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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 123

  • CHRONIQUE DE POURPRE N° 213 = KR'TNT ! 332 : ERVIN TRAVIS NEWS / MAKE-UP / KIM SALMON / DEJA MU / BILL CRANE / IAN DURY / JEAN-PIERRE ESPIL / JAMES BALDWIN

     

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 332

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    08 / 06 / 2017

     

    ERVIN TRAVIS NEWS / MAKE-UP / KIM SALMON

    DEJA MU / BILL CRANE / IAN DURY /

    JEAN-PIERRE ESPIL / JAMES BALDWIN

     

    ERVIN TRAVIS NEWS

    Longtemps que nous n'avons donné de nouvelles d'Ervin Travis. Pour une unique et simple raison : elles ne sont pas bonnes. La maladie – cette saloperie de Lyme - suit son cours. Ervin a tout essayé, traitements divers, clinique spécialisée en Allemagne, docteurs en tous genres.

    C'est une vidéo sur You Tube. Qui excède à peine une minute. Réalisée par Ervin. Un Ervin fatigué qui annonce, qu'à bout de patience, il prend la décision de se soigner tout seul, par lui-même, puisque toutes les formes de médecines n'ont réussi à éradiquer les méfaits de la sale bestiole.

    La voix éteinte, la mémoire défaillante, Ervin parle et promet de nous refaire signe ...to be continued... comme il dit... deux ans que la maladie est devenue insupportable... mais l'homme se bat et malgré une énorme lassitude fait toujours front...

    De tout coeur avec toi, Ervin.

    Keep Rockin' Till Next Time !

    Make up your mind

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    Faut-il qualifier Ian Svenonius d’activiste ? Oui, et pas seulement pour son plan de destruction de l’Amérique en treize points qui date du temps de Nation Of Ulysses, mais surtout pour son rôle de propagateur du gospel yé-yé au sein des Make-Up, groupe artefact d’action directe capable de taquiner le tabernacle et de magnifier le manifeste. Ce gang fit de sérieux ravages dans les rangs des années quatre-vingt dix, au siècle dernier. Bonnot Svenonius et sa bande écumaient les scènes à bord d’un tacot fou et canardaient de quinconce, sans aucune pitié pour les connards boiteux. En réalité, le Raymond la Science de Bonnot Svenonius était une grooveuse sirupeuse, Michelle Mae. Tout l’art make-upien reposait sur l’excellence de son bassmatic famous-flammy. À l’arrière du tacot fou se trouvaient deux autres graines de violence, Steve Gamboa, un bat-le-beurre d’origine vaguement orientale, et un certain James Canty trouvé dans une cantine.

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    Après des années de silence, Ian Svenonius et ses activistes rejaillissent dans l’actualité de façon tout à fait inespérée. Les voilà à l’affiche du Cabaret Sauvage, l’endroit le plus rococo de Paris. Ian prend un petit bain de foule avant de rejoindre son gang sur scène. Ils portent tous les quatre des costumes en lamé or. Un nouveau batteur a remplacé Steve Gamboa.

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    Dès les premières mesures, Ian et son gang mettent le cabaret à feu et à sang. Ils réveillent les démons de cette vieille soul blanche qui les rendait uniques. Le feu sacré est intact, Ian jerke sur scène comme à l’âge d’or. Michelle Mae pulse paisiblement son groove de funk et nous voilà plongés dans un spectacle digne des grandes Revues américaines d’antan. Ian fait le show, il james-brownise le funk blanc, il shake ses shooks avec des bonds blackés d’or en double ciseaux, il performe son show et chitline l’entertainment avec un mépris total des lois de la gravité.

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    Tu veux voir le Christ marcher sur l’eau ? Vas voir les Make-Up et tu verras Jesus Svenonius marcher sur une mer de mains tout en prêchant le gospel yé-yé. Il traverse plusieurs fois la salle sur la mer de mains, et des centaines de gens font des photos. C’est tout ce qu’il reste à faire : des photos. Pourquoi faire ? Pour faire des photos. Mais à quoi ça sert de faire des photos ? Mais à faire des photos, c’est déjà pas mal. Que te faut-il de plus ? Alors ça smarphotte de partout. Ian Svenonius marche sur une mer de smartphones. Des fois qu’on manquerait de preuves. Oui, il a marché sur une mer de smartphones. Le monde entier doit le savoir. Le monde entier doit le voir. Des milliers de smartphones photographient la mer de smartphones. On se croirait dans Fantasia chez les ploucs.

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    Pendant ce temps, les trois autres Make-Up tiennent bien le beat en laisse. Pas question de le laisser partie à vau-l’eau, au hasard des courants. Ramené sur scène par une sorte de ressac, Ian reprend son infernale partie de Saint-Guy. Ouh ! Il jerke pour dix, ouh ! Il shake comme un beau diable, il rallume l’antique brasier des Make-Up !

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    La foule ovationne ce piccolo diabolo sorti d’une Pandora box de beat doré, ce Mister Pan Dynamite de deepy DC, Ian fait le show et réinstalle les Make-Up au sommet d’un Olympe de la modernité. On les savait invincibles depuis vingt ans. C’est toujours une bonne chose que de voir une vérité jaillir du buisson ardent.

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    Oui, car ce qui a toujours distingué les Make-Up du troupeau bêlant des groupes garage, c’est précisément la modernité. Ils n’ont pas enregistré beaucoup d’albums, mais chacun d’eux frappe par la vitalité de son parti-pris.

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    Un portrait de grooveuse sirupeuse orne la pochette du premier opus cubitus du gang, Destination Love, paru en 1996. Et si par malheur on retourne la pochette, on sera frappé de plein fouet par une photo de la bande à Bonnot Svenonius au grand complet. Les voilà parés de coiffures arrogantes, de chemises en soie et de cravates du plus beau noir. Black on black, baby. Sur ce disque, ils se livrent à l’exercice périlleux du jerk de funk garage gratté sec et chanté avec la pire aménité qui se puisse concevoir ici bas. C’est en tous les cas ce qu’inspire un «Here Comes The Judge» qui ne doit rien à Shorty Long. Avec «They Live By Night», ils ne font qu’une bouchée du garage. Ils grattent ça aux accords de Gloria, baby low, avec une jolie frénésie. Bonnot Svenonius chante le plus souvent à l’orfraie d’eunuque volage. Il ne respecte aucune loi, il ne revendique ni dieu ni maître, sauf peut-être James Brown. Le groupe joue sans aucune concession, et se veut affreusement dépositaire de limon. Avec «We Can’t Be Satisfied», Bonnot Svenonius devient une sorte de screamer hors d’âge. Il tâte encore le pouls du garage d’anticipation avec «How Pretty Can U Get» et amène «International Airport» à l’hypno tendancieuse. Mais le hit de cet album insoumis se cache en fin de B : back to the gospel yé-yé avec «So Chocolately/Destination Love». Eh oui, Bonnot Svenonius transforme le moindre balladif en torrent d’effluves, en geyser d’effusions cognitives, en rupture d’anévrisme, en vertigineuse noyade de chars de combat dans la Mer Rouge.

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    Ils passent au live dès le deuxième album, After Dark, enregistré à Londres au Fine China. Heureuse initiative ! On retrouve en effet la dynamique du gang sur scène. Dès l’intro, Bonnot Svenonius hennit comme un étalon sauvage et il enchaîne avec «Can I Hear U Say Yeah» qu’il screame jusqu’à l’os du genou. Si on aime le raw, on est servi. S’ensuit un «Blue Is Beautiful» exacerbé et irrité jusqu’au sang. La bande à Bonnot Svenonius nous plonge dans une fantastique ambiance d’exaction maximaliste. Il va chercher l’At the tone à la glotte sanguinolente et hurle à la hargne blanche. Le «Gospel 2000» qui ouvre le bal de la B permet de souffler un peu, même si Bonnot Svenonius glapit plus que de raison. Sur ce disque, tout reste incroyablement rampant. Il reviennent jerker le garage funk avec un «RUA Believer» solidement syncopé. Ils ont un autre album live, le fameux Untouchable Sound paru beaucoup plus tard, en 2006, enregistré au Black Cat Club de Washington DC en l’an 2000. On y retrouve l’énorme «Save Yourself», que la grooveuse sirupeuse joue sous le boisseau, un cut très africain dans l’esprit et enrichi des chœurs d’une Ophélie allongée au fond du ruisseau. Bonnot Svenonius s’y distingue en hurlant comme Iggy. Il règne dans la musique des Make-Up quelque chose qui relève de l’ordre de la grande solidité. On trouve aussi sur cet album une belle version de «They Live By Night» montée sur un groove hypno et troué de part en part par un killer solo de James Canty. Si on aime le joli groove de basse, on se régalera du «The Bells» niché en B. James Canty revient faire une trouée sauvage dans ce pauvre groove. Il s’y adonne à son jeu favori : le solo de libre-cours sans foi ni loi. Bonnot Svenonius nous chante «Born On The Floor» comme un prophète, comme un vrai harangueur de foules, un mystique du désert de Gobi. On sent le possédé. Et puis tout bascule dans l’Orange mécanique avec «C’mon Let’s Spawn», car le solo qu’on y entend est celui d’un droog.

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    On trouve un peu de tout, sur Sound Verite. Du funk et du dub. Oui, «Don’t Tell It Like It Is» sent bon le bon dub, car c’est amené au beat narcotic, de façon inquiétante, sous le boisseau. Et le funk ? Il se niche en B dans l’impérieux «Hot Coals». Bonnot Svenonius y fait son James Brown et il a raison, car il en a largement les moyens. Oh on trouve d’autres petites merveilles sur l’album rouge, comme par exemple «If They Come In The Morning» que Bonnot Svenonius chante au timbre éteint. Le gang s’installe dans le groove insidieux, celui qui cache bien ses intentions. Peu de gens chantent aussi bien à l’agonie. On reste dans la même ambiance hitchcockienne avec «Make Up Is Lies», car notre profanateur préféré y crée les conditions de la psychose yé-yé. Et le «Gold Record Pt1» qu’on trouve en B s’enfonce dans l’ombre d’une belle menace urbaine, bien louvoyé au petit groove funky. Sur cet album, tout reste d’un niveau égal, sans crises ni montées brutales de fièvre.

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    S’il faut emmener un album des Make-Up sur l’île déserte, c’est peut-être In Mass Mind. Oui, car quel album ! Si on en dresse l’inventaire, on y trouve un coup de génie, une énormité, un classique de r’n’b, un froti d’antho à Toto et deux modèles de scream. Le coup de génie se niche au bout de la B : «Black Wire Pt 2». Dans le genre coup de génie, il est difficile de faire mieux. Si on apprécie les énormités, alors il faut se jeter sur «Joy Of Sound», véritable hit de Soul insistante, solide comme une dague en acier de Damas. Le froti de rêve s’appelle «Caught Up In The Rapture». Voilà un slowah d’une rare intensité et screamé avec une science innée de l’amour physique, sous un satin de nappes d’orgue chaudes. L’amateur de scream se régalera de «Live In The Rhythm Live», une horreur juvénile montée sur un gros groove bien gras. Bonnot Svenonius y screame comme le démon qu’affronte l’Exorciste. Franchement, il est avec James Brown le plus puissant screamer d’Amérique. Il récidive avec «Do You Like Gospel Music», screamé à la vie à la mort avec du pur Get down on your knees/ Please do you like it/ Do you like what we do - Quant au fan de r’n’b, il se goinfrera de «Drop The Needle», car vraiment, dans le genre hot Soul de cold rice, on ne trouve pas mieux, sauf peut-être chez James Brown. Voilà un album qu’il faut bien qualifier d’infernal.

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    On trouve deux véritables coups de génie sur Save Yourself paru en 1999, à commencer par le morceau titre, monté sur un riff de bassmatic oh yeah et chanté à la coulée de boue de Soul. Ce mec est vraiment très fort. Les chœurs interfèrent de façon brûlante. Quel extraordinaire panier de crabes ! Quelle volupté ! Quelle finesse diabolique ! Ian mène son bal au groove insidieux, à coups de halètements et de relances infernales. Voilà ce qu’il est convenu d’appeler une merveille d’intelligence svenonienne. L’autre coup de génie de cet album est la reprise d’«Hey Joe». S’il est bien un cut intouchable, c’est celui-ci. Qui oserait reprendre ce chef-d’œuvre hendrixien, à part Ian Svenonius et Michelle Mae ? Elle l’attaque au chant et Ian la rejoint avec une voix d’archevêque au bord de l’orgasme. Ils duettent comme pas deux - I’m gonna go to Mexico - et Ian chauffe cette fabuleuse version à blanc. Mais attention, ce n’est pas fini, car «C’mon Let’s Spawn» reprend le mythe du catfish. Oui Ian veut être un big fish in a small pond, pure métaphore sexuelle, et il s’y prend de manière totalement spectaculaire - C’mon babah ! - C’est relancé aux solos d’instrus indéfinissables, avec des cuivres en veux-tu en voilà. Ils inventent pour la circonstance le funk désespéré, et le coulent dans une véritable dégelée d’énergie carabinée. Avec «White Belts», il fait du groove de confrontation. Il l’explose même au scream de white trash. Puis, avec «The Prophet», il se livre à un petit exercice de speed talkin’ un peu énervé. Il tente parfois de créer des ambiances spectaculaires, comme dans «I Am The Pentagon», mais ça ne marche pas à tous les coups. Son Pentagon est un peu cousu de fil blanc. Par contre, il est capable d’horreurs de garage exacerbé du type «(Make Me A) Feelin’ Man». Ici, l’implacable Svenonius en veut au monde entier. Cette belle énormité roule sur un drive de basse terrible. Si l’on cherche une illustration musicale de la puissance nucléaire, c’est là.

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    Le dernier album en date des Make-Up est une compile intitulée I Want Some. Voilà encore un disque indispensable, car d’une densité assez rare : quatre faces bourrées à craquer de garage d’anticipation insidieux du type «Blue Is Beautiful» et «Type-U-Blood», chantés à la petite hurlette concomitante et subtilement nappés d’orgue. On retrouve aussi l’excellent «RUA Believer» chanté à la glotte allumée. Tiens, voilà un cut mythique, le fameux «Free Arthur Lee», joué au beat de gospel yé-yé, même ampleur cabalistique que l’«Out Demons Out» d’Edgar Broughton.

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    Le gang invente un genre avec «Untouchable Sound» : le modern savaged raunch of soul garage. Franchement, Bonnot Svenonius vaut tous les grands screamers blacks. Il refait son James Brown avec «Substance Abuse» - Get on the right track - Il connaît toutes les ficelles du black power. Et il termine sa B avec un extraordinaire «Have You Heard The Tapes», insidieux au possible, hanté par les chœurs de Michelle Mae. Si ce n’est pas un hit, alors qu’est-ce que c’est ? Le morceau titre se trouve en C et c’est le meilleur groove de funk blanc qui se puisse imaginer ici bas. Michelle tricote son groove au coin du feu alors que Ian l’implore - I want some/ Gimme some - Encore un hit avec «The Choice», balladif d’une fantastique ampleur mélodique - You put my head through the water - On se régalera aussi du jeu de Steve Gamboa dans «Born On The Floor», oui, c’est un excellent drum-beat de gros et de détail. Les Make-Up avancent invaincus dans leur monde ténébreux. En D, on trouve encore de quoi dérouter des cargos, avec ce vieil «Hey Orpheus» monté sur l’un de ces grooves de petite harangue autorisés à paraître à la cour. Encore plus déroutant, ce «Grey Motorcycle» poppy et baroque que Bonnot Svenonius s’en va chanter là-bas, dans le rougeoiement du crépuscule des dieux. Oh mais ce n’est pas fini car voilà une autre merveille digne du cabinet de curiosités d’Honoré d’Urfé : «Every Baby Cries The Same», battu sévèrement jungle, nappé d’or fin à l’orgue et rehaussé d’une délicate couche de démesure imprévisible. Steve Gamboa y bat le beat de drums & fifes du «Fast Line Rider» de Johnny Winter. Voilà un objet sonique stupéfiant. Bonnot Svenonius termine ce festin avec un «Little Black Book» chanté au chuchotis intimiste. Il crée ainsi les conditions du bien-être parental et dépose son cut dans l’écrin rouge du bonheur familial.


    Signé : Cazengler, démaquillé


    Make-Up. Cabaret Sauvage. Paris XIXe. 31 mai 2017
    Make-Up. Destination Love. Live At Cold Rice. Dischord Records 1996
    Make-Up. After Dark. Dischord Records 1997
    Make-Up. Sound Verite. K 1996
    Make-Up. In Mass Mind. Dischord Records 1998
    Make-Up. Save Yourself. K 1999
    Make-Up. Untouchable Sound. Sea Note 2006

     

    Kim est Salmon bon - Part 2

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    Oh bien sûr, le Kim Salmon d’aujourd’hui n’a physiquement plus grand chose à voir avec le Kim du temps des Beasts. Disons qu’il a pris un petit coup de vieux, comme tout le monde. Mais sur scène, il en va autrement. Le spectacle qu’il offre sur scène relève de l’absolue perfection. Kim Salmon propose aujourd’hui une sorte de Magical Mystery Set, une espèce de Mad Doggin’ sans Englishmen, un killer set of it all, oui, une sorte de Swamplanding on the moon, un back to the basics balls of God from down under, un hillfest over yonder, un Solid Gold Hell d’une heure trente, un jive surrealistic d’ombilic scientific, un Script d’essence divine, une prestation de cador et d’argent, un fabuleux bouquet de glam et d’année érotique. Il n’est pas nécessaire d’être un vieux fan des Scientists pour apprécier un tel set. En 1978, Kim Salmon s’imposait déjà par sa modernité, au sein des Scientists. Quarante ans plus tard, il s’impose avec la même modernité, avec le même sens aigu du hit underground. Alors, bien sûr, on glosera éternellement sur les vertus du hit underground, qui contrairement au hit mainstream, a la décence de ne pas vendre son cul. Mais en même temps, c’est en vendant son cul qu’on achète des Rolls et des maisons à la campagne.

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    Le débat est ancien, il remonte à l’antiquité, un temps où les poètes grecs underground crevaient de faim dans les bas fonds pendant que les courtisans, les Stong de l’époque, s’empiffraient aux banquets qu’organisaient les princes de la cité. Le destin du poète underground reste cruel. Kim Salmon joue dans des bars et attire une quarantaine de personnes, qui heureusement pour la plupart sont des fans et de vrais admirateurs, ce qui est un avantage, si on raisonne en termes de cohérence. Il est aussi vrai qu’on vit un temps où la problématique des légendes ne veut plus dire grand chose. Que reste-t-il des parfums d’orient lorsqu’on ouvre les portes aux quatre vents ? Que peut vouloir dire le mot légende dans le néant tourbillonnaire contemporain ? La gratuité noie les poissons dans l’eau, on se demande même si les artistes vont encore avoir du sens d’ici quelques années. Quelle résonance peut avoir un hit comme «Swampland» aujourd’hui ? Sur scène, Kim Salmon le chante toujours avec intensité, les yeux fermés, il part à la découverte d’un monde qu’il nous offre en partage. Tout sonne incroyablement juste chez lui. On s’étonne même de voir un vieux coucou comme «Frantic Romantic» vieillir aussi bien. Ses chansons tiennent d’autant plus la route qu’il a fait le choix d’une extrême sobriété en termes de backing band : sa section rythmique basse batterie est un modèle de discrétion. C’est justement le contraste qui existe entre la qualité des chansons et la sobriété de la formule qui rend ce set tellement fascinant. Il semble qu’un exercice aussi périlleux soit réservé aux très grands artistes.

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    Il enchaîne ses hits comme des perles. Il a de quoi se fournir, car sa discographie ne compte pas moins de 27 albums, si on compte les Scientists, les Beasts, les albums solo avec les Surrealists, avec Spencer P. Jones ou Ron Peno, et Precious Jules. Il tape dans son dernier album My Sctipt pour balancer ce monster gorgé de fuzz glam qu’est «Already Turned Out Burned Out» et qui tourne vite à l’élévation mystico-sonique. Il en tire aussi l’effarant «Gorgeous And Messed Up», l’un des ces cuts qui redonnent un peu d’espoir aux gueules cassées rentrées du front. Il en sort aussi l’implacable «Destination Heartbreak». Les choses deviennent vite compliquées avec un mec comme Kim, car tout chez lui est implacable. Pas facile de faire des choix, avec un coco comme Kim. Il joue toujours l’infernal «Cool Fire» qui date du temps des Beasts, du temps où il ne s’appelait pas Jacky et qu’il ne chantait pas la chanson morose. Alors bien sûr, on n’échappe ni à «We Had Love» ni à l’imputrescible «You Only Live Twice» qui referme la marche. Côté reprises, Kim n’est pas chien : un coup de «Je T’aime Moi Non Plus» pour commencer et, pendant le rappel, un coup de «Chinese Rox», pour que les choses soient bien claires.

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    Deux incidents rigolos ont bien pimenté la soirée : Kim n’avait pas de son au micro pour chanter son hommage à Gainsbarre. Une panne. Il dut quitter la scène pour attendre la réparation. Comme on se trouvait au Havre, tout s’est bien passé. Et puis en fin de set, un horrible connard lui a piqué sa set-list. Kim semblait drôlement embêté : «Somebody stole the set-list...» L’horrible connard dut la restituer. Il restait en effet une dizaine de cuts pour le rappel. Mais comme on était au Havre, les choses n’allaient pas en rester là : on vit un peu plus tard l’horrible connard se diriger à petits pas vers la petite table où Kim signait ses disques. Oh, il n’avait pas grand chose à proposer, son dernier album, My Script et E(a)rnest, miraculeusement réédité par Beast, le petit label de Rennes. Eh bien, Kim fit un sacré cadeau à l’horrible connard. En se penchant par dessus son épaule, on vit ce qu’il écrivait sur la pochette blanche d’E(a)rnest : «To my favorite set-list thief», ce qui est tout de même exceptionnel, de la part d’un homme qui sort de scène vidé comme un lapin.
    Bon bref, nous avons constitué une petite équipe autour d’une amie qui vivait vers la plage. Alors après sifflé l’habituelle ribambelle de verres de pinard dans ce bar béni des dieux, nous décidâmes de ne pas reprendre la route pour rentrer à Rouen. Nous cherchâmes donc un arabe encore ouvert pour s’y fournir en litrons et allâmes attendre le lever du jour dans le fameux appartement qui donnait sur la mer, effectivement, mais de quinconce. Afin d’observer cet obsessionnel souci de cohérence, la soirée devait impérativement rester magique. Oh, elle le fut bien au delà des espérances, car figurez-vous qu’à un moment donné, il fallut sortir Jude, la petite chienne qui devait son nom aux Beatles, et donc, au cœur de la nuit, sur la plage déserte du Havre, sa maîtresse, ivre de liberté et de vin mauvais, entonna à pleins poumons le premier couplet d’«Hey Jude». Ce fut l’un de ces moments loufoques et complètement inespérés qui font la grandeur de la vie sauvage.


