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  • CHRONIQUES DE POURPRE 603: KR'TNT 603: ARTHUR LEE / JAMES BROWN / JONTAVIOUS WILLIS / NINO TEMPO & APRIL STEVENS / STEPHEN STILLS / GHOST : WHALE / TALL YODAS / THULCANDRA / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 603

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    01 / 06 / 2023

     

     ARTHUR LEE / JAMES BROWN / JONTAVIOUS WILLIS   

     NINO TEMPO & APRIL STEVENS

    STEPHEN STILLS / GHOST : WHALE

      TALL YODAS / THULCANDRA

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 603

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

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    Le roi Arthur - Part Two

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             L’idéal serait de pouvoir serrer la main de John Einarson. Merci John ! Merci de quoi ? Merci de l’immense service qu’il rend à Arthur Lee en publiant Forever Changes: Arthur Lee And The Book Of Love - The Authorized Biography Of Arthur Lee. Au fil des ans, les blih-blah-blah d’après concert et les mauvais articles des canards français avaient réussi l’exploit de transformer Arthur Lee en personnage pas très recommandable, un black un peu dark, despote camé et accessoirement taulard. Il s’est tout de même pris douze piges dans la barbe pour des coups de feu qu’il n’avait même pas tirés. Profitons de cette occasion en or pour rappeler qu’il est arrivé la même chose à James Brown, en moins grave, puisqu’il s’en est sorti avec trois piges et un grand coup de poing dans la gueule, cadeau d’un flic blanc raciste. On y reviendra.

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             Bon, Einarson fait un peu le ménage dans toute la mormoille des racontars. On respire un peu mieux, une fois qu’on sort de ce big book bien dodu, un big Jawbone de 300 pages. Il est essentiel de signaler que Jawbone est actuellement le meilleur éditeur rock d’Angleterre. Il suffit d’aller voir son catalogue pour frétiller. Tous les graphistes le savent, l’Angleterre est le paradis des arts graphiques : c’est là que bossent les meilleurs typographes et les princes du print. Tu as dans la patte un solide dos carré, avec une couverture pelliculée à rabats ornée d’une image superbe. Tu te ruines un peu les yeux à dévorer ces pages composées en corps 10, mais c’est tellement captivant que tu en oublies tes vieux zyeux. Un cahier photos t’accueille à l’entrée, avec toutes les images indispensables, depuis Agnes Lee, sa mère presque blanche, jusqu’à la fameuse photo de Memphis en 2005, un an avant la fin des haricots, avec les mecs de Reigning Sound. Puis tu as dix chapitres qu’illustrent dix images thématiques. Le book est puissant, l’auteur l’est aussi, et le sujet encore plus. Ce book est une espèce de Graal. Logique, puisque tu entres chez le roi Arthur. 

             Einarson a en plus le génie d’utiliser le projet d’autobio qu’avait entamé Arthur Lee. Il en colle de larges extraits ici et là, et ça renforce bien l’idée du Graal. Car le roi Arthur écrit lui aussi merveilleusement bien. Il t’invite à prendre place à la Table Ronde. Sit down.

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              Einarson brosse un étonnant portrait de cet homme hors du commun. Il procède par petites touches, comme un pointilliste : si tu t’approches trop près de la toile de Seurat, tu vois des tâches de couleur. Si tu recules de quelques pas, tu vois le Dimanche Après-Midi À l’Île De La Grande Jatte. Alors, dis-nous, Einarson, Arthur serait un tough guy ? Einarson donne la parole à Arthur : «At one point in my life, j’ai envisagé de devenir boxeur. I was really good at it.» Dans le même extrait, il explique qu’il a appris à se servir d’un flingue chez les boy-scouts, et son beau-père lui en a offert un quand il avait 12 ou 13 ans. Tous les jours, Arthur et ses copains dégomment des piafs, alors le beau-père s’énerve : «Ça suffit comme ça ! Chaque fois que vous dégommerez des oiseaux, vous devrez les faire cuire et les manger.» Son copain d’enfance Johnny Echols se souvient qu’Arthur avait «une forte personnalité. He had to be the leader of the bullies, so to speak.» C’est l’un des traits de caractère dominants du futur roi Arthur. Il sera le meilleur en tout et personne ne peut décider à sa place. Michael Stuart enfonce le clou : «Arthur avait quelque chose de spécial. Il était intelligent, il avait confiance en lui et il amenait un truc que n’avaient pas les autres musiciens. Il avait l’état d’esprit d’un athlète de compétition. Il avait décidé qu’il ne pourrait jamais perdre, il était incroyablement dur, puissant, profond, c’était un mec unique. Il transposait ça dans sa musique.» 

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             Le premier instrument d’Arthur est un accordéon - The hippest dude on the Sunset Strip avait commencé sa carrière avec le moins cool des instruments - Il passera ensuite à l’orgue, puis à la guitare. Il apprend surtout à composer et il adore jouer de l’harmo. Il écoute Wolf et John Lee Hooker. Comme tous les kids d’Amérique, il découvre les Beatles en 1964, à la télé, avec l’Ed Sullivan Show. Il monte The American Four avec son copain d’enfance Johnny Echols et John Fleckenstein qui jouera plus tard dans les Standells. Il découvre les Stones au T.A.M.I. Show : «They weren’t pretty, they weren’t sexy, but they were very interesting.» Il se dit encore plus impressionné par les Byrds : «The Byrds blew me away. Their music went right to my heart. Ils jouaient fort et ressemblaient à des barbares avec leurs cheveux longs et leurs freaky clothes. Ils jouaient ‘I’ll Feel A Whole Lot Better’ et ils étaient as hot as the Beatles or the Stones ever were. En fait, ce soir-là, j’ai vu Brian Jones des Rolling Stones dans le public. Il m’a regardé. Je l’ai regardé. Et on s’est regardés encore une fois.»

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             C’est drôle, on retrouve toujours les mêmes : Brian Jones, Gene Clark, et Jimi Hendrix qui va devenir un ami proche. Arthur rappelle qu’il a composé «My Diary» pour Rosa Lee Brooks : «‘My Diary’ that was the first time Jimi ever played in a studio.» Ça se passe au Gold Star. Arthur cherchait un guitariste capable de jouer comme Curtis Mayfield et Billy Revis lui dit qu’il en connaît un : Jimi Hendrix, qui est alors inconnu. Beaucoup plus tard, alors qu’il est à Londres, Arthur a l’idée du siècle : enregistrer un album avec Jimi, qui est alors devenu célèbre. C’est False Start, enregistré à l’Olympic de Barnes. Tout le monde est sous mescaline, sauf Arthur qui dit devoir garder le cap - Somebody had to steer the ship - Arthur estime à juste titre que Jimi a pompé son look : «En 2002, Leon, le frère de Jimi, m’a dit que Jimi louchait sur la pochette du first Love album et avait dit : ‘I think I’ll try it this way’, il faisait référence au look que j’avais sur la pochette.» Ensemble, il enregistrent «The Everlasting First». Lors de la session, ils enregistrent aussi «E-Z Rider». C’est à cette époque que Jimi, las de tout, montre à Arthur son étui à guitare et lui dit que c’est tout ce qu’il possède. Arthur et Jimi avaient un projet en commun : «Avant qu’il ne disparaisse, Jimi et moi parlions de monter un groupe ensemble, Le groupe devait s’appeler Band Aid. Il proposait d’intégrer Stevie Winwood et Remi Kahaka. Je ne me souviens pas du nom du bassiste. Quand j’ai enregistré mon premier album solo pour A&M, j’ai appelé le groupe Band Aid en souvenir de ce que Jimi avait dit.»

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             En 1965, Los Angeles devient la capitale de l’industrie musicale américaine, et le Sunset Strip l’épicentre de la vague qui secoue l’Amérique. C’est à Los Angles qu’on sort les Ricken et les amplis Fender, alors qu’à Greenwich Village, on en est encore à gratter des coups d’acou. Tout se passe dans les clubs du Strip. Arthur dit tout le bien qu’il pense du Whisky A Go-Go : «Yes we were the mood of the times. C’était seulement une petite étincelle sur Sunset Strip et ça s’est transformé en wildfire.» Arthur admire Gene Clark pour ses «moody, poetic compositions».   

             En 1966, il n’a que 21 ans, il est bombardé Prince of Sunset Strip. Quand il descend de sa Porsche couleur mauve, une ravissante blonde et un épais nuage de fumée d’hash l’accompagnent. Ce que veut nous faire comprendre Einarson, c’est que le mythe Arthur Lee ne se limite pas à la musique : il devient très tôt une personnalité mythique, l’équivalent de Syd Barrett à Hollywood. Et comme Brian Jones, Arthur est obsédé par sa coiffure. Il y consacre beaucoup de temps. Kim Fowley le voit comme un personnage mystérieux, «like Prince or a black James Dean. Il était un mélange des deux. Il était très calme, il ne criait jamais, il ne piquait pas de crises comme Rick James. He was more of a lone wolf guy. Arthur had a mystique and worked 25 hours a day.» Ronnie Haran qui manageait l’early Love ajoute une nouvelle touche au tableau d’Einarson : Arthur est très casanier, il n’aime pas trop sortir de chez lui pour partir en tournée. Comme le Ghost Dog de Jim Jarmusch, Arthur élève des pigeons. Il a aussi des chiens. Toute sa vie, il aura des chiens. Quand Ronnie Haran lui propose un concert à Tempe, Arizona, Arthur l’envoie sur les roses - He had this big house with his birds, his dogs and his dope. He just wanted to stay home - Il adore cette maison, perchée au sommet de Kirkwood, Laurel Canyon, celle où Roger Corman tourna The Trip avec Peter Fonda, et dont la piscine est pour moitié à l’extérieur et pour moitié à l’intérieur. Arthur : «Pour aller du living room à la chambre, il fallait franchir un petit pont. That was it. I had to have this house.» Jac Holzman n’arrive pas non plus à le déloger pour les tournées de promo. Commercialement, c’est suicidaire. En fait, Arthur n’accepte les concerts qu’en tête d’affiche. Sinon, pas question. Les Doors l’acceptaient facilement, car Jimbo était fasciné par Arthur. D’autre groupes, nous dit Johnny Echols, l’acceptaient aussi, Big Brother, Iron Butterfly, Grateful Dead, mais les autres refusaient. Ça mettait fin à la discussion. Johnny Echols : «So that stopped us taking some gigs.» Arthur s’en explique lui aussi très bien : «Another thing was I didn’t like going on the road and playing for pennies.» Le roi ne se déplace pas pour des cacahuètes. 

