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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 109

  • CHRONIQUES DE POURPRE 253 : KR'TNT ! 373 :BETTY DAVIS / ROCKABILLY GENERATION 5 / FRED ALPI / ROLLING STONES / JUKE JOINTS BAND

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 373

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    11 / 05 / 2018

    BETTY DAVIS / ROCKABILLY GENERATION N° 5

      ROLLING STONES / FRED ALPI

    JUKE JOINTS BAND

    Betty Boot

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    Au clair de la lune, mon ami Pierrot me dit que le docu de Phil Cox sur Betty Davis est en ligne sur le site d’Arte. Alors faut-il voir Betty - They Say I’m Different, l’histoire de cette petite black qui fit du hot funk dans les années soixante-dix ? Oui et non.

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    Non, car Betty Davis est aujourd’hui une très vieille dame. Phil Cox réussit à la filmer dans sa chambre, mais bon, c’est pas terrible, d’ailleurs il la suggère plus qu’il ne la filme. Les funksters vieillissent encore plus mal que les punks anglais. Dans le cas de Betty, c’est d’autant plus insupportable que les pochettes de ses trois albums parus dans les seventies nous montrent une véritable bombe sexuelle, du même genre que Marsha Hunt, Margie Joseph ou encore Minnie Riperton (au temps de The Rotary Connection). Pas de mélange plus explosif que le booty de Betty (cul parfait), ses longues jambes (souvent grandes ouvertes), le funk new-yorkais et, grosse cerise sur le gâteau, son mariage avec Miles Davis. Betty fut l’hot sex girl du funk et elle semblait parfaitement à l’aise dans cette image.

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    Par contre, les âmes sensible se régaleront de ce docu. Phil Cox travaille sur la métaphore du corbeau que semble avoir développé Betty dans le journal intime qu’elle a tenu toute sa vie. D’ailleurs, on la voit écrire quelques phrases à la main. Le corbeau noir sert donc de fil rouge à cette histoire elliptique - Le corbeau, je l’ai rencontré sur la montagne - Elle quitte Pittsburgh à 17 ans pour aller faire ses études à New York - Le corbeau était le battement de mon cœur - Elle étudie au Fashion Institute et devient mannequin. Elle vit beaucoup la nuit. Elle rencontre Jimi Hendrix à Greenwich Village.

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    L’une des grandes qualités du film est la pudeur, alors que le propos de Betty était le sexe. Étrange paradoxe. C’est même un tour de passe-passe assez réussi. Ça frôle parfois l’histoire à l’eau de rose, mais Phil Cox restaure l’équilibre en proposant ici et là des extraits de concert. Sur scène, Betty porte un short blanc et un petit haut minimaliste. En fait, elle ne cache pas grand-chose de son corps de rêve. À sa façon, elle shoote dans le booty du funk une dose massive de sex-appeal. On comprend qu’elle soit devenue iconique. On la surnommait the Queen of Jazz Fusion. Il paraît que des gens étaient horrifiés, tellement son set puait le sexe. Phil Cox a raison de souligner que Betty se situait aux antipodes des Supremes et des Temptations qui proposaient une image lisse et formatée pour le public blanc. Cox passe rapidement aux choses sérieuses avec Greg Errico. Ce nom ne vous rappelle rien ? Mais oui ! Greg Errico fut le batteur de Sly & the Family Stone. Il apparaît dans ce docu car il produisit à l’époque la première chanson de Betty Davis, «Walking Up The Road», ainsi que son premier album, Betty Davis. Précision capitale : Betty écrit ses chansons. Elle en écrit aussi pour les autres, comme par exemple «Uptown To Harlem» pour les Chambers Brothers qu’elle rencontre aussi à New York.

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    Un soir, elle va traîner son petit cul au Blue Note et voit sur scène un trompettiste de jazz très sérieux. Miles Davis, bien sûr - Ses chaussures elles me plaisaient, je lui ai dit tout de suite - Cool grey suede shoes - Cet épisode représente le cœur de sa vie - Miles et moi on s’est mariés en 1968. Il m’a acheté une limousine et j’ai balancé tous ses costumes à la poubelle - Betty devient sa muse. À quarante ans, Miles est déjà obsédé par la peur de vieillir et la peur d’être dépassé. Alors fini les costards italiens, il passe aux franges, au cuir, aux couleurs vives, aux grosses lunettes, aux guitares et aux basses électriques, au backbeat de batterie - Miles était une boule d’énergie. Chaque joue de notre mariage, j’ai dû mériter le nom de Davis - Elle ne tarit plus d’éloges - Il m’a fait découvrir Rachmaninov, Stravinsky - C’est Miles qui l’incite à monter sur scène et à chanter. Le conte de fées ne dure pas longtemps. Betty reste d’une infinie discrétion sur la fin de son union - J’ai quitté Miles. Je n’ai dit à personne que Miles était violent - Puis elle se fait jeter par l’industrie du disque, car elle ne voulait pas entrer dans le moule qu’on lui imposait - Le corbeau et moi on s’est retrouvés seuls - Elle voyage, Londres, Japon. Lorsque son père meurt, elle rentre précipitamment. C’est là qu’elle perd la musique - Le battement de mon cœur a changé. Je n’entendais plus le corbeau - Alors elle disparaît physiquement - Le corbeau et moi on n’avait plus rien à dire.

    Aujourd’hui je suis une vieille dame et j’ai l’impression d’être au sommet de la montagne - Elle voit tout le chemin parcouru. C’est là que Phil Cox sort sa botte de Nevers : il retrouve les quatre musiciens de Betty, Funk House. Les pépères sont toujours en forme et toujours actifs. Ils ont le numéro de Betty, alors ils l’appellent, après 19 ans de silence. Le portable est posé devant eux, sur la table. Elle décroche. Elle est contente d’entendre ses vieux amis, mais quand Larry propose de venir enregistrer chez elle, alors elle change de conversation. Il arrive un moment où il faut savoir s’arrêter.

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    Dans Shindig #59, Kris Needs brosse un portrait autrement plus truculent de Betty, qu’il juge too hot pour son époque et aussi spectaculaire qu’Angela Davis avec sa mitraillette. Needs salue la parution inespérée des démos enregistrées par Betty en 1969 avec son mari Miles : the Holy Grail !

    En parfait journaliste d’investigation, Kris Needs brosse un portrait beaucoup plus vivant et détaillé que celui brossé par Phil Cox. On apprend dans l’article qu’Hugh Masekela (récemment décédé) est à l’époque le boyfriend de Betty. Un autre spécialiste nommé Oliver Wang précise que Betty l’a rencontré lors d’un séjour à Hollywood et qu’elle revint vers Miles après sa rupture avec Masekela.

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    Selon Needs, c’est Betty qui oriente Miles sur la nouvelle vague de 1967, Sly & the Family Stone, Otis Redding et son ami Jimi, qu’elle a rencontré grâce à sa copine super-groupie Devon Wilson. Betty et ses copines forment un cercle d’influence appelé the cosmic ladies et attirent autour d’elles des gens comme Sly, Jimi, Carlos Santana et Miles. Selon Santana, l’album Bitches Brew est un hommage aux cosmic ladies. Pour Miles, Betty se situait alors dans l’avant-garde et c’est là où ça devient très intéressant. Le mariage ne dure qu’un an, mais Betty se retrouve sur la pochette des Filles Du Kilimandjaro.

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    Needs revient longuement sur le mythe des sessions Miles Davis/Jimi Hendrix. Ils devaient en effet enregistrer tous les deux accompagnés par Tony Williams, mais Miles demanda 50.000 dollars avant d’entrer en studio, ce qui fit capoter le projet. Jimi et lui comptaient inventer a new kind of jazz. Betty précise toutefois que Miles et Jimi ne se sont jamais rencontrés. Il n’auraient eu qu’une longue conversation téléphonique.

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    Revenons aux fameuses sessions du Holy Grail, enregistrées en 1969 et parues sous le titre The Columbia Years 1968-1969. Pour l’occasion, Miles assemble un super-groupe : Mitch Mitchell, Billy Cox, Harvey Brooks, Wayne Shorter et Herbie Hancock accompagnent Betty. Ils enregistrent des compos de Betty et deux reprises : «Politician» de Jack Bruce et «Born On The Bayou» de Creedence. Miles voulait décrocher un contrat chez Columbia pour Betty - But he met a brick wall - Et les bandes restèrent à la cave - Buried in the Columbia vaults - Selon Harvey Brooks, Columbia ne faisait pas beaucoup de r’n’b à l’époque et donc Betty ne les intéressait pas. Brooks rappelle aussi que Columbia n’avait rien su faire d’Aretha. Betty a une autre version : elle pense que Miles ne voulait pas que l’album sorte, de crainte qu’elle ne devienne populaire et qu’elle ne le quitte. Si on peut écouter cette session mythique, c’est grâce à Light In The Attic, qui d’ailleurs réédite tous les albums de Betty. On est tout se suite embarqué par la vitalité cosmique du groove d’«Hangin’ Out». On y entend Harvey Brooks circuler librement sur le manche de sa basse. Puis ils tapent dans le «Politician» de Cream, avec une sorte de puissance virale, cette équipe de surdoués développe un groove organique que Betty épouse à merveille. On reste dans le pur Jarnac avec un «Down Home Girl» hanté par une basse sourde et Betty s’amuse avec le vieux cut de Creedence, «Born On The Bayou». On tombe plus loin sur trois morceaux enregistrés à Hollywood avec Hugh Masekela, dont un «Live Love Learn» très arrangé et de très haut niveau. Quand elle parle de cet album shelved avec Oliver Wang, Betty n’a pas de regret. Elle ne voulait pas devenir célèbre uniquement parce qu’elle était la femme de Miles.

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    Ce n’est qu’après sa rupture avec Miles qu’elle file à San Francisco enregistrer son premier album, Betty Davis, paru en 1973 sur le label de Michael Lang, Just Sunshine Records (un label sur lequel on trouve aussi l’immortelle Karen Dalton). Greg Errico le produit et y bat le beurre. Dans le studio, il a rassemblé une nouvelle équipe de surdoués autour de Neal Schon, le guitariste de Santana, et de Larry Graham - Arguably the greatest funk bassist in the area - Betty y enregistre deux cuts qu’elle avait composé pour les Commodores, «Walking Up The Road» et «Game Is My Middle Name». Elle tape le premier à la dégueulade, c’est ultra-provoquant, mais derrière, ça swingue le heavy groove. Et elle crée l’événement avec le deuxième - Do me in/ If you can do it now - Elle nous chauffe ça à la provoc patentée, elle monte bien dans les ponts et s’en va chercher des zones de pureté harmonique dans l’extase d’une hurlette de Hurlevent spectaculaire. Alors, oui Betty. Mille fois oui. Cent mille fois oui. Et puis on entend ce prodigieux démon de Larry Graham ramoner l’«If I’m In Luck I Might Be Picked Up» d’ouverture de bal d’A. Betty chante ça à la tripe fumante, comme si elle n’avait pas de voix. On se régale aussi de «Your Man My Man», monté sur un groove de syncope cataclysmique. Neal Schon s’y montre admirable de présence seigneuriale. Betty susurre et suce la goutte du swing qui perle au gland du beat et des chœurs fantastiques viennent parfaire le tableau. L’«Ooh yeah» qui ouvre le bal de la B vaut aussi son pesant d’or, voilà le meilleur des funky struts rampants, c’est franchement digne de Sly Stone. Et puis Betty nous mixe le rock et le funk dans «Steppin In Her I. Miller Shoes», mais elle fait ça avec une rage imprescriptible, c’est embrasé par la guitare de Neal Schon et la puissance du cut nous emporte, comme le ferait un fleuve en crue. Pur jus de rock de Soul. On l’a bien compris, c’est un très grand album.

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    Elle file à Londres pour essayer de décrocher un contrat, aidée par Marc Bolan. Puis elle retourne sur la West Coast pour enregistrer They Say I’m Different, un album que Kris Needs qualifie de spectacular - A steamy new form of blues-driven funk rock - Cette fois, Larry Johnson, cousin de Betty, remplace Larry Graham. Buddy Miles viens jouer de la wha-wha sur un morceau, «Shoo B Doop And Cop Him». Wow, Betty est tellement parfaite dans son rôle de grooveuse ! Mais la grosse différence avec le premier album, c’est que cette fois Betty veut produire. C’est d’ailleurs ce que lui dit Miles qui a entendu le premier album : «Tu n’as besoin de personne en Harley Davidson.» Le «Shoo B Doop And Cop Him» sur lequel wha-whate Buddy Miles est un joli groove de funk bien rampant et on passe à l’énormité funk avec «He Was A Big Freak», véritable funk d’avant-garde joué à la syncope fatale. Rien d’aussi black et de somptueusement sexuel que ce hit de boot. Ça monte encore d’un cran dans le shootisme avec «Don’t Call Her No Tramp». Betty va de hit funk en hit funk grâce aux dégelées de bassmatic du grand Larry Johnson. Il doublotte ses triplettes au nez et à la barbe des conventions. On entend rarement des blackos bassmatiquer avec une telle arrogance. On retrouve de l’excellent funk en B, notamment dans le morceau titre, véritable funk de jazz fusion, on est au cœur des seventies, à l’apogée du son. Puis avec «70’s Blues», elle chante la grandeur du woke up this morning et de l’everyday I get the blues. Fantastique hommage - I got a man !

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    Elle retourne à Londres et grâce à Robert Palmer, elle entre en contact avec Chris Blackwell. Nasty Gal sort sur Island en 1975 - Her stance as a defiantly liberated black woman terrified the press, her record label and often audiences - Kris Needs ajoute qu’elle fut aussi déterminante que George Clinton en mixant le funk au rock’n’roll. On retrouve Funk House sur cet album et notamment Fred Mills qui renvoie bien les chœurs sur le morceau titre. L’immense Larry Johnson y ramone les annales du bassmatic et Carlos Morales jouxte le funky strut de guitare épisodique. C’est excellent de get down et chanté aux énergies black. Le coup de génie de l’album s’appelle «Talkin’ Trash». Fred chante avec Betty - I’ll make your nights long - Elle lui promet de le rendre heureux, de bien lui polir le chinois, et on assiste au déploiement d’une extraordinaire dynamique de duo. C’est une énergie à la James Brown, ni plus ni moins. Même genre de génie funk. En B, elle tape «FUNK» au heavy funk de rock très entreprenant, dance to the music, on ne fait que ça et elle cite des noms en pagaille, Stevie Wonder, Tina Turner, Al Green, Ann Peebles, elle rend aussi hommage à Isaac, Barry White et les O’Jays. Sans oublier Jimi Hendrix. Et ça se termine avec Aretha, Chaka Kahn et Funkadelic. Il ne manque quasiment personne. Autre coup de génie avec «This Is it», hyper-claqué au funk de petite teigne. Cette chipie de Betty n’en finit plus de gueuler son funk sous le boisseau du boot. Larry et Carlos ultra-jouent, ils poussent le funk au maximum des possibilités.

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    Elle enregistre son quatrième album en 1976, à Bogalusa, un bled situé un peu au-dessus de la Nouvelle Orleans. L’album ne paraîtra que 33 ans plus tard. Il devait s’appeler Crashin’ From Passion, mais il est devenu Is It Love Or Desire. D’ailleurs on trouve «Crashing For Passion» sur l’album, authentique chef-d’œuvre funk. Fred Mills chante avec Betty sur «Whorey Angel». Le problème, c’est que quasiment tous les cuts de l’A sonnent comme des hits. Elle attaque sa B avec «Bottom Of The Barrell», énorme dégelée de funky strut - You smell like a greasy fish - Ça grouille littéralement de tortillettes funk et de guitares à la Stevie Wonder. Et pouf, elle passe au heavy blues avec «Let’s Get Personal». Elle tape carrément dans le riff d’«I’m A Man». Carlos Morales fait des pieds et des mains sur sa guitare. On sent les cadors du blues et du funk à l’œuvre. Et avec «Bar Hoppin’», ces démons se mettent à jazzer. Ils disposent de tous les pouvoirs inhérents à leur charge. Et la cerise sur le gâteau s’appelle Gate. Eh oui, Clarence Gatemouth Brown vient jouer du violon sur «For My Man» et là attention, on entre dans la mythologie louisianaise. Pourtant habitués aux rigueurs campagnardes, les quatre mecs de Funk House furent impressionnés par l’environnement - It was swamp territory down there - Ça grouillait de bestioles. La nuit, Larry craignait de trouver un serpent dans sa chambre. Carlos rappelle que Bugalusa fut l’un des pires coins en matière de Ku Klux Klanneries. Betty se souvient qu’un jour de balade en bagnole avec le groupe, ils furent pourchassés par un poids lourd qui essayait de les pousser dans le fossé - It was really scary - Oliver Wang indique que si l’album n’est pas sorti, c’est parce qu’une shoote éclata entre Betty et Chris Blackwell, le boss d’Island qui avait financé la location du Studio In The Country de Bogalusa. Un mois entier ! Pour les mecs de Funk House, that was the best album she ever put togther. Selon eux, Is It Love Or Desire aurait pu hitter les charts.

