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rockambolesques - Page 15

  • CHRONIQUES DE POURPRE 590: KR'TNT 590 : CROWS / JAC HOLZMAN / MARVA WHITNEY / DAN TRACEY / TELESTERION / ZINC ROOM / PATRICK EUDELINE / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 590

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    02 / 03 / 2023

      CROWS / JAC HOLZMAN

    MARVA WHITNEY / DAN TRACEY

     TELESTERION / ZINC ROOM

    PATRICK EUDELINE / ROCKAMBOLESQUES

    Sur ce site : livraisons 318 – 590

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    L’avenir du rock - Ice cream for Crows

     

             Quand il sent qu’il peut baisser sa garde, l’avenir du rock avoue volontiers qu’il n’a pas toujours eu la vie facile. N’importe qui à sa place s’épuiserait à vouloir défendre une idée aussi saugrenue que celle de l’avenir du rock, mais, n’étant qu’un concept, il doit impérativement se garder de trahir les idées qui fondent son existence, sinon il se périme. Pour mieux combattre ses hantises, il tente d’en faire ses alliées. Le temps qui passe ? On peut faire dire n’importe quoi au temps qui passe. L’avenir du rock n’aura aucun mal à se convaincre que le temps qui passe joue en sa faveur, et plus le temps passe, plus son architecture mentale se renforce. Et puis le rock n’est-il pas à l’image du cycle éternel de la nature, des groupes meurent et des groupes naissent, comme dans les images de Georges Rouquier ou d’Eisenstein, qui surent en leur temps filmer la renaissance de la vie au printemps ? Et puis n’est-il pas sain de dresser des autels pour célébrer tous ces cassages de pipes ? N’est-ce pas là l’occasion de montrer que le rock est un art qui transcende la notion même de mort ? Si on réfléchit cinq minutes, on constate que la mort n’est autre qu’une notion étriquée héritée des basses œuvres d’une Église Catholique qui détourna, comme le fit le Stalinisme, les notions fondamentales de partage et de renaissance pour mieux les trahir. Tant qu’il reste sur le terrain des idées, l’avenir du rock sait pouvoir tenir son cap et cultiver les prospectives. Par contre, il sait que le principal ennemi de l’universalisme spontanéïforme du rock, ce sont les médias et toutes ces couches numériques qui semblent vouloir promouvoir la médiocrité et, pire encore, semblent gagner jour après jour du terrain, pareilles à la gangrène qui ravage, dans un concert montant de pus et de puanteurs, le corps d’un matelot démembré lors de l’abordage. L’avenir du rock sait pertinemment que la qualité des grands artistes ne peut rien contre cette gangrène. Alors, il sait qu’il va devoir redoubler de vigilance et d’efforts. Assis près de sa fenêtre, il voit le spectre de la médiocrité numérique planer dans la nuit étoilée. Sous une grande cape noire, ce crâne de mort sourit de ses trente-deux dents semblables à trente-deux smartphones. Alors, bouleversé par le spectacle de cette horrible caricature, l’avenir du rock se dresse, brandit son verre de rhum et lance d’une voix forte : «Tant que j’aurai les Crows, t’auras pas ma peau !».

     

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             On ne dit pas les Crows, mais Crows. Ils ne sortent ni de la cuisse de Jupiter ni de celle de Captain Beefheart, ils sont tout simplement basés à Londres et comme tant d’autres - on peut citer Idles, Fontaine D.C., Yard Act - ils partent en quête du Graal. Tagada tagada. C’est bien que des petits mecs se prennent encore pour Lancelot du Lac. C’est bien que des petits mecs osent encore monter sur scène pour faire de l’art moderne. Crows s’apparente à cette vague post-punk que Gildas appelait la post et qu’il ne supportait pas. Il en va de même pour la plupart des amateurs de gaga. La messe de la post est dite depuis super-belle lurette, mais peu importe, la fête continue, enfin, si on peut parler de fête. Les gens de la post ne font généralement rien pour être aimables, ils optent pour un son agressif et insistent lourdement pour dire qu’ils ne vont pas bien. Ils poussent le bouchon du no future dans les orties, histoire de bien l’agacer, et dans leurs cervelles attaquées par des jus acides, le mot ‘mélodie’ résonne comme un blasphème.

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             Voilà que Crows débarque en Normandie. Tu sens tout de suite la présence des Anglais : scène dégagée, trois micros devant, Gibson Firebird noire et blanche. Même si ce n’est pas ton son, tu es tout de suite plongé dans le bain quand tu vois le guitariste arriver et envoyer sans crier gare ses première rasades de buzzsaw dévastateur. Il s’appelle Steve Goddard et il gratte comme un démon échappé de Boleskine House, il hante littéralement le son qu’il produit en continu. Il fait littéralement le show en s’auto-hantant. On a souvent vu des guitaristes faire le show dans des groupes pas très connus, mais celui-ci est un spécimen à part. Il reste extrêmement concentré, incroyablement actif, comme atteint d’hyperactivité convulsive, sous un air débonnaire de gros nounours, il perfore et il colmate en même temps, il orchestre des chapes de plomb et plombe ses chops, il déborde comme le lait sur le feu et il rabaisse le caquet du son avec l’inexorabilité d’un laminoir, il monte en neige et creuse des abîmes, il dessine des crêtes et repeint sauvagement l’horizon, on voit rarement des guitaristes créer autant de phénomènes astrophysiques en bougeant si peu les doigts, il fait même assez peu d’accords, il pince les deux cordes du milieu puis il monte et descend sur le manche, il crée des effets surprenants, il fond le son et glace l’atmosphère, il va d’un extrême à l’autre et grattant comme dix, car il n’arrête jamais son balayage infernal, les cordes de la Firebird tiennent bien le choc, car il  faut voir les dégelées qu’il leur administre, les rouées de coups qu’il leur inflige, la Firebird devrait porter plainte, c’est un jeu très physique, incroyablement brutal, un jeu cruel qui s’enracine dans le wild punk craze, voilà bien toute la magie des groupes anglais, on peut faire la fine bouche sur la post et dire d’un air évaporé, «Oh ce n’est pas ma câââme», il n’empêche que Steve Goddard te claque un sacré beignet. Tout le buzz de Crows repose sur ses épaules, il assume bien son rôle, il fait plaisir à voir, on se sent bien au pied d’un tel guitariste. Il gratte tout ce qu’il peut pendant une heure, il bâtit des cathédrales dans une nuit éclairée par les flammes, il jette des câbles pour aller funambuler au-dessus du néant, il fait son Jonas et s’arrache du ventre de la baleine, il s’évade de sa cage comme le fit Houdini, il défie le Kremlin comme l’osa Kundera, il frappe comme Thor sur son enclume, il boom-badabooome comme dix Grosses Berthas, il scie des forêts entières et avale sa progéniture, comme le fit Saturne en son temps.

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             Et puis tu as le chanteur, James Cox. Grand, brun, athlétique, il se donne des faux airs de va-pas-bien et plonge parfois son regard de fou dangereux dans ceux des gens du premier rang, histoire de les épouvanter, mais on voit bien qu’au fond il n’est pas méchant. D’ailleurs il remercie les gens d’être sortis par ce froid de canard. C’est drôle, ça nous rappelle une soirée au Nouveau Casino, en 2003, il devait y avoir tout au plus dans la salle dix personnes venues voir Brian Auger, qui lui aussi remerciait les gens d’avoir bougé leur cul au cœur d’un terrible hiver. James Cox chante parfois avec des faux airs de John Lydon, oh ce n’est pas qu’il n’en ait pas les moyens, mais ça le crédibilise d’essayer. En tous les cas, il a beaucoup de chance de pouvoir s’appuyer sur un Steve Goddard qui fait encore plus de ravages que tous les orgues de Staline déployés sur le front russe en 1943. 

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             Leur premier album s’appelle Silver Tongues. Avec les groupes qu’on ne connaît pas, on craint toujours le décalage entre la scène et le studio.

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    L’usage veut qu’un groupe soit plus intense sur scène. On peut écouter Silver Tongues sans crainte : l’album est excellent. Ils démarrent sur le big atmosphérix du morceau titre et te replantent le décor du concert : l’heavy dump te tombe sur l’haricot, Steve Goddard déclenche l’enfer sur la terre, il explose le barrage contre le Pacifique, il noie le spectre de son à coups de Firebird. Ça sent bon le napalm. Ils font du big heavy abattage, du wild as fuck, tu ne peux pas résister à une telle marée. Leur truc, c’est l’invasion des continents. Goddard gorge chaque cut de son. En studio, Crows convainc autant que sur scène. Leur «Wednesday’s Child» est violemment bon, Goddard navigue dans la tempête, c’est extrêmement bien balancé. Belle énormité que ce «Hang Me High», Eole Goddard souffle des vents d’Ouest et pique ensuite une belle crise de heavyness avec «Crawling». Ces quatre petits mecs développent une rare ferveur de rockalama fa fa fa, les montées sont brutales et les descentes spectaculaires, c’est un mix surnaturel de big atmospherix et de dynamiques de Crows. Power absolu ! Leur intégrité impressionne. Ils passent leur temps à lever des tempêtes. Dans «Tired & Failed», Alex Cox est vite rejoint par la cavalerie. Il a un sens aigu de la harangue. Crows est un groupe magnifique, ces gens-là maîtrisent bien les grosses ambiances. Leur son se savoure, surtout les lampées incendiaires de Steve Goddard. Avec «First Light/False Face», on approche de la fin. C’est encore un cut heavy et vraiment bien foutu. Ils sont dans un son qui leur appartient, fabuleusement embarqué, absolument déterminant. Le petit dernier s’appelle «Dysphonia» et t’envoie valdinguer dans des horizons demented. Le son sature l’écho des tombes. Ils sont le futur du no future.

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             Leur deuxième album s’appelle Beware Believers et sort sous une pochette aussi ésotérique que celle du premier album. On croit voir des beaux motifs de tatouages, avec quelques clins d’œil surréalistes. L’album vaut de déplacement, même s’il n’est pas aussi intense que le précédent. Ils démarrent avec un «Closer Still» tapé au carré d’as et quasiment stoogy. Le beat est si dur qu’il rebondit, ici, on ne mégote pas avec la marchandise, c’est du stomp à l’anglaise et c’est pulvérisé en plein gloire. Mais dès le cut suivant, on note une profonde transformation du mix : James Cox est au-devant et Steve Goddard dans le fond. Alors ça vire post-punk. Steve Goddard n’aurait jamais dû accepter d’être répudié. On perd le jus primal de Crows, même si ça reste du Big Atmospherix. Steve Goddard se cantonne dans son rôle d’essaim d’acier et les dynamiques d’«Only Time» sont fabuleuses. Ils se débrouillent toujours pour tarpouiner un biz de cathédrale, mais le son est trop canalisé. Ils frisent même parfois le U2. On commence à zapper des cuts, ce qui est très mauvais signe. Le mix mise trop sur le chant, mais ce n’est pas le chant qui fait le son de Crows, on était bien placé pour le savoir, l’autre soir. Cette fois ils virent trop Joy Division, ça devient trop prévisible. «Room 156» sonne comme une catastrophe, ils perdent leur power, ils sont en panne au bord de la route. Il faut attendre «Meanwhile» pour renouer avec l’abattage. Ils sonnent même comme Oasis et ça explose enfin. On est là pour ça, pour les explosions. Le final somptueux de «Meanwhile» nous réconcilie avec la vie et ça repart de plus belle avec «Wild Eyed And Loathsome», pus jus de Big Atmospherix, les descentes t’enflamment l’imagination, ils font du wild turn around explosé à la jugulaire. Tu en prends encore plein la barbe avec «The Servant», on croit voir une horde barbare cavaler à travers la plaine, et ils atteignent enfin la démesure avec «Sad Lad». Quelle dégelée ! Tu assistes en direct à la chute de l’Empire Romain. Ce Sad Lad est tellement gorgé de son qu’il en devient vénéneux, le son te ronge, le son te rattlesnake le snook, t’es baisé, et l’autre fou de James Cox chante dans une mare de venin sonique, c’est du jamais vu, mais tu t’en fous, au point où tu en es, le jus de son te coule dessus, c’est une sensation atrocement bonne, atrocement permanente, Steve Goddard est un mage puissant, il transmute la Soul malade de Crows, il fait du pur Technicolor, sa guitare te crève le paradigme et tu bascules dans un au-delà du revienzy, tu ne sais même plus s’il fait bon vivre ou mourir, tu t’annihiles entre deux eaux qui sont probablement les eaux glauques de la dégénérescence.

    Signé : Cazengler, Crow con

    Crows. Le 106. Rouen (76). 9 février 2023

    Crows. Silver Tongues. Balley Records 2019

    Crows. Beware Believers. Bad Vibration Recordings 2022

     

     

    Jac of all trades- Part Two

     

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             Dans son gros pavé - Becoming Elektra: The True Story of Jac Holzman’s Visionary Record Label - Mick Houghton rappelle que Jac Holzman consterna ses collaborateurs en ramenant les Stooges et le MC5 chez Elektra. Mais ils se racheta à leurs yeux en signant un gang de sessionmen qui allaient devenir Bread. Une façon comme une autre de passer d’un extrême à l’autre. Certains pourront reprocher à Jac une certaine forme de versatilité. Mais ce serait une erreur. Jac ne fait que revenir à ses préférences, la friendly pop et le gentle folk. Pour les Stooges et le MC5, il s’en remettait à Danny Fields. Il s’agissait d’une preuve de confiance, ce qui est tout à son honneur.

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             Jac avoue un faible pour David Gates et le premier album de Bread : «I loved the first album, but Crosby Stills & Nash had come out two weeks earlier and were all the rage. Au plus profond de moi, je savais que si on continuait de les enregistrer, the hit singles would emerge.» Jac n’était pas le seul à penser le plus grand bien de Bread. Lester Bangs nous dit l’Houghton comparait Bread aux Beatles, aux Byrds, aux Bee Gees et à Buffalo Springfield. Le premier album de Bread qui s’appelle Bread paraît donc en 1969. Pas de miche sur la pochette, ouf. Les boulangers viendront plus tard, au dos de la pochette du troisième album. En 1969, les Bread sont trois et le boss s’appelle David Gates, c’est lui le surdoué de service qu’a repéré Jac. Attention, il ne se passe pas grand-chose dans ce bel album Elektra. On ne sauve qu’un titre, «Could I» où Gates se prend pour les Beatles, il va chercher le fameux unisson du saucisson, c’est très anglais comme son, my son. On se croirait sur le White Album. On voudrait bien en pincer pour «Move Over», mais ça ne marche pas. Cette pop est trop pleine de bonnes intentions. Avec «It Don’t Matter To Me», Gates se prend vraiment pour John Lennon. C’est fin, très bien chanté, orchestré à outrance, bien ancré dans l’écho du temps. Il reste dans une ambiance de belle pop anglaise avec «Friends And Lovers», le groove sonne incroyablement juste, on pense encore aux Zombies ou aux Beatles car c’est d’une qualité et d’une ambition typiquement anglaises. Comme avec Michael Chapman, c’est en arrivant à la fin de l’album qu’on réalise à quel point c’est bien foutu.

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             De la même façon que les autres albums de Bread, On The Waters n’est pas l’album du siècle. Il faut commencer par trier pour n’écouter que les compos du petit Gates, comme par exemple «Make It With You», belle giclée intimiste. De toute évidence, le petit Gates vise la pureté mélodique. Par contre, les cuts plus musclés ne sont pas bons. Berk. Le «Been Too Long On The Road» qui boucle le balda est assez fin, même quasi Buffalo Springfield. En B, on sauve «I Want You With Me», un balladif swingué qui sent bon le soleil. Ces mecs-là sont en bonne santé, bien bronzés, ils chantent au doux du doux.

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             Les Bread tournent au rythme d’un album par an et de deux merveilles par album. C’est déjà pas mal. Pour enregistrer Manna, ils sont quatre. La merveille s’appelle «Too Much Love», petit balladif de rêve. On peut même parler de pop lumineuse. Ils font aussi du gros rock américain de type Bachman Turner («Let Your Love Go») et ils sonneraient presque comme Steppenwolf sur «Take Comfort». Les harmonies vocales d’«He’s A Good Lad» sont celles d’«All You Need Is Love». En B, on voit le petit Gates flotter dans l’azur immaculé : il n’est jamais loin des Beatles, comme le montre encore «What A Change». Par contre, le trop musclé de «Truckin’» ne leur va pas du tout, mais alors pas du tout.

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             Guitar Man arrive en 1972 avec sa pochette friendly bien dessinée. Le petit Gates fait merveille dans le morceau titre avec son talent fin et discret à la Paul Simon, même approche de la douceur de vivre et du vieux précepte de Gide à propos de la chose regardée. Avec «Sweet Surrender», on voit bien que le petit Gates a un tour de main particulier. Il sait se rendre indispensable de temps en temps, il approche d’une mélodie avec l’air de rien et le charme opère sans qu’on ne lui ait rien demandé. Alors on fait comme le petit Gates le prescrit, on surrender. C’est en B qu’on retrouve son côté anglais avec «Yours For Life», cette belle façon de chanter perché dans l’harmonie. Il est bien le petit Gates. Pour être tout à fait franc, on ne l’écoute que par respect pour Jac.  

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             Son plus gros hit se trouve sur Baby I’m-A Want You : «Everything I Own». Pure magie - I’ll give you everything I own/ Just to have you back again - Il la supplie de revenir au bercail. Jac avait raison de miser sur le petit Gates, car voilà de la grande pop américaine, sans doute le cut qu’il faut emmener sur l’île déserte - Just to touch once again - En B, il se montre plus ambitieux avec «Dream Lady», il ramène des vieux solos d’orgue et de guitare. Il termine avec un «Just Like Yesterday» ultra-violonné, puis un heavy boogie sans aucune originalité («I Don’t Love You»). C’est d’ailleurs l’originalité qui leur fait le plus défaut. Le petit Gates et ses amis sont très conventionnels. À cause de Jac, on attend d’eux des éclairs.   

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             Zéro éclair sur Lost Without Your Love, leur ultime album Elektra. Le petit Gates est un séducteur, il chante son «Hooked On You» au fondant de chèvre chaud. Ces quatre mecs sont contents : au dos de la pochette, on les voit rigoler au soleil. Ce que confirme «She’s The Only One», une belle pop californienne pleine d’allure et de joie de vivre. Sur l’album, tout est traité sur le même modèle, celui de la romantica d’Elektra («Lost Without Your Love») ou de la pop ambitieuse («Fly Away»). En B, ils passent au boogie rock avec «Lay Your Money Down», ils se montrent capables de rockalama avec du son, ils flirtent à la fois avec Little Feat et les Status Quo. «The Chosen One» sent bon le confort moderne et la lumière californienne. Real good time music avec «Hold Tight», idéal pour un mec souriant comme le petit Gates.

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             Le succès de Bread nous dit Houghton pava le chemin vers Carly Simon et Harry Chapin dans les années 70, «two exceptionnal songwriters qui au plan stylistique, allaient  à contre-courant des tendances de l’époque et qui incarnaient le genre d’artistes doués et intelligents qu’Holzman attirait et admirait tant.»

             Phil Ochs fait partie lui aussi du vivier Elektra. Houghton s’étend longuement sur l’Ochs, le décrivant comme le rival de Dylan. Il fait parler Jac à ce propos : «Phil admirait l’extraordinaire imagination et les qualités d’écriture de Dylan et ça le mettait en colère de ne pas pouvoir l’égaler. Le plus ennuyeux c’est que Dylan n’éprouvait aucun sentiment de rivalité avec quiconque. Il se savait sur un nuage, loin au-dessus des mesquineries.» Pour l’Houghton, Phil Ochs était l’un des meilleurs songwriters du Village, «un vrai agitateur politique qui écrivait des chansons passionnées à propos des vrais gens et d’événements réels.»

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             Le premier album qu’enregistre Phil Ochs en 1964 sur Elektra s’appelle All The News That’s Fit To Sing. Il est enragé, mais on s’aperçoit très vite qu’il n’est pas Dylan. Il gratte tout ce qu’il peut, c’est un bon artisan du protest. Il n’y a que ça qui l’intéresse, le protest. Mais comme chacun sait, le protest vieillit mal. Désolé, Phil, mais on s’ennuie comme des rats morts. De la même façon que Dylan, il rend hommage à Woody Guthrie avec «Power & The Glory» et «Bound For Glory». Quand il se calme, il tape des petites ritournelles comme «Celia», mais il n’a pas les mélodies. Il gratte ses poux tout seul et ne parvient pas à passionner. Vers la fin, il s’en prend au free world, Cuba et la CIA dans «Ballad Of William Worthy». C’est dans le combat contre l’injustice qu’il est le meilleur, par exemple avec «Too Many Martyrs» - His colour was his crime - Il évoque les lynchages

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             Paru l’année suivante, I Ain’t Marching Anymore est un album nettement supérieur. Phil fait son protest à la force du poignet, le morceau titre d’ouverture de balda est brillant. Il finit par convaincre avec «That’s What I Want To Hear». Il fait encore autorité avec «Iron Lady», il surplombe son protest et bascule dans l’Americana avec «The Highwayman» - And the highwayman came riding - Phil devient le storyteller de tes rêves les plus inavouables - The highwayman came riding/ Riding - Il met toute son énergie dans «Links On The Chain» et ça devient énorme. Mais c’est avec l’extraordinaire «Here’s To The State Of Mississippi» qu’il entre dans la cour des très grands. C’est un réquisitoire contre l’état le plus raciste d’Amérique - Mississippi/ Find yourself another country to be part of - Il les prend un par un : the people of Mississippi (Oh, they smile and shrug their shoulders at the murder of a man), the schools of Mississippi (And every single classroom is a factory of despair), the cops of Mississippi (And behind their broken badges there are murderers and more), the judges of Mississippi (When the black man stands accused the trial is always short), the laws of Mississippi (Yes, corruption can be classic in the Mississippi way), the churches of Mississippi (Oh, the fallen face of Jesus is choking in the dust/ And heaven only knows in which God they can trust). Il rejoint Dylan au firmament de la chanson politique. Alors on félicite Jac d’avoir fait paraître un tel album.

             L’Houghton soulève un truc bizarre : dans le film que Scorsese consacre à Dylan, il n’est fait mention nulle part de Phil Ochs. Alors l’Houghton livre son interprétation : «Il est clair à mes yeux que Phil avait une réelle influence sur Bob. Sa rage et son courage sautaient aux yeux.» Van Dyke Parks voit en l’Ochs le vrai incorruptible : personne ne pouvait l’acheter - For me he was the pole star of the counter culture, because he was incorruptible and beyond purchase.

             Ses chansons ne baissèrent jamais en qualité, même si en 1967, il abandonna le folk pour enregistrer chez A&M quatre extraordinaires albums de pop iconoclaste et expérimentale, qui comme Ochs lui-même, n’étaient pas du tout adaptés au monde qui l’entourait.

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             L’un des albums préférés de P.F. Sloan est celui que Phil Ochs enregistra en 1967, Pleasures Of The Harbor. La pochette est un peu foireuse, mais Sloan a raison, il y a des moments de grâce sur cet album. Pas de hit, mais des moments de grâce, c’est déjà pas mal. On s’amourache de la voix d’Ochs en écoutant «Flower Lady» : il part à la recherche du beau. Mais en même temps, il alambique un peu les choses. Son drame c’est de faire des chansons qui ne sont pas des hits, à la différence de Sloan et de Fred Neil, que Sloan cite aussi en référence. Sur «I’ve Had Her», l’Ochs a de faux accents de Donovan, et les flûtes s’en mêlent. Who needs an American Donavan ? L’album se réveille en fin de balda avec «Miranda» - She’s a Rudoph Valentino fan - et ses trompettes de dixieland, alors un doux parfum de nostalgie fait dresser l’oreille. La B offre ses petits moments de grâce avec «The Party» où l’on entend le thème de piano de «Smoke Gets In Your Eyes». Ça part en mode Ochs et ça devient captivant, avec une stand-up en contrepoint. Sloan a raison, on finit par se faire avoir. Le morceau titre ne fonctionne pas, malgré tous les violons du monde. L’Ochs termine avec «The Crucifixion», une chanson extrêmement ambitieuse, peut-être même trop ambitieuse. L’ambition est une discipline difficile. Il faut savoir s’en donner les moyens.

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             On s’ennuie un peu sur Tape From California paru en 1968. Dommage, car la pochette est belle, mais Phil sonne trop bucolique, trop agneau innocent. Il reste pendant toute l’A dans son vieux schéma protest-song à la mormoille. Quand ce n’est pas ton son, ce n’est pas ton son. Son «Joe Hill» n’est même pas celui de Joan Baez, c’est du pur jus de folky-folkah. Et puis voilà le coup de génie en B : «When In Rome». Il tente le coup du Big Atmospherix en alternant les climats légers et les climats lourds de conséquences, il injecte enfin un pur jus de mélodie chant et il monte au sommet de son lard. Quel dommage que les autres compos ne soient pas de ce niveau. Le voilà grimpé au sommet de l’Ararat, il excelle dans l’élévation, il devient élégiaque et puissant - When in Rome/ Do as the Romans do - Il a même de faux accents dylanesques au plus fort du raz-de-marée. Le voilà donc sorti du format Protest. Ouf !

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             L’Houghton revient aussi longuement sur le fameux Greatest Hits de 1970 qui n’est pas un Greatest Hits. Sur la pochette, l’Ochs porte un costume lamé de Nudie, comme celui que portait Elvis. A&M met le paquet, car l’album est produit par Van Dyke Parks, avec en backing Clydie King et Merry Clayton. Superbe ambiance et ce dès «One Way Ticket Home». Phil fait un peu de country («My Kingdom For A Car») et de folk anglais («Boy In Ohio») puis en B du rock’n’roll avec des accents country («Basket In The Pool») et retour à la country pure avec «Chords Of Fame» qu’il chante avec une fière allure. «No More Song» est le cut prophétique, puisqu’il s’agit du dernier album de Phil Ochs qui va aller ensuite se pendre chez sa frangine.

             Autre figure de proue d’Elektra : Lonnie Mack, un peu absent de l’autobio de Jac mais salué comme il faut par l’Houghton dans son pavé. Russ Miller raconte qu’un soir Lonnie Mack s’est pointé chez lui avec deux albums sous le bras. Il dit à Russ : «Put your ears between those speakers and smoke one of these and don’t say anything.» Russ : «Le premier album était un album de Roberta Flack. I freaked. Le deuxième, un album du Nashville singer-songwriter Mickey Newbury qui m’a tellement bouleversé que j’ai pleuré.»

             Jac voyait Mack comme un artiste fascinant : «En l’enregistrant, on suivait une tradition, mais une tradition différente de celle qu’on avait suivie chez Elektra. Lonnie avait enregistré des singles pour the R&B and pop market et on a essayé d’en faire un album artist. He had a terrific voice, but people wanted to hear him play fast guitar.»

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             Glad I’m In The Band est le premier des trois albums qu’il enregistre sur Elektra. Attention, c’est un gros disque ! Quelques énormités se nichent sur cet album, à commencer par «Why» que Lonnie chante au guttural, mais un guttural un peu spécial qui est celui de l’homme qui parvient à braire à force de souffrir. On sent chez lui le Soul brother blanc de haut rang, le même genre de carcasse que Greg Dulli. Il sait aller chercher le raclement de gorge impavide. Et puis c’est un guitariste vraiment hors du commun. Avec «Save Your Money», il nous sort une belle pièce de white r’n’b. On en arrive aux choses sérieuses avec «Too Much Trouble», un blues-rock monstrueux, monté sur un énorme bassmatic. Quand Lonnie part en solo, il peut atteindre les limites de la démence. Il joue comme un punk au doigt tremblant. En B, on retrouve une version de «Memphis». What a version, my friend ! Lonnie la ravage d’un solo en vrille. On comprend qu’il ait pu fasciner Duane Allman et Jeff Beck. Et voilà «Roberta», une grosse praline de boogie blues. Lonnie y balance un solo infernal. Il est probablement l’un des guitaristes les plus fulgurants de l’histoire du rock. Les autres cuts sont de la Soul blanche. Lonnie va chercher en lui les ressources pour pondre le meilleur le mélopif cuivré du Midwest.

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             Avec Whatever’s Right paru en 1969, on est au cœur du groove. Lonnie attaque avec un «Untouched By Human Love» embourbé dans le meilleur mud, avec des rafales de Flying V en fond de toile. C’est l’une des plus belles pioches de blues-rock américain. Tim Drummond joue un bassmatic de grand chef. Voilà un cut digne des grandes heures d’Albert King. Mack tape dans Bobby Womack et reprend «I Found A Love». Il adore chanter comme James Carr, à la glotte tremblée et la lippe tendue vers l’inaccessible étoile. Le cut est bon, car il est signé Bobby Fricotin. Et Lonnie envoie des gros coups de Flying V dans le gras du lard fumant. Il revient au boogie traditionnel avec « Share Your Love With Me ». Ça swingue ! Ah pour ça, on peut lui faire confiance. Et on entend les jolis chœurs des Sherlie Matthews Singers. Il prend un beau solo au timbre fêlé d’oxyde et nous offre un final hurlé à la yah yah. Fulgurant ! Il reprend aussi le fameux «Baby What You Want Me To Do» de Jimmy Reed avec une belle agressivité. Il envoie de jolies rincettes de distorse et chante comme le dieu du boogie, avec un brin de salive sur la glotte. En B, on tombe sur un «Mr Healthy Blues» digne de Roy Buchanan, un blues extraverti sevré de guitare et monté au bass boom de Tim Drummond. Mack envoie un solo languide qui s’en vient couler au long du twelve bar-bu avec une sacrée classe. Son blues est gorgé de son et de talent. Il fait aussi une version du «My Babe» de Big Dix et la farcit d’un solo de punk. Mack est le killer du Nevada. Il suffit de voir sa photo au dos de la pochette. Il fout un peu la trouille.

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             On passe au bucolic avec The Hills Of Indiana paru en 1971. Lonnie se retire du circuit et reste assis contre un arbre pour observer sa vallée à longueur de journée. L’album se veut à la fois calme et beau. Le seul cut un peu remuant est le premier, «Asphalt Outlaw Hero», enregistré à Muscle Shoals et qui par son côté foisonnant et sa chaleur de fournaise semble porter la marque du diable. Les beaux cuts se nichent en B : «Rings», balladif groovy et lumineux, et puis «The Man In Me», balladif de haut vol qui sent bon l’intégrité. On sent à l’écoute du cut que Lonnie Mack n’est pas un baltringue. On note aussi la présence de Don Nix sur les deux derniers titres de la B : il joue du sax sur «All Good Things Will Come To Pass» et toute l’équipe de Muscle Shoals se regroupe derrière Lonnie. Don Nix chante le dernier cut, «Three Angels» qui est en fait une sorte de gospel blanc.

             Russ Miller rassemblait des musiciens, à Memphis et à Muscle Shoals, Don Nix et Martin Greene. L’Houghton nous raconte cet extraordinaire épisode : «Lonnie Mack devait diriger a funky music extravaganza, a knock-down version of Mad Dogs & Englishmen, but without the superstar razzmatazz. Dans le groupe, il y avait le groupe de Lonnie, a Muscle Shoals band, Don Nix, and Marlin and Jeanie Greene, all under the banner The Alabama State Troupers With The Mount Zion Choir & Band. Mack disparu six jours avant le commencement de la tournée. Miller réussit à le retrouver. Il s’était planqué dans une ferme, au fond d’une forêt du Kentucky. Mack refusait de faire la tournée. Dans un rêve, le diable l’avait menacé lui et sa famille, et en se réveillant il avait trouvé sa bible ouverte sur le passage : ‘Flee ye from Mount Zion.’ C’est Furry Lewis qui fut engagé pour le remplacer et le double album ‘Road Show - The Alabama State Troupers’ est paru sur Elektra.»  

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             Don Nix monte les Alabama State Troupers avec Tarp Tarrant, le batteur qui a joué 13 ans pour Jerry Lee, Clayton Ivey aux keyboards, Wayne Perkins et Tippy Armstrong aux guitares. Il ajoute un deuxième batteur, Fred Prouty, qui jouait chez Rick Hall, et Brenda Patterson aux backing vocals - It was a hell of a band - Pour la photo, ils posent tous devant une église baptiste. Comme l’écriteau indiquait «The Mount Zion Middle Baptist Church», il baptise le groupe The Alabama State Troupers With The Mount Zion Band And Choir. Le double album paraît en 1972. Attention, ce n’est pas un album facile. Don Nix propose en effet un capiteux mélange de country blues et de gospel, qui sont pour lui les racines du Memphis Sound. On entend donc Furry Lewis sur une face entière. Ce vétéran du Beale Street Sound joue fin et claque des petits coups de bottleneck. On l’ovationne. L’homme est d’une extraordinaire gentillesse - Hank you - Il chante le blues traditionnel des années vingt - And I went to the gypsy/ To get my hambone done - et il se moque gentiment des racistes dans «I’m Black» - Some people don’t like that colour/ But I sure like mine - On se régale de cette leçon de country-blues et de cette diction à l’ancienne. En D, on tombe sur une série de boogies ‘sudistes’. On y entend ce démon de Tarp battre le beurre et Brenda Patterson chante dans les chœurs de Zion. C’est du gros boogie rock seventies surchargé de chœurs de Zion. On se croirait chez Leon Russell. Par contre, Don Nix commet une erreur : il met en avant Jeanie Greene pour chanter le gospel rock de «My Father’s House» et ça ne marche pas du tout, mais alors pas du tout. On sent les limites de la voix blanche. Jeanie n’a pas l’allant d’une Mavis. On trouve encore du gospel en B, notamment ce vieux classique repris par les Staples, «Will The Circle Be Unbroken». Don Nix respecte bien les fondamentaux du Memphis Sound System, malheureusement, c’est lui qui chante, et pour chanter le gospel batch, il vaut mieux disposer d’une vraie voix. Et quand Jeanie Greene reprend le lead dans «Mighty Time», même chose, elle se vautre. Il lui manque deux choses essentielles : le groove et la Soul. Brenda est un peu plus wild, comme on le constate à l’écoute de «Jesus On The Main Line». Elle s’énerve toute seule et cherche à incendier la plaine, mais tout le monde n’est pas Bonnie Bramlett. Voilà enfin un hit en B : «Yes I Do Understand», un gospel batch poppy joliment amené par la joyeuse assemblée. Excellent ! Et puis en C, Don Nix s’en va chevaucher dans la Sierra. S’ensuit un peu plus loin «Heavy Makes You Happy», un boogie-rock encore une fois digne de Tonton Leon. Ça sent bon la grosse équipe, le surnombre et les vétérans de toutes les guerres. Nix termine avec «Iuka», un gros boogie blues dans l’esprit de ce que faisait Johnny Winter. Nix y va au guttural. On se croirait presque sur Johnny Winter And Live.

             C’est Russ Miller qui amène Mickey Newbury chez Jac. Ben Fong-Torres le décrivit comme «the troubadour answer to Frank Sinatra’s late 50s Only the Lonely period». En 1970, pas mal de gens reprenaient les chansons de Mickey. L’Houghton cite Willie Nelson, Eddy Arnold, Don Gibson, Roy Orbison et Kenny Rogers & The First Edition. Bizarrement, il oublie les Box Tops. L’Houghton trouve la voix de Mickey aussi distinctive que celle de Tim Buckley. Aux yeux de Chips Moman, Mickey fait aussi partie des grands auteurs américains.

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             Ce que confirme Frisco Mabel Joy paru en 1971. Dès «An American Trilogy», Mickey rend hommage  à son cher Dixieland. Il chante à la pure éplorée sentimentale. Cet homme chante avec une extrême délicatesse, c’est ce qu’il faut retenir de lui. Avec «Mobile Blue», il va plus sur la country avec un fantastique exercice de railway station et de take me away. Beau shoot de country et de Lord I get home Mobile Blues today. En B, il tape dans le Dylanex avec «You’re Not My Same Sweet Baby» et il ajoute : «But I’m not the man/ That can change it for you.» Il a une façon de dire sweet baby lady qui a dû en faire fondre un paquet - I’ll just pack my bag & be silently gone - C’est l’un de ces chansons terribles sur l’incommunicabilité des choses de la vie. Il donne ensuite une fantastique ampleur mélodique à «Remember The Good» - For all the times I tried/ I wouldn’t change it if I could/ For all she meant to me/ I’ll remember the good - Brillant Mickey.

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             La perle d’Heaven Help The Child paru en 1973 s’appelle «Song For Susan». Mickey pousse bien le bouchon de la beauté. On comprend que cet homme soit sur Elektra, un label d’exception. On peut aussi contempler l’envol du morceau titre, en ouverture de balda. Ce mec a autant de son et d’énergie mélodique que Jimmy Webb. Il propose en permanence une pop balladive d’une rare beauté, une sorte d’intimisme intense. Il ne semble vivre que pour le beau, qui est en fait un idéal. Il ne vise que l’excellence. Dans l’esprit, son «Sunshine» est assez proche de ce que propose Fred Neil sur MacDougal. Quand il fait de la country, comme c’est le cas avec «Why You Been Gone So Log» en ouverture de bal de B, il reste envoûtant, si diablement envoûtant. Mickey Newbury est l’un des géants de Nashville. Il construit la mélodie de «Coretella Clark» comme le ferait Paul Simon, il cherche un fil d’argent mélodique, c’est d’une grande pureté.  

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             Pour la pochette d’I Came To Hear The Music, Mickey se fait une tête d’Abraham Lincoln.   On retrouve sur cet album enregistré à Nashville des rescapés d’American : Mike Leech et Bobby Emmons. Mickey fait du balladif country très romantique («You Only Love One (In A While)»). Il estime qu’on vit between the first tear & the last smile ou encore between the first step & the last mile, pour les besoins de la rime. Bon alors attention : toutes les compos de Mickey ne sont pas de bombes sexuelles. Il faut garder ça bien présent à l’esprit. Ça évite de se plaindre quand on est déçu par l’un de ses albums. On peut s’y ennuyer, il faut le savoir. Mais on comprend la logique de Jac. En B, Reggie Young vient allumer la gueule de «Dizzy Lizzy». Il joue en embuscade derrière les coups d’acou sauvages de Chip Young. Reggie fait un travail herculéen dans la matière du lard - And rock’n’roll was nothing/ But the blues with a beat - Mickey se fend plus loin d’une belle rengaine sur la mort de l’amour («Love Look (At Us Now)») - I no longer know what to say/ When I come around you - Et il termine sur un «1x1 Ain’t 2» embarqué à la fantastique énergie du country rock de Nashville.

