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rockambolesques - Page 11

  • CHRONIQUES DE POURPRE 597: KR'TNT 597 : STANDELLS / SARI CHORR / PIXIES / BUZZCOCKS / CHUCK JACKSON / MARLOW RIDER / WESTERN MACHINE / STONE OD DUNA / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 597

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    20 / 04 / 2023

     

    STANDELLS / SARI SCHORR

    PIXIES / BUZZCOCKS / CHUCK JACKSON

     MARLOW RIDER / WESTERN MACHINE

    STONE OF DUNA / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 597

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

    Les standards des Standells

     

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             C’est dans Shindig! qu’on a chopé l’info : parution de l’autobio de Larry Tamblyn, le keyboardist des Standells. Comme toujours dans ces cas-là, on se frotte les mains. On se régale même d’avance. De tous les ténors du barreau gaga, les Standells étaient les plus percutants, donc les chouchous, comme l’étaient les Pretties en matière de British Beat, et Jerry Lee en matière de tout.

             Les Standells sont arrivés en France via Nuggets, cette redoutable compile Elektra qui a mis pas mal de kids sur la paille. Parce que forcément, quand tu entends «Dirty Water», tu as envie de choper les albums. Oh c’est pas compliqué ! Il te faut juste sortir un bon billet et aller sur l’auction list de Suzy Shaw, chez Bomp! et avec un peu de chance, si tu mises bien, tu peux récupérer les gros cartonnés US des Standells sur Tower. C’est comme ça que les quatre Tower des Standells sont arrivés ici. On les ressort périodiquement de l’étagère, histoire de se rassurer.

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             Eh oui, les Standells furent un groupe à hits, comme le furent tous les groupes gaga-punk sixties, certainement pas des groupes à albums, comme vont l’être un peu plus tard le Jimi Hendrix Experience et les Small Faces. Sur chaque album, les Standells tournent sur une moyenne de deux ou trois hits, mais ce sont des hits majeurs. Le reste n’est que du filler. Tiens, si tu commences par leur premier album, Dirty Water, tu as deux grosses cacahuètes à te mettre sous la dent : «Dirty Water», bien sûr, radical - Aw Boston you’re my home - et en B, «Sometimes Good Guys Don’t Wear White» - But tell your moma and your popa that sometimes... - Sous des airs bravaches de balloche chicano, c’est le cut le plus punk de Los Angeles, bien épais, avec un Dodd bien raw to the bone. On se régale encore d’un «Little Sally Tease» plein de jus, harcelé par les interventions intestines de Tony Valentino et bercé par le shuffle d’orgue de Larry Tamblyn. Ils font aussi une belle cover du «19th Nervous Breakdown» des Stones avec lesquels ils sont partis en tournée. C’est l’une des plus belles intros des sixties - You gotta stop & look around - Ils piquent là une belle crise de Stonesy. Mais le reste de l’album n’est pas du tout au même niveau. Oh la la, pas du tout.

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             Alors après, voilà Why Pick On Me - Sometimes Good Guys Don’t Wear White, paru la même année, avec l’une des pochettes les plus iconiques de la culture gaga. C’est là que ça commence à carambouiller car on retrouve sur l’album le «Sometimes Good Guys Don’t Wear White» de l’album précédent. Joli cut c’est sûr, mais à l’époque, le procédé ne nous plaisait pas. Et comme on va le voir, cette façon de refourguer les mêmes hits sur des albums différents n’est pas finie. Côté covers, ils retapent dans les Stones avec un shoot d’acier de «Paint It Black», ils ramènent énormément de power dans un cut qui au fond n’en nécessite pas plus que ça, et puis ils tapent dans Burt avec «My Little Red Book», déjà repris par Arthur Lee & Love, et là, oui, banco, car grosse énergie punk, les Standells sont dans l’excellence du big L.A. brawl, ils y vont à l’énergie d’aw no ! L’autre coup de Jarnac est le «Mainline» qui traîne vers le bout de la B des cochons, encore du pur jus d’L.A. punk, qu’infeste à outrance le wild slinger Tony Valentino. En trois étapes («Dirty Water», «Sometimes Good Guys Don’t Wear White» et «Mainline») les Standells ont défini l’archétype du gaga-punk sixties.

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             Allez, on va dire que leur meilleur album est le Try It paru l’année suivante. Les deux coups de génie sont «Barracuda» et «Riot On Sunset Strip». Le Barracuda est le vrai hit des Standells - I’m a young barracuda/ Swimming in the deep blue sea - Wow, les fantastiques chœurs d’artichaut résonnent dans l’écho du temps. Ils finissent en mode hypno de c’mon c’mon c’mon. Planqué au fond de la B voilà l’excellent «Riot On Sunset Strip» - I’m going down/ To the Strip tonite - et ça va très vite avec le call for action. Vaillants Standells ! Dommage que le cut vire pop. Arrivent les sirènes de police, alors ça repart au wild as fuck avec le Tony en embuscade derrière les immeubles en flammes. Classic L.A. punk. Ils font aussi une cover bien standellienne de «St James Infirmary», gluante à souhait et chantée à outrance. Et puis bien sûr, tu as le morceau titre, belle invitation au c’mon girl. 

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             Le quatrième Tower s’appelle The Hot Ones et c’est un album de reprises. On y retrouve le «19th Nervous Breakdown» des Stones et le punk genius de «Dirty Water». Le troisième standout de The Hot Ones est la version punkish de «Last Train To Clarksville». Tony Valentino et Dick Dodd jettent tout leur swagger dans la balance. Par contre, ils se vautrent sur «Wild Thing». Les Troggs font ça beaucoup mieux. Ils tapent aussi dans Donovan avec «Sunshine Superman». Ils ont la main lourde, ils ramènent un gros bassmatic sur le dos de Don, disons que c’est de bonne guerre. Ils enchaînent avec «Sunny Afternoon». Choix étrange de la part de punks angelinos. Nouveau choix étrange en B avec «Eleonor Rigby», et ils retrouvent enfin des couleurs avec une retake tape dur de «Black Is Black», encore un hit qui date de la belle époque, une fantastique machine à remonter le temps.

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             Dans son book, Larry Tamblyn se dit très fier du Live On Tour 1966 exhumé par Sundazed. On y trouve à boire et à manger. Ils attaquent avec un classic gaga pysch, «Mr Nobody», pas vraiment de son, ça joue sous le boisseau, dans les ténèbres de la légende. Ils enchaînent deux covers, «Sunny Afternoon» et «Gloria». C’est très mou du genou dans les deux cas, le Gloria est doux comme un agneau, ils en font même un comedy act. Ça se réchauffe en B avec «Why Pick On Me», une valse à trois temps qui préfigure les Doors. Ils flirtent aussi avec Paint It Black, mais ça bascule heureusement dans le punk de why pick on me baby. Puis ils osent taper dans James Brown avec «Please Please Please», wanna be your lover man baby, mais c’est imbuvable. Même leur «Midnight Hour» est mou du genou, complètement édulcoré, chanté en mode petit cul blanc. On est aux antipodes de Wicked Pickett. Ils finissent en mode Standells action avec «Sometimes Good Guys Don’t Wear White» et «Dirty Water». C’est Dave Burke qui fait rouler la poule au bassmatic avec un son bien rond et de vaillantes transitions.

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             Pour tous les fans des Standells, le Tamblyn book est un passage obligé, même si globalement on y apprend rien de plus que ce qu’on sait déjà. Début d’autobio classique avec tous les détails d’une enfance californienne et fin d’autobio classique avec tous les détails des règlements de comptes et des petites trahisons, le traître principal étant Dick Dodd.

             Bizarrement, Tamblyn reste en surface. Il relate. Il raconte sa vie très simplement. Comme si sa vie se résumait aux quatre hits déjà cités. Mais il n’entre pas dans la chimie du groupe comme le fait Kid Congo avec le Gun Club. À la lecture du Congo book, on comprend pourquoi le Gun Club est un groupe si important. Larry Tamblyn se limite aux faits. Si les Standells sont devenus un groupe tellement mythique, on ne saura jamais vraiment pourquoi, on devra donc se contenter de les écouter. On grapille néanmoins quelques petites infos complémentaires et on s’en régale, puisqu’il s’agit des Standells, after all. Larry Tamblyn commence par nous rappeler que le Sicilien Tony Valentino s’appelle en réalité Emiliano Bellissimo et qu’ils ont co-fondé tous les deux les Standells en 1962. L’autre principale caractéristique de Tony est qu’il passe sa vie à courir les jupons et à baiser comme un lapin. Alors pourquoi les Standells ? Tamblyn tire le nom du «standing around in booking agents’ offices», c’est-à-dire «faire le poireau chez bookers». Larry a un grand frère, le fameux Russ Tamblyn, de neuf ans son aîné, qui deviendra movie star. En 1958, Russ joue le rôle d’un détective dans High School Confidential, avec Mamie Van Doren. On y voit surtout Jerry Lee. Larry avoue que Jerry Lee est l’un de ses héros et c’est grâce à lui qu’il arrête la gratte pour passer aux keyboards - After seing the movie, my musical perspective changed forever - Ça s’appelle une vocation.

             Le deuxième line-up des Standells comprend en plus de Tony et de Larry, Gary McMillan (bass), rebaptisé Gary Lane, et Gary Leeds (beurre). Gary Leeds qui vient de voir The Village Of The Damned veut changer le nom du groupe pour l’appeler The Children, en référence au film, et il propose que tout le monde se teigne les cheveux en blond. Proposition refusée. Gary Leeds commence alors à voir le groupe de travers. Il ne va d’ailleurs pas tarder à le quitter pour rejoindre les Walker Brothers. On ne saura hélas rien de plus sur ce personnage clé de l’histoire du rock américain.

             En 1965, Larry abandonne le Farfisa pour un Vox Continental organ. C’est Dick Dodd qui remplace Gary Leeds, un mec «handsome and self-assured», «half Hispanic and half Irish». Larry lui trouve «a real punk attitude». Dodd dit aux autres qu’il a eu l’info par Jackie DeShannon qui savait que les Standells cherchaient un beurreman. Dodd dit aussi qu’il a joué un moment dans le groupe de Jackie. 

             C’est aussi en 1965 qu’ils rencontrent Greengrass Productions et Ed Cobb, un ex Four Preps. Les Standells signent avec eux, parce qu’ils ont un deal avec Tower Records. C’est Cobb qui pond «Dirty Water». Il suggère de laisser Dick Dodd chanter. Et Tony sort le riff qu’on connaît tous, le fameux dum-dum-dum dump-da-dum. C’est Dick Dodd qui a l’idée de l’intro d’I’m going to tell you a story - It’s about my town/ I’m going to tell you a big fat story baby/ It’s all about my town - C’est aussi lui qui ramène les petites transitions du genre «along with lovers muggers and thieves», et «aw but they’re cool people». Et pour bien enfoncer le clou, Larry révèle que «Dirty Water» fut enregistré dans un garage aménagé en studio à Westwood, sur un trois pistes. Wham bam thank you pas mam, mais Armin Steiner, l’ingé-son. Inutile de dire que la version enregistrée de «Dirty Water» n’a plus rien à voir avec la démo d’Ed Cobb, mais les Standells ne sont pas crédités.

             En 1966, un mec de Screen Gems appelle Larry pour lui proposer la botte dans les Monkees, mais comme les Standells commencent à décoller, il reste loyal au groupe. D’autant plus loyal qu’avec «Dirty Water», les Standells obtiennent a «national prominence». Soudain, Dick Dodd annonce qu’il quitte le groupe pour rejoindre les Ravens. Tony est furieux : «Dat fucking Mexican ruined my life». Tony parle encore un mauvais Anglais que Larry s’amuse à le citer dans le texte. En remplacement de Dodd, ils recrutent Dewey Martin qui bat le beurre dans Sir Raleigh & The Coupons, et qui le battra ensuite dans Buffalo Springfield. Comme Dodd, Dewey est un excellent beurreman et un excellent chanteur. Quand Dick Dodd revient, Dewey gicle. Soulagement général, car Dewey se baladait avec un ocelot dont tout le monde avait la trouille.

             Il est temps d’enregistrer le premier album et Ed Cobb emmène le groupe au Keaney Barton’s Audio Recording Studio, là où les Kingsmen, les Sonics et les Wailers ont créé le Northwest Sound. Et quand Gary Lane quitte le groupe, c’est l’excellent Dave Burke qui le remplace.

             L’épisode le plus important dans l’histoire des Standells est certainement leur tournée en première partie des Rolling Stones, en 1966. Rick Derringer et les McCoys font aussi partie de cette tournée devenue mythique. Le tour manager des Stones est Mike Gruber que Larry voit comme un «major asshole». Dans l’avion les drugs sont plentiful : pot, mais aussi l’amyl nitrate qu’on utilise nous dit Larry pour relancer le cœur des mourants. Hélas, Larry reste à la surface des choses. On trouve beaucoup d’infos sur cette tournée dans Love That Dirty Water: The Standells And The Improbable Red Sox Victory Anthem de Chuck Burgess & Bill Nowlin.

             Ils enregistrent leur deuxième album Why Pick On Me à Los Angeles. C’est Ed Cobb qui choisit tous les cuts. Larry ajoute qu’il impose aussi le titre à rallonge. La même année sort The Hot Ones. Cobb fout la pression commerciale. Comme ça se vend bien, il accélère la cadence. Biz biz biz. Puis Larry voit Cobb changer. Il devient despotique et bien sûr, bosser avec lui devient compliqué. Il se prend pour une superstar, comme Totor, il s’attribue le fulgurant succès des Standells. En studio, il fait venir deux blackos, Ethen McElroy et Don Bennett qui composent et qui arrangent, puis des musiciens black qui remplacent les Standells sur un cut. C’est la même arnaque qu’avec le Chocolate Watchband. Larry assiste à l’enregistrement des faux Standells et demande à Cobb pourquoi il ne laisse pas jouer les Standells. Cobb lui répond : «These guys sound more like the Standells than you do.» Merci Cobb ! Le cut dont il parle est «Can’t Help But Love You». Cobb rajoute aussi des cordes sur «Trip To Paradise». Heureusement, le reste de l’album est purement standellien. C’est Larry qui chante «St James Infirmary». Puis les choses se dégradent encore avec Cobb qui décide de mettre Dick Dodd en avant, avec les Standells comme sidemen - He had lost all respect for our artistic integrity.

             C’est John Fleck qui va remplacer Dave Burke. Fleck n’est pas n’importe qui, il a joué dans Love. C’est un mec brillant qui sait aussi composer. Les Standells enregistrent encore un single avec Cobb : «Animal Girl»/«Soul Drippin’», qui paraît en 1968, puis un cut de Graham Gouldman, «Schoolgirl», mais comme Tony n’arrive pas à le jouer, Gouldman pique sa crise de fiotte et quitte le studio en claquant la porte. Larry se dit surpris de voir réapparaître le cut plus tard sur une réédition CD de The Hot Ones, mais il ne reconnaît pas la voix de Dick Dodd. Il se pourrait dit-il que ce soit celle de Gouldman.

              1968 est pour Larry l’année de la fin des haricots. Le single «Animal Girl» floppe. Le gaga-punk des Standells et des Seeds cède la place à l’acid rock de San Francisco. Les riffs de Tony n’intéressent plus les gens. Les Standells en profitent pour virer Cobb. Ouf ! Dunhill Records louche sur les Standells. Une fois de plus, Dodd quitte le groupe pour entamer une carrière solo.  Il reproche aux trois autres d’avoir viré Cobb qu’il considère comme un père. Cobb reproche aussi aux Standells de l’avoir quitté après qu’il ait tout fait pour les lancer et les rendre célèbres. Larry pense le contraire : Cobb leur doit tout, ce sont les Standells qui ont fait le son de «Dirty Water», certainement pas Cobb. La meilleure preuve dit Larry c’est qu’après les Standells, Cobb n’aura plus jamais de hits. Dodd avouera aux trois autres qu’il avait été manipulé par Cobb, lui faisant croire qu’il était The voice et que les autres ne servaient à rien.

             Les Standells se reforment avec Daniel Edwards (lead guitar) et Willie Dee (beurre). Le groupe tourne essentiellement en Californie. Puis Lowell George monte à bord, mais avec lui, ça se termine en eau de boudin. S’ensuit un autre line-up avec Bill Daffern (beurre), Paul Drowning (gratte) et Tim Smyser (bass) et là, on commence à s’ennuyer comme un rat mort. Larry finit par en avoir marre de jouer dans les nightclubs. Il se dit «disillusioned with the entire rock group thing». Il jette l’éponge. Pour lui, les Standells sont morts et enterrés. Kaput.   

             Grave erreur ! Le groupe se reforme en 1983 avec Bruce Wallenstein et Eric Wallengren. Ils partagent un studio de répète avec Motley Crüe que Larry voit comme des singes - Pour eux, l’abus d’héro et des orgies sexuelles sont probablement un pré-requis pour jouer dans un groupe de rock - En 1984, les Standells originaux se reforment pour jouer dans un festival rétro : Dick Dodd et Gary Lane remontent à bord. Puis c’est au tour de Tony de mal tourner et de devenir a pain in the ass. Il veut jouer ses compos sur scène et le problème, c’est qu’elles ne sont pas bonnes.

             Puis ce sera le fameux Cavestomp à New York. Le grand Peter Stuart des Headless Horsemen accompagne Tony, Dick et Larry. Et en l’an 2000, ils participent au fameux Las Vegas Grind avec les Remains et les Lyres. Larry est ensuite contacté par un tourneur espagnol qui veut les Standells au Go Sinner Go Festival de Madrid, et pour une tournée espagnole grassement payée. Tony dit non, parce qu’il doit s’occuper de son restau. Quand Larry propose de le remplacer à la gratte pour la tournée, Tony réussit à convaincre en douce Dick et Gary de refuser. Larry se dit trahi par son vieil ami. Il atteint les tréfonds de l’acrimonie. Pour lui, c’est la fin des haricots définitive.

             Il se fourre encore une fois le doigt dans l’œil. En 2009, les Standells originaux jouent à Vegas, puis à Amoeba Records, le super-marché du disque de Los Angeles, pour la parution de la box Rhino Where The Action Is, sur laquelle «Riot On Sunset Strip» est le kick-off cut. Larry découvre ensuite que Dick Dodd a détourné à son profit les royalties du fameux Live On Tour 1966 de Sundazed, sans bien sûr le dire aux autres. Il avait signé «Dick Dood for the Standells». Comment a-t-il pu faire une chose pareille, se demande le pauvre Larry, effondré au spectacle de cette abominable trahison. En 2010, les Standells reformés tournent en Europe. Ils jouent enfin au Go Sinner Go Festival de Madrid, dix ans après que Tony ait comploté pour l’annuler. Comme Tony a été viré du groupe, il appelle Larry pour lui demander de le prendre pour la tournée et Larry l’envoie sur les roses. Il a déjà engagé un guitariste «much better musician than Tony». Et puis la vraie raison, c’est qu’il ne peut pas recommencer à travailler avec Tony. Impossible !

             Alors la guerre éclate entre Tony et Larry. Tony ouvre un site officiel des Standells sur lequel il traite Larry de menteur. Les Standells continuent cependant à tourner jusqu’en 2017 et le concert final a lieu au Palace Theater de Los Angeles. Quelle histoire !

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             Dans Shindig!, Chaim O’Brien-Blumenthal re-raconte le book, comme le fait le cat Zengler, il reprend méthodiquement toute la chronologie et sort les anecdotes les plus croustillantes. O’machin sort par exemple l’anecdote du concert de Toronto, sur la tournée des Stones en 1966, lorsque les Ugly Dickings sont virés de la scène parce qu’ils tapent un cut des Stones. Ils ne savaient pas qu’ils jouaient en première partie des Stones et que, dans ce contexte, c’est interdit de jouer leurs cuts. Larry raconte aussi qu’un jour, il est invité à dîner chez les Stones, dans leur hôtel de Manhattan, et quand il demande du ketchup pour arroser son steak, le Jag le traite de «fucking yank». Larry raconte aussi que John Fleck fut débauché de Love, ce qui n’a pas plu à Arthur Lee. Pour se venger, le roi Arthur débranchera tous les amplis des Standells au moment où ils arrivent sur scène. C’est John Fleck nous dit Larry qui compose «Riot On Sunset Strip», et Tony ramène le riff, pour le film du même nom. O’Brien-Blumenthal cite bien sûr le garage revival des années 80 et le rôle crucial qu’a joué Rhino pour la renaissance des Standells. Et puis tout ça se termine bien sûr avec l’épisode du Red Sox Baseball team de Boston qui demande aux Standells de venir jouer «Dirty Water» dans leur stade en 2004 : c’est l’hymne du club. Et l’hymne des garagistes.

    Signé : Cazengler, Standouille

    Standells. Dirty Water. Tower 1966

    Standells. Why Pick On Me. Sometimes Good Guys Don’t Wear White. Tower 1966

    Standells. Try It. Tower 1967

    Standells. The Hot Ones. Tower 1967

    Standells. Live On Tour. - 1966. Sundazed Music 2015

    Chaim O’Brien-Blumenthal : I’m gonne tall you a story.  Shindig! # 135 - January 2023

    Larry Tamblyn. From Squeaky Clean To Dirty Water. BearManor Media 2022

     

     

    Sari jette un Schorr

     

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             Si on est allé voir Sari Shorr sur scène, c’est sur les conseils de Mike Vernon, le vieux boss du British Blues et de Blue Horizon, qui dans une interview récente disait avoir craqué pour elle. Sari Schorr est une blanche qui chante avec Joe Louis Walker en tournée - She’s the most extraordinary singer, a big-voiced blues rocker - C’est d’autant plus troublant que le vieux Mike doit être blasé, d’avoir fréquenté toute la crème de la crème du gratin dauphinois, de Mayall à l’early Fleetwood Mac de Peter Green, en passant par le Chicken Shack de Stan Webb. Et combien d’autres ? Alors on fait confiance à Mike et on y va. D’un pas d’autant plus ferme quand on a pris la peine d’écouter A Force Of Nature, paru en 2016.

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             Elle y fait une cover du «Black Betty» de Leadbelly. Elle la gueule mais on voit bien qu’elle en veut, la petite Sari. Derrière, Innes Sibun fait un incroyable travail d’ascension vers les dieux du blues. Sari gueule mais elle est bonne. On le voit dès l’«Ain’t Got No Money» d’ouverture de bal, elle chante au registre haut, ce qui n’est généralement pas bon signe, mais Innes Sibun amène l’eau du blues à son moulin et ça finit par sonner juste. Sari allume bien ses cuts. Elle s’investit à fond, comme on dit dans les entreprises. C’est Oli Brown qui vient gratter ses poux dans «Damn The Reason». On perd le blues, elle se barre dans son truc. Mais quand Innes Sibun revient pour «Cat And Mouse», les affaires reprennent leur cours normal. La petite Sari chante comme une black et Innes Sibun fait merveille au solotage, il va dans le sens de la fluidité, il est parfait dans son rôle de guitar slinger en embuscade. Il monte vite à la note. L’autre invité de l’album n’est autre que Walter Trout («Work No More»). Le Trout ramène du blues électrique. Alors Sari chante son blues à la dure, comme les femmes le chantaient dans les années 70, Maggie Bell, par exemple, à la rauque, et le Trout en fait des tonnes, il n’en finit plus de jouer son blues, il tombe dans sa démesure et c’est pas mal. Elle chante un peu «Demolition Man» comme Nicoletta, elle chante du ventre, et Innes est là, juste derrière. Elle fait un peu sa Guesh Patti, on s’attend à voir se pointer Étienne. Il n’empêche que le son est plein comme un œuf et qu’on en savoure chaque seconde. Oli Brown revient jouer sur «Oklahoma» et il joue plus jazz. Il se croit malin, il a raison. Avec «Letting Go», on entre dans le registre de la main courante, avec un Innes éclatant au coin du bois de Boulogne. Oli Brown revient sur «Kiss Me» et lui entre dans le lard à la colère latente. Il gratte en concordance, mais il reste prudent, il a raison, car Sari est chaude - All I want you to do is to kiss me - C’est très sexuel, kiss me hey hey, ça sent bon la cuisse offerte et le ventre afférent, c’mon kiss me ! Elle tape aussi dans le vieux «Stop In The Name Of Love» des Supremes, elle passe bien, même avec des accents mâles. Elle en fait une version heavy et donc on perd le Motown. Elle écrase son Why don’t you stop comme un mégot et rate son effet.

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             Sur scène, c’est un peu du sans surprise. Les Anglais qualifient ce type de spectacle d’old-school. Sari Schorr ramène son public dans les seventies. Tous les poncifs accourent au rendez-vous, les gros solos d’orgue Hammond, les grattés de poux grimacés d’un petit mec affreusement doué qui s’appelle Ash Wilson, on a même le bassman black au crâne rasé qui descend du heavy bassmatic sur un manche de basse plus large que la moyenne, et bien sûr une Sari Schorr qui incarne toute la bravado du blues-rock des seventies avec cette petite veste à franges qui rappelle celle de l’early Ozzy Osbourne.

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    Sari Schorr est une très belle femme aux cheveux noirs, dotée d’une voix extrêmement puissante, mais diable, comme elle peut être prévisible. Ce qui n’enlève rien bien sûr à l’intensité de sa présence.

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    Pour ce set en Normandie, elle tape dans ses deux albums et on est ravi de la voir niaquer le «Black Betty» du vieux Leadbelly. Dès qu’elle tape dans le blues, elle est passionnante. Mais quand elle tape dans les balladifs à l’Aerosmith, alors là, c’est plus compliqué. On bâille aux corneilles. Elle établit avec le public un lien de très bonne qualité, on sent qu’elle est contente d’être sur scène, elle sait se montrer très chaleureuse, en tous les cas, ses mots sonnent juste. La petite ombre à ce tableau angélique, c’est que la salle n’est pas très pleine. 

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             Il existe sur le marché un Live In Europe qui donne une idée précise de ce que donne Sari Schorr sur scène. On y retrouve son excellente retake du «Black Betty», elle le prend bien heavy et ça prend feu à force de craquer des allumettes. On y retrouve aussi «Back To LA», un balladif incendiaire porté par le pur power de sa voix, puis «Valentina», son cut de fin de set, juste avant les rappels. Des retrouvailles encore avec «Demilition Girl», heavy boogie élastique, mais avec de la voix, et «Ain’t Got No Money», un véritable shoot de hard boogie qu’elle éclate avec une force spectaculaire. Il faut la saluer, car elle génère énormément d’énergie. C’est une petite centrale à deux pattes. Elle pourrait alimenter une ville moyenne. Elle a joué aussi «Dame The Reason» à la Traverse, un cut de c’mon hanté par des fantastiques retombées d’excelsior, elle se fond dans le moule du bronze et n’en finit plus de battre de tous les records d’intensité énergétique. Elle peut se montrer très vindicative, avec une voix venue d’en haut, elle ramène des tonnes de power féminin. C’est dingue comme on s’attache à elle ! Elle fait une version superbe d’«I Just Want To Make Love To You», elle y déclenche une véritable émeute ses sens, elle s’y colle avec toute l’énergie dont elle est capable. Et puis elle ouvre son bal avec l’excellent big heavy boogie down de «The New Revolution», elle est vite dessus, beaucoup trop dessus. Trop de power, mais de ce trop-plein émane une forme de magie relative, c’est un hit, une vraie panacée, elle est splendide, elle épouse bien les développements, elle génère des petits phénomènes surnaturels. 

    Signé : Cazengler, Sari gole pas

    Sari Schorr. La Traverse. Cléon (76). 1er avril 2023

    Sari Schorr. A Force Of Nature. Marathon Records 2016

    Sari Schorr. Live In Europe. Marathon Records 2020

     

     

    Wizards & True Stars

    Have you seen the little Pixies crawling in the dirt ?

     (Part Four)

     

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             Se pourrait-il qu’après (bientôt) quarante ans de bons et loyaux services, les Pixies fassent encore les malins en enregistrant un album qu’il faut hélas qualifier de génial ? Se pourrait-il qu’après tant et tant d’années, le Pixass des Pixies, c’est-à-dire Frank Black, soit encore capable de puiser à la source même de son art, un art qu’il faut bien qualifier d’art total ? Se pourrait-il qu’au soir de sa vie, un petit homme à tête affreuse soit encore capable d’illuminer la terre, comme il a su le faire sa vie entière ? Se pourrait-il qu’après tant et tant d’albums extrêmement denses Frank Black soit encore apte à densifier la densité au point d’en troubler la nature profonde ? Se pourrait-il qu’un homme ayant exploré tous les recoins de la métaphysique du rock soit encore capable de pousser ses recherches pour éventuellement révéler au monde de nouvelles découvertes ? Se pourrait-il qu’une cervelle humaine, celle de Frank Black en l’occurrence, soit tellement rompue aux excès de l’intelligence qu’elle puisse s’auto-régénérer ? Se pourrait-il qu’un homme soit tellement amoureux de sa muse qu’il puisse envisager de l’épouser pour atteindre à l’immortalité ? Se pourrait-il qu’un homme soit tellement passionné par l’art magique de la composition qu’il puisse se croire autorisé à bousculer l’ordre des choses établies, au point d’éradiquer la notion même de déclin ? Se pourrait-il qu’un petit homme affreux du nom de Frank Black soit capable à lui seul de bouleverser le cours du temps ? Se pourrait-il que Doggerel soit le meilleur album des Pixies ? Se pourrait-il que cette hypothèse soit une vue de l’esprit ? Se pourrait-il que toute vue de l’esprit ne soit qu’une hypothèse ? Se pourrait-il que Doggerel soit en réalité un monstre sonique qui dévore vivantes toutes les hypothèses et toutes les vues de l’esprit ? Se pourrait-il que le morceau titre de Doggerel soit l’une des incarnations du mythe d’on a road to nowhere, c’est-à-dire le mythe du Graal ? Se pourrait-il que Frank Black fasse monter tout doucement la pression de ce morceau titre pour mieux nous convaincre de le suivre on the road to nowhere, c’est-à-dire vers le merveilleux néant ? Se pourrait-il que cet assaut - I’m a wonder Doggerel - soit le plus grand assaut de l’histoire du rock ? Se pourrait-il que sa scansion I’ll never wonder again/ I’ll never wonder again soit la scansion primale du rock, comme le fut en son temps l’Out Demons Out d’Edgar Broughton ? Se pourrait-il qu’il claque au passage un solo d’outer-space pour mieux nous convaincre de son extrême sincérité ? Se pourrait-il qu’il revienne inlassablement sur son never wonder again pour nous montrer la direction des nouvelles voies impénétrables ? Se pourrait-il que ce nerver wonder again soit the real wonder de l’histoire du rock ? Se pourrait-il que cet album incite les hommes à se prosterner ?

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             Foin des interrogations. Il est temps de passer aux affirmations : Doggerel se joue en Technicolor. Tu es là pour ça, bien calé dans ton fauteuil de velours rouge, mais tu ne sais pas encore à quel point c’est du Technicolor. Le gros va t’en foutre plein la vue, et même certainement plus qu’avant, plus qu’au temps de Trompe le Monde, quand il injectait sous ta peau un torrent de frissons baptisé «Letter To Memphis». Dès «Nomatterday», Frank Black nous ramène sur son spot de prédilection, back to the edge of sound. Tu le verras gratter sa cocotte au bord du gouffre. Il oscille dangereusement mais il reste le maître du jeu, c’est-à-dire le maître du rock américain, autrement dit le maître des éléments et des tempêtes soniques - It’s Nomatterday/ Here we go again/ Necromancers bending to and from - Il retape dans son vieil art de la digression, d’autant plus librement qu’il n’a plus rien à prouver. Il vise encore l’apocalypse avec «Vault Of Heaven», mais il y va en fourbasse, en dessous du boisseau, là où rôdent les reptiles vénéneux et aveugles, il emprunte la voie humide de la pop, accompagné du son de basse qu’il affectionne particulièrement - Here in the vault of heaven/ Just trying to keep me straight/ But I ended up still in outer space - S’ensuit une extraordinaire descente aux enfers («Dregs of The Wine»), nouveau numéro de charme killer de sixty-six - And then it’s time to go/ It’s really time to go - définitivement wild as fuck, il le tire au cul en feu. Le shaman Pixass détient tous les pouvoirs du rock. Pire encore avec «Haunted House» ! On se croirait sur un album solo du gros, au temps béni des Catholics, il nous a tellement habitués à ce genre de fantasia, mais fais gaffe, car ça devient vite incontrôlable, il va te bouffer le foie vite fait. Cet artiste surnaturel est capable de descendre aux enfers avec le chant du paradis. Il re-Cariboute sous la voûte étoilée - Haunted house all full of ghosts/ I’m gonna pass that way - Ça reste à la fois d’un très haut niveau et inexorablement sublime - Whoa, whoa, whoa, whoa, whoa - Il reste au paradis pour enfoncer un suppositoire dans l’anus rose de l’Ange Gabriel : «Get Stimulated» - ah-ah ah-ah - il schtroumphe sa heavyness, la bourre comme une dinde et claque sa chique aux accords délétères - Let it be said I’m a little narcissist/ But my favorite rock and roll is sealed with a kiss - Bizarrement, on se croit toujours en territoire connu, alors qu’il entre dans des zones inexplorées. Au point où on en est, on pourrait même parler de zones inexplorables. Il chante à l’agonie et reste magnifiquement infectueux - Get simulated/ I really get me down now - Il joue de sa voix comme d’un instrument. C’est sa façon de courir sur l’haricot du rock. Il reste le plus gros géant d’Amérique, un géant semblable à ceux que Zeus combattit et qu’Héraklès acheva. La seule différence avec les géants de Thrace, c’est que le gros est invulnérable. Il domine le monde et gratte sa petite pop. C’est un enchantement que de l’entendre. Il se permet même le luxe de sonner comme Creedence avec «Pagan Man». Il te concocte encore tout le bonheur que tu peux espérer avec «Who’s Sorry Now» et «You’re Such A Sadducce». Pix me up, Frank ! 

    Signé : Cazengler, Picsou

    Pixies. Doggerel. BMG 2022

     

     

    L’avenir du rock

    - Alors ça Buzz, cock ?

     (Part Two)

     

             L’avenir du rock prend souvent l’apéro à la terrasse du petit rade qui se trouve en face de la FNAC Saint-Lazare. Il se grise du spectacle d’une foule extrêmement dense, comme elle peut l’être aux abords de toutes les grandes gares parisiennes. Ce fleuve incessant charrie des êtres de toutes les couleurs et de toutes les tailles et semble les emporter vers leur destin. Quoi de plus vertigineux que le spectacle d’une foule en mouvement ? Un homme assis juste à côté engage la conversation :

             — Je vous connais. Suis certain de vous avoir vu à la télé, mais votre nom m’échappe...

             — Avenir du rock.

             — Vous rigolez ?

             — Pas du tout. Ai-je l’air de rigoler ?

             — Mais c’est pas un nom !

             — Et pourquoi ne serait-ce pas un nom ?

             — Excusez-moi de vous dire ça, mais ça sonne plutôt comme le titre d’un bouquin.

             — Non, je suis un concept, mais ce serait trop long à vous expliquer. Je préférerais que nous trinquions à l’arrivée du printemps, par exemple. Et puis dites-moi, à qui ai-je l’honneur ?

             — Je m’appelle Coq, comme un coq. 

             — Alors à la bonne vôtre, Coq.

             — À la bonne vôtre, Rock !

             Les tournées s’enchaînent, les visages s’empourprent et l’échange se fait plus cordial :

             — Pour un avenir, tu m’as l’air un peu fané, Rock.

             — On a l’âge de ses artères, Coq.

             — J’aimerais bien te tâter le bas, Rock.

             — Serais-tu bi, Coq ?

             — J’ai l’easy rut, Rock.

             — Là t’abuzz, Coq.

     

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             Pendant que l’avenir du rock tente de s’extraire de ce guêpier, Steve Diggle reprend en main la destinée des Buzzcocks, l’un des très grands groupes anglais rescapés, comme les Damned, de la première vague punk. Pourtant frappé de plein fouet par le cassage de pipe de Pete Shelley, le groupe existe encore. C’est inespéré.

