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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 112

  • CHRONIQUES DE POURPRE 244 : KR'TNT ! 364 : CREATION / JAKE CALYPSO / RICKY AMIGOS / BASHUNG / VICTOR LEED / BIG BEAT MAGAZINE N° 29

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 364

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    08 / 03 / 2018

     

    CREATION / JAKE CALYPSO / RICKY AMIGOS

    BASHUNG / VICTOR LEED /

    BIG BEAT MAGAZINE N° 29

     

    Mais que foutait Dieu avant the Creation ?

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    C’est exactement la question que se posait Samuel Beckett à une époque. Chacun sait aujourd’hui que les Creation auraient pu devenir l’un des groupes majeurs de l’histoire du rock anglais, mais Dieu en décida autrement.

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    Eddie Phillips et ses amis n’ont pas créé le monde, mais seulement le freakbeat, violent bâtard mongoloïde du rock anglais. Et puisqu’on patauge dans les périphrases, citons Oregano Rathbone qui, pour démarrer son panoramique des Creation, cite Voltaire : Si les Creation n’avaient pas existé, il aurait fallu les inventer. Puis il jongle avec de bien belles expressions : mod-psych, pop-art et great hair. C’est vrai qu’à cette époque, les grands groupes anglais savaient soigner leur mise et veiller aux détails.

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    C’est fou comme le temps passe. Eddie Phillips atteint aujourd’hui l’âge canonique de 74 ans. On découvre aussi qu’Edsel publie un coffret consacré aux Creation. Tout cela paraît tellement irréel ! Est-ce la consécration d’un groupe que Dieu a cruellement maintenu dans les ténèbres de l’underground britannique ? Eddie Phillips et ses amis méritaient pourtant leur place au balcon, à côté des autres, c’est-à-dire les Who, les Kinks, les Beatles et les Stones.

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    Eddie Phillips parle dans le micro d’Oregano. Il a su garder son franc parler, cette manière qu’il a de crackler ses crackles sans ambages. Il explique qu’il vient de jouer avec The Stone Foundation, mais il ne repart pas en tournée - No more vans for me - Eddie rappelle ses débuts avec les pré-Creation, the Mark Four - I used a Futurama guitar through a 15-watt Vox, an AC15 - et il ajoute que Kenny Pickett se ramenait au volant d’une Ford Zodiac MkII - Which was a great car to have at the time - Eddie se souvient du temps des incessantes tournées à travers toute l’Angleterre, un circuit où ils croisaient Brian Auger & The Trinity, The Action, Georgie Fame, Geno Washington & The Ram Jam Band. Le groupe tournait énormément en Allemagne. Eddie put enfin se payer une Gibson 335 et un Vox AC30 - The black one with the trebble boost, great amp !

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    Un beau jour, Tony Straton Smith devient manager du groupe et propose un nouveau nom : The Creation. Joli nom ! Strat recrute Bob Garner, l’ancien bassman de Tony Sheridan et met les Creation en contact avec Shel Talmy. C’est là qu’on entre dans la légende. Récemment débarqué à Londres, cet Américain vient de créer la sensation en produisant les Who et les Kinks. Les Creation auditionnent au Regent Sound Studio de Denmark Street. Pouf c’est parti ! Comme Shel Talmy vient de créer Planet Records, il leur propose un contrat. Signez là mes coco, oui, sur les pointillés ! Un mois plus tard, les Creation entrent en studio pour enregistrer «Making Time», un single qui va en faire tomber plus d’un et plus d’une de sa chaise. Eddie adore ce cut - We’d just be smashing the chords down - Et là on tombe droit sur le vieux cliché de l’archet qu’on nous rabâche depuis des années dans tous ces horribles magazines de rock. En utilisant l’archet, Eddie voulait juste maintenir sa note - I was looking for long sustain - Il voulait sustainer son Mi et marteler des notes sur la corde à vide, ce qui lui permettait de faire deux choses à la fois. Il s’intéressait beaucoup aux weird sounds. Les Creation s’entendaient à merveille avec Shel Talmy, un homme providentiel, puisqu’il ne s’intéressait qu’à l’énergie des groupes. Les sessions d’enregistrement allaient vite - It was all done pretty quickly, first or second take - Ils enregistraient sur un trois pistes. En plus Shel Talmy ne leur imposait pas de baisser le son : en studio, les Creation jouaient au même volume que sur scène. Full blown sound ! Ça s’entend.

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    D’ailleurs, sur scène ils commencent à jouer avec les fameux Marshall stacks - A big sound, four 4x12s. You could really feel the sound - On commence alors à les comparer aux Who, ce qui paraît absurde aux yeux d’Eddie - The Who never influenced us. We never saw them play and they never saw us - Eddie ajoute qu’un joue un roadie vient lui dire : There’s a band in West London doing your act, they’re called the High Numbers ! - Et Eddie lui fait cette réponse superbe : So wot ? - Jouer «Painter Man» sur scène leur donne une idée : pourquoi ne pas en profiter pour faire du pop art ? Et hop, ils fabriquent des grands châssis et achètent des pots de peinture. Kenny Pickett peint sa toile sur scène, dans le feu de l’action, et la détruit. Chaque soir, c’est le même cirque. D’où l’expression : Our music is red with purple flashes qui va devenir le titre du très beau livre que Sean Egan leur consacre. Ils deviennent extrêmement populaires en Allemagne, en France et en Hollande, mais pas en Angleterre ! Comme c’est bizarre... Vous avez dit bizarre ?

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    Planet Records se casse la gueule en 1966 et les Creation se séparent de Tony Straton Smith. La situation du groupe se dégrade encore un peu avec le départ de Kenny Pickett. Il pourrait bien avoir été viré, car, comme le rappelle Ronnie Wood dans ses mémoires, les Creation avaient la manie de virer les gens. Mais la vie continue et le groupe retourne en studio avec Shel Talmy pour enregistrer le très ironique «Can I Join You Band». Bob Garner chante à la place de Kenny Pickett. Et comme Bob ne joue plus de basse, le groupe recrute Kim Gardner, qui vient des Birds. En 1967, ils enregistrent «Tom Tom» au studio Pye. Puis après l’enregistrement du fabuleux «How Does It Feel To Feel», Eddie Phillips quitte le groupe - The band had run out of steam - Les Creation tournent encore un peu en Europe jusqu’au moment où Bob Garner jette l’éponge. Kim Gardner se sent bien seul et il fait venir son veux copain Ronnnie Wood qui jouait avec lui dans les Birds. Kenny Pickett revient alors chanter et les Creation reprennent un peu de couleurs. Cet ultime line-up de Creation enregistre trois singles, dont une reprise du «For All That I Am» des Tokens, avant de jeter l’éponge pour de bon, en juin 68.

    Eddie Phillips joue ensuite de la basse dans TNT, le backing-band de PP Arnold. Kenny Pickett travaille aussi pour elle, mais en tant que chauffeur.

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    Le coffret Edsel ressemble à s’y méprendre à un passage obligé, pour tout fan non seulement des Creation, mais aussi du son freakbeat des années de braise, comme dirait l’humble Mohammed Lakhdar-Hamina. On trouve quatre CD et un DVD dans ce coffret béni des dieux. On découvre dans le DVD l’interview d’un Eddie Phillips admirablement bien conservé, pour un mec de son âge. Il raconte comment il a construit sa guitare et son ampli, voici soixante ans. Puis il se souvient d’avoir vu Buddy Holly - He was really an influence - Et quand il évoque l’année 66, il sort ça : «Great time to be in London. Great feeling around» - Eh oui, c’est là que ça se passait. Il se souvient de son premier Ready Steady Go avec Little Richard et il rappelle que les Creation n’enregistraient alors que des singles, pas d’albums - Yeah weird sounds were our department, really - et il ajoute : «Kenny was great to work with.» - Et quand l’interviewer lui demande pourquoi Psychedelic Rose n’est pas sorti à l’époque, Eddie ne sait pas - Honestly I don’t know - Et pouf, on embraye sur un Live German TV Show, avec «Making Time». Les jeunes Allemands dansent le jerk, Bob Garner joue au doigt sur une basse Gibson SG et Eddie gratte sa demi-caisse. Il passe de beaux claqués de claquemure, mais il fait hélas le con avec son archet. On retrouve du Pete Townshend chez Eddie mais certainement pas du Keith Moon chez Jack Jones qui bat lourd et lent. En 1967, Kenny n’est plus là et c’est Bob qui chante. Kim Gardner joue de la basse. Avec ses lunettes noires, Bob Garner a une allure de rock star. Il n’a pas la voix, mais assez de prestance pour passer «Painter Man» comme une lettre à la poste. Ils jouent en rang d’oignons comme les Move. Ah le British beat ! Ces mecs étaient nés pour ça. Et pouf, on saute en 1993, au Mean Fiddler. Kenny a pris du lard, Eddie a maigri. Ils tapent dans «Life Is Beginning», pure pop psyché d’Angleterre, avec la magie vocale des unissons polissons. Eddie joue maintenant sur Strato, avec un son clair comme de l’eau de roche. Il solote au long cours avec le panache qu’on lui connaît. Kenny rappelle qu’ils n’ont pas joué ensemble depuis 25 ans. C’est dingue ! Et ils envoient «Nightmares» qui sonne comme un hit des Who, avec le tralala du lalalalalalala. S’ensuit un concert filmé en 1995, au même endroit. Kenny a maigri, «Biff Bang Pow», pur slab de garage sixties. Bob Garner est toujours aussi bien coiffé. Eddie reste bien frénétique dans ses solos d’hyper-gratin dauphinois. Ils jouent les accords des Who («I’m A Boy») dans «Try And Stop Me». Eddie s’efforce ensuite de rester fidèle à l’esprit du «Hey Hoe» de l’ami Jimi, et puis avec le temps, les coups d’archet de «Making Time» deviennent un peu pathétiques. Eddie claque un gros mi pour «Creation». C’est un son qui n’appartient qu’aux mighty Creation. Et ça sonne comme un hit. Ah il faut voir ce guitariste shooter la flamboyante pop anglaise des sixties. C’est un moment d’histoire et soudain, il envoie les premiers jets d’une potion magique nommée «Power Surge».

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    Les quatre CD font de la chronologie. Ça démarre avec les Mark Four en 1964 sur le disk 1, et sur le disk 3, on trouve le fameux Psychedelic Rose jamais paru. Et bien sûr, le disk 4 propose l’effarant Power Surge.

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    Les Mark Four swinguaient bien, leur cover de «Rock Around The Clock» passe comme une lettre à la poste. Il faut aussi entendre le solo qu’Eddie passe dans «Crazy Country Hop». Quel son ! Tout est trémoloté jusqu’à l’os. Tiens, voilà un hit digne des Who : «Work All Day», rageur et joué au riff vengeur. Ils font aussi du Dylan («Going Down Fast») avec une pince à linge sur le nez. Incroyable mais vrai. Ils adorent le Dylan électrique de l’âge d’or. Et hop, on passe aux Creation et aux versions mono des gros hits : «Making Time» (drivé à la basse, Shel Talmy sature le son, on est en pleine démesure), «Painter Man» (hit muddy de Shel Talmy, bassmatic de dingoïde, Bob Garner fait tout le sale boulot, avec des coups de bas du manche, c’est lui qui allume le cut), «Biff Bang Pow» (Mod shuffle, explosif, désolé, mais c’est du génie pur, et Eddie enquille un killer solo, ah l’enfoiré ! Message à tous les garagistes : avant même de commencer à vouloir peigner la girafe, écoutez «Biff Bang Pow». Tout y est), «Nightmares» (ils se prennent pour les Who), et puis avec cette somptueuse cover de «Cool Jerk», ils capitalisent sur les Capitols, «Can I Join Your Band» (classique freakbeat imparable), «Through My Eyes» (heavy Psychout de rêve humide, Eddie passe un solo remarquable, on ne dira jamais assez à quel point ce mec peut être exceptionnel), «How Does It Feel To Feel» (le hit définitif des Creation, plongée garantie dans un océan de bonheur, la fibre psyché devient palpable, Eddie porte un jabot et tombe sur le râble du cut et l’expédie ad patres). Vous ne trouverez pas ça ailleurs. Le génie sonique des Creation dépasse tout ce qu’on peut imaginer.

    On trouve sur le disk 2 les versions stéréo des hits. Et des surprises comme une version explosive de «Bony Moronie», un modèle pour l’époque, un vrai template platonicien. Eddie et ses amis réincorporent l’énergie du vieux rock’n’roll dans la fournaise Moddish. Eddie finit avec un solo à l’agonie absolument dément. Et puis il y a ce truc qui s’appelle «For All That I Am», un joyau freakbeat embarqué en enfer par cette brochette de surdoués. Extraordinaire tension pop. C’est même pire que ça : les Creation transcendent la pop, à un point qu’on ne peut imaginer tant qu’on a pas écouté ça de près. Le cut grimpe en flèche et Bob Garner glougloute sur sa basse. Dans les versions stéréo des grands hits, la voix de Kenny Pickett sonne comme le clairon de la Brigade Légère. En fait les Creation traitaient d’égal à égal avec les Who. Eddie était alors the real killer guitar-man de Londres, beaucoup plus virulent que Pete Townshend. Et si on y réfléchit bien, le freakbeat des Creation se distingue par son outrecuidance. Il faut aussi les entendre faire exploser «For All That I Am» au firmament. Seuls les Creation étaient alors capables d’un tel exploit.

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    On retrouve quelques bricoles de Mark Four sur le disk 3 et notamment cette énormité intitulée «Hurt Me If You Will», datant de 1985. Hallucinant ! Et puis on tombe sur cet album enregistré en 1987 et seulement paru en 2004 : Psychedelic Rose. C’est là que se nichent ces hits que sont «Lay The Ghost» (une falaise de marbre qui s’écroule dans l’écume des jours, hit majestueux, très mélodique, un brin prog, c’est vrai, mais Eddie prend le parti-pris de la divine heavyness), le morceau titre (joli stomp de pop qu’il faut avoir entendu au moins une fois dans sa vie), «Dog It My Way» (impressionnant placage d’accords d’Eddie, on sent qu’ils visent le sommet de la pop, mais Ken chante trop perché, il s’éloigne de la rive et fait le tapin). Disons que l’album est mal foutu, peut-être sur-produit, même la version de «Making Time» racole sur le boulevard. Et de cut en cut, on voit les pauvres Creation s’enfoncer dans la putasserie. Quand on écoute «White Knight», on croirait entendre Boney M. Ils barrent carrément en couille avec «Spirit Called Love» qui sonne comme de la no-wave de la pire espèce et bien sûr, le pauvre Eddie boucle avec sa «Jimi Hendrix Trilogy» qui est une vraie catastrophe.

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    Heureusement, le disk 4 relève le niveau avec «Power Surge» et ce beautiful «Creation» saturé de son et ravagé par la basse de Bob Garner. Après le refrain mélodique, Eddie part en vrille de génie pur. Voilà ce qu’il faut bien appeler un répondant au dessus de tout soupçon. Et les basslines de Bob, quelle bénédiction ! Tout est là. Morceau titre lui aussi imparable. Il faut tout de même préciser que Joe Foster produit cet album, donc ça sonne. Et ils replongent dans le pur jus de sixties Mod Sound avec «Someone’s Gonna Bleed». Toute la stupéfaction des Mods black-bombérisés est là, c’est le cœur du mythe, son purple heart, l’étendard du Moddish beat claque dans l’azur immaculé. Ce génie pop est infesté de requins et d’accords d’Eddie Phillips. Encore un merveilleux coup d’extase fondamentale avec «Shock Horror». Franchement, cet album est un don du ciel. Les Creation créent l’illusion. Et voilà le stoner d’Eddie la bête : «Killing Song». C’est une véritable incitation à la démesure. Eddie drive ça à sa manière, sans pitié pour les canards boiteux. C’est joué au beat de jump avec une incroyable énergie. Comme on le voit avec «City Life», Eddie déterre toujours la hache de guerre. Pour le meilleur et pour le pire - Living in the city - Aw, c’est bardé de son. Eddie joue tout à la distorse mélodique. On entend Bob faire des siennes dans «English Language». Quel bassman ! Tout ça se termine avec deux cuts solo d’Eddie, «Woodstock Daze» et l’effarant «Good Times», ultime coup de Trafalgar.

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    C’est un plaisir que de mettre le grappin sur la version vinyle de Power Surge, un album qui va tout seul sur l’île déserte. Il n’a même pas besoin de nous. C’est l’un des plus grands classiques de rock anglais de tous les temps. Vous ne trouverez pas un seul déchet sur cet album. Il ne compte pas moins de deux coups de génie, à commencer par «Creation» qui ouvre le bal de l’A, un hit gorgé de son et dévoré de l’intérieur par la walking bass de Bob Garner. Ce truc peut hanter un fantôme. Et puis soudain, éclate ce refrain divin que visite la grâce elle aussi divine. L’autre absolu stormer s’appelle «Someone’s Gonna Bleed», claqué d’entrée de jeu à la Stonesy, et puis ça vire Moddish overdrive. Voilà encore un hit séculaire. C’est d’une indécente supériorité. Comme on l’a déjà indiqué, c’est Joe Foster qui produit, d’où le gros son de cet album miraculeux. Oh il faut entendre Kenny clamer Electric power surge comme un cake ! Le «Nobody Wants To Know» qui ouvre le bal de la B répond à une volonté d’imposer un son à coups de talon. C’est en plus gorgé de qualités mélodiques, puis ils tapent «City Life» au gros British beat saturé. On retrouve cet équilibre unique au monde entre le psyché pop et le beat du démon. Encore plus fascinant : «Free Men Live Forever», just perfect, et ça continue avec «Ghost Division», plus heavy, bardé de chœurs fantômes - Ghost/ Ghost division/ Ghost/ Ghost division - C’est le genre de chose qui peut marquer l’esprit au fer rouge, surtout que Bob Garner rôde dans le coin avec un gros son bien rond. Et ça se termine avec «O+N», une nouvelle échappée belle digne des plus grandes heures du Duc de Berry. On assiste là à une complète libération des atomes du rock. Kenny Pickett n’en finit plus d’emmener son beat à l’assaut du ciel.

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    Tout aussi indispensable, voilà Lay The Ghost, un album de reformation enregistré live au Mean Fiddler, 26 ans après le split du groupe. Dès «Batman/Biff Bang Pow», on voit que les Creation n’ont rien perdu de leur légendaire vigueur. Ils restent Moddish jusqu’au bout des ongles, il faut entendre Bob Garner rouler ses gammes en sous-main. Quelle classe ! «Life Is Just Beginning» sonne tout simplement comme un hit des Who. Puis ils tapent dans «I’m A Man», mais ce n’est pas aussi bon que la version enregistrée avec les Pretties. Eddie ne le rejoue pas à la note suspendue. Dommage. Et on retrouve les fiévreux accents Whoish - La la la la la la - dans «Nightmares», pur jus de rut ado. On tombe en B sur une fabuleuse version de «Tom Tom». Ils n’ont rien perdu de leur éclat. C’est tout simplement exceptionnel. Eddie multiplie les figures de haute voltige, il joue tout au gras du bide et en thématique infectueuse. Lui et Ronno sont vraiment les deux guitaristes les plus fascinants d’Angleterre. Kenny indique au public que «Lay The Ghost» a été écrit spécialement pour la reformation du groupe. Ils n’ont vraiment rien perdu de leur faculté à légender dans les brancards - On the road to nowhere - Les riffs d’Eddie puent l’élégance à dix kilomètres à la ronde. Et pour corser l’affaire, ils attaquent «How Does It Feel To Feel». Le public les acclame. Le ciel nous tombe sur la tête. C’est une fournaise. Il n’existe rien d’équivalent en Angleterre. Ils terminent avec «Painter Man». Eddie sonne exactement comme le early Pete des Who et les chœurs sont ceux des Who. On appelle ça du mimétisme.

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    En 1990, Eddie Phillips avait enregistré dans la plus parfaite indifférence l’album Riffmaster Of The Western World. On y trouve deux prunelles de nos yeux, une reprise d’«High Heel Sneakers» et une version pharaonique d’«How Does It Feel To Feel». L’High Heel est sabré d’entrée de jeu, ce sacré Eddie sait créer la sensation définitive, il nous gratte ça à la mythique sévère, yeah yeah yeah, c’est joué jusqu’à l’os. Même chose pour l’How Does It Feel, riffé de frais, légendaire dès les premières mesures. Comment pourrait-on définir Eddie Phillips ? Le mage du magistère ? Le maître de Marguerite ? Le master de masse ? Ce qui nous harponne le plus le cœur, c’est sans doute sa sublime approche de la heavyness psychédélique. On reste en awe devant le suspensif du pont suspendu. Il lâche des claqués d’accords mirobolants et joue le rock psychédélique anglais au mieux des possibilités maximalistes. Tout est très fascinant, sur cet album à petite pochette noire, tiens par exemple cette «Hendrix Trilogy» qu’il nous ressort des limbes. Il démarre avec «Hey Joe» et on s’en doute, ça vire à la catastrophe, car Eddie n’a pas la voix requise pour hey-jotter comme l’ami Jimi. Tragique et ridicule. Eddie perd tout le mess around. Alors il se fond dans «The Wind Cries Mary», sauf que la voix fait toujours pâle figure. C’est atrocement beau, mais Jimi nous manque - And the wind cries no more - Alors Eddie part en solo épidermique et ça se réveille subitement avec «Purple Haze», Eddie joue la carte du sustain de haze et s’en trouve fort à son aise, il skus-me-while-I-kiss-the-sky comme il faut, et pour maintenir la température, il enchaîne avec une belle version de «Midnight Hour». Il part la fleur au fusil, il nous claque ça au riff de l’East End, on le sent dévoué à la cause, nous voilà une fois de plus avec une version sévèrement riffée, ça ne rigole plus. Quand Eddie veille au grain, il veille au grain ! Le «Riffmaster» d’ouverture du bal vaut aussi le détour, c’est riffé sur un épais velours de l’estomac, Eddie sait soupeser les couilles du son. Chez lui, tout n’est que soupesage, riffage et volubilité suspendue. Il termine avec un «Mumbo Jumbo» monté sur le bon vieux Diddley Beat. Pauvre Eddie, il doit faire des pieds et des mains pour se faire admettre chez les consommateurs et tous ces ingrats qui n’entravent rien. Comme il est difficile d’être une légende du siècle. Victor Hugo, l’exilé de Guernesey, en savait quelque chose.

