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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 109

  • CHRONIQUES DE POURPRE 223 : KR'TNT ! 342 : CEDDEL DAVIS / LINDSAY HUTTON ( + NTB ) / ABK6 / SKYVOX / MOOVIE / CORA LYNN & THE RHYTHM SNATCHERS / YANN THE CORRUPTED / BLACK PRINTS / ANDY WARHOL ( + ULTRA VIOLET )

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    , CEDELL DAVIS, LINDSAY HUTTON ( + NBT ), ABK6, SKYVOX, MOOVIE, CORA LYNN & THE RHYTHM SNATCHERS, YANN THE CORRUPTED, BLACK PRINTS, ANDY WARHOL ( + ULTRA VIOLET )

    LIVRAISON 342

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    05 / 10 / 2017

     

    CEDELL DAVIS / LINDSAY HUTTON ( + NBT )

    ABK6 / SKYVOX / MOOVIE

    CORA LYNN & THE RHYTHM SNATCHERS

    YANN THE CORRUPTED / THE BLACK PRINTS

    ANDY WARHOL ( + ULTRA VIOLET )

     

    Cedell ne cède pas

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    Cedell Davis vient de casser sa pipe. Le cœur. De toute façon, il était baisé d’avance. Paralysé de partout, coincé dans un fauteuil roulant, écrabouillé par la main de Dieu, et malgré tout ça, il a réussi à se tailler une solide réputation de real raw bluesman. Il utilisait un couteau à beurre en guise de bottleneck, oh il n’était pas aussi précis qu’Eric Clapton, mais à la limite, ne préférerait-on pas que tous les guitaristes de blues jouent comme Cedell Davis, un peu au pif ?

    Cedell était un vieux de la vieille d’Helena, dans l’Arkansas. Un proche d’Isiah Doctor Ross. Il vit Robert Johnson quand il était môme et il connaissait Elmore James avant que celui-ci n’entrât dans la légende. Cedell reconnaissait volontiers qu’Elmore jouait mieux que lui - He was a better guitar player than I was - Elmore venait jouer chaque week-end chez le père de Cedell, dans un bar sur Plaza Street, à Helena. Le pauvre Elmore avait déjà un gros problème avec l’alcool - And the doctor told him : Elmore don’t mess with that whiskey - Et il savait bien sûr jouer de la slide - Elmore James could slide - Taquin, Cedell ajoutait : «Savez-vous de qui il tient ça ? De Robert Nighthawk ! Robert Nighthawk was the best slide man you could find back in them days !» Pendant dix ans, de 1953 à 1963, ce veinard de Cedell accompagna Robert Nighthawk.

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    Dans un très bel article paru dans Blues Magazine, Alice Clark raconte que Cedell a fait une crise cardiaque en 2015. Depuis, il ne peut plus jouer de guitare. Il ne pouvait déjà plus marcher et il était aussi quasiment sourd. Mais Cedell ne cède pas. À 88 ans, il répétait qu’il ne céderait jamais - I am the type of person who is not going to give up - Comme Jerry Lee, il peut se permettre d’intituler un album «Last Man Standing», version américaine du S’il n’en reste qu’un je serai celui-là. Cedell rappelait qu’Helena et West Memphis, Arkansas, étaient les biggest music towns, bien avant Memphis, Tennessee. Cedell vit aussi jouer Robert Lockwood. Rice Miller voulut le prendre avec lui en tournée, mais Cedell se méfiait de lui. Rice Miller avait pour habitude de disparaître avec la recette des concerts.

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    Son premier album The Horror Of It All est sorti en 1988 sur Fat Possum, évidemment. On l’adore pour son primitivisme enragé. Il suffit d’écouter «Chicken Hank» pour comprendre que Cedell ne se mouche pas avec une cuillère en or dans la bouche. Rien de plus primitif que ce cut tapé sur une caisse et chanté au chicot qui tombe dans la soupe au chou - Uh ! Uh ! - Cedell hoquette le blues et derrière ça bat très approximativement. Ah t’as voulu voir la cabane ? Eh bien voilà la cabane ! Même le solo est pourri, ça pue le vieux bidon. Ils font n’importe quoi ! On a le même genre de désaille avec «I Want You». Cedell fait les choses à sa façon, au mépris qu’en dira-t-on - I love ya baby - Il gratte son vieux riff tout seul - I’m gonna do the best I can - Tu parles, qui voudra de toi, cripple ! Kenny Brown ramène sa fraise sur «If You Like Fat Mama», un heavy blues de boogie boogah classique. On se régale aussi de «Coon Can Mattie», un vieux heavy blues chanté à l’édentée, sauf que Cedell le fait pour de vrai. Il n’a plus de jambes, plus de dents et plus de bras. Un pervers ajouterait : pas de chocolat. Mais son «Keep On Snatchin’ It» vaut tous les coups de bastringue du monde. C’est joué à la ramasse et gratté à la va-comme-je-te-pousse, au pur Grosjean-comme-devant du pousse-toi-de-là-que-je-m’y-mette. On reste dans le pur approximatif avec «Come On Baby». Cedell y va au pif du groove et avec sa guitare, il fout le souk dans la médina. Il joue tout ça à la mesure aventureuse. On l’entend gratter ses cordes au couteau à beurre dans «Cold Chills» - You know baby/ She told me so this morning - Il joue son blues de cabane pourrie, celle qu’on voit là-bas, tout au bout de ce champ abandonné par les patrons blancs dégénérés.

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    Sur la pochette de Feel Like Doin’ Something Wrong, Cedell ressemble vraiment au diable. Attention, c’est un album terrifiant de qualité, l’un des grands disques de blues contemporain. On est littéralement happé dès «Don’t Know Why», bien soutenu et plein de son. C’est Robert Palmer qui produit. Nous voilà donc dans le saint des saints. Cedell claque son boogie à l’édentée. Handicap man est un sacré meneur. Cripple man est protégé des dieux. Il chante son boogah à la pure perfe et gratte ses cordes au couteau à beurre. Alors forcément, ça tourne vite à l’énormité cavalante. Avec «Everyday Day Every Way», Cedell invente un genre nouveau : le blues du bord du fleuve au couteau à beurre. Il sonne comme un délinquant atroce, sa voix traîne dans le caniveau. Plus primitif, ça n’existe pas. Il fait tout à l’ancienne. Il gratte tout à la lame. Il tape dans John Lee Hooker avec «Boogie Chillum Nb2» et chante ça avec une voix de mauvais bougre de la frontière. Puis il tape son «Baby I Want You So» au groove problématique. Avec Cedell, il faut s’attendre à tout. Il a un petit côté trash qui finit par le rendre indispensable. Il traite «If You Like Fat Woman» à l’édentée pure et dure. Sa langue chuinte à travers les gencives abîmées. C’est raide, il faut bien l’avouer. En plus, il s’amuse à gratter en décalage, histoire d’effaroucher les puristes. Mais il faut l’entendre chanter «Feeling Rain Blues». C’est pas compliqué : il chante comme un dieu du blues. Cedell Davis pourrait ben être le vrai truc, au sens où RL Burnside et T-Model Ford pouvaient l’être. Avec «In The Evening», il chante du nez à la délinquance suprême. Voilà la vraie heavyness du fleuve. Mais tout cela n’est rien en comparaison de ce qui arrive. Il claque «Sit Down On My Knee» à la violence de voyou malveillant. Cedell joue comme un punk des bas-fonds d’Helena. Il gratte comme il peut et ses notes traînent la savate. C’est tellement mal joué que ça en devient idéal. Il est le plus crade des bluesmen. Il tape dans Lowell Fulson avec «Reconsider Baby». C’est faux mais c’est bon. Son «Got To Be Moving On» est aussi complètement faux, mais ça passe bien, car c’est l’apanage du diable. À la limite, on préfère Cedell le trash à Steve la gerbe. Il termine avec une reprise de «Green Onions». Il y va au couteau à beurre !

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    Cedell Davis et Herman Alexander se partagent Highway 61 paru en 2003. Herman est excellent, mais ce n’est pas lui qu’on filoche. Il joue le blues qu’on a envie d’entendre, dommage. Et dès qu’on arrive chez Cedell, on sent la différence. Cedell ne rigole pas. Avec «Blues For Big Town», il gratte la cabane. Il explose le blues. C’est Cedell qu’il vous faut. Dans «When I Woke Up This Morning», il fait le show à l’harmo. Il chante comme un soudard, à pleine bouche. Il tape dans «Sugar Mama» et il écrase le blues comme une merde au coin de la rue. Il nous refait le coup des coups d’harmo. Oh il bat Taste, c’est sûr ! Le blues revient toujours au black, c’est son truc. Les petits culs blancs n’ont qu’à se rhabiller, sauf Bonnie, bien sûr. Il joue «Got To Move Down The Road» à la cabane branlante. C’est le style de Cedell, prince de la désaille de fauteuil roulant. Il est dans la précarité du blues, c’est qui fait sa grandeur. Il claque «74 Is A Freight Train» à l’éclaircie du heavy blues. Terrible et patibulaire à la fois. Ce black est un punk du blues, il est mille plus violent que Wolf. Il pousse ses syllabes très loin et il joue faux. Il gratte «Hard Luck Blues» au désespoir d’une vie baisée. Cedell remonte à la surface, on sent son haleine chaude. Ce vieil infirme a le génie du blues.

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    Sur la pochette de Last Man Standing Cedell ressemble encore plus au diable. Décidément, ce mec fait tout ce qu’il faut pour hanter les imaginaires. En fait, Last Man Standing est couplé avec When Lightning Stuck The Pine, le quatrième album de Cedell. Le mec qui joue de la batterie sur ces disques n’est autre que Barrett Martin, le batteur des Screaming Trees. Avec «Catfish & Cornberead», Cedell le punk va chercher son catfish au fond du deep blue sea. Oh yeah, il tape dans le punk-blues, le vrai, celui du couteau à beurre. Ce cut d’ouverture est terrible de heavyness et de son. Si on aime le vrai blues à diction mouillée, alors il faut écouter Cedell Davis. Sur «Party Woman», Cedell duette avec une fille et ça devient vite gras et déconnant. Avec «Who’s Loving You Tonight», Cedell passe au heavy-très-heavy blues. Il règle ses comptes - But that’s alrite/ I know you don’t love me no more - Et il envoie sa gerbe de that’s alrite. Dans «Mississippi Story», il évoque Howlin’ Wolf et Doctor Ross - We were born on the same farm - Il fait le talking blues le plus trash de l’histoire du blues. Et Cedell nous plie «Need You So» en quatre avant de trasher «Yackety Yack» jusqu’à l’os. Il embraye son orchestre à la volée et bascule dans la démence de l’instance furtive. Il faut l’entendre chanter «Everyday Seems The Same». Comme il va - Everyday ! Everyday ! - Spectaculaire ! Et il revient au heavy blues de rêve avec «Further Up On The Road» qu’il chante du haut de sa classe épouvantable.

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    Le second disque s’appelle When Lightning Stuck The Pine. Les gens qui accompagnent Cedell Davis ont bien compris qu’ils allaient jouer du punk-blues. Et ça démarre en trombe avec «Pay To Play». Le vieux Cedell y va franco de port. Il n’a plus rien à perdre. Il s’inscrit dans LA tradition, la vraie, celle des blacks qui n’ont absolument plus rien à perdre. Il reprend le flambeau des géants qui l’ont précédé, comme Muddy et Wolf, avec une niaque exceptionnelle. Il enchaîne avec un heavy blues infernal, «Come On And Ride With Me». Il peut se montrer terrifiant de grandeur bluesy - Please come and stay with me - Il faut entendre Cedell gratter dans la clameur. Il attaque «Woke Up This Morning» avec une violence de soudard. Sa voix grasse à l’édentée fait tout la différence. Retour à la heavyness des enfers avec «So Long I Hate To See You Go». Non, Cedell ne cède pas. Il ne cédera jamais. Il tape là dans la pire des heavyness qu’on ait pu voir ici bas, avec un son exceptionnel. Avec «Give Me That Look», ça déboule aussitôt. Quelle violence dans le riffage ! Cedell en profite car il a le son. Même chose pour «Love Me A Little While». Il reprend «Cold Chills» et en refait une énormité. On n’est plus à ça près. On y entend le son monter brutalement, comme la marée dans la vallée de la mort. Puis il attaque «One Of These Days» à l’assaut frontal. Il rend hommage à T-Bone Walker. Il chante ça à l’énergie du désespoir. C’est vrai qu’il dégage une énergie phénoménale. Il prend «Propaganda» au low-down de la lo-fi et nous envoie valser une fois de plus au fond du marigot de la heavyness avec «Rub Me Baby». Cedell connaît les femmes, alors pas de problème. Derrière lui, ça pulse avec un son dément - Rub me everyday ! - On sort complètement rubbé de ce disque.

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    Son dernier album Even The Devil Gets The Blues vient de paraître. Matthew Smith et toute la bande de Detroiters qui accompagnaient jadis Nathaniel Mayer sont là, derrière Cedell le punk pour «Play With Your Puddle». Ce sont les mecs des Screaming Trees qui font la rythmique. Nous voilà donc une fois encore dans le saint des saints. Ça envoie des coups de trompette dans la gueule du drive ! Et la trompette wha-whate, mon pote, alors attention aux yeux ! Ils jettent du Miles Davis dans la fournaise. Heureusement, ils se calment avec le deuxième cut, «The Silvertone». Ouf ! On l’a échappé belle ! Cedell chante à la cancéreuse, il n’a plus de dents depuis longtemps. De toute façon, il s’en branle des photographes, il rampe jusqu’au micro, alors inutile d’aller le faire chier. Faites pas chier Cedell Davis. C’est une certaine Annie Jantzer qui attaque «Love Blues», elle est bonne, mais quand Cedell entre au cinquième couplet, il fait du Wolf ! Quel fabuleux duo ! La petite Annie a du chien à revendre. Puis Cedell prend «Crap House Bea» à la voix de corbeau poitrinaire, un truc unique au monde. Il reprend aussi «Can’t Be Satisfied». Tu m’étonnes ! Pas facile d’aller limer une gonzesses quand tu rampes par terre comme une limace. Il n’empêche qu’il chante le blues comme un dieu du delta. Il explose «Kansas City» here I come, il en fait un heavy blues exceptionnel. Encore du heavy blues d’exception avec «People Of The Mountain», un truc de zone terminale. Cedell semble remettre tous les compteurs à zéro, tellement il sonne comme le diable. C’est explosé à la pire heavyness qui se puisse imaginer ici bas. On reste dans le même genre d’enfer pour «Cold Chills». Il continue de chanter à l’édentée, et le son accourt au rendez-vous. Tiens, encore une énormité avec «Catfish Blues» et son deep blue sea et ses women fishing afeter me, c’est ultra cuivré et même complètement apoplectique. S’il tape dans le mythe, c’est à l’article de la mort. Avec lui, le blues reprend tout son sens. Les frères Van Conner viennent taper la note dans «Gandma Grandpa» et tout ça se termine avec une version terrible de «Rollin’ And Tumblin’» jouée à la folie avec cette petite folle d’Annie. Voilà le genre de version qui résistera à toutes les critiques, surtout que Cedell entre dans la danse d’une manière plus que déterminée. Les intonations d’Annie sont un modèle du genre. Le vieux Cedell ne fournit plus aucun effort. On assiste en direct à l’explosion d’un vieux classique. Amen.

    Signé : Cazengler, Séquell Davis

    Disparu le 27 septembre 2017

    Cedell Davis. The Horror Of It All. Fat Possum Records 1998

    Cedell Davis. Feel Like Doin’ Something Wrong. Fat Possum Records 1994

    Cedell Davis & Herman Alexander. Higway 61. Wolf Records 2003

    Cedell Davis. Last Man Standing/ When Lightning Stuck The Pine. Sunyata 2015

    Cedell Davis. Even The Devil Gets The Blues. Sunyata Records 2016

    Lightning Strikes Again by Alice Clark. The Blues Magazine #19 - February 2015

     

    Cause you know baby it’s the Next Big Thing

     

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    S’il en est un qui fait autorité aujourd’hui en ce bas monde, c’est bien Lindsay Hutton. Il suffit de feuilleter le Special Issue de The Next Big Thing (Teenage, Excitement, Romance and Mystery) pour s’en convaincre une bonne fois pour toutes. Pour les quarante ans de ce zine de zone, Lindsay Hutton s’est fendu de ce qu’on appelle un bel objet : un 32 pages au format 45 tours enfermé sous pochette plastique avec, comme par hasard, un joli 45 tours des Dahlmans, un couple assez doué en matière de power-pop. Sommaire très copieux avec notamment des textes d’Amy Rigby et d’Art Fein, le mec qui a tout fait pour essayer de manager les Cramps. Les dernières pages sont bourrées de chroniques lapidaires, typical Hutton style, quelques 45 tours - Still the vessel of choice in the bunker - dont un du Dictator Scott Kempner - This guy is one of the greats - et quelques 33 tours dont celui de Full Toilet - Possibly my record of the year for 2016 - Et voilà comment il le présente : «Imagine the Angry Samoans shredding Peter Brotzmann’s ‘Machine Gun’ while Derek and Clive have a sherry in the background. Don Sheets, the man behind this outrage is a genius» - C’est vrai qu’on a tous tendance à crier au génie, ces temps-ci, mais il se pourrait que Lindsay Hutton soit le plus habilité à le faire.

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    Mais les deux choses qui pourraient rendre cette lecture indispensables aux yeux de tout amateur éclairés sont l’édito fait main de Lindsay Hutton et le texte surprise d’un revenant, Long Gone John, qu’on croyait installé sur une île déserte depuis longtemps.

    Lindsay Hutton travaille comme Peter Frame : non seulement il dessine ses textes à la main, mais il remplit l’espace imparti. C’est un exercice passionnant et extraordinairement difficile à réussir. Ça se joue au mot près. Si j’en parle, c’est tout simplement parce que je me suis prêté deux fois à ce petit jeu. D’abord pour un portrait d’Oscar Wilde écrit à la plume sur un bristol A4, à partir des citations que je trouvais les plus remarquables : les pleins et les déliés re-dessinaient l’ombre de son visage. Le portrait parut voici trente ou quarante ans dans un petite revue littéraire. Puis je fis le même travail pour le Service Culturel d’une mairie de la banlieue Ouest qui voulait célébrer le centenaire de la disparition de l’un des mes anciens chouchous, Guy de Maupassant. Je fis donc un portrait écrit, en tirant de ses nouvelles des extraits consacrés au canotage sur la Seine : Maupassant y évoquait bien sûr les rats et ces filles légères qu’il embarquait pour les baiser aussitôt après le premier coude de fleuve. Les pleins et les déliés dessinés à la plume reconstituaient l’ombre du visage familier de Maupassant. Comme je travaillais au service d’une municipalité conservatrice, le texte fut censuré et je dus opérer quelques corrections, mais globalement, je réussis à sauver ce portrait qui devint une affiche.

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    Alors bien sûr, le travail de calligraphe de Lindsay Hutton ne laissera pas indifférents ceux et celles que cette forme d’art peut intéresser. Il écrit son édito en deux parties, la première en pleine justif sur la deux de couve, et la fin sur une colonne qui fait les deux tiers de la page en vis-à-vis. Il compose son texte d’une écriture serrée, extraordinairement bien dessinée. On sent l’homme versé dans les arts graphiques, dans le goût de l’imprimé, dans ce qui fait le charme de cette culture qui remonte au fond des âges. Écrire comme il écrit, ça s’apprend, ça répond à un besoin de produire du beau, ce qu’on appelle des gris typographiques parfaits. Il interligne très serré, mais il prend soin de créer des quarts de blancs entre ses paragraphes, car il connaît son code typo, l’animal. Si vous voulez être lu, apprenez à composer vos textes : c’est ce qu’on vous enseignait à l’École Estienne, au temps d’avant. Il faut aussi savoir qu’il existait encore, voici quarante ou cinquante ans, des gens qui dessinaient des caractères à la main. Des fous ! C’est vrai qu’il existait alors une passion pour la typographie qui depuis lors semble avoir disparu. De toute évidence, Lindsay Hutton s’ancre dans ce monde sacré.

    Voilà en gros ce qu’on peut dire pour la forme. Mais comme Lindsay Hutton est un homme de l’art, il veille à la cohérence : à quoi lui servirait de soigner la forme s’il ne soignait le fond ? S’il dessine des petit caractères calligraphiés, c’est pour mettre sa pensée en forme. Et comme il parle essentiellement de rock - une culture qui nous intéresse - alors ça prend une tournure fascinante, au moins aussi fascinante que les Rock Family Trees de Peter Frame.

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    Il s’exprime si bien, dans un ton si franc, qu’on croit parfois entendre sa voix - I had a thought while scribbling this stuff - Sacrée entrée en matière ! Il pense à un truc alors qu’il commence à dessiner ses lettres patiemment. Il se demande s’il peut encore amener quelque chose, amener a tangible alternate to the bullshit we have to put up with on a daily baisis. This is my shot at providing escape - Comme beaucoup de gens, Lindsay Hutton tente de lutter conte le mal du siècle, la médiocrité, et il voit son zine comme un moyen de lutter. Il rappelle que ses chroniques sont laconiques - The thesis was never my style - Puis il ente dans une polémique justifiée et s’en prend à tous ces phénomènes commerciaux contemporains qui tuent l’esprit de collection de disques, comme ce qu’il appelle the fucking R*cord St*re D*y, qui comme toutes les bonnes arnaques, pave le chemin de l’enfer - down the road to hell - Et puis comme tous les gens de sa génération, il commence à comprendre qu’il ne pourra pas emmener sa collection de disques dans la tombe et qu’il va falloir lâcher du lest - The notion that ‘you can’t take it with you’ is something that could barely have been though possible - c’est amené à l’humour d’Écosse, alors attention aux yeux. Il y pense s’y mettre rapidement - It’s all set to swing into action - Il rend hommage à son vieil imprimeur Martin Lacey qui est toujours en activité. Et en tant que vieux pro, Lindsay reconnaît que tout a changé du tout du tout - et pas en bien - dans ce qu’on appelait autrefois la chaîne graphique - I know that technology in that industry has changed out of all recognition. Once again, not necessarily for the better - Il finit en remerciant les gens qui l’ont suivi depuis le début. Il rappelle qu’il approche de la soixantaine et qu’il a fait ça durant les deux tiers de son existence. «Il n’est pas possible d’aider ceux qui ne s’aident pas eux-mêmes et si tu es entrain de lire cette ligne, c’est qu’elle est la dernière» - Then I do believe that we’ve made the finish line - Quel style !

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    Long Gone John refait surface pour annoncer qu’il sort un nouvel album, après dix années de silence radio. Le groupe s’appelle the Schizophonics. Il en fait un apologie long-gone-johnienne, et comme il fait partie des gens dont on boit les paroles, alors on boit. Chez les amateurs éclairés, Sympathy For The Record Industry fait partie des trois ou quatre labels de référence. Long Gone John raconte que la scène actuelle ne le fait plus trop bander, mais en découvrant ce groupe, son vieil instinct s’est réveillé - And that was so great I simply could not refuse - Refuse de quoi ? Redémarrer Sympathy, bien sûr !

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    Long Gone John raconte que Pat et Lety Beers se sont un jour installés à San Diego et ont commencé à écouter le John Reis Swami Sound System weekly radio slow. Ils se goinfraient déjà de MC5, de Stooges, d’Hendrix et de James Brown, alors ils se sentaient en terrain de connaissance. Ils ont donc monté le groupe et sont vite devenus les chouchous de Mike Stax qui a sorti un single sur Ugly Things - I think the Schizophonics are an amazing force, deserving attention - Et ce fier poète qu’est Long Gone John ajoute que trop de bons groupes disparaissent dans l’indifférence générale, while stylish derivative piles of useless wet shit continue to flourish and thrive (tirade scatologique que je traduirai pas, car ça sentirait mauvais dans la machine de Damie Chad). Long Gone John termine en conseillant vivement d’aller voir les Schizophonics sur YouTube, et surtout d’aller les voir jouer en concert. You will love them and you can thank me later.

    Le problème c’est que ce numéro spécial de The Next Big Thing tiré à 300 exemplaires est déjà épuisé.

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    Mais on peut suivre les conseils de Lindsay Hutton et de Long Gone John, en écoutant simplement les albums qu’ils recommandent si chaudement. À commencer par l’excellentissime All Dahled Up des Dahlmanns, certainement ce qui se fait de mieux aujourd’hui en matière de power-pop. Un son, oui, mais surtout la voix de Line Dahlmann qui nous entourloupe dès «Candy Pants». Tout y est : le sucré de femme avertie, une réelle prestance, la furia del sol d’une power-pop éclairée et le solo vertigineux. Quelle fabuleuse explosion de beauté diaphane ! Line Dahlmann ensorcelle par le seul timbre de sa voix rose et humide. Ils sont tout bêtement effarants de professionnalisme. Même s’ils vont parfois du côté de Blondie, ça reste power-poppé jusqu’à l’os de la gidouille. On entend une belle basse bouger derrière dans «Wake Me Up Tonight», encore un cut d’une rare puissance motrice et «Going Down» semble sacrément bien tenu en laisse. Il semble que ce cut pourrait mordre, car il est acéré et acidulé comme pas deux. On ne peut pas se passer d’un tel son, et s’il n’existait pas, il faudrait alors l’inventer. Merveilleux hit que ce «Love The Haters» profilé sous le vent de la meilleure power-pop qui soit ici bas. C’est à la fois éclaté et porté aux nues, chanté à la candide et porté par le vent du son. Ils passent en mode mid-tempo avec «This Time», alors oui, I can pretend this time, pure énormité, ça vaut tous les hits séculaires de Jackie De Shannon, c’est même une bénédiction de bénédictin, appelons-ça du génie à la fraise, si vous voulez bien, un génie qui scintille à la lumière du jour, c’est tout simplement effarant d’allure édulcorée. On tombe ensuite sur un «Bright City Light» plus banal mais sacrément joué. Dans les remerciements, on trouve les noms de Lindsay Hutton, Andy Shernoff et Amy Rigby. Mais ce n’est pas fini, car voilà l’énorme «Get Up Get Down» monté sur les accords de «Louie Louie», assez cousu, donc, mais Line est une diablesse, elle grésille de génie vocal sur fond de pur power surge. On voit rarement des phénomènes soniques aussi spectaculaires. C’est au-delà de toute expectation, avec en prime un solo killer de congestion fatale, et Line repart à l’assaut du ciel. Quelle extraordinaire débauche d’énergie ! Quand on écoute «Teenage City», on comprend que Line sait attaquer le mâle. Ils font aussi un clin d’œil aux Ramones avec «I Want You Around», certainement le cut que les Ramones auraient rêvé d’enregistrer et ça se termine avec un «Smash You» en forme d’extraordinaire fin de non-recevoir. On ne croise pas souvent des fins d’albums aussi surpersoniques que celle-ci. Il y est question de picker a fight, on est dans les sixties délinquantes, c’est juvénile et terriblement juste - Pick a fight !

