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johnny cash

  • CHRONIQUES DE POURPRE 397 : KR'TNT ! 417 : IDLES / SCOTT WALKER / DICK RIVERS / JOHNNY CASH / PETE TOWNSHEND

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 417

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    02 / 05 / 2019

     

    KR'TNT ! SINCE 01 / 05 / 2009 !

     

    IDLES / SCOTT WALKER

    DICK RIVERS

    JOHNNY CASH / PETE TOWNSHEND

     

    Idles des jeunes

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    Mine de rien, les Idles font l’actu dans la presse anglaise : les voilà en couverture de Vive Le Rock et mieux encore, leur deuxième album Joy As An Act Of Resistance y est classé album de l’année. Les Idles partagent la couve avec Captain Sensible, c’est dire si. On les qualifie d’inspiring and cathartic, infectuous and raw et leur énergie transcende tous les genres, le punk, le rock et tout ce qu’on voudra bien transcender. Paula Frost rappelle que le groupe tourne maintenant dans le monde entier. Ils sont lancés, mais mettent à point d’honneur à soigner leurs shows - The shows are what’s important.

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    Il suffit de les voir sur scène pour mesurer la portée d’un tel propos. Leur show est en effet un mélange de tout ce qu’on aime dans le rock : un somptueux mélange de bravado, de démesure, de tatouages, de blasting, de hits de hutte et surtout d’un mépris souverain du qu’en-dira-t-on. Joe Talbot et ses amis jouent leur va-tout à chaque instant. On aurait tendance à penser que c’est facile quand on a de bonnes chansons. Non, il faut en plus savoir se jeter dans la bataille, ce que font très bien les deux guitaristes.

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    D’ailleurs, Mark Bowen arrive en short sur scène, comme ça au moins les choses sont claires. Les Idles sonnent la charge dès «Heel/Heal», ils renouent avec cette tradition qu’on croyait en voie d’extinction des grandes fêtes scéniques du rock. Ils sont trois à mener le sabbat en bord de fosse et ils vont rallumer un par un les brasiers entassés sur leurs deux albums. Ils jouent à fond la carte du télescopage, ils storment leur sugarshit, ils enfoncent des clous et pillent les imaginaires comme on pillait autrefois les cités, ils entrent dans les cervelles au galop en poussant de cris de victoire.

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    Il n’existe pas des masses de groupes aussi physiques que les Idles. Les seuls qui s’en rapprochent sont les Oh Sees et les Schizophonics. Après chaque cut, on rallume les lumières et Joe Talbot parle aux gens. Il reprend son souffle. Il adore Louen, il adore les people, il fuck le brexit et il fuck Trump, comme tout le monde aujourd’hui. Et paf, il réarme sa grosse Bertha avec «Never Fight A Man With A Perm», ça va très vite, le deuxième guitariste Lee Kieman se jette dans la mer humaine avec sa guitare et disparaît au loin. Les Idles construisent sur le chaos. Metallic KO ? Follow that ! La pétaudière n’en peut plus. Elle va craquer. «Well Done» tombe comme un sort sur la salle. Cette nouvelle rasade d’apocalypse pourrait faire baver d’envie les quatre Cavaliers. On croirait même entendre les Pistols à un moment, tellement le raunch de «Faith In The City» laboure les consciences.

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    Les Idles cumulent tous les charmes, les charmes velus de la bourre-moi-s-y, les charmes décrets du bourre en joie, les charmes gratinés du bourg crazy, les charmes de charcle du bout de la nuit, mais pas n’importe laquelle, la nuit célinienne, oui, car l’héroïsme athlétique de Joe Talbot génère des touches du fort en gueule Destouches, des éclats dégingandés de damné des tranchées, mais attention, cette brute ruisselle aussi d’atours buñuelliens de démesure andalouse et même d’ange exterminateur, et si on voulait encore pousser le bouchon, son profil de boxeur du XIXe ne vous rappelle personne ? Oui, Cravan, l’autre fort en gueule, ‘regardez-moi les gars, je vais le dégommer’, un Cravan-Talbot Lago assez anglais par le port de moustache pour rappeler qu’il pourrait être le neveu d’Oscar, mais pas le Wilde, l’autre, le wild, car il court sur place comme le sportif de Marey, il boxe le rock et gueule sa rage avec cette niaque de nique typique des Britanniques en pic d’heroic coleric. «Colossus» ratiboise les collines et ils enchaînent avec «Mother» histoire de raser ce qui reste du ghetto, tel que nous le montrait Polanski dans Le Pianiste. La seule métaphore possible pour illustrer le génie sonique des Idles est malheureusement celui de la destruction massive. Et pourtant, ils construisent de la légende.

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    Combien de temps tiendront-ils à ce rythme ? On s’inquiéterait presque pour eux. Ils terminent leur set avec «Rottweller». Pas de rappel. À quoi bon ? Ils ont aplati la messe comme une crêpe.

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    Brutalism est paru en 2017. Appelons ça un énorme album, si vous voulez bien. Dès «Heel Heal», ils ne décrochent pas la timbale, ils la dégomment. Insanité totale. On n’avait plus entendu un tel rumble depuis des lustres. Tout est pulsé au tatapouf maximalistic, ils sonnent comme l’invasion des Huns - I’m done/ What fun - Joe Talbot répète son couplet d’I want to move into a Bovis home, c’est d’une puissance inégalable. Cette façon de monter en puissance est inédite. Leur sens du power blast n’a strictement rien à voir avec le punk. Musicalement, on ne pourrait même pas les comparer à un autre groupe. Too much power business. Ce mec s’adresse à nous directement, mais avec une hargne épouvantable. Dans «Well Done», il raconte qu’il ferait mieux de se couper le nez - I’d rather cut my nose off to spite my face - Ce Well Done sonnerait presque comme le «Boredom» des Buzzcocks. C’est admirablement dévoyé et battu comme plâtre. Alors on entre dans cet album comme dans une ville conquise, l’âme au pillage. Il faut les voir démolir «Mother» au metallic bassmatic des forgerons d’Angleterre. Et cette façon de screamer son mother fucker ! C’est une chanson politique anti-tories (conservateurs) - The best way to scare a torie/ Is to read and get rich - éminemment inflammatoire, policard en diable, mother fucker ! Ces mecs sont dessus, ils sont dedans, ils sont partout. Follow that ! Nouveau coup de génie avec «Date Night». C’est tout simplement la charge de la brigade légère. Personne ne peut échapper à ça. Ces mecs développent des dynamiques stupéfiées d’avance et Joe Talbot s’en vient faire son Johnny Rotten avec encore plus de niaque dévertébrée, son ai ai ai est une horreur ambulatoire. On croit qu’ils vont se calmer. Ah mais non ! Avec «Faith In The City» on se croirait encore chez les Pistols, ils font planer la menace à coups de one two three four - Praise the Lord - Et paf, ça repart en mode policard, there’s no jobs in the city, Joe Talbot fait l’apologie de l’horreur sociale, ça charge à coups de Benedictine monks et de peace with God, eh oui tu peux prier Dieu, ça ne sert à rien car t’es marron. Plus loin, ils nous pilonnent «Stendhal Syndrome» comme si c’était le ghetto de Varsovie. Jamais vu ça. Ils compressent leur drumbeat dans le croupion de la dinde qui du coup se met à tousser. Joe Talbot fait des évocations stupéfiantes de Bacon, de Basquiat et de Rothko. Il fait son Johnny Rotten. Ça pourrait être un hit des Pistols , mais les Idles sont dix mille fois plus puissants que les Pistols. C’est un autre monde. On voit aussi qu’il savent tarpouiller un cut avec rien : la preuve se trouve dans «Divide & Conquer». Ces mecs disposent d’une forme de génie sonique devenu rare. Ils bâtissent leur fascinant empire à la force de leurs petits bras, et c’est extrêmement édifiant. Et puis à un moment, le cut explose et ça gicle dans tous les coins. On voit aussi avec «Rachel Khoo» que tout est calibré pour fendre la vulve de Shiva. Ils explosent même l’alignement des planètes cher aux Aztèques. Appelons ça un avantage culturel. En écoutant cet album, on a vraiment l’impression d’évoluer spirituellement.

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    Sur la pochette de leur deuxième album Joy As An Act Of Resistance, on voit une bagarre. Joe Talbot explique ce choix d’image : «White old men ruining it for the rest of us.» Pour lui, c’est du langage artistique. Ils reprennent le vieux hit de Solomon Burke, «Cry To Me», mais pour créer les conditions du chaos tout puissant. Ils le bombardent de son et Joe Talbot hurle par dessus les toits. Quel festin de son ! On va encore une fois d’énormité en énormité sur ce deuxième album, à commencer par «Colossus». On sent le souffle du power dès le tac tac et le doom de basse. Ils démolissent immédiatement les colonnes du temple. Here go the Idles ! Ces mecs tiennent le futur du rock dans leur paume. Ils savent embarquer leur monde. Real power ! Ils font une sorte de prog explosif et Joe Talbot sings is mind out, de toute évidence. Voilà un doom qui tombe du ciel. Le seul groupe auquel on pourrait les comparer, ce serait le Killing Joke de Hosannas From The Basement Of Hell. S’il fallait qualifier «NFAMWAP», il faudrait parler de fureur apocalyptique. Ces mecs tapent si haut qu’on chope le torticolis. Ils démultiplient à l’infini les exceptionnelles exceptions d’excerpts de soundalikes. Ça n’en finit plus d’exploser sous les pas, on irait même jusqu’à se prosterner devant d’aussi fabuleux soudards. On comprend qu’un canard comme Vive Le Rock les vénère. Encore une merveille avec «I’m Scream» monté sur un violent drumbeat. Oui, ils semblent réactualiser l’ancien power de Killing Joke. Les Idles réinventent le heavy punk-rock britannique. S’ensuit un «Danny Nedelko» battu si sec et chanté à si pleine gueule qu’on s’en étonne, comme si le rock anglais redevenait abrasif. Ils embarquent «Samaritans» au pire beat de l’univers. Le barrage de son est si brutal qu’il assomme, surtout à l’heure où la lune devient rouge. Ils font du Killing Joke, mais avec quelque chose d’encore plus spectaculaire dans la démesure. On sent chez eux une disposition à défoncer les annales du rock anglais, une unbelievable puissance de l’être son. On les voit encore déployer des trésors de power dans «Great». Ça double à la batterie, tout est joué dans l’absolu gras double du pandemonium. Joe Talbot revient faire son Johnny Rotten dans «Gram Rock». On a là une sorte de gros beat turgescent joué sous un boisseau tout de même secoué d’atroces violences intrinsèques.

    Signé : Cazengler, l’idlot du village

    Idles. Le 106. Rouen (76). 20 avril 2019

    Idles. Brutalism. Balley Records 2017

    Idles. Joy As An Act Of Resistance. Partisan Records 2018

    Paula Frost : Love what you love and don’t apologize. Vive Le Rock #59 – 2018

     

    Scott land

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    Scott Walker et les Walker Brothers occupaient dans la pop anglaise une place à part. Ces trois Californiens venus faire carrière en Angleterre mirent comme PJ Proby un point d’honneur à se détacher du lot. Ils surent rester profondément américains dans un swinging London phagocyté par les Beatles et le British Beat.

    Gary Leeds fut le premier batteur des Standells. Quand PJ Proby lui proposa de l’accompagner à Londres en 1964, Gary accepta. Il allait perdre sa place dans les Standells, remplacé par Dick Dodds, mais à son retour en Californie il se mit à jouer avec Scott Engel et John Maus. Ils allaient former tous les trois les Walker Brothers. C’est à Gary Leeds que revint l’initiative de lancer les Walker Brothers à Londres. Il pensait qu’il serait plus facile de percer à Londres qu’aux États-Unis. John Maus : «He said that London was really hip and that there was a great music scene here.» Bien vu Gary ! Ils débarquèrent à Londres le 17 février 1965. Leur première grande surprise fut de découvrir la neige qu’ils ne connaissaient pas.

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    Gary Leeds et John Maus relatent leurs souvenirs dans un très beau livre, The Walker Brother - No Regrets. C’est certainement l’ouvrage de référence en la matière. Ils passent d’ailleurs leur temps à corriger les erreurs qui fourmillent dans A Deeper Shade Of Blue qu’on tenait auparavant pour ouvrage de référence. Gary et John éliminent une à une toutes les rumeurs qui ont couru et dont sont friands les amateurs d’anecdotes, des choses relatives à l’homosexualité ou aux drogues dont on se fout éperdument. On décrivait les trois Californiens comme the new lords of London pop’s aristocracy, roulant en Lamborghini. John Maus affirme qu’il n’a jamais possédé de Lamborghini. Juste une Marcos.

    Comme au début le trio n’avait pas de nom, John Maus proposa de le baptiser The Walker Brothers Trio. Ils se produisaient au Gazzari’s et c’est Nick Venet, l’A&R de Mercury qui fut le premier à flasher sur eux. Il commença par simplifier le nom du trio pour en faire les Walker Brothers, en écho à Warner Brothers, l’emblème de l’industrie hollywoodienne. Puis tout le gratin dauphinois débarqua chez Gazzari’s pour voir jouer le trio, y compris les movie stars d’Hollywood, sans oublier les Stones et les Byrds.

    Pour l’anecdote : la veille de leur départ à Londres, les Walker Brothers enregistrèrent au studio RCA de Los Angeles un premier single, «Love Her», avec Nick Venet et Jack Nitzsche comme producteurs. Au moment où ils entraient dans le studio, les Stones en sortaient. Ils venaient d’enregistrer «The Last Time». John Maus raconte que quelques mois plus tard, invité à Ready Steady Go, Cathy McGowan lui demanda de présenter le nouveau single des Stones, «The Last Time».

    Gary rappelle que John Maus est un excellent guitariste et qu’ado il fréquentait Dave Marks et Carl Wilson qui allaient former les Beach Boys. Non seulement il les fréquentait, mais il les aidait à progresser. D’un côté les Beach Boys, de l’autre les Standells, nous voilà à l’aube du California Beat.

    Gary revient aussi longuement sur l’homme qui sans même le savoir fit basculer le destin des Walker Brothers : PJ Proby. Il avait été invité en 1964 par les Beatles à participer à un show télévisé, Around The Beatles et fut tellement impressionné par Londres qu’il décida de s’y installer pour faire carrière. C’est à son retour en Californie qu’il proposa le job de batteur à Gary Leeds qui découvrit Londres à l’été 64 : «Nous rencontrâmes les Pretty Things et PJ devint le pote du chanteur, Phil May qui nous invita chez lui à Chelsea le jour suivant. Là, on se retrouva assis autour d’une table immense avec Brian Jones qui était aussi un ami de Phil. Brian ne se souvenait pas de moi, mais on s’était rencontrés chez Gazzari l’année précédente. On était assis à la même table et il m’avait demandé un fag, ce qui m’avait choqué car à Hollywood, un fag veut dire pédé. Quel ne fut pas mon soulagement quand je compris qu’il demandait une cigarette.» Il revient aussi sur la fameuse mews house de Shirley Bassey à deux pas du Royal Albert Hall : c’est le lieu de débauche qu’évoque Kim Fowley dans ses souvenirs. Gary ne cite ni Kim Fowley, ni Viv Prince, par contre il cite Diana Dors, une movie star qui appréciait beaucoup PJ. Elle s’appelait en réalité Diana Fluck et après quelques verres, PJ et Gary ne pouvaient s’empêcher de l’appeler par son vrai nom et ça devenait vite tendancieux.

    Les Walker Brothers furent rapidement confrontés à la walkermania, l’hystérie collective. Comme ils étaient grands et beaux, les filles étaient folles d’eux. Walkermania et Beatlemania même combat. Scott qualifiait le style des Walker Brothers de ‘neurotic romanticism’. Imparable. Les filles tombaient comme des mouches - Our songs were loaded with drama - Gary, Scott et John n’avaient encore jamais vu un tel degré d’hystérie, même à Hollywood. La sécurité était dépassée. Dans leur livre, Gary et John n’en finissent plus de rappeler à quel point c’était dangereux, car les filles arrachaient tout, les fringues, les cheveux, tout ce qui pouvait être arraché. Le problème était de savoir comment entrer puis sortir d’une salle de concert sans se faire alpaguer par les hordes de fans - It became an increasingly frightening situation - Les trois Californiens crevaient de trouille.

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    Leur premier album Take It Easy With The Walker Brothers paraît en 1965. C’est le début d’une fructueuse collaboration avec le producteur John Franz. Scott impose déjà sa pop hollywoodienne avec «Make It Easy On Yourself», une compo de Burt. On reste dans l’ambiance de «The Sun Ain’t Gonna Shine Anymore» (qui ne figure pas sur l’album) : mélodie imparable et orchestration grandiloquente. Ils font quelques reprises, comme «Dancing In The Streets», «Land Of Thousand Dances» et «Love Minus Zero». Ils tapent dans le mur du son pour Dancing et proposent un fabuleux take down in New Orleans, mais ce n’est pas Scott qui chante. Leur clin d’œil dylanesque est absolument parfait. Comme tous les autres groupes phares de l’époque, ils payent leur tribut au grand Bob. Et c’est avec «I Don’t Want To Hear It Anymore» que Scott emporte la partie. Il chante cette merveille signée Randy Newman de main de maître. Scott voulait aussi enregistrer le «Don’t Make It Over» de Burt, mais Dionne la lionne était déjà passée avant.

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    Le deuxième album Portrait paraît l’année suivante. Comme le rappelle John Maus, Curtis Mayfield ne voulait pas que des blancs reprennent son «People Get Ready», mais il fit une exception pour les Walker Brothers. L’autre grosse reprise de l’album est le «Summertime» de Gershwin qu’ils tapent à deux voix sur un tempo très ralenti. On voit Scott prendre son envol et déployer lentement ses ailes. Ça vire groove de jazz. Ils en ont les moyens. Le vrai hit de l’album s’appelle «Saturday’s Child», monté sur un big bassmatic sur fond de wall of sound. Avec la voix de Scott, nous voilà dans ce qui rend le rock des Sixties irremplaçable. C’est l’épitome de chèvre du Sixtes Sound System. Même puissance que «River Deep Mountain High». «Hurting Each Other» sonne comme «The Sun Ain’t Gonna Shine Anymore». On a là toute la magie des Walker Brothers - A sound so palpable you can almost touch the reverberating cymbals, nous dit Keith Altham au dos de la pochette. En B, ils reprennent aussi le «Living Above Our Head» de Jay & the Americans, une pop bien fuselée adossée elle aussi au wall of sound. Pure merveille que ce beat puissant.

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    Avec Images, Scott commence à jouer avec le feu. Il n’ose pas encore taper dans Brel, il se contente pour l’instant de Michel Legrand, avec deux titres, «Once Upon A Summertime» et plus loin en B, «I Will Wait For You» tiré des Parapluies de Cherbourg. Fabuleux choix, c’est d’une perfection mélodique à toute épreuve. Scott Walker chante Michel Legrand au suspendu. Ça jazze dans le magnifique. Toute la magie de Paris est là dans le Summertime, bercée par des vagues de violons. Dès l’«Everything Under The Sun» d’ouverture de bal d’A, on reconnaît la griffe des Walker Brothers : voix de Scott et orchestration. C’est très spécial, très collet monté, au sens hollywoodien de la chose. Sous un casque, les Walker Brothers prennent du volume. Par contre, les compos de Scott refusent obstinément de fonctionner. Rien à faire. Manque d’éclat. John Maus se fend lui aussi de deux compos, dont un petit jerk nommé «I Wanna Know». Le pauvre John Maus essaye de créer la sensation à l’ombre des jeunes filles en fleurs. Ils font une version extrêmement groovy de «Blueberry Hill» et le hit du disque pourrait bien être la reprise de «Stand By Me» qu’ils tapent à la hollywoodienne, c’est bardé de son et noyé dans l’écho du temps. Gary précise qu’ils détestaient tous les trois la pochette de l’album qui était du simili-Warhol. Il ajoute que John Franz s’intéressait uniquement à Scott et qu’il voulait le lancer comme il avait lancé Dusty Springfield en la sortant des Springfields. En 2008, RPM réédite l’album et ajoute quatre bonus qui en disent long sur le pouvoir séculaire des bonus. On tombe sur une hallucinante version du «Stay With Me Baby» rendu célèbre par Sharon Tandy. Scott does it right. Il peut monter chez Sharon et exploser l’eau et le gaz à tous les étages, oh yeah, he can. Il faut le voir grimper lentement sur son Stay, et ça explose dans une sorte d’apothéose qui nous réconcilie avec la vie. Remember ! C’est orgasmique. Merci RPM. Et ça continue avec «Turn Out The Moon», and the stars in the sky, pur jus de Walker Brothers. On est dans l’orchestration d’overdose avec un Scott indomptable. Nouvelle secousse sismique avec «Walking In The Rain». Menés par un leader comme Scott, les Walker Brothers étaient tout simplement invincibles. Du coup leur pop devient sculpturale. C’est littéralement bardé de son et de Scott. Tu connais le «Walking In The Rain» des Walker Brothers ? Non ? Il est là. Ils terminent ce carré d’as avec «Baby Make It The Last Time», un vieux mambo dément des Walker Brothers. Scott l’éclate à la pointe du menton. Tous les superlatifs quittent le navire. Il est temps de couler, les amis.

