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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 113

  • CHRONIQUE DE POURPRE N° 211 = KR'TNT ! 330 : THEE OH SEES / T-SHIRT / POGO CAR CRASH CONTROL / SCORES / SEVENTY SEVEN / NEW ROSES / HOWLIN' JAWS / AUSTIN OSMAN SPARE

     

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 330

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    25 / 05 / 2017

    THEE OH SEES / T-SHIRT

    POGO CAR CRASH CONTROL

    SCORES / SEVENTY SEVEN / NEW ROSES

    HOWLIN' JAWS / AUSTIN OSMAN SPARE

     

    I can see Thee Oh Sees
(for miles and miles)

     

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    Sur scène, Zi Oh Sees développent une telle énergie qu’on pense aux Who. Tous ceux qui ont vu les Who sur scène le savent : aucune équivalence dans l’histoire du rock, aux plans présence et niveau sonore. Pas même Motörhead. Avec sa nouvelle formule de powerhouse à deux batteurs, John Dwyer renoue avec la démesure du Baba O’Rhum cataclysmique qui nous avait explosé les tympans à la fête de l’Huma en 1972.
    Tiens, encore un point commun avec les Who : John Dwyer joue sur une bête à cornes, comme Pete Townshend, sauf que la sienne est transparente. Et comme Pete Townshend, John Dwyer multiplie sur scène ce que les Anglais appellent the antics. Dwyer ne saute pas en moulinant comme Townshend, mais il exécute des pas de danse abyssiniens, ceux du Nijinski de l’Après-Midi d’Un Faune, très graphiques et joliment dingoïdes, pour bien ponctuer l’envoi des violentes rafales de chaos sonique. Il va très loin, bien au-delà du spectaculaire. Comme les Who, il échappe à tous les formats, parce qu’il a su bâtir un monde à son image, celle d’un blaster quasi-incontrôlable.
    Tous ceux qui ont vu les Dirtbombs et les Monsters le savent : sur scène, la double batterie démultiplie l’impact du groupe. Mais on a l’impression que les mighty Oh Sees atteignent un niveau encore supérieur de démesure, car rien de ce qu’ils jouent n’est prévisible. Leurs albums produisent exactement le même effet. Ils sont à la fois tellement libres et tellement puissants qu’ils échappent à toutes les conjectures, et sur scène, l’imprévisibilité des choses fait tout le charme du groupe. Ça veut dire en clair que John Dwyer nous emmène exactement là où il veut. Il manie une sorte de chaméléonisme impénitent qui lui permet de créer la surprise en permanence. D’où l’I can see for miles and miles and miles and miles, d’où cette facilité psychédélique à pulvériser les attentes, d’où cet immoralisme sonique qui se moque des lois de la République, d’où cette volcanisation des thèmes que les instituts de recherche ne parviennent toujours pas à interpréter, d’où cette exubérance intempestive qui ridiculise les tempêtes du Cap Horn, d’où cette manie des irruptions insoupçonnables qu’on accueille à bras ouverts, d’où cette facilité dégueulasse à réinventer le rock, et même pire, à rocker la ré-invention. John Dwyer est un homme à mille facettes. On imagine aisément que les êtres qu’on déifiait dans l’antiquité devaient lui ressembler. Il s’impose par une sorte de charisme à la fois bon enfant et mèche dans l’œil, mais une sorte de rigueur monastique semble charpenter le personnage. Il est bien évident que l’infernale qualité de son jeu de guitare ne sort pas de la cuisse de Jupiter. Il joue exactement ce qu’il faut jouer, sans en rajouter. John Dwyer n’est pas l’un de ces Raymond la science qui s’affichent en couverture des magazines de rock qui ont depuis longtemps sombré dans la vulgarité. Tout le contraire.

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    Il arrive sur scène comme s’il revenait de la plage, après une partie de surf à Malibu. Chez lui, pas la moindre trace de rock-starisation. Juste un homme en bermuda avec sa guitare, des idées et trois bons amis (extrêmement brillants, et qui eux non plus ne la ramènent pas).

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    Justement, on regarde jouer ces deux batteurs et on régale de leur spectacle, de la grâce de leur jeu et de la combinaison de leurs puissances de frappe respectives. Ils jouent tout en parfaite synchronicité, c’est un effarant ballet qui provoque par moments des hallucinations. Ces deux mecs sont beaux comme des apôtres, et de là à voir un Christ en John Dwyer, c’est un pas qu’on franchit avec allégresse dans le feu de l’action.

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    Quand je dis : ces mecs sont beaux, cela veut dire beaux au sens iconique, car les inclinations des visages, le ruissellement des sueurs, les expressions de béatitude, tout cela nous renvoie aux portraits d’apôtres signés par les peintres de la Renaissance italienne. Ces deux batteurs développent une sorte du mysticisme du beat et ne s’accordent aucun repos. John Dwyer veille à ce que leurs batteries soient installées au premier rang. Dès lors, Paul Quattrone et Daniel Rincone jouent à jeu égal avec les deux autres.
    Puisqu’on est dans les parallèles, quelque chose chez John Dwyer rappelle Kim Fowley.

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    Sans doute par le dessin très carré du visage, par la carrure, par le fait qu’il soit lui aussi californien, mais surtout par l’ampleur de sa personnalité. Il y a autant de génie chez John Dwyer qu’il y en avait chez Kim Fowley. Ils mettent tous les deux leurs vies et leurs intelligences respectives au service d’une seule forme d’art : le rock. Et on réalise un peu plus facilement que pour parvenir à ce niveau, il faut ce qu’il est convenu d’appeler une prédisposition.

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    Devenir Kim Fowley ou John Dwyer n’est tout simplement pas à la portée de tout le monde. Le rock est un art suprêmement difficile, ne l’oublions pas.

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    Les débuts du groupe n’auguraient pourtant rien de bon. Essayez d’écouter l’album Sucks Blood paru en 2007 jusqu’au bout, vous verrez, ce n’est pas facile. On trouvait alors ces albums dans le bac garage du Born Bad de la rue Keller et les pochettes piquaient la curiosité.

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    Une sorte de vampire à six dents ornait la pochette de The Master’s Bedroom Is Worth Spending A Night In paru l’année suivante et on y voyait se développer une tendance intéressante, une façon de penser le rock autrement. En entrant dans cet univers musical, il fallait abandonner tout espoir de rationalité. Sur ce disque, tout n’était que luxe arty, calme incongru et volupté désordonnée. Quand on écoutait un cut comme «Grease 2», on se demandait vraiment pourquoi on écoutait ça. On se demandait aussi à quoi pouvait servir ce groupe inclassable. On les voyait explorer toutes les figures de style inimaginables. En fait, ils nous aidaient à sortir du carcan garage qui finit par appauvrir le rock pour le transformer en peau de chagrin. Avec cet album, Zi Oh Sees se comportaient comme d’impavides stylistes soucieux de diversité. On trouvait en B un commencement de début de hit avec «Adult Acid», un hit de pop rocké du ciboulot. Avec «The Coconut», ils passaient au heavy rock en développant dans les textes une bien belle tendance surréaliste et le «Maria Stacks» d’après finissait par captiver grâce à son Maria Maria you dig a hole with words in there. John Dwyer achevait sa B en beauté avec un «Poison Finger» bien vu, puisque monté sur le riff de «Gimme Some Loving», suivi d’un «You Will See This Dog» gorgé d’I want my fun to be free and out of sight. On ne pouvait qu’admirer la diversité de leurs paysages musicaux. C’est là que John Dwyer commença à façonner le monde à son image de tatouage de main percée et de marcel rayé.

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    Un jour, on vit une chauve-souris clouée sur la pochette d’un album. Il s’agissait du fameux Help paru un an plus tard sur In The Red qui était alors LE label de référence, comme l’avait été Crypt auparavant. Dès «Ennemy Destruct» on savait à quoi s’en tenir : John Dwyer cherchait à créer l’événement. Il agissait ni plus ni moins comme un bâtisseur d’empire libre, vous savez, ces empires qu’on bâtit pour jouer, un empire d’Everybody dig in everybody clam up et le mythe du monde libre remontait à la surface, sous la forme d’une nouvelle vision du rock, loin du m’as-tu-vu des solistes grimaceurs et des Stong à la mormoille. John Dwyer donnait le champ libre à sa liberté. On entrait alors dans le tourbillon magique de «Ruby Go Home», John y répétait en boucle son Hey tambourine what that you’re saying d’argent gris joué sur un mood de groove garage assez convaincu de sa légitimité. S’ensuivait une belle gerbe d’espoir nouveau avec «Meat Step Lively» gratté à l’insistance typique. Aussitôt après, avec «A Flag In The Court», il réinventait cette belle ferveur surréaliste qui pour son malheur tomba un jour sous la coupe du dictateur Alfred Breton. John Dwyer racontait n’importe quoi, usant de la liberté comme d’un prétexte à toute forme d’expansion du domaine de la lutte. Et la B s’ouvrait comme un horizon, avec «Rainbow», joli coup de mood garage on the move avec les ba ba ba des Troggs dans un refrain scintillant d’arpèges de SG. S’ensuivait un «Go Meet The Seed» solide et terriblement bien intentionné, avec du I wanna hang way up in a tree arrosé de chœurs des Who, et toujours cette manie simplificatrice de répéter en boucle d’argent gris le même couplet en forme d’objet-prétexte. Avec «Soda St#1», il exacerbait encore plus les choses, on avait là un cut élancé, gratté, chant, œuvré, véritablement inspiré par les trous de nez, une sorte de power-pop luminescente. Attention, le festin continuait avec «Destroyed Fortress Reapers», fantastique progéniture picabiesque d’un rainbow qui n’avait pas le droit de dire non, puis tout s’arrêtait brutalement avec «Peanut Butter Oven». On avait là dans les pattes un disque qui sortait de l’ordinaire, un véritable festin d’idées, une gerbe d’éclats protéiformes, on avait la preuve qu’il existait encore un espace pour le libertarisme dadaïsant et tombouctique. Alors, amis des bêtes et de Tzara, du lama rouge et d’Ornicar, jetez-vous sur ce miroir aux alouettes.

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    John Dwyer confirmait sa pente Dada avec Dog Poison paru la même année. Comme notre homme devenait prolifique, il valait mieux avoir un portefeuille bien garni. Il attaquait avec un «The River Rushes» bien alambiqué et comme toujours sans aucune prétention. Il se payait même de luxe de balancer un solo de flûte complètement délabré. Notons qu’il jouait au seulâbre invétéré sur cet album un peu plus austère que le précédent. Il récompensait la fidélité de ses admirateurs avec «The Fizz», une pop sautillée qui non seulement puait la fuzz, qui avait en plus trouvé l’adresse et qui fell face first at the front door. Cette façon baroque d’amener les choses rappelait bien sûr celle des Holy Moundal Rounders. Avec «Sugar Boat», il fonçait droit sur le ludique barrettien. Mais le Dada se nichait en B avec notamment «I Can’t Pay You To Disappear», un solide romp de pop de so you can do it for free. On ne pouvait pas imaginer plus Dada dans l’esprit. Même chose avec «Voice In The Mirror», pur slab de Dada strut. John stroumphait son Dada stack avec la pire des impénitences ce qui nous permettait d’affirmer à l’époque qu’impénitence et impétuosité constituaient les deux mamelles de John Dwyer. Il enchaînait ce tour de force avec «Dead Energy» joué au processionnaire des fourmis rouges un jour de deuil national. Ça tintinnabulait sous le soleil de Satan.

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    La pochette abstraite de Warm Slime interloquait. On entrait dans ce monde délicieusement hirsute et créatif par la grande porte, c’est-à-dire le morceau titre, sur une face entière. On entendant la délicieuse Brigid chanter au fond d’un cut qui virait en jam de gym nasty, véritable pied de nez à l’ampoulé du prog. John Dwyer révélait là une passion pour Can, traversant avec nous des paysages chantants et variés. Il jouait littéralement la carte de la face, grâce à un hypno de fête à nœud-nœud, où l’on pêche le canard pour gagner un pingouin. On tombait ensuite sur le festin pantagruélique de la B et cet «I Was Denied» assez comique d’I flew away with a friend of mine et d’I got fucked up suffice to say joué à la ritournelle insistante bien vue, oh see bien vue. Encore plus dingue, cet «Everything Went Black» parfaitement décousu, d’un baroque sans queue ni tête, véritable stomp capable d’envoûter une légion romaine, suivi d’un «Castiatic Tackle» joué au pire strut de garage qui fut - What did she ask ?/ Are we good ?/ Yeah I think - Extrêmement solide et parfaitement cognitif au plan textuel. Il bouclait cet album effarant avec «Mega-Feast», véritable coup d’exacerbation trapézoïdale, et «MT Work», joué à la pure énergie créative. Ce groupe fonctionnait alors comme un geyser galactique.

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    On trouvait un redoutable écorché sur la pochette du Carrion Crawler/ The Dream EP paru en 2011. C’était encore une fois foutu d’avance, on sentait dès le morceau titre d’ouverture que l’album allait nous emporter la bouche. Il attaquait ça à la dégringolade d’eat meat/ Fill with holes. Il jouait ça avec un pugnacité illicite qui favorisait l’apparition d’hallucinations. En écoutant «Contraception/Soul Desert», John Dwyer établissait en peu plus clairement sa réputation de créatif illimité. Il emmenait son cut ventre à terre, à la petite exacerbation cadencée, the jewel of a song. Avec un tel homme, on se sentait vraiment en sécurité. En fait, il reprenait le «Soul Desert» de Malcolm Mooney, l’un des chanteurs de Can. Mais il pouvait aussi se faire presque passer pour la réincarnation de Picabia et piloter une Delage coiffé d’un bonnet de cuir. On avait aussi un instro cinglant nommé «Chem-Farmer» et en écoutant cette merveille on savait John parfaitement incapable de décevoir les thuriféraires. Zi Oh Sees redoublaient d’une pratique abusive de la liberté à tout crin. Et la dynamique reprenait de plus belle avec un «Opposition» monté sur un beat de pétarade pète-sec et un clair de son qui permettait de distinguer ces deux choses différentes que sont les cartilages du concept et l’élancé d’une démarche d’accompagnement cérébral. Ah mais le pire était à venir, car en B se nichait «The Dream», doté d’une fabuleuse vélocité de team intime. Ces gens-là savaient compulser dans le même sens et se passionner comme des vierges rouges pour mieux embrasser l’univers. Une fois de plus, ils tapaient dans l’essence de Can, à la bonne franquette hypno. Ils retrouvaient ce sens du panache d’effluve mythique et de plumes d’autruche, on sentait battre le pouls d’une machine de mouvement perpétuel, une véritable tinguelynade d’eau fraîche et d’amour de Sainte-Phalle. On tombait plus loin sur un nouveau trésor ali-babique intitulé «Crushed Grass», joué à la cocotte véloce d’under car et de moon beam, très proche du «Locomotive Breath» de Jethro Tull. Ils y rebattaient les cartes d’une belote de belettes. Une fois de plus, on avait dans les pattes un album créativement rempli jusqu’à la gueule, ce qui devient aussi rare qu’un cheveu sur la tête à Mathieu. Ça repartait de plus belle avec «Crack In Your Eye», extraordinaire fragrance d’univers intermédiaire et constamment visité par des idées de rafles riffales, de grattés dauphinois ou encore d’espolettes pimentées. En prime, John Dwyer s’amusait à screamer ici et là, histoire de nous rappeler la fortitude de son émancipation. On retrouvait dans «Heavy Doctor» les accords que joue Robert Quine dans l’intro de «Blank Generation». Il s’amusait à virevolter dans les trapèzes d’un Barnum post-punk et il ah-ahtait sur des descentes de gamme fuligineuses - It’s just a breeze upon a blood-rich sea - Encore un album dont on sortait à quatre pattes.

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    Une horrible main décrochait un téléphone sur la pochette de Castlemania, un double album qui se jouait en 45 tours. John Dwyer embarquait l’«I Need Seed» au beat pop mod d’I need to throw up the grass. Son beat sautillait dans la prairie, et un vent de liberté soufflait sur le pays. Une fois de plus, il défiait toutes les lois de la physique et ne respectait rien, pas même le vieux principe de gravitation universelle si cher à Newton. Avec «Corprohangist», John Dwyer cherchait un fouet pour se faire battre et traitait sa chanson de tous les noms - Oh yeah this song is sung/ This song is shit - Il sortait la meilleure fuzz de son chapeau de magicien pour un «A Wall A Century» heavy et solidement dérangé, comme ébahi à Tahiti. Il nous faisait le coup de la B qui tue avec une série invraisemblable de smash-cuts, à commencer par un «Spider Cider» joué au prog protubérant, juste pour exprimer ce qu’est le blaze, suivi de «The Whipping Continues», petite heavyness plombée au LSD et relativement pompeuse, au sens de l’Oracle des Zombies de Delphe. Ah, mais il n’allait pas s’arrêter en si bon chemin car voilà qu’arrivait «Blood On The Dock» une pop de pirates, avec un dark ship foating after me, oh no no no et il poussait le bouchon encore plus loin en passant un solo oriental de Mahabarata digne du Barabajagal, ce qui semblait logique vu qu’on retrouvait Donovan dans l’histoire. Il lançait «A Warm Breeze» à coups d’harmo sixties et recréait l’illusion d’une incommensurable diversité des genres, un peu comme si son éventail s’étendait à l’infini, telle l’une de ces japoniaiseries chères à Stéphane Mallarmé qui, souvenez-vous, fut le pape de la rue de Rome.

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    L’homme à tête de chien qu’on voit dans un cercueil au dos de Putrifiers II EP n’est autre que John Dwyer. Putrifiers II EP fut aussi le dernier album des Oh Sees paru sur In The Red. Il attaquait «Waw Face» à coup d’Oh wite ! Quel dingue, ce mec ! On le voyait tirer son son avec opiniâtreté et comme il visait la mad psychedelia, il créait les conditions d’une sévère lactose pariétale. Ses cris relevaient de l’organique et on sentait un mouvement indicible, pareil à celui d’une armée en marche dans un univers en ordre, une troupe compacte et bien gardée sur ses flancs. Il passait à la pop tétanique, et même très tétanique, avec «Hang A Picture». Cet homme n’en finissait plus de se vouloir complet, il tâtait de tous les genres avec un égal bonheur et dressait une nouvelle typologie du rock, d’une manière qu’il voulait exhaustive, sachant bien que l’exhaustivité ne compte pas dans l’absolu de la relativité. Il revenait à un format plus garage avec un «Flood’s New Light» bien martelé et chanté à l’ersatz de voix. En B, il nous régalait de «Lupine Dominus», une pop joliment enveloppée, montée sur un thème de guitare bien gras qui pouvait à la limite sonner comme une trompette wha-wha, ce qui ne manquait de nous galvaniser.

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    Avec Floating Coffin et sa pochette sucrée aux fraises, John Dwyer ouvrait l’ère Castle Face, un label aventureux au logo protéiforme. Il donnait le la avec un coup de grisou garage, «I Come From The Mountain», bien cavalé à travers les hautes plaines. Et toujours ces wow ! suivis de plongées en enfer. Comme dans ses autres chansons, il shootait un couplet en boucle d’argent gris - Girls like to smile half the time/ Boys are the trouble all the time - On avait là un vrai hit sauvage. Il en ramenait un autre à la suite, le fameux «Toe Cutter/Thumb Buster», épais et mélodieux, magnifique d’élévation spirituelle. Il le revisitait au thème gras et altérée. On avait là un cut incroyablement beau et paisible et il n’en finissait plus de relancer son équipage. Il revenait à sa vieille passion pour Can avec «No Spell», hypno à gogo ponctué de wow de la Wells Fargo. Et puis il bouclait l’A avec «Strawberries One & Two», une mélasse lysergique à l’étique raréfiée, mais il n’en cherchait pas moins l’espace du promontoire prométhéen, ainsi que des avances sur recettes. Oh et puis en B, il exultait avec «Maze Pancer» - No brains inside of me ha !/ Nothing inside of me ha ! - Il s’esclaffait alors que son char filait à train d’enfer à travers la morne plaine de Mésopotamie. Son attelage étincelait sous le soleil. Il jouait plus loin un «Sweets Helicopter» en mood de mode Pinder sous la voûte étoilée d’un chapiteau, avec des accords voltigeurs et des animaux en peluche.

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    Avec Drop, John Dwyer inaugurait la série des pochettes ratées, au nom de la liberté, bien sûr. Il attaquait avec un «Penatrating Eye» joué au heavy bulbique, une histoire d’œil volé. On se retrouvait confronté une fois de plus à la réalité d’un mec comme John Dwyer, incapable de se prendre au sérieux. Il chantait ensuite «Encrypted Bounce» d’une voix d’ange de miséricorde, sur un joli beat de rase motte. Il y avait encore là de quoi nous fasciner jusqu’à l’os du genou. Il s’agissait en effet d’un cut monté à l’idée pure, conçu dans un esprit de maniaquerie invétérée, digne d’une vestale vénale. Et en B ? Eh bien, il s’y passait des choses pour le moins intéressantes, comme ce morceau titre amené en forme de garage pop d’I don’t expect to see you again oh yeah, avec de la fuzz plein la bouche. Il enchaînait ça avec un «Camera» chargé de mad desire, celui de porter les visages des autres hommes. Pas facile. S’il fallait s’appesantir sur un cut, ça ne pouvait être que «Transparent World», joué au groove ambigu de fusion saxée sur une belle bassline de Chris Woodhouse.