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    L’album des The Schizophonics s’appelle Land Of The Living. Il bat tous les records de pétaudière et vaut aussi largement le rapatriement. D’ailleurs on sent que c’est un gros disk rien qu’en contemplant la pochette. Une pure merveille ! On les voit tout les trois photographiés au fish-eye et serrés dans un cadre ovale. Ils ont des gueules de bouffeurs d’écran. Pas beaux mais spéciaux. Comme leur son. Le hit de l’album s’appelle «In Mono». Ils nous tombent dessus à bras raccourcis. Ô puissances des ténèbres ! C’est le riff qui gouverne. On peut parler ici d’impact cataclysmique, et même de meilleur son qu’on ait entendu depuis des lustres. C’est shaké des reins et roulé dans la farine du pur Detroit Sound. On peut même parler de son très intense qui se situe au-delà de toute attente. Tous les diseurs de bonne aventure qui prétendent que le rock est mort vont pouvoir fermer leur boîte à camembert, car avec les Schizo, le rock n’a jamais été aussi vaillant. Surtout quant Pat prend son solo de Krakatoa. Voilà des kids américains qui redonnent au rock ses lettres de noblesse, hey hey, ils démolissent tout sur leur passage, il regorgent de hargne et de son, ils jouent le heavy beat marmoréen et les chœurs font ‘Mono’ ! Pur génie ! Encore du sacrément haleté avec «This Train» - Waiting for the tain - Voilà encore une supercherie bien énervée. Ils sont à cran. Ils grattent si sec. Ils s’exacerbent dans leur coin. Ils font leur truc. Rien à voir avec les Stooges ni le MC5. C’est leur truc, et donc leur force. Pat prend encore un solo qui démolit tout sur son passage. Il riffe à la barbare sur fond de heavy Diddley beat et les descentes vont droit en enfer. Ça syncope comme une bite qui tousse dans le feu de l’action. Les Schizo ont le génie du sonic démento. Ils jouent tout à la clameur extrême et Pat farcit sa dinde de cris de harpie. Ce vieux pirate de Long Gone John avait raison : les Schizos sont taillés pour la route. «Streets Of Heaven’s Hell» dégouline de son. Pat chante ça au pantelant. Il gratte ses puces à sec. Il nous plonge dans le confort d’un enfer sonique brûlant et radicalement inventif. Encore du visité de l’intérieur avec «Make It Last». Pat génère du ouh de combat. C’est infesté de fièvres intestines. Tout est bon sur cet album, ils enfilent les hits comme des perles et réveillent tous les vieux démons du rock incendiaire, celui de No Sleep Till Hammersmith et de Super$hit 666, de Super Shitty To The Max et de Kick Out The Jams. Tiens, justement, puisqu’on parle du MC5, voilà «Welcome», qui sonne comme un hommage aux géants de Detroit. Pat peut pulser du pur jus de MC5, il t’envoie te faire foutre, même rythmique, on se croirait au Grande Ballroom, exactement le même pathos de pétaudière, peut-être même encore plus défenestré du bigorneau et ce démon nous enveloppe tout ça au solo de gras double. Pur démence, il pousse des ouh de vierge folle. Ça MCifayote dans les brancards. Notre héros passe aussi un solo de cathédrale engloutie dans «Open The Door» - Don’t you open the door - Il invente un concept : le heavy-dudisme. Quasiment psyché dans l’os. Encore une petite giclée de MC5 dans «World Of Our Own». Pat ne se prend pas la tête : il rejoue le riff de «Kick Out The Jams». Même tension de ventricule palpitant, même bah-boom de niaque invétérée, yeah in a world of our own, on y est, l’animal repart en solo démentoïde, il Kramérise tout sur son passage et en prime, il renoue avec le génie vocal de Rob Tyner. Qualifions ça d’hommage du siècle ! Et tous les amateurs de killer solo flash se régaleront de celui qui traverse «Move» - Yes you want move - et Pat relance, ça claque des clameurs de red sky, ça tombe bien car voilà «Red Planet», barbouillé au violent fuzz movin’ trash. Ils jouent tout à la non-accalmie, dans la plus parfaite exaction intrinsèque. «Red Planet» sonne les cloches à la volée, tout sent le Kramé à la Kramer sur cet album, jusqu’au dernier cut, allumé en pleine gueule, alors qu’il ne demandait rien à personne.

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    Dans Shindig, Paul Osborne demande à Pat s’il se revendique de Wayne Kramer et de James Brown. Pat s’esclaffe : «I’ll never be as badass as them but I’m very influenced by James Brown and Little Richard.» Il dit aussi admirer la façon dont Jimi Hendrix bougeait sur scène tout en claquant ses notes d’une main pour les laisser résonner dans l’écho du feedback. «I could try some kind of punk version of that technique.» Et Osborne indique que leur album pourrait bien faire d’eux one of the most exciting bands on the planet. Grosse tournée anglaise en octobre, deux dates en Espagne et que dalle en France.

    Signé : Cazengler, Next Big Singe

    The Next Big Thing 40th Anniversary Issue 199-77/2017 (Merci au Professor Von Bee)

    The Dahlmanns. All Dahled Up. Pop Detective Records 2012

    The Schizophonics. Land Of The Living. Sympathy For The Record Industry 2017

    Paul Osborne. The Schizophonics. Shindig #69 - July 2017

    P. S. : Damie Chad se permet de rajouter ce flyer d'un concert ( 27 août 2017 à Los Angeles ) des Grys Gryz ( french combo pétaradant par 2 fois chroniqués dans KR'TNT ! voir # 329 )   avec les Shizophonics

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    PARIS / 28 - 09 – 2017

    QG OBERKAMPF

    SKYVOX / DANIEL ABK6 / MOOVIE

     

    RDV ABK6 O QG. Tant pis pour ceux qui ne comprennent pas les messages chiffrés de l'armée. Généralement dans les films les QG se situent dans de beaux et spacieux châteaux entourés de vastes pelouses verdoyantes, le Quartier Général d'Oberkampf n'arbore point une telle noblesse, à l'intérieur c'est plutôt spartiate, à peines quelques tables et chaises le long des murs, mais méfiez-vous, l'endroit n'en possède pas moins son quadrilatère de lanceurs de missiles rock : une scène qui accueille chaque soir un ou plusieurs groupes, plus un véritable public d'habitués qui viennent pour écouter les combos.

     

    SKYVOX

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    L'en manque un à l'appel. Un tire au flanc. Un certain Pierre qui a préféré rester au lit avec ses microbes. Prennent une décision – qui se révèlera décevante – de ne jouer qu'une demi-douzaine de morceaux. Ce qui est une erreur. Auraient pu doubler la mise, parce que même sans batterie, le set avait du charme. Ne sont plus que quatre. Trois tisseurs de cordes et Sophie au micro. Ne se sont pas moqués d'elle, lui ont tricoté de belles broderies planantes et nuancées, et la grande Sophie devant, deux bras blancs – Saint-Pol Roux aurait parlé de deux serpents de lait – longues jambes gainées de cuir noir, fine silhouette qui impose de par sa seule apparence une présence indiscutable. Belle diction avec parfois comme des intonations d'outre-Rhin qui apportent ce soupçon de mystère qui transcende les quotidiens les plus ternes. Qu'elle chante en anglais ou en français importe peu, sait faire passer les émotions des jours de déception et des nuits d'angoisse, raconte des histoires, dessine avec les mots, les situations et les scènes de la vie qui nous accapare et qui finira par nous tuer. Hervé souligne la noirceur de l'existence de sa basse alors que le contre-chant emmêlé des guitares de Florent et John insiste sur les éclats doucereux de lumière qui éclairent le chemin. Faut voir le geste de la main de Sophie lorsque le morceau s'achève – rien que pour cela le set vaut la peine d'être épié – ces doigts écarquillés qui s'abaissent vers le sol, l'on ne sait plus si elle caresse cérémonialement sans y penser un chien fidèle ou la musique aimée. Une atmosphère versicolore, drama-pop, qui vous prend à la gorge et vous file une pêche extraordinaire. A savourer. Lentement, mais sans clore les yeux, sinon vous ne verriez plus Sophie l'ensorcelante. Ce qui manquerait de sagesse.

     

    ABK6

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    Lui, l'est venu tout seul. Enfin presque, avec sa guitare et sa voix. Ce qui suffit amplement. Acoustique mais tonitruante. Prend toute la place. Un peu comme Bonaparte sur le pont d'Arcole. Et le public qui suit de plus en plus fort à chaque morceau. C'est que Daniel ABK6 sonne américain mieux que personne en notre douce France. Naturellement. Sans effort. La voix et le jeu. Au fond vous trouvez l'or du blues, le vieux blues des marais, prend garde à ne pas déverser toutes les eaux du Mississippi, l'est plus malin que cela ce diable d'ABK6, juste quelques gouttes qu'il extrait de son tube métallique, des espèces d'écorchures qui vous remuent le fond de l'âme comme la cuillère qui tourne la mayonnaise dans son pot, mais ne vous laissez pas dévorer par les varans du désespoir, le son s'amplifie et vous emporte, le bottle neck disparaît dans la paume de sa main. Maltraite ses cordes, tout autre que lui en romprait une en moins de deux minutes, l'a la pesée exacte, la prestesse et la prestance.

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    N'a pas de voix. L'en a deux. Une forte, grondante, virile, et l'autre luminescente, les emploie en alternance, la seconde plus claire comme un rai de soleil pour rendre par contraste l'autre plus sombre, une pour vous oppresser et l'autre pour vous laisser respirer. Forêt et clairière. Montagnes rocheuses et prairie. Le miracle, c'est toute la mythologie de l'Amérique qui défile dans ses doigts et sous sa voix. Paysages, nature et villes, naïveté et turpitude, tout ce que le rock des amerloques véhicule dans ses veines. Cette transfusion de lymphe qui nous irrigue de fond en comble depuis l'adolescence, d'instinct avant même que nous parvenions à déchiffrer un lambeau de refrain. ABK6 restitue cette innocence première, cet instant magique, cette ouverture à un idiome étrange dont les clefs sont fournies au moment même où le rock'n'roll s'est emparé de vous, il y a longtemps à l'orée fondatrice de votre véritable naissance.

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    Expression méchamment doorsienne m'étais-je dit lorsqu'il a annoncé le titre phare de son nouvel album, Summer's Gone, vous avez envie d'ajouter almost comme le grand Jim. Attention ni le placement de la voix ni la structure du morceau ne sont ni veule citation ni vile inclusion, juste la réminiscence d'un esprit qui n'appartient à personne mais qui s'incarne en quelques uns. De même si Celebration évoque directement Ian Curtis et Jim Morrison, ce n'est en rien imitation de peau de lézard ou de corde plastifiée.

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    Les yeux sont rivés sur lui. Capte toute l'assistance, mais il n'est plus là, son timbre éclate, sa guitare tonne, mais lui est ailleurs, incliné sous sa casquette, comme enfermé dans la tourmente dévastatrice d'une musique qui n'appartiendrait qu'à lui, quelque part entre les rives d'un rêve qu'il est en train de toucher de la main et les applaudissements qui lui sont renvoyés en écho. Démonstration magistrale de cette force titanesque que le rock'n'roll infuse dans les individus qui les emporte quand ils ont pris la décision de chevaucher le tigre. Et ce soir, celui qu'a enfourché Daniel ABK6 nous a emmenés avec lui sur son dos.

    ( Photos : Renaud Dumeur )

    MOOVIE

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    Ne sont que trois. Vont faire leur cinéma. Amateurs de films intimistes avec couple qui se déchire dans une deux-pièces-cuisine d'Habitation à Loyer Modéré, hâtez-vous de changer de salle, car ici c'est le film d'aventures, Armagueddon ou La Horde Sauvage, choisissez votre scénario vous-mêmes, eux ils vont peaufiner la bande-son en direct. Le public agglutiné en guise d'images mouvantes et trépidantes. Trois, mais du raffut comme un régiment – dans un quartier général, ça s'impose – aurait dit Tante Agathe. C'est que quand ils branchent le compteur, ils ne mégotent pas. Vous enfilent les morceaux comme porcelets en broche. Ne soyez pas pressés, vos oreilles vont siffler et pourtant ils ne parlent pas de vous.

    Je vous fais défiler le générique. Gros plan sur le pistoléro number one, Franck Ederhi aussi connu sur les avis de mise à prix sous le nom d'Albert Franck – l'est sur votre gauche avec gouaille et guitare. Arrêt sur image sur l'homme aux poings d'or, au fond, de noir vêtu, s'apprête à saccager une batterie innocente qui ne lui a rien fait. Enfin à droite, Lulu Bass, le taciturne qui parle peu mais dans trois minutes fera main basse sur vos oreilles.

    C'est ce que les énarques au ministère de l'économie appelle la théorie du ruissellement. Archi-simple à comprendre. Dès qu'ils ouvrent le robinet du rock'n'roll le déluge s'abat sur vous. Une orgie de sonorités électriques, un torrent de décibels qui déboule sur vous et la crue vous bouffe tout crus. Pas de délais avec les delay. Franck effleure une corde et une infinité de modulations s'enroulent autour de vous tels des mambas affamés, le bassiste préfère les coups bas et tordus qui partent en vrille et qui se plantent entre vos omoplates, quant à Jérôme Jabordes abordez-le avec politesse car il est du genre à vous polir votre carrosserie faciale à coups de marteaux, déploie une imagination débridée à ce jeu dangereux. Qui les amuse. Moultement. Tous ensemble. Se lancent des regards de farces et arttrape-moi-ça-si-tu-peux en faire quelque chose. Soudés comme les trois mousquetaires qui n'auraient même pas besoin de d'Artagnan pour s'emparer des douze ferrés de la reine.

    Pour les paroles Tout y Passe de Dans La peau de Frank Sinatra à Hero Rebelle Destroyer, Franck vous débite les lyrics alternativo-punk à toute vitesse, l'air de s'en défaire au plus vite pour se consacrer à ses échoïtiques orchestrations guitaristiques, d'ailleurs leurs douze morceaux réglementaires menés à fond la caisse, ils se regardent, clignent de l'oeil comme le dernier des hommes dans le Zarathoustra de Nietzsche et sous prétexte d'un dernier rappel, ils se lancent dans un opéra électrique de vingt minutes mené à bride abattue qui explose la tête de toute l'assistance. S'arrêtent sur les rotules, z'ont encore envie mais muscles et doigts doivent être fourbus. C'est Chris qui sauve la mise. Le programmateur du QG, gueule à la serpe, coupe à la Ron Wood, qui prend le micro – belle beuglante, et c'est parti pour une ultime sarabande des mieux syncopées toute bruissante d'électricité avec présentation classique des trois musiciens, deux minutes vingt-cinq secondes de gloire en solo pour chacun d'eux. Mais point trop n'en faut le trio se reforme pour vider les cartouchières et la sarabande instrumentale finale. Certains en redemandent mais Moovie débranche les instruments pour inscrire le mot fin sur la pellicule du plaisir. Ce soir le Quartier Général a gagné la guerre du rock'n'roll !

    Damie Chad.

     

    30 – 09 – 2017

    TROYES / LA CHHAPELLE ARGENCE

    BOP ROCKABILLY Party # 4

    CORA LYNN & THE RHYTHM SNATCHERS

    YANN THE CORRUPTED / THE BLACK PRINTS

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    L'on attendait le Bop Rockabilly Party # 4 pour le mois de juin. Tout le monde. Sauf Billy. Manifestement n'était pas pressé de nous faire son Bop à Billy. Le mois de Junon se profilait à l'horizon et pas une annonce, pas une affiche, rien. Billy restait serein. Pas du tout genre organisateur dévoré d'inquiétude et de tics. Faut que j'en parle à la mairie, se contentait-il de répondre. Parce que Billy quand il organise il donne la liste des groupes qu'il invite, après c'est l'intendance municipale qui se charge du reste. Grand seigneur Billy ! Son job, c'est de téléphoner aux copains pour qu'ils emmènent leurs voitures américaines sur le parvis de la Chapelle Argence et puis de monter sur scène pour présenter les combos. L'a enfin lâché la nouvelle, ce sera en septembre. L'a encore fallu attendre jusqu'au dernier jour ! On lui a pardonné, car maître Billy nous a proposé des plats de choix et de roi.

     

    CORA LYNN & THE RHYTHM SNATCHERS

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    Petit bout de femme en robe rouge sur le devant de la scène. Un triangle de cadors autour qui ne la quittent pas des yeux, veillent sur elle, elle est la perle et eux l'écrin. Pas question de lui faire écran. Lui tissent un fond de ce byssus dont on faisait les voiles de pourpre les plus fins pour la parure des statuts des déesses dans les temples antiques. Trame millimétrée et résistance indéchirable. De la belle ouvrage comme on n'en trouve plus dans le commerce, denrée rare. Précise et précieuse. Alexis Mazzoleni à la guitare. Pas un en France qui ait un jeu aussi sec. Jamais trop, pèse ses interventions au trébuchet. Juste ce qu'il faut. Pas plus, ni moins. La hauteur de son exacte, celle qui s'encastre si parfaitement dans l'ensemble qu'elle consolide l'édifice, la pierre de clef de voûte.

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    Z'avez l'impression qu'à chaque fois il résout un calcul infinitésimal. Réponse exacte sans défaut. Dix-huit chiffres après la virgule. Ne s'agit pas de pousser le rocher de toutes ses forces pour qu'il dévale la pente en emportant tout sur son passage, le nécessaire et l'inutile gaspillage du superflu. Mazzoleni évite ce genre de dégâts collatéraux. Frappe au cœur de la cible. Rien de plus. Tireur d'élite qui élimine la difficulté. Froide précision d'un bouton tourné d'un quart de millimètre et d'un doigté de corde différentiel. A ma connaissance l'est l'unique à user pour une seule note du vibrato avec une parcimonie si réfléchie qu'elle en devient méditative, effet d'une brièveté si confondante qu'il continue à résonner dans votre tête non pas en tant qu'onde sonore mais en tant qu'irremplaçable concours à une perfection architecturale qui n'existerait point sans sa pointilleuse participation.

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    Red Denis adopte le même point de vue. Avec sa carrure de géant ne lui faudrait pas se forcer pour vous produire ces roulements titanesques dont il ne se prive pas en d'autres occasions. Mais là, l'est à l'unisson, l'est au service de Cora Lynn, pas question d'écraser la pitchoune sous un tonnerre de fûts cycloniques, retient ses bras, frappe dure mais constructive. Pas les coups de boutoir à exploser le mur de pierres sèches empilées au millimètre près par Alexis, au contraire, pose des arcs-boutants qui consolident le tout. N'allez pas croire qu'il joue en sourdine, vous assène de ces tabassages de gong à chaque frappe qui s'ouvrent comme pétales d'une fleur carnivore géante qui entend dévorer un rhinocéros. C'est Red Denis qui donne l'ampleur, vous construit les volumes, vous élève un palais sonique somptueux pour la princesse, vastes salles et couloirs démesurés pour que Cora ne soit pas à l'étroit.

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    La tâche la plus délicate échoit à Andras Mitchell, silhouette racée et contrebasse blanche, l'est celui qui est au plus près de la gamine, la précède, court au-devant de toutes ces fantaisies, la protège en la suivant trois pas derrière, ou chevauche à ses côtés, sa big mama dessine des arabesques qui répondent à ses caprices, peut s'aventurer où elle veut, l'est toujours là au plus près, l'enveloppe de courbes phoniques nerveuses, l'agite des foulards de toutes les couleurs, bleu-bop, rose-rockab, mauve-swing, s'adapte à toutes les inflexions coralynéennes, droit comme un I-talique, cérémonialement, impeccablement, immobilement, très légèrement penché sur son instrument, seuls ses doigts trahissent, traduisent et répercutent la tension stylée de son corps qui se découpe dans la lumière des projecteurs, avec la classe du soliste d'un orchestre symphonique.

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    Tous pour une, et une pour le chant. Avec de telles tapisseries de parade feutrées derrière elle, Cora Lynn est dégagée de tout souci. Elle chante, et eux s'adaptent. Verbe haut et clair. Tranchant et virevoltant. Perso j'aurais préféré quelques harmoniques dans les dégradés, mais ses goûts et ses couleurs, elle ne les discute pas. L'a le timbre tourné vers ses modèles, Brenda Lee, Wanda Jackson, Janis Martin, rapide et péremptoire, la voix ne s'attarde jamais, syllabes claires et propulsées au bon endroit, ne se retourne jamais, ne revient jamais sur les cristallineries, les jette et les oublie à la seconde suivante. L'en a toute une flopée de scintillances amadantines, elle rejaillit de joailleries, qu'elle puise à une fontaine intarissable comme la jeune fille du conte de Perrault. Enchaîne les titres, ne prend même pas le temps de respirer, ou alors des phrases rapides qu'elle lâche avec un petit sourire mutin, mais l'est pressée de s'envoler, de bondir vers le faîte de l'arbre, de fendre l'air avec une facilité déconcertante. Fujiyama Mama pour s'envoler vers les sommets éruptifs, Crazy Beat pour moduler les arpèges en apnée, My Boy Elvis pour la légende dorée du rockabilly féminin, Telephone Boogie pour enflammer le bal des pompiers, la salle ondule de plaisir et ronronne de satisfaction comme une chatte qui allaite ses petits, un petit Shakin' All Over comme le dernier verre de l'amourtié avant de reprendre la route. Fêtée comme une reine, musiciens applaudis comme des princes. Billy monte sur scène pour un rappel, Mercy beaucoup, c'est peu mais le show must go on !

     

    YANN THE CORRUPTED

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    Changement de casting. Après l'américaine princesse au petit pois, l'invasion des voyous de l'autre côté du channel. British inspiration, ainsi les présente Billy. Texas est le premier sur scène à brancher sa basse électrique. La grande classe, drap jacket – le smoking des Teds – favoris blancs qui agrémentent sa figure comme neige qui épouse la forme stylée des parterres du jardin. Souriant, relax, mais impatient de jouer. Jacky Lee cale sa batterie, l'a intérêt dans quelques secondes il va casser du bois, ses favoris à lui dessinent comme deux haches d'abordage que les vikings manipulaient en les âges de fureur quand leurs drakkars couraient à la rencontre de l'ennemi. Yann s'installe au micro. Lorsque sept ou huit titres plus tard il se sera dédrapé de son edwardienne jacket, l'exhibera une tenue bleu sombre sur laquelle le rouge de sa guitare tranche comme une blessure sanglante.

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    Ne vous fiez pas à son nom, contrairement à ce qu'il affiche Yan the Corrupted est beaucoup plus corrupteur que corrompu. N'a pas entamé Hang Loose depuis trente secondes que déjà vous êtes séduit, perdu, pourri jusqu'à la moelle épinière. Que vous vous voudriez ne pas apprécier que vous êtes emporté par le torrent tumultueux, inutile de résister, les Corrupted vous emmènent avec eux comme fétu de paille balayé par la tempête. Un titre de Whirlwind - combo germinatif du mouvement de renaissance rockabilly-ted en Angleterre à la mi-temps des années soixante-dix pour confirmer que le vent souffle en tempête. Le phrasé de Yann écume et se bouscule sur la crête de chaque nouveau morceau, lame de fond qui déferle sans que rien ne puisse l'arrêter. Ne se regardent même pas, connaissent la feuille de route par cœur, assez simple en vérité, vite balancé au milieu et bien appuyé sur les bords. Enchaînent les tsunamis sans faiblir. Une précision diabolique. Une régularité époustouflante. Jacky Lee tape plus vite que ses baguettes, se démène, enfile les breaks sans débander une seconde, ça roule et ça cabosse de tous les côtés. Corvette pirate qui se joue des creux de quinze mètres et qui file droit face à la lame, toute voilure dehors. Volcan en éruption. Nous sommes tous Pompéi, rayés de la carte, ensevelis sous les cendres qui n'arrêtent pas de pleuvoir.

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    En capitaine qui tient la barre Yann se permet quelques mots affectueux vis-à-vis de Texax, qu'il présente fièrement comme son père – comme quoi les teds n'engendrent pas des moitiés de cageots sans poignée - attention l'ancêtre en a vu d'autres, c'est lui qui a conseillé et aguerri les chatons, sont grands maintenant, griffent de leurs propres pattes, mais le matou ne se laisse pas distancer, les mène au bal des ardents, vous souffle sur la fournaise, de longues échappées de flammes noires comme l'enfer sortent de sa basse et poussent les deux incendiaires à se surpasser. Comment Yann fait-il pour assurer en même temps sur sa Gretsch et au chant ? Certes n'est pas le seul dans le métier, mais avec les Corrupted les mots s'entrechoquent et les notes se bousculent. L'en cassera une corde. Juste le temps de se saisir de sa seconde guitare déjà prête, la malmène comme les flambeaux que les phalanges d'Alexandre agitaient dans les salles du palais de Persépolis qu'ils réduisirent en cendres. Just for fun. Le plaisir de jouer et l'impact de vaincre.

