Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

chips moman

  • CHRONIQUES DE POURPRE 606: KR'TNT 606 : CHIPS MOMAN / BETTYE LAVETTE / DOC POMUS / LOS PEPES / SIMON STOKES / ROCKABILLY GENERATION NEWS / ORDER OF THE BLACK JACKET / HEX ENGINE / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 606

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    22 / 06 / 2023

     

    CHIPS MOMAN / BETTYE LAVETTE

    DOC POMUS / LOS PEPES / SIMON STOKES

    ROCKABILLY GENERATION NEWS

    ORDER OF THE BLACK JACKET

     HEX ENGINE / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 606

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

                                                                                                                                                                                                             

    Le Moman clé

    - Part Four

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

    Chips aime bien Ronnie Milsap. D’ailleurs, il le reçoit chez American et Dan Penn produit son premier album sobrement titré Ronnie Milsap. Ça sort sur Warner Bros.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

    En 1971, sous une belle pochette. Ronnie y apparaît solarisé en gros plan. L’outstanding cut se trouve en B et s’appelle «Crying». Ronnie s’aventure sur les terres de Big O et rivalise d’excellence de chat perché avec lui. On note aussi l’excellence du «Sunday Rain» signé Mark James. Ronnie le prend en charge sans ciller. Ce mec chante comme un dieu et Dan orchestre à outrance. Vas-y Dan, tartine-nous ça ! Ronnie tape dans Dan et Spooner avec «Blue Skies Of Montana». Ça frise la carte postale, car Ronnie nous traite ça à l’épique du Tennessee. On note aussi la présence en B d’une belle compo de Jim Dickinson intitulée «Sanctified». Chez American, on ne mégote pas sur la marchandise.

             Dans le tas de grands artistes venus enregistrer chez Chips, on trouve aussi Petula Clark et Brenda Lee. Elles sont venues toutes les deux faire leur Memphis album. Le Memphis de Petula sort en 1970. En Europe, Petula traîne surtout une réputation d’artiste de variété, mais chez Chips, elle a tout de suite du son. Tous les copains sont là pour s’amuser avec elle, Reggie, Bobby et Gene.

             — Que fais-tu là Petula, si loin de l’Angleterre ?

             — Mais tu le chais Chips, j’enregistre my Memphis ellepie !

             — Ah oui, sorry j’étais dans la lune ! Que dirais-tu de reprendre «Neon Rainbow» ?

             — Chic idée, Chips !

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Cette diablesse de Petula transforme la pop de Memphis en pop anglaise. Elle sait elle aussi gueuler par dessus les toits. Elle se montre aussi pétulante avec «Goodnight Sweet Dreams». Elle se jette admirablement bien dans la bataille. Il faut aussi entendre le délire psyché que bricole Reggie Young derrière elle dans «Right On». C’est d’ailleurs le seul intérêt du cut. Chips refourgue aussi à Petula une compo de Mark James, «When The World Was Round», on ne sait jamais, des fois que ça devienne un tube. Mais ce n’est quand même pas du Paddy McAloon. Elle termine avec un bel hommage à Curtis Mayfield en reprenant «People Get Ready», mais on peut en rester là.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Encore un coup dur pour Chips. L’album Blue Lady qu’il enregistre en 1975 avec Petula Clark ne sort pas. Le label ABC Records boude. Il finira par sortir vingt ans plus tard sous le titre Blue Lady - The Nashville Sessions. Bizarrement, Petula se vautre sur Burt («Don’t Make Me Over»), elle le chante au petit sucre d’Angleterre et pour Burt, elle est trop poppy, trop criarde. C’est avec «Pickin Berries» signé Toni Wine & Chips qu’elle explose les Nashville Sessions. Elle tape en plein cœur de l’excellence, elle amène ça au petit popping de cueillette et ça bascule dans la grosse énormité de pop américaine. C’est le nec plus ultra de la grande pop US et c’est l’occasion de rappeler que Chips avait du génie. C’est tartiné dans les grandes largeurs. L’autre coup de maître du producteur Chips, c’est le morceau titre. Il nous fait le coup de Bernard Hermann à Nashville, c’est-à-dire le coup du groove urbain, et Petula excelle dans la mélancolie bleue. Chips lui orchestre ça aux petits oignons. Elle chante magnifiquement «You’re The Last Love» et c’est la raison pour laquelle Chips la chouchoute. Elle se fond bien dans Chips avec «Charlie My Boy», elle truffe la compo de Chips de magic stuff, car elle chante d’une voix de rêve. Encore une panacée de Petula avec «If You Think You Know How To Love Me», elle en fait une petite énormité vite fait bien fait. Le reste n’est pas très bon, dommage.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             L’album que Brenda Lee enregistre chez Chips l’année suivante est nettement plus passionnant. Il s’appelle Memphis Portrait. Elle démarre avec une reprise un peu ratée des frères Gibb, «Give A Hand Take A Hand» et s’en va ensuite musarder chez John Denver avec «Leaving On A Jet Plane». Elle très nasale. Chips lui propose le «Games People Play» de Joe South et on entre en terrain de connaissance. Oui, ce hit du vieux Joe est connu comme le loup blanc. Elle revient à Joe en B avec «Walk A Mile In My Shoes» qui vire très vite white Soul de qualité supérieure. Elle est extrêmement pugnace, comme Lulu, même genre de tempérament, vraiment far out. Avec «Too Heavy To Carry», elle tape dans l’extrême Memphis Soul, avec Mike Leech on bass. Quel son ! Les mecs d’American n’ont rien à envier aux MGs. Chips glisse à Brenda un balladif signé Reggie : «Hello Love». Bien vu, Chips ! Brenda fait aussi une cover irréprochable de «Proud Mary». Comme s’il n’y avait rien à en dire. Puis elle tape dans le saint des saints avec le fameux «Do Right Woman Do Right Man» que Chips et Dan Penn composèrent jadis pour Aretha. Cette fière shouteuse de Brenda finit bien sûr par l’exploser.  

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Avec Bobby Womack, on entre dans la zone protégée des albums culte, à commencer par Fly Me To The Moon, paru sur Minit en 1968. C’est l’époque où Bobby vient traîner à Memphis et Chips l’adopte. Bobby intègre les Memphis Boys et profite des installations pour enregistrer deux albums. Le morceau titre de ce premier album est unE merveille tentaculaire. On a le big American Sound avec Bobby Emmons à l’orgue et Reggie sur sa gratte derrière Bobby. «Fly Me To The Moon» est un fantastique cut de Soul vertigineuse. Bobby screams his ass off et Reggie entre dans la Soul avec une patte de velours. C’est aussi sur cet album qu’on trouve l’imparable «I’m A Midnight Mover». Bobby y fait son wicked Pickett qui d’ailleurs est le co-auteur de ce hit de Deep Soul bien bassmatisqué par Mike Leech. Wow ! Bobby screams it off. Encore une combinaison gagnante : un Soul Brother avec le gratin dauphinois de Memphis. Ce dingue de Bobby chante aussi «What Is This» avec toute sa niaque et derrière les Memphis Boys chargent merveilleusement la barque du Memphis Sound. Les dynamiques sont superbes. Quel bel achèvement ! Cet album est si bon qu’il donne envie de se replonger dans tout Bobby. Il sait embarquer ses cuts dans les hautes sphères de l’exaction maximaliste. Tous les cuts flirtent avec l’énormité. En B, Bobby tape dans l’«I’m In Love» de wicked Pickett. Il chante ça à la pire arrache qui se puisse concevoir. Il monte tellement dans les tours de scream qu’il bat wicked Pickett à son propre jeu. Il groove ensuite de «California Dreamin’» de John Phillips. Quel beau numéro de Soul Brother ! Reggie brode de la dentelle de Calais dans la couenne du son et le groove progresse dans la chaleur de la nuit. Toute cette aventure se termine avec «Lillie Mae» et l’admirable rumble des Memphis Boys in full bloom. C’est heavily good, ils jouent ça à la merveilleuse évidence de la mouvance. C’est à la fois percutant et perfusant, perméable et perpétuel, plerclus de classe et pertinent, pervertisseur et perfecto.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Bobby enregistre My Prescription dans la foulée. L’album grouille de coups de génie, à commencer par «How I Missed You» qui sonne comme un hit de country Soul. Just perfect. Bobby chante avec la rigueur d’un Soul Brother débarqué à Memphis. Idéal pour les amateurs de mythes. C’est si bien nappé d’orgue qu’on en bave de plaisir. Et Gene Chrisman bat ça au nec plus ultra. Encore un coup de génie avec «I Left My Heart In San Francisco». Les Memphis Boys jouent ça au groove pressé de semi-acou paradisiaque. Voilà le genre de miracle dont sont capables Chips et ses chaps. Pur jus de Memphis Soul typecast, avec un Bobby qui part en goguette et qui screame sa crème. Encore un slow groove de Soul avec «More Than I Can Stand». Chips l’orchestre à gogo, il envoie des vagues de cuivres et de violons à l’assaut du ciel et Reggie Young brode sa dentelle de Calais dans un coin. En B, on retrouve l’inébranlable «Fly Me To The Moon». À la réécoute, ça sonne encore plus légendaire, faites l’expérience, vous verrez. Bobby a du génie, un sens aigu du hit qui fait mouche. Il screame à bon escient. On trouve deux autres merveilles productivistes en B, «Don’t Look Back» et «Tried And Convicted». Le premier vaut pour un beau brin de groove de Soul aérienne, bien vu, bien senti, ultra joué, orchestré avec goût, et doté de ces fantastiques descentes de bassmatic qui font la réputation d’American. On peut dire la même chose de «Tried And Convicted», violonné à la revoyure, c’est de la haute voltige. Chips voyait grand pour Bobby.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Elvis doit une sacrée fière chandelle à Chips, c’est en tous les cas ce que montre  Suspicious Minds The Memphis 1969 Anthology. Ce double CD est bourré de cuts miraculeux, à commencer le morceau titre. Pur Memphis Sound, big symbole, bien battu en brèche, avec le fantastique bassmatic d’American. Ici, Chips a tout bon, il fournit le beurre et l’argent du beurre à Elvis, le son et la compo. Il faut entendre ce redémarrage de bass/drums dément ! Autre coup de génie productiviste avec «Anyday Now», Chips envoie des chœurs superbes. Elvis entre dans le groove du fleuve avec «Stranger In My Own Town». On est au cœur du Memphis Beat. Puis avec «Without Love (There Is Nothin)», il vire gospel et donne libre cours à son génie vocal. Tout dans ces sessions est produit de main de maître. Elvis a tout ce qu’il peut désirer : l’orgue, les filles, Chips, il fait de la Soul avec «Only The Strong Survive». On assiste ici à un festin de son. Quand il tape un mélopif comme «I’ll Hold You In My Heart», il fait le show, qu’on aime ou qu’on n’aime pas. Retour à l’église en bois pour «Long Black Limousine». Il recrée le gospel power à la seule voix et ça devient énorme. Il n’a pas besoin des Edwin Hawkins Singers. Il chante même sa country comme un dieu, au vibré de glotte royale. Petit clin d’œil à Johnny Horton avec «I’m Moving On». Il chante ça au lowdown de Memphis et quand arrive «Gentle On My Mind», on tombe de sa chaise tellement c’est pur. Encore une équipe gagnante dans l’histoire des teams de rêve : Chips + Elvis. Quand on entend «After Loving You», on comprend que Reigning Sound soit allé chercher ce son-là. «In The Ghetto» sonne comme l’aboutissement de Chips. Encore un chef-d’œuvre absolu : «You’ll Think Of Me», balladif généreusement orchestré et les cuivres arrivent dans la folie des chœurs de gospel perchés dans le ciel. Sur le disk 2 se trouvent rassemblés les alternates. On n’apprendra rien de plus. Ça ne s’écoute que par pur plaisir. Elvis est le chanteur parfait et les mecs d’American le backing parfait. Les montées en température dans «I’m Moving On» sont des modèles du genre, surtout le bassmatic en folie. Pur merveille que ce «Power Of Love» joué au heavy Memphis groove. Elvis réussirait presque à nous faire oublier le Colonel. On trouve vers la fin une version d’«Hey Jude» extrêmement chantée, superbement orchestrée, cuivres, violons, chœurs, piano, il ne manque rien. Encore un coup de prod avec «Rubberneckin’» et des chœurs de rêve. On retrouve aussi un alternate de «Suspicious Minds» vers la fin - It’s the last take Chips ! - Magie pure, Reggie Young on fire, Gene Chrisman on the beat, Mike Leech on bass, ça s’écoute religieusement.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Donnie Fritts a longtemps écumé la frontière. Les bivouacs dans les montagnes ont éculé ses fringues. Une cartouchière lui barre la poitrine et ses bottes ont déjà vécu neuf vies. Assis sur un banc, il scrute l’horizon. C’est la pochette de Prone To Learn, paru en 1974. Très bel album, aussi solide que son poney apache. Il attaque avec un shoot d’’Alabama rock finement cuivré, «Three Hundred Pounds Of Hongry». Jimmy Johnson, Eddie Hinton, David Hood et Roger Hawkins font partie du gang, donc ca donne la fritte à Fritts. Tous les amigos sont là, y compris Rita Coolidge, Billy Swann, Dan Penn, Jerry Wexler, Kris Kristofferson. Grosse ambiance. S’ensuit un «Winner Take All» co-écrit avec Dan Penn. On sent la patte du Penn. «You’re Gonna Love Yourself» sonne comme le balladif idéal. Fritts joue la carte du soft Southern drawl, celui du petit matin. En B, Tony Joe White radine sa fraise sur «Sumpin’ Funky Going On». Tony Joe joue lead sur ce boogie funk vermoulu. Ils duettent à un certain moment, with a smile on my face. S’ensuit un heavy country funk d’Eddie Hinton, «Jesse Cawley Sings The Blues», bardé de steel guitar et de piano. Le morceau titre est un cut de Kris Kristofferson, un folk-rock typique de Muscle Shoals. Et toute cette belle aventure se termine évidemment avec «Rainbow Road», le hit de Dan & Donnie, the absolute beginners.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Album très impressionnant que ce Memphis Underground d’Herbie Mann paru sur Atlantic en 1969 et enregistré chez Chips. Au dos, on voit les musiciens enregistrer chez American : dans un coin, les deux guitaristes, Sonny Sharrock et Larry Coryel. On voit aussi Reggie Young et sa Tele avec la section rythmique, et dans un box, Herbie Mann torse nu avec sa flûte. C’est photographié de l’étage. Dès le morceau titre d’ouverture de bal d’A, on est en plein cœur du Memphis beat. Gene Chrisman bat le beurre de roule ma poule et Tommy Cogbill nous bassmatique tout ça au quart de poil. Ils tapent en fin de B une cover d’«Hold On I’m Coming». Miroslav Vitous prend la basse. Il sort un drive plus jazzy et c’est embarqué au shuffle d’American. Herbie Mann flotte à la surface du shuffle. Ces géants se payent une tranche sur le dos de Sam & Dave. Excellent ! Ils attaquent la B avec une cover de «Chain Of Fools». C’est encore un groove ventru, plein de son, avec Larry et Sonny qui croisent le fer avec le bassmatic demented de Tommy Cogbill. Et cette belle aventure se termine avec «Battle Hymn Of The Republic», fantastique numéro de shuffle de flûte, Herbie Mann n’est pas manchot, il joue très organique, il swingue le thème mélodique et ça ensorcelle les vermicelles.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Avec Neil Diamond, Chips applique les mêmes recettes qu’avec B.J. Thomas : a big handful of big covers. On en trouve quatre sur Touching You Touching Me paru en 1969, année érotique, à commencer par l’imparable «Everybody’s Talking» de Fred Neil, avec un petit coup d’up-tempo et un banjo. The Memphis way ! Neil Diamond le chante d’un ton ferme, sous l’horizon. Il enchaîne avec le fantastique «Mr Bojangles» de Jerry Jeff Walker, il le bouffe même tout cru, crouch crouch. Il est excellent dans ce rôle d’artiste American. Il déclenche de sacrées vagues de frissons. En B, il tape l’excellent «Both Sides Now» de Joni Mitchell, il descend dans la magie de Joni comme dans un lagon, il jette tout son poids de Diamond dans la balance de cristal pour honorer cette mélodie lumineuse. Il termine avec un superbe hommage à Buffy et cette reprise d’«Until It’s Time For You To Go», prodigieusement orchestrée, du pur jus d’American.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Grâce à Ace, on peut écouter les fameuses long lost 70 sessions de Carla Thomas enregistrées par Chips chez American : Sweet Sweetheart - The American Studio Sessions And More. Ce lost album devait s’appeler Sweet Sweetheart. C’est Al Bell qui a l’idée d’envoyer Carla chez Chips, en 1970. Ah c’est autre chose que ces albums Stax un peu soporifiques. Avec Chips, Carla fait de la country Soul et ça explose dès le «Country Road» de James Taylor. Quel répondant ! C’est une merveille. Merchi Chips ! Grâce à lui, Carla s’affirme. Elle fait aussi de la petite pop («I’m Getting Closer To You»), pas de problème, Carla fait tout ce qu’on lui demande. Elle est fabuleusement accompagnée. Elle ramène son sucre («Heaven Help The Non-Believer»). Elle adore plonger dans le sweet sweet («Sweet Sweetheart», signé Goffin & King), elle détache bien ses syllabes, elle se débat dans des cuts de romantica, mais sa voix est pure. Chips transforme ses cuts en œuvres d’art. Elle fait du gospel batch avec «Everything Is Beautiful». Mais l’album va rester coincé sur une étagère pendant quarante ans, jusqu’au moment où Roger Armstrong le découvrira. S’ensuit une série de cuts Stax enregistré entre 1964 et 1968, à commencer par l’imparable «B-A-B-Y» (take 1), bombardé au bassmatic. Tony Rounce qui fournit les liner notes se demande pourquoi Al Bell et Jim Stewart ont bloqué toutes ces merveilles. En voilà encore une avec «Love Sure Is Hard Sometimes», monté sur un groove de walking bass et un pianotis de prescience. Back to the Memphis beat avec «Don’t Feel Rained On», elle chante la main devant les yeux, yes I feel new. La fête se poursuit avec «He Picked Me», pur jus de Memphis r’n’b, sec et net.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Chips cède à son péché mignon, la country, en enregistrant le Cactus And A Rose de Gary Stewart. Attention, ce n’est pas de la gnognotte puisque ça sort sur RCA Victor en 1980. Mais l’album est trop country pour les gueules à fioul. Dommage, car Chips a ramené du beau monde en studio : Bonnie Bramlett et Gregg Allman. On entend aussi beaucoup Toni Wine, qui est alors la poule de Chips. «Staring Each Other Down» est un heavy balladif country lourdement orchestré, l’orgue ne faiblit pas et Toni chante dans l’écho du temps de Chips. Si on aime la heavy country de Nashville, alors on se régalera de «Ghost Train», ce démon de Gary Stewart chante ça au raw du guttural. Bonnie entre dans la danse en B sur «Roarin’». Ah ils savent enfoncer des clous, les Nashvillais. Ça se termine avec un «We Just Couldn’t Make It As Friends» signé Chips qui sonne comme un hit. Fantastique allure. En fait, Chips a ramené en studio ses copains de Memphis, mais le son n’est décidément pas le même. C’est un son cousin.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             L’un des gros coups de Chips, c’est Highwayman, le super-groupe country, avec Kristofferson, Waylon Jennings, Willie Nelson et Cash. Un album sans titre paraît en 1984. C’est de la country classique et sans surprise. Chips adore ça. Les quatre vieux crabes se relayent au micro. On note une belle dominante de Cash, toujours plus profond que les autres. On sauvera «Big River», festival de Western swing, avec Reggie Young à la gratte et Gene Chrisman au tatapoum. Fantastique énergie ! Chips remet tout le paquet avec son house-band. Reggie régit tout. Les quatre vieux crabes tapent aussi une version de «Desperados Waiting For A Train», le chef-d’œuvre de Guy Clark, mais ça retombe comme un soufflé. La version de Jerry McGill est bien plus balèze. Et quand on écoute «Welfare Line», on s’effare de la qualité de la prod. On le sait, Chips ne mégote pas.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             C’est lui qui monte l’opération Class Of ‘55, Memphis Rock & Roll Homecoming avec Carl Perkins, Jerry Lee, Roy Orbison et Cash. Il voyait ça comme un gros coup, mais ça n’a pas marché. Pourquoi ? Il suffit d’écouter l’album. Carl Perkins ouvre le bal avec «Birth Of Rock’n’Roll», il sait de quoi il parle, mais le solo country est parfait, trop parfait pour être honnête. Heureusement, Jerry Lee chope le mic pour chanter «Sixteen Candles» et il sauve les meubles. C’est lui le king du Memphis Beat. Il ne fait pas planer le doute, mais le génie. Dès qu’il arrive, tout reprend du sens. Ils tapent un peu plus loin une grosse claque de country groove intitulée «Waymore’s Blues» et chantent à tour de rôle : Cash, Orbison, Jerr et Carl. C’est assez hot. Avec «Coming Home», Roy Orbison taille sa petite bavette bien baveuse. Avec Roy, c’est toujours baveux, mais puissamment baveux. «Rock And Roll (Fais Do Do)» n’a strictement aucun intérêt, Chips s’égare et Jerr ramène le Class Of ‘55 dans le droit chemin avec «Keep My Motor Runnin’». Il est le sel de la terre. Memphis, c’est Jerry Lee. La ville de Memphis n’acceptera pas cet album en forme de pétard mouillé et cassera le contrat avec Chips.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             L’un des derniers albums que Chips produit est le Womagic de son ami Bobby qui sort en 1986. Pas de hit sur cet album, mais de l’excellent slow groove de Memphis («When The Weekend Comes»). Bizarrement, l’album vire un peu diskö, comme le montrent «Can’ Cha Hear The Children Calling» ou encore cet «It Ain’t Me» embarqué à la basse funk et perturbé par des cassures rythmiques insolites. 

    Signé : Cazengler, chips à l’ancienne

    Ronnie Milsap. Ronnie Milsap. Warner Bros. Records 1971

    Petula Clark. Memphis. Warner Bros. Records 1970

    Petula Clark. Blue Lady. The Nashville Sessions. Varèse Sarabande 1996

    Brenda Lee. Memphis Portrait. Decca 1971

    Bobby Womack. Fly Me To The Moon. Minit 1968

    Bobby Womack. My Prescription. Minit 1970

    Elvis Presley. Suspicious Minds The Memphis 1969 Anthology. RCA 1999

    Donnie Fritts. Prone To Lean. Atlantic 1974

    Herbie Mann. Memphis Underground. Atlantic 1969

    Neil Diamond. Touching You Touching Me. UNI Records 1969

    Carla Thomas. Sweet Sweetheart. The American Studio Sessions And More. Ace Records 2013

    Gary Stewart. Cactus And A Rose. RCA Victor 1980

    Highwayman. Highwayman. Columbia 1984

    Carl Perkins/Jerry Lee Lewis/Roy Orbison/Johnny Cash. Class of ‘55. America Records 1986

    Bobby Womack. Womagic. MCA Records 1986

     

     

    Bettye n'est pas une lavette

     

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Comme beaucoup d’énormes stars de la Soul (Martha Reeves, Little Willie John et sa sœur Mable, Sir Mack Rice, Joe et Levi Stubbs et combien d’autres !), Bettye LaVette est originaire de Detroit. Elle a aussi un point commun avec les Pretty Things : une poisse terrible. Bettye aura passé sa vie à attendre de pouvoir enregistrer un album.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Elle raconte son histoire (en collaboration avec David Ritz, le biographe de toutes les stars de la Soul) dans un petit livre passionnant : A Woman Like Me - A Memoir. Il s’agit là d’une contribution majeure à l’histoire de la Soul. Ce petit ouvrage se lit d’un trait, d’autant plus facilement que Bettye fréquente toutes les stars de l’âge d’or, à commencer par Jerry Wexler, Andre Williams, Otis, Aretha et sa sœur Erma, Esther Williams, Marvin, bien sûr, George Clinton, Jackie Wilson avec lequel elle passe une nuit, Dr John, Solomon Burke et combien d’autres ? C’est probablement l’un des meilleurs éclairages sur la scène de Detroit.

             Bettye a deux passions dans la vie : le sexe et chanter - We were essentially groupies who sang - Bettye baise avec des tas de mecs et principalement des macs - Those pimps loved to watch girls have sex - Ces macs aimaient bien voir des filles baiser ensemble. Elle affirme qu’elle a plus appris de ces gens-là que des prêtres - I’ve learned a helluva lot more from pimps than preachers - Bettye n’est pas avare de détails, elle a toujours aimé le cul et elle avoue qu’arrivée à la soixantaine, elle n’est plus aussi athlétique au lit.

             Son histoire démarre très fort, puisque ses parents sont alcooliques professionnels. Ils vendent de l’alcool et des sandwiches - I was born in a heavy-drinking family. Early on I became - and remain - a serious drinker - Et elle fréquente très jeune le Black Bottom, le quartier chaud de Detroit où les souteneurs en costards de soie vert pistache et en spit-polished alligator shoes la fascinent. Elle y croise Otis Williams et David Ruffin qui allaient former les Tempts, Smokey aux yeux verts et Mary Wells qui chantait les chansons de Smokey.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Bettye a seize ans lorsqu’elle enregistre « My Man ». Jerry Wexler repère le single et la veut sur Atlantic. Elle commence à tourner et baise avec Otis et Ben E King qui ont déjà pas mal de gonzesses dans leurs vies respectives. Bettye snobe Motown, fière d’être signée sur Atlantic, le label de Ray Charles, de Solomon Burke et des Drifters. Elle fréquente aussi Andre Williams qui a dix ans de plus qu’elle, et Ted White, le mari d’Aretha qui se dit pimp. Bettye affirme qu’Aretha est devenue une superstar grâce à Ted, et elle trace un parallèle avec Ike Turner - Without Ike, there would not be no Tina - Sans Ike, pas de Tina possible. Bettye raconte qu’elle passe l’après-midi à sniffer de la coke avec Ted et Aretha dans une suite d’hôtel - For years Aretha’s baby sister, Carolyn, and brother Cecil shared the same drug dealer with me - Elle et Carolyn s’approvisionnent chez le même dealer. Tout va bien pour Bettye jusqu’au jour où son manager Robert West se tire une balle dans la tête. Catastrophe ! La voilà obligée de tout reprendre à zéro.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             C’est là qu’elle fait la connerie de sa vie : elle part s’installer à New York. Elle va trouver Wexler et pose ses conditions : elle veut travailler avec Leiber & Stoller, mais Wexler lui dit qu’ils ne sont plus chez Atlantic. En échange, il lui propose Burt Bacharach qui composait alors pour Dionne Warwick. Bettye fait la deuxième connerie de sa vie : elle refuse - I need gutsier writers like Leiber & Stoller - Elle voulait des gens plus dynamiques que Burt. Alors elle quitte Atlantic. Sans manager et sans label, t’es foutue, lui dit Wexler. Comme elle veut être libre, elle demande à Wexler de déchirer son contrat. Ce qu’il fait devant elle. Puis il lui file un chèque de 500 dollars - For what ? Demande-t-elle - Just because you’re going to need it - Wexler la prévient qu’elle va en baver.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Elle dit beaucoup de mal de James Brown qu’elle considère comme un être inculte - I saw him as an especially ignorant man - et de Doris Troy - She was bad - Et elle finit l’épisode new-yorkais à moitié à poil dans la rue, après qu’un mac ait menacé de la jeter du vingtième étage d’un immeuble. Retour à Detroit, où elle fréquente les gens de Motown. Bettye couche avec Clarence Paul, l’un des producteurs Motown qui n’est hélas pas dans les petits papiers de Berry Gordy. Elle raconte comment un soir sur scène, George Clinton commença à prendre de l’acide - If Jimi Hendrix could kiss the sky and burn up his guitar on stage, George wasn’t going to be left behind - Oui, il n’était pas question pour Clinton de prendre du retard sur Jimi Hendrix. Et elle fait bien sûr le parallèle avec ce qui se passait alors en Californie autour de Sly Stone. Et puis en 1972, Leland Roger, boss de Silver Fox Records, propose à Bettye d’aller enregistrer à Memphis - You heard of Jim Dickinson ? - C’est l’épisode du fameux album Child Of The Seventies jamais sorti. Bettye s’amuse bien avec Jim et les autres - These white boys liked popping the speed pills used by truck drivers. Weed was plentiful - Elle voit ces petits blancs prendre des amphètes de camionneurs et fumer de l’herbe à la pelle. Il fut ensuite question d’une tournée, Bettye reçut même ses billets d’avion et puis, sans aucune raison, un mec d’Atlantic l’appelle pour lui dire que tout est annulé, y compris l’album, et qu’elle doit renvoyer les billets. Elle fut tellement anéantie qu’elle passa des journées entières sous une table avec des bouteilles de vin - Muthafucka, comme dit Bettye en guise de chute à chaque chapitre.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             On trouve sur cet album ressuscité un gospel rock d’envergure maximaliste, « All The Black And White Children ». Elle attaque ça au communautarisme ambivalent, bien soutenu par les violons du paradis. Mais le reste de l’album n’est pas très bon. Elle fait une reprise Soul d’« It Ain’t Easy » et fait de « Fortune Teller » un balladif invertébré. Sur « Soul Tambourine », elle sonne comme Mireille Mathieu. Elle finit par s’énerver sur « Ain’t Nothing Gonna Change Me », elle y arrache le shake du raunch. C’est Rhino qui a réédité ce disque raté en 2006. Par contre, on y trouve des bonus qui sont nettement meilleurs que les cuts de l’album original, à commencer par « Livin’ Life On A Shoestring », un vrai funk de fièvre mortelle des années soixante-dix. Bettye s’y fait reine du funk insidieux et elle chante au sucré d’allure. Elle vit bien sa vie sur le shoestring. Elle tape dans le « Heart Of Gold » de Neil Young puis dans « You’ll Wake Up Wiser », une belle pièce de groove raffiné qu’elle chante d’une voix de sucre aigu. Elle chante aussi « Here I Am » du haut de sa juvénilité cossue. Sacrée Bettye, elle sait chanter à pleine voix et se montrer attachante.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Comme Rhino, Sundazed fit en 2006 œuvre de charité en compilant les singles Silver Fox sur l’album Do Your Duty. Les Dixie Flyers accompagnent Bettye sur certains morceaux comme « Do Your Duty », un r’n’b de classe infernale, le r’n’b à l’état le plus pur, quasiment staxé. Normal, on est dans le Memphis sound. Bettye n’en finit plus de ruer dans les brancards. Elle tire son Soul train avec une belle opiniâtreté. C’est une battante. Elle ne lâche pas sa proie. Les Dixie sont aussi derrière elle pour « He Made A Woman Out Of Me ». Bettye sonne carrément comme Aretha. Même attaque, même classe. C’est encore une fois superbe de grandeur Soul et de maintien africain. Elle va plus sur la voix de nez mais elle bouillonne de feeling. Bettye est une féroce, une hot chick. Sur « My Train’s Coming In », elle feule, elle embarque son r’n’b avec une niaque des bas-fonds. On a là une véritable perle de juke. On découvre en elle une Soul Queen, au même titre qu’Aretha et Martha Reeves. Encore une bien belle énormité avec « At The Mercy Of A Man », pièce fumante de hot soul qu’elle travaille au corps. Rien que pour ces quatre hits, il faut se jeter sur l’album. Bettye s’y montre fabuleusement douée. 

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Quand Motown se réinstalla à Los Angeles, Clarence Paul fit signe à Bettye. Elle vint y enregistrer au Bolic Sounds Studio d’Ike, et elle y fit la connaissance du real gangster of love, Johnny Guitar Watson - Like Ike, Johnny could snort more blow than a brand-new Hoover - Elle raconte qu’Ike et Johnny sniffaient la coke comme des aspirateurs. Elle tombe aussi dans les bras de Solomon Burke que Jerry Wexler considérait comme le plus grand chanteur de soul - with a borrowed rhythm section - Et quand la cousine Margaret demandait à Bettye comment on pouvait baiser avec un homme aussi énorme que Solomon, elle répondait - Simple. You sit on him - Tu t’assois dessus, répondait-elle. Elle se retrouve aussi au lit avec son idole Bobby Bland - We blow so much that we forgot about sex - Mis ils étaient trop défoncés pour penser à baiser. Et puis un beau jour de 1982, Lee Young de Motown passe un coup de fil à Bettye : « Motown needs a mature female vocalist and you’re it ! » Motown veut une chanteuse mûre.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             On l’envoie enregistrer à Nashville. Tell Me A Lie est un disque étrange. On sent que Bettye résiste comme elle peut à la pression commerciale qui la pousse vers cette fucking disco qui se vend bien. « Right In The Middle » sonne comme une belle Soul de caractère. Bettye chante d’une voix d’accent tranchant, mais on sent la menace disco juste derrière. Ce son m’as-tu-vu a ruiné des quantités d’albums. On commence à écouter « You Seen One You Seen Em All » monté sur un petit beat pop de la Motown softy softah des clopinettes de la bézette des années 80 et on s’écroule en faisant Ach !, comme le fantassin de la Wermarth frappé en pleine poitrine par une roquette anti-char. Bettye sauve l’album avec une reprise magistrale d’« I Heard Throught The Grapevine ». Elle tape là dans l’immensité de l’immense classique de son copain Marvin, dans le cantique des cantiques de la Soul orthodoxe, dans le saint des saints du groove Tamla. Bettye tient bien la rampe d’un beat Soul qui soûle. Le seul morceau intéressant de la B, c’est « I Like It Like That », plus groovy et chanté à contre-courant d’un beau développé d’élégance de satin rouge. Elle s’y frotte avec une classe certaine. Mais quand l’album paraît et qu’elle voit la pochette, elle pousse un hurlement : ces connards de Tamla ont mis une blanche sur la pochette ! Et comme Motown ne fait aucune promotion, l’album fait un flop. C’est la deuxième fois que ses espoirs sont anéantis. Muthafuckas.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Puis un Anglais nommé Ian Levine vient s’installer à Detroit avec l’intention de redémarrer Motown. Il récupère tous les seconds couteaux que les Anglais amateurs de Northern Soul adorent, Bobby Taylor, Marv Johnson, Kim Weston, Dennis Edwards, Eddie Kendricks, Brenda Holloway, les Contours, les Marvelettes, les Four Tops, les Velvelettes et bien sûr Bettye, et il fonde le label Motorcity. Ian Levine avait du fric et il payait bien - He probably paid many of the old-time Motowners more than Berry Gordy ever had - mais l’album Not Gonna Happen Twice paru en 1991 sur Motorcity n’alla nulle part. Difficile à dénicher, mais on est bien récompensé quand on le chope. Elle attaque avec la diskö du morceau titre et la swingue avec un incroyable chat perché de Soul Sister qui a tout vécu. Elle frise l’Esther Phillips tellement elle est bonne. Elle fait jaillir cette énergie du diskö Soul de Detroit qui rend dingue. Elle chante avec des accents fêlés extravagants. Comme Rufus Thomas, elle sait tenir la rampe pendant huit minutes. Betty chante à la base du beat, elle suce le feeling du totemic, elle tripote sa diskö Soul jusqu’à l’aube. Puis avec « Have A Heart », elle laisse la diskö pour revenir au groove. Elle repart en maraude pour six minutes. Elle ramène tout son répondant. Elle règne sur la Nubie quand elle veut. Elle chante à la vie à la mort de la mortadelle. « Right Out Of Time » paraît plus plan-plan mais les filles ramènent de la chaleur. C’est une fois de plus bardé de génie diskö. Derrière Bettye, les filles sont folles, elles soulèvent leurs jupes pour évacuer la chaleur. Elle braillent comme des folles et elles basculent les jambes en l’air dans les descentes de groove. C’est hallucinant. Bettye revient à sa chère heavy Soul avec « Let Me Down Easy » et une niaque unique au monde. « Good Luck » est monté sur un violent diskö beat, Bettye saute au paf directement. Elle rivalise une fois de plus de classe avec Esther Phillips. Elle fait une version diskö de « Jimmy Mack ». Comment ose-t-elle ? Touche pas à ça malheureuse ! Mais Bettye chante comme Martha, elle respecte l’intégrité du son, elle retrouve le secret de la niaque des origines. Elle revient à la grande Soul de Detroit avec « Time Won’t Change This Love ». Elle l’explose avec tout le chien de sa chienne dont elle est capable. Pur génie Soul. Elle attaque « Danger Heartbreak Dead Ahead » à la manière d’Aretha. Attention, c’est très puissant, aussi capiteux qu’un grand hit d’Aretha. Fascinant ! C’est plein de jus inconnu. Bettye LaVette ramène toute la folie dans le Detoit Sound.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Grâce à un admirateur nommé Dennis Walker, elle parvient à enregistrer un nouvel album en 2003. Les LaVettistes voient A Woman Like Me comme l’album du redémarrage. Mais Bettye va donner libre cours à son gros défaut et compromettre sa crédibilité de Soul Sister : elle se prend un peu trop pour Tina, comme c’est le cas avec « Right Next Door ». Trop d’affectation et trop de maniérisme, trop d’accents de lionne blessée qui tournent au cliché et qui renvoient au cauchemar des années 80. Aux yeux de certains, ce côté Tina peut passer pour une force, mais aux yeux des autres, ça devient vite insupportable. Elle revient au blues avec « When The Blues Catch Up To You », une belle pièce de blues velouté et cousu de fil blanc. Mais elle retombe dans le maniérisme avec « Thinkin’ Bout You » et là elle tape carrément dans la surenchère de simagrées. Elle joue du fêlé de son timbre, mais Bettye n’est pas Tina et ça tourne vite au chichiteux. Elle se rattrape avec le morceau titre qu’elle embarque grâce à la science de la connaissance. C’est le hit de l’album et c’est sacrément joué à la guitare. Puis elle nous jazze « It Ain’t Worth It After A While » dans la fumée des clubs de Harlem. On se croirait dans un movie de Spike Lee. L’atmosphère se veut superbement languide et Bettye joue les jolies cavaleuses d’exaction morose du Comte de Lautréamont. Elle verse une larme d’opale qui roule dans la mystérieuse échancrure de la vallée du Nil. Elle revient ensuite au fier r’n’b avec « When A Woman’s Had Enough », doté de l’épine dorsale du beat de base et joué à la basse funk pouet-pouet. Quelle belle pièce sous le couvert ! C’est fin et audacieux, pulsé par le pouet-pouet empathique. C’est même captivant. On a là un cocktail explosif : Bettye, la basse et l’ambiance. Mais l’album ne marche pas - Another one of these triumphant debacles that characterize my career. The music was great but no one really heard it - Elle qualifie sa poisse de triomphante débâcle. Elle fait de bons disques que personne n’écoute.

             Puis elle finit par être repérée et lancée par un certain Mike Kappus, boss de l’agence de booking Rosebud. Elle tourne en Europe avec Etta James et Bobby Bland. La voilà sauvée, au plan matériel.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Mais elle ne parvient pas à corriger son gros défaut pour enregistrer l’album suivant, I’ve Got My Own Hell To Raise, un album de reprises de chansons écrites uniquement par des femmes. Dans « Do Not Wait What I Haven’t Got », elle se prend encore pour Tina et ça sent la dérive des vieilles blacks alcoolisées. Encore une fois, ça plaira à certains mais pour les autres, ce sera insupportable. Une reprise de Lucinda Williams, « Joy », passe aussi à la casserole, mais l’atmosphère du morceau sort vraiment de l’ordinaire. Elle tape dans Joan Armatrading avec « Down To Zero » puis dans Rosanna Cash avec « On The Surface » qu’elle transforme en heavy groove bien foutu - On the surface everything seems alright - Puis elle attaque une fantastique reprise de « Little Sparrow », signé Dolly Parton. C’est monté sur un énorme groove de basse. Elle fait sa Tina gospel et noie sa version dans la basse. Voilà ce qu’il faut bien appeler une monstrueuse approche du petit moineau. Le royaume de Bettye, c’est le groove, comme le prouve « How Am I Different ». On se retrouve là dans le son de la Nouvelle Orleans, dans ces grooves insidieux pleins de nuances expertes. Au fil des morceaux, cet album devient réellement extraordinaire et on monte encore d’un cran dans la stupéfaction avec « Only Time Will Tell Me » qu’elle tortille dans un groove paranormal, à la fois perverti et funky, et ça devient fabuleux. Bettye sait gérer l’éclat de l’excellence. Derrière, les autres jouent comme des diables. Elle termine avec une reprise de Fiona Apple, « Sleep To Dream », et elle bénéficie une fois de plus du climat de mystère entretenu par les bêtes de groove qui l’accompagnent. Ça devient énorme - I’ve got my own hell to raise - et Bettye redevient l’énorme Soul Sister de l’époque Silver Fox. 

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             The Scene Of The Crime pourrait bien être l’album mythique de Bettye, car les Drive-By Truckers l’accompagnent. Patterson Hood commence par lui proposer 60 chansons qu’elle rejette. Puis Bettye débarque à Muscle Shoals - I didn’t feel respected. Drive-By Truckers had written no arrangements. Nothing had been planned. They wanted to wing it. I wanted to kill them - Elle ne se sentait pas respectée, rien n’avait été préparé. Elle voulait les tuer. Elle ajoute qu’elle préfère enregistrer dans le Nord plutôt que dans le Sud. Cet album qui s’annonçait mal réserve d’énormes surprises. Il démarre en trombe avec « I Still Want To Be Your Baby ». Patterson Hood et ses copains veillent au grain, alors ça prend tout de suite très fière allure. Ils sortent un son extraordinaire d’extravagance et on se retrouve avec une sorte de morceau idéal : la voix frippée de Bettye et le son du meilleur groupe underground d’Amérique. Il faut voir comme ils savent faire monter la sauce. Le gimmick est joué dans l’écho des sous-bois de l’Alabama hantés par les fantômes des soldats confédérés. Mais Bettye revient faire son numéro de feuleuse et ruine le cut suivant. Mavis Staples ne serait jamais tombée dans un tel panneau. Ça recommence à chauffer avec « You Don’t Know Me At All », car les Drive balancent un groove énorme. Alors Bettye renaît de ses cendres. Derrière, ils jouent comme des vautours. Évidemment, avec Patterson dans les parages, ça prend une tournure énorme. Voilà donc un groove puissant et relancé au solo de guitare. Les Drive salent et poivrent à outrance. On reste dans la grosse ambiance avec « They Call It Love ». Bettye allume avec des effets de voix humide frappés par l’orage, mais elle frôle vite le ridicule. On croit que « The Last Time » est une reprise des Stones, mais non, c’est un groove à la Creedence. Pièce excellente, moite et digne du bayou. Patterson fait chauffer la lessiveuse. Il touille le brasier sous la cuve. Au moins, comme ça, le linge sera blanc.  

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             L’album suivant qui s’appelle Interpretations - The British Rock Songbook pose un sacré problème aux LaVettistes : comment une Soul Sister originaire de Detroit a-t-elle pu aller se fourrer dans un tel guêpier ? On sait que les Supremes et Aretha ont tapé dans les chansons de Lennon et McCartney, mais elles ont su s’en tirer avec les honneurs, car les mélodies tenaient la route. Bettye tape dans une chanson moins connue de Lennon/McCartney, « The Word », et ça ne marche pas. Elle refait sa Tina dans « No Time To Live » de Traffic et c’est horriblement prétentieux. « Don’t Let Me Be Misunderstood » lui va un peu mieux, mais elle refait sa Tina dans « Wish You Were Here » du Pink Floyd et elle réussit à massacrer le très beau « Baby I’m Amazed » de McCartney. Elle se prend cette fois pour Nina Simone, mais elle n’est pas Nina Simone. On ne retrouve même pas le fil mélodique de la chanson, pourtant si pur. Puis elle tape dans les Stones avec « Salt Of The Earth », mais ça ne marche pas non plus. Rien à faire. Il ne se passe rien dans sa version de « Nights In White Satin » et on retrouve enfin la Soul Sister dans « Why Does Love Got To Be So Bad » (Clapton) qui démarre comme le « Cannonball » des Breeders. Et là, elle swingue, et ça devient fabuleux, funky jusqu’à l’os du genou et transpercé par un solo fatal. La grande Bettye est enfin de retour. Ouf ! Il était temps.   

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Tous les LaVettistes se sont prosternés devant Thankful N’ Thoughful paru en 2012. Pourtant, dans Soul Bag elle explique que c’est encore une idée des producteurs, pas la sienne - Je n’ai pas été associée à leur démarche - Et elle est directe : ce n’est pas son disque préféré ! En effet, l’album commençait mal, car dans « Everything Is Broken », elle refaisait sa Tina.

             — Bon dieu, Bettye, arrête de singer cette vieille mémère de Tina qui est devenue vraiment pénible !