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             Selon l’Houghton, Lovers enregistré en 1975 représente the pinnacle of Newbury’s recording career. L’homme sait chanter, on le voit très vite avec «Sail Away». Ce disque vaut the ride. On peut écouter chanter Mickey sans craindre ni l’ennui ni la mort. Avec «Lead On», il fait du gospel. Il implore Jesus like an orphan left to wonder/ Like a sailor lost in a storm. En B, on va pouvoir savourer la fantastique qualité de sa mélancolie dans «How’s The Weather». Il espère toujours s’installer un jour avec elle, même s’il vient d’apprendre qu’elle a un fils de 15 mois. Rien n’est plus beau que le sentimentalisme quand il est bien chanté. Il fait ensuite du pur jus de gospel country avec «If You Ever Get To Houston» et se dirige tout droit sur le hit de l’album : «You’ve Always Got The Blues». C’est monté sur une fantastique progression d’accords de old jazz jive et généreusement orchestré - So I’ll be here til midnight/ Looking for someone to lose - Il finit poliment son album avec «Goodnight». Son Goodnight est aussi beau que celui des Beatles - Goodnite my love/ Now close your sleepy eyes - Ce mec chante son heart off - And sail into the sky

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             L’autre grand poulain folky-folkah de Jac, c’est Tom Rush. Il a eu le temps de faire trois albums sur Elektra. Le premier, paru en 1965, est célèbre pour sa pochette : on y voit le jeune Tom tout droit sorti d’un roman de Kerouac. Si on voulait savoir à quoi ressemblait Neal Cassady, il suffit de jeter un œil à cette pochette emblématique. L’album en plus n’est pas mauvais. Produit par Paul Rothchild, le débusqueur du jeune Tom. Cet album est plein d’énergie, de coups d’acou et de coups d’harmo. Tom Rush gratte ses poux d’Americana et ça devient sérieux dès l’«If Your Man Gets Busted». Gros son, Tom Rush est plein de mess around, il aurait pu devenir un héros. Il distille avec «Do Re Mi» un violent parfum de cette deep Americana qui de toute évidence a fait craquer Jac. Ils tape aussi une version de «Milk Cow Blues», il chante ça au treat me this way et groove à coups d’acou. Il sort aussi un «Black Mountain Blues» assez heavy de can’t keep a man in jail. Il est quasiment invincible dans «Poor Man» et en B, ça bascule  dans la meilleure Americana qui soit, celle des voyages, il ramène des coups d’harp à la gare de Buffalo - From Buffalo down to Washington - Tout est extrêmement bien pulsé sur cet album. Il amène son «Jelly Roll Baker» au big heavy groove, il y va deep down in my soul. Tom Rush est très fort. Il annonce que «Panama Limited» is about a train - This is fast.  

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             Sur son deuxième album Elektra, Take A Little Walk With Me, Tom Rush fait une killer kover de «Who Do You Love». Il la gratte à coups d’acou et ça tourne au big shake de come on baby/ Take a ride with me. Tom Rush la rushe sous le boisseau. Encore une merveille avec «Turn Your Money Green», pur jus du Tennessee - I’ve been down so long/ Looks like up to me - En fait, c’est quasiment un album de grosses reprises, un an ou deux avant que les Anglais du Bristish Blues ne s’y mettent. Avec sa cover de «You Can’t Tell A Book By The Cover», Tom Rush est le roi de la petite Americana. Il fait son beurre sur le dos de Big Dix et de Bo, et il a raison. Ce mec a un son, «Love’s Made A Fool Of You» est tout de suite seyant. Tom Rush groove autant qu’Elvis, il fait merveille à chaque étape. Il faut dire qu’Harvey Brooks joue de la basse sur cet album, ce qui peut expliquer le niveau supérieur de l’ensemble. L’«On The Road Again» n’est pas celui de Canned Heat, c’est un rock de Rush. Il tape aussi une cover de «Statesboro Blues» qui n’est même pas créditée. Il est encore parfait sur «Sugar Babe», vieux shoot de country blues - Sugar babe/ What’s the matter with you/ Sugar Babe/ It’s all over now - Il joue «Galveston Food» au knife style, il vise la pure authenticité du jive.  

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             Son troisième Elektra LP s’appelle The Circle Game et sort en 1968. On est tout de suite frappé par ce ton chaud et viril. Il peut se montrer sexy avec le swagger de la frontière de «Something In The Way She Moves». Il sidère par la qualité de sa présence, ça joue au heavy psyché d’Americana - She’s with me now/ I feel fine - Superbe. Avec «No Regrets», il est tellement bon qu’il préfigure les Tindersticks - No regrets/ No tears/ Goodbye - Et il s’en va. Sa pop de New York City est excellente, ce que montre encore «Sunshine Sunshine». Il pourrait presque abuser de son power de big singer, comme le montre «The Glory Of Love». Il y fait un peu le cake. Il sauve le deep folk de «Shadow Dream Song» au chant inverti, ce mec est extrêmement balèze et il descend dans le heavy balladif du morceau titre au rythme d’un story-telling étendu dans la distance. Tom Rush dispose de ressources insoupçonnées. On peut parler de Gold Rush.

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             En 1970, Elektra sort l’album des Voices Of East Harlem et Jac s’écrie : «Talk about energy !». Un chœur de vingt personnes - Ils étaient simples, gentils and overpowering. Right On To Be Free est effectivement un album énorme, qui dépasse le concept même du gospel album. On y trouve Chuck Rainey (bass) et Cornell Dupree (guitar), et quelle énergie, dès le morceau titre en ouverture de balda, beurre + congas = boom garanti. Ils font une version cavalante de «Proud Mary», pus jus de Black Power tapé aux congas de Congo Square et Chuck Rainey fait des ravages dans «Music In The Air». Power to the Power ! On se croirait sur Amazing Grace, l’album gospel d’Aretha. Ils attaquent la B avec une reprise du «For What It’s Worth» de Stephen Stills et Chuck Rainey te bombarde ça vite fait au bassmatic ! Anna Griffin embarque «No No No» au paradis du gospel batch, elle est dévorante. En fait, c’est la famille Griffin qui mène le bal et ça se termine avec un «Shaker Life» claqué aux clameurs de la plus belle des claquemures et joué aux congas du diable, avec un power qui justifie tous les excès de pouvoir, notamment la bienheureuse subversion du Black Power universel. Ouvre le gatedold et tu les vois chanter et danser. Cet album est l’un des sommets du lard total.

             Lorsqu’on arrive au terme du pavé de l’Houghton, on croise les derniers noms qui firent la réputation d’Elektra : Jobriath et Nuggets.

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             L’Houghton rappelle que le premier album de Jobriath fut enregistré at Electric Lady Studios avec Eddie Kramer et que lors de sa parution en 1973, il y eut un media blitz, avec un immense panneau publicitaire à Times Square, même plan que pour les Doors à Los Angeles, lors de la parution de leur premier album.

             Ce premier album sans titre de Jobriath est un album un peu âpre qu’il faut approcher avec précaution, car il ne correspond à rien de connu, hormis Bowie, mais c’est encore autre chose que Bowie. Les compos de Jobriath sont beaucoup plus ambitieuses, mais il n’a pas de chansons du niveau des grandes chansons de Bowie. Dès «Take Me I’m Yours», il impose une belle présence vocale, il est même beaucoup plus outrageous que Bowie. Il attaque son «Be Still» à la pure décadence d’upon every corner. Il fait enfin un stomp de glam avec «Earthling», mais c’est un glam trop tarabiscoté, rien à voir avec «Jean Genie». Et il profite de «World Without End» pour faire un petit panorama historique des atrocités - Chrétiens, sorcières, juifs - Il électrise le son et fait son Spider. Il ouvre sa B avec «IMAMAN», c’est-à-dire I’m a man. Il est dans son monde, c’est très baroque, on pense bien sûr à Steve Harley & Cockney Rebel. Mais dès qu’il tape dans le starship de «Mornig Starship», il fait du Bowie. Il rend hommage à Bill Haley et Little Richard dans «Rock Of Ages» et voilà le travail.

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             C’est sûr, il faut écouter Jobriath, car il fait du pur Ziggy, mais avec une voix plus ferme, plus mâle et du coup ça peut plaire énormément. On trouve de jolis classiques glam sur Creatures Of The Street, à commencer par un «Ooh La La» qui n’est pas celui des Faces, mais un cut de glam disons bien énervé. Même chose en B avec «Good Time» et «Sister Sue» : ils claquent tous les deux comme l’étendard de Jobriath, avec un certain goût de reviens-y. «Sister Sue» est même brillant, gratté à coups d’acou clairvoyante, il y a du beau monde derrière Jojo, ça swingue à outrance. «Listen Up» est très Bowie dans l’approche, très intéressant, bien ficelé, joué au dodécaphonisme. On retrouve des accents de «Life On Mars» dans «Gone Tomorrow». Pourquoi Bowie a percé et pas Jojo ? Ça reste un mystère, car franchement, tous les éléments du super-stardom sont rassemblés. Il fait une resucée d’«Ooh La La» pour finir et la sucre au glam funk. Magnifique artiste.

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             Pour Nuggets, Jac dit qu’il faisait confiance à Lenny Kaye. Il fut même surpris d’obtenir les licences aussi facilement, car tous ces cuts qui n’étaient pas si vieux faisaient déjà parie de l’archéologie. Ce qui intéressait surtout Lenny Kaye, c’est le lien qui existait entre ces groupes qui étaient alors devenus obscurs et le duo Stooges/MC5. Jac : «Seul Lenny Kaye a noté ce lien qui existait entre ces groupes et les Stooges et le MC5, who were fuelled by the same energy as classic garage bands.» Admirable façon de boucler la boucle. Pour savoir tout le bien qu’on pense de Nuggets, il faut se rendre à la rubrique ‘Mon Kaye Business’. On y épluche Nuggets en long, en large et en travers. Quant à cette grosse poissecaille de Tim Buckley, elle fait l’objet d’un part à part.      

    Signé : Cazengler, Jacques Holsmerle

    Mickey Newbury. Frisco Mabel Joy. Elektra 1971  

    Mickey Newbury. Heaven Help The Child. Elektra 1973  

    Mickey Newbury. I Came To Hear The Music. Elektra 1974

    Mickey Newbury. Lovers. Elektra 1975

    Tom Rush. Tom Rush. Elektra 1965                              

    Tom Rush. Take A Little Walk With Me. Elektra 1966  

    Tom Rush. The Circle Game. Elektra 1968 

    Bread. Bread. Elektra 1969 

    Bread. On The Waters. Elektra 1970

    Bread. Manna. Elektra 1971  

    Bread. Guitar Man. Elektra 1972   

    Bread. Baby I’m-A Want You. Elektra 1972  

    Bread. Lost Without Your Love. Elektra 1976  

    Phil Ochs. All The News That’s Fit To Sing. Elektra 1964

    Phil Ochs. I Ain’t Marching Anymore. Elektra 1965

    Phil Ochs. Pleasures Of The Harbor. A&M Records 1967

    Phil Ochs. Tape From California. A&M Records 1968

    Phil Ochs. Greatest Hits. A&M Records 1970

    Lonnie Mack. Glad I’m In The Band. Elektra 1969

    Lonnie Mack. Whatever’s Right. Elektra 1969

    Lonnie Mack. The Hills Of Indiana. Elektra 1971

    The Alabama State Troupers Road Show. Elektra 1972

    Voices Of East Harlem. Right On Be Free. Elektra 1970

    Jobriath. Jobriath. Elektra 1973

    Jobriath. Creatures Of The Street. Elektra 1974

    Nuggets (Original Artyfacts From The First Psychedelic Era 1965-1968). Elektra 1972

    Mick Houghton. Becoming Elektra: The True Story of Jac Holzman’s Visionary Record Label. Outline Press Ltd 2010

     

     

    Inside the goldmine

     - Marvallous Marva

     

             Baby Rose portait un chapeau curieux qui lui donnait un petit côté mutin, voire coquin. Ce chapeau couleur prune ressemblait aux chapeaux qu’arboraient les rois de France aussitôt après le moyen-âge, ces oripeaux aux allures de bombardes à sommets plats, façonnés en cônes renversés, ni trop massifs, ni trop hauts, seyants comme par la grâce de Dieu. On se laisse parfois aller à adorer les audaces que s’autorisent les femmes par coquetterie. Elle drapait sa haute maigreur dans un long manteau classique, presque baroque, qui rétablissait une sorte d’équilibre. Le tout constituait une silhouette d’une élégance probante. On ne pouvait rêver abord plus charmant. Baby Rose donnait facilement libre cours à sa belle volubilité de femme mure : «Je suis une femme de lumière !», s’exclamait-elle, trépidante. Un pur régal que de la voir à l’œuvre. Par chance, la conversation obliqua rapidement sur la littérature. Nous nous accordâmes des cavalcades éperdues à travers les steppes de nos immenses connaissances respectives, nous jubilions de concert. Effeuiller Baby Rose, voilà qui commençait à prendre la tournure d’une perspective pirandellienne. Puis, au beau milieu d’un moment de répit, elle avoua avec un naturel charmant et sans l’once d’une perfidie qu’elle écrivait des romans. Elle expliqua dans le détail qu’elle travaillait sur les trois volets d’une trilogie. Lui pressant doucement le poignet, je lui fis cette demande : «Aurez-vous la bonté de me les donner à lire ?». Elle rougit légèrement et ne fit aucune objection. Ses yeux étincelaient de reconnaissance. Elle concéda que ça lui réchauffait le cœur de trouver enfin quelqu’un à qui s’en remettre, littérairement parlant, se hâta-t-elle d’ajouter, craignant que son propos ne fût mal interprété. Comme le laissaient supposer ses rafales de commentaires, la lecture critique de cette trilogie allait être d’un ennui mortel. Elle disait s’être engagée dans une voie autobiographique qu’elle émaillait de renvois mythologiques. La Grèce antique n’avait aucun secret pour elle. Elle disait savoir soupeser les éléments et en décrire la portée tragique. Elle devint barbante. Elle proposa soudain d’aller faire un tour au bois. Elle appartenait à coup sûr à la catégorie des femmes athlétiques qui se font sauter contre des arbres, et comme ça caillait, il fallut couper court à cette incongruité et prétexter d’un rendez-vous à l’autre bout de Paris. Elle masqua courageusement sa déception. De toute évidence, elle se trouvait là pour les mêmes raisons : provoquer une situation de baise qui eût fourni matière à récit. Nous nous séparâmes sans acrimonie.

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             À l’inverse de Baby Rose, Marva Whitney n’écrit pas de romans barbants, elle enregistre plutôt des albums somptueux. Comme Lynn Collins, Yvonne Fair, Martha High et Vicki Anderson, elle fait partie des Funky Sisters qui sont montées sur scène avec James Brown. The Marvallous Marva remplaça Vicki Anderson en 1968. Elle n’a enregistré que fort peu d’albums solo, mais tous valent sacrément le détour.

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             Son Live And Lowdown At The Apollo date de 1969. Elle y fait une superbe version de «Respect» en B. On devrait même parler d’une version historique. Elle le prend très haut, comme Aretha, avec tout le chien de sa petite chienne - R, E, S, Pi Ci Ti ! - Elle l’articule bien, au cas où le con à qui elle le destine n’aurait pas compris, et en prime, tu as un solo de sax incendiaire. Puis elle duette avec James Brown - You know what ? - Et il y va le JB, «You Got To Have A Job» - You know what ?/ You pay dime - Say it again ! En ouverture de balda, elle met les bouchées doubles avec «Things Got To Get Better Pt1» et plus loin, elle tape deux classiques du funk, «It’s My Thing» et «I Made A Mistake». Elle est hot la Marva, elle y va au yeah yeah yeah. À part chez Vicki Anderson, t’auras jamais ça ailleurs. C’est avec «It’s My Thing» qu’elle allume au plus haut degré, elle chante son hard funk très perché. Marva est la grande screameuse de funk devant l’éternel. 

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             Paru en 1969, It’s My Thing est produit par James Brown. Alors en voiture Simone ! Big flash de funk dès le morceau titre. Marva, c’est JeeBee au féminin, exactement la même niaque - I can do/ Wat I wanna doooo - Hard funk, elle est dedans, elle s’en bouffe la rate, I can do what I wanna doooo ! Elle le fait en deux parties. Elle ravage encore les contrées avec «Things Got To Get Better», elle semble avoir mille fois plus d’énergie que les mecs, ça groove dans le dirt, elle est bouillante de burn-out, elle patauge dans le génie, il n’existe pas de meilleure allumeuse que Marva, elle tape dans le dur - Got to give it out/ Got to give it out ! - Pour «If You Love Me», elle va chercher le chant à l’extrême pointe du if you dooo now prove it baby et elle l’explose, son prove it baby. Elle tape encore dans le funk extrême avec «Unwind Yourself», c’est une injonction, elle ne cédera pas. JeeBee vient duetter avec elle sur «You Gor To Have A Job», ça sent bon l’odeur des flammes de l’enfer, fantastique enfer, le JeeBee est juste derrière elle, on a là le funk suprême. Mais comme toutes les championnes, elle fatigue, elle tape «I’m Tired I’m Tired I’m Tired» sur le groove de «Tighten Up». Autant dire que c’est explosif. Retour au hard funk avec les deux parties d’«I Made A Mistake Because It’s Only You». Elle travaille son funk au corps - You can do what you wanna doo/ Only you - Et ça continue comme ça jusqu’à la fin, pas de répit, elle fait sa Aretha dans le funk d’«He’s The One» et quand elle tape dans Burt avec «This Girl’s In Love With You», ça bascule dans la magie. Jamais rien vu d’aussi balèze que Marva tapant dans Burt. C’est tout de même l’un des hits du siècle passé. Et comme si tout cela ne suffisait pas, elle reduette avec JeeBee sur une version de «Sunny».

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             En 2006, paraît I Am What I Am, un album exotique de Marva Whitney With Osaka Monaurail. Exotique car enregistré au Japon et c’est un gigantesque album de funk. Non seulement le morceau titre ouvre le bal, mais en plus, il te saute dessus. Cet «I Am What I Am» vaut tout le JB, I am/ What I am, elle est au cœur du mythe funk, au cœur du mythe de la pulsion, funk it to me, elle le fait au sparse, avec des retours de trompettes, elle déchire le funk et retombe dans l’ouate du don’t feel good, elle pose ses notes, c’mon, I am/ What I am, le flux du sex de funk l’emporte, Marvallous Marva te sort le pire raw funk de l’univers. Elle continue d’éclater les noix du funk avec «Soul Sisters (Of The World Unite)», elle repart dans l’énormité, we got to get together, sur un beat de funk disparate, pur génie vocal, elle s’explose la rate, elle chante au top du beat, Marvallous Marva est une géante. Troisième coup de Jarnac avec «Give It Up Or Turn It Loose», hey ! C’est le JB beat ! Elle est JB au féminin, hold me tight, elle est tellement dans le hard funk qu’elle le transcende. Elle reste dans le JB avec «It’s Her Thing», fantastique pulsion d’Osaka, cet instro est une merveille, serti d’un vaillant solo de trompette. Tout est hot sur cet album, elle est fabuleusement douée pour les développements, comme le montre encore «(Let A Sister Come In And) Wrap Things Up», help me somebody ! Elle termine en mode Gospel batch avec «Peace In The Valley», elle dispose de l’assise, elle pose sa voix dans la main de Dieu miséricordieux, elle connaît tous les secrets du vieux Spiritual. Elle est accompagnée au piano, pas de chœurs, c’est très balèze. Comme Aretha dans l’Amazing Grace de Sidney Pollack, elle taille sa route à l’a-capella.

    Signé : Cazengler, Morveux Whitney

    Marva Whitney. Live And Lowdown At The Apollo. King Records 1969

    Marva Whitney. It’s My Thing. King Records 1969

    Marva Whitney With Osaka Monaurail. I Am What I

     

     

    Wizards & True Stars

    - Sur les traces de Dan Treacy (Part One)

     

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             Dan Treacy ? Tu lui donnerais le bon dieu sans confession. Rien qu’à le voir, avec sa petite bouille d’éternel adolescent. Tant qu’on y est, on peut aussi donner le bon dieu sans confession à Benjamin Berton pour son livre, Dreamworld: The Fabulous Life Of Dan Treacy. Et plutôt deux fois qu’une, car non seulement l’auteur qui est français est traduit en anglais, mais il célèbre avec ce petit book miraculeux l’un des artistes les plus obscurs de l’Underground Britannique. Il n’est pas certain que les Television Personalities aient vendu beaucoup d’albums. Par contre, les ceusses qui les possèdent les considèrent comme les prunelles de leurs yeux. Sur l’étagère, tu ranges ces albums à côté de ceux de Syd Barrett, de Felt, de Kevin Ayers et de Robert Wyatt.

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             Ce n’est qu’à la fin du book qu’on réalise que Berton est français, lorsqu’il évoque le concert des TVP aux Mains d’Œuvre de Saint-Ouen. Mais son book est tellement bien foutu qu’il réussit à faire illusion. Illusion, voilà d’ailleurs le mot clé. Berton s’inspire tellement du surréalisme psychédélique de Dan Treacy qu’il transforme tout le début de son récit en fable surréaliste psychédélique. On se croirait dans Cent Contes Rock !

             On est en 1977 et Dan fait des livraisons pour sa mère qui tient un pressing du côté de King’s Road. Il passe bien sûr devant la boutique de McLaren qui s’appelait Sex et qui s’appelle désormais Seditionaries. Il connaît Jordan. Il va livrer des fringues chez Bob Marley qui vit dans une grande baraque à Chelsea, puis sa mère l’envoie trouver Peter Grant pour le compte duquel elle lave aussi des fringues. Normalement, Peter Grant devrait trouver un petit boulot pour Dan. D’ailleurs Mama Treacy indique que Mister Grant est un homme charmant et qu’elle lave les jeans de Jimmy Page depuis plus de dix ans. Elle ajoute qu’elle n’a jamais vu le diable sortir d’un caleçon de Jimmy Page - C’est d’ailleurs la seule chose qui ne soit pas sortie de ses caleçons, si vous voulez tout savoir, indique-t-elle en éclatant de rire. À quoi Daddy Treacy ajoute qu’il ne souhaite pas entendre la suite. Effectivement, le charmant Mister Grant donne un petit boulot à Dan : nettoyer la pièce où s’est déroulée l’une des messes noires de Jimmy Page, dans la mystérieuse pièce du fond, dans laquelle personne n’a le droit d’entrer. Berton bat Mick Wall au petit jeu du satanisme de Led Zep. Comme la scène se déroule dans les locaux de Swan Song Records, Jimmy Page déboule. Dan ne parvient pas à établir le contact avec ce personnage glacial. La légende veut qu’à l’entrée de Jimmy Page dans une pièce, la température chute brutalement.

             Puis Dan et ses amis qui rêvent de composer des tubes montent le projet de kidnapper Paul McCartney. Il se rendent chez lui, au 7 Cavendish Avenue. L’idée est de faire cuire son cœur et sa cervelle et de boire le jus pour récupérer son talent de compositeur. Ils ont même une autre idée : lui couper les mains pour se les greffer et tabler sur la mémoire de ces mains qui ont composé tant de jolies mélodies. Ils appellent ça la transsubstantiation. Pas de chance, ils arrivent le jour de la mort d’Elvis et McCartney fait une déclaration aux journalistes. Le projet tourne au fiasco. C’est alors que Dan dit à ses amis : Je sais où vit Syd Barrett. Voilà comment Berton nous introduit dans le jardin magique de Dan Treacy et de ses Television Personalities. Pouvait-on imaginer meilleure introduction ? Non.

             Autour de Dan Treacy gravitent de précieuses personnalités satellitaires : Ed Ball qu’on va retrouver dans The Times, fleuron de la London Mod scene, Jowe Head qui vient des Swell Maps, fleuron de la modernité, et Joe Foster qui jouera de la basse dans les TVPs avant d’aller co-créer Creation en 1983 avec Alan McGee. Foster, Ball et Head sont tous les trois des forces de la nature qui multiplient les projets et qui chacun à sa manière redore le blason de l’Underground Britannique. Berton nous dit aussi que Joe Foster travaille jour et nuit pour Creation. Il ne dort jamais, il tourne au speed. Il va payer le prix fort et disparaître quelques années avant de revenir avec Rev-Ola, un petit label spécialisé dans la réédition de disques cultes. Ed Ball prend ses distances avec Dan qui est trop lunatique pour monter ses propres projets. Il bossera lui aussi pour Creation. Quand Dan va commencer à perdre pied, Ed Ball volera à son secours.

             Après ses miraculeux chapitres d’intro, Berton entre dans le vif du sujet, les Television Personalities, comme s’il était rattrapé par la réalité. Il évoque un Daniel Treacy à la fois ambitieux et jamais prêt à sauter le pas. Après la parution de «Part Time Punks» et son retentissement, Ed dit à Dan qu’il faut passer à l’étape suivante et donner un concert, à quoi Dan répond que les TVPs sont un studio band. Ed veut avancer, mais ça n’intéresse pas Dan. En fait, Dan s’entend mieux avec Jowe Head qui joue alors de la basse dans Swell Maps : ils aiment tous les deux les voix fragiles, les personnages enfantins et le dilettantisme musical, ils deviennent malgré eux les papes du DIY movement. Ed finit par organiser un premier concert des TVPs, mais ce soir-là Dan disparaît. Mark Sheppard et Joe Foster doivent se débrouiller tout seuls sur scène. Jowe Head et Nikki Sudden volent à leur secours. 

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             TVDan commence à bricoler un univers très spécial, à base d’esthétique sixties, de pop art et d’une obsession pour les célébrités : David Hockney, Dali, Syd Barrett. Berton saute sur l’occasion pour lancer la ronde des références, toutes plus parlantes les unes que les autres : La Motocyclette, ce film adapté d’un roman érotique d’André Pieyre de Mandiargues, avec Marianne Faithfull et Alain Delon, Le Portrait de Dorian Gray, Le Grand Meaulnes d’Alain-Fournier qui est le point de conjonction évident, et Roy Liechtenstein, le pape du pop-art, chez qui TVDan va trouver le nom de son label : Whaam!. Quand Berton évoque la possibilité d’un biopic sur les TVPs, TVDan voit très bien Gary Oldman jouer son rôle, Christopher Walken jouer celui de Jowe Head et Anthony Perkins celui du Syb Barrett vieillissant.

             L’autre grand axe des TVPs est semble-t-il le désespoir non affiché. TVDan grandit dans l’Angleterre thatchérisée, une Angleterre dont la jeunesse est sacrifiée, avant même d’avoir commencé à entrer dans l’âge adulte. Inutile de vouloir résister, ajoute Berton. Mais bon, le groupe existe, cahin-caha. TVDan tourne avec une première équipe, puis une deuxième, et quand Jowe Head arrive, il stabilise le line-up pour dix ans. TVDan ne fait pas de set-lists. Les autres doivent se caler sur le premier accord. Ils font pas mal de covers et tapent abondamment dans les sixties : Pink Floyd, Kinks, Beatles, Who, Velvet, Creation, Stones, Seeds, Love, Jonathan Richman et Joe Meek, un Meek qui est l’un des chouchous de TVDan.

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             Très vite, on considère TVDan comme le Syd Barrett de sa génération, capable d’écrire de grandes chansons qui ne tiennent qu’à un fil. Étonnamment, ce phénomène purement britannique que sont les TVPs s’est trouvé un public en France, alors que leur son n’est pas forcément très accessible. Berton considère que leur premier album, And Don’t The Kids Just Love It paru en 1980, est le meilleur et le plus significatif. On retrouve sur la pochette Patrick McNee et Twiggy. Ce visuel culte orne aussi la couve du Berton book. Au dos de la pochette de l’album dansent les noms de Syd Barrett, de Pete Townshend et des Creation. TVDan, Ed Ball et Mark Sheppard nous claquent «World Of Pauline Lewis» comme un hit Mod, avec le riffage typique des early Who. Ils profitent de «Drag Of A Young Man» pour plonger dans l’underground, avec une mélodie jouée en note à note sur une guitare rachitique. TVDan sort son meilleur accent cockney pour chanter l’histoire de Geoffrey Ingram - Just like Geoffrey Ingram - qu’on verra aussi apparaître dans le Berton book comme un personnage doté de pouvoirs surnaturels. C’est en B qu’on trouve le pot aux roses, «I Know Where Syd Barrett Lives» - He was very famous/ once upon a time - TVDan fait du Barrett bien barré et crée sa légende - On the edge of the world - On entend des oiseaux chanter. Ils terminent sur une belle poussée de Mod fever avec «Look Back In Anger», mauvais cocktail de chant mal réveillé et d’accords explosifs. Sous le soleil Mod exactement.

             On voit l’univers de TVDan se dessiner petit à petit. Un jour, il monte sur scène, en première partie de David Gilmour, et tape un medley barrettien, «Set The Controls For The Heart Of The Sun/ The Gnome Song/ See Emily Play» qu’il chante d’une voix fausse et infantile. Puis il dit au public de sortir un papier et un crayon pour noter l’adresse et pouf, il attaque «I Know Where Syd Barrett Lives». L’adresse exacte à Cambridge est dans la chanson. Gilmour ne voudra pas de TVDan pour les autres concerts. Gilmour et TVDan ne vivent pas dans le même monde.

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             Les albums vont ponctuer la vie de TVDan, et donc le Berton book. On ne perd pas son temps à les écouter, loin de là. TVDan, Ed Ball et Mark Sheppard enregistrent Mummy Your Not Watching Me en 1982. «Adventure Playground» sonne comme un hymne Mod, emmené par le bassmatic féroce d’Ed. TVDan fait son Syd et claque du early Who sur sa Teardrop. Il noie d’écho son «Brian’s Magic Car» et y fait son Smith (le Mark E.). Il ramène des arpèges en lousdé et crée une sorte de délire fasciné par lui-même, une circonvolution débridée. Puis il revient à son obsession pour les célébrités avec «David Hockney Diaries», joli shoot d’heavy pop, mais sans l’eau bleue des piscines - I want to fly around the world in my own private plane/ I want to party every night so I can sleep all day - Facétieux, il s’amuse à sonner par instants comme Johnny Rotten. Il revient à la grosse énergie foutraque des early Who avec «Painting By Numbers». Il te gratte ça comme un Jean-foutre d’happy-go-lucky. C’est ce qui fait son charme. Retour à la belle pop dégingandée avec «If I Could Write Poetry», une espèce de bonne franquette montée sur un bassmatic épique, une pop effarante de prestance, livrée à l’écho du temps, comme surgie dans l’éclat d’un matin d’été à Chelsea.

             À la fréquentation de Daniel Treacy, il se produit un phénomène intéressant, une sorte de réaction en chaîne. Puisque TVDan jubile à enregistrer sa pop délurée, Berton jubile forcément à écrire son book, ça se sent, alors on le lit et du coup tout jubile dans la baraque. Consacrer du temps à dire tout le bien qu’on pense de TVDan est par conséquent une jubilation de tous les instants. On constate en plus que chaque album se comporte à la réécoute comme l’un des petits romans loufoques de Raymond Queneau jadis parus dans la collection l’Imaginaire (Les Enfants Du Limon, Odile, Saint Glin-Glin). Oserait-on aller jusqu’à dresser un parallèle entre TVDan et Queneau ? Oh c’est pas compliqué, il suffit de voir leurs bouilles respectives.

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             Pour saluer le troisième album du groupe, They Could Have Been Bigger Than The Beatles,  Berton bombarde les TVPs en tête de gondole du psyche-Mod revival, il parle d’une mixture de frivolity et de spirit of the times. Il n’y a aucune prétention dans le titre de l’album, c’est un pied de nez à la Treacy, fruit de son petit humour acidulé. L’album qui est en fait une compile est bourré à craquer de classiques, comme ce «David Hockney’s Diaries» tiré de l’album précédent. TVDan est un être cultivé, il bricole par conséquent des chansons cultivées. Ouverture de balda avec «Three Wishes», big shoot de far-out so far out. Il ressort son meilleur accent cockney pour marmonner «In A Perfumed Garden». «Kings And Country» sonne comme la BO d’un film d’espionnage, avec une belle prestance. TVDan barde ce hit d’accords éclatants et finit en mode «Eight Miles High», histoire de nous en boucher un coin. Retour au trip Mod avec «The Boy In The Paisley Shirt», petite pop soignée et minimaliste, doucement décadente, activée par de jolies montées au chant. En B, il rend deux fois hommage aux Creation, avec «Painter Man» et «Makin’ Time», deux covers inspirées et somptueuses à la fois. Il finit avec deux leçons de minimalisme : le minimalisme estudiantin (avec «Psychedelic Holiday», envoûtement garanti), et le minimalisme cockney, plus punk que punk (avec «14th Floor» - na na na I’ve really got to really go.)

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             C’est l’époque où Ed Ball prend ses distances et Joe Foster prend le groupe en charge. Il prend même carrément en charge l’aventure du quatrième album, The Painted World, qui a un parfum plus velvetien. «Stop And Smell The Roses» aurait pu se trouver sur l’un des trois albums du Velvet. D’ailleurs, quand on voit la pochette, on pense tout de suite au Velvet. C’est l’esthétique. Ils rendent aussi hommage à Dylan avec «A Sense Of Belonging», qui sonne comme un hit softy-softah. Hommage à Nico avec «Say You Won’t Cry». On croit aussi entendre les Byrds. En B, ils piquent une belle crise avec ce «You’ll Have To Scream Louder» monté sur le bassmatic entreprenant de Joe Foster. S’ensuivent des cuts incroyablement solides : «Happy All The Time», «Paradise Estate» et «Back To Vietnam» qui font de cet album l’une des pierres blanches de l’histoire du rock anglais. Berton indique que le titre de l’album est emprunté à Tom Wolfe qui dans son Painted World s’en prend à la superficialité de la critique d’art. Berton ajoute que cet album est le diamant noir des TVPs, un miracle d’équilibre et un monument d’instabilité. C’est fabuleusement bien ressenti : «Comme si Joe et Daniel avaient construit un château de cartes avec tout ce qui ronge la vie sociale : la solitude, le désordre mental, le manque d’affection, la guerre et l’écroulement du royaume.»

             Puis c’est au tour de Joe Foster de lâcher l’affaire. Les TVPs continuent en trio pendant un bon moment, avec Jeff Bloom au beurre et Jowe Head au bassmatic. Étant donné que Jowe Head est un vétéran de toutes les guerres, il peut improviser et chanter quand Dan disparaît, ce qui se produit régulièrement, lors des tournées. Berton recrée l’illusion des premiers chapitres psychédéliques avec l’épisode Nico. Il entre dans les détails et ça devient fascinant. L’épisode se déroule en mai 1982, les TVPs doivent jouer en première partie de Nico à Berlin. Rough Trade nous dit Berton a demandé aux Blues Orchids d’accompagner Nico sur scène. Alors les Blue Orchids, ce n’est pas n’importe qui : deux anciens Fall (Martin Bramah et Una Baines) et un groupe baptisé Blue Orchids par John Cooper Clarke qui allait, ajoute Berton, partager un peu plus tard la vie et la seringue de Nico sans pourtant, précise lui-même Clarke, partager son lit. Big Berton is on fire ! Il nous emmène en plein cœur d’un mythe, il relie le Velvet à Berlin en passant par Manchester. Berton décrit les Blue Orchids à table, au breakfast : «Ils ont été bien entraînés par Mark E. Smith. Il boivent de la bière au breakfast. Bramah est un peu plus âgé que Daniel, un an ou deux, mais ces mecs ont l’air parfaitement idiots. Ils ne savant pas qui est Nico. Ils demandent à Daniel : ‘C’est qui c’te gonzesse ? Jamais entendu parler d’elle.’» Bien sûr Berton profite de l’épisode pour retracer le parcours de Nico, on la voit au bras de Brian Jones, de Dylan, d’Andy Warhol et d’Alain Delon, puis on connaît la suite, l’idée de Warhol d’injecter du glamour dans les mordid songs du Velvet. Berton évoque aussi Lawrence, le leader de Felt, qui est souvent comparé à TVDan et qui comme lui, est un beau spécimen d’addict. Et comme TVDan, il n’est pas non plus affamé de succès. L’underground lui suffit.

             Sur son label Whaam!, TVDan fait la promo des Marine Girls, mais aussi des Pastels et de Doctor & The Medics. Berton évoque alors cette tendance pop de l’époque, la twee pop, dont les têtes de gondole sont les Marine Girls, les Young Marble Giants, The Field Mice, Belle & Sebastian et Beat Happening qui eux sont américains. Pourquoi twee pop ? En raison d’une certaine forme de naïveté affichée.

             Nouvel épisode spectaculaire : l’épisode Nirvana. On connaît les goûts de Kurt Cobain pour les légendes de l’underground : Meat Puppets et les Vaselines d’Eugene Kelly. Les TVPs en font aussi partie. Nirvana arrive en Angleterre pour une tournée et demande à ce que les TVPs jouent en première partie d’un concert à l’Astoria. Nirvana n’a pas encore explosé et TVDan ne sait rien du groupe. Berton s’amuse alors avec les spirales, celle de Nirvana qui va vers le haut et celle de TVDan qui va vers le bas. Mais si leurs spirales vont dans des directions opposées, Kurt et TVDan ont deux sacrés points communs : leur goût de l’indépendance artistique et l’addiction - Le destin de Treacy était déjà scellé, alors que Cobain se rapprochait chaque jour du sien, quittant l’inconfort de l’anonymat et du manque de reconnaissance pour une cage dorée et une surexposition mortelle - Oui, TVDan est déjà dans l’héro et Kurt drugs himself to oblivion. Mais comme le dit si bien Berton, les TVPs sur scène à l’Astoria, devant un public de gosses affamés de grunge, ça ne marche pas. On les siffle. Piss off ! Un mec leur crie «Fuck off» à quoi TVDan répond «Fuck off yourself !». Puis Berton nous emmène dans le backstage et là on voit Kurt qui vient féliciter TVDan. On assiste à une nouvelle scène magique : Kurt dit à Dan qu’il aime beaucoup sa version de «Seasons In The Sun». Il lui dit même que c’est sa chanson favorite. Une chanson de Terry Jack. Puis il demande à TVDan s’il connaît la B-side du single de Terry Jack. TVDan se marre : «Put The Bone In» ! et il commence à la chanter. Kurt est scié. Alors Berton ressort le Grand Jeu : «Une chance sur un million que deux personnes qui ne se connaissent pas puissent parler de la B-side du single d’un obscur artiste canadien, paru 17 ans auparavant.»  

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             Comme TVDan a besoin de blé pour sa dope, il commence à sortir des albums un peu partout. Chocolate Art, le premier d’une longue série d’albums live, permet d’apprécier la bête sur pieds, comme on dit chez les maquignons. TVDan pousse la rachitisme dans ses retranchements et propose un rock tragiquement anémique. Les chœurs de chauve-souris qu’on entend dans «Kings And Country» font bien rigoler. Les versions de «Look Back In Anger» et de «La Grande Illusion» sont comme qui dirait décousues. Dès qu’il monte un peu haut, TVDan chante faux. Ils parviennent à faire sonner «When Emily Cries» comme un cut des Byrds. Il règne sur cet album un gros parfum d’anarchie. Mais rien à voir avec Ravachol.

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             Privilege est certainement leur album les plus connu. Jolie pop-song à caractère lumineux, «Paradise For The Blessed» fut un hit dans les années 80. TVDan soigne aussi les arrangements de «Conscience Tells Me No». Il revient à ses chères célébrités avec «Salvador Dali’s Garden Party», prétexte à un délire : il improvise avec des noms d’invités - Jack Nicholson was there, Mia Farrow was there, Woody Allen was there, Dennis Hopper was there, Peter Fonda was there, Debbie Harry was there - il s’amuse comme un petit fou. Il est possible que Philippe Katerine se soit inspiré de ça pour son Barbecue à l’Élysée, car on y retrouve des invités de TVDan - Il y avait Frank Sinatra Madonna et Jean XXIII Gershwin au piano/ Et Yoko Ono/ Il y avait Woody Allen/ Il y avait Eminem/ Elvis Presley/ Charles Trénet - Puis Katerine rentre chez lui pour, dit-il, faire caca. Katerine et TVDan même combat ? De toute évidence. Et puis TVDan nous balance un gros solo psyché dans «Sometimes I Think You Know Me», histoire de rappeler qu’il n’est pas un rocker à la mormoille. Berton s’extasie et parle d’extraordinary power and richness. Privilege sort sur Fire, le label de Clive Solomon, un fan transi des TVPs. Il les as vus une centaine de fois sur scène. Fire va même devenir l’un des labels de pointe de l’Underground Britannique avec des albums de Spacemen 3, Eugenius, Blue Aeroplanes et Mission Of Burma. 

