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eddie and the head-starts

  • CHRONIQUE DE POURPRE 267 : KR'TNT ! 387 : GENE VINCENT-MICK FARREN / DALE HAWKINS / ISAAC HAYES / THE CACTUS CANDIES / EDDIE AND THE HEAD-STARTS / JAKE CALYPSO AND HIS RED HOT / THE CLASH / ROCKAMBOLESQUES ( 2 )

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 387

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    04 / 10 / 2018

    GENE VINCENT-MICK FARREN / DALE HAWKINS

    ISAAC HAYES / CACTUS CANDIES

    EDDIE AND THE HEAD-STARTS

    JAKE CALYPSO AND HIS RED HOT

    CLASH / ROCKAMBOLESQUES ( 2 )

     

    La mort solitaire de Gene Vincent

     

    Oh maman, maman

    Cette fois je m’en vais, c’est sûr

    Cette fois je vais en enfer

    Comme on me l’a toujours prédit

     

    Mon ulcère saigne

    Et ma jambe me fait mal

    Le whisky ne me soulage pas

    Et la morphine non plus

    Et dehors, autour de la caravane

    Il y a un monde que je ne comprends pas

     

    Ils ont changé les règles, maman

    Ils ont enlevé les ailerons de voitures

    Et Jim Morrison porte mes vieilles fringues

    On est en 1971, Maman, pas en 1957

    Be-Bop-A-Lula reçoit l’aide sociale, maman

    Elle a deux gosses horribles et une bouteille de sédatif

    Elle va se taper des chauffeurs routiers à la sortie de Bakersfield

    Dans la cabine d’un semi-remorque blanc

    Dix dollars la pipe

    Fais gaffe au levier de vitesse, ma poule

    Fais gaffe, entends-tu

     

    Il y a un gros nuage de fumée qui s’élève, maman

    Juste au-dessus de ma tête

    La fumée des Lucky Strike

    Avec leur vieux paquet rouge et blanc

    Les autres appellent, maman

    Ceux qui étaient là avant

    Hank Williams murmure

    Hank dit qu’il veut me payer un coup

    Et Eddie Cochran a écrit une nouvelle chanson

    Il veut me la jouer sur sa guitare noire

     

    Je vais m’en aller, maman

    Je m’en vais bientôt

     

    Il y a une femme qui attend

    Elle porte une robe rouge

    Cette ancienne Putain de Babylone

    Elle m’attend pour me mettre dans son lit

    Cette ancienne Putain de Babylone

    Elle m’attend pour m’emmener

     

    Je jure, maman

    Je jure devant Dieu

    Si j’en réchappe

    Je serai un homme meilleur

    Je suis foutu, maman

    Je ne vais pas passer à travers

    Je suis foutu, maman

    Je sens que mon ulcère saigne

    Je suis foutu, maman

    J’ai déjà du sang dans la bouche

    J’étais un roi, maman

    J’étais un roi

    Le Roi du Mal

    Le roi de la putain de jungle

    Et ils m’ont mis dans une cage

    Je me souviens très bien

    Ils disaient que j’étais saoul à «American Bandstand»

    Ils disaient que j’étais communiste

    J’ai été chassé par Dick Clark

    Et une bande de connards qui s’appelaient tous Bobby

     

    J’avais des Cadillacs, maman

    Tu as déjà entendu dire que les communistes avaient des Cadillacs ?

    Une Cadillac pour chaque jour de la semaine

    Et une Corvette blanche pour le dimanche

    Mais maintenant

    Il ne reste plus qu’une seule Cadillac

    Celle qui est noire et longue et en plastique

    Le corbillard, maman

    C’est la seule Cadillac pour mon avenir

    Le cimetière est tout près de la voie rapide, maman

    Un terrain qui serait désertique

    S’ils ne l’arrosaient pas

    Vingt-trois heures par jour

    Le cimetière est tout près de la voie rapide, maman

    On ne peut pas le rater

    Prends à gauche et suis l’odeur du diesel

    Continue le long de la 118

    Et tu entres dans le comté de Ventura

     

    Oh maman, maman, tu ne peux pas le rater

    C’est impossible que tu rates ce cimetière

     

    MICK FARREN

    Extrait de The Lonesome Death Of Gene Vincent... And 44 Others Poems And Lyrics

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    Écrit en 1992, publié pour la première fois en 1995

    Traduction de Patrick Cazengler

     

    Que dalle pour Dale

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    Billy Poore a très bien connu Dale Hawkins, ce crazy rockabilly cat originaire de Louisiane que Leonard Chess signa sur son label en 1957. Ce vieux renard de Leonard voyait Sam surfer sur Sun avec Elvis, alors il lui fallait vite un rockab et de fut Dale. Et hop, une petite quinzaine de 45 et un album vite fait. C’est avec «Susie Q» qu’il créa la sensation, comme chacun sait. James Burton qui allait plus tard rejoindre Ricky puis Elvis jouait sur ce classique indétrônable paru en 1957, ce qui ne nous rajeunit pas.

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    Pourtant, les historiens du rockab n’accordent jamais de chapitre à Dale. Que dalle pour Dale. On le cite pourtant à tire-larigot, Dale est toujours dans des packages à droite et à gauche, sur scène avec tous les moutons de Panurge de la vague rockab, tout le monde vante les vertus de «Susie Q», mais le seul à lui consacrer un quart de page, c’est Billy Poore, et encore, il apparaît sous le titre : Other Artists from the late fifties. Même pas de photo. Sans doute n’y a-t-il pas grand chose à raconter sur Dale, tout au moins pas autant de choses que sur Jerry Lee ou Elvis. Billy Poore insiste beaucoup sur la qualité de «Little Pig» et «See You Soon Baboon», mais ces vaillants hits rockab se noient dans la masse d’alors. Son cousin Ronnie Hawkins eut plus de chance.

    Dans une interview datant de 1986, Dale raconte qu’il traînait du côté de Shreveport en Louisiane quand il était gosse. Il bossait chez un disquaire - I was into a lot of blues - Eh oui, forcément, la Louisiane est le berceau de ce qu’on appelle le raw blues, celui de Slim Harpo et de Lightning Slim. Dale appréciait beaucoup le son de Scotty Moore, mais il avait déjà son son en Louisiane, that came from our heavy blues influence. Il avait même de riff de Susie Q en tête depuis un bon moment. Et puis un jour, il va l’enregistrer dans le studio d’une station de radio à Shreveport. Il envoie la bande à Leonard le renard. Il attend la réponse. Les semaines passent. Alors Dale envoie une copie de la bande à Jerry Wexler, chez Atlantic. Wexler voit immédiatement le hit potentiel, et fait savoir à Leonard le renard qu’il a intérêt à se magner le train - Chess had better do something or get off the pot - Voyant approcher les grosses pattes de Wexler, Leonard le renard se hâte de sortir le 45. Dale est très fier de son little record - Our little record, it sounded so much like Louisiana - Oui Dale dit sa fierté - The overall sound was our own, though, from our area of the country. Just a little bit of the blues, man.

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    «Suzie Q» fait l’ouverture du bal sur l’album Chess Oh Suzy-Q paru en 1958. Pur Chess Sound, admirabilité du beat et solos de rockab pur. Ce n’est pas l’album du siècle, mais Dale y joue la carte rockab. Il swingue son «Juanita» et le chante pointu, et derrière, ça boppe, pas comme à Memphis, mais ça boppe bien quand même. Dale pond encore un hit de juke avec «Little Pig» et en B, il fait son Tarzan dans «See You Soon Baboon», pur jus de comic strip. Il y fait tout rimer en oon - I says okay baboon/ I’m gotta find out soon - ce qui n’est pas facile. On a même droit à un solo de sax à la Lee Allen.

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    Un autre album Chess est paru en 1976, sous une pochette bordeaux. On y retrouve quasiment les mêmes cuts, «Susie Q», «See You Soon Baboon», «Little Pig», mais aussi des cuts marrants comme «Lulu» (joué au clair de son et au swing de clochettes, bien twisté du bilboquet), «First Love» (pur jus de diction rockab), et en B l’excellent «Wild Wild World» monté au format rock’n’roll classique d’it’s a one for the money. Il reprend aussi le «My Babe» de Big Dix, et comme il a le son Chess, il en profite.

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    Puisqu’on est dans les vieux trucs, on trouvait aussi autrefois dans le commerce un album Argo intitulé My Babe qui propose un choix de cuts déjà parus, comme le morceau titre, ou encore «Lulu», mais on y trouve un «La-Do-Dada» joliment allumé par des shoots de rockab. C’est un fascinant exercice de style d’apparence exotique, mais sacrément développé en interne. En B, il fait une solide reprise du «Ain’t That Lovin’ You baby» de Jimmy Reed. Oh bien sûr, ça ne vaut pas celle de Link Wray, mais ça vaut quand même le détour. Et puis il faut absolument écouter «Back To School Blues», un solide drive de rock d’une grande modernité. C’est peut-être là que Dale fait la différence, comme le fit Bo de son côté. Son drive de rock est infesté de luttes de guitares intestines, c’est extrêmement bien foutu et derrière, on a même des chœurs de filles délurées. Alors si la question est : faut-il écouter Dale Hawkins ?, la réponse est oui, mille fois oui.

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    Et en 1997, Norton s’est fendu d’une autre compile, Darevil. Sur la pochette, Dale gratte sa Gibson, comme d’ailleurs sur la pochette de son premier album Chess. Mais comme souvent chez Norton, ça sent le bric et le broc et les différences de niveaux ne pardonnent pas. On se régale cependant du morceau titre, Carl Adams y passe un killer solo. Il joue avec des doigts en moins et l’histoire de ce mec devient quasiment plus intéressante que celle de Dale qui a pour particularité de s’entourer des meilleurs guitaristes (James Burton et Roy Buchanan, par exemple). On retrouve d’ailleurs Buchanan sur «Superman» qui ouvre le bal de la B. Et qui bat le beurre ? DJ Fontana en personne.

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    Avec L.A. Memphis & Tyler, Texas paru sur Bell en 1969, on ré-ouvre le chapitre des albums mythiques. Comme on le voit sur la pochette, Dale change de look, il porte une petite frange, un pull blanc et un futal rayé. Comme à l’époque il traîne en Californie, ça s’explique. Attention, c’est un rassemblement de surdoués : James Burton, Ry Cooder et Taj Mahal jouent là-dessus. Dale commence par enregistrer ses basic tracks à L.A., puis il va tout remixer à Memphis, chez Ardent, avec Dan Penn et Spooner, et il apporte une touche finale dans un studio de Tyler au Texas, en compagnie de Mouse & the Traps et de Wayne Carson, le mec qui a composé «The Letter». D’où le morceau titre, «L.A. Memphis & Tyler, Texas» - I’d like to dedicate this song to the great cities where I’ve recorded - Et il attaque le fabuleux folk-rock de «Heavy On My Mind». Ry Cooder et James Burton y croisent le fer de leurs vélocités. Ça donne un groove de guitares clairvoyantes assez unique dans les annales. Dale tape une version d’«Hound Dog» au swamp-rock de classe supérieure. Il prend ça au pied levé, et ça effare, tellement c’est bon, rythmique infernale, très grosse intensité bayoutique, c’est joué en pure démarcation de ligne. Taj Mahal souffle dans son harmo. Trop de gens doués dans les parages, ça se sent. Et ça continue avec l’effarant «Back Street», amené au riff de boogie diabolo. Voilà un instro d’anticipation majeure, cuivré de frais par les Memphis Horns : hypno et beau, nocturne et bien profilé sous le vent du Sud. En B, il la-la-latte gaiement la pop de «La-La La-La», oh oui, il chante soir et matin, il chante sur son chemin, il va de ferme en château, il chante pour du pain et pour de l’eau. Il tape à la suite dans le «Candy Man» de Fred Neil. Ce choix l’honore. Chaque cut relève d’un choix tactile d’une finesse extrême. Bon, ça sonne cousu, mais Dale s’en bat l’œil, il adore le boogie de l’arrière pays et James Burton passe un solo flash. Dale est un bon. La preuve ? «Ruby (Don’t Take Your Love To Town)». Histoire atroce : le mec revient infirme de la guerre et comme il ne peut plus honorer sa femme, elle descend en ville se piquer la ruche et se faire limer. Le mec se dit qu’il est baisé - A fucked up song - Dale lui rend justice. C’est atrocement secoué du cocotier et lourd de conséquences. Il retape dans son vieux héros Jimmy Reed avec «Baby What You Want Me To Do». Dale le pulse à la mam-mam, goin’ up goin’ down, et il termine avec un joli coup de swamp funk, «Little Rain Cloud», co-écrit avec Dan Penn. Dale sort son meilleur falsetto, c’est alarmant de qualité boogy et les filles font aaah-aaah, on a là un pur drive d’intensité cabalistique, un véritable enfonceur de portes ouvertes. Dale adore faire le con.

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    C’est dans les mémoires de Don Nix que Dale refait surface. Don rencontre Dale au River Bluff hotel de Memphis et le trouve bien agité. En effet, Dale se goinfre d’amphètes. Au point qu’il ne supporte pas le moindre moment de calme - His worst enemy was a dull moment - Dale est à Memphis car il cherche des chansons destinées à Bruce Channel qu’il produit pour le compte de Bell Records et il sait que Don Nix compose. Don gratouille un truc et Dale saute en l’air : «That’s what we need ! Let’s go to Nasvillr and cut it !» Alors Don lui demande : «Quand part-on ?» Dale le regarde d’un air bizarre - Right now, man ! - Avec Dale, les choses ne traînent pas. Et Don raconte le voyage à Nashville - He had a brand new Cadillac Coupe de Ville and drove like a man possessed - Don n’avait encore jamais vu conduire un tel dingue. Le pied au plancher, en train de raconter des tas d’histoires, la bras en l’air. Il sortait des papiers de sa mallette alors que la Cadillac fonçait à 240 à l’heure. En arrivant à Nashville, Don se jure de ne plus jamais monter avec ce dingue et décide de rentrer à Memphis en bus. Ils s’installent pour la nuit dans un motel, mais pas question de dormir, car Dale ne dort pas. Il lit des trucs, en écrit, il marche inlassablement à travers la pièce. Don finit par croire que Dale a peur de s ‘endormir. Comme les gens qui ont peur de ne pas se réveiller, ou de rater un truc. Et le matin, ils entrent en studio à Nashville avec la crème de la crème du gratin dauphinois, dont DJ Fontana. Don se retrouve à produire les chansons d’un mec qui n’est même pas là. Ils enregistrent quatre titres. Quand Don veut savoir en quoi ça part, Dale lui dit que ça n’a pas d’importance, Bruce Channel peut tout chanter. Évidement, aucun des tracks enregistrés ce jour-là ne voient le jour. Puis Dale insiste pour rentrer à Memphis mais Don pose une condition : «I drive !». Okay then.

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    Quel album que ce Wildcat Tamer paru en 1999 ! On y trouve deux covers énormes, à commencer par l’«Irene» de LeadBelly. Dale revient à son vieux mode boogie de voix tranchante. Il fait une monstrueuse version de ce vieux classique éculé par tant d’abus. Et même une version complètement incendiaire, jouée au meilleur heavy beat d’époque. Il tape aussi dans le «Promised Land» de chickah Chuck. Il rend un somptueux hommage au vieux maître. Il chante à la glotte de tourneboule et joue le Southern boogie rap. Ce blanc chante comme un nègre, c’est dire s’il est bon. Cet album fourmille de merveilles, tiens comme le morceau titre qui ouvre le bal. Dale le prend au drive de rockab explosif. Il allume littéralement son Wildcat. Kenny Brown gratte derrière. Ces mecs sont complètement dingues ! Il revient au heavy blues pour «Going Down The Road». Dale sait de quoi il parle - Ain’t got no home/ But I’m gonna find a dollar bill - Retour à l’énormité avec «Change Game». Ça sonne comme du groove énervé de première nécessité. Ce diable de Dale développe de véritables sur-puissances et nous chante ça à la petite voix pointue. Il a le génie du son. Chaque cut sonne comme un hit. C’mon Kenny ! Alors voilà «Country Girl». Il rappelle Kenny Brown à l’ordre. Encore un slab de pur boogie swingué à la régalade. Kenny et lui tapent plus loin un «Take It Home» à l’énergie des vieux accords, et bien sûr, en vieux pro, Dale finit avec la cerise sur le gâteau, c’est-à-dire «Susie Q», mais une version plus heavy.

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    Avec Born In Louisiana, Dale nous fait le coup du 25 cm d’île déserte. Toute la B est énorme, emmenée tambour battant par un «Going Down The Road» joué au blues de cabane et claqué au petit coup d’essence mirifique. Dale fouette le delta blues de la Louisiane. Il faut le prendre très au sérieux car ce mélange de bottleneck et de stand-up monte directement au cerveau. On a là un pur chef-d’œuvre de sensibilité louisianaise. Il tape ensuite dans Leadbelly avec un somptueuse cover de «Goodnight Irene». C’est l’une des covers du Lead les plus inspirées qui se puisse imaginer ici bas. Dale lui donne de l’ampleur. Et ça continue avec «Summertime Down In South», pur jus de jigsaw puzzle down the good southern time. Il se pourrait qu’Hot Tuna vienne de là en direct. Ce cut est un enchantement. Avec le morceau titre, Dale frise le Tony Joe White, Il sait trousser un hit underground. Voilà encore une splendeur tendue et bien profilée. En A, on succombe assez facilement au charme de «Someday One Day» qui sonne comme un hit fougueux et immaculé. Dale a de sacrées dispositions. Il chante «Goodnight Sweetheart Goodnight» comme s’il entrait dans Rome en vainqueur, les bras chargés de bracelets. Encore un cut soigné avec «Women That’s What’s Happening». Il traite ça à la clarté de son et balance du bop à qui mieux-mieux. Quelle élégance sensorielle ! Sur ce petit album, tout est soigné au-delà du désirable.

