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  • CHRONIQUES DE POURPRE 606: KR'TNT 606 : CHIPS MOMAN / BETTYE LAVETTE / DOC POMUS / LOS PEPES / SIMON STOKES / ROCKABILLY GENERATION NEWS / ORDER OF THE BLACK JACKET / HEX ENGINE / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 606

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    22 / 06 / 2023

     

    CHIPS MOMAN / BETTYE LAVETTE

    DOC POMUS / LOS PEPES / SIMON STOKES

    ROCKABILLY GENERATION NEWS

    ORDER OF THE BLACK JACKET

     HEX ENGINE / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 606

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

                                                                                                                                                                                                             

    Le Moman clé

    - Part Four

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    Chips aime bien Ronnie Milsap. D’ailleurs, il le reçoit chez American et Dan Penn produit son premier album sobrement titré Ronnie Milsap. Ça sort sur Warner Bros.

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    En 1971, sous une belle pochette. Ronnie y apparaît solarisé en gros plan. L’outstanding cut se trouve en B et s’appelle «Crying». Ronnie s’aventure sur les terres de Big O et rivalise d’excellence de chat perché avec lui. On note aussi l’excellence du «Sunday Rain» signé Mark James. Ronnie le prend en charge sans ciller. Ce mec chante comme un dieu et Dan orchestre à outrance. Vas-y Dan, tartine-nous ça ! Ronnie tape dans Dan et Spooner avec «Blue Skies Of Montana». Ça frise la carte postale, car Ronnie nous traite ça à l’épique du Tennessee. On note aussi la présence en B d’une belle compo de Jim Dickinson intitulée «Sanctified». Chez American, on ne mégote pas sur la marchandise.

             Dans le tas de grands artistes venus enregistrer chez Chips, on trouve aussi Petula Clark et Brenda Lee. Elles sont venues toutes les deux faire leur Memphis album. Le Memphis de Petula sort en 1970. En Europe, Petula traîne surtout une réputation d’artiste de variété, mais chez Chips, elle a tout de suite du son. Tous les copains sont là pour s’amuser avec elle, Reggie, Bobby et Gene.

             — Que fais-tu là Petula, si loin de l’Angleterre ?

             — Mais tu le chais Chips, j’enregistre my Memphis ellepie !

             — Ah oui, sorry j’étais dans la lune ! Que dirais-tu de reprendre «Neon Rainbow» ?

             — Chic idée, Chips !

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             Cette diablesse de Petula transforme la pop de Memphis en pop anglaise. Elle sait elle aussi gueuler par dessus les toits. Elle se montre aussi pétulante avec «Goodnight Sweet Dreams». Elle se jette admirablement bien dans la bataille. Il faut aussi entendre le délire psyché que bricole Reggie Young derrière elle dans «Right On». C’est d’ailleurs le seul intérêt du cut. Chips refourgue aussi à Petula une compo de Mark James, «When The World Was Round», on ne sait jamais, des fois que ça devienne un tube. Mais ce n’est quand même pas du Paddy McAloon. Elle termine avec un bel hommage à Curtis Mayfield en reprenant «People Get Ready», mais on peut en rester là.

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             Encore un coup dur pour Chips. L’album Blue Lady qu’il enregistre en 1975 avec Petula Clark ne sort pas. Le label ABC Records boude. Il finira par sortir vingt ans plus tard sous le titre Blue Lady - The Nashville Sessions. Bizarrement, Petula se vautre sur Burt («Don’t Make Me Over»), elle le chante au petit sucre d’Angleterre et pour Burt, elle est trop poppy, trop criarde. C’est avec «Pickin Berries» signé Toni Wine & Chips qu’elle explose les Nashville Sessions. Elle tape en plein cœur de l’excellence, elle amène ça au petit popping de cueillette et ça bascule dans la grosse énormité de pop américaine. C’est le nec plus ultra de la grande pop US et c’est l’occasion de rappeler que Chips avait du génie. C’est tartiné dans les grandes largeurs. L’autre coup de maître du producteur Chips, c’est le morceau titre. Il nous fait le coup de Bernard Hermann à Nashville, c’est-à-dire le coup du groove urbain, et Petula excelle dans la mélancolie bleue. Chips lui orchestre ça aux petits oignons. Elle chante magnifiquement «You’re The Last Love» et c’est la raison pour laquelle Chips la chouchoute. Elle se fond bien dans Chips avec «Charlie My Boy», elle truffe la compo de Chips de magic stuff, car elle chante d’une voix de rêve. Encore une panacée de Petula avec «If You Think You Know How To Love Me», elle en fait une petite énormité vite fait bien fait. Le reste n’est pas très bon, dommage.

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             L’album que Brenda Lee enregistre chez Chips l’année suivante est nettement plus passionnant. Il s’appelle Memphis Portrait. Elle démarre avec une reprise un peu ratée des frères Gibb, «Give A Hand Take A Hand» et s’en va ensuite musarder chez John Denver avec «Leaving On A Jet Plane». Elle très nasale. Chips lui propose le «Games People Play» de Joe South et on entre en terrain de connaissance. Oui, ce hit du vieux Joe est connu comme le loup blanc. Elle revient à Joe en B avec «Walk A Mile In My Shoes» qui vire très vite white Soul de qualité supérieure. Elle est extrêmement pugnace, comme Lulu, même genre de tempérament, vraiment far out. Avec «Too Heavy To Carry», elle tape dans l’extrême Memphis Soul, avec Mike Leech on bass. Quel son ! Les mecs d’American n’ont rien à envier aux MGs. Chips glisse à Brenda un balladif signé Reggie : «Hello Love». Bien vu, Chips ! Brenda fait aussi une cover irréprochable de «Proud Mary». Comme s’il n’y avait rien à en dire. Puis elle tape dans le saint des saints avec le fameux «Do Right Woman Do Right Man» que Chips et Dan Penn composèrent jadis pour Aretha. Cette fière shouteuse de Brenda finit bien sûr par l’exploser.  

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             Avec Bobby Womack, on entre dans la zone protégée des albums culte, à commencer par Fly Me To The Moon, paru sur Minit en 1968. C’est l’époque où Bobby vient traîner à Memphis et Chips l’adopte. Bobby intègre les Memphis Boys et profite des installations pour enregistrer deux albums. Le morceau titre de ce premier album est unE merveille tentaculaire. On a le big American Sound avec Bobby Emmons à l’orgue et Reggie sur sa gratte derrière Bobby. «Fly Me To The Moon» est un fantastique cut de Soul vertigineuse. Bobby screams his ass off et Reggie entre dans la Soul avec une patte de velours. C’est aussi sur cet album qu’on trouve l’imparable «I’m A Midnight Mover». Bobby y fait son wicked Pickett qui d’ailleurs est le co-auteur de ce hit de Deep Soul bien bassmatisqué par Mike Leech. Wow ! Bobby screams it off. Encore une combinaison gagnante : un Soul Brother avec le gratin dauphinois de Memphis. Ce dingue de Bobby chante aussi «What Is This» avec toute sa niaque et derrière les Memphis Boys chargent merveilleusement la barque du Memphis Sound. Les dynamiques sont superbes. Quel bel achèvement ! Cet album est si bon qu’il donne envie de se replonger dans tout Bobby. Il sait embarquer ses cuts dans les hautes sphères de l’exaction maximaliste. Tous les cuts flirtent avec l’énormité. En B, Bobby tape dans l’«I’m In Love» de wicked Pickett. Il chante ça à la pire arrache qui se puisse concevoir. Il monte tellement dans les tours de scream qu’il bat wicked Pickett à son propre jeu. Il groove ensuite de «California Dreamin’» de John Phillips. Quel beau numéro de Soul Brother ! Reggie brode de la dentelle de Calais dans la couenne du son et le groove progresse dans la chaleur de la nuit. Toute cette aventure se termine avec «Lillie Mae» et l’admirable rumble des Memphis Boys in full bloom. C’est heavily good, ils jouent ça à la merveilleuse évidence de la mouvance. C’est à la fois percutant et perfusant, perméable et perpétuel, plerclus de classe et pertinent, pervertisseur et perfecto.

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             Bobby enregistre My Prescription dans la foulée. L’album grouille de coups de génie, à commencer par «How I Missed You» qui sonne comme un hit de country Soul. Just perfect. Bobby chante avec la rigueur d’un Soul Brother débarqué à Memphis. Idéal pour les amateurs de mythes. C’est si bien nappé d’orgue qu’on en bave de plaisir. Et Gene Chrisman bat ça au nec plus ultra. Encore un coup de génie avec «I Left My Heart In San Francisco». Les Memphis Boys jouent ça au groove pressé de semi-acou paradisiaque. Voilà le genre de miracle dont sont capables Chips et ses chaps. Pur jus de Memphis Soul typecast, avec un Bobby qui part en goguette et qui screame sa crème. Encore un slow groove de Soul avec «More Than I Can Stand». Chips l’orchestre à gogo, il envoie des vagues de cuivres et de violons à l’assaut du ciel et Reggie Young brode sa dentelle de Calais dans un coin. En B, on retrouve l’inébranlable «Fly Me To The Moon». À la réécoute, ça sonne encore plus légendaire, faites l’expérience, vous verrez. Bobby a du génie, un sens aigu du hit qui fait mouche. Il screame à bon escient. On trouve deux autres merveilles productivistes en B, «Don’t Look Back» et «Tried And Convicted». Le premier vaut pour un beau brin de groove de Soul aérienne, bien vu, bien senti, ultra joué, orchestré avec goût, et doté de ces fantastiques descentes de bassmatic qui font la réputation d’American. On peut dire la même chose de «Tried And Convicted», violonné à la revoyure, c’est de la haute voltige. Chips voyait grand pour Bobby.

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             Elvis doit une sacrée fière chandelle à Chips, c’est en tous les cas ce que montre  Suspicious Minds The Memphis 1969 Anthology. Ce double CD est bourré de cuts miraculeux, à commencer le morceau titre. Pur Memphis Sound, big symbole, bien battu en brèche, avec le fantastique bassmatic d’American. Ici, Chips a tout bon, il fournit le beurre et l’argent du beurre à Elvis, le son et la compo. Il faut entendre ce redémarrage de bass/drums dément ! Autre coup de génie productiviste avec «Anyday Now», Chips envoie des chœurs superbes. Elvis entre dans le groove du fleuve avec «Stranger In My Own Town». On est au cœur du Memphis Beat. Puis avec «Without Love (There Is Nothin)», il vire gospel et donne libre cours à son génie vocal. Tout dans ces sessions est produit de main de maître. Elvis a tout ce qu’il peut désirer : l’orgue, les filles, Chips, il fait de la Soul avec «Only The Strong Survive». On assiste ici à un festin de son. Quand il tape un mélopif comme «I’ll Hold You In My Heart», il fait le show, qu’on aime ou qu’on n’aime pas. Retour à l’église en bois pour «Long Black Limousine». Il recrée le gospel power à la seule voix et ça devient énorme. Il n’a pas besoin des Edwin Hawkins Singers. Il chante même sa country comme un dieu, au vibré de glotte royale. Petit clin d’œil à Johnny Horton avec «I’m Moving On». Il chante ça au lowdown de Memphis et quand arrive «Gentle On My Mind», on tombe de sa chaise tellement c’est pur. Encore une équipe gagnante dans l’histoire des teams de rêve : Chips + Elvis. Quand on entend «After Loving You», on comprend que Reigning Sound soit allé chercher ce son-là. «In The Ghetto» sonne comme l’aboutissement de Chips. Encore un chef-d’œuvre absolu : «You’ll Think Of Me», balladif généreusement orchestré et les cuivres arrivent dans la folie des chœurs de gospel perchés dans le ciel. Sur le disk 2 se trouvent rassemblés les alternates. On n’apprendra rien de plus. Ça ne s’écoute que par pur plaisir. Elvis est le chanteur parfait et les mecs d’American le backing parfait. Les montées en température dans «I’m Moving On» sont des modèles du genre, surtout le bassmatic en folie. Pur merveille que ce «Power Of Love» joué au heavy Memphis groove. Elvis réussirait presque à nous faire oublier le Colonel. On trouve vers la fin une version d’«Hey Jude» extrêmement chantée, superbement orchestrée, cuivres, violons, chœurs, piano, il ne manque rien. Encore un coup de prod avec «Rubberneckin’» et des chœurs de rêve. On retrouve aussi un alternate de «Suspicious Minds» vers la fin - It’s the last take Chips ! - Magie pure, Reggie Young on fire, Gene Chrisman on the beat, Mike Leech on bass, ça s’écoute religieusement.

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             Donnie Fritts a longtemps écumé la frontière. Les bivouacs dans les montagnes ont éculé ses fringues. Une cartouchière lui barre la poitrine et ses bottes ont déjà vécu neuf vies. Assis sur un banc, il scrute l’horizon. C’est la pochette de Prone To Learn, paru en 1974. Très bel album, aussi solide que son poney apache. Il attaque avec un shoot d’’Alabama rock finement cuivré, «Three Hundred Pounds Of Hongry». Jimmy Johnson, Eddie Hinton, David Hood et Roger Hawkins font partie du gang, donc ca donne la fritte à Fritts. Tous les amigos sont là, y compris Rita Coolidge, Billy Swann, Dan Penn, Jerry Wexler, Kris Kristofferson. Grosse ambiance. S’ensuit un «Winner Take All» co-écrit avec Dan Penn. On sent la patte du Penn. «You’re Gonna Love Yourself» sonne comme le balladif idéal. Fritts joue la carte du soft Southern drawl, celui du petit matin. En B, Tony Joe White radine sa fraise sur «Sumpin’ Funky Going On». Tony Joe joue lead sur ce boogie funk vermoulu. Ils duettent à un certain moment, with a smile on my face. S’ensuit un heavy country funk d’Eddie Hinton, «Jesse Cawley Sings The Blues», bardé de steel guitar et de piano. Le morceau titre est un cut de Kris Kristofferson, un folk-rock typique de Muscle Shoals. Et toute cette belle aventure se termine évidemment avec «Rainbow Road», le hit de Dan & Donnie, the absolute beginners.

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             Album très impressionnant que ce Memphis Underground d’Herbie Mann paru sur Atlantic en 1969 et enregistré chez Chips. Au dos, on voit les musiciens enregistrer chez American : dans un coin, les deux guitaristes, Sonny Sharrock et Larry Coryel. On voit aussi Reggie Young et sa Tele avec la section rythmique, et dans un box, Herbie Mann torse nu avec sa flûte. C’est photographié de l’étage. Dès le morceau titre d’ouverture de bal d’A, on est en plein cœur du Memphis beat. Gene Chrisman bat le beurre de roule ma poule et Tommy Cogbill nous bassmatique tout ça au quart de poil. Ils tapent en fin de B une cover d’«Hold On I’m Coming». Miroslav Vitous prend la basse. Il sort un drive plus jazzy et c’est embarqué au shuffle d’American. Herbie Mann flotte à la surface du shuffle. Ces géants se payent une tranche sur le dos de Sam & Dave. Excellent ! Ils attaquent la B avec une cover de «Chain Of Fools». C’est encore un groove ventru, plein de son, avec Larry et Sonny qui croisent le fer avec le bassmatic demented de Tommy Cogbill. Et cette belle aventure se termine avec «Battle Hymn Of The Republic», fantastique numéro de shuffle de flûte, Herbie Mann n’est pas manchot, il joue très organique, il swingue le thème mélodique et ça ensorcelle les vermicelles.

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             Avec Neil Diamond, Chips applique les mêmes recettes qu’avec B.J. Thomas : a big handful of big covers. On en trouve quatre sur Touching You Touching Me paru en 1969, année érotique, à commencer par l’imparable «Everybody’s Talking» de Fred Neil, avec un petit coup d’up-tempo et un banjo. The Memphis way ! Neil Diamond le chante d’un ton ferme, sous l’horizon. Il enchaîne avec le fantastique «Mr Bojangles» de Jerry Jeff Walker, il le bouffe même tout cru, crouch crouch. Il est excellent dans ce rôle d’artiste American. Il déclenche de sacrées vagues de frissons. En B, il tape l’excellent «Both Sides Now» de Joni Mitchell, il descend dans la magie de Joni comme dans un lagon, il jette tout son poids de Diamond dans la balance de cristal pour honorer cette mélodie lumineuse. Il termine avec un superbe hommage à Buffy et cette reprise d’«Until It’s Time For You To Go», prodigieusement orchestrée, du pur jus d’American.

