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CHRONIQUES DE POURPRE - Page 112

  • CHRONIQUE DE POURPRE N° 214 = KR'TNT ! 333 : WELL SUSPECT RECORDS / DENIZ TEK / THE KING RIDERS / DIDIER BOURLON / ROCKABILLY GENERATION / BIG PRUNK STORY / DJANGO

     

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 333

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    15 / 06 / 2017

    WELL SUSPECT RECORDS / DENIZ TEK

    KING RIDERS / DIDIER BOURLON

    ROCKABILLY GENERATION / BIG PUNK STORY /

    DJANGO

    Well Suspect device

     

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    Incroyable mais vrai : dans son numéro 43, Vive le Rock publie une interview d’Eddie Piller, boss d’Acid Jazz, et de son bras droit Richard Searle. Deux pages pour annoncer le redémarrage du label Well Suspect Records. Nous voilà donc de retour chez les Mods anglais.

    , Well Suspect Device, Deniz Tek, The Ging Riders, Didier Bourlon, Rockabilly Generation N° 1, Big Punk Story, Django,


    Et paf, Ed rappelle que sa mère Fran était la secrétaire du fan club des Small Faces. Steve Marriott lui achetait des jouets et Kenney Jones débarquait au volant de sa Rolls Corniche Convertible. Ed a cette chance invraisemblable d’avoir eu pour parents des Mods des sixties qui prirent le temps de lui expliquer que le Mods Sound System ne s’arrêtait pas aux Jam, mais qu’il s’étendait beaucoup plus loin, jusqu’à Art Blakey et Curtis Mayfield. Grâce à eux, le jeune Ed put se goinfrer de jazz, de jazz funk et de soul. Et comme tous ceux qui finissent par monter des labels, Ed lança un fanzine, le fameux Extraordinary Sensations qui tirait alors à 12.000 exemplaires et qu’il distribuait partout en Europe et aux États-Unis. Ed participa donc au fameux Mod Revival qui dura cinq ans, entre 1980 et 1985 et créa Well Suspect Records en 1982 pour lancer ce groupe qu’il appréciait particulièrement, The Untouchables. Dans l’interview, il cite aussi les noms des Makin’ Time et des Prisoners, puis du James Taylor Quartet qu’il lança. On s’en souvient, le groupe de James Taylor finit par faire un carton en Angleterre, grâce à John Peel qui flasha sur l’imparable Mission Impossible, allant même jusqu’à le maintenir cinq ans de suite dans son mythique Festive Fifty. Et là Ed entre dans le croustillant du détail, expliquant que les Prisoners misaient tout sur une certaine éthique du son, comme d’ailleurs Billy Childish, et qu’ils voulaient tout enregistrer sur un quatre pistes, sans faire d’overdubs. Sur Mission Impossible, on retrouve Allan Crockford, le bassman des Prisoners qui est aujourd’hui chanteur-guitariste de Galileo 7. Et comme Ed vendait ses Mission Impossible comme des petits pains, il put financer le lancement d’Acid Jazz.

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    C’est donc Richard Searle qui reprend les rênes de Well Suspect. Richard joue aussi de la basse dans Curdoroy, un Mod band de Londres sacrément réputé. Pour lui, Well Suspect se démarque d’Acid Jazz par un son plus musclé - a harder edge - Il relance donc le label avec la réédition de Dirty Mod, une compile datant des origines et dotée d’une belle pochette : un rocker et un Mod papotent au bord de la baie, installés sur leurs bécanes à l’arrêt. Les groupes qu’on trouve sur cette compile excitante sont parfaitement inconnus, mais ça ne les empêche pas de faire mouche. Rien ne vaut un Mod band quand il est bon. On se souvient des Who, des Makin’ Time et des Prisoners. Eh bien, les Beatnicks décrochent le pompon avec un «CC(Love Surprise)» noyé d’orgue et monté sur un bon beat Mod bien turgescent. Quand les Anglais pulsent du beat, ça s’entend. L’autre bonne surprise de cette compile est un cut de Bully Boy intitulé «Eight Rounds Rapid» et doté d’un violent parfum cockney. On note la bonne santé du mouvement. Tous les cuts de cette compile sont bons, mais ils se noient bien sûr dans l’océan des bons cuts qui comme chacun sait s’étend à perte de vue. On se régale aussi du «Toxic» des Third Degree, solide, infectueux et bâti comme un pilier droit. Si on écoute attentivement le fantastique «Did You See Her» des Fallen Leaves, on y débusquera des relents de hargne Whoish. Dans ses notes laconiques, Richard Searle ramène tout le vocabulaire idoine, le gritty rock’n’roll, le under the influence et le pounding twelve bars. Oui, tout y est. On a même en ouverture de B un «Rockin’ Girl» chanté par the Get Go et monté sur les accords de «Gloria». Eh bien figurez-vous que ce pompage ostentatoire passe comme une lettre à la poste. On le sait, les Anglais sont friands d’excentricités.

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    D’ailleurs, on retrouve the Get Go sur l’autre compile Well Suspect parue le mois dernier : Generation Mod, une véritable pétaudière. Cette fois, the Get Go reprend «Nutbush City Limits», mais avec le niaque des early Slade et ça donne de l’East-ending of it all ! Stupéfiant ! On note aussi sur cette compile magique la présence des Men Of North Country avec «They Don’t Know». Ce groupe basé à Tel Aviv semble extrêmement concerné par le mythe Mod. Un petit conseil : chopez leur album The North paru sur Acid Jazz. Quant aux Mads, ce sont des revivalistes espagnols un peu plus laborieux, mais leur «What I Need» vaut quelques encouragements. Le «Let Me Go» de Samuel S. Parkes qui ouvre le bal de l’A vaut son pesant d’or, car ça sonne tout simplement comme le plus obscur des hits secrets de la Northern Soul. Avec son «Falling», le Dave’s Doors Of Perception tape dans le garage psych. Leur South London Sound of it all fait feu de tout l’All the rage qu’on peut imaginer. En fin d’A on tombe sur un groupe de morpions, Dogtooth, moyenne d’âge 15 ans, et un «Get In Get Out» à se damner pour l’éternité : pur Mod rock plein de verve, d’aplomb et de classe, visité par un solo liquide absolument exemplaire. Tiens, encore deux bombes de B : «Be Somebody» par New Street Adventure, vrai stomp de Mod jerk monté au mad mid-tempo et ça s’en va groover au pont de la rivière Kwai. Encore un coup de génie ! Et ce «Raw» par les Soldiers Of Soul, terrifiquement bon, construit au groove de jazz-club de square, mélodique et brillant, encore un cut de rêve. On garde les meilleurs pour la fin : Aunt Nelly et Andy Lewis, oui, car ici, on monte encore d’un cran, comme si c’était possible. Mais oui, ça l’est ! Le «So Sad» d’Aunt Nelly relève aussi du pur génie : elle s’appelle Ruth Ling et cette blackette de Londres jerke le Mod rock le plus brillant de l’histoire du mad Mod myth. Tout aussi stupéfiant, voilà Andy Lewis avec «The Best Days», véritable événement mélodique, conçu dans l’envol, brillant et magique, le genre de cut qu’on ne croise qu’une seule fois dans la vie et dont on se rappelle jusqu’à la mort. Alors du coup, on ressort les albums, et pouf pouf pouf et colegramme, voilà les deux albums d’Aunt Nelly sur le label Mod allemand Time For Action !

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    Attention aux reprises qu’on trouve sur ces disques, car elles modishent bien le maddening, à commencer par l’infernale version de «Day Tripper», you take an easy way out, baby et Gavin Davies, eh bien il find out ! On s’extasie devant cette cover fraîche et bonne comme le pain blanc du petit matin de la rue Saint-Jean. Encore un merveille auntique en fin d’A avec «Rescue Me», chanté avec bravado et je vous garantis qu’on peut danser là-dessus jusqu’au bout de la nuit célinienne, la plus longue qui soit ici bas. Par contre, tout explose en B, avec la voix de Ruth Ling qui n’est même pas créditée sur la pochette ! C’est atroce, car Ruth chante comme une vraie Soul Sister. Elle casse si bien sa voix qu’elle ramène tout le pathos de Patmos. Et ça continue avec «Knocking At My Back Door». Alors que la basse roule et que l’harmo chatoie, elle groove le jerk au mad mood Modish et ça continue, car elle nous allume encore avec «The Faker». Elle chante d’une voix profonde et bien timbrée qui pourrait évoquer celle de Chrissie Hynde. Elle jerke son affaire jusqu’à plus soif.

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    Le deuxième album d’Aunt Nelly s’appelle Shades Of Orange. Il est bardé d’énormités vivaces, comme cet «Helena» qui ouvre le bal des Laze. On a là un haut de gamme en matière de garage Mod féroce et finement teinté d’orgue, relancé au riff d’attaque éclair. C’est toute la hargne du Graham Bong ORGANization qui rejaillit. Ils enchaînent avec une reprise moddish du vieux «Satisfaction» des Stones, puis avec le morceau titre qui sonne comme un gros slab de pop Mod bien juteux et swingué à l’orgue. En B, on tombe sur une reprise de «Purple Haze». Excellente initiative, d’autant qu’ils nous brassent ça à l’orgue de club et que Gavin chante à l’inspiratoire nocturne. Ils bouclent cet excellent album avec «Landslide», encore un mook de Mod pop traité à l’insistance riffale classique, avec le soin du son que l’on sait, en tous les cas, c’est toujours à Londres que se joue le destin du mythe Mod.

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    L’album d’Andy Lewis paru sur Acid Jazz et annoté par Ed Piller s’appelle Billion Pound Project. C’est un chef d’œuvre. Andy Lewis y invite tous les gens qu’il admire. Ed Pillar dit d’Andy qu’il porte son cœur sur sa pochette - this creator and composer wears its heart on its sleeve - Pour Ed, Andy est le gentleman quintessentiel - the quintessential English gentleman - Quand on entend le groove magique de «100 Oxford Street», c’est un peu comme si on se retrouvait à l’angle de Wardour Street at midnight. La température monte violemment avec «(Love is) Alive In My Heart», car Andy fit chanter Keni Burke - a Curtis Mayfield prodigy - Il plane sur le cut un parfum de strong groovy magic. Mais ce qui suit est bien pire : Andy confie «Laughter Ever After» à Bettye LaVette et tout bascule dans la monstruosité, d’autant que Bettye attaque ça à la manière d’Esther Phillips, en chuintant légèrement. Le cut tourne à la dinguerie et ça groove tellement dans l’os de l’art qu’on se retrouve au sommet du genre. Stupéfiant ! En réalité, c’est Bettye qui rend hommage au quintessential gentleman et non l’inverse. La fête se poursuit avec une autre idole d’Andy, Reg King, qui comme chacun sait fut le chanteur des Action. Le cut s’appelle «Since I Lost My Baby», une fière reprise de Smokey. On a là un fantastique condensé de rock Action définitif. Nous voilà une fois de plus au cœur du mood de myth Mod, dans une sorte de perfection absolue, à l’équilibre parfait entre la classe Soul et l’élégance pop britannique. Encore un coup d’éclat avec «See You There» chanté par l’extraordinaire Lynda Laurence. Elle gueule comme Aretha et vrille son me-eeeeh. Encore une révélation un peu plus loin avec «Devastated», un cut de funk allumé au white heat et que chante Loleatta Holloway. C’est tout simplement le white funk de Sloane Square par un soir glacé et foggy, violonné et saxé, effarant de modernisme déterminé. Andy tend le micro à un autre héros, Andy Ellison, qui ramène sa morgue pour chanter «Heather Lane». C’est toujours un plaisir que d’entendre chanter ce fabuleux glammer métastaseur. Il reste encore une merveille au bout de cette B fatidique : «One By One» que chante Fonchi, une autre reine de la nuit londonienne. Andy lui fournit des chœurs de rêve, c’est-a-dire des chœurs Tamla. Et là, on re-décolle, une fois encore. Impossible de rester assis quand on écoute ce disque.
    On ne remerciera jamais assez Ed Piller.

    Signé : Cazengler, trip à la Mod de Caen

    Well Suspect Records. Vive le Rock #43. Interview d’Eddie Piller et Richard Searle.
    Generation Mod. Well Suspect Records 2016
    Dirty Mod. Selected Finds For Filthy Minds. Well Suspect Records 2016
    Aunt Nelly. ST. Time For Action 2011
    Aunt Nelly. Shades Of Orange. Time For Action 2013
    Andy Lewis. Billion Pound Project. Acid Jazz Records 2005

     

    Tek c’est pas du toc - Part Two

     

    À votre avis, qui est le grand voleur de tous les temps ? Arsène Lupin ? Fantômas ? Thomas Crown ? Jesse James ? Ronald Biggs ? Barbe Noire ? Rocambole ? Eh bien non. À côté de Keith Streng, tous ces gens-là sont des amateurs. Voici pourquoi.

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    Par un beau soir d’avril dernier, le Kalif proposait l’un de ces concerts dont on se régale à l’avance : Deniz Tek, épaulé par cette fabuleuse section rythmique que constituent les jumeaux Steve et Art Godoy, et par un guitariste qu’on ne présente plus, Keith Streng des Fleshtones. Oui, le gentil Keith, avec sa bouille de Pierrot lunaire et sa guitare à paillettes, la parfaite incarnation du mythe de l’ado qui refuse de vieillir.

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    Aussitôt grimpés sur scène, ils mirent leur pétaudière en route avec un bon vieux coup de Birdman, un «Breaks My Heart» tiré de Living Eyes, et comme le savent tous ceux qui ont déjà eu la chance de voir Radio Birdman et le Deniz Tek Band en trio, c’était du tout cuit, du straight high energy rock’n’roll digne du temps des Hydromatics, une vraie petite blasterie jouée ventre à terre, sans la moindre concession pour les canards boiteux. Ils jouaient ça avec une telle conviction qu’on voyait déjà des gouttes perler sur les fronts.

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    Deniz était tellement concentré sur la conduite de sa pétaudière qu’il en oubliait de rigoler. Il écrasait son champignon avec une hargne non dissimulée et pilotait son bolide avec la poigne de fer d’un Sterling Moss. On sentait en lui le crack du Michigan, l’indestructible vétéran de toutes les guerres, l’instigateur du rock qui fume, le chef de meute. Mais à sa droite, Keith commençait à tourbillonner comme une étoile du Bolchoï, il multipliait les virevoltes ascensionnelles et les doubles toupies giratoires. Il se recevait au millimètre près sur la pointe du pied et claquait l’un de ces fulgurants accords dont il a le secret. Personne ne se serait étonné de le voir faire un triple saut périlleux arrière. Grâce à sa minceur proverbiale, il pouvait vraiment tout se permettre. Il passait même plus de temps en l’air qu’au sol. Avait-on déjà vu un guitariste aussi volatile ? Non. On ne redoutait plus qu’une chose : qu’il descende de scène pour aller jusqu’au bar et s’y hisser pour danser le French Cancan, comme au temps du Nouveau Casino. Par miracle, il nous épargna cet éprouvant spectacle. Ouf ! Mais il n’en multipliait pas moins les figures de style, il finissait même par donner le vertige. Comme le patineur de Verlaine, il zigzaguait merveilleusement et revenait juste à temps se poster derrière le micro pour participer au festin des chœurs.

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    Occupé à serrer les virages, Deniz ne se rendait compte de rien. Il se mit soudain à taper dans la crème des cuts, comme ce fringant «Can Of Soup» tiré de son précédent album, un modèle de marche-ou-crève digne des légions romaines, au temps où elles traversaient les Alpes d’une seule traite et en sandalettes. Le groupe tournait à plein régime et Keith se sentait pousser des ailes. Il virevoltait de plus en plus et monopolisait petit à petit toute l’attention du public. On ne voyait plus un Fleshtone mais un fabuleux ectoplasme sonique devenu incontrôlable. Il bondissait, moulinait, il hennissait et grimaçait, il redonnait au rock la vitalité de sa jeunesse, il ramalamatait, il faisait tout ce qu’il était humainement possible de faire sur scène, et Deniz, l’œil rivé sur l’horizon, continuait de foncer, sans se douter de rien. Comme si ça ne suffisait pas, Keith passa en lead pour chanter «Accumulator», un vieux hit des Fleshtones, histoire de remettre quelques pendules à l’heure et la tension monta encore d’un cran avec l’excellent «Prison Mouse» tiré du tout nouvel album solo de Deniz, Mean Old Twister, dont il a décoré la pochette de l’une de ses toiles abstraites. Avec sa belle attaque riffale de front, la petite souris mit le public dans sa poche. Deniz shootait tout le hard time du Montana dans le vieux mayem du Michigan - Dead man walking - et fit basculer le Kalif dans le meilleur chaos de Cap Horn qu’on ait vu depuis le grand retour des Birdmen à la Maroquinerie - He never whispers/ never speak - Deniz tapait dans la meilleure niaque des bas-fonds.

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    Ils enchaînèrent avec «Comanche», un instro tiré lui aussi du dernier album, et qui sonnait comme du Link Wray, mais hélas sans la démesure shawnee. Avec «New York Confidential», Deniz adressa un clin d’œil appuyé aux Dolls - David’s Looking for a kiss - et bien sûr, Keih profita de l’occasion pour claquer ses claquemures riffales à la volée, réinventant au passage la notion même de festival du moulinet. L’œil toujours rivé sur l’horizon, Deniz chantait ça d’une voix profonde de mineur cancéreux, shootant ainsi une violente dose de pathos dans le cul du cut. Et soudain, le set bascula dans la poche de Keith. Il prit «Never Grew Up» au chant et entraîna la petite assistance directement au firmament. Franchement, on ne pouvait rien espérer de mieux en matière de garage-mâchoires serrées-rivières de sueur. Ce mec semblait vouloir jouer une sorte de garage définitif, presque sans le faire exprès. Quand il ne danse pas le French Cancan, Keith Streng peut être l’un des meilleurs garagistes de notre époque. En trois couplets, il enfonça les clous du cercueil, scellant ainsi le destin du set, et redonna surtout envie de réécouter les albums des Fleshtones.

     

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    La fin de set se mit à friser la formalité. Par miracle, personne n’osa demander à Keith de chanter d’autres hits des Fleshtones. Et pourtant, ce n’était pas l’envie qui manquait. Ils firent encore quelques belles reprises de Birdman, comme ce vieux «Love Kills» tiré de Radio Appear et un coup de «Snake» à la suite. Ils firent un petit retour au nouvel album avec un «Crossroads» étrange car monté sur le beat turgescent de Plastic Bertrand. Ça donnait presque envie de danser le pogo avec les copains. Nous n’étions pas au bout de nos surprises, car ils se mirent à taper dans l’intapable, c’est-à-dire l’antique «Shot By Both Sides» jadis offert par Pete Shelley à Howard Devoto qui allait en faire l’un des singles magiques des années de braise. Deniz jouait le thème et Keith l’étoffait. On les sentait investis d’une mission divine. Peu de gens se seraient lancés dans une telle entreprise. Le pire, c’est que Keith ne semblait produire aucun effort. Il jouait ça comme s’il grattait «Santiano» au coin du feu, dans un campement de louveteaux. Il jouait en rigolant et tournoyait comme un derviche. Ils revinrent en rappel rendre un bel hommage à Iggy avec une reprise d’«I Need Somebody» et enchaînèrent avec l’imparable «Hand Of Law», ce vieux hit de Birdman aussi fédérateur qu’un hymne national. Mais le mal était fait.
    Après le concert, le Professor et le Loser sifflaient un godet au bar. Ils ne parvenaient pas à dissimuler leur consternation.
    — Vous avez vu ça, Professor ?
    — Yurk ! Keith stole the show !
    — Quel voleur, ce Keith ! Il n’a pourtant pas l’air vicieux.
    — Vous avez raison, Loser, on pourrait même lui donner le bon Dieu sans confession...

    Signé : Cazengler, complètement Tok


    Deniz Tek. Le Kalif. Rouen (76) 14 avril 2017

    10 / 06 / 2017TROYES
    3 B
    THE KING RIDERS

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    En route pour le 3 B au travers de la campagne verdoyante et ensoleillée vers ce qui sera certainement pour nous le dernier concert de la saison dans cet antre dévolu au rock'n'roll qu'est le 3 B. Un autre est prévu avec les Ghost Highway le quatorze juillet – un peu de fanfare rock'n'roll vous changera de la musique militaire - mais normalement nous voguerons alors sous d'autres cieux étésiens.
    Un peu réservé, les tribute groups ne sont pas ma tasse de thé favorite, mais Béatrice la patronne me rassure et DJ Fab Rockin' qui veille sur la sono -s'est chargé dans l'après-midi du sound check - me confirme, ça arrache. Deux oiseaux de bon augure qui seront plus que confirmés par les trois chevauchées successives des King Riders.

    RIDE 1

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    Clair et net au bout d'une minute et demie, nous ne sommes pas en présence de demi-sel ou de quatre portions de vache qui rit. Rien de pire que le Pelvis. Inimitable. Vous écoutez, ça semble facile, l'évidence même. Avec le King, le rock'n'roll coule de source. Et s'il n'y avait que le rock, filez-lui un sirop pur sucre synthétisé et il se débrouille pour y distiller une morsure alligatorienne qui vous requinque la pochade en deux tours de langue, chez Elvis quand le rocker est aux abonnés absents, l'Artiste est toujours là. En attendant les King Riders entreprennent de nous fourguer en douce My Baby Left Me, un des premiers joyaux de RCA. En douce pas vraiment, à leur manière, en rythme accéléré, attention ce ne sont pas des punks qui déménagent le buffet de Tante Agathe en le jetant par la fenêtre du vingtième étage, non, z'ont trouvé l'angle idéal pour le faire glisser sur les marches et slalomer sur les paliers avec une habileté diabolique.