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             Johnny Echols corrige encore une baliverne : Love n’est pas fiable ? Faux. Johnny explique qu’ils menaient un tel train de vie qu’ils ne pouvaient pas de permettre de louper des concerts - We always needed money - Mais comme Arthur ne veut pas quitter la Californie pour jouer le jeu de la promo, Jac Holzman met le paquet sur les Doors. Quand Arthur voit le 4 x 3 publicitaire des Doors sur Sunset Strip, il flippe. Arthur a beau intimider Jimbo, c’est lui Jimbo qui a les faveurs de Jac. Arthur va réussir un autre exploit anti-commercial : il refuse l’invitation des organisateurs du festival de Monterey. Jac : «Il fallait être fou pour dire non à Monterey. Arthur l’a fait.» Le plus curieux nous dit Einarson c’est que les Doors n’étaient pas invités, alors que Love l’était. La raison de ce refus, c’est Lou Adler. Arthur ne peut pas le schmoquer, car avant de s’appeler Love, son groupe s’appelait The Grass Roots et Lou Adler lui a barboté le nom : «Lou Adler est le mec qui avait un groupe appelé The Grass Roots sur son label Dunhill Records. Je voyais d’un mauvais œil le côté gratuit du festival et le vol du nom original de mon groupe, et j’ai dit non.» Harvey Kubernick confirme qu’en plus de l’animosité du roi Arthur pour Adler, il n’était pas question de jouer gratuitement.

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             Avant d’intégrer Love, Bryan MacLean jouait avec Taj Mahal dans un groupe éphémère, Summer’s Children, puis il fut roadie des Byrds. Quand les Byrds ont pris l’avion pour leur première tournée en Angleterre, ils sont partis sans Bryan qui l’a mal vécu - That broke his heart - Il passe aussi une audition pour les Monkees mais ça ne marche pas. Il finit par rencontrer Arthur et Johnny. Hop, le voilà dans les Grass Roots. En matière de séduction, Arthur et Bryan rivalisent. S’installe un petit challenge entre eux. Ça marche bien pour les Grass Roots, jusqu’au moment où Lou Adler monte un autre Grass Roots avec P.F. Sloan et Steve Barri. Arthur est choqué du procédé : «Somebody had stolen my name.» C’est là qu’Arthur opte pour Love. Et lorsqu’un peu plus tard, Lou Adler se rapproche de Love pour proposer un contrat, Arthur lui dit d’aller se faire voir chez les Grecs. Love fait un énorme carton au Bibo Lito. Ils deviennent avec les Doors et les Byrds les coqueluches de la scène locale. Bryan MacLean ramène les fans des Byrds. Arthur : «And so it was the five of us, Bryan, Johnny, Kenny, Snoopy and me.» Paul Brody est émerveillé par ce groupe : «Arthur Lee portait ces étranges lunettes triangulaires et un jean serré, Johnny Echols jouait sur une double manche, Bryan MacLean était un mélange de Brian Jones et de Michael Clarke des Byrds, et Kenny Forssi était une sorte de Prince Valliant.» Il ajoute plus loin : «Ils me rappelaient les Rolling Stones, avec quelque chose des Byrds en plus.» Kim Fowley dit aussi que Love attirait les filles, surtout les surf pussy en miniskirt. Len Fagan va beaucoup plus loin : «Ils avaient la même aura que celle des Rolling Stones, et même encore plus d’aura qu’eux. Ils s’habillaient comme des rock’n’roll stars, ce que peu de groupes faisaient alors.»

             Pour ne pas se faire plumer, Arthur a étudié un book intitulé The Business Of Music. Il sait tout. Il gère tout, le publishing, le booking, le management, la production. C’est lui qui négocie avec Jac Holzman. Il demande 5 000 $ en cash le premier jour. Jac dit qu’Arthur a filé 100 $ aux autres membres de Love et qu’il s’est acheté une gull-wing Mercedes. Johnny Echols rétablit la vérité, en expliquant qu’Arthur a partagé équitablement le blé et qu’il a récupéré la Mercedes qui moisissait dans un garage pour 1 100 $.

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             Arthur et Bryan composent ensemble. L’idée d’Arthur est de former un team Lennon/McCartney. Ils vont ensemble voir What’s New Pussycat au cinéma et flashent sur «My Little Red Book», un hit signé Burt, dont ils vont faire une version speedée qui deviendra leur premier single, et qui va fasciner un autre team légendaire, Lou Reed et John Cale. Einarson nous dit que Reed et Cale écoutaient ce single inlassablement, tentant de percer le secret du son (trying to unlock Love’s sound). 

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             Le premier album de Love, sobrement intitulé Love et paru sur Elektra en 1966, fait partie des grands classiques du son californien. Il est enregistré en quatre jours, par Bruce Botnick. Comme la plupart des musiciens américains de l’époque, Arthur et Johnny sont tous les deux fascinés par Dylan, comme on peut le constater à l’écoute d’«A Message To Pretty», solide brin de balladif, avec un Arthur tremblant d’émotion et bien poussé devant dans le mix. Ce qui frappe le plus dans cet album, c’est l’incroyable vitalité du son. Et bizarrement, dès que Bryan MacLean chante, ça s’écroule : son «Softly By Me» paraît un peu falot. Dès qu’Arthur revient avec «No Matter What To Do», Love reprend du sens. C’est gratté à l’arpège endiablé. Ils ouvrent le balda avec «My Little Red Book». Ils le tapent à l’angelinote, avec une ardeur très spéciale, aw won’t you please come back ! - Le «Can’t Explain» qui suit n’est pas celui des Who mais un jingle jangle Byrdsy, emmené par un Arthur extrêmement fougueux. C’est le psyché californien des origines. L’album devient très vite envoûtant, et la B ne fait que renforcer ce sentiment d’entendre un mix de voix et de son uniques, comme triées sur le volet. Le jingle jangle revient hanter «Gazing». On se croirait vraiment chez les Byrds. Quelle bouffée d’oxygène ! Arthur domine bien la situation, il cède la place à un solo d’Americana florissante, tendu et comme excédé de beauté, aussi éclatant que la corolle d’un corollaire. C’est là qu’apparaît la première mouture de «Signed D.C.», et le solo d’harmonica qui va tétaniser tous les gros veinards venus voir Arthur Lee au Trabendo. Ce premier album reste une merveille inaltérable, perdue dans le tourbillon d’une jeunesse enfuie. Sur la pochette, la photo du groupe est prise dans une ruine de Laurel Canyon, mais pas comme l’indiquait la rumeur, dans l’ancienne baraque de Bela Lugosi.

             Bruce Botnick trouve des similitudes entre Arthur et Captain Beefheart, avec lequel il a déjà bossé. Et puis voilà l’acide. Botnick : «Arthur was stoned 24 hours a day.» Einarson confirme : «Arthur seemed the epitome of the drugged, Sunset Strip hipster.» Arthur est un spécialiste du hash - He was considered a connoisseur - mais il s’adonne très vite aux joies de l’acid trip, qu’il vit comme une expérience religieuse. Il jette un regard lumineux sur les drogues : «Pendant des années, les journalistes m’ont posé des questions sur les drogues. Do they think I’m a chemist ? Quelles qu’aient été les drogues, je les prenais parce que j’essayais de faire partie de l’in-crowd. That’s why we were all doing it. I was easily influenced.» Il conclut ce chapitre fascinant ainsi : «A lot of us took drugs. Qui a créé le vin et qui a créé le raisin pour faire le vin ? Who put the weed here to smoke? God did. That’s who.» Aux yeux d’Arthur, tout cela n’est qu’une simple évidence. Le vin et la dope sont sur terre parce que God l’a voulu ainsi. Plus tard, au moment de Four Sail, Arthur va passer à la coke et devenir incontrôlable. Dieu l’a aussi voulu ainsi. 

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             À l’époque de sa parution, Da Capo était considéré comme difficile d’accès. Michael Stuart qui venait de quitter les Sons Of Adam pour rejoindre le groupe se demandait qui allait pouvoir acheter un album pareil. Pour lui, Da Capo était trop différent du premier album de Love. Avec Stuart, Arthur a aussi fait entrer dans le groupe le saxophoniste Tjay Cantrelli et poussé Snoopy, qui battait le beurre, à l’orgue. Da Capo grouillait pourtant de cuts qui allaient devenir des classiques de Love, à commencer par «Stephanie Knows Who», un rock baroque qui vire jazz. Oui, ils disposent de cette puissance musicale, avec un sax en folie et une basse abrupte. C’est sur Da Capo qu’on trouve aussi «Seven & Seven Is», cut bien énervé mais qui les honore. C’est extrêmement pulsatif, au sens Wells Fargo du terme, ça cavale à travers la plaine, ça tagadate à fond de train, Quicksilver Messenger, baby, vrai cut de batteur échappé de l’asile. L’autre point fort de cette A vitaminée est «Que Vida», une pure merveille de pop mélodique qui semble vouloir préfigurer les œuvres à venir. C’est le Sixties Sound à l’état pur, innocent et d’une grande délicatesse, bercé par de fines nappes d’orgue. On pourrait qualifier «Orange Skies» de psyché flûté de frais, avec une basse qui arpente bien la surface du beat. On y voit poindre une immense puissance compositale. Qui pourrait se lasser de cet Arthur-là ? Il veille aussi à rester florentin dans «The Castle». Par contre, la B change tout. Un seul cut : «Revelation». Qui peut se vanter de l’avoir écouté entièrement ? On se croirait chez Canned Heat avec ce gros boogie emmené ventre à terre. Solide, car bien balancé du beat et assez captivant, même si à l’époque on préférait les morceaux courts. C’est un exercice de style, un choix artistique bien assumé. Peu de gens osaient, à l’époque. Les guitaristes Johnny et Bryan se régalent, forcément. Arthur explose bien son all the time et il ajoute qu’il feel alrite, all the time, yes it is. Ils se payent de violentes montées de fièvre, mais un solo de batterie vient ruiner leurs efforts.

             Johnny Echols résume bien l’évolution musicale du groupe : «Une grande partie des chansons du premier album étaient faites pour danser. We were playing loud music for young kids at our shows. Le deuxième album était plus adulte. It was for sitting down and listening to.» Arthur résume encore mieux : «Je sens que je me suis trouvé, ou que j’ai planté la graine de ce que je suis devenu, on the Da Capo album. I was born on Da Capo. It’s just been the same trip since then. (...) That was me then, and here I am now.»