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             Grâce à Ace, on peut écouter les fameuses long lost 70 sessions de Carla Thomas enregistrées par Chips chez American : Sweet Sweetheart - The American Studio Sessions And More. Ce lost album devait s’appeler Sweet Sweetheart. C’est Al Bell qui a l’idée d’envoyer Carla chez Chips, en 1970. Ah c’est autre chose que ces albums Stax un peu soporifiques. Avec Chips, Carla fait de la country Soul et ça explose dès le «Country Road» de James Taylor. Quel répondant ! C’est une merveille. Merchi Chips ! Grâce à lui, Carla s’affirme. Elle fait aussi de la petite pop («I’m Getting Closer To You»), pas de problème, Carla fait tout ce qu’on lui demande. Elle est fabuleusement accompagnée. Elle ramène son sucre («Heaven Help The Non-Believer»). Elle adore plonger dans le sweet sweet («Sweet Sweetheart», signé Goffin & King), elle détache bien ses syllabes, elle se débat dans des cuts de romantica, mais sa voix est pure. Chips transforme ses cuts en œuvres d’art. Elle fait du gospel batch avec «Everything Is Beautiful». Mais l’album va rester coincé sur une étagère pendant quarante ans, jusqu’au moment où Roger Armstrong le découvrira. S’ensuit une série de cuts Stax enregistré entre 1964 et 1968, à commencer par l’imparable «B-A-B-Y» (take 1), bombardé au bassmatic. Tony Rounce qui fournit les liner notes se demande pourquoi Al Bell et Jim Stewart ont bloqué toutes ces merveilles. En voilà encore une avec «Love Sure Is Hard Sometimes», monté sur un groove de walking bass et un pianotis de prescience. Back to the Memphis beat avec «Don’t Feel Rained On», elle chante la main devant les yeux, yes I feel new. La fête se poursuit avec «He Picked Me», pur jus de Memphis r’n’b, sec et net.

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             Chips cède à son péché mignon, la country, en enregistrant le Cactus And A Rose de Gary Stewart. Attention, ce n’est pas de la gnognotte puisque ça sort sur RCA Victor en 1980. Mais l’album est trop country pour les gueules à fioul. Dommage, car Chips a ramené du beau monde en studio : Bonnie Bramlett et Gregg Allman. On entend aussi beaucoup Toni Wine, qui est alors la poule de Chips. «Staring Each Other Down» est un heavy balladif country lourdement orchestré, l’orgue ne faiblit pas et Toni chante dans l’écho du temps de Chips. Si on aime la heavy country de Nashville, alors on se régalera de «Ghost Train», ce démon de Gary Stewart chante ça au raw du guttural. Bonnie entre dans la danse en B sur «Roarin’». Ah ils savent enfoncer des clous, les Nashvillais. Ça se termine avec un «We Just Couldn’t Make It As Friends» signé Chips qui sonne comme un hit. Fantastique allure. En fait, Chips a ramené en studio ses copains de Memphis, mais le son n’est décidément pas le même. C’est un son cousin.

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             L’un des gros coups de Chips, c’est Highwayman, le super-groupe country, avec Kristofferson, Waylon Jennings, Willie Nelson et Cash. Un album sans titre paraît en 1984. C’est de la country classique et sans surprise. Chips adore ça. Les quatre vieux crabes se relayent au micro. On note une belle dominante de Cash, toujours plus profond que les autres. On sauvera «Big River», festival de Western swing, avec Reggie Young à la gratte et Gene Chrisman au tatapoum. Fantastique énergie ! Chips remet tout le paquet avec son house-band. Reggie régit tout. Les quatre vieux crabes tapent aussi une version de «Desperados Waiting For A Train», le chef-d’œuvre de Guy Clark, mais ça retombe comme un soufflé. La version de Jerry McGill est bien plus balèze. Et quand on écoute «Welfare Line», on s’effare de la qualité de la prod. On le sait, Chips ne mégote pas.

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             C’est lui qui monte l’opération Class Of ‘55, Memphis Rock & Roll Homecoming avec Carl Perkins, Jerry Lee, Roy Orbison et Cash. Il voyait ça comme un gros coup, mais ça n’a pas marché. Pourquoi ? Il suffit d’écouter l’album. Carl Perkins ouvre le bal avec «Birth Of Rock’n’Roll», il sait de quoi il parle, mais le solo country est parfait, trop parfait pour être honnête. Heureusement, Jerry Lee chope le mic pour chanter «Sixteen Candles» et il sauve les meubles. C’est lui le king du Memphis Beat. Il ne fait pas planer le doute, mais le génie. Dès qu’il arrive, tout reprend du sens. Ils tapent un peu plus loin une grosse claque de country groove intitulée «Waymore’s Blues» et chantent à tour de rôle : Cash, Orbison, Jerr et Carl. C’est assez hot. Avec «Coming Home», Roy Orbison taille sa petite bavette bien baveuse. Avec Roy, c’est toujours baveux, mais puissamment baveux. «Rock And Roll (Fais Do Do)» n’a strictement aucun intérêt, Chips s’égare et Jerr ramène le Class Of ‘55 dans le droit chemin avec «Keep My Motor Runnin’». Il est le sel de la terre. Memphis, c’est Jerry Lee. La ville de Memphis n’acceptera pas cet album en forme de pétard mouillé et cassera le contrat avec Chips.

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             L’un des derniers albums que Chips produit est le Womagic de son ami Bobby qui sort en 1986. Pas de hit sur cet album, mais de l’excellent slow groove de Memphis («When The Weekend Comes»). Bizarrement, l’album vire un peu diskö, comme le montrent «Can’ Cha Hear The Children Calling» ou encore cet «It Ain’t Me» embarqué à la basse funk et perturbé par des cassures rythmiques insolites. 

    Signé : Cazengler, chips à l’ancienne

    Ronnie Milsap. Ronnie Milsap. Warner Bros. Records 1971

    Petula Clark. Memphis. Warner Bros. Records 1970

    Petula Clark. Blue Lady. The Nashville Sessions. Varèse Sarabande 1996

    Brenda Lee. Memphis Portrait. Decca 1971

    Bobby Womack. Fly Me To The Moon. Minit 1968

    Bobby Womack. My Prescription. Minit 1970

    Elvis Presley. Suspicious Minds The Memphis 1969 Anthology. RCA 1999

    Donnie Fritts. Prone To Lean. Atlantic 1974

    Herbie Mann. Memphis Underground. Atlantic 1969

    Neil Diamond. Touching You Touching Me. UNI Records 1969

    Carla Thomas. Sweet Sweetheart. The American Studio Sessions And More. Ace Records 2013

    Gary Stewart. Cactus And A Rose. RCA Victor 1980

    Highwayman. Highwayman. Columbia 1984

    Carl Perkins/Jerry Lee Lewis/Roy Orbison/Johnny Cash. Class of ‘55. America Records 1986

    Bobby Womack. Womagic. MCA Records 1986

     

     

    Bettye n'est pas une lavette

     

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             Comme beaucoup d’énormes stars de la Soul (Martha Reeves, Little Willie John et sa sœur Mable, Sir Mack Rice, Joe et Levi Stubbs et combien d’autres !), Bettye LaVette est originaire de Detroit. Elle a aussi un point commun avec les Pretty Things : une poisse terrible. Bettye aura passé sa vie à attendre de pouvoir enregistrer un album.

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             Elle raconte son histoire (en collaboration avec David Ritz, le biographe de toutes les stars de la Soul) dans un petit livre passionnant : A Woman Like Me - A Memoir. Il s’agit là d’une contribution majeure à l’histoire de la Soul. Ce petit ouvrage se lit d’un trait, d’autant plus facilement que Bettye fréquente toutes les stars de l’âge d’or, à commencer par Jerry Wexler, Andre Williams, Otis, Aretha et sa sœur Erma, Esther Williams, Marvin, bien sûr, George Clinton, Jackie Wilson avec lequel elle passe une nuit, Dr John, Solomon Burke et combien d’autres ? C’est probablement l’un des meilleurs éclairages sur la scène de Detroit.

             Bettye a deux passions dans la vie : le sexe et chanter - We were essentially groupies who sang - Bettye baise avec des tas de mecs et principalement des macs - Those pimps loved to watch girls have sex - Ces macs aimaient bien voir des filles baiser ensemble. Elle affirme qu’elle a plus appris de ces gens-là que des prêtres - I’ve learned a helluva lot more from pimps than preachers - Bettye n’est pas avare de détails, elle a toujours aimé le cul et elle avoue qu’arrivée à la soixantaine, elle n’est plus aussi athlétique au lit.

             Son histoire démarre très fort, puisque ses parents sont alcooliques professionnels. Ils vendent de l’alcool et des sandwiches - I was born in a heavy-drinking family. Early on I became - and remain - a serious drinker - Et elle fréquente très jeune le Black Bottom, le quartier chaud de Detroit où les souteneurs en costards de soie vert pistache et en spit-polished alligator shoes la fascinent. Elle y croise Otis Williams et David Ruffin qui allaient former les Tempts, Smokey aux yeux verts et Mary Wells qui chantait les chansons de Smokey.

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             Bettye a seize ans lorsqu’elle enregistre « My Man ». Jerry Wexler repère le single et la veut sur Atlantic. Elle commence à tourner et baise avec Otis et Ben E King qui ont déjà pas mal de gonzesses dans leurs vies respectives. Bettye snobe Motown, fière d’être signée sur Atlantic, le label de Ray Charles, de Solomon Burke et des Drifters. Elle fréquente aussi Andre Williams qui a dix ans de plus qu’elle, et Ted White, le mari d’Aretha qui se dit pimp. Bettye affirme qu’Aretha est devenue une superstar grâce à Ted, et elle trace un parallèle avec Ike Turner - Without Ike, there would not be no Tina - Sans Ike, pas de Tina possible. Bettye raconte qu’elle passe l’après-midi à sniffer de la coke avec Ted et Aretha dans une suite d’hôtel - For years Aretha’s baby sister, Carolyn, and brother Cecil shared the same drug dealer with me - Elle et Carolyn s’approvisionnent chez le même dealer. Tout va bien pour Bettye jusqu’au jour où son manager Robert West se tire une balle dans la tête. Catastrophe ! La voilà obligée de tout reprendre à zéro.

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             C’est là qu’elle fait la connerie de sa vie : elle part s’installer à New York. Elle va trouver Wexler et pose ses conditions : elle veut travailler avec Leiber & Stoller, mais Wexler lui dit qu’ils ne sont plus chez Atlantic. En échange, il lui propose Burt Bacharach qui composait alors pour Dionne Warwick. Bettye fait la deuxième connerie de sa vie : elle refuse - I need gutsier writers like Leiber & Stoller - Elle voulait des gens plus dynamiques que Burt. Alors elle quitte Atlantic. Sans manager et sans label, t’es foutue, lui dit Wexler. Comme elle veut être libre, elle demande à Wexler de déchirer son contrat. Ce qu’il fait devant elle. Puis il lui file un chèque de 500 dollars - For what ? Demande-t-elle - Just because you’re going to need it - Wexler la prévient qu’elle va en baver.

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             Elle dit beaucoup de mal de James Brown qu’elle considère comme un être inculte - I saw him as an especially ignorant man - et de Doris Troy - She was bad - Et elle finit l’épisode new-yorkais à moitié à poil dans la rue, après qu’un mac ait menacé de la jeter du vingtième étage d’un immeuble. Retour à Detroit, où elle fréquente les gens de Motown. Bettye couche avec Clarence Paul, l’un des producteurs Motown qui n’est hélas pas dans les petits papiers de Berry Gordy. Elle raconte comment un soir sur scène, George Clinton commença à prendre de l’acide - If Jimi Hendrix could kiss the sky and burn up his guitar on stage, George wasn’t going to be left behind - Oui, il n’était pas question pour Clinton de prendre du retard sur Jimi Hendrix. Et elle fait bien sûr le parallèle avec ce qui se passait alors en Californie autour de Sly Stone. Et puis en 1972, Leland Roger, boss de Silver Fox Records, propose à Bettye d’aller enregistrer à Memphis - You heard of Jim Dickinson ? - C’est l’épisode du fameux album Child Of The Seventies jamais sorti. Bettye s’amuse bien avec Jim et les autres - These white boys liked popping the speed pills used by truck drivers. Weed was plentiful - Elle voit ces petits blancs prendre des amphètes de camionneurs et fumer de l’herbe à la pelle. Il fut ensuite question d’une tournée, Bettye reçut même ses billets d’avion et puis, sans aucune raison, un mec d’Atlantic l’appelle pour lui dire que tout est annulé, y compris l’album, et qu’elle doit renvoyer les billets. Elle fut tellement anéantie qu’elle passa des journées entières sous une table avec des bouteilles de vin - Muthafucka, comme dit Bettye en guise de chute à chaque chapitre.

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             On trouve sur cet album ressuscité un gospel rock d’envergure maximaliste, « All The Black And White Children ». Elle attaque ça au communautarisme ambivalent, bien soutenu par les violons du paradis. Mais le reste de l’album n’est pas très bon. Elle fait une reprise Soul d’« It Ain’t Easy » et fait de « Fortune Teller » un balladif invertébré. Sur « Soul Tambourine », elle sonne comme Mireille Mathieu. Elle finit par s’énerver sur « Ain’t Nothing Gonna Change Me », elle y arrache le shake du raunch. C’est Rhino qui a réédité ce disque raté en 2006. Par contre, on y trouve des bonus qui sont nettement meilleurs que les cuts de l’album original, à commencer par « Livin’ Life On A Shoestring », un vrai funk de fièvre mortelle des années soixante-dix. Bettye s’y fait reine du funk insidieux et elle chante au sucré d’allure. Elle vit bien sa vie sur le shoestring. Elle tape dans le « Heart Of Gold » de Neil Young puis dans « You’ll Wake Up Wiser », une belle pièce de groove raffiné qu’elle chante d’une voix de sucre aigu. Elle chante aussi « Here I Am » du haut de sa juvénilité cossue. Sacrée Bettye, elle sait chanter à pleine voix et se montrer attachante.

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             Comme Rhino, Sundazed fit en 2006 œuvre de charité en compilant les singles Silver Fox sur l’album Do Your Duty. Les Dixie Flyers accompagnent Bettye sur certains morceaux comme « Do Your Duty », un r’n’b de classe infernale, le r’n’b à l’état le plus pur, quasiment staxé. Normal, on est dans le Memphis sound. Bettye n’en finit plus de ruer dans les brancards. Elle tire son Soul train avec une belle opiniâtreté. C’est une battante. Elle ne lâche pas sa proie. Les Dixie sont aussi derrière elle pour « He Made A Woman Out Of Me ». Bettye sonne carrément comme Aretha. Même attaque, même classe. C’est encore une fois superbe de grandeur Soul et de maintien africain. Elle va plus sur la voix de nez mais elle bouillonne de feeling. Bettye est une féroce, une hot chick. Sur « My Train’s Coming In », elle feule, elle embarque son r’n’b avec une niaque des bas-fonds. On a là une véritable perle de juke. On découvre en elle une Soul Queen, au même titre qu’Aretha et Martha Reeves. Encore une bien belle énormité avec « At The Mercy Of A Man », pièce fumante de hot soul qu’elle travaille au corps. Rien que pour ces quatre hits, il faut se jeter sur l’album. Bettye s’y montre fabuleusement douée. 

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             Quand Motown se réinstalla à Los Angeles, Clarence Paul fit signe à Bettye. Elle vint y enregistrer au Bolic Sounds Studio d’Ike, et elle y fit la connaissance du real gangster of love, Johnny Guitar Watson - Like Ike, Johnny could snort more blow than a brand-new Hoover - Elle raconte qu’Ike et Johnny sniffaient la coke comme des aspirateurs. Elle tombe aussi dans les bras de Solomon Burke que Jerry Wexler considérait comme le plus grand chanteur de soul - with a borrowed rhythm section - Et quand la cousine Margaret demandait à Bettye comment on pouvait baiser avec un homme aussi énorme que Solomon, elle répondait - Simple. You sit on him - Tu t’assois dessus, répondait-elle. Elle se retrouve aussi au lit avec son idole Bobby Bland - We blow so much that we forgot about sex - Mis ils étaient trop défoncés pour penser à baiser. Et puis un beau jour de 1982, Lee Young de Motown passe un coup de fil à Bettye : « Motown needs a mature female vocalist and you’re it ! » Motown veut une chanteuse mûre.