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    Eddie revenait en 2011 avec l’impressionnant Woodstock Daze, un album bardé de son. Dès le morceau titre, il envoie un shoot de Phillips daze dans le cul flappi de l’inconscient collectif. C’est un brin Walrus dans l’esprit, mais avec des trompettes joyeuses et une dynamique de brit-pop sixties. Notre héros connaît les secrets du son. Et ça continue avec «Waiting At The Crossroads», fabuleux shoot de boogie blues qui fleure bon la T. Rex-mania et l’Unstoppable Carter, c’est modelé dans l’enfer du son - Love have mercy/ Waiting at the crossroads - Eddie nous sonne bien les cloches, en vrai coq de Clochemerle et le voilà qui vrille sa bobine de solo, quel enfoiré ! Il tape une reprise de son vieux «Biff Bang Pow», ça sonne comme un réflexe et ça vire à la dementia collectivita de garage anglais, c’est d’une classe outrageante et embarqué au coulage de bronze d’Eddie doo doo doo you care for me/ Gotta move along babe, et il passe un solo de trille évangélique. Eddie règne sans partage sur la Creation. Il n’existe rien d’aussi devastating, darling. Il nous indique le chemin de la Mecque frénétique. On se pâme aussi devant «If I Ever Stop Moving», bouquet de relances extravagantes, tout est gonflé à l’hélium, et si tu veux entendre un LP de rock anglais pur jus, c’est là. Il finit avec une doublette démentoïde, «Good Times» et «PsychArelic», histoire de nous laisser le meilleur des bons souvenirs.

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    Oh et puis, il y a l’ouvrage de Sean Egan, Our Music Is Red With Purple Flashes: The Story Of The Creation qui jette une lumière pour le moins psychédélique sur l’histoire mouvementée du groupe. Il revient assez longuement sur la frappante ressemblance de look et de style entre Pete Townshend et Eddie Phillips - both skinny, black-haired axe-weilders with a similarity in the nose department - et il étaye son parallèle avec les changements des noms (Mark Four et High Numbers qui deviennent les Creation et les Who), ces deux groupes qui sont des quatuors, explosive and melodic music, pop art, et le même découvreur/producteur, Shel Talmy. Pete Townshend reconnaît que Dave Davies, Capton et Jeff Beck happened on feedback at the same time - But I was the loudest ! Sean Egan revient longuement sur Strat qui en plus des Creation manageait les Koobas et Beryl Marsden. Bien sûr, les Creation ne savaient pas que Strat était gay, comme l’étaient Simon Napier-Bell et Brian Epstein. La première chose que fit Strat fut de virer le bassman Tony Cook qui n’avait pas de look - small dumpy guy - pour le remplacer par Bob Garner. Ça faisait un blond dans un groupe de bruns et à l’époque, ça pouvait revêtir une certaine importance. Qui voit-on sur les pochettes des Stones et des Yardbirds ? Brian Jones et Keith Relf ! On ne voit qu’eux. Et quand Strat leur propose d’abandonner le nom de Mark Four pour s’appeler the Creation, ils rétorquent que ça fait un peu bible - It’s a bit bible, innit?» - et Strat le stratège leur répond : «That’s right. The Creation - we’ll create.» Comme on la déjà dit, dans l’histoire des mythes, le moindre détail revêt une importance considérable.

    C’est Strat qui connaît Shel. Sean Egan rappelle que Shel Talmy est un producteur auteur, dans le même esprit que Phil Spector, ce qui est très différent du style de Mickie Most qui fabrique des hits à la chaîne. Comme Spector, Talmy sait tirer le meilleur profit d’un groupe (les Kinks, les Who et les Easybeats sont là pour le prouver). Talmy rappelle qu’à son arrivée en Angleterre, les groupes jouaient du polite rock, y compris les Beatles et les Kinks. Pour lui, les Stones et les Who furent les premiers à partir dans une autre direction et les Creation aussi, vers quelque chose de plus psychédélique. Talmy enregistre les Creation live, il veut du real raw. Il ne s’intéresse qu’à une seule chose : l’énergie des groupes. À ses yeux, les Creation ne sont pas des grands musiciens, mais le groupe sonne bien. Alchimie ? - That is exactly the word. They were greater than the sum of their parts. Shel parle comme Paracelse. Il n’y a pas de hasard.

    Sean Egan revient aussi longuement sur le mystère de Toutankamon : a-t-on vraiment proposé à Eddie Phillips un job de guitariste dans les Who ? Pete Townshend rappelle qu’à une certaine époque les Who battaient de l’aile. Moony et John Entwistle en avaient marre de ce con de Daltrey qui leur tapait dessus et ils pensaient monter Lead Zeppelin (sic) avec Jimmy Page et Jeff Beck. Alors Pete devait anticiper et imaginer un moyen de renaître des cendres des Who. Il aimait bien Eddie Phillips. Il avait aussi repéré Phil Chen qui jouait de la base dans Jimmy James & the Vagabonds.

    Pourquoi le groupe a viré Strat ? Parce qu’il empochait tout le blé sans rien redistribuer. Comme McLaren, il prétendait «investir» l’argent du groupe dans des «projets». Alors, ils se sont tournés vers Robert Stigwood qui était alors un manager de renom, mais il avait déjà trop de boulot avec les Bee Gees. Sean Egan revient aussi longuement sur la mouture finale des Creation, celle qui a suivi le départ d’Eddie Phillips en 1968. Comme Ronnie Wood l’avait remplacé, les Creation se mirent à sonner comme BB King et ce fut la fin des haricots. Amen.

    Kenny Pickett postula pour le job de chanteur dans Led Zeppelin et il devint leur premier tour manager. Kim Gardner monta Ashton Gardner & Dyke. Quant à Eddie, il aurait pu remplacer Steve Marriott qui venait de quitter les Small Faces. Mais on ne lui avait rien demandé. Alors pour vivre, Eddie va conduire le bus 38 - Goes up to Victoria, went up to Leyton, right throught the West End - Et quand sonne l’heure du comeback, Alan McGee songe à solliciter Shel Talmy, mais Joe Foster veut s’en occuper. Dommage.

    Signé : Cazengler, créafion

    Creation. We Are Paintermen. Hit-Ton 1967

    Creation. Lay The Ghost. Cohesion 1993

    Creation. Power Surge. Creation Records 1996

    Creation. Creation Theory. Edsel Box Set 2017

    Eddie Phillips. Riffmaster Of The Western World. Promised Land 1990

    Eddie Phillips. Woodstock Daze. Deliverance Of Sound 2011

    Oregano Rathbone : Bow Selector. Record Collector #465 - April 2017

    Sean Egan, Our Music Is Red with Purple Flashes: The Story of the Creation. Cherry Red Books 2004

    Sur l’illusse, de gauche à droite : Kim Gardner, Jack Jones, Eddie Phillips et Bob Garner.P. S. : voir aussi l'article sur Shel Talmy – du même Cat Zengler – in KR'TNT ! 3339 du 14 / 09 / 2017.

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    Lecteurs fidèles, vous êtes comme les mouches, vous aimez le sang. Le stupre et la violence sont les uniques raisons pour lesquelles chaque semaine vous vous jetez sur ce blogue. Vous faut votre ration hebdomadaire de rock'n'roll qui tâche, qui saigne et qui tue. Et bien ce soir ce sera différent. Du calme, de la douceur, de la tendresse. De la gaze, du satin, du velours. Ne vous y fiez pas trop toutefois. Prudence avec les rockers, z'ont toujours un parapluie bulgare sous le coude, au cas où.

     

    03 / 03 / 2018FLOW

    HOMMAGE A ELVIS A PARIS

    JAKE CALYPSO / RICKY AMIGOS

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    La Seine est haute, mais the boat-flow est resté sagement à flot. Nec Mergitur. Facile à trouver, 48 ° 51 ' 47,8 '' de latitude, 02 ° 18' 53,6'' de longitude. Si vous n'avez pas de sextant dans votre poche, il est beaucoup plus simple de filer sur les quais, au bas du pont Alexandre III, rive gauche de la Seine, sur votre droite, le dos au dôme des Invalides. Restaurant et salle de concert, le Flow donne dans l'évènementiel des nuis parisiennes. Ce soir, de 19 heures à 23 heures Jake Calypso, et après soirée dance-bouillon-klub jusqu'à six heures du matin.

    Belle salle et vaste scène dans les tréfonds de la coque qui se remplira comme un œuf. Délégation du 3 B, emmené par Duduche, le fan absolu d'Elvis, beaucoup de têtes connues, la tribu rockab a répondu à l'appel d'Elvis. Treat Me Nice, le Club des Amis d'Elvis, associé à l'évènement, offre enregistrements rares du fils de Tupelo et distribue calendrier de poche à l'effigie du matou des collines sauvages.

     

    RICKY AMIGOS

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    Voulais le voir depuis longtemps. N'avais fait que l'apercevoir dans le public à un concert de Les Ennuis Commencent. L'est des conjonctions associatives qui remplacent aisément dix pages de texte et plus de trente ans d'explication de carrière. Riky Amigos c'est du rokab de bronco, ce dernier terme signifiant cheval libre et sauvage définit à merveille ce style qui galope dans les grandes plaines et hennit près des grottes sévillanes des gitans espagnols. Bref le voici, entouré de sa cavalerie, debout au milieu de la scène, occultant totalement Moza Pop derrière ses drums, J-P Maynadier crâne lisse comme une boule de billard, basse aux riff lourds comme des fanfares de mariage, dit El Primo, le premier cousin de la famille à émettre d'impertinentes remarques entre deux morceaux, l'imposant El Melenas prêt à faire gémir et couiner sa Gibson à la manière d'un chien dont vous vous amusez à scier les pattes juste pour voir s'il a mal. Ricky est au centre de ses amis, chemise rouge à pois blancs, guitare en main, une Madrilena précisera-t-il, les deux premiers titres me surprennent. Sonnent très groupes français, années soixante, Cette Fille, sans surprise qui lui a brisé le coeur et rendu fou, le scénario classique qui sent la malédiction du rocker à plein tube, avec une diction d'un art consommé, et Hé Cormoran ! le volatile monte haut, une cantilène aigre-douce sur le temps qui passe, et la loose qui vous colle à la peau à l'instar de ces nappes de pétrole peu écologiques qui vous enduisent les oiseaux marins d'une mortifère gluance. Ricky fait sonner les mots avec l'art consommé d'une ironie toute amicale. C'est ensuite que l'Espagne pousse sa corne, La Vida Pasa, Flor de Cristal, Casa Felix... y toda la sagrada familia dont je vous épargne l'énumération, l'on passe les Pyrénées, voici le roll-fandango, le rock-flamenco, le troll-alegria et le troc-buleria, El Melenas s'en donne à coeur joie, l'adore les licks qui tombent sans vous avertir en plein milieu d'une farandole, goutte à goutte, en plomb fondu sur votre cabosse tandis que le Maynadier vous rajoute deux louches sur les pieds pour vous donner envie de danser. Ne me demandez pas pourquoi Moza Pop se lève à chaque fin de morceau, afin de faire le tour de sa batterie et revenir s'asseoir sagement comme si de rien n'était.

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    L'Amigos s'en tient à sa diction impeccable, vous découpe le spanish language au laser et vous le tend brûlant. Le mec qui vous fout le feu à la forêt amazonienne en frottant une allumette. L'a la salle dans la boîte, alors nos quatre commancheros vont porter l'estocade, par quatre fois, Firmamento, le grand jeu des guitares emballées, Loco Loquito, un brin de folie n'a jamais tué personne – du moins nous on en est ressortis vivants. Mais voici L'Autobus de la ligne 179 qui s'avance. File à toute vitesse. Normal, adaptation française du Cadillac de Vince Taylor, même scénario, la fille dedans que l'on ne revoit jamais. Un truc à vous rendre dingue épileptique. Pas le temps de se calmer, un Heartbreak Hotel – n'est-ce pas une soirée Presley ? - à vous briser el corazon sin razon, et même pas le temps de s'apitoyer sur notre vie détruite par ce tourment rock, c'est fini. Commencent à débrancher, Patrick Renassia – un bienfaiteur de l'humanité ( accessoirement un des producteurs de la soirée ) s'empare du micro et au grand soulagement du peuple prêt à prendre les armes il donne le feu vert pour un ultime morceau. Evidemment ces traîtres d'engeance spaniarde vont finasser pour notre plus grand plaisir, That's All Right Mama, avec en sandwich au milieu, quelques wagons du Mystery Train. Finissent sous une salve d'applaudissements, mission remplie, la salle est chaude comme le mois d'août sur la Costa Brava ! Côte sauvage !

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    INTERLUDE

    Mesdames, Messieurs, je requiers votre plus grande attention. Le concert auquel vous allez assister ce soir, est un peu spécial. Déroge entièrement aux lois calypsiennes de la gravité rock'n'rollienne. Je me permets, dans le silence religieux dont vous faites preuve et pour lequel je vous remercie, de vous présenter le quintette qui nous fait l'honneur de nous présenter quelques ariettes impérissables du compositeur Elvis Presley. Sur votre gauche, on the keyboards, Pascal Mercier, vous notez l'extrême concentration avec laquelle il contemple son clavier, à ses côtés l'archet en main, les cheveux à la Beethoven qui lui mangent le visage, romantiquement au garde-à-vous près d'une vénérable contrebasse c'est Stéphane Bihan. A droite, assis bien droit sur sa chaise, qui tient impeccablement sa guitare, c'est Christophe Gillet que vous connaissez pour la fluidité de ses soli dans l'ensemble harmonique des Hot Chikens. Enfin si vous me permettez d'exprimer quelques doutes sur l'interprète suivant, incapable de retenir ses sourires aguicheurs, les bras en désordre, je dénoncerai la présence de Thierry Sellier, l'habituel timbalier des mêmes Hot Chikens déjà cités.

     

    JAKE CALYPSO

    And the Flaming Stars

    Patrick Renassia quitte la scène. Vient de rappeler que la soirée est dédiée à Elvis, que Jake Calypso, reprend son disque 100 miles, produit par Rock Paradise Records, consacré aux slows d'Elvis enregistrés pour les bandeS-son de ses films, Jake le rappellera lui-même plus tard, non ce soir il n'y aura pas de poirier sur la grosse caisse, non il ne se roulera pas par terre, ce soir c'est spécial de chez spécial...

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    Tout doux, tout doux, c'est parti, Christophe Gillet égrène des notes avec une application d'écolier sur sa guitare, et Jake Calypso paraît dans une splendide chemise rouge, la classe, flashy, le gilet que Théophile Gautier devait arborer la même teinte cardinalice, la même sénatoriale pourpre laticlaviaire, le soir de l'hugolienne première d'Hernani, pour être resté aussi célèbre. S'assoit, dos droit comme un I majuscule, en une pose quasi-hiératique, guitare sur les genoux, timbre clair mais mi-voix susurrée dans le micro, en plein dans le lent tempo tandis que sur le grand écran derrière défilent des photos d'Elvis, devant ses cadillacs surchargées pour partir en tournée et très vite, les chastes et passionnées embrassades ( not me too ) avec les différentes actrices de ses films.

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    And fhe Flow slows, à peine, même pas un roulis, l'assistance l'oreille dressée, écoute les ritournelles, qui s'enchaînent, Jake raconte en quelques mots les circonstances dans lesquelles il a enregistré les voix, plus ou moins clandestinement, autour de Memphis dans les lieux hantés par Elvis, Home is Where the Heart Is, I will be Home Again, un très beau Suppose – la plus difficile à chanter d'après moi, dépouillée, juste un filet de voix et la nudité de quelques notes errantes de guitare... s'en tire bien Jake the Snake, se faufile en les ballades sentimentales, arpèges voluptueux de couleuvre paresseuse, et consommé d'orgue traînant, et puis merveilleuse apparition, Lina Belaïd, toute belle, toute fraîche, qui s'installe sur une chaise et qui nous fait pleurer son violoncelle, nous envoûte de longs sanglots funèbres, avant de s'éclipser en emportant en son sillage notre âme de rocker attendrie.

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    Voyez-vous le slow, c'est bien. Mais il existe encore un truc supérieur. Le slow-rock. Calypso en clame le titre très fort : Flaming Star ! , en prime on a droit aux extraits du film, Jake en profite pour lancer au galop le bel appaloosa qui passe sur l'écran, la tension monte d'un cran dans la salle. J'avais deviné juste, la cavalcade terminé, tout le combo rentre dans le rang, sauf Monsieur Thierry Sellier, l'avait déjà forcé sur les breaks durant l'étoile en flammes, mais il ne s'arrêtera pas là, dans la série des sweeties romances qui suivent, il pousse un peu, aux coups de ses balais l'air de rien de plus en plus appuyés, les jolies déclarations dans les orties rockollifères, à tel point qu'après I'll Remember You et Poketful of Rainbows, Jake Calypso rajoute un titre, qui n'appartient pas au CD 100 Miles, un blues assure-t-il et il nous fait crépiter A Mess Of Blues, d'une façon peu académique si l'on s'en tient aux rustiques rudiments du blues.

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    Vous le fait valser à cent à l'heure. La salle exulte, n'y tient plus lui-même, se lève, arpente la scène, jette la veste, court vite se rasseoir comme un gamin en faute que l'on vient de surprendre en train de chouraver du gâteau dans le frigo au lieu de plancher sur son devoir de math. Bref si nous osons une traduction métaphorique foireuse, une messe en bleue pas très catholique qui sent un peu trop le grand soufré. Calmons-nous, pas de panique, Wild in the Country, Today Tomorrow & Forever – l'est si convainquant l'oison diabolique que si j'étais une fille j'y croirais, Milky White Way, d'une bien belle manière, Lina Belaïd est revenu faire gémir et bramer son violoncelle tel un cerf accablé de chagrin au fond des bois, mais cette fois, l'on est moins émus, nos larmes sont taries et malgré cette douceur angevine digne de Du Bellay avec laquelle elle effleure son instrument, l'ambiance a changé, l'on sent que l'orage électrique approche.

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    Un seul coupable, Thierry Sellier, vous assène les trois coups de semonce fatal, la semence foudroyante du destin qui s'écroule sur vous sans que l'ayez invitée, If youre looking for trouble, keep the rigth place, Calypso encore tout emberlificoté dans son acoustique nous menace dans son micro, vous repousse chaises, guitare, micro en un coup de vent ( avis de tempête ) et les Flaming Stars explosent. Stéphane Bihan slappe comme s'il giflait son percepteur, Christophe Gillet, ne frôle plus sa guitare comme s'il jouait de la harpe, la métamorphose en harpie vengeresse, vous envoie sans pitié des riffs de feu furieux qui vous affolent, et Pascal Mercier atteint d'un très grave delirium tremens transforme son clavier en pumpin' piano, du coup Loison s'en vient régler son compte à une touche, une seule, un vieille histoire à apurer, on ne sait pas laquelle, mais il vous la défonce d'un doigt Little-Richardien, vengeur et terriblement opiniâtre, qui fait hurler la salle de plaisir paroxystique à tel point que l'on atteint le point G +++ de l'orgasme collectif lorsqu'il entreprend de jerrylouser la moitié des touches en longues glissades foudroyantes, à croire que l'on vous épile à vif le pubis.

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    Après cela, ils viennent tous en groupe saluer. Une honte, un scandale. Essaieront de nous refaire trois fois le coup. Inutile de dire que ce genre de combine ne prend pas. Renvoyés immédiatement au boulot. On sait bien qu'il se fait tard, mais on veut encore casser quelques œufs d'autruche de plus dans l'omelette. On a eu raison d'en redemander une grosse portion, quelques courageux et courageuses sont invités à monter sur scène et une fiesta charivarique imprégniée de ferveur gospellique embrase la salle qui catapulte a capella... Y aura encore quelques gâteries dont un Rockin to Night jamboreesque, mais c'est la fin, le salut final sous les acclamations... Patrick Renassia vient remercier public et artistes donnant rendez-vous pour un autre concert...

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    Ce n'était pas gagné d'avance, mais au poker menteur du rock'n'roll Jake Calypso et ses Flaming Stars viennent de rafler la mise, les paris, et la banque. Une soirée mémorable. Qui restera dans les annales.

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    Damie Chad.

    ( Photos : FB : Jean-Pierre Jipeka Kohut et Eric Lecaille )

    P.S. : en fin de cette livraison le lecteur curieux du disc 100 MILES de JAKE CALYPSO, parue dans la 339 ° édition de KR'TNT ! Du 14 / 09 / 2017

     

    BASHUNG

    VERTIGE DE LA VIE

    PIERRE MIKAÏLOFF

    ( Editions Alphée – Jean-Paul Bertrand / 2009 )

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    Les copains m'avaient prévenu, tu verras c'est le meilleur, mais je n'ai pas fait d'effort pour le rechercher. Comme les petits oiseaux j'attendais qu'il me tombât tout cui-cui sous la main, ce qui n'a pas tardé à se concrétiser. La faute à la barrière du train qui m'a permis de visionner le paysage, à droite et à gauche. Pile sur une armoire remplie de books à disposition des voyageurs. J'ai garé la teuf-teuf et suis allé jeter un coup d'œil, du Bordage, du Genet, et ce Mikaïloff, j'ai fait main basse, autant de pris sur l'ennemi. Avant on attachait les chiens sur les aires d'autoroute, maintenant c'est les bouquins qu'on empile auprès des gares, les gens feraient mieux de s'abandonner eux-mêmes, au moins on n'aurait pas à les récupérer.

    Quatre cent quarante pages, remarquez avec l'interligne aussi large que la Seine en crue... en plus Bashung c'est un bavard, un renfermé paraît-il, un taciturne réputé soi-disant, mais suffisait de lui ouvrir un micro pour qu'il vous en ponde des tartines. Le mec, non seulement il réalisait ses disques mais il assurait le service après-vente, vous racontait tout ce qu'il avait voulu faire, comment vous devriez le recevoir et n'omettait pas le parallèle avec la confection et la réception des précédents. Pouviez lui poser des questions sur tout, il aimait philosopher sur ses méfaits comme sur ses succès. Le regard critique en plus. Des confidences à ne plus savoir où les mettre. Mikaïloff n'en abuse point, du moins au début, parce que parvenu à la deuxième moitié, il doit être pressé de finir, alors il recopie.