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    Un drôle de monstre armé d’un flingue spongieux orne la pochette de Mutilator Defeated At Last. On était tout de suite frappé de plein fouet par l’énorme «Whitered Hand» qu’il joue encore aujourd’hui sur scène, un hit athlétique et complètement fascinant, sur lequel il bondit de droite et de gauche comme un Nijinski devenu apoplectique. Par contre, «Poor Queen» allait plus sur la pop. Il jouait ça aux accords byzantins de cristal d’apothicaire du Carrefour de Buci, d’autant qu’il s’agissait d’une bonne nouvelle - the queen willl live/ To see another day - Il enchaînait avec un «Turned Out The Light» presque glammy dans l’essence, un cut admirable et juteux comme un fruit trop mur. Et puis il bouclait l’A avec «Lupine Ossuary», un instro joué à la virtuosité paganinique. Franchement, ce mec pouvait tout se permettre, comme le montrait encore «Holy Smoke», un hit de B, une sorte de carpaccio d’arpèges frelatés et servi sur une fine couche d’ambre jaune.

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    L’an passé sont sortis trois albums des Oh Sees, à commencer par l’un des plus beaux albums live de tous les temps, Live In San Francisco. Ça démarre avec l’effarant «I Come From The Mountain» tiré de Floating Coffin, traité ici en violent mode garage californien, joué à la tonne de son et savamment vrillé de solos. Et c’est là qu’on retrouve la powerhouse des deux batteurs, et croyez-moi, ça change tout. Ils enchaînent avec «The Dream» tiré du Carrion Crawler/ The Dream EP. Derrière John Dwyer, ça bat comme chez les Pink Fairies, ça joue à l’extrême clameur d’Elseneur. Ils embarquent «Tunnel Time» au beat de ventre à terre, au pulsatif compulsif. Tim Hellman gratte du bassmatic à flots continus. Heureusement qu’il joue sur Ricken. Ils attaquent la B avec un «Web» tapé au groove anglican et les Oh Sees suent sur «Man In A Suitcase». Oh les Oh Sees savent ! Ils jouent l’organique à l’état le plus pur. Tiens, revoilà l’excellent «Toe Cutter/Thumb Buster» tiré de Floating Coffin et riffé à la Teddy Bear, mais complètement dérangé au plan sonique. John Dwyer barde son art de son et crée les conditions de l’extravagance. Il ramène le souffle d’un Abel Gance dans le rock moderne. Ils attaquent la C avec l’infernal «Withered Hand» tiré de l’album précédent, véritable blast de powerhouse, une branle se met en branle, alors si ça n’est pas du blast, qu’est-ce donc ? Rien de plus déterminant qu’une powerhouse décidée à en découdre. Avec «Gelatinous Cube», John Dwyer claque ses chœurs et profite de la moindre étincelle de frénésie pour sombrer dans le chaos. Il joue la carte des frénétiques de l’Avant siècle. Ils bouclent en D avec un «Contraption» survolté que vient concasser un chorus spatial et aventureux. John Dwyer a mis au point une formule infaillible. On se régale de cette énorme jam entreprenante. On parle de cette face cachée comme on parlerait de l’œuvre de toute une vie.

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    Pochette à la Chirico pour A Weird Exits paru la même année, mais un Chirico qui irait mal. Ça commence par une belle énormité, «Dead Man’s Gun» tarabusté vite fait et fracassé par un solo signé Dwyer. C’est joué à l’hypno fatidique et Brigid Dawson vient faire des voix de Bogus Man avec cette bête de John. On trouve en fin d’A un «Jammed Entrance», c’est-à-dire un instro tendancieux. On s’y perd en conjectures, tant l’automatisme prévaut. Picabia aurait adoré cette dynamique interne de piston polyglotte à poil dru. On retrouve l’hypno magique des Oh Sees en B avec un «Plastic Plant» chanté à la voix blanche et ils enchaînent avec le faramineux «Gelatinous Cube» qu’on trouve aussi sur l’album live. John Dwyer file en mode garage punk, avec cette façon exclusive de trousser des petits éclats de solos, pendant que la bassline ondule comme le ventre d’Oum Kalsoum sous le satin des draps du Cheik en blanc.

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    John Dwyer explique que l’album An Odd Entrances paru lui aussi en 2016 est le petit frère du précédent - An appendix, if you will - On s’y régale d’un «The Poem» joué au bel arpeggio de Giotto. Ce sacré John Dwyer semble même se prélasser dans la coquille de Boticelli. On retrouve son appétence pour la pop en B avec «At The End Of The Stairs». On sent chez lui le pape de plage, le ponte du peuple. La pop n’a plus de secret pour cet homme. Et puis on tombe sur une merveille, «Nervous Tech», joué sur un tapis de brousse de basse, très Can dans l’esprit. John Dwyer continue de repousser les frontières du possible. C’est un acharné de l’acharnement, il veut absolument ne rien devoir à personne. Son instro tentaculaire en laissera plus d’un grosjean comme devant. Ah, il faut avoir écouté ça au moins une fois dans sa vie si on veut mourir moins bête, d’autant que ça s’inspire du «Go Ahead John» de Miles Davis. Pas de meilleure source ici bas.

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    Alors, au point où on en est, on peut aussi aller fureter dans les compiles des Oh Sees, tiens par exemple le volume 3 des Singles Collections. On y trouve des démos, des inédits et des reprises. Quand on sait de quoi est capable John Dwyer, on ne risque rien. On trouve dans ce volume 3 une fantastique démo de «Crushed Grass» montée sur une bassline brontosaurique, une vraie monstruosité lovecraftienne. John y couine comme l’orfraie d’Alfred de Vigny. Ils font aussi une reprise de «Burning Spear», un cut de Sonic Youth, mais John Dwyer l’allume aux lampions de la folie expressionniste, et ça déferle comme des paquets de mer sur nos hures de pauvres ères. Aucun égard pour la mansuétude ! Avec «What You Need», John Dwyer retourne dans la pampa pousser des woo ! et des yooo ! Il adore ça. En B, on tombe sur le processionnaire «Always Flying», sur un «Devil Again» sautillé comme chez les Vibrators et un fantastique «Block Of Ice» live joué au groove profilé sous le boisseau d’argent. C’est une fois de plus l’épitôme du renlentless, l’apologie du jusqu’au-boutisme de Jean Grosjean comme devant, petit neveu du célèbre bagnard échappé de l’île du Diable à la nage.


    Signé : Cazengler, pas Oh See mais Ah See (à table)

    Thee Oh Sees. Sucks Blood. Castle Face 2007
    Thee Oh Sees. The Master’s Bedroom Is Worth Spending A Night In. Tomlab 2008
    Thee Oh Sees. Help. In The Red Recordings 2009
    Thee Oh Sees. Dog Poison. Captured Tracks 2009
    Thee Oh Sees. Warm Slime. In The Red Recordings 2010
    Thee Oh Sees. Carrion Crawler/ The Dream EP. In The Red Recordings 2011
    Thee Oh Sees. Castlemania. In The Red Recordings 2011
    Thee Oh Sees. Putrifiers II EP. In The Red Recordings 2012
    Thee Oh Sees. Floating Coffin. Castle Face 2013
    Thee Oh Sees. Drop. Castle Face 2014
    Thee Oh Sees. Mutilator Defeated At Last. Castle Face 2014
    Thee Oh Sees. Live In San Francisco. Castle Face 2016
    Thee Oh Sees. A Weird Exits. Castle Face 2016
    Thee Oh Sees. An Odd Entrances. Castle Face 2016
    Thee Oh Sees. Singles Collection Volume Three. Castle Face 2013

     

    17 / 05 / 2017PARIS
    NOUVEAU CASINO
    T-SHIRT / POGO CAR CRASH CONTROL

    Jamais mis les pieds au Nouveau Casino. A l'ancien non plus. Une appellation qui empeste un peu trop l'hypermarché, mais non, pas d' assimilation hâtive et hasardeuse, une véritable salle de concert au plafond capitonné qui doit pouvoir accueillir près de trois cents personnes. Une programmation longue comme un jour sans rock'n'roll, et la file des fans qui attendent devant la porte. Salut à Marie arrivée la première à dix-huit heures trente tapante dans son T-shirt au logo assassin de Pogo Car Crash Control.

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    T-SHIRT


    Personne ne les connaît. Prétendront que c'est leur premier concert – du moins dans un lieu moins exigu que leur appartement - même si l'on retrouve des traces d'antérieures apparitions dans la mémoire inquisitoriale du Net. De toutes les manières on les sent un peu tendus. Mais l'assistance ne sera pas cruelle. C'est qu'ils vont prendre de l'assurance au fil des morceaux et arriver à établir le contact.

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    Groupe mixte mais sans parité, une fille deux garçons. Difficile de définir le style, les deux premières entrées en matière, Mide and Hyper, flirtent avec le white rock, guitare filante et rapidité du drummin', mais ces caractéristiques vont s'effilocher au fil des morceaux. Léa se cache derrière ses lunettes et le micro de sa voix exigerait que l'on hausse le ton, la guitare surfe mais deviendra de plus en plus affirmée tout le long du set. Première caractéristique, les fins impromptues qui vous laissent sur votre faim. Les morceaux sont aussi courts que leurs titre : Heaven, Dates,Triton, Razor, Cold, Sloan... Serait-ce l'indication d'une allégeance vertueuse à l'esthétique des Ramones ?
    Rien de novateur, T-Shirt joue un rock basique sans surprise mais bien balancé, tout compte fait agréable à écouter. Des murmures d'approbation monteront de la foule au fur et à mesure que Toma appuie de plus en plus sur ses toms et que Luc à la basse double la voix de Léa. A moins que je n'aie inverti les deux prénoms. L'est sûr que l'appétit vient en mangeant et notre trio prend du poil de la bête au fur et à mesure qu'il déroule sa set-list. Z'ont encore le problème de l'ampleur du son à résoudre. Faut lui donner une couleur et une tessiture qui deviennent marque de fabrique à part entière, ce qui est sûr c'est qu'un jour ou l'autre nous repasserons sur notre torse velu le même T-Shirt.
    Sortent de scène sous les applaudissements ce qui n'était pas donné de la part d'une assistance venue pour les P3C...

    POGO CAR CRASH CONTROL


    En attendant Pogo... noir absolu parcouru de glauques luminescences... la tension monte de douze crans en moins d'une seconde, de la sono émerge un glas fatidique et irréversible, ce qui s'avance vers vous dans le lent égrenage de cette lourde ponctuation sonore, c'est la statue du Commandeur qui s'en vient demander sa ration d'âmes, les nôtres, tremblantes d'excitation à l'idée que dans quelques secondes débutera le grand transbordement énergétique.

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    Déchirure. La salle explose. Jusqu'à la fin du set ce ne sera plus qu'un horrible pandémonium de corps agités et entremêlés. Les Pogo ont frappé. Ne sont en rien des adeptes de la montée en puissance. Donnent tout et tout de suite. Sans attendre. Sans pitié. D'abord la voix, ce rut de colère, cette vomissure sanglante, qui défèque du plus profond des entrailles de la révolte métaphysique adolescente, le non définitif jeté en défi à la platitude du monde, le veto bestial s'opposant à la tristesse des existences, la condamnation excrémentielle de nos conditions de survie, tout ce crachat de haine et de rage amalgamé dans le rugissement royal des déglutitions vocales d'Olivier, il n'ouvre pas la bouche, il lâche les fauves dans l'arène néronienne de nos frustrations, et puis le reste, toute la musique que je déteste psalmodie Tante Agathe, ce déluge scansique, cette transe diluvienne, cette boule de foudre et de flamme noire comme la nuit qui détruit tout sur son passage, vous percute, vous traverse, vous éparpille, vous cendrifie, qui ne vous lâche plus, qui sans cesse revient sur vous, s'acharne, vous piétine, vous disperse, vous poudroie et vous rend à la poussière de vos égotistes petitesses.
    Une seule consolation dans cette humiliation, c'est qu'ils ne sont pas mieux lotis que vous, ne font pas le show, sont eux-mêmes dans le froid de la tourmente de leur radicalité, le rock en tant qu'ascèse orgiaque, Dionysos à tout instant démembré en un rituel ultime cent fois recommencé. Jouer à perdre haleine, puisqu'à chaque fois c'est le sort du monde qui est en jeu, que la guitare se désaccorde que le venin s'épaissit en une gangue de matière noire, l'étron fécal alchimique qui se doit d'être transfiguré en le grès rouge de tous les triomphes, Alexandre forçant les rives du Granique, entraînant ses compagnons dans les escarpements du surpassement de soi-même et des autres.
    Même Lola. La douce Lola. La frêle blondeur de Lola. Désormais guerrière provocatrice. Ponctue d'un triple coup de poing définitif, les soubassements néandertaliens, ces rafales sismiques de secousses telluriques dont les soubresauts répétitifs parsèment de cataractes géantes le long torrent tumultueux qu'est l'échevellement musical, le scalp trombinoscopique des Pogo. S'avance au bord de la scène, darde ses yeux sur vous, de longs traits de haine qui vous fusillent à bout portant, et puis recule avec ce sourire roué et en même temps naïf qui parcourt le visage des douze princesses des mortifères ballades de Maeterlinck, celles qui vous rongent l'âme, l'air de rien mais plus gloutonnes que le serpent Apophis qui vous attend dans la barque de votre éternité compromise... Petite fille cruelle qui arrache méthodiquement d'un sourire angélique les ailes des abeilles, juste pour leur apprendre à ne pas voler.
    Torse nu, d'une pâleur qui n'est pas sans rappeler la terrible bancheur cahalotique de Moby Dick, Louis à la batterie, sabote notre ouïe. L'on n'aperçoit que ses bras sémaphoriques, sémaphoniques, levés très haut – comme des signes d'appel et d'invocation des divinités du mal. Doit bien les rabaisser de temps en temps sur ses toms pour leur faire la peau comme le prouve le roulement continu des huit sabots de Sleipnir le coursier frénétique qui galope et tournoie sans fin dans un ébranlement rythmique infini.
    Flash sur la salle. Des corps sont portés à bout de bras comme des victimes expiatoires que dans un enthousiasme délirant l'on emmène en offertoire devant la scène afin qu'elles soient honorés d'un regard approbatif d'Olivier qui n'en continue pas moins de violer sa guitare et d'éructer le chant tribal des hordes fratricides. Certaines sont déversées sans ménagement sur la scène, s'enroulent dans les fils, mouches engluées dans la toile de l'aragne, s'écroulent par terre entraînant avec elles dans leurs efforts reptatifs de délivrance les pieds de micros. Inutile de s'inquiéter, Royaume de la Douleur, Hypofhèse Mort, Paroles M'assassinent, Rire et Pleurs, toute cette folie est inscrite et préfigurée dans les paroles du groupe. Jusqu'à ce quidam qui s'empare du pied du micro, ne le lâche plus et en tape résolument le sol comme s'il voulait écraser les serpents du désespoir de la chevelure vipérine de Méduse qui chaque matin nous sert de miroir. Olivier agonise sur le sol, mais tel le phénix se relèvera et renaîtra à plusieurs reprises de ses flammes auto-combustatoires.
    Apocalypse terminale, débâcle, carnage, carambolage, Olivier lance les hostilités, prophétise notre futur injonctif, Crève hurle-t-il et la sarabande de la démence s'empare des esprits. Difficile d'en relater un compte-rendu objectif, les deux guitaristes sont dans la salle et Simon se lâche, lui qui avait été particulièrement brutal envers sa guitare durant tout le set, lui qui s'était lancé dans des vocaux astringents comme des tentacules de pieuvre ne se retient plus. Slide sur les cordes avec le cromi, obtient ainsi une espèce de vomi grésilique de crocodile des plus délicieusement alligatoriens. Et c'est fini. Tout s'arrête. Vous savez bien que cela finirait ainsi mais la pierre froide du tombeau s'est refermée sur vous et vous êtes définitivement seul. Tout le monde se regarde, l'on touche un peu son voisin pour savoir s'il est bien vivant. Malaise général. Comment se raccorder à la réalité après une telle effulgence. Une seule échappatoire, un rappel, retournent enfin sur scène, dégoulinants de sueur et d'eau dont ils se sont abondamment aspergés dans les coulisses pour éteindre le feu inextinguible du rock noise qui court encore dans leurs veines. Reviennent épuisés mais le sourire de la victoire aux lèvres. Olivier nous traite d'américains puisque l'on demande more à mort. Et ajoute qu'il est a lonely guy. Toutefois adulé rajouterons-nous. Un dernier Crash Test. Dantesque. Démentiel. Et nous les laissons partir.
    Pogo Car Crash Control. Souvenez-vous de ce nom. Ce n'est pas seulement un bon groupe. Ces jeunes gens sont en train de construire une légende.

    ( Photo : FB : Guendalina Flamini )


    Damie Chad.


    21 / 05 / 2017SAVIGNY-LE-TEMPLE
    L'EMPREINTE


    SCORES / SEVENTY SEVEN
    THE NEW ROSES

    Dimanche après-midi, L'Empreinte, Savigny-le-Temple, dix-huit heures, horaire un peu inaccoutumé pour un concert, mais à ne pas manquer, trois groupes, j'ignore tout des deux derniers, mais ce n'est pas pareil pour le premier, The Scores, un concert pas tout-à-fait comme les autres, le groupe a annoncé sa dissolution, deux ans et demi que nous les suivions sur KR'TNT !

    SCORES

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    Sont là tous les quatre, Elie Biratelle à la basse, Léopold Leroy et Simon Biratelle aux guitares, Nicolas Marillot engoncé dans sa batterie, lancés dans une intro tonitruante lorsque de derrière les amplis où il s'était tapi surgit Benjamin Biot-André, s'empare du micro comme d'une hache d'abordage et entame autour de sa hampe une danse scalpique des plus sauvages, les Scores nous livrent le set définitif, seulement sept titres mais sans une once de graisse, sept épures magistrales, parfaites, l'essence d'un rock'n'roll qui flirte avec le hard sans jamais s'appesantir en des clichés par trop appuyés, trois guitares inspirées poussées grand vent par la frappe multiplicatrice de Nicolas, Good Night, Naughty Angel, Leave me Now nous tombent dessus, énergie à l'arrache au service d'une architecture mûrement maîtrisée, trois traînées d'or ruisselantes telle la semençale pluie de Zeus entre les cuisses de Danaé, et puis Ben prend la parole, explique que c'est le dernier set, à l'Empreinte, là où ils avaient débuté, évoque en mots simples ces cinq années d'amitié fraternelle et toutes ces rencontres que l'existence du combo a générées, phrases émouvantes qui bénéficient de l'attentive compréhension du public qui pour une grande partie les découvre, et qui se demande le pourquoi de cette séparation, alors que le groupe fait preuve d'une cohésion exceptionnelle. L'on sent la salle touchée, mais Scores repart avec Forget About It – il est des moments de sincérité qui ne s'oublient pas - Take a New Turn – titre prophétique – mais le meilleur est à venir, une version de Born To Be Wild d'une justesse bouleversante, les Scores se sont appropriés le morceau, y ont imprimé leur marque, l'ont customisé à leur manière, en ont saisi le balancement particulier créé par cette ligne de basse et ces riffs de guitare qui ont l'air de se marcher dessus, Ben magistral au chant, pas de criaillerie, mais sa voix évoque le moutonnement infini de l'asphalte et ce désir fou de liberté et cette appétence pour le goût sauvage de la vie qui reste une des vertus cardinales du rock'n'roll, public subjugué, longs applaudissements, et puis le plus amer, Hammer of Life, le dernier titre, la philosophie à coups de marteaux, ce besoin irrépressible proprement humain de casser les plus beaux jouets que l'on a soi-même fabriqués, la musique nous remplit et nous transporte, mais l'impression que plus personne n'écoute, l'assistance stupéfaite, silencieuse, chacun renfermé en soi-même à méditer sur la réalité des songes qui ne collent à vos doigts qu'un bien court moment et puis s'enfuient l'on ne sait pas trop pourquoi, le chef d'oeuvre s'achève, Ben nous remercie, des mots de braise et de feu, évoque la fin d'un cycle qui se termine sans haine et sans tension et d'un autre qui ne manquera pas de s'ouvrir, Scores est arrivé au bout de son sillon, l'oeuvre est accomplie, la boucle est en train de se refermer, et c'est tout, et les applaudissements éclatent, chaleureux, infinis, ils sont sortis depuis longtemps de scène que le crépitement des remerciements continue... Un instant de grâce et de gratitude. Le concert aurait pu s'arrêter là que rien n'aurait manqué, il est des moments d'une telle intensité qu'ils se suffisent à eux-mêmes, merci SCORES pour tout ce que vous avez accompli, et ce set de toute beauté qui sut accrocher un reflet d'éternité.

