, bien vu, bien senti, ultra joué, orchestré avec goût, et doté de ces fantastiques descentes de bassmatic qui font la réputation d’American. On peut dire la même chose de «Tried And Convicted», violonné à la revoyure, c’est de la haute voltige. Chips voyait grand pour Bobby.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Elvis doit une sacrée fière chandelle à Chips, c’est en tous les cas ce que montre  Suspicious Minds The Memphis 1969 Anthology. Ce double CD est bourré de cuts miraculeux, à commencer le morceau titre. Pur Memphis Sound, big symbole, bien battu en brèche, avec le fantastique bassmatic d’American. Ici, Chips a tout bon, il fournit le beurre et l’argent du beurre à Elvis, le son et la compo. Il faut entendre ce redémarrage de bass/drums dément ! Autre coup de génie productiviste avec «Anyday Now», Chips envoie des chœurs superbes. Elvis entre dans le groove du fleuve avec «Stranger In My Own Town». On est au cœur du Memphis Beat. Puis avec «Without Love (There Is Nothin)», il vire gospel et donne libre cours à son génie vocal. Tout dans ces sessions est produit de main de maître. Elvis a tout ce qu’il peut désirer : l’orgue, les filles, Chips, il fait de la Soul avec «Only The Strong Survive». On assiste ici à un festin de son. Quand il tape un mélopif comme «I’ll Hold You In My Heart», il fait le show, qu’on aime ou qu’on n’aime pas. Retour à l’église en bois pour «Long Black Limousine». Il recrée le gospel power à la seule voix et ça devient énorme. Il n’a pas besoin des Edwin Hawkins Singers. Il chante même sa country comme un dieu, au vibré de glotte royale. Petit clin d’œil à Johnny Horton avec «I’m Moving On». Il chante ça au lowdown de Memphis et quand arrive «Gentle On My Mind», on tombe de sa chaise tellement c’est pur. Encore une équipe gagnante dans l’histoire des teams de rêve : Chips + Elvis. Quand on entend «After Loving You», on comprend que Reigning Sound soit allé chercher ce son-là. «In The Ghetto» sonne comme l’aboutissement de Chips. Encore un chef-d’œuvre absolu : «You’ll Think Of Me», balladif généreusement orchestré et les cuivres arrivent dans la folie des chœurs de gospel perchés dans le ciel. Sur le disk 2 se trouvent rassemblés les alternates. On n’apprendra rien de plus. Ça ne s’écoute que par pur plaisir. Elvis est le chanteur parfait et les mecs d’American le backing parfait. Les montées en température dans «I’m Moving On» sont des modèles du genre, surtout le bassmatic en folie. Pur merveille que ce «Power Of Love» joué au heavy Memphis groove. Elvis réussirait presque à nous faire oublier le Colonel. On trouve vers la fin une version d’«Hey Jude» extrêmement chantée, superbement orchestrée, cuivres, violons, chœurs, piano, il ne manque rien. Encore un coup de prod avec «Rubberneckin’» et des chœurs de rêve. On retrouve aussi un alternate de «Suspicious Minds» vers la fin - It’s the last take Chips ! - Magie pure, Reggie Young on fire, Gene Chrisman on the beat, Mike Leech on bass, ça s’écoute religieusement.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Donnie Fritts a longtemps écumé la frontière. Les bivouacs dans les montagnes ont éculé ses fringues. Une cartouchière lui barre la poitrine et ses bottes ont déjà vécu neuf vies. Assis sur un banc, il scrute l’horizon. C’est la pochette de Prone To Learn, paru en 1974. Très bel album, aussi solide que son poney apache. Il attaque avec un shoot d’’Alabama rock finement cuivré, «Three Hundred Pounds Of Hongry». Jimmy Johnson, Eddie Hinton, David Hood et Roger Hawkins font partie du gang, donc ca donne la fritte à Fritts. Tous les amigos sont là, y compris Rita Coolidge, Billy Swann, Dan Penn, Jerry Wexler, Kris Kristofferson. Grosse ambiance. S’ensuit un «Winner Take All» co-écrit avec Dan Penn. On sent la patte du Penn. «You’re Gonna Love Yourself» sonne comme le balladif idéal. Fritts joue la carte du soft Southern drawl, celui du petit matin. En B, Tony Joe White radine sa fraise sur «Sumpin’ Funky Going On». Tony Joe joue lead sur ce boogie funk vermoulu. Ils duettent à un certain moment, with a smile on my face. S’ensuit un heavy country funk d’Eddie Hinton, «Jesse Cawley Sings The Blues», bardé de steel guitar et de piano. Le morceau titre est un cut de Kris Kristofferson, un folk-rock typique de Muscle Shoals. Et toute cette belle aventure se termine évidemment avec «Rainbow Road», le hit de Dan & Donnie, the absolute beginners.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Album très impressionnant que ce Memphis Underground d’Herbie Mann paru sur Atlantic en 1969 et enregistré chez Chips. Au dos, on voit les musiciens enregistrer chez American : dans un coin, les deux guitaristes, Sonny Sharrock et Larry Coryel. On voit aussi Reggie Young et sa Tele avec la section rythmique, et dans un box, Herbie Mann torse nu avec sa flûte. C’est photographié de l’étage. Dès le morceau titre d’ouverture de bal d’A, on est en plein cœur du Memphis beat. Gene Chrisman bat le beurre de roule ma poule et Tommy Cogbill nous bassmatique tout ça au quart de poil. Ils tapent en fin de B une cover d’«Hold On I’m Coming». Miroslav Vitous prend la basse. Il sort un drive plus jazzy et c’est embarqué au shuffle d’American. Herbie Mann flotte à la surface du shuffle. Ces géants se payent une tranche sur le dos de Sam & Dave. Excellent ! Ils attaquent la B avec une cover de «Chain Of Fools». C’est encore un groove ventru, plein de son, avec Larry et Sonny qui croisent le fer avec le bassmatic demented de Tommy Cogbill. Et cette belle aventure se termine avec «Battle Hymn Of The Republic», fantastique numéro de shuffle de flûte, Herbie Mann n’est pas manchot, il joue très organique, il swingue le thème mélodique et ça ensorcelle les vermicelles.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Avec Neil Diamond, Chips applique les mêmes recettes qu’avec B.J. Thomas : a big handful of big covers. On en trouve quatre sur Touching You Touching Me paru en 1969, année érotique, à commencer par l’imparable «Everybody’s Talking» de Fred Neil, avec un petit coup d’up-tempo et un banjo. The Memphis way ! Neil Diamond le chante d’un ton ferme, sous l’horizon. Il enchaîne avec le fantastique «Mr Bojangles» de Jerry Jeff Walker, il le bouffe même tout cru, crouch crouch. Il est excellent dans ce rôle d’artiste American. Il déclenche de sacrées vagues de frissons. En B, il tape l’excellent «Both Sides Now» de Joni Mitchell, il descend dans la magie de Joni comme dans un lagon, il jette tout son poids de Diamond dans la balance de cristal pour honorer cette mélodie lumineuse. Il termine avec un superbe hommage à Buffy et cette reprise d’«Until It’s Time For You To Go», prodigieusement orchestrée, du pur jus d’American.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Grâce à Ace, on peut écouter les fameuses long lost 70 sessions de Carla Thomas enregistrées par Chips chez American : Sweet Sweetheart - The American Studio Sessions And More. Ce lost album devait s’appeler Sweet Sweetheart. C’est Al Bell qui a l’idée d’envoyer Carla chez Chips, en 1970. Ah c’est autre chose que ces albums Stax un peu soporifiques. Avec Chips, Carla fait de la country Soul et ça explose dès le «Country Road» de James Taylor. Quel répondant ! C’est une merveille. Merchi Chips ! Grâce à lui, Carla s’affirme. Elle fait aussi de la petite pop («I’m Getting Closer To You»), pas de problème, Carla fait tout ce qu’on lui demande. Elle est fabuleusement accompagnée. Elle ramène son sucre («Heaven Help The Non-Believer»). Elle adore plonger dans le sweet sweet («Sweet Sweetheart», signé Goffin & King), elle détache bien ses syllabes, elle se débat dans des cuts de romantica, mais sa voix est pure. Chips transforme ses cuts en œuvres d’art. Elle fait du gospel batch avec «Everything Is Beautiful». Mais l’album va rester coincé sur une étagère pendant quarante ans, jusqu’au moment où Roger Armstrong le découvrira. S’ensuit une série de cuts Stax enregistré entre 1964 et 1968, à commencer par l’imparable «B-A-B-Y» (take 1), bombardé au bassmatic. Tony Rounce qui fournit les liner notes se demande pourquoi Al Bell et Jim Stewart ont bloqué toutes ces merveilles. En voilà encore une avec «Love Sure Is Hard Sometimes», monté sur un groove de walking bass et un pianotis de prescience. Back to the Memphis beat avec «Don’t Feel Rained On», elle chante la main devant les yeux, yes I feel new. La fête se poursuit avec «He Picked Me», pur jus de Memphis r’n’b, sec et net.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Chips cède à son péché mignon, la country, en enregistrant le Cactus And A Rose de Gary Stewart. Attention, ce n’est pas de la gnognotte puisque ça sort sur RCA Victor en 1980. Mais l’album est trop country pour les gueules à fioul. Dommage, car Chips a ramené du beau monde en studio : Bonnie Bramlett et Gregg Allman. On entend aussi beaucoup Toni Wine, qui est alors la poule de Chips. «Staring Each Other Down» est un heavy balladif country lourdement orchestré, l’orgue ne faiblit pas et Toni chante dans l’écho du temps de Chips. Si on aime la heavy country de Nashville, alors on se régalera de «Ghost Train», ce démon de Gary Stewart chante ça au raw du guttural. Bonnie entre dans la danse en B sur «Roarin’». Ah ils savent enfoncer des clous, les Nashvillais. Ça se termine avec un «We Just Couldn’t Make It As Friends» signé Chips qui sonne comme un hit. Fantastique allure. En fait, Chips a ramené en studio ses copains de Memphis, mais le son n’est décidément pas le même. C’est un son cousin.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             L’un des gros coups de Chips, c’est Highwayman, le super-groupe country, avec Kristofferson, Waylon Jennings, Willie Nelson et Cash. Un album sans titre paraît en 1984. C’est de la country classique et sans surprise. Chips adore ça. Les quatre vieux crabes se relayent au micro. On note une belle dominante de Cash, toujours plus profond que les autres. On sauvera «Big River», festival de Western swing, avec Reggie Young à la gratte et Gene Chrisman au tatapoum. Fantastique énergie ! Chips remet tout le paquet avec son house-band. Reggie régit tout. Les quatre vieux crabes tapent aussi une version de «Desperados Waiting For A Train», le chef-d’œuvre de Guy Clark, mais ça retombe comme un soufflé. La version de Jerry McGill est bien plus balèze. Et quand on écoute «Welfare Line», on s’effare de la qualité de la prod. On le sait, Chips ne mégote pas.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             C’est lui qui monte l’opération Class Of ‘55, Memphis Rock & Roll Homecoming avec Carl Perkins, Jerry Lee, Roy Orbison et Cash. Il voyait ça comme un gros coup, mais ça n’a pas marché. Pourquoi ? Il suffit d’écouter l’album. Carl Perkins ouvre le bal avec «Birth Of Rock’n’Roll», il sait de quoi il parle, mais le solo country est parfait, trop parfait pour être honnête. Heureusement, Jerry Lee chope le mic pour chanter «Sixteen Candles» et il sauve les meubles. C’est lui le king du Memphis Beat. Il ne fait pas planer le doute, mais le génie. Dès qu’il arrive, tout reprend du sens. Ils tapent un peu plus loin une grosse claque de country groove intitulée «Waymore’s Blues» et chantent à tour de rôle : Cash, Orbison, Jerr et Carl. C’est assez hot. Avec «Coming Home», Roy Orbison taille sa petite bavette bien baveuse. Avec Roy, c’est toujours baveux, mais puissamment baveux. «Rock And Roll (Fais Do Do)» n’a strictement aucun intérêt, Chips s’égare et Jerr ramène le Class Of ‘55 dans le droit chemin avec «Keep My Motor Runnin’». Il est le sel de la terre. Memphis, c’est Jerry Lee. La ville de Memphis n’acceptera pas cet album en forme de pétard mouillé et cassera le contrat avec Chips.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             L’un des derniers albums que Chips produit est le Womagic de son ami Bobby qui sort en 1986. Pas de hit sur cet album, mais de l’excellent slow groove de Memphis («When The Weekend Comes»). Bizarrement, l’album vire un peu diskö, comme le montrent «Can’ Cha Hear The Children Calling» ou encore cet «It Ain’t Me» embarqué à la basse funk et perturbé par des cassures rythmiques insolites. 

    Signé : Cazengler, chips à l’ancienne

    Ronnie Milsap. Ronnie Milsap. Warner Bros. Records 1971

    Petula Clark. Memphis. Warner Bros. Records 1970

    Petula Clark. Blue Lady. The Nashville Sessions. Varèse Sarabande 1996

    Brenda Lee. Memphis Portrait. Decca 1971

    Bobby Womack. Fly Me To The Moon. Minit 1968

    Bobby Womack. My Prescription. Minit 1970

    Elvis Presley. Suspicious Minds The Memphis 1969 Anthology. RCA 1999

    Donnie Fritts. Prone To Lean. Atlantic 1974

    Herbie Mann. Memphis Underground. Atlantic 1969

    Neil Diamond. Touching You Touching Me. UNI Records 1969

    Carla Thomas. Sweet Sweetheart. The American Studio Sessions And More. Ace Records 2013

    Gary Stewart. Cactus And A Rose. RCA Victor 1980

    Highwayman. Highwayman. Columbia 1984

    Carl Perkins/Jerry Lee Lewis/Roy Orbison/Johnny Cash. Class of ‘55. America Records 1986

    Bobby Womack. Womagic. MCA Records 1986

     

     

    Bettye n'est pas une lavette

     

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Comme beaucoup d’énormes stars de la Soul (Martha Reeves, Little Willie John et sa sœur Mable, Sir Mack Rice, Joe et Levi Stubbs et combien d’autres !), Bettye LaVette est originaire de Detroit. Elle a aussi un point commun avec les Pretty Things : une poisse terrible. Bettye aura passé sa vie à attendre de pouvoir enregistrer un album.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Elle raconte son histoire (en collaboration avec David Ritz, le biographe de toutes les stars de la Soul) dans un petit livre passionnant : A Woman Like Me - A Memoir. Il s’agit là d’une contribution majeure à l’histoire de la Soul. Ce petit ouvrage se lit d’un trait, d’autant plus facilement que Bettye fréquente toutes les stars de l’âge d’or, à commencer par Jerry Wexler, Andre Williams, Otis, Aretha et sa sœur Erma, Esther Williams, Marvin, bien sûr, George Clinton, Jackie Wilson avec lequel elle passe une nuit, Dr John, Solomon Burke et combien d’autres ? C’est probablement l’un des meilleurs éclairages sur la scène de Detroit.