             Alors évidemment, Berton ne pouvait pas rater une occasion pareille : la Garden Party de Salvador Dali ! Il découvre que cette Party s’inspire de la fameuse Surrealist Heads Ball organisée par les Rothschild, en décembre 1972 au Château de Ferrières, avec des tas de gens issus du monde des affaires, de l’aristocratie et du showbiz. Geoffrey Ingram montre une vidéo du Salvador Dali’s Garden Party à l’auteur, on y voit Dali, bien sûr, mais aussi Audrey Hepburn. L’ambiance menace de sombrer dans un mélange de satanisme et de high-class orgy, alors bien sûr, Berton saute encore sur l’occasion pour établir un lien avec le dernier film de Stanley Kubrick, Eyes Wide Shut. Il évoque aussi le Surrealist And Oneiric Ball donné en l’honneur de Dali et de Gala à New York en 1935. Berton qui est affreusement bien documenté donne tous les détails. Franchement, on ne perd pas son temps à bouquiner son book. On se sent même un peu moins con à la fin de la journée.

             Puis TVDan entame sa petite descente aux enfers, lorsque sa relation avec sa poulette Emilie Brown rend l’âme. Dans la foulée, il perd son label Dreamworld, et comme il n’a plus un rond pour payer son loyer, le voici à la rue. Il s’en va vivre dans un squat et qualifie cette nouvelle tranche de vie d’«alternative lifestyle»

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             Il existe un autre album live, enregistré en France, Camping In France. Même esprit que Chocolate Art. On y retrouve quasiment les mêmes titres, «Kings And Country», «Three Wishes», «La Grande Illusion», «David Hockney’s Diaries», la reprise de «Painter Man», «Back To Vietnam», «Geoffrey Ingram» et une solide mouture de «Salvador Dali’s Garden Party». Ils finissent sur un superbe hommage aux Mary Chain, avec «Never Understand». Un passage obligé.

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             Puis TVDan monte d’un cran avec un double album, Closer To God et là on ne rigole plus. Dès l’intro on sent le très gros disque. «You Don’t Know How Lucky You Are» est de l’acid freakbeat au sens fort du terme, un coup de Syd mal luné, son aigu, goutte au nez, jamais content de rien, trop psyché-moutarde, gratté à sec. «Little Works Of Art» est une vraie petite pièce sensible, admirable de distance épisodique, digne des Pastels et typique des errements d’une fin de siècle. TVDan nous chante le mal du pays avec «Coming Home Soon» - To jacket potatoes/ and cheese on toast - Encore un cut frais et rose avec «Me And My Ideas» - Hope I die before I get a suntan, histoire de se moquer de Pete Townshend - Il tartine «Honey For Bears» d’une infinie mélancolie, histoire de rendre hommage aux Mary Chain. Ampleur garantie, pure vision latérale. TVDan n’en finit plus de surprendre. Il ramène son accent cockney pour «Goodnight Mr Spaceman» - I’ve taken three e’s/ But I still can dance like Bobby Gillespie - Il chante comme un dandy cockney bien fracassé - But I don’t care/ I always wear clean underwear/ I often feel like Edward Munch - «You Are Special And You Always Will Be» sonne comme un balladif des Mary Chain, avec un beau son de basse, et TVDan en profite pour rendre hommage à Leonard Cohen - Leonard Cohen knows what I mean/ I wish I had the beauty of his work - TVDan est un mélodiste hors pair. Il revient au trip Mod avec «Not For The Likes Of Us», une étrange histoire de Mod qui tourne mal et on tombe en fin de D sur une énormité stupéfiante : le morceau-titre de l’album qui fait référence à l’enfance de TVDan. Fabuleuse pièce de psyché anticlérical balayée par des vents d’accords aigus et de wah - Hurt the child/ Then show it love/ It’s just violence in a velvet glove - On sort de ce disque en s’ébrouant comme un cheval.

             Puis TVDan rencontre Alison Withers et entame avec elle une belle aventure romantique. Ils prennent un petit appart à Acton Town in West London et TVDan commence à se relaxer un peu. Il ralentit sa conso de dope et se limite à un peu de speed quand il doit monter sur scène. Alison fait de la photo et c’est à elle qu’on doit les plus beaux shoots des TVPs. L’idylle dure sept ou huit ans, entre 1988 et 1995. Ils passent leur temps avec de bons amis, Jowe Head et puis Ed Ball qui n’est jamais loin, nous dit Berton. TVDan et sa poulette n’ont pas de blé, alors ils restent souvent à la maison et se tapent des soirées TV. TVDan devient même végétarien - Il adore plaisanter et faire l’amour l’après-midi. C’est un homme timide, mais il explore le corps de sa compagne comme il explore son manche de guitare. Daniel est un homme intelligent - Mais on le sait, tout a une fin - Life is good, but not for long. Tout est bien dit chez Berton.

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             Comme un malheur n’arrive jamais seul, la relation entre Jowe Head et TVDan se détériore. C’est Liam Watson, le boss de Toe Rag, qui remplace Jowe dans le groupe. Il joue aussi de la batterie sur I Was A Mod Before You Was A Mod. Le morceau titre est une sorte de punk-rock Mod âpre et teigneux monté sur un drumbeat entreprenant. «Evan Doesn’t Ring Me Anywhere» sonne comme une belle pop à la revoyure, amenée au pousse-toi-de-là que-je-m’y-mette. C’est évidemment enregistré au Toe Rag Studio. Et puis voilà la perle : «Things Have Changed Since I Was A Girl». TVDan sort son bel accent cockney pour chanter cette pièce de glam-punk ahurissante, en compagnie de Sexton Ming. Ils font les cons ensemble. Watson bat le beurre dans son coin et TVDan claque des accords dans le fond. C’est le summum de la désaille - I hate my body I hate my legs - ils montent ça en neige et créent le frisson. TVDan appartient à la caste des inventifs. 

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             Encore du live bien frais avec Paisley Shirts & Mini Skirts. Sur la pochette, une belle Anglaise shoote dans un ballon de foot. C’est l’enregistrement du tout premier concert du groupe en 1980. Toujours le même cirque à base de petite pop échevelée et maladive, qui sonne parfois comme du punk infantile. On comprend que Peely ait craqué, car c’est extrêmement inspiré et monté sur des brassées d’accords de clairette. Il n’existe rien de plus dépenaillé qu’un cut comme «I Remember Bridget Riley». De plus sensé qu’«Had To Happen». De plus trash que «Girl On A Motorcycle». Et on retrouve le hit qui les a fait connaître, «Part Time Punks» et qui sonne comme du Tav Falco.

             Tu as aussi un live enregistré au Japon, apparemment, Made In Japan qui fut alors considéré comme un collector. On retrouve leur côté pruneau d’Agen vermoulu, c’est-à-dire culte ridé, le style désossé et lunatique auquel TVDan nous habitue depuis le début. C’est un rock abandonné des dieux. Il faut entendre les chœurs archi-faux sur «Baby You’re Only As Good».

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             Sur Don’t Cry Baby It’s Only A Movie, les TVPs rendent hommage aux Modern Lovers avec une cover de «Pablo Picasso». TVDan est un expert de l’étrange. Avec le morceau titre, il revient à ses romances chéries - I’ll be your Gary Grant/ You can be my Cleopatra - Le hit de l’album, c’est indéniablement «Sorry To Embarrass You», power pop acide à tendance freakbeat et soutenue par des guitares de grosse capacité et des chœurs monstrueusement désaillés. Sur chaque album des TVPs se niche une perle rare. TVDan est sans doute le seul en Angleterre à savoir montrer une élégance aussi foutraque. Il revient à Syd Barrett avec «My Very First Nervous Breakdown», un cut sacrément bien déréglé.

             Puis les TVPs repartent en tournée an Allemagne, avec Sexton Ming au beurre. Ming est une figure légendaire de l’Underground Britannique, cosignataire du Stuckist Manifesto, un mouvement en faveur de l’art figuratif, pas loin de l’art naïf, précise Berton. Comme Ming a besoin de blé, il dit à TVDan qu’il est batteur, alors qu’il ne l’est pas, et décroche le job pour la tournée allemande. Les concerts sont chaotiques, mais ça ne dérange personne. TVDan et Ming picolent jour et nuit, tequila et bière. Puis une sorte d’animosité s’installe entre eux et ils sont toujours à deux doigts de se taper dessus. C’est la fin des haricots. Quand dans une interview, TVDan dit qu’il est une sorte de Godfather of independant rock, Ming l’insulte et lui dit qu’il n’est rien. «Part Time Punks», et c’est tout. Rien d’autre. Alors TVDan lui saute dessus. Bing ! Bang ! Bong ! Tiens dans ta gueule ! Berton décrit la fin de la tournée comme une atroce débâcle : les trois TVPs toussent, dégueulent et crachent dans des seaux imaginaires.

             TVDan se retrouve au trou sur un bateau-prison, l’une de ces taules réservées aux voleurs de poules et à ceux qui arrivent en fin de peine. C’est la troisième fois qu’il est condamné et envoyé au ballon. En 2004, il démarre un journal en ligne et six mois après sa libération, il annonce le come-back sur scène des TVPs, avec Ed Ball on bass - The ressurrrection of the prince of twee pop.  

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             My Dark Places paraît en 2006 et secoue bien le cocotier. «Special Chair» sonne comme une bénédiction, avec une grosse guitare en pendulum derrière la voix de fausset du dandy Dan. Nouvelle fête à la déglingue avec «All The Young Children On Crack». Il sort un incroyable son de fuzz sur «Dream The Sweetest Dreams» et sans prévenir, il balance un stupéfiant romper Moddish : le morceau titre. Jerky-fuzz motion. Énorme ! Comme s’il réinventait le Mod craze et derrière lui, ça bat la chamade. TVDan montre une fois de plus son infernale supériorité. Retour de cockney Dan avec «They’ll Have To Catch Us First», un vrai pulsatif trompetté et bouillonnant d’énergie. TVDan chante dans l’auberge espagnole des dieux du stade. Encore de la pop énorme avec «She Can Stop Traffic», hit Mod télévisuel chanté à la dandy fashion, dans l’esprit de ce que font les Pastels. Nouvelle preuve de l’existence du Dieu Dan. Berton pense que l’album est à la fois un succès et un échec. Il voit TVDan fragilisé. Mais toujours extraordinairement sincère.  

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             Paraît la même année un autre album étonnant : Are We Nearly There Yet ? Histoire de faire fuir les curieux, il démarre avec une comptine enfantine et plonge son monde dans une sorte de psyché demeuré. Il tape ensuite «The Peter Gabriel Song» à la petite ramasse. Il vise le far-out, loin des repères ordinaires. Il fait certainement ce qu’aurait fait Syd Barrett, si Syd avait continué à pondre ses œufs d’or. Étrange clin d’œil à Eminem avec «The Eminem Song» - I’ve been down on smack/ High on crack - il fait son rapper de l’East End avec un accent cockney voilé  - My name is DAN/ D/ A/ N - Puis il revient à ses premières amours avec «I Got Scared When I Don’t Know Where You Are», une jolie pop-song montée sur un bassmatic pouet-pouet et claquée à l’accord clair comme de l’eau de roche. TVDan cultive une science du son qui semble s’affiner d’album en album. Ce qu’il faut comprendre à travers ça, c’est qu’il ne fait jamais n’importe quoi. Il travaille le vieil esprit Moddish de l’ère psyché. Il recherche l’exotisme hypnotique. Ça reste un mélange surprenant d’inventivité et de m’en-foutisme éhonté. Nouvel hommage bizarre, cette fois à John Coltrane, puis retour aux Who avec «My Brightside» : ça sonne comme les Who en 1963. Effarant ! C’est pour ça qu’on adore TVDan. Il sait attaquer au débotté - Ah Mr Brightside ! - Avec un son amplifié à la fièvre jaune. TVDan, c’est les Who - I miss my Brightside - TVDan Treacy chante en cockney et écrase le calumet de la paix à coups de godillots. Il est LE punk. Full Time Punk.

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             Le dernier album en date des TVPs s’appelle A Memory Is Better Than Nothing. On est tout de suite frappé par l’ironie qui se dégage du titre de l’album. Ça doit faire maintenant trente-cinq ans que TVDan joue avec nos nerfs. C’est un album fantastique, la preuve par neuf que ce mec fait partie des géants du rock anglais, mais il ne faut jamais perdre de vue qu’il peut agacer par son amoralité corporatiste. Le morceau titre est une remarquable pièce d’acid pop. TVDan tape au cœur de la cocarde Mod, en plein Mod craze, avec un son trash unique au monde. Il est plus fort que le Roquefort. Ses amis envoient des chœurs à la volée, n’importe comment, mais l’ensemble tient vraiment bien la route. On pourrait qualifier ça d’intimisme punky. Il répète bêtement son leitmotiv et le cut s’arrête sans prévenir. Une façon comme une autre d’exprimer le vanité de tout. Un souvenir vaut mieux que rien du tout, répète-t-il. C’est ainsi qu’il voit la fin des haricots. Ce qui ne l’empêche pas de revenir avec un balladif superbe, «The Girl In The Hand Me Down Clothing». On sent le vétéran revenu de toutes les guerres. «She’s My Yoko» est aussi un balladif de rêve. Ce mec a du génie, n’ayons pas peur des mots. Il se montre à la fois traînard et puissant. Ça joue de l’orgue et ça gratte par derrière. TVDan met un peu de gravité dans son timbre - Yes or no she’s my Yoko/ Please don’t go you’re my Yoko - Puis il nous gratte un gros «Walk Towards The Light» à coups d’acou et fausse ensuite sa voix pour partir à la dérive avec «Funny He Never Married». On sera frappé par la profondeur d’«Except For Jennifer». Il chante dans son coin. L’écoute qui veut. Nouvelle bizarrerie avec «People Think That We’re Strange». TVDan s’amuse avec des machines. Il envoie son boogie des clochards. Mark E. Smith serait-il allé si loin dans la désaille ? Va-t-en savoir. TVDan a dix ans d’avance. Il le répète : les gens pensent qu’on est bizarres. Il en joue. Gros son, cut bien bordé. Pur genius. Il ressort son accent cockney pour «My New Tattoo» et fait sauter la sainte-barbe. Il est monstrueux de prestance gaga. Il claque l’East End gaga avec de gros effets de guitare. On prenait les TVPs pour les brêles, mais c’est nous les brêles, TVDan fait tout simplement la suite des Who et de Syd Barrett. TVDan is the beast ! Il passe un solo de déglingue pure dans le désastre d’un bassmatic abandonné, il erre dans son no man’s land. Dan Treacy résiste encore. Espérons qu’il ne renoncera jamais.

             Bon, c’est pas gagné. Berton indique que TVDan survit à trois overdoses qui ressemblent à des suicides ratés. Les TVPs montent une dernière fois sur scène en 2011. TVDan devait participer à un tribute à John Peel, mais apparemment il s’est fait démonter la gueule, Berton ne sait pas trop. Le voilà à l’hosto. Il est ratatiné, avec un caillot au cerveau qu’il faut opérer. Alors Berton imagine une dernière scène magique : Geoffrey Ingram emmène l’auteur rendre visite à TVDan, qui vit maintenant dans une maison médicalisée à la campagne. Pour Berton, c’est une occasion en or : «Si vous considérez qu’il vaut mieux être vivant que mort, alors force est d’admettre que la fin de vie de Daniel Treacy est à l’image de son œuvre, modeste, tragi-comique et tout sauf spectaculaire : l’obscur leader spirituel du rock indépendant condamné à une mort sinistre, suite à des problèmes de santé. Loin des yeux loin du cœur, le chanteur qui aimait tant disparaître finit oublié de tous.» Berton rend ici hommage à l’humour acidulé de TVDan. C’est un exploit littéraire qu’il faut saluer. Il fait même dérailler cette scène finale en concluant que le TVDan que l’emmène voir Geoffrey Ingram n’est pas le vrai TVDan. Après l’humour acidulé, le fantastique Shelleyien.

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             Il reste encore des choses à écouter, tiens comme ce Beautiful Despair enregistré en 1990 et publié en 2018, presque trente ans plus tard. Ne serait-ce que pour le morceau titre, délicieusement décadent et même désespéré. Du pur TVDan. Le cockney revient avec «Love Is A Four Letter Word», véritable TV shoot de heavy pop. Il s’y délecte à coups de nïce et de paradïse. Quel bel album, tout y est délicieusement délié, avec notamment l’«If You Fly Too High» qui semble sortir tout droit du White Album, et dédié à Alan McGee. Il faut aussi entendre TVDan gratter «Hard Luck Story Number 39» à l’acou de Dead End Street. TVDan chante sa pop sans aucun espoir. Jowe Head l’accompagne. En B, on tombe sur «Goodnight Mr Spaceman», une petite pop cockney chantée au mieux des possibilités. Encore une pure merveille de heavy pop avec «I Like That In A Girl». TVDan sait rendre la pop fascinante, il sait recréer le merry-go-round des sixties. Il fait aussi un grand numéro de funambule avec «Suppose You Think It’s Funny» qu’il chante à l’angle de la sérénade.

             Dans son fanzine Communication Blur, Alan McGee raconte comment Dan Treacy concevait un set des TVPs : 40 personnes sur scène qui, pendant que le groupe jouait, distribuaient des drogues, des bananes et du café au public, projetaient des films amateurs, peignaient des toiles, lisaient des poèmes et à la fin du set, TVDan sciait sa Rickenbacker en deux, comme le fit Tav Falco à Memphis.

    Signé : Cazengler, Television Penibility

    Benjamin Berton. Dreamworld: The Fabulous Life Of Dan Treacy. Ventil Verlag 2022

    Television Personalities. And Don’t The Kids Just Love It. Rough Trade 1980

    Television Personalities. Mummy Your Not Watching Me. Whaam! Records 1982

    Television Personalities. They Could Have Been Bigger Than The Beatles. Whaam! Records 1982

    Television Personalities. The Painted Word. Illuminated Records 1984

    Television Personalities. Chocolate Art. Pastell 1984

    Television Personalities. Privilege. Fire Records 1990

    Television Personalities. Camping In France. Overground Records 1991

    Television Personalities. Closer To God. Fire Records 1992

    Television Personalities. I Was A Mod Before You Was A Mod. Overground Records 1995

    Television Personalities. Paisley Shirts & Mini Skirts. Overground Records 1996

    Television Personalities. Don’t Cry Baby It’s Only A Movie. Damaged Goods. 1998

    Television Personalities. My Dark Places. Domino 2006

    Television Personalities. Are We Nearly There Yet ? Overground Records 2007

    Television Personalities. A Memory Is Better Than Nothing. Rocket Girl 2010

    Television Personalities. Beautiful Despair. Fire Records 2017

     

    *

    Dans notre chronique 561 du 26 / 07 / 2022 nous présentions le premier EP de Telesterion, nommé An ear of grain in silence reaped, or voici que le groupe projette pour les mois de mars et de septembre ( 2023 ) de faire paraître toute une série de titres dont les sorties successives correspondront aux dates antiques durant lesquelles les Mystères ( les petits et les grands ) d’Eleusis étaient célébrés. Nous en reparlerons, ces procédés de reviviscence des cultes antiques dans la Grèce moderne nous intéressent vivement. Ceux qui ont lu Le serpent à plumes de D. H. Lawrence seront à même de comprendre les implications opératoires de telles prédilections.

    En attendant la proximale réalisation de cette annonce, nous nous penchons avec intérêt sur les deux dernières productions de Telesterion parues en septembre et décembre 2022.   

    HOUSE OF LILIES

    TELETESRION

    ( Septembre 2022 )

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    La pochette peut sembler anodine. Une fresque assez banale, un mur devant lequel se distinguent deux murets, l’on ne sait s’ils cernaient un bassin ou un parterre de fleurs. A moins qu’ils ne soient de simples bancs pour s’asseoir et discuter.  Ce qui est indiscutable c’est la présence des lys. Ce sont d’ailleurs eux qui ont donné son nom à la maison dont seule subsiste cette fresque et qui a été victime d’un incendie vers 1500 avant notre ère.  Elle est actuellement conservée au Musée Archéologique d’Héraklion.

    Ce seul nom fait frémir, Héraklion se situe en Crète et c’est sur son territoire que se trouvent les ruines d’un célèbre palais, celui de Knossos, détruit par une éruption volcanique, lieu mythique par excellence, quelques noms suffisent à raviver les mémoires défaillantes, Minos, Pasiphaé, Minotaure, Dédale, Icare… Nous en rajouterons deux, Thésée qui tua le Minotaure et put ressortir du labyrinthe dans lequel le monstre était enfermé grâce au peloton de ficelle qu’Ariane, fille du roi, lui avait procuré…

    Nous en savons maintenant assez pour tirer sur le fil de notre imagination et essayer de comprendre ce qui se passe dans les trois titres – ils forment un véritable triptyque – de cet opus.  Nous conseillons de lire d’abord les trois textes en orange, puis les trois textes en vert, et enfin les trois textes en bleu. Mais chacun fera ce qu’il voudra.  

    The mistress : un son qui évoque les nuages de poussières soulevées par l’explosion du volcan  du Santorin, comme si ce qui parvenait à nos oreilles venaient de loin, mais une fois passé cette sensation d’étouffement auditif, nous comprenons que ce qui se dévoile à nous relève d’un passé prestigieux, que nous sommes plongés en une histoire prodigieuse et qu’il faudra regarder sous la violence des coloris de cette grande geste qui nous est racontée pour en deviner le sens secret. Les trois figures féminines ne désignent qu’une seule et même personne. Chacun des titres évoquent un seul de ses aspects. Maîtresse, jeune fille, mère. Nous pouvons prononcer son nom Ariane. Elle est un peu la figure oubliée de la légende minoenne, pourtant elle en détient le principal mystère, très loin de toute anecdote. Elle est la maîtresse de Thésée qui l’abandonnera, mais Dionysos la recueillera pour sa beauté, Partagera-t-elle la vie du Dieu jusqu’à la fin sans fin de ses jours immortels, où sera-t-elle transpercée par une flèche mortelle tirée sur l’ordre de Dionysos par Artémis, la déesse des jeunes filles. The maiden : la même musique, normal puisque les trois morceaux racontent la même histoire, mais ici elle est plus violente, des clameurs de guetteurs, le chœur qui prophétise l’horreur, et un tsunami de batterie chevauche une vague monstrueuse dont les eaux furieuses déferlent sans fin, elles passent, elles détruisent, elles recouvrent tout, elles emportent les morts et les vivants, et le fléau cesse encore plus brutalement qu’il n’a commencé. Avons-nous seulement le temps de réfléchir, subjugués par une telle beauté. Jeune fille la force vitale de la jeunesse, la beauté, le sang, la fougue, les palpitations de la chair, le flot impétueux des désirs que rien ne retient, qui courent telles des cavales déchaînées ivres de liberté et d’accomplissement. Rien ne saurait s’opposer à cette fureur, hymne à la joie et à la vie. Seul un Dieu était digne de la beauté d’Ariane. L’a-t-elle rendu jaloux pour avoir été amoureuse de Thésée, que sont les lys blancs de la fresque confrontés aux lys rouges, la blancheur est-elle celle des ombres que nous devenons lorsque nous sommes morts, et le rouge évoque-t-il la lymphe triomphale et inaccessible des Dieux. The mother : sonorités tintantes d’une geste héroïque que l’on pressent grandiose, même si ici parmi ces tentures chorales assourdissantes et incompréhensibles l’on comprend que l’on atteint à une sorte de plénitude métamorphosale, distinguons un rythme processionnel mais tout se précipite une dernière fois avant que le son ne décroît lentement. De quoi s’agit-il au juste, Reprenons nos esprits. Une autre version conte qu’Ariane aura donné des enfants à Dionysos, mais si l’on regardait cette histoire par le petit bout de la lorgnette, si ce n’était pas Ariane qui était intéressante, si elle n’était qu’une réplique de Dionysos, car Dionysos aussi a connu la mort, n’a-t-il pas été déchiré par les géants, et n’est-ce pas Zeus qui a réuni les lambeaux de chair dispersées et donné l’immortalité en cadeau. Que nous disent ces belles histoires, que nous cachent-elles, comment les interpréter sinon en les lisant comme le secret même de l’immortalité, les Dieux ne sont que des figures conceptuelles, une mère meurt mais survit en ses enfants, comme la graine dans la terre qui se détruit elle-même en donnant naissance à une nouvelle plante. Nous retrouvons-là un des enseignements d’Eleusis. ( Voir notre chronique sur l’EP DE Telesterion dans notre livraison 561 )

     

    ECHOING PALACE

    TELESTERION

    (Décembre 2022 )

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    Comme pour An ear of grain in silence reaped  l’on retrouve en couverture une séquence de la fresque de la villa des Mystères de Pompéi.

    Le titre nous renvoie au palais de Knossos, ils sont d’ailleurs d’une facture similaire mais la pochette nous présente deux jeunes femmes, et nul besoin d’être titulaire d’un master de mathématiques pour s’apercevoir qu’il n’y a que deux morceaux. Faisons comme si chacun des deux titres était une transcription musicale des pensées de ces deux êtres féminins.

    Il faudrait savoir mais nous ne le saurons jamais, ces portraits sont-ils des inventions de l’artiste où les deux dames de la maison ont-elles servi de modèles. A-t-on pensé à  comparer la fresque de la villa des Mystères avec les portraits du Fayoum, l’on répondra que ce sont deux moments historiaux qui n’ont rien à voir l’un avec l’autre, toutefois ils possèdent un sacré trait d’union, la représentation des deux faces de toute existence : le recto de la vie, le verso de la mort. L’on a l’habitude de regarder les images comme des compositions qui voudraient signifier quelque chose de précis. Mais entrer dans les figurines et les écouter relève au gré des scientifiques, ce que nous ne sommes point, de la folie la plus absurde.

    Echoing palace : dès les premières sonorités une évidence s’impose  - il en sera de même pour le morceau suivant – l’instrumentation et les chœurs s’inscrivent dans la continuité lyrique des deux précédents, à une différence près, l’on dirait que la musique est ici plus renfermée sur elle-même, The house of lilies est une évocation extérieure du monde, ce qui ne nuit nullement à son aspect ésotérique,  nous entrons en quelque chose de plus intime, dans la pensée de la dame à sa toilette, certes si l’on se fait belle c’est que l’on envisage de séduire le monde extérieur, l’on se soucie du regard des autres, quels conseils chuchotent les chœurs de sa voix intérieure à l’oreille des désirs de notre belle dame. Vers qui escompte-t-elle tourner les appâts de sa beauté. Qui veut-elle séduire, à quel Immortel désire-t-elle s’offrir… Ne sommes-nous pas dans la villa des mystères… Quels sont les actes rituelliques de l’initiation suprême. Echoing palace 2 :  le ton est plus grave, nous changeons de sujet, la coquette cède la place à la penseuse, ne serait-ce pas la même personne, avant et après, entre ces deux moment s’est déroulé le rituel, celle qui attendait l’Innommable n’espère plus, peut-être même n’espère-t-elle plus rien, elle a vu, elle a su, elle a entendu, elle a connu elle pose un regard fatigué sur le monde, le temps de l’innocence et de la quête est terminée, son regard se voile d’une tristesse indicible, n’est-elle pas déjà de trop en ce monde, elle est là posée, telle une stèle épigraphique sur le chemin, beaucoup s’arrêteront, la regarderont, ne déchiffreront rien et passeront, alors qu’elle est la réponse à ceux qui cherchent, sur ce chemin, qui tourne sur lui-même comme le serpent qui se mord la queue pour rester dans son éternelle présence.

    Grandiose et splendide.

    Damie Chad.  

     

    *

    De temps en temps je tape Poe, ou Edgar Poe, ou Edgar Allan Poe, sur le net, je pêche au hasard ( Poebjectif ), avec Poe l’on ramène souvent quelque chose dans ses filets, cette fois-ci, un groupe de rock, deux membres résidant dans l’ouralienne région de Russie.

    Alexander I : bass guitar, steel sheets, spiral spring  / Kein Necro : samples, synthés.

    Entre l’un qui se voit un destin impérial, et l’autre qui a déjà rédigé sa nécro, nous sommes entre de bonnes mains, l’on ne s’attend peut-être pas à l’ange mais pour le moins au bizarre. Depuis 2003 Zinc Room a déjà produit onze albums. Celui-ci consacré à Poe est inclus dans une trilogie dont le premier volume porte sur Lovecraft, nous voici en bonne compagnie. Je n’en veux pour preuve que le titre d’une de leur précédente production : The house on the edge cemetery, simple mais terriblement efficace.

    Le principe de l’album est des plus simples, chacun des neuf titres évoque une nouvelle de Poe. Ne dites pas que la vôtre n’est pas là, ou pire quel bonheur ils ne l’ont pas oubliée, ce serait le signe que vous n’avez pas compris grand-chose à Poe. Chacune des nouvelles de Poe est le fragment d’un puzzle mental que l’on se doit d’assembler et de réassembler comme le jeu des perles de verre de Hermann Hesse.

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    La pochette du CD est très réussie, l’artwork est de Kein Necro, elle ne montre rien, elle suggère, chacun y verra ses propres phantasmes. Pour ceux qui n’aimeraient pas se regarder dans cet obscur objet de leurs désirs craintifs refoulés, Kein Neco est sympa, vous offre une seule image, claire, nette et précise ( presque ) dans une sombre forêt l’entrée d’un tombeau seigneurial  vous attend. Une image qui ne déparerait pas pour illustrer un conte de Stéphane Mallarmé ou de Villiers de l’Isle-Adam. Pensons à Igitur, ou à Véra.

    POE

     ZINC ROOM

    ( Dead Evil Production / 2020 )

     

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    The murders in la rue Morgue : une nouvelle policière si l’on préfère, mais à lire comme un diagramme raisonné du fonctionnement du raisonnement humain. Relisons Monsieur Teste mais aussi Agathe ( Le manuscrit trouvé dans une  cervelle ) de Paul Valéry et intéressons-nous aux développements actuels de l’intelligence artificielle puis imaginons notre conteur en joueur d’échecs pour mesurer combien  Edgar Poe  avait de coups d’avance sur notre modernité… Coups de semonces hyper violents, l’horreur déboule à toute vitesse, un ruissellement d’énigmes tombe sur vous, des élingues sonores peut-être en imitation des  hurlements des victimes nous assaillent si vite que l’on comprend que personne ne pourrait arrêter cette férocité animale en pleine action… l’on arrive à une saturation sonore difficilement supportable, suivi d’un bruit de scies mécaniques sifflantes de l’esprit qui désincarcèrent le mystère jusqu’à ce qu’il n’en reste plus une once. The tell-tate heart : ( Le cœur révélateur ) : histoire fantastique de l’assassin qui se dénonce lui-même, existe-t-il une cloison entre folie et intelligence, ou alors n’est-on trahi que par soi-même, les petits esprits parleront de remords, j’évoquerai plutôt la chambre close du solipsisme : évidemment ils ont opté pour les battements du cœur, mais pas comme on l’attendrait, pas la pulsation régulière que rien ne saurait arrêter, non ça cliquette de tous les côtés, dans tous les sens, des idées qui s’entrechoquent dans une boîte crânienne, ce muscle cardiaque ne bat pas il galope, il ignore la ligne droite, il est ici et il est là, il est partout en même temps, le voici énorme, éléphantesque, il grandit, il grossit, il mange le monde, il dévore l’univers, il stridule, il éjacule à flots ininterrompus, les digues de la raison cessent, le cargo de la mort et le paquebot de la folie unissent leurs sirènes. The premature burial : pire que la peur de la mort, la peur d’être enterré vivant. Une des nouvelles les plus terribles de Poe, peut-être parce qu’elle se termine bien : note funèbre qui vous assaille et qui ne vous lâche plus, une espèce de mouche tsé-tsé définitive qui tourne dans votre tête, dont les ailes cymbaliques vous cisaillent les neurones, l’angoisse s’engouffre dans votre gorge, elle vous envahit,  agite  de soubresauts désespérés votre corps, serez-vous le seul à entendre vos borborygmes de pantin désarticulé   telle une marionnette malmenée par les cordes inexorables que le marionnettiste que vous êtes emmêle à déplaisir pour mieux vous ligoter pour l’éternité. Vous respirez lorsque le morceau se termine. Cataleptique ! The back cat : le même thème que Le cœur révélateur mais ici on assiste à tout le processus de la folie qui s’installe peu à peu et qu’il est impossible au narrateur de conjurer, l’alcool ne l’aide pas, avec en plus cette présence du chat(s) noir(s) symbole reproductif de l’Inévitable fatum : aux premiers tintements l’on se dit que le groupe ne s’est pas nommé la chambre de zinc par hasard, par la suite l’on est enfermé dans une cloche de plomb soumis à un bombardement d’irradiation atomiques, serions-nous le chat noir de Shroëdinner pris en otage dans une expérience de la dichotomie temporelle, stridence de miaulements recouverts par des déflagrations imparables, priez pour vos propres oreilles, le morceau dure dix minutes et si vous allez jusqu’au bout vous risquez d’en être marqué pour le restant de vos jours, s’il vous en reste, entendez le noise comme une noire araignée géante qui s’accroche de ses huit pattes velues comme une ventouse suceuse de votre sang, votre martyre ne s’achèvera donc jamais, la mort se colle et ne vous quitte plus. Effrayant. The oval portrait : ( 1842 ) :  à mettre en relation avec Le chef-d’œuvre inconnu d’Honoré de Balzac : au bas mot une histoire de vampirisme artistique, à son plus haut degré une réflexion de Poe sur sa propre existence : Moins de bruit, moins de boucan, le décor du conte s’y prêterait, mais non Zinc Room, ne nous laisse aucune échappatoire, du conte ils ne retiennent que sa plus intolérable noirceur, ont-ils compris que l’histoire n’est pas racontée jusqu’au bout, qu’elle se termine comme une décapitation, parce que si on essaie de la continuer logiquement ne  s’offrent à  nous que  l’hypothèse de suites plus cruelles les unes que les autres, ils ont ouvert la porte dérobée du gouffre et leur musique se retrouve du côté de la force ou de la farce la plus noire.  The pit and the pendulum : un des contes les plus célèbres de Poe, il est dommage que la fin soit bâclée en six lignes par l’intervention d’un deus ex machina salutaire, dans La torture par l’espérance Villiers de l’Isle-Adam a machiné un finale à la hauteur de l’angoisse suscitée par les vingt premières pages de Poe : tubulures caverneuses, les  ailes noires du pendule se précipitent lentement vers l’ignominique destin, la Mort s’amuse-t-elle avec une faux d’un nouveau genre, l’on entend le souffle de l’air déplacé par le corbeau de l’angoisse, nous voici dans le cortex rétracté du supplicié, jusques là Zinc Room reste dans l’harmonie imitative, l’on n’entend plus que le balancier qui descend imperturbablement, mais une fureur endémique se déploie, serait-ce l’incendie terminal. De toutes ces mises en musique des nouvelles de Poe celle-ci est la moins probante, trop près du texte dont elle ne semble proposer que la lecture de sa première moitié. The descent into the maelström : dans ce chef-d’œuvre absolu se mêlent deux thèmes consubstantiels au génie de Poe, une fascination de l’abîme qui confine à une curiosité prométhéenne métaphysique et la puissance démonique de l’esprit humain :  une terreur tourbillonnaire en une seconde nous voici sur l’esquif penché sur l’abîme, encore plus effrayants ces grondements qui semblent provenir du fin fond de l’abysse, mille trompes de vaisseaux engloutis qui résonnent comme si les râles de détresse étaient restés prisonniers de l’élément liquide, l’on tourne sans fin en une spirale prodigieuse, plus on se rapproche du centre plus le bruit s’amplifie, l’on se dit que ce morceau pourrait aussi bien servir pour la bande-son d’un film de science-fiction contant la mésaventure d’un vaisseau spatial aspiré par un trou noir, n’oublions pas toutefois que cette descente dans le maelström n’est que l’image poétique d’une descente au fond de l’esprit humain. Morella : réincarnation ou retour du même, ce conte soulève davantage de questions qu’il n’en résout, est-ce par hasard si dans ces lignes Poe révèle ses lectures de la branche philosophique du romantisme allemand, soyons curieux de la manière dont Zinc Room traduira la douce quiétude qui émane de ce court récit : joue sur les résonance et les échos d’une chose, imaginez celle que vous voulez qui se perpétue, renaissant de ses cendres à chaque millénaire et s’enfuyant vers l’immortalité, la musique est effrayante mais elle ne fait pas peur, elle attire, elle séduit, un marécage dans lequel vos rêves s’engluent lentement, sans doute parce que nous sommes pas assez affirmés pour mériter de renaître à nous-mêmes. The fall of the house of Usher : un must poesque. La proximité avec Balzac est probante, une communion d’esprit, tous deux ne furent-ils pas des lecteurs de Swedenborg,.. Ce conte repose sur la créance pythagoricienne en l’unité des trois règnes de la nature, ainsi il y aurait la possibilité d’une osmose opératoire entre le monde minéral et la bête humaine. Une idée chère à Poe, que la destinée individuelle s’inscrit pour certains êtres dans le destin d’une généalogie, contrairement à l’Igitur mallarméen dans cette nouvelle de Poe ce n’est pas le héros terminal qui clôt la geste généalogique mais les murs de pierre de la Maison Usher. Le lecteur se reportera aussi avec bénéfice au sonnet Vers dorés de Gérard de Nerval : commencent par la fin, par la chute, par l’effondrement de la maison Usher, se complaisent dans ce moment qui clôt la nouvelle, il est des images mentales ou sonores qu’il est bon de passer au ralenti pour mieux goûter à cette sensation de l’inexorable, cette chute ne la vivons-nous pas chaque jour puisque nos fondations les plus solides sont fissurées par cette mort insidieuse qui nous attend, et une fois mort ce n’est pas encore fini puisque notre corps subira aussi procédés de putréfactions et de disparition. Zinc Room édifie une espèce de sablier sonore que l’on écoute s’écouler et s’écrouler avec fascination, et nous rappelle que la Maison d’Usher n’est que notre miroir, et comme nous n’aimons pas nous regarder dans son eau glauque, le son nous transperce et nous envahit sans pitié.

    Cet opus est un chef-d’œuvre terrifiant. Digne d’Edgar Poe.

    Damie Chad

     

     

    ANOUSHKA

    PATRICK EUDEKINE

    ( Le Passage Editions / 2020 )

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    Une belle couve signée d’Octave Anders. De loin dans ce lot de bouquins disparates je ne voyais qu’elle. M’attendais pas un livre sur le rock, qui plus est un roman de Patrick Eudeline. Je prends, avec Provins privé d’internet, et ses librairies dépourvues de livres, les soirées risquent d’être longues.

    Bref j’ai lu. Pas content, mais pas mécontent non plus. Un policier, suffit de se laisser porter par le récit, suit sa pente naturelle, ne vous file pas non plus l’impression d’être sur un bateau ivre. Pas de véritable affaire, le véritable sujet c’est le mouvement punk. Attention, musicalement c’est assez maigre, quelques titres de disques par-ci par-là et c’est tout. En plus l’on n’est ni à New York, ni à Londres. Juste à Paris. Rétrécissons la focale. Dans la mouvance punk, entre 1975 avant le début et 1982 après la fin. Toute une époque, mais un tout petit milieu.