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    Son cinquième et dernier album s’appelle Crashin’ From Passion. Mais il ne sort que très tardivement, vingt ans après son enregistrement, dans des conditions mystérieuses. Pour le trouver, il faut non seulement se lever de bonne heure, mais aussi avoir beaucoup de chance. On note une fois de plus qu’avec Betty, on va de surprise en surprise. Belle énormité que ce morceau titre. Énorme patate funk. Comme on ne trouve aucune information sur la pochette, on en déduit que Funk House accompagne Betty. Elle roule sur le groove de basse. On se retrouve une fois de plus ballotté par le grand funk des seventies. Ça frôle le génie des Isleys. Elle crashe bien all over the passion. C’est un cut long et chaud qui ne débande pas. Avec «Hanging Out In Hollywood», elle passe au groove de jazz quintessentiel. On s’y enivre. Elle déraille à la Sly sur du lullaby et derrière, ses amis funksters groovent comme des diables. Back to the heavy groove avec «I Need A Whole Lot Of Love». Voilà encore du funk, et du meilleur, puisqu’il s’agit du funk de Betty. C’est un hit, une vraie dégelée d’excellence funkoïde hyper-jouée, chantée au chaud de la justesse de ton. «No Good At Falling In Love» sonne comme un funk acidulé mais aussi insistant, c’est-à-dire têtu comme une bourrique, big boot of bits, pur jus de Davis funk, ultra-instrumentalisé, quasi-gourmand. On adore tellement Betty que tous ses cuts passent comme des lettres à la poste, même les plus pop comme «You Take Me For Granted». Elle pourrait chanter jusqu’à la fin des temps, on resterait à ses pieds. Elle passe au diskö beat de Coconut Beach avec «I’ve Danced This Dance Before». Elle chante ça avec toute l’ingénuité du monde magique de Walt Disney et elle termine cet incroyable album avec «She’s A Woman», vieux groove sexuel qu’elle travaille derrière un rideau d’ombres chinoises. Elle en rajoute. Ah pour ça, on peut lui faire confiance. Bon c’est vrai, on finit par atteindre les limites du genre, mais Betty, she does it right, comme dirait Wilco.

    C’est là qu’elle se retire du music business pour vivre recluse en Pennsylvanie - I just lost interest.

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    Si on veut aller vite, on peut se rabattre sur This Is It, une compile Vampi Soul qui aligne sur quatre faces tous les hits de Betty. On y retrouve l’effarant «Your Man My Man», les I.Miller Shoes, le Big Freak, le «Don’t Call Her No Tramp» ultra-joué à la basse et des tas d’autres merveilles. C’est du pur jus. Ça coule entre les doigts.

    Signé : Cazengler, Bêta Davis

    Betty Davis. Betty Davis. Just Sunshine Records 1973

    Betty Davis. They Say I’m Different. Just Sunshine Records 1974

    Betty Davis. Nasty Gal. Island Records 1975

    Betty Davis. Crashin’ From Passion. P-Vine Records 1995

    Betty Davis. Is It Love Or Desire. Just Sunshine Records 2009

    Betty Davis. The Columbia Years 1968-1969. Light In The Attic 2016

    Betty Davis. This Is It. Vampi Soul 2005

    Kris Needs. The Electric Lady. Shindig #59 - September 2016

    Phil Cox. Betty - They Say I’m Different. 2017

     

    ROCKABILLY GENERATION N° 5

    ( Avril / Mai / Juin / 2018 )

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    Cinquième bougie. De plus en plus épaisse. Quarante pages désormais. Trois escogriffes que nous aimons bien en couverture. Un pionnier pour ouvrir le bal des ardents. Pas n'importe lequel : Eddie Cochran. Une belle évocation de Greg Cattez. Pour l'iconographie pas de surprise, vous les connaissez toutes, mais de belles repros sur papier glacé, ça change la mire et puis les deux pleines pages sont des must. L'est sûr qu'avec des Si le rock aurait débordé de sa bouteille. Que serait devenu Eddie sans ce malheureux et fatidique taxi aux portes de Londres ? Aurait-il détrôné le King se demande Greg Gattez ? Ou n'aurait-il pas été obligé de mettre à l'instar d'Elvis de l'eau dans son rock ? Nous n'en saurons jamais rien. Heureux, comme l'affirmait le poëte grec Callimaque, celui à qui les Dieux ôtent la vie en pleine jeunesse. Cela vous dispense des grandes désillusions.

    De l'histoire ancienne. Le problème c'est que la plus récente s'enfonce déjà dans le passé. Ce 10 mars 2018, Eight O'Clock Jump tirait son trente-et-unième et dernier feu d'artifice. Tonio de l'Association Fishes and Swallows tire les leçons de cette grande aventure. Ne cache pas son amertume. Le milieu rockabilly est tout compte fait comme tous les milieux, un petit milieu... rancœurs, jalousies, trahisons, humain trop humain dirait Nietzsche. Tonio tourne la page, avec le temps elle lui paraîtra beaucoup plus belle qu'il n'y a jamais cru.

    La transition est habilement cousue de fil blanc. Les Spunyboys firent partie de l'ultime session des Eight O' Clock Jump. Les voici interviewés, manière de faire le point, plus de mille et un concerts, tournée au Japon et aux States. Souffrent d'un terrible syndrome : sympathiques, gentils, souriants dans la vie courante, un gang de sauvages dès qu'ils sont sur scène, les médecins n'ont heureusement pas encore trouvé l'antidote à ces crises de démence suraigüe, Sergio Kazh en profite pour quelques superbes photos virevoltantes.

    Moitié de la revue et déjà trois générations de rockabillymen, le chemin est trop bon, voici donc la quatrième : les jeunes qui montent, The Hillbillies, ne les ai encore jamais vus, lisez l'article et vous serez comme moi, dévoréspar l'envie irrépressible de ne pas les rater dès qu'ils passeront à portée.

    Retour dans le passé ( 1984 ) avec The Wild Ones qui eux font un retour dans le présent. Avec un peu de chance seront là dans le futur. Honneur aux vétérans qui n'ont pas dételé, Lyndon Needs – le guitariste de Crazy Cavan and the Rhythm Rockers, le genre de passeport qui vous ouvre les portes du paradis. Ne faites pas les cakes, le Marshall fait des dégâts. Enfin Nelson Carrera – une des plus belles voix ( portugaise ) du rockabilly national - qui fête ses quarante ans de carrière, présenté et interviewé par Brayan Kazh qui pour l'occasion a abandonné sa contrebasse.

    Ce coup-ci, vous croyez en avoir fini après la sélection de disques, ben non, avant l'agenda des concerts, il y a encore un bazooka sur la pizza royale, Dale Rocka & The Volcanoes, venus d'Italie en partance pour Las Vegas.

    Un numéro méchamment bien intuité, l'histoire du rockabilly exemplifié en quarante pages. La revue n'en finit pas de se bonifier. Devraient changer le titre : remplacer Rockabilly Generation par Rockabilly Generations. Un objet de beauté fait par des passionnés pour les passionnés.

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly Generation News ( 7 hameau Saint-Eloi / 35 290 Saint-Méen-Le Grand ), 4 Euros + 3, 60 de frais de port pour 1 ou 2 numéros, offre abonnement 4 numéros : 26, 40 Euros ( Port Compris ), chèque à Lecoultre Maryse 1A Avenue du Canal 91 700 Ste Geneviève-des-bois ou paiement Paypal maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents. Attention N° 1 et N° 2 épuisés.

    STONED

    ROLLING STONES

    20 ANS DE CONFIDENCES

    PHILIPPE MANOEUVRE

    ( Albin Michel / 1995 )

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    Un vieux bouquin. Un peu rigolo. Non, ce n'est pas comique. Mais près de vingt-cinq plus tard la problématique n'a pas changé. Que voulez-vous les Stones resteront toujours les Rolling Stones. Malgré les reniements, les palinodies, les apostasies... Un groupe mythique ? Non, LE groupe mythique. Par excellence. Pouvez en préférer des milliers d'autres. Mais si vous dites rock, vous entendez Stones.

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    Manœuvre nous en met plein les yeux dès la première page. S'envole vers Los Angeles pour assister au concert des Rolling. Nous sommes en octobre 1994, tournée Voodoo Lounge. Invité de marque Manœuvre, enfin de sous-marque. Les Stones sont des pros, pensent à tout. Même à un rédacteur en chef de la plus importante revue de rock française. Mais l'on se dit qu'ils doivent attendre le retour. Pas celui de l'ascenseur, disons celui de l'escalier de service. Pas fou le Manœuvre. De toutes les manières il est fan des Stones. Depuis leur premier disque. S'est bien fait engueuler une fois par la famille Richards pour un article dans un numéro spécial-Stones. Mais pas de danger. L'est comme la souris fasciné par le serpent, l'est prêt à avaler la couleuvre en entier, et à la recracher ensuite.

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    Je vous sens impatient. Vous tenez à voir le concert. Attention 80 000 personnes autour de vous. Si vous êtes au fond, regardez les écrans géants. En plus avec les effets pyrotechniques , vous en prenez plein les yeux. Les Stones eux se contentent de vous piquer le pognon. Vous font même payer le parking. Il n'y a pas de petits profits. Pour la musique l'on ne sent pas le grand Philochard convaincu. Joue un peu le blasé. Les a déjà vus tant de fois. Et puis pour comprendre le rock, c'est facile. A votre gauche vous mettez Elvis, un petit gars du Sud bien élevé, sur votre droite vous posez le colonel Parker. Un super pro, l'a de l'expérience et des techniques éprouvées. Rock'n'roll circus. Une intuition de génie. De l'esbroufe à gogo. Voir les Stones et mourir.

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    Mais les Stones il y a longtemps qu'ils ont viré leur colonel. C'est Jagger qui s'est nommé général en chef. Grand chef. Indien, pirate et homme d'affaires. Le troisième terme est le plus important. Bien sûr le désastre d'Altamont mais surtout le divorce d'avec Bianca qui lui bouffera aux alentours de 14 millions, la moitié de sa fortune. Ne pleurez pas, s'est magnifiquement refait depuis.

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    Pour vous en convaincre, le chapitre suivant dirige la focale sur Mick et les débuts du groupe. Aussi sympathique que le Diable, Mister Jagger. Au début il n'est que chanteur. Ce n'est pas lui la tête d'affiche. C'est le guitariste. Le grand blond aux boots noires. Brian Jones. Un garçon brillant. Depuis tout petit. Encore plus Stones à lui tout seul que les autres réunis. Pas un petit chef, un grand seigneur. Vous lui filez un instrument entre les mains et trois heures après il en joue comme s'il était né avec. L'est beau comme un ange. Les filles en sont folles. Lui en use et en abuse. N'était pas encore avec les Stones que déjà il en avait encloqué quelques unes. Bye-bye baby, débrouille-toi et ne viens plus me casser les... Ouille, oui ça fait mal et avec tes yeux au beurre noir tu n'es plus très jolie. Aujourd'hui, serait envoyé illico en prison, mais en ces temps-là d'insouciance, ce n'était pas pareil.

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    N'empêche qu'ils sont trois et qu'il n'y a qu'une place de chef. Struggle for life. Le moteur à explosion des Stones. Au début Mick et Keith ne mouftent pas, mais avec le succès qui déboule, les choses vont se compliquer pour Brian. Notre blond ténébreux se campe dans sa supériorité, se doit d'être ailleurs, higher, plus haut que ses commensaux, dans une réalité autre. Une dimension supérieure. Que les produits lui procurent. S'enferme en lui-même, en sa tour d'ivoire. De moins en moins présent, de plus en plus loin, en son château-fort intérieur. Jusqu'au jour où le groupe le vire. Pris à son propre piège.

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    Tragédie humaine, musicale et économique. Brian c'est le blues à lui tout seul, l'a toujours l'idée qui fait mouche, des connaissances comme personne, le plus créatif en studio. Mais l'on ne peut pas bâtir une carrière sur des disques de reprise. D'ailleurs à côté la concurrence devient féroce. L'est nécessaire d'écrire ses propres morceaux, Brian est un musicien, pas un compositeur. Du moins il ne fait pas part de ses compositions à ses pairs. Il semble que son père ait fait brûler tous ses papiers à sa mort... Mick et Keith s'emparent des commandes. Au début tout marche comme sur des roulettes électriques. Mais il ne faut pas se faire d'illusion. Au sommet, il n'y a de place que pour un.

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    C'est Keith qui renoncera au trône. Tombe dans la drogue pour parler vulgairement. L'affaire est beaucoup plus complexe. L'on adore évoquer la trahison de Mick avec Anita, mais le malaise vient de plus loin. De la pression, du public, de la police. Le succès est délétère. Vous fait perdre le centre de vous-même. Keith, lui aussi, mais pour d'autres raisons, se réfugie dans un autre monde. Auto-protectif. N'en mourra pas. Ne s'en relèvera jamais tout à fait. Héroïne, alcool, cocaïne et toute la pharmacopée existante. Keith traversera tout. Ce n'est pas qu'il est indestructible, c'est que les produits lui tiennent lieu de carapace. N'oubliez pas que vos faiblesses ne sont que l'autre face de votre force. Keith dans un autre monde mais jamais dupe, sait très bien où il est, l'est revenu de tout mais n'est jamais loin. Les cordes de sa guitare seront les fils qui le rattachent à l'existence.

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    L'est tout seul. S'appelle Mick Jagger. Un félin sur scène, un carnassier dans la vie. L'est intelligent et cultivé. Entre dans toutes les cavernes qui s'offrent à lui, mais l'est un précautionneux, l'a une lampe de poche dans la poche arrière de son pantalon, et l'a pris soin de flécher le parcours pour revenir sur ses pas. Sauve les Stones. Son secret est simple. Ne jamais regarder en arrière. Aller toujours de l'avant. Le meilleur des disques des Stones c'est celui dont il en train de se fader la promotion. N'est pas un passéiste. Ni un archéo-futuriste. Jouit de l'instant présent. L'âge d'or des Stones, c'est celui qui lui aura rapporté le plus d'argent.

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    Le quatrième homme : Charlie Watts. Se contente de battre le fer quand il devient chaud. Vous le martèle comme pas un. Mais ne se met pas martel en tête pour si peu. Fait le job. N'en n'est pas mécontent. Son truc à lui, ce n'est pas vraiment les Stones, plutôt le jazz. Un gentleman, pas un voyou de rocker. La classe inconditionnelle. Pas le genre de gars à embrouilles, les choses sont ce qu'elles sont. Parfois tristes. Parfois heureuses. Pas la peine de pleurer. Ni de s'esclaffer. Laisse faire Jagger, n'aimerait pas vraiment être à sa place. Ni critiques, ni récriminations. Encore un qui est ailleurs, mais à sa manière à lui. Ni touché à la Keith. Ni coulé à la Brian.

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    Bill Wyman. Le prolo de service. En 1994, l'est déjà parti. S'est retiré des affaires comme l'on dit dans le milieu. La guerre des trois, l'a tout vu, sait tout, ne croit pas comme Rousseau à la bonté naturelle de l'homme. N'en pense pas moins. L'a pris les choses du bon côté. L'a tiré un maximum de filles et puis il s'est tiré. Le titre de son autobiographie en dit long : So Alone. Commentaire fulgurant sur la nef des fous.

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    Ian «  Stu » Stewart, ce n'est pas le sixième Stone, c'est le premier fan des Stones, a tout sacrifié pour eux, l'est descendu de scène pour être leur roadie, puisque c'était-là qu'il semblait le plus utile. Une des plus belles figures du rock'n'roll.

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    De tous les autres comparses – Manoeuvre les passe en revue un par un, nous ne retiendrons que Bobby Keys. Il est le trait d'union, le lien direct du rockin' blues des Stones au rock des pionniers. Le lecteur se précipitera pour lire son histoire dans le portrait qu'en a dressé notre Cat Zengler dans notre livraison 220 du 29 / 01 / 2015. L'a joué avec Buddy Holly et tenu durant dix ans son saxophone chez les Stones. Si vous avez fait mieux, contactez-nous. Sans quoi, taisez-vous et inclinez-vous. Ce fut un grand parmi les grands.

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    Vous croyez avoir tout compris, le cygne royal Brian qui régressera petit canard souffreteux, le grand méchant Mick qui ne deviendra pas doux et gentil à la fin de l'histoire, et le fier chevalier blanc Keith qui est le héros des fans. Ce n'est pas si simple. Un Stone tout seul n'est qu'une variable d'ajustement. Un stone ne vaut qu'en tant que Stones. Un caillou ne fait pas le tas. Et là, ce sont les trois mousquetaires, tous pour un et un pour tous. Car pour les Stones rien n'est plus beau que les Stones. Les autres n'existent pas. Par définition : ne leur arrivent pas à la cheville. Des sous-merdes. Employons les mots qui fâchent à dessein. Rien n'est plus méchant qu'un Stone qui sent un danger. Prenons le cas de Keith par exemple. Citez un guitariste dont il ait un jour dit du bien. A part Chuck Berry évidemment, mais là c'est normal, l'a tellement proclamé haut et fort qu'il lui a tout pompé qu'il ne peut pas décemment revenir en arrière.

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    C'est que les Stones c'est avant tout un concentré de haine, d'arrogance, de menterie, de tromperie, d'insolence, de jalousie, de grossièreté et d'outrecuidance. Vous trouverez sans doute mieux ailleurs, mais jamais pire. Et c'est exactement cela qui fait bander. Vous disent qu'ils vont vous le mettre profond, et vous écartez fissa les cuisses. Ou les fesses selon votre anatomie. Les Stones, c'est le mauvais côté des choses, la face obscure de la force, le cheval noir de l'attelage platonicien.

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    La fin de la chronique se faufile et nous n'avons pas encore parlé musique. Les gens me font rire, certains leur préfèrent les Beatles, perso ce serait plutôt les Animals et les Yardbirds mais les Stones c'est autre chose. Z'ont commotionné une génération. Z'ont gravé les tables des la loi du rock. Mais cela, c'est encore de la petite bière. Les Stones je les définirais comme la cristallisation d'une nouvelle culture. N'ont rien inventé mais ont tout convoqué. Le seul équivalent que je connaisse c'est celui de l'apparition de Richard ( encore un ) Wagner. S'inscrit dans la suite logique d'immenses compositeurs qui l'ont précédé. Et plus tard, qui le suivront. Mais ce n'est pas le plus important. Le problème n'est pas de savoir lequel est le meilleur. Le phénomène à observer c'est le bouleversement que la musique de Wagner occasionnera dans la génération symboliste. Chamboule tout. Suscite un engouement sans précédent. S'empare des esprits. Ce n'est pas une nouveauté, mais la révélation d'une façon de vivre plus intensément. Il a existé une folie Wagner comme il a existé une folie Stones. Excitation maximale. Certes, it's only rock'n'roll, but we like it.