             Bettye a deux passions dans la vie : le sexe et chanter - We were essentially groupies who sang - Bettye baise avec des tas de mecs et principalement des macs - Those pimps loved to watch girls have sex - Ces macs aimaient bien voir des filles baiser ensemble. Elle affirme qu’elle a plus appris de ces gens-là que des prêtres - I’ve learned a helluva lot more from pimps than preachers - Bettye n’est pas avare de détails, elle a toujours aimé le cul et elle avoue qu’arrivée à la soixantaine, elle n’est plus aussi athlétique au lit.

             Son histoire démarre très fort, puisque ses parents sont alcooliques professionnels. Ils vendent de l’alcool et des sandwiches - I was born in a heavy-drinking family. Early on I became - and remain - a serious drinker - Et elle fréquente très jeune le Black Bottom, le quartier chaud de Detroit où les souteneurs en costards de soie vert pistache et en spit-polished alligator shoes la fascinent. Elle y croise Otis Williams et David Ruffin qui allaient former les Tempts, Smokey aux yeux verts et Mary Wells qui chantait les chansons de Smokey.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Bettye a seize ans lorsqu’elle enregistre « My Man ». Jerry Wexler repère le single et la veut sur Atlantic. Elle commence à tourner et baise avec Otis et Ben E King qui ont déjà pas mal de gonzesses dans leurs vies respectives. Bettye snobe Motown, fière d’être signée sur Atlantic, le label de Ray Charles, de Solomon Burke et des Drifters. Elle fréquente aussi Andre Williams qui a dix ans de plus qu’elle, et Ted White, le mari d’Aretha qui se dit pimp. Bettye affirme qu’Aretha est devenue une superstar grâce à Ted, et elle trace un parallèle avec Ike Turner - Without Ike, there would not be no Tina - Sans Ike, pas de Tina possible. Bettye raconte qu’elle passe l’après-midi à sniffer de la coke avec Ted et Aretha dans une suite d’hôtel - For years Aretha’s baby sister, Carolyn, and brother Cecil shared the same drug dealer with me - Elle et Carolyn s’approvisionnent chez le même dealer. Tout va bien pour Bettye jusqu’au jour où son manager Robert West se tire une balle dans la tête. Catastrophe ! La voilà obligée de tout reprendre à zéro.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             C’est là qu’elle fait la connerie de sa vie : elle part s’installer à New York. Elle va trouver Wexler et pose ses conditions : elle veut travailler avec Leiber & Stoller, mais Wexler lui dit qu’ils ne sont plus chez Atlantic. En échange, il lui propose Burt Bacharach qui composait alors pour Dionne Warwick. Bettye fait la deuxième connerie de sa vie : elle refuse - I need gutsier writers like Leiber & Stoller - Elle voulait des gens plus dynamiques que Burt. Alors elle quitte Atlantic. Sans manager et sans label, t’es foutue, lui dit Wexler. Comme elle veut être libre, elle demande à Wexler de déchirer son contrat. Ce qu’il fait devant elle. Puis il lui file un chèque de 500 dollars - For what ? Demande-t-elle - Just because you’re going to need it - Wexler la prévient qu’elle va en baver.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Elle dit beaucoup de mal de James Brown qu’elle considère comme un être inculte - I saw him as an especially ignorant man - et de Doris Troy - She was bad - Et elle finit l’épisode new-yorkais à moitié à poil dans la rue, après qu’un mac ait menacé de la jeter du vingtième étage d’un immeuble. Retour à Detroit, où elle fréquente les gens de Motown. Bettye couche avec Clarence Paul, l’un des producteurs Motown qui n’est hélas pas dans les petits papiers de Berry Gordy. Elle raconte comment un soir sur scène, George Clinton commença à prendre de l’acide - If Jimi Hendrix could kiss the sky and burn up his guitar on stage, George wasn’t going to be left behind - Oui, il n’était pas question pour Clinton de prendre du retard sur Jimi Hendrix. Et elle fait bien sûr le parallèle avec ce qui se passait alors en Californie autour de Sly Stone. Et puis en 1972, Leland Roger, boss de Silver Fox Records, propose à Bettye d’aller enregistrer à Memphis - You heard of Jim Dickinson ? - C’est l’épisode du fameux album Child Of The Seventies jamais sorti. Bettye s’amuse bien avec Jim et les autres - These white boys liked popping the speed pills used by truck drivers. Weed was plentiful - Elle voit ces petits blancs prendre des amphètes de camionneurs et fumer de l’herbe à la pelle. Il fut ensuite question d’une tournée, Bettye reçut même ses billets d’avion et puis, sans aucune raison, un mec d’Atlantic l’appelle pour lui dire que tout est annulé, y compris l’album, et qu’elle doit renvoyer les billets. Elle fut tellement anéantie qu’elle passa des journées entières sous une table avec des bouteilles de vin - Muthafucka, comme dit Bettye en guise de chute à chaque chapitre.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             On trouve sur cet album ressuscité un gospel rock d’envergure maximaliste, « All The Black And White Children ». Elle attaque ça au communautarisme ambivalent, bien soutenu par les violons du paradis. Mais le reste de l’album n’est pas très bon. Elle fait une reprise Soul d’« It Ain’t Easy » et fait de « Fortune Teller » un balladif invertébré. Sur « Soul Tambourine », elle sonne comme Mireille Mathieu. Elle finit par s’énerver sur « Ain’t Nothing Gonna Change Me », elle y arrache le shake du raunch. C’est Rhino qui a réédité ce disque raté en 2006. Par contre, on y trouve des bonus qui sont nettement meilleurs que les cuts de l’album original, à commencer par « Livin’ Life On A Shoestring », un vrai funk de fièvre mortelle des années soixante-dix. Bettye s’y fait reine du funk insidieux et elle chante au sucré d’allure. Elle vit bien sa vie sur le shoestring. Elle tape dans le « Heart Of Gold » de Neil Young puis dans « You’ll Wake Up Wiser », une belle pièce de groove raffiné qu’elle chante d’une voix de sucre aigu. Elle chante aussi « Here I Am » du haut de sa juvénilité cossue. Sacrée Bettye, elle sait chanter à pleine voix et se montrer attachante.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Comme Rhino, Sundazed fit en 2006 œuvre de charité en compilant les singles Silver Fox sur l’album Do Your Duty. Les Dixie Flyers accompagnent Bettye sur certains morceaux comme « Do Your Duty », un r’n’b de classe infernale, le r’n’b à l’état le plus pur, quasiment staxé. Normal, on est dans le Memphis sound. Bettye n’en finit plus de ruer dans les brancards. Elle tire son Soul train avec une belle opiniâtreté. C’est une battante. Elle ne lâche pas sa proie. Les Dixie sont aussi derrière elle pour « He Made A Woman Out Of Me ». Bettye sonne carrément comme Aretha. Même attaque, même classe. C’est encore une fois superbe de grandeur Soul et de maintien africain. Elle va plus sur la voix de nez mais elle bouillonne de feeling. Bettye est une féroce, une hot chick. Sur « My Train’s Coming In », elle feule, elle embarque son r’n’b avec une niaque des bas-fonds. On a là une véritable perle de juke. On découvre en elle une Soul Queen, au même titre qu’Aretha et Martha Reeves. Encore une bien belle énormité avec « At The Mercy Of A Man », pièce fumante de hot soul qu’elle travaille au corps. Rien que pour ces quatre hits, il faut se jeter sur l’album. Bettye s’y montre fabuleusement douée. 

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Quand Motown se réinstalla à Los Angeles, Clarence Paul fit signe à Bettye. Elle vint y enregistrer au Bolic Sounds Studio d’Ike, et elle y fit la connaissance du real gangster of love, Johnny Guitar Watson - Like Ike, Johnny could snort more blow than a brand-new Hoover - Elle raconte qu’Ike et Johnny sniffaient la coke comme des aspirateurs. Elle tombe aussi dans les bras de Solomon Burke que Jerry Wexler considérait comme le plus grand chanteur de soul - with a borrowed rhythm section - Et quand la cousine Margaret demandait à Bettye comment on pouvait baiser avec un homme aussi énorme que Solomon, elle répondait - Simple. You sit on him - Tu t’assois dessus, répondait-elle. Elle se retrouve aussi au lit avec son idole Bobby Bland - We blow so much that we forgot about sex - Mis ils étaient trop défoncés pour penser à baiser. Et puis un beau jour de 1982, Lee Young de Motown passe un coup de fil à Bettye : « Motown needs a mature female vocalist and you’re it ! » Motown veut une chanteuse mûre.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             On l’envoie enregistrer à Nashville. Tell Me A Lie est un disque étrange. On sent que Bettye résiste comme elle peut à la pression commerciale qui la pousse vers cette fucking disco qui se vend bien. « Right In The Middle » sonne comme une belle Soul de caractère. Bettye chante d’une voix d’accent tranchant, mais on sent la menace disco juste derrière. Ce son m’as-tu-vu a ruiné des quantités d’albums. On commence à écouter « You Seen One You Seen Em All » monté sur un petit beat pop de la Motown softy softah des clopinettes de la bézette des années 80 et on s’écroule en faisant Ach !, comme le fantassin de la Wermarth frappé en pleine poitrine par une roquette anti-char. Bettye sauve l’album avec une reprise magistrale d’« I Heard Throught The Grapevine ». Elle tape là dans l’immensité de l’immense classique de son copain Marvin, dans le cantique des cantiques de la Soul orthodoxe, dans le saint des saints du groove Tamla. Bettye tient bien la rampe d’un beat Soul qui soûle. Le seul morceau intéressant de la B, c’est « I Like It Like That », plus groovy et chanté à contre-courant d’un beau développé d’élégance de satin rouge. Elle s’y frotte avec une classe certaine. Mais quand l’album paraît et qu’elle voit la pochette, elle pousse un hurlement : ces connards de Tamla ont mis une blanche sur la pochette ! Et comme Motown ne fait aucune promotion, l’album fait un flop. C’est la deuxième fois que ses espoirs sont anéantis. Muthafuckas.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Puis un Anglais nommé Ian Levine vient s’installer à Detroit avec l’intention de redémarrer Motown. Il récupère tous les seconds couteaux que les Anglais amateurs de Northern Soul adorent, Bobby Taylor, Marv Johnson, Kim Weston, Dennis Edwards, Eddie Kendricks, Brenda Holloway, les Contours, les Marvelettes, les Four Tops, les Velvelettes et bien sûr Bettye, et il fonde le label Motorcity. Ian Levine avait du fric et il payait bien - He probably paid many of the old-time Motowners more than Berry Gordy ever had - mais l’album Not Gonna Happen Twice paru en 1991 sur Motorcity n’alla nulle part. Difficile à dénicher, mais on est bien récompensé quand on le chope. Elle attaque avec la diskö du morceau titre et la swingue avec un incroyable chat perché de Soul Sister qui a tout vécu. Elle frise l’Esther Phillips tellement elle est bonne. Elle fait jaillir cette énergie du diskö Soul de Detroit qui rend dingue. Elle chante avec des accents fêlés extravagants. Comme Rufus Thomas, elle sait tenir la rampe pendant huit minutes. Betty chante à la base du beat, elle suce le feeling du totemic, elle tripote sa diskö Soul jusqu’à l’aube. Puis avec « Have A Heart », elle laisse la diskö pour revenir au groove. Elle repart en maraude pour six minutes. Elle ramène tout son répondant. Elle règne sur la Nubie quand elle veut. Elle chante à la vie à la mort de la mortadelle. « Right Out Of Time » paraît plus plan-plan mais les filles ramènent de la chaleur. C’est une fois de plus bardé de génie diskö. Derrière Bettye, les filles sont folles, elles soulèvent leurs jupes pour évacuer la chaleur. Elle braillent comme des folles et elles basculent les jambes en l’air dans les descentes de groove. C’est hallucinant. Bettye revient à sa chère heavy Soul avec « Let Me Down Easy » et une niaque unique au monde. « Good Luck » est monté sur un violent diskö beat, Bettye saute au paf directement. Elle rivalise une fois de plus de classe avec Esther Phillips. Elle fait une version diskö de « Jimmy Mack ». Comment ose-t-elle ? Touche pas à ça malheureuse ! Mais Bettye chante comme Martha, elle respecte l’intégrité du son, elle retrouve le secret de la niaque des origines. Elle revient à la grande Soul de Detroit avec « Time Won’t Change This Love ». Elle l’explose avec tout le chien de sa chienne dont elle est capable. Pur génie Soul. Elle attaque « Danger Heartbreak Dead Ahead » à la manière d’Aretha. Attention, c’est très puissant, aussi capiteux qu’un grand hit d’Aretha. Fascinant ! C’est plein de jus inconnu. Bettye LaVette ramène toute la folie dans le Detoit Sound.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Grâce à un admirateur nommé Dennis Walker, elle parvient à enregistrer un nouvel album en 2003. Les LaVettistes voient A Woman Like Me comme l’album du redémarrage. Mais Bettye va donner libre cours à son gros défaut et compromettre sa crédibilité de Soul Sister : elle se prend un peu trop pour Tina, comme c’est le cas avec « Right Next Door ». Trop d’affectation et trop de maniérisme, trop d’accents de lionne blessée qui tournent au cliché et qui renvoient au cauchemar des années 80. Aux yeux de certains, ce côté Tina peut passer pour une force, mais aux yeux des autres, ça devient vite insupportable. Elle revient au blues avec « When The Blues Catch Up To You », une belle pièce de blues velouté et cousu de fil blanc. Mais elle retombe dans le maniérisme avec « Thinkin’ Bout You » et là elle tape carrément dans la surenchère de simagrées. Elle joue du fêlé de son timbre, mais Bettye n’est pas Tina et ça tourne vite au chichiteux. Elle se rattrape avec le morceau titre qu’elle embarque grâce à la science de la connaissance. C’est le hit de l’album et c’est sacrément joué à la guitare. Puis elle nous jazze « It Ain’t Worth It After A While » dans la fumée des clubs de Harlem. On se croirait dans un movie de Spike Lee. L’atmosphère se veut superbement languide et Bettye joue les jolies cavaleuses d’exaction morose du Comte de Lautréamont. Elle verse une larme d’opale qui roule dans la mystérieuse échancrure de la vallée du Nil. Elle revient ensuite au fier r’n’b avec « When A Woman’s Had Enough », doté de l’épine dorsale du beat de base et joué à la basse funk pouet-pouet. Quelle belle pièce sous le couvert ! C’est fin et audacieux, pulsé par le pouet-pouet empathique. C’est même captivant. On a là un cocktail explosif : Bettye, la basse et l’ambiance. Mais l’album ne marche pas - Another one of these triumphant debacles that characterize my career. The music was great but no one really heard it - Elle qualifie sa poisse de triomphante débâcle. Elle fait de bons disques que personne n’écoute.