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    Le dernier album en date de Dale s’appelle Back Down To Louisiana. Une cabane pourrie orne la pochette. À la première écoute, l’album peut paraître improbable, mais il finit par convaincre. On ira même jusqu’à s’exclamer : «Ça c’est du disque !» Dale opère un retour sidérant vers le rockab avec «Bang Bang». Quelle santé de bûcheron ! Dale fait son rockab by the bayou. Même chose avec «Word Song», claqué au boogie des seigneurs du bayou. C’est un nouveau slab de rockab net et sans bavure. Dommage qu’il n’y ait pas de slap. Le hit du disk pourrait bien être «Pretty Little Thing». Dale adore chevaucher son beat. Il sait se tailler un chemin dans la vie. Son boogie vaut vraiment tout l’or du monde. Good Lord, écoutez le gars Dale ! Avec le morceau titre, on reste dans le boogie blues des géants. «New Generation» sonne aussi comme une énorme dégelée de boogie motion. Dale joue ça à la petite distorse de Louisiane. Il a du répondant. Bon d’accord, c’est un son très classique mais pourquoi irait-il inventer la poudre ? Dans le booklet, on voit des photos incroyables : ses chats et deux flingots. On le voit aussi sur une Harley. Avec «Mighty Mississippi», il tape le blues du Missippe. Il connaît toutes les ficelles du Deep South Sound. Dale est l’un des blancs les plus crédibles du cheptel. Il va chercher son blues dans la terre de Louisiane. Il termine avec «Do The Thang», l’un des boogie-rocks dont il s’est fait une spécialité. Il chante ça à l’impavide. On ne croise pas tous les matins des artistes aussi doués que Dale.

    Signé : Cazengler, crève la dalle

    Dale Hawkins. Oh Suzy-Q. Chess 1958

    Dale Hawkins. L.A. Memphis & Tyler, Texas. Bell Records 1969

    Dale Hawkins. Dale Hawkins. Chess 1976

    Dale Hawkins. My Babe. Argo Records 1986

    Dale Hawkins. Daredevil. Norton Records 1997

    Dale Hawkins. Wildcat Tamer. Mystic Music & Entertainment 1999

    Dale Hawkins. Born In Louisiana. Goofin’ Records 1999

    Dale Hawkins. Back Down To Louisiana. Plumtone Music 2006

    Don Nix. Memphis Man. Road Stories & Recipes. Shirmer Trade Books 1997

    Billy Poore. Rockabilly. A Forty-Year Journey. Hal Leonard Corporation 1998

     

    Gousse d’Hayes

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    Quoi de plus juste que de qualifier Isaac Hayes de Spirit Of Memphis ? C’est en tous les cas ce que vient de faire Craft avec un coffret pas trop cher. L’objet se présente au format 45 tours, s’ouvre comme un livre et contient quatre disks encartés séparément dans des folders en carton extrêmement rigides. Collée sur la trois de ouvre, une petite pochette enserre un vrai 45 tours, la réplique d’un single rare. Sur la une, Isaac pose sous la devanture du fameux 926 McLemore Avenue, qui fut à l’origine un cinéma de quartier à l’ancienne. Un fronton proéminent surplombait la rue sur plusieurs mètres. Comme dans tous les lieux de spectacles aux États-Unis, on y composait les titres des films et les noms des artistes en grosses lettres rouges démontables. Au frontispice du 926 McLemore, on pouvait lire Soulsville U.S.A., et posé au dessus comme une statue, le mot STAX en très grosses lettres rouges qui s’éclairaient lorsque la nuit tombait sur la capitale mondiale du rock et de la Soul. Il était donc logique qu’Isaac y trônât.

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    Quand on tient ce coffret en main, on découvre qu’il vibre. Oui, c’est assez difficile à faire croire et pourtant, c’est vrai, il vibre. Tout ce qui touche à la personne d’Isaac Hayes relève du sacré. En voilà une nouvelle preuve. D’autant plus sacré que Robert Gordon signe le texte d’introduction. Les amateurs de Soul et tous les staxés notoires le savent : Isaac Hayes appartient à la lignée mythique de Memphis, au même titre que le King (Elvis) et the real King (Rufus). Mais Isaac eut plus de veine qu’Elvis, puisqu’il n’avait pas de fucking Colonel sur le dos, et plus de punch que Rufus puisqu’il inventa l’avenir de la Soul.

    Histoire prodigieuse que celle de ce messie : il part de rien, de triple zéro, orphelin élevé par ses grand-parents. Mickey Gregory : «In the beginning there was this little destitute kid that his grandmother referred to as Bubba Lee.» (Au commencement, il y avait ce gamin pauvre que sa grand-mère appelait Bubba Lee). Ses grand-parents étaient des sharecroppers, c’est-à-dire les métayers, ceux qui cultivaient la terre pour le compte des anciens esclavagistes et dont la mentalité vis-à-vis des nègres était restée intacte, malgré le treizième amendement qui avait aboli l’esclavage : les sharecroppers vivaient dans le même type de misère abjecte, sans autre horizon que de devoir travailler du matin au soir pour des prunes. Petit, Isaac rêvait de pouvoir entrer dans un lit bien chaud pour dormir, de pouvoir manger un vrai repas et de porter des habits décents. Et quand la «famille» s’installe à Memphis pour essayer de survivre un peu mieux, le petit Isaac dort la nuit dans des carcasses de bagnoles - I slept in junk cars in a garage - Puis la musique entra dans la vie d’Isaac comme l’air du printemps entre dans une maison. Il l’entendait lorsqu’il travaillait dans les champs, il l’entendait à l’église. Comme Aretha, comme Ray, comme Sam, comme Johnnie et comme tous les autres, Isaac chante à l’église et découvre le clavier. Comme nous tous, il entendit des choses à la radio qui allaient bouleverser sa vie. Comme Andre Williams qui grandissait en Alabama, Isaac entendait à la radio la musique des patrons blancs, le hillbilly - I was singing hillbilly before I was singing R&B -

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    Puis il entend Sister Rosetta Tharpe jouer de la guitare électrique. Coup de chance, car à cette époque, la seule musique noire programmée sur les radios était le gospel batch, mais en 1944, le gospel de Sister Tharpe était déjà du rock’n’roll. Isaac découvre ensuite la mythique station WDIA de Memphis, lancée en 1947 par deux blancs et qui devient grâce à Nat D. Williams la première radio destinée au public noir. Là, on ne rigole plus. En 1948, deux DJs de choc font leur entrée sur les ondes : B.B. King et Rufus. Tous les nègres qui vont devenir célèbres écoutent cette radio, de la même façon qu’on écoutait le hit-parade de SLC quand on était ados. Ces émissions ouvraient les portes donnant sur le fameux jardin magique auquel les adultes qui nous pourrissaient la vie avec leurs problèmes de cul et de fric n’avaient pas accès.

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    Isaac commence à chanter dans des concours et quand des gamines viennent le trouver pour lui demander un autographe, ça le fait bander. Il rêve d’en faire un métier, mais ce n’est pas si simple. Adulte, il se marie et se voit contraint de bosser dans un abattoir pour nourrir sa famille. Il vit l’horreur. Il ne dort plus la nuit - I walked in blood - En 1962, il réussit à entrer dans le petit studio de Chips Moman pour enregistrer avec son copain Sidney Kirk un premier single, «Laura We’re On Our Last Go-Round» qui est, vous l’avez deviné, celui qui est encarté sur la trois de couve du coffret vibrant. Mais à l’époque, Chips n’a pas de distributeur et le single disparaît sans laisser de trace. Isaac retourne bosser aux abattoirs. Back to the Killing Floor.

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    Il finit par décrocher un job de keyboardist dans le house-band d’un club. Ça lui permet d’aller traîner au 926 McLemore, car c’est là que se retrouvent les musiciens black de Memphis. Oh il n’entre pas encore au studio, mais juste à côté du studio, dans la boutique de disques de Miz Axton, la sœur du patron blanc Jim Stewart, un banquier reconverti dans le r’n’b.

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    Et c’est là où Isaac va basculer dans la vraie vie. Un certain Floyd Newman cherche un keyboardist. Vous ne connaissez pas Floyd Newman ? C’est logique. Il était ce qu’on pourrait appeler une star locale. Il jouait au Plantation Inn, de l’autre côté du fleuve, à West Memphis, en Arkansas. Le Plantation Inn joua exactement le même rôle que la radio WDIA : un rôle de catalyseur exceptionnel. Tous les pères fondateurs blancs du Memphis Sound passaient leurs nuits au Plantation Inn pour y apprendre la vie, le swing et la Soul. Steve Cropper, Dickinson, Packy Axton et Duck Dunn franchissaient le pont toutes les nuits pour aller s’encanailler et écouter la Soul primitive de Floyd Newman. Le disk 1 du coffret propose d’entendre «Sassy» qui est un modèle de shuffle en forme de wild ride in the Plantation Inn. Et Isaac s’immerge dans le monde magique de la musique : il veut devenir le nouveau Nat King Cole. Il s’en donne les moyens. Floyd Newman dit qu’Isaac connaissait tous les jazz tunes. Floyd dit aussi qu’Isaac a l’oreille absolue : s’il fait tomber une fourchette, il peut dire la note du cling. Floyd s’aperçoit aussi très vite qu’Isaac peut diriger un orchestre et distinguer le son de chaque instrument. Floyd finit par comprendre qu’Isaac est doué de pouvoirs surnaturels - Every note you heard on any of his music came outta his head, every note - Isaac peut dire aux autres musiciens ce qu’ils doivent jouer. Isaac entend la musique de l’univers.

    Quand Floyd Newman vient enregistrer «Sassy» chez Stax, Jim Stewart lui demande :

    — Dis donc, Floyd, ce mec qui joue du piano avec toi, tu crois que ça l’intéresserait de jouer sur quelques démos ?

    Oui, Jim Stewart cherchait quelqu’un pour remplacer Booker T. qui venait de quitter Memphis pour aller finir ses études dans l’Indiana. Ce que Jim Stewart ne savait pas, c’est qu’il venait de faire entrer la poule aux œufs d’or dans la bergerie.

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    Pour sa première session, Isaac doit accompagner Otis. Il a la trouille, car au fond, il n’est pas vraiment pianiste. Il n’a aucune formation. Il joue tout à l’oreille. Mais Otis est un mec dynamique et tout le monde adore bosser avec lui - It was like a party whenever Otis came to town - Isaac se sent comme dans une nouvelle famille. Pour la première fois de sa vie, il goûte au bonheur d’exister. Mais personne ne sait encore à quel point Isaac est doué. Seul Floyd Newman le sait.

    Jim Stewart voit les choses différemment : pour lui, Isaac est un nègre timide qui avance pas à pas et qui ne fait pas de vagues. Stewart va même jusqu’à imaginer qu’Isaac n’était pas conscient de son talent d’arrangeur et d’interprète. Son assistante black Deamie Parker analyse les choses un peu plus finement : pour elle, Isaac veut surtout échapper à la pauvreté - Serious poverty - Alors, oui, il évolue très vite, comme tous les gens pauvres et doués auxquels on donne une chance. Deamie rappelle qu’Isaac ne possédait que deux chemises et des chaussures bricolées qui ressemblaient à des bananes, qu’il avait une famille à nourrir et qu’il se battait pour survivre.

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    Isaac rencontre chez Stax David Porter, qui participait lui aussi aux concours de chant. Ils étaient même en compétition et ils se respectaient. David bosse chez Stax comme parolier et il cherche un collègue pour composer avec lui. Il lui fait une proposition qui ne se refuse pas : «Hey man, let’s hook up ! Devenons les Holland/Dozier/Holland, les Bacharach/David de Stax !». Et nos deux cocos se mettent à l’ouvrage, et quel ouvrage...

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    Ils allaient tout simplement composer des hits qui figurent parmi les plus grands hits du XXe siècle, ceux de Sam & Dave ou de Mable John. Et quand on enregistrait leurs chansons, ils dirigeaient les sessions, devenant ainsi producteurs. The Stax Sound, baby, c’est Isaac. Oh les MG’s bien sûr, mais le raw du raw, ce sont bien les hits de Sam & Dave qui l’incarnent. Rien n’est plus viscéralement staxy qu’«Hold On I’m Coming» ou «Soul Man». Pas de partitions, rien de prévu à l’avance. Isaac se mettait au piano et tout le monde commençait à jouer avec lui. C’est exactement ce qui fascina Jerry Wexler qui n’avait encore jamais vu des musiciens de studio jouer aussi librement avec des résultats aussi effarants. Évidemment, tous ces musiciens ne savaient pas lire une partition. Ils jouaient tous au feeling, y compris les cuivres, c’est-à-dire les mythiques Memphis Horns - Most Stax records were arranged as it happened, a spontaneous kind of atmosphere - Il n’y avait pas comme dans tous les autres studios de décompte du temps. C’est l’une des particularités de Memphis : priorité absolue au processus créatif, celui qui rend tout possible. C’est ce que rappelle Robert Gordon dans le texte qui présente un autre coffret, Keep An Eye On The Sky : la magie de Big Star ne fut possible que parce que John Fry ne comptait pas le temps.

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    Quand en été, le soleil tape dur, le studio Stax est irrespirable, comme d’ailleurs celui de Cosimo à la Nouvelle Orleans. Pour pouvoir continuer à travailler, Cosimo faisait venir un camion de glace pilée. Isaac et ses amis allaient au Lorraine Motel piquer une tête dans la piscine. L’endroit devint une sorte d’annexe de Stax. Bailey leur faisait griller des ailes de poulet et ils attendaient la fraîcheur du soir pour retourner au studio.

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    C’est là, au Lorraine, que Steve Cropper et Eddie Floyd composèrent «Knock On Wood». C’est le Lorraine qu’on voit sur la pochette du fameux Memphis Sol Today de Monsieur Jeffrey Evans et de son groupe, the Gibson Bros. C’est aussi là que Martin Luther King reçut une balle de gros calibre dans la gorge.

    Par contre, en hiver, ils se caillaient tous les miches chez Stax : il n’y avait qu’un seul radiateur pour toute cette grand pièce qui était comme on l’a dit une ancienne salle de cinéma. Tout le monde, nous dit Isaac, se regroupait autour du piano et de la batterie qu’on avait installés à côté du radiateur. Mais comme il régnait une bonne ambiance - family - ça ne posait aucun problème.

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    Lors d’une soirée d’annive, Al Bell, co-boss de Stax, chope Isaac qui est en train de vider une bouteille de champagne et lui dit :

    — Ike, let’s do an LP on you !

    — Hips !

    Pas de problème. Isaac embarque Duck et Al Johnson en studio, Al fait tourner la bande et ça donne Presenting Isaac Hayes. Pas de répète, rien que de l’impro et du feeling un soir de fête bien arrosé. Pur jus d’Isaac. Jazz and funk. Pas de gros succès, mais ça présageait de choses à venir. Et quand victime d’une magouille contractuelle d’Atlantic, Stax perd tout son catalogue, c’est-à-dire la propriété de tous les hits pondus par la family (Sam & Dave, Carla Thomas, Otis, MGs, Eddie Floyd, enfin tout, on imagine l’horreur), Al Bell décide de tout recommencer à zéro, partant du principe que ce qui a été fait une fois peut être refait, et mieux encore : les bloody yankees ont barboté le catalogue, mais pas le plus important, c’est-à-dire les talents. Al Bell décide de frapper un grand coup en faisant paraître 30 albums et trente singles d’un seul coup. Il veut faire de Stax la grosse Bertha de la Soul. Bien vu, Bell. Boom !

    Isaac demande s’il peut refaire un album pour faire partie des 30. Al lui dit of course.

    — Je peux le faire à mon idée ?

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    Al lui donne carte blanche. Et ça donne Hot Buttered Soul, le cœur battant du Memphis Sound, l’un des disques les plus révolutionnaires de tous les temps. Quatre cuts, dont une version longue du fabuleux «By The Time I Get To Phoenix» de Jimmy Webb qui met en scène le génie visionnaire d’Isaac Hayes. Plutôt devrait-on parler de conjonction de deux génies, ceux d’Isaac et de Jimmy Webb. C’est d’une beauté qui pourrait échapper au langage. On y entend vraiment battre un cœur, un pendulaire extraordinaire et profond, d’où le vibrant du coffret - And she’ll probably stop at lunch just to give her/ her sweet good thing a call - L’histoire se déroule comme une splendeur visionnaire, Isaac y malaxe à merveille l’axe mélodique de mama-mama, il tient dans le chaud de sa voix toute l’Americana d’anticipation, il chante au sommet du groove le plus charnel qui soit et replonge à plusieurs reprises dans le pathos océanique de Jimmy Webb - I hate to leave you, baby/ Yes I do - et c’est d’une telle puissance que l’envoûtement dure encore. Il dure depuis bientôt cinquante ans. On écoutait et on ré-écoutait alors cette version jusqu’à la nausée. Elle produit aujourd’hui sur les sens le même effet de stupéfaction et d’émerveillement combinés. Isaac raconte que quand il entendit Phoenix pour la première fois, ce fut bien sûr la version de Glen Campbell et il se dit : «God, comme cet homme devait aimer cette femme !» En transposant ce désespoir dans sa vision du monde, Isaac atteignait à l’universalité.

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    Les quatre disks sont thématiques : le disk 1 compile des choses du Soul Songwriter, le disk 2 les grands singles Volt et Enterprise (sous-marques de Stax) et le disk 3 des reprises. Le disk 4 s’appelle Jam Masters, et curieusement, on passe a travers. Par contre, les trois autres disks se présentent comme des tables de festin royal. Rien qu’à lire les menus, on bave à grands filets. Sur le disk 1 (Soul Songwriter), on tombe très vite sur «Candy» des Astors, co-écrit avec Steve Cropper, une vraie pépite de good time music, gee whiz, les Astors swinguent leur petite pop magique. Ça flirte avec Motown mais ça reste raw dans le son. On repère ensuite très vite la présence de l’immense Johnnie Taylor, celui qui remplaça Sam Cooke dans les Soul Stirrers. Il tape dans le heavy blues avec «I Had A Dream» et rêve que sa baby l’a quitté, tout ça dans une apothéose de chœurs de cuivres. Isaac signe les arrangements. Et pouf, voilà Sam & Dave et leur fameux «Hold On I’m Coming», un hit d’origine triviale, puisque David Porter était parti chier un coup en pleine session et comme Isaac s’impatientait, David lui répondait ça du fond des gogues : Hold on I’m coming ! Comme quoi, parfois la vie...

