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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 113

  • CHRONIQUES DE POURPRE 241 : KR'TNT ! 361 : FAST EDDIE CLARKE / EDDIE AND THE HEAD-STARTS / TOM ROISIN / MICHEL EMBARECK / BOB DYLAN / JOHNNY CASH /DANIEL GIRAUD

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 361

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    15 / 02 / 2018

     

    FAST EDDIE CLARKE

    EDDIE AND THE HEAD-STARTS / TOM ROISIN

    MICHEL EMBARECK / BOB DYLAN / JOHNNY CASH

    DANIEL GIRAUD

     

    Fast Eddie fastes

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    En février 1976, Lemmy décida qu’il y aurait en plus de Larry Wallis un second guitariste dans Motörhead. Alors, Philthy lui présenta l’un de ses potes, Eddie Clarke. Eddie et lui travaillaient ensemble à la rénovation d’une vieille péniche. Une date fut prévue pour l’audition d’Eddie. Il devait juste épauler Larry. Mais Larry prit mal le fait de devoir jouer avec un autre guitariste et il quitta le groupe pour rejoindre les Pink Fairies. Eddie se retrouva dans un trio. Le départ de Larry scia Lemmy qui grommela : «Grumble... Grumble... Le plus drôle de l’histoire, autant que je me souvienne, c’est que c’était l’idée de Larry d’embaucher un second guitariste.»

    Le nouveau trio fonctionnait à merveille. Même s’il s’appelait Fast Eddie, Eddie était le mec tranquille du trio. Il avait de chaque côté de lui deux personnalités agitées, Lemmy et Philthy. S’il avait été aussi incontrôlable que les deux autres, le trio n’aurait certainement pas fait long feu. Par chance, Eddie Clarke connaissait bien la vie de groupe. Il avait commencé à 15 ans. Il fut le guitariste de Zeus, un groupe qui accompagnait l’Américain Curtis Knight. Il avait même composé pour lui, comme on le constate en inspectant la pochette de The Second Coming.

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    Paru en 1974, The Second Coming est un album pour le moins surprenant. Curtis Knight et Zeus ouvrent le bal avec «Zeus» et filent ventre à terre dans la bonne jachère des seventies. Fast Eddie part aussitôt en solo, mais il ne joue pas n’importe quoi, uniquement des solos inflammatoires. Il déblaye tout ! Quelle énergie ! Les petits blancs en marcels qui accompagnent ce diable de Curtis Knight jouent à l’hendrixienne et multiplient les retours de manivelle. La grande force de Curtis Knight a toujours été le son. La fréquentation de Jimi Hendrix a laissé des traces. Avec «Mysterious Lady», Curtis et Zeus passent au heavy garage absolutiste. Par contre, «Road Song» se joue au boogie-rock speed et au solo démonstratif. Ce démon de Curtis Knight fait presque du glam black. Avec «People Places And Things», il n’en finit plus de piétiner les plate-bandes du rock blanc. Il sort son meilleur seventies sound avec «Cloud», groové à la vie à la mort par le déjà immense Fast Eddie. Eh oui, Curtis Knight ne voulait que les meilleurs, alors après Jimi Hendrix, ça ne pouvait être que Fast Eddie. Nouveau festival avec «End Of A Child». Eddie fait pleuvoir de véritables déluges, il allume tout au ciboulot des ciboulettes, il fait la pluie et le beau temps. Encore un joli slab de heavy rock avec «The Confesssion». Pour Fast Eddie, cet album est un champ d’expérimentation. Il fait exactement ce qu’il a envie de faire. On tombe une fois de plus sur un loup : c’est l’album de Fast Eddie Clarke, pas de doute. Le pauvre Curtis Knight sert de caution à tous ces héros que sont Jimi et Eddie. Eddie rôde encore dans le rainbow rock d’«Oh Rainbow» et il donne le coup de grâce avec «The Devil Made Me Do It», un fantastique groove knightien, heavy et funky en diable. Curtis Knight chante ça à l’arrache des clubs miteux. Il y va de bon cœur et Fast Eddie rentre là-dedans comme dans du beurre, alors ça gicle dans tous les coins. Quelle énergie !

    Eddie quitta Zeus pour former Continuous Performance avec Charlie Tumahai, le bassiste de Be-Bop Deluxe, puis Blue Goose. Ces groupes ne durèrent que le temps de premiers albums qui sombrèrent dans l’oubli aussitôt après leur parution. Alors Eddie arrêta de jouer. D’où son job de restaurateur de péniches.

    Eddie Clarke pense que le succès de Motörhead reposait sur la façon dont lui et Lemmy se comprenaient : «Quand j’étais jeune, j’ai vu les Yardbirds, John Mayall, Cream et Jimi Hendrix. Ce sont des groupes qui frappent l’imagination. Je pense que c’est rentré pour une bonne part dans l’alchimie de Motörhead. Lemmy et moi on aimait la même musique, et ça a compté énormément dans le succès du groupe.» Et comme Eddie devait jouer de la rythmique, il ne s’attendait pas à monter aussi vite en grade : «Quand on s’est retrouvés à trois, le son de Lemmy a tout changé. Il jouait sur un ampli Marshall et une Rickenbacker, il foutait les aigus à fond, il coupait les basses, alors tu peux imaginer le son ! C’était plus une guitare rythmique qu’une basse !» Comme Lemmy montait un mur du son avec sa basse, Eddie Clarke avait une latitude considérable pour jouer à la fois en solo et en rythmique, mais c’était tellement nouveau qu’il devait tout reconsidérer. «Quand j’ai commencé à jouer dans Motörhead, j’ai dû me débarrasser de tout ce que je savais. Je devais complètement réapprendre à jouer de la guitare. C’était la même chose pour Phil. Motörhead, c’était comme trois îles à l’intérieur du groupe. Au début, on avait un mal fou à jouer ensemble, à se caler. C’était comme jouer dans un groupe sans basse, alors quand je partais en solo, je me calais sur la grosse caisse, tu vois ce que je veux dire ?»

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    C’est parti ! Motörhead sort sur Chiswick en 1977. Lemmy doit une fière chandelle à Ted Carroll et à Marc Zermati. Le morceau titre ouvre le bal des vampires. C’est du pur jus d’Hawkwind, bien emmené au pumping et Fast Eddie place un solo d’antho à Toto. C’est là, avec ce cut qu’ils fondent le mythe. Mick Farren co-écrit «Lost Johnny» avec Lemmy, un cut solide comme l’enfer et riffé par cette brute infecte de Fast Eddie. On sent au fil des morceaux qu’il déploie des ailes de grand guitariste. En B, il plante un décor de grosse cocote pour un «Keepers On The Road» signé Mick Farren.

    Fast Eddie se marre : «Au départ, c’était juste une question d’attitude. Si t’aimes pas Motörhead, dégage ! On a eu pas mal d’ennuis avec les gens du business. On leur foutait les foies. Ces cons crevaient de trouille. Mais les fans appréciaient notre droiture et se fiaient à notre attitude. On était exactement comme eux. Sans nos fans, on serait allés nulle part. Pour tous les Anglais, les années soixante-dix ont été une sale période. Tous les groupes s’étaient barrés aux États-Unis. En Angleterre, il ne restait plus que les groupes punk et Motörhead. Partout dans le pays, les kids étaient contents d’avoir un groupe auquel ils pouvaient se fier. Heureusement, on s’entendait bien tous les trois.Les problèmes venaient surtout de l’extérieur, mais on tenait bon. Les planètes devaient nous être favorables et on a fini par avoir un peu de chance. Mais c’est toi qui te fabriques ta chance. On se l’est fabriquée en restant groupés tous les trois et en bouffant de la vache maigre. Et tu peux me croire, on en a bouffé.»

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    Et pouf, Bomber tombe du ciel. Voilà certainement l’un des meilleurs albums studio de Motörhead, en tous les cas, il incarne bien l’âge d’or du groupe car on y entend Fast Eddie faire pas mal de ravages. À commencer par «Stone Dead Forever» qui démarre comme le «Love Song» des Damned. Fantastique prestation ! Rien qu’avec ça, Fast Eddie restera l’un des plus grands guitaristes de rock anglais. Les cuts qui font la force de cet album sont les prodigieux heavy-blues de type «Lawman». Difficile de faire mieux dans le genre. «Sweet Revenge» est encore plus heavy, comme si cela était encore possible. Dans Motörhad, on retrouve tout ce qu’on aime : le cacochyme, les grosses guitares de Fast Eddie, la foi et le pâté de foie, le jusqu’au-boutisme des tournées, la pure incarnation du rock’n’roll, la provocation nazillarde, le fun trash, les pipes à la chaîne, le m’as-tu-vu des rues - street tough - et l’héroïsme des briques rouges. C’est magnifique. On peut écouter les vingt-deux albums studio de Motörhead sans jamais s’ennuyer une seule seconde. Incroyable mais vrai ! Retour au blues-rock des enfers avec «Step Down». On y retrouve Fast Eddie le génie, le roi du festival, l’heavy Eddie God sans personne au-dessus. Eddie prend le cut au chant et fait wooow ! C’est à se prosterner, tellement il en impose. Et bien sûr le morceau titre vaut tout l’or du monde, car on a là du punk pur digne des Damned et du MC5, monté sur un fabuleux riff d’Eddie. On pourrait même parler d’une forme de génie apocalyptique. Le riffage de Fast Eddie fonctionne comme le velours de l’estomac, c’est une bénédiction. Sans Fast Eddie, Motörhead ne pouvait pas décoller. En tous les cas, ça ne fonctionnait pas avec Larry Wallis.

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    La même année sort Overkill. Le groupe a trouvé son son. Ils attaquent avec le sur-puissant morceau titre, idéal et extrême à la fois, digne du MC5, doté de la même énergie, tendu à se rompre, puissant et noble. Voilà ce qu’il faut bien appeler du rock de cartouchière. C’est chanté à la limite de l’épuisement. Fast Eddie joue comme un héros. Il sort des riffs soniqués du ciboulot et les pousse à l’extrême olympien. Ils sont dans l’orgie et restent imbattables à la course. Ils sont chromés et impérieux. Ils se payent le luxe de deux faux départs. Hallucinant ! C’est sur cet album que se niche l’immense «Capricorn», une pièce de trash rock d’épouvante, saturée d’humidité. On écrit ça un peu à la manière d’Henri Michaux, fasciné par les effets, affamé d’incongruité, perdu dans les limbes des équinoxes. Ce fringuant power-trio nous sort là un véritable fumet d’outre-tombe, et c’est à tomber. Lemmy mâche sa morve et il crache des horreurs. «No Class» est aussi monté sur un riff du MC5. Fast Eddie joue le rock de Detroit. Lemmy hurle comme le petit dernier de la famille des damnés de la terre. Ses verrues tremblent. La sueur ruisselle dans son sillon velu. Et Fast Eddie arrose tout au napalm. S’ensuit l’heavy romp de «Damage Case», un vrai stomp poivré au pilonnage intensif. C’est à la fois fabuleux, pointu et pompé. Ils ont vraiment de la puissance à revendre. Aucune chance de s’endormir en écoutant ça. Retour au big heavy sound des enfers avec «Metropolis». Voilà encore un monument de heavyness, suivi d’un autre classique hirsute, «Limb From Limb» ou Fast Eddie joue une fois de plus comme un dieu radieux.

    Eddie est intarissable : «À cette époque, on jouait très fort parce que c’était la classe.Mais ce n’est pas douloureux, ça te donne juste un coup dans la poitrine. Un soir, au Marquee, on avait joué vraiment très très fort. Je suis rentré chez moi et j’ai mis Blow By Blow de Jeff Beck sur la platine. Je n’entendais pas la guitare. J’entendais uniquement la basse et la batterie, et pas les aigus !»

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    Ace Of Spades paraît en 1980. Ils attaquent avec un morceau échevelé, monté sur un riff d’Eddie le pyromane. Lemmy en profite pour avancer son meilleur guttural. Mais c’est Eddie qui fait le show, une fois de plus. Il est partout. Absolument partout. On admire ce qu’il fait dans «Love Me Like A Reptile». Il nous barde ça de riffs de toutes les couleurs, de petits retours retors, de tortillettes infectueuses. Il n’a que deux bras et pourtant il joue comme dix. Il fait aussi des siennes dans cette fabuleuse tranche de heavy blues qu’est «Shoot You In The Back». lls finissent l’A avec un fantastique hommage à Vulcain, le dieu des enclumes : «(We Are) The Road Crew». C’est stompé à la vie à la mort. De l’autre côté, nos trois amis développent la puissance d’une division de Panzers avec «Fire Fire». Motörhead invente là le son de l’avance inexorable, du mur de flammes, de l’enfoncement de la ligne Maginot et Eddie danse dans les flammes, il claque ses riffs fatals - Big black smoke/ Ain’t no joke ! - Autre merveille de heavyness, «The Chase Is Better Than The Catch». Ils stompent comme des brutes et ils bouclent avec «The Hammer» qui sonne comme «Ace Of Spades». Lemmy dérape dans le gras de sa voix chargée et relance des dynamiques épouvantables.

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    N’ayons pas peur des mots : No Sleep Till Hammersmith est probablement l’un des plus grands albums live de l’histoire du rock. Dès «Ace Of Spades», c’est l’enfer sur la terre. Littéralement. On entend arriver la cavalerie de la mort barbare, avec Fast Eddie en tête. Dire qu’on adore Motörhead n’a rien d’exagéré. Ces gens-là ont une simili-dimension divine, ne serait-ce que par l’insolence de leur puissance magnanime. Sur cet album, tout est spectaculairement bon. «Metropolis» est heavy à souhait. Même chose pour «The Hammer», monté sur un beat enfonceur de portes ouvertes. Lemmy s’y arrache la glotte au sang. Quelle dégelée, ça claque et ça fouette, ça pète et ça pisse en montant chez Kate, ça dégage et ça dégueule, ça pétarade et ça bombaste, ça tout ce qu’on veut. Ça casse la baraque, ça fout le feu aux poudres et ça défonce des mâchoires. Ça ne recule devant rien, ça déblaie les barricades et ça débouche les chiottes. Ça écroule les immeubles et ça tue les cloportes. Même chose avec «Iron Horse», une chanson en hommage aux Hell’s Angels - It’s called iron horse/ Born to lose - Puis on retrouve le fameux «No Class» et son riff du MC5. Cavalcade effrénée. On tombe avec grand-mère dans les orties. C’est hallucinant de véracité ergonomique. Et pouf, ils enchaînent avec «Overkill», qui est une véritable abomination. Rien au-dessus de ça. Rien. Voilà le cut intense, carbonisé et tendu à mort par excellence. Insurpassable. Aucun power-trio ne peut rivaliser avec Motörhead. Ils sont foncièrement déstructurants. Ils cognent les neurones comme des boules de billard. Ils tournent à l’énergie rock ultime. Toi la limace, ne viens pas baver sur Motörhead. On trouve à la suite d’autres monstruosités du type «(We Are) The Road Crew», un cut hanté par les hurlements de Lautréamont, version dévastatrice et belle tranche de génie britannique. Ils enchaînent avec «Capricorn» et voilà «Bomber», gros tas d’accords brûlés, ultime et désarçonnant, une chose qui file à toute blinde et qui rougit comme la braise sur laquelle on souffle.

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    Iron Fist se présente comme un album sans surprise, rempli de grosses cavalcades, de guttural et de coups de suspensif signés Fast Eddie. Avec «Heart Of Stone», on a un pur blast de fournaise - Leave me alone/ Get off the phone/ I’ve got a heart of stone - Lemmy dédie «Go To Hell» à ceux qui le dénigrent et il en rajoute avec «Loser» - I’m a loser/ That’s what they said - Lemmy adore régler ses comptes avec les cons - Now I got their women in my bed - On a là un classique du rock anglais. De l’autre côté, il évoque ses souvenirs du Canada et de cristal meth dans «America» - Lemmy et Mick Farren ont ça en commun : ils se sont fait virer de leurs groupes respectifs, Hawkwind et les Deviants, à la frontière du Canada - Et Fast Eddie continue d’enluminer les morceaux de lueurs incendiaires, comme c’est le cas dans «Shut It Down».

    La relation entre Lemmy et Fast Eddie avait commencé à se détériorer. Eddie ne supportait plus les frasques d’un Lemmy qui s’évanouissait sur scène. Eddie : «Il est resté éveillé pendant trois jours et trois nuits en buvant de la vodka. Les groupies l’ont sucé toute la journée. Et puis on est monté sur scène. Il y avait 12.000 gosses entassés là-dedans pour nous voir. Toute la journée, des mecs m’ont proposé des lignes de coke et tout un tas de trucs et je n’ai bu qu’une putain de Heineken, parce que je voulais garder la tête froide. On jouait depuis quarante-cinq minutes, et paf, Lemmy s’est évanoui. Phil et moi on était furieux. On a gueulé et il nous a dit : ‘Ça n’a rien à voir avec le fait que je suis debout depuis trois jours et trois nuits !’ Il nous prenait vraiment pour des cons : pas dormir pendant 72 heures et se faire tailler des pipes à longueur de journée, ça n’a rien à voir avec l’évanouissement, bien sûr que non !»

    Le coup de grâce survint lorsque Lemmy accepta d’enregistrer «Stand By Your Man» de de Tammy Wynette avec Wendy Williams & the Plasmatics. Tout le monde se souvient que la pauvre Wendy avait des beaux nibards, mais elle chantait comme une casserole. Lemmy demanda à Eddie Clarke de jouer sur le single. Il refusa et quitta le groupe. Lemmy : «C’était juste pour rigoler, mais ça s’est transformé en galère à cause d’Eddie... Eddie et ses problèmes... C’est impossible d’être bien avec tout le monde. De toute façon, les choses devenaient compliquées. Il y avait toujours quelque chose qui n’allait pas. Ce n’était pas uniquement ce single. Eddie n’est pas un mec joyeux et ça devait mal finir. On pensait qu’il allait jouer sur le single, puis tout à coup, il a voulu le produire et il s’est barré. C’était bizarre. Il aurait pu partir à un moment plus favorable, avant ou après la tournée. On avait fait les deux premiers concerts de cette tournée, et il se barre. C’est dur, hein ?» Il ajoute : «Tous les trois mois, Eddie quittait le groupe. Ça a duré tout le temps qu’il était dans le groupe. Il menaçait tout le temps de se barrer et cette fois, Phil et moi on lui a dit : ‘Dégage connard, on ne te parle plus !’ Et il est parti.» Comme dans toute séparation, on a des sons de cloches différents. Voici celui de Philthy : «On savait tous que ‘Stand By Your Man’ était un single pour la rigolade.On avait enregistré les parties instrumentales, et dès que Wendy a commencé à chanter, Eddie s’est levé et a dit : ‘Je sors pour aller manger un morceau !’ Et il n’est jamais revenu. Il a dit : ‘Si ce putain de single sort, je ne veux pas que mon nom y soit associé !’» Eh oui, Fast Eddie avait bien raison de ne pas vouloir être associé à cette fumisterie.

    Vingt ans plus tard, Eddie revenait sur la cause de son départ : «Je suis parti pour sauver ma peau. Lemmy est un putain de surhomme, franchement. Il n’arrête jamais de travailler, sauf quand il s’écroule et doit récupérer. Il atteint la cinquantaine, à présent, et il ne s’est jamais arrêté. Moi, je suis cuit, et j’ai fait un break ! Lemmy a toujours continué au même rythme. Chaque fois que je le vois, j’éprouve un certain bonheur à le voir en bonne santé.»

    Lorsqu’il monte Fastway, Eddie constate qu’avec Motörhead, il a régressé en tant que musicien : «Quand j’ai commencé à répéter avec Pete Way, le bassiste d’UFO, je me suis dit : ‘Putain, ma guitare sonne vraiment bien !’ C’est parce qu’il y avait une basse derrière. En jouant avec lui, j’ai compris que le son dépendait des autres. Si tu joues avec un beau son de basse, tu peux jouer plus léger sur ta guitare. Avec le son de Motörhead, tu ne peux pas te détendre. Tu restes en alerte et tu fonces. Je pense que les drogues entraient en ligne de compte, mais je ne suis pas sûr. Je ne veux pas entrer dans un délire philosophique.Il faut voir dans quel état on était à l’époque !»

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    Fastway paraît en 1983, soit un an après Iron Fist. Pete Way n’est pas resté dans le groupe. Topper Headon devait y battre le bon beurre, mais c’est l’ex-Humble Pie Jerry Shirley qui récupère le job. Avec son nouveau groupe, Fast Eddie change complètement de son : Dave King, le chanteur qu’il a embauché, sonne exactement comme Robert Plant. On ne trouve pas vraiment de hits sur ce premier album de Fastway. Fast Eddie joue la carte du son pulpeux et le groupe flirte avec le glam dans «Easy Livin’» puis revient au boogie-blues avec «Feel Me Touch Me». Mais avec «All I Need Is Your Love», tout devient clair : c’est du pur Led Zep. Fast Eddie joue la carte du rock anglais, mais de façon admirable et volontaire. «All I Need Is Your Love» pourrait très bien figurer sur le mighty Led Zep 1. Ils restent dans ce son avec «Another Day». Eddie rôde bien dans les parages, pas de demi-mesure, need somebody, Dave King chante ça avec une parfaite abnégation, il fait l’apprenti Plant bien intentionné. Ces gens-là savent vraiment se déterminer et Fast Eddie multiplie les incursions intestines, alors tout va bien, il lutte dans le gras du glas qui sonne pour qui sonne le glas, il titille ses petites notes féroces qui s’en vont se perdre dans la nuit comme des feux follets. «Heft» s’inscrit dans la meilleure tradition du heavy rock blues anglais, Dave King est dessus. Fast Eddie savait très bien ce qu’il faisait en l’embauchant. Et il ne rate pas une seule occasion d’aller briller au firmament des guitar slingers, il joue tout ce qu’il peut dans «Say What You Will». Il adore partir en vrille. Il assure la victoire avec «You Got Me Runnin’», il multiplie les vrilles judicieuses, il soigne ses intestines et redore le blason du cursif exacerbé. Fabuleux bretteur.