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    Premier coupable, Mick et sa batterie, rythmique, ne mollit jamais, un métronome atomique, ne défaillira pas d'une seconde de tout le set, file la cadence et les autres suivent. Pour la guitare rythmique de Jess Wade et la basse d'Alain Philippe, c'est facile suffit de se couler dans le moule et de suivre le mouvement. Toutefois surveillez-les comme le lait sur le feu.

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    Moins évident pour Didier Bourlon, mettez-vous à sa place, comment arriveriez-vous à insérer au milieu de ce galop implacable ces petits soli de dix secondes qui sont tout l'intérêt du rockabilly ? Oui, mais Didier Bourlon ne vous ressemble pas, fait un demi-pas en avant et hop, il y parvient, comme le magicien qui vous tire une collection de lapins de son chapeau, à croire qu'il contient dans son modeste couvre-chef une garenne entière. Soyez plus attentifs, écoutez ces minuscules inflexions de la basse et de la rythmique, une épaisseur d'un millième de poil de chat des collines et ils vous ouvrent un boulevard dont Bourlon s'empresse de brûler tous les feux rouges. Je vous entends vous impatienter, oui Elvis c'est avant tout une voix ! Jess Wade est chargé de l'impossible mission. L'est sûr que de temps en temps l'on perçoit des inflexions presleysienne dans son vocal, mais sans effort d'imitation. Mise plutôt sur l'acquisition du phrasé si particulier du Sud cette façon de ralentir les syllabes tout en maintenant une vitesse élocutoire des plus rapides. Ne joue pas au clone. Le Presley de Mystery Train était avant tout un déhanché sublime, un jeu de jambe et de bras époustouflant, Jess Wade dans sa chemise bleue reste immobile, les lèvres collées au micro qui repose sur son pied. L'est impressionnant par la facilité avec laquelle il vous débite les titres les uns après les autres – catalogue Sun et premiers mois chez RCA – sans prendre le temps – ne serait-ce que quelques secondes – de les mentaliser, d'en visionner à l'avance les difficultés dans sa tête, non il vous les sort naturellement comme quand vous ouvrez votre frigidaire pour attraper une bière fraîche. Du grand art, au 3 B tout le monde connaît les versions originales, vous ne faites pas qu'écouter, vous comparez au fur et à mesure, et vous vous dîtes, il s'en tire bien, il évite tous les pièges, il vous surprend, il vous arrache des sourires de satisfaction et à chaque fois les applaudissements et les cris fusent. Avouons qu'au 3 B Elvis possède un fan club, l'est le totem propitiatoire de toute une partie de l'assistance. Z'oui, mais ce soir, entre attirée par le bruit, toute une famille américaine qui se rendait en son hôtel juste en face, vont-ils se moquer de ces frenchies coassant qui se la jouent amerloque de traviole, point du tout, sont tout esbaudis, ravis, aux anges, notamment la grand-mère qui se met à remuer comme une insupportable gamine de quinze ans qui veut se faire remarquer lors de sa première surprise-party, retrouve sa jeunesse, euphorique, interrompt le show pour demander un hommage à Chuck Berry, et se remet à jerker comme une folle. Seraient-ce des petzoules perdus du fond du Montana jamais sortis de chez eux, mais non, viennent de Chicago, un endroit où les groupes de rock prolifèrent à tous les coins de rue. A la fin du set faut leur montrer une affiche des King Riders ( parce que notre prononciation apparemment n'est pas parfaite ), sont tout émus, et la fille de la grand-ma vient me remercier les larmes aux yeux comme si je lui avais sauvé la vie. Je n'ai rien fait, mais avec ce premier set les King Riders viennent de cartonner jusqu'aux States !

    RIDE 2

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    Le premier set s'était terminé sur Devil in Disguise. De la daube affirment les puristes, qui ne lui ont jamais pardonné d'avoir abandonné the pure rock'n'roll... N'entrons point dans la polémique, le King était le roi dans sa musique... Inquiétons-nous de l'étrange phénomène dont nos riders sont le vecteur. Métamorphosés ! Certes physiquement ils n'ont pas changé, mais le deuxième set n'a rien à voir avec le premier. Formation identique, musique différente. Exit la rythmique endiablée et sulfureuse de la première partie. Jess Wade nous a prévenu, nous partons pour Las Vegas, de C. C. Rider à Burning Love. Bye-bye le son rêche du sud, bonjour la puissance. Mick écrase sa batterie, en démultiplie l'ampleur sonore, la basse d'Alain bourdonne comme un essaim de frelons, vous trace de ces lignes au crayon gras dignes d'un calligraphe japonais, tout dans l'épaisseur du trait et la guitare de Didier Bourlon s'impose d'une manière explosive. A croire que jusqu'à maintenant ils ont joué les amplis éteints. Jess a délaissé sa gratte, et s'avance vers le public micro en main. Autant il était resté immobile l'heure précédente, autant maintenant il bouge avec prestance tel un guépard bleu. Un set de fous qui dynamite le public. La grand-ma au premier plan dont les cheveux blonds tournoient autour de sa tête comme des pales d'hélicoptère. Le désert du Nevada n'a jamais été aussi brûlant. Comment s'y prennent-ils à trois musicos pour produire une telle tornade ? Mystère incompréhensible. Plus la voix de Jess qui survole le carnage comme un vol de vautours après la bataille. Un moment magique. Qui se termine par une erreur dramatique. L'annonce du dernier morceau. N'auraient jamais dû. Sont illico pris en otage par une foule vociférante, Béatrice la patronne leur rappelle l'étrange coutume du 3 B, ici les sets marchent par trois. ( C'est la sainte-trinité des rockers troyens ). Demandent une pause qui leur est généreusement accordée, faut dire que vu la chaleur ambiante une réhydratation généralisée est nécessaire.


    RIDE 3


    Une vive discussion agite the american family, heure avancée, départ aux aurores, fatigue, chaleur, la grand-ma a besoin d'un repos. Réussissent à l'entraîner à son corps défendant. Vingt minutes plus tard, la revoici qui se glisse incognito dans le bar comme une voleuse, pas question pour elle de rater le troisième set. Surtout que Jess Wade est tout seul, avec sa guitare, de sa voix de miel il entonne coup sur coup Love Me Tender et Are you lonesome to-night ? genre de question malhonnête à laquelle la gent féminine ne saurait résister. L'est rejoint par ses trois acolytes pour un moment spécial. S'est déjà glissé plusieurs fois au micro pour les choeurs dans le gig précédent, mais en l'honneur de son anniversaire les Riders offrent à Duduche son morceau fétiche, un Whole Lotta Shakin' Goin On d'anthologie. Encore quelques titres d'Elvis et Jess laisse ses cavaliers poursuivre la besogne.

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    C'est Alain qui se charge, excellemment, du vocal, des classiques à la pelle, un Twenty Flight Rock détonnant et un Blue Jean Bop qui m'est spécialement dédicacé... mais ce n'est pas fini, un dernier chef d'oeuvre de maître Beef à la guitare, une entrée flamenco à soulever une arène suivi d'un rumble plein pot, pointe de vitesse terminale et vingt cinq fois le tour du circuit, une espèce d'ouragan qui n'en finit pas de souffler... Et tout s'arrête sous les hurlements de plaisir... Pas une seconde de trêve, la grand ma' s'empare aussitôt des King Riders...

    CONCLUSIONS

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    1 ° ) Elvis ce n'est pas de la gnognote ! Vous enflamme encore la soirée quarante après sa disparition...
    2 ° ) Les King Riders sont au top, ne vous refilent pas du plaqué toc, ces quatre lascars ne sont pas nés de la dernière pluie, connaissent tous les tours et détours du rock'n'roll, et vous en font profiter un max, des orfèvres ! Pour preuve : je ramène Jean-Jacques à la maison, un fan de métal, l'a son billet pour le Hellfest, un amateur de gros tonnage, s'est précipité sur le T-shirt des King Riders...
    3 ° ) Si la grand ma' - une trump-la-mort comme vous n'en avez jamais vu - avait eu un demi-siècle de moins... Non n'imaginez pas, vous vous feriez mal.

    4° ) Sans oublier un merci spécial à DjRockin Cats pour la sono !

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    Damie Chad.

    ( Photos : FB : Béatrice Berlot )

     

    WHERE'S MY HOME ?
    Dr BOURLON and Mr JACK

    ( Jerominus Production / 2011 )

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    Where's my Home / Sensual Pop'n'roll /Indians / Rock'n'Roll Swing / Spanish Guitar / Viré Ex Abrupto / Jazz Guitar / Santana Blues / Qu'as-tu fait de mes chiens et de mes chats ( mon amour ) / Jungle Love / The blues / No Love for You / Rock'n'Roll Nells / Blues in my Heart / Hard Rock Guitar / We don't Care.
    Compositions originales de Didier Bourlon.

    Certains vous pondent un album tous les ans, ils ont un plan de carrière, ils l'appliquent avec méthode. Existe aussi une seconde race, ceux qui ne s'expriment que lorsque la nécessité s'en fait ressentir. En période de crise. Quand ils n'ont rien à dire ils se taisent. L'universel bavardage ne les concerne pas. Ne ramènent pas leur fraise toutes les semaines à heure fixe. Ne mouftent que quand la situation est grave. C'est le genre Rimbaud qui nous délivre Une Saison en Enfer, laisse en chantier ses Illuminations et puis bye-bye, j'en ai déjà trop dit, vous avez l'essentiel, s'en va se promener dans les solitudes africaines. Didier Bourlon est un de ces oiseaux migrateurs.
    Where's My Home ? est le récit musical d'une crise existentielle que traverse Didier Bourlon après plusieurs années d'une vie particulièrement déjantée dans le tohu-bohu du rock'n'roll. Point de message, point de paroles, à l'auditeur de lire entre les notes les confessions de Dr Bourlon et Mr Jack. Pour Miter Jack regardez du côté de la dive bouteille rabelaisienne version Tennessee. La couleur du serpent, le goût du reptile, le véritable venin du crotale. Plongée dans l'abîme. Pour mieux en ressortir.


    Where's my home : la bonne question. Gauguin se la posait aussi dans son chef d'oeuvre, D'où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Où allons-nous ? Notre guitariste commence par répondre à la première, sans l'ombre d'une hésitation, sans bavure, provient tout droit du rock'n'roll ! Vous balance la réponse sur la transe électrique avec ces surajoutances de tuyauteries de riffs d'or purpural, qui sonnent quelque peu comme des refrains nostalgiques d'un passé éblouissant. Sensual Pop'n'Roll : au cas où vous n'auriez pas compris ou que vous ignoriez tout du rock'n'roll vous met quelques double points sur les i. La même chose, mais avec des douceurs musardines, des frissons coquins comme des appels faunesques à la volupté. Indians : tout se paye en se bas-monde. Vous qui êtes ivres de liberté l'on vous déclare la guerre et vous voici sur le sentier sanglant, beaucoup plus fureur qu'Apache, tout se précipite, en route pour le grand désastre, riffs épiques pour rappeler les combats menés. La guitare miaule comme une portée de bébés tigres affamés dont la mère qui a été abattue ne reviendra pas. Rock'n'Roll swing : toujours en savoir plus sur ses origines, en route vers la guitare swing, des Shadows l'on passe à certaines parties instrumentales que l'on retrouve sur les plages moins connues d'Eddie Cochran. Spanish guitar : ne pas prendre les rockers pour des sombres brutes qui ne connaissent que le rock et ses œillères. Bourlon adopte un jeu de virtuose brode sur une rythmique sambaïque, vous intercale les notes entre les battements avec la précision d'un mosaïste antique de Pompéi. Viré ex abrupto : same player shoots again, l'identique retour du même mais ici faut faufiler les doigts dans les barbelés de la vie, tout va plus vite et vous n'avez plus droit à l'erreur puisque vous êtes en train d'en payer les conséquences, l'argumentation vaseuse induit un jeu encore plus rapide, encore plus précis, encore plus subtil. Jazz Guitar : l'on se console comme on peut, chez son ami Charlie Christian, ne vous fait pas de cadeau le bougre, est d'une grande exigence mais vous connaissez votre plaidoyer par cœur et vous vous en tirez comme un chef. Santana Blues : l'est temps de faire chauffer la colle et d'allonger les notes comme des pleurs le tout sur une rythmique vaudou, quand on ne sait plus qui on est l'on essaie tous les exorcismes. Qu'as-tu fait de mes chiens et de mes chats ( mon amour ) : la grande explication, le riff mélodrame et les accusations sans concession. L'on vise à l'essentiel, avant la femme et les enfants l'on sauve d'abord le chat et le chien, l'on pense à ceux qui vous ont aimé sans arrière-pensée et qui ne vous reprochent rien de vos errements. Musique vindicative. Jungle Love : l'amour est une jungle luxuriante, un opéra phantasmatique avec grand orchestre, les singes jacassent, le serpent python mesure votre approche, le tigre aiguise ses dents, la femme halète sous la morsure du sexe que vous lui infligez, torpeurs fétides, voyage jusqu'au bout des nuits humides. The blues : tombe sur vous poisseux comme des épines empoisonnées qui mordillent vos cordes, frustrations, violences rentrées qui ne demandent qu'à s'épanouir en flaques de sang. Qui a dit que le blues était une musique désespérée ? Un imbécile qui ne connaît pas la puissance dévastatrice de la haine. Not Love for You : l'ambiguïté la plus terrible. L'absence du désir se manifeste-t-il à votre encontre ou comme la cautérisation d'une séparation définitive ? La guitare colmate les trous de vos blessures. Commence par hacher menu et rapide les chairs pourries de votre âme atteintes de gangrène. Aux grands maux les grands remèdes. Rock'n'roll nels : la mauvaise fièvre est tombée le rock'n'roll revient en force, pas encore la guérison définitive Mais la guitare chante beaucoup plus qu'elle se lamente. Blues in my heart : retour de fièvre, mais jugulée et maîtrisée, le blues gémit avec cette indolence caractéristique qui trahit la fierté de voir le bout du marécage. Les alligators ont eu tort. Gisent dans leurs sang, n'auraient pas dû vous attaquer, votre guitare est un couteau tranchant que vous enfoncez bien profond. A coups redoublés. Hard rock guitar : guitar on the highway triomphante, avale le bitume comme une Harley, dévore la route et les kilomètres, grands espaces et perspectives infinies. Notes en cascades. We don't care : la guitare sonne comme les cuivres qui annoncent la victoire finale. Elle tinte de tous les côtés et glapit de savoureux défis au monde entier. La crise est surmontée. Ce qui ne nous a pas tué nous rend plus fort. Avertissements sans frais. Sang frais dans les veines de la vie conquérante.

    Un roman. Passionnant. Traversée de l'ombre la plus noire à l'aurore la plus radieuse. Soyons francs un disque de rock'n'roll sans chanteur est souvent rapidement ennuyant. J'écoutais Jo Satriani l'autre jour quand je me suis aperçu que le CD était terminé depuis une bonne demi-heure et que mon esprit vaquait à mille lieues... Mais ici, ne s'agit pas d'aligner les plans les plus virtuoses à la queue leu leu. Un guitariste voyage dans la musique populaire américaine, not just for fun, pas de visite muséale, mais un malaise existentiel à exprimer. Un homme perd et retrouve le chemin de sa maison, rien de plus, rien de moins. Un itinéraire des plus classiques du rock'n'roll. Et de l'existence. Encore faut-il être capable de l'exprimer avec une guitare. Très bonne médecine dispensée par le docteur Bourlon. Vous reprendrez bien une gorgée de Mister Jack ?


    Damie Chad.

     

    ROCKABILLY GENERATION. N° 1
    Mai / Juin / Juillet 2017

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    Une nouvelle revue éditée par l'Association Rockabilly Generation News ( 7 hameau Saint-Eloi / 35 290 Saint-Méen-Le Grand ), 32 pages, 3, 50 Euros + 3, 40 de frais de port pour 1 ou 2 numéros, abonnement 4 numéros : 25 Euros, chèque à Lecoultre Maryse 1A Avenue du Canal 91 700 Ste Geneviève-des-bois ou paiement Paypal maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues...

    Beau papier, impression couleur, un bel objet. Sergio Kazh, photographe et amateur de rockabilly cornaque le projet, Rockabilly Generation News entend mettre en lumière les trois générations successives du Rockabilly tout en mettant l'accent sur les jeunes formations. Le sommaire de la revue décline parfaitement ce projet : hommage à Chuck Berry, suivi d'articles sur les Spunyboys, Miss Victoria Crown, Barny and The Rhythm All Stars. Le rockabilly est avant tout une musique vivante, la parole est donnée à Béatrice Berlot la patronne du 3 B qui en quatre ans est parvenue à faire du 3 B son café, sis au coeur de la ville de Troyes, un des lieux de prestations incontournables pour nombre de formations tant françaises qu'internationales, dans lequel KR'TNT ! vous invite souvent, d'ailleurs l'article se termine sur des extraits de notre compte-rendu du concert des Wise Guys. Présentation aussi du Eight o' Clock Jump # 7 ( Crazy Dogs, Jack Baymore, Foggy Mountain ) organisé par l'association Fishes and Swallows de Villeneuve Saint Georges qui depuis 2003 s'emploie à introduire de nombreux artistes étrangers sur le sol national, des défricheurs.
    Big Sandy en couverture. Grosse pointure, des enregistrements qui semblent sortis tout droit des années cinquante et qui ravissent le coeur de bien des fans, une étonnante résurgence du son originel du rockabilly en plein vingt-et-unième siècle, l'a retrouvé le secret perdu que bien des formations cherchent encore...
    Un agenda concerts avec reproduction des flyers termine la revue, même procédé pour les disques, suivis de simples indications et dépourvus de la moindre chronique de leur contenu ce qui est un peu dommage.
    Belle maquette – due en partie à Gilles Vignal, batteur émérite et infatigable activiste du rockabilly français – superbes photos de Sergio Kazh – nous lui en empruntons quelquefois lors de nos articles – beaucoup d'interviews, bref une revue vivante, d'amateurs et de fans, une véritable aventure éditoriale, qui ne demande qu'à grandir et à se développer, parions que les lecteurs seront au rendez-vous.


    Damie Chad.

    NO FUTURE
    UNE HISTOIRE DU PUNK


    CAROLINE DE KERGARIOU

    ( PERRIN / Juin 2017 )

    On l'a mis de côté pour vous, Monsieur Damie et le libraire se saisit du bouquin, un pavé, la taille d'un Tupolev, tellement lourd qu'il manque de lui échapper de s'écraser au sol, un livre sur le punk, son regard se fixe sur le nom de l'éditeur. Chez Perrin en plus ! C'est du sérieux, des spécialistes de la biographie historique, pas des rigolos, un gage de qualité, et il termine sur un ton dubitativo-exclamatif, sur le punk, quand même !

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    En plus il a raison. Un livre sur le punk, vous vous attendez à tous les débordements impossibles et inimaginables, une maquette à l'arrache, des gros mots en lettres majuscules à tous les coins de page, des typographies chancelantes, des traces de sang suspectes sur la couve, des clichés criards, des titres qui claquent comme des coups de revolver, que sais-je ! Et bien non, c'est tiré au cordeau, longs paragraphes et lettres minuscules, tout ce qui existe de plus classique, une présentation quasi-rébarbative, de quoi décourager le lecteur pressé avant la première ligne. De fuite et de suite ! Un truc aussi volumineux que la Recherche du Temps Perdu du divin Marcel, un parti-pris d'anti-punkitude par excellence.
    Mais chez KR'TNT ! on n'est pas du genre à abandonner le navire au premier iceberg mastodontique qui se profile à l'horizon. Prudent tout de même on a commencé par la préface, six pages, c'est l'auteure qui s'en est chargée, belle démarche, n'a pas demandé à un rock critic patenté de déposer sa petite crotte convenue, l'a suivi un des préceptes essentiels du Punk, Do It Yourself, elle s'y est collée comme une grande, et ma foi elle nous a scotché, pas tout à fait idiote la Caroline de Kergariou, dirai même qu'elle n'est pas stupide, plutôt fine mouche. Je l'avoue, elle m'a séduit, alors je l'ai suivie – pas à la midnight rambler mon couteau d'éventreur à la main – jusqu'au point final de la cinq cent quarante huitième page - en reste encore une centaine pour les notes et la bibliographie.

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    Une fille qui ne vous mène pas en bateau, sait de quoi elle parle, elle connaît tout, elle n'oublie rien, et l'on sent qu'elle aurait pu en rajouter encore et encore. Elle a du style, vous prend par la main et vous mène dans tous les couloirs du labyrinthe, une charmeuse, une ensorceleuse, me suis couché tard et levé tôt pour la quitter le moins possible. Faudra que je ressorte mes collections de Rock'n'roll Musique, de Rock en Stock, et de Rock Hebdo puisqu'elle y écrivait déjà à l'époque, in the seventies. En plus ne s'adjuge pas le rôle du témoin irremplaçable qui a tout vu, tout connu, tout vécu, et qui va tout vous expliquer, monsieur le Commissaire.