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    Un seul instant de douceur, The Rose of Love, déjà présent sur leur premier CD Dangerous Youth, dernière ballade que Gene Vincent enregistra à la guitare sèche en compagnie de Ronny Weiser qui garda précieusement la bande. Les Corrupted rajoutent quelques épines aux rosacées, ne vont pas jusqu'à faire de ce bouquet d'amour une gerbe de haine, mais ont choisi de remplacer l'eau du vase par une belle rasade de Jack, les pétales n'en sont que plus vifs. Mais la course reprend aussitôt Fool's Paradise de Buddy Holly survitaminé, Teddy Boy Boogie de Crazy Cavan classique ted incontournable entonné par toute la salle, de même que plus tard We are the Teds, hymne fédérateur de la nation édouardienne. Les filles ne seront pas oublié avec le viril She's the One to Blame juste pour leur apprendre à être trop belles.

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    Z'ont aussi des originaux, présenteront même des titres du prochain album en préparation à la hauteur des hymnes légendaires, mais ils n'en abusent guère, ne sont pas du genre à dédaigner l'héritage, le gardent vivant, l'entretiennent, le bichonnent et le respectent... Les Corrupted nous ont offert une heure de bonheur au milieu du cœur brûlant du pur rock'n'roll. Se retirent sous une monstrueuse ovation.

     

    BLACK PRINTS

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    Billy prévient les âmes sensibles. Nous annonce une véritable tuerie. Se révèlera un excellent prophète en son peuple de rockers. Ne prenait pas trop de risque le Billy, les Black Prints se sont formés autour des frères Clément, voici six années, résurgence d'une formation culte du mouvement french rockabilly, les Dixie Stompers. Pouvait pas me faire un plus grand plaisir Billy, un de mes groupes phares, tous styles confondus, de la scène française actuelle, pas vu depuis deux longues années.

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    J'observe leur installation. N'ont pas changé, enfin si, si Thierry Clément et son frère Olivier restent identiques à eux-mêmes, il y en a deux qui ont pris une sacrée assurance, rien qu'à voir la manière dont Yan Leignel s'accapare la batterie et le sourire carnassier avec lequel Jean-François Marinello ceint sa basse l'on sent qu'ils ne sont pas venus pour compter les hirondelles. Voudrais pas vexer les guys, mais je – et ne suis pas le seul - ne leur accorde qu'un rapide regard. C'est qu'un nouveau guitariste est en train d'escalader les marches d'accès à la scène. Mistake, it's a fake ! pas un, une. Et pas n'importe qui. Emilie Credaro herself. Je l'aurais reconnue entre mille. A son allure de lakota squaw, visage serein et détermination de guerrière sur les pistes les plus dangereuses.

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    Change la donne. Teinte l'empreinte noire de bleu. Sombre comme la tristesse du monde et insidieux comme la rage de vivre. Le son du groupe en est transformé. Certes Olivier assure la rythmique avec l'arme royale et tutélaire du rockabilly, la Gretsch, mais Emilie sur sa Godin – burst flame si j'en puis juger sous les lumières déformantes des projos - ouvre des gouffres et soulève les nuages, un son fabuleux, fabluesleux, elle apporte toute la terre du Delta et l'incoercible puissance du Mississippi, donnant au vieux rockab des familles un espace sonore de déploiement illimité. Emilie libère les forces. Yann Leignel s'engouffre dans cet horizon, y déploie une énergie extraordinaire, commence par inverser la hiérarchie drumique, tant pis pour la caisse claire, la reine est détrônée, Yann ne marque pas le rythme, il l'explose. Une orgie de tambours.

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    L'emboutit le son, bye-bye le cliquètement solitaire des sabots d'un mustang au petit matin, nous convie à un stock-car faramineux, chocs et contrechocs se succèdent sans faiblir d'une seconde, fracasse le décorum traditionnel et fonce à tout instant dans les décors. Genre c'est encore mieux quand le sang des spectateurs que je viens de faucher ruisselle sur la carrosserie déglinguée. Sauvage le Yann, une boule d'énergie pure, crie dans le micro, entonne le début des morceaux, agite sa monstrueuse choucroute de cheveux dans tous les sens, une tignasse sauvage, hors-norme, la sueur dégouline sur ses vêtements, l'est obligé toutes les trente secondes de ramener la grosse caisse qui se carapate en douce sous la violence de ses coups. Barbare batterie. Baratte incessante de baraterie naufragère.

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    Jean-Pierre Marinello n'est pas en reste. Joue de la basse comme le renard du désert chasse la faim qui lui tord le ventre. N'en finit pas de bouger. Voûté, tordu sur son instrument, le compas de ses jambes explorent les sentiers de fuite mais il revient toujours au centre de son territoire. Essore le son. Le torture, l'assombrit, le noircit à outrance, le ronge tel un chacal qui a déterré un os de momie dans un tombeau égyptien et qui se régale de mastiquer à pleines molaires la mort anibusienne dont il abuse d'un sardonique rictus qui tue. L'est à lui tout seul la marque maudite de l'Empreinte Noire, le sceau fatidique et le sourire fatal, la morsure du cobra et le crachat du naja. Violemment applaudi à plusieurs reprises.

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    Thierry Clément en a vu d'autres. Rockabilly man par excellence. Bottes, jeans, chemise black country à liseret blanc et son éternel chapeau. Tambourin en main. L'assure le fil, les petits cailloux du rythme basique qui ne doit jamais être rompu. Aux autres tous les écarts possibles. Thierry trace la piste, celle qui s'enfonce dans les régions inconnues encore aux mains des peaux-rouges. Qu'Arthur Rimbaud qualifiait de criards dans son Bateau Ivre.

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    Olivier Clément et sa Gretsch au centre. La prestance et la grâce incisive. Grand, mince, une silhouette aussi fine qu'une lame de poignard. Two-tones shoes creeperiennes, sombre futal, chemise blanche immaculée, la classe du dandy, l'élégance du rocker. Une voix d'une netteté incroyable. Flexible et vibrante. Un timbre qui s'adonne à toutes les suavités déclinantes comme à toutes les échoïtés métalliques. D'une clarté irradiante et d'une plasticité formelle sans équivalence. Se plie et se plaît à toutes les inflexions, parfaite pour le rockabilly, car dominatrice et apollinienne, toute la furia instrumentale s'ordonne autour d'elle. Axis Mundi la qualifieraient les tenants des doctrines ésotériques.

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    Essaime sa rythmique cochranique insoutenable sur ses cordes sur laquelle vient se greffer la lead d'Emilie, leur faut un doigté extraordinaire pour faire convoler en justes noces de notes l'oronge triomphante du pur rockabilly avec le sombre azur primordial du blues rampant. N'a pas touché une seule fois le bottle-neck qu'elle avait pris soin de déposer soigneusement à ses pieds, cela ne l'a pas empêché de donner l'impression de jouer en slide toute la soirée, agit en prise de terre qui permet de maîtriser les éclats de foudre et les boules de feu du rock'n'roll en les ramenant à la glaise nourricière originelle et semencielle. Des titres comme Restless, Shakin'All Over, Brand New Cadillac en sortent magnifiés, la guitare d'Emilie monte d'autant plus haut qu'elle s'élève de plus bas. Marche aisément sur les traces de Joe Moretti qui joua sur les trois plus grands classiques du rock anglais. Là-haut, Thierry Credaro doit être salement fier de sa fille.

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    La musique ne suffit pas. Le rockab impose le style. L'on n'y chante pas le nez sur le micro comme quand tante Agathe reprise vos chaussettes. Et à ce jeu-là, Olivier emporte la mise. L'a la souplesse féline de Vince Taylor et la sûreté du geste du jeune Elvis, n'en abuse pas, seulement de temps en temps mais alors là la salle exulte. Ce qu'il en reste car les Black Prints l'ont atomisée, que ce soit avec Long Blond Hair, leur époustouflant Stray Cat Strut, ou leur Ready Teddy dévastateur. Une très belle interprétation de Dixie, guerrière et campagnarde, façon de rappeler que le rockabilly est né sur la terre des plantations et le sang des esclaves, qu'il est le pays lointain et mythifié de Julien Green, la terre natale des fantômes d'Edgar Poe et des fêlures de Tennessee Williams, ors et misères mêlées, corps de colères entremêlés.

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    Un dernier Train Kept A Rollin' explosif et Billy qui vient remercier le public invite le Trio Corrompu et Cora Lynn accompagnée de ses arracheurs de sacs à mains de vieilles dames à monter sur scène. Trois guitaristes confirmés au style différents réunis, voilà de quoi entamer non pas un boeuf musqué mais une corrida meurtrière sur l'heure. Mais non, redescendent sous les applaudissements, nous ont tous tellement donné qu'on est rassasiés jusqu'au gosier.

    *

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    Ne reste plus à Billy qu'à préparer la programmation de la Bop Rockabilly Party 5. Au vu de cette quatrième saison qui fut une splendide réussite, nous pouvons lui faire confiance.

    ( Photos : FB : Carl de Sousa et Rey Fonzareli )

    Damie Chad.

    MA VIE AVEC ANDY WARHOL

    ULTRA VIOLET

    ( Albin-Michel / 1989 )

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    Folles années soixante ! Un vent de liberté soufflait sur les arts, la musique et les mœurs, une tornade qui est passée et dont on retrouve encore aujourd'hui bien des traces dans notre quotidien mais qui n'a pas emporté avec elle l'Establishment politicien, peut-être parce que ce qui semblait les signes avant-coureurs d'une révolution n'était que la mue nécessaire aux adaptations des mutations productivistes du capitalisme. Andy Warhol est une des légendes de cette grande secousse qui commotionna bien des existences. Fut un précurseur, et beaucoup plus qu'on ne le croit, il ne révolutionna pas l'art comme on le dit souvent, mais les rapports de l'Artiste avec le public, institua une règle simple, la reconnaissance de celui-ci ne passe plus par le rapport direct avec l'œuvre produite mais par le truchement productif de sa communication. L'a eu des précurseurs, certains éloignés comme Dada qui désacralisa la notion d'œuvre d'art, Picasso qui rompra et déstructurera les canons intangibles de la représentation de la beauté classique, et beaucoup plus contemporain par son utilisation des media, Salvador Dali qui fut un fabuleux metteur en scène de l'artiste en jeune chien fou fauteurs de multiples troubles à qui les maîtres pardonnent toutes les turbulences en expliquant qu'il est génial...

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    Comme par hasard Ultra Violet fut présentée à Andy Warhol par Salvador Dali. En vérité elle s'appelle Isabelle Collin Dufresne. Ne sort pas de nulle part. Est née avec une grosse cuillère en argent dans la bouche. N'y a que la tendresse que l'on ne déverse pas à la louche dans la famille. Dynastie bourgeoise, retenue de rigueur. L'enfant se rebelle, après maintes admonestations, se retrouve en pension chez les bonnes Sœurs. S'ennuie, fugue – en profite à quatorze ans pour perdre sa virginité en l'ayant cherché mais sans l'avoir voulu – bref l'est la brebis noire de la couvée, on l'éloigne chez une de ses sœurs à New York. In the Big Apple. Non, ça ne signifie pas Trognon Pourri mais ça y fait penser.

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    Lui arrive alors ce qui n'advient jamais au peuple anonyme des sans-dents : un petit héritage à point nommé qui lui sert d'argent de poche. Se trouve en sus un amant richissime et passe son temps à courir musées et galeries d'art. Ce n'est pas en ces lieux que l'on pourrait accroire prédisposés qu'elle va rencontrer le grand adorateur de la Gare de Perpignan et du chocolat Lanvin, l'est envoyée chez lui par une ancienne dame d'honneur de la Reine d'Egypte ( en exil ), c'est ce genre de personnes qu'elle fréquente, le gratin des salons les plus huppés. Devient en quelques heures l'égérie du grand Catalan, davantage porté sur la mise en scène de l'acte sexuel que sa réalisation proprement dite. Nous dresse un beau portrait de la mise en œuvre quotidienne de cette paranoïa critique qui reste la philosophie essentielle de la démarche du Maître. Elle saura retenir la leçon, jamais avec, jamais pour, jamais contre, une marionnette est faite pour être manipulée. C'est Dali qui lui présente Andy Warhol.

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    L'est subjuguée par Warhol. Ce sera du donnant-donnant. Lui, il lui ouvre la Factory et l'admet dans son premier cercle. Elle apporte ce qu'il n'a pas : un monstrueux carnet d'adresses. Le haut du panier : artistes reconnus, millionnaires, hommes politiques, dirigeants de sociétés, actionnaires fortunés... Warhol n'est pas ébloui, il a juste ferré une prise juteuse. N'est à l'époque qu'un artiste de seconde zone. L'a gagné ses galons dans la publicité et la mode. De la broutille. L'a une autre ambition. L'a tout compris du monde des affaires. Principe de base : gagner de l'argent, beaucoup d'argent, très vite, sans travailler. Laisser cette pénible tâche aux autres. Si possible sans les payer. Lui, il donne l'idée. Ne va pas la chercher bien loin, se contente de reproduire ce que tout le monde connaît, la figure de Marylin Monroe comme les boites de conserves les plus utilisées par la ménagère américaine. Touche le moins possible ses ustensiles, laisse faire ses aides, peinture et signature comprise. Si c'est mon nom dessus, l'argent de la vente me revient à cent pour cent. C'est son apport à la création artistique. N'est qu'un réaliste mais aussi le père de l'art conceptuel moderne.

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    Sa grande affaire ce n'est pas la peinture, mais le cinéma. Tourne sans arrêt des films. Qui ne lui coûtent pas chers. Impose son mode de production : décors naturels, une seule caméra – ce n'est pas lui qui la tient -, en temps réel, une heure de film égale une heure de tournage, pour les acteurs propose à n'importe qui qui veuille bien accepter, l'on se bat autour de lui, certains de ses proches ( rares) finiront par faire carrière. Le sujet gravite autour du sexe. Pas comme les ailes des moulins de Don Quichotte, préfère les gros plans fixes, visages comme trous du cul. Films pour petits publics présentés dans les universités aux étudiants sensibles à ces expérimentations.

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    Moment d'introduire la grande trilogie : sex, drugs and rock'n'roll. Mon premier a déjà pointé sa bite dans le paragraphe précédent. Priorité donnée à l'homosexualité. L'on baise à couilles rabattues et à bouches pleines dans tous les coins de la Factory. Froidement, sans émotion, sans manifester de plaisir, un acte naturel dépourvu de tout romantisme. On ne donne pas dans la sublimation érotique. Un besoin pornographique. Point à la ligne. La drogue est là, partout présente, forte. Speed et héroïne. Warhol devance son temps. Certes l'arrive dix ans après l'éclosion rockabillique mais le rock'n'roll rapidement écarté par les autorités jouit d'une sulfureuse réputation. Trouvera son groupe. N'est pas meilleur que les autres, mais il joue plus fort que tous. Impossible de ne pas le remarquer. Et puis le timbre si particulièrement monocorde de Lou Reed, si lisse, si éloigné de toute expressivité grandiloquente ! Le groupe possède une curiosité, l'a un batteur femme. Warhol double la mise : impose Nico au chant. Ultra Violet ne concède qu'un chapitre au Velvet, en profite pour dire beaucoup de mal de cette dernière. La présente un peu comme une poupée atone. L'on sent qu'elle a surtout peur que Andy ne la place au plus près de lui...

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    N'a pas trop à craindre. Warhol n'est pas sempiternellement confiné dans sa manufacture. Saisit toutes les occasions. Ne lui suffit pas d'être riche, veut aussi être célèbre. Se doit d'être partout. Où traînent le journalistes, épluche les compte-rendus des expositions et des soirées de la hight society aime voir son nom cité... Vise à la gloire, pour les autres il a théorisé le concept du quart d'heure de célébrité pour tous... Ultra Violet lui ouvre des portes qui seraient restées fermées autrement, le suit aussi dans ses achats compulsifs chez les brocanteurs, les antiquaires et les marchands de tableaux...

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    De 1964 à 1973 Ultra Violet sera de toutes les parties, nage dans le bocal warholien comme un poisson violet. En 1968 Andy a échappé à la mort, Valerie Solanas militante féministe radicale lui a tiré dessus. Ce geste fascine Ultra – tonton Freud parlerait de la mort symbolique du père. Le retour de bâton dû à la coupure du cordon phallique tardera à se faire sentir mais en sera d'autant plus violent. Dépression. Un an au lit... et son bon sang bourgeois la rattrape, juge sévèrement son passé, lit la Bible, adopte une conduite davantage en accord avec les principes chrétiens, se réconcilie avec sa famille, se range des excès en gagnant sa vie dans la mode... Décevante. Même si elle ne renie pas l'artiste qui lui a tant apporté. Andy a déménagé sa Factory, est devenue une véritable entreprise de vente et d'expédition de ses productions. N'a plus le temps aux fariboles. L'a obtenu ce qu'il a voulu, la gloire et l'argent. N'est plus que la reproduction répétitive de ce qu'il est.

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    Le vedettariat médiatique d'Andy Warhol n'est pas sans analogie avec la super-starisation des vedettes rock des années soixante et soixante-dix, pas un hasard si nous croisons les noms de Mick Jagger et de David Bowie dans ces mémoires de petite fille riche. Comme quoi la richesse mène à tout à condition de ne pas en sortir. Sort toutefois de ce monde en 2014.

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    Damie Chad

  • CHRONIQUES DE POURPRE 222 : KR'TNT ! 341 : KIM FOWLEY / MONTEREY POP / WISEGUYS / ABSTRACT MINDED / INSANECOMP / ROCKABILLY GENERATION 2 / BRUNO BLUM / KERYDA

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 341

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    28 / 09 / 2017

     

    KIM FOWLEY / MONTEREY POP / WISE GUYS

    ABSTRACT MINDED / INSANECOMP

    ROCKABILLY GENERATION N° 2 / BRUNO BLUM

    KERYDA

     

    TRISTE NOUVELLE

    Disparition de Tina Craddock, soeur de Gene Vincent, qui fut toujours au côté de son frère et qui a beaucoup fait pour préserver son souvenir et sa présence on the Rocky Road Blues...

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    Feu Fowley - Part Two

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    Paru voici cinq ans, le premier volet de l’autobiographie de Kim Fowley choque. De plusieurs façons. Un, par le riquiqui de sa taille. On s’attend à un volume de 500 pages et on se retrouve avec un petit recueil de vers et de prose dans les pattes. Deux, par la violence contenue dans le premier tiers du livre qu’il consacre essentiellement à ses souvenirs d’enfance. Et trois, par l’âcre parfum de génie que dégagent les pages et qui vous monte directement au cerveau. Kim Fowley, c’est de l’oxygène à l’état pur, mais ça, on le savait depuis 1972, l’année où on écoutait I’m Bad chaque soir en rentrant du lycée.

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    Alors commence le bal des évidences. Quel est l’auteur américain qui par le un et le trois se rapproche le plus de Kim Fowley ? Dylan, bien sûr. Fabuleux Dylan qui plutôt que de nous assommer avec un gourdin de 500 pages préféra nous glisser un petit ouvrage de prose, le fameux Chronicles, dont on relit les pages avec un plaisir aussi gourmand que celui qu’on prendra à relire les contes rassemblés dans L’Hérésiarque & Cie - De la même façon qu’Apollinaire, Bob Dylan et Kim Fowley auraient pu dire : «Oh mais j’ai la faiblesse de me croire un grand talent de conteur.»

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    D’autres parallèles s’imposent avec des auteurs dont la prose est si pure qu’on qualifie leurs ouvrages de ‘précis littéraires’. On pense à Guy Debord et à Maurice Sachs, et bien entendu à Drieu : Feu Fowley croise le destin d’Alain Leroy dans Le Feu Follet, récit mirifique d’exemplarité crépusculaire. Kim Fowley est mort sans s’être tiré une balle dans la bouche, mais il laisse cette extraordinaire impression d’existence furtive, comme s’il n’avait jamais eu de prise sur la réalité. Il précise d’ailleurs qu’il n’a jamais possédé ni meubles, ni maison, ni famille. Comme Jacques Rigault, dadaïste furtif que Drieu prit comme modèle pour son Feu Follet, Kim Follet traverse la culture d’une époque et se volatilise dans une poussière d’étoiles, laissant derrière lui une poignée de disques et quelques feuilles de prose. Qu’on comprenne bien qu’un personnage comme Kim Fowley n’est pas un gadget, ou pire encore, un objet de spéculation chez les Thénardiers du vinyle. Au même titre que Bob Dylan, Kim Fowley est l’un des artistes les plus brillants, les plus complets et les plus fascinants du XXe siècle.

    S’il est une chose qu’il réussit à merveille, c’est assener des vérités. Il commence son ouvrage ainsi : «Les deux moteurs du rock sont le sexe et la vengeance. Vengeance contre les membres pourris de la famille, les copains retors, les profs sadiques et les ennemis du voisinage, tous ces gens qui pensent que vous n’avez ni talent, ni magie, ni avenir.»

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    Mais le conseil qu’on pourrait donner à ceux et celles qui n’ont pas encore lu ce fatidique livruscule serait de commencer par la fin, car Kim Fowley y salue son lecteur de manière émouvante : «J’en ai bavé pour écrire ça. Je voulais simplement que tu saches que j’ai vécu sur cette planète. Que j’ai cherché une femme, qui soit aussi une amante et une amie. Merci d’être mon amie. On a traversé ensemble les miroirs du passé et du temps présent. Mais il n’y a plus d’avenir pour Kim Fowley. Seulement des ennuis. N’oublie pas de lire les deux volumes à paraître. Ils changeront ta vie. Et maintenant, prie pour moi, cette nuit. Je suis déjà parti, quelque part dans l’obscurité où je cherche un trou pour m’y enfouir. Ce livre est dédié à la fiancée de Frankenstein. Hélas, je ne l’ai jamais rencontrée. Tâche d’être heureuse dans ta vie. Merci de m’avoir consacré ton temps.»

    Nous sommes tous la fiancée de Frankenstein. Dans la mort comme dans la vie, Kim Fowley fonctionne en termes d’universalisme. «Si j’étais mort en 1959 avec Big Bopper, Buddy Holly et Richie Valens, ou mort d’une overdose en 1969, et que j’avais laissé ce livre en souvenir, vous vous seriez tous extasiés. Sauf que le jour de leur mort, je suis allé à Hollywood. Ce que j’essaye de te faire comprendre, c’est que j’ai vécu le rock même après qu’il soit mort avec la mort de Buddy Holly. Je suis encore en vie, sous perfusion, avec l’esprit au bord de l’abîme et quelques derniers éclairs de lucidité. Je traverse tout ça juste pour essayer de produire encore un peu de magie. Je raconte dans ce livre le fond de toute cette histoire qu’on appelle le rock et la façon dont ça fonctionnait. Je ne fais que raconter des anecdotes.»

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    Comme Nietzsche avant lui, Kim Fowley se montre humain trop humain, et de la griserie des rencontres naît une sorte de gai savoir qu’il nous restitue sous la forme d’une pluie d’hommages : «Qui étaient les meilleurs ? J’ai déjà cité leurs noms, John Lennon, Jim Morrison, Jerry Lee lewis, et puis aussi Etta james, Sandy Shaw et Dusty Springfield. Mary Weiss a eu de grands moments, elle aussi, God, quels disques ! Phil Spector : sensational. Encore des noms évidents, Joe Meek et George Martin. Roy Orbinson, c’est Dieu. Quand il ouvre le bec pour chanter, c’est la même chose que le mec des Ink Spots ou celui des Skyliners, Jimmy Beaumont. Je veux dire : wouah ! Lorsqu’ils ouvraient le bec pour chanter, ils te changeaient la vie.» En contrepartie, il ne fait pas de cadeaux aux demi-portions : «Frank Zappa était très doué, mais il n’était peut-être pas aussi doué qu’on le disait. Surestimé. Comme tous ces mecs, Nick Cave, Elvis Costello, Nick Drake, on leur donne le bon dieu sans confession. C’est vrai qu’ils étaient relativement bons, mais pas si bons que ça. Tout le monde a de grands moments, mais aussi des moments ennuyeux, ou pas de moments du tout.»

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    Certaines pages peuvent donner le vertige comme celle qu’il consacre à son vieux camarade PJ Proby : «C’est le meilleur interprète de rock qu’il m’ait été donné de côtoyer dans un studio. On lui montre une chanson et il l’enregistre du premier coup, comme s’il l’avait chantée pendant dix ans. Stupéfiant ! Il n’avait même pas besoin de répéter. Et sur scène, il était aussi bon que Jim Morrison. Aussi bon que James Brown. Il avait l’allure, le son, la présence et en plus, il savait composer.» Et il repart de plus belle avec le drinking side : «PJ savait boire. C’était un homme sensible. Il était extrêmement intelligent. C’était un mec bien, même beaucoup trop bien. Tout en lui était beaucoup trop bien. C’est là que se situait le problème, on ne pouvait absolument rien lui reprocher. Il buvait comme un trou, semblait sortir d’un récit de John Barrymore ou d’Eugene O’Neill, ou de n’importe quelle pièce irlandaise montée à New York. Cet homme savait vraiment boire - This guy was a world-class drinker.»

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    Un jour à Londres, Kim Fowley va rendre visite à Joe Meek. La qualité du portrait qu’il brosse de Joe Meek renvoie bien sûr aux portraits qu’Apollinaire croqua de ses contemporains dans Le Flâneur Des Deux Rives, des gens aussi exotiques qu’Alfred Jarry ou Jean Moreas. «Il m’a payé à bouffer. C’était un sandwich à la dinde, parfaitement appareillé à la peau de dinde de son visage. Un sandwich au pain blanc. Il l’avait préparé lui-même. On s’est assis et on a boulotté nos sandwiches. Je lui disais que c’était génial de le rencontrer et on a échangé des compliments sur nos mérites respectifs. Puis je suis parti. Joe Meek est un type qui analyse les choses. Il portait un sweater Mr Rogers avec des boutons devant. Il s’était gominé les cheveux et ils avait sur la peau une couche aussi translucide que la peau d’une dinde de supermarché.»