    Signé : Cazengler, Kim Kon


    Kim Salmon. L’Escale. Le Havre (76). 2 juin 2017
    Kim Salmon ( Part 1 ) on KR'TNT ! 314 du 02 / 02 / 2017

     

    BAM / MALAKOFF / 03 – 06 – 2017


    DEJA MU / BILL CRANE

    Faut une première à tout. Jamais mis les pieds à Malakoff. A la sortie du métro l'on se croirait en plein milieu d'une ville de province, rues étroites se coupant à angles droits. M'attendais à un bâtiment important mais non, contrairement à ce que je croyais la BAM n'est pas la bibliothèque municipale d'une cité qui dépasse les trente mille habitants, mais un modeste local situé en contrebas du cul-de-sac d'une étroite allée. BAM, Bibliothèque Associative de Malakoff, pas de faute d'orthographe s'il vous plaît, vous me ferez le plaisir d'inscrire le A majuscule dans un cercle sur un fond noir.
    C'est rempli de livres et de gens sympathiques. A vue de nez et à flair suraigu de rocker, doit pas y en avoir beaucoup qui ont voté pour les délices de la société libérale capitaliste au joli mois de mai dernier, néanmoins beaucoup moins exaltant que celui du millésime 68. Buffet d'auberge espagnole ouvert à tous dans la petite pièce d'entrée, et puis la grande salle aux murs tapissés de livres. Ici Oui-Oui aurait repeint sa célèbre voiture jaune en rouge et noir, je recopie sans vergogne selon le saint principe libertaire de réappropriation culturelle quelques bribes d'un extrait du tract de présentation : «  dans une optique anti-autoritaire... thématiques touchant aux luttes sociales d'émancipation à l'histoire des moments révolutionnaires et à la critique des mécanismes d'exploitation, d'oppression et de domination », voilà qui est clair comme de la poudre noire auraient écrit Laurent Tailhade et Octave Mirbeau... Avant de me coller à un rayon de bibliothèque pour assister au concert, je vérifie le contenu du rayonnage : Fonction de l'Orgasme ( un titre prémonitoire foutrement rock'n'roll vous en conviendrez ) de Wilhelm Reich et trois gros tomes à couverture noire ( tiens donc ) d'Elisée Reclus, notre géographe anarchiste possédait un nom qui ne correspondait guère à sa pensée, bon on n'est pas ici ce soir pour refaire le monde – quoique – contentons-nous de lui inoculer le virus pathogène du rock'n'roll. Pour reprendre une expression dur trac  présentatif, ce soir ce sera cocktail – Malakoff.

    DEJA MU

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    Soyons précis la moitié de Déjà Mu. D'habitude sont deux, Ludovic Montet officie aux timbales mais ce soir nous n'aurons que Phillipe Bellet et sa guitare. Electrique. Importante précision. Car je qualifierais sa musique de folk urbain, mais l'on n'est loin d'un gratouilleux à guitare sèche et brouillonne. Une Hagström suédoise couleur de neige. De très loin les yeux fermés ça ressemble à une Gretsch et ça vous émet un son clair d'un tranchant exemplaire qui se prête à merveille au toucher subtil de Philippe Bellet tout en notes élancées et ruptures évaporantes. Chante en anglais, présente donc en quelques mots chaque morceau, chroniques de la vie ordinaire, comme la suite de ces trois titres, issus du premier CD, qui raconte l'attente d'une jeune damoiselle par un lonely guy, évidemment tout se passe dans la tête puisque la miss a dû trouver mieux ailleurs, et l'on a droit à trois tableaux des plus cruels, un triptyque doux-amer que l'on pourrait intituler dream, beers and disillusionment...
    Une voix captivante, si vous ne comprenez pas vous suivez quand même, les inflexions suffisent, pas du tout nasillarde à la Dylan, au contraire très pure, mais celle d'un raconteur qui vous emporte avec lui dans les tribulations indociles du vécu moderne. Tient l'auditoire sous le charme. Du serpent qui vous fait les yeux doux avant de vous mordre. L'a beaucoup écouté les américains, s'est totalement approprié cette manière de décliner le vécu en mots simples porteurs d'une pertinence quasi-hallucinatoire propre à cette façon de témoigner de la réalité du vécu d'un individu qui par cette magie incantatoire inhérente aux racines du blues, de la country, et du folk – vous le transforme en type archétypal du comportement de tout un peuple historial et jusqu'à l'incarnation universelle de toute expérience humaine.
    Nous n'aurons droit qu'à huit titres, huit moments d'extase sonore, une voix qui distribue humour et dérision, espoir et obstination, qui fore fort en vous, vous transperce, vous émeut sans trop exagérer car la vie est est un manège accaparatoire trop fascinant pour perdre son temps à pleurnicher et à s'apitoyer sur soi-même. Philippe Bellet possède cette qualité naturelle de rentrer de plain-pied dans l'intimité collective du public à qui il s'adresse, ne serait-ce que ces quelques mots, lorsqu'il s'accorde, qui ouvrent en toute simplicité une complicité qui n'a rien de racoleuse. Réussit durant une quarantaine de minutes à nous promener dans les grands espaces de notre exiguïté. Applaudissements chaleureux d'un public définitivement conquis.


    Damie Chad.

    THE WORK'S ALL DONE / DEJA MU
    ( Grandma's Records / 2016 )

    THAT SONG IS GOOD / HUMAN BEINGS ARE LOSERS / HOLLY CHANCE / SWEETY DALE / UPSTREAM OF THE RIVER / GO UP NOW ! MILK SOUP / 115 TH DEJA MU'S DRUM / THE WORK'S ALL DONE / GLORIOUS

    PHLIPPE BELLET : guitars + voices / LUDOVIC MONTET : drums + voices.

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    That song is good : intro à l'espagnole et la voix guillerette qui monte en épingle, ton de la plaisanterie, arrêts brusques, descentes de cordes, c'est fini. Non ça ne fait que commencer, des surimpressions de voix qui miaulent en chœur et c'est parti pour un grand orchestre de cordes qui éclatent en final, les timbales qui pédalent, la mer qui monte, tout qui s'affole et qui s'éteint après une espagnolade qui vire à la sonnerie de téléphone, et tout repart comme en quatorze pour s'achever, par devoir plus que par envie. Human beings are losers : message plus grave, mais pas dramatique, l'on monte vers le ciel et l'on avance sur une rythmique des plus heureuses. On ne va quand même pas pleurer sur cette amère constatation. On le savait depuis longtemps. Holly chance : joyeux bordel, le timbalier au fond qui imite les castagnettes, la guitare qui se fait entendre, elle est électrifiée ne l'oublions pas, la voix qui se superpose et bêle comme une brebis perdue tandis que le cordier pickinge à qui mieux-mieux. Encore une fois quand vous croyez que c'est terminé, ça s'échappe comme une portée de chatons qui s'enfuient de la corbeille maternelle afin explorer le vaste monde. Sweety dale : des entrecroisements à la Beach Boys qui surfent sur leurs propres vagues. Des cordes nostalgiques qui insistent pour qu'on les remarque, des raclements de cymbales, tout s'estompe. Upstream of the river : la batterie au premier plan, mais les cordes s'avancent et passent devant, un intermède de batterie jazz de trois secondes, la voix qui se précipite, les cymbales qui insistent, la rivière coule à gros flots, pluie de printemps, le débit s'accélère, eaux fuyantes et roulements d'épaves rythmiques emportées vers l'estuaire, rencontre des grosses vagues de la mer. Go up now : débute comme une chansonnette innocente, un rythme qui persifle, la voix qui joue à saute-moutons et la guitare qui couacque dans le bivouac des pâturages. Montée en gradation, l'on atteint les hauteurs démesurées des alpages. Pas d'affolement tout va bien. Et l'on repart tranquille en sifflotant. Vers le haut. Le paysage s'étend à l'infini. La descente sera précipitée. Milk soup : La voix devient humaine. Donne l'impression de jouer la sincérité. L'instrumentation se cristallise dans une urgence tant soit peu dramatique. On ne sait pas trop avec quelle sorte de lait est réalisé notre soupe. Tétines de vaches ou de chèvres ? Sein de femme ? Goûtez-y et donnez votre avis. 115 th Deja Mu's drum : lorsqu'il a joué en concert Philippe Bellet lui a donné une couleur beaucoup plus dylanienne. Mais ici une voix qui tinte agréablement, mange un peu les mots mais sans trop, juste pour suivre l'accélération nécessaire. Sereine confusion. La superposition des chœurs architecture un étrange ballet vocal pendant que le grand orchestre prend toute son ampleur. The work's all done : content de soi, le boulot est terminé. Voix espiègles, conjugaison de questions-réponses. Tout est bien qui finit bien. Pour les durs de la feuille on vous le répète à satiété. Le vocal connaît une extase des plus précises et tout s'accélère, à croire que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. Glorious : Cordes triomphales, les cloches sonnent, le jour de gloire est arrivé. Peut-être pas tout-à-fait comme on l'aurait souhaité mais tout cela finira par s'arranger. Puisque l'on vous le répète. La guitare nous régale d'un hachis parmentier des plus savoureux.

    Différent de tout ce que l'on a l'habitude d'entendre. Original et scintillant. De la guitare en vrac, mais de qualité supérieure. Un interlude taquin dans la monotonie des jours. Masques et bergamasques du picking.


    Damie Chad.

    BILL CRANE ( I )


    Pourraient nous chanter la traviata, jouer de l'accordéon, psalmodier la messe en latin, crier et se trémousser par terre comme des vers de terre, s'essayer au psaltérion, s'acharner sur un vibraphone, que l'on s'en foutrait. L'on en avait eu la prémonition avec Philippe Bellet mais là avec ces quatre noisy boys, l'intuition devient certitude, l'acoustique est d'une limpidité exceptionnelle. J'avais eu peur en entrant, carrelage et deux baies vitrées, difficile de trouver pire pour régler une sono. Plus besoin de courir au Sun Studio de Memphis, ou de ressusciter le Rolling Stone Mobile Studio, la Bam est amplement suffisante. Comme quoi suffit de remplir les murs de bouquins et d'un faux-plafond bas du caisson sur sa moitié de sa surface longitudinale pour obtenir une clarté sonore hallucinante. Sans effort, parfait dès le premier essai du sound check m'avouera tout sourire Eric Calassou.

    BILL CRANE ( II )

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    Dans la Bill Crane party qui suit, donnez moi Pat le saxo qui n'y va pas mollo. Un sax dans un combo de rock'n'roll c'est un plus. Bien sûr qu'il y a sax et sax. Vous avez le fonctionnaire qui vous cocorite deux soli de trente secondes dans un set de vingt morceaux et qui se retire tout fier dans un coin du poulailler avec la sensation du devoir accompli de celui qui vient de sauver le monde de l'invasion des extra-terrestres, de temps en temps il laisse échapper un borborygme pour que l'on se souvienne de lui, et puis il y a ceux qui comme Pat mettent la main à la pâte, qui sont de véritables spagyristes de la modulation, qui ne cessent une seconde de barrir comme un éléphant en colère, qui vous entonnent le buccin des légions romaines à tout bout de champ, qui vous altèrent les artères de ces chorus longs comme des goûter d'enfant au pain sec et à l'eau, mais aussi goûteux que les sandwichs presleysiens au beurre de cacahuète, qui vous ont toujours un carreau d'arbalète à vous envoyer en pleine poire, le gamin hyperactif à qui ses parents ont oublié de refiler son demi-litre de théralène nécessaire pour avoir la chance de respirer un petit quart d'heure. Merci, maintenant passez-moi s'il vous plaît Gwen le bassiste. Un perfide. Ne bouge pas d'une oreille. Le mec tranquille qui agit en douce. Un redoutable. On ne l'a entendu que quatre fois de toute la soirée, les soixante secondes durant lesquelles pour des raisons qui n'appartiennent qu'à lui il s'est arrêté de jouer. C'est alors qu'on s'est aperçu de son importance, un peu comme si vous enleviez les chutes au Niagara ou si vous supprimiez la Tour Eiffel sur le Champ de Mars, le paysage se désagrège d'un seul coup, perd tout son intérêt, la forêt recule et le désert avance. Maintenant vous me ferez plaisir de me céder Bobo, le gars du fond qui ne se cache pas derrière sa batterie, la domine de toute sa stature, increvable, vous bat le beurre au lait de baleine, pas le genre de gus à en faire un fromage parce qu'il vous fabrique des tommes de gruyères sans trou, imparables, aussi denses que du granit, l'omniprésence incarnée, vous balance un swing aussi épais qu'un cargo qui dégaze ses soutes à pétrole en pleine mer un jour de tempête, l'a décidé de polluer la houle rythmique jusqu'à l'autre bout de l'océan et il s'acquitte de sa tâche avec une facilité déconcertante, vous jette d'abord les femmes et les enfants à l'eau à mille kilomètres des côtes mais qui bon prince leur lance un gilet de sauvetage pour leur apprendre à surnager. Bon ne me reste plus que Billy le guitariste, le fil-de-ferriste de la six cordes, le funambule sans balancier qui vous balance mordicus des riffs aussi tordus que les éclairs de Jupiter, se promène en déséquilibre sur les nuages de grêle, vous assène sur le sommet du crâne des grésils de chant haché à vous trouer la peau, à vous tatouer de votre propre sang.
    Bon ça y est, j'ai mes quatre flibustiers. Ne reste plus qu'à voir comment ils vont faire évoluer leur brick de pirates des sept mers. Méfiez-vous de leurs ruses mortelles. A première oreille, toute voile dehors sur le parallèle sixty, guitare claire, sax white rock sorti du garage, basse fredonnante, et drums qui marquent la cadence comme au défilé du quatorze juillet. C'est beau, c'est bon, c'est propre, comme la carrosserie de votre bagnole que votre éponge fignole tous les dimanche matins. Profitez-en, ça ne dure que les deux premiers titres, Black Cat Town et un Maybe Baby hollydien en diable. Dès Lover Man, vous sentez le coup foireux. Ne faites jamais confiance à un homme amoureux. Être égaré, qui ne possède plus toute sa raison, qui randonne dans les sentiers de la perdition. Méfiez-vous, c'est un combo retors, agissent en traître, vous refont le coup de l'oncle d'Hamlet qui empoisonne son frère en lui inoculant une dose mortelle de cigüe. Dans l'oreille. Agissent de même, ne sont pas aussi cruels que Shakespeare puisqu'ils ne vous tuent pas définitivement, choisissent la méthode douce, celle que l'on appelle la folie euphorique, qui s'empare de l'auditoire et lui fait perdre toute retenue. Voici le temple auguste du savoir dévoyé, finies les saines lectures, l'espace n'est pas immense mais la demi-centaine de personnes qui l'encombre, commence à jerker doucement avant de se lancer dans une bacchanale des plus remuantes.
    Difficile d'identifier la mixture. Indubitablement du rock, mais point de véritables substances ajoutées, faudrait parler de ce que les alchimistes nommaient esprits, ou pour rester dans des comparaisons davantage dionysiaques, de ces subtiles vapeurs qui définissent le bouquet des saveurs d'un Bourgogne royal. Je tente l'impossible : du Shadows marvinien totalement implosé par un zeste d'esprit punk, une espèce de naufrage, un sabotage sans fin de l'idée platonicienne du rock'n'roll. Le Bill Crane combo est adonné à un rock pervers. Une paroi brillante qui vous invite à une prompte escalade, mais dès que vous y posez la main dessus, tout s'effrite, inutile de fuir, c'est trop tard, vous sombrez de faille en faille, vous vous perdez en d'étranges crevasses sonores, autour de Billy les trois matelots vous déferlent les voiles avec une parfaite célérité, et voici que le Capitaine vous entraîne le navire au plus près des récifs. Les matafs souquent dur pour maintenir l'allure et le pacha vous périclite un infini solo de guitare qui vous enflamme le cortex, vous joue le chant des sirènes à lui tout seul, vous entraîne au fond de l'abîme sans rémission. Et vous aimez ça, aussi joyeux que l'équipage de L'île au Trésor subjugué par les troubles manipulations de Long John Silver, l'unijambiste fascinateur.
    Bill Crane, c'est de la subtilité opératoire, une efficacité aléatoire qui ne rate jamais son but, une formation qui déforme le rock'n'roll pour mieux le redresser, lui infliger un angle sinusoïdal de courbure inusitée. Nous ont refilé un set exemplaire, une fête de l'esprit, et de l'intelligence. Des morceaux qui vous cisaillent, Travelin' Man... Doo, Doo, Doo... SM Dream,.. No More Sorrow... j'en passe et des meilleurs. L'on ne peut même pas parler de rappel, plutôt une nécessité extrême de continuer, car ce serait un crime de mettre fin à cette sarabande, des musiciens chauds comme des braises et des spectateurs agités comme les flammes de l'incendie. Une heure et demie de liesse énergétique et de dérive tangentielle au plus haut degré.
    Vous me direz que lorsque vous avez pris la précaution de confisquer les quatre as dans votre revers de manche, vous partez gagnant !


    Damie Chad.


    GOD DAMNED TROUBLE / BILL CRANE

    NO MORE SORROW / GET IT / VOODOO / ROCKABILLYSONG / I WALK ALONE / BLACK CAT TOWN / NIPA / I'M SO / DOODOODOO / BLUES / DON'T COME BACK / UNDEAD

    BILL CRANE : chant, guitare, textes, musiques, arrangements / CAT CRANE : basse arrangements, conception graphique / FRED CRANE : batterie, arrangements / 2014.

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    No more sorrow : rondeur des graves, plus de chagrin s'il vous plaît, la situation est trop grave pour avoir le temps de se lamenter, la voix chevrote comme celle de Johnny le Pourri, et la guitare tintamarrise le cauchemar ambulant. Get it : la voix agonise, l'on sent que l'on va prendre plein la gueule pour pas un rond, la prophétie ne tarde pas à s'accomplir, bien, très bien tout est parfait dans ce monde de brutes, la batterie rampe et la guitare tinte comme la sonnette d'alarme du train qui roule hors des rails. L'on se dirige pourtant sûrement vers quelque part. Pas d'affolement le pire est toujours certain. Voodoo : l'instrumentation s'amplifie et la voix rampe comme un serpent. Les cloches de l'agonie résonnent de plus en plus dur, cela vous refile un tonus d'enfer. A périr autant que ce soit en beauté, la guitare flageole sur ses guibolles avant de retrouver du ressort. Rockabillysong : rockabilly si vous voulez, plutôt une valse de cirque appalachien que le speaker annonce de sa voix grave, les grizzlys dansent en rond et le cow-boy de service joue du lasso de sa voix, un vrai foutoir hillbilly de derrière les fagots électriques. Le diable de la Bible mène le convoi de l'enfer. I walk alone : attention la solitude amère du lonely guy qui revit sa vie en racontant la chronique d'une mort annoncée. Mélodrame de pacotille ou partition finale, cela vous déchire le coeur, n'y a plus qu'à en épandre la charpie comme des confettis sur un cercueil. Black cat town : pattes de velours le chat noir arpente la nuit de l'existence. La bestiole est des plus sauvages. Elle griffe et elle mord. N'oubliez pas que les matous noirs c'est comme les peaux-rouges, ne sont bons que morts. Mais celui-ci a l'instrumentation coriace. Nipa : Crane mâche le vocal comme un chewing-gum américain. Pas de problème à l'horizon, l'amour rend les hommes heureux mais rien ne vaut le rêve d'une chevauchée sous les balles du shérif, n'empêche poupée que tu es la seule pour moi. Les promesses rendent-elles les folles joyeuses ? I'm so : intro majestueuse : le héros s'avance de son pas lourd vers le devant de la scène, nous débite sa tirade hamlétique, l'est maudit par les hommes et par les dieux. Rien que ça. Mais parce qu'il est ce qu'il est. Le justicier maudit hurle sous la lune. L'on sent qu'il va décaniller tous ceux qu'il aime. Commencera-t-il par lui ? Doodoodoo : le retour. Le héros revient à la maison. Promet d'être sage comme un cougar des Rocheuses couché au pied de sa belle. Assoiffé de sang souligne les guitares, et bien sûr ça se termine dans une orgie à faire flamber la baraque et toutes les maisons de ce foutu patelin. Blues : un blues , méfiez-vous d'un gars when he awokes in the night, ce n'est pas l'heure appropriée pour cracher sa déprime, nous la joue à la Robert Johnson mais ça se finit au saloon avec les guitares et l'alcool, la zique qui nique gondole des anatoles bleu-pétrole à allumer la mèche du bâton spermatique. Don't come back : avertissement sans frais, toutefois mortuaire. Ne remets jamais les pieds par ici, la batterie enfonce les clous du cercueil, et les guitares dissuadent de faire un seul pas de plus. Je ne le répèterai pas une fois de plus. Ce qu'il s'empresse de faire. Undead : la camarde au bout du chemin. L'homme solitaire est un prédateur, la guitare traîne ses arpèges et la batterie avance à pas lents, vous n'êtes pas encore mort, vous ne l'avez pas fait exprès. L'on vous pardonne, mais recommencez. Same player shoots again.

    Un western rock comme l'on n'en fait plus. Electrique à mort. Poudre de guitares et galops de batterie. Bill Crane pousse les fureurs des chants solitaires à leurs paroxysmes. Indispensable.
    Damie Chad.


    IAN DURY
    SEX & DRUGS & ROCK'N' ROLL
    VIE ET MORT DU PARAIN DU PUNK
    JEFF JACK
    ( EDITIONS RING / Mai 2017 )

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    Chez Ring l'on aime bien le ding-ding de la cloche qui annonce la reprise des rounds. Sont pour l'édition à la hussarde, tambour battant et droit devant. Marquent une prédilection pour les sujets chocs mais pas très chics. Ils aiment les thématiques politiques qui dérangent, les récits de meurtres ineptes, les thrillers sanguinolents, et la musique. Pas n'importe laquelle, pas les symphonies pastorales, préfèrent les lourdeurs cramoisies de Led Zeppelin. Z'ont des techniques de ventes agressives – ce sont leurs concurrents qui l'affirment – mais l'est vrai que parfois ils n'hésitent pas à vous ringpoliner la planche pour la rendre plus porteuse. Ainsi derrière ce pseudonyme de Jeff Jacq, effilé comme une lame de faux, ne se cache pas vraiment un auteur que nous aimons bien chez KR'TNT ! Jean-François Jacq, dont nous avons déjà chroniqué : Bijou : vie mort et résurrection d'un groupe passion ( voir livraison 189 du 15 / 05 / 14 ), Hémorragie à l'errance et Heurt Limite ( 252 du 29 / 10 / 15 ) ), Fragments d'un amour suprême ( N° 273 du 17 / 03 /16 ), des livres forts, de passion, de tendresse, une littérature de traversée des tumultes existentiels, de résistance et de survivance.