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Mais on lui a dit de singer Tina. Les mecs du business pensent que ça fait vendre. Alors la pauvre Bettye fait sa Tina en veillant à ne pas tomber dans la tinette, mais c’est tout juste. Elle redevient pénible de singerie. Dommage. Puis elle trafique « Dirty Old Town » et c’est atrocement mauvais. Les mecs du business ont réussi à faire de Bettye une vieille chanteuse à la mode. En plus, elle s’y croit. Elle traîne ses mots dans l’affectation et fait sa gospel queen de radiateur. Il faut attendre « I’m Tired » pour la voir enfin renaître. Elle se fâche pour de bon et elle accouche d’un vrai hit. Elle fait sa fêlée. Elle sort un pur jus de rock à Billy bop de cabane de bayou. Ça sonne comme un hit, elle emmène son truc à la voix chauffée, pulsée par un riff fatal. Wow Bettye ! Avec le morceau titre, elle tape dans le heartbeat du r’n’b et renoue avec la Soul magique. Bettye dégage le passage. Ne vous mettez pas en travers de son chemin - Thoughtful ! I’m thoughtful - C’est plombé à l’arpège dément. Elle mord dans son truc comme dans la pomme du diable - le son ! le son ! - Envoûtement garanti. Elle redevient la Bettye fascinante qu’on adore. Et elle y revient sans cesse, elle mord et remord au truc. Dans « Time Will Do The Talking », elle prend le taureau du groove par les cornes. Elle se libère enfin de ses chaînes. Elle attaque le groove dans la pente. Elle devient spectaculaire. Plus aucune affectation. Elle chante sous l’emprise du feeling et on retombe sur la réalité d’une star énorme. Elle plonge dans son cut avec gourmandise, elle en fait un truc puissant et inspiré. Elle chevauche son groove à l’ancienne, sans selle. Elle chante comme la reine de Nubie - Time ! Time ! - et elle finit par donner le vertige.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             On trouve les deux premiers enregistrements de Bettye sur une compile intitulée The Original Sound Of Detroit, parue en 1967. Attention, c’est un très gros disque, puisqu’autour d’elle on trouve les noms des Corvells, des Falcons, de Mack Rice et de Joe Stubbs, qui était le frère de Levi Stubbs, l’un des quatre Four Tops. Sir Mack Rice fait un carton avec « My Baby » et son r’n’b popotin noyé de chœurs et de cuivres. Bettye a déjà une envergure de Soul Sister. Avec « Witchcraft In The Air », elle pulse comme une vétérante des guerres napoléoniennes. Mais le roi, c’est bien Sir Mack Rice qui revient à la charge avec « Baby I’m Coming Home ». Il sait trousser un hit et le rendre sympathique en le chargeant de clap-hands et de chœurs torrides. Le « Has It Happened To You Yet » des Falcons est une perle de juke d’un très haut niveau de groove de Soul, dentelé à la vocalise et chanté comme du Marvin, mais en plus élégiaque. Pure magie vocale.  

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Worthy paraît en 2015 sur Cherry Red, un label anglais. Dans Soul Bag, Bettye se dit déçue par les Américains, et notamment par Don Was et Jack White - des gens de Detroit comme moi - qui ont des petits labels et qui ne s’intéressent pas à elle. Worthy est un bon disque. On y trouve une belle pièce de stonesy intitulée « Complicated ». Sa cover tient la route. Bettye sait jiver les Stones et elle fait de ce hit mineur des Stones un hit majeur - It’s kind of complicated aouuuhhh - Elle le groove sans pitié. Elle fait aussi une cover de Dylan, « Unbelievable ». Elle essaye d’y conserver son identité de vieille dame indigne, mais ce n’est pas facile car elle vire trop Tina. Elle fait tout à la glotte fêlée. Elle frime tellement qu’on finit par aller boire une bière au bar. Dommage que son chant soit si maniéré. Elle ne sait même plus de quelle école elle sort et sa reprise du « Bless Us All » de Mickey Newbury est un peu ratée. Elle reprend aussi un cut de Lucinda Williams, «Undamned», sa chouchoute - Quand nous nous voyons, nous nous asseyons pas terre pour boire du vin - Elle revient à ses chers Beatles avec une reprise de « Wait » et en fait une version sauveuse d’album.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Nouvelle apparition en 2018 avec un album de reprises de Dylan, Things Have Changed. Elle y cultive encore ce son de glotte fêlée à la Tina, comme si elle voulait revenir aux racines du mythe Ike & Tina. Elle tape dans les gros classiques de Bob comme « It Ain’t Me Babe » (traité au sweet heavy groove) et « The Times They Are A Changin’ », tapé au heavy sound. Elle sait travailler le Dylanex et emploie une curieuse méthode consistant à en transformer l’ambiance. Dylan sert de merveilleux prétexte, en fait. Elle le fait basculer dans la Soul et c’est admirable. Nouvel essai avec un « What Was It You Wanted » extrêmement groové. Elle fait autorité sur Dylan. Du coup, cette façon de groover en profondeur change tout. Elle en profite pour déballer tout son art de Soul Sister sur le retour. Quelle belle présence intensive ! Elle tape « Go Right To Me Baby (Go Unto Others) » au heavy romp et derrière, ça cocotte sec comme dans Led Zep. De grosses guitares volent à son secours, c’est édifiant. Quelle shouteuse ! Elle touille sa sauce de manière providentielle et occasionne une réelle délectation. Elle retraite « Going Going Gone » à sa sauce et ça finit par donner un grand disque de Soul très porteur, très stratosphérique. Elle remonte le courant de sa Soul comme un saumon d’Écosse, elle splashe des giclées argentées dans les rayons d’un soleil ardent, elle ramène des tonnes de pathos du fond de son ventre de Soul Sister. On entend Keef jouer un killer solo de gras anglais dans « Political World ». Il renoue avec l’éclair de génie du solo de « Sympathy For The Devil ». Avec ce cut, on perd une fois encore tout le Dylanex au profit d’un Bettysme très ambitieux. Elle tape un « Seeing The Real You At Last » plus musculeux. Un nommé Pino Palladino signe ce bassmatic qui roule bien sous la peau du groove. Elle transforme le Dylanex une fois de plus et le sublime en ramenant des tonnes de feeling dans son groove. En fait, elle annexe le Dylanex.

             À la fin de son livre, Bettye reçoit un trophée au Heroes and Legends Banquet de Berverly Hills. Elle monte sur scène et aperçoit les pontes de Motown dans l’assistance, dont Berry Gordy. L’occasion est trop belle de l’allumer : « And if I’m a legend at all, it’s because I know people in Detroit who Berry Gordy still owes fifty dollars to, from when they worked with him on the Chrysler line - Oui, Gordy doit encore du fric à des ouvriers de Chrysler, et elle ajoute, histoire de bien leur mettre le museau dans leur caca - I’d like to say that people in this room could help me to get me where I am, but they didn’t - Oui, aucune des personnes présentes dans cette salle ne l’a aidée. Et comme Lemmy, elle affirme qu’elle fumera de l’herbe et qu’elle picolera jusqu’à ce que le toubib lui dise qu’elle est foutue - And even then, I may well continue smoking marijuana and drinking champagne - Et même à l’article de la mort, elle continuera de fumer de l’herbe et de siffler du champagne.

    Signé : Cazengler, Lavette

    Bettye LaVette. Tell Me A Lie. Motown 1982

    Bettye LaVette. Not Gonna Happen Twice. Motorcity Records 1991

    Bettye LaVette. A Woman Like Me. Blues Express 2004

    Bettye LaVette. I’ve Got My Own Hell To Raise. Anti- 2005

    Bettye LaVette. Do Your Duty. Sundazed Music 2006

    Bettye LaVette. Child Of The Seventies. Rhino Handmade 2006

    Bettye LaVette. The Scene Of The Crime. Anti- 2007

    Bettye LaVette. Interpretations - The British Rock Songbook. Anti- 2010

    Bettye LaVette. Thankful N’ Thoughful. Anti- 2012

    The Original Sound Of Detroit. Speciality/Ember Records 1967

    Bettye LaVette. Worthy. Cherry Red Records 2015

    Bettye LaVette. Things Have Changed. Verve Records 2018

    Bettye LaVette. The 1972 Muscle Shoals Sessions. Run Out Groove 2018

    Bettye LaVette & David Ritz. A Woman Like Me - A Memoir. Plume Printing 2013

    Bettye LaVette. Reprise à Haute Tension. Soul Bag n°218. Avril-mai-juin 2015

     

     

    Wizards & True Stars

    - Le jeu de Pomus

     

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             La seule True Star en béquilles pourrait bien être Doc Pomus. Vieille école ? Autre époque ? Susurreur suranné ? Huberlu révolu ? Dévolu d’Honolulu ? Alibi d’hallali ? Non, Doc, c’est le Brill, au même titre que Totor et Ellie Greenwich, au même titre que Leiber & Stoller et Donnie Kirshner. Ce Brill qui fit briller la pop américaine au firmament, jusqu’au moment où sont arrivés les Beatles, en 1964.

             Petit, Doc s’est chopé la polio. Il a marché toute sa vie avec des béquilles, puis il est passé au fauteuil roulant quand il a pris trop de poids. Alors bien sûr, il reste associé à Mort Shuman, un mec qu’on n’aime pas trop, par ici, mais bon, faut faire avec. Ils constituaient un team, au même titre que Mann & Weil, Barry & Greenwich, Goffin & King, Boyce & Hart, Sedaka & Greenfield. Situé au 1619 Broadway, à Manhattan, le Brill était un immeuble transformé en usine à tubes. Kirshner et d’autres payaient les teams installés dans des bureaux pour pondre des hits chaque jour. Cot cot ! Ça pondait sec ! Des Anglais comme Don Arden, Mickie Most ou Andrew Loog Oldham venaient faire leurs courses au Brill. Combien la douzaine ? Cot cot ! Quand Elvis s’est lancé dans son aventure hollywoodienne, il a fallu augmenter la cadence, car à raison de quatre bandes originales de films par an, il fallait pondre à bras raccourcis et en continu. Cot cot cot cot ! Au début ça amusait Doc, car il s’en foutait plein les poches, mais au bout d’un moment, il a dit stop, car c’était n’importe quoi. Doc est un artiste, pas une poule en batterie.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             On peut entrer dans sa vie par l’excellent book d’Alex Halberstadt, Lonely Avenue - The Unlikely Life And Times Of Doc Pomus, ou alors, par une compile Ace, The Pomus & Shuman Story (Double Trouble 1956-1967) parue en 2007. L’Ace est idéale car on a la musique. Le book est tout aussi idéal, car Halberstadt réussit l’exploit de nous faire entrer dans la mystérieuse chambre d’hôtel où il a vécu pratiquement toute sa vie et de restituer la dimension gargantuesque de cet infirme génial. Doc est un homme qu’on aurait adoré connaître. On y revient la semaine prochaine.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             L’Ace réussit un autre exploit : présenter le parcours de Doc comme un fantastique résumé de la grande pop américaine, depuis Ray Charles jusqu’à Elvis, en passant par les Drifters de Ben E. King et LaVern Baker. Que cet homme soit associé à autant de très grands artistes est en soi une sorte de petit miracle. Doc est moins glamour que Mann & Weil, Goffin & King ou Barry & Greenwich, mais il occupe exactement le même rang. Il faut entendre Ray Charles chanter son «Lonely Avenue», qui d’ailleurs donne son titre au book d’Halberstadt. C’est du mythe à l’état pur, du mythe hanté d’oooh yes sir et Ray t’explose ça au feel so sad avec des chœurs de cathédrale. «Lonely Avenue» est d’autant plus mythique qu’il s’agit de la chanson autobiographique d’un infirme interprétée par un autre infirme. Ahmet Ertegun apprécie beaucoup Doc et lui demande de composer pour ses artistes, alors Doc y va : Clyde McPhatter, LaVern Baker, les Coasters, Bobby Darin, Mickey Baker, et Ruth Brown, rien que du gratin dauphinois. On croise plus loin l’«Hey Memphis» de LaVern Baker, adaptation de «Little Sister», fantastique rumble d’Hey Memphis won’t you, c’est même d’une rare violence. Il faut aussi saluer le «(Wake Up) Miss Rip Van Winkle» des Tibbs Brothers explosé au sax par King Curtis. Il est bon se rappeler que King Curtis et Mickey Baker font partie des session men favoris de Doc. Quand naît sa fille Sharon, Doc compose «I Ain’t Sharin’ Sharon» qu’on entend ici interprété par Bobby Darin.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Libéré de l’armée, Elvis enregistre «A Mess Of Blues» et Doc devient, nous dit Mick Patrick, l’un des compositeurs préférés du King. Eh oui, ses versions de «(Marie’s The Name) His Latest Flame» et «Little Sister» sont des hits demented. Sur l’Ace, Elvis nous chante «Double Trouble». On sent immédiatement la différence. Elvis a une façon unique de rentrer dans le chou du lard. Il va enregistrer 16 compos de Doc, et d’autres que Doc a pondues avec Leiber & Stoller. Mick Patrick indique qu’«His Lastest Flame» et «Little Sisters» étaient destinés à Bobby Vee qui n’en voulait pas ! Par contre, il chante un «All You Gotta Do Is Touch Me» au mieux de ses possibilités. Vee vit ça bien. Il sonne comme un lookalike de Buddy qui n’a jamais pu surmonter la catastrophe du plane crash. Sur l’Ace, c’est Del Shannon qui se tape «His Lastest Flame», mais Del n’a pas la voix, même si dans les early sixties, on le considère comme une star. Par contre, les deux qui ont des voix sont Marty Wilde et Fabian. Marty tape «It’s Been Nice» et ça bascule dans le génie interprétatif. Pareil pour Fabian avec «Turn Me Loose», fabuleux shake de pop US qu’il chante à l’exacerbée. Avec «Save The Last Dance For Me», les Drifters nous ramènent au cœur du New York City Sound. Dion & the Belmonts aussi, avec «A Teenager In Love», même si c’est plus sucré. On croise aussi Barrett Strong avec «Seven Sins», un petit bordel de juke parfaitement inutile. Doc est mêlé à pas mal d’horreurs, comme Ral Donner («So Close To Heaven») ou Andy Williams («Can’t Get Used To Losing You»). Par contre, Ben E. King tartine bien son «First Taste Of Love». Il bénéficie du traitement de choc orchestral. C’est Terry Stafford qui tape le «Suspicion» écarté par Elvis. Vraie voix. Admirable ! Gary US Bond tape le «Seven Day Weekend» que reprendront les Dolls. Ça permet tout de suite de situer le niveau. Rappelons aussi au passage que Doc était pote avec Lou Reed et Mac, c’est-à-dire Doctor John. On garde les meilleurs pour la fin ? Voilà Irma Thomas avec «I’m Gonna Cry Till My Tears Run Dry». Irma rentre dans la Soul de Doc au heavy groove de New Orleans. Elle va pleureur jusqu’à la dernière larme. Arrive aussitôt après elle l’immense Howard Tate avec «Stop». Il t’allume ça à n’en plus finir au stop it baby. Et pour refermer la marche, les McCoys embarquent «Say Those Magic Words» au mieux des possibilités de la pop explosive. Pur psyché de New York juke ! 

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Avant de devenir auteur de renom, Doc chantait le blues dans les bars de New York. Son idole n’était autre que Big Joe Turner. En 2006, Rev-Ola eut l’extrême intelligence de faire paraître Blues In The Red. On y entend Doc chanter le blues dans les années 40 à Greenwich Village. Doc est un peu obligé de changer de nom, car il ne veut pas que ses parents sache qu’il chante le blues dans les clubs - White kids just didn’t sing blues with Negroes in the 1940s - Attention aux yeux, car le «Doc’s Boogie» d’ouverture de bal est du pur proto-punk. Doc devient une sorte de Mezz Mezzrow du out of it. Il nous ramène dans les racines du New York jive, les racines du blues urbain, qui est, à l’image de cette ville, bourré d’énergie. Tout sur cet album est joué à l’arrache. Doc arrive avec ses béquilles dans le jive de «Send For The Doctor» et l’explose. Le solo de sax fout le feu. On entend rarement un tel jive de jump. Son hit le plus connu est dans doute «Alley Alley Blues». Docky Doc est blanc, mais il reste dans la veine de Big Joe Turner. Il tape «My Good Pott» au big band brawl. On s’amuse bien avec Doc, il fonce dans le tas, comme Louis Jordan - I love my good pott/ All the time ! - Quelle énergie ! Il tape le heavy blues de «Traveling Doc» au come back no more et revient au heavy rumble de jump avec «Naggin’ Wife Blues». Doc est un dingue du r’n’b, il a récupéré tout le génie du genre : le power et la diction. Tout est cuivré de frais, cuit dans son jus, craquant comme un 78 tours. Il faut le voir se jeter avec ses béquilles dans le «Give It Up». Ça joue à Brooklyn ! Là, tu as les vrais mecs, il y va au give it up/ I’m real down. «Heartlessly» sonne comme un hit. Il adore le vieux groove de cœur brisé. On entend Mickey Baker dans «Bye Baby Bye» et Doc termine bien sûr avec un «Joe Turner Medley» en forme de heavy romp de fast rock’n’roll.

    Signé : Cazengler, Doc Paumé

    The Pomus & Shuman Story (Double Trouble 1956-1967). Ace Records 2007

    Doc Pomus. Blues In The Red. Rev-Ola 2006

     

     

    L’avenir du rock

    - Pas de pépètes pour Los Pepes

     

             Ce matin-là, l’avenir du rock promenait son cul non pas sur les remparts de Varsovie, mais plus prosaïquement sur le Pont des Arts. Il vit arriver à sa rencontre un homme qui pleurait.

             — Bouh-ouh ouh, bouh ouh-ouh...

             Il faut savoir que l’avenir du rock a un talon d’achille : le spectacle du chagrin lui broie généralement le cœur. Il s’arrêta à hauteur de l’homme et s’enquit des raisons de son malheur.

             — Que vous arrive-t-il, mon pauvre ami ? Comment puis-je vous aider ?

             — Bouh-ouh ouh, bouh ouh-ouh...

             L’homme sembla redoubler de chagrin.

             — Bouh-ouh ouh, bouh ouh-ouh... Bouh-ouh ouh, bouh ouh-ouh...

             — Eh bien, eh bien, calmons-nous... Venez donc prendre un petit café arrosé, je vous l’offre...

             — Bouh-ouh ouh, bouh ouh-ouh... Bouh-ouh ouh, bouh ouh-ouh...

             — Ah oui, je comprends, il vous faut quelque chose de plus corsé. Venez avec moi dans ce bar là-bas, nous irons ensemble aux toilettes et je vous ferai un petit rail de speed, vous allez retrouver le sourire, croyez-moi !

              — Bouh-ouh ouh, bouh ouh-ouh...

             — Bon, il semble que votre désespoir exige une thérapie plus radicale. Alors accompagnez-moi jusqu’au bas de la rue Saint-Denis, je connais une pute ravissante qui vous mettra du baume au cœur, je vous l’offre pour une heure, une nommée Pépète...

             L’homme s’arrêta de sangloter. Il fixa un instant l’avenir du rock et marmonna :

             — Pépète ?

             — Ben oui, Pépète ! Et alors ? C’est quoi le problème ?

             — Bouh-ouh ouh, bouh ouh-ouh... Pas de pépètes pour Los Pepes !   

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Pas de première partie. Pas grand monde, allez, une bonne dizaine de personnes. En langage clair, ça veut dire que Los Pepes vont jouer pour des clopinettes. Mais comme ils sont pro, ils vont jouer quand même. Face à ce type de Bérézina, l’avenir du rock préfère coubertiner : l’essentiel est de participer dans Lactel.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Ultime réglage, monte la voix, up !, up !, et soudain boom, le ciel te tombe sur la tête : Los Pepes are on fire ! Depuis Motörhead, on n’avait plus entendu ce genre de blast. C’est même du double concentré de blast.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

    Deux guitares, deux Marshalls et boom kaboom badaboom, tu sais que tes oreilles vont siffler pendant trois jours. Quelle merveille que de voir ces quatre mecs jouer à la vie à la mort une espèce de hardcore gaga-punk complètement ancré dans le passé, mais cette musique reste vivante, ô combien ! Ils te font du pur wild as fuck de tight team, pulsé au beurre par une machine humaine, une vraie locomotive aux bras tatoués.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

    Dans Vive Le Rock, le seul canard à chroniquer Los Pepes, le mec disait qu’ils étaient the loudest band on earth. Rien de plus vrai. Louder, ça n’existe pas. Louder et beau, même si les rares instants mélodiques sont emportés par le déluge de feu.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

    Le mec qui bassmatique au centre de la scène est un Japonais à gueule de rock star, il joue en fluidité continue sur une basse en plexiglas et reste extrêmement concentré, il volerait presque le show. Il s’appelle Seisuke Nakagawa. Le mec au beurre derrière lui est un Polak, Kris Kowalski, il fait partie des batteurs inexorables, il monte sur tous les coups, il relance en permanence, son cœur balance entre la dynamique et la dynamite, rien qu’avec lui et son ami japonais, Los Pepes dispose de l’une des sections rythmiques les plus explosives dans le genre. On reste dans l’international avec le guitariste qui joue à droite. Il s’appelle Gui Rujao et vient du Brésil. Et puis voilà Ben Perrier, qui gratte ses poux sur une Mosrite et que les amateurs de gaga-punk britannique connaissent bien, car il fit des étincelles dans les années 2000 avec son duo gratte/beurre, Winnegabo Deal. Ben Perrier a lui aussi des allures de rock star, il joue un peu à l’ancienne, jambes écartées et voix perchée, mais quelle présence !

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Deux albums de Los Pepes traînaient au merch, Positive Negative qui date de 2019, et The Happiness Program. Le premier est un strong album de tatapoum power-poppy, bourré à craquer de drives inflammatoires.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

    Ben Perrier reste fidèle à l’esthétique du blast des années 2000, une fournaise dans laquelle se fondent les influences de Fast Eddie Clarke, des Ramones et des groupes australiens de type New Christs. Notez bien qu’après le set, Ben Perrier portait un T-shirt Eternally Yours, l’un des plus beaux albums de blast seigneurial jamais enregistrés. On appelle ça une preuve de goût. Le morceau titre du Positive Negative est totalement dévoué à la cause, ils font du pas de pitié pour les canards boiteux, ils tapent dans l’esthétique d’Attila & the Huns, ça sent bon le roussi des vieilles équipes comme les Backyard Babies et les Hellacopters. Globalement le son est plein comme un œuf et le bassmatic rôde en permanence sous la surface. On ne s’ennuie pas un seul instant. Ils savent pousser à la roue, pas de problème. Ils ne rechignent pas à la dépense. Ces mecs savent jeter tout leur dévolu dans la balance. Leurs power-chords sont d’une générosité à toute épreuve. Ils savent caresser la clameur dans le sens du poil. Un seul hic, dans ce grandiose panégyrique : qui ira aller acheter les albums de Los Pepes ? Ceux qui les voient sur scène et quelques lecteurs de Vive Le Rock ? Los Pepes n’inventent rien. Ils se contentent d’exister, et c’est tout ce qui compte. En B, tu vas trouver des jolies choses : «Medication» et «Think Back», deux belles prouesses power-pop qu’on dirait illuminées de l’intérieur, et dignes de celles des géants du genre, Gigolo Aunts et Velvet Crush, pour n’en citer que deux. De cut en cut, le power se fait de plus en plus intact et compact.    

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Leur dernier album qui s’appelle The Happiness Program est encore meilleur. Une vraie mine d’or pour l’amateur de power-pop. Ils jouent en formation serrée, il y a quelque chose de massif dans leur son, on retrouve aussitôt l’énergie de l’ouverture de set, cette espèce de bim bam boom immédiat qui met les sens en alerte. Ils sont massifs à l’ancienne, ils jouent vite et bien. Les coups de vrilles sont de purs hommages à Johnny Thunders. Et soudain, avec «Let Them Talk», ils se mettent à sonner comme les Buzzcocks. C’est extrêmement réussi. Ils semblent même avoir maîtrisé leur pétaudière, «Sick And Bored» sonne comme un hit power-poppy en diabolo. Ben Perrier emmène sa fière équipe à l’assaut du lard fumant. En B, tu tombes sur une autre merveille : «Anecdotes», une power-pop bien moulée dans sa gaine noire. Le bassmatic ramène des frissons sous la peau. Encore de l’énergie à gogo dans «I Remember You», superbe brouet d’éminente éloquence, ces mecs n’en finissent plus de battre la campagne, alors oui, on peut les suivre. Ils terminent en mode heavy classic rock avec «Born Into This». Ils tapent un rock franc du collier, un rock de meilleur ami. Avec eux, tu ne crains plus rien. Ils te grattent tout simplement le rock que tu as toujours aimé.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Les albums de Winnebago Deal sont excellents. Sur la pochette du deuxième Deal, tu vas trouver un tyrannosaure. Dead Gone est un fier album, un autel dressé au dieu Blast, et ça blaste dès «Breakdown», au drive de craze et de step aside. Ils bâtissent une fournaise à deux. Jack Endino veille au grain du son. Pendant que Ben Perrier turbine sa ramalama, l’autre Ben bat son beurre et n’arrête jamais. Avec «Cobra», ils se transforment en charge de Chevaliers Teutoniques sur le lac gelé. Aucun rempart ne peut résister à une telle charge. Ben Perrier allume ses racines, il exagère l’exercice de sa fonction. On a l’impression qu’il tente chaque fois le tout pour le tout, notamment dans «LS Fiction». Nouvel exercice de blast définitif avec «Did It Done It Doing It Again». Ils ne vivent que pour ça : allumer à la Méricourt. Encore du déballonné des enfers avec «Knife Chase». C’est même de l’hyper-bast. Ils battraient presque Motörhead à la course. Ben Perrier est fou, il joue comme Fast Eddie Clarke. Il va toujours plus loin dans l’extrémisme, comme le montre «Shank Fight». Il screame comme un dingue et gratte ses poux. La médecine ne peut rien pour lui. Pauvre Ben. Mais ça ne l’empêche pas d’exploser «Cargo Bull»  d’entrée de jeu. Pas de retour possible. Ce n’est pas le genre de mec à traîner en chemin. Il vise plutôt l’apoplexie. Tout chez lui se résume à une seule chose : renter dans le chou du gusto. Avec le morceau titre, Ben bombarde le front à coups d’orgues de Staline. C’est l’impression que laisse son riffing et l’ampleur du son, une vraie apocalypse sonique, un parti-pris de rougeoyance. Et tout s’écroule dans l’apocalypse du beurre des fous avec «NWO», le drive du Ben embarque l’autre Ben, ils bombardent Dresde à deux.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Attention à Flight Of The Raven : c’est du Jack Endino, donc du blast bien conditionné. Et boom badaboom dès «With Friends Like These». Ben Perrier est l’un des grands fous de l’histoire de la psychiatrie gaga-punk. On croit que c’est du blast, mais non, c’est du blast définitif. Ben & Ben te blastent dans le mur, ils te blastent over the rainbow, ils te dégagent du passage, ils sont incontrôlables, au-dessus de ce blast, il n’y a plus rien. Alors les voilà partis pour une série de 15 brûlots, dont le pire est dans doute le dernier, «Revenge», mais aussi «You Let Me Down», ils te plombent la soirée, ça te tombe sur la tête. C’est digne de Motörhead, mais en réalité, c’est du pur Ben Perrier. Ou encore «Target», les deux Ben se superposent dans le vent du blast, Ben & Ben sont les rois du pétrole, ils jouent aux charbons ardents et portent leur blast aux nues, c’est du très grand art, car ils ne sont que deux. Et puis tu as encore «Spider Bite», pur jus de no way out, Ben le cueille à la cocote sèche, ça t’explose en pleine poire, c’mon Ben ! Le coup de génie de l’album s’appelle «Going Home», ils créent l’événement, Ben & Ben n’arrêtent jamais, ils vont jusqu’au bout de leur délire, Ben délie son délire et Ben bat le beurre du diable. Avec «Fresco», ils plongent tous les deux dans l’insanité, c’est du hardcore punk anglais qui avance à marche forcée. Tout ce qui intéresse Ben & Ben, c’est l’enfer sur la terre. Ils jouent aussi avec l’incendiaire maximaliste dans «Venomized», le chant brille toujours dans la clameur des combats, il ramonent littéralement le no way out. Ils chargent la barque de l’ultimate.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Leur dernier album s’appelle Career Suicide. Il est du même niveau que le précédent, c’est du blast forever dès «Heart Attack In My Head», Ben & Ben y vont au débotté, ils font Motörhead à deux. Ben est dingue ! Enfermez-le ! Si tu aimes le blast, t’es servi comme un roi : «Nobody’s Fault But Mine» et «You Don’t Exist» te courent sur l’haricot, Ben Perrier te claque du JSBX des enfers, tu en prends plein la terrine, il est l’un des rois de la power pop inflammatoire. Il adore gratter ses poux dans la fournaise. C’est son vice et sa vertu. Diable comme ce mec est bon, il crée chaque fois les conditions du blast définitif. Ben & Ben abattent du chemin, énormément de chemin, comme le montre encore «I Want Your Blood». Tu entends rarement des mecs aussi énervés («Poison»). «Ain’t No Salvation» est trop punk’s not dead. Trop fast. Trop Deal. Trop Ben. Ce que les gens n’ont pas compris l’autre soir, c’est que Ben Perrier est une star du wild underground. Retour à l’insanité avec «Frost Biter», fast Méricourt, il devient fou devant toi. Et comme sur l’album précédent, le coup de génie se planque à la fin : «Can’t See Don’t Care Don’t Know». Terrific ! Il drive ça à la high energy, il hurle dans les nuages. Ben Perrier est un dieu inconnu.

    Signé : Cazengler, Los pépère

    Los Pepes. Le Trois Pièces. Rouen (76). 31 Mais 2023

    Los Pepes. Positive Negative. Wanda Records 2019

    Los Pepes. The Happiness Program. Snap!! Records 2022

    Winnebago Deal. Dead Gone. Double Dragon Music 2004

    Winnebago Deal. Flight Of The Raven. Fierce Panda 2006

    Winnebago Deal. Career Suicide. We Deliver The Guts 2010

     

     

    Inside the goldmine

    - Stokes option

     

             Stic ? Oh, il se voulait d’un abord facile, mais en réalité, il veillait à rester extrêmement impénétrable. On croise souvent ce type de comportement chez les enfants des familles recomposées, une façon passive de dire non à la nouvelle union. Il émanait de Stic ce curieux mélange de gentillesse et de froideur qui caractérise généralement les gosses extrêmement intelligents. Il savait plonger son regard dans celui des autres et personne n’aurait jamais pu dire ce qu’il pouvait ressentir. Dans une vie antérieure, il avait dû être empereur romain, ou peut-être éminence grise d’un parrain de la mafia. Par contre, sa sœur, férue d’au-delà et en contact avec les esprits, se savait la réincarnation d’un pilote de chasse allemand de la Première Guerre Mondiale. Stic veillait à ne pas créer de malaise, mais il jetait malgré tout un froid, lorsqu’il participait aux réunions de famille recomposée. Il fallut vite en tirer les conséquences, à savoir qu’il était inutile de vouloir tisser quelque lien que ce fût avec lui. Au moins les choses avaient le mérite d’être claires. On appelle ça un statu quo. Il fallait surtout veiller à rester sur le qui-vive et à bien réagir lorsque Stic envoyait une pique. Vous l’aurez sans doute remarqué, les piques des gens intelligents sont toujours bien acceptées. L’idéal est de pouvoir proposer une répartie, mais il faut en avoir le niveau. Stic en faisait un jeu. Ferraillait qui pouvait, mais ce qui pouvait passer pour une petite altercation était en fait pour lui un jeu d’esprit. À partir de là, on commençait à comprendre. Eh oui, on ne pouvait pas jauger Stic selon nos critères. Il fallait plutôt imaginer les siens. Alors ça devenait simple. Bien sûr, c’est une approche qui vaut pour tout type de relation, mais dans ce cas particulier, ce fut une révélation. Stic ne s’investissait pas vraiment dans les modes de relations traditionnelles, il s’intéressait surtout au théâtre d’avant-garde, il avait monté une petite troupe dans le but d’engager à la fois une pratique et une réflexion sur l’avant-garde. Barba ? Kantor ? Oui bien sûr, mais il aimait par-dessus tout tendre un filin très haut et y faire le funambule au péril de sa vie. Seul le plateau de départ était éclairé et le filin s’enfonçait dans les ténèbres. Ce soir-là, il s’est enfoncé dans l’inconnu les yeux bandés, et pendant un temps qui sembla durer une éternité, nous l’entendîmes clamer «L’homme avance !», jusqu’à ce que sa voix s’éteignît.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

     

             Stokes, c’est un peu la même chose que Stic : il avance en funambule dans les ténèbres et frappe les imaginations d’une manière extrêmement particulière. Pour Matthew Sweet, Simon Stokes est un phénomène. Sweet parle de Post-LSD Swamp Rock Vibrations et met Stokes au même niveau que Little Richard, le White Panther Party, Blue Cheer, les Groovies et Chuck Berry with a psychedelic lightshow. Sweet qualifie le style de Stokes de raving, screaming, funky, anti-social, il va même jusqu’à lâcher le mot-clé : rock’n’roll insanity. Stokes est un mec du Massachusets. Fan de Jack Kerouac, il s’est mis à drifter across the USA. C’est comme ça qu’il échoue fin des années 50 à Hollywood. Kim Fowley le rencontre entre 1959 et 1961 : «He was dressed in leather like Gene Vincent, half Jim Morrison, half John Fogerty, before the Doors or CCR existed. A wonderful guy. Smart, cynical, a forerunner of all that Louisiana swamp stuff. In the time of Bobby Vee, Simon Stokes was the most dangerous guy in Hollywood.» Pour Sweet, Stokes s’adresse aux fans de Captain Beefheart, de Kim Fowley, du Sensational Alex Harvey Band, des Deviants et de l’Edgar Broughton Band. Sweet cite aussi The Hampton Grease Band. Ride on brother !

             Un jour, Stokes et son copain guitariste Randall Keith vont trouver David Anderle, l’A&R d’Elektra à Hollywood. Anderle avait fait savoir qu’il était prêt à rencontrer tous ceux qui le souhaitaient. Stokes et Keith ressortent de son bureau avec un contrat de songwriters. Lonnie Mack tape l’une de leurs compos, «Too Much Trouble» sur Glad I’m In The Band.  

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Stokes bricole pendant dix ans avant de pouvoir enregistrer en 1970 son premier album, l’extraordinaire Simon Stokes & The Nighthawks paru en 1970. Les guitaristes s’appellent Butch Senneville et Randall Keith, le beurreman Joe Yuele Jr. et le bassman Robert Ledger. Michael Lloyd produit, et Don Galluci qui enregistre Fun House au même moment fait les arrangements. Bienvenue au royaume du proto-punk. Deux classiques du genre : «Big City Blues» et «Sugar Ann». Absolute destroy oh boy, tu ne peux pas espérer mieux, Stokes va chercher l’ultra-gut d’undergut, il est extrême, il chante à la dégueulade d’envergure, tu as là toute la folie du monde, avec une guitare aigrelette jetée en pâture aux vautours. Il y a du Mac Rebennack, du Screamin’ Jay, du Bruce Joyner dans Stokes. Il s’en va screamer son swamp push à la lune. Il chante son «Sugar Ann» à la pure arrache de hot’n’greasy, il vise l’excès d’excellence, fantastique pulsatif, ce mec a le répondant de Stackwaddy, il y va au raunch de weahhhh, il est le screamer parfait. Coup de chapeau à Hank Williams avec une énorme version de «Jambalaya» et il tape «Which Way» au chant d’overdrive à la Screamin’ Jay. Il dispose du même pouvoir d’intensité dramatique. Il nous refait le coup du bayou en B avec «Voodoo Woman», real deal de swamp rock vibrations, story-telling de conte fantastique, puis il passe à la heavyness avec un «Rhode Island Red» joué dans les règles du lard fumant. C’est en gros l’ambiance de «Motor City’s Burning», avec le scream et le feu à la guitare. On le voit s’arc-bouter sur «Cajun Lil» et taper une terrible cover du «Down In Mexico» de Leiber & Stoller. C’est d’une rare violence, un véritable apanage du proto-punk. Il termine cet album faraminé de calamine avec un coup de génie intitulé «Ride On Angel», digne de Bo, mais en plus bas-fonds. Stokes a un don particulier pour rôder dans l’ombre. L’élan est très pur et la guitare plane au-dessus du son comme un vampire. Stokes groove en profondeur. Superbe walking bass ! 

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Si tu en pinces pour le proto-punk, alors saute vite fait sur Simon Stokes & The Black Whip Thrill Band et plus particulièrement «Hot Simmer’s Night In The City». C’est l’histoire d’un baston entre les Thunderbirds et les Rebels, deux gangs ennemis - In the concrete jungle/ You live in fear/ Life is never certain/ Death always near - Il sait créer un climat de violence. Il fait aussi du pur Rebennack avec «She’s Got Voodoo». Il est bon pour le swamp rock hoodoo. Le morceau titre est aussi du gros boogaloo cousu de fil blanc - Did you hear the news girl ? - Il nous explique qu’il porte du black leather et il tape ça au heavy boogie de bastringue avec l’excellent Butch Senneville on guitar. On note aussi que Joe Petagno dessine le dos de la pochette. Stokes nous ressort l’excellent «Ride On Angel» de l’album précédent - Crank your bike/ Ride on/ Angel/ Ride on - Il nous raconte l’histoire d’une bagarre dans un bar et Angel finit sur la chaise électrique - The Bible says thou shall not kill - Il fait encore un heavy balladif tragique en B avec «Waltz For Jadded Lovers». il adore les ponts atmosphériques à la stood like a rock/ Tried not to talk/ Know life goes on.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Par contre, The Buzzard Of Love paru en 1977 n’est pas un très bon album. Stokes fait pas mal de story-telling. Il reste dans sa veine heavy boogaloo avec «I’ve Been Possessed» - Got that voodoo lovin’/ Got me cryin’ out for more - Le guitariste derrière Stokes s’appelle Peter Maunu. Stokes nous ressert son vieux «Big City Blues» en B et fait une belle cover d’«Endless Sleep», le vieux classique de Jody Reynolds. Stokes adore les climats lourds à la Screamin’ Jay, le voodoo de Mac et le Fire of Love de Jody. Hommage à Bolan avec «Chrome Rock» - Everybody’s doing the chrome rock baby - C’est excellent et Stokes refait son Screamin’ Jay avec «Air Conditioned Nightmare». Pur boogaloo - Death walked in the room/ And he wanted to dance with me.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Right To Fly et LSD sont le même album. Stokes y duette avec Timothy Leary, le pape de l’underground halluciné. C’est encore un very big album. Stokes l’attaque avec «No Regrets», un fantastique balladif d’élan suprême. Le coup de génie de l’album s’appelle «Drive-By Love», amené à l’urgence du heavy riffing. C’est même assez défenestrateur. Stokes aime bien le cocotage qui scie les tibias. Bienvenue dans les soubassements du heavy Stokes, drive it in/ drive it out, il sort ses meilleurs accents stoogiens et ça part en vrille de fuck out. Son «Seeing-Eye Man» est noyé de son, et du meilleur. Leary prend le premier couplet et cite Kerouac. Stokes hurle derrière. On patauge dans le wild genius. Stokes hurle tout ce qu’il peut, I’m the one that can ! «Slice It Dice It» se passe au ballon et Stokes renoue avec le génie sonique dans «Ripped Van Winkle», le gras double des guitares renvoie aux Stooges - There’s a killer loose outside my door - Pendant les ponts, Stokes rôde dans l’ombre, comme Iggy. Il harangue au heavy so I’m sittin’ here. Il ne vise qu’une chose avec «Rock’n’Roll Hollywood» : la pubescence de l’incendie - Old Happy doin’ the best he can/ He did two tours in Vietnam - Et on rebascule dans la génie Stokish avec une hallucinante drug-song, «100 Naked Kangaroos In Blue Canoes».

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

    Stokes, c’est exactement la même chose que Third World War : une bombe à retardement. Il va chercher des noises au boogie avec son copain Timothy, un Timothy qui affirme qu’il a vu 100 naked kangaroos in blue canoes, too happy can’t sing these blues/ Much too happy can’t sing this blues. Encore du très écrit avec «Morality’s Ugly Head», le copain Timothy vient faire le refrain, il est marrant. Stokes arrache, mais Timothy chante à la diction du LSD. Quel album ! Ce démon de Stokes tape encore dans le rock tonite avec «Fugu Fish» et dans le rap avec «Psychorelic Rap». Il y fait du rap de blanc, il a des munitions et il bourre sa dinde de sitar. Il attaque «Global Village» à la Lou Reed. Ce mec a tous les pouvoirs. Il fait son grand méchant Lou au ditch the switch. Et tu as en prime le solo de rêve, c’est invraisemblable de rock quality, ces mecs sur-jouent jusqu’à la folie. S’il en est un sur cette terre qui sait enfoncer un clou, c’est bien Stokes.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Dans Ugly Things, Gray Newell nous rappelle qu’au moment de sa rencontre avec Stokes, Leary est dévoré par un cancer. L’album paraîtra quelques mois après sa mort. Newell ne s’arrête pas en si bon chemin : il évoque les super-fans de Stokes qui sont à l’époque Jello Biafra et Jeff Clayton d’Antiseen. Atteint par le virus Stokes, Clayton monte un Stokes tribute-band, Conquerer Worm. Bilan : deux albums. Un split avec Cocknoose et Ride On.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Le split date de 1993. On a un grand portrait de Stokes sur la pochette : barbe, lunettes noires et chapeau noir. Jeff Clayton s’arrache bien la glotte sur «Should Have Married Peggy Sue». Ils brûlent encore de fièvre sur «Ride On Angel», mais c’est avec «Good Times They Come» qu’ils montent en température et provoquent un gigantesque incendie. Ah quel hommage ! De l’autre côté, Cooknose fait du punk-rock solide et bien soutenu. Pas d’hommage à Stokes mais une reprise de G.G. Allin, «Dog Shit». Ils vont vite en besogne.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Ride On est plus sérieux. Quand tu ouvres la boiboîte, tu tombes sur la photo des trois Conquerers. Jeff Clayton ressemble à Dickie Peterson, le bassman Phil Irwin à un Hell’s Angel et Mike Schuppe à Mike Schuppe. C’est Clayton qui chante et ça démarre en trombe avec «Ride On Angel». Dans le petit texte d’accompagnement, Phil Irwin s’adresse à Stokes pour lui dire qu’ils n’ont pas réussi à le joindre pour l’informer de ce tribute. Ils ont pourtant contacté tout le monde : Cub Koda, Kim Fowley, Jello Biafra, Billy Miller, mais personne ne savait où se planquait Stokes. Avec le guttural de Clayton, les cuts de Stokes prennent une autre allure. Il chante «Hot Summet Night» à l’arrache maximale et Mike Schuppe ramène dans le son un solo liquide à la Blue Cheer. Ils sont merveilleux sur «Captain Howdy», Clayton éclate de rire, ah ah ah, et «Good Times They Come/Waltz For Jaded Lovers» titube au coin du bois. Ils savent rallumer le brasier de Stokes, pas de problème, ils déroulent même un sacré développement et ça devient du pur génie interprétatif, tout est dans les climats et les solos, alors chapeau bas ! Encore un bel hommage à Stokes avec «Voodoo Woman», ils en respectent merveilleusement l’esprit. Leur version d’«I Should Have Married Peggy Sue» est assez demented are go, et avec «Mama Tried», ils font du Motörhead, du fast punk de Worm. Avant d’aller coucher au panier, ils terminent avec un «Southern Girls» plein d’allant et de son, gras et heavy as hell. On ne saurait imaginer meilleur tribute à Simon Stokes. 

             Autre info de poids : Newell nous révèle que Stokes et Sky Saxon sont entrés ensemble en studio. Visiblement, les enregistrements moisissent dans un placard depuis que Sky a cassé sa pipe en bois en 2009. Il faudra sans doute poireauter un moment avant de voir l’album sortir.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Wayne Kramer joue sur quelques cuts d’Honky, paru en 2002, notamment sur «Jungle Music» - Oh oh let’s go to the Congo - Kramer joue dans la profondeur du mythe et Stokes chante à l’exaction définitive. Joli départ avec «Amazons & Coyotes», monté sur un heavy bassmatic. Stokes tombe sur son cut comme un gros vampire. Puissant et invulnérable. Encore du pur proto-punk et Kramer joue le lead. On retrouve Texas Terri et Lisa Kekaula dans les backings de «Laughter In The Sky». C’est incroyable que Stokes ait de si bons amis. Il passe à la country avec «Pissin’ In The Wind» et bien sûr Texas Terri chante faux. C’est même une insulte aux lois de l’harmonie. Stokes ressort son vieux «Ride On Angel» et tape dans le heavy slowah avec «Sleeping With The Enemy». Lisa Kekaula y fait des étincelles.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Stokes s’est écrit le mot Head sur le front pour la pochette de Head. Il attaque l’album avec le morceau titre, au fast barrelhouse cajun. Stokes pique des crises, il chante à la colérique et retombe dans le heavy trash de boogaloo avec «No One’s Goin’ Nowhere». Le cut s’enfonce dans le marécage, alors Stokes rampe. Il allume chaque cut avec son dirty raunch. Il rend hommage à Woody Guthrie avec une cover d’«Hard Travellin’». Il chante ça d’une voix de mineur silicosé. Ce mec est incapable de se calmer. Hello my name is Bob ! Il lance «Bob» à l’avanie, Bi-O-Bi, il tape cette fois dans le dada d’instro outrancier, Hellooooo ! Stokes demande : «Have you seen Bob ?» et les chœurs font «Bob !». Stokes revient à ses chères swamp vibrations avec «Long Black Veil». Un mec joue de l’accordéon dans le fond du studio, puis Stokes gratte son «Junior» à coups d’acou. Il est aussi âprement bon que Johnny Dowd. On retrouve la même profondeur de champ chez ces deux outsiders. Stokes gratte son «Apocalypse Girl» au wondering, il développe une sorte d’atroce démesure, il gratte dans l’underworld, dans un climat extrêmement tendu. Magnifique artiste, il éclate de round & round & round dans «Spin Your Wheels», puis il te souhaite le bonsoir avec «Goodnight Motherfuckers» et l’album s’achève sur un «Live Head», une belle flambée de Stokes qui file droit sous les étoiles en carton d’une cabane moisie du swamp. Sploush sploush.  