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             On l’envoie enregistrer à Nashville. Tell Me A Lie est un disque étrange. On sent que Bettye résiste comme elle peut à la pression commerciale qui la pousse vers cette fucking disco qui se vend bien. « Right In The Middle » sonne comme une belle Soul de caractère. Bettye chante d’une voix d’accent tranchant, mais on sent la menace disco juste derrière. Ce son m’as-tu-vu a ruiné des quantités d’albums. On commence à écouter « You Seen One You Seen Em All » monté sur un petit beat pop de la Motown softy softah des clopinettes de la bézette des années 80 et on s’écroule en faisant Ach !, comme le fantassin de la Wermarth frappé en pleine poitrine par une roquette anti-char. Bettye sauve l’album avec une reprise magistrale d’« I Heard Throught The Grapevine ». Elle tape là dans l’immensité de l’immense classique de son copain Marvin, dans le cantique des cantiques de la Soul orthodoxe, dans le saint des saints du groove Tamla. Bettye tient bien la rampe d’un beat Soul qui soûle. Le seul morceau intéressant de la B, c’est « I Like It Like That », plus groovy et chanté à contre-courant d’un beau développé d’élégance de satin rouge. Elle s’y frotte avec une classe certaine. Mais quand l’album paraît et qu’elle voit la pochette, elle pousse un hurlement : ces connards de Tamla ont mis une blanche sur la pochette ! Et comme Motown ne fait aucune promotion, l’album fait un flop. C’est la deuxième fois que ses espoirs sont anéantis. Muthafuckas.

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             Puis un Anglais nommé Ian Levine vient s’installer à Detroit avec l’intention de redémarrer Motown. Il récupère tous les seconds couteaux que les Anglais amateurs de Northern Soul adorent, Bobby Taylor, Marv Johnson, Kim Weston, Dennis Edwards, Eddie Kendricks, Brenda Holloway, les Contours, les Marvelettes, les Four Tops, les Velvelettes et bien sûr Bettye, et il fonde le label Motorcity. Ian Levine avait du fric et il payait bien - He probably paid many of the old-time Motowners more than Berry Gordy ever had - mais l’album Not Gonna Happen Twice paru en 1991 sur Motorcity n’alla nulle part. Difficile à dénicher, mais on est bien récompensé quand on le chope. Elle attaque avec la diskö du morceau titre et la swingue avec un incroyable chat perché de Soul Sister qui a tout vécu. Elle frise l’Esther Phillips tellement elle est bonne. Elle fait jaillir cette énergie du diskö Soul de Detroit qui rend dingue. Elle chante avec des accents fêlés extravagants. Comme Rufus Thomas, elle sait tenir la rampe pendant huit minutes. Betty chante à la base du beat, elle suce le feeling du totemic, elle tripote sa diskö Soul jusqu’à l’aube. Puis avec « Have A Heart », elle laisse la diskö pour revenir au groove. Elle repart en maraude pour six minutes. Elle ramène tout son répondant. Elle règne sur la Nubie quand elle veut. Elle chante à la vie à la mort de la mortadelle. « Right Out Of Time » paraît plus plan-plan mais les filles ramènent de la chaleur. C’est une fois de plus bardé de génie diskö. Derrière Bettye, les filles sont folles, elles soulèvent leurs jupes pour évacuer la chaleur. Elle braillent comme des folles et elles basculent les jambes en l’air dans les descentes de groove. C’est hallucinant. Bettye revient à sa chère heavy Soul avec « Let Me Down Easy » et une niaque unique au monde. « Good Luck » est monté sur un violent diskö beat, Bettye saute au paf directement. Elle rivalise une fois de plus de classe avec Esther Phillips. Elle fait une version diskö de « Jimmy Mack ». Comment ose-t-elle ? Touche pas à ça malheureuse ! Mais Bettye chante comme Martha, elle respecte l’intégrité du son, elle retrouve le secret de la niaque des origines. Elle revient à la grande Soul de Detroit avec « Time Won’t Change This Love ». Elle l’explose avec tout le chien de sa chienne dont elle est capable. Pur génie Soul. Elle attaque « Danger Heartbreak Dead Ahead » à la manière d’Aretha. Attention, c’est très puissant, aussi capiteux qu’un grand hit d’Aretha. Fascinant ! C’est plein de jus inconnu. Bettye LaVette ramène toute la folie dans le Detoit Sound.

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             Grâce à un admirateur nommé Dennis Walker, elle parvient à enregistrer un nouvel album en 2003. Les LaVettistes voient A Woman Like Me comme l’album du redémarrage. Mais Bettye va donner libre cours à son gros défaut et compromettre sa crédibilité de Soul Sister : elle se prend un peu trop pour Tina, comme c’est le cas avec « Right Next Door ». Trop d’affectation et trop de maniérisme, trop d’accents de lionne blessée qui tournent au cliché et qui renvoient au cauchemar des années 80. Aux yeux de certains, ce côté Tina peut passer pour une force, mais aux yeux des autres, ça devient vite insupportable. Elle revient au blues avec « When The Blues Catch Up To You », une belle pièce de blues velouté et cousu de fil blanc. Mais elle retombe dans le maniérisme avec « Thinkin’ Bout You » et là elle tape carrément dans la surenchère de simagrées. Elle joue du fêlé de son timbre, mais Bettye n’est pas Tina et ça tourne vite au chichiteux. Elle se rattrape avec le morceau titre qu’elle embarque grâce à la science de la connaissance. C’est le hit de l’album et c’est sacrément joué à la guitare. Puis elle nous jazze « It Ain’t Worth It After A While » dans la fumée des clubs de Harlem. On se croirait dans un movie de Spike Lee. L’atmosphère se veut superbement languide et Bettye joue les jolies cavaleuses d’exaction morose du Comte de Lautréamont. Elle verse une larme d’opale qui roule dans la mystérieuse échancrure de la vallée du Nil. Elle revient ensuite au fier r’n’b avec « When A Woman’s Had Enough », doté de l’épine dorsale du beat de base et joué à la basse funk pouet-pouet. Quelle belle pièce sous le couvert ! C’est fin et audacieux, pulsé par le pouet-pouet empathique. C’est même captivant. On a là un cocktail explosif : Bettye, la basse et l’ambiance. Mais l’album ne marche pas - Another one of these triumphant debacles that characterize my career. The music was great but no one really heard it - Elle qualifie sa poisse de triomphante débâcle. Elle fait de bons disques que personne n’écoute.

             Puis elle finit par être repérée et lancée par un certain Mike Kappus, boss de l’agence de booking Rosebud. Elle tourne en Europe avec Etta James et Bobby Bland. La voilà sauvée, au plan matériel.

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             Mais elle ne parvient pas à corriger son gros défaut pour enregistrer l’album suivant, I’ve Got My Own Hell To Raise, un album de reprises de chansons écrites uniquement par des femmes. Dans « Do Not Wait What I Haven’t Got », elle se prend encore pour Tina et ça sent la dérive des vieilles blacks alcoolisées. Encore une fois, ça plaira à certains mais pour les autres, ce sera insupportable. Une reprise de Lucinda Williams, « Joy », passe aussi à la casserole, mais l’atmosphère du morceau sort vraiment de l’ordinaire. Elle tape dans Joan Armatrading avec « Down To Zero » puis dans Rosanna Cash avec « On The Surface » qu’elle transforme en heavy groove bien foutu - On the surface everything seems alright - Puis elle attaque une fantastique reprise de « Little Sparrow », signé Dolly Parton. C’est monté sur un énorme groove de basse. Elle fait sa Tina gospel et noie sa version dans la basse. Voilà ce qu’il faut bien appeler une monstrueuse approche du petit moineau. Le royaume de Bettye, c’est le groove, comme le prouve « How Am I Different ». On se retrouve là dans le son de la Nouvelle Orleans, dans ces grooves insidieux pleins de nuances expertes. Au fil des morceaux, cet album devient réellement extraordinaire et on monte encore d’un cran dans la stupéfaction avec « Only Time Will Tell Me » qu’elle tortille dans un groove paranormal, à la fois perverti et funky, et ça devient fabuleux. Bettye sait gérer l’éclat de l’excellence. Derrière, les autres jouent comme des diables. Elle termine avec une reprise de Fiona Apple, « Sleep To Dream », et elle bénéficie une fois de plus du climat de mystère entretenu par les bêtes de groove qui l’accompagnent. Ça devient énorme - I’ve got my own hell to raise - et Bettye redevient l’énorme Soul Sister de l’époque Silver Fox. 

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             The Scene Of The Crime pourrait bien être l’album mythique de Bettye, car les Drive-By Truckers l’accompagnent. Patterson Hood commence par lui proposer 60 chansons qu’elle rejette. Puis Bettye débarque à Muscle Shoals - I didn’t feel respected. Drive-By Truckers had written no arrangements. Nothing had been planned. They wanted to wing it. I wanted to kill them - Elle ne se sentait pas respectée, rien n’avait été préparé. Elle voulait les tuer. Elle ajoute qu’elle préfère enregistrer dans le Nord plutôt que dans le Sud. Cet album qui s’annonçait mal réserve d’énormes surprises. Il démarre en trombe avec « I Still Want To Be Your Baby ». Patterson Hood et ses copains veillent au grain, alors ça prend tout de suite très fière allure. Ils sortent un son extraordinaire d’extravagance et on se retrouve avec une sorte de morceau idéal : la voix frippée de Bettye et le son du meilleur groupe underground d’Amérique. Il faut voir comme ils savent faire monter la sauce. Le gimmick est joué dans l’écho des sous-bois de l’Alabama hantés par les fantômes des soldats confédérés. Mais Bettye revient faire son numéro de feuleuse et ruine le cut suivant. Mavis Staples ne serait jamais tombée dans un tel panneau. Ça recommence à chauffer avec « You Don’t Know Me At All », car les Drive balancent un groove énorme. Alors Bettye renaît de ses cendres. Derrière, ils jouent comme des vautours. Évidemment, avec Patterson dans les parages, ça prend une tournure énorme. Voilà donc un groove puissant et relancé au solo de guitare. Les Drive salent et poivrent à outrance. On reste dans la grosse ambiance avec « They Call It Love ». Bettye allume avec des effets de voix humide frappés par l’orage, mais elle frôle vite le ridicule. On croit que « The Last Time » est une reprise des Stones, mais non, c’est un groove à la Creedence. Pièce excellente, moite et digne du bayou. Patterson fait chauffer la lessiveuse. Il touille le brasier sous la cuve. Au moins, comme ça, le linge sera blanc.  

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             L’album suivant qui s’appelle Interpretations - The British Rock Songbook pose un sacré problème aux LaVettistes : comment une Soul Sister originaire de Detroit a-t-elle pu aller se fourrer dans un tel guêpier ? On sait que les Supremes et Aretha ont tapé dans les chansons de Lennon et McCartney, mais elles ont su s’en tirer avec les honneurs, car les mélodies tenaient la route. Bettye tape dans une chanson moins connue de Lennon/McCartney, « The Word », et ça ne marche pas. Elle refait sa Tina dans « No Time To Live » de Traffic et c’est horriblement prétentieux. « Don’t Let Me Be Misunderstood » lui va un peu mieux, mais elle refait sa Tina dans « Wish You Were Here » du Pink Floyd et elle réussit à massacrer le très beau « Baby I’m Amazed » de McCartney. Elle se prend cette fois pour Nina Simone, mais elle n’est pas Nina Simone. On ne retrouve même pas le fil mélodique de la chanson, pourtant si pur. Puis elle tape dans les Stones avec « Salt Of The Earth », mais ça ne marche pas non plus. Rien à faire. Il ne se passe rien dans sa version de « Nights In White Satin » et on retrouve enfin la Soul Sister dans « Why Does Love Got To Be So Bad » (Clapton) qui démarre comme le « Cannonball » des Breeders. Et là, elle swingue, et ça devient fabuleux, funky jusqu’à l’os du genou et transpercé par un solo fatal. La grande Bettye est enfin de retour. Ouf ! Il était temps.   

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             Tous les LaVettistes se sont prosternés devant Thankful N’ Thoughful paru en 2012. Pourtant, dans Soul Bag elle explique que c’est encore une idée des producteurs, pas la sienne - Je n’ai pas été associée à leur démarche - Et elle est directe : ce n’est pas son disque préféré ! En effet, l’album commençait mal, car dans « Everything Is Broken », elle refaisait sa Tina.

             — Bon dieu, Bettye, arrête de singer cette vieille mémère de Tina qui est devenue vraiment pénible !

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             Mais on lui a dit de singer Tina. Les mecs du business pensent que ça fait vendre. Alors la pauvre Bettye fait sa Tina en veillant à ne pas tomber dans la tinette, mais c’est tout juste. Elle redevient pénible de singerie. Dommage. Puis elle trafique « Dirty Old Town » et c’est atrocement mauvais. Les mecs du business ont réussi à faire de Bettye une vieille chanteuse à la mode. En plus, elle s’y croit. Elle traîne ses mots dans l’affectation et fait sa gospel queen de radiateur. Il faut attendre « I’m Tired » pour la voir enfin renaître. Elle se fâche pour de bon et elle accouche d’un vrai hit. Elle fait sa fêlée. Elle sort un pur jus de rock à Billy bop de cabane de bayou. Ça sonne comme un hit, elle emmène son truc à la voix chauffée, pulsée par un riff fatal. Wow Bettye ! Avec le morceau titre, elle tape dans le heartbeat du r’n’b et renoue avec la Soul magique. Bettye dégage le passage. Ne vous mettez pas en travers de son chemin - Thoughtful ! I’m thoughtful - C’est plombé à l’arpège dément. Elle mord dans son truc comme dans la pomme du diable - le son ! le son ! - Envoûtement garanti. Elle redevient la Bettye fascinante qu’on adore. Et elle y revient sans cesse, elle mord et remord au truc. Dans « Time Will Do The Talking », elle prend le taureau du groove par les cornes. Elle se libère enfin de ses chaînes. Elle attaque le groove dans la pente. Elle devient spectaculaire. Plus aucune affectation. Elle chante sous l’emprise du feeling et on retombe sur la réalité d’une star énorme. Elle plonge dans son cut avec gourmandise, elle en fait un truc puissant et inspiré. Elle chevauche son groove à l’ancienne, sans selle. Elle chante comme la reine de Nubie - Time ! Time ! - et elle finit par donner le vertige.

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             On trouve les deux premiers enregistrements de Bettye sur une compile intitulée The Original Sound Of Detroit, parue en 1967. Attention, c’est un très gros disque, puisqu’autour d’elle on trouve les noms des Corvells, des Falcons, de Mack Rice et de Joe Stubbs, qui était le frère de Levi Stubbs, l’un des quatre Four Tops. Sir Mack Rice fait un carton avec « My Baby » et son r’n’b popotin noyé de chœurs et de cuivres. Bettye a déjà une envergure de Soul Sister. Avec « Witchcraft In The Air », elle pulse comme une vétérante des guerres napoléoniennes. Mais le roi, c’est bien Sir Mack Rice qui revient à la charge avec « Baby I’m Coming Home ». Il sait trousser un hit et le rendre sympathique en le chargeant de clap-hands et de chœurs torrides. Le « Has It Happened To You Yet » des Falcons est une perle de juke d’un très haut niveau de groove de Soul, dentelé à la vocalise et chanté comme du Marvin, mais en plus élégiaque. Pure magie vocale.  