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    Chez Ring ils ont dû sauter de joie lorsqu'il leur a proposé un bouquin sur Ian Dury, je suppose qu'ils l'auraient viré comme un malpropre s'il avait argumenté pour une bio sur Donovan, trop beau, trop sage, trop propre, mais bingo pour Ian Dury, un poliomyélite de guingois prêt à tomber du côté par où il penche, si mal-foutu que vous ne pouvez le croiser dans la rue sans lui cracher dessus, et en plus ce débris irréparable, cette lie titubante de l'humanité, cet avorton de moineau hydrocéphale vous a pondu une oeuf d'alligator géant, l'hymne définitif de la nouvelle trinité – pas la douteuse réunion, un tantinet pédérastique, du fils, du père, et du Saint-Esprit - jugez-en par vous-mêmes, un cocktail explosif de trois composants salvateurs, du sexe, des drugs et du rock. Une triple addiction à laquelle vous ne sauriez manquer de succomber. Pas de précipitation, commençons par le commencement.


    Acte 1 : la conception : le jeune père, prolétaire et insouciant – deux défauts, le premier peu recommandable - s'est comporté comme le coucou, a déposé son petit spermatozoïde dans le nid moussu d'une jeune charderonnette de bonne famille.
    Acte 2 : naissance en 1942. Cette mésalliance ne pouvait durer. Le paternel sera doucement rejeté du cercle familial, pas viré comme un malpropre, écarté, mais admis à voir l'enfant régulièrement.
    Acte 3 : le bonheur. Bébé couvé par trois bonnes fées - mère, soeur, tante - garçonnet élu roi de la maison, bambin câlin et intelligent. Une enfance dorée, choyée.
    Acte 4 : the end of the dream : vous pouvez arrêter la lecture maintenant et rester sur cette bonne impression. C'est que le destin aux ailes de fer s'en vient frapper à la porte. Un peu d'eau croupie de la pataugeoire de la piscine que le petit Yan avale et recrache aussitôt. Quinze jours plus tard, la polio lui tord le corps, à un doigt de la mort...
    Acte 5 : tout ce qui va suivre.

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    Suis un peu déçu. Pas par le livre. Par Ian Dury. En gros, je ne le trouve pas très sympathique. Ce qui n'enlève rien à son talent. Moi jusqu'ici n'avais rien à lui reprocher. Je n'avais pas lu les deux biographies publiées en anglais, raté son biopic, ce french book tombe donc à pic, et m'y suis précipité dessus. Ne s'agit pas de ma part d'un simple état d'âme. Quelque chose de plus inquiétant, à lire cette vie surgit une question essentielle mais ici la réponse est surlignée au stabilo rouge sang. Serais-je en d'autres circonstances que celles qui m'ont été données un autre Moi que moi, certaines déclinaisons existentielles seraient-elles capables d'influer la nature de ce que Valéry appelait le Moi invariant ? Et la vie de Ian Dury aurait tendance à contredire cette notion rassurante d'invariance royale de notre égo, serions-nous aussi malléable qu'une étendue de cire turlupinée par la pression de nos doigts !

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    Suite à son état de santé le jeune Ian Dury sera confronté à deux expériences aussi traumatisantes et enrichissantes l'une que l'autre. Une école primaire spécialisée regroupant les handicapés et un collège dans lequel il sera le seul élève en état d'handicap. Dans la première il apprendra la loi du plus fort. Physique, car les gamins ne se font pas de cadeau. Mentale, celle qui vous permet de serrer les dents et de ne jamais vous effondrer. Corollaire à ne pas oublier, les faibles ont toujours tort. Le principal est d'arriver à son but. Quel que soit le moyen. Les adultes – s'octroient l'agréable passe-temps de masturber les élèves - lui indiqueront les règles de la duplicité et des passe-droits que vous permet votre statut de chef. Ian a tout compris de la duplicité humaine. Profitez de la moindre faiblesse de votre entourage...

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    En grandissant il jouera sur tous les tableaux, un tyran toujours insatisfait à la maison, à effrayer sa mère, et la mise en place d'un jeu de préemption attractive envers ses pairs. Ne s'agit pas de sourire niaisement à tous les copains, au contraire, s'agit de montrer sa supériorité intellectuelle et morale, de se faire reconnaître par une minorité sur laquelle il étendra peu à peu son autorité. Deux nouveaux enseignements essentiels, les individus sont d'autant plus manipulables une fois que vous avez pris l'ascendant sur le groupe.

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    Doué en dessin - les illustrations précédentes sont ses propres peintures - il recevra une bourse pour une école d'art. Finira par devenir professeur. Mais la vraie vie est ailleurs. Les filles, la musique, les amis. Malgré son corps déglingué, les demoiselles ne le repoussent subjuguée par sa charismatique volonté de puissance. Un parallèle serait à faire entre Dury et Lord Byron, qui sut être un Don Juan malgré son pied-bot et une stature par trop grassouillette, mais Ian Dury s'est vouée à une autre idole, Gene Vincent, chanteur exceptionnel, la voix certes, mais cette manière de porter toute la révolte du monde sur son dos, ne s'apercevra même pas au premier visionnage de La Blonde et Moi que Gene possède une atèle de fer qui soutient sa jambe brisée...

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    Frise la trentaine lorsque la soudaine disparition du créateur de Be Bop A Lula – à trente-six ans - lui rappelle qu'il n'a encore rien réalisé de décisif de sa vie. Le constat n'est guère glorieux, s'est marié avec Betty Rathnel, une illustratrice dont les travaux lui apparaissent bien supérieur à sa propre oeuvre picturale. Ne sera pas peintre, sera chanteur. Petit iota à cette vocation, est incapable de jouer d'un instrument, ne sait pas chanter, ne parvient même pas à poser sa voix... Désormais il sera le gars parti de rien pour arriver à quelque chose.

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    Ce sera donc un groupe, Kilburn and the High Roads, y collent ses amis qui possèdent un instrument et vogue la galère. Dury amène sa culture rock, celle des teddies et des pionniers, s'essaye à Eddie Cochran... pas évident, lui faudra deux ans pour apprendre à caler sa voix, l'on ne s'étonne pas du turn over dans le combo, les premiers temps sont difficiles, les musicos se découragent, et puis tout de suite Ian s'impose comme le leader, normal c'est lui qui chante, c'est lui qui compose les textes - on les range à égalité pour leur qualité avec ceux des Kinks - se fait aider pour la mise en musique, petit à petit le groupe prend de l'assurance. Tombe au moment opportun. Le public est fatigué des mastodontes, concerts chers et un peu trop amorphes, l'on veut s'amuser, boire, danser et draguer, si par-dessus le groupe est bon, le bonheur est à portée de la main. Dury et ses potes seront des premiers à donner des gigs dans les pubs, le pub rock est en train de naître, une espèce de retour aux sources de l'énergie primale. Sont devenus bons, enregistrent un premier single, puis un deuxième, puis Handsome un album raté...

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    Mais il y a plus grave. Le pub rock est en perte de vitesse et les Kilburns n'ont pas su capitaliser sur cette vague porteuse. Ont été des pionniers dans leur genre, et sont maintenant considérés comme des has been. Mais il y a encore pire. Dury se sent dépossédé. Malcolm McLaren rôde autour d'eux. A emmené son protégé, un certain Johnny Lydon, assister aux concerts des Kilburns, et lorsque pour la première fois Ian assiste à une prestation des Sex Pistols, il pense voir son propre clone, cette attitude de Johnny le Pourri de chanter le dos arqué sur le micro, c'est du Dury cent pour cent ( empruntée à Gene Vincent ), et cette manière de grommeler les mots, de les expectorer comme des bacilles de Kock, exportation directe et pirate venue de cette manière de Dury à davantage gloussoter les lyrics qu'à les chanter, parrain du punk et arrière-grand-père du rap !

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    L'avait un train d'avance et a raté la correspondance. Un truc à se foutre en l'air. Pas dans les habitudes de Dury, a perdu une bataille mais compte bien gagner la guerre. Exunt les Kilburns, voici les Headblocks, coup sur coup Dury pond deux chef-d'oeuvres, le single Sex, Drugs and Rock'n'roll, la formule définitive que tout le monde avait sur le bout de la langue et que personne n'avait eu l'idée de fracasser sur un vinyl comme l'oeuf de Colomb sur la table de ses détracteurs. N'eût-il commis que ce seul titre que la gloire de Dury n'en serait pas moins irréfragable. Mais voici l'album, New Boots and Panties, rien de mieux qu'une odeur de culotte pour attirer les renifleurs, un des sommets du rock anglais, la pochette est déjà un poème à elle toute seule, une sucrerie à la nitroglycérine, de la mort aux rats, de la confiture en barre pour la cochonceté de l'espèce humaine. Et puis ce chef d'oeuvre hommagial qu'est Sweet Gene Vincent.

     

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    Et ce n'est pas fini, 1978 sera l'année Dury, encore deux hits, le Hit Me with the Rhythm stick précédé de What a Waste et suivis de deux albums Wottabunch, et Do it Yourself qui sont bien accueillis par le public... Dury and The Blockheads surfent sur la vague, les concerts sold out s'enchaînent, vu de l'extérieur, trois années qui épousent la courbe élégante et la trajectoire d'un missile dévastateur...

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    Vu de dedans, c'est moins beau. La puissance et l'argent engendrésés par le succès ne modèrent en rien les travers de son caractère vindicatif. Un peu pingre avec ses musiciens, mais ce qui le rend insupportable c'est sa manière de provoquer les conflits et de les gérer. Nos gestionnaires libéraux d'aujourd'hui auraient à apprendre de lui, ne connaît pas les conventions collectives, vous vire dès que vous ouvrez votre bouche, se débarrasse de vous comme d'un vulgaire rouleau de papier chiotte. Parfois il prend son temps, vous rend la vie impossible jusqu'à ce que la victime désignée craque et s'exclut elle-même. Quitte à vous rappeler deux mois après en dépannage ou parce qu'il a réalisé son erreur... Un principe simple : personne n'est indispensable sinon lui. Dès l'entrée dans les eighties la vague retombe, les nouveaux disques ne sont plus aussi forts et ne se vendent plus, lui qui était surtout accro au shit augmente sa consommation d'alcool, est en proie à de violentes colères conjuguées avec des périodes dépressives...

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    Mais il sait rebondir, diversifie ses activités, théâtre, cinéma, télévision... est une figure aimée du public et exerce une emprise sur ses musiciens qui ne peuvent le lâcher tout à fait même quand il récupère leurs compositions pour les abîmer. Rares sont les séparations définitives. Relations fascinatoires. Ses enfants, ses compagnes sont auprès de lui lorsqu'un cancer du foie triomphe de ses dernières forces en mars 2000.

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    Mais un artiste. Qui n'en a fait qu'à sa tête. A tort et à raison. Une volonté de fer. Qui a surmonté ses faiblesses physiques. L'a débuté le jeu de la vie avec des cartes manquantes, n'en a pas moins gagné la partie. L'a réussi à fomenter les troubles dont il rêvait. A se hisser par ses propres moyens sur la pointe des pieds et sa jambe malade sur la margelle de la célébrité. Qu'il a recherchée comme le sucre qui chasse l'amertume des fruits qui se sont abîmés en tombant de l'arbre. L'a jeté son argent par la fenêtre, a eu ses caprices de rock star, l'a été cruel et capricieux, reconnaissant aussi, mais a toujours tenu sa route. Une vie de rocker. Ni pire ni meilleure que celle de n'importe qui. Mais plus flamboyante, une comète. De celles qui magnifient et marquent à jamais la mémoire hominienne.

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    Jean-François Jacq ne nous cache rien. Explore les soubresauts de ce destin hors-norme. Ne porte jamais le moindre jugement sur lui. Même quand il pète une duryte. N'est pas sûr que nous ferons mieux que notre rebel-cockney en chef. N'enjolive pas. Mais l'on sent et l'on comprend le projet de Jeff Jacq, réaliser l'équivalent biographique et hommagial de l'hymne que Ian avait composé pour Gene Vincent, un tombeau mallarméen, qui l'enferme tout entier et l'exalte tel qu'en lui-même.
    Merci Jeff Jacq pour cet impétueux Sweet Ian Dury.


    Damie Chad.

    RITUEL-FOUDRE I, II, III
    JEAN-PIERRE ESPIL


    ( Festival Annexia, live in Toulouse )

    ( Blockhaus Editions Sonores / 1996 )

    make-up,kim salmon,déjà mu,bill crane,ian dury + jeff jacq,jean-pierre espil,james baldwin

    Vous sera difficile de trouver le CD, alors filez sur You Tube vous y retrouverez le Rituel Foudre III, les amateurs de growl-metal et de ferraille-djent y porteront attention, ne s'agit pas de musique ou de quelque chose qui aurait à voir de loin avec le rock'n'roll, simplement du texte, et du son, les esprits classificateurs étiquetteront poésie sonore, mais ça se situe au-delà, une reprise du travail d'Artaud, qui ne vise pas l'esprit trop volatil mais la chair. Evitez de tomber dans le panneau de l'érotisme frelaté. Ce genre de passe-temps n'est guère de mise. Tout juste du divertissement pascalien. La chair, mais dans l'engendrement de son engloutissement, dans l'anéantissement larvaire de sa disparition. Un travail sur la putréfaction des mots, Baudelaire avait ouvert une brèche, mais en dandy, en esthète, mettait le doigt d'un geste élégant sur la charogne de la modernité. Mais à son époque elle en était encore à ses débuts. Un temps d'innocence en quelque sorte, presque une espérance... Un siècle après, l'étendue des dégâts nous recouvre. Alors un groupe de jeunes gens regroupés autour de la revue Blockhaus se sont lancés dans cette tâche de pourvoir à l'immonde et aux immondices humains de notre monde. Une poésie de l'extrême qui vise à une désincarnation, à une désincarcération de soi en soi? en s'enfonçant dans les tréfonds des nerfs et des muscles, à la recherche de l'instant précis où le sang se métamorphose en larves, les mots comme des vers helminthiques qui ne s'écrivent plus mais qui s'enfouissent en vous comme des couteaux jaculatoires. Sperme létal. L'albatros a les ailes englués dans le mazout du nihilisme, elles clapotent piteusement comme un adieu volcanique à soi-même. La poésie comme une traque de l'ultime pourriture.
    Foudre noire bien sûr, de la poudre ravacholienne métaphysique destinée à détruire les dernières institutions de la présence illusoire. Choix du retrait. Par le chemin le plus court. Celui qui part du dedans de notre succion intérieure. Un trou noir que l'on fore méthodiquement pour le remplir de notre viduité. Mais rituellique, opératoire, car l'humain est encore à la manœuvre. Pas pour très longtemps.

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    Voix prosopopique de Jean-Pierre Espil encore emplie de la jactance chamanique, mélodramatique sur ondulations de sarcasmes électro-bruitistes, vingt ans plus tard l'appareillage nous semble désuet. Rien ne vieillit plus vite que le progrès technique... mais un texte scalpel, qui devrait inspirer tous les amateurs de hardcore.


    Damie Chad.

    LA CHAMBRE DE GIOVANNI
    JAMES BALDWIN


    ( Rivages poche 256 / 1998 )

    make-up,kim salmon,déjà mu,bill crane,ian dury + jeff jacq,jean-pierre espil,james baldwin

    L'autre malédiction de James Baldwin. Pas la première, circonstancielle, d'être né noir, aux Etats-Unis, l'autre qui échoit en partage à l'humanité entière, quelle que soit votre origine, l'homosexualité. D'ailleurs pour mieux vous enfoncer le pénis dans le cul le héros du roman est blanc, Baldwin se contente de préciser qu'il est blond comme les blés. David, un jeune américain parmi des millions d'autres. Ni meilleur, ni pire que vous et moi. Même si Baldwin en profite pour régler quelques comptes avec la balourde naïveté auto-satisfaite de l'Amérique... Renversement des schémas freudiens, n'est pas élevé par une mère abusive, l'est morte quand il était tout enfant. Drivé par son père qui fait ce qu'il peut. L'a tout juste dix-sept ans lorsqu'il connaît sa première nuit d'amour voluptueuse avec son meilleur ami. Une inoubliable nuitée. Le réveil est beaucoup plus dur. L'est submergé par un sentiment de honte, n'assume pas son acte, préfère s'enfuir laissant son compagnon endormi...
    L'a grandi, est devenu un homme, un dur ( à cuire les œufs mollets), un vrai, à femmes, mais l'a du mal à rentrer dans le rang, mariage, enfants, boulot, se cherche, se fuit, jusqu'à Paris où il rencontre une compatriote Hella, histoire d'amour en gestation, mais la jeune fille s'offre un séjour en Espagne avant de franchir le pas du Rubicon conjugal... En attendant David fréquente le milieu et les bars interlopes – une génération avant, Proust parlait de race maudite – jusqu'à rencontrer Giovanni, serveur de son état, un bel italien, avec qui il entame une liaison...

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    Huis-clos dans la minuscule chambre de Giovanni. Alcool, sexe, sentiments, manque d'argent, tout s'emmêle, Giovanni des plus fragiles, David le cul entre la chaise du désir et le fauteuil de la réprobation sociale... Profite du retour d'Hella pour abandonner son amant, homo un jour, hétéro pour toujours.
    A part que Giovanni dérape, étrangle son ancien patron, vieille tapette libidineuse pleine de fric, qui l'a renvoyé. La justice veille, Giovanni est condamné à mort... Hella et David, le couple de l'année s'embourbe, David rongé par le remords d'avoir abandonné Giovanni à la guillotine et tenaillé par le désir de la chair mâle. Hella dépitée retourne en Amérique, David franchit le pas de l'acceptation pleine et entière.
    Un roman – le deuxième de Baldwin, paru en 1956, à lire comme une introspection autobiographique phantasmatique - sur l'acceptation de soi et la lâcheté individuelle. Chaud comme la braise des relations humaines, glacial comme le couperet des conduites sociétales. Une méditation sur la liberté, entre ce que nous sommes et la duperie introjectée des conventions sociales qui nous structurent à notre insu. La contradiction entre le moi souverain et la tyrannie de groupe. Baldwin nous apprend qu'il ne faut jamais être dupe, ni des autres, ni de soi-même. A méditer. Sans oublier qu'il n'y a pas que le sexe dans la vie. L'exemplarité de la démonstration baldwinienne est à appliquer à tous ces nœuds gordiens psychiques sur lesquels l'opportunité de porter l'épée ne nous effleure même pas, nous sentons qu'ils fondent notre personnalité autant qu'ils nous ligotent et nous entravent. De fait nous n'avons peur que de nous-mêmes car s'il est vrai que nous n'allons jamais plus loin que nous-mêmes, beaucoup s'arrêtent en chemin.


    Damie Chad.

  • CHRONIQUE DE POURPRE N° 212 = KR'TNT ! 331 :MOONLANDINGZ / LEE FIELDS / CALICE / MALADROIT / POLICE ON TV / GUERILLA POUBELLE / DISORDER / LIFE RIPORTS / BEAST / NEGUS

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 331

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    01 / 06 / 2017

    MOONLANDINGZ / LEE FIELDS / CALICE

    MALADROIT / POLICE ON TV / GUERILLA POUBELLE

    DISORDER / LIFE REPORTS / BEAST / NEGUS

    Moaning
    at the Moonlandingz

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    Lias Saoudi a tout compris : il réinstalle la théâtralité au cœur du rock anglais. Il va même encore plus loin : il insuffle de la démesure dans sa théâtralité. Alors, forcément, Moonlandingz devient pendant une heure le meilleur groupe de rock du monde, tous mots bien pesés.

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    Il débarque sur scène transformé en grotesque de le commedia dell’arte, torse nu et rembourré d’un faux ventre proéminent, le visage étrangement maquillé de bleu, les yeux masqués par des lunettes de proxo porto-ricain et les cheveux collés à la graisse derrière les oreilles. On a là une sorte de Ratzo échappé du Grand Guignol.

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    Par sa démesure ubuesque, il échapperait presque à tous les genres. C’est l’exact anti-Ziggy Stardust, la spectaculaire ré-invention d’un mythe qu’on croyait presque éteint, celui de la théâtralité du rock scénique. Mais Lias Saoudi a décidé d’en faire un jeu à son image, comme le firent jadis les Cramps. Souvenez-vous, Tav Falco qualifiait les Cramps de «groupe de rockabilly post-moderne qui par sa grandeur incarna le Théâtre de la Cruauté, tel que défini par Antonin Artaud». On entre ici dans le temple des dieux.

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    Si on évoque ce chapitre sacré qu’est la théâtralité du rock scénique, il faut en plus des Cramps et de Ziggy Stardust citer les noms de Captain Beefheart, Screamin’ Jay Hawkins, Mac Rebennack, Vince Taylor, mais aussi ceux des Mummies, des Damned, de Sam The Sham, sans oublier les grands glamsters britanniques dont la prestance fait encore aujourd’hui rêver les nostalgiques. Lias Saoudi entre tout naturellement dans cette caste. S’il appartient à cette aristocratie, ce n’est ni par l’anoblissement ni par la naissance mais bien par ce degré de fantaisie volatile qu’on appelle aussi le génie. Ce petit mec pourrait se vautrer et rater son coup, mais l’énergie vif-argent d’Alfred Jarry bouillonne dans ses veines et s’il monte sur scène, c’est pour faire un éclat. Comme Jarry et comme Artaud, Lias Saoudi maîtrise à la perfection l’art des éclats. Pour rompre la glace, Alfred Jarry tirait des coups de feu dans les miroirs des brasseries et de son côté, Artaud imitait la hyène lubrique pour en finir avec le jugement de Dieu.

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    Eh bien, Lias Saoudi nous donne la lune sans qu’on la lui demande. Et comme il fait du rock, ça nous arrange bien, car c’est un langage beaucoup plus accessible que tous ces vieux livres passés de mode. Mais là où il est très fort, c’est qu’il nous démontre que rien n’est plus simple que de créer l’événement : un, il suffit de savoir chanter, deux, de considérer le trash comme une religion et trois, de trouver les bonnes personnes pour partager cette passion des excès et de la liberté à tout crin. Dès lors, tout devient possible. Ou plus exactement, Lias Saoudi rend tout possible. Il boit ses bières, on lui ramène sa bouteille de scotch sur scène, il s’arrose la queue, pas de frontières, rien que du moonlandingz, cette pulsion dévastatrice stompée au meilleur des beats d’Angleterre.