    Ce qui n'est pas un tort. Rien de plus insupportable que ceux qui parlent à votre place. Ce n'est pas que victimes ou coupables vous sortent la vérité vraie, ne soyons pas naïfs. Mikaïloff recoupe dires et paroles, sans insistance mais suffisamment, pour mettre Bashung en face de ses incohérences et de ses non-dits. Ce qui n'est pas un crime en soi, n'est ni mieux ni pire que nous Bashung, repeint un peu la façade selon les circonstances. Souvent la haine recouvre nos anciennes amours. Ce n'est pas que l'on trompe les autres, c'est que l'on se renie soi-même.

    L'enfance de Bashung en Alsace ne nous y attardons pas, lui-même n'aimait guère l'évoquer. Ce n'est pas qu'elle fût déplorable ou malheureuse, seulement terne et ennuyeuse. Avec toutefois un grand soleil à l'ouest. Y avait du nouveau. Le rock'n'roll ! Le problème à l'époque ce n'était pas ceux qui découvraient le rock'n'roll, ce sont tous ceux qui sont passés à côté de cette musique, de leur unique raison de vivre. Un poids mort qui a plombé l'existence des vrais vivants. Né en 1947, touché par le rock en 1959, Buddy Holly, Gene Vincent, Jerry Lou, les Shadows, Vince Taylor, toute la tribu... L'aura un groupe, comme tout le monde, enfin presque, The Dunces, mais il ne s'arrêtera pas à si peu, vise à autre chose...

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    Qui mettra du temps à venir. Enregistre son premier 45 tours chez Phillips en 1966. L'en faudra encore vingt pour que le succès se pointe, en 1980. Pas tout à fait de sa faute. N'est pas prêt, dépend trop de ce qui l'a précédé. Ce n'est pas qu'il chante mal, c'est qu'il n'a pas encore trouvé sa voix. Les autres ne l'aident pas, ne voient pas aussi loin que lui, maison de disques, attachés de presse et producteurs sont à cent mille lieues de leur produit. Il se voudrait rocker, mais on essaie de le déguiser en chanteur de charme, en jeune homme romantique. Fiasco sur fiasco.

    Se découvre petit à petit. L'a un don pour composer des morceaux, place des chansons, pas des hits, mais cette veine créatrice sera plus tard son principal filon. Les rencontres surtout, ne fait pas ce qu'il veut mais il prend tout ce qui est à a prendre et il apprend vite. Une première rencontre avec Gérard Hugé et Noël Deschamps, Hugé un des rares producteurs français qui fonctionne à l'anglaise, qui sait que d'abord avant tout, il ne faut pas un arrangement – et pourtant les siens sont chiadés à mort – mais un son. Noël Deschamps sera le grand bénéficiaire de Gérard Hugé, Noël un des rares rockers français qui sonne originellement et originalement français alors que son alter ego Ronnie Bird reste bien près du calque anglais. Bashung fournira Ho La Hey ! à Deschamps qui plafonnera à 300 000 exemplaires.

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    Un deuxième maître. Dick Rivers qui le gardera près de quatre ans avec lui, le temps d'apprendre à se servir d'un studio – et peut-être mieux de s'y mouvoir, de réaliser un projet que l'on a en tête et qu'il s'agit de transcrire dans la réalité. Dick est décidé à relancer le rock'n'roll des pionniers en France, pas selon une rétrograde vision passéiste, mais dans une perspective beaucoup plus moderne. L'esprit mais pas la copie. Plus personne ne croit en Dick et c'est à Toulouse qu'envers et contre tous avec le groupe Labyrinthe, secondé par Jacky Chalard qui plus tard lancera le label Big Beat, qu'il va rebouster sa carrière et conforter Bashung dans une idée simple : celle d'agir au plus près de sa propre volonté. Une leçon que Bashung ne manquera pas d'appliquer dans la deuxième partie de sa vie.

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    Celle-ci débutera en 1980 avec Gaby. Et Boris Bergman. Entre temps Bashung aura participé à l'opéra-rock La Révolution Française, une expérience qui le conforte dans son incomplétude. Bergman jouera le rôle de l'accoucheur. C'est lui qui déclenchera la venue du bébé. Bergman, le parolier, lui permet de mettre les mots sur ses quatorze années de galère, et dès qu'il aura les vocables Bashung parviendra enfin à placer sa voix correctement. Ce n'est pas qu'il chantait faux ou mal, c'est qu'il prononçait les words d'une manière dont il avait confusément pleine conscience que ce n'était pas ce qu'il désirait.

    Bergman n'écrit pas des paroles que Bashung chante, jette des mots et Bashung colle les siens, dix fois, vingt fois, on améliore, on retranche, on ajoute, on repart à zéro, on sort une autre idée, l'on ne sait pas où l'on va, mais l'on sait que l'on progresse. Quand on est bloqué l'on remet Johnny Kidd et l'on repompe l'intro de Reminiscing de Buddy Holly, et l'on malaxe les mots à n'en plus finir.

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    Le succès est là, mais plus que le million de disques vendus Bashung possède maintenant sa méthode. Fera un deuxième album avec Boris puis le laissera tomber. D'autres le remplaceront avec plus ou moins de bonheur... Les détracteurs et les amis du chanteur partagent la même analyse : il n'aime pas être redevable des autres, il se sert d'eux comme d'une échelle, arrivé en haut, il la repousse du pied et en cherche une nouvelle... Pas vraiment une critique, un constat, parfois amers, parfois envieux. En Orient l'on exprime cela d'une autre manière : le disciple doit tuer le maître...

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    Musique et paroles. Les années quatre-vingt se plient à merveille à la méthode de création de Bashung. Les synthétiseurs débarquent, les studios permettent des expérimentations inédites, l'on peut se jouer de la musique comme des mots. Ce n'est pas la note qui compte mais l'ambiance qu'elle suscite, idem pour les mots, ce qu'ils évoquent est plus important que leur sens littéral. Il y a comme principe d'incertitude qui préside aux morceaux en gestation. L'on est plus près des bidouillages de Bowie sur Low que de la claire réverbe du studio Sun... Bashung se perdra quelquefois. Entre pseudo-surréalisme et verbiage la distance n'est pas énorme... l'aura aussi de superbes réussites. Saura aussi mettre de l'eau dans son vin quand le public décrochera... Le rock sans guitare est-il encore du rock, nous répondrons oui car le cas Bashung ne se résout pas selon nous à un niveau strictement musical. Mikaïloff élucide bien la problématique. Certes nous sommes loin du simplisme des paroles du rockabilly, mais attention, ce n'est pas parce que l'on essaie d'élever les lyrics au-dessus de la banquette arrière de la Cadillac que l'on ne court pas un plus grand danger. National, pourrait-on le qualifier, faudrait pas tomber dans le bourbier de la chanson française, à texte, de qualité, le pas en avant qui vous coupe irrémédiablement du rock'n'roll. Qui vous rejette dans le vieux monde des décorations et des distributions de prix.

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    Cette tentation existe chez Bashung, son album avec Gainsbourg, l'enregistrement du Cantique des Cantiques, cette recherche d'un mieux-disant poétique, d'une caution en quelque sorte morale qui vous rapproche d'un certain establishment bobocul-culturel la praline n'est pas ce que nous préférons chez lui... Ceci dit nous aimons bien le rocker déjanté, sur scène et ailleurs, cette vie de bâton de chaise, et sa dignité au moment de mourir.

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    Les copains avaient raison, le book de Mikaïloff est le meilleur de tous ceux j'ai lus sur l'artiste. Je ne l'abandonnerai pas sur une aire d'autoroute. Promis. Juré. Craché. A la gueule du monde.

    Damie Chad.

     

    BIG BEAT MAGAZINE N° 29

    ( calameo.com )

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    Le premier numéro de Big Beat parut en mai 1969. L'était une émanation de la FARC ( Fédération des Amateurs de Rock'n'roll et de Country ), regroupement des fan-clubs hexagonaux autour d'une poignée d'activistes rock admirateurs des pionniers, comme George Collange, Alain Mallaret et les frères Boyat... Le rock and roll français leur doit beaucoup... L'aventure se termina au numéro 21... Mais le phénix du rock renaît toujours de ses cendres, et en 2016 Alain Mallaret sortit le numéro 22... Exit le papier, version internet – je regrette, avec d'autant plus de force que moi-même... - Voici donc le 29°, tout chaud sorti des calames de calameo...

    Un bel et long article de Gilbert Bireau sur Dale Hawkins. Ne pas confondre avec un de ses lointains cousins Ronnie Hawkins, ne dites pas que vous ne connaissez pas, l'est l'immortel ( ce qui ne l'empêchera pas de sucer les pissenlits par la racine en 2010 ) créateur de Susie Q, ( I love the way you walk ), né en 36, Elvis et Gene en 35 pour situer, d'un père musicien, élevé par ses grands-parents avec la rigidité religieuse adéquate... grandit, sèche l'école, mille petits boulots, achète une guitare décide de devenir musicien, se retrouve à Shreveport gardien de parking au Louisiana Hayride. Ne pouvait pas tomber mieux puisque c'est là qu'il rencontre D. J. Fontana et Richard Burton. Burton qui tiendra la guitare sur Susie Q, qui paraîtra chez Chess en 1957. Pour la suite moins triomphale de l'histoire reportez-vous à l'article qui fourmille de renseignements... Vous y croiserez entre autres la figure de Merle Kilmore précédemment rencontrée dans la cronix sur le dernier livre de Michel Embareck avec Dylan et Johnny Cash... Johnny Cash que vous retrouvez avec June, photos, coupures de journaux anglais, à l'occasion de la remémoration du fameux concert de Wembley de 1971 où les intrépides reporters de Big Beat Magazine purent partager la table, et en profiter pour une interview, du Maître du Country himself, et de Carl Perkins, preuve qu'un bonheur n'arrive jamais seul. Un petit tour à Tahiti et un autre à Montauban – moins classe certes mais avec Fats Domino - ce qui change la donne, une chronique en français sur un english book consacré à la naissance des Teddies Boys, une présentation de disques – en langue anglaise - avec entre autres Eddie and The Head-Starts ( vus au 3 B ) une évocation de Louisiana Hayride, et enfin un long article sur Gene Vincent.

    Pas tout à fait un article, plutôt une recréation biographique due à la plume de David Long Tall, directement inspirée de la narration de Dickie Harrell parue pour la première fois in extenso au début des années 70 en France dans la revue Phantasm'. Les faits sont connus, mais on ne s'en lasse pas, surtout que David Long Tall met de la chair autour de l'os évènementiel. Une véritable nouvelle, vous croque les personnages à la manière des films des années cinquante, si en réalité les faits se sont passés autrement, préférez la version de David Long Tall.

    Trente-deux pages. Gratuit parce que chez certains le rock'n'roll n'est pas une marchandise mais une passion. Ou un art de vivre.

    Stupidement impardonnables vous serez, si de le lire vous omettez.

    Damie Chad.

     

    THANK'S ROCK AND ROLL

    VICTOR LEED

     

    Big Beat Records / 88 805 / 1980

    Enregistré le 17 avril 1960 au studio Davout.

    Producteur : Jacky Chalard.

    Patrick Lozac'h : lead guitar / Donald Rieubon : drums / J. J. Astruc : acoustic guitar / Freddie Legendre : slappin' bass / Victor Leed : vocal .

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    C'est terrible ces histoires où certains personnages sont incontournables. Par n'importe quel bout que vous les prenez, ils reviennent. Une véritable comédie humaine balzacienne. Mais ici, ne sortent pas de l'imagination féconde d'un romancier. C'est que les activistes sont partout où la cause les appelle. Jacky Chalard était auprès de Noël Deschamps, amateur de rock'n'roll, on le retrouve évidemment avec Bashung pour l'enregistrement du Dick'n'Roll, et moins d'une dizaine d'années plus tard il crée une structure parallèle à Big Beat Magazine. En toute logique ce sera Big Beat Records. Sur le papier une affaire foireuse, quel public pourrait s'intéresser à cet old style mort et enterré depuis belle lurette ! Bien sûr des moins jeunes, le régiment avachi des rétro-nostalgiques qui répondirent à l'appel sans retard sans doute n'attendaient-ils que cela. Et des jeunes. Plein de jeunes. Toute une jeunesse qui depuis quelques temps louchaient sur les rééditions anglaises des trésors du rockabilly. Notamment de jeunes groupes comme les Alligators, Jezebel-Rock et The TeenKats ( avec Zio et Thierry Le Coz ) qui lancèrent la mode. Pas une raison pour oublier les générations précédentes, Vince Taylor – le plus national des rockers étrangers – et les amerloques à la Sonny Fisher que leur propre pays tenait en grande et impardonnable négligence. Bref dix ans plus tard le catalogue Big Beat était d'une richesse incroyable. Cela remit à flot la carrière d'aînés plus ou moins en déshérence, mais ceux qui profitèrent de cette flamme rockabillienne hexagonale furent les Stray Cats qui trouvèrent par chez nous une crédibilité refusée par ailleurs.

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    Mais venons-en à Victor Leed. Fut une figure majeure du renouveau rockabilly made in France. Fan absolu d'Elvis Presley, Laïd Hamdani d'origine kabyle fréquente dès le milieu des années 70 Treat Me Nice ( voir cronix sur Jake Calypso plus haut ) le fan-club d'Elvis Presley, c'est-là qu'il rencontre Tony Marlow qui l'accompagnera plusieurs fois, notamment avec son groupe les Rockin'Rebels. Coaché par Ding Dong, une figure tutélaire du french Movement Rockabilly, il est le premier chanteur national qui parvint à insuffler et à atteindre une réelle authenticité dans cet art difficile qu'est le pur phrasé rockab pour des gosiers hexagonaux. Ce gamin des rues et des bandes parisiennes, porté par l'explosion rockabilly, connut au début des années quatre-vingt son heure de gloire. Le 25 cm enregistré chez Big Beat et peu après le simple : Mary, Mary / Le Swing du Tennessee n'y furent pas pour rien, mais aussi ses prestations scéniques qui époustouflèrent leur monde... La suite fut moins glorieuse, le reflux de la mode rockabilly, sans doute souffrit-il de l'éloignement des projecteurs médiatiques... Il essaie de revenir dès la fin des années quatre-vingt dans un style différent, ce swing-jazz de l'entre-deux guerres dont Django reste le meilleur interprète... En 1994, Victor Leed décède des suites d'une longue maladie comme l'on dit pudiquement pour ne pas s'appesantir sur la misère inhérente à la condition humaine... Reste le souvenir fou – et de plus en plus flou - de ce jeune chanteur qui fut et demeure une fulgurance du french rockabilly. Reconnu par Carl Perkins, Billy Lee Riley, Waren Smith, Sonny Fisher, Vince Taylor, Carl Mann... Victor Leed aura inscrit son nom dans la légende du rockabilly.

     

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    But in your eyes : scintillement de cymbales, voix claire, pas vraiment assurée au début mais qui bientôt s'amplifie et prend de l'assurance, rythmique un tantinet jazzy, un premier solo de guitare qui sent un peu trop l'électricité pour un rockabilly qui se se veut proche des racines et un second plus intuité sur lequel se termine fort originalement en ligne de fuite le morceau. I forgot to love : un peu papier calque de Jailhouse Rock, avec cette manie de manger les mots pour avoir l'air américain et étirement vocalique sur le refrain, plus un solo central qui embaume les Blue Caps. Blue River : entre slow et country, la voix se fait caresse et la musique sautille. L'ensemble sonne rétro en diable. Le Pelvis vous transformait la moindre bluette en tourment romantique. Victor Leed ne possède pas cette puissance dramatique. Un peu trop gentillet. To change my life : très proche du King, trop proche, à l'époque cette aisance caméléonseque a dû passer pour du génie, mais aujourd'hui cela semble daté. Jenny : le slow qui tue. Du susurrement murmuré à la grande amplitude vocale. Les guitares gambadent sans méchanceté, Elvis du retour de l'armée qui vise un large public... Don't be looking for trouble : imitation de Mystery Train, un des morceaux les plus convaincants du disque. Guitare un peu trop aigrelette mais la rythmique tient le coup et Victor se débrouille mieux que bien encore plus cowboy qu'Elvis sur la fin. She don't care : dans la même veine. Victor a enfin compris que la voix doit passer devant et tant pis pour les musicos, à eux de se débrouiller pour se faire remarquer. Ils y parviennent très bien, mais durant ce titre Victor the lead a enfin compris que c'est lui qui mène l'attelage et que le charriot se doit de suivre. He's the big boss man. Shy : rien qu'au titre l'on comprend que l'on est dans le pur sirop grenadine, el Mister Leed ne lésine pas sur la dose, plus c'est sucré, meilleur c'est. D'ailleurs on s'en reverse deux ou trois verres. Et un dernier pour la route. Too much to be right : l'on revient aux choses sérieuses, une bonne barre de rockab plaquée or et aussi épaisse qu'un pare-choc de Cadillac. Victor surplombe et emporte le tout, une belle démonstration de la manière de placer sa voix dans le rockab. Une véritable classe d'excellence pour ceux qui s'essayaient à ce genre de sport au début de la neuvième décennie du siècle dernier. Thank's rock and roll : dans la même veine mais encore mieux envoyée, l'aisance indolente du chat qui s'étire au soleil et puis qui se transforme en tigre pour fondre sur une innocente souris, et vous rappeler que dans le rock'n'roll c'est comme dans la vie, nul n'est innocent.

     

    Une deuxième face bien supérieure à la première qui nous laisse sur nos regrets. Dommage que les circonstances n'aient pas permis à Victor Leed d'épanouir son talent. L'avait les qualités pour imposer une proximale maturité. Il n'en fut pas ainsi. Du moins a-t-il montré le chemin et inscrit l'impossible dans les champs du possible.

    Damie Chad.

     

    Nous redonnons ici notre cronix du disque 100 Miles de Jake Calypso par dans la livraison N° 339 du 14 / 09 / 2017

     

    100 MILES

    JAKE CALYPSO

    ( Rock Paradise / Chickens Records )

    ( Sortie : 16 août 2017 )

     

    KISMET / HOME IS WHERE THE HEART IS / I WILL BE HOME AGAIN / SUPPOSE / FLAMING STAR / I'LL REMEMBER YOU / POCKETFUL OF RAINBOWS / WILD IN THE COUNTRY / TODAY TOMORROW & FOREVER / IN MY WAY / MILKY WHITE WAY / THEY REMIND ME TOO MUCH OF YOU

     

    Jake Calypso : chant + guitars / Christophe Gillet : guitars + choeurs / Hubert Letombe : acoustic guitar + manettes / Didier Bourlon : guitar / Viktor Huganet : guitar + choeurs / Mehdi Wayball : guitar / Thierry Sellier : drums / Alexandre Letombe : drums / Guillaume Durieux : contrebasse / Ben D. Driver : Contrebasse / Serge Renard Bouzouki : violoncelles + accordéon + mandoline + bouzouki / Nick Anderson : piano / Fabrice Mailly : harmonica / Bernard Leblond : percussions / Jean-Charles Thibaut : choeurs.

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    A lire la liste des participants l'on pourrait croire que Hervé Loison avait décidé de convoquer l'entière tribu des derniers mohicans pour un grand pow-how d'enfer rock'n'rollien. N'en est rien. N'y a pas de disque plus solitaire que celui-là dans toute la production française. Un rêve de rocker. Forever. Comme personne n'oserait en faire. Une folie douce. Le type qui plante une pelouse pour les coccinelles en plein milieu de la jungle infesté de tigres sanguinaires. Remarquez l'on aurait pu s'y attendre. Des indices qui ne trompent pas : dans les premiers temps de son parcours : ce groupe nommé Mystery Train ou cet album enregistré à Memphis dans les studios Sun voici à peine deux ans, ne sont-ce point poinçons presleysiens à foison chez Loison ? Donc un disque dédié à Elvis cela tombe sous le sens pour quelqu'un qui vient de rééditer celui dédicated to Gene Vincent et qui a enregistré par ailleurs des albums consacrés à Little Richard et Johnny Burnette. L'on peut déjà dresser la set list, les incontournables comme Heartbreak Hotel, Hound Dog, Don't Be Cruel, tiens ce Milkcow Blues rugueux à souhait et... ramenons les vaches à lait à l'étable, Hervé ne mange pas de ce pain blanc de la facilité attendue. L'est un rocker, un vrai, un pur, à la dure caboche qui n'en fait qu'à sa tête. Faut toujours surprendre l'ennemi du côté par lequel il ne vous attend pas. Vous rêvez du Pelvis frénétique, erreur sur tous les sillons, ce sera le roucoulard des demoiselles, l'Elvis des plus ignobles ballades, celles qui vous font larmoyer de honte à l'idée qu'elles pourraient vous donner envie de pleurer car il est bien connu qu'un rocker au cœur de pierre ne pleure jamais... Pourrait se trouver au moins une excuse l'oison tapageur : morceaux immémoriaux de la mélancolie populaire que les cowboys chantaient le soir venu autour du feu, mais non fait exprès de puiser dans le répertoire le plus inavouable de l'enfant de Tupelo, quand il troque - à l'instigation dollarophile du colonel Parker - l'herbe bleue du Kentucky pour les champs de navets cinématographiques. Z'oui, mais pour Loison chez Elvis tout est bon. N'est-il pas le roi du rock ? Faut pas grand chose pour le prouver. Un petit magnéto et un billet d'avion. L'aéroplane c'est pour se rendre à Memphis, et le mini-cassette pour enregistrer, à mi-voix et parfois en cachette, et souvent à la sauvette, douze pépites d'Elvis dans les endroits où il a vécu : Tupelo, Graceland, Nashville... poussera le vice jusqu'en Allemagne. C'est de retour à la maison que Loison a rameuté les amis, faut habiller l'émotion de cette voix dénudée, lui tisser un habit transparent de cristal et de diamants.

     

    Me suis posé la question : comment rendre compte d'un tel disque ? En même temps totalement hommagial et extrêmement personnel. Après avoir hésité me suis décidé pour l'épreuve ordalique. Par le feu. Morceau par morceau. Version Elvis. Version Jake Calypso. Méthode un peu traître. Nos deux lascars ne sont pas à armes égales. Confort du studio pour l'un, et enregistrement quasi-clandestin pour l'autre. Pas un match, Elvis hors catégorie de par son statut historial et Calypso qui ne se présente pas comme un challenger.