    SEVENTY SEVEN

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    The show must go on... scène vide, retentit une musique western d'Ennio Morricone, l'on ira jusqu'à la fin du morceau avant que '77 n'investisse le plateau, trois grands gaillards devant – à croire qu'il faut passer sous la toise pour entrer dans le groupe - mais non le quatrième est d'un gabarit bien plus modeste, un freluquet quand on le compare à ses acolytes, Andy Cobo s'installe à la batterie. Etonnant. L'est comme ces boxeurs qui ne connaissent que deux parades, le crochet du droit et le crochet du gauche. Vous refile cent fois de suite le même plan, légèrement de profil, orienté selon sa caisse claire, idem pour le break, la même distribution à chaque fois. Mais, il y a un mais. Cela pourrait être monotone. Pas du tout, vous dégage un train d'enfer, une machine gun inépuisable, une pêche infernale, d'une efficacité exemplaire, un plaisir extraordinaire à le voir jouer, avec sa coupe de cheveux à la P. J. Proby, son allure de gamin, et sa manière de bomber le torse, de lever le poing et d'exhiber fièrement les muscles de ses bras après chaque folle exagération rythmique, il pousse le groupe d'une façon insensée. D'autant plus folle que les trois tueurs de devant n'ont pas besoin qu'on leur donne le mauvais exemple. Arnaud Valeta et LG Valeta sont aux guitares, pas de la valetaille de dernière zone, vieille Gretch écaillée pour Arnaud et Gibson guère en meilleur état pour LG, viennent de Barcelone, sont comme tout Espagnol qui se respecte donnent l'impression d'avoir toujours une paella sur le feu et un taureau à tuer. Un bicho trucidé chasse l'autre vitesse grand V. Vous envoient de ces estocades de riffs à vous transpercer le corps, de l'acier de Tolède trempé, flexible et imparable. A la basse Guillem Martinez ne s'en laisse pas compter. Vous coupe les oreilles et vous hache la queue cent coups férir. A eux trois ils vous tissent un rideau de fer hardique impénétrable, et avec Andy par derrière qui vous bat la sangria à l'agua ardente, vous avez intérêt à vous faire du souci. Ses congénères le laissent tout seul pour un petit ( en stylistique cela s'appelle de l'antiphrase ) solo, nous montre tout ce que l'on subodorait qu'il devait savoir faire, nous expose à loisir, son truc à lui pour dézinguer le zinc des zimballes, l'on dirait qu'il les crisse avec des griffes de chats, vous scratche la crash et vous ride la ride, un gamin instable qui ne peut s'empêcher de taper de-ci de-là, l'on ne sait pas pourquoi, les baguettes en vadrouille, la pédale qui tamponne la grosse caisse, arrêt-buffet, en profite pour gonfler le biscoto de son bras droit à la Popeye voulant impressionner Olive et brusquement c'est la fixette sur el cencerro, je vous sers le terme hispanique, en français ce serait cloche à vache, heureusement d'ailleurs que la bovidette n'est pas là, sinon elle vous prendrait une de ces dégelées à mériter l'urgente intervention de la SPA, bref la cowbell il vous la fait meugler à faire trembler les loups les plus féroces de peur dans les alpages, l'anarchie totale et une miraculeuse architecture, de quoi flanquer une jaunisse sidérante ( et une leçon d'harmonie transgressive ) à tous les timbaliers du London Symphonic Orchestra, en tout cas l'assistance applaudit à tout rompre, tandis que ses compagnons reviennent opérer une dernière razzia de guitares sans retard. Quittent la scène sous les acclamations. Seventy Seven, pure jouissance rock'n'roll.

    THE NEW ROSES

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    Faudra quatre morceaux pour entrer dans les corolles carnivores des Nouvelles Roses. Après la tornade des Seventies, la tâche me paraissait quasi-impossible. Mais vont y réussir complètement. Efficacité allemande. Vitesse et confort. En douce, vous enveloppent l'air de rien, s'entendent comme des larrons en foire de Berlin, normal viennent d'outre-Rhin, vous enfonce dans la meilleure ouate astringente que vous trouverez sur le marché. Hardy est aux drums et Urban Berg à la basse, vous filent le chewing-gum de base, malléable à volonté et d'une élasticité à toute épreuve, refuse de se désintégrer, de se réduire à quelques filaments filandreux qui vous prennent les amygdales au lasso, une section rythmique de rêve sur laquelle vous pouvez tout vous permettre. Cela tombe bien car les deux ostrogoths restants profitent largement de l'aubaine, Norman Bites et sa Gibson en V, vous la manie comme vous un pique-date pour attraper les olives lors de l'apéritif, une dextérité, une habileté confondante, l'en fait ce qu'il veut et il lui demande le maximum, déjà de sonner juste durant qu'il joue, les esprits chagrins avanceront que c'est la moindre des choses, absolument d'accord mais Norman n'est pas homme à perdre le nord, profite du fait qu'il soit sur scène pour parfaire son parcours santé, déambule comme un dératé de long en large, exercices d'assouplissements divers, enchaînement de vertigineuses postures dignes de l'atha yoga, s'arque-boute le dos en arrière à s'en faire péter la moelle épinière, saute, bondit, s'enveloppe la tête de ses longs cheveux, un mélange détonnant de narcissisme et d'attention aux autres, immobilise ses doigts en plein milieu d'un solo pour que le photographe puisse réussir son cliché, surveille attentivement du coin de l'oeil les trois gaminos tout devant leur scène, leur sourit, leur serre la main, leur refile ses médiators, entre temps il joue, et plutôt mieux que bien, à peine touche-t-il ses cordes que cela s'entend, de la haute précision, vous envoie de ces riffs à l'indolence de panthère, à la royal tiger, tachetés à la léopard, l'est chamanisé, habité de l'aisance majestueuse des félins... Timon Rough est au centre, le grand sorcier c'est lui, guitare d'appoint et de pointe, accompagnement et notes qui vous transpercent et vous déchirent, mais au bout d'un moment vous n'y prenez plus garde, vous envoûte de sa voix, épine acérée et suavité des roses, légèrement éraillée, style expérience du baroudeur à qui on ne la fait pas qui a tout connu et tout vécu, la module savamment, l'en profite pour vous engranger dans ballades envoûtantes, les guitares pleurent et votre coeur saigne, vous hypnotise, vous emmène où il veut, commence tout doux mais très vite la machine s'emballe et ça prend une ampleur majestueuse, technicolor et coucher de soleil, le vent courbe les épis de blé, subitement la tempête déboule et déracine les arbres, et enfin un soleil mélancolique baigne le paysage, mais inutile de recourir au suicide il existe des remèdes à tout explique-t-il, une fille perdue et dix dives bouteilles de whisky retrouvées, ivresse joyeuse, et voici un boogie d'enfer qui vous déboule dessus pour vous entraîner dans une course folle... Reviendront pour un rappel de quatre morceaux, deux trip ballades à vous faire gémir sur les morts de Roncevaux et deux hard songs qu'ils ont dû mal à terminer, remettant à chaque fois que le moteur s'arrête de la gazoline dans le réservoir et c'est reparti pour un tour de piste à fond de train, sortent sous les acclamations du public dont une grosse partie est manifestement composé de fans avertis.

    BEAUTIFUL FRIENDS


    Les Scores sont dans le hall, possèdent et vibrent de l'indéfectible beauté de la vingtaine, viennent d'offrir et de partager le reliquat de leurs deux disques et de leurs t-shirts, sont maintenant maintenant réunis en cercle – ring of fire - restent soudés entre eux, même s'ils se séparent, chacun ira son chemin, encore incertain, mais mille pistes d'intensité inexplorées les attendent. Rock'n'roll can never die !

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    Damie Chad.


    CONSEIL / CLIP
    POGO CAR CRASH CONTROL

    REALISATION ROMAIN PERNO

    TEASER


    Savent faire monter la sauce les Pogo d'abord un teaser pour annoncer la parution immédiate du Clip. Tête totémique de mort sanglante qui se décharne vitesse grand V jusqu'au squelette final en neuf secondes. Plus la mâchoire inférieure qui rigole. Bientôt un nouveau clip en lettres rouges s'inscrit sur l'écran. Grand guignol pré-néolithique. Esthétique sauvage écriront plus tard les ethnologues.

    CONSEIL

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    Hall blancheur aseptisée d'hôpital. Psychiatrique. Inutile de préciser, vous vous en doutiez. Nouvelle méthode, thérapeutique douce, on laisse les pensionnaires vaquer à leurs occupations habituelles. Afin de ne pas provoquer le stress supplémentaire que ne manque pas d'induire une coupure par trop brutale avec les comportements existentiels antérieurs à l'enfermement. Me permettrai pas de condamner cette cure médicale d'un genre nouveau, me contenterai d'en juger sur pièce au vu des résultats. Que nous devons avouer déplorables.
    Certes l'on a remplacé la bonne vieille camisole de force par un t-shirt d'un blanc immaculé et d'un futal noir ébène, et on leur a refilé leurs instruments. Les pauvres, par un réflexe pavlonien du pire effet se sont précipités dessus et se sont lancés dans une répétition, peut-être même se croient-ils en leur cerveau dévasté en plein concert. Le document que nous communique si aimablement le docteur Romain Perno est des plus intéressants. Réalisé avec un scanner des plus révolutionnaires. Le principe en est simple. Au lieu de vous refiler des coupes gélatineuses de synapses en pleine action, totalement incompréhensibles pour tout individu dépourvu d'un diplôme d'ingénierie scanique, la bécane traduit l'activité mentale des neurones en les donnant à lire comme ces réactions émotionnelles qui affectent votre visage lorsque vous recevez un courrier de votre percepteur vous réclamant cinq ans d'arriéré-d'impôts.
    Terrible et effarant spectacle. La caméra se fige sur le visages de nos P3C, les images se bousculent et se coagulent, un cauchemar épileptique, les plans se succèdent et s'entremêlent, ruptures schizophréniques et fractures paranoïaques se chevauchent, rien de stable, tsunami de rictus démoniaques, éclats du miroir de l'âme fragmentée, brisée, éparpillée, tous atteints, irrémédiablement, accrochez-vous c'est la réalité du monde qui se fragmente, je n'ai jamais vu ça grommelle le docteur Perno, et j'ai bien peur que ce ne soit transmissible, une espèce de virus mental qui affecte ceux qui se trouveront pris dans les rayons de leurs yeux globuleux d'un bleu si pur, une catastrophe, je crains de rester dans la mémoire de l'humanité comme l'inventeur du bacille de Perno, le plus répugnant qui soit, vous rendez-vous compte cher Damie, encore quelques mois de recherche et j'aurai isolé le microbe de la folie. Une espèce de fibrome méningé dont la propagation se révèlera cent mille fois plus dangereux que le virus du sida. Je prévois une pandémie qui risque d'éradiquer l'espèce humaine de la planète.
    Je me hâte de répondre : certes cher Doctor Perno, c'est parti pour un sale pastis mais il y a tout de même un bon côté à ce phénomène, ce qui est mauvais pour l'humanité est visiblement et auditivement très bon pour le rock'n'roll ! Evidemment rétorque-t-il, si vous le prenez ainsi, mais restons sérieux, je vous en conjure interdisez-vous de révéler à vos lecteurs l'existence de cette vidéo... Vous risquez de déclencher l'apocalypse cérébrale générale. Je me demande même si je ne devrais pas vous interner sur l'heure. Quatre armoires d'infirmiers s'approchent de moi matraque plombée en main, je hurle, ne me touchez pas bande de brutes, mais il est déjà trop tard... Effet rédhibitoire soupire tristement le Doctor Perno.


    Damie Chad.

    THE HOWLIN' JAWS

    COMIN' HOME / I'M HOWLIN'

    DJIVAN ABKARIAN : double basse – vocal / BAPTISTE LEON : Drums / LUCAS HUMBERT : guitar

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    Comin'Home : la voix devant comme jamais sur un enregistrement des Jaws, derrière big mama et la guitare de Lucas qui sonnent le tocsin, mauvais augure qui se concrétise très vite, Djivan plus pressant que jamais, la batterie de Baptiste qui s'effondre en une dégringolade de fin de monde, Lucas qui finit la catastrophe d'un solo au couteau de commando et Djivan qui vous jette le vitriol de son vocal à la figure, tout cela pour fêter son retour. Vous n'en espériez pas tant ! I'm howlin' : lycanthropie aigüe. Djivan vous susurre un hululement à la douceur d'autant plus inquiétante, et les deux autres loups-cerviers enfuis tout droit du poème d'Alfred de Vigny, vous mijotent un de ces accompagnements de brindille foulée dans le piétinement de pattes peu bruiteuses, le genre de menace insidieuse qui ne saurait durer, vous tombe tous les trois sur un paisible troupeaux de brebis que tour à tour, basse, guitare, batterie entreprennent d'égorger méthodiquement. Le sang frais leur refile une fièvre pulsative, et Djivan clame son contentement à tous les échos. Le désir de chair fraîche n'attend pas. Un morceau à écouter comme la face obscure du petit chaperon rouge.

    Les Howlin' deviennent les serial killers du single. Troisième de laz1849bleu.jpg série. Les chasseurs de trésor sont sur les dents. Ces trois petits rectangles colorés risquent de devenir des pièces de collection extrêmement prisées par tous ceux qui ont la désagréable manie d'arriver après les batailles ou que leur maman auront éjectés de leurs ventres bien après le déroulement de l'aventure. Quand on pense à tous ces millions d'imbéciles qui n'étaient pas nés alors que l'on construisait les Pyramides ! Tout y est. Z'ont tout compris.

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    Pochettes esthétiques et morceaux d'une imparable efficacité, développent un style et un son qui n'appartiennent qu'à eux. Un des groupes français actuels les plus essentiels. Alors qu'il y a plein de britanic guys qui ne font pas preuve d'autant de pertinence imaginative et refondatrice...

     


    Damie Chad.

     

     

    AUSTIN OSMAN SPARE
    OEUVRES / Tome I

    Trad : PHILIPPE PISSIER 

    ( Collection ANIMA / Mars 2017 )

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    Je vous chronique ce bouquin, je vous sauve la vie. Ne me remerciez pas, envoyez-moi plutôt un chèque. Prochain dîner en ville, coup de Trafalgar, vous vous retrouvez assis en face de Jimmy Page, vous vous sentez mal, que lui dire qu'il ne sache déjà ? Page ce n'est pas la petite voisine du troisième qui ouvre des yeux émerveillés lorsque vous lui montrez votre collection de pirates de Led Zeppe. Ce n'est pas à lui que question rock vous allez lui en remontrer. Il existe bien une sortie de secours. Mais elle est fermée à clef, barricadée de l'intérieur avec des blocs de béton de dix tonnes. Jardin secret de Monsieur Page. Depuis des années, les journaleux n'osent plus évoquer le sujet. Secret défense, à la moindre ombre d'un semblant de fausse allusion Page devient muet comme une tombe. Son visage se ferme, une ange aux ailes cassées passe... ( voir le logo de Swan Song Records ). Ce bouquin est le cheval de Troie qui va vous permettre de pénétrer dans la citadelle. Attention, une fois que vous serez dans la forteresse, faudra assurer, avec ce diable de Page, c'est le grand jeu qui commence. C'est que dans sa vie Page ne s'intéresse qu'à deux choses : la réédition des oeuvres complètes de Led Zeppelin, et Aleister Crowley. La Grande Bête de l'Apocalypse, the king of the road 666, voici votre angle d'attaque, plein feu sur le maître du Dirigeable, Austin Osman Spare est l'anti-Crowley par excellence. Maintenant que vous avez déclaré la guerre, je ne vous laisse pas tomber, vous fournis quelques biscuits, la discussion risque d'être animée.
    Austin et Aleister se sont connus, de près. Se sont fâchés aussi. Spare ne pouvait supporter cette grande folle de Crowley. Trop de clinquant, trop de baratin, grotesque et irritant. Le cérémonial, les rituels alambiqués, les formules magicques secrètes révélées par une mystérieuse entité de l'outre-monde, Spare n'en avait rien à faire. Charlatanisme. Lui aussi pratiquait la Magie. Selon un autre mode.
    Voici donc le premier volume de ses oeuvres. Vincent Capes et Philippe Pissier ont rajouté aux quatre livres écrits et dessiné par Spare, une introduction d'Alan Moore, et un essai de Julian Moguillansky, manière de vous éviter de perdre pied à la troisième page... Spare naquit en 1886, très tôt il se fait remarquer par ses dessins qui rivalisent avec ceux de Aubrey Beardsley. Une carrière d'artiste reconnu s'ouvre devant lui, mais peu à peu il s'en détournera et finira par y renoncer. Une tâche bien plus étrange l'accapare...

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    L'est de ces hommes qui cherchent au-delà du vernis de la réussite sociale à réaliser leur moi profond, afin d'en éprouver les modalités les plus opératives. Il ne s'agit pas de faire quelque chose ( de bien ou de mal ) de sa vie, le dernier imbécile venu y parvient sans difficulté, mais d'acquérir une intime compréhension de la réalité afin de pouvoir l'acter selon sa volonté.
    Le lecteur ne sera pas sans penser au concept de volonté de puissance de Nietzsche, mais le travail d'un Spare est davantage redevable de la tradition ésotérique que de la philosophie occidentale proprement dite. D'où l'emploi d'un vocabulaire qui n'est pas spécifiquement défini. A la place de concepts il use de vocables utilisés en tant que points de fixation et de globalisation sémantique, le mot envisagé en sa puissance poétique imaginale, ce qui laisse évidemment libre-cours à maintes indéterminations.
    Le vecteur de base sparien est le Moi. Rien à voir avec l'égo ou le cogito. Simplement mon appréhension du monde. Premier piège à éviter : ne pas penser que vous détenez la vérité. Si vous trouvez que le paysage est beau, n'oubliez pas que quelqu'un d'autre le trouvera laid. Pire, même si tout le monde se pâme, la possibilité qu'il soit empreint de laideur n'en demeure pas moins. Ni beau, ni laid. Ni-Ni exclut le nihilisme tout comme moins par moins induit la positivité mathématique. Ni-Ni signifie les deux à la fois, en le sens que toute présence objectale s'inscrit dans la dualité de sa non-existence. Deuxième piège à éviter : ne pas céder au doute. Choisissez. Assumez, en toute connaissance de cause. Remarquez en passant que la non-existence de Dieu n'est guère plus importante que l'absence causale aristotélicienne... Bizarrement nous sommes sur une route qui n'est pas sans parallèle avec la démarche kantienne !
    Maintenant que vous avez réduit le champ des possibles de l'univers à la non-existence de sa possibilité impossible, il vous reste à agir dans cette espèce de zone de haute neutralité qu'est la réalité. Austin Osman Spare possède sa méthode : les sigils. Les sceaux. S'agit de se fabriquer un signe qui vous permette d'oeuvrer au sens quasi-alchimique de ce terme. Ne vous trompez pas, la réalité extérieure n'offre guère d'intérêt. Elle n'est qu'une interprétation infinie. Ma représentation selon Schopenhauer. L'autre versant de votre volonté élective. Les strates du monde sont à l'intérieur de vous. Freud appellera cela l'inconscient. Mais ne l'imaginez pas comme la poubelle de vos interdits et de vos peurs de laquelle vous ne pouvez de temps en temps vous empêcher de soulever le couvercle. Non, considérez plutôt le gouffre abject de vos immondices phantasmatiques en tant que matrice des temps perdus – qui sont donc aussi conservés – je vous laisse à vos explorations archéologiques. C'est ainsi dans ce mémoriel terreau temporel que l'induction magique de la subjectivité s'objectivise.