    Damie Chad.

    CINQ ANS DE METRO

    FRED ALPI

    ( Editions Libertalia / Avril 2018 )

     

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    Tiens le bouquin de Fred Alpi, kr'tnteurs assidus ne faites pas les ignorants, je rappelle que Fred Alpi est le chanteur des Angry Cats – groupe rockabilly présent sur la compilation Rockers Kulture initiée par Tony Marlow - et que nous avons parlé de lui dans notre livraison 239 du 11 / 06 / 2015, c'était dans les locaux de la CNT de Paris, lors de la présentation du livre sur Joe Hill, le Freddy redonnait vie à quelques morceaux du célèbre baladin américain. Innocent du crime dont on l'accusait, injustement condamné à mort, incidemment exécuté. L'avait un peu cherché, était un militant des IWW, syndicat que les grosses compagnies fruitières haïssaient particulièrement. Allez savoir pourquoi.

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    Bref le bouquin il est là sur le stand des éditions Libertalia. Jusque-là tout va bien. C'est après que ça se gâte. Grave. Comme dans un disque du MC 5. Je précise la date et le lieu. Premier Mai et Paris. L'est vrai que ça tangue un peu aux alentours. Les forces de l'ordre ont décidé de semer le désordre à profusion. Vous gaspillent vos impôts à coups de bombes lacrymogènes, l'on voit bien qu'ils ne les payent pas ! Un gâchis monstrueux. Mais pourquoi tant de haine ? Tout cela pour un Macdo brûlé ! Un distributeur de mal-bouffe en moins, le ministre de la Santé Publique devrait rédiger un communiqué de félicitation. Ben non c'est tout le contraire. Ce sont des hordes de CRS qui déferlent, l'en sort de partout, rien à voir avec une phalange macédonienne dans les plaines de Gaugamèles, se planquent soigneusement derrière les gros camions, et avancent prudemment. Sur les médias l'on vous cause sans cesse de notre merveilleuse démocratie garante de la libre-circulation des personnes et des marchandises. Très souvent on oublie de rajouter la fin de la phrase – et des capitaux. L'est sûr que dans le défilé ceux qui portent des valises de billets de 500 Euros remplies à ras-bord sont plutôt rares, quant aux marchandises à part quelques banderoles rudimentaires et deux ou trois cocktails molotov en goguette n'y a pas grand chose, par contre des individus il n'en manque pas. Cinquante mille. A peine croyable : soudainement la République oublie ses grands principes, ce n'est plus l'habituel circulez, il n'y a rien à voir, mais stop, vous n'irez pas plus loin. On ne doit pas être sages. Privés de manifestation. Que voulez-vous tout se perd dans notre beau pays, jusqu'à l'art des barricades comme en 1830 et 1968... Ne vous étonnez pas si après, tout le monde déteste la police, et si vous sentez poindre et croître en vous une terrible fibre anticapitaliste. M'en retourne à la maison en sifflotant I'm goin' black bloc home. C'est des Stones, si je ne ma trompe pas.

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    Bref arrivé chez moi, me suis mis à mon aise, vérifié si par hasard un CRS ne s'était pas caché sous mon lit – on n'est jamais trop prudent – et ai plongé in my happy Alpi book.

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    Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les chanteurs du métro sans savoir à qui le demander. Tenait la basse dans un groupe punk allemand in Berlin ( by the wall ) lorsque Fred débarque à Paris. Fuit les huissiers et un chagrin d'amour, beaucoup pour un seul homme. Dans de telles circonstances vous ne pouvez que prendre les mauvaises décisions. Fred cherche du boulot et malheur pour lui il en trouve. Dans une entreprise. Vous savez ces modernes églises dans lequel le travailleur est appelé à baisser les yeux devant le patron divin et à travailler sans ouvrir la bouche au seul profit de cette majesté exploitante et tutélaire. Bref l'a en a tellement marre qu'il décide d'aller fredonner dans le métro. N'a qu'un seul problème c'est qu'il ne sait pas chanter et qu'il ne sait pas jouer de la guitare. C'est-là qu'il nous déçoit, choisit la facilité celle de caresser le public dans le sens des poils qui lui sortent des oreilles : la chanson française ! Commence par Paris s'éveille de Jacques Dutronc. Continuera par Jacques Brel, George Brassens, Edith Piaf, et Boris Vian. Perso j'appelle ça des trucs de vieux, de parents et de profs, tout ce que mon adolescence a rejeté en bloc, black de colère.

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    Soyons un tantinet économiste marxiste : tout travail mérite salaire, Fred bosse deux heures et demie par jour pour récolter 400 francs ( nous sommes en 1991 ), net d'impôts, et pas de chefaillon pour vous gueuler dessus. Un rapport qualité-prix qui satisfait pleinement notre impétrant. Mais évidemment ce n'est pas le plus important. Ce qui se passe dans sa tête et autour de lui est bien plus attrayant. C'est que voyez-vous le microcosme rend parfaitement compte du macrocosme. Le monde est vaste et infini. Mais si vous arrivez à en comprendre parfaitement les rouages d'une petit partie vous accédez à la compréhension globale du grand tout.

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    Idem pour le métro, le monde du dessous n'est que la miniature du monde du dessus. En plus toute l'humanité se presse dans les couloirs et les wagons. Suffit de regarder. Entre la bourgeoise du seizième et le prolo du petit matin, vous avez de quoi écrire un livre de sociologie, une somme universitaire pondérée. Le Freddy serait plutôt partisan de la critique sociale virulente. L'a remisé les œillères de l'objectivité du savoir dans sa poche. Prend soin de nous avertir, son livre est un roman - autobiographique certes – mais pas un compte-rendu de souvenirs hasardeux. Toute la différence qui existe entre un caillou sur le bord du chemin et celui que vous avez amoureusement égalisé afin qu'aucune aspérité ne puisse dévier sa trajectoire et que la parabole initiée par la fronde de votre colère le mène droit au cœur de la cible que vous avez choisie.

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    Le métro est un véritable bassin de décantation. Les éléments les plus lourds d'un mélange quelconque se retrouvent systématiquement au fond du récipient. Les plus graves aussi. Pire que la misère noire. Les individus qui n'ont plus rien à perdre puisqu'ils se sont déjà perdus eux-mêmes. Sont au bout du tunnel de la vie. Déjantés d'alcool, de crack, de crasse. Misères physiques et spirituelles. Alpi ne nous fait pas le coup de la charité chrétienne faussement égalitariste, dans le lot, il y a des victimes et des ordures. Certains sont poursuivis par leurs propres fantômes, ce sont peut-être ceux qui ont le plus de lucidité et de haine contre eux-mêmes, envers les autres et le monde entier. Se rendent compte qu'à trop obéir ils se sont reniés eux-mêmes. Les exécuteurs des basse-œuvres sont vite oubliés par les donneurs d'ordre. Lorsque l'on n'a pas su se révolter au bon moment, il n'y a plus qu'à s'en prendre à soi-même. L'auto-destruction comme dernier signe, inutile puisque indécodable par le plus grand nombre, de révolte rentrée.

    Ne s'attarde guère sur le gros troupeau. Qui ne fait que passer, tête basse, aussi peu pressés que des bœufs menés à l'abattoir mais poussés par la nécessité de retrouver son taf salvateur. Et destructeur. Qu'en dire de plus ? Personne ne brisera leur chaîne sinon eux-mêmes. Le monde appartient à ceux qui se révoltent tôt. Ceux qui restent sur les sentiers de la servitude volontaire sont des égarés.

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    Si vous ne faîtes pas de politique, d'autres la font pour vous. Peut-être pas au mieux de vos intérêts. Certains ont compris que l'on n'est jamais trop prudent. Qu'il vaut mieux prévoir que guérir. Alpi bosse dans le métro, mais n'en reste pas moins à l'écoute de ce qui se passe en haut. Que voulez-vous cent cinquante minutes de trepalium chantant par jour ce n'est pas assez, cela vous laisse le temps de réfléchir. Et dehors, les choses ne s'améliorent pas, le fascisme rampe mais gagne du terrain. La société devient de plus en plus dure – pas pour les nantis, je vous rassure – et cela se traduit dans les couloirs du métro. La RATP veille à la sécurité de ses passagers, elle embauche des supplétifs aux piquets de police traditionnelles, des espèces de groupes paramilitaires recrutés dans les milices d'extrême-droite, font des rondes. Se sentent forts et soutenus par la hiérarchie. Expulsent les sans-abris sans ménagement, font la chasse aux artistes qui n'ont pas d'autorisation... Les pauvres c'est comme les décharges sauvages dans les paysages, ça fait fuir les touristes et il faut bien passer un coup de balai sur les saletés. Quant aux saltimbanques véhiculent trop souvent des textes provocatifs et des musiques peu orthodoxes...

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    De ses collègues de travail Fred parle peu. Font partie des intervenants qui interviennent en solitaire. Pas possible de pousser la goualante à deux dans un même wagon. L'un sort quand l'autre rentre. On se rencontre entre deux rames sur les quais, on se refile des renseignements, on éprouve de la sympathie pour quelques uns, de l'estime et de l'admiration pour les numéros de certains, mais l'on se croise plus que l'on n'échange.

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    Cinq ans dans le métro, c'est beaucoup. Pour Fred cela ne saurait être une fin en soi. L'a d'autres faims. L'a beaucoup appris. Sait maintenant jouer de la guitare et placer sa voix. Commence à composer, pige qu'il lui faut passer à la vitesse supérieure. L'a fait ses classes et ses gammes. L'a été heureux dans le métro, s'est senti libre, a eu l'impression de décider de sa vie, n'est le maître que d'un modeste royaume mais il n'appartient qu'à lui. L'unique et sa propriété pour parler comme Stirner. L'a creusé sa singularité et l'a découvert sa solitude. Cette monade constitutive de la postulation humaine. Ne nous fait pas le coup du retour de manivelle du christianisme, ne manque pas d'amour, mais de proximités, sait qu'il y a beaucoup à gagner à se frotter aux autres, au sexe des femmes et à l'entraide de tous. L'a franchi une étape importante, celle de l'autonomie, celle de la non-dépendance, promet de nous raconter la suite de ces aventure dans un autre livre. On attend.

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    Musicalement pas ma tasse de thé, je préfère l'Alpi Fred des Chats Colériques, mais cette tranche de vie saignante à la sauce poivre mâtinée des mauvaises herbes de l'anarchie embaumera votre deux-pièces cuisine. A consommer sans modération.

    Damie Chad.

     

    *

    Ne me demandez pas comment je suis rentré en possession de ce document, je serais obligé de mentir. Sachez toutefois que chez Kr'tnt ! on est prêt à tout pour satisfaire les curiosités rock'n'rollesques de nos lecteurs. J'ai hypothéqué la moitié de la maison du voisin ( ne vous affolez pas, il ne le sait pas, du moins pas encore ), et cédé aux exigences charnelles d'une envoûtante et pulpeuse espionne russe. Bref le CD est là, anonyme, dépourvu de toute inscription nominative, prêt à être disséqué. Vous trouverez ci-dessous les résultats de nos premières analyses. Document strictement confidentiel. Inutile de le préciser. Nous comptons sur votre discrétion pour répandre la nouvelle.

     

    JUKE JOINTS BAND

    ( AVANT-PREMIERE )

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    Pour le moment ce n'est qu'un CD anonyme. L'a été enregistré en public à La Lune Rouge de Verfeil-sur-scène en juin 2017. Ne sont que Ben et Chris sur les deux premiers morceaux mais pour les suivants Damien est à la basse et je ne sais qui est le batteur. 1 / Arrondis de Ben à la guitare en introduction, et la voix de Chris comme des galops de rats dans les cordes vocales, évitez les morsures, vous transmettrons la peste et le typhus. Trop tard vous êtes perdu. Le Ben fait de la voltige sur les parallèles de ses cordes. 2 / On a cru que l'on rentrait à la maison mais non l'on est parti pour un méchant voyage dans le blues, Chris roll et tumble dans le micro la voix en force alors Ben se déchaîne dans le solo, on ne le savait pas si méchant, z'ont décidé de croquer la lune ce soir, et accessoirement d'épuiser la cave à whisky de Muddy Waters et de tous les bluesmen de la terre. 3 / Les voici qui déboulent sur le It' All Over Now de Bobby Womack, ne respectent nullement les limitations de vitesse, le Ben vous atchoule une marmelade en état d'ébriété avancée, et Chris vous réalise une de ces embardées sauvages dont il a le secret pour vous arrêter la voiture au bord de la mangrove, la roue droite dans dans la gueule d'un alligator. 4 / Ils ont réduit l'allure, le fond de l'air est poisseux et pesant, sont en train de remonter la Lonely Avenue de Ray Charles et Ben vous extrémitise un solo long comme un jour sans sexe. 5 / Pas de mystère pour le train qui arrive, à part que Ben vous arrache le solo hors des rails, à la basse et la batterie ça shuffle comme des diables et Chris vous rugit son incantation ferroviaire à croire que tous les démons du voodoo sont à ses trousses. Arrivent à stopper à la station du désastre l'on ne sait comment, mais la batterie vous fauche la guérite sur le bord de la voie.

    6 / Ben chicote et chicore les chicanes à la guitare, que voulez-vous que fasse de plus Chris si ce n'est crier son désir fou comme l'on fait une déclaration de guerre, électrique en diable, la voix qui s'accroche comme une tique à un chien, la batterie à coups de trique, et tout s'imbrique car la dialectique du blues peut casser les briques. 7 / Ploum, l'on repart dans un générique de film ( une vineuse production de Tom Waits ), avant la scène d'action, les gars patibulaires dans la voiture qui caressent leur revolver, le Chris vous raconte, vocal et  musique ralentissent et suintent pour que que vous compreniez  que dans les minutes qui suivent, ça va camphrer, et le Ben à l'électrique qui n'en finit pas d'égrener les coups de la cloche lente du destin, le temps en suspension, vous étire les accords à l'infini et Chris reprend la contine du marasme annoncé, une de ces longues jouissances qui précèdent les apocalypses finales. 8 / Un petit fricotis pour se réchauffer les doigts déjà brûlants, un peu de relaxation, chacun se fait plaisir dans son coin pour finir par une espèce d'orgie sonore collective. Stand it up qu'il hurle le Chris, invocation fortement décommandé dans les bréviaires des premières communions. 9 / Vous connaissez le chat qui niaque la chair au plus près de l'os, l'est ainsi le Chris, vous glapit le vocal et les autres lui taillent des morceaux de tigre dans le blanc du coq qui vient d'être égorgé, et le Chris vous bouffe la bestiole à lui tout seul car l'on n'est jamais mieux servi que par soi-même.

    Ce n'était qu'un petit avant-goût avant la sortie du disque. Pour les alléchés, vous allez sur le FB de Juke Joints Blues et vous aurez non seulement le son mais aussi l'image. Certes ce n'est que du blues. Mais une injection de ce venin de crotale est fortement recommandé à tous les rockers qui ont le sang bleu. Magnifique.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 252 : KR'TNT ! 372 : CYRIL JORDAN / MAID OF ACE / ROSEDALE / RHINO'S REVENGE / MILES DAVIS

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 372

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    04 / 05 / 2018

    CYRIL JORDAN / MAID OF ACE /

    ROSEDALE / RHINO'S REVENGE

    MILES DAVIS

     Monsieur Jordan - Part Three

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    Back to 1971 avec l’ineffable Monsieur Jordan & the San Francisco Beat. C’est l’année où la radio américaine entre dans son déclin d’AM/FM et où les grands groupes américains entrent dans l’underground : le MC5 lâché par Atlantic, les Stooges par Elektra et les Groovies disent bye-bye à Kama-Sutra. C’est aussi l’année où Cyril Jordan engage un guitariste nommé James Farrell et un chanteur nommé Chris Wilson.

    Quand il apprend que Chris Wilson quitte Loose Gravel pour rentrer à Boston, Cyril l’interpelle :

    — Hey Chris, tu veux chanter dans les Groovies ?

    — Ooh yes Cyril !

    Et pouf, Chris s’installe chez Cyril, at mom’s house ! Aux yeux de Cyril, Chris was a natural-born rocker - Boy what a great time we had ! - Les nouveaux Groovies commencent à jouer en public, mais à cette époque dans la Bay Area, on préférait le rock psychédélique et on huait le vieux rock’n’roll. Cyril décide alors de changer le nom du groupe. Ce sera les Dogs - because we were treated like dogs ! - C’est là qu’ils pondent le fameux «Dog Meat». Puis ils reviennent à la raison et redeviennent les Groovies.

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    Ça tombe bien, car Andrew Lauder de United Artists London répond à la lettre que George Alexander lui a envoyée pour lui signaler que les Groovies étaient libres. Rendez-vous sur Sunset Boulevard avec un ponte nommé Marty Cerf. Mais Cyril peine à trouver une place pour garer sa VW dans le quartier et il arrive avec dix minutes de retard. Cerf le jette. Heureusement, Andrew Lauder vient à sa rescousse et décide de prendre les Groovies sous son aile, c’est-à-dire United Artists London. Shebam ! Cyril saute de joie et se dépêche de composer des hits avec Chris Wilson. Et pow, ils pondent «Shake Some Action». Cyril donne du sens à ses paroles - I will find a way/ To get to you some day - Il veut dire qu’il va trouver le moyen d’entrer à nouveau en contact avec les gens qui aiment le rock ! Grâce à Andrew Lauder, ça redevenait possible de really shaker some action.