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             Dans les milieux bien informés, on tient Forever Changes pour l’un des plus grands albums de l’histoire du rock. Tous les canards spécialisés se sont gargarisés de Forever Changes, à commencer par Shindig!. C’est vrai que l’album tient en haleine. En fait, ça dépend de l’état dans lequel on se met pour l’écouter. À jeun, il ne provoquera pas les émois qu’il provoque lorsqu’on l’écoute sous influence. Il faut voir Arthur Lee entrer dans «Alone Again Or» par les espagnolades de l’éternité. Il vise tout de suite le paroxysme de la beauté liquide des préraphaélites. Yeah fait le roi Arthur, empli de cette grâce délicate. Voilà une musique au plis précis. Des trompettes se fondent dans le flux et cet aspect mariachi tourne à la merveille évangélique. Avec «The Daily Planet», ils se prennent pour les Who, ils font du pur Piccadilly. Quelle bande de faux culs ! On se croirait sur un mauvais album des Zombies. «And More Again» vaut pour une belle pop au ventre lisse - Then you feel your heartbreathing pam pam pam - Il faut attendre «Live And Let Live» en B pour renouer avec le raffinement dans la tension. Les beaux appels guitaristiques sonnent dans la nuit des temps, et la psychedelia californienne s’offre une belle vrille d’aventure sulfureuse. Ils jouent aussi «Maybe The People Would Be The Times etc. etc.» à l’extrême confrontation d’over-orchestration. Ils ne craignent pas l’overdose de surenchère et ça vire au tourbillon de pop endiablée. Nous voilà au paradis des trompettes ! Avec «Bummer In The Summer», ils renouent avec le groove d’«Hey Joe», même si c’est monté sur les accords de «Gloria», mais à la sauce californienne. Ils sont marrants. Tout le monde flashe sur cet album maniéré, alors que les suivants valent tout l’or du monde.

             Arthur dit que c’est Jac qui lui a donné l’idée des cuts orchestrés avec des cordes : «So I think he suggested the acoustic direction and it wasn’t a bad idea at all. Thank you Jac.» Puis Arthur corrige le tir à propos de David Angel, l’arrangeur qui aurait soit-disant écrit les arrangements : «The story about David Angel writing all the horns and string parts on Forever Changes was not just true. I wrote them, thank you! David did add and suggest things that were also used.» Mais il y a un gros problème pendant les sessions de Forever : les mecs de Love sont défoncé à l’hero et Arthur doit faire venir des musiciens de studio - My band was so strung out on heroin, they couldn’t function - Arthur en profite pour dire qu’il n’aime pas l’hero. Il fait venir Hal Blaine, Carol Kaye et Don Randi pour jouer sur «The Daily Planet» et «Andmoreagain». Sur la banquette, Bryan MacLean et les autres chialent. C’est la honte de leur vie. Mais ils se reprendront et Ken Forssi jouera le bass part que n’arrivait pas à jouer Carole Kaye sur «The Daily Planet». Le producteur de Forever est en fait Bruce Botnick, mais après une shoote avec Arthur, il demande qu’on retire son nom des crédits de l’album. Pour Botnick, Forever est un album un tout petit peu trop sophistiqué pour l’époque. Quant au titre, il vient d’un échange entre Arthur et l’une de ses poules. Le fille lui dit : «But you told me you’d love me forever» et Arthur lui répond : «Yeah, well you know, forever changes». Le vrai titre de l’album est Love Forever Changes. Mais comme le dit si justement Einarson, nobody really got it. À l’époque, tout le monde est passé à côté.

             C’est l’inactivité qui met fin à la première mouture de Love, pas seulement la dope. Autre problème : Arthur vit dans sa belle baraque et roule en Porsche, alors que les autres n’ont pas de blé. Il n’y eut pas de réunion pour annoncer le fin de Love. Arthur a simplement arrêté d’appeler les autres pour les concerts.   

             Et hop, il remonte aussitôt le groupe avec Jay Donellan, Frank Fayad et George Suranovich. Arthur et Donellan s’entendent bien ensemble : ils composent «Singing Cowboy». Donellan est impressionné par Arthur : «Il avait une telle présence. Il était beau, exotique, à moitié blanc et à moitié black, in colourful hippie clothes. Il avait de l’attitude, il était aussi un peu aigri et avait beaucoup de charisme. Il se faisait faire des fringues sur mesure, conduisait une Porsche et te proposait le meilleur haschish.» Pour éviter les problèmes, Arthur contrôlait tout : les bookings, le compos, les contrats d’enregistrement, la production et les avances - Arthur Lee was Love and Love was Arthur Lee - Il vit dans sa baraque de rêve, là-haut sur la colline qui domine Los Angeles, avec Suzanne et son chien Self - Self was like Arthur’s alter ego - Arthur : «À une époque, j’avais 5 chiens, 11 chats, environ 120 pigeons et un canari nommé Gary qui était le meilleur musicien du monde.» Arthur est aussi végétarien : «When I was vegetarian, no one around me could eat meat. I didn’t even let my dogs eat meat.» Il fait faire des croquettes protéinées pour ses chiens.

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             Belle pochette psychédélique pour Out Here paru en 1969. La toile est signé Burt Shonfield. Arthur va bien sûr récupérer la toile. Ses nouveaux chevaliers l’entourent : Donnellan, Fayad et Suranovich, tous les trois d’épouvantables surdoués. En ce temps-là, Fayard pouvait décourager tout apprenti bassiste, tellement il surjouait ses drives.

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    Quand on ouvre le gatefold, on les voit tous les quatre dans Griffith Park jouer aux cowboys en se tirant dessus à bout portant. Pow ! Pow ! T’es mort ! Dès «Abalony», t’es frappé de plein fouet par une pop de rêve, pow ! T’es mort ! Le roi Arthur est l’égal de John Lennon. On dit même de lui qu’il est un miracle permanent. C’est en tous les cas ce qu’inspire «Abalony». Il chante son Abalony au mellow vocal à peine soutenu. Arrive dans la foulée le «Signed D.C.» tiré du premier album de Love, sans doute l’œuvre la plus connue du Love Supreme - Nobody cares for me - Le solo d’harp atteint un niveau rare d’intensité cabalistique - Look out Joe !/ I’m falling/ Nobody cares for me - C’est vrai, nobody cares for him now. Avec «Listen To My Song», ils opèrent tous les quatre un prodigieux retour à l’absolue pureté harmonique. Arthur redescend dans l’excellence du chant mordoré et siffle sa mélodie. On pouvait dire à l’époque qu’il existait trois pôles sur cette planète : d’un côté les Beatles et de l’autre Love, avec Brian Wilson au milieu. On se régale de ce double album comme on se régale du White Album des Beatles : c’est la même intensité de tous les instants. Il faut voir Arthur Lee donner du foin au son dans «I’ll Pray For You», c’mon let me in with you. Pure magie - You made me come - C’est très sensuel, on a des chœurs de mecs derrière. Les ah ah ah sont de pures avances putassières. Le «Stand Out» qui ouvre le bal de la B est plus musclé, on est dans l’hendrixité, mais sans guitare, uniquement dans le groove. Arthur Lee jive l’excellence, puis il nous embarque dans les douze minutes de «Doggone», hélas ruiné par un solo de batterie. Il faut vite aller se consoler en C avec «I Still Wonder». Ce sont les harmonies vocales de CS&N. Tout ici est taillé sur mesure dans l’harmonie viscérale et fouaillé au gras double. On voit deux phrasés de guitares se croiser dans l’azur. Gary Rowles prend le lead sur «Love Is More Than Words». Ça vire à la jam de puissance effective, l’un des sports favoris du roi Arthur. En ce temps-là, les musiciens jouaient comme des démons incoercibles. Frank Fayad en profite pour se laisser aller. Avec «Nice To Be», Arthur Lee frôle le Michel Legrand. C’est dire l’irréalité des choses ! L’enchantement se poursuit en D avec «Run To The Top», une pop incroyablement légère - Why don’t you be free - On sent naître quelque chose de l’ordre de la persistance, I’m free, et ça claque des mains. S’ensuit un «Willow Willow» d’une perfection mélodique absolue, une merveille intarissable, la brutalité subjugante du Love Supreme, l’adoucissement latéral des arpèges byzantins, tout y est, comme dans un récit baroque de Gustave Flaubert. Out Here, c’est Salammbô. «Willow Willow» sonne comme un bain de mercure, la légende de Love s’y détaille dans les atomes d’acides et de bases. Ces surdoués extravagants n’en finissent plus de surjouer leur «Instra-Mental» et cette D palpitante s’achève avec «Gather Round», une pop d’arpèges éternels, élevée au rang du Love Supreme. Arthur chante ça au psyché chaud. On ne se lasse pas de cette élévation perpétuelle, claquée à la meilleure claquemure d’occident. Pas de plus beau roi nègre qu’Arthur Lee - If you don’t like my story/ Then don’t buy my songs. Pour les crédits, Arthur change de nom et s’adverbise : il s’appelle Arthurly.