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    Les sceaux sont comme des symboles, des signes simplifiés à l'extrême que vous griffonnez à tâtons sur un morceau de papier dans le but de les mentaliser facilement. Les tenir toujours en représentation dans votre esprit durant votre vie quotidienne. Vous serviront au moment idoine, un peu à l'instar de ce couteau suisse que vous trimballez depuis deux ans dans votre poche mais qui à l'instant précis et critique se révèle l'outil idéal qui vous permet de vous tirer d'une situation difficile... Les quatre espèces de runes zodiacales qui ornent la pochette du Zeppelin IV ne seraient-ils pas des sceaux spariens ?... Profitez-en pour accuser Page de haute trahison. Autre piste de recherche : cette mode des monogrammes dans les milieux artistiques à la fin du dix-neuvième siècle desquels les doctes chercheurs universitaires ne se sont jamais enquis... Et pourtant que de réflexions à mener lorsque l'on considère l'analogie graphique de l'entrelacement serpentaire mallarméen avec la constellation finale du Coup de Dés...
    Spare s'est aussi intéressé à la technique du dessin inconscient. Dessiner sans réfléchir, pour ensuite réfléchir à ce que vous avez dessiné. L'écriture automatique des surréalistes n'est pas loin, mais les buts poursuivis ne sont pas les mêmes. Le surréalisme c'est encore le Connais-toi toi-même de la sentence inscrite sur le fronton du temple de Delphes, Spare c'est la deuxième partie de la devise, celle qui établit la nature des Dieux... Le livre présente de nombreux dessins de ce type. Qui ne sont pas très esthétiques, du moins à mon goût, mais ce n'est pas la recherche de cette qualité qui a présidé à leur élaboration, à leur menstruation psychique. En ajout des travaux graphiques de l'artiste, notamment des projets d'Ex-Libris, ces petits rectangles de papier, autant marque d'appropriation hommagiale qu'exaltation hiéroglyphique de soi-même que les bibliophiles se faisaient un devoir de coller sur les pages de garde de leurs exemplaires, tradition qui s'est quelque peu perdue mais qui d'après moi survit étrangement dans ces flyers que les groupes de rock distribuent pour annoncer leurs concerts... Quand on aura rajouté que le sexe semble être pour Austin Osman Spare un moyen initiatique et destructeur des plus essentiels, le lecteur se retrouve en pays de connaissance. Notons que Spare emploie souvent le mot femme quand il veut signifier sexe... Soyez déductifs.
    Les recherches de Spare sont relatives, pour ne pas dire absolument relatives – à l'obtention d'une vie de plaisir. Il ne s'agit pas de copuler à outrance. Mais c'est ici que nous voyons s'inscrire en filigrane une des faiblesses de la pensée ésotérique. Celle-ci est fortement marquée par la culture chrétienne qui a accompagné sa naissance et son déploiement. Bien entendu elle possède aussi ses racines païennes, mais elle s'est avant tout pour ce qui nous concerne développée en des siècles éminemment christianophiles. Si bien que Spare et Crowley nés et élevés dans l'Angleterre protestante ont érigé leurs oeuvres impénitentes à l'encontre du puritanisme anglo-saxon. Mais culturellement imprégnés d'un substrat biblique ils ont tenté de pervertir ce legs nauséabond de l'intérieur. Leur vision de la sexualité n'est pas libératoire telle que notre modernité la conçoit, ils effectuent un travail de sape en la présentant comme un retour aux temps édéniques. Perfection de la nudité éveillante d'Eve. Effraction des portes originelles. Au siècle précédent, Les Chants d'Innocence et d'Expérience de William Blake s'aventuraient déjà en de telles et semblables extrémités. Spare est vraisemblablement plus près de Blake que Crowley attiré par l'exemple communautaire de l'abbaye de Thélème. Le fait que Blake et Spare aient été avant tout des artistes – alors que Crowley s'inscrit par devers ses qualités intrinsèques d'homme de lettres et de poète dans le registre des grands communicants – explique la filiation en quelque sorte naturelle entre Spare et Blake qui illustrait ses propres textes.
    Austin Osman Spare finit sa vie dans un relatif anonymat. Entouré de ses chats dans le Londres populaire. L'homme s'effaça de lui-même. En notre pays, son nom a disparu de la mémoire collective. Il n'en est pas de même en Angleterre où il ne fut jamais entièrement oublié et où son oeuvre graphique et sa trajectoire individuelle fascinent de nouvelles générations. Il est aujourd'hui considéré comme l'un des générateurs de la Magie du Kaos... Pour les lecteurs sceptiques quant au sérieux des élucubrations de type sparien et crowleyen, emplis de doute cartésien, nous conseillerons de lire Vision de Yeats, ils ne trouveront pas meilleure introduction, issue du répertoire estampillé «  Littérature sérieuse, grand écrivain », à ce type de démarche intellectuelle des plus borderline. Si le Christ a marché sur l'eau pourquoi l'homme s'interdirait-il de s'aventurer au-dessus de l'abîme !
    Les esprits curieux ne manqueront pas de se procurer ce premier volume, grand format, papier Bouffant, impression exemplaire, couverture d'un orange philosophal rehaussé d'une titulature d'un jaune aussi dorée qu'une aube, 290 pages, pour la modique somme de 23 euros. Pas cher. Mais le chiffre de l'Eris. Certains comprendront. Mais un lecteur averti en vaut deux.

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    En tout cas, Jimmy Page connaît tout cela.

     


    Damie Chad.

    P. S. : lire aussi notre chronique sur Magick d'Aleister Crowley in KR'TNT ! 162 du 07 / 11 / 2013. Vous y retrouverez en ses oeuvres les plus figuratives Philippe Pissier qui s'impose de plus en plus comme l'un des activistes ésotéristes les plus germinatifs de notre temps. Une figure essentielle à découvrir.

     

     

     

  • CHRONIQUE DE POURPRE N° 210 = KR'TNT ! 329 : JIM JONES & THE RIGHTEOUS MIND / THE INFERNAL / THAT'5 ALL / HOXLIN JAWS / BIG BOSS MAN / LES GRYS-GRYS / WHO

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 329

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    18 / 05 / 2017

    JIM JONES & THE RIGHTEOUS MIND

    THE INFERNAL / THAT'5 ALL / HOWLIN' JAWS

    LES GRYS-GRYS / WHO

    Me and Mr Jones

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    Ce Mister Jones ne sort pas d’une chanson de Billy Paul mais du sérail londonien, certainement la meilleure école de rock au monde. Non seulement Jim Jones affiche un sacré pedigree, il semble en plus atteindre une sorte de maturité cabalistique, au sens du boogaloo du terme, bien entendu.

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    En réalité, cette forte impression de maturation émane d’une remise à plat du système Jim-Jonien. Après s’être livré à quelques stoogeries au temps des Hypnotics, il s’est ensuite amusé à ré-inventer la dynamique du blues-rock défenestrateur avec Black Moses. Puis il s’est cru autorisé à penser qu’il pouvait rivaliser avec Little Richard, ce qui fut bien sûr une grave erreur, car personne ne peut rivaliser avec Little Richard, surtout pas un petit cul blanc, aussi bien intentionné soit-il. C’est même une aberration que d’avoir cru ça possible. Alors, pour sortir de cette impasse et se débarrasser des oripeaux qui l’empêchaient de redevenir Jim Jones, il fallait refondre le bronze des statues. Enfin débarrassé de ce pianiste qui figeait la formule, Jim Jones put reprendre son élan. Exit the Jim Jones Revue.

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    Son nouveau groupe s’appelle The Righteous Mind. Ça doit bien faire la troisième fois qu’on les voit sur scène : un premier set gratuit à Beauvais, un deuxième à l’Abordage et un troisième au Petit Bain qui coïncide avec la parution d’un premier album très attendu, et même extrêmement attendu, car les deux sets pré-cités en firent baver plus d’un.

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    Le son du nouveau groupe n’a plus rien à voir avec celui de la Revue. Jim Jones met le paquet sur les ambiances et va sur des choses beaucoup plus sombres, mais diablement captivantes. S’il ne tombe pas dans le piège de la formule Nick Cave, c’est parce qu’il s’appelle Jim Jones et que ses racines stoogiennes remontent à la surface, notamment dans ce fabuleux «Alpha Shit» de fin de set qui n’est même pas sur le nouvel album. Jim Jones semble enfin être redevenu Jim Jones, c’est-à-dire un rocker londonien dont on attend des miracles, et dont la crédibilité repose sur sa réputation de cult-rocker londonien underground.

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    Si on veut vraiment pouvoir apprécier cet album qui s’intitule Super Natural, il est souhaitable d’aller voir le groupe sur scène auparavant. Jim Jones reste avant toute chose un fantastique performer, l’une de ces bêtes de scène qui maîtrisent l’art de chauffer une salle. C’est un régal que de le voir haranguer le public et mettre le feu aux poudres en claquant le beignet de ses accords. Dans les moments d’intensité maximaliste, le groupe entre dans une dynamique qui rappelle celle du MC5 : ils sont trois à circuler et à sauter, ils vont très vite, ils avancent et reculent à tour de rôle et créent les conditions d’un parfait chaos sonique. Jim Jones a cette manie de faire des petits bonds et de retomber sur ses deux pieds, comme s’il voulait encore enfoncer des clous. La scène tremble, car il saute avec force. Avec le temps, il n’a rien perdu de son énergie, il semble même affiner son profil de soul shaker. Il est tellement parfait qu’il semble en voie de starisation, mais qu’on se rassure, nous ne sommes pas encore à Bercy et le Petit Bain n’a pas fait le plein, loin de là. Au fond, Jim Jones n’intéresse pas grand monde.

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    Comme ce mec adore son public, il vient toujours papoter après le concert. Il sait qu’il est bon, mais il apprécie vraiment qu’on le lui redise. Son mot d’ordre est «Spread it, spread it !». Alors on spread. Jim Jones par ci, Jim Jones par là. Mais on le sait, les Français préfèrent la politique. Par contre, les gens de Vive le Rock préfèrent Jim Jones : fait rarissime dans la presse anglaise, Jim Jones décroche un 10 sur 10 pour son nouvel album.

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    Rich Deakin multiplie les formules ronflantes qu’on adore, du genre «hi-octane brand of rock action», ou encore «high-energy punk rock blues outfit» pour évoquer le passé, et «mind-melting brain blasters» pour évoquer le présent. Oui, car quelques épisodes de ce nouvel album plongent des racines tentaculaires dans la légende des Hypnotics. Rich Deakin va même jusqu’à écrire que certains cuts pulvérisent l’auditeur, mais bon, il exagère un peu. Disons que le «Dream» d’ouverture du bal secoue bien la paillasse, car le pianiste Matt Milleship joue le riff de fuzz assis derrière son meuble et un beau geyser d’énergie jaillit sous nos yeux globuleux - Real pain takes/ The color out of everything - Voilà une pure merveille atmosphérique, Jim Jones chante comme un damné perdu dans les corridors glacés de sa folie. Sur scène, «Dream» se trouve en milieu de set, ce qui semble logique vu s’il s’agit d’un cut réellement intense. Il vaut mieux qu’il soit pris en tenaille entre des choses plus dociles.

     

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    Lorsqu’un album démarre ainsi, il y a deux façons de réagir : soit on s’éponge le front en se disait qu’on va encore en baver, comme avec tous les très gros albums, soit on se frotte les mains, car les très bons disques commencent à se raréfier. On tombe un peu plus loin sur un «Something’s Gonna Get It Hands» joué au Diddley beat et plongé dans l’épaisseur cauchemardesque d’une danse du scalp. Jim Jones y joue la pire des insistances avec I know I know et le cut bascule dans une ambiance délétère de type twilight zone. On n’avait pas revu une telle absence de mansuétude depuis les early Saints. Le climat continue de se détériorer avec un «No Fool» chargé de son comme une mule, et qui sonnerait presque comme un Chant des Partisans macabre, ou si vous préférez, le battement des tambours qui accompagne une montée du condamné à l’échafaud, sur une place du beffroi noire de monde. C’est d’une noirceur qui pourrait perturber. De là à penser que c’est fait exprès, c’est un pas qu’on franchit sans même réfléchir. Jim Jones cultive une sorte de gothique baroque et entre en osmose avec la pochette de l’album, qui est excessivement troublante : on a là un gros mélange de collages retravaillés, du Clovis Trouille sans humour, de l’hermétisme de pacotille à tendance sataniste et sournoisement érotique. Assise au premier plan, une courtisane nue capte bien le regard. Elle sort d’un jeu de tarot la carte de la mort et derrière elle, une sorte de Raymond Roussel au yeux bandés tient dans le creux de sa paume le feu sacré du vif-argent. C’est une œuvre qu’on examine avec le plus grand soin, car elle pullule de détails onirico-démonologiques dignes d’un Max Ernst, mais pas celui du mouvement surréaliste, non, disons plutôt un Max Ernst qui serait possédé par le diable. En réalité, l’auteur s’appelle Jean-Luc Navette, ce qui a le don de calmer les esprits.
    Puisqu’on vient d’effleurer l’incantatoire, profitons-en pour écouter le «Boil Yer Blood» qui ouvre le bal des vampires de la B. Voilà un cut sombre dont les chœurs mâles résonnent sous les voûtes de pierre d’une salle de garde, alors que sous les fenêtres fument encore les corps des hérétiques brûlés vifs. Jim Jones passe à la riche complainte exacerbée avec «Heavy Lounge #1» - Kiss me my darling/ Oh yeah you take the pain - Jim Jones n’est plus que dark pain, yeux crevés et soleil transpercé. Rich Deakin trouve que le cut dégage un vieux relent Led-Zeepy d’«Immigant Song». Par contre, le hit de l’album pourrait bien être «Til It’s All Gone», chanté à l’épique grandiose et soutenu une fois de plus par une rumeur de chœurs mâles d’essence tribale. Jim Jones s’y arrache bien la glotte - Just gotta live it/ Live it/ Til it’s all done - un cut qu’ils jouent dans le début du set et qui sur scène passe comme un lettre à la poste. Il faut dire que Jim Jones est extrêmement bien entouré. Avec sa pedal steel guitar, Malcolm Troon enrichit considérablement les ambiances. Il joue une bonne moitié des cuts assis derrière son crin-crin, mais quand il se lève pour passer la bandoulière de sa Grestsh rouge, c’est uniquement pour en découdre et jouer au twin guitar attack avec Jim Jones. Leur numéro est tout simplement spectaculaire. Ils cultivent tous les deux un goût prononcé pour la furie. Il faut aussi saluer bien bas le bassman Gavin Jay, seul rescapé de la Revue. Il joue sur une belle Ricken et adore participer aux séances de folie collective. De la même manière que Jim Jones, il adore danser la Saint-Guy des catacombes.
    En guise de conclusion, Rich Deakin prévient qu’on aura du mal à trouver quelque chose d’aussi parfait d’ici la fin de l’année - You’ll be hard pushed to find anything as perfect anywhere else all year - Il exagère peut-être encore un tout petit peu.

    Signé : Cazengler, the Devious Mind

    Jim Jones & the Righteous Mind. Le Petit Bain. Paris XIIIe. 10 mai 2017
    Jim Jones. Super Natural. Masonic Records 2017
    Vive le Rock # 44. Chronique de l’album par Rich Deakin

    13 / 05 / 2017 - HERMé
    DIXIEME ANNIVERSAIRE
    SIGVALD'S MC SEINE ET MARNE

    THE INFERNAL / THAT'5 ALL

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    La teuf-teuf n'en mène pas large, sur la route d'Hermé elle voit le doute s'immiscer en elle, gros J7 couché sur le flanc en travers de la chaussée, et voiture à soixante mètre en plein champ au milieu d'une pluie de bouts de ferraille, retournée sur le toit, camion de pompier et voiture de police qui règle la circulation... Brrr ! Mais il en faut davantage pour faire peur à un rocker, c'est qu'aujourd'hui le Sigwald's Motor Club fête son anniversaire, le genre d'amicales festivités qu'il serait malséant d'oublier.

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    Une centaine de motocyclettes garées devant le local, une grande cour encombrée de stands et de tables, baraque à paella et camion pizza, les moto-club de l'Aube et de la Seine-et-Marne se sont donnés rendez-vous, 1% + 1%+ 1%+... ça commence à faire du monde... Beaucoup de figures connues, les Loners de Lagny-sur-Marne, délégation du 3 B de Troyes, mais aussi les Farfadets, les Templiers, Ghost's Road, Boyans Choppers, Metal Crew, les Wanahawks, les Hammers, tous chevaliers de l'asphalte...

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    THE INFERNAL

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    Trio rock'n'roll. Se sont formés dans leur jeunesse. Ne se sont plus revus durant quinze ans. Et puis lors d'une rencontre festive se sont retrouvés à interpréter Johnny Be Goode pour faire plaisir à l'assistance. N'auraient pas dû. La tarentule du rock'n'roll les a mordus une deuxième fois, se sont reformés just for fun. Et les voici sur scène dans la grande salle du local des Sigvald's. Beaucoup sont restés au soleil dehors à écluser des litres de bière, mais les passionnés de rock sont là, notamment Karine, la bassiste d'Hellefty qui ne participera pas à la fête ce soir. Dommage !

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    Ne se prennent pas la tête, ne touchent pas aux compos originales des temps perdus, prennent leur pied dans le répertoire des reprises de Foxy Lady, la renarde mordorée d'Hendrix, à l'autoroute goudronnée des mauvaises intentions de l'Enfer d'AC / DC. Tout de suite le son est là. Le gros, le méchant, le speedé, l'électrique à mort, le diable vous prend par la main et vous emmène cueillir les mandragores exaltées sur le sentier de la perdition. Leader maximo Gibson guitar et basse Fender, ça claque dur et ça cloque énorme comme de la lave de volcan en fusion, un régal de roi, que dis-je le dîner des quatre empereurs à Rome, les festins de Lucullus et les orgies de Sardanapale, le batteur réalise la synesthésie du son et de la couleur, fûts de cet ocre marron-orange du pelage du tigre rehaussé de petites touches de noir-panthère, une frappe qui donc allie grâce féline et jungle férocité, pas le temps de s'ennuyer avec Infernal, basse grave et voix légèrement haut-perchée, les riffs défilent et enfilent vos oreilles comme des frelons géants qui tournent sans fin dans votre cerveau. Vous ne pouvez pas savoir comment ça fait du bien d'avoir les neurones ensanglantées, z'avez l'impression qu'un pic-vert vous picore les méninges et vous gobe en un tour de bec les obsédantes grappes d'idées noires et bleues.

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    En plus, s'excusent presque de jouer pour leur plaisir – qui devient instantanément le nôtre - lorsqu'ils présentent les morceaux, vous transportent en un fragment temporel d'innocence et de pureté rock'n'roll comme les habitués des concerts en rencontrent peu. Infernal et paradisiaque.


    THAT'5 ALL
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    Cinq sur scène. Nous préviennent d'entrée. Ne font que des covers. Mais tirent la couverture à eux. Font leur mix, ne proviennent pas du même lieu. Mais au lieu de se prendre la tête, mélangent toutes leur provenances dans la tambouille, rock'n'roll, hardcore, glam, métal, djent, mais attention feu violent sous la cocote minute. Surtout ne jamais l'ouvrir, attendre simplement qu'elle explose. Le problème c'est qu'elle explose très vite. Mais ce n'est jamais trop tôt parce les That'5 All détestent attendre.

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    Une mécanique huilée. Une stratégie mûrement réfléchie. Formation de base, un derrière, un devant, trois au milieu. Donc au fond Helder à la batterie. N'en concluez pas qu'il joue de la batterie. Non pas du tout, il joue à la batterie. Saisissez la nuance prépositive. Pas le genre d'hurluberlu primitif qui tape sur ses peaux comme le premier venu, ses baguettes n'ont pas encore effleuré la moindre caisse, qu'il se charge d'énergie, il l'aspire, elle descend dans son corps, et d'un seul coup il la projette hors de lui, la propulse, la crache sur ses toms et c'est le retour de l'hurricane qui balaie les sequoias devant lui comme des fétus de paille.
    Heureusement. Parce que devant, il y a Olivier. Tout seul avec son micro. On devrait le lui supprimer. N'en a pas besoin. Le concassage drumique, l'a intérêt à ne pas faiblir un milliardième de seconde sans quoi on ne l'entendrait plus, c'est que l'Olivier il vous le surmonte avec une telle aisance que cela en devient indécent. Pensez à des radiations sonores qui s'enfuiraient de l'explosion de Tchernobyl, rien ne les arrêterait, eh bien maître Olivier il vous balance son vocal comme la bombe atomique sur Hiroshima. Avec une désinvolture révoltante. En plus il se permet de pogoter, de gigoter, de marcher dans tous les sens, de descendre dans le public, de lui tourner le dos, bref de n'en faire qu'à sa tête. Peut être essoufflé entre deux morceaux mais il vous ressort illico sa voix aussi épaisse qu'un porte-avions.


    J'entends votre questionnement. Mais que font les trois autres, sagement alignés avec leur guitare comme des boîtes petits pois sur leur étagère ? Je reconnais qu'à première vue ils ont l'air de tirer au flanc, genre puisque les deux madurles de devant et de derrière se chargent du boulot, surtout ne les contrarions pas. Bandes d'ignorants ! Analpha très bêtes du rock'n'roll, ouvrez vos yeux et vos oreilles. Oui ils donnent l'impression de paisibles bergers mollement couchés dans l'herbe sicilienne d'un poème de Théocrite, mais non, reportez-vous à la fin de la République de Platon lorsqu'il entame la description des trois plus terribles divinités que la terre ait jamais engendrées, les Moires sans pitié qui tissent le fil de votre existence humaine.
    Sont ainsi. Mais eux ils tressent le barbelé de quelque chose de bien plus importante que votre misérable biographie, c'est le filin du rock'n'roll qu'ils tissent. A droite voici Anthony, extrait de sa basse de longs filaments sans fin qui n'en finissent pas de se dérouler, des notes graves et profondes qu'il repasse à ses voisins, sans leur jeter un seul regard, derrière ses lunettes à la Buddy Holly, ses yeux se perdent en un long rêve d'attente frissonnante... Au centre, de sa guitare rythmique Christophe inflige scansions et étirements divers à cette longue longe qui s'entremêle entre ses cordes, c'est lui qui donne la vie, la couleur et les saccades nécessaires à l'épanouissement vif-argent des modulations outrancières, mais voici Silvio, souvent ses doigts restent immobiles, il guette le moment décisif où il devra trancher le riff, définitivement d'un coup sec, le renvoyer au néant tombal, se contente d'un frôlement, laisse perler une ou deux notes assassines, et se remet aux aguets, ou alors il se lance dans un solo dévastateur, des coups de hache qu'il assène violemment comme si le serpent musical ne voulait pas mourir et qu'il fallait l'achever de brusques tapes acérées, tranchantes comme un couperet de guillotine, prend soin tout de même que ce ne soit pas trop rapide, que l'on puisse entendre ses crissements de souffrance.

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    Dix titres. Avec l'excuse du morceau lent – ce sera So Far Away d' Avenged Sevenfold – avec la gradation attendue qui se termine par un ramdam de tous les diables car That'5 All ne sait pas rester calme, d'ailleurs après un Sex on Fire ( King of Leon ), un Nightrain ( Guns and Roses ) et the Trooper ( Iron Maiden ) ils promettent de revenir dans un quart d'heure avec un set un peu plus enlevé. On ne s'était pas aperçu que celui-ci avait été particulièrement tempéré.