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    Alors les Groovies débarquent à Londres en 1972. Ils achètent leur gear sur Denmark Street et vont au bout de King’s Road se fringuer chez Granny Takes A Trip. Cyril devient pote avec les deux Américains qui tiennent la boutique et il chope l’info : dans la cave se trouve un carton avec des pompes faites sur mesure pour Brian Jones. Wizzz ! Cyril fond sur le carton comme l’aigle sur la belette - The hippest gear ever made - Ha ! Il va aussi chez McLaren round the corner. Sa boutique s’appelle encore Let It Rock. Chez Granny, c’est pour les Mods et chez Mal, c’est pour les Teds. Bam-balam ! Cyril devient pote avec Mal et il adore son juke-box - Mal turned me on to some kool sounds like «Wouldn’t You Know» by the great Billy Lee Riley, «Take And Give» by Slim Rhodes, Rocking In The Graveyard» by Jackie Morningstar, «The Shape I’m In» by Johnny Restivo (who lost James Burton to Ricky Nelson).

    Bon les fringues, c’est bien gentil, mais maintenant, il faut enregistrer un disque ! Les Groovies passent donc aux choses sérieuses avec le trip à Monmouth, au Pays de Galles, là où se trouve le fameux studio Rockfield de Dave Edmunds. Ils descendent en train jusqu’à Newport. Kingsley Ward vient les chercher à la gare. Il conduit a fuckin’ little Hillman station wagon. Il faut quatre voyages pour trimballer tous les gros amplis Orange et le drum-kit achetés à Denmark Street. Avec Dave Edmunds, les Groovies enregistrent la crème de la crème du gratin dauphinois : «Shake Some Action», «You Tore Me Down» composé sur le pouce, «A Shot Of Rhythm & Blues» d’Arthur Alexander, «Tallahassie Lassie» et l’infernal «Married Woman» de Frankie Lee Sims. Cyril raconte que le blues authority Mike Leadbitter aurait déclaré que «Married Woman» était the best blues recording by a white group that he’s ever heard. Ils enregistrent et mixent cinq hits planétaires en huit heures. Ils rajoutent vite fait une version de «Slow Death» qu’ils n’avaient pas encore pu mettre en boîte. Ces enregistrements se trouvent sur les deux mythiques singles United Artists parus en 1972 : «Married Woman/Get A Shot Of Rhythm And Blues» et «Slow Death/Tallahassie Lassie». Mais la BBC interdit «Slow Death» qui est pourtant une chanson anti-drogue. Blop ! C’est cuit aux patates. Cyril voulait commencer par sortir «You Tore Me down», mais Andrew Lauder a préféré «Slow Death». Tout s’écroule. C’est aussi con que ça. Cyril dit que c’est la faute d’Andrew Lauder. Il découvrent aussi que les gens de United Artists ne pigent rien à rien - They didn’t know what the fuck they were doing - C’est d’autant plus tragique que Derek Taylor d’Apple Records voulait rencontrer les Groovies, mais Cyril se sentait moralement engagé avec Andrew Lauder et il ne pouvait donc pas entrer en contact avec un autre label. Chez lui, ça ne se fait pas.

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    Bon alors ? Andrew Lauder ne se formalise pas. Let’s keep going ! Et il envoie les Groovies tourner dans tout le Royaume-Uni et en France. Justement, ils tournent en France en 1972 avec les Gorillas de Jesse Hector - They were wild boys and had haicuts and muttonchops that made their heads look like heads of gorillas - Tout va bien jusqu’au fameux concert du Mans - The Gorillas were a loud band. Loud like the Frost from Ann Arbor, Michigan - Pow ! Le courant saute. Black-out total dans tout le quartier ! Les flics ! Riot in the riettes !

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    Pendant ce long séjour à Londres, Cyril rencontre dans la rue Vivian Prince, le batteur fou des Pretty Things. Il fait de lui un portrait très affectueux et note que Dick Taylor jouait sur une Harmony Meteor guitar, celle qu’avait Keith Richards en 64.

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    Cyril évoque aussi le concert du MC5 au Speakeasy, le club le plus branché de Londres. Cyril reconnaît George Harrison dans le public mais il est trop timide pour aller lui parler. Début du concert. Biff ! Bang ! Pow ! La salle est trop petite pour un groupe aussi puissant que le MC5 - They were too loud for the place - Une semaine plus tard, le MC5 débarque dans la maison où sont installés les Groovies, à Chingford. Et puis voilà qu’à 4 h du main, Rob Tyner demande à Cyril de lui appeler un taxi. Wiz ! Rob disparaît. Un quart d’heure plus tard, Wayne Kramer demande à Cyril s’il a vu Rob.

    — Oh Rob just left in a cab !

    — Ohhh nooo !

    That was that. Terminé pour le MC5 - The breakup of the MC5 had occured at four in the morning at our house in Chingford. What a terrible loss to American music !

    Le MC5 finit pourtant sa tournée anglaise sans Rob. Cyril les voit sur scène quelques jours plus tard et ils s’en sortent plutôt bien - Strange, Rob wasn’t really missed. They sounded that good - Alors si ça n’est pas un hommage, qu’est-ce donc Dick ?

    Cyril évoque aussi le souvenir d’un groupe nommé Mr Moses Scholl Band - A freaky union of souls, punks on the backline, and an ex-British Army sergeant with Victorian muttonchops as lead singer - le chanteur a vingt ans de plus que les autres - A fuckin’ weirdo this chap - Et puis Cyril finit par se dire qu’il en a marre de ses conneries et lui met du poil à gratter dans sa veste d’uniforme rouge. Pow ! Quelle rigolade !

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    Cyril rencontre aussi deux girls qui font partie d’un groupe nommé American Spring. Elles reprennent des vieux hits pop comme «Mama Said» des Shirelles, «Sheila» de Tommy Roe et «Peggy Sue». Cyril découvre que Marilyn n’est autre que Mrs Brian Wilson et Diane sa sister. Alors pas touche. What a flash ! À ce moment-là, les Beach Boys sont en Hollande pour enregistrer Holland avec Ricky Fataar et Blondie Chaplin que Cyril connaît bien, puisqu’il avait été les chercher à LAX, à la demande de Brian. Et c’est là que germe une idée géniale dans le cerveau bouillonnant de notre héros : enregistrer à Rockfield avec Brian Wilson et Dave Edmunds. Il en parle à Andrew Lauder qui trouve l’idée intéressante, mais pas à Dave Edmunds à qui il veut réserver la surprise.

    Mais tout cela ne débouche sur rien. Une année entière en Angleterre et seulement deux singles parus ! Ha ! What a no-gas !

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    En 1973, les Groovies rentrent au bercail - the Groovie were in a rut - Ils cherchent un batteur et un nouveau label - Don’t ask me why we kept going - Cyril avoue que ça devenait un style de vie. Il commence par recruter un nouveau batteur, David Wright et lui dit d’écouter la batterie sur trois albums : Meet The Beatles, le premier LP des Stones et le premier LP des Kinks. Puis il réussit à décrocher un rendez-vous chez Capitol. Avec Terry Rae des Hollywood Stars et George Alexander, il enregistre une nouvelle démo de «Shake Some Action».

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    Cyril est marrant quand il resitue le contexte historique d’une époque. Il se sert de la radio pour évoquer l’an 1973 : «The British radio charts were alive with groups like Slade, T. Rex, Gary Glitter, Dave Edmunds, David Bowie et Elton John. USA AM radio charts were dead with Tony Orlando, Roberta Flack, Carly Simon and let’s not forget Kiki Wyonna ! That’s a joke, son.» Il raconte que les groupes qui savaient jouer comme les Byrds had gone underground. Il va plus loin en affirmant qu’après la fin des Beatles, America stopped listening to English music.

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    En 1974, Cyril rencontre un autre dingue, Greg Shaw. Shebam ! Ils passent la nuit à écouter des 45 tours. Greg venait de démarrer son label et il voulait les Groovies. Les démos enregistrées chez Dave Edmunds le faisaient baver. Il décida de commencer par sortir «You Tore Me Down» puis d’enregistrer la fameuse cover de «Him Or Me» au Studio Alambic de San Francisco, là où fut enregistré Flamingo. Les Groovies n’avaient plus rien sorti depuis le single «Married Woman» édité par United Artists en 1972 - Thanks to Greg, this had now happened - Puis tout s’accéléra quand on proposa à Greg le poste de vice-président chez Sire, le label de Seymour Stein et Richard Gottehrer. Stein commença par flasher sur «Tore Me Down» et quand il entendit Shake, il tomba de sa chaise. Boum ! S’ensuivit une audition et comme Cyril n’avait pas de nouvelles chansons, il proposa de jouer «Please Please Me» des Beatles. Pif paf ! En plein dans le mille !

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    Cyril revient longuement sur l’empire de la médiocrité qui s’étend à la surface de la terre : « The new so-called artists and trends that they have shoved down our troats are pretty hard to swallow for those of us who aren’t flat head. But there seems to be enough of them around these days so most of this bilge floats to the surface like scum. The incompetence that passes for talent never ceases to amaze me.» (Si tous ces soit-disant artistes et tendances qu’on essaie de nous faire avaler ne passent pas, c’est parce qu’on n’est pas des beaufs. Mais il y en a de plus en plus, ils flottent à la surface comme des étrons. Ça m’épate de voir qu’on tente de faire passer toute cette médiocrité pour du talent).

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    C’est donc Seymour Stein qui en 1976 va relancer la carrière des Groovies avec l’album Shake Some Action. Cyril rend un flamin’ hommage à Stein qui à l’époque signe les Ramones, Richard Hell et les Pretenders - Excellence instead of incompetence - Cyril va loin puisqu’il affirme que Stein a sauvé le rock dans les années 70, et sans Stein, pas de Shake Some Action. Les Groovies s’installent à New York et comme tant d’autres, Cyril découvre les charmes du CBGB : la bonne odeur de bière et de dog shit. Le chien s’appelle Jonathan et il chie partout dans le club. Wouah ! Puis vient l’heure de retourner chez Dave Edmunds pour enregistrer Shake Some Action, l’album que le monde entier attend. Et pour aller jouer en Europe, Cyril propose à Stein d’emmener ses label mates, les Ramones.

    C’est donc grâce à Cyril que l’Angleterre passe au punk.

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    Signé : Cazengler, Flamine de rien du tout

     

    Ugly Things #41 - Spring 2016

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    Ugly Things #42 - Summer 2016

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    Ugly Things #43 - Winter 2016/2017

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    Ugly Things #44 - Spring 2017

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    13 / 04 / 2018CHÂTEAU-THIERRY

    LE BACCHUS

    MAID OF ACE

    Pour conjurer le sort du vendredi 13, quoi de mieux que d’aller à Château-Thierry dans l’antre où la divinité du vin délivre toutes ses saveurs ? Destination pub le Bacchus en territoire axonais. Mais pourquoi donc, me direz-vous ? Non pour aller voir Jason Vorhees se faire découper en morceaux mais pour s’en prendre plein les esgourdes grâce aux anglaises de Maid of Ace. Ce groupe composé uniquement de filles qui en ont s’est formé à Hastings en 2004 et a deux albums à son actif. Autant vous dire tout de suite qu’elles ne font pas dans la dentelle mais cisaillent l’environnement sonore tel Chuck Yeager à bord de son Bell X-1. Habituées à délivrer leurs brûlots punk rock hautement énervés d’un seul coup, elles doivent s’adapter au lieu en scindant leur show en deux parties. Qu’à cela ne tienne, ça ne remet pas en cause leur pouvoir à faire pogoter les personnes venues assister à cette messe dynamitée. Sur cette tournée, Dora Sandoval du groupe US, A Pretty Mess, remplace leur bassiste Amy. Ah...j’oubliais, les Maid Of Ace sont en fait la sororité Elliott composée d’Alison (chant/guitare), Abby (batterie) et Anna (guitare/choeurs). Eh oui, on fait du punk en famille du côté du pays de God Save the Queen. Elles passent en revue leurs compositions « Minimum Wage » , « Disaster Noise », « Stay  away » etc… le tout avec une hargne, une fougue que beaucoup de groupes mâles pourraient leurs envier! Elles dégainent les riffs tels des boulets de canons haute volée et ne sont pas sans rappeler les Runaways ou L7, le côté nerveux en plus. Ce n’est pas pour rien que les Maid of Ace font la première partie de The Exploited pour certaines dates durant cette tournée car une grosse louche hardcore est ajoutée à leur univers. Les dates s’échelonnent de Kingston au festival Punk & Disorderly à Berlin. Elles en veulent et le font savoir. Leurs chansons sont efficaces : c’est franc, direct, ça ne tergiverse pas trois plombes et c’est ça qui est bon. Pas de fioritures, on est dans le vrai, l’authentique, l’urgence et tout le packaging percutant. Elles maîtrisent bien leurs instruments, mention spéciale à la batteuse, et occupent la scène avec brio. En une heure la mission est accomplie de fort belle manière puisqu’à la fin du show, le public en sueur se presse au stand de merchandising. Si j’ai un conseil à vous donner, ressortez vos Doc Marten’s et suivez de près ce groupe car, à mon avis, on n’a pas fini d’en entendre parler !

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    Alicia FIORUCCI

     

    26 / 04 / 2018PARIS

    LA BOULE NOIRE

    ROSEDALE / RHINO' S REVENGE

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    En avril ne te découvre pas d’un fil ! Ce dicton fit choux blanc le jeudi 26 à la Boule Noire (Paris). En effet, le chauffage marchait bien pour le plateau Rosedale et Rhino’s Revenge. Démarrage de la soirée à 20h tapantes avec les français de Rosedale. D’emblée, nous voilà plongés dans l’univers rock blues à voix féminine. Cette formation n’est pas sans rappeler le duo Joe Bonamassa et Beth Hart . En effet, Amandyn Rose a une tessiture vocale proche de celle de la chanteuse US, dont elle est bien évidemment fan. Quant à Charlie Fabert il dispose d’une dextérité guitaristique semblable à celle du tenancier du manche du combo Black Country Communion. Ce quatuor à la solide section rythmique composée de Philippe Sissler à la basse et de Denis Palatin à la batterie nous emmène vers les sons chauds provenus d’Amérique, la patrie du blues. Charlie a gagné en assurance scénique depuis l’époque où il était le poulain de Fred Chapellier. D’ailleurs, il personnalise beaucoup plus son jeu qu’avant avec fougue donnant un vent de fraîcheur au genre. L’élève aurait-il dépassé le maître ? That is the question, vous avez 2 heures ! Enfin bref, retour sur les planches, les français passent en revue les titres de leur album «  Long Way to Go » sorti en 2017, mais aussi des reprises dont celle de Ike et Tina Turner « Nutbush City Limits » autant dire qu’Amandyn se défend très bien dans la peau de la Queen of Rock N Roll ! Denis Palatin à droit à son moment de défoulement grâce à un solo affûté avec une frappe sèche, directe et élaborée, nous voilà rhabillés pour l’hiver ! Après 45 minutes Rosedale laisse la place aux anglais de Rhino’s Revenge sous les applaudissements du public.

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    Changement de plateau, le temps d’aller au bar pour se prendre une pinte puis, sans crier gare, voilà sur scène ce power trio venu d’outre Manche nous assenant un son à décalquer les sonotones avec « One Note Blues ». Dès les premiers accords, nous voici collés au plafond et c’est ça qui est bon. Le rhinocéros a décidé de sortir l’artillerie lourde et on ne va pas s’en plaindre. Faut quand même que je vous dise que nous avons le bassiste de Status Quo devant nous, John Edwards, ce qui n’est pas rien. Il est accompagné par deux compères du feu de dieu, Craig Joiner (de Romeo’s Daughter) à la guitare et Richard Newman (fils du célèbre batteur Tony Newman) derrière les fûts. Le mammifère à corne ne va pas s’arrêter en si bon chemin, mieux, il ne fait que commencer sa course effrénée. En effet, aucun temps mort dans ce show d’une puissance sans faille. Rhino’s Revenge n’est pas du tout une pâle copie du Quo mais a vraiment son empreinte sonore. En effet, si vous vous attendiez à entendre« In the Army Now » c’est rapé puisqu’ils vont interpréter des compositions de leur cuvée comme « Secretary », « Busy Doing Nothing », « Jungle Love » etc.

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    Ça claque comme il se doit ! Ce qui fait vraiment plaisir à voir, c’est le pied qu’ils prennent à délivrer leurs missives auditives. On est dans l’authentique esprit du rock n roll voire pub rock/punk puisque par endroit leurs brûlots résonnent comme du Eddie & The Hot Rods ou Doctor Feelgood. C’est vraiment la classe ! De plus, sans en faire des tonnes, ils démontrent un savoir-faire et une maîtrise dont les anglais ont le secret. L’assemblée est conquise, saute, danse, s’extériorise corporellement, headbangue, même ceux qui ont perdu leurs cheveux se prennent au jeu…Après 1h40 de concert et une reprise d’enfer de « Born to be Wild », le rhinocéros finit sa course sous une ovation des plus chaleureuses. Le temps au trio d’essuyer sa sueur et hop, le voici derrière le stand de merchandising pour s’adonner aux joies des photos souvenir et des échanges avec les fans.

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    Petite précision et non des moindres, une partie de la recette va à l’association « Save the Rhino International » comme quoi, les rockeurs ont du coeur. En tout cas, une revanche de haute volée sur le monde impitoyable du rock !