     

    Kismet : annonce fort la couleur Loison, dès le premier morceau. Perso, Kismet n'a jamais été qu'un morceau au mieux purement anecdotique de la discographie du King, extrait d'un film qui n'a pas laissé un souvenir impérissable dans l'histoire du cinéma. Et c'est-là que l'on se rend compte de l'habileté diabolique du projet. Ne s'agit pas d'une reconstitution à l'identique. Calypso dénude le chant, en accentue la limpide fragilité, donne à sa voix un tremblé que la mature facilité elvisienne a laissé de côté. Même parti-pris pour l'instrumentation qui accompagne plus en douceur qu'elle ne souligne chez Presley. Home is where the heart is : un morceau un peu moins rose ( même si l'héroïne de Kid Galahad s'appelle Rose ) que le précédent, davantage ballade country pour dire vite, Elvis y use sans abus de l'obus de son inflexion barytonnienne. Loison y susurre délicieusement, là où Elvis pousse au drame Calypso tire vers une taquinerie plus délicate. L'air de l'amoureux transi à première oreille, mais qui sait y faire pour embobiner les demoiselles... Moins sûr de lui que le chat des collines mais peut-être plus finaud. I will be home again : un titre de circonstance pour le premier album d'Elvis de retour à l'armée. Elvis met le paquet, voix doublée par celle de Charlie Hodge et derrière la musique balance et tangue comme dans une salle de ball. The Pelvis a les mains sur les hanches de la belle et l'est sûr qu'après va l'assaillir à la hache d'abordage sur la banquette arrière... Loison ne se dérobe pas. L'attaque lui aussi bille en tête, guitares un tantinet un peu plus rustiques et des chœurs qui s'en donnent à cœur joie. Va encore y avoir des taches suspectes sur les sièges et Jake en rajoute au final, la voix qui éclate en trompette comme un coup de klaxon triomphal. Elvis n'y avait pas pensé, tant pis pour lui. Suppose : Elvis n'y va pas de voix morte, à l'écouter z'avez l'impression qu'il annonce l'imminence de la fin du monde, heureusement qu'il devient tout tendrou dès qu'il parle d'amour. Pas fou l'oison laisse le violoncelle de Serge Renard se charger de la promotion de la catastrophe, la voix reste à hauteur de demoiselle, la frôle, la cajole comme pas un. Je suppose qu'elle préfèrera l'homme de chair au super héros, même si avec les filles on ne sait jamais. Flaming star : générique d'un des films les plus aboutis d'Elvis. N'a pas peur Loison de s'attaquer à une de ces pépites du Maître. Genre de titre original dont l'interprétation d'une aisance déconcertante s'impose que aimiez ou non. Indépassable, mais Loison et son gang ont trouvé la parade. Tous ensemble. Une cavalcade digne du meilleur des westerns. Même que celui qui tire de l'accordéon, Serge Renard, joue plus vite que l'homme de main presleysien commis à cette même fonction, et Loison entraîne la troupe en galopant un cran au-dessus. S'en tire avec les honneurs de la guerre. I'll remember you : celui-ci Calypso est allé le chercher sur la dernière piste de la deuxième face de Spinout, Elvis devait l'aimer l'a souvent repris en public, guitare hawaïenne qui picore comme des tourterelles et voix de velours inimitable. Difficile d'être plus langoureux, Jake pose sa voix sur un fil angulaire, la rend plus fragile, plus blanche, le gars qui se déclare la peur au ventre, guitare qui grince en équilibre et traînées d'harmonica pour prendre courage. Pocketful of rainbows : Elvis lui file une allure de petit train d'interlude, le rythme trottine et la voix gambade en arrachant des touffes d'herbe, irrésistible. Coups de sabots sur la batterie, un petit coup d'accordéon pour emporter la décision, le timbre de Jake devient ardent, fouette cocher qui sera le premier à sortir un arc-en-ciel de sa poche ? Wild in the country : Sauvage est le country mais suave est la voix d'Elvis, des chœurs au loin chantonnent quelques cuillerées de miel, fermez les yeux vous êtes au paradis. La réalité doit être un peu plus rugueuse alors Calypso appuie un peu plus et les guitares cristallisent plus fort. Très convaincant. Deux dépliants touristiques alléchants. Today tomorrow & Foerever : Elvis triche, l'a le plus joli des jokers dans sa manche, la divine Ann Margret en personne – une de ses très rares conquêtes qui sera présente à ses obsèques – part avec un double handicap notre champion national si l'on pense à la débauche d'images en surimpression qui accompagnent la scène dans Viva Las Vegas, s'avance seul mais est très vite épaulé par son band d'amis, ce que vous ne voyez pas, vous l'entendrez, les guitares résonnent et bientôt vous marchez sur un tapis de mandoline. Bien joué ! In my way : Elvis. Tout doux, tout court. Sans fioriture. Le frottement des cordes comme comme de lointains pépiements de passereaux. Jake légèrement plus hésitant en sa déclaration. La voix plus nue, plus vulnérable aussi. Emotion pure. Le chant semble s'aventurer dans les orties de la parole. Pour donner plus de poids à la promesse éternelle. Milky white way : Ne s'agit plus pour Elvis de refermer dans sa patte de gentil méchant loup la menotte d'une fillette qu'il ne tardera pas à croquer mais de poser la sienne dans la paume de Dieu. Gospel chatoyant. Alors Jake se lâche. Nous donne les grandes orgues de sa voix qui résonne d'autant plus que l'accompagnement derrière est d'une tonalité plus authentiquement rupestre. They remind me too much of you : Les chœurs qui foncent sur la voix du King et puis qui fondent pour se mettre au diapason de ce mohair doucereux, Jake plus haut, plus affirmatif, avec parfois des clairières de repos et un piano qui laisse perler ses notes.

     

    Calypso s'en tire mieux que bien. L'avait mis mis la barre haute. Mais son adversaire n'était pas Elvis. L'a tenté un pari contre lui-même. Crache mes tripes et montre-moi ce dont je suis capable. Fallait un sacré culot et une bonne dose de courage pour se lancer dans une telle entreprise. Et un sacré talent pour la réussir. Ce n'est pas qu'il chante aussi bien qu'Elvis – ce n'est pas la question – mais c'est qu'il se tient à ses côtés sans jamais faire un pas dans les sentiers du ridicule. Sans tricher. En lonely fugitive qui cesse de fuir et qui s'affronte au danger sans ciller. Ces douze morceaux sont les plus doux de toute sa discographie mais jamais il n'a su hausser le ton aussi fort. L'on ne s'en va pas houspiller le cobra dans son abri parce qu'il vous embête, mais pour se mesurer à ses rêves d'enfant. Ou de fan. Ne s'agit pas d'être le plus fort. Mais de combattre. Afin d'être digne de soi-même. A ses propres yeux. Parce qu'en certains moments importants de votre vie vous ne voyez plus les regards des autres. Et en cela Jake Calypso y a merveilleusement réussi.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 243 : KR'TNT ! 363 : CHUCK PROPHET / PATTY VAREN / SISTER MOON /KIRIN DOSHA / JAY JAXSON / BLACK PEARL / / FOUR ACES / JOHNNY HALLYDAY

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 363

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    01 / 03 / 2018

    CHUCK PROPHET / PATTY VAREN

    SISTER MOON / KIRIN DOSHA / JAY JAXSON

    BLACK PEARL / FOUR ACES / JOHNNY HALLYDAY

     Prophet en son pays - Part Two

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    Green On Red s’arrêta en 1987. Chuck Prophet allait ensuite entamer une carrière solo absolument passionnante, pour le seul bonheur de nos chères petites oreilles.

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    Baptême de l’air en 1990 avec Brother Aldo. Chuck Prophet s’impose aussitôt, comme le ferait une star. Il en a le physique et le talent. Il place dans «Rage And Storm» un solo d’une conception architecturale originale et nous régale d’une embellie finale. Tout sur ce disque est infiniment supérieur à la moyenne. Avec «Scarecrow», il tape dans une ambiance à la Lanegan. S’il réhausse ce festival hallucinant, c’est bien sûr avec solo d’un classicisme échevelé - son clair et paquets de notes clairvoyantes - Il fait la moitié du morceau en roue libre. La fière allure et la hauteur de vue pourraient bien être les deux mamelles du Prophet. Il chante le morceau titre à la Lou Reed, très laid-back. À l’instar d’André Malraux, Chuck Prophet pourrait déclarer : «Le classicisme sera brillant ou ne sera pas.» Et il n’en finit plus de placer d’élégants solos qu’il dote d’un son clair comme de l’eau de roche. Sa copine Stephanie Finch double sa voix sur la plupart des morceaux. Il aménage dans «Stop Right This Way» de jolies montées vers les cieux éternels et nous sertit ça d’un solo d’une extrême rareté. L’album est si bon que tous les morceaux finissent par sonner comme des classiques et notamment «Face To The Wall», avec un ring that bell qui évoque Chuck, mais l’autre, le grand, le Berry. Si vous cherchez un guitariste prophétique, il est là. C’est Chuck Prophet. Il tape aussi dans la country avec «Tune Of An Evening». Il y saccade ses admirables passations de pouvoir.

    Brother Aldo en traumatisa plus d’un. Le jeu allait donc consister à guetter la parution de chaque nouvel du Prophet.

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    Paru en 1993, Balinese Dancer est un album beaucoup moins dense que son prédécesseur. «Savannah» sonne comme le werewolf of London. Chuck Prophet cajunise subtilement son morceau titre en lui shootant une belle dose d’accordéon. Il nous claque des accords beaux comme des dieux dans «One Last Dance» et nous plonge dans une espèce de romantisme fin de siècle - Of course I am - très sophistiqué. Avec «Angel», il emmène la Stonesy très loin au large et ça donne un cut éclatant de vérité. Il saupoudre sa voix gerbeuse d’une belle pincée d’accordéon et tire une fois de plus l’ensemble vers les ineffables régions de l’expertise sensorielle.

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    Et crac, Feast Of Hearts sort deux ans plus tard. Sur la pochette, Chuck Prophet rivalise de classe Wizard avec Todd ‘A true Star’ Rundgren. Voilà ce qu’il faut bien appeler un album d’anthologie. Lorsqu’il chante «What It Takes», Chuck Prophet dispose d’assez de souffle et d’ampleur pour rivaliser avec Bob Dylan. Il profite d’«Hungry Town» pour non seulement nous régaler du meilleur boogie-rock d’Amérique, mais aussi pour défenestrer son solo. S’il allume un brasier, c’est bien sûr avec une classe qui coupe le souffle. Il a cette désinvolture propre aux seigneurs qui s’ignorent. Et il balance un solo sur le tard, comme ça, sans prévenir. Quelle débine ! Il faut aussi le voir riffer «Break The Seal» à l’anglaise. C’est de la Stonesy à l’état pur - Oh I like to be moved/ And I love to sway/ And watch as the morning/ Turns into day (Oh, j’adore les sensations fortes, j’adore tanguer et voir le jour se lever) - Il gère ça en bon maître de céans, wow ! - Break the seal of the bottle - S’ensuit une fin de morceau aventureuse, percluse d’accordéon et vibrillonnée par une basse démente. Ah, il faut le voir pour le croire. Il revient au Very Big Atmospherix avec «Too Tired To Come» - You conquered my resistance/ I’m too tired to come (Tu m’as épuisé, je suis trop fatigué pour jouir) - Il élève un pont princier et fait monter la sauce. Comme Jackie Lomax, Chuck Prophet tape dans le trop haut de gamme. «Once Removed» nous cueille au menton et nous plonge une fois de plus dans la meilleure Stonesy. Il suit ses mots à la guitare. Épique, furieux, affluant, terrible et perspicace, il fait claquer toutes ses notes, il y croit dur comme fer et se rapproche de Big Star. Encore plus stupéfiant : «Oh Mary» qu’il attaque d’une voix de super star. Écrasant de classe. Son style romantique relève du génie pur - Oh Mary can I give you what you need ? (Puis-je te donner ce dont tu as besoin ?) - Qui penserait à formuler les choses ainsi ? Personne à part Chuck Prophet. On nage dans l’eau bleue d’un mythe rock - Something about you baby has got me hypnotized (Il y a quelque chose en toi qui m’a hypnotisé) - Il déroule à l’infini la pureté de ses intentions - I wanna kiss your mouth until the world is gone (Je voudrais te prendre la bouche jusqu’à la fin du monde) - Et sa musique sert un texte digne des géants de la prose. Comme Mark Lanegan, Chuck Prophet entre doucement dans la peau d’une rock star littéraire.

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    C’est en tremblant qu’on sort deux ans plus tard Homemade Blood de sa pochette. Et pouf, il part en mode Stonesy avec «Credit». Il aimerait bien aller passer un petit week-end à Paris mais on lui a bloqué son compte - They cut me off/ I want some CREDIT ! - Funny et grandiose, avec les chœurs de Stephanie Finch. Il revient au velouté de rêve avec «You Been Gone». Il chante d’une vraie voix, profonde et irisée, ambrée et chaude. Il continue de proposer des atmosphères solidement instrumentalisées et pimentées d’élégants petits chops de guitare. Il attaque «Inside Track» à la manière de Lou Reed et crée vite fait un univers complet dans lequel rien ne manque - Call it what you want to/ It makes perfect sense to me ! - Et ainsi de suite, tout au long de cet album une fois de plus flamboyant. Il whawhate son «22 Fillmore» de façon spectaculaire - Go on take a picture/ Take the whole fucking roll ! - Il finit par nous soûler avec son classicisme hennissant et son port altier de haut rang séculaire. Il tape aussi dans un joyeux son type Pogues avec «Whole Lot More». Il chante ça d’une vraie voix. Il méduse tout le monde avec ce coup-là. Il enfile les hits comme des perles. À part écouter, tout ce qu’on peut faire c’est regarder les hits s’enfiler. Spectacle d’autant plus intéressant qu’il n’est plus si courant. Fabuleux morceau que ce «Textbook Case» - He was a textbook case/ But he couldn’t read at all - Il enroule ça au chant, fait bien monter la sauce sur une énorme bassline, nous riffe ça sec et derrière, ça fait des ye-oooh ! - He was a textbook case/ There was no doctor in the house/ When his aunt said leave/ He quit as quiet as a mouse/ He robbed from the poor/ He gave to himself/ Looked in the glass/ And raised a toast to his health (C’était un cas classique, il n’y avait pas de médecin dans le coin. Quand sa tante lui a dit de se tirer, il a filé aussi discrètement qu’une souris. Il a volé les pauvres. Il s’est rendu à la police, il s’est regardé dans la glace et a levé son verre à sa santé) - Chuck Prophet rocke la littérature et rolle la prosodie. Dans «Til You Came Along», il redonne une petite leçon de puissance festive puis - ah-ahhh - il balance un solo liquide d’antho à Toto.

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    Deux ans plus tard, on repère The Hurting Business. On le sort du bac d’une main moite et tremblante. Sur la pochette, Chuck Prophet porte un seyant costume à carreaux et ressemble au plus cool des playboys. Il chante «Apology» d’une voix fatiguée, très laid-back et s’en prend à El Vez : si Elvis était là, il ferait payer ce sucker. Il tatapoume ensuite «Diamond Jim» à outrance et livre une belle carcasse de rock fumant. C’est en réalité un fantastique hommage à Jim Morrison. Chuck Prophet apporte son écot au moulin rouge de la postérité. Il chante «It Won’t Be Long» d’une voix lente bien intentionnée et enchaîne avec «Lucky» - Who’s gonna get lucky - Cette énorme pièce grise par son extravagance poppy mais elle a des reins d’acier. Monstrueux : il n’existe pas d’autre mot pour qualifier «I Couldn’t Be Happier». C’est monstrueux à tous les niveaux : couplets rimés et refrain honky-tonk. Chuck Prophet nous en fait voir des vertes et des pas mûres. Dans «Dyin’ All Young», il va même chercher le blues rap élégant à la Boz Scaggs.

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    Au fil du temps, notre héros semble conserver toute sa fraîcheur de ton et toute son aisance. Il sort en 2002 No Other Love, un album une fois de plus riche en rebondissements. Il alterne les heavy blues et les balladifs superbes. Il revient à son admiration pour Bob Dylan avec «Run Primo Run». Édifiant. Beau beat. Chuck Prophet sait asséner des couplets fatals avec la gestuelle dylanesque. On se dit : quel puissant seigneur... Dans «Storm Across The Sea», il raconte qu’il vit avec une folle - Hear me laughing with nothing up my sleeve - Il fait monter une sauce terrible dans «No Other Love». Voilà un nouveau coup de génie : «Elouise», fabuleux track-back monté sur une diction du diable - Take off thoses glasses girl/ I wanna feel your pain (Enlève tes lunettes, je veux te voir souffrir) - C’est une véritable énormité cavalante. Il y balance un killer solo flash de trois secondes. Sa fabuleuse énergie revient au grand galop dans cet élégant mid-tempo intitulé «That’s How Much I Need Your Love» - If I was a Cadillac/ You’de be my drivin’ wheel - Et il nous wha-whate un solo de deux secondes. Signé non pas Furax, mais Prophet. Puis il nous fait le plus beau des cadeaux avec un hymne à l’été : «Summertime Thing». Franchement, c’est digne du «Summer Nights» d’Allen Toussaint. Il y raconte une histoire de voisinage - Put the Beach Boys wanna hear Help Me Rhonda/ Roll Down the sides we’ll drive to the Delta, yeah ! - Pur moment de magie. Chuck Prophet ne vous lâchera jamais la grappe.

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    Age Of Miracles paraît en 2004. Rebelote. Il ouvre son bal du samedi soir avec un heavy blues nommé «Automatic Blues». Chuck Prophet traumatise ses power chords. Un invité de marque sur cet album : Eric Drew Feldman, vieux crabe du Magic Band, période Doc At The Radar Station. Drew joue du moog. Il règne sur ce morceau une ambiance mastodontique digne de «Cold Turkey», avec un riff arraché. Chuck Prophet renoue avec la classe céleste en attaquant «Just To See You Smile». Ce cut paraît aussi immense que l’océan - Ah baby just to see you smile - On assiste à une explosion de joie électrique portée par un chant éclatant et secoué d’énergie carbonique. Avec Mark Lanegan, Chuck Prophet est sans doute le dernier grand chanteur américain vivant. On passe ensuite à une autre merveille qui s’appelle «West Memphis Moon». Notre héros envoie sa bordée en fin de premier couplet et secoue son vibrato au moment du break. Voilà encore un rock bien charpenté chanté à la revoyure. Jerry Flowers joue de la basse et Drew du moog. On se retrouve face à une énormité stupéfiante. Stephanie Finch revient au micro dans «You’ve Got Me When You Want Me». Cette jolie pièce ruisselle littéralement d’inspiration. Madame la basse porte bien le heavy rock de «Pin A Rose On Me» et on tombe ensuite sur un stomp ahurissant, «Heavy Duty», doté encore une fois d’un texte sublime - If you want to be a better cook/ But you better be careful with the stuff/ You better be careful with this stuff - S’ensuit une montée fatale qu’il sabre d’un solo clair à la Big Star. Là, on s’enfuit dans la rue, hagard. On croise une connaissance :

    — Que vous arrive-t-il, vous n’avez pas l’air bien...

    — Ah mais si, tout va bien, seulement je viens d’écouter une terrible chanson...

    — C’est une chanson qui vous met dans un état pareil ?

    — Elle s’appelle «Heavy Duty» !

    — Oh, je comprends... Et comment s’appelle le chanteur ?

    — Chuck Prophet !

    — Chuck qui ?

    — Excusez-moi, je dois rentrer chez moi, il ne fait pas chaud !

    Notons qu’à la fin d’Age Of Miracles, Chuck Prophet rend hommage à Keef avec un bel exercice de style intitulé «Solid Gold». Il joue les accords de «You Got The Silver» (qu’on trouve sur Let It Bleed), fait entrer les nappes de violons circulaires de «Walk On The Wild Side» et couaque un énorme solo. Voilà comment le dandy Chuck salue ses héros.

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    Soap And Water ? Nouveau coup de Trafalgar. L’un des pires disques de l’histoire du rock, n’ayons pas peur des grands mots. Un disque dont il faudrait graver le titre dans les falaises de marbre. Un disque qu’on peut écouter à jeun ou pété, ça ne change pas grand chose. Démarrage en trombe avec «Freckie Song», shoot de belle pop drumbeatée à gogo. Il chante toujours ses formules fatales - I just can’t stand myself - d’une voix profonde et chaude et passe des solos d’un classicisme écœurant. Il lâche un couplet dément sur Elvis dans «Would You Love Me». On pourrait qualifier ça de balladif déroutant ou encore de belle claquouille chaperonnée. Final surnaturel. Alors franchement, que demande le peuple ? «Soap And Water» est un joli boogie à l’anglaise - Hot legs cold cash - Même si c’est cousu de fil blanc, Chuck Prophet pompe le dard du mythe, il captive en permanence - Sand mellow/ Oscar Wilde/ Blood Pudding/ Pink ties/ Sweet nothing/ Bitter tears/ Cracked Lips/ Bathroom mirrors - Il riffe «Small Town Girl» sur sa Telecaster et sa copine Stephanie Finch reprend la flambeau. Ce morceau est absolument dément de laid-back. C’est un défi aux dieux de la classe. Attention à ce truc qui s’appelle «A Woman’s Voice» : c’est un blues de juke. Chuck Prophet gratte dans un coin, il est rôti, il passe des notes vaseuses, il emprunte un tempo à Muddy - You start out down the middle - et les violons de Walk reviennent doucement, par petites nappes insignifiantes. Soudain, ça bascule dans le trash du blues électrique perdu sans collier. Stupéfiant ! On le sait, le passe-temps favori du Prophet, c’est d’effarer le petit peuple. On ne répétera jamais assez : ce mec est brillant. Il fait partie des très grands artistes américains qu’il faut suivre à la trace. «A Woman’s Voice» sonne comme une pure giclée de génie - Oh ! Sweet darling !/ Yes a woman’s voice can drug you - Il y bat tous les records d’élégance catchy. Avec sa grosse intro rattrapée à la course, «I Can Feel Your Heartbeat» nous emmène directement au paradis. Ce mec est beaucoup trop fort. On devrait se méfier. Comme le disait Javert à Robert Macaire, les gens brillants peuvent mettre la société en danger. «Naked Ray» rivalise de beauté pure avec le «Pale Blue Eyes» du Velvet. Même niveau d’élévation byzantine et d’inspiration pulsative. Il sort sa voix de Willy the Pimp pour chanter «Downtime». «Happy Ending» referme la marche et cet enfoiré nous démarre un stomp en plein balladif. Il passe du fabuleux à l’étourdissant - It’s too late in the game to start again - Il fait des Ah ! et des Aw ! écœurants de classe déterminante et il finit en déchirant le ciel pour libérer tous les démons de l’apocalypse. C’mon ! Qualifier ça de dément serait livrer un pâle reflet de la réalité objective.