             Puis elle finit par être repérée et lancée par un certain Mike Kappus, boss de l’agence de booking Rosebud. Elle tourne en Europe avec Etta James et Bobby Bland. La voilà sauvée, au plan matériel.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Mais elle ne parvient pas à corriger son gros défaut pour enregistrer l’album suivant, I’ve Got My Own Hell To Raise, un album de reprises de chansons écrites uniquement par des femmes. Dans « Do Not Wait What I Haven’t Got », elle se prend encore pour Tina et ça sent la dérive des vieilles blacks alcoolisées. Encore une fois, ça plaira à certains mais pour les autres, ce sera insupportable. Une reprise de Lucinda Williams, « Joy », passe aussi à la casserole, mais l’atmosphère du morceau sort vraiment de l’ordinaire. Elle tape dans Joan Armatrading avec « Down To Zero » puis dans Rosanna Cash avec « On The Surface » qu’elle transforme en heavy groove bien foutu - On the surface everything seems alright - Puis elle attaque une fantastique reprise de « Little Sparrow », signé Dolly Parton. C’est monté sur un énorme groove de basse. Elle fait sa Tina gospel et noie sa version dans la basse. Voilà ce qu’il faut bien appeler une monstrueuse approche du petit moineau. Le royaume de Bettye, c’est le groove, comme le prouve « How Am I Different ». On se retrouve là dans le son de la Nouvelle Orleans, dans ces grooves insidieux pleins de nuances expertes. Au fil des morceaux, cet album devient réellement extraordinaire et on monte encore d’un cran dans la stupéfaction avec « Only Time Will Tell Me » qu’elle tortille dans un groove paranormal, à la fois perverti et funky, et ça devient fabuleux. Bettye sait gérer l’éclat de l’excellence. Derrière, les autres jouent comme des diables. Elle termine avec une reprise de Fiona Apple, « Sleep To Dream », et elle bénéficie une fois de plus du climat de mystère entretenu par les bêtes de groove qui l’accompagnent. Ça devient énorme - I’ve got my own hell to raise - et Bettye redevient l’énorme Soul Sister de l’époque Silver Fox. 

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             The Scene Of The Crime pourrait bien être l’album mythique de Bettye, car les Drive-By Truckers l’accompagnent. Patterson Hood commence par lui proposer 60 chansons qu’elle rejette. Puis Bettye débarque à Muscle Shoals - I didn’t feel respected. Drive-By Truckers had written no arrangements. Nothing had been planned. They wanted to wing it. I wanted to kill them - Elle ne se sentait pas respectée, rien n’avait été préparé. Elle voulait les tuer. Elle ajoute qu’elle préfère enregistrer dans le Nord plutôt que dans le Sud. Cet album qui s’annonçait mal réserve d’énormes surprises. Il démarre en trombe avec « I Still Want To Be Your Baby ». Patterson Hood et ses copains veillent au grain, alors ça prend tout de suite très fière allure. Ils sortent un son extraordinaire d’extravagance et on se retrouve avec une sorte de morceau idéal : la voix frippée de Bettye et le son du meilleur groupe underground d’Amérique. Il faut voir comme ils savent faire monter la sauce. Le gimmick est joué dans l’écho des sous-bois de l’Alabama hantés par les fantômes des soldats confédérés. Mais Bettye revient faire son numéro de feuleuse et ruine le cut suivant. Mavis Staples ne serait jamais tombée dans un tel panneau. Ça recommence à chauffer avec « You Don’t Know Me At All », car les Drive balancent un groove énorme. Alors Bettye renaît de ses cendres. Derrière, ils jouent comme des vautours. Évidemment, avec Patterson dans les parages, ça prend une tournure énorme. Voilà donc un groove puissant et relancé au solo de guitare. Les Drive salent et poivrent à outrance. On reste dans la grosse ambiance avec « They Call It Love ». Bettye allume avec des effets de voix humide frappés par l’orage, mais elle frôle vite le ridicule. On croit que « The Last Time » est une reprise des Stones, mais non, c’est un groove à la Creedence. Pièce excellente, moite et digne du bayou. Patterson fait chauffer la lessiveuse. Il touille le brasier sous la cuve. Au moins, comme ça, le linge sera blanc.  

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             L’album suivant qui s’appelle Interpretations - The British Rock Songbook pose un sacré problème aux LaVettistes : comment une Soul Sister originaire de Detroit a-t-elle pu aller se fourrer dans un tel guêpier ? On sait que les Supremes et Aretha ont tapé dans les chansons de Lennon et McCartney, mais elles ont su s’en tirer avec les honneurs, car les mélodies tenaient la route. Bettye tape dans une chanson moins connue de Lennon/McCartney, « The Word », et ça ne marche pas. Elle refait sa Tina dans « No Time To Live » de Traffic et c’est horriblement prétentieux. « Don’t Let Me Be Misunderstood » lui va un peu mieux, mais elle refait sa Tina dans « Wish You Were Here » du Pink Floyd et elle réussit à massacrer le très beau « Baby I’m Amazed » de McCartney. Elle se prend cette fois pour Nina Simone, mais elle n’est pas Nina Simone. On ne retrouve même pas le fil mélodique de la chanson, pourtant si pur. Puis elle tape dans les Stones avec « Salt Of The Earth », mais ça ne marche pas non plus. Rien à faire. Il ne se passe rien dans sa version de « Nights In White Satin » et on retrouve enfin la Soul Sister dans « Why Does Love Got To Be So Bad » (Clapton) qui démarre comme le « Cannonball » des Breeders. Et là, elle swingue, et ça devient fabuleux, funky jusqu’à l’os du genou et transpercé par un solo fatal. La grande Bettye est enfin de retour. Ouf ! Il était temps.   

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Tous les LaVettistes se sont prosternés devant Thankful N’ Thoughful paru en 2012. Pourtant, dans Soul Bag elle explique que c’est encore une idée des producteurs, pas la sienne - Je n’ai pas été associée à leur démarche - Et elle est directe : ce n’est pas son disque préféré ! En effet, l’album commençait mal, car dans « Everything Is Broken », elle refaisait sa Tina.

             — Bon dieu, Bettye, arrête de singer cette vieille mémère de Tina qui est devenue vraiment pénible !

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Mais on lui a dit de singer Tina. Les mecs du business pensent que ça fait vendre. Alors la pauvre Bettye fait sa Tina en veillant à ne pas tomber dans la tinette, mais c’est tout juste. Elle redevient pénible de singerie. Dommage. Puis elle trafique « Dirty Old Town » et c’est atrocement mauvais. Les mecs du business ont réussi à faire de Bettye une vieille chanteuse à la mode. En plus, elle s’y croit. Elle traîne ses mots dans l’affectation et fait sa gospel queen de radiateur. Il faut attendre « I’m Tired » pour la voir enfin renaître. Elle se fâche pour de bon et elle accouche d’un vrai hit. Elle fait sa fêlée. Elle sort un pur jus de rock à Billy bop de cabane de bayou. Ça sonne comme un hit, elle emmène son truc à la voix chauffée, pulsée par un riff fatal. Wow Bettye ! Avec le morceau titre, elle tape dans le heartbeat du r’n’b et renoue avec la Soul magique. Bettye dégage le passage. Ne vous mettez pas en travers de son chemin - Thoughtful ! I’m thoughtful - C’est plombé à l’arpège dément. Elle mord dans son truc comme dans la pomme du diable - le son ! le son ! - Envoûtement garanti. Elle redevient la Bettye fascinante qu’on adore. Et elle y revient sans cesse, elle mord et remord au truc. Dans « Time Will Do The Talking », elle prend le taureau du groove par les cornes. Elle se libère enfin de ses chaînes. Elle attaque le groove dans la pente. Elle devient spectaculaire. Plus aucune affectation. Elle chante sous l’emprise du feeling et on retombe sur la réalité d’une star énorme. Elle plonge dans son cut avec gourmandise, elle en fait un truc puissant et inspiré. Elle chevauche son groove à l’ancienne, sans selle. Elle chante comme la reine de Nubie - Time ! Time ! - et elle finit par donner le vertige.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             On trouve les deux premiers enregistrements de Bettye sur une compile intitulée The Original Sound Of Detroit, parue en 1967. Attention, c’est un très gros disque, puisqu’autour d’elle on trouve les noms des Corvells, des Falcons, de Mack Rice et de Joe Stubbs, qui était le frère de Levi Stubbs, l’un des quatre Four Tops. Sir Mack Rice fait un carton avec « My Baby » et son r’n’b popotin noyé de chœurs et de cuivres. Bettye a déjà une envergure de Soul Sister. Avec « Witchcraft In The Air », elle pulse comme une vétérante des guerres napoléoniennes. Mais le roi, c’est bien Sir Mack Rice qui revient à la charge avec « Baby I’m Coming Home ». Il sait trousser un hit et le rendre sympathique en le chargeant de clap-hands et de chœurs torrides. Le « Has It Happened To You Yet » des Falcons est une perle de juke d’un très haut niveau de groove de Soul, dentelé à la vocalise et chanté comme du Marvin, mais en plus élégiaque. Pure magie vocale.  

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Worthy paraît en 2015 sur Cherry Red, un label anglais. Dans Soul Bag, Bettye se dit déçue par les Américains, et notamment par Don Was et Jack White - des gens de Detroit comme moi - qui ont des petits labels et qui ne s’intéressent pas à elle. Worthy est un bon disque. On y trouve une belle pièce de stonesy intitulée « Complicated ». Sa cover tient la route. Bettye sait jiver les Stones et elle fait de ce hit mineur des Stones un hit majeur - It’s kind of complicated aouuuhhh - Elle le groove sans pitié. Elle fait aussi une cover de Dylan, « Unbelievable ». Elle essaye d’y conserver son identité de vieille dame indigne, mais ce n’est pas facile car elle vire trop Tina. Elle fait tout à la glotte fêlée. Elle frime tellement qu’on finit par aller boire une bière au bar. Dommage que son chant soit si maniéré. Elle ne sait même plus de quelle école elle sort et sa reprise du « Bless Us All » de Mickey Newbury est un peu ratée. Elle reprend aussi un cut de Lucinda Williams, «Undamned», sa chouchoute - Quand nous nous voyons, nous nous asseyons pas terre pour boire du vin - Elle revient à ses chers Beatles avec une reprise de « Wait » et en fait une version sauveuse d’album.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Nouvelle apparition en 2018 avec un album de reprises de Dylan, Things Have Changed. Elle y cultive encore ce son de glotte fêlée à la Tina, comme si elle voulait revenir aux racines du mythe Ike & Tina. Elle tape dans les gros classiques de Bob comme « It Ain’t Me Babe » (traité au sweet heavy groove) et « The Times They Are A Changin’ », tapé au heavy sound. Elle sait travailler le Dylanex et emploie une curieuse méthode consistant à en transformer l’ambiance. Dylan sert de merveilleux prétexte, en fait. Elle le fait basculer dans la Soul et c’est admirable. Nouvel essai avec un « What Was It You Wanted » extrêmement groové. Elle fait autorité sur Dylan. Du coup, cette façon de groover en profondeur change tout. Elle en profite pour déballer tout son art de Soul Sister sur le retour. Quelle belle présence intensive ! Elle tape « Go Right To Me Baby (Go Unto Others) » au heavy romp et derrière, ça cocotte sec comme dans Led Zep. De grosses guitares volent à son secours, c’est édifiant. Quelle shouteuse ! Elle touille sa sauce de manière providentielle et occasionne une réelle délectation. Elle retraite « Going Going Gone » à sa sauce et ça finit par donner un grand disque de Soul très porteur, très stratosphérique. Elle remonte le courant de sa Soul comme un saumon d’Écosse, elle splashe des giclées argentées dans les rayons d’un soleil ardent, elle ramène des tonnes de pathos du fond de son ventre de Soul Sister. On entend Keef jouer un killer solo de gras anglais dans « Political World ». Il renoue avec l’éclair de génie du solo de « Sympathy For The Devil ». Avec ce cut, on perd une fois encore tout le Dylanex au profit d’un Bettysme très ambitieux. Elle tape un « Seeing The Real You At Last » plus musculeux. Un nommé Pino Palladino signe ce bassmatic qui roule bien sous la peau du groove. Elle transforme le Dylanex une fois de plus et le sublime en ramenant des tonnes de feeling dans son groove. En fait, elle annexe le Dylanex.

             À la fin de son livre, Bettye reçoit un trophée au Heroes and Legends Banquet de Berverly Hills. Elle monte sur scène et aperçoit les pontes de Motown dans l’assistance, dont Berry Gordy. L’occasion est trop belle de l’allumer : « And if I’m a legend at all, it’s because I know people in Detroit who Berry Gordy still owes fifty dollars to, from when they worked with him on the Chrysler line - Oui, Gordy doit encore du fric à des ouvriers de Chrysler, et elle ajoute, histoire de bien leur mettre le museau dans leur caca - I’d like to say that people in this room could help me to get me where I am, but they didn’t - Oui, aucune des personnes présentes dans cette salle ne l’a aidée. Et comme Lemmy, elle affirme qu’elle fumera de l’herbe et qu’elle picolera jusqu’à ce que le toubib lui dise qu’elle est foutue - And even then, I may well continue smoking marijuana and drinking champagne - Et même à l’article de la mort, elle continuera de fumer de l’herbe et de siffler du champagne.

    Signé : Cazengler, Lavette

    Bettye LaVette. Tell Me A Lie. Motown 1982

    Bettye LaVette. Not Gonna Happen Twice. Motorcity Records 1991

    Bettye LaVette. A Woman Like Me. Blues Express 2004

    Bettye LaVette. I’ve Got My Own Hell To Raise. Anti- 2005

    Bettye LaVette. Do Your Duty. Sundazed Music 2006

    Bettye LaVette. Child Of The Seventies. Rhino Handmade 2006

    Bettye LaVette. The Scene Of The Crime. Anti- 2007

    Bettye LaVette. Interpretations - The British Rock Songbook. Anti- 2010

    Bettye LaVette. Thankful N’ Thoughful. Anti- 2012

    The Original Sound Of Detroit. Speciality/Ember Records 1967

    Bettye LaVette. Worthy. Cherry Red Records 2015

    Bettye LaVette. Things Have Changed. Verve Records 2018

    Bettye LaVette. The 1972 Muscle Shoals Sessions. Run Out Groove 2018

    Bettye LaVette & David Ritz. A Woman Like Me - A Memoir. Plume Printing 2013

    Bettye LaVette. Reprise à Haute Tension. Soul Bag n°218. Avril-mai-juin 2015

     

     

    Wizards & True Stars

    - Le jeu de Pomus

     

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             La seule True Star en béquilles pourrait bien être Doc Pomus. Vieille école ? Autre époque ? Susurreur suranné ? Huberlu révolu ? Dévolu d’Honolulu ? Alibi d’hallali ? Non, Doc, c’est le Brill, au même titre que Totor et Ellie Greenwich, au même titre que Leiber & Stoller et Donnie Kirshner. Ce Brill qui fit briller la pop américaine au firmament, jusqu’au moment où sont arrivés les Beatles, en 1964.

