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  • CHRONIQUES DE POURPRE 382 : KR'TNT ! 402 : STEVE WYNN / GINGER BAKER / BROKEN GLASS / BLACK PRINTS / AU DREY /RAW DOG / DOUCHE FROIDE / ROCK CRITIC

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 402

    A ROCKLIT PRODUCTIOn

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    17 / 01 / 2019

     

    STEVE WYNN / GINGER BAKER

    BROKEN GLASS / RAWDOG / BLACK PRINTS + AU DREY

    DOUCHE FROIDE / ROCK CRITIC

     

    Syndicate d’initiatives -
Part Three

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    Après la fin du Syndicat, Steve Wynn entreprend une carrière solo au moins aussi fructueuse que celle de Frank Black après la fin des Pixies. Visiblement, ces gens-là ne savent faire qu’une seule chose dans la vie : écrire des chansons. Et des bonnes.

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    Wynn gagne à tous les coups. La preuve ? Kerosene Man, premier album solo paru en 1990. Deux belles énormités guettent leur proie, c’est-à-dire l’oreille imprudente : «Younger» et «Killing Time». Steve Wynn renoue avec la violence du riffing et la belle niaque pantelante. Il connaît son affaire. Dans «Younger», on retrouve le même son de basse que dans le fatidique «Death Party» du Gun Club. Tout aussi joliment claqué, voici «Killing Time». C’est même claqué en dégringolé d’accords. Ce sacré Steve adore la classe. Il sait enchaîner les effets de Ricken et créer des horizons. Ça marche à tous les coups. Sa power-pop est celle dont on rêve quand on est jeune et encore vert. Steve Wynn tortille ça en vieux briscard. C’est même trop beau pour être vrai. Son «Under The Weather» sonne comme de la petite pop de boulevard populaire, café de Belleville au clair de lune. Il claque aussi de l’accord clairvoyant dans «Something To Remember Me By». Voilà sa marque de fabrique artisanale, un peu limite du rock FM, mais ça passe. Et avec «Anthem», il prend l’habitude des finir ses albums avec un cut explosif - Play the anthem one more time - C’est tout simplement effarant de son. Le fan est gâté.

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    Deux ans plus tard paraît Dazzling Display. Steve Wynn y tape une cover de «Bonnie & Clyde». Coup de génie puisqu’il en fait une horreur garage. Cover de rêve. Steve Wynn a bien compris qui était Gainsbarre. Josette Napolitano vient faire la conne. Steve Wynn lâche ses ouragans d’accords, c’est à la fois intense et respectueux de l’environnement. Tout aussi énorme, voilà «405» joué au heavy rock - I rest my mind on the place and time - C’est explosé au solo congestionné. Quelle débauche d’énergie sonique ! Ce mec ne s’arrête jamais. Avec «Tuesday», il propose un extraordinaire shoot de power-pop émancipée. Wynn n’en finit plus de gagner à tous les coups. Il va sur la pop-rock avec une sorte de plaisir gourmand. Le morceau titre semble violenté dans l’azur pyrénéen. À moins qu’il ne s’agisse de la zone de Pythagore. Steve Wynn revient à sa légendaire férocité sonique et aux déliquescences d’interactions psychédéliques - Fell down to attention/ Not a very honorable mention/ What a perfect way/ To watch a dazzling display - En plus, c’est extrêmement bien écrit et digne des meilleures drug songs. Il passe à la vitesse supérieure avec «Dandy In Disguise». Drumbeat on the beat ! Il nous rocke ça dès l’intro, en vétéran de toutes les guerres. Ça sploushe et ça splashe dans le lagon vert. Admirable ! Il termine avec l’excellent «Close Your Eyes», vieille pop alimentée au bon vent d’Ouest. Steve Wynn se veut résolument allègre et optimiste.

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    On ne trouve pas vraiment de hit sur Fluorescent paru l’année suivante. On a du balladif de bonne guerre avec «Follow Me». On sent toujours la présence d’une vraie voix. On le sait, la voix fait toute la différence. Prenez Lou Reed. Eh bien, Steve Wynn, c’est la même chose. Profondeur et présence, voilà ses deux mamelles. Il excelle dans l’exercice de la présence vocale de bon ton. Par contre, son «Collision Course» sonne comme du Lloyd Cole. Mais Steve Wynn sauve son cut grâce à des fuites de guitares éperdues. Encore un fantastique balladif d’espérance du Cap de Bonne Espérance avec «Carry A Torch». Quand on a la voix qu’il a, une bonne guitare et des idées, ça paraît logique d’enregistrer des albums solo. Ce «Carry A Torch» sonnerait presque comme un hit. Avec un mec comme lui, il faut savoir donner du temps au temps et voir les choses se développer. C’est toujours intéressant. Il a toujours un gros son. «Open The Door» ne déroge pas à cette règle. On sent l’homme d’âge mur, sûr de son art. Même si «Wedding Bells» sonne trop romantico, on sent bien l’énergie. «The Sun Rises In The West» sonne comme un heavy balladif d’envergure. On adore ce mec pour ses capacités à créer de la bonne pop électrique, l’une des meilleures d’Amérique. Par contre, son «Look Both Ways» se danse d’un pied sur l’autre dans les Appalaches.

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    Pas de hits non plus sur Take Your Flunky And Dangle, mais pas mal de bonnes chansons, à commencer par «How’s My Little Girl», joli coup d’electric pop. C’est là où Wynn brille. C’est son univers, sa distance, son pré carré. Il est parfait dans son rôle de power-popper qui chante à la mâle assurance pendant que les guitares dessinent le décor de rêve. Avec «Closer», il reprend son bâton de pèlerin charmeur et se montre très communicatif avec «The Woodshed Blue». Il y sonne comme Dylan. Avec «AA», il sonne comme les Supremes, mais country. C’est assez tordu comme vision. Il termine en tapant «Only Comes Out At Night» au dylanex, mais parfois, on se dit qu’il vaut mieux écouter Dylan.

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    Sur Melting In The Dark, Thalia Zadek chante et joue avec Steve Wynn. Que de son ! C’est en tous les cas ce qu’on s’exclame dès le «Why» d’ouverture. Steve Wynn pousse de vrais oh yeah ! Quelle dégelée ! Il semble enfin de réveiller - There’s no answer, yeah ! - Et avec «What We Call Love», il revient à son vieux son de mid-tempo aventureux de bonne aventure. C’est littéralement bardé de guitares. Il redéclenche la furia del sol avec «The Angels». Il s’y fait violent prévaricateur - And the angels won’t talk to me anymore - C’est même visité par l’esprit des guitares, un véritable essaim. Encore un fantastique slab de heavy pop avec «State It Down». C’est cisaillé aux meilleures guitares de stomp. Steve Wynn chante ça sale et descend à la cave. Quel retournement de situation ! Avec «Smooth», il file sous le vent du boisseau. Effrayant ! Il se montre indispensable au rock. Son Smooth est de très haut niveau. Ils nous smoothent ça comme des diables. Quelle débandade de chœurs et de guitares ! Avec un titre comme «The Way You Punish Me», on tombe forcément dans la heavyness. Et tout ça se termine avec le morceau titre claqué au rendez-vous des malfrats - MacArthur Park is melting in the dark - Steve Wynn visite ça au sonic hell et bascule dans la mad psyché. C’est soloté à outrance et totalement inespéré.

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    Le génie électrique de Steve Wynn éclate de plus belle avec Sweetness And Light paru en 1997. Toutes les pochettes sont des tue-l’amour, mais le son est là. Cet album est passionnant, à commencer par «Silver Lining» monté sur un tatapoum de tous les diables signé Linda Pitmon. Elle tape comme une sourde. Notre Wynner favori ne ménage ni la chèvre ni le chou. Il veille a conserver ce fin tissu de guitares acidulées. On note l’extraordinaire santé de son songwriting. On s’en épate même à fond la caisse. Tiens, encore une solide attaque en règle avec «Black Magic» - Underneath the highway/ That’s where you’ll find me - Ah quel admirable rocker ! Son rock se pose comme un vaisseau sur la planète Uranus, c’est-à-dire avec une grande prestance technologique. Il tape une cover de Ray Davies, «This Strange Effect» et l’explose aux guitares. Il passe au big atmosphérix avec «This Deadly Game». On se croirait chez les Only Ones, dans une belle ambiance crépusculaire. Encore un extraordinaire slab de power-pop avec «How’s My Little Girl». Sa véritable force, c’est l’éclat du timbre. Il s’en va chatouiller les cuisses de sa muse. Elle jouira toujours, avec un mec comme lui. Ce cut un modèle du genre, Steve Wynn semble gratter des milliers de guitares acidulées, c’est à la fois un bonheur impénitent et d’une rare puissance fruitée, ça dégouline de jus étincelant. Ce mec est capable de fulgurances. On reste dans le big atmosphérix avec «Ghosts». Il semble traverser les strates à coups de solos voyageurs. Ça dure six minutes mais c’est une aubaine pour l’oreille du lapin blanc. Steve Wynn allumera ses lampions jusqu’au bout de la nuit. Encore un fantastique jerk de balance informelle avec «Blood From A Stone». Il joue toujours son rôle de franc-tireur à la perfection. Il est l’un des mecs les plus intéressants du rock américain. Il sait pousser des aw de fins de couplets. Pur génie que ce Wynner de tous les diables. Il est aussi capable de sortir du vieux rock violent, comme on le voit avec «In Love With Everyone». C’est ultra-joué au open your eyes et bardé de son. C’est bien plus effarant que l’arrivée des Vikings sur la plage. S’ensuit une dérive apostolique intitulée «The Great Divide». Steve Wynn s’en va se noyer dans un océan de notes de xylo extensif. Il tape ensuite dans Barrett/Strong avec une cover de «That’s The Way Love Is». Il ne se contente pas de jouer son r’n’b, il le vrille en queue de cochon d’apothéose et nous le ramone au solo savoyard.

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    Si on écoute My Midnight, on trouvera un joli duo d’enfer intitulé «We’ve Been Hanging Out». Il rappelle «The Murder Mystery» du Velvet. Steve Wynn y duette avec Linda Pitmon. C’est fabuleusement nappé d’orgue. Attention, c’est un double album et on risque l’indigestion si on écoute tout. Il chante «Nothing But The Shell» à la voix de son maître. On sent que cet homme ne vit que pour les chansons. Il prend sa meilleure voix de timbre fêlé pour honorer «My Favorite Game». «Cats & Dogs» sonne comme de la power-pop jouée sous le boisseau. Elle est bonne et chaude comme le pain du matin, à la boulangerie de la rue Saint-Jean. On se régalera aussi d’«In Your Prime», visité par des guitares supersoniques. Le monde de Steve Wynn reste incroyablement suburbain. Il chante tout au timbre présent. Il chante même des fois trop sérieusement et pourrait faire un peu peur. Que de son et quel bouquet de guitares ! Ah il faut entendre ce «Out Of This World» claqué aux pires accords intraveineux. Il joue sur tous les tableaux. Il semble sauter dans la pop comme un gosse dans le bac à sable. C’est l’un des cuts les plus percutants de l’album, avec ses retours de you do something to me. Il boucle le disk 1 avec «500 Girls Mornings», un blast de heavy rock écœurant de nonchalance. Le disk 2 est un live saturé de son, et donc chaudement recommandé aux amateurs d’électricité. Il démarre avec sa fabuleuse reprise des Kinks, «This Strange Effect» et enchaîne avec un «What We Call Love» chanté à la petite menace. Linda Pitman bat ça si sec ! Il faut dire que live, le son de Steve Wynn éclate encore plus. Rien d’aussi dément que la version live de «That’s What You Always Say». On y entend un pur solo de sonic trash, c’est noyé d’effervescence ultra-sonique. Steve Wynn joue tout ça à l’abattage. Le «Why» qui suit est aussi incroyablement musclé. Avec «Tears Won’t Help», il passe au freakout de la démesure. Il ressort «Bonnie & Clyde» et «Halloween» des archives pour les barder de son. Ce sont des versions dingoïdes qui basculent vite fait dans la mad psyché. Les descentes sont proprement spectaculaires. Tout l’album est en feu. Il termine avec l’enchaînement fatal : «Melting In The Dark» et «The Days Of Wine And Roses». Ils jouent tout cela à la note fumante, Steve Wynn gère ça au violent claqué d’accords, ça éclaire la nuit du rock et laisse dans la bouche le goût d’un panache indescriptible.

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    Pas mal de très belles choses sur le Pick of The Litter paru en 1999, notamment ce «James River Incident» qu’on prend tout d’abord pour une protest-song ethno-sociologique à la Dylan, mais qui est en réalité un prétexte à ramener du son, et quel son, les amis ! Du très grand son. Steve Wynn est homme à savoir faire claquer un accord de guitare. On a là du très gros Wynner. Il nous gratte son riff dans l’épaisseur du doom. Ce mec sait vraiment créer les conditions. Textuellement parlant, il reste dans l’ellipse, yeah, et il part en vrille syndicale, comme au temps béni du Dream - All that’s left is legend and stories to be told - et il ajoute en exergue qu’il y a des secrets entre the river and me. C’est tellement bardé de guitares que ça frise la stoogerie. Tony Maimone de Pere Ubu joue sur «Ladies & Gentlemen», un joli cut mélodique monté sur des arpèges. Superbe. On l’a sans doute déjà dit, Steve Wynn est aussi prolifiquement bon que Robert Pollard et Frank Black. Il nous claque ensuite «Smoke From A Distant Flame» au banjo des familles. Ça n’a l’air de rien, comme ça, mais il faut savoir le faire. Ce mec a du génie, n’ayons pas peur des grands mots. Sa compo tient fabuleusement la route. Il chante par dessus le banjo avec un sacré aplomb. On reste dans l’énormité présentielle avec «Halfway To The After Life». Steve Wynn wynne à tous les coups. Il joue la carte du son bienvenu. C’est bardé, absolument bardé de guitares. Le rôle de démon lui va à merveille. Il explose toutes les conceptions envisageables. Dans une vie antérieure, il devait être forcément pharaon. Il fait encore un numéro de cirque avec «The Air That I Breathe». Il chante au plus profond et tente de faire du Lanegan, mais c’est impossible. Alors il explose tout avec des coups de guitare. Voilà le Wynn qu’on admire, le sorcier du son. Il tape «The Impossible» au pire beat wynnique de l’univers. Il faut se méfier de ce mec, il est capable du pire. Il termine avec un «Why Does Love Got To Be So Sad» bardé de son. Ça entre par les deux oreilles comme dans un moulin. Et qui retrouve-t-on à la guitare ? Rich Gilbert, le diable des Catholics, ce groupe de surdoués qui jadis accompagnait Frank Black sur scène. Du coup ça prend des proportions extraordinaires. Rich Gilbert joue à la vie à la mort.

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    Crossing Dragon Bridge est un album qui vaut aussi le détour, ne serait-ce que pour «Believe In Yourself», pur jus de Dylan strut. Steve Wynn fait du dylanex en plein - It’s okay/ If you talk/ You stumble/ You get up/ That’s all - Comme Dylan, Steve Wynn a un don. «Manhattan Fault Line» sonne comme du typical Wynn. On a là un mélopif solide et plein de son, avec une réelle profondeur de ton et de champ. On ne peut parler que de prestance ou d’étonnant dérivatif d’enchantement presbytérien. Ses balladifs restent imparables. Comme beaucoup d’autre hits, il claque «Love Me Anyway» à la bonne entente cordiale. Ça reste du mid-tempo hautement élémentaire. Ce mec n’en finit plus d’écrire des chansons. Il berce «She Came» de langueurs monotones. On tombe aussi sur un «When We Talk About Forever» sacrément versé dans l’esprit de seltz. Tout aussi admirable de vitalité, voici «Annie & Me» - We just never slow down - Ça joue au beat serré dans les virages, pur jus de grand Wynner. Voilà une sacrée virée country. Mais il a aussi pas mal de cuts plus conventionnels qui ne marchent pas, comme ce «God Doesn’t Like It». Il faut dire que le coup d’harmo est somptueux : il évoque Charles Bronson.

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    Et puis voilà qu’en 2001, il monte les Miracle 3 et commence à enregistrer une série d’albums éblouissants, à commencer par Here Come The Miracles. Steve Wynn wins dès le morceau titre d’ouverture du bal, un heavy romp démoniaque, singulier mélange de pop et de heavyness définitive - What can I believe in the face of such a disease/ When the forces of evil are free to do as they please - Et c’est parti pour ne nouvelle ribambelle de gros cuts, comme cet effarant «Sustain». Steve Wynn travaille comme un ébéniste, il produit chaque jour des crafts sur son établi, alors ça finit par compter. Au rythme d’un craft par jour, ça fait 365 crafts par an, alors forcément, les disques finissent par pulluler. En tous les cas, son «Sustain» est ultra joué. Tout est incroyablement bon sur cet album. On a du renvoi d’estomac sonique dans «Butterscotch» et Linda Pitmon nous bat «Southern California Line» à la dure - Hey hey are you ready to be saved - Voilà encore de la belle heavyness visitée par des guitares souterraines, c’est du grand art battu sévère et explosé aux arpèges allégoriques. Même ce balladif intitulé «Morningside Heighs» est ridiculement bon. Il revient au boogie d’accent tranchant avec «Let’s Leave It Like That» et son «Crawling Misanthropic Blues» est une véritable horreur, complètement explosée d’entrée de jeu. Steve Wynn se prend ici pour Jeffrey Lee Pierce. Même jus - Oh wow wow nobody’s perfect/ I know that it’s true - Voilà du punk de Wynner serti d’un killer solo. Steve Wynn n’en finit plus de multiplier les exercices de style. Il finit le disk 1 avec «Death Valley Pain», un fabuleux groove psychédélique - The moon it shines - Il ramène tout le gros fretin. Puis il attaque le disk 2 avec «Strange New World», tapé au heavy garage - Once I was down in New Orleans/ Mixing scotch with gasoline - Ce sont les accords de «No Fun» - The King of Swing/ The Duke of Earl - Quelle étonnante tripotée d’accords ! Chez lui, les guitares sont toujours assez révolutionnaires. Encore du vieux groove Wynny avec «Topanga Canyon Freaks». Il vise clairement le boogaloo, il frise un peu le Tom Waits en lâchant des vieux ah ah ah de graveyard, mais on note la présence de jolies guitares dans le paysage. Nouvelle merveille avec un «Watch Your Step» violemment cisaillé au riff émancipé. Voilà certainement le meilleur garage californien - I’m not the one who’s gonna take it to the other side - Il nous prévient. Que de son ! Comme dans le cochon, tout est bon dans le Wynn. Il crée des merveilles en tous genres et peut même s’amuser à chanter comme un crocodile. Encore plus bardé de guitares, voilà «Smash Myself To Bits», un truc exceptionnel visité par l’esprit du harp, c’est-à-dire le dieu du vent. Démence pure. Steve Wynn entre au chant sur le tard et s’amuse à faire le roi des tempêtes. C’est saturé d’énergie de son. Il faut bien avouer que ce mec a du génie. Ce cut est une véritable horreur saturée d’aventures. On a même l’impression de voir se lever une tempête de sable. C’est d’une rare violence psychédélique et ça monte à saturation avec un harmo démentoïde. C’est là très précisément que s’exprime le génie sonique de Steve Wynn. Il termine avec «There Will Come A Day», pur jus dylanesque joué à l’orgue. On voit qu’il adore son maître Bob - And in a fit of desperation/ I found myself on my kness - C’est à la fois beau et puissant. Il est dessus - There will come a day Lord/ Thre will come a day - Somptueux ! Une vraie révélation, et ça se termine dans un éblouissant final de gospel batch. On a là l’un des très grands disques de rock américain.