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             On retrouve la même équipe Donnellan/Fayad/Suranovich sur Four Sail paru la même année sur Elektra. Titre moqueur : Four Sail sonne comme For Sale. Sans doute est-ce la période la plus prolifique du roi Arthur, car les hits pullulent sur cet album, comme d’ailleurs sur le précédent. On n’y compte pas moins de cinq coups de génie. Et ça commence à rayonner dès «August» le bien nommé. Arthur entre dans le jardin magique d’un pas léger, comme les Beatles dans «Strawberry Fields Forever». Arthur est en réalité le seigneur des délicatesses définitives. Pas de pop plus pure que cette pop auguste. Ses retours au chant se fondent dans un velouté extravagant. Frank Fayad joue une bassline en folie et Jay Donnellan pourrait bien passer pour l’un des plus grands guitaristes de tous les temps. Nous voici arrivés dans un album idéal. Arthur propose une pop extrêmement précise et finement argentée, très byzantine dans l’esprit de Sainte Catherine. Ça phosphore dans le bosphore du Love Supreme. Ces surdoués s’en vont jazzer «Good Times» en plein envol. Ils se prêtent à toutes les fantaisies. Ils inventent une sorte de pop dionysiaque, une pop à cornes extrêmement libre. Jay Donnellan fait une fois encore le show, suivi par ce requin en maraude qu’est Frank Fayad, le bassman fou. Se développe sous nos yeux ronds de stupeur un gigantesque geyser d’excellence. Et ça monte encore d’un cran dans l’expressionnisme avec «Singing Cowboy», sans doute le sommet artistique de cet album. Jay Donnellan amène ça aux arpèges radieux et Arthur pose sa voix sur un tapis mélodique immaculé. Ce sont les chœurs d’artichauts qui génèrent l’apothéose de son plein, ce Graal orgasmique dont rêvent tous les libidineux. On tombe en B sur une autre huitième merveille du monde : «Robert Montgomery». Ils attaquent ça aux accords consternés, immédiatement relayés par cet entortilleur de génie qu’est Jay Donnellan. Arthur gagne encore une fois les paradis artificiels pour s’y recueillir. C’est d’une sophistication aveuglante de pureté, et les plongées dans les abîmes valent bien ceux de Jack Bruce dans «Tales Of Brave Ulysses». Cette B se montre moins dense, mais les cuts n’en sont pas moins admirablement construits et dotés d’une musicalité qui, depuis, semble s’être volatilisée. Il faut écouter attentivement le travail de sape de Frank Fayad : il surjoue en permanence et amène une énergie considérable à cette pop fragile et légère. En ce temps-là, les bassistes savaient jouer.

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             La seconde trilogie magique du règne du roi Arthur s’achève avec False Start, paru en 1970. Gary Rowles y remplace Jay Donnellan. C’est bien sûr la présence de Jimi Hendrix qui fit la réputation de l’album à l’époque : il co-arrange et joue sur «The Everlasting First». Arthur s’abandonne au destin tragique des harmonies brisées, à la dérive spirituelle, à l’aune de la liberté absolue, il va là où bon lui semble, libre comme l’air du printemps, et l’ami Jimi joue comme d’usage, c’est-à-dire comme un dieu. On trouve un autre cut purement hendrixien en B, «Anytime». Arthur y propose une fantastique approche du blues-rock avec des prolongements hendrixiens, et Gary Rowles se montre digne de l’aventure. Encore des traces d’hendrixité dans «Slick Dick», un curieux mix de Wolly Bully et de bluegrass psychédélique. On retrouvera ce son sur Cry For Love, évidemment. Le coup de génie arthurien se trouve en A et s’appelle «Keep On Shining». Encore un coup dont on ne se remet pas. On y assiste à une fantastique résurgence d’excellence groovy. Arthur swingue le rock et le bouffe tout cru en même temps, comme le Saturne que peignit Goya. On note aussi son excellente maîtrise des éléments dans «Stand Out». Il sait dresser une Table et offrir un festin de son. Oh il faut aussi aller voir en B ces deux cuts ultraïques que sont «Feel Daddy Feel Good» et «Ride That Vibration». Le premier vaut pour un heavy blues arthurien. Tout y est trié sur le volet. Il faut voir Arthur monter son œuf en neige, c’est un spectacle dont on ne se lasse pas. Il fabrique des climats changeants et charge aussitôt la barque au sortir d’un havre de paix. Il revient avec «Ride That Vibration» dans le processus d’élévation hendrixienne. Il tisonne sa braise pour l’emmener retrouver son élément en enfer. Les rois disposent de cette cohérence inaccessible à nous autres roturiers.

             Quand Arthur se fâche avec des membres du groupe, c’est toujours autour de questions de blé. Suranovich est viré pour ça. Arthur se fâche aussi avec des gros bonnets du biz, par exemple Robert Stigwood, qu’il insulte. Quand les Led Zep viennent le voir chez lui pour le saluer, Arthur ne les laisse pas entrer - Arthur didn’t give a fuck - Dès qu’il a un peu de blé, il devient incontrôlable. Et petit à petit, il prend l’habitude de flinguer ses concerts, il ne finit pas les cuts et passe son temps à babiner avec les gens. Mais le public lui pardonne tout, parce qu’il s’agit du roi Arthur. Pour se faire un peu de cash, il revend, sur les conseils de son ami George St John, la moitié de ses droits d’auteur à Leiber & Stoller. 

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             En 1972, Arthur Lee enregistre son premier album solo, Vindicator. Frank Fayad et Craig Tarwater apparaissent sur certains cuts, Charles Karp et David Hull sur d’autres. Arthur revient au pur jus hendrixien avec «You Want Change For Your Re-Run», mais avec une touche de Love en sus. Il joue ça à la meilleure heavyness californienne. Il se montre aussi très hendrixien dans «Love Jumped Through My Window», nouvelle envolée arthurienne pleine de détermination. La dominante de l’album est le heavy blues-rock de type «Hamburger Breath Stinkfinger». Frank Fayad est derrière et oh boy, que de son ! - Oh what a dish/ She smells just like a fish - On ne pourrait pas s’en lasser. Même chose avec «Busted Feet», chanté à la colère arthurienne, un modèle du genre. Autre heavy slab de blues-rock seventies : «Everytime I Look Up I’m Down Or White Dog». C’est gorgé de musicalité et de tout le génie arthurien des années de braise. Le Vindicator nous plonge là dans un océan de vrai son, dans une infinie jouvence de gras-double. C’est sur cet album qu’apparaît l’«Everybody’s Gotta Live» chanté au filet de voix. Le cut s’inscrit dans la veine de Forever Changes, comme d’ailleurs «He Knows A Lot Of Good Women» qu’Arthur chante fébrilement. On le voit s’engager dans de belles envolées, à cheval sur sa panacée.

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             En 1974, Stigwood et Clapton mettent le paquet pour avoir Arthur sur RSO : une avance de 100.000 $ ! Pour enregistrer Reel-To-Real, Arthur parvient à stabiliser l’équipe Melvan Whittington/Joe Blocker/Robert Rozelle, un Rozelle qui va être remplacé par Sherwood Akuna pendant les sessions. En réalité, l’album marque un changement de cap artistique. Après les extravagances baroques de Forever Changes, Arthur revient à ses racines, comme le fit l’ami Jimi avec The Band Of Gypsys. C’est le black roots album. On retrouve sur Reel-To-Real l’«Everybody’s Gotta Live» de Vindicator et une version très appauvrie de «Singing Cowboy». Les vrais hits se nichent en B : «Be Thankful For What You Got», fantastique groove d’élégance arthurienne. On se croirait chez Marvin. Avec «Busted Feet», Arthur s’en va rocker comme un punk black. Il reste dans l’hendrixité de choses, avec une énergie qui lui est propre. On trouve des choses intéressantes en A, comme ce groove doucereux intitulé «Time Is Like A River». Il passe en mode bluesy pour «Stop The Music» - I’ve been lonely/ And I’ve been blue - Mais rassurez-vous, il va mieux, I’m going to have a good time/ I’m going out tonite ! Puis il passe au funk avec «Who Are You» : il chante divinement, ça fourmille de percus et c’est cuivré de frais. Encore une belle leçon de polyvalence avec cette belle pièce de Soul arthurienne : «Good Old Fashion Dream». Reel-To-Real se veut nettement plus Soul que les précédents albums. Arthur avait prévenu le public, lors de la tournée anglaise de 1973 : «No more Forever Changes shit !»

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             Bel album que cet Arthur Lee paru en 1981, car on y retrouve Velvert Turner qui fut le protégé de Jimi Hendrix. L’album devait s’appeler More Changes et n’est jamais sorti. C’est Rhino qui l’a sauvé des eaux. Qu’est-ce qu’on dit ? Merci Rhino ! «One» vaut pour un joli mambo-rock arthurien, avec Velvert Turner à la gratte. On se croirait chez Gary US Bonds. Il faut attendre «I Do Wonder» pour voir Arthur renouer avec les mélodies évanescentes de Four Sail. Admirable musicalité de glotte. Arthur sculpte son son dans la matière mélodique avec une grâce qui relève de l’enchantement. On retrouve Velvert Turner en B sur «Bend Down». Il affranchit toutes les blanches et les noirs esclaves, le mec joue aux avalanches de cascades catatoniques. Pure démence - You’re my own desire/ You’re my soul invider - On trouve de la très belle pop ici et là («Do You Know The Secret») et Arthur finit parfois son cut avec des brouettes de brouet («Happy You»). Il reprend aussi le vieux «7 & 7 Is» en indiquant que ce titre de chanson évoque le fait qu’une copine et lui sont nés un 7 mars, mais il ajoute que ce détail n’a rien à voir avec la chanson. Il termine cet album ravissant avec «Stay Away From Evil», un joli coup de funk arthurien qui renvoie à Stevie Wonder. Encore merci Rhino !

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             Les fans sont tous allés piocher dans les CD New Rose parus dans les années 90, Arthur Lee And Love, réédité sous le titre Five String Serenade

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    et le boot Oncemoreagain. Einarson nous révèle que Patrick Mathé a payé une petite fortune pour avoir le roi Arthur sur New Rose : 40 000 $ ! Pour enregistrer l’album, Arthur a récupéré Melvan Whittington (gratte) et Robert Rozelle (bass). C’est la formation de Black Beauty. New Rose savait alors rater ses pochettes. Ils ont réussi à transformer Arthur Lee en clochard. La pauvreté du label explique peut-être l’absence de vision. On retrouve pas mal de hits comme «Five String Serenade» ou encore «Somebody’s Watching You». Ce démon d’Arthur crée forcément l’événement. En dépit de l’étranglement de carrière, il réussit à exister. C’est sa force. Il re-développe sa petite musicalité exponentielle. Il passe au balladif de fête foraine avec «You’re The Prettiest Song». Cet homme sait qu’il a du génie, mais on l’abandonne. Cet album live est parfois inepte, des cuts comme «I Believe In You» et «Ninety Miles Away» atteignent le fond. Il se réveille soudain avec «Love Saga» monté sur les accords du «Hey Joe» de Jimi Hendrix. Il est à bout de souffle mais il passe un joli solo d’harmo. Ils terminent avec un «Passing By» qui sonne exactement comme «Voodoo Chile» et Melvan y fait des siennes, en bon petit soldat. Il faut aussi se pencher sur le cas de «Seventeen», car il s’agit de sexe pur - Yes you and me/ You know what to do - La groupie a 17 ans - Yes you and me/ You know what I mean - Une fois que la groupie est entrée dans la loge, elle doit se mettre au boulot.