             Petit, Doc s’est chopé la polio. Il a marché toute sa vie avec des béquilles, puis il est passé au fauteuil roulant quand il a pris trop de poids. Alors bien sûr, il reste associé à Mort Shuman, un mec qu’on n’aime pas trop, par ici, mais bon, faut faire avec. Ils constituaient un team, au même titre que Mann & Weil, Barry & Greenwich, Goffin & King, Boyce & Hart, Sedaka & Greenfield. Situé au 1619 Broadway, à Manhattan, le Brill était un immeuble transformé en usine à tubes. Kirshner et d’autres payaient les teams installés dans des bureaux pour pondre des hits chaque jour. Cot cot ! Ça pondait sec ! Des Anglais comme Don Arden, Mickie Most ou Andrew Loog Oldham venaient faire leurs courses au Brill. Combien la douzaine ? Cot cot ! Quand Elvis s’est lancé dans son aventure hollywoodienne, il a fallu augmenter la cadence, car à raison de quatre bandes originales de films par an, il fallait pondre à bras raccourcis et en continu. Cot cot cot cot ! Au début ça amusait Doc, car il s’en foutait plein les poches, mais au bout d’un moment, il a dit stop, car c’était n’importe quoi. Doc est un artiste, pas une poule en batterie.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             On peut entrer dans sa vie par l’excellent book d’Alex Halberstadt, Lonely Avenue - The Unlikely Life And Times Of Doc Pomus, ou alors, par une compile Ace, The Pomus & Shuman Story (Double Trouble 1956-1967) parue en 2007. L’Ace est idéale car on a la musique. Le book est tout aussi idéal, car Halberstadt réussit l’exploit de nous faire entrer dans la mystérieuse chambre d’hôtel où il a vécu pratiquement toute sa vie et de restituer la dimension gargantuesque de cet infirme génial. Doc est un homme qu’on aurait adoré connaître. On y revient la semaine prochaine.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             L’Ace réussit un autre exploit : présenter le parcours de Doc comme un fantastique résumé de la grande pop américaine, depuis Ray Charles jusqu’à Elvis, en passant par les Drifters de Ben E. King et LaVern Baker. Que cet homme soit associé à autant de très grands artistes est en soi une sorte de petit miracle. Doc est moins glamour que Mann & Weil, Goffin & King ou Barry & Greenwich, mais il occupe exactement le même rang. Il faut entendre Ray Charles chanter son «Lonely Avenue», qui d’ailleurs donne son titre au book d’Halberstadt. C’est du mythe à l’état pur, du mythe hanté d’oooh yes sir et Ray t’explose ça au feel so sad avec des chœurs de cathédrale. «Lonely Avenue» est d’autant plus mythique qu’il s’agit de la chanson autobiographique d’un infirme interprétée par un autre infirme. Ahmet Ertegun apprécie beaucoup Doc et lui demande de composer pour ses artistes, alors Doc y va : Clyde McPhatter, LaVern Baker, les Coasters, Bobby Darin, Mickey Baker, et Ruth Brown, rien que du gratin dauphinois. On croise plus loin l’«Hey Memphis» de LaVern Baker, adaptation de «Little Sister», fantastique rumble d’Hey Memphis won’t you, c’est même d’une rare violence. Il faut aussi saluer le «(Wake Up) Miss Rip Van Winkle» des Tibbs Brothers explosé au sax par King Curtis. Il est bon se rappeler que King Curtis et Mickey Baker font partie des session men favoris de Doc. Quand naît sa fille Sharon, Doc compose «I Ain’t Sharin’ Sharon» qu’on entend ici interprété par Bobby Darin.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Libéré de l’armée, Elvis enregistre «A Mess Of Blues» et Doc devient, nous dit Mick Patrick, l’un des compositeurs préférés du King. Eh oui, ses versions de «(Marie’s The Name) His Latest Flame» et «Little Sister» sont des hits demented. Sur l’Ace, Elvis nous chante «Double Trouble». On sent immédiatement la différence. Elvis a une façon unique de rentrer dans le chou du lard. Il va enregistrer 16 compos de Doc, et d’autres que Doc a pondues avec Leiber & Stoller. Mick Patrick indique qu’«His Lastest Flame» et «Little Sisters» étaient destinés à Bobby Vee qui n’en voulait pas ! Par contre, il chante un «All You Gotta Do Is Touch Me» au mieux de ses possibilités. Vee vit ça bien. Il sonne comme un lookalike de Buddy qui n’a jamais pu surmonter la catastrophe du plane crash. Sur l’Ace, c’est Del Shannon qui se tape «His Lastest Flame», mais Del n’a pas la voix, même si dans les early sixties, on le considère comme une star. Par contre, les deux qui ont des voix sont Marty Wilde et Fabian. Marty tape «It’s Been Nice» et ça bascule dans le génie interprétatif. Pareil pour Fabian avec «Turn Me Loose», fabuleux shake de pop US qu’il chante à l’exacerbée. Avec «Save The Last Dance For Me», les Drifters nous ramènent au cœur du New York City Sound. Dion & the Belmonts aussi, avec «A Teenager In Love», même si c’est plus sucré. On croise aussi Barrett Strong avec «Seven Sins», un petit bordel de juke parfaitement inutile. Doc est mêlé à pas mal d’horreurs, comme Ral Donner («So Close To Heaven») ou Andy Williams («Can’t Get Used To Losing You»). Par contre, Ben E. King tartine bien son «First Taste Of Love». Il bénéficie du traitement de choc orchestral. C’est Terry Stafford qui tape le «Suspicion» écarté par Elvis. Vraie voix. Admirable ! Gary US Bond tape le «Seven Day Weekend» que reprendront les Dolls. Ça permet tout de suite de situer le niveau. Rappelons aussi au passage que Doc était pote avec Lou Reed et Mac, c’est-à-dire Doctor John. On garde les meilleurs pour la fin ? Voilà Irma Thomas avec «I’m Gonna Cry Till My Tears Run Dry». Irma rentre dans la Soul de Doc au heavy groove de New Orleans. Elle va pleureur jusqu’à la dernière larme. Arrive aussitôt après elle l’immense Howard Tate avec «Stop». Il t’allume ça à n’en plus finir au stop it baby. Et pour refermer la marche, les McCoys embarquent «Say Those Magic Words» au mieux des possibilités de la pop explosive. Pur psyché de New York juke ! 

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Avant de devenir auteur de renom, Doc chantait le blues dans les bars de New York. Son idole n’était autre que Big Joe Turner. En 2006, Rev-Ola eut l’extrême intelligence de faire paraître Blues In The Red. On y entend Doc chanter le blues dans les années 40 à Greenwich Village. Doc est un peu obligé de changer de nom, car il ne veut pas que ses parents sache qu’il chante le blues dans les clubs - White kids just didn’t sing blues with Negroes in the 1940s - Attention aux yeux, car le «Doc’s Boogie» d’ouverture de bal est du pur proto-punk. Doc devient une sorte de Mezz Mezzrow du out of it. Il nous ramène dans les racines du New York jive, les racines du blues urbain, qui est, à l’image de cette ville, bourré d’énergie. Tout sur cet album est joué à l’arrache. Doc arrive avec ses béquilles dans le jive de «Send For The Doctor» et l’explose. Le solo de sax fout le feu. On entend rarement un tel jive de jump. Son hit le plus connu est dans doute «Alley Alley Blues». Docky Doc est blanc, mais il reste dans la veine de Big Joe Turner. Il tape «My Good Pott» au big band brawl. On s’amuse bien avec Doc, il fonce dans le tas, comme Louis Jordan - I love my good pott/ All the time ! - Quelle énergie ! Il tape le heavy blues de «Traveling Doc» au come back no more et revient au heavy rumble de jump avec «Naggin’ Wife Blues». Doc est un dingue du r’n’b, il a récupéré tout le génie du genre : le power et la diction. Tout est cuivré de frais, cuit dans son jus, craquant comme un 78 tours. Il faut le voir se jeter avec ses béquilles dans le «Give It Up». Ça joue à Brooklyn ! Là, tu as les vrais mecs, il y va au give it up/ I’m real down. «Heartlessly» sonne comme un hit. Il adore le vieux groove de cœur brisé. On entend Mickey Baker dans «Bye Baby Bye» et Doc termine bien sûr avec un «Joe Turner Medley» en forme de heavy romp de fast rock’n’roll.

    Signé : Cazengler, Doc Paumé

    The Pomus & Shuman Story (Double Trouble 1956-1967). Ace Records 2007

    Doc Pomus. Blues In The Red. Rev-Ola 2006

     

     

    L’avenir du rock

    - Pas de pépètes pour Los Pepes

     

             Ce matin-là, l’avenir du rock promenait son cul non pas sur les remparts de Varsovie, mais plus prosaïquement sur le Pont des Arts. Il vit arriver à sa rencontre un homme qui pleurait.

             — Bouh-ouh ouh, bouh ouh-ouh...

             Il faut savoir que l’avenir du rock a un talon d’achille : le spectacle du chagrin lui broie généralement le cœur. Il s’arrêta à hauteur de l’homme et s’enquit des raisons de son malheur.

             — Que vous arrive-t-il, mon pauvre ami ? Comment puis-je vous aider ?

             — Bouh-ouh ouh, bouh ouh-ouh...

             L’homme sembla redoubler de chagrin.

             — Bouh-ouh ouh, bouh ouh-ouh... Bouh-ouh ouh, bouh ouh-ouh...

             — Eh bien, eh bien, calmons-nous... Venez donc prendre un petit café arrosé, je vous l’offre...

             — Bouh-ouh ouh, bouh ouh-ouh... Bouh-ouh ouh, bouh ouh-ouh...

             — Ah oui, je comprends, il vous faut quelque chose de plus corsé. Venez avec moi dans ce bar là-bas, nous irons ensemble aux toilettes et je vous ferai un petit rail de speed, vous allez retrouver le sourire, croyez-moi !

              — Bouh-ouh ouh, bouh ouh-ouh...

             — Bon, il semble que votre désespoir exige une thérapie plus radicale. Alors accompagnez-moi jusqu’au bas de la rue Saint-Denis, je connais une pute ravissante qui vous mettra du baume au cœur, je vous l’offre pour une heure, une nommée Pépète...

             L’homme s’arrêta de sangloter. Il fixa un instant l’avenir du rock et marmonna :

             — Pépète ?

             — Ben oui, Pépète ! Et alors ? C’est quoi le problème ?

             — Bouh-ouh ouh, bouh ouh-ouh... Pas de pépètes pour Los Pepes !   

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Pas de première partie. Pas grand monde, allez, une bonne dizaine de personnes. En langage clair, ça veut dire que Los Pepes vont jouer pour des clopinettes. Mais comme ils sont pro, ils vont jouer quand même. Face à ce type de Bérézina, l’avenir du rock préfère coubertiner : l’essentiel est de participer dans Lactel.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Ultime réglage, monte la voix, up !, up !, et soudain boom, le ciel te tombe sur la tête : Los Pepes are on fire ! Depuis Motörhead, on n’avait plus entendu ce genre de blast. C’est même du double concentré de blast.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

    Deux guitares, deux Marshalls et boom kaboom badaboom, tu sais que tes oreilles vont siffler pendant trois jours. Quelle merveille que de voir ces quatre mecs jouer à la vie à la mort une espèce de hardcore gaga-punk complètement ancré dans le passé, mais cette musique reste vivante, ô combien ! Ils te font du pur wild as fuck de tight team, pulsé au beurre par une machine humaine, une vraie locomotive aux bras tatoués.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

    Dans Vive Le Rock, le seul canard à chroniquer Los Pepes, le mec disait qu’ils étaient the loudest band on earth. Rien de plus vrai. Louder, ça n’existe pas. Louder et beau, même si les rares instants mélodiques sont emportés par le déluge de feu.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

    Le mec qui bassmatique au centre de la scène est un Japonais à gueule de rock star, il joue en fluidité continue sur une basse en plexiglas et reste extrêmement concentré, il volerait presque le show. Il s’appelle Seisuke Nakagawa. Le mec au beurre derrière lui est un Polak, Kris Kowalski, il fait partie des batteurs inexorables, il monte sur tous les coups, il relance en permanence, son cœur balance entre la dynamique et la dynamite, rien qu’avec lui et son ami japonais, Los Pepes dispose de l’une des sections rythmiques les plus explosives dans le genre. On reste dans l’international avec le guitariste qui joue à droite. Il s’appelle Gui Rujao et vient du Brésil. Et puis voilà Ben Perrier, qui gratte ses poux sur une Mosrite et que les amateurs de gaga-punk britannique connaissent bien, car il fit des étincelles dans les années 2000 avec son duo gratte/beurre, Winnegabo Deal. Ben Perrier a lui aussi des allures de rock star, il joue un peu à l’ancienne, jambes écartées et voix perchée, mais quelle présence !

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Deux albums de Los Pepes traînaient au merch, Positive Negative qui date de 2019, et The Happiness Program. Le premier est un strong album de tatapoum power-poppy, bourré à craquer de drives inflammatoires.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

    Ben Perrier reste fidèle à l’esthétique du blast des années 2000, une fournaise dans laquelle se fondent les influences de Fast Eddie Clarke, des Ramones et des groupes australiens de type New Christs. Notez bien qu’après le set, Ben Perrier portait un T-shirt Eternally Yours, l’un des plus beaux albums de blast seigneurial jamais enregistrés. On appelle ça une preuve de goût. Le morceau titre du Positive Negative est totalement dévoué à la cause, ils font du pas de pitié pour les canards boiteux, ils tapent dans l’esthétique d’Attila & the Huns, ça sent bon le roussi des vieilles équipes comme les Backyard Babies et les Hellacopters. Globalement le son est plein comme un œuf et le bassmatic rôde en permanence sous la surface. On ne s’ennuie pas un seul instant. Ils savent pousser à la roue, pas de problème. Ils ne rechignent pas à la dépense. Ces mecs savent jeter tout leur dévolu dans la balance. Leurs power-chords sont d’une générosité à toute épreuve. Ils savent caresser la clameur dans le sens du poil. Un seul hic, dans ce grandiose panégyrique : qui ira aller acheter les albums de Los Pepes ? Ceux qui les voient sur scène et quelques lecteurs de Vive Le Rock ? Los Pepes n’inventent rien. Ils se contentent d’exister, et c’est tout ce qui compte. En B, tu vas trouver des jolies choses : «Medication» et «Think Back», deux belles prouesses power-pop qu’on dirait illuminées de l’intérieur, et dignes de celles des géants du genre, Gigolo Aunts et Velvet Crush, pour n’en citer que deux. De cut en cut, le power se fait de plus en plus intact et compact.    

