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  • CHRONIQUES DE POURPRE 535 : KR'TNT ! 535 : HOLLAND & HOLLAND / WHY OH WHYS / WHITE FENCE / ROCKABILLY GENERATION NEWS / GENE VINCENT / LANGSTON HUGHES / DANIEL GIRAUD/ ROCKAMBOLESQUES

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    23 / 12 / 2021

     

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    ATTENTION CETTE LIVRAISON 535 PARAÎT

    AVEC QUELQUES JOURS D'AVANCE

    N'OUBLIEZ PAS DE LIRE LA 534 !

     

    HOLLAND & HOLLAND / WHY OH WHYS

    WHITE FENCE / ROCKABILLY GENERATION NEWS

    GENE VINCENT / LANGSTON HUGHES

    DANIEL GIRAUD / ROCKAMBOLESQUES

     

    Holland & Holland of thousand dances

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    Comme chacun sait, le trio Holland/Dozier/Holland fut la poule aux œufs d’or de Motown : tous les hits des Supremes, des Marvelettes, des Four Tops et de Martha Reeves & the Vandellas, c’est eux. Eddie et Brian Holland reviennent dans l’actualité avec un recueil de mémoires, Come And Get These Memories et le fameux Mojo Interview, réservé aux grands de ce monde.

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    Les pépères ont pris un coup de vieux, mais c’est un peu logique, car ils composaient déjà des chart-toppers quand tu étais encore en culottes courtes. Ils portent des barbes, des lunettes et des casquettes, mais diable, il s’agit de deux des plus grands héros de l’histoire de la Soul ! Eddie atteint les 80 piges. S’il a attendu aussi longtemps pour publier ses mémoires, c’est dit-il parce qu’il jugeait tout cela trop personnel, une façon de dire : ça ne regarde personne, après tout. Puis des affairistes se sont rapprochés d’eux pour leur soumettre un projet de biopic et quand Eddie et Brian on vu que ça tournait autour des clichés habituels (la relation de Brian avec Diana Ross, les procès avec Berry Gordy et le gambling d’Eddie), ils les ont envoyés sur les roses. Eddie rappelle aussi dans l’interview qu’il eut la chance d’être initié à la musique et à la philosophie par Uncle James, ce qui lui a permis toute sa vie de garder une distance avec la réalité.

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    Eddie est l’aîné, le plus joli des deux, il réfléchit et écrit les paroles (il est assis sur l’illusse). D’un naturel rêveur, Brian est le mélodiste (debout sur l’illusse). C’est lui amène les idées et qui lance les hits planétaires. Brian commence à gagner du blé en tant qu’auteur/producteur pour Motown, alors qu’Eddie qui est chanteur et poulain de Berry Gordy, n’en gagne pas. C’est là qu’il comprend qu’il est dans le wrong business et qu’il doit devenir auteur, comme son frère. Alors il apprend à écrire des textes de chansons. Pour lui, le crack, c’est Smokey Robinson, toutes ses chansons sont parfaites. Tellement parfaites qu’Eddie se dit qu’il ne parviendra jamais à écrire des textes aussi bons. Il s’aperçoit toutefois que les textes de Smokey sont assez sophistiqués, alors Eddie se dit qu’il va trouver son propre style. Il réfléchit à l’utilisation d’expressions familières et aux associations d’idées, il veut raconter des histoires et rester fluide, il apprend à utiliser les virgules - The correct use of commas. Elles sont devenues très importantes pour moi car nos chansons étaient très rythmiques et le commas jouaient un rôle majeur dans la syncope - Eddie ne cherche pas systématiquement les rimes. Il recherche plutôt à exprimer des pensées et des sentiments. Il trouve la rime trop contraignante. Il s’enferme et passe des semaines sur ses textes. Il est obsédé. On connaît le résultat. Brian résume tout à sa façon : «That quest for perfection... that is what this book is about.»

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    Côté influences, Eddie dit ne pas aimer le blues. Il préfère le gospel et la pop. Ado, Eddie voit des tas de concerts à Detroit, Little Willie John, Ike & Tina Turner, les Diablos qui étaient les plus populaires à l’époque. Et les Royal Jokers avec Willie Jones qui dit-il était bien meilleur que Clyde McPhatter. Quant à Brian, il écoutait les Flamingos, les Soul Stirrers et the greatest singer of them all, Ira Tucker of the Dixie Hummingbirds, un gospel group actif depuis les années 20 et qui a inspiré tout le monde, y compris Jackie Wilson et James Brown - Black music would have been different without the Hummingbirds et ils avaient encore un impact dans les années 70 - Brian ajoute que Lynda Laurence qui était dans l’un des derniers Supremes line-ups était la fille d’Ira - Nobody could song like Ira - Brian repart de plus belle avec Nat King Cole, the greatest thing ever and I don’t care what anybody says.

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    Le Holland book apporte un éclairage extraordinaire sur l’early Motown. Tous les férus de Soul vont devoir lire ce book car on entre au 2648 West Grand Boulevard, dans ce gros pavillon qui fut un studio de photographe avant de devenir Hitsville USA, the nerve center of American pop music for the next ten years or more. Brian est le premier employé de Motown. Il ramasse un chèque de 12 $ chaque semaine. Les autres, comme Mickey Stevenson et Norman Whitfield sont arrivés après. Le concept de Berry Gordy consiste à créer un son unique, comme l’a fait Phil Spector. Pour ça, il lui faut un house-band qui va jouer sur tous les disques, une équipe de producteurs maison et un studio intégré. Il veut aussi une équipe d’auteurs pour tous ses groupes, ça fait partie du concept. Il va encore pousser le bouchon du concept en créant le fameux Quality Control Department. Brian en fait partie, avec Billie Jean Brown, VP of Creative Evaluation. Il y a aussi Smokey Robinson et Mickey Stevenson. Eddie est impressionné par Berry Gordy : tout ce qu’il dit et tout ce qu’il fait pointe dans une seule et même direction, Motown - management, composition, publishing, recording, everything - Berry nous dit Eddie aimait le talent, especially raw talent et il aimait par dessus tout le développer - If you were good when you walked through the Hitsville door, you became great. All we had to do was learn - Eddie poursuit : «Everything we knew, we learned from Berry. He was our mentor.» C’est un hommage extraordinaire qui nous repose de l’habituel Berry-bashing.

    Lorsque la société américaine des mid-sixties entre en ébullition avec la lutte pour les civil rights, Berry Gordy décide rester à l’écart du mouvement. Il pense que c’est une erreur de se radicaliser. Il a nous dit Eddie une autre approche du problème : il veut combattre le système de l’intérieur. Il rêve d’un temps où les artistes noirs envahiront les hit-parades - Which is what we did, assène Eddie en guise de chute radicale - Motown a plus fait pour la cause des noirs aux États-Unis que le mouvement initié par Dylan, Joan Baez, Phil Ochs, Peter Paul & Mary et tous les tenants de l’aboutissement.

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    Eddie revient souvent sur la personne de Berry Gordy qu’il connaît depuis toujours. Il l’a vu devenir adulte, connaître des hauts et des bas mais quoi qu’il pût arriver, Berry continuait d’avancer. Il a toujours été déterminé - Le succès de Motown n’est pas un accident. It grew from Berry’s understanding of what both the times and the music required - Eddie enfonce son clou : «The Motown Sound was Berry’s creation. Pas complètement, il est vrai que tous ceux qui ont travaillé à Motown ont contribué sur le plan créatif, but the basics were Berry.» Eddie insiste aussi beaucoup pour dire que Berry payait bien les gens, contrairement à ce que prétendent ses détracteurs. Il payait même mieux qu’ailleurs. Berry raconte qu’à l’époque où il écrivait des chansons pour Jackie Wilson, il n’était pas payé. Il s’était alors juré qu’il ne traiterait jamais personne comme on l’avait traité, and he didn’t.

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    Et puis un jour, on présente Lamont Dozier aux frères Holland. Ils sympathisent tous les trois et décident de bosser en trio - The greatest songwriters and production team ever - Eddie nous dit que Lamont était un batteur qui s’y connaissait en syncope. Il ajoute que Lamont était aussi un gros dépressif et pas mal de ses chansons came out of that. La première chanson qu’ils composent tous les trois en 1963 est «Come And Get These Memories» pour Martha & the Vandellas. Au début, les Vandellas s’appelaient les Del-phis, mais Berry détestait ce nom. Il proposa the Dominettes, mais Martha détestait ce nom. Elle suggéra à la place The Vandellas, «a cross between Van Dyke Street in Detroit and her favourite singer, Della Reese. Berry agreed.» Lamont est the driving force dans le trio. «Heat Wave» vient d’un thème mélodique qu’il avait l’habitude de jouer sur le piano du studio quand on arrivait. Comme il manquait une chanson aux Vandellas, son thème est devenu «Heat Wave». Eddie insiste beaucoup pour rappeler à quel point Martha & the Vandellas étaient énormes en 1963. Eddie supervisait l’enregistrement des lead vocals et Brian enregistrait. Lamont supervisait les backing vocals. Et dans tous les cas, c’est Brian qui mixe - the final mixes were my decision - Lorsque les Vandellas perdent de la vitesse, le trio passe aux Supremes et aux Four Tops. Ils ne travaillent pas forcément avec les autres stars Motown. C’est Norman Whitfield qui bosse avec Marvin - Marvin himself was a dream. He was the greatest - Brian ajoute : «Marvin chantait tout ce qu’on lui demandait de chanter. He’d do jazz, he’d do gospel, pop music, he was that good. Vous lui donniez une chanson à interpréter, pas besoin de lui expliquer ce qu’il fallait faire, il savait. That guy was the most brillant singer of them all.» Le système Motown est particulier : le compositeur propose une chanson au producteur. Puis l’artiste l’enregistre - That was one of Motown’s strongest points, the producer chose the songs, not the artist - Mais dans le cas de Smokey, c’est différent, parce qu’il est à la fois producteur et artiste. Holland/Dozier/Holland composent «Mickey’s Monkey» pour Smokey et bizarrement, Smokey l’accepte et l’enregistre. Brian rend aussi hommage à James Jamerson qui savait tout jouer - He played with one finger, ce qui est très difficile (...) Il pouvait jouer très vite avec un temps de réaction exceptionnellement rapide - Il rend ensuite hommage aux fameux Funk Brothers, Benny Benjamin, Robert White, Joe Messina, Earl Van Dyke, Richard Pistol Allen et Eddie Bongo Brown.

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    C’est bien sûr avec les Supremes que le trio HDH décolle. Les Supremes explosent avec «Were Did Our Love Go». C’est là que Motown devient énorme - Motown became a sound and a lifestyle - Le job du trio consiste à maintenir les Supremes au sommet. Alors ils se mettent à bosser d’arrache-pied : «Baby Love», «Come See About Me» et «Stop In The Name Of Love». Brian avoue qu’il a composé «Baby Love» pour Diana qui était alors sa poule. C’est une période miraculeuse - Everything the Supremes touched turned gold - Eddie compose «You Keep Me Hanging On» grâce à sa copine Venelle qui est enceinte et qui se plaint qu’Eddie la fasse poireauter en ne voulant pas s’engager. Alors elle pleure et elle gueule, you just keep me hangin’ on. Eddie tire tous ses textes de son vécu.

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    Et puis il y a les Temptations. Tout le monde chez Motown veut travailler avec eux, HDH les veut, Norman Whitfield les veut, mais ils sont la chasse gardée de Smokey. Les frères Holland devront attendre 1978 pour produire Bare Back, qui, d’ailleurs n’est pas sur Motown mais sur Atlantic. Chez Motown, c’est Norman Whitfield qui va finir par les avoir. Il les voulait de toutes ses forces. C’est au moment du virage psyché. Berry monte même le label Rare Earth pour enregistrer des groupes de rock. Brian entend la reprise de «You Keep Me Hanging On» par Vanilla Fudge et trouve ça dément - It was phenomal, it was eight minutes long, they slowed it right down, they completely rebuilt it. The first time I heard it, I said, ‘Oh man, that’s great...’ - Puis Eddie est promu chef A&R chez Motown. Il signe Ashford & Simpson qui sont eux aussi des poules aux œufs d’or et Rita Wright qui justement enregistre l’«Ain’t Nothing Like The Real Thing» d’Ashford & Simpson. Une Rita qui retrouvera son vrai nom un peu plus tard, Syreeta.

    Comme Eddie trouve que son frangin n’est pas assez bien rétribué, il en parle à Berry. Berry accepte de verser une prime à Brian en stock options, mais il tarde à agir. Alors Eddie met la pression. Pas de stock options, il veut monter un label HDH à l’intérieur de Motown. Berry dit non. Et les choses s’enveniment. Berry lui tend un papelard et lui dit de signer : c’est sa lettre de démission. Il n’est plus chef A&R. Eddie signe, furieux. Il quitte ensuite Hitsville. Puis Brian est viré à son tour - I left the building and went home, and I never went back - Mais ce n’est pas fini : Berry poursuit Eddie pour rupture de contrat. La guéguerre va durer quelques années, puis comme ils s’aiment bien, ils se réconcilieront.

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    Les frères Holland parlent de Motown comme d’un phénomène sacré. C’est un peu l’empire romain, the rise and fall. Eddie voit le Motown délocalisé se transformer : «Il y avait encore les grands noms, Marvin, Diana, Stevie, Smokey, Ashford & Simpson et une nouvelle génération était arrivée avec les Jackson 5 et les Commodores. Mais les chansons, c’était n’importe quoi, there wasn’t that old sense of Motown about it.» Brian ajoute que Motown n’aurait jamais dû quitter Detroit - Detroit was still the heartbeat of American music, and it still had a lot of untapped talent, as we had proven with Invictus - C’est Gamble & Huff qui prennent le relais, avec leur label Philadelphia International et les O’Jays, Billy Paul, The Three Degrees et Harold Melvin. Pour Brian, Gamble & Huff font le même job que Berry Gordy, il raflent tout - Ils avaient les artistes, ils avaient les musiciens, ils avaient leur studio et ils décrochaient hit after hit.

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    Après avoir quitté Motown, Holland/Dozier/Holland montent Invictus, c’est-à-dire invincible, et le sister label Hot Wax. Ils tentent de faire avec Invictus et Hot Wax ce que font Gamble & Huff à Philadelphie. Eddie démarre avec des groupes qui ne sont pas vraiment des groupes, 100 Proof Aged In Soul et Honey Cone, qui dit-il est son parfum de glace préféré. Il avait repéré ces trois blackettes à la télé, elle faisait des backing vocals pour Burt Bacharach : Edna Wright, frangine de Darlene Love, Shelly Clark, ex-Ikette et Carolyn Willis, a session singer. Eddie leur propose de devenir Honey Cone et d’enregistrer sur Hot Wax. Il rassemble aussi une équipe d’auteurs : William Weatherspoon qui n’est pas resté longtemps chez Motown, sa future femme Venelle qui écrit sous le nom d’Edythe Wayne et Ronald Dunbar. Eddie fait travailler des vétérans du snake pit d’Hitsville et le house band from the 20 Grand, McKinkley Jackson & The Politicians - They played on a lot of our sides.

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    Les artistes phares d’Invictus sont les Chairmen Of The Board, Parliament et Ruth Copeland, déjà évoqués ailleurs. Sur Hot Wax, on trouve principalement Honey Cone et Laura Lee, dont on parle aussi ailleurs, et d’autres groupes passionnants comme The Flaming Ember et 100 Proof Aged In Soul dont on va parler ici.

    Eddie rappelle que les quatre Chairmen Of The Board sont des lead singers. Ils peuvent chanter tout ce qu’on leur propose et sonner comme les Four Tops ou les Temptations. Ils sont le fer de lance d’Invictus. Quand General Johnson et Ron Dunbar composent «Patches» pour le premier album des Chairmen, tout le monde tombe en pâmoison devant ce hit. Clarence Carter qui l’entend l’enregistre aussitôt chez Fame et il décroche un number one avec, les Chairmen sont pris de vitesse. Berry Gordy est tellement outré par l’épisode qu’il appelle Eddie pour lui dire «How did you allow that to happen?».

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    Harrison Kennedy et Danny Woods qui sont deux des Chairmen enregistrent des albums solo. L’Hypnotic Music d’Harrison Kennedy sort en 1971. On y retrouve la version de «Come Together» des Chairmen enregistrée l’année précédente sur l’album sans titre des Chairmen. Il confirme cette tendance poppy qui court sur tout son album : Harrison chante le hit des Beatles à la maniérée de la magnitude. Il attaque son morceau titre d’ouverture de bal d’A à la grosse voix de Detroit Soul Brother. C’est même étonnant d’entendre une voix d’une telle maturité chez un mec aussi jeune. Il passe au balladif poppy avec «Night Comes Day Goes». On croirait entendre un blanc, il fait presque du Traffic avec de longs entrelacs ambianciers qui partent à la dérive sans jamais mener nulle part. Vers la fin, il vise même l’«Hey Jude». Il nous refait le coup du balladif à l’anglaise en B avec «You Hurt Your Mother Again», mais ça ne tient que grâce à sa grosse présence vocale. Il tape aussi dans la Detroit Soul avec un «Gimme A Glass Of Water» bien stompé. C’est avec «Children Of The Day» qu’il finit par emporter la partie, il chante cette belle Soul d’Invictus au mieux du raw, ce très beau Soul Bother peut devenir inexorable c’est un screamer faramineux.

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    Le Chairman Danny Woods enregistre Aries en 1972. Big album, il ne faut pas prendre Danny pour la cinquième roue du carrosse. Il y a du Levi Stubbs en lui. Danny est un puissant seigneur. Il attaque son «Let Me Ride» au power maximaliste pour en faire du heavy raw de Detroit. Tout sur cet album est traité au même niveau de power qualitatif, on note l’excellence de «Try On My Love For Size», un r’n’b quasi-Sly dans l’exercice du pouvoir. Il reste dans le r’n’b dense et tendu avec «It Didn’t Take Long», just like it baby. Danny chante à la force du poignet. Il passe à la Soul des jours heureux avec «Working On A Building Of Love», you & me, me & you, il veut faire entrer everybody dans le building of love. Il attaque sa B avec un balladif de Willie Nelson, «Funny How Time Slips Away». Danny va le chercher là-haut sur la montagne, comme le ferait Jackie Wilson. Il monte encore d’un cran avec «Two Can Be As Lonely As One», il s’en va travailler sa Soul dans des clameurs spectaculaires. Il a tout le répondant du chant en stock et le trio Holland/Dozier/Holland fourbit l’enchantement orchestral. Dans les crédits figurent aussi les noms de H.P. Barnum et de McKinley Jackson. Danny finit à l’éplorée compositale avec «Danny Boy», il chante à la pointe de la glotte, il va chercher des notes suspendues à un fil, il chante à la poire pleine et remplit tout l’espace. C’est un fabuleux sculpteur d’objets sonores, il fait corps avec sa glaise métaphysique. Il faudrait se souvenir de Danny Woods comme d’un formidable rossignol de la Soul.

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    L’Inside The Glass House de Glass House paru en 1971 sur Invictus est devenu culte pour au moins une raison : «Heaven Is There To Guide Us». C’est une heavy Soul à la Junior Walker, du pur jus de genius de hot Soul, c’est brûlant, violent et insidieux. Le génie de Holland/Dozier/Holland consiste à recréer Motown après Motown. Ce que montre encore «I Surrendered» en A : Scheerie chérie qui est la sœur de Freda Payne fait du Motown pur et dur. Black power ! C’est sans doute Ty Hunter qui chante «Look What We’ve Done To Love» avec la voix de Marvin. On le retrouve aux manettes de «You Ain’t Living Unless You’re Lovin’», c’est l’un des grands Soul Brothers de la Detroit scene. En B ils passent au r’n’b plus classique avec «If It Ain’t Love (It Doesn’t Matter)». C’est très bon enfant, salué aux trompettes, chacun prend son petit couplet, Pearl Jones, Larry Mitchell, Ty Hunter et Scheerie chérie. Ils passent au Detroit funk avec «Hotel», chanté à la pointe de la glotte rose, ah comme elle est bonne notre Scheerie chérie !

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    Thanks I Needed That paraît l’année suivante et se distingue encore par les qualités de ses chansons. La petite black de Glass House chante merveilleusement «House Is Not A Home», un hit de Burt. Les frères Holland savent orchestrer, pas de problème. On retrouve Scherrie Payne avec «The Man I’ll Never Have». Elle chante avec une passion consommée, elle monte bien. Holland/Dozier/Holland signent «Thanks I Needed That» qui ouvre le bal de la B, ils font ce qu’ils savent faire de mieux, du pur Motown. Scherrie chérie revient exploser «Don’t Let It Rain On Me», il faut la voir chanter la Motown Soul étoilée ! Elle co-signe encore «Let It Flow» avec Brian Holland et Lamont Dozier, elle chante son I need you baby au gros popotin, alors pas de problème. Au final, c’est un très bel album de Soul, il porte bien la griffe HDH, c’est une perfection.

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    Les deux albums de The 8th Day parus en 1971 et 1973 sont assez mitigés. Le premier qui s’appelle 8th Day bénéficie d’une pochette superbe : un diable t’invite à danser le funk. Le groupe monté de toutes pièces par les frères Holland propose une Soul qui sent bon le vécu. L’homme chante à l’éraillée. C’est de la Soul classique montée sur un bassmatic bien rebondi à la Jamerson. Ils tapent dans l’énorme hit de Ronald Dunbar, «Too Many Cooks (Spoil The Soup)», un heavy r’n’b chanté à la glotte incandescente. Même power que celui des Tempts, on reconnaît d’ailleurs les dérapages contrôlés d’«I Know I’m Losing You». La B est une face lente, comme sur les compiles Formidable Rhythm’n’Blues d’Atlantic. Ils font du balladif ambiancier à la Curtis Mayfield («Just As Long») et du balladif élégiaque singé Dunbar («I’m Worried»). «I’ve Come To Save You» sonne comme la Soul vainqueuse d’all over the ‘cause I need you.

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    Leur deuxième album se loge à la même enseigne et s’appelle I Gotta Get Home (Can’t Get My baby Get Lonely). On les voit tous les huit sur la pochette, cinq blacks et trois blancs. Ils démarrent avec «I Gotta Get Home», un fantastique shoot de hard hitting Soul, c’est martelé au beat des forges de Detroit, rivé à chaud et bardé de Black Power, sans doute le meilleur du monde. Ils font des instros de soft groove («Cheba» et «Anythang») joués dans les règles du lard fumant. Pas de meilleur lard que celui-là, le lard Holland/Dozier/Holland supervisé par Ronald Dunbar. En B, ils passent au Soul funk avec «Rocks In My Head», très inspiré de Sly Stone, monté sur un beat hypno bien répercuté par les filles aux chœurs. Ils restent dans le heavy funk avec «Faith Is The Answer» et le réhaussent de wah, c’est un vrai carnage, on frise le funkadelic, boy ! Ces gens expérimentent et «Get Your Mind Straight» en bouche en coin, car voilà un cut en arrêt joué aux infra-basses et lâché ensuite dans la nature pour virer poppy. Ils terminent avec cet «Heaven Is There To Guide Us» qu’on retrouve sur le premier album de The Glass House. Bel hommage aux Tempts, il vise le haut du panier. Dès qu’on touche aux Tempts, ça devient forcément emblématique.

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    Freda Payne a enregistré trois albums sur Invictus, à commencer par Band Of Gold en 1970. Au dos de la pochette, on voit la belle Freda pensive à la fenêtre et avec le morceau titre, elle nous fait un superbe hit Motown, lourd de conséquences et de gros popotin, gorgé d’aplomb et de rage contenue. Ron Dunbar signe cette merveille impérissable. L’album est très Motown, Freda chante sa soft Soul d’une voix de rêve. Avec «Rock Me In The Craddle», elle règne sur le Freda world, elle est fantastique. Son «Unhooked Generation» est digne des early hits de Stevie Wonder, elle a la niaque du son, c’est pas loin d’«I Was Made To Love Her». Voilà encore un excellent shoot d’Invictus, tous les cuts sont soignés, ce ne sont que des grosses compos. Elle monte bien en neige «The World Don’t Give You A Thing», un hit signé Holland/Dozier, pour changer, et elle revient enchanter le monde avec «Happy Heart», une merveille de Soul magique violonnée par dessus les toits.

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    Paru l’année suivante, Contact est un peu moins dense. Il semble que cet album soit conçu comme une comédie musicale. C’est très orchestré avec du narratif intempestif. La Soul devient hollywoodienne. Elle fait un peu de Motown avec «You Brought Me The Joy» et casse la baraque en fin d’A avec «You’ve Got To Love Somebody (Let It Be Me)». Elle monte à un très haut niveau d’enchantement. Elle fait du Motown de l’âge d’or. Elle monte en B au sommet de son chat pour «I Shall Not Be Moved», elle sait parfaitement pousser son Motown dans les étoiles. Freda est terriblement savoureuse. Et dans «Mama’s Gone», on retrouve le filet mélodique du «Patches» de General Johnson. Excellent ! Freda le tartine bien.

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    Elle se tape un dernier shoot d’Invictus en 1973 avec Reaching Out. Elle attaque l’album avec une belle Soul de sexe chaud, à l’image de la pochette. Corps de rêve. Toute l’A est consacrée au sexe chaud. Les affaires reprennent en B avec «We’re Gotta Find A Way Back To Love», big Soul de prestige, tout est là, l’ambiance, le swing, la voix, la classe, c’est à se damner pour l’éternité. Elle reste dans la Soul de charme avec «Rainy Days & Mondays» - Rainy days & mondays/ Always get me down - Avec Freda, le trio Holland/Dozier/Holland tenait une grosse poissecaille. Elle tape à la suite dans l’«If You Go Away» de Jacques Brel, elle en fait une version honorable mais pas aussi définitive que celle de Scott Walker. Elle le chante cependant à pleine gorge. Elle finit en classic Motown Sound avec «Right Back Where I Started From», elle tape ça au gros popotin, à la suprêmo des Supremes, Freda fait sa Ross quand elle veut, avec un sens aigu du chien de sa chienne.

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    En 1977, Eloise Laws enregistre Ain’t It Good Feeling Good. Elle attaque au diskö Soul, mais avec du chien de sa chienne. Impossible de rester assis en écoutant le «You Got Me Loving You Again» d’ouverture de bal d’A. La diskö Soul d’Invictus est venue pour vaincre, comme dirait Jules Cesar. Encore de la belle diskö Soul de l’autre côté avec «Put A Little Love Into I (When You Do It)» : voix passionnante et orchestrations pulpeuses, tout est soigné aux petits oignons chez Invictus. Quand elle tape un balladif, elle colle bien aux désirs d’Invictus («I Believe In You Baby»). Elle peut aussi taper un r’n’b («Make It Last Forever») et le chanter au souffle court, avec une niaque de remontrance extraordinaire. Elle termine cet album superbe avec «Camouflage», un balladif de Soul sophistiquée, très chanté et très orchestré, avec des chœurs de rêve et tout le bataclan. Eloise arrive comme la cerise sur le gâtö, telle une star Motown, dans tout l’éclat de sa féminité. Black power !

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    L’un des premiers groupes signés sur le sister label Hot Wax fut 100 Proof Aged In Soul, une sorte de super-groupe monté par Joe Stubbs, Clyde Wilson et Eddie Anderson. Stubbs qui a fait partie des Falcons est en fait le grand frère de Levi Stubbs, le lead des Four Tops. Holland/Dozier/Holland voyait 100 Proof comme une harder-edged alternative aux autres groupes Soul-pop signés sur Hot Wax, notamment les Flaming Ember. Un premier album paraît en 1971, Somebody’s Been Sleeping In My Bed. Attention, ne vous fiez pas à la pochette en forme de gag, car c’est du solide, du hard Soul bien foutu, Soul funk de Detroit, pur jus d’Hot Wax. Ils démarrent avec le morceau titre et ils y vont au heavy Hot Wax. Ils y croient dur comme fer. Ils passent au heavy r’n’b avec «One Man’s Leftovers (Is Another Man’s Feast)». Ils font aussi quelques slowahs assez épouvantables, au sens où ça colle bien, et ils repartent au big rumble de Detroit Sound avec «Not Enough Love To Satisfy». C’est violent et suburbain. Nouvelle explosion de Soul power avec «Too Many Cooks (Spoil The Soup)», ça chauffe comme chez Jr Walker, par dessus les toits de la ville en flammes, c’est du hot de 100 Proof. C’est une vraie bombe de relentless, un hit des plus brûlants, qu’on trouve aussi sur l’album de 8th Day paru la même année. Ça se termine avec le faramineux «Backtrack», qui est tout bêtement le parfait r’n’b, l’excellence définitive. Ça chante à la féminine et c’est terrific. Hot Wax forever.