    Alicia FIORUCCI

    ( Photos : Alicia Fiorucci / Bruno Quofrance )

     

    MILES L’AUTOBIOGRAPHIE

    ( avec Quincy Troupe )

    ( Presses de la Renaissance / 1990 )

     

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    C’est mon arme secrète de rocker. Quand je tombe sur un jazzeux qui commence à me prendre la tête sur ma musique primaire, j’ai ma botte de Nevers, la ressors au dernier moment quand il entreprend de mal parler de Vince Taylor, plouf entre les deux yeux, z’au moment où il ne s’y attend pas, tiens toi qui aimes le jazz, j’ai vu Miles Davis en concert, du coup le gars il me mangerait dans la main, mais je suis bon prince, devant ses yeux larmoyants et quémandeurs en attente de révélation, je donne les détails, et le gars reconnaissant à jamais me quitte comme s’il avait vu le porteur du Graal. Tout juste s’il ne me couche pas sur son testament. Jouait bien le Miles, mais pas beaucoup, c’était quelques années avant sa mort, un peu à bout de souffle, soufflait peu mais bien. Laissait l’orchestre faire le boulot, mais dès qu’il embouchait le clairon ça s’insinuait en vous comme la lèpre et le choléra. Juste pour vous dire combien c’était bon, une note bleue ravageuse.

    La même impression dès la première ligne du prologue. Nécessaire cette intro, parce que le Miles depuis tout petit il déroge à la lettre. N’est pas né pauvre et misérable, comme tout nègre qui se respecte, but a golden lovin’ spoonfull in the mouth, fils d’un dentiste, noir mais riche. Bourgeoisie noire. Consciente de ses racines. Et qui n’a rien oublié. Ni pardonné. Une mère qui descend de Nat Turner - le meneur de la première révolte noire armée - et un père doté d’une personnalité orgueilleuse. L’en héritera. Et surtout très compréhensif. Laissera son fils partir à New York, lui enverra du fric régulièrement, même lorsqu’il quittera l’école. Pour jouer en free lance. Tout en exigeant de lui qu’il ne soit pas un suiveur, un imitateur, mais pleinement lui-même.

    Le genre de doux diktat qui ne pouvait que plaire à Miles. Car le Miles n’est pas un adepte du doute. Ne croit qu’en une chose, en lui-même. Raconte son addiction à la trompette, comprend très vite qu’il lui reste un sacré boulot, qu’il est loin du compte, que le fossé à combler est un véritable gouffre, même pas peur le Miles, passe les étapes une par une, tout en remarquant qu’à chaque fois il s’en sort haut la main, l’élève a atteint le niveau du maître qu’il s’était donné et maintenant il faut qu’il s’en trouve d’autres qui aient quelques petites choses de plus difficiles à lui apprendre.

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    Vise haut. Dizzie Gillepsie et Charlie Parker, pas plus ( n’existe pas ), ni moins ( ne mange pas de ce pain-là ). Officiellement l’arrive à New York en septembre 1944 pour suivre les cours de la prestigieuse Julliard School, Dans sa tête un seul but : trouver le Bird. Plus difficile qu’il ne le croyait. Invisible dans les clubs, si par hasard il se pose sans préavis dans l’un d’entre eux, le lendemain soir quand il court à sa rencontre, l’insaisissable volatile s’est envolé. En attendant Miles est toujours prêt à remplacer la première trompette défaillante, à taper le bœuf dès qu’on le lui demande. Ne s’en tire pas mal, et même plutôt bien. L’apprend beaucoup, les accords un peu trop complexes il commence à les comprendre en les développant au piano. N’est pas un benêt bleu non plus, à Saint-Louis il a déjà joué dans l’orchestre d’Eddie Randle ce qui lui a permis de côtoyer le deuxième cercle du milieu jazzistique, l’a même eu une proposition ( ses parents refuseront ) de tournée avec Tiny Bradshaw - l’on retrouve son nom dans toutes les histoires qui s’intéressent aux origines du rock and roll - mais la grande claque sera la rencontre avec Charlie Parker.

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    Un Charlie difficile à vivre - sexe, dope, et jazz - partout et tout le temps. Se fait sucer par des putains blanches dans les taxis tout en mangeant du poulet et en discutant avec les copains, tout ce qu’il faut pour apprendre la vie à un jeune homme un peu idéaliste. Maqué et père de famille de surcroît ! Oui mais le Bird qui ne voit jamais plus loin que le fric de sa dose, sur scène l’est un brûlot incomparable, ceux qui l’accompagnent en oublient de jouer à leur tour, et le public en redemande. Si difficile à gérer que Dizzie s’en éloignera. Les nuits de Miles sont chaudes, et les journées à la Julliard deviennent pesantes. Ce n’est pas que les profs soient totalement nuls, c’est que blancs ils ne comprennent rien à l’âme noire, le Miles ne crache pas dessus, regarde avec intérêt les partitions des musiciens classiques, mais rien de ce qui est enseigné ne l’aide dans sa démarche personnelle, dans son rapport intime avec la musique. C’est que quand la veille vous avez reçu une standing ovation pour le chorus que Charlie Parker vous a laissé prendre, le cours théorique du lendemain matin paraît un peu fade… L’on peut juger du chemin parcouru en une seule année, c’est à l’automne 1945 que Parker demande à Miles de se joindre en tant que trompette à sa formation. Comme dirait Rimbaud la vraie vie commence.

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    Fait maintenant partie de l’orchestre de Charlie Parker avec Thelonious Monk, et Dizzie Gillepsie ils enregistrent un disque et filent en Californie. L’expérience se révèlera décevante, le Be Bop y est encore pratiquement inconnu, les clubs sont rares et peu accueillants. Le Bird ne fait rien pour arranger les choses, l’est vêtu comme un clochard, ne fait pas d’efforts particuliers sur scène, avale des bouteilles de whisky et de vin bon marché l’une après l’autre pour pallier l’héroïne dont il essaie de se désaliéner. Finit par être enfermé à l’asile où il subit des électrochocs Pendant ces mois d’inaction Miles matraque le bœuf avec tous ceux qu‘il rencontre, joue avec Coleman Hawkins et Charlie Mingus qu’il juge en avance sur son temps. Pour gagner de l’argent il travaille dans l’orchestre de Billy Ecskine qui tient à tout prix à le garder mais en 1947 il retourne à Saint Louis retrouver sa femme qui lui a donné un garçon qu’il n’a encore jamais vu. Ces deux années sont initiatiques, il touche à l’héroïne et la cocaïne qui lui refilent une super-énergie, accepte pour la première fois de l’argent d’une femme blanche et trompe sa régulière avec la chanteuse Ann Baker. Enfin détail non négligeable, il est conscient d’être à deux doigts de posséder un son bien à lui qui sera sa signature identificatrice dans l’histoire du jazz. Il n’a que vingt-et-un ans.

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    Retour à New York, les clubs les plus prestigieux s’alignent les uns à côté des autres dans la 52° Rue, au bout de quinze jours Miles quitte Dizzie pour le Bird de retour lui aussi, phénix renaissant, plus oiseau de feu que jamais. Miles parle davantage de Parker que de lui-même, de sa manière de se lancer dans des soli acrobatiquement arithmétiques, de retomber toujours sur la mesure au millième de quart de note précise, ne donne aucune indication, Max Roach à la batterie tente ( et réussit ) tout ce qu’il peut pour tomber juste et Miles comprend qu’il ne faut pas attendre mais réfléchir posément, Parker pose des énigmes, à vous de les résoudre avant d’être surpris par leur conclusion. Le jazz est une musique intellectuelle. L’on peut tout jouer, c’est très simple il suffit de trouver la solution. Elle existe obligatoirement. Bird n’explique pas. Il rayonne. Avec Bud Powell qui remplace Duke Jordan au piano, Bird enregistre Charlie Parker All Stars, sur lequel Miles place son premier thème Donna Lee. Miles est doublement satisfait, l’est convaincu qu’il a dépassé quelques anciennes influences et qu’il a atteint le même délié, la même fluidité que Lester Young… Miles enregistre enfin son premier disque sous son nom Miles Davis All Stars avec Parker et Roach…

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    1948 sera l’année des ruptures. Avec le Bird, de plus en plus cabochard, de moins en moins contrôlable, et qui garde tout le fric pour lui. Ne pense plus aux copains, fait le rigolo devant les blancs… excédés Max Roach et Miles finissent par le quitter. Les divergences sont peut-être plus profondes Miles fonde son nonnette pour enregistrer Birth of the Cool. Le titre est à lui-tout seul un oriflamme. Convoquez neuf musiciens il en est toujours deux ou trois qui ne répondent pas à l’appel. Beaucoup d’appelés et beaucoup d’élus, même des musiciens blancs… Ce qui plaira aux critiques blancs. Musique lente, plus fluide, qui se peut fredonner, très éloignée de l’aridité algébrique du Be Bop. Miles est convoité, même par Duke Ellington, mais il voyage en solitaire. Le voici pour quelques concerts à Paris, s’y sent bien, si bien que Kenny Clarkevenu avec lui refusera de rentrer au pays, Miles repart malgré l’amour qu’il porte à Juliette Gréco. Cet arrachement il le paiera très cher, par quatre ans d’addiction dure à l’héroïne.

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    Tout fout le camp. Tous les amis musiciens de Miles sont aussi vampirisés par l’héro. Miles se fait maquereau, se fait arrêter par les flics, perd ses engagements, se sépare de sa femme, vole ses amis, la dégringolade, une seule consolation durant ses deux premières années de galère, il accompagne durant quinze jours Billie Hollyday… ironie du sort, de nombreux jazzmen blancs se font des couilles en or avec cette nouvelle musique venue d’ailleurs; le cool jazz…

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    Essaiera de décrocher à plusieurs reprises avec l’aide de son père… enregistre quelques disques avec Sonny Rollins et le Bird, pour Prestige et Blue Note, chaque fois qu’il remonte la pente, l’est le premier à tout faire foirer, jusqu’au jour où il finit après huit jours d’abstinence totale, seul enfermé dans une chambre comme une dinde dans un frigidaire par se débarrasser de sa terrible accoutumance. L’était temps, il y avait ce Chet Baker qui était devenu le chouchou de la presse spécialisée. Certes il jouait bien - un jeu très inspiré d’un certain Miles Davis - un blanc, un suiveur, pas un créateur. Ce terme réservé aux noirs. Ce qui ne l’empêche pas de se lancer dans d’interminables disputes avec Charlie Mingus qui hait systématiquement tous les blancs…

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    Miles signe un contrat d’exclusivité avec Prestige. Il enregistre régulièrement, mais l’essentiel est ailleurs. Il se reconstruit dans sa tête. Avec des hauts et des bas. Un peu de dope encore, mais pas la submersion. Sugar Ray Robinson est devenu son modèle. Se met à la boxe, un art de haute précision qui n’est pas sans accointances avec le jazz. Miles se durcit, devient méfiant, se comporte comme un mac lorsque Juliette Gréco le retrouve à New York… musicalement il commence à entrevoir ce qu’il veut vraiment, retrouve sa maîtrise d’avant la drogue et subit l’influence d’Ahmad Jamal dont le jeu et la musique l’aident à éclaircir, à débroussailler son flow, à le laisser couler d’autant plus sereinement qu’il a éliminé ses propres obstacles… Passage de témoin, le Bird clamse, standing ovation pour Miles au Newport Festival de jazz de 1955. Les critiques blancs deviennent louangeurs. Donnent l’impression de le découvrir lui qui est dans le métier depuis dix ans… John Coltrane opère le bon choix, quitte Jimmy Smith et son orgue pour jouer aux côtés de Miles.

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    Super appart, belles copines, le succès est là, Miles dicte ses conditions aux patrons des boîtes, enregistre chez Columbia, l’est maintenant dans le plus fort du Maim Stream. L’a voulu, ne le regrette pas, garde la tête froide, refuse d’être dupe, Les salles sont pleines, l’argent coule, la dope aussi, Coltrane et Joe Phyllie le batteur sont au cœur de la tourmente. Miles plus que jamais rebel, hip and cool est obligé de les renvoyer mais Trane fait cold turkey et revient en grande forme. Nous sommes en 1958, le grand jeu peut commencer.

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    Ne s’agit plus de jouer du jazz, celui qui n’est que continuation de Louis Armstrong, Duke Ellington, Lester Young et Charlie Parker, s’agit de jouer autrement, en modal dit Miles, de retrouver quelque chose de plus lointain, de dépasser les racines du blues, de se laisser inspirer par l’Afrique originelle. C’est une gageure, en deux ans Miles et son sextette n’y parviennent que cinq ou six fois, mais la formation est au top, elle enregistre en direct et très souvent elle se contente de la première prise. Ce sera le cas pour Kind of Blue, aujourd’hui considéré avec A Love Supreme de Coltrane comme le plus haut sommet du jazz, reconnu comme un chef d’œuvre absolu dès sa sortie, duquel Miles avoue ne pas être satisfait. D’ailleurs il consacre davantage de pages à la confection du suivant Sketches of Spain qui repose avant tout sur un arrangement par Gil Evans du Concerto d’Aranjuez, l’enregistrement nécessite la participation de musiciens classiques qui n’arrivent pas à comprendre les directives de Miles de ne pas jouer les notes écrites mais de les considérer comme des départs pour figurer les espaces qui les séparent. Comme chez Mallarmé les blancs sont les lieux les plus importants. Tout en reconnaissant - et en connaissant - la force des compositeurs classiques Miles règle son compte avec les musiciens classiques qu’il qualifie de robots incapables d’improviser. Ce sont dans leur immense majorité des blancs… malmené et frappé par la police alors qu’il est en train d’attendre un taxi Miles tombe de haut, s’aperçoit que quoi qu’il fasse il sera toujours un nègre. Cette injuste mésaventure accroîtra sa méfiance, son amertume et son cynisme, alors qu’il pensait que les temps étaient en train de changer…

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    Tout va bien. Trop bien. Tournées à gogo. Gagne des milliers de dollars à chaque concert. Roule en Ferrari blanche. Possède un appartement de roi. Des douleurs dans les articulations et des plus graves dans la tête. Médicaments, coke, alcool, méchante limonade. Mort de son père. Mort de sa mère. Trop pris par lui-même pour être présent à leurs derniers moments. L’on sent la dépression larvée. L’ a des musiciens de rêve Tony Williams à la battterie, Herbie Hancock au piano. Mais le jazz se déplace. La new thing apparaît, Miles n’aime guère le free-jazz, des gens - Archie Shepp, Albert Ayler, Cecil Taylor - qui ne savent pas jouer, ou qui ne connaissent qu’une seule manière, une musique non structurée. Fin 1963 il parvient enfin à mettre la main sur Wayne Shorter qu’il guignait depuis longtemps.

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    Le public décroche du jazz dès l’apparition de la free thing en 1960, et se tourne vers Little Richard, Elvis Presley, Chuck Berry, Jerry Lee Lewis, Beatles, Bob Dylan, Stevie Wonder, Supremes, James Brown, le rock sous toutes ses formes se pose en sérieux outsider. Un peu paranoïaque, Miles pense que les critiques ont intentionnellement poussé en avant le free-jazz pour que les gens se détournent de la musique populaire noire pour favoriser la blanche… l’en profite même pour critiquer l’évolution de Coltrane… N’empêche que Wayne et Tony poussent Miles au cul, certes ils structurent sec mais d’un autre côté ils vous secouent salement le panier à salade, pas absolument free, mais vous ont scié pas mal de barreaux de la cage, et puis cette manière de jouer tous ensemble en se marchant dessus, sans s’en vouloir, en toute confiance. Finis les majestueux soli en solitaire, le combo n’est plus qu’une pulsation rythmique incessante et chacun se hâte d’alimenter le foyer. Le band enregistre six albums en quatre ans, mais le public réclame les vieux morceaux de Miles… Les années soixante s’embrasent, les évènements se bousculent, émeutes de Watts, apparition des Black Panthers, amitié avec James Baldwin, Miles écoute Muddy Waters et James Brown, le son de la guitare lui semble essentiel, dans sa tête règne un peu de folie, beaucoup de pression, coke, alcool, soirées très chaudes, sa femme Frances – celle qu'i aura le plus aimée - s’enfuit… l’est sûr que le monde change et qu’un musicien se doit d’accompagner le mouvement…

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    La mort de Coltrane en juillet 1967 affecte Miles. Lui fut-elle nécessaire pour réaliser que l’œuvre de Trane a bousculé le jazz, qu’elle est à l’origine d’une évolution du jazz, plus révolutionnaire que sa propre contribution, et qu’il est temps pour lui d’emprunter des sentiers sinon plus aventureux du moins davantage novateur ? Miles écoute Sly and the Family Stone et rencontre Jimmy Hendrix. Qui ne sait pas lire la musique mais le dialogue permet à tous deux de mieux comprendre la convergence de leurs chemins. Miles admet avoir été influencé par Jimi et réciproquement. Parle aussi de la proximité de Jimi avec le hillbilly. In a Silent Way fit beaucoup de bruit. Ce nouvel album paru en 1969 est aussi important dans l’histoire du jazz que l’enregistrement de Kind of Blue. Mais si Kind est un album de parousie clôturiale d’une certaine histoire du jazz le Silent Way est un point focal d’ouverture, il est l’origine propulsive du jazz-rock et de la fusion. L’a rassemblé une nouvelle équipe autour de lui, Joe Zawinul qui joue sur piano électrique, Keith Jarrett qui lui aussi électrise son piano, Chick Corea lui aussi au piano, Jack Déjointe à la batterie, et John McLaughlin à la guitare qui débuta dans la première génération rock and roll anglais… Miles accorde davantage d’importance à l’album suivant Bitches Brew qui lui semble d’une complexité mieux aboutie.