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             Worthy paraît en 2015 sur Cherry Red, un label anglais. Dans Soul Bag, Bettye se dit déçue par les Américains, et notamment par Don Was et Jack White - des gens de Detroit comme moi - qui ont des petits labels et qui ne s’intéressent pas à elle. Worthy est un bon disque. On y trouve une belle pièce de stonesy intitulée « Complicated ». Sa cover tient la route. Bettye sait jiver les Stones et elle fait de ce hit mineur des Stones un hit majeur - It’s kind of complicated aouuuhhh - Elle le groove sans pitié. Elle fait aussi une cover de Dylan, « Unbelievable ». Elle essaye d’y conserver son identité de vieille dame indigne, mais ce n’est pas facile car elle vire trop Tina. Elle fait tout à la glotte fêlée. Elle frime tellement qu’on finit par aller boire une bière au bar. Dommage que son chant soit si maniéré. Elle ne sait même plus de quelle école elle sort et sa reprise du « Bless Us All » de Mickey Newbury est un peu ratée. Elle reprend aussi un cut de Lucinda Williams, «Undamned», sa chouchoute - Quand nous nous voyons, nous nous asseyons pas terre pour boire du vin - Elle revient à ses chers Beatles avec une reprise de « Wait » et en fait une version sauveuse d’album.

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             Nouvelle apparition en 2018 avec un album de reprises de Dylan, Things Have Changed. Elle y cultive encore ce son de glotte fêlée à la Tina, comme si elle voulait revenir aux racines du mythe Ike & Tina. Elle tape dans les gros classiques de Bob comme « It Ain’t Me Babe » (traité au sweet heavy groove) et « The Times They Are A Changin’ », tapé au heavy sound. Elle sait travailler le Dylanex et emploie une curieuse méthode consistant à en transformer l’ambiance. Dylan sert de merveilleux prétexte, en fait. Elle le fait basculer dans la Soul et c’est admirable. Nouvel essai avec un « What Was It You Wanted » extrêmement groové. Elle fait autorité sur Dylan. Du coup, cette façon de groover en profondeur change tout. Elle en profite pour déballer tout son art de Soul Sister sur le retour. Quelle belle présence intensive ! Elle tape « Go Right To Me Baby (Go Unto Others) » au heavy romp et derrière, ça cocotte sec comme dans Led Zep. De grosses guitares volent à son secours, c’est édifiant. Quelle shouteuse ! Elle touille sa sauce de manière providentielle et occasionne une réelle délectation. Elle retraite « Going Going Gone » à sa sauce et ça finit par donner un grand disque de Soul très porteur, très stratosphérique. Elle remonte le courant de sa Soul comme un saumon d’Écosse, elle splashe des giclées argentées dans les rayons d’un soleil ardent, elle ramène des tonnes de pathos du fond de son ventre de Soul Sister. On entend Keef jouer un killer solo de gras anglais dans « Political World ». Il renoue avec l’éclair de génie du solo de « Sympathy For The Devil ». Avec ce cut, on perd une fois encore tout le Dylanex au profit d’un Bettysme très ambitieux. Elle tape un « Seeing The Real You At Last » plus musculeux. Un nommé Pino Palladino signe ce bassmatic qui roule bien sous la peau du groove. Elle transforme le Dylanex une fois de plus et le sublime en ramenant des tonnes de feeling dans son groove. En fait, elle annexe le Dylanex.

             À la fin de son livre, Bettye reçoit un trophée au Heroes and Legends Banquet de Berverly Hills. Elle monte sur scène et aperçoit les pontes de Motown dans l’assistance, dont Berry Gordy. L’occasion est trop belle de l’allumer : « And if I’m a legend at all, it’s because I know people in Detroit who Berry Gordy still owes fifty dollars to, from when they worked with him on the Chrysler line - Oui, Gordy doit encore du fric à des ouvriers de Chrysler, et elle ajoute, histoire de bien leur mettre le museau dans leur caca - I’d like to say that people in this room could help me to get me where I am, but they didn’t - Oui, aucune des personnes présentes dans cette salle ne l’a aidée. Et comme Lemmy, elle affirme qu’elle fumera de l’herbe et qu’elle picolera jusqu’à ce que le toubib lui dise qu’elle est foutue - And even then, I may well continue smoking marijuana and drinking champagne - Et même à l’article de la mort, elle continuera de fumer de l’herbe et de siffler du champagne.

    Signé : Cazengler, Lavette

    Bettye LaVette. Tell Me A Lie. Motown 1982

    Bettye LaVette. Not Gonna Happen Twice. Motorcity Records 1991

    Bettye LaVette. A Woman Like Me. Blues Express 2004

    Bettye LaVette. I’ve Got My Own Hell To Raise. Anti- 2005

    Bettye LaVette. Do Your Duty. Sundazed Music 2006

    Bettye LaVette. Child Of The Seventies. Rhino Handmade 2006

    Bettye LaVette. The Scene Of The Crime. Anti- 2007

    Bettye LaVette. Interpretations - The British Rock Songbook. Anti- 2010

    Bettye LaVette. Thankful N’ Thoughful. Anti- 2012

    The Original Sound Of Detroit. Speciality/Ember Records 1967

    Bettye LaVette. Worthy. Cherry Red Records 2015

    Bettye LaVette. Things Have Changed. Verve Records 2018

    Bettye LaVette. The 1972 Muscle Shoals Sessions. Run Out Groove 2018

    Bettye LaVette & David Ritz. A Woman Like Me - A Memoir. Plume Printing 2013

    Bettye LaVette. Reprise à Haute Tension. Soul Bag n°218. Avril-mai-juin 2015

     

     

    Wizards & True Stars

    - Le jeu de Pomus

     

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             La seule True Star en béquilles pourrait bien être Doc Pomus. Vieille école ? Autre époque ? Susurreur suranné ? Huberlu révolu ? Dévolu d’Honolulu ? Alibi d’hallali ? Non, Doc, c’est le Brill, au même titre que Totor et Ellie Greenwich, au même titre que Leiber & Stoller et Donnie Kirshner. Ce Brill qui fit briller la pop américaine au firmament, jusqu’au moment où sont arrivés les Beatles, en 1964.

             Petit, Doc s’est chopé la polio. Il a marché toute sa vie avec des béquilles, puis il est passé au fauteuil roulant quand il a pris trop de poids. Alors bien sûr, il reste associé à Mort Shuman, un mec qu’on n’aime pas trop, par ici, mais bon, faut faire avec. Ils constituaient un team, au même titre que Mann & Weil, Barry & Greenwich, Goffin & King, Boyce & Hart, Sedaka & Greenfield. Situé au 1619 Broadway, à Manhattan, le Brill était un immeuble transformé en usine à tubes. Kirshner et d’autres payaient les teams installés dans des bureaux pour pondre des hits chaque jour. Cot cot ! Ça pondait sec ! Des Anglais comme Don Arden, Mickie Most ou Andrew Loog Oldham venaient faire leurs courses au Brill. Combien la douzaine ? Cot cot ! Quand Elvis s’est lancé dans son aventure hollywoodienne, il a fallu augmenter la cadence, car à raison de quatre bandes originales de films par an, il fallait pondre à bras raccourcis et en continu. Cot cot cot cot ! Au début ça amusait Doc, car il s’en foutait plein les poches, mais au bout d’un moment, il a dit stop, car c’était n’importe quoi. Doc est un artiste, pas une poule en batterie.

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             On peut entrer dans sa vie par l’excellent book d’Alex Halberstadt, Lonely Avenue - The Unlikely Life And Times Of Doc Pomus, ou alors, par une compile Ace, The Pomus & Shuman Story (Double Trouble 1956-1967) parue en 2007. L’Ace est idéale car on a la musique. Le book est tout aussi idéal, car Halberstadt réussit l’exploit de nous faire entrer dans la mystérieuse chambre d’hôtel où il a vécu pratiquement toute sa vie et de restituer la dimension gargantuesque de cet infirme génial. Doc est un homme qu’on aurait adoré connaître. On y revient la semaine prochaine.

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             L’Ace réussit un autre exploit : présenter le parcours de Doc comme un fantastique résumé de la grande pop américaine, depuis Ray Charles jusqu’à Elvis, en passant par les Drifters de Ben E. King et LaVern Baker. Que cet homme soit associé à autant de très grands artistes est en soi une sorte de petit miracle. Doc est moins glamour que Mann & Weil, Goffin & King ou Barry & Greenwich, mais il occupe exactement le même rang. Il faut entendre Ray Charles chanter son «Lonely Avenue», qui d’ailleurs donne son titre au book d’Halberstadt. C’est du mythe à l’état pur, du mythe hanté d’oooh yes sir et Ray t’explose ça au feel so sad avec des chœurs de cathédrale. «Lonely Avenue» est d’autant plus mythique qu’il s’agit de la chanson autobiographique d’un infirme interprétée par un autre infirme. Ahmet Ertegun apprécie beaucoup Doc et lui demande de composer pour ses artistes, alors Doc y va : Clyde McPhatter, LaVern Baker, les Coasters, Bobby Darin, Mickey Baker, et Ruth Brown, rien que du gratin dauphinois. On croise plus loin l’«Hey Memphis» de LaVern Baker, adaptation de «Little Sister», fantastique rumble d’Hey Memphis won’t you, c’est même d’une rare violence. Il faut aussi saluer le «(Wake Up) Miss Rip Van Winkle» des Tibbs Brothers explosé au sax par King Curtis. Il est bon se rappeler que King Curtis et Mickey Baker font partie des session men favoris de Doc. Quand naît sa fille Sharon, Doc compose «I Ain’t Sharin’ Sharon» qu’on entend ici interprété par Bobby Darin.

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             Libéré de l’armée, Elvis enregistre «A Mess Of Blues» et Doc devient, nous dit Mick Patrick, l’un des compositeurs préférés du King. Eh oui, ses versions de «(Marie’s The Name) His Latest Flame» et «Little Sister» sont des hits demented. Sur l’Ace, Elvis nous chante «Double Trouble». On sent immédiatement la différence. Elvis a une façon unique de rentrer dans le chou du lard. Il va enregistrer 16 compos de Doc, et d’autres que Doc a pondues avec Leiber & Stoller. Mick Patrick indique qu’«His Lastest Flame» et «Little Sisters» étaient destinés à Bobby Vee qui n’en voulait pas ! Par contre, il chante un «All You Gotta Do Is Touch Me» au mieux de ses possibilités. Vee vit ça bien. Il sonne comme un lookalike de Buddy qui n’a jamais pu surmonter la catastrophe du plane crash. Sur l’Ace, c’est Del Shannon qui se tape «His Lastest Flame», mais Del n’a pas la voix, même si dans les early sixties, on le considère comme une star. Par contre, les deux qui ont des voix sont Marty Wilde et Fabian. Marty tape «It’s Been Nice» et ça bascule dans le génie interprétatif. Pareil pour Fabian avec «Turn Me Loose», fabuleux shake de pop US qu’il chante à l’exacerbée. Avec «Save The Last Dance For Me», les Drifters nous ramènent au cœur du New York City Sound. Dion & the Belmonts aussi, avec «A Teenager In Love», même si c’est plus sucré. On croise aussi Barrett Strong avec «Seven Sins», un petit bordel de juke parfaitement inutile. Doc est mêlé à pas mal d’horreurs, comme Ral Donner («So Close To Heaven») ou Andy Williams («Can’t Get Used To Losing You»). Par contre, Ben E. King tartine bien son «First Taste Of Love». Il bénéficie du traitement de choc orchestral. C’est Terry Stafford qui tape le «Suspicion» écarté par Elvis. Vraie voix. Admirable ! Gary US Bond tape le «Seven Day Weekend» que reprendront les Dolls. Ça permet tout de suite de situer le niveau. Rappelons aussi au passage que Doc était pote avec Lou Reed et Mac, c’est-à-dire Doctor John. On garde les meilleurs pour la fin ? Voilà Irma Thomas avec «I’m Gonna Cry Till My Tears Run Dry». Irma rentre dans la Soul de Doc au heavy groove de New Orleans. Elle va pleureur jusqu’à la dernière larme. Arrive aussitôt après elle l’immense Howard Tate avec «Stop». Il t’allume ça à n’en plus finir au stop it baby. Et pour refermer la marche, les McCoys embarquent «Say Those Magic Words» au mieux des possibilités de la pop explosive. Pur psyché de New York juke ! 

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             Avant de devenir auteur de renom, Doc chantait le blues dans les bars de New York. Son idole n’était autre que Big Joe Turner. En 2006, Rev-Ola eut l’extrême intelligence de faire paraître Blues In The Red. On y entend Doc chanter le blues dans les années 40 à Greenwich Village. Doc est un peu obligé de changer de nom, car il ne veut pas que ses parents sache qu’il chante le blues dans les clubs - White kids just didn’t sing blues with Negroes in the 1940s - Attention aux yeux, car le «Doc’s Boogie» d’ouverture de bal est du pur proto-punk. Doc devient une sorte de Mezz Mezzrow du out of it. Il nous ramène dans les racines du New York jive, les racines du blues urbain, qui est, à l’image de cette ville, bourré d’énergie. Tout sur cet album est joué à l’arrache. Doc arrive avec ses béquilles dans le jive de «Send For The Doctor» et l’explose. Le solo de sax fout le feu. On entend rarement un tel jive de jump. Son hit le plus connu est dans doute «Alley Alley Blues». Docky Doc est blanc, mais il reste dans la veine de Big Joe Turner. Il tape «My Good Pott» au big band brawl. On s’amuse bien avec Doc, il fonce dans le tas, comme Louis Jordan - I love my good pott/ All the time ! - Quelle énergie ! Il tape le heavy blues de «Traveling Doc» au come back no more et revient au heavy rumble de jump avec «Naggin’ Wife Blues». Doc est un dingue du r’n’b, il a récupéré tout le génie du genre : le power et la diction. Tout est cuivré de frais, cuit dans son jus, craquant comme un 78 tours. Il faut le voir se jeter avec ses béquilles dans le «Give It Up». Ça joue à Brooklyn ! Là, tu as les vrais mecs, il y va au give it up/ I’m real down. «Heartlessly» sonne comme un hit. Il adore le vieux groove de cœur brisé. On entend Mickey Baker dans «Bye Baby Bye» et Doc termine bien sûr avec un «Joe Turner Medley» en forme de heavy romp de fast rock’n’roll.

    Signé : Cazengler, Doc Paumé

    The Pomus & Shuman Story (Double Trouble 1956-1967). Ace Records 2007

    Doc Pomus. Blues In The Red. Rev-Ola 2006

     

     

    L’avenir du rock

    - Pas de pépètes pour Los Pepes

     

             Ce matin-là, l’avenir du rock promenait son cul non pas sur les remparts de Varsovie, mais plus prosaïquement sur le Pont des Arts. Il vit arriver à sa rencontre un homme qui pleurait.

             — Bouh-ouh ouh, bouh ouh-ouh...

             Il faut savoir que l’avenir du rock a un talon d’achille : le spectacle du chagrin lui broie généralement le cœur. Il s’arrêta à hauteur de l’homme et s’enquit des raisons de son malheur.

             — Que vous arrive-t-il, mon pauvre ami ? Comment puis-je vous aider ?

             — Bouh-ouh ouh, bouh ouh-ouh...

             L’homme sembla redoubler de chagrin.

             — Bouh-ouh ouh, bouh ouh-ouh... Bouh-ouh ouh, bouh ouh-ouh...

             — Eh bien, eh bien, calmons-nous... Venez donc prendre un petit café arrosé, je vous l’offre...

             — Bouh-ouh ouh, bouh ouh-ouh... Bouh-ouh ouh, bouh ouh-ouh...

             — Ah oui, je comprends, il vous faut quelque chose de plus corsé. Venez avec moi dans ce bar là-bas, nous irons ensemble aux toilettes et je vous ferai un petit rail de speed, vous allez retrouver le sourire, croyez-moi !

              — Bouh-ouh ouh, bouh ouh-ouh...

             — Bon, il semble que votre désespoir exige une thérapie plus radicale. Alors accompagnez-moi jusqu’au bas de la rue Saint-Denis, je connais une pute ravissante qui vous mettra du baume au cœur, je vous l’offre pour une heure, une nommée Pépète...

             L’homme s’arrêta de sangloter. Il fixa un instant l’avenir du rock et marmonna :

             — Pépète ?

             — Ben oui, Pépète ! Et alors ? C’est quoi le problème ?

             — Bouh-ouh ouh, bouh ouh-ouh... Pas de pépètes pour Los Pepes !   

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             Pas de première partie. Pas grand monde, allez, une bonne dizaine de personnes. En langage clair, ça veut dire que Los Pepes vont jouer pour des clopinettes. Mais comme ils sont pro, ils vont jouer quand même. Face à ce type de Bérézina, l’avenir du rock préfère coubertiner : l’essentiel est de participer dans Lactel.