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    Leur deuxième album titré 100 Proof paraît l’année suivante. Sur la pochette, une belle afro photographiée de dos. Au moins, on sait où on est. Ces mecs groovent comme les Tempts, sur un beau bassmatic. On reste dans la belle Soul Motown des early seventies. Ils chantent leur «Since You Been Gone» à pleins poumons, avec du come back baby plein la bouche. Ils visent l’ampleur de Sam Cooke. Leur grandeur reste du domaine de l’implacabilité des choses. Avec «Ghetto Girl», ils foncent doit dans la belle Soul urbaine, avec le Ghetto, c’est forcément urbain. Ils restent classiques mais dans l’excellence. Ils reviennent à la Soul de Tempts avec «Don’t Scratch Where It Don’t Itch». Ils visent aussi le power d’Edwin Starr. Ils font du heavy r’n’b à la Starr et le scratch scratche bien. Ils maintiennent le cap sur la Soul conquérante avec «Don’t You Wake Me», ils cultivent leurs germes avec bonheur. Tu ne coupes pas la chique aux 100 Proof.

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    Le Think Of The Children de Satisfaction Unlimited paru en 1972 sur Hot Wax est un bon album de groove urbain, un peu à la Terry Callier. «I Know It’s Love» est un fabuleux shake de groove chanté au yes it is. Comme le montre «Spread Your Love Around», leur groove est aussi d’une incroyable modernité, à cheval sur la Soul et le heavy rock US. On tombe en B sur l’excellent «Somebody Else’s Woman», un rock de Soul chargé de climax et bien nappé d’orgue, vraiment très bien foutu, chanté à la ferveur de la chandeleur. Ils cultivent leur pré carré de groove urbain, ils excellent dans l’exercice de l’extrême onction. Tout sur cet album est savamment orchestré, percus + cuivres et cette voix de black à l’accent chantant. Une trompette accompagne «Seeing You Throught The Eyes Of A Blindman» vers la sortie, avec une sacrée dignité.

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    McKinley Jackson est l’un des personnages clés de l’aventure Hot Wax/Invictus. C’est lui qu’on retrouve sur l’album de Lamont Dozier, Out Here On My Own. Il traîne aussi dans les parages de General Johnson. Mais c’est avec son album The Politicians Featuring McKinley Jackson paru en 1972 qu’on va vraiment pouvoir l’apprécier, d’autant qu’il démarre avec un véritable coup d génie : «Psycha-Soula-Funkadelic». La basse y broute la motte du funkadelice. Le bassmatic a l’énergie du diable. Attention, c’est un album d’instros, mais d’instros bien sentis. Les Politicians qu’on voit au dos de la pochette n’en finissent plus de charger la barcasse de la rascasse, c’est plein de bass drive et de percus («Free Your Mind»). Le bassman s’appelle Peanut Roderick Chandler. En B, on se régale de «Funky Toes», un bel instro de good time music. Voilà du Detroit Sound bien tempéré, comme dirait Jean-Sébastien.

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    Eddie avait repéré The Flaming Ember, un rock group qui nous dit Eddie est dans le circuit de la Detroit scene depuis des années - In terms of local popularity, they were second only to Mitch Ryder - Ce que confirme l’excellent Westbound #9 paru en 1970. Ils démarrent sur une belle cover du «Spinning Wheel» de Blood Sweat & Tears, suivi d’un morceau titre bien sonné des cloches. C’est de la Soul blanche extrêmement solide. Ils tentent de faire du black power avec de la Soul blanche, c’est pas mal, il faut avoir le courage d’essayer, en tous les cas. Jerry Plunk monte bien au chat perché. Ils font un «Going In Circles» somptueux et ils bouclent l’A avec «Why Don’t You Stay», un hit signé Dunbar & Wayne qui ont pondu des œufs d’or pour Freda Payne et les Chairmen. Extrêmement balèze ! On trouve encore deux merveilles en B, «This Girl Is A Woman Now» et le raw r’n’b de «Heat On». Tous les cuts sont inspirés par les trous de nez, diable comme ce Jerry Plunk est bon ! «Flashback And Reruns» est co-écrit avec le General, et c’est forcément bon. Chez Hot Wax, on ne table que sur le qualitatif.

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    Le deuxième et ultime album de Flaming Ember s’appelle Sunshine et paraît l’année suivante. Ces mecs se battent pied à pied avec le lard de la matière. Il font de la Detroit Soul blanche et une guitare se perd dans l’écho du temps. Il faut attendre «Stop de World (And Let Me Off)» de Ron Dunbar pour que ça décolle. Ils sonnent comme les Tempts. Ça repart de plus belle en B avec un «Gotta Get Away» dévoré par un bassmatic carnivore. Pareil, on y retrouve tout le power des Tempts, avec une belle virée de wah sur le tard. Ils font du Motown en blanc. Jerry Plunk reste un excellent shouter. Leur «Ding Need Dong» reste puissant, avec cette ossature rythmique et ce raunch du chant de Ding-a-ling qui évoquent chaque fois les Tempts.

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    Pourquoi faut-il écouter It Moves Me - The Complete Recordings 1958-1964, cette compile d’Eddie Holland parue sur Ace ? Parce que c’est là qu’on trouve la version originale du «Leavin’ Here» qu’ont repris les Birds, Lemmy et d’autres. L’ancêtre gaga par excellence. L’autre bombe s’appelle «Twin Brother», hit signé Smokey, heavy shoot de r’n’b, c’est bouffé tout cru par les chœurs de yeah yeah yeah. On trouve à la suite une autre version plus heavy et quand Eddie se coule dans le caramel, les folles reviennent. Le problème que cette compile (56 cuts en tout) grouille de bombes : «True Love Will Go A Mighty Long Way», Eddie nous sert ce vieux r’n’b sur un plateau d’argent. Pas étonnant que Berry Gordy ait tenté de le lancer, Eddie chante comme un dieu, il peut faire son Marvin («(Lonelinness Made Me Realize) It’s You That I Need»), du early Tempts («Happy Go Lucky») et des classiques de r’n’b comme cet énorme «Too Late To Cry». Il peut même taper des pétaudières de type «Pretty Angle Face» et devenir carrément explosif avec «Take Me In Your Arms». C’est du hot Motown sound dévastateur, Eddie rocks it off, c’est aussi puissant que la revue d’Ike. Eddie saute encore dans les bras de la Soul avec «I Like Everything About You». C’est un Soul Brother inexpugnable, il roule tout le r’n’b dans sa farine. Tout est à tomber, sur le disk 2 de cette compile. Et pourtant ce n’est pas évident, car sur le disk 1, Eddie avale pas mal de couleuvres, c’est-à-dire qu’il doit chanter les cuts infâmes que compose son mentor Berry Gordy. On en trouve une bonne douzaine en début de dik 1. Quand il chante «The Last Laugh» composé par son frangin Brian, c’est complètement autre chose. Pareil avec «Jamie», signé Barrett Strong, un vieux rumble plein de son et de chœurs. Puis à mesure que le temps passe, Eddie a des cuts plus solides à se mettre sous la dent comme cet excellent «It’s Not Too Late». Le son Motown prend forme avec «Just A Few More Days». Son «I’m On The Outside Looking In» tient la dragée haute à Stevie Wonder et avec «If It’s Love It’s Alright» et «Candy To Me», les bombes continuent de pleuvoir. Si ne n’était pas une métaphore d’un goût douteux, il faudrait se mettre à l’abri.

    Mais Eddie et Brian n’ont pas le backing nécessaire, même s’ils font partie de Capitol. Le problème c’est que Capitol ne pige rien au black market et c’est Eddie qui doit financer sur ses fonds propres le marketing black market. Il est tellement excédé qu’il rencontre Clive Davis qui est alors président de Columbia. Clive Davis pige tout de suite, mais il est viré pour avoir détourné des fonds. Eddie et Brian se retrouvent dans la pire des situations : liés à un label qui ne sait même pas qui sont les frères Holland. Alors glou glou glou.

    Brian : «J’ai adoré les Invictus years. Ce fut une période heureuse. Mais au fond de ma tête, il restait ces conflits, avec Motown puis avec Lamont.» En 1984, les frères Holland rebondissent en montant le label Holland-Dozier-Holland. Leur première idée est de rééditer les groupes phares d’Invictus et d’Hot Wax, mais leur manie de la découverte reprend vite le dessus : ils produisent Liquid Heat et Cassandra, puis Ronnie Laws et Rick Littleton. Mais on va s’arrêter là, car l’âge d’or se trouve derrière eux.

    Signé : Cazengler, fromage de Hollande

    Eddie Holland. It Moves Me - The Complete Recordings 1958-1964. Ace Records 2012

    Flaming Ember. Westbound #9. Hot Wax 1970

    Flaming Ember. Sunshine. Hot Wax 1971

    8th Day. 8th Day. Invictus 1971

    8th Day. I Gotta Get Home (Can’t Get My Baby Get Lonely). Invictus 1973

    Harrison Kennedy. Hypnotic Music. Invictus 1971

    Glass House. Inside The Glass House. Invictus 1971

    Glass House. Thanks I Needed That. Invictus 1972

    Danny Woods. Aries. Invictus 1972

    Freda Payne. Band Of Gold. Invictus 1970

    Freda Payne. Contact. Invictus 1971

    Freda Payne. Reaching Out. Invictus 1973

    100 Proof Aged In Soul. Somebody’s Been Sleeping In My Bed. Hot Wax 1971

    100 Proof Aged In Soul. 100 Proof. Hot Wax 1972

    Satisfaction Unlimited. Think Of The Children. Hot Wax 1972

    McKinley Jackson. The Politicians Featuring McKinley Jackson. Hot Wax 1972

    Eloise Laws. Ain’t It Good Feeling Good. Invictus 1977

    Eddie & Brian Holland. Come And Get These Memories. Omnibus Press 2019

    Andrew Male : The Mojo Interview. Mojo # 315 - February 2020

     

     

    Inside the goldmine

    - Oh Why don’t we do it in the road ?

     

    — Voyons, monsieur Klein, je ne peux pas vous le céder à un tel prix... Vous ne vous rendez pas compte...

    — Ce sera mon dernier prix ! Et si vous revenez demain, je réduirai mon prix de moitié ! À prendre ou à laisser. Décidez-vous rapidement, car vous me faites perdre mon temps.

    — Vous abusez de votre position, monsieur Klein, mais c’est chose courante par les temps qui courent. Tout le monde veut tirer le meilleur profit de tout le monde, sans le moindre égard...

    — Prenez votre décision car je vous l’ai dit, mon temps est précieux.

    — Croyez-vous vraiment que ce soit correct de votre part de me proposer ce prix pour une œuvre aussi singulière ?

    — Personne ne vous fera une meilleure offre pour cet obscur objet du désir. Veuillez croire qu’en vous proposant de vous racheter l’objet à ce prix, je vous rends service.

    — Vous me voyez contraint et forcé d’accepter...

    — Allons mon vieux, ne faites pas cette tête de Juif errant. Vous le savez, dans la vie, il faut des baisés.

    L’homme prit la liasse de billets que lui tendait monsieur Klein, l’enfouit dans la poche de son manteau et s’éclipsa sans mot dire. Klein posa l’objet sur un petit chevalet et s’installa à deux mètres de distance pour l’admirer. La pureté graphique du visuel l’enchantait. Un immense ‘Oh’ noir aux contours peints à la main frappait tel un sceau impérial le blanc cassé de l’aplat. Aux yeux de Klein, ce visuel relevait de l’absolue perfection.

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    Pourquoi se pencher sur le destin de l’album des Why Oh Whys ? La réponse est simple. Elle est même toujours la même : il suffit juste d’entendre un cut à la radio pour situer l’importance d’un épiphénomène. Un seul cut suffit.

    Ça devait être en 2018 sur le Dig It! Radio Show. Gildas annonça «Join Me In Confusion» par les Why Oh Whys. Ça tilta rien qu’avec la conjonction des deux éléments, le titre du cut - quasi-hendrixien - et le nom du groupe - élégance suprême de la phonétique - À cela s’ajouta dans la foulée un son d’une rare présence, un battage d’esprit de Seltz altéré par des remugles Dollsy. Ces mecs jouaient avec un sens aigu de la désaille et un tact fou, jetant dans leur balance tout le poids d’une résonance de notes de basse qui garnissait le cortex d’une viande considérable. Comme l’y invitait le titre, on se laissa doucement glisser dans la plus délicieuse des confusions.

    Allons, allons, un peu de calme. On ne va quand même pas faire un fromage de cet album qui, comme des milliers d’autres, tombe dans l’oubli aussitôt fabriqué. Qui se soucierait encore aujourd’hui de l’album d’un groupe suédois paru en 2018 sur le plus underground des labels suédois, Beluga Records ? Quel sens ça peut avoir d’aller déterrer ce truc-là ? Why Oh Why ? Bonne question.

    Le Why Oh Whys n’est pas l’album du siècle. Il n’est pas certain non plus qu’il ait son billet pour l’île déserte. Il fait simplement partie des groupes découverts par Gildas au temps où il conduisait le fol équipage de son Radio Show. Il diffusait chaque semaine trois heures de cuts triés sur le volet et ceux qui sortaient du lot nous poussaient au vice, c’est-à-dire à la commande.

    L’arrivée à bon port de l’album des Why Oh Whys fut salué par des oh et des ah d’admiration. Objet parfait, au recto comme au verso. Graphisme pur sur le recto - big fat oh black - et photo du groupe au verso. Et là, on comprend mieux, quand on voit la dégaine des Why Oh Why. Ils ont des allures de Ron Asheton 68, mais à la suédoise. Alors ça devient cohérent. On sait pourquoi ces mecs sont doués et on se débrouille avec ça : onze titres et la photo du groupe. Au fond, le bon rock n’a pas besoin d’autre chose. Au temps du Velvet et des Stooges nous n’avions que ça à nous mettre sous la dent, les titres et les photos, et ça suffisait. Nous n’avions pas vraiment besoin de littérature.

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    L’album des Why Oh Why ne sera jamais un album culte, mais il peut pourtant plaire infiniment, rien qu’à voir la dégaine de ces mecs. Ils ont vraiment l’air d’en avoir rien à cirer, boom ils envoient leur dégelée d’«Hoochie», un cut que passait aussi Gildas, un «Hoochie» qui dégage de violents parfums seventies, avec un son qui s’entortille dans un lierre référentiel absolu. Ils tartinent leur rock dans la joie et la bonne humeur. On garde précieusement le souvenir de cette première écoute, qui disons-le franchement, provoqua un réel coup de cœur. Il faut aussi les voir allumer leur «Crimey» au ouh-ouh, ils sont assez fiers d’exhiber leurs racines gaga-punk suédois, mais en ferraillant comme les Stones de la grande époque. Ils ont tous les bons réflexes. Les riffs de «Without You I’m Nothing» rappellent ceux de «Should I Stay Or Should I Go», mais ils jouent ça... comment dire... à bride abattue, comme si, déterminés à vaincre, ils cisaillaient l’apanage aurifère. De toute évidence, ces mecs écoutent les grands albums de rock des seventies. La façon dont tombe le pli du riff est chaque fois exemplaire. Il faut voir Alex Patrini Mansson lâcher ses awite ! Quelle classe ! On note aussi l’excellence de la section rythmique. Ces mecs ont le répondant du rebondi, ils savent jouer serré dans les lignes droites, ils disposent de la puissance de la fière évanescence, ils voudraient être des modèles qu’ils ne le pourraient pas, occupés qu’ils sont à remaker le remodel et ils dotent leur «Pov» d’un final gorgé de basse tétanique, alors bravo.

    Signé : Cazengler, ouaf oh ouaf (ramène la baballe !)

    Why Oh Whys. The Why Oh Whys. Beluga Music 2018

     

    L’avenir du rock

    - Sittin’ on a White Fence

     

    Histoire de varier les plaisirs, l’avenir du rock a décidé de se présenter aux élections. Il arrive sur le plateau d’une grande chaîne de télé nationale. Trois des plus fins analystes politiques l’attendent, comme des vautours guettant leur proie :

    — Cher avenir du rock, merci de participer à notre débat. La première question que se posent nos téléspectateurs est de savoir pourquoi vous faites cavalier seul...

    — Je n’ai besoin de personne/ En Harley Davidson, vroom la la, vroom la la...

    Les analystes se regardent, interloqués. Caroline de Beaunibard relance immédiatement le débat :

    — Si je vous comprends bien, vous favorisiez les investissements américains en Europe, au détriment des forces vives de la nation ?

    — J’appuie sur le starter/ Et voici que je quitte la terre, vroom la la, vroom la la...

    — Mais vous ne pouvez pas faire passer les intérêts de la Nasa avant ceux de l’aéronautique nationale, avez-vous pensé aux milliers de salariés d’Air Toulouse ?

    — J’irai peut-être au parlement/ Mais dans un train d’enfer, vroom la la, vroom la la...

    — Ainsi, vous faite la promotion du libéralisme radical ? Ne craignez-vous pas de voir les Français descendre dans la rue ?

    — Je tiens bien moins à la démocratie/ Qu’à mon terrible engin, vroom la la, vroom la la...

    — Vous comptez donc passer en force avec une utilisation abusive du 49.3 au risque de mettre la Ve République en danger ?

    — Que m’importe de courir/ Les cheveux dans le vent, vroom la la, vroom la la...

    — Soyez certain, avenir du rock, que les Français auront reçu votre message !

    — Vive la République, vive la Fence !

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    Il s’agit bien sûr de White Fence, ce projet mené dans l’ombre de l’underground américain par Tim Presley, lequel Presley, qui n’est pas apparenté au Presley qu’on croit, fréquente assidûment un autre grenouilleur impénito-californien, Ty Segall, et comme Ty, Tim œuvre au sein d’une nébuleuse de projets, le plus saillant étant White Fence. Ty, Tim et John Dwyer sont devenus en peu de temps les champions hors compétition du productivisme underground mondial et la septième plaie d’Égypte pour le porte-monnaie des ménagères qui fréquentent les disquaires.

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    Album étonnant que le premier album sans titre de White Fence paru en 2010. Sur le «Be Right Too» qui referme la marche de la B, Tim Presley sonne exactement comme John Lennon, période Lennon solo. Il se situe à ce degré d’excellence, même sens de la prod spectorienne et du chant d’accent. Fantastique exercice de style ! On est aussi tout de suite saisi par le weird de «Mr Adams» en ouverture de bal d’A, une petite pop d’intimisme prolixe très anglaise, avec des voix évaporées. C’est ce qu’on appelle l’empire du weird. S’ensuit un joli groove underground, «Who Feels Right». Ces petits mecs créent leur monde. Et dans «Slaughter On Sunset Strip», on entend le solo le plus souterrain de l’histoire de l’underground, mêlé à des échos de Velvet, avec du Fence en plus. Tiens, puisqu’on parle du loup, le voilà : «Sara Snow» sonne comme un balladif du Velvet, illuminé de l’intérieur, avec des dissonances dans le solo, comme dans celui de «Pale Blue Eyes». On se régale aussi de la heavy pop de «The Gallery & The Honeydripper», une heavy pop noyée d’éclairs et de stridences parasites du meilleur effet. En B se niche un big bazar nommé «Destroy Everything» : énormité du son, tout le spectre est rempli avec de la disto qui dégueule comme si elle avait le mal de mer. Quant au solo, il ne fait que défenestrer. C’est déjà pas mal.

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    Tim Presley fonctionne exactement de la même manière que Ty Segall et John Dwyer : il propose des albums à bases d’idées et de son. L’Is Growing Faith paru en 2011 en est le parfait exemple. «And By Always» sonne comme du vite fait bien fait, il ne perd pas de temps, il est tout de suite dessus, il noie sa petite pop indé dans l’écho, il fait claquer sa gratte à l’éclat fatal, avec la pulsion d’un énorme bassmatic derrière. Excellent ! Il a tout bon : une énorme énergie et un gros son de guitare. Il joue «Sticky Fruitman Has Faith» à la petite arrache bienveillante, les guitares scintillent et la rythmique halète, et ça monte encore d’un sacré cran avec un «Enthusiasm» bien demented, furieux et génial à la fois, noyé de folie sonique. Il dispose d’un fantastique power de base. Il revient au heavy sound un peu plus loin avec «Lillian (Won’t You Play Drums?)», il connaît toutes les ficelles de caleçon de l’indie blast, sa pop-rock flirte avec l’effarance, c’est du psyché avec un son bien raw. On le voit ensuite flirter avec le son du Magic Band dans un «Get That Heart» battu tribal. Il veille à rester soigneusement underground. Pas de danger qu’il aille se brûler les ailes. Il bosse pour l’avenir du rock.

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    Ty & Tim enregistrent Hair en 2012. Bel album collaboratif. On en pince tout de suite pour «Scissor People», un cut tendu visité par des vents psychédéliques. C’est donc un album psyché. Nouvelle rasade psyché avec «Tongues». Ils renouent avec les grandes heures du psyché anglais et des harmonies vocales des Hollies, le tout monté sur un bassmatic élastique et un peu sourd. Que de son, my son ! L’«I Am Not A Game» qui se niche en A est aussi très anglais. On se croirait à Londres en 1965, quelque part entre les Hollies et les Zombies, dans une pop psychédélique teintée d’orgue. Ty & Tim nous offrent ici une belle flambée de freakout so far out. Ils régalent leur auditoire. Ils restent dans la pop anglaise avec un «Easy Rider» imparable, très compréhensible, avenant et vivace, quasi-lennonien. On dira la même chose de «The Black Glove/Rag», encore qu’on y sente plus l’influence de Donovan, puisque ce sont les effets vibrés d’«Hurdy Gurdy Man». Ty s’y fend d’un joli chabalabada psychédélique. Cet album est un véritable paradis pour l’oreille. Encore du haut de gamme avec «(I Can’t) Get Around You». Ty sur-barde à nouveau son cut de son et tape un solo à la George Harrison. Fameux. Même si on essayait, on ne pourrait pas s’en lasser.

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    Ce serait une grave erreur que de faire l’impasse sur Family Perfume Vol. 1 et Family Perfume Vol. 2, ces belles compiles underground parues en 2012. Ce sont des collections d’exercices de style qui flirtent assez souvent avec le génie, la preuve avec «Down PNX», vieux shoot de heavy punk-rawk joué au rebondi et à la violence étoilée. Le cut d’ouverture de bal vaut lui aussi pour une belle énormité, «WF/FP», heavy trashcore enfoncé au heavy beat, joué aux gros sabots, voilà le trash à la hussarde dont on rêve tous. Tim Presely claque sa chique à la suite avec «Swagger Vets And Double Moon», c’est bien tagada, taillé dans la masse du sur-mesure. Cet album sonne comme une leçon de savoir-faire, c’est intense, bien cloué dans la Fence. Ils jouent quasiment tout à la belle envergure de heavy ramasse. S’ensuit un «Hope! (Servatude, I Have No!)» plein d’esprit, puis ils avalent «Soaring, Daily Pique Num. 2» au heavy trash, glurp, taillé dans la masse une fois de plus, pas de rémission et ils passent au «Hermes Blues» en serrant le son dans les virages, c’est amené au vieux gratté d’excellence. «Hey! Roman Nose» sonne très anglais, très empesé, le trackback est majestueux, c’est joué à la boucle défaite, tordu à ravir. Tim Presley chante ensuite son «Breathe Again» d’autorité, il règne sans partage sur son petit royaume et nous sommes tous les bienvenus. Il maîtrise tous les arts.

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    Et il va continuer de bluffer sa clientèle sur le Volume 2, avec deux pastiches : un pastiche des Beatles («She Relief») - On se croirait sur Revolver, incroyable métabolisme - et un pastiche de Syd Barrett («Lizards First»). Il faut l’entendre passer un solo de fuzz dans «Real Smiles». Il fait encore un pastiche avec «Upstart Girls», cette fois des Mary Chain. Il se montre de plus en plus anglophile. Comme le fait Jim Reid, Tim Presley remonte bien le courant. Ces deux albums sont des mosaïques extraordinaires. On le voit cultiver le classicisme avec «A Good Night» et attaquer «I Am A Sunday» aux accords gaga de Gloria. Il se fond dans son groove d’excellence, c’est infernal car il joue avec les idées de son et il met au passage le gaga à sa botte. Il descend dans l’«Anna» avec un sacré gusto - Country flavor - Quel incroyable caméléon, sa country est un modèle du genre. On le suivrait jusqu’en enfer. Ce mec est bon au-delà de toute expectitude. Il est le premier convaincu de son génie à la ramasse, comme le montre «Tame». Il ramène des guitares sixties dans «King Of The Decade», il joue des licks aériens de George Harrison, il les recycle, on se croirait à Abbey Road. Il joue la carte du son à fond.

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    Cyclops Reap ? Quel album ! On sent tout de suite la belle énergie indé. Ça ne ressemble à rien sauf à la Fence. Il trame son «Beat» en père peinard sur la grand-mare des canards. Même s’il nous tourne le dos sur la pochette, ce mec force la sympathie. L’album paraît agréable, plein d’inventivité. Pas de vagues, pas de hit, juste une présence. La voix est là, juste derrière. Comme tous les aventuriers, il va chercher du son. Il fait avec «Pink Gorilla» du bon psyché indé et ne se montre pas avare de désinvolture. Il vise parfois la clochadisation du son, comme le fit Jad Fair en son temps. Il lui arrive aussi de s’offrir un beau délire de power pop duveteuse («Live In Genevieve»), on se sent bien en sa compagnie, il noie le chant dans le son, non seulement il excelle, mais en plus il déroute. Il parvient même à se rendre indispensable («New Edinburgh Man»), il chante du fond de l’underground, sa voix se mêle à des relents de riffs infectueux, on tombe sous le charme discret de sa bourgeoisie et il brise la glace avec un final de fou dangereux. Si tu recherches de l’aventure, c’est la Fence qu’il te faut. «Make Them Dinner At Our Shoes» est un petit brouet de tout ce qu’on aime : le psyché insidieux, les montées de fièvre gaga et la pop qui va bien. C’est solide et bien intentionné. Sa façon de jouer sur tous les tableaux est assez pertinente. Tim n’a pas de voix, seulement une présence, c’est déjà pas mal.

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    Sur l’excellent Live In San Francisco paru en 2013, on retrouve «Enthusiasm», cette belle envolée garage digne du 13th Floor. L’ensemble de l’album est de très haut niveau, à commencer par le dévastateur «Swagger Vets And Double Moon» et sa belle évanescence de swagger, Tim Presley chante à la décadence absolutiste, il fait du heavy gaga dylanesque. Il a tout le power derrière lui, ça sonne comme un extraordinaire entrain piloté par une guitare d’investigation et là tu tombes à genoux. Power pur ! Avec «Mr Adams/Who Feels Right?», il entre dans le lard d’une pop-rock californienne extrêmement bien foutue, dotée de tout le power du monde, il joue sur le pulsatif du beat de Frisco. Psycho-power ! Encore un fantastique numéro d’hypno avec «Baxter Corner», ça dure 8 minutes, ces mecs sont capables du meilleur. Ils montrent un goût prononcé pour le trash-punk avec «Harness», on croirait entendre les Buzzcocks tellement le son est anglais et retour à l’underground avec «Lizards First», joué à coups de slide et au beat de la revoyure. Tim est un bon. Sur scène, il a énormément de son. Et comme le montre «Pink Gorilla», il ne recule devant aucune extrémité. Il sonne encore une fois comme le 13th Floor. Il termine avec «Breathe Again», il y ramène tout le rock du monde, il chante comme Dylan à Frisco.