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             En 2012 est paru l’album de Simon Stokes & the Heathen Angels. Boom dès «Hey You», stomp d’hey you in the face. Absolute stormer ! Et surprise, il tape son vieux «Miniskirt Blues» repris par les Cramps, puis par El Cramped. Il en fait une version musclée, avec le gaga, le mojo et le riff de basse. Il fait pas mal de country avec le fiddle de barrelhouse («Infected») et du dark boogaloo avec «Down For Death». Il frise parfois le Tom Waits («Stranger Than Fiction»). Son wild country blues sonne parfois comme celui des Faces («The Boa Constrictor Ate My Wife Last Night») et «Hanging Out With Cretins» sonne comme un heavy balladif de raw Stokes option. Il sait aussi chanter le heavy blues à pleine gueule, comme le montre le «Moth And The Flame» des Seeds. Il peut égaler les géant du heavy oh so heavy. Mais son cœur penche pour la Nouvelle Orleans, comme le montre le heavy groove Bartholomien de «One Night Of Sin». Stokes sait aussi réchauffer une soupe, «Honky» tombe à pic pour nous le rappeler - Ready up man ! - Il chante sur des charbons ardents - You’re honky - et les chœurs font honk ! honk ! Stokes dévore le stax de rebop, il le bouffe à l’interne, you’re honky ! Honk ! Honk ! C’est la fête au village !

    Signé : Cazengler, Simmonde tout court

    Simon Stokes & The Nighthawks. MGM Records 1970

    Simon Stokes & The Black Whip Thrill Band. Spindizzy Records 1973

    Simon Stokes. The Buzzard Of Love. United Artists Records 1977

    Simon Stokes. Right To Fly. Psychedelic Records  1996

    Simon Stokes. Honky. Upper Cut Records 2002

    Simon Stokes. LSD. Leary Stokes Duets 2005

    Simon Stokes. Head. Simon Stokes 2008

    Simon Stokes & The Heathen Angels. Simon Stokes 2012

    Conquerer Worm/Cocknoose. Tear It Up Records 1993

    Conquerer Worm. Ride-On. Baloney Shrapnel 1996

    Gray Newell : Ride on ! The long strange trip of Simon Stokes. Ugly Things #46 - Winter 2017

     

     

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 26

    JUILLET – AOÛT – SEPTEMBRE ( 2023 )

     

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

    Le mois de Juin n’est pas terminé que déjà le numéro d’été de Rockabilly Generation News squatte la boîte aux lettres. Nous n’appellerons pas à l’application de la nouvelle loi anti-squatteurs qui vient d’être votée. Cette revue est toujours bien reçue par chez nous.

             Surtout qu’elle débute par huit pages de Greg et Sandy Cattez sur Johnny Cash, essayez par vous-même de résumer la vie de Cash en si peu de folios, surtout que les photographies occupent les 50 %, il et elle s’en tirent de main de maître ( et de maîtresse ). Je ne ferai pas à nos lecteurs l’affront de leur rappeler la bio de Cash, pour une fois je m’attarderai sur les photographies. Y a un truc hormis ses enregistrements qui m’a toujours fasciné chez Cash, ce sont ses yeux. Ce sont toujours les mêmes, amusez-vous à parcourir l’éventail des clichés, du tout jeune gamin au vieux Cash que vous  présente RGN, un étrange regard, même lorsqu’il est dans une attitude la plus sympathique et qu’il sourit gentiment Johnny Cash vous a un air inquiétant, celui d’un serial killer qui ne voit le monde qu’au travers de son obsession criminelle. C’est peut-être celle-ci qu’il a transcendée dans l’interprétation de ses morceaux, et sa voix de croque-mort qui lit une dernière prière au bord de votre tombe. Je comprends que June Carter n’ait pas pu résister.

             Un autre pionnier en fin de magazine. Encore vivant, tout près de ses quatre-vingt piges, pas un français, un voisin du pays de Verhaeren, relisez sa trilogie noire c’est encore plus fort et plus fou que Jim Morrison, bref un Belge. Cet été encore, chez un broc, non je ne vous donnerai pas l’adresse, écumant le rayon rock ‘n’roll français je suis resté abasourdi du nombre pharamineux de ses Volumes 1,2, 3… il me semble avoir tenu en main, le 24, consacrés aux classiques du rock… l’a fait beaucoup pour la propagation du rock en notre pays, l’a joué au Golf Drouot, accompagné Vince Taylor et Gene Vincent, Burt nous raconte sa vie, l’a commencé par la lettre A comme accordéon, puis G comme guitare, S comme Saxophone, l’est devenu entre autre musiciens de studio, a été truandé par son impresario ( je vous laisse découvrir son nom ) l’a remonté la pente, continue encore…

             Encore un pionnier présenté par Julien Bollinger, pas n’importe lequel, le représentant par excellence du country blues, à la base de tout, un précurseur né en 1893, mort à 36 ans comme Gene Vincent. Blind Lemon Jefferson reste pour les rockers le créateur de Matchbox Blues

             Place aux jeunes ! Sergio Kazh réussit un véritable toure de force en présentant, le 2023 Wild Weekender ( 2 ) qui s’est déroulé en Hollande, Wild  n’est pas un adjectif, mais le nom du label américain spécialisé dans le rockabilly sauvage. Sergio nous présente, textes et photos, les prestations scéniques des vingt groupes qui participent à ces deux longues nuitées rock’n’roll. Vingt groupes et pas une seconde de lassitude, ceux que l’on connaît et ceux dont on ignore l’existence, à chaque fois il nous donne l’envie d’écouter et d’approfondir.

    Suit un long article de Sergio Kazh sur l’étoile montante du rockabilly Dylan Kirk et ses deux groupes les Killers et les Starlights. Si Killers évoque pour vous un certain Jerry Lee Lewis, vous avez raison, très tôt Dylan est devenu un fan de rock’n’roll, s’est mis à la guitare mais une fois qu’il a entendu Crazy Arms par Jerry Lou l’est devenu fou, l’est devenu feu de cet instrument diabolique. Les Starlights composés de Bryan, Danny et Nico ouvrent le festival Rock ‘n’Roll in Pleugeuneuc avec Dylan Kirk et son piano maléfique, une seule répétition, ils font un tabac… Une légende en train de s’écrire… Un mec bien, sur la couve il fume un Coronado !

    Encore un festival, Blue Jean Bop Party à la Chapelle Serval où l’on retrouve deux groupes phares du french rockabilly : The King Baker’s Combo et Jim & The Beans, High Stepers, Johnny Bach And The Moonshine Boozers (Angleterre) et au final Dylan Kirk With The Starligths.

    Au cas où vous auriez deux trois millions de dollars en trop sur votre compte bancaire aux Iles Caïmans, et que vous aimiez Jerry Lee Lewis (ce dont nous ne doutons pas), rejoignez l’Association The Lewis Ranch, la demeure du Killer pour le préserver en le transformant en attraction touristique digne de qu’est devenu le Graceland d’Elvis Presley.

    Encore un numéro gagnant !

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois),  6 Euros + 4,00 de frais de port soit 10 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 40 Euros (Port Compris), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de tous les magazines... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents !  

     

    *

    Si vous voulez me rendre heureux prononcez des mots qui me font rêver, par exemple au hasard Grèce ou Rock’n’roll. Ou du même acabit. Or mes yeux ne viennent-ils pas d’apercevoir deux groupes de mots appartenant au même champ sémantique réunis sur une pochette de disque, jugez-en par vous-mêmes, Order Of The Black Jacket et Hellenic Black Metal. Tout de suite je chronique !

    ORDER OF THE BLACK JACKET

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

    Ordre de la veste noire, presque aussi beau que l’Ordre de la Toison d’Or, tout de suite l’on pense à Charles le Téméraire retrouvé mort après la bataille de Nancy le visage mangé par les loups…  Un destin très howlin’ wolf !

    Konstantinos Dedes : musique, lyrics, vocal / Lambis : guitare, production / Lerotheos Tampakos: drums, percussion / Panais Moustakas: basse.

    ICONOCLASM

     ( CD / Hellenic Black Metal / Bandcamp 2019 )

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

    Très belle couve qui peut faire peur. La querelle des icones qui court du huitième au neuvième siècle durant l’Empire Byzantin risque de ne pas passionner les rockers.

    Historiquement il s’agit d’une querelle religieuse et politique qui consistait à bannir (interdire, détruire, abattre, brûler) les représentations imagées dans les églises et les chapelles de l’empire. Les raisons en sont multiples : n’était-ce pas une survivance larvée du paganisme dont les temples étaient ornés de statues et de fresques, vénérer une image ne serait-il pas un signe d’idolâtrie, n’est-ce pas une prétention démoniaque de vouloir représenter la nature de Dieu et des Saints par essence supérieure à notre simple humanité… C’était aussi un moyen pour les empereurs de détourner l’inquiétude et la colère du peuple apeuré du grignotage incessant des terres de l’empire par les conquêtes Arabes… Passionnant certes, avec davantage de corrélation avec notre époque qu’il n’y paraît.

    L’image est d’une violence inouïe, ce personnage auréolé, Empereur Saint, imaginons Dieu lui-même, voire l’Antechrist, qui tient dans sa main gauche un sabre crénelé et présente de sa dextre un livre dont les illustrations ont été effacées vous glace le sang… Toutefois l’icône est terriblement ambigüe, comment peut-on représenter par une image une figuration de l’’iconoclasme inspirée soi-disant par la vraie foi orthodoxale en pleine action alors que l’on dénonce le pouvoir malfaisant de toute représentation ayant trait au divin ? Quel nœud de contradictions ! L’Art se doit d’être plurivoque.

    Rockers dont les murs de vos chambres sont ornés de moult posters de vos idoles, ne craignez rien, cet album n’exige pas de vous que vous les déchiriez, il faut l’interpréter métaphoriquement, il s’agit pour Order of The Black Jacket, d’insuffler en votre esprit l’idée qu’il faut se battre contre toute ordonnance sociétale coercitive.

    L’artwok est de Gina Libe, voir son Instagram et son site au nom de Gina Liberiou. Peu d’œuvres exposées mais de styles très différents. Du dessin animalier à des effulgences abstraites, l’on aimerait en voir davantage, ce qui est sûr c’est que cette pochette est remarquable.

    Black Jacket Order :  l’on pourrait accroire à un hymne dévolu à un gang de bikers, peut-être serait-il plus facile de rester dans cette illusion, disons que c’est un Born to be wild, solitaire et intérieur, run, run, run, morrisonien,  le rocher catapulté suit sa trajectoire, violent et toutefois mélodique, avec des ruptures sonores presque beatlesiennes, malgré un rythme soutenu qui ne faiblit pas. Outtamanhead : batterie fragmenteuse, il s’agit de découper le puzzle des apparences, voix incisive et moqueuse, de désagréger à grands coups, de déchirer en confetti, jusqu’à ce que le voile de la réalité se dévoile et laisse surgir la noirceur universelle, se rendre compte que les morts sont les cariatides qui portent et soutiennent le monde sur leurs têtes. My way : toujours le même ramdam mélodique, avec cet hearbeat en sourdine percussif qui bientôt se déploie en un superbe volume guitarique, ces hauts et ces bas d’intensités sonores, une espèce de blues en le sens que dans le blues c’est le vocal qui mène l’attelage, les mêmes couplets interchangeables, c’est la violence phonique qui pulse le tout, se termine en une espèce de scalp sioux festif   qui se jette dans un delta acoustique mélodique. La mort n’est-elle pas un long fleuve tranquille. Rage to awake : rien de plus vivant et de plus tapageur qu’un mort, ne sommes pas nous tous morts à plusieurs reprises, guitares chamboule-tout, vocal de forcené qui soulève la terre des écorces mortes et des écailles anciennes dont il lui faut émerger pour renaître à sa vie, pour se mesurer une fois de plus à son destin, un trépan de guitare qui défore l’existence et rejette le cône excrémentiel de ses rêves dépassés. La vie est toujours devant. Il est nécessaire de savoir ouvrir les yeux.

    Du son et du sens. L’on a envie de dire : peu de moyens phoniques mais judicieusement et fougueusement utilisés. Un EP qui remue. Comme les vers dans le corps des morts.

    SPIRIT ROCK

     ( CD / Hellenic Black Metal / Bandcamp Janvier 2023 )

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

    La couve interroge quand on la compare à la précédente. A l’oriflamme orangée succède une pochette grisâtre. Une silhouette stylisée de femme sans visage, est-ce pour cela que sur scène l’un des membres du groupe porte un masque blanc ? Reproduction d’une statue qui répond au nom de Morana de l’artiste serbe Jovan Petronijevic aussi Rod. Morana est la déesse slave de la mort. Petronijevic s’est beaucoup intéressé aux mythologies serbes. Je n’ai pas été capable de trouver sur le net des œuvres représentatives de cette partie de sa démarche. Ce qui m’a été accessible relève d’un travail lyrico-conceptuel qui ne m’agrée point mais de qualité. Je pense que le choix du public doit préférer cet aspect descriptif du chaos de notre modernité.

    Revenons à Morana puisqu’en fin de compte l’on revient toujours à la mort. Etrange, c’est-là qu’il convient de noter la continuité qui relie les deux pochettes, au premier abord, les seins et le ventre spiralés de Morana m’ont fait penser à la perpétuité de la vie engendrée au cours des générations par le corps des femmes, je ne savais pas alors ce que représentait Morana, l’ayant découvert j’en ai conclu que ces trois spirales étaient le symbole de l’infinitude de la mort, je me suis alors souvenu que le logo que Gina Liberiou a mis en tête de son Instagram et de son FB était… une spirale ! Quelle synchronicité ! Créativité de l’Art, créativité de la Femme et créativité de la Mort = même combat. Pour la Vie ou pour la Mort ?

    Affirmer que Spirit Rock est le nouvel opus d’ Qrder The Black Jacket ne me semble guère judicieux. De toute évidence c’est la suite du précédent. Pas le tome II d’un roman, même pas le deuxième chapitre d’un livre. Imaginez plutôt que vous avez arrêté la lecture d’un récit à la fin du deuxième paragraphe de la page quarante-quatre car interrompu par la visite impromptue d’un voisin, celui-ci parti vous reprenez la lecture au début du troisième paragraphe de la page quarante-quatre. Suite immédiate donc.

    Attention c’est un groupe grec. Ce n’est pas une indication géographique. Prenons un Grec au hasard, le fils de Laerte, Ulysse, il a beaucoup voyagé aux quatre coins de la Méditerranée, inutile de chercher un atlas, il est aussi descendu aux Enfers. C’est pour cela qu’à la fin de l’Odyssée Homère ne nous raconte pas sa mort. Ce serait redondant, une répétition oiseuse. La mort obsède les grecs, Dionysos et Perséphone sont des divinités fondatrices de la pensée grecque, relisez Virgile et Rilke pour vous en persuader. C’est dans ce sillon funéraire ( fun, fun, fun, sourions avec les Beach Boys ) que s’inscrit Order Of The Back Jacket.

    Digging deeper ( For Grace ) : sur You Tube la vidéo est agrémentée de l’effigie d’une mystérieuse jeune fille, morceau hommagial à une jeune morte. Une ballade enlevée qui met en valeur la voix de Constantinos, les instruments rassemblés comme un bouquet de fleurs mortuaires. Le texte est à creuser. Où sont les amants sur cette terre, une dessous et l’autre dessus, à moins que ce ne soit le contraire, ou peut-être tous les deux réunis dans la même tombe, à moins que tout ne se passe dans la tête de l’un ou de l’autre, ou dans les deux. Qui était mort à la fin du disque précédent. Est-ce vraiment si important. Un mort n’est-il pas toujours vivant tant que l’on pense à lui, à moins que ce soit nous qui sommes en vie tant qu’un mort pense encore à nous. Ce morceau est splendide. Blackgaze : regard noir sur le riff de de Sunshine of your love, c’est ce qui s’appelle avoir de de l’humour noir, basse et guitare s’en donnent à cœur-joie.  Nos amants continuent leur colloque sentimental. Ils se disputent aussi, celui ou celle qui est partie n’a-t-il pas n’a-t-elle pas trahi l’autre, à moins que ce ne soit quelque chose de plus charnel, car les vivants et les morts ne se désirent-ils et ne déchirent-ils pas autant que les vivants et les vivants et que les morts avec les morts. La réponse est aussi évidente que les questions. Wind : si le titre des Cream explose par un grand chambardement  c’est le vent qui souffle de toutes ses forces qui fait office du creamique  éclatement riffique terminal, autant en emporte le vent, et il souffle très fort dans ce troisième morceau, tout ne finira-t-il pas un jour, n’y aura-t-il pas un jour où les morts et les vivants ne seront plus différenciés, où tout sera égalisé, où rien n’aura plus d’importance, d’ailleurs où est la nuit et où est la lumière, la guitare claironne un nihilisme joyeux et la batterie accélère la ronde comme si elle voulait savoir la fin de l’histoire avant tous les autres. Skyblood : la ronde infernale continue, elle aimerait rompre le cercle répétitif, elle cherche à s’élever, lorsqu’il ne reste plus rien, reste encore le rien de la douleur qui retombe en pluie de sang mental sur celui qui devient le centre égotiste de l’univers, que tout le monde se réveille pour accéder à ce baptême sanglant, il est un point de l’univers où le haut et le bas s’égalisent où le rien devient tout. Danse endiablée. Même folie et raison ne sont qu’une seule et même chose. Never over : c’est un peu comme si depuis quatre titres c’était toujours le même morceau qu’ils rejoueraient, la différence ne résidant que dans les paroles, ici sans équivoque, ce ne sera jamais terminé, les contraires ne s’attirent que pour mieux se refouler, la basse vous trace de ces points de suspension qui en disent long sur ce never ending tour de danse macabre infinie. Au plus proche l’on est aussi au plus loin. Le savoir est le seul soulagement possible. Alone : une solution pour rompre le sortilège, couper la poire en deux et n’en garder qu’un, choisir la solitude du solipsisme, la voix se mélodramatise et l’instrumentation atteint une vitesse prodigieuse, la solitude de l’Unique métamorphose l’univers élémental l’eau devient pierre, étrange alchimie en quelque sorte négative, puisque l’un changeant de nature devient l’autre. Faithseeker : une voix forte mais mourante pour nous annoncer qu’il a perdu la foi, la musique s’épaissit, Constantinos crache les mots un par un comme l’on jette des fléchettes dans les yeux de ses proches, rupture, bourdonnements aumniques, déploiement musical étincelant, une montée certaine vers une fin grandiose, le guerrier est au faite de da décision. Tombé ou tombeau de rideau. Le chant tire la langue. Il a perdu la foi, d’accord, mais en quoi, en la mort ou en la vie, et que recherche-t-il la vie ou la mort. Ce dernier morceau d’une amplitude beaucoup plus orchestrale.

    Il s’agit d’une œuvre longuement méditée. Une espèce d’oratorio total en le sens wagnérien, la preuve nous en est apportée par une vidéo vieille de huit années intitulée Act qui regroupe trois morceaux : Rage to awake : Act I : Yamashiro ( sabre ) / Act II : Kisuke (personnage du manga bleach = eau de javel, allusion aux cheveux blonds du héros ?  / Faithseeker :  Act III : The burden = le fardeau. La musique est agrémentée de peintures et de dessins dus à Antonis Siganakis (voir son Instagram Antony Siganakis, style manga et portraits de filles). A découvrir. L’artwork effectué pour ces trois actes est remarquable. 

    De même nous invitons à regarder la mimic vidéo Never ever. Un personnage masqué, visage impossible, qui s’exprime par des gestes qu’il ne joint pas aux paroles qu’il ne prononce pas, la piste du morceau le fait pour lui. Surprenant mais pas convaincant. L’on se souvient que David Bowie a débuté par le mime.

    Cet essai nous conforte dans nos conclusions, idéologiquement parlant Order Of The Black Jacket n’a rien à voir avec un groupe comme Black Rebel Motorcycle Club, The Black Jacket s’inscrit dans une démarche diantrement plus artistique et métaphysique. Un projet longuement réfléchi et mûri. Le détour s’impose.

    Vous reste à méditer sur le titre de l’album : Esprit Rock !

    Damie Chad.

     

    *

    Beaucoup de groupes européens à balles doom-doom tirés au fond des déserts stonériens ces derniers temps sur le blogue, en voici un des USA, de la côte-est, plus exactement de Philadelphie, étymologiquement la cité fraternelle, bien que leur vue du monde contemporain semble s’écarter de l’idéal des fondateurs de cette vieille cité.

    OTHER PEOPLE

    HEX ENGINE

    Bob Malosky : drums / Drew Campbell : guitar, backing vocal / Christian johnson : bass / Ron Aton : lyrics, vocals.

    La couverture est explicite, des gens séparés les uns des autres par leur propre solitude, enfermés dans un désert de glace paranoïaque, ne cherchez pas les autres gens, vous les reconnaîtrez trop vite, ils vous ressemblent comme des gouttes gelées sur une vitre translucide, ce n’est pas qu’ils sont comme vous, c’est que vous êtes comme eux.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

    Monster : notes bousculées pressées les unes contre les autres, depuis Steppenwolf le monstre a changé de nature, ce n’est plus un système coercitif qui vous dépasse,  auquel vous participez à votre corps défendant, Aton hurle personne n’oserait l’accuser d’être atonique, vous crache les mots au visage pour être sûr que vous les entendez, un long pont de guitares glissantes et heavy, comme celui d’Avignon qui a précipité les beaux messieurs les belles dames interchangeables que nous étions dans les eaux glacées de l’individualisme atonal, vous êtes devenus des clones d’humanoïdes, des semblants d’humanité qui ne tiennent debout que par le miracle hypnotique d’un mensonge idéologique partagé. HEAVY les guitares, à croire qu’elles veulent acquérir la force persuasive du vieux cryptogramme du Dieu vengeur. Ce n’est plus une critique mais une malédiction sonore jetée à la face de la modernité. Mines de rien (mais à retardement direct) car les mots attendus ne sont pas employés et cet aspect de la problématique n’est jamais abordé, le propos est essentiellement politique. Parasites : Et religieux. Un petit côté antipathy for les

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

    représentants sociétaux de Dieu sur cette terre, les guitares grondent, le drummin’ tabasse et Aton perche sa voix au-dessus de tous les clochers ecclésiaux. Message compris, on se concentre sur la musique, des guitares concassent cette manière très persuasive d’empiler des notes sur des notes comme des jeux de cubes, et arrive l’instant où la pile vacille, et le tout s’écroule en un grand bruit de haine assouvie, comme ils ne souviennent pas que Dieu est mort ils veulent l’ensevelir sous la tour de Babel de toutes ses hypocrisies, éboulements hendrixiens. Rat fink : ondées de basse menaçantes, un drummin éclatant et méthodique n’est pas là pour vous dire que tout va bien se passer, l’Aton passe à l’atomique, ne vous l’envoie pas dire, dit les choses comme il le pense, détache les syllabes pour vous décapsuler les tympans, les guitares balancent des ondées rythmiques, ah ! ces passages musicaux où le son prend le commandement, Aton reprend la parole comme l’on tire la nappe du banquet pour gâcher le repas des convives gorgés de l’hypocras des hypocrites. Arrêt brutal, heureusement qu’ils n’ont pas continué car on se demande ce qui aurait pu arriver. Excuses, excuses : générique de film de catastrophe, des pas de géants se rapprochent, attention le morceau dure près de dix minutes, l’on devine que la guerre ne fait que commencer, une voix dans le lointain, pour une fois Aton se laisse recouvrir par la marche militaire de l’accompagnement, de temps en temps des éclairs aigus brillent comme des lames de sabres qui dans la mêlée réfléchissent le soleil, pas besoin de hurler, l’emploie l’ironie, cette enclume cisaillante qui vous coupe en deux, c’est maintenant qu’il crie, profère des avertissements sans appel, les guitares en tremblent de peur, il n’y aura pas d’excuse, le châtiment se rapproche, ça cogne dru et ça tape dur, il existe une jouissance de la violence puisque l’on adore, pas de concession, pas de prisonnier, pas de pardon, tout doit disparaître même les rayons, la fin fabuleuse, l’impression d’une chose innommable qui rampe à terre, monte à hauteur de vos genoux et vous emporte dans un monde merveilleux. Meet your maker : vous croyiez qu’après la mort même les méchants iraient au paradis, c’était une blague, un faux et fol espoir, cette fois-ci c’est Dieu en personne qui se déplace, non il ne tonne ni ne crache, pas furieux pour un euro, l’avance doucement, un rythme appuyé et lent, une formule apaisante pour un batteur, attention ça se précise, un solo de six cordes grince un peu trop pour être honnête, vous Le pensiez juste, lamentable erreur, c’est un sadique, vient pour vous poignarder et enfiler le couteau avec lenteur pour que vous sentiez votre douleur, Aton vous imite à la perfection les cris de Dieu qui prend un plaisir à vous saigner comme un porc. Une véritable boucherie, les cymbales tintent comme l’heure du crime, ça se termine en apothéose, une catharsis dirait Aristote, l’orgasme du serial killer qui s’écoule en un flot de sperme tempétueux préciserait Damie Chad. Omens : reprenons nos esprits, est-ce Dieu qui parle ou un gars comme vous et moi dont les rêves ont pété plus haut que leur cul, à moins que ce ne soit la victime ou le couteau, un joyeux baltringue dans la tête du zigue, les instrus se bousculent au portillon, Aton leur monte dessus et sur cet escabeau volcanique il vitupère tout fort à ameuter l’univers. L’on ne sait pas s’il répond mais le groupe s’en donne à cœur joie, le sang excite les combattants c’est bien connu, d’ailleurs ce tranchant de guitare qui ressemble à un couperet de guillotine vous file les jetons, et pour terminer en beauté Aton vous crie à bâton rompu que quelque chose de terrible ne va pas tarder à nous tomber sur le coin du museau. Au moins la fin du monde. Something’s burning : je suis désolé mais ce vent mauvais qui souffle, cette guitare qui pue le mélodrame à plein nez, cette espèce de riff qui n’en finit pas, la situation est grave, Aton nous la joue à Ezéchiel, tous les malheurs du monde vont nous tomber dessus, courez, foutez-vous à l’abri, une espèce de rouleau compresseur vous confirme qu’il n’y a pas d’issue possible, quand je pense que certains répondent qu’ils feront crac-crac avec leur petite amie tranquillou chez eux quand l’apocalypse s’approchera, ils ne partagent pas la vision d’Hex Engine, un affolement général, la machine à axe hexagonal est en route et personne ne l’arrêtera, un bordel inimaginable, une folie envahissante, une catastrophe ambulante qui s’installe dans votre deux pièces cuisine et partout ailleurs, dans ce fatras d’immondices phoniques je me hâte de rassurer nos lecteurs, ce morceau est particulièrement beau, agréable et chatoyant pour des oreilles de rockers. Déjà’sku : Aton se tait, deux minutes d’interlude pour que vous puissiez prendre la mesure de ce qui vous attend. Pas la peine de pleurer sur vous-même et de regretter comme semble l’indiquer le début de court morceau car tout de suite ça s’accélère et ça devient ultra-violent, même Aton qui avait promis de se taire ne peut plus se retenir et vous pousse le même hurlement que lorsque l’armoire normande de Tante Noémie vous était tombée sur le pied. Fear the future : grondement lointain qui s’amplifie, ce coup-ci c’est sûr, ils arrivent, quelle cacophonie, qui sont-ils, vous craignez le pire, la musique n’imite-t-elle pas le bruit des anges de la destruction qui descendent sur terre, à moins que ce soit des extraterrestres pas du tout extra, n’oubliez jamais que si le pire est toujours certain, il ne ressemble pas à ce que l’on imaginait, les voici, on s’attendait à tout sauf à eux, Aton ne vous fait pas languir, il vous refile la solution, ces gros méchants qui viennent sont les… riches. L’a un peu pris son temps pour vous le dire, maintenant  vous savez qu’ils vont vous exterminer, qu’il n’ y aura pas de survivants parmi les pauvres et les esprits timorés qui ont toujours écouté et fait sagement tout ce que l’on leur disait, Bob Malowski qui n’a pas fini de vous malaxer depuis le début vous tire dessus à la kalachnikov, Drew Campbell embourbe un solo dantesque dans une échoïfication  démesurée, la basse de Christian Johnson bass-cule dans un trou de fond de fosse funéraire  et c’est parti pour la grande fête finale, l’apothéose de la bêtise et de la cruauté humaine, ça tourne comme le Boléro de Ravel et ça se transforme en locomotive asthmatique, gargouillement terminal. Tout est terminé. Ite.

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

             Quel groupe ! Quels musiciens ! Question rock les ricains vous en bouchent toujours un coin.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    chips moman,bettye lavette,doc pomus,simon stokes,rockabilly generation news 26,order of the black jacket,hex engine,rockambolesques

    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 30 ( Naïf  ) :

    172

    Carlos s’est arrêté si vite que je n’ai pas eu le temps de visualiser la marque de son nouveau 4/4, l’avait l’air si pressé qu’il n’a même pas pris le temps de nous saluer, l’est resté rivé sur sa conduite comme si nous n’existions pas. Le Chef qui avait pris place à ses côtés en profita pour allumer un Coronado, au bout de quelques instants il entreprit d’engager la conversation :

              _ Seriez-vous fâché contre nous Carlos ?

              _ Non, contre ma nouvelle copine.

              _ Vous n’êtes donc plus avec Alice ?

              _ Terminé, de l’histoire ancienne, les filles c’est comme les cigarettes, ça se fume et ça se jette !

              _ Vous devriez-vous mettre au Coronado, vous connaîtrez l’extase et non les petites saveurs à date de péremption rapide, mais dites-moi, comment se prénomme la nouvelle venue ?

             _ Alice !

    Sur la banquette arrière Molossa et Molossito me regardent d’un air entendu. Je ne dis rien, je ne suis pas loin de penser comme eux, dans cette histoire il est tout de même étrange de voir que toutes les filles s’appellent Alice. J’aimerais bien méditer sur ces étranges coïncidences, l’explosion de la voix vindicative de Carlos ne m’en laisse pas le temps :

              _ Wow, l’est pas content cet abruti !!!

    Entre nous soit dit l’abruti en question n’a pas tout à fait tort, Carlos fonce comme un sauvage, il double une file de voitures stupidement arrêtées à un feu rouge, en roulant à toute blinde sur le trottoir. Le pauvre gars a juste le temps pour ne pas être écrasé de remonter dans sa camionnette stationnée les deux roues dans la rigole, s’il croit s’être tiré d’affaire, il se trompe, coup de frein brutal, le 4/4 recule jusqu’à ce que Carlos soit juste en face de la cabine. Le gars esquisse une bordée d’injures, il n’a pas le temps, une balle de Rafalos lui explose la tête.

              _ Quel crétin, en plus zieutez son panonceau, c’est un fleuriste, je hais les fleuristes !

               _ Cher ami je ne savais pas que la paisible race des fleuristes suscitait tant d’acrimonies de votre part, personnellement il m’est arrivé à plusieurs reprises d’abattre sans sommation quelques individus indésirables qui n’avaient manifestement jamais fumé un Coronado de toute leur vie. Juste pour leur apprendre à vivre dignement !

               _ Voyez-vous Chef, le gars n’y était pour rien, tout cela c’est à cause de ma nouvelle Alice.

    J’essayai de me glisser dans la conversation, les études à la Balzac sur la psychologie contemporaine m’ont toujours passionné :

              _ Votre Alice déteste les fleuristes, après tout il y a tant de gens qui détestent les araignées qu’une fille qui abhorre les fleuristes est sûrement un cas d’espèce intéressant.

              _ Damie tu fais fausse route, je pense qu’Alice tout comme moi n’éprouve aucune antipathie contre les fleuristes. Mais c’est tout de même un peu de leurs fautes.

    Le Chef nous fit signe de nous taire. Il profita du silence de l’habitacle pour procéder à l’allumage, geste d’une haute hiératie, d’un Coronado.

    _ Cher Carlos vous connaissant j’en ai tout de suite conclu que la mise à mort d’un fleuriste d’apparence innocent doit avoir quelque intérêt. Expliquez-vous, prenez votre temps, je vous en prie.

    _ Ben voilà, hier soir j’avais donné rendez-vous à vingt-et-une heures dans un restaurant à ma nouvelle Alice. En chemin, l’envie me vient d’entrer dans le resto avec une immense corbeille de roses que je déposerai sur la table devant elle, les filles aiment ce genre de simagrées, elles s’imaginent que nous sommes leurs chevaliers-servants, j’ai fait au moins dix fleuristes, tous étaient fermés. Bon ce n’était pas grave, les greluches aiment aussi les mauvais garçons, je me suis arrangé pour qu’elle aperçoive la crosse de mon rafalos, bref in the pocket comme disent les anglishes…

    Molossito pousse un ouaf interrogatif. Quelque chose lui échappe. A nous aussi. Mais Carlos a compris que Molossito n’a pas compris.

             _Ecoute-moi bien Molossito, quand on est un homme, c’est pareil pour un chien, il ne faut jamais renoncer à ses idées. Nous nous sommes séparés très tôt ce matin Alice et moi. Quand nous nous sommes quittés l’envie de lui offrir des roses pour l’entrevue de ce soir m’est revenue. Pas de chance, les fleuristes qui étaient fermés à neuf heures du soir, n’étaient pas plus ouverts à six heures du matin.

    Molossito vient de comprendre, il pousse un ouah ! exclamatif, Carlos se tait, il n’a pas besoin de poursuivre. La queue de Molossito frétille d’impatience. Le Chef allume un Coronado :

             _ Continuez Carlos, nous roulons comme des escargots depuis que nous sommes montés dans ce véhicule ! Plein gaz, nous allons arriver en retard.

    173

    Crissements de freins. Evidemment c’est encore trop tôt mais les camionnettes d’entreprise et les fourgons sont légion. Nous rentrons sans que personne ne nous jette un regard.

    _ Suivez-moi !

    Carlos nous guide, il avance à grandes enjambées dès que nous arrivons dans un coin paisible il démarre au sprint. Molossa et Molossito tout guillerets nous accompagnent. Ils se retiennent d’aboyer, ils savent que nous sommes en mission, sur le sentier de la guerre. Carlos lève la main, nous arrêtons et il désigne l’endroit. Le Chef prend la parole :

              _ Rendez-vous sur l’objectif, je le rallierai en venant du Sud, Carlos de l’Est, Agent Chad de l’Ouest, Molossa et Molossito du Nord. A la moindre présence ennemie, les chiens attaquent et nous, nous sortons les Rafalos.

    Nous nous sommes éloignés les uns des autres. Maintenant à chaque pas que nous faisons nous nous rapprochons. Encore une dizaine de mètres et nous parvenons à notre point de chute. Carlos passe le canon de son Rafalos dans sa ceinture :

              _ C’était déjà dans cet état quand je suis venu sur les six heures et demie, les fleuristes étaient fermés, j’ai réalisé que nous avions dormi dans un hôtel tout près du Père Lachaise, je m’étais dit que je trouverais des fleurs dans le cimetière, j’en ai récupéré une bonne brassée, avant de partir l’idée m’est venue de jeter un coup d’œil sur la tombe d’Ecila. En m’approchant j’ai entendu des bruits j’ai couru, je n’ai vu que l’arrière d’un gros fourgon bleu qui s’éloignait vers la sortie, il m’a vite semé, mais je suis prêt à parier que les grilles lui ont été ouvertes en grand car il n’a pas cessé d’accélérer.

    La dalle gisait sur le côté. Pas très loin du cercueil. Je soulevai le couvercle simplement posé par-dessus. Aucun corps n’y reposait. Ecila avait disparu. Il y eut un instant de silence. Le Chef alluma un Coronado

              _ Carlos, je suppose que le bleu du fourgon était un bleu soutenu ?

              _ Oui c’est bien cela, un bleu pas sombre mais voyant, comment dire un bleu, euh…

              _ Cobalt, ne cherchez plus, le bleu de la gendarmerie, la dimension nationale de notre aventure se confirme, nous ne savons pas à quoi notre président s’amuse ces derniers temps mais il fricote de drôles de manigances.

    174

    Molossa posa sa tête sur mon jarret. Je fermai les yeux. Le Chef et Carlos tenaient déjà leur rafalos en main. Des graviers crissaient sur ma gauche. Ils étaient là autour de nous. Nous leur tournions le dos. Le Chef donna des ordres à demi voix :

    • Attention il y aura plusieurs vagues d’assaut, ne pas se déconcentrer, chacun s’occupe de sa direction, moi le Sud, Carlos l’Est, Agent Chad l’Ouest, les moins à craindre seront ceux qui viendront du Nord, ils seront les moins dangereux, personne face à eux, ils ne se doutent pas que les chiens s’occuperont d’eux, à mon commandement, genou à terre feu !

    Pas très futés les malabars, croyaient nous surprendre. Ils furent courageux. Ils s’obstinèrent. Pas moins de quatre vagues d’assaut, au final je dénombrais seize cadavres. Les nordistes avaient rigolé quand ils avaient vu les deux chiens leur mordre les jambes. Une somptueuse rafale du Chef leur coupa définitivement l’envie de rire.

    L’algarade ne dura que quelques secondes. Vite fait, bien fait. Full metal jacket.

    Carlos désigna deux corps tombés sur une tombe :

    • Je les connais, je les ai déjà vu dans la Légion, quand ils ont été libérés ils ont trouvé du boulot dans la Maffia russe.

              _ Enchanté de l’apprendre, dit le Chef, Les pièces éparses du puzzle se mettent doucement en place, les unes à côté des autres.

    Et il alluma un Coronado.

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 598: KR'TNT 598 : CHIPS MOMAN / MIDLAKE / TODD RUNDGREN / JALEN NGONDA / QUESTION MARK & THE MYSTERIANS / LES FINGERS / ARGWAAN / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    , les fingers, argwaan, rockambolesques

    LIVRAISON 598

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    27 / 04 / 2023

     

    CHIPS MOMAN / MIDLAKE

    TODD RUNDGREN / JALEN NGONDA

    QUESTION MARK & THE MYSTERIANS

    LES FINGERS / ARGWAAN

     ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 598

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    ATTENTION !

    CETTE LIVRAISON 598 SORT AVEC TROIS JOURS D’AVANCE, PARCE QUE NOUS SOMMES DES PHILANTHROCKPES !

    TOUTEFOIS QUE LES ESPRITS DISTRAITS

    N’OUBLIENT PAS LA LIVRAISON 597 !

     

     

    Le Moman clé - Part Three

     

    chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians,les fingers,argwaan,rockambolesques

             Quasiment tout le détail des sessions d’enregistrement menées par Chips Moman dans son studio American se trouve dans l’immensément brillant Memphis Boys de Roben Jones. En fin d’ouvrage, elle fait quelques recommandations discographiques. C’est un peu comme celles de Robert Gordon, ça peut vite devenir une véritable caverne d’Ali Baba, car Roben et Robert citent des albums pas très connus en Europe et qu’on n’aurait pas forcément l’idée d’écouter, et qui finalement se révèlent être pour la plupart de sacrées bonnes pioches. 

    chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians,les fingers,argwaan,rockambolesques

             On tombe par exemple sur l’album solo de Mark James, l’un des songwriters maison d’American. Belle pochette classique dans les tons sépia. Bon, tout est bien foutu sur l’album, mais rien ne va percer le plafond de verre. Bel artiste néanmoins. Il vise cette Americana qui n’est pas aussi cosmique qu’on voudrait le croire. Mark James enregistre cet album à New York avec une belle brochette d’inconnus. Il tape son «Keep The Faith» au groove de feeling pur pour en faire un message d’espoir vibrant - Faith is the key, yeah, it holds the destiny - Il prône ça avec un certain talent latent. Avec «Blue Water», c’est un peu comme s’il visait la beauté juste - Girl take my hand and tell me that you understand/ Cause we don’t need to stand in blue water - Voilà ce qui s’appelle s’imposer. La pop-rock de «Roller Coaster» passe comme une lettre à la poste et en B, il s’en va groover «Flyin’ Into Memphis» à la Tony Joe White, mais avec une voix plus pincée.