    Steve Wynn continue d’enregistrer des albums sporadiques ici et là. Le conseil qu’on pourrait donner serait de les écouter, car forcément, ça reste du très grand art.

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    Tiens par exemple, cette compile intitulée Up There Home Recordings 2000 To 2008. Eh bien on y trouve un cut génial, «Bruises», taillé dans l’épaisseur d’un bazar sonique. À lui seul, ce cut balaie toute la Brit-pop. Steve Wynn démolit tout, il fracasse les années lumières, il ramène du son, rien que du son. Il joue son truc aux notes d’alerte rouge. Il propose pas mal de tributes dans cette compile : à Gene Clark, avec «Tomorrow Is A Long Ways Away», ou encore à Nick Lowe avec «The Truth Drug», cut hyper ventilé et stompé par Linda Pitman qui bat ça si sec. Elle fait d’ailleurs partie des meilleures batteuses du monde. Il indique plus loin que «Still Messed Up» est l’une de ses chansons préférées. Il nous joue ça au meilleur groove de la stratosphère. Steve Wynn est d’une fiabilité à toute épreuve, un mec parfaitement incapable se sortir un mauvais disque. Il rend aussi hommage à la Nouvelle Orleans avec «The Good Old Days» et tape «Hold Your Mud» aux guitares ultra-insidieuses. Les deux cuts d’ouverture sont aussi des passages obligés : «Second Best» (balladif dylanesque truffé de coups d’harmo) et «Incantation (Raise The Roof)», dont il dit que c’est about the power of sound. Ah pour ça, on peut lui faire confiance. On se croirait au temps du Dream. Back to the big Sound avec «Lungs». Oui, il ramène tout le son possible. Il y gratte des trucs à l’infini. Et il rend hommage à Neil Young avec «SleepsWith Angels». Il se joue des règles et les lois, il larde son son encore et encore.

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    Et la roue continue de tourner avec cet énorme album solo qu’est Sketches In Spain. On comprend dès l’«I’m Not Ready» d’ouverture que Steve Wynn va rester imbattable jusqu’à la fin des temps. Il est tout simplement parfait, on l’a sûrement déjà dit, mais dans un cas comme celui-là, c’est plutôt bien de radoter. Il réussit à monter l’incroyable allure d’un cut sur un simple jeu de bassmatic, rien d’autre. On tombe très vite sur un hit : «Super 8», une power pop d’horizon que chante Linda Pitmon. Admirable ! Et voilà l’immense «My Cross To Bear», claqué aux immenses accords. Steve Wynn sait ouvrir la Mer Rouge, il peut s’asseoir sur le buisson ardent sans se brûler le cul. Cet homme règne sans partage sur le heavy rock, qu’on se le dise. Avec «My Cross To Bear», il propose un cut assez spectaculaire, une vraie avancée. Il fait claquer sa guitare comme une cornemuse au nadir du combat. Impossible de faire l’impasse sur un tel Wynner - I don’t care - C’est énorme, de bout en bout. Il tape ensuite «Kickstart My Jacknife» au chant voilé, mais avec une belle persévérance. Il s’appuie sur la plus belle des sauces. Même si on n’écoute ça qu’une seule fois dans sa vie, ça vaut le détour. Steve Wynn n’en finit plus de pulser du son et ça gicle dans la console. Chaque cut sonne comme une aventure extraordinaire. Il n’en finit plus de réinventer la poudre. Il joue la carte du boogie wynnie avec «Snack Dab» et repart plus loin en mode power pop avec «Suddenly». Il ne baissera jamais sa garde. Il chante de l’intérieur du menton et son génie éclaire la nuit. Encore un fantastique coup de power-pop avec «The King Of Riverside Dark». Il y frise une nouvelle fois le génie avec un solo d’accordéon. C’est tout simplement affolant de son, de présence, de classe et de chant. Diable, comme ce mec peut être bon - And nothing can break me down/ I’m the king of Riverside Dark - Il enchaîne avec ce balladif extraordinaire de qualité intrinsèque qu’est «The Last One Standing». Il peut chanter en profondeur with nothing at all et faire mousser sa glotte dans un abîme de grandiloquence mélodique. Steve Wynn a le son de l’espace et le goût de l’universalité des choses. Encore une belle pièce d’anticipation rockalama avec «Underneath The Radar». Il y claque un claquos coulant dans l’écho du temps. «Oth» sonne comme un exercice de style, ça sort en effet de nulle part, ce cut joué au banjo et chanté au speed des enchères à l’Américaine désarmerait un régiment. On pourrait qualifier ça de cut out de cuttard invétéré. Il nous emmène à la Nouvelle Orléans pour «Black Is Black». Nous voilà en effet dans un enterrement avec du pouet pouet de rue joyeuse. La mort est une délivrance, si on y réfléchit bien. Steve Wynn est capable d’orchestrer un balladif au tuba. Il nous emmène à la fête foraine avec «Claro Que Si». Il y gratte des accords de pur Tex Mex qui feraient baver Doug Sahm en personne. C’est absolument indécent de grandeur. Et il boucle ce brillant album avec «Sometime Before I Die». Ouf, il est temps que ça s’arrête. Ce genre de disk épuise la cervelle. On finit en ahanant. Ce diable de Steve Wynn nous propose là un salad bowl de power pop et de celtic sludge. Il touille ça avec sa grosse cuillère en bois et chante d’une voix exagérément graissée. C’est un diable. On soupçonnait Jason d’être un démon, mais non, quelle méprise, le démon c’est lui, Steve Wynn. Quel mystificateur ! Il ramène tout le celtic de l’hémisphère Nord dans son délire outrancier et purificateur. Son solo coule comme le miel dans la vallée des plaisirs. Il finit en beauté, à la manière d’un Victor Hugo contemplant l’océan du temps qui se fond dans l’horizon.

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    Il existe trois raison d’écouter Solo Electric (vol 1) paru en 2015 sur un label d’éditions numérotées : 1, «Transparency», 2, Hesitation» et 3, «Thanksgiving Day». Il fallait bien se douter que le 1 allait être bardé de son, c’est même ultra-gorgé de gorjo et chanté à la petite menace wynnique. Extraordinaire présence ! Quel débineur ! Il gratte le 2 au groove wynny. Il monte tout seul, pas besoin d’une montgolfière. Il a des ressources extraordinaires. Ses montées se veulent pures et racées. Il peut jouer le Velvet à lui tout sel. Son 3 sonne comme «Like A Rolling Stone». Il tombe dans les bras de son idole Bob. Il est en plein dedans - Thank you for the good times/ Can I stay here/ On that/ Thanks/ Giving/ Day - Pur jus de Dylanex. D’autres merveilles guettent l’amateur, comme cette reprise du «James River Incident» (tiré de Pick Of The Litter). Steve Wynn y croasse délicieusement et son heavy rock de solo-man impressionne au plus haut point. Il claque tout à l’excès guitaristique. Il garde sa spécificité d’allumeur de lampions. Il peut créer son monde tout seul. Il n’a besoin de personne en Harley Davidson. Il joue «Something To Remember Me By» à la sourde oreille et ça devient fascinant. Il a tellement de talent qu’il fascine sans forcer. Il faut voir cet incroyable claqué d’accords. Et quand il tape «You Can’t Forget», on voit qu’il a de l’attaque à revendre. Il tient bien son chant par la barbichette.

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    Pour bien faire, il faudrait encore écouter deux albums, Wynn Plays Dylan, paru en 2011 et Benedikt’s Blues, paru quatre plus tard. Car ce sont eux aussi des albums magnifiques et indispensable à tout fan de Steve Wynn. C’est malheureux à dire, mais avec Wynn Plays Dylan, Steve Wynn se fait plus royaliste que le roi. On trouve sur cet album deux versions stupéfiantes : «Just Like A Woman» et «Outlaw Blues». Il réussit à shooter du Like A Rolling Stone dans «Just Like A Woman», et il en fait la plus belle version de tous les temps. Même chose avec «Outlaw Blues» qu’il nasille et qu’il électrise à outrance, tout le rock&roll est déjà là chez Dylan et ce diable de Wynner nous restitue ça au mieux des possibilités. De toute façon, tout est énorme sur ce disk, comme cette fabuleuse version de «Rainy Day Woman 12&35», on est en plein phénomène de mimétisme car Steve Wynn chante exactement comme son idole Bob. Beaucoup de son, et Linda bat ça si sec, comme d’usage. Steve Wynn ramène encore du sonic trash dans «Gotta Serve Somebody», il réussit l’exploit de trasher le summum, c’est chanté à pleine voix et bourré de son. Encore plus troublante, la version de «The Groom’s Still Waiting At The Altar» qui ouvre le bal de la B : oui, on croit entendre Bob Dylan en personne. C’est-y Dieu possible ? Il nous barde ça du meilleur son qui se puisse imaginer, ultra-électrique, balancé à la diable, frelaté de frais et foisonnant comme une rivière à saumons au printemps. Avec «All Along The Watchtower», il s’élance sur les traces de Jimi Hendrix, and there’s so much confusion, mais il revient à la raison et opte pour le violon et va bon train.

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    Bel album que ce Benedikt’s Blues, notamment le morceau titre qui sonne comme le «Pale Blue Eyes» du Velvet. Même attaque sensible et nouveau coup de mimétisme. Avec «On The Mend», il revient à Dylan. Il tape ses couplets avec la niaque du Dylan de 66. Incroyable coup d’élégance wynnique ! Avant d’aller faire un tour en B, n’oubliez pas de savourer les délices hendrixiens de «Cinnamon Tweed», un cut expérimental joué à l’unisson du saucisson, intéressant mais pas intéressé. En B, on trouve un «Dead Roses» un peu triste, légèrement saumoné et pas vraiment éveillé et soudain, Steve Wynn remet les pendules à l’heure avec «All The Squares Go Home», c’est le jerk du Palladium, admirablement fouetté au beat nappé d’orgue à la Sam The Sham et chanté à la petite canaillerie. Ce mec a du talent, on le savait, mais on n’en finit plus d’évider les évidences avides et le contrecarrer les carences caractérielles. Il passe avec «Simpler Than The Rain» au balladif magique, dont il s’est fait une spécialité au fil du temps. Il n’en finit plus de tartiner sa ravissante pop au long d’une belle tranche de miche au blé noir.

    Signé : Cazengler, Steve wine (cubi)

    Steve Wynn. Kerosene Man. Dureco 1990

    Steve Wynn. Dazzling Display. R.N.A. Rhino New Artist 1992

    Steve Wynn. Fluorescent. Brake Out Records 1993

    Steve Wynn. Take Your Flunky And Dangle. Return To Sender 1994

    Steve Wynn. Melting In The Dark. Offworld 1995

    Steve Wynn. Sweetness And Light. Blue Rose Records 1997

    Steve Wynn. My Midnight. Blue Rose Records 1999

    Steve Wynn. Pick Of The Litter. Glitterhouse Records 1999

    Steve Wynn. Here Come The Miracles. Blue Rose Records 2001

    Steve Wynn. Crossing Dragon Bridge. Blue Rose Records 2008

    Steve Wynn. Wynn Plays Dylan. Inerbang Records 2011

    Steve Wynn. Up There Home Recordings 2000 To 2008. Shirt Run 2013

    Steve Wynn. Sketches In Spain. Omnivore Recordings 2014

    Steve Wynn. Solo Electric (vol 1). Blue Rose Records 2015

    Steve Wynn. Benedikt’s Blues. Kinkverk 2015

     

    Stup Baker

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    Les Stones ont inventé au temps du swinging London un concept entièrement nouveau : the rock aristocracy. Avec leurs gueules de stars, leur dandysme inné, leurs fringues flashy, leurs comptes en banque, leurs bagnoles de sport et leurs belles gonzesses, la fréquentation de quelques princes, leur goût prononcé pour les stupéfiants et la pincée d’inclinations sexuelles qui font le charme de cette condition, ils fascinaient le petit peuple. Grosse cerise sur le gâteau : il enregistraient des tubes magiques du style «Jumping Jack Flash». Les gens du petit peuple n’essayaient même pas de devenir des Stones, de la même façon qu’en l’An Mil, personne ne songeait à devenir roi, sachant que ce n’était pas possible, puisque le trône était de droit divin. Les gens des villes et des campagnes s’inclinaient sur le passage des rois. Les mêmes gens des villes et des campagnes s’inclineront plus tard sur le passage des Stones.

    Puisqu’ils ne pouvaient pas devenir des Stones, les gens du petit peuple voulurent tous devenir des Velvet. Pourquoi ? Tout simplement parce que le Velvet appartenaient à une autre forme d’aristocratie, celle de l’underground, c’est-à-dire celle qui compte pour du beurre.

    Brian Jones, Keith Richards, John Lennon, Ray Davies, Ronnie Lane, Mick Farren, Phil May ou encore Syd Barrett sont restés jusqu’à ce jour inégalables à tous égards. Look, talent, impact, modernité, intelligence, ils sont restés intouchables. Oh on a vu fleurir ici et là quelques pâles imitations (tous ces garagistes américains qui se coiffaient comme Brian Jones mais qui n’avaient pas inventé les Stones, des luminaries comme Patti Smith, Joan Jett ou Dave Kusworth qui se voulaient plus royalistes que le roi, quant à Lennon, Barrett ou Ray Davies, personne n’a jamais essayé de les imiter, car ce n’était tout simplement pas imaginable).

    Et puis bien sûr Ginger Baker, the wild one, the real deal. Avec ses cheveux rouges, ses yeux clairs et son insatiable soif d’excès, il honore le blason de cette fameuse rock aristocracy britannique. Mais il semble encore plus vivant que ses congénères, comme si les instincts barbares des seigneurs de l’An Mil bouillonnaient en lui. Comme si les notions de loi et de limite lui étaient intolérables. Ginger Baker joue de la batterie comme on prenait un château d’assaut, autrefois, pour se livrer à l’ivresse du pillage. Ginger Baker règle ses problèmes à coups de poings, comme on les réglait autrefois à coups de sabre. Il monte un groupe comme on montait une armée de conquête, il suit chaque fois une vision, comme le faisaient autrefois les conquérants. Il a réussi ce prodige dans l’univers étriqué de la société civile britannique : exister sans foi ni loi. Cette volonté d’exister comme on l’entend, c’est ce qu’on appelait autrefois les privilèges : les aristocrates avaient tous les droits, de vie, de mort et de cuissage, et la foi avait bon dos puisqu’elle leur servait de passe-droit. Comme il ne pouvait pas aller piller des châteaux, Ginger Baker s’est contenté de battre le beurre en Angleterre ou au Nigeria. Il a su canaliser ses instincts barbares dans le jazz qui est en réalité sa religion. Quand il cite ses dieux, il sort les noms d’Elvin Jones, de Max Roach, d’Art Blakey et de Phil Seaman, le batteur londonien qui l’initia à l’héro et à la musique africaine.

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    Comme Doctor John, Ginger Baker a passé sa vie sous héro. Il en parle extrêmement bien dans son autobio, l’excellent Hellraiser, paru voici quelques années. Il y décrit dans le détail la première soirée qu’il passe chez Phil Seaman. Seaman lui fait écouter les Watusi drummers et se prépare un vieux shoot devant lui - When I tell yer pull this - Seaman lui demande de défaire le garrot aussitôt après le shoot. Mais il recommande toutefois à Ginger qu’il appelle Pete de ne pas approcher cette came - Nah Pete I gotta tell you this, this fucking stuff is bad fucking news. Don’t you ever, ever try it - Trop tard ! Ginger sniffe déjà du smack et il trouve ça fantastique pour jouer - All the barriers went down and I was just playing - Quand Seaman l’apprend, il se résigne et le met en contact avec Doctor Feelgood. Ginger commence à prendre ce que beaucoup de gens prennent alors en Angleterre, les fameuses prescription drugs : on va voir un médecin qui signe une ordonnance - The consulting fee was £5 - et le pharmacien donne les doses d’héro prescrites. C’est aussi simple que ça, légal, safe et donc pas d’ennuis avec les stups. Hellraiser est littéralement truffé de souvenirs de shoots tous plus spectaculaires les uns que les autres. Ginger Baker prend un malin plaisir à expliquer qu’il frise régulièrement l’overdose et qu’il se rétablit avec des doses de morphine, là où n’importe quel autre candidat au casse-pipe aurait cassé sa pipe en bois. Alors bien sûr, il règne sur ces pages un délicieux parfum d’immoralité, mais Ginger Baker ne fait rien de plus que de raconter la vraie vie. Il vit ce que vit la grande majorité des musiciens de jazz. Et la crudité de certaines pages rend cette notion d’aristocratie encore plus plausible. La grandeur d’un musicien comme Ginger Baker pourrait tout simplement se mesurer par la grandeur de ses excès, plus que par la grandeur de ses solos de batterie qui nous ont toujours fait bâiller d’ennui. Et son plus bel exploit est certainement d’avoir su rester vivant, comme l’ont fait Keith Richards et Doctor John. Fantastique pied de nez à la morale. C’est d’ailleurs la raison d’être de la rock culture : défier l’ordre moral. Ou à défaut, se positionner au-delà de toute forme de jugement.