    Et comme toutes les bonnes choses, l’histoire des Walker Brothers se termine. Malgré les millions de disques vendus, Gary dit qu’il se retrouve sans un rond et qu’il doit tellement de blé aux impôts qu’il va mettre cinq ans à rembourser. John Franz voulait transformer Scott en Sinatra et continuer à enregistrer avec le même son. Pire encore, il faisait bien comprendre aux deux autres qu’ils n’étaient pas vraiment indispensables. Il régnait une telle tension dans le groupe qu’à la fin Scott, John et Gary ne se parlaient plus. Scott faisait une consommation abusive de valium et John buvait comme un trou. Le pauvre Gary qui était à l’origine du projet souffrait de le voir tourner en eau de boudin. John fut le premier à quitter le groupe - We each simply went our own ways - there were no goodbyes - Ils décident tout simplement d’arrêter. Terminé, tout le monde descend. Évidemment, ils n’ont aucune idée de la façon dont est géré leur blé chez Capable Management, l’agence de Maurice King qui s’occupe d’eux. Comme par hasard, la caisse et vide. Vide ? Oui, vide. Nos trois bellâtres sont consternés. Pire encore, ils découvrent un peu plus tard qu’on imitait leurs signatures pour détourner des chèques de royalties. Eh oui, les pop stars anglaises, ça rapportait gros et les corbeaux a-do-raient le fromage.

    Comme on le sait, Scott va embrayer avec sa carrière solo. De son côté, Gary Leeds va monter Gary Walker & the Rain et embaucher Joey Molland, l’une des futures âmes de Badfinger. Gary sait qu’ils vont faire un carton au Japon, et Brian Epstein accepte de les manager. Gary sait qu’il va repartir à la conquête du monde et puis un jour il reçoit un coup de fil d’Allan McDougall : «Brian Epstein is dead !» Patatrac ! Tout s’écroule. Mais Gary décide de continuer et décroche un deal chez Polydor. Il embauche Charlie Crane des Cryin’ Shames comme chanteur et ils tournent trois semaines au Japon où on les accueille comme des stars, avec des banderoles «Welcome to the Rain». Mais bizarrement, ça ne prend pas en Europe et the Rain arrête les frais.

    Gary, John et Scott ont une relation tellement saine qu’ils parviendront à surmonter toutes les manigances du business. Il finiront par échapper à John Franz pour se reformer un peu plus tard et signer avec un nouveau label, GTO - Basically, as long as John Franz and Maurice King weren’t around, the three of us were fine - Ils vont enregistrer une petite série d’albums qui hélas n’iront pas marquer les mémoires au fer rouge.

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    Malgré tout le plaisir qu’ils éprouvent à se retrouver tous les trois, ils ne parviennent pas à retrouver le filon des années de braise. Paru en 1975, No Regrets déçut énormément. Scott a beau faire des numéros de cirque avec sa voix, l’émotion brille par son absence. Et si John Maus se met à chanter, ça retombe aussitôt comme un soufflé. Un léger sentiment d’ennui s’élève de «Boulder To Birmingham», même si Scott chante. On le voit en B faire du gringue à Kris Kristofferson à travers «Got To Have You», mais on comprend un peu mieux pourquoi cet album ne pouvait pas marcher. Ça manque tragiquement de grosses compos. Même le «Burn Our Bridges» pourtant signé Jerry Ragovoy ne marche pas. C’est de la Soul destinée aux blackos, pas de la pop.

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    Lines paraît en 1976. Gary dit que «Lines» était la chanson préférée de Scott. Il y fait un joli numéro de cirque. Mais c’est avec le «We’re All Alone» de Boz Scaggs qu’il va sauver l’album. Voilà en effet un cut assez pur au melodic et presque joyeux au mimetic. On savait Boz Scaggs grand auteur, mais Scott apporte encore autre chose, le vernis d’un interprète hors normes. Très haut niveau, très orchestré. Enfin un bon choix. Ouf ! Ils terminent avec un «Dreaming As One» beaucoup trop délicat. Scott y atteint les limites du genre. C’est quasiment un cut préraphaélite.

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    Gary Leeds dit que Nite Flights paru deux ans plus tard est son album préféré des Walker Brothers. Ils proposent en effet avec cet album un son nouveau qu’il est impossible de catégoriser. Mais c’est l’album des Walker Brothers qui se vend le moins. C’est aussi l’époque où Scott développe une phobie de la scène. C’est avec cet album que Scott révèle un goût pour une musique plus expérimentale. Eh oui d’ailleurs l’album est comme coupé en deux : une première partie avec les cuts de Scott domine largement la deuxième partie qui propose les cuts de Gary Leeds et de John Maus. Dès «Shutout», on sent Scott motivé. Peut être même un peu trop. Le bassmatic flirte dangereusement avec la diskö. Et un guitariste nommé Les Davidson passe un gros solo diabolo. Et bien sûr, avec «Fat Mama Kick», Scott prépare le terrain pour la suite. Il s’appuie sur une débauche de beat et un salmigondis de sax free, ça tourne alors à l’éberluante modernité. Plus rien à voir avec la mollesse des deux albums précédents. La tendance se confirme avec le morceau titre, laminé par deux basses et visité par des vents mauvais. La voix de Scott Walker domine la pop, il chante comme une espèce de dieu volant. Dernier coup de Jarnac avec «The Electrician» et son texte préfigurateur des disk-books à venir - He’s drinking through the Spiritus Sanctus/ Tonight thru the dark hip falls/ Screaming Oh you Mambos/ kill me - C’est fascinant d’inventivité, comme si Hollywood basculait dans le monde de Scott. Il est capable de prodiges dévertébrés et on entend Big Jim Sullivan jouer des notes sculpturales dans l’écho du temps. Puis l’album part à vau-l’eau avec des choses privées d’intérêt.

    Alors bien sûr, Gary Leeds et John Maus apportent des éclairages intéressants sur le pauvre Scott qui vient tout juste de casser sa pipe en bois. Il faut savoir qu’au départ, Scott jouait de la basse dans un surf band californien. Il vivait avec sa mère que tout le monde appelait Mimi dans un immense château à tourelles sur Scenic Drive, à Hollywood. Scott est toujours resté très discret sur sa vie privée. Il avait des copines, mais il n’en parlait jamais. Il voulait être peintre et prenait des cours à l’Académie Juilliard. Scott était un mec très distant qui ne sympathisait pas facilement. Gary dit que la seule fois où il l’a vu copiner en public, ce fut avec Marc Bolan qui le faisait beaucoup rire. Gary ajoute que Scott était l’intello du groupe et qu’il s’intéressait de près à l’existentialisme de Sartre, à Camus, Ingmar Bergman et au jazz. John et Gary trouvaient d’ailleurs tout cela ennuyeux - Boring ! - Scott préférait le noir et blanc à la couleur et détestait la fumée de cigarette. Il s’en plaignait constamment car évidemment, les deux autres fumaient comme des pompiers.

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    On considère encore aujourd’hui ses quatre premiers albums solo comme de grands albums classiques. Il démarre en trombe avec Scott. D’autant plus en trombe qu’il attaque avec le «Mathilde» de Jacques Brel. Il faut se souvenir qu’en 1967, Brel est encore extrêmement populaire, et rares sont les chanteurs qui osent toucher à son répertoire. Scott Walker chante son Brel à pleins poumons - Mathilde’s coming back to me ! - C’est extraordinairement orchestré, secoué par une fantastique dynamique philharmonique, mais bien sûr, il faut aimer ce mélange détonnant de puissance vocale et d’arrangements babyloniens. Les trompettes se battent avec les violons, et ça donne un son d’essaims furibards. Scott tape aussi dans «Amsterdam». C’est amené au bandonéon et soudain, il l’embarque sur cet air d’accordéon qu’aimait tant Brel, chauffe Marcel ! Allez vas-y mon gars, Scott Walker a compris toute l’urgence du génie de Brel et là ça décolle au delà du cap de Bonne Espérance, in the porrrt of Amsterdam qu’il explose. Le reste de l’album est moins dense, mais très captivant. Tout est over-blasté d’orchestration. Il tape dans l’«Angelica» de Barry Mann & Cynthia Weil, cut parfait et comme étalé à la surface des choses. Scott lui donne des ailes. Il tape à la suite dans «The Lady From Baltimore» de Tim Hardin, classique pop-rock soutenu à la flûte et aux accords psyché. Tout est chanté au maximum de possibilités. «When Johanna Loved Me» reste stupéfiant de tenue, l’orchestration est tout simplement criante de vérité. Il revient à Brel avec «My Death» et nous replonge dans une fantastique ambiance hollywoodienne avec «The Big Hurt». Tiens, encore de la prod over-blasted avec «Such A Small Love» et son orchestration démentielle. Scott Walker chante dans les éclairs de dithyrambe biblique, il provoque des fracassements d’éléments philharmonques comme s’il frappait le sol d’un coup de bâton magique - Such a small love ! - Stupéfiant ! «You’re Gonna Hear From Me» est violonné d’avance, il fait du pur Judy Garland, c’est hollywoodien jusqu’à l’os de la mortadelle. Il va chercher l’essence du kitsch, mais avec une tenue aristocratique. Il sonne comme une star hollywoodienne montée en neige du Kilimandjaro.

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    On retrouve des chansons de Brel sur Scott 2 paru l’année suivante. Cette fois il démarre avec «Jackie» - If I could be for only one hour/ Cute cute and stupid as well ! - Ça prend autant d’éclat qu’avec Brel. Il grimpe sur ses grands chevaux pur gueuler cute ! cute ! C’est très spectaculaire. Pas pop, c’est sûr, mais quel interprète ! En B, il tape dans «Wait Until Dark» d’Henri Mancini. Nous voilà dans l’ultra kitsch de dégoulinade et les nappes de violons coulent comme des rivières de miel. Effarant ! Il retape dans Brel avec «The Girls And The Dogs». On peut dire que les Anglo-Saxons ont compris deux choses de la France : Brel et Gainsbarre. Dans le cas de Scott Walker, il faudrait ajouter Michel Legrand. Cet album développe la même ampleur catégorielle que le précédent. Scott prend «Black Sheep Boy» de Tim Hardin à l’acou et ce côté folky transbahute le classical énergétique. Affolant ! Avec un artiste comme Scott Walker, on est obligé de parler en termes de souffle, comme s’il s’agissait de littérature. Il tape dans l’une des plus difficiles chansons de Brel : «Next», l’histoire du fameux conseil de révision. Mais c’est trop Kurt Weillien, c’est presque un hommage à l’Opéra de Quat’ Sous. Scott Walker est gonflé de proposer ce genre de cut à un public anglais plus friand de pop que de chanson française. «The Girls From The Streets» s’étend à l’infini, sombre et toxique. C’est joué à l’accordéon - Tonite we’ll sleep with a girl from the street - Fantastique tourbillon, il reste dans l’énergie de Brel. Il revient à Burt avec «Window Of The World». Il chante Burt avec beaucoup moins d’agressivité que Brel. Par contre, ses propres compos peinent à plaire. Il cherche à faire décoller «The Bridge», mais c’est beaucoup trop hollywoodien, au sens glamourous du terme, trop hors de portée des Droogs et du public working-class. Scott Walker et la CGT ne font pas bon ménage.

    Il est important de préciser que Scott Walker renouait avec une tradition britannique qui est celle du dandysme, telle que définie par George Brummell au XIXe siècle. Une tradition relayée ensuite par des sommités comme Barbey d’Aurevilly, le connétable des lettres, Robert de Monstesquiou, Oscar Wilde et plus tard, par les figures de proue de l’aristocratie rock, Brian Jones, Syd Barrett et les frères Davies. Cette lignée s’éteint doucement avec les ultimes dandys du rock que sont Peter Perrett et Tav Falco. Scott Walker appartenait à cette caste.

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    Paru un an plus tard, Scott 3 semble s’essouffler. Scott Walker compose quasiment tous les cuts de l’album, toute l’A et les trois premiers de la B. Et il termine avec trois reprises de Brel. Difficile d’évoquer cet album difficile. Il semble que Scott Walker reprenne vie avec Brel. «Sons Of» est la version anglaise de l’excellent «Fils De». En passant au tango avec «Funeral Tango», il renoue avec le big business. Scott ne fait pas de cadeaux - Oh I see all of you - Tav Falco doit adorer ce remake. Et puis on atteint des sommets avec la version anglaise de «Ne Me Quitte Pas» qui devient «If You Go Away» - If you go away on this summer day - Scott s’enfonce dans le désespoir de Brel. Il recrée l’espérance perlée de sueur du grand Jacques, but if you stay, mais cette salope va se barrer, il demande juste un peu d’amour to fill up my hand et il s’élance, le cœur battant - But if you stay/ I’ll make you a night - C’est là où Scott Walker prend tout son sens - For the good’s gone from the world goodbye - Inutile de supplier, ça ne sert à rien. Bien sûr, des choses comme «Rosemary» valent aussi le détour. Comme Brel, Scott Walker façonne son son comme une supplique monumentale qu’il exploite à tire-larigot - Watching trains go by/ From platforms in the rain - C’est très imagé, mais un peu trop grandiloquent. Scott Walker avoine ses cuts pour avoir du son. On voit aussi avec «We Came Through» qu’il se dégage de ses obligations envers la pop anglaise. Il est hors compétition. Il fait du Brel hollywoodien avec des clairons et un tambour battant. Il n’en finit plus de monter son brouet en épingle. Mais on sent qu’il s’épuise, il ahane comme un saumon pelé. Il grandiloque de plus en plus. On s’étonne même parfois qu’il ait pu atteindre un tel degré de popularité avec des chansons aussi hermétiques que «Winter Night».

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    Scott 4 paraît la même année. Le coup de génie de l’album s’appelle «The Old Man’s Back Again», chanson éminemment politique puisqu’il s’en prend à Staline. Mais quelle tempête mélodique ! C’est joué au drive de basse, c’est du Dr Jivago rock’n’roll, fantastique éclat - His mother called him Ivan/ Then she died - Il est important de préciser que Scott Walker signe toutes les compos de l’album. «The Seventh Seal» d’ouverture de bal d’A sonne donc comme un film hollywoodien. Scott Walker voit toujours les choses en grand. Tout est sculpté dans la matière du son, on a même une cavalcade, des rebondissements, des trompettes et des clameurs de chœurs. «The World’s Strongest Man» est certainement sa chanson la plus pop - And didn’t you know I’m not the world’s strongest man - Fantastique pop d’entraînement, c’est un hit pour le moins extraordinaire. On voit bien avec «Angels Of Ashes» qu’il vise systématiquement la beauté extravertie. Scott Walker est un explorateur d’étendues sauvages, une luciole qui s’en va se cogner aux luminaires, il a une façon unique de dorloter la mélodie - And he walked like St Francis/ With love - «Boy Child» semble joué par vagues. Scott Walker adore les vagues, il se prélasse dans un univers de ressac - Cause he came without a name - C’est excellent. Voilà le genre de disque qu’on réécoute de loin en loin. On le voit venir avec «Hero Of The War» : il n’aime pas la guerre, alors il joue ça à gros coups d’acou.

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    Malgré sa très belle pochette (un portrait en gros plan de Scott), Til The Band Comes In n’est pas l’album du siècle, loin de là. Il faut attendre «Joe» pour voir les choses bouger, car c’est un groove de jazz que Scott chante à la revoyure de la belle allure, c’est un enchanteur florissant, comme dirait un Apollinaire gascon. Ça pianote jazz derrière et Scott swingue son chant cachalot blanc. On va retrouver ce même groove de jazz dans «Time Operator» - Take the time to take the time/ Caus’ we got so much in common - On note la fantastique pureté intentionnelle de «Thanks For Chicago Mr James». Même s’il ne choisit pas les bonnes chansons, Scott se débrouille toujours pour forcer l’admiration. Il laisse la place à Esther Ofarim pour «Long About Now» qu’elle chante par dessus les toits. En B, «Stormy» plaira pour son côté Brel des relations orageuses - Hey my storm bring back the sunny days - Admirable - I need you Stormy ! - Il fait encore un peu de country et ça se termine comme d’habitude, par la fin.

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    Avec The Moviegoer, Scott Walker se livre à un petit exercice de style. Il reprend les chansons tirées de BO connues, comme par exemple The Godfather, ou «Summer Knows» que Michel Legrand avait composé pour Un Été 42, et bien sûr, ce n’est pas la meilleure compo de Michel Legrand. Le seul cut qui force l’admiration se trouve en B : Scott tape dans le «Joe Hill» que Joan Baez chantait a capella à Woodstock - Says Joe you’re ten years dead/ I never died said he - Fantastique chanson d’espoir en hommage à un vieux héros des syndicats américains, au temps où ces mecs risquaient leur peau pour défendre l’intérêt collectif des ouvriers. Ça a l’air con écrit comme ça, mais cette culture fait partie des fondations du monde moderne, au même titre que le rock et les grands auteurs littéraires. Scott groove Joe Hill différemment, mais il nous sert le couplet magique que tout le monde connaît par cœur sur un plateau d’argent : «From San Die/ Go /Up to Maine/ In every mine and mill/ Where every man defends their rights/ It’s there you’ll find Joe Hill/ Its’ there you’ll find Joe Hill.» Peu de chansons ont su traduire ce sentiment si particulier qu’est l’espoir d’une justice humaine. Joe Hill rivalise de puissance universaliste avec L’Internationale.

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    Sur Stretch paru en 1973 se niche l’une des huitièmes merveilles du monde : une reprise d’«A Woman Left Lonely», l’un des hits de Dan Penn. Scott entre dans cette chanson comme s’il entrait dans un jardin magique. S’ensuit un «No Easy Way Down» extrêmement chanté. Scott plie la chanson à sa volonté. C’est signé Goffin & King et donc imparable. On ne peut se lasser d’un chanteur comme Scott Walker. Il tape aussi dans le fameux «That’s How I Got To Memphis» dans lequel tout le monde a tapé, Lee Hazlewood, Schmoll, Solomon Burke et les autres. Même Sid Selvidge sur I Should Be Blue. Par contre ses hommages à Mickey Newbury («Sunshine» et «Frisco Depot») ou Randy Newman («Just One Smile») retombent une fois de plus comme des soufflés. Mauvaises pioches. Par contre, les Box Tops savaient taper dans les chansons de Mickey Newbury («Weeping Analeah» et «Good Morning Dear» sur Cry Like A Baby). Rien n’est plus difficile que de choisir des chansons, lorsqu’on est interprète. C’est la raison pour laquelle Chips Moman et Jerry Wexler mâchaient le boulot des gens qu’ils recevaient en studio. En B, Scott rend hommage à Jimmy Webb en reprenant son «When Does Brown Begin». Il transforme cette romance en gros balladif de rêve. Il réussit à prendre son envol - Lord where does this brown begin - Dommage qu’il n’ait pas choisi «MacArthur Park». On se serait régalé.

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    Les albums de Scott Walker se suivent et se ressemblent. Any Day Now paraît la même année que Stretch et joue son rôle d’huître puisqu’on y trouve une perle. Une, pas deux. Il s’agit du «When You Get Right Down To It» de Barry Mann. Scott Walker se balade dans la classe du son américain. Il y injecte toute la splendeur interprétative dont il est capable. C’est là que le génie de Scott Walker prend toute son ampleur. Avec cette admirable légèreté de l’être qui tient plus de Gatsby que de Kundera. Faramineux shoot de shake. Il démarre son bal d’A avec un morceau titre signé Burt, mais ce n’est pas le meilleur Burt. Scott Walker choisit toujours les chansons difficiles. Il enchaîne avec Jimmy Webb et «All My Love’s Daughter», une compo ambitieuse qui ne marche pas non plus. Il tape dans les meilleurs auteurs et choisit toujours les cuts les moins accessibles. C’est une manie. Il faut le voir entrer dans ce joli balladif extraordinaire qu’est «Do I Love You» et dégager soudainement le ciel. L’homme est puissant, doué de souffle. Il s’élève bien au dessus de la pop et de tout le tintouin, secoué par de violentes tornades de violons. En B, il tente le «Ain’t No Sunshine» de Bill Whiters qui ne marche pas et dans «The Me I Never Know», il presse bien la poire de la discordance pour créer la sensation. Comme il aime bien Jimmy Webb, il tente le coup avec «If Ships Are Made To Sail» et termine avec «We Could Be Flying» bien embarqué au groove de jazz et au trumpet drive. C’est jazzé dans l’âme, on est dans Michel Colombier, ce diable de Scott a le bec fin.

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    Paru l’année suivante, We Had It All est un album country. Scott s’est acheté un jean et un âne. Le morceau titre est une compo de Donnie Fritts assez pure au plan mélodique. Scott s’y élève comme une libellule dans l’air parfumé d’une belle chanson d’été. Autre chose : Scott adore Billy Joe Shaver. Il reprend quatre de ses cuts sur cet album. C’est de la country pure et dure avec des histoires à la clé et du clinquant de pedal steel en veux-tu-en-voilà. Dire que des gens vont aller payer des fortunes pour cet album qui par con côté country devient atrocement banal. Trop country pour être honnête, dit-on. Au fond Scott Walker est un homme extrêmement austère. Il ne choisit jamais les chansons d’abord facile. Plus c’est âpre et plus ça l’intéresse. Alors évidemment, les fans s’ennuient un peu. Il adore les mélopifs paumés au coin des bois. Mais il finit toujours par soûler la compagnie. Il va même taper dans Gordon Lightfoot qu’on a jamais pu schmoquer. Scott tente d’imposer sa conception du beau avec cette reprise de «Sundown», mais c’est âpre. On s’éloigne de la rive.