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    Miles gagne jusqu’à 400 000 dollars par an mais il remarque que ses concerts ne sont plus sold out, aussi franchit-il le pas et part-il à la rencontre du public rock, passe au Filmore East de San Francisco entre Steve Miller et Gratefull Dead, et en première partie de Santana, une nouvelle frange du public se rallie à lui… fait des efforts abandonne ses beaux costumes trois pièces pour des tenues plus libres, pas tout à fait le débraillé rock, change de coiffure, ne s’agit pas seulement d’un simple relookage, ça bouge aussi dans sa tête, sa compagne Betty Mabry n’est pas pour rien dans cette évolution, il se séparera d’elle au bout d’un an car son allure de rockeuse un peu trop sauvage jure un peu avec le milieu un tantinet compassé du jazz dont il reste tributaire…

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    S’ouvre une période des plus créatrices de Miles, les disques s’enchaînent et surprennent, Miles change sans arrêt de musiciens, Billy Cobham sera choisi pour sa frappe plus rock, Miles insiste beaucoup depuis toujours sur le rôle moteur du batteur dans ses différents combos, c’est sur son jeu que se calent les soli, même si maintenant il fait moins de solo, pour accompagner sa nouvelle manière de trumpet groove il adjoint un percussionniste à sa section rythmique… Miles participe au festival de l’île de Wight, Hendrix meurt alors que rendez-vous était pris pour un enregistrement commun… Miles se sert d’une pédale wha-wha sur sa trompette… se rend compte que les jeunes noirs ne connaissent pratiquement pas Hendrix trop près du rock blanc… Pour se rapprocher de ce public Miles tente d’infléchir la courbe trop free de sa formation vers un groove funk, ce qui n’est pas sans provoquer de nombreuses dissensions avec certains de ses musiciens qui s’accrochent aux patterns du jazz pur… Avec On the Corner, Miles concilie l’inconciliable Stockausen, Sly Stone, James Brown, Bach et Paul Buckmaster, passe aussi à l’électrique intégral pour avoir un son qui soit audible dans les grandes salles. Miles va mal, trop de sexe, trop de drogues, trop de tournées, une prothèse de hanche de plus en plus douloureuse, Columbia ne pousse pas son disque vers le jeune public noir friand de rhythm and blues et le public jazz traditionnel est incapable de comprendre cette nouvelle musique. Un accident de voiture lui brise les deux chevilles, Miles est la proie de ses vieux démons, Fin 1975, Miles arrête.

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    Restera enfermé quatre années chez lui, une longue nuit, entre dope et femmes, entre produits et sexe, vit ses phantasmes, ne sort que très rarement, ce qui est plus prudent vu ses crises de paranoïa et les flics obligés de le déposer à l’hôpital psychiatrique, Cicely une ancienne copine revient vers lui et l’aiguille vers une vie moins excessive, son jeune neveu Milburn fou de batterie lui téléphone souvent pour demander conseil, et Columbia insiste pour qu’il reprenne le combat et accepte qu‘il prenne George Butler, un noir, comme producteur.

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    La santé se détériore mais le succès est là dès les premières gigs. Touche quinze mille dollars par soirée pour un club de 425 places, embraye sur les tournées grassement payées en Europe et au Japon, les critiques sont plus que mitigés, ses deux derniers disques The Man with the Horn et Decoy sont jugés peu aventureux. Miles remarque simplement que le jazz se répète et qu’il faut devenir accessible à l’oreille du public façonnée par le rock blanc… L’a d’autres chats à fouetter, les alarmes des toubibs qui exigent qu’il arrête le tabac et l’alcool, le diabète est devant la porte mais une c’est une crise cardiaque qui frappe la première, lui paralysant les doigts, s’en remet mais fin 1983 la nécessité d’un repos se fait sentir… Détour par la case hôpital, hanche et pneumonie, cette dernière étant le lot ultime d’organismes fatigués, c’est elle qui a emporté Billie Hollyday et Coltrane.

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    En 1984 Miles quitte Columbia pour la Warner, reçoit récompenses et prix prestigieux mais il n’aime pas qu’on lui préfère dans la plupart des cas Wynton Marsalis musicien de jazz et de musique classique, une manière pour les blancs d’honorer un artiste noir formé dans la tradition européenne… Miles a soixante ans, les évènements se répètent, coma diabétique, violentes disputes avec Cicely, un musicien Darryl Jones qui le quitte pour aller jouer avec Sting qui propose davantage de blé, tournées, enregistrement de Tutu, - combat contre l’apartheid et emploi forcené de synthés - grands concerts avec U2, participation à un épisode de Miami Vice Miles, pub Honda, Miles est partout où il faut être et même là où il faudrait ne pas être… Au retour d’une réception organisée par Reagan pour rendre hommage à Ray Charles, Miles excédé par l’ignorance crasse de l’élite blanche casse avec Cicely Tyson qui l’avait embrigadé dans cette galère…

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    L’autobiographie se termine, fait un peu le tour de la question. Vous connaissez la réponse, elle s’appelle Miles. Revient sur le futur de la musique, Prince est le bon cheval, mais Miles ne dédaigne pas le rap et parle même du zouk. Pour lui la musique authentique est noire. Parle de ses rapports avec ses musiciens. Pas de blabla, un musicien respecte les musiciens mais ne parle de musique qu’avec son instrument. Parle de l’évolution de la musique, le monde change, la nature des instruments change, donc la musique change. Il est inutile de regretter le passé, aller de l’avant pour ne pas s’ossifier. Lui-même a évolué, ne serait-ce que par contraintes économiques, l’argent vous permet de rester libre. Avoue sans honte ni regret qu’il a su s’adapter pour survivre. Parle beaucoup des femmes, avec amour et tendresse, mais sans concession, ses préférences et ses choix. Certaines ne savent pas comment faire avec un homme, surtout si c’est un artiste. Le veulent pour elles, l’embêtent, l’agacent. Oui parfois il en a frappé, il le regrette mais c’est ainsi. Passe aux hommes, l’est moins disert, si vous êtes cool tout se passera bien. En vient à la différence entre les blancs et les noirs. Les blancs se croient habilités à être des donneurs de leçons mais les noirs sont les créateurs… Pensent aux morts qu’il a connus de son vivant, sont proches de lui, sent leurs esprits tout proches… Se sent investi de la puissance de la musique. L’est prêt à foncer droit devant dès le premier temps…

     

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    Miles termine son Autobiographie en 1988. Il mourra en 1991. Vous n’êtes pas obligé de tout gober. Vous donne l’impression qu’il force un peu sur les côtés déplaisants de sa personnalité. Ne mâche pas ses mots. Traite ses deux premiers fils de ratés. Se dépêche d’ajouter que c’est un peu de sa faute, mais maintenant qu’ils sont grands, c’est à eux de se prendre en charge. A l’intérieur de leur tête personne ne peut les aider. La vie ne fait pas de cadeau, Miles non plus. L’on décèle chez Miles une certaine coquetterie à se décrire plus noir qu’il n’était.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUE DE POURPRE 251 : KRTNT ! 371 : COMO MAMAS / CHARLIE GILLETT ROCK STORY

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 371

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    26 / 04 / 2018

    COMO MAMAS / CHARLIE GILLET ROCK STORY

     

    Pah Pah ooh Mamas

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    Quand on va voir un concert de gospel, il faut s’en remettre à Dieu. En règle générale, Dieu se montre miséricordieux avec le public attiré par le gospel. Ceux qui redoutent de s’ennuyer ou qui clament haut et fort leur anticléricalisme primaire finissent toujours par se faire avoir. Retournons le raisonnement à l’envers : qui peut aujourd’hui prétendre s’être ennuyé dans un concert de gospel ? Personne, évidemment. Pourquoi ? Parce que précisément Dieu ne le permettrait pas. Et si un cabochard se risquait à braver le raisonnement, alors la main de Dieu s’abattrait sur lui comme la tapette sur la mouche importune. La main de Dieu n’est pas une vue de l’esprit, mais un concept inventé jadis par un très bel écrivain, Isaac Bashevis Singer. N’oubliez pas que les écrivains polonais furent un temps les rois du petit monde littéraire, Gombrowicz en tête.

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    Pour ceux et celles qui s’interrogent encore sur les racines du rock, le gospel leur donne la réponse. Sister Rosetta Tharpe se situe à l’origine de TOUT. Au soir de sa vie, Rosetta eut pitié des pauvres blancs qui ne comprenaient pas grand-chose à la musique noire et elle fit un peu de pédagogie. Elle expliqua que le blues, c’était le nom théâtral du gospel et que le vrai gospel devait rester très lent, comme «Amazing Grace» : «Si vous commencez à claquer des mains, ça donne le gospel revival et si vous rendez ça encore un peu plus joyeux, ça donne le jazz... Puis ça devient éventuellement le rock’n’roll.» On trouve ça dans le livre que Gayle F. Wald consacra jadis à Sister Rosetta, Shout Sister Shout. Et puis tous ceux et celles qui ont suivi les Staple Singers à la trace, et ce depuis la période Riverside, savent qu’il n’existe pas beaucoup de groupes de rock capables de rivaliser avec Pops et ses filles. La grande force de Pops Staples fut d’avoir une éthique, en plus de son talent naturel. Aller vendre mon cul ? Hors de question ! En plus, Pops n’en finissait plus de dire qu’il ne craignait pas la mort, car il savait, comme le Dr King, son ami, que le paradis existait. On l’a oublié depuis ce jour de 1968 où il reçut une balle dans le cou, mais Martin Luther King fut le dernier prophète de l’histoire de l’humanité.

    La force de cette croyance en l’existence d’un monde meilleur vient précisément des racines de la civilisation américaine, c’est-à-dire l’esclavage, et son corollaire, l’enrichissement d’une race dégénérée, celle des colons blancs. Dans les atroces ténèbres de leur condition, les nègres ont réussi à bricoler une lumière, oh pas celle du Vatican, mais une vraie spiritualité, leur spiritualité, vieille comme le monde, celle qui se chante et qui repose sur une évidence fondamentale : la vie n’est qu’un court passage sur la terre, et si ce passage est douloureux, comme peut l’être la condition d’esclave, alors il existe forcément une vie meilleure.

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    Les Como Mamas ne font que ça : nous rappeler que tout ira beaucoup mieux après la vie terrestre : plus de racisme, plus de classes sociales, plus de misère, plus de factures à payer, plus d’élections, plus de prix qui augmentent, plus de réseaux sociaux ni de téléphones, rien que du rien, rien que cette notion d’absolu à laquelle il est bon de réfléchir, rien que du néant parfait, cette lumière blanche à laquelle font allusion tous ceux qui sont revenus de la mort.

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    Si on peut voir chanter ces trois femmes originaires de Como dans le Mississippi, c’est grâce au label new-yorkais Daptone, un label qui s’est spécialisé dans la promotion de grands artistes noirs inconnus du grand public. Les figures de proue du label furent Sharon Jones et Charles Bradley, emportés tous les deux au paradis par des cancers. Daptone survit, grâce à l’excellente Noami Shelton, au non moins excellent James Hunter et aux Como Mamas. Elles sont trois, et bien sûr, l’idéal est de les voir chanter le gospel batch sur scène. Attention, ce n’est pas un concert comme les autres. Elles ramènent avec elles toutes les racines du blues et du rock américain, simplement accompagnées par un batteur et un Télé-boy à casquette. Fuck it ! Laisse tomber les groupes garage. Il y a dix mille fois plus de punch dans les Como Mamas qu’il n’y a de particules dans toute ta discothèque, Horatio. Les Como Mamas feraient danser Hamlet sur les remparts d’Elseneur. Dans cette petite salle rouennaise, tout le monde dansait avec les Como Mamas. TOUT le monde ! Un truc qu’on ne voit jamais ailleurs.

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    Impossible de résister, c’est un son qui remonte par les jambes du pantalon et qui pulse au niveau des reins, oh Lord, c’est pire qu’un jerk au Palladium, et pouf, en plein «Move Upstairs», Angelia Taylor qu’on croyait impotente, calée dans sa chaise, se lève et se met à danser, son visage s’éclaire, cette femme se met à rayonner et une sorte de miracle s’accomplit, elle tire l’overdrive et le gospel fait une sorte de bond en avant pour filer dans la transe hypno. C’est autre chose que Can, et pourtant on aime bien Can, mais là, ça dépasse l’entendement, on comprend confusément que la notion de spiritualité n’est pas un gadget, cette femme qui doit peser deux ou trois cents kilos dégage quelque chose qui la dépasse et qui nous dépasse, elle est comme transportée par une énergie surnaturelle, ou simplement une énergie terriblement humaine, une sorte de force intérieure bâtie sur une authentique bonté d’âme. Cette bonté d’âme qui vaut tout l’or du monde.

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    Tiens, un autre coup de Jarnac. Elles démarrent leur set a capella, on l’aurait parié. Ester Mae Wilburn est au centre, et elle commence à bien ramoner le chant au guttural et soudain, on entend le batteur et le Télé-boy entrer dans le batch du gospel batch, alors c’est tout l’univers du rock et du blues qui sort de terre, comme par miracle, tout vient directement de là, de ce lent démarrage, de cette espèce de mise en route fantastique, c’est l’avènement de la puissance séculaire, la genèse du delta blues, tout Muddy et tout Wolf viennent directement de cette incroyable puissance lourde et lente. Il est certain qu’André Hardellet ne connaissait pas les Como Mamas, mais il se pourrait que Lourdes Lentes soit un hommage inconscient à ces fantastiques Mamas. Ester mène le bal, avec une prestance et une puissance inimaginables, il faut la voir marquer le rythme d’une main et bouger subtilement d’un pied sur l’autre, comme seules savent le faire les grandes Mamas black. Il suffit de voir Aretha danser dans le restau des Blues Brothers. Ester tape au même niveau, elle chante aussi bien qu’Aretha et aussi fort que Rosetta, elle charge la chaudière du batch avec une ferveur spectaculaire. Sur les pochettes des deux albums, elle semble gonflée, mais là sur scène, avec ses cheveux roux, elle swingue comme une reine. La troisième Mama s’appelle Della Daniels. Elle est la sœur d’Angelia. Des trois, Della est la plus communicante. Elle prend le lead sur «Count Your Blessings», elle chante d’une voix plus sucrée, et en fin de concert, elle raconte quelques anecdotes datant du temps où petite, on lui interdisait d’entrer dans les magasins des fucking rednecks. Pince sans rire, elle ajoute qu’aujourd’hui, la municipalité de Como est très fière de ses Como Mamas.

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    Elles font une reprise du «You Gotta Move» de Fred McDowell rendu célèbre par les Stones. Il faut savoir que Fred McDowell vivait lui aussi à Como, et qu’il avait passé toute sa vie à travailler comme métayer pour un patron blanc. Quand au soir de sa vie et donc au terme d’une très longue vie de travail, il constata qu’il ne possédait que quelques dollars, il alla trouver le patron blanc pour racheter ses dernières dettes avec ces quelques dollars (les métayers devaient tout payer, la location de la terre et de la cabane, les semences, les outils, les mules, leur nourriture, et donc ils passaient leur vie à s’endetter pour pouvoir travailler). Puis il prit un job de pompiste à la station service qui est à l’entrée de Como. C’est là nous dit Dickinson qu’on pouvait trouver le grand Fred McDowell. Les Stones roulaient en Rolls, pas le vieux Fred. You gotta move.

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    Dans l’album Move Upstairs, on retrouve tous les classiques que brassent les Como Mamas sur scène, à commencer par le morceau titre, pure dynamite, avec les Oh Yeah d’Ester et de Della qui marquent le tempo - We got to move upstairs - Angelia expédie ça d’une voix forte. Elle reprend le lead sur «He’s Mine», d’une voix encore plus grave - And I know/ I got Jesus and I know/ He’s mine - Elle chauffe tellement son gospel batch que ça sonne comme du rock. Fabuleuse Angelia qui se lève de sa chaise pour danser et là, le club se met à tanguer comme un baleinier surpris par un mauvais grain au Cap Horn, elle enfonce tout le batch dans la gorge du gospel, mais la version enregistrée est écourtée ! Les fuckers de Daptone l’ont raccourcie, alors qu’elle commençait à pendre de l’altitude. Jerry Wexler n’aurait jamais permis ça. Heureusement, sur scène, personne ne peut lui couper la chique, c’est toute la différence. Della prend le lead sur «I Know I’ve Been Changed» et ses copines lui font des chœurs de rêve. On retrouve sur le disque le fabuleux copinage des trois Mamas, et cette coquine de Della pend un malin plaisir à allumer des petits blancs dans le public. Elle chante avec des accents incertains, mais c’est justement le mélange des trois styles qui fait la richesse du son, ces femmes viennent de si loin, Lord, et Ester s’octroie la part du lion avec «Out In The Wilderness». Elle y ramone les soupapes du batch. À travers elle affluent les chants d’esclaves et toute la grandeur tragique du peuple noir. Elle transforme la misère d’une condition en art suprême. Ses copines la soutiennent, elles sont toutes les trois comme des anges du paradis. Animé par une pulsion organique, un cut comme «Count Your Blessings» relève du prodige. On peut même parler de génie insistant. Ester chante «He’s Calling Me» à la Tharpe, avec la même énergie d’every day in my life. Elle garde le cap sur le ciel et la lumière qu’elle y voit avec une invraisemblable puissance jesuistique. On la revoit chauffer la salle sans produire le moindre effort. Elles nous refont le coup du démarrage en côte avec «99 And A Half Won’t Do» : après l’intro a capella, le groove entre dans la danse. Elles sont magiques : Ester en lead démente, Della, sucrée et sexy et Angelia, obèse et vivante, mais si incroyablement vivante - Oh Jesus ! - Ester tisonne sa foi, la chaudière de sa foi, et les autres font won’t do, won’t do. C’est du très grand art. Par contre, «Almighty God Mighty God» ne passe pas : trop jazzy. La basse de Bosco Man vient ruiner leurs efforts. Pourquoi la ramène-t-il ? Les Mamas sont capables de se débrouiller toutes seules. Et puis il faut avoir entendu «Glory Glory Hallelujah» au moins une fois dans sa vie. Ester y swingue le gospel dans le néant de l’industrie musicale. Cette femme shake le shook du batch à sec. Elle parle de hauteur - Higher - Prenons-en de la graine. Elle est véritablement l’une des très grandes chanteuses des temps modernes. Qu’on se le dise.