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    À ce titre, Ginger Baker est l’homme idéal. Il fait en son temps plus de ravages que n’en firent en leur temps les théoriciens de l’anarchie. Il érige son goût pour le chaos en style de vie, et pour parvenir à ce résultat, il faut une sacrée carrure. Et une certaine forme d’intelligence. Mais au fond, tout cela est tellement britannique. On n’imagine pas un seul instant un Ginger Baker français. Et encore moins un Ginger Baker américain. C’est probablement la raison pour laquelle le film de Jay Bulger, Beware Of Mr Baker, est tellement maladroit. Tout le monde sait que Ginger Baker lui a mis un coup de canne en pleine gueule, et c’est justement ça qui pose problème, car non seulement le film débute sur cette scène, mais on la revoit encore une fois à la fin. Et pourquoi Ginger Baker fout-il sa canne dans la gueule du réalisateur américain ? Parce qu’il apprend que des gens qu’il a virés vont apparaître dans son film, et il ne l’accepte pas. Bing ! Prends ça dans ta gueule ! C’est un procédé très américain : récupérer un incident. Ça fait vendre. Le danger, c’est que les gens qui verront le film ne retiendront que ça, le coup de canne. Alors que le film est censé raconter l’histoire d’un personnage hors normes.

    Dommage, car l’équipe de Bulger débarque chez Ginger Baker, en Afrique du Sud. On entre de plain pied dans l’univers de cet homme qui vieillit bien et qui possède encore des chevaux, sa passion numéro deux après le jazz et les batteurs africains. Installé dans un transat en cuir noir, il raconte sa vie, son enfance pendant la guerre, les bombardements - Great ! J’adore les catastrophes ! - et les bancs vides à l’école le lendemain. Puis il raconte sa rencontre au Flamingo avec God, c’est-à-dire Phil Seaman et passe naturellement à l’évocation de sa muse, l’héro - It was just wonderful - Puis il attaque les gros chapitres, Blues Incorporated, avec Alexis Korner et bien sûr, le Graham Bond ORGANization - et là, Bulger nous sort un fabuleux clip de Graham Bond : on voit des punks en lunettes noires, et je vous prie de croire que ces quatre mecs jouent avec une énergie de tous les diables («Harmonica», en ligne sur Daily Motion) - Bond looked like a white version of Cannonball Adderley. Most of the jazzers didn’t like this as he ignored all the intricate changes on a 12-bar blues by just playing over the three basic chords, but he swung like a demon - On a là un merveilleux portrait d’un autre héros de la scène anglaise que Ginger eut le privilège d’accompagner. C’est Graham qui débauche Ginger et Jack Bruce des Blues Incorporated pour monter sa propre formation - Graham was stoned out of his mind and was raving insanely as he drove back down the M1 - Mais Graham est encore plus dingue que Ginger. Un jour, il va chez EMI et en ressort avec un contrat. Puis il va aussitôt chez Decca. Pareil. Puis chez Phonogram. Même chose. Trois contrats, ce qui est parfaitement illégal - Running the band however turned out to be an increasingly difficult task because Graham was crazy - Sur scène, Graham joue de l’orgue avec une main, de l’alto avec l’autre et la basse au pied - He had begun to look like a pop star and was talking acid with his grass, but nevertheless continued to play his arse off - Il passe naturellement à l’héro, et comme il a du mal à trouver ses veines, il demande à Ginger de lui faire les shoots.

    Bizarrement, dans le film, Ginger ne s’étend pas trop sur son vieux compagnon Jack Bruce. Leurs altercations sont entrées dans la légende. Ginger a viré Jack du Graham Bond ORGANization, mais Clapton l’a fait revenir dans Cream. En gros, Ginger reprochait à Jack de se croire supérieur et ça lui était insupportable. Dans son livre, Ginger raconte le dernier concert de la reformation de Cream, au Madison Square Garden de New York : «Il jouait encore plus fort qu’avant et gueulait dans le micro. On jouait ‘We’re Going Wrong’, un cut basé sur mon jeu de batterie et soudain, Jack se tourna vers moi et gueula devant tout le monde : ‘Non, mec, tu joues trop fort !’ C’était comme au bon vieux temps, il me faisait déjà le coup quand on jouait avec Graham Bond, il le faisait au temps de Cream et si le concert du Royal Albert Hall nous avait ramené aux glory days de 1966, celui de New York nous ramenait aux mauvais jours de 1968. Je fus humilié devant 20 000 personnes et ce ne fut pas une expérience très agréable. Jack jouait de plus en plus fort à mesure qu’on avançait dans le concert et ça devenait insupportable. Alors qu’on sortait de scène, il me dit : ‘J’aurais bien aimé que tu tapes moins fort quand j’essaye de jouer.’»

    Et puis le film aborde l’épisode Cream, un groupe né dans l’imagination de Ginger. Mais comme il le dit si justement dans la séquence, ce n’est pas lui qui va en tirer les marrons du feu, mais Jack et Pete Brown, qui composent les chansons. Ginger n’a pas un rond, alors que les deux autres sont devenus rentiers grâce aux droits. Cream c’est l’époque où Ginger se montre le plus fulgurant, cheveux rouges, voitures de sports, trois groupies à la fois - We were the cream of the cream - Il redit son attachement à Clapton, mais interviewé, Clapton tient une sorte de discours à pincettes pas très clair, disant en gros qu’il faut avoir les reins solides pour fréquenter un mec aussi incontrôlable que Ginger Baker. C’est tout Clapton. Ginger est infiniment plus charitable - Eric and I became close friends - Ils vont ensemble s’acheter des tuniques d’officiers chez I Was Lord Kitchener’s Valet et dans une autre boutique, Ginger trouve cette toque en fourrure d’officier SS du front russe - complete with skull and crossbones - qu’il porte sur la pochette du premier album, Fresh Cream. Et puis Cream s’arrête en pleine tournée parce que Jack joue trop fort. Après un concert, Clapton vient trouver Ginger pour lui dire qu’il en a marre. Ça tombe bien, Ginger en a marre lui aussi. Il vont trouver Robert Stigwood pour lui dire qu’ils arrêtent le groupe. Stigwood ne les croit pas. Et Jack n’est pas au courant ! Fin de la poule aux œufs d’or.

    Ginger vénère les batteurs de jazz, mais il n’a aucune pitié pour les batteurs de rock : «Bonham swinguait comme un bag of shit !». Dans son livre, il revient d’ailleurs sur la mort de Bonham : «En septembre tomba la mauvaise nouvelle de la mort de John Bonham. On a dit qu’il avait trop bu lors d’une party, mais j’ai une autre théorie. On traînait avec la bande de Chelsea et en matière d’héro, John n’était qu’un amateur. Byron venait de trouver une héro extra-strong et quand j’en ai pris, j’étais si stoned que j’ai laissé ma bagnole à Chelsea : je suis parti à pieds jusqu’à Acton, je suis revenu à Chelsea, et comme là je me sentais capable de conduire, je repris ma bagnole. C’est cette nuit-là qu’eut lieu la party où John cassa sa pipe. J’étais assez accro pour pouvoir encaisser l’extra-strong, mais John ne l’était pas du tout.»

    Dans le film, on voit Charlie Watts se moquer gentiment de Ginger : tous les groupes qu’il monte ne durent pas longtemps : Cream, Blind Faith, Airforce. Remarque d’autant plus ironique que les Stones existent encore et que Ginger remplaça Charlie dans the Blues Incorporated. Ginger indique aussi que sur scène, Brian Jones se roulait par terre avec sa guitare. Après un concert des pré-Stones, Brian vient trouver Ginger :

    — What you fink ?

    —Yeah Brian it’s okay, but the drummer is fucking awful. Why don’t you get Charlie Watts ?

    À la suite de l’épisode Cream (et donc de l’accès à la gloire), la vie de Ginger Baker va devenir une suite de faillites et de tentatives de redémarrage, aussi bien au plan musical que sentimental. Épisode africain avec Fela - On partageait tout, les drogues, la musique, les femmes, tout ! - Il monte un studio à Lagos, the place to be à cette époque, on y fait la fête en permanence et c’est là qu’il découvre le polo qui va devenir une obsession. Tout va bien jusqu’au moment où Fela défie le pouvoir. Un beau matin, 1000 soldats attaquent la république de Fela. Et suite à la visite de trois militaires un peu trop louches, Ginger doit fuir le Nigéria sous les balles, au volant de son Land Rover. Il y laisse tout ce qu’il possède. Mais ça ne sera pas la dernière fois. Il rentre à Londres pour se refaire une santé économique avec les frères Gurvitz et pouf il s’achète 30 poneys argentins. Il tombe amoureux d’une gamine de 18 ans, Sarah. Elle pourrait être sa fille. Il quitte sa femme et ses trois gosses. Comme il a des ennuis avec le fisc britannique, il va se planquer en Toscane, dans une ferme coupée du monde, jusqu’au jour où Sarah rencontre un mec de son âge et se fait la cerise. Ginger part alors faire du cinéma à la mormoille en Californie et il rencontre sa troisième femme, Karen. On la voit dans le film. Mais Ginger ne veut pas qu’on parle d’elle. Il essaye de redémarrer sa carrière de rocker, mais personne ne veut jouer de musique avec lui - Too much trouble - Quelqu’un va même jusqu’à insinuer qu’avec Ginger, les choses finissent toujours par mal tourner. Ce n’est paraît-il qu’une question de temps. Ginger leur fait un bras d’honneur et il déclare à la radio que les USA peuvent venir le sucer. Alors bien sûr, il est expulsé et il reperd ses biens. Il envoie paître son fils et Karen le quitte. On voit Ginger tout seul à l’aéroport avec sa valise à roulettes. C’est là qu’il opte pour l’Afrique du Sud - it is very rich musicly - Il dévoile son nouveau concept : polo & jazz. Pour cela, il faut remonter une écurie. Quand il accepte les 5 millions de dollars pour la reformation de Cream, il rachète 24 chevaux anglais, ceux qu’on voit dans le film. Il dépense tout. On le voit avec sa quatrième femme, une petite black. Il se dit ruiné et annonce qu’il va vendre sa propriété. On le voit aussi inhaler de la morphine. Il dit souffrir d’arthrose. Jay Bulger se croit malin en lui demandant :

    — Tu te prends pour un héros tragique ?

    — Go on with your interview. Stop to be an intellectual dickhead.

    Signé : Cazengler, Ginger barquette

    Ginger Baker. Hellraiser. John Blake 2010

    Jay Bulger. Beware Of Mr Baker. DVD 2012

    11 /01 / 2018 / MONTREUIL

    LA COMEDIA

    BROKEN GLASS / RAW DOG

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    La Comedia se remplit, slowly but surely, le temps de contempler la fresque, a work in progress, qui étend ses ramifications – l'est pour le moment en train de grignoter l'étroit espace entre deux protubérances murales - Martin Peronard manie son feutre avec une habileté diabolique, j'en profite pour regarder les affiches des prochaines annonces de concert, vous en parlerai plus longuement un de ces jours, en attendant zieutez celle ci-dessus. Tiens Natasha qui tient le bar a changé de look, différente et totalement elle, l'est des filles qui ont du chien, qui ne perdent jamais leur personnalité, par-delà toutes les métamorphoses. Project Reject n'a pas pu venir ce soir, la soirée sera un peu spéciale, seulement deux groupes, deux binômes, deux formules identiques, guitare-batterie dans les deux cas, nous ne demandons qu'à écouter.

    BROKEN GLASS

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    Premier concert. Brisent la glace dès les premières notes. Indubitable, sont salement rock. Cela transperce de tous côtés. D'abord Thomas Raineaud. Tourné vers sa batterie. Cela peut sembler évident, mais non, quelque chose d'indéfinissable dans la posture qui trahit un comportement particulier. Comme s'il avait un compte à régler avec elle, du genre je te dois une raclée et prépare-toi à la recevoir, maintenant, tout de suite, sans traîner, et d'urgence. Ne va plus la lâcher d'une seconde. Une grêle de coups s'abattent sur les malheureuses peaux, joue sec, serré, sans emphase, au plus pressé, l'on ne peut pas dire qu'il fait monter la pression, la maintiendra au plus haut niveau durant tout le set. A toute vitesse. Ne la laisse pas respirer, sans répit, sans temps mort, heureusement que de l'autre côté José César est en train de jouer, montre ainsi qu'il résout en toute simplicité le problème théorique qu'un tel drummin' suscite, mais quel espace reste-t-il à la guitare dans cette charge sans fin ! Fausse question. Tout est question d'énergie.

    Et de feeling. José ne donne pas dans le piège de la surenchère sonique. Rien ne sert de pousser le volume à fond ou de s'enquérir des Delays les plus tonitruants du marché. L'on n'est pas dans un concours. L'on sent une complicité entre ces deux zigotos, même s'ils n'échangent que de rares regards. Ne s'agit pas de produire du bruit, mais du rock'n'roll, ce qui est différent. De fait la batterie pousse le temps, le décale en avant et c'est dans cette avancée que s'insinue la guitare. Ne vise pas à la submersion phonique, mais une fois investie dans cet étroit couloir, elle ne lâche plus le morceau. Naviguent tous deux de conserve. Sont deux à faire la course en tête, l'on ne sait où ils vont mais on s'accroche et l'on suit. Les titres le proclament bien fort : Come Away With Me et Don't Wait Too Much.

    Mais un verre - quoique brisé – se doit d'être plein de cette écume qui selon Stéphane Mallarmé incite par-delà l'ivresse du tangage au grand désastre – alors José se hâte de verser cette pincée de sel vocal sans laquelle la mer la plus mouvementée tourne en flaque pisseuse. L'aligne les lyrics, les crache - Kill Your Love et Take It Away – juste ce qu'il faut, anneaux de feu et morsures de serpent.

    Huit titres et ils s'arrêtent. Paraissent décontenancés par les applaudissements. Et embarrassés par le rappel. C'est tout ce que l'on a, s'excusent-ils, mais vous savez les enfants gâtés pourris au rock'n'roll, vous leur offrez un gâteau et ils exigent toute la boîte. Alors ils s'excusent et nous promettent d'essayer un truc de répète. Un must. J'aurais jamais cru que ça puisse sonner de cette manière. Vous connaissez le Sweet Dream, des Eurythmics, nous le servent en version ultra-pressé, une batterie affolée, une guitare paniquée, et un vocal crotale, un incendie, trois minutes de bonheur extrême.

    Et puis ils quittent la scène. Une grosse impression. Un groupe à ne pas perdre de vue.

    Damie Chad.

    P. S. :Toutefois il n'y a pas de hasard dans la vie. Au zinc, à Nickopol Coco – qui oeuvre à la programmation de la Comedia et qui vante les mérites du son des vinyles, José évoque ses longues écoutes des album de Jerry Lee Lewis...

    RAW DOG

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    Deuxième bige. La formule ne se révèlera pas du tout répétitive. Les deux groupes ont joué sur les mêmes fûts et utilisé le même ampli, et nous avons eu droit à deux univers différents. Deux planètes issues de deux systèmes solaires situés aux antipodes de la galaxie.

    Fille / Garçon. Le gars à la guitare et la fillette à la batterie. Manière de parler, pleinement femme, Yädre Drum dégage une impression de puissance sereine qui ne va pas tarder à se manifester. Mike Rawdog se place en face d'elle, la symphonie peut commencer. Le son de la guitare déferle sur vous, Yädre tient ses deux bras suspendus en l'air, à la manière des pétrels qui s'apprêtent à prendre leur envol dans la tempête. Attitude shakespearienne. My kingdom for a raw dog ! Un sacré molosse. Un aboyeur de l'enfer. Des muscles et une mâchoire de mastodonte. Un teigneux. Qui ne lâche jamais la barbaque. Et qui revient toujours vous redonner un petit coup de canine sanguinolente pour s'assurer que le travail a été bien fait. Mike the dog, vous jappe les morceaux de toute sa rage. La moitié d'entre eux sont éjaculés en français – L'Occasion Manquée, Les Brutes, File-moi ton Flingue - afin que le message soit plus clair. Critique sociétale et dénonciation de tous les comportements qui ne respectent pas les autres et qui traduisent des égos stupidement démesurés. Parfois en prime Mike les agrémente d'un très bref commentaire des plus explicites.

    Yädre drume dur et fort. Y a de la musicienne en elle, et de l'actrice militante, z'avez l'impression que chaque fois qu'elle assène un coup elle vous signifie quelque chose, qu'elle vous transmet une espèce de message subliminal, une exigence de générosité. Une frappe beethovinienne qui ne recule pas devant l'éloquence et qui brusquement se transforme en une sauvage aversz de grésil, et puis le rythme s'accélère et vous entendez le long halètement spasmodique du chien cru qui court sous la pluie diluvienne afin de parfaire une vengeance qui lui brûle les entrailles, et au piétinement répété de ses pattes sur l'asphalte, vous comprenez qu'il se rapproche de vous, et qu'il est porteur d'une immense colère à l'encontre du monde entier.

    Mike a la guitare vacarmeuse et speedée. N'a pas le temps de contempler les petits oiseaux, un convaincu qui a besoin de dénoncer, d'expliciter, et de montrer la voie de la non-compromission active – Fake Genius, Mental Distress, Nord-Sud – pousse le son, et propulse l'onde de choc. Mike est à l'attaque et Yädre le soutient et le pousse de sa puissance. Se tourne souvent vers elle comme pour se raturer, Antée ne reprenait-il pas des forces lorsqu'il était projeté à terre ? Raw Dog se veut phare et tempête. Cherche à exprimer la chose et sa négativité. Il y réussit parfaitement.

    Un véritable duo. Une prestation sans faille. Nous ont convaincus que le chien cru est le meilleur ami de l'homme.

    Damie Chad.

    ( Photos : FB des artistes, ne correspondent pas au concert )

    12 / 01 2018 / LAGNY-SUR-MARNE

    LOCAL DES LONERS

    BLACK PRINTS

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    L'ampleur de la tâche, Blake et Mortimer étaient deux pour traquer La Marque Jaune, et moi, ce soir, tout seul pour marcher sur les traces de l'Empreinte Noire. Sous la lumière glauque du lampadaire la teuf-teuf m'attend. Route glissante et pare-brise noyé de crachin, mon instinct infaillible de rocker me guide plein nord au travers du labyrinthe improbable de la zone industrielle de Lagny-sur-Marne vers l'antre maudit des Loners. Ce soir la mort sera ma seule compagne.

    J'arrête mon cinéma. Les Loners portent mal leur nom, ce n'est ni le lieu de la désespérance baudelairienne ni l'endroit des solitudes meurtrières. Un club de bikers qui respire l'amitié et la fraternité, et la terrible Empreinte Noire n'est qu'un des meilleurs groupes de rockabilly français actuels, The Black Prints. Je ne dois pas être le seul à le penser, car la salle est pleine pour ce premier concert de l'année, bikers de tous les environs, teds et rockers se croisent, tout heureux de se retrouver dans le local agrandi et refait à neuf.