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    La fille discrète qui ne se met pas en avant. Pour un peu vous la prendriez pour une petite fille modèle qui a compris les limites du job. Faut perriniser la réputation de la maison. Du sérieux avant tout. De l'ordre et de la méthode. De la racine la plus profonde au faite de l'arbre. L'on explore le tronc, les branches maîtresses et l'on passe en revue les rameaux un par un. Méticuleuse à l'extrême sans que cela ne devienne jamais lourd et indigeste. Z'ont dû exulter chez Perrin quand elle a rendu son boulot, parfait, superbe, rien qui dépasse, une objectivité d'historien breveté, un travail digne d'un chercheur universitaire. Toutes les qualités. Que vous n'appréciez pas. Ce n'est pas de votre faute c'est que – excusez-moi ce jeu de mot à remembrance pink floydienne pour un bouquin sur le punk - le goût du Gini n'est pas le coup de génie.
    Z'oui mais. N' y a même pas besoin de lire entre les lignes. Caroline de Kergariou manie le yatagan de l'ironie avec une dextérité inouïe. Vous remet les pendules à l'heure sans avoir besoin de tourner douze fois la grande aiguille. N'a pas l'air d'y toucher, mais elle vous envoie les exocets sous la ligne de flottaison, l'air de rien, avec le sourire malicieux de la gaminette perverse qui caresse le chat pour mieux lui marcher sur les pattes. En plus – c'est pour cela que je l'adore – elle tire sur les mêmes ambulances que moi. Une sœur siamoise, n'aime pas tout ce que je déteste. Mais plus finaude, n'y va pas direct, vous entourloupe la chose mais ne la loupe pas.

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    Je prends deux exemples. Sex Pistols ou The Clash ? Elle n'introduit pas le sujet avec ma balourdise d'ours mal dégrossi, ne s'agit pas d'une stupide guéguerre du style Chaussettes Noires contre Chats Sauvages. Le genre de préférence dichotomiale personnelle sans aucun enjeu, l'est plus subtile que cela notre Caroline, ce qu'elle cherche à saisir c'est l'essence du punk au-delà de toutes ses métamorphoses qui ont accompagné ces quarante années d'existence. En plus nous sommes-là au cœur sommital de la naissance du punk. Ne se prive pas de mettre le pouce du pied sur les contradiction du Clash – n'a pas été tendre auparavant avec les poutres qui encombrent l'œil crevé des Pistols – bien beau le Clash, mais l'introduction du reggae dans le punk, elle le juge comme un dévoiement intolérable.
    S'attaque aussi au punk de par chez nous. Dénonce les traîtres, ceux qui se sont revendiqués de la radicalité punk en 1977 pour tourner – au premier vent mauvais des années suivantes - vers l'eau sucrée et frelatée de la modernité des jeunes gens à la poursuite d'une gloire qui se refusera, les Taxi Girl et les Lili Drop de la pacotille variétoche ( elle ne prononce pas ce mot, je le revendique ) que certains s'obstinent à présenter comme les martyrs du rock'n'roll national.... en passant elle règle son compte à ces faiseurs de Starshooters, le punk france-intérisé, pasteurisé, écrémé et débarrassé de ses agents vomitifs... Même pas capables de remporter le tremplin du Golf-Drouot.
    Mais qu'est-ce que le punk ? Ne vous raconterai pas la saga, vous la connaissez sur le bout des doigts. Et si vous êtes néophytes ou que vous ayez besoin de réviser vos fondamentaux, le mieux et le plus utile sera de vous procurer le bouquin et de le lire. Voudrais seulement évoquer quelques points saillants.

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    Primo : le cas Malcolm McLaren, à l'écouter c'est lui qui a tout fait. Tire toute la couverture à lui, plus les draps, plus l'édredon en plumes d'oies. L'imprésario – m'étonne que l'on n'emploie que très rarement ce vocable, avec tout ce brouillard de factice rodomontade qui caractérise si bien notre Monsieur Loyal du punk, pour le désigner – n'est pas le géniteur, le noyau de ce qui allait devenir les Pistols était déjà en marche lorsqu'il décide de les cornaquer. Applique et improvise sa méthode : celle du rhinocéros dans le magasin de porcelaines sales des médias. Ne chipotons pas : s'il ne réussit pas son coup, le coup réussit. L'écart de la formule réside en ce qui lui appartient en propre et la différence manquante que les autres apporteront. L'on évoquera les accointances situationnistes de Malcolm, Caroline n'y croit guère, vaudrait mieux évoquer ce kairos cher aux sophistes de l'ancienne grecque, cet instant propice, cette fenêtre de tir, cet alignement des planètes, cette opportunité circonstancielle qu'il s'agit de ne pas rater si l'on veut l'inscrire en une historialité signifiante.
    En ses germinations, tant américaine qu'anglaise, dans les deux cas, la proto-mouvance punk ne compte pas plus d'une centaine d'individus. C'est peu, mais avec un seul point d'appui Archimède se faisait fort de soulever le monde. L'œuf initial du phénomène possède à chaque fois deux cotylédons, une face prolétarienne et une face arty. Cette partition ne correspond pas exactement à un partage classique du type marxiste mais y participe toutefois. Pour prendre un autre exemple bien de chez nous, les premiers militants de ce qui allait devenir la Gauche Prolétarienne après le joli mois de mai 68, cristallisait en son sein un noyau issu du lumpen-prolétariat et un ovaire qui regroupait une obédience d'intellectuels de très haut niveau. Le punk réalisera un mélange instable, une aile bourrine à mort jusqu'au boutiste, et une seconde beaucoup plus artiste et créatrice. Suffit de quelques gouttes de l'une ou de l'autre, en plus ou en moins, pour que l'explosif se transforme en pétard mouillé. Le punk se désagrègera vite.

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    Mais nous fera le coup du phénix. Qui renaît de ses cendres. Le punk rend l'âme mais ne meurt pas. De Kergariou se penche avec une précision d'entomologiste sur ces transformations. Le voici Oi ! and Skin, par chez nous d'extrême-droite et antifa, puis glisse à gauche, s'installe dans les squats alternatifs et festif, s'autonomise jusqu'à entretenir des liens avec Action Directe ( évite le sujet ), puis retombe sur une base anarchisante qui s'inscrit dans une tradition séculaire bien française... aux Etats-Unis le punk se durcit, se hérisse, hardcore sera son nom, se décline en de nombreuses saveurs parfois antagonistes, gothique, grunge, straight edge, métallique... Epouse des virages idéologique les plus surprenants, jusqu'à trouver des punks à chien vegans ! Contradictions apparentes ? Beaucoup avancent une thèse selon laquelle le mouvement punk proviendrait de la diaspora hippie. Sous une autre forme, par d'autres moyens pour parler comme Clausewitz. Tout de même ces maudits babas que les premiers punks abhorraient comme la lie de l'humanité ! Caroline ne s'aventure pas en la résolution de cette équation paradoxale.

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    Vous dissèque le punk amerloque, british et franchouillard de fond en comble, mais la voici insatiable, nous visitons l'Europe de l'Ouest avec elle, et hop en partance pour les pays de l'Est. Plus difficile d'être punk en républiques démocratiques qu'en démocratie libérale. Pas folichon tous les jours. La censure est partout. La police aussi. Le plus terrible c'est que les gouvernements n'aiment pas le punk. Les assimilent aux fachistes. La preuve, photos à l'appui, ils exhibent des croix gammées sur leur T-Shirt. La provocation, l'effet miroir, de l'autre côté du rideau de fer on ne s'embarrasse pas de ces subtilités. Ou vous vous soumettez, et vous adoptez un mode de vie correctement socialiste, ou vous êtes déclaré ennemi public. Pour les concerts, c'est simple, soit vous jouez la musique que l'on vous impose, soit ils sont interdits. En Allemagne de l'Est, on ne se se contente pas de ces arguments massue, l'on en possède un autre bien plus subversif, on vous infiltre, réfléchissez votre chanteur n'est peut-être qu'un agent de sécurité civique qui régulièrement rédige ses rapports sur ses musiciens et les fans du groupe...

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    Un peu décevant quand on compare les vassaux au grand-frère. En Russie, pardon en Union Soviétique, c'est mieux. La démesure slave. Pas question de vous cacher dans un coin de l'immense territoire. Même au fin fond de la Sibérie, vous restez dans le collimateur. La police vous convoque, prend soin de vous, s'apitoie sur votre santé morale, vous organise un petit séjour gratuit à l'asile psychiatrique. Rien que pour vous changez les idées. M'étendrai pas sur le cas des Pussy Riot, vous le connaissez. Celui d'Ego Letov exige le détour. Un pionnier du punk en son pays et presque un prophète, réussira à enregistrer cinq cents ( ! ) albums dans sa baignoire – magnifique chambre d'écho – les flics sempiternellement au cul, menacé, interné, en fuite, un activiste, un indomptable... Durant un certain temps il rejoindra Limonov, écrivain, exilé, figure mythique et politique de la contre-culture russe. Vous refile un extrait d'un de mes textes consacré à cette haute figure controversée : « … De retour en Russie, Limonov créa son parti politique : national-bolchévique. L'alliance des contraires. Fascisme et communisme dans sa forme originelle la plus révolutionnaire, dans le même verre. Fascisme parce qu'il fallait un pouvoir fort pour redresser le pays, bolchévique parce qu'il fallait redonner aux masses laborieuses la possibilité d'une vie décente ce qui nécessitait le ré-accaparement des richesses au bénéfice des plus pauvres. Politiquement ce fut un échec. Culturellement ce fut une réussite éclatante. Le parti eut jusqu'à dix mille membres. Pas grand-chose. Peu de moscovites. Beaucoup de jeunes provinciaux qui trouvèrent une échappatoire à leur terne quotidien. En exagérant à peine, l'on peut dire que ce fut le regroupement des punks à chiens les plus créatifs de toute la Russie. Le bunker local du parti devint le lieu culturel par excellence de la capitale. Underground artistique à tout va, lors des soirées le corset moral de la société russe fut systématiquement détruit à coups de parties d'avant-garde arty et de groupes de rock. Pensez à la Factory d'Andy Warhol pour trouver un équivalent. Un lieu de vie irremplaçable, les militants vivaient sur place et avaient l'impression de participer à l'émergence d'un monde nouveau.

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    Gramsci théorisait qu'il fallait d'abord s'emparer de la sphère culturelle pour parvenir au pouvoir. La deuxième partie de la prédiction ne se réalisa pas. En fin de compte, ce fut Poutine qui se retrouva à la tête du pays... Limonov se rendit compte que son mouvement piétinait. Entreprit sa longue marche, avec une poignée de militants, il tenta un soulèvement des républiques Extrême-Orientale. Fiasco total. Se retrouva en prison. En fut libéré au bout de deux ans car sa figure était devenue extrêmement populaire... »
    Le punk dans tous ses états métapolitiques, des enjeux beaucoup plus sérieux que la séparation des Sex Pistols quand on y songe... Cette histoire du punk s'avère passionnante. Caroline de Kergariou ne se contente pas de raconter. Même si au passage elle vous ouvre des perspectives absentes de la plupart des documents spécialisés que vous avez pu consulter jusqu'à lors. Elle ne conte pas, elle analyse. Ne révèle une anecdote croustillante que si elle apporte un plus à sa réflexion. Essaie de mettre en relation des phénomènes qui s'interpénètrent beaucoup plus profondément qu'on ne veut l'accroire. Les soubresauts de l'économie capitaliste ne sont pas étrangers à l'apparition du punk. Le monde est en train de changer de face et le masque qu'il adopte est encore pire que le précédent. Le no future de Johnny Rotten se révèle prémonitoire... Par-delà les intuitions et les défaillances des individus qui ont participé à son déploiement, ce courant musical et puis culturel réussit, depuis quarante ans, à rendre compte des violences structurelles qui agissent sur les individus que nous sommes. Le punk s'avère être de par sa sensibilité aux abois le point focal de conscientisation réflexive vers lequel convergent toutes les contradictions de notre monde. En reflète et en traduit toutes les potentialités et toutes les impuissances. Nous ressemble trop pour que l'on ne s'y reconnaisse – à des degrés divers - point en lui. Félicitations, dear Caroline de Kergariou.


    Damie Chad.

    DJANGO
    Film d'ETIENNE COMAR

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    Si vous pensiez trouver tout ce que vous n'avez jamais osé demander sur Django Reinhardt, c'est raté. Ce n'est pas un biopic. Vous ne suivez pas Django du berceau à la tombe. L'histoire du jazz en France, du Jazz-Hot, la carrière de notre guitariste chéri, tout ça est aux abonnés absents. En fait ce n'est pas un film sur Django. Mais oui il est là superbement interprété par Reda Katek ne paniquez pas, mais juste un épisode de sa vie, trois petites années, mais de celles qui comptent double, triple et quadruple. Un moment peu grandiose de l'histoire de France. Le pays sous la botte allemande. Un temps où il ne fallait pas trop la ramener. Surtout que les boches n'étaient pas commodes. En plus ils détestaient la musique de nègres. Pas assez aryenne. C'est que les noirs sont rarement blonds et n'ont guère les yeux bleus. En plus ils ont la mauvaise habitude de se contorsionner comme des chimpanzés dès qu'ils entendent le moindre rythme. Une race inférieure, trop près du primate pour avoir droit de cité chez les nazis. Pas de chance pour Django, l'était un musicien de jazz et de blues. Mais lui, on lui pardonnait. D'abord il n'était pas noir, ensuite un grand artiste, joue tellement bien que le peuple germain désire l'entendre. L'en est flatté le Django, n'aime pas spécialement Hitler, mais les cachets proposés sont plus qu'alléchants... Préfèrerait rester pénardos à Paris, mais les Allemands insistent lourdement.
    Cherchez l'erreur. Faudra un bout de temps à Django pour la trouver, les mésaventures de ses proches l'aiguillent peu à peu vers le vers caché dans le fruit de la tentation. Certes Django n'est pas un nègre, mais dans l'échelle établie dans Mein Kampf, les tziganes ne valent guère mieux. Comprend petit à petit le rôle que l'on veut lui faire jouer, le bois de sa guitare sera l'arbre qui cache la forêt de la déportation de son peuple. C'est fou comme un air de swing peut vous masquer la fumée et l'odeur des crématoires...
    Prend la bonne décision, le passage en Suisse, plus difficile à réaliser que prévu. La Résistance a d'autres chats à fouetter que la survie d'un guitariste qui n'a pas fait le choix de la lutte armée... Trouve refuge avec sa femme enceinte et sa mère dans un campement tzigane, la situation se tend car la Gestapo sait qu'il est là... Vous savez qu'il s'en sortira car il mourut en 1953. Pour les tsiganes qui l'ont recueilli, à part les jeunes qui s'engagent dans le maquis, leur sort sera funeste... Un beau film, avec quatre très beaux moments musicaux, qui ne respecte pas la réalité historique, mais qui reste émouvant.
    N'y allez pas pour y verser une petite larme de crocodile si la chasse organisée par une police particulièrement haineuse et nos gouvernements successifs dont sont victimes les roms de nos jours vous laisse de marbre. Soyez cohérents avec vous-mêmes.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUE DE POURPRE N° 213 = KR'TNT ! 332 : ERVIN TRAVIS NEWS / MAKE-UP / KIM SALMON / DEJA MU / BILL CRANE / IAN DURY / JEAN-PIERRE ESPIL / JAMES BALDWIN

     

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 332

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    08 / 06 / 2017

     

    ERVIN TRAVIS NEWS / MAKE-UP / KIM SALMON

    DEJA MU / BILL CRANE / IAN DURY /

    JEAN-PIERRE ESPIL / JAMES BALDWIN

     

    ERVIN TRAVIS NEWS

    Longtemps que nous n'avons donné de nouvelles d'Ervin Travis. Pour une unique et simple raison : elles ne sont pas bonnes. La maladie – cette saloperie de Lyme - suit son cours. Ervin a tout essayé, traitements divers, clinique spécialisée en Allemagne, docteurs en tous genres.

    C'est une vidéo sur You Tube. Qui excède à peine une minute. Réalisée par Ervin. Un Ervin fatigué qui annonce, qu'à bout de patience, il prend la décision de se soigner tout seul, par lui-même, puisque toutes les formes de médecines n'ont réussi à éradiquer les méfaits de la sale bestiole.

    La voix éteinte, la mémoire défaillante, Ervin parle et promet de nous refaire signe ...to be continued... comme il dit... deux ans que la maladie est devenue insupportable... mais l'homme se bat et malgré une énorme lassitude fait toujours front...

    De tout coeur avec toi, Ervin.

    Keep Rockin' Till Next Time !

    Make up your mind

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    Faut-il qualifier Ian Svenonius d’activiste ? Oui, et pas seulement pour son plan de destruction de l’Amérique en treize points qui date du temps de Nation Of Ulysses, mais surtout pour son rôle de propagateur du gospel yé-yé au sein des Make-Up, groupe artefact d’action directe capable de taquiner le tabernacle et de magnifier le manifeste. Ce gang fit de sérieux ravages dans les rangs des années quatre-vingt dix, au siècle dernier. Bonnot Svenonius et sa bande écumaient les scènes à bord d’un tacot fou et canardaient de quinconce, sans aucune pitié pour les connards boiteux. En réalité, le Raymond la Science de Bonnot Svenonius était une grooveuse sirupeuse, Michelle Mae. Tout l’art make-upien reposait sur l’excellence de son bassmatic famous-flammy. À l’arrière du tacot fou se trouvaient deux autres graines de violence, Steve Gamboa, un bat-le-beurre d’origine vaguement orientale, et un certain James Canty trouvé dans une cantine.

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    Après des années de silence, Ian Svenonius et ses activistes rejaillissent dans l’actualité de façon tout à fait inespérée. Les voilà à l’affiche du Cabaret Sauvage, l’endroit le plus rococo de Paris. Ian prend un petit bain de foule avant de rejoindre son gang sur scène. Ils portent tous les quatre des costumes en lamé or. Un nouveau batteur a remplacé Steve Gamboa.

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    Dès les premières mesures, Ian et son gang mettent le cabaret à feu et à sang. Ils réveillent les démons de cette vieille soul blanche qui les rendait uniques. Le feu sacré est intact, Ian jerke sur scène comme à l’âge d’or. Michelle Mae pulse paisiblement son groove de funk et nous voilà plongés dans un spectacle digne des grandes Revues américaines d’antan. Ian fait le show, il james-brownise le funk blanc, il shake ses shooks avec des bonds blackés d’or en double ciseaux, il performe son show et chitline l’entertainment avec un mépris total des lois de la gravité.

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    Tu veux voir le Christ marcher sur l’eau ? Vas voir les Make-Up et tu verras Jesus Svenonius marcher sur une mer de mains tout en prêchant le gospel yé-yé. Il traverse plusieurs fois la salle sur la mer de mains, et des centaines de gens font des photos. C’est tout ce qu’il reste à faire : des photos. Pourquoi faire ? Pour faire des photos. Mais à quoi ça sert de faire des photos ? Mais à faire des photos, c’est déjà pas mal. Que te faut-il de plus ? Alors ça smarphotte de partout. Ian Svenonius marche sur une mer de smartphones. Des fois qu’on manquerait de preuves. Oui, il a marché sur une mer de smartphones. Le monde entier doit le savoir. Le monde entier doit le voir. Des milliers de smartphones photographient la mer de smartphones. On se croirait dans Fantasia chez les ploucs.

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    Pendant ce temps, les trois autres Make-Up tiennent bien le beat en laisse. Pas question de le laisser partie à vau-l’eau, au hasard des courants. Ramené sur scène par une sorte de ressac, Ian reprend son infernale partie de Saint-Guy. Ouh ! Il jerke pour dix, ouh ! Il shake comme un beau diable, il rallume l’antique brasier des Make-Up !

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    La foule ovationne ce piccolo diabolo sorti d’une Pandora box de beat doré, ce Mister Pan Dynamite de deepy DC, Ian fait le show et réinstalle les Make-Up au sommet d’un Olympe de la modernité. On les savait invincibles depuis vingt ans. C’est toujours une bonne chose que de voir une vérité jaillir du buisson ardent.

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    Oui, car ce qui a toujours distingué les Make-Up du troupeau bêlant des groupes garage, c’est précisément la modernité. Ils n’ont pas enregistré beaucoup d’albums, mais chacun d’eux frappe par la vitalité de son parti-pris.

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    Un portrait de grooveuse sirupeuse orne la pochette du premier opus cubitus du gang, Destination Love, paru en 1996. Et si par malheur on retourne la pochette, on sera frappé de plein fouet par une photo de la bande à Bonnot Svenonius au grand complet. Les voilà parés de coiffures arrogantes, de chemises en soie et de cravates du plus beau noir. Black on black, baby. Sur ce disque, ils se livrent à l’exercice périlleux du jerk de funk garage gratté sec et chanté avec la pire aménité qui se puisse concevoir ici bas. C’est en tous les cas ce qu’inspire un «Here Comes The Judge» qui ne doit rien à Shorty Long. Avec «They Live By Night», ils ne font qu’une bouchée du garage. Ils grattent ça aux accords de Gloria, baby low, avec une jolie frénésie. Bonnot Svenonius chante le plus souvent à l’orfraie d’eunuque volage. Il ne respecte aucune loi, il ne revendique ni dieu ni maître, sauf peut-être James Brown. Le groupe joue sans aucune concession, et se veut affreusement dépositaire de limon. Avec «We Can’t Be Satisfied», Bonnot Svenonius devient une sorte de screamer hors d’âge. Il tâte encore le pouls du garage d’anticipation avec «How Pretty Can U Get» et amène «International Airport» à l’hypno tendancieuse. Mais le hit de cet album insoumis se cache en fin de B : back to the gospel yé-yé avec «So Chocolately/Destination Love». Eh oui, Bonnot Svenonius transforme le moindre balladif en torrent d’effluves, en geyser d’effusions cognitives, en rupture d’anévrisme, en vertigineuse noyade de chars de combat dans la Mer Rouge.