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    Par contre, leur premier album intitulé Get An Understanding est beaucoup plus difficile d’accès. C’est enregistré en 2005 dans une église, sans backing-band. Appelons ça du gospel rootsy. Pas de prod, rien que des gueulantes dans une église qui résonne. On note cependant l’ampleur de la clameur. À trois, elles font plus de ramdam que Blue Cheer et Frost réunis. Avec «God Is Able», elles tapent dans l’hypno des âmes possédées. On retrouve la powerful raspy voice d’Ester Mae (qui s’appelle Smith sur cet album). Dans les notes de pochette, elle dit sa fierté d’avoir pu élever deux kids qui n’ont pas comme elle dû cueillir le coton de l’aube jusqu’au soir, porter des fringues faites avec des sacs à patates et crever de faim. Elles piquent une véritable crise de folie collective dans «Peace Of Mind». Angelia prend le lead et elle devient dingue, avec sa voix plus carillonnante et son énergie pharaonique. Difficile de tenir la distance sur un tel album. Mais il faut les entendre gueuler. Qui va aller écouter ça, aujourd’hui ? Même le fils d’Angelia le dit : il préfère the newer sounds, le rap des jeunes, la musique de l’avenir. Sur la pochette, Ester Mae ressemble à Muddy Waters, elle a cette beauté placide inscrite dans les traits de son visage.

    Signé : Cazengler, Comoche du coche

    Como Mamas. Le 106. Rouen (76). 20 mars 2018

    Como Mamas. Get An Understanding. Daptone Records 2013

    Como Mamas. Move Upstairs. Daptone Records 2017

     

    THE SOUND OF THE CITY

    HISTOIRE DU ROCK’N’ROLL

    CHARLIE GILLETT

    ( Rock & Folk - Albin Michel / 1986 )

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    Tome I / La Naissance

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    Première fois que les deux volumes me passent par les mains. Je ne suis pas le seul. Gérard, le bouquiniste aussi, jamais vu depuis plus de trente ans qu’il vide toutes sortes de bibliothèques. Pour la petite histoire l’a récupéré chez un historien local décédé qui ne s’est jamais fait remarquer pour son amour immodéré du rock. Vu l’état je suppose qu’il ne les a jamais ouverts. Remarquez qu’il faut être un peu mordu par l’alligator pour se plonger dans une telle lecture. Passionnante, mais pas vraiment affriolante. Histoire du rock and roll certes mais qui n’emprunte guère les sentes de la wild side. Pas idolâtre pour un centième de dollars. Un petit côté aussi rébarbatif qu’une étude sur la production du charbon en URSS ! Rock sans sexe et sans produits ajoutés. Ni glamour, ni scandale.

    Ne vous prend pas en traître, vous avertit dès l’intro. Se base sur des données statistiques. Les chiffres qui comptent. Passe à la loupe les trente premières places des ventes de disques à l’époque de leur sortie. Billboard, Cashbox et quelques hit-parades annexes. Pas le genre de gars à vous pondre des dithyrambes de quinze pages sur Waren Smith. Trois lignes suffiront. Combien de divisions demandait Staline ? La question qui tue. Pour Charlie Gillet à moins d’un million de disques vendus vous ne valez pas tripette. Idem si vous ne donnez pas dans la récidive, c’est simple n’ y a que pour Elvis qu’il reconnaît que les ventes resteront importantes, pour tous les autres, leur écrit has been, en gros dans le dos, au stabilo fluo.

    N’empêche que c’est bigrement intéressant. Un véritable jeu de stratégie. A quatre dimension. Les chanteurs, les publics, les petits labels et les majors, en interdépendance. Une partie carrée. Vicieux comme vous êtes, vous voulez tout de suite connaître ceux qui se font mettre. La réponse est simple : le rock and roll. Ne cherchez pas d’autres victimes.

    NAISSANCE DU MONSTRE

    ( 1954 - 1961 )

    C’est quoi le rock and roll au juste ? C’est le rhythm and blues des noirs repris par les blancs. Une question de marché. Tout un public de jeunes blancs commence au début des années cinquante à se brancher sur les radios noires qui passent des disques qui bougent un max et qui vous arrachent les oreilles. Une batterie qui cogne et des solos de sax qui vous écorchent la peau. En sus des lyrics des plus crus. Beaucoup de ces nouveaux aficionados écoutent en cachette car les parents sont formels : les gens bien élevés détestent la musique de nègres. Pas question de se vanter que vous écoutez, voire que vous chantez, du rhythm and blues ! Idée de génie du disc-jockey Alan Freed, non il ne présente pas dans ses spectacles de Cleveland ou ses programmes radio des artistes de rhythmn and blues mais des groupes de rock and roll !

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    L’honneur est sauf. Enfin presque. Chez les nègres ces trois mots signifient à peu près baise et braise, bref un truc plus ou moins paradisiaque ou plus ou moins infernal, selon l’amplitude de vos appétences puritanistes, rétrogrades et conservatrices.

    Le pire est à venir. L’adéquation rock and roll blanc = rhythm and blues noir se révèle vite une utopie. D’abord les blancs ne sont pas des noirs, ils ne prononcent pas les mots de la même manière, ils n’ont pas le même rapport ni au langage ni aux instruments. Et puis dans la dialectique du maître et de l'esclave Hegel vous expliquerait beaucoup de choses... La conséquence de ce différentiel culturel fera que le rock and roll se différenciera très vite du rhythm and blues. Ensuite ces maudits negroes ne manqueront pas d’ajouter leurs grains de sel dans cette nouvelle musique soi-disant blanche…

    La donne se complique pour une autre raison : la multiplicité des racines originelles du rock and roll qui ne naît pas en un seul endroit en un même temps. Charlie Gillet évalue à cinq le nombre des foyers infectieux.

    Bill Haley qui vient du nord, fortement influencé par la machinerie des big bands issus de Kansas City, produit une musique de danse enfiévrée joyeuse et syncopée, tout en gardant la prédominance des instruments à cordes des orchestres de country and western.

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    Pat Boone plus jeune ,plus beau, à la voix plus expressive que Bill Haley, que l’on a tendance à présenter comme un clone édulcoré d’Elvis se voit dès 1955, obligé par le label Dot de reprendre des morceaux de Fats Domino et de Little Richard. Le petit Richard a porté le rhythm and blues noir à son maximum d’incandescence et il deviendra une source d’influence numéro un pour tous les chanteurs de rock. Mais l’intrusion de Pat Boone dans la marche en avant du rock and roll est des plus symptomatiques et des plus symboliques de la trajectoire de la plupart des pionniers du rock qui se virent obligés, de gré ou de force, d’édulcorer très vite leurs tendances les plus fracassantes.

    Le boogie blues de la région de Memphis fut transcendé par Elvis et Sam Phillips. Le transformèrent en country rock. Les premiers succès régionaux d’Elvis attirèrent chez Sun toute une pléiade de jeunes artistes qui n’avaient pas subi avec un même impact les influences noires du jeune Presley, ils formèrent la première légion du mouvement rockabilly, un rock rapide qui exigeait de ces artistes et une pulsion énergique individuelle des plus torrides et en même temps cette espèce de laisser aller sauvage et toutefois désinvolte qui n’était pas sans présager leur rapide extinction.

    Du blues de Chicago naquirent Chuck Berry et Bo Diddley. Les noirs n’avaient aucune envie de laisser le flambeau du rock and roll aux blancs. Reprirent les guitares à leur compte et firent la démonstration qu’avec ou sans cuivres ils étaient les meilleurs…

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    Difficile de faire mieux. Lorsqu’il est impossible d’avancer le mieux est de reculer. L’on ne surpasse pas le piano de Little Richard ou la guitare de Chuck Berry. Si en prime l’on ne dispose pas du tonique organe voluptueux d’Elvis, une seule solution, un minimum instrumental et un maximum de vocal, Les groupes vocaux à la Frankie Lymon and the Teenagers et les Platters se lancèrent dans des roucoulades infinies. Un recul par rapport à la sauvagerie du rock and roll, mais tous ces dégradés de voix ne seront pas sans effet sur le futur du rock dans les années soixante…

    En attendant le rock brûle les étapes. Il explose en 1956 et le soufflet retombe en 1957. Un feu de paille. Reste à savoir pourquoi. Les majors ne répondirent pas à l’appel du rock and roll. Capitol se donna les moyens de tirer le bon numéro : Gene Vincent, toutes les autre à part Decca et ses filiales qui sut immobiliser Buddy Holly dans ses filets, l’on enregistra un peu n’importe qui. A la va-vite. Ce ne fut pas une conjuration anti-rock and roll proprement dite, l’on n’y croyait point trop mais surtout les ingénieurs du son étaient quelque peu déboussolés. Très vite l’on ne donna plus suite, l’était difficile d’établir un plan de carrière et d’investissements pour ces zozos d’une espèce nouvelle. Laissèrent le champ libre aux petits labels. N’y avait pas que des zozos chez Atlantic et Specialty, l’on avait des connaisseurs qui savaient très bien ce qu’ils faisaient. Ahmet Erthegun et Dave Bartholemew n’étaient pas des bleus, mais dans les années qui suivirent Atlantic se concentra davantage sur les métamorphoses du rhythm and blues initial, Specialty se spécialisa dans l’exploitation de son catalogue… L’on porte Sun au pinacle mais lorsque Jerry Lou signa chez Mercury en 1962 Sam Phillips laissa filer son label… King qui enregistrait autant de country que de rhythm and blues initia au travers de Honky Tonk de Bill Dogett les premiers groupes instrumentaux. Vee Jay dama quelque peu son pion à Chess avec Dee Clarck, les Dells, les Jerry Butler and the Impression, Jimmy Reed et John Lee Hooker. La maison fut aussi assez chanceuse pour distribuer les Beatles aux Etats-Unis… La réussite de King donna à Berry Gordy le désir de fonder Motown…

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    Aladdin n’eut jamais les reins assez solides pour promouvoir son catalogue RnB au niveau national. Modern connut les mêmes déboires malgré la présence d’Etta James. Imperial fut plus chanceuse avec Fats Domino qui sut acclimater son so cool rhythm and blues au rock et au twist. Imperial eut aussi la bonne idée de capitaliser sur la renommée cinématographique de Ricky Nelson, qui eut le flair de choisir James Burton comme guitariste. Meteor de Lester Bihari - son frère dirigeait Modern - signa Elmore James, Charlie Feathers, Junior Thompson et Wayne McGinnis, basée à Memphis comme Sun, son audience ne dépassa jamais celle de la région. Willie Mae Thornton enregistra Hound Dog en 1953, à Houston chez Duke / Peacock. En 1956 Liberty signa Eddie Cochran…

    , Como Mamas, Charlie Gillett Rock Story,

    Les majors instaurèrent une nouvelle politique éditoriale pour leurs chanteurs. Soit ils circonscrivaient leur carrière dans le domaine de la variété ( qui incluait la spécificité rock and roll ) soit ils décidaient de s’inscrire dans le genre country and western. Une partition qui interdisait tout cross over. L’on restait enfermé dans le genre choisi. Très rares furent les artistes comme les Everly Brothers qui chez Cadence parvinrent à truster les premières places dans les hit-parade variété et country.

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    Nous entrons dans les sixties avec les ballades romantiques de Roy Orbison, Ronnie Hawkins est qualifié du titre de dernier des pionniers, Robbie Roberston son guitariste, et son batteur Levon Helms le quitteront bientôt pour Bob Dylan…

    METAMORPHOSES DU BLUES

    ( 1945 - 1956 )

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    Un autre chemin pour arriver au même endroit. Une traversée de la sphère noire. Le blues originel qui très vite dès qu’il est joué à plusieurs se confond avec le jazz, celui-ci s’infléchissant peu à peu vers la recherche d’une virtuosité musicale personnelle et collective. Dans les années trente les orchestres de jazz de Kansas City ne résistent guère à la frénésie qui s’empare du public dès qu’ils abordent les morceaux les plus rythmés. Un pas est délibérément franchi lorsque les big bands prennent soin d’amalgamer des rythmiques de danse à leurs titres. Bye-bye le jazz, bonjour le rhythm and blues. Désormais l’on recherche l’efficacité, l’on simplifie les arrangements, le but n’est plus de produire de la musique de bonne qualité mais de susciter une transe émotionnelle chez les danseurs. Les barrissements du saxophone et l’exaltation vocale du chanteur sont primordiales. Généralement l’on possède deux chanteurs, l’un pour les ballades romantiques qui appellent aux rapprochements des corps pantelants de désir et un shouter pour remuer la viande, car hélas pas question de copuler sur la piste de danse, alors l’on transpose la frénésie de l’acte orgasmique en une tarentelle gesticulatoire, les hoquets et les cris du shouter mimant les miaulements de l’extase sexuelle. Joe Turner restera le prototype des grands blues shouters mais il sera en quelque sorte dépassé par Wyonnie Harris et Roy Brown. A ces deux-là ils ne manquent rien pour être qualifiés de chanteur de rock and roll. Ce n’est pas qu’ils n’en ont pas assez, c’est qu’ils en ont de trop. Possèdent une technique vocale bien supérieure aux chanteurs de rock and roll blancs. Hors-concours sans rémission. Souffrent d’un deuxième vice rédhibitoire. On fermerait bien les yeux sur leur âge, mais il sera difficile à un public de teen-agers blancs de s’identifier à leurs paroles. Sont trop matures. Point de fausse route, ce ne sont pas des intellos, mais des hommes aguerris revenus de toutes les expériences. N’abusent point de la litote, n’usent point de l’euphémisme, sont beaucoup plus portés sur la sexe cru que sur la rêverie sentimentale.

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    De fait, il n’y a plus besoin d’une quinzaine de musiciens pour chauffer une salle. Le Johnny Otis Show sera le dernier des big bands, comme par hasard on l’a longtemps retrouvé sur les 33 tours bon-marché des compilations rock. Mais une nouvelle génération de bluesmen beaucoup plus authentiques prennent la relève, Bobby Bland qui chante le blues avec une émotion empruntée au gospel, mais comme en sourdine, Little Richard, empruntant à la frénésie de Roy Brown, fera exploser la cocotte-minute en une folle frénésie. B.B. King sort de la même marmite mais il tempèrera la tempêtes brownienne par l’apport du blues du Delta. A la dextérité de Robert Johnson il alliera les sonorités de l’électrification de T-Bone Walker. C’est le temps des combo-blues, peu de musiciens mais une authenticité remarquable, Rice Miller Williamson et son harmonica apportera le blues en Angleterre au début des années 60, Howlin’Wolf débarque chez Sun qui le refile à Chess, un certain Ike Turner participe à la session Chess. En 1951, Ike Turner charge le saxophoniste ténor de son orchestre d’assurer le vocal sur Rockett 88, ce morceau de rhythm and blues que beaucoup présentent comme le premier morceau de rock and roll… Signalons qu’en 1952, le jeune bluesman Rosco Gordon de Memphis, cornaqué par Ike Turner enregistre No More Doggin’ en marquant le rythme à contretemps. Le disque imprté en Jamaïque le rendit populaire sur l’île et se révèlera être un des éléments déclencheurs du reggae…

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    Charlie Gillett ouvre la catégorie de blues de bar pour y ranger Little Walter, Son House, Charley Patton, Willie Brown, Robert Johnson et Muddy Waters… Un dernier chapitre est consacré aux groupes vocaux des teen-agers noirs. Tous montés sur la matrice première des Orioles, douceur et harmonies adolescentes. Nous sommes aux antipodes de la rudesse du delta. Toute une jeunesse citadine qui cherche à se rassurer. Charlie Gillett en retrace les origines qui remontent aux chants d’église. La religion conçue en tant que ferveur consolatrice… L’on y sent davantage un désir d’intégration qu’un sentiment de révolte. Certains de ses groupes n’hésitent pas à imiter la maladresse des formations blanches similaires qui reprennent leur répertoire. Etrange phénomène d’identification libératoire qui n’est pas sans rappeler le phénomène des black faces au doux temps de l’esclavage…

    EXPLOSION RHYTHM AND BLUES

    ( 1958 - 1971 )

    La suite de l’histoire mais l’on reprend pratiquement au début. Le scénario est plus complexe qu’il n’y paraît. Le rhythm and blues et le rock and roll sont deux fleuves séparés qui coulent dans le même lit. Un peu comme la lumière d’Einstein qui est en même temps corpuscules et onde. Mais en plus compliqué. Charlie Gillett est obligé de vous dresser un tableau de l’état des lieux pour vous faire comprendre. Très simple, plus on avance dans les années, entre 1955 et 1963, il y a de plus en plus d’artistes blancs qui squattent les charts des noirs et un phénomène comparable d’émigration noire en haut des hit-parades de variétés blanches.