    INTRO

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    Un groupe improbable. Sur le papier, les Black Prints, un assemblage hétéroclite qui ne devrait jamais marcher. A peine ont-ils touché leurs instruments que vous êtes convaincu que vous êtes en face de la plus redoutable des machines de guerre. Une tuerie. Jean-François est à la basse, Olivier au chant et à la guitare. Jusque-là tout va bien. Thierry avec son wash-board en main, vous paraît être la caution d'authenticité incontestable. Vous vous dites que dès qu'il va commencer à tapoter son engin les alligators sortiront de leur mangrove. Patatras, vous n'auriez jamais dû regarder derrière. Yann est à la batterie. Le pire est à prévoir. Certes ces épaisses mèches bouclées qui retombent en grappe sur son visage ne sont pas sans évoquer certaines photographies de Jerry Lee Lewis jeune. Mais ce collier de barbe foisonnante et cette lèpre de poils qui enserrent sa gorge ressemble à s'y méprendre à cette mousse insidieuse qui envahissait le banc de bois sur lequel le héros de L'Amoureuse Initiation d'Oscar Vladimir de Lubicsz- Milosz rencontra le Diable... Mauvais présage. A la seconde concrétisé. Une cataracte déchire le ciel. Une frappe lourde, d'une violence monstrueuse, une avalanche à vous détruire ad vitam aeternam les saintes lois de la rythmique rockabilly. Tout est perdu. Le monde est foutu.

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    Et le miracle d'équilibre se produit. En six secondes vous êtes sur le petit nuage du parfait bonheur, accrochez-vous tout de même, car le vent le pousse méchamment. D'abord Jean-François. Jamais vous n'avez entendu une basse Fender si moelleuse, un tel swing d'une onctuosité sourde et profonde. Peut abattre tous les chênes qu'il veut pour le bûcher d'Hercule sur sa batterie Yann, Jean-Francois vous amortit ces coups fatidiques dans l'ouate de son toucher, vous crée une épaisseur phonique ondulatoire qui englobe la puissance de la frappe yannique sans l'amoindrir, l'un produit la pierre de foudre et l'autre la propulse en la faisant tournoyer, comme avec une fronde.

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    Olivier, longue silhouette de noir vêtue, Gretsch orange et pierre turquoise talismanique au ras du cou. Le grand ordonnateur. Si Jean-François et Yann sont la machinerie de l'horloge du rock'n'roll, Olivier indique l'heure. Manie les deux aiguilles du cadran, celle du chant et celle du son. Un orfèvre, d'une précision absolue. Un phrasé d'une justesse étonnante, d'une flexibilité déroutante, l'on peut dire de lui qu'il ne chante pas pour passer le temps mais pour égrener la signifiance du rockabilly. Les syllabes sont agencées selon une économie vertigineuse. Déploie la richesse intonative du rockab, à tout instant rien de trop, rien de moins que la morsure du mamba, une diction parfaite digne des agencements les plus subtils des prosodies poétiques. Idem pour le jeu de guitare, fait retentir la vibration particulière de chaque corde, donne tout son sens à l'adage de Paul Valéry selon lequel ce qui est précis est précieux, avant d'enfanter le son qui tue, l'archer bande l'arc, et la flèche vole vers votre cœur.

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    Il semblerait qu'avec son tambourin, sa washboard et ses maracas Thierry en soit réduit à jouer les utilités. Broderies country, chapeau de cowboy et grand sourire, s'insinue dans votre oreille et ne la quitte plus. L'est la trotteuse de la montre, celle que l'on regarde en premier, la fascinante qui attire votre regard, qui tourne sans fin, et qui grignote une par une le décompte de votre vie qui vous est impartie depuis votre naissance. Le tapotement du temps qui passe, la fosse qui se creuse, et le tourbillon de la vie, le rock'n'roll qui emporte tout.

    PREMIER SET

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    Avant d'ouvrir le coffre aux merveilles, de plonger dans le répertoire rockab les Black Prints nous avertissent d'une sage décision, d'abord une bonne dizaine de leurs propres compositions qui n'ont pas à rougir de celles de leur aînés. De véritables classiques, There's Rock'n'roll on the Radio, Two Tones Shoes, percutants à souhait, qui tout de suite mettent le public en joie et engendre sur scène une complicité stimulante. Quatuor avec cordes et percussions.

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    Jean-François danse une étrange danse du scalp comme s'il était lui-même attaché au poteau de torture. Ce sont les contorsions de son corps qui bougent ses doigts, de l'autre côté de la scène Thierry pratiquement immobile donne la réplique aux tambours de guerre de Yann. Tient le rythme à l'identique, comme en sourdine insistante, chasse une mouche tandis que Yann écrase un éléphant. Basse et guitare se liguent contre cette tonitruance explosive, s'amusent comme des fous, les rochers de Yann déboulent comme une charge de cavalerie lourde et hop, guitare et basse, prennent la tête de cette charge héroïque et en prolongent les effets dévastateurs, la mènent encore plus loin qu'elle ne serait allée toute seule. Impassible, Thierry régule le tout de son trot régulier mais inextinguible. Ce soir le rock'n'roll est de sortie et rien ne l'arrêtera.

    PHILOU

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    L'est sûr que cette soirée roule trop bien et que l'on va s'amuser. Olivier demande à Philou de monter sur scène. Tout de suite plébiscité par le public. Et Phil, l'ancien – toujours actuel dans nos cœurs - batteur de Ghost Highway, hisse sa haute carcasse sur le podium, l'a cette allure du gars embarrassé qui n'ose pas opposer un refus à cette douce violence collective. S'assoit d'un air ennuyé sur le tabouret de Yann qui lui a laissé la place. Tant pis pour lui, tout juste le temps de se saisir des baguettes qu'Olivier lance sans préavis une intro fracassante, métamorphose subite, le géant débonnaire prend le relai comme si de rien n'était, une machine à rythme, instantanément adaptable, à croire qu'ils ont répété toute la semaine, mais non c'est de l'impro impromptue telle que peuvent se le permettre des musiciens qui ont le rockab chevillé à l'âme depuis la prime adolescence. L'a le break rythmique Phil, là où Yann explose, lui il glisse et fuit, une course en avant qui évite tous les obstacles, le voleur futé qui se faufile entre les gendarmes dans les cours de récréation. Et les Black Prints s'agglutinent comme le moule autour de la statue à cette frappe si différente, une escadrille d'avions de combats qui au cours de l'attaque adaptent instinctivement leur formation à toutes les situations. Trois titres défilent à une vitesse prodigieuse, c'est déjà fini, Phil se lève, tout content, mais avec cette mine du type modeste qui a peur de vous avoir ennuyé, et rejoint le public sous les acclamations.

    FIN DU SET

    N'ayez crainte, c'est loin d'être fini, les Black Prints tapent maintenant dans le répertoire illimité du rockab. C'est loin d'être le plus facile, le public connaît, et l'on vous attend au tournant. A part que les avis divergent sur la dangerosité du virage maléfique, personne ne le situe au même endroit, et pire que cela chacun, possède sa propre référence interprétative qu'il juge historiale et indépassable. Chasse-trappe généralisée et terrain miné. Autant dire que le combo a intérêt à enlever d'assaut le morceau à la baïonnette, sans coup férir. Par contre si vous avez le brio et le style l'on vous pardonnera tous vos choix esthétiques, vous emmènerez tout le monde avec vous, tel Bonaparte sous la mitraille du Pont d'Arcole.

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    A ce jeu-là les Black Prints sont d'une maestria impériale et impérieuse, vous emportent jusqu'au bout de la Voie Lactée, avec aisance et élégance, la répartie facile vis-à-vis du public égayé de se retrouver en pays de cocagne rockab conquis, et cette générosité animalement humaine sans laquelle le plus grand des virtuoses ne produit que bâillements et ennui. Les Black Prints, c'est d'abord cette rythmique infernale du beat ted, intraitable et insatiable, le dragon de feu qui avance imperturbablement, une espèce d'ossature mouvante qui se colle à vous, tel le lierre qui s'enroule autour de l'arbre. Et Yann réussit de sa frappe baroque, de sa frappe barocke, le prodige de produire cette étincelle de vie primordiale, le pouls irréversible du rock qui s'en vient cogner aux portes des corps en transe. Se permet en sus des fantaisies irrémédiables, comme de temps en temps au milieu de la tourmente ce coup solitaire et incongru sur sa cloche de vache, et aussitôt se déploie dans votre imaginaire l'image mentale de la Noiraude ramenant son troupeau à l'étable à l'heure de la traite, racine country du rock'n'roll qui pousse sa corne agreste dans la démence rock. De la quinzaine de titres qui se succèderont à vitesse grand V, j'élirai ce Baby Let's Play House, une incandescence absolue, un trait de feu qui vous marque l'âme au fer rouge, et le morceau final, le Sweetie Pie d'Eddie Cochran, Olivier au vocal transcendantal, tous les sous-entendus de la coquinerie du rockak, vous avez la mousse du gâteau érotique, l'ambroisie charnelle qui se colle à votre palais...

    SECOND SET

    Non ce ne sont plus les Black Prints. Sont toujours là, je vous rassure, mais au second plan. Totalement éclipsés par Audrey.

    AU DREY 

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    Au micro. Toute simple. Toute seule dans sa marinière. Venue d'une autre planète. Même pas le temps de l'admirer que les Black Prints déploient les premières notes de ce chant de guerre qu'est Great Balls of Fire. Et c'est-là qu'Au Drey subjugue. Elle frappe en plein cœur. Et pourtant l'on est si loin d'une interprétation dynamite. Se contente de poser les mots, tout doux, tout simplement, mais à l'endroit adéquat, les enchâsse comme les pierres précieuses dans une parure de diamant. Le coup de foudre tranquille. La foule calcinée en un instant. Et celui-ci, qui n'y tient plus, qui par trois fois dans le silence approbatif et bourdonnant qui s'est installé par magie, s'écrie, traduisant l'impression générale, '' Je suis amoureux'', l'est sûr qu'elle est superbement mignonne avec ses yeux clairs, ses pieds de princesse, et sa coupe de cheveux moderne, mais irrésistible et révolutionnaire par ce vocal péremptoirement doucereux qui vous transperce à chaque mot d'un trait mortel. Suit un Fever renversant. A vous faire exploser le thermomètre. L'a une manière tellement à elle de murmurer le mot Fever à votre oreille que vous frissonnez, ne vous promet pas l'extase, elle vous la donne, vous l'offre de toute sa gracilité envoûtante. Un dernier morceau, un Bang Bang mirifiquement interprété à la sauce rockabilly par les Black Prints, et toujours cet art de ciseler les syllabes, de les faire resplendir comme jamais, Bang Bang, Au Drey vous susurre, du bout de ses lèvres roses, des coups de revolver à bout portant, et vous aimez cela. Elle s'enfuit pratiquement de scène, émotionnée par l'ovation du public. Un instant de grâce. Et de rêve.

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    SUITE ET FIN

    Reprenons nos esprits. Nous avons eu la vision du paradis, il est temps pour les pécheurs endurcis que nous sommes de retourner dans l'enfer du rock'n'roll. Les Black Prints sortent le grand jeu. Débutent par un Restless de toute beauté. Je ne l'ai jamais entendu si magnifiquement et si finement interprété. La guitare d'Olivier réussit le prodige de donner l'illusion qu'elle pleure tout en se livrant à une cavalcade infinie. Continuent sur cette lancée. Z'ont le feu sacré, déferlent coup sur coup Runaway Boys – lyrique et exacerbé en diable, immédiatement suivi de Dance To The Bop – la voix d'Olivier se fait caresse et ressuscite le fantôme de Gene Vincent, les doigts de Jean-François ne touchent pas les cordes, s'enfoncent dans une motte de beurre, Thierry balbutie la douceur du monde et, à l'instant idoine que toute la salle guette, Yann vous lance l'exocet du bop sous la ligne de flottaison, et c'est parti pour le grand tangage... Shakin'All Over, la guitare d'Olivier flambe, la flamme du désir embrase la salle, les Prints nous envoûtent. Un My Babe, torturé et kaotique, ponctue cette séquence fabuleuse.

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    Ne vais pas tout vous raconter. Vous en crèveriez de dépit. La liste est longue. Tout de même ce Ready Teddy et ce Brand New Cadillac, sortis tout droit de la grande fabuloserie. Uns séquence special Ted, plébiscitée par le public de fans, un Old Black Joe chanté en chœur, un Dixie hymnique suivie d'une dernière séquence blues, l'autre face, l'empreinte noire, du vieux Sud, Jean-François à l'harmonica vous déchire les tympans et Audrey s'en vient poser la rosée apaisante de quelques mots bleus, et c'est fini. Enfin presque, trois rappels supplémentaires pour avoir le droit de terminer le concert.

    Un concert comme on en voit peu. Comme on n'en voit plus.

    Damie Chad.

    P.S. : L'on se bouscule dans les coulisses, pour s'arracher les rares exemplaires restants de leur dernier album. Le prochain est prévu pour bientôt. Avec Emilie Crédaro à la guitare. Absente ce soir. Une bonne excuse pour les revoir au plus vite. Et Au Drey aussi.

    ( Photos : FB / Rockin' Lolo )

    DOUCHE FROIDE

    FRED CALONE

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    L'envie d'en voir plus. Vous avez vu ces photos dans la livraison de KR'TNT ! 400, m'en étais servi pour rehausser la kronic sur le concert de System-syS et de Punish Yourself, au Chaudron le 21 / 12 / 2018 au Mée-sur-Seine. Suis allé sur son Flick ( tapez Douche Froide ), me balader un peu. J'ai tout zieuté. Plus de 300 photos. N'ai pas perdu mon temps. Des photographes dans les concerts de rock, il y a en plein. Quelques uns ont un truc : un regard qui n'appartient qu'à eux. Fred Calone est de ceux-là.

    Un premier étonnement : la série consacrée à Punish Yourself est la seule qui soit en couleurs. Sinon Fred Calone ne nous présente que du noir et blanc, ce qui correspond à merveille à son blaze Douche Froide. Je précise, Fred Calone photographie surtout en noir. Comme d'autres écrivent des romans noirs. Pas parce qu'ils aiment les flics, mais parce l'être humain possède l'âme la plus noire de tout le règne animal. Fred Calone, c'est toutefois un peu différent, il cherche le détail, qui fasse miroiter la beauté insoupçonnée et perdue du monde dans les endroits de grande noirceur.

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    Commence souvent par les pieds. Même pas nus. Gainés de cuir. Des chaussures. Rodin présentait des statues sans tête, Calone montre des pieds sans corps. Ça n'a l'air de rien un pied posé sur la scène d'un concert. C'est pourtant l'assise de l'être humain. C'est ici qu'il repose. En attendant le cimetière. Gros-plan sur le lieu exact de son implantation. Même pas l'espace volumique. Juste l'endroit du décor où quelque chose se passe. C'est trivial un pied, c'est bête, mais peut-être veut-il nous signifier qu'il y a des coups de pied dans les yeux qui se perdent.

    Photos de concerts. Si vous voulez des renseignements sur le spectacle, cherchez ailleurs. Fred Calone n'édite pas des dépliants touristiques. Ne donne pas dans le reportage universel. Il capte l'universel. N'ayez pas peur des grands mots. L'universel n'a rien à voir avec des photos de groupes. Fussent-ils de rock ! L'universel c'est aussi bien un pied de micro qu'un câble électrique enroulé sur le plancher. Le détail. Qui ne signifie rien que lui-même. Ces objets qui traînent autour de nous, dont nous ne faisons pas cas. Fred Calone nous rassure, il est inutile de regretter notre manque d'attention, ces pauvres artefacts ne s'intéressent pas à nous. Se contentent d'être seuls dans leur solitude. Nous aussi. Mais nous, nous essayons de le cacher.

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    Alors Fred Calone nous montre ce que nous ne voudrions pas voir. C'est fort le rock, ça bouge dans tous les sens, ça tohu-bohute; ça tumulte à fond. C'est la vie, la joie et la rage de vivre. Pas tout à fait. C'est maintenant que Calone tire la chasse de sa douche froide. Bye-bye les artistes. Bonjour les monuments funéraires. Des statues grises. Des vivants morts. Des fantômes détachés de leur existence. Son objectif saisit des corps. Comme au temps des grandes glaciations ces mammouths figés en un seul instant, la gueule encore emplie de fourrage. Transforme les humains en statue de sel. Des gangues de cadavres qui ressemblent à ces gisants de Pompéi surpris en leut quotidienneté.

    Mais Fred Calone ne mitraille pas à tout-vat et à bout portant. Son œil n'est pas le rayon de la mort qui balaie la scène du monde au hasard. Il ne ratisse pas large. Tout au contraire. Il cherche le geste significatif, l'acte symbolique. C'est sa manière à lui d'abolir le hasard. Il ne met pas en scène. Il cherche le hors-scène, cette seconde fatidique où le guitariste n'est plus guitariste, où le chanteur n'est plus chanteur. L'impression qu'il pousse ses sujets hors d'eux-mêmes et de la scène. Il les entoure d'une camisole de solitude excédentaire qui fait froid dans le dos. Il les détache de leur statut de star, les plante au milieu de monde, à eux de se débrouiller comme ils peuvent. Et ils ne peuvent rien. Sont tétanisés, titanisés de pierre grise et d'immobilité – incapables d'esquisser le moindre geste qui serait preuve de leur liberté. Fred Calone nous le crie violemment à l'oreille, nous sommes prisonniers de nous-mêmes, murés dans la banquise de l'être pour toujours. Le monde est une glu dont on ne s'échappe point.

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    Beaucoup de photos de scènes. Mais elles cherchent l'obscène. Ces moments où ne sommes pas nous, où ne sommes que notre nudité dévoilée. Pas celle du corps, celle intérieure, quand nous ne sommes que poses et fanfaronnades, quand nous ne sommes que la trahison de nos travers, de nos fuites, quand nous exprimons cette sensation du néant qui nous traverse et nous sert d'ossature. Nous sommes des châteaux de cartes, en équilibre précaire, un souffle nous détruirait, un clic d'appareil photographique y parvient facilement. Encore est-il nécessaire que l'œil du photographe agisse tel un scalpel. Qu'il déchire la belle image de surface derrière laquelle nous nous réfugions, qu'il la traverse tel un rayon X, afin de révéler cette pourriture néantifère dont nous sommes constitués.

    Fred Calonne n'affiche pas que les mannequins que nous sommes. Il descend dans les Catacombes. Aux anciens morts du cimetière des Innocents, les mains vides. Os et têtes de morts. Mais aucune piraterie romantique. Des entassements d'ossements. L'anonymat parfait. Ses grandes orbites creuses et vides qui nous regardent sans nous voir. Un constat glacial de l'inanité du rien. Alors Fred Calone s'amuse. Il change la donne. Au blanc du néant et au noir de la nuit, il substitue la douce couleur mordorée des rayons de couleurs automnaux. Ici vous auriez envie de psalmodier à l'instar des poëtes qu'en ce lieu tout est calme, luxe et volupté, mais non ce ne sont que bout d'os et occiputs troués, ni plus ni moins. La couleur n'ouvre pas l'horizon, elle le ferme tout autant que le blanc et le noir.