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    Autour de Lias s’agite le gang le plus excitant qu’on ait vu sur scène depuis les Cramps : un drum-boy de powerhouse extrême, un bassmatic hanté par la prescience de sa puissance, un petit gros derrière les claviers qui se met à twister sans prévenir et au beau milieu de cet effarant numéro croquignolesque, se tient une petite Baby Doll au regard fixe qui gratte sa guitare tout en dodelinant sur le beat. Fascinant ! Utterly awsome ! Le rock anglais renaît enfin de ses cendres ! L’énergie du groupe est palpable dès le premier cut. Ça surprend agréablement, car on a perdu l’habitude. Avec Moonlandingz, le wait and see d’usage n’est pas de mise. C’est un peu comme s’ils rentraient dans le vif du sujet sans attendre, avec un son qui surprend par son punch et son immédiateté. Des couples se mettent à jerker. On sait tout de suite qu’on assiste à un concert exceptionnel.

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    Les cuts accrochent, le groupe tourne comme un gros moulin, Lias arpente la scène et harangue la populace avec une niaque de méthodiste napolitain, c’est un showman exceptionnel. Il awsomise la salle, sauve la mise du rock, il somme le move, il mate le raw du son, shoote ses mannes, une heure durant il règne sur son empire. Il le fait avec un catégorisme qui laisse coi, avec un m’enfoutisme qui empapaouterait même Oum Pah Pah, il gros-jeante comme devant, il percute l’art moderne de plein fouet et rend au rock sa fonction sacrée : faire danser les moutons du troupeau d’Épicure. Quelle leçon de son ! Quelle rejuvénation de la nation ! Quelle saillie saillante ! Voilà que dansent de nouveau les points d’exclamation, eux qu’on croyait devenus inutiles.

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    Oh vous n’avez pas pu les voir sur scène ? Pas gave, il vous reste l’album, l’étonnant Interplanetary Class Classics.

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    D’autres personnes accompagnent Lias Saoudi en studio, mais on s’en fout, car voilà qu’arrive de l’espace «Vessels», un glam de la désaille de destroy-oh-boy d’I’ve got nothing to hide. Si on ferme les yeux, on voit dodeliner la tête de Baby Doll et Lias arpenter la voie lactée en gueulant qu’il veut un vessel back home. Depuis Jook et Earl Brutus, on n’avait pas entendu de glam aussi dévastateur. Et le sabbat inter-galactique se poursuit avec «Sweet Saturn Mine» monté sur un beat rebondi, puissant et âpre comme un jour sans pain, et ce démon de Lias feel alrite, il le clame et le reclame avec l’insistance pathologique d’une pensionnaire de Sainte-Anne, il va même jusqu’à le hurler pour battre tous les records d’exaction cataclysmique. On sent poindre une fantastique ampleur avec l’arrivée de «Black Hanz». Dans le livret, l’image qui illustre le cut montre le joli ventre nu d’une jeune femme, alors le groupe sort le beat le plus turgescent d’Angleterre. Sade rôde, Lias le sait. Sade prince des sens et somme des cendres, Lias l’assume. On l’a vu, sur scène, Lias Saoudi transcende même la notion de sexe, comme le fit Lou Reed au temps de l’Exploding Plastic Inevitable. Avec «Black Hanz», il entreprend un pieux travail de déconstructivisme et entre de plein fouet dans la gueule des temps modernes ! Wow ! Le cut palpite du beat pilon des forges noires de crasse du Creusot. Tout ici semble déterminé à vaincre. Tout ici se remplit de son à ras-bord. Tout ici se veut clameur d’Elseneur et ce démon de Lias braille dans le rougeoiement d’une ville en flammes. «The Strangle Of Anna’s» pourrait bien être le hit de ce diable d’album. Une certaine Rebecca Taylor vient duetter avec Lias l’as des as - C’est la vie ma belle - La mélodie rougit comme une tomate. Ils prennent ensemble ce refrain magique - The strangle of Anna’s got me unwell - et glissent comme des mains caressantes vers la chute des reins - C’est la vie ma belle - Voilà encore un cut qui laisse hagard, comme lorsqu’on ressort de chez une pute à Stalingrad. Ils tâtent aussi de l’electro, avec des choses comme «IDS» (très Ministry dans l’esprit de Seltz) et «The Babies Are Back», mais ils reviennent aux choses sérieuses avec un coup de Châteauneuf-du-Pape - Is that blood or neuf du pape ? - tout ça sur un bon beat salace bien tendu vers l’avenir. Chez Lias Saoudi, tout n’est que luxe, cul et volupté. Il n’en demeure pas moins que leur vrai cheval de bataille reste le glam. La preuve ? «Glory Hole». Vous vous demandez ce qu’est un glory hole ? C’est pourtant facile à deviner. Lias nous explique que tout le monde en possède un, y compris Paul McCartney, Bob Geldorf et Sigmund Freud. Il tape dans tout, il ne respecte rien ni personne, il chante même son glam avec des accents rockab, et puis avec «The Cities Undone», il revient à une pop, mais pas n’importe quelle pop, une pop de niveau infiniment supérieur, oui, car c’est joué au groove de l’incroyable devenir du rock anglais. Lias et ses amis prennent des libertés avec le son, ils se taillent des voies dans la jungle des possibilités, et ces voies deviennent soudain des avenues comme les rêvait le baron Hausmann. Lias et ses amis ne vivent que de ré-invention, ils pelotent l’aura des possibilités et vont au-delà du monde connu, ils mixent la délinquance sonique d’Earl Brutus avec ces visions de promontoires chères à Caspar David Friedrich, ils en deviennent même visionnaires à en loucher. «The Cities Undone» sonne exactement comme un cut dévasté de l’intérieur, poussé d’un violent coup d’épaule dans ses retranchements, c’est même claqué aux congas de Congo Square et ça s’étrangle d’apoplexie tétanique. Moonlandingz sort un son qui ne veut même plus dire son nom. Lias se consume dans la fournaise et finit enfin par débander.

    Signé : Cazengler, Moonlambda

    Moonlandingz. Le 106. Rouen (76). 20 avril 2017
    Moonlandingz. Interplanetary Class Classics. Transgressive Records 2017

     


    Battle Fields - Part two

     

    — Mister Brown ?
    — Yo ! James Brown speaking !
    — Je vous rappelle comme convenu...
    — Hell !
    — Mission accomplie. Je suis allé voir le concert de Lee Fields à l’Élysée Montmartre et j’ai une bonne nouvelle pour vous.
    — Get down to it !
    — Eh bien figurez-vous Mister Brown que ce concert était complètement foireux ! Vous n’avez plus de concurrence !
    — Ain’t it funky !
    — Vous n’avez pas idée. Était-ce le fait de jouer à Paris devant l’élite du peuple ? Était-ce le fait d’accéder enfin aux pages de Télérama ? Était-ce le fait de se sentir porté par le bienfaisant mainstream ? Était-ce le fait de voir son cachet grossir comme la grenouille qui veut ressembler au bœuf ? En tous les cas, il s’est mis dès les premier cuts à faire du Charles Bradley bien sirupeux.
    — Get on the good foot !

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    — Dommage que vous n’ayez pu assister à cette bérézina ! Vous vous seriez drôlement régalé. Mon lieutenant et moi n’avons tenu que le temps de quatre cuts. À la fin du quatrième, on s’est échangé un regard consterné et d’un commun accord tacite, nous sommes allés au salon qui jouxte la salle pour nous asseoir et attendre la fin du set. Il ne servait à rien de rester dans la salle, plantés comme des piquets, à s’emmerder comme des rats morts. Je vous recommande les fauteuils de ce salon, Mister Brown, franchement, ils sont extrêmement confortables. Alors nous nous mîmes à discuter de tout et de rien, tout en continuant de prêter l’oreille. On entendait le pauvre Lee Fields céder aux sirènes de la gloire. Ça semblait lui monter directement au cerveau. Vous n’allez pas le croire : il se livrait à des pratiques innommables...
    — Bring it on !

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    — Eh bien figurez-vous Mister Brown que Lee Field s’arrêtait de chanter pour demander au bon peuple de Paris de chanter en chœur avec lui ! On craignait qu’il n’en vînt à entonner la Marseillaise, tellement le public réagissait bien ! On se serait presque crus dans un stade de foot ! On aurait dit que les gens en voulaient pour leur argent... Quarante euros, ça ne se trouve pas sous le sabot d’une mule, Mister Brown !
    — Baby you’re right !
    — Franchement, vous n’avez pas idée des ravages que peut provoquer l’osmose collégiale. L’homme qu’on entendait haranguer le peuple de Paris n’avait plus rien à voir avec celui qui avait shaké le 106 quelques temps auparavant. Je n’ai pas songé à m’approcher pour vérifier qu’il s’agissait du même homme, mais j’aurais dû, car avec un peu de recul, cette dégradation paraît un peu louche. Excusez-moi, Mister Brown, je réfléchis à voix haute. J’espère que vous apprécierez mon honnêteté intellectuelle. Vous le savez bien vous aussi, rien n’est plus difficile que de résister aux tentations de la subjectivité. Quand on prétend faire le métier d’espion, il faut savoir se gendarmer pour éviter les ravages de la partialité, car comme le mildiou gâte la vigne, la partialité gâte le rapport. Tout ceci pour vous dire qu’avant de vous appeler, j’ai vraiment pris le temps de faire la part des choses. Je tiens par dessus tout à ce que mes clients soient servis sur un plateau d’argent...
    — You’ve got the power !
    — Donc vous savez à peu près tout ce qu’il faut savoir de ce lamentable concert. Pour être tout à fait franc avec vous, nous nous sommes esquivés avant le rappel, car nous ne souhaitions pas nous trouver pris dans le tourbillon de sortie de centaines de fêtards exaltés, qui pour la plupart n’avaient jamais entendu parler de Lee Fields auparavant. Eh oui, Mister Brown, nous sommes entrés dans l’ère de la consommation aveugle, dans cette internettisation à outrance des choses qui finira par ramollir définitivement le beat du funk, comme on vient de le constater avec ce concert du pauvre Lee Fields...
    — I’ll go crazy !
    — Nous nous dirigeons tout droit vers un monde inconnu, loin de nos vieux repères. Si le funk moderne ressemble à ce concert raté, il vaut mieux s’intéresser à autre chose, vous ne croyez pas ?
    — Have mercy baby !

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    — Alors voilà, je ne vais pas m’étendre sur le chapitre de la mutation socio-culturelle, car nous en aurions pour des heures et je suppose que vous aussi avez des choses plus intéressantes à faire. Mon lieutenant et moi sommes donc partis casser la croûte. En redescendant ce grand escalier mythique, nous nous étonnâmes de le trouver non gardé. Figurez-vous qu’il était complètement désert ! Ouvert sur le boulevard ! On aurait dit une auberge espagnole. Un commando armé jusqu’aux dents aurait pu s’y engouffrer, mais encore une fois, chacun son business. Nous nous dirigeâmes vers un endroit que je vous recommande si vous revenez un jour à Paris, un restaurant de cuisine traditionnelle situé à deux pas et qui fut nous dit-on créé en 1857. Oh ce n’est pas comme Chez Paul, au temps de la rue de Lappe, dans les années quatre-vingt dix, où on sentait les pommes de terre rissolées à l’ail en entrant, c’est un autre style, mais les recettes y sont sérieuses et vraiment traditionnelles. L’endroit se veut chaleureux et aux murs trônent des myriades de toiles de petits maîtres qui comme Toulouse Lautrec fréquentaient le Moulin Rouge situé un peu plus loin sur le boulevard Rochechouart. Comment vous dire... Il semble que ce vieux parfum XIXe aiguise l’appétit. C’est un endroit où on se sent culturellement en sécurité. C’est aussi bête que ça. Et je vous assure que ce n’est pas un piège à touristes, comme ces immondes caboulots qu’on découvre lorsqu’on remonte la rue de Steinkerque, jusqu’à la Halle Saint-Pierre, au pied du Sacré-Cœur.
    — It’s a man’s man’s man’s world !
    — Si vous appréciez un bon tartare, vous serez ravi. Par contre, je ne sais pas si le mobilier est d’origine, mais cela se pourrait fort bien. Alors de là à penser que ces bancs ont vu se poser les fesses de Maurice Rollinat ou d’Edgard Degas, vous comprenez qu’on franchit allégrement le pas ! Que voulez-vous, on se remonte le moral comme on peut, et souvent, avec les moyens du bord. Vous allez commencer à croire que je noie le poisson, comme si je cherchais à vous cacher quelque chose, n’est-il pas vrai ?
    — Let yourself go !
    — J’ai commencé par la bonne nouvelle, mais il y a aussi une mauvaise nouvelle...
    — Say it loud !
    — Je suis vraiment navré de devoir vous l’apprendre, Mister Brown.
    — Get up !

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    — Figurez-vous que par acquis de conscience, d’une part, et par conscience professionnelle, d’autre part, je suis allé acheter le nouvel album de Lee Fields. Je voulais vérifier que votre challenger était bien sur la voie du déclin. Eh bien pas du tout ! Cet album est une sorte de miracle qui contredit tout ce que je viens de vous expliquer. C’est une situation extrêmement difficile à gérer, je peux vous l’assurer. Un esprit cartésien comme le mien ne se résigne pas à devoir contredire un discours patiemment élaboré, et pourtant, il faut bien s’y résoudre. Autant le concert de l’Élysée était pitoyable, autant ce disque est, sans vouloir vous offenser, celui d’un géant.
    — Cold sweat !
    — Oui, Mister Brown, vous avez raison de transpirer, car Special Night vaut tout l’or de cet El Dorado que chercha en vain Lope de Aguirre, d’après ce que nous raconte Gaspar de Carvajal dans ses chroniques. Vous devriez écouter cet album, ne serait-ce que par simple curiosité. Allez directement en B, et là vous allez tomber sur l’El Dorado du funk, «Make The World», monté sur un gros beat coriace et opiniâtre qui semble venir de chez vous, Mister Brown - Oh you better watch out ! - C’est pilonné comme dans un rêve de révolution industrielle. Vous serez d’accord avec moi, c’est un hit, l’un de ceux qui ne lâchent pas la rampe. Vous trouverez une autre énormité plus loin, un truc qui s’appelle «How I Like It», et là Lee sent qu’il redevient le temps d’un cut le roi du monde, car il faut l’entendre pulser son I just like it like it like it de ouuuh-ouuuh sur un groove de gros popotin. Il prend son beat à bras le corps et franchement ça sonne comme le meilleur heavy beat de soul que vous entendrez sur cette terre, sans vouloir offenser votre suprématie, oui, Lee Fields pousse son beat dans la cuisse de Jupiter et ses yeah se font aussi déclamatoires que ceux de Saint-Just à la Convention ! Vous trouverez aussi pas mal de belles choses en A, comme ce «Never Be Another You», un groove joué aux percus et aux trompettes de la renommée qui sont mal embouchées, vous noterez l’excellence du beat retenu, bien harnaché, docile et parfaitement maîtrisé. On appelle ça la classe groovytale, celle qui transforme la souffrance amoureuse en pur bonheur. Le grand-père de Lee Fields devait s’appeler Mandrake le Magicien. Vous serez estomaqué par le morceau titre qui ouvre le bal de l’A, car voilà ce qu’il faut bien appeler un vrai groove d’attaque frontale, et il chante ça avec des accents qui rappellent les vôtres, Mister Brown, c’est dire si ce petit monsieur aime à vous provoquer ! Il chante avec le même genre de timbre fêté, mais, comment dire, il va plus loin, oui, beaucoup plus loin, là-bas, vers l’horizon, par delà les océans. C’est très impressionnant, sinon, vous vous doutez bien que je ne vous ferais pas perdre votre temps avec ça. Vous serez aussi très surpris par «I’m Coming Home», car avec ce groove d’ambition plus modérée, Lee Fields crée quand même ses propres conditions. Il n’obéit qu’à lui-même et vous êtes bien placé pour le savoir : c’est à ça qu’on reconnaît les grands artistes. Comme vous, Lee Fields sait gérer ses affaires. Et puis encore un petit conseil : ne prenez pas un cut comme «Work To Do» par dessus la jambe car vous commettriez une grave erreur. Lee Fields y trouve la voie de la rédemption sentimentale. Il donne la priorité à l’expression de ses sentiments, et c’est sans doute ce qui l’a plombé l’autre soir, à l’Élysée. Vous vous goinfrerez aussi de «Lover Man» qui boucle le bal de l’A, un cut encore une fois très attachant, tendu et stylé. Lee Fields est un styliste, il profile son groove du funk avec une certaine ampleur du geste. Voilà pourquoi il entre dans cette caste des grands seigneurs de la black. Croyez-moi, c’est l’insistance qui fait toute sa force. Il maîtrise aussi l’art du jive versatile, comme on le constate à l’écoute de «Where Is The Love» et le «Precious Love» qui referme la marche confirme la haute toxicité de l’ensemble, car Lee Fields chante ça à la glotte chargée et, l’air de rien, redore le blason de la good time music. Quel admirable artiste !
    — Superbad !


    Signé : Cazengler, Lee figue, Lee raisin

    Lee Fields. Élysée Montmartre. Paris XVIIIe. 3 février 2017
    Lee Fields & The Expressions. Special Night. Big Crown Records 2016


    *


    Provins, la belle endormie. Tu parles, quatre hélicoptères bourdonnent au-dessus de la maison, les fourgons de police qui passent dans la rue toutes sirènes hurlantes, les pompiers à toute blinde carillonnante, et les saintes huiles qui se radinent fissa, préfet, député, maire, plus les gendarmeries de deux départements, plus les unités spéciales du raid, les voisins tétanisés qui courageusement par peur des balles perdues envoient leur femme dans le jardin rentrer le chien qui batifolait joyeusement dans les plate-bandes, l'instant est grave, prise d'otages au super-marché à cent mètres de mon igloo, quel pays ! on ne peut vraiment plus écouter du rock'n'roll sereinement à fond la caisse de bon matin, sans être dérangé, ne bougez pas c'est un hold up, ont réussi à s'enfuir, sans la caisse, sans sang, sans blessé, sans mort, tout se perd ma bonne dame, on a frôlé la tragédie racinienne et l'on se retrouve avec la grosse farce médiévale du cocu détrompé.
    Remettons-nous de nos émotions, la ville est en état de siège ( à WC ) mais la route de l'Est reste accessible, les Dieux ont choisi, ce sera grand large vers les horizons campagnards, là-bas où l'herbe du rock'n'roll est la plus verte...

    FESTIVAL ROCK'EN PLEURS

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    Non ce n'est pas ce à quoi vous rêvez, le retour des zombies du rock, Eddie Cochran, Gene Vincent, Jim Morrison, Jimmy Hendrix, sortis de leurs tombes pour donner un ultime concert, devant des milliers de fans en pleurs. Pleurs c'est un village. Vous trouvez facile, juste à côté de Moeurs. ( Z'ont des noms charmants dans le 51 ! ). Pour y arriver, c'est plein champs, juste après le dernier passage à niveau de France encore dépourvu de barrières – attention un train qui ne passe pas peut en cacher un autre - un gros village, des chevaux dans les près, des chats qui jouent dans les rues, moins de mille habitants et un festival de deux jours, gratuit. Z'ont mobilisé toute la jeunesse du patelin et l'ont baptisée bénévole, ambiance familiale, entre saucisses cuites et champagne frais. Pour la programmation n'y vont pas avec la sapienciale cuillère de la retenue provinciale, carrément rock'n'roll. Avec scène et sono digne de ce nom. A faire les choses autant les faire bien. La France profonde réserve bien des surprises. Jusqu'à cette jeune fille qui me fixe intensément avec un regard admiratif, je suis le premier à commander une assiette de frites ! La gloire vous déboule toujours sur le coin du museau au moment où vous vous y attendiez le moins.

    CALICE

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    Jusqu'à la lie, sans problème. Déjà bien aimé le sound-check. Y avait Chinois qui s'amusait à tonitruer sa guitare de belle façon et le demi-morceau qu'ils ont joué cinq ou six fois était méchamment en place. Ne doit pas être le seul à avoir apprécié, puisque juste après ça se bousculait au stand pour se procurer leur premier EP.
    Calice ce n'est pas au choix, vous offre et l'outrancière parfum des atmosphères romantiques et la corolle vénéneuse dont les crocs se referment sur vous pour vous déchirer. Usent de samples qui vous délivrent belles orchestrations lyriques, s'y greffent dessus doucement, Ju caresse avec volupté, une de ses huit cymbales, Tony et Chinois jouent à la harpe sur leurs guitares, égrènent des notes comme des gouttes de rosée, de la basse de Shin s'échappent de longues laisses moelleuses envoûtantes, ne fermez pas les yeux, ne vous laissez pas endormir par l'impression de paisible quiétude qui émane de l'ensemble, la batterie éclate et se fragmente au moment même où John se saisit du micro, dans sa voix déboulent les hordes barbares, sanglante ruée sur l'innocence d'un pays merveilleux que la sauvagerie du combo va rayer de la carte. Une Illusion rien de plus, rien de plus fragile, rien de plus évanescent, mais la furie se calme, l'ouragan s'apaise, et les fragments du rêve brisé se reconstituent, un puzzle de patience qui rassemble pièce par pièce les morceaux éparpillés, souriez rien, ne se perd, tout se transforme et de nouveau la tempête se déchaîne, pulvérise tous vos espoirs, les hiémales froidures les plus rudes succèdent aux rousseurs moelleuses de l'automne, et les verdoyantes brises du printemps seront asséchées par les simouns les plus torrides... un cycle chasse l'autre et cette succession est envoûtante, Shin se révèle l'oiseau de mauvais augure, se rapproche du micro et vous djente un aboiement de reptile qui déchaîne les hostilités, c'est le signal qu'attendait John pour libérer les hyènes imprécatives de ses cordes vocales porteuses des plus grandes dévastations. Guitares grinçantes et la batterie coassante, tel un crapaud géant qui du fond de la scène prophétise pustules fracturantes, bave de fiel et crachats agoniques à la princesse qui viendrait l'embrasser pour le délivrer. Les titres illustrent à merveille cette succession de cycles qui soufflent mort et vie, éveil et engloutissement. Glad, Shadow, Reward, A World, Hope, Alice aux pays des merveilles et des horreurs. Calice vous effeuille les pétales d'un monde cruel voué à sa destruction. Très belle prestation.

    CALICE
    INTRO / ILLUSION / SHADOW / GLAD TO HAVE / HOPE

    JONATHAN BIDELOT : vocals / ANTHONY GOFFARD : guitars / CLEMENT LUCIEN : guitars / SÜKRÜ YIRIK : bass / JULIEN STAUDER : Drums

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    Pochette qui attire l'oeil et la main, signée par CRAPULE PROD, le sigle du groupe sur une espèce de camaïeu de bleu géométrique – un véritable sigil opératoire au sens où l'entendait Austin Osman Spare ( voir notre livraison 330 précédente ) - qui n'est pas sans évoquer la croix de Saturne adoptée par Blue Öyster Cult – rides de cercles et arêtes urticantes du carré, deux figures symbole de la perfection, dévoyées, pour nous annoncer que Calice n'est pas groupe de grande naïveté qui s'esbaudit de la beauté des fleurs.