    INTERMEDE ( A )


    Diable que se passe-t-il ? La salle se remplit de plus en plus. Etrange que des cohortes de bikers restés à discuter dans la cour s'en viennent squatter les premiers rangs alors que le set vient de se terminer. Ne voilà-t-il pas qu'ils entreprennent de vider la scène de tous ses micros et que les éléments de la batterie sont démontés et poussés au-dehors. Un virus anti-rock'n'roll aurait-il sévi ? D'autant plus que sur l'estrade l'on se hâte de disposer une chaise et d'y asseoir un jeune impétrant qui attend placidement la suite de l'aventure.
    Mais la voici. Les ligues féministes peuvent se dispenser de la lecture des paragraphes suivants. Ce n'est un secret pour personne la culture biker touche quelque peu au domaine de l'affirmation virile. En voici donc une de ses représentations des plus phantasmatiques. Si vous êtes d'âme délicate qui n'aimez point que l'on vous souligne d'un gros trait rouge les éléments essentiels de la vie rabattez-vous sur la lecture de La Motocyclette d'André Piyere de Mandiargues, mais si vous tenez à assister au rituel sachez que la réalité est parfois aussi évanescente que les tendresses les plus platoniques.
    Toute belle, toute en chair. Nue dans votre tête mais gainée de cuir en ce monde de regrets, Miss pin up s'avance vers vous. Non, elle n'est pas pour vous, la femme araignée se contentera de la victime offerte sur sa chaise. Provocation et frustration sont les deux mamelles de son art. Les siennes propres sont deux merveilleuses rondeurs, deux globes majestueux dignes des coupoles de Sainte-Sophie et du Panthéon romain. Les dévoilera d'abord au seul jeune homme comme un secret échangé entre eux deux, puis à nous tous, mais ce sera les deux uniques fragments de beauté qui seront révélés, pas pour très longtemps, s'enveloppera vite d'un drapeau italien avant de sortir de scène. Mais ce n'est pas tout, avant nous aurons eu droit à toute la mimétique de l'acte amoureux, les poses lascives et les ondulations suggestives, un croupion que l'on agite indécemment sous votre nez, mais tout est faux, tout est toc, se vautre sur le jeune homme, l'entoure du coussin d'air de la ventouse de sa chair, esquisse les gestes de la fellation, imite le soixante neuf, et puis se retire, nous prive de sa simulation... Ni érotique. Ni pornographique. L'art figuratif des esquisses perdues. Le viol du cygne qui n'a pas eu lieu. Inutile de tirer la langue elle n'atteindra jamais son sexe. Perfide et cruelle ambiguïté de ce qui se donne à voir sans s'offrir.

     

    INTERMEDE ( B )


    Retrouvons nos esprits. That'5 All s'attelle à la tâche de nous faire recoller au rock'n'roll. Rien de tel qu'un électro-choc pour vous remettre les idées en place. Mais ils n'iront pas plus loin que le quatrième morceau. Ordre leur est communiqué de d'arrêter les frais. Les Sigvald's nous ont offert un premier cadeau, rien de tel qu'une légère collation pour reprendre des forces après de telles émotions, et nous assistons au découpage de deux énormes gâteaux – anniversaire oblige - emplis de crème, de pâte d'amande et de pistache, la queue s'allonge ( inutile de voir en cette simple notule descriptive une allusion à l'intermède précédent ) assiette plastique en main chacun attend sa portion succulente. Certains tricheurs repasseront plusieurs fois. Je ne donnerai pas la liste de peur d'y apercevoir mon propre nom.

     

    THAT'5 ALL ( 2 )

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    Reprenons notre récit à l'endroit exact où nous avons été par deux fois si tragiquement interrompus. Z'avaient ouvert le deuxième set avec Season in the Abyss de Slayer mais nous irons tout droit après l'interruption pâtissière à leur interprétation de Nothing Else Matters. Font merveille sur la structure métallique. Cet empilement prodigieux d'excroissances sonores qui ne s'achèvent que par la naissance d'une nouvelle architecture leur sied à merveille. Un feu qui ne s'éteint jamais, même si l'on voit chaque flamme grandir, se déployer comme un incendie géant et puis rétrécir et agoniser de sa belle mort qui s'en vient se perdre dans l'advenue d'une autre vague aussi violente que la précédente. That'5 All a compris la quintessence de Metallica qui refuse d'exposer chronologiquement la montée en puissance d'un riff et puis son anéantissement, le band écoule deux phases de deux cycles en même temps, l'une s'en vient mourir dans le moment même ou une nouvelle l'entraîne dans son déferlement, cette dualité qui propose et mort et naissance de deux riffs concomitants évite les dangers successifs du pompiérisme métallifère, un effet chasse l'autre mais ne le tue pas, l'emmène avec lui, en la course du morceau jamais de fin intermédiaire, jamais de véritable reprise, mais torride accumulation d'énergie, Helder parcourt ses toms en trombes, Sylvio se déchaîne – plus le temps de laisser Christophe se dépatouiller tout seul, tous deux tricotent de concert l'énorme vague qui nous submerge, Olivier est en verve, chante et commente, instaure le dialogue avec le public qui se réduit pour le troisième set qui n'en sera que plus fort car davantage porté par des passionnés. Un Sweet Child o' Mine aux fusils pétaradants saupoudrés d'épines de roses empoisonnées, un Antisocial démentiel et un killer medley de Metallica stratosphérique. N'en jetons plus. Mais comme nous en redemandons un chouïa de plus ils nous horrifient d'un reggae.... qui tourne vite à la purée hardique à l'emporte-pièce.
    C'est tout.
    Mais amplement suffisant.

    Ne reste plus qu'à remercier les Sigvald's pour l'organisation, l'ambiance et la chaleureuse simplicité de l'accueil. Un anniversaire dont on se souviendra.

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    Damie Chad.

    ( Photos d'Enagrom sur FB : Sigvald's MC Seine et Marne )

     

    15 – 05 – 2017 / LA MAROQUINERIE
    VERTE EST LA NUIT
    LOIRE VALLEY CALYPSOS
    HOWLIN' JAWS / BIG BOSS MAN
    LES GRYS - GRYS

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    De bon matin je surfe sur internet, lorsque je reçois un message personnel de Dieu – ça m'arrive, pas tous les jours, quelquefois seulement – ventrebleu saint Grys Grys moi qui encore la veille me désespérais de n'avoir aucune nouvelle des Grys Grys, voici leur nom sur le coin du flyer, en plein Paris, et en plus les Howlin Jaws, décidément je suis gâté, et encore mieux, c'est gratuit si vous vous inscrivez, sur ce coup-là il faudra brûler une chandelle romaine de remerciement à Nique Ta Mére, pardon je voulais dire la Sainte Vierge, bref lundi soir, direction la Maroquinerie.

    CHARTREUSE SANS PARME, CHARTREUSE SANS CHARME


    L'entrée vous donne droit gratis à une chartreuse – infâme ramassis de plantes médicinales rehaussé de pulpe de citron - plus un orchestre d'ambiance pour aspirer en toute quiétude votre poison-maison.

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    Le groupe s'installe sur la scène à côté du bar, une petite foule quitte la cour ensoleillée pour les écouter. Banjo, contrebasse, percussion, guitare et chant. Dommage la sono nous offrait Bo Diddley et Muddy Waters, la relève risque d'être difficile... Se débrouillent bien en leur style, un peu plus rugueux que Julien Clerc et plus sérieux que Dario Moreno. C'est sympa, le public apprécie, mais moi le caca-lypso à haute dose je n'ai rien contre mais à partir du moment où l'on réduit à un demi-cachet tous les deux ans. Mais là, je m'en enquille quinze d'un sel coup. En plus ils promettent de revenir entre les groupes, mais comment se fait-il qu'il existe tant de cruauté en ce bas monde ? Non je ne suis pas sectaire, la preuve, je n'aime que le rock'n'roll. Ce n'est tout de même pas de ma faute si sciemment je participe à l'injustice de ce monde. En tout cas, je sais au moins que pour mes prochaines vacances j'éviterai la vallée de la Loire.
    Direction les enfers. Suffit de descendre les escaliers pour pénétrer le cube bétonné de la salle de concert, look spartiate de mini arène de ciment, je m'aperçois que toute une flopée de jeunes gens préfèrent les tempêtes de sable du désert aux oasis ensoleillées.

    HOWLIN'JAWS


    Les Howlin' sont là. Bons doctors Feelgood qui nous administrent un rock'n'roll shoot comme on n'en fait plus. Sont beaux comme des anges tant qu'ils restent immobiles, trois secondes et demie. Avant de déclencher l'apocalypse. Les Jaws plus anglais que jamais, bye-bye le rockab des familles, ne gardent de cette vieille poudre si facilement inflammable que l'habitude des solos qui ne durent pas plus de quinze secondes, autant dire que leur set est un entremêlement incessant de mini soli qui sans merci se font et se défont la nique et la niaque, à vouloir toujours prendre la place de tête, une mécanique de hautes précisions, il ne s'agit pas de garder la pôle position du début à la fin, mais au contraire de laisser passer en tête de course l'un des deux autres co-pilotes en lui offrant l'ouverture salvatrice par un magnifique dérapage contrôlé qui vous permet de brouter l'herbe des bas-côtés et d'entendre les pneus crisser sur les gravillons.
    Contrebasse en travelingue et vocal à la déglingue Djivan Abkarian, batterie aux aguets et frappe instinctive Baptiste Léon, guitare en feu et visage enfiévré Lucas Humbert, trois chats enfermés depuis huit jour dans une carton exigus, sautent en l'air comme des diables et se mettent en chasse de la souris rock'n'roll, l'on sent que la bestiole va passer un mauvais quart d'heure, l'a beau courir de toutes ses pattes dans tous les coins à la vitesse d'un guépard, l'est sûr qu'ils ne vont pas tarder à la rattraper et à vous la déchirer en confettis de chair sanglante.

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    Le combo avance par giclées spermatozoïdales. Des bouffées de sperme de cachalot qui vous brouillent les neurones. Sont tous les trois partout à la fois. Indispensables. Des matelots qui courent dans la cale pour boucher les quatre-vingts voies d'eau mortelles qui condamnent le navire à couler lamentablement. Mais non, réussissent sans faille à colmater cent failles. Une musique de l'urgence. Rien n'est gagné d'avance. Ne pas perdre une miette. Guitare à l'emporte-pièce, batterie bouchon de champagne, contrebasse kahotique, vitesse d'exécution maximale, pas de répit pour Baptiste, un break à servir brûlant quand l'autre n'est pas encore fini, une ponctuation de guitare qui déboule comme par surprise et Djivan au chant qui presse le débit nitroglycérinique.
    Célia Formica bondit au milieu de notre torchère, vêtue de gaze verte comme la nuit ou la jument de Marcel Aymé, qui retombe très haut sur ses jambes à la Marie Quant, pompons de mousse à l'endroit des poupous, chevelure d'un fauve qui tire sur le mauve, se démène des quatre jambes, l'est bien belle et mignonnettes, réussit le prodige de s'agiter sans vous ennuyer – elle reviendra par intermittence dans tous les autres sets – mais j'ai beau mettre des moufles pour ne pas passer pour un mufle, franchement très vite on l'oublie, les Jaws sont trop beaux, trop péremptoires, trop pétris d'attitudes définitives pour perdre du temps à la regarder. Semble superfétatoire, la cerise sur le clafoutis qui en regorge, Lucas ses cheveux blonds, ses mimiques de terreur chaque fois qu'il tronçonne une cascade de trois riffs explosifs – ce qui lui arrive toutes les cinq secondes – son ballet endiablé, ne fait plus qu'un avec sa guitare, à croire qu'il s'est planté le jack dans un cathéter censé drainer une maligne tumeur de son cerveau ravagé par un électrochoc continu, le corps agité des mêmes soubresauts instinctifs des condamnés à la chaise électrique, vous fait des sauts de requins hors de son aquarium dans le but avoué de croquer une dizaine de spectateurs ahuris, dans la salle c'est l'exultation à chacun de ces décochements, de ces décrochements de flèches phoniques dont il transperce le coeur de l'auditoire, Baptiste un mélange d'efficacité et de flegme éhonté, les compos sont si serrées qu'au moindre retard, c'est le vide assuré, le blanc, le trou noir, le silence dans la bande-son, la pellicule qui se coupe au moment où l'assassin lève son couteau pour égorger la jeune vierge innocente, mais non, l'est comme ses joueurs d'échecs qui ont trente-trois coups d'avance sur leurs adversaires, le deux ex-machina qui dénoue l'imbroglio, qui rétablit par miracle la situation, Djivan ne se prélasse pas sur le divan des commodités, alimente sa big-mama comme s'il jetait des briquettes dans le foyer d'une locomotive à vapeur qui assurerait la liaison New-York Los Angeles, sans arrêt, tender inépuisable et tension en courant continu. Le rock est sur le rail, Baptiste se charge des aiguillages et Lucas des déraillements et des attaques des peaux-rouges lors de la traversée des territoires sacrés du rock'n'roll.
    Ne regardez pas dans la salle. Cyclone force 10. Lorsque les Howlin' s'arrêtent, ils n'ont pas remporté la victoire. Une de plus. Ils ont simplement convaincu le public que le rock'n'roll n'était pas mort.

    BIG BOSS MAN

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    Big Boss Man. Inconnu au bataillon. J'en avais déduit à partir du seul nom reedien que c'était un groupe de blues. Des doutes quand ils ont trimballé sur le devant de la scène un pachyderme aussi encombrant qu'un bahut Louis XIII, un vrai, un vénérable orgue Hammond, un vétéran des sixties, donc tout faux. Un colosse herculéen noir – répond à la trop courte appellation de Des qui ne préfigure en rien sa gigantesque stature – arrive à se caser entre le mur et sa batterie qui du coup ressemble à un jouet de gamin. N'a pas saisi une baguette que déjà l'on a compris que la frappe sera lourde, onctueuse et grasse à souhait – aux petits oignions verts. Bongolian Nass, drapé dans sa veste d'officier s'assied derrière le clavier. Wah Wah Trev accroche sa guitare et The Haw Scott se saisit de sa basse. C'est parti pour une heure de soul.
    Buste droit, rejeté en arrière, en des des raidissements qui sont comme autant de clins d'oeil à Ray Charles martyrise son appareil, puissamment, n'effleure pas une touche, en écrase sept ou huit avec la vigueur d'une patte d'éléphant qui s'appesantit sur le dôme d'une fourmilière cannibale, vous beurre la tartine en y empilant trois tablettes dessus, sans même retirer l'emballage, mais ce n'est pas assez, lui reste un trop plein d'énergie, alors il se lève et s'en va taper sur de pauvres percussions qui ne lui ont rien fait mais qui doivent penser que leur dernière heure est en train de sonner. Le genre de close-combat qui enchante Des, l'en remet sept ou huit couches sur sa caisse claire plus une vingtaine de dégelées sur le reste de la quincaillerie, en plus parfois ils s'énervent tous les deux et jouent à qui azimutera le premier le Titanic du groove. Z'a côté, les guitareux ne mouftent pas, l'on aurait tendance à les oublier, mais ce ne sont pas des manchots du bulbe rachidien, comparés aux Big Man ils bossent par en-dessous, mais double bosse comme le chameau, vous envoient le coussin d'air qui permet à l'air-craft de voler sur les eaux. Sont des malins, sur le dernier morceau ils saupoudreront d'un peu de funk mais rien de ce répétitif ennuyeux qui monotonise trop de formations ces temps-ci. Juste la gousse d'ail qui embaume le gigot ou celle de vanille qui apporte une haleine sucrée aux gumbos les plus saturés d'épices. Seule, la soul vous saoule.

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    Ça ne les empêche pas de rajouter en douce un peu de rock, leur Big Boss Man ressemble à s'y méprendre à une version organisée de Louie Louie, quant à leur Party 7 – si j'ai bon souvenir – regarde d'un peu trop près le Land of Thousand Dances version Pickett des hannetons. En tout cas dans la salle, c'est la joie, ça ondule gentiment et les applaudissement crépitent comme des mitraillettes. Enthousiasme général.
    J'apprécie, rien à reprocher, leur Everybody Boogaloo est aussi entraînant qu'une ronde de zombies et de mongoliens atteints de délirium tremens, mais de la musique de danse, avant tout entertainment. L'on se croirait dans un club dans un quartier noir aux USA en 1967, mais il manque l'atmosphère de révolte fervique qui accompagnait le rising sun des Black Panthers... Font un tabac. L'on se presse autour du stand de disques. Sont sympas, vous refilent un Ep en plus... Une partie du public se retire après leur passage. Etait venu pour eux. Un peu de rock'n'roll en hors d'oeuvre, l'on veut bien supporter, mais pour le plat de consistance qui suit, l'on préfère décrocher. Sage précaution car le temps des Grys Grys approche.

    LES GRYS - GRYS


    J'espère que vous avez activé l'interdiction parentale sur votre ordinateur, que cette chronique ne tombe jamais sous les yeux de vos enfants, sans quoi leur avenir est perdu. Définitivement. En quelques minutes, vous ne les reconnaîtrez plus, traîneront tard dans la nuit en des bars louches, des bouges insalubres, s'adonneront à des activités musicales et extra-musicales – les plus dangereuses – dont je préfère ne pas vos égrener la liste afin que vos cheveux ne blanchissent en une seule nuit. Car les Grys - Grys sont sur scène et vous n'y pouvez plus rien.

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    Dès le début, un truc vous turlupine, quel est le rôle exact du cinquième homme, exilé sur notre gauche, ses camarades lui ont laissé un micro, c'est tout. L'arbore le profil du gosse malheureux auquel ses parents n'achètent pas de jouets, s'amuse avec ce qu'il ramasse par ci par là, l'est à terre, en train de rafistoler des maracas plus ou moins démantibulées, votre coeur se serre, vous le plaignez secrètement. Attendez pour voir. Esteban est au centre, imposant derrière sa batterie, une gueule patibulaire de gardien de cimetière, quand il cloue un cercueil le macchabée a intérêt à se tenir coi, sans quoi se prend un coup direct sur la gueule, le genre de souveraine médicamentation qui vous calme. Ressemble un peu à Bonham ce qui pour un batteur est assez prometteur. Bassiste blond et cheveux bouclésBelle dégaine.

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    La même chevelure pour le guitariste, mais nuance corbeau. L'a la Rickenbacker qui frétille. Vous laisse échapper de ces pétarades d'impatience à provoquer des avalanches. Un teigneux, un insatiable, vous lui montrez un riff et il défonce les portes du toril, l'est comme le taureau qui a envie d'encorner quatre ou cinq toreros en apéritif. Un look un peu dégingandé à la Cyril Jordan, la gratte en embuscade, notre maître-chanteur squatte le micro tel un indolent vautour qui surveille une charogne.

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    N'ont pas encore commencé que l'on sent que la situation devient grave. Sombre pressentiment. Pire que ce que l'on imagine. Même moi je serai surpris. De ma faute. Je m'extasie bêtement aux premières notes de Milko Poor Boy vieille huile de vidange de garage faisandé, je m'esbaudis joyeusement sur I'm Ready, je grimpe sur mon petit nuage estampillé pure rock'n'roll, cent pour cent R'n'B, je suis ailleurs, je plane dans le fracas des dieux, les Grys - Grys dégainent le tonnerre de Zeus, je suis tout ouïe, je vole dans la tempête, je chevauche les éclairs qui tuent, je suis heureux. Ne l'ai pas vu venir. C'est de ma faute, je le répète. Le plus pitoyable des stratèges ne manque pas de se méfier. Faut surveiller ses arrières et moi je ne zieute que le combo. Un choc violent, mes genoux qui heurtent le devant de la scène, je me retourne, totalement ahuri. N'y a pas que sur moi que les Grys - Grys provoquent un effet mammouth, mais alors que je suis emporté jusqu'au septième ciel, le reste du public est atteint d'une folie aigüe, crise de nerf généralisée, tout le monde s'agite dans tous les sens, ça crue, ça hurle, ça tonitrue, ça se remue, ça se transmue en tohu-bohu, une houle de foule humaine force douze, vous ne savez plus s'il vaut mieux regarder la salle ou la scène, de toutes les manières des deux côtés c'est la même féérie. Un grand escogriffe bondit sur la scène et se rejette dans la fosse en un magnifique salto arrière, l'est rattrapé par miracle, promené à bout de bras puis jeté au sol sans ménagement. J'ai le temps de reconnaître Djivan. L'a suscité des vocations, la scène devient un lieu d'auto-catapultage, on se croirait sur un porte-avions en plein milieu de la bataille de Midway, vol libre et atterrissage catastrophe, sur scène ce s'est guère mieux. Les Grys - Grys sont des pousse-au-crime vous déverse du kérosène sur l'incendie, Hot Wind, You Mistreat Me, Got Love, aucune envie de modérer la situation, en ce moment ne sont plus sur scène, les deux guitaristes traîne dans la salle, et l'autre le gamin, je le cherche sans le voir, trompe bien son monde, l'est juché sur les baffles, agite ses maracas rouges comme s'il venait de castrer un étalon, saute, revient vers le micro, se plante un harmonica dans la bouche comme s'il fumait un Davidoff Oro Blanco, souffle hors des trous tout en passant le manche de sa percu le long du clavier tout fier comme s'il était en train d'inventer la manière de jouer de l'harmo en slide, plus tard sera allongé et tapera frénétiquement sur le plancher un tambourin qui ne sait plus ce qui lui arrive.