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Leur dernier album qui s’appelle The Happiness Program est encore meilleur. Une vraie mine d’or pour l’amateur de power-pop. Ils jouent en formation serrée, il y a quelque chose de massif dans leur son, on retrouve aussitôt l’énergie de l’ouverture de set, cette espèce de bim bam boom immédiat qui met les sens en alerte. Ils sont massifs à l’ancienne, ils jouent vite et bien. Les coups de vrilles sont de purs hommages à Johnny Thunders. Et soudain, avec «Let Them Talk», ils se mettent à sonner comme les Buzzcocks. C’est extrêmement réussi. Ils semblent même avoir maîtrisé leur pétaudière, «Sick And Bored» sonne comme un hit power-poppy en diabolo. Ben Perrier emmène sa fière équipe à l’assaut du lard fumant. En B, tu tombes sur une autre merveille : «Anecdotes», une power-pop bien moulée dans sa gaine noire. Le bassmatic ramène des frissons sous la peau. Encore de l’énergie à gogo dans «I Remember You», superbe brouet d’éminente éloquence, ces mecs n’en finissent plus de battre la campagne, alors oui, on peut les suivre. Ils terminent en mode heavy classic rock avec «Born Into This». Ils tapent un rock franc du collier, un rock de meilleur ami. Avec eux, tu ne crains plus rien. Ils te grattent tout simplement le rock que tu as toujours aimé.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Les albums de Winnebago Deal sont excellents. Sur la pochette du deuxième Deal, tu vas trouver un tyrannosaure. Dead Gone est un fier album, un autel dressé au dieu Blast, et ça blaste dès «Breakdown», au drive de craze et de step aside. Ils bâtissent une fournaise à deux. Jack Endino veille au grain du son. Pendant que Ben Perrier turbine sa ramalama, l’autre Ben bat son beurre et n’arrête jamais. Avec «Cobra», ils se transforment en charge de Chevaliers Teutoniques sur le lac gelé. Aucun rempart ne peut résister à une telle charge. Ben Perrier allume ses racines, il exagère l’exercice de sa fonction. On a l’impression qu’il tente chaque fois le tout pour le tout, notamment dans «LS Fiction». Nouvel exercice de blast définitif avec «Did It Done It Doing It Again». Ils ne vivent que pour ça : allumer à la Méricourt. Encore du déballonné des enfers avec «Knife Chase». C’est même de l’hyper-bast. Ils battraient presque Motörhead à la course. Ben Perrier est fou, il joue comme Fast Eddie Clarke. Il va toujours plus loin dans l’extrémisme, comme le montre «Shank Fight». Il screame comme un dingue et gratte ses poux. La médecine ne peut rien pour lui. Pauvre Ben. Mais ça ne l’empêche pas d’exploser «Cargo Bull»  d’entrée de jeu. Pas de retour possible. Ce n’est pas le genre de mec à traîner en chemin. Il vise plutôt l’apoplexie. Tout chez lui se résume à une seule chose : renter dans le chou du gusto. Avec le morceau titre, Ben bombarde le front à coups d’orgues de Staline. C’est l’impression que laisse son riffing et l’ampleur du son, une vraie apocalypse sonique, un parti-pris de rougeoyance. Et tout s’écroule dans l’apocalypse du beurre des fous avec «NWO», le drive du Ben embarque l’autre Ben, ils bombardent Dresde à deux.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Attention à Flight Of The Raven : c’est du Jack Endino, donc du blast bien conditionné. Et boom badaboom dès «With Friends Like These». Ben Perrier est l’un des grands fous de l’histoire de la psychiatrie gaga-punk. On croit que c’est du blast, mais non, c’est du blast définitif. Ben & Ben te blastent dans le mur, ils te blastent over the rainbow, ils te dégagent du passage, ils sont incontrôlables, au-dessus de ce blast, il n’y a plus rien. Alors les voilà partis pour une série de 15 brûlots, dont le pire est dans doute le dernier, «Revenge», mais aussi «You Let Me Down», ils te plombent la soirée, ça te tombe sur la tête. C’est digne de Motörhead, mais en réalité, c’est du pur Ben Perrier. Ou encore «Target», les deux Ben se superposent dans le vent du blast, Ben & Ben sont les rois du pétrole, ils jouent aux charbons ardents et portent leur blast aux nues, c’est du très grand art, car ils ne sont que deux. Et puis tu as encore «Spider Bite», pur jus de no way out, Ben le cueille à la cocote sèche, ça t’explose en pleine poire, c’mon Ben ! Le coup de génie de l’album s’appelle «Going Home», ils créent l’événement, Ben & Ben n’arrêtent jamais, ils vont jusqu’au bout de leur délire, Ben délie son délire et Ben bat le beurre du diable. Avec «Fresco», ils plongent tous les deux dans l’insanité, c’est du hardcore punk anglais qui avance à marche forcée. Tout ce qui intéresse Ben & Ben, c’est l’enfer sur la terre. Ils jouent aussi avec l’incendiaire maximaliste dans «Venomized», le chant brille toujours dans la clameur des combats, il ramonent littéralement le no way out. Ils chargent la barque de l’ultimate.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Leur dernier album s’appelle Career Suicide. Il est du même niveau que le précédent, c’est du blast forever dès «Heart Attack In My Head», Ben & Ben y vont au débotté, ils font Motörhead à deux. Ben est dingue ! Enfermez-le ! Si tu aimes le blast, t’es servi comme un roi : «Nobody’s Fault But Mine» et «You Don’t Exist» te courent sur l’haricot, Ben Perrier te claque du JSBX des enfers, tu en prends plein la terrine, il est l’un des rois de la power pop inflammatoire. Il adore gratter ses poux dans la fournaise. C’est son vice et sa vertu. Diable comme ce mec est bon, il crée chaque fois les conditions du blast définitif. Ben & Ben abattent du chemin, énormément de chemin, comme le montre encore «I Want Your Blood». Tu entends rarement des mecs aussi énervés («Poison»). «Ain’t No Salvation» est trop punk’s not dead. Trop fast. Trop Deal. Trop Ben. Ce que les gens n’ont pas compris l’autre soir, c’est que Ben Perrier est une star du wild underground. Retour à l’insanité avec «Frost Biter», fast Méricourt, il devient fou devant toi. Et comme sur l’album précédent, le coup de génie se planque à la fin : «Can’t See Don’t Care Don’t Know». Terrific ! Il drive ça à la high energy, il hurle dans les nuages. Ben Perrier est un dieu inconnu.

    Signé : Cazengler, Los pépère

    Los Pepes. Le Trois Pièces. Rouen (76). 31 Mais 2023

    Los Pepes. Positive Negative. Wanda Records 2019

    Los Pepes. The Happiness Program. Snap!! Records 2022

    Winnebago Deal. Dead Gone. Double Dragon Music 2004

    Winnebago Deal. Flight Of The Raven. Fierce Panda 2006

    Winnebago Deal. Career Suicide. We Deliver The Guts 2010

     

     

    Inside the goldmine

    - Stokes option

     

             Stic ? Oh, il se voulait d’un abord facile, mais en réalité, il veillait à rester extrêmement impénétrable. On croise souvent ce type de comportement chez les enfants des familles recomposées, une façon passive de dire non à la nouvelle union. Il émanait de Stic ce curieux mélange de gentillesse et de froideur qui caractérise généralement les gosses extrêmement intelligents. Il savait plonger son regard dans celui des autres et personne n’aurait jamais pu dire ce qu’il pouvait ressentir. Dans une vie antérieure, il avait dû être empereur romain, ou peut-être éminence grise d’un parrain de la mafia. Par contre, sa sœur, férue d’au-delà et en contact avec les esprits, se savait la réincarnation d’un pilote de chasse allemand de la Première Guerre Mondiale. Stic veillait à ne pas créer de malaise, mais il jetait malgré tout un froid, lorsqu’il participait aux réunions de famille recomposée. Il fallut vite en tirer les conséquences, à savoir qu’il était inutile de vouloir tisser quelque lien que ce fût avec lui. Au moins les choses avaient le mérite d’être claires. On appelle ça un statu quo. Il fallait surtout veiller à rester sur le qui-vive et à bien réagir lorsque Stic envoyait une pique. Vous l’aurez sans doute remarqué, les piques des gens intelligents sont toujours bien acceptées. L’idéal est de pouvoir proposer une répartie, mais il faut en avoir le niveau. Stic en faisait un jeu. Ferraillait qui pouvait, mais ce qui pouvait passer pour une petite altercation était en fait pour lui un jeu d’esprit. À partir de là, on commençait à comprendre. Eh oui, on ne pouvait pas jauger Stic selon nos critères. Il fallait plutôt imaginer les siens. Alors ça devenait simple. Bien sûr, c’est une approche qui vaut pour tout type de relation, mais dans ce cas particulier, ce fut une révélation. Stic ne s’investissait pas vraiment dans les modes de relations traditionnelles, il s’intéressait surtout au théâtre d’avant-garde, il avait monté une petite troupe dans le but d’engager à la fois une pratique et une réflexion sur l’avant-garde. Barba ? Kantor ? Oui bien sûr, mais il aimait par-dessus tout tendre un filin très haut et y faire le funambule au péril de sa vie. Seul le plateau de départ était éclairé et le filin s’enfonçait dans les ténèbres. Ce soir-là, il s’est enfoncé dans l’inconnu les yeux bandés, et pendant un temps qui sembla durer une éternité, nous l’entendîmes clamer «L’homme avance !», jusqu’à ce que sa voix s’éteignît.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

     

             Stokes, c’est un peu la même chose que Stic : il avance en funambule dans les ténèbres et frappe les imaginations d’une manière extrêmement particulière. Pour Matthew Sweet, Simon Stokes est un phénomène. Sweet parle de Post-LSD Swamp Rock Vibrations et met Stokes au même niveau que Little Richard, le White Panther Party, Blue Cheer, les Groovies et Chuck Berry with a psychedelic lightshow. Sweet qualifie le style de Stokes de raving, screaming, funky, anti-social, il va même jusqu’à lâcher le mot-clé : rock’n’roll insanity. Stokes est un mec du Massachusets. Fan de Jack Kerouac, il s’est mis à drifter across the USA. C’est comme ça qu’il échoue fin des années 50 à Hollywood. Kim Fowley le rencontre entre 1959 et 1961 : «He was dressed in leather like Gene Vincent, half Jim Morrison, half John Fogerty, before the Doors or CCR existed. A wonderful guy. Smart, cynical, a forerunner of all that Louisiana swamp stuff. In the time of Bobby Vee, Simon Stokes was the most dangerous guy in Hollywood.» Pour Sweet, Stokes s’adresse aux fans de Captain Beefheart, de Kim Fowley, du Sensational Alex Harvey Band, des Deviants et de l’Edgar Broughton Band. Sweet cite aussi The Hampton Grease Band. Ride on brother !

             Un jour, Stokes et son copain guitariste Randall Keith vont trouver David Anderle, l’A&R d’Elektra à Hollywood. Anderle avait fait savoir qu’il était prêt à rencontrer tous ceux qui le souhaitaient. Stokes et Keith ressortent de son bureau avec un contrat de songwriters. Lonnie Mack tape l’une de leurs compos, «Too Much Trouble» sur Glad I’m In The Band.  

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Stokes bricole pendant dix ans avant de pouvoir enregistrer en 1970 son premier album, l’extraordinaire Simon Stokes & The Nighthawks paru en 1970. Les guitaristes s’appellent Butch Senneville et Randall Keith, le beurreman Joe Yuele Jr. et le bassman Robert Ledger. Michael Lloyd produit, et Don Galluci qui enregistre Fun House au même moment fait les arrangements. Bienvenue au royaume du proto-punk. Deux classiques du genre : «Big City Blues» et «Sugar Ann». Absolute destroy oh boy, tu ne peux pas espérer mieux, Stokes va chercher l’ultra-gut d’undergut, il est extrême, il chante à la dégueulade d’envergure, tu as là toute la folie du monde, avec une guitare aigrelette jetée en pâture aux vautours. Il y a du Mac Rebennack, du Screamin’ Jay, du Bruce Joyner dans Stokes. Il s’en va screamer son swamp push à la lune. Il chante son «Sugar Ann» à la pure arrache de hot’n’greasy, il vise l’excès d’excellence, fantastique pulsatif, ce mec a le répondant de Stackwaddy, il y va au raunch de weahhhh, il est le screamer parfait. Coup de chapeau à Hank Williams avec une énorme version de «Jambalaya» et il tape «Which Way» au chant d’overdrive à la Screamin’ Jay. Il dispose du même pouvoir d’intensité dramatique. Il nous refait le coup du bayou en B avec «Voodoo Woman», real deal de swamp rock vibrations, story-telling de conte fantastique, puis il passe à la heavyness avec un «Rhode Island Red» joué dans les règles du lard fumant. C’est en gros l’ambiance de «Motor City’s Burning», avec le scream et le feu à la guitare. On le voit s’arc-bouter sur «Cajun Lil» et taper une terrible cover du «Down In Mexico» de Leiber & Stoller. C’est d’une rare violence, un véritable apanage du proto-punk. Il termine cet album faraminé de calamine avec un coup de génie intitulé «Ride On Angel», digne de Bo, mais en plus bas-fonds. Stokes a un don particulier pour rôder dans l’ombre. L’élan est très pur et la guitare plane au-dessus du son comme un vampire. Stokes groove en profondeur. Superbe walking bass ! 

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Si tu en pinces pour le proto-punk, alors saute vite fait sur Simon Stokes & The Black Whip Thrill Band et plus particulièrement «Hot Simmer’s Night In The City». C’est l’histoire d’un baston entre les Thunderbirds et les Rebels, deux gangs ennemis - In the concrete jungle/ You live in fear/ Life is never certain/ Death always near - Il sait créer un climat de violence. Il fait aussi du pur Rebennack avec «She’s Got Voodoo». Il est bon pour le swamp rock hoodoo. Le morceau titre est aussi du gros boogaloo cousu de fil blanc - Did you hear the news girl ? - Il nous explique qu’il porte du black leather et il tape ça au heavy boogie de bastringue avec l’excellent Butch Senneville on guitar. On note aussi que Joe Petagno dessine le dos de la pochette. Stokes nous ressort l’excellent «Ride On Angel» de l’album précédent - Crank your bike/ Ride on/ Angel/ Ride on - Il nous raconte l’histoire d’une bagarre dans un bar et Angel finit sur la chaise électrique - The Bible says thou shall not kill - Il fait encore un heavy balladif tragique en B avec «Waltz For Jadded Lovers». il adore les ponts atmosphériques à la stood like a rock/ Tried not to talk/ Know life goes on.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Par contre, The Buzzard Of Love paru en 1977 n’est pas un très bon album. Stokes fait pas mal de story-telling. Il reste dans sa veine heavy boogaloo avec «I’ve Been Possessed» - Got that voodoo lovin’/ Got me cryin’ out for more - Le guitariste derrière Stokes s’appelle Peter Maunu. Stokes nous ressert son vieux «Big City Blues» en B et fait une belle cover d’«Endless Sleep», le vieux classique de Jody Reynolds. Stokes adore les climats lourds à la Screamin’ Jay, le voodoo de Mac et le Fire of Love de Jody. Hommage à Bolan avec «Chrome Rock» - Everybody’s doing the chrome rock baby - C’est excellent et Stokes refait son Screamin’ Jay avec «Air Conditioned Nightmare». Pur boogaloo - Death walked in the room/ And he wanted to dance with me.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Right To Fly et LSD sont le même album. Stokes y duette avec Timothy Leary, le pape de l’underground halluciné. C’est encore un very big album. Stokes l’attaque avec «No Regrets», un fantastique balladif d’élan suprême. Le coup de génie de l’album s’appelle «Drive-By Love», amené à l’urgence du heavy riffing. C’est même assez défenestrateur. Stokes aime bien le cocotage qui scie les tibias. Bienvenue dans les soubassements du heavy Stokes, drive it in/ drive it out, il sort ses meilleurs accents stoogiens et ça part en vrille de fuck out. Son «Seeing-Eye Man» est noyé de son, et du meilleur. Leary prend le premier couplet et cite Kerouac. Stokes hurle derrière. On patauge dans le wild genius. Stokes hurle tout ce qu’il peut, I’m the one that can ! «Slice It Dice It» se passe au ballon et Stokes renoue avec le génie sonique dans «Ripped Van Winkle», le gras double des guitares renvoie aux Stooges - There’s a killer loose outside my door - Pendant les ponts, Stokes rôde dans l’ombre, comme Iggy. Il harangue au heavy so I’m sittin’ here. Il ne vise qu’une chose avec «Rock’n’Roll Hollywood» : la pubescence de l’incendie - Old Happy doin’ the best he can/ He did two tours in Vietnam - Et on rebascule dans la génie Stokish avec une hallucinante drug-song, «100 Naked Kangaroos In Blue Canoes».