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    L’année suivante paraît All Fired Up. On y trouve deux très belles énormités : «Misunderstood» et «Station». Fast Eddie attaque le premier au riff tordu et Planty King fonce dans le tas. Ah il faut entendre ce guitariste génial placer ses riffs alarmistes et ses dégringolades de gammes. Quand il part en solo flash, c’est superbe. Il semble arroser toute la planète. Back to the heavy sludge avec «Station». Admirable car gratté aux millions de notes fast-eddiques fatidiques. Il en rajoute encore à chaque tour. Il part en solo comme dans un rêve et joue même tout le cut au long. Nouveau festival avec «Hurtin’ Me», idéal pour un géant du heavy blues comme Eddie. Il le joue même au suspensif. Dave King continue de faire son Plant et il est plutôt bon à ce petit jeu. Eddie joue le heavy blues en filigrane dans «Tell Me» et passe au heavy glam avec «Hung Up On Love». On est dans le meilleur du rock anglais des seventies, ils mélangent Led Zep et les Stones. On sent bien que ces quatre mecs en veulent. Sur cet album, tout est joué au maximum overdrive de Fast Eddie. Il amène une énergie spéciale et travaille tous ses cuts en sape. Il réserve ses meilleurs heavy chords pour «Telephone». Planty King se positionne face au vent, et ça part en mode heavy blues à la Free, mais attention, Eddie rôde comme un vautour dans les parages. C’est un sacré vénéneux.

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    Avec Waiting For The Roar, les choses commencent à se gâter. Fast Eddie et ses amis vont sur une sorte de hard-rock symphonique à la vieille mormoille purulente, ce hard dégénéré et atrocement commercial qui fit tant de dégâts dans les années quatre-vingt. Dave King chante de plus en plus mal. Il a perdu le plan du Plant. En entendant ça, Lemmy devait bien rigoler. Au moins, Motörhead n’est jamais tombé dans ce panneau. Fastway fait une cover du «Move Over» de Janis, mais bon, allez plutôt écouter Janis. Ils tentent un retour à Led Zep en B avec «Rock On» et Fast Eddie y fait son numéro de cirque à la Jimmy Page. On le sent fasciné par le vieux son du premier Led Zep de 68. Mais ça déraille assez vite, car ils se mettent à sonner comme Queen. Ils font un stomp à la petite semaine dans le morceau titre et ça redevient horriblement putassier. Ils devaient avoir pour consigne de faire rentrer les sous. Ils terminent avec un «Back Door Man» qui n’est ni celui de Wolf, ni celui des Doors. Ne rêvons pas.

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    Nouveau changement de personnel pour les deux albums suivants, On Target et Bad Bad Girls. Fast Eddie est le seul membre originel. Le voilà entouré d’une véritable caricature de groupe. Les pauvres, on les voit s’enfoncer dans le bad taste et la mauvaise hurlette. On ne parle même pas de la qualité des compos. Alors forcément, on pense à Lemmy qui en écoutant ça a dû tomber de sa chaise pour se gondoler de rire. Il a même dû s’en coincer la mâchoire, comme quand on bâille trop fort.

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    Dix ans après, Fast Eddie retrouve la raison et reworke ses cuts dans On Target Reworked. L’album vaut le détour, rien que pour l’extraordinaire dégelée de furiosa del sol d’«Easy Livin’», un cut tiré du premier album et parfaitement digne du Led Zep 1. S’ensuit un heavy «Show Some Emotion» qu’Eddie joue en profondeur et on se retrouve une fois encore avec une incroyable dégelée de bonne prestance. Fast Eddie embarque «Say What You Will» au heavy beat et renoue d’une certaine façon avec Motörhead. Même genre de fournaise, c’est battu comme plâtre. Toute la fantastique énergie d’Eddie accourt au rendez-vous. Sur cet album, on trouve aussi le fameux «Trick Or Treat» tiré d’une bande-son. C’est du beau rock anglais joué à la Fast. Ce démon d’Eddie adore les grands accords triangulaires. Très british, très stompé du stamp. Eddie revient à son cher cocotage dans «The Answer Is You». Heavy Fastway baby. Il joue sur le pourtour des accords, il voyage bien dans ses gammes, il agit en sonic-boomer patenté. Sorti du blasting de Motörhead, il semble respirer à pleins poumons. Encore plus colossal, voici «These Dreams». L’intérêt d’un guitariste comme Fast Eddie, c’est qu’il joue tout ce qu’il peut, alors on tend l’oreille. On retrouve aussi le fameux «Station» tiré du deuxième album et voilà «Change Of Heart», certainement la plus grosse rockalama du disk. C’est excellent car visité de part en part. «Two Hearts» regorge aussi de puissance. Eddie n’en finit plus d’allumer la gueule de ses cuts, il les remplit de son à ras-bord. Ça reste excellent, même avec un son daté. Eddie est à la fête, il voltige dans ses cuts et bat tous les records de présence. Encore un extraordinaire déploiement de forces dans «She Is Danger», et puis voilà.

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    Fast Eddie enregistre un dernier album en 2011 : Eat Dog Eat. C’est un gros pépère bourré de son. «Lovin’ Fool» emporte tous les suffrages : incroyablement bien structuré, plutôt seyant, pur farniente, Eddie fait ses adieux au rock en beauté et part en vrille de Master Faster. L’autre gros coup, c’est «Love I Need» - I’ve been riding/ Riding for so long - Eddie est un géant, alors il s’amuse avec les petites choses de la terre. Il joue tout en filigrane, fastin’ it all, à sa manière, inventive et haletée, volubile et volage, et il finit par s’écrouler dans le brasier d’un empire en flammes. Le «Deliver Me» d’intro sonne comme un heavy sludge chanté au heavy slab de Sabbath. Back to the old British pathos, babe. Les Anglais adorent ce son pourléché et bien plombé. Fast Eddie semble survoler son cut comme un vampire. On le voit aussi claquer ses accords dans l’écho du temps avec «Fade Out». C’est tellement bourré de son que le commentaire devient inutile. Dommage que le chanteur Toby Jepson ne soit pas si bon. Il fait ce qu’il peut, mais au fond ce n’est pas si grave, car on est là pour Eddie. D’ailleurs, il remet les bouchées doubles avec «Leave The Light On». Oui Eddie joue comme un crack, il wha-whate ses vieilles dégoulinades de génie. On le voit aussi attaquer «Sick As A Dog» au riff demented. Pas de porte de sortie, c’est du riff pur, Eddie nous embarque dans son sick sick sick et profite de l’occasion pour placer un solo en flammes. On est là pour ça, ne l’oublions pas. Quand on aime les solos en flammes, c’est lui ou Wayne Kramer qu’il faut aller voir. Avec «Who Do You Believe», Eddie veille au grain. Heavy as hell. Le seventies sound, c’est leur domaine. Believe est probablement le hit du disk, ne serait-ce que pour le petit coup de vrille en back door man. Il boucle l’album avec «On And On», joué au vieux tombé d’accords seventies. Quelle incroyable sévérité de la fidélité ! - I’m sorry/ There is nothing more - The Fast of it all, ce démon d’Eddie n’en finit plus d’entrer dans le lard du cut à coups de solos répétitifs et allumés.

    Et voilà qu’on apprend sa disparition. Motörhead et les Ramones ont un joli point commun : plus de survivants. On craint surtout que la démesure disparaisse avec tous ces géants. Le grand livre du rock n’en finit plus de se refermer. Bientôt l’âge d’or du rock ne sera plus qu’un pâle souvenir.

     

    Signé : Cazengler, Fesse Eddie tête à Clarkes

    Fast Eddie Clarke. Disparu le 10 janvier 2018

    Curtis Knight Zeus. The Second Coming. Dawn 1974

    Motörhead. Motörhead. Chiswick Records 1977

    Motörhead. Bomber. Bronze Records 1979

    Motörhead. Overkill. Bronze Records 1979

    Motörhead. On Parole. United Artists Records 1979

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    ( sans la participation d'Eddie Clarke )

    Motörhead. Ace Of Spades. Bronze Records 1980

    Motörhead. No Sleep Till Hammersmith. Bronze Records 1981

    Motörhead. Iron Fist. Bronze Records 1982

    Fastway. Fastway. CBS 1983

    Fastway. All Fired Up. Columbia 1984

    Fastway. Waiting For The Roar. Columbia 1985

    Fastway. On Target. GWR Records 1988

    Fastway. Bad Bad Girls. Enigma Records 1990

    Fastway. On Target Reworked. Receiver Records Limited 1998

    Fastway. Eat Dog Eat. Steamhammer 2011

    *

    Quelle était la couleur de la couleur tombée du ciel ? Ne voudrais pas avoir l'air de me vanter mais à moi tout seul j'ai résolu la grand mystère littéraire du vingtième siècle. Beaucoup se sont cassés les dents sur cette énigme posée par la nouvelle de Lovecraft. Je sens que certains vont en être verts de rage, rouges de honte, bleus de stupeur, noirs de colère, z'auront beau rire jaune en prétendant qu'ils le savaient mais que seule leur modestie les a empêchés de proclamer la vérité. Bernique ! Nique ! Nique ! Nique ! Vive les seins de Sainte Dominique !

    La solution m'est apparue le matin en ouvrant la fenêtre. Un paysage apocalyptique. Sibérien. Méconnaissable. Le truc qu'on gère pas. Cette couleur maléfique lovecraftienne, ourdie par les sombres agissements de Cthuhlu pour étendre sa domination sur le monde entier, n'est autre que celle du fameux cheval d'Henri IV, le blanc, si blanc que pour un peu vous le prendriez pour de la neige. D'une nocivité extraordinaire, une espèce de poulpe poudreux qui s'attachait aux roues de la Teut-Teuf et l'immobilisait ad vitam aeternam. Même pas pu aller à la Comédia à Montreuil vendredi soir. Aux grands maux les grands remèdes. Samedi matin, ne me suis pas dégonflé, suis sorti en pyjama sur le bord de route, la traduction par Phillipe Pissier de Magick en mains, et ai prononcé le Rituel Sacré de la Toute Puissance d'Aleister Crowley, et vous pouvez m'en croire, le soir même la route de Troyes était complètement dégagée, libre de toute teinte cthulhuéenne, j'en hulule encore de joie.

    Connaîtriez-vous une force maléfique capable d'empêcher irrémédiablement un rocker d'assister à un concert !

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    10 / 02 / 2018TROYES

    LE 3B

    EDDIE AND THE HEAD-STARTS

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    ( Journaliste avec lunettes )

    D'autant plus que ce soir nous avons atteint l'immortalité. Enfin presque. Programmée pour 2019 – 2020. La radio es là. Venue explorer le monde turbulent des rockers. Journaliste sympathique – je ne voudrais pas donner dans l'identitaire départemental mais nous partageons la même origine ariégeoise - qui ouvre son micro et nous interviewe à tour de rôle – l'a du courage, la sono de Fab, la meute des assoiffés qui se pressent autour du bar et se compressent dans les coins, mais l'est tout content, l'enregistre tout ce qu'il lui faut, tout le rock'n'roll en vrac, du rockabilly au métal, des tatouages aux blousons, des voitures à la rebelle attitude, Hank Williams, Gene Vincent, Kr'tnt, Jean-Jacques, Alec, Billy, Christophe, l'a tout en lambeaux, ne lui reste plus qu'à remettre en ordre, n'a même pas oublié d'enregistrer Eddie and The Head-Start. Les voici.

     

    EDDIE AND THE HEAD-STARTS

    ( SANS EUX )

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    N'ont pas casé le batteur tout au fond comme tous les autres groupes. Ce n'est pas qu'ils cherchent l'originalité. Eux ce serait plutôt l'authenticité. Pour la simple et bonne raison qu'ils n'en ont pas. A Troyes – et partout ailleurs - ne sont que trois. Guit acous, contrebasse, lead électrique. Pas plus, ni moins. Ne faites pas l'étonné, rappelez-vous qu'en ses débuts Elvis ne possédait pas de batteur. L'a ajouté quand le monde a commencé à affluer aux concerts et qu'il fallait un certain volume pour se démarquer du bruit de l'assistance. C'était du temps où il a gagné son surnom d'Hillbilly Cat. Le puma des Ardennes en français approximatif. Le Hillbilly est un genre à part en soi. L'art des garçons de ferme. Les rustauds qui ne peuvent voir une meule de foin sans y coucher la première fille qui passe sur le chemin, pas des intellos, des ploucs à la comprenette dure. Méfiez-vous sont plus malins qu'il n'y paraît, l'esprit des coyotes habite l'âme des chats efflanqués des collines. Le hillbilly ça sent le bal du samedi soir, le purin, et le bousin de long horn. Bouchez-vous le nez mais ouvrez vos narines toute grandes. Se métamorphosent lorsque l'exode rural les pousse à la ville. Se payent de belles chemises, roulent en mécaniques rutilantes, et bye-bye les aigres-douces chansons nostalgiques, donnez leur un micro, s'en servent comme d'un cocktail molotov, le hillbilly s'enflamme et devient rockabilly. Une mutation. Si Darwin avait vécu assez longtemps, s'en serait servi pour expliquer les sauts qualicatifs qui ont présidé la longue marche des espèces qui depuis la disparition des dinosaures a permis à l'homme de s'améliorer sans fin. Certains mêmes affirment que le hillbilly man et le rockabilly man sont les stades suprêmes de l'évolution humaine, que depuis la race hominienne régresse, dégénère, et court à sa perte. Mais quittons ces vues philosophiques pour regarder :

     

    EDDIE AND THE HEAD-STARTS

    ( AVEC EUX )

    Eddie Gazel. Fils ne vous gardez point à droite, le reître Thibaud Choppin s'en charge. Fils ne vous inquiétez pas de gauche, le soudard Stéphane Beaussart y veille. Le vrai père, Thierry Gazel, n'est pas loin, viendra plus tard ramoner la big mama de Thibaud, mais n'anticipons pas. Avec de tels arrières latéraux, l'est tranquille Eddie, guitare en main et bouche au micro. A trois défendent le pont-levis du hillbilly. Si vous voulez forcer le passage, passez devant. Qui s'y frotte s'y pique. Ça n'a l'air de rien mais il faut les qualités requises indispensables, du swing percutant, du contrapuntique contraignant, et un vocal de crotale.

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    Pour le swing, vous avez Thibaud Choppin. Posté de guingois, à l'affût derrière sa big mama, vous lance un regard de chef-indien là-haut sur son piton rocheux qui examine le convoi des charriots qui s'approche du défilé de la mort certaine. Qui dit swing ne dit pas jazz. Pensez à pulsation. Agonique et précipité. Le Choppin quand il vous choppe sa contrebasse ce n'est pas pour éplucher le bulletin météo. Avec lui, c'est tempête et tremblement de terre force huit. Ne descend jamais au-dessous. Crève le plafond de temps en temps. Joue un peu à la manière de Jessie James quand il rackettait les banques. Mais avec le sourire en coin et l'ironie mordante qui fuse de ses lèvres dès qu'il peut en lâche une. S'amuse, avec une main, avec deux, avec trois, avec quatre, pas le temps de vous demander d'où il les sort, et même sans aucune.

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    A Stéphane Beaussart échoit la tâche la plus difficile. Le hillbilly ressemble davantage à trois coups de poings bien appliqués qu'à une stratégie à la Napoléon. Un seul mot d'ordre. Vite fait et bien fait. Le nez en sang et l'on passe au suivant. Beaucoup plus jumpin' que gallupin'. Pas la possibilité de se livrer à de grandes galopées. Pour les envolées lyriques vous repasserez. Faut être présent à tous les instants, plantez le clou au millimètre près. Juste entre deux hennissement de la big mama et conclure juste après la voix, un jeu, un question-réponse, un dialogue à trois, ni oui ni non, mais un mot chacun, monosyllabique, placé le plus vite possible sans empiéter sur celui qui vous précède et en laissant le moins d'espace possible à celui qui prend la suite. De la haute école. Exercice collectif des plus difficiles. S'en tirent comme des rois avec l'impertinence des bouffons. S'amusent comme des fous, complicité souriante, émulation rieuse.

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    Je vous refile les dates – en comptant très large, 52 – 57. L'ère du déploiement du hillbilly, certains compressent entre 54 – 56, l'instant de la pliure, du passage du hillbilly au rockabilly en s'abstenant de franchir le col du rock'n'roll. Certes nos trois cavaliers reprennent du Little Richard et du Gene Vincent, mais ce que moqueusement l'on nommera les slows, le Send Me Some Lovin du petit Richard qui sent encore la vase du bayou et le clapotis des alligators, et le Peg O' My Heart de l'idole noire, de la chanson populaire parce que pour embarquer les gerces c'est quant même plus voluptueux qu'une course en hot-rod avec le diable. De toutes les manières, ce qui compte, c'est l'art et la manière de présenter la bagatelle. Faut savoir être tendre sans passer pour un benêt, le hillbilly est une musique perverse. Tenez-vous le pour dit.

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    Eddie Gazel parfait dans le rôle. L'a tout pour lui. La jeunesse et la beauté. L'oeil de velours et le regard assassin. Et puis la voix. Flexible comme un queue de crocodile. Capable de se lamenter sans nous faire pleurer. Malmène sa guitare comme un chien gratte ses puces. Force rythmique d'appoint et d'assaut. Siffle comme un serpent dérangé dans sa sieste, l'a tous les articles en magasin, à l'aise dans tous les registres : nostalgie country, rupestre campagnard, boogie électrique, un répertoire qui court de la ruralité cajunique d'Al Ferrier au baryton épineux de l'Elvis de chez Sun, du pizzicato de Johnny Burnette à la ballade pseudo-romantique. Lève la guitare vers le ciel et profile un jeu de hanche des plus terrestrement lascifs.

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    Trois sets, le premier à dominante hillbilly, le deuxième davantage rockabilly, le troisième pas rock'n'roll mais presque. Beaucoup d'aisance et de facilité. Thibaud Choppin délaisse sa big mama pour se mettre l'assistance dans sa poche avec sa belle voix grave, Stéphane Beaussard se permettant un instrumental très surfin' manière de montrer que sa monture pâture aussi en d'autres lieux, son voilier tatoué sur son avant-bras comme signe de recherche et d'aventure. Eddie en meneur de jeu. Sait instaurer une communication des plus directes et des plus primesautières avec le public qui adore. Faut un sacré tallent à Eddie pour que dès le premier morceau tout le monde se masse devant les Head-Starts et adhèrent à cette musique chargée d'anciennes rurales fragrances qui ne correspondent plus à notre monde urbanisé. Une musique moins chargée d'impédence électrique que le groupe a su rendre sans effort, actuelle. Rarement – et pourtant les Dieux savent combien le public du Bar de Béatrice Berlot est chaud et réceptif – un groupe aura reçu une telle écoute et suscité une telle ferveur.

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    TOM ROISIN

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    ( Trouvez Tom ! )

    Entre deux sets, Tom Roisin nous interprète trois titres d'Hank Williams, Jambalaya, Honky-Tonky, I Saw the Light et un dernier Folsom Prison Blues de Johnny Cash. Belle allure sous son stetson immaculé et dans son costume impeccable. Autodidacte et passionné de country Tom Roisin, persévère. S'accroche à son rêve et commence à tenir le chat du diable par la queue. A suivre. Bon Gumbo.

    Damie Chad.

    ( Photos : FB : Béatrice Berlot )

     

    MY NAME IS EDDIE

    EDDIE AND THE HEAD-STARTS

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    Rhythm Bomb Records. RBR 45 – 29.

     

    My name is Eddie : racatement de basse, le jeune Eddie vous prend la voix traînante d'un vieux vacher des Appalaches, Beaussart pointille comme un pic-vert, Choppin tamponne comme un wagon, dépaysement garanti. Pas le temps de voir passer, que déjà ils expédient la fin dans les règles de l'art, ça tressaute comme un cul à cru sur un cheval bondissant. Blues stop knocking : croisements d'autoroutes, celle de la ballade country avec la séminalité sous-terraine du country blues. Sur le refrain l'ensemble s'envole vers les grands espaces, mais sur le solo Beaussart tire du côté d'Arthur Crudup, Eddie vous emprunte les échangeurs sans jamais se tromper, goudronnage et tenue de route assurée par la maison Choppin. Playmate : Beaussart et Choppin vous mènent un quadrille d'enfer, et la gazelle Eddie vous fait de ces piqués de voix à vous faire voir des éléphants roses. I wanna make love : tout ce qu'il faut faire, je parle de l'union physique de l'instrumental avec le vocal. Chacun à son tour par-dessus et puis par dessous. Plus les petites spécialités individuelles. Bref ça balance et roule vers le rock'n'roll de bien jolie façon. S'éclatent comme des bêtes vicieuses. Un prix d'originalité sera décerné à Stéphane Beaussart pour son solo.

     

    Old style never dies !

     

    Damie Chad.

     

    BOB DYLAN ET LE RÔDEUR DE MINUIT

    MICHEL EMBARECK

    ( L'Archipel / 2018 )

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    Roman. C'est écrit sur la couverture. Déduction logique : tout ce qui est écrit est faux, sorti tout droit de l'imagination fertile de Michel Embareck. A part que tout ce qu'il raconte est totalement vrai. Même si vous n'avez jamais porté la moindre créance au concept de vérité – pure et intangible – du sieur Platon. N'avez qu'à lire pour vous en être persuadés. Très simple, cet embrouilleur d'Embareck nous fait le coup du bonneteau littéraire. Z'êtes sûr que sous le godet du milieu se trouve un roman, erreur sur toutes les lignes, c'est votre vie qui est mise en scène en deux cent cinquante pages. La vôtre, la nôtre, la mienne. Inutile de bomber le torse, l'est retors l'Embareck, non, ce n'est pas le roman dont vous êtes le héros. Pas de place pour vous. N'en a déjà mis que deux sur le titre, Dylan et le Rôdeur de minuit, mais c'est un fusil à trois coups, le troisième est habillé tout en noir. Pas besoin de pousser la description plus loin, quel faquin ne reconnaîtrait pas Johnny Cash, the man in black, en cette sombre silhouette ?

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    Pas de problème l'histoire vous connaissez : la bio ( et de broc ) de Dylan et de Johnny Cash. Pourriez la réciter par cœur, l'est finaud l'Embarech, ne fait pas dans le détail, la révélation minuscule que personne ne connaît. En gros, vous n'apprendrez rien. De toutes les manières tout est faux. Etabli sur des faits certifiés conformes, rien de plus facile pour vérifier : presse d'époque, témoignages assermentés, vidéos, livres, disques. Ne manque pas un biscuit dans la cambuse. D'ailleurs l'Embareck se dépêche de les refiler aux rats, lui le maitre-coq vaudou, il travaille avec le vent qui bouscule la mâture. Blowin' in the wind, comme dirait l'autre.