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    On reste dans les choses très sérieuses avec Mable John, la grande sœur de Little Willie John, descendue à Memphis redémarrer sa carrière après avoir été l’assistante personnelle de Berry Gordy à Detroit. Isaac et David lui ont écrit «Your Good Thing» et Mable s’impose par une fabuleuse présence. C’est l’une des très grandes Soul Sisters d’Amérique. Avec elle Isaac fait du sur-mesure, on a là une compo démente enracinée dans un jazz de cuivres et d’une rare beauté. Avec Carla Thomas, c’est un peu plus compliqué. Elle chante trop sucré, trop Motown et souvent des balladifs insipides. Et pourtant, «B A B Y» sonne comme un vieux jerk de juke - I love to call you baby - On a tous dansé là-dessus au casino de Saint-Valéry ou d’ailleurs.

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    Avec William Bell, on passe à ce qu’il faut bien appeler l’aristocratie de la Soul. William Bell est l’un des piliers de l’early Stax et son «Never Like This Before» n’a jamais pris une seule ride, depuis cinquante ans. C’est un pur Staxy romp, soutenu par les vaillants MGs et notamment un wild drive de Duck. C’est lui qui emporte ce cut au firmament de la Soul. Et puis tout à coup, on tombe sur un single de Charlie Rich, et quel single, baby, puisqu’il s’agit de «When Something Is Wrong With My Baby». On peut bien parler de présence indéniable. Ce mec créait alors de la magie. Il arrivait même à nous faire bouffer de la country. Il transforme ce balladif staxy en pure merveille. On peut dire la même chose du B-side, «Love Is After Me», gros shoot de r’n’b enregistré chez Hi, le concurrent de Stax. Ce disk 1 n’en finit plus de vomir ses énormités, ça repart de plus belle avec cette bouffeuse de son qu’est Judy Clay («You Can’t Run Away From Your Heart»), suivi du «Soul Man» de Sam & Dave, the epitom of Soul. S’ensuivent les Charmels et leur groove énorme digne de Burt («As Long As I’ve Got You»). Encore une solide rasade de Sam & Dave avec cet «I Thank You» incroyablement excédé qui nous amène à l’apothéose du Stax Sound System, c’est à la fois intolérable et indomptable, raw as hell - But you did -

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    Qui se souvient du grand Billy Eckstine, ce Soul Brother qui chantait avec tellement d’autorité ? Ce disk 1 s’achève avec deux bombes qui retombent un peu à plat, vu tout ce qui précède, mais c’est pas grave, on peut quand même les écouter : le «Can’t See You When I Want To» de David Porter et l’effarant «Show Me How» des Emotions. David se répand, dans son cut. Voilà un slowah staxé jusqu’à l’os. Ce diable de David chante jusqu’au bout du bout, mais de façon excessivement inspirée - Cos your loving is so good to me - Il adore la baiser, évidemment. Il exprime l’amour d’une bite noire pour un petit pussy black et c’est très beau, en tous les cas, bien plus beau que les histoires de cul racontées par nos vieux chanteurs de variétés. Oh et puis les Emotions ! Ils se livrent à l’exercice d’une groove d’underworld d’une sensualité ineffable, comme sous-cutanée. Isaac s’associe avec la pulpe du génie sensuel de la blackitude, et même du sexe d’undergut et soudain ça explose de manière orgasmique. Pur jus d’Isaac. Tu ne trouveras jamais ça ailleurs. Inutile de chercher.

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    Normalement, quand on sort du disk 1, on est sevré pour un bon mois. Le temps de digérer, les réécoutes et accessoirement, les retours à certains des disques pointés par cette compile, comme par exemple l’indispensable Mable John paru chez Ace. Ou encore, les premiers albums de William Bell sur Stax. Mais bon attention, avec ces gens-là, on n’en finirait plus.

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    Le disk 2 est entièrement centré sur Isaac. Même si on connaît bien ses albums, on écoute cette compile avec un plaisir non feint. Car tout est bien. Isaac fait partie des grands irréprochables de l’histoire de l’humanité. Passé l’extase de Phoenix, on entre dans le lagon d’une œuvre. On peut le voir jouer avec le groove dans «The Mistletoe & Me», comme un géant du Péloponèse, barbe et crâne rasé. Il va chercher des choses extrêmement sophistiquées, il orchestre sa pop outrance, se croit à Broadway et impose sa présence. On se prosterne jusqu’à terre devant «I Stand Accused», il s’y adonne au nec plus ultra de la rêverie intercontinentale, telle qu’elle apparaît parfois dans certains films de Claude Lelouch, il shoote sa Soul à l’emphase de la démesure, il est à la fois loin et près, on sent son haleine chaude dans le cou, quelque chose d’infiniment spirituel se dégage de son art. Il tape dans Burt avec «The Look Of Love» et on réalise un peu mieux à quel point on entre dans un monde artistique vraiment sérieux. Plus rien à voir avec la petite pop. Même quand il fait de la diskö avec «You Can Say Goodbye», Isaac secoue ses chaînes en or et fait rouler ses muscles sous une peau luisante. Il règne sur la terre comme au ciel, il groove la diskö comme s’il enfilait une pouliche, il staxe le son et chante d’une voix rauque, purement sexuelle, c’est bardé d’émois vocaux et de chaleur humaine, il ultra-chante, il peut grimper là-haut comme Dion, Dionne et d’autres. Et quand arrive le fameux «Theme From Shaft», la fascination qu’il exerce monte encore d’un cran, comme si c’était possible. Comme avec Phoenix, il instaure l’intemporalité - Who’s the black guy - Nous voilà au cœur du Soul System, pas loin de Sly et de James Brown, parmi les géants de cette terre.

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    En général, on décroche après Shaft. Il est humainement impossible d’écouter 22 titres d’Isaac à la suite. C’est à la fois trop dense et trop qualitatif. Ce genre de compile peut assommer un bœuf. D’autant que ça repart de plus belle avec «Do Your Thing», groové par les Bar-Kays. Black is beautiful et grosses nappes de cuivres. Imbattable. Isaac bat tous les records de groovytude avec «Let’s Stay Together» et se paye une bonne tranche de r’n’b avec son pote David dans «Ain’t That Loving You». On les sent capables tous les deux d’éclater la gueule du firmament, rien que pour rigoler. Il nous embarque plus loin dans un groove qu’il faut bien qualifier de magique intitulé «Rolling Down A Mountainside». Forcément, depuis Phoenix, on reste à l’affût. Saura-t-il recréer le même émoi ? Oui, il devient l’espace d’un cut le génie du mountainside. Il ramène les horizons de Phoenix - And I’ll be alrite/ Yeah - Il porte son art au loin, à la syllabe pulsative et nous plonge dans le génie d’un groove harassant, celui du all nite long. Isaac n’en finit plus de faire bander sa Soul.

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    Et voilà «Joy» qui donne son titre à l’album du même nom, comme taillé dans la matière du groove. Il semble qu’une fenêtre s’ouvre sur son monde et qu’il nous y invite. C’est le triomphe du groove. Pas de meilleure manière de qualifier l’art suprême d’Isaac. Il enchaîne avec l’extraordinaire «Wonderful», you-you-you, il n’en finit plus de sécréter de la magie noire, alors ça devient de plus en plus fascinant, son «Wonderful» prend des allures de hit bombastique, mais à dimension universelle. Il nous instrumente ça à gogo, bien sûr. Tout cela finit par devenir définitivement déterminant, une sort d’art total qui s’auto-détermine, it’s wonderful, Isaac fait danser son propre mythe. On se demande si les Beatles sont allés jusque là. Une dernière merveille avec «Someone Made You For Me», une sorte de slowah extravagant de qualité, mais une qualité qui devient intrinsèque, vois-tu, comme filigranée dans la matière du son. C’est un slowah parfait, une sorte de vison unique du romantisme. Isaac se retrouve à la fois seul au monde et immensément puissant.

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    Dans le coffret, Sam Moore lui rend un hommage terrible en affirmant qu’Isaac fut son gourou et qu’il inventa le Memphis Soul Sound. Sam dit lui devoir tout. Sam dit qu’Isaac montrait tout aux musiciens, à Steve Cropper, aux Memphis Horns, il leur chantait les arrangements, tu-lu-lu-tu-tu et les autres lui obéissaient au doigt et à l’œil, fiers de travailler avec un génie pareil. Comme Sam et Isaac avaient le même surnom, Bubba, Isaac rebaptisa Sam Blessed, c’est-à-dire béni, puis à l’usage ça devient Bless. Sam dit avoir aujourd’hui 81 ans et I truly am blessed, oui il se croit vraiment béni de Dieu, comme le voulait son mentor Isaac. Il ajoute les larmes aux yeux que Bubba lui manque et il espère que tous ceux qui vont acheter ce coffret commémoratif vont découvrir the brillance and the genius of Isaac Lee Hayes.

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    Des trois disks, le 3 est certainement le plus fascinant. Sa version du «Walk On By» de Burt n’a pas pris une seule ride depuis sa parution en 1969, voici presque cinquante ans. Isaac travaille la matière de la Soul comme l’aurait fait Rodin, c’est quelque chose de très physique qui relève du corps à corps conceptuel. On entend une fois de plus battre le cœur de Stax, très lentement, comme dans Phoenix - If you ever see me walking down the street/ Walk on by - On a là douze minutes de groove magique et de peau noire, porté par des Bar-Kays qui jouent le plus heavy des beats de Stax. Isaac avait tout compris. Il serre la mélodie contre sa poitrine, il l’étreint et la magnifie, il l’humanise et l’universalise - Goodbye/ So please/ Walk on by - On est chez Stax et la Soul brille comme le soleil de l’Égypte ancienne. Il reste chez Burt avec «I Don’t Know What To Do With Myself». Isaac prend Burt dans ses bras et l’embarque dans son univers d’humanité profonde, in the depth of Stax, c’est-à-dire les profondeurs de l’âme noire. Isaac le sauveur sauve la Soul mais aussi Burt qui n’a pas besoin d’être sauvé. Pourtant, ce géant exceptionnel s’intéresse à lui, alors faut-il voir ça comme un signe ? Et ta mélodie, Burt, ne semble-t-elle pas jaillir du buisson ardent ? Isaac tape ensuite dans le mirifique «Man’s Temptation» de Curtis Mayfield. Ça staxe en profondeur et ça prend vite une ampleur sidérante. Nous voilà chez Stax au temps d’Isaac, c’est chargé de son, de chœurs et d’or du temps. C’est chargé de magie et Isaac sublime encore les choses à coups d’octaves mercuriales, il flaubertise son gumbo et sodomise Salambô sous des cascades de diamants soniques. Isaac se bat dans la cage de la beauté pure et arrache ses chaînes en or. Tout aussi exceptionnel voici «The Ten Commandments Of Love». Il entre dans la vulve du groove comme dans du beurre. C’est exactement l’image que renvoie la sensualité du groove et le voilà parti pour limer à longueur d’heures. On monte encore d’un cran dans l’extatique avec une version explosive de «Stormy Monday», ultime hommage à T-Bone Walker. Il chante à l’éclatement des chaînes de l’esclavage, il explose le concept du blues, l’esclave libéré resplendit dans l’éclat des accords de cuivres. C’est admirable d’élévation. Il fait monter le big-band dans l’éclat de sa blackitude. C’est là qu’on réalise pleinement à quel point la musique appartient aux blacks, car aucun blanc ne peut chanter comme Isaac, c’est-à-dire à bras le corps. Si on veut encore se payer un petit coup d’extase vite fait, alors voilà «If Loving You Is Wrong». Isaac sait dérailler quand il faut. Il bouscule sa Soul comme on bouscule la gueuse au printemps, il laisse tomber une chape sur le blues et son timbre de feuleur léonin couronne la cérémonie. Dans un final éblouissant, Isaac emmène son peuple hors d’Égypte.

    Signé : Cazengler, l’Isac à main

    Isaac Hayes. The Spirit Of Memphis. Box Craft Recordings 2017

    29 / 09 /2018 / TROYES

    BOP ROCKABILLY PARTY 5

    CACTUS CANDIES / EDDIE AND THE HEAD – STARTS

    JAKE CALYPSO AND HIS RED HOT

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    La guerre de Troyes a bien eu lieu. Pas plus tard que hier soir. Puisqu'il faut le nom du coupable je vous le refile : Billy. Un récidiviste. Cinquième fois qu'il remet le couvert. Avec expo de voitures et divers stands d'automne toute l'après-midi. Et puis le soir, concert trois groupes. Réussit son coup à chaque fois, le Billy. Vous transbahute la programmation, la mairie s'exécute, et le peuple du rock exulte.

    CACTUS CANDIES

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    Plung ! Plong ! Pling ! Sont trois mais l'on n'entend qu'elle. Une vieille Kay – OK, l'a dû s'en amarrer des bateaux sur son quai - un peu délabrée, genre j'ai passé douze ans dans la grange avec les termites qui m'ont rangé la couenne du dos mais je sonnerai à merveille le glas de votre enterrement, Max Genouel est à ses côtés, lui tire sur les cordes comme l'on tire sur son précepteur entre les deux yeux, sûr de ne pas le rater, la upright chante haut, vous perce les furoncles de l'âme un par un et vous aimez ses clous de bronze enflammés qui vous embrasent le sang encore plus violemment que l'extase sexuelle. Normalement vous n'avez plus besoin de rien, vous avez atteint à une plénitude musicale qui se suffit à elle-même. Mais de l'autre côté de la scène l'on a décidé de doubler la mise. Hillbilly de mes deux ! Les ploucs marchent toujours par deux, et Jull à la guitare conduit la charrue à double-soc. Commence par trois notes graves et mûres qui ronronnent à la manière des épis d'or que la brise berce voluptueusement, et ses doigts remontent le manche, z'avez l'impression qu'il étrangle des poulets, et leurs corps palpitent un instant dans la lumière du soleil, mais il est déjà redescendu dans la cave sombre des largeurs sonores. Un sacré guitariste, note par note, mais chacune à elle seule contient le monde en elle-même, plus une petite portion de vos rêves personnels. Les boys sont au top. Un régal. Deux, mais abattent le boulot de quinze. Mais que serait-il sans la fermière ! Les mains nues dans sa robe à ramages. Lui suffit qu'elle ouvre la bouche pour que les deux autres disparaissent, que vous oubliez qu'ils existent – c'est terriblement injuste car c'est eux qui emplissent la grange de richesses agrestes – Lil'lOu Horneker se joue de leurs bienfaits, sa voix cabriole, un poulain fou qui saute les barrières et galope dans les prés de luzerne, mais un pur-sang que rien n'effraie, une facilité déconcertante, à l'aise partout, les boys s'y mettent, Jull vous chante trois morceaux la voix encore plus nasillarde qu'un péquenot du South, et Max nous pousse une goualante à la Johnny Cash, le timbre encore plus sépulcral qu'un cimetière abandonné, mais Lil'lOu claironne plus fort qu'un micro de rodéo, chantonne plus doux qu'une ondée printanière, se moque de vous à la manière d'une lanière de fouet, et vous laisse sur votre faim, à tel point qu'entre les quinze secondes qui séparent deux morceaux, vous vous demandez comment elle pourra encore vous surprendre et vous séduire. Un rêve qui devient réalité à chaque fois.

    Sans concession. Les Cactus Candies se contentent d'un maigre territoire. A cheval dans l'entre-deux du hillbilly et du rockabilly. Lâchent les Appalaches pour mieux s'agripper aux collines. Tiennent la salle en haleine. Repoussent sans arrêt l'horizon des grandes plaines. Honky Tanks qui foncent et Honky Tonk qui plante la tente. Toutefois sont des sédentaires. Ils ont le country rural, de la même manière que l'on avait le blues dans le Delta. Trichent un peu, car aux instruments vous avez deux cadors aux doigts d'or, savent tricoter et encore plus fricoter ensemble, faut voir, l'on dirait qu'ils s'écrivent des lettres, tu me fais ça et moi je te fais ci, se donnent le temps de se répondre, ils aèrent, laissent du champ, à chaque note le temps de résonner car ils savent que c'est la meilleure manière de vous faire déraisonner. Et Lil'lOu crie au loup, de délicieux frissons vous parcourent la moelle épinière... Ont tenu l'auditoire en haleine, saluent sous une nuée d'applaudissements.

    EDDIE AND THE HEAD-STARTS

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    Même formule. Trio de choc. Contrebasse à droite. La même que celle qui servit aux Cactus Candies. Guitare à notre gauche. Eddie au milieu. Guitare rythmique sur le cœur, œil de velours, allure de caballero, sourire sur les lèvres. Méfiez-vous, commencent tout doux. A pas de puma des Rocky Mountains. Le rythme est comme en dessous. Un feu souterrain qui brûle mais qui ne fume pas. L'air de rien, ça cavale sec, mais ils sont encore dans la retenue, dans l'orthodoxie de ce qui se fait quand on veut s'amuser, sans délirer. Des charmeurs, promettent même de vous faire des bisous si vous achetez leurs disques. Des facétieux à l'air sérieux. Et patatrac, tout se détraque. Eddie commence par taper du talon, comme s'il écrasait un nid de serpents à sonnettes et rien ne va plus. En fait tout va très bien. D'une seconde à l'autre la guitare de Stéphane sonne différemment, il y a deux minutes elle était comme une guitare qui se respecte, sage comme une image, vous ourlait les licks sans un pli, comme Tante Agathe qui repasse vos chemises, brutalement la folie des grandeurs, sans avertissement se met à chanter comme un stradivarius, un orchestre symphonique à elle toute seule, c'est beau comme du Tchaikovsky, vous en met plein les oreilles, une mer infinie miroitante, en plus elle prend de la vitesse, le rythme s'accélère, à la contrebasse Thibaut vous cloue des étoiles dans le ciel, et Eddie s'envole, la voix qui monte et les pieds qui martèlent le sol, I Could Say, I wana Make Love, Speed Limit, la salle prend feu, le plancher brûle, et l'incendie des Head-Starts ravage tout ce qui bouge. Z'ont le rockab qui happe tout ce qui se risque à leur portée, la baleine blanche fonce sur vous, et vous admirez sa force, sa puissance, sa rapidité. Vous la suivriez en enfer et même plus loin encore. Cette voix d'Eddie, du piment enrobé de sucre, délectable et empoisonnée. Vous rend addict à la première bouchée, vous tue à la deuxième et vous ressuscite à la troisième. Un set qui passe trop vite. L'on aimerait arrêter le film, mais non sont pressés, vous emportent avec eux et quand c'est fini, que vous avez eu votre rappel, vous en auriez repris pour une heure de plus, mais non, vous êtes obligés de vous dire que la vie est trop longue et injuste. Une seule certitude consolatrice, tout l'auditoire pense comme vous.