    Y a deux héros. Simon qui raconte l’histoire à la première personne. De temps en temps il croise le second qui ne joue aucun rôle, qui ne participe même pas à l’action. Un certain Eudeline. En fait c’est lui le sujet du roman. Non il n’a pas la grosse tête, ne tire pas la couverture à lui. Simon lui sert de paravent. Lui permet de faire le bilan du mouvement. Négatif.

    N'y va pas de main morte. Ne parle pas du punk, mais des punks. Pas de tous. De ceux issus de la bourgeoisie aisée. Très aisée. Des fils et des filles de bonnes familles qui ont dérivé. Qui se sont affranchis de leurs parents, qui ont mis leur révolte dans la musique (un peu) et la dope ( beaucoup). Z’ont un sacré filet de sécurité derrière eux, certains s’en servent quand les gros ennuis surgissent… Ne les critiquons pas que ferions-nous à leur place si notre papa ou notre maman était plein aux as…

    Bon parlons d’Anoushka, c’est-elle l’héroïne, manque de chance elle a disparu. Tout le monde la cherche, même la police, sauf elle. Le lecteur la retrouve après la fin du bouquin. Dans l’épilogue. Littérairement c’est assez maladroit, assez mal construit. Dommage, car c’est la seule qui reste fidèle à ses principes. Un bien grand mot. Vit au jour le jour. Trouve toujours un plan de secours en réserve pour arriver au lendemain. Elle assure, sans foi, ni loi, ni toit. Elle se débrouille bien. Prête à tout et prête à rien. C’est ce dernier mot qui la résume le plus. Une nihiliste qui ne croit même pas au nihilisme. Comment cela finira-t-il, elle ne se pose même pas la question. Elle mord à pleines dents, ni dans la vie, ni dans le sexe, ni dans la drogue, mais dans le rien, dans le vide…

    Les lecteurs pointilleux feront remarquer que 1982 c’est un peu excessif pour le punk. Eudeline le sait très bien, l’explique comment le punk est remplacé par les jeunes gens modernes, mais il n’articule pas le pourquoi, à vous de trouver le point de jointure sociologique, l’est très simple lorsque l’on n’a pas dépassé le nihilisme il ne reste plus qu’à faire marche arrière et s’ériger au plus vite de nouvelles valeurs, c’est la seule manière de trouver une planche de salut dans le nihilisme, car le nihilisme c’est encore une valeur. Il en est des valeurs bourgeoises comme des valeurs prolétariennes.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 19 ( Rébarbatif  ) :

    96

    Les pas se rapprochent. Derrière la porte je suis prêt à toute éventualité, sur le palier une voix juvénile claironne :

              _ Damie ne me fais pas attendre !

    La porte s’ouvre impétueusement, je n’ai pas le temps d’esquisser le moindre geste qu’Alice se jette dans mes bras :

              _ Oh Dami chéri, je commençais à croire que tu m’avais oubliée !

    En un tour de main, elle m’entraîne sur le lit, je ne sais comment mais en quelque secondes je me retrouve aussi nu qu’un vermisseau, Alice la jouvencelle est serrée contre moi aussi dénudée qu’un vermicelle, sa bouche cherche mes lèvres… Je ne sais pas si vous avez souvent fait l’amour avec une morte, mais je peux témoigner qu’elles ont un sacré tempérament et je comprends que tous ces récits médiévaux relatant l’appétit insatiable des goules ne sont pas des historiettes inventées de toutes pièces destinées à impressionner un public illettré et crédule… La fougue de nos ébats ne m’a pas empêché d’entendre le bref aboiement d’un chien, est-ce Molossa ou Molossito, je l’ignore, l’avertissement est clair : l’ennemi arrive !

    Nous étions, Alice et moi, si enchevêtrés que j’ai du mal à me retirer d’une étreinte si fougueuse. De qui s’agit-il ? En tout cas à la violence avec laquelle on a ouvert et refermé la porte d’entrée de derrière, il est certain que l’on me cherche, le vacarme des marches montées à toute vitesse, n’augure rien de bon, je n’ai même pas le temps de me saisir de mon Rafalos que j’avais glissé sous l’oreiller.

     Je me suis déjà trouvé en meilleure posture, l’on est sûrement pressé de me trouer la peau. Je vous rassure, ce n’est pas à moi que l’on en veut. Un coup de pied dans la porte et une furie entre dans la chambre, se jette sur Alice et essaie de la tirer du lit par les cheveux. C’est Alice !

              _ Fous-moi le camp de là, sale trainée, il est à moi !

    Les deux Alice sont maintenant face à face, leurs yeux jettent des éclairs de haine, un tumultueux crêpage de chignons s’engage… Que faire ? J’avoue que j’hésite… Un nouvel aboiement m’avertit de prendre garde, un nouvel assaillant ! Juste à ce moment les deux Alice se jettent sur moi et chacune des deux me tire de son côté, j’essaie de saisir mon Rafalos mais il est tombé sous le lit, ce coup-ci c’est un taureau furieux qui a enfoncé la porte et qui se rue dans les escaliers, technique d’assaut commando ai-je le temps de penser, mes secondes sont comptées ! Un halètement bestial et la porte semble soufflée par une explosion, un hurlement à crever les tympans d’un sourd, le fameux krikitu destiné à paralyser les adversaires retentit, les deux filles métamorphosées en statue ne bougent plus.  

              _ Totalement folles toutes les deux, quand il y en a pour trois, il y en a aussi pour quatre !

    En un tour de main Carlos se déshabille et nous rejoint sur le lit, ce renfort inopiné me ragaillardit, comme dirait Ronsard nous nous livrâmes sans état d’âme aux plus folles folastries. Le quatuor d’Alexandrie de Lawrence Durrel est un très beau livre…

    Molossa et Molossito   nous ont-ils avertis ? Toujours est-il que tout à nos occupations du moment nous n’avons rien entendu. S’est-on glissé subrepticement dans la maison, les escaliers ont-ils été montés sur la pointe des pieds, je suis incapable de répondre à ces angoissantes questions. Pire nous n’avons même pas remarqué que quelqu’un était entré dans la chambre, nous en serions-nous même aperçu s’il n’avait donné de la voix…

              _ Me too !

    Et d’un bond léger le Chef, le très cher était nu et n’avait gardé que son Coronado, se joignit à nos jouissances. Comme quoi après le Quatuor d’Alexandrie il est de bon ton d’enchaîner sur Le quintette d’Avignon, du même Lawrence Durrell.

    97

    Le Chef alluma un Coronado :         

    • Certes hier après-midi nous avons passé une agréable journée, la tête nous a cependant un peu tourné, quand nous nous sommes repris il était dix heures du soir passées et l’enterrement de Lamart et Sureau était terminé depuis longtemps, nous avons s’il le faut laisser passer des éléments importants que nous aurions pu glaner, nous avons failli dans notre mission, un peu par votre faute agent Chad si vous n’aviez pas cédé à vos instincts les plus bas, nous ne serions pas dans l’impasse totale, il ne vous reste plus qu’à nous proposer un début de piste pour poursuivre notre enquête, je vous somme de me faire une proposition intéressante dans les quatre minutes qui viennent ! Top chrono !
    • Oui Chef, mais pourriez-vous préciser ce que nous cherchons !
    • Agent Chad je n’en sais fichtre rien, d’habitude je fume une dizaine de Coronados et la situation s’éclaire, mais là je suis au point mort. Tenez prenez un Coronado, cela vous aidera peut-être.

    J’ignore si le Coronado hormis le fait que je fus tout le reste de la journée agité de fortes quintes de toux y fut pour quelque chose mais toujours est-il qu’une idée que les esprits pondérés jugeront saugrenue s’imposa au turbo exponentiel de mon cerveau.

              _ Chef si nous échouons c’est que nous n’employons pas la bonne méthode, en gros nous essayons de suivre rationnellement des pistes qui ne nous emmènent nulle part, faisons le contraire, agissons irrationnellement et peut-être trouverons-nous quelque chose de tangible.

              _ Agent Chad, il n’y a aucun doute, le fait de me fréquenter vous rend de plus en plus intelligent, si vous fumiez quotidiennement une minimale quarantaine de Coronados, vous auriez quelque chance un de ces jours de me remplacer à la tête du service, mais ne perdons pas de temps à mettre votre idée en application.

    98

    Nous avions laissé après fortes recommandations de prudence Molossito et Molossa en faction sous la voiture que nous avions stationnée juste devant la porte d’entrée de l’immeuble dont nous empruntons les escaliers. Le Chef devant, moi derrière, mais tous deux la main sur notre Rafalos, nous étions dans un des pires endroits du dix-huitième. Nous nous arrêtâmes sur le palier du douzième étage devant une porte blindée, aucune sonnette nous nous apprêtions à frapper lorsqu’ une vois grésilla dans un interphone vraisemblablement planqué au plafond.

              _ Entrez messieurs, je vous attendais.

    L’endroit était minuscule, un placard à balais aménagé en local de réception. Mme Irma était assise sur un fauteuil, dans le peu de lumière nous ne distinguions vraiment que le bout incandescent de sa cigarette fichée dans un porte-cigarette de vingt-cinq centimètres de long. Nous prîmes place sur deux chaises de bois vermoulu.

    • Excusez la modestie de cet havre de méditation de haute perspicacité, messieurs je suis à votre service, que puis-je pour vous ?

    Le Chef alluma un Coronado :

              _ Pour moi personnellement rien, tout va bien mais mon ami souffre d’un mal insondable, avant de le laisser s’expliquer, je tiens à vous dire que si nous vous avions choisie, c’est pour la réputation flatteuse qui vous entoure, si l’on en croit l’article du Parisien Libéré de ce matin.

              _ Ah oui, l’article de Lamart et de Sureau, ils sont venus m’interviewer il y a huit jours, dire que maintenant ils sont morts, nous sommes vraiment peu de chose sur cette terre… Mais quel est au juste votre problème Monsieur.

               _ C’est étrange Madame, toutes les filles que je rencontre depuis un certain temps s’appellent Alice. Cette coïncidence est extraordinaire, j’éprouve une espèce de malaise, ne serais-je jamais aimé que par des Alice ?

               _ Qui peut dire l’avenir, Cher Monsieur, tendez-moi votre main afin que j’étudie ce problème, non pas celle-là, l’autre, pas celle-ci non plus.

              _ Hélas Madame je n’en possède que deux !

              _ Vous n’êtes pas très malin Monsieur, ça ne m’étonne pas que l’abondance du prénom Alice vous étonne, je parlais de la main qui tiendrait trois billets de cinq cents euros par exemple.

               _ Voici Madame excusez-moi, mais pour Alice…

               _ Un jeu d’enfant, tenez prenez cette feuille blanche, écrivez ALICE en grosses lettres majuscules.

               _ C’est fait, Madame la voici…

               _ Gardez-la, lisez-moi à haute voix tout ce que vous lisez dessus

              _ A LI CE et après que dois-je faire ?

              _ Je ne peux plus rien pour vous, Messieurs, je vous souhaite une bonne matinée.

    Je me levai de ma chaise rapidement, vexé et mortifié. Mais le Chef sortit son portefeuille et glissa dans la main de Mme Irma une grosse liasse de billets de cinq cent euros.

               _ Je vous remercie Madame, je vous prie d’excuser mon ami, ce n’est pas de sa faute, je pense qu’il souffre des premières atteintes de la maladie d’Alzheimer, il ne souvient même plus de ce qu’il a dit ce matin. Je vous souhaite une bonne journée Madame…

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 588 : KR'TNT 588 : DAVID CROSBY / WHITE STRIPES / ELVIS PRESLEY / THE CULT / OTIS LEAVIL / THE CONFUSIONAIRES / 4AM NEW YORK EXPERIMENT / CHAOTIC BOUNDS SYSTEMS / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 588

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    16 / 02 / 2023

    DAVID CROSBY / WHITE STRIPES

    THE CULT / ELVIS PRESLEY / OTIS LEAVIL

    THE CONFUSIONAIRES / 4AM NEW YORK EXPERIMENT 

    CHAOTIC BOUND SYSTEMS / ROCKAMBOLESQUES

    Sur ce site : livraisons 318 – 588

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Crosbibi Fricotin - Part Two

     

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             S’il est un personnage attachant dans l’histoire du rock, c’est bien David Crosby. Ça doit faire quarante ans qu’on est là à se dire : «Ahhh, comme il est doué, ce Croz !». Il a navigué dans l’histoire du rock à sa façon, sans heurts, entouré de belles femmes et équipé des meilleures drogues. On le retrouve sur des disques qui figurent parmi les grands classiques du rock américain : les premiers albums des Byrds, CS&N, mais aussi ses albums solo. Qui fera le tour du propriétaire s’apercevra qu’il n’y a quasiment pas de déchets dans cette impressionnante série d’albums. Croz est l’hédoniste des temps modernes, au sens où Oscar Wilde l’était en cette fin de XIXe siècle pourtant riche en personnalités extrêmement raffinées.

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             Non seulement les quatre premiers disques des Byrds te rendaient dingue, à l’époque, mais ça prit des proportions encore plus spectaculaires avec le premier album de CS&N et surtout le premier album solo de Croz, If I Could Only Remember My Name, qui reste avec Electric Ladyland l’un des plus grands disques de rock psychédélique de tous les temps. Croz est un grand héros américain, au même titre que Captain Beefheart, J.B. Lenoir, Muddy Waters, Wolf et Jeffrey Lee Pierce. On en prend la mesure en lisant le premier volume de ses mémoires, Long Time Gone. On se délecte de ses récits de rocker et de navigateur, au gouvernail du Mayan, de son apologie des armes et des drogues, mais aussi du récit qu’il fait de ses incarcérations.

             Croz fournit le fil rouge de Long Time Gone, et des témoignages d’amis et de collaborateurs viennent étoffer le récit. Cet ouvrage est certainement l’un des plus passionnants et des plus honnêtes du genre. Au long des 500 pages que compte ce pavé, Croz dit tout de sa passion dévorante pour la dope et donne tous les détails de ses incarcérations successives. 

             Il est arrêté une première fois sur Sunset Boulevard alors qu’il fume une bonne pipe d’herbe au volant. Rangez-vous ! Le bourre ouvre le coffre et trouve un kilo d’herbe et un calibre chargé. Allez hop, au poste ! Croz dit qu’il n’est pas au courant du kilo et du calibre. Ça ne m’appartient pas ! On le relâche. Pendant quelques temps, Croz va jouer avec le feu, en circulant complètement défoncé dans ses voitures de sport et sur ses grosses motos. Il tourne à la freebase. Pour ceux que ça pourrait intéresser, il donne tout le détail de la façon dont on prépare une pipe et du rush que ça provoque. Un soir, sur l’autoroute de San Diego, il perd le contrôle de sa voiture. Les condés le ramassent, comme la première fois, avec tout le matos du parfait camé et un calibre chargé. Il passe la nuit au trou. Le lendemain matin, il est libéré sous caution. On commence à parler de l’affreux camé Crosby dans la presse. Il est arrêté une troisième fois en septembre 1982. La volaille de Culver City le chope à sa sortie de scène. Croz doit encore payer pour sortir des pattes des flics qui veulent sa peau. C’était courant à l’époque : les condés s’acharnaient sur les rock stars qui se rendaient vulnérables en se camant ouvertement. Pour financer sa freebase, Croz revend ses bagnoles (une Ferrari, deux Mercedes, une 6,9 litres et une 6,3 qu’il revend à un dealer pour une livre de coke et quatre mille dollars). Croz passe son temps à disparaître pour aller fumer sa pipe, même en avion, où c’est interdit - By that time, if I didn’t have my drugs, I couldn’t function - Stills excédé lui a jeté un soir un seau d’eau dans la gueule. Croz a réagi en lançant : «If Ray Charles can do it, I can do it. If Coltrane could do it, I can do it !». Croz et sa poule Jan prennent un avion à Kansas City. Ils se font poirer avec deux sacs suspects qui contiennent le matos habituel et les armes de Croz. Jan prend tout sur elle. Chef d’inculpation : piraterie aérienne. Ça commence à chauffer pour de bon. Elle s’en sort en acceptant de suivre un programme de probation. Un soir, alors qu’il roule en Harley, un flic arrête Croz et demande à voir ce que contient le fameux sac à dos qu’il trimballe partout avec lui. Il doit verser 5 000 dollars pour sortir du ballon. Et page après page, il raconte la descente aux enfers classique, les amis qui s’éloignent, les revenus qui se tarissent, la crasse qui s’installe dans la baraque et la transformation physique. Croz à l’époque est complètement bouffi. Jan est encore plus accro que lui. Elle n’est plus que l’ombre d’elle-même. On oblige Croz à se désintoxiquer, mais il fait le mur et prend la fuite. Puis les flics du Texas viennent le chercher à Greenwich Village. Croz écrit tellement bien ses mémoires que son récit fonctionne comme un film d’action. Ils tapent à la porte et disent bonjour. Croz se retrouve au ballon à Dallas et une fois de plus, il réussit à sortir sous caution. Retour à LA. Au bout de 14 ans de régime junk, Croz ressemble à un clochard. Comme sa liberté ne tient plus qu’à un fil, il prend une bagnole et file vers le Nord à la recherche du Mayan, dont il n’a plus de nouvelles depuis longtemps. Il espère lever l’ancre et prendre le large, vers le soleil. Mais il comprend que la rigolade est terminée. Il arrive pieds nus au bureau du FBI de Palm Beach pour se rendre. Et là commence l’extraordinaire récit de son incarcération. Il ne fera qu’une année de placard, mais il dit ne rien regretter de cette expérience. Et forcément, il est désintoxiqué d’office. C’est un Croz bouffi aux cheveux courts et sans moustache qui sortira du Texas Department of Corrections d’Huntsville en août 1986.

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             Il brosse aussi des portraits spectaculaires des gens qu’il admire : John Coltrane (Croz raconte comment il s’est retrouvé avec deux amis - les trois seuls blancs - dans un club noir de Chicago, Coltrane est sur scène avec McCoy Tyner et Elvin Jones, ils prennent des solos à tour de rôle, Coltrane sort de scène, et Croz ne peut pas supporter l’intensité du solo d’Elvin Jones, alors il se réfugie aux gogues, il essaie de reprendre conscience, «when the door went wham and in walks John Coltrane, still playing at top intensity and volume, totally into it», oui, Trane entre et continue à jouer en solo, à fond - he blew me out so bad I slid down the wall - Croz s’écroule. Il pense que Trane ne l’a même pas vu - but he totally turned my mind to Jell-O at that point (Trane lui a réduit la cervelle en bouillie) - Portait de George Harrison - There are people that tell me I turned him on to Indian music (des gens disent que je l’ai branché sur la musique indienne). I know I was turning everybody I met on to Ravi Shankar because I thought Ravi Shankar and John Coltrane were the two greatest melodic creators on the planet and I think I was probably right (Croz poussait tous ceux qu’il rencontrait à écouter Ravi Shankar, car il pensait que lui et Trane étaient les deux plus grands mélodistes du monde) - Encore un sacré portrait, celui de Mama Cass. Elle et Croz étaient très proches et prenaient de l’héro ensemble - We used to get loaded with each other a lot. We loved London because there was pharmaceutical heroin availiable in drugstores (ils adoraient Londres où on pouvait se procurer de l’héro dans les drugstores) - Tiens et puis Joni Mitchell, découverte par Croz. «Guinnevere», qui se trouve sur le premier album de CS&N, est une balade létale dédiée à Joni Mitchell, dont il s’était amouraché et dont il avait produit le premier album avant de la céder à Graham Nash qui voulait absolument la baiser, comme il voulait baiser toutes les poules de ses amis. Joli portrait d’Ahmet Ertegun, le boss d’Atlantic - Sweet man that he is and gentleman that he is, Ahmet loves music - Ce gentleman aime vraiment la musique, ce qui pour Croz est assez rare dans l’industrie musicale. Il ajoute que John Hammond Sr est aussi une exception, puisqu’il a enregistré Billie Holiday ET Bob Dylan. Et puis, comme on l’imagine, il brosse aussi des portraits sensibles de Roger McGuinn, du Nash et de Jerry Garcia.

             Croz n’a pas fait les choses à moitié. Toute sa vie, il n’a fait que tendre vers l’excellence. On dispose de toutes les preuves.

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             Les Byrds font partie d’une autre histoire, aussi va-t-on sauter en 1969, année de parution du miraculeux premier album de CS&N, trois larrons surdoués qui avaient décidé de chanter ensemble pour pousser le bouchons des harmonies à trois voix. Dans son book, Croz n’en finit plus de saluer l’immense talent de Stephen Stills. N’oublie pas que Jimi Hendrix voulait Stills comme bassiste dans son groupe. Quand on écoute ou qu’on réécoute «Suite Judy Blue Eyes», on se régale. C’est du très grand art. Non seulement Stephen Stills fait un festival au chant et à la gratte, mais il en fait un aussi au bassmatic. CS&N nous gratifient d’une fin de morceau absolument démente. Pour Nash et Croz, ce fut de toute évidence un privilège que de chanter sur un cut de Stills. Ahmet Ertegun qui les signa sur Atlantic comprit qu’ils étaient la crème de la crème du rock américain. «Marrakesh Express» est un hit du Nash - All on board on the Marrakesh express ! - Ce fut la musique des jours heureux, t’en souvient-il ? Puis c’est au tour de Croz d’entonner «Guinnevere». Pure magie. La beauté des personnages et la beauté du ciel, le destin leur souriait à pleines dents. En B, tu tombes sur le hit intemporel du trio, «Wooden Ship», co-signé Croz-Stills, l’archétype du rock psychédélique, monté sur une monstrueuse bassline et noyé de guitare liquide. Cut magique, encore une fois - Wooden ships on the water, very free and ea-sy - à bord d’un voilier, libre et riche, cette image allait préfigurer le style de vie de Croz. Ce cut semblait tellement en avance sur son époque. Et puis tu as «Long Time Gone», un groove infernal qui pose vraiment les bases du rock psychédélique, la mélopée court sur un tapis d’harmonies ensorcelantes. «Long Time Gone» va hanter une génération entière. Croz et ses amis ne craignaient plus rien. Ils avaient les chansons. Comme les Beatles. Ils accédaient directement au superstardom.

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             Pour leur second album, Déjà Vu, ils ont incorporé Neil Young, déjà célébré par le public américain pour ses albums solos et vieux compagnon de route de Stills dans Buffalo Springfield. Neil Young arrive dans CSN&Y comme un cheveu dans la soupe. Sa «Country Girl» n’a rien à faire sur cet album, c’est du Neil Young, un style complètement différent. De son côté, le Nash continue de faire sa petite pop anglaise. Ce gros malin a réussi à refourguer «Teach Your Children» à ses copains qui ne disent rien, car ils sont gentils. Mais ça n’arrive évidemment pas à la cheville de «Wooden Ships» ni de «Long Time Gone». Heureusement, Croz veille au grain et ramène «Almost Cut My hair», encore un groove chargé de sens psyché. Il sait tirer sur certaines syllabes, juste ce qu’il faut de fabulosité. Croz est un formidable déchireur de ciels, un explorateur de paradis artificiels. Il donne du temps au temps du groove. L’autre pièce de choix qu’il ramène pour cet album, c’est le morceau titre. Il y recycle son admiration du «Love Supreme» de John Coltrane. Musicalement, Croz est nettement plus évolué que ses collègues. Il navigue à le recherche de passages vers d’autres océans. «Woodstock» est une compo de Joni Mitchell, qui reste un modèle d’harmonies vocales rockées au roll suprême. On l’entend dans le générique de Woodstock, un film qu’on peut revoir chaque année sans jamais s’ennuyer.

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             Croz embarque tous ses copains du Bay area dans l’aventure de l’album rouge, If I Could Only Remember My Name. «Cowboy Movie», qui est monté sur le même genre de groove magique que «Long Time Gone», raconte l’histoire d’un gang de pilleurs de trains et d’une fausse Indienne. Les autres morceaux de l’album fleurent bon le mescal («Tamalpass High (At About 3)»), le mélopique enchanteur («Laughin’»), le très haut niveau - huit miles - («What Are The Names») et la pure mélodie, avec des voix qui pépillent dans la tiédeur des alizés («Song With No Words»). Croz cultive essentiellement une vision du monde très pure.

             Comme il s’entend bien avec son collègue Nash de Manchester, ils font des albums ensemble, sur le même principe que dans CS&N : chacun ramène sa gamelle.

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             C’est là où il faut feuilleter les mémoires de Nash, parues récemment sous le titre Wild Tales - A Rock & Roll Life, car avant d’être un livre consacré à lui-même, c’est d’abord un livre consacré à Croz. À travers le Nash, on comprend que Croz est un être sur-dimensionné qui dévore tout ce qui l’entoure, et une demi-portion comme Nash ne fait évidemment pas le poids. Nash explique que Croz a façonné sa vie et sa carrière, dès leur première rencontre, chez Cass Elliot. Nash n’en finit plus de brosser et de rebrosser le portrait de Croz : «Il était irrévérencieux, amusant, brillant. C’était un hédoniste à l’état le plus pur. Il avait toujours la meilleure herbe, les plus belles femmes, et elles étaient toujours déshabillées. Quand il passait un coup de fil, une fille lui taillait une pipe.» Nash est fasciné par les exploits de Croz le camé. Il raconte comment Croz vend sa Mercedes à un dealer, puis quand Croz apprend que le dealer vient de faire une orverdose, il va récupérer les clés de sa bagnole sur le corps encore tiède du dealer pour aller revendre la Mercedes à un quelqu’un d’autre - Then he had the balls to resell the car to someone else. Like I said : freaky - Nash raconte qu’à la pire époque, Croz et Jan étaient couverts d’escarres, d’ampoules et de brûlures, car ils utilisaient un petit chalumeau pour chauffer leur pipe, même dans les avions où c’était formellement interdit. Nash se souvient d’avoir vu Croz dans une émission CNN en 1983. Il s’agissait d’un reportage et la caméra filmait la salle du tribunal où Croz était jugé pour usage de drogue. Croz s’était endormi et on l’entendait ronfler bruyamment, au grand dam du Président qui était scandalisé et qui parlait de félonie. Nash apprit ensuite que Croz était même allé fumer sa pipe dans les toilettes du tribunal. Alors bien sûr, en comparaison, les aventures de Nash ne font pas le poids. Ce pauvre Nash finit comme la grande majorité des gens pauvres qui deviennent riches : il devient très sensible aux honneurs, surtout quand il est décoré par la Reine d’Angleterre. Avant de refermer cette parenthèse, signalons tout de même qu’on trouve dans les mémoires de Nash de très belles pages sur la Cavern de Liverpool et les Beatles de 1963, sur Cass Elliot, sur Stephen Stills, Joni Mitchell, mais aussi des pages extrêmement embarrassantes où Nash essaye de justifier au mieux la façon dont il s’est comporté avec ses amis d’enfance, les Hollies. Il faut bien parler de trahison, comme dans le cas de Steve Marriott avec les Small Faces. Nash a beau dire que les Hollies n’étaient pas capables d’évoluer musicalement, on ne trahit pas des amis pour une raison aussi futile. Il est si mal à l’aise avec cet épisode qu’il se réjouit pendant des pages entières d’avoir pu se réconcilier avec Allan Clarke et les autres. Mais on sent une certaine forme de puanteur, un peu comme chez Dave Grohl qui lui aussi s’était spécialisé dans l’opportunisme pathologique, n’hésitant jamais à trahir un ami pour avancer. Et voilà, c’est toute la différence entre un mec comme Croz dont l’humanité reste indiscutable et un personnage comme Nash qui porte sur la figure l’ombre shakespearienne de sa félonie. C’est dans son livre. Lit qui peut.

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             Premier album du duo Crosby & Nash en 1972. On fait très vite la différence entre les compos de Nash et celles de Croz. Nash ramène sa petite pop anglaise déracinée et souvent cousue de fil blanc. Croz ramène des compos extrêmement ambitieuses pour l’époque, comme «Whole Cloth», qui sonne comme un groove visionnaire - On what do you base yourself my friend ? Can you see around the bend ? - Digne de «Wooden Ships», avec un solo de Danny Kootch. On sent chez Croz l’ampleur océanique. Sur «Games», Croz laisse planer sa voix. En l’écoutant chanter, on a l’impression de voir un galion dériver dans le golfe du Mexique. On ne sait pas où il veut aller, mais il reste toujours à proximité d’un soleil radieux posé en équilibre sur l’horizon en flammes. Chez Croz, on retrouve invariablement cette vibration d’orange solaire. Encore une belle pièce de groove avec «The Wall Song». Il reste dans la suspension, dans le flic-floc antédiluvien. Jerry Garcia et Phil Lesh du Grateful Dead l’accompagnent, donnant au groove un parfum psychédélique extrêmement capiteux.

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             Le deuxième album du duo, Wind On The Water, sort en 1975. Il s’ouvre sur une compo merveilleuse de Croz, «Carry Me», qui se solde par une spectaculaire explosion d’harmonies vocales. Nos deux asticots s’en donnent à cœur joie. Comme d’habitude, les compos de Nash sont sympa, mais elles restent très anglaises et ne peuvent en aucun cas rivaliser avec ce qui sort de la grosse tête de Croz. Comme par exemple «Bittersweet», une pièce proprement océanique - Oh I need the heat - fabuleux besoin de chaleur monté à l’octave de l’harmonique, un groove jazzé à la Croz et traversé de fulgurances. «Low Down Payment» est encore signé Croz, jazzé dans l’attaque et accidenté de brisures de rythme somptueuses - It’ a low down payment on this pillar/ Pillar of salt - Puissant et ambitieux - If the damn thing just had a heart/ If I had a heart - some kinda heart - Il va rester dans le même esprit pour «Homeward Through The Haze», une drug-song jazzée elle aussi et d’une rare élégance - Cause the blind are leading the blind/ And I am amazed at how they stumble/ Homeward Through The Haze - Il finit avec une chanson sur les baleines dont il parle assez longuement dans son livre.

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             Leur troisième album s’appelle Whistling Down The Wire. Sur la pochette, ils ont l’air drôles. Croz est un peu joufflu, jovial, avec sa moustache en dents d’ours et ses petits yeux de navigateur. En Nash remontent tous les travers de l’Anglais pingre, avec le nez pointu surplombant un balai à chiottes jaunâtre et des petits yeux qui caractérisent si bien l’étriquement moral britannique dans toute son horreur. Tu as du pur Croz avec «Broken Bird», tu retrouves l’éther du premier album de CS&N, avec des nappes d’unisson emportées par le vent du soir, cette musique qui se voulait l’incarnation d’une certaine paix. Encore une mélodie en suspension avec «Time After Time». Croz emmène tout ça au loin. Avec «Dancer», ambitieux comme pas deux, on sent que Croz écoute Sun Ra, Trane et Ravi Shankar. On retrouve des coups de magie unissonique dans «Taken At All», et nos deux larrons s’entendent bien. Ils sont capables de créer un véritable univers chantant et sensible. Croz fait dans l’atonal pour «Foolish Man». Il navigue entre deux eaux, comme poussé et fiévreux. Il a le même genre de vision océanique que Dennis Wilson. Il manie le sous-rythme jazzy à la Charlie Mingus. On retrouve aussi certains accents élégiaques de «Cowboy Movie». Pur génie crépusculaire. Encore une belle dérive avec «Out Of The Darkness», ces mecs adorent se laisser emporter par les courants et se sécher au soleil. 

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             Ils sortent un album live en plein boom punk, en 1977, et seuls les dedicated followers of the Croz-fashion vont aller écouter ça. Ils attaquent «Page 43» à contre-chant et suspendent ce groove aux lèvres argentées d’Ariane. Ici tout n’est que manière forte, excellence des ambiances, compulsion pré-établie de laid-back libératoire, tiédeur jalouse dans les branches d’un temps béni des dieux. Ces mecs savent jouer le groove à la perfection. Peu d’équivalents sur le marché, à part Paul Simon, et, dans un genre plus sombre, Mark Lanegan. On voit le groove de «Foolish Man» fuir vers l’horizon et la version de «Déjà Vu» se détache du rivage.

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             Toujours en 1977, le trio légendaire se reforme pour sortir un album et Croz emmène ses deux collègues à bord du Mayan, comme on peut le voir sur la pochette. Excellent album, mais en 1977, on écoutait autre chose. Avec «Shadow Captain», ils repartent au grand large. On les sent au soleil. Les compos de Stills sont plus classiques, comme «See The Changes», mais on ne sent plus la niaque du premier album. Dans ce contexte, la pop de Manchester que ramène Nash passe de moins en moins bien. L’écart se creuse terriblement. «Fair Game» est un petit mambo du père Stills, bien raffiné, attaqué au chant d’unisson du saucisson. C’est le cut accrocheur par excellence - just relax enjoy the ride - et Stills place un solo acoustique assez dément. On retrouve la voix de rêve de Croz dans «Anything At All». C’est une fabuleuse glissade dans l’intimité de la suspension. Il faut suivre les compos de Stills à la trace, car elles sont souvent intéressantes, comme par exemple ce «Dark Star» qu’il joue lead à l’acoustique. Avec «Just A Song Before I Go», on est rassuré de voir que ce n’est pas Croz qui a trouvé un titre aussi con, mais Nash. Belle pièce que ce «Run From Tears», du pur Stills, avec des chorus perchés dignes du premier album du trio. Stills joue des trucs sévères sur sa guitare - Girl I’m Drowning - Admirable et racé. Croz nous fait le coup de la latence paranormale avec «In My Dreams», il mène la danse des songes. Croz est bel et bien l’âme du rock californien. Stills referme la marche avec un brillant «I Give You Give Blind», ce qui au total, nous fait un album remarquable.

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             On croyait ces mecs finis, on les prenait pour des vieux schnocks de Woodstock. Il était même de bon ton de leur cracher dessus, à une certaine époque. Mais le train de nos insultes s’arrêtait à la gare de leur indifférence. Ils ont continué d’enregistrer des albums, dans la plus totale indifférence, tout au moins en Europe. Dans son book, Croz répète inlassablement qu’il parvenait toujours à générer du cash en concert, aux États-Unis. Beaucoup de cash. Ces mecs étaient devenus des super-stars de plein droit.

             Avec ou sans Neil Young, ils vont encore réussir à enregistrer quatre albums étalés sur vingt ans, sans compter la multitude d’albums solos enregistrés à droite et à gauche par les uns et les autres. Des quatre, le plus discret sera bien sûr Croz.

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             Nouvelle équipée de CS&N en 1982 avec Daylight Again. Ce n’est pas l’album du siècle, mais quand on suit Croz à la trace, on écoute Daylight Again attentivement. Nash consacre une chanson à Croz qui va mal : «Into The Darkness» - Your face is ghostly pale - Croz répond avec une magnifique drug-song, «Delta». Ils attaquent tous les trois - Of fast running rivers of choice and chance - c’est de la pure magie suspensive. Ils sont vraiment très fort. Croz propose un horizon. C’est Stills qui pond et qui joue le morceau titre. Il ne le lâche pas. Il peut tout jouer. Il renoue avec la magie de Woodstock. Oui, car n’en déplaise aux ignares, il y a bien eu de la magie à Woodstock.

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             Neil Young rejoint ses collègues pour l’album American Dream qui sort en 1988. Croz est sorti du ballon. Il est clean. On lui propose d’essayer des trucs, mais il dit non. Pas question de replonger. On retrouve sur cet album les compos classieuses de Stills, comme «Get It Made», très joli groove monté sur un beat soutenu. Croz ne ramène pas grand chose, juste deux morceaux, mais quels morceaux ! «Night Time For Generals» est une sorte de disco colérique que s’en viennent sauver les harmonies vocales. Et «Compass», encore une histoire de navigation. Croz raconte sa sortie des enfers - But like a compass seeking North/ There lives in me a still, sure, spirit part - Mais c’est Stills qui fait quasiment tout l’album, avec sa grosse guitare et ses riffs fatals. Il semble même qu’il se soit endurci en vieillissant.

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             Et comme ça va beaucoup mieux, Croz se remet à enregistrer des albums solo. On le croyait grillé. C’est mal connaître l’animal. Il revient avec un album en forme de clin d’œil malicieux, Oh Yes I Can. Son «Drive My Car» n’a rien à voir avec celui des Beatles. C’est plutôt un gros beat des années 80. Il aménage des petites zones de paix crozbique mais le beat vire salement FM. Cut après cut, il s’enfonce dans un rock FM atroce, jusqu’à «Tracks In The Dust», où on retrouve le vrai groove d’antan, celui qui fit sa légende - I think we’re passing through here kind of fast/ Did you think those tracks in the dust would last ? - Réflexion philosophique sur le côté très éphémère des choses de la vie. Croz met ça en musique pour le bonheur de nos cervelles, et ce cut à lui seul sauve tout l’album. La B est un peu plus solide. Il revient à la magie des ambiances faussement immobiles avec «Lady Of The Harbour». On retrouve sa belle bravoure d’attaque groovy. Il évoque dans «Distances» les distances qui séparent les êtres - Till this distance came in our lives - Fabuleux. On a l’impression qu’il s’agit toujours du même groove à la dérive, mais non, c’est à chaque fois une pièce intrinsèque, très solennelle et unique. Il met en musique le sentiment du beau unique. Voilà comment on pourrait qualifier l’art de Croz. Les ceusses qui apprécient les belles chansons et les mélodies jazzo-groovy devraient écouter Croz et son «Flying Man». Non seulement, il est l’âme du rock californien, mais il se pourrait bien qu’il soit aussi l’âme de CS&N. Malgré le piège de la prod années 80, Croz s’en tire avec tous les honneurs. Rares sont les disques produits dans ces années-là qu’on peut encore écouter aujourd’hui.   

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             CS&N sortent Live It Up en 1990. Pendant trois ou quatre titres, un gros malaise s’installe. Ils sonnent comme les Bee Gees période disco. Il faut attendre «Yours And Mine», co-signé par Croz et Nash pour retrouver la terre ferme. Croz raconte une histoire qui se déroule à Belfast et renoue avec le son original du trio. Le morceau qui sauve cet album s’appelle «Arrows», du pur Croz. Il tortille sa sauce à sa façon, avec un peu de gras dans le vrillé de la voix en suspension. Il reprend le large. Le morceau est destiné à tous ceux qui ne savent pas encore que Croz est un voyageur mythique, comme le fut Ulysse. Il traverse les mers inconnues à bord du Mayan. Il sauve encore un album par sa seule prestance de groover impénitent.   

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             Nouvel album solo en 1993 : Thousand Roads. Belle bête. Jimmy Webb lui a composé «Too Young To Die» et on sent aussitôt l’ambition d’un projet merveilleusement décontracté - Sweet old racing car of mine/ Roarin’ down that broken line - C’est un fabuleux hommage à James Dean et à Steve McQueen - When I die I don’t want to go to heaven/ I just wanna drive my beautiful machine up North on some Semona County road/ With Jimmy Dean and Steve McQueen/ All the boys be singin’ singin’ - C’est de la légende à l’état pur et ça lui va comme un gant. Croz tape aussi une compo avec Joni, «Yvette In English», et c’est encore une fois de la magie pure. On a là la pure élégance de la sensibilité supérieure - Little bit of instant bliss - voix diaphanes, guitare jazz, pureté de l’instant. Voilà encore un groove du paradis signé nounours. Sur «Thousand Roads», c’est Andy Fairweather Low qui joue de la guitare. Pur Californian Hell ! - Threre’s a thousand roads up this mountain/ You can get lost in a minute if you try - Encore un coup de génie. Croz peut rocker quand bon lui semble. Voilà ce qu’il faut retenir de cette histoire. «Natalie» est une chanson d’amour de plus, mais quand ça tombe dans les pattes de Croz, alors ça devient énorme. Rien qu’avec la voix et la vision, il creuse l’écart qui le sépare des autres. Il ne s’intéresse qu’à la portée de sa vision et donc à l’immensité.