    Commençons par nous débarrasser de l'assassin. N'ayez pas peur, pour un criminel, il n'est pas dangereux, le gars qui ne tue même pas une mouche de tout le roman. C'est peut-être pour cela qu'il vous ressemble. Un mec plutôt sympathique. Toutefois, tout ce qu'il a fait de bien dans sa vie, ce n'est pas de sa faute. Aucune médaille à lui décerner. L'Ici et Maintenant des philosophes. Hasard et circonstances. Son seul mérite c'est d'être sorti du ventre de sa maman au bon moment. Pile-poil à l'heure pour devenir disc-jockey au début des années soixante à Shrevreport. En Louisiane, l'état marécageux des States où les alligators dans leur barbote ont inventé des horreurs sans nom qui ont pour nom : jazz, blues, rhythm'n'blues, rock'n'roll. Bref notre animateur radiophonique l'a tout vu et tout entendu. Les Beatles, les Stones et, ce qui tombe super pour le bouquin, rencontré Dylan et Cash. Evidemment sur une carte de visite, ça en impose. De quoi être jaloux. D'ailleurs à la fin du film de sa vie, l'Université – avec un grand U comme Urinoir - vient l'interviewer. Si cela vous arrive, dites-vous que votre cercueil se rapproche de vous, vitesse grand V. Pas Victoire, genre Vanité des Vanités...

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    Je sens votre impatience. Le lectorat kr'tntique n'a qu'un mot à la bouche : Cash ! Cash : Cash ! Etrange de voir comment le country man a été adopté par les rockers depuis une vingtaine d'années par chez nous, encore plus que Jerry Lee Lewis – le grand absent de ce livre d'ailleurs, mais peut-être qu'Embareck se réserve-t-il le Killer pour parfaire une trilogie commencée avec Jim Morrison et Le Diable Boîteux . Donc Cash. Honneur à la dame de cœur. Très beau portrait de June Carter. June, le trublion de la Carter Family. La fofolle de service. La gamine irrésistible. Instinct et joie de vivre. Tout ce que Johnny n'est pas. In his mind. Un coincé de la tête. Parce que selon son corps, c'est davantage borderline. Z'oui mais la pieuvre du puritanisme, pouvez lui couper les tentacules par centaines elles repoussent toujours. C'est cela la malédiction d'être né pauvre. Non seulement vous n'avez pas d'argent et vous bouffez tout juste ( vraiment juste ) à votre faim, mais pour la largesse d'esprit c'est vache maigre et chambre d'étudiant au dix-huitième étage sans escaliers et les chiottes sur le pallier. Tout le reste est squatté par la peur des sept péchés capiteux et l'observance des dix commandements. Mes très chères sœurs et mes très chers frères, nous avons le regret d'avoir à condamner notre idole, Johnny trompe sa femme, boit comme un trou et gobe les pilules comme certains les patenôtres. Nous lui pardonnerons, son métier, la fatigue, la route, les tournées, les filles qui s'offrent, le diable a mille perversités dans son escarcelle...

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    Voici Dylan. Une autre problématique. Lui le danger n'est pas dans sa cabosse. Vient de l'extérieur. Des autres. Bien entendu de ceux qui l'aiment le plus. Le public, les fans. Au début le Bobby, faut pas grand chose pour le rendre heureux, une guitare, une gratte, une sèche, une acoustique, un harmo pourrave, et le répertoire folk qu'il a emmagasiné dans sa tête. Encore un qui arrive comme la soupe sous le cheveu. Ne pouvait pas mieux tomber avec sa voix de chat écorché. En plein dans la vague contestataire. Combat pour les droits civiques et contre la guerre au Vietnam. Bien sûr qu'il partage ces idéaux, par contre ne se sent pas très à l'aise dans la bonne ouate de gauche, l'impression de se faire manipuler, d'entrer dans de nouveaux carcans, idéologiques. L'autre face de la bonne conscience se nomme nouvelle morale. Alors il commet l'outrage suprême. L'ignoble trahison. Il électrifie le folk. S'en va enregistrer chez les ploucs de Nashville. S'éloigne de sa vie de star, se marie, fait des enfants. Devient un bon père de famille. Bref à partager la vie de tout le monde, il finit par faire comme tout le monde, il s'ennuie. Le Diable possède une tentation adaptée à chacun.

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    Dylan reprend la route que Cash n'a jamais quittée. L'un pour s'éloigner du peuple de gauche et l'autre pour se rapprocher du peuple de droite. Les rebelles ne sont pas de purs chevaliers blancs irréprochables, ne sont jamais là où on voudrait les voir. Y en a tout un tas qui croupissent en prison. Cash prend son bâton de pèlerin et s'en va chanter à Folsom. Du côté de la mauvaise graine. Des voyous, des tueurs, des violeurs, de la sale engeance. Même Jésus Christ n'avait pas osé y penser. Avec les réprouvés de la société. Les enfants perdus de la misère. Sans illusion, car s'il n'avait pas eu son baryton de croque-mort il aurait peut-être fini là, lui aussi. Poussera même la roue un peu plus loin. Ira chanter pour les boys. Au Vietnam. Est viscéralement contre la guerre, mais il se doit de réconforter les guys dans le bourbier. Chante pour eux et visite les hôpitaux de campagne. Voie étroite et récupérable que Dylan ne lui pardonnera pas. Notons que Joan Baez, son ancienne compagne se rendra au Vietnam, elle aussi, mais de l'autre côté, au Nord, sous les bombes américaines...

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    Dylan et Cash, deux facettes de l'Amérique. Encore aujourd'hui beaucoup de ceux qui écoutent Johnny Cash ne prêtent qu'une médiocre attention à Dylan. La réciproque est un peu moins vraie, les méandres de sa carrière ont quelque peu altéré l'admiration béate que lui a longtemps portée son public, et le vieux Cash a bénéficié de sa longue fidélité à son propre style, n'a jamais donné l'impression de s'être renié. Embareck balaie tout cela d'un trait de plume. Cash, Dylan, même combat, tous deux chantres de l'Amérique populaire. Pas celle du massacre des indiens, du capitalisme triomphant, de la ségrégation, des mentalités de beauf en boîte, mais celle de ceux qui essaient de survivre tant bien que mal, de tracer ou d'imaginer d'autres routes. Des outlaws modernes. Une Amérique qui vient de loin, dont Cash et Dylan, Embareck nous les présentent en frères d'armes, ont tenu à garder intacte la mémoire. Se sont sentis obligés de perpétuer au travers de leurs répertoires le souvenir et la présence de ces millions d'existences anonymes, les vaincus, les misérables, les laissés-pour-compte, n'en reste rien aujourd'hui si ce n'est quelques os épars au fond des cimetières.

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    Lecteurs, je vous sens un déçus, vous avais affirmé dans le premier paragraphe que l'Embareck parlait de vous. Nous y arrivons. Vous a filé un surnom. L'a piqué aux Stones. Le Midnight Rambler, c'est vous. Vous espère un peu moins décatis que lui, parce qu'à la fin du livre il a dépassé ses quatre-vingt printemps. L'est rentré dans l'hiver. Fait un dernier point. Avant de débarrasser le plancher. Place aux jeunes. Ne s'apitoie guère sur lui-même. Comme vous, comme moi. Des hauts et des bas. Des erreurs. Je n'insiste pas. Lui non plus. Parle avant tout des autres, de l'état du monde. Le même constat que vous. Un minimum de mieux. Un maximum de pire. Ne s'est pas amélioré depuis le siècle dernier.

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    Rusé l'Embarek, s'y entend pour filer le sucre qui fait remuer la queue des chiens. Dylan, Cash, - bonjour les attrape-nigauds, pour ceux qui hésitent il rajoute Alice Cooper et Merle Kilgore, et spécialement pour moi Gene Vincent – et puis il vous balance la boule de strychnine. Des artistes comme Dylan et Cash, vous en raffolez, vous les adorez. Mais soyez justes, ils n'ont pas changé le monde. Et derrière eux c'est la faillite de toute génération qui se profile. Pardon, qui déboule. L'arrache le voile des illusions l'Embareck, devrait être condamné pour cruauté mentale, vous laisse plus nus que la vérité, et ne croyez pas que vous vous en tirerez en vous fondant dans le nombre, pousse l'ignominie jusqu'au bout – page 245 – dresse la liste de tous les noms, n'oublie personne, j'ai vérifié vous y êtes. Pourrait accomplir sa délation en utilisant une écriture neutre, mais non, l'a du brio, du brillant, de l'entourloupe, dès la première ligne vous êtes pris, ferrés jusqu'au bout. Ça bouge, ça cogne, ça vit. Vous n'y faites pas gaffe, vous distille le poison de l'échec. Triple dose, au début ça vous file un pêchon extraordinaire, mieux que l'héroïne, et puis c'est votre déchéance spirituelle qui vous azimute. Sans lot de consolation. Une bourrasque d'Embareck et toutes vos fausses raisons de vivre tombent à l'eau. Regardez-vous et enfuyez-vous en courant.

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    En fait – j'ai oublié de le préciser – le rôdeur de minuit finit bien par tuer quelqu'un. Mais quel est donc ce couteau planté dans votre dos ?

    Le rock m'a tuer.

    Damie Chad.

     

    BOB DYLAN

    Le personnage / Sa musique / Son guide

    NIGEL WILLIAMSON

    ( Editions de Tournon : Rough Guides / 2009 )

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    A parler de Bob Dylan autant descendre au garage voir ce que j'ai sur lui. J'en remonte avec ce beau format quasi-carré, pas très grand mais de 325 pages composées en tout petits caractères. Le livre s'arrête au moment où paraît le premier tome de ses mémoires Chroniques ( I ). Près de dix ans se sont écoulées depuis et voici deux années Dylan s'est vu remettre le Prix Nobel. Le book m'apprend dans un petit entrefilet rose qu'en 1996, un groupe d'intellectuels et d'admirateurs avaient officiellement bataillé pour la candidature du chanteur à ce prix. L'attribution du Nobel de Littérature à Bob Dylan en 2016 n'a pas été une divine surprise comme les médias l'ont présentée. Mais le fruit d'une longue et obstinée candidature sur laquelle Dylan, selon son habitude, ne s'est apparemment jamais exprimé.

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    Nigel Williamson emploie la technique dite des tirs-croisés ou des labourages quadrillés. Revient plusieurs fois sur le même sujet. La moitié du bouquin purement biographique nous raconte la vie de Bob Dylan. Assez fouillée, non exempte de réflexions critiques, tenant compte de tous les aspects de l'existence du chanteur : familiale, privée, sociale, publique, et bien entendu musicale et artistique. Le livre pourrait s'arrêter-là, mais non, Nigel est un maniaque, ou alors peut-être prend-il ses lecteurs pour des cerveaux lents, car il passe une deuxième couche : passage en revue en long et en large de tous les albums – disco officielle et survol des pirates – rajoute un troisième glacis protecteur : analyse des cinquante meilleures chansons, sans oublier de fignoler les finitions : les films, les livres, les fans, les continuateurs...

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    N'empêche que l'ensemble est agréable à lire et peu répétitif. Fourmille d'anecdotes surprenantes : je ne vous en cite qu'une, marrante, celle de A. J. Weberman qui avait pris l'habitude de fouiller les poubelles de Dylan, afin d'en retirer la substantifique moelle documentaire qui l'aidait à conforter ses vues personnelles sur la personnalité du chanteur. Le début de l'histoire du fondateur de la nouvelle science qu'il baptisa déchétologie est connue. J'en ignorais la fin. Weberman eut ses adeptes. Pas ceux qu'il aurait souhaités. Les agents du FBI mirent le nez dans ses propres poubelles. Après avoir retrouvé de suspects sachets ( vides ), ils en conclurent que Weberman était à la tête d'un trafic de livraison de marijuana à domicile et, à vous dégoûter de rendre service à vos concitoyens, l'envoyèrent séjourner en prison...

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    Une autre pour mon plaisir personnel : y avais toujours cru mais n'en avais aucune preuve : Dylan l'a confirmé lui-même : a bien pensé ( pas uniquement ) à Baby Blue de Gene Vincent pour l'écriture d'It's All Over Now, Baby Blue.

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    N'ai jamais été un fan transi de Dylan. Attention, durant dix ans le bonhomme a fait ses preuves. Prolifiquement doué. Vous tortillait une galette de vinyl comme une grand-mère bretonne une crêpe au sarrasin. L'avait la qualité essentielle du rocker : devenait méchant dès qu'il apercevait un micro dans un studio. Ne se forçait pas, arrivait les mains dans les poches, se saisissait d'une feuille de papier et il vous dégorgeait du venin comme une vipère qui n'a rien eu à se mettre sous le crochet depuis trois ans. Parfois, l'improvisait directement et les ingénieurs couraient vers la cabine pour mettre le bouton sur le ''on''. Mauvais caractère en plus, tête de lard et de cochon. Ne filait pas d'indications aux musicos. Ou ils pigeaient illico, ou ils retournaient à la maison. Un génie !

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    Reconnu comme tel. Porté par la vague des fans. Du jour au lendemain, la figure de proue du mouvement contestataire. Exactement le contraire des New Yok Dolls qui eurent trop peu pour si peu de temps, le Bobby lui ce fut trop beaucoup immédiatement. Dépassé en quelques mois par l'enchaînement et le déchaînement du succès. S'en est sorti. Parce qu'il était un cabochard. Par la petite porte. N'aimait pas qu'on lui dicte le chemin. Suze sa muse ne l'amuse plus depuis qu'il baez avec Joan de laquelle il baisse dans l'estime depuis qu'il s'en va avec Sara ça ira, pareil avec les copains, beaucoup de jaloux et lui qui ne sait pas mettre les formes pour se tirer du guêpier. Le piège ne s'est pas refermé sur lui, mais par la suite, ce ne sera plus jamais pareil.

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    L'était une idole adulée, devient une rockstar acidulée sur le tard. Vit sur son aura, sur sa réputation. S'ennuie un peu avec lui-même. L'a encore ses moments de génie, mais ils s'amenuiseront petit à petit. Il s'en fout et il en crève. Pousse le vice de la contradiction et le vide des contrariétés à se déclarer chrétien, pur beauf born again, détenteur de la vérité et sermoneur de service. Les fans de la première heure le renient, il vend ses morceaux les plus symboliques pour des pubs, ses ventes de disques s'effondrent, son divorce le met sur la paille ( relative ) alors il met au point le Never Ending Tour, une moyenne d'un concert tous les trois jours depuis vingt ans, catastrophiques ou géniaux, c'est selon.

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    Je décris, je ne juge pas. Facile de badigeonner la moraline lorsque vous n'êtes pas dans le caca. Même si l'étron est de vous. L'a transformé le rock'n'roll, l'a fait descendre de la banquette arrière des Cadillacs, et vous l'a planté au milieu de la route sous la pluie. Bye bye baby et bonjour tristesse, les ennuis commencent. Depuis il a pris ses cliques et beaucoup de claques...

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    Dylan contestataire : non. Dylan roi du folk-rock : non. Dylan rocker : encore non. Le classerai plutôt dans le country blues. N'est pas né dans le delta, n'est pas un nègre. Mais il chante et compose des chroniques sur son quotidien et celui de l'Amérique. L'a simplement élargi l'orbe des bluettes. Pour bien s'en rendre compte il suffit de comparer l'autre '' grande voix'' de l'Amérique : Bruce Springteen, sympathique mais un peu boy-scout. Lui manque le cynisme, la cruauté, la méchanceté, trop de bons sentiments. La face noire du rock'n'roll.

    Damie Chad.

     

    OUAILLE !

    DANIEL GIRAUD

    ( Clapas / 2012 )

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    De Daniel Giraud nous avons déjà chroniqué disques et différents recueils de poèmes. En voici un autre édité aux Editions Clapas. Même pas un petit éditeur, un groupe d'activistes fous qui ont durant plus de dix ans donné la parole à plus de deux cents poëtes, faites un tour sur leur site ( clapassos.pageperso-orange.fr ), semblent en sommeil depuis quelques années, mais si les ours parviennent à sortir de leur hibernation...

    Joli petit format qui s'étire et se pelotonne entre vos mains, couverture chromo, et même un dos carré pour un ensemble de 24 pages. C'est dedans que ça se gâte. Un seul poème aussi long et mince qu'une queue de marsupilami bleu. De cette couleur vous n'en trouvez pas chez Franquin. Ailleurs non plus. Foutre le Ouaï ! Attardez-vous sur le titre. Parce qu'après c'est toute la misère humaine qui se colle à vous. Pas la noire. Non celle-là, c'est facile de la chasser, ouvrez les infos et un spécialiste viendra vous expliquez que tout va bien, qu'il faut se méfier de vos ressentis. Non la bleue, la bleu-blême, celle qui se colle à votre âme et vous la teint jusqu'au jour de votre enterrement. Daniel Giraud vous raconte sa vie. Je vous rassure, aussi moche que la vôtre. Quelques pépites, mais des tonnes de scories. En plus le Giraud l'habite dans la cambrousse, à 15 kilomètres non carrossables, porte le ravitaillement dans le sac-à-dos, surtout que des fois il revient de loin, des States ou du Maroc, alors les souvenirs déboulent et s'entremêlent. L'esprit on the road again et l'âge qui encroûte les artères. Derrière la porte, c'est quitte ou double, la copine qui s'est tirée ou les copains qui attendent avec les guitares pour taper le blues, fumer et boire. Et puis les chats qui viennent vous aider à vivre et qui s'en vont à la mort. Version inaccoutumée de la théorie du ruissellement. Le malheur du monde tombe sur le poëte, super-chouette, l'occasion rêvée de se transformer en samouraï-philosophe. Vous sépare l'être du néant, la pelure de la réalité de l'orange creuse du vide, vous envoie valser dans le nirvana pour mieux vous catapulter dans les emmerdements du quotidien. '' Sans avoir de présent / comment avoir un avenir'' demande-t-il comme il vient de nous affirmer que le passé n'est plus ce qu'il était, vous voyez ce qu'il vous reste à vivre. Philosophie hippie et nihilisme punk se rejoignent en un étonnant optimisme désespéré. Mélange détonnant. Ça pète et vous éclatez. De rire. Ni humour noir, ni humour jaune. Humour-blues. Parfois à la terrasse d'un café, Daniel Giraud sort sa guitare de son étui et un recueil de sa poche et vogue la galère c'est parti pour une heure de blues-métaphysique, et les passants s'attroupent autour de lui, comme les mouches sur la merde – plus poli Cendrars employait l'expression la moitié de la face de Dieu pour désigner cette matière si fécale - comme les avares sur leur or. Les deux postulations humaines, ceux qui aiment ce qui leur ressemble et ceux qui s'accroupissent devant leur propre petitesse. Le blues, ça vous décape jusqu'à l'os.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 240 : KR'TNT ! 360 :CHUCK PROPHET / BLUE VOID / CRUCIFIED PINGUINS / TABULA RAZA / KOMTWA / SOCIAL CRASH / SONNY BOY WILLIAMSON ( I )/ MAGMA / JOHNNY HALLYDAY

     KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 360

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    08 / 02 / 2018

     CHUCK PROPHET / BLUE VOID / TABULA RAZA

    CRUCIFIED PINGUINS / KOMTWA / SOCIAL CRASH

    SONNY BOY WILLIAMSON

    MAGMA / JOHNNY HALLYDAY

     

    Prophet en son pays - Part One

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    Dans les années quatre-vingt, pas mal de gens appréciaient Green On Red. Comme tous les groupes de cette époque, Green On Red avait les défauts de ses qualités : le chanteur Dan Stuart pouvait parfois se montrer très surfait, presque insupportable, alors qu’à l’opposé, Chuck Prophet redoublait de finesse guitaristique. Il allait d’ailleurs montrer par la suite qu’il était bien meilleur au chant que le pauvre Dan Stuart.

    Le duo devait surtout sa réputation à Jim Dickinson, l’homme qui transformait le plomb en or. Enfin, en or, façon de parler, puisque les albums devenus cultes de Big Star et des Panthers Burns ne se vendaient pas. Dan et Chuck ne roulaient pas non plus sur l’or, avec leurs deux albums enregistrés à Memphis. Mais Dickinson qui avait du flair vit en Chuck Prophet l’un de ces guitaristes exceptionnels qui pouvait rivaliser d’aisance avec Charlie Freeman.

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    Enregistré au studio Ardent de Memphis, The Killer Inside Me date de 1987, ce qui ne nous rajeunit pas. Dès «Clarksville», Chuck Prophet fait des siennes en balançant un solo de Télé-stromboli bien tortillé. Le problème c’est que Dan Stuart chante d’une voix trop affectée et massacre pas mal de morceaux. On ne s’habitue pas à sa voix trop ingrate. Dans «Jamie», il tente de faire du Neil Young en jouant la carte de l’affect, mais non, ça ne marche pas. Chuck Prophet passe un solo acide au clair de la lune dans «WhisperingWind» et s’installe dans une sorte de halo supérieur. Ils basculent enfin dans le Memphis Sound avec un «Ghost Hand» embarqué à la guitare et pulsé à la stand-up. Dickinson y concocte un son fouillé, légèrement apoplectique et sature la batterie d’écho. Il joue aussi sur «Sorry Noami», sous le nom d’East Memphis Slim. Dan Stuart réapparaît en B pour patauger tragiquement dans l’Americana de carte postale. On note aussi une certaine faiblesse compositale, ce qui n’arrange rien. Chuck Prophet tente de sauver l’album en prodiguant vite fait des soins au morceau titre, sous la forme d’un space solo déterminant, et hop, terminus. Tout le monde descend.

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    Un an plus tard, ils reviennent à Memphis enregistrer Here Come The Snakes avec Dickinson et Roland Janes. Cette fois ils vont plus sur la Stonesy, avec un cut comme «Keith Can’t Read». Le pauvre Dan Stuart se prend pour Jagger, mais heureusement, Chuck Prophet claque ses chords avec classe - cling-a-clong - Il connaît le coup des allers et retours, c’est même affolant de keeferie contenue et du coup, on comprend que la star dans cette histoire, c’est Chuckeef et sa chuggling guitar. On entend Rene Coman jouer une belle ligne de basse sur «Rock’n’Roll Disease», et comme Dickinson produit, elle remonte bien dans le mix. Bienvenue dans le boogie des marais avec «Zombie For Love», un truc épais et admirable de grandeur vermoulue. Chuck Prophet fait le show en attaquant le thème en vrai Télé-boy. On a là le heavy Memphis groove avec Dickinson à la batterie. Quelle purée ! Chuck Prophet joue «Change» à outrance, comme le jouerait Steve Cropper. Encore un cut qu’on accueille à bras ouverts. Si on aime bien Dickinson, alors il faut écouter cet album attentivement. Retour au heavy groove de Memphis avec «Tenderloin» et dans «DT Blues», si mal chanté mais saturé de son. Ils font là le «Signed DC» de Love et diable comme Chuck Prophet joue bien, il explose la saturation, il va loin, bien au-delà de ce qu’on imagine. On trouve un disk entier de bonus dans la réédition de 2005, et c’est comme dans les coffrets de Big Star, ça grouille de surprises. Ouverture du bal avec «Fuzzy Mama». Chuck Prophet y sort le grand jeu, il joue de l’acid-rock et Télète à outrance. On tombe plus loin sur un «Yellow House» psyché et bardé de reverb - See the yellow house - que vient fracasser Chuck Prophet avec un solo de cirque en dérapage contrôlé. Il tape dans plusieurs registres à la fois, mais en un éclair. Il faut d’ailleurs réécouter ce truc plusieurs fois pour comprendre ce qui se passe. Retour au heavy rock avec «Five Til Five». Chuck Prophet y claque ses beignets d’accords au grand jour et ça se termine en apothéose. Nouvelle version de «Change». Chuck Prophet la joue à la pire violence riffique du continent. Il faudra s’en souvenir. Green On Red ne tient par le jeu de ce guitariste surdoué. Dickinson joue du piano sur «That’s The Way That The World Goes Round», mais Dan Stuart vient ruiner le projet avec sa voix surfaite.