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    Paru en 1984, Climate Of Hunter pourrait bien être l’un de ses meilleurs albums. Il nous plonge dans une certaine inquiétude dès «Rawhide», et parmi les tintements de cloches de brebis, voilà ce mec qui s’abat sur nous comme la peste sur l’Europe, il chante vraiment comme un fléau de Dieu, ce fléau qu’on appelle de tous ses vœux pour qu’il nettoie une fois encore la terre de la misère humaine, comme au temps du déluge. Oui, Scott Walker chante comme s’il allait nettoyer la terre, c’est-à-dire comme un dieu. Il nage ensuite jusqu’à la rive. Il reste très hautain avec «Dealer». Il plante un décor qui relève à la fois du palais d’un empereur et d’une casemate de va-nu-pied. Il est vrai que les empereurs de Nubie ne possédaient rien, hormis leur voix. Des flûtes font mal aux oreilles. Ce sont bien sûr des flûtes de perdition. Plus loin, il chante son Track 5 («It’s A Starving») à la suspension de la mort. Puis il accepte le Say it got late du Track 6 avec l’affabilité d’un seigneur vampire. Il fait du rock volant de Carpathes. Il n’en finit plus de renouer avec ce style échevelé et grandiloquent qu’il affectionne depuis des siècles.

    Son goût pour le jazz et les arts en général va le conduire tout naturellement vers la musique expérimentale, et plus précisément vers la musique concrète de Pierre Schaeffer, échappant ainsi à toutes les lois de la physique et à tous les genres. S’ensuit une série d’albums très spéciaux, qui ne sont en tous les cas pas destinés au grand public et encore moins aux amateurs de pop. C’est du Scott Walker, âpre, déroutant et indiciblement fascinant.

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    Paru en 1995, Tilt est le premier épisode d’une trilogie expérimentale dans laquelle on s’enfonce comme on s’enfonce dans une forêt inexplorée. Ambiance très grégorienne. Le son s’étend à l’infini. Il déclame son art moderne au mépris de toutes les conventions, surtout celles de Genève. Et comme tous les chanteurs de son niveau, il fait de sa voix un instrument. L’impression de découvrir un monde nouveau se précise au fil des cuts, clickely click/ Clickely clic. Premier émoi garanti avec «Bouncer See Bouncer», un exercice de style avant-gardiste qui dure huit minutes. Scott y évoque le powder (la poudre) sur la trompette de Gabriel - Don’t play that song for me - ça sonne exactement comme un acid trip, on a tous halluciné sur des images de la Vierge - All the powder on a Magdelene Mary - Et on entend battre un cœur. Il termine en apothéose walkerienne avec un Mama danced four feet away, c’est battu au beat des galères - Gotta dance four feet away - Retour au frisson avec «Bolivia 95» - Opiate me with that/ Key doctor babaloo - Il syncope son heavy doom serti de clochettes de brebis - Lemon bloody cola - Il passe en mode transe - Gonna sponge you down - C’est une chanson éminemment politique, bien sûr - Save the crops and the bodies - Et il retombe dans la transe du lemon bloody cola. C’est assez fascinant, on donnerait son royaume non pas pour un cheval mais pour cet opiate me just with that babaloo et ses clochettes de brebis. Scott Walker est aussi capable de power surge comme le montre «Patriot». Le mur du son s’écroule et Scott nous révèle son monde. Accompagné par un orchestre philharmonique, il s’élance de plus belle - As-in-the tacks/ As in the wrists - C’est très spectaculaire. Il faut pouvoir suivre ce déroulement avant-gardiste si on veut comprendre quelque chose au génie visionnaire de Scott Walker. Il termine avec le morceau titre, monté sur une carcasse de pop song mais il vrille un brin ses syllabes, they’ll turn the buffalo. Il est vif comme l’éclair - Get out of the way/ They’ll turn the buffalo - C’est presque du heavy rock. Le guitariste s’appelle David Rhodes et c’est un bon.

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    Deuxième volet avec The Drift paru en 2006. C’est encore un disk accompagné d’un petit livre contenant les textes. Il attaque avec l’extraordinaire «Cossack Are» qui est en fait une chevauchée fantastique - With an arm across the torso/ Face on the nails - Il décrit musicalement la charge des Cosaques, c’est d’une grande violence - Cossacks are charging in - Il raconte ensuite l’histoire de Clara, la compagne de Mussolini qui demanda à être exécutée en même temps que son amant. Scott Walker nous fait un film avec chaque chanson. Il soigne ses moments d’intensité dramatique. Et ça continue avec «Jesse», qui est en fait l’histoire du jumeau d’Elvis mort à la naissance, alors Scott imagine Elvis under Memphis moonlight - Jesse are you listening ? - Plus loin, il demande ce que Seoul et Sudan ont en commun. Both start with a S. C’est un prétexte à musique. On sent Scott partir à la dérive avec «Hand Me Ups» : il sent le clou lui traverser le pied, puis un autre lui traverser la main - Rub a dub God/ Beat the band/ I tried/ I tried - Il conduit ses chansons comme des orchestres. Il nous plonge chaque fois dans un expressionnisme radicalement différent, il travaille son «Psoriatic» dans la matière du sommeil d’un dieu. Sa respiration rythme le cut. Il termine cet album fascinant avec «A Lover Loves», qu’il joue sur deux notes et fait pstt pstt comme s’il sifflait des fantômes - And everything within reach - Pstt ! Pstt !

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    Dernier volet de la trilogie des disk-books avec And Who Shall Go To The Bail ? On y trouve quatre longs morceaux élégiaques et encore plus déroutants que ceux des volets précédents. Il est dit que cet album ne sera jamais réédité. Il vaut peut-être mieux, en effet. C’est du son. Vous qui cherchez de la pop, passez votre chemin. On est avec cet album chez Kantor et chez les inventeurs de voies nouvelles. Scott Walker expérimente à gogo. Pas de chant, ni sur le «Part 1» ni sur le «Part 2». Scott semble se contenter de créer du son qui crée de l’image. Avec le «Part 4», on se croirait chez Pierre Boulez. La modernité rôde au coin du bois. Ce diable de Scott Walker déconstruit le déconstructivisme à coups de poêle. C’est d’une grande puissance inconvenante. Comme s’il s’amusait à chasser les miasmes. Admirable Rebel Rouser. Son monde est sans doute un monde dans lequel il faut avoir les moyens d’entrer. Sans clés, c’est bien sûr impossible.

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    Nouveau disk-book conceptuel avec Bish Bosch en 2012. Scott peint Bish Bosch sur une grande toile et attaque avec un «See You Don’t Bump His Head» battu à la dure aux tambours du Bronx en caoutchouc dur - While plucking feathers/ From a swan son - C’est son leitmotiv. Il chante sur le beat alors que soufflent des vents mauvais, horizon to horizon. On est là dans quelque chose de très littéraire, à la Michaux. Scott chante son «Coups de Blah» dans les corridors glacés de sa folie. Il erre - Macaronic mahout in the mascon - Débrouille-toi avec ça. Il s’enfonce dans un délire d’ultra-sons et de DA DA DA un brin dada. Il adore déclencher des hostilités bibliques. Il démarre son «Phrasing» en bon préraphaélite avec un pain is not alone chanté à l’octave de l’ange Gabriel, celui de Burne-Jones, bien sûr. Il chante comme un stentor à l’agonie qui supplie Dieu de l’achever. Et puis avec «SDSS1416+13B», il passe à Fellini et la fait la BO de l’Antiquité. C’est d’une violence évocatrice assez rare. On est dans Satyricon, inutile de tergiverser. Une fois de plus, Scott Walker organise son album comme une série de saynètes, il vient d’Hollywood, ne l’oublions pas. Il monte son «Dimple» au structuralisme expressionniste. Il met en scène sa poésie destructurée - Jacharoo in the stew - et termine avec un truc appelé «The Day The Conducator Died». Pour les ceusses qui ne s’en souviendraient pas, le conducator était Ceaucescu.

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    Attention à cet album intitulé Soused. C’est en fait le dernier album de Scott Walker. Il est accompagné par les metallers de Sun O))). On ne peut pas imaginer mariage plus satanique. Scott Walker démarre avec un «Brando» plongé dans la désolation. Encore une fois, ce n’est pas accessible à n’importe qui. Des gens vont trouver ça bien, d’autres non. La vie est ainsi faite. Scott Walker met sa voix au service au grand néant interstellaire et ça donne un joli coup de drone de doom. Le pire est que cet album nous avale. Avec «Bull», la fière équipe repart pour 9 minutes de drone dans la pampa. Il est évident qu’ils explorent des contrées de l’inconscient satanique. Ça sonne comme une messe noire du Chanoine Docre, avec des voix issues des ténèbres. Scott Walker se pointe dans ce drone de chapelle mal famée. Quelle évolution, depuis Brel et Michel Legrand ! De toute évidence, ce son intoxique. C’est sa vocation. Scott semble crucifié sur l’autel des noires considérations, il chante à l’implorée dans cette ambiance digne de Eyes Wide Shut, le dernier film de Stanley Kubrick. Sacré Scott Engel, le voilà barré dans les turpitudes qu’illustre si bien la scène de la naissance du fils du diable dans Rosemary’s Baby. Cet album nous plonge dans des ambiances à la fois hautaines, gothiques et dramatiques. Ces gens-là ne rigolent pas avec la marchandise. Scott Walker semble trouver un exutoire dans cette ambiance, il explose tous les mysticismes, tous les gadgets de la weird exotica. Avec «Fetish», le satanisme se précise et l’album fascine outrancièrement - The body including the face. On a bed in the dark - C’est du satanisme fellinien claironné dans la folie - There is nothing else - C’est donc une illusion. Scott boucle définitivement sa boucle avec «Lullaby» et annonce que son assistant va passer parmi vous avec sa casquette. Il chante en suspension au dessus du néant abyssal, sa voix résonne à l’infini - Hey non-e/ Non-e - Scott fait littéralement la bande son du Là-bas de Huysmans, il fait monter la pression, lullaby la la. Il n’y a que lui qui puisse faire ça.

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    Petit conseil d’ami : évitez soigneusement son dernier album paru en 2016, The Childhood Of A Leader. C’est la bande originale d’un film et il ne chante pas. Boring.

    Signé : Cazengler, water browser

    Scott Walker. Disparu le 22 mars 2019

    Walker Brothers. Take It Easy With The Walker Brothers. Philips 1965

    Walker Brothers. Portrait. Philips 1966

    Walker Brothers. Images. Philips 1967

    Walker Brothers. No Regrets. GTO 1975

    Walker Brothers. Lines. GTO 1976

    Walker Brothers. Nite Flights. GTO 1978

    Scott Walker. Scott. Philips 1967

    Scott Walker. Scott 2. Philips 1968

    Scott Walker. Scott 3. Philips 1969

    Scott Walker. Scott 4. Philips 1969

    Scott Walker. Til The Band Comes In. Philips 1970

    Scott Walker. The Moviegoer. Philips 1972

    Scott Walker. Stretch. CBS 1973

    Scott Walker. Any Day Now. Philips 1973

    Scott Walker. We Had It All. CBS 1974

    Scott Walker. Climate Of Hunter. Virgin 1984

    Scott Walker. Tilt. Fontana 1995

    Scott Walker. The Drift. 4AD 2006

    Scott Walker. And Who Shall Go To The Bail ? 4AD 2007

    Scott Walker. Bish Bosch. 4AD 2012

    Scott Walker. Soused. 4AD 2014

    Scott Walker. The Childhood Of A Leader. 4AD 2016

    John and Gary Walker. The Walker Brothers. No Regrets. John Black Publishing 2009

    DICK'N'ROLL !

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    C'est le mal aimé du rock'n'roll français. Le Poulidor de la troisième position. Et encore souvent on le place derrière Ronnie Bird. Faut dire que les deux grands frères, Mitchell et Hallyday, depuis le jour qu'il s'est cassé avec la caisse, lors d'un spectacle à trois, font tout pour ne jamais le citer. Tu peux marcher sur mes pompes de daim bleu, mais ne touche pas au fric !

    Et puis Dickie c'est l'empêcheur de rocker en rond. S'est radiné du fond de sa province natale pour jouer les trouble-fêtes dans un mini-périmètre qui englobait le berceau du rock français : au sud pas plus bas que Créteil, au nord pas plus haut que l'Eglise de la Sainte-Trinité, à l'ouest pas plus loin que le Golf-drouot. Y avait tout juste de la place pour deux, alors le troisième larron il était un peu de trop.

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    Et teigneux avec ça. Une voix de velours et un sale caractère. Déjà rien que dans son groupe, il griffait un max. S'en est plus vite dégagé qu'Eddy de ses vieilles chaussettes, sans compter que sur scène avec ses Chats Sauvages, il se la pétait grave, capable de faire le répertoire en langue anglaise, comme un grand. Un fils de petit-bourgeois avec de l'instruction diront les mauvaises langues. Plutôt un gamin fou d'Elvis qui faisait tout ce qu'il pouvait pour donner l'illusion d'être comme lui.

    Bon, arrêtons les pleurs. C'est quand même lui qui – dans la série j'aime que l'on me haïsse - vient de déclarer : «  Je ne suis pas riche mais je paye l'impôt sur les grands fortunes ». L'a tout de même tiré son épingle du jeu le grand garçon ! Doit être plus futé qu'il n'y paraît. Je ne suis pas là pour vous parler du dernier Rivers – bonnes critiques un peu partout – ni du premier, genre virée dans la folie des early sixties où tout le monde était beau et gentil. Non je veux simplement revenir sur des années cruciales pour le rock français, celles du tout début des seventies.

    AVANT 70

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    Commençait à patiner dans la choucroute l'ami Dick, après mai 68. L'avait bu à toutes les sources les années précédentes. Couleurs un peu de folk à la Donovan, Qui se cache, du sitar à la George Harrisson, du proto heavy-rock avec C'est ça la vie emprunté aux Animals, et du pompier pompéïen avec Les Portes de la Nuit, avec attention George Martin le preneur de son des Beatles in person à la console. S'était même très bien tiré de sa session cuivrée au Muscle Schoals Studio que lui avait refilée Mitchell qui revenait d'enregistrer Alice et six autres petits frères qui feront le succès de son 33 De Londres à Memphis.

    L'avait eu un déclic salvateur en mai 68. L'avait mis en boîte une version de Summertime Blues d'Eddie Cochran, un peu sauvage, un peu déjantée, brouillonne mais qui avait du punch, assez proche dans l'esprit de celle des Blue Cheer. Elle passa de rares fois sur Europe 1, et ne fut disponible l'année suivante que pour les encartés de l'officiel Fan Club Dick Rivers, la fameuse Rivers Connection. Un coup d'épée dans l'eau ?

    C'est qu'à l'époque Rivers cherchait un peu la quadrature du rock, un truc rythmé avec des violons, un accompagnement symphonique avec des cuivres qui rockent. Une espèce de rythm'n'blues qui fasse musique de chambre et opéra wagnérien. Un monstre introuvable, mais l'époque était farcie d'électricité qui pétouillait dans tous les sens. La moindre idée devenait un double-album, tout était permis puisque rien n'était interdit.

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    Le pire c'est qu'à force de tourner autour du pot en l'an de grâce 1969, Dick Rivers va accoucher du chef d'oeuvre. L'en a vendu quinze mille exemplaires en quarante ans de L'? ! Ca vous interroge ? Normal, c'est un trente-trois tours intitulé L'Interrogation. La pochette ressemble à une pissenlit mauve que l'on vous suggèrerait d'effeuiller. Un peu, beaucoup, n'allez pas jusqu'au bout, vous n'aimerez pas du tout.

    Un truc innommable. Un concept-album, une comédie musicale, un pot-pourri de rythmes divers, de la samba à Pierre Henry, cent pour cent variétoche, mais boursoufflée à en crever. L'histoire de monsieur tout le monde qui se demande pourquoi il vit puisqu'il finira comme tout le monde par crever. D'ailleurs sans surprise il meurt sur le dernier morceau qui nous refait le Crépuscule des Dieux de Wagner en moins bien, mais avec quatre-vingt musiciens qui déchirent. Entre les morceaux vous entendez la voix funèbre de Gérard Manset qui joue le Monsieur Loyal du Destin.

    En son style unique c'est insurpassable. Et je ne crois pas que dans les deux siècles futurs qui se profilent à l'horizon temporel quelqu'un osera se lancer dans la compétition. Les jours où l'envie de vous tirer une balle dans le caisson rôde d'un peu trop près autour de votre cervelle, je vous en conjure ne l'écoutez pas, même si vous pensez qu'après, plus jamais une question angoissante ne viendra vous inquiéter.

    C'est tout ce que vous voulez, mais ce n'est pas du rock. Deux ans après, en mai 71 Dick nous refile, la queue entre les jambes, un lot de consolation. Pas très fameux. Rien que le titre phare Bye by Lili avec son pseudo-arrangement Paris-Accordéon vous colle des boutons en trente-sept secondes. Pauvre Dick, le soldat perdu du rock'n'roll.

    DICK'N'ROLL

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    Ce qu'il y a de bien, c'est que le soldat Rivers va se sauver tout seul. Comme un grand. Sans crier gare. Tout seul, pas vraiment. Avec Labyrinthe. Pour le grand public un de ces nouveaux groupes des années 70 qui ont les dents longues et qui font de la pop-music. Par quel miracle vont-ils se retrouver avec Dick Rivers sur le Dick'n'Roll ? C'est que Labyrinthe ne sort pas du néant. A l'origine dans les années 60 nous avons Jean-Pierre et les Rebelles, puis les Rebelles et au gré de multiples ramifications et scissions et ajouts divers nous passons par les Tarés qui accompagnèrent Ronnie Bird, puis les Problèmes qui furent derrière Antoine et qui devinrent les Charlots. Une grande bouffonnade qui aurait pu se terminer tristement si de tout ce magma n'était sorti Labyrinthe.

    Le milieu rock français est minuscule : les mêmes noms se retrouvent partout. L'on se repasse les bons plans et l'on se refile les bonnes adresses. C'est Madame Andrée David-Boyers, la future belle-mère de Dick Rivers qui logera dans sa villa les Rebelles. N'est pas que la belle-maman de Dickie, l'est aussi la principale réalisatrice – plus de cinq cents tournages à son actif – des films Scopitone. C'est chez elle que seront filmées les plus belles images de Vince Taylor. Les Chaussettes noires aussi.

    Dans notre mini-hexagone l'on se soucie peu de nos cousins canadiens. Dick a remporté ses plus beaux succès en ces lointains arpents de neige. Il y emmènera les musiciens de Labyrinthe en tournée. Bernard Photzer à la guitare, Donald Rieubon à la batterie, Raymond Bureau à la basse, Claude Arini aux claviers, Rivers au chant. Le succès est au rendez-vous chaque soir. Revenu en France le même phénomène se reproduit. C'est un véritable groupe soudé qui carbure à fond et qui fait la différence. Une évidence s'impose, pour corriger les errements sirupeux de sa récente discographie, un retour au rock s'impose.

    C'est ici que le génie de Rivers nous surprend. Il aurait pu se lancer dans n'importe quelle aventure. La pop-musique lui tendait les bras. Le public lui aurait tout pardonné. Pourvu que ça pulse et que ça déménage. Les oreilles sont grandes ouvertes et prêtes à recevoir le nouveau rock'n'roll. Mais non, ce sera le retour à la case départ. Quinze vieux rock comme on n'en fait plus. On ressort les partoches de Buddy Holly et de Little Richard. Ce que Mitchell avait réalisé après s'être débarrassé des Chaussettes, Rivers va-t-il nous le refaire dix ans après avoir lâché les Chats ?

    En plus, il prend tous les risques, Eddy in London sonne tout de même mieux que Dick à Toulouse. Car Rivers emmène son monde dans la capitale du cassoulet. L'on sent le roussi, les heures de studio sont moins chères en province, un disque enregistré à la va-vite, à l'économie. Stupeur dans les bacs à galettes. Dès le mois de septembre Dick'n'Roll est disponible chez les disquaires.

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    Question pochette, rien à redire. Salement rock'n'roll. Même Mondino qui par la suite habillera souvent les 33 de Rivers ne la surpassera. J'avoue avoir tiqué en étudiant le dos. Un bon point pour la Harley, un peu convenue tout de même, une tracklist cent pour cent rock'n'roll, mais Labyrinthe reste le gros point d'interrogation. Sont bien les mêmes qui ont commis une reprise de Jacques Brel ? Attention danger !

    A première vue tout est correct. La plupart des morceaux ne dépassent pas les deux minutes. L'on pressent le un, deux, trois partez boogie à fond, quatre, c'est terminé. Du vite-fait bien fait. Sans fioritures ni chiures de mouches. Le chanteur devant et le combo qui donne la chasse par derrière. Du classique. Pour un peu on ne l'écouterait pas. On l'a déjà entendu dans la tête, ce n'est pas la peine de perdre du temps. Le rock'n'roll est une musique platonicienne, vous pouvez atteindre à son étincelante beauté rien qu'en imaginant l'épure du morceau avec votre intellect.