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    Nous non plus. La salle est devenue un ring de massage corporel généralisé, des masses humaines s'abattent sur vous venues d'ailleurs, vous télescopent avant de reprendre leur orbite désordonnée comme des comètes folles, un lit de mains tendues appellent le guitariste, le voici couché sur ces paumes ferventes qui le transportent tandis qu'il continue son solo, à croire qu'il se balance mollement dans un hamac entre deux palmiers, il pleut de la bière et le chanteur en profite pour nous verser des bouteilles d'eau sur la tête. C'est fini. Non, ils reprennent leurs instruments, ils en veulent encore, Q 65, Thor's Hammer, You Said, le bassiste a perdu une corde, et le public la raison. Des tueurs. Des sadiques. Incapables de s'arrêter. Folie pure. Une gig gigantesque, dantesque, rock'n'rollesque.

    DRING ! DRING !


    Le téléphone pleure.
    Allo, ici l'ALCBK, l'Amicale des Lecteurs Catholiques du Blog Kr'tnt !
    Super, le club cahotique, je ne savais pas qu'il existait ! Je vous félicite !
    Non ca-Tho-li–ques ! Nous venons voir si vous avez honoré votre promesse de cierge à Marie, notre Sainte Mère de Dieu.
    Ah, bien non, au dernier moment je me suis ravisé, j'ai préféré douze grandes libations de Tennessee Jack aux douze Olympiens, et pour être sûr de n'avoir oublié personne par acquis de conscience j'en ai rajouté trois en l'honneur d'Alexandre le Grand, de Julien l'Apostat et du divin Néron.
    Damie, songez à votre âme de rocker pénitent, nous craignons que vous ne soyez perdu !
    Que la paix stérile du Seigneur continue à vous emberlificoter mes bonnes soeurs, n'ayez crainte le rock'n'roll m'a déjà pardonné ! »

    Damie Chad.

    ( Photos : FB : René Simon )

     

    THE WHO
    LE GROUPE MOD
    PHILIPPE MARGOTIN


    ( Editions de la Lagune )

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    Philippe Margotin nous raconte la saga des Who. Je n'ai pas dit la survie des Who, même pas cinq pages pour les vingt années – le bouquin date de 2007 - qui suivirent la mort de Keith Moon. Un livre qui vise à l'essentiel, bien fait, documenté, et qui se révèlera être pour un jeune lecteur qui n'aura pas connu la fabuleuse époque de la british explosion une parfaite introduction à l'un de ses groupes les plus symboliques. Les Who sont un scotch double à double-face. Sont comme ces rouleaux qui par n'importe quel bout que vous tentez de les prendre vous collent aux mains et dont il est impossible de se défaire. Tour à tour, et en même temps, citronnade vitriolée et orangeade sanguine. Ultra-rock et infra-intello. Brutal et intuitif. Des mousquetaires qui ne s'embarrassent guère d'une chaude camaraderie, chacun pour soi quand ils sont sur scène et tous contre les autres quand ils sont en studio. Ces rapports humains peuvent surprendre mais les Beatles de Hambourg et les Rolling Stones de toujours ont connu à des stades diversement avancés de semblables émulsions.

    DU ROCK'N'ROLL AU RHYTHM'N'BLUES

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    Pete Townshend, John Entwistle et Roger Daltrey se rencontrent dans le même collège de Chiswick, nous cataloguerons les deux premiers parmi les grands timides, qui se soigne et fait des efforts pour Townshend, définitivement invétéré et introverti pour Entwistle, le troisième c'est déjà le premier trublion, la boule dans le jeu de quilles – en attendant que ne débarque ce chien fou de Keith Moon – Daltrey c'est le prolo égaré dans la toute petite bourgeoisie. Ses deux camarades n'ont pas grand chose de plus dans le porte-feuille des parents mais des idées par milliers fermentent dans leur caboche. La seule richesse de Daltrey est instinctive. Certains jouent en bourse, mais Daltrey saura toujours placer sa voix au bon endroit, dans les plus fines harmoniques comme dans les plus chaotiques chevauchées. L'est capable de tout, des plus grandes fureurs et des plus suaves douceurs. Un éventail versatile qui se prêtera à tous les vents contraires de ses compagnons. Même aux ouragans tumultueux de Keith.
    C'est que nos quatre matelots ont du souci à se faire. Naviguent en mers inconnues. Ne sont pas les seuls. La jeunesse anglaise se cherche, en trois ans les évolutions vont brûler les étapes. L'apparition des Beatles indique le premier cap. Minimum rock'n'roll. Le rock ou rien d'autre. Parfait pour nos lascars. Viennent de là. Buddy Holly, Eddie Cochran, Gene Vincent, ils connaissent par coeur. Z'ont taquiné le jazz-trad, caressé le skiffle, joué du banjo, gratté des guitares shadowiennes, bref sont arrivés à cette conclusion que pour calmer leurs impatiences adolescentes le bon vieux rock'n'roll était le meilleur antidote à la sinistrose sociale. A part que les Beatles ils apportaient un son différent, plus rapide, plus enthousiasmant, ne faisaient pas de la copie conforme, osaient s'éloigner des maîtres. Un malheur n'arrive jamais seul, voici les Rolling Stones, jouent un blues plus noir que bleu. Ne se perdent pas en plaintives jérémiades, le blues ils l'ont survitaminé à l'aide d'écoutes forcenées de Muddy Waters de Chuck Berry, de Bo Diddley, ce n'est plus du blues, mais du rhythm'n'blues. Ils ont déniché le truc. Plus méchant que les Beatles. Mais il leur manque la formule. Les Who la trouveront, résolvent l'équation en deux mots magiques qu'ils inscriront sur leurs affiches : Maximum Rhythm'n'blues.

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    Faut être honnête le slogan n'est pas d'eux mais de leur command-staff, Kit Lambers et Chris Stamp, car Londres grouille de jeunes loups aux dents aussi longues que des sabres d'abordage, ceux qui ne savent pas tenir une guitare s'inventent des boulots d'hommes de l'ombre, avancent un peu de blé ou s'improvisent imprésarios, directeurs, tourneurs... C'est qu'en deux ans le ciel s'est dégagé, adieu aux rockers, bienvenue dans le monde des mods. Les jeunes gens de ces temps-là sont définitivement modernes, aiment la sape pas flashante mais qui vous différencie, roulent en scooter et écoutent du R'n'B !
    Les Who seront mods ou ne seront pas. Pas d'alternative ! Ils le seront. Daltrey rocker dans l'âme râle, mais en silence, la fièvre des concerts, le succès qui pointe le bout de ses effluves, l'argent facile qui n'a pas d'odeur, sont de solides et trébuchant arguments...

    MUSIQUE

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    Une véritable révolution culturelle agite Londres, l'Angleterre, gagne les rivages européens et met les pieds dans le plat la mythique Amérique, les Who en sont l'un des principaux fers de lance. Pour le moment ils ne se posent pas trop de question. Foncent dans le tas sans retenue. Concerts tous azimuts. Maximum flamboyance. Son énorme, micro tournoyant, guitare stridente, batterie écumante, basse grondante, moulinets de bras, sauts en hauteur, rituel de la guitare fracassée, les Who empochent à chaque fois la mise. D'autant plus que Townshend qui s'agite sur scène comme un diable échappé des souterrains infernaux réussit un coup de génie. Compose un morceau philosophique. Plus question de raconter comment vous prenez la main de votre petite copine, parle au nom de toute sa Generation, mal-être, colère, frustration, rajoutez la violence sonique d'un combo lancé à fond et vous obtenez l'élixir de venin de crotale en moins de trois minutes. Beaucoup plus virulent et moins ennuyeux qu'un bouquin de Kierkegaard...

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    L'EPISODE MEHER BABA

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    De quoi rester baba. Avec ou sans rhum. Meher ne se prenait pas pour la moitié d'un cageot de moules-frites avariées. S'était déclaré lui-même l'avatar de son époque. Même si cela vous semble une pitrerie ne confondez pas avec Achille Zavatta. L'avatar ce n'est ni plus ni même que dieu en personne qui s'en vient faire un petit tour sur notre terre. Grosso modo une fois tous les dix siècles. Pas très fatigant comme boulot. Surtout qu'il ne se donnait même pas la peine de parler. Communiquait avec l'aide de l'alphabet ou par signes. Message brumeux. Abstenez-vous de faire de mauvaises actions qui retarderaient le moment où votre âme rejoindra le grand tout divin. L'a tout de même réalisé un miracle : l'a réussi à regrouper autour de lui des centaines de disciples en Inde, aux Etats-Unis où il voyagea par deux fois, et un peu partout dans le monde... L'était né en 1894 et se rendit célèbre auprès de la jeunesse hippie d'obédience orientalisante en 1967 en la mettant en garde contre les drogues. Non le LSD n'était pas un starway to heaven vers le nirvana ! Comme toujours les prescriptions divines furent mal interprétées, la jeunesse occidentale reconnut la sage sainteté de Baba mais continua allègrement à gober ses pastilles valda multicolores sans défaillir. Faut dire que si son message avait été reçu cinq sur cinq c'est qu'il était dans l'air du temps, l'on connaît les déboires des Beatles partis en colonie de vacances auprès du Maharishi Mahesh Yogi qui se termina abruptement le jour où le saint homme entreprit de pénétrer de force dans le temple vulvaire de Mia Farrow. Cela ne se fait pas certes, toutefois cette tentative effractive reste la preuve indubitable que des années de méditation transcendantale avait permis au saint homme pétri d'une infinie sagesse d'accéder aux portes édéniques de la beauté souveraine.
    A notre connaissance Meher Baba ne devait pas être aussi avancé sur les chemins de la beauté divine puisque l'on ne relate aucune tentative tantrique de ce type dans les deux années qui suivirent et au bout desquelles il regagna - aidés par les séquelles de deux anciens accidents de voiture - ses pénates, en mourant stupidement, comme tout un chacun. Quoique ses biographes ne s'étendent guère sur ce stage d'initiation ( d'union yogique avec le divin ) réservé aux femmes occidentale dans les années trente durant lequel il organisa une tournée en autocar, dénommé le Blue Bus Tour qui nous semble prémonitoire du Magic Bus des Who... Quoi qu'il en soit Pete Townshend n'a jamais remis en question l'influence bénéfique de la vision - qu'il faut bien qualifier d'intermittente – de cette paix de l'âme qui lui aurait été dévoilée lors d'un entretien avec le dernier messie en date...

    EXPLOSION MENTALE

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    L' épisode Baba survenu en 1967 n'est pas dû au hasard. Tout est allé trop vite. En deux ans nos jeunes gens sont devenus des stars. L'argent, les filles, l'alcool, les excitants divers et les émollients variés coulent à flots, la fatigue des concerts, les tournées en Amérique, tout cela vous rétame un individu en cinq sept. Vous êtes happés dans un tourbillon, au début vous prenez votre pied, à la fin cela devient harassant, et pire que tout cette impression de ne plus avoir de temps à vous, de ne plus rien contrôler, de ne plus avoir le loisir de vous poser dans un coin et de faire le point, dans votre tête...
    D'abord autour de vous dans votre musique. Les Who c'est en même temps maximum de sauvagerie – sur scène n'en parlons pas, c'est carrément les hordes d'Attila – et dans le même panier-repas maximum mélodique. Prenez des morceaux comme Picture of Lily, Anyway, Anyhow, Anywhere..., I Can See For Miles, certes ça défile vite, ça pulse fort, mais selon une ligne mélodique qui doit bien vouloir signifier autre chose... Maintenant Townshend se livre à une introspection généralisée, certes ses paroles décrivent bien attitudes et perversions individuelles induites par l'état de la société, mais n'y aurait-il pas là-dessous l'expression d'un drame personnel et encore plus, n'hésitons pas à employer les grands mots, d'une réalité quasi-métaphysique de la condition humaine ?
    Jusqu'à lors les Who n'ont fait que s'amuser comme des gamins excités d'attraper toutes les conneries qui s'offraient à eux, peut-être serait-il temps de passer à quelque chose de plus sérieux. Le rock ne mérite-t-il pas mieux que quelques bijoux pop et toc ? De la pacotille quand il compare ces premières pépites au rêve grandiose de l'oeuvre magistrale dont il rêve.

    OPERA ROCK

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    De toutes ces intenses cogitations sortiront Tommy. N'ai pas osé le retirer de mes cartons pour le réécouter avant d'écrire cette chronique. La peur d'être déçu. De ne pouvoir me remettre dans la peau de mes dix-huit ans lorsque j'ai entendu à la radio les Who l'interpréter en Live en Angleterre, sacré moment. La frousse de n'y trouver qu'une énorme boursoufflure des plus regrettables. En tout cas à l'époque ce fut un choc, les Who s'imposaient comme novateurs. Donnaient ses lettres de noblesse au rock'n'roll, l'inscrivaient parmi les arts majeurs. Et pour qu'il n'y ait point de réclamation au guichet sortait l'année suivante, le Live at Leeds – la version CD vous double le concert – ce n'est pas un enregistrement public parmi tant d'autres mais un magistral coup de cravache sur la croupe du rock'n'roll pur-sang, un déluge métallique qui portait en lui les germinations futures du hard rock.

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    N'empêche que Tommy n'est guère joyeux. Autisme, perversions sexuelles, solitudes, sont ses thématiques principales, un disque noir, à l'opposé du rêve lysergique californien, une errance éperdue dans une continuelle remontée des traumatismes incapacitants de l'enfance, l'affirmation de l'engluement de l'esprit en soi-même, pire que le no future à venir des punks, Tommy c'est le présent impossible.

    THE LAST BUT NOT THE LEAST

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    Townshend sera la première victime de sa créature. Docteur Pete a créé son Frankenstein, ne le tuera point, fera comme l'ours qui ne touche pas aux abeilles mais qui se délecte des rayons du miel. Le monstre lui sucera les neurones de son génie créateur. Au début il parviendra à cacher sa stérilité indécisive. L'a encore de beaux restes. Sur Who's Next il possède quelques ingrédients de choc dans son sac secret, lui qui depuis quelques temps bricole de petites trouvailles musicales sur ses ordinateurs se déchaîne durant l'enregistrement. Fignole le son, fait entendre des masses de pianotements subsidiaires qui apparaissent comme totalement nouveaux et téméraires. Et comme chacun de ses acolytes donne le meilleur de lui-même l'album est considéré comme un chef d'oeuvre.

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    Il aimerait créer un autre Tommy, mais le projet mirifique, Lifehouse, auquel il consacre des mois et des mois de travail, par trop ambitieux, n'aboutira point, toutefois notre creator-man sera sauvé par ses fondamentaux existentiels, Quadrophenia sera le résultat de ce retour vers les années fastueuses de sa jeunesse mod, le double album se présente comme l'épopée électrique d'un jeune mod passant par tous les rituels qui permettent d'accéder au stade - non pas adulte ce qui équivaudrait à un reniement anal régressif – mais de l'affirmation de soi... Ce sera le dernier coup d'éclat des Who...

    THE LEAST


    Me souviens des copains fans des Who qui essayaient de défendre leur groupe favori en jetant des coups d'oeil réprobateurs sur Odds and Sods et By Numbers, certes il y a du bon disaient-ils en hochant la tête, la défense manquait de conviction, pour Who Are You, la conversation abordait d'autres sujets...

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    C'est Keith Moon qui un soir de septembre 1978 mit fin le point final à l'anabase. Encore plus fort et plus idiot que les chiottes qu'il prenait plaisir à dynamiter dans les hôtels. Ne s'est pas réveillé. Ne trouvant pas le sommeil, il avait dépassé la dose sédative prescrite... L'erreur fatale est humaine. Keith le plus facétieux réussit ainsi à fracturer à son insu l'issue de secours, celle qui vous permet de ne pas vieillir et de rester éternellement jeune. Cette porte dérobée au pied de laquelle laquelle Pete Townshend l'intello éternel gratte depuis un demi-siècle en douce, comme ces chats méditatifs qui sur le seuil pluvieux hésitent, et finissent par renoncer à quitter la maison de peur de se mouiller les pattes.

    Une triste histoire quand on y songe, mais la splendeur des débuts vous oblige à en réécouter les échos les plus fougueux.


    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUE DE POURPRE N° 209 = KR'TNT ! 328 : JERRY RAGOVOY / HOWLIN' MACHINES / THE DISTANCE / HEADCHARGER / FRCTRD / ACROSS THE DIVIDE / NAKHT / CLAUDE BOLLING

     

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 328

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    11 / 05 / 2017

     

    JERRY RAGOVOY

    HOWLIN' MACHINES / THE DISTANCE / HEACHARGER /

    FRCTRD / ACROSS THE DIVIDE / NAKHT

    CLAUDE BOLLING

    Les ragots de Ragovoy

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    Les ragots de Jerry Ragovoy valent leur pesant d’or. Dans son numéro d’avril, Record Collector publie une interview inédite de ce géant du Brill qui eut la chance de travailler avec Bert Berns, en tant que co-auteur et co-producteur. Voilà bien ce qu’il faut appeler un duo de choc. Oui, car avec Jerry et Bert, nous nous trouvons au cœur du mythe de la grande pop américaine, ou pour être plus précis, aux racines du cœur de mythe. Comme le rappelle Al Kooper, Jerry and Bert were known as white kings of soul music. Oui, les rois blancs de la Soul music, ni plus ni moins.

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    Le premier hit qu’ils composent ensemble est le fameux «Cry Baby» popularisé par Garnet Mimms & the Enchanters, un quatuor black new-yorkais. Mais Garnet chante d’une voix trop puissante. On sent en lui le vétéran des gospels choirs, il explore les cimes et redescend avec un timbre terreux de boogaloo qui frise le Howlin’ Wolf. Malgré toute la puissance de ce hit obscur, ça ne pouvait pas marcher. Apparemment, Jerry misait lourd sur Garnet car il enregistra d’autres obscurités frénétiques, comme cet «As Long As I Love You» qu’on trouve sur la belle compile qu’Ace consacre à Jerry. Garnet chante à la poigne de fer, il sort du pur jus de r’n’b new-yorkais des early sixties, on sent une incroyable présence et on se pose la question habituelle : pourquoi diable est-il tombé dans l’oubli ? Son «Thinkin’» relève du pur jus de raw r’n’b, celui que nous affectionnons particulièrement.

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    Bert avait un sens «commercial» beaucoup plus développé que celui de Jerry. Il savait flairer les très gros coups. Il signa Erma, la grande sœur d’Aretha, sur son label Shout et co-écrivit le fameux «Piece Of My Heart» avec Jerry. Ce fut le smash que l’on sait, popularisé plus tard par Janis Joplin, comme chacun sait. Il est important de préciser ici que Janis raffolait des chansons de Jerry. Après «Piece Of My Heart» (qu’on trouve sur Cheap Thrills), elle tapa dans «Try (Just A Little Bit Harder)» pour Kosmic Blues. Jerry fut tellement touché par ces brûlants hommages qu’il composa «I’m Gonna Rock My Way To Heaven» pour elle, mais la pauvre Janis cassa sa pipe avant de pouvoir l’enregistrer. On trouve trois autres hits de Jerry sur Pearl, l’album posthume de Janis : «Cry Baby», «My Baby» et le Tatien «Get It While You Can». C’est dire si Janis avait bon goût !

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    Quand Dan Nooger qui mène l’interview demande à Jerry si Bert n’était pas un peu trop directif en studio, Jerry rigole. Bien sûr que si ! Phil Spector, Shadow Morton, Leiber & Stoller, c’est-à-dire tous le grands producteurs de l’époque, étaient des gens intraitables. Ils donnaient des indications très précises aux interprètes, ils voulaient que les chansons qu’ils avaient composées soient chantées d’une façon extrêmement précise. Ils répétaient énormément avant d’enregistrer. L’interprète n’avait qu’une seule marge de manœuvre, son feeling.
    Howard Tate était aussi l’un des chouchous de Jerry. Ancien collègue de Garnet Mimms dans les Belairs, Howard adorait travailler avec Jerry - We were too good a team - C’est vrai, mais Jerry rappelle aussi qu’Howard était un homme perturbé - a troubled person - Et quand Howard refit surface en 2003 après vingt-sept ans d’absence, qui fut son producteur ? Mais Jerry, bien sûr. Il faut situer le team Ragovoy/Tate au même niveau que le team Bacharach/Warwick, ou encore Berns/Franklin. Voilà ce que les habitués du PMU de la rue Saint-Hilaire appellent des doublets gagnants. Jerry rappelle que l’album Get It While You Can est devenu culte. Il faut entendre l’archange Tate swinguer «You’re Looking Good» d’une voix délicate et partir en piqué vrillé. Tate tâte bien le terrain et des trompettes arrosent ses chutes grandioses. Par contre, il oublie toute forme de sophistication pour chanter «Get It While You Can». Jerry rappelle aussi que tous ces hits étaient enregistrés live, avec l’orchestre au grand complet - no overdubs.