    Même si Dickinson n’est plus dans les parages, les autres albums de Green On Red valent aussi le détour, ne serait-ce que pour savourer le travail de l’orfèvre Prophet.

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    Gas Food Lodging est un album qui sent bon la Stonesy et en particulier «This I Know». Chuck Prophet s’y fait très présent et joue son admirable shoot les deux doigts dans le nez. Curieusement, on finit par s’habituer à la voix de Dan Stuart. On se régalera aussi du vieux groove de «That’s What Dreams Were Made For», mid-tempo chargé de Télécast. Chucky Chuckah y télécaste coast to coast at any coast. Hélas, la voix de Dan Stuart se fait trop perçante. C’est même insupportable. De son côté, Chuck Prophet n’en finit plus d’élaborer un univers sonique incroyablement complexe, il glisse des accords inconnus dans ses architectures et comme Syd Barrett, il privilégie le crystal blue. En réalité, les albums de Green On Red sont ceux de Chuck Prophet. Il joue énormément, il joue à l’excès et tisse inlassablement des trames de son clair. Il remplit même les espaces intermédiaires. Dan Stuart massacre «Black River» et Chuck Prophet refait le show dans «Hair Of The Dog». C’est joué ultra-sec. Le solo qu’il passe vaut pour modèle, au moins autant que ceux de Jeff Beck dans Beck Ola. On a encore un brin de Stonesy dans «Easy Way Out». C’est un admirable balladif d’Americana avec de faux accents de «Beautiful World» - And I said to myslef - S’ensuit un autre balladif ensorcelant, «Sixteen Ways», terriblement joué et chanté à la Stuart. On finit par se laisser convaincre. D’autant que Télé-boy finit toujours par l’emporter. Il tente de sauver «The Drifter» trop mal chanté. Il part en solo d’aventure à la Neil Young, celui du temps béni de Weld. Justement, voilà Cortez the killer dans un «Sea Of Cortez» joué aux guitares entreprenantes et qui pourrait presque nous renvoyer à Zuma. Chuck Prophet est dans ce son. Ah il faut l’entendre partir en solo ! C’est beau, bien tiré et digne de la postérité.

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    Pas mal de son sur No Free Lunch, qui date de 1985. C’est très joué d’intro, dès «Time Ain’t Nothing». Dan Stuart pose très vite sa petite voix de nez et on a une belle compo de belle allure, un joli mid-tempo alerte et fier, bien nappé d’orgue par Cacavas. Que peut-on souhaiter de plus ? C’est excellent, très intentionnel et fermement orienté vers l’avenir. Chucky Chuckah y passe un solo de country rock d’une dépouille exemplaire. Il claque «Ballad Of Guy Fawkes» à coups d’acou puis s’en vient délayer quelques tortillettes à la suite. S’il joue un solo, ici, ce sera un solo vautour perdu dans le désert. En B, il vient hanter «(Gee Ain’t It Funny How) Time Sleeps Away)», en pur filigraneur. Il joue tout au bon vouloir de la note claire et le pauvre Dan Stuart redevient insupportable dans «Jimmy Boy», avec sa voix qui ne se pose pas, ni du côté de Neil Young, ni du côté de Dylan. Son nasillard perçant le rend profondément antipathique. On irait même jusqu’à croire que c’est délibéré. Encore un joli mid-tempo d’allure martiale avec «Keep On Moving». C’est là où ce groupe bizarre redevient irrésistible. D’autant que Chucky Chuckah joue avec une authentique distinction. Il balance l’un de ces solos lumineux dont il a le secret. On ne se lasse pas de ce guitar slinger.

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    Belle pochette pour This Time Around : un mec montre son tatouage de cave de HLM sur l’intérieur de l’avant-bras : «Born to lose». Joli programme. Le dos de pochette nous indique que les cuts sont enregistrés live in London. L’info importante c’est que Rene Coman joue de la stand-up, et pour un architecte de génie comme Chuck Prophet, c’est une aubaine que d’avoir ce mec derrière lui. Mais l’album n’est pas très spectaculaire. On y trouve un vieux coup de boogie, «Rev Luther», you know what I’m talking about, mais on passe à travers toute l’A et même à travers toute la B. Dommage, car Chucky Chuckah fait des merveilles dans son coin, il joue des solos étincelants, mais il est à l’arrière du mix, ce qui constitue une très grave erreur. On note aussi sur cet album la présence de Spooner Oldham. Mais globalement, This Time Around ne vaut pas tripette. On peut donc passer son chemin.

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    Al Kooper produit Scapegoats. On y entend donc beaucoup d’orgue Hammond, notamment dans cette beautiful song qu’est «Hector’s Soul». C’est tout simplement bardé d’horizons. - Dreaming is for losers who just can’t make it work/ Hector’s out of prison/ He’s gone bersek - et ce diable de Chuck Prophet fait tout basculer dans le vertige. Il n’existe rien d’aussi déterminant sur cette terre - Death by suffocation/ Get close everyday - L’autre merveille de cet album s’appelle «Shed A Tear». Nous voilà à Nogales, du côté de chez Sahm. Quel fabuleux strutting ! Ça sonne comme la meilleure Americana du midwest. Chuck Prophet joue comme un cowboy déluré - So I’ll buy you a beer/ And we’ll shed a tear for the lonesome - L’«A Guy Like Me» d’ouverture sonne très dylanesque avec ses nappes d’orgue. Chuck Prophet en profite pour faire claquer ses notes au grand jour. Quelle délectation ! Tout l’album baigne dans une ambiance d’Americana exceptionnelle. Chuck Prophet gratte tout en picking des Appalaches et Dan Stuart promène son cul sur les remparts de Varsovie. On a aussi un «Cold In The Graveyard» claqué aux accords de rock anglais - I ain’t here for the money honey - Chuck Prophet y bat tous les records d’élégance. Et quand il part en solo, ça devient très sérieux. Il taille dans le lard d’une grande envolée. Avec «Blowfly», ils s’offrent tous les luxes du Deep South, notamment les cuivres. Puis Dan Stuart joue lead sur «Sun Goes Down». On sent le laborieux. D’ailleurs, toute la magie de Chuck Prophet y brille par son absence. Quand on écoute «Baby Loves Her Gun», on entend le tempo de la mort qui approche. On n’imagine pas à quel point la mort peut approcher lentement - Baby not so fast/ She likes to take it slow.

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    Paru en 1992, Too Much Fun est le dernier album de Green On Red. Sacré son, et ce dès «She’s All Mine». Ça Télécaste aussitôt sous la mèche. Quel curieux mélange de chant mitigé et d’élégance guitaristique ! Mais ça passe comme une lettre à la poste, d’autant que derrière on a un joli beat et une belle basse. Les gros trucs se trouvent en fin d’album. Chuck joue «Man Needs Woman» à la réverb, c’est plein de sides of heaven et de crystal clear. Puis il se fâche un peu avec «Sweetest Thing», gros heavy rock de Télé. Chuck nous gratte de très bons accords, on peut lui faire confiance pour ça. C’est du solide. Il sait parfaitement provoquer la venue des choses. On ne résiste pas au charme de son boogie. Pure merveille que ce «Hands And Knees», un balladif qui semble cousu au premier abord et que Chuck Télécaste. Il y met toute sa grandeur d’âme et gratte le thème à la manière d’un génie bienveillant. Oui, il veille sur le destin de Green On Red. Et puis on tombe sur une incroyable surprise : avec «Rainy Days & Mondays», Dan Stuart se prend pour John Lennon. Voilà qu’ils se fondent tous les deux dans les Beatles. Ou encore dans Mercury Rev ou Gram Parsons, c’est comme on veut. En tous les cas, ils se fondent dans quelque chose d’extrêmement puissant. Oh il faut aussi écouter «Love Is Insane», car Chuck y wha-whate le groove et un solo de trompette free vient clore ce débat qui porte sur l’insanité de l’amour. Ils basculent aussi dans la pop avec «The Getaway». Ils le font au mieux des possibilités, d’autant que le Prophet vient miraculer l’ambiance et que Dan Stuart lâche des hey hey hey parfaitement languides. On croirait entendre George Harrison.

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    Si on aime entendre jouer ce Télé-boy surdoué qu’est Chuck Prophet, alors il faut se jeter sur les BBC Sessions. Tout y est joué, Télécasté, enrichi, fouillé de bout en bout. C’est un son très américain. Chuck Prophet sort le grand jeu dans «DT Blues», sosie-blues du fameux «Signed DC» de Love. On peut même dire qu’il joue le blues comme un dieu. Ah ces mecs savent monter un coup. «Fading Away» est là pour le prouver. Quel souffle ! Ce beau diable de Chuck allume toutes les figures de style une à une. Ils tapent ensuite dans la good-time music d’Amérique avec «Reverend Luther». Voilà, c’est toute la différence avec les Anglais, ils savent swinguer un shuffle de petite motion picture et Chuck joue les interventionnistes. On tombe plus loin sur une puissante version d’«Hair Of The Dog». Chuck y fait un festival. Il faut entendre son solo spatial ! On retrouve aussi le fameux «Zombie For Love» monté sur un vieux beat de type Mungo Jerry. Et derrière, ce démon de Chuck joue au clair de la lune. Chaque fois, quelque soit le style du cut, il taille des petits solos circonspects qui forcent l’admiration. Ce mec a tellement de talent qu’il peut varier les genres, comme sait si bien le faire Dick Taylor. Par contre, Dan Stuart ne rate pas une seule occasion de ruiner les cuts, comme c’est le cas avec «Sun Goes Down». Il ruine le blues. Il chante si mal que c’en est insultant. Heureusement, Télé-boy veille au grain. Il fait aussi son petit bonhomme de chemin dans «Frozen In The Headlights» et chucky chuckate l’effarant «Too Much Fun». On a chaque fois l’impression que Chucky-chuckah aménage un lit pour Dan Stuart. Qu’il lui met des draps propres pour qu’il s’y sente bien. Ils terminent avec une belle version de «Man Needs Woman». On ne se lassera jamais d’entendre ce Télé-boy. On l’entend remonter dans le son comme un saumon, il claque du Télé cast coast to coast et le pauvre Dan chante comme il peut. Sans Chuck, il est cuit. Dans le petit texte d’accompagnement, Dan Stuart indique que la rencontre avec John Peel ne s’est pas bien passée - I told him that if he did a session with us I would go down on him. What followed was a look of total horror (Je lui ai dit que s’il faisait une session avec nous je lui taillerais une pipe. Il m’a jeté un regard horrifié) - Ce manque de respect pour John Peel choque un peu, d’autant que Stuart conclut sur une note parfaitement méprisante : il traite Peely de hamster dans sa cage à vinyles.

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    Chuck Prophet enregistre deux albums avec Dickinson : Raisins In The Sun et Thousand Footprints In The Sand. Le premier paraît sur Rounder en 2001 et il vaut sacrément le détour, ne serait-ce que pour l’infernale version de «Stingbean». Voilà du pur jus d’Hooky boogie boogah scandé au c’mon c’mon c’mon et joué au heavy beat musculeux. Dickinson et Chuck Prophet chantent ensemble - Hey my heart concedes - Harvey Brooks est de la partie, d’où le son. Avec cet album, on se retrouve dans les meilleures conditions du Memphis Beat. Chuck Prophet fait le show dans «Old Times Again» et Dickinson joue comme Chopin sur son piano. Ils passent au r’n’b avec «Candy From A Stranger» et Harvey Brooks cuts it sharp. Nous voilà chez Stax et ce diable de Chuck Prophet chante à gorge déployée. Dickinson envoie des chœurs pas très catholiques. Il fait même le aw aw aw de l’alligator. Avec «Post Apocalyptic Observation», ils passent au garage, mais pas n’importe quel garage, celui de Memphis. Pure énormité - I won’t be carrying another/ Load - Wow ! Ils parviennent tout juste à se calmer avec «You Can Let Go Now». Chuck Prophet chante à la traînarderie et ramène des phrasés de guitare retardataires incroyablement juteux. C’est pour ça qu’il faut l’écouter. Il n’en finit plus de surprendre. Retour au boogie de Memphis avec «Chicken Fried». Ils sont tout simplement effarants de classe. Avec Brooks on bass, ça ne peut que ruer dans le rumble. Puis Dickinson chante l’un de ces balladifs dont il a le secret, «Nobody Loses» et ajoute ainsi un pierre blanche à la légende.

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    Thousand Footprints In The Sand est sorti sur Curdoroy, puis sur Last Call en 1997. Le groupe s’appelle Jim Dickinson And The Creatures Of Habit. Il est important de rappeler que sans Patrick Mathé et New Rose, nous n’aurions pas la possibilité d’écouter les disques exceptionnels de Jim Dickinson et d’autres figures de proue de la Memphis scene. Attention, ce n’est pas à proprement parler un album de rock. Dickinson adore taper dans les chants traditionnels. Au dos du pressage Curdoroy, Stanley Booth dresse une belle apologie de Dickinson. Il le compare à Dylan. Les deux hommes ont en commun le souci du contenu. Il est vrai qu’on ne va pas loin sans contenu. On s’en doute, Chuck Prophet joue comme un dieu sur cet album live qui s’ouvre sur une belle version de «Money Talks», un hit signé Sir Mac Rice. Dickinson chante au pur guttural. Il enchaîne avec un vieux standard de J.B. Lenoir, «Down In Mississippi». Il rend hommage à Furry Lewis, l’âme du blues de Memphis, puis à Dan Penn, avec «Pain And Stain», une chanson tiré de l’album ‘which never came out’, nous dit Dickinson, le fameux Emmet The Singing Ranger Live In The Woods. Il ajoute : «Ry Cooder said it was the best Dan Penn record.» Et dans l’un de ces grands moments d’humilité qui le caractérise, il lance : «I can’t sing like Dan Penn but use your imagination.» La B se veut radicalement country et on tombe sur une belle pièce de chevauchée sauvage, «Wildwood Boys» dans laquelle il raconte comment les gars du Missouri sont allés se battre contre l’Union pendant la guerre de Sécession - High-riding rebs from Missouri/ We rode for the great Quantrill/ Caught up by the battle and fury/ Back when just livin’ was hell - et qui après la guerre continuent de faire ce qu’ils savaient faire, c’est-à-dire chevaucher en bande et vivre dans les bois. Ils se mettent donc à attaquer des trains et des banques. C’est chanté avec une morgue extraordinaire et Jim Dickinson sort ses petites leçons de morale - The victory it goes to the strongest/ And only the strong will survive/ Survival is living the longest/ But nobody gets out alive - oui, les plus forts survivent, mais la moralité est sauve puisque tout le monde finit par casser sa pipe. Il clôt ce bel album avec une reprise spectaculaire du «Rocking Daddy» d’Eddy Bond, popularisé par Sonny Fisher - Well I’m rocking down in Tennessee - C’est swingué avec une rare sévérité.

    Signé : Cazengler, prophêtard

    Green On Red. Gas Food Lodging. Enigma Records 1985

    Green On Red. No Free Lunch. Mercury 1985

    Green On Red. The Killer Inside Me. Phonogram 1987

    Green On Red. Here Come The Snakes. 2CD set. Interstate Records 2005

    Green On Red. This Time Around. Off-Beat Records 1989

    Green On Red. Scapegoats. China Records 1991

    Green On Red. Too Much Fun. China Records 1992

    Green On Red. BBC Sessions. Cooking Vinyl 2007

    Raisins In The Sun. Evangeline 2001

    Jim Dickinson and the Creatures of Habit. Thousand Footprints in the Sand. Curdoroy 1992

    04 / 02 / 2018MONTREUIL

    LA COMEDIA

    RELEASE PARTY BLUE VOID et TCP

    ORGANISE PAR SOCIAL CRASH

    KOMTWA / TABULA RAZA

    CRUCIFIED PINGUINS / BLUE VOID

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    Direction La Comedia plein d'appréhension. Dimanche soir, pourvu que ne se répète pas le coup du punk basque, annonce du concert annulé pendant que la teuf-teuf volait sur la route, et un Montreuil quasi-désertique... Mais non, tout est bien qui commence bien. Comedia toute chaude et accueillante...

    KOMTWA

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    Ne pas confondre avec une pendule comtoise. Beaucoup plus méchant et éruptif. Du punk brut, sans décoffrage. Pouvez vous resservir des planches pour votre cercueil. Parce que Kwontat, ils n'en ont rien à foutre. C'est leur hymne, leur slogan préféré celui qu'ils feront incruster en lettres d'or dans la cuvette de leur WC. Massacre sans tronçonneuse mais à la batterie. Celui qui a passé les deux baguettes à ses doigts c'est le Mat, on ne lui jamais appris qu'il n'était pas en train de conduire une débroussailleuse, et c'est tant mieux. Car c'est un régal pour vos tympans. Ne fait pas les demi-toms ni dans la caisse trop claire, donne plutôt dans le style avalanche grondeuse et pales d'hélicoptères en furie. Un tournoiement sans fin. L'emporte tout dans son mouvement. Le Gal gratte et le Guzz gaze à la basse. Rien à faire sont emportés par le courant aspirant. Se démènent sur le marche-pied mais ils n'y peuvent rien, la musique est la proie d'une bactterie tueuse qui fonce vers les murs et les traverse sans s'en apercevoir. Cyclônotron infernal. A peine croyable, mais ils possèdent un chanteur. Vous vous demandez comment il parviendra à placer sa voix dans le capharnaüm sonore. Dans un premier temps vous remarquez qu'il s'est affublé d'un kilt à motifs vert et noir, vous tombez dans les réflexions machistes, les gars qui passent à trois cents à l'heure, ils vont freiner sec pour lui faire une place sur la banquette arrière. Le coup de l'auto-stoppeuse. Ben, non, le Gui s'adjuge la première place, au volant, dès qu'il ouvre la bouche. Peuvent rouler les potards sur le 124 les copains, lui il rugit plus fort. L'en a rien à foutre, mais à la manière dont il le déclare urbi et orbi vous êtes obligés de le croire sur parole. Ce n'est plus de la provocation mais de la profession philosophique. Une weltanschauung – comme l'écrivent les allemands – une vision cosmique, la proclamation de l'entéléchie punkoséïdale. Remarquez que le message passe mal, parce que vous, l'auditeur innocent, vous n'en avez pas rien à foudre du set de Komtwa. Le genre d'apéritif au cube des plus énergétiques. En plus la pendule komtwaque vous n'avez pas besoin de la remonter. Les voisins seront obligés de la détruire à coups de hache s'ils veulent dormir la nuit.

    TABULA RAZA

    Du passé faisons Tabula Raza. Moins de bruit, davantage de speed. Triangle de base – basse, batterie, guitare – affûté. Quelque part plus près de Steve Jones que de Sid Vicious. Refus du nihilisme dadaïste. Des politiques qui privilégient le sens et l'action directe. Des titres qui ne laissent aucune place au doute rongeur. En las Calles, Rapport de Force, Nouvelles Barricades. Ne donnent pas dans le consensus mou. Orientés à l'étamine noire. Drapé dans son perfecto, le chanteur n'hésite pas à lancer fièrement l'adage kropotkinien, A chacun selon ses nécessités, de chacun selon ses possibilités, un principe d'entraide de production et de consommation qui ne s'apprend pas sur les bancs de l'ENA. Musique fuselée et concepts bulldozers. Faut de tout pour détruire le vieux monde. Qui non seulement n'en finit pas de mourir mais qui de surcroît se porte comme un charme. Tabula Raza pousse à la roue. Rock torride et colère déployée. Ne confondent pas la communication avec le message. Des mots explosifs qui vous réduisent en poudre. Noire.

    CRUCIFIED PINGUINS

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    Durant la mise en place, z'avaient tout pour se faire aimer. La guitare de Clément froufroutant dans le blues, une autre, celle de Grégoire, difficile à tenir en laisse mais jappant comme un mâtin furieux qui s'en prend à votre postérieur, une batterie météorique, que demander de plus, qu'ils commencent au plus vite. Promettaient beaucoup mais choisirent les sentes de l'humour. Pas noir, l'absurde. Clément perdant un temps infini entre deux morceaux à des vannes vaseuses qui cassèrent le rythme du set. Je l'avoue les Pinguins m'ont un peu crucified. Veux bien entendre les phénomènes de distanciation, épiloguer sur l'auto-dérision – pratique toujours un peu démago - censée empêcher l'admiration béate de l'Artiste par le fan de base, mais le rock'n'roll me semble porteur d'une urgence indispensable. Dois reconnaître que j'ai été plus mauvais public que la moyenne de l'assistance.