    Intro : pianotements qui sonnent comme cloches annonciatrices, guitares et batterie en gradation continue qui pourtant à aucun moment ne parviennent à recouvrir ces notes obstinées qui prédominent, et s'imposent en final comme un comminatoire avertissement. Illusion : pour ceux qui croiraient être les maîtres de leur destinée Calice vous édicte les rudiments de la triste réalité, musique sombre et dramatique, l'ennemi est au-dedans de vous, a pris les commandes de votre cellule mentale, vous ne vous appartenez plus, vous n'êtes que des pantins, pour les durs de la comprenette l'on vous passe le discours à la Nation de J. F. Kenedy, savait de quoi il parlait. La voix de John rugit le sinistre glouglou qu'émettrait un poisson venu des profondeurs océanes pour vous avertir au cas où vous seriez encore capable d'entendre le message des Atlantides englouties dans les abysses. Ne vous faites plus d'illusion. Mortelles sont nos civisations. Shadow : murmures mortels et grondements de terreurs prophétiques englobés en une orchestration qui se densifie au fur et à mesure que la voix devient une condamnation auto-accusatoire, vous êtes dans le mauvais couloir du labyrinthe, l'issue de secours bloquée, et vous n'avez plus le courage de faire marche arrière. Ne vous en prenez qu'à vous-même. Glad To Have : la carte empoisonnée. Vous êtes encore pire que vous ne pensiez. Totalement contaminé. Peut-être faites-vous le mal sans le vouloir car vous êtes la pomme gangrénée, celle qui doit être rejetée, mais c'est vous qui portez le panier, vous êtes le poison et le messager de la menace. Musique ample et mélodramatique tissée de toutes les contradictions humaines. Vous englue comme la toile de l'araignée. Hope : roulements de tambours, méfiez-vous des ambiguïtés, celles des autres comme des vôtres. L'est sûr que la musique déroule le tapis rouge des belles orchestrations tout juste si l'on n'entend pas les castagnettes et un pupitre de cent violons, une voix parle en vous, à moins qu'elle ne résonne à vos oreilles, méfiez-vous. La voix de John comme les aboiements d'un chien derrière la porte. Quelques notes de piano pour la décision finale, tirerez-vous la chevillette ?

    Un disque sombre qui plane comme l'aile d'une grande prédation. Sont bien jeunes mais trahissent une maturité étonnante. Une oeuvre aussi noire que Great Expectations de Dickens. Très anglaise dans son déploiement. Un groupe à suivre.
    Viennent de Nancy.

    MALADROIT

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    Changement d'ambiance. Ils sont maladroits, du moins le proclament-ils. L'on ne saura jamais s'ils le sont vraiment. C'est que ces quatre gaillards ne s'embarrassent pas de subtilité, le rock dans sa dimension la plus primaire, pédale au plancher, point à la ligne. L'on coupe les virages et l'on ne s'arrête pas aux feux rouges. Se revendiquent d'un rock brut – mais c'est ainsi que l'on trouve les diamants dans la nature - sans concession. De cimetière. Le rock c'est la vie, brûlée par les deux bouts du bâton. Cela évite les bien connus dommageables effets de retour. Till est aux commandes, guitare et chant. Maladroit est une émanation de Guerilla Poubelle. Ressemble un peu à ces groupes de roadies qui une fois le matos installé, se font le plaisir d'un petit gig en solitaires, just for fun, pour se persuader qu'ils ne sont pas là uniquement pour décharger les amplis du camion et se charger des branchements électriques. Le plaisir d'être ensemble et de prendre du bon temps. Morceaux courts, l'on appuie Till aux vocaux, histoire de montrer cette empathie quasi-fraternelle, qui lie le combo.
    Bien reçu par le public qui toutefois reste étrangement calme.

    POLICE ON TV

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    Dans la série I support my local band, le public s'agglutine en masse devant la scène. Sont du coin, de Romilly-sur-Seine pour les obsédés de la géographie. Se définissent eux-mêmes sur leur dernier CD de New Punk à l'ancienne. Perso, je les cataloguerais plutôt dans le registre rock festif – et vous connaissez mes préventions – en tout cas ils assument leur vision dérisoire et néanmoins critique quant à l'état ( déplorable ) de la société. Se sont barbouillés au gros feutre noir de tatouages abstraits du meilleur effet. Ont le mérite de ne pas se prendre au sérieux et d'être en communion avec leur fan qui dès le premier morceau se mettent à remuer à qui mieux-mieux. Grand gaillard aux cheveux bouclés et au micro Flo, tire le groupe. Derrière lui, ça bourre le mou au maximum. En lot de consolation pour ceux qui se lassent un peu trop vite de cette musique primaire et néanmoins populaire, vous avez deux danseuses, l'une pleine de grâce et de nerf, et l'autre qui se répand en enfantillage du genre pistolets à eau, langues de belle-mère et lancers de confetti... Le rock serait-il un remède infantilisant ou un adjuvant à cette notion de fête tant soit peu franchouillarde sous nos latitudes ? En tout cas sont infatigables Jean Boule tape comme un maboule sur sa batterie, Danone yaourte du petit lait sur sa basse, et Raphale tire sur sa guitare comme si sa vie en dépendait. S'amusent comme des fous, des gamins qui appuient pour la centième fois sur les sonnettes et qui s'écroulent de rire incontinent sur le devant de la porte des propriétaires ulcérés. Des gars sympas qui ne se prennent pas la tête, parfaits pour mettre de l'ambiance dans les apéros. Font un tabac, que dis-je une manufacture. Fin du set, tombent tous morts, allongés sur la scène, mais leur repos éternel ne durera pas, le public les rappelle à l'ordre et c'est reparti pour une nouvelle salve de quatre titres ravageurs. Des quatre groupes de la soirée, seront les plus acclamés. Correspondent parfaitement à cet état d'esprit de toute une partie des couches de la population. Ce sentiment d'exaspération et d'impuissance qui agite et incapacitorise les volontés. Quand la situation est grave et que l'on n'y peut pas grand chose beaucoup se réfugient dans le rire pour ne pas pleurer. Une manière de se démarquer, d'exprimer son désaccord, mais en restant circonscrit dans les rets du nihilisme, l'humour anthracite, reste une arme ambigüe, davantage dirigé contre soi que contre l'ennemi. Une espèce d'auto-déculpabilisation qui est aussi un grillage auto-protectif.

     

    GUERILLA POUBELLE

     

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    Beaucoup entendu parler mais jamais vu. La base idéologique du combo n'est pas très différente de Police On TV. Remarquons toutefois la signifiance des titres, les uns déclarent la guerre et les autres dénoncent le formatage médiatique. Maintenant chez les partisans de la guerilla il semble que l'on ne se fasse guère d'illusion, les temps des confrontations directes sont passés, l'on ne se prépare plus à de grandes batailles, l'on se contente des escarmouches d'usure. Les guerres indiennes se sont mal terminées, surtout pour les indiens. Et puis il y a cette poubelle inquiétante. L'on ne sait pas trop ce qu'il y a dedans. Contient-elle la saleté de notre vieux monde ou est-elle là pour une fois la fête terminée y verser nos utopies chancelantes en faisant bien attention de remettre le couvercle dessus pour qu'elles ne puissent plus s'échapper.
    Guerilla Poubelle est plus qu'un groupe. Un état d'esprit. De révolte. Contre la société et mieux encore contre l'apathie généralisée des consciences. Guerilla Poubelle sont des adeptes du Diy, Do It Yourself, du prends-toi en main, et si l'on veut peaufiner la traduction, du fous-toi un coup de pied au cul et n'attend plus pour te bouger les fesses et te manier le popotin. Donc un groupe, et une association qui organise des concerts et fédère toute cette mouvance alternative néo-punk française, ainsi ne proposent pas sur leur stand de marchandising que leurs propres CD, mais aussi des albums de toute une nuée de groupes de l'ombre.
    Véhicule une certaine idée du rock contestataire. Qui préfère les commandos de choc à l'unification des consensus mous. Cela se vérifie sur scène. Ne sont que trois. L'essentiel. Guitare-chant, batterie, basse. Un dépouillement qui jure avec le casting de Police On TV. Idem au niveau musical. Rock basique mais pas simpliste. Efficace mais pas consensuel. Dans la foule ça va pogoter à donfe, moins de monde mais beaucoup plus de speed.
    L'on retrouve Till de Maladroit. Prend le temps d'invectiver le public. Commence par signifier à la sécurité qu'elle n'a rien à faire au milieu de l'entrechoquement en folie des spectateurs, que les gens sont assez responsables pour ne pas se retourner agressivement les uns contre les autres, la suite lui donnera raison. Reprends un spectateur qui hurle spasmodiquement A Poil ! toutes les trois secondes, en l'invitant à réfléchir sur l'inanité de cette interjection, et l'heure de clôturer le set étant venue, il renvoie la jeunesse à la décision préfectorale des limitations temporelles.
    Rassurez-vous ne passent pas leur temps à pérorer. Jouent aussi de la musique et plutôt bien. Un son beaucoup moins fruste que Maladroit, le même genre mais la couleur et les fragrances ne sont plus considérées comme des options interdites aux économiquement faibles. A fond les gamelles mais beaucoup plus explosif. Une batterie omniprésente et une basse dont les interventions des plus pointues démontrent à l'envie combien toute cette mécanique est agencée au millimètre. Morceaux courts mais efficaces à souhait. Le riff n'est pas le roi chamarré de la fête, ce qui ne l'empêche pas de mener le bal mais à égalité avec les deux autres chanceliers de la rythmique. Power rock trio, triumvirat démocratique, un instrument, une voix, trois gars qui naviguent de conserve, enchaînent les titres à la queue ébouriffée du loup, les crocs solides et sanglants, le rock n'est pas une fête plutôt un rituel destiné à faire pleuvoir les décibels comme des balles de mitraillettes dans les westerns mexicains qui mettent en scène les cavalcades révolutionnaires d'Emiliano Zapata. Le set s'arrête sur un dernier morceau aussi bref qu'un coup de fusil. Guerrilla Poubelle ne joue pas les prolongations interminables qui vous mettent le public dans la poche. Rappelez-vous le début de ce compte-rendu, si vous en voulez davantage, faites en sorte que votre existence en soit le principal acteur. N'attendez pas des autres ce que vous pouvez faire vous-mêmes. Restent sur scène à discuter entre eux et à débrancher le matos. Le public se disloque à regret. L'aurait bien ingurgité deux ou trois louches de bonne soupe énergétique supplémentaires. Mais il faut prendre l'habitude de sortir de table sans être rassasié. C'est ainsi que l'on est au mieux, lorsque la faim vous pousse au crime de vivre plus intensément.

    DEUXIEME JOUR


    Point allé. Mieux à faire ailleurs. Voir chronique suivante. Programmation Rock Celtique, trop vu de fest-noz bretons dans ma jeunesse... Cette cinquième édition de Rock'en Pleurs agrémenté d'un beau soleil et se déroulant dans une ambiance des plus amicales est le genre d'initiatives locales à généraliser.


    Damie Chad.

    LE MEE-SUR-SEINE - 27 / 05 / 2017
    LE CHAUDRON
    WILD PIG MUSIC
    DISORDER / LIFE REPORTS
    BEAST

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    Le Chaudron n'aura jamais aussi bien porté son nom. Une fournaise. Faut voir à la fin de chaque set la ruée en masse vers les escaliers afin de rejoindre la fraîcheur – euphémisme des plus relatifs - de l'extérieur. Une centaine de fans – on aurait espéré mieux - ont toutefois bravé la chaleur de ce week end prolongé pour encourager les forges métallifères en présence.

    DISORDER

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    Difficile dans la pénombre rougeoyante de reconnaître Elie Biratelle ( ex-Scores ) à la basse, l'a exagéré le désordre de sa chevelure tout comme à ses côtés Armand Tormo et Paul Dedenin aux guitares, Lucas Maciniak restera pratiquement indiscernable au fond derrière ses tonneaux. Indubitable, il a la niaque Marciniak, l'est comme ses vieilles sorcières qui ont toujours une deuxième fricot de cervelles de chats sur le coin du fourneau, l'est en train de vous mener un break qu'il a déjà le suivant en préparation, la musique de Disorder est un peu comme ces gros rochers de mille tonnes en équilibre précaire, suffirait d'une chiquenaude pour précipiter l'éboulement. On les sent toujours prêts à parfaire le déséquilibre kaotique du monde. En plus il y a Biratelle, partout ailleurs il se ferait remonter les bretelles pour délit impardonnable – Laurent bassiste de son état m'expliquera après le set que c'est à cause de la sursaturation – mais je n'ai jamais entendu une basse monter dans les aigus comme cela, un effet novateur des plus déstabilisants vous déporte le métal vers les alliages les plus performants. Mais est-ce du métal ? Il est sûr que les catégories sont faites comme les âmes trop pures pour être perverties. Dans Disorder subsiste encore la vieille tradition primordiale et originaire du rock'n'roll. Des guitares qui ripent les vieux riffs empaillés afin de les mieux préserver, et la voix qui scande le chant. Le serpent qui articule n'est pas moins dangereux que celui qui siffle. Disorder nous emmène dans un hard-métal des plus inhabituels, sont prêts à explorer des sentes que la majorité dédaigne. Sont plus qu'applaudis. L'on sent poindre la surprise, l'estime et l'intérêt sous les acclamations. Disorder un de ces jeunes groupes, porteurs d'idées nouvelles. Une promesse.

    REVENGER / DISORDER

    GURGULUK / SUFFER IN NOISE / BULUK / SPIRITUAL DAMNATION

    ARMAND TORMO : guitare / ELIE BIRATELLE : basse / PAUL DEFENIN : guitare. LUCAS MARCINIAK : batterie.

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    Superbe pochette due à Emilie Raoul. Face blanche : indien pectoraux pointus et maculé de sang sur le sentier de la guerre dans un paysage de neige – la vengeance est un plat qui se mange froid - et de sapins aux aiguilles tranchantes. Face noire : traces sanglantes d'une main prémonitoire des noirceurs que vous réserve la piste sauvage de la vie dangereuse. Beau logo runique, tranchant comme une hache d'abordage viking.

    Gurguluk : volapuk insondable quant à la signification du titre, longue introduction musicale, les guitares tracent une route aventureuse, la basse émet de ces bulles inquiétantes, qui effleure l'eau croupissante des tourbières, légion romaine perdue dans l'hiver des forêts germaniques, marche haletante dans la glaise engloutissante, la vie est un cauchemar qui surgit de votre sommeil et qui se précipite sur vous et vous dévore le visage jusqu'à l'os, Suffer in Noise : vous croyiez en avoir fini, vous en être tiré à bon compte avec votre profil décharné, erreur funeste, vous entrez dans le deuxième épisode de l'histoire de la souffrance infinie, vocal comme des flèches d'animalcules tentaculaires prédateurs qui fracturent la rotondité de votre crâne et qui aspirent doucement votre substance neuronique, le rythme haletant, la musique aussi massive que des coups de hachoirs n'est cependant pas sans vous procurer un étrange plaisir masochiste. C'est dans les situations extrêmes que l'on se permet de découvrir qui on est réellement. Buluk : nerver mind the buluk, troisième épisode, dans lequel on n'essaie pas de vous mentir, le rythme s'emballe et vous voici happé par vos tripes éviscérées. Disorder ne fait pas de quartier, vocal braillé comme des ordres de mise à mort, la batterie tape comme si vous deviez vous enfoncez cela dans le crâne que vous n'avez plus, scie mécanique de guitare en vue d'une prochaine vivisection. Méfiez-vous, cela n'est guère agréable. Spiritual Damnation : épisode quatre, l'on vous repasse le générique du début au cas où vous auriez espéré vous retrouver dans un autre film style la petite maison dans la prairie. Mais non, la boucherie continue. Maintenant c'est à votre âme qu'ils s'en prennent. Vous la dissèquent sans plus de préparation. La guitare vous la découpe en rondelle et la batterie n'en finit pas de la clouer sur la porte des granges. Fin brutale. Ne cherchez pas à comprendre. Vous êtes mort.

    Quatre morceaux. C'est ce qu'ils essaient de vous faire croire. Plutôt un récit d'un seul tenant, une espèce d'opéra d'hard-mental-art en quatre actes dont vous êtes le héros. Malheureux. N'écoutez pas, laissez de côté, oubliez que vous l'avez acheté. Disorder veut vous du mal. Rien que la pochette est une insulte à ceux qui pensent que la vie est comme un long fleuve tranquille. Par contre si vous êtes de ces personnes qui pensent que le rock a été inventé pour ajouter du désordre dans l'univers, vous adorerez. En plus c'est tout beau, tout brûlant, vient tout juste de sortir. Soyez prudent, rangez-le dans l'enfer secret des tentations de l'enfer de votre cédéthèque.

    LIFE REPORT

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    Fait encore plus chaud. Faut voir le visage cramoisi et ruisselant de sueur de Julien au micro. Dans la salle ce n'est guère mieux, mais Life Report arrivera à galvaniser les troupes et à susciter de grandes tessitures d'entremêlements désordonnés parmi les spectateurs. Bien en place, parviendront à surmonter sans dégâts la pédale de la grosse caisse de Charla qui le lâche ( lâchement ) en début du quatrième morceau. Nous délivrent un métal puissant et somme toute non dépourvu d'un fond mélodique en contraste avec les rauques glapissements de Julien, un véritable chanteur qui donne sens à la musique, en appuie les contrastes, met en exergue la somptuosité des guitares de Julien ( numéro 2 ) et de Renaud qui étincellent sur les lourdeurs de la basse de Quentin. Disenchated Kids, Castle Build in Sand, Who Said I Want to Be Saved ?, Life Reports conte ce que Thomas Hardy appelait les petites ironies de la vie, l'existence des individus anonymes, les drames intimes et les situations quotidiennes des gens de seconde zone qui nous ressemblent. Atmosphère émotionnelle, exprime les tourments et les gouffres qui se gisent dans tout être humain que nous croisons chaque jour. Plaies purulentes que l'on porte au fond de soi. Micro en main, jambe reposant sur un des retours Julien adopte souvent cette position du guetteur à l'affût, du scrutateur des abysses intérieurs, celui qui voit et qui révèle. Musique dense et accomplie, comme un rideau de théâtre qui se lève pour délivrer les scénettes de la cruauté de la vie humaine. Un métal qui n'évite ni le bruit et la fureur et qui se complaît dans les terreurs tues et les illusions perdues. Longuement applaudis.

    BEAST

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    The last but the Beast. M'attendait pas à ça. Naturellement Beast a été fidèle à sa légende red bull qui tue et fonce. Sont bien là, dans leur tenue de footballeurs américains, et nous ont livré le show impeccable que l'on attendait. Blank Page, Do You Think, The Village, Unit, On the Fields, les titres s'enchaînent comme à la parade, peut-être Cédric un peu plus prolixe que d'habitude entre les morceaux, nous vend des craques à deux euros qu'il s'empresse de démentir aussitôt, Rémi à la guitare, Robin à la basse, et Maxime aux drums assurent comme des pros. Sept ans qu'ils jouent ensemble... justement c'est là où le bât blesse, Cédric annonce que c'est le dernier concert – reste bien une date au mois de juillet, mais celle-là ne compte pas – c'est ici au Chaudron qu'ils ont commencé et c'est ici qu'ils viennent dire au revoir et merci à leurs fans et à Danny de Nakht qui est venu emplir le micro du tonnerre de sa voix. Pas de dissension amicale, mais la vie qui avance. Deuxième fois en moins d'une semaine qu'un groupe se sépare. Question de génération, une partie de la jeunesse qui s'achève – à son pas de lieuse de gerbes s'en va la vie, sans haine, ni rançon, dixit Saint-John Perse – certes nous n'en sommes pas encore là mais c'est un morceau de vie, un fragment de la fenêtre de l'existence qui vole en éclats, la mort de la bête ne nous fait pas sourire même si elle était en gestation au premier jour de sa naissance. Mais Beast reste impassible, ne cède à aucune tristesse, Legacy, Supporters, Shut the Fuck Up, Like a Blood, Under Pressure, finissent leur set en beauté sous une pluie de t-shirts et de stickers qu'ils nous jettent en offrande, Under Pressure, une dernière farandole se bouscule dans la salle, et c'est la fin irrémédiable.

    GONE WITH THE WIND


    Je rejoins la teuf-teuf un goût un peu amer dans la bouche... One, two, three , four, Five, Rock'n'roll is still alive. Merci Beast. Beast wishes !


    Damie Chad.

    ( Photos : FB des artistes / Mlle Lazurite )

     

    NEGUS N° 3

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    Negus en kiosque. Sont tout heureux, sont désormais maîtres de leur propre distribution, en accord parfait avec l'idéologie d'indépendance communautariste qui s'affirme dans ce numéro. L'est logiquement bon de mettre ses idées en pratique. Faut toutefois se méfier de ce repli sur soi, des meilleures intentions peuvent naître les pires contradictions. Sûr qu'il est inutile d'engraisser ceux qui forgent les chaînes de votre dépendance, mais l'instauration d'une économie noire c'est aussi le danger de s'éloigner de toute remédiation politique. La naissance d'un entreprenariat noir à petite échelle est de prime abord sympathique, mais une trop grande immixtion dans le capitalisme risque aussi à moyen terme de déboucher sur la naissance d'un embryon d'une bourgeoisie noire qui sera davantage un facteur de division de la communauté qu'un outil de libération... Les petits Bolloré aux dents longues n'ont qu'une couleur : celle de l'argent. Exemple à méditer pour Bao qui rêve de créer une chaîne de supermarchés de produits alimentaires noirs : les militants qui dans les années 70 ont créé les premières et rudimentaires et sympathiques échoppes bio en France ont été remplacés par des franchisés financés par des banques qui les poussent de plus en plus à adopter les stratégies de la grande distribution...
    L'est vrai qu'il est râlant de voir que les richesses de l'Afrique profitent aux multi-nationales, de même pour la culture noire qui a inspiré et enrichit des compagnies discographiques et des artistes blancs. Un paragraphe un peu hâtif consacré au rock'n'roll genre musical qui nous semble devoir autant à ses racines blues que country, à la fougue libératoire du rhythm and blues qu'à la frustration explosive des adolescents blancs...
    Longue interview de Mickaël Mancée porte-parole du collectif des 500 frères guyannais. Intéressante, vraisemblablement vieille de quelques semaines – il serait bon de préciser la date – explique les données du problème mais reste des plus évasives quant aux prolongations de la lutte... Remarquons que l'on retrouve les gauches alternatives et radicales de la métropole dans des perspectives aussi tâtonnantes...
    Deux poèmes de Maya Angelou, mais sans doute aurait-il été nécessaire d'agrémenter sa photo d'une notule biographique rappelant son engagement pour la cause de son peuple et qui devint aux Etats Unis une voix aussi reconnue que celles de Malcom X, Martin Luther King et James Baldwin.
    La partie culturelle de ce troisième magazine est plus étendue, cinéma panafricain de Sylvestre Amoussou, interview du millionnaire Sindika Donkolo collectionneur d'art africain, histoire des révoltes noires très documentée, chroniques de livres, et nouvelle de Nicolas Zeiler sur la vie et la mort de Bheki Moyo, Negus nous ouvre des perspectives et fomente curiosités et interrogations...
    Ce numéro 3 de Negus nous plonge dans la nébuleuse noire, faudrait que ce bimestriel en gestation avancée finisse par devenir un mensuel, donne de la tête un peu partout, l'étendue planétaire et historiale de la diaspora noire le nécessite. Avec ce troisième numéro Negus définit ses angles d'exposition et d'attaques - politique, économie, culture – ce qui n'est pas sans contradictions internes inhérentes à toute prise de parole. Dans un premier temps l'on définit ses aires d'envol, dans un deuxième on élabore une stratégie d'extension du domaine de la lutte. La parution mensuelle permettrait d'avancer plus vite. Mais Negus semble vouloir compter sur ses propres forces, une sage précaution. A suivre. Une aventure éditoriale passionnante.