    À tout seigneur tout honneur, puisqu’il rend un hommage spectaculaire à Syd Nathan, le boss de King Records : «J’ai passé un après-midi avec lui. Il m’avait accordé une audience. J’avais l’habitude d’aller voir des gens comme lui uniquement pour les entendre me raconter leur histoire. Syd Nathan, quel génie ! James Brown, Hank Ballard and the Midnighters, c’est lui. Starday Records aussi. Je veux dire : wouah !»

    Comme Kim Fowley se dit chien, il bénéficie d’un flair extraordinaire et dès 1959, il multiplie les découvertes : Jan & Dean («Jan Barry est une sale mec, un type vicieux, mais c’était un génie du doo-wop, au sens rock’n’roll du genre. Parce qu’il se savait intelligent et talentueux, il croyait que c’était une bonne raison pour se comporter comme un porc»). Puis Kip Tyler, un type qui venait de l’Est et qui portait du cuir («Il était rockabilly, mais d’adoption. No Southern rockabilly»). Puis Bruce Johnson qui joue encore aujourd’hui dans les Beach Boys. Puis les Rivingtons qui lui chantent «Papa-Oum-Maw-Maw» au téléphone. Puis les N’Betweens, futurs Slade, dont Kim admire le chanteur, Noddy Holder, «qui a la même voix que Little Richard et les Isley Brothers - Gravel and power and poetry.»

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    Les pages qu’ils consacre à Gene Vincent comptent parmi les plus émouvantes de ce recueil. Gene ne voulait pas enregistrer en Californie, mais au studio Malaco, situé à Jackson, dans le Mississippi. Comme le studio se trouvait au bord du fleuve, Gene pensait qu’il aurait pu aller pêcher avec ses copains musiciens entre deux prises de son. Il adorait ça. Il voulait faire ce qu’il avait toujours fait : du Southern rock’n’roll. Mais le label refusa. Clive Selwood n’aimait pas Kim et ne comprenait rien à Gene Vincent. Kim raconte qu’ils furent contraints d’aller enregistrer au studio Elektra, dans une ambiance psychédélique qui n’avait strictement rien à voir avec le gut-bucket-rockabilly/redneck-country-driving rock and roll dont se réclamait Gene. Des gens débarquaient dans le studio, comme John Sebastian et son chien de luxe. Ou encore Paul Rothschild, producteur des Doors, accompagné de two blonde surf beasts, au moment où Gene allait attaquer le «Sexy Ways» d’Hank Ballard. Excédé, Gene demanda qui étaient ces gens qui débarquaient sans prévenir. Kim fit les présentations. Gene se tourna alors vers le Rothschid pour le prévenir qu’il allait sortir le flingue qu’il planquait dans sa botte pour lui mettre une balle dans la tête - Leave my studio ! - Rothschild disparut immédiatement.

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    Et lorsqu’on se rapproche des premiers chapitres, Kim replonge avec une rage indescriptible dans la violence de ses souvenirs d’enfance. Ses parents cherchaient à faire carrière à Hollywood. Quand son père Doug partit faire la guerre, sa mère profita de l’occasion pour filer avec un autre mec. Kim a cinq ans et demande à sa mère ce qu’il va devenir. Elle lui répond : «Tu n’es pas le bienvenu chez mon nouveau mari. Il ne veut pas du fils d’un acteur raté. Il va me faire des gosses meilleurs que toi. Ton père est une merde et mon nouveau mari vaut mille fois plus. Mais je n’ai rien contre toi.» C’est ici que l’auteur prend son envol, car à travers la violence des dialogues qu’il restitue, il met en route l’imparable mécanisme d’un roman tragique. Mais c’est en puisant dans le privilège d’avoir vécu cette horrible situation qu’il établit son pouvoir sur le lecteur. Enfant, Kim Fowley fut à la fois victime de la polio et de l’égocentrisme pathologique de ses parents. Et le même jour, sa mère ajoute : «Je ne te reverrai plus. Ça ne m’intéresse pas de te revoir. Je vais donner d’autres enfants à mon nouveau mari.» On est en Californie, à Beverley Hills, une ville que Kim qualifie dans ses chansons d’usine à rêves.

    À toutes fins utiles, il prend soin de re-situer ses parents dans l’histoire du cinéma : «À l’écran, Doug Fowley était horriblement nul. Ma mère Shelby l’était aussi. Elle jouait le rôle de la vendeuse de cigarettes dans Le Grand Sommeil, avec Humphrey Bogart et Lauren Bacall.» Quand adulte Kim sort de l’hôpital, il entre en poésie et se rend à Venice pour «baiser des vieilles salopes à la façon de Byron, avec une canne.» Comme beaucoup de personnages de romans rescapés d’une enfance cauchemardesque, Kim Fowley verse dans l’immoralité, de la même manière que Monsieur de Phocas ou Moravagine. Il crache le feu et domine le monde. Il baise des tonnes de filles et dort sur des parquets - I’ve lived like an animal and a dog since 1959 - «La plupart des gens en Amérique vivent au dessus de leurs moyens. Ils vivent dans des maisons remplies de meubles, de rideaux et de toute cette merde. Ils sont les esclaves de leurs emprunts. Je ne l’ai jamais été. Je suis tout le contraire de ça. J’ai vécu comme un chien et par conséquent j’ai pu rêver toute ma vie comme un sage.» Il faut comprendre par là que Kim Fowley n’appartient plus à son époque et qu’il est devenu ce que professait Oscar Wilde : une œuvre d’art, mais pas inspirée de la Renaissance italienne ou des paisibles Impressionnistes. Non, Kim Fowley tape dans le cœur de cette culture profondément américaine : le trash. «Je suis à la fois John Waters et Sam Phillips. Je suis le roi des hors-la-loi d’Amérique - The Outlaw King of America.»

    Signé : Cazengler, Kim falot.

     

    Kim Fowley. Lord of garbage. Kick Books Original 2012

     

     

    Il est des choses qu’on peut Monterey sans rougir

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    Tiens, voilà Peter Watts ! Il est de retour dans l’Uncut de June pour un petit coup de projecteur sur Monterey, le premier grand festival pop d’Amérique. Watts tend son micro à Pete Townshend : «Ben c’était mon premier voyage en Californie. Ah ouiche ! Il faisait un temps de rêve et c’était le début d’une aventure. Ah t’aurais vu, dans le backstage, t’avais des tas de beautiful people sous acide qui se regardaient fixement les uns les autres et qui dansaient comme des brêles - dancing like twats.» Monterey symbolisait l’âge d’or de la culture hippie, c’est pourtant la férocité des Who et de Jimi Hendrix qui eut le plus d’impact sur le public. Monterey allait servir de modèle à tout ce qui allait suivre : Woodstock, Glastonbury, Altamont et tout le tintouin. Eric Burdon rappelle que Monterey doit essentiellement son succès aux good ol’ vibes qui régnaient dans le coin, cette année-là.

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    Hormis la qualité de la programmation, l’aspect fascinant de Montery Pop est sa genèse. Un playboy nommé Alan Pariser vit le Monterey Jazz Festival et ça lui donna l’idée d’organiser le Monterey Pop Festival. Il connaissait Derek Taylor, l’attaché de presse des Beatles, qui lui conseilla de programmer les Mamas & the Papas qui étaient alors the hippest local act. Étrange coïncidence : John Phillips, Lou Adler et Paul McCartney venaient juste d’envisager l’organisation d’un festival. Et pouf, Lou et John prirent les rênes du projet. Il décidèrent d’en faire une œuvre de charité, ce qui fut un coup de génie. Lou, John, Terry Melcher, Johnny Rivers et Paul Simon mirent chacun 10.000 livres dans la caisse commune pour financer le projet. D’autres personnalités comme Brian Wilson, Donovan, Roger McGuinn, Smokey Robinson, Andrew Loog Oldham et Jagger apportèrent leurs concours. Oldham fut bombardé International Director. Ça lui permit de quitter l’Angleterre où les Stones avaient des problèmes avec la justice. C’est d’ailleurs ce départ pour la Californie qui lui vaudra d’être accusé de lâcheur et d’être viré des Stones. Lou et John demandèrent à Oldham et à McCartney quels étaient selon eux les groupes anglais les plus indiqués pour Monterey. Ils répondirent d’une seule voix : «The ‘Hoooo and Jimi Hendrix !»

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    Lou et John firent des miracles, en tant qu’organisateurs : Lou dealt with money, John the music. Ils s’entendaient à merveille. John Phillips appelait les groupes pour les convaincre de venir jouer à l’œil. Il était à la fois l’organisateur, le promoteur, le booking agent et la tête d’affiche. Il se trouvait au pinacle de sa gloire. C’est là qu’il écrivit en 20 minutes l’un des plus grands hits de l’époque, «San Francisco (Be Sure To Wear Flowers In Your Hair)». Grâce à ce hit, Scott McKenzie allait entrer dans l’histoire. Ce qui fit la grandeur du team Adler/Phillips, c’est qu’ils voulaient the best of everything, et leur everything comprenait le blues, la musique indienne, la pop, le jazz et l’acid rock. Ils eurent donc Ravi Shankar (qui fut le seul à toucher un cachet), le Dead, Simon & Garfunkel et Paul Butterfield. Ils voulaient aussi absolument Dionne Warwick qui hélas ne put se libérer. Les Beach Boys étaient prévus, mais bon, Brian avait la gueule dans la dope. Sollicités, les Impressions ne répondirent pas à l’invitation. Quant à Donovan et aux Kinks, ils ne réussirent pas à obtenir leurs visas. Une rumeur courait comme le furet : les Beatles envisageaient de venir pour un concert exceptionnel. Captain Beefheart, Love et les Lovin’ Spoonful déclinèrent l’invitation. On oublia par contre d’inviter les Doors. Et si Smoky Robinson ne parut pas, c’est parce que Berry Gordy ne voulait pas que Motown participe à ce truc de blancs.

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    Lou Adler réussit même l’exploit de financer le tournage d’un film qu’il confia à D.A. Pennebaker. Par contre, il n’apprécia pas du tout le carnage des ‘Hoooo : on le voit arriver sur scène à la fin de «My Generation» et ramasser les débris en tirant une gueule d’empeigne. Jimi Hendrix et les ‘Hoooo jouèrent l’ordre des sets - qui passait avant qui - à pile ou face, une idée de Brian Jones. Pete Townshend raconte aussi que Jimi Hendrix était pretty fucked up, very smashed on acid. Eh oui, Owsley lui avait offert 100 mg de STP - A major dose - une demi-heure avant le set qui allait le rendre célèbre dans le monde entier. Jimi baise sa guitare sur scène et la fait cramer. Des mauvaises langues dirent à l’époque que la différence entre les ‘Hoooo et Jim Hendrix, c’est que Pete Townshend violait sa guitare alors qu’Hendrix lui faisait l’amour. Townshend le reconnaît lui-même : «Ben ouiche, quoi qu’il fit, Jimi looked so beautiful. Moi jétais qu’un skinny West London boy avec un gros pif, rien qu’un sale petit branleur qui la ramenait.» Quand Lou Adler envoya un extrait du Set de Jimi Hendrix à la chaîne de télé qui devait faire une émission spéciale sur Monterey, le contrat fut bien sûr aussitôt annulé. Trop sauvage pour la middle-class.

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    Monterey est surtout l’emblème d’un temps qu’il faut bien qualifier de magique, ne craignons pas d’employer les grands mots : un temps où on voyait Brian Jones déambuler dans la foule avec Jimi Hendrix ou avec Nico, un temps où la ronde des talents donnait franchement le vertige. Pour s’envoyer un petit shoot de ce bon vertige, il suffit tout simplement de visionner les 3 DVD du coffret Monterey Pop festival paru en 2002. Attention, c’est un format zoné pour l’Amérique. Seul le lecteur DVD de votre cher ordi acceptera ce format.

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    On connaît tous le Jimi Plays Monterey et l’Otis in Monterey, mais la vraie valeur ajoutée du coffret, c’est the Outtakes Performances, presque deux heures d’extraordinaires prestations d’artistes et de groupes qui en 1967 n’étaient pas encore très connus. L’éclosion de la fameuse scène de San Francisco date d’ailleurs de cette année-là. Ils sont venus, ils sont tous là, comme le dit Charles Aznavour : the Association, fantastique énergie, on voit ces mecs en costards prendre les harmonies vocales d’«Along Comes Mary» à quatre voix, puis Paul Simon - mmmm - «Homeward Bound», ce Paul du diable qui drive sa mélodie dans de juteuses descentes d’octaves mirobolantes - Mmmm/ like emptiness in harmony/ I need someone’s company - C’est puissant, car ils ne sont que deux avec une acou, ils créent de la magie, et ils enchaînent avec the Sounds d’Hello darkness my old friend, et ça décolle au subtil tremblement d’and the vision/ That was planted in my brain/ Still remain - on reprend son souffle, on savoure chaque syllabe de cet imputrescible chef-d’œuvre - Within the sound/ ........./ Of silence - C’est imbattable car si pur, d’une pureté mélodique sans égale, Paul prend ça au tremblé de glotte. Ça relève tout simplement de l’admirabilité des choses de ce monde. Ces deux branleurs affichent dans le faire exprès de véritables dégaines d’anges. La misérable banalité de leurs traits n’a d’égale que la grandeur de leur art vocal. D.A. Pennebaker a le génie des cadres serrés : on est si près d’eux qu’on s’y croirait. Country Joe, c’est une autre énergie. Il s’est peint des fleurs sur les joues et il frotte ses talons au sol comme Otis en 1962. Barry Melton joue le blues sur une bête à cornes. Ils swinguent leur Sweet Lorraine, ils psychoutent le Frisco blues et au passage, Country Joe s’impose comme un homme du futur. N’oublions pas qu’à l’époque, tous ces gens sont encore des embryons. Mais quelle présence ! S’ensuit un Al Kooper pas très bon. Accompagné par Harvey Brooks et toute l’équipe de Butter, il tente le coup du shuffle, mais ça ne marche pas. Pourquoi ? Parce qu’il n’a pas de voix. On passe à travers, et justement, Butter arrive à la suite, avec sa gueule de sale mec de service. Il a de la voix, mais il génère de l’ennui avec son blues de Chicago. Alors, attention, voilà Quicksilver, baby, comme si on y était. Cipo porte une veste trois-quarts à franges et joue à l’onglet de pouce. Gary Duncan chante, soutenu aux chœurs par David Frieberg. Fabuleuse décharge de good-timey jerkoff - All I ever wanted to dooooo - Fascinant spectacle !

     

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    Et pouf, voilà l’Electric Flag, l’un des groupes les plus mythiques de Californie, monté de toutes pièces par un Bloomy qui voulait inventer LE groupe qui n’existait pas encore, à l’époque, un mélange de rock, de blues et de soul, avec Buddy Miles au beurre et Harvey Brooks au bassmatic. Il faut voit Bloomy embarquer cette brochette de blues hoods ! Buddy Miles bat comme un démon, avec sa pompadour de soixante centimètres et sa cravate à fleurs. Wow ! Et paf, on tombe à la suite sur les Byrds, avec un Croz coiffé d’une toque en chinchilla. Les Byrds sont brillants, et ça va bien au-delà des possibilités du langage. Croz gratte sa demi-caisse STP. Qui dira la classe du vieux Croz ? Pas de Gene Clark dans les parages, c’est Roger qui se tape le lead. Il porte un bouc et gratte sa Ricken en picking d’onglets. Le peu qu’on en voit donne la chair de poule. On a là l’absolue perfection des harmonies vocales. Voilà encore un shoot d’émotion à l’état le plus pur. Ils font les vibrer les «Chimes Of Freedom» rien que pour nous. Si ce n’est pas de la veine, alors qu’est-ce que c’est ? Chez les Byrds, tout est saturé d’une clarté d’arpeggio florentin. Croz raconte que JFK a été abattu par plusieurs mecs en même temps et que les témoins have been killed, this is your country, ladies and gentlemen ! Ils retombent dans l’excellence d’«He Was A Friend Of Mine» et puis ils s’encanaillent avec une version sauvage d’«Hey Joe», celle des Leaves, bien sûr. Croz trépigne - What’s chou gonna doo - Il embarque ça à train d’enfer, il entre en transe, il chauffe tout Monterey à lui tout seul. Extraordinaire ! Ça fait partie des choses à voir dans une vie d’amateur, tout comme le clair de lune à Maubeuge.

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    Rien qu’avec cet enchaînement de légendes vivantes, on est déjà sur-saturé d’émotion. Mais ce n’est pas fini, car ça repart de plus belle avec Laura Nyro. Elle nous swingue la nuit californienne. Son «Wedding Bell Blues» sonne bien les cloches, même écourté. Elle enchaîne avec ce groove de la perdition absolue qu’est «Poverty Train». Au moyen-âge, on l’aurait accusée de sorcellerie et brûlée vive. S’ensuit l’Airplane qui, comme tous les autres, est encore en phase de décollage, and you better find somebody to love, baby ! La mauvaise surprise de cette montagne d’Outtakes, c’est le Blues Project. Incompréhensible et étrange. Ils attaquent au solo de flûte et ne s’accordent pas la moindre chance. Janis vient électriser la scène, elle s’impose comme on sait, oh-oh yeah, avec «Combination Of The Two». Ce diable de James Gurley joue dans son coin et part en vrille de garage fuzz. Il joue ça au picking d’onglet sauvage. Entre Cipo, Roger McGuin et lui, on a toute la crème de la crème des picking-Gods du rock californien. On voit aussi le Buffalo Springfield. Croz remplace Neil Young. Stephen Stills a déjà une sacrée allure de rock star, avec ses énormes rouflaquettes rouges et sa grosse demi-caisse.

    Oh on voit aussi les Canned Heat, la vraie formation, avec big Bob au chant, Henri Vestine qui passe son solo excentrique et Al Wilson qui en rajoute un à la slide. Tous les groupes qui ont fait la grandeur de la scène californienne sont au rendez-vous, Lou Adler et John Phillips ont bien bossé. Eric Burdon prend un «Paint It Black» très psyché. Dommage que Moby Grape ait sauté au montage.

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    Maintenant, place aux Anglais. This is the ‘Hoooo ! Moony explose d’entrée de jeu. «Substitute» ! Si tu veux voir un grand batteur anglais, c’est le moment ou jamais. Pas de pire sauvagerie scénique que celle des ‘Hoooo. Pendant que Pete fait des bonds, Moony dynamite le beat. Ils enchaînent avec «Summertimes Blues» et «A Quick One». Si on veut les voir démolir le matos, c’est dans l’autre film, le Monterey Pop complet : Pete y explose sa Strato à la fin de «My Generation» puis Moony démolit son kit à coups de pompes pour faire bonne mesure. Ces sont les Mamas & les Papas qui bouclent cet événement historique. Normal, puisque John Phillips est l’un des organisateurs, avec Lou Adler. John porte sa toque en chinchilla. Entre deux coups de Mamas, Scott McKenzie vient chanter son hit planétaire d’alors, «San Francisco» et paf, les Mamas & les Papas tapent dans «Monday Monday», so good to me, avec l’ami Doherty au lead sensible : ça donne une apothéose de la pop du non-retour. Mama Cass fournit les contre-chants de rêve et elle finit par shaker le shook de «Dancing In The Street», oh oui, la grosse le danse et le ouh-ouhte comme une Tamla Queen.

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    Mais l’épisode le plus dévastateur de Monterey reste bien sûr le set de Jimi Hendrix. Curieusement, Pennebaker glisse un autre extrait de concert en amuse-gueule : Jimi y porte un pantalon de velours bleu clair et fait gicler le jus de «Sergent Pepper’s Lonely Heart Club Band», jambes pliées. Puis Brian Jones arrive sur la scène de Monterey pour annoncer the Jim Hendrix Experience, à la suite des ‘Hooo. Jimi surgit affublé d’un boa rouge et d’un pantalon rouge assez moulant. C’est gagné d’avance - I shoul’ve quit you babe/ A long time ago - Mitch Mitchell tente de battre comme Moony mais c’est impossible. Jimi explose «Killing Floor», puis il enchaîne avec «Foxy Lady» - I want do you no harm/ Hooooo/ Foxy lady - Tout se passe dans une ambiance d’aristocratie à la peau noire, puis le set bascule dans l’enchantement d’How does it feel to feel, «Like A Rolling Stone», wooly groovy d’once upon a time you dressed so fine, didn’t you, c’est dingue comme ces phrases nous collent à la peau, mais soudain, Jimi explose «Rock Me Baby» à coups de power-chords, et il revient à de meilleurs sentiments en interpellant Joe - Where you goin’ with that gun in yer hand - Jimi bouffe ses cordes à la grande mode du Chitlin’ - C’mon wild thing/ You make my heart sing - Jimi fait une calipette au sol avec da guitare - I wanna know for sure - Solo dans le dos, les ‘Hooo peuvent prendre des notes, ils n’atteindront jamais ce degré de sauvagerie intrinsèque, et ça ne s’arrête pas là, car voilà que Jimi fait l’amour à sa guitare allongée au sol, il lui pisse un coup d’essence à la raie et craque une allumette. Oh ce n’est pas fini, il la réduit en miettes qu’il jette dans la foule. Les Américains n’avaient encore jamais vu un carnage pareil.

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    Singé : Cazengler, Monteraie du cul

    D.A. Pennebacker. The Complete Monterey Pop Festival. DVD 2002

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    Peter Watts : Be Sure To Wear Flowers In Your Hair. Uncut #241 - June 2017

     

    TROYES / 22 – 09 – 2017

    3B

    WISEGUYZ

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    Attention ils reviennent, de leur lointaine Ukraine, en tournée en France et bien sûr ils connaissent les bonnes adresses, les voici donc ce soir au 3 B. L'information a dû circuler car passé vingt et une heures le bar est sous pression, z'auriez même du mal à y glisser un malabar.

    WISEGUYZ

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    C'est choquant. Vous le savez, mais vous vous y faites prendre à chaque fois. Au début ils ressemblent à n'importe quel autre groupe de rockab. Quand ils démarrent, l'invraisemblable vous saute dessus. Jouent ensemble. Les esprits forts répondront que c'est la moindre des choses à laquelle l'on puisse s'attendre de la part d'un quatuor. Oui, mais avec les WiseGuyz c'est différent.

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    Prenez Ozzy, on le voit mal, au fond, caché par ses trois acolytes, à la batterie. Ne donne jamais l'impression de marquer la rythmique, l'a une frappe – je ne saurais la qualifier, ni lourde, ni légère, tout ce que l'on comprend c'est qu'elle n'accompagne pas les trois cordiers devant, elle se colle à eux, l'est aussi inséparable de leurs sonores émissions que la carapace ne l'est de la tortue, n'importe où qu'ils aillent, il fait partie du chemin, que ça trotte fort ou ça galope sec – pour le pas de parade faut pas y compter avec les Wise, apparemment n'en ont jamais entendu parler – le pire, lorsque vous apercevez l'Ozzy, c'est que pour un peu vous en crèveriez de jalousie, donne l'impression de ne pas y penser, assure avec une facilité déconcertante, vous ne vous étonneriez pas de le trouver en train de lire le journal.

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    Rebel c'est exactement le contraire. Ozzy assis aussi tranquille qu'un pêcheur à la ligne, Rebel debout l'oeil aux aguets, le chasseur qui ne lâche pas son chien du regard prêt à tirer sur le premier perdreau de l'année. N'a pas de hound dog qui vadrouille devant lui, alors il affûte sa contrebasse, de bois verni, plus haute qu'une horloge comtoise et tout aussi mince. L'on dirait qu'il se cache derrière un arbre, le dos courbé, puis lui saute dessus toutes les six secondes, style intervention commando-parachutiste, et il lui secoue les cordes si vigoureusement que les vibrations vous traversent le coeur comme des coups de feu tirés en rafales. De l'autre côté c'est Gluck. Pourquoi la nature lui a-t-elle donné un corps avec deux jambes et deux bras ? Ne se sert que de sa tête et que de son seul avant-bras droit. Démontez tout le reste. Totalement inutile. Ça le prend par crises. Très fréquentes, de deux sortes. L'approche ses lèvres du micro, esquisse un sourire qui rappelle l'oeil goguenard du serpent prêt à frapper qui sort sa langue fourchue, et hop, vous balance une de de ces onomatopées endiablées qui dans le rockab aident à souligner le lead vocal. Ou alors beaucoup plus grave.

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    L'avant-bras – le droit, je rappelle – ne répond plus aux ordres du cerveau. Devient autonome. Impossible de l'arrêter, fouette les cordes de sa guitare, une fois, dix fois, mille fois, impossibilité de stopper et comme par miracle les trois autres suivent le mouvement, des moments de folie collective qui se propage à l'assistance qui crie et applaudit encore plus vigoureusement. Dans cet état rien ne l'arrêterait. Si clinc ! Une corde en moins. Pas de panique, ravitaillement en plein vol, d'une seule main – les copains ne lui jettent pas un regard – pourquoi s'en feraient-ils ? Il continue à wapdoowapper sur son micro à la seconde exacte, à croire qu'il n'a rien d'autre à faire de toute la soirée. C'est que Chris est à la lead-guitare. Avec un tel dynamitero, z'êtes certains que le boulot sera fait de main de maître. Aux doigts d'or. L'est assez grand pour se suffire à lui tout seul. Je l'ai épié de longues minutes, ne suis pas arrivé comprendre comment il fait apparaître et à disparaître son médiator en une fraction de seconde. De toutes les façons avec ou sans, l'a un touché incroyable d'une précision inimaginable. En plus pour vous mettre encore plus la honte, l'est occupé à autre chose. Au chant.