    BLUE VOID

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    L'ai remarquée dès que je suis entré. Mais je ne savais pas. N'étaient que trois garçons sur la scène à installer le matos et à peaufiner les derniers réglages. Et quand à la sono, le signal de départ a été donné, j'ai été tout surpris de la voir sauter sur l'estrade et se saisir du micro. Les gars ont embrayé tout de suite. Pas des charlots, parfaitement en place à la première seconde, vous ont concocté un de ces backgrounds de rêve, un de ces profilés de braise pour les soirs d'ordalie, et encore je les soupçonne de savoir faire mieux, car là ils ne jouaient pas pour eux, mais pour elle. Aux petits soins, aux petits oignons. De ceux qui vous font pleurer des larmes de joie. Ensuite ce fut le pays des merveilles. Le pays d'Alice. Toute mince, les jambes fuselées en futal noir négligemment ouvert aux genoux, une taille de guêpe, toute longue, surmontée d'un brouillard de blondeur, les bras nus, un bustier à rendre jalouse Astarté, le haut du sein gauche scotché d'une croix noire, le bras droit tatouage-maori, et puis la voix qui gomme tout ce qui précède. Haute et claire. Derrière ils affutent le raffut, mais elle plane au-dessus. Une facilité déconcertante. Une aisance à vous transformer en malade mental. L'a débuté par un avertissement un tantinet mensonger : «  L'on fait du post-punk mélodique », post-punk, je n'ose pas contrarier mais pour la mélodie, elle est envoyée à la fronde. Ou alors ce qu'elle appelle mélodie c'est sa facilité à surfer sur les octaves. This Bomb is Mine décrète-t-elle d'entrée, vous le martèle d'une voix claire comme de l'eau de roche et haute comme la tour Eiffel, mais trois morceaux plus tard sur Junk set elle growle comme une mécréante. Mais ce n'est pas tout. Car non seulement elle envoie sec, mais elle nuance à la mitraillette, elle cisèle à la hache d'abordage, elle époussette au marteau-pilon. Les guys la suivent, lui cueillent des jonquilles, lui ramassent des violettes et lui coupent des roses, à toute vitesse, Marc ne passe pas les riffs, il n'en a qu'un par morceau mais vous le fait miroiter, étinceler et chatoyer, sous tous les côtés vous l'allonge et vous le rétrécit à volonté, idem pour Julo qui élastise sa basse, jamais au-dessus, jamais au-dessous du ton de la demoiselle et quant à Léonard devint marteau à laminer l'électricité cordique il racate à la hâte. You and the Hole, Volcano Girl, Waste Virgin Clothes – titres aux lyrics prometteurs mais pour le moment on écoute que cette voix de démone imprécative. C'est du dur vocal, du pur palatal, du sûr apical, de l'envoûtement subliminal, de la folie animale. L'a mis le feu à la salle, les filles dansent devant elle comme sorcières au soir de grand sabbat. La salle acclame, brame de joie et clame sa ferveur. Un set mené sans interruption, un incendie qui brûle tout sur son passage. Seront obligés de refaire This Bomb is mine en rappel parce que le rock'n'roll est une musique qui ne supporte pas la frustration.

    ( Polaroids : Ana Hyena )

     

    SOCIAL CRASH

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    Quatre groupes et pas l'ombre de Social Crash ! Normal Social Crash est une association à but non lucratif – percevoir en cette particularité une revendication de ne pas entrer dans le circuit de la capitalisation marchande - qui regroupe une douzaine de groupes de musiques turbulentes et de collectifs d'actions existentielles dissidentes, et édite un fanzine dont nous présentons ici le Numéro 2 paru en avril 2017. C'est Social Crash qui organisait la soirée de ce dimanche 4 février.

    Diy or dye. Principe vital de survie. Les dernières pages exposent avec schémas à l'appui tout ce dont vous avez besoin de savoir pour maîtriser un minimum de technique sonore indispensable pour que la musique que vous produisez atteigne les oreilles de vos auditeurs. Indispensable si vous montez votre groupe, mais nous nous pencherons davantage sur les textes de réflexion.

    Visuellement classieux mais le déchiffrement de la police ( pas celle que personne n'aime, l'autre de caractère ) nécessite un peu d'accroche, le Futur n'a pas d'Avenir – est une réflexion de la plus grande pertinence sur l'état de décomposition des mouvances anticapitalistes dites de ''gauche''. Nous ne prendrons qu'un seul exemple parmi tous ceux passés en revue : ces discours anti-racistes qui de glissements sémantiques en approximations théoriques en arrivent à épouser des causes qui vont à l'encontre de tout effort libératoire des individus. En plein dans le collimateur ces discours racisialistes de toute une partie de l'extrême-gauche actuelle qui présentent les identités religieuses les plus conservatrices comme des actes de résistance culturelle anticapitaliste alors qu'il vaudrait mieux les considérer pour ce qu'elles sont : la perpétuation d'une acceptation de soumission à des principes de dominations politiques et économiques en totale opposition à toute volonté de libération anticapitaliste... Cinq pages de la plus grande clairvoyance, un constat amer d'un punk ( peut-être à chien ) qui se permet d'appeler un chat, un chat.

    Un article sur la nécessité de l'abstention aux élections, un autre sur les liens entre artistes et mouvements sociaux, et une présentation de Tank Girl, l'héroïne d'Alan Martin et de Jamie Hewlett qui fut l'incarnation dessinée au début des années 90 d'une figure de femme libre dans sa tête et dans son corps, aux antipodes des normatives et habituelles représentations doucereuses de la féminité, dans ces mêmes temps de naissance du mouvement Riot Grrr...l aux Etats-Unis.

    Une revue punk qui en quelques pages se révèle bien plus pertinente que les discours à l'étouffoir que nous dispensent l'ensemble de nos tristes médias culturels officiels qui se piquent d'objectivité, cet art de ne jamais aborder par le bon bout les problématiques qui fâchent.

    Damie Chad.

     

    THIS BOMB IS MINE / BLUE VOID

    ( BV02 )

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    Guitare : Marc / Voix : Alice / Bass : Julo / Drums : Léo.

    This Bomb is mine : affirmation féminine, la voix minaude toute seule haut perchée mais les guitares et la batterie la poussent dans ses retranchements et c'est la grande explication, celle qui déchire, transperce les tympans, attise la colère, s'hystérise, ne s'arrête plus jusqu'à la fin brutale comme un couperet. Nom de Zeus quelle chanteuse ! Overlead : on a compris, n'y a plus qu'à se laisser entraîner, emporter par la fougue de la demoiselle. Les gars entament une partie de tennis à trois et la balle n'en finit pas de rebondir jusqu'au bout du rock 'n'roll. Elle, elle continue comme si de rien n'était. L'en a la voix qui miaule et puis qui s'enfonce dans votre cerveau comme la lame d'une serial killer. Volcano Girl : les boys partent en douceur vibrionnante, aucune inquiétude, la zamzelle vous développe une éruption grandeur nature, chaque fois qu'elle dit '' Oh'' vous perdez votre raison. Vous en ressortez sous une pluie de cendres. Pompei girl ! Chichek : c'est la reine lézarde qui run, run, run après sa liberté. Ne vous inquiétez pas les boys accélèrent le mouvement, c'est que l'on appelle une cause gagnée.

     

    Cette trombe is mine. Blue Void passe le balai sur les araignées qui encombrent le rock museal. Un son à eux, une voix à elle, un groupe soudé comme les quatre éléments qui composent l'univers du rock : le feu de l'arrogance, le vent des colères, l'eau des désirs, les terres brûlées. Si vous tenez à laisser un témoignage de vos égarements à vos petits enfants, ce disque est pour vous.

    Damie Chad.

     

    JOHNNY LEE WILLIAMSON

    ( Blues Archive / 222068-306 / 2004 )

    THE STORY OF THE BLUES

    ( Chapter 12 )

     

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    Petit coffret de deux CD's consacré à Sonny Boy Williamson ( I ) – John Lee - que vous ne confondrez pas avec Sonny Boy Williamson ( II ) – Rice Miller... Les deux harmonicistes sont de la même génération et peut-être de la même année, 1914. Toutefois John Lee meurt assassiné en juin 1948 alors que Rice Miller n'effectue son premier enregistrement qu'en 1951. Rice Miller qui participa à l'American Folk Blues festival reste en Europe beaucoup plus connu de par ce fait. Les amateurs de british blues ont dans leur discothèque les enregistrements effectués avec les Yarbirds et les Animals.

    Chapitre 12, ce n'est pas pour rien que la série de vingt est intitulée The Story of the blues, le livret ne se contente pas de présenter la carrière de Sonny Lee, sont aussi largement évoqués les musiciens qu'il croisa ou qui participèrent à ses enregistrements comme Big Bill Broonzy, Yank Rachell ou Muddy Waters.

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    Worried Me Blues : ( Aurora, 11 janvier 1937 : Sonny Boy Williamson : vocal, harmonica / Henry Townsend & Robert Lee McCoy (? ) : guitare ) : guitares minimalistes et harmonica déchirant. Nous sommes encore près du blues rural – ado dans années vingt Sonny n'a pas écouté l'harmoniciste Hammie Nixon ( qui accompagna Sleepy John Estes ) pour rien... bizarrement c'est sa voix qui passe en force qui nous montre que le blues est en train de s'affranchir d'une certaine rusticité au profit d'une accentuation instrumentale. Black Gal Blues : ( idem ) : le blues à l'état pur, Sonny qui se met en scène, et qui fanfaronne, en parle presque, le tout entrecoupé d'éclats d'harmo qui se plantent en vous comme des échardes de bois. Frigidaire Blues : ( idem ) : fait froid dans le dos. Les cordes s'affolent et un long solo d'harmo vous ferait presque oublier les attaques vocales de Sonny Lee d'une violence rare. On se rappellera que ces morceaux sont enregistrés dans une chambre d'hôtel en des conditions rudimentaires. Suzanna Blues : ( idem ) : un déboulé d'orgue à bouche à vous faire flipper, plus loin dans le morceau Johnny vous le fera bougonner d'une bien belle façon. Toute la violence du rock est déjà là. Early in the Morning : ( idem ) : l'heure du blues par excellence, celle des petits matins blêmes, ni la voix, ni l'harmonica ne triomphent, les guitares ahanent, vous vous êtes levé du pied gauche et vous avez marché en plein sur la merde du chien. Sachez en rire pour ne pas pleurer.

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    Sugar Mama Blues : ( Aurora, 5 mai 1937 : Sonny Boy Williamson / Robert Lee Mc Coy & Big Joe Williams : guitares ) : La voix qui gueule pour mieux implorer, les guitares qui pleurent, et l'harmo qui vous a de ces sanglots à vous hérisser les poils du cul. Tout ça pour une fille, oui mais l'occasion de faire un beau boucan. Skinny Woman : ( idem ) : plus léger, les instruments comme en sourdine, même l'harmo qui picore tout doucement, pour être un harmoniciste de génie, Sonny Lee n'en reste pas moins un grand chanteur. Rien qu'aux intonations vous comprenez ce qu'il conte. My Little Cornelius : ( Aurora, 3 mars 1938 Sonny Boy Williamson / Yank Rachell : mandoline, guitar / Big Joe Williams : guitare ) : la mandoline apporte un son nouveau. Aigrelet, comme ces petits vents qui vous cueillent le matin dès que vous mettez le nez dehors. L'harmo vient y mettre son gros paquet de sel iodé. Remettez le disque vous en avez oublié d'écouter la voix. Decoration Blues : ( idem ) : peut-être pour cela que Sonny Lee hausse le chant, les instrus sont là pour le bruit de fond, ils accompagnent. Mais c'est comme dans les films d'action si vous enlevez la musique, les scènes perdent les trois-quarts de leur intérêt. You Can Lead Me : ( idem ) : les cordes qui tressautent mais la voix devant mène le train, l'harmonica sert d'épice mais à la fin tout le paquet tombe dans la marmite et ça vous brûle la gorge à vous transformer en cracheur de feu. Miss Louisa Blues : ( idem ) la voix se prolonge infiniment sur des cordes qui rampent bas dans la poussière, l'harmonica ponctue fortement puis lui aussi se met à se traîner lamentablement malgré des velléités de colère. Sunnyland : ( idem ) : bienvenue au pays de Sunny qui vous fait la réclame dans la pure tradition des medicine shows. Un dialogue s'installe, l'orchestration est là pour vous convaincre, l'harmonica en perd ses dents, puisque l'on vous affirme que vous ne trouverez rien de mieux que la poisse du blues ! I'm Tired Tucking My Blues Away : ( idem ) : rythme guilleret, pas étonnant qu'aux States ils emploient le terme de terme de country-blues, car ici vous vous croiriez dans une cour de ferme des Appalaches. Un harmo qui n'a pas toutefois la nostalgie cowboy des grands espaces. L'est aussi coloré qu'un zoot suit acheté dans Beale Street. Beauty Parlor : ( idem ) : un blues davantage dans les normes, électrifiez-moi ça vous aurez un boogie d'enfer. Presque trop bien calibré pour emporter une parfaite adhésion.

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    My Babe I've Been Your Slave : ( Aurora, 17 juin 1938 : Sony Boy Williamson / Walter Davis : guitare / Yank Rachell : speech, guitar / Big Joe Williams : guitare ) : le blues dans toute sa splendeur. Un monument. Déclamation, proclamation, les guitares qui pleurent, et Yank Rachell qui ironise par en dessous. L'harmonica se fond dans le paysage. Doggin'My Love Around : ( Chicago, 21 juillet 1939, Sony Boy Williamson / Walter Davis : piano / Big Bill Bronzy : guitare ) : un piano qui jazze en bleu par dessous, l'harmonica qui miaule, le clavier qui goutte à goutte un peu à la Memphis Slim, et toujours ces départs de voix qui claquent comme des coups de feu. Et puis qui se transforment en oraison funèbre de clergyman devant la tombe ouverte. Little Low Woman Blues : ( idem ) : l'harmo qui piaille dans des aigus à vous fendre les oreilles, le piano répand la tristesse de son baume. Il existe différente manière de vous écorcher le cœur, la voix définitive n'en est pas la moindre. Sugar Mama Blues N° 2 : ( idem ) / un peu de sucre ? Vous voulez rire, l'harmonica supplie et la voix ne la ramène pas trop, le Sonny il vous éparpille des pincées de blues à vous faire chialer des larmes indigo. Heureusement qu'il y a le beat élastique par-dessous qui vous souffle de ne pas trop le prendre au sérieux. Sachez rester flegmatique. Good Gal Blues : ( idem ) : l'accent du sud traînant ronronne et câline. La guitare s'insinue, le piano joue à l'édredon et la voix vous essaie le coup du charme. Ça doit réussir car l'harmo en rajoute un max dans les rotondités. I'm not Pleasing You : ( idem ) : apparemment ça ne marche pas à tous les coups, Walter Davis accumule les notes à se faire passer pour Chopin, la guitare trémolise doucement et le chant se fait grave, l'harmo juste pour appesantir l'atmosphère pas joyeuse. Honey Bee Blues : ( idem ) : parfait, ne manque que les Rolling Stones pour nous l'interpréter avec un poil de plus d'arrogance. L'harmo aboie comme un chien, puis il miaule comme un chat, le piano se surpasse, il imite les bosses des dromadaires, la guitare broute comme un onagre du désert et le vocal est là-dedans aussi à l'aise qu'un dompteur dans la cage aux tigres.

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    She Wass A Dreamer : ( Chicago, 2 juillet 1941 / Sonny Boy Williamson / Blind John Davis : piano : Ransom Knowling : basse ) : piano et vocal enjoués, quelques coups d'harmo, un peu de ragtime et c'est part pour un petit trot d'amour cadencé. Fougu, pêchu et bien foutu. Vous donne envie de danser. Decoration Day Blues N° 2 : ( Chicago 17 mai 1940, Joshua Althemer : piano / Fred Williams : drums ) : plus pesant, la batterie impose le pas lourd de chevaux de labour, l'harmonica enfonce sa charrue, le piano s'éparpille en mottes de terre, la voix guide l'attelage.

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    Western Union Man : ( Chicago, 4 avril 1941 : Sonny Boy Williamson / Blind John Davis : piano / Big Bill Broonzy : Guitar / William Mitchell ( ? ) : didley ) : blues classique, le frère jumeau du précédent, tellement puissant que je n'arrive pas trouver les mots même à la dixième écoute. Springtime Blues : ( idem ) : l'harmo cui-cuite tel un oiseau, le piano vous emmène en promenade, attention pas trop vite. La voix plus grave et l'harmo plus aigu. War Time Blues : ( Chicago 17 mai 1940 : Joshua Althemer : piano / Fred Williams : drum ) : scansion jazzistique, voix élastique, piano flegmatique, en contrepartie vous avez l'harmo éraillé qui semble dérailler à chaque intervention. Shoppy Drunk Blues : ( Chicago 2 juillet 1941 : Sonny Boy Williamson / Blind John Davis : piano / Ranson Knowling : basse ) : chanson gaie d'ivrogne sautillant, semble siffler les verres aussi vite qu'il souffle. Autant vous dire tout le monde est content. Nous aussi. Qui a dit que l'alcool était un fléau ! Shotgun Blues : ( Chicago, 4 avril 1941 : Sonny Boy Williamson / Blind John Davis : piano / Big Bill Broonzy : Guitar / William Mitchell ( ? ) : didley ) : en pleine forme, baston blues, pas de temps à perdre. Le genre échauffourée qui vous met en forme, vous fait circuler le sang, avec en prime l'harmo qui devient fou. New Early In The Morning : ( Chicago 17 mai 1940, Sonny Boy Williamson / Joshua Altheimer : piano / Fred Williams : drum ) : les matins se suivent et ne se ressemblent pas; pète la forme, un gai-luron qui aime la vie, vous mène un train d'enfer. You Got To Step Back : ( Chicago 02 juillet 1941, Sonny Boy Williamson / Blind John Davis : piano / Ranson Knowling : basse ) : Johnny Lee fait un concours : essaie de chanter plus rapidement que son harmonica. Sur la ligne d'arrivée faudrait une photo pour départager. Avec une guitare électrique en plus, vous seriez transportés dans les plus beaux moments du studio Sun. Un must. Drink On Little Girl : ( Chicago, 4 avril 1941 : Sonny Boy Williamson / Blind John Davis : piano / Big Bill Broonzy : Guitar / William Mitchell ( ? ) : didley ) : calmons-nous, le serpent du blues déplie ses anneaux lentement, cela permet à Big Bill de nous montrer ce qu'il sait faire en trois secondes entre deux coups d'harmonica. Blind John Davis prend sa revanche dans le second tiers du morceau. My Baby Made A Change : ( idem ) : elle est partie, pas de quoi en faire un drame non plus, fait tout ce qu'il peut pour faire pleurer son harmo, mais le piano derrière est si entraînant que personne n'y croit même lorsqu'il récite ses poèmes bien fort dans le micro. Million Years Blues : ( Chicago 02 juillet 1941, Sonny Boy Williamson / Blind John Davis : piano / Ranson Knowling : basse ) : devait avoir envie de chanter ce jour-là Sonny Lee, occupe toute l'amplitude sonore, on porte moins attention au background musical même lorsqu'il se tait, l'a raison l'a une belle voix. S'il n'avait pas été harmoniciste l'aurait quand même laissé un nom .I Been Dealing With The Devil : ( Chicago 17 mai 1940 : Sonny Boy Williamson Joshua Althemer : piano / Fred Williams : drum ) : avec le piano l'on a l'impression qu'il a plutôt dealé avec le jazz qu'avec le diable. A la réflexion, ils y mettent tant de coeur qu'on ne leur en veut pas.

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    Broken Heart Blues : ( Chicago 11 décembre 1941 : Sonny Boy Williamson /Blind John Davis : piano / Charlie McCoy : guitare / Alfred Elkins : imitation basse / Washboard Sam ) : ou le studio était défectueux ou ils ont essayé de traduire le son des vieux jug-bands, l'on se croirait dans les années vingt. A s'y tromper. She Don't Love Me That Way : ( idem ) : la même session, cake-walk et dance-party. Excellent pour se remuer le popotin dans le sens du vent. C'est qu'il souffle fort le Sonny ! Coal And Ice Man Blues : ( Chicago, 4 avril 1941 : Sonny Boy Williamson / Blind John Davis : piano / Big Bill Bronzy & Charlie McCoy: Guitare ) : l'a beau appuyé sur le champignon de l'harmo Williamson, les deux autres n'entendent pas jouer les utilités, Big bill et son acolyte ramènent leur fraise l'air de rien, tout en douceur mais terriblement efficace. Springtime Blues : ( idem ) : pourquoi l'ont-ils remise une deuxième fois ?

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    I'm Gonna Catch You Soon : ( Chicago 02 juillet 1941, Sonny Boy Williamson / Blind John Davis : piano / Ranson Knowling : basse ) : va vous l'attraper, c'est sûr, l'en est tout joyeux, tout dans la voix coquine et les instrus à l'unisson. Genre Titi et Gros-Minet. Ça claudique des plus gentiment. Blues That Made Me Drunk : ( Chicago, 30 juillet 1942 : Sonny Boy Williamson / Blind John Davis : piano / Big Bill Broonzy : guitare / Alfred Elkins : bo ) : à la vôtre, les verres se suivent et s'entrechoquent, rythme impitoyable, l'alcool le rend bavard, élocution rapide. Tournée générale ! Come On Baby And Take A walk : ( idem ) : peut-être pas sur le wild side mais sûrement jusqu'au prochain juke-joint. Tournée des grands ducs. Moonshine pour tout le monde. Chauffent encore plus qu'un alambic sur le point d'exploser. Mellow Chick Swing : ( Chicago, 28 mars 1947 : Sonny Boy Williamson / Blind John Davis : piano / Big Bill Broonzy : guitare / Willie Dixon : basse / Charles Chick Sanders : drums ) : la jonction, vous remarquez la présence de Willie Dixon un des meneurs de jeu de Chess, c'est peut-être pour cela que Broonzy nous offre son plus beau solo : hommage de la ruralité à l'urbanité ? Williamson se retient, joue du bout des dents, harmonica écornifleur.

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    Un jalon important sur la route du rock'n'roll !

    Damie Chad.

     

    ROCK FRANCAIS

    in Eléments N° 170

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    Rock is snake. Se glisse partout. Là où on ne l'attendrait pas. Pleine page sur Magma dans le dernier numéro ( 170 / Février-Mars 2018 ) d'Elements, le magazine des idées, pour la civilisation européenne. Bel hommage d'Armand Grabois au groupe le plus original du rock français. Armand Grabois est un amateur de jazz, cela se sent. Il est vrai que Christian Vander provient du jazz, mais il eut l'intelligence de réfléchir à la puissance dégagée sur scène par les groupes américains et anglais. Il ne suffisait plus d'être bon musicien, et dès la fin des années soixante, le rock parachevait sa mue la plus importante, la dextérité musicale devenait une composante – pas nécessairement essentielle – de l'impact sonore. L'une des caractéristiques les plus singulières de Magma fut le refus de s'inféoder aux patterns du blues-rock américain. A l'époque c'était un crime de lèse-majesté. Remarquons toutefois que déjà les Stooges louchaient sur le verbatim orchestral jusqu'au-boutiste de Coltrane et que King Crimson ne restait pas insensible à l'agencement structurel de la musique de chambre... Magma revendiqua l'héritage de la musique classique européenne, organisa la fusion entre jazz et expressionnisme allemand. Au jazz Magma emprunta le décrochement rythmique incessant, à Malher et quelques autres une tonitruance monumentale et lyrique. Sur scène, dès la seconde mouture du groupe, les soli de Didier Lockwood mimaient de près les attitudes et les interventions des grands instrumentistes rock. Dès le début Magma attira à lui une partie du public rock français. Faut bien avouer que face aux pitreries de Martin Circus, le choix s'imposait...