             Pendant quarante ans, Steve Diggle a vécu dans l’ombre du grand Pete Shelley et ça n’a pas dû être simple pour lui. Diggle est un ‘Chester cat extrêmement brillant, c’est en tous les cas ce que montre Sonics In The Soul, le nouvel album des Buzzcocks, et on pourrait même aller jusqu’à dire : le nouvel album génial des Buzzcocks. Oui car quelle claque !

             Tiens, ça tombe bien, il en parle à Gerry Ranson dans Vive Le Rock. Ranson rappelle qu’il s’agit pour Diggle et Shelley d’une amitié vieille de 40 ans. Quand il a pris la décision de continuer le groupe, Diggle a dû surmonter le fameux «there’s no Buzzcocks without Pete», mais apparemment, nous dit Diggle, les fans ont accepté l’idée d’une continuation sans Pete. Il évoque les deux ou trois gros concerts de reformation donnés à Londres et comme ça lui tirait sur la paillasse, il est allé se reposer dans sa maison près de Thessaloniki, en Grèce - just walking up and down by the sea and having a cool drink - C’est là qu’il écrit des chansons - I always take a notebook - Il ne faut jamais perdre de vue que Diggle est un ‘Chester cat de base, brillant mais de base, un mec très ordinaire, qu’on est toujours content de revoir sur scène. Il dit avoir flashé très jeune sur Little Richard, Chuck Berry et Elvis et, comme tout le monde, sur les Beatles, les Stones, les Who, les Kinks et Bob Dylan. Puis il est passé à ce qu’il appelle le ‘hippie stuff’, «Donovan’s «Hurdy Gurdy Man», all that psychedelic thing», alors il s’emballe, «it was exciting, then later I got into The Velvet Underground, The Stooges and the MC5... via Bowie, really. ‘Cos as soon as Bowie came out, I remember seing the Ziggy Stardust Tour.» Voilà ce qu’on appelle une Éducation Sentimentale parfaite. Il a 16 ans quand il flashe sur Neu! et Can. C’est McLaren qui le présente à Pete Shelley au Lesser Free Trade, en 1976.

             Comme l’article s’étend sur 6 pages, Ranson retrace toute l’histoire des Buzzcocks, singles, albums, puis la première tournée américaine, et là, Diggle saute en l’air : «It was like Hammer Of The Gods!», il n’en revient toujours pas - Drink, drugs and girls every night. It was mental. But we always came out with the goods - Alors il développe, car c’est important : «Quand on est allés pour la première fois en Amérique, on a compris que tout était plus gros là-bas, alors on est montés d’un cran. Les Who pétaient leurs guitares et on a fait la même chose. Pas à cause des Who, mais à cause du public américain, the magic and the craziness of it!». Il raconte ensuite qu’à New York, les Ramones sont venus les voir en concert. Là, Diggle exulte : «Les Ramones nous adoraient et on leur a dit qu’on les adorait et qu’on avait été inspirés par leur premier album. Proper rock’n’roll times. But you have to live those times. That’s one of the reasons you get in a band: the excitement, the energy and... things!».

             Les Pistols choisissent les Buzzcocks pour jouer en première partie du Finsbury Park show en 1996. Là, Diggle devient sérieux : «That was the nucelus of 76. All the others came after. I always say, we wrote the fucking play, we wrote the script.» Diggle revient aussi sur la dernière tournée avec Pete, et un Pete fatigué qui vient le trouver chez lui pour lui dire qu’il songe à s’arrêter. Alors Diggle lui lance : «You’re not leaving it all with me! We’ve still got a lot to do!». Mais quelques jours plus tard, Pete casse sa pipe en bois.

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             Il est grand temps d’écouter Sonics In The Soul. Diggle attaque avec «Senses Out Of Control» et va se lover dans le giron de la légende. Quelle énergie ! Diggle crée de la bien bonne énormité, il insiste bien sur le control. S’ensuit un «Manchester Rain» vite torché. L’album s’annonce revigorant. Diggle est capable de ce genre de miracle, il t’explique comment on fonce à travers la plaine des Midlands, il te fait du pur jus. Il apparaît vite comme l’un des derniers géants de la grande époque du rock anglais, il tape en pleine power-pop avec «You’ve Changed Everything Now», il rue bien dans les brancards, Diggle dig it ! Le festival power-pop se poursuit avec «Nothingless World», ces mecs n’ont rien perdu de leur grandeur ancestrale. Diggle chante à la porte, mine de rien, il te sort un hit, il insiste et te colle au train. Il fait encore un prodigieux numéro de try it off avec «Don’t Mess With My Brain», il l’amène au heavy riffing de punch up, il chante à la menace à peine voilée, avec tout le poids de son héritage cocky, et ça prend de sacrées tournures, il rocke et il rolle à n’en plus finir, you betcha !, il transforme son mess en fookin’ legendary mess, you betcha, il n’en finit plus d’annoncer la couleur. Il illumine encore le rock anglais avec «Everything Wrong», il embarque ça au train d’enfer de Chester, il riffe avec une sorte d’incroyable facilité et une bassline croise sa route, ça sonne comme un hymne, tu as là du big Dig. Il te casse encore la digue vite fait avec «Experimental Farm», il te gratte ça à la vieille cocote. Diggle est l’un des mecs les plus attachants de l’histoire du rock anglais, mais aussi de la scène actuelle. Il gratte son énorme cocote en souriant, tellement il est heureux d’être là. Encore un coup de génie avec «Can You Hear Tomorrow», il claque ça au carillon, il pose bien ses conditions, il pousse le bouchon toujours plus loin, so far-out ! Il couronne son album à la dure de Chester.

             La chute de l’article de Ranson est magnifique. Diggle dit qu’après Devoto et Pete, c’est la troisième génération - We’re on the third generation now. You’ve been to the V&A and seen the Ming Dinasty? This is the Steve Diggle Dinasty, it’s my time now. Most people are on that journey now with us. Most people are saying ‘I’m glad you carried on, it’s nice to have Buzzcocks music in 2022’ - Magnifique artiste. Il devient chef de meute et trace la route vers l’avenir. Alors, on se prosterne jusqu’à terre.  

    Signé : Cazengler, la (triple) Buse

    Buzzcocks. Sonics In The Soul. Cherry Red 2022      

     

     

    Inside the goldmine

    - Un Chuck de choc

     (Part One)

     

             S’il fallait établir un hit parade des forces de la nature, nul doute que Jacques Somme trônerait au sommet. La notion d’obstacle ne l’a jamais effleuré une seule fois, tout au long de sa longue vie. Ne nous méprenons pas, Jacques Somme n’était pas un Hercule de foire. Il planquait ses biscotos sous un crâne garni de mèches blondes taillées à la serpe, comme celles de Jean-Paul Sartre, une autre force de la nature. Il était même courant, chez ceux qui goûtaient au privilège de sa fréquentation, de le comparer à Sartre, le strabisme divergeant en moins. Passionné de langues vivantes, Jacques Somme passait sa vie à les apprendre et à les enseigner. Il eut tôt fait d’apprendre le Russe et le Chinois et pour parfaire sa pratique, il y fit, comme Blaise Cendrars en son temps, des escapades sauvages. Plus tard, dans sa vie, lorsqu’il eût passé l’âge de sauter dans des trains en marche, il y organisa des voyages et créa un vaste réseau d’érudits et d’écrivains, dans les deux pays. Car bien sûr, la pente naturelle des polyglottes est la traduction. Il ne se contentait pas du Chinois officiel, il creusa un peu dans les régions et s’amouracha des dialectes locaux. Puis il entreprit à une époque où ce n’était encore courant d’apprendre TOUTES les langues des Balkans. Pour ce faire, il installait un magnétophone à cassettes sous son oreiller, et après avoir baisé ses deux maîtresses et son épouse qui partageaient sa couche chaque nuit, il s’endormait pour apprendre une nouvelle langue serbe ou croate. Il me confia un jour, en éclatant de ce rire rocailleux qui le caractérisait, qu’on apprend mieux en dormant. Il traduisait des auteurs qu’il connaissait personnellement pour le compte des fameuses POF, les Presses Orientales de France, et organisait des voyages culturels dans des pays très fermés comme la Corée du Nord et l’Albanie. Il nouait pour cela des contacts dans les ambassades et obtenait des autorisations que personne d’autre ne pouvait obtenir. Il commença au soir de sa vie à se pencher sur les dialectes d’Afrique de l’Ouest. Une nuit, son épouse et ses deux maîtresses furent réveillées par une atroce odeur de brûlé. Une fois la lumière allumée, elles hurlèrent en chœur : la tête de Jacques Somme était carbonisée. Sa cervelle en surchauffe avait pris feu. Ses lèvres bougeaient encore. Il semblait vouloir dire quelque chose. Son épouse se pencha. «Oua... ga... dou... gou...» Elle ne comprenait pas. «Oua... ga... dou... gou...»

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             Espérons que Chuck Jackson n’a pas connu une fin aussi atroce que celle de Jacques Somme. Enfin, atroce dans les apparences. C’est quand même pas mal de casser sa pipe en bois en apprenant une langue africaine. Chuck Jackson pratiquait une autre langue, la Soul. Il fut pendant 40 ans l’un des plus puissants Soul Brothers d’Amérique. Il ne connaissait qu’un seul rival, Wilson Pickett. Étant donné la nature tragique de l’événement, nous allons revêtir nos plus beaux habits noirs pour lui rendre un dernier hommage.

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             La meilleure introduction à l’œuvre de ce géant de la Soul est une belle compile Kent, Big New York Soul. Wand Records 1961-1966. Dans le booklet, c’est Ady Croasdell qui se charge des présentations. Il commence par rappeler que les Wand recordings du Chuck de choc sont considérés comme «some of the finest Soul tracks of their era». Entre 1961 et 1967, Chuck enregistre 30 singles et 10 albums pour Wand. Bien sûr, il est l’un des chouchous de la Northern Soul, sinon l’Ady ne serait pas là. Petite cerise sur le gâtö : les Kentomanes sont gâtés car l’Ady n’en finit plus de rappeler que cette compile grouille d’inédits découverts par les fureteurs d’Ace, lorsqu’ils ont récupéré les vaults d’or de Scepter/Wand, dans les années 80. Parmi les inédits, voilà «Things Just Ain’t Right», un heavy r’n’b gorgé de remona. Le Jackson boy y va au straight gut in the face. Chez lui, ça ne marche qu’à l’énergie du punch. Cette compile grouille littéralement de puces. Autre inédit : «All About You», cut dévorant dans une bruine de son. Chuck fait des étincelles, c’est raw, c’mon brother !, il y va au ah !’, il préfigure tout ce qui va suivre. Il t’aplatit l’All About You vite fait. Il allume aussi le «Why Why Why» à outrance. Upbeat and catchy, comme dit l’Ady. Il précise en outre que Doris Troy, Yvonne Fair et Maxine Brown chantent avec Chuck. Il fait un duo d’enfer avec Dionne la lionne sur «Anymore», qui date de 1963. Elle est jeune, presque fausse. C’est Chuck qui fait le show. Dionne vient se chauffer à la chaleur du Chuck. On peut dire de cet artiste extraordinaire qu’il chante d’une voix complète, cassée et cassante, une voix d’airain et d’étain, raw et polie à la fois. Il exerce une âcre fascination («Getting Ready For The Heartbreak»). Il est sur le pont dès l’aube de la Soul avec «In Between Tears». La série noire des coups de génie continue avec «Hand It Over», il te groove le hard du lard dans le creux de l’oreille, c’est de l’early Soul de génie, rien à voir avec la Soul plan-plan qu’on entend ailleurs. On plonge encore un peu plus au cœur du mythe Jackson avec «Big New York», le Chuck de choc rebondit dans le big heavy groove élastique. Voilà un mix idéal de groove et de big voice. Pour l’Ady, «Another Day» est une haunting performance. Chuck chante par dessus les toits. Avec «Why Some People Don’t Like Me», il passe au heavy blues. Il est dessus, mais au jazz bound. À chaque fois, il tape dans le mille. Il est énorme et plein, comme le montre encore «What You Gonna Say». Plein comme un plain singer. Dans «I’ve Got To Be Strong», il est juste derrière le groove. Chuck ne fait rien comme les autres. C’est un artiste unique, il groove son «Silencer» comme un cake. Il s’accroche encore à «This Broken Heart (That You Gave Me)», il s’y accroche de toutes ses forces, tu as sans doute là la meilleure Soul de l’époque, et donc du monde. Il faut le voir balancer des hanches sur «Forget About Me», il est d’une présence inexpugnable. Plus on progresse dans la compile et plus Chuck fascine par son talent et sa modernité de ton. Il est encore plus tranchant que Wilson Pickett. Un Part Two bien gras et dodu comme un sacristain viendra conforter cette idée.

    Signé : Cazengler, Chuck assomme

    Chuck Jackson. Disparu le 16 février 2023

    Chuck Jackson. Big New York Soul. Wand Records 1961-1966. Kent Soul 2017

     

     

    *

    Y a des gens cruels, vous n’y pouvez rien, c’est la nature humaine. Ici ils sont quatre, Tony Marlow, Amine Leroy, Fred Kolinski, à eux trois ils forment Marlow Rider, mais comme pour les trois mousquetaires, ii faut chercher le quatrième, un nom que l’on n’oublie pas, ce n’est pas le loup blanc, c’est Seb le Bison. On ne le voit pas, durant l’enregistrement du disque il était caché derrière la console et sur cette vidéo planqué derrière la caméra.

    Marlow Rider, l’on vous a présenté le premier opus ( 2021 ) du trio intitulé First Ride, l’on a doublé la mise, une fois le Cat Zengler, une fois votre serviteur, pour être sûrs que vous n’oublierez pas, un truc qui a foutu le sbeul partout où on l’a entendu. Gros succès, conséquence ils recommencent. La sortie de la deuxième rondelle vinylique est prévue pour ce début du joli mois 68, que dis-je, de mai !

    Pour le moment vous ne voyez rien à leur reprocher, pour un peu vous les traiteriez de bienfaiteurs de l’Humanité, vous avez tort, ils ont décidé de mettre le feu partout, des adeptes d’Héraclite qui pensait que le feu présidait au cycle éternel de la naissance et de la destruction du monde, leur nouvel album s’intitule CRYPTOGENESE, bref ils ne s’en cachent pas ils veulent nous brûler tout vifs comme Jeanne d’Arc. Les écologistes qui redoutent la sécheresse me font rire. En attendant, regardons et écoutons en avant-première :

    DE BRUIT ET DE FUREUR

    MARLOW RIDER

    ( Official Vidéo Bullit Records/ 05 – 05 – 2023 )

     

    Pas un bruit, sommes-nous dans un fond de banlieue là où commence ( presque ) la campagne, le Marlou étui de guitare en main, allure décidée, lorsqu’il passe devant une porte de garage, la caméra se focalise sur son visage, un quart de seconde pas plus, le Marlou vous regarde, votre sang se fige dans vos artères, maintenant vous comprenez pourquoi dans ses interviewes il n’oublie pas de spécifier qu’il est né en Corse, le pays des bandits d’honneur, très gentils mais il vaut mieux s’abstenir de leur marcher sur les pieds, même sur un seul, vous paniquez, pourvu qu’il ne m’ait pas vu, mais non il n’a rien contre vous, par contre dès l’image suivante il s’en prend à sa guitare.

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    Marlow envoie le riff, tout de suite lourdement ponctué par Fred à la main lourde, la contrebasse d’Amine vous pose des contreforts en béton précontraint, vous entrevoyez cinq minutes de volupté paradisiaque, déjà vous voyez venir la suite, riff + riff + riff + solo fulminant, puis retour riff + riff + riff + solo embrasement terminal, personne ne descend tout le monde totalement stoned, le Marlou vous réserve une surprise, une vipère froide comme la mort qu’il balance autour de votre cou, elle sort de sa bouche, une espèce de Ah ! de derrière le larynx, un feulement de lynx sauvage qui se laisse tomber du haut d’un arbre et enfonce les griffes de ses quatre pattes au travers de votre boîte crânienne pour le plaisir de labourer votre matière cervicale particulièrement spongieuse, le Marlou ne cessera de répéter  la déliquescence de son cri ante-primal tout le long du morceau, pour accentuer l’effet et l’effroi la caméra se bloque sur sa bouche ouverte et vous apercevez sa langue rouge comme la torche d’Erostrate avec laquelle il incendia le temple d’Artémis à Ephèse, sur l’autel duquel Héraclite avait déposé son livre, la même nuit où naquit Alexandre le Grand, vous voyez la conséquence que cette gutturalité spasmodique a produit sur ma modeste personne, mais ce n’est pas tout, puisqu’il a ouvert la bouche, Marlow parle, en français, comment il ose jouer de la guitare psykédélique et il chante en français, sachez-le Marlow n’a peur de rien, il sait imposer ses choix, l’image qui déjà n’était pas très stable se démultiplie, Marlow ressemble à l’Hydre de Lerne, il est impossible de compter ses têtes, Marlow partout, le reste du monde nulle part, z’êtes emportés dans un tourbillon stroboscopique, Fred vous plombe sa batterie, l’a tendu ses peaux sur des gouffres ce qui explique leurs résonnances, et Amine vous dénature sa big Mama, il vous décalamine le son en décalcomanie, le Marlou n’en continue pas moins à glapir tel le Renard du désert à la recherche du Petit Prince, à la fin sa guitare ondule comme une tête de cheval séparée de son corps, elle circonvolute avec la grâce et la maestria d’un évêque qui vous balance un encensoir autour d’un cercueil. La messe est dite. Ite. Sur l’image suivante, on retrouve le Marlou dans la rue tenant son étui à guitare d’une main et une jolie fille de l’autre. Normal c’est un rocker.

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    Damie Chad.

      

    *

    Je connais nos lecteurs, je n’ignore rien de nos lectrices, en lisant la chro précédente sur Tony Marlow, les premiers en lisant le nom de Seb le Bison ont rêvé à la légende indienne du bison blanc, les secondes ont cru qu’elles allaient enfin assister au retour de la femme Bison Blanc. Je crains de décevoir le lectorat, non Seb le Bison n’est pas un bison blanc, non il n’est pas une femme, l’est un homme comme tous les autres, avec quelques particularités, il est Directeur Artistique de Bullit Records, label Rock Indépendant basé à Montreuil City Rock. Enregistrent chez Bullit, Marlow Rider, Cooking with Elvis, Loolie & The Surfin Rogers, je cite ces trois en premiers car nous les avons déjà chroniqués, disques et concerts, mais aussi : Smash, Rikkha, Les Daltons, Nico Shona and the Freshtones, et Modern Delta. Enfin Western Machine dans lequel Seb le Bison officie à la guitare.

    SHORT CUTS

    WESTERN MACHINE

    ( Bullit Records 02 / 2021 )Jésus la Vidange : bass / Taga Adams : bass, vocals / François Jeannin : drums,  vocals / Fred le Bison : vocals, guitar, producteur / Matt le Rouge : saxophone / Andrew Crocker : trumpet.

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    Une pochette hommagiale, pas spécialement dédiée au western, pas mal au cinéma, pour le reste il n’est pas évident de reconnaître les effigies, ce qui est sûr c’est que les trois carrés blancs représentent les membres du groupe : Taga Adam, François Jeannin et Fred le Bison mais au cinéma. Faudra-t-il considérer chaque morceau comme une séquence de film.

    Going back to Hollywood : ne dites pas qu’à Hollywood les cowboys sont d’opérette car ça ramone sévère, si vous attendez une ballade country c’est raté, Jeannin s’obstine fatidiquement sur ses outils de travail, le Bison  meugle méchant, l’on intuite qu’il n’est pas dans un champ de pâquerettes en train de conter fleurette sous un soleil printanier, et pour finir Matt se fâche tout rouge sur son sax, déraille dans un long solo qui finit par se confondre avec des bruits de voitures. High shape woman : Jeannin balance la salière, et la horde cavale derrière, tous en chœur pour le refrain, à la manière dont il mord dans le vocal comme dans le fruit du péché il est sûr que Calamity a produit un effet bœuf sur notre Bison. Bison : Bison fait son autopromotion, sort de son étui une belle voix sombre à la Johnny Cash, sur le refrain les copains le soutiennent à mort, l’a encore une arme secrète, c’est Andrew qui dégaine sa trompette, illico l’on est transporté dans les grandioses paysages de la Sierra Nevada, hélas un coup de téléphone impromptu tire-bouchonne les illusions héroïques. Run run : galopade effrénée, tout se passe dans la tête, voix et contre voix, presque un instrumental serait-on tenté de dire, ce qui serait un mensonge éhonté, mais y mettent tant tout leur cœur que la coagulation rythmique des instruments emporte l’adhésion. Red horse : le cheval n’est pas rouge par hasard, c’est Matt qui mène le troupeau sauvage, se lance dans une espèce de solo vrillé qui tient autant du jazz-noise que du sixty-garage, à la toute fin il essaie de recracher le crotale de la fiole du moonshine qu’il avait avalé par inadvertance. Betty Jane : ce n’est pas Betty Jane Rose, plutôt Betty Jane blue, de toutes les manières rose ou bleue les filles sont toujours problématiques, n’y a qu’à se fier à la voix blanche qui raconte, en douce langue françoise, cette triste histoire, concentrons-nous plutôt sur le travail de François Jeannin que la valdinguerie de la guitare met en évidence. Down by law : voix implacable de la justice en intro, musique en cavale précipitée et voix hargneuse tout de suite après, nous n’avons pas encore parlé des chœurs masculins qui émaillent beaucoup de ces titres, ces soulignements lyriques ne sont pas à négliger, surtout dans ce titre où ils apportent stigmates du drame. I won’t back down : de Johnny Cash, rendons à César ce qui est appartient à Tom Petty et ses Heartbreakers, disons que Western Machine rajoute de la viande instrumentale autour de l’os Cashien, l’idée se défend mais parfois le dénuement squelettique est plus inquiétant. Diamond ring : une espèce de parodie westernique très bien faite, la scène du saloon avec le sax de Matt le Rouge qui se permet de danser la gigue sur les tables et les chœurs de cowboy qui rajoutent de l’ambiance. Moon phase : western interstellaire, avant tout un instrumental, Jeannin se démultiplie, le sax de Matt déraille et fouraille une fois de plus pour notre plus grand plaisir. Western dream : les westerns mexicains, ceux qui se passent au Mexique, de Vera Cruz à El Chuncho, sont-ils les plus beaux, la question mérite discussion, la trompette d’Andrew fait pencher la balance en leur faveur, pratiquement seule, elle surgit comme l’incarnation de l’âme d’un peuple sur un dialogue de film. Magnifique.

    Ne pas se focaliser sur le terme western, machinent un peu tous les styles, garage, rock, punk, ska, mélangent le tout et ressortent la mixture à leur sauce. Résultat : l’envie d’écouter le premier.

    FROM LAFAYETTE TO SIN CITY

    ( Bullit Records / 2016 )

    Olivier HSE : bass / Jésus la Vidange : bass, vocals / François François : drum, vocals / / Fred le Bison : vocals, guitar, / Matt le Rouge : saxophone.

    Big Zym s’est chargé de la chouette pochette, mélangeant mythologie western et modernité avec humour.

    Le titre désigne-t-il la ville de Lafayette située dans l’Indiana ou une autre, plusieurs bourgades des USA ont en effet pris le nom de notre célèbre marquis.  Quant à Sin City la difficulté de localisation est encore plus grande, certes c’est ainsi que l’on surnomme Las Vegas, toutefois nous partirons du principe suivant : il y a déjà une Sin City dans chaque ville où réside une lectrice ou un lecteur de notre blogue. Ailleurs aussi, mais la liste serait trop longue.

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    Hey Western Machine : est-ce en l’honneur de Bo Diddley l’homme à la guitare en fourrure que le titre démarre sur une cascade battériale, par la suite François s’amuse à nous servir le jungle sound en catimini, l’on change d’époque, guitare et basse écrasent tout sur leur passage, z’ont sorti la voiture de la pochette du garage et ça s’entend. Débutent leur disque par un instrumental, un peu comme les westerns qui s’ouvrent sur une tuerie.  Dead man : une guitare saignante, une basse grondante une batterie qui joue au tapis de bombes et une voix qui survole le tout comme un vol de vautours autour d’un cadavre, n’y vont pas de main morte, vous ratiboisent le secteur sous tous ses angles. Pour les amateurs de déglingue. I got a D : intro fanfaronnade, puis l’on prend les patins pour glisser sur le plancher sans rayer, avoir un D comme date, ça vous file de l’entrain, à la fille comme au boy, ne sentent plus, j’ignore le nombre de flacons pilules qu’ils ont avalés, mais ils sont en forme, une espèce de trombe joyeuse qui dévastera les adeptes de la sérénité zen. Failing down : après les deux giboulées précédentes, avec un tel titre on espérait un blues tempéré, totally raté, c’est encore pire, une folie furieuse vous emporte au vent mauvais, n’en finissent pas de jacter, à croire que le rendez-vous ne s’est pas passé comme on l’a cru, un jungle sound démentiel, une catastrophe auditive, les fauves sont lâchés sur les auditeurs innocents. Phénoménal.  Walking dead : pas de panique avec ce  que vous venez d’entendre vous pouvez croiser une horde de morts vivants affamés avec le sourire, un bon départ rock’n’roll, souplesse rythmique, la basse lourde comme un éléphant qui fait des claquettes, sur les refrains le morceau décolle comme un gros porteur, évitez les hélices elles vous décapiteront en un rien de temps, en fait c’est très métaphysique, notre mort-vivant ne retrouve personne, l’on comprend qu’il ait des poussées d’adrénaline, un drame de la solitude. Comme quoi même au milieu d’un vacarme l’on peut se sentir seul. You’re hot : vous ne résisterez pas à la féminine voix suave qui vous interpelle et encor moins à cette batterie aux abonnés présents, à cette basse épouvante et à ce riff éprouvant, hélas les meilleures choses sont les plus courtes. Deux minutes d’éjaculation précoce.  Lonesome hero : ne confondez pas avec Im a lonesome fugitive, décidément la ballade sentimentale ce n’est pas leur truc, le gars n’est pas abattu par la nostalgie, roule comme une pierre qui rolling stone, mais hargneuse, hérissée de rage et de fureur, le François se prend pour Rocky 2, et tout le reste à l’avenant, attention à l’avoinée qui vous tombe dessus. N’arrivent même pas à se calmer sur les trois dernières secondes. Des brutes épaisses. Adorable ! Come to me : n’écoutez pas ce morceau je vous en conjure allez sur YT visionner l’official video, et après vous ne reconnaîtrez plus personne, pas même une Harley Davidson. Very Hot. Pour ceux qui en veulent plus, Juliette Dragon officie aussi sur Sin City. Mustang : une chevauchée fantastique pleine de bruit et de fureur, du bitume et des motos, un shoot de basse à vous déchausser les dents, une cavalcade motorisée comme vous n’avez jamais osé, la poignée dans le rouge. Sin City : maintenant vous savez pourquoi ils étaient si pressés, la voix de Juliette Dragon incarne le péché à elle toute seule, le saxophone de Matt le rouge éclate comme un bulbe turgescent, il se dresse comme une tête de serpent en train de muer, le morceau chavire dans l’enfer du stupre et le gouffre de la dépravation, vous croyez avoir atteint le fond, vous n’avez pas tort, mais vous n’avez pas raison.  D blues : Blues urbain ou country blues. Epineuse question. Ces deux rails parallèles sont-ils fait pour se rencontrer. Pour ceux qui veulent comprendre une official video sur YT vous aidera. Entre délire et questionnement philosophique sur la nature de l’Homme cet animal bipolaire. Un morceau un peu à part, moins rentre dedans que les précédents, mais tout aussi bon.

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             Je pense que cet album est encore plus réussi que le précédent qui vaut son pesant de berlingots à la nitro. Sûrement plus tonitruant, pratiquement à chaque morceau vous auriez envie qu’ils nous en fassent une version instrumentale pour mieux en goûter la richesse. Power trio de choc. Luxuriant.

              D’une richesse extraordinaire.

    Damie Chad

     

    *

    STONE OF DUNA

    Des inconnus par chez nous. De Gothenbourg, deuxième ville de Suède située au sud-Ouest du pays, au bord de mer. Déjà un bon point, en règle générale les groupes Suédois raffolent de la violence, cela provient-il de leur ascendance viking, peut-être. En tout cas Stone of Duna ne semble pas déroger à cette règle. Ils ne donnent pas leur identité, mais les mots qu’ils emploient pour définir leur musique ne paraissent pas évoquer la douceur de vivre. Jugez-en par vous-mêmes : machine à riffs, doom, stoner, sludge, fuzz. Ne les traitez pas de grosses brutes épaisses sans peur et sans pitié. Sont comme la lune, z’ont une face cachée, sont aussi des amateurs et peut-être même des armateurs de musique progressive. Je reconnais que cette appellation recouvre le meilleur comme le pire, l’insipide ou la découvrance de terres inconnues. Se présentent comme des philosophes, pas dans le genre Kant rébarbatif, comme des adeptes de la pierre philosophale, ne l’appellent pas tout à fait comme cela, usent de l’expression de pierre de Duna, qu’ils cherchent à atteindre par la transmutation alchimique des éléments précités, voire précipités dans l’athanor de la recherche sonore. Quoi qu’ils en soient, en sont juste au début de leurs recherches, n’ont publié que deux singles, en mars et en avril de cette année.

    STYGIAN SLUMBER

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    La pochette n’est pas sans évoquer l’intérieur du Led Zeppelin IV, ce mystérieux vieillard encapuchonné perché sur le sommet d’un pic rocheux tenant en sa main gauche une lampe dont le halo lumineux paraît d’un diamètre bien trop réduit pour éclairer le monde. Sur la couve de Stygian Slumber, l’ermite est en marche, il n’est pas encore parvenu au point culminant de sa montée. Si tout comme sur le Led Zeppe il s’appuie sur un long bâton, il ne brandit aucune lanterne, le haut de sa silhouette s’inscrit dans l’orbe d’un astre satellitaire, il porte sur son dos un étrange appareil, entre appareillage de plongée et alambic portatif dans la transparence duquel s’agitent de verts linéaments. Une image aussi difficile à déchiffrer que celle du IV. A la bien regarder l’on pense intuitivement à la nuit du Walpurgis dans le Faust de Goethe.

    Etrange, étrange, étrange, oui trois fois étrange, une distribution parfaite, un tiers pour la musique, un tiers pour le vocal, un tiers pour les lyrics. ( Pour ces derniers si l’anglais vous pose des difficultés regardez sur YT la version Lyric Video ). C’est l’entrée du vocal qui est déstabilisante. L’intro mérite le logo classic doom sans discussion, une montée en puissance des cordes avec très vite le jeu de la batterie qui tient à jouer son rôle de jeune première, tout est parfait, quand l’on y revient l’on s’aperçoit que du premier coup on n’a pas fait attention au merveilleux équilibre sonore apporté à chaque instrument, tous traités à égalité, puissance équivalente, un peu plus tard la basse bénéficie d’une thérapie un peu spéciale, on la laisse grogner toute seule dans son coin à la manière d’un loup fourvoyé dans une cage, ce traitement de faveur n’est pas dû au hasard, l’est sans doute là pour attirer l’attention sur l’exhaussement des voix, pour qu’à l’instant où l’organe humain prend son envol l’auditeur en ressente la clarté absolue. En règle générale dans le doom l’obscurité de la musique assombrit la voix qui pour se mettre en diapason avec l’atmosphère morbide s’enkiste dans une raucité gutturale et le background instrumental pour ne former qu’une unique coulée de lave torrentielle, ici vocal el instrumentation font cavalier seul, aucun n’empiète dans le couloir de l’autre, ce n’est pas qu’ils s’ignorent, qu’ils essaient de tirer la couverture à eux, l’on pourrait parler de coexistence pacifique, si tu déchaînes ta puissance je libèrerai la mienne, tu as tout à y perdre autant que moi, alors ne joue pas avec le feu, tu te brûleras. En cherchant bien, un peu ce qu’avait réussi en 1970 Uriah Heep dans Gypsy sur Very ‘Eavy, Very ‘Umble. Toute constatation mérite explication. Elle réside dans les lyrics. Assez obscurs. Non pas l’histoire d’un cheminement extérieur plutôt celui d’un dévoilement intérieur, ces pensées par lesquelles survient la prise de conscience que la réalité qui s’offre à nous n’est qu’une croûte de mensonge, que sous la boue terrestre des chemins se cache la réalité d’un autre monde, que la fange alluvionnaire recouvre et cache une pierre à la dureté impérissable. Une fois que l’on a saisi c’est alors que commence le chemin, celui de la maîtrise opératoire, la première étape celle de l’œuvre au noir, par laquelle le compost de la matière première est réveillé, préparé, réactivé, cette épreuve exige habileté et réflexion, ce qui explique maintenant la construction de ce morceau dont les différents ingrédient sont portés à leur plus haut niveau d’intensité, la recherche du kairos dans le kaos, de l’instant précis où toutes les séquences ordonnées seront à même de subir l’épreuve de l’étape suivante. Les alternances, les phases, les déclinaisons instrumentales et chantées sont à écouter comme un processus rituelliques dont le but principal serait de reléguer le hasard dans le néant des inexistences parcellaires. L’on n’épuise pas ce morceau, il faut sans cesse le réécouter pour en signifier le déroulement.

    DEATHBRIGHT

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    L’on retrouve sur la couve le marcheur de la pochette de Stygian Slumber. Il semble (tout comme le vieillard du IV) parvenu au faîte du mont dont il n’abordait alors que les premières pentes. Il contemple le grandiose paysage qui s’étend devant lui. Des aiguilles pierreuses s’offrent à sa vue. L’artwork est manifestement inspiré du tableau Le voyageur de Caspar David Friedrich. Le lecteur aura remarqué de lui-même que si la première image reste dans une tonalité ombreuse, cette deuxième semble auréolée de couleurs beaucoup plus éclatantes.

    Musique plus vive, le vocal davantage dans le magma sonore, mais encore lumineux, nous voici dans l’instant du réveil, le maître a agi sur la matière noire, elle se rend compte qu’elle était morte puisqu’elle prend conscience qu’elle vit, le son se charge d’impétuosité, le morceau oscille, tantôt il penche du côté de la mort et tantôt de la vie. Si le maître a rendu la vie à la matière morte, que lui a donné en échange la matière morte, toute l’opération ne serait-elle pas un va-et-vient incessant entre les deux formes suprêmes de toute phénoménologisation, entre existence et inexistence. Entre couleurs et nuit, entre chaleur et froideur. Entre inertie et mouvement. Le deuxième menant immanquablement à l’autre. Nous n’avons parcouru qu’une partie du chemin. Nous attendons avec impatience la suite.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 24 ( Black teeth  ) :

    129

    Je m’écroule sur la moquette. Evanoui. Ainsi la clef de cette mystérieuse et labyrinthique de cette affaire repose en moi. Le choc émotif a été trop fort ! Molossito me lèche le visage. Molossa me mord les pieds. Rien n’y fait. Lorsque les pompiers sont arrivés, ils sont à mes côtés et hurlent à la mort. Le toubib et les infirmiers du Samu, s’évertuent de longues minutes à pratiquer un massage cardiaque, en vain. Le docteur ne se décourage pas :

              _ La dernière chance, hier j’ai été appelé au zoo de Vincennes, l’éléphant ne se réveillait pas après la dose d’Angel Dust que le vétérinaire lui avait administrée, on lui a refilé cent soixante- dix-sept litres d’ammoniac dans le cœur sous forme de piqûres, l’était tout faiblard quand il s’est réveillé, n’est toujours pas en grande forme ce matin, avec trois mois de convalescence à l’isolement complet on estime qu’il a une chance sur cent pour retrouver la santé, il me reste une seringue dans le sac !

    Et hop il me plante l’aiguille dans la poitrine et m’instille direct un litre d’ammoniac dans le cœur. Je ne bouge pas, mon corps ne frémit même pas. Cinq minutes d’attente angoissée, le praticien se tourne vers le Chef :

             _ Monsieur, je suis désolé, la science ne peut plus rien pour votre collaborateur !