    En fait ça, ce sont les théories que je sors pour impressionner ma copine qui prend des cours de piano au conservatoire mais qui n'avait jamais entendu parler de Jerry Lee Lewis. C'est son prof qui a été surpris quand elle le lui a fait écouter : «  C'est un très bon pianiste ! » a-t-il déclaré. Mais on le savait déjà.

    Bref à peine chez moi, me suis précipité sur le pick up pour juger de la bête. Aujourd'hui, l'on comprend mieux. Enfin si vous arrivez à l'écouter in extenso, car ce n'est pas le disque de Rivers le mieux mis en avant sur le Net. C'est surtout un disque que l'on a passé à la trappe de l'Histoire du Rock'n'roll français. Que voulez-vous ce n'est que du rock'n'roll !

    C'est beaucoup plus que cela. Rien de plus que le chaînon manquant entre le rock des pionniers et les Stray Cats. Je n'ai ni nommé les Cramps ni les Flamin'Groovies. Exactement ce que Lennon aura été incapable de faire sur son Rock'n'roll qui n'est qu'une copie conforme sans âme et sans originalité des disques originaux. Malgré l'imagerie du Star-Cluberienne l'ensemble pue la contrefaçon et le faussaire sans génie.

    Tout le contraire du Dick'n'Roll. Tous les morceaux sont revisités et réinterprétés. Les frères Jacques et Pierre Ploquin jouent des cuivres. Pas question d'une section à la Stax, l'on privilégiera les aboiements de meutes et les trompettes de jugement dernier. Pas d'instrumentation, mais un son. Mirifique et pourrave. Vous pouvez ne pas être d'accord. Mais chaque piste est un coup de poing sur la gueule. Une pêche terrible. L'esprit du rock'n'roll est là. Avec en plus le bruit et la fureur. La voix est trafiquée, la réverb est utilisée à contre-emploi, non pour acérer le son et le rendre coupant et rebondissant, ici au contraire elle l'écrase et le fragmente en mille chuintements. Même Led Zeppe sur ses bootlegs n'a su faire preuve d'autant d'imagination lorsqu'ils se lancent dans un meddley de reprises de Cochran ou de Presley.

    Le problème c'est que le Dirigeable ne fait que des reprises. Plus tard Rivers nous donnera tout un disque de reprises de Buddy Holly et même qu'il l'adaptera par la suite en langue française. Mais avec Dick'n'Roll, nous sommes hors du champ hommagial. C'est plutôt du dynamitage. Le but n'est pas de reprendre mais de métamorphoser. Jamais le vieux rock n'aura alors sonné comme cela. Même le Summertime blues des Blue Cheer – voyez comme nous retombons sur nos pieds – malgré sa démesure sonique n'est parvenu à un tel point de désintégration phonique.

    THE ROCK MACHINE

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    L'année suivante en avril 1972, Rivers nous livre le tome 2. La donne a quelque peu changé. Dick'n'Roll s'est écoulé à plus de soixante dix mille exemplaires. Bashung a rejoint l'équipe. Restera des années avec Rivers à apprendre les finesses du métier. Donnera un superbe morceau de sa propre plume, le titre ronfle comme un tube des années rock, Hold on qui emporte la mise et propulse l'ambiance très haut. Malgré cela ce deuxième volume est légèrement inférieur au Dick'n'Roll. L'album est bâti sur le même principe. Il n'en est que plus étoffé et quelque part plus sage.

    Vous pouvez préférer ce dernier et même vous abandonner aux volutes du Dick Rockin' along... The Rivers, mais Dick a changé le fusil d'épaule. Pente country, de la belle ouvrage, en anglais, Bashung aux manettes, mais je préfère chouchouter les trois quarante-cinq tours suivants aux pochettes superbement dessinées par David Rochline. Trois des plus originales covers de simples français.

    Du cousu main. Des textes mijotés à la virgule près par Bashung, Koolen et Mya Symille, nostalgie rock et revival à tout berzingue. Avec les deux trente-trois précédents, ils ont dû salement impressionner deux de nos héros qui moulinent depuis quelques temps sur braquet de pédalos asthmatiques. En 1974 Eddy s'envole pour les USA et revient avec son Rocking in Nashville. Comme l'on ne prête qu'aux riches les journalistes s'extasieront sur ce rocker qui le premier de sa génération est retourné au rock. Si j'avais été Dick je l'aurais encore mauvaise. En 1975 c'est autour de Johnny de pousser ses petits couplets sur Rock à Memphis.

    Sans compter dès 1972, le dernier retour de Vince Taylor, sur le devant de la scène. Bientôt suivis de Bill Haley, Fats Domino, Little Richard, Chuck Berry et jusqu'à Jerry Lee Lewis, le gentleman sudiste, à la Fête de l'Humanité en septembre 1972.

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    En attendant repassez-vous et caressez Marilou et Sherry dans le sens du poil pubien et surtout goûtez la guitare électrique de Jean-Pierre Alarcen sur Rock'n'roll Star. Un de nos rares guitar-héros qui se perdra dans les méandres du prog et du jazz rock. L'emmènera avec lui Rieubon et Arini du Labyrinthe. Mais un inconditionnel à sa manière. Un pur qui préfèrera sa musique à l'argent facile. Et que l'on a fini par oublier alors qu'il est un de nos musicos les plus talentueux.

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    Vous raconterai une autre fois la suite des aventures de Monsieur Rivers comme s'amusait à l'appeler Gérard Klein un des rares animateurs de France-Inter – viré après 68 - qui ait tenté de le programmer un peu systématiquement. Je vous laisse sur le single Brother Jack + There ain't no blues sky qui accompagnait la sortie de The Rock Machine. Retenez toutefois l'essentiel, le rock français remis sur orbite grâce à l'irremplaçable legs des pionniers. Ce n'est pas un hasard si les Stray Cats ont trouvé la gloire en France. Dick'n'Roll avait préparé les oreilles.

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    C'était dans la série : les très riches heures du rock'n'roll français : Dick Rivers !

    Damie Chad.

    In KR'TNT ! 79 du 05 / 01 / 2012.

    Disparu le 24 avril 2019.

     

    DICK RIVERS / MISTER D

    ENTRETIENS AVEC SAM BERNETT

    Editions Florent Massot / 190 pp / Octobre 2011

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    Deux fois Dick Rivers, pratiquement coup sur coup, ça risque de râler dans les chaumières. L'on avait prévu de commencer l'année avec Deke Rivers, une des appellations incontrôlées du King, mais au moment de livrer le bébé s'avère qu'il faut pratiquer une césarienne mémorielle non prévue au programme de notre ordi. Avec un peu de chance vous aurez Elvis la semaine prochaine.

    Mais en attendant ce sera Dick. Mais vu de l'intérieur. Non plus le regard du fan éploré mais la vision du maestro sur sa propre personne. S'est amusé à un drôle de jeu, celui de la vérité. S'y sont mis à deux, chacun pourra ainsi dire que c'est l'autre qui a menti. C'est Bernett qui joue l'Oncle Sam de la soirée, celui à qui l'on peut tout dire puisqu'avec lui l'on est sûr que tout sera répété.

    Pour ceux qui auraient encore la tête prise par les nocives vapeurs des deux derniers réveillons, nous rappelons que Sam Bernett n'a pas l'habitude de garder sa langue dans sa poche et Jim Morrison dans sa baignoire. Sa dernière biographie du Roi Lézard, qui fit quelque bruit, nous donne une version de sa mort un peu moins coulante que le bain matinal qui l'aurait emporté... En tant que patron du Rock'n'Roll Circus, Sam était pour ainsi dire aux premières loges.

    Mais ici, tout est calme, luxe et volupté, bons cigares et mugs de thé à gogo, en tête à tête avec Dick Rivers dans l'appartement parisien de notre rocker national. Bernett reste discret, il sait relancer la conversation avec une innocente perfidie mais il n'abuse pas de sa situation de psychologue. Remarquez, avec un patient comme Dick Rivers c'est du tout cuit. Pas du tout cuir. Ceux qui pensent trouver des révélations fracassantes et inédites sur la carrière de leur chanteur préféré risquent d'être déçus.

    Totalement schizo, le Dick, séparation nette entre Dick Rivers et Hervé Fornéri. Et c'est Hervé qui parle de Dick. Pas le contraire. L'homme avant le chanteur. L'individu avant le rocker. Sacré courage, parfois il vaut mieux continuer à ressembler à ce que l'on n'est pas, qu'être ce que les autres n'aimeront pas forcément que l'on soit. Je ne voudrais pas vous faire un dessin, mais vous-mêmes hypocrites lecteurs, si nous regardions d'un peu plus près les troubles motivations qui vous poussent à lire cette chronique, ne risquerais-je pas d'être fort chagriné ?

    LAMENTO

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    Envoie la moutarde extra-forte dès les premières lignes notre rocker. Ce sera le leitmotiv principal, celui qui reviendra systématiquement en contre-point à toutes les lignes mélodiques qui égaient le récit. En a plus que marre d'être le numéro trois du tiercé gagnant. Johnny et Eddy tout devant, et lui tout derrière. L'infamante troisième place. Le mari trompé de la renommée. Le cocu de la gloire. Ce n'est pas qu'il leur dénie la première et la deuxième place, c'est le trop grand écart entre les deux premières et la troisième qui le gêne. Sur le podium, mais il arrive après la limite du temps réglementaire. L'on ne pense pas à lui, l'on s'en souvient en dernier ressort, à posteriori.

    Ne le mérite pas. A souvent fait avant les autres, et la reconnaissance du public n'est jamais venue. L'on ne prête qu'aux riches, et le mérite est allé à ceux qui sont arrivés juste à point pour récolter ce qu'il avait semé. Plus encore le vexe l'indifférence du métier. L'on sait tout ce que l'on lui doit mais l'on renvoie rarement l'ascenseur. L'a mis le pied à l'étrier à plus d'un, qui se sont dépêchés de l'oublier. Ne se gêne pas pour régler les comptes et donner les noms, Dick. Un exemple parmi tant d'autres, Gérard Jourd'hui en prend plein les dents. Mais je vous laisse vous régaler de tous les autres.

    Va pas se faire que des amis ! L'on n'est pas prêt de l'entendre sur les radios avec les accusations qu'il porte sur la conjuration du silence des programmateurs à son encontre. En plus, il n'a pas tort. En deux mois pas entendu une seule fois un extrait de son dernier disque sur les ondes. Je ne parle pas de programmation régulière mais du simple droit à l'information du public.

    Faut dire que le gazier doit être sacrément pénible. Toujours pendu au téléphone à se rappeler à votre bon souvenir. A du mal à comprendre que les temps ont changé, qu'il n'est plus le roi des années soixante mais selon les jeunes générations, qui n'ont pas été biberonnés au son des Chats Sauvages, un misérable hasbeen qui s'entête à vouloir survivre dans un monde qui n'a plus besoin de lui. Peut se faire noircir les cheveux par Babette sa femme chérie, les jeunes filles d'aujourd'hui ne sont pas enclines – et qui le leur reprocherait sinon le principal intéressé - à mordre dans sa banane. Encore moins à acheter ses disques. Qui se téléchargent gratuitement sur le net.

    Ce qui le met en joie notre rocker. Ne pleure pas sur les royalties qui ne tombent plus dans les poches des majors. Se pourlèche les babines à l'idée de leur ruine future. Même s'il doit être lui aussi emporté dans la débâcle.

    HERVE FORNERI

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    Inutile de sortir votre mouchoir et de casser votre tirelire pour venir en aide au pauvre nécessiteux. L'a pas mis tous ses lingots dans le même bateau. N'a pas touché à l'héritage du papa. Couplet larmoyant sur le jeune boucher qui s'est fait tout seul. Qui a bossé toute sa vie à charrier des carcasses de boeufs à s'en faire péter les vertèbres. Quand on connaît les couilles en or que se sont fait les petits commerçants dans les années cinquante et soixante l'on commence à entrevoir la fin de l'histoire.

    Et que j'achète un petit appartement avec les premiers bénéfices de la boucherie, et un second avec le loyer des locataires, et un troisième avec... j'arrête la chanson. Vous imaginez la suite. Dick Rivers avoue candidement qu'aujourd'hui il payse l'impôt sur les grosses fortunes. Sans être riche précise-t-il pour nous rassurer. Se contente de faire fructifier le pactole de son papa. Quand on connaît le prix du mètre carré à Nice, l'on relativise... Pas lui. S'inquiète de tous ces travailleurs – il comprend leurs difficultés et n'échangerait pour rien au monde leur vie avec la sienne – qui se sont battus pour leur retraite. Mais faut savoir faire des sacrifices. Ne pas se laisser aller à la facilité. La vie est pleine d'injustices, quant on pense à ces malheureux riches soumis à la vindicte de l'ISF, une véritable prévarication communiste, qui paient sans rien dire, il faudrait tout de même que les pauvres suivent le bon exemple. D'autant plus comique que vingt pages plus loin, il se plaint des papiers d'assedic qui n'ont pas été signés par ses tourneurs, ce qui le gêne pour toucher... sa retraite !

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    Que chacun reste à sa place et les bonnes fortunes seront bien gardées. Dick le rebelle mais Hervé l'homme d'ordre. Les esprits chagrins diront que ce n'est pas une attitude très rock'n'roll. N'auront pas tort. Ni raison. Les grands rockers ne furent jamais de grands révolutionnaires. Musique populaire certes. Mais le peuple a souvent les idées à droite. Sans quoi ce ne serait plus le peuple, exploitable à merci. Terrible contradiction entre ce qui se passe dans la tête et ce qui se réalise dans les faits. Le rock porte les rêves, il en exprime l'incoercible désir mais est incapable de les traduire dans la réalité sociale. Alors que c'est cette même réalité sociale qui a induit la nécessité culturelle de la révolte.

    Rivers est en froid avec le show-biz. Mais Fornéri cautionne le même système économique qui lui rapporte des royalties immobilières. On ne peut pas toujours gagner sur les deux tableaux. Vie publique et vie ( si justement nommée ) privée. Parfois les deux se rejoignent, aucun de ses disques ne lui a rapporté autant d'argent que sa publicité sur les piles Wonder. C'est ce qui s'appelle jeter une lumière trouble !

    PETIT ELVIS

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    Il y a des similitudes entre Elvis et Dick. Les rejetons préférés de leur maman. La mama italienne dans toute sa splendeur, à se couper en quatre pour son enfançon Dickie. Catho comme une rital, mais prête à se damner pour son fils. Lui passera tous les pêchés, les capitaux et les capiteux. Le fiston chéri, leçon de morale à toutes les marches de l'escalier, même si c'est celui qui mène à l'enfer du rock'n'roll. Ne travaille pas à l'école, Maman cache le carnet de notes, sèche les cours, Maman rédige les mots d'excuse, veut se saper comme les voyous, Maman remue tout Nice pour trouver la paire de jeans idoine.

    Quant au père, il ne dit rien. N'a pas intérêt à moufter, admettra sans problème que le fiston monte à Paris avec son groupe de rock. Signera même sans s'en vanter les chèques pour le loyer. Faudrait ici l'intervention d'un psychanalyste : c'est grâce à la mère qu'Hervé Fornéri est devenu Dick Rivers, mais c'est du père qu'il parle tout le temps. Plus il vieillit, plus il veut lui ressembler. Admiration forcenée pour cet homme taciturne qui lui aura enseigné l'essentiel : quelle que soit la situation, il suffit de rester droit dans ses bottes, pour au moins donner l'illusion d'avancer.

    Pour la carrière elle-même vaut mieux se rabattre sur Rock'n'Roll récit de Dick Rivers ( avec la collaboration d'Allan Penniman et Mary Anderson ) paru chez Le Pré aux Clercs en 2006. C'est que contrairement à Elvis, Dick ne se fait plus guère d'illusion. Il n'espère plus vraiment un come back éblouissant. Bien sûr il rêve d'un ultime tube, un deux cents, un trois, un cinq cents mille exemplaires. Manière de partir en beauté. Mais au fond de lui-même, même s'il continue son rock'n'slow comme il l'aime l'affirmer, il n'y croit plus beaucoup. Quand on sait que Mitchell avec toute la pub et l'artillerie médiatique n'a vendu que vingt mille albums de son dernier disque...

    DICK RIVERS INTIME

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    Mister D a le blues. Essaie de le cacher, mais n'y parvient pas. Ne s'anime vraiment que lorsqu'il flash-backe sur le bon vieux temps, tabacs, alcools, cartes et parties fines. Table ouverte, bonne bouffe et bandes de copains à domicile. La belle vie. Des femmes comme s'il en pleuvait, des amis à la colle, la jeunesse qui flambe et qui file, jusqu'à se retrouver petit à petit seul, avec en guise de lot de consolation juste ce refus obstiné de s'enfermer dans la tour d'ivoire aux souvenirs.

    Son fils, ses trois compagnes, sa fille quasi-adoptive, que reste-t-il de tout cela ? Derrière l'orgueil du vécu l'on ressent comme une tristesse lamartinienne. Les rockers ne pleurent pas, mais l'existence ne fait pas de cadeau. S'est tissé un cocon douillet, le Dick, un peu coton tout de même. Le vieux matou s'ennuie. Ressasse ses échecs et ses déboires. Il est le mal-aimé ( cette fois-ci plus près de Claude François que d'Apollinaire ), regrette d'avoir abandonné la scène durant près de vingt ans au milieu des années soixante-dix. S'est coupé le bras droit lui-même. La perfusion d'adrénaline qui le reliait à son public. Tout le monde n'est pas Elvis à Graceland.

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    Le comprend mais ne l'enquille pas. N'y avait pas de place en France pour un troisième rocker. Ronnie Bird et Noël Deschamps en feront l'amère expérience. Milieu rock trop petit, et couverture médiatique inexistante. Ironie des choses, durant près de dix ans Dick Rivers survivra en étant animateur de radio, sur RTL et RMC. Deviendra le monsieur nostalgie de toute une génération. Ce qui s'appelle vivre sur ses acquis et même brûler ses navires. Allez balancer vos nouveautés lorsque vous vous êtes vous-même estampillé de facto le porte-drapeau des anciens combattants !

    Ne supporte pas Johnny. Très critique quant à son envergure people. Parle avec déférence d'Eddy, plus fidèle envers son propre personnage. Mais possède son atout-maître. Qu'il sort à bon escient. Le quatrième mousquetaire celui qui a éclipsé les trois autres dans le coeur de notre belle jeunesse. Le d'Artagnan du rock français, de la même génération que les trois autres, mais qui s'est révélé alors que leur étoile avait commencé à sérieusement pâlir. Bashung, pour ne pas le nommer.

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    Rivers parle de leur complicité. Des trois disques qu'ils ont enregistrés ensemble - et pas des moindres – évoque l'admiration que Bashung lui témoignait, l'appelait même le roi... Avoue même que plus tard Bashung a fait la carrière qu'il n'a pas su faire. Rock'n'roll, mais pas copie conforme. Décalé, du rythme oui, mais une autre manière de chanter les mots. N'a pas pu. Lui a sans doute manqué les bons conseils. Un impresario – oubliez ce mot galvaudé qui pue la frime et le fric – un entraîneur capable d'extraire le meilleur de son poulain. Déjà monté en graine, un étalon sans cavalier en quelque sorte.

    Dans sa biographie qu'il a consacrée à Bashung Marc Besse ne s'étend guère sur l'amitié qui lia nos deux rockers. Parle de la période toulousaine, confirme qu'avec Dick, Alain aura appris le métier, mais pour toute anecdote signale l'amour immodéré et exclusif de Rivers pour les hamburgers et les restaurants coréens qui finirent par gaver Bashung amateur de plats plus roboratifs... Le succès venu, Bashung ne semble pas avoir rappelé Dick, qui incrimine Chloé Mons qui montait une garde par trop vigilante et protectrice autour de son homme...

    MORE ROCK'N'ROLL !

    Mais il faut être franc, dans ce bouquin celui qui remporte la coupe de l'attitude rock'n'roll, c'est Hallyday. Juste deux ou trois lignes au détour d'une phrase, un soir de tournée, dans l'arrière-salle d'un resto provençal, Johnny et Nanette, totalement givrés, surpris en train de jouer à... la roulette russe. Il est vrai que Nanette Wokman c'était autre chose que Sylvie – la différence entre votre chat qui vient se frotter à vos jambes pour que vous lui ouvriez sa boîte de ron-ron et un tigre du Bengale mangeur d'hommes, rencontré en pleine jungle. Mille fois plus dangereuse. Une super chanteuse. Américaine. Choriste des Rolling Stones sur Let it Bleed et de John Lennon sur Power to the People, elle assura la première partie du Rock'n'roll Circus d'Hallyday... liaison torride entre les deux artistes, filtrera même la rumeur d'un mariage secret... une des histoires les plus hot du rock hexagonal.

    RIVERS BLUES

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    Plein d'autres surprises dans ce livre. Un homme se penche sur son passé, ne regrette pas grand-chose, si ce n'est d'être passé à côté de son propre rêve, qu'il avait entrevu plus grand et plus coloré. Dick Rivers dit ce qu'il pense. On peut lui faire confiance. A sa place, beaucoup auraient gommé les aspérités et proposé quelque chose qui corresponde mieux à l'image... Pas très cool dans l'ensemble. Donc plutôt rock. Pari gagné.