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             Ultime réglage, monte la voix, up !, up !, et soudain boom, le ciel te tombe sur la tête : Los Pepes are on fire ! Depuis Motörhead, on n’avait plus entendu ce genre de blast. C’est même du double concentré de blast.

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    Deux guitares, deux Marshalls et boom kaboom badaboom, tu sais que tes oreilles vont siffler pendant trois jours. Quelle merveille que de voir ces quatre mecs jouer à la vie à la mort une espèce de hardcore gaga-punk complètement ancré dans le passé, mais cette musique reste vivante, ô combien ! Ils te font du pur wild as fuck de tight team, pulsé au beurre par une machine humaine, une vraie locomotive aux bras tatoués.

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    Dans Vive Le Rock, le seul canard à chroniquer Los Pepes, le mec disait qu’ils étaient the loudest band on earth. Rien de plus vrai. Louder, ça n’existe pas. Louder et beau, même si les rares instants mélodiques sont emportés par le déluge de feu.

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    Le mec qui bassmatique au centre de la scène est un Japonais à gueule de rock star, il joue en fluidité continue sur une basse en plexiglas et reste extrêmement concentré, il volerait presque le show. Il s’appelle Seisuke Nakagawa. Le mec au beurre derrière lui est un Polak, Kris Kowalski, il fait partie des batteurs inexorables, il monte sur tous les coups, il relance en permanence, son cœur balance entre la dynamique et la dynamite, rien qu’avec lui et son ami japonais, Los Pepes dispose de l’une des sections rythmiques les plus explosives dans le genre. On reste dans l’international avec le guitariste qui joue à droite. Il s’appelle Gui Rujao et vient du Brésil. Et puis voilà Ben Perrier, qui gratte ses poux sur une Mosrite et que les amateurs de gaga-punk britannique connaissent bien, car il fit des étincelles dans les années 2000 avec son duo gratte/beurre, Winnegabo Deal. Ben Perrier a lui aussi des allures de rock star, il joue un peu à l’ancienne, jambes écartées et voix perchée, mais quelle présence !

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             Deux albums de Los Pepes traînaient au merch, Positive Negative qui date de 2019, et The Happiness Program. Le premier est un strong album de tatapoum power-poppy, bourré à craquer de drives inflammatoires.

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    Ben Perrier reste fidèle à l’esthétique du blast des années 2000, une fournaise dans laquelle se fondent les influences de Fast Eddie Clarke, des Ramones et des groupes australiens de type New Christs. Notez bien qu’après le set, Ben Perrier portait un T-shirt Eternally Yours, l’un des plus beaux albums de blast seigneurial jamais enregistrés. On appelle ça une preuve de goût. Le morceau titre du Positive Negative est totalement dévoué à la cause, ils font du pas de pitié pour les canards boiteux, ils tapent dans l’esthétique d’Attila & the Huns, ça sent bon le roussi des vieilles équipes comme les Backyard Babies et les Hellacopters. Globalement le son est plein comme un œuf et le bassmatic rôde en permanence sous la surface. On ne s’ennuie pas un seul instant. Ils savent pousser à la roue, pas de problème. Ils ne rechignent pas à la dépense. Ces mecs savent jeter tout leur dévolu dans la balance. Leurs power-chords sont d’une générosité à toute épreuve. Ils savent caresser la clameur dans le sens du poil. Un seul hic, dans ce grandiose panégyrique : qui ira aller acheter les albums de Los Pepes ? Ceux qui les voient sur scène et quelques lecteurs de Vive Le Rock ? Los Pepes n’inventent rien. Ils se contentent d’exister, et c’est tout ce qui compte. En B, tu vas trouver des jolies choses : «Medication» et «Think Back», deux belles prouesses power-pop qu’on dirait illuminées de l’intérieur, et dignes de celles des géants du genre, Gigolo Aunts et Velvet Crush, pour n’en citer que deux. De cut en cut, le power se fait de plus en plus intact et compact.    

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             Leur dernier album qui s’appelle The Happiness Program est encore meilleur. Une vraie mine d’or pour l’amateur de power-pop. Ils jouent en formation serrée, il y a quelque chose de massif dans leur son, on retrouve aussitôt l’énergie de l’ouverture de set, cette espèce de bim bam boom immédiat qui met les sens en alerte. Ils sont massifs à l’ancienne, ils jouent vite et bien. Les coups de vrilles sont de purs hommages à Johnny Thunders. Et soudain, avec «Let Them Talk», ils se mettent à sonner comme les Buzzcocks. C’est extrêmement réussi. Ils semblent même avoir maîtrisé leur pétaudière, «Sick And Bored» sonne comme un hit power-poppy en diabolo. Ben Perrier emmène sa fière équipe à l’assaut du lard fumant. En B, tu tombes sur une autre merveille : «Anecdotes», une power-pop bien moulée dans sa gaine noire. Le bassmatic ramène des frissons sous la peau. Encore de l’énergie à gogo dans «I Remember You», superbe brouet d’éminente éloquence, ces mecs n’en finissent plus de battre la campagne, alors oui, on peut les suivre. Ils terminent en mode heavy classic rock avec «Born Into This». Ils tapent un rock franc du collier, un rock de meilleur ami. Avec eux, tu ne crains plus rien. Ils te grattent tout simplement le rock que tu as toujours aimé.

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             Les albums de Winnebago Deal sont excellents. Sur la pochette du deuxième Deal, tu vas trouver un tyrannosaure. Dead Gone est un fier album, un autel dressé au dieu Blast, et ça blaste dès «Breakdown», au drive de craze et de step aside. Ils bâtissent une fournaise à deux. Jack Endino veille au grain du son. Pendant que Ben Perrier turbine sa ramalama, l’autre Ben bat son beurre et n’arrête jamais. Avec «Cobra», ils se transforment en charge de Chevaliers Teutoniques sur le lac gelé. Aucun rempart ne peut résister à une telle charge. Ben Perrier allume ses racines, il exagère l’exercice de sa fonction. On a l’impression qu’il tente chaque fois le tout pour le tout, notamment dans «LS Fiction». Nouvel exercice de blast définitif avec «Did It Done It Doing It Again». Ils ne vivent que pour ça : allumer à la Méricourt. Encore du déballonné des enfers avec «Knife Chase». C’est même de l’hyper-bast. Ils battraient presque Motörhead à la course. Ben Perrier est fou, il joue comme Fast Eddie Clarke. Il va toujours plus loin dans l’extrémisme, comme le montre «Shank Fight». Il screame comme un dingue et gratte ses poux. La médecine ne peut rien pour lui. Pauvre Ben. Mais ça ne l’empêche pas d’exploser «Cargo Bull»  d’entrée de jeu. Pas de retour possible. Ce n’est pas le genre de mec à traîner en chemin. Il vise plutôt l’apoplexie. Tout chez lui se résume à une seule chose : renter dans le chou du gusto. Avec le morceau titre, Ben bombarde le front à coups d’orgues de Staline. C’est l’impression que laisse son riffing et l’ampleur du son, une vraie apocalypse sonique, un parti-pris de rougeoyance. Et tout s’écroule dans l’apocalypse du beurre des fous avec «NWO», le drive du Ben embarque l’autre Ben, ils bombardent Dresde à deux.

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             Attention à Flight Of The Raven : c’est du Jack Endino, donc du blast bien conditionné. Et boom badaboom dès «With Friends Like These». Ben Perrier est l’un des grands fous de l’histoire de la psychiatrie gaga-punk. On croit que c’est du blast, mais non, c’est du blast définitif. Ben & Ben te blastent dans le mur, ils te blastent over the rainbow, ils te dégagent du passage, ils sont incontrôlables, au-dessus de ce blast, il n’y a plus rien. Alors les voilà partis pour une série de 15 brûlots, dont le pire est dans doute le dernier, «Revenge», mais aussi «You Let Me Down», ils te plombent la soirée, ça te tombe sur la tête. C’est digne de Motörhead, mais en réalité, c’est du pur Ben Perrier. Ou encore «Target», les deux Ben se superposent dans le vent du blast, Ben & Ben sont les rois du pétrole, ils jouent aux charbons ardents et portent leur blast aux nues, c’est du très grand art, car ils ne sont que deux. Et puis tu as encore «Spider Bite», pur jus de no way out, Ben le cueille à la cocote sèche, ça t’explose en pleine poire, c’mon Ben ! Le coup de génie de l’album s’appelle «Going Home», ils créent l’événement, Ben & Ben n’arrêtent jamais, ils vont jusqu’au bout de leur délire, Ben délie son délire et Ben bat le beurre du diable. Avec «Fresco», ils plongent tous les deux dans l’insanité, c’est du hardcore punk anglais qui avance à marche forcée. Tout ce qui intéresse Ben & Ben, c’est l’enfer sur la terre. Ils jouent aussi avec l’incendiaire maximaliste dans «Venomized», le chant brille toujours dans la clameur des combats, il ramonent littéralement le no way out. Ils chargent la barque de l’ultimate.

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             Leur dernier album s’appelle Career Suicide. Il est du même niveau que le précédent, c’est du blast forever dès «Heart Attack In My Head», Ben & Ben y vont au débotté, ils font Motörhead à deux. Ben est dingue ! Enfermez-le ! Si tu aimes le blast, t’es servi comme un roi : «Nobody’s Fault But Mine» et «You Don’t Exist» te courent sur l’haricot, Ben Perrier te claque du JSBX des enfers, tu en prends plein la terrine, il est l’un des rois de la power pop inflammatoire. Il adore gratter ses poux dans la fournaise. C’est son vice et sa vertu. Diable comme ce mec est bon, il crée chaque fois les conditions du blast définitif. Ben & Ben abattent du chemin, énormément de chemin, comme le montre encore «I Want Your Blood». Tu entends rarement des mecs aussi énervés («Poison»). «Ain’t No Salvation» est trop punk’s not dead. Trop fast. Trop Deal. Trop Ben. Ce que les gens n’ont pas compris l’autre soir, c’est que Ben Perrier est une star du wild underground. Retour à l’insanité avec «Frost Biter», fast Méricourt, il devient fou devant toi. Et comme sur l’album précédent, le coup de génie se planque à la fin : «Can’t See Don’t Care Don’t Know». Terrific ! Il drive ça à la high energy, il hurle dans les nuages. Ben Perrier est un dieu inconnu.

    Signé : Cazengler, Los pépère

    Los Pepes. Le Trois Pièces. Rouen (76). 31 Mais 2023

    Los Pepes. Positive Negative. Wanda Records 2019

    Los Pepes. The Happiness Program. Snap!! Records 2022

    Winnebago Deal. Dead Gone. Double Dragon Music 2004

    Winnebago Deal. Flight Of The Raven. Fierce Panda 2006

    Winnebago Deal. Career Suicide. We Deliver The Guts 2010

     

     

    Inside the goldmine

    - Stokes option

     

             Stic ? Oh, il se voulait d’un abord facile, mais en réalité, il veillait à rester extrêmement impénétrable. On croise souvent ce type de comportement chez les enfants des familles recomposées, une façon passive de dire non à la nouvelle union. Il émanait de Stic ce curieux mélange de gentillesse et de froideur qui caractérise généralement les gosses extrêmement intelligents. Il savait plonger son regard dans celui des autres et personne n’aurait jamais pu dire ce qu’il pouvait ressentir. Dans une vie antérieure, il avait dû être empereur romain, ou peut-être éminence grise d’un parrain de la mafia. Par contre, sa sœur, férue d’au-delà et en contact avec les esprits, se savait la réincarnation d’un pilote de chasse allemand de la Première Guerre Mondiale. Stic veillait à ne pas créer de malaise, mais il jetait malgré tout un froid, lorsqu’il participait aux réunions de famille recomposée. Il fallut vite en tirer les conséquences, à savoir qu’il était inutile de vouloir tisser quelque lien que ce fût avec lui. Au moins les choses avaient le mérite d’être claires. On appelle ça un statu quo. Il fallait surtout veiller à rester sur le qui-vive et à bien réagir lorsque Stic envoyait une pique. Vous l’aurez sans doute remarqué, les piques des gens intelligents sont toujours bien acceptées. L’idéal est de pouvoir proposer une répartie, mais il faut en avoir le niveau. Stic en faisait un jeu. Ferraillait qui pouvait, mais ce qui pouvait passer pour une petite altercation était en fait pour lui un jeu d’esprit. À partir de là, on commençait à comprendre. Eh oui, on ne pouvait pas jauger Stic selon nos critères. Il fallait plutôt imaginer les siens. Alors ça devenait simple. Bien sûr, c’est une approche qui vaut pour tout type de relation, mais dans ce cas particulier, ce fut une révélation. Stic ne s’investissait pas vraiment dans les modes de relations traditionnelles, il s’intéressait surtout au théâtre d’avant-garde, il avait monté une petite troupe dans le but d’engager à la fois une pratique et une réflexion sur l’avant-garde. Barba ? Kantor ? Oui bien sûr, mais il aimait par-dessus tout tendre un filin très haut et y faire le funambule au péril de sa vie. Seul le plateau de départ était éclairé et le filin s’enfonçait dans les ténèbres. Ce soir-là, il s’est enfoncé dans l’inconnu les yeux bandés, et pendant un temps qui sembla durer une éternité, nous l’entendîmes clamer «L’homme avance !», jusqu’à ce que sa voix s’éteignît.

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             Stokes, c’est un peu la même chose que Stic : il avance en funambule dans les ténèbres et frappe les imaginations d’une manière extrêmement particulière. Pour Matthew Sweet, Simon Stokes est un phénomène. Sweet parle de Post-LSD Swamp Rock Vibrations et met Stokes au même niveau que Little Richard, le White Panther Party, Blue Cheer, les Groovies et Chuck Berry with a psychedelic lightshow. Sweet qualifie le style de Stokes de raving, screaming, funky, anti-social, il va même jusqu’à lâcher le mot-clé : rock’n’roll insanity. Stokes est un mec du Massachusets. Fan de Jack Kerouac, il s’est mis à drifter across the USA. C’est comme ça qu’il échoue fin des années 50 à Hollywood. Kim Fowley le rencontre entre 1959 et 1961 : «He was dressed in leather like Gene Vincent, half Jim Morrison, half John Fogerty, before the Doors or CCR existed. A wonderful guy. Smart, cynical, a forerunner of all that Louisiana swamp stuff. In the time of Bobby Vee, Simon Stokes was the most dangerous guy in Hollywood.» Pour Sweet, Stokes s’adresse aux fans de Captain Beefheart, de Kim Fowley, du Sensational Alex Harvey Band, des Deviants et de l’Edgar Broughton Band. Sweet cite aussi The Hampton Grease Band. Ride on brother !

             Un jour, Stokes et son copain guitariste Randall Keith vont trouver David Anderle, l’A&R d’Elektra à Hollywood. Anderle avait fait savoir qu’il était prêt à rencontrer tous ceux qui le souhaitaient. Stokes et Keith ressortent de son bureau avec un contrat de songwriters. Lonnie Mack tape l’une de leurs compos, «Too Much Trouble» sur Glad I’m In The Band.  

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             Stokes bricole pendant dix ans avant de pouvoir enregistrer en 1970 son premier album, l’extraordinaire Simon Stokes & The Nighthawks paru en 1970. Les guitaristes s’appellent Butch Senneville et Randall Keith, le beurreman Joe Yuele Jr. et le bassman Robert Ledger. Michael Lloyd produit, et Don Galluci qui enregistre Fun House au même moment fait les arrangements. Bienvenue au royaume du proto-punk. Deux classiques du genre : «Big City Blues» et «Sugar Ann». Absolute destroy oh boy, tu ne peux pas espérer mieux, Stokes va chercher l’ultra-gut d’undergut, il est extrême, il chante à la dégueulade d’envergure, tu as là toute la folie du monde, avec une guitare aigrelette jetée en pâture aux vautours. Il y a du Mac Rebennack, du Screamin’ Jay, du Bruce Joyner dans Stokes. Il s’en va screamer son swamp push à la lune. Il chante son «Sugar Ann» à la pure arrache de hot’n’greasy, il vise l’excès d’excellence, fantastique pulsatif, ce mec a le répondant de Stackwaddy, il y va au raunch de weahhhh, il est le screamer parfait. Coup de chapeau à Hank Williams avec une énorme version de «Jambalaya» et il tape «Which Way» au chant d’overdrive à la Screamin’ Jay. Il dispose du même pouvoir d’intensité dramatique. Il nous refait le coup du bayou en B avec «Voodoo Woman», real deal de swamp rock vibrations, story-telling de conte fantastique, puis il passe à la heavyness avec un «Rhode Island Red» joué dans les règles du lard fumant. C’est en gros l’ambiance de «Motor City’s Burning», avec le scream et le feu à la guitare. On le voit s’arc-bouter sur «Cajun Lil» et taper une terrible cover du «Down In Mexico» de Leiber & Stoller. C’est d’une rare violence, un véritable apanage du proto-punk. Il termine cet album faraminé de calamine avec un coup de génie intitulé «Ride On Angel», digne de Bo, mais en plus bas-fonds. Stokes a un don particulier pour rôder dans l’ombre. L’élan est très pur et la guitare plane au-dessus du son comme un vampire. Stokes groove en profondeur. Superbe walking bass ! 