             Avant d’entrer dans le détail des albums produits par Chips, il est conseillé d’écouter trois compiles Ace qui offrent un panorama assez complet de ce qu’il faut bien appeler une œuvre. Deux sont consacrées au house-band d’American, les Memphis Boys (Memphis Boys. The Story Of American Studio parue en 2012 et The Soul Of The Memphis Boys parue en 2020). La troisième vient tout juste de paraître : Back To The Basics. The Chips Moman Songbook.

    chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians,les fingers,argwaan,rockambolesques

             On a déjà épluché la première (Memphis Boys. The Story Of American Studio) lors de l’hommage rendu à Reggie Young. On en disait bien sûr le plus grand bien, allant même jusqu’à la traiter de compile du diable. «Memphis Soul Stew» ! King Curtis commence par réclamer a little bit of beiss, a big fat drum and some Memphis guitar. Arrivent ensuite l’organ and the horns. Now a big wail ! : King Curtis fait son Junior Walker ! Suivi par Dusty chérie avec «Son Of A Preacher Man». Tommy Cogbill y vole le show avec son bassmatic. Plus loin, James & Bobby Purify font leur Wicked Pickett dans «Shake A Tail Feather», avec un Tommy Cogbill qui re-vole le show. Au rayon coups de génie, on retrouve  l’immense «I’m In Love» de Wicked Pickett, la démo du «Suspicious Minds» de Mark James, le «Skinny Legs And All» de Joe Tex et le «More Than I Can Stand» de Bobby Womack, fils adoptif d’American. Chips envoie les violons dans la Soul. En queue de compile, on trouve les Soul Brothers que Chips produisait pour Goldwax et notamment l’excellent Spencer Wiggins avec «Power Of A Woman». C’est à Elvis que revient l’honneur de conclure avec «I’m Movin’ On». Dommage qu’il n’ait pas continué à bosser avec Chips. Ils étaient faits l’un pour l’autre. On trouve aussi l’excellent «Born A Woman» de Sandy Posey, Joe Simon, Merrilee Rush et B.J. Thomas, le fringant «Funky Street» d’Arthur Conley, Solomon Burke et les Soul Brothers plus obscurs comme L.C. Cooke ou Clay Hammond. Outch, n’en jetez plus, comme on disait au temps des barricades.

    chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians,les fingers,argwaan,rockambolesques

             Le problème c’est qu’Ace en jette encore avec The Soul Of The Memphis Boys. Rebelotte avec James & Bobby Purify et «Don’t Want To Have To Wait» et cette incroyable qualité du son et cette extrême purée de cuivres, ah ça ira ça ira ça ira, les aristocrates à la lanterne et l’autre, là, l’Oscar Toney JR ! Tu crois qu’il va calmer le jeu avec son «Ain’t That True Love» ? Macache ! C’est encore du typical Memphis beat, l’Oscar est un bon. Ça monte encore d’un cran avec Bobby Womack et «Broadway Walk», il taille sa route à la Wilson Pickett. On croise aussi Jerry Lee et James Carr, puis l’inexpugnable «Cry Like A Baby» des Box Tops. Encore un bassmatic historique ! D’autres blacks de rêve arrivent à la queue-leu-leu, Arthur Conley, Solomon Burke, Joe Tex, Ben E. King, tous ces géants de la Soul viennent enregistrer chez Chips, et puis voilà le «Comin’ To Bring You Some Soul» de Sam Baker, une bombe, suivi d’une autre bombe humaine, Roscoe Robinson avec «How Many Times», un vrai shouter de must I knock d’oh yeah. Et puis voilà la révélation : Ella Washington avec «He Called Me Baby». Fantastique artiste, aussi énorme qu’Aretha. Forcément, Dusty chérie casse bien la baraque avec «So Much Love». On se prosterne jusqu’à terre devant une telle chanteuse. Elle sait grimper plus haut que toutes les autres. Roy Hamilton chante d’une voix de rêve, Elvis aussi, il claque sa chique de «Kentucky Train», les Blossoms explosent «Don’t Take Your Love» et Arthur Alexander referme la marche avec «Rainbow Road», le vieux coucou de Dan Penn - Then one day my chance came along - C’est du mythe pur, Arthur cogne ça dur, avec toute sa dignité de fils d’esclave.

    chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians,les fingers,argwaan,rockambolesques

             Troisième compile hommage à l’American studio avec Back To The Basics - The Chips Moman Songbook. Elle paraît au moment où James L. Dickerson publie sa monographie, Chips Moman. Comme c’est un songbook, Ace met l’accent sur les compos de Chips et non sur ses productions. Les deux grandes surprise de cette compile sont les reprises de «Dark End Of The Street» par les Flying Burrito Brothers et de «Last Night» par Georgie Fame. En ce qui concerne Georgie, pas de surprise, c’est le meilleur shuffle d’Angleterre. Quant à la reprise des Burritos, elle est assez mythique, Gram Parsons chante avec les guitares country dans le creux des reins. Ces mecs ont du son. Comme on va le voir au fil des 24 cuts, la country est une dominante chez Chips. Waylon Jennings qui ouvre le bal avec «Luckenbach Texas (Back To The Basics Of Love)». On tombe plus loin sur la country superstar Kenny Rogers qui fait de «Lying Again» une soupe suprême, puis BJ Thomas avec «Another Somebody Done Somebody Wrong Song», Tammy Wynette («He’s Rolling Over And Over») et ça se termine avec le vieux crabe Willie Nelson («Old Fords And A Natural Stone»). L’autre péché mignon de Chips est bien sûr la Soul. Barbara Stephens ramène du raw r’n’b avec «If She Should Ever Break Your Heart», William Bell ramène son fantastique power («Somebody Mentioned Your Name»), l’immense Barbara Lynn tape dans «You’re Gonna See A Lot More (Of My Leaving)», ah il faut la voir claquer son sweetheart ! Cher fait une version superbe de «Do Right Woman Do Right Man» (ce sont les mecs qui ont accompagné Aretha qui l’accompagnent), Carla Thomas ramène sa romantica («Promises») et Helen Henry ramène aussi sa fraise avec «Every Little Bits Helps» qui date de 62, quand Chips est encore chez Stax. On trouve aussi des choses étonnantes comme cette version de «For You» par Gizelle qui est sur Wild, le fringuant label rockab basé en Californie. Incroyable que les gens d’Ace soient allés taper chez Wild. Il n’empêche qu’on a vu Gizelle au Béthune Retro et ce n’était pas si bon. Merrilee Rush est là aussi avec «Sandcastle». Grâce à Tony Rounce, on apprend que c’est Mark Lindsay qui la recommanda à Chips.

    chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians,les fingers,argwaan,rockambolesques

             L’un des albums dont les Memphis Boys se disent vraiment fiers est le Stoned Age Man de Joseph, sorti sur Scepter Records en 1970. Chips a des connections avec Florence Greenberg, la boss de Scepter qui lui envoie aussi Dionne Warwick et B.J. Thomas. Joseph s’appelle en réalité Joseph Longeria, mais Scepter trouve que Joseph est plus vendeur. Joseph Longeria chante comme cro-magnon, il a cette capacité de faire peur à Tounga et même à Zembla le Rock qui en a pourtant vu des vertes et des pas mûres. «Trick Bag» sonne comme un joli slab de rock seventies, ce qui semble logique, vu la date de parution de l’album. On est en plein dedans. Le problème est qu’on passe facilement à travers les cuts de cet album pourtant considéré comme culte. C’est vrai que le culte a bon dos, surtout quand il l’a dans le cul. On accordera cependant un coup de satisfecit au morceau titre qui boucle l’A, car notre cro-magnon chante son rock des cavernes avec l’énergie du désespoir, mais pas n’importe quel désespoir, le désespoir Williams. Ou si vous préférez, référons-nous aux morceaux en forme de poire d’Erik Satie. C’est adroitement ouvragé. On comprend que ça puisse allumer des convoitises. Chips a dû bien s’amuser à produire ce beau brin de guttural - Like a wild child, yeahhhh - En B, on tombe inopinément sur une belle cover nerveuse de «The House Of The Rising Sun». On sent les barbus de la bande à Joseph invaincus et peu enclins à courber l’échine. «Gotta Get Away» est un cut de Greg Allman monté sur le riff de «Gimme Some Lovin’», un riff qui, comme chacun sait, est têtu comme une bourrique. Globalement, on a là un album solide, bien enraciné dans le heavy rock des seventies. On peut dire que Chips a le chic pour choper le chop.

    chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians,les fingers,argwaan,rockambolesques

             Roben Jones nous rappelle que Chips avait embauché Wayne Carson et Mark James comme compositeurs maison. En 1972, Wayne Carson enregistre l’excellent Life Lines, l’un de ces albums du grand songbook américain qu’on ne peut que recommander, pas seulement parce qu’on y retrouve «The Letter», ce vieux hit qu’il a composé pour les Box Tops, mais pour d’autres chansons beaucoup plus spectaculaires, à commencer par «Laurel Canyon». Il parvient à s’élever dans le chant à la force du feeling - I’m so alone - Du coup, on dresse l’oreille. Avec «All Night Feeling», il joue un coup de boogie sous le boisseau et n’en finit plus de se montrer crédible. On a là une belle pièce de Southern rock cuivrée de frais. Ce mec sait composer, pas de doute, «Tulsa» vient encore renforcer ce sentiment. Les chansons de Wayne Carson accrochent autant que celles de Jimmy Webb, avec le même sens aigu d’une belle Americana. En B, il reprend le «Neon Rainbow» qu’il a aussi composé pour les Box Tops. C’est assez pop, pas loin du Raindrops de Burt, doté de beaux développements mélodiques, très violonné. Dès que Wayne Carson s’élève dans les octaves, ça devient beau. Notons que Fred Forster, boss de Monument, produit l’album. Avec «Just As Gone», Wayne Carson se montre l’égal de Mickey Newbury. Il revient au Southern groove avec l’excellent « A Table For Two For One». Il fait sa Bobbie Gentry, avec une voix de mâle. C’est dingue comme ses compos accrochent bien. Ce mec aurait très bien pu devenir une star, à l’instar de Jimmy Webb et de Mickey Newbury.

    chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians,les fingers,argwaan,rockambolesques

             C’est avec le Keep On Dancing des Gentrys paru sur MGM Records en 1965 que Chips a pu financer le lancement d’American. C’est donc un album historique, très typique d’une époque où tous les kids d’Amérique entendent les Beach Boys à la radio. Et donc ça déteint. On retrouve dans le morceau titre d’ouverture de balda la même petite ferveur bronzée. Ils proposent aussi de la petite pop inoffensive, mais quand ils tapent dans «Hang On Sloopy», c’est avec le Memphis beat d’American. On a là une version groovy chantée à l’insistance caractérielle. Le «Brown Paper Sack» du bout d’A est plus jerky. On est à Memphis et ça s’entend - You better run away girl ! - En B, on tombe sur un joli clin d’œil à Bo avec «Hand Jive», chanté avec le plus bel accent de Memphis.

    chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians,les fingers,argwaan,rockambolesques

             Sur Gentry Time, le deuxième album des Gentrys, on trouve du pur Memphis Sound : «Giving Love». Jimmy Hart chante son Why don’t you share it with me à la belle exacerbée. Et il ajoute, sûr de lui : «Why don’t you try to relax and come and go with me !» Chips donne au «I’m Gonna Look Straight Through You» un vrai caractère garage. On est dans le heavy beat et c’est chanté bien raunchy. Mais l’A se gâte très vite. Difficile de faire un album solide en 1966, pour ça il faut s’appeler les Beatles. Les Gentrys pataugent dans la petite pop inepte et finissent l’A avec la pop bien rebondie d’«A Little Bit Of Love». L’autre cut intéressant se trouve en B et s’appelle «Sunshine Girl». On y sent toute la joie et la bonne humeur de ces kids de Memphis qui déambulent on the sunny side of the road, comme aimait à le dire Gildas. Ils terminent avec un shoot de petite pop infectieuse à la Zombies intitulé «I Didn’t Think You Had It». C’est un joli coup, doté d’une vraie musicalité et d’une assise consistante.

    chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians,les fingers,argwaan,rockambolesques

             Le troisième album des Gentrys sobrement intitulé The Gentrys paraît sur Sun en 1970. C’est donc produit par Knox pour le compte du nouveau boss Shelby Singleton. On a là un album extrêmement solide, une sorte de gosse pop de Memphis dynamisée par un bassmatic énergétique. C’est enregistré au Sam Phillips Recording Studio (le tout neuf), on est donc en plein cœur de la mythologie. Les Gentrys se montrent à la hauteur avec notamment une reprise du «Stroll On» des Yardbirds. Ils sont sur le heartbeat, et Jimmy Tarbutton solote comme un poisson dans l’eau. Encore pire : «I Need You», où Jimmy Hart crie qu’il est un lover et pas un fighter. En B, ils amènent un fabuleux «Southbound Train». Ils jouent à la big energy, c’est bien nappé d’orgue et pulsé au bassmatic sévère de Steve Speer. On ne peut que se prosterner devant Knox, car il nous sort là un sacré son. Tout l’album tient en haleine. On est à Memphis et ça se sent, la pop se veut plus coriace, elle rocke le beat. Ils finissent leur «Help Me» avec un final qui sonne comme celui de «Sympathy For The Devil», pas moins. «Can’t You See When Somebody Loves You» vaut pour une belle pop d’élan martial, cuivrée à gogo.

    chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians,les fingers,argwaan,rockambolesques

    Il se passe toujours quelque chose à Memphis. Belle reprise aussi de «Cinnamon Girl». Ces mecs ont tout pigé. Ils savent travailler la couenne de la psychedelia avec tact, mais en gardant tout le punch du Memphis beat. Ils font aussi une excellente cover du «Rollin’ And Tumblin’» de Muddy et passent avec «He’ll Never Love You» à la pop de grande envergure. Jimmy Hart monte se mêler aux harmonies vocales supérieures, alors que ça cuivre hardiment dans les parages. Quel festin de son ! 

    chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians,les fingers,argwaan,rockambolesques

             Chips vénérait James & Bobby Purify. Ça s’entend sur The Pure Sound Of The Purifys paru sur Bell Records en 1967. Dès «I Take What I Want», on sent la sauvagerie. Ça swingue dans l’âme du Memphis beat, baby. Big bad fun ! L’autre gros hit de l’album s’appelle «Let Love Come Between Us», embarqué au fantastique entrain purifié. On a là une grosse emblématique de very big pop Purify. On B, on se prosterne devant «Sooth Me», délicat et délié, beautiful cut de Soul aux pieds ailés. Nos admirables Purifycateurs tapent aussi avec «You Don’t Love Me» un fantastique shoot de Soul bien troussée au classic brunch. On se croirait parfois sur un album de Sam Cooke, tellement les étoffes sont fines. «I Don’t Want To Have To Wait» vaut pour un joli shoot de Deep Southern Soul superbe et éperdu. Ils proposent aussi une reprise de «Shake A Tail Feather» bien remontée, solide et sharpy, pas très loin de ce que font Sam & Dave, avec de belles montées en température - Ahhhhh, push me/ Shake it shake it - Ils sont dans le high energy, le very high high high d’ouille ouille ouille.

    chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians,les fingers,argwaan,rockambolesques

             Paru la même année, James & Bobby Purify est enregistré par contre à Muscle Shoals avec l’équipe habituelle, David Hood/Roger Hawkins/Jimmy Johnson. James & Bobby démarrent avec un «Wish You Didn’t Have To Go» signé Dan Penn/Spooner Oldham, mais ils se vautrent en voulant reprendre «Knock On Wood». On ne touche pas à Eddie Floyd. Ils reviennent en B à la magie de Dan Penn avec «I’m Your Puppet», mais le son est trop Muscly Shoals. Ils en feront une version nettement supérieure dix ans plus tard sur leur dernier album. Ils restent chez Dan Penn avec «You Let The Water Running» qui sonne comme un hit des sixties avec son sock it to me. Ils rendent un bel hommage à Sam Cooke avec «A Change Is Gonna Come» et bouclent leur petit bouclard avec «You Can’t Keep A Good Man Down», une merveille qui sonne comme du Dan Penn, mais non, c’est du Papa Don, producteur/protecteur/manager des frères Purify, le fameux Papa Don Schroeder qui se vantait d’avoir Ellie Greenwich dans les chœurs et qui justement ramena les frères Purify chez Chips.

    chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians,les fingers,argwaan,rockambolesques

             Si on en pince pour les Purify, il faut écouter leur dernier album paru en 1977, Purify Bros, sachant que Ben Moore a remplacé Bobby Purify qui avait des problèmes de santé. Ils enregistrent l’album à Nashville, mais leurs vieux amis Reggie Young et Tommy Cogbill les accompagnent. Ils tapent dans la Philly Soul de Gamble & Huff avec «Hope That We Can Be Together Soon» et Ben Moore chante au falsetto miraculeux. Ils tentent d’allumer plus loin le «Get Close» de Seals & Croft, mais ce n’est pas aussi réussi. Par contre, ils ouvrent leur bal de B avec «I’m Your Puppet» et là ils s’en vont briller au firmament, grâce à une jolie progression harmonique. Ils flirtent avec le génie dans «Morning Glory», c’est violonné à gogo et d’une puissance terrible. On note encore l’excellence de leur prestance dans «Turning Back The Pages». Ces mecs n’en finissent plus de redorer le blason de la Southern Soul. Tout est admirablement balancé, sur cette B, précieux faux frères, ils chantent leur «What’s Better Than Love» avec un rare entrain, un prodigieux élan. Ils terminent avec une version de «When A Man Loves A Woman», beaucoup moins perçante que celle de Percy Sledge, ce qui semble logique : personne n’est plus perçant que Percy.

    chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians,les fingers,argwaan,rockambolesques

             En 1972, Dionne Warwick débarque chez Chips pour enregistrer Soulful. Chips lui a préparé un petit lot de covers triées sur le volet, à commencer par «You’ve Lost That Lovin’ Feelin’». Pas de problème, Dionne la lionne peut gérer ça, elle peut même le grimper très haut. Elle gère bien son groove de lionne, lovely like you used to dooo. Comme on est chez Chips, elle tape deux Dan Penn, «I’m Your Puppet» (typical Memphis) et «Do Right Woman Do Right Man» dont elle fait la plus Soulful des versions. Elle l’explose comme Aretha l’a explosée avant elle. Elle tape aussi dans le «People Got To Be Free» des Rascals. Chips l’orchestre à outrance et il rend encore plus vainqueuse une lionne déjà vainqueuse. Elle termine son balda avec un clin d’œil aux Beatles et un «We Can’t Work It Out» qu’elle transforme en Soul power. Le bassmatic de Tommy Cogbill rentre dans le lard de la Beatlemania. Ce bassmatic est une œuvre d’art. Ils récidivent en B avec un «Hard Day’s Night» moins réussi et bouclent la B avec un «Hey Jude» que Dionne la lionne chante au feeling de lionne, avec un tremblé de glotte subliminal. Chips fout le paquet, il orchestre à gogo et la marée des violons monte, so let it out and let it in, elle file vite là-haut sur la montagne claquer son nah nah nah, mais elle contourne l’obstacle car elle ne peut pas screamer comme McCartney.

    chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians,les fingers,argwaan,rockambolesques

             On retrouve l’ensemble des cuts enregistrés à Memphis avec Chips sur le double album From Within qui date aussi de 1972. Le Lovin’ Feelin’ et le We Can Work It Out sont en C, mais il y a d’autres cuts qui ne figurent pas sur Soulful, comme cette reprise de «The Weight», fausse Soul blanche, ou encore «Someday We’ll Be Together». En D trône «If You Let Me Love You». Cette Soul Sister de rêve tient sa Soul par la barbichette, et Chips revient à l’équation fondamentale : Memphis beat + voix suprême. Elle tape plus loin dans l’énorme classique de Joe South, «Games People Play» dans une ambiance superbe. Il faut la voir développer son filet de Soul. Elle termine la D avec un clin d’œil à Sly, «Everyday People». Solid as fuck. Par contre, elle propose du gospel en A, elle chante son «Grace» à la perfe, dommage que les chœurs soient si loin derrière. Encore un classique du gospel batch avec «Jesus Will» et elle enchaîne avec une version léonine de «Summertime» - So hush little baby/ Don’t you cry - En B, elle fait une petite tentative de medley avec «MacArthur Park». Dionne la lionne est faite pour la beauté - Catch me looking at the sky - Elle est dans une Soul de you still be the one, elle chante en retenue avec le pire feeling du monde. S’ensuit un hommage à Nina Simone («To Be Young Gifted And Black») et elle boucle sa B avec le «People Got To Be Free» enregistré chez Chips, une splendeur.

    chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians,les fingers,argwaan,rockambolesques

             Chips et ses Memphis Boys étaient encore plus impressionnés par Joe Simon qui enregistre No Sad Songs en 1968 chez American. L’album sort sur le label de Joe Foster, Monument Records. On y trouve deux bien belles énormités, à commencer par «Long Hot Summer», monté sur le big Memphis beat, battu sec et bardé de tortillettes acidulées. Il faut entendre la violence du claqué de notes, c’est du pur Reggie Young, stupéfiant de nervosité et de virtuosité. Les cuivres se jettent dans la mêlée avec un bonheur que n’existe qu’à Memphis. Encore une énormité avec «Traveling Man» qui déboîte sans clignotant pour foncer dans la nuit. Ces mecs jouent la belle embellie. On voit bien que Joe Simon peut rocker le shit de choc. Il tape aussi dans une merveille signé Dan Penn : «In The Same Old Way». Pur jus de Deep Southern Soul, Joe descend dans son meilleur baryton pour faire honneur au Penn. Il chante aussi le «Nine Pound Steel» de Dan Penn, mais c’est le côté gospel batch bien ponctué à l’enclume. Étrange parti-pris de heartbeat. Avec «Put Your Trust In Me», Joe passe au raw r’n’b avec une surprenante vitalité. Les Memphis Boys jouent leur va-tout, comme chez Stax, mais avec quelque chose de plus fouillé dans le son. On retrouve l’énergie Stax dans le «Come On And Get It» de clôture. Ce diable de Joe joue les Saint-Simon du raw, c’est admirable de droiture morale.

    chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians,les fingers,argwaan,rockambolesques

             Joe Simon n’a pas enregistré Better Than Ever chez Chips, mais on peut l’intégrer au déroulé du Moman clé car on y trouve le «Rainbow Road» de Dan Penn, et donc retour à Memphis. Cet album paru en 1969 est d’ailleurs produit par Scotty Moore. Joe chante son «Rainbow Road» au feeling saint-simonien, donc ce n’est pas Arthur Alexander. Une mandoline vient d’ailleurs gratter les puces du pont, alors ça peut gêner au peu aux entournures. D’autant que Joe chante d’une voix de blanc, un peu comme Freddie North. Il sort aussi sa voix de blanc sur «Straight Down To Heaven» et il faut attendre «San Francisco Is A Lonely Town» pour renouer avec la Soul de Soul Brother. C’est une existence difficile, il faut se lever tôt pour décrocher un hit, quand on est Soul Bother. Joe Simon cherche la Deep Soul dans les rues de San Francisco. On le voit aussi faire une version bien straight d’«In The Ghetto». Il tente le coup de la Soul avec «I Got A Whole Lot Of Lovin’», mais sa Soul reste un peu lisse, sans excès, un peu à la Freddie North. On ne trouve pas le petit truc en plus qui fait sortir l’appelé du rang. Le hit de l’album pourrait bien être le «Time And Space» qui clôt l’A, car Joe chante sa pop de Soul avec doigté. Il en groove l’âme. C’est aussi désespérément beau que du Fred Neil. Admirable de mélancolie simonienne.

    chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians,les fingers,argwaan,rockambolesques

             Quand Billy, le fils de Dorsey Burnette, décide de revenir s’installer à Memphis, Chips qui a joué de la guitare avec son père et son oncle Johnny lui donne une chance. Billy enregistre son album Billy Burnette chez American en 1972. Il attaque avec un balladif à la Dan Penn intitulé «Always Wondering Bout You Babe» et sacrément captateur. Billy y développe une grosse mélancolie et montre une belle capacité vocale. Il lance ensuite «Going To A Party» sur le beat de «Mrs Robinson» et ça sonne forcément comme le beat des jours heureux. Mais bon après, ça se délite. L’album retombe comme un soufflé. Chips avait raison de penser que les compos de Billy ne tenaient pas vraiment la route. En fin de B, le pauvre Billy tape dans le Southern soft rock avec «I’m Getting Wasted Doing Nothing», c’est coloré et chargé d’une musicalité qu’il faut mettre sur le dos du American house-band. Il termine avec «Twenty Years Ago Today», un heavy psych de Southern motion aussi puissant qu’un cut de Croz sur If I Could Only Ony Remember My Name.

    Signé : Cazengler, chips à l’ancienne

    Back To The Basics. The Chips Moman Songbook. Ace Records 2021

    The Soul Of The Memphis Boys. Ace Records 2020

    Memphis Boys. The Story Of American Studio. Ace Records 2012

    Joseph. Stoned Age Man. Scepter Records 1970

    Mark James. ST. Bell Records 1973

    Wayne Carson. Life Lines. Monument Records 1972

    Gentrys. Keep On Dancing. MGM Records 1965

    Gentrys. Gentry Time. MGM Records 1966

    Gentrys. The Gentrys. Sun 1970

    James & Bobby Purify. The Pure Sound Of The Purifys. James & Bobby. Bell Records 1967

    James & Bobby Purify. James & Bobby Purify. Bell Records 1967

    James & Bobby Purify. Purify Bros. Mercury 1977

    Dionne Warwick. Soulful. Scepter Records 1969

    Dionne Warwick. From Within. Scepter Records 1972

    Joe Simon. No Sad Songs. Monument Records 1968

    Joe Simon. Better Than Ever. Monument Records 1969

    Billy Burnette. Billy Burnette. Entrance 1972

     

     

    Le feu au Midlake

     

    chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians,les fingers,argwaan,rockambolesques

             Quand est tombé du ciel Van Occupanther, on s’est dit chouette, la cosmic Americana est enfin de retour. Tu ne sais pas qui est Van Occupanther ? C’est l’homme à tête de panthère qu’on voit assis dans le sous-bois de la pochette du deuxième album de Midlake, The Trials Of Van Occupanther. Disons qu’il s’agit d’un album de dimension mythique.

    chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians,les fingers,argwaan,rockambolesques

    Midlake est un groupe texan dont l’âme s’appelle Tim Smith. Il chante et compose. Dès «Roscoe», on sent la pureté du groove tim-smithien qui flirte avec l’up-tempo mais pas trop - Just change a thing or two - La cosmic Americana arrive avec «Head Home». Ils reprennent les choses là où les Byrds les avaient laissées après leur quatrième album, Tim Smith et ses Midlakers sont dans le genius à l’état pur, une vraie mine d’or, avec des dynamiques de basse et de chant psyché all over, voilà l’up-tempo miraculeux. Et ça continue avec «Young Bride», le son vient de l’Ouest. Il va chercher sa young bride au bord du chemin, c’est tendu et extrêmement historique. Ils sont dans l’Ouest de l’Americana et ses rafales de winter extraordinaires. Ce fondu de son est unique dans l’histoire du rock. The Trials Of Van Occupanther pourrait bien être l’un des meilleurs albums cosmiques de tous les temps. Qui peut rivaliser de grâce sidérale avec «Head Home» ? On reste dans le genius midlakien avec «In This Camp», c’est le son de la frontière, avec des vents énormes. Encore de belle pop rock de wild mountain men avec «It Covers The Hillsides», monté sur une bassline digne de celles de Skip Battin.

    chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians,les fingers,argwaan,rockambolesques

             Deux ans avant paraissait Bamnan And Slivercork. Tim Smith prend son «Balloon Maker» au chant de légende et se livre à un petit exercice de Beatlemania. On se croirait à Abbey Road. En bon mage texan, il fait pleuvoir la magie par-dessus les toits. Puis il claque la chique de «Kingfish Pie». Sa tarte balaye tout le reste. Oui, Tim Smith a du génie. Disons qu’il groove sous la surface du génie, comme le montre «I Guess I’ll Take Care» - I want you all the time - C’est de la prescience. Il crée les conditions de son génie. Il t’embarque où il veut. Il chante à la ramasse du Midlake, «Some Of Them Were Superstitious» est une pure merveille, il explose sa pop en la chantant sous le menton. Nouveau coup de Jarnac avec «The Jungler». Il préfigure l’Americana de Van Occupanther. Il chante par la bande avec des accents toxiques. Il va se confronter aux grands vents de la Cosmic Americana jusqu’au bout de l’album, avec «He Tried To Escape» et «Mopper’s Medley», c’est plus fort que lui, il ne peut pas s’en empêcher. «No One Knew Were We Were» est complètement paumé, comme l’indique le titre, mais on se régale de l’entrain d’orgue et de beurre, avec la voix de Tim Smith quelque part au milieu. Il a la même présence que John Lennon. Il est aussi doué, avec ce don de chant et la musicologie afférente. Il peut tirer sur son classique, ça reste beau et bien foutu. Alors si on lui dit ça, il tire, vas-y, Tim, tire sur ton élastique.

    chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians,les fingers,argwaan,rockambolesques

             Le troisième et dernier album qu’il enregistre avec Midlake s’appelle The Courage Of Others. L’album est beaucoup moins dense que les deux précédents. Dommage, car la pochette mystérieuse met bien l’eau à la bouche. Les deux énormités se trouvent au cœur de l’album : «Rulers Ruling All Things» et «Children Of The Grounds». C’est du country folk et on perd la cosmic Americana. Mais ça reste assez puissant, notamment au moment du refrain - I only want to be left my own ways - Avec «Children Of The Grounds», Tim Smith s’envole - I’m gone from here - Disons que tout est complètement largué sur cet album, et en même temps des cuts comme «In The Ground» se raccrochent à des arpèges. Tim Smith continue de taper ses mélodies au contre-chant et se dissout dans l’excellence. On le voit encore tirer son énergie de l’Americana des pionniers dans «Acts Of Man» et il conduit le convoi de chariots de «Winter Dies» - I’d hear the sound of creatures upon the earth - C’est vrai qu’on perd le flying jingle jangle des Byrds, mais on a autre chose.

    chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians,les fingers,argwaan,rockambolesques

             Paru en 2013, Antiphon est donc le premier album post-Tim Smith. À l’époque on s’est dit : «Testons, nous verrons bien.» Test positif car le son est là dès le morceau titre d’ouverture de bal. Pas la même voix, mais ils cherchent à rester dans le même son. C’est une volonté clairement affichée. Et même fucking bien affichée, puisqu’ils outrepassent Tim Smith, ils groovent la magie pure et c’est monté en neige au sommet de Midlake. Inespéré ! On les croyait condamnés. Ils dépassent le syndrome de Stockholm. Ils font du Midlake invétéré. Et ça continue avec «Provider». La magie est là, juste en dessous des glaires de voix, ils développent leur cosmic Texarcana, ils surmontent bien la perte de Tim Smith, ils prélassent le chant dans l’infini du Midlake sound. «Provider» est comme balayé par des vents de son, ils surplomblent la Texarcana, diable comme c’est beau ! Ils sont en plein dans Van Occupanther. On dira la même chose d’«Ages». Ils attaquent «The Old And The Young» au boogie texan. Vas-y mon gars, essaye de sonner comme eux, tu verras que c’est impossible. Ils cultivent l’efficacité de l’excellence. Cet album est l’une des surprises du siècle. On les croyait paumés, mais on les retrouve plus décidés à vaincre que jamais. Et leur pop de cosmic Texarcana n’a jamais été aussi lumineuse. Ils font là encore un big country rock de la frontière, c’est fabuleusement bien joué et remanié à l’extrême. «Vale» est plus atmosphérique, comme balayé par les vagues géantes d’une tourmente. Ces mecs se donnent les moyens de leur délire. Tu peux y aller les yeux fermés.

    chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians,les fingers,argwaan,rockambolesques

             Pour la promo de leur nouvel album, For The Sake Of Bethel Woods, Duncan Fletcher papote avec le nouvel homme fort de la situation, Eric Pulido. Après Antiphon, il croyait le groupe fini. Et comme ils sont coincés par Pandemic dans la même baraque et qu’ils n’ont pas grand-chose à foutre, ils décident de faire des chansons pour un nouvel album - Let’s try out some of these ideas - Alors ils refont leur vieux mélange de psyché, de folk et de prog, et choisissent Bethel Woods en souvenir de Woodstock et de ce que cet événement a pu représenter au plan symbolique. Bien sûr, pas un mot sur Tim Smith et ils n’ont pas grand-chose à ajouter. 

             Avec For The Sake Of Bethel Woods, les Texans ont su conserver leur mystique psychédélique. Finalement, le départ de Tim Smith ne change pas grand-chose. Ils groovent sous la mousse des bois, «Bethel Woods» reste dans l’axe du fast Texas rock, mais sans magie. Le hit de l’album s’appelle «Gone». Il semble ramené des profondeurs. Ça swingue on the top of the beat. On sent chez eux un goût pour le smooth («Glistening») et dans «Feast Of Carrion», on entend des éclats de Van Occupanther. On sent bien qu’ils vivent des vieux restes de Tim Smith. L’album se réveille avec «Noble». Soit ils y sont, soit ils n’y sont pas. Cette fois ils y sont. Eric Pulido chante d’une voix de foie blanc. «Meanwhile» n’est plus du Midlake, mais ils essayent de nous ramener vers Midlake. Ils finissent par y parvenir, c’est du Midlake, mais sans la magie. Difficile à expliquer. «The End» sonne aussi comme du post-Midlake. Ils gèrent leur biz au mieux, et s’efforcent de conserver un goût pour les profondeurs. Il faut dire que ce culte de la pop est assez rare chez les Texans. Ils font carrément de la pop anglaise, mais avec de bons réflexes. C’est assez troublant, alors il faut écouter attentivement. Ils ramènent des tonnes de son, ils s’efforcent d’allumer, mais sans Tim, le casque vibre, c’est bien les gars, ils tentent de surmonter le traumatisme du départ de Tim, c’est très courageux de leur part, on ne peut que les admirer pour cette sortie en fanfare.

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             Comme Shindig!, Uncut fait aussi ses choux gras du nouvel album, à partir des mêmes infos : la pochette représente le père de Jesse Chandler, alors âgé de 16 ans, assis dans la foule de Woodstock au moment où John B Sebastian est sur scène. Le portrait est une interprétation graphique d’une photo tirée du film. Uncut cite quelques références : Eric Matthews, CS&N et Vashti Bunyan. Pour bien cerner le mystère Midlake, Uncut fait ronfler les belles formules, prog-folk melancholia et mystical tunes, mais bizarrement ne fait jamais référence à l’Americana, which Midlake is all about.    

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             Bon alors attention : il existe une compile extraordinaire nommée LateNightTales centrée sur Midlake. Les compileurs ont réussi à rassembler des gens qui sonnent dans l’esprit du fondu de Midlake, les plus connus étant Fairtport Convention, avec «Genesis Hall». Elle est imbattable, la Sandy, avec sa voix de rêve. On la retrouve plus loin avec Harry Robinson dans «Carnival» : the Voice of England, c’est elle. Ce qui frappe le plus sur cette compile, c’est la qualité des choix. On trouve par exemple un cut de Twice As Much & Vashti, «Coldest Night Of The Year» : pur London Midlake sound, ils sont en plein dans Tim Smith, c’est excellent et purifié, heavy soft pop de Twice. Parmi les plus connus, voici encore Sixto Rodriguez avec «Crucify Your Mind». Il gratte sa folk magique. C’est tout de même incroyable de retrouver ce héros ici. C’est lui le boss, avec ses accents dylanesques. Nico est là aussi, avec «These Days», et ça devient forcément légendaire. Nico est l’une des authentiques superstars. The Band fait aussi du Midlake avec «Whispering Pines». Bien vu, exactement le même son. Les compileurs sont des cracks. Scott Walker n’est pas en reste avec son «Copenhagen». The Voice et ambiance garantie ! Et puis voilà Midlake avec «Am I Going Insane», un cover de Sabbath, prodigieux sens de la mélasse, ils jettent tout leur poids de mélasse dans la balance. Parmi les rois de l’Americana, voilà les Flying Burrito Brothers avec «Christine’s Tune» et sa belle énergie de devil in disguise, big bluegrass energy. Jan Duindam sonne comme Tim Smith dans «Happiness & Tears». Même énergie de deep Americana. Incroyable comme ça colle bien. Et puis il y a les révélations. Elles sont au nombre de trois : Beach House, Lazarus et Espers. D’abord «Beach House» avec «Silver Soul». C’est digne de Mercury Rev, belle approche intrusive. La chanteuse est la nièce de Michel Legrand. Puis voici Lazarus avec «Warmth Of Your Eyes», joli folk anglais et son d’une stupéfiante qualité. Alors on y va ! Et pour finir, Epsers avec «Caroline», belle plongée dans l’épaisseur du folk anglais, une pure merveille, ambiance géniale.

    Signé : Cazengler, Midnable

    Midlake. Bamnan And Slivercork. Bella Union 2004

    Midlake. The Trials Of Van Occupanther. Bella Union 2006

    Midlake. The Courage Of Others. Bella Union 2009

    Midlake. LateNightTales. LateNightTales 2011

    Midlake. Antiphon. Bella Union 2013

    Midlake. For The Sake Of Bethel Woods. ATO Records 2022

    Duncan Fletcher : Songs from the woods. Shindig! # 124 - February 2022

     

     

    Wizards & True Stars

    - Todd of the pop (Part One)

     

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             À tout seigneur tout honneur : Todd Rundgren donne son nom à cette rubrique que nous consacrons aux géants de cette terre. Quelques-uns s’en souviennent, A Wizard A True Star fut annoncé dans Creem comme le messie. Creem ne se trompait pas. À peine paru, cet album était déjà culte. Todd Rundgren s’y montrait l’égal de Brian Wilson, et ce dès l’«International Feel», monté comme un hit baroque à l’interstellar appeal. Il faut le voir tordre son feel dans les arcanes !

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

    Sur cet album, tout s’enchaîne avec une parfaite fluidité. On glisse dans «Never Never Land» avec délectation. Il va de merveille en merveille, il tic tic tique dans «Tic Tic Tic», et se coule naturellement dans le «Rock’n’Roll Pussy». Et puis voilà la huitième merveille du monde, «Zen Archer» - Pretty bird closes his eyes/ Pretty mind dies/ Another pretty thing dead on the end of the shaft/ Of the Zen Archer - Osmose lysergique avec un solo de sax qui déchire le ciel. Cet album donne le tournis. Tiens encore une énormité avec «When The Shit Hits The Fan», bien pulsé au beat de fond, avec des pointes de gratte sur la crête du coq. Ça vire à la beatlemania magique des late sixties. Il boucle l’A avec «Le Feel International», pur génie mélodique. C’est là qu’il monte son chant au sommet de l’Olympe avec un coup de forcing en dernière extrémité. De l’autre côté, on reste dans l’enchantement avec «Sometimes I Don’t Know What To Feel», qu’il allume avec des relents d’Oh Happy Day. Fantastique architecture tectonique ! L’un des temps forts de cet album est le medley de Philly Soul, «I’m So Proud/ Ooh Baby Baby/ La La Means I Love You/ Cool Jerk» qu’il chante d’une voix d’ange de miséricorde. Il tape son Cool Jerk au freakout rundgrenien. Cet album va rester l’un des sommets de l’art pop.

             Un brin d’actu sur Todd Rundgren, ça ne fait jamais de mal : une compile Ace, un tribute, dépêchons-nous, car Todd est arrivé dans la zone à risques des 70-80 ans. Ne perds pas de vue qu’il a démarré en 1968 avec Nazz et qu’il continue de faire des miracles. Avec Frank Black, Jon Spencer, John Reis, Steve Wynn, Robert Pollard et Mark Lanegan, Rundgren fait partie de ces Américains prodigues qui alignent des discographies à rallonges truffées d’albums devenus des classiques du rock. C’est en 1970 que Rundgren est devenu «the young whiz kid who could do anything in the studio». Devenu riche en manageant Peter Paul & Mary et Bob Dylan, Albert Grossman venait tout juste de construire son studio Bearsville, à Bearsville, près de Woodstock. Il prit le jeune Rundgren sous son aile pour en faire l’un des first star producers d’Amérique.

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             Quand Grossman comprend qu’il vient de mettre la main sur une nouvelle poule aux œufs d’or, il met Rundgren sur les coups les plus juteux. C’est l’objet de cette nouvelle compile Ace : The Studio Wizardry Of Todd Rundgren. Cette compile est une sorte de résumé de l’histoire du rock, et d’une certaine façon, de l’histoire de la crème de la crème du rock. Ils sont venus, ils sont tous là, depuis Nazz jusqu’aux Dolls en passant par tous les autres. On en boit jusqu’à plus-soif, et même saturé, on en boit encore. On croyait connaître par cœur l’«Open My Eyes» des Nazz. Eh bien, dans ce contexte, l’«Open My Eyes» prend une toute autre ampleur. Personne ne peut battre le génie de Nazz à la course. Ils cumulent le frantic des Beatles avec le power d’Amérique, c’est un mix unique, une alchimie définitive, jamais égalée depuis. Jamais personne n’a pu égaler le Nazz power, excepté Todd Rundgren. Que dire du power des Dolls ? C’est Rundgren qui fixe le son des seventies avec «Jet Boy». Les Dolls doivent tout à Rundgren. C’est encore le temps où les guitares flambaient et Rundgren les charmait comme on charme les serpents. Mais en même temps, Rundgren dit avoir eu du mal avec eux : «Trying to get everyone on the same page long enough to get a take was like herding cats», ce qui veut dire mission impossible. 

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             La fête se poursuit avec Cheap Trick («Heaven’s Falling», plus power pop, mais avec du son, propulsé dans le cyber space). Il est essentiel de savoir que Rick Nielson rencontra Rundgren pour la première fois à Londres en 1969. Nazz venait de splitter, et Nielsen embaucha Thom Mooney et Stewkey Antoni dans son groupe Fuse qui allait devenir Cheap Trick un peu plus tard, avec l’arrivée de Robin Zander et de Bun E Carlos. Puis tu as le Patti Smith Group («Frederick», trop marketé dans son époque, vieillit atrocement mal). Et puis tu as XTC avec un «Dear God» qui ne marche pas, même chanté par un petit gnard, avec Partridge qui rapplique. Non, ce n’est pas bon, trop prétentieux. Par contre, la brochette qui suit absout Ace de tous ses péchés : Darryl Hall & John Oates, Grand Funk Railroad, Felix Cavaliere et Badfinger. Hall & Oates, c’est forcément bon. On sait que Rundgren adore la Soul, alors pas de problème avec les princes incontestables de la Soul blanche. Le War Babies qu’il produit est un immense album classique, même si Atlantic n’était pas du même avis. Le «We’re An American Band» de Grand Funk tombe bien dans les cordes de Rundgren, heavy rock tapé à la cloche de bois, c’est incroyablement bien maîtrisé, on est au sommet du lard des seventies. Rundgren est arrivé au moment où Grand Funk se décourageait : ventes en baisse et surtout haine grandissante des rock critics à leur égard. Rundgren éprouve de la sympathie pour ces trois mecs et les emmène au Criteria de Miami enregistrer l’album de leur renaissance, We’re An American Band. C’est là que Rundgren établit sa réputation de sauveur. Il va d’ailleurs voler au secours du chat Felix, dont le premier album solo manque, selon Mo Austin, de hits. Alors on fait appel à Rundgren pour sauver l’album. Il bricole l’album en douce et remplace les pistes de basse, batterie et keyboards par les siennes. On imagine la tête qu’a dû faire le chat Felix qui est comme chacun sait l’un des grands chanteurs de l’époque. Et pourtant, Rundgren lui fait une prod de rêve sur «Long Times Gone».

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             Quant à Badfinger, ils amenaient autant de jus que Nazz avec leur «Baby Blue». C’est un son immédiat, fantastique ambiance de heavy pop liverpuldienne ! Pour la petite histoire, Rundgren fut envoyé à Londres pour sauver l’album de Badfinger qui s’engluait depuis un an dans des problèmes de production : Geoff Emerick puis George Harrison avaient abandonné le projet en cours. On connaît le versant Badfinger de cette collaboration, telle que la rapporte Joey Molland dans ses mémoires. Il ne supportait pas les «strong-arms tactics» de Rundgren. Burke a raison de dire que le problème de Rundgren était de faire autorité sur des gens qui avaient déjà des idées très précises de ce qu’ils voulaient faire, d’où les parties de bras de fer. Mais comme le dit si bien Burke, «the proof of the pudding is in the eating», eh oui, le son est là, alors les autres peuvent toujours aller se plaindre, but the job is done ! On dit même que Straight Up est le meilleur album de Badfinger.

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             On croise plus loin deux autres grosses poissecailles : Janis et The Pursuit Of Happiness. Grossman signe Janis en 1970 et il envoie aussi sec Rundgren la produire à San Francisco, avec bien sûr comme backing band The Paul Butterfield Blues Band, un autre groupe sous contrat avec Grossman. La première chose que voit Rundgren en arrivant, ce sont les drogues. So many drugs ! Janis chauffe admirablement sa Soul de pop avec «One Night Stand», un cut qui ne figure même pas sur les albums officiels. Elle se veut très intrusive, Rundgren la sent bien. L’orchestre s’arrête en gare de Janis, tu as tout le tremblement, les cuivres, l’harp, le slinger, l’orgue ! Dans le booklet, Dave Burke nous explique que la session s’est arrêtée pour une pause et qu’elle n’a jamais repris. Janis préférait nettement la scène au studio.

             Inconnus au bataillon, voici le princes obscurs de la power pop, The Pursuit Of Happiness avec «She’s So Young». Stupéfiante qualité ! Content de revoir Fanny avec «Long Road Home», mais les gens d’Ace se sont vautrés. Ils auraient dû choisir «Hey Bulldog». C’est en 1972 que Rundgren quitte les Hollywood Hills après un tremblement de terre pour installer son Secret Sound studio on West 24th Street, à New York. Il commence par enregistrer A Wizard A True Star, puis le Mother’s Pride de Fanny. Encore un mauvais choix avec le «Fa Fa Fa Lee» de Sparks/Halfnelson. Hey les gars, c’est «Fletcher Honorama» qu’il fallait choisir ! C’est la copine de Rundgren à l’époque, Christine Erka des GTOs (Girls Together Outrageously) qui branche Rundgren sur les frères Mael. Ils sont étudiants à l’UCLA et ont un groupe avec les frères Mankey. Ils auditionnent pour Grossman qui les signe sur le champ et qui les envoie en studio avec Rundgren. On connaît la suite de l’histoire, le succès en Angleterre. Mais le plus intéressant est sans doute le propos de Russell Mael que rapporte Burke - Russell Mael has said they owe the whole thing to Rundgren - mais le plus drôle, c’est qu’aussitôt après les sessions, le même Russell Mael a barboté Christine Erka à Rundgren.

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             Tiens, justement, allons voir ce qu’il y a sous les jupes de The Pursuit Of Happiness. She’s So Young est un album de big power-pop, plein de jus de juice, les guitares coulent dans les ravines, c’est grandiose, bien monté en neige par le Wizard Todd. «Hard To Laugh» et «Ten Fingers» sont de belles énormités, les Pursuit ont une puissance de feu suffisamment rare pour qu’elle soit notée dans les registres. Encore de la belle pop de zyva avec «She’s So Young», c’est bien foutu et on ne doute pas un seul instant que cette majesté soit l’œuvre du Wizard Todd. C’est vraiment plein d’à-valoir, de voulu-tu-l’as-eu, c’est de la pop goulue. Encore un chef-d’œuvre de power pop bien pondérée in the face avec «Conciousness Raising As A Social Tool» : wild action ! Le Wizard Todd a dû bien s’amuser avec cette fine équipe. Ils ont du son, des idées et de l’allure. Les cuts suivants restent bien dans le ton, chez Moe Berg, tout est puissant, surtout «Looking For Girls». Il sait trancher dans le vif. Et le Wizard Todd ne manque pas d’enflammer tout ça.

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             Encore un autre grand espoir ruiné faute de hits : The Tubes. Ils auraient dû exploser à la face du monde. Mais ils n’avaient pas les compos. Rundgren ne pouvait pas sauver «Piece By Piece», c’est mauvais, on croirait entendre du Kiss. Rick Derringer a lui aussi essayé de devenir une rock star, mais il n’avait pas non plus les compos. Tout le monde n’est pas David Bowie ni Brian Wilson. Et comme le dit si bien le proverbe austro-hongrois, on ne trouve pas les hits sous le sabot d’un cheval. Par contre le heavy folk-pop des Bourgeois Tagg est bien plus intéressant. «I Don’t Mind At All» est extrêmement fin, on ne sait pas d’où sortent ces mecs, mais ils sont versés dans la pop d’intrication supérieure. Les voies de Todd Rundgren sont décidément impénétrables. D’où l’autel qu’on lui dresse. On arrive à la fin avec le «Goodbye» des Psychedelic Furs, pas de quoi se relever la nuit, par contre, la bonne surprise, c’est «Love Is The Answer» d’Utopia, un groupe qu’on fuyait jadis comme la peste à cause de sa mauvaise réputation proggy. Du coup, on décide de repartir à la chasse, car «Love Is The Answer» est un véritable joyau de pop surnatuelle et ça marche. Rundgren finit en pur genius de scream de gospel demented. 