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    Avec For The Recently Found Innocent, Tim Presley ne change rien à son mode de fonctionnement : il chante un petit laid-back de petit brun. Il fait son petit truc. On note la présence du copain Ty au beurre. Tim bénéficie donc de la chaleur d’un bon beat, surtout dans «Like That». Tim taille bien sa route. Il reste très vieille Fence, très pop indé. Il balance en permanence entre l’entrain et l’ennui. Il faut attendre «Arrow Man» pour frémir enfin, car c’est joué au beat rebondi. Puis il se prête au petit jeu des redondances infectueuses avec «Actor» et se montre fabuleusement intriguant. Se pose toujours le vieux dilemne, les trucs à dire et à ne pas dire. La heavyness de «Afraid Of What’s Is Worth» est bienvenue de la part d’un mec comme Tim. On sait bien qu’il ne va pas chercher à nous entuber, ce n’est pas son genre, il joue son heavy balladif dans la plus parfaite sérénité. Oui, la sérénité, c’est son truc. Tim est un cas intéressant car il n’a aucun espoir. Et puis voilà le dernier round : «Paranoid Bait». Encore une fois, il est le bienvenu parmi nous, il bascule dans le gaga. Ce qui est bien avec un mec comme Tim, c’est qu’à aucun moment on est obligé de se prosterner. Il fait son job de White Fence en toute sérénité, sans jamais chercher à la ramener.

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    Autre album collaboratif de Ty & Tim : Joy. On passe un peu à travers, mais la fascination de Ty pour les Beatles refait surface dans «Good Boy». Ils suivent tous les deux un process expérimental vaguement beatlemaniaque. Ty n’en finit plus d’explorer les textures aventureuses - We see oceans baby blue - Il s’amuse aussi avec «Baby Behavior» dans le bac des minutes de sable mémorial et en B, il raconte dans «Do Your Hair» une micro-histoire à la Jad Fair - He stole a car/ And ate garbage - C’est sacrément bien foutu, mais l’album sonne comme un repas frugal. Pour le dessert, ceinture.

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    L’I Have To Feed Larry’s Hawk date de 2019. Le groupe ne s’appelle plus White Fence mais Tim Presley’s White Fence. L’album est un peu moins dense que les précédents. Il propose une petite pop assez possessive, mais pas innocente. Très Fence, en fait. Il va cependant devoir rétablir la confiance, il va lui falloir beaucoup de courage. Cette fois c’est le côté dandy qui ressort dans le son. Il propose un «I Love You» assez enchanteur. Il sait lever une pâte. Le voilà qui sonne comme Syd Barrett dans «Lorelei». Incroyable rapprochement, c’est très inspiré, même chose avec «Neighborhood Light», plus rock, même s’il semble emmener son rock en ballade. Il chante à l’éplorée des TV Personalities, il fait de la pop anglaise de très haut niveau avec toutes les interférences qu’on peut bien imaginer. Son abandon ne trompe pas. Il reste très anglais avec «I Can Dream You», puis il va se mettre ensuite à expérimenter des trucs, alors on perd le dandy. Dommage.

    Signé : Cazengler, White Fiotte

    White Fence. White Fence. Make A Mess Records 2010

    White Fence. Is Growing Faith. Woodsist 2011

    Ty Segall & White Fence. Hair. Drag City 2012

    White Fence. Family Perfume Vol. 1. Woodsist 2012

    White Fence. Family Perfume Vol. 2. Woodsist 2012

    White Fence. Cyclops Reap. Castle Face 2013

    White Fence. Live In San Francisco. Castle Face 2013

    White Fence. For The Recently Found Innocent. Drag City 2014

    Ty Segall & White Fence. Joy. Drag City 2018

    Tim Presley’s White Fence. I Have To Feed Larry’s Hawk. Drag City 2019

    ROCKABILLY GENERATION NEWS n° 20

    JANVIER / FEVRIER / MARS 2022

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    Vous avez commandé quoi au Père Noël, moi j'ai déjà reçu mon cadeau surprise, avec quinze jours d'avance, je l'attendais pour mes étrennes, ça n'a pas traîné, direct dans la boite à lettres. Z'ouvrons zé lizons !

    Commençons par le commencement : par le premier des rockers. C'est ainsi que le présentaient Guy Pellaert et Nick Cohn in Rock Dreams, Non ce n'est pas Elvis. Ne pensez pas à Bill Haley. L'est tout beau, avec son chapeau blanc sur la deuxième de couve. Non il n'a pas l'air d'un rocker, un peu cowboy du dimanche dans son costume, le même que vous portiez ( avec moins de classe ) pour le mariage de votre cousine, le parfait plouc qui s'est fait beau pour descendre au saloon et monter honorer les demoiselles au premier étage le samedi soir. Un petit air maladif qui devait plaire aux filles. En plus il ne chantait pas du rock 'n' roll mais du country, pas tout à fait, l'a assuré la liaison entre le hillbilly et le country, dans la mythologie nordique Nidhögg le serpent rouge ronge les racines d'Yggdrasil l'arbre du monde, c'est pareil pour le rock'n'roll quand vous cherchez ses racines, tout au bout vous trouvez Hank Williams, chanteur extraordinaire, compositeur exemplaire, et créateur suicidaire de l'attitude rock. Un rebelle, pas contre le système, contre l'existence, sachez faire la différence, l'a avalé à lui tout seul plus de pills et de whisky que tous les habitants de l'Amérique depuis 1776, l'était comme nous, l'avait du mal à vivre dans la médiocrité du monde, s'est endormi à même pas trente ans sur le siège arrière de sa Cadillac, un premier janvier, sa façon à lui de souhaiter une bonne année 1953 à ses contemporains. Greg Cattez évoque avec brio cette comète qui n'a fait que passer mais dont le souvenir s'est inscrit dans la mémoire des hommes.

    Les deux pages qui suivent serrent le cœur. Jenny reprend le flambeau de son père le Grand Dom, suit l'injonction du grand organisateur sur son lit d'hôpital, toute de simplicité et de pudeur, avec la volonté farouche de continuer les trente-six années de combat pour le rockabilly, Rockabilly Generation est présent au premier concert, à ce Tribute to Grand Dom qui n'est qu'un début, l'appareil photo de Sergio Kazh porte témoignage...

    Kustom Festival & Tatoo, comme cela ça ne dit rien, dites Parmain et les visages s'éclairent. Des carrosseries et des tatoueurs mais aussi des concerts de rockabilly, Kr'tnt ! vous y a déjà emmenés, Philippe Cousyn raconte l'Odyssée, l'histoire est triste, le covid, l'interdiction du festival, le pari fou de reprendre l'aventure sans un sou dans les soutes, faudra être au rendez-vous pour la prochaine mouture, Parmain reprend son souffle et n'abandonne pas la lutte !

    Deux pages, mais du lourd, même si Miss Dey est gracile comme une libellule, Jacky Chalard la présente, le créateur de Big Beat Records raconte la saga de Miss Dey ( Wild Woman ) and the Residents avec en prime mise en page esthétique.

    Les premiers festivals ont repris. Sergio Kazh est doublement heureux, Pleugueneuc c'est chez lui ( tout ce qui est Breton lui appartient ) alors il mitraille à tout-va, atout cœur, l'a mis un carburateur sur son obturateur, on ne se lasse pas de tourner et de retourner les pages, certes du beau monde, Tony Marlow, Billy Bix, Fame and the Flames, Spunyboys, mais aussi un artiste qui sait saisir l'instant et fixer les attitudes. Un véritable coloriste aussi.

    Trois pages sur les deux sets de Barny and the Rhythm All Stars au Corcoran, vous n'y étiez pas, vous avez eu tort. Moi aussi. L'on se dirige vers la fin, les rubriques habituelles, Backstage, Guide Musique, dernière nouvelle – le Cat Zengler m'avait prévenu - les Hot Slaps se séparent, nous aussi, courez vite acheter ce numéro, le vingtième à qui nous donnons la note 20 / 20.

    Damie Chad.

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    Comment j'aurais oublié quelque chose, pas du tout, vous vous trompez, vous faites erreur. Vous insistez, moi qui voulais la garder pour moi tout seul, elle est trop belle. Déjà sur la couve, vous ne voyez qu'elle, d'abord la pivoine épanouie sur son avant-bras, et derrière la rose des roses, Lily Moe, l'Impératrice du Rhythm 'n' blues. Là perso, je pense que Sergio Kazh n'a aucun mérite pour ses magnifiques pleines pages, Lily sourit et vous voyez la beauté éclore sous vos yeux. Lily Moe se raconte, l'histoire d'une petite fille qui habitait dans la campagne suisse et qui rêvait de devenir chanteuse et qui l'est devenue, c'est venu comme cela, le destin des circonstances, elle aime la vie, toute simple, la joie pétillante, et le vin, et le rhythm 'n' blues, non pas les sonores orchestrations cuivrées de Stax et de Muscle Shoals, le rhythm 'n' blues des années cinquante d'où a émergé le rock 'n' roll, celui de Bill Haley, encore empreint de syncopes noires et du swing des danses enfiévrées...

    Editée par l'Association Rockabilly Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois), 5,15 Euros + 4,00 de frais de port soit 9, 15 E pour 1 numéro. Abonnement 4 numéros : 37, 12 Euros ( Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents !

     

    GENE VINCENT

    ( in Rock 'n' Folk N° 652 )

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    652 numéros de R 'n' F et toujours pas de couve consacrée à Gene Vincent... scandalissimo, ridiculissimo, n'en jetons plus, d'autant plus que cette fois le nom est en couverture, signe d'un article à l'intérieur. Je cherche la page sur le sommaire, ah, plumé de Nicolas Ungemuth, je fais la moue, je tremble, j'ai peur, quand il est arrivé dans la revue, l'avait pris l'habitude de dégommer les idoles phares des années 70, une manière de remettre les pendules à l'heure de la modernité, l'est sûr qu'il est parfois bon de disperser les cendres froides du passé, mais il est difficile de démonter les vitraux des adorations perpétuelles sans abîmer la verroterie des affects...

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    Fausse crainte. Un bel article. Esthétiquement bien mis en page. Un beau portrait, le fan n'apprend rien, mais une introduction quasi-parfaite pour le lecteur curieux qui ignorait jusqu'à son existence. Quelques manquements, les enregistrements Challenge ont bien paru en 33 tour, ( dix morceaux + 1 simple de deux autres titres ) mais en France. Quant à qualifier les deux derniers trente-trois de Kama Sutra de ''quelconques'' c'est être passé à côté de leur poignante et splendide dimension crépusculaire...

    Un article à découper et à conserver précieusement. Merci à Nicolas Ungemuth. Very muth.

    Damie Chad.

     

    LA PANTHERE ET LE FOUET

    LANGSTON HUGHES

    ( Ypsilon Editeur / 2021 )

     

    Merci à Sébastien Quagebeur de m'avoir signalé la sortie de ce recueil de poèmes de Langston Hughes. Rappelons que dès notre vingt-et-unième livraison du 07 / 10 / 2010 de Kr'tnt ! nous évoquions The Weary Blues son premier recueil, lorsque l'on me demande le titre de mon morceau de blues préféré j'ai pour habitude The Weary Blues de Langston Hughes. Pour ceux qui pensent que je cite un obscur bluesman inconnu, je précise que c'est un livre écrit par un des plus grands poëtes américains, et pourtant les amerloques ils en ont un stock de grandes voix d' Egar Allan Poe à Jim Morrison en passant par Emily Dickinson....

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    La panthère et le fouet est le dernier recueil que Langston Hughes comptait faire paraître. La camarde blafarde s'y opposa. L'ouvrage parut à titre posthume en 1967. Le volume regroupe des inédits et un choix de poèmes piochés dans différents recueils.

    La panthère ( nous la souhaitons aussi noire, aussi belle, aussi chasseresse que celle de Leconte de Lisle ) et le fouet celui qui s'abattait sur le dos des esclaves qui ne ramassaient pas le coton avec une suffisante célérité, en deux mots tout est dit. Après la mort de l'écrivain la célébrité, l'affection et l'admiration que son combat pour l'émancipation du peuple noir lui procura, connut une éclipse. La nouvelle et jeune génération de militants imbue de romantisme révolutionnaire, galvanisée – et en même temps déçue - par les résultats des luttes pour les Droits Civiques le déclarèrent dépassé, il paraissait trop tiède à cette nouvelle mouvance radicale qui se regroupa autour du Black Panther Party.

    Ce n'est donc pas un hasard si le mot panthère ouvre le titre. Il est à entendre comme une protestation de Langston Hughes à l'encontre du dédain de cette jeunesse révoltée. Une mise au point nécessaire. Le recueil contient les poèmes les plus engagés de son œuvre. L'on peut parler de poésie politique. Ce genre de cocktails molotov verbal est particulièrement difficile à manier. Il exige des angles vifs, qui des années plus tard donnent au lecteur une impression de trop grande simplicité caricaturale. Hughes évite le piège. Il use de formes brèves et ne cède que rarement à l'invective criarde. Dire moins pour susciter la force imaginative du lecteur. La violence n'est pas explicitement tournée vers les blancs, il préfère rappeler celle dont sont victimes les noirs, toutefois l'ennemi est clairement désigné.

    En une cinquantaine de poèmes, c'est toute la lutte des noirs qui est retracée, quelques mots, quelques vers, jamais davantage, tous les hauts-faits de la geste – trop souvent symbolique – de libération, les principales figures du mouvement abolitionniste, les meurtres, les lynchages, les injustices... tout est noté, autant de stèles sanglantes sur un chemin interminable...

    Langston Hughes ne se contente pas de se cacher derrière les boucliers commémoratifs du passé que l'on lève sans danger comme des étendards de victoire alors que le combat est à modeler dans la glaise du présent. La lutte n'est d'ailleurs pas là où on le voudrait. Il ne suffit pas de porter des coups à l'ennemi. Serait-il militairement battu que la partie ne serait pas gagnée. Il resterait encore des millions de forteresses à prendre et à dynamiter. Elles ne se dressent pas, de béton armé, hérissées de canons sur des pics inaccessibles. Ce sont juste les cervelles des blancs engluées de préventions et de préjugés, qui demandent aux noirs de les remercier de leur bonne foi, de leur bonne volonté, de la générosité sans faille de leur prise de conscience... le racisme aura disparu où les noirs leur seront éternellement reconnaissants de leur grandeur d'âme... Langston Hughes met le doigt sur la contradiction majeure du problème blanc. Il est de fait sur la même position politique que James Baldwin.

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    Le livre s'achève par la force des choses en 1967. Un demi-siècle plus tard la situation ne s'est guère améliorée. Ni du côté des blancs. Ni du côté des noirs. A plusieurs reprises Langhston laisse planer une sourde menace, si rien ne change... La prochaine fois... le feu ! prophétisera Baldwin... Rien ne s'est produit. Le mouvement noir est en train de se replier sur des positions identitaires, pour ne pas dire raciales. L'explosion n'a pas eu lieu. L'implosion, si. Remarquons qu'en fidèles imitateurs atlantistes toute une partie de la gauche française est en train de se noyer dans le verre d'eau des notions de genre... Parions que Pascal Neveu, le traducteur n'a pas ajouté au hasard sous le titre original la mention Poèmes de notre temps... Avec le recul l'analyse de Langston Hughes n'a pas vieilli, ou plus exactement la situation ne s'est pas améliorée...

    Remercions les Editions Ypsilon de leurs traduction de Langston Hughes, mais aussi de la revue Feu !! ( devoted to youger negro artists, sous-titrée Harlem 1926 ), et encore Canne de Jean Toomer, autre figure de proue avec Hughes du mouvement littéraire Harlem Renaissance. Une maison intelligente qui lors de sa fondation s'était donné pour but d'éditer une version d'Un coup de dés jamais n'abolira le hasard digne des exigences de Stéphane Mallarmé. Bon sang ne saurait mentir !

    Damie Chad.

    LE PASSAGER DES BANCS PUBLICS

    DANIEL GIRAUD

    ( Les Editions Libertalia / 2021 )

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    Lecteurs, ne vous demandez pas qui c'est ce mec-là. L'était-là bien avant vous. Présent dès la troisième livraison de votre blogue favori, ayant appris que je fondais un blogue-rock, l'a tout de suite envoyé le récit de sa première expérience rock, sa participation à un concert de concert Johnny Hallyday à la fin des années cinquante... Depuis j'avons chroniqué quelques uns de ses livres et deux de ses disques de blues... Daniel Giraud est né en 1946, l'a bourlingué sur toutes les routes du monde, l'a publié des dizaines de plaquettes, l'a fondé la revue-culte Révolution Intérieure, l'a traduit les plus grands poëtes chinois, l'a même écrit un poème sur Éric Cantona, l'a tout fait. Je l'entends me reprendre, erreur cher Chad, je n'ai rien fait.

    Si vous vous demandez lequel de Dam ou de Dan ment, vous êtes prêt à vous lancer dans la lecture de ce livre. Pas très long, cent trente pages, mais qui risque de vous laisser de cul. Sur le banc. Bien sûr. Si vous pensez que vous êtes assis à la bonne place et que vous allez bécoter à bouche-que-veux-tu sur un de ces bancs publics chantés par Brassens vous vous trompez. Essayez plutôt de vous poser une question intelligente, par exemple : Qu'est-ce que la métaphysique du blues ? Cela vous mettra en condition. Remarquez que le blues n'est pas vraiment le sujet du bouquin.

    L'évoque un peu sans s'attarder, une dizaine de lignes. Puis il passe à autre chose. Normal, c'est un passager. Le Dan a beaucoup roulé sa bosse. En stop, en train, en voiture, à pattes. Oui mais maintenant il est légèrement moins jeune. Alors quand il marche, l'aime bien de temps en temps poser son popotin sur un strapontin public. Question de reprendre souffle. Vous comprenez. Hélas, ce n'est pas tout à fait cela. C'est plus complexe. Pensez-vous que les actes de votre vie ont un sens ? Celui que vous leur donnez, certes. Mais existe-t-il une congruence quelconque entre ce que vous vivez et ce que vous êtes. Question gênante. Qui instille un doute. N'est-ce point être trop présomptueux de répondre oui, et de faire preuve d'une fausse humilité en affirmant : non. Dans les deux cas vous êtes piégé.

    Le Dan pose le problème d'une autre manière, je suis ce que j'ai vécu, et ma vie présente n'est que la résultante de tout ce que j'ai vécu. Vous suivez. C'est maintenant qu'il porte son coup de Jarnac. De toutes les manières, tout ce que j'ai fait n'a aucune importance, car si je ne l'avais pas fait, cela n'aurait pas plus d'importance. Agir = Non-Agir. D'où cette habitude de poursuivre la route de son existence, tout en se ménageant des instants de repos ( par exemple sur un banc public ), vivre et ne pas oublier de se regarder vivre alors que l'on ne fait rien, si ce n'est regarder le monde : les arbres, les passants, ceux qui passent et ceux qui viennent taper un brin de causette.

    Le Dan, l'a son litron et son sandwich, avec ces deux éléments indispensables il peut aller de banc en banc jusqu'au bout du monde. Mais il n'y va pas. Vous intuitez : il s'assoit pour draguer ! Que nenni, ce sont souvent des octogénaires qui s'assoient à ses côtés, pour se reposer. Rien de bien folichon. Non le Dan, il a autre chose à faire, un autre endroit où aller. Ne s'aventure pas au bout du monde, il va juste au bout de lui-même. Sa propre existence, remonte dans ses souvenirs. Vous aussi. C'est bien, mais Dan il y rajoute un zeste de méditation nietzschéenne, retourner sur ses pas, n'est-ce pas se plier au mythe de l'éternel retour du monde, n'est-ce pas affirmer sa présence passagère en ce monde pour toute l'éternité. Vous pensez qu'il a la grosse tête, qu'il finira fou comme l'auteur de Par-delà le bien et le mal, c'est là que le Dan vous prend à contre-pied, le monde notre présence au monde n'est-elle pas une illusion, le monde n'est-il pas égal au néant, ne sommes-nous pas toute notre existence le cul entre deux chaises et non plus sur un banc. Ne vaut-il pas mieux ne point trop se mêler au monde, plutôt se mettre sur un banc pour le regarder...

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    C'est ainsi qu'a vécu et que vit Dan Giraud. Sans jamais être dupe de sa propre présence au monde. Neruda a donné pour titre à sa biographie J'avoue que j'ai vécu, l'aurait pu tout aussi bien la nommer : J'avoue que je n'ai pas vécu. Mais comment s'y prend-on pour vivre sa vie sans la vivre. Avant d'aborder cette vision strictement existentielle, résumons en quelques mots : si la position métaphysique de Daniel Giraud paraissait déroutante à certains lecteurs c'est que ceux-ci se trouvent plus ou moins à leur insu et à leur corps défendant pris dans le réseau inconscient de la pensée occidentale qui au contraire de la pensée orientale - exprimée par Lao Tseu elle pose l'équivalence de la présence à celle de la non-présence, différencie l'être du mon-être, celui-ci pouvant s'inscrire dans le registre de l'être ou y échapper.

    Assis sur son banc, Giraud vagabonde, du moins sa pensée, le moindre fragment de la réalité hasardeuse qui accroche son œil ouvre en lui des pistes de réflexions, s'aventure sous les sentes obscures des remembrances. Offre tout en vrac serait-on tenté de dire. Il n'en est rien, le kaos apparent de l'intérieur, se révèle à la longue une cosmographie unifiée. Au début vous avez l'impression d'être parachuté dans un labyrinthe sans queue ni tête mais à tourner les pages vous êtes obligé de reconnaître qu'il s'agit d'une construction mentale, une weltanschauung qui répond à sa propre logique idiosyncratique.

    Alain Giraud porte un regard sur le monde profondément libertaire. Pas pour rien que le livre soit édité chez Libertalia. S'asseoir sur un banc est un acte d'une haute portée symbolique. C'est se mettre en retrait du monde, pire que cela se désinvestir de la comédie humaine du pouvoir, des liens de domination et des hiérarchies sociétales. Des plus dangereuses, armée, école, usine, oppression pour reprendre un slogan du joli moi de mai à celles plus insidieuses des regards que la société et les individus des masses anonymes portent sur ces êtres vivants que leurs attitudes dénoncent et trahissent. Des marginaux qui refusent de rejoindre la morale communautaire et de pactiser avec l'hypocrisie du contrat social censé garantir protection et sécurité alors qu'il n'est qu'asservissement et amoindrissement des moindres libertés. Pour être heureux, vivons quelque peu détaché. De la société. Des autres. Et de soi.

    Ce troisième point est le plus difficile. Malgré les préceptes et la pensée de Lao Tseu il est difficile de s'arracher de soi. Giraud ne s'assoit pas sur n'importe quel banc. L'a ses préférences. Certains sont mieux situés, un peu d'ombre un jour de soleil n'a jamais tué quelqu'un, une certaine tranquillité n'est pas à dédaigner... mais les bancs de Giraud sont souvent inclus dans un itinéraire. L'assassin revient sur les lieux de ses crimes. Point de terribles turpitudes, les lieux de l'enfance, de l'adolescence, de plus tard. Plus masochiste, de ceux qui ont marqué des étapes difficiles de l'existence. Il n'y a pas d'amour heureux a dit Aragon, l'on aime à revenir lécher ses plaies même quand elles ne suintent plus, ne nous ont-elles pas appris que nos affects si constitutifs soient-ils sont eux aussi transitoires.

    Reste à aborder l'aspect politique d'une telle démarche métaphysqique. Giraud ne s'inscrit pas dans le carcan de la militance, l'idée d'agir pour changer ( en mieux ) le monde ne le séduit pas. Ce genre de volonté lui paraît totalement inopératoire. Il ne croit pas en l'efficacité des regroupements idéologiques ou identitaires. Ce ne sont que des hochets inutiles dont ne peut naître que des perversions. Que chacun soit ce qu'il veut être. A sa guise. Selon son choix qui lui appartient. Sous-entendu, que l'on me laisse libre d'être ce que moi je désire être.

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    Comportement égotiste dénué de toute volonté de dominance. Être soi n'est pas facile dans notre monde. Une existence de retirement n'est pas un long fleuve tranquille. Sur la fin de son livre Giraud se lance dans une longue triade au vitriol – fortement jouissive pour le lecteur - de tous ceux qui par leur comportement et par les représentations qu'ils se font de leurs petites personnes sont des obstacles à l'épanouissement de toute simple vie humaine. Même la leur !

    Encore faut-il réussir la dernière opérativité de l'indivis, être soi est impossible. Encore est-il nécessaire de comprendre que l'on ne peut pas être soi autant que l'on peut être. Le Soi est à détacher de l'être égoïste qui croit en être le propriétaire. Il faut tuer le Moi pour atteindre le Soi qui se tient à la jonction de l'être et du non-être. Position extra-êtrale. Il est permis de sourire du mot extra à qui l'on peut prêter deux sens totalement antithétiques ( extrêmement / extra ). Si vous parvenez à rire de cette ambiguïté, vous êtes sur la bonne voie. N'hésitez pas à vous assoir de temps en temps sur le premier banc qui vous tendrait les bras, afin de vous reposer et de laisser vaquer votre esprit librement...

    Si malgré tout vous ressentez un léger ennui, sortez Le passager des bancs publics de Daniel Giraud de votre poche, cette lecture vous aidera. Vous en avez grande nécessité.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    UNE TENEBREUSE AFFAIRE

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    EPISODE 12

    Une croisière gratuite, qui la refuserait ! L'on s'est mis à galoper le long du quai, ne restait plus qu'à trouver une embarcation, la chance était de notre côté, nous n'eûmes même pas besoin de chercher, alors que nous cavalions comme des fous, un haut parleur se mit à grésiller :

      • Ça y est, je les vois, les six derniers invités en retard, trois couples, 255, 256, 257, 258, 259, 260 la liste est au complet, en plus ils ont emmené leurs chiens, pas prévu, un bateau Mouche qui se prénomme L'Albatros ne peut pas refuser un animal, bienvenue aux heureux retardataires, le départ dans quelques secondes !

    Nous enfilâmes la passerelle au pas de course, personne ne faisait attention à nous. Le bateau débordait de monde. Nous nous mêlâmes à la foule et regardâmes autour de nous. A la proue du navire une gigantesque pièce montée de deux mètres de haut, devant ce monument pâtissier un jeune couple s'embrassait, les gens applaudissaient et se pressaient tout autour pour prendre des photos. Le Chef alluma un Coronado, d'un signe bref, il me fit signe de le suivre. Nous nous éloignâmes doucement, nous traversâmes un vaste salon couvert, des employés en grande tenue s'activaient autour d'un vaste buffet, un chef de rang se porta à notre rencontre :

    _ Ces messieurs cherchent-ils quelque chose ?

    _ Z'oui, le pipi-room !

    _ Si ces messieurs veulent bien m'accompagner...

    Il y eut une clameur autour du buffet, d'un bond Molossa et Molossito sautèrent d'une table, ils emportaient de concert dans leur gueule, un énorme poisson, les garçons se ruèrent à leur suite, rejoints par notre Chef de rang, perdant toute dignité, gueulait comme un putois : le saumon fourré au foie gras ! Déjà sur le pont les cabots galopaient parmi les invités, la horde des poursuivants reçut fortes moqueries et acerbes quolibets...

    En quelques instants nous grimpâmes jusqu'aux postes de commandement. Un homme à casquette s'apprêtait à tourner un volant et enclenchait doucement la vitesse. Au micro, un Monsieur loyal, débutait son speach : '' Juliette et Roméo vous remercient de votre présence, d'être venus si nombreux à la célébration de leur mariage, ah ! euh, oui je... je... une petite surprise offerte par la direction des Bateaux Mouches, accrochez-vous, la course folle vers le bonheur débute tout de suite !''

    Au micro, le Chef se débrouillaient comme... un chef ! Les deux malheureux qui avaient tenté de s'interposer à notre entrée dans la cabine, gisaient à nos pieds, je virais brutalement à bâbord, et poussai les gaz à fond, un énorme panache de fumée noire noya les invités dans une brume épaisse, une fois dissipée la robe blanche de la marié se retrouva teinte en noir !