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             It’s All Coming Back To Me Now fut enregistré au Whisky A GoGo en 1993. Croz ne proposait rien de moins que de jouer sur scène ses meilleurs cuts. C’est un disque un peu toxique. Croz y enfile ses cuts latents comme des perles. Il vient tout juste d’échapper à la mort. On vient de lui greffer un foie tout neuf, alors il peut poursuivre l’aventure de beauté commencée avec les Byrds et poursuivie avec ses amis Stills & Nash. On attend sa version de «Cowboy Movie» au virage. Le hit du siècle ? Va-t-en savoir. Il en joue la copie conforme - ahhhh yeah - on retrouve ces chutes de couplets extraordinaires. Croz torche son affaire avec une réelle grandeur d’âme. Avec des hits comme «Cowboy Movie», il est à l’abri. Il ne craint plus rien. Croz règne sur l’empire du groove en compagnie de Marvin Gaye et de Bobby Womack. On retrouve ce son classique de groove californien dans «Almost Cut My Hair». Il va chercher du gras dans le fond de son gosier. Il pose les conditions du groove majeur et c’est embarqué aux guitares. Et puis il tape dans ses plus grands hits, comme par exemple «Deja Vu». Graham Nash vient donner un coup de main - And now we’ll all get weird - Retour aux temps bénis du CS&N, avec une grosse dérive à travers le delta du néant et un solo de basse d’Hutch - oh yeah ! C’est une longue dérive primitive et on entend chanter les anges. Avec «Long Time Gone», Croz hisse l’étendard de la légende du rock américain. C’est du pur génie crozbique. Il passe immédiatement au délire des harmonies vocales et retrouve le secret des effarantes dynamiques intérieures. La beauté, c’est tout ce qu’on aime dans le rock, le choc des grooves et l’éclat des notes de guitares électriques, l’invraisemblable légèreté kunderienne des mélodies et l’oisophilie de l’autre, telle que la rêvait Edgar Allan Poe. «Wooden Ships» est encore un hit absolu. On voit se dessiner les coques des vaisseaux et scintiller les armures dans le crépuscule rosi-crozien. L’ami Croz et ses amis embarquent tout le monde dans une interminable version de dix minutes. On n’en demandait pas tant.

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             Nos quatre vieux cocos retournent en studio en 1999 pour enregistrer Looking Forward. Un album qu’on écoute juste pour savoir où ils en sont, comme on l’a fait avec le dernier Rod The Mod ou encore le dernier Dr John. On retrouve le fameux chacun pour sa pomme qui a tellement affaibli les albums précédents. Stills va sur le funky joyeux, Neil Young va sur la gratte au coin du feu et chante comme une chèvre sénile, à l’ancienne mode, Nash retapisse sa petite pop de Manchester qui commence à sentir le moisi. Et Croz ? Oh, il ramène un heavy blues rocky bardé d’accords mortels qu’il semble avoir sorti de la vase d’un marécage psychédélique : «Stand And Be Counted». Renversant ! Comme le pépère Jack Bruce en Angleterre, le pépère Croz peut réveiller les morts. Stills continue d’envoyer ses giclées de vieux, et Neil Young endort les chaumières avec ses morceaux usés et rafistolés par des pièces aux genoux. Croz est gentil de les accueillir dans le studio. Ça dégage tout de suite avec «Dream For Him». On sent le Mayan sous les alizés. On sent le mec qui a navigué. On sent la voix et la crinière au vent. On sent les années de freebase. C’est une vraie compo, pas un gadget de vieux. C’est même un groove exemplaire. Voilà le truc : chez Croz, c’est l’exemplaire. Il a toujours cette voix et ce goût des vraies mélodies, ce goût d’un style qu’il a initié avec «Cowboy Movie». On retrouve même par instants des accents du thème de «Woodstock», c’est dire si l’excellence règne à bord de «Dream For Him». 

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             Croz, nouvel album solo de Croz, paraît en 2014. La première écoute ressemble à un moment historique. Ce n’est pas tous les jours qu’on écoute un nouvel album de Croz. Comme tous les gens distingués, il sait se faire rare. «What’s Broken» est un joli groove panoramique ralenti. On retrouve ses vieilles tendances au trip. Pépère sait encore chanter. Avec «Time I Have», il fait allusion au mal dont on l’accuse - I’m looking to find some peace within me to embrace/ To encourage that smile to find my face/ Sometimes I’m winning - Il en profite pour adresser un clin d’œil à Martin Luther King - I have a dream/ A great man said/ Another man came and shot him in the head - Dans son book, Croz revient longuement sur les violences faites à John Lennon et à Sharon Tate et explique que depuis, il est toujours armé. Retour à la beauté pure avec «Hold On To Nothing», sensible et suspendu - Sunny days can fool you/ They can look wet with the rain - coup de trompette de Wynton Marsalis. Ce sera certainement le morceau qui va le plus coller au palais. Il revient au groove jazzy avec «Slice Of Time», intemporel et suspendu, doté d’un gros solo de cordes tirées. Avec son grand groove électrico-exceptionnel, «Set The Baggage Down» s’impose comme une pièce digne de CS&N. Fabuleux retour de manivelle. Sur la C se niche une autre merveille, «Dangerous Night», un somptueux balladif - I want to believe I can pass happy to my child/ But the truth gets lost and the system runs wild - Il faut profiter encore et encore du trésor de cette voix de légende. 

    Signé : Cazengler, David Grosbide

    Crosby, Stills & Nash. Crosby, Stills & Nash. Atlantic Records 1969

    Crosby, Stills, Nash & Young. Déjà Vu. Atlantic Records 1970

    David Crosby. If I Could Only Remeber My Name. Atlantic Records 1971

    Crosby & Nash. Crosby & Nash. Polydor 1972

    Crosby & Nash. Wind On The Water. Polydor 1975

    Crosby & Nash. Wistling Down The Wire. ABC Records 1976

    Crosby, Stills & Nash. CSN. Atlantic Records 1977

    Crosby & Nash. Live. Polydor 1977

    Crosby, Stills & Nash. Daylight Again. Atlantic Records 1982

    Crosby, Stills, Nash & Young. American Dream. Atlantic Records 1988

    David Crosby. Oh Yes I Can. A&M records 1989

    Crosby, Stills & Nash. Live It Up. Atlantic Records 1990

    David Crosby. Thousand Roads. Atlantic Records 1993

    David Crosby. It’s All Coming Back To Me Now. Atlantic Records 1994

    Crosby, Stills, Nash & Young. Looking Forward. Reprise 1999

    David Crosby. Croz. WEA 2014

    David Crosby & Carl Gottlieb. Long Time Gone - The Autobiography. 2007

    Graham Nash. Wild Tales - A Rock & Roll Life. Crown Publishing 2013

     

     

    Riot on Sunset Stripes

     

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             Comme tout le monde, on est allé en 2002 voir les White Stripes sur scène à l’Élysée. Comme tout le monde, on a écouté leurs deux premiers albums parce qu’ils sortaient sur le label de Long Gone John, Sympathy For The Record Industry. Comme tout le monde, on a ouvert les bras pour accueillir le phénomène des duos d’art-punk-fucked-up-blues, Bantam Rooster, Immortal Lee County Killers, Black Diamond Heavies, Left Lane Cruiser, Winnebago Deal et dans une moindre mesure, les Black Keys ou autres Kills à la petite mormoille. Les White Stripes en firent d’ailleurs partie et surent comme d’ailleurs les Black Keys tirer leur épingle du jeu et accéder au fucking mainstream qui allait les détruire.

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             En plus de la couverture, Mojo leur accorde une vaste rétrospective. C’est donc l’occasion de remettre le nez dans l’histoire de ce duo qui avait fini par décevoir ses fans de la première heure. Ils n’étaient pas les premiers et ils ne seront pas les derniers. Dommage, car leur histoire commençait bien, puisque ça se passait à Detroit. Jack épouse Meg en 1996, mais Jack fait croire à tout le monde qu’ils sont frère et sœur. Si Jack dit ça, alors c’est vrai. Pourquoi ça ne serait pas vrai, puisque c’est vrai ? Jack qui s’appelle Gillis décide de s’appeler White, comme Meg. Pourquoi pas ? Après tout, il fait comme il veut. Puis il pond un concept : on s’habille en blanc (innocence), avec du rouge (colère) et on joue du punk-blues à deux. Meg n’a pas le droit de répéter. Elle doit rester imparfaite. Quand Long Gone John chope les deux premiers singles de Jack & Meg, il leur avance 3 000 $ pour enregistrer un premier album chez Jim Diamond, au Ghetto Recorders de Detroit.

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    Et là, crack boom hu-hu ! Ils démarrent avec un «Jimmy The Explorer» chanté d’une voix de fiotte, on ne sait pas si c’est Jack ou Meg, mais ça sent la mini-jupe de cuisses humides. C’est le Stripes de bonne augure, complètement éclaté. Jack ressort sa voix de fiotte pour rendre hommage à Robert Johnson avec «Stop Breaking Down». Il traîne sa voix dans la purée. On se croirait à Memphis. Puis il travaille l’idée du son avec «The Big Three Killed My Baby», jusqu’au moment où on s’aperçoit que sa voix perchée n’est pas bonne. Il tente d’inventer un style («Suzy Lee»), c’est assez courageux et la pauvre Meg bat comme elle peut. Ça sent les bouts de ficelle («Cannon») et ils passent au stomp de Detroit avec «Astro» que Meg tatapoume à la vie à la mort. On les voit encore explorer le minimalisme gaga avec «When I Hear My Name», ils cultivent courageusement leur binarisme, on sent bien le côté expérimental de cet album. Jack ressort sa petite voix de fiotte pour «Screwdriver», il passe des riffs bien cinglants et s’offre un final extraordinaire. Ils sont plutôt bons dans le genre expéditif, comme le montre leur cover de «St James Infimary», mais c’est de l’expéditif à la Savorgnan de Brazza, il faut que ça braze.

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             En 2000, Jack et Meg divorcent. Meg a quitté les White Stripes et Jack joue dans plein de groupes, the Go, the Hentchmen et avec l’excellent Dan John Miller dans 2-Star Tabernacle.  Mais le couple se reforme pour enregistrer un deuxième album, l’étrange De Stijl. On réalise avec stupeur que Jack n’a pas de voix. Il joue sur les effets. «Hello Operator» n’a rien dans la culotte. Il n’a aucune présence vocale sur «I’m Bound To Pack It Up». Dès qu’il force, il est mauvais. Retour au blues avec le «Death Letter» de Son House. Il joue ça au bottleneck, mais c’est mille fois mieux par Son House. L’album est catastrophique. Il est pourtant passé comme une lettre à la poste. «A Boy’s Best Friend» nous ramène à l’Élysée, on voyait bien à ce moment-là que c’était du vent. Et soudain, au moment où on ne s’y attend plus, ils piquent une crise avec «Let’s Build A Home». C’est un rumble des enfers et on regrette que tout l’album ne soit pas de ce niveau. Ils font une sorte de stomp enroulé à coups de cu’mon, oui, c’est la première fois qu’un mec fait cu’mon. Puis il fait les Pretties avec «Jumble Jumble», c’est du juvénile pur, bien délinquant. Jack White se réveille en fin d’album, il faut le savoir. Dernier shoot de Stripe avec «Why Can’t You Be Nice To Me», du gaga qu’il prend à la voix de fiotte, il est en plein dedans, hey !

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             Alors ils se mettent à tourner et quand Meg voit le blé qu’elle ramasse, elle décide de rester dans le groupe. Et pouf ils deviennent the world’s hottest band ! Ils passent du cult underground au rock stardom et de là au pop-cultural phenomenon. Ils débarquent à Londres et deviennent célèbres en dix jours. Les médias les encensent : the future of rock’n’roll. Perchés au sommet de leur vague de célébrité, ils sortent leur troisième album, White Blood Cells, sur Sympathy. On y trouve un classique gaga, «Fell In Love With A Girl», mais le reste de l’album peine un peu à jouir. Jack se prend pour Free avec «Dead Leaves & Dirty Ground», mais il n’a pas la voix de Paul Rogers. Il se force à mal chanter. Comme d’habitude, il joue sur les effets. Il fait une Americana du pauvre avec «Hotel Yorba». Comme il devient une star, il ne se sent plus pisser. C’est en tous les cas ce qu’inspire l’écoute d’«I’m Finding It Harder To Be A Gentleman». Il fait du grandiloquent de carton-pâte. C’est tout de même incroyable que les White Stripes soient passés à la place des Gories. Mais ce sont les choix des gens du big biz qui visiblement ont misé sur l’image plus que sur le son, comme dans le cas des Bay City Rollers. En gros c’est la même histoire. On crée une mania et on vend des millions de disques, c’est le B-A-BA du biz, un chef-d’œuvre d’enculerie. Jack & Meg n’y sont pour rien. Dans «Expecting», Jack joue la carte du heavy blues-rock à coups de clever et de forever. La heavy pop de «The Same Boy You’ve Always Known» n’a aucune crédibilité. Et pourtant, c’est avec ça qu’il s’en sort le mieux. Sur ce coup-là, il est très anglais. Mais tout dépend de la façon dont on l’écoute. Il est évident qu’il crée son monde et en soi, c’est infiniment respectable. Mais on s’interroge sur la portée du phénomène : autant de retentissement alors que cette pop est d’une affligeante banalité. Sa voix ne passe pas sur «I Can’t Wait» et ça ne pardonne pas. Il peut ramener du son, ça ne sert à rien. Il cherche pourtant des noises à la noise jusqu’à la fin. Globalement, White Blood Cells est un album plein de sous-pentes et de renvois à des choses connues. Il faut l’écouter plusieurs fois. C’est très spécial. Pourquoi Jack White et pas Mick Collins ? White Blood Cells se vend à un million d’exemplaires. 

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             Alors que leur côte n’en finit plus de flamber, ils enregistrent leur meilleur album Elephant. C’est vrai que «Seven Nation Army» sonne comme un hit, monté sur un stomp de basse, et toujours cette petite voix de fausset qui stigmatise si bien le manque de voix. Il pousse bien le bouchon avec «I Just Don’t Know What To Do With Myself». Il impressionne et joue la carte des rafales. C’est Meg qui chante «In The Cold Cold Night» et ils continuent de créer leur monde. Et puis voilà qu’avec «Ball & Biscuit», Jack the lad invente un genre nouveau : le gaga scorch innervé. Il joue au scorch de descente aux enfers. Sur ce coup-là, il est très fort. C’est un très bel album, riche en émotions. Jack revient à son cher stomp avec «The Hardest Button To Button», il gère ça bien et propose une qualité de stomp imparable. Nouvelle surprise avec «Hypnotize». Il s’y montre expert en riffing gaga, il y ramène tous les poncifs avec sa voix en embuscade. C’est battu à la folie et ça sonne comme une expédition sur le Nil. Encore un coup de Jarnac avec «Girl You Have No Faith In Medecine» : il y ramène un vieux riff de heavy boogie rock, il fait les Yardbirds les deux doigts dans le nez.

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             Puis arrivent les ennuis : un punch-up avec le mec des Von Bondies, et voilà Jim Diamond qui réclame ses royalties sur les deux premiers albums. Jack ne peut plus aller traîner en ville. Il est tricard. Personne ne l’approche. Il est temps de quitter Detroit. Jack ne va pas bien. L’album Get Behind Me Satan s’en ressent considérablement. On le voit trafiquer ses combines dans «Blue Orchid». Il chante derrière sa disto comme s’il avait peur de sa voix. Le résultat n’est pas jojo. Des mecs diront oui le son, oui le riff, mais laisse tomber. Zéro présence. «The Nurse» sonne encore comme une arnaque. Au fil des cuts, il perd tout ce qui lui reste de crédibilité. Quelle tragédie. Il est à la mode mais il n’a pas de voix. Le pas-de-voix ne fait pas de cadeau. Si tu veux faire du rock en Amérique, appelle-toi Iggy, Lanegan, Jeffrey Lee ou Greg Dulli, sinon laisse tomber. Les cuts sont mauvais et mal chantés. Et ça empire encore avec «The Denial Twist». On ne sait comment elle fait, mais dans Mojo, Victoria Segal trouve des choses intéressantes à dire sur ce désastre.

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             Jack se carapate vite fait et s’installe à Nashville, se marie et voit naître ses deux kids en 2006 et 2007. Mais les White Stripes sont toujours sous la pression du tiroir-caisse, ils doivent sortir un nouvel album qui va s’appeler Icky Thump. Jack continue à bricoler son pas-de-voix et opte cette fois pour des choses plus expérimentales. Il va même se prendre pour un groupe anglais dans «You Don’t Know What Love Is». Il réussit l’exploit de combiner l’intense à l’inutile dans «300MPH Torrential Outpour Blues». Il joue une fois de plus sur les effets. Il ramène du gaga à gogo dans «None Broke» et des cornemuses dans «Prickly Thorn But Sweetly Worn». On trouvera un peu de stomp un peu plus loin («Little Cream Soda») et il rallume la vieille flamme des White Stripes avec «Rag & Bone» et là ils sont franchement bons, cu’mon ! Mais les réalités reviennent au galop, dès «I’m Slowly Turning Into You». Sa voix ne passe pas quand il veut la forcer, pourtant ça s’écoute. Très bizarre. Il parvient à créer des ambiances avec son pas-de-voix, notamment dans «A Martyr For My Love For You», il chante dans son jus de glaire, il cherche les voies du seigneur sans savoir qu’elles sont impénétrables, mais après tout, il a raison, il s’en sort avec des effets de basse zone, il fait son small biz, alors forcément, on l’écoute car ça intrigue. En fait, il se prend souvent pour McCartney. Voilà son drame.

             Puis le groupe va cesser de jouer en public. Jack cite l’exemple de Beatles. Sauf qu’il n’a pas les chansons des Beatles. Et puis il a mis en route d’autres projets, The Dead Weather et les Raconteurs. C’est en 2011 qu’il annonce la fin des White Stripes.

    Signé : Cazengler, Moite Strip

    White Stripes. The White Stripes. Sympathy For The Record Industry 1999

    White Stripes. De Stijl. Sympathy For The Record Industry 2000

    White Stripes. White Blood Cells. Sympathy For The Record Industry 2001

    White Stripes. Elephant. V2 2003

    White Stripes. Get Behind Me Satan. V2 2005

    White Stripes. Icky Thump. Warner Bros. Records 2007

    Blood & Fire. Mojo # 326 - January 2021

     

     

    Wizards & True Stars

     - Elvis & la vertu (Part Three)

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            Le gros hic d’Elvis, le biopic de Baz Luhrmann consacré à Elvis, c’est que l’acteur censé faire l’Elvis ne ressemble pas du tout à Elvis. Et ça pose un sacré problème qui est celui de la crédibilité, surtout dans un cas pareil. Tout ce qui touche à Elvis relève du sacré, même si les parades de lookalikes à rouflaquettes l’ont un peu caricaturé après sa disparition. L’acteur du biopic s’appelle Austin Butler, et pour correspondre à toutes les époques, Luhrmann le fait maquiller. Mêmes les rouflaquettes de l’époque Vegas sont ridicules. Luhrmann aurait embauché un acteur chinois pour le rôle, le résultat eut été le même. Absence totale de crédibilité. Et ce ne sont pas les costards roses ni les Coupés de Ville qui vont sauver les meubles. Si on veut voir l’Elvis 56, autant voir les vraies images. Elvis est beau, Butler ne l’est pas. Quelque chose cloche dans les traits de son visage. Les yeux trop rapprochés, peut-être. Plus on le voit en gros plan et plus le malaise s’accroît. Ce biopic est encore plus catastrophique que le Great Balls Of Fire de Jim McBride, avec Dennis Quaid dans le rôle de Jerry Lee. À l’époque de sa sortie (1989), Jerry Lee déclarait publiquement qu’il haïssait ce film. Il avait raison de gronder, le killer, car il était tout sauf un clown. Le problème avec Elvis, c’est qu’Elvis n’est plus là pour trancher. Mais aurait-il tranché ? Le biopic n’en finit plus de montrer que le Colonel tranchait pour lui. Ce qui nous conduit naturellement à la conclusion qui s’impose : le personnage principal d’Elvis n’est pas Elvis mais le Colonel. Vieux, gros, cynique, détestable, supra-intelligent, Tom Hanks campe le rôle de sa vie. Il est l’incarnation du showbiz, c’est-à-dire du diable : il est aussi laid que le Louis Cyphre d’Angel Heart est beau, il est tellement réaliste qu’on pense aussi au Woland du Maître Et Marguerite. Tom Hanks est fabuleux de malignité, il n’ouvre la bouche que pour ricaner des paroles de sagesse évangélique - Without me there wouldn’t be no Elvis Presley - Quand on l’accuse d’avoir tué Elvis, de la même façon qu’on accusait Ponce Pilate d’avoir tué Jésus, Tom Hanks répond, comme d’ailleurs a dû le faire Ponce Pilate : «No, no, no I didn’t kill him. I made him.» Ce biopic est un véritable tour de passe-passe : Luhrmann se sert d’Elvis pour dire la grandeur de Tom Hanks. On en oublie presque le Colonel. Dans ce gigantesque foutoir hollywoodien, Tom Hanks est aussi génialement perverti par le personnage qu’il incarne que l’est Philip Seymour Hoffman, dans le rôle de Truman Capote dans In Cold Blood. Hanks est aussi génialement intense que le fut Albert Dieudonné dans le rôle du Napoléon d’Abel Gance. Les mauvaises langues prétendent que Dieudonné n’est jamais redescendu de son cheval.

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             Ces biopics - même ratés - sont de fantastiques terrains de manœuvre pour l’esprit, lorsqu’il est cavaleur. On peut partir dans toutes les directions à la fois. Bien, pas bien, vrai, pas vrai, en fait on regarde et on juge, on regarde et on frémit, on regarde et on recoupe. On voit les petites arnaques une par une, les petits traficotages de la réalité, on devine la cuisine derrière toutes ces scènes qui sonnent plus faux les unes que les autres. Bien sûr, pour avoir une toute petite idée de la vérité, il faut avoir lu les trois tomes de la saga Guralnick, deux consacrés à Elvis (Last Train To Memphis: The Rise Of Elvis Presley et Careless Love: The Unmaking Of Elvis Presley) et le troisième à Sam Phillips (Sam Phillips: The Man Who Invented Rock ‘n’ Roll), un Uncle Sam qui d’ailleurs est complètement évincé du biopic. Les plans Sun sont réduits à portion congrue. Alors que Guralnick s’attarde longuement sur la nature singulièrement charismatique du personnage d’Elvis, le biopic la fait disparaître au profit d’un lissage bizarre : dans les scènes sentimentales, les gros plans sur le faux Elvis ne sont pas sans rappeler certains aspects de Johnny Depp. Bien sûr, un biopic ne peut pas tout dire, mais les entorses à la réalité sont souvent intolérables. Un exemple avec la scène qui se déroule en Allemagne, où Elvis fait son service militaire et où il rencontre Priscilla. Guralnick le confirme : ils passent leurs soirées ensemble, sous la simili-surveillance des parents de Priscilla. Bon, Elvis lui roule une grosse pelle et tout laisse croire qu’ils vont pouvoir tirer un coup vite fait. Mais non. Priscilla en crève d’envie mais, selon Guralnick, Elvis lui dit non. Il lui promet de la baiser le jour de leur mariage. Dans un an. Peut-être que dans un film où tout sonne faux, ce genre de répartie sonnerait faux, mais dans les pattes de Guralnick, ça sonne vrai, car l’Elvis qu’il campe dans ses tomes est extraordinairement bien construit. Guralnik s’attache principalement à la beauté intérieure du personnage. C’est ce qui rend ses trois tomes fascinants. Luhrmann passe complètement à côté de cet aspect fondamental du mythe : la bonté naturelle de l’homme Presley et son immense générosité. Il y avait quelque chose d’infiniment christique dans le Presley que nous restitue Guralnick.

             Grâce à ce biopic, le personnage Presley est dévoré une deuxième fois par les démons d’Hollywood. On appelle ça un destin tragique. Alors que tout en lui tendait vers une sorte de pureté artistique, Elvis s’est retrouvé noyé dans la vulgarité américaine. Le showbiz - et donc Tom Hanks - le métamorphosent en «cleancut all-American boy». Tom Hanks résume bien les trois étapes de la dégringolade de cet immense artiste : «1, Elvis the rebel. 2, Elvis the movie star. 3, Elvis the family entertainer.» Bien sûr, aux yeux de l’Américain moyen, cette carrière passe pour une réussite, car Elvis devient immensément riche, conformément au rêve américain. Mais aux yeux des idéalistes que sont les fans, c’est exactement le contraire. D’ailleurs dans le film, on voit des fans agglutinés devant le portail de Graceland qui brandissent des panneaux réclamant the old Elvis. Ils ne veulent pas de l’Elvis RCA, ils veulent l’Elvis Sun.

             Luhrmann ne l’a sans doute pas fait exprès, mais la vraie vedette de son film n’est peut-être pas Tom Hanks. Tom Hanks s’enracine dans la country d’Hank Snow, une sorte de guimauve parfaitement à l’image du beauf qu’est le blanc moyen et raciste de l’époque. Non, la vraie vedette du biopic est la musique noire. Ce sont les plans les plus réussis : ça commence avec Arthur Big Boy Crudup, on voit ce black punk gratter son black snake crawling et chanter «That’s Alright Mama» au chat perché délinquant. Puis attiré par la clameur du gospel, le jeune Elvis va sous la tente goûter au fruit défendu, la pomme du jardin d’Eden : la transe du gospel batch et là, mon gars, tu piges tout. Tout vient exactement de là, du raw gospel fever, de l’explosion du peuple noir qui sous la tente recycle le fabuleux héritage rythmique des tribus d’Afrique, et ce sont les racines du rock’n’roll. Elvis et Jerry Lee viennent de cet endroit précis. Pas d’Hank Snow, mais du gospel africain. Elvis semble récupérer tout le black power, Luhrmann fait de cette scène une espèce de séance d’initiation, un rituel de magie noire. C’est ce Black Power que ramène Elvis au Louisiana Hayride lorsqu’il tape une version démente de «Baby Let’s Play House» - I wanna play house with you - Luhrmann cadre le jeu de jambes, mais c’est un jeu de jambes emprunté aux blacks. Et pouf, ça enchaîne sur Big Mama Thornton au Handy Club, à l’étage, sur Beale Street, avec «Hound Dog». On voit aussi le jeune B.B. King essayer de remettre Elvis dans le droit chemin, le chemin artistique. Mais ce sont les ligues morales qui vont recadrer Elvis the Rebel, clean up your act, terminé Elvis the Pelvis, on l’oblige à chanter «Hound Dog» à la téloche face à un basset, injure suprême, et pendant qu’on dresse Elvis pour en faire un bon toutou bien docile, Luhrmann ramène Little Richard avec un «Tutti Frutti» explosif et, pire encore, Sister Rosetta Tharpe, et là c’est inespéré, car on voit la vraie pionnière du rock avec son «Strange Things Happening Every Day», wow, et elle te claque un solo d’acou incroyablement sauvage. Ce sont ces grands artistes noirs qui sauvent les meubles du biopic. Un peu plus tard, on va entendre Mahalia Jackson à la radio, et même la voir chanter. Aw my Gawd, on l’avait presque oubliée, celle-là ! Luhrmann se plante plus loin en montrant un Fats Domino qui ne ressemble pas du tout à Fatsy, mais bon, c’est pas grave. Il n’est plus à un détail près.

             Quand Elvis revient de son service militaire en Allemagne, Tom Hanks l’envoie directement à Hollywood. Bon, comme chacun sait, les films d’Elvis ne marchent pas, c’est d’autant plus tragique qu’il rêvait de prendre la suite de James Dean. Mais Tom Hanks veille au grain, au cleancut all-American Boy marié et père de famille. Les sous rentrent, mais l’étoile de la star s’éteint. Jusqu’au jour où Elvis rencontre Steve Binder et Bones Howe. Binder est connu pour avoir réalisé le T.A.M.I. Show, avec notamment les Stones, James Brown, les Beach Boys, Chuck Berry, Jan & Dean, les Supremes et des tas d’autres. Binder n’est pas chaud pour faire un TV Show avec Elvis. Trop has-been. D’ailleurs Elvis demande à Binder ce qu’il pense de sa carrière, et Binder lui répond le fameux «It’s in the toilet, Elvis». Elvis apprécie sa franchise et accepte d’écouter ses conseils. Binder réussit à le convaincre de revenir aux sources, à Elvis the Rebel, alors que Tom Hanks veut un Christmas Show avec Elvis en Père Noël au coin de la cheminée. Alors, Elvis et Binder montent le coup en douce. Contre toute attente, Elvis the Pelvis se pointe en cuir noir devant les caméras et tape un «Heartbreak Hotel» somptueusement sensuel. Tom Hanks est furax. Binder réussit même à faire revenir l’excellent Scotty Moore que Tom Hanks avait réussi à virer. C’est donc le fameux ‘68 Comeback qu’on a tous adoré. Puis Binder & Howe font miroiter à Elvis les avantages d’une tournée mondiale, le grand retour du King, mais Tom Hanks dit non, invoquant les dangers du monde extérieur - Security ! Security ! - Rusé comme un renard, Tom Hanks monte un coup fumant : il se fait hospitaliser à Vegas. Inquiet pour sa santé, Elvis vient le voir. Il tombe dans le panneau. Tom Hanks lui montre alors son avenir par la fenêtre de la chambre d’hosto : le fameux International Hotel. Encore baisé, l’Elvis. Mais il accepte, il veut les Sweet Inspirations de Cissy Houston, et les meilleurs musiciens, dont James Burton. Tom Hanks garde donc le contrôle sur le business - Taking care of business - Nous sommes désormais chez les blancs. Elvis s’habille en blanc. À part des Sweet Inspirations, on ne voit plus aucune bobine de black dans le secteur. Elvis roule des pelles à toutes les blanches du public. La scène est très belle, presque évangélique. Mais encore une fois, les vraies images de Vegas sont nettement meilleures. Car même à Vegas, Elvis reste très beau. Et puis il a des chansons, «Suspicious Minds» (merchi Chips), «Polk Salad Annie» (merci Tony Joe). Tom Hanks joue la carte Vegas à fond, il éponge ses dettes de jeu abyssales et met sa poule aux œufs d’or sous le contrôle pharmaceutique du fameux Dr Nick. Il en profite pour éradiquer définitivement toute idée de tournée mondiale - International tour out of the question - Tu veux voir le monde, Elvis ? Alors le monde entier voit Elvis, via satellite.

             Elvis croit pouvoir virer le Colonel. You’re fired ! On ne vire pas le diable. Le Colonel dresse la liste de tout ce que lui doit Elvis, il a tout noté : au total, ça fait huit millions de dollars. Plane même la menace d’une saisie sur Graceland. Comme Elvis est ruiné, il se voit contraint d’honorer son contrat faustien avec le diable Hanks. Mais comme on est dans une mauvaise comédie dramatique hollywoodienne, cet aspect est mou du genou. Murnau en fait complètement autre chose, il suffit de voir son Faust.

             La fin du biopic est pitoyable. C’est presque une métaphore de la dégringolade artistique d’Elvis. Luhrmann réussit même à nous faire un Elvis bouffi, assis au piano, sur scène à Vegas. Ce n’était pas utile. On attend Luhrmann au virage pour le cassage de pipe en bois. Va-t-il oser ? Miraculeusement, il réussit à éviter la fameuse scène finale des gogues. Ouf ! Luhrmann s’en sort avec un dernier tour de passe-passe en forme de parabole : «Elvis has left the building.»

    Signé : Cazengler, Elvicelard

    Baz Luhrmann. Elvis. DVD 2022

     

     

    L’avenir du rock –

    Le feu au Cult (Part One)

     

             Il fait nuit. L’avenir du rock roule en ville et s’arrête au feu rouge. Personne ? Il avance. Il n’a pas vu les condés planqués sur le côté. L’un d’eux s’approche.

             — Coupez le moteur ! Papiers du véhicule !

             L’avenir du rock sort les papelards.

             — Vous avez brûlé un feu. Avez-vous consommé de l’alcool ?

             — Ah ben non !

             Le condé va chercher un ballon dans la voiture de patrouille :

             — Vous allez souffler là-dedans.

             — Pfffffffffffffffff !

             — Plus fort !

             — PFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFF !

             L’avenir du rock se retrouve au poste. Il a trois grammes dans le sang. Il a dû laisser sa bagnole au carrefour. Le gradé de service dresse un procès-verbal, avant de l’envoyer en cellule de dégrisement.

             — Nom, prénom, date de naissance !

             — Avenir du rock !

             — Pas de prénom ?

             — Non, et pas de date de naissance, puisque je suis un concept.

             — Vous vous foutez pas d’ma gueule, ça pourrait vous coûter cher, insulte à représentant de l’ordre dans l’exercice de sa fonction, ça va chercher six mois, alors tenez-vous à carreau. Nom et prénom des parents !

             — Disons que mon père spirituel s’appelle Sam Phillips, l’Homme qui inventa le rock’n’roll, et ma mère, disons Bernadette Soubirou, la Femme qui inventa les hallucinations.

             — Quelle est votre adresse actuelle ?

             — Dead End Street, juste derrière Itchycoo Park.

             — Quelle est votre appartenance politique ?

             — J’ai une carte d’adhérant au MAV, c’est tout.

             — Jamais entendu parler du MAV ! C’est quoi, un parti de gauche ? Un syndicat ?

             — Oh c’est un petit groupuscule culturel pas très connu. MAV veut dire Mort Aux Vaches. Meuuhhhh, vous voyez ce que je veux dire ?

             — Quelle est votre appartenance religieuse ?

             — The Cult !

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             Si le condé était un peu moins con, l’avenir du rock lui aurait offert le dernier album du Cult qu’il avait dans sa poche, mais il a préféré s’abstenir, car au fond, il sait que les cons ne méritent pas de jouir des bienfaits d’un culte aussi prestigieux.

             Belle pochette que celle du nouveau Cult, Under The Midnight Sun : tu vois un serpent préhistorique onduler symboliquement sous la demi-lune d’un astre d’or. Pochette merveilleusement graphique. Seul le serpent est verni, pour qu’il brille sous tous les angles. Rien qu’à contempler cette pochette parfaite, on sait que le Cult ne va pas mégoter sur les surprises.

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             Le premier choc se produit avec le «Mirror» d’ouverture de balda : trop de son ! La voix de l’Astbu se noie dans le son. Bad bad bad prod, tout chevrote. Il faut comprendre que ça fait partie du jeu. L’Astbu n’a qu’une seule idée en tête : pousser le bouchon dans le bush. Et ça continue de saturer la saturnale dans «A Cut Inside». Ils y vont au va-t-en savoir du qu’en dira-t-on, sans doute est-ce là un subterfuge pour cacher une certaine misère compositale, il faut bien dire que les compos ne sont pas au rendez-vous. L’Astbu est l’un des grands ultimates du rock, il lui faut des compos. Sans compo, il se désagrège, comme un vampire surpris par le lever du jour. Mais rassure-toi, l’Astbu veille toujours à chanter à la surface des apocalypses.

             Les dévots du Cult devront attendre «Give Me Mercy» pour frémir des deux naseaux. Grosse attaque. Bienvenue dans le Cult. L’Astbu t’emmène jusqu’à l’autel, c’mon, il est le prêtre du Cult et il va t’égorger pour célébrer les dieux du rock. La puissance du Cult n’a jamais disparu, elle sourdait sous la surface, comme une langue de feu, et soudain, le son te saute à la gorge, Billy Duffy envoie des accords de cristal dans le ciel rouge, aw my Gawd quelle pâmoison, il joue son va-tout à la vie à la mort, il pleut du feu, le Cult n’a jamais autant brillé, il pleut des tonnes d’accords et ça monte en neige jusqu’à la fin des haricots. L’Astbu est l’un des derniers prêtres capables d’apaiser le courroux des dieux. Et ça continue avec «Outer Heaven», l’Atsbu remonte au somment de son Ararat, il y domine le son, il y domine le monde, le temps de provoquer une nouvelle apocalypse et c’est terrific, tu sens qu’il te tombe sur le râble, c’est un rock très physique, presque un combat au corps à corps, tu luttes en toi pour le plaisir de lutter, tu reçois les coups et tu tends la joue pour en recevoir d’autres.

             Billy Duffy vole le show dans «Vendetta X», il joue aux accords de contre-plaqué pendant que l’Atsbu trafique sa menace et bascule dans un abîme de tristesse. Alors Billy décide de remonter à la surface du son et, aussi étrange que ça puisse paraître, le ciel s’ouvre. Billy consolide l’ouverture avec des accords de contrefort. On n’avait encore jamais vu un bricolage pareil. Avec «Knife Through The Butterfly Head», l’Astbu plonge dans le mythe du Cult. Il chante comme un dieu, c’est-à-dire comme Jimbo, il se hisse au sommet du summer et tu montes avec lui, tu le vois forcer tous les passages, l’Astbu est le singer absolu, il chante à pleine gorge, c’est d’une puissance de crève-cœur, tout ici est joué à l’extrême heavyness, la pire de toutes. Ils terminent cet album qu’il faut bien qualifier de faramineux avec le morceau titre, en forme de panorama de Midnight Sun. C’est tout simplement du Technicolor, mais pas n’importe quel Technicolor, celui du Cult est un Technicolor d’effarance de la pertinence. L’Astbu ne vise que l’extrême Technicolor.

    Signé : Cazengler, tête dans le Cul

    Cult. Under The Midnight Sun. Blackhill Records 2022 

     

     

    Inside the goldmine

    - Evil Leavill

     

             Qui pourrait en vouloir à Piotr d’être ce qu’il est ? Personne, bien évidemment. Des gens qu’on connaît depuis cinquante ans continuent parfois de nous surprendre. Comme s’il voulait brouiller les pistes, le Piotr qu’on croyait gentil et affable sait parfaitement se montrer odieux, surtout quand il fond sur ces proies faciles que sont les serveuses et les serveurs de restaurant. L’un de ses sports favoris consiste à plonger une salle entière dans le malaise, en humiliant à voix haute les gens qui le servent à table. À cause de sa passion pour Bibi Fricotin ou Jo Zette & Jocko, on a longtemps considéré Piotr comme un petit garçon enfermé dans le corps d’un adulte. Nouvelle erreur d’appréciation ! Dans des réunions de travail très techniques, on l’a vu se conduire comme le plus avancé des adultes présents autour de la table, pouvant croiser le fer avec des spécialistes sur les plans juridiques et financiers, et prenant encore une fois un malin plaisir à crucifier en public le malheureux qui ose discuter son point de vue. Dans l’arène, Piotr devenait le gladiateur invincible, une sorte de Russell Crowe devenu chauve, et comme il avait accumulé plus de connaissances que n’en possédaient tous les gens réunis autour de la table, alors il frappait chaque fois à coup sûr, et pour contraster avec la barbarie de ses coups, il usait d’un ton lénifiant, comme celui qu’utilise Marlon Brando dans The Godfather. Les professionnels qui connaissaient Piotr le craignaient. Les femmes le craignaient encore plus. Piotr les collectionnait comme des papillons, il les choisissait comme on les choisit aujourd’hui, sur les ventes de bétail en ligne. Lorsqu’il est à table, il participe distraitement à la conversation tout en faisant ses courses sur son smartphone, likant à la chaîne et chattant avec toutes ces chattes en vente, se vantant avec son étrange sourire presbytérien «de les baiser vite fait sur le capot de sa bagnole». C’est probablement parce qu’il brouille adroitement les pistes et qu’il maîtrise l’art de plonger ses amis dans la consternation qu’on ne s’ennuie jamais en sa compagnie. 