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

    Stokes, c’est exactement la même chose que Third World War : une bombe à retardement. Il va chercher des noises au boogie avec son copain Timothy, un Timothy qui affirme qu’il a vu 100 naked kangaroos in blue canoes, too happy can’t sing these blues/ Much too happy can’t sing this blues. Encore du très écrit avec «Morality’s Ugly Head», le copain Timothy vient faire le refrain, il est marrant. Stokes arrache, mais Timothy chante à la diction du LSD. Quel album ! Ce démon de Stokes tape encore dans le rock tonite avec «Fugu Fish» et dans le rap avec «Psychorelic Rap». Il y fait du rap de blanc, il a des munitions et il bourre sa dinde de sitar. Il attaque «Global Village» à la Lou Reed. Ce mec a tous les pouvoirs. Il fait son grand méchant Lou au ditch the switch. Et tu as en prime le solo de rêve, c’est invraisemblable de rock quality, ces mecs sur-jouent jusqu’à la folie. S’il en est un sur cette terre qui sait enfoncer un clou, c’est bien Stokes.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Dans Ugly Things, Gray Newell nous rappelle qu’au moment de sa rencontre avec Stokes, Leary est dévoré par un cancer. L’album paraîtra quelques mois après sa mort. Newell ne s’arrête pas en si bon chemin : il évoque les super-fans de Stokes qui sont à l’époque Jello Biafra et Jeff Clayton d’Antiseen. Atteint par le virus Stokes, Clayton monte un Stokes tribute-band, Conquerer Worm. Bilan : deux albums. Un split avec Cocknoose et Ride On.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Le split date de 1993. On a un grand portrait de Stokes sur la pochette : barbe, lunettes noires et chapeau noir. Jeff Clayton s’arrache bien la glotte sur «Should Have Married Peggy Sue». Ils brûlent encore de fièvre sur «Ride On Angel», mais c’est avec «Good Times They Come» qu’ils montent en température et provoquent un gigantesque incendie. Ah quel hommage ! De l’autre côté, Cooknose fait du punk-rock solide et bien soutenu. Pas d’hommage à Stokes mais une reprise de G.G. Allin, «Dog Shit». Ils vont vite en besogne.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Ride On est plus sérieux. Quand tu ouvres la boiboîte, tu tombes sur la photo des trois Conquerers. Jeff Clayton ressemble à Dickie Peterson, le bassman Phil Irwin à un Hell’s Angel et Mike Schuppe à Mike Schuppe. C’est Clayton qui chante et ça démarre en trombe avec «Ride On Angel». Dans le petit texte d’accompagnement, Phil Irwin s’adresse à Stokes pour lui dire qu’ils n’ont pas réussi à le joindre pour l’informer de ce tribute. Ils ont pourtant contacté tout le monde : Cub Koda, Kim Fowley, Jello Biafra, Billy Miller, mais personne ne savait où se planquait Stokes. Avec le guttural de Clayton, les cuts de Stokes prennent une autre allure. Il chante «Hot Summet Night» à l’arrache maximale et Mike Schuppe ramène dans le son un solo liquide à la Blue Cheer. Ils sont merveilleux sur «Captain Howdy», Clayton éclate de rire, ah ah ah, et «Good Times They Come/Waltz For Jaded Lovers» titube au coin du bois. Ils savent rallumer le brasier de Stokes, pas de problème, ils déroulent même un sacré développement et ça devient du pur génie interprétatif, tout est dans les climats et les solos, alors chapeau bas ! Encore un bel hommage à Stokes avec «Voodoo Woman», ils en respectent merveilleusement l’esprit. Leur version d’«I Should Have Married Peggy Sue» est assez demented are go, et avec «Mama Tried», ils font du Motörhead, du fast punk de Worm. Avant d’aller coucher au panier, ils terminent avec un «Southern Girls» plein d’allant et de son, gras et heavy as hell. On ne saurait imaginer meilleur tribute à Simon Stokes. 

             Autre info de poids : Newell nous révèle que Stokes et Sky Saxon sont entrés ensemble en studio. Visiblement, les enregistrements moisissent dans un placard depuis que Sky a cassé sa pipe en bois en 2009. Il faudra sans doute poireauter un moment avant de voir l’album sortir.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Wayne Kramer joue sur quelques cuts d’Honky, paru en 2002, notamment sur «Jungle Music» - Oh oh let’s go to the Congo - Kramer joue dans la profondeur du mythe et Stokes chante à l’exaction définitive. Joli départ avec «Amazons & Coyotes», monté sur un heavy bassmatic. Stokes tombe sur son cut comme un gros vampire. Puissant et invulnérable. Encore du pur proto-punk et Kramer joue le lead. On retrouve Texas Terri et Lisa Kekaula dans les backings de «Laughter In The Sky». C’est incroyable que Stokes ait de si bons amis. Il passe à la country avec «Pissin’ In The Wind» et bien sûr Texas Terri chante faux. C’est même une insulte aux lois de l’harmonie. Stokes ressort son vieux «Ride On Angel» et tape dans le heavy slowah avec «Sleeping With The Enemy». Lisa Kekaula y fait des étincelles.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Stokes s’est écrit le mot Head sur le front pour la pochette de Head. Il attaque l’album avec le morceau titre, au fast barrelhouse cajun. Stokes pique des crises, il chante à la colérique et retombe dans le heavy trash de boogaloo avec «No One’s Goin’ Nowhere». Le cut s’enfonce dans le marécage, alors Stokes rampe. Il allume chaque cut avec son dirty raunch. Il rend hommage à Woody Guthrie avec une cover d’«Hard Travellin’». Il chante ça d’une voix de mineur silicosé. Ce mec est incapable de se calmer. Hello my name is Bob ! Il lance «Bob» à l’avanie, Bi-O-Bi, il tape cette fois dans le dada d’instro outrancier, Hellooooo ! Stokes demande : «Have you seen Bob ?» et les chœurs font «Bob !». Stokes revient à ses chères swamp vibrations avec «Long Black Veil». Un mec joue de l’accordéon dans le fond du studio, puis Stokes gratte son «Junior» à coups d’acou. Il est aussi âprement bon que Johnny Dowd. On retrouve la même profondeur de champ chez ces deux outsiders. Stokes gratte son «Apocalypse Girl» au wondering, il développe une sorte d’atroce démesure, il gratte dans l’underworld, dans un climat extrêmement tendu. Magnifique artiste, il éclate de round & round & round dans «Spin Your Wheels», puis il te souhaite le bonsoir avec «Goodnight Motherfuckers» et l’album s’achève sur un «Live Head», une belle flambée de Stokes qui file droit sous les étoiles en carton d’une cabane moisie du swamp. Sploush sploush.  

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             En 2012 est paru l’album de Simon Stokes & the Heathen Angels. Boom dès «Hey You», stomp d’hey you in the face. Absolute stormer ! Et surprise, il tape son vieux «Miniskirt Blues» repris par les Cramps, puis par El Cramped. Il en fait une version musclée, avec le gaga, le mojo et le riff de basse. Il fait pas mal de country avec le fiddle de barrelhouse («Infected») et du dark boogaloo avec «Down For Death». Il frise parfois le Tom Waits («Stranger Than Fiction»). Son wild country blues sonne parfois comme celui des Faces («The Boa Constrictor Ate My Wife Last Night») et «Hanging Out With Cretins» sonne comme un heavy balladif de raw Stokes option. Il sait aussi chanter le heavy blues à pleine gueule, comme le montre le «Moth And The Flame» des Seeds. Il peut égaler les géant du heavy oh so heavy. Mais son cœur penche pour la Nouvelle Orleans, comme le montre le heavy groove Bartholomien de «One Night Of Sin». Stokes sait aussi réchauffer une soupe, «Honky» tombe à pic pour nous le rappeler - Ready up man ! - Il chante sur des charbons ardents - You’re honky - et les chœurs font honk ! honk ! Stokes dévore le stax de rebop, il le bouffe à l’interne, you’re honky ! Honk ! Honk ! C’est la fête au village !

    Signé : Cazengler, Simmonde tout court

    Simon Stokes & The Nighthawks. MGM Records 1970

    Simon Stokes & The Black Whip Thrill Band. Spindizzy Records 1973

    Simon Stokes. The Buzzard Of Love. United Artists Records 1977

    Simon Stokes. Right To Fly. Psychedelic Records  1996

    Simon Stokes. Honky. Upper Cut Records 2002

    Simon Stokes. LSD. Leary Stokes Duets 2005

    Simon Stokes. Head. Simon Stokes 2008

    Simon Stokes & The Heathen Angels. Simon Stokes 2012

    Conquerer Worm/Cocknoose. Tear It Up Records 1993

    Conquerer Worm. Ride-On. Baloney Shrapnel 1996

    Gray Newell : Ride on ! The long strange trip of Simon Stokes. Ugly Things #46 - Winter 2017

     

     

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 26

    JUILLET – AOÛT – SEPTEMBRE ( 2023 )

     

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

    Le mois de Juin n’est pas terminé que déjà le numéro d’été de Rockabilly Generation News squatte la boîte aux lettres. Nous n’appellerons pas à l’application de la nouvelle loi anti-squatteurs qui vient d’être votée. Cette revue est toujours bien reçue par chez nous.

             Surtout qu’elle débute par huit pages de Greg et Sandy Cattez sur Johnny Cash, essayez par vous-même de résumer la vie de Cash en si peu de folios, surtout que les photographies occupent les 50 %, il et elle s’en tirent de main de maître ( et de maîtresse ). Je ne ferai pas à nos lecteurs l’affront de leur rappeler la bio de Cash, pour une fois je m’attarderai sur les photographies. Y a un truc hormis ses enregistrements qui m’a toujours fasciné chez Cash, ce sont ses yeux. Ce sont toujours les mêmes, amusez-vous à parcourir l’éventail des clichés, du tout jeune gamin au vieux Cash que vous  présente RGN, un étrange regard, même lorsqu’il est dans une attitude la plus sympathique et qu’il sourit gentiment Johnny Cash vous a un air inquiétant, celui d’un serial killer qui ne voit le monde qu’au travers de son obsession criminelle. C’est peut-être celle-ci qu’il a transcendée dans l’interprétation de ses morceaux, et sa voix de croque-mort qui lit une dernière prière au bord de votre tombe. Je comprends que June Carter n’ait pas pu résister.

             Un autre pionnier en fin de magazine. Encore vivant, tout près de ses quatre-vingt piges, pas un français, un voisin du pays de Verhaeren, relisez sa trilogie noire c’est encore plus fort et plus fou que Jim Morrison, bref un Belge. Cet été encore, chez un broc, non je ne vous donnerai pas l’adresse, écumant le rayon rock ‘n’roll français je suis resté abasourdi du nombre pharamineux de ses Volumes 1,2, 3… il me semble avoir tenu en main, le 24, consacrés aux classiques du rock… l’a fait beaucoup pour la propagation du rock en notre pays, l’a joué au Golf Drouot, accompagné Vince Taylor et Gene Vincent, Burt nous raconte sa vie, l’a commencé par la lettre A comme accordéon, puis G comme guitare, S comme Saxophone, l’est devenu entre autre musiciens de studio, a été truandé par son impresario ( je vous laisse découvrir son nom ) l’a remonté la pente, continue encore…

             Encore un pionnier présenté par Julien Bollinger, pas n’importe lequel, le représentant par excellence du country blues, à la base de tout, un précurseur né en 1893, mort à 36 ans comme Gene Vincent. Blind Lemon Jefferson reste pour les rockers le créateur de Matchbox Blues

             Place aux jeunes ! Sergio Kazh réussit un véritable toure de force en présentant, le 2023 Wild Weekender ( 2 ) qui s’est déroulé en Hollande, Wild  n’est pas un adjectif, mais le nom du label américain spécialisé dans le rockabilly sauvage. Sergio nous présente, textes et photos, les prestations scéniques des vingt groupes qui participent à ces deux longues nuitées rock’n’roll. Vingt groupes et pas une seconde de lassitude, ceux que l’on connaît et ceux dont on ignore l’existence, à chaque fois il nous donne l’envie d’écouter et d’approfondir.

    Suit un long article de Sergio Kazh sur l’étoile montante du rockabilly Dylan Kirk et ses deux groupes les Killers et les Starlights. Si Killers évoque pour vous un certain Jerry Lee Lewis, vous avez raison, très tôt Dylan est devenu un fan de rock’n’roll, s’est mis à la guitare mais une fois qu’il a entendu Crazy Arms par Jerry Lou l’est devenu fou, l’est devenu feu de cet instrument diabolique. Les Starlights composés de Bryan, Danny et Nico ouvrent le festival Rock ‘n’Roll in Pleugeuneuc avec Dylan Kirk et son piano maléfique, une seule répétition, ils font un tabac… Une légende en train de s’écrire… Un mec bien, sur la couve il fume un Coronado !

    Encore un festival, Blue Jean Bop Party à la Chapelle Serval où l’on retrouve deux groupes phares du french rockabilly : The King Baker’s Combo et Jim & The Beans, High Stepers, Johnny Bach And The Moonshine Boozers (Angleterre) et au final Dylan Kirk With The Starligths.

    Au cas où vous auriez deux trois millions de dollars en trop sur votre compte bancaire aux Iles Caïmans, et que vous aimiez Jerry Lee Lewis (ce dont nous ne doutons pas), rejoignez l’Association The Lewis Ranch, la demeure du Killer pour le préserver en le transformant en attraction touristique digne de qu’est devenu le Graceland d’Elvis Presley.

    Encore un numéro gagnant !

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois),  6 Euros + 4,00 de frais de port soit 10 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 40 Euros (Port Compris), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de tous les magazines... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents !  

     

    *

    Si vous voulez me rendre heureux prononcez des mots qui me font rêver, par exemple au hasard Grèce ou Rock’n’roll. Ou du même acabit. Or mes yeux ne viennent-ils pas d’apercevoir deux groupes de mots appartenant au même champ sémantique réunis sur une pochette de disque, jugez-en par vous-mêmes, Order Of The Black Jacket et Hellenic Black Metal. Tout de suite je chronique !