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             Si tu en pinces pour le proto-punk, alors saute vite fait sur Simon Stokes & The Black Whip Thrill Band et plus particulièrement «Hot Simmer’s Night In The City». C’est l’histoire d’un baston entre les Thunderbirds et les Rebels, deux gangs ennemis - In the concrete jungle/ You live in fear/ Life is never certain/ Death always near - Il sait créer un climat de violence. Il fait aussi du pur Rebennack avec «She’s Got Voodoo». Il est bon pour le swamp rock hoodoo. Le morceau titre est aussi du gros boogaloo cousu de fil blanc - Did you hear the news girl ? - Il nous explique qu’il porte du black leather et il tape ça au heavy boogie de bastringue avec l’excellent Butch Senneville on guitar. On note aussi que Joe Petagno dessine le dos de la pochette. Stokes nous ressort l’excellent «Ride On Angel» de l’album précédent - Crank your bike/ Ride on/ Angel/ Ride on - Il nous raconte l’histoire d’une bagarre dans un bar et Angel finit sur la chaise électrique - The Bible says thou shall not kill - Il fait encore un heavy balladif tragique en B avec «Waltz For Jadded Lovers». il adore les ponts atmosphériques à la stood like a rock/ Tried not to talk/ Know life goes on.

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             Par contre, The Buzzard Of Love paru en 1977 n’est pas un très bon album. Stokes fait pas mal de story-telling. Il reste dans sa veine heavy boogaloo avec «I’ve Been Possessed» - Got that voodoo lovin’/ Got me cryin’ out for more - Le guitariste derrière Stokes s’appelle Peter Maunu. Stokes nous ressert son vieux «Big City Blues» en B et fait une belle cover d’«Endless Sleep», le vieux classique de Jody Reynolds. Stokes adore les climats lourds à la Screamin’ Jay, le voodoo de Mac et le Fire of Love de Jody. Hommage à Bolan avec «Chrome Rock» - Everybody’s doing the chrome rock baby - C’est excellent et Stokes refait son Screamin’ Jay avec «Air Conditioned Nightmare». Pur boogaloo - Death walked in the room/ And he wanted to dance with me.

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             Right To Fly et LSD sont le même album. Stokes y duette avec Timothy Leary, le pape de l’underground halluciné. C’est encore un very big album. Stokes l’attaque avec «No Regrets», un fantastique balladif d’élan suprême. Le coup de génie de l’album s’appelle «Drive-By Love», amené à l’urgence du heavy riffing. C’est même assez défenestrateur. Stokes aime bien le cocotage qui scie les tibias. Bienvenue dans les soubassements du heavy Stokes, drive it in/ drive it out, il sort ses meilleurs accents stoogiens et ça part en vrille de fuck out. Son «Seeing-Eye Man» est noyé de son, et du meilleur. Leary prend le premier couplet et cite Kerouac. Stokes hurle derrière. On patauge dans le wild genius. Stokes hurle tout ce qu’il peut, I’m the one that can ! «Slice It Dice It» se passe au ballon et Stokes renoue avec le génie sonique dans «Ripped Van Winkle», le gras double des guitares renvoie aux Stooges - There’s a killer loose outside my door - Pendant les ponts, Stokes rôde dans l’ombre, comme Iggy. Il harangue au heavy so I’m sittin’ here. Il ne vise qu’une chose avec «Rock’n’Roll Hollywood» : la pubescence de l’incendie - Old Happy doin’ the best he can/ He did two tours in Vietnam - Et on rebascule dans la génie Stokish avec une hallucinante drug-song, «100 Naked Kangaroos In Blue Canoes».

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    Stokes, c’est exactement la même chose que Third World War : une bombe à retardement. Il va chercher des noises au boogie avec son copain Timothy, un Timothy qui affirme qu’il a vu 100 naked kangaroos in blue canoes, too happy can’t sing these blues/ Much too happy can’t sing this blues. Encore du très écrit avec «Morality’s Ugly Head», le copain Timothy vient faire le refrain, il est marrant. Stokes arrache, mais Timothy chante à la diction du LSD. Quel album ! Ce démon de Stokes tape encore dans le rock tonite avec «Fugu Fish» et dans le rap avec «Psychorelic Rap». Il y fait du rap de blanc, il a des munitions et il bourre sa dinde de sitar. Il attaque «Global Village» à la Lou Reed. Ce mec a tous les pouvoirs. Il fait son grand méchant Lou au ditch the switch. Et tu as en prime le solo de rêve, c’est invraisemblable de rock quality, ces mecs sur-jouent jusqu’à la folie. S’il en est un sur cette terre qui sait enfoncer un clou, c’est bien Stokes.

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             Dans Ugly Things, Gray Newell nous rappelle qu’au moment de sa rencontre avec Stokes, Leary est dévoré par un cancer. L’album paraîtra quelques mois après sa mort. Newell ne s’arrête pas en si bon chemin : il évoque les super-fans de Stokes qui sont à l’époque Jello Biafra et Jeff Clayton d’Antiseen. Atteint par le virus Stokes, Clayton monte un Stokes tribute-band, Conquerer Worm. Bilan : deux albums. Un split avec Cocknoose et Ride On.

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             Le split date de 1993. On a un grand portrait de Stokes sur la pochette : barbe, lunettes noires et chapeau noir. Jeff Clayton s’arrache bien la glotte sur «Should Have Married Peggy Sue». Ils brûlent encore de fièvre sur «Ride On Angel», mais c’est avec «Good Times They Come» qu’ils montent en température et provoquent un gigantesque incendie. Ah quel hommage ! De l’autre côté, Cooknose fait du punk-rock solide et bien soutenu. Pas d’hommage à Stokes mais une reprise de G.G. Allin, «Dog Shit». Ils vont vite en besogne.

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             Ride On est plus sérieux. Quand tu ouvres la boiboîte, tu tombes sur la photo des trois Conquerers. Jeff Clayton ressemble à Dickie Peterson, le bassman Phil Irwin à un Hell’s Angel et Mike Schuppe à Mike Schuppe. C’est Clayton qui chante et ça démarre en trombe avec «Ride On Angel». Dans le petit texte d’accompagnement, Phil Irwin s’adresse à Stokes pour lui dire qu’ils n’ont pas réussi à le joindre pour l’informer de ce tribute. Ils ont pourtant contacté tout le monde : Cub Koda, Kim Fowley, Jello Biafra, Billy Miller, mais personne ne savait où se planquait Stokes. Avec le guttural de Clayton, les cuts de Stokes prennent une autre allure. Il chante «Hot Summet Night» à l’arrache maximale et Mike Schuppe ramène dans le son un solo liquide à la Blue Cheer. Ils sont merveilleux sur «Captain Howdy», Clayton éclate de rire, ah ah ah, et «Good Times They Come/Waltz For Jaded Lovers» titube au coin du bois. Ils savent rallumer le brasier de Stokes, pas de problème, ils déroulent même un sacré développement et ça devient du pur génie interprétatif, tout est dans les climats et les solos, alors chapeau bas ! Encore un bel hommage à Stokes avec «Voodoo Woman», ils en respectent merveilleusement l’esprit. Leur version d’«I Should Have Married Peggy Sue» est assez demented are go, et avec «Mama Tried», ils font du Motörhead, du fast punk de Worm. Avant d’aller coucher au panier, ils terminent avec un «Southern Girls» plein d’allant et de son, gras et heavy as hell. On ne saurait imaginer meilleur tribute à Simon Stokes. 

             Autre info de poids : Newell nous révèle que Stokes et Sky Saxon sont entrés ensemble en studio. Visiblement, les enregistrements moisissent dans un placard depuis que Sky a cassé sa pipe en bois en 2009. Il faudra sans doute poireauter un moment avant de voir l’album sortir.

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             Wayne Kramer joue sur quelques cuts d’Honky, paru en 2002, notamment sur «Jungle Music» - Oh oh let’s go to the Congo - Kramer joue dans la profondeur du mythe et Stokes chante à l’exaction définitive. Joli départ avec «Amazons & Coyotes», monté sur un heavy bassmatic. Stokes tombe sur son cut comme un gros vampire. Puissant et invulnérable. Encore du pur proto-punk et Kramer joue le lead. On retrouve Texas Terri et Lisa Kekaula dans les backings de «Laughter In The Sky». C’est incroyable que Stokes ait de si bons amis. Il passe à la country avec «Pissin’ In The Wind» et bien sûr Texas Terri chante faux. C’est même une insulte aux lois de l’harmonie. Stokes ressort son vieux «Ride On Angel» et tape dans le heavy slowah avec «Sleeping With The Enemy». Lisa Kekaula y fait des étincelles.

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             Stokes s’est écrit le mot Head sur le front pour la pochette de Head. Il attaque l’album avec le morceau titre, au fast barrelhouse cajun. Stokes pique des crises, il chante à la colérique et retombe dans le heavy trash de boogaloo avec «No One’s Goin’ Nowhere». Le cut s’enfonce dans le marécage, alors Stokes rampe. Il allume chaque cut avec son dirty raunch. Il rend hommage à Woody Guthrie avec une cover d’«Hard Travellin’». Il chante ça d’une voix de mineur silicosé. Ce mec est incapable de se calmer. Hello my name is Bob ! Il lance «Bob» à l’avanie, Bi-O-Bi, il tape cette fois dans le dada d’instro outrancier, Hellooooo ! Stokes demande : «Have you seen Bob ?» et les chœurs font «Bob !». Stokes revient à ses chères swamp vibrations avec «Long Black Veil». Un mec joue de l’accordéon dans le fond du studio, puis Stokes gratte son «Junior» à coups d’acou. Il est aussi âprement bon que Johnny Dowd. On retrouve la même profondeur de champ chez ces deux outsiders. Stokes gratte son «Apocalypse Girl» au wondering, il développe une sorte d’atroce démesure, il gratte dans l’underworld, dans un climat extrêmement tendu. Magnifique artiste, il éclate de round & round & round dans «Spin Your Wheels», puis il te souhaite le bonsoir avec «Goodnight Motherfuckers» et l’album s’achève sur un «Live Head», une belle flambée de Stokes qui file droit sous les étoiles en carton d’une cabane moisie du swamp. Sploush sploush.  

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             En 2012 est paru l’album de Simon Stokes & the Heathen Angels. Boom dès «Hey You», stomp d’hey you in the face. Absolute stormer ! Et surprise, il tape son vieux «Miniskirt Blues» repris par les Cramps, puis par El Cramped. Il en fait une version musclée, avec le gaga, le mojo et le riff de basse. Il fait pas mal de country avec le fiddle de barrelhouse («Infected») et du dark boogaloo avec «Down For Death». Il frise parfois le Tom Waits («Stranger Than Fiction»). Son wild country blues sonne parfois comme celui des Faces («The Boa Constrictor Ate My Wife Last Night») et «Hanging Out With Cretins» sonne comme un heavy balladif de raw Stokes option. Il sait aussi chanter le heavy blues à pleine gueule, comme le montre le «Moth And The Flame» des Seeds. Il peut égaler les géant du heavy oh so heavy. Mais son cœur penche pour la Nouvelle Orleans, comme le montre le heavy groove Bartholomien de «One Night Of Sin». Stokes sait aussi réchauffer une soupe, «Honky» tombe à pic pour nous le rappeler - Ready up man ! - Il chante sur des charbons ardents - You’re honky - et les chœurs font honk ! honk ! Stokes dévore le stax de rebop, il le bouffe à l’interne, you’re honky ! Honk ! Honk ! C’est la fête au village !

    Signé : Cazengler, Simmonde tout court

    Simon Stokes & The Nighthawks. MGM Records 1970

    Simon Stokes & The Black Whip Thrill Band. Spindizzy Records 1973

    Simon Stokes. The Buzzard Of Love. United Artists Records 1977

    Simon Stokes. Right To Fly. Psychedelic Records  1996

    Simon Stokes. Honky. Upper Cut Records 2002

    Simon Stokes. LSD. Leary Stokes Duets 2005

    Simon Stokes. Head. Simon Stokes 2008

    Simon Stokes & The Heathen Angels. Simon Stokes 2012

    Conquerer Worm/Cocknoose. Tear It Up Records 1993

    Conquerer Worm. Ride-On. Baloney Shrapnel 1996

    Gray Newell : Ride on ! The long strange trip of Simon Stokes. Ugly Things #46 - Winter 2017

     

     

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 26

    JUILLET – AOÛT – SEPTEMBRE ( 2023 )

     

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    Le mois de Juin n’est pas terminé que déjà le numéro d’été de Rockabilly Generation News squatte la boîte aux lettres. Nous n’appellerons pas à l’application de la nouvelle loi anti-squatteurs qui vient d’être votée. Cette revue est toujours bien reçue par chez nous.

             Surtout qu’elle débute par huit pages de Greg et Sandy Cattez sur Johnny Cash, essayez par vous-même de résumer la vie de Cash en si peu de folios, surtout que les photographies occupent les 50 %, il et elle s’en tirent de main de maître ( et de maîtresse ). Je ne ferai pas à nos lecteurs l’affront de leur rappeler la bio de Cash, pour une fois je m’attarderai sur les photographies. Y a un truc hormis ses enregistrements qui m’a toujours fasciné chez Cash, ce sont ses yeux. Ce sont toujours les mêmes, amusez-vous à parcourir l’éventail des clichés, du tout jeune gamin au vieux Cash que vous  présente RGN, un étrange regard, même lorsqu’il est dans une attitude la plus sympathique et qu’il sourit gentiment Johnny Cash vous a un air inquiétant, celui d’un serial killer qui ne voit le monde qu’au travers de son obsession criminelle. C’est peut-être celle-ci qu’il a transcendée dans l’interprétation de ses morceaux, et sa voix de croque-mort qui lit une dernière prière au bord de votre tombe. Je comprends que June Carter n’ait pas pu résister.

             Un autre pionnier en fin de magazine. Encore vivant, tout près de ses quatre-vingt piges, pas un français, un voisin du pays de Verhaeren, relisez sa trilogie noire c’est encore plus fort et plus fou que Jim Morrison, bref un Belge. Cet été encore, chez un broc, non je ne vous donnerai pas l’adresse, écumant le rayon rock ‘n’roll français je suis resté abasourdi du nombre pharamineux de ses Volumes 1,2, 3… il me semble avoir tenu en main, le 24, consacrés aux classiques du rock… l’a fait beaucoup pour la propagation du rock en notre pays, l’a joué au Golf Drouot, accompagné Vince Taylor et Gene Vincent, Burt nous raconte sa vie, l’a commencé par la lettre A comme accordéon, puis G comme guitare, S comme Saxophone, l’est devenu entre autre musiciens de studio, a été truandé par son impresario ( je vous laisse découvrir son nom ) l’a remonté la pente, continue encore…

             Encore un pionnier présenté par Julien Bollinger, pas n’importe lequel, le représentant par excellence du country blues, à la base de tout, un précurseur né en 1893, mort à 36 ans comme Gene Vincent. Blind Lemon Jefferson reste pour les rockers le créateur de Matchbox Blues

             Place aux jeunes ! Sergio Kazh réussit un véritable toure de force en présentant, le 2023 Wild Weekender ( 2 ) qui s’est déroulé en Hollande, Wild  n’est pas un adjectif, mais le nom du label américain spécialisé dans le rockabilly sauvage. Sergio nous présente, textes et photos, les prestations scéniques des vingt groupes qui participent à ces deux longues nuitées rock’n’roll. Vingt groupes et pas une seconde de lassitude, ceux que l’on connaît et ceux dont on ignore l’existence, à chaque fois il nous donne l’envie d’écouter et d’approfondir.