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    Sort en 2012 Temple Beautiful, un nouvel album aventureux. Chuck Prophet affirme toujours plus sa stature de dandy américain - c’est vrai que ces deux mots ne se marient guère, mais on fera une exception pour ce Prophet en son pays. «Castro Halloween» relève du pur dandysme à la Kinks, des petits guitar licks filent dans l’azur d’une pop à la MGMT et comme on s’y attend, Chuck Prophet place un solo d’une incomparable limpidité. Il faut voir comme il embarque son monde. On parle ici de majesté. Le morceau titre se veut beaucoup plus musclé. Roy Loney vient y chanter des chœurs très perchés. Chuck Prophet sait choisir ses amis : près Drew et Dickinson, voilà qu’il fricote avec LE chanteur des Groovies. C’est une façon comme une autre d’alimenter la mythologie du rock américain. Comme Mark E. Smith à Manchester, Chuck Prophet ne s’intéresse qu’aux vrais artistes. Il reprend son rôle de séducteur pour chanter «Museum Of Broken Hearts» et nous refait le coup du hit fatal avec «Willie Mays Is Up At Bat», une histoire de virée nocturne alcoolisée - It’s three on two out under the lights/ Nobody knows who’ll make it home tonight - refrain magistral et bardé de chœurs chancelants. Si tu essaies de trouver ça ailleurs, tu risques de devoir chercher longtemps. Un tel dandysme ne court pas les rues, sauf en Angleterre. Syd Barrett, Kevin Ayers, Peter Perrett ou encore Viv Stanshall ont su cultiver l’héritage de George Brummel. Mais aux États-Unis, c’est plus difficile. Chuck Prophet reste dans le balladif soigné avec «The Left Hand Is The Right Hand». Il nous livre là une nouvelle pièce incroyablement inspirée, tant dans la diction que dans le jeu de guitare. Il profite de «Who Shot John» pour faire l’hendrixien. Il nous chante ça d’un ton ferme, on ne saura jamais qui a tué John, mais on s’en fout, parce qu’il joue comme un dieu.

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    Et puis voilà que paraît Let Freedom Ring qu’il enregistre à Mexico. Il se fait photographier en compagnie d’affiches cruelles. On voit par exemple l’aigle fondre sur le lièvre. Au dos de la pochette, dans un petit texte élégant, Chuck Prophet nous souhaite à tous de prendre autant de plaisir à l’écoute qu’il en a eu à enregistrer cet album. Ça part avec «Sonny Liston’s Blues» qui sonne comme un hit des Doors. Il y place l’un de ces solos en perdition dont il a le secret. Vous aimez le country-rock ? Alors «What Can A Mother Do ?» vous plaira. C’est en effet l’une de ces belles pièces désabusées et violonnées, d’une rare élégance et dignes de Gram Parsons. Puis il revient au riff sec et sauvage avec un «Where The Hell Is Henry» particulièrement morbide. Henry a disparu. Retour à la Stonesy avec le morceau titre, et solo de bottleneck sur deux notes. On a là une compo dépenaillée d’une redoutable efficacité et si profondément américaine, au sens où l’entendent les Drive-By Truckers - Let there be darkness/ Let there be light/ As the hawk criplples the dove (ici, l’aigle chope la colombe) - d’où l’affiche cruelle. Le morceau suivant qui s’appelle «You And Me Baby (Holding On)» devrait se retrouver en tête de tous les charts, ne serait-ce que pour la qualité du couplet - I went to see the doctor/ He said you should be dead/ I said I was doc but now I’m back/ I’m holding on/ yes I am ! (J’ai été voir le médecin qui m’a dit que je devrais être mort, j’ai dit que je l’avais été, mais que j’étais revenu et que je m’accrochais) - Pur panache ! Autre morceau spectaculaire : «American Boy». Nouveau shoot de Stonesy. Chuck Prophet fréquente les bars américains et en ramène des couplets rockants - In the Georgetown bars/ With the prozac kids/ And the Oliver Stones/ And the tabloid smiles - En B, on tombe sur un nouveau balladif inspiré, «Barely Exist» - When you barely exist/ Who’s gonna miss you when you’re gone ? (Quand vous existez à peine, vous manquerez à qui en mourant ?) - C’est une fois de plus très proche de ce que fit Dylan à une époque. Dans «Good Time Crowd», Chuck Prophet se moque des gens qui prennent du bon temps en tirant des coups de flingue dans le plafond, qui vont balancer des motos volées du haut des falaises, ou qui vous envoient des cartes postales de Crète. Il a raison. En plus, ça lui donne une superbe matière pour ses couplets. Il boucle sa puissante affaire avec un rock hautement atmosphérique : «Leave The Window Open». Il réussit à nous bricoler une montée sur des explosions d’accords. Mais ce n’est pas tout ! Il grimpe aussi dans les octaves au moment où il demande à l’autre d’ouvrir la fenêtre. Et là, on ne sait plus quoi dire.

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    Night Surfer ? Arrrghhhhh quel album ! Et dire que dans la presse musicale, des gens se plaignent qu’il ne se passe plus rien ! Il revient à sa chère Stonesy avec «Countryfied Inner City Technological Man». Il nous amène directement à l’effarance des niveaux supérieurs. Quelle énergie ! Ça sonne comme «Live With Me», rien de moins - Give me a holler cause we never close Oh - Oui, crie un coup, mon gars et pendant ce temps Prairie Prince bat le beurre. Et avec «Wish Me Luck», il ouvre les fenêtres et respire l’air à pleins poumons - And I shout look out all you losers/ here I come ! - Il envoie ça avec un fantastique allant décadent. Chez lui, les mélodies et les textes sont d’un niveau tellement soigné qu’il est recommandé de ne pas en perdre une seule miette. On monte encore d’un cran dans la stupéfaction avec «Guilty As A Saint» - My face a little longer, my mind on repeeeeeat - Ce mec ne finira plus de capter l’attention. Il passe au stade de la fantastique élévation avec «They Don’t Know About Me And You». Il y retrouve le chemin du pur génie. On a là du Prophet de la rock-song d’ambition démesurée - Oh baby come on you could be my savior - Encore de l’élan avec «Lonely Desolation» - Come on that’s gonna be hard to arrange - Il lâche ça avec une vieille rage dylanesque. On passe à «Laughing On The Inside» et l’incroyable de la chose, c’est que ça continue de monter en qualité - When you took off your dress/ I couldn’t believe my good fortune - C’est grandiose et élégant à la fois. Tout est absolument superbe sur cet album. Nouveau coup de Jarnac en B avec «Ford Econoline» et ce refrain dément - She pulled over said climb on in/ I did what she said/ She turned the music up real loud - Le problème, c’est qu’ils écoutent Talking Heads dans la bagnole, mais ce n’est pas grave, seule compte la classe mortelle de Chuck Prophet. Ça stompe sec et il balance cette métaphore lugubre de fin de cut - All these memories like dirty plates/ Stacked up in the sink of time - Oui, ces souvenirs qui ressemblent à des assiettes sales entassées dans l’évier du temps. Il revient ensuite à la Stonesy avec «Felony Glamour» et enchaîne avec une fabuleuse leçon de diction, «Tell Me Anything (Turn To Gold)». Il sort des syllabes pour les tordre délicieusement. Il retrouve l’art perdu de Bob Dylan. Il reste dans cette belle veine dylanesque pour «Truth Will Out (Ballad of Melissa And Remy)» qu’il chante à la notule gourmande. Et il finit avec une sorte de glam riffé comme «The Jean Genie». Non seulement c’est l’un des albums de l’île déserte, mais on pourrait aussi très bien apprendre les paroles de certaines chansons par cœur, comme on le faisait jadis avec «Lost In Mobile With The Memphis Blues Again» ou «All Along The Watchtower».

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    En ce qui concerne Chuck Prophet, il n’existe pas beaucoup de littérature. Aussi faut-il en profiter quand on tombe sur un article qui lui est consacré. Surtout s’il paraît dans Vive le Rock qui reste le plus sérieux des canards britanniques. Joe Whyte démarre son article ainsi : Si vous ne savez pas qui est Chuck Prophet, VRL seriously recommands you find out.

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    L’article salue la parution du nouvel album du Prophet, Bobby Fuller Died For Your Sins - Absolute corker, affirme Whyte. Il fait un petit retour en arrière pour rappeler que Green On Red fut le greatest bar band d’Amérique, avec des racines dans Dylan, the 70’s Stones, Gram Parsons et le punk rock des Dead Kennedys qui les mit en route. Il rappelle aussi que Chuck Prophet fit le session-man pour pas mal de gens intéressants : Warren Zevon, Lucinda Williams, Aimee Mann et Alejandro Escovedo.

    Pour qualifier son nouvel album, Chuck Prophet parle de California Noir, the dark underbelly of the Golden State - Doomed love, inconsolable loneliness, fast-paced violence - et il cite Jim Thompson - There’s a million ways to tell a story, but there is only one story to tell - Things are never what they seem - Oui, le choses ne sont jamais celles qu’on croit. Il évoque aussi The Mission Express, son touring-band dans lequel sa femme Stephanie joue des claviers. Pour Chuck, prendre la route après le parcours du combattant que constitue l’enregistrement d’un album, c’est un peu comme prendre des vacances. Joe Whyte trouve que l’album est très Americana and roots rock, à quoi Chuck répond : Sure, it’s all in there, I guess. American rock’n’roll, a little folky, a little greasy. It’s psychedelic ballroom rock’n’roll with a nod to Dylan, The Byrds, The Groovies and Motown, the British Invasion and Bobby Fuller. Chuck dit que pendant l’enregistrement de l’album, le fantôme de Bobby Fuller se penchait par dessus son épaule pour voir ce qu’il écrivait et pour lui rappeler qu’on pouvait faire énormément de choses avec trois accords.

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    Il brosse ensuite un portrait épatant du pauvre Bobby retrouvé mort dans sa bagnole. Dans les années cinquante, ce clone de Buddy Holly avait le plus grand teen dance band d’El Paso. Il enregistrait ses disques chez lui, dans le salon de ses parents. Quand il débarqua à Los Angeles, il se sentit complètement largué : les gens écoutaient les Beatles et portaient des Beatles boots. Il n’avait que 23 ans quand on le retrouva mort dans sa bagnole, avec du pétrole dans les poumons. Suicide ou exécution ? Personne ne sait. Pour Chuck, Bobby is the ultimate rock’n’roll Babylon feel-bad story. Et il ajoute que le mystère de sa mort veut rester un mystère. Il rend aussi hommage à sa hometown, San Francisco. Selon lui, chacun s’y rend à la poursuite d’un rêve - San Francisco is where I invented myself, it has been my education, in the arts and culture, politics and the sexes - Chuck rend aussi des hommages appuyés à Townes Van Zandt, aux Drive-By Truckers et quand Joe Whyte évoque la fameuse rumeur d’un Prophet pressenti à une époque pour jouer dans les Stones, il la chasse d’un geste de la main, comme si c’était une mouche : The Rolling Stones seem like pretty cool guys to me.

    On ne trouve pas moins de quatre coups de génie sur Bobby Fuller Died For Your Sins. À commencer par «Coming Out In Code», pure littérature - Like a bull in a China shop/ My heart beats in my chest - Un hit de plus, Chuck ! - They call me Willie Wonka Boys/ You tell me what it means - Il faut voir avec quelle bravado il lâche ses répliques. Chuck Prophet est le Pierre Brasseur des Enfants Perdus de la Garance. Encore du génie à l’état le plus pur avec «Jesus Was A Social Drinker» qui ouvre le bal de la B - He never drank alone - Forcément et le refrain tombe du ciel - So tell me where it hurts/ And I’ll tell what to feel - Okay, comme dirait Mick Farren, yes I will et il passe un solo arizonien d’une beauté surnaturelle. Les hits de Chuck Prophet sont en fait des historiettes mirobolantes. Encore un coup de bambou avec «Post War Cinematic Dead Man Blues» - I got the post war cinematic dead man blues - Forcément, avec ce côté dylanesque, ça sonne comme un hit planétaire, car en plus, ça chevauche aux clap-hands et ça pulse aux chœurs de ouh-ouh-ouh. Et comme si ça ne suffisait pas, il passe un solo flash fourvoyé. Encore une merveille avec «If I Was Connie Britton» - Man I tell you what to do/ I’d brush my hair every morning/ On the weekend too - Pure boogie motion - Leathers pants in the summertime/ Hot pants in the cold - Tout est taillé sur mesure, dans ce disque épouvantablement bon. Il dédie «In The Mausoleum» à Alan Vega et reprend le beat de Jukebox Baby sur sa guitare. Il fait bien son Vega et shoote au passage une jolie dose de sauvagerie. L’autre hommage qu’il rend est celui du morceau titre, c’est-à-dire à Bobby Fuller - Cruising through El Paso/ Carrying a heavy load - Il rend aussi un dernier hommage à Bowie dans «Bad Year For Rock’n’Roll». Il sort encore une fois sa fantastique élégance de mid-tempo catégoriel. Il prend «Your Skin» au fin garage US infesté de fuzz. Son garage se fête comme le retour du héros. Chuck Prophet passe des solos si délicats et tellement intrinsèques qu’il ne reste plus qu’à se pâmer. Et puis, il ne faut surtout pas oublier d’écouter «Killing Machine», car il entre dans les stores avec un gun, alors ça ne rigole plus.

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    Et comme une bonne nouvelle n’arrive jamais seule : la parution du nouvel album s’accompagne d’une tournée mondiale et voilà Chuck Prophet & The Mission Express sur scène à la Boule Noire. C’est inespéré ! Il surgit sur scène ultra athlétique, frais comme un gardon, jumping all over, il faut le voir pour le croire. Voilà un homme ravi de jouer. Il n’en finit plus d’exprimer son bonheur. Pour être tout à fait franc, on s’attendait à une prestation moins extravertie. Dans l’inconscient collectif, Chuck Prophet est un dandy, pas un zébulon qui saute partout. En outre, il commet sans doute une petite faute de goût en portant ces horribles chaussures montantes à guêtres, mais son enthousiasme l’emporte et devient vite communicatif.

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    Bien sûr, il voit lui aussi que la salle est loin d’être pleine, mais il met les bouchées doubles. Il prend soin de présenter tous ses cuts, rappelle que cette année fut a Bad Year For Rock’n’Roll : Bowie, Alan Vega sont morts, et ajoute-t-il, democracy in the USA ! Il reviendra saluer Alan Vega et illustrer mythe du cut monté sur un accord en jouant le Jukebox Baby d’«In The Mausoleum». Il salue aussi Jesus avec l’effarant «Jesus Was A Social Drinker» et n’en finit plus de passer des solos surnaturels qu’on ne trouve pas sur les albums.

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    Il tâte même du twin guitar attack à la Gorham/Robertson avec son guitariste James DePrato. Lorsqu’il revient pour le rappel, il commence par raconter une histoire : en plein mouvement punk, lui et ses copains ados déboulèrent dans un club de San Francisco pour voir jouer des groupes. Il se souvient des horribles Mentals. Puis un groupe de chevelus s’installa sur scène et la salle se vida. Sauf Chuck. Le son des chevelus lui plaisait. Il raconte qu’il vissa littéralement son regard dans celui du guitariste. Et là, il commence à gratter les accords d’intro de «Shake Some Action». Chuck Prophet évoquait les Groovies et il leur rend un hommage flamboyant.

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    Bien sûr, il réapparaît après la fin du set pour signer quelques autographes. Il porte un chapeau de dandy à plumeau et un T-shirt. Il déambule nonchalamment dans la salle et échange quelques mots ici et là. Ce mec tient plus de l’écrivain que de la rock star, on sent qu’il adore le contact. Il va naturellement vers les gens.

    — Thank you for the Dickinson days, Chuck !

    — Oh, it was just perfect.

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    Signé : Cazengler, prophêtard

     

    Chuck Prophet. La Boule Noire. Paris XVIIIe. 21 novembre 2017

    Chuck Prophet. Brother Aldo. Fire records 1990

    Chuck Prophet. Balinese Dancer. China Records 1993

    Chuck Prophet. Feast Of Hearts. China Records 1995

    Chuck Prophet. Homemade Blood. Cooking Vinyl Records 1997

    Chuck Prophet. The Hurting Business. Cooking Vinyl 1999

    Chuck Prophet. No Other Love. New West Records 2002

    Chuck Prophet. Age Of Miracles. New West records 2004

    Chuck Prophet. Soap And Water. Yep Roc Records 2007

    Chuck Prophet. Temple Beautiful. Yep Roc Records 2012

    Chuck Prophet. Let Freedom Ring. Yep Roc Records 2013

    Chuck Prophet. Night Surfer. Yep Rock Records 2014

    Chuck Prophet. Bobby Fuller Died For Your Sins. Yep Rock Records 2017

    Joe Whyte : Heavy Duty. Vive le Rock #44

     

    JOUARRE / 24 – 02 – 2018

    LOCAL SIGVALD'S MC SEINE & MARNE

    PATTY VAREN

    40 BIRTHDAY PARTY

    PATTY VAREN + GUESTS

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    Patty Varen fête son anniversaire. Quarante printemps. Les Rolling Stones ont beau nous avoir appris que le time était on our side, ce n'est jamais marrant de voir les jours filer, alors le mieux est encore d'inviter les amis et de montrer que l'on est encore vivant pour faire la nique au destin et arborer la vie, voiles déployées et pavillon haut.

    Les Sigvald's sont les pros de l'accueil chaleureux et cordial. Du monde partout, dehors, dedans, dans le hall, autour du camion à pizza, sur les banquettes, auprès du bar, beaucoup d'enfants occupés à des pliages, un maximum de bikers représentatifs de tous les moto-clubs des environs, les supporters attitrés des bands, de simples amateurs de rock'n'roll, bref le local est comme un verre de jack rempli à ras-bord, qui déborde de gaieté et de bonne humeur.

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    Vaudrait mieux ne pas parler de la scène. Un entassement innombrable de guitares, d'étuis hétéroclites et d'entrelacs tubulaires, un entrepôt d'usine, un capharnaüm sans nom, dans lequel les musicos s'essaient à retrouver leur matos... c'est que la soirée est spéciale, pas une queue-leu-leu de groupes en brochettes, Patty Varen en superstar, avec ses boyz, et une phalange d'amis et d'amies qui vont venir jouer quelques morceaux, sans compter les incessantes permutations de personnel. Pas tout à fait un concert, une soirée spéciale, une rencontre, des découvertes, beaucoup d'éclats de rire et d'amitiés, chacune des prestations comme un cadeau offert, à Patty, et par Patty, à tous ceux qui sont venus, partager cette festivité rock !

    PATTY VAREN

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    ( Photo : Didier Cattieuw )

    Yeux pétillants, cheveux blonds mi-longs, micro en main, tout sourire, échancrure qui dévoile la naissance des seins, aussi sereine que Jean Bart s'apprêtant à mener, sus à l'anglois, son équipage corsaire à l'abordage, véritable maîtresse de cérémonie, rameute ses boyz comme des enfants en retard, gentiment mais avec ce zeste invisible d'autorité naturelle qui fait toute la différence. Vient du Nord comme elle s'en vantera, mais ne le perdra pas de la toute la soirée. De toutes les manières quand elle sourit, vous ne pouvez qu'acquiescer à ses moindres demandes.

    AND HIS GUYZ

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    Sont quatre. Deux guitares, basse, batterie. Un peu mous du genou sur les trois premiers morceaux, question de réglage, c'est Boris de Kirin Dosha appelé à la batterie pour un morceau qui accomplit la soudure nécessaire. Vous black oute l'énergie en moins de trente secondes. Quand il sera parti, l'osmose se fera et la fête commencera. Deux guitaristes, Bruno le grooveur, une facilité déconcertante pour balancer le riff, Eryck spécialiste des sonorités craquelantes, surtout au moment où on ne l'attend pas. A la batterie Phil joue le rôle de l'homme orchestre, donne de l'ampleur au son, repousse les cloisons, distribue du champ et c'est cet espace qu'Alex inonde de la profondeur de sa basse. Jouent un style que j'appelle du hard mélodique, une musique qui demande énormément de puissance sonore, qui ne déploie parfaitement sa majesté que dans des salles bien plus spacieuses que le local des Sigvald's. S'en tirent bien, l'équilibre de leur jeu pallie ce manque d'étendue volumique. Et puis il y a Patty. Pose sa voix crescendo, rien ne la rebute, passe les obstacles comme si de rien n'était. Monte haut sans jamais se perdre et dérailler dans les aigus, les garz la suivent et la soutiennent, n'oublient pas d'en rajouter, s'amusent entre eux tout en restant à ses petits soins. Patty les soude et les emmène où elle veut, mais voici qu'elle laisse la place à :

    SISTER MOON

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    Z'ont gardé Phil à la batterie. Mano, guitare en main, se plante au micro et c'est parti pour trois – uniquement trois ! - morceaux. Ne mettent pas de temps à faire chauffer la colle. Mano apostrophe l'assistance- Hey ! Hey ! Hey ! - desserre la clef à molette et c'est parti pour le rock and roll. L'a fallu un peu de temps pour installer le synthé sur l'estrade, mais on ne regrette pas, un sauvage dessus, s'appelle Rit, joue comme s'il était en rut, une gueule de caraque ébouriffée, l'a les cheveux pétardés qui partent dans tous les sens, un look à la Mink de Ville, vous martyrise une touche, une seule, juste pour que vous sentiez que votre cerveau en frétille d'angoisse, plus tard prendra son harmonica à s'en démantibuler les gencives, à la basse R-One vous pousse des flots noirs aussi impétueux que le Rhône à la fonte des neiges, Mano aboie et vous galope de ces riffs à la vitesse d'un troupeau d'antilopes. Sister Moon vous file un shoot d'adrénaline à structures zépliniennes qui vous expédie dans la lune en dix minutes. C'est là que vous vous apercevez que, contrairement à ce que soutiennent les scientifiques, les fameux cratères sont en éruption continue. Personne n'a envie de redescendre. Hélas, trois morceaux !