    Damie Chad.

    In KR'TNT ! 77 du 15 / 12 / 2011

     

    COMPLOTS A MEMPHIS.

    DICK RIVERS

    EDITION N° 1. 264 pp. 1989.

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    Le rock français doit à Dick Rivers quelques versions particulièrement teigneuses de standards superbement kaotisés. Je pense à un Summertime Blues de 1968 ou par exemple à un album comme Dick'n'roll. Liste non exhaustive.

    Depuis des années l'on attendait le livre du frère ennemi Schmoll, et comme souvent Dick dégaina en premier. A l'époque je n'avais pas osé le lire. Dick le chat et ses combos sauvages, tant que vous voulez. Dick le violoneux et ses cordes à briser tous les hôtels de la planète, j'encaisse encore. Mais Dick romancier, même avec Brice Couturier comme ingénieur du son, laissez-moi hésiter.

    Mea culpa. Par ma faute je me suis privé de dessert durant plus de six ans. Saint Hammett pardonnez-moi ! D'abord il y a cette joie d'écriture qui aligne cartons et cadavres avec un savoir-faire exquis. Ensuite notre héros, un privé américain qui pense plus vite que son ombre, qui court encore plus vite que Ran-Tan-Plan derrière les filles et les voitures en sifflotant des airs de jazz... Enfin il y a cette fin morale qui verra notre driver incomparable se convertir au rock'n'roll.

    Et puis bien sûr il y a l'intrigue qui colle au plus près de la mythologie de cette musique de dégénérés blancs et noirs sordidement emmêlés. En prime un très beau portrait de Bo Diddley en cinq lignes suivi d'une admirable eau-forte en cinquante pages de Chuck Berry. Ballade en eaux troubles, de la mort de James Dean à celle de John Kennedy, le tout sur fond de R'N'R et de KKK.

    Policier et politique, ce Complot à Memphis relève du roman à thèse. Notons que pour être un amateur inconditionnel de la musique et de l'époque de sa jeunesse Dick Rivers n'en a pas moins longuement réfléchi sur la signifiance historiale des sixties. It's not a rock'n'roll suicide, it's a rock'n'roll lucidity.

    ( Damie Chad. Septembre 95 )

    PS : deux pionniers peuvent en cacher un autre. La chronique n'y fait aucune illusion mais c'est bien Elvis Presley qui se trouve être la cible ultime de ce Complot à Memphis. Rassurez-vous, le roi du rock a plus d'un tour dans son sac. Pour la couronne, c'est une autre affaire... A lire absolument.

    In KR'TNT ! 29 du 02 / 12 / 2010

    CASH, L’AUTOBIOGRAPHIE

    JOHNNY CASH

    Avec Patrick Carr

    ( Le Castor Astral / Février 2006 )

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    Cash se raconte. Ne se justifie pas. Ne se disculpe pas non plus. Et l’on sait que pour un chrétien, faute avouée est à moitié pardonnée. Cash s’en moque. Assume tout. Le bon et le mauvais. De toutes les manières cela ne vous regarde pas. Ne sont que deux à être concernés. Cash et Dieu. Mais comme nous sommes de ceux qui préférons nous adresser à Cash qu’à Dieu, pour le moment nous ne nous intéresserons qu’à Cash. En plus il est notoirement connu que Dieu ne répond jamais aux questions du péquin de base. Ne fait signe qu’à ses saints et qu’à Johnny Cash, comme quoi il apprécie la bonne musique. Entre nous soit-dit Cash le traite cavalièrement, lui souhaite le bonjour quand il se réveille le matin, le remercie de la beauté du monde en enfilant ses pantoufles, et puis c’est fini. Se débrouille tout de même pour bâcler un Notre Père quand il y pense, mais il a tant de choses importantes qui l‘attendent…

    Ne sort pas de la cuisse de Jupiter le petit Johnny, mais d’une haute lignée, issue de la Reine Ada, sœur de Malcolm IV, descendant du roi Duff, premier souverain d’Ecosse, c’est par la suite que ça a dû péricliter, car Papa Cash sera tout heureux de bénéficier aux lendemains de la crise de 29, d’une parcelle de dix hectares de terre à défricher, d’un an d’avance sur recette, d’une maisonnette, d’une vache et d’une mule, plus une espèce de coopérative pseudo-proto-communiste chargée de vendre le coton que récolteront tous les bénéficiaires de ce coin d’Arkansas… La famille ne mourra pas de faim, mais le travail se révèlera très dur. Johnny aura cinq ans lorsque son père abattra son chien d’un coup de fusil, la pauvre bête mangeait les restes qui auraient mieux profiter au cochon… Avec ses six frères et sœurs Johnny ramasse sans fin le coton, seule consternante consolation, le sol privé d’engrais s’épuisera très vite… La roue dentée du destin et de la scierie où il était parti gagner trois dollars transperce le corps de Jack son frère qui en meurt. Traumatisme. La vie n’est pas gaie, à part quelques parties de pêche, la radio et les chants religieux que la mère transmet à ses enfants… Johnny grandit, il et l’on s’aperçoit qu’il a une belle voix, retient sans peine des centaines de morceaux glanés de ci de là et sur les ondes...

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    Cash se raconte selon ce que l’on pourrait appeler un désordre chronologique, l’on porte son passé avec soi, à tous moments les souvenirs affleurent et viennent cogner à la porte de la mémoire et du présent. Au fil des pages il égrène des portraits hauts en couleurs. Passons sur son premier mariage et ses années de service militaire en Allemagne. Elvis dont il dit le plus grand bien. Un gars d’une gentillesse extrême, infatigable. Ce dernier adjectif pèse lourd sous la plume de Johnny Cash. Elvis est une véritable pile électrique, déborde d’une énergie incommensurable. Le guy qui n’a pas besoin d’additif pour rester en pleine forme, concert après concert. The man no addiction. Ne boit pas d’alcool, ne se ballade pas les poches pleines de pilules pour écarter les coups de pompe. Se rattrapera par la suite, mais Johnny l’a amplement devancé. Cash est tombé dans le piège. L’avale les cachets multicolores par poignées, lui faudra dix années pour parvenir à juguler cette terrible dépendance, foire une prestation sur deux, se sépare de son épouse, ne maîtrise plus grand-chose… Et surtout ce sentiment qui le taraude, de s’éloigner de Dieu, alors que ce dernier n’a pas fait un pas sur le côté pour s’écarter de lui…

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    N’est pas le seul à se débattre tant de tels errements de conscience. Jerry Lee Lewis est pire que lui. Vient de se faire jeter de son école religieuse lorsque Johnny le rencontre dans les studios Sun. Un drôle de zozo, sûr de sa supériorité sur tous les autres, mais notre grand gentleman sudiste n’est pas très différent des bluesmen noirs qui sont sûrs d’avoir choisi la musique du Diable. Jerry Lou le répète à l’excès, seront tous maudits, sont en train de perdre la vie éternelle puisqu’ils jouent la musique satanique, et hop, après son sermon apocalyptique il enfile un boogie démentiel sur son clavier. C’est plus fort que lui, les voies du Seigneur sont impénétrables, il vous attire malgré vous vers le mal…

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    Cash n’est pas aussi admiratif envers Sam Phillips. Lui reconnaît mille qualités. Sans lui et son intuition géniale du rock and roll, rien ne serait arrivé, ils lui doivent tout. Mais certains sont plus favorisés que les autres. Comprenez Johnny Cash. Sam offre une Cadillac à Presley et une Cadillac à Carl Perkins, les remercie pour leurs succès, mais lorsque I walk the Line troue les charts, macache pour le macaque Cash. Sam ne mélange pas les torchons et les serviettes. Les rockers ont droit à une Cadillac, mais pas le countryman…. Cash fait bon cœur contre mauvaise fortune, mais Sam Phillips refuse de surseoir au projet de Johnny qui rêve d’enregistrer un album de… gospel. Décidément pas le genre de la maison ! Cash changera de crèmerie. Ira sur CBS.

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    L’on sent chez Cash un amour sans faille pour Carl Perkins. Le pense aussi doué que Presley, l’arrive même en première partie à enflammer la salle bien mieux qu’Elvis en vedette. Cash rappelle que le King n’a jamais composé un morceau, lorsque le fatidique accident de voiture coupe Carl de son succès et que désespéré par la mort de son frère il - lui qui n’avait jamais été le dernier à lever le coude – s’adonne à mort à l’alcool… Lorsque Carl part à la dérive, Cash lui propose la place de guitariste dans son orchestre. Tous deux se soutiendront tant bien que mal, et s’aideront à couper les têtes renaissantes de leurs hydres addictives respectives. Cash avoue qu’il a honte d’être sous le feu des projecteurs alors qu’un guitariste de la valeur de Perkins est derrière lui, dans l’ombre.

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    Un autre Perkins. Il existe des vidéos où l’on voit Luther Perkins jouer aux côtés de Cash. Son air affolé, ses regards qui cherchent du secours autour de lui, son attention inquiète dès que ses doigts touchent une corde de sa guitare, font rire. Luther n’était pas un virtuose, avait du mal à retenir un riff, l’était si maladroit que pour se tirer de la panade, il s’ingéniait à trouver des raccourcis pour jouer facilement les passages difficiles. Johnny n’est pas dupe du peu de capacité d’improvisation de son guitariste, n’en est pas pour autant dédaigneux de ce balancement rythmique qui est devenu l’ossature et la marque de fabrique du son unique de l’orchestre de Johnny Cash. Sans Luther, Cash aurait-il atteint à la virtuosité d’une redoutable simplicité qu’est le drapé funèbre de sa voix, ce phrasé si particulier qui tangue fortement dans les tempêtes les plus violentes et emporte les débris du monde sur son passage.

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    Très belle évocation de Roy Orbison, encore un transfuge de Sun. Habitèrent vingt ans côte à côte. Pour le meilleur d’une amitié sans faille et le pire. La mort de Claudette, la femme de Roy, disparue en 1966 dans un accident de moto, et celle plus mélodramatique de ses deux jeunes garçons en 1968, dans un incendie qu’ils avaient allumé en jouant avec des allumettes dans leur chambre… Roy inconsolable enfermé chez ses parents ne voulant recevoir personne… le grand trou, le passage à vide, la vie qui reprend peu à peu, un nouveau mariage, de nouveaux enfants, le succès qui revient après une longue éclipse et un malaise cardiaque fatal en 1988... Roy avait voulu que Cash rachète le terrain de la maison incendiée afin que personne d’autre ne s’installe sur les lieux. Après le décès de Roy, Cash offrira le terrain au fils de Roy.

    Moins connu que les précédents, Jack Clement, qui travailla chez Sun et que Cash retrouvera à plusieurs reprises au hasard ( désiré ) de sa discographie. Loue sa manière de produire, de trouver d’instinct l’arrangement adéquat à chaque morceau, une manière de faire sans anicroche avec les musiciens, un jugement d’une grande justesse, une habileté diabolique, aussi à l’aise dans le studio qu’à traiter le business dans le bureau.

    Réflexe de rocher, nous n’avons parlé que des rockers, Cash est avant tout un country man. Déroule toute l’histoire du country dans cette autobiographie, de la Carter Family à Emylou Harris, de Merle Travis à Gene Autry, s’emploie à expliquer ce qui le sépare du mouvement Outlaw, ce n’est pas qu’il ne partage pas la révolte d’un Waylon Jennings, d’un Willie Nelson, d’un Kris Kristofferson, mais sans insister il donne l’impression de penser que sa musique, textes et paroles, prend en compte une plus large dimension de l’Homme, qu’elle vise à une universalité qui n’appartient qu’à lui.

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    L’explosion country dans la société américaine ne le séduit pas entièrement. Dénonce la mode, la musique country est née d’une civilisation disparue. La misère et la dureté des temps l’ont engendrée, aujourd’hui l’on s’habille country, l’on mange country, l’on consomme country alors que les fans sont issus d’une civilisation urbaine et industrielle. Cash retourne à la maison de son enfance, il ne reconnaît plus rien, les bulldozers ont tout renversé et aplani. Toutes les parcelles ont été réunies en un vaste champ. Une société ‘’agricole’’ gère la production.

    Cash ne se contente pas des noms célèbres, à plusieurs reprises il prend soin de citer et de détailler le rôle de tous ceux qui ont travaillé pour lui, autant le personnel de maison, que le staff organisateur de ses tournées et l’équipe qui l’accompagne aussi bien sur scène que derrière, et dans le bus. Connaît la valeur du travail, l’on ne sent chez lui aucune condescendance envers les petites mains qui s’agitent autour de lui.

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    Nombreuses pages sur sa famille, fier de ses enfants et de ses petits-enfants. Une attention particulière à ses beaux-fils qu’ils aient été remplacés ou encore présents. Tresse des couronnes de laurier à June Carter, sa femme. Il aime sa joie de vivre, sa sollicitude, elle l’a beaucoup aidé lorsqu’il est de nouveau retombé dans ses addictions. L’a failli en crever. Y rester. Mais dans sa tête de cabochard Johnny Cash n’écoute personne.

    L’est sûr qu’il a tout connu. La misère, la richesse, les filles, la dope, la musique, le succès, les passages à vide, l’oubli, le mépris, la renaissance, la reconnaissance, la jeunesse et la vieillesse. L’a même vu la grande lumière lors de l’opération de la dernière chance due à une attaque d’autruche. L’a tourné un film sur St Paul et écrit un roman. Des années sur la route à sillonner les Etats-Unis, l’Europe et le reste du monde. La consécration. N’est jamais aussi bien que chez lui. La plupart des chapitres portent le titre de ses résidences préférées. Le retour au calme et à la terre. La joie de pouvoir enregistrer enfin des disques rien que lui et sa guitare. La voix cassée mais chargée de son poids de chair et de souffrance humaine.

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    N’y a qu’une chose qui manque à Johnny Cash. N’a pas besoin de Jacques Chancel pour lui demander en dernière et subsidiaire question : Et Dieu dans tout ça ? N’est pas plus absent à la fin du bouquin que présent à son début. Mentalité américaine bien profonde. Qui explique aussi bien des aspects réactionnaires d’une certaine idéologie nationale. Une ombre sur l’existence qui oblitère l’âme du pécheur moyen. Terriblement efficace. Cash se sent en règle. Se dit justifié. Il a fait tout ce qu’il faut, et tout ce qu’il ne faut pas. L’est pacifié. A confiance. Perso, beaucoup moins en Dieu qu’en Johnny Cash.

    Damie Chad.

    HORSE’S NECK

    PETE TOWNSHEND

    ( Christian Bourgois Editeur / 1986 )

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    J’ignorais tout de l’existence de ce livre jusqu’à ce que je le trouve sur la brocante du coin. Encore une de ces petites merveilles dont se débarrassent systématiquement les bibliothèques publiques depuis ces dernières années, sans être complotiste, à voir tous les chefs-d’œuvre de la haute littérature que je n’arrête pas de récupérer pour quelques maigres oboles, j’en arrive à m’interroger sur l’existence d’un vaste plan secret d’abêtissement systématique de la population organisé, sans tambour ni trompette…

    Le livre est sorti en langue anglaise en 1985, sa traduction française l’année suivante. Je me demande pourquoi a subsisté de par chez nous le titre original. L’expression horse’s neck aurait-elle une signification spéciale en le luxuriant shakespearian langage ? Cette encolure de cheval désignerait-elle une particulière courbure du corps féminin ?

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    Petite notification : Pete Townshend - précisons-le pour de jeunes lecteurs - fut le leader et l’acrobratique guitariste des Who, groupe mod qui fit avec les Rolling Stones, les Kinks et les Beatles les délices du Swinging London dans les années soixante. Townshend, pour avoir écrit les lyrics de My Generation et de Tommy, le presque premier opéra-rock de l’Histoire - fut très vite auréolé d’une flatteuse renommée d’intellectuel. Un peu comme John Lennon chez les Beatles, mais il faut dire que ce Horse’s Neck apporte une caution bien plus solide à cette réputation que le In His Own Write ( En Flagrant Délire ) Lennon, que nous avons chroniqué ( en je ne sais plus quelle livraison ! ) et qui malgré toute la sympathie que nous pouvons porter à la personne de son auteur, ne s’élève pas plus haut qu’une pochade dadaïsto-surréaliste.

    Nonobstant le fait que les amateurs des Who ne trouveront rien à se mettre sous la dent dans ce bouquin quant à l‘existence de ce groupe culte, il faut avouer que Townshend atteint à une densité d’écriture qui peut rivaliser sans peine avec la majeure partie de la production littéraire contemporaine.

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    Mais de quoi parle cet opuscule - l’est vrai qu’il n’est pas très épais, moins de cent cinquante pages, et composé de treize textes plus ou moins indépendants. Pete Townshend nous prévient dans une très courte préface qu’il n’a pas raconté simplement sa propre vie, en effet ce n’est pas simple. S’amuse un peu avec les psychanalystes en décrétant que sa mère est un personnage de ce livre, mais qu’elle change d’apparence sans arrêt. Remémorons-nous la célèbre invitation de Jim Morrison à sa génitrice, ‘’mother, I want to violate you’’, de quoi mettre en émoi tous les adeptes lacaniens de service, oui certes baiser sa mère peut passer pour une agréable occupation, mais très vite notre narrateur abandonne celle-ci pour nous conter ses désirs, très souvent phantasmatiques, de jeunes filles. Comme par hasard notre héros est souvent membre d’un groupe de rock, qu’il soit une star ou un jeune ado, il semble avoir du mal à séduire les délurées, rame pas mal, et rien n’est vraiment certain, comme dit Eddy Mitchell dans sa chanson par hasard intitulée M’man : ‘’ ce n’est pas moi qui choisit’’. Pour la meilleure histoire de la série, Sherlock Holmes oblige, notre héros quitte son statut de rocker pour celui tout aussi intermittent de détective…

    Et ce satané cheval quand est-ce que l’on aperçoit le bout de sa queue ? Dès le début. Bébé Townshend a été abandonné sur une dune, n’est pas mal installé, voit le sable, la mer et les bateaux, première fois - il a tout juste dix-huit mois - qu’il prend conscience de lui-même, qu’il existe - il jouit de la plénitude de sa propre présence mais n’est pas encore conscient du vide qu’il ressent. Et qui se concrétise. Son père et sa mère le rejoignent au galop de leurs chevaux, lui jettent un coup d’œil, s’embrassent à pleine bouche et s’éloignent aussitôt à toute vitesse. Baby Pete aurait aimé lui aussi que sa mère déposât un baiser sur ses lèvres mais elle avait apparemment mieux à faire.

    Inutile de tourner autour du pot de chambre, un ou plusieurs chevaux passeront modestement leurs têtes, de temps en temps, au travers de ces textes qui parfois ressemblent à de véritables poèmes en prose. Les passionnés d’équitation n’y trouveront pas leur compte. Il est clair et net que nous avons affaire à des équidés symboliques. Nous éviterons le clin d’œil aux Horses de Patti Smith, ce n’est pas que tous les personnages du livre n’ont jamais touché à rien d’autre qu’une vulgaire cigarette, l’est clair qu’ils ont avalé ou inhalé des choses pas très catholiques, ne sont pas toujours clean, mais faut chercher dans une autre direction. A la limite l’on pourrait tenter une analogie avec l’intérieur de la tête qui ne tourne plus très rond de certains d’entre eux, mais ce serait exagéré de les assimiler aux coursiers de la folie.

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    Reste la solution qui saute aux yeux, ces étalons ne sont que les représentations métaphoriques des énergies sexuelles, souvent bridées par les réserves des cavales rétives. Les derniers textes confirment cette interprétation. L’auteur se retrouve tel qu’en lui-même la médiocrité le maintient. N’est pas meilleur qu’un autre, mais il se console en pensant qu’il n’est pas pire non plus. Même que parfois il a rêvé qu’il chevauchait une pouliche encore plus belle que sa mère. Rien de plus décevant qu’un complexe d’Oedipe dont on défait si facilement le nœud, vous tirez par un bout et hop tout vient. Du coup notre intellectuel nous sort son traité de sociologie comparée. Les temps ont changé, de nos jours on ne laisse plus les jolies petites filles se promener toutes seules dans la rue. Seuls les laids et les forts ont droit à la liberté. O tempora, o mora, a-t-on envie de s’indigner avec l’antique Cicéron, nous sommes à la fin du bouquin, et la morale finale est d’une décevante platitude !

    Erreur, il reste encore deux pages, et Pete Townshend nous exécute un de ces sauts de l'ange qui firent sa gloire sur les plus grandes scènes du monde. Plus le moulinet donchiquotien et le riff destructeur qui allaient avec. Sûr qu’entre le rock’roll et la littérature, il existe quelques accointances. Ah, vous voulez de l’amour, en voici, sur la lagune, Le Jour de la Saint-Valentin, 1982, et bien non, vous obtiendrez encore mieux, vous aurez du sexe, ne se sent pas pousser des ailes mais un zizi dionysiaque avec lequel il embroche vigoureusement le cheval blanc qu’a emmené un couple de cavaliers, mais ce n’est pas tout, vous avez eu le sexe, voici maintenant le don divin du mythe, l’orgasme accompli, notre cavalier saute sur le dos de Tir-Na-Nog qui galope vers les écumeuses vagues océanes…

    Un beau texte. Je vous en laisse percer la signification ultime. A thing of beauty is a joy for ever nous a dit John Keats, sans doute est-ce cette piste qu’il faut suivre…

    Damie Chad.