              _ Arrêtez vos jérémiades, d’abord sachez que les agents du Service Secret du Rock ‘n’ roll, ne sont pas comme les autres humains, maintenez-lui la bouche ouverte, et vous là débouchez-moi la bouteille sur l’étagère là-bas !

    Le Chef ouvre le tiroir de son bureau et en tire un Supositario qu’il allume sans tarder, il aspire longuement une énorme bouffée et se penchant vers moi, il me souffle un épais nuage de fumée malodorante dans les bronches. Les deux pompiers qui m’écartent les mâchoires se détournent pour vomir leur quatre heure. J’ouvre les yeux et tousse un bon coup.

             _ Un miracle, je n’ai jamais vu ça, balbutie le Diafoirus

             _ Au lieu de dire n’importe quoi ingurgitez-lui une demi-bouteille de Moonshine dans le gosier, dans un quart d’heure il batifolera dans le bureau comme un poulain qui vient de naître !

    130

    Après cette longue journée nous avons dormi au local. Je me hâte de rétablir la vérité historique. Après le départ des secouristes je me suis allongé sur un divan, mes chiens serrés contre moi, à ma grande honte j’ai roupillé comme un loir. Le Chef est resté à son bureau toute la nuit, en fumant Coronado sur Coronado. Lorsque je me réveille il est train de vérifier avec soin une dizaine de Rafalos posés devant lui.

             _ Agent Chad, vous devriez dormir toutes les nuits au bureau, nous gagnerions ainsi un temps précieux !

             _ Pour quoi faire Chef, je ne sais plus par quel bout continuer cette enquête, je suis perdu !

             _ Agent Chad savez-vous la différence existant entre un dédale et un labyrinthe ?

             _ A peu près la même chose, je suppose

             _ Pas du tout un dédale possède plusieurs entrées et donc plusieurs sorties, à l’opposé un labyrinthe n’a qu’une seule entrée qui est aussi son unique sortie.

             _ Oui Chef mais où cela nous mène-t-il, je ne vois pas où…

            _ Elémentaire mon cher Chadson, nous savons que tout ce mystère repose sur vous, l’espèce de commotion psychique dont vous avez été saisi hier le prouve, pour résumer vous êtes l’entrée et la sortie de cet imbroglio, nous sommes en plein dedans, il suffit de trouver la sortie pour nous en tirer. Actuellement nous nageons un peu si vous me permettez cette expression, il suffit donc de remonter le courant pour nous extraire de ce guêpier.

             _ C’est-à-dire que nous allons procéder en quelque sorte à l’envers !

             _ Exactement Agent Chad, mais en procédant selon notre logique et non pas selon celle du labyrinthe. Je vous explique parce que votre mine me signifie que vous n’entravez que couic. N’oubliez pas que c’est vous Agent Chad qui avez défié la mort, vous avez même dit que vous vouliez tuer la mort. Ce qui n’est pas sans poser quelques problèmes, si vous réussissez, pensez à ces millions d’imbéciles qui nous entourent présentement et que nous devrions supporter durant des milliers d’années…

    • Présenté comme cela en effet il me semble…
    • Ce n’est pas le problème, dîtes-moi plutôt où l’on a la chance de rencontrer la mort ?
    • Dans les cimetières Chef !
    • Eh bien, nous allons revisiter les cimetières que nous avons traversés durant nos pérégrinations, mais en commençant par le dernier !
    • Si je comprends bien nous…
    • Allez plutôt me voler une grosse berline noire !

    131

    Nous avions pris l’air de promeneurs inoffensifs, des curieux, des touristes, nous avons tourné et retourné, ne pas attirer l’attention avait dit le Chef, personne n’aurait pu dire si au prochain croisement nous prendrions à droite ou à gauche tant notre promenade paraissait capricieuse et hasardeuse. Malgré cette nonchalance affichée, nos circonvolutions faussement aléatoires ont fini de nous rapprocher de notre but.

    • Nous sommes à moins de deux cents mètres, murmura le Chef, Agent Chad une main sur votre Rafalos, maintenant tout peut arriver !

    Le Chef croyait-il si bien dire ? Il ne nous restait plus qu’une soixantaine de pas pour arriver lorsque nous les vîmes. Ils étaient deux manifestement occupés à se livrer à une étrange tâche. Nous nous sommes rapprochés sans bruit. Ils ne nous ont pas entendu venir. En bleu de travail, ils avaient l’air de rassembler leur outillage. L’un s’est brutalement retourné :

    • Ah c’est vous ! Vous venez voir le travail, ça n’a pas été difficile ni trop long, j’espère que vous serez satisfaits
    • Non, non, nous sommes de simples visiteurs, nous nous demandions ce que vous faisiez
    • Excusez-moi, nous avons cru que vous étiez des membres de la famille. Nous sommes des marbriers, nous avons été chargés de terminer l’inscription sur la tombe, pour moi ce n’était pas difficile, juste rajouter 80 à l’année de naissance et 95 à l’année de sa mort, par contre pour le collègue ce n’était pas de la tarte.
    • Pensez donc Messieurs il a fallu rajouter une première lettre au nom et en plus l’attacher à la suivante, pas facile mais je ne suis pas mécontent de moi, pas mal l’artiste, qu’en pensez-vous ?

    Je m’extasiai :

             _ Sûr qu’accoupler le E initial avec un O qui prend sa place, il faut être sacrément habile, de la belle ouvrage !

            _ Par contre la personne qui est dessous est là depuis presque 30 ans, puisque nous sommes en 2023, et durant tout ce temps la famille n’a pas trouvé le temps de rajouter quatre misérables chiffres, des radins comme cela, ça ne devrait pas exister, une honte, il n’y a plus de respect dans cette société, même pour les morts, nous vivons dans un drôle de monde !

    Nous compatissons gravement. Un coup de klaxon rompt retentit.

              _ Ah ! le patron, doit y avoir un autre chantier, on prend le matos et l’on file, au revoir Messieurs !

               _ Bonne journée Messieurs et félicitation pour votre travail.

    Une camionnette s’arrête sans bruit un peu plus loin dans l’allée. Les deux gars ouvrent la porte arrière déposent leur matériel et s’engouffrent dedans… Le véhicule redémarre lentement :

    • Chef, le patron ne leur permet pas de monter avec lui dans la cabine, ce n’est pas sympa !

    Le Chef n’a pas le temps de répondre. La camionnette s’arrête et opère un demi-tour. Elle repasse devant nous. Le chauffeur ne nous jette pas un regard. Le Chef retient mon bras :

             _ Doucement Agent Chef, je l’ai reconnue moi aussi, notre vieille amie la Mort, malgré le col de sa veste remonté et la visière de sa casquette qui voile son visage.

             _ Chef sa camionnette fonctionne à l’électricité, elle ne doit pas aller bien vite, les engins de cette marque sont réputés pour ne pas battre des records, courons jusqu’à notre voiture et essayons de la rattraper !

             _ Pas d’affolement Agent Chad, inutile de nous faire remarquer, j’ai deviné où elle va !

             _ Où ça ?

             _ Sur une route que vous connaissez bien !

    J’arrête de marcher, mon esprit fonctionne à toute vitesse, tout s’éclaire soudainement.

             _ Chef avec la voiture que j’ai volée nous y serons avant elle, je vous le promets !

             _ Agent Chad je n’en doute pas, je vois que vous commencez à comprendre la différence entre un dédale et un labyrinthe !

    A suivre….

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 596: KR'TNT 596 : TELEVISION / HOUSE OF LOVE / IGGY POP / RUBY JOHNSON / THE FALL / DIVORCE FINANCE / VERITI RITUS / SWAMP DUKES / AMER'THUNE / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 596

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    13 / 04 / 2023

    TELEVISION / HOUSE OF LOVE

    IGGY POP / RUBY JOHNSON

    THE FALL / DIVORCE FINANCE

    VERITI RITUS / SWAMP DUKES

    AMER’THUNE / ROCKAMBOLESQUES

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 596

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Television Personality

     - Part Two

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             Après le flash planétaire de Marquee Moon, Television va rester allumé le temps de deux albums, Adventure en 1978, et un album sans titre, en 1992.

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    Tu vas trouver en ouverture du balda d’Adventure un «Glory» qui semble tout droit sorti de Marquee Moon, tellement c’est taillé sec dans le lard télévisuel, avec un chant de sale petit décadent. Verlaine en joue jusqu’à la nausée, ça fait partie du jeu, il revient au Marquee avec la même volonté de ne pas en découdre, même volonté de corrompre la formule. Il sait rester expressif et donc convainquant, Verlaine continue de faire son Rimbaud. On trouve encore tous les travers de Marquee Moon dans «Days», Verlaine continuer d’exploiter son petit filon de florentin malingre aux veines saillantes. Il joue les victimes désignées, il se sacrifie sur l’autel des dieux, pas besoin de prêtres. Tout l’album reste dans le même acabit, même balancement, même sens aigu de la mauvaise santé. Ce vieux Verlaine n’en démord pas, il campe dans sa déliquescence avec le chant qui sied. On sent bien que Verlaine se prend pour un poète dans «Carried Away», il a du répondant et fait l’effronté. Retour à Marquee Moon avec «Ain’t That Nothing», Verlaine ressort le riff de Johnny Jewel, il sent qu’il faut sauver les meubles, alors il tarpouine sa vieille recette et bascule dans l’«Happy» de Keef. Quel mélange ! Le voilà en plein Exile, avec une belle descente au barbu d’electrak. Au final ça donne un cut inexorable.

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             On trouve encore deux ou trois belles choses sur l’album sans titre paru en 1992, à commencer par «In World», un beau funk blanc, c’est sec et net, et même intraitable, serti d’un solo hirsute de clairette maladive signé Richard Lloyd. C’est encore lui le petit Richard qui allume «Call Me Lee», son solo est un vrai festin d’entrailles, il joue à l’outrance carnassière. Avec «Beauty Trip», ils passent au wild TV groove d’Hoochie Coocha, Verlaine taille sa route au señor, il y va, c’est monté sur un bassmatic de Fred Smith, ils te groovent l’Empire State Building, et ça donne une merveille absolue. Verlaine fait le fanfaron sur «Shame She Wrote This». Il adore rebondir sur le vieux beat en bois poli. L’air de rien, avec son air fourbe, il passe son Television en douce. Il donne encore une suite à Marquee Moon avec «Rhyme». Tu peux considérer Verlaine comme un grand parnassien. De la même façon que Lou Reed, il a une vision très spéciale du rock, il voit le rock à travers les binoculaires de New York. Il déploie toujours les mêmes draps de satin âpre. Ça va te gratter le cul, mais derrière il y a beaucoup de travail aux guitares. Il tape «The Tube» à la réserve, sur des accords d’acier bleu. Tout reste acéré chez Verlaine, même la Television. Surtout la Television. Il touille sa salade avec des airs compassés de martyr, il est même assez rigolo dans son rôle d’archange déchu, il s’en sort avec un groove de baskets aux pieds, il swingue sa carcasse en fer blanc, Verlaine est un mec très débrouillard. Tous ses cuts sentent un peu la débrouille. Il crée en quelque sorte les conditions de sa perte, il adore s’écrouler dans les immeubles, alors il peut hurler comme un con, comme il le fait dans «Mars», il va même essayer de se faire passer pour un génie. On ne sait jamais, ça peut marcher.

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             Si tu veux entendre de belles guitares, écoute The Blow-Up, le fameux bootleg officialisé paru sur ROIR en 1982. On y trouve des belles versions à rallonges de «Little Johnny Jewel» et de «Marquee Moon». À force d’être solotées, ces versions finissent par te fendre le cœur. C’est monté en neiges du Kilimandjaro, elles bénéficient quasiment du même beat indolent. On retrouve dans ces enregistrements de fortune tout ce qui fait le charme malsain de Television : le chant à l’efflanquée et les molles torpeurs envenimées. Ils font aussi une très belle version de «Knockin’ On Heavens Door», ils prennent le temps d’y développer leurs conjonctions d’entrelacements congénitaux. Leur côté ambiancier reste décidément du meilleur goût.

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             Puisqu’on trempe dans les sources aléatoires, on peut écouter Arrow, un bootleg tombé des nues au son très convenable. Cool a fuck et hot as hell. C’est comme on s’y attend ultra-joué aux guitares et la version de 15 minutes de «Johnny Jewel» emporte bien la bouche. On sait exactement ce qui va se passer, mais on se régale de ce long solo excédé d’exemplarité symboliste. En B, «Prove It» tient en haleine, car Verlaine y passe un beau solo liquide d’une qualité irréprochable. Toute l’énergie riffique du groupe est de retour avec «Friction». Ces gens-là savaient honorer un contrat. Même la version de «Satisfaction» passe bien, car infestée de solos razor sharp. On a là une véritable dégoulinade de sonic hell excédé. Sur scène, Television reste un groupe fascinant.

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             Tom Verlaine attaque sa carrière solo avec un album sans titre paru sur Elektra en 1979.  Il fait bien sûr du Television. C’est tout ce qu’il sait faire. Oh, ce n’est pas un reproche, au contraire. «Red Leaves» est du pur jus de Television. Verlaine reste dans le même son, il tente de recréer l’excelsior. D’ailleurs, il a tout Television derrière lui, sauf le petit Richard. Encore du TV pop avec «Breakin’ In My Heart». On se croirait sur Marquee Moon. Même voix, même son. Il deviendrait presque une caricature du TV show, à tortiller ainsi son chant maladif. Il finit par sonner comme une superstar. Verlaine a vraiment inventé un style de rock, un rock excuriating de zombie exacerbé, repoussante créature parcourue de veines saillantes et dotée d’une voix d’asperge mal fleurie. Verlaine continue de faire son Television sans Rimbaud, il garde son lard dans sa poche, il gratte ses accords de 1977. Pour tous les fans de Television, cet album sonne comme le gendre idéal. Il repart en mode bien maladif avec «Kingdom Come». Il twiste ses guiboles de zombie et n’en finit plus de larmoyer. Franchement, a-t-on besoin d’une nouvelle «Venus De Milo» ? En attendant, Verlaine connaît sa Jaguar par cœur. 

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             Son deuxième album solo s’appelle Dreamtime. Ça reste du big TV sound apoplectique. Rien n’a changé dans la culotte de Verlaine, ni les veines saillantes ni les vieux jus. Il abuse de sa vieille recette. Les deux gros cuts de l’album sont «Always» et «Mr Blur» : son de tape-dur et psaumes d’exacerbation, acid guitars et beat d’acier, tu es à New York, mon gars, c’est du rock-solid, admirable à bien des égards. Les accords de Mr Blur sont ceux du premier TV, ce gros gratté de poux infectueux, vite contaminé par un chant encore plus infectueux. So Mr Blur ! Verlaine moissonne le va-pas-bien. Il n’a jamais éteint sa télé. «Without A Word» sonne comme de l’early TV motion, Verlaine est encore plus décadent qu’au temps de Marquee Moon, il colle au papier comme un gros bonbon périmé, dans ses veines saillantes coule toute la décadence de l’avant-siècle, sa glotte vibre maladivement. Il y a du Des Esseintes dans Verlaine. Il revient encore à ses vieilles amours transies pour les fièvres avec «A Future In Noise», Verlaine sait piquer des crises d’apoplexie, il connaît le secret des veilles convulsions de la 42e Rue, il faut voir comme ça pulse dans l’ass du percuteur. Cet album est aussi balèze que Marquee Moon. Même poids dans la balance de l’imbalance. Verlaine secoue bien les circuits de son vieux récepteur. Il jette un regard tellement torve sur le rock qu’il frise en permanence la modernité.

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             Pour Words From The Front, son troisième album solo, Verlaine s’offre un beau portrait pour sa pochette. Il dégage une sorte de sainteté. Sur cet album, il renoue avec le beat tourmenté et les éclats de voix qui firent la réputation de Television. Il n’en finit plus de jeter l’ancre dans les eaux noires de la vieille psychose new-yorkaise. C’est en B que se trouve toute la viande, à commencer par un morceau titre très atmosphérique, faux récit de guerre un peu macabre, avec un John died last night/ he had no chance/ beneath the surgeon’s drunken hands, et on le voit même partir en solo de dérive abdominale. Ça se veut beau et ça l’est. Tom Verlaine s’inscrit dans le domaine de la mélancolie sinueuse. Encore mieux, voici «Coming Apart» où il dit se sentir mal, il part en morceaux, I’m coming apart, il ne sait pas ce que ça signifie, mais ça lui permet de renouer avec la fantastique pulsion new-yorkaise, celle des gens qui décidément n’iront jamais bien. Il termine avec l’excellent «Days Of The Mountain», joué au long cours d’un solo délicat et entreprenant. Verlaine finit toujours par emporter la partie.

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             Paru deux ans plus tard, Cover est un album qui laisse sur sa faim. Verlaine revient au funk télévisé avec «Travelling». Son vieux pote Fred Smith joue le drive de basse intermittent. Fred a l’habitude, Verlaine peut compter sur lui, c’est un brave mec. On retrouve aussi du TV Sound en B avec un «Miss Emily» chanté au when the sun goes down. Verlaine n’en finit plus de montrer qu’il maîtrise bien son art et qu’il sait créer des ambiances. Comme s’il n’avait fait que ça toute sa vie. Pire encore : comme s’il ne savait faire que ça. Il faut dire que ce mélange de grattes clairvoyantes et de voix aux abois est unique en Amérique. Si on garde un bon souvenir de «Little Johnny Jewel», alors «Rotation» passe comme une lettre à la poste. Oui, c’est le même son, exactement le même beat décharné et le même faux funk pas très franc du collier.     

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            On trouve une belle énormité sur Flash Light. Elle s’intitule «Song». Verlaine chante sa Song de manière épique, avec une espèce de petite démesure à la clé de Sol, et ça devient beau très vite - When you wait/ It is not hours/ But forgotten sense of time - C’est bien déstructuré au chant et secondé par une gratte brillante. Mais c’est le texte qui force l’admiration - It’s very kind of all those powers/ To feature love without design - Cette merveille est d’une grande élégance littéraire. Par contre, si on va chercher l’«At 4 AM» en B, c’est la qualité du chant qui va emporter tous les suffrages. Verlaine est un prodigieux décadent - Rosie rosie/ The violets bloom - Fantastique hommage rendu à Rosie - At 4 am I’ll be back/ In San/ Antone - On tombe plus loin sur un «Annie’s Telling Me» monté sur le beat du vieux «Friction». C’est beau, une fois de plus - It’s like a factory/ Cranking out them part - Belle musicalité latente, hantée par des éclairs de virtuosité. On s’attache à Verlaine. On s’amourache.

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             Puis on va le voir commencer à tourner en rond avec The Wonder, qui paraît en 1990. On y sauve le «Kaleidescopin’» d’ouverture de balda. Verlaine y joue sa très vieille carte de TV funk blanc. C’est toujours le même son et Verlaine chante du fond d’un gosier parcheminé. Il tortille bien son astro-funk groovytal. Il refait le cirque de Johnny Jewel dans «August» qui n’a rien d’auguste. Il drive sa chique, mais loin du Quartier Latin et des Zutiques. Il n’en finit plus de reproduire son vieux modèle maladif. Le white funk d’«Ancient Egypt» finit par indisposer. Ce no-wave sound frise le Talking Heads. On perd le hard-talk de TV. Il n’empêche que derrière le rideau, les grattes sont voraces. Ça dégénère même en gratté de poux épileptique. Verlaine fait bien son biz. Mais il peut indisposer, il faut le savoir. De toute évidence, il n’entre pas dans l’histoire de la fameuse bataille avec «Stalingrad». Il y perd un peu de sa crédibilité. Mais on l’écoute car, d’une certaine façon, ça reste puissant. Verlaine finit par s’inscrire dans le heavy balladif, son «Pillow» est solide, on sent le vrai songwriter, il s’inscrit dans le marbre de la télé - A bluebird in a tree - Il travaille encore son «Storm» au corps à coups de love me up a storm, c’est-à-dire au heavy funk drop. Il reste dans son style et dans son beat. Peut-on parler d’une œuvre ? Pas vraiment. C’est juste un style, mais un style unique qui s’affirme, album après album, un style qui le sort du troupeau des moutons de Panurge. Ça l’arrange bien Verlaine d’avoir un style unique, ça lui permet de s’imposer comme un artiste. Il finit son album en mode petite pop avec «Cooleridge», il joue de ses charmes frelatés et sonne comme une vieille pute, puis «Payer», plus bossa nova à la mormoille, limite new wave. Il fait n’importe quoi pour remplir son album. C’est dur de voir un si bel altiste se griller en prenant les gens pour des cons.    

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             La belle ampoule qui éclaire la pochette de Warm And Cool est censée indiquer la présence d’idées. Tintin pour les idées ! C’est un album d’instros. Billy Fica bat toujours le beurre et un certain Patrick A Derivaz bassmatique. Si tu veux t’ennuyer, c’est l’album idéal. Zyva copain, elle t’attend ton idole des jeunes ! Verlaine se prend pour Peter Green dans «The Deep Dark Clouds», c’est agaçant. On perd vite patience avec ces mauvais tours de passe-passe. Pour «Saucer Crash», Verlaine y va au Saucer. On a envie de lui dire : «Laisse tomber poto, tu nous les tarabustes.» On attend de la viande et il ne nous ramène que le squelette. Mine de rien, il réussit presque à t’entraîner dans son délire. C’est tout de même incroyable qu’on en vienne à écouter des albums qui n’apportent rien. Méfie-toi des ampoules ! C’est souvent l’arbre qui cache la forêt. Quel gâchis cet «Harley Quinn». C’est pas beau. Tu as besoin de choses plus solides pour ton équilibre mental.      

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             Rebelote avec Around. Encore un album d’instros paumés. Il faut boire le calice jusqu’à la lie, sinon, on ne sait pas. Disons que Verlaine expérimente. Il fait de l’exotica de gratte paumée. Alors tu suis ou tu suis pas. C’est ton problème, pas celui de Verlaine. Si tu es fan, on va dire inconditionnel, et que tu es curieux, tu suis. Tu marches sur des œufs. Verlaine flirte en permanence avec le discrédit. Et pourtant il semble continuer de créer son monde. Il a l’air sûr de lui. Il gratte pour des prunes, comme dirait Gide. Avec «Balcony», il revient à son vieux TV sound. Il ne fait que suggérer, c’est tout le propos de cet album. Mais il reste très directif. Sa gratte chante pour lui. Avec «Eighty Eights», il fait un cirque assez pur, presque mélodique, par contre, il devient malencontreux avec «Wheel Broke», un heavy boogie grossier, atrocement dérisoire. Il termine en mode prévisible avec «Rings», une vieille jam de fin de non-recevoir, bien travaillée dans la couenne du lard, du pur Verlaine.   

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                 Et puis en 2006 tombe du ciel un album quasiment parfait : Songs And Other Things. Il renoue avec son funk d’agonisant dès «Heavenly Charm», en plein dans la veine de Johnny Jewel, et ce n’est pas une métaphore. Ça redevient bougrement captivant. Verlaine chante ses cuts dégueulasses avec une sorte de dégoût profond, on s’essuie les doigts tellement ça pue. On le voit éructer dans la valse des étrons de «Blue Light», il n’a plus aucun espoir. Back to New York City avec «From Her Fingers», Verlaine y va au fa fa fa, le côté diskö est inadmissible, c’est d’ailleurs cette tendance qui a coulé Blondie et les Talking Heads, leur attirance pour le dollar diskö, mais le fa fa fa de Verlaine passe comme une lettre à la poste. Rien de plus insidieux que le «Nice Actress» qui suit, Well I got you come, il cueille la rose à la bouche de la décadence. Et boom ! Les heavy chords de «The Earth In The Sky» éclatent, c’est très spectaculaire, ça se passe au meilleur niveau tremblant, tu as vraiment le Verlaine des temps modernes, il écrit des vers, de la prose, en attendant le jour qui vient, te voilà en pleine magie. Il développe ensuite des langueurs pas monotones, il se meut dans le groove frappé sec de «Lovebird Asylum Seeker» et travaille sa défaite dans le détail avec «Documentary». Ce genre de mecs n’aiment pas qu’on les embête quand ils scient la branche sur laquelle ils sont assis. Pour eux, c’est important de pouvoir creuser sa propre tombe. Le poète doit toujours se noyer dans le jus de sa déliquescence. Ce qui fait très bien Verlaine. Il gratte son «Singalong» dans le free d’un funk de no way out. C’est sa vision de la modernité. Il déconstruit le funk à la plaintive. Il provoque les savants. Il leur rit au nez. Il salomonte ses clavicules et force sa langue à danser le jerk. Verlaine te propose ici un album atrocement inventif, un album sans peur et sans reproche, il gratte fabuleusement dans la couenne du lard et se plaint en permanence. Il revient à son cher vieux TV rock avec «All Weirded Out», bien claqué au sommet du crâne, c’est effarant de much better, Verlaine n’a jamais fait couler autant de bave de rock, il est fabuleux d’éclat terni. Et puis voilà le coup de génie : «The Day On You», tu ne sais pas d’où ça sort et boom ! Ça tombe du ciel, là tu peux y aller, c’est solide, la pop scintille et le chant danse le mambo avec la muse, Verlaine te harponne comme si au fond tu n’étais rien d’autre qu’un vieux cachalot blanc.

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             Tom Verlaine n’est pas le seul ex-Television à mener une carrière solo. Richard Lloyd compte à son actif une petite ribambelle d’albums solo. Si on les écoute, c’est forcément par curiosité, d’autant que le premier est paru sur Elektra en 1979, alors que le label était encore en vogue. Mais hélas, Alchemy n’est pas ce qu’on pourrait appeler un bon album. Le pauvre Richard y joue une pop gentillette et toute la tension de Television a disparu. C’est le genre d’album qu’on va renvoyer dans le circuit aussitôt après l’avoir écouté. On s’y ennuie légèrement. La pop gentillette ne mène nulle part. Il paraît même bizarre que cet album si faible soit sorti sur Elektra. Le pauvre Richard n’a pas de voix. On retrouve ça et là des bribes de TV Sound, comme dans «Should Have Known Better», mais il manque l’essentiel, le côté tourmenté. Le jeune Richard est trop gentil. 

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             Il se fâche un tout petit peu sur Field of Fire paru en 1985. On sent dès l’ouverture une belle détermination à vaincre. Le jeune Richard n’a toujours pas de voix, mais il tente quand même le coup. On le voit même beefer son son dans «Losin Anna». Du coup, il retrouve sa crédibilité de TV man. Mais c’est en B que se joue le destin de l’album, avec un «Pleading» joué sur les accords de «Friction». Le jeune Richard renoue enfin avec le TV Sound. Il ressort son vieux son Fender lancinant et tellement new-yorkais. Encore mieux : le morceau titre, paré d’une admirable ambiance. Comme son compère Verlaine, le jeune Richard peut jouer de très beaux solos entreprenants. Il vise lui aussi le firmament. Ce cut pourrait très bien figurer sur le premier album de Television, rien que par la lancinance du beat et la qualité des échappées belles.

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             Deux ans plus tard, le jeune Richard se fait peindre avec une guitare rouge pour la pochette de Real Time. C’est un album live qui démarre sur une cover assez médiocre de «Fire Engine», un vieux hit du 13th Floor. On note au fil des cuts une absence tragique de viande. On observe un petit sursaut avec «Lost Child», joli slab de rock insistant mais difficile à cerner dans l’océan de médiocrité qu’est hélas cet album. Le jeune Richard n’a définitivement pas de voix. Tout repose sur son passé de TV man. On n’écoute la B que par conscience professionnelle. Quelques relents de TV s’échappent de «The Only Feeling». On y retrouve en effet la froideur du beat et l’alchimie solotique, ces chapelets de notes cristallines égrenées dans la lumière des matins blêmes. Il tape plus loin dans le «Field Of Fire» de l’album précédent et on le voit visiter les couches supérieures des mondes aléatoires. Les luttes s’y font très intestines, le jeune Richard va vers la beauté, c’est indéniable. Il ressort aussi son beau «Pleading» et là, il remporte une sorte de petite victoire : il réussit à convaincre. Ce mec n’a pas de voix, mais il amène autre chose, une présence, un certain ton guitaristique, un parfum de pop-rock new-yorkaise, c’est très spécial et très communicatif. «Pleading» est un joli cut. 

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             Sur la pochette de The Cover Doesn’t Matter, le jeune Richard s’emmitoufle. Il démarre sur une belle énormité nommée «The Knockdown». Oh le petit démon ! Il déballe un heavy sludge d’heavy as hell, il combine la grosse attaque et la folle énergie. Il a tout in tow. C’est pas compliqué : il te fait du real deal de wild as fuck. L’autre belle énormité s’appelle «Strange Strange», il chante ça au funk TV. Le jeune Richard est comme son pote Verlaine, un immense artiste. Il ne joue que des solos miraculeux. Il revient dans le giron du TV sound avec «Torn Shirt». C’est du pur NYC blues punk, un vrai pulsatif de bad funk. On reste dans le pur TV sound avec «Raising The Serpent», il fait de l’excelsior télévisuel, il osmose à outrance. Tu ne perds pas ton temps à écouter les albums de ce mec-là. Ses solos voltigent, il ne vit que pour le wild as fuck. Ça sent bon le Marquee Moon. Il passe au fast TV sound avec «Submarine». Il voyage dans son cut comme un fantôme du Bengale, de liane en liane, le jeune Richard perce bien ses boutons de pus, il incube de jolis éclats d’excelsior, tu n’en reviens pas d’entendre un mec aussi doué, il embobine tout avec ses solos, il cavale sur la crête du son comme un Hendrix blanc, il traverse le son de part en part. Le jeune Richard est un homme qui a du son, énormément de son. Sur «Ain’t It Time», il est capable de sonner comme les Byrds. «She Loves To Fly» est encore plein de son, plein d’accords, avec le killer solo flash à la clé. Les relances pop qu’il fait dans «I Thought» sont absolument somptueuses. Il finit sur une note intense avec «Cortege», comme le fait Gene Clark sur ses albums.  

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             Allez, tiens, encore un superbe album du jeune Richard : The Radiant Monkey. Tu y trouves encore deux cuts dignes de Marquee Moon : «Only Friend» et «One For The Road». Il est dans le bain, il nappe sec, avec des accords crades, il fait du TV shot, il réinvente l’énergie maladive de son pote Verlaine et finit même par chanter comme lui - Yeah gimme one for the road ! - L’énormité de l’album s’appelle «Big Hole», il sort ses chops hendrixiens, il reste le fabuleux mover & shaker que l’on sait, il pulse son suppo dans la rondelle des annales, il fait du real deal inverti, il huile ça pour que ça coule dans les bas fonds, fabuleux Richard Cœur de Lion, il hendrixifie jusqu’au bout de la nuit célinienne. Le «Monkey» qu’il claque en ouverture de bal est heavy as hell. Il se sert du TV sound pour aller sucrer les fraises de sa heavyness. On se croirait chez Blue Cheer. Il arrache le foie du Monkey. Il frise l’«I’m a Monkey» de Jag. Il ramène les accords de Verlaine dans «Glurp» et va vite en besogne avec «Swipe It». Il vise naturellement le pandémonium. Il revient aux racines du TV set avec «Kalpa Tree» et on voit bien qu’avec «Amnesia», il ne baisse pas d’un seul cran. Chez lui, le TV sound devient une obsession. Le pire c’est que tout ce bordel est bon, au-delà de toute expectitude. Nouveau shoot d’heavy groove avec «Carousel» - C’mon girl/ Let’s go for a ride - Il s’énerve avec «Wicked Sun», il en a les moyens. Il bricole une sorte de fast heavy dumping, tu te régales, il pique une belle crise et échappe au TV Set à coups d’ooouh yeah.  

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             Comme chacun sait, Richard Lloyd fréquentait Velvert Turner. Ils étaient très liés et partageaient la même fascination pour Jimi Hendrix, un Hendrix qui prit un temps le jeune Velvert sous son aile. Alors il faut écouter ce spectaculaire album nommé The Jamie Neverts Story, Jamie Neverts étant le pseudo inventé par Richard et Velvert pour parler de Jimi. C’est l’un des plus beaux hommages jamais rendus à Jimi Hendrix. Dès «Purple Haze», tu es au paradis. Le jeune Richard joue la rockalama hendrixienne au power de spell on me, il groove entre tes reins, tu peux en être certain. C’est une révélation, comme le fut d’ailleurs le «Puple Haze» que joue Jeffrey Lee Pierce dans l’Hardtimes Killin’ Floor Blues d’Henri-Jean Debon. Sur cet album, le jeune Richard est accompagné par Keith Hartel (bass) et Chris Purdy (beurre). Dans les liners de l’album, le jeune Richard raconte l’histoire de son amitié avec Velvert qui allait chez Jimi on West 12th Street prendre des leçons d’Hendrixité et qui revenait chez Richard lui transmettre le précieux savoir. C’est en souvenir de cette amitié triangulaire que le jeune Richard a voulu enregistrer cet album - So here you hold in your hands the payment of my debt to Jimi and Velvert - Puis le jeune Richard tape «Ain’t No Telling» avec toute l’énergie de l’Hendrixité tentaculaire, tout le guitarring mythique est là, just around the corner. Stupéfiant ! Et ça repart de plus belle avec «Spanish Castle Magic», il se fond dans l’art supérieur du hang on my darling, il recrée tout le flush de l’Hendrixité, ça bombarde au Spanish Castel Magic, c’est effarant de véracité, look out ! Il est dessus, à la mesure près, le Castle vibre de toutes ses pierres caoutchouteuses. Il tape ensuite «I Don’t Live Today» au punk new-yorkais, il négocie bien l’accès au génie suprême, une note, I don’t/ note/ Live today, c’est tendu et boudu sauvé des eaux, no no no. Le jeune Richard joue comme un dieu, il attaque «Little Music Lover» à la dure et pique sa crise. Il fait ses choix. Ses choix lui appartiennent. Billy Fica bat le beurre. «Wait Until Tomorrow» n’est pas la plus évidente des Hendrixités, mais le jeune Richard en fait ses choux gras, until tomorrow/ Good night yeah. Il tape aussi «Bold As Love» et boucle avec «Are You Experienced», l’ultimate de l’Hendrixité, la vieille question qu’il te posait, petit branleur, en 1967 : Are you experienced ? Comme si toute ta vie se déroulait à partir de cette chanson. Richard la joue à la purée mortelle de la mortadelle.

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             Il ne faut surtout pas s’empêcher d’aller écouter Live New York 1979, car le jeune Richard y fait comme on s’en doute des étincelles. Tu veux entendre jouer l’un des meilleurs guitaristes américains ? Alors écoute «Pretend > Should Have Known Better». Pur TV power, saturé de heavy guitars : ils sont trois, James Maslon, Matthew Mackenzie et Richard, ça joue à la sature des saturnales, au perçant de heavy TV set, c’est le guitah cut par excellence, outrancier, sonique, impavide, le jeune Richard s’envole dans la démesure du gratté de poux. Avec «Number Nine», il sonne comme Verlaine. Il chante exactement avec la voix de son maître. Il est marrant et si powerful. C’est Fred Smith qui bassmatique. Avec «Misty Eyes», il lance la curée du curé de Camaret, il joue à la folie du crève-cœur, il tisse des toiles à l’infini, on sent bien la Television, il creuse un tunnel dans l’underground et la qualité de sa disto épate la sauce tomate. Il fuite en permanence. Avec «Alchemy», il se prend encore pour le TV set, il essaie de reconstituer l’ancienne magie de Marquee Moon. Du son, rien que du son et des grosses veines saillantes, le tout balayé par de violentes bourrasques d’accords.