    Suit un long article de Sergio Kazh sur l’étoile montante du rockabilly Dylan Kirk et ses deux groupes les Killers et les Starlights. Si Killers évoque pour vous un certain Jerry Lee Lewis, vous avez raison, très tôt Dylan est devenu un fan de rock’n’roll, s’est mis à la guitare mais une fois qu’il a entendu Crazy Arms par Jerry Lou l’est devenu fou, l’est devenu feu de cet instrument diabolique. Les Starlights composés de Bryan, Danny et Nico ouvrent le festival Rock ‘n’Roll in Pleugeuneuc avec Dylan Kirk et son piano maléfique, une seule répétition, ils font un tabac… Une légende en train de s’écrire… Un mec bien, sur la couve il fume un Coronado !

    Encore un festival, Blue Jean Bop Party à la Chapelle Serval où l’on retrouve deux groupes phares du french rockabilly : The King Baker’s Combo et Jim & The Beans, High Stepers, Johnny Bach And The Moonshine Boozers (Angleterre) et au final Dylan Kirk With The Starligths.

    Au cas où vous auriez deux trois millions de dollars en trop sur votre compte bancaire aux Iles Caïmans, et que vous aimiez Jerry Lee Lewis (ce dont nous ne doutons pas), rejoignez l’Association The Lewis Ranch, la demeure du Killer pour le préserver en le transformant en attraction touristique digne de qu’est devenu le Graceland d’Elvis Presley.

    Encore un numéro gagnant !

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois),  6 Euros + 4,00 de frais de port soit 10 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 40 Euros (Port Compris), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de tous les magazines... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents !  

     

    *

    Si vous voulez me rendre heureux prononcez des mots qui me font rêver, par exemple au hasard Grèce ou Rock’n’roll. Ou du même acabit. Or mes yeux ne viennent-ils pas d’apercevoir deux groupes de mots appartenant au même champ sémantique réunis sur une pochette de disque, jugez-en par vous-mêmes, Order Of The Black Jacket et Hellenic Black Metal. Tout de suite je chronique !

    ORDER OF THE BLACK JACKET

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    Ordre de la veste noire, presque aussi beau que l’Ordre de la Toison d’Or, tout de suite l’on pense à Charles le Téméraire retrouvé mort après la bataille de Nancy le visage mangé par les loups…  Un destin très howlin’ wolf !

    Konstantinos Dedes : musique, lyrics, vocal / Lambis : guitare, production / Lerotheos Tampakos: drums, percussion / Panais Moustakas: basse.

    ICONOCLASM

     ( CD / Hellenic Black Metal / Bandcamp 2019 )

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    Très belle couve qui peut faire peur. La querelle des icones qui court du huitième au neuvième siècle durant l’Empire Byzantin risque de ne pas passionner les rockers.

    Historiquement il s’agit d’une querelle religieuse et politique qui consistait à bannir (interdire, détruire, abattre, brûler) les représentations imagées dans les églises et les chapelles de l’empire. Les raisons en sont multiples : n’était-ce pas une survivance larvée du paganisme dont les temples étaient ornés de statues et de fresques, vénérer une image ne serait-il pas un signe d’idolâtrie, n’est-ce pas une prétention démoniaque de vouloir représenter la nature de Dieu et des Saints par essence supérieure à notre simple humanité… C’était aussi un moyen pour les empereurs de détourner l’inquiétude et la colère du peuple apeuré du grignotage incessant des terres de l’empire par les conquêtes Arabes… Passionnant certes, avec davantage de corrélation avec notre époque qu’il n’y paraît.

    L’image est d’une violence inouïe, ce personnage auréolé, Empereur Saint, imaginons Dieu lui-même, voire l’Antechrist, qui tient dans sa main gauche un sabre crénelé et présente de sa dextre un livre dont les illustrations ont été effacées vous glace le sang… Toutefois l’icône est terriblement ambigüe, comment peut-on représenter par une image une figuration de l’’iconoclasme inspirée soi-disant par la vraie foi orthodoxale en pleine action alors que l’on dénonce le pouvoir malfaisant de toute représentation ayant trait au divin ? Quel nœud de contradictions ! L’Art se doit d’être plurivoque.

    Rockers dont les murs de vos chambres sont ornés de moult posters de vos idoles, ne craignez rien, cet album n’exige pas de vous que vous les déchiriez, il faut l’interpréter métaphoriquement, il s’agit pour Order of The Black Jacket, d’insuffler en votre esprit l’idée qu’il faut se battre contre toute ordonnance sociétale coercitive.

    L’artwok est de Gina Libe, voir son Instagram et son site au nom de Gina Liberiou. Peu d’œuvres exposées mais de styles très différents. Du dessin animalier à des effulgences abstraites, l’on aimerait en voir davantage, ce qui est sûr c’est que cette pochette est remarquable.

    Black Jacket Order :  l’on pourrait accroire à un hymne dévolu à un gang de bikers, peut-être serait-il plus facile de rester dans cette illusion, disons que c’est un Born to be wild, solitaire et intérieur, run, run, run, morrisonien,  le rocher catapulté suit sa trajectoire, violent et toutefois mélodique, avec des ruptures sonores presque beatlesiennes, malgré un rythme soutenu qui ne faiblit pas. Outtamanhead : batterie fragmenteuse, il s’agit de découper le puzzle des apparences, voix incisive et moqueuse, de désagréger à grands coups, de déchirer en confetti, jusqu’à ce que le voile de la réalité se dévoile et laisse surgir la noirceur universelle, se rendre compte que les morts sont les cariatides qui portent et soutiennent le monde sur leurs têtes. My way : toujours le même ramdam mélodique, avec cet hearbeat en sourdine percussif qui bientôt se déploie en un superbe volume guitarique, ces hauts et ces bas d’intensités sonores, une espèce de blues en le sens que dans le blues c’est le vocal qui mène l’attelage, les mêmes couplets interchangeables, c’est la violence phonique qui pulse le tout, se termine en une espèce de scalp sioux festif   qui se jette dans un delta acoustique mélodique. La mort n’est-elle pas un long fleuve tranquille. Rage to awake : rien de plus vivant et de plus tapageur qu’un mort, ne sommes pas nous tous morts à plusieurs reprises, guitares chamboule-tout, vocal de forcené qui soulève la terre des écorces mortes et des écailles anciennes dont il lui faut émerger pour renaître à sa vie, pour se mesurer une fois de plus à son destin, un trépan de guitare qui défore l’existence et rejette le cône excrémentiel de ses rêves dépassés. La vie est toujours devant. Il est nécessaire de savoir ouvrir les yeux.

    Du son et du sens. L’on a envie de dire : peu de moyens phoniques mais judicieusement et fougueusement utilisés. Un EP qui remue. Comme les vers dans le corps des morts.

    SPIRIT ROCK

     ( CD / Hellenic Black Metal / Bandcamp Janvier 2023 )

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    La couve interroge quand on la compare à la précédente. A l’oriflamme orangée succède une pochette grisâtre. Une silhouette stylisée de femme sans visage, est-ce pour cela que sur scène l’un des membres du groupe porte un masque blanc ? Reproduction d’une statue qui répond au nom de Morana de l’artiste serbe Jovan Petronijevic aussi Rod. Morana est la déesse slave de la mort. Petronijevic s’est beaucoup intéressé aux mythologies serbes. Je n’ai pas été capable de trouver sur le net des œuvres représentatives de cette partie de sa démarche. Ce qui m’a été accessible relève d’un travail lyrico-conceptuel qui ne m’agrée point mais de qualité. Je pense que le choix du public doit préférer cet aspect descriptif du chaos de notre modernité.

    Revenons à Morana puisqu’en fin de compte l’on revient toujours à la mort. Etrange, c’est-là qu’il convient de noter la continuité qui relie les deux pochettes, au premier abord, les seins et le ventre spiralés de Morana m’ont fait penser à la perpétuité de la vie engendrée au cours des générations par le corps des femmes, je ne savais pas alors ce que représentait Morana, l’ayant découvert j’en ai conclu que ces trois spirales étaient le symbole de l’infinitude de la mort, je me suis alors souvenu que le logo que Gina Liberiou a mis en tête de son Instagram et de son FB était… une spirale ! Quelle synchronicité ! Créativité de l’Art, créativité de la Femme et créativité de la Mort = même combat. Pour la Vie ou pour la Mort ?

    Affirmer que Spirit Rock est le nouvel opus d’ Qrder The Black Jacket ne me semble guère judicieux. De toute évidence c’est la suite du précédent. Pas le tome II d’un roman, même pas le deuxième chapitre d’un livre. Imaginez plutôt que vous avez arrêté la lecture d’un récit à la fin du deuxième paragraphe de la page quarante-quatre car interrompu par la visite impromptue d’un voisin, celui-ci parti vous reprenez la lecture au début du troisième paragraphe de la page quarante-quatre. Suite immédiate donc.

    Attention c’est un groupe grec. Ce n’est pas une indication géographique. Prenons un Grec au hasard, le fils de Laerte, Ulysse, il a beaucoup voyagé aux quatre coins de la Méditerranée, inutile de chercher un atlas, il est aussi descendu aux Enfers. C’est pour cela qu’à la fin de l’Odyssée Homère ne nous raconte pas sa mort. Ce serait redondant, une répétition oiseuse. La mort obsède les grecs, Dionysos et Perséphone sont des divinités fondatrices de la pensée grecque, relisez Virgile et Rilke pour vous en persuader. C’est dans ce sillon funéraire ( fun, fun, fun, sourions avec les Beach Boys ) que s’inscrit Order Of The Back Jacket.

    Digging deeper ( For Grace ) : sur You Tube la vidéo est agrémentée de l’effigie d’une mystérieuse jeune fille, morceau hommagial à une jeune morte. Une ballade enlevée qui met en valeur la voix de Constantinos, les instruments rassemblés comme un bouquet de fleurs mortuaires. Le texte est à creuser. Où sont les amants sur cette terre, une dessous et l’autre dessus, à moins que ce ne soit le contraire, ou peut-être tous les deux réunis dans la même tombe, à moins que tout ne se passe dans la tête de l’un ou de l’autre, ou dans les deux. Qui était mort à la fin du disque précédent. Est-ce vraiment si important. Un mort n’est-il pas toujours vivant tant que l’on pense à lui, à moins que ce soit nous qui sommes en vie tant qu’un mort pense encore à nous. Ce morceau est splendide. Blackgaze : regard noir sur le riff de de Sunshine of your love, c’est ce qui s’appelle avoir de de l’humour noir, basse et guitare s’en donnent à cœur-joie.  Nos amants continuent leur colloque sentimental. Ils se disputent aussi, celui ou celle qui est partie n’a-t-il pas n’a-t-elle pas trahi l’autre, à moins que ce ne soit quelque chose de plus charnel, car les vivants et les morts ne se désirent-ils et ne déchirent-ils pas autant que les vivants et les vivants et que les morts avec les morts. La réponse est aussi évidente que les questions. Wind : si le titre des Cream explose par un grand chambardement  c’est le vent qui souffle de toutes ses forces qui fait office du creamique  éclatement riffique terminal, autant en emporte le vent, et il souffle très fort dans ce troisième morceau, tout ne finira-t-il pas un jour, n’y aura-t-il pas un jour où les morts et les vivants ne seront plus différenciés, où tout sera égalisé, où rien n’aura plus d’importance, d’ailleurs où est la nuit et où est la lumière, la guitare claironne un nihilisme joyeux et la batterie accélère la ronde comme si elle voulait savoir la fin de l’histoire avant tous les autres. Skyblood : la ronde infernale continue, elle aimerait rompre le cercle répétitif, elle cherche à s’élever, lorsqu’il ne reste plus rien, reste encore le rien de la douleur qui retombe en pluie de sang mental sur celui qui devient le centre égotiste de l’univers, que tout le monde se réveille pour accéder à ce baptême sanglant, il est un point de l’univers où le haut et le bas s’égalisent où le rien devient tout. Danse endiablée. Même folie et raison ne sont qu’une seule et même chose. Never over : c’est un peu comme si depuis quatre titres c’était toujours le même morceau qu’ils rejoueraient, la différence ne résidant que dans les paroles, ici sans équivoque, ce ne sera jamais terminé, les contraires ne s’attirent que pour mieux se refouler, la basse vous trace de ces points de suspension qui en disent long sur ce never ending tour de danse macabre infinie. Au plus proche l’on est aussi au plus loin. Le savoir est le seul soulagement possible. Alone : une solution pour rompre le sortilège, couper la poire en deux et n’en garder qu’un, choisir la solitude du solipsisme, la voix se mélodramatise et l’instrumentation atteint une vitesse prodigieuse, la solitude de l’Unique métamorphose l’univers élémental l’eau devient pierre, étrange alchimie en quelque sorte négative, puisque l’un changeant de nature devient l’autre. Faithseeker : une voix forte mais mourante pour nous annoncer qu’il a perdu la foi, la musique s’épaissit, Constantinos crache les mots un par un comme l’on jette des fléchettes dans les yeux de ses proches, rupture, bourdonnements aumniques, déploiement musical étincelant, une montée certaine vers une fin grandiose, le guerrier est au faite de da décision. Tombé ou tombeau de rideau. Le chant tire la langue. Il a perdu la foi, d’accord, mais en quoi, en la mort ou en la vie, et que recherche-t-il la vie ou la mort. Ce dernier morceau d’une amplitude beaucoup plus orchestrale.

    Il s’agit d’une œuvre longuement méditée. Une espèce d’oratorio total en le sens wagnérien, la preuve nous en est apportée par une vidéo vieille de huit années intitulée Act qui regroupe trois morceaux : Rage to awake : Act I : Yamashiro ( sabre ) / Act II : Kisuke (personnage du manga bleach = eau de javel, allusion aux cheveux blonds du héros ?  / Faithseeker :  Act III : The burden = le fardeau. La musique est agrémentée de peintures et de dessins dus à Antonis Siganakis (voir son Instagram Antony Siganakis, style manga et portraits de filles). A découvrir. L’artwork effectué pour ces trois actes est remarquable. 

    De même nous invitons à regarder la mimic vidéo Never ever. Un personnage masqué, visage impossible, qui s’exprime par des gestes qu’il ne joint pas aux paroles qu’il ne prononce pas, la piste du morceau le fait pour lui. Surprenant mais pas convaincant. L’on se souvient que David Bowie a débuté par le mime.

    Cet essai nous conforte dans nos conclusions, idéologiquement parlant Order Of The Black Jacket n’a rien à voir avec un groupe comme Black Rebel Motorcycle Club, The Black Jacket s’inscrit dans une démarche diantrement plus artistique et métaphysique. Un projet longuement réfléchi et mûri. Le détour s’impose.

    Vous reste à méditer sur le titre de l’album : Esprit Rock !

    Damie Chad.

     

    *

    Beaucoup de groupes européens à balles doom-doom tirés au fond des déserts stonériens ces derniers temps sur le blogue, en voici un des USA, de la côte-est, plus exactement de Philadelphie, étymologiquement la cité fraternelle, bien que leur vue du monde contemporain semble s’écarter de l’idéal des fondateurs de cette vieille cité.

    OTHER PEOPLE

    HEX ENGINE

    Bob Malosky : drums / Drew Campbell : guitar, backing vocal / Christian johnson : bass / Ron Aton : lyrics, vocals.

    La couverture est explicite, des gens séparés les uns des autres par leur propre solitude, enfermés dans un désert de glace paranoïaque, ne cherchez pas les autres gens, vous les reconnaîtrez trop vite, ils vous ressemblent comme des gouttes gelées sur une vitre translucide, ce n’est pas qu’ils sont comme vous, c’est que vous êtes comme eux.