    Trop de noir, alors regardez la série Expo Jérôme Zonder. C'est la page blanche de Fred Calone. Ni plus ni moins qu'un livre. Un Lieu à Soi de Virginia Woolf, mais étalé en grand sur les murs d'une galerie, un texte que Zonder a agrémenté de dessins de femmes. Des nudités sauvages et militantes. Des désespérées, prêtes à se déchirer sur les barbelés du vaste camp de concentration d'une société machiste et objectale. Encore faut-il savoir lire, débusquer la cruauté du vide pour y ajouter la carcéralité du vivant phantasmatique. Calone ne feuillette pas le bouquin, il en arrache les pages, nous montre combien le papier est glacé, et que ce froid absolu n'est que la pointe de l'iceberg qui émerge et affleure nos représentations. Nos volontés impuissantes, aussi.

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    Regardez aussi les deux séries sur Les Tétines Noires. Ni tétons ni tétins. Hormis le groupe en pleine action, seul un homme nu. Sexe au repos de toute présence humaine. Déchaînement autour. L'homme transformé en poupée gonflable des désirs morts. La dernière photo est machiavélique, Fred Calone vous donne envie de tirer sur la sonnette d'alarme d'un train immobile qui ne s'arrêtera jamais.

    J'arrêterai sur la série Machinalis Tarantulae, setlist posée à terre sur fond noir, et à côté, sur la gauche, cette croix rouge de sparadrap pour désigner le lieu, le point exact, où il ne se passe rien. Et votre regard qui reste aussi immobile que le Corbeau d'Edgar Poe, à fixer le rien. Nul essor.

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    Certes Fred Calone offre une vision du rock peu chatoyante. Un étiqueteur parlerait d'indus et de post-noise apocalyptique. Mais Fred Calone n'aime pas les mots ronflants et définitifs. Il dépasse les oripeaux. Son rock, et surtout ses photos, atteignent à une tragédie métaphysique inégalée jusqu'à ce jour.

    Damie Chad.

    P.S. : les photos sont prises sur son FB : Douche Froide Photographie ce qui explique le l'american prude logo censured sur certaines parties anatomiques, voyez plutôt sur Flick.

    ROCK CRITIC N° 11

    Décembre / Janvier / Février 2018

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    Tout beau mais pas tout neuf. C'est un peu la danseuse de Ben Hito et de Géant Vert. Le fanzine de la zone libre. Sur papier glacé, en couleur et distribué gratuitement dans une vingtaine de villes en France. Si vous n'aimez pas lire, ce n'est pas grave. Rock Critic, d'abord ça se regarde. Question graphisme vos yeux oscilleront entre hyper-réalisme et soviétik propaganda. Esthétique de l'impact visuel. Un peu daté, mais très beau. C'est comme la profession de rock-critique, fut un temps où ils étaient aussi célèbres que les rock-stars, z'apportaient la bonne parole à un peuple d'affamés, mais c'est fini. Aujourd'hui sur internet tout le monde y va de sa petite bafouille. Certains le regrettent. D'autres citent Platon qui fustigeait la démocratie qui permet à n'importe qui de prétendre à des postes de responsabilité, politique, économique et morale. Un discours un peu rétrograde.

    Rock Critic, eux se réclamerait plutôt du Do It Yourself. Sont connotés punk. D'ailleurs le numéro débute par une interview de Glen Matlock. Ne dit pas que des stupidités. A part quelques méchancetés ( méritées ? ) sur Johnny Rotten, ne tient que des propos estampillés au marbre de la sagesse. Les chiens fous ne devraient jamais vieillir. James Dean avait raison, mieux vaut vivre vite et faire un beau cadavre. Remarquez que je suis le premier à ne pas avoir suivi le deuxième commandement... A la page suivante ce n'est guère mieux, Dead Can Dance a eu du mal a finir son disque, l'est des moments où la santé vacille, la vieillesse est un naufrage... L'Ombre Verte raconte son voyage au Vietnam. Pas la joie. Apparemment ailleurs l'herbe asiatique n'est pas plus verte que par chez nous. Un truc à démoraliser les trotskystes engrangés dans les Comités Vietnam en 1968... Z'ensuite les chroniques disques ( une consacrée à Odetta, chose rare ) et Bande Dessinée...

    J'ai récupéré ce numéro à la Comédia. Croyais que c'était le tout nouveau. Mais non il date de l'année précédente. Le dernier en date. Peut-être pas l'ultime. Z'ont tenté une cagnotte en 2017, pour augmenter le tirage, voulaient frôler les 20 000, et équilibrer le budget avec des placards ( filtrés ) publicitaires. Une stratégie qui se défend. Perso, je ne condamne pas, je préfère la gratuité sans appel à la participation financière du peuple ami. C'est pour cela que KR'TNT qui était sur papier en ses débuts historiques est très vite passé sur le net. Suffira un jour que des esprits mal-intentionnés appuient sur un clic pour que subissions l'extinction des dinosaures. Nous bâtissons des châteaux de sable.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 223 : KR'TNT ! 342 : CEDDEL DAVIS / LINDSAY HUTTON ( + NTB ) / ABK6 / SKYVOX / MOOVIE / CORA LYNN & THE RHYTHM SNATCHERS / YANN THE CORRUPTED / BLACK PRINTS / ANDY WARHOL ( + ULTRA VIOLET )

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    , CEDELL DAVIS, LINDSAY HUTTON ( + NBT ), ABK6, SKYVOX, MOOVIE, CORA LYNN & THE RHYTHM SNATCHERS, YANN THE CORRUPTED, BLACK PRINTS, ANDY WARHOL ( + ULTRA VIOLET )

    LIVRAISON 342

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    05 / 10 / 2017

     

    CEDELL DAVIS / LINDSAY HUTTON ( + NBT )

    ABK6 / SKYVOX / MOOVIE

    CORA LYNN & THE RHYTHM SNATCHERS

    YANN THE CORRUPTED / THE BLACK PRINTS

    ANDY WARHOL ( + ULTRA VIOLET )

     

    Cedell ne cède pas

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    Cedell Davis vient de casser sa pipe. Le cœur. De toute façon, il était baisé d’avance. Paralysé de partout, coincé dans un fauteuil roulant, écrabouillé par la main de Dieu, et malgré tout ça, il a réussi à se tailler une solide réputation de real raw bluesman. Il utilisait un couteau à beurre en guise de bottleneck, oh il n’était pas aussi précis qu’Eric Clapton, mais à la limite, ne préférerait-on pas que tous les guitaristes de blues jouent comme Cedell Davis, un peu au pif ?

    Cedell était un vieux de la vieille d’Helena, dans l’Arkansas. Un proche d’Isiah Doctor Ross. Il vit Robert Johnson quand il était môme et il connaissait Elmore James avant que celui-ci n’entrât dans la légende. Cedell reconnaissait volontiers qu’Elmore jouait mieux que lui - He was a better guitar player than I was - Elmore venait jouer chaque week-end chez le père de Cedell, dans un bar sur Plaza Street, à Helena. Le pauvre Elmore avait déjà un gros problème avec l’alcool - And the doctor told him : Elmore don’t mess with that whiskey - Et il savait bien sûr jouer de la slide - Elmore James could slide - Taquin, Cedell ajoutait : «Savez-vous de qui il tient ça ? De Robert Nighthawk ! Robert Nighthawk was the best slide man you could find back in them days !» Pendant dix ans, de 1953 à 1963, ce veinard de Cedell accompagna Robert Nighthawk.

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    Dans un très bel article paru dans Blues Magazine, Alice Clark raconte que Cedell a fait une crise cardiaque en 2015. Depuis, il ne peut plus jouer de guitare. Il ne pouvait déjà plus marcher et il était aussi quasiment sourd. Mais Cedell ne cède pas. À 88 ans, il répétait qu’il ne céderait jamais - I am the type of person who is not going to give up - Comme Jerry Lee, il peut se permettre d’intituler un album «Last Man Standing», version américaine du S’il n’en reste qu’un je serai celui-là. Cedell rappelait qu’Helena et West Memphis, Arkansas, étaient les biggest music towns, bien avant Memphis, Tennessee. Cedell vit aussi jouer Robert Lockwood. Rice Miller voulut le prendre avec lui en tournée, mais Cedell se méfiait de lui. Rice Miller avait pour habitude de disparaître avec la recette des concerts.

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    Son premier album The Horror Of It All est sorti en 1988 sur Fat Possum, évidemment. On l’adore pour son primitivisme enragé. Il suffit d’écouter «Chicken Hank» pour comprendre que Cedell ne se mouche pas avec une cuillère en or dans la bouche. Rien de plus primitif que ce cut tapé sur une caisse et chanté au chicot qui tombe dans la soupe au chou - Uh ! Uh ! - Cedell hoquette le blues et derrière ça bat très approximativement. Ah t’as voulu voir la cabane ? Eh bien voilà la cabane ! Même le solo est pourri, ça pue le vieux bidon. Ils font n’importe quoi ! On a le même genre de désaille avec «I Want You». Cedell fait les choses à sa façon, au mépris qu’en dira-t-on - I love ya baby - Il gratte son vieux riff tout seul - I’m gonna do the best I can - Tu parles, qui voudra de toi, cripple ! Kenny Brown ramène sa fraise sur «If You Like Fat Mama», un heavy blues de boogie boogah classique. On se régale aussi de «Coon Can Mattie», un vieux heavy blues chanté à l’édentée, sauf que Cedell le fait pour de vrai. Il n’a plus de jambes, plus de dents et plus de bras. Un pervers ajouterait : pas de chocolat. Mais son «Keep On Snatchin’ It» vaut tous les coups de bastringue du monde. C’est joué à la ramasse et gratté à la va-comme-je-te-pousse, au pur Grosjean-comme-devant du pousse-toi-de-là-que-je-m’y-mette. On reste dans le pur approximatif avec «Come On Baby». Cedell y va au pif du groove et avec sa guitare, il fout le souk dans la médina. Il joue tout ça à la mesure aventureuse. On l’entend gratter ses cordes au couteau à beurre dans «Cold Chills» - You know baby/ She told me so this morning - Il joue son blues de cabane pourrie, celle qu’on voit là-bas, tout au bout de ce champ abandonné par les patrons blancs dégénérés.

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    Sur la pochette de Feel Like Doin’ Something Wrong, Cedell ressemble vraiment au diable. Attention, c’est un album terrifiant de qualité, l’un des grands disques de blues contemporain. On est littéralement happé dès «Don’t Know Why», bien soutenu et plein de son. C’est Robert Palmer qui produit. Nous voilà donc dans le saint des saints. Cedell claque son boogie à l’édentée. Handicap man est un sacré meneur. Cripple man est protégé des dieux. Il chante son boogah à la pure perfe et gratte ses cordes au couteau à beurre. Alors forcément, ça tourne vite à l’énormité cavalante. Avec «Everyday Day Every Way», Cedell invente un genre nouveau : le blues du bord du fleuve au couteau à beurre. Il sonne comme un délinquant atroce, sa voix traîne dans le caniveau. Plus primitif, ça n’existe pas. Il fait tout à l’ancienne. Il gratte tout à la lame. Il tape dans John Lee Hooker avec «Boogie Chillum Nb2» et chante ça avec une voix de mauvais bougre de la frontière. Puis il tape son «Baby I Want You So» au groove problématique. Avec Cedell, il faut s’attendre à tout. Il a un petit côté trash qui finit par le rendre indispensable. Il traite «If You Like Fat Woman» à l’édentée pure et dure. Sa langue chuinte à travers les gencives abîmées. C’est raide, il faut bien l’avouer. En plus, il s’amuse à gratter en décalage, histoire d’effaroucher les puristes. Mais il faut l’entendre chanter «Feeling Rain Blues». C’est pas compliqué : il chante comme un dieu du blues. Cedell Davis pourrait ben être le vrai truc, au sens où RL Burnside et T-Model Ford pouvaient l’être. Avec «In The Evening», il chante du nez à la délinquance suprême. Voilà la vraie heavyness du fleuve. Mais tout cela n’est rien en comparaison de ce qui arrive. Il claque «Sit Down On My Knee» à la violence de voyou malveillant. Cedell joue comme un punk des bas-fonds d’Helena. Il gratte comme il peut et ses notes traînent la savate. C’est tellement mal joué que ça en devient idéal. Il est le plus crade des bluesmen. Il tape dans Lowell Fulson avec «Reconsider Baby». C’est faux mais c’est bon. Son «Got To Be Moving On» est aussi complètement faux, mais ça passe bien, car c’est l’apanage du diable. À la limite, on préfère Cedell le trash à Steve la gerbe. Il termine avec une reprise de «Green Onions». Il y va au couteau à beurre !

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    Cedell Davis et Herman Alexander se partagent Highway 61 paru en 2003. Herman est excellent, mais ce n’est pas lui qu’on filoche. Il joue le blues qu’on a envie d’entendre, dommage. Et dès qu’on arrive chez Cedell, on sent la différence. Cedell ne rigole pas. Avec «Blues For Big Town», il gratte la cabane. Il explose le blues. C’est Cedell qu’il vous faut. Dans «When I Woke Up This Morning», il fait le show à l’harmo. Il chante comme un soudard, à pleine bouche. Il tape dans «Sugar Mama» et il écrase le blues comme une merde au coin de la rue. Il nous refait le coup des coups d’harmo. Oh il bat Taste, c’est sûr ! Le blues revient toujours au black, c’est son truc. Les petits culs blancs n’ont qu’à se rhabiller, sauf Bonnie, bien sûr. Il joue «Got To Move Down The Road» à la cabane branlante. C’est le style de Cedell, prince de la désaille de fauteuil roulant. Il est dans la précarité du blues, c’est qui fait sa grandeur. Il claque «74 Is A Freight Train» à l’éclaircie du heavy blues. Terrible et patibulaire à la fois. Ce black est un punk du blues, il est mille plus violent que Wolf. Il pousse ses syllabes très loin et il joue faux. Il gratte «Hard Luck Blues» au désespoir d’une vie baisée. Cedell remonte à la surface, on sent son haleine chaude. Ce vieil infirme a le génie du blues.

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    Sur la pochette de Last Man Standing Cedell ressemble encore plus au diable. Décidément, ce mec fait tout ce qu’il faut pour hanter les imaginaires. En fait, Last Man Standing est couplé avec When Lightning Stuck The Pine, le quatrième album de Cedell. Le mec qui joue de la batterie sur ces disques n’est autre que Barrett Martin, le batteur des Screaming Trees. Avec «Catfish & Cornberead», Cedell le punk va chercher son catfish au fond du deep blue sea. Oh yeah, il tape dans le punk-blues, le vrai, celui du couteau à beurre. Ce cut d’ouverture est terrible de heavyness et de son. Si on aime le vrai blues à diction mouillée, alors il faut écouter Cedell Davis. Sur «Party Woman», Cedell duette avec une fille et ça devient vite gras et déconnant. Avec «Who’s Loving You Tonight», Cedell passe au heavy-très-heavy blues. Il règle ses comptes - But that’s alrite/ I know you don’t love me no more - Et il envoie sa gerbe de that’s alrite. Dans «Mississippi Story», il évoque Howlin’ Wolf et Doctor Ross - We were born on the same farm - Il fait le talking blues le plus trash de l’histoire du blues. Et Cedell nous plie «Need You So» en quatre avant de trasher «Yackety Yack» jusqu’à l’os. Il embraye son orchestre à la volée et bascule dans la démence de l’instance furtive. Il faut l’entendre chanter «Everyday Seems The Same». Comme il va - Everyday ! Everyday ! - Spectaculaire ! Et il revient au heavy blues de rêve avec «Further Up On The Road» qu’il chante du haut de sa classe épouvantable.

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    Le second disque s’appelle When Lightning Stuck The Pine. Les gens qui accompagnent Cedell Davis ont bien compris qu’ils allaient jouer du punk-blues. Et ça démarre en trombe avec «Pay To Play». Le vieux Cedell y va franco de port. Il n’a plus rien à perdre. Il s’inscrit dans LA tradition, la vraie, celle des blacks qui n’ont absolument plus rien à perdre. Il reprend le flambeau des géants qui l’ont précédé, comme Muddy et Wolf, avec une niaque exceptionnelle. Il enchaîne avec un heavy blues infernal, «Come On And Ride With Me». Il peut se montrer terrifiant de grandeur bluesy - Please come and stay with me - Il faut entendre Cedell gratter dans la clameur. Il attaque «Woke Up This Morning» avec une violence de soudard. Sa voix grasse à l’édentée fait tout la différence. Retour à la heavyness des enfers avec «So Long I Hate To See You Go». Non, Cedell ne cède pas. Il ne cédera jamais. Il tape là dans la pire des heavyness qu’on ait pu voir ici bas, avec un son exceptionnel. Avec «Give Me That Look», ça déboule aussitôt. Quelle violence dans le riffage ! Cedell en profite car il a le son. Même chose pour «Love Me A Little While». Il reprend «Cold Chills» et en refait une énormité. On n’est plus à ça près. On y entend le son monter brutalement, comme la marée dans la vallée de la mort. Puis il attaque «One Of These Days» à l’assaut frontal. Il rend hommage à T-Bone Walker. Il chante ça à l’énergie du désespoir. C’est vrai qu’il dégage une énergie phénoménale. Il prend «Propaganda» au low-down de la lo-fi et nous envoie valser une fois de plus au fond du marigot de la heavyness avec «Rub Me Baby». Cedell connaît les femmes, alors pas de problème. Derrière lui, ça pulse avec un son dément - Rub me everyday ! - On sort complètement rubbé de ce disque.