    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUE DE POURPRE N° 211 = KR'TNT ! 330 : THEE OH SEES / T-SHIRT / POGO CAR CRASH CONTROL / SCORES / SEVENTY SEVEN / NEW ROSES / HOWLIN' JAWS / AUSTIN OSMAN SPARE

     

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 330

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    25 / 05 / 2017

    THEE OH SEES / T-SHIRT

    POGO CAR CRASH CONTROL

    SCORES / SEVENTY SEVEN / NEW ROSES

    HOWLIN' JAWS / AUSTIN OSMAN SPARE

     

    I can see Thee Oh Sees
(for miles and miles)

     

    thee oh see,t-shirt,pogo car crash control,scores,seventy seven,new roses,howlin jaws,romain perno,austin osman spare

    Sur scène, Zi Oh Sees développent une telle énergie qu’on pense aux Who. Tous ceux qui ont vu les Who sur scène le savent : aucune équivalence dans l’histoire du rock, aux plans présence et niveau sonore. Pas même Motörhead. Avec sa nouvelle formule de powerhouse à deux batteurs, John Dwyer renoue avec la démesure du Baba O’Rhum cataclysmique qui nous avait explosé les tympans à la fête de l’Huma en 1972.
    Tiens, encore un point commun avec les Who : John Dwyer joue sur une bête à cornes, comme Pete Townshend, sauf que la sienne est transparente. Et comme Pete Townshend, John Dwyer multiplie sur scène ce que les Anglais appellent the antics. Dwyer ne saute pas en moulinant comme Townshend, mais il exécute des pas de danse abyssiniens, ceux du Nijinski de l’Après-Midi d’Un Faune, très graphiques et joliment dingoïdes, pour bien ponctuer l’envoi des violentes rafales de chaos sonique. Il va très loin, bien au-delà du spectaculaire. Comme les Who, il échappe à tous les formats, parce qu’il a su bâtir un monde à son image, celle d’un blaster quasi-incontrôlable.
    Tous ceux qui ont vu les Dirtbombs et les Monsters le savent : sur scène, la double batterie démultiplie l’impact du groupe. Mais on a l’impression que les mighty Oh Sees atteignent un niveau encore supérieur de démesure, car rien de ce qu’ils jouent n’est prévisible. Leurs albums produisent exactement le même effet. Ils sont à la fois tellement libres et tellement puissants qu’ils échappent à toutes les conjectures, et sur scène, l’imprévisibilité des choses fait tout le charme du groupe. Ça veut dire en clair que John Dwyer nous emmène exactement là où il veut. Il manie une sorte de chaméléonisme impénitent qui lui permet de créer la surprise en permanence. D’où l’I can see for miles and miles and miles and miles, d’où cette facilité psychédélique à pulvériser les attentes, d’où cet immoralisme sonique qui se moque des lois de la République, d’où cette volcanisation des thèmes que les instituts de recherche ne parviennent toujours pas à interpréter, d’où cette exubérance intempestive qui ridiculise les tempêtes du Cap Horn, d’où cette manie des irruptions insoupçonnables qu’on accueille à bras ouverts, d’où cette facilité dégueulasse à réinventer le rock, et même pire, à rocker la ré-invention. John Dwyer est un homme à mille facettes. On imagine aisément que les êtres qu’on déifiait dans l’antiquité devaient lui ressembler. Il s’impose par une sorte de charisme à la fois bon enfant et mèche dans l’œil, mais une sorte de rigueur monastique semble charpenter le personnage. Il est bien évident que l’infernale qualité de son jeu de guitare ne sort pas de la cuisse de Jupiter. Il joue exactement ce qu’il faut jouer, sans en rajouter. John Dwyer n’est pas l’un de ces Raymond la science qui s’affichent en couverture des magazines de rock qui ont depuis longtemps sombré dans la vulgarité. Tout le contraire.

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    Il arrive sur scène comme s’il revenait de la plage, après une partie de surf à Malibu. Chez lui, pas la moindre trace de rock-starisation. Juste un homme en bermuda avec sa guitare, des idées et trois bons amis (extrêmement brillants, et qui eux non plus ne la ramènent pas).

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    Justement, on regarde jouer ces deux batteurs et on régale de leur spectacle, de la grâce de leur jeu et de la combinaison de leurs puissances de frappe respectives. Ils jouent tout en parfaite synchronicité, c’est un effarant ballet qui provoque par moments des hallucinations. Ces deux mecs sont beaux comme des apôtres, et de là à voir un Christ en John Dwyer, c’est un pas qu’on franchit avec allégresse dans le feu de l’action.

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    Quand je dis : ces mecs sont beaux, cela veut dire beaux au sens iconique, car les inclinations des visages, le ruissellement des sueurs, les expressions de béatitude, tout cela nous renvoie aux portraits d’apôtres signés par les peintres de la Renaissance italienne. Ces deux batteurs développent une sorte du mysticisme du beat et ne s’accordent aucun repos. John Dwyer veille à ce que leurs batteries soient installées au premier rang. Dès lors, Paul Quattrone et Daniel Rincone jouent à jeu égal avec les deux autres.
    Puisqu’on est dans les parallèles, quelque chose chez John Dwyer rappelle Kim Fowley.

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    Sans doute par le dessin très carré du visage, par la carrure, par le fait qu’il soit lui aussi californien, mais surtout par l’ampleur de sa personnalité. Il y a autant de génie chez John Dwyer qu’il y en avait chez Kim Fowley. Ils mettent tous les deux leurs vies et leurs intelligences respectives au service d’une seule forme d’art : le rock. Et on réalise un peu plus facilement que pour parvenir à ce niveau, il faut ce qu’il est convenu d’appeler une prédisposition.

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    Devenir Kim Fowley ou John Dwyer n’est tout simplement pas à la portée de tout le monde. Le rock est un art suprêmement difficile, ne l’oublions pas.

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    Les débuts du groupe n’auguraient pourtant rien de bon. Essayez d’écouter l’album Sucks Blood paru en 2007 jusqu’au bout, vous verrez, ce n’est pas facile. On trouvait alors ces albums dans le bac garage du Born Bad de la rue Keller et les pochettes piquaient la curiosité.

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    Une sorte de vampire à six dents ornait la pochette de The Master’s Bedroom Is Worth Spending A Night In paru l’année suivante et on y voyait se développer une tendance intéressante, une façon de penser le rock autrement. En entrant dans cet univers musical, il fallait abandonner tout espoir de rationalité. Sur ce disque, tout n’était que luxe arty, calme incongru et volupté désordonnée. Quand on écoutait un cut comme «Grease 2», on se demandait vraiment pourquoi on écoutait ça. On se demandait aussi à quoi pouvait servir ce groupe inclassable. On les voyait explorer toutes les figures de style inimaginables. En fait, ils nous aidaient à sortir du carcan garage qui finit par appauvrir le rock pour le transformer en peau de chagrin. Avec cet album, Zi Oh Sees se comportaient comme d’impavides stylistes soucieux de diversité. On trouvait en B un commencement de début de hit avec «Adult Acid», un hit de pop rocké du ciboulot. Avec «The Coconut», ils passaient au heavy rock en développant dans les textes une bien belle tendance surréaliste et le «Maria Stacks» d’après finissait par captiver grâce à son Maria Maria you dig a hole with words in there. John Dwyer achevait sa B en beauté avec un «Poison Finger» bien vu, puisque monté sur le riff de «Gimme Some Loving», suivi d’un «You Will See This Dog» gorgé d’I want my fun to be free and out of sight. On ne pouvait qu’admirer la diversité de leurs paysages musicaux. C’est là que John Dwyer commença à façonner le monde à son image de tatouage de main percée et de marcel rayé.

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    Un jour, on vit une chauve-souris clouée sur la pochette d’un album. Il s’agissait du fameux Help paru un an plus tard sur In The Red qui était alors LE label de référence, comme l’avait été Crypt auparavant. Dès «Ennemy Destruct» on savait à quoi s’en tenir : John Dwyer cherchait à créer l’événement. Il agissait ni plus ni moins comme un bâtisseur d’empire libre, vous savez, ces empires qu’on bâtit pour jouer, un empire d’Everybody dig in everybody clam up et le mythe du monde libre remontait à la surface, sous la forme d’une nouvelle vision du rock, loin du m’as-tu-vu des solistes grimaceurs et des Stong à la mormoille. John Dwyer donnait le champ libre à sa liberté. On entrait alors dans le tourbillon magique de «Ruby Go Home», John y répétait en boucle son Hey tambourine what that you’re saying d’argent gris joué sur un mood de groove garage assez convaincu de sa légitimité. S’ensuivait une belle gerbe d’espoir nouveau avec «Meat Step Lively» gratté à l’insistance typique. Aussitôt après, avec «A Flag In The Court», il réinventait cette belle ferveur surréaliste qui pour son malheur tomba un jour sous la coupe du dictateur Alfred Breton. John Dwyer racontait n’importe quoi, usant de la liberté comme d’un prétexte à toute forme d’expansion du domaine de la lutte. Et la B s’ouvrait comme un horizon, avec «Rainbow», joli coup de mood garage on the move avec les ba ba ba des Troggs dans un refrain scintillant d’arpèges de SG. S’ensuivait un «Go Meet The Seed» solide et terriblement bien intentionné, avec du I wanna hang way up in a tree arrosé de chœurs des Who, et toujours cette manie simplificatrice de répéter en boucle d’argent gris le même couplet en forme d’objet-prétexte. Avec «Soda St#1», il exacerbait encore plus les choses, on avait là un cut élancé, gratté, chant, œuvré, véritablement inspiré par les trous de nez, une sorte de power-pop luminescente. Attention, le festin continuait avec «Destroyed Fortress Reapers», fantastique progéniture picabiesque d’un rainbow qui n’avait pas le droit de dire non, puis tout s’arrêtait brutalement avec «Peanut Butter Oven». On avait là dans les pattes un disque qui sortait de l’ordinaire, un véritable festin d’idées, une gerbe d’éclats protéiformes, on avait la preuve qu’il existait encore un espace pour le libertarisme dadaïsant et tombouctique. Alors, amis des bêtes et de Tzara, du lama rouge et d’Ornicar, jetez-vous sur ce miroir aux alouettes.

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    John Dwyer confirmait sa pente Dada avec Dog Poison paru la même année. Comme notre homme devenait prolifique, il valait mieux avoir un portefeuille bien garni. Il attaquait avec un «The River Rushes» bien alambiqué et comme toujours sans aucune prétention. Il se payait même de luxe de balancer un solo de flûte complètement délabré. Notons qu’il jouait au seulâbre invétéré sur cet album un peu plus austère que le précédent. Il récompensait la fidélité de ses admirateurs avec «The Fizz», une pop sautillée qui non seulement puait la fuzz, qui avait en plus trouvé l’adresse et qui fell face first at the front door. Cette façon baroque d’amener les choses rappelait bien sûr celle des Holy Moundal Rounders. Avec «Sugar Boat», il fonçait droit sur le ludique barrettien. Mais le Dada se nichait en B avec notamment «I Can’t Pay You To Disappear», un solide romp de pop de so you can do it for free. On ne pouvait pas imaginer plus Dada dans l’esprit. Même chose avec «Voice In The Mirror», pur slab de Dada strut. John stroumphait son Dada stack avec la pire des impénitences ce qui nous permettait d’affirmer à l’époque qu’impénitence et impétuosité constituaient les deux mamelles de John Dwyer. Il enchaînait ce tour de force avec «Dead Energy» joué au processionnaire des fourmis rouges un jour de deuil national. Ça tintinnabulait sous le soleil de Satan.

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    La pochette abstraite de Warm Slime interloquait. On entrait dans ce monde délicieusement hirsute et créatif par la grande porte, c’est-à-dire le morceau titre, sur une face entière. On entendant la délicieuse Brigid chanter au fond d’un cut qui virait en jam de gym nasty, véritable pied de nez à l’ampoulé du prog. John Dwyer révélait là une passion pour Can, traversant avec nous des paysages chantants et variés. Il jouait littéralement la carte de la face, grâce à un hypno de fête à nœud-nœud, où l’on pêche le canard pour gagner un pingouin. On tombait ensuite sur le festin pantagruélique de la B et cet «I Was Denied» assez comique d’I flew away with a friend of mine et d’I got fucked up suffice to say joué à la ritournelle insistante bien vue, oh see bien vue. Encore plus dingue, cet «Everything Went Black» parfaitement décousu, d’un baroque sans queue ni tête, véritable stomp capable d’envoûter une légion romaine, suivi d’un «Castiatic Tackle» joué au pire strut de garage qui fut - What did she ask ?/ Are we good ?/ Yeah I think - Extrêmement solide et parfaitement cognitif au plan textuel. Il bouclait cet album effarant avec «Mega-Feast», véritable coup d’exacerbation trapézoïdale, et «MT Work», joué à la pure énergie créative. Ce groupe fonctionnait alors comme un geyser galactique.

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    On trouvait un redoutable écorché sur la pochette du Carrion Crawler/ The Dream EP paru en 2011. C’était encore une fois foutu d’avance, on sentait dès le morceau titre d’ouverture que l’album allait nous emporter la bouche. Il attaquait ça à la dégringolade d’eat meat/ Fill with holes. Il jouait ça avec un pugnacité illicite qui favorisait l’apparition d’hallucinations. En écoutant «Contraception/Soul Desert», John Dwyer établissait en peu plus clairement sa réputation de créatif illimité. Il emmenait son cut ventre à terre, à la petite exacerbation cadencée, the jewel of a song. Avec un tel homme, on se sentait vraiment en sécurité. En fait, il reprenait le «Soul Desert» de Malcolm Mooney, l’un des chanteurs de Can. Mais il pouvait aussi se faire presque passer pour la réincarnation de Picabia et piloter une Delage coiffé d’un bonnet de cuir. On avait aussi un instro cinglant nommé «Chem-Farmer» et en écoutant cette merveille on savait John parfaitement incapable de décevoir les thuriféraires. Zi Oh Sees redoublaient d’une pratique abusive de la liberté à tout crin. Et la dynamique reprenait de plus belle avec un «Opposition» monté sur un beat de pétarade pète-sec et un clair de son qui permettait de distinguer ces deux choses différentes que sont les cartilages du concept et l’élancé d’une démarche d’accompagnement cérébral. Ah mais le pire était à venir, car en B se nichait «The Dream», doté d’une fabuleuse vélocité de team intime. Ces gens-là savaient compulser dans le même sens et se passionner comme des vierges rouges pour mieux embrasser l’univers. Une fois de plus, ils tapaient dans l’essence de Can, à la bonne franquette hypno. Ils retrouvaient ce sens du panache d’effluve mythique et de plumes d’autruche, on sentait battre le pouls d’une machine de mouvement perpétuel, une véritable tinguelynade d’eau fraîche et d’amour de Sainte-Phalle. On tombait plus loin sur un nouveau trésor ali-babique intitulé «Crushed Grass», joué à la cocotte véloce d’under car et de moon beam, très proche du «Locomotive Breath» de Jethro Tull. Ils y rebattaient les cartes d’une belote de belettes. Une fois de plus, on avait dans les pattes un album créativement rempli jusqu’à la gueule, ce qui devient aussi rare qu’un cheveu sur la tête à Mathieu. Ça repartait de plus belle avec «Crack In Your Eye», extraordinaire fragrance d’univers intermédiaire et constamment visité par des idées de rafles riffales, de grattés dauphinois ou encore d’espolettes pimentées. En prime, John Dwyer s’amusait à screamer ici et là, histoire de nous rappeler la fortitude de son émancipation. On retrouvait dans «Heavy Doctor» les accords que joue Robert Quine dans l’intro de «Blank Generation». Il s’amusait à virevolter dans les trapèzes d’un Barnum post-punk et il ah-ahtait sur des descentes de gamme fuligineuses - It’s just a breeze upon a blood-rich sea - Encore un album dont on sortait à quatre pattes.

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    Une horrible main décrochait un téléphone sur la pochette de Castlemania, un double album qui se jouait en 45 tours. John Dwyer embarquait l’«I Need Seed» au beat pop mod d’I need to throw up the grass. Son beat sautillait dans la prairie, et un vent de liberté soufflait sur le pays. Une fois de plus, il défiait toutes les lois de la physique et ne respectait rien, pas même le vieux principe de gravitation universelle si cher à Newton. Avec «Corprohangist», John Dwyer cherchait un fouet pour se faire battre et traitait sa chanson de tous les noms - Oh yeah this song is sung/ This song is shit - Il sortait la meilleure fuzz de son chapeau de magicien pour un «A Wall A Century» heavy et solidement dérangé, comme ébahi à Tahiti. Il nous faisait le coup de la B qui tue avec une série invraisemblable de smash-cuts, à commencer par un «Spider Cider» joué au prog protubérant, juste pour exprimer ce qu’est le blaze, suivi de «The Whipping Continues», petite heavyness plombée au LSD et relativement pompeuse, au sens de l’Oracle des Zombies de Delphe. Ah, mais il n’allait pas s’arrêter en si bon chemin car voilà qu’arrivait «Blood On The Dock» une pop de pirates, avec un dark ship foating after me, oh no no no et il poussait le bouchon encore plus loin en passant un solo oriental de Mahabarata digne du Barabajagal, ce qui semblait logique vu qu’on retrouvait Donovan dans l’histoire. Il lançait «A Warm Breeze» à coups d’harmo sixties et recréait l’illusion d’une incommensurable diversité des genres, un peu comme si son éventail s’étendait à l’infini, telle l’une de ces japoniaiseries chères à Stéphane Mallarmé qui, souvenez-vous, fut le pape de la rue de Rome.

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    L’homme à tête de chien qu’on voit dans un cercueil au dos de Putrifiers II EP n’est autre que John Dwyer. Putrifiers II EP fut aussi le dernier album des Oh Sees paru sur In The Red. Il attaquait «Waw Face» à coup d’Oh wite ! Quel dingue, ce mec ! On le voyait tirer son son avec opiniâtreté et comme il visait la mad psychedelia, il créait les conditions d’une sévère lactose pariétale. Ses cris relevaient de l’organique et on sentait un mouvement indicible, pareil à celui d’une armée en marche dans un univers en ordre, une troupe compacte et bien gardée sur ses flancs. Il passait à la pop tétanique, et même très tétanique, avec «Hang A Picture». Cet homme n’en finissait plus de se vouloir complet, il tâtait de tous les genres avec un égal bonheur et dressait une nouvelle typologie du rock, d’une manière qu’il voulait exhaustive, sachant bien que l’exhaustivité ne compte pas dans l’absolu de la relativité. Il revenait à un format plus garage avec un «Flood’s New Light» bien martelé et chanté à l’ersatz de voix. En B, il nous régalait de «Lupine Dominus», une pop joliment enveloppée, montée sur un thème de guitare bien gras qui pouvait à la limite sonner comme une trompette wha-wha, ce qui ne manquait de nous galvaniser.

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    Avec Floating Coffin et sa pochette sucrée aux fraises, John Dwyer ouvrait l’ère Castle Face, un label aventureux au logo protéiforme. Il donnait le la avec un coup de grisou garage, «I Come From The Mountain», bien cavalé à travers les hautes plaines. Et toujours ces wow ! suivis de plongées en enfer. Comme dans ses autres chansons, il shootait un couplet en boucle d’argent gris - Girls like to smile half the time/ Boys are the trouble all the time - On avait là un vrai hit sauvage. Il en ramenait un autre à la suite, le fameux «Toe Cutter/Thumb Buster», épais et mélodieux, magnifique d’élévation spirituelle. Il le revisitait au thème gras et altérée. On avait là un cut incroyablement beau et paisible et il n’en finissait plus de relancer son équipage. Il revenait à sa vieille passion pour Can avec «No Spell», hypno à gogo ponctué de wow de la Wells Fargo. Et puis il bouclait l’A avec «Strawberries One & Two», une mélasse lysergique à l’étique raréfiée, mais il n’en cherchait pas moins l’espace du promontoire prométhéen, ainsi que des avances sur recettes. Oh et puis en B, il exultait avec «Maze Pancer» - No brains inside of me ha !/ Nothing inside of me ha ! - Il s’esclaffait alors que son char filait à train d’enfer à travers la morne plaine de Mésopotamie. Son attelage étincelait sous le soleil. Il jouait plus loin un «Sweets Helicopter» en mood de mode Pinder sous la voûte étoilée d’un chapiteau, avec des accords voltigeurs et des animaux en peluche.

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    Avec Drop, John Dwyer inaugurait la série des pochettes ratées, au nom de la liberté, bien sûr. Il attaquait avec un «Penatrating Eye» joué au heavy bulbique, une histoire d’œil volé. On se retrouvait confronté une fois de plus à la réalité d’un mec comme John Dwyer, incapable de se prendre au sérieux. Il chantait ensuite «Encrypted Bounce» d’une voix d’ange de miséricorde, sur un joli beat de rase motte. Il y avait encore là de quoi nous fasciner jusqu’à l’os du genou. Il s’agissait en effet d’un cut monté à l’idée pure, conçu dans un esprit de maniaquerie invétérée, digne d’une vestale vénale. Et en B ? Eh bien, il s’y passait des choses pour le moins intéressantes, comme ce morceau titre amené en forme de garage pop d’I don’t expect to see you again oh yeah, avec de la fuzz plein la bouche. Il enchaînait ça avec un «Camera» chargé de mad desire, celui de porter les visages des autres hommes. Pas facile. S’il fallait s’appesantir sur un cut, ça ne pouvait être que «Transparent World», joué au groove ambigu de fusion saxée sur une belle bassline de Chris Woodhouse.