     

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 241 : KR'TNT ! 361 : FAST EDDIE CLARKE / EDDIE AND THE HEAD-STARTS / TOM ROISIN / MICHEL EMBARECK / BOB DYLAN / JOHNNY CASH /DANIEL GIRAUD

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 361

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    15 / 02 / 2018

     

    FAST EDDIE CLARKE

    EDDIE AND THE HEAD-STARTS / TOM ROISIN

    MICHEL EMBARECK / BOB DYLAN / JOHNNY CASH

    DANIEL GIRAUD

     

    Fast Eddie fastes

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    En février 1976, Lemmy décida qu’il y aurait en plus de Larry Wallis un second guitariste dans Motörhead. Alors, Philthy lui présenta l’un de ses potes, Eddie Clarke. Eddie et lui travaillaient ensemble à la rénovation d’une vieille péniche. Une date fut prévue pour l’audition d’Eddie. Il devait juste épauler Larry. Mais Larry prit mal le fait de devoir jouer avec un autre guitariste et il quitta le groupe pour rejoindre les Pink Fairies. Eddie se retrouva dans un trio. Le départ de Larry scia Lemmy qui grommela : «Grumble... Grumble... Le plus drôle de l’histoire, autant que je me souvienne, c’est que c’était l’idée de Larry d’embaucher un second guitariste.»

    Le nouveau trio fonctionnait à merveille. Même s’il s’appelait Fast Eddie, Eddie était le mec tranquille du trio. Il avait de chaque côté de lui deux personnalités agitées, Lemmy et Philthy. S’il avait été aussi incontrôlable que les deux autres, le trio n’aurait certainement pas fait long feu. Par chance, Eddie Clarke connaissait bien la vie de groupe. Il avait commencé à 15 ans. Il fut le guitariste de Zeus, un groupe qui accompagnait l’Américain Curtis Knight. Il avait même composé pour lui, comme on le constate en inspectant la pochette de The Second Coming.

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    Paru en 1974, The Second Coming est un album pour le moins surprenant. Curtis Knight et Zeus ouvrent le bal avec «Zeus» et filent ventre à terre dans la bonne jachère des seventies. Fast Eddie part aussitôt en solo, mais il ne joue pas n’importe quoi, uniquement des solos inflammatoires. Il déblaye tout ! Quelle énergie ! Les petits blancs en marcels qui accompagnent ce diable de Curtis Knight jouent à l’hendrixienne et multiplient les retours de manivelle. La grande force de Curtis Knight a toujours été le son. La fréquentation de Jimi Hendrix a laissé des traces. Avec «Mysterious Lady», Curtis et Zeus passent au heavy garage absolutiste. Par contre, «Road Song» se joue au boogie-rock speed et au solo démonstratif. Ce démon de Curtis Knight fait presque du glam black. Avec «People Places And Things», il n’en finit plus de piétiner les plate-bandes du rock blanc. Il sort son meilleur seventies sound avec «Cloud», groové à la vie à la mort par le déjà immense Fast Eddie. Eh oui, Curtis Knight ne voulait que les meilleurs, alors après Jimi Hendrix, ça ne pouvait être que Fast Eddie. Nouveau festival avec «End Of A Child». Eddie fait pleuvoir de véritables déluges, il allume tout au ciboulot des ciboulettes, il fait la pluie et le beau temps. Encore un joli slab de heavy rock avec «The Confesssion». Pour Fast Eddie, cet album est un champ d’expérimentation. Il fait exactement ce qu’il a envie de faire. On tombe une fois de plus sur un loup : c’est l’album de Fast Eddie Clarke, pas de doute. Le pauvre Curtis Knight sert de caution à tous ces héros que sont Jimi et Eddie. Eddie rôde encore dans le rainbow rock d’«Oh Rainbow» et il donne le coup de grâce avec «The Devil Made Me Do It», un fantastique groove knightien, heavy et funky en diable. Curtis Knight chante ça à l’arrache des clubs miteux. Il y va de bon cœur et Fast Eddie rentre là-dedans comme dans du beurre, alors ça gicle dans tous les coins. Quelle énergie !

    Eddie quitta Zeus pour former Continuous Performance avec Charlie Tumahai, le bassiste de Be-Bop Deluxe, puis Blue Goose. Ces groupes ne durèrent que le temps de premiers albums qui sombrèrent dans l’oubli aussitôt après leur parution. Alors Eddie arrêta de jouer. D’où son job de restaurateur de péniches.

    Eddie Clarke pense que le succès de Motörhead reposait sur la façon dont lui et Lemmy se comprenaient : «Quand j’étais jeune, j’ai vu les Yardbirds, John Mayall, Cream et Jimi Hendrix. Ce sont des groupes qui frappent l’imagination. Je pense que c’est rentré pour une bonne part dans l’alchimie de Motörhead. Lemmy et moi on aimait la même musique, et ça a compté énormément dans le succès du groupe.» Et comme Eddie devait jouer de la rythmique, il ne s’attendait pas à monter aussi vite en grade : «Quand on s’est retrouvés à trois, le son de Lemmy a tout changé. Il jouait sur un ampli Marshall et une Rickenbacker, il foutait les aigus à fond, il coupait les basses, alors tu peux imaginer le son ! C’était plus une guitare rythmique qu’une basse !» Comme Lemmy montait un mur du son avec sa basse, Eddie Clarke avait une latitude considérable pour jouer à la fois en solo et en rythmique, mais c’était tellement nouveau qu’il devait tout reconsidérer. «Quand j’ai commencé à jouer dans Motörhead, j’ai dû me débarrasser de tout ce que je savais. Je devais complètement réapprendre à jouer de la guitare. C’était la même chose pour Phil. Motörhead, c’était comme trois îles à l’intérieur du groupe. Au début, on avait un mal fou à jouer ensemble, à se caler. C’était comme jouer dans un groupe sans basse, alors quand je partais en solo, je me calais sur la grosse caisse, tu vois ce que je veux dire ?»

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    C’est parti ! Motörhead sort sur Chiswick en 1977. Lemmy doit une fière chandelle à Ted Carroll et à Marc Zermati. Le morceau titre ouvre le bal des vampires. C’est du pur jus d’Hawkwind, bien emmené au pumping et Fast Eddie place un solo d’antho à Toto. C’est là, avec ce cut qu’ils fondent le mythe. Mick Farren co-écrit «Lost Johnny» avec Lemmy, un cut solide comme l’enfer et riffé par cette brute infecte de Fast Eddie. On sent au fil des morceaux qu’il déploie des ailes de grand guitariste. En B, il plante un décor de grosse cocote pour un «Keepers On The Road» signé Mick Farren.

    Fast Eddie se marre : «Au départ, c’était juste une question d’attitude. Si t’aimes pas Motörhead, dégage ! On a eu pas mal d’ennuis avec les gens du business. On leur foutait les foies. Ces cons crevaient de trouille. Mais les fans appréciaient notre droiture et se fiaient à notre attitude. On était exactement comme eux. Sans nos fans, on serait allés nulle part. Pour tous les Anglais, les années soixante-dix ont été une sale période. Tous les groupes s’étaient barrés aux États-Unis. En Angleterre, il ne restait plus que les groupes punk et Motörhead. Partout dans le pays, les kids étaient contents d’avoir un groupe auquel ils pouvaient se fier. Heureusement, on s’entendait bien tous les trois.Les problèmes venaient surtout de l’extérieur, mais on tenait bon. Les planètes devaient nous être favorables et on a fini par avoir un peu de chance. Mais c’est toi qui te fabriques ta chance. On se l’est fabriquée en restant groupés tous les trois et en bouffant de la vache maigre. Et tu peux me croire, on en a bouffé.»

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    Et pouf, Bomber tombe du ciel. Voilà certainement l’un des meilleurs albums studio de Motörhead, en tous les cas, il incarne bien l’âge d’or du groupe car on y entend Fast Eddie faire pas mal de ravages. À commencer par «Stone Dead Forever» qui démarre comme le «Love Song» des Damned. Fantastique prestation ! Rien qu’avec ça, Fast Eddie restera l’un des plus grands guitaristes de rock anglais. Les cuts qui font la force de cet album sont les prodigieux heavy-blues de type «Lawman». Difficile de faire mieux dans le genre. «Sweet Revenge» est encore plus heavy, comme si cela était encore possible. Dans Motörhad, on retrouve tout ce qu’on aime : le cacochyme, les grosses guitares de Fast Eddie, la foi et le pâté de foie, le jusqu’au-boutisme des tournées, la pure incarnation du rock’n’roll, la provocation nazillarde, le fun trash, les pipes à la chaîne, le m’as-tu-vu des rues - street tough - et l’héroïsme des briques rouges. C’est magnifique. On peut écouter les vingt-deux albums studio de Motörhead sans jamais s’ennuyer une seule seconde. Incroyable mais vrai ! Retour au blues-rock des enfers avec «Step Down». On y retrouve Fast Eddie le génie, le roi du festival, l’heavy Eddie God sans personne au-dessus. Eddie prend le cut au chant et fait wooow ! C’est à se prosterner, tellement il en impose. Et bien sûr le morceau titre vaut tout l’or du monde, car on a là du punk pur digne des Damned et du MC5, monté sur un fabuleux riff d’Eddie. On pourrait même parler d’une forme de génie apocalyptique. Le riffage de Fast Eddie fonctionne comme le velours de l’estomac, c’est une bénédiction. Sans Fast Eddie, Motörhead ne pouvait pas décoller. En tous les cas, ça ne fonctionnait pas avec Larry Wallis.

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    La même année sort Overkill. Le groupe a trouvé son son. Ils attaquent avec le sur-puissant morceau titre, idéal et extrême à la fois, digne du MC5, doté de la même énergie, tendu à se rompre, puissant et noble. Voilà ce qu’il faut bien appeler du rock de cartouchière. C’est chanté à la limite de l’épuisement. Fast Eddie joue comme un héros. Il sort des riffs soniqués du ciboulot et les pousse à l’extrême olympien. Ils sont dans l’orgie et restent imbattables à la course. Ils sont chromés et impérieux. Ils se payent le luxe de deux faux départs. Hallucinant ! C’est sur cet album que se niche l’immense «Capricorn», une pièce de trash rock d’épouvante, saturée d’humidité. On écrit ça un peu à la manière d’Henri Michaux, fasciné par les effets, affamé d’incongruité, perdu dans les limbes des équinoxes. Ce fringuant power-trio nous sort là un véritable fumet d’outre-tombe, et c’est à tomber. Lemmy mâche sa morve et il crache des horreurs. «No Class» est aussi monté sur un riff du MC5. Fast Eddie joue le rock de Detroit. Lemmy hurle comme le petit dernier de la famille des damnés de la terre. Ses verrues tremblent. La sueur ruisselle dans son sillon velu. Et Fast Eddie arrose tout au napalm. S’ensuit l’heavy romp de «Damage Case», un vrai stomp poivré au pilonnage intensif. C’est à la fois fabuleux, pointu et pompé. Ils ont vraiment de la puissance à revendre. Aucune chance de s’endormir en écoutant ça. Retour au big heavy sound des enfers avec «Metropolis». Voilà encore un monument de heavyness, suivi d’un autre classique hirsute, «Limb From Limb» ou Fast Eddie joue une fois de plus comme un dieu radieux.

    Eddie est intarissable : «À cette époque, on jouait très fort parce que c’était la classe.Mais ce n’est pas douloureux, ça te donne juste un coup dans la poitrine. Un soir, au Marquee, on avait joué vraiment très très fort. Je suis rentré chez moi et j’ai mis Blow By Blow de Jeff Beck sur la platine. Je n’entendais pas la guitare. J’entendais uniquement la basse et la batterie, et pas les aigus !»

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    Ace Of Spades paraît en 1980. Ils attaquent avec un morceau échevelé, monté sur un riff d’Eddie le pyromane. Lemmy en profite pour avancer son meilleur guttural. Mais c’est Eddie qui fait le show, une fois de plus. Il est partout. Absolument partout. On admire ce qu’il fait dans «Love Me Like A Reptile». Il nous barde ça de riffs de toutes les couleurs, de petits retours retors, de tortillettes infectueuses. Il n’a que deux bras et pourtant il joue comme dix. Il fait aussi des siennes dans cette fabuleuse tranche de heavy blues qu’est «Shoot You In The Back». lls finissent l’A avec un fantastique hommage à Vulcain, le dieu des enclumes : «(We Are) The Road Crew». C’est stompé à la vie à la mort. De l’autre côté, nos trois amis développent la puissance d’une division de Panzers avec «Fire Fire». Motörhead invente là le son de l’avance inexorable, du mur de flammes, de l’enfoncement de la ligne Maginot et Eddie danse dans les flammes, il claque ses riffs fatals - Big black smoke/ Ain’t no joke ! - Autre merveille de heavyness, «The Chase Is Better Than The Catch». Ils stompent comme des brutes et ils bouclent avec «The Hammer» qui sonne comme «Ace Of Spades». Lemmy dérape dans le gras de sa voix chargée et relance des dynamiques épouvantables.

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    N’ayons pas peur des mots : No Sleep Till Hammersmith est probablement l’un des plus grands albums live de l’histoire du rock. Dès «Ace Of Spades», c’est l’enfer sur la terre. Littéralement. On entend arriver la cavalerie de la mort barbare, avec Fast Eddie en tête. Dire qu’on adore Motörhead n’a rien d’exagéré. Ces gens-là ont une simili-dimension divine, ne serait-ce que par l’insolence de leur puissance magnanime. Sur cet album, tout est spectaculairement bon. «Metropolis» est heavy à souhait. Même chose pour «The Hammer», monté sur un beat enfonceur de portes ouvertes. Lemmy s’y arrache la glotte au sang. Quelle dégelée, ça claque et ça fouette, ça pète et ça pisse en montant chez Kate, ça dégage et ça dégueule, ça pétarade et ça bombaste, ça tout ce qu’on veut. Ça casse la baraque, ça fout le feu aux poudres et ça défonce des mâchoires. Ça ne recule devant rien, ça déblaie les barricades et ça débouche les chiottes. Ça écroule les immeubles et ça tue les cloportes. Même chose avec «Iron Horse», une chanson en hommage aux Hell’s Angels - It’s called iron horse/ Born to lose - Puis on retrouve le fameux «No Class» et son riff du MC5. Cavalcade effrénée. On tombe avec grand-mère dans les orties. C’est hallucinant de véracité ergonomique. Et pouf, ils enchaînent avec «Overkill», qui est une véritable abomination. Rien au-dessus de ça. Rien. Voilà le cut intense, carbonisé et tendu à mort par excellence. Insurpassable. Aucun power-trio ne peut rivaliser avec Motörhead. Ils sont foncièrement déstructurants. Ils cognent les neurones comme des boules de billard. Ils tournent à l’énergie rock ultime. Toi la limace, ne viens pas baver sur Motörhead. On trouve à la suite d’autres monstruosités du type «(We Are) The Road Crew», un cut hanté par les hurlements de Lautréamont, version dévastatrice et belle tranche de génie britannique. Ils enchaînent avec «Capricorn» et voilà «Bomber», gros tas d’accords brûlés, ultime et désarçonnant, une chose qui file à toute blinde et qui rougit comme la braise sur laquelle on souffle.

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    Iron Fist se présente comme un album sans surprise, rempli de grosses cavalcades, de guttural et de coups de suspensif signés Fast Eddie. Avec «Heart Of Stone», on a un pur blast de fournaise - Leave me alone/ Get off the phone/ I’ve got a heart of stone - Lemmy dédie «Go To Hell» à ceux qui le dénigrent et il en rajoute avec «Loser» - I’m a loser/ That’s what they said - Lemmy adore régler ses comptes avec les cons - Now I got their women in my bed - On a là un classique du rock anglais. De l’autre côté, il évoque ses souvenirs du Canada et de cristal meth dans «America» - Lemmy et Mick Farren ont ça en commun : ils se sont fait virer de leurs groupes respectifs, Hawkwind et les Deviants, à la frontière du Canada - Et Fast Eddie continue d’enluminer les morceaux de lueurs incendiaires, comme c’est le cas dans «Shut It Down».

    La relation entre Lemmy et Fast Eddie avait commencé à se détériorer. Eddie ne supportait plus les frasques d’un Lemmy qui s’évanouissait sur scène. Eddie : «Il est resté éveillé pendant trois jours et trois nuits en buvant de la vodka. Les groupies l’ont sucé toute la journée. Et puis on est monté sur scène. Il y avait 12.000 gosses entassés là-dedans pour nous voir. Toute la journée, des mecs m’ont proposé des lignes de coke et tout un tas de trucs et je n’ai bu qu’une putain de Heineken, parce que je voulais garder la tête froide. On jouait depuis quarante-cinq minutes, et paf, Lemmy s’est évanoui. Phil et moi on était furieux. On a gueulé et il nous a dit : ‘Ça n’a rien à voir avec le fait que je suis debout depuis trois jours et trois nuits !’ Il nous prenait vraiment pour des cons : pas dormir pendant 72 heures et se faire tailler des pipes à longueur de journée, ça n’a rien à voir avec l’évanouissement, bien sûr que non !»

    Le coup de grâce survint lorsque Lemmy accepta d’enregistrer «Stand By Your Man» de de Tammy Wynette avec Wendy Williams & the Plasmatics. Tout le monde se souvient que la pauvre Wendy avait des beaux nibards, mais elle chantait comme une casserole. Lemmy demanda à Eddie Clarke de jouer sur le single. Il refusa et quitta le groupe. Lemmy : «C’était juste pour rigoler, mais ça s’est transformé en galère à cause d’Eddie... Eddie et ses problèmes... C’est impossible d’être bien avec tout le monde. De toute façon, les choses devenaient compliquées. Il y avait toujours quelque chose qui n’allait pas. Ce n’était pas uniquement ce single. Eddie n’est pas un mec joyeux et ça devait mal finir. On pensait qu’il allait jouer sur le single, puis tout à coup, il a voulu le produire et il s’est barré. C’était bizarre. Il aurait pu partir à un moment plus favorable, avant ou après la tournée. On avait fait les deux premiers concerts de cette tournée, et il se barre. C’est dur, hein ?» Il ajoute : «Tous les trois mois, Eddie quittait le groupe. Ça a duré tout le temps qu’il était dans le groupe. Il menaçait tout le temps de se barrer et cette fois, Phil et moi on lui a dit : ‘Dégage connard, on ne te parle plus !’ Et il est parti.» Comme dans toute séparation, on a des sons de cloches différents. Voici celui de Philthy : «On savait tous que ‘Stand By Your Man’ était un single pour la rigolade.On avait enregistré les parties instrumentales, et dès que Wendy a commencé à chanter, Eddie s’est levé et a dit : ‘Je sors pour aller manger un morceau !’ Et il n’est jamais revenu. Il a dit : ‘Si ce putain de single sort, je ne veux pas que mon nom y soit associé !’» Eh oui, Fast Eddie avait bien raison de ne pas vouloir être associé à cette fumisterie.

    Vingt ans plus tard, Eddie revenait sur la cause de son départ : «Je suis parti pour sauver ma peau. Lemmy est un putain de surhomme, franchement. Il n’arrête jamais de travailler, sauf quand il s’écroule et doit récupérer. Il atteint la cinquantaine, à présent, et il ne s’est jamais arrêté. Moi, je suis cuit, et j’ai fait un break ! Lemmy a toujours continué au même rythme. Chaque fois que je le vois, j’éprouve un certain bonheur à le voir en bonne santé.»

    Lorsqu’il monte Fastway, Eddie constate qu’avec Motörhead, il a régressé en tant que musicien : «Quand j’ai commencé à répéter avec Pete Way, le bassiste d’UFO, je me suis dit : ‘Putain, ma guitare sonne vraiment bien !’ C’est parce qu’il y avait une basse derrière. En jouant avec lui, j’ai compris que le son dépendait des autres. Si tu joues avec un beau son de basse, tu peux jouer plus léger sur ta guitare. Avec le son de Motörhead, tu ne peux pas te détendre. Tu restes en alerte et tu fonces. Je pense que les drogues entraient en ligne de compte, mais je ne suis pas sûr. Je ne veux pas entrer dans un délire philosophique.Il faut voir dans quel état on était à l’époque !»