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    Le rockab, c'est de l'art. Un mouchoir de dentelle. Une maille sautée et tout est foutu. Bancal. Banal. Banque-route. Crack boursier. Crise économique. Civilisation effondrée. Voilà l'effet. L'erreur n'est pas un droit. Ou vous réussissez tout, du premier coup, ou vous êtes un tocard. Et les WiseGuyz, ils osent tout, donnent dans l'arachnéen sauvage. Un premier set éblouissant. Pas une seule bavure sur l'ossature. Du rockab pur et dur. Comme vous avez rarement la chance d'en entendre sur scène. En studio, pouvez vous y reprendre à dix fois et multiplier les alternate takes, mais sur scène, c'est du travail d'orfèvre. Faut polir le diamant sans le casser. Le rockab des WiseGuyz ressemble à un mikado musical. Chacun son tour et tous ensemble. Sont lancés à trois cents kilomètres-heure, s'activent dans tous les coins, courent du four au moulin, se passent les brandons pour attiser l'incendie, toc-toc, tout s'arrête, n'entrez pas, pas le temps, les poings ont frappé deux fois sur les bois de l'instru et l'on repart tous groupés comme si rien ne s'était passé. Chris a le vocal mordant. Et c'est le public qui mord à l'hameçon.

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    Vous le suivriez jusqu'au bout du monde. C'est d'ailleurs-là où il va vous emmener au deuxième set. Trois morceaux d'entrée, encore plus saignants que les quinze du premier tir groupé. Vous les prenez en plein museau, des balafres encore plus longues que les précédentes. Et puis l'on change de voltige. L'on change de fil. L'on ne marche plus sur du barbelé qui vous saccage les petons, l'on repose sur de l'élastique qui s'enfonce dans l'abîme à chaque pression la plus infime, et puis vous propulse vers le haut du ciel à une vitesse inouïe. L'on saute dans le jump, on glougloute dans le swing et l'on agonise dans une pulsation, une puljazzion originelle. Les Guyz vous détendent les ressorts du rockab, l'en devient flagada, l'est la corde de l'arc décrochée qui gît à terre, ne bande pas plus qu'un ver de terre qui ondule sur un gazon humide. Tout est perdu. Et hop ! Bop ! Rock ! comme par miracle, les cordages des voiles abattues vous hissent la voilure jusqu'en haut des mâts. Le vent se déchaîne vous emmène au large et pffuittt ! La comédie recommence. Les Wise s'amusent comme des petits fous.

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    Vous collent la crêpe au plafond et la laissent retomber mollement, pour la shooter encore plus haut en trouant les plafonnettes. C'est le moment des interventions, Rebel pulvérise les accords, Gluck hache menu, Ozzy balaie les cendres, Chris recolle les morceaux en un tour de main. Faut les voir s'activer. Dessinent et découpent, déchirent en petits bouts de rien du tout, et vous ressortent la toile de maître, toute neuve, la peinture à l'huile encore fraîche. Jeu cruel et geste fabuleuse, racontent l'histoire du rockab, sa provenance et ses métamorphoses, toute la saga, sans rien omettre. Ne cachent rien, refusent la création ex-nihilo par le saint-esprit, vous  content par le menu sa germination et vous exposent en pleine tête les plans secrets du sous-marin atomique.

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    Laissent l'auditoire pantois, des gosses à qui l'illusionniste a lacéré, à coups de cuter, et puis rendu tout neufs, encore plus beaux, encore plus doux, leurs doudous chéris, avec le sourire comme si rien ne s'était passé. Trop forts. Magique. L'on se précipite sur les disques et les t-shirts, ça baragouine de tous les côtés en mauvais anglais. Rencontre du troisième type. Le genre de concert dont on se souviendra longtemps.

    Damie Chad.

    ( Photos FB : Béatrice Berlot / Sergueï Störkel / Sergio Kazh )

    BEHIND THE WILL

    ABSTRACT MINDED

    ( Official Music Video )

    ( Visible sur YOUTUBE et le FB : ABSTRACT MINDED )

     

    Dernier single d'Abstract Minded. Sur YouTube, image fixe, grimace de logo sur fond d'infini stellaire, avec les paroles qui défilent. Très bon confort d'écoute, très belle prod. Un must.

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    Un unique morceau construit sur le schéma des tétralogies grecques. Commence par un bourdonnement grondeur de voix qui buterait sur elle-même, une tétraplégique reptation de gorge issu des galeries les plus obscures d'une mine charbonnière, musique qui moutonne noir impassible, un fleuve de cendre volcanique qui progresse et arase les doux paysages des âmes choisies, coup de cymbales comme gong de bronze qui résonne dans les temples désertés par les dieux, colère vocale crispatique, et la marche processionnaire reprend, impassible, mais les mots s'écrasent plus longuement tels ces mouchoirs de papier emplis de morve, de sang et de sperme que vous jetez derrière vous afin de désobstruer vos méningiques cloisons fissurées, lézardes de rage sur le métal stridal, la voix qui bazooke les portes blindées de la sortie du labyrinthe, cris de triomphe afin de fêter l'issue catacombère, long soli lyriques de guitares explosives, émissions spharynxgicoïdales chantent victoire, arrêt brutal. Nous ne sommes qu'à l'orée du chemin de glaise noire.

     

    Le plus difficile c'est d'en sortir. Que vous soyez mort – sachez que cela vous arrive plus souvent que vous ne le pensez – étendu en votre léthargie ou simplement retenu en vous-même. Bref, faut s'extraire. Pas facile. Vous n'avez pas la bonne clef dans votre poche. Sinon vous seriez déjà dehors. Une seule solution : enfoncer la porte. Oui, ça fait du bruit. Vous ne croyiez tout de même pas que ça se passerait dans le silence absolu. Et puis il y a le gardien du seuil. La solution décisive serait de l'abattre. Ce n'est pas l'envie qui vous en manque. C'est qu'il vous ressemble tellement que vous vous apercevez qu'il n'est autre que vous-même. La partie s'avère plus compliquée que prévu. Remarquez c'est une histoire connue et rebattue. Le scénario remonte à l'antiquité. C'est expliqué dans les textes des gnostiques. L'avaient pompé sur les vers dorés de l'orphisme. Suffit de transformer le cercueil de votre chair, lui insuffler l'énergie alchimique de la vie. Parce que vous n'êtes que rarement vivant quand vous y réfléchissez.

    Voilà vous avez le fil de l'action. Un peu compliqué, je le concède. Abstrait, dites-vous ? Emission gutturale de la lettre A. L'aleph prodigieux du point d'inexistence qui contient l'univers.

    Damie Chad.

    OFF THE GRID

    INSANECOMP

     

    1290605 – 1921031119 / DIE ALONE / PARTY OUT OF CONTROL / DRUGS ARE FOR IDIOTS / J'EMMERDE / UNSTABLE / FUURY WALL / DUNRK IM FELL BETERR / GET THE FUCK OUTTA MY WAY / I HATE YOU SO MUCH RIGHT NOW / OFF THE GRID / I KNOW EVERYTHING ABOUT LONELINESS / THE FRIGHT / THAT BELONG TO ME / ANOTHER SONG ABOUT YOU / DEMONS UNDER MY SKIN

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    12090605 – 1921031119 : parade, qui procède de loin, des confins de la grandiloquence des espaces infinis qui se rétrécissent et prennent la forme impitoyable du pas saccadé des hordes de l'ordre du malheur en marche à l'assaut de nos frêles forteresses. Die alone : hurlements de prisonniers derrière les grilles, mordent les barreaux et piquent crises de folie impuissantes, chœur de voix dans le lointain comme prières de moines geôliers, convulsion de musique en écrasement de pulpe d'âme dans un presse purée mental, rythmique sardonique, la mort se réduirait-elle au sourire du squelette ? Party out of control : le grand ordinateur vous parle, prêche dans les sables stériles de votre cerveau, des bottes martèlent vos neurones, l'on tire à la kalachnikov dans les coins, voix d'hôtesse de l'air de l'ère ordinatique qui mesure l'ampleur du désastre, le rythme de votre cœur s'accélère, toute panne se résorbe d'elle-même car elle est le message de sa présence. Drugs are for idiots : inutile de vous enfuir dans les paradis artificiels Big brother vous le répète, les drogues sont à l'usage exclusifs des idiots qui verrouillent eux-mêmes leur camisole de force. J'emmerde : proclamation à la face du monde, Moravagine disait qu'il avait marché sur la moitié de la face de Dieu lorsqu'il posait le pied sur un étron. Aujourd'hui Dieu est mort mais la pègre du pouvoir l'a remplacé. Un monde à détruire, en français dans le texte pour que vous compreniez mieux. Unstable : klaxons de mastodontes routiers percent votre vide mental comme trompettes annonciatrices de catastrophe finale. Le monde est instable. L'oeuf de l'univers flotte à la surface de l'océan du chaos. Furry wall : piétinements de voix compressées, urgence rythmique, une criaillerie de foule se bouscule sur les frontières des finitudes, béton des murs et des mots qui se heurtent en eux-mêmes. Satellite de la conscience en perdition. Dunrk Im fell beterr : vous ne maîtrisez plus rien, rythmique aussi lourde et pesante que pied d'éléphant sur votre nuque, une voix a pris le commandement comme une vapeur qui s'exhale d'un marais délétère. Get the fuck outta my way : ne reste plus qu'à chasser le papillon du désastre qui volette sur les décombres de votre moi intérieur. Ses ailes de fer grincent désagréablement sur vos synapses délabrées. Moteurs qui refusent de se mettre en marche. I hate you so much right now : le mixeur de la haine sera votre arme favorite. Mais contre qui le diriger ? Off the grid : Horrible travail, arc à souder cacophonique et étincelles sonores qui ne devraient pas atteindre vos oreilles. Silence total. La délivrance ne serait-elle qu'une déclinaison de l'angoisse existentielle ? I know everything about loneliness : et maintenant si seul dans le vaste monde ! A croire que le tumulte de votre emprisonnement était préférable à cet état de désolation. Postures shakespeariennes, vous mimez et infatuez votre détresse, la dramatisez en coït masturbatoire avec le néant de l'autre. The fright : miaulements de trop de voix qui s'engouffrent en vous comme train noir dans un tunnel fou. That belong to me : est-ce donc cela le lot du monde que les titans du tumulte m'ont imparti, cette frénésie intérieure qui me porte aux extrémités de la puissance des folies autodestructrices, je défie et je crache ma fierté à la face du monde creux comme l'éponge de mon âme qui aspire toute la saleté extérieure. Voix et musiques prennent d'assaut le kaos et submergent les continents. Another song about you : piste ordalique de clairons de merle moqueur, la voix se tait car comment adresser la parole à ce fantôme en face de moi qui me ressemble trop pour ne pas être. Empilement sonore extatique. Demons under my skin : sous-bois inquiétants, jungles menaçantes, j'erre en moi-même et traverse mes propres autoroutes, convois cliquetant de wagons plombés qui entrent dans les gares de triage sous la pluie qui ruisselle. A moins que je ne sois en train de tirer la chasse de ma merde humaine et de sortir les poubelles orgiaques de mes rêves sur le trottoir. Je reste seul en moi-même. Face à mes démons. Démons-tration du moi qui s'applique à tout un chacun.

     

    Bande sonore filmique. Les morceaux s'enchaînent sur une rythmique d'enfer. S'écoute du début à la fin. Cercle vicieux et vicié dont on ne s'échappe pas. Critique de la déraison pure du sujet placé en des conditions optimales de survie aléatoire. Si vous n'appréciez pas, c'est que vous vivez les yeux fermés. N'est pas plus insupportable que votre propre cécité. Insensé qui crois que ton computer neuronal n'est pas le nôtre, aurait écrit Hugo en préface à ses Dévastations.

    Damie Chad.

     

    ROCKABILLY GENERATION N° 2.

    ( Août / Septembre / Octobre 2017 )

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    Sergio Kazh et son équipe sont en train de gagner leur pari : une revue de Rockabilly qui donne sens au mouvement. Le numéro 1 était une promesse, ce numéro 2 est une réussite. Menée avec intelligence. La galaxie Rockabilly est gigantesque. Légendes du passé et nouvelles pousses du futur s'entrecroisent en une espèce d'éternel présent sans fin. Rockabilly Generation qui entend défendre les groupes d'aujourd'hui a compris qu'il faut aussi fouiller dans les braises chaudes et germinatives des générations précédentes tout en évitant de tomber dans un passéisme désuet. Si les premières pages sont consacrées, cinquantenaire oblige, à Elvis Presley dont la carrière est retracée en son entier, l'on passe vite à l'actualité des plus brûlantes avec le compte-rendu du Festival Viva Poulingue'n'roll qui culmine avec les prestations de Barny and The Rhythm All Stars et les WiseGuys. WiseGuys que nous retrouvons pour une longue interview des plus instructives, suivie par un entretien avec The Hoodoo Tones le groupe du Nord qui monte. Kévin qui faisait partie de la première mouture des Spunyboys partage en commun avec Chris des WiseGuys cet esprit d'ouverture musicale qui envisage le rockabilly comme une musique en évolution. Ne s'agit pas de s'enfermer dans une perpétuelle redite de la déclinaison d'un répertoire figé mille fois recommencée mais d'explorer des voies nouvelles pour exacerber les possibilités latentes des éléments primitifs incontournables. Un délicat chemin entre perpétuation et création. Groupes qui montent et groupes qui entrent en hibernation : dernier concert des Noisy Boys et évocation des Capitols, dont il souhaite le retour, par Didier Delcour. Discographie, Agenda des concerts et Courrier des lecteurs closent ce numéro qui comporte déjà quatre pages de plus que le précédent. Un bon signe. Articles plus étoffés, somptueuses photographies couleur de Sergio Kazh. Generation Rockabilly s'inscrit d'ores et déjà comme la revue maîtresse du mouvement rockabilly de par chez nous.

     

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    Editée par l'Association Rockabilly Generation News ( 7 hameau Saint-Eloi / 35 290 Saint-Méen-Le Grand ), 36 pages, 3, 50 Euros + 3, 40 de frais de port pour 1 ou 2 numéros, abonnement 4 numéros : 25 Euros, chèque à Lecoultre Maryse 1A Avenue du Canal 91 700 Ste Geneviève-des-bois ou paiement Paypal maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues...

    ( Photo Sergio Kazh / 3B / WiseGuys + Maryse Lecoultre + Brayan Kazh )

    Damie Chad.

    *

    Grave erreur que de ne pas se tenir informé ! Suis pris au dépourvu ! Pourtant les faits sont là, le nouveau gouvernement que j'abhorre sur tous les bords a dû promulguer en vitesse et en catimini un décret d'urgence, indubitable, façon de couper l'herbe sous les pieds des cathos coincés du bec et des babas exacerbés. Politiquement je n'y crois pas mais à vingt-cinq mètres de distance la réalité me déchire les yeux. Et déjà dans un fouillada ! Et pas qu'un peu, une demi-palette entreposée de la façon la plus innocente, impossible de faire semblant de ne pas les voir, à peu près deux cents briquettes à vue de nez un gros kilos, un emballage d'un jaune étincelant et écrit en énormes lettres vertes - pour une fois l'on a eu pité des mal-voyants - agrémentées d'un point d'exclamation, et le prix sur le panneau victorieusement planté au-dessus, 3 euros, SHIT ! Merde alors ! je me précipite ! Profonde déconvenue, mauvais cinéma, ce n'est qu'un bouquin, un énième scripto de plus sur le canabis, je passe dédaigneusement mais le nom de l'auteur clignote dans ma tête, Bruno Blum, le gonzoman qui au dernier siècle a envoyé le premier papier sur les Sex Pistols à Best, cela mérite le respect. Sûr l'a mal tourné, le révélateur punk s'est transformé en chanvre, pardon en chantre du reggae, mais enfin, ce n'est tout de même pas un zéro absolu, et puis n'oublions pas Sex, Drugs and rock'n'roll !

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    SHIT !

    TOUT SUR LE CANABIS

    BRUNO BLUM

    ( First Editions / 2013 )

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    Shit ! Chut ! Chat en berne ! Sujet sensible. Même chez First éditions qui aime les gros coups médiatiques qui font le ramdam. Z'ont pris un spécialiste. Quelqu'un qui sait de quoi il parle. Commence d'ailleurs par se présenter lui-même : Bruno Blum, oui il a été un accro au shit-à-mort. Ne se présente pas sous ses meilleurs jours. Tout jeune déjà voleur ! Honte sur lui ! S'attaquer à la propriété privée ! Ne faut pas y toucher. Extrêmement périlleux. Pierre-Joseph Proudhon nous a résumé le danger en une formule lapidaire : la propriété, c'est le vol. Y porter la main, c'est insérer ses doigts dans un engrenage fatal. Certes il a volé, mais des disques. C'est déjà mieux. De rock'n'roll ! Faute avouée, crime aux trois-quarts pardonné. Surtout qu'il a une théorie qu'il applique aussi bien à la récupération vinylique qu'au shit ou tout autre condiment qui peut faire votre délice, que ce soit l'ingurgitation infinie de crêpes au chocolat ou l'acquisition forcenée de crédences Louis XV. Ce n'est pas l'objet ou le produit qui produit l'addiction, mais votre tendance compulsive individuelle à l'addiction qui se focalise sur un point sensible du réel. Très souvent cela ne va plus loin que les innocentes collections de porte-clefs ou de cartes postales. Parfois la moindre des passions s'empare de vous, vous dévore, vous dépensez des sommes colossales pour l'achat irrépressible d'un tire-bouchon à la mode dans les années trente, la Dass vous confisque les mioches dont vous n'arrivez plus à vous occuper depuis que votre femme découche avec le voisin du-dessus... Bruno Blum a fumé, par plaisir, par manie, par vice, par choix, cochez toutes les cases. Envers et contre tout. Des crises de tachycardie à effondrer un éléphant, les copines qui se barrent, le rédac chef qui le vire, l'impossibilité de continuer à tenir la basse dans son groupe punk, les loyers impayés, le retour honteux chez sa maman... Jusqu'au jour où une nana lui met le contrat clef en mains. L'arrête en trois semaines. Trouve tout de suite d'autres centres d'intérêt, n'est pas spécialement addictif au cannabis, reprend sa vie en main, ses bouquins, ses disques, ses enregistrements... Extrait la morale de l'histoire : s'en est beaucoup mieux tiré que beaucoup de ses copains – paix à leurs âmes, accros à l'héroïne et autre produits farceurs dont on se détache beaucoup moins facilement, osons le mot : addictifs... L'en tire une ( heureuse ! ) conclusion, le cannabis n'est pas addictif. Ne se contente pas de cette assertion définitive. C'est que dans les sociétés modernes cette évidence n'est guère partagée.

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    Deuxième chapitre assez ennuyeux. Voyage dans le temps et l'espace géographique. Remonte au néolithique, explore toute trace cannabique – exemple : les chamans qui s'enfilent des joints aussi épais que les troncs des chênes centenaires pour entrer en contact avec l'esprit de leurs totémiques bestioles – et puis il passe continents et pays un par un, cultures chanvrique, à tout bout de champs, consommé sous diverses forme, fumé, inhalé, cuisiné, l'on se sert de la fibre pour confectionner des vêtements et tresser des cordes pour la marine, et aspect non négligeable est le remède universel de la pharmacopée des temps anciens et modernes... Ne m'attarderai que sur l'introduction du délit en France. Les plus grands esprits, François Rabelais, Charles Baudelaire, Honoré de Balzac, Théophile Gautier, Gérard de Nerval, enthousiasmés par les nouvelles sensations perpétrées par les joies de la fumette, des textes dont les écrits relatifs aux visions oniriques générées par le LSD in the sixties semblent être à un siècle de distance une décalcomanie fidèle...

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    Troisième chapitre : de loin le plus passionnant, musique et cannabis. L'on file tout droit dans les lieux de perdition de la Nouvelle-Orléans, musiciens, filles et clients s'adonnent aux joies du Tiger ( je ne traduis pas ). Passionnant ça vous ouvre le cerveau et les orifices naturels comme pas un, le jazz est issu de ces clandés, les musicos sont des adeptes de ce revitalisant miracle qui vous file un coup de fouet salvateur... Gros plan sur Louis Armstrong et Mezz Mezzrow – ce blanc qui vit comme un noir parmi les noirs ( voir KR'TNT ! 106 du 12 / 07 / 2012 ) – de grands consommateurs, qui ont nettement contribué à ce que le jazz entre dans les oreilles des blancs. Et voici que bientôt la jeunesse caucasienne adopte les déplorables manières des vilains nègres, se contorsionnent comme des sous-civilisés en de sauvages danses et dégradantes contorsions frénétiques dont sont coutumières les sous-races non évoluées... Heureusement le Ku Klux Klan, le FBI, et la presse à scandale de Hearst veillent au grain de folie qui est en train de dégrader cette saine jeunesse en voie de dégénérescence. Hystérie fascisante qui se traduira par l'interdiction absolue du hash en 1937. Prohibitio quod corumpet juventus.

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    L'on quitte à regret le monde des reefers et des vipers pour aborder la partie plus militante du volume. La prohibition américaine qui s'étend très vite au reste du monde fait vite sentir ses méfaits. La pègre et la mafia organisent le trafic. Les prisons sont engorgées tandis qu'au dehors la criminalisation gangrène les quartiers... L'interdiction n'arrête en rien la consommation... Mais délaissons la lointaine démocratie étatsunienne pour aborder nos douces campagnes françaises actuelles. Prisons et tribunaux engorgés par des milliers de petits trafiquants, économie parallèle dans les cités qui aboutirait à une révolte généralisée si elle était de force stoppée net. Les principes du capitalisme s'appliquent aussi à ces réseaux : l'on propose des produits frelatés à la clientèle qui n'est pas satisfaite. Mais l'on a ce qu'il leur faut : toute une gamme de produits qui vous procurent des sensations bien plus fortes, bien sûr c'est plus cher, goûtez-y une fois et vous vous y reviendrez. Toxicité addictive garantie.

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    Face à cette inflation des plus dangereuses, une seule solution, ce n'est pas la révolution, mais la dépénalisation. Bruno Blum nous joint les réponses de ses demandes adressées aux principaux partis politiques. On ne s'empresse pas pour répondre et chacun est dans son rôle. A droite un non franc direct, à gauche une compréhension du problème...

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    Argument massue que l'auteur explore longuement. Pensez ce que vous voulez de la consommation de la drogue, mais quid du cannabis entrevu au point de vue médical ? Vous embrume peut-être la tête mais beaucoup de malades témoignent : ne parlent pas de remède miracle mais d'un anesthésiant des douleurs qui souvent efface les souffrances que provoquent les médicaments qui combattent cancers, sida, maladie de Parkinson, de Crohn et autres saletés du même acabit. Joue petit : propose que dans un premier temps la recherche pharmaceutique pousse ses études... Attention lobbies: sommes colossales en jeu...

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    Le livre s'arrête là. Le débat est vieux comme L'Appel du 18 Joint 1976 lancé par le CIRC ( Centre d'Information et de Recherche Cannabique ) dont la parution dans les pages de Libération avait causé quelques émois dans le Landerneau politicien à l'époque... N'avance que lentement malgré études et apports expérimentaux de certains chercheurs... Perso je pense que c'est un sous-problème à un changement beaucoup plus radical de l'organisation politico-économique auquel il faut s'atteler. Reprendre sa vie en main. Créer des espaces mentaux de redéploiements idéologiques et révolutionnaires. Vaste programme.

    Damie Chad.

    ROSEE DES RÊVES / KERYDA

     

    Rêve / Amijig / Inis Oirr / Humours / Five Fingers / Si Bheag Si Mhor / Balkanik Rose / I Fell in Love with a Breeze / Freilach / Hargalden / Be Love.

    Harpe celtique : Sara Evans / Contrebasse : Damien Papin.

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    Pochette rose comme un rêve de petite fille. Un disque à voix nues si j'ose dire. Deux instruments harpe et contrebasse dans leur nudité. Deux tessiture effarouchées qui essaient de se conjuguer. Rien de plus, rien de moins que ces deux fragilités qui s'inclinent l'une vers l'autre et qui s'approchent, à se toucher, à se fondre l'une dans l'autre, mais de si grand écart sonore que toute étreinte est un voyage en des contrées dangereuses que l'on pressent merveilleuses. Un disque de douceur et de volupté.

     

    Rêve : gouttes de rosée et amplitude de contrebasse bruissante. Pluie de grâces et orage de gravité. Ondée matutinale sur terre desséchée. Ce n'est qu'un rêve. Sans doute est-il déjà trop tard. Que cela ne vous empêche pas d'y croire. Amijig : Main dans la main, corde dans la corde, l'une sautille et l'autre morigène sans gêne. Puis se tait. La vieillesse a beaucoup à apprendre de la jeunesse. Faut savoir, écouter, entre la vieille chatte automnale qui ronchonne au salon et le chaton allègre qui grimpe aux rideaux, le choix n'est pas à faire. Inis Oirr : lourde basse lugubre ne se taira point. Se rendique d'expérience mais gamineries de perles harpiques se mêlent à son vieux discours. Sans qu'elle le sache la gracilté de l'enfant espiègle s'insinue en son âme. Humours : la harpe ricoche et l'aïeule s'essaie à faire des pointes dans des chaussons rose de danse. Pas si difficile que l'on pourrait le croire. Se laisse entraîner s'achève en danses et virevoltes. Rires sous la charmille. Five Fingers : cinq doigts chacune, mais Mamy triche un peu, l'en possède un sixième qui lui sert à taper sur son bois, mais non c'est le coeur d'un poëte qui se cachait dans son cercueil, le voici qui s'extirpe de sa carapace et l'enfant blonde se mue par miracle en jeune fille. Si Bheag Si Mhor : une mélodie – imaginez une walk on the soft side, le big boy se la joue badly, imite les langueurs sales du saxophone et notre jeune première endosse le rôle de la super-guitar-héroïne. Leurs coeurs marchent à l'amble, ils s'amusent, rien ne sert de parler trop tôt. Balkanik Rose : Se dirigent à petits pas timides vers le jardin des roses. Leur parfum ennivrant se confond avec une rhapsodie arabe aussi douce et épineuse que des quatrains d'Omar Khayyam. I Fell in Love with a Breeze : heure exquise des aveux, maintenant le poëte-contrebasse s'amenuise à mi-voix, les résonnances de la demoiselle prennent le dessus, douces paroles deviennent ausi légères que pollens de fleurs que le vent emporte dans les hauteurs béantes du ciel. Freilach : des notes comme brises de printemps, ou fruits d'été, et feuilles d'automne, même flocons de neige, la rencontre de deux êtres contient tout l'univers en gestation. L'instant est grave. Promesse d'unisson résulte d'une partition originelle. Hargalaten : la prescience de l'acte factuel exige une certaine compoction cérémoniale, toute parade nuptiale est aussi le thrène nostalgique d'un passé que l'on va égorger. Noces sanglantes. Be Love : amplitude sonore, la mer du désir submerge toutes les appréhensions, l'appel insistant d'une flûte précède la vague de plénitude qui submerge le monde.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 221 : KR'TNT ! ¤ 340 : NICKE ANDERSSON / LEAVING PASSENGER / GATHER NO MOSS / ELEVENZ / ABSTRACT MINDED / FALLEN EIGHT / INSANE CAMP / WILD MIGHTY FREACKS / F J OSSANG / TOM KROMER / EIGHTBALL BOPPERS

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 340

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    21 / 09 / 2017

     

    NICKE ANDERSSON / LEAVING PASSENGER /

    GATHER NO MOSS / ELEVENZ / ABSTRACT MINDED

    FALLEN EIGHT / INSANE CAMP / WILD MIGHTY FREACKS

    F J OSSANG / TOM KROMER

    EIGHTBALL BOPPERS

     

    Les contes d’Andersson

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    Si on se retrouve à bord du Petit Bain par un beau soir du joli mois de mai, ce n’est sans doute pas un hasard, Balthazar. Il se trouve que Nicke Andersson y donne un concert avec son nouveau groupe, Imperial State Electric. Une belle affiche, dirons-nous.