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    Son dernier album Even The Devil Gets The Blues vient de paraître. Matthew Smith et toute la bande de Detroiters qui accompagnaient jadis Nathaniel Mayer sont là, derrière Cedell le punk pour «Play With Your Puddle». Ce sont les mecs des Screaming Trees qui font la rythmique. Nous voilà donc une fois encore dans le saint des saints. Ça envoie des coups de trompette dans la gueule du drive ! Et la trompette wha-whate, mon pote, alors attention aux yeux ! Ils jettent du Miles Davis dans la fournaise. Heureusement, ils se calment avec le deuxième cut, «The Silvertone». Ouf ! On l’a échappé belle ! Cedell chante à la cancéreuse, il n’a plus de dents depuis longtemps. De toute façon, il s’en branle des photographes, il rampe jusqu’au micro, alors inutile d’aller le faire chier. Faites pas chier Cedell Davis. C’est une certaine Annie Jantzer qui attaque «Love Blues», elle est bonne, mais quand Cedell entre au cinquième couplet, il fait du Wolf ! Quel fabuleux duo ! La petite Annie a du chien à revendre. Puis Cedell prend «Crap House Bea» à la voix de corbeau poitrinaire, un truc unique au monde. Il reprend aussi «Can’t Be Satisfied». Tu m’étonnes ! Pas facile d’aller limer une gonzesses quand tu rampes par terre comme une limace. Il n’empêche qu’il chante le blues comme un dieu du delta. Il explose «Kansas City» here I come, il en fait un heavy blues exceptionnel. Encore du heavy blues d’exception avec «People Of The Mountain», un truc de zone terminale. Cedell semble remettre tous les compteurs à zéro, tellement il sonne comme le diable. C’est explosé à la pire heavyness qui se puisse imaginer ici bas. On reste dans le même genre d’enfer pour «Cold Chills». Il continue de chanter à l’édentée, et le son accourt au rendez-vous. Tiens, encore une énormité avec «Catfish Blues» et son deep blue sea et ses women fishing afeter me, c’est ultra cuivré et même complètement apoplectique. S’il tape dans le mythe, c’est à l’article de la mort. Avec lui, le blues reprend tout son sens. Les frères Van Conner viennent taper la note dans «Gandma Grandpa» et tout ça se termine avec une version terrible de «Rollin’ And Tumblin’» jouée à la folie avec cette petite folle d’Annie. Voilà le genre de version qui résistera à toutes les critiques, surtout que Cedell entre dans la danse d’une manière plus que déterminée. Les intonations d’Annie sont un modèle du genre. Le vieux Cedell ne fournit plus aucun effort. On assiste en direct à l’explosion d’un vieux classique. Amen.

    Signé : Cazengler, Séquell Davis

    Disparu le 27 septembre 2017

    Cedell Davis. The Horror Of It All. Fat Possum Records 1998

    Cedell Davis. Feel Like Doin’ Something Wrong. Fat Possum Records 1994

    Cedell Davis & Herman Alexander. Higway 61. Wolf Records 2003

    Cedell Davis. Last Man Standing/ When Lightning Stuck The Pine. Sunyata 2015

    Cedell Davis. Even The Devil Gets The Blues. Sunyata Records 2016

    Lightning Strikes Again by Alice Clark. The Blues Magazine #19 - February 2015

     

    Cause you know baby it’s the Next Big Thing

     

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    S’il en est un qui fait autorité aujourd’hui en ce bas monde, c’est bien Lindsay Hutton. Il suffit de feuilleter le Special Issue de The Next Big Thing (Teenage, Excitement, Romance and Mystery) pour s’en convaincre une bonne fois pour toutes. Pour les quarante ans de ce zine de zone, Lindsay Hutton s’est fendu de ce qu’on appelle un bel objet : un 32 pages au format 45 tours enfermé sous pochette plastique avec, comme par hasard, un joli 45 tours des Dahlmans, un couple assez doué en matière de power-pop. Sommaire très copieux avec notamment des textes d’Amy Rigby et d’Art Fein, le mec qui a tout fait pour essayer de manager les Cramps. Les dernières pages sont bourrées de chroniques lapidaires, typical Hutton style, quelques 45 tours - Still the vessel of choice in the bunker - dont un du Dictator Scott Kempner - This guy is one of the greats - et quelques 33 tours dont celui de Full Toilet - Possibly my record of the year for 2016 - Et voilà comment il le présente : «Imagine the Angry Samoans shredding Peter Brotzmann’s ‘Machine Gun’ while Derek and Clive have a sherry in the background. Don Sheets, the man behind this outrage is a genius» - C’est vrai qu’on a tous tendance à crier au génie, ces temps-ci, mais il se pourrait que Lindsay Hutton soit le plus habilité à le faire.

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    Mais les deux choses qui pourraient rendre cette lecture indispensables aux yeux de tout amateur éclairés sont l’édito fait main de Lindsay Hutton et le texte surprise d’un revenant, Long Gone John, qu’on croyait installé sur une île déserte depuis longtemps.

    Lindsay Hutton travaille comme Peter Frame : non seulement il dessine ses textes à la main, mais il remplit l’espace imparti. C’est un exercice passionnant et extraordinairement difficile à réussir. Ça se joue au mot près. Si j’en parle, c’est tout simplement parce que je me suis prêté deux fois à ce petit jeu. D’abord pour un portrait d’Oscar Wilde écrit à la plume sur un bristol A4, à partir des citations que je trouvais les plus remarquables : les pleins et les déliés re-dessinaient l’ombre de son visage. Le portrait parut voici trente ou quarante ans dans un petite revue littéraire. Puis je fis le même travail pour le Service Culturel d’une mairie de la banlieue Ouest qui voulait célébrer le centenaire de la disparition de l’un des mes anciens chouchous, Guy de Maupassant. Je fis donc un portrait écrit, en tirant de ses nouvelles des extraits consacrés au canotage sur la Seine : Maupassant y évoquait bien sûr les rats et ces filles légères qu’il embarquait pour les baiser aussitôt après le premier coude de fleuve. Les pleins et les déliés dessinés à la plume reconstituaient l’ombre du visage familier de Maupassant. Comme je travaillais au service d’une municipalité conservatrice, le texte fut censuré et je dus opérer quelques corrections, mais globalement, je réussis à sauver ce portrait qui devint une affiche.

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    Alors bien sûr, le travail de calligraphe de Lindsay Hutton ne laissera pas indifférents ceux et celles que cette forme d’art peut intéresser. Il écrit son édito en deux parties, la première en pleine justif sur la deux de couve, et la fin sur une colonne qui fait les deux tiers de la page en vis-à-vis. Il compose son texte d’une écriture serrée, extraordinairement bien dessinée. On sent l’homme versé dans les arts graphiques, dans le goût de l’imprimé, dans ce qui fait le charme de cette culture qui remonte au fond des âges. Écrire comme il écrit, ça s’apprend, ça répond à un besoin de produire du beau, ce qu’on appelle des gris typographiques parfaits. Il interligne très serré, mais il prend soin de créer des quarts de blancs entre ses paragraphes, car il connaît son code typo, l’animal. Si vous voulez être lu, apprenez à composer vos textes : c’est ce qu’on vous enseignait à l’École Estienne, au temps d’avant. Il faut aussi savoir qu’il existait encore, voici quarante ou cinquante ans, des gens qui dessinaient des caractères à la main. Des fous ! C’est vrai qu’il existait alors une passion pour la typographie qui depuis lors semble avoir disparu. De toute évidence, Lindsay Hutton s’ancre dans ce monde sacré.

    Voilà en gros ce qu’on peut dire pour la forme. Mais comme Lindsay Hutton est un homme de l’art, il veille à la cohérence : à quoi lui servirait de soigner la forme s’il ne soignait le fond ? S’il dessine des petit caractères calligraphiés, c’est pour mettre sa pensée en forme. Et comme il parle essentiellement de rock - une culture qui nous intéresse - alors ça prend une tournure fascinante, au moins aussi fascinante que les Rock Family Trees de Peter Frame.

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    Il s’exprime si bien, dans un ton si franc, qu’on croit parfois entendre sa voix - I had a thought while scribbling this stuff - Sacrée entrée en matière ! Il pense à un truc alors qu’il commence à dessiner ses lettres patiemment. Il se demande s’il peut encore amener quelque chose, amener a tangible alternate to the bullshit we have to put up with on a daily baisis. This is my shot at providing escape - Comme beaucoup de gens, Lindsay Hutton tente de lutter conte le mal du siècle, la médiocrité, et il voit son zine comme un moyen de lutter. Il rappelle que ses chroniques sont laconiques - The thesis was never my style - Puis il ente dans une polémique justifiée et s’en prend à tous ces phénomènes commerciaux contemporains qui tuent l’esprit de collection de disques, comme ce qu’il appelle the fucking R*cord St*re D*y, qui comme toutes les bonnes arnaques, pave le chemin de l’enfer - down the road to hell - Et puis comme tous les gens de sa génération, il commence à comprendre qu’il ne pourra pas emmener sa collection de disques dans la tombe et qu’il va falloir lâcher du lest - The notion that ‘you can’t take it with you’ is something that could barely have been though possible - c’est amené à l’humour d’Écosse, alors attention aux yeux. Il y pense s’y mettre rapidement - It’s all set to swing into action - Il rend hommage à son vieil imprimeur Martin Lacey qui est toujours en activité. Et en tant que vieux pro, Lindsay reconnaît que tout a changé du tout du tout - et pas en bien - dans ce qu’on appelait autrefois la chaîne graphique - I know that technology in that industry has changed out of all recognition. Once again, not necessarily for the better - Il finit en remerciant les gens qui l’ont suivi depuis le début. Il rappelle qu’il approche de la soixantaine et qu’il a fait ça durant les deux tiers de son existence. «Il n’est pas possible d’aider ceux qui ne s’aident pas eux-mêmes et si tu es entrain de lire cette ligne, c’est qu’elle est la dernière» - Then I do believe that we’ve made the finish line - Quel style !

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    Long Gone John refait surface pour annoncer qu’il sort un nouvel album, après dix années de silence radio. Le groupe s’appelle the Schizophonics. Il en fait un apologie long-gone-johnienne, et comme il fait partie des gens dont on boit les paroles, alors on boit. Chez les amateurs éclairés, Sympathy For The Record Industry fait partie des trois ou quatre labels de référence. Long Gone John raconte que la scène actuelle ne le fait plus trop bander, mais en découvrant ce groupe, son vieil instinct s’est réveillé - And that was so great I simply could not refuse - Refuse de quoi ? Redémarrer Sympathy, bien sûr !

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    Long Gone John raconte que Pat et Lety Beers se sont un jour installés à San Diego et ont commencé à écouter le John Reis Swami Sound System weekly radio slow. Ils se goinfraient déjà de MC5, de Stooges, d’Hendrix et de James Brown, alors ils se sentaient en terrain de connaissance. Ils ont donc monté le groupe et sont vite devenus les chouchous de Mike Stax qui a sorti un single sur Ugly Things - I think the Schizophonics are an amazing force, deserving attention - Et ce fier poète qu’est Long Gone John ajoute que trop de bons groupes disparaissent dans l’indifférence générale, while stylish derivative piles of useless wet shit continue to flourish and thrive (tirade scatologique que je traduirai pas, car ça sentirait mauvais dans la machine de Damie Chad). Long Gone John termine en conseillant vivement d’aller voir les Schizophonics sur YouTube, et surtout d’aller les voir jouer en concert. You will love them and you can thank me later.

    Le problème c’est que ce numéro spécial de The Next Big Thing tiré à 300 exemplaires est déjà épuisé.

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    Mais on peut suivre les conseils de Lindsay Hutton et de Long Gone John, en écoutant simplement les albums qu’ils recommandent si chaudement. À commencer par l’excellentissime All Dahled Up des Dahlmanns, certainement ce qui se fait de mieux aujourd’hui en matière de power-pop. Un son, oui, mais surtout la voix de Line Dahlmann qui nous entourloupe dès «Candy Pants». Tout y est : le sucré de femme avertie, une réelle prestance, la furia del sol d’une power-pop éclairée et le solo vertigineux. Quelle fabuleuse explosion de beauté diaphane ! Line Dahlmann ensorcelle par le seul timbre de sa voix rose et humide. Ils sont tout bêtement effarants de professionnalisme. Même s’ils vont parfois du côté de Blondie, ça reste power-poppé jusqu’à l’os de la gidouille. On entend une belle basse bouger derrière dans «Wake Me Up Tonight», encore un cut d’une rare puissance motrice et «Going Down» semble sacrément bien tenu en laisse. Il semble que ce cut pourrait mordre, car il est acéré et acidulé comme pas deux. On ne peut pas se passer d’un tel son, et s’il n’existait pas, il faudrait alors l’inventer. Merveilleux hit que ce «Love The Haters» profilé sous le vent de la meilleure power-pop qui soit ici bas. C’est à la fois éclaté et porté aux nues, chanté à la candide et porté par le vent du son. Ils passent en mode mid-tempo avec «This Time», alors oui, I can pretend this time, pure énormité, ça vaut tous les hits séculaires de Jackie De Shannon, c’est même une bénédiction de bénédictin, appelons-ça du génie à la fraise, si vous voulez bien, un génie qui scintille à la lumière du jour, c’est tout simplement effarant d’allure édulcorée. On tombe ensuite sur un «Bright City Light» plus banal mais sacrément joué. Dans les remerciements, on trouve les noms de Lindsay Hutton, Andy Shernoff et Amy Rigby. Mais ce n’est pas fini, car voilà l’énorme «Get Up Get Down» monté sur les accords de «Louie Louie», assez cousu, donc, mais Line est une diablesse, elle grésille de génie vocal sur fond de pur power surge. On voit rarement des phénomènes soniques aussi spectaculaires. C’est au-delà de toute expectation, avec en prime un solo killer de congestion fatale, et Line repart à l’assaut du ciel. Quelle extraordinaire débauche d’énergie ! Quand on écoute «Teenage City», on comprend que Line sait attaquer le mâle. Ils font aussi un clin d’œil aux Ramones avec «I Want You Around», certainement le cut que les Ramones auraient rêvé d’enregistrer et ça se termine avec un «Smash You» en forme d’extraordinaire fin de non-recevoir. On ne croise pas souvent des fins d’albums aussi surpersoniques que celle-ci. Il y est question de picker a fight, on est dans les sixties délinquantes, c’est juvénile et terriblement juste - Pick a fight !

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    L’album des The Schizophonics s’appelle Land Of The Living. Il bat tous les records de pétaudière et vaut aussi largement le rapatriement. D’ailleurs on sent que c’est un gros disk rien qu’en contemplant la pochette. Une pure merveille ! On les voit tout les trois photographiés au fish-eye et serrés dans un cadre ovale. Ils ont des gueules de bouffeurs d’écran. Pas beaux mais spéciaux. Comme leur son. Le hit de l’album s’appelle «In Mono». Ils nous tombent dessus à bras raccourcis. Ô puissances des ténèbres ! C’est le riff qui gouverne. On peut parler ici d’impact cataclysmique, et même de meilleur son qu’on ait entendu depuis des lustres. C’est shaké des reins et roulé dans la farine du pur Detroit Sound. On peut même parler de son très intense qui se situe au-delà de toute attente. Tous les diseurs de bonne aventure qui prétendent que le rock est mort vont pouvoir fermer leur boîte à camembert, car avec les Schizo, le rock n’a jamais été aussi vaillant. Surtout quant Pat prend son solo de Krakatoa. Voilà des kids américains qui redonnent au rock ses lettres de noblesse, hey hey, ils démolissent tout sur leur passage, il regorgent de hargne et de son, ils jouent le heavy beat marmoréen et les chœurs font ‘Mono’ ! Pur génie ! Encore du sacrément haleté avec «This Train» - Waiting for the tain - Voilà encore une supercherie bien énervée. Ils sont à cran. Ils grattent si sec. Ils s’exacerbent dans leur coin. Ils font leur truc. Rien à voir avec les Stooges ni le MC5. C’est leur truc, et donc leur force. Pat prend encore un solo qui démolit tout sur son passage. Il riffe à la barbare sur fond de heavy Diddley beat et les descentes vont droit en enfer. Ça syncope comme une bite qui tousse dans le feu de l’action. Les Schizo ont le génie du sonic démento. Ils jouent tout à la clameur extrême et Pat farcit sa dinde de cris de harpie. Ce vieux pirate de Long Gone John avait raison : les Schizos sont taillés pour la route. «Streets Of Heaven’s Hell» dégouline de son. Pat chante ça au pantelant. Il gratte ses puces à sec. Il nous plonge dans le confort d’un enfer sonique brûlant et radicalement inventif. Encore du visité de l’intérieur avec «Make It Last». Pat génère du ouh de combat. C’est infesté de fièvres intestines. Tout est bon sur cet album, ils enfilent les hits comme des perles et réveillent tous les vieux démons du rock incendiaire, celui de No Sleep Till Hammersmith et de Super$hit 666, de Super Shitty To The Max et de Kick Out The Jams. Tiens, justement, puisqu’on parle du MC5, voilà «Welcome», qui sonne comme un hommage aux géants de Detroit. Pat peut pulser du pur jus de MC5, il t’envoie te faire foutre, même rythmique, on se croirait au Grande Ballroom, exactement le même pathos de pétaudière, peut-être même encore plus défenestré du bigorneau et ce démon nous enveloppe tout ça au solo de gras double. Pur démence, il pousse des ouh de vierge folle. Ça MCifayote dans les brancards. Notre héros passe aussi un solo de cathédrale engloutie dans «Open The Door» - Don’t you open the door - Il invente un concept : le heavy-dudisme. Quasiment psyché dans l’os. Encore une petite giclée de MC5 dans «World Of Our Own». Pat ne se prend pas la tête : il rejoue le riff de «Kick Out The Jams». Même tension de ventricule palpitant, même bah-boom de niaque invétérée, yeah in a world of our own, on y est, l’animal repart en solo démentoïde, il Kramérise tout sur son passage et en prime, il renoue avec le génie vocal de Rob Tyner. Qualifions ça d’hommage du siècle ! Et tous les amateurs de killer solo flash se régaleront de celui qui traverse «Move» - Yes you want move - et Pat relance, ça claque des clameurs de red sky, ça tombe bien car voilà «Red Planet», barbouillé au violent fuzz movin’ trash. Ils jouent tout à la non-accalmie, dans la plus parfaite exaction intrinsèque. «Red Planet» sonne les cloches à la volée, tout sent le Kramé à la Kramer sur cet album, jusqu’au dernier cut, allumé en pleine gueule, alors qu’il ne demandait rien à personne.

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    Dans Shindig, Paul Osborne demande à Pat s’il se revendique de Wayne Kramer et de James Brown. Pat s’esclaffe : «I’ll never be as badass as them but I’m very influenced by James Brown and Little Richard.» Il dit aussi admirer la façon dont Jimi Hendrix bougeait sur scène tout en claquant ses notes d’une main pour les laisser résonner dans l’écho du feedback. «I could try some kind of punk version of that technique.» Et Osborne indique que leur album pourrait bien faire d’eux one of the most exciting bands on the planet. Grosse tournée anglaise en octobre, deux dates en Espagne et que dalle en France.