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             Quant au boot Oncemoreagain, il est enregistré à Londres en 1992 et dès «Alone Again Or», Arthur Lee nous inflige sa merveilleuse présence. C’est joué à l’exacerbée. On les voit cavaler ventre à terre dans l’«A House Is Not A Motel». Trop beau pour être vrai. Quelque chose de très spectaculaire se dégage de ce concert. Ça flûte sur «She Comes In Colours», comme dans Forever. Il tape un «Signed DC» imparable, puis il tire «Orange Skies» et «Seven & Seven Is» du sommeil de ses premiers albums. Tout est bien frénétique et chanté au bon vouloir du roi Arthur. Il se passe des trucs dans chaque cut, c’est même une musique beaucoup trop sophistiquée pour la scène. «That’s The Way It Goes» sonne comme une soft-pop admirablement sensitive. Puis il tape son «Little Red Book» à l’ancienne, bien tressauté du beat. Le roi Arthur maintient sa privauté. Et voilà qu’éclate l’effarant «Everybody’s Gotta Live» qu’il chante d’une voix particulièrement déliée. Il fait un clin d’œil à John Lennon en chantonnant le «And the moon shines on» d’«Instant Karma». S’ensuit un double hommage à son ami Jimi, «Passing By» et «Hey Joe». Il fait du Voodoo Chile heavilyfié à la mode arthurienne, c’est un cousinage qui effare, et il tape dans l’Hey Joe des Leaves, celui qui va vite. Les accords scintillent.

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             Love Lost et Black Beauty sont deux projets avortés et réédités longtemps après la disparition du roi Arthur. Le premier fut enregistré en 1971 et enterré in the vaults, comme disent les Anglais. Ce sont les fameuses Columbia Records Sessions qui devaient donner l’album Dear You. Le guitariste Craig Tarwater et le batteur Don Poncher remplacent Gary Rowles et George Suranovich. Le seul survivant de la mouture False Start est Frank Fayad. L’album est jugé trop anarchique par les gens de CBS qui du coup rompent le contrat et classent l’affaire sans suite. La plupart des cuts enregistrés lors de ces sessions vont heureusement refaire surface sur Vindicator, Black Beauty et Reel-to-Real. Ce Love Lost très hendrixien fournit l’occasion de rappeler que Jimi Hendrix et Arthur Lee partageaient les mêmes aspirations de liberté spontanée, dont l’incarnation est l’impro jazz, et qu’à la différence des petits culs blancs comme Clapton qui admiraient les blues masters, Jimi et Arthur avaient grandi avec. En plus de cette complicité artistique, ils cultivaient le même look, the black hippie look. Pour rigoler, le roi Arthur aimait bien dire que Jimi avait copié son look. Quand on écoute cet album sauvé des eaux aujourd’hui, on est choqué. Oui, choqué que les gens d’une maison de disques aient pu le condamner à l’oubli. Les deux clins d’yeux hendrixiens que sont «Midnight Sun» et «Trippin’ & Slippin’/Ezy Ride» valent tout l’or du monde. Le roi Arthur chante ça au meilleur feeling de la Table Ronde et son midnight sun is shining/ Shinig on my baby’s face tient du prodige, tellement c’est inspiré. Le coup de Jarnac de cet album mort-né s’appelle «I Can’t Find It». Pur jus de génie dévasté. Le roi Arthur crée les conditions de l’élégance. C’est d’une puissance hors normes. Il pousse son cut dans ses retranchements et ça gicle dans tous les coins. Voilà le génie d’Arthur Lee. Ça goutte littéralement de son. Il faut aussi l’entendre chanter ce superbe «Product Of The Times» monté sur un vieux groove de Frank Fayad. Le roi Arthur chante ça à la glotte effervescente. Il swingue sa pop-rock avec une sauvagerie indécente, et c’est probablement cette liberté de ton qui indisposa les gens de CBS. Arthur sait allumer un cut aussi bien que Little Richard. Il faut aussi se jeter toutes affaires cessantes sur le «Love Jumped Through My Window» d’ouverture de bal, car on l’entend donner des coups d’acou dans les ponts de la rivière Kwai. Ce mec sait chanter une chanson et gratter ses poux. Il sait mener la danse, hey ! C’est joué à la ferveur des coups d’acou, dans les règles de l’art du temps jadis. Il mène pareillement son «He Said She Said» d’une main de maître - You make me feel so good - mais avec le meilleur velouté d’asperge dans le ton. Et puis voilà l’excellent «Everybody’s Gotta Live» qu’on va retrouver sur Reel-to-Real, avec son fameux pendant philosophe everybody’s gonna die/ Before you know the reason why. On a là une version extrêmement électrique. De toute façon, avec Arthur, c’est toujours électrique. Il sait jouer à l’excès et ça devient extrêmement beau. On trouve aussi deux moutures de «Good & Evil» sur cet album, une première jouée à coups d’acou et à forte teneur bluesy, et la seconde solidement sexuée - She keeps me satisfied - Retour aux colonnes infernales avec «He Knows A Lot Of Good Women». Le nom d’Arthur Lee signifie excellence à tous les étages. Il faut voir comme il sait gérer les climats dramatiques d’une chanson. Et puis on les entend tous les quatre jouer leur va-tout blues rock, dans «Find Somebody». C’est une jam extraordinaire qui en dit long sur leur wilderness. Il manque l’envol de «Singing Cowboy», c’est vrai, mais il n’empêche qu’ils jouent tous les quatre jusqu’au bout du bout, surtout Frank Fayad qui n’en finit plus de pulser aux abois. 

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             Quant à Black Beauty, c’est aussi un projet avorté. Le label Buffalo Records, sur lequel l’album devait sortir, fit faillite. En 1973, Arthur s’entoura de l’équipe Melvan Whittington/Joe Blocker/Robert Rozelle - the all-black band - pour revenir aux sources. Avec cet album, il souhaitait vraiment prendre ses distances avec Forever Changes. Il voulait faire comme John Lennon, se forger une identité réelle et se détacher du passé. Pour y parvenir, il lui fallait un black rock band, même si la mort de Jimi Hendrix signifiait la mort du black rock. Joe Blocker : «Later we came to realize that with Jimi Hendrix’s death a door had beeen shut that would never be open again. Ever.» Blocker indique que Living Colour est un mauvais contre-exemple de cette théorie, car leur premier album n’a marché que parce que produit par Jagger. L’autre aspect fondamental qui caractérise l’ampleur artistique d’Arthur Lee, c’est qu’il incarnait la mutation. Il était the next step, après Jimi Hendrix, mais comme il jouait du rock, il se rendait invisible aux yeux du peuple noir. Déjà enregistré lors des Columbia Record Sessions, «Midnight Sun» réanime le fantôme de Jimi Hendrix - I don’t know the reason why - Arthur plonge dans la démesure d’over yonder - The midnight sun is shining - Clapton qui en 1974 avait emmené Love en tournée comparait Melvan Whittington à Jimi Hendrix - He’s got the same thing that Jimi Hendrix had - On le surnommait Melvan Wonder. L’autre point fort de Black Beauty se niche en B : «Lonely Pigs». Cet heavy balladif se situe dans la meilleure veine arthurienne. Voilà un cut élégant et sacrément élancé. On pourrait même parler d’une sorte de bénédiction cadencée, intense et troussée au pli de la hanche. «Lonely Pigs» est dédié aux cops et c’est l’une des rares occasions d’entendre le roi Arthur prendre un solo. Il rappelle qu’à l’âge d’or de Love, la police de Los Angeles les harcelait, à cause de la mixité du groupe. Et lui en particulier. Il dut apprendre à circuler dans les rues moins fréquentées pour éviter les contrôles. Avec «Can’t Find It», il renoue d’une certaine façon avec le rock magique, et des échos d’«Always See Your Face» traversent l’excellent «Walk Right In». Il s’agit en effet du même fil mélodique, celui qui rendait Four Sail si intensément désirable. On pourrait dire la même chose de «Stay Away», bien léché par des langues de feu hendrixiennes et tellement présent par le son. Le roi Arthur chante aussi «See Myself In You» au feeling pur, à l’admirabilis volubilis du vieux monde. Il chante dans la matière, au heavy mood arthurien. L’édition de Black Beauty sur High Moon Records s’accompagne d’un livret signé d’un certain Ben Edmonds qui documente extrêmement bien l’histoire de cet enregistrement. Comme les masters avaient disparu sans laisser de traces, le technicien en charge du projet dut repartir d’un test pressing que John Sterling, le guitariste blanc qui accompagna Love en tournée, avait su conserver en bon état. C’est l’histoire miraculeuse d’un album miraculeux. Parfaitement à l’image d’Arthur Lee.

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             Et puis un jour, en fouillant dans le bac fatigué d’un disquaire parisien, on chope le Shack ! Oui, cette absolue merveille qu’est Shack Accompany Arthur Lee - A Live Performance At The Academy Liverpool May 1992, un album paru en l’an 2000. Dans son petit texte d’insert, le roi Arthur dit son bonheur d’avoir joué à Liverpool et sa surprise de voir que les gens connaissaient les paroles de ses chansons. Il s’en dit bouleversé, au point d’envisager de venir vivre à Liverpool. C’est «Alone Again Or» qui ouvre le bal de l’A et Shack nous tisse la plus belle dentelle de Calais qui se puisse imaginer. John Head joue le lead de la mort fatale. C’est un enchantement. Et on en est qu’au début. Il y a tellement de présence scénique qu’on croirait entendre les Beatles. Voilà «Signed DC», et force est de constater que ces mecs de Liverpool restituent toute la magie de Love. Arthur passe un solo d’harp somptueux. Il joue des atonalités confondantes. S’ensuit «And More Again» qu’Arthur chante comme un dieu descendu parmi les hommes. Regain d’énergie avec «A House Is Not A Motel», à la fois très concomitant et toxique, les mecs de Shack surjouent la dentelle suprême et John Head passe un solo hot as hell. Pas de mélange plus capiteux que celui du roi Arthur et de Liverpool. Le festival se poursuit en B. Arthur se dit ému par l’accueil que lui réserve the Liverpool people, qui ont reconnu en lui l’un des plus beaux héros du rock world. «Hey Joe» s’envole avec le  stupéfiant backing de Shack. Ces mecs surjouent véritablement la wild psychedelia d’Arthur Lee. C’est le secret de l’art. «Passing By» est la version arthurienne d’Hoochie Coochie Man. Il faut voir comme ça délie derrière Arthur, il repasse des coups d’harp superbes et swingue l’écho du temps. Puis il éclate «My Little Red Book». Shack pulse le beat de Liverpool. Dans le Nord de l’Angleterre et en Écosse, on vénère autant Arthur Lee que Big Star. Pas de plus belle virée psychédélique qu’«Orange Skies», oh no no no. Shack sort un son de rêve éveillé, très distant dans la proximité. C’est d’une troublante retenue, d’un raffinement florentin qui en bouche en coin. Le roi Arthur boucle avec l’hommage déguisé à John Lennon et à son «Instant Karma», c’est-à-dire «Everybody’s Gotta Live». Il ne pouvait pas choisir plus bel hommage.