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    Un drôle de monstre armé d’un flingue spongieux orne la pochette de Mutilator Defeated At Last. On était tout de suite frappé de plein fouet par l’énorme «Whitered Hand» qu’il joue encore aujourd’hui sur scène, un hit athlétique et complètement fascinant, sur lequel il bondit de droite et de gauche comme un Nijinski devenu apoplectique. Par contre, «Poor Queen» allait plus sur la pop. Il jouait ça aux accords byzantins de cristal d’apothicaire du Carrefour de Buci, d’autant qu’il s’agissait d’une bonne nouvelle - the queen willl live/ To see another day - Il enchaînait avec un «Turned Out The Light» presque glammy dans l’essence, un cut admirable et juteux comme un fruit trop mur. Et puis il bouclait l’A avec «Lupine Ossuary», un instro joué à la virtuosité paganinique. Franchement, ce mec pouvait tout se permettre, comme le montrait encore «Holy Smoke», un hit de B, une sorte de carpaccio d’arpèges frelatés et servi sur une fine couche d’ambre jaune.

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    L’an passé sont sortis trois albums des Oh Sees, à commencer par l’un des plus beaux albums live de tous les temps, Live In San Francisco. Ça démarre avec l’effarant «I Come From The Mountain» tiré de Floating Coffin, traité ici en violent mode garage californien, joué à la tonne de son et savamment vrillé de solos. Et c’est là qu’on retrouve la powerhouse des deux batteurs, et croyez-moi, ça change tout. Ils enchaînent avec «The Dream» tiré du Carrion Crawler/ The Dream EP. Derrière John Dwyer, ça bat comme chez les Pink Fairies, ça joue à l’extrême clameur d’Elseneur. Ils embarquent «Tunnel Time» au beat de ventre à terre, au pulsatif compulsif. Tim Hellman gratte du bassmatic à flots continus. Heureusement qu’il joue sur Ricken. Ils attaquent la B avec un «Web» tapé au groove anglican et les Oh Sees suent sur «Man In A Suitcase». Oh les Oh Sees savent ! Ils jouent l’organique à l’état le plus pur. Tiens, revoilà l’excellent «Toe Cutter/Thumb Buster» tiré de Floating Coffin et riffé à la Teddy Bear, mais complètement dérangé au plan sonique. John Dwyer barde son art de son et crée les conditions de l’extravagance. Il ramène le souffle d’un Abel Gance dans le rock moderne. Ils attaquent la C avec l’infernal «Withered Hand» tiré de l’album précédent, véritable blast de powerhouse, une branle se met en branle, alors si ça n’est pas du blast, qu’est-ce donc ? Rien de plus déterminant qu’une powerhouse décidée à en découdre. Avec «Gelatinous Cube», John Dwyer claque ses chœurs et profite de la moindre étincelle de frénésie pour sombrer dans le chaos. Il joue la carte des frénétiques de l’Avant siècle. Ils bouclent en D avec un «Contraption» survolté que vient concasser un chorus spatial et aventureux. John Dwyer a mis au point une formule infaillible. On se régale de cette énorme jam entreprenante. On parle de cette face cachée comme on parlerait de l’œuvre de toute une vie.

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    Pochette à la Chirico pour A Weird Exits paru la même année, mais un Chirico qui irait mal. Ça commence par une belle énormité, «Dead Man’s Gun» tarabusté vite fait et fracassé par un solo signé Dwyer. C’est joué à l’hypno fatidique et Brigid Dawson vient faire des voix de Bogus Man avec cette bête de John. On trouve en fin d’A un «Jammed Entrance», c’est-à-dire un instro tendancieux. On s’y perd en conjectures, tant l’automatisme prévaut. Picabia aurait adoré cette dynamique interne de piston polyglotte à poil dru. On retrouve l’hypno magique des Oh Sees en B avec un «Plastic Plant» chanté à la voix blanche et ils enchaînent avec le faramineux «Gelatinous Cube» qu’on trouve aussi sur l’album live. John Dwyer file en mode garage punk, avec cette façon exclusive de trousser des petits éclats de solos, pendant que la bassline ondule comme le ventre d’Oum Kalsoum sous le satin des draps du Cheik en blanc.

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    John Dwyer explique que l’album An Odd Entrances paru lui aussi en 2016 est le petit frère du précédent - An appendix, if you will - On s’y régale d’un «The Poem» joué au bel arpeggio de Giotto. Ce sacré John Dwyer semble même se prélasser dans la coquille de Boticelli. On retrouve son appétence pour la pop en B avec «At The End Of The Stairs». On sent chez lui le pape de plage, le ponte du peuple. La pop n’a plus de secret pour cet homme. Et puis on tombe sur une merveille, «Nervous Tech», joué sur un tapis de brousse de basse, très Can dans l’esprit. John Dwyer continue de repousser les frontières du possible. C’est un acharné de l’acharnement, il veut absolument ne rien devoir à personne. Son instro tentaculaire en laissera plus d’un grosjean comme devant. Ah, il faut avoir écouté ça au moins une fois dans sa vie si on veut mourir moins bête, d’autant que ça s’inspire du «Go Ahead John» de Miles Davis. Pas de meilleure source ici bas.

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    Alors, au point où on en est, on peut aussi aller fureter dans les compiles des Oh Sees, tiens par exemple le volume 3 des Singles Collections. On y trouve des démos, des inédits et des reprises. Quand on sait de quoi est capable John Dwyer, on ne risque rien. On trouve dans ce volume 3 une fantastique démo de «Crushed Grass» montée sur une bassline brontosaurique, une vraie monstruosité lovecraftienne. John y couine comme l’orfraie d’Alfred de Vigny. Ils font aussi une reprise de «Burning Spear», un cut de Sonic Youth, mais John Dwyer l’allume aux lampions de la folie expressionniste, et ça déferle comme des paquets de mer sur nos hures de pauvres ères. Aucun égard pour la mansuétude ! Avec «What You Need», John Dwyer retourne dans la pampa pousser des woo ! et des yooo ! Il adore ça. En B, on tombe sur le processionnaire «Always Flying», sur un «Devil Again» sautillé comme chez les Vibrators et un fantastique «Block Of Ice» live joué au groove profilé sous le boisseau d’argent. C’est une fois de plus l’épitôme du renlentless, l’apologie du jusqu’au-boutisme de Jean Grosjean comme devant, petit neveu du célèbre bagnard échappé de l’île du Diable à la nage.


    Signé : Cazengler, pas Oh See mais Ah See (à table)

    Thee Oh Sees. Sucks Blood. Castle Face 2007
    Thee Oh Sees. The Master’s Bedroom Is Worth Spending A Night In. Tomlab 2008
    Thee Oh Sees. Help. In The Red Recordings 2009
    Thee Oh Sees. Dog Poison. Captured Tracks 2009
    Thee Oh Sees. Warm Slime. In The Red Recordings 2010
    Thee Oh Sees. Carrion Crawler/ The Dream EP. In The Red Recordings 2011
    Thee Oh Sees. Castlemania. In The Red Recordings 2011
    Thee Oh Sees. Putrifiers II EP. In The Red Recordings 2012
    Thee Oh Sees. Floating Coffin. Castle Face 2013
    Thee Oh Sees. Drop. Castle Face 2014
    Thee Oh Sees. Mutilator Defeated At Last. Castle Face 2014
    Thee Oh Sees. Live In San Francisco. Castle Face 2016
    Thee Oh Sees. A Weird Exits. Castle Face 2016
    Thee Oh Sees. An Odd Entrances. Castle Face 2016
    Thee Oh Sees. Singles Collection Volume Three. Castle Face 2013

     

    17 / 05 / 2017PARIS
    NOUVEAU CASINO
    T-SHIRT / POGO CAR CRASH CONTROL

    Jamais mis les pieds au Nouveau Casino. A l'ancien non plus. Une appellation qui empeste un peu trop l'hypermarché, mais non, pas d' assimilation hâtive et hasardeuse, une véritable salle de concert au plafond capitonné qui doit pouvoir accueillir près de trois cents personnes. Une programmation longue comme un jour sans rock'n'roll, et la file des fans qui attendent devant la porte. Salut à Marie arrivée la première à dix-huit heures trente tapante dans son T-shirt au logo assassin de Pogo Car Crash Control.

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    T-SHIRT


    Personne ne les connaît. Prétendront que c'est leur premier concert – du moins dans un lieu moins exigu que leur appartement - même si l'on retrouve des traces d'antérieures apparitions dans la mémoire inquisitoriale du Net. De toutes les manières on les sent un peu tendus. Mais l'assistance ne sera pas cruelle. C'est qu'ils vont prendre de l'assurance au fil des morceaux et arriver à établir le contact.

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    Groupe mixte mais sans parité, une fille deux garçons. Difficile de définir le style, les deux premières entrées en matière, Mide and Hyper, flirtent avec le white rock, guitare filante et rapidité du drummin', mais ces caractéristiques vont s'effilocher au fil des morceaux. Léa se cache derrière ses lunettes et le micro de sa voix exigerait que l'on hausse le ton, la guitare surfe mais deviendra de plus en plus affirmée tout le long du set. Première caractéristique, les fins impromptues qui vous laissent sur votre faim. Les morceaux sont aussi courts que leurs titre : Heaven, Dates,Triton, Razor, Cold, Sloan... Serait-ce l'indication d'une allégeance vertueuse à l'esthétique des Ramones ?
    Rien de novateur, T-Shirt joue un rock basique sans surprise mais bien balancé, tout compte fait agréable à écouter. Des murmures d'approbation monteront de la foule au fur et à mesure que Toma appuie de plus en plus sur ses toms et que Luc à la basse double la voix de Léa. A moins que je n'aie inverti les deux prénoms. L'est sûr que l'appétit vient en mangeant et notre trio prend du poil de la bête au fur et à mesure qu'il déroule sa set-list. Z'ont encore le problème de l'ampleur du son à résoudre. Faut lui donner une couleur et une tessiture qui deviennent marque de fabrique à part entière, ce qui est sûr c'est qu'un jour ou l'autre nous repasserons sur notre torse velu le même T-Shirt.
    Sortent de scène sous les applaudissements ce qui n'était pas donné de la part d'une assistance venue pour les P3C...

    POGO CAR CRASH CONTROL


    En attendant Pogo... noir absolu parcouru de glauques luminescences... la tension monte de douze crans en moins d'une seconde, de la sono émerge un glas fatidique et irréversible, ce qui s'avance vers vous dans le lent égrenage de cette lourde ponctuation sonore, c'est la statue du Commandeur qui s'en vient demander sa ration d'âmes, les nôtres, tremblantes d'excitation à l'idée que dans quelques secondes débutera le grand transbordement énergétique.

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    Déchirure. La salle explose. Jusqu'à la fin du set ce ne sera plus qu'un horrible pandémonium de corps agités et entremêlés. Les Pogo ont frappé. Ne sont en rien des adeptes de la montée en puissance. Donnent tout et tout de suite. Sans attendre. Sans pitié. D'abord la voix, ce rut de colère, cette vomissure sanglante, qui défèque du plus profond des entrailles de la révolte métaphysique adolescente, le non définitif jeté en défi à la platitude du monde, le veto bestial s'opposant à la tristesse des existences, la condamnation excrémentielle de nos conditions de survie, tout ce crachat de haine et de rage amalgamé dans le rugissement royal des déglutitions vocales d'Olivier, il n'ouvre pas la bouche, il lâche les fauves dans l'arène néronienne de nos frustrations, et puis le reste, toute la musique que je déteste psalmodie Tante Agathe, ce déluge scansique, cette transe diluvienne, cette boule de foudre et de flamme noire comme la nuit qui détruit tout sur son passage, vous percute, vous traverse, vous éparpille, vous cendrifie, qui ne vous lâche plus, qui sans cesse revient sur vous, s'acharne, vous piétine, vous disperse, vous poudroie et vous rend à la poussière de vos égotistes petitesses.
    Une seule consolation dans cette humiliation, c'est qu'ils ne sont pas mieux lotis que vous, ne font pas le show, sont eux-mêmes dans le froid de la tourmente de leur radicalité, le rock en tant qu'ascèse orgiaque, Dionysos à tout instant démembré en un rituel ultime cent fois recommencé. Jouer à perdre haleine, puisqu'à chaque fois c'est le sort du monde qui est en jeu, que la guitare se désaccorde que le venin s'épaissit en une gangue de matière noire, l'étron fécal alchimique qui se doit d'être transfiguré en le grès rouge de tous les triomphes, Alexandre forçant les rives du Granique, entraînant ses compagnons dans les escarpements du surpassement de soi-même et des autres.
    Même Lola. La douce Lola. La frêle blondeur de Lola. Désormais guerrière provocatrice. Ponctue d'un triple coup de poing définitif, les soubassements néandertaliens, ces rafales sismiques de secousses telluriques dont les soubresauts répétitifs parsèment de cataractes géantes le long torrent tumultueux qu'est l'échevellement musical, le scalp trombinoscopique des Pogo. S'avance au bord de la scène, darde ses yeux sur vous, de longs traits de haine qui vous fusillent à bout portant, et puis recule avec ce sourire roué et en même temps naïf qui parcourt le visage des douze princesses des mortifères ballades de Maeterlinck, celles qui vous rongent l'âme, l'air de rien mais plus gloutonnes que le serpent Apophis qui vous attend dans la barque de votre éternité compromise... Petite fille cruelle qui arrache méthodiquement d'un sourire angélique les ailes des abeilles, juste pour leur apprendre à ne pas voler.
    Torse nu, d'une pâleur qui n'est pas sans rappeler la terrible bancheur cahalotique de Moby Dick, Louis à la batterie, sabote notre ouïe. L'on n'aperçoit que ses bras sémaphoriques, sémaphoniques, levés très haut – comme des signes d'appel et d'invocation des divinités du mal. Doit bien les rabaisser de temps en temps sur ses toms pour leur faire la peau comme le prouve le roulement continu des huit sabots de Sleipnir le coursier frénétique qui galope et tournoie sans fin dans un ébranlement rythmique infini.
    Flash sur la salle. Des corps sont portés à bout de bras comme des victimes expiatoires que dans un enthousiasme délirant l'on emmène en offertoire devant la scène afin qu'elles soient honorés d'un regard approbatif d'Olivier qui n'en continue pas moins de violer sa guitare et d'éructer le chant tribal des hordes fratricides. Certaines sont déversées sans ménagement sur la scène, s'enroulent dans les fils, mouches engluées dans la toile de l'aragne, s'écroulent par terre entraînant avec elles dans leurs efforts reptatifs de délivrance les pieds de micros. Inutile de s'inquiéter, Royaume de la Douleur, Hypofhèse Mort, Paroles M'assassinent, Rire et Pleurs, toute cette folie est inscrite et préfigurée dans les paroles du groupe. Jusqu'à ce quidam qui s'empare du pied du micro, ne le lâche plus et en tape résolument le sol comme s'il voulait écraser les serpents du désespoir de la chevelure vipérine de Méduse qui chaque matin nous sert de miroir. Olivier agonise sur le sol, mais tel le phénix se relèvera et renaîtra à plusieurs reprises de ses flammes auto-combustatoires.
    Apocalypse terminale, débâcle, carnage, carambolage, Olivier lance les hostilités, prophétise notre futur injonctif, Crève hurle-t-il et la sarabande de la démence s'empare des esprits. Difficile d'en relater un compte-rendu objectif, les deux guitaristes sont dans la salle et Simon se lâche, lui qui avait été particulièrement brutal envers sa guitare durant tout le set, lui qui s'était lancé dans des vocaux astringents comme des tentacules de pieuvre ne se retient plus. Slide sur les cordes avec le cromi, obtient ainsi une espèce de vomi grésilique de crocodile des plus délicieusement alligatoriens. Et c'est fini. Tout s'arrête. Vous savez bien que cela finirait ainsi mais la pierre froide du tombeau s'est refermée sur vous et vous êtes définitivement seul. Tout le monde se regarde, l'on touche un peu son voisin pour savoir s'il est bien vivant. Malaise général. Comment se raccorder à la réalité après une telle effulgence. Une seule échappatoire, un rappel, retournent enfin sur scène, dégoulinants de sueur et d'eau dont ils se sont abondamment aspergés dans les coulisses pour éteindre le feu inextinguible du rock noise qui court encore dans leurs veines. Reviennent épuisés mais le sourire de la victoire aux lèvres. Olivier nous traite d'américains puisque l'on demande more à mort. Et ajoute qu'il est a lonely guy. Toutefois adulé rajouterons-nous. Un dernier Crash Test. Dantesque. Démentiel. Et nous les laissons partir.
    Pogo Car Crash Control. Souvenez-vous de ce nom. Ce n'est pas seulement un bon groupe. Ces jeunes gens sont en train de construire une légende.

    ( Photo : FB : Guendalina Flamini )


    Damie Chad.


    21 / 05 / 2017SAVIGNY-LE-TEMPLE
    L'EMPREINTE


    SCORES / SEVENTY SEVEN
    THE NEW ROSES

    Dimanche après-midi, L'Empreinte, Savigny-le-Temple, dix-huit heures, horaire un peu inaccoutumé pour un concert, mais à ne pas manquer, trois groupes, j'ignore tout des deux derniers, mais ce n'est pas pareil pour le premier, The Scores, un concert pas tout-à-fait comme les autres, le groupe a annoncé sa dissolution, deux ans et demi que nous les suivions sur KR'TNT !

    SCORES

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    Sont là tous les quatre, Elie Biratelle à la basse, Léopold Leroy et Simon Biratelle aux guitares, Nicolas Marillot engoncé dans sa batterie, lancés dans une intro tonitruante lorsque de derrière les amplis où il s'était tapi surgit Benjamin Biot-André, s'empare du micro comme d'une hache d'abordage et entame autour de sa hampe une danse scalpique des plus sauvages, les Scores nous livrent le set définitif, seulement sept titres mais sans une once de graisse, sept épures magistrales, parfaites, l'essence d'un rock'n'roll qui flirte avec le hard sans jamais s'appesantir en des clichés par trop appuyés, trois guitares inspirées poussées grand vent par la frappe multiplicatrice de Nicolas, Good Night, Naughty Angel, Leave me Now nous tombent dessus, énergie à l'arrache au service d'une architecture mûrement maîtrisée, trois traînées d'or ruisselantes telle la semençale pluie de Zeus entre les cuisses de Danaé, et puis Ben prend la parole, explique que c'est le dernier set, à l'Empreinte, là où ils avaient débuté, évoque en mots simples ces cinq années d'amitié fraternelle et toutes ces rencontres que l'existence du combo a générées, phrases émouvantes qui bénéficient de l'attentive compréhension du public qui pour une grande partie les découvre, et qui se demande le pourquoi de cette séparation, alors que le groupe fait preuve d'une cohésion exceptionnelle. L'on sent la salle touchée, mais Scores repart avec Forget About It – il est des moments de sincérité qui ne s'oublient pas - Take a New Turn – titre prophétique – mais le meilleur est à venir, une version de Born To Be Wild d'une justesse bouleversante, les Scores se sont appropriés le morceau, y ont imprimé leur marque, l'ont customisé à leur manière, en ont saisi le balancement particulier créé par cette ligne de basse et ces riffs de guitare qui ont l'air de se marcher dessus, Ben magistral au chant, pas de criaillerie, mais sa voix évoque le moutonnement infini de l'asphalte et ce désir fou de liberté et cette appétence pour le goût sauvage de la vie qui reste une des vertus cardinales du rock'n'roll, public subjugué, longs applaudissements, et puis le plus amer, Hammer of Life, le dernier titre, la philosophie à coups de marteaux, ce besoin irrépressible proprement humain de casser les plus beaux jouets que l'on a soi-même fabriqués, la musique nous remplit et nous transporte, mais l'impression que plus personne n'écoute, l'assistance stupéfaite, silencieuse, chacun renfermé en soi-même à méditer sur la réalité des songes qui ne collent à vos doigts qu'un bien court moment et puis s'enfuient l'on ne sait pas trop pourquoi, le chef d'oeuvre s'achève, Ben nous remercie, des mots de braise et de feu, évoque la fin d'un cycle qui se termine sans haine et sans tension et d'un autre qui ne manquera pas de s'ouvrir, Scores est arrivé au bout de son sillon, l'oeuvre est accomplie, la boucle est en train de se refermer, et c'est tout, et les applaudissements éclatent, chaleureux, infinis, ils sont sortis depuis longtemps de scène que le crépitement des remerciements continue... Un instant de grâce et de gratitude. Le concert aurait pu s'arrêter là que rien n'aurait manqué, il est des moments d'une telle intensité qu'ils se suffisent à eux-mêmes, merci SCORES pour tout ce que vous avez accompli, et ce set de toute beauté qui sut accrocher un reflet d'éternité.

    SEVENTY SEVEN

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    The show must go on... scène vide, retentit une musique western d'Ennio Morricone, l'on ira jusqu'à la fin du morceau avant que '77 n'investisse le plateau, trois grands gaillards devant – à croire qu'il faut passer sous la toise pour entrer dans le groupe - mais non le quatrième est d'un gabarit bien plus modeste, un freluquet quand on le compare à ses acolytes, Andy Cobo s'installe à la batterie. Etonnant. L'est comme ces boxeurs qui ne connaissent que deux parades, le crochet du droit et le crochet du gauche. Vous refile cent fois de suite le même plan, légèrement de profil, orienté selon sa caisse claire, idem pour le break, la même distribution à chaque fois. Mais, il y a un mais. Cela pourrait être monotone. Pas du tout, vous dégage un train d'enfer, une machine gun inépuisable, une pêche infernale, d'une efficacité exemplaire, un plaisir extraordinaire à le voir jouer, avec sa coupe de cheveux à la P. J. Proby, son allure de gamin, et sa manière de bomber le torse, de lever le poing et d'exhiber fièrement les muscles de ses bras après chaque folle exagération rythmique, il pousse le groupe d'une façon insensée. D'autant plus folle que les trois tueurs de devant n'ont pas besoin qu'on leur donne le mauvais exemple. Arnaud Valeta et LG Valeta sont aux guitares, pas de la valetaille de dernière zone, vieille Gretch écaillée pour Arnaud et Gibson guère en meilleur état pour LG, viennent de Barcelone, sont comme tout Espagnol qui se respecte donnent l'impression d'avoir toujours une paella sur le feu et un taureau à tuer. Un bicho trucidé chasse l'autre vitesse grand V. Vous envoient de ces estocades de riffs à vous transpercer le corps, de l'acier de Tolède trempé, flexible et imparable. A la basse Guillem Martinez ne s'en laisse pas compter. Vous coupe les oreilles et vous hache la queue cent coups férir. A eux trois ils vous tissent un rideau de fer hardique impénétrable, et avec Andy par derrière qui vous bat la sangria à l'agua ardente, vous avez intérêt à vous faire du souci. Ses congénères le laissent tout seul pour un petit ( en stylistique cela s'appelle de l'antiphrase ) solo, nous montre tout ce que l'on subodorait qu'il devait savoir faire, nous expose à loisir, son truc à lui pour dézinguer le zinc des zimballes, l'on dirait qu'il les crisse avec des griffes de chats, vous scratche la crash et vous ride la ride, un gamin instable qui ne peut s'empêcher de taper de-ci de-là, l'on ne sait pas pourquoi, les baguettes en vadrouille, la pédale qui tamponne la grosse caisse, arrêt-buffet, en profite pour gonfler le biscoto de son bras droit à la Popeye voulant impressionner Olive et brusquement c'est la fixette sur el cencerro, je vous sers le terme hispanique, en français ce serait cloche à vache, heureusement d'ailleurs que la bovidette n'est pas là, sinon elle vous prendrait une de ces dégelées à mériter l'urgente intervention de la SPA, bref la cowbell il vous la fait meugler à faire trembler les loups les plus féroces de peur dans les alpages, l'anarchie totale et une miraculeuse architecture, de quoi flanquer une jaunisse sidérante ( et une leçon d'harmonie transgressive ) à tous les timbaliers du London Symphonic Orchestra, en tout cas l'assistance applaudit à tout rompre, tandis que ses compagnons reviennent opérer une dernière razzia de guitares sans retard. Quittent la scène sous les acclamations. Seventy Seven, pure jouissance rock'n'roll.