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             Et puis voilà de quoi refermer le chapitre Richard Lloyd en beauté : The Countdown, paru en 2018. Très bel album, bien hendrixien dès le «Wind In The Rain» d’ouverture de bal. Il y propose un mix d’hendrixité et de TV. Ce mec est bon - C’mon little darling/ let me hold you close - Il est fabuleusement rock’n’roll, il a tous les réflexes du c’mon little darling et là tu te régales, car voilà un très beau shoot de heavy TV show. Il a des descentes de manche superbes, il va au contact, il t’hendrixifie les choses jusqu’à plus soif. Il reste dans son mélange toxique d’hendrixité et de TV, il devient d’une certaine façon the king of New York, un Christopher Walken sonique, il tape son heavy groove aux notes montantes, il swingue son manche - Just like smoke/ It tends to disappear/ That’s the way/ That it goes - Tu le prends encore plus au sérieux avec «So Sad», il coule son heavy TV sound dans le so sad, il te sature toutes les itérations, c’est un fabuleux guitariste d’adventisme killer-sharp. Il joue dans l’œuf du serpent. En fait, c’est lui l’infectueux dans Television. Plus loin, il opte pour la power pop avec «Something Remains» et c’est excellent, comme s’il tapait du poing sur la table. Il tricote une fantastique trame de notes sur ses couplets et il stoppe soudain le tempo pour mieux repartir. Effet superbe, puis il passe bien sûr un solo d’excelsior. Richard ne serait pas Richard sans ce type de solo de très haut niveau. Il passe au heavy down the drain avec «Down The Train». Retour fulgurant à l’hendrixité, cut parfaitement génial, doté d’un vrai pouls battant. Richard Lloyd est un géant, qu’on se le dise. Il a tellement de son qu’il balaye tout Verlaine et tout TV. Il termine cet album subjuguant avec le morceau titre, il y va même franco de port, c’est littéralement bardé de son. 

    Signé : Cazengler, télé pasteurisé

    Television. Adventure. Elektra 1978

    Television. The Blow-Up. ROIR 1982

    Television. Television. Capitol Records 1992

    Television. Arrow. Boot

    Tom Verlaine. Tom Verlaine. Elektra 1979

    Tom Verlaine. Dreamtime. Warner Bros. Records 1981

    Tom Verlaine. Words From The Front. Virgin 1982

    Tom Verlaine. Cover. Warner Bros. Records 1984                            

    Tom Verlaine. Flash Light. IRS Records 1987

    Tom Verlaine. The Wonder. Fontana 1990   

    Tom Verlaine. Warm And Cool. Rykodisc 1992        

    Tom Verlaine. Around. Thrill Jockey 2006                    

    Tom Verlaine. Songs And Other Things. Thrill Jockey 2006

    Richard Lloyd. Alchemy. Elektra 1979

    Richard Lloyd. Field of Fire. Mistlur 1985

    Richard Lloyd. Real Time. Celluloid 1987

    Richard Lloyd. The Cover Doesn’t Matter. Evangeline Recorded Works 2001 

    Richard Lloyd. The Radiant Monkey. Parasol Records 2009   

    Richard Lloyd. The Jamie Neverts Story. Parasol Records 2016  

    Richard Lloyd. Live New York 1979. Air Cuts 2017

    Richard Lloyd. The Countdown. Plowboy Records 2018

     

     

    House Of Love sort de sa housse

     

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             Tous les fans de rock ses souviennent de Guy Chadwick et d’House Of Love, qui fit sensation dans l’Angleterre poppy/popette des années 80. Pour les ceusses qui ne le sauraient pas, House Of Love est le petit nom charmant du vagin féminin. Quand une dame accueille une grosse bite chez elle, elle lui dit : «Welcome in my house of love». Bizarrement, il n’y a rien de sexuel chez Guy Chadwick et ses collègues. Ils sont même un peu austères. On sent les Anglicans, et les vieux fonds de protestantisme et d’habits noirs.

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             Leur premier album sans titre n’avait pas laissé de grands souvenirs, même s’il paraissait sur Creation. Il s’agissait essentiellement de petite pop, mais ça restait décent, car House Of Love était ce qu’on appelait alors un groupe à guitares. Toute la réputation du groupe de Guy Chadwick repose sur deux cuts : «Christine» qui se trouve sur ce premier album, et «The Beatles And The Stones» qui se trouve sur le suivant, non rapatrié à l’époque, le premier House ayant été jugé trop faible en Conseil d’Administration. C’est vrai qu’à part «Christine», il n’y a pas grand-chose à se mettre sous la dent, sur le premier House. C’est encore pire à la réécoute. L’album fait partie de ceux qui vieillissent très mal. Ces albums englués dans les maniérismes d’un temps reculé. Sur «Christine», Guy Chadwick et Terry Bickers taillaient pourtant leur route aux accords d’essaim magique. C’est de la pop bien enfoncée du clou. Bickers était l’un des enfants prodiges de la pop anglaise, il naviguait un peu au même niveau que Johnny Marr. Puis après, ça commence à se déliter. On sent une certaine forme de carence compositale. Un manque d’appétence pour l’avenir. Un côté pop trop conventionnel. «Sulphur» est d’un ennui mortel. On décroche. «Man To Child» ne marche pas non plus. Un coup pour rien. Le pauvre Guy Chadwick essaye de récupérer des suffrages, en vain. C’est d’autant plus désespérant que le son est soigné. Sur «Love In A car», il sonne comme U2, ce qui d’une certaine façon sonne le glas. Il revient à de meilleurs sentiments avec «Happy», comme s’il voulait déplacer des montagnes. Et ça se termine en beauté relative avec «Touch Me», et une belle partie de wild guitars signée Bickers, et bien combinée aux ambiances poppy/poppah.

             En fait, on ressortait l’House de l’étagère pour préparer une réunion du Conseil d’Administration. Il s’agissait de mettre au vote le financement d’une place de concert : House Of Love à Rouen. Du moins la reformation d’House. Comme il n’y a qu’une personne au Conseil d’Administration, le oui l’a emporté à l’unanimité. Budget voté.

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             Voilà comme on se retrouve dans une salle de concert aux pieds de Guy Chadwick qui comme tout le monde a pris un sacré coup de vieux. 67 balais. Ça va encore. Il est encore plus austère qu’on ne l’imaginait, mais ça fait du bien de voir des Anglais sur scène. On dit toujours que le groupe anglais le moins bon sera toujours meilleur que le meilleur groupe français, ce qui n’est pas tout à fait vrai, ni tout à fait faux. Ça dépend de la façon dont on s’est réveillé le matin, et donc de la façon dont on est luné. Enfin bref, voilà des Anglais avec leur petit biz poppy/popette. Guy Chadwick et son guitariste, un certain Keith Osborne, jouent sur des fringantes demi-caisses, et aussitôt après le cut d’intro, ils tapent une fiévreuse mouture de «Christine». C’est incroyable comme la Christine tient bien la route, elle doit avoir une belle house of love sous sa jupe, car elle n’a rien perdu de sa verdeur carabinée. Puis après, il faudra attendre «The Beatles And The Stones» pour sentir un naseau frémir, car oui, quelle belle approche de la nostalgie - The Beatles and the Stones/ Made it good to be alone - Diable, comme on a pu adorer ce balladif en filigrane, comme on a pu s’identifier à cette dentelle de Calais faussement psychédélique et doucement caressante. Et puis l’autre hit d’House c’est le fameux «Shine On», mais le charme finit par s’évanouir, chassé par trop de chansons monotones.

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    Alors on reporte toute l’attention sur cet extraordinaire guitariste qu’est Keith Osborne, un petit homme d’un certain âge, aux joues dévorées par des belles rouflaquettes de rockab, et le mec joue avec une posture de main gauche superbe, au poignet cassé et au pouce avancé, il faut le voir gratter ses incursions sélectives, il amène dans l’House une science diffuse, il joue en retrait mais avec une connaissance parfaite des secrets de la persistance insidieuse, il joue des bribes de filets et parfois il part en blossom de freakout le temps d’un killer sharpy fulgurant, on réalise petit à petit qu’Osborne est un guitariste magnifique, l’un de ces petits soldats de l’ombre du rock anglais qui ramène sa science guitaristique pour recréer la magie évanouie d’un groupe qui connut son heure de pâle gloire voici trente ou quarante ans, on arrondit pour aller plus vite, il n’empêche que ce mec vole le show, il est dans tous les coups fourrés, il monte sur tous les bracos, il tinte ses sinusoïdes, il contourne ses filocheries, il tactile et il tisse, il trame ses tournicotis, il est fabuleusement industrieux sans l’être, c’est d’une certaine façon l’apanage des grands sbires. Tout le prestige de l’empire repose sur leurs épaules. Osborne, c’est exactement ça, la cheville ouvrière d’un son perdu dans les méandres du passé. Mais il le fait avec un brio qui force l’admiration. Et le diable sait si l’admiration aime à être forcée. Elle n’est jamais la dernière à monter son cul.

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    Signé : Cazengler, housse-toi de là !

    House Of Love. Le 106. Rouen (76). 22 mars 2023

    House Of Love. The House Of Love. Creation Records 1988

     

     

    L’avenir du rock - Pop art (Part Three)

     

             S’il est une chose que l’avenir du rock apprécie particulièrement, c’est bien d’aller flâner la nuit au bord du marécage. Il tient cette manie de son vieil ami Monsieur Quintron qui, comme chacun sait, allait la nuit enregistrer le chant des grenouilles. Son album Frog Tapes n’est jamais entré dans aucun hit-parade, mais il a fait le bonheur d’une poignée d’excentriques. L’avenir du rock se réjouit d’en faire partie. On a les tribus qu’on peut, pas vrai ? N’étant jamais en panne d’imagination, l’avenir du rock s’enfonce dans le swamp, rêvant d’y croiser le fantôme de Tony Joe White, ou peut-être un albinos échappé du Petit Arpent Du Bon Dieu d’Erskine Caldwell, ou encore les trois taulards psychédéliques évadés de l’O’Brother des frères Coen. Car oui, tout est là, dans ces petites mythologies marécageuses, si propices aux fièvres imaginaires. Aux yeux de l’avenir du rock, chaque œuf de têtard est un mythe en devenir, alors, il ouvre bien grand les yeux en avançant dans les ténèbres. Le marais vit la nuit. Les créatures sont de sortie, soit pour casser la croûte, soit pour tirer un coup, il en est ainsi depuis l’origine des temps. On fait tous exactement la même chose. On ne vit que pour béqueter et forniquer. La seule différence avec les créatures du marais, c’est qu’on dort la nuit. L’avenir du rock continue d’avancer, éclairé par la lune. Les créatures font un raffut terrible. Et puis soudain, trois silhouettes apparaissent, assises au bord d’une grande mare. L’avenir du rock se rapproche sans faire de bruit pour mieux les observer. Leur peau humide luit faiblement. Elles portent toutes les trois des bijoux très anciens. Au centre, se tient une créature hybride à corps de grenouille et à tête d’homme. L’avenir du rock se frotte les yeux. Il n’en revient pas. Il croit reconnaître ce visage outrageusement fardé et comme entraîné vers le bas par des paupières lourdes et une épaisse moustache roussâtre. Serait-ce Jean Lorrain qui dit-on vouait un culte séraphique aux grenouilles ? Pas de doute, c’est bien Monsieur de Phocas, consignateur des dégoûts et des vices que lui inspirèrent son époque ! À sa droite se tient une autre créature hybride, un lézard à tête d’homme. L’avenir du rock le reconnaît immédiatement : Jimbo, le Roi Lézard, beau comme un dieu, couvert d’écailles, les bras chargés de bracelets d’ivoire et d’or massif. Et bien sûr de l’autre côté, se tient l’Iguane, tout droit sorti de la pochette de Lust For Life, et dont la longue queue écaillée de camaïeu trempe dans l’eau noire.

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             Cette rencontre était assez prévisible. Iggy Pop et Jim Morrison ont su créer leurs légendes respectives et rejoindre l’immense Jean Lorrain dans sa vénération des créatures amphibiennes.

             On papotait l’autre soir après un concert. De choses et d’autres, comme toujours dans ces cas-là. Blih blih blah blah. Oh oui blah blah ! Blih blah ? Oh la la blih blih ! Il demande à un moment si j’ai écouté «le nouveau Iggy».

             — Patencore... Comment quilé ?

             — Mmmmhummmuhhggrrrhjjr...

             — Avec Iggy, faut jamais taffier aux premières zimpressions...

             — Ouhhuais mais mmmhhmmmuhhggrrrhjjr...

             Si un chipoteur comme ce mec-là réagissait ainsi, ça signifiait en clair que «le nouveau Iggy» ne pouvait être que bon. Ce que les gens n’ont jamais compris, c’est que chaque «nouveau Iggy» te donne un accès direct à Iggy qui est depuis nineteen and sixty nine baby ton meilleur ami. On ne peut pas avoir d’avis mitigé sur les «nouveaux albums» de son meilleur ami. Les gens ne se rendent pas compte à quel point ça doit être compliqué de rester génial pendant cinquante ans. Un autre incident du même type s’est produit lors de la parution d’Après, l’album sur lequel Iggy chante «La Javanese», «Syracuse» et d’autres merveilles du même acabit. Un autre mec, un ami qui avait encore alors pignon sur rue, pestait, il ne décolérait pas, il traitait «Jim» de tous les noms, parce qu’il avait «trahi» l’esprit des Stooges en voulant jouer les crooners et chanter en français. Il n’avait pas compris qu’Iggy est un crooner de choc et que son hommage à Gainsbarre est en soi un véritable coup de génie.

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             «Le nouveau Iggy» s’appelle Every Loser. On avait bien raison de le supputer : c’est une bombe. La bombe d’un vieux schnoque de 76 balais. Boom dès «Frenzy». Si tu l’écoutes au casque, ton casque saute, tellement c’est saturé de son. Iggy opte cette fois pour le blast de frenzy, il y va comme au premier jour, il tape dans le ventre du wild punk as fuck, et au loin, tu as des mecs qui gueulent «frenzy !». Un shoot pareil, ça te tétanise un tétanos, il pleut des apo, des apo, oui mais des apocalypses, tu twistes sous un déluge de feu et Iggy sonne une fois de plus comme le cœur du problème. Il passe au deepy deep avec «Strung Out Johnny», Iggy t’enrobe, il t’emmène une fois de plus au paradis du Passenger, ça joue dans tous les coins, ça te sature les saturnales, Iggy sonne comme le roi de Babylone, il est le Nabuchodonosor du XXIe siècle, le puissant seigneur de la cité construite en briques émaillées. Puis il redevient le fantôme de feu que l’on sait avec «Modern Day Ripp-Off» attaqué au riff stoogy. Andrew Watt joue comme Ron Asheton, alors tu reviens à la source du big heavy Stoog-fuck off. Même pulsion. C’est noyé de son. Il faut ensuite attendre «All The Way Down» pour le voir renouer avec le heavy groove, son vieux fonds de commerce. Pure hell ! C’est plein d’esprit et de stoogerie. Come down ! Il repique aussi la veine du Passenger dans «Comments», avec une classe écœurante - Show my face to Hollywood - Il termine avec «The Regency». C’est Dave Navarro qui monte au brac sur ce coup-là. Iggy dérive au mieux de son baryton déviant. Impressionné par les tattoos du Navarin, Iggy vire hardcore, il fait son cirque, du haut de sa grandeur, fuck your regency, il a raison, il ampoule son propos, il cale son carré dans Cicéron et couaque des cliques dans des claques, tu es dans l’univers d’un artiste qui te dépasse depuis toujours, un artiste espiègle et profond à la fois, tu te prosternes à ses pieds, même s’il ne te le demande pas, fuck the regency, on espère seulement que ce ne sera pas le dernier «nouveau Iggy».  

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             Dans la presse anglaise, Iggy est à l’honneur. Le voilà en couverture de Record Collector. C’est un événement considérable, une sorte de consécration. Iggy en couve d’un magazine, remember «Five Foot One» ? - And I wish life could be/ Swedish magazines - Il accorde une interview fleuve à Chris Roberts, 10 pages, de l’encore jamais vu ! Avec dans la double d’ouverture un shoot du vieux pépère de 76 balais. Une classe épouvantable. Peau fripée mais classe d’Iguane. Comme d’ailleurs la couve, où il sourit faiblement, cheveux filasses, barbichette blanchie et regard bleu d’eau. On comprend que des milliards de gonzesses à travers le monde soient encore folles de lui. On adore l’idée que des vieux crabes comme Croz et Iggy aient pu vieillir aussi dignement. Ils emblasonnent ce qui est pour nous le plus précieux : la légende du real deal.

             Roberts présente Iggy comme «the most intelligent, articulate rock star you could hope to meet.» Et il ajoute plus loin : «He has in abundance what Bowie called ‘the power to charm’.» Roberts fait d’Iggy la plus belle présentation qu’on ait vu dans la presse anglaise depuis celles de Nick Kent. Pas de révélations dans l’interview fleuve. Iggy répond aux questions pointues de Roberts en balançant quelques évidences, disant par exemple, quand il entre en studio pour enregistrer, «I want it to be really good», ou lorsque Roberts évoque la parution du «nouveau Iggy», «the classic rock albums usually have three ou four that rock out, then the rest tend to be a little more slow or... mirrored.» Il explique aussi qu’il a rencontré son nouveau producteur Andrew Wattt lorsque Morrisey l’a invité à venir chanter avec lui sur l’un des cuts d’un album à paraître (Bonfire Of Teenagers) - He’s mentioned me that his producer was extraordinary. So that’s how I became acquainted with Andrew - C’est vrai que Watt est bon, il suffit d’écouter «Frenzy». L’ig dit aussi qu’Andrew Watt est un grand chanteur. Il fait tous les backings sur Every Loser. Iggy dit pour rire qu’Andrew aurait pu chanter dans les Four Seasons - He’s that fabulous a singer - Iggy rappelle aussi qu’il connaît Duff McKagan (bassman sur Every Loser) depuis Brick By Brick, enregistré en 1990. Il avoue qu’ils ont fait les 400 coups ensemble - we’ve discussed Playboy models, done cocaine together, swilled vodka, chased a rainbow together, stolen a truck - Il raconte aussi le mal qu’il a eu à arrêter de fumer, dans sa petite maison de Miami. Il indique que le 3e jour est le jour clé. Quand il évoque l’époque de Kill City en 1977, il rappelle qu’il était all over the place - There was no fixed address. There was no income. There was no affiliation. There was no... sense. Nothing. And I was as stoned as possible at all times. And yet, the lyrics and the delivery are very orderly. I was still orderly. That’s the dream. For all musical artists - Ordonné ? C’est le moins qu’on puisse dire, car quel fantastique album, paru à l’époque sur Bomp!. Alors Roberts revient sur le dream et demande à Iggy ce qu’il entend par the dream. La réponse ne se fait pas attendre : «The dream is what’s important here is The Work. And my Art. And it should have life to it. It should have truth to it. Il devrait y avoir aussi une partie de moi là-dedans. Mais aussi une partie des gens, tu veux que les gens l’acceptent et y croient. Ils doivent y croire. Ces choses-là sont d’une importance capitale (of paramount importance).» Iggy revient aussi longuement sur l’extraordinaire Fuck The Regency qui clôt Every Loser : c’est une réponse à Bono qui lui reprochait de jeter sa couronne en se jetant dans le public. Iggy dit n’avoir pas très bien compris l’ensemble de cette «lettre ouverte», mais ça le fait marrer - Again, only an idiot would throw away his crown, ah-ah - Iggy et John Lydon même combat ? Eh oui ! Fuck The Regency ! Et quand Roberts lui demande s’il est encore le même mec que l’Ig de Raw Power, l’Ig répond sans ambiguïté : «C’est moi, mais c’est vrai que je suis aussi une autre personne aujourd’hui. I’m under a whole repertoire of constraints now, qui m’ont permis d’avancer dans la vie. Et de continuer à vivre. Given the limitations I work with, including the limitations of a talent which everybody has, you should have to do what you need to do.» Iggy dit aussi que son album de l’année 2022 et l’Everything Is Beautiful de Spiritualized. C’est l’info la plus importante de l’interview, clin d’œil d’un géant à un autre géant. Ça devient hilarant quand il indique qu’il se calme un peu sur scène et qu’il arrête par exemple de sauter dans la foule - I did 38 shows last year and I didn’t stage-dive at all. (...) I’m too rickety - Qui ira lui reprocher de ne pas sauter dans la foule à 76 balais ? Qu’il soit encore sur scène, c’est un miracle.

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             Dans Mojo, il papote avec Tom Doyle. Il raconte sa journée à Miami : réveil avec un triple expresso au lit, un coup de jacuzzi, puis la piscine, il se peigne ensuite sur la terrasse, joue un peu avec Biggy Pop le cacatoès, puis 20 minutes d’exercices respiratoires (Qigong), 20 génuflexions pour chasser le début d’«happiness belly», et un breakfast à base de yogourt, de pistaches et de macadamia (beurre de cacahuètes). Puis il s’en va nager à la plage, un endroit précise-t-il inconnu des touristes. Il prépare ensuite son émission pour BBC Radio 6 (Iggy Confidential) et hop, il est prêt pour l’interview. Mais l’interview n’est pas terrible, trop axée sur les clichés, les excès dont la fucking presse spécialisée a fait ses choux gras. Iggy continue à jouer le jeu, mais on est aux antipodes de l’échange qu’il a avec Roberts dans Record Collector. C’est dingue comme ça peut changer d’un support à l’autre. Quand on demande à Iggy quelles sont les qualités qu’il attend de ses collaborateurs, il répond : «They must be lifelike. That’s the number one condition.» Il ne veut ni des gens raides ni de ceux qui poussent à la roue - Try to avoid, like, full professionals. I don’t like them - Il cite en exemple les frères Asheton comme ses collaborateurs les plus importants, avec David Bowie («The greatest single collaborator»). The Ashetons number one and Bowie number two. L’Ig conclut le chapitre Bowie en saluant Dark Star - Woah it’s very very very strong music - Et puis il reparle de sa limite d’âge et du fait qu’il ne plonge plus dans le public, il redit qu’il est too rickety, mais il affirme qu’à ses concerts, le public est génial. Pour illustrer son propos, il raconte les quatre âges de Wanna Be Your Dog : «Vous savez, je chantais I Wanna Be Your Dog et les gens me regardaient horrifiés. Puis je chantais I Wanna Be You Dog et les gens se contentaient de boire leur bière et de me regarder d’un air amusé. Puis j’ai chanté I Wanna Be You Dog et les gens groovaient. Quand je le chante aujourd’hui, les gens connaissent toutes les paroles des couplets par cœur. So that’s a beautiful thing.» Il a raison d’être fier, Iggy. Pour le repas du soir, il a fait décanter une bouteille de Château Haut-Brion, un «highly expansive Grand Cru Bordeaux», comme l’écrit le pathétique qui l’interroge. Au programme de la soirée, manger et boire en contemplant la rivière, et en écoutant chanter les grenouilles.

    Signé : Cazengler, Guy Pot (de chambre)

    Iggy Pop. Every Loser. Atlantic 2023

    Tom Doyle : Lust never sleeps. Mojo # 351 - February 2023

    Chris Roberts interview : I can take a punch. Record Collector # 540 - January 2023

     

     

    Inside the goldmine - Ruby sur l’ongle

     

             Passe, passe le temps, t’en souvient-il de Baby Cam ? Passent les jours et passent les semaines, comme le scandait si bien Apollinaire, rien ne revient, ni le temps et encore moins les amours, car sous le Pont Mirabeau coule la Seine et elle coulera encore longtemps après que les poètes auront disparu. Baby Cam fut l’un de ces merveilleux amours de jeunesse, l’un de ces antiques amours junéviles qui se résumaient au simple bonheur d’être ensemble. Oh un tout petit peu de sexe, mais surtout une insatiable faim de la présence de l’autre. Un amour de cour d’école, où l’on se jure de ne jamais se quitter en se coupant les pouces pour sceller cette union dans le sang. Elle était haute et maigre, des cheveux noirs de jais extrêmement soyeux lui couvraient les épaules. Elle ressemblait de façon troublante à June Millington, la guitariste de Fanny. Elle compensait l’obstacle de sa maigreur par l’éclat de son sourire. Il y avait dans son attachement quelque chose qui relevait de l’appartenance, une qualité d’attachement qu’on passe sa vie à rechercher ensuite chez d’autres femmes, en vain. Elle vivait dans la grande banlieue de Lille et ce qui fascinait le plus chez elle, c’était cette impression qu’elle pouvait se donner au premier venu, tellement elle incarnait cette insoutenable légèreté de l’être si chère à Kundera. Lui tenir la main devenait alors une façon de l’arrimer à la vie, et surtout de ne pas la perdre. Un soir de réveillon du Jour de l’An, nous décidâmes de partir en stop à l’aventure en Belgique. Il neigeait. Nous découvrîmes ce que l’on appelait alors une boîte, et nous nous installâmes confortablement dans une grande banquette. Nous passâmes la nuit à boire et à écouter de la musique. À cette époque, les DJs passaient encore du rock et nous fûmes gâtés car nous entendîmes l’intégralité de Let It Bleed. Et bien d’autres choses. Ce fut notre plus beau Jour de l’An. La boîte ferma au lever du jour et nous nous retrouvâmes tous les deux frigorifiés sur une petite route de campagne. Évidemment il n’y avait personne. On claquait des dents et ça nous faisait rire. Soudain une bagnole apparut dans le brouillard. Le mec, un barbu, accepta de nous ramener en France. Nous n’habitions pas ensemble, le barbu me déposa d’abord à Roubaix, puis il proposa d’emmener Baby Cam jusqu’à Lille. Un peu plus tard, elle m’avoua que le barbu l’avait violée. Une chape s’abattit soudain sur le souvenir de cette nuit magique et notre histoire mourut sur le coup.       

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             Plutôt que de monter dans la bagnole d’un barbu, Ruby Johnson est allée enregistrer chez Stax à la grande époque. Elle eut la chance de chanter du r’n’b accompagné par le team de choc : Isaac, Steve Cropper, Duck Dunn et Al Jackson. I’ll Run Your Heart Away est une compile qui rassemble ses singles Stax et Volt. Ruby Johnson ne fait pas partie des plus connues, mais elle vaut largement le détour. Lee Hildebrand qui signe les liners estime que cette compile équivaut à l’album jamais sorti de Ruby Johnson et qu’il rivalise directement ceux de Carla Thomas (Carla Thomas), d’Irma Thomas (Something Good/The Muscle Shoals Sessions), d’Etta James (Tell Mama), et des premiers albums de Candi Staton et d’Ann Peebles. Elle fut repérée dans un club de Washington DC par Never Duncan, le manager de Bobby Parker. Duncan produisit les premiers singles de Ruby sur son petit label, Nebs, et un disc-jokey local nommé Al Bell les passa sur une station locale nommée WLOK. Et quand Al Bell s’installa à Memphis pour co-diriger Stax avec Jim Stewart, il rapatria aussi sec Ruby. Malgré la présence d’Isaac et de David Porter, les singles de Ruby flippèrent et floppèrent.

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             Incompréhensible, car Ruby Johnson est, comme ses consœurs, capable de coups de génie, tiens comme ce «Weak Spot» de fin de compile, une énormité de Stax Sound. Avec «Come To Me My Darling», elle plonge dans le sexe pur d’I’m so lonely, elle souffre de la solitude du blues, elle fait de la Soul de need you. Avec «What More Can A Woman Do», elle tape dans le heavy slowah, wow, elle est bonne dans sa robe serrée, avec ses gouttes de sueur, elle chante au petit raw d’ultra proximité, elle fait l’Otis au féminin. Elle se donne encore les moyens du raw pour «I’d Rather Fight Than Switch», mais ce sont les moyens du bord, tu t’en doutes bien. Elle s’engage pour de vrai, alors il faut l’encourager. Ruby est une vraie bête de Stax du Gévaudan. Quand elle accompagne un cut, c’est au big raw, comme le montre encore «Won’t Be Long». Il y a quelque chose d’exemplaire en Ruby, elle crée très vite un réel attachement. Elle entre dans une sorte de clameur de gospel avec «Why Not Give Me A Choice», elle le fait avec une classe effarante, tout en douceur, c’est nappé d’orgue au why not, elle cueille la cerise du give me a chance. Elle est fine et tellement belle. Elle rentre dans le chou des cuts avec une facilité déconcertante. Hildebrand rappelle dans ses liners qu’elle surprenait tout le monde en studio et sur scène. Encore un vieux groove de Stax avec «It’s Better To Give Than Receive». Elle chante son r’n’b à l’accent cassé, comme une grande artiste. Nouveau coup de Jarnac avec «Keep On Keeping On», c’est énorme et elle est dessus. Elle chante le heavy blues de «Need Your Love So Bad» avec une niaque phénoménale. Elle monte sur tous les coups, avec un égal bonheur. Même en heavy blues de Stax, elle est géniale - I hope you need me too - Cropper nous gratte «I’d Better Check On Myself» à la réverb et on reste dans le heavy boom de Stax avec «No No No». Pur Stax genius. 

    Signé : Cazengler, Ruby à XV

    Ruby Johnson. I’ll Run Your Heart Away. Stax 1993

     

     

    Wizards & True Stars

    - Fall de toi (Part Five)

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             C’est en janvier 2018 que Mark E. Smith a cassé sa vieille pipe en bois. Dans la foulée de sa disparition est paru un étrange petit livre, Messing Up The Paintwork - The Wit And Wisdom Of Mark E. Smith. Ce Messing Up est un hommage (A celebration), un petit format qui s’avale d’un trait. Pas d’auteur. Messing Up propose une sélection d’extraits d’interviews, de petites histoires, d’hommages rendus par des fans et quelques photos. En couverture, on voit Mark E. Smith tirer sur sa clope. C’est l’une des plus belles images de cet inconditionnel du no sell-out. Ici, on adore les gens qui ne vendent pas leur cul.

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             Pour gagner du temps et de la place, on va faire comme les Anglais : on va appeler Mark E. Smith MES. MES ne nous parlait pas de rock mais d’art. Bon d’accord, on pouvait se contenter d’écouter les albums, mais les ceusses qui se sont aguerris en explorant l’histoire littéraire ont très vite compris que MES se situait à un autre niveau, celui des artistes visionnaires qui, consciemment ou pas, font de leur vie une œuvre d’art. Pour illustrer cette affabulation, traçons un parallèle entre la vie d’Arthur Rimbaud et celle de MES : ils surent tous les deux allier talent visionnaire et jusqu’au-boutisme. On pourrait aussi citer Oscar Wilde, bien que brisé, ou encore William Burroughs, magnifique spécimen de no sell-out. Ou encore Wyndham Lewis. Ou encore Van Gogh. Comme Van Gogh, MES n’est jamais content. Il vire les gens. Il leur tape dessus. Il boit comme un trou. Il travaille sans relâche. C’est à l’échelle d’une vie. On se demande comment il fait pour tenir aussi longtemps en buvant autant. Des pintes et des pintes et des shoots de Jameson, c’est ce que rapportent les interwievers. Et glou et glou. Stuart Maconie brosse en intro un portrait de trois pages du MES, et commence par rappeler que The Fall n’est jamais passé à Top Of The Pops et qu’aucun Fall cut n’est jamais grimpé dans aucun hit-parade. MES n’a jamais garé de Maserati devant une résidence à Knightbridge. Et boom, Maconie s’emballe : «MES était irascible, distant, drôle, belligérant, rebelle, fuyant, complexe et smart. Il était beaucoup plus qu’un personnage haut en couleurs. Ce esprit brillant a créé l’une des formes de British modern art : the music of the Fall.» Oui irascible, agressif, drôle, comme le fut Van Gogh, enfin, le Van Gogh que nous montre Maurice Pialat dans son film qui, faut-il vraiment le préciser ?, est extrêmement bien documenté. Pialat ne prend jamais aucune liberté avec la vérité. Alors quand on voit MES, on pense à Dutronc/Van Gogh qui tape sur son frère. Qui boit trop. Qui détruit ses toiles. Dans un extrait de son autobio Renegade, MES déclare : «Je suis incapable de regarder en arrière, comme le font les fans. I can’t get beyond the fact that most of it was shit.» MES détruit ses toiles comme Van Gogh détruit ses disques. MES voit l’avenir du rock comme Rimbaud voit des soleils bas tâchés d’horreurs mystiques.

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             Maconie trace lui aussi des parallèles, pas avec Van Gogh, Rimbaud ou Burroughs, mais avec le vorticiste Wyndham Lewis et Kafka - a bitter, diamond-hard Modernism, or Vonnegut and Phillip K. Dick, the amphetamine clarity of a hyperactive, restless mind - On n’imagine pas Rimbaud autrement que sous cet angle : «the amphetamine clarity of a hyperactive, restless mind.» C’est exactement ça, que ce soit dans les bras de Paul Verlaine, au long des fleuves impassibles ou sur les pistes d’Éthiopie. Là, nous sommes sur les pistes de Manchester, et plus précisément Prestwich, le Charleville working-class de ‘Chester. Ce démon de Maconie creuse encore, il va chercher le Dada en MES : «En fait MES était suprêmement convaincu que l’essence même du Modernisme consistait à choquer le bourgeois (giving offence to the comfortable) et que c’était un devoir pour l’artiste que de choquer le bourgeois. Il a développé un mépris total pour l’establishment, allant jusqu’à qualifier l’industrie du disque de middle-class executive business like the police force.» Et paf, l’industrie, prends ça dans ta gueule.

             Maconie raconte que pendant l’interview, MES a en permanence quatre pintes sur la table et qu’à la fin de la journée, l’addition est de £1000 - Pendant toute sa carrière, MES a eu une relation très compliquée avec la presse. Il pouvait être charmant ou explosif, mais le résultat était toujours fascinant - Un petit exemple : Dans Q en 2001, on demande à MES s’il vote aux élections : «Je vote toujours pour le nom de parti le plus stupide. Non, je n’ai pas voté pour Raving Loony - You don’t fucking get Raving Loony candidates in Salford. You get things like Orthodox Jews For More Pavements In The Area. Je vote toujours pour eux.» Pur Dada strut. Here we go !

             MES n’en finit plus de fasciner. On cueille des éclats ici et là, et chaque fois, on croit entendre sa voix. Écoute-le parler de musique - Si tu joues out of tune, alors joue out of tune properly - ou de The Fall - The Fall est la honte de ma vie et en même temps the best thing in it - Il détruit ses toiles, il a raison. MES est un homme libre, comme le fut Rimbaud. Rien ne pouvait le dominer, rien ne pouvait l’entraver, ni un groupe ni aucune de ses épouses successives. Il n’existe pas de liberté sans brutalité. Alors évidemment, la presse s’est régalée avec MES qui, sur scène, tapait sur ses collègues. Dans un docu de BBC4 datant de 2004 (The Wonderful And Frightening World Of Mark E. Smith), il déclare : «Mon grand-père attendait à la sortie des prisons et quand des gens sortaient, il leur disait ‘come and work for me’. Je fais un peu la même chose avec le groupe.» Alors effectivement, quand on lit les mémoires de Brix Smith (qui, comme Tina Turner et Pat Arnold, a conservé le nom du mari après le divorce), on ressent un certain malaise car cette Américaine n’est pas tendre avec son ex, et c’est d’autant plus choquant qu’elle ne lui arrive même pas à la cheville. Elle le voit comme «un sorcier, un psychic, un warlock» qui hypnotisait les membres du groupe. Ce que ces imbéciles n’avaient pas compris, c’est que la tension qui régnait à l’intérieur du groupe rendait le groupe plus fort. MES ne supportait pas de voir des musiciens de rock craquer et chialer à cause de la pression. Il avait compris très tôt que ça allait être dur, surtout les tournées américaines, et donc pour pouvoir tenir, il fallait s’endurcir. The Chester way. À coups de poings dans la gueule. Un nommé Dave Simpson voit MES comme un patron d’usine à l’ancienne : il recrute et vire les ouvriers. Il surveille leur rendement. Dans le Melody Maker, Dave Jennings va encore plus loin : il compare les méthodes de MES à celle de Thatcher qui virait les gens de son cabinet dès qu’ils avaient un peu trop de caractère. Heureusement, John Peel vole au secours de son chouchou MES en déclarant dans le docu BBC4 évoqué plus haut : «C’est devenu un sujet de plaisanterie, sauf bien sûr pour les gens concernés. En gros, les gens disparaissent sans laisser de traces. Peut-être qu’il les a tués, va-t’en savoir...» Humour anglais. Quasi Monty Python. C’est pas loin de la chorale du Golgotha, à la fin de La Vie De Brian - «Always Look On The Bright Side Of Life», chantent en chœur les crucifiés. Pied de nez suprême. Encore plus fort que l’«on est plus célèbres que le Christ» de John Lennon.