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             Ah Utopia ! Trop prog, disait-on. Mais à la réécoute, les albums tiennent sacrément bien la route, à commencer par Another Live, paru en 1975. Todd y casse la baraque avec une version hallucinante d’«Heavy Metal Kids», retour aux heavy sources des chutes du Niagara, the perfect heavy rock américain, l’expression la plus poussée du génie sonique de Todd Rundgren, il y va de bon cœur, il nous ressert tout Nazz sur un plateau d’argent, il combine les splendeurs mélodiques aux bassesses de l’hyper-heaviness, ain’t no time to forget, c’mon yeah ! Et il passe sans transition à «Do Ya» pour un tremendous hommage aux Move et au roi Roy, Todd est encore plus puissant que Roy Wood, do ya do ya want my love ! Après le déluge, il ramène la belle pop de «Just One Victory», il retrouve le chemin des harmonies vocales. L’autre big hit de l’album est «The Wheel», une belle pop de calme plat entraînée par une trompette. 

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             L’année suivante paraît le Ra d’Utopia. Todd et ses collègues chargent bien la chaudière de la pyramide. Avec «Jealousy», il flirte avec la heavyness de «Little Red Lights», c’est dingue comme il reproduit bien ses vieux schémas, et cette façon de partir en solo flash de feu follet n’appartient qu’à lui. Avec «Sunburst Finish», il propose une belle émulsion de prog montée en neige.

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             On ne perd pas non plus son temps à écouter Oops! Wrong Planet, un album en forme de melting pot de big pop bien farcie de solos flash. Avec «Love In Action», il renoue avec sa veine power Todd, il adore enfoncer son clou avec le marteau de Thor - You can’t stop love in action - Telle est la morale de cette histoire. Il ramène du stomp dans «Back On The Street», il n’a rien perdu de ses vieux réflexes et il va chercher le poivre des harmonies vocales. En B, il croise le fer avec un solo de sax dans «Abandon City», c’est un combat captivant et il en arrive à «Gangrene», qui est le haut-lieu de l’Oops, il traite sa gangrène à l’insidieuse du heavy rock rundgrenien. Comme toujours, c’est effarant de présence.

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             Et voilà la cerise sur le gâtö : l’autobio parue en 2018, The Individualist: Digressions Dreams and Dissertations. Ouvrage fascinant à bien des égards, Edgard. La couve reprend le visuel de pochette de l’album du même nom paru en 2011 et sur lequel on reviendra dans un Part Two. La première approche du book laisse une impression désagréable, car il est imprimé sur un couché brillant et pèse donc une tonne. Puis on découvre la structure du contenu, et là, c’est l’inverse, on tombe en extase. Rundgren a choisi de raconter sa vie d’une manière extrêmement originale : 180 textes courts (une page chacun) en forme de contes moraux psychédéliques, chacun d’eux assorti d’une chute qui donne à réfléchir. Le tout suivi de 50 pages de photos à la fois rock et personnelles, la plus importante étant la dernière qui montre Todd, sa femme Michele et leurs quatre gosses. Ils sont photographiés au paradis, c’est-à-dire à Kauai, une île de l’archipel d’Hawaï, où Todd a décidé d’installer sa famille. On comprend à la lecture de cet ouvrage remarquable que Todd Rundgren est un homme qui a réussi sa vie, à la fois sur le plan personnel et sur le plan artistique. Les messages qu’il transmet valent bien ceux du Dylan de Chronicles. Le Wizard A True Star qu’il nous proposait en 1973 prend ici toute sa résonance. Ça valait le coup d’attendre 50 ans.

             Les 180 contes moraux psychédéliques sont pris en sandwich entre deux textes alarmants de véracité littéraire : ‘a note about form’ et ‘epilog’. Dans sa façon d’appréhender cet exercice consistant à raconter la vie, il rivalise d’acuité janséniste avec ces champions de l’introspection que sont Georges Perros, Cioran et Paul Valéry. Rundgren attaque ainsi : «On m’a demandé d’écrire mon autobiographie, et j’ai pris cette demande en considération quand j’ai réalisé que si je ne le faisais pas, quelqu’un d’autre l’aurait fait à ma place et le résultat ne m’aurait pas convenu. En réfléchissant à ce projet, je me suis dit que cet exercice pourrait être divertissant, et comme ça ne remettait rien en cause, je me suis mis au travail, j’ai commencé à rassembler des souvenirs et à écrire ce qui m’était arrivé. J’ai très vite compris que je ne pouvais pas organiser ce fatras sans un minimum de discipline. Apprends à te connaître.» Et dans l’épilogue, il apporte un autre éclairage fondamental : «J’essayais toujours de trouver un équilibre entre ce que je voulais dire et les révélations qu’on attendait de moi.»

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             Les textes consacrés aux grands artistes qu’il a côtoyés sont bien sûr fantastiques, mais plus fantastiques encore sont ceux qu’il consacre à ses souvenirs de globe-trotter en Asie, notamment aux Indes. Cet auteur extraordinaire récrée à sa façon le mystère terrible qui plombe La Route des Indes, ce film de David Lean tiré d’un roman d’E.M. Forster. Rundgren voyage en deux roues et séjourne dans les grandes villes, Delhi, Gaia, et Calcutta : «Je réalise que ne fais qu’effleurer la surface de ce grand mystère qu’est l’Inde. Deux semaines après mon retour du Népal, je suis fasciné et épuisé. Mon cerveau ne peut en absorber davantage. J’étais fou de croire que je pouvais trouver une aiguille spirituelle dans une meule de foin aussi gigantesque.» En quatre ligne, il donne sa version du mystère de l’Inde. Plus loin, il nous refait le même coup avec le Japon. Quatre lignes : «Le Japon est comme le Japon. Aucun endroit au monde ne ressemble au Japon. Tous les événements étranges qui lui sont arrivés en ont fait un pays unique au monde. L’isolation, l’incroyable confluence de beauté naturelle, la cohésion culturelle... et les bombes qu’on leur a balancées. On ne pourrait imaginer un pays plus parfait.»

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             Ce sont aussi les chutes des textes qui font le charme ensorcelant de l’ensemble. Rundgren réédite l’exploit 180 fois. Et chaque fois, c’est pertinent. À une époque, il fait partie pendant trois mois du All Stars Band de Ringo avec Joe Walsh, Dave Edmunds et Nils Lofgren. Voilà donc la chute de ‘Vegas’ : «Chaque musicien professionnel a une dette karmique envers les Beatles. Sans eux, la plupart d’entre-nous ne seraient pas devenus musiciens. J’ai payé ma dette pendant ces trois mois, ce qui me met en tête de 99% des musiciens encore en vie depuis 1964. Ça ne veut pas dire que j’irai brûler un cierge en souvenir des Beatles. Ça veut juste dire que je me suis débarrassé de ce gros scarabée (Beatle) qui était sur mon dos.» Dans un texte assez fulgurant sur l’écriture, ‘Writing’, Rundgren chute ainsi : «On est des choses qui font des choses. (...) On fait des choses. On les fait apparaître. On pourrait croire que l’univers voudrait nous en empêcher. Pas vraiment. La stupidité des autres est une balise sur le rocher du désastre. La connaissance circule en dépit de l’ignorance du messager. L’école pue massivement et pourtant j’ai appris à écrire, grâce à mon caractère vindicatif.» Rundgren peut parfois paraître un peu hermétique, mais quand on relit, on découvre une sorte de sens caché. En bon moraliste psychédélique, il demande une attention particulière. Sa musique est d’un abord plus direct. Mais dans les deux cas, on sent la présence d’une vive intelligence. C’est pour ça qu’on là, pour boire à la source.

             Il relate son enfance et évoque ses parents dans une première série de textes. Rundgren prend très jeune sa liberté. Il quitte la maison familiale en banlieue de Philadelphie pour s’installer en ville et y mener la vie de bohème. Il rappelle au passage que Philadelphie a toujours été a music town, grâce au label Cameo-Parkway et à Chubby Checker. Avec ses copains Randy et Collie, il monte un premier groupe. Ils bossent sur Rubber Soul et Shapes of Things qui viennent de paraître. Right time in the right place - And the Stones had the first fuzz-tone driven #1 record with Satisfaction and every thing began to change - Puis Rundgren rencontre le batteur Joe DiCario. Quand Woody’s Truckstop propose à Joe de battre le beurre, il accepte à condition que Todd soit aussi intégré comme guitariste. C’est ainsi qu’il entame son voyage au pays magique du rock. Le bassman du Truckstop n’est autre que Carson Van Osten. Todd et lui vont devenir potes, partager le même appart et monter Nazz - Lucky for me, Carson Van Osten, my first roommate, was really a saint - Quand ils débarquent à New York, ils se rendent au Paramount Theater pour assister au Murray The K show. Todd flashe sur Cream et les Who - Voir deux de vos plus grosses influences sur scène à l’adolescence est une expérience stupéfiante. Cream se pointait sur scène avec des afros - Le show est frustrant car Cream ne joue que deux cuts, et avec les Who, Todd en prend plein la vue, car chacun des quatre Who est un spectacle à part entière, il ne sait pas lequel il faut regarder - And they essentially destroyed themselves onstage (several times a day!) - Personne ne pouvait jouer après eux. C’est là où Todd diverge avec le Truckstop qui louchait sur la West Coast. Todd louchait sur les Anglais - I did not want to be a hippy - Je voulais être Anglais. L’ironie de l’histoire, c’est que j’ai plus appris du rock et de la façon dont on le joue avec les Who, en 5 minutes, que des autres musiciens blancs qui pillaient généralement la musique noire. This I could do - Il pousse son anglophilie jusqu’à aller s’habiller chez Granny’s à Londres. Il rencontre ensuite le batteur Tom Mooney et Stewkey. Le groupe s’appelle The Nazz en hommage aux Yardbirds (B-side du single «Happenings Ten Years Time Ago») et ils tapent un son que Todd situe entre les Who et les Beatles - All harmonies and windmills - Nazz explose très vite et Columbia Screen Gems les signe. Ça embête Todd de se retrouver sur le même label que les Monkees, mais il est ravi d’apprendre que Screen Gems a un deal de distribution avec Atlantic, «ce qui offrait l’opportunité  de rencontrer et de travailler avec Ahmet Ertegun, a real legend.» Ils enregistrent leur premier album à Los Angeles. Todd flashe sur le Sunset Strip, «a glowing snaking river of hair and glitter, music and sex and drugs, which we had no problem acclimating to.» La Californie commence à exercer une réelle fascination sur lui : «Je n’avais aucune référence en tête quand j’ai découvert la West Coast. J’ai été facilement intoxiqué. West was warm, East was cold. West was new, East was old. West was easy, East was hard. Ce n’est pas comme si j’avais perdu ma passion pour les racines anglo-saxones de la culture de la côte Est, dont les groupes anglais étaient le pinacle.» Puis les choses se dégradent au sein de Nazz. Lors de l’enregistrement du deuxième album, Todd impose ses chansons et ça ne plaît pas autres. Carson quitte le groupe et devient graphiste. Puis Todd s’aperçoit que le manager Kurkland manipule les deux factions. Alors il quitte le groupe. On reviendra sur Nazz et les trois extraordinaires albums dans un Part Two.

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             À l’époque de Nazz, Rundgren est déjà sous l’influence de Laura Nyro. Il lui rend un fiévreux hommage dans un texte qu’il intitule ‘Laura’. Il dit qu’à l’écoute d’Eli & The 13th Confession, il est tombé sur le cul - I was knocked completely on my ass. I fell in love with the record, I fell in love with her - Il se met à composer au piano. Il réussit même à la rencontrer au Dakota - l’immeuble où vivra plus tard John Lennon - et se dit surpris qu’elle ne corresponde pas à l’image romantique qu’il avait d’elle - Elle était assez massive, avec des sourcils très noirs, fringuée comme une gitane et elle parlait d’une voix lente, quasi-inaudible. Elle avait les ongles trop longs qui se courbaient et qui cliquetaient sur les touches quand elle jouait du piano - Un jour, elle propose à Rundgren le job de bandleader, mais il doit refuser par loyauté pour Nazz dont il fait encore partie au moment de cette rencontre. Et voici la chute, extraordinaire comme toutes les autres : «Laura Nyro et moi n’étions pas faits pour être ensemble. Elle devint mère, féministe, lesbienne, artiste marginalisée, recluse et finalement victime d’une maladie. Cependant, jusqu’à aujourd’hui, ma première approche de sa puissante expression musicale demeure aussi vive qu’une récente épiphanie.» Cette page consacrée à Laura Nyro, un amour artistique de jeunesse, est l’une des plus belles apologies de la nostalgie. Chez Rundgren, une page peut suffire. Pour exprimer sa mélancolie nostalgique, il faut à Stendhal la distance d’un petit roman. 

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             Laura Nyro refait surface un peu plus loin. Elle contacte Todd pour lui demander de produire un album. Ils commencent par bosser sur «To A Child». Mais Todd trouve que l’ambiance dans le groupe de Laura n’est pas bonne - Vitesse de l’escargot et indécision - aussi quitte-t-il le projet. Il réalise à quel point Laura et lui sont devenus différents. Il voit la passion de Laura refroidir alors que lui voit la sienne grandir, il voit l’univers musical de Laura se ratatiner, alors que lui devient un soul-singer et qu’il se décomplexe. C’est extrêmement fin, extrêmement juste dans la formulation. Ses mots sonnent comme ses notes, juteux et capiteux. Ah il faut le voir conclure le texte consacré au Max’s : «Tout historien objectif devrait pouvoir affirmer que les années 70 ont détrôné les autres décades. Il y avait tout : war, sex, drugs, prog rock and disco, stacks of Marshals and Max’s Kansas City. Il est probable que chaque époque et chaque ville proposait un lieu de prédilection pour l’intelligentsia, l’artiste, le voyeur et l’exhibitionniste, il existait peut-être un équivalent du Max’s dans chaque showbiz town, dans les années 70, but this is after all New York Fucking City.» Il rend aussi hommage à Hunt et Tony Sales qui joueront avec lui sur ses premiers albums solo et qui par la suite rejoindront Bowie dans Tin Machine. C’est dans un club de la 46e Rue, Steve Paul’s The Scene, que Todd rencontre Hunt & Tony Sales, «sons of Soupy» - Je n’ai jamais su me lier avec les gens austères. Ils n’ont jamais compris que je ne prenais quasiment rien au sérieux. Ce qui m’attirait le plus chez les Sales brothers, indépendamment de leur talent de musiciens, c’était leur sens de l’humour, hérité de leur père - Il leur propose le projet Utopia : a space-age concept band avec des space-suits et des cheveux colorés.

             Les drogues ? Parlons-en ! Il évoque avec gourmandise le souvenir d’une boîte à chaussures remplie de boutons de peyotl - That (hint hint) would make an ideal birthday gift even now - Todd ne jure que par le peyotl - I was deliciously mescalinated - Plus loin, il finit par réaliser que le peyotl est une drogue sacrée et un outil d’élévation de la conscience. Il conclut ’Candy’ ainsi : «Les drogues, c’est une boîte de chocolats. Vous avez l’idée. Vous pouvez décider de ne manger que les arachides enrobées de chocolat et jeter le reste de la boîte. Alors votre vie ne tourne plus qu’autour des arachides enrobées. Rien d’autre ne vous intéresse.» Par contre, il n’apprécie pas la coke, dont il voit les effets sur les autres. Quand il enregistre Something/Anything, il tourne à la ritaline - L’album est devenu un double album dont le seul concept était la prolixité. J’ai vraiment dû m’obliger à stopper - Merci la ritaline !

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             Il rend aussi hommage à Wolfman Jack, «the howling renegade of the airwaves». Quand il le rencontre, Todd dit se trouver en présence d’une légende. Il lui consacre d’ailleurs un cut en forme d’hommage sur Something/Anything. Il dit aussi préférer les Beatles aux Stones dont il aimait pourtant les premiers albums, mais qui selon lui, ont évolué comme des «naughty middle-aging schoolboys. Il revient aussi sur Badfinger et l’album qu’il est venu sauver, et comme il ne veut pas que ça continue de s’enliser, il dicte sa loi, ce qui ne plaît pas aux Anglais. Pourtant, l’album est un succès et dans l’histoire, Todd dit avoir gagné une nouvelle réputation : «The Fixer». Il fait claquer du fouet et dit faire gagner du blé au label - Might I on occasion abuse that authority? Probably - Todd Rundgren est bourré d’humour. Plus loin, il se dit ravi de sa rencontre avec Grand Funk Railroad, lorsqu’il est allé produire We’re An American Band dans le Michigan - Je fus agréablement surpris de voir à quel point ils étaient ouverts, mais aussi de voir à quel point ils avaient progressé en développant un style de compo plus performant - Il ne manque plus que les Dolls. Justement, les voilà. Ah cette façon qu’il a d’amener le sujet ! «On me proposa de produire un groupe qui s’appelait les New York Dolls et qui était la patate chaude du so-called punk movement, mais qui ne devait pas encore s’appeler punk. Comme on traînait tous au Max’s, on se connaissait de vue. Je n’étais pas très excité par ce qui ressemblait à un clin d’œil aux Stones in drag, mais ils étaient bien plus excitants que le reste des groupes in drags qui écumaient alors la scène locale.» C’est comme si on y était. En une seule page, Rundgren nous retapisse le mythe des Dolls. Il y va de bon cœur : «Johnny Thunders, le Keith Richards du groupe, devait préparer un doctorat en morosité qui a dû grandement contribuer à l’élaboration de son fameux style de guitare, mais c’est sa coupe de cheveux qui le représentait le mieux.» Quand l’album a été remixé et mastérisé alors que les Dolls faisaient le fête ailleurs, Rundgren dit que «personne à l’époque n’a réalisé que le son ne représentait qu’une moitié de leur total recorded output.»

             Voilà, c’est un minuscule aperçu. Les fans de Todd Rundgren se régaleront autant que les fans de Dylan avec Chronicles. C’est du même acabit. Sans doute l’un des ouvrages majeurs de la culture rock. Au dos du book, Todd porte toujours les cheveux longs, des lunettes noires et un pull noir à cocarde, probablement en souvenir des Who. A True Star

    Signé : Cazengler, Todd Rengaine

    The Studio Wizardry Of Todd Rundgren. Ace Records 2022

    Todd Rundgren. A Wizard A True Star. Bearsville Records 1973

    Utopia. Another Live. Bearsville 1975

    Utopia. Ra. Bearsville 1976 

    Utopia. Oops! Wrong Planet. Bearsville 1977

    The Pursuit Of Happiness. She’s So Young. Chrysalis 1988

    Todd Rundgren. The Individualist: Digressions Dreams and Dissertations. Cleopatra 2018

     

     

    L’avenir du rock - Anagonda

     

             Chaque année, l’avenir du rock reçoit une invitation pour participer au Conclave des anges de miséricorde qui se tient dans une vaste crypte jadis creusée sous l’aide droite du Palais du Vatican. C’est une manifestation apocryphe dont les pontes se lavent les mains. Son seul but est de préserver ce que les théosophes appellent une sous-couche d’œcuménisme, qui prend la forme d’un courant d’idées adaptées à l’universalisme culturel. Chaque fois qu’il relit le manifeste du Conclave des anges de miséricorde, l’avenir du rock s’endort. Et pourtant, il accepte chaque année l’invitation, car c’est l’endroit rêvé pour sortir des sentiers battus et croiser l’impromptu. Il a chaque fois l’impression d’entrer dans le cabinet de curiosités du Docteur Moreau. Chaque intervenant vient en effet témoigner sous serment, du haut d’une antique tribune en bois sculpté, de la présence d’un ange sur cette terre. Au cours des années précédentes, Wim Wenders a révélé la présence d’un ange perché sur les toits berlinois, l’ange Damiel, et comme on lui demandait d’apporter la preuve de ses dires, il tourna Les Ailes Du Désir en caméra vérité. Abel Ferrara a surpris tout le monde en affirmant qu’il avait vu un ange sortir de la culotte d’Asia Argento, et comme on lui demandait d’apporter la preuve de ses dires hautement répréhensibles, il tourna New Rose Hotel. De son vivant, Pasolini était venu révéler qu’un ange nommé ‘le visiteur’ avait baisé toute une famille bourgeoise milanaise, du père à la mère, en passant par la bonne, les rejetons et le petit lévrier. Sommé d’apporter la preuve de ses dires sulfureux, Pasolini tourna Théorème et fit un beau scandale. Conforme à sa réputation d’extravagance, Ginger Baker vint déclarer qu’il était un ange. Sommé d’apporter la preuve de son outrecuidance, il publia son autobiographie : sur la couverture, il portait effectivement des ailes, et chacun referma son caquet. Kevin Smith vint révéler qu’il connaissait personnellement deux anges déchus cherchant à regagner le paradis. Sommé d’apporter la preuve de ses dires blasphématoires, il tourna Dogma. Quand l’avenir du rock est monté à la tribune révéler qu’il avait vu de ses yeux vu un ange noir, un immense brouhaha s’éleva de l’assistance.

             — Noir ? Vous êtes certain qu’il était noir ? Vous risquez l’excommunion !

             Alors l’avenir du rock leva les bras au ciel et fit descendre un petit ange noir équipé d’une guitare.

             — Messieurs les membres du tribunal ecclésiastique, permettez-moi de vous présenter l’ange Jalen Ngonda ! 

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             L’avenir du rock ne raconte pas que des conneries. L’arrivée sur terre de Jalen Ngonda ressemble à peu près à ce qui s’est passé dans la crypte du Conclave des anges de miséricorde.

             Rouen, 2023. Tu le vois arriver sur scène et tu te dis :

             — Oh la la...

             — Oh la la quoi ?

             — Ben oh la la. C’est ce qu’on dit quand ça va pas, non ? Enfin regarde-le, il n’a aucune chance, petit black en T-shirt bordeaux et jean noir bien serré à la ceinture, fragile et presque nu, comme s’il débarquait d’un vaisseau négrier, il y a de cela deux ou trois siècles, ne comprenant rien aux ordres qu’aboient les blancs qui puent et qui fouettent et qui violent. Il tombe des nues en Normandie. Il entre sur scène et va chercher une guitare posée là-bas, près de l’ampli. Ah non, c’est pas vrai ! Une Rickenbacker, comme celle de Pete Townshend ! Il ne va quand même pas nous jouer «My Generation» ! On ne sait même pas comment il s’appelle. Il est tout seul, paumé au milieu de la scène, avec une petite bouteille d’eau. Il va se faire bouffer ! C’est pas possible, une telle fragilité ! Et puis il sourit et demande aux blancs si ça va bien. You’re okay ? Il aurait sans doute dit la même chose en débarquant du vaisseau, voici deux ou trois siècles. Waka donga ? Ça va bien ? Son seul bien est son sourire. Il a sans doute le plus beau sourire du monde. Et là il commence doucement à fasciner. Mais tout doucement. Seconde après seconde. Ce n’est pas une question d’être attiré par les hommes, non, ce n’est pas ça du tout. C’est le simple fait d’être le témoin d’un moment de grâce extrêmement fugitif et complètement inattendu. Mais ça, c’est que dalle par rapport à ce qui va suivre.

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

    Il gratte sa clairette sur la Ricken, cling clong, et soudain, il se met à chanter. Il y a plus de grâce dans ce petit black qu’il n’y en eût dans toute ta Renaissance italienne et tous tes peintres, Horatio, tes Botticelli et tes Fra Angelico peuvent aller se rhabiller, car le prince du ciel, c’est ce petit black sorti de nulle part. Il joue en première partie de Thee Sacred Souls et on commence à trembler pour les pauvres Sacred Souls, car le mystérieux archange black tombé des nues est en train de leur voler le show. Il chante la Soul la plus pure qu’on ait entendue depuis l’âge d’or de Marvin, d’Al Green, de Curtis et d’Eddie Kendricks. Il chante en grattant sa clairette de Ricken et c’est un spectacle hallucinant. Il gratte des progressions d’accords et des transitions d’un raffinement qui te laisse comme un rond de flan, si tu connais un peu la gratte. Le public ne s’y trompe pas et l’applaudit à tout rompre, à la fin de chaque chanson.

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

    C’est complètement inespéré d’avoir sur scène un jeune black aussi balèze, aussi pur et aussi nu. Il est à l’image de son bras droit, dénudé jusqu’à l’épaule : nu et gracieux. Il cumule les deux fonctions essentielles de la Soul : la pureté et le power. Lorsqu’il grimpe au chat perché, il le fait avec tout le black power dont il est capable. C’est extrêmement rare d’entendre ce mix, habituellement, les dieux de la Soul réservent ce privilège aux superstars. Alors peut-être que ce petit archange tombé des nues est une superstar inconnue. C’est dôle, on voit pas mal de superstars inconnues ces jours-ci en Normandie : l’autre jour on avait le gros Malcolm Cluzo, puis on a eu Thomas Gatling des Harlem Gospel Travelers, et maintenant voici le petit archange black, l’héritier direct de Marvin Gaye.

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             Il s’appelle Jalen Ngonda. Ou N’Gonda. C’est comme on veut. On retrouve son nom après coup sur la prog. On découvre dans la foulée qu’il a des singles auto-édités et un single sur Daptone. Fuck ! Gabe l’a repéré ! Il l’a de toute évidence trouvé sous le sabot d’un cheval, comme il avait trouvé Sharon Jones. Il vient de lancer sa nouvelle superstar ! Sur scène, tous les cuts de Jalen Ngonda sonnent comme des numéros de funambule. Il propose une dentelle de Soul d’une extravagante délicatesse, il va chercher des intonations séraphiques au fond de son imagination et semble cultiver le dodécaphonisme chromatique sur sa Ricken. Même en fouillant dans les milliers de souvenirs de concerts stockés dans cette éponge qui nous sert de cervelle, on ne se souvient pas d’avoir vu un artiste aussi outrageusement sophistiqué. Et donc on s’en émeut. Comme dirait Léon Ferré, on fait partie de la race ferroviaire qui regarde passer les trains. Meuhhh !, s’émeut-il. L’un des hommages que rend notre héros tombé des nues s’adresse à Etta James, avec une cover de «My Dearest Darling».

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             Comme il n’a pas de merch, on déclenche dès le lendemain les opérations de rapatriement. Le single Daptone paraît sans pochette. L’A-side s’appelle «Just Like You Used To» et te voilà en plein Curtis Mayfield ! L’archange black chante d’une voix admirablement tranchante qui devient onctueuse dans les montées. C’est un géant en devenir, une vraie révélation, une suite de l’histoire, on entend même un solo de sax, Daptone le gâte ! Il est vraiment perçant, il a largement de quoi percer. La B-side s’appelle «What A Difference She Made». Avec un backing-band, c’est très différent de ce qu’on a vu sur scène, il a du beurre, du bassmatic et du keyboarding. Il se faufile dans le chant pur de la Soul, lubrifié par des chœurs doux de filles attentives. C’est encore du pur jus de Curtis Mayfield, de l’authentique inesperette d’Espolette. Tu n’en reviens pas d’entendre un mec aussi brillant. Non seulement il groove entre tes reins, mais il monte en puissance d’une façon extravagante. 

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             On trouve aussi sur le marché deux CD singles, un titre chacun, ce qu’on appelle des self-released, «Why I Try» et «I Guess That Makes Me A Loser». Vilaine déconvenue. On perd complètement le fantôme de Curtis. Le premier est un heavy groove de r’n’b qui donne une idée de ce que peut devenir le son du petit archange black, une fois qu’il aura perdu la pureté évangélique de sa nudité.

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

    Les deux cuts sont très orchestrés, surtout «I Guess That Makes Me A Loser». L’orchestration outrancière tue la nudité dans l’œuf. Le petit archange black est recouvert de son. Du coup, il sonne comme un artiste à la mode.          

    Signé : Cazengler, ngondale à Venise

    Jalen Ngonda. Le 106. Rouen (76). 10 avril 2023

    Jalen Ngonda. Just Like Tou Used To/What A Difference She Made. Daptone 2022

    Jalen N’gonda. Why I Try. (Jalen N’Gonda self-released) 2017

    Jalen N’gonda. I Guess That Makes Me A Loser. (Jalen N’Gonda self-released) 2018

     

    Inside the goldmine

    - A Question Mark of Temperature

     

             On l’appelait Marée-basse parce qu’il semblait toujours à plat. Sans énergie. Toujours à se gratter un front qu’il avait haut, sans doute à cause du cheveu rare. Un cheveu cependant très noir. Il ne souriait jamais. Il ne parlait que pour se lamenter. Il regardait ses interlocuteurs avec une sorte de moue distanciatrice, l’expression idéale pour tuer la convivialité dans l’œuf. On découvrit tout cela à l’usage. Marée-basse fut engagé comme messager. Il s’acquittait fort bien de sa mission, veillant à ne jamais prendre de risques. Il gagna petit à petit la confiance de l’équipage et fut d’une certaine façon intégré. Il tendait l’oreille lorsqu’on partageait des infos un peu sensibles, mais quand on se tournait vers lui, il mimait du doigt le «muet comme une tombe» pour nous rassurer. On s’est longtemps posé la question : que cherchait Marée-basse ? Pourquoi fréquentait-il des gueux comme nous ? Il ne participait jamais aux expéditions, mais il acceptait sans rechigner d’aller porter des sacs d’or espagnol aux espions qui nous renseignaient dans les ports. Nous ne savions rien ou presque de sa vie d’avant. Il parla vaguement un soir d’une épouse et d’un château quelque part sur la côte normande, mais rien de très précis. Les raisons pour lesquelles il avait comme nous tous largué les amarres lui appartenaient. Il allait probablement emporter son mystère dans sa tombe. Il ne participait pas aux libations. Il refusait d’aller taquiner la courtisane dans les tripots de l’île où nous faisions escale pour panser les blessés et regarnir l’équipage. Marée-basse restait sur la plage à contempler le ciel étoilé. Lorsque la Royal Navy entreprit de nettoyer les Caraïbes pour protéger le commerce maritime, ce fut la fin. Ceux qui n’avaient pas été envoyés par le fond durent contourner l’Afrique pour aller se réfugier dans l’île de Mada. C’est là qu’on revit Marée-basse. Il s’était installé dans un petit fortin avec des femmes indigènes. Il avait autour de lui sa progéniture, une cinquantaine de petits Marée-basse métissés qui, comme lui, portaient des lunettes de fortune. 

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             Pendant que Marée-basse engrossait les femmes indigènes sous les tropiques, Rudi Martinez inventait le gaga sixties à Detroit. Ce n’est pas exactement le même destin, mais ils ont un petit quelque chose en commun : l’unicité. Marée-basse et Rudi Martinez, plus connu sous le nom de Question Mark, sont des êtres uniques et des mystères. D’où Question Mark & The Mysterians.

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             Dans Uncut, Jim Wirth se régale avec la mystérieuse histoire des Mysterians, «naive, sci-fi crazy, Mexican-American youngsters originaires d’un blue-collar backwater à deux heures de route de Detroit» et qui en 1966, ont sorti «96 Tears», le single qui s’est le plus vendu aux États-Unis, aussitôt après le «California Dreamin’» des Mamas & The Papas. Un million d’exemplaires. Cry Cry Cry. Wirth est un drôle d’oiseau car il clôt sa krô ainsi : «Read between the lines and you’ve got a novel». La mystérieuse histoire des Mysterians aurait dû intéresser Harold Bronson.

             Le mystérieux Vox Continenal wizard s’appelle Frankie Rodriguez et le mystérieux guitariste Bobby Balderrama. Il est toujours d’actualité, quasiment soixante ans après la bataille. Wirth lui tend le micro. Balderrama déballe tout. Il raconte que les mystérieux Mysterians ont démarré en trio avec Larry Borjas et Robert Martinez, le cousin de Question Mark. Ils jouaient des instros des Ventures et de Duane Eddy. Donc pas des manchots. Puis ils cherchent un chanteur et Roberto annonce que son frère chante. So we got Rudy in. Il ajoute : «He could dance like a gilr and do the splits.» C’est en voyant le Dave Clark Five à la téloche qu’ils décident d’ajouter un keyboard. So we got Frankie Rodriguez in. 14 ans. Le Vox Continenal wizard est encore au collège. Balderrama n’est pas beaucoup plus vieux : 15 ans. Ils enregistrent «96 Tears» et leur vie bascule. Mais ils ne parviennent à rééditer l’exploit, même s’ils ont du son sur leur deuxième album, Action. Et quel son ! Balderrama évoque aussi un troisième album des Mysterians enregistré sur Tangerine, le label de Ray Charles, et resté inédit. Et quand Wirth lui demande s’ils avaient des contacts avec les Stooges et le MC5, Balderrama dit que non, parce qu’ils sont de Detroit et que les Mysterians sont de Saginow.

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             Dans Shindig!, Fiona McQuarrie va encore plus loin : elle affirme que les Mysterians «lit the fuse beneath garage and punk-rock». Eh oui, ça saute aux yeux, les Mysterians sont les premiers punksters du Michigan. Dans Creem, Dave Marsh emploie pour la première fois le mot punk en évoquant les Mysterians. McQuarrie tend elle aussi son micro à Bobby Balderrama. Il répète son histoire. Le trio des débuts, the guitar stuff. In the garage. Quand Larry Borjas et Robert Martinez partent à l’armée, ils sont remplacés par Eddie Serrato (beurre) et Frank Lugo (basse). Balderrama indique que «96 Tears» naquit d’une jam, too many teardrops. Ils trouvent un joli titre : «69 Tears» qu’ils transforment en «96 Tears» pour éviter les problèmes, déjà qu’ils sont chicanos. Ils enregistrent «96 Tears» sur un quatre pistes chez un mec de Bay City et les DJs de Detroit commencent à le passer à la radio. Ça ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd : Neil Bogart qui bosse pour Cameo-Parkway rachète les droits, et boom ! Diffusion nationale ! Number one en 1966. Puis Bogart leur fout la pression, tente de les arnaquer et les Mysterians se fâchent avec lui. En représailles, ils sont virés de Cameo. C’est pourquoi ils vont à Los Angeles enregistrer le fameux troisième album qui n’est pas sorti. Alors ils se découragent. Split. 

             Tout le monde va reprendre «96 Tears», de Music Machine à Music Explosion, en passant par Ola & The Janglers, Jimmy Rudffin, Aretha, les Prisoners, Eddie & The Hot Rods et les Cramps qui y font allusion dans «Human Fly».    

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             On a tous possédé à l’époque le bel EP français à pochette blanche, avec «96 Tears» d’un côté et «I Need Somebody» de l’autre.

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

    Il existe aussi un album du même nom, l’excellent 96 Tears paru sur Cameo en 1966. Même si on connaît tous ces hits par cœur, ça reste un plaisir que de sortir l’album de l’étagère et de se rincer l’oreille avec l’«I Need Somebody» d’ouverture de balda, car Hey ! I need somebody to work it out ! Tout est là, c’mon help me ! Ça n’a jamais pris une seule ride. La fraîcheur des Mysterians est l’un des plus beaux mystères du XXe siècle. «Ten O’Clock», «8 Teen» et «Don’t Tease Me» sonnent comme des classiques, ils n’en finissent plus de nous entourlouper avec leurs boucles d’orgue. Ils tapent un «Midnight Hour» à la ramasse de la traînasse et bouclent ce bel album avec le morceau titre, too many teardrops/ For one eye/ To be cried, l’absolute watch out now, le hit sixties par excellence, you’re gonna cry ninety six tears/ Cry cry cry now.

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             Leur deuxième album paraît en 1967 et porte le joli nom d’Action. Ça démarre sur le fantastique gaga d’orgue de «Girl (You Captivate Me)». On a là les fondaisons du soubassement de l’heavy gaga d’orgue, c’est bourré d’écho et de magie rudimentaire, mais boy, oh boy, quelles bouilles ils ont les chicanos ! On reste dans le génie gaga pur avec «Can’t Get Enough Of You Baby», monté sur la séquence d’orgue de «96 Tears», mais Gawd, comme c’est good. On retrouve les mêmes petits encorbellements d’insinuation interstellaires. Avec «Get To», on les voit aller chercher l’ersatz de placo à partir de petites séquences d’irrévérence, avec une absence totale de prétention. Ils sont vraiment les seuls au monde à sonner comme ça. Ils bouclent l’A avec le «Shout» des Isleys et ça donne au final un bon rendu de rechampi. Ils attaquent leur B avec «Hangin’ On A String». Oh la belle basse au-devant du mimix petite souris. On peut dire qu’ils savent sucrer un contrefort. Ils connaissent tous les secrets de la masse volumique. Tu ne battras jamais un cut comme «Smokes» à la course, I say hey ! Toutes ces compos d’allure certaine font un very big album, comme le montre encore «Don’t Hold it Against Me», cette soft pop de classe marky, superbe, fine et élégante.

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             On retrouve tous les vieux coucous de Question Mark dans The Dallas Reunion Tapes - 96 Forever, un double album ROIR de 1985. Ils attaquent avec «Don’t Tease Me», classicus cubitus, tension maximale, Chicano fever forever ! Awite Dallas ! Rudi chauffe son «Ten O’Clock» à blanc et il attaque sa B avec «You’re Telling Me Lies» qui préfigure tout le gaga du monde. Ça monte comme le «19th Nervous Breakdown» des Stones - You put me down/ Stop make me cry - suivi du pur genius d’«I Need Somebody». Rudi fait les présentations : «Mr Bobby Balderrama on guitar !». Il continue en C et profite de «Midnight Hour» pour présenter son cousin : «Mr Robert Martinez on drums !». En D, il attaque «96 Tears» - Mr Frank Rodriguez on keyboards ! - le thème reste magique, il illustre l’essence même du rock, frais et juste, juteux et élégant - I’m gonna get there/ We’ll be together/ For a little while - Les Chicanos balancent fantastiquement. 

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             En 1998, Norton a eu l’intelligence de faire paraître un album live de Question Mark, l’indicible Do You Feel It. Rien qu’avec la pochette, tu es comblé. Visuel gaga pur, avec Rudi Martinez en pleine action. Ils attaquent avec l’excellent «Do You Feel It», ça swingue, et ils passent à «Smoke», ce gros shoot de gaga têtu tiré du deuxième album. Ça explose enfin avec «Can’t Get Enough Of You Baby», monté sur la boucle de «96 Tears». Il y a de la magie dans cette façon de sonner. Ils bouclent leur balda avec «I Need Somebody», la B-side du single magique «96 Tears». Back to 66, hey ! Awite, Rudi y va, c’est l’un des grands awiters de need somebody. Pur genius - I need somebody/ To work it out - En B, ils reviennent au heavy groove avec «Get To» et juste ce qu’il faut de chant. Encore du pur jus de gaga sixties avec «10 O’Clock», tiré du premier album, un peu de réverb pour faire bonne mesure, solo classique à la traînasse, c’est excellent, insidieux à souhait. Ils attaquent la C au «Don’t Tease Me», apanage du gaga beat d’orgue pur. Et pour bien monter en température, ils tapent dans «96 Tears», le classique définitif. Encore un autre classique définitif en D avec «‘8’ Teen», têtu est flamboyant. Voilà le real deal. Rudi Martinez fait encore la une de l’actu avec «Don’t Break This Heart Of Mine». Awite ! Il  est dessus. C’est violemment bon, extrêmement Marky, fast beat et nappes d’orgue rudimentaires. Tu as tout le son des sixties.

    les fingers,argwaan,rockambolesques,chips moman,mildlake,todd rundgren,jalen ngonda,question mark and the mysterians

             Quelle grave erreur ce serait de faire l’impasse sur ce More Action paru en 1999 ! Les petits Chicanos n’ont jamais été aussi bons que sur ce retour de manivelle. Ils démarrent d’ailleurs par une cover de DMZ, «Don’t Give It Up Now» qui balaye tout le reste du wild gaga, et Robert Lee Balderrama claque l’un de ces killer solos flash dont il a le secret. S’ensuit un «Feel It» qui te pulse bien entre les reins. Ils fabriquent du mythe à l’état pur, toujours avec le même son, mais avec une énergie démesurée. Ils te donnent tout l’or du Rhin que tu peux espérer, alors te voilà riche. Tiens, voilà «96 Tears», comme par hasard sur le Pont des Arts, ils jouent ça à l’insistance fatidique, too many tear drops to carry on, hit fatal entre tous, l’énergie de l’Amérique, ces petits mecs ont fait danser le continent, all this cryin’, c’est aussi pur que Dylan, to carry on. Et Balderrama continue de bourrer sa dinde avec «Girl (You Captivate Me)», il fait son fuzz wiz, il arrose les c’mon de purée, trente ans plus tard, c’est toujours aussi explosif ! Ils ont cette profondeur de son ancrée dans le passé. Question mark & The Mysterians sont l’un des groupes américains les plus aboutis. Rudy Martinez chante admirablement bien son «Ain’t It A Shame», il met une pression terrible, poussé par Balderrama. Ils font même une cover de Suicide, «Cheeree». Là tu as tout ce que tu dois savoir sur les hommages. Rudy se prélasse dans le Suicide. Ces petits mecs sont incroyablement complets. Ils s’amusent encore comme des gamins avec le vieux groove d’«It’s Not Easy». On éprouve une réelle fierté à  les écouter. Ces petits mecs incarnent tout ce qu’on aime sur cette terre. Ils redéfinissent les frontières et tu as ce fou de Balderrama qui repart en maraude de wild carnassier. Les Mysterians sont tes meilleurs copains. Ils ne te décevront jamais, yeah yeah. Frank Rodriguez est toujours à l’orgue, Big Frank Lugo on bass et Bobby Martinez au beurre. Sur le disk 2, ils tapent une cover de «Sally Go Round The Roses», un cut signé Totor. Oh l’incroyable power des Chicanos ! Ils te swinguent ça vite fait. Ils ont tout le matos pour swinguer Totor, même la fuzz. Ces petits mecs sont habités par le diable Gaga, le pire de tous les diables. Ils perpétuent encore leur petite recette avec «Don’t Hold Against Me», ça groove et ça se lâche dans la clameur. Balderrama revient foutre le feu à «Do You Feel It», il joue en embuscade, ne frappe qu’à coup sûr et pouf, Rudy arrive comme Superman. Leur cover de «Satisfaction» vaut aussi le détour. Ils aiment bien les Stones, on voit qu’ils s’amusent, ils sont encore plus moites que Jag, c’est une belle cover, pure et dure. Balderrama fout encore le souk dans la médina avec sa grosse fuzz. Ils ramènent le riff de 96 Tears dans «Strollin’ With The Mysterians», une merveille d’instro avec le Balderrama en embuscade. Comme le Capitaine Conan, il frappe derrière les lignes, il joue là où on ne l’attend pas. Cet album étonnant s’achève avec la version Spanish de «96 Tears», c’est encore pire que la version originale, plus heavy, muchas lacrima, vive l’Espagne ! Avec un dernier sursaut d’espagnolade ! 

    Signé : Cazengler, Question Martini

    Question Mark & The Mysterians. 96 Tears. Cameo 1966

    Question Mark & The Mysterians. Action. Cameo 1967

    Question Mark & The Mysterians. The Dallas Reunion Tapes - 96 Forever. ROIR 1985

    Question Mark & The Mysterians. Do You Feel It. Norton Records 1998

    Question Mark & The Mysterians. More Action. Cavestomp! Records 1999

    Jim Wirth : ? & The Mysterians. Uncut # 301 - June 2022

    Fiona McQuarrie : Cry Cry Cry. Shindig # 127 - May 2022

     

    *

    En ces temps lointains, 1962, voici plus de soixante années, le rock français était en ses toutes premières années. L’on a estimé entre 1960 et 1963 entre trois et cinq mille le nombre de groupes créés, et disparus. Un feu de paille et une explosion sans pareille. Le service militaire et la guerre d’Algérie ont cassé bien des appétits de vivre et brisé bien des rêves de gloire et de réussite… De cette grande flambée il ne reste plus que des souvenirs dans des mémoires qui s’étiolent. Ceux qui ont survécu furent les chanteurs, Eddy Mitchell, Johnny Hallyday, Dick Rivers…  Les groupes qui ne possédaient pas de chanteur ont été rayés de la carte. Je ne sous-entends pas qu’en règle générale les chanteurs n’étaient pas au top niveau. Non je parle de ce phénomène musical bien oublié : les groupes de rock instrumentaux. Plus qu’une mode ce fut un engouement.  