    Il y eut des cris de stupéfaction, mêlés d'éclats de rire. L'Albatros prenait de la vitesse, tout compte fait, les invités prenaient la chose du bon côté, lorsque le Chef annonça au micro que nous allions doubler un deuxième Bateau Mouche, tout le monde trépigna pour fêter notre triomphe.

    Le Cormoran, ainsi se nommait-il, se prit au jeu, son capitaine obliqua quelque peu afin d'occuper l'espace central sous l'arche du prochain pont, pensant qu'il nous n'aurions pas assez de place pour effectuer notre dépassement, mal lui en pris, quelques encablures avant le pont je le harponnais vivement sur son arrière, et le drossais sur la pile, ce fut sanglant, le Cormoran s'ouvrit pratiquement en deux, la plupart des passagers, femmes, enfants, vieillards, handicapés en tous genres glissèrent dans la Seine, on les entendait crier au secours, mais les flots cruels refermaient leurs bras froids sur eux, et des bulles glouglouteuses remontaient à la surface, le chef ne put se retenir de citer Victor Hugo en l'honneur de ces victimes innocentes :

    Ô combien de marins, combien de capitaines

    Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines

    Dans ce morne horizon se sont évanouis

    Combien ont disparu dure et triste fortune...

    Les funèbres et énergiques alexandrins hugoliens produisirent leur effet, leur mâle tristesse envahit les cœurs, des larmes coulèrent, des prières furent psalmodiées, le Chef entreprit de raffermir les volontés :

    _ Il est plus que temps de venger ces victimes innocentes, nous devons arrêter la mystérieuse péniche chargée de sable qui est la cause de leur disparition, nous la poursuivrons jusqu'au bout de l'océan !

    Le Chef savait manier les foules, elles sont par essence versatiles, il suffit d'offrir un but à une masse atterrée pour la transformer en troupes de choc, des cris de haine fusèrent à l'encontre de la mystérieuse péniche, mais brutalement le charme fut rompu. Par la faute de Juliette :

    _Vous ne voyez pas que ce sont des fous qui racontent n'importe quoi, Roméo mon amour, va les arrêter, je te l'ordonne au nom de mon amour !

    La Juliette était totalement hystérique, une fraction des invités s'apprêtait à prendre son parti, elle s'arracha des bras de Roméo et d'une voix mélodramatique elle reprit son incantation !

    _ Va Roméo il n'est plus temps de m'embrasser, va, tue-les et reviens couvert de leur sang criminel te jeter sur mon sein, qui n'attend que tes caresses ! Je te promets...

    Elle ne put tenir ses promesses. Nous ne sûmes jamais ce qu'elle voulait promettre, une balle du Chef lui perfora la tête. Son sang gicla sur la pièce montée, elle vacilla, et tomba en arrière entraînant la tour de friandise dans sa chute. On ne la voyait plus ensevelie sous une tonne de choux à la crème. Il y eut un cri terrible qui glaça d'horreur l'assistance.

    C'était Roméo, le malheureux se frappa la poitrine de ses poings, regarda la cabine vitrée du poste d'équipage, nous fixa froidement, hurla : '' J'arrive !'' . Il traversa le pont à une vitesse folle, animée par une fureur de berseker, et entreprit d'escalader trois à trois les marches qui menaient jusqu'à nous :

      • Agent Chad, toujours à fond, ne vous préoccupez pas de lui, je m'en charge !

    Le Chef n'eut même pas le temps d'atteindre la porte pour lui barrer le passage, ni même de ressortir de sa manche son Beretta, ni même l'occasion d'allumer un Coronado. Roméo était sur lui et l'enveloppai d'une vigoureuse étreinte, un instant je crus que les évènements me portaient à la tête du SSR, il n'en fut rien :

    _ Merci, merci, ô merci, des sanglots déchiraient la poitrine de Roméo, ô merci, comment avez-vous su que la détestais, que je me suis marié avec elle uniquement pour son argent, vous m'avez arraché à une existence horrifique, en tant que mari, je suis le propriétaire de sa fortune, en la tuant vous m'avez sauvé la vie, merci, merci, merci ! A moi maintenant, les palaces, les suites de luxe, les mannequins, les actrices, les restaurants douze étoiles, les casinos !

    Tout enfiévré de son avenir radieux il s'adressa à tous ceux qui s'étaient massés au bas des escaliers et hésitaient à les escalader :

    _ Mes amis tout va bien, ce n'est qu'une vulgaire méprise, Juliette a été touchée par un tireur d'élite posté sur la péniche noire, en abattant mon innocente moitié, il pensait que nous arrêterions la poursuite, je tiens à ma vengeance, nous irons jusqu'au bout !

    Des clameurs de joie lui répondirent, un vent de haine et de folie suicidaire emportait les esprits, Joël saisit l'occasion au vol, s'emparant d'une pile d'assiette, il les remplit à pleines mains de choux à la crème tâchés du sang de Juliette, Françoise, Framboise, Noémie les distribuèrent, très vite relayés par Roméo magnifiquement inspiré !

    _ Prenez et mangez, elles sont tâchées du sang de mon amour immortel, comme son amour vous deviendrez immortels !

    L'on se ruait sur les assiettes, des aspirants ivres de vengeance et d'éternité se jetèrent à genoux devant l'amas de gâteaux, ils puisaient à même la manne miraculeuse source de vie et gobaient les boules débordant de crème pâtissière comme des hosties sacrées, en quelques minutes il n'en resta plus une seule, il y eut un geste de recul devant le corps de Juliette dans sa robe de mariée noire qui lui servait désormais de suaire, des femmes glapirent, elles arrachèrent des lambeaux de tulle qu'elles se disputèrent, chacune exigeant une relique protectrice, tant et si bien que le corps nu de Juliette apparut aux yeux de tous et suscita un redoublement de ferveur, des lèvres se posaient sur cette chair si blanche, elles ne tardèrent pas mordre, à lécher le sang qui s'écoulait des mille plaies de la sainte innocence, à croquer un morceau, ce fut un entremêlement homérique, tout un chacun désirait participer à ce festin, elle fut dévorée en quelques minutes, dans la mêlée j'entrevis Molossa et Molossito qui s'étaient emparés d'un bout d'intestin et ne voulurent à aucun prix le lâcher...

      • Agent Chad, forcez encore la vitesse, j'entrevois au loin la poupe d'une péniche noire !

    Je la reconnus, nous gagnions sur elle, le Chef avisa la foule qui se rua sur le bastingage, je reconnus le chef de rang, un sacré futé, dans la mêlée il s'était débrouillé pour pieusement recueillir la petite culotte rose de Juliette qu'il faisait tournoyer sur son index levé comme l'oriflamme des croisés devant les remparts de Jérusalem, la péniche chargée de mille tonnes sable ahanait, je me rangeai contre son bord, nous la surplombions, la silhouette noire de Charlie Watts se réfugia vers l'avant, Rouky bondissait à ses côtés, le chef de rang fut le premier à sauter, tout le monde l'imita, les imprécations fusèrent :

    _ A mort ! À mort ! Assassin !

    L'étendard de la petite culotte rose menait l'assaut, ils étaient à vingt mètres du batteur des Stones, l'image de ibis rouge se déploya derrière Charlie dont la figure était maintenant cachée par son long bec d'acier...

    A suivre...

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 241 : KR'TNT ! 361 : FAST EDDIE CLARKE / EDDIE AND THE HEAD-STARTS / TOM ROISIN / MICHEL EMBARECK / BOB DYLAN / JOHNNY CASH /DANIEL GIRAUD

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 361

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    15 / 02 / 2018

     

    FAST EDDIE CLARKE

    EDDIE AND THE HEAD-STARTS / TOM ROISIN

    MICHEL EMBARECK / BOB DYLAN / JOHNNY CASH

    DANIEL GIRAUD

     

    Fast Eddie fastes

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    En février 1976, Lemmy décida qu’il y aurait en plus de Larry Wallis un second guitariste dans Motörhead. Alors, Philthy lui présenta l’un de ses potes, Eddie Clarke. Eddie et lui travaillaient ensemble à la rénovation d’une vieille péniche. Une date fut prévue pour l’audition d’Eddie. Il devait juste épauler Larry. Mais Larry prit mal le fait de devoir jouer avec un autre guitariste et il quitta le groupe pour rejoindre les Pink Fairies. Eddie se retrouva dans un trio. Le départ de Larry scia Lemmy qui grommela : «Grumble... Grumble... Le plus drôle de l’histoire, autant que je me souvienne, c’est que c’était l’idée de Larry d’embaucher un second guitariste.»

    Le nouveau trio fonctionnait à merveille. Même s’il s’appelait Fast Eddie, Eddie était le mec tranquille du trio. Il avait de chaque côté de lui deux personnalités agitées, Lemmy et Philthy. S’il avait été aussi incontrôlable que les deux autres, le trio n’aurait certainement pas fait long feu. Par chance, Eddie Clarke connaissait bien la vie de groupe. Il avait commencé à 15 ans. Il fut le guitariste de Zeus, un groupe qui accompagnait l’Américain Curtis Knight. Il avait même composé pour lui, comme on le constate en inspectant la pochette de The Second Coming.

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    Paru en 1974, The Second Coming est un album pour le moins surprenant. Curtis Knight et Zeus ouvrent le bal avec «Zeus» et filent ventre à terre dans la bonne jachère des seventies. Fast Eddie part aussitôt en solo, mais il ne joue pas n’importe quoi, uniquement des solos inflammatoires. Il déblaye tout ! Quelle énergie ! Les petits blancs en marcels qui accompagnent ce diable de Curtis Knight jouent à l’hendrixienne et multiplient les retours de manivelle. La grande force de Curtis Knight a toujours été le son. La fréquentation de Jimi Hendrix a laissé des traces. Avec «Mysterious Lady», Curtis et Zeus passent au heavy garage absolutiste. Par contre, «Road Song» se joue au boogie-rock speed et au solo démonstratif. Ce démon de Curtis Knight fait presque du glam black. Avec «People Places And Things», il n’en finit plus de piétiner les plate-bandes du rock blanc. Il sort son meilleur seventies sound avec «Cloud», groové à la vie à la mort par le déjà immense Fast Eddie. Eh oui, Curtis Knight ne voulait que les meilleurs, alors après Jimi Hendrix, ça ne pouvait être que Fast Eddie. Nouveau festival avec «End Of A Child». Eddie fait pleuvoir de véritables déluges, il allume tout au ciboulot des ciboulettes, il fait la pluie et le beau temps. Encore un joli slab de heavy rock avec «The Confesssion». Pour Fast Eddie, cet album est un champ d’expérimentation. Il fait exactement ce qu’il a envie de faire. On tombe une fois de plus sur un loup : c’est l’album de Fast Eddie Clarke, pas de doute. Le pauvre Curtis Knight sert de caution à tous ces héros que sont Jimi et Eddie. Eddie rôde encore dans le rainbow rock d’«Oh Rainbow» et il donne le coup de grâce avec «The Devil Made Me Do It», un fantastique groove knightien, heavy et funky en diable. Curtis Knight chante ça à l’arrache des clubs miteux. Il y va de bon cœur et Fast Eddie rentre là-dedans comme dans du beurre, alors ça gicle dans tous les coins. Quelle énergie !

    Eddie quitta Zeus pour former Continuous Performance avec Charlie Tumahai, le bassiste de Be-Bop Deluxe, puis Blue Goose. Ces groupes ne durèrent que le temps de premiers albums qui sombrèrent dans l’oubli aussitôt après leur parution. Alors Eddie arrêta de jouer. D’où son job de restaurateur de péniches.

    Eddie Clarke pense que le succès de Motörhead reposait sur la façon dont lui et Lemmy se comprenaient : «Quand j’étais jeune, j’ai vu les Yardbirds, John Mayall, Cream et Jimi Hendrix. Ce sont des groupes qui frappent l’imagination. Je pense que c’est rentré pour une bonne part dans l’alchimie de Motörhead. Lemmy et moi on aimait la même musique, et ça a compté énormément dans le succès du groupe.» Et comme Eddie devait jouer de la rythmique, il ne s’attendait pas à monter aussi vite en grade : «Quand on s’est retrouvés à trois, le son de Lemmy a tout changé. Il jouait sur un ampli Marshall et une Rickenbacker, il foutait les aigus à fond, il coupait les basses, alors tu peux imaginer le son ! C’était plus une guitare rythmique qu’une basse !» Comme Lemmy montait un mur du son avec sa basse, Eddie Clarke avait une latitude considérable pour jouer à la fois en solo et en rythmique, mais c’était tellement nouveau qu’il devait tout reconsidérer. «Quand j’ai commencé à jouer dans Motörhead, j’ai dû me débarrasser de tout ce que je savais. Je devais complètement réapprendre à jouer de la guitare. C’était la même chose pour Phil. Motörhead, c’était comme trois îles à l’intérieur du groupe. Au début, on avait un mal fou à jouer ensemble, à se caler. C’était comme jouer dans un groupe sans basse, alors quand je partais en solo, je me calais sur la grosse caisse, tu vois ce que je veux dire ?»

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    C’est parti ! Motörhead sort sur Chiswick en 1977. Lemmy doit une fière chandelle à Ted Carroll et à Marc Zermati. Le morceau titre ouvre le bal des vampires. C’est du pur jus d’Hawkwind, bien emmené au pumping et Fast Eddie place un solo d’antho à Toto. C’est là, avec ce cut qu’ils fondent le mythe. Mick Farren co-écrit «Lost Johnny» avec Lemmy, un cut solide comme l’enfer et riffé par cette brute infecte de Fast Eddie. On sent au fil des morceaux qu’il déploie des ailes de grand guitariste. En B, il plante un décor de grosse cocote pour un «Keepers On The Road» signé Mick Farren.

    Fast Eddie se marre : «Au départ, c’était juste une question d’attitude. Si t’aimes pas Motörhead, dégage ! On a eu pas mal d’ennuis avec les gens du business. On leur foutait les foies. Ces cons crevaient de trouille. Mais les fans appréciaient notre droiture et se fiaient à notre attitude. On était exactement comme eux. Sans nos fans, on serait allés nulle part. Pour tous les Anglais, les années soixante-dix ont été une sale période. Tous les groupes s’étaient barrés aux États-Unis. En Angleterre, il ne restait plus que les groupes punk et Motörhead. Partout dans le pays, les kids étaient contents d’avoir un groupe auquel ils pouvaient se fier. Heureusement, on s’entendait bien tous les trois.Les problèmes venaient surtout de l’extérieur, mais on tenait bon. Les planètes devaient nous être favorables et on a fini par avoir un peu de chance. Mais c’est toi qui te fabriques ta chance. On se l’est fabriquée en restant groupés tous les trois et en bouffant de la vache maigre. Et tu peux me croire, on en a bouffé.»

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    Et pouf, Bomber tombe du ciel. Voilà certainement l’un des meilleurs albums studio de Motörhead, en tous les cas, il incarne bien l’âge d’or du groupe car on y entend Fast Eddie faire pas mal de ravages. À commencer par «Stone Dead Forever» qui démarre comme le «Love Song» des Damned. Fantastique prestation ! Rien qu’avec ça, Fast Eddie restera l’un des plus grands guitaristes de rock anglais. Les cuts qui font la force de cet album sont les prodigieux heavy-blues de type «Lawman». Difficile de faire mieux dans le genre. «Sweet Revenge» est encore plus heavy, comme si cela était encore possible. Dans Motörhad, on retrouve tout ce qu’on aime : le cacochyme, les grosses guitares de Fast Eddie, la foi et le pâté de foie, le jusqu’au-boutisme des tournées, la pure incarnation du rock’n’roll, la provocation nazillarde, le fun trash, les pipes à la chaîne, le m’as-tu-vu des rues - street tough - et l’héroïsme des briques rouges. C’est magnifique. On peut écouter les vingt-deux albums studio de Motörhead sans jamais s’ennuyer une seule seconde. Incroyable mais vrai ! Retour au blues-rock des enfers avec «Step Down». On y retrouve Fast Eddie le génie, le roi du festival, l’heavy Eddie God sans personne au-dessus. Eddie prend le cut au chant et fait wooow ! C’est à se prosterner, tellement il en impose. Et bien sûr le morceau titre vaut tout l’or du monde, car on a là du punk pur digne des Damned et du MC5, monté sur un fabuleux riff d’Eddie. On pourrait même parler d’une forme de génie apocalyptique. Le riffage de Fast Eddie fonctionne comme le velours de l’estomac, c’est une bénédiction. Sans Fast Eddie, Motörhead ne pouvait pas décoller. En tous les cas, ça ne fonctionnait pas avec Larry Wallis.

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    La même année sort Overkill. Le groupe a trouvé son son. Ils attaquent avec le sur-puissant morceau titre, idéal et extrême à la fois, digne du MC5, doté de la même énergie, tendu à se rompre, puissant et noble. Voilà ce qu’il faut bien appeler du rock de cartouchière. C’est chanté à la limite de l’épuisement. Fast Eddie joue comme un héros. Il sort des riffs soniqués du ciboulot et les pousse à l’extrême olympien. Ils sont dans l’orgie et restent imbattables à la course. Ils sont chromés et impérieux. Ils se payent le luxe de deux faux départs. Hallucinant ! C’est sur cet album que se niche l’immense «Capricorn», une pièce de trash rock d’épouvante, saturée d’humidité. On écrit ça un peu à la manière d’Henri Michaux, fasciné par les effets, affamé d’incongruité, perdu dans les limbes des équinoxes. Ce fringuant power-trio nous sort là un véritable fumet d’outre-tombe, et c’est à tomber. Lemmy mâche sa morve et il crache des horreurs. «No Class» est aussi monté sur un riff du MC5. Fast Eddie joue le rock de Detroit. Lemmy hurle comme le petit dernier de la famille des damnés de la terre. Ses verrues tremblent. La sueur ruisselle dans son sillon velu. Et Fast Eddie arrose tout au napalm. S’ensuit l’heavy romp de «Damage Case», un vrai stomp poivré au pilonnage intensif. C’est à la fois fabuleux, pointu et pompé. Ils ont vraiment de la puissance à revendre. Aucune chance de s’endormir en écoutant ça. Retour au big heavy sound des enfers avec «Metropolis». Voilà encore un monument de heavyness, suivi d’un autre classique hirsute, «Limb From Limb» ou Fast Eddie joue une fois de plus comme un dieu radieux.

    Eddie est intarissable : «À cette époque, on jouait très fort parce que c’était la classe.Mais ce n’est pas douloureux, ça te donne juste un coup dans la poitrine. Un soir, au Marquee, on avait joué vraiment très très fort. Je suis rentré chez moi et j’ai mis Blow By Blow de Jeff Beck sur la platine. Je n’entendais pas la guitare. J’entendais uniquement la basse et la batterie, et pas les aigus !»

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    Ace Of Spades paraît en 1980. Ils attaquent avec un morceau échevelé, monté sur un riff d’Eddie le pyromane. Lemmy en profite pour avancer son meilleur guttural. Mais c’est Eddie qui fait le show, une fois de plus. Il est partout. Absolument partout. On admire ce qu’il fait dans «Love Me Like A Reptile». Il nous barde ça de riffs de toutes les couleurs, de petits retours retors, de tortillettes infectueuses. Il n’a que deux bras et pourtant il joue comme dix. Il fait aussi des siennes dans cette fabuleuse tranche de heavy blues qu’est «Shoot You In The Back». lls finissent l’A avec un fantastique hommage à Vulcain, le dieu des enclumes : «(We Are) The Road Crew». C’est stompé à la vie à la mort. De l’autre côté, nos trois amis développent la puissance d’une division de Panzers avec «Fire Fire». Motörhead invente là le son de l’avance inexorable, du mur de flammes, de l’enfoncement de la ligne Maginot et Eddie danse dans les flammes, il claque ses riffs fatals - Big black smoke/ Ain’t no joke ! - Autre merveille de heavyness, «The Chase Is Better Than The Catch». Ils stompent comme des brutes et ils bouclent avec «The Hammer» qui sonne comme «Ace Of Spades». Lemmy dérape dans le gras de sa voix chargée et relance des dynamiques épouvantables.

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    N’ayons pas peur des mots : No Sleep Till Hammersmith est probablement l’un des plus grands albums live de l’histoire du rock. Dès «Ace Of Spades», c’est l’enfer sur la terre. Littéralement. On entend arriver la cavalerie de la mort barbare, avec Fast Eddie en tête. Dire qu’on adore Motörhead n’a rien d’exagéré. Ces gens-là ont une simili-dimension divine, ne serait-ce que par l’insolence de leur puissance magnanime. Sur cet album, tout est spectaculairement bon. «Metropolis» est heavy à souhait. Même chose pour «The Hammer», monté sur un beat enfonceur de portes ouvertes. Lemmy s’y arrache la glotte au sang. Quelle dégelée, ça claque et ça fouette, ça pète et ça pisse en montant chez Kate, ça dégage et ça dégueule, ça pétarade et ça bombaste, ça tout ce qu’on veut. Ça casse la baraque, ça fout le feu aux poudres et ça défonce des mâchoires. Ça ne recule devant rien, ça déblaie les barricades et ça débouche les chiottes. Ça écroule les immeubles et ça tue les cloportes. Même chose avec «Iron Horse», une chanson en hommage aux Hell’s Angels - It’s called iron horse/ Born to lose - Puis on retrouve le fameux «No Class» et son riff du MC5. Cavalcade effrénée. On tombe avec grand-mère dans les orties. C’est hallucinant de véracité ergonomique. Et pouf, ils enchaînent avec «Overkill», qui est une véritable abomination. Rien au-dessus de ça. Rien. Voilà le cut intense, carbonisé et tendu à mort par excellence. Insurpassable. Aucun power-trio ne peut rivaliser avec Motörhead. Ils sont foncièrement déstructurants. Ils cognent les neurones comme des boules de billard. Ils tournent à l’énergie rock ultime. Toi la limace, ne viens pas baver sur Motörhead. On trouve à la suite d’autres monstruosités du type «(We Are) The Road Crew», un cut hanté par les hurlements de Lautréamont, version dévastatrice et belle tranche de génie britannique. Ils enchaînent avec «Capricorn» et voilà «Bomber», gros tas d’accords brûlés, ultime et désarçonnant, une chose qui file à toute blinde et qui rougit comme la braise sur laquelle on souffle.

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    Iron Fist se présente comme un album sans surprise, rempli de grosses cavalcades, de guttural et de coups de suspensif signés Fast Eddie. Avec «Heart Of Stone», on a un pur blast de fournaise - Leave me alone/ Get off the phone/ I’ve got a heart of stone - Lemmy dédie «Go To Hell» à ceux qui le dénigrent et il en rajoute avec «Loser» - I’m a loser/ That’s what they said - Lemmy adore régler ses comptes avec les cons - Now I got their women in my bed - On a là un classique du rock anglais. De l’autre côté, il évoque ses souvenirs du Canada et de cristal meth dans «America» - Lemmy et Mick Farren ont ça en commun : ils se sont fait virer de leurs groupes respectifs, Hawkwind et les Deviants, à la frontière du Canada - Et Fast Eddie continue d’enluminer les morceaux de lueurs incendiaires, comme c’est le cas dans «Shut It Down».

    La relation entre Lemmy et Fast Eddie avait commencé à se détériorer. Eddie ne supportait plus les frasques d’un Lemmy qui s’évanouissait sur scène. Eddie : «Il est resté éveillé pendant trois jours et trois nuits en buvant de la vodka. Les groupies l’ont sucé toute la journée. Et puis on est monté sur scène. Il y avait 12.000 gosses entassés là-dedans pour nous voir. Toute la journée, des mecs m’ont proposé des lignes de coke et tout un tas de trucs et je n’ai bu qu’une putain de Heineken, parce que je voulais garder la tête froide. On jouait depuis quarante-cinq minutes, et paf, Lemmy s’est évanoui. Phil et moi on était furieux. On a gueulé et il nous a dit : ‘Ça n’a rien à voir avec le fait que je suis debout depuis trois jours et trois nuits !’ Il nous prenait vraiment pour des cons : pas dormir pendant 72 heures et se faire tailler des pipes à longueur de journée, ça n’a rien à voir avec l’évanouissement, bien sûr que non !»

    Le coup de grâce survint lorsque Lemmy accepta d’enregistrer «Stand By Your Man» de de Tammy Wynette avec Wendy Williams & the Plasmatics. Tout le monde se souvient que la pauvre Wendy avait des beaux nibards, mais elle chantait comme une casserole. Lemmy demanda à Eddie Clarke de jouer sur le single. Il refusa et quitta le groupe. Lemmy : «C’était juste pour rigoler, mais ça s’est transformé en galère à cause d’Eddie... Eddie et ses problèmes... C’est impossible d’être bien avec tout le monde. De toute façon, les choses devenaient compliquées. Il y avait toujours quelque chose qui n’allait pas. Ce n’était pas uniquement ce single. Eddie n’est pas un mec joyeux et ça devait mal finir. On pensait qu’il allait jouer sur le single, puis tout à coup, il a voulu le produire et il s’est barré. C’était bizarre. Il aurait pu partir à un moment plus favorable, avant ou après la tournée. On avait fait les deux premiers concerts de cette tournée, et il se barre. C’est dur, hein ?» Il ajoute : «Tous les trois mois, Eddie quittait le groupe. Ça a duré tout le temps qu’il était dans le groupe. Il menaçait tout le temps de se barrer et cette fois, Phil et moi on lui a dit : ‘Dégage connard, on ne te parle plus !’ Et il est parti.» Comme dans toute séparation, on a des sons de cloches différents. Voici celui de Philthy : «On savait tous que ‘Stand By Your Man’ était un single pour la rigolade.On avait enregistré les parties instrumentales, et dès que Wendy a commencé à chanter, Eddie s’est levé et a dit : ‘Je sors pour aller manger un morceau !’ Et il n’est jamais revenu. Il a dit : ‘Si ce putain de single sort, je ne veux pas que mon nom y soit associé !’» Eh oui, Fast Eddie avait bien raison de ne pas vouloir être associé à cette fumisterie.

    Vingt ans plus tard, Eddie revenait sur la cause de son départ : «Je suis parti pour sauver ma peau. Lemmy est un putain de surhomme, franchement. Il n’arrête jamais de travailler, sauf quand il s’écroule et doit récupérer. Il atteint la cinquantaine, à présent, et il ne s’est jamais arrêté. Moi, je suis cuit, et j’ai fait un break ! Lemmy a toujours continué au même rythme. Chaque fois que je le vois, j’éprouve un certain bonheur à le voir en bonne santé.»

    Lorsqu’il monte Fastway, Eddie constate qu’avec Motörhead, il a régressé en tant que musicien : «Quand j’ai commencé à répéter avec Pete Way, le bassiste d’UFO, je me suis dit : ‘Putain, ma guitare sonne vraiment bien !’ C’est parce qu’il y avait une basse derrière. En jouant avec lui, j’ai compris que le son dépendait des autres. Si tu joues avec un beau son de basse, tu peux jouer plus léger sur ta guitare. Avec le son de Motörhead, tu ne peux pas te détendre. Tu restes en alerte et tu fonces. Je pense que les drogues entraient en ligne de compte, mais je ne suis pas sûr. Je ne veux pas entrer dans un délire philosophique.Il faut voir dans quel état on était à l’époque !»