     

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             Piotr n’est pas le seul à savoir plonger les gens dans la consternation. Otis Leavill peut lui aussi se vanter de cet apanage. Si tu veux qu’Otis Leavvill te plonge dans la consternation, c’est facile : il existe une compile qu’il partage avec deux co-locataires, Billy Butler et Major Lance : The Class Of Mayfield High. C’est ce qu’on appelle dans les milieux autorisés une compile magique, car en plus des douze cuts magiques d’Otis Leavill, tu peux entendre ces deux seigneurs de la Soul que sont Billy Butler et Major Lance. Tu sors de là gavé comme une oie. N’ayons pas peur des grands mots : Otis Leavill est un magicien, il fait danser la Soul sur la pointe de sa glotte. C’est lui l’Evil Leavill qui donne les cartes de la Soul. «I Love You» est un coup de génie retentissant. Il chante d’une voix d’ange de miséricorde et ramène une spiritualité charnelle dans sa Soul. On le voit aussi filer à vive allure sur le fast drive de «Why Why Why». Il est si bon qu’il dépasse toutes les attentes, on se croirait chez les Beach Boys, tellement c’est beau, puissant et chanté aux harmonies. Il fait encore battre le petit cœur de la Soul avec «Glad I Met You», il chante tout à la rose éclose, il est le Soul Brother de tous tes rêves inavouables. Il chante «Love Uprising» à l’uprise et provoque un vrai carnage paradisiaque avec «I’m So Jealous». Il transforme tout ce qu’il touche en or du Rhin. Sa Soul brille de mille feux. C’est Otis Leavill qu’il te faut. Cette façon qu’il a d’ânonner sa jalousie est unique au mode. Il chapeaute son «There’s Nothing Better» d’une belle Soul de good time, il chante tout d’une voix aussi grasse qu’une huître fécondée.

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             Dans son booklet, Bill Dahl indique que le fantôme de Curtis Mayfield plane sérieusement sur cette compile magique, d’où le titre, Mayfield High. L’autre clé magique de cette compile magique, c’est bien sûr Carl Davis, le producteur de génie et boss local des labels Brunswick et Dakar. Billy Butler et Major Lance font aussi partie de l’écurie Carl Davis. Grâce à lui, Brunswick/Dakar va devenir l’un des Soul outlets les plus importants de l’époque, rivalisant avec Motown et Stax. Dahl n’oublie pas de rappeler que dans les early sixties, les stars de Brunswick sont Jackie Wilson et Buddy Holly. Et l’impeccable Tyrone Davis, que Carl Davis rendra célèbre.

             Avant d’arriver chez Brunswick/Dakar, Carl Davis bossait pour OKeh et c’est là qu’il commença à lancer la carrière de Major Lance. C’est Curtis Mayfield qui composait pour Lance. Curtis Mayfield était le Smokey Robinson de la scène locale. Selon Dahl, Major Lance incarna mieux que quiconque the innocent charm of Chicago Soul. Dahl rappelle aussi que Major Lance et Otis Leavill ont grandi ensemble à Chicago. Ils sont devenus tous les deux d’excellents danseurs. Ils pouvaient aussi boxer. D’ailleurs, Major Lance se fera disqualifier pour avoir mordu son adversaire. C’est lui qui amène son ami d’enfance Otis Leavill chez Carl Davis. Dans un élan nostalgique, Otis Leavill se souvient de l’âge d’or Brunswick/Dakar sur Michigan Avenue : «We had a family. We had a hell of a family. Carl was the father. He was the head of the family and he kept us all in line.» Major Lance n’a que 6 cuts sur la compile, dont le célèbre «Follow The Leader», fantastique shaking de dance-floor et d’écho du temps d’avant. Major forever ! L’autre hit intemporel est le fameux «Do The Tighten Up». Major Lance est LE jerkeur de choc. Il crée aussi une fantastique tension avec «Sweeter As The Day Goes By». Il parvient à faire des étincelles dans un groove de charme ! Major Lance est bourré de Soul genius. Il dispose à la fois de l’omniscience et du Black Power. Puis il fonce dans la nuit de la Northern Soul, yeah, avec «Shadows Of Memory», il est tendu à l’extrême, il est là sur scène avec sa banane de black, épaulé par des chœurs de Motown. Major Lance est un héros.

             Le troisième larron de la compile n’est pas un enfant de chœur. Billy Butler est lui aussi un crack et dès «Help Yourself», tu danses le jerk avec Billy the crack. C’est énorme ! Ce Billy-là a le diable au corps. Il fait encore du raw r’n’b de sweet darling avec «Sweet Darling» et comme les Four Tops, il va chercher la Bernadette avec «Come Over To My Side». Il déploie les mêmes réserves d’excellence que Levi Stubbs. Billy semble flotter au dessus de la ville, il chante «Careless Heart» avec une maturité de vampire, il est tellement au dessus de la mêlée qu’on finit par s’en émouvoir. Et voilà qu’il tape dans les Tempts avec «I’ll Bet You», il dispose de tous les pouvoirs, il sort une Soul sauvage et bien claquée. Il est absolument parfait. Encore un hit de power pur avec «Burning Torch Of Love», il règne sans partage sur le groove de heavy r’n’b, quelle blague ! T’en rigoles tellement c’est bon. Tu ne bats pas Billy Butler à la course.  

    Signé Cazengler, Otis Débill

    Billy Butler / Major Lance / Otis Leavill. The Class Of Mayfield High. Westside 1999

     

     

    ROCKABILLY RULES ! ( 10 )

    N’oubliez jamais que toutes les règles sont faites pour être contournées, dépassées, chamboulées, piétinées, car l’important avant tout c’est d’avoir un cœur fidèle et rebelle !

    *

    Le titre de leur album m’a plu. Westernization, voilà qui dénote une certaine réflexion sur le rock ‘n’roll, mais vous n’en saurez pas plus, moi non plus, il ne sortira qu’au mois d’avril. Alors en attendant écoutons leur premier opus car…

    IT’S TIME TO MAKE A MESS WITH…

    THE CONFUSIONAIRES

    ( 2018 )

    Encore un groupe du Canada, nous en profitons pour saluer Marie Desjardins, d’Edmonton capitale de la province d’Alberta, à elle seule plus grande que la France.

    Sont trois : Fat Dave Johnson : guitare et vocal / Jayson  Aschenmonster :  upright bass & vocal / Adam Staric : drums.

    La pochette laisserait à penser qu’ils sont un groupe de rockabilly garage.

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    You know, I’m right : paroles glaçantes, vocal imperturbable, tout va bien, bonne rythmique rock’n’roll, mais pour l’esprit l’on est plus près du country que du rockabilly, vous avez la upright qui monte au septième enfer, une barate qui cogne et une guitare guirlande qui se glisse partout comme un serpent affamé, non ce n’est pas une histoire entre un gars et une fille. Teach me how to write a sad song : une petite merveille, je parle de la musique, s’y donne à fond très sixties, c’est tellement beau qu’ils rallongent l’intro avant d’allonger le vocal. Ce n’est pas qu’il n’est pas bon, c’est qu’il très bon, mais question paroles, ce n’est pas vraiment une philosophie enthousiasmante de la vie, pour une petite histoire d’amour qui a mal tourné, ils vous filent le moral à zéro pour toute la soirée. Pourtant cette voix vindicative est si prenante. Make a little mess : ils ont vraiment le secret des intros qui vous clouent sur place, pour le reste question idée ça commence comme Samedi soir de Johnny Hallyday, mais la guitare est là pour vous prévenir que la soirée annoncée finira mal, et ils y vont franco à toute vitesse, souriez ce n’est pas un drame non plus, et puis qu’importe le grabuge puisque c’est beau. Everybody’s talking ( but nobody’s talking to me ) : un peu de blues, très foncé, n’a jamais fait de mal à personne, ce coup-ci il est très froncé rock’n’roll, z’ont le punch, n'écoutez pas trop les lyrics, vous fileront le cafard, ces gars-là ils ont le perfecto ( je ne sais pas s’ils en portent) très métaphysique, en douze lignes de lyrics ils vous définissent le statut du rebelle révolté à la vitesse d’un TGV, avec en prime une critique sociale d’une grande cruauté. El fango : pour une fois ils sont gentils, pas de paroles pour vous saper le moral, par contre vous serez atteints par les affres de la jalousie, comment font-ils pour jouer si bien, une batterie qui cavale comme si elle était toute seule, une big mama qui lui emboîte le pas parce qu’à deux c’est toujours mieux, et là-dessus vous avez la guitare qui dépose des splendeurs, vous n’entendez plus qu’elle, c’est injuste car les deux autres marnent un max, mais c’est ainsi, superbus comme disent les autocaristes. 1000 songs : c’est idiot, si vous vous écoutez vous n’irez jamais plus loin que l’intro, ce serait une erreur, d’abord la voix comme si elle venait de la salle-de-bain du studio, ce qui permet de prendre son pied sur Les giclées électriques de la six-cordes ou de ne pas croire que c’est elle qui imite le piano jazz, une chanson d’amour, oui mais d’amour pour la guitare. 1958 Chevrolet Del-Ray : avec un tel titre nous allons pouvoir réaliser notre fantasme rockabilly N° 1 sur la banquette arrière, ben non ce sera pour la prochaine fois, z’ont l’art de dégonfler les clichés, vous croyez rouler à 120 miles à l’heure, le rythme est trop flegmatique, un truc encore pire que Sur la route de Memphis du grand Schmoll, une guitare qui égrène les notes comme des épines de cactus, vous rêvez de foudre rockabilly et vous entendez le monde cruel de la country. Save your apologies for when you get caught : un shoot d’instrumental pour vous refiler le moral, de la tonitruance qui confine à de la maltraitance auditive pour ceux qui n’aiment pas vivre à fond la caisse. De champagne ! Walking is much too slow : c’est terrible un groupe de rock qui sonne fort et bien avec des lyrics à la hauteur du son, en plus vous prennent toujours à dépourvu, à contrepoil, vous mènent par le bout du nez là où ils veulent, du grand art, et ne sont pas beaucoup sur le marché à se permettre de tels régals. 6120 : tous les amateurs de Cochran connaissent ce chiffre, pour les paroles pensez à Elle est terrible d’Hallyday + la fin de Génération perdue, sinon ne pensez à rien, écoutez, c’est du rock’n’roll qui parle de rock’n’roll ! Immanquable. Ford Fairlane : (n’avais pas tort quand je parlais de Rockab garage) : en voiture, une balade avec la fille que l’on aime, la poésie du camionneur, une fin à l’emporte-pièce, une guitare qui vous grimpe au septième ciel et des mots qui disent plus qu’ils ne le voudraient. Pour le son une espèce de convoi à la Peckinpah. Mais funéraire. Where I am when I close my arms : encore une de ces intros qui vous mettent du baume au cœur et que vous laissez venir à vous pour le plaisir de vous sentir bien sur cette terre, ensuite vous fermez les yeux et vous suivez les ondées de cette guitare, y a tout de même cette petite musique en sous-main, une pointe de rêvasserie nostalgique, qui vous apporte la gousse d’ail de cynisme nécessaire pour survivre à vous-même. 1000 shots of whiskey : un tintamarre batérial de tribu de cannibales en chasse, ils se dirigent vers vous, pas de panique ils ont seulement soif, vous les rejoignez, z’avez intérêt à courir vite car le solo de guitare ne vous attend pas, soirée biture, pas besoin de piqûre de rappel, conseil identique aux précédents, n’écoutez pas trop les paroles vous risquez d’en ressortir l’oreille pâteuse. Pour le mal de crâne il est fourni gratis avec l’extro. Trop c’est trop !

             Je ressors de ce disque ébloui. Enfin du nouveau dans le monde du rockabilly !

    Damie Chad.

     

     

    *

    Pour une fois ce n’est pas la couve de l’opus qui m’a attiré, ni le nom du groupe. Mais les tags qui l’accompagnaient. Des mots qui pour citer les Beatles ne vont pas très bien ensemble, trois exactement : celui du milieu ‘’ doom’’ ne me pose aucun problème, pas de péril en la doomeure, ce sont les deux autres, celui qui arrive en queue de peloton, ‘’acoustic’’, oui ça existe à portion homéopathique, enfin passons, mais le premier en file de tête du peloton ne cadre pas trop de bicyclette avec doom, jugez-en par vous-mêmes : ‘’jazz’’. Que peut-il sortir d’un tel accouplement digne de Lautréamont, peut-être un monstre hideux, peut-être un mélange sans saveur, peut-être une pure merveille… Là, n’est pas la question. Qui voudra prendre la peine d’écouter entendra. 

    Quant à moi j’aime à découvrir. Je suis curieux de nature. Les marges m’attirent. J’essaie un tant soit peu de suivre les nouveautés, pas pour me tenir au courant, mais la meilleure part d’un combat, soit-il rock ou tout autre, réside en le fait d’être toujours aux avant-postes, sur la brèche de ce qui craque, de ce qui crocke, là où s’ouvrent des perspectives soient-elles déroutantes, exaspérantes, attrayantes, inquiétantes, mortifiantes…

    THE 4AM NEWYORK EXPERIMENT

    (Chargement libre sur Bandcamp / Juin 2023)

    Aucun renseignement sur ce projet et ses promoteurs même si le premier EP est présent sur de nombreuses plateformes de streaming. Au début j’ai benoitement cru qu’ils étaient de la Big Apple, viennent de Zagreb, capitale de la Croatie.

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    Du moins c’est ce qui est marqué. Quand on cherche on trouve. Pas obligatoirement ce que l’on cherche, mais certaines fausses pistes sont révélatrices. De quoi ? Pour le cas qui nous intéresse d’une certaine noirceur, d’une certaine doomeur si nous utilisons un vocabulaire plus précis.  Commençons par le seul indice à notre disposition. La couve pour ainsi dire digitale du disque non objectivé. Pas très claire. Qu’y voit-on ? Un visage de trois-quarts, vraisemblablement ( ? ) d’une personne noire, pas en entier : le nez, un œil, le front, pas de bouche, quelques cheveux sur notre droite, à la place de ceux-ci, une photographie, trois voies d’autoroute (ou de route), deux lampadaires, cinq voitures, phares allumés, c’est la nuit. L’artwork est crédité. Masha Raymers. Instagram, FB, Pexels une photographe ukrainienne, de Lviv, beaucoup de portraits féminins qui suggèrent le désir plutôt qu’ils ne le dévoilent, de belles œuvres d’un érotisme chaste et ardent, qui mériteraient une chronique, mais cette fois nous en élirons une seule photo, une route, un lampadaire éclairant un passage clouté, une voiture phares allumés, une fille dans l’ombre qui marche sur le bas-côté. Nous vous laissons seuls juges.

    Poursuivons notre route ombreuse, sur YT, une merveilleuse occasion de vérifier l’adage selon lequel le retour du même n’est pas le même. Certaines vidéos sur YT sont postées par plusieurs personnes différentes. C’est le cas de celles qui nous intéresse. Pour les vidéos musicales, neuf fois sur dix, l’on retrouve la couve du disque. Tiens sur celle-ci, lui a été substituée une photo de nuit. Une rue étroite, aux voitures l’on date des années cinquante, des silhouettes qui marchent, seules sont visibles les trois grosses lettres du mot Bar. Ambiance film de truands. Qui l’a envoyé ? Jazz Noir Music. Etrange.

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    Qui se ressemble s’attire. Se repousse aussi parfois. Qui est ce Jazz Noir Music ? Suffit de cliquer. Vous pouvez même vous abonner à sa chaîne. Le site n’est pas vieux. Quelques semaines, vous avez une vingtaine de vidéos à regarder. Non Jazz Noir Music n’est ni un groupe, ni un one man band. Un amateur de jazz. Pas vraiment d’Ellington, de Mingus, de Miles – il les aime peut-être – sa prédilection se porte sur un certain style de jazz, le jazz noir, non pas la couleur de peau des musiciens, mais un jazz d’ambiance noire, il propose donc plusieurs artistes apparentés à cette classification. Votre œil exercé de détective privé ne manquera pas de s’attarder sur certains titres, par exemple, Quarantine Doom Jazz vol 4 (Signora Ward Records). Le jazz noir est donc un style de jazz, aussi appelé Ambient Jazz, ou Dark Jazz, ou Doom Jazz, un jazz aux limites du post-metal, de l’électro, de l’ambient, du punk hardcore… Maintenant vous ne remarquez pas la mention : Rubriques intéressantes, pour l’unique raison qu’elle est écrite en russe. Si vous cherchez encore, vous retrouverez sur la plate-forme Boosty notre Jazz Noir Music sous-titré Meditation and Darkness qui débute par le texte suivant :

    ‘’ Tristesse, horreur, solitude, nostalgie, tranquillité et paix, c’est toute la somme d’images qui sont en cohérences avec l’esprit du Dark Jazz.

    Et si vous vous retrouvez dans un splendide isolement un vendredi soir, et que de la fenêtre vous pouvez voir les rues sombres de la ville à l’agitation éternelle, n’oubliez pas d’allumer les compilations présentées ici sur n'oubliez pas d'allumer les compositions présentées ici sur boosty et sur ma chaîne. Un verre de whisky complétera cet agréable passe-temps.’’

    Les enregistrements proposés sont agrémentés de documents iconographiques divers qui tous (photographies, bandes dessinées, cinéma) relèvent de l’esthétique des films noirs des années cinquante. Un dernier petit détail : si vous désirez soutenir financièrement vous pouvez verser la somme que vous voudrez, vous repèrerez facilement l’endroit : les modalités sont en caractères cyrilliques.

    Comme par hasard sous la vidéo que nous allons écouter est recopiée cette phrase   : ‘’ Quelle différence cela fait-il de savoir comment s’appelle l’endroit que vous quittez pour toujours.’’ empruntée au roman La mariée était en noir de William Irish. Un détail qui déjà classe cet auteur de polars : il reçut le Prix Edgar Allan Poe du Meilleur Scénario. L’ombre noire du corbeau ne plane pas au-dessus de n’importe qui.

    Darker than dark : orage dans le lointain, coups de cymbales répétitifs, si monotones, si monochromes que vous n’entendez qu’eux, heureusement que le grondement sonore et continu en arrière-plan prend le dessus car cette clinquance cymbalique est trop frustrante pour être qualifiée d’image sonore de l’inéluctable, une espèce de sifflement un peu semblable aux productions de l’onde Martenot s’avère beaucoup plus important. Ambiance toutefois plus grise que noire, petit jour blême même, le morceau manque d’une cohérence syntaxique puisqu’à un moment il ne se passe plus rien, le son a beau s’amplifier le sentiment d’oppression s’amenuise, se dilue, certes il flotte autour de vous en nappes de brouillard mais ne vous effraie plus depuis longtemps. Et puis il s’arrête brusquement, sans rime ni raison, serait-on tenté de dire. Slowly : plus solennel, plus prenant, ici l’épaisseur du son prédomine, hélas toujours cette cymbale même pas énervante, tout juste enquiquinante, elle vous empêche d’apprécier les sonorités mélodiques, peut-être l’expérimentation consiste-t-elle en cela, à vous mettre les bâtons dans les roues afin que vous ne focalisiez point votre attention sur  la beauté de la musique peut-être pour vous rappeler que c’est ainsi dans la vraie vie, qu’il y a toujours un petit détail qui gâche tout, que l’extase recherchée est un ange aux ailes brisées qui claudique salement, vous n’éprouvez plus de pitié pour lui, d’ailleurs il a compris, il s’éloigne doucement et vous l’avez déjà oublié alors qu’on l’entend encore. Entre nous soit dit, pas très jazz, pas très doom et pas très acoustique. Grosse déception !

    *

    Je n’aime pas être déçu, aussi ai-je choisi sur la chaîne de Jazz Noir Music,  une vidéo dont le graphisme m’a attiré, rien de novateur, mais un beau coup de crayon qui vous pose un univers en une simple image. Elle porte la mention de Madness Returns, de fait il s’agit d’un morceau intitulé Der Gegensatz ( = l’opposé ) sur le premier album de :

    CHAOTIC BOUND SYSTEMS

    One man band, en l’occurrence Andrey Kein, d’Ykaterinburg, une des plus grandes villes de Russie située sur le versant asiatique de l’Oural. L’est impliqué dans de multiples projets : Sol Mortuus, Carved Image of Emptiness, Church Howlin Dog,  Zinc Room, Prognostic Zero

    Le nom de Chaotic Bound Systems est en lui-même une ouverture au rêve. Notons la justesse de l’appellation marquée par la présence du S terminal. Il ne s’agit pas d’un unique ‘’système’’ qui serait chaotique. En ce cas-là le participe passé ‘’Bound’’ n’aurait aucun sens. A quoi d’ailleurs serait lié un système chaotique ? Ce S marque bien qu’Andrey Kein nous parle d’interdépendance universelle. Un système est dit chaotique lorsque l’on ne connaît pas sa position initiale. Celle-ci explique qu’à certains moments le système nous semble dériver étrangement, en fait si nous connaissions parfaitement les données premières de son implantation dans le monde son évolution nous paraîtrait des plus logiques car répondant à un développement commandé, ordonné ( osons le mot) déterminé par sa vectorité initiale. Autrement dit nous qualifions un système de chaotique parce que nous ignorons les modalités de son écoulement temporel. Si nous ne savions pas qu’une graine est programmée pour germer, que sa nature est ainsi, nous apposerions l’étiquette chaotique sur ce phénomène de germination puisque nous ne comprendrions pas pourquoi tout à coup la graine cesse d’être graine pour devenir plante. Nous aurions l’impression qu’elle serait devenue mystérieusement folle ou délirante.

    Pourquoi ne parvenons-nous pas à connaître les conditions exactes de sa naturité initiale, parce qu’aucun système n’est jamais seul – l’on ne peut imaginer un système doté de la pureté formelle de l’Idée platonicienne -  sa propre naissance est déterminée par d’autres systèmes concomitants pour la simple raison que le monde est un ensemble de systèmes entrecroisés avec d’autres systèmes, par écho successifs avec tous les autres systèmes. Valéry n'a-t-il pas dit qu’une goutte de vin suffit à teinter toute la mer ?

    En résumé, le comportement anarchique d’un système est conditionné par l’ensemble de tous les systèmes. La néguentropie ( activation de l’énergie ) se métamorphose en entropie ( désactivation énergétique ), en d’autres termes le désordre chaotique énergétique se stabilise en stabilité ordonnatrice entropique, pour redevenir désordre énergétique sous l’action d’un autre système. 

    En quoi cela concerne-t-il la musique, évidemment vous pouvez répéter du début à la fin du morceau le même riff, le même rythme. Dans ces cas-là vous êtes dans un système clos autosuffisant et ordonné. Dans ces cas-là la plupart du temps les musiciens rajoutent quelques variations épidermiques… Le musicien est alors un système qui influe sur un autre système. Dans le jazz la part de l’improvisation est prépondérante. Pour des raisons commerciales les maisons de disques ont longtemps imposé à leurs artistes de reprendre des airs connus ( voire des chansonnettes ) afin que le titre attirât le client, c’est en jouant, en élastiquant, la structure du morceau, en la passant sur la table de Procuste des différents modes musicaux afin de l’étirer, de la compresser, de la désarticuler, que l’artiste imprimait sa propre marque, bouleversant le système de la chanson  afin de l’ordonner selon la systématisation de sa propre sensibilité.

    Pendant longtemps, la musique a évolué selon des règles constitutionnelles mathématiques, avec l’apparition du free, les jazzmen ont introduit des éléments ‘’ extérieurs’’ aux possibilités mathématiques, l’on n’a pas manqué de les critiquer en leur reprochant de faire n’importe quoi. Ce qui parfois pouvait être vrai, mais c’était oublier que faire n’importe quoi c’est aussi tout simplement faire quelque chose, en modifiant un système donné… L’apparition du bruitisme au début du vingtième siècle, puis du noise, puis des techniques életro et électro-acoustiques a encore changé la donne d’appropriation culturelle de cette ‘’ nouvelle’’ musique par le public. Elle n’est pas aussi sans poser d’interrogation aux musiciens et créateurs.

    Si actuellement surgissent à foison des one man bands, c’est certes parce que les avancées techniques le permettent, c’est certes aussi pour des raisons strictement économiques – exactement à un autre niveau la même problématique des Blue Caps de Gene Vincent abandonnant la contrebasse pour la guitare basse électrique ô combien plus facile à caser dans une seule voiture lors des tournées -  mais surtout parce que l’artiste se retrouve seul face à sa propre musique, débarrassé des interventions ( qu’elles soient heureuses ou malheureuses ) de leurs pairs. L’artiste se sent ainsi davantage maître de sa création, il élimine l’action que l’on pourrait assimiler à l’apport hasardeux ( positif ou négatifs) d’autres systèmes  déstabilisateurs. Imaginez un torero voulant se mesurer seul face au taureau et à la mort refusant l’aide des picadors, des banderillos et de ses aides…

    A notre connaissance Chaotic Bound Systems a réalisé deux albums, No Light ( 2018 ) et Dissonanz ( 2020 ) et un Ep : Dust Demons ( 2022 ). Tous trois : Evil Dead Productions. Distribution : Diabolic Spectrum Records.

    Andrey Kein : sax ténor, saxphon (flûte de bambou), piano, guitare, percussions, bruits de violoncelle.

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    De Gegensatz : ( L’opposé ) : un saxophone qui résonne comme la sirène d’un cargo perdu au milieu de l’océan, cette musique est forte car elle est ponctuée de silence, les notes et les bruits surviennent en un isolement glacial, cette trompe qui mugit et se tait pour laisser la place à d’autres sons, Chaotic Bound Systems ne cherche pas à créer un vortex de sons qui déboulent sur vous pour vous entraîner sans rémission, l’on sent la composition, un esprit qui tente de circonscrire par le son et des sifflements un espace musical qui soit avant tout mental, un tout indissoluble qui contiendrait tous les possibles organiques de son déploiement. L’on est beaucoup plus près du jazz que du noise, les instrus ont l’air de s’affoler, d’essayer de se surpasser pour prouver la nécessité de leur présence, d’expirer, de crever la bouche ouverte afin de magnifier le passage de ce qu’ils ont été dans leur propre présence évaporée afin que leur disparition vibratoire n’ait pas été une anecdote sans signifiance mais la marque même de leur nécessité dans son absence révélatrice, un peu le côté obscur de la force qui ne déclare jamais forclos. Lorsque le morceau s’arrête, rien n’est terminé, vous reste l’impression d’être rassasié, d’avoir entrevu quelque chose de plus grand que vous et surtout totalement étranger à la nature de votre propre êtralité. Quelque chose qui soit à l’opposé de votre intégrité rejetée dans les zones interlopes du néant.

             Jazz Noir Music en offre une autre lecture. Celle d’une bande-dessinée dont il a détaché quelques cases qu’il expose assez longuement, le temps que chacun se crée son propre scénario, un morceau d’histoire glauque, un assassin qui poursuit sa vengeance… En noir et blanc.  Noir, très noir.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 18 ( Château d’If  ) :

    92

    Le Chef ouvrit la porte d’un grand coup de pied. Pendant que je me précipitai dans le bureau il s’arrêta pour allumer un Coronado. Je faillis buter sur le corps d’Alice évanouie sur la moquette, je la relevai et la tenant serrée contre moi je lui prodiguais un rapide lèvres à lèvres qui rapidement lui permit de reprendre ses esprits :

             _ Oh Damie ! c’est affreux !

             _ Mais non, Alice vous êtes toujours aussi belle, je vous le promets !

             _ Agent Chad, modérez l’exaltation de votre âme lamartinienne, recouvrez le sens de la réalité, cette ravissante enfant a raison, ce n’est pas beau à voir, mais alors pas du tout !

    Je portais mon regard sur le bureau où étaient assis Sureau et Lamart. Assis n’est pas le bon mot, ils étaient carrément affalés sur leur table de travail. Ce n’était pas le plus terrible. En moi-même je louai la sagesse du Chef qui avait allumé un Espuantoso avant de rentrer. Comparée à l’horrible puanteur qui se dégageai des corps des deux journalistes, la fumée dégagée faisait office d’une agréable et printanière fragrance de chèvrefeuille. Non seulement Lamart et Sureau étaient morts mais ce n’était pas le plus grave, ils présentaient un état de décomposition avancée, par les trous de leurs vêtements l’on apercevait un infect grouillements de vers, les fameux helminthes, si chers à Baudelaire, accomplissaient leur travail. Seuls les cabotos ne semblaient pas trouver l’odeur désagréable, ils humaient avec délectation les deux cadavres.

              _ Avec l’agitation qui règne dans le hall personne n’a visiblement entendu le cri d’Alice, Agent vous refermerez avec soin la porte, que l’odeur ne se répande pas avant que nous ne nous soyons éclipsés.

    Choquée Alice ne voulut reprendre sa place à l’accueil :

              _ J’aurais trop peur de dormir seule ce soir, je reste avec vous Damie !

              _ Oui Alice, vous avez raison, je vous emmène avec moi à Provins, n’ayez crainte avec les féroces gardiens que sont Molossito et Molossa, rien de désagréable ne pourra vous arriver.

    93

    Nous arrivâmes un peu tard - il était près de midi - au local. Molossa et Molossito ayant squatté toute une partie du couvre-lit, il ne resta que peu de place pour Alice et moi, trop serrés à la manière des sardines à l’huile en boîte nous avions assez mal dormi. Le Chef était d’excellente humeur. Il me tendit aussitôt un exemplaire du Parisien Libéré :

             _ Lisez-moi ce torchon, Agent Chad, cela ne vaut pas la prose veloutée de vos Mémoires d’un GSH, mais cette première page fort instructive vaut le détour. Pendant ce temps je me permettrai d’allumer un Coronado, la journée risque d’être fort belle !

    LE PARISIEN LIBERE

    UNE TRAGIQUE ET DOUBLE DISPARITION

    Nous avons le regret d’annoncer une terrible nouvelle à nos lecteurs : Martin Sureau et Olivier Lamart, nos deux meilleurs journalistes sont décédés hier soir en des circonstances cruelles. Il était l’heure d’envoyer le journal à l’imprimerie et nos deux amis, contrairement à leurs habitudes n’avaient pas encore livré leur article. Il se faisait tard, nous envoyâmes une secrétaire à leur bureau afin de récupérer au plus vite leur travail. Hélas, ils étaient bien assis à leur table de travail, mais ils étaient morts tous les deux. Le Samu est arrivé en des temps record, le diagnostic est tombé très vite, tous deux avaient été terrassés par un arrêt cardiaque au travail. Le cas n’est pas si rare nous a déclaré un statisticien. Des gens soumis à un même stress peuvent succomber au même instant s’ils sont de la même famille, or Le Parisien Libéré est une grande famille et nos deux confrères travaillaient ensemble depuis tant d’années qu’ils étaient comme des frères.

    Nous leur rendrons un grand hommage dès lundi prochain dans notre journal. Les lecteurs se rappelleront que nos deux infatigables reporters étaient présents dans la forêt de Laigues lorsqu’un fulgurant variant du Covid a anéanti plus de deux cents de nos policiers.   Les analyses effectuées par prudence sur leurs prélèvements sanguins apportent la preuve indubitable de leur non-contamination, mais les autorités ont été formelles ils seront portés en terre au plus vite, dès demain après-midi, aujourd’hui pour ceux qui viennent d’acheter ce numéro, nous donnons rendez-vous aux lecteurs qui voudraient leur rendre un dernier hommage, au cimetière de Savigny ( Seine & Marne).

    Communiqué de la Rédaction.

    94

    Dans la voiture le Chef distribue les rôles :

    • Carlos, il nous avait rejoint au local dès que l’article du Parisien Libéré en devanture d’un kiosque à journaux lui avait sauté aux yeux, il y aura du monde, avec Alice vous rejoindrez la masse des anonymes en queue de peloton, personnellement je me mêlerai à la foule des officiels, dans l’œil de l’ouragan, agent Chad, avec vos deux cabotos vous seriez trop vite repérés, vous suivrez la piste indienne.
    • Mais que faut-il faire et de qui doit-on se méfier au juste, je ne comprends pas grand-chose, minaude Alice.

    Elle est toute belle mais méconnaissable, grosses lunettes noires qui lui mangent la moitié du visage, une robe bon marché et une veste en laine, genre de défroque tricotée par les grand-mères attentionnées déforment sa silhouette. N’empêche que Carlos est aux petits soins avec elle. Galamment le Chef lui répond :

              _ Charmante enfant, en toute logique dans un cimetière l’on ne craint que la mort, c’est pourtant elle que nous devons chercher !

              _ N’ayez crainte Alice, je vous défendrai, lui souffle Carlos au creux de l’oreille, j’ai toujours trois ou quatre Rafalos sur moi, un geste élémentaire de prudence terriblement efficace.

    Alice ne sait pas trop ce que c’est qu’un Rafalos mais la voix de Carlos la rassure. Après les avoir déposés devant l’entrée, j’arrête la voiture assez loin de la grille. J’entrouvre la porte pour laisser passer les molosses, ils ont compris, ils se faufilent entre et sous les véhicules en stationnement, personne ne les aperçoit, il doit bien avoir plusieurs centaines d’individus qui se dirigent vers le lieu de l’inhumation... Je ne me soucie plus d’eux, je sais que si j’ai besoin d’eux, ils seront à mes côtés. Chiens fidèles mais féroces.

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    La cérémonie a commencé depuis un petit moment. Le cimetière est plein comme un de ces œufs de pâques remplis de friture en chocolat que m’offrait ma maman quand j’étais petit. De mon poste d’observation je vois tout. Je ne pouvais pas trouver mieux que la fenêtre de la chambre d’Alice, la lycéenne (essayez de comprendre ou de relire les épisodes précédents), forcer la porte de derrière a été un jeu d’enfant. La tombe de Lamart et de Sureau, une simple fosse, est ouverte, les deux cercueils sont recouverts de gerbes de fleurs, les discours se succèdent, je reconnais le Chef au panache de fumée qui s’élève de son Coronado, depuis trois-quarts d’heure les discours se succèdent, je remarque que la famille est absente, à part un vieux grand-père atteint de démence sénile qui s’agite comme s’il était aussi un adepte de la maladie de Parkinson, quatre gardes du corps s’emploient tant bien que mal à le faire tenir tranquille,  derrière les officiels sont tassés les lecteurs du quotidien, je repère Alice alanguie dans les bras de Carlos. La cérémonie est un peu ennuyante, elle dure et s’éternise…

    J’entrouvre la fenêtre pour saisir quelques mots des allocutions qui sont prononcées à l’aide d’un micro, une brise légère les emporte en une direction opposée et les rend inaudibles. Je tressaille, un aboiement bref et étouffé m’avertit que quelqu’un approche. De quel côté ? Quinze secondes plus tard une espèce de léger couinement le suit. Je reconnais le timbre aigu de Molossito, donc le premier plus grave provient de Molossa. Braves chiens, jamais ils ne se seraient manifestés deux fois s’il n’y avait qu’une seule personne. Pas d’erreur c’est un double danger qui me menace. Deux ennemis se dirigent vers moi. Je me colle au mur, de telle manière que je serai derrière la porte de la chambre si quelqu’un la pousse… Deux minutes de silence absolu. Un léger grattement derrière la maison. Qu’est-ce au juste ? Maintenant j’en suis sûr quelqu’un monte les escaliers en prenant soin de ne pas faire craquer les marches…

    A suivre…

     

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 587 : KR'TNT 587 : MOGWAY / STAPLES Jr SINGERS / DAVID CROSBY / THOM BELL / URAL THOMAS / EUGENE CHRYSLER / G.O.L.E.M. / FRANCK HELEINE / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 587

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    09 / 02 / 2023

    MOGWAY / STAPLES Jr SINGERS

    DAVID CROSBY / THOM BELL 

    URAL THOMAS / EUGENE CHRYSLER   

     G.O.L.E.M. / FRANCK HELEINE   

    ROCKAMBOLESQUES

    Sur ce site : livraisons 318 – 587

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

    Smogwai

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             Bienvenue dans le smog des Scots, le smog de Mogwai. Mog qui ? Mogwai not ? Glasgow band, comme les Mary Chain, Primal Scream et les Fannies. Jusque-là tout va bien. Mogwai fut lancé dans les early noughties par un gros buzz NME. What ? Des petits mecs de Glasgow qui ne jurent que par les Stooges ? Trop beau pour être vrai. Tu cours chez ton disquaire, comme le disait jadis Paul Alessandrini dans l’early Rock&Folk. Tagada tagada, zavez le nouveau Mogwai ? Tiens mon gars, le vlà ! Paf, vendu ! Tu revenais chez toi la langue pendante pour écouter le buzz. Ah tu parles d’un buzz !

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    Tu te retrouvais le bec dans l’eau avec un Mogwai Young Team en forme de petite arnaque. Rien qu’avec les onze minutes de «Like Herod», tu mesurais l’étendue de l’enculerie. Onze minutes, c’est pas rien, même si au bout d’un moment, ça s’énerve un peu, même si quand s’élève un petit vent sonique, on commence à mieux comprendre le pourquoi du comment. Mogwai fait du gros zyva, de la noise de doom. Ici s’étend l’empire du doom, semble dire ce «Katrien» qui vient te doomer le bulbe. Ils ont tout en magasin, ils ont même du piano à la Satie dans «Radar Maker». L’eusses-tu cru, Fresh Egg ? Ils ont surtout des cuts inutiles et c’est la raison pour laquelle on décide d’en rester là. Fuck it ! Cette enfilade de cuts est insupportable, paumée, sans horizon. Rien, juste du son pour du son, pas de compo, pas de rien, no nothing. Pas de chanteur. Tu te fais baiser une fois, mais pas deux. Bon d’accord, il y a parfois des vents de sable, mais rien de constitué. Ils aiment bien Satie, ils y retournent («With Portfolio»). Sous prétexte de post-punk, ils font n’importe quoi. On comprend pourquoi Gildas méprisait la post. Ne va jamais là-dessus, car tu vas souffrir, surtout d’en bas. Ils repartent à la fin avec un hommage à Satan qui dure seize minutes, mais bon, écoute qui peut. Après, le plus difficile reste à faire : revendre cette daube épouvantable. Trouver un autre gobier.

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             Et puis, le mois dernier on tombe sur la chronique enthousiaste d’un journaliste anglais qui a lu l’autobio de Stuart Braithwaite, Spaceships Over Glasgow. Le journaliste parle d’un hilarious book. Stuart Braithwaite est le guitariste de Mogwai. La chronique a l’air tellement sincère qu’on décide d’aller y voir de plus près, sait-on jamais. Oh après tout, le risque de se faire enculer une deuxième fois n’est pas si terrible. On gaspillera tout au plus quelques heures de lecture, c’est-à-dire une goutte d’eau dans l’océan des lectures. On envoie les pésétas chez Book Depository et le Mogwai book arrive 48 h plus tard. Ouvrage relié, belle jaquette orange fluo, graphisme ésotérique, belle main du bouffant et beaux choix typo, les conditions semblent rassemblées : la relation de confiance peut se rétablir. 