    Un phénomène étrange par chez nous, nous sommes dans un pays réputé pour ne pas avoir l’âme musicienne, oui mais il y avait Apache des Shadows qui suscita bien des vocations… Et puis ce nouveau son de la guitare électrique que les groupes de balloche commençaient à utiliser, qui intriguait beaucoup et qui caressait agréablement même les oreilles des adultes qui n’étaient en rien portés vers le rock’n’roll… Bref il y eut un appel d’air…

    Nous-mêmes, si ma mémoire ne nous trahit pas nous n’avons consacré qu’une seule chronique à un de ces groupes : les Mustangs. En voici une seconde dans laquelle nous nous intéresserons aux deux premières années (62-63) des Fingers.

     LES FINGERS

    Le mot Finguer sonne bien en français, on comprend qu’ils n’aient pas pas adopté sa traduction. Le choix du nom du groupe est assez clair : c’est avec les doigts que l’on joue de la guitare. Pour la petite histoire c’est Jean Greblin, leur directeur artistique chez Festival qui l’aurait proposé.

    Ils sont quatre : Jean-Claude Olivier ( guitare solo ), Marcel Bourdon ( guitare rythmique ), Yvon Rioland ( guitare basse ) et enfin le malheureux dont l’instrument n’est pas une guitare : Jean-Marie Hauser ( batterie ).

    Jean-Claude Olivier ( né en 1932 , pour mémoire Elvis en 1935) n’était pas inexpérimenté lorsqu’il a fondé les Fingers. Avait débuté dans la balloche, puis très vite dans les grands orchestres comme celui de George Jouvin, il finira par rentrer dans le cercle fermé des requins de studio. Amateur de jazz, la venue du rock ‘n’ roll qu’il définit comme une forme commerciale du Be-bop ne le surprend pas. Avec l’aide du pianiste et compositeur Jacques Arel il formera les Fingers, n’a-t-il pas déjà remplacé les guitaristes de groupes de rock en studio, sur le dernier disque des Chats Sauvages avec Dick Rivers par exemple. Par contre pour leur premier disque les Fingers ont eu besoin d’Armand Molinetti à la batterie qui avait joué avec les Chats Sauvages et les Aiglons…

    Le groupe a connu beaucoup de changements, Jean-Marie Hauser sera remplacés par Serge Blondie ; Yvon Rioland par Hermes Alesi ( ex Drivers ) puis par Hedi Kalafate ( ex Cyclone, ex Fantômes ) ; Marcel Bourdon cèdera la rythmique à Raymond Beau…

    Nous sommes dans un petit monde de musiciens aguerris qui se cooptent et se connaissent. Le groupe se séparera en 1965, Jean Greblin malade, Festival ne s’occupait plus d’eux. Ils resteront dans le métier, on les retrouvera derrière de nombreuses vedettes de Polnareff à Moustaki… Olivier fondera Robespierre son propre studio d’enregistrement à Montreuil, cité Rock. J’invite ceux qui veulent en savoir davantage à lire l’interview de Jean-Claude Olivier sur le site Guitares & Batteries dans lequel j’ai puisé sans vergogne.

    Premier EP (FY 2145) des Fingers, retournons la pochette et lisons : ‘’ Je crois avoir eu un véritable privilège pour une discophile. En effet j’ai été la première à écouter ces pages de la guitare que je viens ici vous présenter. Cet enregistrement remarquable m’a fait oublier le nombre trop grand de nouveaux groupes et m’a fait oublier que j’avais déjà écouté les Shadows. / Au nom de tous les jeunes, de tous les copains et copines qui aiment la qualité, je dis merci aux FINGUERS qui donnent enfin à la France ce qu’elle enviait tant à l’Angleterre : un groupe tel que les Shadows. Les FINGERS resteront certainement dans l’histoire du jazz français. Bravo. ’’. C’est signé Nicole Paquin. Un peu passée à l’as (de pique) Nicole Paquin aujourd’hui. Trop vite éclipsée par la vague yé-yé, n’y a pratiquement eu que le magazine JUKEBOX pour rappeler la saga de cette aventurière qui a essuyé les plâtres pour ceux et celles qu’elle avait précédées.

    , les fingers, argwaan, rockambolesques

    Le grand M… M (mystérieux) pour Madison, la danse qui au début de l’été 62 a tenté de supplanter le twist… le recto de la pochette fait la part belle à une danseuse montée sur scène en pleine exhibition madisonienne : surprenant pour un groupe instrumental cette voix féminine qui annonce le titre. Disons-le franchement, le Grand M est plutôt moyen, je me souviens très jeune avoir entendu un groupe de balloche interprétant une série de madisons beaucoup plus nerveux. L’on retiendra une belle sonorité de guitare et l’on fera semblant de ne pas avoir entendu la batterie un peu asthmatique. Pas de quoi sauter au plafond. Le chemin de la joie : beaucoup mieux, entraînant et beaucoup plus dansant. Faut tout de même réaliser une réadaptation auditive : le son des guitares est si aigrelet et cristallin qu’il faut oublier jusqu’à la possibilité de l’existence de la guitare fuzz. Pas cette chanson : une belle basse, mais je vous en prie écoutez plutôt la version chantée de Johnny Hallyday, ici la rythmique clapote un peu et la lead se prend pour un violon, larmoyant, on est loin de Ben E King, manquent l’influx et l’émotion. Les hommes joyeux : un peu twist, un peu western, dommage que la batterie charlestonne un peu au milieu, ce coup-ci la guitare se prend pour un banjo. Un peu disparate, mais agréable, donnent l’impression qu’ils sont sur la piste du rock ‘n’roll mais qu’ils ne parviennent pas à y mettre la guitare dessus. Cherchent la sonorité, alors qu’ils devraient trouver le son.

    Si vous n’avez pas ce microsillon dans votre collection inutile de vous suicider, mais si vous y mettez la main dessus dans une brockante, prenez-le.

    , les fingers, argwaan, rockambolesques

    Deuxième EP ( FY 2311). C’est la pochette que vous devez regarder pour voir une photo des Fingers, remarquez la modicité de la batterie, et les partitions posées sur les pupitres… pas de look frénétique, z’ont l’air de garçons sages…

    Finger print : l’on change d’étage, une compo de d’Olivier et d’Arel, ici l’on ne s’ennuie pas tout est bon, même si la deuxième partie est un peu répétitive. S’il manque quelque chose à ce morceau je suis certain que c’est une meilleure approche technique de l’enregistrement. L’idole des jeunes : du cousu main, ne se sortent pas mal de cette reprise instrumentale de Ricky Nelson, via Johnny Hallyday, n’ont pas l’air de donner un calque, affirment enfin une singularité, sonnent enfin comme les Fingers. Desafinado : une bossa qui fut reprise en 1962 par Stan Getz un des musiciens préférés de Jean-Claude Olivier. Autant dire que l’on est loin du rock… sympa mais ennuyeux. Hors contexte. Non je ne suis pas sectaire, je n’aime que le rock. Monsieur : une chansonnette pas très pétulante de Petula Clark. Inécoutable. Cette face B est une catastrophe.

    Troisième EP (FY 2317). A mon goût peut-être la plus belle pochette des french early sixties, parfaite pour un disque de country américain des années cinquante.

    , les fingers, argwaan, rockambolesques

    Telstar : l’on ne compte plus les reprises de Telstar, interprété à l’origine par The Tornados sous la houlette de Joe Meek le Phil Spector britannique : tout groupe instrumental se devait de se frotter à ces sonorités qui semblaient venir d’ailleurs : s’en sortent par le haut, emploient une vieille ruse apache, puisqu’ils ne peuvent pas rivaliser avec le sorcier de la console qu’était Joe Meek ils imitent les Shadows ( comme quoi le mot de Nicole Paquin au verso de la pochette de leur premier disque était prophétique ). Un bémol toutefois pour la batterie non-imaginative. Quant à la fusée qui décolle pour l’espace, elle n’a pas eu droit à sa fenêtre de tir. Un jour tu me reviendras : une rengaine certes mais l’épaisseur du son est là, même si le solo de Jean-Claude Olivier manque un peu de vitamine l’ensemble passe bien la rampe. Les cavaliers du ciel : une des plus belles réussites des Fingers, rien à redire, à la hauteur des Shadows sans aucune retenue. Ils ont l’imagination et le son. Que voulez-vous de plus. Loin : une reprise d’un morceau de Richard Anthony les Fingers nous restituent la mélodie de cette chanson mélancolique, le solo de Jean-Claude Olivier qui termine le morceau ne dépare en rien la beauté de la ligne mélodique.

    , les fingers, argwaan, rockambolesques

    Quatrième EP (FY 2338). Une belle pochette colorée qui attire l’œil. Si vous voulez voir à quoi ressemble la formation, mirez le verso.

    , les fingers, argwaan, rockambolesques

    Diamants : attention Diamonds a été composé par Jerry Lordan qui composa aussi Apache… sa version orchestrée n’est pas aussi belle et aussi pure que celle des Shadows, ressemble trop à un générique de western. Il en est de même de sa version de Diamonds pourtant enregistrée avec deux membres des Shadows : maintenant sont à l’aise dans leur propres son, une batterie qui survole, une guitare qui vous envoie le riff comme un boomerang qui vous revient dans la gueule. Les guitares de décembre : une compo de Jean-Claude Olivier et de Jacques Arel preuve évidente de la dextérité acquise en deux années. Un seul défaut : trop court. Ton ballon : une des chansons du disque que les Fingers ont enregistré avec Line Renaud. La piste instrumentale est mignonne mais après les deux morceaux précédents, elle ne fait pas le poids. How do you do it : une reprise de Gerry and The Pacemakers, un mauvais choix d’un morceau qui n’a rien d’exceptionnel, vraisemblablement une demande de la maison de disques, j’ose l’espérer.

    , les fingers, argwaan, rockambolesques

    Cinquième EP (S 2345). Special Bue-Jeans : ce morceau donna son titre à l’émission présentée par Jean  Bonis ( une voix inimitable ) sur Radio-Andorre ( ne pas confondre avec La radio des Vallées qui deviendra Sud-Radio ) chaque jour ouvrable de 16 h 30 à 18 H, après quoi l’on passait sur Europe 1 pour Salut les Copains : que dire, peut-être, sans doute, sûrement, le meilleur instrumental français des early sixties. Si vous ne devez écouter qu’un seul morceau des Fingers c’est celui-ci. Jacques Arel à la compo. Say wonderful words ( = Des mots pour nous deux ) : est-ce que vous avez besoin d’un slow après ce qui précède ? Non ? Moi non plus. D’ailleurs en Grèce, les Grecs depuis l’antiquité ont toujours eu du goût, il ne figure pas sur le 45 tours. Teenage trouble : cela vous troublera-t-il ? Top secret : pas si secret que cela, ici les Fingers ont trouvé leur formule, ils ont leur langage à eux, tous les trucs et tous les tics qui marchent, mais ils ne se surpassent pas.

             Il leur reste encore une année et demie avant de se séparer. Trois véritables 45 tours, quelques morceaux de qualité comme Fingers on the rythm, Surfin safari et Mister Chou Bang Lee mais le cœur n’y est plus. Il était temps pour eux de passer à autre chose. Leur a manqué, malgré leurs progrès indéniables, l’essentiel : ils ont fait de la musique, mais ils n’ont pas eu envie de s’inscrire dans la mythologie rock’n’rollienne en construction.

             Parfois l’on traverse des périodes de son existence qui vous dépassent sans savoir ce qu’elles signifient.

    Damie Chad.

     

     

    *

    Des Pays-Bas. Est-ce pour cela qu’ils ont le moral au plus bas ? Définissent leur art en quatre mots : depressive, suicidal, black metal. Gardons une note optimiste, ils ne se réclament pas du death metal ! Autre avantage, leur musique est somptueuse.

    , les fingers, argwaan, rockambolesques

    Troisième opus d’Argwann, le groupe est composé de : Stilte : guitare, vocal et de  Smaad : guitare bass. Sneer s’est occupé de la batterie. Tous ces noms propres possèdent une signification : Angoisse, silence, calomnie, ricanement. La pochette représente sur un fond vert deux corps nus d’une blancheur quasi cadavérique allongés dans une végétation de longues tiges vertes. Seraient-ce des plans de Sorgho, mes connaissances botaniques ne me permettent pas d’en juger. Le titre de l’album n’incite guère à l’optimisme : Cher enfant, monde cruel !

    LIEF KIND, WREDE WERELD

    ARGWAAN

    (K7 / Bandcamp / 16 – 04 – 2023)

    , les fingers, argwaan, rockambolesques

    Unease : grognements vocaux, musique violente, une espèce de vomissement de soi, un jugement implacable porté sur l’incapacité à vivre pleinement, à ressentir ses propres sentiments que l’on n’arrive pas à cristalliser au fond de soi, la musique tourne comme une immense broyeuse du vouloir vivre,  cris d’auto-égorgement, l’impuissance d’être heureux, crise existentialiste, dégoût de soi, de ne pas être en adéquation avec la beauté du monde, hurlements de haine emportés dans une intumescence lyrique hyper romantique. Une batterie folle auto-lacère la prise de conscience de sa propre impuissance. Une description peu engageante mais ce morceau est une splendeur. Hoffnungsvoil : une décharge battériale infinie, des vagues de guitares folles, naufrage de l’homme qui hurle au secours tout en sachant très bien que s’il parvenait à être comme les autres il perdrait son individualité, car c’est son malaise qui le détruit mais qui aussi le tient en vie, tout comme la mort dont on n’a conscience que tant que l’on est en vie, hurlements de désespoir, hachis de nos prétentions à ne pas vouloir être ce que l’on ne peut pas être. Notes terminales, gouttes de tristesse, constat amer. Goddeloss : ritournelle cordique, un son fêlé à l’image d’une âme dévastée, tristesse infinie de celui qui a tout perdu, un vent de fureur survient, reprise de l’expression du même malaise, mais ce coup-ci il faut faire sauter le bouchon de tous ce blocage existentiel, n’est-ce pas la honte d’avoir troué la bouée de sauvetage qui maintient la vie des autres à la surface de la mer, l’absence de Dieu. Âme dévastée.  Crumble under these weightless words : Ce n’est pas la cerise sur le gâteau mais le crumble de l’âme écrasé sous le poids des mots. Colère introspective, la voix devant, qui se confesse à elle-même, qui récite un poème, la musique derrière avant qu’elle ne revienne comme une vomissure car si le Seigneur recrache les tièdes il est nécessaire d’être brûlant, d’accuser, de maudire, de penser à l’extermination du vice et du péché tout en sachant que soi-même l’on n’est pas exempt de manquements, calme avant la tempête qui monte, cette rage est autant la fille du dégoût de l’humanité que de soi, de cette turpitude humaine qui mène les agneaux à se métamorphoser en tigre assoiffé de haine, ivres de fureur et d’autodestruction, tant de colère pour retomber en soi-même pour finir par s’écraser tout simplement dans sa propre solitude se cogner encore une fois au mur de la mort qui s’avance menaçant, mais qui est aussi le dernier rempart contre notre orgueil. Ein leitzter Moment der Freude : retour sur soi-même, récitation d’un poème, apaisement, tout ce qui a été perdu, mais lorsque l’on se regarde dans le miroir de l’existence l’on ne peut être qu’empli de dégoût pour ce que l’on n'a pas réussi à être, à s’accuser, à se vouer au suicide, des cris de haine et de pitié envers soi-même, et puis l’on finit par se retrouver dans l’image oubliée de l’enfance, à tout miser sur cet enfant perdu duquel il est nécessaire de se montrer digne, une lumière dans la noirceur du tunnel, la musique devient aussi violente que dans les moments les plus désespérés, l’espoir fait-il vivre ? Inner dissuasion : notes lourdes, reprise du poème hurlé jusqu’au débordement musical, enfermé en soi-même pour se parler à soi-même, mais aussi aux autres, première fois que notre prisonnier volontaire de soi-même s’adresse aux autres, une violence non contenue, un mélange d’objurgation et de prière, ne pas lui ressembler est le nouveau mot d’ordre, ne faites pas ce que j’ai fait, ne vous conduisez pas comme moi, la musique devient un torrent dévastateur qui emporte tout et qui en même temps nettoie et assainit, vocal catharsique, mettre en garde les autres n’est qu’une manière de proclamer son propre dégoût de soi, d’exprimer le masochisme du rejet de soi-même, de brûler ses propres scories en se reconnaissant dans les autres qui vous ressemblent. Attitude de ces prêcheurs fous qui au moment du schisme luthérien parcouraient les villages en promettant l’apocalypse… Verdrongen vreudge : ces notes ne sont pas joyeuses mais empreintes de nostalgie, au fond de soi, au fond du monde, sourd la lumière contenue d’une joie à laquelle l’on n’ose pas accéder encore, dans laquelle il est urgent de se précipiter, de ne plus hésiter, il est plus que temps de s’adonner à cette luxuriance de la vie, être nu dans les herbes ondoyantes d’un paradis retrouvé. La musique déboule sans fin pour nous obliger à entrer dans la joie de l’innocence, l’exaltation du plaisir de vivre doit nous envahir et se transformer en chant d’allégresse. Lief kind, wrede wereld : vent froid et ténébreux qui n’augure rien de bon, l’allégresse passée se transforme en marche funéraire, pas lourd des porteurs du cercueil de nos efforts, de nos prétentions à choisir la vie et Dieu. Liturgie d’église, le vent se lève, celui de l’impuissance à partager le rêve de la consolation, la batterie accentue son hachoir méthodique, le vocal est entré dans la musique, enfin il s’élève, il ne se cache plus, il clame l’impossibilité métaphysique d’un bonheur humain qui reposerait sur autre chose que lui-même, l’âme ne s’est pas évadée de sa prison mentale car le monde est la prison, les illusions sont déchirées, ce qui n’oblitère en rien le besoin de ce désir illusoire. L’on se retrouve dans la ronde de la déréliction humaine. Tristesse infinie de celui qui n’a pas atteint à l’exultation nietzschéenne de l’éternel retour.

             Opus étonnant. Une thématique dépassée, celle du désespoir existentiel qui éprouve la rassurante nostalgie du Dieu qui est mort, mais qu’au fond l’on regrette. Tout le long des quatre-vingt premières années du siècle précédent par chez nous L’Eglise a misé sur le désarroi humain pour faire revenir dans le troupeau communautaire les brebis égarées. Serait une marque de ce que l’on fustige sous le concept de retour du religieux ?

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    , les fingers, argwaan, rockambolesques

    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 25 ( Subjonctif  ) :

    132

    Le Chef allume un Coronado :

              _ Agent Chad si vous ouvriez les yeux en conduisant, je préfèrerais !

              _ N’ayez crainte Chef, je connais la route de Provins par cœur, j’en profite pour me concentrer. Vous rêvez que je lis un livre dont le titre est Oecila, nous sortons du Père Lachaise où nous avons rencontré deux sympathiques ouvriers en train d’orthographier correctement le prénom Oecila sur une tombe, j’ai beau me creuser la cervelle, dans ma vie passée je n’ai jamais rencontré une fille qui portait ce prénom. 

    • Je veux bien vous croire Agent Chad, toutefois rappelez-vous que précédemment nous avions déduit qu’Ecila était le palindrome d’Alice, cette histoire de l’E dans l’O tombe à pic comme l’œuf du cul de la poule pour nous signifier qu’il ne faut pas lire écila mais bien prononcer oecila, je tiens à vous faire remarquer que depuis quelque temps dans votre vie sentimentale agitée l’on ne compte plus, tenez ne serait-ce qu’au cimetière de Savigny vers lequel nous nous dirigeons…

    133

    Je m’apprêtai à ralentir pour me garer devant la maison d’Alice, comme pour m’avertir sur le fauteuil arrière Molossa grogna. Au même instant le clignotant d’un véhicule qui nous précédait d’une centaine de mètres s’alluma et la voiture s’arrêta à la place que je comptais prendre. Quelle ne fut pas notre surprise lorsque nous passâmes près d’elle, sur la portière avant s’étalait en grosses lettres le logo du Parisien Libéré. Deux hommes en descendaient.

              _ Je présuppose les remplaçants de Lamart et Sudreau, Agent Chad, je parie que nous allons bientôt faire la connaissance de ces étranges Ladreau et Sumart, j’avoue ma curiosité !

    Molossa grognait toujours. Un coup d’œil dans le rétro me révéla que la voiture quittait son stationnement et à la vitesse à laquelle elle se dirigeait vers nous, il était facile d’en déduire qu’elle tentait de nous rejoindre. Déjà le Chef sortait son Rafalos.

              _ Un peu de conduite sportive Chef, je leur réserve un chien de ma chienne – Ouah ! Ouah ! dit Molossito – puisque ces messieurs sont apparemment des amateurs de stockcar.

    Ladreau et Sumart se rapprochaient dangereusement. Ces malandrins voulaient manifestement nous pousser dans le décor. J’avisai un semi-remorque sur la voie de gauche que je me hâtais d’emprunter, nos poursuivants n’osèrent pas nous suivre mais se portèrent à notre hauteur. Le Chef avait descendu sa vitre, deux rafales de Rafalos eurent raison des pneus du camion qui éclatèrent. Je freinais à mort imité par le chauffeur du mastodonte. Emportés par leur élan nos poursuivants nous dépassèrent. Les malheureux imprudents s’encastrèrent dans la remorque du camion qui s’était déportée et qui maintenant barrait la route. Déjà nous vérifions l’état des malheureux prêts à les achever si par hasard ils auraient survécu à la violence du choc. Un souci inutile, leurs deux cadavres démantibulés en état de putréfaction avancée ne laissaient pas de doute sur la nature de nos deux séides. Des espèces de morts vivants que notre amie La Mort avait pris la précaution de nous envoyer pour nous réceptionner avec tous les honneurs.

    Dans sa cabine le chauffeur ne bougeait pas, s’était-il évanoui d’effroi, il restait immobile, nous n’avions pas le temps de vérifier, je redémarrai notre véhicule m’apprêtant à faire demi-tour, le Chef poussa un rugissement, Molossa et Molossito n’étaient pas sur la banquette arrière, tous les deux étaient restés à l’arrière du véhicule de nos deux zombies et aboyaient de toute leurs forces. D’une balle de son Rafalos le Chef débloqua la serrure. Une forme allongée gisait dans la malle. J’arrachai la couverture qui la recouvrait, Alice me souriait :

    _ Mes sauveurs merci ! Je ne doutais pas de votre intervention ! Je vous remercie !

    134

    Le reste de la soirée fut plus calme. Le Chef avait allumé un Coronado et décrété que nous n’avions plus besoin de retourner au cimetière. Par chance la route était déserte, en passant sur le bas-côté gauche pour éviter la remorque du poids-lourd je parvins à reprendre la direction de Provins. Deux heures plus tard tous les quatre – Alice avait insisté pour que nous invitions Carlos, par chance il se trouvait à Paris - nous prenions l’apéritif dans mon salon. Les cabotos se jetèrent sur les deux énormes gigots qu’Alice reconnaissante leur avait achetés à la boucherie la plus proche de mon domicile.

    Le Chef alluma un Coronado et résuma les derniers rebondissements de l’enquête puis se tournant vers Alice :

    • Et vous charmante enfant, comment en êtes-vous arrivée à être ligotée dans le coffre de la voiture de nos escogriffes, racontez-nous vos dernières mésaventures.
    • La mort de Lamart et Sudreau m’avait choquée, rappelez-vous l’état de décomposition avancée dans lequel nous les avions découverts dans leurs bureaux alors que je les avais vus précédemment en pleine forme dans la journée. Leur remplacement par Ladreau et Sumart m’avait estomaquée, et peut-être encre plus que cette espèce d’homonymie entre leurs noms et celui de leurs prédécesseurs ce furent les marques d’étonnement que leur présence ne provoqua point. Du Directeur au moindre commis pas un mot, pas un commentaire. Je n’ai rien dit mais j’ai ouvert l’œil, je me suis débrouillée pour leur porter dans leur bureau le courrier qui leur était destiné. J’ai ouvert certaines lettres, ai essayé de lire par transparences toutes les autres, passé au crible toutes les notes de service qu’ils recevaient ou qu’ils envoyaient, écouté par l’intermédiaire du standard téléphonique leurs conversations, mais rien, je n’ai rien remarqué à part le fait qu’ils allaient nettement moins souvent que leurs devanciers sur le terrain et je n’avais point l’impression qu’ils travaillaient beaucoup dans leur bureau… Hier soir lorsque je suis sorti du travail j’ai rejoint ma voiture sur le parking réservé au personnel. Je les ai salués, ils sortaient de leur véhicule, ils ne m’ont pas répondu, puis je n’ai aucun souvenir précis si ce n’est de sortir mes clefs de mon sac et puis plus rien, je me suis réveillée ligotée dans le coffre d’une voiture, vous connaissez la suite…
    • M’est avis charmante enfant, qu’ils allaient vous tuer et vous cacher dans un caveau du cimetière de Savigny…
    • Quel hasard que vous soyez arrivés au moment où ils allaient commettre leur horrible forfait !
    • Non ! Carlos, le Chef prit le temps d’allumer un Coronado avant de poursuivre, vous vous trompez, ces messieurs nous attendaient, ils savaient que nous étions en route, sans doute aurions-nous eu le plaisir de passer notre éternité aux côtés de notre douce Alice, c’eût été un rayon de bonheur dans notre malheur !

    Il y eut un instant de silence. J’en profitai après avoir versé une nouvelle rasade de Moonshine à tout le monde pour prendre la parole :

    • Une chose est sûre Chef, nous avions décidé de faire la tournée des cimetières liés à cette affaire, pour les deux premières visites, les évènements sont pour ainsi dire venus à notre rencontre, la première fois la Mort en personne en train de conduire une camionnette, la deu…
    • xième, si tu permets Damie me coupa Carlos, elle ne devait pas être loin puisque ses deux hommes de main étaient prévus pour envoyer au plus vite ad patres ! J’ignore si vous avez le nom d’un troisième cimetière inscrit sur votre liste, je suis sûr qu’elle vous y attend déjà ! Un conseil, plus vous progressez plus le danger grandit.

    Mon cœur se serra. Je m’étais interdit de penser au troisième. Depuis ma dernière visite je n’y étais même pas retourné pour amener un bouquet de fleurs sur la tombe d’Alice, de mon Alice à moi ! Là-bas sans doute se dénouerait le nœud de cette étrange affaire, au fond de moi j’avais peur d’être confronté à je ne sais quoi, à quelque chose qui nous concernait Alice et moi et que je ne voulais pas savoir, quelque chose qui nous séparerait pour toujours elle dans sa tombe, moi dans ma vie. Pour cacher les larmes qui montaient à mes yeux je me précipitais dans la cuisine soi-disant pour ramener deux bouteilles de Moonshine et des raviers de biscuits secs.

    Je sentis tous les regards fixés sur moi lorsque je revins. Il y eut un silence gêné. Carlos se râcla la gorge :

              _ Rrrrm, rrrum, Damie nous irons tous ensemble à ce cimetière demain après-midi, tu peux compter sur nous, le Chef propose une réunion de travail demain matin, à la première heure, ce soir nous ne nous coucherons pas trop tard, nous aurons besoin de toutes nos forces, par contre Alice qui est passée aujourd’hui si près des affres de Thanatos aurait besoin de connaître les douceurs de l’éros pour retrouver un parfait équilibre, si tu veux te joindre à nous…

    Le cœur n’y était peut-être pas tout à fait mais le corps a des prétentions que la raison connaît très bien, par pur esprit de camaraderie je me joignis à ces jeux innocents. Je ne le regrettais pas, Alice fut délicieuse. Son féminisme exacerbé nous prouva abondamment qu’une femme vaut bien trois hommes. Notre considération pour le genre féminin s’en accrut à proportion.

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 525 : KR'TNT ! 525 : DESTINATION LONELY / CHIPS MOMAN / BURN TOULOUSE + SABOTEURS / St PAUL & THE BROKEN BONES / ROCKABILLY GENERATION NEWS 19 / LASKFAR VORTOK / CRASHBIRDS / GUY MAGENTA / ROCKAMBOLESQUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 525

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    14 / 10 / 2021

     

    DESTINATION LONELY / CHIPS MOMAN

    BURN TOULOUSE + SABOTEURS

    St PAUL & THE BROKEN BONES 

    ROCKABILLY GENERATION NEWS 19

    LASKFAR VORTOK / CRASHBIRDS

    GUY MAGENTA / ROCKAMBOLESQUES

     

    All the Lonely people

    z16286dessinlonely.gif

    Tout est symbolique dans ce concert de Destination Lonely au Ravelin : relance de la noria gaga-punk après un an de silence étourdissant, rétablissement du contact avec un grand esprit disparu, ouverture du set avec un «Lovin’» qui ouvre aussi cet effroyable album qu’est Nervous Breakdown, resardinage dans un bar plein comme un œuf où respirer devient un exploit, il fallait bien pour synchroniser tout ça un son d’exception et boom c’est la barbarie sonique de «Lovin’» qui s’en charge.

    destination lonely,chips moman,burn toulouse + saboteurs,st paul & the broken bones,rockabilly generation news 19,laskfar vortok,crashbirds,guy magenta,rockambolesques

    Fils spirituels des Cheater Slicks, les Destination Lonely appliquent la même recette, deux guitares une batterie, avec une raison d’être : le blast gluant envenimé d’abominables fizzelures de wah. Lo’Spider mesure trois mètres de haut et crounche son cut comme le Saturne de Goya, ses dents étincellent dans le feu des spots, il love son «Lovin’» à la folie, il y met tout le désespoir du monde, il tape ça à l’hypertension, on n’aurait jamais cru ça de lui.

    destination lonely,chips moman,burn toulouse + saboteurs,st paul & the broken bones,rockabilly generation news 19,laskfar vortok,crashbirds,guy magenta,rockambolesques

    Puis ils vont enchaîner les brûlots, sans pitié ni remords, ces trois vétérans du gaga-punk inféodés à la pire engeance sonique des Amériques foncent dans le tas pour le plus grand bonheur d’une assistance littéralement engluée à leurs pieds. Burn Tooloose, c’est un fantasme qui prend ici son sens. Ça rôtit de plus belle avec l’«I Don’t Mind» tiré de l’album précédent puis ils enchaînent avec l’excellent ta-ta-ta de reins brisés, «Don’t Talk To Me» sorti en single, ils peuvent se payer ce luxe du tatata qui retombe sur ses pattes car le barbare Wlad joue bas et frappe à bras raccourcis, il y a du Bob Bert dans cet épouvantable démon.

    destination lonely,chips moman,burn toulouse + saboteurs,st paul & the broken bones,rockabilly generation news 19,laskfar vortok,crashbirds,guy magenta,rockambolesques

    Lo’Spider et Marco Fatal qui joue de l’autre côté se partagent le butin des cuts et il ne faut espérer aucun répit. Ils perpétuent la vieille tradition des sets gaga-punk qui ne font pas de prisonniers, comme aiment à le dire les commentateurs anglais. Et puis voilà cette version littéralement dégueulée d’«I Want You», chantée au cancer de la gorge avec des remugles de want you, ça coule avec des grumeaux de power et des molards de wah, pas facile de rendre hommage aux Troggs, mais leur sens aigu de la heavyness redore le blason du vieux symbole caverneux. Ils passent par une série de heavy blues envenimés, «I’m Down», «Waste My Time» et «Mudd». Ils bouclent ce set qu’il faut bien qualifier de surchauffé avec un «Gonna Break» victime de surtension et un «In That Time» dédié à Gildas et visité par des vents d’apocalypse.

    destination lonely,chips moman,burn toulouse + saboteurs,st paul & the broken bones,rockabilly generation news 19,laskfar vortok,crashbirds,guy magenta,rockambolesques

    Autant le dire tout de suite, les deux cuts qui ouvrent le bal de No One Can Save Me paru en 2015 sont des coups de génie : «Freeze Beat» et «Gonna Break».

    z16291noonesaveme.jpg

    C’est embarqué pour le Cythère des enfers aussi sec et c’est tout de suite explosif. Pas de meilleur moyen de plonger dans le bain, les deux guitares se mettent en branle pour une purée métronomique, avec des clameurs dans tous les coins. On comprend que ces trois mecs n’ont écouté que des bons albums. Ils aplatissent leur Freeze Beat dans un climat d’apocalypse. Le «Gonna Break» est du même acabit, c’est d’une violence peu commune, ça drive au plus près de la corde, ça dépote du naphta dans le gaga push, no way out, c’est leur mood, ils ne veulent pas qu’on s’en sorte, les solos flashent de plein fouet. On trouve un peu plus loin une autre monstruosité, «Black Eyed Dog», ils vont au fond du son avec de la ferraille en surface. On croyait que ce chaos génial était réservé aux princes du gunk punk américain, voilà la preuve du contraire, «Black Eyed Dog» dégueule bien. Lo’Spider le bouffe de l’intérieur avec un solo de renard du désert féroce et hargneux à la wah mortifère. C’est sur cet album que se trouve «Mud», le heavy blues que chante Marco Fatal, ils vont loin dans les méandres du mad muddy Mud, c’est screamé dans la meilleure tradition. Encore du trash maximaliste avec «Now You’re Dead», ils se payent même le luxe d’une petite escalade de trashcore. «Outta My Head» est vite embarqué au wild shuffle de gunk punk undergut, nouvel hommage aux princes du genre, ça file bon vent, ça fend la bise, ça te rentre dans la culotte et la wah revient te lécher la cervelle. Ils tartinent tant qu’ils peuvent, avec un Marco Fatal qui gueule comme un veau qu’on amène à l’abattoir. Il sent la mort dans «No One Can Save Me», alors il chante comme un dieu.

    z16292deathangel.jpg

    Paru en 2017, Death Of An Angel grouille aussi d’énormités à commencer par ce «Staying Underground» qui non seulement rôtit sous le soleil de Satan, mais qui perpétue bien la tradition du feu sacré, car là-dedans ça chante à la hurlette de Hurlevent. La guitare fait le sel de la terre. Retour aux enfers un peu plus loin avec «I Don’t Mind», et ça grésille dans le jus d’I don’t mind, ça hurle sur le bûcher, l’immense Lonely chante comme Jeanne d’Arc, c’est sûr, et les raids de guitare sont faramineux. On croit entendre une sorte de nec plus ultra de la folie sonique telle que définie par les Chrome Cranks, ‘68 Comeback et les Cheater Slicks. D’ailleurs, le «Dirt Preacher» d’ouverture de bal d’A est une cover des Gibson Bros. En B, on tombe nez à nez avec l’épouvantable «Only One Thing», tartiné de miel avarié, c’est un festin de barbarie primitive, ça grouille des finesses de licks, de petits phrasés indicibles, ça joue toujours dans le deepy deep du climaxing de watch me bleeding, alors on prie Dieu pour que tous nous veuille absoudre. Retour au purulent de basse fosse avec ce close to you de «Waste My Time», et toujours cette fabuleuse présence de la disto onctueuse et définitive, si bien calibrée dans l’écho de temps.

    z16293nervous.png

    Attention, le Nervous Breakdown paru l’an passé est un gros album. A fat one. Pas seulement parce qu’il est double. Disons-le clairement : leur cover d’«I Want You» frise le génie purulent. C’est tout simplement le son dont on rêve la nuit. Même le «Lovin’» d’entrée de jeu vaut n’importe quel heavy sludge américain. Ils envoient une belle giclée de wah au plafond. Leur son lèche les bottes du diable. Tout sur cet album est joué au maximum des possibilités, surtout «Ann». Ils amènent leur morceau titre aux pires gémonies de génome, c’est inimaginable, ça riffe dans l’os de l’ox, ça blaste à gogo, ça vise l’ultra-saturation en permanence. On va de cut en cut comme si on sautait de brasier en brasier - Walking on gilded splinters - ces mecs transcendent l’idée du son en dignes héritiers de Ron Asheton et des anges déchus de l’underground. Ils flirtent en permanence avec le génie sonique pur. Même une balade incertaine comme «Day By Day» sonne comme un truc indispensable. «Je M’en Vais» est encore un baladif noyé dans l’écho du Voodoo et chanté en français. Dans sa petite pop de quand je t’ai dit que c’était pour la vie, il fait tout rimer en i, avec c’est fini, avec je n’ai plus envie, ils font du heavy Ronnie Bird de la fin du monde. Fred Rollercoaster blows «Sentier Mental» au sax et «Schizo MF» sonne comme un coup de beat in the face atrocement raw, big bad sludge hanté au ta ta ta. Ils écrasent «In That Time» au fond du fourneau avec du scream et des jus de guitare infects. Et soudain l’album décolle comme un immense vaisseau en feu, c’est extrêmement sérieux, bien investi, ça screame dans la matière du son avec des élongations de killer solo flash qui explosent toutes les attentes. Ces trois mecs ont avalé toutes les influences pour en expurger le prurit extatique, ça flirte avec la folie des Chrome Cranks, ça monte en intensité et le «Trouble» qui suit repart de plus belle, c’est du jus de déflagration, épais et noirâtre, ils sont dans l’excellence dévastatoire, ils jouent la carte du rentre dedans avec des killer solo flash qui n’en finissent plus de remettre toutes les pendules à l’heure. Ils tapent plus loin un heavy prog de six minutes, «Electric Eel», qui est aussi le nom d’un gang mythique. Ils s’amusent bien. Ils sont les rois du monde, mais ils ne le savent pas. D’ailleurs, ils s’en foutent. La wah prend le pouvoir. C’est un cut qui va longtemps te coller à la peau. Ils jouent dans un au-delà du son, ils jouent à la coulée du son, c’est quasiment organique. Certainement le meilleur hommage jamais rendu au wah-man par excellence, Ron Asheton. Ça dégouline de génie, ils jouent à l’esprit-es-tu-là. C’est la mouture ultime du son, la rédemption des oreilles, on les entend chanter dans la coulée, c’est comme s’il réinventaient le power, comme si pour eux la fournaise était un jeu. C’est la suite de Fun House avec du spirit et des voix, celles que Jeanne D’Arc entendit, même sur son bûcher.

    Signé : Cazengler, sans destination

    Destination Lonely. Le Ravelin. Toulouse (31). 18 septembre 2021

    Destination Lonely. No One Can Save Me. Voodoo Rhythm 2015

    Destination Lonely. Death Of An Angel. Voodoo Rhythm 2017

    Destination Lonely. Nervous Breakdown. Voodoo Rhythm 2020

     

    Le Moman clé - Part Two

    z16287dessinmoman.gif

    Sort ENFIN un book sur Chips Moman : Chips Moman - The Record Producer Whose Genius Changed American Music. L’auteur on le connaît bien, c’est James L. Dickerson qui dans Going Back To Memphis nous racontait déjà l’épisode du redémarrage foiré de Chips à Memphis dans les années 80.

    z16298bookmoman.jpg

    Dickerson, qu’il ne faut pas confondre avec Dickinson, pose sur Memphis le même regard que Robert Gordon, le regard d’une homme passionné par les artistes qui ont fait de cette ville le berceau d’un phénomène mondial qu’on appelle le rock’n’roll. Il utilise les mêmes méthodes que Gordon : il s’amourache des disques et s’en va rencontrer, quand ils sont encore en vie, ceux qui les ont enregistrés. Puis il rassemble tous ces portraits et nous donne à lire l’excellent Goin’ Back To Memphis, une somme qu’il faut ranger sur l’étagère à côté d’It Came From Memphis et de Memphis Rent Party (Robert Gordon), des trois tomes de Peter Guralnick (les deux Elvis et l’Uncle Sam), du Hellfire de Nick Tosches et bien sûr du I’m Just Dead I’m Not Gone de Jim Dickinson. Le héros de Dickerson n’est autre que Chips Moman et ça tombe bien, car il s’agit d’un vrai héros. La dernière image du livre nous montre Chips, sa femme Toni Wine et l’auteur assis tous les trois sur une balancelle, sous le porche de la Moman farm in Nashville, 1985. Cette image illustre bien la force du lien qui unit Chips et l’auteur. On peut aussi dire de ces pages consacrées à Chips qu’elles complémentent plutôt bien l’ouvrage que Ruben Jones a consacré au studio American et aux Memphis Boys (un ouvrage qu’on a d’ailleurs bien épluché dans l’hommage à Reggie Young mis en ligne sur KRTNT 403 le 24 janvier 2019).

    Le saviez-vous ? Chips portait une arme sur lui, un petit calibre 25 automatique fourré dans la poche arrière de son pantalon. Il l’expliquait ainsi : «Je sais me battre et prendre une raclée, mais je ne laisserai personne me buter. Si je tire, c’est pour buter celui qui voudra me buter.» Dickerson nous rappelle que Chips a collectionné les hits de 1968 à 1971 : 26 disques d’or pour des singles et 11 pour des albums. Avec American et les Memphis Boys, il a réussi à loger 83 singles et 25 albums dans les national charts. Joli palmarès pour un petit studio de Memphis. Il faut aussi savoir que Chips indiqua l’adresse d’une vieille salle de cinéma au 924 East McLemore à Jim Stewart et Estelle Axton quand il les entendit dire qu’ils cherchaient un local pour monter un studio. Il s’agit bien sûr de Stax. Ils formaient tous les trois une drôle d’équipe : Chips avec ses mauvais tatouages et ses réflexes de zonard (teenage vagabond), joueur invétéré (cartes et billard) et Jim Stewart le banquier aux manières bien lisses. C’est après leur brouille que Chips monte American et qu’il enregistre et produit une hallucinante kyrielle d’artistes, dont bien sûr Elvis. Chips dit d’Elvis qu’il n’était pas le plus grand chanteur du monde, mais il avait un son - J’ai travaillé avec des gens plus doués que lui, mais aucun d’eux n’était plus célèbre - C’est du Chips. D’aucuns disent qu’avec Chips, Elvis enregistra ce qu’il avait fait de mieux depuis le temps des Sun Sessions.

    destination lonely,chips moman,burn toulouse + saboteurs,st paul & the broken bones,rockabilly generation news 19,laskfar vortok,crashbirds,guy magenta,rockambolesques

    Quand Chips apprend qu’Elvis ne veut pas revenir chez lui à American et qu’il va enregistrer chez Stax avec les Memphis Boys, il décide de lâcher l’affaire, se sentant trahi, à la fois par ses musiciens et par la ville de Memphis. Cette nuit-là, il fit ses bagages. Le dernier client d’American fut Billy Lee Riley, avec «I Got A Thing About You Baby».

    z16303bookjones.jpg

    S’ensuit un épisode que Ruben Jones ne détaille pas trop dans sa bible : le retour de Chips à Memphis. Par contre, Dickerson peut entrer dans les détails car il en est l’artisan. L’aventure commence par une interview. Dickerson est journaliste. Il demande à Chips s’il regrette sa décision d’avoir quitté Memphis. Chips lui répond que c’était une grosse connerie. Depuis il a enregistré à Nashville, mais dit-il, my music is in Memphis. That’s where I learned it, that’s where I felt it - Puis Dickerson monte un projet fou : faire revenir Chips à Memphis en tant que héros de la scène locale, alors il mouille le maire Dick Hackett dans le projet. Hackett est intéressé et propose un bâtiment. Moman accepte de rentrer à Memphis et s’installe au Peabody, en attendant que son studio soit prêt. Il veut redémarrer avec un gros coup : la réunion des surviving stars of Sun Records. Et voilà que Jerry Lee, Cash, Roy Orbison et Carl Perkins radinent leurs fraises. Uncle Sam radine également la sienne. Memphis was ready to roll the dice. Chips met en boîte le Class Of ‘55 des Four Horsemen et à sa grande surprise, les gros labels font la moue. Ça n’intéresse personne ! Effaré, Chips voit revenir les réponses négatives. Ça sort trop de l’ordinaire. Ils ne savent pas comment commercialiser un tel projet. Le plus drôle de cette histoire est que les gros labels avaient dit la même chose à Uncle Sam en 1954. Invendable ! Alors Chips monte America Records avec des partenaires financiers et sort son Class Of ‘55 dont personne ne veut. Il décide à la suite d’enregistrer un nouvel album avec Bobby Womack pour MCA Records. Il tente aussi de proposer Reba &The Portables qu’il vient de signer à des gros labels, mais ça ne marche pas non plus. Womagic sort en 1986. C’est le troisième album que Chips produit pour Bobby qu’il considère comme l’un des géants de son temps.

    destination lonely,chips moman,burn toulouse + saboteurs,st paul & the broken bones,rockabilly generation news 19,laskfar vortok,crashbirds,guy magenta,rockambolesques

    Et puis un soir, Gary Belz qui fait partie des partenaires d’America appelle Chips. La conversation tourne au vinaigre et Selz traite Chips de mortherfucker. Chips raccroche calmement, monte dans sa bagnole et va trouver Selz au studio Ardent. Il entre et lui colle son poing en pleine gueule. Puis il lui dit : «Quand tu veux m’insulter, fais-le devant moi - You call me a name, you do it in my face.» La scène de Memphis allait ensuite retomber dans les ténèbres. Chips finit par refaire ses bagages et par retourner à Nashville. Son dernier round à Memphis fut un échec cuisant et Dickerson avoue en porter la responsabilité, en ayant été l’instigateur.

    z16298bookmoman.jpg

    Dans Chips Moman - The Record Producer Whose Genius Changed American Music, Dickerson reprend bien sûr tout l’épisode du retour de Chips à Memphis et du pétard mouillé de Class Of ‘55, mais il développe un peu plus. Cette bio qu’il faut bien qualifier de solide comprend trois épisodes : les prémices, l’âge d’or et la fin des haricots.

    destination lonely,chips moman,burn toulouse + saboteurs,st paul & the broken bones,rockabilly generation news 19,laskfar vortok,crashbirds,guy magenta,rockambolesques

    Les prémices commencent à LaGrange, Georgie, d’où vient Chips, un surnom que lui donnent ses copains d’enfance, car il est doué au billard. Le surnom va rester (en réalité, il s’appelle Lincoln), ce qui ne lui convient pas trop - There have been a million times I wished I didn’t have it - Quand Chips s’installe en 1954 à Millington, en banlieue de Memphis, il fréquente les militaires de la base et flashe sur leurs tatouages. C’est là qu’il s’en fait faire deux sur le bras. Pour vivre, il repeint des stations services, mais quand Warren Smith lui demande de l’accompagner à la guitare, Chips saute sur l’occasion. En 1956 il devient pote avec Johnny et Dorsey Burnette. Quand Johnny décider d’aller rejoindre son frangin Dorsey à Los Angeles, il demande à Chips de l’accompagner et Chips ressaute sur l’occasion. C’est là qu’il va flasher sur un autre truc : la console de Gold Star. Pendant leur séjour, Johnny, Dorsey et Chips jouent dans des night-clubs. Nouvelle occasion faramineuse : quand Johnny Meeks quitte le backing-band de Gene Vincent, on demande à Chips de le remplacer. Chips ressaute sur l’occasion - The experiences of touring with Gene Vincent was light years away from his experiences in Memphis. There were no ‘normal’ days on the road with Gene Vincent - Mais nous n’en apprendrons pas davantage. En 1959, Chips et sa femme Lorrie rentrent à Memphis. Chips va trouver Uncle Sam chez Sun pour lui demander du boulot. Il parle de son expérience à Gold Star Studio et Uncle Sam lui demande ce qu’il y faisait, Chips répond qu’il jouait en session, alors Uncle Sam lui demande s’il a produit un disque, et Chips lui dit que non, mais il a vu comment bossaient les mecs de Gold Star. Et Uncle Sam lui répond : «Boy, producers are born, not made. Good luck.» Et c’est là que Chips embraye l’épisode Stax. On connaît l’histoire : Chips déniche la salle de cinéma au 926 East McLemore Avenue. Chips sait aussi qu’il faut cibler les black artists, comme l’avait Uncle Sam avant de cibler des blancs qui sonnaient comme les noirs. Puis c’est le décollage de Stax avec «Last Night» et les Mar-Kays, the hottest selling record in Memphis history. Avec les royalties de «Last Night», Chips se paye une baraque à Frayser, au Nord de Memphis, et une Triumph Leyland. C’est là qu’il comprend un aspect essentiel du biz : ce sont les compositeurs qui ramassent le plus de blé, pas les interprètes, ni les producteurs. Alors il va s’arranger pour avoir au moins deux compos à lui sur tous les albums qu’il va produire. Le premier compositeur/interprète que Chips engage chez Stax, c’est William Bell. Et puis un jour chez Stax, il découvre que Booker T & The MGs enregistrent dans son dos. Il est carrément exclu du projet d’enregistrement de leur premier album, alors qu’il est depuis le début le staff producer attitré. À ses yeux, ça n’a aucun sens, d’autant qu’il a fait décoller Stax, alors que Jim et Estelle bossaient encore à la banque. Chips sent qu’on cherche à le virer. Fin de l’été 62, il entre dans le bureau de Jim Stewart pour faire le point sur les finances. Jim lui dit qu’il n’a rien pour lui. Chips réclame ses 25%, alors Jim se lève et lui crache au visage : «I’m fucking you out of it !». Chips est sidéré. Wayne Jackson qui attendait dehors sur un canapé a tout entendu. Jim ajouta : «I fucked you et si tu peux le prouver, tant mieux, je suis le comptable et j’ai l’argent.» Chips est sorti du bureau en claquant la porte et n’est jamais revenu. Jim Stewart ne va pas l’emporter au paradis, comme on sait. Pendant un an, Chips se soûle la gueule. Grosse dépression. Il perd tout ce qu’il a : sa maison, sa bagnole. Il ne lui reste que sa femme et sa fille.