    Alors que ça stagne quelque peu dans le country and western, une fois que vous avez gagnez la timbale votre carrière est lancée pour trente ans, chez les noirs la bataille fait rage, à tout instant il est important de proposer un truc nouveau qui vous démarque des copains. Suffit d’analyser les carrières de B. B. King et de Muddy Waters pour s’en apercevoir. Le King propose une large palette de styles qui lui permettent d‘accrocher différents publics, les eaux boueuses ne sortent pas des rives encaissées du torrent du blues colérique. Nous font à l’avance la terrible partition qui divise depuis plus d’un demi-siècle les partisans des Beatles et des Rolling Stones. Ces derniers réhabiliteront Muddy mais pour le moment B. B. Boy influence la nouvelle génération des Buddy Guy, Junior Wells, Magic Sam, Earl Hooker, James Cotton…

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    Mais il faut descendre bien plus bas que Chicago, Jimmy Reed relance le blues texan, grosse guitare et rythme rentre-dedans, toutefois une nouvelle donne est en train de naître, un chanteur c’est très bien, encore mieux s’il est très bon, mais cela ne suffit pas. D’autres genres de personnages sont en train de se révéler des techniciens hors-pairs qui n’hésitent pas à mette les mains dans le cambouis et les mannettes. Pour le public ce sont des hommes de l’ombre mais ils sont la partie immergée de l’iceberg. Les producteurs vous boosteraient un cheval cagneux en étalon sauvage. Un sorcier comme Huey Meaux ( voir les lignes hommagiales que le Cat Zengler lui a consacrées ) vous transforme en pépite la moindre paillette. N’est pas le seul, un Major Bill Smith vous a le truc pour vous pondre le grizzli qui vous scotche l’oreille à un morceau qui normalement n’aurait jamais dû retenir votre attention, écoutez Hey ! Baby par Bruce Channel pour vous en convaincre. Un peu trop sucré à votre goût, mais comme les fraises tagada, vous finissez par vider le paquet. Allen Toussaint s’occupe d’Aaron Neville et d’Irma Thomas et fait des miracles… L’article que le Cat Zengler ( encore lui ! ) sur la livraison 273 du 17 / 03 / 2016 est incontournable.

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    Y a un lézard, en touchant le public blanc le rhythm and blues perd de sa virulence, mais n’oubliez jamais que cet animal est aussi de la famille des dinosaures. Ben E King pleure sur des violons mais derrière lui se cachent les producteurs Leiber et Stoller, deux des paroliers les plus mirifiques du rock and roll. Ils connaissent la musique. Pétard aux yeux mouillés ou bombe atomique rythmique, z’ont tout ce que vous voulez dans leur arsenal. Z’ont aussi un un ingénieur du son qui n’en perd pas une miette. Partira avec un gros sac de savoir-faire et deux ou trois idées personnelles. L’a un nom destiné à devenir célèbre : Phil Spector. Se focalisera sur les groupes d’adolescentes noires qui reviennent à la mode. Arrêtez de jacasser les filles, vous ouvrirez la bouche quand on aura besoin de vous, pour le moment on règle les micros. Pendant cinq ans, Spector sera l’épicentre du rock and roll sound. Son chef d’œuvre - qui fera un flop inexpliqué aux States – River Deep and Mountains High révèlera Tina Turner. Vous devinez que son mari Ike Turner ne pouvait être absent de cet enregistrement historial du rock and roll. Les plus futés se précipiteront sur la monographie du Cat Zengler sobrement intitulée Ike, sur Kr'tnt ! 187 du 01 / 05 / 2014.

    , Como Mamas, Charlie Gillett Rock Story,

    Petit chapitre fourre-tout, les films, les émissions de télévision qui fit beaucoup pour la diffusion du rock and roll, notamment Bandstand qui passait le samedi à douze heures, l’éclosion du twist avec Chubby Checker zt la Peppermint Twist de Joye Dee and the Starlighters et pour finir le Locomotion de Little Eva qui n’est pas sans évoquer le travail de Berry Gordy sur Motown…

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    La première maison de disques entièrement noire. Miracles, Four Tops, Martha and the Vandellas, The Supremes, la liste serait trop longue à citer, Durant dix ans Gordy et ses poulains raflèrent le Top Ten, le maître des lieux imposa ses méthodes de travail, des équipes entières au chevet des vedettes, recherche de la perfection sonique, un rhythm and blues nourri au lait chaud du gospel, formater le Motown-sound c’était enrober l’auditeur d’une ambiance irrésistible, les chœurs comme à l’église, le lead singer admonestant son public tel un prédicateur en chaire, le tout à toute vitesse sous des rafales de tambourins. La fièvre du dimanche matin. Gordy déménagea de Detroit pour Los Angeles. Dans les autres grandes villes, l’on produisait du sous-Motown…

    UN SUPPLEMENT D’ÂME

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    Elvis domine ( et de loin ) le top dix du rhythm and blues. En bonne compagnie avec Little Richard, Chuck Berry, LaVern Baker mais nos rockers ne sont pas les seuls Ray Charles, Jackie Wilson, B. B. King, Clyde McPhatter, Sam Cooke, Little Willie John, Bobby Bland, James Brown se mêlent ou s’accrochent à ce peloton de tête. Il n’y a pas de hasard Ike et Tina Turner se retrouvent aussi aux avant-postes… Quant à cette voix rauque dégoulinante de fièvre aphteuse qui gémit sur I Found A Love, chez les Falcons, c’est déjà celle de Wilson Pickett, ce rhythm and blues s’inspire aussi du gospel, mais autant chez Gordy c’est le marchand de Bibles très propre sur lui qui s’en vient vous vendre sa pacotille, là vous avez l’impression que le Christ s’est désencloué de sa croix et qu’il marche en personne sur l’eau de votre baignoire. L’aventure Stax commence, elle se terminera mal, l’amitiè ( intéressée ) entretenue avec Jerry Vexler d’Atlantic se débouchant sur une grosse fâcherie qui ne fut pas sans mauvaises conséquences financières pour la firme de Memphis qui dut se résoudre à mettre la clef sous la porte en 1973. Otis Redding, Sam and Dave, Eddie Floyd, Joe Tex, Wilson Pickett furent les rois de la soul. L’évolution musicale de James Brown dépouille la soul de tous ses tours inutiles pour n’en garder qu’un inquiétant squelette cliquetant, réduction alchimique de la soul en funk.

    , Como Mamas, Charlie Gillett Rock Story,

    Notre lecteur qui se sera utilement reportés à nos nombreuses livraisons qui analysent en détail cette période ne manquera pas de lever un sourcil étonné. Certes notre résumé est des plus succincts, nous avons délibérément passé à la trappe bien des artistes, mais oui, ce premier volume de cette Histoire du Rock and Roll - près de trois cents pages en petits caractères - est exclusivement centré sur les USA, à peine si à trois endroits apparaît le nom des Rolling Stones ! Aspect encore plus étrange, il aurait mieux valu l’intituler Histoire du Rhythm and Blues, le rock and roll y est certes présent, mais un peu comme ce commensal que l’on invite au repas de communion pour ne pas se retrouver treize à table. On lui servira bien une louche de soupe mais en guise de hors d’œuvre, de plat de consistance, de viande et de dessert, qu’il se contente de boire de l’eau froide.

    Tome II / L’apogée

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    LE QUART D’HEURE ANGLAIS

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    Enfin l’Angleterre. Pas plus de quarante pages, il ne faut rien exagérer. Une introduction de généralités sociologiques un peu confuses pour un native du continent comme moi. Généralement les écrits consacrés à la naissance du rock anglais débutent avec Chris Barber, Gillett rase plus près et nous repousse en arrière d’une case, cite Ken Coyler dont l’orchestre lui semble rassembler tous les défauts du jazz ossifié, si ce n’est que Chris Barber s’en échappa pour voler de ses propres ailes. Les pionniers du rock anglais sont traité un peu par-dessus la jambe, seuls Cliff Richard et Johnny Kidd ont leur paragraphe attitré. Traite mieux Lonnie Donnegan qui faisait partie du combo de Chris Barber. Donnegan écume un le répertoire folk des USA. Leadbelly et Woody Guthrie, Barber fit œuvre de passeur en invitant à tourner avec lui Big Bill Broonzie, Rosetta Tharpe, Brownie McGhee, Louis Jordan et Muddy Waters trop électrique pour le public jazzeux, mais apprécié par un public moins classieux…

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    Des groupes de beat - traduisons ce vocable par le mot passe-partout de rythme - se forment dans toutes les villes de la perfide Albion, faudra attendre que Brian Epstein dégotte un contrat chez EMI pour les Beatles pour que le showbiz signe les groupes à tour de bras. Les Beatles sont présentés comme un groupe disparate, oscillant entre Esquerrita et Bruce Channel, mais sont intelligents, sont les parfaits représentants des sentiments diffus de liberté des adolescents anglais. Se perdront trop vite dans une musique alambiquée qui recheche davantage l’effet que l’impact… Les Rolling Stones seront les représentants de cette jeunesse avide de sensations plus fortes qui se retrouve tous les weekends dans les nombreux clubs de rhythm and blues. Parviendront à comprendre qu’il n’y aura point de salvation pour eux s’ils ne créent pas leurs propres compositions. Ce qu’Eric Burdon et les Animals ne parviendront à réaliser entièrement. L’importance novatrice des Yardbirds est remarquée mais le groupe se révèlera incapable de la capitaliser. Kinks, Spencer Davis Group, Who sont traités rapidement… Mais déjà tous ces groupes regardent du côté de l’Amérique.

    BACK IN THE USA

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    L’on s’accoutume à la méthode. Rebattages des cartes. Ce n’est pas vingt ans après mais vingt ans avant. Adieu le rock, bonjour le folk. Sur les routes de la contestation syndicale avec les hobos et Woody Guthrie. Fonde les Almanac Singers. Qui se sépareront en 1942. Se reformeront sous le nom de Weavers sous l’égide de Pete Seeger. Dix ans plus tard le groupe sera obligé de se dissoudre devant la chasse aux sorcières communistes menées par le sénateur fascisant Joe McCarthy… Ce qui n’empêcha pas les majors de se constituer des catalogues assez fournis de ces chanteurs, certes suspects, mais suivis par un public fidèle… En 1962, les folkleux possèdent des relais dans toutes les grandes villes et une fabuleuse caisse de résonnance avec le festival folk de Newport fondé en 1959. C’est en ces mêmes années que l’on redécouvre le folk blues et les premiers chanteurs de blues, pour être plus juste disons que toute une partie du public blanc des States découvre avec stupéfaction un trésor musical que l’Amérique blanche avait délibérément méprisé jusque-là. De Lightning Hopskins à Lonnie Johnson nombreux furent les vieux bluesmen qui se trouvèrent sous les feux d’une gloire naissante dont-ils furent les premiers surpris. C’était-là introduire le cheval de la modernité dans les murailles du puritanisme folk. Les bluesmen ne se contentaient pas de gratouiller leur guitare, ils en jouaient sinon d’une manière diabolique du moins avec une sagacité étonnante, et contrairement à leurs nouveaux admirateurs ils n’avaient rien contre le vrombissement des engins futuroformes de Bo Diddley. Bref posaient sans même la formuler la question du nœud gordien de l’électricité que Dylan osera trancher.

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    Mais le folk s’il dédaignait encore l’électrique avait déjà une dimension politique, prenait parti pour la lutte des droits civiques menée par les noirs et renâclait fortement devant les menées guerrières des USA en extrême-Orient… Peter, Paul and Mary, Ramblin’ Jack Elliott, Dave Van Rock, Joan Baez, chacun à sa manière aida au décollage de cet inconnu qu’était Bob Dylan. Doué pour l’écriture, encouragé par ses amis, Dylan explosa littéralement. L’on a souvent oublié que l’adolescence de Dylan fut rock and roll, son amour du folklore n’était qu’une deuxième floraison, d’emblée il acquit cette aura symbolique que seules des personnalités comme Elvis Presley et Jerry Lee Lewis avaient endossé sans complexe, naturellement. En tournée en Angleterre en 1964 Dylan fut subjuguée par la force de la version de The House of the Rising Sun des Animals. Dès 1965 Dylan passa le Rubicon de l’électricité. Plus que la naissance du folk-rock ce meurtre du père dylanien ouvrait la route à une nouvelle génération rock.

    L’on connaît la suite, Paul Simon & Gafunkel et John Sebastian offrirent un folk-rock davantage maniéré et donc plus accessible à un public de classe-moyenne tandis que le Butterfield Blues Band et Canned Heat s’adonnaient à un blues plus insidieux, et qu’à New York le Velvet Underground vous refilait des doses de produits particulièrement vénéneux…

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    S’intéresse ensuite au garage. Renvoie la mythologie à la casse. Le garage que plus tard l’on assimilera par une extension du domaine de la lutte au punk est sèchement remis à sa place. S’agit de groupes qui n’ont jamais atteint le statut national. Des groupes régionaux. De la troisième division. Enregistrent dans un de ses studios locaux que l’on trouve désormais un peu partout jusque dans les villes d moyenne importance. Des provinciaux dirait-on par chez nous, des Rastignac de seconde zone qui ne se mesureront jamais à Paris. Cite toute une flopée de groupes mais ne révère vraiment que Paul Revere and the Raiders à qui il tresse une véritable couronne de lauriers laudatives à l’instar de notre Cat Zengler dans Kr’tnt ! 229 du 02 / 04 / 2015.

    Ensuite l’on zigzague entre les deux bords de l’Amérique, l’on ne sait plu où donner de la tête, des Beach Boys au Byrds, de Janis Joplin au Gratefull Dead, de New York à Los Angeles, de Sonny and Cher à Creedence Clearwater Revival, de quoi attraper le tournis. Nous voici à San Francisco, times are changin’, les maisons de disques sortent leur chéquier et signent tout ce qui passe à portée de leurs stylos. Gillet n’est pas extrêmement laudatif dans son bilan, tous ces nouveaux groupes ne font que délayer les vieux plans de guitare du blues et du rhythm and blues. Rien de nouveau sous le soleil. Les quitte bientôt pour s’octroyer une halte à Nashville, le country refuse de mourir, se perpétue, présente quelques têtes nouvelles, Dolly Parton, Tammy Winette, George Jones, Merle Haggard, Chris Christopherson, et les vieux pots dans lesquels on cuisine la meilleure tambouille, Jerry Lou, et l’alliance Johnny Cash-Bob Dylan. Quelques lignes sont consacrées à Jerry Reed qui fournit àElvis Guitar Man et U. S. Male qui préfigurent le grand retour du King.

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    De Nashville à Memphis la distance équivaut à un saut de puce. Chips Moman s’occupe des nouvelles sessions d’Elvis et déjà les outlaws Waylong Jennings et Willie Nelson dégainent les colts aux détours des sentiers les plus lucrativement conservateurs du country. Une page bien venue sur Joe South dont personne ne parle qui fournit deux titres à Gene Vincent et qui participa à de nombreuses séances à Muscle Shoals avec Rick Hall, tint la guitare sur les séances new-yorkaises d’Aretha Franklin produites par Jerry Wexler, et que l’on retrouve derrière Bob Dylan et Simon and Garfunkel… son album Introspect est à rechercher.

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    L’on avait oublié que l’Angleterre existait. Nous y revoici ! La vieille England n’entend pas rester à la traîne. Opère une subtile différence entre pop et rock. En fait, ça part dans tous les sens. L’on passe de l’apparition du ska avec les Specials et Madness à Nice et aux Bee Gees pour revenir sur les Small Faces et Cream. L’on revient aux Who qui nous emmènent a Jimi Hendrix. Led Zeppelin, Fleetwood Mac, Traffic, Procol Harum, Jimmy Cliff, Bob Marley, Moody Blues, Move, David Bowie, Tyrannosaurus Rex, Free, Bad Company, Pink Floyd, les tournées américaines, l’on sent que Charlie Gillet est pressé de terminer son opus.

    GOODNIGHT, AMERICA

    Toujours au pas de course, le public rock, Woodstock, le travelling ralentit pour le Band mais la course, véritable générique de fin, reprend : Linda Ronstad, Bobbie Gentry, Ry Cooder, Little Feat, Neil Young - dans la série n’oublions personne - Alan Price, Joni Mitchell, James Taylor, Carole King, Don McLean et sonAmerican Pie en dernier cadeau… une conclusion en dix lignes, l’Amérique s’endort sur son gâteau. Ne la réveillez pas. Le volume s’achève par cent vingt pages de notes et index divers…

    VUE D’ENSEMBLE

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    Deux constats d’emblée, l’aurait dû appeler la bête, histoire du rock’roll américain, le premier volume qui s’arrête au début des années soixante est nettement plus abouti que le second trop rapide et qui part un peu dans tous les sens. L’on apprend beaucoup mais il manque la chair. Au départ l’ouvrage était une thèse universitaire, cela se ressent. Est absente la spécificité existentielle du rock and roll. Ce rapport mythologique que le fan entretient avec cette musique. Le bouquin est parfois exhaustif mais il manque la dimension particulière du vécu. L’on en ressort un peu fatigué, je doute que le néophyte poussé par une malsaine curiosité n’aille jusqu‘au bout, l’aurait vite l’impression de lire un livre d’érudition sur les dynasties assyriennes, d’interminables listes de noms et de dates qui n’éveilleraient rien en lui… Charlie Gillet a dû s’en rendre compte, dans la préface de sa seconde édition il avoue que son livre suivant Making Tracks qui relate l’odyssée de d’Atlantic Records accorde une plus grande place à ses impressions personnelles… N’est pas non plus resté inactif dans le monde du rock, l’a créé son label Oval Records qui managea la carrière et édita les disques de Kilburn and the High Roads de Ian Dury, rien que pour cela nous lui pardonnerons beaucoup.

    Par contre l'a eu la mauvaise idée de quitter notre monde en l'an de grâce 2010...

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    Damie Chad.