             Et puis, il y a ces sorties très poétiques dont on raffole depuis quarante ans, depuis qu’on lit ses interviews dans la presse anglaise : «J’adore l’été, parce qu’en été je ne sors pas. Quand arrive le mois d’avril, les gens sortent comme des chiens, aussi je reste chez moi. Summer is hell.» Quand il mord, il mord, c’est tout un art que de mordre. En 1998, un mec du NME lui demande ce qu’il pense du film Titanic : «Titanic ? What a load of crap. C’est comme de regarder une PlayStation. The fucking boat coule. I mean, you know how it ends, don’t you ?». De toute façon, MES ne supporte pas le passé. Quand c’est coulé, c’est coulé, à quoi bon bavacher ? Il ne voit que l’avenir. Dans le même canard, il déclarait en 1996 : «Maintenant tout est rétro, innit ? C’est pour ça qu’on a un canard comme Mojo. Je balance ça à la poubelle. Je m’en sers pour la litière du chat.» On l’interroge aussi pas mal sur la scène anglaise et MES n’est pas tendre. En 1993, dans Alternative Press, il scelle le destin de U2 : «Si Jésus avait vu U2, ça l’aurait rendu malade. Jésus aurait lancé des bouteilles à U2.»

             On interroge aussi l’auteur. MES est un parolier de génie. Et voilà comment il met les choses au point : «Qu’entends-tu par love ? Pour moi, love is the love of life. Tu vois the love chaque jour : un père avec son gosse, une mère avec le sien. La question est de savoir de quelle façon tu mets ça sur le papier.»

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             Et puis tu peux aller au pub, grâce au DVD Perverted By Langage, c’est là que tu vas trouver MES adossé contre le mur, sssson ! Atroce papier peint et Brix assise à côté qui tire la gueule pour les besoins du post-punk de Wingsssshhh - Day by day/ The moon came towardsssh me/ By sssuch thingssshhh - British oh so Britissshhh et Brix annonce «Totally Wired», my favourite, obsédant, totally wiredssshh ! Avec des lignes de basse à la John Cale, I’m totally wiredsshhh/ Can’t you see?/ I’m totally wiredssshhh, et les chœurs décousus font totally wired, il sort ses quatre vérités - You don’t have to be weirdssh to be wiredsshhh/ You don’t have to be an American to be shhtrange/ You don’t have to be shhtrange to be strange-shhh/ You don’t have to be weirdshh to be weirdshhh - et les chœurs décousus font totally wired, c’est à la fois le Velvet, Captain Beefheart et il n’existe rien de plus British oh so Britissshhh que ce décousu des chœurs de société branlante, MES et ses deux batteurs cultivent l’art désuet de la déconstruction pentatonique-ssshhh.

             Pour finir, on va se régaler avec une petite histoire. Stuart Maconie vient de poser son small magnéto sur la table du pub pour l’interview, et MES lui demande : «Où t’as trouvé ça ? J’en cherche un comme celui-là. Suis allé dans un petit bouclard asiatique de Prestwich pour acheter un magnéto comme le tien. J’en avais besoin pour enregistrer mes idées. Le mec m’a dit : ‘Voilà ce qu’il vous faut, sir, a little mini cassette recorder, un dictaphone.’ Alors je lui ai dit, no, mate, j’en veux un qui prend les cassettes C60 ordinaires. Si je suis à Oslo, à Naples ou a Chicago, je veux pas être obligé de galérer pour trouver tes mini-cassettes. Alors il me dit : ‘Vous vivez dans le passé, sir. Tout le monde les utilise aujourd’hui. Et on trouve les mini-cassettes partout.’ Bon. Je lui dis, alors vas-y, file-moi l’un de tes recorders... Et avec ça, t’as intérêt à me filer une dizaine de tes mini-cassettes. Et tu sais pas ce qu’il m’a répondu ? Sorry sir, je ne vends pas de cassettes.»

    Signé : Cazengler, (a real) Mess

    Messing Up The Paintwork - The Wit And Wisdom Of Mark E. Smith. Ebury Digital 2018

    The Fall. Perverted By Language. DVD Cherry Red 1984

     

     

    *

    Un groupe anglais. De la région de Leeds. Z’ont eu quatre dates en France en ce début d’avril. Ne se contentent pas de faire de la musique. Essaient de réfléchir. Z’aimeraient avoir une vision du monde, mais celle-ci est floue. L’est vrai que la période actuelle bla-bla-bla… Ce n’est pas tout à fait cela. Ne jouent pas les stratèges métapolitiques en chambre, jettent simplement un coup d’œil sur la réalité qui les entoure. Un peu comme les Pistols à leur époque. En ces temps bénis, tout allait mal, on avait au moins des certitudes, on était convaincu qu’il n’y aurait pas de futur. Hélas nous y sommes en plein dedans.

    Divorce Finance, c’est leur nom, pour la petite histoire nous rappelons que ces deux mots qui sont si français appartiennent tout autant à la langue anglaise, pourraient signifier que notre groupe se désolidarise de cette financiérisation économique et libérale du monde qui nous accable, ils proviennent d’une conversation entendue par Mr Discipline dans un train, un chemineau ( non pas celui qui conduit une locomotive, ce terme désignait au temps de la jeunesse de Jean Giono, ceux que l’on appelle aujourd’hui les Sans Domicile Fixe ) et un jeune cadre de la city se racontaient leurs malheurs, vous imaginez très bien les difficultés rencontrées par notre nomade, le cadre aussi avait les siennes, en instance de divorce il parlait des déboires relatifs au financement de cette séparation…

    Finance Divorce évoque une toute autre sorte de divorce, qu’ils jugent beaucoup plus grave, ils estiment que les gens d’aujourd’hui sont séparés de la réalité, ils emploient le terme de déréalisation, ne vivent plus tout à fait dans leur époque, normal puisqu’ils passent leur existence dans un futur qui n’existe pas, où peuvent-ils donc être ? Dans la nostalgie du passé. Ce qui entraîne chez eux mal-être et frustration. Ils emploient un nouveau terme pour désigner cet état de fait : haunthology. Un mot valise formé à partir d’anthology, car à vivre dans le passé autant choisir les meilleurs moments, et haunted qui signifie être hanté. Nous serions donc comme des fantômes qui ne cessent dans leurs pensées, leurs affects, de vivre dans des représentations idéalisées du passé d’autant plus prégnantes que les jeunes générations n’ont pas connu les années de l’après-guerre. La deuxième. La période qu’en France l’on surnomme les trente glorieuses et les anglo-saxons la guerre froide.  

    DIVORCE FINANCE

     ( single numérique / Bandcamp / Juillet 2022  )

    Mr Discipline / Dr Fuck / Kylie Monoxide / Hugh Jass / Quick Lewinsky.

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    Django vous pensez à Reinhardt le gitan, vous avez raison, rajoutez-y le Django héros des westerns spaghetti de Sergio Corbucci, définissez le premier comme un grand artiste, et le second comme être violent assoiffé de justice vengeance, là n’est pas le problème, d’abord l’on ne vous demande pas votre avis… j’aurais pu classer ce titre ma rubrique Rockabilly Rules, disons que c’est une parfaite ballade country avec une guitare pro-rockabilly, un petit rythme tapoté – puisque l’on parlait de western italien allez écouter Addio a Cheyenne d’Ennio Morricone – ici les sifflets typiques del maestro  remplacés par les interventions d’une douce voix féminine qui contraste avec le timbre rêche de Mr Discipline aussi sec que la winchester sur la pochette…

    Django et Django sont bien des idoles de Mr Discipline, mais il faut se méfier les héros modernes ne sont souvent que des héros de papier, nul besoin de se réfugier derrière eux, ne vivez pas procuration, soyez vous-même, aussi complexe que le jeu de la Maccaferri de l’un et aussi définitif que le colt de l’autre.

    C’est en ce même mois caniculaire de juillet 2022 qu’enfermé dans un ancien abri atomique désaffecté que Divorce Finance a enregistré son premier EP : 

    LIVE FROM THE BUNKER

    ( EP numérique / Bandcamp / 01 – 04 - 2023  )

    Matt Heuck / Louisa McClure / Jacob Wardie / Benjamin Parry / George Chadwick.

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    Auto-communist dream girl : sur les premières notes vous retrouvez le même son de guitare que sur Django, surviennent des sifflements mal-appropriés pour des oreilles sensibles, sur le balancement de base vient se poser la voix de Mr Discipline, un peu comme s’il chantait dans un mégaphone, le rêve de la fille auto-communiste tourne au cauchemar, le morceau vire au noise, tout en respectant la cadence initiale, une espèce de voyage au bout de la nuit de l’utopie assez monstrueux, un cauchemar sonore que vous ne manquerez pas de revisiter, ne serait-ce que pour retrouver ces courts mirages rockabillyens de la voix éparpillés dans le morceau. Loneliest twink on the ranch : n’imaginez pas Elvis mais le Colonel haranguant la foule au porte-voix dans le brouhaha de l’entrée d’un cirque, un truc circulaire qui vous scie les neurones et vous éclate les synapses, un barnum innommable, voire inécoutable pour beaucoup, mais l’ouïe des rockers auront reconnu à la base de cette calamité le balancier tournant du roll and rock. Il ne leur en faut pas plus pour être heureux.

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     Director’s cut : (ci-dessus la couve du single paru en mars  2023 ) : beaux bruits de guitares country survitaminée, le réalisator parle, il s’énerve, il gueule, l’on sent qu’il a l’habitude de se faire obéir et qu’il n’est pas content, nous refont le coup de la ballade country explosée à la dynamite, vous avez des cordes à l’uranium enrichi, faut pas lésiner sur les moyens, le cinéma est le principal pourvoyeur de vos rêves héroïques, ici l’on vous montre l’envers du décor. 10 years with Lisa : le slow que vous attendiez tous, dépareillé, tortueux, interminable, Lisa Ann est une actrice célèbre, ce qu’elle a fait de mieux en tant qu’artiste, d’après moi c’est le titre de ses mémoires, Ce qui est arrivé de mieux à mon cul c’est qu’il soit resté derrière moi, ce qui tranche avec ses rôles sentimentaux à la noix de coco, z’oui mais lorsqu’il était gamin notre chanteur adorait… L’a dû par la suite comprendre que la vie ne suivait pas toujours les bons sentiments enseignés par la Bible, ce qui explique que le slow oscille entre moiteurs contenues et fureurs irréversibles. Bitchkrieg : démarrage battérial, encore le Colonel Parker au mégaphone, mais les chevaux galopent parmi les spectateurs enchantés, les tigres sont sortis de leurs cages et vous avalent le dompteur en moins de deux, la foule applaudit à tout rompre. Une trombe de deux minutes paillarde et jouissive. Cauchemardesque. 

             L’on pense aux Cramps, des Cramps davantage désespérés et qui n’y croient plus vraiment. Divorce Finance a ressorti le vieux rockab rouillé de l’ancien temps, l’ont trempé dans un bain de psychobilly pour lui refiler quelques couleurs, l’ont requinqué comme ils ont pu à leur manière, le résultat est là, exposé sur la place publique, tout cabossé et cisaillant. C’est aussi beau que de l’art contempourri. Cela pourrait s’intituler : La perte de l’innocence.

    Cet EP est un miroir aux alouettes, il attire, certains le décrieront et le traiteront de grotesque, beaucoup adoreront. Un opus qui ne laisse pas indifférent.

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    Il existe une vidéo sur YT : Anti-communist dream girl, Live at Wharf Chambers : sont tous les cinq sur scène : batteur, trois guitares, une basse, un beau son électrique, moderne dans lequel les racines rockab sont absentes, ce qui est un peu décevant. 

    Un groupe à suivre.

    Damie Chad.

     

     

    DEFIXIONES

    VERITI RITUS

    ( Bandcamp  / 29 - 03 - 2023 )

    Tout chaud. Tout beau. Comme renseignements je ne peux vous donner que les maigres éléments fournis par Bandcamp et leur FB n’est pas vieux. Sont de Silésie région du sud de la Pologne.

    Smyg : lead guitar / Aro : rhythm guitar / Tymon : drums / Sagittarius :  vocals, bass.

    Etrange couve qui tient des bustes antiques mais ici le chef est couronné d’une espèce d’engrenage métallique, un mécanisme d’horlogerie implacable, la roue de fer du destin.  L’on ne peut s’empêcher de penser aux auréoles qui entourent les têtes des saints et des empereurs des mosaïques et des icones byzantines. Evidemment ces Malédictions ( Defixiones ) ne font pas référence au même Dieu mais à une autre entité. Du côté sombre de la force pour employer une expression consacrée.

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    Devotion to the entity : en plein dans la tempête, le sol tremble sous des milliers de sabots de milliers de chevaux, la voix du sagittaire lance la horde, le temps de reprendre ses esprits, il est trop tard, Veriti Ritus nous transporte ailleurs, peut-être faudra-t-il abattre nos montures pour apaiser la terrible entité vers laquelle nous nous dirigeons, déjà des flots de sang noirs se transforment en torrents, une force nous propulse vers un point fixe pivot immobile autour duquel le globe terrestre se met à tourner à une vitesse folle sur lui-même, nous ne savons plus rien, sinon que la terrible énergie qui se dégage de la chose enfouie est en train de prendre possession du monde devenu un immense tourbillon. Odpływam w nicość : (Je dérive vers le néant ) : vibrations de cordes, véritable baume sur les blessures auditives provoquées par le premier morceau, une batterie marque la marche, mais la voix du Sagittaire nous tire de notre bien-être, nous sommes au bout du monde, un pas de plus et nous tomberons dans l’abîme, intermède musical sous-tension, le rythme s’accélère trébuche sur lui-même, se catapulte sur ses propres contrepoints, peut-être ne saisissons-nous pas la portée du drame qui se joue, des notes s’espacent, un roulement de batterie lance le moteur du rotor retors qui nous ventile des atomes de néant sur le visage, comme des pierres qui effacent les contours des statues sur lesquelles elles rebondissent , la musique s’appesantit, nous courbe à même la terre, prend toute la place, envahit le vide au fur et à mesure qu’elle le crée… Levers : avez-vous déjà entendu des guitares rugir comme cela, une fusée interplanétaire s’envole vers l’espace.  Jak wygląda nic ? (Hallucination) : le Sagittaire récitent les litanies qui tétanisent les reptiles, la batterie roule d’un côté et de l’autre ralentit le rythme, des vibrations vibraphoniques  nous berceraient si ce sommeil ne traversait pas un mer écumeuse, Smyg nous réveille de sa guitare perçante, émotions, le Sagittaire nous réconcilie avec la vie, Tymon crée des merveilles roucoulantes, brusquement tout se précipite, nous sommes entre les branches d’un hachoir géant, tout le monde se presse, ceux qui passeront survivront, le morceau devient urgence démentielle, normalement il devrait se terminer au plus vite. Ce qu’il fait en accélérant.  ZWID :: ( à quoi ça ressemble ? ) : un temps de réflexion sur un tempo sans pitié, nous accédons enfin à la pensée pour poser les interrogations essentielles, sans doute notre cerveau ne raisonne pas assez vite, nous passons sous les fourches caudines du martèlement de notre impuissance. Court ? Certes ! mais une aire de repos bienvenue sur l’autoroute du désespoir. Noce : ( nuits ) : cristal de roches résonnantes dans les oreilles, coups de marteaux sur les enclumes de la pénombre, le Sagittaire hurle, l’est devenu un cauchemar ambulant, il avance lourdement, il crie, il met en garde, la musique mène l’attaque, vague irrésistible sous laquelle tout redevient poussière, violence déchaînée, concassage de l’esprit, tout doit être liquidé, rien ne doit subsister, le drumming s’acharne à arraser tout ce voudrait manifester une volonté de vivre, les guitares fauchent les espérances, n’espérez plus rien, même pas en l’espoir du désespoir, la monstruosité réveillée montre sa gueule nécronomiconencielle, un déluge de noirceur s’écroule sur vous. Apocalypse sonore. La comédie est terminée. Les plis du rideau qui tombe ensevelissent le monde. Blind and helpless : le vent souffle, Tymon mène le bal, feulements exclamatifs du Sagittaire, votre esprit n’est plus qu’une canne blanche titubante, vous avez voulu savoir, vous avez voulu voir, vous n’avez pas réfléchi aux dangers de l’Innommable, vous ne saurez jamais rien et vous ne voyez rien, tant pis pour vous, les oiseaux noirs du malheurs tournent sans fin dans la vacance de votre âme, une ronde incessante sur les ailes du néant, inutile de vous plaindre et d’exciter la pitié, la partie est jouée et vous avez perdu, définitivement jusqu’au plus profond de votre mort. Les prêtres entament l’hymne sacrificiel de remerciement. Tout est bien, qui finit mal.

    Magnifique. Si vous n’aimez ni le metal, ni le stonner, ni le doom, abstenez-vous.

    Damie Chad.

     

    SWAMP DUKES 

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    Encore des inconnus. N’ont sorti que deux singles sur Bandcamp, en mars et avril de cette année décidément maudite. Il nous plaît de savoir que d’ici quelques mois ils seront réunis sur un EP intitulé Living Nightmares. Cueillir des fleurs vénéneuses à leur naissance n’est pas interdit, comment connaître le goût d’un prochain poison si l’on n’y goûte pas.

    Proviennent de deux groupes : Stevan Fujto de Concrete Sun, de Serbie, qui sortit en 2011 l’album Sky is High, Bora Jovanovic et Ilija Stevanovic  et Sangre Eterna dont on trouve sur Bandcamp une seule piste : Dead Man’s Tale, Les contes de l’homme mort, nous irons écouter prochainement car de ce titre se dégage un léger parfum d’Edgar Poe. Evidemment ce sont aussi des serbes.

    Une seule phrase suffit à Swamp Dukes pour définir son projet : ‘’ Des profondeurs des marais surgissent les Dukes pour vous lapider la cervelle dans une autre direction ‘’ Rien à redire d’un tel programme.

    DEATH HOUSE RESCUE

    ( Bandcamp / 09 – 03 – 2023)

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    Kitch and chic, un dessin qui ne déparerait pas sur une couve des romans d’épouvante des années cinquante, tout comme Vince ‘’ L’Invincible’’ Rogers activiste rock niçois j’adore cet art populaire, ah ! ce vert excessif, et cette tête de mort prête à mordre la vie à pleines dents, à défaut de plonger la tête première dans le marais, écoutons ce premier opus :

    Une voix peu encourageante vous avertit, inutile d’avoir peur elle est vite remplacée par un superbe déferlement rock ‘n’roll, une tornade qui passe et qui ne repousse pas. Inutile, en deux minutes les songes miraculeux dont  votre âme se plaisaient à se bercer se sont évanouis, se sont enfoncés dans une vase qui glougloute sinistrement. 

    Percutant et définitif.

    DIG DEEPER

    ( Bandcamp / 01 – 04 – 2023)

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    Une couve plus classique. Le noir est inquiétant. La verdeur du single précédent est horrifique. Ici nous sommes en paysage connu. Avec cette croix perdue au milieu des marécage et l’œil insistant de cette lune blanche, nous sommes en pays connu, presque une version semi-aquatique du crossroad de Robert Johnson, Nouvelle Orléans et vaudou. Presque chez nous.

    Un gros solo de basse pour vous mettre dans l’ambiance et le rock’n’roll des guitares décoiffe les décapotables, un vocal moins rapide, le rythme s’assouplit, pour mieux repartir par la suite, l’est sûr que Baron Samedi s’est assis à vos côtés, moins affriolant qu’une blonde pulpeuse, mais il s’amuse avec les vitesses d’une manière démentielle. Attention, freinez à temps si au prochain virage vous ne désirez pas virevolter dans le marais gluant.

    Le rock comme on l’aime !

    Vivement l’Ep !

    Damie Chad.

     

    *

    Un groupe français pour changer. De ceux que l’on classe ces temps-ci parmi les gaulois réfractaires. L’album date pourtant de 2012, ont beaucoup tourné, se sont ensuite un peu reposés, ont envie de reprendre le collier, l’époque s’y prête.  La couve du CD représente un porte-monnaie, vous comprendrez vite pourquoi.

    LA MONNAIE DE LEURS PIECES

    AMER’THUNE

    ( Auto-produit / 2012 )

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    Sébastien Fournier : compositeur, ( contre)bassiste, claviste / Mathieu Relin : auteur, compositeur, guitariste, chanteur / Mickael Denis : compositeur, batteur, percussionniste.

    Jusques là tout est normal, font suivre leur nom, non pas de leur plat préféré ou de leur émission télévisée favorite mais, ce qui est plus rare, de leurs délits commis : je vous livre un package global : incitation au mouvement insurrectionnel, conduite en état de stupéfaction, outrage au président, incitation à la rébellion, détournement de train, filouterie, refus d’obtempérer, abus d’état d’ignorance et de faiblesse, complot, dégradation volontaire des idées d’autrui… comme quoi ils ont plusieurs cordes à leur violon d’Ingres, une véritable instrumentation symphonique !

    Ce test (réussi) d’accréditation personnelle nous permet d’entrevoir un groupe de rock aux convictions solidement charpentées qui ne met pas son mouchoir, je vous laisse deviner la couleur, dans sa poche.

    Ludivine : étonnant au vu de leur passé je subodorais une diatribe politique, ben non une chanson d’amour, enfin de sexe, le gars enflammé qui ne s’occupe plus des affaires du monde, avec un son qui décolle, bon elle est un peu bizarre avec sa petite corne belzébutine, en tout cas ils lui tressent une de ces fanfares rutilantes avec leurs guitares, pas très malin de s’accrocher à la fille de Satan, son désir est si chaud qu’on lui pardonne. La crise secondaire : attention on change de registre, une basse presque mortuaire accompagnée de chœurs d’enterrement, le monde d’en bas, le monde d’en haut, ceux qui triment et  payent, ceux qui exploitent et se gavent, quelques notes de pianos toute claires et le titre bascule dans un tsunami de révolte, l’on désigne le coupable, en lettres capitales, l’on se calme l’on revient au monde des gagne-petit, à la vie étriquée, prisonniers de ces crises si fréquentes qu’elles en deviennent secondaires… Histoire de France : le genre de texte sans langue de bois, l’on ne risque pas de l’entendre sur les radios d’état, dommage car musicalement c’est aussi chaud et aussi rock qu’une barricade, c’est que parfois la démocratie est l’ennemie de l’insurrection, le système est à mettre à bas, le beau monde en prend pour son compte, certes le peuple a perdu le pouvoir, malmené par la droite, trahi par la gauche, cette histoire de France gronde comme une menace. Encore un effort companeros. Ravis au lit : le jeu de mot est connu, n’y a que les nouilles qui ne comprennent pas, dans la vie tout est question d’écriture, soit l’on file le KO, soit l’on file la métaphore, c’est ici que l’on s’aperçoit que les textes sont écrits, super chiadés même. Nous la font à l’espagnole avec l’entrée du torero dans l’arène, plus groove concassé, ne nous laissons pas prendre par l’ambiance, les comédies érotiques tournent souvent au vinaigre. En silence : au début l’on se croirait dans une déception amoureuse, mais non, n’en veulent pas à leur copine, mais à ce peuple avachi, endormi devant sa télé, apathique et dépité, qui n’y croit plus, qui refuse de prendre ses responsabilités, ce qui précède c’est pour l’idée générale, faut écouter c’est goupillé comme un chapelet de grenades, on lance, elles explosent, on attend un peu et on en relance, le tout appuyé sur une orchestration imaginative et colorée. Un bijou. Le héros de pixel : petits bruits électroniques, chic on va pouvoir jouer au jeu-vidéo, la basse jazotte et fait ses gammes, quand on ne se bat plus dans le monde extérieur l’on joue au héros sur l’écran, l’orchestration vous construit une bande-son triomphale, ça console, le pire c’est quand on prend conscience que l’on n’est pas un héros mais un zéro. Apocalypse : entre geste musicale et fable ironique, ce qui est sûr c’est que pendant l’apocalypse c’est comme la vente pendant les travaux, la lutte de classe continue, groove, valse, piano, bruits, lenteurs, clavier, voix, se succèdent, à chaque épisode sa partition, personne n’y a gagné, mais certains y ont perdu davantage. A méditer.

             Très original. Des textes, de la musique, de la révolte. Un petit côté chanson française dans l’écriture des textes. L’on a l’impression que la musique s’adapte au texte, les américains de Chuck Berry à Jim Morrison en passant par Dylan nous ont appris que texte et musique ne doivent former qu’un.  Une belle tentative.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 23 ( Corn beef  ) :

    126

    Le Chef allume un Coronado pour mieux m’écouter :

              _ Oui Chef, deux indices de première importance. Je résume : je marche dans une forêt, une sensation étrange s’empare de moi, au bout d’un certain temps je réalise que je ne suis pas dans une forêt mais dans la description d’une forêt dans un livre que vous êtes en train de lire.

              _ Vous me décevez beaucoup agent Chad, je m’attendais à quelque chose de faramineux, d’obscur, de calamiteux, de je ne sais quoi comme si lire un livre était en soi le genre d’acte dont mon subconscient m’interdirait la connaissance, à quatre ans je lisais déjà l’Anabase de Xénophon, dans le texte grec bien sûr ! J’étais même capable de le réciter in extenso à mon institutrice de maternelle qui n’y comprenait rien. C’est tout ce que vous avez à me rapporter ?

              _ Non Chef, excusez cette question à brûle-pourpoint, elle est essentielle pour la compréhension de la suite, pourriez-vous me dire avec quoi se prépare une omelette ?

              _ Agent Chad, auriez-vous subi une lobotomie depuis hier soir ! Avec des œufs, non d’un Coronado abandonné sous la pluie !

              _ Non chef, c’est ainsi que s’annonce le titre du livre que vous étiez en train de lire.

              _ Par une omelette ! Agent Chad, sauf votre respect, vous commencez par me briser la coquille.

              _ Non Chef pas par une omelette, par la moitié d’un œuf !

    Le Chef éprouve le besoin impérieux d’allumer un Coronado :

              _ Oui Chef par la moitié d’un œuf, avec E dans l’O !   

              _ Comme Œuvres Complètes d’Honoré de Balzac par exemple si je ne m’abuse Agent Chad !

              _   Comme Oecila !  Maintenant nous savons que Ecila se prononce Eucila et non écila !

              _ Vous avez pu lire le récit ?

              _ Hélas non, le rêve s’est brutalement terminé par contre j’ai pu déchiffrer le nom de l’auteur. Vous êtes concerné en premier chef, Daniel Lechef !

              _ Vous plaisantez Agent Chad, si certains m’appellent Lechef parce qu’ils vous entendent m’appeler Chef, n’oubliez pas que je m’appelle Alexandre Legrand. Partez-moi plutôt à la recherche de ce satané bouquin. J’en veux au plus vite un exemplaire sur mon bureau !

    127

    J’ai saisi le paltoquet par le colbac et lui ai collé mon Rafalos sur la tempe. Je suis énervé, j’ai passé ma matinée à farfouiller sur internet et à courir les plus grandes librairies, les bouquineries et les marchands de livres anciens, personne n’a jamais lu, vu ni même entendu parler du roman Oecila et encore moins de Daniel Lechef, quand le clampin a refusé de m’emmener voir son directeur, je me suis fâché tout noir. Je préfère ne pas vous dire comment. Me mène tout droit sans broncher au septième étage de la Bibliothèque Nationale François Mitterrand. Sans même lui laisser le temps de frapper à la porte je l’ouvre et nous déboulons. Par politesse j’ai remis mon Rafalos dans la poche.

             _ Mon-Monsieur le Di-directeur, un client un peu particulier !

    Rien qu’à voir sa moue dépréciative qu’il jette sur mon perfecto, la haine m’envahit, je ressors illico mon Rafalos et lui tire un bastos juste au-dessus de sa tête.

              _ Ecoute moi bien, vermine, la prochaine fois je t’en tire une dans la bouche et l’autre dans le trou du cul  !

    L’est pas directeur pour rien, l’a vite compris la situation, l’est prêt à collaborer les yeux fermés.

    • C’est simple tu appliques les consignes d’évacuation du public, tu lances le plan alerte noire et tu donnes rendez-vous à ton personnel dans la grande salle de réunion.

    Pour une fois je suis fier de l’Administration Française. Quelle célérité ! Quelle efficacité ! En trois minutes des hordes de CRS déboulent de leurs véhicules d’intervention rapide, ils expulsent manu militari à coups de matraques lecteurs et chercheurs qui n’ont même pas le droit de prendre leurs affaires personnelles, les plus récalcitrants sont visés au LBD, et tout le monde se retrouve dehors chassés par des nuages de lacrymo. Sont sur le champ emmenés en garde à vue.

    Dans la grande salle tous les bibliothécaires écoutent religieusement le bref discours de leur Directeur :

              _ Mesdames, messieurs, vous me ramenez illico tous les exemplaires d’Oecila de Daniel Lechef, vérifiez tous les fichiers, explorez tous les rayonnages, n’oubliez pas les réserves, je compte sur vous. Vous avez compris, c’est grave et urgent.

    Ça court de tous les côtés, une   véritable fourmilière, les employés mettent du cœur aux ouvrages, l’on en voit passer en courant les bras surchargés de piles de bouquins, pendant que d’autres penchés sur leurs écrans consultent les fichiers des grandes bibliothèques internationales et des universités américaines.   

    Les heures passent, le Directeur essaie de faire bonne contenance en riant jaune citron (pourri), il est dix heures du soir lorsque des clameurs de triomphe montent des plus profondes réserves souterraines, des galopades surexcitées se dirigent vers la grande salle de réunion, le personnel enfin réuni entonne La Marseillaise d’une vois voix vibrante, d’un geste souverain le Directeur les arrête alors qu’ils s’apprêtent à continuer avec L’Internationale. Dans le silence une voix fluette glapit :

              _ C’est moi, c’est moi, je l’ai trouvé, dans la section mathématique, à la lettre L, mal rangé entre Lèche et L’échelle, c’est bien Daniel Lechef, le titre n’est pas sur la couverture mais sur la première page !

    Le Directeur sourit avec orgueil :

              _ C’est ma fille Alice, elle est venue faire son stage d’entreprise de classe de troisième ! Ma fille, je suis très fier de toi, tu marches dans les traces de ton père, un jour tu me remplaceras, je…

    Je ne l’écoute plus j’ai arraché le livre des mains d’Alice la jeune collégienne, je descends les escaliers en courant, saute dans ma voiture et je fonce vers le local.

    128

    Je pousse la porte. Molossa et Molossito sautent et hurlent de joie, le Chef est en train d’allumer un Coronado.

              _ Agent Chad, je souhaite que vous ayez fait bonne chasse, pour ma part…

    Je ne le laisse pas terminer, j’exhibe victorieusement mon livre que je dépose sur le bureau avec précaution :

              _ Tenez Chef, je ne l’ai pas ouvert, j’étais trop pressé de vous le ramener, pas facile d’y mettre la main dessus, le Directeur de la Bibliothèque Nationale a été très obligeant, le personnel a eu du mal à le trouver, il était mal classé, enfin on l’a, regardez Daniel Lechef est écrit en gros sur la couverture.

    Le Chef s’empare du bouquin, le soupèse et le repose avec une moue dubitative.

              _ Vous avez bien travaillé Agent Chad, toutefois je me demande si vous n’avez pas perdu votre temps. Examinons quand même l’objet, dans cette étrange affaire aucune piste ne doit être négligée.

    Le Chef ouvre le livre, tourne quelques pages sans prendre le temps de lire et le repousse d’un air dégoûté :

              _ Non Agent Chad, il vous faudrait apprendre la méticulosité, rien ne sert de s’emballer, oui sur la couverture il est bien écrit Daniel Lechef, pour le titre si je lis à haute voix je prononce bien Ecila mais si je lis avec mes yeux : Et Si Là, ce qui paraît bizarre pour un titre, tout s’éclaire lorsque je lis la page suivante : Pas Ailleurs. Je récapitule : Et Si Là Pas Ailleurs, ce qui à première vue semble un peu une lapalissade, quand je tourne les pages je tombe sur des colonnes de chiffres.

              _ Le texte est codé ?

              _ Pas du tout Agent Chad, nous sommes face à une vulgaire table de logarithmes, quant au titre, c’est une plaisanterie, si vous voulez calculer la longitude et la latitude d’un point précis sur la mer, vous avez besoin d’utiliser une table de logarithmes pour savoir que vous êtes là et pas ailleurs !

    Je suis mortifié. Echec sur toute la ligne. Je m’attends à ce que le Chef me sermonne grave. A mon grand étonnement il est tout sourire. Il m’offre même un Coronado avant d’en allumer un.

              _ Agent Chad, j’ai passé toute cette après-midi à penser au récit de votre rêve. J’avais l’intuition que quelque chose clochait. Après une douzaine de Coronados, une déchirure s’est produite en mon esprit. Maintenant je reconnais un de mes rêves, il vient me visiter assez souvent même si je n’en garde aucun souvenir au réveil. Votre récit a permis d’ouvrir une brèche dans mon subconscient, tout ce que vous avez raconté est juste mais votre interprétation est fausse. Vous avez cru que le lecteur c’était moi, par contre ce n’est pas vous qui cherchez en traversant le texte le titre et l’auteur du livre. C’est moi.

    Je commence à comprendre. C’est comme si j’avais confondu le négatif  blanc et noir d’une photo avec le résultat de son développement, j’ai inversé le blanc et le noir, quand j’ai cru reconnaître le Chef en train de lire, le lecteur n’était que Moi ! Ainsi cette mystérieuse Ecila n’a rien à voir avec le passé du Chef, c’est moi qui détiens la clef du mystère ! Enfouie au fond de moi !

    A suivre…

  • CHRONIQUES DE POURPRE 595: KR'TNT 595 : TELEVISION / HORRORS / GEORGE HARRISON / INSPECTOR CLUZO / BARRETT STRONG / MARIE DESJARDINS / ROCKABILLY GENERATION NEWS /ASHEN / CÖRRUPT / JHUFUS / ROCKAMBOLESQUES

     KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 595

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    06 / 04 / 2023

     

    TELEVISION / HORRORS

    GEORGE HARRISON / INSPECTOR CLUZO

    BARRETT STRONG / MARIE DESJARDINS

    ROCKABILLY GENERATION NEWS ( 25 )

      ASHEN / CÖRRUPT / JHUFUS

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 595

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Television Personality - Part One

     

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             De tous les punks qui sont arrivés en France en 1977, ceux qui foutaient le plus la trouille étaient certainement les quatre zombies de Television. On tremblait devant la vitrine où se trouvait exposée la pochette macabre de Marquee Moon, suspendue par deux pinces à linge. Les médias de l’époque n’en finissaient plus de décrire l’état de dégénérescence dans lequel la société new-yorkaise avait sombré, mais c’est en voyant la pochette de Marquee Moon qu’on réalisait à quel point c’était grave. On scrutait les peaux grises de ces quatre pauvres hères, leurs mains pleines de veines et leurs regards fixés sur le néant. On connaissait leur premier single Ork, le faramineux «Little Johnny Jewel» chanté d’une voix incroyablement maniérée, et bien sûr, c’est en B-side que le destin du groupe se jouait, grâce à ce solo interminablement délictueux. Mais en dépit de ce signe avant-coureur, rien ne pouvait nous préparer à la séance d’électrochocs que nous réservait Marquee Moon. L’âme de ce quatuor de zombies portait le doux nom de Tom Verlaine. Il partageait les prérogatives guitaristiques de Television avec un certain Richard Lloyd.

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             On se doutait bien que Tom Verlaine n’était pas en bonne santé et qu’il finirait, comme tout le monde, par casser sa pipe en bois, aussi l’heure est-elle venue de lui rendre hommage. L’idéal pour mieux connaître ce singulier personnage est de plonger dans les mémoires de Richard Lloyd qui eut le privilège de le côtoyer pendant de longues années, sans pourtant être son ami et confident. Dans Everything Is Combustible, Lloyd n’en finit plus de rappeler que Verlaine mettait un point d’honneur à garder ses distances. L’ouvrage est passionnant car il permet de pénétrer au cœur du mythe de Television qui fut, au temps de Marquee Moon, un groupe relativement révolutionnaire.