    Dickerson revient longuement sur la personnalité de Chips. L’homme a un charme fou mais en même temps, il souffre de bipolarité, d’où son incapacité à maintenir des relations dans la durée. Mais quand un médecin lui dit qu’il est bipolaire, Chips l’envoie sur les roses. Il ne supporte pas l’idée qu’on puisse le traiter de fou. Il sait qu’il n’est pas fou. Il veut juste trouver un moyen de contrôler ses changements d’humeur. Il tentera de se soigner à la cocaïne - self-medication - ce qui ne fera qu’empirer les choses. Quand après l’épisode Stax il reprend du service, il produit les Gentrys, mais le son ne lui plaît pas, trop rock, alors qu’il vient du rockab. Non seulement il éprouve une réelle aversion pour le rock, mais il ne supporte pas de voir jouer un groupe en studio dont les membres sont des musiciens amateurs. Ses préférences vont vers la Soul, la pop et le blues, certainement pas le rock. Petit à petit, Chips reprend des couleurs et commence à côtoyer de grands artistes. C’est Sandy Posey qui va le surnommer the Steve McQueen of the music business - He was good looking in that rugged Southern way, charismatic, drove a sports car and had his own airplane - Puis comme il l’avait fait pour Stax, Chips monte son house-band. Il engage des compositeurs : Mark James, Johnny Christopher et Wayne Carson Thompson, le mec qui compose pour les Box Tops. Chips sait que la chanson prime sur tout - The important part of producing is the song. If you get the songs, artists will do anything to be part of what you are doing. I got Mark James out of Texas. I got Dan Penn from Alabama - Quand on fait des compliment à Chips sur sa carrière de producteur, il veille à rester modeste : «Ça m’a pris des années pour comprendre qu’il n’y a rien d’extraordinaire là-dedans. C’est tout ce que je sais faire. Je me contente de réunir les meilleurs musiciens que je connaisse, les meilleurs compositeurs, les meilleurs interprètes, on entre en studio et on prend du bon temps.» Même Dickinson reconnaît que Chips est un fantastic producer, he can do business, which is why he was successful in Memphis while others were not - Mais en même temps, Chips passe son temps à éviter les journalistes. Il ne veut pas de publicité. Dans toute sa vie, il n’a donné que très peu d’interviews. Il ne voulait pas être the center of attention. Ça le fatiguait et ça ne lui correspondait pas. L’autre aspect de sa personnalité est la poisse, comme on va le voir dans l’épisode final du retour à Memphis.

    destination lonely,chips moman,burn toulouse + saboteurs,st paul & the broken bones,rockabilly generation news 19,laskfar vortok,crashbirds,guy magenta,rockambolesques

    Le deuxième épisode est celui de l’âge d’or d’American, qui d’ailleurs commence avec ce qui pour Chips est un cauchemar, l’album des Gentrys. Mais bon, ça lui permet de financer American et de monter son house-band avec Tommy Cogbill, Reggie Young, Gene Chrisman, Bobby Wood et Bobby Emmons. Chips qui est pourtant un bon guitariste dit que ces mecs étaient nettement supérieurs à lui - I’m not in their league - On appelle le groupe the 827 Thomas Street band qu’à Nashville on surnomme «those Memphis boys», un surnom qui va leur rester. Ils resteront d’ailleurs un groupe, jusqu’à ce que la mort les sépare : Bobby Emmons casse sa pipe en bois en 2015, Mike Leach en 2017 et Reggie Young en 2019. Chips rappelle qu’à une époque il avait de gros ennuis avec l’IRS et ses potes musiciens lui ont tout simplement proposé de l’argent pour l’aider à rembourser sa dette aux impôts - They are special people. Whatever I got is theirs if they want it. That’s the kind of relationship we got - Puis il y a l’épisode Dan Penn que Dickerson résume assez bien : ils ont la même allure, le même humour, la même façon de marcher, mais Chips ne considère pas Dan comme un chanteur qu’il pourrait enregistrer. Deux raison à ça : le caractère difficile de Dan Penn, his don’t-give-a-damn attitude, et le fait qu’il n’y a pas de demande sur le marché pour les blancs qui chantent comme des noirs.

    destination lonely,chips moman,burn toulouse + saboteurs,st paul & the broken bones,rockabilly generation news 19,laskfar vortok,crashbirds,guy magenta,rockambolesques

    Alors bien sûr, l’épisode American permet à Dickerson de lancer une fantastique galerie de portraits, à commencer par celui de Sandy Posey, puis voilà les Box Tops, l’occasion d’une grosse confrontation entre Chips et Dan - There was really kind of an antagonistic thing going on by this time, dit Dan à Peter Guralnick. Moman and I we’re opposites. If I said more bass, he’d put more trebble. I mean I’m overbearing myself but Moman is overbearing - C’est pour ça que «The Letter» est sorti avec ce son, parce que Chips se foutait de la gueule de Dan devant les autres, alors le son est resté cru. Fuck you kind of sound. «The Letter» fut pourtant the first No. 1 pop hit ever recorded in Memphis by Memphis artists. Dickerson rappelle aussi que Chips ne voulait pas des Box Tops en studio, seulement le chanteur Alex, et qu’il ne prenait pas non plus au sérieux les compos d’Alex, ce que le pauvre Alex vivait très mal.

    destination lonely,chips moman,burn toulouse + saboteurs,st paul & the broken bones,rockabilly generation news 19,laskfar vortok,crashbirds,guy magenta,rockambolesques

    L’un des épisodes capitaux de l’âge d’or d’American, c’est la venue de Wilson Pickett à Memphis. Wicked Pickett commence par composer «In The Midnight Hour» avec Steve Cropper, mais Jim Stewart appelle Wexler pour lui indiquer que Pickett n’est plus le bienvenu chez Stax - The singer was temperamental to the extreme - Pickett en voulait surtout à Cropper d’avoir rajouté son nom dans le crédit de Midnight Hour. Wexler laisse tomber Stax et envoie Pickett chez Rick Hall à Muscle Shoals. Mais Pickett qui est originaire d’Alabama n’est pas très content d’y retourner. La ville voisine de Tuscumbia est le quartier général du Ku Klux Klan. Et la population de Muscle Shoals est à 90% blanche, alors non, Wicked Pickett ne s’y fait pas. Arrive en renfort Bobby Womack, autre figure légendaire, assez mal vu pour avoir épousé la veuve de Sam Cooke aussitôt après qu’il ait été buté dans un cheap motel. Janis Joplin passa dit-on sa dernière nuit à picoler avec Bobby qui fut dans la foulée viré du backing-band de Ray Charles. L’inquiétude des mecs de Muscle Shoals à voir arriver Bobby et sa troubled history fait bien marrer Dickerson, des mecs qui ont en plus à gérer en studio deux explosive personalities. Wicked Pickett reviendra en 1967 enregistrer chez American, mais Chips n’est pas dans le studio. Il a eu du mal à produire Joe Tex et le seul black avec lequel ça s’est bien passé, c’est William Bell. Et comme Wicked Pickett a la réputation d’un mec difficile, aussi bien avec les blancs qu’avec les noirs, alors Chips n’assiste pas aux sessions. Il y a aussi de la tension avec B.J. THomas, l’un de ses artistes favoris - Artists are different. Some of them are singers, others are artists. Take B.J. Thomas. He was never a problem. he was a singer. (...) You would give him a song and he would sing his heart out - Un jour, B.J. et Chips ont une vilaine altercation. Dans une party, B.J. se goinfre de coke et revient trouver Chips dans son bureau pour lui demander où est le blé. Chips lui dit qu’il ne l’a pas, alors B.J. sort son couteau de chasse. Chips attrape un club de golf et se prépare au combat, mais B.J. est déjà sur lui et lui dit : «Si tu oses me frapper, tu es mort !». Bon bref, ça se termine bien, mais quand B.J. raconte l’histoire plus tard, il est horrifié à l’idée qu’il ait pu tuer Chips. Ce qui n’empêche pas Chips de le rappeler pour lui proposer d’enregistrer. Ce n’est pas qu’il pardonne, il oublie tout simplement l’incident. Il a des chansons pour B.J. et c’est tout ce qui compte. Dans la cabine, après l’enregistrement, Chips dit à ses amis : «You’re listening to one of the greatest singers in the world.» Pas mal, n’est-ce pas ?

    destination lonely,chips moman,burn toulouse + saboteurs,st paul & the broken bones,rockabilly generation news 19,laskfar vortok,crashbirds,guy magenta,rockambolesques

    L’autre épisode marquant de l’âge d’or d’American est celui de Dusty In Memphis, sur lequel on revient un peu plus loin. Dickerson rappelle juste que Dusty n’en pouvait plus d’entendre Wexler lui parler d’Aretha. Ça l’intimidait et ça lui foutait la trouille. Alors pour se venger, elle décida de contrarier Wexler - I drove Jerry crazy - Chips accepta de laisser son studio et son house-band à Wexler pour un tarif majoré et il quitta la ville. Quand Dusty entra en studio chez American, that was when the nightmare began for Wexler. Ce fut l’horreur Le jour où Wexler lui mit le volume à fond dans le casque, Dusty chérie lui balança un cendrier dans la gueule. Elle surnomma Tom Dowd «Prima-donna». Dionne la lionne est une autre méga-star venue chez Chips. Dionne est épatée par ce mec : «He’s a madman... but it was wonderful. We laughed a lot. And he knew what he was doing.» Et puis voilà Elvis. Dickerson nous ressort l’histoire des droits : le colonel Parker demande la moitié des droits des chanson de Chips et Chips dit non. C’est le premier qui ose tenir tête au colonel. La première semaine, Chips enregistre 21 chansons avec Elvis et après un break, 14 autres chansons. Chips le fait bosser, lui fait faire 20 ou 30 takes, et Elvis accepte, pas de problème, c’est un super-pro. En matière de charisme, Chips arrive aussitôt après Elvis, nous dit Dickerson. Les deux hommes s’apprécient. Chips s’aperçoit très vite que personne ne dirige Elvis. Le seul qui l’ait dirigé, c’est Sam Phillips. Depuis, rien, pas de direction artistique. D’où l’écroulement de sa carrière de chanteur. Chips est le seul qui ose parler de direction à Elvis, mais l’entourage essaye de l’en empêcher. Le colonel insiste : il exige la moitié du publishing de «Suspicious Mind». Chips se marre. Il ne cède pas. C’est la raison pour laquelle il n’a jamais pu retravailler avec Elvis. Dommage pour Elvis.

    destination lonely,chips moman,burn toulouse + saboteurs,st paul & the broken bones,rockabilly generation news 19,laskfar vortok,crashbirds,guy magenta,rockambolesques

    L’un des épisodes les plus sombres de la carrière de Chips fut le rejet des sessions de Jackie DeShannon pour Capitol. Bad luck. D’autant plus bad luck que les sessions sont reparues en 2018 (Stone Cold Soul - The Complete Capitol Recordings) et bien sûr, ce sont les meilleures sessions jamais enregistrées par Jackie DeShannon. Puis Chips tente de lancer la carrière de Billy Burnette, le fils de son pote Dorsey. Chips lui propose un contrat de chanteur/compositeur. Mais bon les échecs s’additionnent et Chips sent que le vent tourne. Il est temps de quitter Memphis.

    destination lonely,chips moman,burn toulouse + saboteurs,st paul & the broken bones,rockabilly generation news 19,laskfar vortok,crashbirds,guy magenta,rockambolesques

    Il remonte American à Atlanta en 1972 avec Bobby Emmons, Reggie Young, Mike Leach et Billy Burnette. Mais il se vautre. Il tente aussi de monter un label : Gibraltar Records. Il contacte Alex Chilton et Carla Thomas. Ça foire. Puis il s’installe à Nashville et tente de monter Triad Records avec Phil Walden, le mec qui manageait Otis et qui va monter ensuite Capricorn. Il prévoit de démarrer Triad avec Tony Orlando et surtout Robert Duvall qui enregistre en 1982 un album entier de country songs. Personne ne l’a jamais entendu. Chips n’a jamais réussi à le vendre à une major. Il bosse aussi avec The Atlanta Rhythm Section. Le succès revient enfin avec les Highway Men (Cash, Kristofferson, Waylon Jennings et Willie Nelson). C’est sur leur premier album qu’on trouve l’excellent «Desperados Waiting For A Train», repris par Jerry McGill.

    destination lonely,chips moman,burn toulouse + saboteurs,st paul & the broken bones,rockabilly generation news 19,laskfar vortok,crashbirds,guy magenta,rockambolesques

    Et puis voilà le troisième épisode de la bio, la fin des haricots. Chips réunit des financiers et envisage de recréer le prestige de Memphis, d’en refaire une capitale musicale. Le premier groupe qu’il signe est Reba & The Portables - This is the best group I’ve heard in years - Puis il commence à bosser sur des idées géniales : a Stax Records Reunion avec quatre des biggest talents. Puis il envisage an American Sound Studio Reunion. Troisième option : a Sun Studio Reunion et c’est celle qu’il choisit. Jerry Lee, Roy Orbison, Cash et Carl Perkins, avec en plus Uncle Sam qui assiste à la conférence de presse de lancement du projet. Pour Chips c’est du quitte ou double : il se retrouve assis sur un podium avec ses idoles, des idoles qui n’ont même plus de contrat ! Chips enregistre Class Of ‘55, mais aucune major n’en veut, ni à Nashville, ni à New York, ni à Los Angeles. La poisse ! Il le sort quand même mais la presse le flingue : one of the five worst albums of the year. Chips enregistre encore Womagic avec Bobby Womack, Womagic, et c’est à peu près tout.

    La chute est horriblement triste. Il est acculé à la faillite et perd de nouveau sa maison. Toni White le quitte. Comme il saute à la gorge d’un mec pendant son procès, il est condamné à 72 heures de placard, où on l’oblige à dormir sur un matelas tâché de sang. Dans les années 50 et 60, Chips avait joué le même rôle que Sun et Stax qui ont fait de Memphis a music city with a worldwide reputation. Quand on lui a demandé de revenir pour rétablir le prestige de Memphis, all he got was a public media lynching. Dickerson pense que Chips a été victime du Memphis curse, comme Elvis et Stax.

    z16900bookzanes.jpg

    En dehors du travail de bénédictine de Roben Jones (Memphis Boys) qui raconte aussi dans le détail l’histoire de Chips, peu d’ouvrages s’appesantissent sur Chips Moman. Parmi les quelques auteurs qui l’ont approché - ou essayé de l’approcher - citons Warren Zanes et son excellent petit essai intitulé Dusty In Memphis, paru dans la collection 33 1/3. Chaque volume propose l’analyse d’un album classique. Dans son essai, Zane évoque la saga de l’enregistrement du fameux Dusty In Memphis. Cette opération artistico-médiatique menée par Jerry Wexler en 1968 fit connaître l’American studio de Chips Moman dans le monde entier, d’où son importance capitale. Même si à l’époque l’album n’a pas marché commercialement, on aurait tendance à le considérer aujourd’hui comme l’un des greatest albums of all time.

    destination lonely,chips moman,burn toulouse + saboteurs,st paul & the broken bones,rockabilly generation news 19,laskfar vortok,crashbirds,guy magenta,rockambolesques

    L’auteur n’est pas un amateur. Avant de finir prof de fac, il jouait dans les Del Fuegos. Il explique très bien pourquoi cet album acheté un dollar chez un soldeur l’a touché au point de vouloir lui consacrer un livre : il parle d’a particular piece of vinyl acheté par a particular person at a particular time. Il parle d’une relation qui s’établit dans le temps entre l’objet et l’auditeur. Il parle plus de l’expérience d’un disque que du disque lui-même. Il raconte comment il est immédiatement tombé sous le charme de «Son Of A Preacher Man». Comment n’y tomberait-on pas ? Il ajoute qu’il est difficile de résister à un cast of characters qui comprend Randy Newman, Gerry Goffin & Carole King, Burt Bacharach & Hal David, plus Barry Mann & Cynthia Weil, c’est-à-dire la crème de la crème du gratin dauphinois. Mais plus que tout autre character, c’est le Sud qui fascine Zane, ce petit mec de Boston, et il place en exergue cette jolie phrase tirée d’A Boys Book Of Folklore : «In the North, young men dream about the South. The more discriminating among them slide down the darkness and go straight to Memphis.» Voilà, le décor est planté. Et qui voit-on apparaître ? Stanley Booth, Dickinson et Chips Moman, la trilogie fatale. Fascination totale pour Stanley Booth qui a écrit les notes au dos de la pochette de Dusty in Memphis. Aux yeux de Zane, Booth est à l’image de Memphis, il peut devenir le contraire de ce qu’il semble être à tout moment - He won’t hurt you, but he might get strange - Il est à l’image d’un cliché de William Eggleston : banal, figé, saturé de couleurs vives et chargé de menace latente, de violence imminente. Il rencontre Booth grâce à Jo Bergman qui bossait pour les Stones à leur âge d’or et qui se retrouva chez Warner à l’époque où les Del Fuegos étaient sur le label. Elle établit le contact et quand Zane accompagné de trois copains débarque chez Booth au cœur de la nuit, Booth les fait entrer. Il ne dort pas, il travaille. Il compte les têtes et dit qu’il lui reste exactement le bon nombre de trips d’acide dans son frigo - We should probably eat it now before it goes bad - Zane note au passage qu’à part ces doses, il n’y a rien dans le frigo. No food.

    destination lonely,chips moman,burn toulouse + saboteurs,st paul & the broken bones,rockabilly generation news 19,laskfar vortok,crashbirds,guy magenta,rockambolesques

    Pour écrire son livre, Zane doit traquer Jerry Wexler. Est-il vivant ou mort ? Il passe par Andy Paley qui est un homme de ressources. Bingo, Andy connaît bien Wexler car ils siègent ensemble au comité du Rock’nRoll Hall of Fame. Ils ont d’ailleurs tous les deux refusé de nominer Springsteen, arguant que les Meters étaient tout de même largement prioritaires. Donc Wexler est vivant. Andy lui file le contact d’un Anglais qui réédite les albums d’Eddie Hinton et grâce à lui, Zane récupère deux adresses, l’une à Long Island et l’autre en Floride. Il écrit. Et puis un jour le téléphone sonne. Une voix rauque, un big accent new-yorkais : «This is Jerry Wexler calling for Warren Zanes.» Contact établi. Wexler demande à Zane s’il veut d’autres contacts. Et pouf, il balance les numéros de Chips Moman, de Tom Down, d’Arif Mardin, de Donnie Fritts.

    Alors Jerry raconte à Zane ce qu’il a déjà raconté dans son livre, The Rhythm And The Blues : le jeu des 80 démos qu’il fait écouter à Dusty et Dusty qui les rejette toutes - Out of my meticulously assembled treasure trove, the fair lady liked exactly none - Quand Dusty revient quelques mois plus tard écouter d’autre démos, Wexler ne se casse pas la tête : comme il n’a rien de neuf sous la main, il en sort 20 dans les 80 déjà testées et les fait écouter à Dusty chérie : banco ! Elle prend tout !

    Zane sort un autre épisode fascinant, tiré d’une histoire de Dickinson. On soupçonnait les gens d’Atlantic de se faire du blé sur le dos des studios du Sud. Un soir, Wexler se retrouve dans une party avec Sam Phillips et d’autres gens, dont Stanley Booth. Après le repas, Wexler essaye de passer son disque d’Aretha, mais Sam Phillips l’arrête aussitôt pour passer son disque de Tony Joe White. Sam ne passe qu’un seul morceau, toujours le même, «Got A Thing About Ya Baby». Over and over. Alors Wexler s’énerve : «Sam ! Baby ! You know I’m really hurt that you’re not listening to my Aretha record, baby !» Il essaye de remettre son disque et Sam l’arrête encore une fois. Il remet le Tony Joe et lance : «Goddam Jerry, that’s so good it don’t sound paid for !» Et vlan, prends ça dans ta gueule. Et Dickinson ajoute qu’il a souvent souffert de n’être pas payé. Et soudain, il comprend que l’arnaque fait partie de la production.

    destination lonely,chips moman,burn toulouse + saboteurs,st paul & the broken bones,rockabilly generation news 19,laskfar vortok,crashbirds,guy magenta,rockambolesques

    Zane n’en finit pas de rappeler que Wexler a consacré sa vie à la musique noire. Qu’il est viscéralement passionné par les musiciens noirs. Zane repêche encore une fabuleuse histoire dans The Rhythm And The Blues : Wexler raconte comment lui et Ahmet on découvert Professor Longhair dans une bourgade mal famée à la sortie de la Nouvelle Orleans. Il arrivent dans un tripot et entendent de l’extérieur un vrai ramdam. Mais quand ils entrent, ils ne voient qu’un seul musicien, Fess : un homme qui joue ces weird chords, qui utilise le piano comme une grosse caisse, and singing in the open-throated style of the blues shouters of old. «My god» I said to Herb, «We’ve discovered a primitive genius !». Croyant lui faire une fleur, les mecs d’Atlantic proposent un contrat à Fess qui répond en rigolant qu’il vient de signer chez Mercury. Voilà les racines d’Atlantic. Une magie qu’on retrouve à Memphis. Dans le cours des pages, Zane cite David Ritz, Peter Guralnick et Robert Gordon. Toujours les mêmes. Il n’oublie personne. Par contre, il consacre très peu de place à Dusty chérie, qui comme Wexler est fascinée par le Deep South et la musique noire. Chuck Prophet dit dans une réédition de Dusty In Memphis qu’elle ne se lavait jamais le visage, puisqu’elle se remaquillait par dessus l’ancien maquillage. Wexler confirme que Dusty passait chaque matin des heures et se maquiller - That was virtually an exercice in lamination - L’image est forte, Wexler parle de laminage, c’est-à-dire d’étalage de couches.

    Et ça se termine avec une interview loufoque de Stanley Booth. Quand Zane revient sur l’exploitation de Stax, de FAME puis d’American par Atlantic, Booth répond que personne ne savait lire un contrat chez Stax : «Ils durent apprendre quand le succès arriva, mais il était trop tard.» Et quand Zane lui demande quels sont ses cuts préférés sur Dusty In Memphis, Booth répond «Just A Little Loving» et «Breakfast In Bed», mais il ajoute que les versions de Carmen McRae accompagnée par les Dixies Flyers sont meilleures.

    z16301dustymemphis.jpg

    Alors bien sûr, à la lumière de cet éclairage, Dusty In Memphis sonne différemment. On retient surtout les quatre énormités que sont «I Don’t Want To Hear It Anymore», «The Windmills Of Your Mind», «In The Land Of The Make Believe» et «No Easy Way Down». Avec «I Don’t Want To Hear It Anymore», on voit que Dusty chérie fait ce qu’elle veut des compos. Elle semble moduler la splendeur du son. C’est là qu’on s’écroule dans un océan de béatitude, tellement elle chante bien. Elle fait grimper la mélodie du vieux Randy au sommet de l’art. Encore pire avec «The Windmills Of Your Mind», où elle tente de rivaliser de power avec le Vanilla Fudge. On entend Reggie Young jouer Brazil, c’est très audacieux. La voix de Duqty chérie semble voler comme une libellule dans une belle lumière rasante de printemps. On voit le niveau d’orchestration s’élever à chaque couplet, jusqu’au moment où Dusty s’en va arracher la beauté du ciel. Le génie visionnaire de Chips éclate dans le bouquet final. Elle revient à Burt avec «In The Land Of The Make Believe», ça jazze dans l’eau claire du lac enchanté. Rien d’aussi pur dans l’exercice de la délicatesse. C’est Dusty chérie dans toute sa splendeur, elle chante à la pointe de la glotte sur le fil d’argent d’une irréelle beauté mélodique. Reggie Young joue un peu de sitar. Memphis groove. Retour au slow groove avec le «No Easy Way Down» de Goffin & King. C’est la garantie d’une mélodie irréprochable. Dusty chérie y descend comme on descend dans l’eau verte d’un lagon, au paradis des tropiques. Admirable prestance. Dusty chérie pensait que l’idée de Jerry Wexler d’aller enregistrer à Memphis n’était pas bonne. Elle disait faire du big balladry, et non du hard R&B sound. C’est Reggie Young qui introduit «Son Of A Preacher Man» et Dusty chérie le chante à la suave. Quel coup de génie ! On découvre alors en elle une sorte d’immense vulnérabilité. On note aussi une fantastique émulation des Memphis Boys dans «Don’t Forget About Me». Il faut entendre Gene Chrisman lancer le beat et Tommy Cogbill le pulser au bassmatic. N’oublions pas ce chef-d’œuvre de deep Soul qu’est le «Breakfast In Bed» d’Eddie Hinton, qu’on trouve aussi sur l’album de Carmen McRae enregistré avec les Dixie Flyers.

    z16902bookjackson.jpg

    Dans In My Wildest Dreams - Volume One, Wayne Jackson remercie quatre personnes en particulier : Estelle Axton, Jim Stewart, Chips Moman et Jerry Wexler. Il salue surtout le génie de Chips. American ? Si Chips a choisi un quartier pauvre pour s’installer, c’est uniquement parce que ça coûte moins cher. Jackson est là quand Elvis débarque avec tout son entourage chez American pour enregistrer la fameuse session. L’auteur raconte comment Chips réussit à virer ces pauvres mecs de RCA qui mettent leur grain de sel partout. Il prend le micro et s’adresse à l’assistance : «Soit vous produisez la session, soit je le produis. But somebody’s got to go ! Réfléchissez et faites-moi savoir votre décision.» Tout le monde est choqué, surtout Felton Jarvis : quoi, un producteur ose quitter une session avec Elvis ? Mais Jackson sait que Chips finit toujours par gagner. C’est Elvis qui va trancher après avoir tiré sur son cigare. Il passe son bras sur l’épaule de Felton Jarvis et lui dit : «Listen man, I really like the way this is going. Chips is doing a great job and it’s the greatest bunch of musicians I’ve ever been around. So let’s do this thing this way and keep it going. This song, In The Ghetto, it’s the best thing I’ve had my ands on in a long time and I can’t wait to sing it. Why don’t you boys just go out to the house and leave Red here with me. I’ll bring the tapes with me when I come home so we can have a listen. But right now don’t break my groove, man ! I need to be working, so let’s get in on here.» - And that was that. Fabuleux épisode.

    destination lonely,chips moman,burn toulouse + saboteurs,st paul & the broken bones,rockabilly generation news 19,laskfar vortok,crashbirds,guy magenta,rockambolesques

    Il faudrait aussi évoquer l’autobio de Bobby Womack, Midnight Mover - The True Story Of The World’s Greatest Soul Singer, mais ce ne pas utile de charger la barque. Elle risque de couler.

    Signé : Cazengler, Chips Momie

    James L. Dickerson. Chips Moman. Sartoris Literary Group 2020

    James L. Dickerson. Goin’ Back To Memphis. Schirmer Books 1996

    Warren Zanes. Dusty In Memphis. Continuum Books 2003

    Dusty Springfield. Dusty In Memphis. Atlantic 1969

    Wayne Jackson. In My Wildest Dreams. Volume One. Nashville 2007

    Roben Jones. Memphis Boys. The Story Of American Studios. University Press Of Mississippi 2010

     

    L’avenir du rock - Burn to lose

     

    Bernard pivote vers la caméra :

    — Chers amis, nous recevons cette semaine dans Apostruffes un invité de premier choix puisqu’il s’agit de l’avenir du rock. Avenir du rock, bonsoir...

    La caméra pivote vers l’avenir du rock qui hoche la tête. Puis elle repivote vers Bernard.

    — Contrairement à tous nos invités, vous ne publiez rien, mais vous jouez un rôle considérable dans l’extension du domaine de la lutte des cosmogénies para-culturelles. La possibilité d’une île, est-ce là une utopie, avenir du rock ?

    — L’utopie n’est pas tant dans le topo...

    — Vous voulez dire qu’elle s’ancre dans le sable mémoriel comme s’ancrent les piquets de tente ?

    — Pas du tout. Vous m’avez interrompu. Qui plus est, vous raisonnez à Anvers. Vous n’y êtes pas. Gardez-vous des tropismes du Cancer. Je suis là pour vous parler de l’underground... Down to the underground... En deçà des fondations des fonds à Scion, en deçà des cavités professorales et des entourloupes cadastrales, vous devez faire l’effort de comprendre que la vie grouille sous cette grande pierre... C’est là que se trouve la vraie vie, la vie qui mord, la vie qui pique, la vie qui rampe, la vie qui vit, la vie qui luit, la vie qui meurt, la vie qui dort, la vie qui mange, la vit qui chasse, la vie qui boit, la vie qui chie, la vie la vie, l’avis des autres, la vie cruciforme, l’avirond qu’est pas carré, la vie Tess d’Uberville, l’avi Maria, la vie nègre, la vie tupère, la vie d’ordure, la vie au long sur les toits, la vie d’ange...

    — N’oubliez pas les ratons lavoirs...

    — Vous prévertissez mon propos. Vous m’êtes donc redevable. Aussi allez-vous devoir répondre à une devinette. Êtes-vous prêt, Bernard ?

    — Je vous écoute, avenir du rock.

    — Un fan plus un fan, ça donne quoi ?

    — Fanfan la tulipe ?

    — Non, un fanzine et son lecteur. La clé magique de l’underground.

    z16289dessinsaboteur.gif

    Francky Stein fait un fanzine qui s’appelle Burn Toulouse et un groupe, Saboteurs. Les deux sont extrêmement inspirés. L’album se récupère bien sûr de la main à la main et c’est ce qui fait sa valeur. Rien n’a plus de valeur que le troc underground. Les Saboteurs ne cachent rien de leurs influences : punk anglais, rockabilly et Sonics, l’album est un vrai festival de coups de cœur, puisqu’on y trouve deux reprises des Sonics, «Have Love Will Travel» (belle dégelée) et «The Witch» en B, bien torché, chanté au dark side of the boom. Ils prennent des faux airs de punks anglais pour taper l’«Astro Zombies» des mighty Misfits. Ils ont un sens aigu de la clameur. Ils tapent aussi le «Bad Man» des Oblivians au raw & brave, toujours avec ces clameurs dans le son. Et puis il y a ce fantastique «Here Today Gone Tomorrow» des Ramones, à la fois gaga et mélodique, méchant pourvoyeur de frissons et extrêmement bien envoyé. Ils restent dans les Ramones avec l’«Havana Affair» et le dotent d’une petite pointe anarchisante. La surprise vient du «Saboteurs» en ouverture de bal de B, joli shoot de rockabilly punkoïde, bien pulsé du beat, suivi d’un «6 Feet Underground» lancé au dark de cemetary et repris au beat rockab. Ces mecs ont de vaillants réflexes, ils savent cueillir un menton. Ils chantent «Moon Over Marin» à l’anglaise et balancent pour finir une version vicelarde de «Sweet Little Sixteen». Vicelarde ? Mais oui, bien wild et bien rockab, avec tous les développements ultra expected et une fabuleuse flambée d’énergie en prime. Wow, dix fois wow !

    z16288dessintoulouse.gif

    Francky a choisi le format poche pour Burn Toulouse, la Ville morose. Format de poche, c’est-à-dire l’A6, celui qui entre dans la poche arrière du jean. Les couvertures des numéros double zéro et triple zéro se débrouillent bien toutes seules. Elle n’ont besoin de personne en Harley Davidson : Cinéma & Rock N Roll, Punk, Underground, Surf, ça annonce bien la couleur, spécial Dick Dale pour le double zéro et Tom Waits & Iggy Pop pour le triple zéro. 28 pages et deux choses : un, dès l’édito, Francky annonce que son zine est fait à la main, sans adjonction d’ordi. Deux, tous les textes sont manuscrits comme ceux de Lindsay Hutton dans son fanzine, c’est du très haut niveau calligraphique. Chaque page est dessinée, illustrée à la volée et en prime, le sommaire ressemble à un festin royal : Dick Dale, Detroit Cobras, Mouse & The Traps, Damned et des tas d’autres choses à découvrir. Alors on part à la découverte de Silly Walk, avec une belle petite double illustrée par un portrait encré du groupe. Francky raconte leur histoire d’un ton badin. Bienvenue dans le confort douillet de l’underground spirit. Silly Walk nous dit Franky vient du fameux silly walk des Monty Python et il annonce la suite de l’histoire dans le numéro suivant, triple zéro, cette fois sous forme d’interview, ce qui permet de voir apparaître le crédo des influences, Heartbreakers, Saints, Clash, Damned et d’autres choses. Raoul cite en plus les Ramones, les Buzzcocks, les Stooges, les Cramps, les Dolls et les Beatles. Les illustrations crayonnées attirent bien l’œil, notamment le portrait de Dick Dale dans le double zéro, et puis il y a aussi cet hommage aux Detroit Cobras en deux parties, bien documenté et richement crayonné, Dexter Linwood n’hésite pas à entrer dans le détail labyrinthique des reprises, ainsi valsent les noms, Nathaniel Mayer, Hank Ballard, Gino Washington et ça continue dans le triple zéro avec l’épisode de la Nouvelle Orleans et la découverte de Slim Harpo, Benny Spellman, Earl King et tous les autres. Ça grouille de vie dans ce petit format. Francky entre en polémique avec ceux qu’il appelle les barnaqueurs et qui imposent les concerts au chapeau aux musiciens. Francky défouraille à coups d’articles de loi. Puis il honore le volet septième art du Burn avec John Landis et les Blues Brothers, puis Rock’N’Roll High School et les Ramones avant de retomber dans punk-rock city avec les Damned et une interview traduite par Henri-Paul et joliment illustrée. Dans triple zéro, Francky rend hommage à Herman Brood avec un épisode à suivre suivi de la suite et fin de Mouse & The Traps, occasion pour Francky de combler sans aucune rancune une lacune de Charlie Memphis - Tout le monde peut se trumper - Puis Francky remilite de plus belle pour l’abolition du chapeau dans les bars et pour la reconnaissance des musiciens. Quelles sont les solutions ? Révolution ! Il dresse ensuite une belle apologie des Livingstones, gang gaga-surf suédois et ça se termine en triple beauté avec les Damned. Signalons que Francky anime en plus une émission de radio sur FMR, qui s’appelle, tu l’auras deviné, Burn Toulouse. Façon pour lui de rendre hommage à Gildas qui menait lui aussi de front radio show et fanzine. Avec le même souci d’intégrité.

    Signé : Cazengler, burne tout court

    Saboteurs. Saboteurs. Vinyl Record Makers 2020

    Burn Toulouse # 00 - Double Zéro - Mars 2019

    Burn Toulouse # 000 - Triple Zéro - Mai Juin 2019

     

    Inside the goldmine

    - Les Broken Bones ne sont pas des bras cassés

     

    Il ne quittait pas des yeux l’exécuteur occupé à lui arracher ses dernières dents avec une longue tenaille. Parfois, leurs regards se croisaient. Celui de l’exécuteur n’exprimait rien, ni haine ni jouissance. Il obéissait aux ordres du centurion vautré dans un siège curule. Enchaîné à la muraille, Paul de Tarse subissait comme tant d’autres le martyre des Chrétiens de Rome. On commençait par leur arracher les dents, puis on leur brisait les jambes et on finissait par les décapiter. Il fit appel à toute sa volonté pour ne pas crier, mais il faillit défaillir tant la douleur lui taraudait la cervelle. Paul de Tarse bomba le torse et insulta l’exécuteur, le traitant d’arracheur de dents. Choqué, l’exécuteur protesta de sa bonne foi en répondant qu’il n’était pas un menteur. Le centurion lui ordonna de la fermer - Fermetta il becco - et de finir le jobbo. Alors Paul de Tarse traita le centurion de fasciste. Choqué, le centurion se leva et défourra son glaive. L’exécuteur prit le parti de Paul de Tarse et traita à son tour le centurion de sporco fascista. Le centurion approcha de l’exécuteur et lui plongea lentement son glaive dans le ventre. L’exécuteur s’agenouilla en levant le poing et en criant sporco fascista, sporco fascista ! Ah c’est pas malin !, fit Paul de Tarse. Le centurion essuya son glaive sur la tunique de l’exécuteur avant de le rengainer, puis il s’empara de la barre de fer qui servait à briser les jambes des martyrs. Il se mit en position de golfeur et frappa le genou droit de toutes ses forces. Avant de tomber dans les pommes, Paul de Tarse se dit que Broken Bones ferait un joli nom pour un groupe de rock.

    z16290dessinpaul.gif

    Il semble que sa suggestion ait été retenue. C’est vrai que c’est un joli nom pour un groupe de rock : St. Paul & The Broken Bones. Ils sont apparus pour la première fois à la fin d’un article de Stephen Deusner consacré à Muscle Shoals, dans l’Uncut de november 2016. Deusner commence par brosser l’habituel panorama (Rick Hall, Arthur Alexander, Clarence Carter, Aretha, Duane Allman, Wilson Pickett, Swampers), puis passe par la période de déclin des années 80 avant de revenir à la renaissance, via le témoignage de Patterson Hood. Il semblerait que ce soient les Black Keys qui aient relancé l’activité du Muscle Shoals Sound System, avec leur album Brothers. Deusner consacre la dernière page de l’article au Soul revival de St. Paul & The Broken Bones, expliquant que ces petits mecs de l’Alabama ne se contentent pas de pomper la vieille Soul, mais la perpétuent à leur façon - avant gospel anthems with quasi psych lyrics and towering horn charts - À coup de wild performances, ils ont acquis une réputation de «one of the most exciting bands in the South». Ils ont même réussi à ouvrir pour les Stones.