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    Ils passent au live dès le deuxième album, After Dark, enregistré à Londres au Fine China. Heureuse initiative ! On retrouve en effet la dynamique du gang sur scène. Dès l’intro, Bonnot Svenonius hennit comme un étalon sauvage et il enchaîne avec «Can I Hear U Say Yeah» qu’il screame jusqu’à l’os du genou. Si on aime le raw, on est servi. S’ensuit un «Blue Is Beautiful» exacerbé et irrité jusqu’au sang. La bande à Bonnot Svenonius nous plonge dans une fantastique ambiance d’exaction maximaliste. Il va chercher l’At the tone à la glotte sanguinolente et hurle à la hargne blanche. Le «Gospel 2000» qui ouvre le bal de la B permet de souffler un peu, même si Bonnot Svenonius glapit plus que de raison. Sur ce disque, tout reste incroyablement rampant. Il reviennent jerker le garage funk avec un «RUA Believer» solidement syncopé. Ils ont un autre album live, le fameux Untouchable Sound paru beaucoup plus tard, en 2006, enregistré au Black Cat Club de Washington DC en l’an 2000. On y retrouve l’énorme «Save Yourself», que la grooveuse sirupeuse joue sous le boisseau, un cut très africain dans l’esprit et enrichi des chœurs d’une Ophélie allongée au fond du ruisseau. Bonnot Svenonius s’y distingue en hurlant comme Iggy. Il règne dans la musique des Make-Up quelque chose qui relève de l’ordre de la grande solidité. On trouve aussi sur cet album une belle version de «They Live By Night» montée sur un groove hypno et troué de part en part par un killer solo de James Canty. Si on aime le joli groove de basse, on se régalera du «The Bells» niché en B. James Canty revient faire une trouée sauvage dans ce pauvre groove. Il s’y adonne à son jeu favori : le solo de libre-cours sans foi ni loi. Bonnot Svenonius nous chante «Born On The Floor» comme un prophète, comme un vrai harangueur de foules, un mystique du désert de Gobi. On sent le possédé. Et puis tout bascule dans l’Orange mécanique avec «C’mon Let’s Spawn», car le solo qu’on y entend est celui d’un droog.

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    On trouve un peu de tout, sur Sound Verite. Du funk et du dub. Oui, «Don’t Tell It Like It Is» sent bon le bon dub, car c’est amené au beat narcotic, de façon inquiétante, sous le boisseau. Et le funk ? Il se niche en B dans l’impérieux «Hot Coals». Bonnot Svenonius y fait son James Brown et il a raison, car il en a largement les moyens. Oh on trouve d’autres petites merveilles sur l’album rouge, comme par exemple «If They Come In The Morning» que Bonnot Svenonius chante au timbre éteint. Le gang s’installe dans le groove insidieux, celui qui cache bien ses intentions. Peu de gens chantent aussi bien à l’agonie. On reste dans la même ambiance hitchcockienne avec «Make Up Is Lies», car notre profanateur préféré y crée les conditions de la psychose yé-yé. Et le «Gold Record Pt1» qu’on trouve en B s’enfonce dans l’ombre d’une belle menace urbaine, bien louvoyé au petit groove funky. Sur cet album, tout reste d’un niveau égal, sans crises ni montées brutales de fièvre.

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    S’il faut emmener un album des Make-Up sur l’île déserte, c’est peut-être In Mass Mind. Oui, car quel album ! Si on en dresse l’inventaire, on y trouve un coup de génie, une énormité, un classique de r’n’b, un froti d’antho à Toto et deux modèles de scream. Le coup de génie se niche au bout de la B : «Black Wire Pt 2». Dans le genre coup de génie, il est difficile de faire mieux. Si on apprécie les énormités, alors il faut se jeter sur «Joy Of Sound», véritable hit de Soul insistante, solide comme une dague en acier de Damas. Le froti de rêve s’appelle «Caught Up In The Rapture». Voilà un slowah d’une rare intensité et screamé avec une science innée de l’amour physique, sous un satin de nappes d’orgue chaudes. L’amateur de scream se régalera de «Live In The Rhythm Live», une horreur juvénile montée sur un gros groove bien gras. Bonnot Svenonius y screame comme le démon qu’affronte l’Exorciste. Franchement, il est avec James Brown le plus puissant screamer d’Amérique. Il récidive avec «Do You Like Gospel Music», screamé à la vie à la mort avec du pur Get down on your knees/ Please do you like it/ Do you like what we do - Quant au fan de r’n’b, il se goinfrera de «Drop The Needle», car vraiment, dans le genre hot Soul de cold rice, on ne trouve pas mieux, sauf peut-être chez James Brown. Voilà un album qu’il faut bien qualifier d’infernal.

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    On trouve deux véritables coups de génie sur Save Yourself paru en 1999, à commencer par le morceau titre, monté sur un riff de bassmatic oh yeah et chanté à la coulée de boue de Soul. Ce mec est vraiment très fort. Les chœurs interfèrent de façon brûlante. Quel extraordinaire panier de crabes ! Quelle volupté ! Quelle finesse diabolique ! Ian mène son bal au groove insidieux, à coups de halètements et de relances infernales. Voilà ce qu’il est convenu d’appeler une merveille d’intelligence svenonienne. L’autre coup de génie de cet album est la reprise d’«Hey Joe». S’il est bien un cut intouchable, c’est celui-ci. Qui oserait reprendre ce chef-d’œuvre hendrixien, à part Ian Svenonius et Michelle Mae ? Elle l’attaque au chant et Ian la rejoint avec une voix d’archevêque au bord de l’orgasme. Ils duettent comme pas deux - I’m gonna go to Mexico - et Ian chauffe cette fabuleuse version à blanc. Mais attention, ce n’est pas fini, car «C’mon Let’s Spawn» reprend le mythe du catfish. Oui Ian veut être un big fish in a small pond, pure métaphore sexuelle, et il s’y prend de manière totalement spectaculaire - C’mon babah ! - C’est relancé aux solos d’instrus indéfinissables, avec des cuivres en veux-tu en voilà. Ils inventent pour la circonstance le funk désespéré, et le coulent dans une véritable dégelée d’énergie carabinée. Avec «White Belts», il fait du groove de confrontation. Il l’explose même au scream de white trash. Puis, avec «The Prophet», il se livre à un petit exercice de speed talkin’ un peu énervé. Il tente parfois de créer des ambiances spectaculaires, comme dans «I Am The Pentagon», mais ça ne marche pas à tous les coups. Son Pentagon est un peu cousu de fil blanc. Par contre, il est capable d’horreurs de garage exacerbé du type «(Make Me A) Feelin’ Man». Ici, l’implacable Svenonius en veut au monde entier. Cette belle énormité roule sur un drive de basse terrible. Si l’on cherche une illustration musicale de la puissance nucléaire, c’est là.

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    Le dernier album en date des Make-Up est une compile intitulée I Want Some. Voilà encore un disque indispensable, car d’une densité assez rare : quatre faces bourrées à craquer de garage d’anticipation insidieux du type «Blue Is Beautiful» et «Type-U-Blood», chantés à la petite hurlette concomitante et subtilement nappés d’orgue. On retrouve aussi l’excellent «RUA Believer» chanté à la glotte allumée. Tiens, voilà un cut mythique, le fameux «Free Arthur Lee», joué au beat de gospel yé-yé, même ampleur cabalistique que l’«Out Demons Out» d’Edgar Broughton.

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    Le gang invente un genre avec «Untouchable Sound» : le modern savaged raunch of soul garage. Franchement, Bonnot Svenonius vaut tous les grands screamers blacks. Il refait son James Brown avec «Substance Abuse» - Get on the right track - Il connaît toutes les ficelles du black power. Et il termine sa B avec un extraordinaire «Have You Heard The Tapes», insidieux au possible, hanté par les chœurs de Michelle Mae. Si ce n’est pas un hit, alors qu’est-ce que c’est ? Le morceau titre se trouve en C et c’est le meilleur groove de funk blanc qui se puisse imaginer ici bas. Michelle tricote son groove au coin du feu alors que Ian l’implore - I want some/ Gimme some - Encore un hit avec «The Choice», balladif d’une fantastique ampleur mélodique - You put my head through the water - On se régalera aussi du jeu de Steve Gamboa dans «Born On The Floor», oui, c’est un excellent drum-beat de gros et de détail. Les Make-Up avancent invaincus dans leur monde ténébreux. En D, on trouve encore de quoi dérouter des cargos, avec ce vieil «Hey Orpheus» monté sur l’un de ces grooves de petite harangue autorisés à paraître à la cour. Encore plus déroutant, ce «Grey Motorcycle» poppy et baroque que Bonnot Svenonius s’en va chanter là-bas, dans le rougeoiement du crépuscule des dieux. Oh mais ce n’est pas fini car voilà une autre merveille digne du cabinet de curiosités d’Honoré d’Urfé : «Every Baby Cries The Same», battu sévèrement jungle, nappé d’or fin à l’orgue et rehaussé d’une délicate couche de démesure imprévisible. Steve Gamboa y bat le beat de drums & fifes du «Fast Line Rider» de Johnny Winter. Voilà un objet sonique stupéfiant. Bonnot Svenonius termine ce festin avec un «Little Black Book» chanté au chuchotis intimiste. Il crée ainsi les conditions du bien-être parental et dépose son cut dans l’écrin rouge du bonheur familial.


    Signé : Cazengler, démaquillé


    Make-Up. Cabaret Sauvage. Paris XIXe. 31 mai 2017
    Make-Up. Destination Love. Live At Cold Rice. Dischord Records 1996
    Make-Up. After Dark. Dischord Records 1997
    Make-Up. Sound Verite. K 1996
    Make-Up. In Mass Mind. Dischord Records 1998
    Make-Up. Save Yourself. K 1999
    Make-Up. Untouchable Sound. Sea Note 2006

     

    Kim est Salmon bon - Part 2

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    Oh bien sûr, le Kim Salmon d’aujourd’hui n’a physiquement plus grand chose à voir avec le Kim du temps des Beasts. Disons qu’il a pris un petit coup de vieux, comme tout le monde. Mais sur scène, il en va autrement. Le spectacle qu’il offre sur scène relève de l’absolue perfection. Kim Salmon propose aujourd’hui une sorte de Magical Mystery Set, une espèce de Mad Doggin’ sans Englishmen, un killer set of it all, oui, une sorte de Swamplanding on the moon, un back to the basics balls of God from down under, un hillfest over yonder, un Solid Gold Hell d’une heure trente, un jive surrealistic d’ombilic scientific, un Script d’essence divine, une prestation de cador et d’argent, un fabuleux bouquet de glam et d’année érotique. Il n’est pas nécessaire d’être un vieux fan des Scientists pour apprécier un tel set. En 1978, Kim Salmon s’imposait déjà par sa modernité, au sein des Scientists. Quarante ans plus tard, il s’impose avec la même modernité, avec le même sens aigu du hit underground. Alors, bien sûr, on glosera éternellement sur les vertus du hit underground, qui contrairement au hit mainstream, a la décence de ne pas vendre son cul. Mais en même temps, c’est en vendant son cul qu’on achète des Rolls et des maisons à la campagne.

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    Le débat est ancien, il remonte à l’antiquité, un temps où les poètes grecs underground crevaient de faim dans les bas fonds pendant que les courtisans, les Stong de l’époque, s’empiffraient aux banquets qu’organisaient les princes de la cité. Le destin du poète underground reste cruel. Kim Salmon joue dans des bars et attire une quarantaine de personnes, qui heureusement pour la plupart sont des fans et de vrais admirateurs, ce qui est un avantage, si on raisonne en termes de cohérence. Il est aussi vrai qu’on vit un temps où la problématique des légendes ne veut plus dire grand chose. Que reste-t-il des parfums d’orient lorsqu’on ouvre les portes aux quatre vents ? Que peut vouloir dire le mot légende dans le néant tourbillonnaire contemporain ? La gratuité noie les poissons dans l’eau, on se demande même si les artistes vont encore avoir du sens d’ici quelques années. Quelle résonance peut avoir un hit comme «Swampland» aujourd’hui ? Sur scène, Kim Salmon le chante toujours avec intensité, les yeux fermés, il part à la découverte d’un monde qu’il nous offre en partage. Tout sonne incroyablement juste chez lui. On s’étonne même de voir un vieux coucou comme «Frantic Romantic» vieillir aussi bien. Ses chansons tiennent d’autant plus la route qu’il a fait le choix d’une extrême sobriété en termes de backing band : sa section rythmique basse batterie est un modèle de discrétion. C’est justement le contraste qui existe entre la qualité des chansons et la sobriété de la formule qui rend ce set tellement fascinant. Il semble qu’un exercice aussi périlleux soit réservé aux très grands artistes.

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    Il enchaîne ses hits comme des perles. Il a de quoi se fournir, car sa discographie ne compte pas moins de 27 albums, si on compte les Scientists, les Beasts, les albums solo avec les Surrealists, avec Spencer P. Jones ou Ron Peno, et Precious Jules. Il tape dans son dernier album My Sctipt pour balancer ce monster gorgé de fuzz glam qu’est «Already Turned Out Burned Out» et qui tourne vite à l’élévation mystico-sonique. Il en tire aussi l’effarant «Gorgeous And Messed Up», l’un des ces cuts qui redonnent un peu d’espoir aux gueules cassées rentrées du front. Il en sort aussi l’implacable «Destination Heartbreak». Les choses deviennent vite compliquées avec un mec comme Kim, car tout chez lui est implacable. Pas facile de faire des choix, avec un coco comme Kim. Il joue toujours l’infernal «Cool Fire» qui date du temps des Beasts, du temps où il ne s’appelait pas Jacky et qu’il ne chantait pas la chanson morose. Alors bien sûr, on n’échappe ni à «We Had Love» ni à l’imputrescible «You Only Live Twice» qui referme la marche. Côté reprises, Kim n’est pas chien : un coup de «Je T’aime Moi Non Plus» pour commencer et, pendant le rappel, un coup de «Chinese Rox», pour que les choses soient bien claires.

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    Deux incidents rigolos ont bien pimenté la soirée : Kim n’avait pas de son au micro pour chanter son hommage à Gainsbarre. Une panne. Il dut quitter la scène pour attendre la réparation. Comme on se trouvait au Havre, tout s’est bien passé. Et puis en fin de set, un horrible connard lui a piqué sa set-list. Kim semblait drôlement embêté : «Somebody stole the set-list...» L’horrible connard dut la restituer. Il restait en effet une dizaine de cuts pour le rappel. Mais comme on était au Havre, les choses n’allaient pas en rester là : on vit un peu plus tard l’horrible connard se diriger à petits pas vers la petite table où Kim signait ses disques. Oh, il n’avait pas grand chose à proposer, son dernier album, My Script et E(a)rnest, miraculeusement réédité par Beast, le petit label de Rennes. Eh bien, Kim fit un sacré cadeau à l’horrible connard. En se penchant par dessus son épaule, on vit ce qu’il écrivait sur la pochette blanche d’E(a)rnest : «To my favorite set-list thief», ce qui est tout de même exceptionnel, de la part d’un homme qui sort de scène vidé comme un lapin.
    Bon bref, nous avons constitué une petite équipe autour d’une amie qui vivait vers la plage. Alors après sifflé l’habituelle ribambelle de verres de pinard dans ce bar béni des dieux, nous décidâmes de ne pas reprendre la route pour rentrer à Rouen. Nous cherchâmes donc un arabe encore ouvert pour s’y fournir en litrons et allâmes attendre le lever du jour dans le fameux appartement qui donnait sur la mer, effectivement, mais de quinconce. Afin d’observer cet obsessionnel souci de cohérence, la soirée devait impérativement rester magique. Oh, elle le fut bien au delà des espérances, car figurez-vous qu’à un moment donné, il fallut sortir Jude, la petite chienne qui devait son nom aux Beatles, et donc, au cœur de la nuit, sur la plage déserte du Havre, sa maîtresse, ivre de liberté et de vin mauvais, entonna à pleins poumons le premier couplet d’«Hey Jude». Ce fut l’un de ces moments loufoques et complètement inespérés qui font la grandeur de la vie sauvage.


    Signé : Cazengler, Kim Kon


    Kim Salmon. L’Escale. Le Havre (76). 2 juin 2017
    Kim Salmon ( Part 1 ) on KR'TNT ! 314 du 02 / 02 / 2017

     

    BAM / MALAKOFF / 03 – 06 – 2017


    DEJA MU / BILL CRANE

    Faut une première à tout. Jamais mis les pieds à Malakoff. A la sortie du métro l'on se croirait en plein milieu d'une ville de province, rues étroites se coupant à angles droits. M'attendais à un bâtiment important mais non, contrairement à ce que je croyais la BAM n'est pas la bibliothèque municipale d'une cité qui dépasse les trente mille habitants, mais un modeste local situé en contrebas du cul-de-sac d'une étroite allée. BAM, Bibliothèque Associative de Malakoff, pas de faute d'orthographe s'il vous plaît, vous me ferez le plaisir d'inscrire le A majuscule dans un cercle sur un fond noir.
    C'est rempli de livres et de gens sympathiques. A vue de nez et à flair suraigu de rocker, doit pas y en avoir beaucoup qui ont voté pour les délices de la société libérale capitaliste au joli mois de mai dernier, néanmoins beaucoup moins exaltant que celui du millésime 68. Buffet d'auberge espagnole ouvert à tous dans la petite pièce d'entrée, et puis la grande salle aux murs tapissés de livres. Ici Oui-Oui aurait repeint sa célèbre voiture jaune en rouge et noir, je recopie sans vergogne selon le saint principe libertaire de réappropriation culturelle quelques bribes d'un extrait du tract de présentation : «  dans une optique anti-autoritaire... thématiques touchant aux luttes sociales d'émancipation à l'histoire des moments révolutionnaires et à la critique des mécanismes d'exploitation, d'oppression et de domination », voilà qui est clair comme de la poudre noire auraient écrit Laurent Tailhade et Octave Mirbeau... Avant de me coller à un rayon de bibliothèque pour assister au concert, je vérifie le contenu du rayonnage : Fonction de l'Orgasme ( un titre prémonitoire foutrement rock'n'roll vous en conviendrez ) de Wilhelm Reich et trois gros tomes à couverture noire ( tiens donc ) d'Elisée Reclus, notre géographe anarchiste possédait un nom qui ne correspondait guère à sa pensée, bon on n'est pas ici ce soir pour refaire le monde – quoique – contentons-nous de lui inoculer le virus pathogène du rock'n'roll. Pour reprendre une expression dur trac  présentatif, ce soir ce sera cocktail – Malakoff.

    DEJA MU

    make-up,kim salmon,déjà mu,bill crane,ian dury + jeff jacq,jean-pierre espil,james baldwin


    Soyons précis la moitié de Déjà Mu. D'habitude sont deux, Ludovic Montet officie aux timbales mais ce soir nous n'aurons que Phillipe Bellet et sa guitare. Electrique. Importante précision. Car je qualifierais sa musique de folk urbain, mais l'on n'est loin d'un gratouilleux à guitare sèche et brouillonne. Une Hagström suédoise couleur de neige. De très loin les yeux fermés ça ressemble à une Gretsch et ça vous émet un son clair d'un tranchant exemplaire qui se prête à merveille au toucher subtil de Philippe Bellet tout en notes élancées et ruptures évaporantes. Chante en anglais, présente donc en quelques mots chaque morceau, chroniques de la vie ordinaire, comme la suite de ces trois titres, issus du premier CD, qui raconte l'attente d'une jeune damoiselle par un lonely guy, évidemment tout se passe dans la tête puisque la miss a dû trouver mieux ailleurs, et l'on a droit à trois tableaux des plus cruels, un triptyque doux-amer que l'on pourrait intituler dream, beers and disillusionment...
    Une voix captivante, si vous ne comprenez pas vous suivez quand même, les inflexions suffisent, pas du tout nasillarde à la Dylan, au contraire très pure, mais celle d'un raconteur qui vous emporte avec lui dans les tribulations indociles du vécu moderne. Tient l'auditoire sous le charme. Du serpent qui vous fait les yeux doux avant de vous mordre. L'a beaucoup écouté les américains, s'est totalement approprié cette manière de décliner le vécu en mots simples porteurs d'une pertinence quasi-hallucinatoire propre à cette façon de témoigner de la réalité du vécu d'un individu qui par cette magie incantatoire inhérente aux racines du blues, de la country, et du folk – vous le transforme en type archétypal du comportement de tout un peuple historial et jusqu'à l'incarnation universelle de toute expérience humaine.
    Nous n'aurons droit qu'à huit titres, huit moments d'extase sonore, une voix qui distribue humour et dérision, espoir et obstination, qui fore fort en vous, vous transperce, vous émeut sans trop exagérer car la vie est est un manège accaparatoire trop fascinant pour perdre son temps à pleurnicher et à s'apitoyer sur soi-même. Philippe Bellet possède cette qualité naturelle de rentrer de plain-pied dans l'intimité collective du public à qui il s'adresse, ne serait-ce que ces quelques mots, lorsqu'il s'accorde, qui ouvrent en toute simplicité une complicité qui n'a rien de racoleuse. Réussit durant une quarantaine de minutes à nous promener dans les grands espaces de notre exiguïté. Applaudissements chaleureux d'un public définitivement conquis.


    Damie Chad.

    THE WORK'S ALL DONE / DEJA MU
    ( Grandma's Records / 2016 )

    THAT SONG IS GOOD / HUMAN BEINGS ARE LOSERS / HOLLY CHANCE / SWEETY DALE / UPSTREAM OF THE RIVER / GO UP NOW ! MILK SOUP / 115 TH DEJA MU'S DRUM / THE WORK'S ALL DONE / GLORIOUS

    PHLIPPE BELLET : guitars + voices / LUDOVIC MONTET : drums + voices.