    Magma fut plus qu'un groupe. Une aventure. Intellectuelle et spirituelle. Qui dure encore aujourd'hui. Mais Armand Grabois évoque avant tout le Magma des années soixante-dix. Magma sut créer sa propre mythologie, et Magma sut être - ce à quoi très peu de groupes réussissent – fascinant. Plus près du cobra royal que du serpent minute pour gens pressés et foules ignorantes. Si le rock relève d'une culture populaire, Magma se classa d'autorité dans une orbe de haute culture, en évitant tout pédantisme. Pourtant Magma ne mâchait ni sa musique ni ses mots. S'adressait au monde – notez que je n'ai pas écrit à son public - d'une manière comminatoire et, comble de l'arrogance, finit par ne plus édicter, vaticiner et prophétiser qu'en kobaïen un étrange langage forgé dans l'atelier des titans. Magma savait se rendre odieux. C'est ainsi que les fans vous reconnaissent. Un des grands secrets de l'intolérance rock'n'roll.

    En sa présentation Armand Grabois n'est pas exempt d'un parti-pris somptuairement élitiste – d'ailleurs de plain-pied avec l'univers du groupe – mais qui gomme quelque peu les rebelles aspects de l'habitus rock.

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    Changement de programme dans la rubrique cinéma. De Magma l'on passe à Johnny Hallyday. Pas le chanteur, l'acteur. Ludovic Malbreil nous épargne la filmographie complète. S'attarde sur les gros plans. Ceux qui nous montrent Johnny Hallyday de si près que le masque de l'acteur s'efface au profit de la gueule de l'homme. Cinématographiquement Johnny a tourné beaucoup de navets, pas mal de films ratés et deux ou trois pellicules culte. Je vous laisse établir vos listes personnelles. Ludovic Malbreil s'attarde sur les moments révélateurs de la lanterne magique. Ceux où l'acteur approximatif devient l'incarnation animale de notre modernité. Cinéma-Frankenstein se joue de ses acteurs, parfois la créature refuse de se laisser manipuler. Cela ne dure pas longtemps mais ces plans de quelques secondes nous servent de miroir éternels. Un bel hommage rendu à Johnny, très différent de ce vous trouvez dans les autres magazines.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 239 : KR'TNT ! 359 : MARK E. SMITH / RICK HALL / ELI D'ESTALE / ARTIFEX / NAKHT / VELLOCET / DOPPELÄNGER / MAURICE ZYTNICKI

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 359

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    01 / 02 / 2018

     

    MARK E. SMITH / RICK HALL

    NAKHT / ELI D'ESTALE / ARTIFEX /

    VELLOCET / DOPPELGÄNGER /

    MAURICE ZYTNICKI

    Fall de toi

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    Ah, quelle histoire ! Il faut remonter aux années 2000. Je venais de m’inscrire à l’université de Salford, située à trois kilomètres à l’Ouest de Manchester. Je comptais y suivre un cursus de design et surtout parfaire mon Anglais. Lorsqu’on sort du campus pour aller faire un tour en ville, on tombe rapidement sous le charme des vieux quartiers de Salford, notamment le quartier des docks. 

    Par un beau matin d’automne, j’aperçus pour la première fois le tonneau de Mark E. Smith. Je flânais justement sur les docks. Un homme assis devant un gros tonneau installé comme une niche grignotait des chips. Je m’approchai de lui. Il devait avoir une bonne quarantaine d’années. Une mèche de cheveux blonds lui balayait le front. Il avait le visage sec. Ses grands yeux cernés semblaient excentrés. Le personnage ne laissait pas indifférent. Il se dégageait de lui cette sorte d’élégance saccagée qu’on trouve aux aristocrates déchus et aux aventuriers recrachés par les mers du Sud. J’étais loin de me douter que cet homme comptait parmi les légendes vivantes du rock anglais. Me voyant stationner à proximité, il leva la tête. Il attendait que je parle. Ce que je fis :

    — Bonjour, monsieur. Puis-je vous aider ?

    — Oui, mec. Pousse-toi, tu vois bien que tu me caches le soleil.

    Il baissa la tête et plongea la main dans son paquet de chips. Je fouillai dans ma poche et en tirai un billet chiffonné. Je le lui tendis :

    — Tenez, monsieur, voilà de quoi vous offrir un repas décent...

    — Thanx, poto, mais je ne fais pas la manche.

    Je lui souhaitai une bonne journée et m’éloignai rapidement.

    Les jours suivants, je pris des renseignements. On m’indiqua que le Diogène des docks s’appelait en réalité Mark E. Smith, qu’il était le leader de The Fall depuis trente ans, qu’il refusait toute compromission et qu’il passait aux yeux de tous pour un irréductible doublé d’un amateur de chaos. Aiguillonné, je pris aussitôt un bus pour le centre-ville de Manchester et fonçai droit chez Piccadilly Records. Je fus effaré par le nombre d’albums de The Fall qu’on trouvait à la lettre F. Je fis une sélection rapide et regagnai ma chambre, au foyer universitaire. Je commençai par This Nation’s Saving Grace, enregistré par The Fall en 1988.

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    Après la douche froide de «Mansion», un instrumental visiblement destiné à éloigner les curieux, une basse ouvrait «Bombast», un morceau épais comme un pudding ranci et truffé de groove. «Bombast» semblait avancer sur place et n’avoir aucun sens, hormis servir de prétexte aux déblatérations d’un Mark E. Smith qui flagornait et croassait comme le corbeau d’Ice Cream For Crow. Le cut roulait bien et s’arrêtait soudain au bord d’un break pharaonique. La basse glissait en travers, produisait un son qui tenait à la fois du vomissement et de la chute d’un train dans un ravin, et se remettait dans le circuit trois secondes plus tard, comme si de rien n’était. C’était si gonflé, si nouveau, si imprévisible qu’il me fallut écouter «Bombast» plusieurs fois de suite pour prendre la mesure de l’événement. Un morceau intitulé «What You Need» partait en se dandinant, comme si le Magic Band accompagnait Mark E. Smith. Un petit riff vaudou avançait comme un crabe sur le sable rose de mes fantasmes. Mark E. Smith geignait et hululait. Un peu plus loin, une nommée Brix attaquait «Vixen» en feulant tragiquement, jusqu’au moment où Mark E. Smith entrait en scène, plaçant son timbre et les intentions de son timbre en-dessous de la ceinture. Ils recréaient tous les deux une ambiance sacrément belle et digne des heures chaudes du Velvet. J’allai de merveille en merveille, effaré par la maîtrise du groupe, et tombai sur «Cruiser’s Creek», un classique magic-banditisé à souhait, estourbeur, bien posé, cisaillé par les guitares, couiné, grincé, pulsé par ce géant de la désaille qu’était Mark E. Smith l’édenté. Je compris soudain que The Fall comptait parmi les meilleurs groupes anglais.

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    Complètement sidéré, je glissai dans le lecteur le dernier album en date, Fall Heads Roll. «Ride Away» s’envolait sur un sale beat balloche, et une certaine Elena Poulou donnait la réplique à l’édenté. Les couplets de Mark E. Smith traînaient la savate, soutenus par un gros son de basse. Sur chaque morceau, notre homme s’entourait de prodigieuses rythmiques. «What About Us» sonnait comme une horreur rampante. Mark E. Smith y balançait des bah-bah-bah dignes des Troggs et des Oh Yeah à la Iggy Pop, sur un tempo très musclé. C’était à la fois stoogien, impartial et monstrueux. La basse relançait sans cesse. Mark E. Smith chantait le rock des enfers, druggzee !, malaxant ses stances, ouvrant une orgie de ruckus stoogien qui plongeait ses racines dans l’hypno de Can. Il générait plus de bonheur, plus de vérité, plus d’élégance, plus de hargne, plus de soul-shaking que n’en généra jamais Mick Jagger. Mark E. Smith était le vrai rocker anglais, celui qui savait faire ronfler les basses comme des dragons. J’arrivai enfin à la reprise de l’album : «I Can Hear The Grass Grow» des Move. Une véritable horreur ! La voix tombait comme un couperet. Mark E. Smith transformait ce vieux classique des sixties en hit planétaire. Un peu plus loin, «Ya Wanner» arrivait comme une nouvelle abomination au beat carré. Mark E. Smith dépassait vraiment les bornes, il allait plus loin que les Damned ou le Roxy Music d’«Editions Of You». Cet homme chantait comme une bête, une carne, un irascible, un impérissable, un prince méprisant, un violent contradicteur. 

    Dès le lendemain, je retournai le voir. Il rongeait un os de poulet et buvait une Guiness au goulot.

    — Salut, Mark, j’ai écouté deux de vos disques hier, et je suis sous le choc...

    — Si tu veux qu’on cause, fucking mate, ramène un fucking pack de fucking ‘ness.

    Un quart d’heure plus tard, j’étais de retour avec deux packs de Guiness.

    — J’espère que t’es pas un fucking journaliste...

    — Non, je suis français, inscrit à l’université.

    — Aw aw aw, un fucking Frenchie, hein ? À la tienne, alors.

    — Pourquoi vous vivez dans un tonneau ?

    — À part des fucking touristes comme toi, personne me fait chier. J’ai une paix royale. J’ai fait le tour du fucking problème, poto, je peux plus blairer les fucking journalistes, les fucking maisons de disques et tous les fucking bâtards de rock city. J’ai une sainte horreur de la bêtise. Les cons me donnent des boutons. Quand t’auras fait le tour du fucking problème, tu feras comme moi, tu habiteras dans un tonneau et tu chercheras les humains en plein jour avec ta lanterne, aw aw aw ! On vit une époque terrible, frenchie. Aussi terrible que celle des fucking années soixante-dix, quand t’avais les Elton John et les Clapton. T’as remarqué ? Ils sont toujours là, toujours aussi vénérés. Même le premier ministre dit qu’il aurait aimé être l’un deux. C’est révélateur de l’époque où nous vivons aujourd’hui. Je ne lis même plus les fucking papers. Trop triste. Tous ces journalistes lèchent les bottes du premier ministre. C’est embarrassant. Je ne veux plus perdre mon temps. Je préfère écrire des fucking chansons. T’es sur terre pour produire. Carlyle a dit ça. Produis, produis. C’est pour ça que t’es sur terre ! Écris des chansons, fais ton truc, suis ton instinct. Tous ces fucking journalistes n’ont jamais rien compris à The Fall. L’honnêteté, ils sont incapables de comprendre ce que c’est. En écrivant n’importe quoi sur The Fall, ils se sont grillés. Comme le fucking Réplicant de Blade Runner, j’ai vu trop de choses, poto. J’ai vu parader ces pâles bâtards de Spandau Ballet et de Costello au sommet des fucking charts. J’ai fait la première partie des Clash pendant leur tournée américaine et je les ai vus agir comme ceux qu’ils condamnaient, à traiter le public comme du bétail. Je hais les groupes qui se prélassent dans la dépression, les Echo et compagnie. J’ai toujours fait des disques pour ceux qui ne veulent pas se faire enculer, tu vois ce que je veux dire, ceux qui veulent encore se battre.  

    — Mais pourquoi vous vivez dans un tonneau ?

    — Je viens de te l’expliquer. J’écris des chansons. Avant, j’étais trop bien installé. Avec le confort, on finit par trouver des excuses pour ne plus écrire.

    Mark vida sa canette. Il en ouvrit une autre avec son briquet.

    — J’aime bien votre reprise d’«I Can Hear The Grass Grow» des Move. Vous êtes le seul qui ayez osé remettre ce hit au goût du jour...

    — Fucking brillant ! J’adorais les Move. J’aimais bien aussi ces fucking groupes de Liverpool, les Searchers et les La’s, ils écrivaient des chansons solides. Les seuls qui comptent vraiment à mes yeux sont les gens authentiques. Des mecs comme Jerry Lee, Johnny Cash, Bo Diddley et Link Wray. Ils tirent leur art de leur expérience. C’est autre chose que les Franz Ferdinand qui vont se tortiller le cul devant des caméras de télé toutes les cinq minutes, tu crois pas ? Tiens, je vais te donner quelques disques.

    Il entra dans le tonneau et alla fouiller dans un carton.

    — Écoute ça et reviens me voir quand tu veux. Maintenant, laisse-moi tranquille, j’ai trop parlé. J’ai besoin d’être seul.

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    En rentrant, je mis The Real New Fall LP dans le lecteur. Dès le premier morceau, «Green Eyed Loco Man», je me retrouvai plongé dans l’univers déjanté de Mark E. Smith. Il était à la fois le suborneur de la racaillerie électrique et l’orfèvre du crouni. Sa musique rêche me grattait la couenne. On aurait dit un tuberculeux qui cracherait ses poumons rien que pour déconner. Il me faisait penser à une Marguerite Duras chantant par la trappe qu’on a ouvert dans sa gorge et tirant sur une Gitane maïs rien que pour emmerder les cancérologues. Dans «Mountain Energei», il cassait des mots en deux, étirait les syllabes de fin, tirant sur les s pour qu’ils sonnent comme des serpents à sonnettes. Avec «Last Command From Xyralothep Via M.E.S», petit chef-d’œuvre d’ingéniosité hypnotique, Mark se transformait en Léon Zitrône, nous commentant une virée intergalactique larsenée de guitares, ballottée par des riffs de basse, charcutée par des coups de synthé. La reprise de l’album était un morceau de Lee Hazlewood, «Loop41 Houston», qu’il tirebouchonnait pour en faire une fallerie titubante absolument somptueuse.

    Je poursuivis mon enquête sur le campus. La plupart des Mancuniens considéraient The Fall comme un phénomène post-punk sans grande importance. Ils attachaient plus de prix aux Buzzcocks, aux Smiths et aux Stone Roses. Quand je demandais s’ils écoutaient les disques de The Fall, ils me répondaient évasivement. The Fall semblait dériver dans une mer d’indifférence. J’étais sidéré. La nausée me gagnait. Je finis par résilier mon inscription à la fac et m’en fus investir mes dernières économies dans un gros tonneau à bière que je fis livrer sur les quais, à côté de celui qu’occupait Mark. Il commença par protester, disant qu’il voulait rester seul. Devant mon obstination, il finit par céder.

    — À ta guise, fucking frenchie... Je te préviens, tu vas te les cailler, cet hiver.

    — Je préfère affronter l’hiver près de vous plutôt que de supporter la stupidité des gens d’ici. Et puis j’ai ramené mon balladeur. Il marche avec des piles. Comme ça, j’aurai le temps d’écouter tous vos disques.

    — Tu peux me tutoyer, fucking mate.

    La première nuit, j’eus le privilège d’entendre Mark ronfler. Avec la caisse de résonance du tonneau, j’avais l’impression que tout le quartier en profitait. Le matin, il se leva et pissa contre mon tonneau. Par chance, le tonneau que j’avais acheté à prix d’or était bien hermétique. Il passa ensuite un grand manteau par dessus son jumper Armani et m’emmena faire les courses. Il vola quelques canettes de Guiness et nous regagnâmes nos quartiers.

    — Breakfast, poto.

    Nous descendîmes quelques Guiness et rotâmes de bon cœur. Puis il alla farfouiller dans son carton et revînt avec du papier et un stylo. Il écrivit quelques paroles de chansons. 

    Comme j’écoutais tous ses disques, un par un, j’en arrivais chaque fois à la même conclusion : comment pouvait-on écouter autre chose après The Fall ?

    — Aw fuck ! J’ai encore une dent qui brêle !

    Mark plongea les doigts dans sa bouche, agita fiévreusement la dent branlante, l’arracha et cracha juste devant mes pieds. Même un molard de Mark E. Smith avait quelque chose de spectaculaire. Et puis un jour, les musiciens américains qu’il venait d’engager vinrent lui rendre une petite visite. Mark fit les présentations. Il prévoyait d’enregistrer un nouvel album. Il allait donc s’absenter une bonne semaine. Il me demanda de rester sur place pour éviter que des clochards ne vinssent s’installer dans les tonneaux. Il les disait trop durs à déloger. 

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    La neige commença à tomber. Je fis un raid sur les chantiers voisins pour récupérer des bouts de bois et faire du feu. J’écoutais Post TLC Reformation, l’un de ses albums les plus récents. On y retrouvait tout le bastringue habituel, le rejeté décadent, la distance hautaine, la grain tellurique, le lâcher de syllabes acrobatiques, la gouaille des bas-fonds, le rocailleux d’une glotte imprégnée de mauvaise bière, la hargne working-class, la lutte contre la bêtise établie, le haro sur le rock, la culture des influences manifestes qui vont de Can à Captain Beefheart, en passant par Public Image et Desmond Decker. Il torturait sa syntaxe, il avançait de travers, sur des rythmiques sublimes de bassmatic. Il chantait dans sa salive, renouant avec les chinoiseries du Spotlight Kid. Reformation tapait directement dans Can. Mark s’y connaissait en canneries, il savait dérouler l’écheveau, sur un riff de basse incommensurable - Black river ! Ford Motel ! - Il clamait des atrocités en bambou - Go flesh go ! - La reprise de l’album était «White Line Fever» de Merle Haggard. Mark en faisait une merveilleuse gabegie, soulignée à la basse pouet pouet. Il traitait Merle Haggard à la traînarde. Dans le cut suivant, «Insult Song», Mark réinjectait de la black river, du all over and over again, du Ford motel, de la white line fever, il singeait Beefheart à la perfection, faisait du bababa et des breaks vocaux à la Jim Morrison, il travaillait son jerk blues, accompagné par une guitare fantôme. «Systematic Abuse», dernier titre de cet album dément, était du pur Fall, rond et têtu, traîné à la voix. Genoux raclés dans la caillasse. Ardeur et dureté. Swing du néant. Cancer et boules de gomme. Pas d’amour heureux à Manchester. Ses refrains puaient la tripe. Le rythme était gris comme un couloir d’hôpital. Les mots fumaient légèrement. Il les avait aspergés de pisse. Il badigeonnait ses émotions à la nicotine. Je voyais nettement son sourire d’ange aux dents pourries.

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    Une nuit, je m’endormis, mais ne me réveillai pas. Quelques jours plus tard, Mark me trouva allongé dans le tonneau, le casque du balladeur sur les oreilles. Il vit tout de suite que j’étais raide comme un glaçon. Il me traita de fucking frenchie et retourna s’asseoir à l’entrée de son tonneau. Son nouvel album allait sortir. Quelques critiques allaient probablement le saluer. Mark se mit aussitôt à écrire de nouvelles chansons. Il scrutait le ciel. L’inspiration coulait en lui comme un torrent. 

    Signé : Cazengler, Fall du régiment

    Mark E. Smith. Disparu le 24 janvier 2018.

    Mark E. Smith. Renegade - The Lives And Tales Of Mark E. Smith. Viking Penguin 2009

     

    Hall right now

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    L’étoile d’une légende du Deep Southern Soul vient de s’éteindre. Rick Hall est parti rejoindre ses vieux copains au paradis, à commencer par Sam Phillips, originaire comme lui de Florence, Alabama.

    Dans la cour du lycée, on disait aux autres : sans Sam Phillips, pas d’Elvis, pas de Jerry Lee, pas de Wolf, pas de Carl ni de Cash, pas de rien. On peut dire exactement la même chose de Rick Hall : sans Rick, pas de FAME, pas de Clarence Carter et donc de Candi Staton, pas d’Arthur Alexander, pas de rien.

    L’occasion est trop belle de ressortir ce texte déjà bloggotisé sur le mighty KRTNT, histoire de faire gicler une fois de plus tout le jus qui se trouve dans le recueil de souvenirs de Rick Hall, ce redneck qui aimait tellement la musique noire qu’il décida dans les early sixties de monter un studio pour enregistrer des disques. Et pas n’importe quels disques, ceux des sales nègres, en plein cœur du coin le plus raciste du Sud des États-Unis, l’Alabama. Son recueil de souvenirs s’appelle The Man From Muscle Shoals. Le nom tinte bien à l’oreille des fans de Soul : Muscle Shoals se situe au bord de la Tennessee river et c’est là que Rick Hall installa dans les sixties son studio/label FAME, un label qui par la force des choses devint aussi légendaire que Stax, Tamla ou Atlantic.

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    Généreux, l’éditeur offre avec le livre le DVD du film qui raconte la fascinante histoire de Muscle Shoals. Alors, comme le dit Aznavour dans sa chanson, ils sont venus, ils sont tous là : Keith Richards, Percy Sledge, Wilson Pickett, Candi Staton, on assiste dans ce film à un incroyable défilé de stars, y compris les dispensables comme ce Bono qui a pris la détestable habitude de ramener sa fraise quand on ne l’a pas sonné. Et puis bien sûr, le film donne la priorité à Rick Hall qui raconte son histoire, mais avec tout le pathos du Deep South. Les rednecks ont toujours des histoires épouvantables à nous raconter. Le meilleur exemple reste bien sûr Erskine Caldwell. On se souvient aussi de Roy Orbison qui vit sa maison brûler avec ses gosses à l’intérieur. Eh bien, la vie de Rick Hall, c’est à peu près la même chose. S’il se plante devant la caméra pour raconter ses déboires, c’est avec une voix d’outre-tombe et le souffle dramatique d’un William Faulkner. Un vrai pâté de pathos ! Ça commence quand il est jeune marié et qu’il perd le contrôle de sa bagnole. Bim, bam, plusieurs tonneaux. Il survit aux tonneaux, mais pas sa poule. Il raconte aussi son enfance très pauvre à la cambrousse, et l’histoire de son petit frère, tombé dans le bac à lessive quand l’eau était en train de bouillir. Il entre bien dans les détails, nous raconte l’hôpital, et les médecins qui retirent les vêtements et la peau qui vient avec. Et trois jours plus tard, plus de petit frère. La mère en veut au père qui n’était pas là et le père en veut à la mère qui ne surveillait pas les enfants. Alors la mère abandonne sa famille et s’en va faire la pute en ville. Red district ! L’œil humide, Rick indique qu’il ne reverra plus sa mère. Oh mais attendez, ce n’est pas fini ! Il raconte plus loin que son père était un paysan tellement pauvre qu’il n’avait jamais pu se payer un tracteur. Alors son fils Rick lui en paye un. Et puis un jour, sa belle-mère voit par la fenêtre les roues du tracteur, mais en l’air. Elle se dit à juste titre que ça ne présage rien de bon. Évidemment, le père est sous le tracteur. Comme les auteurs grecs de l’Antiquité, les rednecks ont un sens de la tragédie qui flirte avec le génie. Et ce sont des blancs ! Alors vous imaginez bien que lorsqu’un nègre du coin raconte sa vie, comme le fit T-Model Ford, c’est mille fois plus violent. Il suffit de lire les mémoires d’Ike Turner dont le père mit trois ans à mourir, suite à un passage à tabac gracieusement offert par le KKK. En ce temps là, on ne soignait pas les nègres. On leur installait une tente dans le jardin et on leur laissait le choix entre deux options : survivre ou mourir.