    KIRIN DOSHA

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    Eux aussi sont soumis à la loi d'airain de l'infernale trinité. L'on se dit qu'avec le coup de speed asséné par Sister Moon ils n'ont pas intérêt à compter les moutons. Boris Massonnier nous rassure tout de suite. L'a préalablement scalpé la batterie de la moitié de ses toms. N'a gardé que l'essentiel : la force de frappe. Un plaisir de le regarder, l'a les bras qui bougent comme ceux d'une danseuse étoile, z'avez l'impression d'un tutu qui virevolte en apesanteur. A toute vitesse. Ce qui est surprenant parce que Kirin Dosha ne produit pas un rock'n'roll des plus rapides. Sont beaucoup plus complexes et subtils que cela. Ne cherchent pas à faire la course en tête. Possèdent un chanteur, Laurent Baup, une voix particulière, une tessiture inaccoutumée qui induit une musicalité différente. Dès qu'il ouvre la bouche, vous avez l'impression d'une chrysalide qui libère un papillon. Mikko Anquetil à la guitare et Kevin Corrie à la basse, sont comme plaqués aux nuances colorées de ses ailes chatoyantes qui prennent leur envol. Et décrivent d'étranges arabesques. Esquissent des structures inacooutumées, dessinent un monde inhabituel que vous aimeriez visiter un peu plus longtemps, mais, sont déjà en train de remballer le matos. Dura lex, sed lex.

    PATTY

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    Patty Raven et ses boyz ont repris la piste. Mine de rien le répertoire change, davantage appuyé, l'on quitte le hard technicolor pour des morceaux plus rythmés et incisifs. Patty encore plus à l'aise, captivant l'auditoire par cette espèce de désinvolture de ces grandes dames des salons du dix-neuvième siècle qui monopolisaient par leur parole ailée l'attention de tous les beaux esprits, mais sachant mettre en valeur et prêter main-forte aux nouveaux venus. Nous présente – étaient présents dans son premier groupe à son arrivée à Paris - Chouchou – batteur gaucher de son état, ce qui nécessite une inversion des fûts - et Valérie, de noir vêtue, style mystérieuse égérie, irradiant de cette fausse élégance discrète qui attire les regards... Toutes deux nous interprètent un titre de Noir Désir, obscur à souhait, tandis que Chouchou fait preuve d'une frappe franche et sans défaut qui accentue la pointe de perversité du vocal partagé.

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    JAY JAXSON

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    ( Photo : Didier Cattieuw )

    Patty appelle Jay Jaxson. Pour un duo. Dos à dos. La blonde et la brune. Jay pétille de joie et de simplicité. De ces filles que l'on ne peut s'empêcher de trouver sympathiques avant même qu'elles aient ouvert la bouche. Oui mais dès qu'elle ouvre, vous filez tout doux et vous vous précipitez droit sur l'évier pour faire la vaisselle, une voix de rock et de braise, parfaite pour la ballade à grand spectacle qu'elles nous offrent et Patty qui lui donne la réplique sans effort. Un grand moment. Cherche à s'éclipser, mais non, reste seule avec – ce doit être Bruno, mais ma mémoire fatiguée ne peut l'affirmer, à l'acoustique – et c'est parti pour un blues enlevé à la coyote, rythmique répétitive précédée d'une foudre d'harmonica aux piquants de porc-épic soufflée par Jay avant qu'elle n'enchaîne, un vocal aussi cinglant que des coups de fouets. Suivront deux morceaux, Jay toute seule, s'accompagnant à la guitare, deux brûlures au fer rouge, appliquées avec un savoir-faire de bourreau cruel, d'ailleurs elle s'échappe en éclatant de rire, nous laissant sur notre faim, dans notre incomplétude. Une révélation, qui nous vient d'Australie, en Europe depuis quelques années... La grande classe. La grande claque.

    BLACK PEARL

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    ( Photo : Black Pearl )

    Black Pearl - Rock Covers Band, l'autre groupe de Patty, l'en manque un, le batteur, no problem, ce n'est pas ce qui manque et la fête continue, à fond les ballons, de Born To Be wild de Steppenwolf à Highway to Hell d'AC / DC, du gros rouge classique qui tâche et qui ramone sérieusement, et Patty qui mène le bal des ardences... attention, gâteau d'anniversaire, bougies soufflées, applaudissements, bises spéciales aux Sigvald's qui ont agencé la fête et Patty demande si elle peut encore se permettre un petit morceau avec ses perles noires qui ont déjà ceint leurs guitares. Permission accordée, après tout c'est son anniversaire !

    Damie Chad.

    ( Sauf indications contraires, photos : FB : Sigvald's MC Seine et Marne )

     

    WONDERLAND / KIRIN DOSHA

    Laurent Baup : lead vocals, guitars / Mikko Anquetil : lead guitars, vocals / Kevin Corre : bass, keyboards, vocals / Boris Moissonnier : drums.

    Enregistrement, mixage, mastering : Sébastien Langle.

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    Bel artwork by Jo Design. Oeil rouge et cornes noires d'un kirin blanc – espèce de licorne chinoise à écailles dégageant une énergie ( dosha ) bienfaitrice – en lisière de pochette, comme posté à l'orée de notre monde d'une froideur bleutée mortelle. A moins qu'il ne soit au bord de l'univers merveilleux du vide accompli en sa perfection. Pochette ambigüe qui laisse à penser que dans le monde des hommes, celui qui peut se revendiquer d'une nature kirinique est d'une rareté yinique exemplaire. Quoi qu'il en soit, le message induit est à décrypter en tant qu'annonce d'un rock'n'roll qui ne brûle pas ses vaisseaux dans les flammes sans cesse renaissantes de sa propre énergie. Kirin Dosha fait partie – c'est ainsi que je le classe selon mes propres catégories qui ne sont pas celles communément admises - de ces groupes néo-progressifs qui ouvrent le livre mystérieux des légendes prophétiques du présent. Cela peut-être pour noter que le groupe que nous avons vu sur scène à la Patty Varen Party était résolument beaucoup plus primairement rock que celui donné à entendre sur ce CD.

     

    Command and control : tout de suite la différence, l'utilisation dominante des claviers qui classicise la musique. Pas vraiment une symphonisation mais une ampleur sonore quelque peu majestueuse qui donne profondeur et ouvre les perspectives. Ensuite tout repose sur la disjonction de la rythmique et de la voix. La batterie droit devant et le vocal sur une ligne faussement parallèle qui s'écarte insensiblement de cette direction, le reste de l'orchestration ménageant pauses et étapes qui vous envoûtent et vous empêchent de vous apercevoir de cette partition germinative. Evil Twin : la mauvaise part, le reflet de l'unicité qui se donne en tant qu'annihilation de son origine, très belle prestation vocale, barde qui vaticine les grêlons de l'existence, la musique comme fission éruptive et brutale. Surrender : les chants de la déshérence, une longue mélopée interminablement échevelée, jamais finie, toujours reprise, un galop sans fin auquel vous vous abandonnez, emporté, bercé, enlevé, kidnappé, s'entrouvrent les portes d'un ailleurs inconnu, il est trop tard pour reculer, vous n'en avez aucune envie. Sentenza : plus enlevé, dans le vif du sujet, rythmique accélérée, vocal auto-comminatoire, et ces touches cristallines qui laissent présager l'accueil d'un adieu, la voix qui rampe, s'évanouit et enfle comme poche de fiel ou de ciel crevés. Choeurs éloignatifs. Blessed : la voix étirée tel un drame, tout le reste comme accompagnement qui essaie de recouvrir plaintes, paroles et espoirs, plus que le piétinement de la batterie qui s'éteint et qui renaît identique au début du premier morceau. Le cercle se referme sur lui-même de la même manière qu'il s'ouvre...

     

    Kirin Dosha a su créer une atmosphère rockmantique qui n'appartient qu'à eux. Un beau disque pour ceux qui aiment les contes d'orichalque et de licorne unicorne.

    Damie Chad.

     

    WHEN YOU'RE GONE / THE FOUR ACES

    Rock Paradise Records / RPRLP 106

    ( 2012 )

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    Faut farfouiller chez soi. C'est la semaine dernière en cherchant ce que j'avais sur les Four Aces, que je suis tombé sur ce vingt-cinq centimètres tout neuf, encore emballé dans son plastique. Religieusement classé sur l'étagère idoine et oublié là depuis cela doit faire plus de quatre ans. Plus vraiment d'actualité mais le rockabilly étant une musique éternelle, l'on s'en moque. Et puis l'occasion de faire un signe d'adieu aux Four Aces qui ont donné leur dernier concert la semaine dernière ( voir Kr'tnt ! 362 ). Avec en prime quelques photos de cette ultime prestation dues à l'œil aiguisé de Serge Viennet.

    Laurent : vocal & rhythm vocal / Marc : lead guitar / Thierry : upright bass / Carlos : drum.

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    Won't You Stop : voix explosive et la contrebasse qui cliquette comme une crécelle de lépreux. Tout le rockabilly en cette entrée fracassante et toute la suite, la batterie qui grogne en chien méchant qui n'aime pas que l'on s'approche de sa gamelle, un solo de guitare à vous faire tirer dessus par un sniper, pourvu que ça n'arrête pas. Hélas si ! Goin' Strong : pour reprendre aussitôt. Guitare grondante, voix menaçante, batterie hébétante et contrebasse rebondissante. Laurent hausse et ralentit le débit de sa voix comme l'on négocie un virage mortel juste pour que la passagère se serre encore plus près de vous. Chaleur animale. My Baby's Gone : l'a dû avoir trop peur, à la fin de la croisière elle a claqué la portière et s'est tirée de la tire. Pour le blues vous repasserez, juste l'occasion d'être encore plus épileptique que sur les morceaux précédents, les Four Aces quand ça pique ils n'ont pas de coeur. Vous laissent sur le carreau mais c'est beau comme un trèfle à quatre feuilles. Tell Me Baby : avec les filles faut mettre les points sur les I, Marco vous poinçonne le boulot sur sa guitare de main de maître. Quant à Laurent il vous la briffe direct pendant que Thierry et Carlito en rajoutent par derrière. Envoyé de mains de maîtres.

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    I'm Out : atones les Four Aces ? Vous voulez rire, n'ont jamais été aussi in. Un festival instrumental, et Laurent vous remue la salade vocale d'une bien belle manière. When You're Gone : quand la souris est partie, les chats dansent. Pour la dépression, disons que le mental est au plus haut, vous avez Marco qui bouscule les meubles, Laurent qui s'accroche au lustre, Thierry qui tambourine sur la porte et Carlito qui vous siffle les verres de jack à tire larigot. Une espèce de tourbillon à la derviche tourneur, mais frénétique. What Can I Do : l'interrogation métaphysique. Savent très bien ce qu'il y a à faire. Du rockabilly explosif avec des trombes de contrebasse des éclairs de guitare, des hachis de drum et des persillades de vocaux au vitriol.

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    You'll never stop : ces gars-là ne sont pas partis pour s'arrêter, le proclament bien fort, et chacun y va de son bâton de dynamite pour vous en persuader. Y réussissent très bien. Avec une facilité déconcertante. Leaving On My Mind : le côté moqueur rockab, Laurent nasille et les trois autres frétillent du hillbilly, l'on étire le solo de guitare, la upright dodeline de la tête, et Carlito vous sautille le rythme, genre canasson qui clopine pour regagner l'écurie après avoir sailli trois juments dans le pré. Good Show no Go :

    Bon rockab ne saurait mentir, les cats n'engendrent pas des demi-portions, se régalent de jouer les méchants, vous le font à l'intimidation, pour un peu vous auriez peur, mais non sont trop bons pour les coups tordus. Emportent la décision comme le corbeau le fromage. Vous laissent tout penauds quand ils arrêtent les frais ( après avoir été si chauds ! ). Une seule solution remettre le disque !

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    Une petite merveille ce mini trente-trois se révèle être un grand album. Que du rockab, mais jamais d'ennui, vous le déclinent comme les milk-shake, à tous les parfums. A chacun sa saveur. Et vous vous sentez obligé de les goûter tous.

    Damie Chad.

    ( Photos : FB : Serge Viennet )

    JOHNNY HALLYDAY

    Rock & Folk / Hors-Série N° 36 / Janvier 2018

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    Rock & Folk, la revue, n'avait offert que quelques photographies inédites pour rendre hommage à Johnny, dans sa livraison de janvier. Peu, si l'on compare au tsunami de numéros spéciaux consacrés à l'artiste par des canards ( souvent boiteux ) pas spécialement célébrés pour l'intérêt qu'ils portent habituellement à la musique en général, et au rock'n'roll en particulier... On nous avait prévenus, l'on mettrait les petits plats dans les grands un peu plus tard. C'est à la mi-février que le festin a été livré dans les kiosques. Service minimum. Pas de branle-bas généralisé dans la cambuse. L'on n'a désigné qu'un grand-chef. Pas n'importe lequel, le maître-queue spécialiste du old style. Jean-William Thoury. Difficile de trouver mieux. Y a bien dû y avoir une armée de marmitons – les petites cuillères - qui ont disposé les photos sur la maquette et veillé à lisser les titres, mais c'est tout. N'a pas eu le temps de jouer les touristes, Thoury, idem pour les grandes réflexions et les mises en perspectives. L'est parti du principe qu'un chien écrasé n'était qu'un chien écrasé. Tant pis pour ceux qui aimeraient connaître sa race, sa taille, sa couleur, son pédigrée, le nom du conducteur, la marque de la voiture, et qui s'interrogent sur si l'acte était prémédité, intentionnel, la bête est-elle morte sur le coup, a-t-elle souffert, on s'en fout, idem pour le chagrin de la petite fille sur le trottoir devant la marre de sang. Non, les faits bruts, dans leur sécheresse. Un chien écrasé. Point. Passons au suivant.

    Ce qu'il y a du bien avec Hallyday, c'est que les clébards crevés au bord de la route, l'en a laissé des tonnes. Jean-William il écrit un numéro spécial, pas La Recherche du Temps Perdu. Pas une minute à s'attarder. L'a tordu le cou au lyrisme. Style télégraphique. C'est que Johnny, l'a pas roupillé ses journées dans sa chaise-longue à feuilleter des magazines, l'était pas du genre à passer trois jours sur sa pelouse à chercher des trèfles à quatre feuilles. L'a chanté, aimé, baisé, bu, descendu les rivières en radeau, s'est battu, a voyagé un peu partout, tourné des films, fait de la moto et du théâtre, disputé des rallyes automobiles, donné des concerts, enregistré des disques, vaudrait mieux lister tout ce à quoi il n'a pas touché, ce serait moins long. Jugez-en par vous-mêmes, tout compris, textes, photographies, gros titres, Jean-William Toury est arrivé à remplir cent pages. Gros boulot. Belle compilation.

    N'empêche que l'on reste sur sa faim. On attendait au minimum une beau cuissot d'éléphant, un pantagruélique plat de résistance, sept ou huit desserts plus les îles flottantes et leurs océans de crème au beurre, et l'on n'a eu à becqueter que les petits fours de l'apéro. En gros, expression mal venue, l'on a eu la madeleine, mais les rallonges de Proust elles sont restées dans l'encrier.

    Pourtant ce ne sont pas les facettes qui manquent, Johnny vous pouvez l'aborder par tous les côtés... l'on dirait que Rock & Folk a évité les sujets qui fâchent. Les faits, rien que les faits, permettent de ne pas prendre position. Prudence avant tout ! Surtout ne pas décevoir une partie de nos lecteurs, difficile d'établir un consensus entre les fans inconditionnels de Johnny et ceux qui ne le calculent même pas. Adoration ou mépris, ne pas choisir. L'on eût aimé autre chose. D'un peu plus rock'n'roll !

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 242 : KR'TNT ! 362 : Mr AIRPLANE MAN / THE GOON MAT & LORD BENARDO / VELLOCET / THE ATOMICS / THE FOUR ACES / AMHELL & THE CRACK-UPS / JALLIES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 362

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    22 / 02 / 2018

    Mr AIRPLANE MAN / THE GOON MAT & LORD BENARDO

    VELLOCET / THE ATOMICS / THE FOUR ACES /

    AMHELL & THE CRACK-UPS / JALLIES

    Hey Mr Airplane Man play a song for me - Part Two

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    Rien qu’avec un nom de groupe comme celui-là, la partie est gagnée d’avance : Mr Airplane Man, en l’honneur de Wolf. D’ailleurs, dès qu’on prononce le nom de Wolf, Margaret jette les bras au ciel et fait Ahhh ! Margeret et Tara ont eu le bon goût ce choisir le bon nom, comme le fit jadis Brian Jones pour les Rolling Stones, en hommage à l’autre géant du coin, Muddy. Et la partie est encore plus gagnée d’avance dès lors qu’elles tapent quasiment en début de set dans The Unapproachable Pathos Burns d’«Asked For Water».

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    Elles féminisent l’inféminisable, elles brassent le brut, elles oum-kalsoument le loup, elles rawent dans les brancards, elles rallument d’antiques brasiers, elles jouent avec le feu, oui, c’est exactement ça, elles fuckent le fake, elles charment le souvenir du vieux dieu noir et l’ancrent dans notre pauvre actualité deux-mille-dix-huitarde, elles shootent le blues dans le cul d’un temps qui n’en finit plus de rendre gorge, Margaret le chante de tout l’interior de son Luxe de fan, elle l’ondule du genou, elle le fouette en demi-teintes de demi-caisse, elle le plaint et le geint à la bonne mesure, elle ahoooooote sans la ramener, elle fâche deux ou trois accents, mais se prélasse dans le groove d’un blues magique et Tara le bat si soft, si mesuré, si juste qu’on s’en effare à chaque mesure, il faut la voir compter le temps du blues avec les épaules, elle offre un spectacle fascinant à elle toute seule, elle tient le beat de Wolf en laisse, elle chaloupe plus qu’elle ne bat, elle incarne le cœur du blues comme seuls des cracks de la trempe de Sam Lay ou Ted Harvey savaient le faire, et quand Margaret se rapproche de Tara pour communier, alors elles mangent le corps du blues.

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    Elles transmutent le plomb de la Gasoline en galantine d’organdi. Et lorsqu’elles tapent dans un registre plus architectural, elles poppisent l’ambiance, «Not Living At All» relève d’une certaine admirabilité des choses, Margaret le chauffe d’une voix chargée de sortilèges, elle pose son regard clair sur le monde et gratte doucement sa grosse guitare noire. Elle s’échappe par des petites pointes d’aho-ahooo, et Tara la soutient dans les affres de la plus fine complicité.

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    Et comme si réveiller le fantôme de Wolf ne suffisait pas, voilà qu’elles réveillent celui d’Hooky avec «Up In Her Room», aw yeah, Margaret ramène la transe du deep ole niggah dans le champ des blancs, une vibe qui remonte à la nuit des temps et que l’électricité modernise à outrance, c’est le son le plus rock qui se puisse imaginer, un seul accord et des petits riffs insalubres, pas la peine d’aller chercher midi à quatorze heures, tout est là, et cette diablesse de Margaret envoie quelques giclées de bottleneck, histoire de rouler le raw dans la farine, shake it to the one, elle chante à pleine voix et sa langue chuinte dans la croyance primitive. Elles n’en finissent plus d’y croire dur comme fer. Elles hantent si bien leur «Let It Go» qu’on se croirait dans une cabane du bayou encerclée par les alligators au yeux fluorescents.

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    Ou pour aller chercher une image un peu moins tintinesque, on pourrait dire qu’on se croirait dans le juke-joint de Junior Kimbrough, car c’est exactement la même lancinance, celle qui monte au cerveau et qui retourne les yeux au fil de la transe. Elles ressortent le vieux «Black Cat Bone» histoire d’envoyer une nouvelle giclée de jus dans l’œil du cyclone. Bienvenue dans l’enfer du paradis de la slide impavide, Margaret y va de bon cœur, elle n’est pas avare comme le sont les Cauchois, elle rajoute des tournées de sliding à gogo et comme Cochise elle décoche dans la caucherie tout le chaud des champs, cette violence qui date d’un temps où on forçait les nègres à travailler de l’aube jusqu’à la nuit. Alors, sors ton black cat bone, niggah, et maudis le patron blanc. Quand on écoute ça, on comprend que la colère, la seule qui compte et qui consiste à s’élever contre l’injustice, a enfanté des merveilles : le blues d’un côté et l’Internationale de l’autre. Personne ne peut rester insensible au charme des deux, pas même un porc. Elles repartent en mode North Mississippi Hill Country Blues avec «I’m In Love» monté sur un beau riff enroulé et Margaret l’emmène directement au firmament de la rockalama de Rocamadour, ça ne fait pas un pli, Tara nous bat ça des épaules, avec cette espèce de puissance contrôlée qui fait d’elle une batteuse de rêve. C’est si bon que Margaret glousse, on patauge dans l’excellence, hank you so much, elles n’en finissent plus de remercier le public, il règne dans la salle une stupéfiante ambiance de connivence et elles terminent leur set avec un «Travelin’» signé Greg Cartwright, the Memphis connection, histoire de boucler la boucle. Tara bat ça au tambourin, Margaret l’harangue à la volée, ça balance à la java, elles jivent le contexte du travlin’, muent leurs voix en une seule feinte, tous les beats du monde sont dans l’air, Margaret et Tara atteignent à l’universalité.

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    Comme le nouvel album tarde à paraître, on doit se contenter de l’existant, mais quel existant, baby ! Tiens, par exemple The Lost Tapes, un album mis en circulation voici trois ans et qui propose une cassette perdue et retrouvée par Margaret dans sa cave. Cette cassette remonte à leurs débuts.

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    En vraies fans de blues, elles tapent dans le vieux Fred McDowell avec «Sun Sinkin’ Low». Elles enchaînent avec Wolf et «Commit A Crime» qu’on retrouvera sur l’album Moanin’ paru en 2002. Le texte de Tara fait tout le charme de ce disque, car elle raconte les circonstances de leur rencontre avec Matthew Johnson, le boss de Fat Possum : le soir de leur arrivée, il leur fit un petit plan hitchcockien. Il les fit asseoir devant son bureau et il se mit à nettoyer son flingue devant elles. Tara raconte aussi une nuit d’aventures à la Nouvelle Orleans et la rencontre d’un trafiquant d’alcool qui leur vendit une bouteille d’absinthe. Sur cet album, elles tapent aussi dans le Gun Club avec «Love Of Ivy». Margaret s’en sort avec les honneurs, car elle cherche en permanence l’effet de bottleneck enragé. Alors elle gratte comme une folle et secoue ses genoux, comme si elle twistait à Saint-Tropez. La bombe se trouve en fin de B : «Hanging On A Thread», du pur garage avec Bruce Watson aux maracas. C’est enregistré dans son trailer, comme le précise Tara, et dans des conditions extrêmes, puisqu’ils viennent de siffler la fameuse bouteille d’absinthe - C’mon C’mon ! - C’est solide et bardé de viande, ça ferraille dans la déglingue. Elles shootent dans leur boogie du diable toute l’hypno de bastringue du North Mississippi Hill Country Blues, sans doute la meilleur du monde avec celui des Soufis du Riff marocain. Elles ont ça dans la peau. Bruce Watson joue le thème à l’orgue, à la vie à la mort. Rien d’aussi demented.