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    That song is good : intro à l'espagnole et la voix guillerette qui monte en épingle, ton de la plaisanterie, arrêts brusques, descentes de cordes, c'est fini. Non ça ne fait que commencer, des surimpressions de voix qui miaulent en chœur et c'est parti pour un grand orchestre de cordes qui éclatent en final, les timbales qui pédalent, la mer qui monte, tout qui s'affole et qui s'éteint après une espagnolade qui vire à la sonnerie de téléphone, et tout repart comme en quatorze pour s'achever, par devoir plus que par envie. Human beings are losers : message plus grave, mais pas dramatique, l'on monte vers le ciel et l'on avance sur une rythmique des plus heureuses. On ne va quand même pas pleurer sur cette amère constatation. On le savait depuis longtemps. Holly chance : joyeux bordel, le timbalier au fond qui imite les castagnettes, la guitare qui se fait entendre, elle est électrifiée ne l'oublions pas, la voix qui se superpose et bêle comme une brebis perdue tandis que le cordier pickinge à qui mieux-mieux. Encore une fois quand vous croyez que c'est terminé, ça s'échappe comme une portée de chatons qui s'enfuient de la corbeille maternelle afin explorer le vaste monde. Sweety dale : des entrecroisements à la Beach Boys qui surfent sur leurs propres vagues. Des cordes nostalgiques qui insistent pour qu'on les remarque, des raclements de cymbales, tout s'estompe. Upstream of the river : la batterie au premier plan, mais les cordes s'avancent et passent devant, un intermède de batterie jazz de trois secondes, la voix qui se précipite, les cymbales qui insistent, la rivière coule à gros flots, pluie de printemps, le débit s'accélère, eaux fuyantes et roulements d'épaves rythmiques emportées vers l'estuaire, rencontre des grosses vagues de la mer. Go up now : débute comme une chansonnette innocente, un rythme qui persifle, la voix qui joue à saute-moutons et la guitare qui couacque dans le bivouac des pâturages. Montée en gradation, l'on atteint les hauteurs démesurées des alpages. Pas d'affolement tout va bien. Et l'on repart tranquille en sifflotant. Vers le haut. Le paysage s'étend à l'infini. La descente sera précipitée. Milk soup : La voix devient humaine. Donne l'impression de jouer la sincérité. L'instrumentation se cristallise dans une urgence tant soit peu dramatique. On ne sait pas trop avec quelle sorte de lait est réalisé notre soupe. Tétines de vaches ou de chèvres ? Sein de femme ? Goûtez-y et donnez votre avis. 115 th Deja Mu's drum : lorsqu'il a joué en concert Philippe Bellet lui a donné une couleur beaucoup plus dylanienne. Mais ici une voix qui tinte agréablement, mange un peu les mots mais sans trop, juste pour suivre l'accélération nécessaire. Sereine confusion. La superposition des chœurs architecture un étrange ballet vocal pendant que le grand orchestre prend toute son ampleur. The work's all done : content de soi, le boulot est terminé. Voix espiègles, conjugaison de questions-réponses. Tout est bien qui finit bien. Pour les durs de la feuille on vous le répète à satiété. Le vocal connaît une extase des plus précises et tout s'accélère, à croire que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. Glorious : Cordes triomphales, les cloches sonnent, le jour de gloire est arrivé. Peut-être pas tout-à-fait comme on l'aurait souhaité mais tout cela finira par s'arranger. Puisque l'on vous le répète. La guitare nous régale d'un hachis parmentier des plus savoureux.

    Différent de tout ce que l'on a l'habitude d'entendre. Original et scintillant. De la guitare en vrac, mais de qualité supérieure. Un interlude taquin dans la monotonie des jours. Masques et bergamasques du picking.


    Damie Chad.

    BILL CRANE ( I )


    Pourraient nous chanter la traviata, jouer de l'accordéon, psalmodier la messe en latin, crier et se trémousser par terre comme des vers de terre, s'essayer au psaltérion, s'acharner sur un vibraphone, que l'on s'en foutrait. L'on en avait eu la prémonition avec Philippe Bellet mais là avec ces quatre noisy boys, l'intuition devient certitude, l'acoustique est d'une limpidité exceptionnelle. J'avais eu peur en entrant, carrelage et deux baies vitrées, difficile de trouver pire pour régler une sono. Plus besoin de courir au Sun Studio de Memphis, ou de ressusciter le Rolling Stone Mobile Studio, la Bam est amplement suffisante. Comme quoi suffit de remplir les murs de bouquins et d'un faux-plafond bas du caisson sur sa moitié de sa surface longitudinale pour obtenir une clarté sonore hallucinante. Sans effort, parfait dès le premier essai du sound check m'avouera tout sourire Eric Calassou.

    BILL CRANE ( II )

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    Dans la Bill Crane party qui suit, donnez moi Pat le saxo qui n'y va pas mollo. Un sax dans un combo de rock'n'roll c'est un plus. Bien sûr qu'il y a sax et sax. Vous avez le fonctionnaire qui vous cocorite deux soli de trente secondes dans un set de vingt morceaux et qui se retire tout fier dans un coin du poulailler avec la sensation du devoir accompli de celui qui vient de sauver le monde de l'invasion des extra-terrestres, de temps en temps il laisse échapper un borborygme pour que l'on se souvienne de lui, et puis il y a ceux qui comme Pat mettent la main à la pâte, qui sont de véritables spagyristes de la modulation, qui ne cessent une seconde de barrir comme un éléphant en colère, qui vous entonnent le buccin des légions romaines à tout bout de champ, qui vous altèrent les artères de ces chorus longs comme des goûter d'enfant au pain sec et à l'eau, mais aussi goûteux que les sandwichs presleysiens au beurre de cacahuète, qui vous ont toujours un carreau d'arbalète à vous envoyer en pleine poire, le gamin hyperactif à qui ses parents ont oublié de refiler son demi-litre de théralène nécessaire pour avoir la chance de respirer un petit quart d'heure. Merci, maintenant passez-moi s'il vous plaît Gwen le bassiste. Un perfide. Ne bouge pas d'une oreille. Le mec tranquille qui agit en douce. Un redoutable. On ne l'a entendu que quatre fois de toute la soirée, les soixante secondes durant lesquelles pour des raisons qui n'appartiennent qu'à lui il s'est arrêté de jouer. C'est alors qu'on s'est aperçu de son importance, un peu comme si vous enleviez les chutes au Niagara ou si vous supprimiez la Tour Eiffel sur le Champ de Mars, le paysage se désagrège d'un seul coup, perd tout son intérêt, la forêt recule et le désert avance. Maintenant vous me ferez plaisir de me céder Bobo, le gars du fond qui ne se cache pas derrière sa batterie, la domine de toute sa stature, increvable, vous bat le beurre au lait de baleine, pas le genre de gus à en faire un fromage parce qu'il vous fabrique des tommes de gruyères sans trou, imparables, aussi denses que du granit, l'omniprésence incarnée, vous balance un swing aussi épais qu'un cargo qui dégaze ses soutes à pétrole en pleine mer un jour de tempête, l'a décidé de polluer la houle rythmique jusqu'à l'autre bout de l'océan et il s'acquitte de sa tâche avec une facilité déconcertante, vous jette d'abord les femmes et les enfants à l'eau à mille kilomètres des côtes mais qui bon prince leur lance un gilet de sauvetage pour leur apprendre à surnager. Bon ne me reste plus que Billy le guitariste, le fil-de-ferriste de la six cordes, le funambule sans balancier qui vous balance mordicus des riffs aussi tordus que les éclairs de Jupiter, se promène en déséquilibre sur les nuages de grêle, vous assène sur le sommet du crâne des grésils de chant haché à vous trouer la peau, à vous tatouer de votre propre sang.
    Bon ça y est, j'ai mes quatre flibustiers. Ne reste plus qu'à voir comment ils vont faire évoluer leur brick de pirates des sept mers. Méfiez-vous de leurs ruses mortelles. A première oreille, toute voile dehors sur le parallèle sixty, guitare claire, sax white rock sorti du garage, basse fredonnante, et drums qui marquent la cadence comme au défilé du quatorze juillet. C'est beau, c'est bon, c'est propre, comme la carrosserie de votre bagnole que votre éponge fignole tous les dimanche matins. Profitez-en, ça ne dure que les deux premiers titres, Black Cat Town et un Maybe Baby hollydien en diable. Dès Lover Man, vous sentez le coup foireux. Ne faites jamais confiance à un homme amoureux. Être égaré, qui ne possède plus toute sa raison, qui randonne dans les sentiers de la perdition. Méfiez-vous, c'est un combo retors, agissent en traître, vous refont le coup de l'oncle d'Hamlet qui empoisonne son frère en lui inoculant une dose mortelle de cigüe. Dans l'oreille. Agissent de même, ne sont pas aussi cruels que Shakespeare puisqu'ils ne vous tuent pas définitivement, choisissent la méthode douce, celle que l'on appelle la folie euphorique, qui s'empare de l'auditoire et lui fait perdre toute retenue. Voici le temple auguste du savoir dévoyé, finies les saines lectures, l'espace n'est pas immense mais la demi-centaine de personnes qui l'encombre, commence à jerker doucement avant de se lancer dans une bacchanale des plus remuantes.
    Difficile d'identifier la mixture. Indubitablement du rock, mais point de véritables substances ajoutées, faudrait parler de ce que les alchimistes nommaient esprits, ou pour rester dans des comparaisons davantage dionysiaques, de ces subtiles vapeurs qui définissent le bouquet des saveurs d'un Bourgogne royal. Je tente l'impossible : du Shadows marvinien totalement implosé par un zeste d'esprit punk, une espèce de naufrage, un sabotage sans fin de l'idée platonicienne du rock'n'roll. Le Bill Crane combo est adonné à un rock pervers. Une paroi brillante qui vous invite à une prompte escalade, mais dès que vous y posez la main dessus, tout s'effrite, inutile de fuir, c'est trop tard, vous sombrez de faille en faille, vous vous perdez en d'étranges crevasses sonores, autour de Billy les trois matelots vous déferlent les voiles avec une parfaite célérité, et voici que le Capitaine vous entraîne le navire au plus près des récifs. Les matafs souquent dur pour maintenir l'allure et le pacha vous périclite un infini solo de guitare qui vous enflamme le cortex, vous joue le chant des sirènes à lui tout seul, vous entraîne au fond de l'abîme sans rémission. Et vous aimez ça, aussi joyeux que l'équipage de L'île au Trésor subjugué par les troubles manipulations de Long John Silver, l'unijambiste fascinateur.
    Bill Crane, c'est de la subtilité opératoire, une efficacité aléatoire qui ne rate jamais son but, une formation qui déforme le rock'n'roll pour mieux le redresser, lui infliger un angle sinusoïdal de courbure inusitée. Nous ont refilé un set exemplaire, une fête de l'esprit, et de l'intelligence. Des morceaux qui vous cisaillent, Travelin' Man... Doo, Doo, Doo... SM Dream,.. No More Sorrow... j'en passe et des meilleurs. L'on ne peut même pas parler de rappel, plutôt une nécessité extrême de continuer, car ce serait un crime de mettre fin à cette sarabande, des musiciens chauds comme des braises et des spectateurs agités comme les flammes de l'incendie. Une heure et demie de liesse énergétique et de dérive tangentielle au plus haut degré.
    Vous me direz que lorsque vous avez pris la précaution de confisquer les quatre as dans votre revers de manche, vous partez gagnant !


    Damie Chad.


    GOD DAMNED TROUBLE / BILL CRANE

    NO MORE SORROW / GET IT / VOODOO / ROCKABILLYSONG / I WALK ALONE / BLACK CAT TOWN / NIPA / I'M SO / DOODOODOO / BLUES / DON'T COME BACK / UNDEAD

    BILL CRANE : chant, guitare, textes, musiques, arrangements / CAT CRANE : basse arrangements, conception graphique / FRED CRANE : batterie, arrangements / 2014.

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    No more sorrow : rondeur des graves, plus de chagrin s'il vous plaît, la situation est trop grave pour avoir le temps de se lamenter, la voix chevrote comme celle de Johnny le Pourri, et la guitare tintamarrise le cauchemar ambulant. Get it : la voix agonise, l'on sent que l'on va prendre plein la gueule pour pas un rond, la prophétie ne tarde pas à s'accomplir, bien, très bien tout est parfait dans ce monde de brutes, la batterie rampe et la guitare tinte comme la sonnette d'alarme du train qui roule hors des rails. L'on se dirige pourtant sûrement vers quelque part. Pas d'affolement le pire est toujours certain. Voodoo : l'instrumentation s'amplifie et la voix rampe comme un serpent. Les cloches de l'agonie résonnent de plus en plus dur, cela vous refile un tonus d'enfer. A périr autant que ce soit en beauté, la guitare flageole sur ses guibolles avant de retrouver du ressort. Rockabillysong : rockabilly si vous voulez, plutôt une valse de cirque appalachien que le speaker annonce de sa voix grave, les grizzlys dansent en rond et le cow-boy de service joue du lasso de sa voix, un vrai foutoir hillbilly de derrière les fagots électriques. Le diable de la Bible mène le convoi de l'enfer. I walk alone : attention la solitude amère du lonely guy qui revit sa vie en racontant la chronique d'une mort annoncée. Mélodrame de pacotille ou partition finale, cela vous déchire le coeur, n'y a plus qu'à en épandre la charpie comme des confettis sur un cercueil. Black cat town : pattes de velours le chat noir arpente la nuit de l'existence. La bestiole est des plus sauvages. Elle griffe et elle mord. N'oubliez pas que les matous noirs c'est comme les peaux-rouges, ne sont bons que morts. Mais celui-ci a l'instrumentation coriace. Nipa : Crane mâche le vocal comme un chewing-gum américain. Pas de problème à l'horizon, l'amour rend les hommes heureux mais rien ne vaut le rêve d'une chevauchée sous les balles du shérif, n'empêche poupée que tu es la seule pour moi. Les promesses rendent-elles les folles joyeuses ? I'm so : intro majestueuse : le héros s'avance de son pas lourd vers le devant de la scène, nous débite sa tirade hamlétique, l'est maudit par les hommes et par les dieux. Rien que ça. Mais parce qu'il est ce qu'il est. Le justicier maudit hurle sous la lune. L'on sent qu'il va décaniller tous ceux qu'il aime. Commencera-t-il par lui ? Doodoodoo : le retour. Le héros revient à la maison. Promet d'être sage comme un cougar des Rocheuses couché au pied de sa belle. Assoiffé de sang souligne les guitares, et bien sûr ça se termine dans une orgie à faire flamber la baraque et toutes les maisons de ce foutu patelin. Blues : un blues , méfiez-vous d'un gars when he awokes in the night, ce n'est pas l'heure appropriée pour cracher sa déprime, nous la joue à la Robert Johnson mais ça se finit au saloon avec les guitares et l'alcool, la zique qui nique gondole des anatoles bleu-pétrole à allumer la mèche du bâton spermatique. Don't come back : avertissement sans frais, toutefois mortuaire. Ne remets jamais les pieds par ici, la batterie enfonce les clous du cercueil, et les guitares dissuadent de faire un seul pas de plus. Je ne le répèterai pas une fois de plus. Ce qu'il s'empresse de faire. Undead : la camarde au bout du chemin. L'homme solitaire est un prédateur, la guitare traîne ses arpèges et la batterie avance à pas lents, vous n'êtes pas encore mort, vous ne l'avez pas fait exprès. L'on vous pardonne, mais recommencez. Same player shoots again.

    Un western rock comme l'on n'en fait plus. Electrique à mort. Poudre de guitares et galops de batterie. Bill Crane pousse les fureurs des chants solitaires à leurs paroxysmes. Indispensable.
    Damie Chad.


    IAN DURY
    SEX & DRUGS & ROCK'N' ROLL
    VIE ET MORT DU PARAIN DU PUNK
    JEFF JACK
    ( EDITIONS RING / Mai 2017 )

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    Chez Ring l'on aime bien le ding-ding de la cloche qui annonce la reprise des rounds. Sont pour l'édition à la hussarde, tambour battant et droit devant. Marquent une prédilection pour les sujets chocs mais pas très chics. Ils aiment les thématiques politiques qui dérangent, les récits de meurtres ineptes, les thrillers sanguinolents, et la musique. Pas n'importe laquelle, pas les symphonies pastorales, préfèrent les lourdeurs cramoisies de Led Zeppelin. Z'ont des techniques de ventes agressives – ce sont leurs concurrents qui l'affirment – mais l'est vrai que parfois ils n'hésitent pas à vous ringpoliner la planche pour la rendre plus porteuse. Ainsi derrière ce pseudonyme de Jeff Jacq, effilé comme une lame de faux, ne se cache pas vraiment un auteur que nous aimons bien chez KR'TNT ! Jean-François Jacq, dont nous avons déjà chroniqué : Bijou : vie mort et résurrection d'un groupe passion ( voir livraison 189 du 15 / 05 / 14 ), Hémorragie à l'errance et Heurt Limite ( 252 du 29 / 10 / 15 ) ), Fragments d'un amour suprême ( N° 273 du 17 / 03 /16 ), des livres forts, de passion, de tendresse, une littérature de traversée des tumultes existentiels, de résistance et de survivance.

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    Chez Ring ils ont dû sauter de joie lorsqu'il leur a proposé un bouquin sur Ian Dury, je suppose qu'ils l'auraient viré comme un malpropre s'il avait argumenté pour une bio sur Donovan, trop beau, trop sage, trop propre, mais bingo pour Ian Dury, un poliomyélite de guingois prêt à tomber du côté par où il penche, si mal-foutu que vous ne pouvez le croiser dans la rue sans lui cracher dessus, et en plus ce débris irréparable, cette lie titubante de l'humanité, cet avorton de moineau hydrocéphale vous a pondu une oeuf d'alligator géant, l'hymne définitif de la nouvelle trinité – pas la douteuse réunion, un tantinet pédérastique, du fils, du père, et du Saint-Esprit - jugez-en par vous-mêmes, un cocktail explosif de trois composants salvateurs, du sexe, des drugs et du rock. Une triple addiction à laquelle vous ne sauriez manquer de succomber. Pas de précipitation, commençons par le commencement.


    Acte 1 : la conception : le jeune père, prolétaire et insouciant – deux défauts, le premier peu recommandable - s'est comporté comme le coucou, a déposé son petit spermatozoïde dans le nid moussu d'une jeune charderonnette de bonne famille.
    Acte 2 : naissance en 1942. Cette mésalliance ne pouvait durer. Le paternel sera doucement rejeté du cercle familial, pas viré comme un malpropre, écarté, mais admis à voir l'enfant régulièrement.
    Acte 3 : le bonheur. Bébé couvé par trois bonnes fées - mère, soeur, tante - garçonnet élu roi de la maison, bambin câlin et intelligent. Une enfance dorée, choyée.
    Acte 4 : the end of the dream : vous pouvez arrêter la lecture maintenant et rester sur cette bonne impression. C'est que le destin aux ailes de fer s'en vient frapper à la porte. Un peu d'eau croupie de la pataugeoire de la piscine que le petit Yan avale et recrache aussitôt. Quinze jours plus tard, la polio lui tord le corps, à un doigt de la mort...
    Acte 5 : tout ce qui va suivre.

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    Suis un peu déçu. Pas par le livre. Par Ian Dury. En gros, je ne le trouve pas très sympathique. Ce qui n'enlève rien à son talent. Moi jusqu'ici n'avais rien à lui reprocher. Je n'avais pas lu les deux biographies publiées en anglais, raté son biopic, ce french book tombe donc à pic, et m'y suis précipité dessus. Ne s'agit pas de ma part d'un simple état d'âme. Quelque chose de plus inquiétant, à lire cette vie surgit une question essentielle mais ici la réponse est surlignée au stabilo rouge sang. Serais-je en d'autres circonstances que celles qui m'ont été données un autre Moi que moi, certaines déclinaisons existentielles seraient-elles capables d'influer la nature de ce que Valéry appelait le Moi invariant ? Et la vie de Ian Dury aurait tendance à contredire cette notion rassurante d'invariance royale de notre égo, serions-nous aussi malléable qu'une étendue de cire turlupinée par la pression de nos doigts !

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    Suite à son état de santé le jeune Ian Dury sera confronté à deux expériences aussi traumatisantes et enrichissantes l'une que l'autre. Une école primaire spécialisée regroupant les handicapés et un collège dans lequel il sera le seul élève en état d'handicap. Dans la première il apprendra la loi du plus fort. Physique, car les gamins ne se font pas de cadeau. Mentale, celle qui vous permet de serrer les dents et de ne jamais vous effondrer. Corollaire à ne pas oublier, les faibles ont toujours tort. Le principal est d'arriver à son but. Quel que soit le moyen. Les adultes – s'octroient l'agréable passe-temps de masturber les élèves - lui indiqueront les règles de la duplicité et des passe-droits que vous permet votre statut de chef. Ian a tout compris de la duplicité humaine. Profitez de la moindre faiblesse de votre entourage...

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    En grandissant il jouera sur tous les tableaux, un tyran toujours insatisfait à la maison, à effrayer sa mère, et la mise en place d'un jeu de préemption attractive envers ses pairs. Ne s'agit pas de sourire niaisement à tous les copains, au contraire, s'agit de montrer sa supériorité intellectuelle et morale, de se faire reconnaître par une minorité sur laquelle il étendra peu à peu son autorité. Deux nouveaux enseignements essentiels, les individus sont d'autant plus manipulables une fois que vous avez pris l'ascendant sur le groupe.