    JAKE CALYPSO AND HIS RED HOT

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    Eddie and the Head-Starts ont salement échauffé les esprits, ambiance chaud-brûlant dès que le Red Hot prend la relève. Clameur et ferveur. Loison ne sort pas de l'oeuf, sait évaluer une ambiance au premier pas sur la scène. Lève les yeux au ciel et déclare que dans cette église il est temps que s'élève la folle et gospelle prière du rockabilly, celle qui serpente dans l'entremêlement de ses racines les plus noires, «  Oh ! Lord ! » hurle-t-il, la salle rugit férocement certaine que l'on ne marche pas sur la queue du serpent du blues impunément, et nous voici au milieu des bayous en train de nourrir les alligators affamés.

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    Le set commence par là où il finit habituellement. Dans la folie chaotique. Tout, tout de suite, et en même temps. Le Red Hot entre en incandescence à l'instant, Christophe Gillet n'est plus Christophe Gillet, l'est un somnambule qui dans une autre vie s'est appelé Christophe Gillet, n'est plus qu'un zombie en apnée qui passe les riffs à la vitesse de la lumière, de l'autre côté de la scène Guillaume Durrieux n'a pas plus de liberté, slappe sur sa basse spasmodiquement,

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    blanc comme un linceul, en insuffisance respiratoire avancée, sont partis pour un marathon, préfèreraient crever sur place que ralentir le tempo une demi-seconde, derrière Thierry Sellier bouscule ses battements, vous vide un tombereau de toms sur les pieds, puis immobilise tout, prend le temps de figer le désastre, ce quart de seconde qui sue l'angoisse entre deux catastrophes soniques,

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    et le monde s'écroule autour de vous, Jake n'est plus avec nous, l'est quelque part ailleurs, dans un tripot ou un clandé de la Nouvelle Orléans, retenu prisonnier volontaire en une bamboula vaudouïque, se nourrit de notre énergie, pour mieux nous la renvoyer.

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    Il chante, mais parfois la bête pousse son groin au travers de son gosier. Les filles sont devant la scène et couinent de plaisir à cet appel animal. L'a sorti son harmonica et nous déchire un blues en miettes. Tape du pied pour implorer l'esprit, et tout le monde hurle, à sa suite, dans un capharnaüm invraisemblable, et Dieu en personne descend sur scène. Même que sa Sainteté se saisit du micro solitaire, le fait tomber de son pied, et l'on entend distinctement qu'il reproduit, pour signaler sa présence spirituelle, exactement le même rythme que vient de marquer le talon calypséen. La salle hulule de joie, et à partir de ce moment-là, ce sont les chiens de la chienlit qui s'emparent des consciences. Car si la loi est la loi, les loas sont les loas.

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    Hervé entre en éruption, saute partout, se colle à Christophe, frères siamois accrochés à leur guitare, Guillaume extatique se plante devant la scène, sommes plusieurs à tambouriner sur sa big mama, Calypso aimerait bien fracasser sa guitare, mais il se retient, de dépit il jettera son harmonica en l'air, lui marchera ( exprès ) dessus lorsqu'il retombe, se roule par terre, rampe sur le dos, se jette la tête en avant sur le ciment de la salle, se relève d'un magnifique roulé-arrière sur scène, s'en va se perdre dans la foule avec l'harmo récupéré, on hurle et on trépigne tous ensemble, autour de lui, le blues n'est à l'origine qu'un cri de reconnaissance qui attend sa réponse, jeu de howler festif, sans fin.

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    A son invite une quinzaine de filles sont montées sur scène, s'empressent autour de lui, paradent toute fières, lascivement, le caressent, le tapotent, lui rentrent sa chemise dans son pantalon, vous le bichonnent comme un coq en pâte, l'en faudrait peu pour qu'elles le déchirent tel un moderne Orphée rockabillyen...

    , Gene Vincent + Mick Farren, Dale hawkins, The Cactus Candies, Eddie and the Head-Starts, Jake C

    Leur échappe de justesse, s'envole et se promène à bout de bras au travers de la foule, revient faire le poirier devant la grosse caisse et puis contre le cordier de la big mama qui s'aplatit comme crêpe dans la poêle à frire, lorsque Guillaume aura tant bien que mal réparé les dégâts, Jake tentera à nouveau l'aventure mais Damien enroule sa contrebasse autour de lui tel un torero qui se dérobe dans une véronique diabolique, transe totale, cinquante fois le Red Hot sonnera le final apocalyptique de la fin du set et cinquante fois Hervé reviendra à l'assaut, le chant collé à l'harmonica comme la bave aux lèvres des épileptiques... Il paraît que le set a pris fin, mais peut-être continue-t-il sans fin en une autre dimension.

    , Gene Vincent + Mick Farren, Dale hawkins, The Cactus Candies, Eddie and the Head-Starts, Jake C

    Damie Chad.

    ( Photos : FB : NATHALIE GUNDALL / ERIC DUCHENE )

     

    THE CLASH

    LE BRUIT ET LA FUREUR

    STEPHANE LETOURNEUR

    ( OSLO Editions / 2012 )

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    Précisons-le, je ne suis pas un fan du Clash, je leur ai toujours préféré les Sex Pistols, que voulez-vous en France on a l'esprit dichotomique qui fonctionne un peu, non sur le principe du tiers inclus, mais sur celui beaucoup plus rudimentaire du binaire exclu : exemple : si vous aimez les Rolling Stones vous ne pouvez pas apprécier les Beatles, procédé fortement revendicativement identitaire mais un tantinet schismatique, dans les années soixante en notre doux pays il exista une guerre froide, parfois à crans d'arrêt tirés, entre les partisans de Johnny Hallyday et ceux d'Eddy Mitchell... une fois ceci posé je suis au regret d'apprendre aux amateurs du Clash que ce livre ne leur apportera rien mais que par contre, les natifs des dernières couvées entrant dans l'âge de fer pubère le liront avec intérêt.

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    Simple, clair, rapide, un petit chapitre ( très court ) sur le premier concert des Pistols, immédiatement suivis de quatre autres consacrés dans l'ordre à Mick Jones, Paul Simonon, Nicky Headon, Joe Strummer, assez bien faits, quatre parcours d'adolescents dans le Londres du début des années 70, l'analyse de quatre personnalités divergentes qui explique en partie les causes qui huit années plus tard présideront à l'éclatement du groupe en voie de convergence, une espèce de point focal du prochain futur inconnu ( le lecteur averti remarquera en l'expression précédente une espèce d'abstraction du concept du no future punk ).

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    Les trois chapitres suivants s'attardent sur la constitution du groupe, les répétitions, l'importance du manager Bernie Rhodes – ancien bras droit de Malcolm McLaren décidé à jouer sa propre carte – et la mise en place des fondamentaux idéologiques et musicaux du groupe. Révolte et culture noire en seront les deux tétines nourricières. Prédomine d'abord la dénonciation des coercitions sociétales et policières qui a pour conséquence la furieuse envie de kickouter la fourmilière de ce monde injuste, mais à cette exigence punk de refléter par un rock primaire et sans concession la laideur et la violence des conditions existentielles imposées par le système sera amalgamée l'espèce de philosophique indolence revendicative des musiques jamaïcaines des quartiers noirs de Londres, une sorte de blues à contretemps qui privilégie le mou au détriment du dur, la neige par rapport à la grêle – goûtez cette métaphore hivernale pour une musique tropicale - une radicalité qui préfère l'insinuation à la confrontation. L'on n'attaque pas la pierre à coups d'explosifs, ce sont les infiltrations d'eau dans les fissures naturelles qui la feront éclater lorsqu'elle se transformera en glace.

    Retour sur les Sex Pistols qui disent des gros mots à la télévision. Débute l'inénarrable épisode de l'Anarchy In the UK Tour – l'on y retrouve Johnny Thunders And The Heartbreakers - les municipalités outrées qui interdisent dix-huit des vingt-cinq concerts, un public pas toujours aussi déchaîné que la légende se plaît à le raconter, la tension qui couve au sein des Pistols qui virent Matlock et font entrer Sid Vicious... en quelques mots au milieu de ce capharnaüm, les Clash paraissent le groupe le plus stable...

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    The Clash sera le titre éponyme de leur premier album ( 1977 ), en vendront cent mille en import aux States, et flirteront avec le top ten des ventes in the Royal England. Le disque est bien reçu par la critique, la mécanique du succès se met en place. Mais lentement. Si la tournée White Riot qui suit est une réussite, le groupe n'a pas atteint sa stabilité économique, il a tenu à ce que le prix des places et des disques ne soient pas élevés et le contrat en trompe-l'œil de CBS, les obligera à une fuite en avant sempiternelle.

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    Give 'en Enough Rope, deuxième album ( 1978 ), cornaqué par Sandy Pearlman du Blue Öyster Cult qui parvient à préserver la rudesse de leur style tout en lui donnant un son plus ample aura en un premier temps moins de succès, les paroles se détachent des oripeaux gratuit de la violence punk mais les prestations scéniques qui gagnent en savoir-faire et en intensité coagulera une solide base de fans.

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    1979 sera l'année faste : le Pearl Harbour Tour sera leur conquête de l'Amérique. Leur triomphe est à mettre en regard avec le split des Sex Pistols qui s'y cassèrent les dents... Mais l'Histoire retiendra surtout la sortie de London Calling, un double album – vendu au prix d'un – qui restera leur titre de gloire. La pochette imitée d'Elvis Presley, le jungle-rythme d'Hateful emprunté à Bo Diddley - qui fit leurs premières partie aux USA – la reprise de Brand New Cadillac de Vince Taylor, est une manière d'afficher sans équivoque une filiation rock, l'aspect politique n'est pas marginalisé, Spanish Bomb évoque la Guerre d'Espagne au travers de la figure de Federico Garcia Lorca, et certains morceaux comme Wrong 'em Boyo présentent une obédience ska indiscutable...

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    Sandinista ! paraît en 1980. Ce triple album ( vendu au prix de deux ) équivaut au double-blanc de la discographie des Beatles. Un aspect fourre-tout, un parti-pris expérimental, une envie de suivre son inspiration sans vouloir faire du Clash à tout prix, chacun des membres y apporte ses petites pierres... mais l'on y trouve pas vraiment de diamants qui fassent la différence.

    Le double-blanc s'avèrera être le chant du cygne des Beatles – pour ma part je juge l'animal salement enroué... Sandinista ! qui se vend mal précipitera les tensions au sein du groupe, fatigues dues aux tournées incessantes pour combler les déficits, la dope n'a pas manqué, et les contradictions autour desquelles le groupe s'était culturellement et musicalement soudés deviennent de plus en plus déstructurantes, le succès gonfle l'affirmation des égos...

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    L'enregistrement du dernier album s'avèrera difficile. Glyn Jones qui a officié auprès des Stones de la grande période est appelé au secours, son intervention sauvera Combat Rock ( 1982 ) qui sera la meilleure vente du combo, mais c'est trop tard, après sa participation au US Festival organisé par Apple le groupe se désagrège...

    Rassurez-vous, le rock n'en est pas mort pour autant !

    Damie Chad.

    THE CLASH

    LA PUNK ATTITUDE

    NICK JOHNSTONE

    ( 2008 / Talents Publishing )

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    On prend les mêmes et on recommence ! Soyons juste, c'est ce bouquin-ci qui a dû servir de base de données pour le précédent. Le sous-titre est assez putassier, mais le livre est plus intéressant. Un format légèrement plus grand – c'est mieux pour les photos – mais à part les vingt premières pages d'introduction qui retracent l'ensemble de la carrière du groupe, le principe adopté pour les cent trente suivantes se révèle plus émotionnant. Chaque chapitre donne la parole aux protagonistes de la thématique traitée, une mosaïque de mini-témoignages tirés d'interviews accordées à différents médias, que ce soit durant l'épopée elle-même ou plus de vingt ans après, donnent l'impression d'être au cœur des évènements. Nos clashistes ne tirent pas la couverture à eux et ne cherchent pas à faire porter le chapeau au(x) copain(s), sont assez conscients de ce qui leur est arrivé. Ne sont pas dupes de leurs dérives. Ont commencé en groupe à clashs politiques de militants punks imbus de principes éthiques et ont fini par devenir par la force logique des nécessités un groupe à cash soumis aux impératifs financiers. Pas très longtemps, car ils se sont séparés avant que rien ne puisse plus arrêter la mécanique infernale. Strummer et Simonon avouent sans gêne que leur complicité s'est transformée peu à peu en compétition. Se la sont d'abord joués solidaires et puis solitaires. Le melon qui gonfle comme l'on dit à Cavaillon... Ensuite leur a fallu apprendre à vivre comme tout le monde, ont refusé d'être des hasbeens mais n'ont plus connu ce qu'ils avaient été. Plus difficile pour Strummer qui pour de sombres questions de contrats avec EPIC est resté sans pouvoir travailler dans la musique pendant onze ans. Se défend de toute amertume, prend la chose en philosophe. C'est du moins ce qu'il dit. Dans sa caboche je ne pense pas, on peut lire entre les mots que ce fut plus pénible qu'il ne s'en défend. Se sont réconciliés, et ont trouvé cela intelligent et humain... Mick Jones a fondé un autre groupe, Strummer est mort d'un arrêt cardiaque à cinquante ans, Paul Simonon est revenu à sa première passion : la peinture. Une autre vie, une autre mort...

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    Certes Clash a généré des milliers de groupes, l'on peut toutefois s'interroger sur les bienfaits de la généalogie lorsque U2 se réclame de votre héritage... Le punk hardcore n'aurait-il pas tiré de meilleures leçons de leur trajectoire... Maintenant se pose l'angoissante question : vaut-il mieux finir comme le Clash ou comme les Rolling Stones, trois petits tours et s'en vont à la trappe, ou la longue durée ? Pathos dans les deux cas ? Je vous laisse répondre à votre guise. Tous les chemins du monde ne mènent-ils pas au rock'n'roll !

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    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    FEUILLETON HEBDOMADAIRE

    ( … le lecteur y découvrira les héros des précédentes Chroniques Vulveuses

    prêts à tout afin d'assurer la survie du rock'n'roll

    en butte à de sombres menaces... )

    EPISODE 2 : L'EPOPEE FUNEBRE

    ( Vivace Vivace )

    , Gene Vincent + Mick Farren, Dale hawkins, The Cactus Candies, Eddie and the Head-Starts, Jacke Calypso and his Red Hot, The Clash,Rockambolesque 2,Isaac Hayes,

    Je n'ai même pas eu le temps de réveiller Cruchette que le Chef entrait, un paquet de croissants chauds à la main, le visage épanoui du sourire le plus jovial que je ne lui avais jamais vu arborer.

      • Debout là-dedans, bande de fainéants ! Oui Molossa tu peux manger la part de ton maître, je suis sûr que les nouvelles lui couperont l'appétit ! Agent Chad, je devrais vous limoger, chère Cruchette veuillez expliquer à notre cher collègue comment nous avons retrouvé sa trace !

      • C'est vous Chef qui avez préféré le prendre en filature depuis devant son domicile et non depuis Chez Popol, même que vous avez dit '' Avec cet olibrius, il vaut mieux se méfier''.

      • Bref, nous vous avons suivi du début à la fin de vos pérégrinations, nous avons toutefois momentanément suspendu notre action lorsque vous vous êtes arrêté avec votre espèce d'auto-stoppeuse sous le couvert de frondaisons touffues. Je ne tenais pas à ce que l'innocence de Cruchette soit pervertie par la désolante vision de vos agissements virilistes, je parierais douze boîtes de Coronados que selon vos déplorables habitudes vous lui glissâtes votre paluche dans la culotte, oseriez-vous prétendre que je me trompe, agent Chad ?

      • Non Chef, mais ce n'est pas ce que vous croyez, je...

      • Et ça, je ne vais pas le croire non plus !

    Et le Chef me lança un paquet de journaux tout frais imprimés, sentant encore l'encre, je n'eus même pas la peine de les ouvrir, la première page me suffisait amplement :

    DERNIERE MINUTE

    CRIME MONSTRUEUX A SAINT-MALO

    C'est en s'assurant que la lumière était bien éteinte dans les toilettes du Centre d'Art Municipal de Saint-Malo, que la concierge Mme Ginette S... avisa étendu sur le carrelage le corps sans vie d'une jeune femme, un couteau planté entre les deux omoplates. Appelé sur les lieux le commissaire Bertulle, eût tôt fait d'identifier la victime : Marie-Odile de Saint-Mirs âgée de 23 ans. Elle tenait encore dans sa main le récépissé de dépôt de l'œuvre qu'elle venait de déposer afin de participer au concours de la Biennale des Arts Conceptuels de Saint-Malo.

    L'enquête ne fait que commencer, mais déjà plusieurs témoins ont spontanément déclaré que lors de son arrivée, alors qu'elle se hâtait de descendre d'un véhicule qui l'avait emmenée, le chauffeur – genre petite frappe de banlieue affublée d'un blouson noir – lui aurait hurlé quelques brèves mais violentes menaces.

    Une édition spéciale du Matin-Malouin consacrée à cette affaire sera disponible dans les kiosques aux alentours de 12 heures.

     

      • Chef, c'est horrible, une si belle fille !