             Stuart Braithwaite raconte sa vie très simplement. Pas la moindre trace de prétention, chez lui. D’ailleurs les photos du groupe vont dans le même sens : ces mecs sont des anti-rockstars. Aucun danger qu’ils plaisent aux filles. Même leurs fringues sont laides. Bien sûr, Braithwaite raconte l’histoire de Mogwai, un groupe dont on n’a rien à foutre, mais ce qui fait la force de son book, c’est l’aspect flaubertien, une certaine façon de raconter sa rocking Éducation Sentimentale : comment se construit un kid fan de rock dans l’Angleterre des années 80/90. Son book fonctionne comme un catalogue du bon goût. À part deux ou trois faux pas, toutes les références de Braithwaite sont bonnes : ça commence avec les Mary Chain et ça se termine avec Roky Erickson, en passant par les Stooges, le Velvet et des tas d’autres passages obligés. Ça te sécurise un lecteur.

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             Comme il est né en 1976, Stuart arrive un peu après la bataille. Il fait ses premiers pas dans la vie du rock avec Cure et Nirvana. En France, pays extrêmement défavorisé en matière de rock, certains kids s’alimentaient depuis longtemps d’un savant mélange de presse et de fanzines : Shake, Les Rockers de Jean-Claude Berthon, le Rock&Folk d’Yves Adrien, puis le Bomp! de Greg Shaw, le Creem de Dave Marsh, et la sainte trilogie NME/Melody Maker/Sounds - principalement le NME de Nick Kent et de Mick Farren - le Back Door Man de Phast Phreddie Patterson, puis dans les années 80/90 le Spin américain, Vox et Select en Angleterre, et parfois The Face. Tout cela a disparu, emporté par une nouvelle vague, Mojo/ Record Collector/ Classic Rock/ Vive Le Rock/ Uncut/ Shindig!, et toujours des zines, Ugly Things, Dig It!, Rock Hardi, et pour un petit shoot trimestriel de rockab, Rockabilly Generation. Avec tout ça, la dose mensuelle est garantie. Pas de place pour le reste.

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             D’une certaine façon, Stuart va rattraper son retard, dès 11 ans, avec un prof de guitare qui lui apprend à jouer «Heroin». Small Stuart ne sait pas qui est le Velvet - I presumed  that the Velvet Underground were all black - ni ce que sont les drogues, mais le cut lui plaît infiniment. Sa grande sœur écoute les Mary Chain et il comme il adore le son, il veut une guitare électrique. Puis sa frangine entre dans l’univers 4AD, avec les Pixies et les Cocteau, découverte à la suite d’Ultra Vivid Scene - one of the biggest bands on the planet - et puis Cure, qui dit-il, lui entre sous la peau. Et chaque mercredi, bien sûr, il dévore the holy trinity, NME/Melody Maker/Sounds, quelques TV shows comme Snub TV où il découvre les Cramps, Dinosaur Jr, puis les Spacemen 3 et «Revolution», et bien sûr l’inévitable Peely show sur Radio One - a show anything but predictable - Et ça continue avec Loop, Fields Of Nephilim et Silverfish. Vie classique de fan de rock en Écosse, mais Stuart trie sacrément sur le volet. Pas de daube chez lui. Il monte même un groupe avec des copains : Pregnant Nun, clin d’œil aux Mary Chain, dont il apprend les chansons pour pouvoir les massacrer sur sa gratte.

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             Comme ses parents sont extraordinairement bienveillants, il peut entrer rapidement dans la seconde phase de son Éducation Sentimentale : les concerts au Barrowland. Initiation avec Cure qui lui est entré sous la peau, notamment l’album Disintegration. Le concert est comme il dit spellbinding. Stuart commence alors à collectionner tout le vocabulaire du fan transi. Pour lui, Cure est le perfect teenage band. Il sort complètement sonné de son premier shoot de Cure au Barrowland. Il en tartine des pages entières. Puis c’est le concert des Mary Chain dont il se dit obsédé. Obsédé de leur fuck-the-world attitude. Époque Psychocandy - To me they epitomised cool - Il les voit comme the coolest band on the planet. Au point où il en était, il aurait pu sortir un truc du genre cool Raoul. Il revoit les Mary Chain au moment d’Honey’s Dead - The place was bedlam - Les Mary Chain sont le fin du fin. L’autre fin du fin, c’est Spacemen 3 covering The 13th Floor Elevators. Il commence à collectionner les guitar heroes. Voilà son trio de tête : J. Mascis, Poison Ivy et Robert Smith. Bizarrement, toutes ces influences n’apparaissent pas dans la musique.

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             Et comme dans toutes les histoires d’addiction, ça monte vite en température. Voilà qu’arrivent les Stooges - Their self-titled album was pretty much my bible - Puis son prof de guitare lui fait écouter Raw Power. Il est captivé par la férocité du son. It was perfect - The Stooges were Year Zero for the music we loved - Tous les misfits d’Écosse vont voir Iggy sur scène. L’«I’ve been dirt and I don’t care» sonne comme un mantra pour tous ces mecs-là. En rappel, Iggy balance son vieux Wanna Be Your Dog, and the place went ballistic, nous dit Stuart, le souffle court - I think it’s the perfect song. Simple, hypnotic, dumb and beautiful - Iggy finit avec «Search And Destroy», a whirlwind of chaos energy, and the crowd going apeshit - tout le vocabulaire de la folie du rock est là, Stuart en fait la collection, comme l’ont fait Baby Gillespie et Kris Needs dans leurs big fat autobios. Le rock est d’abord une affaire de langage, ce qu’ont bien compris ces trois cocos.

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             Et ça repart de plus belle avec Nirvana que Stuart découvre à Reading. «Smell Of Teen Spirit» hit me like a ton of bricks. C’est bien dit. Il succombe au mantra «A denial, a denial, a denial, a denial». Ah les mantras ! Le concert de Nirvana à Reading reste pour lui one of the best performances I’ve ever seen. Il voit aussi Dinosaur Jr exploser Reading avec «Freak Scene», nouveau coup d’apeshit ballistic bedlam. Il n’a plus de mots, il écume. Il louche aussi sur Kim Gordon, the epitome of nonchalance. En France, on a l’épitome de chèvre, en Angleterre, c’est plus raffiné. Reading 1991 est son premier festival. C’est là qu’est tourné l’excellent The Year Punk Broke. Stuart voit aussi les Sisters Of Mercy, Mercury Rev et Teenage Fanclub. Il adore Primal Scream, bien sûr, et l’«Everything Flows» du Teenage Fanclub is pretty much the perfect song, une de plus. En 1993, il voit la reformation du Velvet, puis les Buzzcocks, encore des chouchous, son favorite punk band. Côté disks, Stuart ne chôme pas : Hunky Dory, Lust For Life et Marquee Moon sont ses favoris, l’année où il s’installe à Édimbourg avec des copains. The perfect bands sont The Jimi Hendrix Experience, Nirvana et Motörhead. D’autres chouchous encore : Loop, Spacemen 3, The God Machine et Swervedriver. Toutes ses références sont parfaites.

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             C’est là qu’il monte Mogwai avec son pote Dominic. Il tire le nom du Gremlins de Spielberg : Mogwai est aussi un mot chinois qui veut dire démon. Et pouf c’est parti ! Première tournée avec Urusei Yatsura, un autre gang de Glasgow aujourd’hui oublié, mais qui a connu sa petite heure de gloriole. On propose à Mogwai une tournée américaine avec Ween, mais ils n’ont pas le blé pour partir en voyage. En 1996, ils font leur première Peel Session. Puis leur premier single est chroniqué dans le NME. Ils jouent en première partie de Pavement, dont ils vont rester très proches - We were obsessed with Pavement - Stuart voit Spiritualized sur scène et dit tout le bien qu’il en pense. Puis tournée américaine en première partie de Pavement, puis hommage aux Super Furry Animals - whose music we all loved - et à Arab Strap, hommage encore au Deserter’s Songs de Mercury Rev. À travers son histoire, Stuart fait une sorte de parcours sans faute. Hommage encore à Bardo Pond, «playing super loud, far-out psych-rock». Puis Mogwai fait la couve du numéro spécial No Sell Out du NME, l’un des numéros les plus légendaires de l’histoire du canard, dans lequel on trouve Fugazi et le comédien Bill Hicks. Hommage encore aux Texans d’And You Will Know Us By The Trail of Dead, «more punk rock than Sonic Youth», puis à Billy Duffy, guitariste du Cult : Stuart va le trouver pour lui dire qu’il a appris à jouer de la guitare à cause du solo qu’il passe dans «She Sells Sanctuary». Pixies, aussi, one of my favourite bands. Petites apologies encore d’Arab Strap, de The Twilight Sad et de David Pajo, le mec de Slint. Il n’a oublié personne ?

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             Les drogues ? Les Cramps ? Roky Erickson ? Non, pas d’inquiétude, il ne les oublie pas. Les drogues sont partout dans Mogwai, les Écossais n’arrêtent pas. Stuart dit qu’il a perdu ses cheveux à cause des excès. Il tape dans tout : booze, acid, E’s, pills, coke, tout ce qui traîne - We were a mess - Il jongle avec les expressions de la défonce, comme l’ont fait Baby Gillespie et Kris Needs avant lui, expressway to insanity, out of our fucking minds, continuing to get smashed, c’est exactement la même ambiance que dans Primal Scream qui se vantent d’être continually wasted. Stuart se croit un «hard partier» jusqu’au jour où il monte dans le tour bus d’Elastica - they were on another level - et il ajoute : «things got messy in ways I’d never witnessed before.» Tout monte toujours d’un cran, à mesure qu’on avance dans la vraie histoire d’un groupe. Et ça continue jour et nuit, nuit et jour, dans les festivals en Espagne, everyone was so fucked. Puis il finit par voir les Cramps, one of my favourite ever bands. Il finit en beauté avec Roky qu’il réussit à coincer en studio pour enregistrer «Devil Rides». À Austin, Roky commence par emmener Stuart chez un marchand d’ice cream qui vend un milkshake nommé Roky et qui fait la fierté de Roky. En studio, Stuart doit se pincer pour être sûr que ce n’est pas un rêve : il se retrouve avec son idole Roky qui chante une chanson qu’il a composée pour lui. C’est un bel aboutissement, pas vrai ?

             Mais la vraie merveille de ce book se trouve dans le dernier chapitre. Quand son père casse sa pipe en bois, Stuart voit son monde s’écrouler. Alors il parvient à exprimer sa douleur et c’est la plus belle page de ce book que devraient lire tous les fans de rock : «J’ai beaucoup rêvé de mon père après qu’il soit mort. Et ça continue. Il est toujours là. Pendant toute ma vie d’adulte, mon père est venu me chercher à l’aéroport pour me ramener à la maison. Même quand je vivais à Édimbourg, ce qui représentait pour lui trois heures de route. Il m’attendait à l’arrivée, souriant et toujours content de me revoir. Pendant le trajet en voiture, il me posait des questions sur mon voyage et me disait tout ce qu’il avait pu faire pendant ce temps. Alors après, j’avais du mal à descendre de l’avion et à revenir dans le hall d’arrivée de l’aéroport, sachant qu’il ne serait plus là pour m’accueillir. Ça a duré un bon moment, et puis ça s’est un peu atténué, car j’ai fini par me dire : ‘quelle chance j’ai eu de le voir là pendant toutes ces années’. C’était un wonderful man et j’ai eu la chance de l’avoir comme père.»

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             Du coup, on décide en comité restreint d’aller tester un autre album de Mogwai. Le choix se porte à l’unanimité sur Rock Action, à cause du titre. Même constat qu’auparavant : ils bâtissent leur empire sur du bruit. Franchement, tu n’es pas obligé de trouver ça bien. Tu n’écoutes que par curiosité, mais surtout par sympathie pour Stuart qui est de toute évidence un brave mec. Avec «Take Me Somewhere Nice», ils bricolent une grosse ambiance, mais rien d’autre. Ils tartinent leur heavy tartine avec du chant qui n’est pas du chant. C’est même un peu pénible. On est triste pour eux, car au fond, on les aime bien, puisqu’on écoute les mêmes disques. Quand tu n’as pas de voix, ça ne pardonne pas. Les petits sortilèges soniques ne marchent pas non plus. La voix murmure dans le son et c’est une catastrophe. Cette pauvre voix atone voix reste même au fond du son, complètement inexploitable. On se demande comment un label a pu les soutenir. Ça n’a pas de sens commercial. Stuart et ses copains tapent dans le smog d’outerspace, ils nous enfument, ils n’ont aucune chance de convaincre les pékinois. Il faut attendre «2 Rights Make 1 Wrong» pour que leur sauce prenne, ils font enfin du wild ambiant scottish et ça brûle très vite. Ils sauvent cet album qu’ils auraient dû appeler Boudu Sauvé Des Eaux.  

    Signé : Cazengler, smog on the water (closet)

    Stuart Braithwaite. Spaceships Over Glasgow. White Rabbit 2022

    Mogwai. Young Team. Chemikal Underground 1997

    Mogwai. Rock Action. PIAS Recordings 2001

     

     

    Les Staples ne sont pas les Staple

     

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             Soit on sait, soit on ne sait pas. Pour vraiment profiter du spectacle des Staples Jr Singers, le mieux est de savoir, et pour savoir, il faut avoir écouté When Do We Get Paid, un album miraculé sauvé des eaux par un petit label américain, Luaka Bop. Alors on sait, quand on les voit arriver sur scène, qu’ils vont nous faire du Wilson Pickett. Et ça va même au-delà de toute expectitude.

             Les liners de cet album miraculé sauvé des eaux nous apprennent que les Staples Jr. Singers sont en réalité les Brown d’Aberdeen, Mississippi, et, ajoutent les liners, ils ont commencé de bonne heure : Annie avait 11 ans, Edward 12 et R.C. 13. Ils écumaient les églises et les écoles sur les deux rives de la Tombigbee River. Ça ne s’invente pas, une histoire pareille. Comme ils écoutaient pas mal de secular music à la radio, ils se sont inspirés des Staple Singers pour se baptiser les Staples Jr. Singers. Annie adorait les Staple songs, oh yeah !, «because they had a meaning to them and a different style.» Pour elle, ça ressemblait beaucoup à ce que ses parents écoutaient. Elle rappelle que sa famille vivait dans la pauvreté, mais Daddy veillait toujours à ce qu’il y eût «à manger sur la table, des habits sur notre dos et un toit au-dessus de nos têtes. Alors ces chansons correspondaient à ce que nous vivions.»

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             Quand on écoute cet album miraculé sauvé des eaux, on est frappé par le mélange de primitivisme et de modernité du son. Les Staples Jr couplaient des rough and soul-infected rhythms - ce que le guitariste R.C. appelle «the new style» - avec des paroles qui évoquaient la rude condition des blacks pauvres dans le Deep South - «talking about trouble», dit Annie - Dans le morceau titre, Annie et Edward chantent «When do we get paid/ For the work we’ve done ?». Eh oui, il serait temps de s’en soucier, aux moins deux ou trois siècles de retard de salaires pour quelques millions d’esclaves. Ils tapent ça en mode heavy groove. C’est du pur Gospel Stax, intense et perlé de sueur.

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             Edward insiste beaucoup pour dire que les paroles de leurs chansons sont toutes tirées de leur vécu. Quand ils partaient en tournée, ils achetaient du matériel à crédit chez Mr. Buxton et le chargeaient dans le van que conduisait leur frère aîné, Cleveland. Ils tournaient partout sous la fameuse Bible Belt, «Minnesota, St. Louis, Memphis, Arkansas, Birmingham, all those places.» Ils ont fini par attirer l’attention des fameux Jackson Southernaires qui les firent jouer en première partie. Ils ont enregistré leur premier single en 1974 chez un certain Big John qui avait un studio à Tupelo : «Waiting For The Trumpet To Sound», qu’on retrouve bien sûr sur l’album, un gospel blues d’Ooooh Lawd keep on waiting. Un vrai petit coup de génie. La finesse du guitar slingin effare dans la nuit, et Annie te swingue tout ça à coups de keep on waiting. Leur Waiting passait pas mal à la radio et c’est avec Big John qu’ils enregistrèrent leur album en 1975, au Statue Recording Studio de Tupelo. Annie avait 14 ans, Edward 15 et R.C. 16. Toujours la même chose : une histoire pareille, ça ne s’invente pas.

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    ( Version originale : Brenda Records 1975 )

             Dès le «Get On Board» d’ouverture de bal, on voit que c’est enregistré avec les moyens du bord. Puis ils passent à la vitesse supérieure avec «I Know You’re Going To Miss Me», une vraie dégelée d’amateurs, ils tartinent un vieux gospel de Soul, c’est du raw, mais de l’excellent raw. Annie s’explose la rate à chanter son lead, elle est fantastique, elle en rajoute. Du coup, il règne dans cet album miraculé sauvé des eaux une ambiance extraordinaire. Ah tu te régales, tout est bien chez les Brown, le lead d’Annie, le guitar slinging de R.C. Avec «I’m Going To A City», ils basculent dans le heavy r’n’b amateur, ils y vont au get my ticket, c’est du pur primitif. L’album devient même fascinant, tu t’enfonces avec eux dans une jungle, une sorte de nowhere land inespéré. Encore une merveille imprescriptible avec «Trouble Of The World» et ils font avec «I Feel Good» une Soul d’excelsior. Annie taille bien la route avec «On My Journey Home» et ils finissent en beauté avec «I Got A New Home». Dans les liners, Annie est la première surprise : elle pensait que cet album génial avait disparu.

             Après l’album, les Brown ont continué leur petit bonhomme de chemin et sont passés à autre chose. Dans les années 80, le groupe compte 9 membres et devient The Brown Singers. Puis Annie se marie et elle monte les Caldwell Singers, alors qu’Edward et R.C. continuent avec les Brown Singers.  

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             Et les voilà tous les trois sur scène, Annie, Edward et R.C., le fantastique R.C. et son guitar slinging. Ils sont assis tous les trois, car plus très jeune, Annie pèse bien 200 kg mais elle te harponne une salle comme si elle harponnait un cachalot blanc, woufff !

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    Elle shake mille shooks, elle shoute avec le power du tonnerre, elle te sort des faux airs d’Aretha, quand elle se lève pour haranguer les harengs, elle devient une sorte de déesse africaine, une incarnation parfaite de la statuaire sacrée africaine qui représente la fécondité, et derrière elle, c’est un vrai ramshackle de wild gospel funk, deux guitaristes fabuleusement doués, un beurre-man et THE locomotive-man, un bassman beaucoup plus jeune qui joue comme James Jamerson, en descentes d’accords et en contrecarres de contrefort, c’est irréel de power, alors tu ajoutes ça au cirque que font Annie et Edward et te voilà au paradis du wild r’n’b d’église en bois. C’est carrément du Wilson Pickett servi sur un plateau d’argent.

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    Ils raflent toutes les mises, même les plus inimaginables, tu as là sous les yeux l’un de ces spectacles parfaits que le hasard des programmations rend possibles. Pendant une longue version de «When Do We Get Paid» - for the work we’ve done - la sono tombe en panne et pas de problème, Edward mène le bal a capella, ils ont assez de métier pour affronter les aléas de la technique moderne.

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    Ils font en fait très peu de cuts, mais ils les travaillent dans la durée. Ils mijotent les éruptions, ils groovent sous la cendre. Et puis tout explose avec «I’m Going To A City», Annie fout le feu au cachalot, elle lâche tous les démons de l’Afrique profonde sur l’Occident subjugué, c’est une épouvantable curée, un chaos régénérateur, tout le monde twiste dans la cambuse, Annie et ses frères nous ramènent aux origines du monde. Wild as fuck !

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    Signé : Cazengler, Instable Jr

    Staples Jr Singers. Le 106. Rouen (76). 31 janvier 2023

    Staples Jr Singers. When Do We Get Paid. Luaka Bop 2022

     

     

    Wizards & True Stars

    - Crosbibi Fricotin (Part One)

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             Nouveau trou dans l’eau avec la disparition de David Crosby, l’un des vrais héros de ce qu’on appelait autrefois la contre-culture américaine. Croz était un homme libre, un navigateur, un hédoniste invétéré, amateur de jolies femmes et de drogues. Il fait partie de ceux qui n’ont jamais commis de faute de goût en matière artistique et ça va même plus loin : à toutes les époques de sa carrière, sa seule présence rehaussait le prestige de ses collègues, que ce soit dans les Byrds, CS&N ou après, au long cours de sa carrière solo, une carrière qu’il faut bien qualifier de fastueuse et que tous ses fans ont suivie méticuleusement. Quand on connaissait son histoire, on savait qu’il n’allait pas faire long feu, surtout après une greffe du foie. C’est un miracle qu’il ait pu survivre aussi longtemps et continuer d’enregistrer des albums aussi magiques. Car c’est bien de magie dont il s’agit, une magie particulière qu’on appelle aussi le groove.

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             On venait tout juste d’écouter son dernier album, l’excellent For Free, quand la triste nouvelle est tombée. For Free est donc son testament artistique. Sur la pochette, Croz ressemble à l’un de ces vieux cowboys de Sam Peckinpah, il sort tout droit du fabuleux «Cowboy Movie» qui illumina jadis l’album rouge, If I Could Only Remember My Name, un «Cowboy Movie» qui hanta tant l’auteur des Cent Contes Rock qu’il en pondit un œuf. Cot Cot ! Ah il faut voir Croz attaquer «River Rise» à la sauvage de vieux crabe. Il t’embarque aussi sec, avec une énergie considérable. Il te fait une rock-song du meilleur niveau, ça scintille et ça flashe. C’est du Croz en liberté. Si tu cherches le coup de génie, il se trouve juste avant la fin et s’appelle «Shot At Me». Croz chante à l’édentée salivaire et gratte ses poux du limon - I was having coffee in my favorite place - Il voit entrer un fantôme - this haunted guy with a haunted face - et donc il nous fait un cut fantôme, il nous fait du groove indien - Head to the woods and laugh all the way/ Nobody shot at me today - C’est exactement du même niveau d’envoûtement que «Cowboy Movie». On trouve aussi deux Beautiful Songs sur For Free, «The Other Side Of Midnight» et le morceau titre. Il va chercher ses vieux horizons, c’est tout ce qui l’intéresse, ces soudaines montées en charge d’harmonies vocales. On croirait qu’il les a inventées. Il ouvre chaque fois un nouveau chapitre de la très grande pop américaine. Il chante face au soleil - How does love light shine from so high above/ Tell me - Il se connecte sur les anciennes magies de vestes à franges dans le crépuscule californien, c’est là que tu trouves la légende de Croz, il fait un fantastique testament psychédélique, il revient aux flux et aux reflux magiques du Californian Hell. Dans «For Free», il raconte l’histoire d’un musicien des rues - Across the street he stood and he/ Played real good/ On his clarinet for free - C’est un groove de jazz, il tape ça au playing real good for free, dans l’esprit de ce que fait Joni Mitchell - Maybe put on a harmony - C’est ce qu’il fait. Il termine cet album fascinant avec son testament : «I Won’t Stay For Long», joué au piano atonal.

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             En 2016, Croz est revenu au devant de la scène avec un album phare, Lighthouse. Il y redéploie dès l’ouverture sa pop spacieuse et élégante. La paix règne sur cet album, Croz bat doucement les cordes de sa gratte et chante son vieux groove océanique. Il prend «The Us Below» au trémolo de glotte sensible - Why must we be eternally alone - Il se pose de drôles de questions. C’est évident qu’on finit seul, quoi qu’il arrive. Avec «Look In Their Eyes», il va sur un son plus Brazil. On sent chez le vieux Croz un goût certain pour la brise tropicale et l’air parfumé du large. Il renoue aussi avec les accents magiques de CS&N et retrouve sa façon de forcer la note au chant. Le hit de Lighthouse ouvre le balda : oui, «The City» est une absolue merveille, swinguée au beat californien - All you can do is your best to stay in - Il re-développe sa fabuleuse énergie d’antan, like a wind, like a fire, il fait son best to stay in, oh yeah ! Fabuleux ! C’est claqué aux profonds accords d’acou. On sent remonter les vieilles énergies du Pacific qui datent du temps où régnaient sur la West Coast les Mamas & The Papas et CS&N. Il termine cet album phare en duettant avec Michelle Willis sur «By The Light Of Common Day». C’est beau, comme un ciel au-dessus de l’océan.

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             David Crosby éclairera le monde jusqu’à la fin des temps, c’est en tous les cas ce que prouve Sky Trails, paru l’année suivante. Il démarre avec un groove de jazz intitulé «It’s Got To Be Somewhere». Pas de groove plus groovy que celui de Croz. Il sait qu’il a du génie, mais il ne la ramène pas. Il se fond dans le groove, comme il l’a fait toute sa vie. C’est jazzé jusqu’à l’oss de l’ass - The book never lies/ Across the Santa Anna/ To the land of blue skies - La lumière se glisse dans la moelle des harmonies vocales. L’autre coup de génie de l’album s’appelle «Somebody Home», encore un groove jazzé aux neuvièmes diminuées. C’est d’une insondable profondeur. Croz chante à l’haleine chaude du vieux combattant, cette pureté fait la différence avec les autres prétendants au trône - When I look at my face/ I think there’s somebody home - C’est pointé à l’orgue céleste, prodigieusement autobiographique - One of these days/ I’ll get my courage up/ Sit down at your table/ Pour some coffee in my cup/ And I will tell you I love you - On l’entend faire des prodiges avec sa voix - Seen you weak/ but when you - et là il monte de plusieurs octaves - to me/ There’s somebody home - D’autres merveilles se nichent sur cet album béni des dieux, comme par exemple «Sell Me A Diamond». Il revient à l’avant-garde déconstructiviste qu’il affectionne tant. Il faut écouter cet homme attentivement, car il sait qu’il va mourir. Il chante encore ses chansons, comme s’il se trouvait à la fin d’un règne, avant que ne s’éteignent définitivement les spotlights. Il explose «Capitol» aux harmonies vocales, y dénonce la fake democracy et chante «Before Tomorrow Falls On Love» d’une voix de vieil homme, mais avec une âme - In that careless place and time - Extraordinaire ! Puis il s’en va jazzer «Curved Hair» à Bahia - The sky is a cavern open wide - et nous pond un groove de jazz dément. Ici, tout n’est que groove, calme et volupté.

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             Dans l’interview qu’il accorde à Ian Fortman en 2017, Croz revient invariablement sur l’un de ses sujets favoris : la politique. Il a de quoi faire puisque selon lui son pays n’est plus aujourd’hui qu’une bad joke. Et il traite son président d’asshole, ajoutant - Please quote me !  Oui, il veut qu’on le cite. Croz résume tout haut ce que tout le monde pense tout bas : les grosses boîtes investissent des millions de dollars dans le politique et quand les actions sont en baisse, ils demandent aux gens qu’ils ont acheté de déclencher une nice little war ici ou là, histoire de relancer le business - The United States is at best in a lot of trouble - Croz sait qu’il manque aujourd’hui une chanson comme «We Shall Overcome», pour les gens qui sont dans la rue. Quand il est questionné sur le freebasing qui a détruit sa vie et qui l’a conduit au ballon, Croz dit que oui, la progression de la drug culture et la mort de l’idéalisme des sixties étaient liées. Il rappelle qu’au même moment, on butait Kennedy et Martin Luther King. Quant aux guns, Croz rappelle qu’en son temps, on offrait aux kids de 12 ans comme lui des 22 long rifles, ça faisait partie des usages. Rien à voir avec ce qu’est devenu le mythe des guns dans les gangs - The gun itself isn’t the problem, the problem is the operator - Retirer les guns de la circulations aux States ? Tu rigoles, man ? Deux tiers des maisons ont des guns et personne ne voudra les rendre. Et questionné sur le racisme, Croz répond qu’Odetta et Josh White furent ses mentors.  

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             Nouvel album de pépé Croz en 2018, le bien nommé Here If You Listen. Autant le dire tout de suite : l’album renferme une sacrée pépite : une version de «Woodstock», le vieux hit de Joni Mitchell. Croz coule le bronze de la légende dans l’or du temps - We are stardust/ We are golden/ And we got to get ourselves/ Back to the garden - C’est imbattable. On observe aussi un fantastique retour aux harmonies vocales de CS&N dans «Other Half Rule» - Ego is the fever/ Runs hot and make ‘em blind/ Fuel for the fire/ That burns a man alive - Fantastique ferveur d’intimisme mélodique. Il propose aussi un très beau numéro d’équilibriste à plusieurs voix dans «Janet». Comme Scott Walker, tout ce que fait cet homme à l’article de la mort fascine au plus haut point. Il attaque l’A avec «Glory», un balladif océanique. Il y mêle sa voix à celles des filles - Let me be/ A glory in the sky - Ça swingue dans l’ouate. On reste dans une sorte de latence suprême avec «Vagrants Of Venice» et de vieux échos de CS&N viennent hanter «1974». Tout est très pacifique, infiniment doux et beau. Il sait traiter la paix intérieure en profondeur, comme l’indique «Your Own Ride» - It’s a matter of honor/ Having stirred up some light/ To spend my last hours/ Clearing the path for/ Your own ride - Il se montre de plus en plus éthéré avec «I Am No Artist» - I am no artist/ Lonely and supreme/ Needing no hand to touch/ No eyes to smile/ Only your lips - C’est une expérience unique que d’écouter ce vieil homme groover l’éther et remuer un passé si prestigieux. Il fait le show tout seul à l’acou dans «Balanced On A Pin» - This space I’m in - Il semble complètement détaché de la terre - It’s a bubble/ Balanced on a pin/ The space I’m in.

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             Avant de quitter ce monde ingrat, Croz aura su se montrer digne des caméras en acceptant de jouer son rôle dans le film que lui consacre A.J. Eaton. Sorti en 2019, ce film s’intitule Remember My Name. On se rappellera facilement du titre. C’est un vieillard qui apparaît à l’écran pour raconter son histoire favorite : il est dans les gogues d’un club de Chicago, défoncé comme il se doit, lorsque soudain Trane fait irruption en soufflant dans son sax. Brrrrzzzrrrrrzzzz ! Croz saute dans son fauteuil et fait avec ses lèvres le bruit du sax de Trane. Brrrrzzzrrrrrzzzz ! Stupéfait par la violence du son de Trane, Croz raconte qu’il s’affaisse en glissant le long du mur carrelé. Voilà de quelle manière un géant rend hommage à un autre géant. David Crosby salue John Coltrane. On se souvient que Croz fit partie des Byrds. Alors si on aime les Byrds, on se régale car on voit McGuinn raconter comment ils ont arrangé la gueule de «Mr. Tambourine Man» : pam pam pam ! Il donne ensuite la raison pour laquelle lui et Chris Hillman ont un jour pris leurs Porsches pour aller dire à Croz qu’il était viré : Croz faisait trop de politique - Too much politics and not enough music ! - Alors Croz décide d’acheter un voilier pour prendre le large. Il en repère un qui vaut 25 000 $ - Hey Peter Tork, tu peux me prêter 25 000 $ ? - Et Croz ajoute, du haut de sa belle intelligence : «L’océan est tellement réel, contrairement à Hollywood.» Il est tout de même recommandé de lire le volume 1 de son autobio, car il consacre des pages superbes au Mayan, ce fameux voilier. On verra ça dans un Part Two.

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             Croz revient à la caméra pour évoquer l’âge d’or de Laurel Canyon, avec notamment Cass Eliott et surtout Joni Mitchell qu’il considère toujours comme «la meilleure de nous tous». «C’est indéniable», ajoute-t-il d’un ton crozzy. Il rappelle qu’il a produit son premier album. Il en profite pour évoquer le souvenir de ces femmes qu’il adorait, Joni, Cass, Janis, «toutes brillantes, toutes cabossées, toutes solitaires». Il rappelle aussi que Dennis Hopper s’est inspiré de lui pour son personnage de biker cosmique dans Easy Rider. Puis il en arrive naturellement au chapitre des drogues dures. On lit la gourmandise sur son visage, il évoque le premier shoot d’héro, ah les drogues, dit-il, idéales pour «supprimer l’ici et maintenant». Mais les digressions philosophiques n’intéressent pas les gens du cinéma américain. Ils préfèrent les chicaneries à la con, alors Croz se voit contraint d’évoquer les tensions avec Nash. «On ne se parle plus.» Et Neil Young ? «Oh je ne suis pas fâché avec lui. C’est lui qui est fâché avec moi.» On le sent fatigué. On le soupçonne d’être aussi fatigué par les questions stupides des journalistes. Voilà un homme qui aurait beaucoup à nous dire sur l’hédonisme et on l’accule dans une sorte de Clochemerle à la mormoille. Il vaut mieux lire son autobio, l’air y est plus respirable. Le danger avec ce genre de film, c’est que les gens ne vont retenir qu’une seule chose : Croz est fâché avec Neil Young. Ça n’a strictement aucun intérêt. En plus, Eaton ose filmer Croz en train de prendre ses médocs. Mais heureusement, Croz parvient à conserver toute sa dignité. Comme il perd sa voix, il explique qu’il doit annuler des concerts. Ça sent la fin des haricots. On voit quelques extraits de tournée. Sur scène Croz gratte les accords de «Woodstock» sur une strato et forcément, c’est énorme. Avec ce film, il réussit néanmoins à offrir un sacré panorama de sa vie. Dans les dernières images, il regarde assez fixement la caméra et déclare : «Il faut savoir dire au revoir.» Ça n’est jamais facile de jouer son propre rôle.

    Signé : Cazengler, David Grosbide

    David Crosby. Disparu le 19 janvier 2023

    David Crosby. For Free. BMG 2021

    David Crosby. Lighthouse. Verve 2016

    David Crosby. Sky Trails. BMG 2017

    David Crosby. Here If You Listen. BMG 2018

    Ian Fortman : David Crosby Interview. Classic Rock #242 - November 2017

    A.J. Eaton. David Crosby - Remember My Name. 2019

     

     

    Inside the goldmine - Ring my Bell

     

             Sans doute étions-nous copains parce qu’on habitait le même quartier. Il était un peu plus âgé, ne payait pas de mine, il se coiffait comme l’as de pique à une époque où la coiffure devenait pour tous les ados la préoccupation principale, mais ce qui le caractérisait le mieux est qu’il avait ce qu’on appelait alors les pieds plats. On ne comprenait pas ce que ça voulait dire, mais ça s’entendait lorsqu’il nous arrivait d’aller courir sur le Grand Cours : cataplac cataplac. On allait chez lui passer le jeudi après-midi à jouer au jeu du Bac. À la radio, Richard Anthony chantait «Et J’entends Siffler Le Train». Ses parents étaient extraordinairement vieux, le père retraité, et la mère en retrait, tous les deux aussi blancs de cheveux que le Père Noël. La raison de ce copinage n’était pas vraiment Claude Bull, mais sa frangine Martine, une petite brune aux cheveux très raides et qui savait se montrer incroyablement docile quand il le fallait. Martine était sexy, à l’opposé de son frère qui ne l’était pas du tout. L’accès à Martine passait nécessairement par Claude Bull. Il venait de passer son permis et son père lui prêtait la Simca familiale, alors nous allions au bord de la mer, le samedi. Toute une bande, disons cinq, et le jeu consistait évidemment à monter à l’arrière avec Martine. Comme nous étions un peu serrés, il devenait enfantin d’entrer en contact avec elle par les cuisses et les jambes, et jamais elle ne cherchait à se décoller. Claude Bull conduisait prudemment. Nous allions nous baigner et la course vers l’eau était l’occasion d’entendre le fameux cataplac cataplac, mais aussi l’occasion inespérée de voir le joli cul de Martine serré dans un monokini de Prisunic. Pour son âge, elle était déjà bien formée. Elle devait elle aussi ressentir une forme de trouble car elle redoublait d’efforts pour rester de marbre. Claude Bull était déjà un peu gras pour son âge, mais il nageait bien. En Basse Normandie, les plages sont un paradis au mois de juin, et on peut passer des heures dans l’eau. Claude Bull aimait bien s’éloigner à la nage et ce jour-là, il me mit au défi de le suivre, alors que bien sûr, je n’avais qu’une seule idée en tête : retourner m’allonger sur la plage à côté de sa frangine pour voir sa peau hâlée sécher au soleil. T’es pas cap ! Alors nous partîmes au large. Il nageait devant. Lorsque nous fûmes assez éloignés, il se mit sur le dos pour faire la planche et attendit que je le rejoigne. Il passa son bras autour de mon cou et me plongea la tête sous l’eau. Une fois, deux fois, trois fois. Panique ! Puis avec un air que je ne lui connaissais pas, il murmura : «Si tu touches encore à ma sœur, je te tue.»

     

             Pendant que Claude Bull veillait sur sa sœur, Thom Bell veillait sur la Philly Soul. Ce qui finalement revient au même. Martine Bull et la Philly Soul, c’est la même chose, une histoire d’amour adolescente.

             Puisque Thom Bell vient de casser de sa pipe en bois, nous allons nous agenouiller et prier pour le salut de son âme. Il n’est pas très connu, mais gagne à l’être. 

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             Comme nous le rappelle Bob Stanley, l’histoire de Thom Bell est encore une histoire d’enfant prodige, puisqu’à 9 ans, il sait déjà jouer du piano et de la batterie. Il reçoit une éducation musicale classique et ne découvre la radio qu’à l’âge de 17 ans. Il tombe sur le «Tears On My Pillow» de Little Anthony & The Imperials et il se demande : «C’est quoi cette musique ?». Alors il dit à sa mère qu’il ne peut pas devenir pianiste classique et sa mère qui est jamaïquaine lui dit : «Just do what you have to do, whatever your heart say.» Il commence par enregistrer un single avec Kenny Gamble, un copain de lycée de sa frangine Martine.

             Quand il est jeune, Thom Bell admire deux personnages en particulier : Teddy Randazzo, le producteur de Little Anthony, et Burt Bacharach. Puisqu’on en est aux racines, Stanley indique que Dee Dee Sharp, les Orlons et les Delfonics sont à l’origine de ce qu’on appelle The Philly Soul. Gamble & Huff qui bossaient pour Cameo-Parkway décident alors de monter leur propre label, Philadelphia International Records. Thom Bell va énormément bosser avec eux en tant que producteur et arrangeur. Il insiste beaucoup pour dire qu’il ne fait pas de r’n’b mais de la musique - I hear oboes, and bassoons and English horns. But I’m lucky, I cross styles - Il parle surtout d’enthousiasme - I had my own language and I was able to do what I wanted do do. Il rappelle aussi comment il a démarré dans le business, à l’époque où il bossait encore pour Cameo-Parkway : «Motown marchait tellement bien que Bernie Lowe, Kal Mann et Dave Appell qui dirigeaient le label voulaient le même son. Ils avaient découvert que Motown avait son propre house-band, ce qui était nouveau à l’époque. Ils se sont demandé : ‘How can we do this?’. On leur a dit qu’il y avait ce petit black à l’étage en dessous qui savait lire des partitions et jouer du piano. Ils m’ont appelé dans le bureau du président et m’ont dit qu’ils voulaient un house-band comme celui de Motown. Pouvez-vous vous occuper de ça ? Je n’allais pas leur dire non ! Of course I can ! Vous voulez ça pour quand ? Demain ? Et j’ai rassemblé  des gens que je connaissais, Roland Chambers on guitar, Willie Walford on bass, Chester Slim on drums and me on piano.»