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    Doué en dessin - les illustrations précédentes sont ses propres peintures - il recevra une bourse pour une école d'art. Finira par devenir professeur. Mais la vraie vie est ailleurs. Les filles, la musique, les amis. Malgré son corps déglingué, les demoiselles ne le repoussent subjuguée par sa charismatique volonté de puissance. Un parallèle serait à faire entre Dury et Lord Byron, qui sut être un Don Juan malgré son pied-bot et une stature par trop grassouillette, mais Ian Dury s'est vouée à une autre idole, Gene Vincent, chanteur exceptionnel, la voix certes, mais cette manière de porter toute la révolte du monde sur son dos, ne s'apercevra même pas au premier visionnage de La Blonde et Moi que Gene possède une atèle de fer qui soutient sa jambe brisée...

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    Frise la trentaine lorsque la soudaine disparition du créateur de Be Bop A Lula – à trente-six ans - lui rappelle qu'il n'a encore rien réalisé de décisif de sa vie. Le constat n'est guère glorieux, s'est marié avec Betty Rathnel, une illustratrice dont les travaux lui apparaissent bien supérieur à sa propre oeuvre picturale. Ne sera pas peintre, sera chanteur. Petit iota à cette vocation, est incapable de jouer d'un instrument, ne sait pas chanter, ne parvient même pas à poser sa voix... Désormais il sera le gars parti de rien pour arriver à quelque chose.

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    Ce sera donc un groupe, Kilburn and the High Roads, y collent ses amis qui possèdent un instrument et vogue la galère. Dury amène sa culture rock, celle des teddies et des pionniers, s'essaye à Eddie Cochran... pas évident, lui faudra deux ans pour apprendre à caler sa voix, l'on ne s'étonne pas du turn over dans le combo, les premiers temps sont difficiles, les musicos se découragent, et puis tout de suite Ian s'impose comme le leader, normal c'est lui qui chante, c'est lui qui compose les textes - on les range à égalité pour leur qualité avec ceux des Kinks - se fait aider pour la mise en musique, petit à petit le groupe prend de l'assurance. Tombe au moment opportun. Le public est fatigué des mastodontes, concerts chers et un peu trop amorphes, l'on veut s'amuser, boire, danser et draguer, si par-dessus le groupe est bon, le bonheur est à portée de la main. Dury et ses potes seront des premiers à donner des gigs dans les pubs, le pub rock est en train de naître, une espèce de retour aux sources de l'énergie primale. Sont devenus bons, enregistrent un premier single, puis un deuxième, puis Handsome un album raté...

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    Mais il y a plus grave. Le pub rock est en perte de vitesse et les Kilburns n'ont pas su capitaliser sur cette vague porteuse. Ont été des pionniers dans leur genre, et sont maintenant considérés comme des has been. Mais il y a encore pire. Dury se sent dépossédé. Malcolm McLaren rôde autour d'eux. A emmené son protégé, un certain Johnny Lydon, assister aux concerts des Kilburns, et lorsque pour la première fois Ian assiste à une prestation des Sex Pistols, il pense voir son propre clone, cette attitude de Johnny le Pourri de chanter le dos arqué sur le micro, c'est du Dury cent pour cent ( empruntée à Gene Vincent ), et cette manière de grommeler les mots, de les expectorer comme des bacilles de Kock, exportation directe et pirate venue de cette manière de Dury à davantage gloussoter les lyrics qu'à les chanter, parrain du punk et arrière-grand-père du rap !

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    L'avait un train d'avance et a raté la correspondance. Un truc à se foutre en l'air. Pas dans les habitudes de Dury, a perdu une bataille mais compte bien gagner la guerre. Exunt les Kilburns, voici les Headblocks, coup sur coup Dury pond deux chef-d'oeuvres, le single Sex, Drugs and Rock'n'roll, la formule définitive que tout le monde avait sur le bout de la langue et que personne n'avait eu l'idée de fracasser sur un vinyl comme l'oeuf de Colomb sur la table de ses détracteurs. N'eût-il commis que ce seul titre que la gloire de Dury n'en serait pas moins irréfragable. Mais voici l'album, New Boots and Panties, rien de mieux qu'une odeur de culotte pour attirer les renifleurs, un des sommets du rock anglais, la pochette est déjà un poème à elle toute seule, une sucrerie à la nitroglycérine, de la mort aux rats, de la confiture en barre pour la cochonceté de l'espèce humaine. Et puis ce chef d'oeuvre hommagial qu'est Sweet Gene Vincent.

     

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    Et ce n'est pas fini, 1978 sera l'année Dury, encore deux hits, le Hit Me with the Rhythm stick précédé de What a Waste et suivis de deux albums Wottabunch, et Do it Yourself qui sont bien accueillis par le public... Dury and The Blockheads surfent sur la vague, les concerts sold out s'enchaînent, vu de l'extérieur, trois années qui épousent la courbe élégante et la trajectoire d'un missile dévastateur...

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    Vu de dedans, c'est moins beau. La puissance et l'argent engendrésés par le succès ne modèrent en rien les travers de son caractère vindicatif. Un peu pingre avec ses musiciens, mais ce qui le rend insupportable c'est sa manière de provoquer les conflits et de les gérer. Nos gestionnaires libéraux d'aujourd'hui auraient à apprendre de lui, ne connaît pas les conventions collectives, vous vire dès que vous ouvrez votre bouche, se débarrasse de vous comme d'un vulgaire rouleau de papier chiotte. Parfois il prend son temps, vous rend la vie impossible jusqu'à ce que la victime désignée craque et s'exclut elle-même. Quitte à vous rappeler deux mois après en dépannage ou parce qu'il a réalisé son erreur... Un principe simple : personne n'est indispensable sinon lui. Dès l'entrée dans les eighties la vague retombe, les nouveaux disques ne sont plus aussi forts et ne se vendent plus, lui qui était surtout accro au shit augmente sa consommation d'alcool, est en proie à de violentes colères conjuguées avec des périodes dépressives...

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    Mais il sait rebondir, diversifie ses activités, théâtre, cinéma, télévision... est une figure aimée du public et exerce une emprise sur ses musiciens qui ne peuvent le lâcher tout à fait même quand il récupère leurs compositions pour les abîmer. Rares sont les séparations définitives. Relations fascinatoires. Ses enfants, ses compagnes sont auprès de lui lorsqu'un cancer du foie triomphe de ses dernières forces en mars 2000.

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    Mais un artiste. Qui n'en a fait qu'à sa tête. A tort et à raison. Une volonté de fer. Qui a surmonté ses faiblesses physiques. L'a débuté le jeu de la vie avec des cartes manquantes, n'en a pas moins gagné la partie. L'a réussi à fomenter les troubles dont il rêvait. A se hisser par ses propres moyens sur la pointe des pieds et sa jambe malade sur la margelle de la célébrité. Qu'il a recherchée comme le sucre qui chasse l'amertume des fruits qui se sont abîmés en tombant de l'arbre. L'a jeté son argent par la fenêtre, a eu ses caprices de rock star, l'a été cruel et capricieux, reconnaissant aussi, mais a toujours tenu sa route. Une vie de rocker. Ni pire ni meilleure que celle de n'importe qui. Mais plus flamboyante, une comète. De celles qui magnifient et marquent à jamais la mémoire hominienne.

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    Jean-François Jacq ne nous cache rien. Explore les soubresauts de ce destin hors-norme. Ne porte jamais le moindre jugement sur lui. Même quand il pète une duryte. N'est pas sûr que nous ferons mieux que notre rebel-cockney en chef. N'enjolive pas. Mais l'on sent et l'on comprend le projet de Jeff Jacq, réaliser l'équivalent biographique et hommagial de l'hymne que Ian avait composé pour Gene Vincent, un tombeau mallarméen, qui l'enferme tout entier et l'exalte tel qu'en lui-même.
    Merci Jeff Jacq pour cet impétueux Sweet Ian Dury.


    Damie Chad.

    RITUEL-FOUDRE I, II, III
    JEAN-PIERRE ESPIL


    ( Festival Annexia, live in Toulouse )

    ( Blockhaus Editions Sonores / 1996 )

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    Vous sera difficile de trouver le CD, alors filez sur You Tube vous y retrouverez le Rituel Foudre III, les amateurs de growl-metal et de ferraille-djent y porteront attention, ne s'agit pas de musique ou de quelque chose qui aurait à voir de loin avec le rock'n'roll, simplement du texte, et du son, les esprits classificateurs étiquetteront poésie sonore, mais ça se situe au-delà, une reprise du travail d'Artaud, qui ne vise pas l'esprit trop volatil mais la chair. Evitez de tomber dans le panneau de l'érotisme frelaté. Ce genre de passe-temps n'est guère de mise. Tout juste du divertissement pascalien. La chair, mais dans l'engendrement de son engloutissement, dans l'anéantissement larvaire de sa disparition. Un travail sur la putréfaction des mots, Baudelaire avait ouvert une brèche, mais en dandy, en esthète, mettait le doigt d'un geste élégant sur la charogne de la modernité. Mais à son époque elle en était encore à ses débuts. Un temps d'innocence en quelque sorte, presque une espérance... Un siècle après, l'étendue des dégâts nous recouvre. Alors un groupe de jeunes gens regroupés autour de la revue Blockhaus se sont lancés dans cette tâche de pourvoir à l'immonde et aux immondices humains de notre monde. Une poésie de l'extrême qui vise à une désincarnation, à une désincarcération de soi en soi? en s'enfonçant dans les tréfonds des nerfs et des muscles, à la recherche de l'instant précis où le sang se métamorphose en larves, les mots comme des vers helminthiques qui ne s'écrivent plus mais qui s'enfouissent en vous comme des couteaux jaculatoires. Sperme létal. L'albatros a les ailes englués dans le mazout du nihilisme, elles clapotent piteusement comme un adieu volcanique à soi-même. La poésie comme une traque de l'ultime pourriture.
    Foudre noire bien sûr, de la poudre ravacholienne métaphysique destinée à détruire les dernières institutions de la présence illusoire. Choix du retrait. Par le chemin le plus court. Celui qui part du dedans de notre succion intérieure. Un trou noir que l'on fore méthodiquement pour le remplir de notre viduité. Mais rituellique, opératoire, car l'humain est encore à la manœuvre. Pas pour très longtemps.

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    Voix prosopopique de Jean-Pierre Espil encore emplie de la jactance chamanique, mélodramatique sur ondulations de sarcasmes électro-bruitistes, vingt ans plus tard l'appareillage nous semble désuet. Rien ne vieillit plus vite que le progrès technique... mais un texte scalpel, qui devrait inspirer tous les amateurs de hardcore.


    Damie Chad.

    LA CHAMBRE DE GIOVANNI
    JAMES BALDWIN


    ( Rivages poche 256 / 1998 )

    make-up,kim salmon,déjà mu,bill crane,ian dury + jeff jacq,jean-pierre espil,james baldwin

    L'autre malédiction de James Baldwin. Pas la première, circonstancielle, d'être né noir, aux Etats-Unis, l'autre qui échoit en partage à l'humanité entière, quelle que soit votre origine, l'homosexualité. D'ailleurs pour mieux vous enfoncer le pénis dans le cul le héros du roman est blanc, Baldwin se contente de préciser qu'il est blond comme les blés. David, un jeune américain parmi des millions d'autres. Ni meilleur, ni pire que vous et moi. Même si Baldwin en profite pour régler quelques comptes avec la balourde naïveté auto-satisfaite de l'Amérique... Renversement des schémas freudiens, n'est pas élevé par une mère abusive, l'est morte quand il était tout enfant. Drivé par son père qui fait ce qu'il peut. L'a tout juste dix-sept ans lorsqu'il connaît sa première nuit d'amour voluptueuse avec son meilleur ami. Une inoubliable nuitée. Le réveil est beaucoup plus dur. L'est submergé par un sentiment de honte, n'assume pas son acte, préfère s'enfuir laissant son compagnon endormi...
    L'a grandi, est devenu un homme, un dur ( à cuire les œufs mollets), un vrai, à femmes, mais l'a du mal à rentrer dans le rang, mariage, enfants, boulot, se cherche, se fuit, jusqu'à Paris où il rencontre une compatriote Hella, histoire d'amour en gestation, mais la jeune fille s'offre un séjour en Espagne avant de franchir le pas du Rubicon conjugal... En attendant David fréquente le milieu et les bars interlopes – une génération avant, Proust parlait de race maudite – jusqu'à rencontrer Giovanni, serveur de son état, un bel italien, avec qui il entame une liaison...

    make-up,kim salmon,déjà mu,bill crane,ian dury + jeff jacq,jean-pierre espil,james baldwin


    Huis-clos dans la minuscule chambre de Giovanni. Alcool, sexe, sentiments, manque d'argent, tout s'emmêle, Giovanni des plus fragiles, David le cul entre la chaise du désir et le fauteuil de la réprobation sociale... Profite du retour d'Hella pour abandonner son amant, homo un jour, hétéro pour toujours.
    A part que Giovanni dérape, étrangle son ancien patron, vieille tapette libidineuse pleine de fric, qui l'a renvoyé. La justice veille, Giovanni est condamné à mort... Hella et David, le couple de l'année s'embourbe, David rongé par le remords d'avoir abandonné Giovanni à la guillotine et tenaillé par le désir de la chair mâle. Hella dépitée retourne en Amérique, David franchit le pas de l'acceptation pleine et entière.
    Un roman – le deuxième de Baldwin, paru en 1956, à lire comme une introspection autobiographique phantasmatique - sur l'acceptation de soi et la lâcheté individuelle. Chaud comme la braise des relations humaines, glacial comme le couperet des conduites sociétales. Une méditation sur la liberté, entre ce que nous sommes et la duperie introjectée des conventions sociales qui nous structurent à notre insu. La contradiction entre le moi souverain et la tyrannie de groupe. Baldwin nous apprend qu'il ne faut jamais être dupe, ni des autres, ni de soi-même. A méditer. Sans oublier qu'il n'y a pas que le sexe dans la vie. L'exemplarité de la démonstration baldwinienne est à appliquer à tous ces nœuds gordiens psychiques sur lesquels l'opportunité de porter l'épée ne nous effleure même pas, nous sentons qu'ils fondent notre personnalité autant qu'ils nous ligotent et nous entravent. De fait nous n'avons peur que de nous-mêmes car s'il est vrai que nous n'allons jamais plus loin que nous-mêmes, beaucoup s'arrêtent en chemin.


    Damie Chad.

  • CHRONIQUE DE POURPRE N° 212 = KR'TNT ! 331 :MOONLANDINGZ / LEE FIELDS / CALICE / MALADROIT / POLICE ON TV / GUERILLA POUBELLE / DISORDER / LIFE RIPORTS / BEAST / NEGUS

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 331

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    01 / 06 / 2017

    MOONLANDINGZ / LEE FIELDS / CALICE

    MALADROIT / POLICE ON TV / GUERILLA POUBELLE

    DISORDER / LIFE REPORTS / BEAST / NEGUS

    Moaning
    at the Moonlandingz

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    Lias Saoudi a tout compris : il réinstalle la théâtralité au cœur du rock anglais. Il va même encore plus loin : il insuffle de la démesure dans sa théâtralité. Alors, forcément, Moonlandingz devient pendant une heure le meilleur groupe de rock du monde, tous mots bien pesés.

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    Il débarque sur scène transformé en grotesque de le commedia dell’arte, torse nu et rembourré d’un faux ventre proéminent, le visage étrangement maquillé de bleu, les yeux masqués par des lunettes de proxo porto-ricain et les cheveux collés à la graisse derrière les oreilles. On a là une sorte de Ratzo échappé du Grand Guignol.

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    Par sa démesure ubuesque, il échapperait presque à tous les genres. C’est l’exact anti-Ziggy Stardust, la spectaculaire ré-invention d’un mythe qu’on croyait presque éteint, celui de la théâtralité du rock scénique. Mais Lias Saoudi a décidé d’en faire un jeu à son image, comme le firent jadis les Cramps. Souvenez-vous, Tav Falco qualifiait les Cramps de «groupe de rockabilly post-moderne qui par sa grandeur incarna le Théâtre de la Cruauté, tel que défini par Antonin Artaud». On entre ici dans le temple des dieux.

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    Si on évoque ce chapitre sacré qu’est la théâtralité du rock scénique, il faut en plus des Cramps et de Ziggy Stardust citer les noms de Captain Beefheart, Screamin’ Jay Hawkins, Mac Rebennack, Vince Taylor, mais aussi ceux des Mummies, des Damned, de Sam The Sham, sans oublier les grands glamsters britanniques dont la prestance fait encore aujourd’hui rêver les nostalgiques. Lias Saoudi entre tout naturellement dans cette caste. S’il appartient à cette aristocratie, ce n’est ni par l’anoblissement ni par la naissance mais bien par ce degré de fantaisie volatile qu’on appelle aussi le génie. Ce petit mec pourrait se vautrer et rater son coup, mais l’énergie vif-argent d’Alfred Jarry bouillonne dans ses veines et s’il monte sur scène, c’est pour faire un éclat. Comme Jarry et comme Artaud, Lias Saoudi maîtrise à la perfection l’art des éclats. Pour rompre la glace, Alfred Jarry tirait des coups de feu dans les miroirs des brasseries et de son côté, Artaud imitait la hyène lubrique pour en finir avec le jugement de Dieu.

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    Eh bien, Lias Saoudi nous donne la lune sans qu’on la lui demande. Et comme il fait du rock, ça nous arrange bien, car c’est un langage beaucoup plus accessible que tous ces vieux livres passés de mode. Mais là où il est très fort, c’est qu’il nous démontre que rien n’est plus simple que de créer l’événement : un, il suffit de savoir chanter, deux, de considérer le trash comme une religion et trois, de trouver les bonnes personnes pour partager cette passion des excès et de la liberté à tout crin. Dès lors, tout devient possible. Ou plus exactement, Lias Saoudi rend tout possible. Il boit ses bières, on lui ramène sa bouteille de scotch sur scène, il s’arrose la queue, pas de frontières, rien que du moonlandingz, cette pulsion dévastatrice stompée au meilleur des beats d’Angleterre.

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    Autour de Lias s’agite le gang le plus excitant qu’on ait vu sur scène depuis les Cramps : un drum-boy de powerhouse extrême, un bassmatic hanté par la prescience de sa puissance, un petit gros derrière les claviers qui se met à twister sans prévenir et au beau milieu de cet effarant numéro croquignolesque, se tient une petite Baby Doll au regard fixe qui gratte sa guitare tout en dodelinant sur le beat. Fascinant ! Utterly awsome ! Le rock anglais renaît enfin de ses cendres ! L’énergie du groupe est palpable dès le premier cut. Ça surprend agréablement, car on a perdu l’habitude. Avec Moonlandingz, le wait and see d’usage n’est pas de mise. C’est un peu comme s’ils rentraient dans le vif du sujet sans attendre, avec un son qui surprend par son punch et son immédiateté. Des couples se mettent à jerker. On sait tout de suite qu’on assiste à un concert exceptionnel.

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    Les cuts accrochent, le groupe tourne comme un gros moulin, Lias arpente la scène et harangue la populace avec une niaque de méthodiste napolitain, c’est un showman exceptionnel. Il awsomise la salle, sauve la mise du rock, il somme le move, il mate le raw du son, shoote ses mannes, une heure durant il règne sur son empire. Il le fait avec un catégorisme qui laisse coi, avec un m’enfoutisme qui empapaouterait même Oum Pah Pah, il gros-jeante comme devant, il percute l’art moderne de plein fouet et rend au rock sa fonction sacrée : faire danser les moutons du troupeau d’Épicure. Quelle leçon de son ! Quelle rejuvénation de la nation ! Quelle saillie saillante ! Voilà que dansent de nouveau les points d’exclamation, eux qu’on croyait devenus inutiles.

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    Oh vous n’avez pas pu les voir sur scène ? Pas gave, il vous reste l’album, l’étonnant Interplanetary Class Classics.

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    D’autres personnes accompagnent Lias Saoudi en studio, mais on s’en fout, car voilà qu’arrive de l’espace «Vessels», un glam de la désaille de destroy-oh-boy d’I’ve got nothing to hide. Si on ferme les yeux, on voit dodeliner la tête de Baby Doll et Lias arpenter la voie lactée en gueulant qu’il veut un vessel back home. Depuis Jook et Earl Brutus, on n’avait pas entendu de glam aussi dévastateur. Et le sabbat inter-galactique se poursuit avec «Sweet Saturn Mine» monté sur un beat rebondi, puissant et âpre comme un jour sans pain, et ce démon de Lias feel alrite, il le clame et le reclame avec l’insistance pathologique d’une pensionnaire de Sainte-Anne, il va même jusqu’à le hurler pour battre tous les records d’exaction cataclysmique. On sent poindre une fantastique ampleur avec l’arrivée de «Black Hanz». Dans le livret, l’image qui illustre le cut montre le joli ventre nu d’une jeune femme, alors le groupe sort le beat le plus turgescent d’Angleterre. Sade rôde, Lias le sait. Sade prince des sens et somme des cendres, Lias l’assume. On l’a vu, sur scène, Lias Saoudi transcende même la notion de sexe, comme le fit Lou Reed au temps de l’Exploding Plastic Inevitable. Avec «Black Hanz», il entreprend un pieux travail de déconstructivisme et entre de plein fouet dans la gueule des temps modernes ! Wow ! Le cut palpite du beat pilon des forges noires de crasse du Creusot. Tout ici semble déterminé à vaincre. Tout ici se remplit de son à ras-bord. Tout ici se veut clameur d’Elseneur et ce démon de Lias braille dans le rougeoiement d’une ville en flammes. «The Strangle Of Anna’s» pourrait bien être le hit de ce diable d’album. Une certaine Rebecca Taylor vient duetter avec Lias l’as des as - C’est la vie ma belle - La mélodie rougit comme une tomate. Ils prennent ensemble ce refrain magique - The strangle of Anna’s got me unwell - et glissent comme des mains caressantes vers la chute des reins - C’est la vie ma belle - Voilà encore un cut qui laisse hagard, comme lorsqu’on ressort de chez une pute à Stalingrad. Ils tâtent aussi de l’electro, avec des choses comme «IDS» (très Ministry dans l’esprit de Seltz) et «The Babies Are Back», mais ils reviennent aux choses sérieuses avec un coup de Châteauneuf-du-Pape - Is that blood or neuf du pape ? - tout ça sur un bon beat salace bien tendu vers l’avenir. Chez Lias Saoudi, tout n’est que luxe, cul et volupté. Il n’en demeure pas moins que leur vrai cheval de bataille reste le glam. La preuve ? «Glory Hole». Vous vous demandez ce qu’est un glory hole ? C’est pourtant facile à deviner. Lias nous explique que tout le monde en possède un, y compris Paul McCartney, Bob Geldorf et Sigmund Freud. Il tape dans tout, il ne respecte rien ni personne, il chante même son glam avec des accents rockab, et puis avec «The Cities Undone», il revient à une pop, mais pas n’importe quelle pop, une pop de niveau infiniment supérieur, oui, car c’est joué au groove de l’incroyable devenir du rock anglais. Lias et ses amis prennent des libertés avec le son, ils se taillent des voies dans la jungle des possibilités, et ces voies deviennent soudain des avenues comme les rêvait le baron Hausmann. Lias et ses amis ne vivent que de ré-invention, ils pelotent l’aura des possibilités et vont au-delà du monde connu, ils mixent la délinquance sonique d’Earl Brutus avec ces visions de promontoires chères à Caspar David Friedrich, ils en deviennent même visionnaires à en loucher. «The Cities Undone» sonne exactement comme un cut dévasté de l’intérieur, poussé d’un violent coup d’épaule dans ses retranchements, c’est même claqué aux congas de Congo Square et ça s’étrangle d’apoplexie tétanique. Moonlandingz sort un son qui ne veut même plus dire son nom. Lias se consume dans la fournaise et finit enfin par débander.