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    Fastway paraît en 1983, soit un an après Iron Fist. Pete Way n’est pas resté dans le groupe. Topper Headon devait y battre le bon beurre, mais c’est l’ex-Humble Pie Jerry Shirley qui récupère le job. Avec son nouveau groupe, Fast Eddie change complètement de son : Dave King, le chanteur qu’il a embauché, sonne exactement comme Robert Plant. On ne trouve pas vraiment de hits sur ce premier album de Fastway. Fast Eddie joue la carte du son pulpeux et le groupe flirte avec le glam dans «Easy Livin’» puis revient au boogie-blues avec «Feel Me Touch Me». Mais avec «All I Need Is Your Love», tout devient clair : c’est du pur Led Zep. Fast Eddie joue la carte du rock anglais, mais de façon admirable et volontaire. «All I Need Is Your Love» pourrait très bien figurer sur le mighty Led Zep 1. Ils restent dans ce son avec «Another Day». Eddie rôde bien dans les parages, pas de demi-mesure, need somebody, Dave King chante ça avec une parfaite abnégation, il fait l’apprenti Plant bien intentionné. Ces gens-là savent vraiment se déterminer et Fast Eddie multiplie les incursions intestines, alors tout va bien, il lutte dans le gras du glas qui sonne pour qui sonne le glas, il titille ses petites notes féroces qui s’en vont se perdre dans la nuit comme des feux follets. «Heft» s’inscrit dans la meilleure tradition du heavy rock blues anglais, Dave King est dessus. Fast Eddie savait très bien ce qu’il faisait en l’embauchant. Et il ne rate pas une seule occasion d’aller briller au firmament des guitar slingers, il joue tout ce qu’il peut dans «Say What You Will». Il adore partir en vrille. Il assure la victoire avec «You Got Me Runnin’», il multiplie les vrilles judicieuses, il soigne ses intestines et redore le blason du cursif exacerbé. Fabuleux bretteur.

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    L’année suivante paraît All Fired Up. On y trouve deux très belles énormités : «Misunderstood» et «Station». Fast Eddie attaque le premier au riff tordu et Planty King fonce dans le tas. Ah il faut entendre ce guitariste génial placer ses riffs alarmistes et ses dégringolades de gammes. Quand il part en solo flash, c’est superbe. Il semble arroser toute la planète. Back to the heavy sludge avec «Station». Admirable car gratté aux millions de notes fast-eddiques fatidiques. Il en rajoute encore à chaque tour. Il part en solo comme dans un rêve et joue même tout le cut au long. Nouveau festival avec «Hurtin’ Me», idéal pour un géant du heavy blues comme Eddie. Il le joue même au suspensif. Dave King continue de faire son Plant et il est plutôt bon à ce petit jeu. Eddie joue le heavy blues en filigrane dans «Tell Me» et passe au heavy glam avec «Hung Up On Love». On est dans le meilleur du rock anglais des seventies, ils mélangent Led Zep et les Stones. On sent bien que ces quatre mecs en veulent. Sur cet album, tout est joué au maximum overdrive de Fast Eddie. Il amène une énergie spéciale et travaille tous ses cuts en sape. Il réserve ses meilleurs heavy chords pour «Telephone». Planty King se positionne face au vent, et ça part en mode heavy blues à la Free, mais attention, Eddie rôde comme un vautour dans les parages. C’est un sacré vénéneux.

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    Avec Waiting For The Roar, les choses commencent à se gâter. Fast Eddie et ses amis vont sur une sorte de hard-rock symphonique à la vieille mormoille purulente, ce hard dégénéré et atrocement commercial qui fit tant de dégâts dans les années quatre-vingt. Dave King chante de plus en plus mal. Il a perdu le plan du Plant. En entendant ça, Lemmy devait bien rigoler. Au moins, Motörhead n’est jamais tombé dans ce panneau. Fastway fait une cover du «Move Over» de Janis, mais bon, allez plutôt écouter Janis. Ils tentent un retour à Led Zep en B avec «Rock On» et Fast Eddie y fait son numéro de cirque à la Jimmy Page. On le sent fasciné par le vieux son du premier Led Zep de 68. Mais ça déraille assez vite, car ils se mettent à sonner comme Queen. Ils font un stomp à la petite semaine dans le morceau titre et ça redevient horriblement putassier. Ils devaient avoir pour consigne de faire rentrer les sous. Ils terminent avec un «Back Door Man» qui n’est ni celui de Wolf, ni celui des Doors. Ne rêvons pas.

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    Nouveau changement de personnel pour les deux albums suivants, On Target et Bad Bad Girls. Fast Eddie est le seul membre originel. Le voilà entouré d’une véritable caricature de groupe. Les pauvres, on les voit s’enfoncer dans le bad taste et la mauvaise hurlette. On ne parle même pas de la qualité des compos. Alors forcément, on pense à Lemmy qui en écoutant ça a dû tomber de sa chaise pour se gondoler de rire. Il a même dû s’en coincer la mâchoire, comme quand on bâille trop fort.

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    Dix ans après, Fast Eddie retrouve la raison et reworke ses cuts dans On Target Reworked. L’album vaut le détour, rien que pour l’extraordinaire dégelée de furiosa del sol d’«Easy Livin’», un cut tiré du premier album et parfaitement digne du Led Zep 1. S’ensuit un heavy «Show Some Emotion» qu’Eddie joue en profondeur et on se retrouve une fois encore avec une incroyable dégelée de bonne prestance. Fast Eddie embarque «Say What You Will» au heavy beat et renoue d’une certaine façon avec Motörhead. Même genre de fournaise, c’est battu comme plâtre. Toute la fantastique énergie d’Eddie accourt au rendez-vous. Sur cet album, on trouve aussi le fameux «Trick Or Treat» tiré d’une bande-son. C’est du beau rock anglais joué à la Fast. Ce démon d’Eddie adore les grands accords triangulaires. Très british, très stompé du stamp. Eddie revient à son cher cocotage dans «The Answer Is You». Heavy Fastway baby. Il joue sur le pourtour des accords, il voyage bien dans ses gammes, il agit en sonic-boomer patenté. Sorti du blasting de Motörhead, il semble respirer à pleins poumons. Encore plus colossal, voici «These Dreams». L’intérêt d’un guitariste comme Fast Eddie, c’est qu’il joue tout ce qu’il peut, alors on tend l’oreille. On retrouve aussi le fameux «Station» tiré du deuxième album et voilà «Change Of Heart», certainement la plus grosse rockalama du disk. C’est excellent car visité de part en part. «Two Hearts» regorge aussi de puissance. Eddie n’en finit plus d’allumer la gueule de ses cuts, il les remplit de son à ras-bord. Ça reste excellent, même avec un son daté. Eddie est à la fête, il voltige dans ses cuts et bat tous les records de présence. Encore un extraordinaire déploiement de forces dans «She Is Danger», et puis voilà.

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    Fast Eddie enregistre un dernier album en 2011 : Eat Dog Eat. C’est un gros pépère bourré de son. «Lovin’ Fool» emporte tous les suffrages : incroyablement bien structuré, plutôt seyant, pur farniente, Eddie fait ses adieux au rock en beauté et part en vrille de Master Faster. L’autre gros coup, c’est «Love I Need» - I’ve been riding/ Riding for so long - Eddie est un géant, alors il s’amuse avec les petites choses de la terre. Il joue tout en filigrane, fastin’ it all, à sa manière, inventive et haletée, volubile et volage, et il finit par s’écrouler dans le brasier d’un empire en flammes. Le «Deliver Me» d’intro sonne comme un heavy sludge chanté au heavy slab de Sabbath. Back to the old British pathos, babe. Les Anglais adorent ce son pourléché et bien plombé. Fast Eddie semble survoler son cut comme un vampire. On le voit aussi claquer ses accords dans l’écho du temps avec «Fade Out». C’est tellement bourré de son que le commentaire devient inutile. Dommage que le chanteur Toby Jepson ne soit pas si bon. Il fait ce qu’il peut, mais au fond ce n’est pas si grave, car on est là pour Eddie. D’ailleurs, il remet les bouchées doubles avec «Leave The Light On». Oui Eddie joue comme un crack, il wha-whate ses vieilles dégoulinades de génie. On le voit aussi attaquer «Sick As A Dog» au riff demented. Pas de porte de sortie, c’est du riff pur, Eddie nous embarque dans son sick sick sick et profite de l’occasion pour placer un solo en flammes. On est là pour ça, ne l’oublions pas. Quand on aime les solos en flammes, c’est lui ou Wayne Kramer qu’il faut aller voir. Avec «Who Do You Believe», Eddie veille au grain. Heavy as hell. Le seventies sound, c’est leur domaine. Believe est probablement le hit du disk, ne serait-ce que pour le petit coup de vrille en back door man. Il boucle l’album avec «On And On», joué au vieux tombé d’accords seventies. Quelle incroyable sévérité de la fidélité ! - I’m sorry/ There is nothing more - The Fast of it all, ce démon d’Eddie n’en finit plus d’entrer dans le lard du cut à coups de solos répétitifs et allumés.

    Et voilà qu’on apprend sa disparition. Motörhead et les Ramones ont un joli point commun : plus de survivants. On craint surtout que la démesure disparaisse avec tous ces géants. Le grand livre du rock n’en finit plus de se refermer. Bientôt l’âge d’or du rock ne sera plus qu’un pâle souvenir.

     

    Signé : Cazengler, Fesse Eddie tête à Clarkes

    Fast Eddie Clarke. Disparu le 10 janvier 2018

    Curtis Knight Zeus. The Second Coming. Dawn 1974

    Motörhead. Motörhead. Chiswick Records 1977

    Motörhead. Bomber. Bronze Records 1979

    Motörhead. Overkill. Bronze Records 1979

    Motörhead. On Parole. United Artists Records 1979

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    ( sans la participation d'Eddie Clarke )

    Motörhead. Ace Of Spades. Bronze Records 1980

    Motörhead. No Sleep Till Hammersmith. Bronze Records 1981

    Motörhead. Iron Fist. Bronze Records 1982

    Fastway. Fastway. CBS 1983

    Fastway. All Fired Up. Columbia 1984

    Fastway. Waiting For The Roar. Columbia 1985

    Fastway. On Target. GWR Records 1988

    Fastway. Bad Bad Girls. Enigma Records 1990

    Fastway. On Target Reworked. Receiver Records Limited 1998

    Fastway. Eat Dog Eat. Steamhammer 2011

    *

    Quelle était la couleur de la couleur tombée du ciel ? Ne voudrais pas avoir l'air de me vanter mais à moi tout seul j'ai résolu la grand mystère littéraire du vingtième siècle. Beaucoup se sont cassés les dents sur cette énigme posée par la nouvelle de Lovecraft. Je sens que certains vont en être verts de rage, rouges de honte, bleus de stupeur, noirs de colère, z'auront beau rire jaune en prétendant qu'ils le savaient mais que seule leur modestie les a empêchés de proclamer la vérité. Bernique ! Nique ! Nique ! Nique ! Vive les seins de Sainte Dominique !

    La solution m'est apparue le matin en ouvrant la fenêtre. Un paysage apocalyptique. Sibérien. Méconnaissable. Le truc qu'on gère pas. Cette couleur maléfique lovecraftienne, ourdie par les sombres agissements de Cthuhlu pour étendre sa domination sur le monde entier, n'est autre que celle du fameux cheval d'Henri IV, le blanc, si blanc que pour un peu vous le prendriez pour de la neige. D'une nocivité extraordinaire, une espèce de poulpe poudreux qui s'attachait aux roues de la Teut-Teuf et l'immobilisait ad vitam aeternam. Même pas pu aller à la Comédia à Montreuil vendredi soir. Aux grands maux les grands remèdes. Samedi matin, ne me suis pas dégonflé, suis sorti en pyjama sur le bord de route, la traduction par Phillipe Pissier de Magick en mains, et ai prononcé le Rituel Sacré de la Toute Puissance d'Aleister Crowley, et vous pouvez m'en croire, le soir même la route de Troyes était complètement dégagée, libre de toute teinte cthulhuéenne, j'en hulule encore de joie.

    Connaîtriez-vous une force maléfique capable d'empêcher irrémédiablement un rocker d'assister à un concert !

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    10 / 02 / 2018TROYES

    LE 3B

    EDDIE AND THE HEAD-STARTS

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    ( Journaliste avec lunettes )

    D'autant plus que ce soir nous avons atteint l'immortalité. Enfin presque. Programmée pour 2019 – 2020. La radio es là. Venue explorer le monde turbulent des rockers. Journaliste sympathique – je ne voudrais pas donner dans l'identitaire départemental mais nous partageons la même origine ariégeoise - qui ouvre son micro et nous interviewe à tour de rôle – l'a du courage, la sono de Fab, la meute des assoiffés qui se pressent autour du bar et se compressent dans les coins, mais l'est tout content, l'enregistre tout ce qu'il lui faut, tout le rock'n'roll en vrac, du rockabilly au métal, des tatouages aux blousons, des voitures à la rebelle attitude, Hank Williams, Gene Vincent, Kr'tnt, Jean-Jacques, Alec, Billy, Christophe, l'a tout en lambeaux, ne lui reste plus qu'à remettre en ordre, n'a même pas oublié d'enregistrer Eddie and The Head-Start. Les voici.

     

    EDDIE AND THE HEAD-STARTS

    ( SANS EUX )

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    N'ont pas casé le batteur tout au fond comme tous les autres groupes. Ce n'est pas qu'ils cherchent l'originalité. Eux ce serait plutôt l'authenticité. Pour la simple et bonne raison qu'ils n'en ont pas. A Troyes – et partout ailleurs - ne sont que trois. Guit acous, contrebasse, lead électrique. Pas plus, ni moins. Ne faites pas l'étonné, rappelez-vous qu'en ses débuts Elvis ne possédait pas de batteur. L'a ajouté quand le monde a commencé à affluer aux concerts et qu'il fallait un certain volume pour se démarquer du bruit de l'assistance. C'était du temps où il a gagné son surnom d'Hillbilly Cat. Le puma des Ardennes en français approximatif. Le Hillbilly est un genre à part en soi. L'art des garçons de ferme. Les rustauds qui ne peuvent voir une meule de foin sans y coucher la première fille qui passe sur le chemin, pas des intellos, des ploucs à la comprenette dure. Méfiez-vous sont plus malins qu'il n'y paraît, l'esprit des coyotes habite l'âme des chats efflanqués des collines. Le hillbilly ça sent le bal du samedi soir, le purin, et le bousin de long horn. Bouchez-vous le nez mais ouvrez vos narines toute grandes. Se métamorphosent lorsque l'exode rural les pousse à la ville. Se payent de belles chemises, roulent en mécaniques rutilantes, et bye-bye les aigres-douces chansons nostalgiques, donnez leur un micro, s'en servent comme d'un cocktail molotov, le hillbilly s'enflamme et devient rockabilly. Une mutation. Si Darwin avait vécu assez longtemps, s'en serait servi pour expliquer les sauts qualicatifs qui ont présidé la longue marche des espèces qui depuis la disparition des dinosaures a permis à l'homme de s'améliorer sans fin. Certains mêmes affirment que le hillbilly man et le rockabilly man sont les stades suprêmes de l'évolution humaine, que depuis la race hominienne régresse, dégénère, et court à sa perte. Mais quittons ces vues philosophiques pour regarder :

     

    EDDIE AND THE HEAD-STARTS

    ( AVEC EUX )

    Eddie Gazel. Fils ne vous gardez point à droite, le reître Thibaud Choppin s'en charge. Fils ne vous inquiétez pas de gauche, le soudard Stéphane Beaussart y veille. Le vrai père, Thierry Gazel, n'est pas loin, viendra plus tard ramoner la big mama de Thibaud, mais n'anticipons pas. Avec de tels arrières latéraux, l'est tranquille Eddie, guitare en main et bouche au micro. A trois défendent le pont-levis du hillbilly. Si vous voulez forcer le passage, passez devant. Qui s'y frotte s'y pique. Ça n'a l'air de rien mais il faut les qualités requises indispensables, du swing percutant, du contrapuntique contraignant, et un vocal de crotale.

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    Pour le swing, vous avez Thibaud Choppin. Posté de guingois, à l'affût derrière sa big mama, vous lance un regard de chef-indien là-haut sur son piton rocheux qui examine le convoi des charriots qui s'approche du défilé de la mort certaine. Qui dit swing ne dit pas jazz. Pensez à pulsation. Agonique et précipité. Le Choppin quand il vous choppe sa contrebasse ce n'est pas pour éplucher le bulletin météo. Avec lui, c'est tempête et tremblement de terre force huit. Ne descend jamais au-dessous. Crève le plafond de temps en temps. Joue un peu à la manière de Jessie James quand il rackettait les banques. Mais avec le sourire en coin et l'ironie mordante qui fuse de ses lèvres dès qu'il peut en lâche une. S'amuse, avec une main, avec deux, avec trois, avec quatre, pas le temps de vous demander d'où il les sort, et même sans aucune.

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    A Stéphane Beaussart échoit la tâche la plus difficile. Le hillbilly ressemble davantage à trois coups de poings bien appliqués qu'à une stratégie à la Napoléon. Un seul mot d'ordre. Vite fait et bien fait. Le nez en sang et l'on passe au suivant. Beaucoup plus jumpin' que gallupin'. Pas la possibilité de se livrer à de grandes galopées. Pour les envolées lyriques vous repasserez. Faut être présent à tous les instants, plantez le clou au millimètre près. Juste entre deux hennissement de la big mama et conclure juste après la voix, un jeu, un question-réponse, un dialogue à trois, ni oui ni non, mais un mot chacun, monosyllabique, placé le plus vite possible sans empiéter sur celui qui vous précède et en laissant le moins d'espace possible à celui qui prend la suite. De la haute école. Exercice collectif des plus difficiles. S'en tirent comme des rois avec l'impertinence des bouffons. S'amusent comme des fous, complicité souriante, émulation rieuse.

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    Je vous refile les dates – en comptant très large, 52 – 57. L'ère du déploiement du hillbilly, certains compressent entre 54 – 56, l'instant de la pliure, du passage du hillbilly au rockabilly en s'abstenant de franchir le col du rock'n'roll. Certes nos trois cavaliers reprennent du Little Richard et du Gene Vincent, mais ce que moqueusement l'on nommera les slows, le Send Me Some Lovin du petit Richard qui sent encore la vase du bayou et le clapotis des alligators, et le Peg O' My Heart de l'idole noire, de la chanson populaire parce que pour embarquer les gerces c'est quant même plus voluptueux qu'une course en hot-rod avec le diable. De toutes les manières, ce qui compte, c'est l'art et la manière de présenter la bagatelle. Faut savoir être tendre sans passer pour un benêt, le hillbilly est une musique perverse. Tenez-vous le pour dit.

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    Eddie Gazel parfait dans le rôle. L'a tout pour lui. La jeunesse et la beauté. L'oeil de velours et le regard assassin. Et puis la voix. Flexible comme un queue de crocodile. Capable de se lamenter sans nous faire pleurer. Malmène sa guitare comme un chien gratte ses puces. Force rythmique d'appoint et d'assaut. Siffle comme un serpent dérangé dans sa sieste, l'a tous les articles en magasin, à l'aise dans tous les registres : nostalgie country, rupestre campagnard, boogie électrique, un répertoire qui court de la ruralité cajunique d'Al Ferrier au baryton épineux de l'Elvis de chez Sun, du pizzicato de Johnny Burnette à la ballade pseudo-romantique. Lève la guitare vers le ciel et profile un jeu de hanche des plus terrestrement lascifs.

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    Trois sets, le premier à dominante hillbilly, le deuxième davantage rockabilly, le troisième pas rock'n'roll mais presque. Beaucoup d'aisance et de facilité. Thibaud Choppin délaisse sa big mama pour se mettre l'assistance dans sa poche avec sa belle voix grave, Stéphane Beaussard se permettant un instrumental très surfin' manière de montrer que sa monture pâture aussi en d'autres lieux, son voilier tatoué sur son avant-bras comme signe de recherche et d'aventure. Eddie en meneur de jeu. Sait instaurer une communication des plus directes et des plus primesautières avec le public qui adore. Faut un sacré tallent à Eddie pour que dès le premier morceau tout le monde se masse devant les Head-Starts et adhèrent à cette musique chargée d'anciennes rurales fragrances qui ne correspondent plus à notre monde urbanisé. Une musique moins chargée d'impédence électrique que le groupe a su rendre sans effort, actuelle. Rarement – et pourtant les Dieux savent combien le public du Bar de Béatrice Berlot est chaud et réceptif – un groupe aura reçu une telle écoute et suscité une telle ferveur.

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    TOM ROISIN

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    ( Trouvez Tom ! )

    Entre deux sets, Tom Roisin nous interprète trois titres d'Hank Williams, Jambalaya, Honky-Tonky, I Saw the Light et un dernier Folsom Prison Blues de Johnny Cash. Belle allure sous son stetson immaculé et dans son costume impeccable. Autodidacte et passionné de country Tom Roisin, persévère. S'accroche à son rêve et commence à tenir le chat du diable par la queue. A suivre. Bon Gumbo.

    Damie Chad.

    ( Photos : FB : Béatrice Berlot )

     

    MY NAME IS EDDIE

    EDDIE AND THE HEAD-STARTS

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    Rhythm Bomb Records. RBR 45 – 29.

     

    My name is Eddie : racatement de basse, le jeune Eddie vous prend la voix traînante d'un vieux vacher des Appalaches, Beaussart pointille comme un pic-vert, Choppin tamponne comme un wagon, dépaysement garanti. Pas le temps de voir passer, que déjà ils expédient la fin dans les règles de l'art, ça tressaute comme un cul à cru sur un cheval bondissant. Blues stop knocking : croisements d'autoroutes, celle de la ballade country avec la séminalité sous-terraine du country blues. Sur le refrain l'ensemble s'envole vers les grands espaces, mais sur le solo Beaussart tire du côté d'Arthur Crudup, Eddie vous emprunte les échangeurs sans jamais se tromper, goudronnage et tenue de route assurée par la maison Choppin. Playmate : Beaussart et Choppin vous mènent un quadrille d'enfer, et la gazelle Eddie vous fait de ces piqués de voix à vous faire voir des éléphants roses. I wanna make love : tout ce qu'il faut faire, je parle de l'union physique de l'instrumental avec le vocal. Chacun à son tour par-dessus et puis par dessous. Plus les petites spécialités individuelles. Bref ça balance et roule vers le rock'n'roll de bien jolie façon. S'éclatent comme des bêtes vicieuses. Un prix d'originalité sera décerné à Stéphane Beaussart pour son solo.

     

    Old style never dies !

     

    Damie Chad.

     

    BOB DYLAN ET LE RÔDEUR DE MINUIT

    MICHEL EMBARECK

    ( L'Archipel / 2018 )

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    Roman. C'est écrit sur la couverture. Déduction logique : tout ce qui est écrit est faux, sorti tout droit de l'imagination fertile de Michel Embareck. A part que tout ce qu'il raconte est totalement vrai. Même si vous n'avez jamais porté la moindre créance au concept de vérité – pure et intangible – du sieur Platon. N'avez qu'à lire pour vous en être persuadés. Très simple, cet embrouilleur d'Embareck nous fait le coup du bonneteau littéraire. Z'êtes sûr que sous le godet du milieu se trouve un roman, erreur sur toutes les lignes, c'est votre vie qui est mise en scène en deux cent cinquante pages. La vôtre, la nôtre, la mienne. Inutile de bomber le torse, l'est retors l'Embareck, non, ce n'est pas le roman dont vous êtes le héros. Pas de place pour vous. N'en a déjà mis que deux sur le titre, Dylan et le Rôdeur de minuit, mais c'est un fusil à trois coups, le troisième est habillé tout en noir. Pas besoin de pousser la description plus loin, quel faquin ne reconnaîtrait pas Johnny Cash, the man in black, en cette sombre silhouette ?

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    Pas de problème l'histoire vous connaissez : la bio ( et de broc ) de Dylan et de Johnny Cash. Pourriez la réciter par cœur, l'est finaud l'Embarech, ne fait pas dans le détail, la révélation minuscule que personne ne connaît. En gros, vous n'apprendrez rien. De toutes les manières tout est faux. Etabli sur des faits certifiés conformes, rien de plus facile pour vérifier : presse d'époque, témoignages assermentés, vidéos, livres, disques. Ne manque pas un biscuit dans la cambuse. D'ailleurs l'Embareck se dépêche de les refiler aux rats, lui le maitre-coq vaudou, il travaille avec le vent qui bouscule la mâture. Blowin' in the wind, comme dirait l'autre.

    Commençons par nous débarrasser de l'assassin. N'ayez pas peur, pour un criminel, il n'est pas dangereux, le gars qui ne tue même pas une mouche de tout le roman. C'est peut-être pour cela qu'il vous ressemble. Un mec plutôt sympathique. Toutefois, tout ce qu'il a fait de bien dans sa vie, ce n'est pas de sa faute. Aucune médaille à lui décerner. L'Ici et Maintenant des philosophes. Hasard et circonstances. Son seul mérite c'est d'être sorti du ventre de sa maman au bon moment. Pile-poil à l'heure pour devenir disc-jockey au début des années soixante à Shrevreport. En Louisiane, l'état marécageux des States où les alligators dans leur barbote ont inventé des horreurs sans nom qui ont pour nom : jazz, blues, rhythm'n'blues, rock'n'roll. Bref notre animateur radiophonique l'a tout vu et tout entendu. Les Beatles, les Stones et, ce qui tombe super pour le bouquin, rencontré Dylan et Cash. Evidemment sur une carte de visite, ça en impose. De quoi être jaloux. D'ailleurs à la fin du film de sa vie, l'Université – avec un grand U comme Urinoir - vient l'interviewer. Si cela vous arrive, dites-vous que votre cercueil se rapproche de vous, vitesse grand V. Pas Victoire, genre Vanité des Vanités...

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    Je sens votre impatience. Le lectorat kr'tntique n'a qu'un mot à la bouche : Cash ! Cash : Cash ! Etrange de voir comment le country man a été adopté par les rockers depuis une vingtaine d'années par chez nous, encore plus que Jerry Lee Lewis – le grand absent de ce livre d'ailleurs, mais peut-être qu'Embareck se réserve-t-il le Killer pour parfaire une trilogie commencée avec Jim Morrison et Le Diable Boîteux . Donc Cash. Honneur à la dame de cœur. Très beau portrait de June Carter. June, le trublion de la Carter Family. La fofolle de service. La gamine irrésistible. Instinct et joie de vivre. Tout ce que Johnny n'est pas. In his mind. Un coincé de la tête. Parce que selon son corps, c'est davantage borderline. Z'oui mais la pieuvre du puritanisme, pouvez lui couper les tentacules par centaines elles repoussent toujours. C'est cela la malédiction d'être né pauvre. Non seulement vous n'avez pas d'argent et vous bouffez tout juste ( vraiment juste ) à votre faim, mais pour la largesse d'esprit c'est vache maigre et chambre d'étudiant au dix-huitième étage sans escaliers et les chiottes sur le pallier. Tout le reste est squatté par la peur des sept péchés capiteux et l'observance des dix commandements. Mes très chères sœurs et mes très chers frères, nous avons le regret d'avoir à condamner notre idole, Johnny trompe sa femme, boit comme un trou et gobe les pilules comme certains les patenôtres. Nous lui pardonnerons, son métier, la fatigue, la route, les tournées, les filles qui s'offrent, le diable a mille perversités dans son escarcelle...

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    Voici Dylan. Une autre problématique. Lui le danger n'est pas dans sa cabosse. Vient de l'extérieur. Des autres. Bien entendu de ceux qui l'aiment le plus. Le public, les fans. Au début le Bobby, faut pas grand chose pour le rendre heureux, une guitare, une gratte, une sèche, une acoustique, un harmo pourrave, et le répertoire folk qu'il a emmagasiné dans sa tête. Encore un qui arrive comme la soupe sous le cheveu. Ne pouvait pas mieux tomber avec sa voix de chat écorché. En plein dans la vague contestataire. Combat pour les droits civiques et contre la guerre au Vietnam. Bien sûr qu'il partage ces idéaux, par contre ne se sent pas très à l'aise dans la bonne ouate de gauche, l'impression de se faire manipuler, d'entrer dans de nouveaux carcans, idéologiques. L'autre face de la bonne conscience se nomme nouvelle morale. Alors il commet l'outrage suprême. L'ignoble trahison. Il électrifie le folk. S'en va enregistrer chez les ploucs de Nashville. S'éloigne de sa vie de star, se marie, fait des enfants. Devient un bon père de famille. Bref à partager la vie de tout le monde, il finit par faire comme tout le monde, il s'ennuie. Le Diable possède une tentation adaptée à chacun.