             Par contre, chez lui, ça ne se passe pas très bien. Diane le quitte en 1995, car il devient dangereux. Il est armé et il fout la trouille aux gens. Cette année-là, il est arrêté pour des coups de feu qu’il n’a même pas tirés. Il passe au tribunal en juin 1996. N’appréciant ni son attitude ni sa conduite, la cour le charge au maximum : 12 ans de centre pénitencier. Le juge le traite d’individu dangereux. Arthur est complètement sidéré par la violence de la sentence. Ses amis de Baby Lemonade qui assistent au procès sont terrifiés. Mike Randle : «Le juge a dit qu’Arthur était une disgrâce. Arthur était en état de choc. Le juge lui a demandé s’il avait compris ce qu’il lui avait dit et Arthur lui répondit que non. Mais son avocat à dit qu’il avait compris.» Arthur le redit avec ses mots : «J’ai été condamné à 12 ans pour un crime que je n’ai pas commis. Par un juge. Je veux dite que j’étais innocent et on m’a jugé coupable.» C’est un autre mec qui a tiré les coups de feu en l’air et qui est venu le dire et le redire à la barre. Mais rien n’y fait. Le juge veut la peau d’Arthur - Arthur Lee had finally hit rock bottom - Le pire est à venir : pendant qu’il moisit au trou, sa mère casse sa pipe en bois - That hurt me more than any sentence. Je n’ai pas pleuré. En taule, on ne peut montrer aucune faiblesse - Il ajoute que pendant son séjour au Club Med, Kenny Forssi et Bryan MacLean ont eux aussi cassé leurs pipes en bois.

             Quand il sort, il vit ce qu’on appelle la rédemption - I went from the cage to the stage - C’est le retour de l’âge d’or et des tournées de Love dans le monde entier, sauf au Japon, où il est interdit de séjour. Et quand il tombe malade, il n’en parle bien à personne. Ce serait encore selon lui faire preuve de faiblesse, et ça, il n’en est pas question. Jusqu’au moment où Baby Lemonade et Johnny Echols prennent l’avion pour Londres sans Arthur qui est trop faible pour voyager. Il leur demande de ne pas y aller, mais ils y vont quand même, car ils ont besoin de blé. Arthur se fâche avec eux.

             Et en 2005, il décide de revenir s’installer à Memphis. Einarson nous donne tout le détail du projet du Memphis Love avec Greg Cartwright, Alicja Trout, Jack Yarber et Alex Greene, en gros les mecs de Reigning Sound. Ils répètent chez un pote de Cartwight, Darcie Miller, sur Williford Street. Cartwright : «Arthur was going back to the garage band days, totally different from the Baby Lemonade thing. I’m just sorry the world never got to hear this band, because they were great.» Cartwright ajoute qu’ils revenaient au son du premier Love album et Johnny Echols devait se joindre au groupe, à la demande d’Arthur. Alicja Trout est elle aussi fascinée par Arthur le cowboy. Le groupe s’appelait The Memphis Love et Arthur prévoyait de l’emmener tourner en Europe. Il avait même composé de nouveaux cuts. Cartwright n’en finit plus de dire sa vénération pour Arthur : «Il marchait dans la rue et tous les kids et des vieilles dames qui avaient connu sa mère l’interpellaient : ‘Hey Po.’ Il portait un blouson de cuir à franges et un chapeau de cowboy ou alors un haut de forme et les gens disaient : ‘There’s that old rocker dude’. Les choses allaient plus lentement, à Memphis, c’est plus laid-back. Il était encore le grand Arthur Lee, il s’habillait et marchait comme une star et savait aussi être un ordinary guy.»

             Quand Greg Cartwright voit Arthur marcher dans la rue, il a l’air d’aller bien, mais en réalité, il tombe en ruine. Une leucémie le dévore vivant. Il souffre tellement qu’il finit par accepter d’aller à l’hosto. Mais comme il n’a pas de Sécu et qu’il n’est pas couvert, la note monte vite :  170 000 $ ! Arthur ne les a pas, forcément. Harold Bronson, qui est encore le boss de Rhino Records, lui file 75 000 $ ! LUI FILE ! Eh oui, c’est l’une des infos capitales de ce book : Harold Bronson FILE 75 000 $ à Arthur Lee. Extraordinaire Harold Bronson ! Pour le reste, Diane réussit à faire marcher son assurance maladie et des amis d’Arthur organisent un concert de soutien à New York avec Robert Plant, Ian Hunter, Ryan Adams, Nils Lofgren, Yo La Tengo, Garlan Jeffreys et Johnny Echols. Mais les médecins de Memphis ne parviennent pas à le sauver, et Arthur Lee casse sa pipe en bois en août 2006. Le roi est mort. Vive le roi !

             La suite au prochain numéro.

    Signé : Cazengler, Lee de la société

    Love. Love. Elektra 1966

    Love. Da Capo. Elektra 1966

    Love. Forever Changes. Elektra 1967

    Love. Out Here. Blue Thumb Records 1969

    Love. Four Sail. Elektra 1969

    Love. False Start. Blue Thumb Records 1970

    Arthur Lee. Vindicator. A & M Records 1972

    Love. Reel-To-Real. RSO 1974

    Arthur Lee. Arthur Lee. Rhino Records 1981

    Arthur Lee And Love. New Rose Records 1992

    Arthur Lee And Love. Five Strings Serenade. Last Call Records 1992

    Arthur Lee And Love. Oncemoreagain. Boot

    Shack Accompany Arthur Lee. A Live Performance At The Academy Liverpool May 1992. Viper 2000

    Love. Love Lost. Sundazed Music 2009

    Love. Black Beauty. High Moon Records 2011

    John Einarson. Forever Changes: Arthur Lee And The Book Of Love - The Authorized Biography Of Arthur Lee. Jawbone Press 2010

     

     

    Wizards & True Stars

    - Brown sugar (Part One)

     

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             Il existe deux films qui permettent d’approcher la figure emblématique de James Brown : Mr Dynamite - The Rise Of James Brown et Get On Up. Le premier est un docu extrêmement bien foutu signé Alex Gibney. Le deuxième est un biopic bien farci d’entorses à la réalité et signé Tate Taylor. Les deux films se complètent relativement bien et enfoncent le clou de l’essentiel : James Brown est un petit black parti de triple zéro pour devenir une sorte de dieu Pan black, car oui, le funk c’est du sexe pur. Get it together ! Right on !

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             Gibney lance son docu sur scène. So proud ! Beat des reins. Bobby Byrd présente James et derrière on voit Bootsy Collins, il n’existe rien de plus intense dans l’histoire de la Soul. Par contre, Taylor attaque son biopic par la fin, c’est le JB d’I don’t need no one en survêtement vert avec un fusil à pompe qui veut savoir qui est allé chier dans ses toilettes. Bhaam ! Il tire dans le plafond, première belle entorse à la réalité. Kabhaam ! Flashback. Il est au Vietnam en 1968 dans un avion canardé par les Viets. Le seul qui n’a pas peur dans l’avion, c’est JB - Kill the funk ? No way ! - Et là Taylor reconstitue le T.A.M.I. Show de 1964, out of sight, l’acteur qui fait Brown s’appelle Chadwick Boseman et s’en sort bien, avec sa veste à carreaux et ses pas de danse, Mashed Potatoes, semelles fluides, la main droite sur la nuque. Jag l’observe depuis la coulisse et va le copier. Enfin, essayer de le copier. Pauvre Jag.

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             Définir la Soul ? JB répond «can’t». Pour lui la Soul vient des coups durs. Extraordinary knocks. On en ressort a bit stronger. Abandonné à 4 ans. L’enfer du dirt poor. Cabane dans la forêt. Le père qui vire la mère et JB bambin qui fuit le dark dad dirt poor. Marche jusqu’à Augusta, en Georgie. Chante et danse pour des pièces. Toujours my shoeshine on my mind. Vol de fringues dans une bagnole. Ballon. Bobby Byrd lui demande combien il risque. 3 à 15 piges ! «For what ?». «Rob a suit !». «Rob a suit ?». Bobby le sort de là et se porte garant. JB part donc de double-triple zéro, et pourtant il est déjà très pointu : il vénère Louis Jordan - He could sing, he could dance, he could play blues, swing, bebop, the hip-hop of them times - Puis il cite Duke Ellington. Il cite aussi Little Richard et Frankie Lymon. Des modèles. Bobby Byrd a un groupe qui s’appelle The Famous Flames. Il propose à dirt poor JB un job de chanteur et l’héberge chez lui. La première chose que fait dirt poor JB, c’est de baiser la frangine de Bobby - I wanta get into it/ Man/ Like a/ Like a sex machine - Puis pendant l’entracte d’un show de Little Richard, JB et les Famous Flames montent sur scène, comme le veut la légende biopicale. JB va ensuite remplacer Little Richard pendant deux semaines dans un club. Débuts à l’arrache. Même plan pour Al Green au Texas. Tout se fait à l’arrache, chez les dirt poor.

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             C’est l’A&R blanc Ralph Bass de King Records qui signe JB. «Please Please Please». Big boss man Syd Nathan n’y pige rien. «Où est le reste de la chanson ? He said Please ! One word ! Gimme the song !» Heureusement, Ralph Bass a pigé. C’est Bass qui présente JB au blanc Ben Bart qui va devenir son manager. «Please Please Please» ? Hit mondial en 1963 - Oh please/ You can sleep another day/ My love  - Les blancs n’en reviennent pas. Suivi de «Try Me». Puis c’est l’Apollo d’Harlem, et Danny Ray, l’homme qui amène la cape. Il y a un Live At The Apollo dans chaque black house d’Amérique. Les DJs passent le Live en entier. I’ll Go Crazy ! Hundreds of shows around the black America - Maceo Parker ! 1964 ! Chevilles twisteuses et semelles glissantes, il refait les pas d’«Out Of Sight», on ne s’en lasse pas, il invente la Soul :

             — Ready Mister Byrd ?