    Signé : Cazengler, Moonlambda

    Moonlandingz. Le 106. Rouen (76). 20 avril 2017
    Moonlandingz. Interplanetary Class Classics. Transgressive Records 2017

     


    Battle Fields - Part two

     

    — Mister Brown ?
    — Yo ! James Brown speaking !
    — Je vous rappelle comme convenu...
    — Hell !
    — Mission accomplie. Je suis allé voir le concert de Lee Fields à l’Élysée Montmartre et j’ai une bonne nouvelle pour vous.
    — Get down to it !
    — Eh bien figurez-vous Mister Brown que ce concert était complètement foireux ! Vous n’avez plus de concurrence !
    — Ain’t it funky !
    — Vous n’avez pas idée. Était-ce le fait de jouer à Paris devant l’élite du peuple ? Était-ce le fait d’accéder enfin aux pages de Télérama ? Était-ce le fait de se sentir porté par le bienfaisant mainstream ? Était-ce le fait de voir son cachet grossir comme la grenouille qui veut ressembler au bœuf ? En tous les cas, il s’est mis dès les premier cuts à faire du Charles Bradley bien sirupeux.
    — Get on the good foot !

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    — Dommage que vous n’ayez pu assister à cette bérézina ! Vous vous seriez drôlement régalé. Mon lieutenant et moi n’avons tenu que le temps de quatre cuts. À la fin du quatrième, on s’est échangé un regard consterné et d’un commun accord tacite, nous sommes allés au salon qui jouxte la salle pour nous asseoir et attendre la fin du set. Il ne servait à rien de rester dans la salle, plantés comme des piquets, à s’emmerder comme des rats morts. Je vous recommande les fauteuils de ce salon, Mister Brown, franchement, ils sont extrêmement confortables. Alors nous nous mîmes à discuter de tout et de rien, tout en continuant de prêter l’oreille. On entendait le pauvre Lee Fields céder aux sirènes de la gloire. Ça semblait lui monter directement au cerveau. Vous n’allez pas le croire : il se livrait à des pratiques innommables...
    — Bring it on !

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    — Eh bien figurez-vous Mister Brown que Lee Field s’arrêtait de chanter pour demander au bon peuple de Paris de chanter en chœur avec lui ! On craignait qu’il n’en vînt à entonner la Marseillaise, tellement le public réagissait bien ! On se serait presque crus dans un stade de foot ! On aurait dit que les gens en voulaient pour leur argent... Quarante euros, ça ne se trouve pas sous le sabot d’une mule, Mister Brown !
    — Baby you’re right !
    — Franchement, vous n’avez pas idée des ravages que peut provoquer l’osmose collégiale. L’homme qu’on entendait haranguer le peuple de Paris n’avait plus rien à voir avec celui qui avait shaké le 106 quelques temps auparavant. Je n’ai pas songé à m’approcher pour vérifier qu’il s’agissait du même homme, mais j’aurais dû, car avec un peu de recul, cette dégradation paraît un peu louche. Excusez-moi, Mister Brown, je réfléchis à voix haute. J’espère que vous apprécierez mon honnêteté intellectuelle. Vous le savez bien vous aussi, rien n’est plus difficile que de résister aux tentations de la subjectivité. Quand on prétend faire le métier d’espion, il faut savoir se gendarmer pour éviter les ravages de la partialité, car comme le mildiou gâte la vigne, la partialité gâte le rapport. Tout ceci pour vous dire qu’avant de vous appeler, j’ai vraiment pris le temps de faire la part des choses. Je tiens par dessus tout à ce que mes clients soient servis sur un plateau d’argent...
    — You’ve got the power !
    — Donc vous savez à peu près tout ce qu’il faut savoir de ce lamentable concert. Pour être tout à fait franc avec vous, nous nous sommes esquivés avant le rappel, car nous ne souhaitions pas nous trouver pris dans le tourbillon de sortie de centaines de fêtards exaltés, qui pour la plupart n’avaient jamais entendu parler de Lee Fields auparavant. Eh oui, Mister Brown, nous sommes entrés dans l’ère de la consommation aveugle, dans cette internettisation à outrance des choses qui finira par ramollir définitivement le beat du funk, comme on vient de le constater avec ce concert du pauvre Lee Fields...
    — I’ll go crazy !
    — Nous nous dirigeons tout droit vers un monde inconnu, loin de nos vieux repères. Si le funk moderne ressemble à ce concert raté, il vaut mieux s’intéresser à autre chose, vous ne croyez pas ?
    — Have mercy baby !

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    — Alors voilà, je ne vais pas m’étendre sur le chapitre de la mutation socio-culturelle, car nous en aurions pour des heures et je suppose que vous aussi avez des choses plus intéressantes à faire. Mon lieutenant et moi sommes donc partis casser la croûte. En redescendant ce grand escalier mythique, nous nous étonnâmes de le trouver non gardé. Figurez-vous qu’il était complètement désert ! Ouvert sur le boulevard ! On aurait dit une auberge espagnole. Un commando armé jusqu’aux dents aurait pu s’y engouffrer, mais encore une fois, chacun son business. Nous nous dirigeâmes vers un endroit que je vous recommande si vous revenez un jour à Paris, un restaurant de cuisine traditionnelle situé à deux pas et qui fut nous dit-on créé en 1857. Oh ce n’est pas comme Chez Paul, au temps de la rue de Lappe, dans les années quatre-vingt dix, où on sentait les pommes de terre rissolées à l’ail en entrant, c’est un autre style, mais les recettes y sont sérieuses et vraiment traditionnelles. L’endroit se veut chaleureux et aux murs trônent des myriades de toiles de petits maîtres qui comme Toulouse Lautrec fréquentaient le Moulin Rouge situé un peu plus loin sur le boulevard Rochechouart. Comment vous dire... Il semble que ce vieux parfum XIXe aiguise l’appétit. C’est un endroit où on se sent culturellement en sécurité. C’est aussi bête que ça. Et je vous assure que ce n’est pas un piège à touristes, comme ces immondes caboulots qu’on découvre lorsqu’on remonte la rue de Steinkerque, jusqu’à la Halle Saint-Pierre, au pied du Sacré-Cœur.
    — It’s a man’s man’s man’s world !
    — Si vous appréciez un bon tartare, vous serez ravi. Par contre, je ne sais pas si le mobilier est d’origine, mais cela se pourrait fort bien. Alors de là à penser que ces bancs ont vu se poser les fesses de Maurice Rollinat ou d’Edgard Degas, vous comprenez qu’on franchit allégrement le pas ! Que voulez-vous, on se remonte le moral comme on peut, et souvent, avec les moyens du bord. Vous allez commencer à croire que je noie le poisson, comme si je cherchais à vous cacher quelque chose, n’est-il pas vrai ?
    — Let yourself go !
    — J’ai commencé par la bonne nouvelle, mais il y a aussi une mauvaise nouvelle...
    — Say it loud !
    — Je suis vraiment navré de devoir vous l’apprendre, Mister Brown.
    — Get up !

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    — Figurez-vous que par acquis de conscience, d’une part, et par conscience professionnelle, d’autre part, je suis allé acheter le nouvel album de Lee Fields. Je voulais vérifier que votre challenger était bien sur la voie du déclin. Eh bien pas du tout ! Cet album est une sorte de miracle qui contredit tout ce que je viens de vous expliquer. C’est une situation extrêmement difficile à gérer, je peux vous l’assurer. Un esprit cartésien comme le mien ne se résigne pas à devoir contredire un discours patiemment élaboré, et pourtant, il faut bien s’y résoudre. Autant le concert de l’Élysée était pitoyable, autant ce disque est, sans vouloir vous offenser, celui d’un géant.
    — Cold sweat !
    — Oui, Mister Brown, vous avez raison de transpirer, car Special Night vaut tout l’or de cet El Dorado que chercha en vain Lope de Aguirre, d’après ce que nous raconte Gaspar de Carvajal dans ses chroniques. Vous devriez écouter cet album, ne serait-ce que par simple curiosité. Allez directement en B, et là vous allez tomber sur l’El Dorado du funk, «Make The World», monté sur un gros beat coriace et opiniâtre qui semble venir de chez vous, Mister Brown - Oh you better watch out ! - C’est pilonné comme dans un rêve de révolution industrielle. Vous serez d’accord avec moi, c’est un hit, l’un de ceux qui ne lâchent pas la rampe. Vous trouverez une autre énormité plus loin, un truc qui s’appelle «How I Like It», et là Lee sent qu’il redevient le temps d’un cut le roi du monde, car il faut l’entendre pulser son I just like it like it like it de ouuuh-ouuuh sur un groove de gros popotin. Il prend son beat à bras le corps et franchement ça sonne comme le meilleur heavy beat de soul que vous entendrez sur cette terre, sans vouloir offenser votre suprématie, oui, Lee Fields pousse son beat dans la cuisse de Jupiter et ses yeah se font aussi déclamatoires que ceux de Saint-Just à la Convention ! Vous trouverez aussi pas mal de belles choses en A, comme ce «Never Be Another You», un groove joué aux percus et aux trompettes de la renommée qui sont mal embouchées, vous noterez l’excellence du beat retenu, bien harnaché, docile et parfaitement maîtrisé. On appelle ça la classe groovytale, celle qui transforme la souffrance amoureuse en pur bonheur. Le grand-père de Lee Fields devait s’appeler Mandrake le Magicien. Vous serez estomaqué par le morceau titre qui ouvre le bal de l’A, car voilà ce qu’il faut bien appeler un vrai groove d’attaque frontale, et il chante ça avec des accents qui rappellent les vôtres, Mister Brown, c’est dire si ce petit monsieur aime à vous provoquer ! Il chante avec le même genre de timbre fêté, mais, comment dire, il va plus loin, oui, beaucoup plus loin, là-bas, vers l’horizon, par delà les océans. C’est très impressionnant, sinon, vous vous doutez bien que je ne vous ferais pas perdre votre temps avec ça. Vous serez aussi très surpris par «I’m Coming Home», car avec ce groove d’ambition plus modérée, Lee Fields crée quand même ses propres conditions. Il n’obéit qu’à lui-même et vous êtes bien placé pour le savoir : c’est à ça qu’on reconnaît les grands artistes. Comme vous, Lee Fields sait gérer ses affaires. Et puis encore un petit conseil : ne prenez pas un cut comme «Work To Do» par dessus la jambe car vous commettriez une grave erreur. Lee Fields y trouve la voie de la rédemption sentimentale. Il donne la priorité à l’expression de ses sentiments, et c’est sans doute ce qui l’a plombé l’autre soir, à l’Élysée. Vous vous goinfrerez aussi de «Lover Man» qui boucle le bal de l’A, un cut encore une fois très attachant, tendu et stylé. Lee Fields est un styliste, il profile son groove du funk avec une certaine ampleur du geste. Voilà pourquoi il entre dans cette caste des grands seigneurs de la black. Croyez-moi, c’est l’insistance qui fait toute sa force. Il maîtrise aussi l’art du jive versatile, comme on le constate à l’écoute de «Where Is The Love» et le «Precious Love» qui referme la marche confirme la haute toxicité de l’ensemble, car Lee Fields chante ça à la glotte chargée et, l’air de rien, redore le blason de la good time music. Quel admirable artiste !
    — Superbad !


    Signé : Cazengler, Lee figue, Lee raisin

    Lee Fields. Élysée Montmartre. Paris XVIIIe. 3 février 2017
    Lee Fields & The Expressions. Special Night. Big Crown Records 2016


    *


    Provins, la belle endormie. Tu parles, quatre hélicoptères bourdonnent au-dessus de la maison, les fourgons de police qui passent dans la rue toutes sirènes hurlantes, les pompiers à toute blinde carillonnante, et les saintes huiles qui se radinent fissa, préfet, député, maire, plus les gendarmeries de deux départements, plus les unités spéciales du raid, les voisins tétanisés qui courageusement par peur des balles perdues envoient leur femme dans le jardin rentrer le chien qui batifolait joyeusement dans les plate-bandes, l'instant est grave, prise d'otages au super-marché à cent mètres de mon igloo, quel pays ! on ne peut vraiment plus écouter du rock'n'roll sereinement à fond la caisse de bon matin, sans être dérangé, ne bougez pas c'est un hold up, ont réussi à s'enfuir, sans la caisse, sans sang, sans blessé, sans mort, tout se perd ma bonne dame, on a frôlé la tragédie racinienne et l'on se retrouve avec la grosse farce médiévale du cocu détrompé.
    Remettons-nous de nos émotions, la ville est en état de siège ( à WC ) mais la route de l'Est reste accessible, les Dieux ont choisi, ce sera grand large vers les horizons campagnards, là-bas où l'herbe du rock'n'roll est la plus verte...

    FESTIVAL ROCK'EN PLEURS

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    Non ce n'est pas ce à quoi vous rêvez, le retour des zombies du rock, Eddie Cochran, Gene Vincent, Jim Morrison, Jimmy Hendrix, sortis de leurs tombes pour donner un ultime concert, devant des milliers de fans en pleurs. Pleurs c'est un village. Vous trouvez facile, juste à côté de Moeurs. ( Z'ont des noms charmants dans le 51 ! ). Pour y arriver, c'est plein champs, juste après le dernier passage à niveau de France encore dépourvu de barrières – attention un train qui ne passe pas peut en cacher un autre - un gros village, des chevaux dans les près, des chats qui jouent dans les rues, moins de mille habitants et un festival de deux jours, gratuit. Z'ont mobilisé toute la jeunesse du patelin et l'ont baptisée bénévole, ambiance familiale, entre saucisses cuites et champagne frais. Pour la programmation n'y vont pas avec la sapienciale cuillère de la retenue provinciale, carrément rock'n'roll. Avec scène et sono digne de ce nom. A faire les choses autant les faire bien. La France profonde réserve bien des surprises. Jusqu'à cette jeune fille qui me fixe intensément avec un regard admiratif, je suis le premier à commander une assiette de frites ! La gloire vous déboule toujours sur le coin du museau au moment où vous vous y attendiez le moins.

    CALICE

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    Jusqu'à la lie, sans problème. Déjà bien aimé le sound-check. Y avait Chinois qui s'amusait à tonitruer sa guitare de belle façon et le demi-morceau qu'ils ont joué cinq ou six fois était méchamment en place. Ne doit pas être le seul à avoir apprécié, puisque juste après ça se bousculait au stand pour se procurer leur premier EP.
    Calice ce n'est pas au choix, vous offre et l'outrancière parfum des atmosphères romantiques et la corolle vénéneuse dont les crocs se referment sur vous pour vous déchirer. Usent de samples qui vous délivrent belles orchestrations lyriques, s'y greffent dessus doucement, Ju caresse avec volupté, une de ses huit cymbales, Tony et Chinois jouent à la harpe sur leurs guitares, égrènent des notes comme des gouttes de rosée, de la basse de Shin s'échappent de longues laisses moelleuses envoûtantes, ne fermez pas les yeux, ne vous laissez pas endormir par l'impression de paisible quiétude qui émane de l'ensemble, la batterie éclate et se fragmente au moment même où John se saisit du micro, dans sa voix déboulent les hordes barbares, sanglante ruée sur l'innocence d'un pays merveilleux que la sauvagerie du combo va rayer de la carte. Une Illusion rien de plus, rien de plus fragile, rien de plus évanescent, mais la furie se calme, l'ouragan s'apaise, et les fragments du rêve brisé se reconstituent, un puzzle de patience qui rassemble pièce par pièce les morceaux éparpillés, souriez rien, ne se perd, tout se transforme et de nouveau la tempête se déchaîne, pulvérise tous vos espoirs, les hiémales froidures les plus rudes succèdent aux rousseurs moelleuses de l'automne, et les verdoyantes brises du printemps seront asséchées par les simouns les plus torrides... un cycle chasse l'autre et cette succession est envoûtante, Shin se révèle l'oiseau de mauvais augure, se rapproche du micro et vous djente un aboiement de reptile qui déchaîne les hostilités, c'est le signal qu'attendait John pour libérer les hyènes imprécatives de ses cordes vocales porteuses des plus grandes dévastations. Guitares grinçantes et la batterie coassante, tel un crapaud géant qui du fond de la scène prophétise pustules fracturantes, bave de fiel et crachats agoniques à la princesse qui viendrait l'embrasser pour le délivrer. Les titres illustrent à merveille cette succession de cycles qui soufflent mort et vie, éveil et engloutissement. Glad, Shadow, Reward, A World, Hope, Alice aux pays des merveilles et des horreurs. Calice vous effeuille les pétales d'un monde cruel voué à sa destruction. Très belle prestation.

    CALICE
    INTRO / ILLUSION / SHADOW / GLAD TO HAVE / HOPE

    JONATHAN BIDELOT : vocals / ANTHONY GOFFARD : guitars / CLEMENT LUCIEN : guitars / SÜKRÜ YIRIK : bass / JULIEN STAUDER : Drums

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    Pochette qui attire l'oeil et la main, signée par CRAPULE PROD, le sigle du groupe sur une espèce de camaïeu de bleu géométrique – un véritable sigil opératoire au sens où l'entendait Austin Osman Spare ( voir notre livraison 330 précédente ) - qui n'est pas sans évoquer la croix de Saturne adoptée par Blue Öyster Cult – rides de cercles et arêtes urticantes du carré, deux figures symbole de la perfection, dévoyées, pour nous annoncer que Calice n'est pas groupe de grande naïveté qui s'esbaudit de la beauté des fleurs.

    Intro : pianotements qui sonnent comme cloches annonciatrices, guitares et batterie en gradation continue qui pourtant à aucun moment ne parviennent à recouvrir ces notes obstinées qui prédominent, et s'imposent en final comme un comminatoire avertissement. Illusion : pour ceux qui croiraient être les maîtres de leur destinée Calice vous édicte les rudiments de la triste réalité, musique sombre et dramatique, l'ennemi est au-dedans de vous, a pris les commandes de votre cellule mentale, vous ne vous appartenez plus, vous n'êtes que des pantins, pour les durs de la comprenette l'on vous passe le discours à la Nation de J. F. Kenedy, savait de quoi il parlait. La voix de John rugit le sinistre glouglou qu'émettrait un poisson venu des profondeurs océanes pour vous avertir au cas où vous seriez encore capable d'entendre le message des Atlantides englouties dans les abysses. Ne vous faites plus d'illusion. Mortelles sont nos civisations. Shadow : murmures mortels et grondements de terreurs prophétiques englobés en une orchestration qui se densifie au fur et à mesure que la voix devient une condamnation auto-accusatoire, vous êtes dans le mauvais couloir du labyrinthe, l'issue de secours bloquée, et vous n'avez plus le courage de faire marche arrière. Ne vous en prenez qu'à vous-même. Glad To Have : la carte empoisonnée. Vous êtes encore pire que vous ne pensiez. Totalement contaminé. Peut-être faites-vous le mal sans le vouloir car vous êtes la pomme gangrénée, celle qui doit être rejetée, mais c'est vous qui portez le panier, vous êtes le poison et le messager de la menace. Musique ample et mélodramatique tissée de toutes les contradictions humaines. Vous englue comme la toile de l'araignée. Hope : roulements de tambours, méfiez-vous des ambiguïtés, celles des autres comme des vôtres. L'est sûr que la musique déroule le tapis rouge des belles orchestrations tout juste si l'on n'entend pas les castagnettes et un pupitre de cent violons, une voix parle en vous, à moins qu'elle ne résonne à vos oreilles, méfiez-vous. La voix de John comme les aboiements d'un chien derrière la porte. Quelques notes de piano pour la décision finale, tirerez-vous la chevillette ?

    Un disque sombre qui plane comme l'aile d'une grande prédation. Sont bien jeunes mais trahissent une maturité étonnante. Une oeuvre aussi noire que Great Expectations de Dickens. Très anglaise dans son déploiement. Un groupe à suivre.
    Viennent de Nancy.