    ORDER OF THE BLACK JACKET

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

    Ordre de la veste noire, presque aussi beau que l’Ordre de la Toison d’Or, tout de suite l’on pense à Charles le Téméraire retrouvé mort après la bataille de Nancy le visage mangé par les loups…  Un destin très howlin’ wolf !

    Konstantinos Dedes : musique, lyrics, vocal / Lambis : guitare, production / Lerotheos Tampakos: drums, percussion / Panais Moustakas: basse.

    ICONOCLASM

     ( CD / Hellenic Black Metal / Bandcamp 2019 )

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

    Très belle couve qui peut faire peur. La querelle des icones qui court du huitième au neuvième siècle durant l’Empire Byzantin risque de ne pas passionner les rockers.

    Historiquement il s’agit d’une querelle religieuse et politique qui consistait à bannir (interdire, détruire, abattre, brûler) les représentations imagées dans les églises et les chapelles de l’empire. Les raisons en sont multiples : n’était-ce pas une survivance larvée du paganisme dont les temples étaient ornés de statues et de fresques, vénérer une image ne serait-il pas un signe d’idolâtrie, n’est-ce pas une prétention démoniaque de vouloir représenter la nature de Dieu et des Saints par essence supérieure à notre simple humanité… C’était aussi un moyen pour les empereurs de détourner l’inquiétude et la colère du peuple apeuré du grignotage incessant des terres de l’empire par les conquêtes Arabes… Passionnant certes, avec davantage de corrélation avec notre époque qu’il n’y paraît.

    L’image est d’une violence inouïe, ce personnage auréolé, Empereur Saint, imaginons Dieu lui-même, voire l’Antechrist, qui tient dans sa main gauche un sabre crénelé et présente de sa dextre un livre dont les illustrations ont été effacées vous glace le sang… Toutefois l’icône est terriblement ambigüe, comment peut-on représenter par une image une figuration de l’’iconoclasme inspirée soi-disant par la vraie foi orthodoxale en pleine action alors que l’on dénonce le pouvoir malfaisant de toute représentation ayant trait au divin ? Quel nœud de contradictions ! L’Art se doit d’être plurivoque.

    Rockers dont les murs de vos chambres sont ornés de moult posters de vos idoles, ne craignez rien, cet album n’exige pas de vous que vous les déchiriez, il faut l’interpréter métaphoriquement, il s’agit pour Order of The Black Jacket, d’insuffler en votre esprit l’idée qu’il faut se battre contre toute ordonnance sociétale coercitive.

    L’artwok est de Gina Libe, voir son Instagram et son site au nom de Gina Liberiou. Peu d’œuvres exposées mais de styles très différents. Du dessin animalier à des effulgences abstraites, l’on aimerait en voir davantage, ce qui est sûr c’est que cette pochette est remarquable.

    Black Jacket Order :  l’on pourrait accroire à un hymne dévolu à un gang de bikers, peut-être serait-il plus facile de rester dans cette illusion, disons que c’est un Born to be wild, solitaire et intérieur, run, run, run, morrisonien,  le rocher catapulté suit sa trajectoire, violent et toutefois mélodique, avec des ruptures sonores presque beatlesiennes, malgré un rythme soutenu qui ne faiblit pas. Outtamanhead : batterie fragmenteuse, il s’agit de découper le puzzle des apparences, voix incisive et moqueuse, de désagréger à grands coups, de déchirer en confetti, jusqu’à ce que le voile de la réalité se dévoile et laisse surgir la noirceur universelle, se rendre compte que les morts sont les cariatides qui portent et soutiennent le monde sur leurs têtes. My way : toujours le même ramdam mélodique, avec cet hearbeat en sourdine percussif qui bientôt se déploie en un superbe volume guitarique, ces hauts et ces bas d’intensités sonores, une espèce de blues en le sens que dans le blues c’est le vocal qui mène l’attelage, les mêmes couplets interchangeables, c’est la violence phonique qui pulse le tout, se termine en une espèce de scalp sioux festif   qui se jette dans un delta acoustique mélodique. La mort n’est-elle pas un long fleuve tranquille. Rage to awake : rien de plus vivant et de plus tapageur qu’un mort, ne sommes pas nous tous morts à plusieurs reprises, guitares chamboule-tout, vocal de forcené qui soulève la terre des écorces mortes et des écailles anciennes dont il lui faut émerger pour renaître à sa vie, pour se mesurer une fois de plus à son destin, un trépan de guitare qui défore l’existence et rejette le cône excrémentiel de ses rêves dépassés. La vie est toujours devant. Il est nécessaire de savoir ouvrir les yeux.

    Du son et du sens. L’on a envie de dire : peu de moyens phoniques mais judicieusement et fougueusement utilisés. Un EP qui remue. Comme les vers dans le corps des morts.

    SPIRIT ROCK

     ( CD / Hellenic Black Metal / Bandcamp Janvier 2023 )

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

    La couve interroge quand on la compare à la précédente. A l’oriflamme orangée succède une pochette grisâtre. Une silhouette stylisée de femme sans visage, est-ce pour cela que sur scène l’un des membres du groupe porte un masque blanc ? Reproduction d’une statue qui répond au nom de Morana de l’artiste serbe Jovan Petronijevic aussi Rod. Morana est la déesse slave de la mort. Petronijevic s’est beaucoup intéressé aux mythologies serbes. Je n’ai pas été capable de trouver sur le net des œuvres représentatives de cette partie de sa démarche. Ce qui m’a été accessible relève d’un travail lyrico-conceptuel qui ne m’agrée point mais de qualité. Je pense que le choix du public doit préférer cet aspect descriptif du chaos de notre modernité.

    Revenons à Morana puisqu’en fin de compte l’on revient toujours à la mort. Etrange, c’est-là qu’il convient de noter la continuité qui relie les deux pochettes, au premier abord, les seins et le ventre spiralés de Morana m’ont fait penser à la perpétuité de la vie engendrée au cours des générations par le corps des femmes, je ne savais pas alors ce que représentait Morana, l’ayant découvert j’en ai conclu que ces trois spirales étaient le symbole de l’infinitude de la mort, je me suis alors souvenu que le logo que Gina Liberiou a mis en tête de son Instagram et de son FB était… une spirale ! Quelle synchronicité ! Créativité de l’Art, créativité de la Femme et créativité de la Mort = même combat. Pour la Vie ou pour la Mort ?

    Affirmer que Spirit Rock est le nouvel opus d’ Qrder The Black Jacket ne me semble guère judicieux. De toute évidence c’est la suite du précédent. Pas le tome II d’un roman, même pas le deuxième chapitre d’un livre. Imaginez plutôt que vous avez arrêté la lecture d’un récit à la fin du deuxième paragraphe de la page quarante-quatre car interrompu par la visite impromptue d’un voisin, celui-ci parti vous reprenez la lecture au début du troisième paragraphe de la page quarante-quatre. Suite immédiate donc.

    Attention c’est un groupe grec. Ce n’est pas une indication géographique. Prenons un Grec au hasard, le fils de Laerte, Ulysse, il a beaucoup voyagé aux quatre coins de la Méditerranée, inutile de chercher un atlas, il est aussi descendu aux Enfers. C’est pour cela qu’à la fin de l’Odyssée Homère ne nous raconte pas sa mort. Ce serait redondant, une répétition oiseuse. La mort obsède les grecs, Dionysos et Perséphone sont des divinités fondatrices de la pensée grecque, relisez Virgile et Rilke pour vous en persuader. C’est dans ce sillon funéraire ( fun, fun, fun, sourions avec les Beach Boys ) que s’inscrit Order Of The Back Jacket.

    Digging deeper ( For Grace ) : sur You Tube la vidéo est agrémentée de l’effigie d’une mystérieuse jeune fille, morceau hommagial à une jeune morte. Une ballade enlevée qui met en valeur la voix de Constantinos, les instruments rassemblés comme un bouquet de fleurs mortuaires. Le texte est à creuser. Où sont les amants sur cette terre, une dessous et l’autre dessus, à moins que ce ne soit le contraire, ou peut-être tous les deux réunis dans la même tombe, à moins que tout ne se passe dans la tête de l’un ou de l’autre, ou dans les deux. Qui était mort à la fin du disque précédent. Est-ce vraiment si important. Un mort n’est-il pas toujours vivant tant que l’on pense à lui, à moins que ce soit nous qui sommes en vie tant qu’un mort pense encore à nous. Ce morceau est splendide. Blackgaze : regard noir sur le riff de de Sunshine of your love, c’est ce qui s’appelle avoir de de l’humour noir, basse et guitare s’en donnent à cœur-joie.  Nos amants continuent leur colloque sentimental. Ils se disputent aussi, celui ou celle qui est partie n’a-t-il pas n’a-t-elle pas trahi l’autre, à moins que ce ne soit quelque chose de plus charnel, car les vivants et les morts ne se désirent-ils et ne déchirent-ils pas autant que les vivants et les vivants et que les morts avec les morts. La réponse est aussi évidente que les questions. Wind : si le titre des Cream explose par un grand chambardement  c’est le vent qui souffle de toutes ses forces qui fait office du creamique  éclatement riffique terminal, autant en emporte le vent, et il souffle très fort dans ce troisième morceau, tout ne finira-t-il pas un jour, n’y aura-t-il pas un jour où les morts et les vivants ne seront plus différenciés, où tout sera égalisé, où rien n’aura plus d’importance, d’ailleurs où est la nuit et où est la lumière, la guitare claironne un nihilisme joyeux et la batterie accélère la ronde comme si elle voulait savoir la fin de l’histoire avant tous les autres. Skyblood : la ronde infernale continue, elle aimerait rompre le cercle répétitif, elle cherche à s’élever, lorsqu’il ne reste plus rien, reste encore le rien de la douleur qui retombe en pluie de sang mental sur celui qui devient le centre égotiste de l’univers, que tout le monde se réveille pour accéder à ce baptême sanglant, il est un point de l’univers où le haut et le bas s’égalisent où le rien devient tout. Danse endiablée. Même folie et raison ne sont qu’une seule et même chose. Never over : c’est un peu comme si depuis quatre titres c’était toujours le même morceau qu’ils rejoueraient, la différence ne résidant que dans les paroles, ici sans équivoque, ce ne sera jamais terminé, les contraires ne s’attirent que pour mieux se refouler, la basse vous trace de ces points de suspension qui en disent long sur ce never ending tour de danse macabre infinie. Au plus proche l’on est aussi au plus loin. Le savoir est le seul soulagement possible. Alone : une solution pour rompre le sortilège, couper la poire en deux et n’en garder qu’un, choisir la solitude du solipsisme, la voix se mélodramatise et l’instrumentation atteint une vitesse prodigieuse, la solitude de l’Unique métamorphose l’univers élémental l’eau devient pierre, étrange alchimie en quelque sorte négative, puisque l’un changeant de nature devient l’autre. Faithseeker : une voix forte mais mourante pour nous annoncer qu’il a perdu la foi, la musique s’épaissit, Constantinos crache les mots un par un comme l’on jette des fléchettes dans les yeux de ses proches, rupture, bourdonnements aumniques, déploiement musical étincelant, une montée certaine vers une fin grandiose, le guerrier est au faite de da décision. Tombé ou tombeau de rideau. Le chant tire la langue. Il a perdu la foi, d’accord, mais en quoi, en la mort ou en la vie, et que recherche-t-il la vie ou la mort. Ce dernier morceau d’une amplitude beaucoup plus orchestrale.

    Il s’agit d’une œuvre longuement méditée. Une espèce d’oratorio total en le sens wagnérien, la preuve nous en est apportée par une vidéo vieille de huit années intitulée Act qui regroupe trois morceaux : Rage to awake : Act I : Yamashiro ( sabre ) / Act II : Kisuke (personnage du manga bleach = eau de javel, allusion aux cheveux blonds du héros ?  / Faithseeker :  Act III : The burden = le fardeau. La musique est agrémentée de peintures et de dessins dus à Antonis Siganakis (voir son Instagram Antony Siganakis, style manga et portraits de filles). A découvrir. L’artwork effectué pour ces trois actes est remarquable. 

    De même nous invitons à regarder la mimic vidéo Never ever. Un personnage masqué, visage impossible, qui s’exprime par des gestes qu’il ne joint pas aux paroles qu’il ne prononce pas, la piste du morceau le fait pour lui. Surprenant mais pas convaincant. L’on se souvient que David Bowie a débuté par le mime.

    Cet essai nous conforte dans nos conclusions, idéologiquement parlant Order Of The Black Jacket n’a rien à voir avec un groupe comme Black Rebel Motorcycle Club, The Black Jacket s’inscrit dans une démarche diantrement plus artistique et métaphysique. Un projet longuement réfléchi et mûri. Le détour s’impose.

    Vous reste à méditer sur le titre de l’album : Esprit Rock !

    Damie Chad.

     

    *

    Beaucoup de groupes européens à balles doom-doom tirés au fond des déserts stonériens ces derniers temps sur le blogue, en voici un des USA, de la côte-est, plus exactement de Philadelphie, étymologiquement la cité fraternelle, bien que leur vue du monde contemporain semble s’écarter de l’idéal des fondateurs de cette vieille cité.

    OTHER PEOPLE

    HEX ENGINE

    Bob Malosky : drums / Drew Campbell : guitar, backing vocal / Christian johnson : bass / Ron Aton : lyrics, vocals.