      • Mais non agent Chad, c'est fabuleux, nous ne pouvions pas rêver mieux, ce cadavre tombe à point, le Renard est sorti de son terrier. Pourquoi a-t-il frappé cette cette Marie-Odile, nous ne le savons pas. Mais il nous reste à le découvrir. Racontez-nous ce que vous avez fait hier soir.

      • Euh, rien Chef, Marie-Odile est arrivée à deux heures du matin, nous nous sommes couchés tout de suite, je me suis endormi direct, quand je me suis réveillé c'était Cruchette qui dormait à mes côtés.

      • Normal, nous sommes arrivés à cinq heures, tous les hôtels étaient pleins, vous ronfliez à poings fermés, vous étiez seul avec Molossa, j'ai laissé Cruchette s'étendre à côté de vous et je suis allé fumer quelques Coronados sur la plage...

      • Moi ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi Molossa n'a pas aboyé quand Marie-Odile est partie, s'exclama Cruchette.

      • Remarque pertinente, observa le Chef en tirant un Coronado de sa poche. Agent Chad, interdiction de sortir d'ici jusqu'à nouvel ordre, Cruchette allez acheter un costume à cet ostrogoth, ralliement ici à 12 heures, j'emmènerai l'édition spéciale du Malouin-Malin.

    EMOTION DU MIDI

    L'édition spéciale du Malouin-Matin n'apportait rien de nouveau. A part une déclaration du Président de la République, prononcée d'un ton ému – précisait-on – sur le perron de l'Elysée.

    ''La France, mère des arts, est touchée dans ce qu'elle a de plus profond, une de ses artistes les plus talentueuses, les plus prometteuses, est fauchée dans le printemps de son existence,lâchement assassinée, en tant que Président de la République Française je serai demain matin sur le parvis du Centre Communal d'Art de Saint-Malo, afin de lui rendre un dernier hommage.''

    - Il ne faudra pas rater cet événement décréta Cruchette, ça risque d'être aussi beau que le jubilé de la Reine d'Angleterre.

      • le Service Secret du Rock'n'roll ne saurait rester insensible à un tel drame, opina le Chef, venez Cruchette, une nouvelle robe pour assister à cet hommage me semble indispensable.

    L'INSOUTENABLE CEREMONIE

    '' Oui nous reprenons l'antenne, pour de bien pénibles moments, nos équipes ont travaillé toute la nuit afin que nos caméras vous permettent d'assister à cet hommage national à Marie-Odile de Saint-Mirs, cette jeune artiste ignominieusement assassinée en sa pleine jeunesse, chers télé-spectateurs, à l'instant une note de media-métrie m'apprend que vous êtes plus de vingt-cinq millions à suivre ce douloureux événement, les Malouins eux non plus n'ont pas manqué ce rendez-vous funèbre, près de trois mille personnes se sont tassées sur la petite place devant le Centre Municipal de Saint-Malo, c'est vraiment toute la population de la ville, au premier plan assis auprès de leurs instituteurs à même la chaussée vous remarquez les enfants des écoles, nos charmantes têtes blondes, l'avenir de la nation, et derrière eux c'est tout le peuple de France dans sa diversité qui se presse dans un silence oppressant, tous les âges sont là, nos anciens comme tout à gauche de votre écran cette vieille dame dans sa robe noire qui tient, l'on devine son ultime compagnon de misère, son pauvre chien en laisse d'une main tout en s'appuyant de l'autre sur sa canne blanche, mais la cité a aussi délégué ses équipages de marin-pêcheurs, des hommes rudes et virils, le visage taillé à la serpe par les embruns, admirez au centre de l'écran ce boucanier, une tête de forban, un cigare au bec, et cette larme silencieuse qui coule sur son visage, par contre la jeunesse n'a pas renoncé à sa fantaisie, ce jeune homme, un peu efféminé dans son costume framboise, à moitié caché derrière son immense carton à dessin, un artiste sûrement, mais voici que les portes du Centre s'ouvrent... la foule retient son souffle, apparaît le cercueil de Marie-Odile de Cinq-Mirs porté par quatre agents municipaux, l'on entend les gémissements de la mère soutenue par son mari et les pleurs de ses deux petites sœurs, quel insoutenable spectacle, ô combien je préfèrerais commenté un match de rugby, mais non la dure réalité est là, le directeur et le jury entier du la Biennale d'Art Conceptuel de Saint-Malo déposent religieusement le dernier chef-d'œuvre de Marie-Odile de Saint-Mars sur un piédestal de verre, un oh d'émerveillement s'élève de la foule qui ne peut retenir la déférence de ses applaudissements, le Président de la République entouré de ses agents de protection en profite pour se glisser devant le micro, une chape de chuchotements respectueux s'abat sur l'assistance : '' Mes chers concitoyens, je ne puis retenir mon émotion, et ma colère, votre présence me rassure, vous avez tous compris qu'en s'attaquant lâchement à une des artistes les plus douées de sa génération promise à une gloire nationale c'est à la France que l'on s'en prend. Mais permettez-moi d'abord, au nom de tous les français de m'adresser d'abord à cette famille éplorée, cette maman qui...'' Mais que se passe-t-il, mon dieu, c'est incroyable, le forban de tout à l'heure s'est rué sur le piédestal, il a déjà l'objet en main, c'est la panique, les enfants pleurent et crient partout, la foule s'éparpille dans tous les sens, mais les hommes de mains du président se précipitent sur lui, il jette en avant l'objet, à l'autre bout de la place le jeune homme au costume framboise le récupère, le forban ne se laisse pas faire, en trois prises de jiu-jitsu il se débarrasse de ses assaillants qu'il envoie rouler à terre, l'enfonce son cigare dans l'œil gauche de son dernier adversaire qui n'y voit plus rien et bat pathétiquement l'air de ses bras impuissants, désordre indescriptible, les gens hurlent, courent, se couchent sur le macadam, le forban a rejoint le jeune homme au costume framboise, ils n'iront pas loin, une voiture de gendarmerie leur coupe la route, un gendarme fait feu sur le jeune homme, son carton à dessin est un véritable bouclier de protection anti-balles, il s'agit bien d'un coup minutieusement monté, vraisemblablement de la mouvance islamiste, des citoyens se précipitent sur le président pour lui faire un rempart de leur corps, mais non il se défend, il n'entend pas fuir au moment du danger, il gesticule, il hurle, traite les policiers d'incapables, pris d'une fureur sacrée, il tape à coups de pieds sur le cercueil, un deuxième véhicule de police bouche l'issue, horreur ! les deux terroristes s'emparent de la vieille dame qui essayait de s'enfuir de toute la vitesse de ses maigres jambes, un policier en civil, regardez son brassard, se précipite, mais le chien bondit sur lui et le mord violemment aux couil..euh... au bas du ventre, il s'écroule sur la chaussée, le forban pose un pistolet sur la tempe de la vielle dame, elle est leur otage, ces bandits ne respectent rien, même pas une handicapée, les policiers désemparés reculent, le jeune homme s'installe au volant de la voiture de police la plus proche, le pirate force la vieille dame à monter, ils s'éloignent à toute vitesse, quel tumulte, quelle horreur, quel scandale, mais il me faut rendre l'antenne pour une coupure publicitaire...''

    SOIREE PIZZA

    Nous voici revenus dans notre QG. Dans la cuisine Cruchette enfourne quatre pizzas dans le micro-onde... Elle est enchantée de sa participation au grand-jeu de rôle de Saint-Malo. Le Chef examine le chef-d'œuvre de Marie-Odile, à sa mine de béotien dégoûté et au marteau qu'il tient en main, le lecteur comprendra qu'il ne goûte guère les subtilités de l'art conceptuel. Crac ! Le verre cassé, les feuilles arrachées, il s'empare du bristol bleu, le soupèse rêveusement, allume un Coronado, et glisse une lame de cutter dans l'épaisseur du mince carton, bingo, ce sont bien deux feuilles collées l'une sur l'autre, tenez agent Chad, cette gamine a écrit quelque chose dessus, à l'encre bleu-pâle, déchiffrez-moi ces pattes de mouche illisibles. Je lis non sans quelque mal, je pâlis et d'une voix blanche, j'annonce :

    AU SECOURS ! ROCK'N'ROLL !

      • Enfin nous voici au cœur du problème – le chef aspire longuement une bouffée de son Coronado – il ne m'étonnerait pas que nous ayons sous peu de la visite.

      • A table ! Les pizzas sont prêtes, triomphe Cruchette dans sa cuisine, je les emmène !

    C'est juste à ce moment-là que l'on frappa à la porte.

    ( A suivre )

  • CHRONIQUES DE POURPRE 241 : KR'TNT ! 361 : FAST EDDIE CLARKE / EDDIE AND THE HEAD-STARTS / TOM ROISIN / MICHEL EMBARECK / BOB DYLAN / JOHNNY CASH /DANIEL GIRAUD

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 361

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    15 / 02 / 2018

     

    FAST EDDIE CLARKE

    EDDIE AND THE HEAD-STARTS / TOM ROISIN

    MICHEL EMBARECK / BOB DYLAN / JOHNNY CASH

    DANIEL GIRAUD

     

    Fast Eddie fastes

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    En février 1976, Lemmy décida qu’il y aurait en plus de Larry Wallis un second guitariste dans Motörhead. Alors, Philthy lui présenta l’un de ses potes, Eddie Clarke. Eddie et lui travaillaient ensemble à la rénovation d’une vieille péniche. Une date fut prévue pour l’audition d’Eddie. Il devait juste épauler Larry. Mais Larry prit mal le fait de devoir jouer avec un autre guitariste et il quitta le groupe pour rejoindre les Pink Fairies. Eddie se retrouva dans un trio. Le départ de Larry scia Lemmy qui grommela : «Grumble... Grumble... Le plus drôle de l’histoire, autant que je me souvienne, c’est que c’était l’idée de Larry d’embaucher un second guitariste.»

    Le nouveau trio fonctionnait à merveille. Même s’il s’appelait Fast Eddie, Eddie était le mec tranquille du trio. Il avait de chaque côté de lui deux personnalités agitées, Lemmy et Philthy. S’il avait été aussi incontrôlable que les deux autres, le trio n’aurait certainement pas fait long feu. Par chance, Eddie Clarke connaissait bien la vie de groupe. Il avait commencé à 15 ans. Il fut le guitariste de Zeus, un groupe qui accompagnait l’Américain Curtis Knight. Il avait même composé pour lui, comme on le constate en inspectant la pochette de The Second Coming.

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    Paru en 1974, The Second Coming est un album pour le moins surprenant. Curtis Knight et Zeus ouvrent le bal avec «Zeus» et filent ventre à terre dans la bonne jachère des seventies. Fast Eddie part aussitôt en solo, mais il ne joue pas n’importe quoi, uniquement des solos inflammatoires. Il déblaye tout ! Quelle énergie ! Les petits blancs en marcels qui accompagnent ce diable de Curtis Knight jouent à l’hendrixienne et multiplient les retours de manivelle. La grande force de Curtis Knight a toujours été le son. La fréquentation de Jimi Hendrix a laissé des traces. Avec «Mysterious Lady», Curtis et Zeus passent au heavy garage absolutiste. Par contre, «Road Song» se joue au boogie-rock speed et au solo démonstratif. Ce démon de Curtis Knight fait presque du glam black. Avec «People Places And Things», il n’en finit plus de piétiner les plate-bandes du rock blanc. Il sort son meilleur seventies sound avec «Cloud», groové à la vie à la mort par le déjà immense Fast Eddie. Eh oui, Curtis Knight ne voulait que les meilleurs, alors après Jimi Hendrix, ça ne pouvait être que Fast Eddie. Nouveau festival avec «End Of A Child». Eddie fait pleuvoir de véritables déluges, il allume tout au ciboulot des ciboulettes, il fait la pluie et le beau temps. Encore un joli slab de heavy rock avec «The Confesssion». Pour Fast Eddie, cet album est un champ d’expérimentation. Il fait exactement ce qu’il a envie de faire. On tombe une fois de plus sur un loup : c’est l’album de Fast Eddie Clarke, pas de doute. Le pauvre Curtis Knight sert de caution à tous ces héros que sont Jimi et Eddie. Eddie rôde encore dans le rainbow rock d’«Oh Rainbow» et il donne le coup de grâce avec «The Devil Made Me Do It», un fantastique groove knightien, heavy et funky en diable. Curtis Knight chante ça à l’arrache des clubs miteux. Il y va de bon cœur et Fast Eddie rentre là-dedans comme dans du beurre, alors ça gicle dans tous les coins. Quelle énergie !

    Eddie quitta Zeus pour former Continuous Performance avec Charlie Tumahai, le bassiste de Be-Bop Deluxe, puis Blue Goose. Ces groupes ne durèrent que le temps de premiers albums qui sombrèrent dans l’oubli aussitôt après leur parution. Alors Eddie arrêta de jouer. D’où son job de restaurateur de péniches.

    Eddie Clarke pense que le succès de Motörhead reposait sur la façon dont lui et Lemmy se comprenaient : «Quand j’étais jeune, j’ai vu les Yardbirds, John Mayall, Cream et Jimi Hendrix. Ce sont des groupes qui frappent l’imagination. Je pense que c’est rentré pour une bonne part dans l’alchimie de Motörhead. Lemmy et moi on aimait la même musique, et ça a compté énormément dans le succès du groupe.» Et comme Eddie devait jouer de la rythmique, il ne s’attendait pas à monter aussi vite en grade : «Quand on s’est retrouvés à trois, le son de Lemmy a tout changé. Il jouait sur un ampli Marshall et une Rickenbacker, il foutait les aigus à fond, il coupait les basses, alors tu peux imaginer le son ! C’était plus une guitare rythmique qu’une basse !» Comme Lemmy montait un mur du son avec sa basse, Eddie Clarke avait une latitude considérable pour jouer à la fois en solo et en rythmique, mais c’était tellement nouveau qu’il devait tout reconsidérer. «Quand j’ai commencé à jouer dans Motörhead, j’ai dû me débarrasser de tout ce que je savais. Je devais complètement réapprendre à jouer de la guitare. C’était la même chose pour Phil. Motörhead, c’était comme trois îles à l’intérieur du groupe. Au début, on avait un mal fou à jouer ensemble, à se caler. C’était comme jouer dans un groupe sans basse, alors quand je partais en solo, je me calais sur la grosse caisse, tu vois ce que je veux dire ?»

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    C’est parti ! Motörhead sort sur Chiswick en 1977. Lemmy doit une fière chandelle à Ted Carroll et à Marc Zermati. Le morceau titre ouvre le bal des vampires. C’est du pur jus d’Hawkwind, bien emmené au pumping et Fast Eddie place un solo d’antho à Toto. C’est là, avec ce cut qu’ils fondent le mythe. Mick Farren co-écrit «Lost Johnny» avec Lemmy, un cut solide comme l’enfer et riffé par cette brute infecte de Fast Eddie. On sent au fil des morceaux qu’il déploie des ailes de grand guitariste. En B, il plante un décor de grosse cocote pour un «Keepers On The Road» signé Mick Farren.

    Fast Eddie se marre : «Au départ, c’était juste une question d’attitude. Si t’aimes pas Motörhead, dégage ! On a eu pas mal d’ennuis avec les gens du business. On leur foutait les foies. Ces cons crevaient de trouille. Mais les fans appréciaient notre droiture et se fiaient à notre attitude. On était exactement comme eux. Sans nos fans, on serait allés nulle part. Pour tous les Anglais, les années soixante-dix ont été une sale période. Tous les groupes s’étaient barrés aux États-Unis. En Angleterre, il ne restait plus que les groupes punk et Motörhead. Partout dans le pays, les kids étaient contents d’avoir un groupe auquel ils pouvaient se fier. Heureusement, on s’entendait bien tous les trois.Les problèmes venaient surtout de l’extérieur, mais on tenait bon. Les planètes devaient nous être favorables et on a fini par avoir un peu de chance. Mais c’est toi qui te fabriques ta chance. On se l’est fabriquée en restant groupés tous les trois et en bouffant de la vache maigre. Et tu peux me croire, on en a bouffé.»

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    Et pouf, Bomber tombe du ciel. Voilà certainement l’un des meilleurs albums studio de Motörhead, en tous les cas, il incarne bien l’âge d’or du groupe car on y entend Fast Eddie faire pas mal de ravages. À commencer par «Stone Dead Forever» qui démarre comme le «Love Song» des Damned. Fantastique prestation ! Rien qu’avec ça, Fast Eddie restera l’un des plus grands guitaristes de rock anglais. Les cuts qui font la force de cet album sont les prodigieux heavy-blues de type «Lawman». Difficile de faire mieux dans le genre. «Sweet Revenge» est encore plus heavy, comme si cela était encore possible. Dans Motörhad, on retrouve tout ce qu’on aime : le cacochyme, les grosses guitares de Fast Eddie, la foi et le pâté de foie, le jusqu’au-boutisme des tournées, la pure incarnation du rock’n’roll, la provocation nazillarde, le fun trash, les pipes à la chaîne, le m’as-tu-vu des rues - street tough - et l’héroïsme des briques rouges. C’est magnifique. On peut écouter les vingt-deux albums studio de Motörhead sans jamais s’ennuyer une seule seconde. Incroyable mais vrai ! Retour au blues-rock des enfers avec «Step Down». On y retrouve Fast Eddie le génie, le roi du festival, l’heavy Eddie God sans personne au-dessus. Eddie prend le cut au chant et fait wooow ! C’est à se prosterner, tellement il en impose. Et bien sûr le morceau titre vaut tout l’or du monde, car on a là du punk pur digne des Damned et du MC5, monté sur un fabuleux riff d’Eddie. On pourrait même parler d’une forme de génie apocalyptique. Le riffage de Fast Eddie fonctionne comme le velours de l’estomac, c’est une bénédiction. Sans Fast Eddie, Motörhead ne pouvait pas décoller. En tous les cas, ça ne fonctionnait pas avec Larry Wallis.