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             Lloyd vit à New York lorsqu’il rencontre pour la première fois Verlaine qui ne s’appelle pas encore Verlaine. Ça se passe au Reno Sweeney’s, un club du Village, on the South side of 13th Street - this house of weirdos - Terry Ork qui héberge Lloyd l’emmène voir jouer un inconnu. Richard Hell est aussi présent ce soir-là, il connaît Verlaine. Ils viennent tous les deux du Delaware. Quand Verlaine arrive dans le bar en trimballant son ampli et sa guitare, Hell lui file un coup de main pour s’installer. Puis Hell arrange son look : il agrandit les trous de son T-Shirt. Verlaine se retrouve avec une épaule et un téton à l’air. C’est le début du look. Verlaine joue trois cuts seul sur scène en s’accompagnant à la guitare électrique. L’une d’elles est «Venus De Milo». Lloyd le trouve intéressant. Il trouve que Verlaine has «it». Les lyrics sont à double, voire à triple sens, et les mains de Verlaine sont trop larges pour le manche. Alors il joue comme Jimi Hendrix, en partie avec le pouce - The thumb way over on the fretboard - Lloyd flashe sur Verlaine. Et comme l’Ork veut rééditer l’exploit d’Andy Warhol avec le Velvet, c’est-à-dire mentorer un groupe à dimension historique, Llyod lui indique, aussitôt après le set de Verlaine, qu’il vient de lui trouver son Velvet. What ? L’Ork ne pige pas. Alors Lloyd explique à l’Ork que «Verlaine a quelque chose de spécial, mais il lui manque quelque chose, et ce quelque chose, c’est lui, Lloyd.» Puis il renverse le raisonnement en expliquant à l’Ork qu’il est lui-même «quelqu’un de spécial mais qu’il lui manque quelque chose, et ce quelque chose, c’est Verlaine.» En conclusion, si l’Ork réussit à les réunir tous les deux, il aura son Velvet.

             L’Ork les réunit et Television commence à bosser dur. Six heures par jour. Verlaine chante quatre cuts, Richard Hell quatre aussi, et Lloyd deux. Llyod dit aussi qu’Hell ne bosse pas du tout sa basse chez lui, il n’en joue qu’aux répètes. Il y déjà une petite rivalité entre Verlaine et Lloyd, chacun voulant jouer les solos. Il se mettent d’accord sur un 50/50, qui va ensuite devenir un 60/40, mais bon, Lloyd n’est pas un chipoteur. Verlaine montre les basslines à Hell, mais comme il ne bosse pas chez lui, ça reste compliqué. Hell ne vit que pour la scène. Lloyd aime bien son style - wacky and loopy - un style qui lui rappelle celui de McCartney, surtout quand il est stoned - Richard amenait un rogut whiskey called Wilson’s qu’on partageait ensemble - Tout le monde s’amuse bien dans Television, sauf Verlaine qui se plaint du poids de sa responsabilité en tant que directeur musical. Pour leur premier concert, début mars 1974, ils louent une salle, the Townhouse Theater. Ils invitent la crème de la crème : Nicholas Ray bourré - You guys are four cats with a passion - Lenny Kaye et d’autres luminaries. Ils ont acheté des bières pour se faire un peu de blé, mais comme ils n’ont pas réussi à tout vendre, ils sifflent le reste du stock à trois, Hell, Lloyd et l’Ork. Bien sûr, Verlaine ne boit pas. Lloyd n’a jamais vu Verlaine fumer d’herbe ni picoler - Je l’ai seulement vu boire un verre ou deux dans toute l’année - Verlaine avait essayé les drogues psychédéliques, mais ça ne lui avait pas plu. Au CBGB, on les prend pour des junkies ! Hell en est un, c’est sûr, mais Lloyd ne l’est pas encore. Et Verlaine jamais de la vie.

             Avant de monter sur scène, Verlaine se mouche. Puis il demande à Lloyd de vérifier qu’il ne reste pas une crotte de nez dans sa narine. C’est sa hantise - He was neurotic about it - Lloyd finit par l’envoyer promener. Verlaine demande ensuite à Hell qui l’envoie aussi promener. Sur scène, Verlaine ordonne à Hell d’arrêter de sauter partout. C’est le commencement de la fin. Après les concerts, Verlaine ne traîne pas avec ses collègues. Lloyd dit être allé en tout et pour tout quatre fois chez Verlaine et Verlaine n’est jamais venu chez lui. 

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             C’est l’Ork qui négocie un set au CBGB avec Hilly Krystal. Premier concert fin mars 1974. L’Ork demande à jouer le dimanche, jour de fermeture, et promet que si la recette n’est pas bonne, il complétera de sa poche. Banco, dit Hilly. Et voilà, c’est ainsi que se font les choses. Il suffit d’avoir l’idée et d’engager les gens. Lloyd rappelle qu’avant Television, deux groupes jouaient au CBGB : les Leather Secret, un groupe SM en cuir noir, et les Stilettos, avec Debbie Harry et Fred Smith qui deviendra un peu plus tard le bassman de Television.

             Au départ, Lloyd joue au milieu de la scène. Puis un jour, Verlaine demande à jouer au milieu de la scène et à chanter toutes les chansons. Lloyd n’aime pas trop le procédé, mais il ira jouer à gauche jusqu’à, dit-il, «la fin de ma carrière dans le groupe». Hell sent qu’il est devenu indésirable et se barre - C’est exactement ce que Tom voulait - Lloyd envisage aussi de se barrer car il considérait Hell comme l’un des moteurs de Television - He had the crazy movie star look and the action to go with - En plus, c’est Hell qui a proposé le nom du groupe.

             C’est avec l’Ork et l’Hell que Lloyd passe à l’héro. L’Ork les emmène chez ses contacts and the three of us would get stoned.

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             L’un des premiers à s’intéresser de près à Television c’est David Bowie. Il propose de produire le groupe - Of course Tom said no - alors Bowie ira produire Iggy avec le succès que l’on sait. De manière générale, Verlaine dit toujours non. Hall And Oates les envoient rencontrer le manager Tommy Mottola. Verlaine se chamaille avec Mottola sur une question de pourcentages. Quand ils sortent du bureau de Mottola, Lloyd demande à Verlaine pourquoi il l’a envoyé promener et Verlaine lui dit qu’il n’a pas envie de finir sur scène à Vegas. Quand McLaren est à New York, il louche sur Richard Hell et sur son look. Il propose à Verlaine de manager Television et Verlaine lui répond : «No way». C’est juste avant la formation des Pistols. Lloyd pense qu’avec McLaren, ils seraient devenus millionnaires, but Tom said no. Donc, pas de manager. Patti Smith tombe amoureuse de Verlaine, mais Verlaine ne tombe pas amoureux d’elle. La relation ne fait pas long feu. Verlaine est antisocial, nous dit Lloyd. Il raconte aussi que Verlaine voyageait sans bagages, juste un sac en plastique - Tout ce que faisait Tom, c’était fumer des clopes, boire du café et ressembler à un clochard. He was an absolute embarrassment to be around, but I had no choice - Autre caractéristique de cet incroyable personnage : il cultivait un mépris souverain pour tout ce qui n’était pas lui, et il croyait que les gens passaient leur temps à le copier, notamment, nous dit Lloyd, David Byrne et Lloyd Cole.

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             C’est Verlaine qui insiste pour que «Little Johnny Jewel» soit le premier single de Television. Lloyd dit jouer très peu là-dessus. Verlaine et Lloyd s’engueulent et Lloyd quitte le groupe. Il va être remplacé par Peter Laughner, l’excellent guitariste de Rocket From The Tombs. Un jour, Laughner arrive chez Verlaine et fait le con avec un flingue chargé. Il fout la trouille à tout le monde. Verlaine is freaked out. Fin de l’épisode Laughner qui de toute façon va casser sa pipe en bois aussitôt après, grâce à une bonne petite cirrhose. Alors Llyod réintègre le groupe, sans plus de formalités.

             En ce qui concerne le CBGB, Lloyd remet les choses au clair : c’est lui et l’Ork qui ont programmé les groupes pendant trois ans au CBGB. Quand l’Ork ne sait pas ce que vaut un groupe inconnu, Lloyd le sait - Terry Ork et moi furent plus responsables du succès du CBGB que ne le furent Tom Verlaine, Richard Hell ou encore Television.

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             Lorsque Television va jouer à Cleveland, ils assistent au sound check des Rocket From The Tombs. Cheetah Chrome qui est sous acide se bat avec Crocus Behemot, a rather large fellow. Quand il les voit jouer, Lloyd les trouve heavy and poweful. Il rêve de se joindre à eux. Il ne le fera que 25 ans plus tard, lorsqu’il deviendra membre du groupe. L’ironie de l’histoire, c’est que Peter Laughner voulait prendre la place de Llyod dans Television, mais c’est Llyod qui prendra la sienne dans Rocket From The Tombs (il joue sur Barfly). Quand il les voit sur scène à Cleveland, Lloyd dit que c’est l’un de leurs derniers shows. En splittant, le groupe donne naissance à Pere Ubu d’un côté, et aux Dead Boys de l’autre.

             Le premier à approcher Television pour un contrat, c’est Seymour Stein, le boss de Sire. Mais son offre est pauvre. Il propose un budget d’enregistrement de 6 500 $ et 1 000 $ d’avance. Il ne prend pas de risques, nous dit Llyod, car il reçoit 2 500 $ d’un label anglais quand il signe un nouveau groupe. C’est comme ça qu’il a eu Talking Heads, les Ramones et les Dead Boys. Il veut aussi Television, mais Verlaine ne veut pas lui adresser la parole. Il dit à Lloyd de se débrouiller avec lui. De toute façon, c’est non. Alors Stein leur prédit qu’ils finiront comme le Grateful Dead : «Rabid audience but very little radio play.» Ce qu’on appelle ici un succès d’estime.

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             Bon, ils finissent par signer avec Elektra. Verlaine veut signer seul, c’est-à-dire en son nom pour le groupe, mais le label dit non. Il doit signer avec Lloyd, Fred Smith et Billy Ficca - On pensait tous qu’on formait un groupe, sauf Tom qui envisageait de prendre le contrôle, petit à petit - Quand ils enregistrent Marquee Moon, ça fait déjà trois ans qu’ils jouent ensemble. Après avoir commencé à bosser avec Brian Eno et Allen Lanier, ils optent pour Andy Johns, le petit frère de Glyn Johns. Andy commence par mettre au point le son de la batterie. Elle sonne comme celle de Led Zep et Verlaine flippe : «Oh no no no, we don’t want big drums. We want small drums without all the effects on.» Andy est vexé car il dit que ce son de batterie est «sa signature». Il menace de rentrer en Angleterre. Il demande aux Television pourquoi ils veulent un son tout pourri. «C’est une spécialité new-yorkaise que de vouloir un son aussi pourri que celui du Velvet Underground ?», demande-t-il aux quatre Television ahuris. Bon, il est en colère, mais il reste pour le bifton. Verlaine réussit à le calmer.  

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            Elektra les prévient qu’il faut plus de temps pour concevoir la pochette que pour enregistrer. Alors ils anticipent et font appel au pote de Patti Smith, le photographe Robert Mapplethorpe. Quand Lloyd va faire des copies de la photo choisie sur un Xerox, il altère accidentellement l’image et c’est cette image altérée qu’on retrouve la pochette de Marquee Moon. À propos de cette image, Lloyd rapporte une anecdote tordante : Billy Ficca ne mangeait que des fruits et  légumes, notamment des carottes. Il en trimballait partout avec lui. «Billy ate so many carrots that he got carrotmania.» Sa peau est devenue orange, comme le montre la pochette de Marquee Moon. C’est la fin de la rigolade quand Llyod écoute l’acétate de Marquee Moon : il éclate en sanglots, car il ne retrouve pas le vrai son de Television - It did not sound as robust as it sounded in the studio - L’album sort en février 1977.   

             Marquee Moon est un album exceptionnel qui affiche le parti-pris d’un groupe à deux guitares clairvoyantes. Et dès «See No Evil», ils installent leur emprise. Ils entrent dans «Venus» comme ils entrent dans «Little Johnny Jewel», par la veine mélodique. De leur malaise et de leur goût pour le néant naît une réelle modernité. On le sait, le monde appartient à ceux qui n’attendent plus rien. Alors Tom Verlaine tombe dans les bras de la Venus de Milo - I feel sideways laughing/ With a friend from many stages - Ils tarabiscotent toutes les circonvolutions et misent sur l’extrême puissance de la prestance, leur son est humide comme le salpêtre d’un mur de cave et sent bon la terre des cimetières. À défaut de patiner merveilleusement, Verlaine déclame merveilleusement. Ils inventent le swing funkoïde avec «Friction», et le développent au tortillon de clairette. Ils sur-jouent aux entrecroisements de guitares d’avant-garde, ça va loin, leur histoire, ils développent l’hyper-ventilation musicologique, ils s’exacerbent à en tomber, ce qui ne doit pas être trop compliqué, vu qu’ils sont gaulés comme des gaufrettes. Cet album se met à sonner comme un monument baroque très spectaculaire, le son semble même se régénérer en permanence, comme s’il était sous perfusion. Et puis bien sûr, c’est avec le morceau titre qu’ils emportent la partie. Les tiguiliguili annoncent le maelström, les ponts réveillent les hideux démons de la prog, ils s’offrent de belles plongées dans les abysses et remontent en épingle au son d’un clairon digne du solo de Johnny Jewel. Par contre, la B édifie moins les édifices. «Elevation» est sans doute leur cut le plus connu, par son leitmotiv Elevation don’t go to my head, mais le côté trop déclamatoire, trop collet-monté les dessert. Trop sharp. Trop stiff. C’est Lloyd qui prend le solo sur «Elevation». Même s’il n’accroche pas véritablement, l’ineffable «Prove It» plait par les qualités mélodiques du solo. C’est une œuvre en soi, emboîtée dans une carcasse de rythmique Soul. Le retour de manivelle chant est une merveille. Ces diables de Verlaine et de Lloyd savent partir en solo, ils savent tirer des bordées vers l’horizon.

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             Dans Vive Le Rock, Duncan Seaman revient sur Marquee Moon et sur le fait que Verlaine et Lloyd jouaient des cuts longs à deux guitares, à la différence des autres groupes qui jouaient des cuts courts - two-minute smash-and-grab numbers - Pour Seaman, c’est cette différence qui fait de Marquee Moon l’un des albums essentiels de cette époque. Seaman fait un bref détour historique pour rappeler qu’Hell, Verlaine et Ficca arrivaient du Delaware et qu’avant de s’appeler Television, ils s’appelaient en 1973 les Neon Boys. On l’a vu, premier concert de Television en mars 1974 chez Hilly Krystal, puis ils commencent à partager l’affiche avec Patti Smith qui est alors poétesse improvisatrice. Pour l’enregistrement de Marquee Moon, Verlaine exige d’en être le producteur, associé à un ingé-son expérimenté qui est comme on l’a vu Andy Johns, fraîchement émoulu de Goat’s Head Soup. Les deux guitares sont multi-tracked ce qui donne ce distinctive interlocking sound qui nous plaisait tant à l’époque. Nick Kent salue l’album en le qualifiant  d’«inspired work of pure genius». Puis après le demi-échec d’Adventure, Verlaine va dissoudre le groupe. 

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             On reviendra sur Adventure dans un Part Two. Ils l’enregistrent avec John Jenson qui a bossé avec Jimi Hendrix à la fin de sa vie. Lloyd dit son exaspération d’avoir à attendre que Môsieur Verlaine ait fini d’écrire en studio les lyrics «for his silly little songs». Il trouve que ses chansons sont devenues «introverties». Il les compare même à des ongles incarnés. En studio, Verlaine devient un «crazy maker - someone who drives me insane with his shenanigans.» Verlaine devient de plus en plus dictatorial. Le groupe a même abandonné sa vieille méthode de vote à la majorité. Verlaine a pris le pouvoir. En puis, à l’été 1978, Lloyd reçoit un coup de fil de Verlaine, ce qui ne se produit jamais. Verlaine appelle pour dire qu’il quitte le groupe. Pour Lloyd c’est à la fois «un choc et un soulagement». Il en profite pour dire à Verlaine qu’il avait lui-même envisagé de quitter le groupe. Chacun part de son côté mais, comme le dit si bien Lloyd, l’idée d’une reformation n’est pas exclue. Elle va se produire en 1992.

             Il y aura donc d’autres albums de Television, comme on va le voir dans le Part Two. En 2007, Lloyd finira par quitter le groupe définitivement. S’il se barre, c’est parce qu’il en a marre que Verlaine fixe le montant de ses honoraires - I was tired of having my income determined by someone else - namely Tom Verlaine - Mais avec le recul, Lloyd se dit fier d’avoir joué dans Television, un groupe qui se moquait de ce que les gens pensaient - Television was a band that just didn’t care - We played our music and all of the rest could go to hell.  

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             Le regard que porte Lloyd sur le rock en général, et Television en particulier, apporte des éclairages passionnants. Richard Lloyd est ce qu’on appelle communément une force de la nature. Verlaine l’est aussi, de toute évidence, mais pas de la même façon. Les gens trop singuliers sont systématiquement critiqués. Lloyd en voulait certainement à Verlaine d’avoir gardé ses distances.  Le cœur de toute cette histoire n’est pas le lien qui unissait Llyod à Verlaine, mais celui qui unissait Hell à Verlaine, arrivés tous les deux à New York pour devenir poètes et conquérir la ville. Hell et Verlaine ont travaillé tous les deux chez Cinemabilia, une librairie spécialisée dans le cinéma, où travaillaient aussi Victor Bockris et Terry Ork. Hell et Verlaine se trouvent très exactement à l’origine de la scène punk new-yorkaise. Il faut relire l’autobio de Richard Hell, I Dreamed I Was A Very Clean Tramp pour se goinfrer de cette histoire passionnante. Dans un texte fascinant, Hell fait de Verlaine «the Mr. America of skulls», et de Llyod «a perfect male whore pretty boy face». Alors qu’Hell veut de la sauvagerie, il voit bien que Verlaine a une autre idée du son en tête, ces cristal-clear crisp sweet-guitar suites, et bien sûr, il voit le son du groupe subordonné à sa guitare. Leurs visions divergent radicalement. C’est pour ça qu’Hell part jouer dans les Heartbreakers avec Johnny Thunders. Lorsqu’on croise les deux lectures, celle de l’Hell book et celle du Lloyd book, on a une vision parfaite des racines de la scène punk new-yorkaise. Diable comme tous ces gens pouvaient être brillants ! Et visionnaires.

             Dans son book, Lloyd évoque souvent l’héro, qu’il commence à tester au lycée - By my late teens I had gone through just about every drug kwown to man - Il devient a full-fledged junkie au temps de Television, en compagnie de Richard Hell et de l’Ork. Contrairement aux autres, l’héro lui donne de l’énergie - I could drink all night and fuck all night and play guitar all night - Dans les toilettes du CBGB, les murs sont couverts de graffitis : on le surnomme ‘Mr Machine’ - I screwed like a machine - À Londres, Peter Perrett lui fait tester some very strong heroin et lui dit de faire gaffe, mais Lloyd se shoote toute la dose d’un coup et overdose. Il teste tout en permanence. Au fil du récit, il revient souvent sur sa passion pour les expériences. Il décrit aussi les effets des amphètes sur son corps. Ça le fascine. Il teste aussi l’homosexualité par curiosité. 

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             L’autre grande passion de Lloyd, c’est Jimi Hendrix, via son ami Velvert Turner. Vers la fin du book, Lloyd rapporte une scène extraordinaire : il va chez Velvert qui est sous angel dust, «one of the worst drugs you can possibly encounter». Rien qu’avec la fumée, t’es stoned, dit Llyod. Velvert est au pieu avec deux filles, en train d’en baiser une qui est aussi sous angel dust et qui lui crie : «Fuck me you black devil.» Tous les chapitres qu’il consacre à Velvert Turner sont des sommets du surréalisme psychédélique. C’est l’autre bonne raison de lire ce book. Velvert jouait aussi avec Arthur Lee. Il vivait même chez lui. Un matin, il se réveille brutalement avec des plumes qui volent autour de lui. Puis il voit Arthur Lee à la porte de la chambre, avec un flingue à la main. Il vient de tirer dans l’oreiller et lance à Velvert : «You stole my crack !». Pris de panique, Velvert sort du lit et saute par la fenêtre du deuxième étage avant qu’Arthur Lee n’ait eu le temps de tirer une deuxième fois. LA is that kind of place, conclut Lloyd.

             L’autre grand lien de Lloyd, c’est Anita Pallenberg qui flashe sur lui au CBGB - It was platonic love at first sight - Pas de sexe, juste du platonic love et du deep, ajoute Lloyd. Comme Anita vit avec Keef dans le Connecticut, Lloyd rencontre un Keef very friendly. Les pages où Lloyd narre cette relation sont aussi passionnantes que celles consacrées à Television. Plus on s’enfonce dans ce book, et plus on se dit qu’on est content d’être là.

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             Côté influences, Lloyd cite Jeff Beck qu’il a la chance de voir sur scène au Fillmore West avec le premier Jeff Beck Group, celui de Rod the Mod et de Ronnie Wood. Il cite aussi Jimi Hendrix, Buddy Guy, Magic Sam, Mike Bloomfield, Roy Buchanan, et les trois Kings, Albert, B.B. et Freddie. Il rencontre aussi John Lee Hooker qui le prend à la bonne et qui lui confie le secret du blues : il peut être joué sur une seule corde, qu’on remonte et qu’on redescend. Lloyd vérifie et découvre que certains solos de Jimi Hendrix sont effectivement joués sur une seule corde. Il donne tous les détails.

             Il rencontre aussi Danny Fields qui est déjà assez célèbre pour avoir managé Iggy & the Stooges et qui managera pas la suite les Ramones. Fields flashe sur Lloyd et l’héberge. Llyod accepte à une condition : no sex. Okay. Mais la condition ne tient pas longtemps et Fields cavale après Lloyd dans la baraque. Lloyd n’a vraiment plus envie de faire ce genre d’expérience et il dit non. Alors Fields lui propose un deal. Tu restes là devant moi et je me branle rien qu’en te regardant. Il n’empêche que Lloyd n’est pas à l’aise et à la fin du chapitre, il demande pardon à Danny. C’est là qu’il va s’installer dans le loft de Terry Ork. L’Ork est aussi homo, mais il fout la paix à Lloyd. La nuit, l’Ork bosse à la Factory d’Andy Warhol. Il fait des sérigraphies que signe Warhol et qui partent ensuite dans les galeries qui commercialisent son œuvre. L’Ork manage aussi la fameuse librairie Cinemabilia où bossent comme déjà dit Richard Hell et Robert Quine.

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             La dernière grande rencontre qu’il évoque dans ce bon book est celle de John Doe. Doe cherche un «New York ace» pour son nouvel album, Meet Joe Doe. Alors Lloyd prend l’avion pour Los Angeles. Meet Joe Doe est un bon album. On en parlait ici, quelque part en 2021. Et sous le pont Mirabeau coule la Seine, faut-il qu’il m’en souvienne...

    Signé : Cazengler, Télé pasteurisé

    Tom Verlaine. Disparu le 28 janvier 2023

    Television. Marquee Moon. Elektra 1977                         

    Richard Llyod. Everything Is Combustible. Beech Hill Publishing Company 2019

     

     

    Horrors boréales

     

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             Dans un vieux Mojo de 2009, Chris Ziegler saluait l’ascension météorique des Horrors, un gang de gamins qui se déclaraient influencés par les Scientists et les Stranglers. Pour leur premier album - Strange House - ils se planquaient derrière leurs coiffures et leur maquillage. Ils revenaient à la charge avec des machines pour un deuxième album, Primary Colours, inspiré cette fois par Joy Division, Neu! et Silver Apples. C’est justement là que se trouve le problème des Horrors : le côté caméléon. Pour savoir jouer à ce petit jeu, il faut s’appeler David Bowie. Car c’est un jeu extrêmement risqué. Si on change de son et qu’on n’a pas les moyens du changement, on perd la confiance des fans. Dommage, car on avait adoré les Horrors de la première heure.

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             Avec Strange House, les Horrors nous faisaient même le coup de la pochette New York Dolls, assis tous les cinq sur une banquette avec des chevelures extravagantes. La photo est en noir et blanc, bien entendu. Au plan musical, ils n’ont hélas rien à voir avec les Dolls. Ils font sensation en démarrant sur une cover du «Jack The Ripper» de Screamin’ Lord Sutch. Ils jouent adroitement la carte du boogaloo, les chœurs sont des horreurs définitives, c’est chanté à la démesure de Lux Interior. Mais après, ça bascule dans le gaga d’orgue bien sevré de pan la la, allez-y les gars, dansez ! «Count In Five» fait le taf, ces petits mecs se prennent pour Nuggets, les aw yeah de Faris Badwan valent bien ceux des Shadows Of Knight. C’est bardé de bonnes intentions, mais ça finit par se paumer sur la longueur («Draw Japan»). Les guitares de «Gloves» sont celles des Dolls et Faris Badwan chante avec des accents de Johnny Rotten. Il domine bien la situation avec «Little Victories», il dispose de ressources vocales inexplorées, il mène bien sa meute. «She Is The New Thing» est amené au mal de mer, c’est un ressac des Pixies. Les mauvaises langues diront qu’ils n’ont pas de patrie. Pareil pour «Sheena Is A Parasite» qui se retrouve à la croisée des chemins, entre gaga et Pixies, avec une dominante folie Pixy-Méricourt. Mais on les voit ensuite se diriger vers la new wave («Thunderclaps») et c’est pas beau. Leur crédibilité fond comme beurre en broche. Dommage, pour un album si bien amené.

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             Pour se remonter le moral, on s’est tous jetés à l’époque sur The Horrors EP, parce qu’il s’y niche une fantastique cover de «Crawdaddy Simone», le hit mythique des Syndicats. Une fille donne la réplique à Faris Badwan, wouahhh ! C’est explosif ! Leur dialogue bat tous les records de ferveur élégiaque. Ah il faut avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie. Wouahhh ! Sinon, on retrouve leur version de «Jack The Ripper» qui reste un modèle de trash boogaloo et l’excellent «Sheena Is A Parasite» amené à la basse fuzz et chanté au scream pur, à cheval entre Frank Black et Peter Aaron. Dommage qu’ils n’aient pas continué d’explorer ce filon, car ils disposent d’une réelle énergie. En réécoutant «Excellent Choice», on découvre qu’ils utilisent les voix doublées du Velvet. «Death At The Chapel» est aussi une belle dégelée déflagratoire. Ils sont capables de tout. Et puis petite cerise sur le gâtö : on les voit tous les cinq au dos du digi avec leurs dégaines de Dolls. Wouaaahhh !

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             Deux ans plus tard arrive dans les bacs Primary Colours, l’album caméléon. Ils changent de son et passent à l’electro. En fait, ils cherchent leur voie, on se croirait chez les Psychedelic Furs, avec des petites virgules de new wave, dommage car Faris Badwan a une bonne voix, mais il fait sa pute, c’est plus fort que lui. Les quatre premiers cuts sont pénibles, ça pue l’arnaque, mais il y a un son et un horizon. Le peu de crédibilité qui leur restait disparaît avec «Do You Remember». Ils jouent avec le feu mais n’en ont pas les moyens. Les seuls capables de lever de telles tempêtes sont les Boo Radleys. Ces saintes Horrors sauvent leur album avec un «New Ice Age» amené au heavy drumbeat. Mais après, ça rebascule dans le sous-New Order, avec des cuts alimentés par des tensions de bassmatic et des synthés. Cette cloche se prend aussi pour Nico dans «I Only Think Of You». L’«I Can’t Control Myself» n’est heureusement pas celui des Troggs, et la suite tourne à la catastrophe. The horror.

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             Avec Primary Colours, on avait bien compris qu’ils avaient opté pour la new wave. Ce qui tendrait à confirmer Skying, une album encensé par la presse anglaise. Ils visent les grosses ambiances psychédéliques, c’est un son très anglais, très harmonique, peut-être un peu trop Britpop. Ils ont acheté des machines, c’est vraiment dommage. Ils jouent dans l’épaisseur des effets, ils font du Radiohead mais sans la qualité de Radiohead. Trop de machines. Ils tentent leur chance, cut après cut, et ça ne marche pas. On entend de très beaux chœurs de cathédrale dans «I Can See You Through», ils jouent leur petit va-tout et tartinent ça de prod all over. Ça devient enfin sérieux avec «Endless Blue», vite envenimé. On se croirait chez Grand Mal. Exactement le même son. Les Horrors se prennent pour Bill Whitten et ça devient enfin marrant, avec un son ravagé par des accords. Des accords, oui, mais des Panzani ! Puis ils amènent «Drive In» à la heavy psychedelia et ça marche. Ils ont le ticket to ride, ils jouent ça à la renverse sur canapé d’accords de réverb. Hélas après ça dégénère. Ils renouent avec la fucking Britpop dans «Wild Eyed», c’est délicat d’en parler car on croit se faire baiser à chaque fois et la suite devient carrément insupportable. Ils plongent dans des grooves de boogaloo assez empiriques et on finit par en avoir vraiment marre de leurs conneries.

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             Paru en 2014, Luminous est encore un album de machines. Dès «Chasing Shadows» on assiste au lever du soleil avec un parfum de psychelelia dans l’air et soudain, ça explose. Ils taquinent les cuisses de leur muse. Belle ampleur, en tous les cas. Mais ils retombent vite dans les travers de la Britpop avec «First Day Of Spring», sans doute subissent-ils une forte pression commerciale. Il y a dans leur son trop d’échos de groupes à la mode, dont on ne citera pas les noms pour ne pas salir le blog. «First Day Of Spring» sonne comme un atroce suicide hermaphrodite. En fait, on se demande pourquoi ces fans des Dolls et de Crawdadddy Simone ont viré new wave. C’est une énigme. Ils font du U2 avec un manche à balai dans le cul, et on ne peut vraiment rien faire pour les aider, à part acheter leurs albums et les écouter. Le pauvre Faris Badwan plonge son groupe dans la pire new wave jamais imaginée. Cet album est encore plus catastrophique que les précédents. «Falling Star» est un chef d’œuvre de soupe aux choux. Rrrrrrru ! Rrrrrrrru !

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             La pochette de V n’est pas belle : ils ont fabriqué un cœur avec des masques de cire. Côté son, ça ne s’arrange pas vraiment. Ils jouent la carte de la grosse electro house, c’est assez puissant, il faut bien le reconnaître. C’est la voix de Faris Badwan qui ne va pas. Il est trop britpoppé du ciboulot. Avec «Press Enter To Exit», ils repartent dans les machines. Trop de machines. On s’en doutait un peu, mais pas à ce point-là. Justement, ils ont un cut qui s’appelle «Machine», mais c’est joué à la basse avec des résonances. Ils en profitent pour redresser la barre, car c’est bien envoyé, in the face. Dommage que tout l’album ne soit pas de ce niveau. Ils sauvent cet album qui prend l’eau avec un «Weighed Down» amené aux guitares lointaines d’Arizona, celles de la Rivière Sans Retour et Faris Badwan fait sa rivière, alors ça devient un Big Atmospherix bien tempéré, assez convaincu et vite élevé sur les hauteurs. Ils attaquent «It’s A Good Life» aux machines et ils parviennent on ne sait comment à arracher la beauté du ciel. Alors là bravo ! 

    Signé : Cazengler, Horrorripilant

    Horrors. The Horros EP. Stolen Transmission 2006

    Horrors. Strange House. Loog 2007

    Horrors. Primary Colours. XL Recordings 2009

    Horrors. Skying. XL Recordings 2011

    Horrors. Luminous. XL Recordings 2014

    Horrors. V. Wolf Tone 2017

     

     

    Wizards & True Stars

    - Le roi George

     

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             George Harrison inspire un tel mélange de respect et d’admiration qu’on pourrait presque l’appeler le roi George. Mais lui n’aurait jamais accepté d’être bombardé roi. Tant pis, on va quand même le bombarder roi d’Angleterre. S’il faut un roi dans ce pays, autant que ce soit lui.

             En 2011, Martin Scorsese lui consacrait un film de quatre heures, l’excellent George Harrison: Living In The Material World, qui est du niveau de celui qu’il consacra en 2005 à Dylan, No Direction Home: Bob Dylan. Scorsese fait partie de ceux qui ont tout compris : il sait raconter la vie d’un homme exceptionnel. D’ailleurs, il ne s’intéresse qu’aux êtres exceptionnels, même s’il s’est bien vautré avec The Last Waltz. Peu importe, on ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs. Le portrait qu’il brosse du roi George est une œuvre grandiose, d’une justesse imparable. Scorsese a compris que ce qui caractérisait le mieux le roi George était l’émotion qu’il suscitait à la fois en tant qu’homme et en tant qu’artiste. C’est l’enseignement de ce film. Dylan suscite la fascination, Iggy Pop suscite un sentiment de filiation, John Lydon, Ray Davies et Mark E. Smith suscitent l’anglophilie, la vraie, celle du working class, Godard suscite le sentiment du divin, Gainsbarre l’affection, mais le roi George est un cas unique en Angleterre : on a beau chercher, personne ne suscite autant d’émotion que lui, surtout pas Paul McCartney, encore moins Ringo Starr et malgré tout le respect qu’on lui doit, certainement pas John Lennon. Pendant quatre heures, Scorsese s’applique à montrer cette différence fondamentale qui existe entre George et les trois autres. Des quatre Beatles, George est celui vers lequel on tend naturellement. Il n’est rien sans les trois autres et les trois autres ne sont rien sans lui. Scorsese brosse son portait à petites touches, rappelant par exemple que McCartney - qu’on va appeler Macac pour gagner du temps - se réservait toujours l’A-side des singles, laissant la B-side à Lennon, jusqu’au jour où Lennon a imposé le «Something» du roi George en A-side. Globalement, Macac ne sort pas grandi de ce film. Il parle d’une voix forte de vieil homme. On envisageait de l’introniser dans la série «Wizards & True Stars», mais il suscite une telle antipathie quand il témoigne qu’on doit renoncer à cette initiative. Par contre, Lennon est le grand absent de ce film. Il ne témoigne pas, ce qui semble logique, vu qu’il s’est fait buter. L’autre grand témoin est bien sûr l’invulnérable Ringo - Le rock est notre vice/ C’est la faute à Elvis/ Nous l’avons dans la peau/ C’est la faute à Ringo - C’est lui, le vieux Ringo, qui réussit à nous faire chialer à la fin de cette saga. Il nous explique que le roi George atteint d’un cancer est allé finir ses jours en Suisse, alors Ringo se rend à son chevet. Le roi George est alité, il ne peut plus bouger. Ringo lui explique qu’il doit ensuite se rendre à Boston où sa fille est hospitalisée pour une tumeur au cerveau. Et le roi George lui dit d’une voix faible (que Ringo imite au mieux) : «Do you want me to come with you ?». Le vieux Ringo se met à chialer. «Ce sont ses derniers mots», précise-t-il. Il enlève ses lunettes noires pour s’essuyer les yeux. Cette scène à elle seule résume l’histoire de George Harrison.

             Scorsese se montre à la hauteur de son personnage. Même quand on a déjà vu ce film plusieurs fois, on a chaque fois l’impression de le redécouvrir. Scorsese est passé maître dans l’art de déterrer des images d’archives extraordinaires et de les coupler avec du rock, le meilleur qui soit. Chacun sait qu’il a collé le Jeff Beck Group dans la BO de Casino et les Stones dans celle de Mean Streets. Pour illustrer l’historique de l’après-guerre, Scorsese cale un extrait de «Count Your Blessings And Smile» de George Formby. Comme le roi George est un enfant de la guerre, Scorsese balance des images de bombardiers nazis au-dessus de l’Angleterre. On pense alors à Lemmy qui lui aussi est né sous les bombes, puis c’est la victoire sur fond d’«All Things Must Pass», et Scorsese passe directement aux racines du mythe, avec le cocky little guy qui s’appelle George Harrison et son copain d’école «dickensienne» Macac, un Macac qui nous dit que son poto George avait beaucoup de cheveux, a fucking turban. Tous les deux, ils partagent une passion pour l’art - Art was a great golden vision - Il s’agit bien sûr du rock’n’roll. Comme Macac a commencé à fricoter avec Lennon, il ramène George qui sait jouer de la guitare - He could play the guitah - On connaît l’histoire par cœur, mais ça reste tellement excitant. George rigole parce que Lennon n’a que quatre cordes sur sa guitare et ne sait pas qu’il en faut six. Le jeune roi pratique une sorte d’humour anglais très froid mais irrésistible. Par exemple il indique qu’au début les Beatles n’avaient qu’une seule ambition : «Ballrooms, the big deal.»