             — Yes sir Mister Brown !

             — Are you ready for the night train ?

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             Night train ! - All aboard for night train - La folie pure ! JB danse la Saint-Guy avec ses trois choristes et fait le grand écart. JB demented ! Ah il faut le voir finir son T.A.M.I. avec «Please Please Please», la cape sur les épaules et s’écrouler avec le micro. Un dieu est né sous l’œil des caméras et les Stones assistent éberlués à l’heureux événement. Ils arrivent dans le show APRÈS JB, ils sont très pop. So ridiculous.

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             Ben Bart lance un nouveau concept : James Brown AND his Famous Flames, ses amis deviennent ses employés. Syd Nathan lui dit : «You’re the show. I’m the business.» JB voit les choses différemment : «Nous les blacks on est le show, you the white people keep the money.» Nouvelle incarnation du diable : le showbiz. The devil ! The white man. Mais JB ne craint ni la mort ni le diable. Il avance. Stay on the scene. Il rencontre Martha High en 1965. C’est lui qui la baptise High - I’ll call you Martha High - «Papa’s Got A Brand New Bag». JB invente le funk. Tout le monde danse. Maceo Parker passe des coups de sax demented. Jab’O Starks bat le beurre, 5 drummers on stage, the fantastic Mister Dynamite ! Get on down ! Fred Westley ! JB bosse comme une bête. Il aime la discipline. Et les fringues. Tout le monde s’habille. Il surveille même les fringues des choristes et de Martha. Ponctualité. Be positive. Pride. Il développe les valeurs du dirt poor. Quand Yvonne Fair monte dans le bus de tournée et que les mecs la sifflent, elle met tout de suite les choses au carré : «I’m Yvonne Fair ! I’m a singer !». Bon d’accord. Ils écrasent leur banane. JB arrive en 1966 devant les caméras de l’Ed Sullivan Show en dansant «Papa’s Got A Brand New Bag» - He ain’t no drag - Il a imposé la présence de son orchestre - You’re gonna see the James Brown show ! - James Meredith se fait buter, JB chante This is a man’s man’s world. Black Power ! Qui veut porter le message ? JB ! Il galvanise la foule à Jackson.

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             Soudain JB a une idée. Il demande à Pee Wee de l’écrire. Cold Sweat ! Pur funky stuff de 67 - Loose & tight at the same time. Jazz power ! Solo de Maceo Parker. Clyde Stubblefield, part man, part drum machine, le funk prend racine dans le jazz, dans la Soul et dans le Sex.

             Ben Bart casse sa pipe en bois en 1968. JB devient son propre manager. No friends.No close friends. Et Bobby Byrd ? JB n’a confiance en personne - Tu ne peux même pas faire confiance à ta mère. She left - He grew up with the idea you can’t trust anybody - Avec ses musiciens, il fait du biz - Je ne sais pas lire une partition, but I am the man - En avril 1968, le bon Doctor King promet the Promised Land et reçoit une balle dans le cou. Alors JB t’explique ce qu’est la Soul - Soul is when a man has to struggle all his life to be equal of another. Soul is when a man pays his tax and stay au second plan. Soul is when a man is not judged for what they do but for the colour they are - JB le dit avec ses mots de dirt poor. Il a sa grammaire funky. À Boston, il calme la foule qui menace de brûler la ville après l’exécution de Martin Luther King : «Je cirais les chaussures sur les marches d’une station de radio. Je gagnais 3 cents, 5 cents. C’est monté à 6. Now I own the radio station ! You know what that is ? That’s black power !» - I’m black and I’m proud !

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             JB à la télé, black dignity ! Say it loud ! I’m black and I’m proud ! Il enfonce son clou entre tes reins - Say it loud ! Change the dynamics of the United States ! Pur funk de petit homme noir. JB croit que si tu bosses dur, you can do it ! Il devient riche mais les Famous Flames se plaignent. Pas de blé pour eux. Juste le salaire. Que dalle pour les enregistrements. Les Famous Flames se mutinent. JB reste de marbre. Maceo Parker mène la fronde. Seul Bobby Byrd comprend que JB doit être on top. On doit tout à JB - Bobby explique à Maceo que JB a bossé dur pour être en haut de l’affiche et toi tu n’y arriveras pas. James is supposed to be in front, ça nous dépasse - The man’s a genius and he’s taken us with him - Les Famous Flames ramassent leurs cliques et leurs claques et se barrent - I never liked you - JB ne moufte pas. JB tout seul. Retour à triple zéro mais black and proud. Alors JB et Bobby Byrd qui lui est resté fidèle après la mutinerie ont un échange biopical historique :

             — Funk doesn’t quit.

             — There’s somuch’ it!

             — Are we done Mister Byrd ?

             — We’re done Mister Brown !

             — I think we got more funk in the trunk !

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             Alors JB envoie Bobby chercher Bootsy Collins et son frère Catfish qui jouent dans les Blackenizers à Cincinnati et lui dit de les ramener à Augusta. Avec Bootsy, ça vire encore plus funk - Gimme the one ! Every night - JB explose le Sex - Like a/ What ?/ Like a / What ?/ Like a sex machine ! Get up ! - JB réinvente JB. Hard funk - Get up/ Stay on the scene ! - Bootsy dit que Jab’O et Clyde must have been the funkiest drummers in the world. JB bat des bras en studio, Cold Sweat ! Jeu de jambes. C’mon ! Sur scène, c’est monstrueux. Laisse tomber les mots et danse - I’m black and I’m proud avec une énorme chorale de gosses black en studio. JB résume toute cette aventure vertigineuse d’une seule phrase : «I paid the cost to be the boss.» Même ça c’est un hit. Hit in the butt/ Stay on the scene !

    Signé : Cazengler, tête de broc

    Alex Gibney. Mr Dynamite. The Rise Of James Brown. DVD Universal 2015

    Tate Taylor. Get On Up. DVD Universal 2015

     

     

    L’avenir du rock

    - Obvious Jontavious

             Holaaa bijou ! L’avenir du rock arrête son cheval devant une vieille cabane branlante. Toc toc toc. La porte grince. Un vieux black squelettique apparaît. L’avenir du rock affiche son plus franc sourire :

             — Honk Tom, c’est bien ici ?

             — Yes sir Mister White.

             — Non, mon nom n’est pas Mister White, mais Mister avenir du rock.

             — Yes sir Mister White.

             — Non ! Je m’appelle Mister avenir du rock ! Vous êtes bouché ou quoi ?

             — Yes sir Mister White.

             — Bon alors je vais vous le dire en anglais : Mister future of the wock ! Vous voulez aussi que je vous le dise en Yoruba ?

             — Yes sir Mister White.

             — Ah vous êtes bien tel qu’on vous voit sur les boîtes de riz ! Je vous croyais plus évolué, plus conciliant, plus ouvert aux idées héritées du siècle des lumières et aux mutations sociales...

             — Yes sir Mister White.

             — Vous commencez sérieusement à me courir sur l’haricot ! Je me pointe chez vous, gentiment, dans l’idée de vous proposer une interview socio-éducative pour le compte du blog de mon ami Damie Chad, et voilà de quelle façon vous me recevez ? Comment osez-vous ? Ah je comprends mieux le Klu Klux Klan ! C’est pas simple de cohabiter avec des mecs comme vous !

             — Yes sir Mister White.

             — Si vous continuez à m’asticoter, je vais faire un malheur ! Faites gaffe, Honk Tom, j’ai les nerfs fragiles et le foie qu’est pas droit !

             — Yes sir Mister White.

             — Jontavieux schnoque !

             — No sir Mister White. Jontavious !

     

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             C’est ainsi, par le plus grand hasard, que l’avenir du rock a découvert Jontavious Willis. Il suffit parfois qu’une conversation dégénère pour occasionner une inexpectitude. L’avenir du rock adore ce genre d’inexpectitudes. Ce sont les meilleures. Elles craquent sous la dent.

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             Les temps changent. Autrefois, John Lennon chantait «Power To The People». De nos jours, on aurait presque envie de chanter «Power To Jontavious», surtout quand on l’a vu sur scène. Il annonce le retour des grands artistes. Pas d’amplis, pas de batteur, pas de rien : juste un pied de micro, une table de bistrot et sa gratte. Il a tout son petit matos dans la poche arrière de son gros falzar : le bottleneck et l’harmo. Voici quelques semaines, Jalen NGonda anticipait ce retour aux sources en se pointant tout seul au micro avec sa Ricken. Jontavious va encore plus loin dans la dépouille. Il n’a que sa gratte et son sharp gut de jeune black féru de blues.

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    Quand on le voit jouer, on comprend pourquoi on s’ennuie à l’écoute de son deuxième album : c’est un puriste. Il récrée l’enchantement des anciens princes du country blues, de Robert Johnson à Son House en passant par Blind Lemon Jefferson et Furry Lewis. Jontavious travaille dans la dentelle, mais avec une technique de jeu extrêmement rustique. Il fait un spectacle de son gratté de poux. Ce mec dispose de tous les talents, pas seulement celui d’un joueur exceptionnel. Il sait poser une voix qui est forte, il rythme son jeu en hochant la tête, et le plus important, il sait établir le contact avec son public, et ça, pour un jeune black sorti de Greenville, en Georgie, c’est un exploit. Il opère avec un mélange de candeur et d’humour qui finit par fasciner.

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    Il mobilise facilement le public, il demande aux petits culs blancs de faire le train - Ouuuh Ouuuh - alors les petits culs blancs font le train, oouuuh oouuuh ! Il raconte l’histoire d’une course entre deux trains, dont un Cannonball bien connu, et il rythme son train à coups d’harp. Il demande : Do we speed up ? La foule fait Ooohh oouuh ! Alors il passe à la vitesse supérieure, il bouffe son harmo, souffle de l’intérieur et gratte comme un démon. Il est tellement drôle et tellement vivant qu’il passe comme une lettre à la poste. Peu de gens sont capables de faire ce qu’il fait. Il balance à un moment une cover de «Milk Cow Blues» qui renvoie bien sûr à celle des North Mississippi All Stars, mais Jontavious a quelque chose en plus, une fluidité dans le feu de l’action qui fait la différence. Il file à cent à l’heure, mais avec des notes ailées. En l’écoutant faire le guignol, on réalise soudain que la milk cow, c’est une femme ! My milk cow’s gone ! Il s’amuse même à caler des petits medleys, Won’t You Be My Girl/ Stay on the Scene/ Like A Sex Machine, tout est gratté à la bonne franquette, il rigole souvent, il s’amuse beaucoup, il est content d’être là. Il doit très bien savoir qu’il sort de l’ordinaire.