    Signé : Cazengler, Next Big Singe

    The Next Big Thing 40th Anniversary Issue 199-77/2017 (Merci au Professor Von Bee)

    The Dahlmanns. All Dahled Up. Pop Detective Records 2012

    The Schizophonics. Land Of The Living. Sympathy For The Record Industry 2017

    Paul Osborne. The Schizophonics. Shindig #69 - July 2017

    P. S. : Damie Chad se permet de rajouter ce flyer d'un concert ( 27 août 2017 à Los Angeles ) des Grys Gryz ( french combo pétaradant par 2 fois chroniqués dans KR'TNT ! voir # 329 )   avec les Shizophonics

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    PARIS / 28 - 09 – 2017

    QG OBERKAMPF

    SKYVOX / DANIEL ABK6 / MOOVIE

     

    RDV ABK6 O QG. Tant pis pour ceux qui ne comprennent pas les messages chiffrés de l'armée. Généralement dans les films les QG se situent dans de beaux et spacieux châteaux entourés de vastes pelouses verdoyantes, le Quartier Général d'Oberkampf n'arbore point une telle noblesse, à l'intérieur c'est plutôt spartiate, à peines quelques tables et chaises le long des murs, mais méfiez-vous, l'endroit n'en possède pas moins son quadrilatère de lanceurs de missiles rock : une scène qui accueille chaque soir un ou plusieurs groupes, plus un véritable public d'habitués qui viennent pour écouter les combos.

     

    SKYVOX

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    L'en manque un à l'appel. Un tire au flanc. Un certain Pierre qui a préféré rester au lit avec ses microbes. Prennent une décision – qui se révèlera décevante – de ne jouer qu'une demi-douzaine de morceaux. Ce qui est une erreur. Auraient pu doubler la mise, parce que même sans batterie, le set avait du charme. Ne sont plus que quatre. Trois tisseurs de cordes et Sophie au micro. Ne se sont pas moqués d'elle, lui ont tricoté de belles broderies planantes et nuancées, et la grande Sophie devant, deux bras blancs – Saint-Pol Roux aurait parlé de deux serpents de lait – longues jambes gainées de cuir noir, fine silhouette qui impose de par sa seule apparence une présence indiscutable. Belle diction avec parfois comme des intonations d'outre-Rhin qui apportent ce soupçon de mystère qui transcende les quotidiens les plus ternes. Qu'elle chante en anglais ou en français importe peu, sait faire passer les émotions des jours de déception et des nuits d'angoisse, raconte des histoires, dessine avec les mots, les situations et les scènes de la vie qui nous accapare et qui finira par nous tuer. Hervé souligne la noirceur de l'existence de sa basse alors que le contre-chant emmêlé des guitares de Florent et John insiste sur les éclats doucereux de lumière qui éclairent le chemin. Faut voir le geste de la main de Sophie lorsque le morceau s'achève – rien que pour cela le set vaut la peine d'être épié – ces doigts écarquillés qui s'abaissent vers le sol, l'on ne sait plus si elle caresse cérémonialement sans y penser un chien fidèle ou la musique aimée. Une atmosphère versicolore, drama-pop, qui vous prend à la gorge et vous file une pêche extraordinaire. A savourer. Lentement, mais sans clore les yeux, sinon vous ne verriez plus Sophie l'ensorcelante. Ce qui manquerait de sagesse.

     

    ABK6

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    Lui, l'est venu tout seul. Enfin presque, avec sa guitare et sa voix. Ce qui suffit amplement. Acoustique mais tonitruante. Prend toute la place. Un peu comme Bonaparte sur le pont d'Arcole. Et le public qui suit de plus en plus fort à chaque morceau. C'est que Daniel ABK6 sonne américain mieux que personne en notre douce France. Naturellement. Sans effort. La voix et le jeu. Au fond vous trouvez l'or du blues, le vieux blues des marais, prend garde à ne pas déverser toutes les eaux du Mississippi, l'est plus malin que cela ce diable d'ABK6, juste quelques gouttes qu'il extrait de son tube métallique, des espèces d'écorchures qui vous remuent le fond de l'âme comme la cuillère qui tourne la mayonnaise dans son pot, mais ne vous laissez pas dévorer par les varans du désespoir, le son s'amplifie et vous emporte, le bottle neck disparaît dans la paume de sa main. Maltraite ses cordes, tout autre que lui en romprait une en moins de deux minutes, l'a la pesée exacte, la prestesse et la prestance.

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    N'a pas de voix. L'en a deux. Une forte, grondante, virile, et l'autre luminescente, les emploie en alternance, la seconde plus claire comme un rai de soleil pour rendre par contraste l'autre plus sombre, une pour vous oppresser et l'autre pour vous laisser respirer. Forêt et clairière. Montagnes rocheuses et prairie. Le miracle, c'est toute la mythologie de l'Amérique qui défile dans ses doigts et sous sa voix. Paysages, nature et villes, naïveté et turpitude, tout ce que le rock des amerloques véhicule dans ses veines. Cette transfusion de lymphe qui nous irrigue de fond en comble depuis l'adolescence, d'instinct avant même que nous parvenions à déchiffrer un lambeau de refrain. ABK6 restitue cette innocence première, cet instant magique, cette ouverture à un idiome étrange dont les clefs sont fournies au moment même où le rock'n'roll s'est emparé de vous, il y a longtemps à l'orée fondatrice de votre véritable naissance.

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    Expression méchamment doorsienne m'étais-je dit lorsqu'il a annoncé le titre phare de son nouvel album, Summer's Gone, vous avez envie d'ajouter almost comme le grand Jim. Attention ni le placement de la voix ni la structure du morceau ne sont ni veule citation ni vile inclusion, juste la réminiscence d'un esprit qui n'appartient à personne mais qui s'incarne en quelques uns. De même si Celebration évoque directement Ian Curtis et Jim Morrison, ce n'est en rien imitation de peau de lézard ou de corde plastifiée.

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    Les yeux sont rivés sur lui. Capte toute l'assistance, mais il n'est plus là, son timbre éclate, sa guitare tonne, mais lui est ailleurs, incliné sous sa casquette, comme enfermé dans la tourmente dévastatrice d'une musique qui n'appartiendrait qu'à lui, quelque part entre les rives d'un rêve qu'il est en train de toucher de la main et les applaudissements qui lui sont renvoyés en écho. Démonstration magistrale de cette force titanesque que le rock'n'roll infuse dans les individus qui les emporte quand ils ont pris la décision de chevaucher le tigre. Et ce soir, celui qu'a enfourché Daniel ABK6 nous a emmenés avec lui sur son dos.

    ( Photos : Renaud Dumeur )

    MOOVIE

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    Ne sont que trois. Vont faire leur cinéma. Amateurs de films intimistes avec couple qui se déchire dans une deux-pièces-cuisine d'Habitation à Loyer Modéré, hâtez-vous de changer de salle, car ici c'est le film d'aventures, Armagueddon ou La Horde Sauvage, choisissez votre scénario vous-mêmes, eux ils vont peaufiner la bande-son en direct. Le public agglutiné en guise d'images mouvantes et trépidantes. Trois, mais du raffut comme un régiment – dans un quartier général, ça s'impose – aurait dit Tante Agathe. C'est que quand ils branchent le compteur, ils ne mégotent pas. Vous enfilent les morceaux comme porcelets en broche. Ne soyez pas pressés, vos oreilles vont siffler et pourtant ils ne parlent pas de vous.

    Je vous fais défiler le générique. Gros plan sur le pistoléro number one, Franck Ederhi aussi connu sur les avis de mise à prix sous le nom d'Albert Franck – l'est sur votre gauche avec gouaille et guitare. Arrêt sur image sur l'homme aux poings d'or, au fond, de noir vêtu, s'apprête à saccager une batterie innocente qui ne lui a rien fait. Enfin à droite, Lulu Bass, le taciturne qui parle peu mais dans trois minutes fera main basse sur vos oreilles.

    C'est ce que les énarques au ministère de l'économie appelle la théorie du ruissellement. Archi-simple à comprendre. Dès qu'ils ouvrent le robinet du rock'n'roll le déluge s'abat sur vous. Une orgie de sonorités électriques, un torrent de décibels qui déboule sur vous et la crue vous bouffe tout crus. Pas de délais avec les delay. Franck effleure une corde et une infinité de modulations s'enroulent autour de vous tels des mambas affamés, le bassiste préfère les coups bas et tordus qui partent en vrille et qui se plantent entre vos omoplates, quant à Jérôme Jabordes abordez-le avec politesse car il est du genre à vous polir votre carrosserie faciale à coups de marteaux, déploie une imagination débridée à ce jeu dangereux. Qui les amuse. Moultement. Tous ensemble. Se lancent des regards de farces et arttrape-moi-ça-si-tu-peux en faire quelque chose. Soudés comme les trois mousquetaires qui n'auraient même pas besoin de d'Artagnan pour s'emparer des douze ferrés de la reine.

    Pour les paroles Tout y Passe de Dans La peau de Frank Sinatra à Hero Rebelle Destroyer, Franck vous débite les lyrics alternativo-punk à toute vitesse, l'air de s'en défaire au plus vite pour se consacrer à ses échoïtiques orchestrations guitaristiques, d'ailleurs leurs douze morceaux réglementaires menés à fond la caisse, ils se regardent, clignent de l'oeil comme le dernier des hommes dans le Zarathoustra de Nietzsche et sous prétexte d'un dernier rappel, ils se lancent dans un opéra électrique de vingt minutes mené à bride abattue qui explose la tête de toute l'assistance. S'arrêtent sur les rotules, z'ont encore envie mais muscles et doigts doivent être fourbus. C'est Chris qui sauve la mise. Le programmateur du QG, gueule à la serpe, coupe à la Ron Wood, qui prend le micro – belle beuglante, et c'est parti pour une ultime sarabande des mieux syncopées toute bruissante d'électricité avec présentation classique des trois musiciens, deux minutes vingt-cinq secondes de gloire en solo pour chacun d'eux. Mais point trop n'en faut le trio se reforme pour vider les cartouchières et la sarabande instrumentale finale. Certains en redemandent mais Moovie débranche les instruments pour inscrire le mot fin sur la pellicule du plaisir. Ce soir le Quartier Général a gagné la guerre du rock'n'roll !

    Damie Chad.

     

    30 – 09 – 2017

    TROYES / LA CHHAPELLE ARGENCE

    BOP ROCKABILLY Party # 4

    CORA LYNN & THE RHYTHM SNATCHERS

    YANN THE CORRUPTED / THE BLACK PRINTS

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    L'on attendait le Bop Rockabilly Party # 4 pour le mois de juin. Tout le monde. Sauf Billy. Manifestement n'était pas pressé de nous faire son Bop à Billy. Le mois de Junon se profilait à l'horizon et pas une annonce, pas une affiche, rien. Billy restait serein. Pas du tout genre organisateur dévoré d'inquiétude et de tics. Faut que j'en parle à la mairie, se contentait-il de répondre. Parce que Billy quand il organise il donne la liste des groupes qu'il invite, après c'est l'intendance municipale qui se charge du reste. Grand seigneur Billy ! Son job, c'est de téléphoner aux copains pour qu'ils emmènent leurs voitures américaines sur le parvis de la Chapelle Argence et puis de monter sur scène pour présenter les combos. L'a enfin lâché la nouvelle, ce sera en septembre. L'a encore fallu attendre jusqu'au dernier jour ! On lui a pardonné, car maître Billy nous a proposé des plats de choix et de roi.

     

    CORA LYNN & THE RHYTHM SNATCHERS

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    Petit bout de femme en robe rouge sur le devant de la scène. Un triangle de cadors autour qui ne la quittent pas des yeux, veillent sur elle, elle est la perle et eux l'écrin. Pas question de lui faire écran. Lui tissent un fond de ce byssus dont on faisait les voiles de pourpre les plus fins pour la parure des statuts des déesses dans les temples antiques. Trame millimétrée et résistance indéchirable. De la belle ouvrage comme on n'en trouve plus dans le commerce, denrée rare. Précise et précieuse. Alexis Mazzoleni à la guitare. Pas un en France qui ait un jeu aussi sec. Jamais trop, pèse ses interventions au trébuchet. Juste ce qu'il faut. Pas plus, ni moins. La hauteur de son exacte, celle qui s'encastre si parfaitement dans l'ensemble qu'elle consolide l'édifice, la pierre de clef de voûte.

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    Z'avez l'impression qu'à chaque fois il résout un calcul infinitésimal. Réponse exacte sans défaut. Dix-huit chiffres après la virgule. Ne s'agit pas de pousser le rocher de toutes ses forces pour qu'il dévale la pente en emportant tout sur son passage, le nécessaire et l'inutile gaspillage du superflu. Mazzoleni évite ce genre de dégâts collatéraux. Frappe au cœur de la cible. Rien de plus. Tireur d'élite qui élimine la difficulté. Froide précision d'un bouton tourné d'un quart de millimètre et d'un doigté de corde différentiel. A ma connaissance l'est l'unique à user pour une seule note du vibrato avec une parcimonie si réfléchie qu'elle en devient méditative, effet d'une brièveté si confondante qu'il continue à résonner dans votre tête non pas en tant qu'onde sonore mais en tant qu'irremplaçable concours à une perfection architecturale qui n'existerait point sans sa pointilleuse participation.

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    Red Denis adopte le même point de vue. Avec sa carrure de géant ne lui faudrait pas se forcer pour vous produire ces roulements titanesques dont il ne se prive pas en d'autres occasions. Mais là, l'est à l'unisson, l'est au service de Cora Lynn, pas question d'écraser la pitchoune sous un tonnerre de fûts cycloniques, retient ses bras, frappe dure mais constructive. Pas les coups de boutoir à exploser le mur de pierres sèches empilées au millimètre près par Alexis, au contraire, pose des arcs-boutants qui consolident le tout. N'allez pas croire qu'il joue en sourdine, vous assène de ces tabassages de gong à chaque frappe qui s'ouvrent comme pétales d'une fleur carnivore géante qui entend dévorer un rhinocéros. C'est Red Denis qui donne l'ampleur, vous construit les volumes, vous élève un palais sonique somptueux pour la princesse, vastes salles et couloirs démesurés pour que Cora ne soit pas à l'étroit.

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    La tâche la plus délicate échoit à Andras Mitchell, silhouette racée et contrebasse blanche, l'est celui qui est au plus près de la gamine, la précède, court au-devant de toutes ces fantaisies, la protège en la suivant trois pas derrière, ou chevauche à ses côtés, sa big mama dessine des arabesques qui répondent à ses caprices, peut s'aventurer où elle veut, l'est toujours là au plus près, l'enveloppe de courbes phoniques nerveuses, l'agite des foulards de toutes les couleurs, bleu-bop, rose-rockab, mauve-swing, s'adapte à toutes les inflexions coralynéennes, droit comme un I-talique, cérémonialement, impeccablement, immobilement, très légèrement penché sur son instrument, seuls ses doigts trahissent, traduisent et répercutent la tension stylée de son corps qui se découpe dans la lumière des projecteurs, avec la classe du soliste d'un orchestre symphonique.

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    Tous pour une, et une pour le chant. Avec de telles tapisseries de parade feutrées derrière elle, Cora Lynn est dégagée de tout souci. Elle chante, et eux s'adaptent. Verbe haut et clair. Tranchant et virevoltant. Perso j'aurais préféré quelques harmoniques dans les dégradés, mais ses goûts et ses couleurs, elle ne les discute pas. L'a le timbre tourné vers ses modèles, Brenda Lee, Wanda Jackson, Janis Martin, rapide et péremptoire, la voix ne s'attarde jamais, syllabes claires et propulsées au bon endroit, ne se retourne jamais, ne revient jamais sur les cristallineries, les jette et les oublie à la seconde suivante. L'en a toute une flopée de scintillances amadantines, elle rejaillit de joailleries, qu'elle puise à une fontaine intarissable comme la jeune fille du conte de Perrault. Enchaîne les titres, ne prend même pas le temps de respirer, ou alors des phrases rapides qu'elle lâche avec un petit sourire mutin, mais l'est pressée de s'envoler, de bondir vers le faîte de l'arbre, de fendre l'air avec une facilité déconcertante. Fujiyama Mama pour s'envoler vers les sommets éruptifs, Crazy Beat pour moduler les arpèges en apnée, My Boy Elvis pour la légende dorée du rockabilly féminin, Telephone Boogie pour enflammer le bal des pompiers, la salle ondule de plaisir et ronronne de satisfaction comme une chatte qui allaite ses petits, un petit Shakin' All Over comme le dernier verre de l'amourtié avant de reprendre la route. Fêtée comme une reine, musiciens applaudis comme des princes. Billy monte sur scène pour un rappel, Mercy beaucoup, c'est peu mais le show must go on !

     

    YANN THE CORRUPTED

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    Changement de casting. Après l'américaine princesse au petit pois, l'invasion des voyous de l'autre côté du channel. British inspiration, ainsi les présente Billy. Texas est le premier sur scène à brancher sa basse électrique. La grande classe, drap jacket – le smoking des Teds – favoris blancs qui agrémentent sa figure comme neige qui épouse la forme stylée des parterres du jardin. Souriant, relax, mais impatient de jouer. Jacky Lee cale sa batterie, l'a intérêt dans quelques secondes il va casser du bois, ses favoris à lui dessinent comme deux haches d'abordage que les vikings manipulaient en les âges de fureur quand leurs drakkars couraient à la rencontre de l'ennemi. Yann s'installe au micro. Lorsque sept ou huit titres plus tard il se sera dédrapé de son edwardienne jacket, l'exhibera une tenue bleu sombre sur laquelle le rouge de sa guitare tranche comme une blessure sanglante.

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    Ne vous fiez pas à son nom, contrairement à ce qu'il affiche Yan the Corrupted est beaucoup plus corrupteur que corrompu. N'a pas entamé Hang Loose depuis trente secondes que déjà vous êtes séduit, perdu, pourri jusqu'à la moelle épinière. Que vous vous voudriez ne pas apprécier que vous êtes emporté par le torrent tumultueux, inutile de résister, les Corrupted vous emmènent avec eux comme fétu de paille balayé par la tempête. Un titre de Whirlwind - combo germinatif du mouvement de renaissance rockabilly-ted en Angleterre à la mi-temps des années soixante-dix pour confirmer que le vent souffle en tempête. Le phrasé de Yann écume et se bouscule sur la crête de chaque nouveau morceau, lame de fond qui déferle sans que rien ne puisse l'arrêter. Ne se regardent même pas, connaissent la feuille de route par cœur, assez simple en vérité, vite balancé au milieu et bien appuyé sur les bords. Enchaînent les tsunamis sans faiblir. Une précision diabolique. Une régularité époustouflante. Jacky Lee tape plus vite que ses baguettes, se démène, enfile les breaks sans débander une seconde, ça roule et ça cabosse de tous les côtés. Corvette pirate qui se joue des creux de quinze mètres et qui file droit face à la lame, toute voilure dehors. Volcan en éruption. Nous sommes tous Pompéi, rayés de la carte, ensevelis sous les cendres qui n'arrêtent pas de pleuvoir.