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    Et puis il rend hommage à Lorraine Ellison, qui figure parmi les plus brillantes Soul Sisters d’Amérique. En Europe, on connaît «Stay With Me» grâce à Sharon Tandy, mais la version originale vaut son pesant d’or. Lorraine cœur d’acier percute son hit du petit doigt et l’envoie valdinguer au noooow d’exaction maximaliste. Elle grimpe son can’t believe si haut qu’on le perd de vue. Cette folle atteint les zones érogènes d’un feeling atrocement pur - Remember ! Remember ! - Elle ouh-ouhte sa spectaculaire percée stratosphérique. L’histoire de cette session est assez marrante : un jour, le patron de Warner appelle Jerry et lui demande s’il connaît quelqu’un qui saurait chanter avec un orchestre. Quel orchestre ? Le boss lui explique qu’il a sur les bras un orchestre de 46 personnes payé pour une session de trois jours que vient d’annuler Frank Sinatra. Jerry saute sur l’occasion et dit qu’il connaît quelqu’un. Ça se passe un lundi, et la session débute le mercredi soir. Il contacte Lorraine aussitôt, lui compose un hit vite fait, écrit les arrangements pour les 46 musiciens, deux nuits sans sommeil, et pouf ! C’est «Stay With Me» ! Lorraine chante en direct avec tout l’orchestre ! La version qu’on entend sur le disque est la version stéréo de l’époque, enregistrée en une seule prise, même pas mixée - I didn’t even have to mix - Jerry rend hommage à Phil Ramone, l’ingénieur du son qui enregistra ce monster hit sur un huit pistes. Magie pure de la Soul. Mais il y eut à la suite un léger problème, car de la même manière qu’Aretha, Lorraine refusait de monter dans un avion, pas question de quitter Philadelphie, ce qui coula sa carrière et fâcha Jerry qui voulait faire de la promo. À l’époque, c’était la règle. Pour promouvoir un hit, il fallait tourner.

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    L’un des hits les plus célèbres de Jerry est certainement «Time Is On My Side», popularisé par Irma Thomas, puis les Stones. Jerry l’enregistra en 1963 avec un tromboniste de jazz danois nommé Kai Winding, soutenu par un trio de backing girls de choc : Cissy Houston, Dionne Warwick et sa frangine Dee Dee. Il faut entendre cette énorme version jouée aux trompettes de la renommée et chauffée à blanc par les clameurs des filles devenues folles. Pure démence de la partance ! Irma reprit le hit à Hollywood en 1964 et les Stones un peu plus tard la même année. Tiens justement, puisqu’on parle d’Irma : après le succès de «Time Is On My Side», elle voulut absolument enregistrer une session avec Jerry et vint à New York pour enregistrer quatre titres dont «The Hurt’s All Gone» qu’on trouve sur la compile Ace et qui n’est pas si bon, car elle tente de passer en force. Dommage. Jerry tenta aussi de faire décoller Estelle Brown, l’un des choristes new-yorkaises les plus demandées avec les trois pré-citées et d’autres encore comme Doris Troy et Myrna Smith. Mais son «You Just Get What You Asked For» à la fois captivant, si maladroit et sur-produit refuse de décoller. Estelle voit une girl dans un looking glass who is crying - And this girl is me - On retrouvera Estelle dans les mighty Sweet Inspirations avec Cissy Houston, Sylvia Shemwell et Myrna Smith.
    L’une des grandes révélations de la compile Ace, c’est Pat Thomas qui chante «I Can’t Wait Until I See My Baby’s Face». C’est emmené d’une voix mûre d’Africana à la revoyure, sur fond de groove magique. Jerry crée pour Pat les conditions de l’excellence. Le cut est si bon que Dionne Warwick le reprendra dix ans plus tard sur son album Then Came You, dont la pochette s’orne de son portrait peint. Jerry produisit cet album en 1975, mais il avoue pleurer chaque fois qu’il le réécoute, car il le dit over-orchestrated. Il dit même avoir voulu péter plus haut que son cul - je me prenais pour Burt Bacharach qui, ajoute-t-il, ne sur-produit jamais. Jerry pense que c’est son plus grave échec et confie dans la foulée qu’il aimerait bien pouvoir s’excuser auprès de Dionne. Et pourtant quand on écoute «Move Me No Mountain», on frémit, car Dionne explose ce groove digne de nos rêves les plus humides. C’est atrocement bon. Bizarrement, Then Came You compte parmi les meilleurs albums de Dionne. Jerry pêche sûrement par excès de modestie.

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    On retrouve aussi le fameux «Good Lovin’» des Olympics sur cette belle compile Ace, un hit sixties qui sera popularisé un peu plus tard par les Young Rascals. C’est un pur hit de juke, irréprochable et idéal pour jerker au coin du chrome. L’autre hit universaliste que composa Jerry fut bien sûr «Pata Pata» pour Miriam Makeba. Quand Jerry la reçoit dans son bureau, Miriam lui dit : «What I wanna do Jerry is American ballads !». Wow ! Jerry s’enthousiasme immédiatement. Facile, des American ballads, il en a plein ses tiroirs. Mais comme il est très pro et qu’il ne la connaît pas, il va la voir chanter dans un club et paf, il tombe carrément de sa chaise ! Eh oui, il découvre une reine africaine, un univers musical qui lui est inconnu et qui le fascine. Alors, il laisse tomber les American ballads et demande à Miriam de revenir dans son bureau et de lui chanter des chansons africaines. Miriam est ravie de ce revirement. Elle chante a capella et Jerry l’enregistre. Il écoute la cassette chez lui et Jerry flashe comme un dingue sur «Pata Pata». Il demande à Miriam de l’aider à transcrire le texte en Anglais. «Pata Pata» devient le hit que l’on sait. Miriam chante comme une géante et ne la ramène pas. C’est toute la différence avec Stong. On monte encore d’un cran avec Dusty chérie. Comme Irma, Dusty chérie voulait absolument travailler avec Jerry car il bénéficiait d’une aura de rêve - A r’n’b icon - Pour elle, Jerry co-écrit «What’s It Gonna Be» avec Morty Shuman. Dusty est une bonne, elle ramène là-dedans tout le foncier d’Angleterre et tout le chien de sa chienne - I can’t face it - Encore un pur hit de juke, Jack.

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    Carl Hall est l’autre grande révélation de cette compile. Jerry n’enregistra que quatre singles avec Carl dont l’effarant «What About You». C’est lui la véritable star du Jerry Sound System. Jerry lui fournit le background orchestral de la légende. Carl combine le meilleur groove du monde avec le scream impénitent - What about you mister - Il chante à l’énergétique pur et dur. Tiens, encore un fabuleux coup de Jarnac avec «You Don’t Know Nothing About Love», un softah sirupeux qu’il traite à l’égosillée purulente, il s’y monte impitoyable - One day my friend it’s gonna be your turn - et il développe une fascinante ambiance perfide. Selon, Jerry, Carl Hall est un géant - One of the most mind-blowing vocalists who ever lived - un artiste capable de chanter du gospel, de la Soul et du Broadway, et qu’on retrouve dans les chœurs derrière Bonnie Raitt sur l’album Streetlights.
    Jerry monta son label Rags Records pour promouvoir les disques de Lou Courtney, un mec qu’il aimait bien - I think Lou Courney was a great talent - En effet, quand on écoute «What Do You Want Me To Do», on entend un séducteur croasser dans son micro. Cette fois, Jerry va sur un son plus funky, mais ça reste extrêmement produit. Il connaît bien ses artistes. Il les produit avec les mains d’un cordonnier, comme dirait Léo. Jerry veille aussi sur le destin de Major Harris, un vétéran de la Soul qui fit partie des Delfonics. Avec «Pretty Red Lips», ce bon Major nous croone un groove d’une classe infiniment supérieure, c’est indubitable, et la question de savoir si ce groover est humain ne se pose même pas, puisqu’il groove comme un dieu de l’Olympe. D’où cette réputation non usurpée de divin groover.

    Signé : Cazengler, Jerry rat d’égout

    Roll With The Punches. Interview Jerry Ragovoy par Dan Nooger. Record Collector #465/April 2017
    The Jerry Ragovoy Story. Love Is On My Side 1953-2003. Ace Records 2008

    PETIT-BAIN / PARIS / 04 – 05 – 2017


    HOWLIN' MACHINES / THE DISTANCE
    HEADCHARGER

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    Retour au Petit-Bain. Brrrr ! Le frisson dans le dos quand me revient le froid de loup qui sévissait fin janvier sur Paris, heureusement que Pogo Car Trash Control avait salement relevé la température. Ce soir c'est mieux, seulement la pluie – remarquez de l'eau au Petit-Bain ce n'est pas étonnant – sont sympas nous ouvrent les portes un peu avant l'heure. Pour le voyage pas de problème, la teuf-teuf a tenu la distance en un temps record. A croire qu'ils avaient vidé Champigny de sa population pour nous laisser passer. Bref nous voici au chaud, dans les flancs du navire, le temps de discuter avec un photographe en mission commandé fan de métal à mort.

    HOWLIN' MACHINES

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    Sont trois tout jeunes. N'ont pas de beaucoup dépassé la vingtaine. Basse, guitare et batterie. Et un chanteur. Seulement besoin d'ouvrir la bouche pour que l'on se rende à l'évidence. Une voix. Une vraie. De celles qui s'imposent sans forcer. Noire à souhait. Du moins au début du set trop court. Car elle passera sans effort de la pulsion rhythm 'n' bluesy au phrasé rock'n'rollien avec de temps en temps ce léger décalage qui claque en écho non sans faire penser aux décrochements répétitifs de Robert Plant. Tient entre ses mains une basse Rickenbaker . De Lemmy à Metallica, cette bébête monstrueuse au sustain inimitable, suffit de la mettre au galop pour qu'elle vous garde sans faillir la même allure, pouvez jouer du cimeterre sans souci et éparpiller les têtes sur votre passage en toute tranquillité, genre d'engin de chantier idéal pour un chanteur occupé aux vocales manœuvres. C'est qu'à ses côtés ses deux acolytes ne chôment pas. Tambour battant pour l'un et riff hifi pour l'autre sur les cordes. Les machines hurlantes ne connaissent pas l'immobilité, une fois démarrées rien ne saurait les ralentir. Ne prennent même pas le temps de finir les morceaux. Leur tronçonnent la queue sans préavis d'un coup de hachoir définitif. Un peu comme quand vous terminez votre livre trente pages avant la fin, d'un claquement sec et rédhibitoire, afin de vous emparer au plus vite du tome 2. Sont des adeptes du stoner de Brest, une frégate de soixante canons qui vous court dessus à l'abordage toutes voiles dehors portée par un vent arrière de soixante nœuds. Nous sortent tout de même un blues au milieu de set, The Lies About, mais tellement surchargé d'impédance énergétique qu'il vous roborative les neurones davantage qu'il ne vous éreinte l'âme. Se livrent à une OPA sans défaut sur l'assistance qui se laisse subjuguer et maltraiter avec un plaisir évident.
    Dernier morceau. Les cris de déception fusent. Cette fusée étincelante nous l'aurions bien gardée encore un bon moment. Ils emporteront nos regrets. Une trajectoire éblouissante. Courbe harmonieuse et élégante. Du bas vers le haut. Missile sol-air. Ces jeunes gens sont partis pour atteindre des régions situées dans les stratosphères interdites aux vaches molles du rock'n'roll. Down 'n' Higher proclament-ils, mais définitivement higher.

    THE DISTANCE

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    Se touchent du poing, tous les quatre, tel un rituel vaudique, avant d'égorger le blue red rooster du rock'n'roll. Et tout de suite après c'est la montée en puissance de la fournaise. Le son est là, vous saisit de son ampleur, la lave de Pompéi débordant du cratère assassin et refermant sa gangue mortuaire sur les habitants englués dans un fleuve de feu. Avec un avantage, c'est que vous ne mourrez pas, au contraire c'est une force sonique qui s'insinue en vous, vous porte et vous transcende.
    Trois devant et Hervé tout seul derrière. N'est pas abandonné. Duff lui rend souvent visite, un pied sur l'estrade où repose la batterie. C'est qu'Hervé est attelé à ce que Roger Gilbert Lecomte appelait un horrible travail révélatif. Du tramage forgique de poésie. L'enclume et le marteau. Casser la carapace des rêves pour en extraire l'élixir souverain de la réalité agissante. Œuvre alchimique par excellence. Une large cadence – en ses débuts comme le ressac incessant et millénaire de la mer qui s'écrase sur le rivage – qui peu à peu, insensiblement, s'accélère tout en montant en mouvance sonore. Tout à l'heure finira en fou épileptique, en possédé du démon rythmique, les cent bras de Shiva parcourant les toms sans une seconde d'interruption - un personnage de dessin animé passé à la chaise électrique, vous ne voyez plus, vous n'entendez plus que cette frappe qui passe et repasse, ces bras levés qui s'abattent sans fin, un tambour de machine à laver directement branchée sur une ligne à haute tension - qui tournent et retournent comme les ailes rouges de la guerre des poèmes de Verhaeren.

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    ( Photo : FB : Julien Momusic )


    Et les trois devant qui insidieusement alimentent le foyer. Duff à la base, les cheveux qui coulent sur ses épaules dissimulent son visage, se plante au bord de la scène pour lâcher sur vous les chiens de chasse de ses lignes de basse. N'est plus qu'un émetteur phonique, un dispensateur de noirceur ondulante, qui induit les transes intérieures les plus meurtrières, doit parvenir à certains points d'acmé énergétique indépassables, des chakras d'intensité opératifs, car parfois il se redresse, regarde le public et un rapide sourire énigmatique éclaire ses lèvres.
    Mike est au micro. Utilise sa voix comme un second instrument. Ne domine pas les autres mais la module comme un cinquième élément éthérique dont l'apport se révèle indispensable à la cohésion du groupe. Joue de la guitare. Non pas tout comme Sylvain mais avec Sylvain. Certes ils n'en ont pas une pour deux mais c'est tout comme. Pour sûr il y a des moments où chacun tricote de son côté, mais si j'ose dire cela ne compte pas. Sont comme des jumeaux. Des géants siamois. Plus le set avancera, plus on les verra se rapprocher, corps contre corps, et guitares face à face, emportées dans un tunnel infini d'égrenage grêle de notes fuyantes, l'impression de deux cavaliers galopant de conserve mais perdant leur sang jusqu'à l'évanouissement final, en ces moments la batterie n'en accélère pas moins le tempo, mais moteur coupé, une voiture dévalant un col de montagne sans frein, Duff qui met sa basse en brasse coulée, en apnée, et brutalement alors que l'on croit que le feu va s'éteindre et mourir d'asphyxie l'incendie embrase la forêt, ah ! Ces coups de reins brutaux et fastueux du quatuor qui repart comme un seul homme ! Répétitifs en plus. Car le rock'n'roll est avant tout un art de l'excès, il est strictement recommandé de dépasser la dose prescrite. Et d'en reprendre à foison tout en ayant soin de cambrioler la pharmacie. Pas question de demander poliment et de payer son dû.
    Alors ils nous font la distribution gratuite. Vous en aurez plus que vous ne voulez. Sur les trois derniers morceaux, ils sont devenus fous. Mike et Sylvain ne sont plus que des marionnettes saccadées hantées par de mauvais génies vipérins. Sont cambrés, des automates en délire, opèrent une espèce de parade de paralytiques tétanisés qui marchent en tous sens, la bave du rock'n'roll aux lèvres et leurs guitares atteintes d'une fureur de berserker. Duff ne tarde pas à subir lui aussi les effets de cette transe hypnotique et tous trois se croisent comme des trains fantômes échappés de leur rail. Exultation dans la salle. Sylvain projette sa guitare sur le sol – la fureur de la destruction n'est que l'autre versant de la démesure des dieux - et sur une dernière razzia drumique le combat cessa faute de combattants. Pas de rappel. C'est la stricte application de la réglementation de la salle. Les lumières se rallument. Les meilleures choses ont une fin. Même les sets de The Distance.

    HEACHARGER

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    Distribué à l'entrée du concert, Flyer-Zine Musikoeye N° 33, papier glacé, quatre pages, révélant interview sur l'enregistrement d'Hexagram, leur sixième album, et les voici maintenant sur scène. Sûrs d'eux, l'on sent les vieux routiers rompus – formés en 2004 – qui ne s'en laissent pas compter et qui escomptent bien satisfaire le public manifestement acquis à l'avance. Nous livrent un show impeccable, millimétré, j'aurais toutefois aimé que fût un tantinet plus forte la tonalité du micro sur lequel Sébastien Pierre bondit alors qu'un mur de guitares déferle sur nous. Ne s'économise pas, agite sa grande silhouette dans tous les sens, visière de casquette en avant et bras sémaphoriques qui moulinent l'espace.
    Headcharger charge, un régiment de blindés qui écrase tout sur son passage, juste le temps de ré-accorder entre deux morceaux, l'offensive ne s'arrête jamais. David Rocka et Antony Josse sont aux guitares, ne laissent subsister aucun interstice sonique, aucun répit, aucun essoufflement, aucune fêlure, au taquet, toujours là au moment où il faut y être, les doigts qui filent et l'attitude attendue. Cheveux hirsutes, barbes et visages dégoulinent de sueur, ils donnent plus qu'ils ne prennent. Amassent et dispensent le son, mais c'est Sébastien qui établit la communication avec le public qui s'agite à sa demande, manifestement ravi de s'entrechoquer même si l'étroitesse du lieu canalise quelque peu son exubérance.
    Les guitares filent loin devant, et à la batterie Rudy Lecocq pousse tout près derrière, ne nous dispense pas de simples rudiments, les coups pleuvent sur ses peaux comme giboulées de Mars et grésils de tempête, heavy-stoner-sound, tambours de sable et ronds de feu. Un son qui cherche le point de fuite mais ne s'y engouffre pas sans emmener tout l'orchestre avec lui. Pas question de batifoler en chemin pour compter les pétales des coquelicots, l'on attrape le loup par la queue et on ne le lâche pas d'une seconde. Romain Neveu à la basse doit avoir un sacré boulot, n'aimerais pas être à sa place, c'est à lui qu'échoit le sale boulot, de maintenir la cohérence du groupe et de l'empêcher d'éclater en mille directions et de se disjoindre dans une course éperdue.

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    Headcharger garde le contrôle, de Land of Sunshine qui ouvre le set à Wanna Dance qui le clôt, ils vous tondent la pelouse sans jamais oublier le moindre brin d'herbe, tout en préservant les fragiles corolles des pâquerettes, déboulent sans frémir au cœur de taillis de ronces à la All Night Long ou à la Dirty Like Your Memorie et vous en ressortent sans une égratignure. Vous déchiquettent bien de leurs lames acérées quelques grasses couleuvres alanguies qui dormaient dans les hautes herbes mais personne ne s'en inquiète. Surtout pas le public si j'en crois les regards extatiques de mes voisines qui ne quittent pas des yeux les garçons sauvages magnifiés en pose héroïques de guitar-héros, jambes écartés, corps penchés en avant, statures iconiques du rock'n'roll.
    Une heure, pendule accrochée au mur faisant fois de l'exactitude de ce décompte temporel, l'on ne sait trop pourquoi, tout s'arrête, n'est même pas onze heures, faut pourtant boire le fameux bouillon, qui coupe court à toutes les effulgences de la vie. Headcharger quitte la scène sans rémission. De la belle ouvrage.

    RETOUR


    La teuf-teuf trottine, de vastes pensées s'amassent sous mon front, une découverte : Howlin'Machines, une tuerie : The Distance, et Headcharger de bons combattants mais perso leur trouve un petit côté un peu trop chevalier blanc sans peur ni reproche. Gimme Danger comme dit Iggy. L'auto-radio se bloque sur Ouï FM et diffuse les douces romances de Bring The Noise, arrivé à Provins – hertzienne zone maudite - les ondes décrochent. Tant pis, j'ai eu le temps d'entendre Paroles M'assomment de Pogo Car Crash Control. La boucle est bouclée.


    Damie Chad.

    06 / 05 / 2017 / LE MEE-SUR-SEINE
    LE CHAUDRON


    RELEASE PARTY NEW EP CHAKRA
    NAKHT
    FRCTRD / ACROSS THE DIVIDE

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    Savigny-le-Temple. La teuf-teuf longe l'Empreinte. Etrange, parvis désert à quinze minutes de l'ouverture officielle des portes. Y aurait-il un lézard dans l'horloge ou un homard dans la cuvette WC ? Nécessité absolue d'improviser et d'appliquer un plan B. Inutile de me reprocher d'avoir mal lu le flyer. A vue de nez, Le Mée-sur-Seine n'est pas loin. Essayons Le Chaudron. Presto & bingo ! N'ont même pas commencé. Ça papote à loisir devant l'ustensile à popote.

    FRCTRD


    Noir. Lumière infranchissable pourriture disait Joë Bousquet. FRCTRD va s'adonner à son jeu favori de dissociation de nos photons mentaux. Sample d'entrée, et dès les primes notes ils vous présentent la fracture avec la TVA adjacente du Tout Voulu Atomisé. Musique brutale, happée par elle-même, qui à chaque pas en avant s'écroule dans la fosse commune des pseudo-illusions qu'elle n'arrête pas de creuser. Une tranchée rectiligne qui s'engouffre dans la brisure de sa propre rectitude.

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    Cinq guerriers du néant illuminatif. Anneaux de caraque aux oreilles, zigomatiques saillants, et une voix d'onagre en rut, Vincent Hanulak annule tout, cavale crache et cravache le carnage du grain moulu de sa voix. Remarquez que derrière sa guitare d'une sombreur luisante de lampadophobe, avec ses yeux de braise et sa barbe de prédicateur fou d'évangéliste atterré, Filip Stanic n'a rien à lui à envier...