    THE NEW ROSES

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    Faudra quatre morceaux pour entrer dans les corolles carnivores des Nouvelles Roses. Après la tornade des Seventies, la tâche me paraissait quasi-impossible. Mais vont y réussir complètement. Efficacité allemande. Vitesse et confort. En douce, vous enveloppent l'air de rien, s'entendent comme des larrons en foire de Berlin, normal viennent d'outre-Rhin, vous enfonce dans la meilleure ouate astringente que vous trouverez sur le marché. Hardy est aux drums et Urban Berg à la basse, vous filent le chewing-gum de base, malléable à volonté et d'une élasticité à toute épreuve, refuse de se désintégrer, de se réduire à quelques filaments filandreux qui vous prennent les amygdales au lasso, une section rythmique de rêve sur laquelle vous pouvez tout vous permettre. Cela tombe bien car les deux ostrogoths restants profitent largement de l'aubaine, Norman Bites et sa Gibson en V, vous la manie comme vous un pique-date pour attraper les olives lors de l'apéritif, une dextérité, une habileté confondante, l'en fait ce qu'il veut et il lui demande le maximum, déjà de sonner juste durant qu'il joue, les esprits chagrins avanceront que c'est la moindre des choses, absolument d'accord mais Norman n'est pas homme à perdre le nord, profite du fait qu'il soit sur scène pour parfaire son parcours santé, déambule comme un dératé de long en large, exercices d'assouplissements divers, enchaînement de vertigineuses postures dignes de l'atha yoga, s'arque-boute le dos en arrière à s'en faire péter la moelle épinière, saute, bondit, s'enveloppe la tête de ses longs cheveux, un mélange détonnant de narcissisme et d'attention aux autres, immobilise ses doigts en plein milieu d'un solo pour que le photographe puisse réussir son cliché, surveille attentivement du coin de l'oeil les trois gaminos tout devant leur scène, leur sourit, leur serre la main, leur refile ses médiators, entre temps il joue, et plutôt mieux que bien, à peine touche-t-il ses cordes que cela s'entend, de la haute précision, vous envoie de ces riffs à l'indolence de panthère, à la royal tiger, tachetés à la léopard, l'est chamanisé, habité de l'aisance majestueuse des félins... Timon Rough est au centre, le grand sorcier c'est lui, guitare d'appoint et de pointe, accompagnement et notes qui vous transpercent et vous déchirent, mais au bout d'un moment vous n'y prenez plus garde, vous envoûte de sa voix, épine acérée et suavité des roses, légèrement éraillée, style expérience du baroudeur à qui on ne la fait pas qui a tout connu et tout vécu, la module savamment, l'en profite pour vous engranger dans ballades envoûtantes, les guitares pleurent et votre coeur saigne, vous hypnotise, vous emmène où il veut, commence tout doux mais très vite la machine s'emballe et ça prend une ampleur majestueuse, technicolor et coucher de soleil, le vent courbe les épis de blé, subitement la tempête déboule et déracine les arbres, et enfin un soleil mélancolique baigne le paysage, mais inutile de recourir au suicide il existe des remèdes à tout explique-t-il, une fille perdue et dix dives bouteilles de whisky retrouvées, ivresse joyeuse, et voici un boogie d'enfer qui vous déboule dessus pour vous entraîner dans une course folle... Reviendront pour un rappel de quatre morceaux, deux trip ballades à vous faire gémir sur les morts de Roncevaux et deux hard songs qu'ils ont dû mal à terminer, remettant à chaque fois que le moteur s'arrête de la gazoline dans le réservoir et c'est reparti pour un tour de piste à fond de train, sortent sous les acclamations du public dont une grosse partie est manifestement composé de fans avertis.

    BEAUTIFUL FRIENDS


    Les Scores sont dans le hall, possèdent et vibrent de l'indéfectible beauté de la vingtaine, viennent d'offrir et de partager le reliquat de leurs deux disques et de leurs t-shirts, sont maintenant maintenant réunis en cercle – ring of fire - restent soudés entre eux, même s'ils se séparent, chacun ira son chemin, encore incertain, mais mille pistes d'intensité inexplorées les attendent. Rock'n'roll can never die !

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    Damie Chad.


    CONSEIL / CLIP
    POGO CAR CRASH CONTROL

    REALISATION ROMAIN PERNO

    TEASER


    Savent faire monter la sauce les Pogo d'abord un teaser pour annoncer la parution immédiate du Clip. Tête totémique de mort sanglante qui se décharne vitesse grand V jusqu'au squelette final en neuf secondes. Plus la mâchoire inférieure qui rigole. Bientôt un nouveau clip en lettres rouges s'inscrit sur l'écran. Grand guignol pré-néolithique. Esthétique sauvage écriront plus tard les ethnologues.

    CONSEIL

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    Hall blancheur aseptisée d'hôpital. Psychiatrique. Inutile de préciser, vous vous en doutiez. Nouvelle méthode, thérapeutique douce, on laisse les pensionnaires vaquer à leurs occupations habituelles. Afin de ne pas provoquer le stress supplémentaire que ne manque pas d'induire une coupure par trop brutale avec les comportements existentiels antérieurs à l'enfermement. Me permettrai pas de condamner cette cure médicale d'un genre nouveau, me contenterai d'en juger sur pièce au vu des résultats. Que nous devons avouer déplorables.
    Certes l'on a remplacé la bonne vieille camisole de force par un t-shirt d'un blanc immaculé et d'un futal noir ébène, et on leur a refilé leurs instruments. Les pauvres, par un réflexe pavlonien du pire effet se sont précipités dessus et se sont lancés dans une répétition, peut-être même se croient-ils en leur cerveau dévasté en plein concert. Le document que nous communique si aimablement le docteur Romain Perno est des plus intéressants. Réalisé avec un scanner des plus révolutionnaires. Le principe en est simple. Au lieu de vous refiler des coupes gélatineuses de synapses en pleine action, totalement incompréhensibles pour tout individu dépourvu d'un diplôme d'ingénierie scanique, la bécane traduit l'activité mentale des neurones en les donnant à lire comme ces réactions émotionnelles qui affectent votre visage lorsque vous recevez un courrier de votre percepteur vous réclamant cinq ans d'arriéré-d'impôts.
    Terrible et effarant spectacle. La caméra se fige sur le visages de nos P3C, les images se bousculent et se coagulent, un cauchemar épileptique, les plans se succèdent et s'entremêlent, ruptures schizophréniques et fractures paranoïaques se chevauchent, rien de stable, tsunami de rictus démoniaques, éclats du miroir de l'âme fragmentée, brisée, éparpillée, tous atteints, irrémédiablement, accrochez-vous c'est la réalité du monde qui se fragmente, je n'ai jamais vu ça grommelle le docteur Perno, et j'ai bien peur que ce ne soit transmissible, une espèce de virus mental qui affecte ceux qui se trouveront pris dans les rayons de leurs yeux globuleux d'un bleu si pur, une catastrophe, je crains de rester dans la mémoire de l'humanité comme l'inventeur du bacille de Perno, le plus répugnant qui soit, vous rendez-vous compte cher Damie, encore quelques mois de recherche et j'aurai isolé le microbe de la folie. Une espèce de fibrome méningé dont la propagation se révèlera cent mille fois plus dangereux que le virus du sida. Je prévois une pandémie qui risque d'éradiquer l'espèce humaine de la planète.
    Je me hâte de répondre : certes cher Doctor Perno, c'est parti pour un sale pastis mais il y a tout de même un bon côté à ce phénomène, ce qui est mauvais pour l'humanité est visiblement et auditivement très bon pour le rock'n'roll ! Evidemment rétorque-t-il, si vous le prenez ainsi, mais restons sérieux, je vous en conjure interdisez-vous de révéler à vos lecteurs l'existence de cette vidéo... Vous risquez de déclencher l'apocalypse cérébrale générale. Je me demande même si je ne devrais pas vous interner sur l'heure. Quatre armoires d'infirmiers s'approchent de moi matraque plombée en main, je hurle, ne me touchez pas bande de brutes, mais il est déjà trop tard... Effet rédhibitoire soupire tristement le Doctor Perno.


    Damie Chad.

    THE HOWLIN' JAWS

    COMIN' HOME / I'M HOWLIN'

    DJIVAN ABKARIAN : double basse – vocal / BAPTISTE LEON : Drums / LUCAS HUMBERT : guitar

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    Comin'Home : la voix devant comme jamais sur un enregistrement des Jaws, derrière big mama et la guitare de Lucas qui sonnent le tocsin, mauvais augure qui se concrétise très vite, Djivan plus pressant que jamais, la batterie de Baptiste qui s'effondre en une dégringolade de fin de monde, Lucas qui finit la catastrophe d'un solo au couteau de commando et Djivan qui vous jette le vitriol de son vocal à la figure, tout cela pour fêter son retour. Vous n'en espériez pas tant ! I'm howlin' : lycanthropie aigüe. Djivan vous susurre un hululement à la douceur d'autant plus inquiétante, et les deux autres loups-cerviers enfuis tout droit du poème d'Alfred de Vigny, vous mijotent un de ces accompagnements de brindille foulée dans le piétinement de pattes peu bruiteuses, le genre de menace insidieuse qui ne saurait durer, vous tombe tous les trois sur un paisible troupeaux de brebis que tour à tour, basse, guitare, batterie entreprennent d'égorger méthodiquement. Le sang frais leur refile une fièvre pulsative, et Djivan clame son contentement à tous les échos. Le désir de chair fraîche n'attend pas. Un morceau à écouter comme la face obscure du petit chaperon rouge.

    Les Howlin' deviennent les serial killers du single. Troisième de laz1849bleu.jpg série. Les chasseurs de trésor sont sur les dents. Ces trois petits rectangles colorés risquent de devenir des pièces de collection extrêmement prisées par tous ceux qui ont la désagréable manie d'arriver après les batailles ou que leur maman auront éjectés de leurs ventres bien après le déroulement de l'aventure. Quand on pense à tous ces millions d'imbéciles qui n'étaient pas nés alors que l'on construisait les Pyramides ! Tout y est. Z'ont tout compris.

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    Pochettes esthétiques et morceaux d'une imparable efficacité, développent un style et un son qui n'appartiennent qu'à eux. Un des groupes français actuels les plus essentiels. Alors qu'il y a plein de britanic guys qui ne font pas preuve d'autant de pertinence imaginative et refondatrice...

     


    Damie Chad.

     

     

    AUSTIN OSMAN SPARE
    OEUVRES / Tome I

    Trad : PHILIPPE PISSIER 

    ( Collection ANIMA / Mars 2017 )

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    Je vous chronique ce bouquin, je vous sauve la vie. Ne me remerciez pas, envoyez-moi plutôt un chèque. Prochain dîner en ville, coup de Trafalgar, vous vous retrouvez assis en face de Jimmy Page, vous vous sentez mal, que lui dire qu'il ne sache déjà ? Page ce n'est pas la petite voisine du troisième qui ouvre des yeux émerveillés lorsque vous lui montrez votre collection de pirates de Led Zeppe. Ce n'est pas à lui que question rock vous allez lui en remontrer. Il existe bien une sortie de secours. Mais elle est fermée à clef, barricadée de l'intérieur avec des blocs de béton de dix tonnes. Jardin secret de Monsieur Page. Depuis des années, les journaleux n'osent plus évoquer le sujet. Secret défense, à la moindre ombre d'un semblant de fausse allusion Page devient muet comme une tombe. Son visage se ferme, une ange aux ailes cassées passe... ( voir le logo de Swan Song Records ). Ce bouquin est le cheval de Troie qui va vous permettre de pénétrer dans la citadelle. Attention, une fois que vous serez dans la forteresse, faudra assurer, avec ce diable de Page, c'est le grand jeu qui commence. C'est que dans sa vie Page ne s'intéresse qu'à deux choses : la réédition des oeuvres complètes de Led Zeppelin, et Aleister Crowley. La Grande Bête de l'Apocalypse, the king of the road 666, voici votre angle d'attaque, plein feu sur le maître du Dirigeable, Austin Osman Spare est l'anti-Crowley par excellence. Maintenant que vous avez déclaré la guerre, je ne vous laisse pas tomber, vous fournis quelques biscuits, la discussion risque d'être animée.
    Austin et Aleister se sont connus, de près. Se sont fâchés aussi. Spare ne pouvait supporter cette grande folle de Crowley. Trop de clinquant, trop de baratin, grotesque et irritant. Le cérémonial, les rituels alambiqués, les formules magicques secrètes révélées par une mystérieuse entité de l'outre-monde, Spare n'en avait rien à faire. Charlatanisme. Lui aussi pratiquait la Magie. Selon un autre mode.
    Voici donc le premier volume de ses oeuvres. Vincent Capes et Philippe Pissier ont rajouté aux quatre livres écrits et dessiné par Spare, une introduction d'Alan Moore, et un essai de Julian Moguillansky, manière de vous éviter de perdre pied à la troisième page... Spare naquit en 1886, très tôt il se fait remarquer par ses dessins qui rivalisent avec ceux de Aubrey Beardsley. Une carrière d'artiste reconnu s'ouvre devant lui, mais peu à peu il s'en détournera et finira par y renoncer. Une tâche bien plus étrange l'accapare...

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    L'est de ces hommes qui cherchent au-delà du vernis de la réussite sociale à réaliser leur moi profond, afin d'en éprouver les modalités les plus opératives. Il ne s'agit pas de faire quelque chose ( de bien ou de mal ) de sa vie, le dernier imbécile venu y parvient sans difficulté, mais d'acquérir une intime compréhension de la réalité afin de pouvoir l'acter selon sa volonté.
    Le lecteur ne sera pas sans penser au concept de volonté de puissance de Nietzsche, mais le travail d'un Spare est davantage redevable de la tradition ésotérique que de la philosophie occidentale proprement dite. D'où l'emploi d'un vocabulaire qui n'est pas spécifiquement défini. A la place de concepts il use de vocables utilisés en tant que points de fixation et de globalisation sémantique, le mot envisagé en sa puissance poétique imaginale, ce qui laisse évidemment libre-cours à maintes indéterminations.
    Le vecteur de base sparien est le Moi. Rien à voir avec l'égo ou le cogito. Simplement mon appréhension du monde. Premier piège à éviter : ne pas penser que vous détenez la vérité. Si vous trouvez que le paysage est beau, n'oubliez pas que quelqu'un d'autre le trouvera laid. Pire, même si tout le monde se pâme, la possibilité qu'il soit empreint de laideur n'en demeure pas moins. Ni beau, ni laid. Ni-Ni exclut le nihilisme tout comme moins par moins induit la positivité mathématique. Ni-Ni signifie les deux à la fois, en le sens que toute présence objectale s'inscrit dans la dualité de sa non-existence. Deuxième piège à éviter : ne pas céder au doute. Choisissez. Assumez, en toute connaissance de cause. Remarquez en passant que la non-existence de Dieu n'est guère plus importante que l'absence causale aristotélicienne... Bizarrement nous sommes sur une route qui n'est pas sans parallèle avec la démarche kantienne !
    Maintenant que vous avez réduit le champ des possibles de l'univers à la non-existence de sa possibilité impossible, il vous reste à agir dans cette espèce de zone de haute neutralité qu'est la réalité. Austin Osman Spare possède sa méthode : les sigils. Les sceaux. S'agit de se fabriquer un signe qui vous permette d'oeuvrer au sens quasi-alchimique de ce terme. Ne vous trompez pas, la réalité extérieure n'offre guère d'intérêt. Elle n'est qu'une interprétation infinie. Ma représentation selon Schopenhauer. L'autre versant de votre volonté élective. Les strates du monde sont à l'intérieur de vous. Freud appellera cela l'inconscient. Mais ne l'imaginez pas comme la poubelle de vos interdits et de vos peurs de laquelle vous ne pouvez de temps en temps vous empêcher de soulever le couvercle. Non, considérez plutôt le gouffre abject de vos immondices phantasmatiques en tant que matrice des temps perdus – qui sont donc aussi conservés – je vous laisse à vos explorations archéologiques. C'est ainsi dans ce mémoriel terreau temporel que l'induction magique de la subjectivité s'objectivise.

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    Les sceaux sont comme des symboles, des signes simplifiés à l'extrême que vous griffonnez à tâtons sur un morceau de papier dans le but de les mentaliser facilement. Les tenir toujours en représentation dans votre esprit durant votre vie quotidienne. Vous serviront au moment idoine, un peu à l'instar de ce couteau suisse que vous trimballez depuis deux ans dans votre poche mais qui à l'instant précis et critique se révèle l'outil idéal qui vous permet de vous tirer d'une situation difficile... Les quatre espèces de runes zodiacales qui ornent la pochette du Zeppelin IV ne seraient-ils pas des sceaux spariens ?... Profitez-en pour accuser Page de haute trahison. Autre piste de recherche : cette mode des monogrammes dans les milieux artistiques à la fin du dix-neuvième siècle desquels les doctes chercheurs universitaires ne se sont jamais enquis... Et pourtant que de réflexions à mener lorsque l'on considère l'analogie graphique de l'entrelacement serpentaire mallarméen avec la constellation finale du Coup de Dés...
    Spare s'est aussi intéressé à la technique du dessin inconscient. Dessiner sans réfléchir, pour ensuite réfléchir à ce que vous avez dessiné. L'écriture automatique des surréalistes n'est pas loin, mais les buts poursuivis ne sont pas les mêmes. Le surréalisme c'est encore le Connais-toi toi-même de la sentence inscrite sur le fronton du temple de Delphes, Spare c'est la deuxième partie de la devise, celle qui établit la nature des Dieux... Le livre présente de nombreux dessins de ce type. Qui ne sont pas très esthétiques, du moins à mon goût, mais ce n'est pas la recherche de cette qualité qui a présidé à leur élaboration, à leur menstruation psychique. En ajout des travaux graphiques de l'artiste, notamment des projets d'Ex-Libris, ces petits rectangles de papier, autant marque d'appropriation hommagiale qu'exaltation hiéroglyphique de soi-même que les bibliophiles se faisaient un devoir de coller sur les pages de garde de leurs exemplaires, tradition qui s'est quelque peu perdue mais qui d'après moi survit étrangement dans ces flyers que les groupes de rock distribuent pour annoncer leurs concerts... Quand on aura rajouté que le sexe semble être pour Austin Osman Spare un moyen initiatique et destructeur des plus essentiels, le lecteur se retrouve en pays de connaissance. Notons que Spare emploie souvent le mot femme quand il veut signifier sexe... Soyez déductifs.
    Les recherches de Spare sont relatives, pour ne pas dire absolument relatives – à l'obtention d'une vie de plaisir. Il ne s'agit pas de copuler à outrance. Mais c'est ici que nous voyons s'inscrire en filigrane une des faiblesses de la pensée ésotérique. Celle-ci est fortement marquée par la culture chrétienne qui a accompagné sa naissance et son déploiement. Bien entendu elle possède aussi ses racines païennes, mais elle s'est avant tout pour ce qui nous concerne développée en des siècles éminemment christianophiles. Si bien que Spare et Crowley nés et élevés dans l'Angleterre protestante ont érigé leurs oeuvres impénitentes à l'encontre du puritanisme anglo-saxon. Mais culturellement imprégnés d'un substrat biblique ils ont tenté de pervertir ce legs nauséabond de l'intérieur. Leur vision de la sexualité n'est pas libératoire telle que notre modernité la conçoit, ils effectuent un travail de sape en la présentant comme un retour aux temps édéniques. Perfection de la nudité éveillante d'Eve. Effraction des portes originelles. Au siècle précédent, Les Chants d'Innocence et d'Expérience de William Blake s'aventuraient déjà en de telles et semblables extrémités. Spare est vraisemblablement plus près de Blake que Crowley attiré par l'exemple communautaire de l'abbaye de Thélème. Le fait que Blake et Spare aient été avant tout des artistes – alors que Crowley s'inscrit par devers ses qualités intrinsèques d'homme de lettres et de poète dans le registre des grands communicants – explique la filiation en quelque sorte naturelle entre Spare et Blake qui illustrait ses propres textes.
    Austin Osman Spare finit sa vie dans un relatif anonymat. Entouré de ses chats dans le Londres populaire. L'homme s'effaça de lui-même. En notre pays, son nom a disparu de la mémoire collective. Il n'en est pas de même en Angleterre où il ne fut jamais entièrement oublié et où son oeuvre graphique et sa trajectoire individuelle fascinent de nouvelles générations. Il est aujourd'hui considéré comme l'un des générateurs de la Magie du Kaos... Pour les lecteurs sceptiques quant au sérieux des élucubrations de type sparien et crowleyen, emplis de doute cartésien, nous conseillerons de lire Vision de Yeats, ils ne trouveront pas meilleure introduction, issue du répertoire estampillé «  Littérature sérieuse, grand écrivain », à ce type de démarche intellectuelle des plus borderline. Si le Christ a marché sur l'eau pourquoi l'homme s'interdirait-il de s'aventurer au-dessus de l'abîme !
    Les esprits curieux ne manqueront pas de se procurer ce premier volume, grand format, papier Bouffant, impression exemplaire, couverture d'un orange philosophal rehaussé d'une titulature d'un jaune aussi dorée qu'une aube, 290 pages, pour la modique somme de 23 euros. Pas cher. Mais le chiffre de l'Eris. Certains comprendront. Mais un lecteur averti en vaut deux.

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    En tout cas, Jimmy Page connaît tout cela.

     


    Damie Chad.

    P. S. : lire aussi notre chronique sur Magick d'Aleister Crowley in KR'TNT ! 162 du 07 / 11 / 2013. Vous y retrouverez en ses oeuvres les plus figuratives Philippe Pissier qui s'impose de plus en plus comme l'un des activistes ésotéristes les plus germinatifs de notre temps. Une figure essentielle à découvrir.