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             Et boom, Scorsese envoie tout ce petit monde à Hambourg. Voilà les plans couleur de la Reeperbahn, avec ses grosses putes allemandes, et puis voilà Klaus et puis Astrid la photographe, qui d’ailleurs témoignent tous les deux dans ce film. Klaus c’est Klaus Voorman, bien sûr, qui redit sa fascination pour les Beatles - So much personality - et c’est là qu’ils se mettent à porter du cuir noir, John, Paul, George, Pete Best et Stuart Sutcliffe. Ils dorment un temps dans un placard derrière l’écran d’une salle de ciné puis Astrid leur propose l’hébergement. Elle tombe amoureuse du beau Stuart dont l’histoire est superbement bien racontée dans un autre film, Backbeat, qu’il faut voir et revoir, car c’est probablement le meilleur film consacré aux Beatles. Tout le monde trouve George gracieux - The lovely sweet little George - Astrid trouve Paul et John so different  et pouf, catastrophe, Stuart meurt, en 1962. John qui n’a que 18 ans, est profondément affecté par ce drame. Retour à Liverpool. George place l’une de ses petits vannes mystérieuses : «How many Beatles does it take to change a light bulb ?» Le journaliste attend la réponse. «Four». Oui, il faut quatre Beatles pour changer une ampoule. Ça sent bon le Monty Python. On y reviendra.

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             Et boom badaboom les Beatles explosent, «I Saw Her Stranding There» et tu vois George prendre un solo de clairette exacerbée. Puis tu le vois sortir sa Rickenbacker. Toute l’imagerie du rock anglais est là, dans ces plans faramineux, tout vient de là, de George, son costard, ses boots et sa Ricken, une symbolique que cultiveront les Who comme les Byrds, le son, la classe. Les Beatles ne vieilliront jamais, car quel son ! Quelle énergie ! Autre personnage clé de cette histoire : George Martin, qui les rencontre en 1962. Et pouf, le label met la pression, il faut des hits et des albums, alors Macac et Lennon composent une chanson par jour, pas de problème, on a tout ce qu’il faut. George ne dit rien, il reste en retrait. Jusqu’au jour où il propose une compo, «Don’t Bother Me» - not particularly a good song, précise-t-il. C’est l’époque où Clapton devient copain avec George. Le loup entre dans la bergerie. Le roi George a pour épouse une très jolie petite blonde, Pattie Boyd, qu’on voit aussi témoigner dans le film. Plutôt bien conservée, pour une vieille Anglaise.

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             Le roi George expérimente le LSD par hasard. Il adore ça - I was in love with everything - C’est l’extase. Il décrit ses trips fabuleux. Il embraye directement sur Ravi Shankar et le sitar. Il recherche la perfection à travers la musique orientale. Shankar essaye d’expliquer à un journaliste anglais qui ne pige rien que la musique est une façon de communiquer avec Dieu. Pas besoin des mots, dit-il. Le roi George jubile : «My experience was of the best quality.» C’est ainsi qu’il définit sa quête : une recherche de la perfection. Dans sa façon de vivre, dans ses relations, dans sa musique. La perfection comme un art de vivre. C’est là qu’on commence à le prendre très au sérieux. Peu de gens dans l’histoire de l’art sont aussi résolument engagés dans ce type de quête. Après un épisode compliqué à Haight-Ashbury, le roi George laisse tomber le LSD et passe à la méditation. Il lui faut un maître et ce sera le petit Maharashi et sa voix de canard, de passage en Occident pour quelques conférences.

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             On arrive dans la zone la plus magique de l’histoire des Beatles, celle du White Album et Scorsese nous balance «Savoy Truffle». Les syllabes multicolores éclatent dans le purple haze - Cool cherry cream and a nice apple tart - tu entres dans le jardin magique de ton adolescence - Coconut fudge really blows down those blues - et tu tartines le But you’ll have to have them all pulled out/ After the Savoy truffle jusqu’à l’évanouissement. «Savoy Truffle» est un trip phonétique à part entière. Alors voilà Lennon qui entre dans ton champ de vision en costard blanc, Yoko qui évoque «Number Nine», l’une des clés du paradis, et voilà que Ringo quitte le groupe pendant les sessions du White Album  et qui revient - Reviens Ringo ! - Et puis on attend la plus importante, on sait que les notes vont surgir comme des fées au coin des images de Scorsese - See the love there that’s sleeping/ While my guitar/ Gently weeps - voilà donc l’un de tes morceaux préférés parmi tous les morceaux préférés du White Album - I look at the floor/ And I see it needs sweeping - tu chantais tout cela avec le roi George et ta peau frissonnait, car tout n’était ici que luxe, calme et volupté. «Why My Guitar Gently Weeps», c’était Baudelaire au XXe siècle. Mais à la différence de Baudelaire, George montait dans ses octaves, I don’t know why nobody told you et tu basculais dans un abîme de félicité.

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             Cet épisode magique prend fin lorsque Scorsese évoque la tension qui règne dans le groupe au moment de Let It Be, le roi George compose une merveille nommée «Something», puis «Here Comes The Sun» et ce little darling dansait au coin de ton esprit cette année-là, Little darlin’/ It’s been a long cold lonely winter, et puis voilà, les canards titrent Paul quits, c’est le fin du British Empire. Et George devient le roi d’Angleterre.

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             Il passe directement aux affaires royales : All Things Must Pass et Friar Park, son palais baroque. À disque royal, producteur royal : Totor débarque en costard noir et chemise rouge, il parle d’une voix de tenancière de lupanar et porte une perruque blonde, mais fuck c’est lui qui transforme «My Sweet Lord» en hit intemporel. L’œil brillant, Totor dit que le roi George a des centaines de chansons. C’est un roi, quoi de plus normal ? Ils passent douze heures sur le Sweet Lord, Totor qui se croyait le pire des perfectionnistes et dépassé par le roi George qui est encore pire que lui. Totor : «My Sweet Lord, that’s the hit !». Les autres trouvent la chanson trop religieuse. Totor tient bon. That’s the hit ! Quand un journaliste dit au roi George que cette chanson est intemporelle, il répond : «Oh is it ?». Puis il explique : «First its simplicity, and repetition. A mantra». Voilà la clé : le mantra.

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             C’est toujours un plaisir inégalé que d’ouvrir la box d’All Things Must Pass et d’en sortir ses trésors. On a salué longuement le charme pas discret de cette bourgeoisie fataliste lors de l’hommage à Totor, mais comme nous revenons faire un tour dans la cour des rois, nous allons nous replonger dans ce triple album qui fut, t’en souvient-il, l’un des plus hauts sommets de l’an de grâce 1970, un an pourtant riche en sommets. Aussitôt le balda lancé, force est d’admettre que le style du roi George est unique : mellow yellow, spirited au sens du spirit, de ce qui s’envole. Et puis... Uhm my Lord, le roi George entonne son chant avec une gourmandise distinguée, comme s’il était le vrai roi d’Angleterre, il faut le voir étaler «My Sweet Lord» au really want to show you Lord, il est le roi du gospel blanc et son gospel rivalise d’éclat avec l’Oh Happy Day, car bien monté en neige par l’autre génie de service, le Totor, et ça grimpe très vite au my-y-y Lord, en une belle apothéose de pâté de foi, hallelujah, la rythmique est une merveille de fouillis de beat et le roi George y tartine son miel de gratte. Tout cela est bien sûr joué au maximum des possibilités. Même quand le roi George fout le paquet avec «Wah Wah», c’est beau, mais beau vois-tu comme un paysage de Turner, ou pire encore, une plongée contemplative de Caspar David Friedrich. Beau et vif comme l’un de ces aplats carmins que Paul Gauguin appliquait sur ses toiles aux Marquises. Le roi George retrouve la veine mélodique de la beatlemania pour «Isn’t It A Pity». Totor te violonne ça vite fait bien fait jusqu’à l’horizon et le roi George ramène son pot de miel, tout cela reste très spectaculaire, comme si les génies respectifs de ces deux hommes se fondaient dans un ciel immense d’Eugène Boudin. On retrouve la magie mélodique en B avec «If Not For You», le roi George n’en finit plus de créer son joli monde d’harmonie et de miel de gratte, ce cut te cueille, c’est toi le fruit mûr qui se pose délicatement dans la bouche d’un roi et tu fonds dans ton propre jus sucré. Le roi George gratte la gratte du Paradis. En C, tu vas tomber sur un «Apple Scuffs» très dylanesque, secoué de gros coups d’harp mélangés au miel de gratte. Quel régal ! Tu ne sais plus si tu es le mangeur ou le mangé tellement le roi George te bouleverse les sens. Avec «Ballad Of Frankie Crisp», il propose une belle pop attachante de let it roll. On sent poindre dans sa joie de vivre l’ombre d’une immense mélancolie. Il y a du Goya en lui. «Awaiting On You All» permet de goûter à nouveau au génie productiviste de Totor, il donne à cette pop royale une profondeur incommensurable, une ampleur sans précédent. Tu ne croiseras pas tous les jours de telles convergences de génies. Une conjonction Totor/Roi George ne se produit qu’une fois par siècle. Totor ramène des trompettes mariachi dans l’«Art Of Dying» qui assombrit la D et on revient à la pop de suspension avec «Isn’t It A Pity», un cut tentaculaire qui s’étend aussi loin que porte le regard, et cette fois l’analogie avec Alfred Sisley s’impose naturellement. Le roi George clôt cet album fataliste avec «Hear Me Lord», une nouvelle rasade de purée spirited d’une fantastique ampleur. Sa voix évoque une matière très ancienne, il est à la fois l’océan et la montagne, le sable et l’écume, le vertige et la paix, la pierre et le bois, et Totor lui donne tous les pouvoirs du Wizard.

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             Le roi George a commencé à mépriser le matérialisme. Clapton en profite pour lui barboter Pattie, comme Keef a barboté Anita à Brian Jones. Clapton dit au roi George qu’il est amoureux de sa femme. Alors le roi lui répond : «Prends-là, elle est à toi.» Il n’est même pas fâché avec ce sale mec. Il a d’autres chats à fouetter, comme par exemple le Bengladesh. Le roi George s’engage pour le Bengladesh, il organise un benefit et porte un costard blanc comme celui de Lennon. On voit la belle Claudia Lennear danser dans les chœurs.

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             Dans sa quête de perfection, le roi George peaufine un son qu’on qualifié d’emotional. Il ne vise que la note juste. Puis sa voix se dégrade. On dit qu’il prend beaucoup de drogues. Il épouse Olivia et comme il est très lié aux Monty Python, il hypothèque son palais pour financer le tournage de La Vie De Brian. Quatre millions de dollars. C’est à cette époque que Lennon se fait buter à New York. Le roi George est en colère, angry que John n’ait pas quitté son corps in a better way. Quand Olivia lui annonce qu’on l’attend pour une récompense officielle, il refuse de s’y rendre - Find another monkey - Puis on tombe sur l’épisode tant attendu des Traveling Wilburys : pour le roi George, l’idée est de monter the perfect band. Il rassemble Roy Orbison, Bob Dylan et Jeff Lyne. Roy et lui chantent cette huitième merveille du monde qu’est «Handle With Care» - Everybody’s got somebody to lean on/ Put your body next to mine/ And dream on - Pur jus de roi George, dommage que Tom Petty frime autant. Puis arrive l’épisode dramatique de l’agression, une nuit, vers 4 h du matin, un mec rentre dans le palais du George pour le tuer et le rate. Alors pour le roi Geoge, le message est clair : il annonce qu’il doit se préparer à quitter son corps - À part l’amour du père pour son fils, I don’t see no reason to be here. À quoi bon tout cela, toute cette célébrité ? Toute cette fortune ?

    Signé : Cazengler, George Hérisson

    George Harrison. All Things Must Pass. Box Apple 1970

    Martin Scorsese. George Harrison: Living in the Material World. DVD 2011

     

     

    L’avenir du rock –

    Le culot des zozos de Cluzo

     

             L’avenir du rock aurait très bien pu s’appeler ‘Tu ne crois pas si bien dire’, ou mieux encore ‘Tu l’as dit bouffi’. Quelle relation avec le rock ? Aucune, c’est tout l’intérêt. Il pourrait aussi s’appeler ‘Aide toi et l’évidence t’aidera’, ou encore ‘À bonne évidence salut’. Ou encore ‘Il faut battre l’évidence quand elle est chaude’. Lorsqu’il croise son reflet dans un miroir, l’avenir du rock ne voit qu’une évidence. C’est à la fois son drame et son privilège : sa nature conceptuelle, comme celle de l’amour physique, est sans issue, hormis l’évidence. L’avenir du rock peut regarder en haut, en bas, à droite, à gauche, il retombe toujours sur l’évidence de son évidence. Dans la vraie vie, on appellerait ça un destin tragique. Dans le cas de l’avenir du rock, on appelle ça un schéma conceptuel forcé. Tu ne le sais sans doute pas, mais un concept peut aussi en baver, enfin c’est une façon de parler. Comme Atlas, l’avenir du rock est conçu pour porter le poids des évidences sur son dos. Ça ne paraît pas comme ça, mais les évidences peuvent peser des tonnes. Plus les évidences sont évidentes, plus elles pèsent lourd. Si tu veux chambrer l’avenir du rock, tu peux l’appeler ‘L’Atlas du rock’. Il ne sera pas fâché. Quand il en a marre de porter ses tonnes d’évidences, il fait son Sisyphe et les fait rouler sur la pente abrupte de l’Ararat, un schéma conceptuel d’autant plus cruel que la cause est juste, puisque ce sont des évidences ! Alors pourquoi s’inflige-t-il une telle corvée ? Pourquoi les évidences ne sont-elles pas de gros ballons multicolores flottant dans l’azur marmoréen ? Pourquoi s’épuise-t-il à faire rouler ses tonnes d’évidences sur une pente d’une telle raideur ? Parce qu’il entend bien assumer jusqu’au bout les aléas de son schéma conceptuel. Ça fait partie du job. Lorsqu’il arrive au sommet de l’Ararat et que sa tonne d’évidences lui échappe et bascule de l’autre côté pour dévaler la pente, l’avenir du rock s’assoit, allume sa clope et se dit que finalement une bonne tonne d’évidences dans la gueule de tous ces négativistes agglutinés en bas, c’est la meilleure des choses qui puisse leur arriver. Ça leur fermera une bonne fois pour toutes leur boîte à camembert. Après tout, l’essentiel est dans Lactel.  

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             Commence par dépasser tes a prioris (groupe français, bif baf bof, rock bio élevé à la ferme, baf bif bof, culturalisme régional, bof baf bif, réputation boogie rural, bif bof baf, white striping à la française, bif et baf et ratabof, en gros, tous les maux de la terre). Une fois que tu t’es débarrassé de toutes ces conneries et que tu te sens un peu moins élitiste, c’est-à-dire un tout petit moins con (mais pas trop), ça va mieux. Au pire, tu vas t’ennuyer pendant une heure. Alors, une heure, qu’est-ce donc comparé à l’univers ? Rien. Donc tout va bien dans ta pauvre tête de con.

             Tu retrouves ta chère barrière et les habitués du premier rang, toujours les mêmes. Tu regardes la première partie sans la voir, car tu penses à autre chose, une idée de conte. Il faut faire gaffe quand tu as des idées, elles peuvent t’échapper, il faut les matérialiser rapidement, mais sans ton ordi, c’est compliqué, alors il faut les amarrer dans ta tête, c’est-à-dire les construire, et tu mets en route le jeu des formulations, le premier jet est toujours fluide, tu sais que tu vas en perdre une grosse partie, alors tu reformules plusieurs fois tes phrases pour bien les mémoriser, ça demande un temps fou, ah il faudrait un bout de papier pour noter ça, mais pas de bout de papier, alors tu reprends tout au début, pour sauver ce qui reste de cette formulation d’intro si limpide, car c’est d’elle dont dépend toute la suite, oui car c’est dans les deux premières phrases que tu plantes le décor, que tu crées l’énergie du texte, tu y reviens, tu remanies et soudain les lumières s’allument et on te parle. C’est la fin de la première partie et tu as perdu le fil de ta formulation. Ah comme la vie peut parfois se montrer cruelle.

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             Et voilà qu’arrivent sur la grande scène les zozos de Cluzo. Le petit gros à la gratte s’appelle Malcolm et le maigre au beurre s’appelle Phil. Le petit gros annonce très vite qu’ils vont jouer les cuts de leur nouvel album, Horizon. Et hop, c’est parti ! Le gros gratte une bête à cornes, c’est-à-dire une Gibson SG bordeaux. Il est coiffé comme l’as de pique, autrement dit comme d’Artagnan, mais un d’Artagnan qui serait revu et corrigé par Abel Gance, très XIXe, avec la barbichette belzébutienne de Félix Fénéon, et dans ses tout petits yeux en trous d’aubépine, danse l’éclat vif d’une certaine malice. Non seulement il a du son, mais il aussi de la gueule, et il va vite basculer dans la démesure, et là mon gars, ça devient passionnant car tu as sous les yeux un artiste génial, une sorte de Pantagruel à la Leslie West, un personnage fabuleusement vivant et supra-doué, un petit gros comme on les aime avec des petites mains boudinées comme celles de Frank Black qui génèrent sur la gratte de fières giclées d’apocalypse, d’hallucinants ras-de-marée soniques, des vagues monstrueuses qu’il double d’arraches de glottes atrocement phénoménales, il se dresse dans sa tempête comme une sorte de Poséidon ivre de colère sourde, le cheveu en bataille et la bouche en entonnoir, il screame sa route à travers la jungle, il embrase les imaginaires agglutinés à ses pieds, il aspire le monde et recrache la vie, il illustre parfaitement le mythe des anciens dieux dressés dans les tourmentes, les cheveux dans les yeux, il développe tellement de puissance qu’il en devient surréaliste, mais on est bien embêté, car il n’existe pas de barbichettes chez les Surréalistes, des moustaches tout au plus, alors on va rester sur Abel Gance, car l’esthétique gancienne de la démesure convient parfaitement à notre gros bateleur.

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    Il n’est pas seulement gargantuesque, il est aussi et surtout homérique, tout le passif de la Méditerranée remonte en lui, comme sorti du sol et jaillissant à travers sa bouche grande ouverte, il screame du scream par paquets, il voue tout aux gémonies, il undergutte l’ultra-gut, ce bulldozer à deux pattes déblaye tout sur son passage, il te charrie le ramshakle, il te charrie avant les bœufs, non seulement il exhale des panaches de pur power incendiaire, mais il parvient au prix d’efforts surhumains à les rendre beaux, c’est-à-dire mélodiques. Sa sauvagerie le béatifie. On n’avait pas vu un tel diable depuis un bon moment, c’est-à-dire depuis Frank Black, lors de son dernier passage avec les Pixies. Eh oui, Malcolm Cluzo appartient exactement à la même caste, celle des gros géants géniaux.

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             Bon, d’accord. Son, physique, ça tient superbement la route. À deux, ils font plus de ramdam qu’un groupe à deux guitares. Au beurre, Phil Clouzo fait plaisir à voir. C’est même un bonheur pour l’intellect du spectateur. Il est partout dans le son, avec une exubérance qui rivaliserait presque avec celle de son collègue. Son beurre est une merveille de vivacité cinétique, un perpétuel ramshakle d’excelsior, c’est toujours un bonheur que de voir un vrai batteur à l’œuvre, il tient bon la rampe, il bat la campagne des chœurs, il sait que le gros s’appuie sur lui, alors il en rajoute, mais au bon sens du terme. Ah tu ne battras jamais ces deux mecs-là à la course. Tu as presque envie de dire aux White Stripes d’amener leur calepin et de prendre des notes. Mais aussi à plein d’autres groupes. Tu pourrais presque leur dire : «Notez bien et regardez comment on joue le rock, c’est pas compliqué : petit un, il faut un son, petit deux, une voix, petit trois, du bon beurre et petit quatre, des bonnes compos. C’est bien noté ?». Les zozos de Clouzo ont tout ça, et en plus, une certaine forme de génie, qu’on pourrait qualifier d’agraire, pour rigoler et faire écho aux petits discours de militant bio dont le gros abreuve la salle de temps en temps, une salle urbaine qui bien sûr ne se sent pas concernée par la problématique, mais bon, c’est pas grave, le gros est infiniment crédible, dès qu’il gratte sa gratte, il redevient un héros du rock, c’est -à-dire un hérock, a hero just for one day. On l’adore d’autant plus qu’il lance à un moment : «Tout le monde dit que le rock est mort ! Eh ben non. On prouve le contraire tous les soirs !» Et wham bam, il envoie rouler «Running A Family Farm Is More Rock Than Playing Rock N Roll Music», c’est le boogie rock le plus hot qu’on ait entendu depuis l’âge d’or de Nashville Pussy. Les deux zozos de Cluzo se transforment chaque fois en machine infernale. Il n’y a pas un seul passage à vide dans leur set. Ils maintiennent en permanence un très haut niveau d’intensité et de qualité. Le gros chante en anglais, mais diable comme il est bon. Il sonne comme une superstar, il tape dans l’immédiateté du rock, il hérite de toute cette culture du power et du riff, et il joue de sa voix comme d’un instrument. Il est constamment en équilibre entre ces deux pôles que sont Frank Black et Leslie West, mais avec un truc à lui en plus. C’est l’apanage des géants du rock.

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             Rien qu’avec les cuts d’Horizon, on est gavé comme des oies. Grosse ambiance dans la salle. Phil Clouzo va même faire un petit coup de stage-diving, histoire de rivaliser d’ardeur communicative avec les deux guitaristes d’Idles. On n’arrête plus de se dire : «Aw fuck comme ils sont bons !». Côté reprises, deux bonnes surprises : l’«Hey-Hey My My Rock’n’Roll Will Never Die» de Neil Young, un peu bateau, mais surtout l’extraordinaire «I Almost Cut My Hair» en hommage à Croz que le gros attaque à l’hendrixienne et qu’il sur-gueule dans la tempête des Cyclades, sa version est complètement démontée du bastingage, il hurle à l’accent fracassé, il est dans la divination Crozbique, il va chercher l’extrême de la screaminisation à s’en décrocher la mâchoire, tu ne peux pas aller plus loin dans l’exercice de la fonction sépulcrale, il s’en dilate la rate, il va au-delà de tout, il s’empale au sommet du lard, il s’en-dracularise de fureur abyssale, c’est le plus bel hommage à Croz qui se puisse imaginer ici-bas, il invoque le fantôme de Croz avec tellement de niaque qu’il finit par le matérialiser sous la forme d’un ectoplasme, comme dans une épisode du Professor Bell de Joan Sfar.

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             Et puis ils vont finir ce set mirobolant en mode destroy oh-boy : Phil Cluzo fout sa batterie en l’air, et ils t’explosent le concept de fin de sert à la cavalcade infernale. Tu as là tout le punk des Damned, de Kurt Cobain et de Keith Moon, un vrai concentré de tomate, cette vieille tradition du fuck shit up de fin de set, pareil, tu as presque envie de dire aux apprentis sorciers : «Amenez vos calepins les gars et prenez des notes !». Les zozos de Clouzo ont tout bon. Vivent les culs terreux !

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             Sur Horizon, les zozos de Clouzo ont encore plus de son, comme si c’était possible. Tu y retrouves les fameuses oies dont parlait le gros («Saving The Geese»), les oies qu’il a réussi à sauver quand les escadrons de la mort sanitaire abattaient tous les animaux de la région à cause de la grippe aviaire. Il amène ses oies au big riffing bien gras. C’est violent, d’une grande beauté et battu heavy, il chante son saving the geese à l’accent screamy demented, puis il part en solo d’explosion nucléaire, alors ça sonne comme un hit inter-galactique, il n’y a pas d’autre mot, et lorsque Phil Clouzo double au beurre, ça prend les proportions d’un Pandémonium. Tâte les oies pour voir, ça te donnera une idée de leur power. Il fait aussi du heavy boogie down de route 66 avec «Rockophobia», il opte tout de suite pour l’énormité, il y plonge le premier et tout le cut le suit, rock is dead long live rock, il n’en finit plus de clamer l’évidence de l’avenir du rock, rock ain’t dead, et pour ça, il va chercher un chat perché surnaturel. Il enchaîne ce blast avec «The Armchair Activist», fantastique shoot de punk’s not dead, le gros te rocke ta médina, fucking genius, c’est tellement plein de son que ça t’en bouche le coin, I’m an armchair activist ! Le gros a tous les pouvoirs, il va chercher du gros guttural de traffic jam pour «9 Billion Solutions», il passe encore en force, il porte le poids du monde comme l’avenir du rock porte le poids des évidences. Oh et puis il faut aussi écouter l’«Act Local Think Local» d’ouverture de balda. Il fait son Leslie West, il opte une fois de plus pour le passage en force, mais avec l’incroyable douceur de petits doigts boudinés, ça donne un extraordinaire cocktail de rentre-dedans et d’excellence de la persistance, le tout parfaitement tatapoumé par Phil Clouzo. Tu retrouves aussi sur l’album le fameux «Wolfs At The Door» embarqué au heavy Mountain side, le gros tape ça au gut des Landes et à la voix d’ange. Puis il passe à la bravado de type Nashville Pussy avec «Running A Family Farm Is More Rock Than Playing Rock N Roll Music». Il y va au scorch. C’est du blast à l’état pur, pas loin de ce que faisait Motörhead. Il s’en va ensuite te draper «The Outsider» de big atmospherix, c’est une vraie mine d’or, il a tout le power de Leslie West, il peut aller du grave de gut au pire chat perché. Il embarque son «Swallows» à coups de tasty crunchy little bugs et chauffe son morceau titre aux feux de la Saint-Jean, puis il l’empoisonne à la disto. Il est au-delà de tout.

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             Leur premier album sans titre est encore plus passionnant. Il pourrait même s’agir de l’un des albums du siècle, tellement c’est bien foutu. Ça démarre sur le morceau titre, «The Inspector Cluzo», un blast inexpugnable, ils plongent tout de suite dans les abysses du doom. Le gros envoie son chat perché et claque un riff à la revoyure. Les zozos de Cluzo te plongent littéralement la gueule dans leur soupe aux choux. Il faut les avoir vus sur scène pour comprendre la réalité de leur power. L’autre coup de génie s’appelle «Do You Make It Right», cut quasiment hendrixien, époque Band Of Gypsys. Le gros a déjà toutes les ressources. Il enchaîne avec «Turlulututututu», il te fait danser, il ramène dans son groove un fondu dément à la Lennon, that’s the meaning of love. «Do You Make It Right» est une œuvre d’art. Il donne corps à une autre idée avec «Two Days». Chaque fois, ça suit. Modernité à tous les étages en montant chez Malcolm. Il fait du genius de modernity à l’état le plus pur, il réussit un mélange sidérant d’heavy Al Green avec du riff garage. Fantastique pulsateur ! «Change #1» est très heavy, en plein trip d’à deux-on-y-va. Ce mec Malcolm est un monstre. Il te fait grimper dans les sphères supérieures du tonnerre. Tout dans cet album est bourré de power à l’état pur, tout se passe dans les petits doigts boudinés et dans le gras de la glotte, le gros n’en finit plus d’être aux aguets, on le voit même rapper le groove de Cluzo dans «Mad». Puis il passe au hard funk avec «Fuck The Bass Player» ! C’est un peu comme s’il avait joué dans les Famous Flames. Même énergie ! Il s’en va faire sa folle au sommet d’«US Food», c’est le big heavy funk system de Malcolm le héros. Ses descentes d’accords te donnent le tournis. Laisse tomber les White Stipes, écoute plutôt ces deux mecs-là. L’album est complètement jouissif. Le gros n’arrête jamais, il te remet le couvert avec «Yuppie Way Of Life Blues», il y joue un heavy groove de funk tendancieux, une vraie merveille de prévarication, ah il faut le voir plonger dans sa bouillasse et remonter à la surface !

             La suite au prochain numéro.

    Signé : Cazengler, sacré zozo

    Inspector Cluzo. Le 106. Rouen (76). 23 mars 2023

    Inspector Cluzo. The Inspector Cluzo. Ter A Terre 2008

    Inspector Cluzo. Horizon. Fuck The Bass Player 2022

     

     

     

    Inside the goldmine –

    Barrett de choc, pas de shit

     

             Dans sa vie, Barric n’a pas eu de chance. Pourtant fraîchement émoulu d’une grande école de commerce, bien buriné par un stage au sein d’un régiment de Spahis algériens, il entra dans la vie active par la petite porte, et, comme beaucoup d’autres, en sortit par la grande, après avoir frisé l’overdose de promotions. Il n’eut donc à son actif qu’une sorte de réussite sociale, rien de très appétissant. Le genre de truc dont on ne peut même pas se vanter au soir de sa vie. Un soir donc bien lugubre. La question est toujours la même : peut-on échapper à son destin ? Nous sommes tous bien placés pour savoir que ce n’est guère possible. Et donc, notre pauvre Barric se retrouva au soir de sa vie bien embarrassé, avec pour seule richesse une sorte de réussite sociale qui ressemblait à s’y méprendre à une vie ratée. Fasciné par le spectacle de sa déconvenue, il entreprit de vivre jusqu’à 100 ans pour pouvoir en examiner dans le détail tous les aspects. L’examen d’une vie ratée demande énormément de temps. Il se trouvait en outre dans les conditions idéales pour procéder à cette introspection qu’il voulait exhaustive : sa troisième épouse avait réussi à se débarrasser de lui en le «plaçant» dans un EPHAD, avec à la clé une bonne camisole chimique, histoire de le calmer s’il lui prenait la fantaisie de vouloir se trancher les veines, comme il menaçait régulièrement de le faire. Il passa les trois dernières années de sa vie assis sur le bord de son lit, prostré dans le silence. Il recevait de très rares visites, car il s’ingéniait à décourager les proches qui faisaient encore l’effort de s’intéresser à lui. En approchant de l’âge fatidique des 100 ans, il perdit sa mobilité et son élocution. Il bafouillait des mots incompréhensibles en bavant comme une limace. Il redevenait une sorte de gros bébé, c’était d’autant plus évident qu’il portait des couches. Son état physiologique empira très vite, il se mit à ressembler à un fœtus, sa peau devint un peu mauve, et un matin, alors qu’une aide-soignante lui changeait sa couche, il la renversa sur le lit, lui écarta les cuisses et s’enfourna dans son vagin. On le déclara «disparu sans laisser de traces». 

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             À la différence du pauvre Barric, Barrett a connu une existence beaucoup plus intéressante, puisqu’il appartenait au noyau de base de Motown, comme auteur-compositeur maison. Il bossait essentiellement avec Norman Whitfield. Ces deux poules aux œufs d’or, cot cot, pondaient les hits des Temptations, à commencer par «I Heard It Through The Grapevine», cot cot, mais aussi «Ball Of Confusion» et «Papa Was A Rollin’ Stone». Rien qu’avec ces trois bombasses atomiques, tu situes le niveau. C’est aussi Barrett Strong qui co-signe et qui interprète le fameux «Money (That’s What I Want)», connu comme le loup blanc et que tout le monde a repris.

             L’heure est donc venue de lui rendre hommage, étant donné qu’il vient de casser sa pipe en bois. En guise d’épitaphe, il conviendrait de graver dans le marbre de sa headstone : «Strong, c’est du solide !».

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             L’intérêt de sa discographie est qu’elle est maigre, donc on en fait (relativement) vite le tour. Maigre, mais de bonne qualité. Quand Berry Gordy déménage son bouclard à Los Angeles, Barrett reste à Detroit. Il signe sur Capitol et enregistre en 1975 l’excellent Stronghold. Il a l’air strong sur la pochette. Il attaque son balda au heavy r’n’b avec un «Do You Want My Love» bardé de son. Il a gardé les vieux réflexes Motown, avec des chœurs en place, un beurre solide et un bassmatic persistant. Les musiciens sont des inconnus, mais bons. Barrett finit son cut en groovytude parfaite. Et voilà qu’avec «Surrender», il fait son Marvin. Il est en plein dans «What’s Going On». C’en est troublant. Il a exactement les mêmes accents et la même orchestration. Il referme son balda avec le fantastique groove d’«Is It Time», une vraie merveille d’is it time. On l’aura compris, Stronghold est un album de groove. Il s’en va donc groover «I Wanna Do The Thang» sous le boisseau, en vieil habitué du snakepit et fait de «There’s Something About You» un r’n’b hardiment ramassé, ficelé comme un gigot, bien rond, bien dodu, bien Strong. Il passe au dancing r’n’b avec «Mary Mary You», sa voix éclot comme un chou-fleur dans la clameur d’Elseneur.

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             Barrett enregistre l’année suivante Live & Love. En voyant la pochette, on est un peu inquiet, car Barrett a des allures de diskö boy, mais il nous rassure aussitôt avec «Man Up In The Sky», un heavy groove de classe incontestable. Barrett est barré. Mais c’est avec sa version de «Money (That’s What I Want)» en ouverture de bal de B qu’il rafle la mise. Il fait du heavy Motown, mais tapé au maximum overdrive de Malaco, les filles derrière sont géniales, Dorothy Moore est dans les chœurs. Le fou à la gratte est le gratteur maison de Malaco, le fameux Dino Zimmerman. Il wahte son ass off. L’autre coup de génie de l’album se trouve aussi en B et s’appelle «Gonna Make It Right». Cut d’une rare puissance, Barrett jette tout son Strong dans la Soul, yeah oh yeah !, il remonte le courant à la force de ses écailles. Barrett Strong est un puissant remonteur de courant. Il sait aussi enchanter un balladif, comme le montre «Be My Girl». Encore un joli coup avec le morceau titre en fin de balda, too much confusion, il y va comme au temps des Tempts. Il y va carrément au raw de niaque d’arrache. Il finit avec une superbe cover de «Knock On Wood», il s’en tire avec les honneurs de Malaco, ah comme il est bon, il colle bien au palais. Logique, vu qu’il a un bon timbre. Solide Strong !

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             Avec Love Is You, il va plus sur la dancing Soul. Il conserve ses vieux réflexes, donc tout va bien. C’est quasi-Motown, aspergé de petites giclées de chœurs. On entend Dennis Coffey gratter son funk dans un «You Turn Me On» un brin diskoïde. Et puis voilà la merveille sauveuse d’album : le morceau titre. Et là, oui, mille fois oui, voilà un dancing groove gratté aux petites grattes funk. Fantastique allure, ça sent bon le Coffey chaud. En ce temps-là, on savait gratter ses poux. On entend même le riff de «Papa Was A Rolling Stone».

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             Bon, si tu veux entendre Barrett au temps de Motown, il existe une brave petite compile, The Complete Motown Collection. Alors attention, c’est pas terrible. Il vaut mieux se souvenir du Barrett compositeur de hits séculaires et oublier le Barrett interprète, d’autant que ça démarre sur «Money (That’s What I Want)», une belle tarte à la crème. Pour le reste, Barrett fait du early Motown qui, comme chacun sait, peine à jouir. Il peut parfois coller au palais avec un groove insidieux («You Know What To Do»), mais pas de hit à l’horizon, Capitaine Flint ! Il fait du gros groove de bas-étage avec «Whirlwind» - You know it hit me/ Like a whirlwind/ When your lips/ When your lips came close to mine - Il vire parfois calypso, parfois comedy act un brin cha cha cha, pourtant il est bon, mais il ne transcende pas l’inconscient collectif. À l’aube de Motown, le pauvre Barrett n’offre rien de probant. Avec «Misery», il est vite sur le pont du heavy groove, comme un bon matelot. Il sait carguer la grand-voile et affaler des vergues, pas de problème, il fait même du rock’n’roll avec «Let’s Rock». N’importe quoi ! Ses cuts n’ont pas d’avenir, sa heavy Soul n’accroche pas («Action Speaks Louder Than Words»). Il faut attendre «Who’s Taking My Place» pour sentir un frétillement du côté des naseaux. Et là, oui, il ramène du pur mama know, il devient le temps d’un cut le roi du groove. Mais juste le temps d’un cut. «Who’s Taking My Place» est même une merveille apocalyptique bien méritée, au bout de 15 cuts. Tout aussi dégourdi, voici «Suger Daddy», big Barrett is back in town avec un vrai jerk. Et le dernier joyau de l’époque Motown s’appelle «(I Don’t Need You) You Need Me», monté sur le modèle de Money. C’est du black rock. Ouh ! In the face ! Fantastique punch up de need me !