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    L’autre petite merveille disponible se trouve sur le bandcamp des filles. Cadeau du Professor. Ça s’appelle Bits And Pieces, une collection d’outakes de leurs albums parus sur Sympathy. Dès «Foxtrot», on sent le souffle, celui du riff de notes binaires. Margaret joue ses vagues de trash, mais à volonté. Même principe qu’un buffet de restaurant chinois. On pourrait appeler ça un instro Salvadeur de Salvador. Allende, bien sûr ! Elles tapent dans le vieux «Lil’ Red Riding Hood» de Sam The Sham, idole considérable chez les connaisseurs d’Amérique et elles en font du gluant de petite vertu, un vrai régurgitage de mini-jupe. Et paf, voilà «Over That Hill», tiré d’une session avec Greg Cartwright, un heavy blues explosif chanté à l’ingénue libertine, complètement dyslexé au trash de distorse, on vendrait son père et sa mère pour un son pareil. Rien d’aussi énorme sur cette pauvre terre. Elles tapent ensuite dans le «Blue Lite» de Mazzy Star, Margaret fait sa Hope et ça sandovale à gogo, mais c’est «Back To The Room» qui emporte la bouche et tous les suffrages, oui, car voilà le boogie du raw to the bone, clair à en pleurer, impérissable et magistral. Terminus avec «Slippering», un heavy blues de rock démentoïde. Margaret chante à peine au dessus du bordel, c’est tellement plein de son que le spectacle devient visuel. Le cut se noie dans le trash, help ! et une voix répond Yeah ah ooow, ça paraît con, écrit comme ça, mais c’est exactement ce qui se passe sous nos yeux globuleux. Margaret y va tant qu’elle peut, comme si elle jouait son ultime va-tout, son raout de la fin des haricots, burn baby burn alors oui, elle burn.

    Signé : Cazengler, Mr Planplan Man

    Mr. Airplane Man. Les Nuits de l’Alligator. Le 106. Rouen (76). 8 février 2018

    Mr Airplane Man. The Lost Tapes. Moaning Records 2015

    Mr Airplane Man. Bits & Pieces. Bandcamp delights

     

    Goon Mat the Hoople

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    Aussitôt après le set, the Goon Mat installait son mersch. Comme il parlait français, ça fluidifiait les échanges.

    — On vous a entendu à la radio !

    — Ah bon ?

    — Au Dig It Radio Show !

    Il ne connaissait pas.

    — Le morceau s’appelait «Little Girl», je crois...

    — Non, c’est pas «Little Girl», c’est «Lil’ Girl»

    La conversation prenait une tournure bizarre.

    — D’où venez-vous ?

    — De Liège, en Belgique.

    Le savoir belge, ça détendit aussitôt l’atmosphère.

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    Sur scène, ce mec jouait le blues comme un dieu. Le privilège de l’âge renforçait encore son imposante stature, comme si le fait de porter une belle barbe blanche conférait une sorte d’autorité divine. Comme son mentor Beat-Man, ce vétéran de toutes les guerres jouait de la guitare assis derrière un bass-drum. Il dégageait tellement d’énergie qu’il aurait pu chauffer tout un immeuble. Il jouait ses riffs sur des guitares vintage, réunissait toutes les conditions du régularisme gras et swinguait le beat des deux jambes. Ce blues-rock dude sortait tout droit d’un monde magique, celui du North Mississippi Hill Country Blues. Il avait ce qu’on met parfois une vie à chercher : un son. Cet authentique fan de blues voyageait de ville en ville pour porter la bonne parole, comme jadis les troubadours. Et diable, comme cette parole pouvait se révéler vitale, en ces temps de peste et de médiocrité rampante. Il ne forçait jamais, le blues hypnotique de Rural Burnside et de John Lee Hooker coulait de lui comme de source.

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    — Tu le vends combien l’album ?

    — Vingt !

    — Oh, il est sur Voudou Rythme !

    — Oui, on est sur Voodoo Ryzem !

    S’ensuivit un interminable hommage à tous les géants ressuscités par Fat Possum, T-Model Ford, Rural Burnside, puis the Goon Mat indiqua que Beat-Man l’avait dirigé sur Jim Diamond, d’où le son de l’album, et quel album !

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    Il s’appelle Take Off Your Clothes. Attention, ça mord dès «Because Of You» : sens du beat parfait, voix nichée dans le meilleur écho du temps, ce mec a tout bon. Lord Benardo chevauche side by side, il accumule toutes les virulences, à la meilleure mode d’alerte rouge, il nous refait la pétaudière à Walter Daniels qui refaisait déjà la pétaudière du grand Little Walter Jacobs. On sent le son de la meilleure désaille et dans un genre aussi difficile, ça devient un véritable exploit.

    C’est exactement ce qui se passait sur scène : Lord Benardo instillait des crises de demented harp dans l’hypno tentaculaire du Goon Mat. Quel ballet ! Lord Benardo se transformait en une sorte de tempête à deux pattes pendant que the Goon Mat se dressait comme un phare dans la nuit. Extraordinaire complémentarité. Un ying et un yang d’électrons libres. Tout le bien qu’on peut vous souhaiter est de pouvoir choper ces deux mecs sur scène.

    The Goon Mat cite The Legendary Tiger Man parmi ses chouchous, mais curieusement, il ne connaît pas Chicken Diamond.

    — Pourtant, il a trois albums sur Beast !

    — ...

    — Mais si, un mec de Thionville !

    — ...

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    C’est en lisant la track-list au dos de la pochette que la lumière se fit : le cut entendu à la radio s’appelle «Lille Girl» et non «Lil’ Girl». Ce n’est tout de même pas la même chose. On a là une véritable pépite de trash-punk blues pulsée de l’intérieur du menton et activée à coups de yeah avec une magnanime relance de beat au deuxième couplet. Ce mec a un talent fou. Il sonne si juste qu’on peine à le croire blanc. S’ensuit un «Babe» joué à l’heavyness prévalente. The Goon Mat harangue le petit peuple pendant que Lord Benardo aligne de savantes tortillettes d’harp no more. C’est absolument troublant de justesse.

    The Goon Mat indique qu’il va évoluer sur un son plus «actuel», avec des samples. C’est d’ailleurs ce qu’avait réussi à faire Rural Burnside en son temps, il avait réussi à ramener des machines dans son groove d’hypno pur jus et ça marchait. Au fond, chacun sait que la vraie modernité vient de gens comme Fred McDowell et Rural Burnside, comme elle vient de Miles Davis, de Monk et de Coltrane.

    Toute l’A de Take Off Your Clothes est somptueuse. Avec «Get Down With You», ils restent au niveau d’alerte symptomatique, c’est-à-dire éminent et incendiaire, avec une parfaite aisance et un choix d’angle parafait. De cut en cut, l’album devient passionnant. C’est tellement rare qu’il faut le dire quand ça arrive. Ils se livrent à une petite confession bon enfant avec «Conception Of The Blues». The Goon Mat monte ça sur un vieux riff d’Hooky et le chante à l’accent roulant des festifs liégeois - Oh the bluez - On assiste à de jolies montées en température, bien vibrillonnées par ce diable de Benardo. Comme Sisyphe, ils montent leurs bluez jusqu’en haut de la montagne. Heureusement certains cuts sont un peu moins intenses, ce qui permet au lapin blanc de reprendre son souffle dans la lande.

    Sur scène, the Goon Mat relança son grand beat à deux jambes pour embarquer le morceau titre de l’album au paradis. Il sonnait comme un big band de harp blues à lui tout seul, tout en affichant une sorte de calme olympien. Pas de rivière de smokin’ sweat comme chez Beat-Man, tout l’art du Goon Mat reposait sur un contrôle subtil des éléments. Chacun de ses départs de beat n’en finissait plus d’épater, on le voyait tenir le cap du beat droit sur l’horizon et filer les nœuds comme le plus léger des brigantins.

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    D’autres merveilles guettent l’amateur de blues en B, notamment «Dance With Me», bien hypno, un honey dance witte me en hommage à Rural Burnside, d’une justesse de ton imparable. Ces deux mecs ont repris le flambeau, avec une sorte de classe qui en dit long sur leur passion. Avec Cedric Burnside, Left Lane Cruiser, the North Mississippi Allstars et les deux Liégeois, la relève est assurée.

    Signé : Cazengler, the good mite

    The Goon Mat & Lord Benardo. Les Nuits de l’Alligator. Le 106. Rouen (76). 31 janvier 2018

    The Goon Mat & Lord Benardo. Take Off Your Clothes. Voodoo Rhythm 2018

    BEHIND THE BLACK DOOR

    A ROCK'N'ROLL SESSION

    VELLOCET

    Le rock'n'roll tel qu'en lui-même. Réduit à l'essentiel. Quatre gars, un groupe : Eric Colère ( chant ), Christian Verrechia ( basse ), Hervé Gusmini ( batterie ), Bruno Labbe ( guitare ). Enregistré et mixé en deux jours à la maison. Pas encore artefacté, seulement disponible sur plate-formes, demandez le lien à emarechal9@yahoo.com. Au final un album splendide. Envoûtant. Une musique qui se colle à vous et dont vous ne pouvez vous défaire. Noire et brillante. Sans effet particulier. Si ce n'est cette éblouissance qu'apporte une formation qui joue ensemble, chacun se fondant dans le son collectivisé. Pas d'esbroufe, mais une présence instrumentale indéniable. J'ai écouté trois fois le ''disque'' rien que pour la frappe goûteuse Gusmini sur ses cymbales, des éclats de soleil noir qui trouent la nuit, et ce travail de basse de Verrechia, une menace sourde omni-présente, à vous faire regarder sous le lit et entre les draps le soir avant de vous coucher. Fleur du mal empoisonnée. Quant à Labbe l'a la guitare ensorcelante, pas véritablement de riffs, une longue phrase d'une flexibilité étonnante, faites gaffe, du genre à vous passer le nœud du coulant autour du coup sans que vous vous en aperceviez. Colère, en anglais et en français. Timbre expressif. Vous fout le coup de tampon nécessaire à l'envol des morceaux. Vol de corbeaux sur les toiles de Gauguin. Indispensable.

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    La haine : un serpent noir glisse sur le plancher, ayez peur, l'est-là pour vous, se love sur vos genoux, vous apporte le plus merveilleux des cadeaux celui qui exclut tous les autres : la mort. Un des titres les plus vénéneux du rock français. Rythmique lourde, guitare ensorcelante, vous emmène jusqu'au bout du tunnel. La voix métaphysique d'Eric pose la question essentielle, celle de la finitude humaine. N'oubliez pas qu'il est des interrogations qui sont des réponses. Musique noire, visqueuse, tâche de cambouis excédentaire, marée noire sur votre âme. Cette lèpre insidieuse rigidifie votre cadavre. Vous n'auriez jamais dû passer le seuil de cette porte. Loosing you : vous croyiez avoir traversé l'épreuve suprême, ce qui vous attend est encore plus inquiétant. Cette guitare vous démantibule morceau par morceau. Délitement. Pire que la mort qui est une totalité, le manque, la perte de l'intégrité essentielle, une batterie aussi lourde et solennelle que le Crépuscule des Dieux à elle toute seule, et ce que je n'avais jamais entendu encore, la voix d'Eric qui grogne s'enroule sur elle-même et vous tient le rôle du solo de guitare, les autres autour comme les flammes de l'enfer qui jouent aux papillotes avec la douleur du corps qui se tord sur le bûcher de la souffrance intérieure. Des caillots de basse comme une procession funéraire, et ces coups de cymbales qui vous tailladent la chair sans rémission. Au nom de Dieu : seule la colère, la rage et la révolte permettent de vivre. Vellocet à fond la caisse. Un trait de feu. L'homme ne sera libre qu'une fois qu'il aura égorgé les dieux. Ouragan revendicataire, tout emporter, tout bazarder, bélier de bronze contre les contraintes carcérales des croyances. Coup de pied dans la fourmilière des idées fausses. Vellocet nettoie votre cerveau. Karcher monstrueux dans vos synapses. Si vous l'avez oublié, Vellocet vous le rappelle : le rock'n'roll est une musique violente. Alerte noire : Zone Dangereuse. Au-delà de cette tornade, vous serez livré à vous-même. Monday morning blues : blues vicieusement vitaminé, ça tangue comme une mer qui furieuse précipite la coquille de noix de votre individualité sur les récifs, pas le temps de réfléchir, le mouvement s'accélère, guitare tranchante, basse de fond, batterie implacable, le vocal d'Eric clame la catastrophe annoncée, l'est comme l'écume blanche qui indique le lieu du naufrage. Bloody Monday. Mona Lisa : une basse qui sonne comme les ondes du désir fou qui court sous la peau des hommes. Une batterie qui hache la chair, la guitare klaxonne pour vous avertir du danger. La beauté tue plus sûrement qu'une balle qui vous traverse la tête. Faut entendre Eric répéter le nom de Mona Lisa, l'on dirait qu'il mâche le chewing gum du rut. Le morceau se termine par un rugissement collectif de fureur. Femme, ultime épreuve. De satiété. Sex and rock'n'roll valent autant qu'amour et poésie. Shotgun House : le combo rebondit comme une balle de squash sur le mur des prisons internes. Sept balles dans votre cœur de cible. Un morceau sans pitié. Deux minutes vingt sept secondes de malheur. Et de foudre. Aurions-nous supporter une seconde de plus ? Sniper définitif. Macho : le reptile du mentir-vrai s'insinue vers elle, Vellocet plus visqueux que jamais, sédition de la séduction, Vellocet déroule des anneaux de promesse de stupre paradisiaque, consentement et contentement sont chacun d'un côté de la barrière des relations humaines, la musique s'alourdit et s'arrondit, elle épouse les courbes de la perfide tentation de la voix du Serpent qui tendit la pomme à Eve. Refus ou acceptation. Inutile de se plaindre après. Laisse-moi : plénitude du rêve et sentiment de déperdition. Homme partagé. Blues et idéal aurait dit Baudelaire. Déchirements intimes. La musique de Vellocet embrase la douceur majestueuse des fleuves qui roulent des flots d'une puissance extraordinaire.

     

    Un chef d'œuvre absolu.

    Damie Chad.

    17 / 02 / 18TOURNAN-EN-BRIE

    LE 101 . FERME DU PLATEAU

    RIP IT UP / Party 3

    THE FOUR ACES / AMHELL & THE CRACK-UPS

    THE ATOMICS

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    Préfère ne pas compter les années depuis que je n'ai pas mis les pieds à la Ferme du Plateau. Ce doit être depuis le Rip It Up. Party 2. Ne suis pas le seul à entendre les exclamations qui fusent «  Ah, oui, je reconnais la salle ! » … L'on retrouve les murs et bien mieux encore des têtes que l'on n'avait pas vues depuis longtemps. Accueil sympathique, coiffeur spécialisé es-bananes, et disc-jockey pour les amateurs de danse. Pas mon cas.

    THE FOUR ACES

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    Les quatre as. Le grand jeu. A tous les coups vous êtes sûrs de remporter la mise. Le rockab, tel que vous en rêvez la nuit. Le jour aussi. Entre chiens et loups, encore plus. La foi, le feu, la foudre. C'est juste du rock'n'roll, combien tristes ceux qui n'aiment pas ça ! Honey Bun pour commencer la partie. The party. Un régal. Faut voir Laurent. Droit dans sa veste. Guitare en travers. Jeu d'épaule à la Cochran et c'est parti pour cueillir les marguerites au vibromasseur. Le jeu du fou, le sourire du renard, la hargne du chacal qui s'acharne sur les vieux os brisés et inusables du rock'n'roll. Numérotez vos abattis, Thierry Gazel est à la basse bourdonnante. L'a fait japper tant qu'elle peut, n'arrêtera pas de tout le set, se pend à vos frasques et ne lâche plus le morceau. Carlos est au drumin'. D'une seule main. Temps, contre-temps et tout le tintouin, fin sourire aux lèvres et maracas mexicaine dans sa dextre. Vous donne la mesure exacte, celle qui vous permet de comprendre le sentiment de démesure que porte en lui le rockabilly. Marco est à la lead et à la chemise tahitienne. Vous plante les banderilles à l'instant fatal. C'est cela le rockab, l'art fugace de l'instant, vous avez dix secondes de célébrité dans un morceau mais c'est amplement suffisant pour sortir vos griffes. Si vous ne le croyez pas, rentrez dans la cage aux tigres du rockab, et revenez nous donner vos impressions.

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    Laurent est à la fête. Vous sort les mimiques et les simagrées du rockab. Un art plus difficile que le trapèze. Un clin d'œil trop appuyé, un sourire trop épanoui, c'est raté. Totalement râpé. Un art du mime qui ne s'apprend pas. Cela s'acquiert d'instinct, même pas besoin de voir une vidéo ou des photos. La musique seule vous dicte les attitudes. Et Laurent excelle en cette pantomime. Faut aussi la voix. Sans laquelle vous passez par la case sortie de route. Un timbre et des intonations. Et puis se laisser guider, savoir saisir cet instant magique où l'on cesse d'être en représentation pour se laisser aller, se laisser porter et emporter par cette graine de folie qui pousse dans l'herbe folle du rockab.

    Laurent et sa gueule de corsaire. Verbe haut qui contient toutes les balafres, toutes les gerçures de la vie, et cette fureur joyeuse de vivre malgré tout envers et contre tout. Les titres défilent, I'm Crazy About You, When You're Gone, Baby Take Me Back, I'm Commin' Home, drames, comédies et tragédies. Les mettre en scène, de la voix, du geste, d'un mouvement brusque du corps, d'un regard ombrageux ou complice, ne s'agit pas de chanter, mais de créer l'émotion foudroyante à partir de lyrics d'une écriture assez simple, d'atteindre à l'universel des situations existentielles archétypales. Le rockab n'a qu'une cible, le cœur.

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    Et ce soir The Four Aces ont été impériaux. Pas un gramme de graisse en trop. Les nerfs et les tendons tendus à l'extrême. Et pourtant c'était leur dernière danse. Leur dernière prestation. La dernière date. Le dernier rencart avec leur public. Le dernier baiser de feu. Et pas une once de tristesse. Pas une once de nostalgie. Pas de pleurs. Pas de trémolos. La joie pure. Only rockabilly.

    Merci, les Four Aces !

    AMHELL & THE CRACK- UPS

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    Pour une fois je commencerai par la fin. Après le set. Deux écoles se font face. Celle qui n'a entendu qu'Amhell Barefoot, celle qui n'a vu que Pascal Hammann. Pour le batteur, David Giudicci, pas de problème, tout le monde est d'accord. Faut le dire. A part deux ou trois initiés, personne ne connaissait le groupe. Je ne compte pas les tricheurs qui sont allés glanés sur le net. Dans ces cas-là on craint le pire. L'on a eu le meilleur. Un groupe qui sort du lot. Pas tout à fait comme les autres. Des franco-suisses. Pas spécialement pur rockab mais pleinement dedans. Les deux mecs sont spécialement énervants. Réglons son cas à David. Indubitablement vient du jazz. L'est assis modestement devant ses caisses. Pas le genre de gars qui voue la joue à l'épate, aucune fanfaronnade, entre deux battements il donne l'impression de s'ennuyer, de n'avoir plus rien à faire, vous aimeriez l'engueuler, lui dire de se mettre au boulot fissa, mais non, l'a fait son job, l'air de rien, l'a même balayé et passé la serpillère. Irréprochable. Et sa manie de glisser ses bras comme des serpents nonchalants qui ne sont pas pressés de se mettre à l'ombre, un coup d'œil vers Pascal, ça c'est pour toi, une œillade vers Amhell, ne t'inquiète pas, pas de retard dans la livraison, voici ton dû. Pour lui, rien, David accompagne, déroule le tapis pour les copains, l'aplatit et arrange les franges au mieux pour les deux autres, c'est son trip, vous voulez un batteur, en voici un, attention je ne suis pas un bateleur. Bosse pour vous, mais pour ma promo personnelle, je fais confiance à la qualité de mes prestations, pub inutile, et il vous sourit et vient vers vous dans son costume impeccable ( même pas élimé aux manches ).

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    ( Photo FB : Amhell & the Crack-ups )

    Au début j'ai zieuté Amhell – rocker et Amhell sont des mots qui vont très bien ensemble – mais au quatrième morceau, m'a forcé à m'occuper de son cas. Avec sa guitare jazzy aussi épaisse qu'un dictionnaire je l'avais un peu snobé, mais au cinquième titre j'ai dû dire amen à Ammann. Le mec irritant. Enervant. C'est simple, il peut tout faire. Tout. L'a les doigts clef à molettes, vous accroche les cordes à l'endroit idoinement exact et leur fait rendre la note parfaite. Celle dont vous avez besoin. Celle-là et pas une autre. N'imaginez pas un quart de ton au-dessus ou au-dessous, ou un accord davantage ceci et un peu moins que cela. Une facilité déconcertante. Le mec qui court un marathon sans une goutte de sueur, sans un grain de poussière, sans un cheveu déplacé. Le gars qui survole son sujet. Pouvez passer commande, du jazz ; en voici du pas naze, du country : celui-ci n'est pas contrit, du blues : vous offre le choix du roi, du rhythm'n'blues : en rythme et de toutes les couleurs, pour le rock : c'est choc, pour le hillbilly : c'est pas riquiqui, pour le rockab, toujours du rab. Quand il a sorti un solo à la Sonny Cedrone, j'ai déclaré forfait, trop c'est trop. Trop fort.