    , destination lonely, chips moman, burn toulouse + saboteurs, st paul & the broken bones, rockabilly generation news 19, laskfar vortok, crashbirds, guy magenta, rockambolesques,

    L’héritage du Shoals Sound System serait donc dans les pattes des Truckers (par la filiation), des Broken Bones et des Alabama Shakes. L’autre activiste du mythe s’appelle John Paul White. Son groupe s’appelle CivilWars et son label Single Lock Records. C’est lui qui veille sur la relève, à commencer par St. Paul & The Broken Bones, mais aussi Belle Adair et Dylan LeBlanc. Il semblerait que Belle Adair soit plus country-folk que r’n’b. Dans l’encadré des Four new bands you need to hear, on trouve en plus de St. Paul & The Broken Bones et de Belle Adair un groupe nommé Firekid, qui est en fait un one-man band placé sous la houlette de Dillon Hodges, puis les Secret Sisters, deux sœurs nommées Laura et Lydia Rogers qui ont pour seul défaut de fricoter avec Jack White.

    z16264city.jpg

    Comme Deusner se montrait particulièrement dithyrambique, on s’est jeté sur les deux albums, histoire de vérifier la véracité des dithyrambes. Révélation ! Et ce dès le premier album intitulé Half The City. On y retrouve le son de Muscle Shoals, ce feeling, dès «I’m Torn Up». Le groupe ne comprend que des blancs. Le chanteur s’appelle Paul Janeway. Il ahane comme un sphinx à la glotte éraillée et s’en va screamer d’épouvantable manière. La fête se poursuit avec «Don’t Mean A Thing». C’est extravagant de classe, balayé aux nappes de cuivres et cette folle équipe plonge dans des abîmes de big atmosphrix, tout est pulsé à la meilleure gageure du Shoals, à la puissance d’un fleuve qui emporterait tout, y compris le crépuscule des dieux. Paul Janeway enfonce son clou de Soul Man dans «Call Me» avec une extraordinaire prestance et ça repart de plus belle avec «Like A Mighty River», un cut hanté par des chœurs véridiques. La lumière du hit intercontinental rôde sous la roche et génère de la magie blanche. On croirait entendre les New York Dolls à Muscle Shoals, les ouuh-ouuuh créent une sorte d’émulsion mythique, a special flavor, et ce fou de Janeway se met à hurler. Une véritable trombe de transe ! Le «That Gow» qui suit colle parfaitement à l’idée que se fait le lapin blanc d’une merveille inconnue. Ils attaquent «Broken Bones & Pocket Change» à l’Otisserie de la Reine Pédauque. Sacré Paul, il avance sur les traces du messie palestinien, l’Otis qui prêchait la paix dans le désert. Paul Janeway se spécialise dans le frisson. Il sait atteindre le bas-ventre de la Soul pour la faire juter. Il monte ses énormités en neige. On assiste à un fabuleux excès de frottements torrides. C’est de la pulsion à l’état pur. Personne n’a jamais hurlé comme lui, ni Percy Sledge, ni Little Richard, il est complètement possédé. On continue avec «Sugar Dyed», un vieux r’n’b à la Stax motion. Ils connaissent toutes les arcanes. C’est encore un cut absolument définitif. Depuis l’âge d’or, on n’avait plus entendu de r’n’b aussi musclé. C’est encore pire que Wilson Pickett. Paul Janeway compte vraiment parmi les Soul Men d’exception. Il pousse tout à l’extrême. On assiste à une incroyable défenestration de la Soul. Il ré-attaque «Grass Is Greener» à l’Otisserie. Paul Janeway sait transformer un slowah en pyramide d’Égypte, en quadrature du cercle, en clavicule de Salomon et ça groove dans la mélodie, comme chez Marvin, avec des gros coups de trompette. On a là quelque chose d’affolant, d’intense, d’éclatant, de monté au dernier étage de la Soul et le scream est repris à la mélodie. Ils ne lâchent tien, comme on le constate à l’écoute de «Dixie Rothko». Paul Janeway hurle encore plus fort que Wilson Pickett, comme si une chose pareille était possible. Dernier round avec «It’s Midnight», fabuleuse fin de non-recevoir, encore un cut magnifique, hurlé face à l’océan de la Soul.

    z16295noise.jpg

    Par contre, leur deuxième album intitulé Sea Of Noise est nettement moins brillant. Pour ne pas dire foireux. Comme quoi, les choses ne sont jamais gagnées d’avance. On trouve tout de même sur cet album un «Flow With It» joliment jouissif et gorgé de son. Et un «Midnight On The Earth» puissant, car monté sur un beat tribal et animé par une bassline oblique. Paul Janeway chante ça dans les aigus, mais il se dégage du cut une sorte de vieux remugle de Saturday Night Fever. Encore un cut relativement étonnant avec «All I Ever Wonder», bien amené aux trompettes, comme chez Otis, et chanté à l’écrasée du talon. On tombe ensuite sur «Sanctify», une sorte de groove suspendu dans l’air mais un peu inutile. Ils semblent avoir perdu la foi. Paul Janeway cherche à percer les secrets et il finit par s’étrangler dans ses régurgitations, mais ça se termine en belle apothéose. Diable, comme leurs nappes sont belles ! Avec «Burning Rome», Paul Janeway retape dans le slowah Staxy noyé d’orgue et donc, voilà le travail.

    z16296camelia.jpg

    Un nouvel album paraît en 2018 : Young Sick Camellia. Le grand retour de Paul Janeway s’opère dans «NASA», un cut qui sonne comme un groove de naturalia maximalia. Ce Soul Brother se fond dans l’éther de la NASA. C’est d’une puissance qui défie les lois et qui culmine, il screame au sommet de son art. Très spectaculaire. «Hurricanes» sonne comme de la romantica à la mormoille, mais Janeway fend bien l’âme. Il chante comme un dieu - I feel you’re coming like hurricanes - C’est une voix qui compte dans la compta, fascinant personnage ! Il passe directement au coup de génie avec «LivWithOutU». Il attaque sa diskö avec une hargne exceptionnelle, il chante comme un black qui ne veut pas finir sa vie dans les champs de coton, alors il swingue son shoot à la vie à la mort. Il joue avec les nerfs de l’auditoire, il frise les moustaches de Dieu, c’est une énormité cavaleuse, un hit de dance fructueux, une bible à livre ouvert et il faut le voir screamer sa Soul. Le dernier cut de l’album, «Bruised Fruit», vaut pour un froti-frotah imparable. Il shoote sa foi dans le slowah, c’est indéniable. Ce mec est vraiment très bon, il surchauffe sa Soul comme on surchauffe une poule. Il peut devenir très spectaculaire. D’autres cuts accrochent bien l’oreille du lapin blanc comme ce «Convex» chanté de main de maître à la voix perçante. C’est une Soul qu’on peut qualifier de moderne, accrocheuse et anguleuse. Le «Get It Bad» qui suit vaut pour un vieux shoot de r’n’b, singulier et terriblement convaincu d’avance. Les Broken Bones y vont de bon cœur, la rue s’ensoleille à travers une bruine d’harmonies vocales superbes. Peter Janeway pourrait bien devenir une star. Avec «Apollo», ils font un diskö funk infernal. Quelle débinade ! Janeway fait un disk de black star. Ils tapent «Mr Invisible» au beat thibétain et Janeway chante à la criarde du marché aux poissons. Quel admirable brailleur ! Il n’en finit plus de ramoner sa happiness.

    Signé : Cazengler, Bras cassé

    St. Paul & The Broken Bones. Half The City. Thrity Tigers 2014

    St. Paul & The Broken Bones. Sea of Noise. Records label 2016

    St. Paul & The Broken Bones. Young Sick Camellia. Red Music 2018

    Stephen Deusner. Sweet Muscle Shoals. Uncut #234 - November 2016

     

    ROCKABILLY GENERATION NEWS n° 19

    OCTOBRE / NOVEMBRE / DEEMBRE 2021

    , destination lonely, chips moman, burn toulouse + saboteurs, st paul & the broken bones, rockabilly generation news 19, laskfar vortok, crashbirds, guy magenta, rockambolesques,

    Nous sommes début octobre. Le monde va mal. Partout du nord au sud et de l'est à l'ouest. Tout s'écroule. Rien ne va plus. Toutefois il y a encore un dernier train qui arrive à l'heure. Inutile de téléphoner à la SNCF pour lui adresser vos félicitations. Nous ne parlons pas des tortillards de banlieue ni des TGV, mais d'une locomotive. Pas n'importe laquelle, la dernière locomo-rockabilly, fabrication française, la 19 qui se permet de tenir ses promesses et de paraître début octobre comme prévu. L'a traversé les temps de vaches maigres et pandémiques, fraîche comme une fleur.

    Avant de l'ouvrir, me suis permis un petit plaisir égoïste de collectionneur satisfait, me suis attardé sur la quatrième de couve. C'est beau comme les arcanes du tarot, les dix-huit couvertures des dix numéros précédents, plus les deux Hors-séries, le Spécial Gene Vincent, et le Spécial Crazy Cavan. Sergio Kash et son équipe peuvent être fiers de leur boulot. Sont en train de constituer une véritable somme de l'histoire du mouvement rockabilly hexagonal. Depuis ses débuts. Sans oublier les pays voisins.

    Série pionniers. Greg Cattez nous rappelle les grandes heures du premier rock'n'roll anglais. Celui d'avant les Beatles. Qui a essuyé les plâtres. Nous dresse un émouvant portrait de Billy Fury. Sa vie fut une course contre la montre. Contre la mort. Son cœur se brisa après quarante-deux années de mauvais service. Vivre vite et mourir jeune, n'est-ce pas un mode de vie rock'n'roll. Cette première génération du rock britannique eut le privilège de côtoyer les pionniers américains, les photos en apportent la preuve. Par contre ils subirent de plein fouet les pressions de leurs maisons de disques, qui partaient du principe que les slows larmoyants se vendaient mieux que les rocks brutaux.

    Un autre pionnier, français, Jerry Dixie – j'ai eu l'honneur d'assister à un de ces derniers concerts, un petit bout d'homme de rien du tout, presque timide et sûrement effacé, satisfait qu'on lui achète ses disques mais presque gêné de les vendre, et sur scène un grand Monsieur, suffisait qu'il ouvre la bouche pour se retrouver propulsé là-bas dans la grande Amérique mythique, le big country. Une longue interview dans lequel il se raconte, simplement, sans rien cacher de ses origines populaires, mais l'oisillon a su devenir un aigle et placer ses morceaux auprès de gars qui ont pour nom Ray Campi, pour n'en citer qu'un. Ecouter Jerry est un régal.

    Il est né à Rotterdam, et sur la couve l'on voit ses cheveux blancs et son visage de gars qui a beaucoup bourlingué, mais ce qu'il nous conte recoupe les dires de Jerry dans l'interview précédente, cette difficulté pour les adolescents et les jeunes de leur époque à trouver le moindre disque, à glaner l'infinitésimal renseignement sur l'histoire du rock'n 'roll. Fallait de la persévérance, beaucoup de chance, et des rencontres hasardeuses... Kees Dekker, davantage connu sous son nom de Spider, retrace son parcours de combattant, les groupes qu'il monte et qui se désagrègent peu à peu, ses jours de réussite qui s'effilochent, la faute à la vie. L'amour l'appelle en France où il fonde une famille et travaille dur pour élever ses enfants, c'est par chez nous qu'il se fera connaître avec les Nitro Burners, rock dur et sans concession, ils finiront par arrêter. Mais Spider n'abandonne pas, il est tout près de reprendre la route. Le rock chevillé au corps. Les Nitro Burners avec un nouveau batteur préparent leur retour.

    Sergio Kash se plaint. Ne faisait pas très beau au Mans cet été. Je le rassure en Ariège non plus. En contre-partie il a eu un super lot de consolation. Le Festival 72 du Mans, trois jours et trois scènes débordantes de groupes de rockabilly. Ne regardez pas les photos, tournez vite les pages, elles sont belles mais vous allez les salopéger avec votre bave envieuse.

    Le pire c'est que ça recommence avec la collection de clichés ( suivis de leurs commentaires ) qui retracent les quatre jours de Béthune Rétro. Que de souffrances morales infligées aux absents ! Pensez donc, Viktor Huganet, Jake Calypso, Barny and the Rhythm All Stars, Spunyboys, j'en passe je ne voudrais pas vous empêcher de dormir la nuit prochaine.

    Entre ces deux mastodontes Steven qui opte pour une solution autre, l'organisation de concerts pas tout à fait privés et pas vraiment ouverts. Entre cent et deux cent cinquante personnes, des amis, des connaissances, des connaisseurs. White Night ne veut pas céder au gigantisme, la fête doit rester à dimension humaine...

    Suivent les chroniques habituelle, une Association catalane ( non ce n'est pas pour danser la sardane ), les nouveautés disques, les photos backstage et cette bonne nouvelle finale, le retour de Dylan Kirk et ses Starlights trop longtemps au point mort pandémique, l'un en Angleterre, les trois autres en France, difficile vu les déplacements limités de ces derniers mois de se retrouver, ils ont survécu, normal, sont jeunes, sont beaux, sont rockabilly, trois raisons suffisantes !

    Magazine chic ( maquette et photos couleurs ), magazine choc ( 100 % Rockabilly ), revue pour les rockers !

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois), 4,95 Euros + 3,94 de frais de port soit 8,89 E pour 1 numéro. Abonnement 4 numéros : 36, 08 Euros ( Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents !

    CALIGULA LIVES

    LASKFAR VORTOK

    ( Immigrant Breast Next / 2013 )

    Normalement j'aurais dû être attiré par la pochette. Cela m'arrive souvent. C'eût été logique Laskfar Vortok, un drôle de lascar, se définit entre autres comme un artiste visuel. Au temps béni où l'on enfermait Antonin Artaud à l'asile, les psychiatres n'auraient pas hésité une demi-seconde, z'auraient opté immédiatement pour la camisole de force afin qu'il ne remuât point trop lors de la procédure d'ablation du cerveau. Regarder une seule de ses vidéos aurait suffi à convaincre ces doctes praticiens. Dans la série ménageons la chèvre et le chou tentons de les comprendre. Ces trucs colorés qui vous arrachent la rétine s'avèrent, pour employer un terme euphéménique, déstabilisateurs. Les temps ont changé, les avancées techniques de la modernité ont permis à de nombreux artistes de révolutionner l'art pictographique. De quoi déboussoler les amateurs de la vieille peinture à chevalet, mais ceci est une autre histoire que nous évoquerons plus tard. D'autant plus que la couve de cet opus n'a pas été réalisée par Vortok lui-même, mais par Darakalliyan et surtout parce que Caligula Lives est une œuvre musicale.

    Surfant sur le net sur le nom de Caligula – un nom prédestiné pour un groupe de metal supputai-je, je ne m'étais pas trompé ils sont légion aux quatre coins de la planète, mon instinct de rocker qui aime les choses indistinctes m'a emmené sur ce Caligula Lives. Que les âmes sensibles s'éloignent, le personnage m'a toujours fasciné. D'abord parce que l'étude de l'antiquité gréco-romaine me passionne, et aussi par ce qu'une fois que Auguste eût assis la puissance impériale, ses successeurs immédiats se retrouvèrent en une étrange situation. Tout leur était permis. Liberté totale accordée. Ils n'ont eu de cesse de céder à la tentation de repousser les limites et de déployer, à leurs risques et périls, les plus profonds aspects idiosyncratiques de leur personnalités, ces turpitudes filigranifiques que nos propres vies étriquées gardent secrètement camouflées au fond d'un gouffre dont nous vérifions chaque jour les gros cadenas qui les maintiennent prisonniers... Nous ne l'ignorions pas, les monstres les plus ignominieux sont au-dedans de nous, pas au-dehors. Hypocrite lecteur ne me condamne pas, ô insensé qui crois que je ne suis pas toi ! Tout comme moi tu n'es qu'un cul de basse-fosse d'ignominie !

    z16309piedsnus.jpg

    L'Histoire n'a pas été tendre avec Caligula. Un monstre, un pervers narcissique, un fou à lier, les épithètes peu élogieuses ne manquent pas. Mais sa figure attire. Camus, dans le meilleur de ses livres, une pièce de théâtre sobrement intitulée Caligula, a tenté de décrire les rouages intellectuels qui ont guidé sa conduite. Il ne l'excuse pas, mais il aide à le comprendre. L'hypocrisie des courtisans et la veulerie du peuple qui se laisse si facilement berné par les miettes qu'on lui lance pour l'amadouer l'auraient dégoûté de la race humaine. D'où sa manie de pousser le système étatique de domination à fond les manettes, placer les gens face leur propre contradictions, à leur profond amour de la servitude. Volontaire, aurait ajouté La Boétie. J'encourage vivement les esprits libres qui aiment à s'écarter des vérités générales de l'historiographie officielle à se plonger dans Le César aux pieds nus ( consacré à Caligula ) de Cristina Rodriguez paru en 2002. De même Moi Sporus, prêtre et putain ( 2001 ) et Thyia de Sparte ( 2004 ), se dévorent goulument, les détracteurs vous avertiront, ce ne sont que réhabilitations romantiques de Néron et de l'idéologie couramment admise de la cité spartiate... Comme par hasard un mouvement se dessine chez les historiens actuels qui jugent que le portrait habituel de Caligula par l'historiographie traditionnelle dressé à partir des écrits de Suetone ne correspond pas obligatoirement à la réalité historiale...

    Non ce n'est pas un enregistrement live, l'expression Caligula Lives ( notez le ''s'' final qui démontre qu'il s'agit d'un verbe conjugué à la troisième personne du singulier ) correspond aux dernières paroles '' Je suis vivant ! '' proférées par l'Imperator lorsqu'il tombe sous les glaives et les poignards de la garde prétorienne...

    L'œuvre de Laskar Vortok ne comporte que trois titres qui synthétisent le singulier parcours et les derniers instants de l'Empereur fou, elle est à entendre comme ces Tombeaux que les poëtes du dix-neuvième siècle édifiaient en l'honneur de leurs pairs décédés... ne vous étonnez pas si la musique tumultueuse semble se résorber en des tourbillons d'une folie outrancière...

    Neos Helios : nouveau soleil, le morceau de l'ascendance, référence évidente au désir de Caligula – c'était un ordre mais la mort empêcha sa réalisation effective - que sa propre statue soit placée dans le Temple de Jérusalem. Caligula ne voulait sans doute pas remplacer le Dieu unique, lui qui avait déjà officialisé un culte impérial à son nom... Les esprits positifs concluront que le princeps était dérangé, ne vous étonnez donc pas si par hasard cette musique vous dérange. Ce n'est pas du rock, plutôt du noise-électro-disruptif, car comment évoquer ces froissements, ces glougloutements, ces éreintements de ressorts étirés au-delà de leurs capacités, suivis de ces envols lyriques aussitôt réprimés par des tambourinades intempestives et intraitables. Le tout ressemble à un bruit glauque de WC débouché et cette avalanche d'eau sale et grondeuse dans les canalisations caverneuses, un vortex de nuisances par lesquels Laskar Vortok nous place à l'intérieur de la tête de Caligula, dans ses crispations explosives de pensée, dans les rouages mêmes des combinaisons de ses neurones, et vous avez l'impression d'un engrenage dont les pignons s'enrayent, n'empêche que nous traversons aussi des zones de calme et de sérénité, l'effroyable succion se transforme en séquence idyllique, n'est-ce pas au milieu du kaos que nichent les Dieux, montagnes russes sonores, tout s'entrechoque, l'exaltation de l'aurore matitunale et les fracas insupportables de ces coques brisées sur les récifs nocturnes qui entourent et défendent l'île des Bienheureux. Pas de parole, juste cette musique dissonante, le haut et le bas, le beau et le laid, le bien et le mal, l'or et la boue, jumeaux inséparables, Laskar nous plonge au sein de la déraison caligulienne, pas de condamnation, à prendre ou à laisser, comme un bloc irradiant d'une énergie mortelle pour les humains qui ne supportent pas l'ambroisie divine qu'on leur offre. Lorsque le reptile de la folie se glisse et se love en votre âme, il tourne sans fin sur lui-même et vous n'arrivez jamais à l'arrêter. Incitatus : le nom du cheval préféré de Caligula, à qui il fit rendre tous les honneurs et édifier une écurie de marbre, on lui prête le projet d'avoir voulu le faire sénateur... Le morceau débute par une galopade, quoi de plus normal pour un canasson, mais très vite surgissent des brimborions de trilles pour exprimer toute la tendresse admirative que l'Imperator portait à son équidé favori. Ne nous y trompons pas, ce tintamarre jouissif décrit une histoire d'amour, l'alliance impossible entre la bête la plus fougueuse et l'homme indigne de son élégance. Entrecoupements de silences et mélanges de klaxonnades, pointillés de tumescences auditives, marques d'impatience, les sources historiques n'en parlent pas mais Laskar le suggère cette passion cavalosexuelle de ne plus faire qu'un avec sa monture, d'atteindre à la divinité en devenant centaure. Certains rêves sont plus fous que d'autres. Cryptoporticus on the Palatine Hill : nous avons eu du sexe dans le morceau précédent, très logiquement voici la mort. C'est dans un sombre couloir qui menait de son palais à l'arène dans lequel se déroulaient les jeux palatéens que Caligula a péri. Bruitisme funèbre, envolées d'orgue, belles tentures de pourpre que des bourdonnements insatiables de mouches recouvrent, des borborygmes, presque des paroles, comme si les derniers mots de l'Imperator étaient répétés à l'infini, le destin n'est pas en marche, il trotte allègrement vers sa victime, elle n'est déjà plus de ce monde – l'a-t-elle vraiment été une seule fois – les mouches s'envolent peut-être l'amplitude de la musique veut-elle nous faire accroire que dans le rêve terminal de Caïus Imperator elles se sont métamorphosées en aigles qui l'accompagnent vers l'Olympe en une suprême apothéose. Arrêt brusque de la musique, les simples mortels ne peuvent assister au festin d'accueil qui lui a été préparé.

    Je doute que la majorité des lecteurs de KR'TNT ! apprécient ce genre de musique... Quoi qu'il en soit Laskar Vortok a tissé un merveilleux linceul purpural à la mémoire de Caligula, honni parmi les hommes, admis parmi les Dieux. Si l'on porte créance à ce que nous nommons sa folie.

    z16308caligula.jpg

    Avant de nous quitter il est temps de regarder la pochette de Darakalliyan. Au premier coup d'œil l'on ne discerne rien de précis, si ce n'est cet éclair de foudre jaune qui tombe du ciel et ce lambeau rose de pourpre tyrienne dans lequel culmine la flèche du zigzag de feu que notre sagesse attribuera à Zeus. Au-dessus ce n'est pas la voûte céleste mais la représentation de sphère ptolémaïque de l'orbe du monde, au-dessous s'agitent les hommes qui vivent sur et sous la croûte terrestre. Un peuple informe dont on n'aperçoit que des silhouettes blanches, couleur de l'âme des morts, qui s'agitent figées en des poses stéréotypiques, déjà à moitié dévorées par la glaise qui les happe, et d'autres déjà rongées par la noirceur de l'oubli à moins que ce ne soient les Parques ou les Normes qui veillent sur notre destinée... Une image sage, qui nous rappelle que nous ne sommes que des êtres humains. Fragiles et mortels.

    Damie Chad.

    Note : les termes de Neos d'Hélios sont pour nous Modernes qui connaissons la suite et la fin de l'Histoire Ancienne à mettre en relation avec l'expression Sol Invictus désignant le Dieu Soleil en l'honneur de qui deux siècles plus tard l'empereur Aurélien fit édifier un temple magnifique. Voir aussi sur un plan tout autant politique mais beaucoup plus intellectuel les développements de la philosophie néo-platonicienne qui furent avec le règne de Julien le chant du cygne du monde païen...

     

    THE GOOD OLD TIMES

    CRASHBIRDS

    ( vidéo / You Tube )

    z16312logocuicui.jpg

    Tiens une nouvelle vidéo des Crashbirds, mais pourquoi en sortent-ils si régulièrement ces derniers temps ? Les réponses sont variées, faut bien que les grands enfants s'amusent, parce qu'ils en ont envie, parce qu'ils espèrent être repérés par un studio d'Hollywood et tourner une super-production aux States juste pour montrer aux petits frenchies ébahis qu'ils sont les meilleurs, tout simplement parce que ce sont des êtres libres et qu'ils font ce qu'ils veulent quand ils le veulent... je vous laisse cocher la case qui vous agrée, mais la dernière proposition se rapproche le plus de la bonne réponse. Ce qui coince avec les Crashbirds, c'est justement la liberté, non, rassurons-nous, ils ne sont pas encore en prison, mais c'est tout comme.

    Rappel historial : la pandémie, le premier confinement, tout le monde enfermé chez soi, une heure de sortie pour que le chien puisse arroser les trottoirs. Les groupes de rock – les autres aussi mais ce n'est pas ici le sujet – claquemurés à la maison, concerts interdits... sale temps, essaient de survivre comme ils peuvent, certains tournent des vidéos, beaucoup tournent en rond... Après des mois et des mois de ce régime sec, l'étau se desserre un peu. Ouf ! Non plouf ! L'Etat qui a acheté des millions de doses de vaccins inaugure une nouvelle stratégie, si vous désirez, sortir, boire un pot, ou participer à un concert, faites-vous inoculer le produit miracle et présentez votre pass sanitaire. Etrange comme cet adjectif fleure bon la cuvette WC dont on a omis de tirer la chasse. C'était juste une remarque philologique.

    Les râleurs professionnels que sont les français se précipitent en masse pour obtenir leur sésame, mais certains, des minoritaires refusent. Organisent des manifestations. Sans succès. Nous n'allons pas rouvrir le débat. Chacun se détermine selon son âme en perdition et son inconscience. Philosophiquement nous touchons-là aux limites du consensus démocratique majoritaire. Relisons Aristote et Platon.

    Les Crashbirds refusent de se plier à la passivité acceptatrice du pass, donc ils ne peuvent plus donner de concerts, dur pour un groupe, n'ont qu'à suivre le troupeau comme toute personne sensée. Z'oui, mais ils ont une éthique. Et même une éthique rock. Ne considèrent pas leur genre de musique comme une distraction. Le rock porte en lui-même des ferments de révolte, de rébellion, d'insoumission, de rupture, pensent-ils. Une attitude souvent revendiquée dans les paroles. Ainsi pour eux, il est inenvisageable de donner des concerts. Les milieux rock ne se sont pas, souvent pour des questions de pure survie économique, dans leur grande majorité pliés à une telle décision. Certes il y a de nombreux ( ? ) endroits où l'on ne vous demande pas de présenter le pass et où les organisateurs ne remarquent pas que vous n'êtes pas masqués, certains cafés-rock refusent d'organiser des concerts pour ne pas avoir à trier leurs clients... Pour ne pas se couper de leurs fans les Crasfbirds diffusent des clips ( ils en ont toujours proposé ) une visite de leur chaîne YT s'impose.

    Vous pouvez ne pas être d'accord avec les Crashbirds, pour notre part nous dirons que les gens qui mettent leurs actes en accord avec leurs idées sont une denrée rare et précieuse en ce monde de girouettes tourbillonnantes. Pas de notre faute si la phrase que je vous laisse méditer de de T. S. Eliot reste d'actualité '' Celui qui dans un monde de fugitifs prend la direction opposée aura l'air d'un déserteur ''…

    THE GOOD OLD TIME

    z16310cabinet.jpg

    Méprise totale de ma part, sur la première image, j'ai confondu, de loin j'ai pensé que cette espèce de guérite en planches, j'ai cru que c'était un de ces cabinets qu'au siècle dernier dans la série ''cachez ces culs que nous ne saurions voir'' l'on reléguait honteusement au fond du jardin, lamentable erreur, un crime de lèse-majesté, l'on aurait dû me rouer vif sur la place publique, car contrairement à toute attente, aux images suivantes il apparaît que c'est un trône royal. Z'auraient pu raboter et cirer le bois, mais Delphine ouvre un vieux grimoire et tourne les pages, pas de méprise possible, foi de licorne emblématique, nous sommes aux temps bénis du Moyen-âge, pour nous en convaincre le roi Pierre à la barbichette blanche et fleurie s'est adjugée le siège suprême. Je rassure tout de suite nos lectrices, ce n'est pas un mufle convaincu, souvent il laissera à la la Reine Delphine 1ère, le droit de s'asseoir sur le siège sacré. Quelle est belle notre reine adorée tour à tour dans son long manteau de brocard azuréen ou sa tunique de soie rouge ( que voulez-vous pour être reine elle n'en est pas moins femme et coquette ). Mais avec quelle grâce de baladin elle tient sa guitare ou se lance dans une mirifique pavane, ses saints pieds qui sautillent nous donnent l'impression de ne pas toucher terre...

    z16311roi.jpg

    Ne nous égarons pas. Oui, il était beau le bon vieux temps. Attention il ne s'agit pas du temps d'avant la pandémie. Nous sommes en ces temps radieux et médiévaux. Pour une fois la musique des Crashbirds a gagné en légèreté, moins entée dans la terre boueuse du blues triste, même légère, pas stupidement guillerette non plus, car les cui-cui n'oublient pas les vertus pédagogiques du rock 'n' roll, les images nous rappellent que le moyen-âge fut aussi une époque violente, châteaux-forts, tournois, combats de chevalier, le bon roi Carolus Magnus Petrus Lehoulier a laissé place à son fils, un jeune soudard ivre de sang et de batailles, vindicatif et inconscient qui n'a d'autres rêves que d'agrandir son fief et de partir aux croisades, son glaive ébréché témoigne de ses qualités guerrières. De quoi refroidir notre amour immodéré pour ces siècles lointains.

    D'ailleurs on les quitte ! Delphine ouvre un second livre, le drapeau français sur l'Elysée prouve que nous sommes en France, douce et sereine France, hélas l'embellie ne se prolonge pas, nous vivons l'époque des dictateurs, les estampes ( pas du tout japonaises ) qui se suivent décrivent une sombre époque, des bombes tombent sur des enfants, des lanceurs de missiles exécutent leurs tristes envois, des villes flambent, la musique s'alourdit, long passage musical, au cours duquel Pierre debout appuie sur l'accélérateur de sa guitare et Delphine s'adonne à une tarentelle désordonnée, bouquet final, feu d'artifice terminal.

    Triste constat : depuis le moyen-âge le monde ne s'est guère amélioré, nous ne nous servons plus d'épées mais d'armes de haute destruction... Le bon vieux temps ne dure-t-il pas encore ? Une nouvelle fois les cui-cui ont frappé fort, Un joyaux de plus à rajouter à la couronne des Crashbirds.

    Réalisé avec la complicité active d'Eric Cervera et de Rattila Pictures

    Damie Chad.

    RAUNCHY BUT FRENCHY ( 2 )

    COULEUR MAGENTA

    La nouvelle était tombée brutalement dans le flash d'information '' Mort de Guy Magenta '' sans plus. Un coin de la planète devait être en feu quelque part car le speaker ne s'était pas attardé, il l'avait juste ajouté qu'il avait quarante ans. C'était il y a longtemps, c'était en 1967. Depuis de l'eau a coulé sous le Pont Mirabeau ( sous tous les autres aussi ) et qui pense encore à Guy Magenta ! Sur le moment j'avais ressenti un petit creux à l'estomac, Guy Magenta je connaissais, l'était crédité pour la musique de Si tu n'étais pas mon frère d'Eddy Mitchell, un des meilleurs titres du rock français. Un truc percutant. Je me souviens encore qu'une après-midi alors que je le repassais pour la vingtième fois d'affilée ma mère excédée a surgi dans la pièce et a exigé que j'arrête immédiatement cette ordure, puis elle m'a traité d'assassin ! Sur ce elle a claqué la porte et j'ai remis le disque... Car j'étais un serial killer.

    Depuis 1965, j'étais fan d'Eddy Mitchell, parfois pour me rappeler le bon vieux temps, je file sur You Tube, et dans la série mes tendres années qu'elle était verte ma vallée je m'écoute une dizaine de hits de Schmoll... je me suis adonné à cet enfantillage pas plus tard que quinze jours d'ailleurs, mais cette fois j'ai tiqué, évidemment j'ai commencé par Si tu n'étais mon frère, j'ai enchaîné sur Société anonyme et là plouf sur les renseignements fournis sous la vidéo, je remarque que Guy Magenta est crédité, ah, oui Magenta, je ne m'attarde pas, j'ai un autre chat à fouetter l'envie subite d'écouter un autre de mes morceaux préférés ( que presque personne ne connaît ) de Mitchell : Fortissimo et là bingo les gogos, le nom de Guy Magenta s'affiche une nouvelle fois, je veux en savoir plus, je cherche, je trouve.

    C'est qu'une question subsidiaire angoissante me titille, je m'aperçois que la montagne possède une troisième face dont j'ignorais l'existence. O. K. ces titres je les ai aimés pour l'implication vocale du chanteur, et pour leurs textes, que voulez-vous je suis un littéraire. N'avais jamais pensé que les ai peut-être appréciés parce que c'était même le gars qui en avait composé la musique.

    Comme Marcel Proust j'avais du temps à perdre, aussi me suis-je enquis de la totalité des titres écrits par Guy Magenta pour Eddy Mitchell. Pas un max, seulement dix, leur collaboration ayant débuté en 1965 et terminé, par la force des choses, en 1967.

    z16304magenta.jpg

    Mais qui est Guy Magenta ? Se nomme en vérité Guy Freidline, millésime 1927, un compositeur né dans une famille de musiciens qui recevra quelques leçons de guitare de George Ulmer, doué et prolixe, l'est un admirateur de Vincent Scotto, attention il ne fournit que la musique, laisse à d'autres le soin des paroles. Le genre de caméléon qui s'adapte à son environnement, dans les années cinquante l'on remarque sa signature sur les pochettes des vedettes d'alors, Lucienne Delyle, Annie Cordy, Rina Ketty, Dario Moreno, Gloria Lasso, auxquels on joindra Edith Piaf, Dalida, Sacha Distel... contrairement à beaucoup il a l'intelligence de ne pas cracher sur la nouvelle vague des années soixante, John William, Hughes Aufray, Olivier Despax, Les Champions, Claude François, France Gall, Frank Alamo, Petula Clark, Lucky Blondo, Noël Deschamps, Dick Rivers, Eddy Mitchel seront parmi ses clients, rien ne lui fait peur, saute les générations, capable de vous pondre une opérette, une musique de film, de la roucoulade, du yé-yé et du rock. Ça marche pour lui. Par contre ça roule moins bien. Se tue à Salbris au volant de la Jaguar qu'il vient d'acheter... Toujours mieux que de se faire envoyer ad patres par la bicyclette d'un écologiste qui vous percute sur un passage clouté. Une mort princière donc... Difficile de glaner quelques renseignements sur le net...

    Formulons notre question autrement : reconnaît-on la pâte Magenta dans ces dix titres mitchelliens, y a-t-il sans discuter dans ces dix cuts des gimmiks musicaux, une structuration singulière qui fassent que l'on reconnaisse le coup de patte magentique.

    Si tu n'étais pas mon frère : ( 1965 ) : parolier Ralph Bernet : à la base c'est quoi ce morceau, des écorchures de guitares sur une tambourinade infinie, une espèce de ressassement rythmique répétitif, une cavalcade nocturne. Une orchestration sans une once de graisse, une esthétique spartiate, difficile d'en tirer une conclusion définitive. Elle détruit les garçons : ( 1965 ) : parolier Ralph Bernet : niveau parole ce n'est pas Victor Hugo, ca tombe bien l'on n'écoute que la musique : très différent du précédent, pourtant si l'on y prête attention, il y a ce rebondissement rythmique, ce piétinement de la batterie qui n'est pas sans rappeler celle du précédent, lorsque ce phénomène se manifeste, comme par hasard ce sont les meilleurs passages du morceau. Serrer les dents : ( 1965 ) : parolier Ralph Bernet : nous avions deux indices, nous voici face à une évidence d'autant plus prégnante que l'on retrouve la même fragmentation saccadée comme si la musique se marchait sur les pieds ou avançait à tout petits pas pressés, le phénomène est d'autant plus marqué que ce n'est pas la batterie qui se charge du boulot, mais toute l'orchestration introductive des couplets, à chaque fois différente – de ce temps-là il y avait des arrangeurs qui cherchaient pour chacun des titres d'un album une couleur distincte - étrangement ce sont surtout les violons qui accentuent le schmiblick à l'instar de l'oiseau pépiant à tue-tête à ras de terre pour détourner le serpent qui s'avance vers le nid.

    16306perspective66.jpg

    Les filles des magazines : ( 1965 ) : parolier Ralph Bernet : sorti sous forme de disque pirate, pochette blanche, agrémentée d'un tampon portant la mention Eddy Mitchell / Jimmy Page, couplé avec une version en anglais de What d'I said : je n'aime point trop ce morceau qui sur le sujet n'atteint pas la force érotique des Craquantes de Nougaro, mais là n'est pas le problème, pas besoin de coller son oreille sur les baffles, le truc c'est de ne pas suivre la guitare mais la batterie qui semble taper sur les tom par demi-tons, ce qui produit ce sautillement froissé caractéristique qui nous intéresse. Fortissimo : ( 1966 ) : parolier Ralph Bernet : changement d'époque, du rock l'on passe au rhythm 'n' blues, l'année suivante Mitchell s'envolera pour Muscle Shoals, la venue de James Brown à Paris n'y est pas pour rien... la guitare n'est plus qu'un faire valoir, les cuivres se taillent la part du lion, ils agitent leur crinière imposantes qui les rend redoutables, n'empêche que par-dessous la batterie ricoche sur elle-même, faut y faire attention car le morceau se déploie sous la forme d'une incessante gradation ascendante. Au temps des romains : ( 1966 ) : parolier Ralph Bernet : en ce temps-là Astérix occupait la première place des ventes en librairie, à rebours de la mode Mitchell le cria haut et fort il aurait vraiment été très bien au temps des ennemis implacables des irréductibles gaulois, le morceau est ponctué d'éclats de fanfares, les buccins triomphaux de l'empereur Trajan, lorsqu'ils se taisent vous saisissez venu du fond de l'antiquité le lourd claudiquement répétitif des légions en route vers la victoire.

    z16305sociétéanonyme.jpg

    Société anonyme : ( 1966 ) : parolier Ralph Bernet : hymne anarchiste ou critique impitoyable de la société capitaliste, je vous laisse juger par vous-même, rythmique envolée soutenue par des éclats intempestifs de cuivres, le morceau filoche dur, pas le temps de sauter d'un pied sur l'autre, mais la basse est légèrement décalée, ce qui introduit une espèce de tremblement qui accentue encore la galopade du chant et de l'accompagnement, avec en plus ces moments où la basse prend le devant de la scène et semble presser le temps comme si elle voulait recoller au gros de la troupe. Bye bye prêcheur : ( 1967 ) : parolier Frank Thomas, l'a écrit de nombreux succès pour Joe Dassin : un titre rentre-dedans et anti-curé, une spécialité de la première partie de la carrière du grand Schmoll, là c'est davantage fugace, il y a cet orgue d'église qui monopolise l'espace, mais ce rythme à deux temps précipités lors des refrains porte bien la marque de l'écriture de Magenta que nous recherchons. Je n'avais pas signé de contrat : ( 1967 ) : Frank Thomas et Jean-Michel Rivat écrivirent souvent ensemble, Rivat a laissé un souvenir périssable dans la mémoire du siècle en enregistrant muni d'une impressionnante perruque sous le nom d' Edouard : l'on n'entend pas grand-chose, la batterie trop mécanique écrase tout, trop mixée devant voilant les chœurs et surtout ces clinquances dégringolantes de guitare pas assez exhibées en avant pour savoir si leur répétition est vraiment un signe magentique. Le bandit à un bras : ( 1967 ) : parolier Frank Thomas : petite précision pour ceux qui entrevoient un western avec un pistolero manchot qui ne rate jamais sa cible, erreur sur toute la ligne, c'est ainsi que dans la perfide Albion l'on surnommait les machines à sous : enregistré à Londres, une utilisation très pertinente des cuivres, je ne m'en étais pas aperçu lors de sa sortie, sinon chou blanc et échec noir, sur toute la ligne, à aucun moment je n'ai découvert dans cette ultime piste une trace quelconque qui viendrait conforter mes hypothétiques déductions. Est-ce que cela a une réelle importance ? C'était juste un prétexte pour évoquer l'ombre perdue de Guy Magenta.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    UNE TENEBREUSE AFFAIRE

    EPISODE 02

    z16280cabots.jpg

    LIMOGES

    Dés l'entrée de Limoges nous fûmes pris en charge par une dizaine de motards de la gendarmerie nationale, sirènes hurlantes à une vitesse excédentaire ils nous emmenèrent devant l'entrée de la préfecture. Molossito et Mlossa auraient bien aimé que nous prissions un selfie devant le majestueux bâtiment, mais nous fûmes rondement menés au pas de course jusqu'au QG de crise opérationnel dans lequel s'agitaient une dizaine de pingouins fonctionarisés manifestement en proie à une grand affolement. Le préfet en uniforme s'avança vers nous, le visage défiguré par un tic nerveux d'impatience. A peine avait-il ouvert la bouche que le Chef l'interrompit '' juste le temps d'allumer un Coronado'', j'en profitais pour insinuer que tout serait parfait en ce bas-monde si pouvait être mis à disposition de notre brigade canine un grand bol d'eau pure et deux assiettes de steak haché au poivre vert. Mes souhaits furent exécutés avec célérité, c'était fou comment en quelques heures la cote du SSR avait augmenté auprès des autorités !

    Ne restait plus qu' à écouter le préfet. Il explosa littéralement, jeta sa casquette sur le parquet ciré et en un accès de colère folle il la piétina sauvagement. '' Un volcan ! Un volcan ! Nous sommes sur un volcan !'' Sur le moment je crus que le Puy du Dôme s'était réveillé et était prêt à recouvrir le département d'un tapis de cendres et de lave brûlantes. Peut-être nous avaient-ils confondus avec une équipe de vulcanologues appelés de toute urgence, mais non c'était bien l'affaire Charlie Watts qui motivait cette nervosité.

      • L'a fallu que ça tombe sur moi hoqueta-t-il, les agents de défense du Territoire ont recensé en moins de vingt-quatre heures dix-sept apparitions aux quatre coins de la France du batteur de ces saltimbanques inconnus, les Trolling Fones, une histoire de fantômes tout juste bonne pour les vieilles femmes et à l'Elysée non seulement ils prennent l'affaire au sérieux, mais ils ont décidé que c'est ici dans la Haute-Vienne qu'ils envoyaient le SSR pour traiter l'affaire sous prétexte qu'un journaliste de France-Inter a signalé cette insignifiante anecdote dans un flash d'information. Une histoire abracadabrante, l'on veut couvrir la préfecture de la Haute-Vienne de ridicule, je suis sûr que le Président du Sénat qui assure l'intérim a un copain à placer, il profitera de cette stupide affaire pour me limoger. Limoges, ô ma ville sacrée, je ne me laisserai pas faire, je suis là pour veiller sur ta sécurité ! Quant à vous, vous vous débrouillez pour me coffrer ce pâle toqué qui joue au revenant dans notre si paisible campagne. Voici l'adresse du péquin, un incertain Joël Moreau, vraisemblablement un assoiffé notoire, qui a vu le spectre du dénommé Charlie Waters !

    UN TEMOIN CAPITAL

    Joël Moreau nous reçut dans son bureau de l'Université de Limoges, un homme affable, un intellectuel de haut-niveau, les étudiants qui nous avaient accompagnés jusqu'à sa porte nous apprirent avec fierté et respect que c'était l'un des mycologues européens les plus réputés.

      • ah ! Vous venez pour l'affaire Charlie Watts, je comprends le souci des autorités. Je suis le premier à reconnaître que c'est incroyable. Mais je l'ai reconnu sans problème, je suis un vieux fan des Rolling Stones, l'est passé devant moi, dans son costume noir à liserets blancs, la grande classe, et ce sourire mi-malicieux mi-énigmatique, je ne crois pas qu'il m'ait vu, du moins il n'en a pas donné le moindre signe, j'aurais bien aimé lui demander un autographe, mais je n'ai pas osé le déranger, j'ai aussi dépassé l'âge naïf de mes étudiants...

      • Vous l'avez aperçu sur le campus ?

      • Pas du tout, en pleine campagne, sur la lisière du Bois du Pendu, à une quinzaine de kilomètres d'ici, il devait être cinq heures de l'après-midi. J'ai signalé le fait à quelques collègues, l'un d'eux a dû parler et l'information a fini par tomber dans l'oreille du correspondant de France-Inter.

      • A titre tout à fait indicatif, Monsieur le Professeur que faisiez-vous dans ce con perdu, je suppose que vous aviez emmené avec vous une jolie étudiante...

      • Hélas non, j'étais seul, quant à ma présence en cet endroit elle est évidente, je suis professeur de mycologie, je cherchais des champignons !

      • Une dernière question, Monsieur le Professeur, croyez-vous aux fantômes ?

      • Pas du tout, mais je crois en Charlie Watts, j'ai assisté au premier rang à dix-sept concerts des Rolling Stones. Vous savez je suis un esprit positif, un scientifique, mais avec les Stones il faut s'attendre à tout !

    LE BOIS DU PENDU

    L'entente avec Joël – fini le protocolaire Monsieur le Professeur - avait été quasi-immédiate, nous aurions besoin de bottes de caoutchouc avait-il décrété, l'on passe d'abord chez moi pur récupérer deux vielles paires, il en profita pour nous montrer son impressionnante collection de bootlegs des Stones, et maintenant tassés dans sa Kangoo, nous montions vers le Bois du pendu.

    Joël stationna la voiture au haut d'une vaste colline herbue couronnée par un imposant bosquet de chênes. A la première portière ouverte Molosa et Molossito sautèrent hors du véhicule galopèrent en jappant vers les arbres.

      • Ils ont besoin de se dégourdir les pattes, qu'ils fouinent à leur aise, avec un peu de chance ils poseront le museau sur une piste ! Quant à nous, explorons l'endroit méthodiquement, serions-nous plus perspicaces que nos chiens interrogea le Chef en allumant un Coronado.

    Il n'en fut rien. Nôtre tâche se révéla aisée. Aucune broussaille n'encombrait le sous-bois, des sentiers zigzaguaient sans encombre parmi les fayards relativement espacés. Pendant notre exploration, Joël nous raconta qu'il avait vérifié la veille, la dénomination '' Bois du Pendu '' remontait au début du dix-huitième siècle, et qu'aucun évènement sinistre ne s'était jamais déroulé depuis ce temps lointain dans ce lieu que nous parcourions les sens en éveil. Nous eûmes beau scruter le sol nous ne relevâmes même pas la présence d'un mégot de cigarette ou d'un déchet de plastique.

      • Remarquons que ce n'est pas dans le bois que Charlie Watts m'est apparu mais lorsque j'étais en train de longer la lisière. Suivez-moi je vous montre l'endroit exact.

    Rien de particulier n'éveilla notre attention. Pourquoi exactement ici et pas ailleurs me demandais-je. Le Chef devait partager mon interrogation, il s'arrêta pensivement pour allumer un coronado, Joël en profita pour me désigner cachés dans l'herbe deux magnifiques cèpes, ils étaient déjà-là hier précisa-t-il.

      • Agent Chad, je ne pense pas que le fantôme de Charlie Watts se promenait ici pour cueillir des champignons, ne nous égarons pas, restons rationnels.

    C'est à ce moment-là que les chiens aboyèrent. Ils étaient loin, instinctivement je tournais la tête vers le lieu d'où nous parvenaient le son, à une centaine de mètres, au-dessus de nous, je n'en crus pas mes yeux, une silhouette noire venait vers nous, d'un pas nonchalant, sans se presser, le long de la lisière, les cabots le suivaient en hurlant à la mort mais cela n'avait pas l'air de gêner Charlie, car c'était lui, plus il se rapprochait de nous, plus nous étions sûrs que c'était bien lui !

      • Agent Chad, dès qu'il arrive à notre hauteur vous l'attrapez par le bras et vous le retenez, sans brutalité, n'oubliez pas que c'est Charlie Watts tout de même !

    Je m'exécutai, quand il fut à ma portée je tendis la main, mais elle ne rencontra que du vide, pas un gramme de chair et d'os, un fantôme, un vrai, il ne tourna même pas la tête vers nous, et passa son chemin tranquillement, trente mètres plus loin, il se volatilisa en une seconde. Nous étions abasourdis.

    Nous n'eûmes pas le temps de reprendre de nos esprits. Le portable du Chef, venait de sonner.

    A suivre....