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    La même année sort Overkill. Le groupe a trouvé son son. Ils attaquent avec le sur-puissant morceau titre, idéal et extrême à la fois, digne du MC5, doté de la même énergie, tendu à se rompre, puissant et noble. Voilà ce qu’il faut bien appeler du rock de cartouchière. C’est chanté à la limite de l’épuisement. Fast Eddie joue comme un héros. Il sort des riffs soniqués du ciboulot et les pousse à l’extrême olympien. Ils sont dans l’orgie et restent imbattables à la course. Ils sont chromés et impérieux. Ils se payent le luxe de deux faux départs. Hallucinant ! C’est sur cet album que se niche l’immense «Capricorn», une pièce de trash rock d’épouvante, saturée d’humidité. On écrit ça un peu à la manière d’Henri Michaux, fasciné par les effets, affamé d’incongruité, perdu dans les limbes des équinoxes. Ce fringuant power-trio nous sort là un véritable fumet d’outre-tombe, et c’est à tomber. Lemmy mâche sa morve et il crache des horreurs. «No Class» est aussi monté sur un riff du MC5. Fast Eddie joue le rock de Detroit. Lemmy hurle comme le petit dernier de la famille des damnés de la terre. Ses verrues tremblent. La sueur ruisselle dans son sillon velu. Et Fast Eddie arrose tout au napalm. S’ensuit l’heavy romp de «Damage Case», un vrai stomp poivré au pilonnage intensif. C’est à la fois fabuleux, pointu et pompé. Ils ont vraiment de la puissance à revendre. Aucune chance de s’endormir en écoutant ça. Retour au big heavy sound des enfers avec «Metropolis». Voilà encore un monument de heavyness, suivi d’un autre classique hirsute, «Limb From Limb» ou Fast Eddie joue une fois de plus comme un dieu radieux.

    Eddie est intarissable : «À cette époque, on jouait très fort parce que c’était la classe.Mais ce n’est pas douloureux, ça te donne juste un coup dans la poitrine. Un soir, au Marquee, on avait joué vraiment très très fort. Je suis rentré chez moi et j’ai mis Blow By Blow de Jeff Beck sur la platine. Je n’entendais pas la guitare. J’entendais uniquement la basse et la batterie, et pas les aigus !»

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    Ace Of Spades paraît en 1980. Ils attaquent avec un morceau échevelé, monté sur un riff d’Eddie le pyromane. Lemmy en profite pour avancer son meilleur guttural. Mais c’est Eddie qui fait le show, une fois de plus. Il est partout. Absolument partout. On admire ce qu’il fait dans «Love Me Like A Reptile». Il nous barde ça de riffs de toutes les couleurs, de petits retours retors, de tortillettes infectueuses. Il n’a que deux bras et pourtant il joue comme dix. Il fait aussi des siennes dans cette fabuleuse tranche de heavy blues qu’est «Shoot You In The Back». lls finissent l’A avec un fantastique hommage à Vulcain, le dieu des enclumes : «(We Are) The Road Crew». C’est stompé à la vie à la mort. De l’autre côté, nos trois amis développent la puissance d’une division de Panzers avec «Fire Fire». Motörhead invente là le son de l’avance inexorable, du mur de flammes, de l’enfoncement de la ligne Maginot et Eddie danse dans les flammes, il claque ses riffs fatals - Big black smoke/ Ain’t no joke ! - Autre merveille de heavyness, «The Chase Is Better Than The Catch». Ils stompent comme des brutes et ils bouclent avec «The Hammer» qui sonne comme «Ace Of Spades». Lemmy dérape dans le gras de sa voix chargée et relance des dynamiques épouvantables.

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    N’ayons pas peur des mots : No Sleep Till Hammersmith est probablement l’un des plus grands albums live de l’histoire du rock. Dès «Ace Of Spades», c’est l’enfer sur la terre. Littéralement. On entend arriver la cavalerie de la mort barbare, avec Fast Eddie en tête. Dire qu’on adore Motörhead n’a rien d’exagéré. Ces gens-là ont une simili-dimension divine, ne serait-ce que par l’insolence de leur puissance magnanime. Sur cet album, tout est spectaculairement bon. «Metropolis» est heavy à souhait. Même chose pour «The Hammer», monté sur un beat enfonceur de portes ouvertes. Lemmy s’y arrache la glotte au sang. Quelle dégelée, ça claque et ça fouette, ça pète et ça pisse en montant chez Kate, ça dégage et ça dégueule, ça pétarade et ça bombaste, ça tout ce qu’on veut. Ça casse la baraque, ça fout le feu aux poudres et ça défonce des mâchoires. Ça ne recule devant rien, ça déblaie les barricades et ça débouche les chiottes. Ça écroule les immeubles et ça tue les cloportes. Même chose avec «Iron Horse», une chanson en hommage aux Hell’s Angels - It’s called iron horse/ Born to lose - Puis on retrouve le fameux «No Class» et son riff du MC5. Cavalcade effrénée. On tombe avec grand-mère dans les orties. C’est hallucinant de véracité ergonomique. Et pouf, ils enchaînent avec «Overkill», qui est une véritable abomination. Rien au-dessus de ça. Rien. Voilà le cut intense, carbonisé et tendu à mort par excellence. Insurpassable. Aucun power-trio ne peut rivaliser avec Motörhead. Ils sont foncièrement déstructurants. Ils cognent les neurones comme des boules de billard. Ils tournent à l’énergie rock ultime. Toi la limace, ne viens pas baver sur Motörhead. On trouve à la suite d’autres monstruosités du type «(We Are) The Road Crew», un cut hanté par les hurlements de Lautréamont, version dévastatrice et belle tranche de génie britannique. Ils enchaînent avec «Capricorn» et voilà «Bomber», gros tas d’accords brûlés, ultime et désarçonnant, une chose qui file à toute blinde et qui rougit comme la braise sur laquelle on souffle.

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    Iron Fist se présente comme un album sans surprise, rempli de grosses cavalcades, de guttural et de coups de suspensif signés Fast Eddie. Avec «Heart Of Stone», on a un pur blast de fournaise - Leave me alone/ Get off the phone/ I’ve got a heart of stone - Lemmy dédie «Go To Hell» à ceux qui le dénigrent et il en rajoute avec «Loser» - I’m a loser/ That’s what they said - Lemmy adore régler ses comptes avec les cons - Now I got their women in my bed - On a là un classique du rock anglais. De l’autre côté, il évoque ses souvenirs du Canada et de cristal meth dans «America» - Lemmy et Mick Farren ont ça en commun : ils se sont fait virer de leurs groupes respectifs, Hawkwind et les Deviants, à la frontière du Canada - Et Fast Eddie continue d’enluminer les morceaux de lueurs incendiaires, comme c’est le cas dans «Shut It Down».

    La relation entre Lemmy et Fast Eddie avait commencé à se détériorer. Eddie ne supportait plus les frasques d’un Lemmy qui s’évanouissait sur scène. Eddie : «Il est resté éveillé pendant trois jours et trois nuits en buvant de la vodka. Les groupies l’ont sucé toute la journée. Et puis on est monté sur scène. Il y avait 12.000 gosses entassés là-dedans pour nous voir. Toute la journée, des mecs m’ont proposé des lignes de coke et tout un tas de trucs et je n’ai bu qu’une putain de Heineken, parce que je voulais garder la tête froide. On jouait depuis quarante-cinq minutes, et paf, Lemmy s’est évanoui. Phil et moi on était furieux. On a gueulé et il nous a dit : ‘Ça n’a rien à voir avec le fait que je suis debout depuis trois jours et trois nuits !’ Il nous prenait vraiment pour des cons : pas dormir pendant 72 heures et se faire tailler des pipes à longueur de journée, ça n’a rien à voir avec l’évanouissement, bien sûr que non !»

    Le coup de grâce survint lorsque Lemmy accepta d’enregistrer «Stand By Your Man» de de Tammy Wynette avec Wendy Williams & the Plasmatics. Tout le monde se souvient que la pauvre Wendy avait des beaux nibards, mais elle chantait comme une casserole. Lemmy demanda à Eddie Clarke de jouer sur le single. Il refusa et quitta le groupe. Lemmy : «C’était juste pour rigoler, mais ça s’est transformé en galère à cause d’Eddie... Eddie et ses problèmes... C’est impossible d’être bien avec tout le monde. De toute façon, les choses devenaient compliquées. Il y avait toujours quelque chose qui n’allait pas. Ce n’était pas uniquement ce single. Eddie n’est pas un mec joyeux et ça devait mal finir. On pensait qu’il allait jouer sur le single, puis tout à coup, il a voulu le produire et il s’est barré. C’était bizarre. Il aurait pu partir à un moment plus favorable, avant ou après la tournée. On avait fait les deux premiers concerts de cette tournée, et il se barre. C’est dur, hein ?» Il ajoute : «Tous les trois mois, Eddie quittait le groupe. Ça a duré tout le temps qu’il était dans le groupe. Il menaçait tout le temps de se barrer et cette fois, Phil et moi on lui a dit : ‘Dégage connard, on ne te parle plus !’ Et il est parti.» Comme dans toute séparation, on a des sons de cloches différents. Voici celui de Philthy : «On savait tous que ‘Stand By Your Man’ était un single pour la rigolade.On avait enregistré les parties instrumentales, et dès que Wendy a commencé à chanter, Eddie s’est levé et a dit : ‘Je sors pour aller manger un morceau !’ Et il n’est jamais revenu. Il a dit : ‘Si ce putain de single sort, je ne veux pas que mon nom y soit associé !’» Eh oui, Fast Eddie avait bien raison de ne pas vouloir être associé à cette fumisterie.

    Vingt ans plus tard, Eddie revenait sur la cause de son départ : «Je suis parti pour sauver ma peau. Lemmy est un putain de surhomme, franchement. Il n’arrête jamais de travailler, sauf quand il s’écroule et doit récupérer. Il atteint la cinquantaine, à présent, et il ne s’est jamais arrêté. Moi, je suis cuit, et j’ai fait un break ! Lemmy a toujours continué au même rythme. Chaque fois que je le vois, j’éprouve un certain bonheur à le voir en bonne santé.»

    Lorsqu’il monte Fastway, Eddie constate qu’avec Motörhead, il a régressé en tant que musicien : «Quand j’ai commencé à répéter avec Pete Way, le bassiste d’UFO, je me suis dit : ‘Putain, ma guitare sonne vraiment bien !’ C’est parce qu’il y avait une basse derrière. En jouant avec lui, j’ai compris que le son dépendait des autres. Si tu joues avec un beau son de basse, tu peux jouer plus léger sur ta guitare. Avec le son de Motörhead, tu ne peux pas te détendre. Tu restes en alerte et tu fonces. Je pense que les drogues entraient en ligne de compte, mais je ne suis pas sûr. Je ne veux pas entrer dans un délire philosophique.Il faut voir dans quel état on était à l’époque !»

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    Fastway paraît en 1983, soit un an après Iron Fist. Pete Way n’est pas resté dans le groupe. Topper Headon devait y battre le bon beurre, mais c’est l’ex-Humble Pie Jerry Shirley qui récupère le job. Avec son nouveau groupe, Fast Eddie change complètement de son : Dave King, le chanteur qu’il a embauché, sonne exactement comme Robert Plant. On ne trouve pas vraiment de hits sur ce premier album de Fastway. Fast Eddie joue la carte du son pulpeux et le groupe flirte avec le glam dans «Easy Livin’» puis revient au boogie-blues avec «Feel Me Touch Me». Mais avec «All I Need Is Your Love», tout devient clair : c’est du pur Led Zep. Fast Eddie joue la carte du rock anglais, mais de façon admirable et volontaire. «All I Need Is Your Love» pourrait très bien figurer sur le mighty Led Zep 1. Ils restent dans ce son avec «Another Day». Eddie rôde bien dans les parages, pas de demi-mesure, need somebody, Dave King chante ça avec une parfaite abnégation, il fait l’apprenti Plant bien intentionné. Ces gens-là savent vraiment se déterminer et Fast Eddie multiplie les incursions intestines, alors tout va bien, il lutte dans le gras du glas qui sonne pour qui sonne le glas, il titille ses petites notes féroces qui s’en vont se perdre dans la nuit comme des feux follets. «Heft» s’inscrit dans la meilleure tradition du heavy rock blues anglais, Dave King est dessus. Fast Eddie savait très bien ce qu’il faisait en l’embauchant. Et il ne rate pas une seule occasion d’aller briller au firmament des guitar slingers, il joue tout ce qu’il peut dans «Say What You Will». Il adore partir en vrille. Il assure la victoire avec «You Got Me Runnin’», il multiplie les vrilles judicieuses, il soigne ses intestines et redore le blason du cursif exacerbé. Fabuleux bretteur.

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    L’année suivante paraît All Fired Up. On y trouve deux très belles énormités : «Misunderstood» et «Station». Fast Eddie attaque le premier au riff tordu et Planty King fonce dans le tas. Ah il faut entendre ce guitariste génial placer ses riffs alarmistes et ses dégringolades de gammes. Quand il part en solo flash, c’est superbe. Il semble arroser toute la planète. Back to the heavy sludge avec «Station». Admirable car gratté aux millions de notes fast-eddiques fatidiques. Il en rajoute encore à chaque tour. Il part en solo comme dans un rêve et joue même tout le cut au long. Nouveau festival avec «Hurtin’ Me», idéal pour un géant du heavy blues comme Eddie. Il le joue même au suspensif. Dave King continue de faire son Plant et il est plutôt bon à ce petit jeu. Eddie joue le heavy blues en filigrane dans «Tell Me» et passe au heavy glam avec «Hung Up On Love». On est dans le meilleur du rock anglais des seventies, ils mélangent Led Zep et les Stones. On sent bien que ces quatre mecs en veulent. Sur cet album, tout est joué au maximum overdrive de Fast Eddie. Il amène une énergie spéciale et travaille tous ses cuts en sape. Il réserve ses meilleurs heavy chords pour «Telephone». Planty King se positionne face au vent, et ça part en mode heavy blues à la Free, mais attention, Eddie rôde comme un vautour dans les parages. C’est un sacré vénéneux.

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    Avec Waiting For The Roar, les choses commencent à se gâter. Fast Eddie et ses amis vont sur une sorte de hard-rock symphonique à la vieille mormoille purulente, ce hard dégénéré et atrocement commercial qui fit tant de dégâts dans les années quatre-vingt. Dave King chante de plus en plus mal. Il a perdu le plan du Plant. En entendant ça, Lemmy devait bien rigoler. Au moins, Motörhead n’est jamais tombé dans ce panneau. Fastway fait une cover du «Move Over» de Janis, mais bon, allez plutôt écouter Janis. Ils tentent un retour à Led Zep en B avec «Rock On» et Fast Eddie y fait son numéro de cirque à la Jimmy Page. On le sent fasciné par le vieux son du premier Led Zep de 68. Mais ça déraille assez vite, car ils se mettent à sonner comme Queen. Ils font un stomp à la petite semaine dans le morceau titre et ça redevient horriblement putassier. Ils devaient avoir pour consigne de faire rentrer les sous. Ils terminent avec un «Back Door Man» qui n’est ni celui de Wolf, ni celui des Doors. Ne rêvons pas.

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    Nouveau changement de personnel pour les deux albums suivants, On Target et Bad Bad Girls. Fast Eddie est le seul membre originel. Le voilà entouré d’une véritable caricature de groupe. Les pauvres, on les voit s’enfoncer dans le bad taste et la mauvaise hurlette. On ne parle même pas de la qualité des compos. Alors forcément, on pense à Lemmy qui en écoutant ça a dû tomber de sa chaise pour se gondoler de rire. Il a même dû s’en coincer la mâchoire, comme quand on bâille trop fort.

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    Dix ans après, Fast Eddie retrouve la raison et reworke ses cuts dans On Target Reworked. L’album vaut le détour, rien que pour l’extraordinaire dégelée de furiosa del sol d’«Easy Livin’», un cut tiré du premier album et parfaitement digne du Led Zep 1. S’ensuit un heavy «Show Some Emotion» qu’Eddie joue en profondeur et on se retrouve une fois encore avec une incroyable dégelée de bonne prestance. Fast Eddie embarque «Say What You Will» au heavy beat et renoue d’une certaine façon avec Motörhead. Même genre de fournaise, c’est battu comme plâtre. Toute la fantastique énergie d’Eddie accourt au rendez-vous. Sur cet album, on trouve aussi le fameux «Trick Or Treat» tiré d’une bande-son. C’est du beau rock anglais joué à la Fast. Ce démon d’Eddie adore les grands accords triangulaires. Très british, très stompé du stamp. Eddie revient à son cher cocotage dans «The Answer Is You». Heavy Fastway baby. Il joue sur le pourtour des accords, il voyage bien dans ses gammes, il agit en sonic-boomer patenté. Sorti du blasting de Motörhead, il semble respirer à pleins poumons. Encore plus colossal, voici «These Dreams». L’intérêt d’un guitariste comme Fast Eddie, c’est qu’il joue tout ce qu’il peut, alors on tend l’oreille. On retrouve aussi le fameux «Station» tiré du deuxième album et voilà «Change Of Heart», certainement la plus grosse rockalama du disk. C’est excellent car visité de part en part. «Two Hearts» regorge aussi de puissance. Eddie n’en finit plus d’allumer la gueule de ses cuts, il les remplit de son à ras-bord. Ça reste excellent, même avec un son daté. Eddie est à la fête, il voltige dans ses cuts et bat tous les records de présence. Encore un extraordinaire déploiement de forces dans «She Is Danger», et puis voilà.