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    En vrai dévot du Detroit Sound, Nicke Andersson s’est taillé au fil du temps une réputation de pur et dur. Il vénère un dieu bicéphale : Stooges & MC5, et parmi ses amis, on compte bien sûr quelques rescapés de cette antique épopée : Scott Morgan (avec lequel il battait le beurre dans les Hydromatics et The Solution) et Wayne Kramer (avec lequel il jouait de la guitare dans DTK MC5). Puis il joua dans les Hellacopters qui ne juraient que par le MC5 et il enregistra le fatidique mini-album Supershit 666 avec son bras droit Dregen et le Wildheart Ginger. Voilà ce qu’il faut bien appeler un joli parcours.

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    Avec Imperial State Electric, il prend un virage plus pop, et tous ceux qui espèrent retrouver le high-octane blasty-blasto de Supershitty To The Max seront déçus. Pour être tout à fait franc, on craignait même de s’ennuyer pendant le set d’Imperial. Eh bien pas du tout ! Ces mecs ont assez de métier pour savoir créer l’événement. Non pas qu’ils créent la surprise, car ça reste dans la veine Hellacopters bien énervée d’antan, mais ils sont tellement bons sur scène qu’ils parviennent à transfigurer les cuts et à salement rocker leur pop. Force est d’admettre qu’Imperial State Electric prend tout son sens sur scène. On a même l’impression que ce ne sont pas les mêmes gens, car leurs cinq albums manquent singulièrement de punch.

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    C’est un pur bonheur que de voir Nicke Andersson sur scène. Il n’est pas devenu légendaire par hasard. Comme Jim Jones qu’on venait de voir trois jours plus tôt au même endroit, le Suédois sait tenir une scène et chauffer une salle. Il le fait avec un réel panache. Il fait partie de ceux qui sont vraiment nés pour ça. Aucun doute : sa raison d’être est de monter sur scène avec une guitare. Il ne porte que du noir et joue sur une bête à cornes blanche. Il porte aussi la casquette d’officier qu’on voit sur les pochettes d’Imperial et les photos de presse. Il nous gratifie lui aussi d’un ballet exceptionnel ponctué de belles montées de fièvre, il joue tous ses cuts au white light white heat circonstanciel et n’accorde aucun répit à un public qui n’en demandait pas tant. C’est un vrai set de rock électrique, tendu et vif, captivant et diablement mouvementé. De l’autre côté de la scène, Dolf de Borst joue de la basse. Oh vous le connaissez, c’est le chanteur des Datsuns, un groupe originaire de Nouvelle Zélande qui débarqua à Londres en plein revival garage des années 2000 et qui se retrouva subitement à la une du NME. Le seul problème avec les Datsuns, c’est que le pauvre Dolf n’a pas de voix. Il ne manque pas de nous rappeler cette fatalité lorsqu’il prend le lead pour roucouler une ou deux chansonnettes.

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    Les Imperial chauffent leur fin de set avec une trilogie impérieuse : «Get Off The Boo Hoo Train», l’«Uh Huh» tiré de Pop War, et un «Reptile Brain» tiré de l’album du même nom, qui atteint des sommets de furiosia. Ils reviendront jouer d’interminables prolongations en rappel, avec au moins dix morceaux, comme ça, juste pour le plaisir. On entendra une fantastique version du vieux «Sonic Reducer» ainsi qu’une reprise bien trempée de l’encore plus vieux «Fortunate Song» de Creedence.

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    Hellacopters ! C’est ainsi que les cultivateurs de pavot mexicains appelaient les hélicos qu’envoyait la CIA pour détruire leurs champs. En 1996, nous n’avions pas de champs de pavot, mais nous poussions des cris en voyant arriver ces fucking Hellacopters. Leur mortelle randonnée débute en effet cette année-là avec un Supershitty To The Max torché en 26 heures. Aw baby, quel album... Tout y est blasté au maximum des possibilités, et dès «Now», ouh ! ça part en hurlette indéterminée. Cette jolie fondue suédoise sonne comme l’épitome de l’épître, alors que sonnent au loin les trompettes de l’apocalypse. Encore plus allumé : «Born Broke», qui sent bon l’escalade de conflit, et question viande, ça se rapproche du MC5. C’est excellent, car maîtrisé et en bonne santé. Il y a quelque chose d’irrémédiable sur cet album. On reste dans le maximalisme avec «Bore Me», yeah you fucking bore me, Nicke n’en peut plus, sa poule doit être infecte pour qu’il gueule comme ça. C’est dingue comme ces mecs savent jouer. Mine de rien, ils proposent la plus belle cohésion blastique de Suède. Ce sacré Nicke hurle à s’en arracher les ovaires. Voilà ce qu’il faut bien appeler un fabuleux shoot de non-recevoir. Ils passent au maximalisme de la heavyness avec «TAB». Ces diables ne reculent devant aucune démesure. C’est affreux. Leur heavyness reste saine et bien fondée. On s’installe dans l’effarance avec «How Could I Care» et sa violente attaque d’how could I care. Cet album est idéal si on a besoin de se chauffer en hiver. Tout y est extrêmement puissant et même tellement puissant que ça n’en finit plus d’interloquer. C’est vrai qu’ils tapent dans tous les clichés du genre, mais avec une force de guerriers poilus. Oh il faut aussi écouter «Random Riot», tout aussi explosif. Supershitty To The Max pourrait bien être l’un des albums les plus explosifs de l’histoire du rock. Nicke et ses amis ont le diable au corps. On s’extasie à l’écoute d’un «Ain’t No Time» beaucoup trop solide, nouvelle énormité amenée aux ouh d’uppercut. On arrive à la fin de cet album épuisé et ravi, comme après une nuit chaude au Cap Français. Et là on tombe sur un «Such A Blast» exceptionnel, l’un des sommets du genre, hanté par les guitares du MC5. Avec ce premier album, les Hellacopters créaient un empire.

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    Avec Payin’ The Dues paru un an plus tard, ils entraient en terre conquise. On commençait à bien se familiariser avec ces nouveaux héros. Ouverture du bal des Dues avec «You Are Nothing», une jolie déflagration sonico-dingoïdale. L’infâme Dregen entrait dans le lard du cut par tous les trous. À la réflexion, on se disait : Trop bardé ! Beaucoup trop bardé ! Peu de gens allaient alors aussi loin dans le trépidant exacerbatoire extraverti. Si on préférait le trash-punk, il fallait attendre «Riot On The Rocks» pour frémir. Les Hellacopters y redoraient le blason du blast en explosant toutes les rondelles des annales. Et puis on tombait sur le hit du disk, le fameux «Hey» monté sur un vrai thème de guitare, un cut imparable et balayé par des paquets de mer, thaw ! en pleine poire ! Quant au solo, il participait de l’éclat définitif du brasier originel. Tout était sur-saturé, en quête d’un maximalisme dégénéré. C’est avec «Soulseller» qu’ils retombaient dans le MC5 : même attaque et même éclat. Puis ils repartaient de plus belle avec «Where The Action Is» joué à l’extrême de la clameur, au edgy expiatoire, là où on crucifie les atomes. Venait enfin la fin des haricots avec un «Psyched Out & Furious» lancé au ouh! d’uppercut d’undergut et suivi la pire effervescence sonique qui se put imaginer ici bas. On avait là sous les yeux la pire équipe de no-waiters de no dining here tonight. Phew !

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    Paru un an plus tard, le mini-album Disapointment Blues sentait la baisse de régime, ce qui semblait logique. Les Hellacopters allaient s’y montrer humains trop humains, c’est-à-dire capables du pire comme du meilleur. On n’y sauvait qu’un seul titre : «Ferrytale», véritable horreur démonologique amenée au gratté sévère. Dregen arrosait ça au solo incendiaire, comme s’il nettoyait une tranchée au lance-flammes. Oh on pouvait aussi écouter «Speedfreak» qui sonnait un peu comme un hommage à Captain Sensible, avec son intro de basse inspirée de «Love Song».

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    Retour aux grandes heures du Duc de Berry avec Grande Rock, chef-d’œuvre de blast intemporel. Grande Rock, c’est un peu leur Grande Ballroom. Dès «Action De Grace», on retrouve les clameurs du MC5. Tout y est gratté aux accords délétères. Même chose avec cet «Alright Already Now» complètement allumé. On y assiste à la victoire du chaos. Le cut disparaît dans une fin d’apocalypse. On retrouve les chœurs de «Sympathy For The Devil» à la fin de «Welcome To Hell». Retour au MC5 avec «The Electric Index Eel». Nicke chante sans complaisance aucune. On assiste là à l’un des plus beaux blasts de l’histoire du blast. Les Hellacopters mettent un point d’honneur à dépasser toutes les bornes. Encore un exercice de haute voltige avec ce «Dogday Mornings» bardé d’accords grattés à contre-courant, et puis tiens, écoute un peu ce «6 VS 7» sur-saturé d’entrée de jeu et noyé d’harmo. «6 VS 7» pourrait bien être l’emblème de ce qu’on appelait alors la high-energy. Et comme si tout ce bordel ne suffisait pas, ça wha-whate et ça glougloute. Ils atteignent des cimes. Cet album est l’un des sommets du genre, même si Dregen a quitté le groupe.

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    Nouvelle baisse de régime avec High Visibility paru un an plus tard. Dommage, car la pochette est assez belle : on y voit jouer des Copters ailés. On y sauve deux cuts, «Throw Away Heroes» et «Hurtin’ Time». Le premier est carrément joué aux accords du MC5. La rythmique qu’on y entend évoque celle de Fred Sonic Smith. Quant à «Hurtin’ Time», c’est autre chose : Nicke l’a composé avec Scott Morgan. C’est un cut éclair. Nicke connaît son affaire. Sur les autres cuts, on peut dire que ça joue bien, ça chauffe même à blanc, mais il manque l’inspiration. On ne garde aucun souvenir de tout ça. Pour qu’un mec aussi brillant que Nicke Andersson (qui à l’époque s’appelle Nick Royale) puisse s’exprimer, il lui faut soit un Dregen, soit un Scott Morgan dans les parages. On voit qu’il adore le nothing at all dans «Truckloads Of Nothin’» et la sévérité maximaliste dans «A Heart Without Home», deux cuts qui restent malgré tout de sacrés clients. Oh et puis avec «I Wanna Touch», on l’entend lancer un speed-rock de vieille meute.

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    Tout au long de leur mortelle randonnée, les Hellacopters ont enregistré des tas de mini-albums avec d’autres groupes, comme par exemple les Flamin’ Sideburns. Ça vaut vraiment le coup d’aller écouter la reprise de «Get Ready» qu’on trouve sur White Trash Soul. Ils mettent toute leur gomme au service du grand Smokey Robinson. Nos vaillants Copters sonnent comme une armée en marche, pas une armée d’aujourd’hui, non, une armée d’avant, du temps où on frappait les glaives sur les boucliers pour vaincre la peur d’affronter un ennemi dix fois supérieur en nombre. Sur ce mini-album, les Copters font une autre reprise de Smokey, «Whole Lot Of Shakin’ In My Heart», complètement hallucinante de véracité suédoise. C’est une véritable révélation. On ne s’en lasse pas, cette idée de trasher la Soul vaut tout l’or du monde.

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    Attention ! Ne prenez pas By The Grace Of God à la légère. Quand on écoute le morceau titre qui ouvre le bal, on croit qu’il s’agit encore d’un album raté, mais si on va jusqu’à «Down In Freestreet», on sera bien récompensé, car voilà une pop claquée aux beaux accords étincelants. C’est même un hit plaisant et captivant, monté sur un mid-tempo bien claqué du beignet. Ça se met ensuite à chauffer avec «Better Than You», so c’mon et on retrouve leur enthousiasme légendaire, cette espèce de nature bon enfant et cette énergie de chef de meute. Nicke charge sa barque d’oh yeah ruisselants de jus. De cut en cut, l’album semble prendre du volume, oui, car voilà un «Carry Me Home» joué aux accords de belle syncope. Ils adorent secouer leur vieux cocotier, ils tripotent la pop américaine avec un certain brio, voilà encore un hit qui ne veut pas dire son nom. Nicke chante ça aux myriades miraculeuses de l’unisson du saucisson. Il rend ensuite un hommage terrible à Dylan avec «Rainy Days Revisited». Cet album gagne vraiment à être connu. Il règne dans ce Rainy Days une belle ambiance dylanesque avivée par des chœurs de dingues. Et pouf, ils enchaînent avec l’excellent «It’s God But It Just Ain’t Right», pris à la grande chasse de la chandeleur, ventre à terre après le cerf. Nick Royale s’y fait Comte Zaroff, il fonce avec notre bénédiction, et voilà qu’ils passent un pont à la Melody Nelson, mais une Melody tombée dans la nitro. Ils repartent en mode garage soul avec l’effarant «On Time» poundé jusqu’à plus-soif, pulsé au maximum - I’m on my way - Odin bat son enclume, c’est imparable. Encore du répondant d’outre-monde avec «Go Easy Now». On dirait que tout va s’écrouler dans la fournaise. Voilà encore un hit miraculeux. Nicke Andresson va jusqu’au bout de la nuit.

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    Les Hellacopters reviennent trois ans plus tard avec Rock & Roll Is Dead et un bel hommage à Chuck, «Before The Fall». On note au passage cette extraordinaire facilité qu’ils ont de claquer le beignet du rock. Ils embrayent aussi sec sur «Everything’s On TV», encore un cut admirable de ramalama fa fa fa, bien bardé de power-chords et titillé par une petite mélodie sacrément accrocheuse. On s’étonne d’une telle santé et d’une si belle allure. On les croyait vides de sens, certains les prenaient même pour des bourrins, mais quelle erreur ! Encore un cut sacrément intense avec «No Angel To Lay Me Away». Nicke travaille son rock au corps, avec un éclat persistant. Il shoote là un joli coup de power-rock et joue la carte classique. C’est explosé aux chœurs d’Horus, voilà enfin le rock de la grande pyramide d’EP. Jacobs, hanté de l’intérieur et si bien dessiné, vraiment fait pour les fans. Ils prennent «Leave It Alone» à la Stonesy des familles. On y entend les vieux accords de Keef dans le lointain et ils nous salent tout ça aux chœurs de rêve. On ne s’ennuie pas un seul instant sur cet album, même si les Hellacopters opèrent un virage vers la pop. Nicke claque son «Put On The Fire» aux accords pressés. Il est incapable d’attendre un bus. Il passe au glam de prestige avec «I Might Come Se You Tonight». Une vraie sinécure. Ce mec est très fort. À un point qu’on n’imagine même pas.

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    Paru en 2008, le dernier album des Hellacopters s’appelle Head Off. On y trouve quatre pures merveilles, à commencer par «Midnight Angels», une pure aubaine directionnelle dotée de toute la puissance du monde. Avec le temps, les Hellacopters sont devenus délectables. On sent chez eux une stature d’exception, quelque chose d’assez mirobolant. Ces mecs qu’on soupçonnait d’être bas du front sont en réalité excellents, talentueux et bourrés d’énergie salvatrice. La deuxième raison de rapatrier cet album s’appelle «Veronica Lake», un cut de pop d’une puissance hors normes. Nicke nique bien son monde, il multiplie les exploits et descend dans des accents pop à l’Anglaise qui défient toute concurrence. Encore de la grosse pop allumée avec «I Just Don’t Know About Girls». Nicke nous chauffe ça sous la paillasse et l’allume au solo définitif. Le cut se répand comme une mélasse de sonic trash inclassable. Les Hellacopters sont un groupe qui vous rend fier d’être fan. Retour au Detroit Sound avec «Throttle Bottom». Nicke ne lâchera jamais la grappe du MC5. Il joue tout son cut aux clameurs de la Saint-Jean. On voit bien que ces gens travaillent à l’ancienne, avec une science du son et un soin du fan qui les honore. Peu de groupes dans l’histoire du rock ont su bâtir des mondes aussi intègres et distribuer autant de blasts d’énervement collatéral. Oh il faut aussi écouter «Another Turn», un strut de pop bien coloré. On n’en finira plus d’admirer ces Suédois huilés de sainteté comme l’étaient les gardiens du temps d’Adonis. On note leur extraordinaire vélocité harmonique de rainbow in your eyes, oh yeah.

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    Comme les Hellacopters multipliaient les produits dérivés (singles, maxis, splits, splots, spluts et scoubidous), les deux volumes de Cream Of The Crap sont une bénédiction pour ceux et celles qui n’ont pas réussi à tout récupérer. Sur Cream of The Crap Volume 1, on trouve deux belles reprises, à commencer par «Gimme Shelter», introduit par des glissés de guitares et des chœurs somptueux. Bienvenue en enfer ! - If I don’t get some shelter/ I’m gonna fade away - Ils poundent ça à la suédoise, c’est-à-dire avec la violence de leurs ancêtres les Vikings. On a là la plus belle version de tous les temps. Ils tapent aussi dans l’«I Got A Right» d’Iggy & the Stooges. Ils tentent le coup, mais comme on dit, qui ne tente rien n’a rien. Ils font tout ce qu’il faut pour réussir et mettent en route leur dynamique infernale. On entend toute la mécanique des accords. Ils amènent le solo au scream. On le sait depuis longtemps, le blast leur va très bien. On retrouve leur extraordinaire vitalité dans «Down Right Blues» chauffé au oouh oouh oouh et au crazy drive à la Kramer. On a là une vraie merveille aventureuse. Tiens encore un hit, «Ferrytale», gratté à la violence inexpugnable, comme gratté à rebrousse-poil, d’une sauvagerie hors normes. Il n’existe rien d’aussi définitif en matière de boogie suédois gratté à l’insistance maladive. Le pire, c’est que ça sonne comme un hit planétaire, avec des refrains magnifiquement drapés d’accords princiers, et on voit le solo glouglouter sur les spasmes d’une rythmique en syncope. Ils tapent aussi dans «The Creeps», un vieux hit de Social Distorsion. Ils n’y vont pas de main morte. C’est explosé d’entrée de jeu. Les canards boiteux ? Espérons qu’ils ont réussi à se mettre à l’abri. Cette reprise du grand Ness est d’une indécence à peine croyable. Oh il faut aussi écouter cette merveille intitulée «Makes It Alright», car elle chevauche le beat de «Gimme Some Loving». Excellent initiative. Ça fait plaisir de voir des gens aussi dégourdis se lancer dans une telle opération. Ils montent ça en mayonnaise, une expression qui, rappelons-le, sert surtout de métaphore pour illustrer la montée du plaisir. Cette montée s’accompagne bien sûr d’une pointe de fièvre à la Wayne Kramer et c’est épouvantablement bon. Avec «Killing Alan», ils reviennent aux sources, c’est-à-dire au pur blast, chauffé à blanc et ponctué d’ouhs d’uppercut dans l’undergut. Ils sonnent ici comme les Damned de «Fan Club». Infernal ! Encore du ravagé de presbytère avec «Misanthropic High», joué au fucking blow des USA. Ils ne sortent plus du pré-carré du MC5, c’est-à-dire le get out de shit up incendié par les nettoyeurs de tranchées. Tout ici est systématiquement porté à incandescence. Tiens, encore de l’explosé d’entrée de jeu avec «1995». Ils célèbrent probablement un anniversaire.

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    On trouve d’autres reprises géniales sur Cream of The Crap Volume 2. Comme par exemple «Low Down Skakin’ Chills» des Nomads, effarant blast garagiste amené au scream et embarqué sur les accords de Gloria - Don’t you dare ! - Ils tapent aussi dans Love avec «A House Is Not A Motel», puis dans Scott avec «Slow Down (Take A Look)». Ils en font de la charpie et jouent ça au plus blast de Detroit. Ils reprennent aussi le fameux «16 With A Bullet» des Scott Pirates. Rien ne peut les endiguer. Nicke part en raid dévastateur. On trouve aussi une magistrale reprise de «Time To Fall» des Radio Birdman. Oh on le sait, les compos des Birdmen sont moins spectaculaires. Elles sont même un peu âpres, ce qui semble logique car composées par un étudiant en médecine. Mais Nicke et son gang transforment ça en brasier. On se régalera aussi d’«(It’s Not A) Long Way Down», pur jus de glam à la Sweet. Ça produit un effet qui atomise la cervelle. Eh oui, les Hellacopters subliment l’énergie du glam, ils reviennent par vagues et c’est aussi imparable que la botte de Nevers. On tombe plus loin sur «Who Are You», pur jus de garage punk coptérien explosé aux clameurs de pilleurs. Dregen carbonise tout à coups de saillies. Il n’existe aucun équivalent dans l’histoire du rock. Ils tapent aussi dans les Dead Boys avec «Ain’t Nothin’ To Do». Leur version est si brûlante qu’elle vaut vraiment le déplacement. Ces mecs décrochent toutes les timbales inimaginables. Avec «Kick This One Slow», Nicke plonge dans un enfer de wha-wha. On se retrouve une fois de plus au cœur d’une belle énormité. Ils tapent aussi dans les Misfits avec «Bullet», mais c’est trop punk et sans espoir de retour. Avec «Master Race Rock», on a une cover plus intéressante, car il s’agit bien sûr des Dictators. Ils étendent une fois de plus le domaine de la lutte, avant de taper dans Sabbath avec «Dirty Women». On l’aura bien compris, ce disque n’est pas de tout repos.

    Le vol des Copters aura quand même duré quatorze ans. Un bail, comme on dit chez les notaires ! Nicke avoue que ça devenait une routine, et donc il fallait arrêter les frais - To be honest we weren’t the happiest of bands by the end.

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    Autre épisode d’importance dans la vie de Nicke : les Hydromatics. En 1999, Nicke et Tony Slug voulaient monter un cover-band du Sonic’s Rendezvous et, miracle, Scott Morgan accepta de chanter avec eux. Nicke et Scott se connaissaient car les Hellacopters et le Sonic’s Rendezvous Band avaient tourné ensemble aux États-Unis. Et pouf, voilà qu’arrive l’album Parts Unknown qui remet le feu aux poudres, d’autant que Scott tape dans les vieux cuts du Sonic’s Rendezvous. Ça démarre en trombe avec une version fumante d’«Earthy». On retrouve toute la fournaise rythmique du MC5. D’ailleurs, on ne se demande même pas d’où sort une telle énergie, on connaît la réponse. Dans ce disk, tout est poussé au maximum des possibilités, comme sur Supershitty. Tiens, revoilà «Dangerous», yeah yeah it’s dangerous, toujours le même coup de blast derrière les oreilles de Dieu. Ils rendent aussi hommage aux esclaves marrons avec «Runaway Slaves» et restent dans l’effarance de la fournaise avec «Heaven» qui sonne comme une déflagration atomique, brroaarrr, enfin un truc dans le genre. Ils défoncent tout, ils passent à travers tout, avec la violence d’une charge de hussards. C’est un son unique au monde, un conglomérat d’accords battus comme plâtre. Tout est sur-saturé de puissance riffique et de blastiquage. Nick tente de surpasser Scott Asheton, mais il bat beaucoup plus technique. Tiens, encore une merveille abominable avec «Getting Here (Is Half The fun)» joué au heavy groove carabiné. C’est encore une fois excellent et même au-delà de toute espérance. Scott Morgan pourrait sauver l’humanité, si seulement l’humanité le connaissait. Il agit toujours dans l’intérêt de la fournaise. On retrouve encore l’esprit du MC5 dans «Nailed», explosé au cœur d’accords, joué ventre à terre et imputrescible. Tout l’album sent bon le brûlé. Mais Nicke a des obligations avec ses Hellacopters, et il doit céder la place à Andy Frost que Scott connaît bien : Andy battait le beurre dans Powertrane.

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    Nicke et Scott se retrouveront un peu plus tard pour monter un autre projet, The Solution. Cette fois, ils vont opter pour un autre genre de fournaise, celle de la Soul. Ils vont partir d’une idée simple : recréer la magie du studio FAME de Muscle Shoals, mais pas en Alabama, en Suède. Comme ces deux-là sont particulièrement doués, ils vont y parvenir. La preuve ? l’album Communicate paru en 2004. Scott y renoue avec le son des Rationals, quand il chantait du raw r’n’b dans les sixties. Il faut absolument écouter «Get On Back» si on aime le r’n’b surchauffé, car c’est digne de tout ce qui se faisait à l’âge d’or de Stax. La grosse viande se trouve en B, avec notamment «Phoenix», une autre énormité montée au beat de Fender bass. Scott y fait son white niggah et c’est saxé jusqu’à l’os du Stax. Attention, une autre merveille impitoyable vous guette, un plus loin : «Words», un magnifique balladif de hot Soul. Scott le prend à l’arracherie gutturale pure et avec un feeling hors normes. Encore un hit avec «End Of The Day», pur jus de r’n’b bien relayé par les filles. Quel extraordinaire cut de Soul dansante ! Scott chante ça avec une belle extravagance.