    La couverture est explicite, des gens séparés les uns des autres par leur propre solitude, enfermés dans un désert de glace paranoïaque, ne cherchez pas les autres gens, vous les reconnaîtrez trop vite, ils vous ressemblent comme des gouttes gelées sur une vitre translucide, ce n’est pas qu’ils sont comme vous, c’est que vous êtes comme eux.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

    Monster : notes bousculées pressées les unes contre les autres, depuis Steppenwolf le monstre a changé de nature, ce n’est plus un système coercitif qui vous dépasse,  auquel vous participez à votre corps défendant, Aton hurle personne n’oserait l’accuser d’être atonique, vous crache les mots au visage pour être sûr que vous les entendez, un long pont de guitares glissantes et heavy, comme celui d’Avignon qui a précipité les beaux messieurs les belles dames interchangeables que nous étions dans les eaux glacées de l’individualisme atonal, vous êtes devenus des clones d’humanoïdes, des semblants d’humanité qui ne tiennent debout que par le miracle hypnotique d’un mensonge idéologique partagé. HEAVY les guitares, à croire qu’elles veulent acquérir la force persuasive du vieux cryptogramme du Dieu vengeur. Ce n’est plus une critique mais une malédiction sonore jetée à la face de la modernité. Mines de rien (mais à retardement direct) car les mots attendus ne sont pas employés et cet aspect de la problématique n’est jamais abordé, le propos est essentiellement politique. Parasites : Et religieux. Un petit côté antipathy for les

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

    représentants sociétaux de Dieu sur cette terre, les guitares grondent, le drummin’ tabasse et Aton perche sa voix au-dessus de tous les clochers ecclésiaux. Message compris, on se concentre sur la musique, des guitares concassent cette manière très persuasive d’empiler des notes sur des notes comme des jeux de cubes, et arrive l’instant où la pile vacille, et le tout s’écroule en un grand bruit de haine assouvie, comme ils ne souviennent pas que Dieu est mort ils veulent l’ensevelir sous la tour de Babel de toutes ses hypocrisies, éboulements hendrixiens. Rat fink : ondées de basse menaçantes, un drummin éclatant et méthodique n’est pas là pour vous dire que tout va bien se passer, l’Aton passe à l’atomique, ne vous l’envoie pas dire, dit les choses comme il le pense, détache les syllabes pour vous décapsuler les tympans, les guitares balancent des ondées rythmiques, ah ! ces passages musicaux où le son prend le commandement, Aton reprend la parole comme l’on tire la nappe du banquet pour gâcher le repas des convives gorgés de l’hypocras des hypocrites. Arrêt brutal, heureusement qu’ils n’ont pas continué car on se demande ce qui aurait pu arriver. Excuses, excuses : générique de film de catastrophe, des pas de géants se rapprochent, attention le morceau dure près de dix minutes, l’on devine que la guerre ne fait que commencer, une voix dans le lointain, pour une fois Aton se laisse recouvrir par la marche militaire de l’accompagnement, de temps en temps des éclairs aigus brillent comme des lames de sabres qui dans la mêlée réfléchissent le soleil, pas besoin de hurler, l’emploie l’ironie, cette enclume cisaillante qui vous coupe en deux, c’est maintenant qu’il crie, profère des avertissements sans appel, les guitares en tremblent de peur, il n’y aura pas d’excuse, le châtiment se rapproche, ça cogne dru et ça tape dur, il existe une jouissance de la violence puisque l’on adore, pas de concession, pas de prisonnier, pas de pardon, tout doit disparaître même les rayons, la fin fabuleuse, l’impression d’une chose innommable qui rampe à terre, monte à hauteur de vos genoux et vous emporte dans un monde merveilleux. Meet your maker : vous croyiez qu’après la mort même les méchants iraient au paradis, c’était une blague, un faux et fol espoir, cette fois-ci c’est Dieu en personne qui se déplace, non il ne tonne ni ne crache, pas furieux pour un euro, l’avance doucement, un rythme appuyé et lent, une formule apaisante pour un batteur, attention ça se précise, un solo de six cordes grince un peu trop pour être honnête, vous Le pensiez juste, lamentable erreur, c’est un sadique, vient pour vous poignarder et enfiler le couteau avec lenteur pour que vous sentiez votre douleur, Aton vous imite à la perfection les cris de Dieu qui prend un plaisir à vous saigner comme un porc. Une véritable boucherie, les cymbales tintent comme l’heure du crime, ça se termine en apothéose, une catharsis dirait Aristote, l’orgasme du serial killer qui s’écoule en un flot de sperme tempétueux préciserait Damie Chad. Omens : reprenons nos esprits, est-ce Dieu qui parle ou un gars comme vous et moi dont les rêves ont pété plus haut que leur cul, à moins que ce ne soit la victime ou le couteau, un joyeux baltringue dans la tête du zigue, les instrus se bousculent au portillon, Aton leur monte dessus et sur cet escabeau volcanique il vitupère tout fort à ameuter l’univers. L’on ne sait pas s’il répond mais le groupe s’en donne à cœur joie, le sang excite les combattants c’est bien connu, d’ailleurs ce tranchant de guitare qui ressemble à un couperet de guillotine vous file les jetons, et pour terminer en beauté Aton vous crie à bâton rompu que quelque chose de terrible ne va pas tarder à nous tomber sur le coin du museau. Au moins la fin du monde. Something’s burning : je suis désolé mais ce vent mauvais qui souffle, cette guitare qui pue le mélodrame à plein nez, cette espèce de riff qui n’en finit pas, la situation est grave, Aton nous la joue à Ezéchiel, tous les malheurs du monde vont nous tomber dessus, courez, foutez-vous à l’abri, une espèce de rouleau compresseur vous confirme qu’il n’y a pas d’issue possible, quand je pense que certains répondent qu’ils feront crac-crac avec leur petite amie tranquillou chez eux quand l’apocalypse s’approchera, ils ne partagent pas la vision d’Hex Engine, un affolement général, la machine à axe hexagonal est en route et personne ne l’arrêtera, un bordel inimaginable, une folie envahissante, une catastrophe ambulante qui s’installe dans votre deux pièces cuisine et partout ailleurs, dans ce fatras d’immondices phoniques je me hâte de rassurer nos lecteurs, ce morceau est particulièrement beau, agréable et chatoyant pour des oreilles de rockers. Déjà’sku : Aton se tait, deux minutes d’interlude pour que vous puissiez prendre la mesure de ce qui vous attend. Pas la peine de pleurer sur vous-même et de regretter comme semble l’indiquer le début de court morceau car tout de suite ça s’accélère et ça devient ultra-violent, même Aton qui avait promis de se taire ne peut plus se retenir et vous pousse le même hurlement que lorsque l’armoire normande de Tante Noémie vous était tombée sur le pied. Fear the future : grondement lointain qui s’amplifie, ce coup-ci c’est sûr, ils arrivent, quelle cacophonie, qui sont-ils, vous craignez le pire, la musique n’imite-t-elle pas le bruit des anges de la destruction qui descendent sur terre, à moins que ce soit des extraterrestres pas du tout extra, n’oubliez jamais que si le pire est toujours certain, il ne ressemble pas à ce que l’on imaginait, les voici, on s’attendait à tout sauf à eux, Aton ne vous fait pas languir, il vous refile la solution, ces gros méchants qui viennent sont les… riches. L’a un peu pris son temps pour vous le dire, maintenant  vous savez qu’ils vont vous exterminer, qu’il n’ y aura pas de survivants parmi les pauvres et les esprits timorés qui ont toujours écouté et fait sagement tout ce que l’on leur disait, Bob Malowski qui n’a pas fini de vous malaxer depuis le début vous tire dessus à la kalachnikov, Drew Campbell embourbe un solo dantesque dans une échoïfication  démesurée, la basse de Christian Johnson bass-cule dans un trou de fond de fosse funéraire  et c’est parti pour la grande fête finale, l’apothéose de la bêtise et de la cruauté humaine, ça tourne comme le Boléro de Ravel et ça se transforme en locomotive asthmatique, gargouillement terminal. Tout est terminé. Ite.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Quel groupe ! Quels musiciens ! Question rock les ricains vous en bouchent toujours un coin.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 30 ( Naïf  ) :

    172

    Carlos s’est arrêté si vite que je n’ai pas eu le temps de visualiser la marque de son nouveau 4/4, l’avait l’air si pressé qu’il n’a même pas pris le temps de nous saluer, l’est resté rivé sur sa conduite comme si nous n’existions pas. Le Chef qui avait pris place à ses côtés en profita pour allumer un Coronado, au bout de quelques instants il entreprit d’engager la conversation :

              _ Seriez-vous fâché contre nous Carlos ?

              _ Non, contre ma nouvelle copine.

              _ Vous n’êtes donc plus avec Alice ?

              _ Terminé, de l’histoire ancienne, les filles c’est comme les cigarettes, ça se fume et ça se jette !

              _ Vous devriez-vous mettre au Coronado, vous connaîtrez l’extase et non les petites saveurs à date de péremption rapide, mais dites-moi, comment se prénomme la nouvelle venue ?

             _ Alice !

    Sur la banquette arrière Molossa et Molossito me regardent d’un air entendu. Je ne dis rien, je ne suis pas loin de penser comme eux, dans cette histoire il est tout de même étrange de voir que toutes les filles s’appellent Alice. J’aimerais bien méditer sur ces étranges coïncidences, l’explosion de la voix vindicative de Carlos ne m’en laisse pas le temps :

              _ Wow, l’est pas content cet abruti !!!

    Entre nous soit dit l’abruti en question n’a pas tout à fait tort, Carlos fonce comme un sauvage, il double une file de voitures stupidement arrêtées à un feu rouge, en roulant à toute blinde sur le trottoir. Le pauvre gars a juste le temps pour ne pas être écrasé de remonter dans sa camionnette stationnée les deux roues dans la rigole, s’il croit s’être tiré d’affaire, il se trompe, coup de frein brutal, le 4/4 recule jusqu’à ce que Carlos soit juste en face de la cabine. Le gars esquisse une bordée d’injures, il n’a pas le temps, une balle de Rafalos lui explose la tête.

              _ Quel crétin, en plus zieutez son panonceau, c’est un fleuriste, je hais les fleuristes !

               _ Cher ami je ne savais pas que la paisible race des fleuristes suscitait tant d’acrimonies de votre part, personnellement il m’est arrivé à plusieurs reprises d’abattre sans sommation quelques individus indésirables qui n’avaient manifestement jamais fumé un Coronado de toute leur vie. Juste pour leur apprendre à vivre dignement !

               _ Voyez-vous Chef, le gars n’y était pour rien, tout cela c’est à cause de ma nouvelle Alice.

    J’essayai de me glisser dans la conversation, les études à la Balzac sur la psychologie contemporaine m’ont toujours passionné :

              _ Votre Alice déteste les fleuristes, après tout il y a tant de gens qui détestent les araignées qu’une fille qui abhorre les fleuristes est sûrement un cas d’espèce intéressant.

              _ Damie tu fais fausse route, je pense qu’Alice tout comme moi n’éprouve aucune antipathie contre les fleuristes. Mais c’est tout de même un peu de leurs fautes.

    Le Chef nous fit signe de nous taire. Il profita du silence de l’habitacle pour procéder à l’allumage, geste d’une haute hiératie, d’un Coronado.

    _ Cher Carlos vous connaissant j’en ai tout de suite conclu que la mise à mort d’un fleuriste d’apparence innocent doit avoir quelque intérêt. Expliquez-vous, prenez votre temps, je vous en prie.

    _ Ben voilà, hier soir j’avais donné rendez-vous à vingt-et-une heures dans un restaurant à ma nouvelle Alice. En chemin, l’envie me vient d’entrer dans le resto avec une immense corbeille de roses que je déposerai sur la table devant elle, les filles aiment ce genre de simagrées, elles s’imaginent que nous sommes leurs chevaliers-servants, j’ai fait au moins dix fleuristes, tous étaient fermés. Bon ce n’était pas grave, les greluches aiment aussi les mauvais garçons, je me suis arrangé pour qu’elle aperçoive la crosse de mon rafalos, bref in the pocket comme disent les anglishes…

    Molossito pousse un ouaf interrogatif. Quelque chose lui échappe. A nous aussi. Mais Carlos a compris que Molossito n’a pas compris.

             _Ecoute-moi bien Molossito, quand on est un homme, c’est pareil pour un chien, il ne faut jamais renoncer à ses idées. Nous nous sommes séparés très tôt ce matin Alice et moi. Quand nous nous sommes quittés l’envie de lui offrir des roses pour l’entrevue de ce soir m’est revenue. Pas de chance, les fleuristes qui étaient fermés à neuf heures du soir, n’étaient pas plus ouverts à six heures du matin.

    Molossito vient de comprendre, il pousse un ouah ! exclamatif, Carlos se tait, il n’a pas besoin de poursuivre. La queue de Molossito frétille d’impatience. Le Chef allume un Coronado :

             _ Continuez Carlos, nous roulons comme des escargots depuis que nous sommes montés dans ce véhicule ! Plein gaz, nous allons arriver en retard.

    173

    Crissements de freins. Evidemment c’est encore trop tôt mais les camionnettes d’entreprise et les fourgons sont légion. Nous rentrons sans que personne ne nous jette un regard.

    _ Suivez-moi !

    Carlos nous guide, il avance à grandes enjambées dès que nous arrivons dans un coin paisible il démarre au sprint. Molossa et Molossito tout guillerets nous accompagnent. Ils se retiennent d’aboyer, ils savent que nous sommes en mission, sur le sentier de la guerre. Carlos lève la main, nous arrêtons et il désigne l’endroit. Le Chef prend la parole :

              _ Rendez-vous sur l’objectif, je le rallierai en venant du Sud, Carlos de l’Est, Agent Chad de l’Ouest, Molossa et Molossito du Nord. A la moindre présence ennemie, les chiens attaquent et nous, nous sortons les Rafalos.

    Nous nous sommes éloignés les uns des autres. Maintenant à chaque pas que nous faisons nous nous rapprochons. Encore une dizaine de mètres et nous parvenons à notre point de chute. Carlos passe le canon de son Rafalos dans sa ceinture :

              _ C’était déjà dans cet état quand je suis venu sur les six heures et demie, les fleuristes étaient fermés, j’ai réalisé que nous avions dormi dans un hôtel tout près du Père Lachaise, je m’étais dit que je trouverais des fleurs dans le cimetière, j’en ai récupéré une bonne brassée, avant de partir l’idée m’est venue de jeter un coup d’œil sur la tombe d’Ecila. En m’approchant j’ai entendu des bruits j’ai couru, je n’ai vu que l’arrière d’un gros fourgon bleu qui s’éloignait vers la sortie, il m’a vite semé, mais je suis prêt à parier que les grilles lui ont été ouvertes en grand car il n’a pas cessé d’accélérer.

    La dalle gisait sur le côté. Pas très loin du cercueil. Je soulevai le couvercle simplement posé par-dessus. Aucun corps n’y reposait. Ecila avait disparu. Il y eut un instant de silence. Le Chef alluma un Coronado

              _ Carlos, je suppose que le bleu du fourgon était un bleu soutenu ?

              _ Oui c’est bien cela, un bleu pas sombre mais voyant, comment dire un bleu, euh…

              _ Cobalt, ne cherchez plus, le bleu de la gendarmerie, la dimension nationale de notre aventure se confirme, nous ne savons pas à quoi notre président s’amuse ces derniers temps mais il fricote de drôles de manigances.

    174

    Molossa posa sa tête sur mon jarret. Je fermai les yeux. Le Chef et Carlos tenaient déjà leur rafalos en main. Des graviers crissaient sur ma gauche. Ils étaient là autour de nous. Nous leur tournions le dos. Le Chef donna des ordres à demi voix :

    • Attention il y aura plusieurs vagues d’assaut, ne pas se déconcentrer, chacun s’occupe de sa direction, moi le Sud, Carlos l’Est, Agent Chad l’Ouest, les moins à craindre seront ceux qui viendront du Nord, ils seront les moins dangereux, personne face à eux, ils ne se doutent pas que les chiens s’occuperont d’eux, à mon commandement, genou à terre feu !

    Pas très futés les malabars, croyaient nous surprendre. Ils furent courageux. Ils s’obstinèrent. Pas moins de quatre vagues d’assaut, au final je dénombrais seize cadavres. Les nordistes avaient rigolé quand ils avaient vu les deux chiens leur mordre les jambes. Une somptueuse rafale du Chef leur coupa définitivement l’envie de rire.

    L’algarade ne dura que quelques secondes. Vite fait, bien fait. Full metal jacket.

    Carlos désigna deux corps tombés sur une tombe :

    • Je les connais, je les ai déjà vu dans la Légion, quand ils ont été libérés ils ont trouvé du boulot dans la Maffia russe.

              _ Enchanté de l’apprendre, dit le Chef, Les pièces éparses du puzzle se mettent doucement en place, les unes à côté des autres.

    Et il alluma un Coronado.

    A suivre…