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    Fast Eddie enregistre un dernier album en 2011 : Eat Dog Eat. C’est un gros pépère bourré de son. «Lovin’ Fool» emporte tous les suffrages : incroyablement bien structuré, plutôt seyant, pur farniente, Eddie fait ses adieux au rock en beauté et part en vrille de Master Faster. L’autre gros coup, c’est «Love I Need» - I’ve been riding/ Riding for so long - Eddie est un géant, alors il s’amuse avec les petites choses de la terre. Il joue tout en filigrane, fastin’ it all, à sa manière, inventive et haletée, volubile et volage, et il finit par s’écrouler dans le brasier d’un empire en flammes. Le «Deliver Me» d’intro sonne comme un heavy sludge chanté au heavy slab de Sabbath. Back to the old British pathos, babe. Les Anglais adorent ce son pourléché et bien plombé. Fast Eddie semble survoler son cut comme un vampire. On le voit aussi claquer ses accords dans l’écho du temps avec «Fade Out». C’est tellement bourré de son que le commentaire devient inutile. Dommage que le chanteur Toby Jepson ne soit pas si bon. Il fait ce qu’il peut, mais au fond ce n’est pas si grave, car on est là pour Eddie. D’ailleurs, il remet les bouchées doubles avec «Leave The Light On». Oui Eddie joue comme un crack, il wha-whate ses vieilles dégoulinades de génie. On le voit aussi attaquer «Sick As A Dog» au riff demented. Pas de porte de sortie, c’est du riff pur, Eddie nous embarque dans son sick sick sick et profite de l’occasion pour placer un solo en flammes. On est là pour ça, ne l’oublions pas. Quand on aime les solos en flammes, c’est lui ou Wayne Kramer qu’il faut aller voir. Avec «Who Do You Believe», Eddie veille au grain. Heavy as hell. Le seventies sound, c’est leur domaine. Believe est probablement le hit du disk, ne serait-ce que pour le petit coup de vrille en back door man. Il boucle l’album avec «On And On», joué au vieux tombé d’accords seventies. Quelle incroyable sévérité de la fidélité ! - I’m sorry/ There is nothing more - The Fast of it all, ce démon d’Eddie n’en finit plus d’entrer dans le lard du cut à coups de solos répétitifs et allumés.

    Et voilà qu’on apprend sa disparition. Motörhead et les Ramones ont un joli point commun : plus de survivants. On craint surtout que la démesure disparaisse avec tous ces géants. Le grand livre du rock n’en finit plus de se refermer. Bientôt l’âge d’or du rock ne sera plus qu’un pâle souvenir.

     

    Signé : Cazengler, Fesse Eddie tête à Clarkes

    Fast Eddie Clarke. Disparu le 10 janvier 2018

    Curtis Knight Zeus. The Second Coming. Dawn 1974

    Motörhead. Motörhead. Chiswick Records 1977

    Motörhead. Bomber. Bronze Records 1979

    Motörhead. Overkill. Bronze Records 1979

    Motörhead. On Parole. United Artists Records 1979

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    ( sans la participation d'Eddie Clarke )

    Motörhead. Ace Of Spades. Bronze Records 1980

    Motörhead. No Sleep Till Hammersmith. Bronze Records 1981

    Motörhead. Iron Fist. Bronze Records 1982

    Fastway. Fastway. CBS 1983

    Fastway. All Fired Up. Columbia 1984

    Fastway. Waiting For The Roar. Columbia 1985

    Fastway. On Target. GWR Records 1988

    Fastway. Bad Bad Girls. Enigma Records 1990

    Fastway. On Target Reworked. Receiver Records Limited 1998

    Fastway. Eat Dog Eat. Steamhammer 2011

    *

    Quelle était la couleur de la couleur tombée du ciel ? Ne voudrais pas avoir l'air de me vanter mais à moi tout seul j'ai résolu la grand mystère littéraire du vingtième siècle. Beaucoup se sont cassés les dents sur cette énigme posée par la nouvelle de Lovecraft. Je sens que certains vont en être verts de rage, rouges de honte, bleus de stupeur, noirs de colère, z'auront beau rire jaune en prétendant qu'ils le savaient mais que seule leur modestie les a empêchés de proclamer la vérité. Bernique ! Nique ! Nique ! Nique ! Vive les seins de Sainte Dominique !

    La solution m'est apparue le matin en ouvrant la fenêtre. Un paysage apocalyptique. Sibérien. Méconnaissable. Le truc qu'on gère pas. Cette couleur maléfique lovecraftienne, ourdie par les sombres agissements de Cthuhlu pour étendre sa domination sur le monde entier, n'est autre que celle du fameux cheval d'Henri IV, le blanc, si blanc que pour un peu vous le prendriez pour de la neige. D'une nocivité extraordinaire, une espèce de poulpe poudreux qui s'attachait aux roues de la Teut-Teuf et l'immobilisait ad vitam aeternam. Même pas pu aller à la Comédia à Montreuil vendredi soir. Aux grands maux les grands remèdes. Samedi matin, ne me suis pas dégonflé, suis sorti en pyjama sur le bord de route, la traduction par Phillipe Pissier de Magick en mains, et ai prononcé le Rituel Sacré de la Toute Puissance d'Aleister Crowley, et vous pouvez m'en croire, le soir même la route de Troyes était complètement dégagée, libre de toute teinte cthulhuéenne, j'en hulule encore de joie.

    Connaîtriez-vous une force maléfique capable d'empêcher irrémédiablement un rocker d'assister à un concert !

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    10 / 02 / 2018TROYES

    LE 3B

    EDDIE AND THE HEAD-STARTS

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    ( Journaliste avec lunettes )

    D'autant plus que ce soir nous avons atteint l'immortalité. Enfin presque. Programmée pour 2019 – 2020. La radio es là. Venue explorer le monde turbulent des rockers. Journaliste sympathique – je ne voudrais pas donner dans l'identitaire départemental mais nous partageons la même origine ariégeoise - qui ouvre son micro et nous interviewe à tour de rôle – l'a du courage, la sono de Fab, la meute des assoiffés qui se pressent autour du bar et se compressent dans les coins, mais l'est tout content, l'enregistre tout ce qu'il lui faut, tout le rock'n'roll en vrac, du rockabilly au métal, des tatouages aux blousons, des voitures à la rebelle attitude, Hank Williams, Gene Vincent, Kr'tnt, Jean-Jacques, Alec, Billy, Christophe, l'a tout en lambeaux, ne lui reste plus qu'à remettre en ordre, n'a même pas oublié d'enregistrer Eddie and The Head-Start. Les voici.

     

    EDDIE AND THE HEAD-STARTS

    ( SANS EUX )

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    N'ont pas casé le batteur tout au fond comme tous les autres groupes. Ce n'est pas qu'ils cherchent l'originalité. Eux ce serait plutôt l'authenticité. Pour la simple et bonne raison qu'ils n'en ont pas. A Troyes – et partout ailleurs - ne sont que trois. Guit acous, contrebasse, lead électrique. Pas plus, ni moins. Ne faites pas l'étonné, rappelez-vous qu'en ses débuts Elvis ne possédait pas de batteur. L'a ajouté quand le monde a commencé à affluer aux concerts et qu'il fallait un certain volume pour se démarquer du bruit de l'assistance. C'était du temps où il a gagné son surnom d'Hillbilly Cat. Le puma des Ardennes en français approximatif. Le Hillbilly est un genre à part en soi. L'art des garçons de ferme. Les rustauds qui ne peuvent voir une meule de foin sans y coucher la première fille qui passe sur le chemin, pas des intellos, des ploucs à la comprenette dure. Méfiez-vous sont plus malins qu'il n'y paraît, l'esprit des coyotes habite l'âme des chats efflanqués des collines. Le hillbilly ça sent le bal du samedi soir, le purin, et le bousin de long horn. Bouchez-vous le nez mais ouvrez vos narines toute grandes. Se métamorphosent lorsque l'exode rural les pousse à la ville. Se payent de belles chemises, roulent en mécaniques rutilantes, et bye-bye les aigres-douces chansons nostalgiques, donnez leur un micro, s'en servent comme d'un cocktail molotov, le hillbilly s'enflamme et devient rockabilly. Une mutation. Si Darwin avait vécu assez longtemps, s'en serait servi pour expliquer les sauts qualicatifs qui ont présidé la longue marche des espèces qui depuis la disparition des dinosaures a permis à l'homme de s'améliorer sans fin. Certains mêmes affirment que le hillbilly man et le rockabilly man sont les stades suprêmes de l'évolution humaine, que depuis la race hominienne régresse, dégénère, et court à sa perte. Mais quittons ces vues philosophiques pour regarder :

     

    EDDIE AND THE HEAD-STARTS

    ( AVEC EUX )

    Eddie Gazel. Fils ne vous gardez point à droite, le reître Thibaud Choppin s'en charge. Fils ne vous inquiétez pas de gauche, le soudard Stéphane Beaussart y veille. Le vrai père, Thierry Gazel, n'est pas loin, viendra plus tard ramoner la big mama de Thibaud, mais n'anticipons pas. Avec de tels arrières latéraux, l'est tranquille Eddie, guitare en main et bouche au micro. A trois défendent le pont-levis du hillbilly. Si vous voulez forcer le passage, passez devant. Qui s'y frotte s'y pique. Ça n'a l'air de rien mais il faut les qualités requises indispensables, du swing percutant, du contrapuntique contraignant, et un vocal de crotale.

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    Pour le swing, vous avez Thibaud Choppin. Posté de guingois, à l'affût derrière sa big mama, vous lance un regard de chef-indien là-haut sur son piton rocheux qui examine le convoi des charriots qui s'approche du défilé de la mort certaine. Qui dit swing ne dit pas jazz. Pensez à pulsation. Agonique et précipité. Le Choppin quand il vous choppe sa contrebasse ce n'est pas pour éplucher le bulletin météo. Avec lui, c'est tempête et tremblement de terre force huit. Ne descend jamais au-dessous. Crève le plafond de temps en temps. Joue un peu à la manière de Jessie James quand il rackettait les banques. Mais avec le sourire en coin et l'ironie mordante qui fuse de ses lèvres dès qu'il peut en lâche une. S'amuse, avec une main, avec deux, avec trois, avec quatre, pas le temps de vous demander d'où il les sort, et même sans aucune.

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    A Stéphane Beaussart échoit la tâche la plus difficile. Le hillbilly ressemble davantage à trois coups de poings bien appliqués qu'à une stratégie à la Napoléon. Un seul mot d'ordre. Vite fait et bien fait. Le nez en sang et l'on passe au suivant. Beaucoup plus jumpin' que gallupin'. Pas la possibilité de se livrer à de grandes galopées. Pour les envolées lyriques vous repasserez. Faut être présent à tous les instants, plantez le clou au millimètre près. Juste entre deux hennissement de la big mama et conclure juste après la voix, un jeu, un question-réponse, un dialogue à trois, ni oui ni non, mais un mot chacun, monosyllabique, placé le plus vite possible sans empiéter sur celui qui vous précède et en laissant le moins d'espace possible à celui qui prend la suite. De la haute école. Exercice collectif des plus difficiles. S'en tirent comme des rois avec l'impertinence des bouffons. S'amusent comme des fous, complicité souriante, émulation rieuse.

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    Je vous refile les dates – en comptant très large, 52 – 57. L'ère du déploiement du hillbilly, certains compressent entre 54 – 56, l'instant de la pliure, du passage du hillbilly au rockabilly en s'abstenant de franchir le col du rock'n'roll. Certes nos trois cavaliers reprennent du Little Richard et du Gene Vincent, mais ce que moqueusement l'on nommera les slows, le Send Me Some Lovin du petit Richard qui sent encore la vase du bayou et le clapotis des alligators, et le Peg O' My Heart de l'idole noire, de la chanson populaire parce que pour embarquer les gerces c'est quant même plus voluptueux qu'une course en hot-rod avec le diable. De toutes les manières, ce qui compte, c'est l'art et la manière de présenter la bagatelle. Faut savoir être tendre sans passer pour un benêt, le hillbilly est une musique perverse. Tenez-vous le pour dit.

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    Eddie Gazel parfait dans le rôle. L'a tout pour lui. La jeunesse et la beauté. L'oeil de velours et le regard assassin. Et puis la voix. Flexible comme un queue de crocodile. Capable de se lamenter sans nous faire pleurer. Malmène sa guitare comme un chien gratte ses puces. Force rythmique d'appoint et d'assaut. Siffle comme un serpent dérangé dans sa sieste, l'a tous les articles en magasin, à l'aise dans tous les registres : nostalgie country, rupestre campagnard, boogie électrique, un répertoire qui court de la ruralité cajunique d'Al Ferrier au baryton épineux de l'Elvis de chez Sun, du pizzicato de Johnny Burnette à la ballade pseudo-romantique. Lève la guitare vers le ciel et profile un jeu de hanche des plus terrestrement lascifs.

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    Trois sets, le premier à dominante hillbilly, le deuxième davantage rockabilly, le troisième pas rock'n'roll mais presque. Beaucoup d'aisance et de facilité. Thibaud Choppin délaisse sa big mama pour se mettre l'assistance dans sa poche avec sa belle voix grave, Stéphane Beaussard se permettant un instrumental très surfin' manière de montrer que sa monture pâture aussi en d'autres lieux, son voilier tatoué sur son avant-bras comme signe de recherche et d'aventure. Eddie en meneur de jeu. Sait instaurer une communication des plus directes et des plus primesautières avec le public qui adore. Faut un sacré tallent à Eddie pour que dès le premier morceau tout le monde se masse devant les Head-Starts et adhèrent à cette musique chargée d'anciennes rurales fragrances qui ne correspondent plus à notre monde urbanisé. Une musique moins chargée d'impédence électrique que le groupe a su rendre sans effort, actuelle. Rarement – et pourtant les Dieux savent combien le public du Bar de Béatrice Berlot est chaud et réceptif – un groupe aura reçu une telle écoute et suscité une telle ferveur.

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    TOM ROISIN

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    ( Trouvez Tom ! )

    Entre deux sets, Tom Roisin nous interprète trois titres d'Hank Williams, Jambalaya, Honky-Tonky, I Saw the Light et un dernier Folsom Prison Blues de Johnny Cash. Belle allure sous son stetson immaculé et dans son costume impeccable. Autodidacte et passionné de country Tom Roisin, persévère. S'accroche à son rêve et commence à tenir le chat du diable par la queue. A suivre. Bon Gumbo.

    Damie Chad.

    ( Photos : FB : Béatrice Berlot )

     

    MY NAME IS EDDIE

    EDDIE AND THE HEAD-STARTS

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    Rhythm Bomb Records. RBR 45 – 29.

     

    My name is Eddie : racatement de basse, le jeune Eddie vous prend la voix traînante d'un vieux vacher des Appalaches, Beaussart pointille comme un pic-vert, Choppin tamponne comme un wagon, dépaysement garanti. Pas le temps de voir passer, que déjà ils expédient la fin dans les règles de l'art, ça tressaute comme un cul à cru sur un cheval bondissant. Blues stop knocking : croisements d'autoroutes, celle de la ballade country avec la séminalité sous-terraine du country blues. Sur le refrain l'ensemble s'envole vers les grands espaces, mais sur le solo Beaussart tire du côté d'Arthur Crudup, Eddie vous emprunte les échangeurs sans jamais se tromper, goudronnage et tenue de route assurée par la maison Choppin. Playmate : Beaussart et Choppin vous mènent un quadrille d'enfer, et la gazelle Eddie vous fait de ces piqués de voix à vous faire voir des éléphants roses. I wanna make love : tout ce qu'il faut faire, je parle de l'union physique de l'instrumental avec le vocal. Chacun à son tour par-dessus et puis par dessous. Plus les petites spécialités individuelles. Bref ça balance et roule vers le rock'n'roll de bien jolie façon. S'éclatent comme des bêtes vicieuses. Un prix d'originalité sera décerné à Stéphane Beaussart pour son solo.

     

    Old style never dies !

     

    Damie Chad.

     

    BOB DYLAN ET LE RÔDEUR DE MINUIT

    MICHEL EMBARECK

    ( L'Archipel / 2018 )

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    Roman. C'est écrit sur la couverture. Déduction logique : tout ce qui est écrit est faux, sorti tout droit de l'imagination fertile de Michel Embareck. A part que tout ce qu'il raconte est totalement vrai. Même si vous n'avez jamais porté la moindre créance au concept de vérité – pure et intangible – du sieur Platon. N'avez qu'à lire pour vous en être persuadés. Très simple, cet embrouilleur d'Embareck nous fait le coup du bonneteau littéraire. Z'êtes sûr que sous le godet du milieu se trouve un roman, erreur sur toutes les lignes, c'est votre vie qui est mise en scène en deux cent cinquante pages. La vôtre, la nôtre, la mienne. Inutile de bomber le torse, l'est retors l'Embareck, non, ce n'est pas le roman dont vous êtes le héros. Pas de place pour vous. N'en a déjà mis que deux sur le titre, Dylan et le Rôdeur de minuit, mais c'est un fusil à trois coups, le troisième est habillé tout en noir. Pas besoin de pousser la description plus loin, quel faquin ne reconnaîtrait pas Johnny Cash, the man in black, en cette sombre silhouette ?

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    Pas de problème l'histoire vous connaissez : la bio ( et de broc ) de Dylan et de Johnny Cash. Pourriez la réciter par cœur, l'est finaud l'Embarech, ne fait pas dans le détail, la révélation minuscule que personne ne connaît. En gros, vous n'apprendrez rien. De toutes les manières tout est faux. Etabli sur des faits certifiés conformes, rien de plus facile pour vérifier : presse d'époque, témoignages assermentés, vidéos, livres, disques. Ne manque pas un biscuit dans la cambuse. D'ailleurs l'Embareck se dépêche de les refiler aux rats, lui le maitre-coq vaudou, il travaille avec le vent qui bouscule la mâture. Blowin' in the wind, comme dirait l'autre.

    Commençons par nous débarrasser de l'assassin. N'ayez pas peur, pour un criminel, il n'est pas dangereux, le gars qui ne tue même pas une mouche de tout le roman. C'est peut-être pour cela qu'il vous ressemble. Un mec plutôt sympathique. Toutefois, tout ce qu'il a fait de bien dans sa vie, ce n'est pas de sa faute. Aucune médaille à lui décerner. L'Ici et Maintenant des philosophes. Hasard et circonstances. Son seul mérite c'est d'être sorti du ventre de sa maman au bon moment. Pile-poil à l'heure pour devenir disc-jockey au début des années soixante à Shrevreport. En Louisiane, l'état marécageux des States où les alligators dans leur barbote ont inventé des horreurs sans nom qui ont pour nom : jazz, blues, rhythm'n'blues, rock'n'roll. Bref notre animateur radiophonique l'a tout vu et tout entendu. Les Beatles, les Stones et, ce qui tombe super pour le bouquin, rencontré Dylan et Cash. Evidemment sur une carte de visite, ça en impose. De quoi être jaloux. D'ailleurs à la fin du film de sa vie, l'Université – avec un grand U comme Urinoir - vient l'interviewer. Si cela vous arrive, dites-vous que votre cercueil se rapproche de vous, vitesse grand V. Pas Victoire, genre Vanité des Vanités...