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    Ils récidivent trois ans plus tard avec The Solution Will Not Be Televised. Il s’agit là d’un album de groove de Soul qui au premier abord ne présente rien d’extraordinaire, sauf que c’est très chanté et littéralement explosé par des backing Sisters déchaînées. On se régale d’un «Somebody» claqué au shuffle de la Solution, bien hot et terriblement inspiré. Les filles montent vite au créneau, you baby you baby, et leurs backings dynamitent la paillasse du cut. Clarisse Muvemba duette avec Scott sur «Pickin’ Wild Mountain Berries». Les voilà au cœur du Muscle Shoals Sound System. Clarisse se bat comme une lionne et se montre fantastique de gueularderie. Scott réussit à transposer les vieilles dynamiques internes du Sonic’s dans la Soul, ce qui relève de l’exploit sportif. C’est frappant quand on écoute «You Never Liked Me Somehow», un cut de Soul agité de tempêtes intestines. Scott chante «Happiness» à la régalade, avec une voix de coffre éclatante, il fait son white niggah et les filles perdent la raison. Il faut voir comme il swingue son happiness ! Et on assiste en prime à un final de cut éblouissant. «Can’t Stop Looking For My Baby» sonne comme un hit de juke bien pulsatif et on revient au groove avec l’excellent «Hijackin’ Love», le vieux hit de Johnnie Taylor. Scott le prend à la gorge en feu et se lance dans une véritable débauche d’exaction. Il finit par l’exploser en le screamant jusqu’au trognon. Il tape ensuite dans les Staple Singers avec le vieux «Heavy Makes You Happy (Shana Boum Boum)». Il duette avec Linn Segelson. Scott la met à l’aise alors elle enfonce bien ses clous. Elle a de la chance de pouvoir chanter avec un génie comme Scott Morgan. Et ça se termine avec l’indescriptible «Funky Fever» qui va en ratiboiser plus d’un et plus d’une.

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    Le fleuron de la prestigieuse carrière de Nicke Andresson est sans nul doute Super$hit 666, le quatuor qu’il monta en 1999 avec Ginger Wildheart, Dregen et Tomas Skogsberg, le boss du studio Sunlight à Stockholm. Nicke bat le beurre et Tomas bassmatique. Ils n’enregistrèrent qu’un mini-album sobrement titré Super$hit 666 sur lequel palpitent trois véritables coups de génie orthodoxes, à commence par «Wire Out». Au niveau blastique, ça dépasse tout ce qu’on connaît. Ils jouent au-delà de ce qui est supportable et ça se termine sur un scream dégénéré. Pas la peine de chercher plus barré, ça n’existe pas. Ils re-dépassent les bornes avec «Dangermind», amené au riff sale à poil dru. C’est une infamie de plus à leur actif. Ça super$hite dans les brancards. Voilà le son le plus dévasté de l’intérieur qu’on ait jamais entendu ici bas. C’est complètement nagazaké du ciboulot. Question excès en tous genres, Ginger est le champion du monde. Il ne pouvait pas trouver de compères mieux assortis que Nicke et Dregen. Et paf, ça repart de plus belle avec «You Smell Canadian». Nicke le claque à la charley de défosse et ça part en mode waouuuh ! C’est une pure giclée de Stonesy. Comprenez qu’on est là dans l’un des albums les plus violents du l’histoire du sonic trash. On ne tarit plus d’éloges une fois qu’on a entendu ça. Ginger et ses amis détrônent tous les concurrents, ils explosent tous les cursus du cosmos et le solo d’harmo qui arrive sur le tard achève les survivants. On retrouve dans ce disque toute l’insolente explosivité de Supershitty To The Max. Ils vont même beaucoup plus loin, ils plongent leur hargne dans le sang du Christ, ils développent une mystique sonique complètement tordue, on a là une sorte de pain béni pour tous ceux qui détestent l’ordre établi et la beaufitude. Tout est hurlé à la relance, riffé avec la pire sauvagerie qui soit, tonitrué à la Villon de Montfaucon, c’est opéré à vif, blasté en plein dans la gueule de Dieu, c’est envoyé dans l’œil de la lune et méliessé sans aucune pitié. Ils terminent avec «Crank It Up», qui comme son nom l’indique, te cranke tout cru. T’es foutu d’avance. Une fois que tu es dans ce disque, t’es baisé. Ils te harponnent, tu finis comme ce pauvre Achab, attaché sur le dos du cachalot blanc qui va t’emporter vers le fond, et tu pourras gueuler, personne ne t’entendra. Alors tu vas boire la tasse, un bouillon de son que tu ne seras pas près d’oublier.

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    Avec Imperial State Electric, Nick Royale redevient Nicke Andersson et passe à autre chose. En 2010, il enregistre tout seul un premier album sobrement intitulé Imperial Static Electric. On s’attend plus ou moins à un résurgence des Hellacopters, mais Nicke opte pour un parti-pris plus consensuel. Il propose une pop-rock sans identité bien définie. Au dos de la pochette, Nicke pose avec ses guitares et une casquette d’officier de la Wehrmacht, histoire de sauver les apparences des clichés. On aura un mal fou à déterrer un cut excitant sur cet album. «Throwing Stones» plaira aux lapins blancs pour son côté pressé qui ne traîne pas en chemin, mais la pop règne sans partage ici et ça ne semble pas lui correspondre. Quand on écoute «I’ll Let You Down», on croirait entendre du Merseybeat de 1963, du genre Jerry & the Peacemakers, Garry & the Mindbinders, Quarrymen ou Searchers. C’est incroyablement ridicule. Il frôle même parfois le bubblegum. Il finit l’A avec un «I Got All Day Long» un brin garage, voire Mott, mais au fond, il ne fait que flatter l’esprit des seventies en cherchant une sorte d’ampleur. Oui, Nicke cherche à niquer le rock seventies et flirte avec le beau glam londonien. En B, il cède aux sirènes du garage avec «Deja Vu», c’est envoyé ad patres vite fait, avec un solo qui coule comme un camembert trop fait, mais ça reste très poppy quand même. Avec un cut comme «Alive», il va plus sur Kiss ou Mick Ralph. On a même l’impression d’entendre une pop qui ne saurait pas choisir son camp. Il boucle avec «Redemption Gone» joué aux clameurs des Heartbreakers, ceux de Johnny, bien sûr.

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    Sur la pochette de Pop War, Nicke chevauche un étalon, en chef de guerre, brandissant l’immense drapeau écarlate de son corps d’armée. Dès «Uh Huh», ils reviennent à cette pop noueuse un peu ennuyeuse qui rappelle les mauvais souvenirs des Cars et de tous ces groupes de rock FM. On croit même avoir un peu de glam avec «The Narrow Line», mais au fond, on en arrive à se dire qu’il vaut mieux aller réécouter Ziggy et Mick Ronson. On croit même entendre Cheap Trick dans «Can’t Seem To Shake Off My Mind». C’est assez courageux de leur part de vouloir jouer les popsters de haut rang. En B, on se régalera du refrain de «Sheltered In The Sand». Ils visent une sorte d’excellence poppy enfarinée, mais l’étincelle leur fait défaut. Ils reviennent enfin à la high energy des Copters avec un «Enough To Break Your Heart» chanté ventre à terre, avec du tonite en veux-tu en voilà et des petits accords à la T. Rex, mais ceux qui pressent la pas, car la nuit tombe et on entend hurler les loups. Nicke se fend de quelques beaux alrite pour ponctuer à la fois sa démarche et ses intentions.

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    Il semble vouloir améliorer la qualité des compos avec l’album Reptile Brain Music. Belle pochette illustrée en tous les cas, avec un design graphique au service d’un vieux cliché. Ils sonnent parfois comme Mott The Hoople («Underwhelmed») et comme Bad Co («Faustian Bargains») et ils arrondissent les angles du garage sur le morceau titre. On observe un regain d’intérêt chez le lapin blanc au moment où arrive «More Than Enough Of Your Love». La détermination finit par payer, d’autant qu’on entend bien la basse de Dolf de Borst dans le mix. Elle sonne fraîche comme un gardon et semble vouloir remonter les courant glacés des fleuves d’Écosse. La viande se trouve en B avec «Apologize», joué aux heavy riffs doublés au sableur. C’est du grand art, d’autant que Dolf rebondit derrière. Ils font une espèce de Bad Co d’inspiration divine. On aura encore de la belle pop inspiratoire avec «Eyes». Ils savent recycler toutes les vieilles ficelles de la grande pop américaine et passer des solos à la George Harrison. Leur «Born Again» est sacrément cavalé ventre à terre, voilà le tagada le plus rapide de l’Ouest. Ces mecs pourraient bien être des virtuoses de la contre-façon. Et puis on retrouve les gros accords à la Mott dans «Nothing Like You Said It Would Be». On est au cœur du rock’n’roll platform boots à l’Anglaise.

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    L’impression d’une nette amélioration se précise avec l’album suivant intitulé Honk Machine. Ils tapent en plein dans Mott pour «Let Me Throw My Life Away», avec de gros accords joués à la cantonade. C’est dingue ce que ces mecs adorent revenir en arrière ! Avec «Guard Down», ils s’énervent un peu, mais leur écart de conduite n’aura rassurez-vous aucune incidence sur l’avenir du genre humain. On salue ce cut uniquement parce qu’il est monté sur une belle bassline de Dorf. Il fouette ses cordes à une vitesse supersonique. Un cut comme «Maybe You’re Right» requiert aussi l’attention du lapin blanc, car swingué léger et admirable à certains petits égards. On les sent plus à l’aise sur des formules plus swinguy. En B, Nicke s’amuse à passer en force avec «Lost In Losing You», mais il le fait à l’ancienne. Sa pop se veut plus élégiaque avec «Just Let Me Know». Ils adorent exploser les genres, voyez-vous. L’ami Nicke sait se glisser dans la peau des gros balladifs qui ont fière allure. C’est même d’ailleurs la première fois qu’un de ses cuts sonne comme un hit. Ils bouclent avec un «It Ain’t What You Think» riffé sévèrement et qui pourrait aussi sonner comme un vieux hit pop-rock des seventies, grâce à son aimable verdeur. Ils jouent sur un éventail de possibilités assez large et ça ne fait que nous conforter dans l’idée qu’ils peuvent être excellents.

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    Leur dernier album All Throught The Night vient de sortir. Nick Tesco est allé rencontrer Nicke en Suède pour Vive le Rock. Il profite de la parution du nouvel album pour faire sa connaissance. Il commence par le complimenter sur la qualité du son. Ça sort d’où ? Un grand studio ? Nicke rigole et lui répond : ma cave. Il explique qu’avec la dernière tournée des Hellacopters, il a réussi à mettre assez de blé à gauche pour équiper un studio. Nicke voulait aller enregistrer chez ToeRag à Londres, mais il n’avait pas le blé nécessaire.

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    Il ne jure que par le son de Muscle Shoals, le drum sound, a dry up-front sound qui pour lui a disparu. Et Kiss, qu’il a toujours adoré. Il avoue même que Kiss est son first love. Puis il évoque le blues, Toumani Diabaté et ces chordal structures qui traversèrent l’Atlantique pour chroniquer l’abomination de l’esclavage. Il évoque aussi le punk-rock qu’il découvrit ado grâce au père de son pote Kenny qui collectionnait les Damned et les Ramones. Alors bienvenue dans le seventies sound d’All Throught The Night avec «Empire Of Fire». L’ami Nicke s’englue dans le heavy rock typique des années de braise, c’est joué au gras double, avec des paroles qui collent au papier du charcutier. On retrouve dans cette mise en bouche tous les vieux réflexes de John Du Caan et des autres graisseux de l’âge d’or. On est hélas obligé de supporter quelques mauvais cuts qui sonnent comme ceux d’Aerosmith ou des Eagles et il faut attendre la fin de l’A pour retrouver du Copters sound avec «Over And Over Again». En B, on peut essayer de se régaler de «Read Me Wrong», une sorte de country-rock mélodique assez dense, pas très loin de ce que font les Teenage Fanclub. Ils prennent «Get Off The Boo Hoo Train» au boogie de la hurlette. Pauvre Nicke, il se fourvoie dans toutes les botaniques. Pour se remonter le moral, il faut prêter l’oreille à «Would You Lie», un joli shoot de high energy.

    Signé : Cazengler, Andersson of a bitch

     

    Imperial State Electric. Le Petit Bain. Paris XIIIe. 13 mai 2017

    Hellacopters. Supershitty To The Max. White jazz Records 1996

    Hellacopters. Payin’ The Dues. White Jazz Records 1997

    Hellacopters. Disapointment Blues. White Jazz Records 1998

    Hellacopters. Grande Rock. White Jazz Records 1999

    Hellacopters. High Visibility. Psychout Records 2000

    Hellacopters & The Flaming Sideburns. White Trash Soul. Bad Afro Records 2001

    Hellacopters. By The Grace Of God. Universal. 2002

    Hellacopters. Rock & Roll Is Dead. Psychout Records 2005

    Hellacopters. Head Off. Psychout Records 2008

    Hellacopters. Cream of The Crap Volume 1. Psychout Records 2002

    Hellacopters. Cream of The Crap Volume 2. Universal 2004

    Hydromatics. Parts Unknown. White Jazz Records 1999

    The Solution. Communicate. Wild Kingdom 2004

    The Solution. Will Not Be Televised. Wild Kingdom 2007

    Supershit 666. Infernal Records 1999

    Imperial State Electric. Imperial Static Electric. Psychout Records 2010

    Imperial State Electric. Pop War. Psychout Records 2012

    Imperial State Electric. Reptile Brain Music. Psychout Records 2013

    Imperial State Electric. Honk Machine. Psychout Records 2015

    Imperial State Electric. All Throught The Night. Psychout Records 2016

    Nick Tesco : High Voltage. Vive le Rock #39 - 2016

    SAVIGNY-LE-TEMPLE / L'EMPREINTE /

    16 -09 – 2017 - LODEX PARTY

    BELLY RAGE / LEAVING PASSENGER / FIN ALTERNATIVE /

    GATHER NO MOSS / ELEVENZ / ABSTRACT MINDED /

    FALLEN EIGHT / INSANE CAMP / WILD MIGHTY FREAKS

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    Font fort à L'Empreinte pour l'ouverture de la saison, neuf groupes d'un coup, un teaming réglé à la minute, une demi-heure par combo, en alternance, une fois dans la petite salle, l'autre dans la grande. Pas de temps à perdre, début des festivités à dix-neuf heures, arrêt à minuit, ce qui permet aux visiteurs qui viennent de loin de rattraper le RER, station à deux cents mètres du local.

    BELLY RAGE

    Sympathiques. Juste un problème, ont oublié à la maison cette rage au ventre qu'ils projettent dans leur appellation. Jeune femme à la longue chevelure bouclée devant au micro, trio de mecs derrière. Elle a ce charme un peu maladroit qui vous interdit de quitter la salle. D'autant plus qu'elle prend de l'assurance au cours du set. L'arrive à supprimer ces moments d'hésitation peuplé de silence entre deux morceaux qui vous détruisent la mécanique de la mayonnaise qui essaie de cristalliser. L'on a envie de crier aux messieurs derrière d'appuyer un peu plus, nous servent un hard trop incolore, sans trop de saveur, donnent l'impression d'une toute nouvelle formation qui n'a pas encore effectuer les réglages nécessaires. Du boulot en perspective, n'empêche que l'on n'a pas envie de les accabler. C'est en forgeant que l'on devient forgeron.

     

    LEAVING PASSENGER

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    Nous ont pas fait le coup du passager abandonné sur une île déserte. Nous ont emmené avec eux. Doucement par la main au début puis l'avion a pris de la vitesse et l'on a voyagé dans un beau pays. L'on avait efourché l'oiseau en toute confiance, nous les avions vus pour la première fois au Chaudron du Mée-sur-Seine ( voir KR'TNT ! 263 du 07 / 01 / 16 ). Z'ont salement progressé. Dans leur genre, hard mélodique appuyé, formule qui repose avant tout sur le chanteur. Z'en ont un, et un bon, Julien, collier de barbe qui lui allonge et poétise le visage, m'évoque je ne sais pourquoi la figure d'un renard, pas du tout l'animal rigolard du roman moyenâgeux, mais la bête fauve et inquiétante que l'on retrouve sur certains tableaux des préraphaélites. Scream, Running, Lies on the Floor, trois titres qui se succèdent en prenant à chaque fois de l'ampleur, Vince s'active à la batterie, met la pression, un peu comme les murs de la cellule dans laquelle l'on vous a enfermé qui se rapprochent inéluctablement afin de vous écraser, Jumar à la basse promulgue des climats oppressants d'humidité et à la guitare PC tisse d'épaisses toiles d'araignées équatoriales, lourde musique qui converge vers Julien, l'en apparaît comme l'exsudation phénoménale. Ses camarades le poussent en avant mais lui il les emporte plus loin dans sa voix. L'emmène aussi le public, le subjugue, ne bouge pratiquement pas, mais les regards ne quittent pas ses lèvres qui se posent sur le micro. When it's done, Where to Begin, Dead Inside, clôtureront le set. C'est dommage, l'on serait resté plus longtemps envoûtés, encroûtés dans cette tiède et onctueuse pâte à modeler les âmes, englués comme des mouches qui se seraient fatidiquement posées sur une matière inconnue, mortelle mais qui vous susurrerait aux oreilles une mort si douce que vous en redemanderiez encore. Un instant d'étrange beauté dans notre monde d'aveugles. Mais peut-être est-il plus prudent de ne pas s'exposer trop longtemps à ses radiations venues d'ailleurs.

     

    FIN ALTERNATIVE

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    Exactement tout ce que je n'aime pas. Un mal fou à supporter le rock alternatif français. Que voulez-vous à chacun ses préventions. Trouve ce genre démagogique. N'aime guère que l'on fasse copain-copain avec moi. Pense que le la scène du monde ressemble plutôt aux théâtres de la cruauté à la Antonin Artaud. Et pourtant ne savent pas quoi faire pour convaincre l'assistance. Huit sur scène, deux choristes, un clavier, un batteur qui frappe fort, un guitariste pas idiot, un bassiste et un grand escogriffe à la dégaine accrocheuse, muni d'un violon électrique, et une chanteuse ( chante en français ) convaincue qui se donne à fond pour vous emmener dans son sillage. Un peu comme ces filles inopportunes qui vous retiennent par les basques alors que vous avez affaire ailleurs. Me suis sauvé au milieu du deuxième morceau, en ai profité pour engloutir une barquette de frites au bar, tenaillé par ma conscience professionnelle j'y suis revenu par deux fois, pour me retirer au plus vite. Ce qui n'est pas facile car ils ont un public qui adore et qui fait masse. Franc succès, je le reconnais. Ensuite je n'y suis plus retourné. Parfois il faut savoir mettre fin aux alternatives.

     

    GATHER NO MOSS

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    Exactement tout ce que j'aime. Un groupe de rock'n'roll. Un vrai. Deux guitares, basse et batterie. N'amassent pas la mousse comme ils se présentent. Ils ont raison, car avec eux inutile de penser que vous pourrez vous raccrocher aux petites herbes. Mykeul est au chant et à la guitare. Une belle retrouvaille, nous l'avons déjà vu en tant que lead-vocal avec One Dollar Quartet ( voir livraisons 239 et 278 ), mais là ce n'est pas pareil, bye-bye les reprises des pionniers, Gather No Moss est d'une toute autre dissemblable formule, bien plus électrique. L'on ne tarde pas à s'en apercevoir, Mykeul envoie le chant et le riff, c'est parti et bien enlevé et c'est là que le miracle se produit. Par-dessous, en-dessous. Le coupable est aux premières loges. Très grand, mince, peinturluré de toutes les couleurs – notamment ce froufrou orange qui lui entaille la gorge comme s'il venait de se faire égorger, et les bras qui ressemblent à des peaux de serpents venimeux, des tatouages qui ressortent d'autant plus sur sa beau ultra-blanche, l'a une dégaine qui n'est pas sans rappeler la silhouette maladive de Sid Vicious. A part que lui il sait jouer. Avant de venir, je m'étais demandé s'il n'aurait pas mieux valu voir Iggy Pop à la Fête de l'Huma, mais là plus question de regretter, car le son stoogien je l'ai à cinquante centimètres de moi. Ah mes amis quelle décoction, mandragore et nitroglycérine, vous savez quand le son s'infiltre partout, qu'il s'empare de vous et vous lamine jusqu'à la pointe des pieds, z'avez l'impression que l'on vous passe à la gégène, c'est délicieux et vous n'avez même pas besoin d'en redemander, parce que les Gather No Moss, ils ne connaissent que ça. Ne sont pas du genre à s'enfermer trois mois dans un ashram sur les pentes enneigées du Thibet pour donner un titre à leur dernier morceau - ont le bon réflexe des originaux - font au plus immédiat, New Rock Song, difficile de trouver une meilleure définition. Evidemment le contenu est à la hauteur. Côté section rythmique ça ne chôme pas, vous poussent la débroussailleuse à grands rendements. Mykeul assure comme un pro, étaient pressés de commencer, l'on n'était que deux pèlerins aux premiers accords, ça n'a pas fini de s'agglutiner avec de ces applaudissements de plus en plus touffus et approbateurs à chaque morceau. Perso la soirée se serait arrêtée là, je serais parti content. Avec les Gather No Moss vous avez tout ce vous pouvez désirer en ce bas monde. L'essentiel reptilien du rock, la force brute de l'électricité. Pouvez vous coucher tranquille dans votre cercueil. Bande de vampires. Lorsque la nuit sera revenue vous irez boire encore une fois le sang électrique des Gather No Moss. Car c'est ainsi que nous survivons.

     

    ELEVENZ

    Ne sont que trois mais ont décidé de faire du bruit pour onze. Y réussissent parfaitement nos trois grands gaillards. Pas du genre à chipoter pour un quart de sucre dans la tasse à thé. Vous avalent directement la théière de décoction au piment de cayenne porcelaine comprise, d'une seule lampée. Si vous vous en tenez aux titres, vous êtes dans l'erreur. Se présentent comme des adeptes du surfer-metal. Summers, Holyday, Surfer, Teenagers, un prospectus de rêve, z'êtes des zèbres prêts à filer sur les plages de sable fin de la Californie. Ils ont juste oublié de vous préciser que vous surfez sur des planches à clous tétanosiques rouillés entouré de requins faméliques aux dents dégoulinantes de sang. Rock primaire. Martelé hardiquement. Font penser aux premiers punks qui vous arrêtaient les morceaux dès qu'ils feignaient de dépasser les deux minutes douze secondes. Le batteur a son truc. D'une simplicité biblique. Toutes les deux secondes il abat son bras gauche sur la caisse claire. La colère de dieu qui tonitrue sur Sodome et Gomorrhe. Circulez il n'y a plus rien à voir. De toutes les manières pour ceux qui n'ont rien compris il recommence dans une seconde. Le bras droit est pour les cymbales. Doivent être contentes les malheureuses quand le set touche à sa fin, je préfère ne pas vous parler du traitement réservé à la grosse caisse, vous n'en dormiriez pas cette nuit. Après un tel cauchemar il n'est point besoin de désespérer, le chanteur a de l'humour, rhinocérosique, ne se prend pas aux sérieux, fait particulièrement gaffe à la fin des morceaux qu'il n'hésite pas à faire recommencer s'ils ne sont pas assez grandiloquents. Assène aussi les riffs à coups de marteaux, vaillamment secondé par le bassiste qui tricote des armures dans son coin. Très fruste. Mais quand l'on n'a rien à boire l'on avale sans râler la bouteille d'alcool à quatre-vingt dix degrés sans sourciller. Alors de quoi vous plaindrez vous ? Ce qui ne vous a pas tué vous a rendu plus fort.

     

    INTRODUCTION A ABSTRACT MINDED

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    C'est comme dans les grands cataclysmes. Ceux qui en sont revenus n'arrivent pas à en parler. A la télé vous voyez les lueurs d'angoisse horrifiées qui brûlent leurs yeux mais il leur est impossible de rendre compte des évènements. En tant que rescapé je vais toutefois tenter de vous donner une idée, certes imparfaite du maelström, mais qui je crois suffira pour définitivement dissuader toute personne censée de se rendre à la moindre des futures apparitions publiques d'Abstract Minded. Notez que connaissant la pernicieuse purulence de la nature humaine je ne me fais guère d'illusion, mes propos alarmistes auront sûrement pour effet d'inciter amateurs et chercheurs de sensations fortes à se précipiter vers le phénomène. J'en décline à l'avance toute responsabilité morale et amorale.

    Rien que le nom est problématique. Avez-vous seulement pensé une fois à cette curieuse notion de rock abstrait induit par le nom du groupe ? Voici le genre d'objet mental non identifié qui ne se laisse pas saisir facilement. A première intuition ce genre de concept semble sortir tout droit d'un esprit malade. Votre inquiétude s'accroîtra lorsque vous vous apercevrez que deux éléments de cet étrange quinconce se sont échappés tout droit de l'asile de Klaustrophobia. Rappelez-vous ce groupe de jeunes gens en colère avec la chanteuse Youki, l'avait un regard si méchant quand elle se saisissait d'un micro que vous aviez envie de courir à Lourdes pour allumer un cierge à la Sainte Vierge. Les trois autres pour le moment je ne ne possède aucune information quant à leur provenance. Donc Alexis Ally Godefroy ( dans le dos ) et Zivan Iddy Rasalofo issus d'un des groupes les plus prometteurs de sa génération, aujourd'hui dissous, j'ai entendu ce dernier tenir à un ami des propos qui sembleront étrangement familiers aux habitués des théories gnostiques, suite à une longue période kaotique, Abstract Minded se serait mis au vert toute une année, le temps de se reconstituer au calme, mais cette accalmie se serait révélée encore plus kaotique que l'époque précédente si charivarique qui en avait suscité le besoin, toutefois ce serait au milieu de ce kaos à la puissance 10 que le groupe aurait reconstitué ses forces et sa vitalité créatrices comme s'il avait accédé, grâce cette nouvelle tornade de grande violence, au centre d'annulation des contraires de l'œil de l'ouragan...