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    Monster : notes bousculées pressées les unes contre les autres, depuis Steppenwolf le monstre a changé de nature, ce n’est plus un système coercitif qui vous dépasse,  auquel vous participez à votre corps défendant, Aton hurle personne n’oserait l’accuser d’être atonique, vous crache les mots au visage pour être sûr que vous les entendez, un long pont de guitares glissantes et heavy, comme celui d’Avignon qui a précipité les beaux messieurs les belles dames interchangeables que nous étions dans les eaux glacées de l’individualisme atonal, vous êtes devenus des clones d’humanoïdes, des semblants d’humanité qui ne tiennent debout que par le miracle hypnotique d’un mensonge idéologique partagé. HEAVY les guitares, à croire qu’elles veulent acquérir la force persuasive du vieux cryptogramme du Dieu vengeur. Ce n’est plus une critique mais une malédiction sonore jetée à la face de la modernité. Mines de rien (mais à retardement direct) car les mots attendus ne sont pas employés et cet aspect de la problématique n’est jamais abordé, le propos est essentiellement politique. Parasites : Et religieux. Un petit côté antipathy for les

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    représentants sociétaux de Dieu sur cette terre, les guitares grondent, le drummin’ tabasse et Aton perche sa voix au-dessus de tous les clochers ecclésiaux. Message compris, on se concentre sur la musique, des guitares concassent cette manière très persuasive d’empiler des notes sur des notes comme des jeux de cubes, et arrive l’instant où la pile vacille, et le tout s’écroule en un grand bruit de haine assouvie, comme ils ne souviennent pas que Dieu est mort ils veulent l’ensevelir sous la tour de Babel de toutes ses hypocrisies, éboulements hendrixiens. Rat fink : ondées de basse menaçantes, un drummin éclatant et méthodique n’est pas là pour vous dire que tout va bien se passer, l’Aton passe à l’atomique, ne vous l’envoie pas dire, dit les choses comme il le pense, détache les syllabes pour vous décapsuler les tympans, les guitares balancent des ondées rythmiques, ah ! ces passages musicaux où le son prend le commandement, Aton reprend la parole comme l’on tire la nappe du banquet pour gâcher le repas des convives gorgés de l’hypocras des hypocrites. Arrêt brutal, heureusement qu’ils n’ont pas continué car on se demande ce qui aurait pu arriver. Excuses, excuses : générique de film de catastrophe, des pas de géants se rapprochent, attention le morceau dure près de dix minutes, l’on devine que la guerre ne fait que commencer, une voix dans le lointain, pour une fois Aton se laisse recouvrir par la marche militaire de l’accompagnement, de temps en temps des éclairs aigus brillent comme des lames de sabres qui dans la mêlée réfléchissent le soleil, pas besoin de hurler, l’emploie l’ironie, cette enclume cisaillante qui vous coupe en deux, c’est maintenant qu’il crie, profère des avertissements sans appel, les guitares en tremblent de peur, il n’y aura pas d’excuse, le châtiment se rapproche, ça cogne dru et ça tape dur, il existe une jouissance de la violence puisque l’on adore, pas de concession, pas de prisonnier, pas de pardon, tout doit disparaître même les rayons, la fin fabuleuse, l’impression d’une chose innommable qui rampe à terre, monte à hauteur de vos genoux et vous emporte dans un monde merveilleux. Meet your maker : vous croyiez qu’après la mort même les méchants iraient au paradis, c’était une blague, un faux et fol espoir, cette fois-ci c’est Dieu en personne qui se déplace, non il ne tonne ni ne crache, pas furieux pour un euro, l’avance doucement, un rythme appuyé et lent, une formule apaisante pour un batteur, attention ça se précise, un solo de six cordes grince un peu trop pour être honnête, vous Le pensiez juste, lamentable erreur, c’est un sadique, vient pour vous poignarder et enfiler le couteau avec lenteur pour que vous sentiez votre douleur, Aton vous imite à la perfection les cris de Dieu qui prend un plaisir à vous saigner comme un porc. Une véritable boucherie, les cymbales tintent comme l’heure du crime, ça se termine en apothéose, une catharsis dirait Aristote, l’orgasme du serial killer qui s’écoule en un flot de sperme tempétueux préciserait Damie Chad. Omens : reprenons nos esprits, est-ce Dieu qui parle ou un gars comme vous et moi dont les rêves ont pété plus haut que leur cul, à moins que ce ne soit la victime ou le couteau, un joyeux baltringue dans la tête du zigue, les instrus se bousculent au portillon, Aton leur monte dessus et sur cet escabeau volcanique il vitupère tout fort à ameuter l’univers. L’on ne sait pas s’il répond mais le groupe s’en donne à cœur joie, le sang excite les combattants c’est bien connu, d’ailleurs ce tranchant de guitare qui ressemble à un couperet de guillotine vous file les jetons, et pour terminer en beauté Aton vous crie à bâton rompu que quelque chose de terrible ne va pas tarder à nous tomber sur le coin du museau. Au moins la fin du monde. Something’s burning : je suis désolé mais ce vent mauvais qui souffle, cette guitare qui pue le mélodrame à plein nez, cette espèce de riff qui n’en finit pas, la situation est grave, Aton nous la joue à Ezéchiel, tous les malheurs du monde vont nous tomber dessus, courez, foutez-vous à l’abri, une espèce de rouleau compresseur vous confirme qu’il n’y a pas d’issue possible, quand je pense que certains répondent qu’ils feront crac-crac avec leur petite amie tranquillou chez eux quand l’apocalypse s’approchera, ils ne partagent pas la vision d’Hex Engine, un affolement général, la machine à axe hexagonal est en route et personne ne l’arrêtera, un bordel inimaginable, une folie envahissante, une catastrophe ambulante qui s’installe dans votre deux pièces cuisine et partout ailleurs, dans ce fatras d’immondices phoniques je me hâte de rassurer nos lecteurs, ce morceau est particulièrement beau, agréable et chatoyant pour des oreilles de rockers. Déjà’sku : Aton se tait, deux minutes d’interlude pour que vous puissiez prendre la mesure de ce qui vous attend. Pas la peine de pleurer sur vous-même et de regretter comme semble l’indiquer le début de court morceau car tout de suite ça s’accélère et ça devient ultra-violent, même Aton qui avait promis de se taire ne peut plus se retenir et vous pousse le même hurlement que lorsque l’armoire normande de Tante Noémie vous était tombée sur le pied. Fear the future : grondement lointain qui s’amplifie, ce coup-ci c’est sûr, ils arrivent, quelle cacophonie, qui sont-ils, vous craignez le pire, la musique n’imite-t-elle pas le bruit des anges de la destruction qui descendent sur terre, à moins que ce soit des extraterrestres pas du tout extra, n’oubliez jamais que si le pire est toujours certain, il ne ressemble pas à ce que l’on imaginait, les voici, on s’attendait à tout sauf à eux, Aton ne vous fait pas languir, il vous refile la solution, ces gros méchants qui viennent sont les… riches. L’a un peu pris son temps pour vous le dire, maintenant  vous savez qu’ils vont vous exterminer, qu’il n’ y aura pas de survivants parmi les pauvres et les esprits timorés qui ont toujours écouté et fait sagement tout ce que l’on leur disait, Bob Malowski qui n’a pas fini de vous malaxer depuis le début vous tire dessus à la kalachnikov, Drew Campbell embourbe un solo dantesque dans une échoïfication  démesurée, la basse de Christian Johnson bass-cule dans un trou de fond de fosse funéraire  et c’est parti pour la grande fête finale, l’apothéose de la bêtise et de la cruauté humaine, ça tourne comme le Boléro de Ravel et ça se transforme en locomotive asthmatique, gargouillement terminal. Tout est terminé. Ite.

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             Quel groupe ! Quels musiciens ! Question rock les ricains vous en bouchent toujours un coin.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 30 ( Naïf  ) :

    172

    Carlos s’est arrêté si vite que je n’ai pas eu le temps de visualiser la marque de son nouveau 4/4, l’avait l’air si pressé qu’il n’a même pas pris le temps de nous saluer, l’est resté rivé sur sa conduite comme si nous n’existions pas. Le Chef qui avait pris place à ses côtés en profita pour allumer un Coronado, au bout de quelques instants il entreprit d’engager la conversation :

              _ Seriez-vous fâché contre nous Carlos ?

              _ Non, contre ma nouvelle copine.

              _ Vous n’êtes donc plus avec Alice ?

              _ Terminé, de l’histoire ancienne, les filles c’est comme les cigarettes, ça se fume et ça se jette !

              _ Vous devriez-vous mettre au Coronado, vous connaîtrez l’extase et non les petites saveurs à date de péremption rapide, mais dites-moi, comment se prénomme la nouvelle venue ?

             _ Alice !

    Sur la banquette arrière Molossa et Molossito me regardent d’un air entendu. Je ne dis rien, je ne suis pas loin de penser comme eux, dans cette histoire il est tout de même étrange de voir que toutes les filles s’appellent Alice. J’aimerais bien méditer sur ces étranges coïncidences, l’explosion de la voix vindicative de Carlos ne m’en laisse pas le temps :

              _ Wow, l’est pas content cet abruti !!!

    Entre nous soit dit l’abruti en question n’a pas tout à fait tort, Carlos fonce comme un sauvage, il double une file de voitures stupidement arrêtées à un feu rouge, en roulant à toute blinde sur le trottoir. Le pauvre gars a juste le temps pour ne pas être écrasé de remonter dans sa camionnette stationnée les deux roues dans la rigole, s’il croit s’être tiré d’affaire, il se trompe, coup de frein brutal, le 4/4 recule jusqu’à ce que Carlos soit juste en face de la cabine. Le gars esquisse une bordée d’injures, il n’a pas le temps, une balle de Rafalos lui explose la tête.

              _ Quel crétin, en plus zieutez son panonceau, c’est un fleuriste, je hais les fleuristes !

               _ Cher ami je ne savais pas que la paisible race des fleuristes suscitait tant d’acrimonies de votre part, personnellement il m’est arrivé à plusieurs reprises d’abattre sans sommation quelques individus indésirables qui n’avaient manifestement jamais fumé un Coronado de toute leur vie. Juste pour leur apprendre à vivre dignement !

               _ Voyez-vous Chef, le gars n’y était pour rien, tout cela c’est à cause de ma nouvelle Alice.

    J’essayai de me glisser dans la conversation, les études à la Balzac sur la psychologie contemporaine m’ont toujours passionné :

              _ Votre Alice déteste les fleuristes, après tout il y a tant de gens qui détestent les araignées qu’une fille qui abhorre les fleuristes est sûrement un cas d’espèce intéressant.

              _ Damie tu fais fausse route, je pense qu’Alice tout comme moi n’éprouve aucune antipathie contre les fleuristes. Mais c’est tout de même un peu de leurs fautes.

    Le Chef nous fit signe de nous taire. Il profita du silence de l’habitacle pour procéder à l’allumage, geste d’une haute hiératie, d’un Coronado.

    _ Cher Carlos vous connaissant j’en ai tout de suite conclu que la mise à mort d’un fleuriste d’apparence innocent doit avoir quelque intérêt. Expliquez-vous, prenez votre temps, je vous en prie.

    _ Ben voilà, hier soir j’avais donné rendez-vous à vingt-et-une heures dans un restaurant à ma nouvelle Alice. En chemin, l’envie me vient d’entrer dans le resto avec une immense corbeille de roses que je déposerai sur la table devant elle, les filles aiment ce genre de simagrées, elles s’imaginent que nous sommes leurs chevaliers-servants, j’ai fait au moins dix fleuristes, tous étaient fermés. Bon ce n’était pas grave, les greluches aiment aussi les mauvais garçons, je me suis arrangé pour qu’elle aperçoive la crosse de mon rafalos, bref in the pocket comme disent les anglishes…

    Molossito pousse un ouaf interrogatif. Quelque chose lui échappe. A nous aussi. Mais Carlos a compris que Molossito n’a pas compris.

             _Ecoute-moi bien Molossito, quand on est un homme, c’est pareil pour un chien, il ne faut jamais renoncer à ses idées. Nous nous sommes séparés très tôt ce matin Alice et moi. Quand nous nous sommes quittés l’envie de lui offrir des roses pour l’entrevue de ce soir m’est revenue. Pas de chance, les fleuristes qui étaient fermés à neuf heures du soir, n’étaient pas plus ouverts à six heures du matin.

    Molossito vient de comprendre, il pousse un ouah ! exclamatif, Carlos se tait, il n’a pas besoin de poursuivre. La queue de Molossito frétille d’impatience. Le Chef allume un Coronado :

             _ Continuez Carlos, nous roulons comme des escargots depuis que nous sommes montés dans ce véhicule ! Plein gaz, nous allons arriver en retard.

    173

    Crissements de freins. Evidemment c’est encore trop tôt mais les camionnettes d’entreprise et les fourgons sont légion. Nous rentrons sans que personne ne nous jette un regard.

    _ Suivez-moi !

    Carlos nous guide, il avance à grandes enjambées dès que nous arrivons dans un coin paisible il démarre au sprint. Molossa et Molossito tout guillerets nous accompagnent. Ils se retiennent d’aboyer, ils savent que nous sommes en mission, sur le sentier de la guerre. Carlos lève la main, nous arrêtons et il désigne l’endroit. Le Chef prend la parole :

              _ Rendez-vous sur l’objectif, je le rallierai en venant du Sud, Carlos de l’Est, Agent Chad de l’Ouest, Molossa et Molossito du Nord. A la moindre présence ennemie, les chiens attaquent et nous, nous sortons les Rafalos.

    Nous nous sommes éloignés les uns des autres. Maintenant à chaque pas que nous faisons nous nous rapprochons. Encore une dizaine de mètres et nous parvenons à notre point de chute. Carlos passe le canon de son Rafalos dans sa ceinture :

              _ C’était déjà dans cet état quand je suis venu sur les six heures et demie, les fleuristes étaient fermés, j’ai réalisé que nous avions dormi dans un hôtel tout près du Père Lachaise, je m’étais dit que je trouverais des fleurs dans le cimetière, j’en ai récupéré une bonne brassée, avant de partir l’idée m’est venue de jeter un coup d’œil sur la tombe d’Ecila. En m’approchant j’ai entendu des bruits j’ai couru, je n’ai vu que l’arrière d’un gros fourgon bleu qui s’éloignait vers la sortie, il m’a vite semé, mais je suis prêt à parier que les grilles lui ont été ouvertes en grand car il n’a pas cessé d’accélérer.

    La dalle gisait sur le côté. Pas très loin du cercueil. Je soulevai le couvercle simplement posé par-dessus. Aucun corps n’y reposait. Ecila avait disparu. Il y eut un instant de silence. Le Chef alluma un Coronado

              _ Carlos, je suppose que le bleu du fourgon était un bleu soutenu ?

              _ Oui c’est bien cela, un bleu pas sombre mais voyant, comment dire un bleu, euh…

              _ Cobalt, ne cherchez plus, le bleu de la gendarmerie, la dimension nationale de notre aventure se confirme, nous ne savons pas à quoi notre président s’amuse ces derniers temps mais il fricote de drôles de manigances.

    174

    Molossa posa sa tête sur mon jarret. Je fermai les yeux. Le Chef et Carlos tenaient déjà leur rafalos en main. Des graviers crissaient sur ma gauche. Ils étaient là autour de nous. Nous leur tournions le dos. Le Chef donna des ordres à demi voix :

    • Attention il y aura plusieurs vagues d’assaut, ne pas se déconcentrer, chacun s’occupe de sa direction, moi le Sud, Carlos l’Est, Agent Chad l’Ouest, les moins à craindre seront ceux qui viendront du Nord, ils seront les moins dangereux, personne face à eux, ils ne se doutent pas que les chiens s’occuperont d’eux, à mon commandement, genou à terre feu !

    Pas très futés les malabars, croyaient nous surprendre. Ils furent courageux. Ils s’obstinèrent. Pas moins de quatre vagues d’assaut, au final je dénombrais seize cadavres. Les nordistes avaient rigolé quand ils avaient vu les deux chiens leur mordre les jambes. Une somptueuse rafale du Chef leur coupa définitivement l’envie de rire.

    L’algarade ne dura que quelques secondes. Vite fait, bien fait. Full metal jacket.

    Carlos désigna deux corps tombés sur une tombe :

    • Je les connais, je les ai déjà vu dans la Légion, quand ils ont été libérés ils ont trouvé du boulot dans la Maffia russe.

              _ Enchanté de l’apprendre, dit le Chef, Les pièces éparses du puzzle se mettent doucement en place, les unes à côté des autres.

    Et il alluma un Coronado.

    A suivre…