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             Très belle compile que ce Ready Or Not (Thom Bell Philly Soul Arrangements & Productions 1965-1978) paru sur Kent/Ace en 2020. La Philly Soul n’est pas aussi populaire en Europe que Motown ou Stax, mais c’est exactement le même genre de vivier de superstars, depuis les O’Jays jusqu’aux Spinners, en passant par Dee Dee Sharp. Justement, Dee Dee est là avec «What Kind Of Lady». Dee Dee tape dans le dur du dur, elle est énorme. Bob Stanley nous rappelle qu’elle a épousé Kenny Gamble et qu’on la rebaptisée Dee Dee Sharp parce qu’elle chantait en D sharp. L’autre smash de la compile, c’est le «You Make Me Feel Brand New» des Stylistics, une vraie bénédiction de precious love, une vraie merveille de sensiblerie explosive et de beauté contenue. Selon Stanley, Thom Bell aurait dit à Russell Thompkins, le lead des Stylistics, de baisser d’un ton, car il attaquait le lead trop haut et trop fort, «you don’t make sense, you just make noise». Alors Thompkins a baissé d’un ton et ils ont commencé à enregistrer ensemble une belle série de hits.  Par sa densité artistique, Ready Or Not rivalise avec les meilleures compiles Ace, ça grouille de géants, tiens comme les Spinners avec «Could It Be I’m Falling In Love», du rêve à l’état pur, les Spinners règnent sur la Soul avec grandeur, et puis tu as aussi Teddy Pendergrass avec «Close The Door», il chante à la voix sourde de vieux baroudeur, elle a intérêt à fermer la porte vite fait car Teddy est en rut, mais en rut de satin jaune, c’mon baby. Il y a aussi des blanches comme Laura Nyro qui duette avec Labelle sur «It’s Gonna Take A Miracle», Laura veut faire la black, elle est un peu maladroite, la Soul n’est pas son truc, alors elle tartine à la force du poignet et derrière, Labelle fait des chœurs de blanche. L’honneur d’ouvrir le bal revient à Archie Bell & The Drells avec «Here I Go Again». Ces mecs ne sont pas là pour rigoler. Tout ce qu’ils proposent est beau : le beat, la voix d’Archie, c’est du big biz. Stanley rappelle qu’après le succès de «Tighten Up» au Texas, Archie Bell & The Drells sont venus s’installer à Philadelphie. Tiens, encore une blanche, Dusty chérie, qui tape «I Wanna Be A Free Girl», elle entre sur la pointe des pieds mais sa voix fait loi. Elle est unique au monde par sa puissance. La révélation cette fois est Ronnie Dyson avec «One Man Band», groove classique mais chaud, avec une Sister derrière, en back-up. Ronnie Dyson est extrêmement féminin, ce qui lui valut pas mal d’ennuis à l’époque. Les Intruders proposent la Soul des jours heureux avec «Do You Remember Yesterday», une merveille. On note aussi l’incroyable stature du beat d’«I’m Doing Fine Now», le groupe s’appelle New York City. C’est une pépite. Encore de la heavy Soul de petite poule blanche avec Lesley Gore et «Look The Other Way», elle y va franco de port, elle est même assez spectaculaire. On se régale aussi du «You’ve Been Untrue» des Delfonics illuminé par une sacrée voix de cocote. C’est Thom Bell qui transforme The Five Guys en un trio qui devient les Delfonics et qui leur colle des violons, du timpani, du manual harpsichord et du piano électrique. En fait, Thom Bell expérimente avec les Delfonics. Encore du full bloom de Soul Sisters avec les Three Degrees et «What I See». On est là en plein Gamble & Huff, c’est chanté à la purée de Sisters.

    Signé : Cazengler, Tom Benne

    Thom Bell. Disparu le 22 décembre 2022

    Thom Bell. Ready Or Not (Thom Bell Philly Soul Arrangements & Productions 1965-1978). Kent Soul 2020

     

     

    L’avenir du rock

    - Tempête sur l’Ural

     

             Heureusement, l’avenir du rock n’a pas que des qualités. Il peut se montrer jaloux. Un concept qui serait jaloux ? Mais ça n’existe pas ! Bon d’accord, mais pour les besoins de la cause, l’avenir du rock doit parfois se résoudre à tricher. S’il veut parvenir à ses fins, il doit parfois tordre le bras à la logique. Tout le monde peut le comprendre et donc l’accepter. Pour corser encore un peu l’affaire, l’avenir du rock n’est pas jaloux d’une femme, comme c’est généralement le cas pour un homme, mais jaloux d’un topographe russe ! Un certain Vladimir Arseniev, chargé au tout début du siècle dernier d’établir les relevés topographiques de territoires inexplorés, non pas en Amazonie ou en Afrique centrale, mais au fond de la Sibérie, dans une vallée qui porte le doux nom d’Oussouri, à la frontière chinoise. Franchement, on se demande ce que l’avenir du rock est allé faire là-bas. Pourquoi n’est-il pas plutôt jaloux de Percy Fawcett ? Fawcett est bien gentil, te dirait l’avenir du rock, mais il n’a pas eu la chance de rencontrer Dersou Ouzala. Voilà donc le pot aux roses ! Eh oui, l’avenir du rock aurait tellement aimé voyager dans les forêts profondes de la Taïga en compagnie du vieux chasseur mongol, il aurait tellement aimé partager la sagesse de ce vieux crabe et éventuellement affronter cette tempête de neige pour voir Dersou construire en hâte l’abri de branches de bois qui allait leur sauver la vie à tous les deux. Rien de plus divin au plan sensoriel que de se faire sauver la vie par un vieux crabe aux yeux bridés. Oui, l’avenir du rock raffole des vieux crabes, c’est dans leur compagnie qu’il préfère s’immerger, car ils combinent d’antiques talents avec toute la sagesse du monde, ils parlent des yeux pour dire la grandeur d’un destin d’artiste, car Dersou est à sa façon un artiste puisque héros d’un cult-movie du grand Kurosawa et tous ceux qui ont cheminé dans les forêts profondes en sa compagnie se souviennent très précisément de lui. Alors chaque nuit, l’avenir du rock s’en va dans la forêt crier «Dersou !, Dersou !». 

     

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             Comme Dersou, Ural Thomas est un très vieux crabe. Ural ne vient pas de l’Oural, mais de l’Oregon. Comme Dersou, il a tout vécu et peut raconter des milliers d’histoires. On lui tend parfois un micro, mais c’est rare. En 1967, il est à Los Angeles et enregistre des bricoles d’une voix, nous dit Nigel Williamson, qui combine le grit d’Otis et le smooth de Smokey. Sur «Can You Dig It», Mary Wells, Merry Clayton et Brenda Holloway font les chœurs. Mais ça ne marche pas, il rentre chez lui à Portland, Oregon, travaille comme bell man dans un hôtel, et quand sa maison crame, il perd tout, alors il dort sous les ponts et lave sa chemise dans la rivière. Il survit pendant trente ans et puis un jour, il entre dans le record shop d’Eric Isaacson qui est aussi le boss du label Mississippi Records. C’est lui qui a réédité les albums de Dead Moon. Ural lui raconte son histoire et Isaacson, fils d’Isaac, tend l’oreille. Il décide de filer un coup de main au vieux crabe en rééditant les singles enregistrés à Los Angeles en 1967. Puis il lui présente un batteur. L’idée est qu’Ural remonte un groupe. Sait-on jamais !

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             Le résultat ne se fait pas attendre. Un premier album, The Right Time, sort en 2018. Alors il faut écouter le morceau titre de cet album enfanté dans la douleur puisqu’Ural appelle son groupe The Pain. Il a du son derrière lui sur «The Right Time», du big shuffle, alors il se jette dans le right time comme d’autres dans le courant du fleuve. Ural est un Soul Brother de la taille de James Brown. Même éclat ! C’est un cut infectueux, incroyablement moderne, traversé par des solos de sax. Son «Slow Down» d’ouverture de bal est aussi une belle bête d’oh yeah. Dommage que tout l’album ne soit pas du même niveau. Il semble faire une Soul éloignée des feux de la rampe. Il vise la good time music avec «Vibrations». Après tant d’années, il se pose. Il peut même faire de la Soul aérienne comme le montre «Smoldering Fire». On entend des belles guitares sixties dans «Time» et de la belle Soul d’Amérique dans «Smile» - What more can I say ?.

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             Et puis voilà Dancing Dimensions, l’un des très grands albums de l’an de grâce 2022. Fais gaffe, Ural va t’envoyer au tapis. Tu es tout de suite frappé par l’énormité du son. La voix d’Ural est la cerise sur le gâtö. Tu rentres dans le lagon du groove uralien avec «Heaven» - Heaven is the place I know - et soudain, avec «Do You Remember The Times We Had», Ural souffle sur l’Oural de la Soul. Il est l’Eole des fariboles, il roule ma poule dans la Soul de Seoul, Ural fait l’orage et l’azur, sometimes you got it/ Sometimes you don’t, et sa voix d’Uranus se fond dans les arrangements de cuivres, voilà que se dresse à l’horizon l’Ural de la Soul, jusqu’au firmament. Il atteint de nouvelles cimes du lard avec «Apple Pie (Oh Me Oh My)», son timbre particulier enchante, quel étrange mélange d’efficacité et d’élégance, et voilà qu’il fait l’Africain avec «Ol Safiya», buka-ah ! et ça swingue, les amis, ça monte comme la marée d’excelsior, petite guitare funk, cette énorme énergie déchire les tissus, ça devient dingoïde, avec des accords qui te restent en travers de la gorge. Cet album est un gisement de black genius à ciel ouvert. Ural devient un héros oral, un ô rage ô des espoirs pour la soif, on le suit comme on suivrait Jésus en Palestine, il est Ural l’oracle, son discours est d’une incroyable pureté d’intention. Et puis regardez la lumière que diffuse son visage ! Avec «Gimme Some Ice Cream», Ural gère la chose comme le fait le Ghost Dog de Jim  Jarmusch. Il est autonome, il est sur le coup, ne te fais pas de soucis pour lui. Ural revient souffler sur l’Oural de la Soul avec «My Favourite Song» et derrière lui, des petites gonzesses répètent tout ce qu’il dit - Let’s make some music, baby/ All nite long - Puis il explose le dream d’only dream avec «Hang Up On My Dream». Il te monte ça en neige de l’Oregon vite fait, il t’explose l’occiput du dream. À l’intérieur du digi, tu vois les petites photos d’Ural et tu comprends mieux les choses. Aucun doute : avec «Promises», il te chante l’avenir de la Soul.

    Signé : Cazengler, Urinal Tomate  

    Ural Thomas & The Pain. The Right Time. Tending Lover Empire 2018

    Ural Thomas & The Pain. Dancing Dimensions. Bella Union 2022

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    Nigel Williamson : No Pain No Gain. Uncut # 301 - June 2022

     

     

    GRAVITATIONAL OBJECTS OF LIGHT, ENERGY AND MYSTICISM

    G.O.L.E.M.

     ( Black Widows Records / Mars 2022 )

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    Ne pas confondre avec G.O.L.E.M., exactement la même graphie, qui réside en Allemagne, ceux qui nous intéressent viennent d’Italie. A regarder la photo vous allez m’accuser d’inadvertance, pas du tout, ce sont bien eux, et pas un ancien groupe des seventies, n’ont pas été congelés durant cinquante ans dans la glace dans le cadre d’une expérience scientifique, sont des jeunes gens de maintenant, même si la date de référence-rock qu’ils affichent haut et fort est 1972.

    Le mythe du golem appartient à la légende juive. A l’origine le golem est l’homme de glaise que Dieu n’a pas encore fini de modeler et qui n’a pas reçu le souffle divin lui octroyant son âme. Cinéma et littérature se sont emparés de cet être le transformant parfois en brute épaisse et assassine… Je suppute que si le groupe a adopté ce nom c’est pour nous rappeler que nous ne sommes que des êtres humains inachevés qui avons besoin d’être éclairés… Z’en ont fait un acronyme signifiant Gravitationel Object of Light, Energy and Mysticism, le titre de ce premier opus. Pour comprendre les trois premiers mots de cette auto-définition il est inutile de penser que ces objets gravitationnels de lumière seraient des engins extra-terrestres, mais tout simplement des photons. Pour faire encore plus simple : des atomes de lumière dépourvus de toute corporéité matérielle. Pour mieux comprendre, pensez à ces nouvelles théories de science physique ouvertes à la supposition d’atomes temporels… Que la lumière soit considérée comme une énergie n’étonne plus personne aujourd’hui, et que cette énergie puisse être entrevue par des esprits peu enclins aux méditations abstruses comme une divinité ou pourquoi pas comme Dieu l’Histoire des religions humaines en offre de multiples exemples, des intelligences davantage subtiles l’entreverront comme un sujet ou objet de réflexion (pensez au miroir qui réfléchit votre image ) permettant d’engager ainsi un dialogue entre l’Individu et l’Univers. Relation mystique puisque n’utilisant aucun des canaux dogmatiques et religieux reconnus. Le lecteur établira de lui-même le rapport avec les sérieuses ou fumeuses (vous barrez en rouge le terme qui ne vous agrée point) théories du New Age très en vogue dans la deuxième moitié des sixties et la première des seventies.

    Paolo Apollo Negri : Hammond organ and Synth / Marco Vincini : vocals / Emil Quatrini : electric piano and mellotron / Marco Zammati : bass guitar / Francesco Lupi : drums.

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    Devil’s Gold : point d’orgue dès la première seconde et développement jusqu’à un vrombissement qui devient orchestral, nous voici subitement projetés un demi-siècle en arrière, l’on se revoit en train d’écouter Deep Purple, ( plutôt Child in time que Smoke on the water ) tiens le morceau est déjà fini, non il ne fait que commencer, un hululement symphonique emplit vos oreilles l’on se croirait dans un générique d’Ennio Moricone, pas des Italiens pour rien, scène de la tentation, celle de l’or du diable, funèbre musique qui se charge de menaces, grand spectacle, l’orgue s’arrondit en queue de poisson. Introduction en toute beauté. Five obsidian suns : bruissement d’orgue, faut en prendre votre parti, dans cet opus il y a autant d’orgue que d’ogres dans les contes d’enfants, certes ce n’est pas un conte, ou alors initiatique, l’or félon est entré en nous, il ne nous reste plus qu’à céder au vertige du regard intérieur, du miroir qui ne reflète que le contenu du cauchemar qui nous habite, l’orgue se teinte de cymbales propitiatoires et maintenant se déroule une longue marche, arrêt brutal, le temps de permettre au vocal de se poser sur ce tapis d’orgalie, tapis de cendres et élévation continue, rupture temporelle, je suis devenu ce j’ai toujours été, celui qui m’habite, le Diable qui est en moi, c’est moi, je règne sur moi-même et sur mes rêves. Chœurs d’églises, liturgie sacrée pour mon couronnement intérieur. The logan stone : a cappella, une ballade acoustique, la musique survient telle une menace, sommes-nous dans un conte pour enfants ou dans un poème d’Edgar Poe, sous la pierre de lumière repose la fille du conteur, un clavier d’une tristesse infinie sonne le glas des illusions, celles de ceux qui croient que la pierre est porteuse de pouvoir, elle n’est que signe de chagrin, et du royaume du néant. A mon humble avis le titre le plus fort de l’opus. The man from the esmeralda mine : des gouttes d’eau et de piano, pas une ritournelle, un drame qui débute, une histoire que l’on se prépare à raconter, vague de claviers, belle voix, l’on regrette que sa parole soit trop souvent coupée par des poinçons synthétiques, l’on préfère lorsque la musique devient vague de submersion, un apologue celui de l’homme venu de loin qui n’a pas trouvé mieux que chez lui, alors l’orgue se déchaîne pour que la leçon pénètre en les lobes les plus profonds de votre cerveau, peut-être appuie-t-il un peu trop fort  mais le vocal se charge de colère, enfoncez-vous cela dans la tête ! L’orgue, tourbillon de glissandi, en rajoute un max au final. Marble eyes : une espèce de piano mécanique, faut jouer fort et faire tinter les oreilles de ceux qui ne veulent pas voir la réalité. Vocal écrasé de stupeur et de désespoir devant les marionnettes humaines qui agissent sans réfléchir, des lampées organiques interrompent ces cliquetis d’orgue de barbarie, la voix se fait lyrique, elle veut convaincre, elle délivre le message de l’espoir et de la délivrance, des temps nouveaux viendront, musique de manège enchanté et deux coups de poings de fin de symphonie pour terminer le morceau. Gravitational object of light, energy and mysticism : entrée solennelle, l’orgue angelus éparpille ses notes dans cette montée révélatrice, rythmique un peu simpliste, l’on attend mieux, le vocal étire les mots peut-être pour que nous comprenions enfin cette vision empédocléenne qu’il énonce et qu’il émonde car il prophétise que les contraires ne se combattront plus, un jour la paix règnera sans fin, autant la musique est belle, autant le message est décevant, une espèce de christianisme dilué homéopathiquement, une remarquable performance vocale, dommage que G.O.L.E.M. n’ait pas supprimé ces moments où le rythme piétine sur lui-même et interrompt l’apothéose musicale.

    De très bons passages, parfois l’on a l’impression qu’ils ont voulu mettre tout ce qu’ils savaient faire dans leur premier opus, quitte à rompre l’unité congénitale de chaque morceau mais l’ensemble reste de très haute tenue et l’on attend le prochain. Avec envie.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKABILLY RULES ! ( 9 )

    N’oubliez jamais que toutes les règles sont faites pour être contournées, dépassées, chamboulées, piétinées, car l’important avant tout c’est d’avoir un cœur fidèle et rebelle !

    *

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    C’est comme pour les filles, souvent vous ne savez pas pourquoi elles vous attirent, mais parfois si. C’est alors que ça devient dangereux. Idem pour le rock, et tous ses dérivés. Ainsi Eugene (très Craddock) Chrysler (très sixties), j’ai tout de suite su. L’attrait de la chute. L’image est parlante. Un vieux panneau de bois écaillé destiné aux automobilistes annonçant la proximité d’un parc d’attraction. Je n’aime guère ce genre de lieux, attire-fric et amusements de bas-étages. Mais celui-ci est un peu spécial. En grosses lettres un mot qui poignarde le cœur des rockers, hillbilly, pas de quoi me donner envie de m’y rendre, mais dessous il y a un gars, avec une veste blanche parsemée de grosses notes de musique, le genre de déguisements très Grand Ole Opry, il ne tient pas une guitare mais une contrebasse, l’a une mine sympathique, l’arbore un sourire enjôleur, n’est pas tout jeune mais n’est pas non plus un vieux crouton rassis, le mec qui y croit encore. Et qui y croira encore pendant longtemps. L’autre face de l’attrait de la chute. Ceux qui refusent, qui continuent le combat. Pas des malgré nous, des malgré tout.

    *

    Eugene Chrysler, toujours en activité, a réalisé quatre disques, I saw the light… but itw as neon ( 1994 ),  Hillbilly Shakespeare ( 2006), That’s Right ! nous écouterons dans cette première chronique que nous lui consacrons le dernier qui date de 2017. Hillbilly Fun Park existe réellement, il est situé dans la banlieue de New York près de Fort Ann, rien de spécifiquement hillbilly, simplement un golf miniature, aux pelouses impeccables. L’autre grande activité proposée consiste à choisir votre glace parmi les cinquante parfums proposés…

    HILLBILLY FUN PARK

    EUGENE CHRYSLER

    ( Carclo Records / 2017 )

    Hillbilly Fun Park : étrange, sachant qu’Eugene Chrysler a débuté entre 1979 et 1981 j’ai pensé aux Stray Cats avant même d’écouter, dès les premières mesures résonnent les premières mesures de Stray Cat Strut, et une fois le morceau  lancé plus lointainement et plus justement de Sixteen Tons, le même rythme chaloupé qui marche sur du beurre mou, les chœurs masculins en écho, le baryton de Chrysler magnifiquement en place, surprenant un beau solo de saxophone qui emporte avec lui les feuilles mortes des souvenirs et le temps enfui, vous n’y pensez pas en l’écoutant mais à la dernière note, malgré le rythme entraînant vous avez reçu un beau coup de poing de nostalgie en pleine face. Darlin’ : le morceau chagrin d’amour type du country, la pédal steel guitar larmoie dans l’armoire et pédale dans la choucroute des dernières supplications, oui mais il y a ce chœurs de copains qui sont censés appuyer où ça fait mal et qui en catimini semblent dire une de perdue et dix de retrouvées, dans le premier morceau nous avions la fausse joie du souvenir et dans ce deuxième le faux chagrin des rôles convenus. Eugène conduit sa Chrysler d’une façon ambigüe, appuie sur le champignon et le frein en même temps. Dementia : l’en existe une vidéo-officielle en noir et blanc sur YT, rythme saccadé, l’on quitte le country au costume admirablement repassé avec pli au pantalon amidonné pour quelque chose d’autre, l’on ne sait pas trop quoi au juste, une espèce de générique de film ou plutôt une scène prise en direct, sifflements et voix qui enfle, la basse se taille une belle galopade, le sax agonise, la pédale hulule, assez démentiel. Broke on Bob Wills music : hommage au roi du western swing, une des racines du rock’n’roll, les amateurs de WS n’écouteront pas le reste de l’opus, resteront focalisés sur celui-ci, une voix qui coule sans défaut, une pedal-steel qui se prend pour un violon, la contrebasse qui remplace avantageusement la batterie, un piano tuyère et un sax qui s’en vient danser, tout est parfait, un seul défaut l’envie pressante d’aller écouter Bob Wills. Speed trap : du boulot pour le guitariste, vraisemblablement Bill Kirchen de Commander Cody, pas mal de taf aussi pour le vocaliste, pas question d’avaler les  mots, diction claire jusqu’au bout, course de vitesse des intrus qui klaxonnent à la manière des automobilistes excédés et imitent les sirènes de police, non la pedal n’est pas douce, on accélère encore, la guitare sursaute à la vitesse de la lumière, et la course infernale continue. Tout s’arrête sur un humouristique dernier pouët-pouët. I cannot forget : retour au calme, big mama de velours et voix de bronze mou à faire pleurer les cafetières, la contrebasse se transforme en surfin’ guitar, la pedal pleurniche dans tous les mouchoirs de la terre, la féminine voix de Cindy Cashdollar double par-dessous celle d’Eugene, si vous n’avez pas pleuré, personne ne bramera à votre enterrement. Vous ne le méritez pas.

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    Eugene’s boggie : le morceau de bravoure, Eugene est à la contrebasse, ce n’est pas Blue-jean Bop mais blue-jean boogie, c’est syncopé comme Rip it Up et les chœurs cartonnent au marteau-pilon, le sax fait sa saxrabande, et l’on repart de plus belle. Très rock’n’roll. Uh uh honey : au titre l’on attend un truc dévastateur, mais non l’on se retrouve dans ces bandes de Presley où l’orchestre trotte imperturbablement et c’est la voix du King qui démontre qu’il est le meilleur chanteur du monde, elle donne sa valeur et son originalité à tout ce qu’il touche du bout des lèvres comme s’il avait mieux à faire ailleurs. Belle réussite. I’ve been better : le mec qui joue à l’homme, style je ne me vante pas mais j’ai fait mieux, encore une fois l’influence de Presley est patente, l’instrumentation est nettement meilleure, le sax aboie dans son coin, guitare feu d’artifice, cependant tout repose sur la justesse de cette voix sans faille, souple et accrocheuse. One more One more : un peu jazzy, une voix un peu fatiguée, le sax qui soloïse par-derrière, le piano qui prend ses aises et éparpille ses notes, pulsation noire souterraine, maintenant Eugene chante comme Sinatra pendant que la contrebasse monte les escaliers. Cut me down : mi-Presley-mi-Johnny Cash-totalement Eugene Chrysler, l’est doué et original le zigue, un solo de guitare à briser les béquilles d’un paralytique, le sax  trompette et ronchonne, les musicos sont à la fête, le genre de morceau qui passe tout seul, une écoute très Southern Comfort, à la fin vous êtes saoul comme une barrique. Big bad habit : une chanson de mec pour les mecs, entraînante, le sax infini tire la langue toutes les trois secondes, Eugene s’amuse, des inflexions pleines de sous-entendus que tout le monde comprend, même les filles, ça pétille de joie et étincelle de plaisir, ah ces mauvaises habitudes dont on ne peut se défaire c’est le sel de la vie !  Mr 1-4-5 : un, deux, trois, c’est parti, sur la pointe des pieds, du rythme sans excès mais de temps en temps ça boppe et ça explose, et puis ça rocke et enfin ça marche doucement comme quand vous rentrez chez vous totalement saoul sans vouloir réveiller votre copine et surtout sans faire de bruit en ouvrant le bar pour finir la bouteille de whisky. It is what is it : revenons aux choses sérieuses, enfin presque, Eugene expose sa philosophie de la vie, un classique du style country, les choses sont ce qu’elles sont, pas la peine d’en faire un drame, contrebasse à fond les ballons, pedal-steel souriante voire frétillante, le sax  saute de joie, ainsi tourne le monde,  tant que la cruche de l’existence ne se casse pas, pourquoi s’en faire… Plate glass window : un peu  à la Johnny Cash mais un Cash souriant, un peu le même genre que les trois précédents, le gars n’est pas un born again, n’est pas prêt de changer sa manière de vivre, voix enlevée, instrus en place, très typé country, l’on aurait peut-être aimé un titre différent des trois précédents. Too much coffee : ça commence comme un blues à la gueule de bois, alors le guy prend un café pour se remettre, puis un autre, puis un autre, bref vous voyez le profil le rythme de son cœur s’accélère et celui du morceau aussi, un modèle genre morceau de bravoure, rien n’y fait le gars retourne à sa somnolence bleue, un peu dommage l’on aurait préféré pour finir qu’il devienne épileptique.

             Attention à ce CD, plus vous l’écoutez d’infimes nuances tant instrumentales que vocales apparaissent. Eugene Chrysler en a écrit tous les morceaux, à première écoute l’esprit peut en sembler uniforme, mais c’est comme les couleurs de l’automne, si vous vous contentez d’un regard un tantinet rapide leur éclat vous ravit, toutefois s’y mêle insidieusement un sentiment de tristesse qui finit par prédominer. Les teintes mordorées sont aussi mort dorée. Sans doute existe-t-il aux States plusieurs centaines de chanteurs comme Eugene Chrysler, parler de lui c’est aussi leur rendre un hommage à tous, mais il y a chez Eugene Chrysler une sensibilité d’artiste qui mérite le détour. Nous y reviendrons.

    Damie Chad.

     

     

    MAIS QUE FONT LES AMATEURS DE METAL

    QUAND ILS N’ECOUTENT PAS DU METAL ?

     

    Question extra-musicale en quelque sorte. Les coulisses de l’existence. L’envers de l’histoire contemporaine dixit Honoré de Balzac dans un superbe roman à qui il a donné ce titre.  Pour la petite histoire, cet ouvrage traite des menées ‘’complotistes’’ royalistes, en France durant la Révolution et l’Empire. Si l’on y réfléchit bien l’envers n’est pas très loin de l’endroit…

    Nous sommes tombés sur cette vidéo pas tout à fait par hasard puisqu’ elle s’inscrivait dans une recherche qui n’a pas plus à voir avec le rock’n’roll qu’avec toute autre sorte de musique. 

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    Sont deux, assis à une table, le deuxième attirera l’œil des fans de metal pour une raison évidente, il arbore un T-shirt de Motörhead, le premier est en tenue davantage négligée, en short, il fait chaud la scène se passe en été ( 2020 ), il ne porte pas de T-shirt revendiquant avec ostentation une appartenance à la tribu metallique, à sa dégaine l’on devine toutefois qu’il n’est pas habitué au port du queue de pie. (Moi non plus). Par contre durant sa conférence à plusieurs reprises il se définira comme un amateur de metal.

    Le seul  mot de conférence risque de faire peur. Avec raison. D’abord le sujet n’est pas particulièrement facile, soyons franc il est assez prise de tête. Une deuxième raison, Franck Helaine, même si ce qu’il expose démontre une grande maîtrise de son sujet n’est pas un conférencier professionnel, il manque un peu de pédagogie.  Le lieu octroyé par la municipalité, à l’extérieur devant les portes fermées d’une salle communale ne permet pas une bonne vision des documents présentés.

    Mais comment Franck Helaine en est-il venu à présenter une conférence. Parce que plusieurs années auparavant il s’est retrouvé durant ses vacances coincé durant trois semaines dans un village qui n’offrait guère de distractions. N’avait à sa disposition qu’un seul livre. Mal lui en a pris, il n’y a rien compris. Ne vous moquez pas, d’abord il apporte la preuve que les fans de metal savent lire, deuxièmement son bouquin n’était pas un thriller haletant que l’on dévore en une soirée. Depuis pratiquement deux siècles personne n’a jamais rien compris à ce satané bouquin. Nombreux furent ceux qui s’y sont cassés les dents. Je ne devrais pas employer cet adjectif puisqu’il a été rédigé par un abbé de la sainte Eglise Catholique.

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    Vous ne comprenez ni comment alors que la moitié des groupes de metal sont plutôt obnubilés par Lucifer et l’autre moitié par les mythologies païennes ni pourquoi un fan de Metal passe son temps à lire un livre écrit par un prêtre catholique. Je pourrais vous dire que les voies de Dieu sont impénétrables, mais ce serait une mauvaise réponse.

    C’est que ce raconte notre abbé est totalement insensé, voire carrément idiot : il démontre que toutes les langues celtiques dérivent de l’anglais moderne. Devant de telles assertions vous refermez le bouquin et vous posez un vinyle ( de metal ) sur votre platine. Oui, mais pensons qu’un de nos plus grands poëtes ( français) Oscar Venceslas de Lubicz-Milosz n’en a pas moins écrit Les origines ibériques de peuple juif. (Ceci sera ma contribution personnelle au sujet qui nous préoccupe.)

    Tout le monde a le droit de délirer dans son coin, rétorquerez-vous. Oui mais notre abbé pour parfaire sa démonstration utilise une autre langue : celle des oiseaux. La langue des oiseaux fonctionne à partir de n’importe quelle langue. Elle consiste à lire les mots ou des suites de mots non pas tels qu’ils sont écrits et lus normalement mais de les découper syllabiquement et phonétiquement comme un langage crypté : exemple je viens demain = je vis en deux mains, selon le contexte vous comprenez je vis une double vie, où que vous êtes en de bonnes mains, le message peut paraître aléatoire mais celui qui le code l’adresse à quelqu’un qui sait ou qui découvre ou qui devine que ce texte en apparence d’une grande limpidité possède un autre sens. Pour corser la difficulté dans ce satané, pardon sacré bouquin ce sont des mots anglais qui doivent être décrypté selon une phonétique française. Comme quoi les voies du Seigneur peuvent être difficilement pénétrables… Les linguistes comprendront que la langue des oiseaux fonctionne à la manière des idéogrammes chinois, mais les idéogrammes sont cachés et c’est au lecteur de les trouver, voire de les créer. Ce qui ouvre à de multiples possibilités et aussi à de multiples interprétations, voire d’erreurs…

    Le livre de l’Abbé Boudet : La vraie langue celtique et le Cromlech de Rennes-Le-Bain est longtemps resté rétif à toute interprétation.  Franck Helaine ne l’a pas déchiffré en entier, loin de là, mais il a trouvé une clef qui fonctionne pour la première page, et qui permet d’en entrouvrir bien d’autres dans le reste de l’ouvrage. Il ne cache pas qu’il est conscient de l’immense tâche qui attend les chercheurs. Il lui a fallu presque dix ans pour arriver à un résultat significatif. Entendre qui puisse être objectivement vérifié. L’a su faire preuve d’une grande patience, et d’une grande agilité intellectuelle – l’aide d’un ordinateur ne suffit pas, il faut d’abord établir le principe de codage du décryptage. L’a redoré le blason des fans de metal ! Qui entre nous soit dit n’en n’’avait pas besoin. Le metal est vraisemblablement le genre issu du rock ‘n’roll qui fasse appel à l’imaginaire culturel le plus large.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 18 ( Abdelâtif  ) :

    89

    J’ai passé une mauvaise nuit. La sentence du Chef tournait dans ma tête, autant je sentais confusément qu’elle résumait parfaitement la situation, autant je ne voyais pas en quoi. Après l’avoir prononcé le Chef s’était muré en un silence aussi épais que la fumée dégagée par vingt-mille Coronados dans une pièce exigüe. D’ailleurs lorsque j’ouvris la porte du local je compris que je n’exagérai pas, le bureau était invisible noyé dans un brouillard coronadorien des plus épais, si je n’avais pas eu Molossa et Molossito, chacun accroché à une des jambes de mon pantalon pour me guider je crois que j’aurais mis plus de trois-quarts d’heures avant de trouver une chaise pour m’asseoir face à l’ombre fantomatique du Chef.

    • Heureux de vous revoir enfin agent Chad, j’avais justement besoin de vous poser une question importante pour tester vos connaissances culturelles.
    • Chef, je peux déjà vous dire que Marcel Proust est né en 1871 et mort en 1922 !
    • Agent Chad, soyons sérieux, vous êtes-vous déjà promené dans un cimetière musulman ?
    • Ce n’est pas tout à fait le genre d’endroit que je choisis pour mes promenades, même Rousseau, ne raconte jamais dans ses Promenades d’un promeneur solitaire qu’il visitait ce genre d’entrepôt funéraire, je…
    • Agent Chad, arrêtez de sortir votre culture wilkipedia à chacune de vos réparties ! Dites-moi plutôt pourquoi d’après vous sur les tombes des musulmans l’on trouve souvent un bol rempli d’eau ?
    • Ah, une question blague à Carambar ? c’est facile Chef, une ancienne habitude qui vient du désert, le passant assoiffé qui buvait dans le récipient donnait ainsi au défunt l’occasion de réaliser grâce à son entremise une bonne action qui était portée à son crédit, une espèce de bon point ce qui pouvait lui permettre de gagner le paradis. Les théologiens jugent que cette coutume relève de la pure superstition…
    • Agent Chad, je ne vous ai pas demandé un cours de théologie musulmane, cela ne vous dit rien ?
    • Chef rien du tout, je ne vois pas où vous voulez en venir !
    • Agent Chad, nul n’est parfait, moi-même aussi, figurez-vous qu’en relisant cette nuit toutes les notes que j’ai accumulées sur l’affaire qui nous préoccupe, j’ai trouvé une faute d’orthographe, le genre d’horreur à pousser au suicide mon institutrice de CM1, tenez, essayez de la trouver sur cette page ! Lisez !
    • Oh ! Oh ! Chef, votre institutrice vous aurait pardonné, les noms propres n’ont pas d’orthographe ! Juste un T oublié à la fin de Lamart, rien à voir avec une faute sur les participes passés des verbes pronominaux, je…
    • Agent Chad, je ne parle pas de l’absence de ce malheureux T, une simple étourderie due à la fatigue, non c’est beaucoup plus grave, relisez s’il vous plaît, votre honneur est en jeu et la suite de notre enquête aussi !

    Piqué au vif, concentré au maximum, j’ai relu avec attention le feuillet que m’avait tendu le Chef, j’avais beau me réciter à chaque mot les règles orthographiques d’accord ou d’usage, je dus m’avouer vaincu.

    • A part ce malheureux T à Lamart, Chef je peux vous certifier que cette feuille ne contient aucune faute d’orthographe !
    • Agent Chad, c’est normal que vous ne la repériez pas, dans vos propres notes que je me suis permis de relire, vous commettez exactement la même, à part que moi cette nuit elle m’a sauté aux yeux, j’étais en train d’allumer un Coronado, lorsque l’erreur m’est apparue dans toute son évidence, c’est pour cela que je me suis permis de vous demander pourquoi l’on trouve un récipient rempli d’eau sur certaines tombes musulmane !

    Je poussai un rugissement qu’un tigre de Tasmanie aurait facilement pris pour celui d’un mâle alpha de son espèce.

    • Bon Dieu ! (en réalité je criai Bordel ! mais il ne faut pas donner de mauvaises manières à nos jeunes lecteurs ) ça crève les yeux !

    89 Bis

    Note de l’éditeur : nous sommes certains que les lecteurs de cet ouvrage auront compris beaucoup plus rapidement que ce malheureux Agent Chad l’éblouissante démonstration du Chef. Evidemment les mots récipient d’eau sur les tombes, sont une allusion à Martin Sureau ( eau sur = Sureau ), quant à la faute commune au Chef et à l’agent Chad, nous devons la chercher sur Lamart, ce n’est pas Lamart qu’il faut lire mais Lamort. Nous donnons cette explication à toute fin utile pour les lecteurs pressés qui auraient omis de lire les 88 chapitres précédents.

    90

    Imperturbable le Chef fumait un Coronado. Quant à moi je roulais comme un fou, brûlant les feux rouges, et prenais les sens interdits à grande vitesse.

               _ Voyez-vous Agent Chad, nous faisions fausse route depuis le début, nous avions cru que Lamart et Sureau étaient de véritables journalistes, des supers pointures toujours les premiers arrivés sur tous les coups. Mais hier, ils étaient sur place, à l’intérieur du carambolage, avant nous en quelque sorte, ils s’en sortis vivants, indemnes sans même une bosse sur leur carrosserie pourquoi : parce qu’ils étaient protégés par la Mort, comment ont-ils pu être au courant de l’accident que nous allions provoquer, parce qu’il y allait avoir des morts, donc la Mort l’a pressenti, elle les a prévenus à l’avance… ces deux lascars sont des émissaires stipendiés de notre Dame la Mort, elle les envoie dès que les vivants s’intéressent un peu trop à Elle. Or comme vous lui aviez jeté un défi, elle essaie de nous mettre les bâtons dans les roues en nous les envoyant dans les pattes, c’est par eux qu’elle connaît ce que nous projetons de faire. Une petite entrevue avec ces paltoquets s’impose, c’est l’heure du bouclage, nous les trouverons sans peine dans leur bureau.

    91

    Le hall du Parisien Libéré était empli de monde. Dans une heure l’édition partait pour les rotatives. Des gens affairés couraient de tous les côtés. Personne ne faisait attention à nous, Molossa et Molossito se mirent à aboyer, la demoiselle de l’accueil les entendit et nous fit signe de la rejoindre dans sa cage vitrée :

              _ Je vous en prie messieurs faites taire vos chiens, oh, comme ils sont agréables, ô celui-ci vient de sauter sur mes genoux, qu’il est mignon ! Comment s’appelle-t-il ?

               _ Molossito ! – je pris mon sourire N° 4, surnommé le Ravageur – et vous mademoiselle auriez-vous la bonté de me faire part de votre prénom, je suis sûr qu’il doit être charmant !

             _ Alice ! – je dus rougir car elle ajouta – oh, je vois qu’il produit un certain effet sur vous, que puis-je pour vous ?

              _ Nous voudrions parler à Messieurs Lamart et Sureau !

              _ Impossible Messieurs, nous n’avons pas le droit de les déranger à cette heure-ci.

               _ Alice tentez un coup de fil, c’est urgent, dites que c’est de la part du Service Secret du Rock’n’Roll

    • J’adore le rock’n’roll, vous m’emmèneriez danser un de ces soirs ?
    • L’agent Chad – c’était la voix du Chef - se chargera de cette délicate mission, mais s’il vous plaît c’est urgent !

    L’on ne discute pas une intervention du Chef, Alice décrocha son téléphone échangea quelques mots puis se tournant vers nous.

              _ Vous devez être des gens importants, ils vous attendent dans leur bureau. C’est un peu compliqué je vous accompagne.

    Nous la suivîmes, empruntant force couloirs et escaliers. Elle s’arrêta devant une porte.

             _ Attendez quelques secondes, je vais vous annoncer, apparemment vous êtes des visiteurs de marque !

             _ Alice !

             _ Oui, euh, Agent Chad,

             _ Just call me Damie !

             _ Oui, Damie !

             _ Si vous êtes libre cette soirée peut-être pourrions-nous danser un peu de rock’n’roll ?

             _ Avec plaisir, je vous introduis tout de suite, je reviens vous chercher dans trente secondes ;

    Vive et légère elle disparut derrière la porte qu’elle referma derrière elle, nous n’eûmes pas attendre, un cri horrible retentit…

    A suivre…