     

    ABSTRACT MINDED

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    Et maintenant sont sur la petite scène. Trop exigüe. Sont cinq, et la colossale stature de Joey Bash Baudrier mange toute la place. Un peu comme ce soir maudit où une souris était entrée par l'oreille dans votre cerveau et s'était emparée de tous vos centres de commandements. Dans la matière grises de vos cellules vos synapses s'étaient mises à tournoyer à toute vitesse. Ainsi réagissent les quatre autres membres du groupe. Bougent sans fin, tournent sur eux-mêmes, s'entremêlent en une ronde effrénée, vous ne savez plus qui est qui, mais ce n'est pas grave car dans le parterre la foule est devenue folle, et vous-mêmes êtes emportés dans le même tourbillon impétueux, les corps se frottent, se cognent, se choquent, s'entrechoquent, vous n'êtes plus qu'une hystérie collective, votre moi se balade de tête en tête, une espèce de capillarité mentale qui trimballe votre esprit de boîte crânienne en boîte crânienne. Attention, vous avez l'image, j'ajoute le son. Musique forte, colérique, composée de noyaux accélératifs qui se succèdent sans arrêt. A peine l'un explose-t-il qu'il est poussé hors du spectre sonore par un nouveau encore plus irique que le précédent. Des boules de feu qui naissent spontanément, des espèces d'étoiles filantes sonores qui s'auto-détruisent à peine nées. Abstract Minded nous délivre un métal neuronal. Nous ne sommes pas loin de certaines outrances de la musique classique d'avant garde, mais ici l'expérience phonique ne se module pas en laboratoire à forte tension technologique, se déroule en vivo, musiciens et spectateurs servent de cobayes. Peut-être dans un futur proche cela tournera-t-il en orgie métaphysique, je n'en veux pour preuve que toutes ces filles qui ont assailli la scène sur le morceau final et se sont mêlées au tournoiement infini des guitaristes. Joey Bash Baudry n'est pas que chanteur. L'a une présence opérative. Dans les deux sens du terme. Dans sa redingote grise il donne l'apparence d'un chanteur d'opéra, le Pavarotti du rock, mais aussi le meneur du rituel qui tente la translation magique des âmes. C'est lui qui pousse le public et l'orchestre au bout d'eux-mêmes, il donne de la voix, il génère l'accélération fabuleuse celle qui déplace non pas les objets et les corps mais leur âme inanimée, porte la tension a son comble. Les deux derniers morceaux seront consacrées à la redescente en soi. Se tient debout, bouche fermée, silencieux, ses bras levés dessinant une coupe de réception, zen terriblement zen. Le bouddha debout qui n'a pas mené l'intrusion collective dans le nirvana et qui agit par sa seule présence pour que les briques mentales du monde reprennent leur place. Abstract Minded nous laisse brisés, pantelants, chancelants, décérébrés. Nous ont promis qu'un jour nous n'aurons plus besoin de catharsis.

     

    FALLEN EIGHT

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    Heureusement qu'il y a eu Fallen Eight juste après. Nous fallait un médicament fort. Nous l'ont administré illico. Fallen Eight c'est comme le définit exactement le titre de leur dernier CD, Rise and Grow, la rosée étincelante de l'aurore et l'intumescence majestueuse du déploiement sonore jusqu'au fracas métallique des forges des Nubelingen. Ce soir nous ont offert le gros du grow. Une musique âpre, remuée, concassée, un gruau d'avoine folle que l'on donne aux chevaux fourbus après l'effort. Sans concession, juste le rock, sans ajout digestif. Servi chaud et de main de maître. Plusieurs mois que nous ne les avions revus sur scène. Le groupe a gagné en cohérence, l'est comme un poing fermé, chacun des cinq doigts ayant augmenté en force et en souplesse. Cela s'appelle une leçon. Rien à dire de plus. Si ce n'est que s'incliner.

     

    INSANE COMP

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    Trois sur scène. Vice à la guitare, Valentin Henry à la batterie. Peu de monde, ce qui explique la nécessité de nombreux samplers qui viennent compléter le magma phonique des musiciens. A moins que ce soit le contraire, les musicos qui accompagnent et commentent le trailer d'un film sonore sur Vitaphone. Beaucoup d'espace libre sur la scène pour Vincent Blaster. Micro en main et voix pas dans sa poche. Le set repose sur lui. Parvient à captiver l'auditoire. Rauque organe. Qui jamais ne se casse et dont il joue avec dextérité. Musique dure et qui donne impression de dépouillement malgré l'habillage électronique. Se bat bien, image d'un guerrier infatigable qui ne quitte jamais la ligne de front. Ont laissé sur les tables d'entrée une centaine de CD à disposition du public. Un geste qui dénote un esprit que nous aimons. Nous le chroniquons dans la livraison prochaine.

     

    WILD MIGTHY FREE

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    Le dernier groupe de la soirée. Bénéficieront d'un public encore nombreux. Nous les avions vus à la troisième session du Wild Pig festival ( voir livraison 296 du 29 / 09 / 16 ). Nous la préférons à cette prestation-ci. Ce n'est pas qu'ils aient été plus mauvais, le show a même gagné en professionnalisme. Sont doués. Crazy Joe évolue dans sa veste et sous un chapeau d'un rose grenat du meilleur aloi qui lui confère une silhouette des plus stylées. Sait s'adresser au public, l'a un jeu de scène ad hoc et sans hic qui se prête à merveille au hip-hop. Un peu gentleman, un peu charlatan. Voici quelques mois j'ai été obligé d'accompagner une amie à un concert de Kery James, pas le genre de truc dont je me suis vanté, j'avais tout de même été déçu par la prestation du rapper numéro 1, extrêmement variétoche et ennuyeuse, très en deçà de sa réputation plus ou moins sulfureuse, Crazy Joe est à mille crans au-dessus. L'a la classe. Américaine serais-je tenté de dire. Trop bien huilée, sans faille, sans faute. Yabby s'occupe des samplers, en dehors du réglage des machines qui ne lui prennent que quelques secondes il ne fait rien, promène son indolence avec décontraction. Flex et sa guitare s'en viennent tourner autour de lui, ce n'est pas son masque blanc de macchabée qui effraiera notre chevronné machiniste. Yabbi présente cette coupe inimitable des employés de bureau débonnaire qui en ont trop vu et que rien ne saurait déranger et émouvoir même la visite inopinée d'un chef de service. Préfère laisser le boulot aux autres. Notamment à Tonton qui arbore au bas du visage un masque de mandibule opératoire qui lui prête un air de cadavre que l'on vient de sortir de la fosse commune et dont toutes les chairs n'ont pas encore fini de se putréfier. En tout cas nos deux morts-vivants pètent la forme, matraquent leurs instruments comme CRS en jour de manifestation. Ce n'est pas ce que j'appelle un set - qui d'après moi se doit de renouer instinctivement avec la dramaturgie du théâtre grec - mais plutôt un spectacle. Une manifestation réussie qui appartient au registre du délassement. Entertainment qui soulage mais ne vous libère pas de vos entailles. En tout cas, nos quatre freaks s'en tirent d'une manière fort agréable. Sont ovationnés par le public. Deux jeunes filles me regardent bizarrement, se demandent pourquoi je ne participe pas au contentement collectif. Désolé, mes demoiselles, comme disait Saint John Perse, à plus amer vont nos songes.

    Damie Chad.

    GENERATION NEANT

    F. J. OSSANG

    ( Blockhaus & Warvillers / 1993 )

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    Le dernier film de F. J. Ossang, 9 Doigts, fut programmé ce mardi 12 septembre 2017 à L'Etrange Festival Paris. Mais nous préférons revenir sur une oeuvre ancienne du cinéaste, le roman Génération Néant sorti aux éditions Blockhaus en 1993. L'était temps d'ailleurs, le tapuscrit datait de plus de dix ans, et les éditeurs tout en reconnaissant l'originalité de l'écriture ne s'étaient pas précipités pour le publier... Facile de présenter le bouquin, Génération Néant est au No Future des Sex Pistols – rappelons fort opportunément que F J Ossang fut aussi le leader du groupe MKB ( Messageros Killer Boys ) - ce qu'un porte-avions de combat est à un radeau perdu au-milieu de l'Océan. Quatre cent pages face à un slogan de deux mots ! Victoire par KO technique pour le petit David face au géant Goliath à la première seconde du first round. Soyons juste, les anglais avaient la rage au ventre et les français vous ont toujours un petit air prétentieux intello qui les dessert bien souvent.

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    Un conseil si vous vous lancez à l'abordage du navire amiral. Prenez tout votre temps, restez un max collé sur les quatre premières pages. Dès la phrase initiale vous êtes en pays connu, polar noir sans sucre, vous avez compris à la cinquième ligne que le petit douanier du Panama ne sera pas à l'heure au taf. Elémentaire, cher Watson ! Mais le titre du chapitre suivant vous avertit : La profondeur de l'énigme. Puits sans fond. Attention un mort peut en cacher un autre. Surtout s'il est vivant. Enfin on ne sait pas trop. Heureusement qu'Eurydice perdue s'en vient chercher son Orphée. N'en est pas pour autant sorti de l'enfer. Ce qui n'est pas le plus grave. C'est au niveau de la comptabilité qu'il est difficile de suivre. Notre héros va mourir treize mille fois. L'anti-gang qui ne prend pas de gants est à ses trousses. Entendez les services secrets de l'ordre noir. Attention, dimension internationale. Mais les Messageros Killer Boys sont des apatrides transeuropéens. A peine en avez-vous abattu un qu'un autre prend sa place. Arthur Strike est immortel. Faut bien qu'il soit vivant puisqu'il n'en finit pas de mourir.

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    N'empêche que l'intrigue avance. Jusqu'à... à peu près la cent cinquantième page. Après vous n'en saurez pas davantage. Normal parce que résolue elle n'est plus intrigante. Ce qui ne veut pas dire que le lecteur s'ennuie. Oh non, n'en a pas le temps. Dans les puits sans fond voyez-vous ce qui est important c'est le puits puisqu'il n'y a pas de fond. Au fond de tout cela, l'est un mystérieux minerai aux infinies propriétés. Pas le genre de joujou à mettre entre toutes les mains. Quand vous avez la puissance infinie vous tenez à la garder secrète. Surtout que c'est un peu dangereux. Certaines manipulations risquent d'ouvrir une faille dans la croûte terrestre et révéler un monde plus creux que votre cervelle. Si vous voyez dans ce scénario une géniale intuition de l'extraction du gaz de schiste autant que vous arrêtiez la lecture. Vous n'avez rien compris. Z'êtes pas du genre à pénétrer dans la cité interdite de Markan. Ne cherchez pas sur une carte. Non ce n'est pas une invention de l'auteur. C'est simplement qu'elle n'est pas détectable. Si l'analogie avec Le Mont Analogue de René Daumal vous saute aux yeux c'est que vous avez pigé que ce pseudo-galimatias politico-policio-prospectif est un roman métaphysique et vous connaissez le moyen de percer le rideau des rayons protectifs qui vous empêchent de pénétrer dans la ville maudite. Je suis bon prince. Je vous refile le code d'entrée. D'une simplicité enfantine. Vous aurez beau essayer de vous y glisser subreptice, jamais vous n'y parviendrez. Pour une simple et bonne raison. Vous y êtes déjà, dedans. Tout se passe dans la tête. Ce qui n'est peut-être pas la bonne solution. Car tout ce qui sort de vous n'est pas obligatoirement du meilleur effet, l'araignée qui tisse son fil de soie n'en est pas moins un monstre prédateur. Et le problème c'est que si vous vous prenez dans la trame de vos phantasmes bonjour l'angoisse, vous n'êtes pas sorti de l'auberge tauromachique des cauchemars. Z'avez intérêt à analyser la situation au plus profond. Déduction totalement partagée par le héros de notre livre. Pour son identité vous avez le choix entre treize mille noms anonymes. Mais Ossang ne vous laisse pas dans l'expectative. Vous dévoile le fin mot de l'histoire. L'est un mélange d'os et de sang. Remarquez comme cela est croquignol, nous sommes tous faits de ces deux matières.

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    Mais ce n'est pas si simple. Parce que c'est plus compliqué. Genre de révélation qui jette davantage un nuage d'encre noire – l'autre côté de l'os blanc de seiche - qu'une grande lumière. C'est que voyez-vous la trace noirâtre porte un nom, elle s'appelle littérature. Pas celle qui s'écrit à la petite semaine, mais celle qui se conçoit comme alchimie, métamorphose du vécu en objectivation littéraire, à l'Antonin Artaud, à la Ezra Pound, à la Stanilas Rodanski... L'oeuvre au rouge du sang de la vie régressée en oeuvre au noir de l'écriture. Génération Néant transforme la vie en caca. Transgression. Oui mais transeuropéenne. Car si there is no future in english dreams ce n'est guère mieux pour toute l'Europe.

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    Montée du nililisme dixit Nietzsche. En plein dedans. Dans la merde noire jusqu'au cou ! Ouille, ça fait mal ! Oui jusqu'aux couilles. Car le serpent du sexe n'est jamais bien loin. La femme ne l'écrasera pas de son talon. Soyons un tantinet plus romantique. Orphée se penche sur Eurydice endormie. Est-il la vipère qui désire lui inoculer la seringue de la mort minérale, ou le poète qui s'interroge sur le mystère androgynique de l'union du mâle et de la femelle ? La mort ne serait-elle pas un absolu bien plus fort que l'amour ? Regardez comment se termine Tristan et Iseut. Toutefois maldonne si les héros meurent à la fin du livre. Cette génération n'engendrera-t-elle que le néant ? Roman métaphysique et donc métapolitique aurait dit Jean Parvuleco. Les Messageros Killer Boys tels un ordre de chevalerie auto-chargée de la regénérescence d'une Europe perdue. Génération vouée à l'échec. Génération du vide. La jaquette intérieure se termine sur la citation de Richard Hell : « I'm the blank generation / and I take it or I leave it each time / I belong to the ------ generation / but I can take it or leave it each time ». Le No Future nous renvoie-t-il au présent éternel de notre dépérissement générationnel ? Au sens aristotélicien de ce dernier terme. Selon cette formule ambiguë nous pouvons espérer du désespoir. Roman Noir. Très noir. Pas étonnant que la génération punk ne se soit emparée de ce livre que du bout des doigts, que du bout des lèvres. Ce qui est dommage. Ecrit électrique de haute poésie. Qui dépasse tout ce qui a été produit en le genre. Livre de chevet des légions destriennes.

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    Damie Chad.

     

    LES VAGABONDS DE LA FAIM

    TOM KROMER

    ( Christian Bourgois Editeur / 2000 )

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    Trouvé au fond de ma bibliothèque. Récupéré, voici une dizaine d'années, dans une bibliothèque municipale qui s'en débarrassait. C'est la dernière mode dans les bibliothèques publiques – qui va s'accélérant – l'on offre à l'étal du servez-vous-librement-s'il-vous-plaît les livres sur lesquels les lecteurs ne se sont pas jetés afin de faire place aux fatras de nouveautés affligeantes qui encombrent les rayonnages de plus en plus consacrés aux ouvrages à charges neuronales équivalentes à zéro, au détriment de ceux qui poussent un tant soit peu à réfléchir. Politique de décervelage menée avec tant d'obstination qu'elle ne saurait correspondre à un plan froidement réfléchi d'idiotisation des populations ! Le titre qui puait la chaussette de hobo pas lavée depuis deux mois et la préface de Philippe Garnier, correspondant de Rock & Folk aux States, voilà des arguments de récupération immédiate ! Pas un hasard que Philippe Garnier se soit intéressé à Tom Kromer lui qui a traduit et présenté John Fante au public français. Sans omettre pour autant le travail de fond de Brice Mathieussent. Tom Kromer c'est un peu l'anti-John Fante ou pour être plus précis, un John Fante qui n'aurait pas réussi à se tirer de la gangue de la misère et à atteindre les feux de la rampe de la célébrité. Tom Kromer abandonnera le combat littéraire. Par dégoût, l'en avait trop vu pour espérer une quelconque salvation individuelle. S'éteindra en 1963, mais l'a depuis longtemps renoncé à son deuxième roman, à la rédaction de ses mémoires et à sa carrière de journaliste.

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    Rejoint l'anonymat des sans-grades, le corps usé, l'esprit las, vaincu sans gloire. L'a gravité autour du groupe de jeunes loups affamés réunis autour d'Upton Sinclair ( que ma grand-mère révérait ), mais s'en est détaché tout seul comme un fruit qui tomberait de l'arbre auquel il se serait rattaché par erreur.

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    Le syndicat Industrial Workers of the World commence à faire parler de lui en 1906, année de naissance de Tom Kromer. Nous sommes une génération après, l'on ne parle plus de hobos mais de stiffs. La Grande Dépression est passée par là. Le ressort de l'espoir est cassé. Rares sont les esprits lucides qui s'aperçoivent que l'on ne sortira de la crise que par l'entrée dans la guerre... Dans Waiting For Nothing, Kromer raconte ses années de faim et de misère. Le scénario nous l'avons déjà rencontré plusieurs fois, une vie de fuite, la montée clandestine dans des trains qui ne vont nulle part, la mendicité, le vol, le chapardage, les combines minables, la violence des flics, les juges impitoyables, les prisons pouilleuses... tout cela Kromer le décline à son tour. Ne rajoute rien. Rabote tout. Dénude jusqu'à l'os. Manger et dormir. Un point c'est tout. L'a tué les mythes. Celui des grands espaces, celui de la camaraderie, celui des jungles accueillantes. Cause du froid et de la pluie. Des souliers sans semelles, du ventre empli de faim et de peur. Les stiffs ne sont pas une variable d'ajustement. Sont de trop. Ont intérêt à disparaître au plus vite. Sont le rebut d'une société qui ne veut pas les voir et qui les chasse de partout. Coups, menaces et insultes sont les seules rations quotidiennes ( toute coïncidence avec l'accueil réservé aujourd'hui aux migrants ne saurait être une erreur de votre réflexion ). Un récit de cruauté. La faim excuse tous les compromis, prostitution homosexuelle, abandon d'enfant dans les jardins publics, et le pire de tout, ces heures à passer à écouter d'interminables sermons et prières dans les missions de charité chrétienne en échange d'une banquette de bois infestée de vermine et d'une soupe à l'eau claire à la rondelle de carotte pourrie. La mort est une grande délivrance. Suicide, roues de train, lotions diverses ( non-garanties bio ), baston, flic qui assure sa prime, un bon stiff est un stiff mort. Ceux qui n'ont ni le courage ni la chance de crever ne s'en prennent qu'à eux-mêmes. Même pas du masochisme, un constat froid comme la mort, comme la neige, comme la pluie, comme la faim, comme la peur. Cercle vicié. Le train qui part vers l'Est et celui qui se dirige vers l'Ouest sont équivalents, ne vous mènent pas jusqu'au bout du rêve que vous ne poursuivez pas. Bouquin tronqué, sans fin. Même pas cent quatre-vingts pages et le lettrage n'est pas des plus minuscules. Kromer l'a griffonné sur des bouts de prospectus. L'a cru un temps qu'il pourrait porter témoignage, mais l'évidence des faits sont têtus. Il n'y a pas de porte de sortie. Inutile de rajouter à l'ampleur du désastre. La coupe est vide. Désespérément vide. La vie qui s'accroche à vous beaucoup plus que vous ne vous accrochez à elle s'avère sans intérêt. Littérature de la misère et misère de la littérature. Impuissance humaine.

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    Bizarrement le livre a été édité en France en 1936 à peine deux ans après sa parution aux Etats-Unis et puis oublié. L'on comprend pourquoi, l'est des choses qu'il vaut mieux ne pas trop regarder en face. Merci à Philippe Garnier de nous permettre d'ouvrir les yeux. L'on n'est jamais trop prévoyant.

    Damie Chad.

     

    BOP TILL YOU DROP

    EIGHTBALL BOPPERS

    ( 8BB Records / 2005 )

     

    THE DENTIST / THE HOUSE OF ROCKIN' / GHOSTRIDER / FLEA BRAIN / T-BIRD TAMMY / GOING DOWN TO BIG MARY'S / THE CRODOC / LET'S SURF / MAKE WITH THE LOVIN' / SHUT THE DOOR / BOYS & GIRLS / HOT ROD ROCKIN' / REBEL WITHOUT A CAUSE / SLIP, SLOP, SLIPPIN' / MAKE MY DAY

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    The dentist : guitare qui surfe sur vos vieux os, cinglerie de cymbales et l'on part chez le dentiste en chef qui vocalise dans le style cochranesque, les autres font les choeurs juste au moment où il vous arrache les incisives, la guitare gronde pour les molaires, vous repartez contents de vous. Vous reste les incisives pour mordre. The house is rockin' : un titre de Stevie Ray Vaughan, qui ronfle comme les Flamin' Groovies, avec en médaillon un choral a capella estampillage pur style rockabilly, et l'on repart sur les guitares grondantes. Ghostrider : fantôme ou pas ça galope dur, un petit écho à la Rawhide, goserie creuse du début qui s'amplifie et se fait plus vindicative, guitares en force qui taillent la route sans ralentir. Les chœurs qui hurlent, la big mama qui bisonne à l'infini. Flea Brain : retour au bop classique déchiré, des vocaux très Blue Caps, faut être solide et croire en soi pour marcher sur les traces de Gene Vincent, y réussissent parfaitement. T-Bird Tammy : une rythmique échevelée, des appuis à la Jordanaires très middle of the road, la voix qui mène le bal et la contrebasse qui dégomme à la machette, pas le temps de s'ennuyer, il y a toujours un qui se dévoue pour appuyer sur l'accélérateur. Going down to big Mary's : très beau avec ces guitares en même temps sonnantes et fondantes, un truc des Paladins repris à la perfection, un peu de nostalgie sound et la batterie qui empile les frappes, la basse qui résonne, et le singer qui raconte le film. Un aqueduc instrumental monumental, l'on se croirait sur la route de Madison. Attention aux fils de fer barbelés du dernier solo. The crodoc : facétie rockabilesque, la vocalise farceuse et la contrebasse qui remue comme une queue d'alligator en colère, le Doc Crodoc est à la fête, tout le bayou saurien tambourine à sa porte. Connaît tous les plans, un récapitulatif de tout ce qu'il faut savoir faire si vous désirez maîtriser le rockab avant de mourir. Let's surf : milieu du disque, surf-rumble du meilleur effet, la guitare emporte tout, même pas la peine de chanter, l'on se contentera des interventions fragmentaires des choristes, un peu d'Espagne et un solo électrique dévastateur à tuer le taureau, la batterie vous le coupe en tranches saignantes, les guitares le font rôtir et vous l'enfilent dans la gueule tout brûlant. Excellent. Nous reprendrons une dizaine de brochettes. Make with the lovin' : sont allés piocher cette merveille chez Dennis Herold, une surprise électrique toutes les quinze secondes, la batterie qui marque le rythme imperturbable, le vocal qui s'impose, les cordes qui épicent la viande fraîche, l'oesophage minaude son contentement, c'est dans la poche. Emballé, c'est pesé. Shut the door : vous la jette en plein sur le museau, s'y mettent à tous pour vous intimer de la fermer et la guitare vous saupoudre de coups de poings pour vous faire comprendre que vous feriez mieux de le claquer le plus vite possible le satané battant de cette maudite porte. Ne demandez pas pourquoi, ils y tiennent méchamment. Et c'est urgent. Boys and Girls : claquements de mains, z'avez intérêt à tenir le rythme car eux ils n'arrêtent pas. Martin Willems fait le disc-jokey, l'on achève bien les filles et les garçons. En plus ils aiment ça. Accélérons la cadence, plus vite, la musique a trois tours d'avance sur vous. Vous n'êtes pas prêts à la rattraper. Irrespirable ! Hot rod rockin' : encore une pépite des Paladins, l'art du hot rod est d'une simplicité enfantine, droit devant et ne vous inquiétez pas des tournants, filez les yeux fermés et suivez la voiture de tête, pas d'illusion vous ne la rattraperez pas, ils vont trop vite. La caisse claire pistonne, les guitares klaxonnent, la big mama michtonne, la rythmique tronçonne. C'est la faute à personne s'ils sont trop bons. Rebel with a cause : guitares mélodramatiques les rockers en veulent toujours plus, sont pressés, rien ne les arrête, même pas la mort, décrochez vos ceintures et suivez le précipice. Solo à la tôle froissée. L'art immortel de vivre vite. Slip, slip, slippin' : un des premiers morceaux d'Eddie Bond en 1956, du pur rockab bop dont les Eighball se goinfrent sans vergogne. Chacun y va de son petit ouragan, accrochez-vous, ça ne décoiffe pas, ça décapite. Make my day : dernier morceau, pas le moment de faiblir, vous soufflent dans les bronches sans défaillir, ce doit être Willy qui glapit le chant, un renard pris au piège qui préfère se ronger la patte qu'abdiquer sa liberté. Rockabilly libératoire et grande claque.

     

    Respirez, c'est terminé. Pas une seconde de repos avec ces diables de Boppers. Ils ont opté pour la formule électrique et les chœurs de tueurs à l'ancienne, qu'ils vous assènent à tout bout de champ comme si votre vie en dépendait. Eighball Boppers réussit l'alliance des contraires. Vocaux tout droit sorti des années cinquante, et torrents de guitares à grands flots.

    En même temps, scrupuleusement fidèles à une certaine pureté anthologique du rockab et modernisme outrancier de la masse sonore qui emporte tout sur son passage. Deux aspects si bien entremêlés que vous ne pouvez rien leur reprocher, ni un purisme excessif, ni vous plaindre d'une suspecte trahison. Sont parvenus à stabiliser le mélange détonnant sans lui ôter sa force de frappe. En ont même doublé les effets. Une réussite parfaite.

    Damie Chad.