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    ( Photos : FB : Mlle Lazurite )

    Impossible d'apercevoir le visage interdit de Clément Treligieuse, le dissimule avec une obstination derrière le rideau d'une blonde touffeur, à croire qu'il s'agit d'une attentatoire terreur religieuse qui lui interdit de quitter l'absence de toute présence, Maxime Rodrigues penché sur sa basse, une patience d'insecte, de ceux qui savent que leur race immonde finira par supplanter l'espèce humaine, et Gregory Louzon concentré sur ses fûts à la recherche de l'impossible formule de la dilution finale.
    Tout juste quelques titres. Une poignée de grenades entrouvertes jetées à la face de l'intermittence du monde. Mais assez pour signifier le clignotement du néant dévorateur que tout un chacun feint de ne pas apercevoir. Par sa musique, épurée jusqu'à l'os, qui se dévore elle-même, qui se phagocyte de sa propre viduité, FRCTRD vous plonge le nez dans la vacuité absolue de votre existence, ce filet entrecroisé de cordes emmêlées, ce réseau arachnéen de toutes vos fragilités qu'un coup de vent glacial projettera un jour ou l'autre au fond du gouffre.
    L'on ne peut exprimer le silence que par des bruits implosifs nous rappelle FRCTRD, des pétarades mouillées, des eaux suintantes de la morbidité malfaisante de nos petitesses humaines. Des hachis de guitare et des purées parmentières de batterie qui crapaude en batracien que l'on fait fumer et qui explose en nuage artificiel de fumée létale. Le combo ne nous ménage pas, fait le ménage, passe le délabré plumeau poesque aux plumes de corbeau plutonien sur la toile de nos démissionnaires exigences.
    Un set magnifique. D'amer constat des dégâts occasionnés par l'erreur de vivre. Musique métaphysique. Fractured but no captured.

    ACROSS THE DIVIDE


    Encore des partisans cumulatifs des fissions nucléatiques. Musique à trous taillés à pic dans l'intumescence lyrique des samples omniprésents. Across the Divide découpe au plus court. Sont les adeptes de la fragmentation fractale. Un riff ne saurait aller plus loin que lui-même. Même répété, compressé coup sur coup une dizaine de fois, asséné comme des fureurs de fouets, cinglé comme comme des salves de sangles sur les épaules d'un supplicié, très vite tout se déstructure. Effondrement final. La musique d'Acroos The Divide est une suite dramatique interrompue de points de suspension. Mais le silence ne s'intercale pas entre les abruptifs sonores. Sont remplis par les grandes orgues des samples de toute pompeuse noirceur, un peu comme ces musiques d'enterrement que l'on passe pour cacher en vain le gouffre vital enfermé dans le tabernacle du cercueil.

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    Axel Biodore est à la guitare. Un beau jeu mais pas du tout bio. Martyrise ses cordes à la manière de ces épandages d'insecticides meurtriers qui vous pulvérisent la végétation en quinze secondes et vous provoquent des mues géantes chez les coléoptères venimeux dispensateur de pustules purulentes. Alexandre Lhéritier n'en a guère besoin, sa voix d'écorcheur de chats faméliques se suffit elle-même, vous agonise de ces chuintements boueux de lamentin échoué, pourtant Axel ne peut résister à agrémenter les reptations gosierâles de son chanteur d'une espèce de beuglement caverneux qui diffracte encore plus cette sensation de vertigineux malaise qui s'exsude des découpes rampantes opérées par Maxime Weber sur ses cymbales atonisées.

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    Parfois Jonathan Lefeuvre aussitôt imité par Axel, arrête de jouer de sa guitare, vous donnent l'impression de chuinter les interstices qui séparent les cordes, de glisser leurs doigts comme des chirurgiens qui hantent de leurs assassines phalanges les entrailles d'un patient opéré à vif sans anesthésie, et la basse de Régis Sainte Rose adopte alors la douceur funèbre d'une rapsodie maladive. Et tout cela vole aussitôt en éclats, en tôles de coques d'obus dispersées au moment le plus meurtrier de son impact.

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    ( Photos : FB : Mlle Lazurite )


    Auront droit au set le plus long. Se livreront à un concassage sonique méthodiquement chaotique, l'on sent qu'ils cherchent la fissure ultime, leur musique achoppe la réalité du monde tel un trépan mû par un infatigable et monstrueux balancier qui cherche à s'immiscer dans la matière la plus noire de l'univers.

    NAKHT

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    Les rois de la fête mortelle. Qui pousseront l'élégance jusqu'à se contenter d'un set à notre goût un peu trop court. Nous savons bien qu'indénombrables sont les anneaux d'Apophis, L'assistance aurait bien voulu que l'on en déroulât trois ou quatre de plus...
    Lourdeurs sonores. Trois projecteurs tournoient leurs trois pinceaux de lumière blanche qui n'ont d'autre but que d'aviver la pénombre. Chacun des musiciens, encore invisibles, regagne sa place. L'on entend Danny Louzon qui depuis les coulisses poussent un hurlement rauque de bête traquée. Embrasement de lueurs d'hémoglobine, son sursaturé des guitares qui déchirent les tympans, les têtes des guerriers guitaristes tournent sans fin telles des ailes de libellules rilkéennes folles tandis qu'à la batterie Damien Homet broie le noir des espérances diluées.

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    Danny, déjà si grand, se juche sur le piédestal de fer central, sa tête touche presque les tubulures centrales qui soutiennent les projecteurs, se courbe, s'incline vers nous, brasse l'air de ses bras comme s'il nous faisait signe de s'approcher pour mieux entendre les grognements caverneux qui émanent des profondeurs de ses poumons. Gestes impérieux et déluge sonore. Ronde des guitares qui changent de place, marche des ombres, le temps de recevoir la commotion en pleine figure que Danny nous prédit Our Destiny qui se s'annonce que sous les pires auspices du bruit et de la fureur, faut le voir saisir son micro à deux mains, ponctuer d'un bras impérieux les segments monstrueux de la prophétie, tandis qu'aux guitares, Alexis Marquet et Christopher Maigret sabotent les règles de la sainte harmonie de leur kaotiques giclées cordiques, Clément Bogaert reste perdu dans la transe enivrée d'une danse barbare inachevable. La musique gronde et emplit l'univers pour fêter le réveil d'Apophis le maudit. La musique de Nakht prolifère comme l'infinie reproduction protozoairique de brontosaures géants qui accoupleraient leurs fétides corpulences en des noces de tonnerre et de foudre, sans cesser de piétiner les géantes forêts ante-préhistoriales... La scène est déchirée d'éclairs de lumières blanches plus pâles que des aubes blafardes de fin du monde sur choral de requiems noirs engoncés dans une pachydermique rythmique, une espèce d'halètements syncopés dont on ne perçoit que les brisures mais pas le souffle nauséabond qui pourtant pulvérise les rochers. Béance mortifère, symbolisée par le falzar noir de Danny aux deux jambes soigneusement lacérées d'une large entaille dont on voit s'ouvrir et se refermer les lèvres mouvantes, jumelles bouches muettes d'une pythie delphique qui révèlerait par ce bâillement de batracien inaudible les ultimes malédictions de la future désintégration de la race humaine. Grouillements d'égosillements, martelages titanesques, points d'ogres en ouverture de précipitations nocturnes, Nakht bouscule les montagnes et patauge dans les failles océaniques. Les cités flambent sous les pas des conquérants et la musique brûle, Nakht est un dragon engendré par nos phantasmes les plus masochistes qui n'ayant plus rien à dire finit par s'incendier lui-même pour ne pas être victime de la froideur impie du silence qui corrompt et gangrène l'univers.

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    ( Photos : FB : Antoine Sarda )

    Grondements antédiluviens pour conjurer nos faiblesses. Nakht dépose la rosée mortifère de sa musique comme un feu atomique, il est la nacre préservatrice qui se forme à la surface des roches et le chancre purpural de nos âmes. Cette ambroisie mortelle détient le secret de l'immortalité. C'est pour cela que nous l'écoutons. Epoustouflant.

    RETOUR


    Après une telle soirée il est difficile de rejoindre le monde vide de nos contemporains. Trois groupes réunis en une seule unité tonale. Toutefois distincts et dissemblables. Nakht a méchamment réussi sa Realease Party. Nakht a rouvert nos chakras encrassés. Evidemment si vous n'aimez pas, vous pouvez vous inscrire à un centre de méditation zen. Ce serait même préférable pour vos fragilités. Ce qui vous tue ne vous rend pas plus fort.


    Damie Chad.

    CHAKRA / NAKHT

    INTRO / WALKING SHADES / THE MESSENGERS / HALL OF DESIRE / LXXVII / MIND'S JAIL /

    DANNY LOUZON : vocal / DAMIEN HOMET : drums / Clément BOGAERT : bass / ALEXIS MARQUES : guitar / CHRISTOPHER MAIGRET : guitar.

    On avait beaucoup aimé la brutalité d'Artefact le premier EP de Nakht, autant dire que l'on attendait le deuxième avec intérêt.

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    Intro : grondements annonciateurs de fureur, chants védiques venus d'ailleurs, des gouttes d'eau lourde clapotent, des serpents venimeux rampent dans les canalisations. Frottent leur ventres écailleux sur le plomb saturnien. Arrosages dulcimériques et cymbales qui s'affaissent. Walking Shades : sons sursaturés, instrumentaux phrasés cithariques, la voix de Danny qui s'amplifie et domine le tout, une radio mal réglée qui diffuse des guitares d'orage et la batterie qui compresse les tympans des temples détruits. The Messengers : générique musical, guitares grondantes presque sixties entremêlées de mélopées orientalisantes, oasis d'optimisme vite balayée par le vent froid et mordant des nappées nakhtiques, et le grondement rhinocérique de Danny qui bouscule les palmiers du désir, grandiloquences orchestratives et Danny qui hache le persil des illusions d'un timbre implacable. Les Messengers ne semblent pas apporter de bonnes nouvelles, malgré la danse des guitares à laquelle se mêlent les soubassements saccadés d'une batterie embrochée. Lyrisme concassé. Très fort. Parviennent à rendre le rut de l'inaudible audible. Apophys : poussée de batterie. Corruption de guitares et montée in abrupto de tout l'ensemble, des cordes qui sonnent comme les trompettes du jugement dernier, Danny semble en bégayer comme s'il avait trop de sons à déglutir, Nakht écrase tout. Le serpent Apophys gît désormais dans votre hypophyse. Hall of Desire : des notes de piano trop fortes pour être vraies, reviendront de temps en temps comme des ponctuations ensoleillées pour mieux approfondir le noir de la nuit définitive, les guitares barrissent, la batterie se trémousse en une indécente orgie sonore, et Danny rajoute du gros sel sur les blessures comme l'on passe un rouleau compresseur sur des cadavres putréfiés. Délirium trémens instrumental final. LXXVII : le vent se lève sur les sables du désert et balaie les bribes de votre entendement. Ritournelle du pire annoncé. Mind's Jail : trop tard, vous n'échapperez au courroux des Dieux qui s'offrent une fricassée de cervelles humaines pendant que Cléopâtre essaie de charmer les aspics de la mort afin que leur venin soit encore plus efficace. Elle y réussit parfaitement. Nakht vous assassine à coups de marteaux. Dites merci. Vous n'en avez jamais espéré autant.

    Nakht a réussi l'impossible : se métamorphoser sans se trahir. Changer pour accentuer son idiosyncrasie primale. Continuer sur sa lancée sans se répéter. Se renouveler sans se trahir. Être encore plus violent. Plus insidieux. Le scorpion maléfique à deux dards. Le cobra à deux têtes qui rampe sur le dos. L'horreur cent noms.
    Une démarche qui n'est pas sans rappeler celle du Zeppelin qui cherchait du nouveau dans les sonorités de l'Orient, mais ici il s'agit d'une autre filiation, d'une autre djentry, davantage métallique. Se tiennent du côté obscur de la force. Foudroyant.


    Damie Chad.

    MIND'S JAIL / NAKHT
    ( vidéoclip réalisé par : )

    ALEK GARBOWSKI / YANN GUENOT
    PICTURES & NOISED ABROAD PRODUCTION

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    Figure imposée, combo métal dans un studio, filmez et servez brûlant. Des vidéos de cet acabit l'en existe des milliers, la difficulté consiste à sortir du lot. Sûr qu'il vaut mieux partir avec un groupe et un morceau qui percutent les oreilles, mais une fois ce premier obstacle franchi, faut mettre en scène, intuiter la chorégraphie, et diriger la valse des séquences. En plus, il y a une petite clause, non écrite, en bas du cahier des charges que chaque réalisateur porte en sa tête, éviter à tout prix le piège de l'illustration musicale, fuir comme la peste les images redondantes, la paraphrase cinématographique qui ne sera qu'une redite sans intérêt. Construire un scénario graphique, qui apporte un sens, qui donne davantage de force et d'expressivité à la musique, tel est le but.
    Plongée dans le sombre bleutée d'une nuit spectrale. D'incertaines silhouettes se dessinent dans le vide. Que votre oeil soit aussi rapide que la flèche qui court vers la cible dans les éclats d'un soleil noir. Travelling sur Danny, pose de taureau, corps courbé vers le sol, vous vomit littéralement le chant dessus, entrecoupé des images virevoltantes de la chevelure blonde que Clément agite en tous sens comme s'il exhibait à la terre entière son propre scalp. Des fragments de guitaristes tournoient dans les images. A chaque fois plan serré, corps à corps des représentations avec leurs propres négations, ne jamais montrer l'intégralité d'une attitude, seulement en exposer des nano-secondes de tronçons iconiques, apparition-disparition, la caméra ne se fixe pas, elle enregistre des pièces d'un puzzle qui vous sont présentés une à une mais en un tel écartèlement d'espaces temporels si brefs qu'il vous est impossible d'en reconstituer une image mentale satisfaisante, happé que vous êtes par ce morcellement incessant. La batterie fracassée, pourtant dominée par le grondement de la voix de Danny, un grognement de bête empêtrée dans un combat mortel. Nous conte en d'affreux borborygmes les images cachées dans les tanières de l'inconscient humain. Visions d'horreurs sans nom et de désirs sans frein libérés de leurs gouffres qui remontent comme du fond des mers intérieures, de grosses bulles de suint qui éclatent à la surface et nous éclaboussent de leurs viscosités gluantes. Avec cette apparition d'une silhouette féminine qui s'en vient au travers des champs d'angoisse de la folie. Crispation de flashs fugitifs. Rencontre finale. La parole se fait chair et se retrouve en face de son cauchemar. Rêve et ramdam reconstitués. Androgynie du son et de l'image.
    Magnifique. Original. Figure imposée renouvelée. Réussite totale due à Alek Garbowski et Yann Guenot.

    Damie Chad.


    BOLLING STORY


    CLAUDE BOLLING 
    + JEAN-PIERRE DAUBRESSE

    Ce n'est pas que j'apprécie Claude Bolling, et j'avoue même que je me suis pas mal ennuyé durant au moins les trois-quarts du bouquin que je ne vous conseille pas de lire. A moins que vous ne soyez comme moi, turlupiné par une insidieuse question. Et je dois avouer que je n'ai pas trouvé la réponse dans ces trois-cents vingt pages – réjouissons-nous, près de soixante sont dévolues à la discographie de notre impétrant – et que je n'en suis pas plus avancé... Mais peut-être vaut-il mieux commencer par les faits eux-mêmes. D'autant plus que ceux-ci sont nombreux. Bolling se raconte, dans un ordre à peu près chronologique, l'on sent que le rôle de Jean-Pierre Daubresse a dû se réduire à celui de poseur de questions et vraisemblablement de transcripteur d'entretiens oraux. Un genre d'exercice peu propice à la réflexion, qui privilégie les dates, les anecdotes et les circonstances et qui se refuse à toute introspection historiale.

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    Bolling est né en 1930, suis surpris par le fait que ce patronyme n'est en rien un pseudonyme, son père était un véritable américain dont sa mère divorça relativement vite. Pas un drame. Nous sommes en milieu aisé et Claude aura droit à une enfance choyée et protégée. Entre Paris et la Côte d'Azur. Dessin et aquarelle seront ses premiers hobbies mais il se met comme les jeunes filles de bonne famille au piano, dans lequel il se révèle très vite assez doué. Evoluera de piano en piano, de professeur en professeur, apprendra à déchiffrer, à lire et à écrire la musique. L'on est chez des gens sérieux, pas question de se contenter d'une éducation à l'oreille, travaillera ses partitions de Debussy comme tout élève bien élevé qui se respecte. N'empêche qu'il n'est pas sourd, et qu'il laisse entrer dans ses pavillons largement ouverts les bruits musicaux qui traînent aux terrasses des cafés et à la radio. Le jazz est là, s'insinue en lui en contre-bande et finira par être élu roi... Il a tout juste douze ans lorsque son oncle lui refile un disque de Fats Waller. Illumination ! Il existe donc une autre manière de jouer du piano que l'académique !
    C'est ici que les questions me poussent dans le cerveau comme des bubons dans le pli de l'aine des pestiférés. Voici une génération favorisée des dieux. Ce n'est pas la première qui arrive dans le monde du jazz. Il existe déjà dans notre pays un milieu jazz non négligeable, l'a débarqué chez nous dans les fourgons de l'armée américaine en 1917, le Hot Club de France naît en 1932 et bientôt apparaît Django Reinhardt un musicien exceptionnel de classe internationale, un deuxième étage de la fusée américaine sera mis à feu avec la libération de Paris en 1944, le jazz est étiqueté musique de la liberté retrouvée...
    Mais ce n'est pas tout. Se produit un miracle auquel le rock'n'roll national n'a pas eu droit. Les musiciens noirs débarquent à Paris. Des mythes vivants, l'occasion de les voir, de les entendre, de les écouter. Mieux, de les approcher, de discuter avec eux, de jouer avec eux... et beaucoup plus si affinités qui s'établissent rapidement. Faut lire le récit de la rencontre avec Earl Hines au cours de laquelle le pianiste lui apprend tous ses trucs et la manière d'étirer ses doigts sur l'empan du clavier alors que l'on possède de petites mains. Mais il y aura plus, Bolling entretiendra une véritable amitié avec Duke Ellington in person et même Louis Armstrong. Le Duke l'invite sur scène à ses côtés et se sert de son savoir musical pour la transcription de nouveaux arrangements. Dans le même ordre d'idée l'on pensera à Sidney Bechet s'adjoignant l'orchestre de Claude Luter...
    Certes l'on me rétorquera que faute de grives l'on se contente de merles ( en l'occurrence ici blancs )... Ou alors on insistera sur le ravissement de ces musiciens noirs considérés et fêtés en France comme des génies, une attitude qui devait les changer des continuelles rebuffades subies en leur pays. Là n'est pas mon propos. Lorsque l'on regarde la suite de la carrière de Claude Bolling, l'on reste surpris. On s'imagine que boosté par une telle reconnaissance de figures mythiques du jazz, notre héros allait se propulser en une démarche musicale de haut niveau. Or il n'en fut rien. Ses activités se déployèrent selon deux directions, rémunératrice pour la première et fort honorifiquement agréable pour la deuxième. Bolling écrivit près de quatre-vingt musiques de film, de quoi faire bouillir la marmite, l'est particulièrement fier de Borsalino, cela se peut comprendre. Mais il possède aussi son grand orchestre. L'occasion de donner de multiples concerts en France et dans le monde entier. Et Bolling tout en portant l'accent sur ses talents de compositeur et d'arrangeur de haut-niveau, de son éclectisme qui court de la musique classique à la variétoche la plus franchouillarde, en passant par le jazz le plus pur, tire sur la grosse ficelle du respect que l'on se doit de porter à la musique populaire... Sa contribution jazzistique se réduit à des adaptations grand-public des grandes figures tutélaires du jazz, quand il les aura toutes passées en revue il s'attaquera aux sous-genres ragtime, boogie-woogie, blues...
    Une clef peut-être pour comprendre un tel cheminement. Se livre davantage dans les quinze dernières pages, d'abord sa passion pour le modélisme ferroviaire, et nous sert enfin sa vision du jazz. N'est guère éloigné de la rétrograde position d'Hugues Panassié resté bloqué et crispé en une attitude des plus puristes sur le New Orleans, Bolling regrette que cette musique de danse se soit fourvoyée à partir de la naissance du Bebop dans l'intellectualisme... Le livre s'arrête brutalement sur l'évocation de sa prescience écologique... Très symptomatique de ces gens qui courent après l'histoire et qui restent enfermés dans le bon temps de leur jeunesse. Par contre son témoignage sur le recul de la musique vivante nous agrée, il évoque avec regret cette lointaine époque où la duplication sonore était interdite en tous lieux publics, sur les plateaux radio et à la télévision, cette loi que l'on pourrait juger de draconienne avait pour corollaire la multiplication des formations de tous genres...
    Le livre est entrecoupé de témoignages de divers compagnons de route de Claude Bolling comme Jean-Christophe Averty ou Jacques Deray, la plupart d'entre eux sonnent un peu nostalgeo-ringards, difficile d'avoir été et de n'être plus, le temps dévore tout, l'oubli triomphe des gloires passées, l'acrimonie de la célébrité enfuie ronge les caractères...
    Enfin les rockers seront heureux de savoir que Claude Bolling évite soigneusement de prononcer le mot rock'n'roll, ne le lâche que par trois fois du bout des lèvres, parce que les situations rapportées l'obligent, mais l'on sent le mépris sous-jacent sous l'ignorance affectée.


    Damie Chad.