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    Fastway paraît en 1983, soit un an après Iron Fist. Pete Way n’est pas resté dans le groupe. Topper Headon devait y battre le bon beurre, mais c’est l’ex-Humble Pie Jerry Shirley qui récupère le job. Avec son nouveau groupe, Fast Eddie change complètement de son : Dave King, le chanteur qu’il a embauché, sonne exactement comme Robert Plant. On ne trouve pas vraiment de hits sur ce premier album de Fastway. Fast Eddie joue la carte du son pulpeux et le groupe flirte avec le glam dans «Easy Livin’» puis revient au boogie-blues avec «Feel Me Touch Me». Mais avec «All I Need Is Your Love», tout devient clair : c’est du pur Led Zep. Fast Eddie joue la carte du rock anglais, mais de façon admirable et volontaire. «All I Need Is Your Love» pourrait très bien figurer sur le mighty Led Zep 1. Ils restent dans ce son avec «Another Day». Eddie rôde bien dans les parages, pas de demi-mesure, need somebody, Dave King chante ça avec une parfaite abnégation, il fait l’apprenti Plant bien intentionné. Ces gens-là savent vraiment se déterminer et Fast Eddie multiplie les incursions intestines, alors tout va bien, il lutte dans le gras du glas qui sonne pour qui sonne le glas, il titille ses petites notes féroces qui s’en vont se perdre dans la nuit comme des feux follets. «Heft» s’inscrit dans la meilleure tradition du heavy rock blues anglais, Dave King est dessus. Fast Eddie savait très bien ce qu’il faisait en l’embauchant. Et il ne rate pas une seule occasion d’aller briller au firmament des guitar slingers, il joue tout ce qu’il peut dans «Say What You Will». Il adore partir en vrille. Il assure la victoire avec «You Got Me Runnin’», il multiplie les vrilles judicieuses, il soigne ses intestines et redore le blason du cursif exacerbé. Fabuleux bretteur.

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    L’année suivante paraît All Fired Up. On y trouve deux très belles énormités : «Misunderstood» et «Station». Fast Eddie attaque le premier au riff tordu et Planty King fonce dans le tas. Ah il faut entendre ce guitariste génial placer ses riffs alarmistes et ses dégringolades de gammes. Quand il part en solo flash, c’est superbe. Il semble arroser toute la planète. Back to the heavy sludge avec «Station». Admirable car gratté aux millions de notes fast-eddiques fatidiques. Il en rajoute encore à chaque tour. Il part en solo comme dans un rêve et joue même tout le cut au long. Nouveau festival avec «Hurtin’ Me», idéal pour un géant du heavy blues comme Eddie. Il le joue même au suspensif. Dave King continue de faire son Plant et il est plutôt bon à ce petit jeu. Eddie joue le heavy blues en filigrane dans «Tell Me» et passe au heavy glam avec «Hung Up On Love». On est dans le meilleur du rock anglais des seventies, ils mélangent Led Zep et les Stones. On sent bien que ces quatre mecs en veulent. Sur cet album, tout est joué au maximum overdrive de Fast Eddie. Il amène une énergie spéciale et travaille tous ses cuts en sape. Il réserve ses meilleurs heavy chords pour «Telephone». Planty King se positionne face au vent, et ça part en mode heavy blues à la Free, mais attention, Eddie rôde comme un vautour dans les parages. C’est un sacré vénéneux.

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    Avec Waiting For The Roar, les choses commencent à se gâter. Fast Eddie et ses amis vont sur une sorte de hard-rock symphonique à la vieille mormoille purulente, ce hard dégénéré et atrocement commercial qui fit tant de dégâts dans les années quatre-vingt. Dave King chante de plus en plus mal. Il a perdu le plan du Plant. En entendant ça, Lemmy devait bien rigoler. Au moins, Motörhead n’est jamais tombé dans ce panneau. Fastway fait une cover du «Move Over» de Janis, mais bon, allez plutôt écouter Janis. Ils tentent un retour à Led Zep en B avec «Rock On» et Fast Eddie y fait son numéro de cirque à la Jimmy Page. On le sent fasciné par le vieux son du premier Led Zep de 68. Mais ça déraille assez vite, car ils se mettent à sonner comme Queen. Ils font un stomp à la petite semaine dans le morceau titre et ça redevient horriblement putassier. Ils devaient avoir pour consigne de faire rentrer les sous. Ils terminent avec un «Back Door Man» qui n’est ni celui de Wolf, ni celui des Doors. Ne rêvons pas.

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    Nouveau changement de personnel pour les deux albums suivants, On Target et Bad Bad Girls. Fast Eddie est le seul membre originel. Le voilà entouré d’une véritable caricature de groupe. Les pauvres, on les voit s’enfoncer dans le bad taste et la mauvaise hurlette. On ne parle même pas de la qualité des compos. Alors forcément, on pense à Lemmy qui en écoutant ça a dû tomber de sa chaise pour se gondoler de rire. Il a même dû s’en coincer la mâchoire, comme quand on bâille trop fort.

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    Dix ans après, Fast Eddie retrouve la raison et reworke ses cuts dans On Target Reworked. L’album vaut le détour, rien que pour l’extraordinaire dégelée de furiosa del sol d’«Easy Livin’», un cut tiré du premier album et parfaitement digne du Led Zep 1. S’ensuit un heavy «Show Some Emotion» qu’Eddie joue en profondeur et on se retrouve une fois encore avec une incroyable dégelée de bonne prestance. Fast Eddie embarque «Say What You Will» au heavy beat et renoue d’une certaine façon avec Motörhead. Même genre de fournaise, c’est battu comme plâtre. Toute la fantastique énergie d’Eddie accourt au rendez-vous. Sur cet album, on trouve aussi le fameux «Trick Or Treat» tiré d’une bande-son. C’est du beau rock anglais joué à la Fast. Ce démon d’Eddie adore les grands accords triangulaires. Très british, très stompé du stamp. Eddie revient à son cher cocotage dans «The Answer Is You». Heavy Fastway baby. Il joue sur le pourtour des accords, il voyage bien dans ses gammes, il agit en sonic-boomer patenté. Sorti du blasting de Motörhead, il semble respirer à pleins poumons. Encore plus colossal, voici «These Dreams». L’intérêt d’un guitariste comme Fast Eddie, c’est qu’il joue tout ce qu’il peut, alors on tend l’oreille. On retrouve aussi le fameux «Station» tiré du deuxième album et voilà «Change Of Heart», certainement la plus grosse rockalama du disk. C’est excellent car visité de part en part. «Two Hearts» regorge aussi de puissance. Eddie n’en finit plus d’allumer la gueule de ses cuts, il les remplit de son à ras-bord. Ça reste excellent, même avec un son daté. Eddie est à la fête, il voltige dans ses cuts et bat tous les records de présence. Encore un extraordinaire déploiement de forces dans «She Is Danger», et puis voilà.

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    Fast Eddie enregistre un dernier album en 2011 : Eat Dog Eat. C’est un gros pépère bourré de son. «Lovin’ Fool» emporte tous les suffrages : incroyablement bien structuré, plutôt seyant, pur farniente, Eddie fait ses adieux au rock en beauté et part en vrille de Master Faster. L’autre gros coup, c’est «Love I Need» - I’ve been riding/ Riding for so long - Eddie est un géant, alors il s’amuse avec les petites choses de la terre. Il joue tout en filigrane, fastin’ it all, à sa manière, inventive et haletée, volubile et volage, et il finit par s’écrouler dans le brasier d’un empire en flammes. Le «Deliver Me» d’intro sonne comme un heavy sludge chanté au heavy slab de Sabbath. Back to the old British pathos, babe. Les Anglais adorent ce son pourléché et bien plombé. Fast Eddie semble survoler son cut comme un vampire. On le voit aussi claquer ses accords dans l’écho du temps avec «Fade Out». C’est tellement bourré de son que le commentaire devient inutile. Dommage que le chanteur Toby Jepson ne soit pas si bon. Il fait ce qu’il peut, mais au fond ce n’est pas si grave, car on est là pour Eddie. D’ailleurs, il remet les bouchées doubles avec «Leave The Light On». Oui Eddie joue comme un crack, il wha-whate ses vieilles dégoulinades de génie. On le voit aussi attaquer «Sick As A Dog» au riff demented. Pas de porte de sortie, c’est du riff pur, Eddie nous embarque dans son sick sick sick et profite de l’occasion pour placer un solo en flammes. On est là pour ça, ne l’oublions pas. Quand on aime les solos en flammes, c’est lui ou Wayne Kramer qu’il faut aller voir. Avec «Who Do You Believe», Eddie veille au grain. Heavy as hell. Le seventies sound, c’est leur domaine. Believe est probablement le hit du disk, ne serait-ce que pour le petit coup de vrille en back door man. Il boucle l’album avec «On And On», joué au vieux tombé d’accords seventies. Quelle incroyable sévérité de la fidélité ! - I’m sorry/ There is nothing more - The Fast of it all, ce démon d’Eddie n’en finit plus d’entrer dans le lard du cut à coups de solos répétitifs et allumés.

    Et voilà qu’on apprend sa disparition. Motörhead et les Ramones ont un joli point commun : plus de survivants. On craint surtout que la démesure disparaisse avec tous ces géants. Le grand livre du rock n’en finit plus de se refermer. Bientôt l’âge d’or du rock ne sera plus qu’un pâle souvenir.

     

    Signé : Cazengler, Fesse Eddie tête à Clarkes

    Fast Eddie Clarke. Disparu le 10 janvier 2018

    Curtis Knight Zeus. The Second Coming. Dawn 1974

    Motörhead. Motörhead. Chiswick Records 1977

    Motörhead. Bomber. Bronze Records 1979

    Motörhead. Overkill. Bronze Records 1979

    Motörhead. On Parole. United Artists Records 1979

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    ( sans la participation d'Eddie Clarke )

    Motörhead. Ace Of Spades. Bronze Records 1980

    Motörhead. No Sleep Till Hammersmith. Bronze Records 1981

    Motörhead. Iron Fist. Bronze Records 1982

    Fastway. Fastway. CBS 1983

    Fastway. All Fired Up. Columbia 1984

    Fastway. Waiting For The Roar. Columbia 1985

    Fastway. On Target. GWR Records 1988

    Fastway. Bad Bad Girls. Enigma Records 1990

    Fastway. On Target Reworked. Receiver Records Limited 1998

    Fastway. Eat Dog Eat. Steamhammer 2011

    *

    Quelle était la couleur de la couleur tombée du ciel ? Ne voudrais pas avoir l'air de me vanter mais à moi tout seul j'ai résolu la grand mystère littéraire du vingtième siècle. Beaucoup se sont cassés les dents sur cette énigme posée par la nouvelle de Lovecraft. Je sens que certains vont en être verts de rage, rouges de honte, bleus de stupeur, noirs de colère, z'auront beau rire jaune en prétendant qu'ils le savaient mais que seule leur modestie les a empêchés de proclamer la vérité. Bernique ! Nique ! Nique ! Nique ! Vive les seins de Sainte Dominique !

    La solution m'est apparue le matin en ouvrant la fenêtre. Un paysage apocalyptique. Sibérien. Méconnaissable. Le truc qu'on gère pas. Cette couleur maléfique lovecraftienne, ourdie par les sombres agissements de Cthuhlu pour étendre sa domination sur le monde entier, n'est autre que celle du fameux cheval d'Henri IV, le blanc, si blanc que pour un peu vous le prendriez pour de la neige. D'une nocivité extraordinaire, une espèce de poulpe poudreux qui s'attachait aux roues de la Teut-Teuf et l'immobilisait ad vitam aeternam. Même pas pu aller à la Comédia à Montreuil vendredi soir. Aux grands maux les grands remèdes. Samedi matin, ne me suis pas dégonflé, suis sorti en pyjama sur le bord de route, la traduction par Phillipe Pissier de Magick en mains, et ai prononcé le Rituel Sacré de la Toute Puissance d'Aleister Crowley, et vous pouvez m'en croire, le soir même la route de Troyes était complètement dégagée, libre de toute teinte cthulhuéenne, j'en hulule encore de joie.

    Connaîtriez-vous une force maléfique capable d'empêcher irrémédiablement un rocker d'assister à un concert !

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    10 / 02 / 2018TROYES

    LE 3B

    EDDIE AND THE HEAD-STARTS

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    ( Journaliste avec lunettes )

    D'autant plus que ce soir nous avons atteint l'immortalité. Enfin presque. Programmée pour 2019 – 2020. La radio es là. Venue explorer le monde turbulent des rockers. Journaliste sympathique – je ne voudrais pas donner dans l'identitaire départemental mais nous partageons la même origine ariégeoise - qui ouvre son micro et nous interviewe à tour de rôle – l'a du courage, la sono de Fab, la meute des assoiffés qui se pressent autour du bar et se compressent dans les coins, mais l'est tout content, l'enregistre tout ce qu'il lui faut, tout le rock'n'roll en vrac, du rockabilly au métal, des tatouages aux blousons, des voitures à la rebelle attitude, Hank Williams, Gene Vincent, Kr'tnt, Jean-Jacques, Alec, Billy, Christophe, l'a tout en lambeaux, ne lui reste plus qu'à remettre en ordre, n'a même pas oublié d'enregistrer Eddie and The Head-Start. Les voici.

     

    EDDIE AND THE HEAD-STARTS

    ( SANS EUX )

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    N'ont pas casé le batteur tout au fond comme tous les autres groupes. Ce n'est pas qu'ils cherchent l'originalité. Eux ce serait plutôt l'authenticité. Pour la simple et bonne raison qu'ils n'en ont pas. A Troyes – et partout ailleurs - ne sont que trois. Guit acous, contrebasse, lead électrique. Pas plus, ni moins. Ne faites pas l'étonné, rappelez-vous qu'en ses débuts Elvis ne possédait pas de batteur. L'a ajouté quand le monde a commencé à affluer aux concerts et qu'il fallait un certain volume pour se démarquer du bruit de l'assistance. C'était du temps où il a gagné son surnom d'Hillbilly Cat. Le puma des Ardennes en français approximatif. Le Hillbilly est un genre à part en soi. L'art des garçons de ferme. Les rustauds qui ne peuvent voir une meule de foin sans y coucher la première fille qui passe sur le chemin, pas des intellos, des ploucs à la comprenette dure. Méfiez-vous sont plus malins qu'il n'y paraît, l'esprit des coyotes habite l'âme des chats efflanqués des collines. Le hillbilly ça sent le bal du samedi soir, le purin, et le bousin de long horn. Bouchez-vous le nez mais ouvrez vos narines toute grandes. Se métamorphosent lorsque l'exode rural les pousse à la ville. Se payent de belles chemises, roulent en mécaniques rutilantes, et bye-bye les aigres-douces chansons nostalgiques, donnez leur un micro, s'en servent comme d'un cocktail molotov, le hillbilly s'enflamme et devient rockabilly. Une mutation. Si Darwin avait vécu assez longtemps, s'en serait servi pour expliquer les sauts qualicatifs qui ont présidé la longue marche des espèces qui depuis la disparition des dinosaures a permis à l'homme de s'améliorer sans fin. Certains mêmes affirment que le hillbilly man et le rockabilly man sont les stades suprêmes de l'évolution humaine, que depuis la race hominienne régresse, dégénère, et court à sa perte. Mais quittons ces vues philosophiques pour regarder :

     

    EDDIE AND THE HEAD-STARTS

    ( AVEC EUX )

    Eddie Gazel. Fils ne vous gardez point à droite, le reître Thibaud Choppin s'en charge. Fils ne vous inquiétez pas de gauche, le soudard Stéphane Beaussart y veille. Le vrai père, Thierry Gazel, n'est pas loin, viendra plus tard ramoner la big mama de Thibaud, mais n'anticipons pas. Avec de tels arrières latéraux, l'est tranquille Eddie, guitare en main et bouche au micro. A trois défendent le pont-levis du hillbilly. Si vous voulez forcer le passage, passez devant. Qui s'y frotte s'y pique. Ça n'a l'air de rien mais il faut les qualités requises indispensables, du swing percutant, du contrapuntique contraignant, et un vocal de crotale.

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    Pour le swing, vous avez Thibaud Choppin. Posté de guingois, à l'affût derrière sa big mama, vous lance un regard de chef-indien là-haut sur son piton rocheux qui examine le convoi des charriots qui s'approche du défilé de la mort certaine. Qui dit swing ne dit pas jazz. Pensez à pulsation. Agonique et précipité. Le Choppin quand il vous choppe sa contrebasse ce n'est pas pour éplucher le bulletin météo. Avec lui, c'est tempête et tremblement de terre force huit. Ne descend jamais au-dessous. Crève le plafond de temps en temps. Joue un peu à la manière de Jessie James quand il rackettait les banques. Mais avec le sourire en coin et l'ironie mordante qui fuse de ses lèvres dès qu'il peut en lâche une. S'amuse, avec une main, avec deux, avec trois, avec quatre, pas le temps de vous demander d'où il les sort, et même sans aucune.

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    A Stéphane Beaussart échoit la tâche la plus difficile. Le hillbilly ressemble davantage à trois coups de poings bien appliqués qu'à une stratégie à la Napoléon. Un seul mot d'ordre. Vite fait et bien fait. Le nez en sang et l'on passe au suivant. Beaucoup plus jumpin' que gallupin'. Pas la possibilité de se livrer à de grandes galopées. Pour les envolées lyriques vous repasserez. Faut être présent à tous les instants, plantez le clou au millimètre près. Juste entre deux hennissement de la big mama et conclure juste après la voix, un jeu, un question-réponse, un dialogue à trois, ni oui ni non, mais un mot chacun, monosyllabique, placé le plus vite possible sans empiéter sur celui qui vous précède et en laissant le moins d'espace possible à celui qui prend la suite. De la haute école. Exercice collectif des plus difficiles. S'en tirent comme des rois avec l'impertinence des bouffons. S'amusent comme des fous, complicité souriante, émulation rieuse.

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    Je vous refile les dates – en comptant très large, 52 – 57. L'ère du déploiement du hillbilly, certains compressent entre 54 – 56, l'instant de la pliure, du passage du hillbilly au rockabilly en s'abstenant de franchir le col du rock'n'roll. Certes nos trois cavaliers reprennent du Little Richard et du Gene Vincent, mais ce que moqueusement l'on nommera les slows, le Send Me Some Lovin du petit Richard qui sent encore la vase du bayou et le clapotis des alligators, et le Peg O' My Heart de l'idole noire, de la chanson populaire parce que pour embarquer les gerces c'est quant même plus voluptueux qu'une course en hot-rod avec le diable. De toutes les manières, ce qui compte, c'est l'art et la manière de présenter la bagatelle. Faut savoir être tendre sans passer pour un benêt, le hillbilly est une musique perverse. Tenez-vous le pour dit.

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    Eddie Gazel parfait dans le rôle. L'a tout pour lui. La jeunesse et la beauté. L'oeil de velours et le regard assassin. Et puis la voix. Flexible comme un queue de crocodile. Capable de se lamenter sans nous faire pleurer. Malmène sa guitare comme un chien gratte ses puces. Force rythmique d'appoint et d'assaut. Siffle comme un serpent dérangé dans sa sieste, l'a tous les articles en magasin, à l'aise dans tous les registres : nostalgie country, rupestre campagnard, boogie électrique, un répertoire qui court de la ruralité cajunique d'Al Ferrier au baryton épineux de l'Elvis de chez Sun, du pizzicato de Johnny Burnette à la ballade pseudo-romantique. Lève la guitare vers le ciel et profile un jeu de hanche des plus terrestrement lascifs.

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    Trois sets, le premier à dominante hillbilly, le deuxième davantage rockabilly, le troisième pas rock'n'roll mais presque. Beaucoup d'aisance et de facilité. Thibaud Choppin délaisse sa big mama pour se mettre l'assistance dans sa poche avec sa belle voix grave, Stéphane Beaussard se permettant un instrumental très surfin' manière de montrer que sa monture pâture aussi en d'autres lieux, son voilier tatoué sur son avant-bras comme signe de recherche et d'aventure. Eddie en meneur de jeu. Sait instaurer une communication des plus directes et des plus primesautières avec le public qui adore. Faut un sacré tallent à Eddie pour que dès le premier morceau tout le monde se masse devant les Head-Starts et adhèrent à cette musique chargée d'anciennes rurales fragrances qui ne correspondent plus à notre monde urbanisé. Une musique moins chargée d'impédence électrique que le groupe a su rendre sans effort, actuelle. Rarement – et pourtant les Dieux savent combien le public du Bar de Béatrice Berlot est chaud et réceptif – un groupe aura reçu une telle écoute et suscité une telle ferveur.

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    TOM ROISIN

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    ( Trouvez Tom ! )

    Entre deux sets, Tom Roisin nous interprète trois titres d'Hank Williams, Jambalaya, Honky-Tonky, I Saw the Light et un dernier Folsom Prison Blues de Johnny Cash. Belle allure sous son stetson immaculé et dans son costume impeccable. Autodidacte et passionné de country Tom Roisin, persévère. S'accroche à son rêve et commence à tenir le chat du diable par la queue. A suivre. Bon Gumbo.

    Damie Chad.

    ( Photos : FB : Béatrice Berlot )

     

    MY NAME IS EDDIE

    EDDIE AND THE HEAD-STARTS

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    Rhythm Bomb Records. RBR 45 – 29.

     

    My name is Eddie : racatement de basse, le jeune Eddie vous prend la voix traînante d'un vieux vacher des Appalaches, Beaussart pointille comme un pic-vert, Choppin tamponne comme un wagon, dépaysement garanti. Pas le temps de voir passer, que déjà ils expédient la fin dans les règles de l'art, ça tressaute comme un cul à cru sur un cheval bondissant. Blues stop knocking : croisements d'autoroutes, celle de la ballade country avec la séminalité sous-terraine du country blues. Sur le refrain l'ensemble s'envole vers les grands espaces, mais sur le solo Beaussart tire du côté d'Arthur Crudup, Eddie vous emprunte les échangeurs sans jamais se tromper, goudronnage et tenue de route assurée par la maison Choppin. Playmate : Beaussart et Choppin vous mènent un quadrille d'enfer, et la gazelle Eddie vous fait de ces piqués de voix à vous faire voir des éléphants roses. I wanna make love : tout ce qu'il faut faire, je parle de l'union physique de l'instrumental avec le vocal. Chacun à son tour par-dessus et puis par dessous. Plus les petites spécialités individuelles. Bref ça balance et roule vers le rock'n'roll de bien jolie façon. S'éclatent comme des bêtes vicieuses. Un prix d'originalité sera décerné à Stéphane Beaussart pour son solo.