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    Dylan reprend la route que Cash n'a jamais quittée. L'un pour s'éloigner du peuple de gauche et l'autre pour se rapprocher du peuple de droite. Les rebelles ne sont pas de purs chevaliers blancs irréprochables, ne sont jamais là où on voudrait les voir. Y en a tout un tas qui croupissent en prison. Cash prend son bâton de pèlerin et s'en va chanter à Folsom. Du côté de la mauvaise graine. Des voyous, des tueurs, des violeurs, de la sale engeance. Même Jésus Christ n'avait pas osé y penser. Avec les réprouvés de la société. Les enfants perdus de la misère. Sans illusion, car s'il n'avait pas eu son baryton de croque-mort il aurait peut-être fini là, lui aussi. Poussera même la roue un peu plus loin. Ira chanter pour les boys. Au Vietnam. Est viscéralement contre la guerre, mais il se doit de réconforter les guys dans le bourbier. Chante pour eux et visite les hôpitaux de campagne. Voie étroite et récupérable que Dylan ne lui pardonnera pas. Notons que Joan Baez, son ancienne compagne se rendra au Vietnam, elle aussi, mais de l'autre côté, au Nord, sous les bombes américaines...

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    Dylan et Cash, deux facettes de l'Amérique. Encore aujourd'hui beaucoup de ceux qui écoutent Johnny Cash ne prêtent qu'une médiocre attention à Dylan. La réciproque est un peu moins vraie, les méandres de sa carrière ont quelque peu altéré l'admiration béate que lui a longtemps portée son public, et le vieux Cash a bénéficié de sa longue fidélité à son propre style, n'a jamais donné l'impression de s'être renié. Embareck balaie tout cela d'un trait de plume. Cash, Dylan, même combat, tous deux chantres de l'Amérique populaire. Pas celle du massacre des indiens, du capitalisme triomphant, de la ségrégation, des mentalités de beauf en boîte, mais celle de ceux qui essaient de survivre tant bien que mal, de tracer ou d'imaginer d'autres routes. Des outlaws modernes. Une Amérique qui vient de loin, dont Cash et Dylan, Embareck nous les présentent en frères d'armes, ont tenu à garder intacte la mémoire. Se sont sentis obligés de perpétuer au travers de leurs répertoires le souvenir et la présence de ces millions d'existences anonymes, les vaincus, les misérables, les laissés-pour-compte, n'en reste rien aujourd'hui si ce n'est quelques os épars au fond des cimetières.

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    Lecteurs, je vous sens un déçus, vous avais affirmé dans le premier paragraphe que l'Embareck parlait de vous. Nous y arrivons. Vous a filé un surnom. L'a piqué aux Stones. Le Midnight Rambler, c'est vous. Vous espère un peu moins décatis que lui, parce qu'à la fin du livre il a dépassé ses quatre-vingt printemps. L'est rentré dans l'hiver. Fait un dernier point. Avant de débarrasser le plancher. Place aux jeunes. Ne s'apitoie guère sur lui-même. Comme vous, comme moi. Des hauts et des bas. Des erreurs. Je n'insiste pas. Lui non plus. Parle avant tout des autres, de l'état du monde. Le même constat que vous. Un minimum de mieux. Un maximum de pire. Ne s'est pas amélioré depuis le siècle dernier.

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    Rusé l'Embarek, s'y entend pour filer le sucre qui fait remuer la queue des chiens. Dylan, Cash, - bonjour les attrape-nigauds, pour ceux qui hésitent il rajoute Alice Cooper et Merle Kilgore, et spécialement pour moi Gene Vincent – et puis il vous balance la boule de strychnine. Des artistes comme Dylan et Cash, vous en raffolez, vous les adorez. Mais soyez justes, ils n'ont pas changé le monde. Et derrière eux c'est la faillite de toute génération qui se profile. Pardon, qui déboule. L'arrache le voile des illusions l'Embareck, devrait être condamné pour cruauté mentale, vous laisse plus nus que la vérité, et ne croyez pas que vous vous en tirerez en vous fondant dans le nombre, pousse l'ignominie jusqu'au bout – page 245 – dresse la liste de tous les noms, n'oublie personne, j'ai vérifié vous y êtes. Pourrait accomplir sa délation en utilisant une écriture neutre, mais non, l'a du brio, du brillant, de l'entourloupe, dès la première ligne vous êtes pris, ferrés jusqu'au bout. Ça bouge, ça cogne, ça vit. Vous n'y faites pas gaffe, vous distille le poison de l'échec. Triple dose, au début ça vous file un pêchon extraordinaire, mieux que l'héroïne, et puis c'est votre déchéance spirituelle qui vous azimute. Sans lot de consolation. Une bourrasque d'Embareck et toutes vos fausses raisons de vivre tombent à l'eau. Regardez-vous et enfuyez-vous en courant.

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    En fait – j'ai oublié de le préciser – le rôdeur de minuit finit bien par tuer quelqu'un. Mais quel est donc ce couteau planté dans votre dos ?

    Le rock m'a tuer.

    Damie Chad.

     

    BOB DYLAN

    Le personnage / Sa musique / Son guide

    NIGEL WILLIAMSON

    ( Editions de Tournon : Rough Guides / 2009 )

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    A parler de Bob Dylan autant descendre au garage voir ce que j'ai sur lui. J'en remonte avec ce beau format quasi-carré, pas très grand mais de 325 pages composées en tout petits caractères. Le livre s'arrête au moment où paraît le premier tome de ses mémoires Chroniques ( I ). Près de dix ans se sont écoulées depuis et voici deux années Dylan s'est vu remettre le Prix Nobel. Le book m'apprend dans un petit entrefilet rose qu'en 1996, un groupe d'intellectuels et d'admirateurs avaient officiellement bataillé pour la candidature du chanteur à ce prix. L'attribution du Nobel de Littérature à Bob Dylan en 2016 n'a pas été une divine surprise comme les médias l'ont présentée. Mais le fruit d'une longue et obstinée candidature sur laquelle Dylan, selon son habitude, ne s'est apparemment jamais exprimé.

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    Nigel Williamson emploie la technique dite des tirs-croisés ou des labourages quadrillés. Revient plusieurs fois sur le même sujet. La moitié du bouquin purement biographique nous raconte la vie de Bob Dylan. Assez fouillée, non exempte de réflexions critiques, tenant compte de tous les aspects de l'existence du chanteur : familiale, privée, sociale, publique, et bien entendu musicale et artistique. Le livre pourrait s'arrêter-là, mais non, Nigel est un maniaque, ou alors peut-être prend-il ses lecteurs pour des cerveaux lents, car il passe une deuxième couche : passage en revue en long et en large de tous les albums – disco officielle et survol des pirates – rajoute un troisième glacis protecteur : analyse des cinquante meilleures chansons, sans oublier de fignoler les finitions : les films, les livres, les fans, les continuateurs...

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    N'empêche que l'ensemble est agréable à lire et peu répétitif. Fourmille d'anecdotes surprenantes : je ne vous en cite qu'une, marrante, celle de A. J. Weberman qui avait pris l'habitude de fouiller les poubelles de Dylan, afin d'en retirer la substantifique moelle documentaire qui l'aidait à conforter ses vues personnelles sur la personnalité du chanteur. Le début de l'histoire du fondateur de la nouvelle science qu'il baptisa déchétologie est connue. J'en ignorais la fin. Weberman eut ses adeptes. Pas ceux qu'il aurait souhaités. Les agents du FBI mirent le nez dans ses propres poubelles. Après avoir retrouvé de suspects sachets ( vides ), ils en conclurent que Weberman était à la tête d'un trafic de livraison de marijuana à domicile et, à vous dégoûter de rendre service à vos concitoyens, l'envoyèrent séjourner en prison...

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    Une autre pour mon plaisir personnel : y avais toujours cru mais n'en avais aucune preuve : Dylan l'a confirmé lui-même : a bien pensé ( pas uniquement ) à Baby Blue de Gene Vincent pour l'écriture d'It's All Over Now, Baby Blue.

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    N'ai jamais été un fan transi de Dylan. Attention, durant dix ans le bonhomme a fait ses preuves. Prolifiquement doué. Vous tortillait une galette de vinyl comme une grand-mère bretonne une crêpe au sarrasin. L'avait la qualité essentielle du rocker : devenait méchant dès qu'il apercevait un micro dans un studio. Ne se forçait pas, arrivait les mains dans les poches, se saisissait d'une feuille de papier et il vous dégorgeait du venin comme une vipère qui n'a rien eu à se mettre sous le crochet depuis trois ans. Parfois, l'improvisait directement et les ingénieurs couraient vers la cabine pour mettre le bouton sur le ''on''. Mauvais caractère en plus, tête de lard et de cochon. Ne filait pas d'indications aux musicos. Ou ils pigeaient illico, ou ils retournaient à la maison. Un génie !

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    Reconnu comme tel. Porté par la vague des fans. Du jour au lendemain, la figure de proue du mouvement contestataire. Exactement le contraire des New Yok Dolls qui eurent trop peu pour si peu de temps, le Bobby lui ce fut trop beaucoup immédiatement. Dépassé en quelques mois par l'enchaînement et le déchaînement du succès. S'en est sorti. Parce qu'il était un cabochard. Par la petite porte. N'aimait pas qu'on lui dicte le chemin. Suze sa muse ne l'amuse plus depuis qu'il baez avec Joan de laquelle il baisse dans l'estime depuis qu'il s'en va avec Sara ça ira, pareil avec les copains, beaucoup de jaloux et lui qui ne sait pas mettre les formes pour se tirer du guêpier. Le piège ne s'est pas refermé sur lui, mais par la suite, ce ne sera plus jamais pareil.

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    L'était une idole adulée, devient une rockstar acidulée sur le tard. Vit sur son aura, sur sa réputation. S'ennuie un peu avec lui-même. L'a encore ses moments de génie, mais ils s'amenuiseront petit à petit. Il s'en fout et il en crève. Pousse le vice de la contradiction et le vide des contrariétés à se déclarer chrétien, pur beauf born again, détenteur de la vérité et sermoneur de service. Les fans de la première heure le renient, il vend ses morceaux les plus symboliques pour des pubs, ses ventes de disques s'effondrent, son divorce le met sur la paille ( relative ) alors il met au point le Never Ending Tour, une moyenne d'un concert tous les trois jours depuis vingt ans, catastrophiques ou géniaux, c'est selon.

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    Je décris, je ne juge pas. Facile de badigeonner la moraline lorsque vous n'êtes pas dans le caca. Même si l'étron est de vous. L'a transformé le rock'n'roll, l'a fait descendre de la banquette arrière des Cadillacs, et vous l'a planté au milieu de la route sous la pluie. Bye bye baby et bonjour tristesse, les ennuis commencent. Depuis il a pris ses cliques et beaucoup de claques...

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    Dylan contestataire : non. Dylan roi du folk-rock : non. Dylan rocker : encore non. Le classerai plutôt dans le country blues. N'est pas né dans le delta, n'est pas un nègre. Mais il chante et compose des chroniques sur son quotidien et celui de l'Amérique. L'a simplement élargi l'orbe des bluettes. Pour bien s'en rendre compte il suffit de comparer l'autre '' grande voix'' de l'Amérique : Bruce Springteen, sympathique mais un peu boy-scout. Lui manque le cynisme, la cruauté, la méchanceté, trop de bons sentiments. La face noire du rock'n'roll.

    Damie Chad.

     

    OUAILLE !

    DANIEL GIRAUD

    ( Clapas / 2012 )

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    De Daniel Giraud nous avons déjà chroniqué disques et différents recueils de poèmes. En voici un autre édité aux Editions Clapas. Même pas un petit éditeur, un groupe d'activistes fous qui ont durant plus de dix ans donné la parole à plus de deux cents poëtes, faites un tour sur leur site ( clapassos.pageperso-orange.fr ), semblent en sommeil depuis quelques années, mais si les ours parviennent à sortir de leur hibernation...

    Joli petit format qui s'étire et se pelotonne entre vos mains, couverture chromo, et même un dos carré pour un ensemble de 24 pages. C'est dedans que ça se gâte. Un seul poème aussi long et mince qu'une queue de marsupilami bleu. De cette couleur vous n'en trouvez pas chez Franquin. Ailleurs non plus. Foutre le Ouaï ! Attardez-vous sur le titre. Parce qu'après c'est toute la misère humaine qui se colle à vous. Pas la noire. Non celle-là, c'est facile de la chasser, ouvrez les infos et un spécialiste viendra vous expliquez que tout va bien, qu'il faut se méfier de vos ressentis. Non la bleue, la bleu-blême, celle qui se colle à votre âme et vous la teint jusqu'au jour de votre enterrement. Daniel Giraud vous raconte sa vie. Je vous rassure, aussi moche que la vôtre. Quelques pépites, mais des tonnes de scories. En plus le Giraud l'habite dans la cambrousse, à 15 kilomètres non carrossables, porte le ravitaillement dans le sac-à-dos, surtout que des fois il revient de loin, des States ou du Maroc, alors les souvenirs déboulent et s'entremêlent. L'esprit on the road again et l'âge qui encroûte les artères. Derrière la porte, c'est quitte ou double, la copine qui s'est tirée ou les copains qui attendent avec les guitares pour taper le blues, fumer et boire. Et puis les chats qui viennent vous aider à vivre et qui s'en vont à la mort. Version inaccoutumée de la théorie du ruissellement. Le malheur du monde tombe sur le poëte, super-chouette, l'occasion rêvée de se transformer en samouraï-philosophe. Vous sépare l'être du néant, la pelure de la réalité de l'orange creuse du vide, vous envoie valser dans le nirvana pour mieux vous catapulter dans les emmerdements du quotidien. '' Sans avoir de présent / comment avoir un avenir'' demande-t-il comme il vient de nous affirmer que le passé n'est plus ce qu'il était, vous voyez ce qu'il vous reste à vivre. Philosophie hippie et nihilisme punk se rejoignent en un étonnant optimisme désespéré. Mélange détonnant. Ça pète et vous éclatez. De rire. Ni humour noir, ni humour jaune. Humour-blues. Parfois à la terrasse d'un café, Daniel Giraud sort sa guitare de son étui et un recueil de sa poche et vogue la galère c'est parti pour une heure de blues-métaphysique, et les passants s'attroupent autour de lui, comme les mouches sur la merde – plus poli Cendrars employait l'expression la moitié de la face de Dieu pour désigner cette matière si fécale - comme les avares sur leur or. Les deux postulations humaines, ceux qui aiment ce qui leur ressemble et ceux qui s'accroupissent devant leur propre petitesse. Le blues, ça vous décape jusqu'à l'os.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 233 : KR'TNT ! 353 : MICK ROCK / ROBERT CALVERT / BRAIN EATERS / ROBERT CALVERT / 2SISTERS / BULGARIAN YOGURT / BAPTISTE GROAZIL + POGO CAR CRASH CONTROL / KID ORY / DANIEL GIRAUD

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 353

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    21 / 12 / 2017

     MICK ROCK / ROBERT CALVERT

    BRAIN EATERS / 2SISTERS

    BULGARIAN  YOGOURT / KID ORY

    BAPTISTE GROAZIL & POGO CAR CRASH CONTROL

    DANIEL GIRAUD

     

    AMIS ROCKERS,

    VOUS AVEZ DE LA CHANCE, PERIODES FESTIVES EN VUE, LA LIVRAISON 353 ARRIVE AVEC DEUX JOURS D'AVANCE, ET LA 354 LA SUIVRA DE PEU...

    N'OUBLIEZ PAS DE VIVRE SANS MODERATION §

    Vive le Rock

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    Dans Shot - The Psycho-spiritual Mantra of Rock, le film que lui consacre Barnaby Clay, Mick Rock frime un peu. Mais il en a les moyens. C’est à lui qu’on doit les pochettes de Transformer, de Raw Power et de The Madcap Laughs. Excusez du peu. Le photographe Mick Rock eut la chance de fréquenter les bonnes personnes au bon moment. Hormis Syd Barrett et Lou Reed, il eut aussi pour ami Bowie, et c’est sans doute de là que lui vient sa fascination pour le glam. Lorsqu’il évoque ses souvenirs, Mick Rock fait entendre des cassettes de ses conversations. On l’entend discuter avec David Bowie qui évoque les noms de Bolan, de Lennon et de Dylan pour dire : «We are the original false prophets, we are the gods !» Et le diable sait qu’il a raison de dire ça.

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    Mick Rock est un solide Britannique qui, par sa stature et son grawl spécial, fait penser à Ian Hunter. C’est le même genre de force de la nature. Dans ce film, Mick Rock tente de faire passer son métier de photographe pour quelque chose de mythique, mais il devient vite prétentieux et mord un peu le trait - I’m not after your soul, I’m after your fucking aura - Helmut Newton et Richard Avedon peuvent prétendre au mythe, certainement pas Mick Rock, même s’il a fait trois belles pochettes. Il n’y a pas d’art chez Mick Rock, juste de bonnes fréquentations. Il a la chance incroyable de fréquenter Bowie, Lou Reed et Iggy, mais il en parle comme quelque chose de réfléchi - I always made sure in a final analysis that it made some kind of sense - C’est facile à dire, après coup.

    Mick Rock vient de Cambridge, ce qui l’oblige à parler de culture. Alors il cite Rimbaud et Baudelaire. Puis il passe aux choses sérieuses avec les drogues psychédéliques, il adore the altered states, et pouf, voilà le summer of love et Syd qu’il photographie dans ce bel appartement - Psychedelic Syd had a band called Pink Floyd - Syd vient de repeindre son parquet en teintes alternées, telles qu’on peut le voir sur la pochette du Madcap. Mick Rock explique qu’en 1971, Syd lost interest, he couldn’t get there anymore, tout le bordel du music business ne l’intéressait plus, he never did another interview.

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    Et sans transition, il passe à Bowie, ou plutôt Ziggy. Les gens lui disent qu’il voit Ziggy the way he sees himself, c’est un beau compliment, mais pour un photographe, c’est facile quand on a un mec comme Ziggy devant l’objectif. C’est Ziggy qui fait tout le boulot.

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    La fameuse photo de Lou Reed qui orme la pochette de Transformer fut prise au Whale concert : Lou Reed était monté sur scène pour jouer avec Ziggy. Mick Rock adore cette image - the cold shiver, the make-up and all the darkness in the eyes - Et il ajoute en revoyant l’image : Bingo ! That was the cover ! Et quand il passe aux Stooges, Mick Rock se met en transe : it was a complete revolution.

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    Dans l’interview qu’il accorde à Vive Le Rock, Mick Rock se dit attiré par les vrais artistes : «I was more interested in, shall we say, performers who were also definitely artists.» Il rappelle des choses élémentaires qui méritent l’attention. À l’époque où il faisait les images qui sont devenues légendaires, personne n’avait de blé, not David and certainly not Lou or Iggy. Et donc Rock non plus. Sa mère le soupçonnait de faire des photos pour éviter de chercher un vrai job.

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    Il rappelle qu’il fut payé à coups de lance-pierres pour les pochettes de Transformer (100 £) et Raw Power (200 $) - Records labels just wanted cheap photography, that was their attitude - Dans l’interview, Mick Rock nous fout bien l’eau à la bouche en confiant qu’il dispose d’images inédites de Bowie (Over 5.000 images of Bowie as Ziggy Stardust alone, let alone the other images I took of him. And there’s the video footage and music videos I made for him) Et il ajoute : «I actually have him in 73 different outfits. I think some of them have never been printed.» Ça va loin cette histoire. Pour lui, Bowie avait a very decent look. I’ll tell you that. I don’t think Lou and Iggy were quite so up to scratch psychologically, I think they were more the wounded warriors from the American thing. (Selon Rock, Iggy et Lou n’étaient pas aussi solides que Bowie, ils avaient pas mal morflé en Amérique). Ce sont des mecs comme Lou et Iggy qui ont apporté ce que Mick Rock appelle un «edge» à Bowie, ce que Bolan n’a jamais eu. David Bowie was much more interesting. Iggy and Lou gave an edge to David in terms of media image. Il rappelle encore que Bowie avait de l’ambition, alors que Lou et Iggy étaient livrés à eux-mêmes et n’avaient aucun succès commercial. Personne n’attendait plus rien d’Iggy et encore moins de Lou Reed dont le premier album solo avait floppé. Son label allait même le virer. Il faut tout de même se souvenir que les labels n’avaient aucune pitié pour ceux qui ne rapportaient rien.

    Quand il aborde le chapitre du glam dans son film, c’est une pluie d’images qui s’abat : Thin Lizzy, Marianne Faithfull, Peter Gabriel, Patti Labelle, il a tout photographié ! Queen aussi - Mercury, he looks like he’s in bloody heaven - Mick Rock se veut simple - I just want the pictures, I don’t care about the whys - et pouf, il cite Stanislavski, le thérorien de l’actor’s studio.

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    Mick Rock commence à voyager : Bowie l’invite à Berlin et Lou Reed à New York. Il refait des photos qui vont devenir d’autres pochettes : Rock’n’Roll Heart, Coney Island Baby, Sally Can’t Dance et cette image spectaculaire où Lou porte un blouson en plastique transparent. Et Lou Reed lui dit : «There’s 50.000 junkies in New York. They deserve a song.» Et qu’entend-on ? «Heroin», bien sûr.

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    Arrive l’écriteau punk. Mick Rock fait la pochette d’End Of The Century des Ramones, mais il préfère le glam - The punks, they are ugly - Il fait aussi Joan Jett, Blondie, les Dead Boys et Motley Crue - You couldn’t take a bad picture.

    Mais sa plus grand passion, c’est la coke - I was so in love with cocaine. I was also in yoga. Just a fucking bang in the brain - Arrive ce qui arrive : trois crises cardiaques in his early forties, il doit la vie à Allen Klein et Andrew Loog Oldham qui ont financé les soins à l’hosto. Et c’est là où le film devient pénible : Rock met en scène sa mort et son passage sur le billard. Il transforme même sa grande table lumineuse, l’outil de travail par excellence, en billard.

    Signé : Cazengler, Mick Roquefort

    Barnaby Clay. Shot. The Psycho-spiritual Mantra of Rock. DVD Vice Media 2017

    Walk On The Wild Side by Ian Chaddock. Vive le Rock #47

     

    Le calvaire de Robert Calvert

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    Décidément, Luke Haines ne s’intéresse qu’aux beautiful losers de l’underground britannique. Après les Pink Fairies, Steve Peregrine Took, voici Robert Calvert, l’excentrique de service.

    Pour que les profanes s’y retrouvent, Luke Haines rattache Calvert à Hawkwind et indique que l’histoire d’Hawkwind se découpe en quatre tranches : un, le busker-stoner des débuts, deux, la période space-rock classique de United Artist - incorporating the twin towers of Lemmy as speed-freak-biker-talisman, and Stacia as topless-acid-dancing-Dolly-Dorris-petrol-pump-attendant-gone- rogue - trois la période led by Captains Dave Brock and Robert Calvert, quatre, celle qui part de l’album Levitation (1980) jusqu’à aujourd’hui : trance, dungeons and dragons, bad heavy metal. C’est un peu le même problème qu’avec l’interminable discographie de John Lee Hooker : il faut découper en tranches, si on veut s’y retrouver.

    Selon Luke Haines, c’est la période Robert Calvert qui vaut le détour.

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    À l’origine des temps, Bob Calvert et Nik Turner étaient des marginaux de Margate, une station balnéaire située dans le Kent. Nik et Bob vendaient des chapeaux sur le front de mer. Et puis un jour, ils roulèrent leurs duvets, grimpèrent dans un van et foncèrent jusqu’à Londres.

    Ce dingue de Bob ne voulait pas être rock star : il voulait piloter un avion de chasse. Mais au lieu d’intégrer la Royal Air Force, il intégra the West London’s freak scene - a naturel poet and agitator - En 1970, il allait devenir l’un des resident space poets d’Hawkwind et devenir célèbre en écrivant les paroles de «Silver Machine». Il allait travailler avec Barney Bubbles sur le concept de pochette multidimensionnelle d’In Search Of Space et faire ses débuts de Space Poet dans Space Ritual. L’encart publicitaire de l’époque indiquait : «Ninety Minutes of Brain Damage.»

    Bob Calvert grenouilla donc dans le milieu de la presse underground et se lia avec des gens qui écrivaient ou dessinaient pour International Times, OZ et Frendz. Il écrivit des poèmes et des fictions pour Frendz, se voyant comme un «guérillero anti-conformiste». À cette époque, l’écrivain Michael Moorcock - un anarchiste naturel - publiait le magazine de science-fiction New Worlds. Il balançait des textes partout, y compris à Frendz, où Bob avait trouvé son terrain d’expression. Ils faisaient tous les deux de la scène. Moorcock jouait du banjo et Bob lisait des poèmes. Bob en arriva à la conclusion suivante : le meilleur moyen de toucher les gens, c’est avec la musique. Grâce à gens-là, Bob Calvert, Barney Bubbles et Michael Moorcock, le phénomène Hawkwind prit de l’ampleur. Nik Turner invita Bob à se joindre au groupe en tant que compositeur, pensant qu’Hawkwind serait pour son copain poète et amateur de science fiction et de philosophie un bon environnement. Bob déclara au journaliste Martin Hayman de Sounds : «Je suis plus un lecteur de poèmes qu’un chanteur. J’utilise les mots non comme des concepts mais comme des objets concrets.»

    Barney et Bob conçurent donc le livret paru avec l’album X In Search Of Space. Ils y racontaient un voyage bi-dimensionnel à bord d’un vaisseau spatial, sous forme de journal de bord du capitaine. Le vaisseau visitait la terre en 1985 et découvrait une planète en ruine, couverte de béton et d’acier. L’idée était de Bob. Il écrivait les textes et Barney les illustrait. Nik Turner déclara : «Ils ont montré la voie au groupe.» Sur scène, Hawkwind avait nettement plus d’allure que le Pink Floyd : dans Hawkwind, il y avait une danseuse et un batteur nus, un saxophoniste lunatique qui portait toutes sortes de déguisements excentriques, l’incontrôlable Bob Calvert et l’écrivain à la mode Michael Moorcock. Avec Lemmy, ils avaient en plus l’incarnation parfaite du rock’n’roll et des lignes de basse ravageuses. Ils avaient en prime deux savants fous qui tripotaient des générateurs audio. «Stacia, Nik et Lemmy étaient les personnage clés de ce show, ainsi que Calvert quand il était là.» On l’a oublié, mais en son temps, Hawkwind fut certainement le groupe le plus spectaculaire d’Angleterre. Dans la naissance du mythe, Bob joua un rôle considérable.

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    Il joua son rôle d’excentrique à merveille. Dans le fantastique ouvrage de Carole Clerk, les témoignages de son excentricité pullulent. Lemmy : «Bob Calvert portait un petit bracelet et des boucles d’oreilles. Il tentait désespérément de passer pour un anarchiste, mais il n’était qu’un branleur de citadin - ‘Putain, comme c’est cooool, vraiment très cooool... ciao !’ Il était complètement bidon. Il allait bien, et tout à coup il allait mal. Il avalait des valiums, parlait à toute vitesse et il faisait de l’hyperventilation. Il a eu l’idée de monter sur scène avec une machine à écrire attachée en bandoulière autour du cou. Il tapait des textes et les lançait dans le public. Il avait du talent mais pas autant que le croyaient les gens. J’ai enregistré l’album Captain Lockheed And the Starfighters avec lui et il ne savait vraiment pas ce qu’il faisait.»

    Le Space Ritual était l’idée de Bob. En novembre 1971, il déclarait au Melody Maker : «Le point de départ, c’est une équipe de cosmonautes dans le coma, et l’opéra est la représentation des rêves qu’ils font alors qu’ils filent vers le fond du cosmos. C’est une interprétation mythologique de l’actualité. Ce n’est pas la prédiction de ce qui va se produire. C’est la mythologie de l’espace, au sens où les voyages intersidéraux et les vaisseaux spatiaux sont à l’image des voyages de l’antiquité.» Bob préférait parler de ‘fiction spéculative’ plutôt que de ‘science-fiction’. Il poursuivait : «Au démarrage, Hawkwind avait déjà un son spatial. Mais maintenant, les choses ont vraiment pris forme, même si beaucoup d’entre-elles sont encore plus suggérées qu’explicites. Peut-être que c’est dû au côté hypnotique, avec les sons électroniques et les stroboscopes.»