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    En capitaine qui tient la barre Yann se permet quelques mots affectueux vis-à-vis de Texax, qu'il présente fièrement comme son père – comme quoi les teds n'engendrent pas des moitiés de cageots sans poignée - attention l'ancêtre en a vu d'autres, c'est lui qui a conseillé et aguerri les chatons, sont grands maintenant, griffent de leurs propres pattes, mais le matou ne se laisse pas distancer, les mène au bal des ardents, vous souffle sur la fournaise, de longues échappées de flammes noires comme l'enfer sortent de sa basse et poussent les deux incendiaires à se surpasser. Comment Yann fait-il pour assurer en même temps sur sa Gretsch et au chant ? Certes n'est pas le seul dans le métier, mais avec les Corrupted les mots s'entrechoquent et les notes se bousculent. L'en cassera une corde. Juste le temps de se saisir de sa seconde guitare déjà prête, la malmène comme les flambeaux que les phalanges d'Alexandre agitaient dans les salles du palais de Persépolis qu'ils réduisirent en cendres. Just for fun. Le plaisir de jouer et l'impact de vaincre.

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    Un seul instant de douceur, The Rose of Love, déjà présent sur leur premier CD Dangerous Youth, dernière ballade que Gene Vincent enregistra à la guitare sèche en compagnie de Ronny Weiser qui garda précieusement la bande. Les Corrupted rajoutent quelques épines aux rosacées, ne vont pas jusqu'à faire de ce bouquet d'amour une gerbe de haine, mais ont choisi de remplacer l'eau du vase par une belle rasade de Jack, les pétales n'en sont que plus vifs. Mais la course reprend aussitôt Fool's Paradise de Buddy Holly survitaminé, Teddy Boy Boogie de Crazy Cavan classique ted incontournable entonné par toute la salle, de même que plus tard We are the Teds, hymne fédérateur de la nation édouardienne. Les filles ne seront pas oublié avec le viril She's the One to Blame juste pour leur apprendre à être trop belles.

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    Z'ont aussi des originaux, présenteront même des titres du prochain album en préparation à la hauteur des hymnes légendaires, mais ils n'en abusent guère, ne sont pas du genre à dédaigner l'héritage, le gardent vivant, l'entretiennent, le bichonnent et le respectent... Les Corrupted nous ont offert une heure de bonheur au milieu du cœur brûlant du pur rock'n'roll. Se retirent sous une monstrueuse ovation.

     

    BLACK PRINTS

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    Billy prévient les âmes sensibles. Nous annonce une véritable tuerie. Se révèlera un excellent prophète en son peuple de rockers. Ne prenait pas trop de risque le Billy, les Black Prints se sont formés autour des frères Clément, voici six années, résurgence d'une formation culte du mouvement french rockabilly, les Dixie Stompers. Pouvait pas me faire un plus grand plaisir Billy, un de mes groupes phares, tous styles confondus, de la scène française actuelle, pas vu depuis deux longues années.

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    J'observe leur installation. N'ont pas changé, enfin si, si Thierry Clément et son frère Olivier restent identiques à eux-mêmes, il y en a deux qui ont pris une sacrée assurance, rien qu'à voir la manière dont Yan Leignel s'accapare la batterie et le sourire carnassier avec lequel Jean-François Marinello ceint sa basse l'on sent qu'ils ne sont pas venus pour compter les hirondelles. Voudrais pas vexer les guys, mais je – et ne suis pas le seul - ne leur accorde qu'un rapide regard. C'est qu'un nouveau guitariste est en train d'escalader les marches d'accès à la scène. Mistake, it's a fake ! pas un, une. Et pas n'importe qui. Emilie Credaro herself. Je l'aurais reconnue entre mille. A son allure de lakota squaw, visage serein et détermination de guerrière sur les pistes les plus dangereuses.

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    Change la donne. Teinte l'empreinte noire de bleu. Sombre comme la tristesse du monde et insidieux comme la rage de vivre. Le son du groupe en est transformé. Certes Olivier assure la rythmique avec l'arme royale et tutélaire du rockabilly, la Gretsch, mais Emilie sur sa Godin – burst flame si j'en puis juger sous les lumières déformantes des projos - ouvre des gouffres et soulève les nuages, un son fabuleux, fabluesleux, elle apporte toute la terre du Delta et l'incoercible puissance du Mississippi, donnant au vieux rockab des familles un espace sonore de déploiement illimité. Emilie libère les forces. Yann Leignel s'engouffre dans cet horizon, y déploie une énergie extraordinaire, commence par inverser la hiérarchie drumique, tant pis pour la caisse claire, la reine est détrônée, Yann ne marque pas le rythme, il l'explose. Une orgie de tambours.

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    L'emboutit le son, bye-bye le cliquètement solitaire des sabots d'un mustang au petit matin, nous convie à un stock-car faramineux, chocs et contrechocs se succèdent sans faiblir d'une seconde, fracasse le décorum traditionnel et fonce à tout instant dans les décors. Genre c'est encore mieux quand le sang des spectateurs que je viens de faucher ruisselle sur la carrosserie déglinguée. Sauvage le Yann, une boule d'énergie pure, crie dans le micro, entonne le début des morceaux, agite sa monstrueuse choucroute de cheveux dans tous les sens, une tignasse sauvage, hors-norme, la sueur dégouline sur ses vêtements, l'est obligé toutes les trente secondes de ramener la grosse caisse qui se carapate en douce sous la violence de ses coups. Barbare batterie. Baratte incessante de baraterie naufragère.

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    Jean-Pierre Marinello n'est pas en reste. Joue de la basse comme le renard du désert chasse la faim qui lui tord le ventre. N'en finit pas de bouger. Voûté, tordu sur son instrument, le compas de ses jambes explorent les sentiers de fuite mais il revient toujours au centre de son territoire. Essore le son. Le torture, l'assombrit, le noircit à outrance, le ronge tel un chacal qui a déterré un os de momie dans un tombeau égyptien et qui se régale de mastiquer à pleines molaires la mort anibusienne dont il abuse d'un sardonique rictus qui tue. L'est à lui tout seul la marque maudite de l'Empreinte Noire, le sceau fatidique et le sourire fatal, la morsure du cobra et le crachat du naja. Violemment applaudi à plusieurs reprises.

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    Thierry Clément en a vu d'autres. Rockabilly man par excellence. Bottes, jeans, chemise black country à liseret blanc et son éternel chapeau. Tambourin en main. L'assure le fil, les petits cailloux du rythme basique qui ne doit jamais être rompu. Aux autres tous les écarts possibles. Thierry trace la piste, celle qui s'enfonce dans les régions inconnues encore aux mains des peaux-rouges. Qu'Arthur Rimbaud qualifiait de criards dans son Bateau Ivre.

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    Olivier Clément et sa Gretsch au centre. La prestance et la grâce incisive. Grand, mince, une silhouette aussi fine qu'une lame de poignard. Two-tones shoes creeperiennes, sombre futal, chemise blanche immaculée, la classe du dandy, l'élégance du rocker. Une voix d'une netteté incroyable. Flexible et vibrante. Un timbre qui s'adonne à toutes les suavités déclinantes comme à toutes les échoïtés métalliques. D'une clarté irradiante et d'une plasticité formelle sans équivalence. Se plie et se plaît à toutes les inflexions, parfaite pour le rockabilly, car dominatrice et apollinienne, toute la furia instrumentale s'ordonne autour d'elle. Axis Mundi la qualifieraient les tenants des doctrines ésotériques.

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    Essaime sa rythmique cochranique insoutenable sur ses cordes sur laquelle vient se greffer la lead d'Emilie, leur faut un doigté extraordinaire pour faire convoler en justes noces de notes l'oronge triomphante du pur rockabilly avec le sombre azur primordial du blues rampant. N'a pas touché une seule fois le bottle-neck qu'elle avait pris soin de déposer soigneusement à ses pieds, cela ne l'a pas empêché de donner l'impression de jouer en slide toute la soirée, agit en prise de terre qui permet de maîtriser les éclats de foudre et les boules de feu du rock'n'roll en les ramenant à la glaise nourricière originelle et semencielle. Des titres comme Restless, Shakin'All Over, Brand New Cadillac en sortent magnifiés, la guitare d'Emilie monte d'autant plus haut qu'elle s'élève de plus bas. Marche aisément sur les traces de Joe Moretti qui joua sur les trois plus grands classiques du rock anglais. Là-haut, Thierry Credaro doit être salement fier de sa fille.

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    La musique ne suffit pas. Le rockab impose le style. L'on n'y chante pas le nez sur le micro comme quand tante Agathe reprise vos chaussettes. Et à ce jeu-là, Olivier emporte la mise. L'a la souplesse féline de Vince Taylor et la sûreté du geste du jeune Elvis, n'en abuse pas, seulement de temps en temps mais alors là la salle exulte. Ce qu'il en reste car les Black Prints l'ont atomisée, que ce soit avec Long Blond Hair, leur époustouflant Stray Cat Strut, ou leur Ready Teddy dévastateur. Une très belle interprétation de Dixie, guerrière et campagnarde, façon de rappeler que le rockabilly est né sur la terre des plantations et le sang des esclaves, qu'il est le pays lointain et mythifié de Julien Green, la terre natale des fantômes d'Edgar Poe et des fêlures de Tennessee Williams, ors et misères mêlées, corps de colères entremêlés.

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    Un dernier Train Kept A Rollin' explosif et Billy qui vient remercier le public invite le Trio Corrompu et Cora Lynn accompagnée de ses arracheurs de sacs à mains de vieilles dames à monter sur scène. Trois guitaristes confirmés au style différents réunis, voilà de quoi entamer non pas un boeuf musqué mais une corrida meurtrière sur l'heure. Mais non, redescendent sous les applaudissements, nous ont tous tellement donné qu'on est rassasiés jusqu'au gosier.

    *

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    Ne reste plus à Billy qu'à préparer la programmation de la Bop Rockabilly Party 5. Au vu de cette quatrième saison qui fut une splendide réussite, nous pouvons lui faire confiance.

    ( Photos : FB : Carl de Sousa et Rey Fonzareli )

    Damie Chad.

    MA VIE AVEC ANDY WARHOL

    ULTRA VIOLET

    ( Albin-Michel / 1989 )

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    Folles années soixante ! Un vent de liberté soufflait sur les arts, la musique et les mœurs, une tornade qui est passée et dont on retrouve encore aujourd'hui bien des traces dans notre quotidien mais qui n'a pas emporté avec elle l'Establishment politicien, peut-être parce que ce qui semblait les signes avant-coureurs d'une révolution n'était que la mue nécessaire aux adaptations des mutations productivistes du capitalisme. Andy Warhol est une des légendes de cette grande secousse qui commotionna bien des existences. Fut un précurseur, et beaucoup plus qu'on ne le croit, il ne révolutionna pas l'art comme on le dit souvent, mais les rapports de l'Artiste avec le public, institua une règle simple, la reconnaissance de celui-ci ne passe plus par le rapport direct avec l'œuvre produite mais par le truchement productif de sa communication. L'a eu des précurseurs, certains éloignés comme Dada qui désacralisa la notion d'œuvre d'art, Picasso qui rompra et déstructurera les canons intangibles de la représentation de la beauté classique, et beaucoup plus contemporain par son utilisation des media, Salvador Dali qui fut un fabuleux metteur en scène de l'artiste en jeune chien fou fauteurs de multiples troubles à qui les maîtres pardonnent toutes les turbulences en expliquant qu'il est génial...

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    Comme par hasard Ultra Violet fut présentée à Andy Warhol par Salvador Dali. En vérité elle s'appelle Isabelle Collin Dufresne. Ne sort pas de nulle part. Est née avec une grosse cuillère en argent dans la bouche. N'y a que la tendresse que l'on ne déverse pas à la louche dans la famille. Dynastie bourgeoise, retenue de rigueur. L'enfant se rebelle, après maintes admonestations, se retrouve en pension chez les bonnes Sœurs. S'ennuie, fugue – en profite à quatorze ans pour perdre sa virginité en l'ayant cherché mais sans l'avoir voulu – bref l'est la brebis noire de la couvée, on l'éloigne chez une de ses sœurs à New York. In the Big Apple. Non, ça ne signifie pas Trognon Pourri mais ça y fait penser.

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    Lui arrive alors ce qui n'advient jamais au peuple anonyme des sans-dents : un petit héritage à point nommé qui lui sert d'argent de poche. Se trouve en sus un amant richissime et passe son temps à courir musées et galeries d'art. Ce n'est pas en ces lieux que l'on pourrait accroire prédisposés qu'elle va rencontrer le grand adorateur de la Gare de Perpignan et du chocolat Lanvin, l'est envoyée chez lui par une ancienne dame d'honneur de la Reine d'Egypte ( en exil ), c'est ce genre de personnes qu'elle fréquente, le gratin des salons les plus huppés. Devient en quelques heures l'égérie du grand Catalan, davantage porté sur la mise en scène de l'acte sexuel que sa réalisation proprement dite. Nous dresse un beau portrait de la mise en œuvre quotidienne de cette paranoïa critique qui reste la philosophie essentielle de la démarche du Maître. Elle saura retenir la leçon, jamais avec, jamais pour, jamais contre, une marionnette est faite pour être manipulée. C'est Dali qui lui présente Andy Warhol.

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    L'est subjuguée par Warhol. Ce sera du donnant-donnant. Lui, il lui ouvre la Factory et l'admet dans son premier cercle. Elle apporte ce qu'il n'a pas : un monstrueux carnet d'adresses. Le haut du panier : artistes reconnus, millionnaires, hommes politiques, dirigeants de sociétés, actionnaires fortunés... Warhol n'est pas ébloui, il a juste ferré une prise juteuse. N'est à l'époque qu'un artiste de seconde zone. L'a gagné ses galons dans la publicité et la mode. De la broutille. L'a une autre ambition. L'a tout compris du monde des affaires. Principe de base : gagner de l'argent, beaucoup d'argent, très vite, sans travailler. Laisser cette pénible tâche aux autres. Si possible sans les payer. Lui, il donne l'idée. Ne va pas la chercher bien loin, se contente de reproduire ce que tout le monde connaît, la figure de Marylin Monroe comme les boites de conserves les plus utilisées par la ménagère américaine. Touche le moins possible ses ustensiles, laisse faire ses aides, peinture et signature comprise. Si c'est mon nom dessus, l'argent de la vente me revient à cent pour cent. C'est son apport à la création artistique. N'est qu'un réaliste mais aussi le père de l'art conceptuel moderne.

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    Sa grande affaire ce n'est pas la peinture, mais le cinéma. Tourne sans arrêt des films. Qui ne lui coûtent pas chers. Impose son mode de production : décors naturels, une seule caméra – ce n'est pas lui qui la tient -, en temps réel, une heure de film égale une heure de tournage, pour les acteurs propose à n'importe qui qui veuille bien accepter, l'on se bat autour de lui, certains de ses proches ( rares) finiront par faire carrière. Le sujet gravite autour du sexe. Pas comme les ailes des moulins de Don Quichotte, préfère les gros plans fixes, visages comme trous du cul. Films pour petits publics présentés dans les universités aux étudiants sensibles à ces expérimentations.

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    Moment d'introduire la grande trilogie : sex, drugs and rock'n'roll. Mon premier a déjà pointé sa bite dans le paragraphe précédent. Priorité donnée à l'homosexualité. L'on baise à couilles rabattues et à bouches pleines dans tous les coins de la Factory. Froidement, sans émotion, sans manifester de plaisir, un acte naturel dépourvu de tout romantisme. On ne donne pas dans la sublimation érotique. Un besoin pornographique. Point à la ligne. La drogue est là, partout présente, forte. Speed et héroïne. Warhol devance son temps. Certes l'arrive dix ans après l'éclosion rockabillique mais le rock'n'roll rapidement écarté par les autorités jouit d'une sulfureuse réputation. Trouvera son groupe. N'est pas meilleur que les autres, mais il joue plus fort que tous. Impossible de ne pas le remarquer. Et puis le timbre si particulièrement monocorde de Lou Reed, si lisse, si éloigné de toute expressivité grandiloquente ! Le groupe possède une curiosité, l'a un batteur femme. Warhol double la mise : impose Nico au chant. Ultra Violet ne concède qu'un chapitre au Velvet, en profite pour dire beaucoup de mal de cette dernière. La présente un peu comme une poupée atone. L'on sent qu'elle a surtout peur que Andy ne la place au plus près de lui...

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    N'a pas trop à craindre. Warhol n'est pas sempiternellement confiné dans sa manufacture. Saisit toutes les occasions. Ne lui suffit pas d'être riche, veut aussi être célèbre. Se doit d'être partout. Où traînent le journalistes, épluche les compte-rendus des expositions et des soirées de la hight society aime voir son nom cité... Vise à la gloire, pour les autres il a théorisé le concept du quart d'heure de célébrité pour tous... Ultra Violet lui ouvre des portes qui seraient restées fermées autrement, le suit aussi dans ses achats compulsifs chez les brocanteurs, les antiquaires et les marchands de tableaux...

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    De 1964 à 1973 Ultra Violet sera de toutes les parties, nage dans le bocal warholien comme un poisson violet. En 1968 Andy a échappé à la mort, Valerie Solanas militante féministe radicale lui a tiré dessus. Ce geste fascine Ultra – tonton Freud parlerait de la mort symbolique du père. Le retour de bâton dû à la coupure du cordon phallique tardera à se faire sentir mais en sera d'autant plus violent. Dépression. Un an au lit... et son bon sang bourgeois la rattrape, juge sévèrement son passé, lit la Bible, adopte une conduite davantage en accord avec les principes chrétiens, se réconcilie avec sa famille, se range des excès en gagnant sa vie dans la mode... Décevante. Même si elle ne renie pas l'artiste qui lui a tant apporté. Andy a déménagé sa Factory, est devenue une véritable entreprise de vente et d'expédition de ses productions. N'a plus le temps aux fariboles. L'a obtenu ce qu'il a voulu, la gloire et l'argent. N'est plus que la reproduction répétitive de ce qu'il est.

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    Le vedettariat médiatique d'Andy Warhol n'est pas sans analogie avec la super-starisation des vedettes rock des années soixante et soixante-dix, pas un hasard si nous croisons les noms de Mick Jagger et de David Bowie dans ces mémoires de petite fille riche. Comme quoi la richesse mène à tout à condition de ne pas en sortir. Sort toutefois de ce monde en 2014.

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    Damie Chad