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    Je sens votre impatience. Le lectorat kr'tntique n'a qu'un mot à la bouche : Cash ! Cash : Cash ! Etrange de voir comment le country man a été adopté par les rockers depuis une vingtaine d'années par chez nous, encore plus que Jerry Lee Lewis – le grand absent de ce livre d'ailleurs, mais peut-être qu'Embareck se réserve-t-il le Killer pour parfaire une trilogie commencée avec Jim Morrison et Le Diable Boîteux . Donc Cash. Honneur à la dame de cœur. Très beau portrait de June Carter. June, le trublion de la Carter Family. La fofolle de service. La gamine irrésistible. Instinct et joie de vivre. Tout ce que Johnny n'est pas. In his mind. Un coincé de la tête. Parce que selon son corps, c'est davantage borderline. Z'oui mais la pieuvre du puritanisme, pouvez lui couper les tentacules par centaines elles repoussent toujours. C'est cela la malédiction d'être né pauvre. Non seulement vous n'avez pas d'argent et vous bouffez tout juste ( vraiment juste ) à votre faim, mais pour la largesse d'esprit c'est vache maigre et chambre d'étudiant au dix-huitième étage sans escaliers et les chiottes sur le pallier. Tout le reste est squatté par la peur des sept péchés capiteux et l'observance des dix commandements. Mes très chères sœurs et mes très chers frères, nous avons le regret d'avoir à condamner notre idole, Johnny trompe sa femme, boit comme un trou et gobe les pilules comme certains les patenôtres. Nous lui pardonnerons, son métier, la fatigue, la route, les tournées, les filles qui s'offrent, le diable a mille perversités dans son escarcelle...

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    Voici Dylan. Une autre problématique. Lui le danger n'est pas dans sa cabosse. Vient de l'extérieur. Des autres. Bien entendu de ceux qui l'aiment le plus. Le public, les fans. Au début le Bobby, faut pas grand chose pour le rendre heureux, une guitare, une gratte, une sèche, une acoustique, un harmo pourrave, et le répertoire folk qu'il a emmagasiné dans sa tête. Encore un qui arrive comme la soupe sous le cheveu. Ne pouvait pas mieux tomber avec sa voix de chat écorché. En plein dans la vague contestataire. Combat pour les droits civiques et contre la guerre au Vietnam. Bien sûr qu'il partage ces idéaux, par contre ne se sent pas très à l'aise dans la bonne ouate de gauche, l'impression de se faire manipuler, d'entrer dans de nouveaux carcans, idéologiques. L'autre face de la bonne conscience se nomme nouvelle morale. Alors il commet l'outrage suprême. L'ignoble trahison. Il électrifie le folk. S'en va enregistrer chez les ploucs de Nashville. S'éloigne de sa vie de star, se marie, fait des enfants. Devient un bon père de famille. Bref à partager la vie de tout le monde, il finit par faire comme tout le monde, il s'ennuie. Le Diable possède une tentation adaptée à chacun.

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    Dylan reprend la route que Cash n'a jamais quittée. L'un pour s'éloigner du peuple de gauche et l'autre pour se rapprocher du peuple de droite. Les rebelles ne sont pas de purs chevaliers blancs irréprochables, ne sont jamais là où on voudrait les voir. Y en a tout un tas qui croupissent en prison. Cash prend son bâton de pèlerin et s'en va chanter à Folsom. Du côté de la mauvaise graine. Des voyous, des tueurs, des violeurs, de la sale engeance. Même Jésus Christ n'avait pas osé y penser. Avec les réprouvés de la société. Les enfants perdus de la misère. Sans illusion, car s'il n'avait pas eu son baryton de croque-mort il aurait peut-être fini là, lui aussi. Poussera même la roue un peu plus loin. Ira chanter pour les boys. Au Vietnam. Est viscéralement contre la guerre, mais il se doit de réconforter les guys dans le bourbier. Chante pour eux et visite les hôpitaux de campagne. Voie étroite et récupérable que Dylan ne lui pardonnera pas. Notons que Joan Baez, son ancienne compagne se rendra au Vietnam, elle aussi, mais de l'autre côté, au Nord, sous les bombes américaines...

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    Dylan et Cash, deux facettes de l'Amérique. Encore aujourd'hui beaucoup de ceux qui écoutent Johnny Cash ne prêtent qu'une médiocre attention à Dylan. La réciproque est un peu moins vraie, les méandres de sa carrière ont quelque peu altéré l'admiration béate que lui a longtemps portée son public, et le vieux Cash a bénéficié de sa longue fidélité à son propre style, n'a jamais donné l'impression de s'être renié. Embareck balaie tout cela d'un trait de plume. Cash, Dylan, même combat, tous deux chantres de l'Amérique populaire. Pas celle du massacre des indiens, du capitalisme triomphant, de la ségrégation, des mentalités de beauf en boîte, mais celle de ceux qui essaient de survivre tant bien que mal, de tracer ou d'imaginer d'autres routes. Des outlaws modernes. Une Amérique qui vient de loin, dont Cash et Dylan, Embareck nous les présentent en frères d'armes, ont tenu à garder intacte la mémoire. Se sont sentis obligés de perpétuer au travers de leurs répertoires le souvenir et la présence de ces millions d'existences anonymes, les vaincus, les misérables, les laissés-pour-compte, n'en reste rien aujourd'hui si ce n'est quelques os épars au fond des cimetières.

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    Lecteurs, je vous sens un déçus, vous avais affirmé dans le premier paragraphe que l'Embareck parlait de vous. Nous y arrivons. Vous a filé un surnom. L'a piqué aux Stones. Le Midnight Rambler, c'est vous. Vous espère un peu moins décatis que lui, parce qu'à la fin du livre il a dépassé ses quatre-vingt printemps. L'est rentré dans l'hiver. Fait un dernier point. Avant de débarrasser le plancher. Place aux jeunes. Ne s'apitoie guère sur lui-même. Comme vous, comme moi. Des hauts et des bas. Des erreurs. Je n'insiste pas. Lui non plus. Parle avant tout des autres, de l'état du monde. Le même constat que vous. Un minimum de mieux. Un maximum de pire. Ne s'est pas amélioré depuis le siècle dernier.

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    Rusé l'Embarek, s'y entend pour filer le sucre qui fait remuer la queue des chiens. Dylan, Cash, - bonjour les attrape-nigauds, pour ceux qui hésitent il rajoute Alice Cooper et Merle Kilgore, et spécialement pour moi Gene Vincent – et puis il vous balance la boule de strychnine. Des artistes comme Dylan et Cash, vous en raffolez, vous les adorez. Mais soyez justes, ils n'ont pas changé le monde. Et derrière eux c'est la faillite de toute génération qui se profile. Pardon, qui déboule. L'arrache le voile des illusions l'Embareck, devrait être condamné pour cruauté mentale, vous laisse plus nus que la vérité, et ne croyez pas que vous vous en tirerez en vous fondant dans le nombre, pousse l'ignominie jusqu'au bout – page 245 – dresse la liste de tous les noms, n'oublie personne, j'ai vérifié vous y êtes. Pourrait accomplir sa délation en utilisant une écriture neutre, mais non, l'a du brio, du brillant, de l'entourloupe, dès la première ligne vous êtes pris, ferrés jusqu'au bout. Ça bouge, ça cogne, ça vit. Vous n'y faites pas gaffe, vous distille le poison de l'échec. Triple dose, au début ça vous file un pêchon extraordinaire, mieux que l'héroïne, et puis c'est votre déchéance spirituelle qui vous azimute. Sans lot de consolation. Une bourrasque d'Embareck et toutes vos fausses raisons de vivre tombent à l'eau. Regardez-vous et enfuyez-vous en courant.

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    En fait – j'ai oublié de le préciser – le rôdeur de minuit finit bien par tuer quelqu'un. Mais quel est donc ce couteau planté dans votre dos ?

    Le rock m'a tuer.

    Damie Chad.

     

    BOB DYLAN

    Le personnage / Sa musique / Son guide

    NIGEL WILLIAMSON

    ( Editions de Tournon : Rough Guides / 2009 )

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    A parler de Bob Dylan autant descendre au garage voir ce que j'ai sur lui. J'en remonte avec ce beau format quasi-carré, pas très grand mais de 325 pages composées en tout petits caractères. Le livre s'arrête au moment où paraît le premier tome de ses mémoires Chroniques ( I ). Près de dix ans se sont écoulées depuis et voici deux années Dylan s'est vu remettre le Prix Nobel. Le book m'apprend dans un petit entrefilet rose qu'en 1996, un groupe d'intellectuels et d'admirateurs avaient officiellement bataillé pour la candidature du chanteur à ce prix. L'attribution du Nobel de Littérature à Bob Dylan en 2016 n'a pas été une divine surprise comme les médias l'ont présentée. Mais le fruit d'une longue et obstinée candidature sur laquelle Dylan, selon son habitude, ne s'est apparemment jamais exprimé.

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    Nigel Williamson emploie la technique dite des tirs-croisés ou des labourages quadrillés. Revient plusieurs fois sur le même sujet. La moitié du bouquin purement biographique nous raconte la vie de Bob Dylan. Assez fouillée, non exempte de réflexions critiques, tenant compte de tous les aspects de l'existence du chanteur : familiale, privée, sociale, publique, et bien entendu musicale et artistique. Le livre pourrait s'arrêter-là, mais non, Nigel est un maniaque, ou alors peut-être prend-il ses lecteurs pour des cerveaux lents, car il passe une deuxième couche : passage en revue en long et en large de tous les albums – disco officielle et survol des pirates – rajoute un troisième glacis protecteur : analyse des cinquante meilleures chansons, sans oublier de fignoler les finitions : les films, les livres, les fans, les continuateurs...

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    N'empêche que l'ensemble est agréable à lire et peu répétitif. Fourmille d'anecdotes surprenantes : je ne vous en cite qu'une, marrante, celle de A. J. Weberman qui avait pris l'habitude de fouiller les poubelles de Dylan, afin d'en retirer la substantifique moelle documentaire qui l'aidait à conforter ses vues personnelles sur la personnalité du chanteur. Le début de l'histoire du fondateur de la nouvelle science qu'il baptisa déchétologie est connue. J'en ignorais la fin. Weberman eut ses adeptes. Pas ceux qu'il aurait souhaités. Les agents du FBI mirent le nez dans ses propres poubelles. Après avoir retrouvé de suspects sachets ( vides ), ils en conclurent que Weberman était à la tête d'un trafic de livraison de marijuana à domicile et, à vous dégoûter de rendre service à vos concitoyens, l'envoyèrent séjourner en prison...

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    Une autre pour mon plaisir personnel : y avais toujours cru mais n'en avais aucune preuve : Dylan l'a confirmé lui-même : a bien pensé ( pas uniquement ) à Baby Blue de Gene Vincent pour l'écriture d'It's All Over Now, Baby Blue.

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    N'ai jamais été un fan transi de Dylan. Attention, durant dix ans le bonhomme a fait ses preuves. Prolifiquement doué. Vous tortillait une galette de vinyl comme une grand-mère bretonne une crêpe au sarrasin. L'avait la qualité essentielle du rocker : devenait méchant dès qu'il apercevait un micro dans un studio. Ne se forçait pas, arrivait les mains dans les poches, se saisissait d'une feuille de papier et il vous dégorgeait du venin comme une vipère qui n'a rien eu à se mettre sous le crochet depuis trois ans. Parfois, l'improvisait directement et les ingénieurs couraient vers la cabine pour mettre le bouton sur le ''on''. Mauvais caractère en plus, tête de lard et de cochon. Ne filait pas d'indications aux musicos. Ou ils pigeaient illico, ou ils retournaient à la maison. Un génie !

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    Reconnu comme tel. Porté par la vague des fans. Du jour au lendemain, la figure de proue du mouvement contestataire. Exactement le contraire des New Yok Dolls qui eurent trop peu pour si peu de temps, le Bobby lui ce fut trop beaucoup immédiatement. Dépassé en quelques mois par l'enchaînement et le déchaînement du succès. S'en est sorti. Parce qu'il était un cabochard. Par la petite porte. N'aimait pas qu'on lui dicte le chemin. Suze sa muse ne l'amuse plus depuis qu'il baez avec Joan de laquelle il baisse dans l'estime depuis qu'il s'en va avec Sara ça ira, pareil avec les copains, beaucoup de jaloux et lui qui ne sait pas mettre les formes pour se tirer du guêpier. Le piège ne s'est pas refermé sur lui, mais par la suite, ce ne sera plus jamais pareil.

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    L'était une idole adulée, devient une rockstar acidulée sur le tard. Vit sur son aura, sur sa réputation. S'ennuie un peu avec lui-même. L'a encore ses moments de génie, mais ils s'amenuiseront petit à petit. Il s'en fout et il en crève. Pousse le vice de la contradiction et le vide des contrariétés à se déclarer chrétien, pur beauf born again, détenteur de la vérité et sermoneur de service. Les fans de la première heure le renient, il vend ses morceaux les plus symboliques pour des pubs, ses ventes de disques s'effondrent, son divorce le met sur la paille ( relative ) alors il met au point le Never Ending Tour, une moyenne d'un concert tous les trois jours depuis vingt ans, catastrophiques ou géniaux, c'est selon.

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    Je décris, je ne juge pas. Facile de badigeonner la moraline lorsque vous n'êtes pas dans le caca. Même si l'étron est de vous. L'a transformé le rock'n'roll, l'a fait descendre de la banquette arrière des Cadillacs, et vous l'a planté au milieu de la route sous la pluie. Bye bye baby et bonjour tristesse, les ennuis commencent. Depuis il a pris ses cliques et beaucoup de claques...

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    Dylan contestataire : non. Dylan roi du folk-rock : non. Dylan rocker : encore non. Le classerai plutôt dans le country blues. N'est pas né dans le delta, n'est pas un nègre. Mais il chante et compose des chroniques sur son quotidien et celui de l'Amérique. L'a simplement élargi l'orbe des bluettes. Pour bien s'en rendre compte il suffit de comparer l'autre '' grande voix'' de l'Amérique : Bruce Springteen, sympathique mais un peu boy-scout. Lui manque le cynisme, la cruauté, la méchanceté, trop de bons sentiments. La face noire du rock'n'roll.

    Damie Chad.

     

    OUAILLE !

    DANIEL GIRAUD

    ( Clapas / 2012 )

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    De Daniel Giraud nous avons déjà chroniqué disques et différents recueils de poèmes. En voici un autre édité aux Editions Clapas. Même pas un petit éditeur, un groupe d'activistes fous qui ont durant plus de dix ans donné la parole à plus de deux cents poëtes, faites un tour sur leur site ( clapassos.pageperso-orange.fr ), semblent en sommeil depuis quelques années, mais si les ours parviennent à sortir de leur hibernation...

    Joli petit format qui s'étire et se pelotonne entre vos mains, couverture chromo, et même un dos carré pour un ensemble de 24 pages. C'est dedans que ça se gâte. Un seul poème aussi long et mince qu'une queue de marsupilami bleu. De cette couleur vous n'en trouvez pas chez Franquin. Ailleurs non plus. Foutre le Ouaï ! Attardez-vous sur le titre. Parce qu'après c'est toute la misère humaine qui se colle à vous. Pas la noire. Non celle-là, c'est facile de la chasser, ouvrez les infos et un spécialiste viendra vous expliquez que tout va bien, qu'il faut se méfier de vos ressentis. Non la bleue, la bleu-blême, celle qui se colle à votre âme et vous la teint jusqu'au jour de votre enterrement. Daniel Giraud vous raconte sa vie. Je vous rassure, aussi moche que la vôtre. Quelques pépites, mais des tonnes de scories. En plus le Giraud l'habite dans la cambrousse, à 15 kilomètres non carrossables, porte le ravitaillement dans le sac-à-dos, surtout que des fois il revient de loin, des States ou du Maroc, alors les souvenirs déboulent et s'entremêlent. L'esprit on the road again et l'âge qui encroûte les artères. Derrière la porte, c'est quitte ou double, la copine qui s'est tirée ou les copains qui attendent avec les guitares pour taper le blues, fumer et boire. Et puis les chats qui viennent vous aider à vivre et qui s'en vont à la mort. Version inaccoutumée de la théorie du ruissellement. Le malheur du monde tombe sur le poëte, super-chouette, l'occasion rêvée de se transformer en samouraï-philosophe. Vous sépare l'être du néant, la pelure de la réalité de l'orange creuse du vide, vous envoie valser dans le nirvana pour mieux vous catapulter dans les emmerdements du quotidien. '' Sans avoir de présent / comment avoir un avenir'' demande-t-il comme il vient de nous affirmer que le passé n'est plus ce qu'il était, vous voyez ce qu'il vous reste à vivre. Philosophie hippie et nihilisme punk se rejoignent en un étonnant optimisme désespéré. Mélange détonnant. Ça pète et vous éclatez. De rire. Ni humour noir, ni humour jaune. Humour-blues. Parfois à la terrasse d'un café, Daniel Giraud sort sa guitare de son étui et un recueil de sa poche et vogue la galère c'est parti pour une heure de blues-métaphysique, et les passants s'attroupent autour de lui, comme les mouches sur la merde – plus poli Cendrars employait l'expression la moitié de la face de Dieu pour désigner cette matière si fécale - comme les avares sur leur or. Les deux postulations humaines, ceux qui aiment ce qui leur ressemble et ceux qui s'accroupissent devant leur propre petitesse. Le blues, ça vous décape jusqu'à l'os.

    Damie Chad.