    Mais Lemmy n’avait aucune patience avec ce genre de lascar : «À Wembley, Bob Calvert s’est pointé déguisé. Il portait une longue cape décorée de lunes et d’étoiles, et un chapeau de sorcière. Il avait une trompette et une épée. Dans le troisième morceau, après deux couplets, il est venu me donner des coups d’épée. Je lui ai mis mon poing dans la gueule. Il fallait avoir de la patience avec ce genre de clampin. Frapper un mec quand tu joues de la basse, ce n’est pas facile. J’aurais pu le dégommer d’un coup de basse, mais j’avais peur de la péter.»

    Bob retourna se faire soigner dans un service de psychiatrie. Il faisait des crises. Michael Moorcock le remplaça sur scène. La pauvre Bob allait rester à l’écart du groupe pendant un certain temps, puis il allait revenir. Tiens, par exemple avec «Urban Guerilla», le plus grand bide de l’histoire d’Hawkwind, co-écrit avec Dave Brock. Les paroles disaient : «Je suis un guérillero urbain. Je fabrique des bombes dans ma cave.» Censuré. Lemmy était furieux : «On a fait une fois un concert de soutien pour les Stoke Newington 8. ‘Urban Guerilla’ était une sorte de livre des recettes de l’anarchie : comment fabriquer une bombe dans ta cave. Voilà ce qu’était ‘Urban Guerilla’. Voilà le délire de Calvert. Qu’il aille au diable !» L’épisode est franchement hilarant : «Robert Calvert s’habillait comme un guérillero urbain. Il portait des tenues de combattant. Il admirait des gens comme Lawrence d’Arabie. Il adorait les tenues militaires. Lors d’une dépression, il s’est habillé en soldat, il a marché 40 km puis il est entré dans un service de psychiatrie. Tout ça donne une sortie d’imagerie bizarre.» Et puis est arrivé ce qui devait arriver : «La brigade anti-terroriste a fouillé mon appartement. Il ont démoli le parquet à la recherche de bombes et d’armes.»

    Bob multipliait les extravagances : déguisé entièrement en pilote de chasse de la Première Guerre Mondiale, avec ses culottes de cheval, ses bottes de cavalier, son foulard et son casque en cuir, il ressemblait à un mélange de Biggles et de Lawrence d’Arabie, mais avec un côté sado-maso.

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    En 1974, Bob enregistre Captain Lookheed & The Starfighters avec ses amis Viv Stanshall et Jim Capaldi. Il conçoit cet album comme un opéra bouffe : après la guerre, le gouvernement allemand achète des chasseurs Lockheed aux Américains. Le problème est que ces avions s’écrasent. C’est une histoire vraie et Bob délire bien avec. 159 Starfighters s’écrasent au sol et 106 pilotes y laissent la vie, voilà ce que dit le TV News reporter à un moment donné. C’est sur cet album devenu mythique qu’on trouve «The Right Stuff», l’un des grands classiques du rock moderne, repris par Monster Magnet - I don’t feel fear or panic/ And nothing brings me down - Pur génie de l’extension du domaine de la lutte binaire, ce riff insistant te hantera la cervelle jusqu’à la fin des temps - I’m the right stuff/ Baby the right stuff/ Just watch my trail - Robert n’en finit plus de créer sa légende - I never fail/ Just catch my trail - Dave Brock et Lemmy jouent aussi sur ce fabuleux album. C’est d’ailleurs la présence de Lemmy qui le rend mythique. On entend Dave Brock partir en solo dans «The Widowmaker», surnom donné aux avions par les pilotes allemands - le faiseur de veuves. Nik Turner souffle dans le désert et on entend voler des spoutnicks sauvages à la Dikmik. On a un autre fantastique heavy rock en A, «The Aerospace Inferno». Paul Rudolph et Lemmy pourvoient aux nécessités - Not even your ashes will be found/ What a good way to go - Et en B, ils repartent de plus belle en rock action avec «Ejection», toujours bien binaire, même riff que «The Right Stuff», pilonné par Simon King et harcelé par le sax cabossé de Nik Turner. Quel son ! Paul Rudolph passe un solo d’exacerbation latérale de Ladbroke Grove. Pas étonnant que ce disque soit entré dans la légende. Nik Turner déclara par la suite : «J’ai composé ‘The Widowmaker’ avec Bob. J’ai aussi composé ‘The Right Stuff’ avec Bob, mais sur le disque c’est juste marqué Bob Calvert. Ce genre de truc ne me monte pas au cerveau. De toute façon, les preuves sont dans Came Home, un disque pirate. Tu entendras ces riffs qui datent des débuts d’Hawkwind et ces morceaux ne sont jamais parus dans le commerce.»

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    L’année suivante, Bob récidive avec Lucky Leif And The Longships. On ne retrouve que Nik et Paul Rudolph sur cet album un peu raté. Cette fois, Bob s’intéresse à l’histoire de Leif, fils d’Eirik the Red, qui découvrit le continent américain cinq siècles avant Christophe Colomb. On ne sauve que deux cuts sur Lucky Leif : «Ship Of Fools» bien riffé par Paul Rudolph et «The Lay Of The Surfers» qui sonne comme un pastiche des Beach Boys, avec du pillaging towns et du Valhalla bound plein les rimes - We’re gonna ride you to your watery graves - Quoi qu’il fasse, Bob reste un poète. Et puis après, ça dégénère. «Voyaging To Vinland» est un remake d’«Hissez Haut Santiano», et «Brave New World» tourne à la farce - It’s A mericle (sic) - Le «Magical Potion» fait illusion, car Paul Rudolph le prend au Diddley beat ralenti et Michael Moorcock joue du banjo sur «Moonshine In The Mountains». Bob va même faire l’indien dans «Storm Chant Of The Skrealings». Il entre bien dans son délire. Dommage qu’on ne soit pas tenté de le suivre.

    En 1976, Bob rejoint Hawkwind et co-écrit avec Dave Brock deux albums, Quark Strangeness And Charm et le 25 Years On des Hawklords. Il chante aussi sur Astounding Sounds, Amazing Music et P.X.R.5.

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    Bob déclara au Melody Maker qu’avec l’album Astounding Sounds, Amazing Music, ils visaient «au croisement d’une démarche intellectuelle avec la bande dessinée.» L’album vaut sacrément le détour, ne serait-ce que pour l’infernal «Reefer Madness» d’ouverture du bal. Comme toujours, Bob se trouve mêlé au meilleur d’Hawk, ça part en heavy rffing. On ne se lasse pas de cette solidité, on y retrouve le beat du stomp anglais et un goût certain pour l’hypno. C’est même jazzé au sax. Effarant ! Bob chante «Steppenwolf» avec de faux accents à la Bryan Ferry. C’est son côté gothique décadent qui remonte à la surface. Et puis, il faut bien dire qu’il adore tout ce qui chevauche le gros beat. Bob reste le meilleur maître de cérémonie qu’on ait pu voir dans Hawkwind. On retrouve de la belle hypno en B dans «The Aubergine That Ate Rangoon», visité au sax galactique. Ces mecs travaillaient une vision du son intéressante. Encore du so solid stuff avec «Kerb Crawler». Dave y bat bien le nave.

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    Dans le NME, Monty Smith s’enthousiasmait de «l’humour psychotique» de Bob et il résumait Quark Strangeness And Charm ainsi : «C’est plein de riffs monstrueux et de bourdonnements de synthé, et Dave Brock part en vrille sur des solos (plutôt que de rester perpétuellement en rythmique). Simon House joue des solos de violon hypnotiques. Mais c’est Robert Calvert qui se tape la part du lion. Il est parfait. Hawkwind a annoncé la couleur : ils sont de retour. Aucun doute là-dessus. C’est un album très drôle.» Eh oui, Monty a raison, Bob se comporte en franc-tireur, il surgit dans des cuts éclairs porteurs de germes comme «Spirit Of The Edge». Adrian Shaw, Simon King et Dave contribuent au festin sonique. Bob chante ça d’une voix de mec déterminé, dans une étonnante ambiance de space-rock inspiré. On se régale des belles basslines d’Adrian Shaw. Fantastique bassman que ce Shaw-là ! Il faut ajouter que Dave a fait le ménage dans le groupe : Nik Turner, Alan Powell et Paul Rudolph ont tous été virés. Avec «Damnation Alley», Bob ramène son Hawk de combat et Adrian Shaw joue comme un beau diable. Voilà encore du boogie-rock de qualité supérieure, joué à l’intrinsèque de la pastèque, à l’incidence de la diligence. Il semble bien que ce soit Shaw qui fasse le show. On tombe en B sur un morceau titre quasiment velvétique. Bob a la glotte qu’il faut pour ça. Et derrière on entend le même ramdam que dans «Waiting For The Man» - We got sick of chat chat chatter - Quelle fabuleuse santé !

    L’année où parut Quark Strangeness And Charm, le punk sonnait les cloches de Londres. Les Damned devinrent potes avec Nik Turner et Bob. Rat Scabies raconte qu’il rencontra Bob pour la première fois au Dingwalls : «Il portait des culottes de cheval et des bottes. Il est venu vers moi et a dit : ‘Salut, je suis Bob Calvert d’Hawkwind’. Je lui ai répondu : ‘Je ne veux pas te causer parce que vous avez viré Lemmy, bande de bâtards.’ Il a dit qu’il n’y était pour rien et ça avait l’air vrai. C’était un vrai gentleman.» Rat et lui devinrent amis au point qu’ils montèrent un spectacle ensemble.

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    Après la fin momentanée d’Hawkwind, Bob monte les Hawklords avec son pote Dave. Facile, ils habitent tous les deux dans le même coin du Devon. Paru en 1978, l’album s’appelle 25 Years On. Quel album ! Ne serait-ce que pour le «25 Years» qui boucle l’A, un cut qui sonne comme du Roxy frénétique. Dave y apporte une infatigable assise rythmique et ça vire hypno à la Can, dans une superbe fuite en avant. C’est là qu’on reconnaît ses pairs. Quelle excellence ! «PSI Power» sonne judicieusement pop. Bob cherche le hit, ça se sent, il donne un certain élan à sa pop dans une ambiance bon enfant. Bob et Dave ne se cassent plus la tête à vouloir voyager dans l’espace, un petit coup de pop à synthé, ça ira bien comme ça. Ils reviennent toutefois au solide romp de rock avec «Free Fall». Derrière le rideau de velours, Dave riffe salement. Ces deux-là savent condenser le rock atmosphérique. Ici, tout est joliment enveloppé de mélodie satinée. C’est à la fois délicat et pacifiant. En B, avec «Flying Doctor», on retrouve le puissant riffing de Dave mélangé à de petits effets synthétiques du meilleur effet. Dave et Bob auraient pu pulvériser les charts anglais. Ils ne proposaient alors que des hits superbes. Nous n’en finirons plus de gloser sur la puissance brokienne. S’ensuit «The Only Ones», une jolie pièce de pop synthétique visitée par la grâce, très ondoyante et chargée d’harmonies vocales, digne des Mamas & the Papas. Cet album est une splendeur. Dave et Bob n’y proposent que des régalades.

    Mais dans Hawkwind, Bob commençait à poser de sérieux problèmes. Ses collègues savaient que lorsqu’il débordait d’idées, qu’il bouillonnait d’énergie et qu’il sautait d’un projet à l’autre, il devenait incontrôlable. Hawkwind partit en tournée sur le continent et Bob devint justement incontrôlable. Ce qui nous vaut l’une des anecdotes les plus drôles de la saga d’Hawkwind.

    Ils arrivèrent sur scène à Paris, au Palais des Sports. Dave Brock : «Bob était surexcité, mais sur scène il était vraiment bon. Ce soir-là, il a attrapé les cheveux d’Adrian Shaw et lui a mis son épée sur la gorge. On croyait qu’il allait le décapiter. Il a jeté l’épée avec une telle violence qu’elle s’est fichée dans le plancher. Le public a adoré ça ! On a eu trois rappels. On a fait un carton, ce soir-là.» Mais l’embellie n’allait pas durer. Dave poursuit : «On répondait à des interviews dans la loge. Il y avait des journalistes du Monde. Le road manager Jeff Dexter dit à Bob : ‘Réponds aux questions de ce critique d’art, s’il te plaît.’ Le journaliste a posé une question et Bob a dit : ‘Ce mec parle comme un pédé !’ Et il lui a lancé son gant à la figure. ‘Je te défie en duel !’ Choqué, le journaliste a quitté la loge aussitôt. Bob a ensuite déclaré, sur un ton très viril : ‘Je ne veux pas de pédés dans ma loge !’ On est rentrés tous les trois à l’hôtel à pieds, Jeff Dexter, Bob et moi. Bob essayé d’étrangler Jeff dans la rue. Il était devenu fou. Cette-nuit-là, Bob était tellement survolté qu’il n’arrivait pas à dormir.» Et Dave continue : «Sur scène on utilisait un faux flingue pour une réplique. Le chargeur était vide. Bob s’amusait avec. Il jouait à la roulette russe et quand il appuyait sur la gâchette, ça faisait ‘click’. Je gardais ce flingue dans ma valise et Bob était au bar, entouré de ses admirateurs. Jeff s’arrangeait pour qu’il reste au bar. Il buvait toute la nuit et à un moment, un policier en civil est arrivé. Bob était certainement en train de parler de guérilla urbaine et à un moment il a dû dire à voix haute que j’avais une arme dans ma chambre. Le gang Baader Meinhof étaient en cavale à l’époque, et on supposait qu’il se planquait à Paris. Le flic a fait venir des renforts et vers six heures du matin, on a frappé à ma porte. J’ai ouvert et tous ces flics me sont tombés dessus. Je me suis retrouvé en calbut contre le mur avec les bras en l’air. Ils disaient : ‘On sait qui vous êtes. Vous êtes un terroriste.’ Ils ont fouillé mon sac et ont trouvé le calibre. On était vraiment à bout de nerfs. Jeff Dexter a dit qu’il allait ramener Bob à Londres pour le coller dans un hôpital. Il conseillait d’annuler le reste de la tournée.»

    Les concerts prévus aux Pays-Bas furent aussitôt annulés. Adrian Shaw raconte la fin de cette histoire : «Dave nous a réunis pour nous dire qu’il en avait marre de tout ce cirque. Il voulait rentrer chez lui. On était tous d’accord. On avait prévu de se retrouver à l’accueil un quart d’heure plus tard, de sauter dans la bagnole et de se tirer sans Bob. On était là à l’accueil avec nos sacs, on attendait quelqu’un, je ne sais plus qui, et soudain Bob s’est pointé. Il nous a demandé ce qui se passait. On lui a dit qu’on avait décidé de partir. Il a dit qu’il allait chercher son sac. Celui qu’on attendait est arrivé, on a sauté dans la bagnole, et on a vu Bob arriver en traînant son sac.»

    Dave : «On avait loué une Mercedes. On venait de mettre nos sacs dans le coffre quand Bob s’est pointé. Il était en culotte de cheval avec une ceinture de cowboy. Quelqu’un a dit : ‘Vas-y démarre !’ J’ai roulé quelques mètres jusqu’en bas de la rue et je me suis retrouvé coincé dans un bouchon. Bob était scié : ‘Ils se barrent sans moi !’ Simon a crié : ‘Vite, monte sur le trottoir !’ J’ai réussi à contourner le bouchon. Bob nous coursait.»

    Adrian : «On s’est barrés et on l’a laissé en plan. Je ne trouvais pas ça terrible. Aujourd’hui, je trouve que ce qu’on a fait est horrible. Tu n’abandonnes pas un copain qui a des problèmes mentaux dans un pays étranger, parce que ça t’arrange. Jeff Dexter a dit que lorsqu’il a emmené Bob à l’aéroport, il devait le frapper sur le crâne avec un bâton. Mais Bob a saisi Jeff à la gorge et ça a tourné au grabuge.» C’est vrai qu’à cette époque, Dexter était habitué à sentir les mains de Bob autour de son cou. Malgré les événements qui s’étaient déroulés à Paris, le groupe se réunit à Rockfield en janvier 1978 pour enregistrer «Death Trap», «Jack Of Shadows» et «PXR5». Bob qui semblait avoir pardonné le coup de Paris était là. Adrian Shaw : «Il a tout oublié, c’est assez miraculeux. Tout est rentré dans l’ordre. On a enregistré et on est repartis en tournée. Je crois que Robert était toujours considéré comme le chanteur et il nous a pardonné. Il s’est énormément investi dans cet album.»

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    Encore un bel album de Bob : P.X.R.5. Il s’y niche deux standards hypno : «Death Trap» et «Uncle Sam’s On Mars». Voilà Bob de nouveau embringué dans un coup de rock spectaculaire, avec du Death Trap qui préfigure Devo, et ce n’est pas peu dire. Bob a dix ans d’avance sur les Mongoloïdes. Ils ne sont plus que trois dans le groupe : Bob, Dave et Simon King. Le père Dave se fend d’un bon solo killer. Comme sur tous les albums d’Hawkwind, on trouve le cut de séduction en ouverture de bal. Puis ça a tendance à baisser. Bob redresse le niveau avec «Uncle Sam’s On Mars», c’est du live, hanté par des spoutnicks. Adrian Shaw et Simon King y tiennent bien le beat et ça vire hypno, idéal pour un performer aussi agité que Bob. Il tape aussi une belle version live de «Robot» en B. C’est terrifiant d’efficacité. Bob ramène tout son gothique débridé, ça sonne un peu comme «Death Trap» mais avec du Robot Robot en exergue aboyée à la Devo. Climat à la fois dramatique et passionnant. Ça se passe dans un festival en 1979 et comme ça dure environ quinze minutes, Bob a tout le temps de faire le con avec son épée.

    Puis Bob quitte Hawkwind. Fin de l’épisode.

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    Et voilà qu’en 1981, année de l’élection de François Miterrand, Bob recrée la sensation avec Hype, un solide album de pop-rock baroque passé complètement inaperçu. Dave rendit hommage à Bob qui écrivait alors Hype, un roman qui concernait le showbusiness et qui allait donner son titre à l’album du même nom. Dès l’«Over My Head» d’ouverture du bal, Bob sort de sa manche un glam impressionnant. Oui, ce mec sait écrire des chansons, ce touche-à-tout tient rudement bien la route. Au générique, les seuls noms connus sont ceux de Michael Moorcock et de Nik Turner. «Ambitions» sonne comme un hit pop, mais monté sur l’un de ces stomps dont Bob a le secret. Ça frise un peu la diskö, c’est vrai, mais ça passe car il s’agit de Bob, un citoyen au-dessus de tout soupçon. Très vite, il révèle un penchant pour la pop baroque et maniérée de type Cokney Rebel, avec des cuts comme «It’s The Same» et «Hanging Out In The Seafront». Et comme tout cela est très écrit, on pense bien sûr à Ray Davies. Avec «Sensitive», Bob revient à son cher stomp de pop-rock glammy. Il impose une présence indéniable. Cut solide et bien monté, subtilement glammy. Il cultive un goût pour les classiques du rock, comme on le constate à l’écoute d’«Evil Rock». L’atroce punk Nik Turner souffle dans son sax cabossé et on assiste à un joli coup de riffing sauvage sur le tard. Notre homme sait finir en apothéose. On trouve encore du so solid stuff en B avec «We Like To Be Frightened», pur jus bobbique. Il n’en finira donc plus d’épater la galerie ! Il chante sous le boisseau et mène bien sa barque. On finit par comprendre que Bob est incapable de fourbir un mauvais cut. Il termine cet excellent album avec «Lord Of The Hornets», toujours très Cockney Rebel dans l’esprit, il adore ce son arrogant et saute au paf. Tout le décorum accourt au rendez-vous. Si tu cherches un popster de rêve, c’est lui.

    Selon Luke Haines, le vrai chef-d’œuvre de Bob est l’album Freq paru en 1985, un concept-album consacré aux grèves de mineurs. Pour Lucky Luke, Bob n’est ni un fighter pilot, ni un space poet, mais un fighter poet. C’est ça, on lui dira.

    Bob casse sa pipe en 1988. Petite crise cardiaque. Il n’a que 43 ans. Mais on ne s’en plaint pas, quand on a eu une vie aussi bien remplie.

    Signé : Cazengler, Robert Calva

    Captain Lockheed And The Starfighters. United Artist Records 1974

    Robert Calvert. Lucky Leif And The Longships. United Artist Records 1975

    Hawkwind. Astounding Sounds, Amazing Music. Charisma 1976

    Hawkwind. Quark, Strangeness And Charm. Charisma 1977

    Hawkords. 25 Years On. Charisma 1978

    Hawkwind. P.X.R.5. Charisma 1979

    Robert Calvert. Hype. A-Side Records 1981

    Luke Haines :This Is Your Captain Speaking - Your captain is cred. Record Collector #466 - May 2017

    Carol Clerk. The Saga Of Hawkwind. Omnibus Press 2004

     

    16 – 12 – 2017 / MONTREUIL

    LA COMEDIA MICHELET

    BRAIN EATERS / 2SISTERS

    BULGARIAN  YOGURT

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    Vous me connaissez, un mec tranquille, calme, serein et pacifique, mais là j'ai envie de descendre de la teuf-teuf avec ma batte de base-ball. Sont des centaines autour de moi. Squattent la chaussée leur vulgaire trogne épanouie, les bras surchargés de paquets. Aucune prévenance, occupent même mon parking favori. Ce soir Montreuil me déçoit. Tous ces gens qui passent surchargés de cadeaux et personne qui ne m'en offre un. J'accepterais n'importe quoi, un presque rien, les oeuvres érotiques complètes de Pierre Louÿs par exemple, ou un coffret de 70 pirates de Led Zeppelin, mais non, ils me dédaignent, ne s'aperçoivent même pas que j'existe. J'essaie la halle du marché, transformée en salon de l'automobile, même plus un espace pour garer un vélo sans pédales. La mort dans l'âme, j'emprunte le labyrinthe des petites ruelles. Miracle ! Tous les soixante-dix mètres deux espaces inoccupés. Vous y logeriez un bus à impériale. Mais non, ils sont réservés aux handicapés. N'ai rien contre, mais des gens à mobilité réduite qui se déplacent en bagnole, je trouve cela illogique. En plus, à Montreuil c'est comme ces pays qui ont des puits mais pas de pétrole, eux ils ont des places mais il leur manque les handicapés. L'heure tourne, vient celle de prendre les grandes décisions, tiens deux épis réservés aux blessés de la vie libres à deux pas de la Comédia, un signe bienveillant des dieux de l'Olympe, m'y gare sans état d'âme. Pas question pour un rocker de rater un concert. Une catastrophe pire que le dérèglement climatique. J'écoute la voix de la sagesse. Comme disait Spinoza, quand tu ne peux pas, tu fais quand même.

    Fin de la balance. Je n'écoute pas. Je zieute. Pas le mec sur scène qui tient sa copine entre les bras. Sa nénette. Mignonne comme tout. Je veux la même. Du style et un chien fou. L'a souligné son visage d'un trait noir qui lui donne des yeux incandescents. Au bout d'un quart d'heure je m'arrache à ma contemplation et jette un regard au gars qui entoure sa grand-mère de ses bras énamourés. Non, ce n'est pas un gérontophile, je le connais, je le reconnais, c'est Bilar des No Hit Makers avec sa contrebasse new-design, mais que vient-il faire dans cette soirée rock'n'roll punk déjantée, pas le temps de répondre, faut que je fasse gaffe à mon cerveau, je n'en ai qu'un et les mangeurs de cervelles sont sur scène.

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    ( photo hors contexte permettant d'entrevoir the big ma' )

     

    BRAIN EATERS

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    C'est comme dans les films de série B. L'inspecteur Labavure se méfie des indices qui trompent. Exemple : J C, guitare Gretsch et T-shirt logo Sun. Des rockabilly men ? Evitez les conclusions hâtives. Le fin limier jette plutôt un regard suspicieux sur Megadom le batteur, T-Shirt Meteors, certes il y a l'intro, Spunky, musicale, surfin' en diable, serait-on en présence d'un quadrille de punkabilly boys ? Démentent aussitôt avec trois titres : Lobo Loco, Vicky Lou, Brainmobile, du punk du plus orthodoxe. Asséné sans états d'âme. Les tricotent sans fioriture. Serait-on partis pour s'ennuyer ? Non cachent leur jeu. La suite se révèle plus surprenante. Salmigondis déjanté. Vous trouvez tout ce dont vous avez besoin chez eux. Des rognures déjantés de hillbilly descendu des collines, des persillades de garage pétaradant, du beat implacable qui vous poursuit tout le long de la nuit. Nous jouent des morceaux de leur prochain CD comme Cool It Baby, entre parenthèses plutôt chaude brûlante la Baby, et des fantaisies monstrueuses comme Bad Lumberjack et This Thing will Kill Me. Muskrat à la basse et Megadom aux baguettes visent à l'efficacité. JC vous entoure le bébé de barbelés very Heavy et monsieur le Professeur Boudou vous martèle la leçon d'une voix de stentor. Un mauvais exemple pour notre saine jeunesse, quitte la salle de classe, s'en va se promener dans le public avec son micro, revient pour s'allonger de tout son long sur scène dans l'espoir de déchiffrer la set-list, avec tant de difficulté que l'on se demande si notre vénéré professeur sait bien lire. En tout cas, l'obtient des résultats, car le combo file sans erreur. Sur Shake It il nous demande de nous remuer un peu, les filles donnent le mauvais exemple : épandent de la bière par terre et s'amusent à faire des glissades tout le long de la scène. De toutes les façons ils adorent les Bad Girls et la petite Lil Devil Blue. Les Brain Eaters aiment manger ( vos synapses ) épicé. Montent la sauce à la moutarde extra-forte en progression continue. Recette simple : chaque morceau plus subtilement échevelé que le précédent. Nous avons encore mieux en magasin, pas plus cher, mais plus solide et effilé comme un yatagan, vendu avec les traces de sang véritable. Pas sec, vous pouvez lécher et tout le monde s'en vient goûter ce coulis de framboise exceptionnel. Finissent sur Woodoo Bayou et un petit Ramones pour vous ramoner les consciences. Z'auraient pu continuer, deux ou trois heures, mais non faut en laisser pour les autres.

    2SISTERS

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    Grosse déception. M'attendais à deux super-meufs, mais non ce sont quatre gars... Homme libre disait Baudelaire, toujours tu chériras la mer. Mais les rockers ont une nette préférence pour les guitares. Et les quatre malandrins de 2Sisters, se cachent derrière la leur. Des éclaboussures à la Stooges, mais infinies, derrière ça pulse de tous les diables, un tambourinaire qui n'en finit pas de propulser le train, un bassiste qui a dépassé le coma épileptique, tétanisé sur ses cordes, une espèce de robot surintelligent programmé jusqu'à ce que mort s'en suive, et une guitare qui rugit comme le vieil océan de Maldoror. Stridences électriques qui s'emparent de mon âme comme pieuvre vorace «  O poulpe au regard de soie ! Toi dont l'âme est inséparable de la mienne; toi, le plus beau des habitants du globe terrestre, et qui commandes à un sérail de quatre cents ventouses; toi, en qui siègent noblement, comme dans leur résidence naturelle, par un commun accord, d'un lien indestructible, la douce vertu communicative et les grâces divines, pourquoi n'es-tu pas avec moi, ton ventre de mercure contre ma poitrine d'aluminium, assis tous les deux sur quelque rocher du rivage, pour contempler ce spectacle que j'adore » j'en suis tout émotionné, tellement commotionné, que les stances des chants maudits du Comte de Lautréamont s'en viennent à mes lèvres. Z'ont aussi un chanteur. Collé à son micro. N'en bougera pas de tout le set. Seul, immobile, inquiétant. Les autres enfantent la tempête, et lui murmure des imprécations inaudibles, il susurre doucement des mantras empoisonnés. Ils sont le dard. Il est le venin. N'assure pas le chant. Distille une présence. Une espèce d'ombre menaçante, une réserve de tourmente, le moyeu immobile de la tornade rock'n'roll. Et les autres se déchaînent, même pas le temps de finir un morceau que le riff du suivant emporte déjà la houle de la guitare. Rodeo, Booze, Down, Creeping, U & Me, What Have you Done, les morceaux se suivent et se ressemblent comme l'ouragan imite l'hurricane. Une morsure à double moteur avec les dents cariées de Mötorhead et des gencives sanguinolentes soignées au détergent MC 5. Vous avez l'impression que ce sont vos oreilles qui émettent cette ambroisie sonore destructrice. La force est en vous, et vous êtes le mal qui prolifère. Un miracle vers la fin du set, le batteur stoppe ses coups de roulis, le chant se tait, la guitare ne joue plus, cinq secondes, l'instant irrémédiable du temps qui suspend son vol, mais non, le bassiste en profite, sa basse raquelle comme un chien à qui vous arrachez les tripes tout vivant, les cordes poussent un cri de souffrance, un nid de serpents sur lequel vous marchez par mégarde, et le déluge sonore se rue sur vous et retombe en pluie diluvienne sur les épaules des filles qui dansent devant la scène. Plouf ! la lumière revient. Etrange impression, comme dans les films d'épouvante, que tout le monde doute encore que les zombies soient rentrés au cimetière. C'est que le rock'n'roll comme le Père Noël ne passe pas tous les jours.