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    Quand Keef dit que Rick Hall est un type dur (tough guy), il ne croit pas si bien dire. Rick Hall rappelle en effet qu’il a grandi «comme un animal», dans cette cabane au fond des bois, sans eau ni électricité ni plancher ni lit. Il dormait sur un tas de paille et se lavait à la rivière, hiver comme été. C’est peut-être cet endurcissement précoce qui va lui permettre de survivre à tous ses déboires, et pas seulement les pré-cités, il y a aussi ceux de sa vie professionnelle : les gens du business ne l’ont pas ménagé, à commencer par ses deux associés des débuts qui l’ont viré parce qu’ils l’accusaient de bosser comme un dingue - I licked my wounds and drowned my sorrows in moonshine whiskey (il lécha ses plaies et noya son chagrin dans de l’alcool artisanal) - Rick Hall va ensuite zoner pendant cinq ans puis il décide de monter son studio et de tout reprendre à zéro. Il démarre FAME avec un hit de Jimmy Hugues («Steal Away») puis il lance Arthur Alexander, avec un premier hit planétaire, «You Better Move On» que vont s’empresser de reprendre les Stones. Pouf ! Rick est lancé ! Il devient un producteur de renom. Il monte son house-band avec Roger Hawkins (drums), David Hood (bass) et Jimmy Johnson (guitar), des gens qui vont devenir célèbres, eux aussi. Dans les parages traînent aussi Spooner Oldham et Dan Penn, compositeurs et musiciens de génie underground.

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    L’histoire de Rick Hall, c’est aussi la valse des anecdotes extraordinaires. Un jour, un petit black vient faire un bout d’essai dans son studio, mais Rick Hall n’accroche pas. Oh, le petit black ne se décourage pas ! Il va trouver un autre patron blanc, Quin Ivy, qui a monté un studio à Sheffield, toujours en Alabama. Ah au fait, un détail qui a son importance : le petit black s’appelle Percy Sledge. Il travaille à l’hôpital local. Très peu de temps après, Quin Ivy demande à voir Rick. Il veut lui faire écouter la démo qu’il vient d’enregistrer avec Percy Sledge. Le cut s’appelle «When A Man Loves A Woman». Quin n’a absolument aucune idée de ce que ça vaut. Rick l’écoute une fois et demande à la ré-écouter. Il dit à Quin que c’est un smash. Quin tombe des nues :

    — Ha bon ?

    Il ravale sa salive et demande :

    — Qui pourrait publier ce smash ?

    Rick sait. Il répond :

    — Jerry Wexler !

    Quin ne sait pas qui est Wexler. Alors Rick appelle Wexler un dimanche après-midi.

    — Qu’est-ce tu veux, baby ?

    Wexler lui dit qu’il a du monde chez lui et qu’il n’a pas de temps à perdre. Rick insiste :

    — J’ai un smash, un vrai smash !

    Wexler lui dit :

    — Envoie-moi ça par la poste, baby, j’ai des saucisses sur le barboque. See ya !

    Quand il reçoit la démo chez lui, Wexler n’est pas sûr que ce soit un smash. Il rappelle Rick :

    — T’es sûr que c’est un smash, baby ?

    Rick est scié. Il insiste :

    — Mais oui ! C’est un No. 1 record worldwide !

    Et il ne se trompe pas. Quel flair de cocker ! On peut dire que Percy Sledge lui doit une fière chandelle.

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    C’est là que démarre une relation professionnelle avec Jerry Wexler (co-directeur d’Atlantic) qui va durer dix ans - The heads of Atlantic records, I later learned, were looking for a way out of their rut (j’appris plus tard que les patrons d’Atlantic cherchaient à sortir de leur ornière) - Wexler flashe complètement sur Muscle Shoals et sur la qualité du house-band de Rick. Il découvre en effet que les musiciens travaillent sans partition, alors qu’à New York, chez Atlantic, tous les musiciens jouent sur partitions. Cette décontraction fascine Wexler qui décide alors d’envoyer ses stars en stage chez Rick Hall. Il commence par envoyer Wilson Pickett qui n’en revient pas de voir un studio de patrons blancs installé en plein cœur des champs de coton où travaillent encore des nègres.

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    C’est là, dans cet endroit pour le moins insolite que Wilson Pickett enregistre ses plus gros hits, «Mustang Sally», «Land Of 1000 Dances», «Funky Broadway» et même «Hey Jude», suite à une suggestion de Duane Allman. Puis Wexler lui amène Aretha qu’il vient de signer sur Atlantic. La première journée de session se passe merveilleusement bien, avec l’enregistrement d’«I Never Loved A Man», lancé au pur feeling sur les accords de Spooner. Puis une shoote éclate entre l’époux d’Aretha, Ted White, et un joueur de trompette du house-band. Ted White qui a trop bu accuse le trompettiste de draguer sa femme. Puis il accuse ensuite un saxophoniste de la même chose. Chaque fois, il ordonne à Rick de les virer. Compliqué, car ce sont des amis. Rick demande conseil à Wexler assis à côté de lui. Wexler ne fait pas de chichis : Fire them ! Vire-les ! Mais ça ne suffit pas. L’ambiance est explosive. Aretha et Ted quittent le studio en claquant la porte et rentrent à l’hôtel. Rick veut aller les voir pour tenter de calmer le jeu, car plusieurs journées de sessions sont prévues. Wexler lui interdit formellement d’y aller. Rick reboit un gros coup de vodka et y va quand même. Les rednecks sont têtus comme des bourriques. Il tape à la porte de la chambre. Ted White ouvre et l’insulte, alors une bagarre éclate. Le lendemain, première heure, Aretha et son mari reprennent l’avion pour New York. Devant ce désastre, Wexler est fou de rage. Il annonce à Rick qu’il va l’anéantir - I’ll burry your ass ! - Mais on ne parle pas comme ça à un dur à cuire comme Rick - No, you won’t burry me, you old fart ! I’m a lot younger than you, and I’ll be around long after you’re gone ! - Et c’est exactement ce qui va se passer, Rick va survivre à Wexler qui à l’époque est déjà assez âgé. Mais du coup, Rick perd son principal client. C’est cuit ? Non ! Il contacte Leonard Chess à Chicago qui lui propose d’envoyer Etta James.

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    Rick est ravi car c’est la chick qu’il préfère - My favorite chick of all time - Elle enregistre cet incroyable album qu’est Tell Mama à Muscle Shoals et du coup elle relance sa carrière. Mais Rick est mauvais après Chess qui ne lui paye pas son travail de producteur. Pas un cent, rien ! Mais grâce à ce disque, il redore son blason de producteur. C’est un véritable soulagement - Every record, my life depended on it - Et il ajoute que si tu n’as pas de hit en tant que producteur, on ne te rappelle pas. Puis Duane Allman propose de ramener les Allman Brothers à Muscle Shoals, mais le rock blanc n’intéresse pas Rick. Il passe à côté de la fortune, mais tant pis. Il préfère la musique noire. Rick Hall est un exemple assez rare d’intégrité artistique.

    Il est en train de relancer la machine FAME lorsque soudain se produit une nouvelle catastrophe : cette ordure revancharde de Wexler lui pique son house-band. Il le soudoie en douce et l’installe à ses frais à l’autre bout de la ville. Roger Hawkins, David Hood et Jimmy Johnson abandonnent lâchement le mec auquel ils doivent tout. Absolument tout. Rick Hall tombe des nues. Bhaaaam ! Quand il raconte cet épisode, trente ans plus tard, sa voix chevrote encore. C’est vrai qu’un coup pareil ferait débander un âne. Les traîtres sont rebaptisés Swampers par Denny Cordell et Leon Russell.

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    Une fois de plus, le pauvre Rick mord la poussière. Par contre, les Swampers croulent sous les commandes : Wexler leur envoie tout le gratin du rock des seventies. Même les Stones débarquent à Muscle Shoals. Pas chez Rick Hall mais chez les Swampers. C’est là qu’ils enregistrent «You Gotta Move», «Brown Sugar» et «Wild Horses» qu’on retrouve sur Sticky Fingers. La session est filmée : on voit les vieilles boots en peau de serpent de Keef et, à côté de lui, Jim Dickinson. De l’autre côté de la ville, complètement ratatiné, le pauvre Rick réussit à redémarrer avec une petite chanteuse black que lui présente Clarence Carter. Elle s’appelle Candi Staton. Puis après avoir passé un accord avec Capitol, Rick commence à recevoir dans son studio des stars énormes comme Bobbie Gentry, Joe Tex, King Curtis et surtout les Osmond Brothers qui lui feront gagner pas mal de blé. Il décroche aussi la timbale avec Patches, ce bel album de Clarence Carter. À l’époque, tout le monde veut aller jouer à Muscle Shoals, alors tout le monde débarque soit chez Rick, soit chez les Swampers qui tournent au rythme de quarante albums par an.

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    L’épisode de la rencontre avec Bobbie Gentry vaut son pesant d’or. Elle veut enregistrer une chanson qui s’intitule «Fancy». Sachant pourtant qu’il s’agit d’un hit, Rick s’y refuse, d’abord parce que la chanson traite d’infidélité et d’inceste et ensuite parce qu’elle dure douze minutes :

    — Ça ne passera jamais à la radio, my godness girl.

    Bobbie insiste, alors Rick lui répond :

    My goodness girl, if we record that, these Southern townspeople will ride us both out of town on a rail» (ma puce, si on enregistre ça, on risque les pires ennuis avec les gens du coin).

    Rick a du génie, alors il adapte la chanson et en fait un hit planétaire. Il se dit complètement fasciné par cette femme qui chante avec une «dark sexy voice» et qui s’accompagne d’une «little gut-string Martin guitar» aussi grande qu’un ukulélé - C’était une femme de contact qui savait ce qu’elle voulait et comment l’obtenir. - Et pour qualifier son style, il déploie sa plus belle prose : «She was telling the dark and mysterious story of her life with those Mississippi Delta strings playing back-porch blues guitar riffs like I had never heard before.» (Elle racontait la sombre et mystérieuse histoire de sa vie en grattant des accords de back-porch blues comme j’en avais jamais entendu).

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    Rick Hall écrit dans une langue très rock’n’roll. Quand il évoque ses souvenirs de dragueur, il sonne littéralement comme Roy Orbison dans «Domino» : «Terry and I were a couple of semi-cool dudes on the prowl who wanted to dress in black tuxes, cumbernurns, cut our hair in flat tops with duck tails, play some hipper music, make some cash and meet a fresh crop of much prettier girls.» Rick sait swinguer sa langue et ramener toute l’imagerie du kid américain des early sixties qui savait se coiffer en pompadour, se tailler des rouflaquettes, jouer de la bonne musique, faire un peu de blé et draguer des petites gonzesses. Les fils spirituels de Michel Audiard se régaleront aussi des formules de Rick, comme lorsqu’il dit : «Hansel and I were happy as two dead pigs in the sunshine». En France, on dirait heureux comme deux cochons en foire. Rick voit plutôt des cochons crevés au soleil. En fait, il s’exprime dans cette vieille langue redneck si imagée et si différente de l’Anglais qu’on pratique habituellement. Il sonne exactement comme Sam Phillips. Il règne dans leur façon de s’exprimer une sorte de conviction, un sens du martèlement poétique, leur phraséologie relève même du langage biblique. Quand il parle des difficultés qu’il rencontre à produire des nègres dans son coin, il s’exprimer exactement comme Sam Phillips qui fut confronté au même problème : «I was earning the reputation as ‘that redneck white boy in Muscle Shoals who is cutting all those hit records on black artists’.» (Je me taillais la réputation du petit blanc qui enregistrait des hits d’artistes nègres). C’est la même musique linguistique. Quand il fait le portrait de Bill Lowery, il swingue ses mots : «He was a white-haired, 250-pound, Big Daddy-looking guy with an appreciation for good music, good food and good liquor.» Il fait aussi un portrait savoureux de Don Robey, le label-boss de Duke Records, sur lequel ont démarré Clarence Carter et Bobby Bland : «On racontait que Robey frappait les gens qui osaient l’affronter avec son flingue. Certains des artistes signés sur son label le suspectaient de détourner les royalties, mais ils le craignaient tellement qu’ils évitaient de faire des vagues.»

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    Parmi les portraits fabuleux que brosse Rick Hall, on trouve celui de Dan Penn, qui admirait Bobby Bland et Ray Charles, et qui avait, nous dit l’auteur, une voix aussi belle que celle de Ben E. King - Dan used to say ‘I’m white but I’m alright’ (Fabuleux Dan Penn qui avait pour habitude de se moquer des racistes en disant : c’est vrai, je suis blanc, mais je suis correct) - Rick raconte qu’en chantant, Dan était si intense qu’il rougissait comme une tomate. Il rappelle aussi que Dan fut son meilleur ami, son confident et qu’ils composaient ensemble. Chaque fois que Rick a été trahi ou jeté par les autres, Dan lui est resté fidèle - Dan is a warm, caring and loyal man with an abundance of music savvy - et il ajoute que son précieux ami a les meilleures oreilles «in the whole wide world of music». C’est Dan qui a l’idée de lancer le label FAME pour presser 2 000 exemplaires de «Steal Away», le hit de Jimmy Hugues qu’ils viennent d’enregistrer, et d’aller faire la tournée de toutes les stations de radio noires du Deep South pour le refiler aux DJs. Rick n’a pas les moyens de leur glisser un billet, aussi leur propose-t-il à la place une bouteille de vodka.

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    Et Dan dira : «Je ne me suis jamais autant marré que lors de ce voyage à travers le Deep South, quand avec Rick on distribuait ‘Steal Away’ dans toutes ces stations de radio noires.» Rick raconte aussi qu’une nuit, Dan est arrivé dans le studio avec un pack de bière, trois paquets de cigarettes, sa précieuse guitare et accompagné d’un jeune mec nommé Spooner Oldham. Ils se sont assis à même le sol, ils ont éteint les lumières et ont composé «Let’s Do It Over» qui allait être le prochain hit de Joe Tex. C’est à cette occasion que débuta leur longue et prolifique collaboration.

    Si on aime les portraits de personnages légendaires, il faut lire ce recueil de mémoires. Rick fut le seul à croire en Arthur Alexander. Il se fit jeter par tous les labels locaux et quand «You Beter Move On» commença à marcher, un certain Tom Stafford emmena Arthur à Nashville, privant ainsi Rick du bonheur d’enregistrer le premier album. Rick apprendra plus tard par la fille d’Arthur que son père était fier du premier single FAME qu’ils avaient enregistré ensemble.

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    L’autre géant que défendait Rick fut bien sûr Clarence Carter auquel il consacre des pages émouvantes. C’est même l’histoire d’une amitié profonde, basée sur le respect mutuel et la qualité artistique. Rick se souvient des débuts de Clarence Carter, qui était à l’époque aussi pauvre que lui. Quand il entrait en studio, Clarence Carter était parfaitement au point, parce qu’il misait tout sur la musique qui était, comme pour Rick, sa seule planche de salut. Clarence jouait alors en duo avec son pote organiste Calvin sous le nom de Clarence & Calvin - Clarence and Calvin were both natural-born clowns who laughed and cut up in the studio, but were as serious as a bleeding ulcer about their music (ces mecs savaient se marrer, mais ils étaient sérieux comme des papes dès qu’il s’agissait de jouer). Rick conclut ce chapitre avec un petit épilogue en forme d’hommage définitif : «Je reste convaincu que Clarence Carter aurait pur être aussi énorme, voire plus énorme, que Ray Charles s’il avait bénéficié du même type de support financier, ou s’il n’avait pas eu le malheur de mener sa carrière en même temps que celle de Ray. Ils étaient tous les deux aveugles, noirs, ils venaient tous les deux du Sud et étaient tous deux des génies. Leur son est un mélange de Soul et de country unique au monde. Clarence est resté mon ami et il utilise encore mon studio pour enregistrer ses albums.»

    Oh et puis ce portrait de Wilson Pickett. Rick le dit précédé par sa mauvaise réputation et il ne peut pas résister à l’envie de lui demander si l’histoire du flingue sur la tempe du label-boss est vraie. Et Wilson lui répond : «J’ai pris l’ascenseur pour monter au bureau du patron, je suis entré, je lui ai mis mon bras autour du cou et un calibre 45 sur la tempe et je lui ai demandé de me rendre mon contrat, alors il a ouvert un tiroir et me l’a donné sans discuter.» En fait Rick explique que Jerry Wexler misait sur le fait que Wilson et lui, tous deux nés en Alabama dans la plus grande pauvreté, allaient bien s’entendre et que Rick allait pouvoir gérer les soirées alcoolisées et les tensions des séances d’enregistrement. «Jerry pensait que j’étais le seul mec capable de gérer Wilson Pickett et j’étais bien décidé à lui montrer qu’il ne se fourrait pas le doigt dans l’œil.» Quand Rick voit Wilson pour la première fois, il le compare à une panthère noire à la peau luisante. Cette rencontre est hilarante, car Rick qui ne connaît pas Wilson s’attend à voir débarquer du DC3 un gros black du genre Solomon Burke, et Wilson est horrifié de voir que le mec de Muscle Shoals est un blanc. En fait, ce qui horrifie le plus Wilson, c’est de découvrir que les champs de coton existent encore et que la situation des noirs n’a guère évolué depuis que sa famille est remontée au Nord, lorsqu’il avait seize ans. C’est Chips Moman qui va jouer de la guitare sur les fameuses sessions d’enregistrement de Wilson Pickett. C’est aussi Chips qui sort le double-octave riff d’intro de «Mustang Sally». Et tout le reste n’est que littérature.

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    Signé : Cazengler, un Rick hard sinon rien

    Rick Hall. Disparu le 2 janvier 2018.

    Rick Hall. The Man From Muscle Shoals. My Journey From Shame To Fame. Heritage Builders 2015

     

    Moissy-cramayel / 26 – 01 – 2018

    les dix-huit marches

    ELI D'ESTALE / ARTIFEX / NAKHT

     

    FEU FALLEN EIGHT

    C'est aux 18 Marches que nous avions rencontré pour la première fois Fallen Eight – le 02/ 10 / 2015 pour être précis - un des groupes phare de la jeune génération Seine & Marnaise dont nous avons suivi régulièrement les aventures dans nos colonnes. Nous attendions le prochain album. Mais le 12 janvier dernier la nouvelle est tombée, en préambule d'un long communiqué. Chute du huit. Fallen Eight se sépare. Divergences musicales qui n'annulent point l'amitié qui les unit... Le rock'n'roll use ses groupes bien plus rapidement que l'océan ses galets. Après Klaustrophobia, Beast, Scores, Fallen Eight n'est plus qu'une coque rouillée – dont la légendaire épopée ne tardera pas à se former - dans la darse des souvenances et des regrets. Nous restent les disques, les photos, les chroniques et les rencontres suscitées par leurs tumultueuses apparitions. La vie est ainsi, une vague se retire pour laisser place à une autre. Dans tous les sens du terme le rock'n'roll est une musique mortelle.

    ELI D'ESTALE

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    Nouvelle formule d'Eli d'Estale. Je dirais presque mathématique. Rien à voir avec le groupe qui growlait tant à mort que l'on avait avait l'impression que le son brouillait l'image qu'ils voulaient imposer ( Voir KR'TNT du 27 / 10 / 2016 ). Ont réduit la voilure, ont profilé l'étrave. Ont jeté par-dessus bord tout ce qui n'était pas indispensable. Sont parvenus à une esthétique racée, corsaire. N'offrent que le minimum. Mais vital. Aussi létal. A l'image de la guitare – Boden Original 7 - de Rémi Goetz dont on se dit qu'un fauve affamé a dû croquer un morceau. Un son réduit à l'essentiel, d'une rècheté désertique, sec comme un arbre mort, sans une goutte de lyrisme. La piqûre du serpent sans la consolation de l'antidote. Rien de trop. Rien de moins aussi, pas de flamme mais le feu, pas d'emphase mais la netteté du claquement d'une culasse de sniper. Alexis Godefroy est à la basse, jamais instrument n'a porté aussi bien son nom, un son sans rotondité, la dureté d'une écaille d'arapaima, totalement imité par Paul Alexandre Dournel à la guitare, la colère mais froide, la rage mais contenue, style classique qui évite les adjectifs ronflants et les figures de style à la-m'as-tu-vu. Musique sans complaisance envers elle-même. Et le public. Toutefois Eli d'Estale possède une quatrième cartouche de dynamite. Gilles Romain, debout sur son caisson tel un orateur antique sur la tribune des rostres. Démultiplie l'impact sonore de ses acolytes. Une gestuelle sobre mais théâtrale, la voix qui djente et les mouvements maniérés des mains autour de son visage qui en renforcnte les effets. Froideur passionnée. L'attire les regards. Invective et convainc. Accusateur public et couperet de guillotine. Enfermé en lui-même, isolé en sa propre représentation, et par ce fait-même totalement fascinant. Le groupe donne l'impression de résoudre une équation qui permet de tracer une droite brisée d'un genre nouveau que l'espace des courbes se voit contraint d'admettre et d'accepter, une espèce de zig-zag à angles morts porteur d'une foudre capable de déstructurer tous les champs magnétiques de la pensée humaine. Ce qui ne manque pas de se produire, les esprits captifs de l'assistance, entièrement phagocytés par cette musique, un composé d'essentiel et d'énergie, leur font un triomphe.

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    ARTIFEX

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    Artifex sera la révélation de la soirée. Entre une statuette du Buddha et le micro. Entre vide et silence. Faudra attendre le déroulement du second morceau pour saisir l'originalité intrinsèque du groupe. Nombreux sont les combos qui débutent par un instrumental. Dark Forest avec ses ramures sombres et ses sentes obscures avaient séduit l'auditoire. L'on attendait que Brendan à la basse et en position centrale s'emparât du chant, mais il n'en fit rien. Ni cris, ni chuchotements, ni hurlements, ni growl, ni djent. Artifex redéfinit le genre. Trash exclusivement instrumental. De l'instrumentrash. Cela change la donne. Eveille l'esprit et vous oblige à écouter autrement. D'autant plus que l'évidence s'impose très vite. Le chant ne manque pas. Son absence n'est pas perçu comme un défaut. Sa présence serait même de trop. La musique se suffit à elle-même. Le fruit de l'arbre ne nécessite aucune adjonction.