    MALADROIT

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    Changement d'ambiance. Ils sont maladroits, du moins le proclament-ils. L'on ne saura jamais s'ils le sont vraiment. C'est que ces quatre gaillards ne s'embarrassent pas de subtilité, le rock dans sa dimension la plus primaire, pédale au plancher, point à la ligne. L'on coupe les virages et l'on ne s'arrête pas aux feux rouges. Se revendiquent d'un rock brut – mais c'est ainsi que l'on trouve les diamants dans la nature - sans concession. De cimetière. Le rock c'est la vie, brûlée par les deux bouts du bâton. Cela évite les bien connus dommageables effets de retour. Till est aux commandes, guitare et chant. Maladroit est une émanation de Guerilla Poubelle. Ressemble un peu à ces groupes de roadies qui une fois le matos installé, se font le plaisir d'un petit gig en solitaires, just for fun, pour se persuader qu'ils ne sont pas là uniquement pour décharger les amplis du camion et se charger des branchements électriques. Le plaisir d'être ensemble et de prendre du bon temps. Morceaux courts, l'on appuie Till aux vocaux, histoire de montrer cette empathie quasi-fraternelle, qui lie le combo.
    Bien reçu par le public qui toutefois reste étrangement calme.

    POLICE ON TV

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    Dans la série I support my local band, le public s'agglutine en masse devant la scène. Sont du coin, de Romilly-sur-Seine pour les obsédés de la géographie. Se définissent eux-mêmes sur leur dernier CD de New Punk à l'ancienne. Perso, je les cataloguerais plutôt dans le registre rock festif – et vous connaissez mes préventions – en tout cas ils assument leur vision dérisoire et néanmoins critique quant à l'état ( déplorable ) de la société. Se sont barbouillés au gros feutre noir de tatouages abstraits du meilleur effet. Ont le mérite de ne pas se prendre au sérieux et d'être en communion avec leur fan qui dès le premier morceau se mettent à remuer à qui mieux-mieux. Grand gaillard aux cheveux bouclés et au micro Flo, tire le groupe. Derrière lui, ça bourre le mou au maximum. En lot de consolation pour ceux qui se lassent un peu trop vite de cette musique primaire et néanmoins populaire, vous avez deux danseuses, l'une pleine de grâce et de nerf, et l'autre qui se répand en enfantillage du genre pistolets à eau, langues de belle-mère et lancers de confetti... Le rock serait-il un remède infantilisant ou un adjuvant à cette notion de fête tant soit peu franchouillarde sous nos latitudes ? En tout cas sont infatigables Jean Boule tape comme un maboule sur sa batterie, Danone yaourte du petit lait sur sa basse, et Raphale tire sur sa guitare comme si sa vie en dépendait. S'amusent comme des fous, des gamins qui appuient pour la centième fois sur les sonnettes et qui s'écroulent de rire incontinent sur le devant de la porte des propriétaires ulcérés. Des gars sympas qui ne se prennent pas la tête, parfaits pour mettre de l'ambiance dans les apéros. Font un tabac, que dis-je une manufacture. Fin du set, tombent tous morts, allongés sur la scène, mais leur repos éternel ne durera pas, le public les rappelle à l'ordre et c'est reparti pour une nouvelle salve de quatre titres ravageurs. Des quatre groupes de la soirée, seront les plus acclamés. Correspondent parfaitement à cet état d'esprit de toute une partie des couches de la population. Ce sentiment d'exaspération et d'impuissance qui agite et incapacitorise les volontés. Quand la situation est grave et que l'on n'y peut pas grand chose beaucoup se réfugient dans le rire pour ne pas pleurer. Une manière de se démarquer, d'exprimer son désaccord, mais en restant circonscrit dans les rets du nihilisme, l'humour anthracite, reste une arme ambigüe, davantage dirigé contre soi que contre l'ennemi. Une espèce d'auto-déculpabilisation qui est aussi un grillage auto-protectif.

     

    GUERILLA POUBELLE

     

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    Beaucoup entendu parler mais jamais vu. La base idéologique du combo n'est pas très différente de Police On TV. Remarquons toutefois la signifiance des titres, les uns déclarent la guerre et les autres dénoncent le formatage médiatique. Maintenant chez les partisans de la guerilla il semble que l'on ne se fasse guère d'illusion, les temps des confrontations directes sont passés, l'on ne se prépare plus à de grandes batailles, l'on se contente des escarmouches d'usure. Les guerres indiennes se sont mal terminées, surtout pour les indiens. Et puis il y a cette poubelle inquiétante. L'on ne sait pas trop ce qu'il y a dedans. Contient-elle la saleté de notre vieux monde ou est-elle là pour une fois la fête terminée y verser nos utopies chancelantes en faisant bien attention de remettre le couvercle dessus pour qu'elles ne puissent plus s'échapper.
    Guerilla Poubelle est plus qu'un groupe. Un état d'esprit. De révolte. Contre la société et mieux encore contre l'apathie généralisée des consciences. Guerilla Poubelle sont des adeptes du Diy, Do It Yourself, du prends-toi en main, et si l'on veut peaufiner la traduction, du fous-toi un coup de pied au cul et n'attend plus pour te bouger les fesses et te manier le popotin. Donc un groupe, et une association qui organise des concerts et fédère toute cette mouvance alternative néo-punk française, ainsi ne proposent pas sur leur stand de marchandising que leurs propres CD, mais aussi des albums de toute une nuée de groupes de l'ombre.
    Véhicule une certaine idée du rock contestataire. Qui préfère les commandos de choc à l'unification des consensus mous. Cela se vérifie sur scène. Ne sont que trois. L'essentiel. Guitare-chant, batterie, basse. Un dépouillement qui jure avec le casting de Police On TV. Idem au niveau musical. Rock basique mais pas simpliste. Efficace mais pas consensuel. Dans la foule ça va pogoter à donfe, moins de monde mais beaucoup plus de speed.
    L'on retrouve Till de Maladroit. Prend le temps d'invectiver le public. Commence par signifier à la sécurité qu'elle n'a rien à faire au milieu de l'entrechoquement en folie des spectateurs, que les gens sont assez responsables pour ne pas se retourner agressivement les uns contre les autres, la suite lui donnera raison. Reprends un spectateur qui hurle spasmodiquement A Poil ! toutes les trois secondes, en l'invitant à réfléchir sur l'inanité de cette interjection, et l'heure de clôturer le set étant venue, il renvoie la jeunesse à la décision préfectorale des limitations temporelles.
    Rassurez-vous ne passent pas leur temps à pérorer. Jouent aussi de la musique et plutôt bien. Un son beaucoup moins fruste que Maladroit, le même genre mais la couleur et les fragrances ne sont plus considérées comme des options interdites aux économiquement faibles. A fond les gamelles mais beaucoup plus explosif. Une batterie omniprésente et une basse dont les interventions des plus pointues démontrent à l'envie combien toute cette mécanique est agencée au millimètre. Morceaux courts mais efficaces à souhait. Le riff n'est pas le roi chamarré de la fête, ce qui ne l'empêche pas de mener le bal mais à égalité avec les deux autres chanceliers de la rythmique. Power rock trio, triumvirat démocratique, un instrument, une voix, trois gars qui naviguent de conserve, enchaînent les titres à la queue ébouriffée du loup, les crocs solides et sanglants, le rock n'est pas une fête plutôt un rituel destiné à faire pleuvoir les décibels comme des balles de mitraillettes dans les westerns mexicains qui mettent en scène les cavalcades révolutionnaires d'Emiliano Zapata. Le set s'arrête sur un dernier morceau aussi bref qu'un coup de fusil. Guerrilla Poubelle ne joue pas les prolongations interminables qui vous mettent le public dans la poche. Rappelez-vous le début de ce compte-rendu, si vous en voulez davantage, faites en sorte que votre existence en soit le principal acteur. N'attendez pas des autres ce que vous pouvez faire vous-mêmes. Restent sur scène à discuter entre eux et à débrancher le matos. Le public se disloque à regret. L'aurait bien ingurgité deux ou trois louches de bonne soupe énergétique supplémentaires. Mais il faut prendre l'habitude de sortir de table sans être rassasié. C'est ainsi que l'on est au mieux, lorsque la faim vous pousse au crime de vivre plus intensément.

    DEUXIEME JOUR


    Point allé. Mieux à faire ailleurs. Voir chronique suivante. Programmation Rock Celtique, trop vu de fest-noz bretons dans ma jeunesse... Cette cinquième édition de Rock'en Pleurs agrémenté d'un beau soleil et se déroulant dans une ambiance des plus amicales est le genre d'initiatives locales à généraliser.


    Damie Chad.

    LE MEE-SUR-SEINE - 27 / 05 / 2017
    LE CHAUDRON
    WILD PIG MUSIC
    DISORDER / LIFE REPORTS
    BEAST

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    Le Chaudron n'aura jamais aussi bien porté son nom. Une fournaise. Faut voir à la fin de chaque set la ruée en masse vers les escaliers afin de rejoindre la fraîcheur – euphémisme des plus relatifs - de l'extérieur. Une centaine de fans – on aurait espéré mieux - ont toutefois bravé la chaleur de ce week end prolongé pour encourager les forges métallifères en présence.

    DISORDER

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    Difficile dans la pénombre rougeoyante de reconnaître Elie Biratelle ( ex-Scores ) à la basse, l'a exagéré le désordre de sa chevelure tout comme à ses côtés Armand Tormo et Paul Dedenin aux guitares, Lucas Maciniak restera pratiquement indiscernable au fond derrière ses tonneaux. Indubitable, il a la niaque Marciniak, l'est comme ses vieilles sorcières qui ont toujours une deuxième fricot de cervelles de chats sur le coin du fourneau, l'est en train de vous mener un break qu'il a déjà le suivant en préparation, la musique de Disorder est un peu comme ces gros rochers de mille tonnes en équilibre précaire, suffirait d'une chiquenaude pour précipiter l'éboulement. On les sent toujours prêts à parfaire le déséquilibre kaotique du monde. En plus il y a Biratelle, partout ailleurs il se ferait remonter les bretelles pour délit impardonnable – Laurent bassiste de son état m'expliquera après le set que c'est à cause de la sursaturation – mais je n'ai jamais entendu une basse monter dans les aigus comme cela, un effet novateur des plus déstabilisants vous déporte le métal vers les alliages les plus performants. Mais est-ce du métal ? Il est sûr que les catégories sont faites comme les âmes trop pures pour être perverties. Dans Disorder subsiste encore la vieille tradition primordiale et originaire du rock'n'roll. Des guitares qui ripent les vieux riffs empaillés afin de les mieux préserver, et la voix qui scande le chant. Le serpent qui articule n'est pas moins dangereux que celui qui siffle. Disorder nous emmène dans un hard-métal des plus inhabituels, sont prêts à explorer des sentes que la majorité dédaigne. Sont plus qu'applaudis. L'on sent poindre la surprise, l'estime et l'intérêt sous les acclamations. Disorder un de ces jeunes groupes, porteurs d'idées nouvelles. Une promesse.

    REVENGER / DISORDER

    GURGULUK / SUFFER IN NOISE / BULUK / SPIRITUAL DAMNATION

    ARMAND TORMO : guitare / ELIE BIRATELLE : basse / PAUL DEFENIN : guitare. LUCAS MARCINIAK : batterie.

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    Superbe pochette due à Emilie Raoul. Face blanche : indien pectoraux pointus et maculé de sang sur le sentier de la guerre dans un paysage de neige – la vengeance est un plat qui se mange froid - et de sapins aux aiguilles tranchantes. Face noire : traces sanglantes d'une main prémonitoire des noirceurs que vous réserve la piste sauvage de la vie dangereuse. Beau logo runique, tranchant comme une hache d'abordage viking.

    Gurguluk : volapuk insondable quant à la signification du titre, longue introduction musicale, les guitares tracent une route aventureuse, la basse émet de ces bulles inquiétantes, qui effleure l'eau croupissante des tourbières, légion romaine perdue dans l'hiver des forêts germaniques, marche haletante dans la glaise engloutissante, la vie est un cauchemar qui surgit de votre sommeil et qui se précipite sur vous et vous dévore le visage jusqu'à l'os, Suffer in Noise : vous croyiez en avoir fini, vous en être tiré à bon compte avec votre profil décharné, erreur funeste, vous entrez dans le deuxième épisode de l'histoire de la souffrance infinie, vocal comme des flèches d'animalcules tentaculaires prédateurs qui fracturent la rotondité de votre crâne et qui aspirent doucement votre substance neuronique, le rythme haletant, la musique aussi massive que des coups de hachoirs n'est cependant pas sans vous procurer un étrange plaisir masochiste. C'est dans les situations extrêmes que l'on se permet de découvrir qui on est réellement. Buluk : nerver mind the buluk, troisième épisode, dans lequel on n'essaie pas de vous mentir, le rythme s'emballe et vous voici happé par vos tripes éviscérées. Disorder ne fait pas de quartier, vocal braillé comme des ordres de mise à mort, la batterie tape comme si vous deviez vous enfoncez cela dans le crâne que vous n'avez plus, scie mécanique de guitare en vue d'une prochaine vivisection. Méfiez-vous, cela n'est guère agréable. Spiritual Damnation : épisode quatre, l'on vous repasse le générique du début au cas où vous auriez espéré vous retrouver dans un autre film style la petite maison dans la prairie. Mais non, la boucherie continue. Maintenant c'est à votre âme qu'ils s'en prennent. Vous la dissèquent sans plus de préparation. La guitare vous la découpe en rondelle et la batterie n'en finit pas de la clouer sur la porte des granges. Fin brutale. Ne cherchez pas à comprendre. Vous êtes mort.

    Quatre morceaux. C'est ce qu'ils essaient de vous faire croire. Plutôt un récit d'un seul tenant, une espèce d'opéra d'hard-mental-art en quatre actes dont vous êtes le héros. Malheureux. N'écoutez pas, laissez de côté, oubliez que vous l'avez acheté. Disorder veut vous du mal. Rien que la pochette est une insulte à ceux qui pensent que la vie est comme un long fleuve tranquille. Par contre si vous êtes de ces personnes qui pensent que le rock a été inventé pour ajouter du désordre dans l'univers, vous adorerez. En plus c'est tout beau, tout brûlant, vient tout juste de sortir. Soyez prudent, rangez-le dans l'enfer secret des tentations de l'enfer de votre cédéthèque.

    LIFE REPORT

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    Fait encore plus chaud. Faut voir le visage cramoisi et ruisselant de sueur de Julien au micro. Dans la salle ce n'est guère mieux, mais Life Report arrivera à galvaniser les troupes et à susciter de grandes tessitures d'entremêlements désordonnés parmi les spectateurs. Bien en place, parviendront à surmonter sans dégâts la pédale de la grosse caisse de Charla qui le lâche ( lâchement ) en début du quatrième morceau. Nous délivrent un métal puissant et somme toute non dépourvu d'un fond mélodique en contraste avec les rauques glapissements de Julien, un véritable chanteur qui donne sens à la musique, en appuie les contrastes, met en exergue la somptuosité des guitares de Julien ( numéro 2 ) et de Renaud qui étincellent sur les lourdeurs de la basse de Quentin. Disenchated Kids, Castle Build in Sand, Who Said I Want to Be Saved ?, Life Reports conte ce que Thomas Hardy appelait les petites ironies de la vie, l'existence des individus anonymes, les drames intimes et les situations quotidiennes des gens de seconde zone qui nous ressemblent. Atmosphère émotionnelle, exprime les tourments et les gouffres qui se gisent dans tout être humain que nous croisons chaque jour. Plaies purulentes que l'on porte au fond de soi. Micro en main, jambe reposant sur un des retours Julien adopte souvent cette position du guetteur à l'affût, du scrutateur des abysses intérieurs, celui qui voit et qui révèle. Musique dense et accomplie, comme un rideau de théâtre qui se lève pour délivrer les scénettes de la cruauté de la vie humaine. Un métal qui n'évite ni le bruit et la fureur et qui se complaît dans les terreurs tues et les illusions perdues. Longuement applaudis.

    BEAST

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    The last but the Beast. M'attendait pas à ça. Naturellement Beast a été fidèle à sa légende red bull qui tue et fonce. Sont bien là, dans leur tenue de footballeurs américains, et nous ont livré le show impeccable que l'on attendait. Blank Page, Do You Think, The Village, Unit, On the Fields, les titres s'enchaînent comme à la parade, peut-être Cédric un peu plus prolixe que d'habitude entre les morceaux, nous vend des craques à deux euros qu'il s'empresse de démentir aussitôt, Rémi à la guitare, Robin à la basse, et Maxime aux drums assurent comme des pros. Sept ans qu'ils jouent ensemble... justement c'est là où le bât blesse, Cédric annonce que c'est le dernier concert – reste bien une date au mois de juillet, mais celle-là ne compte pas – c'est ici au Chaudron qu'ils ont commencé et c'est ici qu'ils viennent dire au revoir et merci à leurs fans et à Danny de Nakht qui est venu emplir le micro du tonnerre de sa voix. Pas de dissension amicale, mais la vie qui avance. Deuxième fois en moins d'une semaine qu'un groupe se sépare. Question de génération, une partie de la jeunesse qui s'achève – à son pas de lieuse de gerbes s'en va la vie, sans haine, ni rançon, dixit Saint-John Perse – certes nous n'en sommes pas encore là mais c'est un morceau de vie, un fragment de la fenêtre de l'existence qui vole en éclats, la mort de la bête ne nous fait pas sourire même si elle était en gestation au premier jour de sa naissance. Mais Beast reste impassible, ne cède à aucune tristesse, Legacy, Supporters, Shut the Fuck Up, Like a Blood, Under Pressure, finissent leur set en beauté sous une pluie de t-shirts et de stickers qu'ils nous jettent en offrande, Under Pressure, une dernière farandole se bouscule dans la salle, et c'est la fin irrémédiable.

    GONE WITH THE WIND


    Je rejoins la teuf-teuf un goût un peu amer dans la bouche... One, two, three , four, Five, Rock'n'roll is still alive. Merci Beast. Beast wishes !


    Damie Chad.

    ( Photos : FB des artistes / Mlle Lazurite )

     

    NEGUS N° 3

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    Negus en kiosque. Sont tout heureux, sont désormais maîtres de leur propre distribution, en accord parfait avec l'idéologie d'indépendance communautariste qui s'affirme dans ce numéro. L'est logiquement bon de mettre ses idées en pratique. Faut toutefois se méfier de ce repli sur soi, des meilleures intentions peuvent naître les pires contradictions. Sûr qu'il est inutile d'engraisser ceux qui forgent les chaînes de votre dépendance, mais l'instauration d'une économie noire c'est aussi le danger de s'éloigner de toute remédiation politique. La naissance d'un entreprenariat noir à petite échelle est de prime abord sympathique, mais une trop grande immixtion dans le capitalisme risque aussi à moyen terme de déboucher sur la naissance d'un embryon d'une bourgeoisie noire qui sera davantage un facteur de division de la communauté qu'un outil de libération... Les petits Bolloré aux dents longues n'ont qu'une couleur : celle de l'argent. Exemple à méditer pour Bao qui rêve de créer une chaîne de supermarchés de produits alimentaires noirs : les militants qui dans les années 70 ont créé les premières et rudimentaires et sympathiques échoppes bio en France ont été remplacés par des franchisés financés par des banques qui les poussent de plus en plus à adopter les stratégies de la grande distribution...
    L'est vrai qu'il est râlant de voir que les richesses de l'Afrique profitent aux multi-nationales, de même pour la culture noire qui a inspiré et enrichit des compagnies discographiques et des artistes blancs. Un paragraphe un peu hâtif consacré au rock'n'roll genre musical qui nous semble devoir autant à ses racines blues que country, à la fougue libératoire du rhythm and blues qu'à la frustration explosive des adolescents blancs...
    Longue interview de Mickaël Mancée porte-parole du collectif des 500 frères guyannais. Intéressante, vraisemblablement vieille de quelques semaines – il serait bon de préciser la date – explique les données du problème mais reste des plus évasives quant aux prolongations de la lutte... Remarquons que l'on retrouve les gauches alternatives et radicales de la métropole dans des perspectives aussi tâtonnantes...
    Deux poèmes de Maya Angelou, mais sans doute aurait-il été nécessaire d'agrémenter sa photo d'une notule biographique rappelant son engagement pour la cause de son peuple et qui devint aux Etats Unis une voix aussi reconnue que celles de Malcom X, Martin Luther King et James Baldwin.
    La partie culturelle de ce troisième magazine est plus étendue, cinéma panafricain de Sylvestre Amoussou, interview du millionnaire Sindika Donkolo collectionneur d'art africain, histoire des révoltes noires très documentée, chroniques de livres, et nouvelle de Nicolas Zeiler sur la vie et la mort de Bheki Moyo, Negus nous ouvre des perspectives et fomente curiosités et interrogations...
    Ce numéro 3 de Negus nous plonge dans la nébuleuse noire, faudrait que ce bimestriel en gestation avancée finisse par devenir un mensuel, donne de la tête un peu partout, l'étendue planétaire et historiale de la diaspora noire le nécessite. Avec ce troisième numéro Negus définit ses angles d'exposition et d'attaques - politique, économie, culture – ce qui n'est pas sans contradictions internes inhérentes à toute prise de parole. Dans un premier temps l'on définit ses aires d'envol, dans un deuxième on élabore une stratégie d'extension du domaine de la lutte. La parution mensuelle permettrait d'avancer plus vite. Mais Negus semble vouloir compter sur ses propres forces, une sage précaution. A suivre. Une aventure éditoriale passionnante.


    Damie Chad.