    BULGARIAN YOGURT

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    L'on aura tout eu ce soir, après la tribu des bouffeurs de cervelles tout crues, le couvent des bonnes soeurs électriques, voici la marée humaine des hordes bulgares, ces grands mangeurs de yaourts périmés devant l'Eternel, s'emparent de la scène. L'en sort de partout. S'entassent à six sur la scène. Sept si l'on compte la dame Jeanne de Larby peinturlurée comme un poney de guerre hunique, Jansh armé de son carquois à baguettes, deux guitaristes, deux leads qui passeront leur temps à se mitrailler de riffs aigus. Z'ont amené une femelle, au cas où, bardée d'un saxophone trois fois plus haut qu'elle, plus le grand chef. Parade devant ses troupes, son chef chauve ornée d'une banane de rocker triangulaire comme un foc de brick pirate, pointu comme les récifs d'Ouessant. S'agenouille en un étrange rituel devant ses troupes, l'on ne sait pas trop ce qu'il stratège, nous montre son cul, la tête enfouie dans la grosse caisse. Se retourne brusquement vers nous, s'est transformé en homme-totem, arbore une fine cravate blanche de dandy, et s'est recouvert le visage d'une cagoule de velours léopard. L'arrachera le tout très bientôt, finira torse nu, joue avec son pied de micro avec la sveltesse des filles du Crazy Horse autour de leurs rampes.

    Derrière c'est la cavalerie, qui charge. Mille sabots de feu, Riding My Horse, qui vous saccadent un punk-rock destruozidal. La pagaille complète. La gaffette Yamette ne sait plus à quel sax se vouer, les échange tour à tour, un gros, un petit et puis un petit et un gros. Une préférence pour le gros. L'en tire des bruits de sirène, celles du Titanic – The Way I Wana Die - pour avertir les passagers que l'iceberg vient de perforer la coque. Bilar est déjà dans le canot de sauvetage, souque ferme sur sa basse, ce n'est plus de l'amour, c'est de la rage, peuvent tous couler, lui il sauvera sa fusain de dulcinée. L'est suivi de près par Jansh qui s'enfuit à toute vitesse, sur le radeau de fortune de sa batterie, il rame sur la crête des vagues avec ses baguettes. Les guitaristes ne sont pas d'accord, ont chacun attrapé un bout de cordage et tirent de toutes leurs forces en sens opposés. Normalement le rafiot devrait être au fond de l'eau depuis une demi-heure, surprise générale il flotte comme un bouchon de liège, Sam nous invective du haut de son mégaphone, et tout le monde s'embarque avec lui dans cette galère. Misery, On My Grave, sûr que la situation est grave, mais en contre-partie l'on s'amuse comme des petits fous, personne n'échangerait sa place contre un hectare de terre ferme du paradis, l'on frise la Paranoïa, l'on est à 15 Miles From Hell, mais l'on a jamais été aussi bien de notre vie. Une pétaudière, une chaudière. Ça tangue, ça valse, ça cravache, ça gigote, ça pogote, dans tous les sens. Abordage et sabordage, le punk n'a pas d'âge. Un enfant se hisse tout en haut de la barre métallique qui soutient le plafond, à voir les faces qui sourient aux anges et s'égosillent aux démons doit y avoir un fond de speed et de LSD dans la recette du Bulgarian Yogurt. Les nerfs en vrille sur la nef des fous. Jusqu'où serions-nous allés si l'heure préfectorale n'en avait décidé autrement ? Les Bulgarian sont trempes de sueur, sont salués par une monstrueuse ovation, sortent de scène en emportant leur triomphe et nous abandonnant à nos regrets insatiables.

    Ce soir, à Montreuil, rue Michelet, nous avons eu droit à l'inhumaine comédie du rock'n'roll !

    Damie Chad.

    MONDE HOSTILE

    BAPTISTE GROAZIL

    FEATURING

    POGO CAR CRASH CONTROL !

     

    Monde cruel. L'avaient promis pour les saturnales de décembre. Je le voyais déjà sous le sapin en flammes avec le petit Jésus découpé en morceaux pour le barbecue. A en pourlécher les babines de ma voisine de table. La terrible nouvelle vient de tomber faudra attendre jusqu'au 23 mars 2018. Un scandale. Un cas typique de maltraitance du public rock. Et le gouvernement qui ne pipe mot devant cette catastrophe nationale. Démission ! Démission ! Démission ! Révolution !

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    Toutefois, un peu de bon dans notre malheur. Même beaucoup. Non pas un os dénudé jusqu'à la moelle absente. Un gros cuisseau tout dégoulinant de sang et de graisse de tyranosaurux rex. Un méchant pas tout à fait mort qui mord encore. Certes ce n'est qu'un gigot alors que l'on attendait le monstre entier, mais c'est du bio-sauvage engraissé au déchet atomique de centrale nucléaire non recyclé. Idéal pour mettre les rockers en appétit.

    Je vous refile l'adresse où le chien – you wana be my dog ! - l'a enterré au fond du jardin, F.B. Pogo Car Crash Control. Pour ceux qui ont des instincts de petits propriétaires, c'est pour une misère sur toutes les plate-formes de chargement – perso je préfère le tas kropotkinien du prélèvement libre, c'est pour cela que KR'TNT ! est accessible sans droit de douane – bien sûr il y a un coupable pour cette chose immonde. S'appelle Baptiste Groazil. L'avait déjà sévi sur la pochette du premier EP que voici :

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    L'a évidemment sévices sur celle du premier et prochain album, la voilà :

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    Un véritable chARTcutier, un maître-saigneur, responsable des clips officiels du groupe. Et le Groazil quand il pousse son groin de grésil dans les images, ça grésille de partout. Méthode sanglier qui vous dévaste dix-sept hectares de pelouse – celle que vous venez de tondre - en une nuit. Me fais l'avocat du diable. La torrentielle noise-music des P3C, ce n'est pas non plus le long fleuve tranquille des vies monotones. L'artiste se doit d'indexer sa représentation sur l'objet de ses délires. Sinon vous tombez dans la gratuité dadaïste des plus attendues parce que des moins contextualisées. Toute la différence entre le factice moderniste et le poïen grec.

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    Bref vous en prenez plein les mirettes. Groazil l'est plutôt un as du démontage que du montage. Pas de pitié pour les presbytes et les myopes, vous crève les yeux à coups d'éclats. Un sagouin de l'image. Pour vous donner un équivalent pictural, c'est l'état des mains du bambin qui sort de maternelle après avoir fait activité peinture. Vous ratiboise la rétine en six secondes. Vous découpe les pupilles à la machette. N'y est pour rien. C'est le monde des Pogo qui est hostile. Le nôtre aussi du même coup. Mais il y a des maso, attardez-vous ( façon de parler ) sur la mine radieuse des fans, y a aussi les atterrés, la triste gueule d'adolescents boudeurs des Pogos, le tout et son contraire, le rien et sa plénitude, c'est un jeu, Groazil mélange les cartes, les carrés d'as et les valets de ferme ( ta gueule ). Pour ceux qui ne comprennent pas dans quel wagon ils ont mis les pieds, il écrit les titres en gros. C'est un peu comme la salade composée de la cantine universelle, vous triez les feuilles et vous avalez les lombrics. C'est avec les vers que l'on fait les poèmes. Juteux à souhait. Remplis de vitamines. Energétique.

    Damie Chad.

    P. S. : En passant par le F.B. Baptiste Groazil vous tombez sur son tomblelog, les bras vous en tombent. De cimetière.

     

    KID ORY

    ( Classic Jazz Archive )

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    La pire des trahisons. Par moi-même. Toujours dans ma recherche des incertaines et mythiques origines du rock'n'roll, fouinais dans un bac à soldes de disques de jazz – je sais ce n'est pas bien – mais entre le jazz et le blues la frontière n'est pas loin... La photo de la pochette m'attire, ensemble très New Orleans de la toute première heure, je zieute le nom, Kid Ory, je reste de marbre, un clin d'oeil sur les dates, 1886 – 1923, diable ! Un mec qui a eu la chance d'enregistrer et de mourir en 1923, vous ne trouverez jamais mieux plus proche du blues, pour mémoire je vous rappelle que le premier enregistrement officiel de blues date de 1920 ( Crazy Blues par Mamie Smith ), je prends sans regarder le prix. Ne soyons pas hypocrite, 1, 50 euros pour deux CD's ! Arrivé à la maison, à la lumière je m'aperçois que mes yeux ont mal interprété, à leur décharge faut reconnaître que le chiffre litigieux bénéficie d'une graphie abstracto-moderniste, ce Kid Ory est un gars qui n'a vraiment pas eu de chance dans sa vie, l'a survécu jusqu'en 1973 ! Soyons bon prince, pardonnons-lui cette obstination vitale, et écoutons de nos deux oreilles.

    Les deux CD's ne couvrent que la toute première partie de la vie de Kid Ory. Souvent, mais pas toujours, les premiers enregistrements des musiciens sont les meilleurs. Ce phénomène est très patent pour de nombreux groupes rock. Exprimer, jeter tout ce que l'on a dans le ventre tel sa gourme entre les cuisses des premières rencontres ne signifie pas que l'on soit un véritable créateur doué de capacités de maturations ou de renouvellement. Sans parler des maisons de disques qui vous poussent à rechercher une audience grand public... Mais pour la génération des premiers jazzmen une autre problématique s'est imposée. Brutalement. La crise de 1929. Qui les a renvoyés au chômage. Au début des années trente, c'est la débandade, tous ceux qui parvenaient à vivre de leur musique sont obligés de chercher un boulot d'appoint, et bientôt à temps plein. Les exemples ne manquent pas, nous avons déjà évoqué le cas de Sidney Bechet ouvrant un garage et puis une laverie. Pour Kid Ory ce sera un élevage de poulets... Dans les années quarante s'amorcera un revival jazz New Orleans et certains sauront profiter de ce regain d'intérêt pour leur musique. Kid Ory sera de ceux-là. Se permettra même de refuser de rejoindre la formation de Louis Armstrong, gagnant par ses propres moyens beaucoup plus que le deal proposé par le grand Satchmo. Une fin de vie heureuse pour Kid Ory, reconnu de toute la profession et à qui le public manifestera sa fidélité jusqu'à la fin.

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    Mais nous n'en sommes pas là. Tout gamin, poussé à La Place, cité voisine de la Nouvelle Orleans, Kid Ory s'entiche du cornetiste Buddy Bolden. L'influence de celui-ci sur la naissance du jazz s'avèrera déterminante. Ayant abandonné le banjo pour le cornet il aidera à dégager la nouvelle musique en gestation des courses échevelées du ragtime. Ne s'agit plus de jouer vite, mais d'exploser la virtualité de son instrument. La virtuosité exige un autre espace sonore. Bolden sera celui qui transcende la section rythmique des cuivres. Plus question qu'elle se contente de soutenir, d'appuyer, de souligner la lead-section des cordes. Bolden se permet de tirer des soli de son cornet. Cornets et trompettes s'engouffrent dans la brèche qu'il a ouverte. Les cuivres s'emparent de la lead-section de l'orchestre.

    Kid Ory qui sur le conseil de Buddy Bolden s'est mis au trombone emprunte cette voie royale. A la New Orleans il ne joue pas avec des moins que rien, son chemin croise souvent ceux de Joe King – c'est Ory qui lui décerne ce titre honorifique – Oliver et de Louis Armstrong. Les jazzmen sont heureux comme des coqs en pâte dans le quartier chaud de Storyville, filles, alcools, produits, musique, difficile de rêver meilleur environnement. Mais en 1917 la municipalité est prise d'une crise de puritanisme aigu. Les musiciens émigrent alors vers Chicago. Certains s'arrêtent à Kansas City, Kid Ory fait un détour par Los Angeles.

     

    MUSKRAT RAMBLE

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    Ory's creole trombone : ( Los Angeles, Juin 1922 ) : surprenant, zig-zags de trombone, nous sommes encore bien près du ragtime et des bizduits qui vous attrapent l'oreille. Une musique qui évoque l'accompagnement des premiers dessins animés de Walt Disney mais vous avez de ces tutti orchestraux qui de temps en temps s'incrustent dans vos palourdes pour ne plus en ressortir. Prometteur. Le jazz entre dans une nouvelle ère. De nombreux spécialistes pensent que cette face enregistrée sous le nom de Ory's Creole Jazz Band est le véritable premier enregistrement de jazz proprement dit bien plus que celui d'Original Dixieland Jass Band réalisé en 1917 et qu'ils considèrent comme de la musique folklorique jouée par des blancs... Un morceau historique. Gut bucket blues : ( Chicago, 12 novembre 1925 ) : une voix reconnaissable entre toutes, attention nous ne sommes plus avec le Creole Jazz Band mais avec le Hot Five d'Armstrong, c'est bien lui qui lance la danse. Lil Armstrong est au piano, c'est elle qui a poussé Louis à se mettre en avant. L'a eu raison, cette frangipane vanillée de cuivres est merveilleux. Come back sweet papa : ( Chicago, 22 février 1926 ) : l'on prend les mêmes et on recommence, mouettes rieuses qui survolent une mer radieuse. Le génie de l'orchestration à l'état pur. Georgia grind : ( Chicago, 26 février 1926 ) : voici trois titres issus de la même session, Lil est au chant, voix un peu trop lointaine même si les cuivres se taisent et ponctuent doucement après elle. La voix de Louis sur le piano, et c'est reparti pour une douceur de clarinette, trop vite interrompue. Oriental strut : ( Chicago, 26 février 1926 ) : rythme canaille et trombone langoureux, chacun à son tour s'en vient pincer les hanches de la fille, impossible de dire celui qu'elle préfèrera. Pas de jalousie entre les gars, jouent trop bien entre eux. Muskrat ramble : ( Chicago, 26 février 1926 ) : tous ensemble et droit devant, on lève la jambe et l'on souffle comme des déhanchés. Raisins muscats, des grappes porteuses d'ivresse. Snag it : ( Chicago, 11 mars 1926 ) : plus de Hot Five, mais en plus d'Armstrong et de Kid Ory, voici King Oliver qui s'est joint à eux, faudrait encore citer les huit autres qui ne sont pas venus pour rester les mains et la bouche dans les poches. Ampleur sonique, cavalcade et trompettes de cavalerie, poussez-vous la colonie passe, tuba et batterie à la fête. Fanfare subtile. Sugar foot stomp : ( Chicago, 29 mai 1926 ) : tous ensemble l'on stompe à tout rompre, on peut vous le faire tout doucement et tout seul mais beaucoup mieux quand on s'y met tous. Wa-Wa-Wa : ( Chicago, 29 mai 1926 ) : c'est pas du scat mais les cats sont là et les souris dansent. Tutti dantesque. 29 th and dearborn : ( Chicago, 10 mars 1926 ) : autre séance sans cadors heureux d'être né certes, mais l'ensemble est un peu poussif et répétitif. Manque d'imagination dans les soli. Too bad : ( Chicago, 11 mars 1926 ) : King Oliver est revenu avec un peu de monde, cela se sent, même si l'absence d'Armstrong est évidente.

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    Dropping shucks : ( Chicago, 16 juin 1926 ) : Hot Five, de la dentelle, beau comme une élégie de Verlaine, de la musique avant toute chose. Armstrong qui boppe au chant, remplacez les cuivres par des guitares électriques et c'est presque du rockabilly. Who's it : ( Chicago, 16 juin 1926 ) : de l'aisance et de la grâce, trombone amoureux et l'escarcelle repart au sommet du chapiteau, en bas sur la piste les clowns soufflent dans leur langue de belle-mère et les ballerines dansent sur le fil. Agilité déconcertante. The king of the Zulus : ( Chicago, 23 juin 1926 ) : Toujours le Hot Five, la musique s'interrompt pour une dispute vocale et l'on reprend le mouvement, sans inquiétude comme si de rien n'était. Le banjo à l'honneur pour une fois, le cornet de Louis se glisse dans des trous de souris. Big fat Ma and Skinny Pa : ( Chicago, 23 juin 1926 ) : déclaration à la parade et tout le monde en pas de deux comme les petits rats de l'opéra. La voix d'Armstrong guide les évolutions. Sweet little Papa : ( Chicago, 23 juin 1926 ) : cette facilité déconcertante de cinq musiciens qui s'écoutent comme larrons en foire et cette désinvolture qui n'arrive même pas à être horripilante. Gatemouth : ( Chicago, 13 juillet 1926 ) : sonne très moderne, un son beaucoup plus actuel. Nouveau combo, Louis a Disparu, Gil est là. S'en donnent tous à tue-tête. Ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort. Papa Dip : ( Chicago, 13 juillet 1926 ) : à l'identique sur un tempo plus rapide. Musique de danse et de trémoussements impromptus.

    ORY'S CREOLE TROMBONE

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    Flat foot : ( Chicago, 14 juillet 1926 ) : la clarinette de Jimmy Dodds suave comme une barbe à papa, le banjo de Johnny St Cyr qui se secoue les puces, Lil Armstrong qui charlestonne sur son clavier, Ory confettise sur son trombone. Mad dog : ( Chicago, 14 juillet 1926 ) : chien fou slalome entre les quilles, Ory aboie mais l'on sent qu'il aime les bêtes, la clarinette siffle sans méchanceté. Dead man blues : ( Chicago, 21 septembre 1926 ) : enterrement de première classe, l'on a renforcé le pupitre des clarinettes car l'on ne va pas laisser partir le macchabée dans un silence de mort. Hommagial, mais l'on évoque avant tout les moments heureux. Les cuivres ne sont pas loin du swing des décennies postérieuses. Black bottom stomp : ( Chicago, 15 septembre 1926 ) : Jelly Roll Morton est au piano et chaque instrument y va de son sprint, qui aura l'honneur de dépasser le piano fou ? S'y mettent tous ensemble mais il se maintient à leur hauteur et les plante dans le virage en tête d'épingle. Furax final. The chant : ( Chicago, 15 septembre 1926 ) : ce coup-ci la course se fait sur la largeur de la route, l'on mord dans les bas-côtés, l'on écrase les piétons, quelle rigolade ! Morton actionne les pistons et tous les autres au klaxon. Jazz Lips: ( Chicago, 16 décembre 1926 ) : attention lèvres d'or et son Cinq Chaud de braise sont de retour, Jimmy Dodds frétille des trilles sans fin et Armstrong donne de la voix pour montrer qui est le patron. Doctor jazz : ( Chicago, 16 novembre 1926 ) : d'ailleurs voici le docteur trop bien, on prend les mêmes plus Johnny Saint Cyr pas radin qui se radine avec son banjo. Plein gaz. Plein jazz. Le trombone vous en met met plein la trombine. Grandpa's spells : ( Chicago, 16 décembre 1926 ) : honneur au banjo, l'en pince pour la musique, les cuivres tout autour lui font fête. Jelly Roll se contente de trois mesures. Mais suprématiales. Original Jelly-Roll blues : ( Chicago, 16 décembre 1926 ) : d'ailleurs se taille part du lion sur ce morceau suivant, et malin avec cela, vous tire la descente de lit par en-dessous, le mec qui suit de loin, qui laisse les copains faire les zigotos et les ronds de jambe, mais les filles ne voient que lui. Cannon Ball Blues : ( Chicago, 16 décembre 1926 ) : George Mitchell vous tamponne les pavillons de son cornet, les autres l'accompagnent, ce coup-ci c'est lui qui remporte la mise même si les copains ne chôment pas, que voulez-vous il ne baille pas au cornet. Showboat shuffle : ( Chicago, 22 avril 1927 ) : le disque original grésille, le cornet de King Oliver se défonce à mort. Quelque part au fond de la cambuse on remue la cafetière, mais le showboat passe en toute majesté. Méfiez-vous le tuba est mortel. Put 'em down blues : ( Chicago, 2 septembre 1927 ) : Du blues ? Pas vraiment mais le public achète de plus en plus de ces femelles bleues qui ont une super côte. Pas du tout fêlée. Du coup Lil Armstrong se sent obligé de pianoter tout ce qu'il y a de plus bastringue. Et les cuivres tirent une langue longue tremousseuse comme un serpent à sonnettes à ces dames. Fairplay ?

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    Ory's creole trombone : ( Chicago, 2 septembre 1927 ) : tout compte fait Ory est toujours dans nos oreilles mais on l'entend mal, l'aigu des cornets et des clarinettes ne lui laissent trop souvent que la part d'ombre. Alors ce coup-ci il ouvre le bal. Une évidence sans ses flonflons tous les autres n'existeraient qu'à moitié. The last time : ( Chicago, 6 septembre 1927 ) : un titre pré-stonien ? Que non, ici pas de bruit de fond, pas de mur de son, plutôt un feu d'artifice, rouge cornet, fraise clarinette, outremer du trombone et Louis qui pousse la chansonnette comme une brouette remplie de bâtons de dynamite. Allumés. Shuttin' with some barbecue : ( Chicago, 9 décembre 1927 ) : fête champêtre et pirate, y a de la joie dirait Charles Trenet, oui mais ici il est interdit de se traîner. Faut souffler sur les charbons ardents. Got no blues : ( Chicago, 9 décembre 1927 ) : pas le temps d'avoir le blues, on vous le répète en long et en large. On répépiège un peu tout de même. Banjo un tantinet encombrant. Heureusement que Louis est là pour pousser le cornet de la bonne sœur dans les orties du désir. Once in a while : ( Chicago, 10 décembre 1927 ) : dans la série on va vous montrer tout ce ce que l'on sait faire, tous ensemble et un par un. Vous ne trouverez pas mieux. En abuseraient presque un poil de trop. I'm not rough : ( Chicago, 10 décembre 1927 ) : on ne l'attendait plus mais voici le blues. Pas un qui rampe. Un qui brille d'azur. L'on s'arrête en fin de mesure pour mieux pousser la charrette tous ensemble, tous en cœur. Qui bat très fort. Louis hache les mots. Ne laissez pas traîner les doigts. Surtout qu'à la fin ça s'accélère. Hotter thant that : ( Chicago, 13 décembre 1927 ) : vous ne trouverez pas plus brûlant. Le Hot Five porte bien son nom. Ory est au trombone comme d'autres titrent au tromblon, et Louis scate comme s'il squattait la moquette de la chatterie de la SPA.

     

    La compil met Kid Ory en vedette. Mais pas d'illusion c'est Armstrong qui dépasse. Et toute une époque. Le jazz est né de ce melting pot de musiciens qui apprenaient à cohabiter ensemble dans un formation où aucun ne désirait ravaler son identité instrumentale. Avaient compris d'instinct que jouer à ôte-toi-de-là-que-je-m'y-mette les desservirait. Alors s'y sont collés tous ensemble car l'union fait la force mais en aménageant à chacun une fenêtre de tir dont tous les autres tenaient les battants grands ouverts. Pas longtemps, souvent encore moins qu'au rockabilly, mais l'opportunité à saisir afin de se démarquer de tous les autres. Brûlures rafraîchissantes.

    Damie Chad.

    *

    L'ART D'APPRIVOISER LE BUFFLE

    DANIEL GIRAUD

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    A la seule lecture de ce titre le lectorat de KR'TNT ! se partage en deux clans. Une première moitié qui dit : «  Ah ! Je vois ! Des chansons sur les bisons et les teepees, Damie va nous causer de la contribution des peaux-rouges aux rock'n'roll, genre Link Wray, Jimi Hendrix, Redbones et tout le reste de la tribu ! » et une seconde qui répond «  Pas du tout, c'est un trip country, sur le rodéo, long corns sauvages, vaches folles, pom-pom girls, et chevaux. Je parie une monographie sur Alan Jackson !  ».

    Illustration parfaite du vieil antagonisme séculaire qui oppose indiens et cowboys ! Inutile de sortir les Winchesters et les coutelas à scalper. Amis rockers, le buffle dont il est question ici est un véritable buffle, pas un lointain cousin dégénéré made in USA, il s'agit de l'original buffle chinois. Du made in China, tout ce qu'il y a de plus authentique. Comme vous pouvez le voir sur la couverture du livre.

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    Réponse générale : «  Un livre ! Nous croyions que c'était le dernier CD du chanteur de blues ariégeois Daniel Giraud ! Tu sais, nous la lecture... et puis franchement sans vouloir te vexer nous n'avons pas particulièrement envisagé d'acheter un buffle, du moins dans l'immédiat, alors un bouquin sur l'élevage du buffle... tu n'aurais pas plutôt un book sur les rockabillies pin-up par hasard ! »

    Amis rockers, je vous rassure, le bouquin est minuscule, 15 centimètres sur dix, et seulement huit pages. Dont deux d'illustrations. Une véritable bande dessinée en dix vignettes, rondes, de petites bulles, sans phylactère. Même pas besoin de lire les notules explicatives de Daniel Giraud pour comprendre. En plus je vous explique. Ecoutez bien, je commente les images :

     

    • 1° ) Je cherche le buffle que j'ai perdu. 2° ) Chouette, les empreintes du buffle ! 3° ) D'ailleurs le voici en muscle et en cornes ! 4° ) Il n'aime pas trop que je lui passe une corde autour du cou. 5° ) Un bon coup de fouet sur les fesses pour lui apprendre à se tenir tranquille ! 6° ) Hop, je monte sur son dos et le ramène à l'étable. 7° ) Désormais le buffle se le tient pour dit et ne songe plus à s'enfuir. 8° ) Plus de problème, je ne pense même plus au buffle. 9° ) Mon buffle m'indiffère totalement. 10° ) A tel point que quand je vais au marché pour le vendre j'oublie de l'emmener. Voilà, c'est fini !

    • Heu ! Vachement intéressant Damie, l'est sûr que les histoires les plus courtes sont les meilleures. Mais enfin Damie, l'aurait tout de même été moins fatigant de laisser le buffle là où il était au début de l'histoire !

    • Amis rockers vous me décevez, la membrane imperméable qui comprime le pois chiche de votre cerveau est aussi épaisse que le cuir de votre perfecto. Vous n'avez rien compris ! Le buffle n'est qu'une image !

    • Tu nous avais dit qu'il y en avait dix !

    • Le buffle représente le corps que votre esprit doit savoir dompter, puis oublier, pour finir en être totalement séparé, c'est ainsi que vous obtiendrez le nirvana !

    • Nirvana, ne t'inquiète pas, on a déjà tous les disques ! Par contre on veut bien oublier notre corps mais pas celui de la petite Suzie ! Tu vois Damie, ton book, il est trop intellectuel ! Comme disait Buffalo Bill, faut un minimum de chair autour de l'os ! Fût-il de buffle chinois ! Tant pis si tu riz jaune !

    • Allo, Daniel, tu sais les illustrations de Tensho Shodun le moine zen du quinzième siècle et les gravures contemporaines de Tomikichiro To Kusari n'ont pas provoqué un raz-de-marée spirituel chez les kr'tnt readers ! Tu devrais songer à écrire L'Art d'Apprivoiser le Rocker !

    Damie Chad.

    L'art d'apprivoiser le buffle : Daniel Giraud. ARQA Editions. 5 euros.