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    Pahaad Ke Raaja, que la répétition des A ne vous égare point. Artifex n'est pas adepte des musiques répétitives, ces boucles qui se superposent inlassablement, qui ne changent que d'un écart de dixième de ton à chaque tour et qui finissent par vous endormir. Mickaël est assis aux drums, avec ses longs cheveux blonds l'a le look solide d'un jarl à la poupe d'un drakkar qui dirige ses berserkers à l'assaut des tempêtes. Frappe lourde et puissante. Roulements de toms et tintamarre de cymbales, infléchit par son jeu la course des guitares. Thomas et Victor se partagent les bordées. Thomas est l'adepte des vagues déferlantes et tumultueuses qui vous secouent salement, ses riffs grondants sont des coups de boutoirs, ne durent jamais très longtemps mais sont suffisants pour vous faire craindre tous les naufrages. Victor tout au contraire joue dans l'écume déferlante. Ne se repose jamais, pétrel dans la tempête, au ras des lames, aux ailes infatigables. Ses doigts courent d'accord en accord sans jamais se lasser. Une longue jam lui permettra – non pas une démonstration car il possède une retenue individuelle qui lui interdit de se mettre en avant – de donner, et de partager, toute cette habileté cordique qui le pousse dans ses propres retranchements. Une note ne saurait être gratuite, elle se doit d'être prolongée par une seconde qui reprend l'héritage et le fait fructifier, tant au niveau de sa limpidité harmonique que de sa coloration phonique. La troisième ainsi de suite, tout morceau possédant ainsi sa part d'improvisation vivante. Avec en plus ces moments où les deux guitaristes ne jouent pas l'un à côté de l'autre, mais ensemble tous deux en complément de l'autre, chacun devenant tour à tour et le tuteur et la plante grimpante qui s'enroule autour du bâton propitiatoire. Brendan à la basse n'a pas le rôle le plus facile, ou appuyant les basculements de son drummer ou devant s'immiscer en finesse entre les interstices des deux guitares. S'en sort magnifiquement, le rôle ingrat du passeur qui vous aide à traverser les rivières les plus dangereuses mais qui ne peut vous suivre car déjà sa présence est nécessaire sur l'autre rive. L'intercesseur par excellence. Une fonction qui lui revient aussi dès qu'il faut entre deux morceaux établir le contact avec le public conquis. Les trois derniers titres, précédés d'un court sample où une guitare dépose des gouttes de rosée sur l'herbe de l'aurore, seront plus brutaux – Thomas s'en donne à coeur-joie vous pétarade les riffs à la moto-cross tandis que Victor se réserve les pointes de vitesse – Mickaël poussant la mécanique dans ses derniers soubresauts. Metastasis et The One & Only terminent le set en beauté, ovationnés par l'assistance ravie...

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    ( Photos de KARINE SOHIER )

    NAKHT

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    Les deux groupes précédents ont mis la barre haute. Nakht contre-attaque séance tonnante. Danny, le grand Danny, juché sur son trône de fer, spot rouge en dessous dont le faisceau montant ruisselle sur tout son corps, mène l'assaut. L'a sa voix des mauvais jours. Celle du grizzly qui growle à mort. Une voix qui contient le monde entier, des meutes de milliers de chiens sauvages qui courent et aboient derrière le grand charroi de la mort, des grouillements de soudards incendiaires qui s'attaquent au pont levis malgré l'huile bouillante et les rochers qui leur tombent dessus, les clameurs des momies qui subitement se lèvent dans les musées, arrachent leurs bandelettes et de leur museaux musqués, le visage rongé par la pourriture et la vermine et s'en viennent réclamer aux vivants épouvantés le culte que ces impies ne leur ont pas rendu.

    Nakht déboule sur vous. Une boule de feu pétrifiante. Saccage tout sur son passage. Vitrifie les ruines et transforme les vivants en statue de sel que les vents érodent déjà. Nakht la puissance implacable. Nakht, une puanteur d'éternité. Trois guitaristes qui s'agitent tels des pantins monstrueux, marionnettes folles de la colère de Seth, vous découpent des riffs aussi tranchants que des arrêtes de pyramide. Et Damien qui au fond de sa batterie pilonne des blocs de pierre taillées aussi hautes que des immeubles de trois étages.

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    Nakht n'akhrrête jamais. Pas une seule seconde de calme, Artefact, Apophis, Walking Shade, les titres titanesques se suivent et se ressemblent, de monstrueux scarabées piétinent les cités en flammes et les esprits qui agonisent au-dessus des flaques de cervelles écrabouillées. Vous avez voulu Nakht. Vous avez espéré Nakht. Vous avez attendu Nakht. Le voici dans la splendeur immémoriale de sa dureté. De sa cruauté. Grabuge dans la salle. Tourmente dans les âmes. Nakht passe comme les ouragans de sable dans le désert. Nakht engloutit. Nakht efface. Nakht écrase. Nakht vous efface de la surface de la terre.

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    Nakht s'éloigne. Et les voix des survivants interrogent : quand est-ce que reviendra Nakht, que les temps de désolation et de destruction se hâtent, ils sont nos seules raisons de vivre.

    Ce soir-là Nackht fut éblouissance.

    Damie Chad.

    JOUARRE / 27 – 01 – 2018

    SIGVALD'S MOTOR CLUB SEINE & MARNE

    VELLOCET / DOPPELGÄNGER

     

    La nouvelle est tombée sans prévenir. L'était prévu de se rendre à l'anniversaire de Johnny au nouveau local des Sigvald's – nous avions trop aimé la fête du Dixième Anniversaire du Motor Club ( voir KR'TNT ! 329 du 18 / 05 / 2017 ) - d'autant plus qu'était prévue la venue de Doppelgänger, lorsque l'annonce de la participation de Vellocet a éclaté comme une grenade au champagne. Vellocet, nous les avions admirés plusieurs fois chez les Rednecks de Provins, nous leur avions consacré le numéro 16 de KR'TNT ! Du 08 / 07 / 2010, version papier, et les revoici qui paraissent sans crier gare...

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    La teuf-teuf sait où trouver les locaux de bikers, là où on peut faire du bruit sans déranger d'éventuels voisins abrutis de télé, s'engouffre dans la zone industrielle et la rue de la Grange Gruyère – une crème de nom délicieux - ne tarde pas à se présenter. Nombreuses voitures sur les trottoirs. Les motos sont parqués à l'intérieur de l'enceinte d'un vaste bâtiment dont les Sigvald's occupent une grande pièce précédée d'un large auvent. Camion-pizza à l'extérieur, bar à l'intérieur. Le paradis doit ressembler à cela. Des bikers de partout, l'en arrivera sans arrêt toute la soirée – cuirs souriants, serrement de pognes, embrassades fraternelles – l'ambiance est chaleureuse à souhait.

     

    VELLOCET

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    Le gang est à son poste. Eric Colère attend le retour de Johnny au premier rang pour lancer la machine à amphétamine rock. S'étire comme un fauve qui s'apprête à partir en chasse, s'arque-boute contre le micro, balaie l'air de sa longue crinière qui retombe dans son dos. Départ en trombe, le combo en place comme jamais, Hervé Gusmini carbure derrière sa batterie, Bruno Labbe profile les riffs et Christian Verrecchia verrouille les fondements du background des grondements de sa basse. Musique noire, sourde et explosive. Vellocet, ascenseur vers l'extase, la brûlure et la jouissance. Tous sont les vecteurs du vocal d'Eric. Totalement amalgamé à l'incandescence du son, ne faisant qu'un avec l'urgence turbo-réactrice du groupe et en même temps propulsé en avant, tel le missile sorti des soutes à munitions pour être envoyé sur la cible projetée.

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    Une majorité de morceaux issus du dernier album en français. Aux Miroirs, A l'Ombre des Latrines, Gethsémani, les titres parlent d'eux-mêmes, encore faut-il les expectorer avec la violence nécessaire. Eric y excelle, les crache de toute sa colère qui n'est que la fureur rock, les prononce deux fois, une fois les profère, les hache, les tord, les mord, hors de sa bouche, et une seconde fois par la pantomime de son corps désarticulé qui les met en scène, les campe comme des blasphèmes, les habille de menaces, les sculpte au scalpel de la haine. L'on ne peut parler de chant proprement dit mais de lutte avec la matière des mots, desquels il extrait le venin et le non-dit, les serre à la gorge, les étrangle, les étripe, les réduit en charpie, pour se jeter au plus vite sur les suivants qui affluent sans fin, armée de larves dont il convient d'assumer le possible de toutes les métamorphoses.

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    Derrière lui, on n'effeuille pas les marguerites, le moteur se permet des changements de régime hallucinant, il y a de ces tutoiements de paliers infernaux, des brisures qui vous font craindre l'arrêt définitif ou des emballements qui prophétisent l'explosion, mais tout est contrôlé de main de maîtres, des plongeons de toms , des loopings de basse et des glissades verglacées de guitare à vous déchausser les dents, et dans le public l'on en avale pas moins les couleuvres écarlates de ces trous noirs de concentré d'énergie rythmique, le souffle coupé, la bouche béante d'admiration.

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    Deux titres en anglais, Monday Morning Blues et Shotgun House, juste le temps pour Eric de montrer qu'il connaît les canonnades trafalgariennes sur le bout de la langue, entrelardés de Que la Nuit l'Emporte et en final Au Nom de Dieu, dernier outrage, ultime splendeur sombre comme la main de la mort. Mais il est hors de question qu'ils s'arrêtent si tôt. Nous lâchent leur grand classique Mona Lisa et terminent sur Assis.

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    Presque huit ans que je n'avais entendu Vellocet en live. C'est encore meilleur qu'avant. Un set auquel on ne reprochera que sa brièveté, mais époustouflant. Méfiez-vous, Vellocet a repris la route. Se confirme qu'il est un des groupes kérozène du rock'n'roll français. Maillon fort.

     

    REFLEXIONS PHILOSOPHICO-EXISTENTIELLES

    Publicité mensongère. Ne faut pas toujours croire ce qui est écrit. Remarquez j'avais un doute. Je cite leur présentation : ''Le calme n'est rien sans la violence, la lumière n'existe pas sans l'obscurité. C'est sur ce principe que le groupe puise sa force, la musique est exutoire''. Désolé pour ceux qui aiment les moments de calme et de quiétude, les promenades au clair de lune et les soirées à rêvasser au coin de la cheminée. Je ne saurais expliquer pourquoi mais dès que vous rencontrez un doppelänger dans votre vie, ce n'est jamais la face douce et sympathique du personnage. Toujours, le côté obscur de la force. Ce sont ses côtés les plus pervers et maléfiques qu'il tourne vers vous. Peut-être parce que, au fond de nous-mêmes ce sont ces aspérités que nous préférons. J'avoue que si Doppelgänger s'était révélé être un groupe de folk acoustique à tendance papillons roses et petites fleurs bleues, j'aurais été déçu. De toutes les manières ce genre de nuisibles ne courent pas les rues chez les Bikers.

    ( Photos : Enagrom sur FB : Sigvald's MC Seine et Marne )

    DOPPELGÄNGER

    Un sound-check prometteur. De ces bourdonnements de guitares qui laissent présager que bientôt vous allez vous retrouver entouré de l'essaim furieux au grand complet, et Cyrco qui essaie des growlements à vous faire croire qu'il crache des poumons sanguinolents de tuberculeux à chaque fois.

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    Ils ont collé Loule tout au fond contre le mur, l'on se demande comment il arrive à respirer. Doit avoir l'habitude car dès qu'il démarre, la houle de Loule se déchaîne, des cymbales partout, une grosse caisse disposée selon un angle inhabituel, fait des ricochets sur les toms, et vous décoche des plots soniques à vous fracturer les tympans, à vous déchirer les lobes. C'est l'ouragan de fond. La plage idyllique aux cocotiers de cartes postale est définitivement ravagée par un tsunami mortel. Un temps idéal pour les crocodiles qui n'ont jamais eu autant de cadavres à mastiquer en toute impunité. Vous avez réveillé le doppelgänger autant dire que vous avez dopé le danger.

    Devant cette toile de fond une diagonale de folie. Deux guitaristes à chaque bout, le chanteur au milieu. Qui par un étrange effet de géométrie désorientée se retrouve au plus près du public. Sacré boulot pour Thydo et Nicba, z'ont à devancer l'avalanche drumique de neige noire qui fond sur eux, vitesse et précipitation sont leur seul mot d'ordre, plus la lourdeur du son carbonique, un Doppelgänger en action ne marche pas sur la pointe des pieds, il ébranle le sol et fissure les murs. Se propulse à toute vitesse aiguillonné par la force du mal et la volonté de nuire.

    Dans cette nuisance généralisée Cyrco ne possède que sa voix à ajouter au désastre, il se doit d'en exprimer la quintessence nauséeuse, hurlements de loup solitaire qui conjure la lune noire des cauchemars, des serpents nichent dans son œsophage ils soufflent sur les tisons de la haine et du désespoir, dans ses cordes vocales retentissent les échos perdus des ruts brutaux des dinosaurus disparus, le cri des suppliciés et les suffocations des fous dans les asiles ajoutent leurs notes discordantes à ces éboulements tectoniques de blocs de vocaux de pyramides écroulées.

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    Sur le côté droit, troisième angle à la base de deux triangles inversés – si vous voulez suivre les doppelänger à la trace il est nécessaire de vous représenter les patterns idéens algorithmiques qui président à leur déplacement, car leur disposition épouse ce que les alchimistes appelaient la structure maudite mais opératoire du quinconce exalté - la haute silhouette de Sebvi. Le seul qui puisse vous rappeler que le doppelänger est aussi un homme qui vous ressemble. Le sourire aux dents carnivores et la basse constructive. Là où les autres propulsent il creuse les fondations sur lesquelles reposent les catapultes de la déraison.

    Doppelänger, un set de cauchemars irréprochables, mettent en scène les archétypes fondamentaux de votre imaginaire – voir le second Faust de Goethe – les font apparaître en résurgences mentales ataviques, encore faut-il avoir le courage de les identifier. Métallurgie imaginale. La force au service des empreintes psychiques. Décollement intérieur des rétines du troisième œil. Rock'n'roll perforatif. Un grand groupe.

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    Damie Chad.

    DELOK / ARTIFEX

     

    AS I LEAVE / DARK FOREST / METASTASIS / PAHAAD KE RAAJA / CONTEMPLATION / SCENERY / SABHIATA / POST SCRIPTUM.

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    L'album Délok paru le 11 novembre 2017 a été précédé d'un premier album intitulé The One & Only, la pochette ne laisse aucun doute sur l'identité du seul et unique : Buddah. Et pas un autre. Ce qui nous permet d'identifier sans coup férir la moitié du visage qui figure sur le noir recto du CD. L'Illuminé en personne.

    L'ont peut avoir quelques doutes de la sérénité dont se prévaut Artifex. Délok est manifestement traversé de bruit et de fureur. Apparemment la délocalisation spirituelle n'est pas une affaire de tout repos. A moins que le chemin du trash ne soit qu'une voie étroite, celle de la main gauche, dite aussi du serpent. La matière n'est qu'un fleuve de feu nous avertissait Héraclite. L'on n'aime guère s'y retremper par deux fois, mais Artifex n'hésite pas à retenter l'expérience.

    Nous pourrions aussi nous interroger sur cette notion d'Artifex. Il est tentant de rapporter le terme à la figure de l'Eveillé. C'est ainsi que d'après nous l'a pensé le groupe. L'Artifex suprême, seul capable d'arrêter la roue du temps et de l'illusion. Mais tout symbole est réversible. Loin de la sagesse indienne, dans notre culture occidentale, c'est par ce mot qu'au moment d'expirer Néron se définit. Qualis Artifex Pereo ! s'exclama l'empereur de la toute puissance dissolue avant de sombrer dans le dernier sommeil. Sans doute la musique d'Artifex est-elle actée par cette contradiction qui réunit la recherche de la plénitude du néant avec le vide pascalien des divertissements humains auxquels s'adonna sans ennui l'Imperator Suprême.

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    As I leave : pureté extrême d'un chant féminin qui s'élève tandis que batterie et guitares s'introduisent en catimini par en-dessous. S'emparent petit à petit de tout l'espace phonique, d'abord assez sagement, édifiant comme des fondements de basalte, mais bientôt c'est la cavalcade avec apparition de motifs orientaux suivis d'accélérations constantes. Un druming qui pousse et des guitares qui tirent, atterrissage final en douceur. Dark forest : résolument rock, guitare et batterie qui se relancent sans arrêt, avec ces battements d'ailes spasmodiques qui semblent annoncer une descente mais préfigurent une montée victorieuse. Reprise du leitmotiv oriental en plus rapide, passé à la moulinette d'un rotor d'hélicoptère. Réapparaît à plusieurs moments, qu'il soit égrené lentement ou vaporisé rapidement, il n'est que prélude à de nouveaux galops insatiables. Metastasis : un rythme syncopé de base plus rock, du coup les guitares n'en bourdonnent que plus fort un son davantage saturé, ruptures cymbaliques et réassort sauvage dans les secondes qui suivent. La guitare miaule et déchire le motif initial, nous sommes dans une véritable oeuvre musicale continue, avec ses bruissements telluriques et ses enclumes siegfrédiques. Pahaad Raaja : guitare partout, omni-présente, s'adjuge toute l'ampleur du son, mais la batterie ne lâche pas le combat, reprend le dessus, s'adjuge les meilleurs coups, tout cela se résout par un envol éthéré. Deux géants qui se combattus à mort, leur âme plane sur leur corps mais n'en continuent pas moins à se poursuivre dans les dimensions éthériques. Contemplation : calme et zénitude, l'on croirait entendre des orgues mâtinés de trompes tibétaines, la guitare s'égrène et s'ouvre comme fleur du lotus. Ce n'était qu'une étape, la course insensée reprend et la batterie appuie beaucoup plus rageusement selon un contretemps outrancier, chant des guitares qui jaillit comme flèche sans cible qui n'en finissent plus de parcourir la rotondité parfaite du monde. Hachis de tambour et retour au prologue matutinal. Scenery : excitation de toms et menace de guitares, grand opéra orchestral, exclamations tribales, envolées gitanes, scènes de danse. Fin brutale. Sabhiata : levée d'orages et de tempêtes. Cris de guitares, exaltation de batterie, galops insensés, ballet de feu et gigantesque coups de balais qui relèguent au loin les miasmes putrides des pesanteurs terrestres. Post-Scriptum : matin du monde, chant d'oiseaux et cris inquiets d'animaux, les nuages s'amoncellent, la foudre s'accumulent, et la pluie tombe. Vient-elle pour laver le monde ou l'engloutir ? Les dernières mesures semblent se nuancer d'une grande tristesse. Un accomplissement spirituel n'est-il pas toujours corrodé du souvenir de la précédente incarnation ?

    Une oeuvre à écouter et à réécouter. Finement composée et détentrice d'une savante architecture. Un véritable oratorio. Violence et méditation.

    Damie Chad.

    *

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    Y a des gens qui ont du courage. Ouvrir une librairie dans un village ariégeois relève de l'héroïsme. Oui mais certains ont aussi de l'imagination. Le Relais de Poche sis 2 rue de la République 09 340 Verniolle à Verniolles est aussi une Tartinerie. Avec plusieurs couches de beurres et quelques strates de confitures. Dégustation pour tous les goûts. Des livres – coin enfants, espace polars, présentoir poésie, pool critique politique, étagères d'occasions. Vous n'y trouvez pas toutes les dernières publications. L'on essaie d'y présenter celles qui font sens. Quelques tables pour déguster des produits du terroirs, et une salle de spectacles pour causeries, concerts, discussions... Accueil chaleureux. J'en suis ressorti avec un recueil de Serge Pey et :

    LETAL ROCK

    MAURICE ZYTNICKI

    ( Editions Loubatières / 2010 )

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    N'ai pas choisi au hasard. Rock, nécessairement. Se passe aussi à Toulouse. Où j'ai beaucoup vécu. Un avantage sur la plupart des lecteurs, un nom de rue et je visualise aussitôt. Bien que cela n'aide en rien à la réception de l'intrigue. Donc Rock avec juste ce qu'il faut de drogue et pas mal de sexe. Par contre question rock, serais plutôt enclin à parler de variété. Ou alors vous faites comme Rock & Folk et vous déclarez que Fauve c'est du rock. C'est que Zytnicky nous nique un peu. Difficile de se faire une idée du style du groupe Track Sys. Des jeunes gens modernes, imaginez-les tout de même plus près d'Etienne Daho ou de Taxi Girl que des Stooges. Deux garçons, une fille. Se sont rencontrés au lycée, ont passé leur bac ( d'abord ) et ont décidé de fonder un groupe. Et le succès qui leur tombe dessus. Pas toujours facile à gérer. Argent, dope, dépression. Mais pas la peine d'épiloguer, surtout que les boys ne vont pas tarder à se faire assassiner. C'est ici qu'entre en jeu la police. Que voulez-vous, tout le monde ne la déteste pas puisque le Capitaine Leïla Hilmi est l'héroïne du livre. Quoique Lorraine la rescapée chanteuse du trio en soit la star. Pas de chance pour les rockers elle réoriente sa carrière vers la dance pour midinettes 12-15 ans... Et l'on assiste à l'enquête. Je ne vous donnerai pas le nom de l'assassin. Ni son motif. Cette partie du livre nous éloigne du rock'n'roll. Est plutôt bien traitée, relève davantage de l'analyse psychologique du polar-gore bien crade.

    Un polar qui n'a pas pour but de nous relater le crime parfait, il vaut mieux le lire en tant qu'enquête sociologique sur les métamorphoses et les dérives de la société française. Permissivités, reconnaissance ( à défaut de lutte ) de classes, féminités affirmées, masculinités déglinguées, générations issues de l'immigration, jeunesse déboussolée, attrape-nigauds spirituels, manipulation médiatique des masses... Un potage peu appétissant, mais un constat factuel asse proche de la réalité. Zytnicki est un malin. Ne dénonce pas. Ne critique pas. Montre les contradictions. Un miroir. Chacun s'y reconnaîtra. S'il en a le courage.

    Damie Chad.