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    M'en suis allé pleurer dans les jupes de maman Amhell. Bien trop jeune pour être ma mère, mais elle m'a consolé. De sa voix. Je vous épargne les distinguos des copains, ceux qui affirmaient qu'elle avait une attaque plus forte que Wanda Jackson et ceux qui reconnaissaient des réminiscences de Janis Martin. D'abord elle se distingue de ces deux reines car si elle chante, c'est en se jouant de sa contrebasse. Big Mama et True Fine Mama côte à côte, la première en justaucorps de bois vernis et la deuxième dans sa robe blanche ornée de grosses clefs de sol, une magnifique rose tatouée sur son mollet, d'autres qui dépassent un peu partout, vous aimeriez bien cueillir le bouquet entier, mais non les rockers ne sont pas des sagouins. Tout le monde écoute sagement un sourire béat sur les lèvres. L'a la voix ronde comme les notes qu'elle tire de son instrument, perles que les deux guys enchâssent d'un tapis de percale. C'est le trio des facilités. Elle chante comme l'oiseau sur la branche, avec une aisance naturelle, qui vous rend malade de jalousie. Rire roucoulant et chant de gorge comme gouttes de pluie ruisselante. Ondée bienfaisante. Âme plutôt édénique qu'infernale !

    Grosse impression sur le public qui acclame et applaudit à tout rompre.

    THE ATOMICS

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    Flegmatiques, tous les trois. Un, deux, trois, c'est parti ! Le rockab dans sa nudité électrique. Renaud à la contrebasse, Pascal à la batterie, Raph au chant et à la guitare. Raph à la guitare. Une démonstration éblouissante. Nous avons déjà eu le premier de la classe. Mais là, l'on change de catégorie, l'on passe dans la hors-classe. Jusqu'au bout du rock'n'roll. Eblouissant. Fulgurant. Seuls sont les indomptés. Un mur de glace vertigineux, à escalader à mains nues. Six cordes et dix doigts. Derrière, ça suit.

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    Renaud, le grand Renaud, taciturne, légèrement voûté sur sa contrebasse, sourira à peine lorsque Raph signalera que tel ou tel morceau ont été composés par lui. Pascal, au fond, en pointe inversée du triangle, attentif, pas une seule fois pris au dépourvu par les raccourcis chromatiques de Raph. Appelez Renaud et Pascal, une section rythmique si vous le désirez, moi me font l'effet de cette digue jetée dans la mer par les soldats d'Alexandre pour parvenir à prendre pied sur les remparts de Tyr. Une espèce de rouleau compresseur monstrueux qui s'avance sur vous pour vous apporter la mort et pire encore, ce sentiment de la défaite annoncée, ce goût d'amertume de savoir que l'ennemi vous est infiniment supérieur. Un serpent de feu dont rien n'arrêtera l'avancée. Si évident qu'il faut parfois leur prêter une oreille plus qu'attentive pour saisir cette pulsation continue qu'ils insufflent sans cesse, un speedground infini, une trajectoire idéale, droit devant, sans arrêt, sans reprise, sans étape.

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    Un Raph survolté. Rien qu'à sa manière d'entonner les premiers vocaux, vous comprenez qu'il est venu pour cracher toute la hargne du rock'n'roll. Et cette guitare. Une folie. Une tuerie. Aucune recherche d'effets, ne gambade pas, ne batifole pas après les belles sonorités avenantes qui vous sourient, pour les égards et les jeux de séduction, ce sera la grande déception. Raph joue de la guitare, il refuse de s'abaisser aux courbettes et aux politesses démonstratives. La ligne droite est le plus court chemin du rock'n'roll. Ce n'est pas qu'il joue vite, c'est qu'il a éliminé toutes les courbes qui vous éloignent du sujet, même si c'est pour mieux y revenir, directly in the fire, au cœur du brasier, au centre de la fournaise, l'a trouvé la formule algébrique qui fait que les cordes parallèles d'une guitare se rencontrent toujours selon les points les plus chauds de l'incendie intérieur qui embrasent votre pulsion de vie. Le rock'n'roll n'est pas une musique. Mais un art de vivre plus intensément.

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    Les Atomics ne font pas de quartier. Combo hot-rod. Tout et tout de suite. Dans la salle l'on passe de la jouissance pure à la sidération. Jusqu'où iront-ils ? Comment s'arrêteront-ils ? L'aiguille est dans le rouge. Nous avons dépassé le stade de l'extase et un brouhaha de folie s'amplifie, l'on n'arrête pas une fusée comme l'on descend d'une bicyclette, le set est terminé, mais c'est une fausse nouvelle, un fake, une intox, ne parlez même pas de rappel, une exigence partagée par le groupe et le public, les Atomics galvanisés continuent sur leur lancée, poursuivent leur chemin jusqu'au bout du rock'n'roll. Une prestation hallucinante. Le genre d'expérience dont on ne sort pas intact. Un de ces moments-limite qui permet de prendre conscience que nous sommes constitués de la même semence de feu que les étoiles et les Dieux.

    Les Atomics ont tout donné. On a tout pris.

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    Damie Chad.

    (Sauf indication contraire : Photos : Sergio Kazh : Rockabilly Generation News )

    L'EXTRAORDINAIRE AVENTURE

    ( featuring the Jallies )

    Parfois l'Histoire de l'Humanité se précipite. En quelques heures la science effectue de considérables sauts épistémologiques. Au moment où l'on s'y attend le moins. D'improbables conjonctions aléatoires d'évènements sans relations causales produisent dans les cerveaux des plus grands chercheurs des déclics de compréhension foudroyants qui révolutionnent le monde et hâtent la marche du progrès.

    L'on ne voyait que lui. Un géant. Deux mètres quarante. Cent quatre-vingt kilos. Avec sa tignasse rousse il attirait tous les regards. N'empêche qu'il ne la ramenait pas. L'avait un escadron de quinze flics, pistolets aux poings qui le talonnaient. Plus une quarantaine d'autres qui l'attendaient au bout du trottoir. L'était pris au piège. La souricière se refermait sur lui. Vous connaissez les rockers, toujours prêts à aider la veuve et l'orphelin. Je passais par hasard au volant de la teuf-teuf, j'ai pilé, monte ai-je crié, pas eu besoin de le répéter, s'est engouffré par la porte arrière, et j'ai foncé comme un malade sur le macadam.

    Ogeid a passé deux jours chez moi. Le temps que ses acolytes de la Mafia russe viennent le récupérer. Un mec très sympa. A part qu'il a sifflé en quelques heures ma provision annuelle de Jack. M'a serré sur son cœur lorsque l'on s'est quittés. «  Toi Damie sauver moi. Ogeid oublie jamais ami. Envoyer de Russie, cadeau qui te fera grand plaisir ! ».

    Les mois ont passé. Je n'y pensais plus lorsque voici huit jours le facteur sonne à la porte. Monsieur Damie, un colis pour vous, je récupèrerais avec plaisir les timbres pour la collection de ma petite-fille, ceux qui arrivent de Russie sont rares. Les lui ai refilés et j'ai ouvert le paquet. Douze bouteille de vodka, avec un papier scotché dessus : De la bonne ! Un stick de sucre en poudre marqué de l'inscription QUVIR ! en grosses lettres majuscules tracées d'une main énergique au feutre rouge, et un tube de mayonnaise que j'ai séance tenante enfourné dans le frigo, sans prêter attention à la feuille de papier dont il était entouré. Et ma vie a suivi son cours.

     

    C'est que j'avais mieux à faire. Mon cerveau roulait de vastes pensées. J'avais beau relire le tome 38 de L'Encyclopédie de la Reproduction Naturelle du Lézard, et le Frankeinstein de Mary Shelley, je savais que je brûlais, mais il me manquait encore l'intuition fulgurante qui permet d'unifier les données du savoir théorique avec l'expérience conclusive de la preuve indubitable. Des nuits et des nuits de travail, ardu, fastidieux, passionnant... Il devait être six heures du soir lorsque le téléphone sonna.

     

    • Allo Damie, c'est moi Giroflée, tu as oublié la date !

    • Pas du tout, Giroflette, vendredi seize février 2018, ce soir concert des JALLIES, au Younell's Pub à MONTEREAU !

    • Pas celle d'aujourd'hui ! Celle d'avant hier ! Le 14 ! La Saint Valentin, j'attendais un bouquet de fleurs et une invitation au restaurant, mais non rien, alors ce soir j'ai décidé de forcer le destin, dans une demi-heure, je suis chez toi décidé à t'offrir le plus merveilleux des cadeaux.

    • Excuse-moi, Giroflette, mais je travaille, j'en ai encore pour deux heures et après je file au concert, auquel d'ailleurs, je te le rappelle, je ne t'ai pas invitée.

    • Damie, tu n'as pas besoin de t'excuser, je t'aime et ce soir notre amour va se concrétiser d'une manière exceptionnelle ! J'arrive, prépare-nous un festin d'amoureux !

     

    La porte s'est ouverte, et Giroflée est entrée. Une petite moue de dépit est apparue sur son visage quand elle a aperçu le paquet de chips entamé et les deux saucisses de Strasbourg dans l'assiette pas très propre. C'est tout Damie semblait-elle dire. Ah ! oui ai-je pensé, le tube de mayonnaise russe. Me l'a arraché des mains, l'a examiné scrupuleusement, déchiffré longuement la feuille de papier qui l'enveloppait et alors que je m'attendais à une bordée d'insultes, m'a adressé un sourire radieux, m'a vivement posé deux bises sur les joues et s'est exclamée :

     

      • Damie tu es un véritable gentleman, je passe dans la salle de bain, je reviens dans dix minutes...

     

    J'ai récupéré le papelard dactylographié qu'elle avait abandonné sur la table et j'ai lu.

     

    '' Le lézard de Sibérie résiste à des conditions extrêmes, se promène en toute quiétude sur les lacs gelés par moins de soixante degrés centigrades. C'est l'animal le plus résistant de la planète. Les populations autochtones n'ont pas manqué depuis des siècles d'admirer l'extraordinaire vitalité de ce saurien d'une si belle couleur verte. Le soir de leur mariage, les jeunes filles ont coutume de s'enduire le corps d'une crème de sperme de Lézardus Septentrionus, l'on dit que cette onction irise leur peau de reflets verts qui s'accorde à merveille avec leur blonde chevelure. Mais cette crème lézardienne décuple aussi leur vigueur sexuelle et les rend irrésistibles. Jamais l'amant qui aura connu un tel bonheur ne sera infidèle à sa bien-aimée, assure la légende.

    Pour une Saint Valentine réussie

    Rien ne vaut le lézard de Sibérie !

     

    Se conserve au frigidaire. Ne pas dépasser la dose prescrite. Mise en tube par la société Lezardov. Yakoust. Made in République de Sakha''

     

    Logiquement, devrait s'ensuivre une graveleuse partie de jambes en l'air. Je préviens le lecteur. Un incident apparemment insignifiant modifia la prévisibilité du futur, la petite culotte que Giroflée lança par la porte entrouverte de la salle de bain traversa la pièce pour retomber à mes pieds. Sur le moment je n'y fis pas cas, j'entendais Giroflée chantonner, je ne m'y attendais pas, mais en toute modestie je dois le reconnaître, ce linge intime déposé sur le carrelage devant mes innocentes santiags occasionna en moi le même effet que la pomme qui se détacha de l'arbre sur le cerveau de Newton... Comment n'y avais-je pas pensé plus tôt, je possédais tous les éléments pour faire faire à la science moderne un grand pas en avant ! Une véritable révolution copernicienne, digne d'Einstein. Fallait jouer serré. L'occasion ne se représenterait peut-être pas de sitôt.

     

      • Chérie, prends ton temps, je te prépare un petit cocktail, pour que tu sois en pleine forme.

      • Comme c'est gentil Damie, passe-le-moi par la porte, mais ne regarde pas, je veux te faire une surprise.

      • Promis chérie, je ne suis pas un poète voyeur comme Arthur Rimbaud, moi.

      • Hmmm ! C'est bon, mais c'est fort, accorde-moi deux minutes que je le sirote, c'est ultra sucré, c'est savoureux, c'est quoi ?

      • De la vodka avec du quvir !

      • Je ne sais pas ce que c'est, mais c'est délicieux !

      • Ah oui, ils ne le disent pas sur la notice, mais si tu introduis de la mayonnaise dans ton vagin, c'est un parfait lubrifiant.

      • Mon intuition féminine y a déjà pensé, ne t'inquiète pas,

     

    Ogeid m'avait expliqué la nature du quvir. Mis au point dans les laboratoires secrets de l'armée russe. Un APP, un simple accélérateur de particules physiologiques, aux propriétés énergétiques sans précédent. La mafia le revend sous le nom de Drogue des Ecoliers. Donnez-en à un gamin de dix ans qui a du mal à apprendre sa table de multiplication par trois, en quelques minutes il devient capable de faire un cours de science quantique à des étudiants en master 2. Ogeid m'avait prévenu, c'est du quvir pur que je t'enverrai, pour les gamins on y va mollo, on divise la prise par mille, édulcoration totale qui permet de réussir son interro écrite de math sans ouvrir son bouquin à la maison, mais pour toi cadeau, non coupé. AGPPP, Accélérateur Gigantesque de Particules Physiologiques Pur !

     

    Une tornade m'a subitement submergé, le corps nu de Giroflée s'est collée à moi, je l'entendais gémir Damie, Oh Damie, ses lèvres me dévoraient le visage mais toute mon attention se focalisa sur son ventre qui me semblait se gonfler d'une proéminence excessive, j'y posais la main, foutredieu, elle était enceinte, dans sa démence sensuelle elle ne s'en apercevait pas jusqu'au moment où elle porta ses doigts au bas de son sexe , oh ! J'ai mal, et quelque chose de la taille d'un bébé humain tomba sur le plancher. Elle le ramassa vivement,

     

      • Oh Damie, c'est super, l'on a déjà un beau bébé !

     

    Beau peut-être mais d'une couleur un tantinet verdâtre. D'une apparence un peu bizarre, moitié-homme, moitié-lézard. Se mit à vagir d'une façon désagréable,

     

      • Regarde, le pauvre il a faim, il veut téter, et elle lui tendit son sein.

     

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    Ogeid n'avait pas menti, un terrible accélérateur physiologique. Le bébé glouton assécha les deux mamelles en deux minutes, il me semblait avoir grandi, sauta des bras de sa génitrice, engouffra les deux saucisses de Strasbourg et se mit à ronger la table ! Mesurait déjà deux mètres, il pleurait et hurlait en renversant les meubles, commençait à nous regarder d'un œil vorace, et sa langue n'arrêtait pas d'entrer et de sortir de sa gueule dévoilant une énorme denture de caïman. Je saisis Girofllée par la main et nous dévalâmes l'escalier en courant. Girofllée regimba quelque peu, mais Damie, je suis toute nue ! Nous parvînmes à monter dans la teuf-teuf et à nous enfuir. La bestiole nous courut après. De temps à temps elle remontait à notre hauteur et tambourinait de ses bras sur le toit de la voiture. J'accélérais comme un fou... L'aiguille frôlait les deux cents kilomètres-heure et le monstre suivait sans faiblir.

     

      • Plus vite Damie, il mesure au moins cinq mètres de haut maintenant ! Il y a des clignotants jaunes et bleus derrière lui !

      • Sans doute la police et les pompiers, accroche-toi on entre dans Montereau, ça va tanguer !

     

    La teuf-teuf déboula sur la place du Marché Au Blé, à peine étais-je passé qu'un cordon de tireurs d'élite de la police nationale occupa la chaussée et commença à tirer. Droit au cœur, la bête s'arrêta, elle resta debout un long, très long moment, immobile... J'avais garé la teuf-teuf, nous nous sommes approchés, le monstre qui mesurait maintenant près de huit mètres, vacilla, des larmes coulaient de ses yeux. Plus tard plusieurs témoins affirmèrent qu'ils l'avaient entendu distinctement crier Maman en tendant les bras vers Giroflée. Il y eut une seconde rafale, et l'animal s'effondra inanimé sur le goudron. Une scène très émouvante se produisit, la télé n'en perdit pas une miette et diffusa les images en direct. Je tenais Giroflée par la main, mais brusquement elle fendit la foule et se jeta sur le cadavre de la bête en hurlant : Mon Bébé ! Mon Bébé ! Un cri si déchirant que la France entière en fut émue. Un policier compatissant, jeta une couverture sur sa nudité, et deux infirmiers l'entraînèrent vers une ambulance. Au micro de BFM, un expert-psychiatre expliquait : Nous la conduisons à l'asile, un choc terrible, la peur, la panique, un trauma exceptionnel, je peux déjà dire qu'elle y restera toute sa vie.

     

    Peuh ! Pas de quoi faire rater un concert des Jallies à un rocker, et d'un pas décidé je pénétrai dans le Younell's Pub.

    MONTEREAU / 16 – 02 – 2018

    YOUNELL'S PUB

    THE JALLIES

    Beau bar. Ceci n'est pas un bobard. Comptoir tout au fond, espace Dj dans un coin, bel espace scénique carré pour les groupes, visible de tout le monde, un assemblage hétéroclite et néanmoins harmonieux de sièges et de tables de toutes formes et de toutes dimensions, jusqu'à une grosse barrique, malgré poufs et fauteuils le patron est obligé de sortir les chaises de sa réserve pour juguler l'afflux des clients. Connaissances, bises et exclamations de tous côtés, les Jallies grignotent placidement une pizza, interrompus à chaque bouchée par de nouveaux arrivants qui viennent les saluer... Sont ici dans leur fief.

    JALLIES

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    Sont toutes belles, les tourterelles juchées sur leurs talons hauts, jacassent comme des pies voleuses – ce sont nos âmes qu'elles vont ravir – verres de rouge à leurs pieds, les boys frôlent d'un doigt patient leurs cordages, attendant que les oiselles soient prêtes. Et c'est l'envol subit, sans préavis. Phénix au zénith. Sont-ce là nos Jallies habituelles ? Pas possible, on nous les a changées ! Même caisse claire, même acoustique, même tambourin, même contrebasse, même guitare électrique, mêmes gosiers, mais un son nouveau. A n'y rien comprendre. Z'ont bouleversé l'ordre du répertoire, mais c'est une fausse incidence, faut entendre cette ampleur sonore, qui vous fond dessus telles des bolas de gauchos argentins qui s'enroulent autour des pattes des autruches et vous les renversent à terre sans rémission. Sûr que derrière, les oisons ne sont pas oisifs. Kross sort le grand jeu, virevolte sa grande big mama dans tous les sens, la tourne à toute vitesse sur elle-même, z'avez l'impression de la robe de soirée de la Grande-Duchesse qui tournoyait enivrée de valse folle au grand bal de l'Empereur d'Autriche, mais ce n'est rien, parfois il vous la bloque sec, la ploie en arrière comme une danseuse de tango, l'est penché sur elle, le visage à hauteur du sexe fendu des ouïes et là vous entendez ce vous n'avez jamais ouï dans un groupe de rockabilly, le slap. L'a éliminé toute rondeur, toute vibration, toute harmonique, ne reste que le bruit de la corde raide tendue comme le corps d'un pendu qui rebondit sur la hampe. Un cliquettement phénoménal, un tic-a-tac monstrueux, deux morceaux de bois cognés l'un contre l'autre, la musique réduite au bruit primordial originel, les écailles de deux varans qui s'entremêlent dans la tempête cadencée de l'accouplement, Kross acclamé à chacune de ses interventions. Tom n'a jamais été en reste pour faire vrombir sa six-cordes, une Gitane Testi, vous la pilote à la texane, agrémentée d'une quadruple rangée de mégaphones, à réveiller les morts dans les cimetières, les soirs de pleine lune, mais cela c'est de l'histoire ancienne, l'a remplacée par la machinerie d'un trépan à cônes de quinze tonnes qui s'attaque à de la roche dure. Un bruit d'enfer, une espèce d'obus sonore qui a décidé de pulvériser le magma terrestre afin d'éclater le noyau solide interne et faire exploser la planète, une bonne fois pour toute. Deux galopins qui ont décidé de jouer du tambour jusqu'à quatre heures du matin pour le plaisir d'embêter les voisines du dessus.

    Si vous croyez que ça les dérange... au contraire, nos trois hirondelles ont décidé de caqueter bien plus fort que ces deux coqs de basse-cour de bas étage. Sûr que leur ramage se rapporte à la beauté de leur plumage, elles passent au-dessus de ce brouhaha garçonniers avec le mépris souverain du condor qui d'un seul coup d'aile franchit les neigeux entassements escarpés des Andes, Céline, Vanessa, Leslie, le chœur ensorceleur des anges de l'enfer que Satan nous a envoyés exprès pour nous perdre définitivement. Sans rémission. Pas le temps de respirer. Plus vite et plus fort. Elles ont rockabyllisé leur morceaux à dominante swing et métamorphosé leurs rocks en blessures outrancières, plaies purulentes de plaisir, et hémorragie magiques d'extases, n'ont qu'à ouvrir la bouche pour qu'il vous semble boire l'eau moultement tumultueuse de la fontaine de Barenton. Leslie, sourire canaille et voix de rêve évasif nous envoûte avec son Funnel of Love – et ce vicieux de Tom qui vous prolonge les notes en dards monstrueux d'abeilles qui s'enfoncent sans fin dans les parties les plus secrètes de votre corps – Vanessa met tant d'allant sur la caisse claire qu'elle sème à tous vents les soies de son balai de sorcière, éclate de rire comme Scarbo, le gnome diabolique des poèmes d'Alosyus Bertrand, répandait les louis d'or sur les badauds éblouis, alors pour se venger elle nous éparpille tout azimut un petit Gene Vincent de derrière les fagots en feu. Vous ici, je vous croyais au kazoo psalmodie Céline, et c'est parti pour un Touka au bazooka à ensorceler les toucans dans les volières de la ménagerie du Diable.

    Souvent, elles mêlent leur voix, à deux, à trois, – même que Kross leur prête une ou deux fois son plein-chant funèbre pour les vocalises d'appui et de répulsion – et c'est parti pour des feux d'artifices d'éclaboussures de swing et des copeaux de rock. La salle trépigne, s'hippopotamise d'applaudissements et rhinocérise de joie. C'est la grande exultation. L'énorme tribulation du vendredi soir.

    Hélas, deux sets. Les édiles municipaux ont décidé qu'après minuit-dix le carrosse de nos trois cendrillons se transformait en citrouille silencieuse. Féérie pour une autre fois. Disait Céline.

    Damie Chad.

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    Quand je suis ressorti, il était près de minuit, et des camions-grues se hâtaient d'enlever au plus vite le bébé mort-né de Giroflée. Je ne lui ai même pas jeté un regard. J'avais mieux à faire. J'avais enfin réussi à créer un hybride mi-humain, mi-lézard, je connaissais le processus et étais prêt à le dupliquer de façon industrielle. J'étais le maître du monde. Bientôt avec mes légions d'hommes-lézards je dominerai la planète entière. Peut-être même à leur tête envahirais-je les étoiles lointaines...

    Moi Damie Chad, Empereur Suprême.