     

    Old style never dies !

     

    Damie Chad.

     

    BOB DYLAN ET LE RÔDEUR DE MINUIT

    MICHEL EMBARECK

    ( L'Archipel / 2018 )

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    Roman. C'est écrit sur la couverture. Déduction logique : tout ce qui est écrit est faux, sorti tout droit de l'imagination fertile de Michel Embareck. A part que tout ce qu'il raconte est totalement vrai. Même si vous n'avez jamais porté la moindre créance au concept de vérité – pure et intangible – du sieur Platon. N'avez qu'à lire pour vous en être persuadés. Très simple, cet embrouilleur d'Embareck nous fait le coup du bonneteau littéraire. Z'êtes sûr que sous le godet du milieu se trouve un roman, erreur sur toutes les lignes, c'est votre vie qui est mise en scène en deux cent cinquante pages. La vôtre, la nôtre, la mienne. Inutile de bomber le torse, l'est retors l'Embareck, non, ce n'est pas le roman dont vous êtes le héros. Pas de place pour vous. N'en a déjà mis que deux sur le titre, Dylan et le Rôdeur de minuit, mais c'est un fusil à trois coups, le troisième est habillé tout en noir. Pas besoin de pousser la description plus loin, quel faquin ne reconnaîtrait pas Johnny Cash, the man in black, en cette sombre silhouette ?

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    Pas de problème l'histoire vous connaissez : la bio ( et de broc ) de Dylan et de Johnny Cash. Pourriez la réciter par cœur, l'est finaud l'Embarech, ne fait pas dans le détail, la révélation minuscule que personne ne connaît. En gros, vous n'apprendrez rien. De toutes les manières tout est faux. Etabli sur des faits certifiés conformes, rien de plus facile pour vérifier : presse d'époque, témoignages assermentés, vidéos, livres, disques. Ne manque pas un biscuit dans la cambuse. D'ailleurs l'Embareck se dépêche de les refiler aux rats, lui le maitre-coq vaudou, il travaille avec le vent qui bouscule la mâture. Blowin' in the wind, comme dirait l'autre.

    Commençons par nous débarrasser de l'assassin. N'ayez pas peur, pour un criminel, il n'est pas dangereux, le gars qui ne tue même pas une mouche de tout le roman. C'est peut-être pour cela qu'il vous ressemble. Un mec plutôt sympathique. Toutefois, tout ce qu'il a fait de bien dans sa vie, ce n'est pas de sa faute. Aucune médaille à lui décerner. L'Ici et Maintenant des philosophes. Hasard et circonstances. Son seul mérite c'est d'être sorti du ventre de sa maman au bon moment. Pile-poil à l'heure pour devenir disc-jockey au début des années soixante à Shrevreport. En Louisiane, l'état marécageux des States où les alligators dans leur barbote ont inventé des horreurs sans nom qui ont pour nom : jazz, blues, rhythm'n'blues, rock'n'roll. Bref notre animateur radiophonique l'a tout vu et tout entendu. Les Beatles, les Stones et, ce qui tombe super pour le bouquin, rencontré Dylan et Cash. Evidemment sur une carte de visite, ça en impose. De quoi être jaloux. D'ailleurs à la fin du film de sa vie, l'Université – avec un grand U comme Urinoir - vient l'interviewer. Si cela vous arrive, dites-vous que votre cercueil se rapproche de vous, vitesse grand V. Pas Victoire, genre Vanité des Vanités...

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    Je sens votre impatience. Le lectorat kr'tntique n'a qu'un mot à la bouche : Cash ! Cash : Cash ! Etrange de voir comment le country man a été adopté par les rockers depuis une vingtaine d'années par chez nous, encore plus que Jerry Lee Lewis – le grand absent de ce livre d'ailleurs, mais peut-être qu'Embareck se réserve-t-il le Killer pour parfaire une trilogie commencée avec Jim Morrison et Le Diable Boîteux . Donc Cash. Honneur à la dame de cœur. Très beau portrait de June Carter. June, le trublion de la Carter Family. La fofolle de service. La gamine irrésistible. Instinct et joie de vivre. Tout ce que Johnny n'est pas. In his mind. Un coincé de la tête. Parce que selon son corps, c'est davantage borderline. Z'oui mais la pieuvre du puritanisme, pouvez lui couper les tentacules par centaines elles repoussent toujours. C'est cela la malédiction d'être né pauvre. Non seulement vous n'avez pas d'argent et vous bouffez tout juste ( vraiment juste ) à votre faim, mais pour la largesse d'esprit c'est vache maigre et chambre d'étudiant au dix-huitième étage sans escaliers et les chiottes sur le pallier. Tout le reste est squatté par la peur des sept péchés capiteux et l'observance des dix commandements. Mes très chères sœurs et mes très chers frères, nous avons le regret d'avoir à condamner notre idole, Johnny trompe sa femme, boit comme un trou et gobe les pilules comme certains les patenôtres. Nous lui pardonnerons, son métier, la fatigue, la route, les tournées, les filles qui s'offrent, le diable a mille perversités dans son escarcelle...

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    Voici Dylan. Une autre problématique. Lui le danger n'est pas dans sa cabosse. Vient de l'extérieur. Des autres. Bien entendu de ceux qui l'aiment le plus. Le public, les fans. Au début le Bobby, faut pas grand chose pour le rendre heureux, une guitare, une gratte, une sèche, une acoustique, un harmo pourrave, et le répertoire folk qu'il a emmagasiné dans sa tête. Encore un qui arrive comme la soupe sous le cheveu. Ne pouvait pas mieux tomber avec sa voix de chat écorché. En plein dans la vague contestataire. Combat pour les droits civiques et contre la guerre au Vietnam. Bien sûr qu'il partage ces idéaux, par contre ne se sent pas très à l'aise dans la bonne ouate de gauche, l'impression de se faire manipuler, d'entrer dans de nouveaux carcans, idéologiques. L'autre face de la bonne conscience se nomme nouvelle morale. Alors il commet l'outrage suprême. L'ignoble trahison. Il électrifie le folk. S'en va enregistrer chez les ploucs de Nashville. S'éloigne de sa vie de star, se marie, fait des enfants. Devient un bon père de famille. Bref à partager la vie de tout le monde, il finit par faire comme tout le monde, il s'ennuie. Le Diable possède une tentation adaptée à chacun.

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    Dylan reprend la route que Cash n'a jamais quittée. L'un pour s'éloigner du peuple de gauche et l'autre pour se rapprocher du peuple de droite. Les rebelles ne sont pas de purs chevaliers blancs irréprochables, ne sont jamais là où on voudrait les voir. Y en a tout un tas qui croupissent en prison. Cash prend son bâton de pèlerin et s'en va chanter à Folsom. Du côté de la mauvaise graine. Des voyous, des tueurs, des violeurs, de la sale engeance. Même Jésus Christ n'avait pas osé y penser. Avec les réprouvés de la société. Les enfants perdus de la misère. Sans illusion, car s'il n'avait pas eu son baryton de croque-mort il aurait peut-être fini là, lui aussi. Poussera même la roue un peu plus loin. Ira chanter pour les boys. Au Vietnam. Est viscéralement contre la guerre, mais il se doit de réconforter les guys dans le bourbier. Chante pour eux et visite les hôpitaux de campagne. Voie étroite et récupérable que Dylan ne lui pardonnera pas. Notons que Joan Baez, son ancienne compagne se rendra au Vietnam, elle aussi, mais de l'autre côté, au Nord, sous les bombes américaines...

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    Dylan et Cash, deux facettes de l'Amérique. Encore aujourd'hui beaucoup de ceux qui écoutent Johnny Cash ne prêtent qu'une médiocre attention à Dylan. La réciproque est un peu moins vraie, les méandres de sa carrière ont quelque peu altéré l'admiration béate que lui a longtemps portée son public, et le vieux Cash a bénéficié de sa longue fidélité à son propre style, n'a jamais donné l'impression de s'être renié. Embareck balaie tout cela d'un trait de plume. Cash, Dylan, même combat, tous deux chantres de l'Amérique populaire. Pas celle du massacre des indiens, du capitalisme triomphant, de la ségrégation, des mentalités de beauf en boîte, mais celle de ceux qui essaient de survivre tant bien que mal, de tracer ou d'imaginer d'autres routes. Des outlaws modernes. Une Amérique qui vient de loin, dont Cash et Dylan, Embareck nous les présentent en frères d'armes, ont tenu à garder intacte la mémoire. Se sont sentis obligés de perpétuer au travers de leurs répertoires le souvenir et la présence de ces millions d'existences anonymes, les vaincus, les misérables, les laissés-pour-compte, n'en reste rien aujourd'hui si ce n'est quelques os épars au fond des cimetières.

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    Lecteurs, je vous sens un déçus, vous avais affirmé dans le premier paragraphe que l'Embareck parlait de vous. Nous y arrivons. Vous a filé un surnom. L'a piqué aux Stones. Le Midnight Rambler, c'est vous. Vous espère un peu moins décatis que lui, parce qu'à la fin du livre il a dépassé ses quatre-vingt printemps. L'est rentré dans l'hiver. Fait un dernier point. Avant de débarrasser le plancher. Place aux jeunes. Ne s'apitoie guère sur lui-même. Comme vous, comme moi. Des hauts et des bas. Des erreurs. Je n'insiste pas. Lui non plus. Parle avant tout des autres, de l'état du monde. Le même constat que vous. Un minimum de mieux. Un maximum de pire. Ne s'est pas amélioré depuis le siècle dernier.

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    Rusé l'Embarek, s'y entend pour filer le sucre qui fait remuer la queue des chiens. Dylan, Cash, - bonjour les attrape-nigauds, pour ceux qui hésitent il rajoute Alice Cooper et Merle Kilgore, et spécialement pour moi Gene Vincent – et puis il vous balance la boule de strychnine. Des artistes comme Dylan et Cash, vous en raffolez, vous les adorez. Mais soyez justes, ils n'ont pas changé le monde. Et derrière eux c'est la faillite de toute génération qui se profile. Pardon, qui déboule. L'arrache le voile des illusions l'Embareck, devrait être condamné pour cruauté mentale, vous laisse plus nus que la vérité, et ne croyez pas que vous vous en tirerez en vous fondant dans le nombre, pousse l'ignominie jusqu'au bout – page 245 – dresse la liste de tous les noms, n'oublie personne, j'ai vérifié vous y êtes. Pourrait accomplir sa délation en utilisant une écriture neutre, mais non, l'a du brio, du brillant, de l'entourloupe, dès la première ligne vous êtes pris, ferrés jusqu'au bout. Ça bouge, ça cogne, ça vit. Vous n'y faites pas gaffe, vous distille le poison de l'échec. Triple dose, au début ça vous file un pêchon extraordinaire, mieux que l'héroïne, et puis c'est votre déchéance spirituelle qui vous azimute. Sans lot de consolation. Une bourrasque d'Embareck et toutes vos fausses raisons de vivre tombent à l'eau. Regardez-vous et enfuyez-vous en courant.

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    En fait – j'ai oublié de le préciser – le rôdeur de minuit finit bien par tuer quelqu'un. Mais quel est donc ce couteau planté dans votre dos ?

    Le rock m'a tuer.

    Damie Chad.

     

    BOB DYLAN

    Le personnage / Sa musique / Son guide

    NIGEL WILLIAMSON

    ( Editions de Tournon : Rough Guides / 2009 )

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    A parler de Bob Dylan autant descendre au garage voir ce que j'ai sur lui. J'en remonte avec ce beau format quasi-carré, pas très grand mais de 325 pages composées en tout petits caractères. Le livre s'arrête au moment où paraît le premier tome de ses mémoires Chroniques ( I ). Près de dix ans se sont écoulées depuis et voici deux années Dylan s'est vu remettre le Prix Nobel. Le book m'apprend dans un petit entrefilet rose qu'en 1996, un groupe d'intellectuels et d'admirateurs avaient officiellement bataillé pour la candidature du chanteur à ce prix. L'attribution du Nobel de Littérature à Bob Dylan en 2016 n'a pas été une divine surprise comme les médias l'ont présentée. Mais le fruit d'une longue et obstinée candidature sur laquelle Dylan, selon son habitude, ne s'est apparemment jamais exprimé.

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    Nigel Williamson emploie la technique dite des tirs-croisés ou des labourages quadrillés. Revient plusieurs fois sur le même sujet. La moitié du bouquin purement biographique nous raconte la vie de Bob Dylan. Assez fouillée, non exempte de réflexions critiques, tenant compte de tous les aspects de l'existence du chanteur : familiale, privée, sociale, publique, et bien entendu musicale et artistique. Le livre pourrait s'arrêter-là, mais non, Nigel est un maniaque, ou alors peut-être prend-il ses lecteurs pour des cerveaux lents, car il passe une deuxième couche : passage en revue en long et en large de tous les albums – disco officielle et survol des pirates – rajoute un troisième glacis protecteur : analyse des cinquante meilleures chansons, sans oublier de fignoler les finitions : les films, les livres, les fans, les continuateurs...

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    N'empêche que l'ensemble est agréable à lire et peu répétitif. Fourmille d'anecdotes surprenantes : je ne vous en cite qu'une, marrante, celle de A. J. Weberman qui avait pris l'habitude de fouiller les poubelles de Dylan, afin d'en retirer la substantifique moelle documentaire qui l'aidait à conforter ses vues personnelles sur la personnalité du chanteur. Le début de l'histoire du fondateur de la nouvelle science qu'il baptisa déchétologie est connue. J'en ignorais la fin. Weberman eut ses adeptes. Pas ceux qu'il aurait souhaités. Les agents du FBI mirent le nez dans ses propres poubelles. Après avoir retrouvé de suspects sachets ( vides ), ils en conclurent que Weberman était à la tête d'un trafic de livraison de marijuana à domicile et, à vous dégoûter de rendre service à vos concitoyens, l'envoyèrent séjourner en prison...

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    Une autre pour mon plaisir personnel : y avais toujours cru mais n'en avais aucune preuve : Dylan l'a confirmé lui-même : a bien pensé ( pas uniquement ) à Baby Blue de Gene Vincent pour l'écriture d'It's All Over Now, Baby Blue.

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    N'ai jamais été un fan transi de Dylan. Attention, durant dix ans le bonhomme a fait ses preuves. Prolifiquement doué. Vous tortillait une galette de vinyl comme une grand-mère bretonne une crêpe au sarrasin. L'avait la qualité essentielle du rocker : devenait méchant dès qu'il apercevait un micro dans un studio. Ne se forçait pas, arrivait les mains dans les poches, se saisissait d'une feuille de papier et il vous dégorgeait du venin comme une vipère qui n'a rien eu à se mettre sous le crochet depuis trois ans. Parfois, l'improvisait directement et les ingénieurs couraient vers la cabine pour mettre le bouton sur le ''on''. Mauvais caractère en plus, tête de lard et de cochon. Ne filait pas d'indications aux musicos. Ou ils pigeaient illico, ou ils retournaient à la maison. Un génie !

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    Reconnu comme tel. Porté par la vague des fans. Du jour au lendemain, la figure de proue du mouvement contestataire. Exactement le contraire des New Yok Dolls qui eurent trop peu pour si peu de temps, le Bobby lui ce fut trop beaucoup immédiatement. Dépassé en quelques mois par l'enchaînement et le déchaînement du succès. S'en est sorti. Parce qu'il était un cabochard. Par la petite porte. N'aimait pas qu'on lui dicte le chemin. Suze sa muse ne l'amuse plus depuis qu'il baez avec Joan de laquelle il baisse dans l'estime depuis qu'il s'en va avec Sara ça ira, pareil avec les copains, beaucoup de jaloux et lui qui ne sait pas mettre les formes pour se tirer du guêpier. Le piège ne s'est pas refermé sur lui, mais par la suite, ce ne sera plus jamais pareil.

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    L'était une idole adulée, devient une rockstar acidulée sur le tard. Vit sur son aura, sur sa réputation. S'ennuie un peu avec lui-même. L'a encore ses moments de génie, mais ils s'amenuiseront petit à petit. Il s'en fout et il en crève. Pousse le vice de la contradiction et le vide des contrariétés à se déclarer chrétien, pur beauf born again, détenteur de la vérité et sermoneur de service. Les fans de la première heure le renient, il vend ses morceaux les plus symboliques pour des pubs, ses ventes de disques s'effondrent, son divorce le met sur la paille ( relative ) alors il met au point le Never Ending Tour, une moyenne d'un concert tous les trois jours depuis vingt ans, catastrophiques ou géniaux, c'est selon.

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    Je décris, je ne juge pas. Facile de badigeonner la moraline lorsque vous n'êtes pas dans le caca. Même si l'étron est de vous. L'a transformé le rock'n'roll, l'a fait descendre de la banquette arrière des Cadillacs, et vous l'a planté au milieu de la route sous la pluie. Bye bye baby et bonjour tristesse, les ennuis commencent. Depuis il a pris ses cliques et beaucoup de claques...

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    Dylan contestataire : non. Dylan roi du folk-rock : non. Dylan rocker : encore non. Le classerai plutôt dans le country blues. N'est pas né dans le delta, n'est pas un nègre. Mais il chante et compose des chroniques sur son quotidien et celui de l'Amérique. L'a simplement élargi l'orbe des bluettes. Pour bien s'en rendre compte il suffit de comparer l'autre '' grande voix'' de l'Amérique : Bruce Springteen, sympathique mais un peu boy-scout. Lui manque le cynisme, la cruauté, la méchanceté, trop de bons sentiments. La face noire du rock'n'roll.

    Damie Chad.

     

    OUAILLE !

    DANIEL GIRAUD

    ( Clapas / 2012 )

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    De Daniel Giraud nous avons déjà chroniqué disques et différents recueils de poèmes. En voici un autre édité aux Editions Clapas. Même pas un petit éditeur, un groupe d'activistes fous qui ont durant plus de dix ans donné la parole à plus de deux cents poëtes, faites un tour sur leur site ( clapassos.pageperso-orange.fr ), semblent en sommeil depuis quelques années, mais si les ours parviennent à sortir de leur hibernation...

    Joli petit format qui s'étire et se pelotonne entre vos mains, couverture chromo, et même un dos carré pour un ensemble de 24 pages. C'est dedans que ça se gâte. Un seul poème aussi long et mince qu'une queue de marsupilami bleu. De cette couleur vous n'en trouvez pas chez Franquin. Ailleurs non plus. Foutre le Ouaï ! Attardez-vous sur le titre. Parce qu'après c'est toute la misère humaine qui se colle à vous. Pas la noire. Non celle-là, c'est facile de la chasser, ouvrez les infos et un spécialiste viendra vous expliquez que tout va bien, qu'il faut se méfier de vos ressentis. Non la bleue, la bleu-blême, celle qui se colle à votre âme et vous la teint jusqu'au jour de votre enterrement. Daniel Giraud vous raconte sa vie. Je vous rassure, aussi moche que la vôtre. Quelques pépites, mais des tonnes de scories. En plus le Giraud l'habite dans la cambrousse, à 15 kilomètres non carrossables, porte le ravitaillement dans le sac-à-dos, surtout que des fois il revient de loin, des States ou du Maroc, alors les souvenirs déboulent et s'entremêlent. L'esprit on the road again et l'âge qui encroûte les artères. Derrière la porte, c'est quitte ou double, la copine qui s'est tirée ou les copains qui attendent avec les guitares pour taper le blues, fumer et boire. Et puis les chats qui viennent vous aider à vivre et qui s'en vont à la mort. Version inaccoutumée de la théorie du ruissellement. Le malheur du monde tombe sur le poëte, super-chouette, l'occasion rêvée de se transformer en samouraï-philosophe. Vous sépare l'être du néant, la pelure de la réalité de l'orange creuse du vide, vous envoie valser dans le nirvana pour mieux vous catapulter dans les emmerdements du quotidien. '' Sans avoir de présent / comment avoir un avenir'' demande-t-il comme il vient de nous affirmer que le passé n'est plus ce qu'il était, vous voyez ce qu'il vous reste à vivre. Philosophie hippie et nihilisme punk se rejoignent en un étonnant optimisme désespéré. Mélange détonnant. Ça pète et vous éclatez. De rire. Ni humour noir, ni humour jaune. Humour-blues. Parfois à la terrasse d'un café, Daniel Giraud sort sa guitare de son étui et un recueil de sa poche et vogue la galère c'est parti pour une heure de blues-métaphysique, et les passants s'attroupent autour de lui, comme les mouches sur la merde – plus poli Cendrars employait l'expression la moitié de la face de Dieu pour désigner cette matière si fécale - comme les avares sur leur or. Les deux postulations humaines, ceux qui aiment ce qui leur ressemble et ceux qui s'accroupissent devant leur propre petitesse. Le blues, ça vous décape jusqu'à l'os.

    Damie Chad.