    Signé : Cazengler, bien barré

    Barrett Strong. Disparu le 28 janvier 2023

    Barrett Strong. Stronghold. Capitol Records 1975

    Barrett Strong. Live & Love. Capitol Records 1976

    Barrett Strong. Love Is You. Coup Records 1980

    Barrett Strong. The Complete Motown Collection. Tamla Motown 2004

     

    *

    Marie Desjardins n’est pas une inconnue pour les lecteurs de nos Chroniques de Pourpre, nous avons déjà chroniqué entre autres, le roman Ambassador Hôtel qui conte la vie imaginaire d’un chanteur de rock et la biographie du jazzman Vic Vogel Histoire de jazz et aussi repris certaines de ses chroniques consacrées à de grandes figures du rock… Voici que les Editions du Mont Royal (éMR), rééditent Ellesmere, roman paru en 2014 que nous n’avions pas hésité à qualifier de chef-d’œuvre dans notre Livraison 447 du 16 / 01 / 2020.

     ELLESMERE

    LA FAUTE

    MARIE DESJARDINS

     ( éMR / 2023 )

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    Un petit côté manga quand vous le prenez en main. Pas de panique, non ce n’est pas une version BD à la japonaise, simplement les éditions du Mont Royal offrent le texte en sa langue originale, le français, et en sa traduction anglaise réalisée par Julie de Belle. Les raisons de cette double entrée ne sont point mystérieuses, Marie Desjardins réside au Canada, et Pierre-André Trudeau éditeur a jugé qu’il était important de ne pas priver le lectorat anglophone canadien d’un texte de cette importance.

    Pour un lecteur français le titre Ellesmere s’avère énigmatique. Ellesmere est une île, aussi grande que le Sénégal, sise tout près du Groenland. Le Danemark qui régente l’ancienne terre verte des vikings a de toujours lorgné sur Ellesmere, le Canada n’a eu de cesse à s’opposer à ces intentions territoriales. En 1953, le gouvernement canadien propose à des familles inuites québécoises de s’installer sur cette île qui leur est présentée comme un territoire de chasse extrêmement giboyeux. Le raisonnement politique des autorités d’Ottawa est facile à comprendre : puisque des inuits de nationalité canadienne habitent sur cette terre il est logique que ce territoire appartienne au Canada…

    Tout est pour le mieux dans le meilleurs des mondes. A ce détail près, que les inuits débarqués sur l’île se retrouvent sous un climat arctique en des conditions déplorables par des températures extrêmes atteignant jusqu’à - 40°, sous des tentes plantées sur un sol de glace… Les souffrances endurées par ces exilés rejoints deux années plus tard par une nouvelle fournée d’immigrants sont atroces… En 1993 le gouvernement canadien se sent obligé de verser dix millions de dollars aux survivants, et de présenter ses excuses en 2008…  Cette nouvelle édition bénéficie d’un sous-titre : La faute, The offense en sa traduction anglaise…

            Nous voici donc partis pour une odyssée humaine, un livre de dénonciation, une charge politique sans concession, une généreuse défense d’un peuple opprimé. Non pas du tout.  Attention pas de méprise, Marie Desjardins ne prend pas fait et cause pour les monstrueux agissements de son pays, surtout pas, elle rappelle et condamne sans rémission les épouvantables traitements subis par ces populations inuites mais là n’est pas le sujet de son roman. L’on ne peut même pas dire que la tragédie d’Ellesmere est la toile de fond de son intrique. Là n’est pas son propos, il est tout autre, ce qu’elle nous montre c’est que la noirceur des âmes humaines est aussi dure et impitoyable que la blancheur gelée du sol d’Ellesmere.

             Le livre débute loin d’Ellesmere dans le cocon d’une maison familiale, le père, la mère et les trois enfants. Des blancs, pas des inuits. Le père est vétérinaire. La mère, parfaite épouse dévouée au tempérament d’artiste a bridé celui-ci pour s’occuper de son mari et de la fratrie. Le père ne se soucie que de Jess son fils aîné. Les deux autres ne sont que quantité négligeable. Dans son esprit Jess devra prendre la suite, il l’élève à la dure, l’emmène avec à toute heure du jour et de la nuit pour soigner vaches et chevaux malades ou décidés à mettre bas… Jess apprend la vie. Il serre les dents, ne se plaint pas. A ce régime il deviendra un enfant différent de tous les autres. Il sait ce qu’il veut. Adolescent il est déjà adulte, il a décidé de ne compter que sur lui-même. Il est un jeune gars, les filles lui courent après, il est un chef naturel, un meneur d’hommes, il ne connaît pas la peur, il ne s’interdit aucun excès, dans sa tête une chose est claire, de toute son existence il ne fera que ce qu’il désirera. A seize ans il partira de la maison.

             Une forte personnalité. Qui n’est pas sans effet sur le reste de la famille. Sa mère l’adore. Son petit frère le regarde vivre, il comprend tout, il intellectualise, il tire les leçons, il voit tout, il ne dit rien, c’est lui qui raconte l’histoire. Un narrateur qui ne croit pas en grand-chose. Ses jugements sur l’humanité sont sans appel. S’il n’est pas dupe des autres, il ne l’est pas non plus de lui-même. Un beau garçon, il attire les filles et les femmes se pâment, non seulement il est beau mais il a encore un atout supplémentaire sur tous les membres de la famille et sur la majorité de tous ses contemporains, il est doué, extrêmement doué. Il a hérité du tempérament artiste de sa mère, de son don pour le dessin et la peinture. Trois coups de crayon suffisent à étaler sa virtuosité. Ne s’en fait pour son avenir, il est tout tracé. Pas besoin de se fatiguer. La vie s’annonce si facile qu’il se rapproche de son oncle écrivain renommé, de son oncle ministre…

             Enfin la sœur, la petite dernière. Un ange empli de naïveté. Avant que vienne l’heure du sommeil Jess se rend dans la chambre des petits, Jess se glisse dans son lit et lui lit des histoires. Le petit frère observe, il écoute, il ne dit rien, il comprend tout, il est déjà revenu de tout. La sœurette adore son grand frère, lorsqu’il quitte la maison elle réfugie dans sa solitude et dans son occupation favorite, le dessin et la peinture, sous l’œil du puiné qui se moque d’elle. Secrète, enfouie en elle-même elle continue ses mièvres études de fleurettes.

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             Nous sommes à plusieurs milliers de kilomètres d’Ellesmere, mais puisque nous n’allons pas à Ellesmere elle arrive à nous. Elle ne se déplace pas comme la montagne du proverbe. Elle se présente à nous sous forme d’un tableau, d’un triptyque. Les enfants ont grandi, Jess vit sa vie, très sex and drugs, la petite sœur continue à peindre dans l’anonymat le plus complet, et notre narrateur dégote enfin une idée de génie. Il a entendu parler du scandale des inuits parqués sur l’île d’Ellesmere, ce sera le sujet de son tableau monumental. Du jour au lendemain, il devient célèbre, l’artiste vivant que l’on compare aux plus grands des siècles précédents. Il est riche à millions, il profite et abuse de la vie, de sa célébrité, des femmes, il boit, baise, fume, habite à la perfection son personnage de génie supérieur de l’humanité. Ce qu’il ne dit pas : sa petite sœur lui a apporté une aide décisive dans la mise en œuvre de son tableau, un jugement sûr, elle voit ce qu’il ne sait pas voir, les défauts de sa réalisation, il se moque d’elle, mais il obéit et corrige…

             Nous avons ici tous les éléments du drame. Chaque homme dans sa nuit s’en va vers sa lumière, dixit Victor Hugo. Un triptyque, trois enfants, trois destins. A part que Marie Desjardins inverse et mélange les problématiques. Elle joue avec le blanc et le noir. L’on a l’impression qu’ici chacun dans sa lumière intérieure s’enfonce dans son ombre. Il n’y a pas de bons et de méchants. Il n’y a que des faibles et des forts. Et parfois les plus faibles se révèleront les plus forts. Est-ce vraiment ce qui importe ? Tout ne finit-il pas par s’égaliser. Tous victimes et tous bourreaux si l’on envisage les choses à l’aune de soi-même. Tout dépend du jugement que le lecteur leur accordera. Que chacun construise, s’il le désire, le chemin de sa rédemption. La seule nécessité est de toujours garder les yeux ouverts, sur les gouffres que l’on côtoie et surtout sur soi-même.

             Marie Desjardins ne pose aucun jugement moral. Elle expose. Elle explose toutes les catégories sociales. Où et quand se situe la faute. Y en a-t-il une seule ? Pourquoi n’y en aurait-il pas plusieurs. A moins que la seule faute soit celle de vivre dans la réalité de sa propre vie. Cynisme et innocence ne sont-ils pas l’avers et le revers de la même mouvance que l’on nomme la vie. En sa nudité, en sa cruauté, en son masochisme, en son sadisme, en sa crudité, en son authenticité.  Ne sommes-nous pas vis-à-vis de nos semblables, de ceux qui nous sont les plus chers, de nos frères et de nos sœurs tantôt humains tantôt inhumains, comme les icebergs d’Ellesmere qui se détachent de la stabilité des banquises, qui dansent dans les courants violents, et s’entrechoquent les uns les autres, dans une espèce de fureur sacrée qui n’a d’autre but que de détruire les autres et de se détruire soi-même. 

             En cent-vingt pages, Marie Desjardins bouscule toutes les convenances, toutes les représentations sur lesquelles repose l’hypocrisie humaine, tant au niveau sociétal qu’individuel. On ne ressort pas indemne d’un tel livre. Le mieux serait de l’oublier, de ne pas s’appesantir sur son implacable déroulement, d’essayer de penser à autre chose, mais il agit tel un maelström, il vous force à vous pencher sur l’abîme du monde et lorsque la spirale vous happe et vous aspire, vous n’avez plus qu’une peur et qu’un espoir, celui de vous connaître enfin tel qu’en vous-même aucune éternité ne vous changera.

             Un chef d’œuvre.

             Merci à Marie Desjardins de nous ouvrir les yeux.

    Damie Chad.

     

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 25

    AVRIL - MAI – JUIN ( 2023 )

     

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    Un soleil de printemps pour accueillir la vingt-cinquième livraison de Rockabilly Generation News, avec cette fois non pas un mais deux pionniers. Sympa mais pas de quoi pavoiser, Johnny Powers est parti pour l’autre monde, on espère pour lui qu’il est meilleur que le nôtre, le 16 janvier de cette année, précédé de quelques jours par Charlie Gracie qui a plié bagage le 17 décembre 2022. Soyons cyniques, respectivement nés en 1938 et 1936, ils n’ont pas trop à se plaindre, d’autant plus qu’ils ont eu une vie bien remplie, des hauts et des bas bien entendus, mais qui n’en a pas connu, et ce privilège extraordinaire d’avoir fait partie des fondateurs de la plus belle musique du monde. La nôtre, celle des fans de rockabilly.

    J’exagère à peine, il existe d’autres musiques aussi belles et puissantes que le rockabilly, n’empêche qu’au lieu de présenter comme à mon habitude article par article le contenu du magazine, je vais le lire en diagonale, picorant de-ci de-là quelques phrases qui mises bout à bout veulent dire davantage qu’elles ne le paraîtraient lues séparément. Je commence par moi, le mot nôtre sur la dernière ligne du paragraphe précédent. Nôtre n’est pas un mot neutre. Je le retrouve sous d’autres formes par exemple dans l’interview de Lorenzo Chiara, chanteur et guitariste des Rotten Rockers, l’a cinquante-huit berges, quand il parle des fans il les définit comme ‘’ la famille’’, c’est chouette, ça illustre bien le rapport que son groupe ( comme beaucoup d’autres ) entretient avec les fans, mais une famille même élargie c’est tout de même un milieu assez étroit, si en plus on met cette expression en relation avec cette constatation : Un Teddy Boy en 1923 c’est un passionné qui maintient vivant un milieu qui est en danger. Sergio Katz qui mène l’interview remarque pour sa part ‘’ Crazy Cavan décédé, le mouvement Teddy Boy est vieillissant’’. Ce ne sont plus les pionniers qui désertent notre planète, mais la deuxième génération qui commence à prendre du plomb dans l’aile… Lorenzo est optimiste, il rencontre plein de jeunes formations, surtout en France, qui assurent la relève…

    Moi aussi, voici quelques semaines, dans ma série Rockabilly Rules, j’ai failli présenter Haylen, me suis ravisé au dernier moment ne la trouvant ni assez rock, ni assez rockabilly, et plouf ! RGN lui consacre sept pages ! Quelles magnifiques photos ! Merci Sergio ! Un drôle de pédigré tout de même pour une rockabilly girl, elle a participé à The Voice, à cette occasion  sa voix puissante  a fait le choix difficile du rhythm ‘n’ Blues, elle a intégré  un opéra rock, Le Rouge et le Noir, ce n’est pas que je n’aime pas l’opéra, ce n’est pas que je n’aime pas Stendhal mais l’on est plus près d’une comédie musicale à la française que de Quadrophenia des Who… n’empêche qu’elle se débrouille bien dans son interview, un personnage attachant, parle de sa passion pour les années cinquante, de ses origines iraniennes, l’a l’air de mordre la vie à pleines dents, je viens de regarder une vidéo sur un concert du 23 mars 2023, rhythm ‘n’ Blues oui, rockabilly non. J’attends de voir.

    Troisième ( ? ) génération. Déjà morte. La fille d’Elvis. Pas folle la guêpe, n’a pas cherché à faire du rock ‘n’ roll. S’est lancée dans la pop. Pas si mal que cela. Quand je compare avec Haylen, elle me paraît plus authentique.

    Retour aux origines des origines. Pas le blues cette fois, le country. Avec Charline Arthur, née en 1929, je n’apprécie guère sa voix mais elle a dans les années cinquante révolutionné le country par ses attitudes, une outlaw d’avant l’heure, mais féministe, ce qui change tout. L’article de J. Bollinger est passionnant. On y retrouve un personnage bien connu des fans de rock’n’roll, le fameux Colonel, Parker de son faux nom, l’avait les dents longues, et des idées qui rayaient le plancher, dès avant Presley il avait tout prévu et savait ce qu’il voulait faire.

    Ce numéro est passionnant.

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois),  6 Euros + 4,00 de frais de port soit 10 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 40 Euros (Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de tous les magazines... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents ! Surtout que les numéros 1, 2, et 3 ne seront plus réédités, il en reste une vingtaine d’exemplaires, qu’on se le dise ! Avis aux amateurs !

      

    *

    Dans notre livraison 545 du 10 / 03 / 2022 nous présentions trois vidéos, Hidden, Outlier, Sapiens, du groupe Aschen dans lequel nous retrouvions Clem Richard, son groupe Fallen Eigh dissout, nous les avions suivis tout le temps de leur ( trop courte ) existence, les mois s’accumulaient et malgré la promesse de Clem de reformer un groupe le temps avait passé, le Covid a joué les prolongations, et quelle surprise de retrouver Clem dans une nouvelle formation, Ashen, preuve que la braise rougeoie toujours sous les cendres.

    ASHEN

    Ashen n’a pas encore sorti de disques. Leur démarche est différente. A ce jour ils ont produit quatre vidéos, les trois que nous avons déjà présentées et une toute dernière, façon de parler puisqu’elle est déjà parue depuis neuf mois. Ils ne sont pas pressés, ils ont opté pour le label Out Of Line / Music, basé à Berlin, tout de suite l’on pense l’on ne sait pourquoi à Low de David Bowie, ces dernières années ce label s’est intéressé à ces nouvelles musiques issues du rock et du metal. Du son certes mais aussi un certain parti-pris esthétique. S’il est un mot caméléon qui ne veut plus rien dire, c’est bien celui d’esthétisme, car il peut être employé pour définir tout genre de style. Disons qu’il s’agit de la recherche d’une beauté qui entretiendrait des relations suivies avec l’Ange du Bizarre, cher à Edgar Poe.

    NOWHERE

    (Dirigée par Ashen, filmée par Aurélien Mariat)

    ( YT / Bandcamp) 

    Clem Richard : vocal : / Antoine Zimer : guitars / Niels Tozer : guitar, additional vocals / Thibaud Poully ; bass / Tristan Broggeat : drums.

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    Mise en scène d’une idée. Noire. Le clip fonctionne à la manière de ces puzzles dont il suffit d’assembler les pièces pour parvenir au résultat final. Je n’évoque en rien une jolie biche dans un sous-bois, pensez simplement à tous ces fragments de votre vécu qui une fois accomplis représenteront votre existence, n’oubliez pas que lorsque le dernier aura trouvé sa place, à l’instant où il sera intégré au reste de votre composition, votre vie sera achevée, car toutes les bonnes choses ont une fin. A cette nuance près qu’ici il n’y a que de mauvaises choses. N’avez même pas besoin de comprendre les lyrics ou de lire les mots qui s’écrivent en grosses lettres pour signifier les étapes du chemin, il suffit d’entendre et de voir Clem chanter. Les quatre musicos derrière lui, tout de noir vêtus, guitares noires et logo noir tatoué sur la grosse caisse, ambiance définitivement sombre. Bien sûr il y a du soleil, ces teintes jaunes et mordorées en toile de fond, pensez au titre du roman Le soleil des morts de Camille Mauclair, et vous comprendrez.  Clem est magnifique, une marionnette enragée transcendée par le désespoir, son vocal aspire la musique mortuaire de ses congénères, une splendeur riffique sans égale, vous n’entendez que lui, il vous conte comment le soleil qui se couche au fond de l’eau n’aspire qu’à la mort, et qu’il ne remontera plus jamais de l’abîme terminal. Vous avez des petites scénettes mélodramatiques, dont une assez surréaliste, vous êtes à la croisée symbolique des chemins de Paul Valéry et Jim Morrison,  avec un peu de chance vous en avez déjà interprété deux ou trois dans votre vie, à votre corps défendant, à votre grand regret, mais Ashen ose ce qu’il ne faut pas faire, le clip séditieux, si vous n’êtes pas trop idiot, vous avez repéré cet insigne métallique, avec sa croix christique inversé, mais ce qu’ils inversent c’est le sacrifice de l’ordre du temple solaire, l’on ne meurt pas pour trouver un monde meilleur mais pour ne plus supporter notre monde actuel. Nihilisme in nihilo. L’ensemble est un pur chef d’œuvre.

             Reste maintenant à regarder Ashen en live. Plusieurs enregistrements amateurs sont à disposition, parfois les prises de vue ne sont pas au top, la voix de Clem et les musicos s’en sortent bien. Mais si l’on compare avec les vidéos chiadées de Out Of Line, l’on se dit que le groupe se défend bien, toutefois la distance avec le produit fini est trop grande, ce n’est pas que le groupe n’est pas capable, ce sont les moyens qui manquent. Le groupe est là, mais le show est absent. Sans doute faudrait-il un véritable metteur en scène et des moyens financiers adéquats. Ils ont le son mais ils n’ont pas l’image. Ce n’est pas de leur faute. Les structures du metal français n’ont malheureusement pas la capacité d’offrir à un groupe comme Ashen, non pas une simple scène pro, mais une machinerie capable de restituer live de véritables créations dignes d’un opéra. D’où l’importance de soutenir un groupe d’un tel niveau.

    Damie Chad.

     

    *

    Encore un groupe que l’on suit. Depuis leur début. Ce clip ils l’ont gardé au chaud durant un an et demi, c’est un morceau issu de leur Ep sorti au joli mois de mai 2022.

    JEALOUSY

    CÖRRUPT

    ( Clip / Hardcore Worlwide ( Official 4K version HCWW ) / YT  )

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    C’est court. Moins de deux minutes. Oui mais ça vous arrive comme un coup de batte baseball sur le coin de la figure. Idéal pour chasser les idées noires. La preuve c’est qu’au début vous ne voyez que du vert. Des verres aussi, enfin des cannettes et un pack de bières éventré, mais nous étudierons cela après. Pas de panique, aucun besoin de prendre des notes. Bref un beau vert, entre gazon artificiel de terrain de football et tapis de billard. Posons le décor, un semi canapé cuir de vache limousine directement importé de Chine, un reste d’agapes liquides jonchent le plancher, une télévision fracassée. Toute ressemblance avec les rues de Paris durant la grève des éboueurs ne serait pas malvenue, toutefois question précision historique le clip a été tourné avant. C’est tout. Moins de 100 secondes, chronomètre en main. Un haiku hardcore. (traduction française un : Aïe ! coup encore ).

    Nicolas Pignoux n’est pas un pignouf, c’est lui qui sous le nom de NPX Production a eu la charge de réaliser la vidéo. S’est amusé comme un petit fou. Les quatre joyeux drilles de Cörrupt aussi. Ne leur a pas demandé de jouer. Juste de faire semblant. Pas tous ensemble. Pour procéder l’a dû se constituer une collection d’images animées. Des espèces de figurines Panini, joyeuses ou grotesques in action. Ensuite les a montées à la manière d’un prestidigitateur. Hop, t’étais là, t’as disparu. C’est réglé comme un ballet d’opéra. Ne manque que les petits rats parmi les détritus. Une chorégraphie totalement loufoque qui débloque. Un film muet, mais avec une bande son. Les acteurs ne prennent pas leur rôle au sérieux.  S’il fallait trouver un titre ce serait lendemain d’orgie sans nu descendant l’escalier. Pas de panique, il n’y a pas d’escalier. Ne tombez pas des nues. Une soirée de mecs qui a mal tourné, une répète épileptique, une scène de jalousie peu orthodoxe. A moins que ce ne soit un groupe de rock emporté comme fétus de paille par le souffle du morceau qu’ils viennent d’enregistrer.

    Un malin NPX, lorsque le morceau est terminé et que l’on n’entend plus rien, nous refile quelques secondes de rabe, avec Cörrupt qui nettoie le studio à toute blinde. Des garçons bien élevés. Ils lisent même la bible.

    Damie Chad.

     

    *

    Mister Doom 666 signale sur YT la sortie du nouvel EP de Jhufus, combo madrilène qui depuis 2019 a sorti l’équivalent de six EP, le titre de ce septième nous interpelle, n’avions-nous pas chroniqué dans notre précédente livraison 594 du 30 / 03 / 2023 Myesis de Telesterion premier volet consacré aux Mystères d’Eleusis ? Nous voici donc de retour à Eleusis avant l’heure présumée… 

    BACK TO ELEUSIS

    JHUFUS

    ( Pistes Numériques sur Bandcamp / Mars 2023 )

    Une couve monumentale représentant le propylée donnant accès à la grande salle de réunion télestérique du complexe architectural du sanctuaire d’Eleusis. Il est étrange de remarquer qu’alors que les couves des précédents EP ne se laissent pas facilement décrypter au premier regard, pour ces cérémonies hélas trop mal connues d’Eleusis Jhufus n’hésite pas à nous en mettre plein la vue avec cette entrée cyclopéenne des plus imposantes.  

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    Kykeon recipe : le kykeon est ce breuvage encore non formellement identifié offert aux adeptes lors de l’initiation, était-il fabriqué à base d’orge, d’eau, de lait, de vin, les avis divergent, longtemps il prévalait l’idée que la céréale utilisée était le seigle. Ce qui change tout, l’ergot de seigle est un champignon parasitaire de cette céréale dont les effets sont similaires à ceux du LSD… L’on en déduisait donc que les fidèles étaient ainsi soumis à des visions qui devaient être le moment le plus important de l’initiation… dans les années 70 une autre thèse a prévalu, le kykeon aurait été une boisson inoffensive, les visions étant simplement des hallucinations auto-hypnotiques générées par l’esprit surexcité des fidèles, explication peu convaincante, de nos jours il semble convenu les mystères étaient d’ordre purement symbolique, ce qui se discute : un gargouillis de liquide qui coule dans votre gorge, s’y mêle une basse fuyante scandée de quelques émoluments de tapotements battériels, les guitares se joignent à la course, a-t-on atteint le palier terminal assez décevant, longtemps l’on croit que l’on restera coincé sur ce diapason, surviennent des clinquances sur lesquelles embrayent des halètements distordus de basse, des bourdonnements d’avions s’éloignent dans une autre direction, le trip commence-t-il lorsque les riffs se dispersent en guirlandes fleuries… Back to Eleusis : résonnances de basse hautement feutrées, la batterie imite la démarche des impétrants, le drumming laisse la place à une zizanie zigzagante de guitare, les sons deviennent plus fort comme s’ils traduisaient des éclatements psychiques, ouvertures perceptionnelles, décollement subit, un clavier joue aux grandes orgues, fréquences vibraphoniques en apnée, l’on atteint à un niveau d’être un peu spécial, tous nos sens semblent communiquer entre eux. The mysteries experience : un son venu d’ailleurs, résonnances d’étranges musicalités, pulsation battériale le son se déploie, nos oreilles sont devenues des antennes spéciales, largement déployées pour accueillir l’étrange nouveauté de ces glissements acoustiques, brutalement la musique nous assomme, des ondes radios permettent encore de nous repérer dans un espace coloré qui adopte de multiples formes, de faux tortillements vocaux imitent les chants indiens rapidement balayés par une nouvelle arrivée sonore bousculante, des vents d’espaces violents nous emportent et nous emmènent encore plus haut, nouveau palier de compression auditive, nous ne savons plus où nous sommes, des roulements de batterie nous tourbillonnent comme des feuilles mortes, nous déposent l’on ne sait où. Enlightement : stase finale, les rythmes s’apaisent, redescendrions-nous, ou serions-nous parvenus au faite de notre expérience, couleurs pastels, de doux et féériques tintamarres nous enveloppent de leur soie auditive, le son des guitares s’allongent à l’infini, si vous ne voyez pas Dieu c’est que vous êtes devenus une parcelle du divin, supporterez-vous la cascade fanfarique qui se déverse sur vous, il est des orgies sonores qui essaient de reproduire l’extase de votre mort, peut-être est-ce cela que l’on appelle l’immortalité cette longue fulgurance se déclinant en berceuse définitive.

    Pas du tout désagréable mais l’on est plus près d’un trip hippie à consonnance orientalisante que de l’outrance des Dieux de la Grèce antique. Humain, trop humain.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

     

    EPISODE 22 ( Allusif  ) :

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    Les derniers conseils du professeur Laffont avaient été clairs :

    _ Evitez les grosses émotions, pas de sport, pas d’exaltation, je vous conseille une soirée calme, pas d’excitation, écoutez de la musique classique, par exemple en buvant une tisane, couchez-vous de bonne heure, dans la nuit votre cerveau vous donnera accès aux souvenirs les plus secrets stockés dans le subconscient de M. Lechef.

    J’ai suivi les prescriptions à la lettre, j’ai tout de même remplacé la tisane par quelques verres de moonshine, je me suis demandé si je n’allais pas écouter le premier disque de Black Sabbath, j’ai résisté à la tentation en optant pour les Gymnopédies d’Eric Satie, bref à minuit je dormais comme un loir, Molossa étirée de tout son long contre mon flanc gauche et Molossito roulé en boule dans le creux de mon aisselle. Avec de tels gardiens à mes côtés, j’étais prêt à me risquer à forcer les portes nervaliennes de corne et d’ivoire des rêves du Chef.

    121

    Bien sûr un agent du SSR ne dort jamais vraiment, il sait qu’à tous moments un danger peut survenir, les ennemis du rock ‘n’ roll sont nombreux sur cette planète, prêts à se débarrasser de ces farouches gardiens de la nation-rock qui jour et nuit montent la garde dans le seul but de préserver de toute attaque ce trésor culturel qu’est le rock ‘n’ roll. Ainsi au plus profond de mon sommeil, je ne perds jamais totalement conscience puisque lorsque je dors quelque part en moi quelque chose me dit que je dors. De même lorsque je rêve je sais que je rêve…

    122

    J’ai tout de suite eu l’intuition souterraine que l’opération transmutative de nos subconscients n’avait pas marché. J’ai immédiatement reconnu le rêve dans lequel j’étais entré, il me visite souvent, il faut dire qu’il est particulièrement hilarant. Un restaurant huppé fréquenté par l’élite parisienne m’ayant refusé l’entrée à cause de mes deux chiens j’étais revenu une quinzaine de jours plus tard avec Le Chef. La salle fumeur était comble, au milieu du repas le Chef avait allumé un Farso y Atrapo, une nauséabonde odeur de boule puante s’était répandue à la vitesse d’une bombe atomique, alors que nous croulions de rire autour de nous c’était Hiroshima, les serveurs vomissaient dans les assiettes, les enfants suffoquaient, les mères poussaient des cris stridents, courageusement les maris se battaient pour s’échapper en premier de ce cloaque odoriférant… une belle partie de rigolade, que nous nous remémorions souvent le Chef et moi-même lors des heures creuses au local, tiens une variante, le patron s’avance vers nous, en guise d’excuses et de dédommagements il nous emmène visiter sa cave à cigares, c’est moins marrant, nous parcourons des kilomètres et des kilomètres de rayonnages, le patron a disparu, tous les deux mètres le Chef s’arrête, allume un cigare  et commence à commenter d’abondance ‘’ Voyez-vous Agent Chad ce Tornado 47 ne saurait en rien rivaliser avec la saveur d’un Coronado 29…’’ c’est alors que je comprends que Le Chef partage avec moi un même rêve et que je suis bien rentré dans son subconscient…

    123

    Je crois que désormais je pourrais écrire une thèse de quinze cents pages sur les voluptés coronadiennes, je le confesse je me suis légèrement ennuyé à parcourir les rêves du Chef… au terme de quatre ou cinq heures l’ambiance a changé, je me suis retrouvé à marcher, je dis ‘’je’’, mais ce n’est pas moi, c’est le Chef, j’ai du mal à savoir où je suis, je suis incapable de définir le type d’endroit dans lequel je me trouve, ce n’est que petit à petit que je réalise que mon chemin est bordé d’arbres, de plus en plus resserrés, ce doit être une forêt, je n’arrive pas à m’en persuader, cette forêt me semble factice, pourtant je la parcours, l’herbe est rase, l’air est vif, des suites interminables de bouleaux et des sapins, maintenant uniquement de sombres conifères à perte de vue, pourtant je n’y crois guère, c’est immense mais j’ai l’impression d’un décor de théâtre, une expression s’affiche dans mon esprit, je suis dans une forêt de papier, ma remarque est idiote, ce n’est que peu à peu en faisant la relation bois / papier que l’évidence s’impose à moi, je ne suis pas dans une forêt mais dans un livre, dans la description d’une forêt, celui qui marche c’est moi, en fait je me suis projeté dans la tête du Chef, c’est lui le lecteur et l’homme qui marche c’est bien moi, à chaque mot lu par le Chef une de mes jambes exécute un pas, dans son souvenir le Chef lit un livre et moi je suis comme un personnage off qui n’existe pas dans le souvenir, c’est un peu comme quand un instituteur lit une histoire à ses élèves, l’élève qui écoute dans ma tête vit l’histoire, il l’imagine,  se la représente, il la suit selon une démarche personnelle, dans un univers parallèle. Brusquement je me réveille, Molossa et Molossito à mes côtés hurlent à la mort. J’ai du mal à les calmer. J’ai saisi mon Rafalos sous l’oreiller. Suis-je bête, si j’étais en danger ils n’auraient pas fait de bruit Molossa m’aurait averti en posant son museau sur mon jarret, les chiens me mettent en garde, c’est dans mon rêve que le péril me guette, comment le savent-ils, je n’en sais rien, ils le sentent, je peux leur faire confiance, d’ailleurs comme s’ils voulaient que je replonge dans mon rêve Molossito se pelotonne tout contre mon cœur et Molossa se colle contre ma tête, tous deux au plus près de ces parties de mon corps qui courent de grands risques, frôlerais-je l’accident cardiaque, vais-je devenir fou, tels les spartiates de Léonidas au défilé des Thermopyles un agent du SSR ne recule jamais, je respire profondément et je ferme les yeux.

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    Je me retrouve dans la forêt toujours en train de marcher, toutefois ma perception a changé j’ai la pleine conscience d’être dans un livre, pour une raison objective sur ma droite j’entrevois une bordure blanche, je comprends que c’est le blanc latéral droit qui borde la page, je peux donc continuer à marcher dans la forêt mais aussi me mouvoir sur la page même, je décide  de remonter vers le haut dans l’espoir que le titre de l’ouvrage et pourquoi pas le nom de l’écrivain apparaissent comme en frontispice au-dessus du texte, un usage topographique somme toute courant. Il m’est beaucoup plus difficile de réaliser cette opération, je dois couper ligne par ligne en me faufilant dans les intervalles qui séparent les mots ou en me glissant entre les interstices plus ou moins étroits entre les lettres. Je procède difficilement, le rêve vire au cauchemar, quand je passe sous la barre d’un t elle se transforme en une monstrueuse branche de sapin sur laquelle mon front s’en vient cogner, les jambes des p des j, des y, des q se muent en racines qui s’enroulent autour de mes pieds, les c se transforment en gueule ouvertes qui essaient de me dévorer, les o roulent vers moi comme de monstrueuses barriques qui cherchent à m’écraser, les m se changent en pythons interminables, les nœuds coulant des e  m’enserrent le cou, des X majuscules me barrent le chemin, les i me jettent des coups de point, je ne me décourage pas, je persiste, je me cramponne, je repousse, j’opère détours sur détours, je progresse slowly but surely comme le chante Ray Charles, ça y est j’y suis, je suis tout en haut, les lettres se détachent devant moi, je ne sais pourquoi, je pense au Hollywood sign ces grosses lettres géantes blanches sur les flancs escarpés de la colline Lee à los Angeles qui désignent la ville mythique du cinéma. Attention les images vacillent, je comprends que mon rêve s’estompe, qu’il ne me reste que quelques secondes, je tente un saut désespéré, je vole comme un aigle à la vitesse du vent, me voici sur l’autre page, tout en haut je lève la tête et je déchiffre la deuxième inscription, chance ce n’est pas la même que celle que je viens mémoriser, ce coup-ci c’est le nom de l’auteur, je l’ai, je me réveille, le réveil affiche huit heures du matin.

    125

    Neuf heures du matin, j’ai roulé comme un fou furieux, essoufflé je pénètre en coup de vent dans le local, le Chef est assis au bureau, il allume un cigare :

              _ Agent Chad pour une fois je vous félicite pour votre exactitude !

              _ Chef, je ramène aussi deux indices, nous tenons enfin une piste sérieuse !

              _ Agent Chad, pas de précipitation, procédons avec ordre et méthode, commencez s’il vous plaît par le commencement !

    Le chef est tout ouïe. Sans cesse il me coupe et exige des détails, il rallume un Coronado, lorsque j’ai fini de raconter la scène du restaurant, l’épisode de visite de la cave à cigares le ravit :

            _ Ai-je vraiment dit qu’un Tornado 47 ne vaut pas un Coronado 29 ? Je devais être dans un bon jour, un Tornado 47 arrive péniblement à se hisser à la hauteur, que dis-je au niveau de cette morne plaine de Waterloo, si bien chantée par Victor Hugo, de ces cigarillos de bas étage confectionnés avec des débris de havanes récupérés dans les centres de tri des ordures cubains et que l’on vend aux fumeurs de pacotilles.

    Pendant trois heures et demie j’ai droit à une étude exhaustive sur les mérites respectifs des différences marques de cigares à notre disposition dans les bureaux de tabac de par notre vaste monde… Mais le Chef ne se laisse point emporter par sa passion :

             _ Enfin Agent Chad, venons-en au fait, arrêtez de pérorer sur les Coronados, vous n’y connaissez rien, quels sont donc ces deux fameux indices ?

    A suivre…