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    Il adore les cuts expressionnistes, qui lui permettent de raconter des histoires, comme ce «Long Winded Woman», c’est-à-dire une pipelette, alors il mime la conversation téléphonique, blih blih blah blah, for hours, c’est elle qui blablate, Jontavious s’endort et se met à ronfler. Ça a l’air con, raconté comme ça, mais sur scène, ça marche, c’est même hilarant, car il orchestre tout sur sa gratte. Il est tellement doué qu’il réussit ce que peu de gens réussissent à faire : abattre les barrières de langage. Tout le monde le comprend et rigole à la moindre de ses vannes. Jontavious est une bête de scène.

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             Sa démarche est d’autant plus risquée qu’il tente de réhabiliter l’early country blues, celui, comme il dit, d’avant les guitares, quand il n’y avait que le chant. Et il y parvient, car il injecte tellement de vie dans son show qu’on finit par comprendre un élément fondamental : les vieux crabes du blues qui paraissent si «folkloriques» sur les albums, si conventionnels, devaient en fait être à l’image de Jontavious : seuls avec leurs grattes à l’entrée de plantations, ils offraient un spectacle aux ouvriers agricoles venus les voir pour se détendre. Et tous ces pionniers du country blues devaient forcément être bons, car ils gagnaient leur vie en jouant pour les plus pauvres parmi les pauvres, alors il fallait nécessairement qu’ils soient bon. Dans Deep Blues, Robert Palmer raconte l’incroyable histoire de la plantation Dockery, située au bord du fleuve, à Cleveland, Mississippi, un endroit où traîne, dans les années vingt, le plus légendaire de tous les bluesmen, Charley Patton. Même s’il est originaire de Georgie, tout le son de Jontavious vient de cet endroit, la plantation Dockery. Muddy, Charley Patton, mais aussi Pops Staples qui a grandi lui aussi sur la plantation Dockery, qu’il quitte à l’âge de 20 ans pour monter à Chicago - Charley Patton stayed at what we called the lower Dockery place and we stayed on the upper Dockery - C’est Charley qui pousse Pops à jouer de la guitare. Wolf traîne aussi à Dockery et c’est Charley Patton qui lui apprend à gratter la gratte, en 1929 - It was Patton who started me off playing - Wolf bourlingue aussi avec Robert Johnson et Rice Miller dans le milieu des années trente et prend en mains Johnny Shines et Floyd Jones. Jontavious recrée tout l’éclat de cette légende miraculeuse, celle des origines du blues. Voilà pourquoi il faut aller le voir jouer sur scène. Ce sera toujours mieux qu’Hollywood. Jontavious plante le décor et ton imagination fait tout le reste.

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             On ne perd pas son temps à écouter Spectacular Class, paru en 2019. Fantastique ouverture de bal avec «Low Down Ways» tapé au big heavy doom de lowdown, c’est violent et plus wild que le wild as fuck communément admis. Tu tombes de ta chaise ! Tell me baby ! Jontavious te balance dans la barbe le pire downhome boogie de l’histoire du downhome boogie, et c’est pas peu dire. On note la présence de Keb’ Mo’ on guitar. L’autre coup de génie de l’album s’appelle «Friend Zone Blues». Pareil, il tape ça au stomp, ça te résonne dans les tibias. Jontavious peut se montrer heavy. Le reste de l’album est beaucoup plus classique. C’est même très ancré dans le mud. Pas de surprise. «Daddys’ Dough» est plus primitif et donc plus intéressant. Jontavious nous fait le coup de la cabane sèche - Aw play for me - On le retrouve tout seul au bord du fleuve pour «Take Me To The Country» et il revient au heavy punk blues avec «Liquor». Classic mais avec le Jonta mood. Et cette belle aventure se termine au banjo avec «The World Is A Tangle». Ce pauvre Jonta essaye de réinventer la poudre et ça ne marche pas à tous les coups. Le buzz s’est fourré le doigt dans l’œil. Le Tangle déçoit un peu, on croit entendre Clapton.

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             Son premier album Blue Metamorphosis est très différent. On a pu miraculeusement le récupérer au merch. Sur Discogs, il est intouchable. Au dos, on y lit une dédicace déterminante, celle de Taj Mahal : «That’s my Wonderboy, the Wonderkind. He’s a great new voice of the 21st century in the acoustic blues. I just love the way he plays.» Nous aussi, on love the way he plays. Il attaque avec un heavy country blues, «Ancestor Blues», qui ne laisse pas la moindre chance au hasard mallarméen. Tout est dans le coup d’acou, tout est dans la racine des roots, il claque ses cordes, il gratte tout ce qu’il peut. C’est l’énergie ancestrale du gratté de poux. Il redore le blason en bois du country blues. Il te le couronne à sa façon, avec rien, ces mecs n’ont rien d’autre que leur talent et leur mémoire. Il chante son «Drunk Sunday» à l’accent tranchant et il te claque au passage le meilleur beignet de Georgie. Jontavious n’en finit plus d’aplatir son clou, il est rompu à tous les arts des racines, il tisse de la dentelle de Calais à n’en plus finir dans «Colombus GA Blues». Il sembler créer son monde à chaque cut, il gratte «I Just Want To Be Your Man» aux accords atonaux. Jontavious serait-il un démon ? Et puis voilà qu’avec «Tip Toe» arrive l’orchestre : batterie, basse, électricité dans la cabane. Alors c’est parti pour le big boogie blues de «Graveyard Shift Blues». Il s’enflamme. Son boogie blues vaut bien celui de Lazy Lester. Il tape «Can’t Get Of The Ground» au chant tranchant et il envoie «I Got A Janky Woman» rôtir en enfer. 

    Signé : Cazengler, Jontenvieux con

    Jontavious Willis. Le 106. Rouen (76). 17 mai 2023

    Jontavious Willis. Blue Metamorphosis. Not On label 2016

    Jontavious Willis. Spectacular Class. Kind Of Blue Music 2018

     

     

    Inside the goldmine

    - April skies

             On l’avait surnommée Lady Apron. Traduit de l’Anglais, apron signifie tablier. Quand elle cuisinait, elle passait un tablier. Lady Apron, ça sonnait mieux que Lady Tablier. Elle se trouvait là en tant que seconde épouse du géniteur. Cette femme maigre aux cheveux noirs de jais puait littéralement le sexe. Vraiment. Si tu restais trop longtemps dans ses parages, tu commençais à bander. Comme le géniteur l’avait débusquée dans un bar, elle ramenait avec elle ses mauvaises habitudes, notamment le petit double Ricard du matin, sec et sans glaçon, en cachette bien sûr. Mais sa démarche incertaine ne trompait pas. Elle était pétée du matin au soir, et ceux qui ont fréquenté des belles femmes soûles dans les bars savent de quoi il s’agit : l’accès est direct. Pas besoin de baratin. Elles s’offrent si facilement que tu en es choqué. Sois tu as une belle pente à la lubricité et tu y vas sans ciller, soit tu la rejettes, dégoûté par sa vulgarité. Lady Apron savait distribuer les indices. Toute la «famille» passait l’été dans une belle villa au bord de la mer. Lady Apron se baladait en bikini minimaliste et prenait un malin plaisir à faire claquer l’élastique du bas, révélant le temps d’une fraction de seconde le haut d’une touffe noire gigantesque. Ta copine de l’époque ne pouvait pas rivaliser. C’est là que naquit dans le référentiel libidinal la notion de brune incendiaire, qui allait par la suite donner prétexte à une sorte de quête du Graal. Pendant l’année scolaire, nous habitions une grande maison en lisière d’un bois. On la voyait s’y enfoncer plusieurs fois par jour. Soucieux d’éclaircir ce mystère, nous profitâmes d’un jour où elle était en ville pour aller fouiner dans les bois. L’explication ne se fit pas attendre : à environ cent mètres, les buissons étaient littéralement jonchés de petites bouteilles vides, ce qu’on appelait autrefois des flash. C’était son cimetière des éléphants. Des centaines de cadavres ! Une consommation industrielle. Comme elle n’avait pas de permis, elle descendait en ville sur un deux roues, une sorte de mobylette qu’on appelait alors un Caddy. Elle bombardait et grillait les feux. Jusqu’au jour où un 35 tonnes la cueillit au carrefour. On le retrouva coupée en deux dans le sens de la hauteur. Éjectée assez loin, la partie du bas, avec les cuisses ouvertes, dessinait une sorte de signature grotesque.

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             Lady Apron et April Stevens n’ont pas que la consonance en commun. Elles ont une certaine ressemblance et un certain sex appeal.

             Peu de gens se souviennent d’April Stevens. On se souvient plus facilement de Nino Tempo, son petit frère, qui fut un membre du Wrecking Crew et un bon pote de Totor. Comme elle vient de casser sa pipe en bois à l’âge canonique de 94 ans, nous allons nous fendre d’un petit hommage funéraire, fallacieux prétexte à ramener dans le rond du projecteur une poignée d’albums qu’il faut bien qualifier d’exceptionnels.

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             Deep Purple date de 1963 et tu peux y aller les yeux fermés. Nino attaque son morceau titre d’ouverture de balda au chat perché perverti, il sait travailler sa pop de sweet love et on voit April entrer dans le chou du cut au sexe pur. On sent qu’elle est du cul, il suffit de voir son décolleté sur la pochette. Avec «Paradise», ils font une heavy pop décadente, ils s’écroulent ensemble dans de la pop d’élévation subliminale, leurs lalalas déraillent complètement. Bon, la fin du balda est assez planplan et il faut attendre «(We’ll Always Be) Together» en B pour aller groover sous les draps avec April, elle est fabuleusement sensuelle, elle y va au until the day I die/ You & me together. La cerise sur le gâtö est l’«I’ve Been Carrying A Torch For You So Long That I Burned A Great Big Hole In My Heart» du bout de la B. Nino y fait son heavy cowboy, c’est son côté Gene Clark, il t’explose ça vite fait, à la wild LA motion. Il te cavale sur l’haricot, il t’entache les trompes d’Eustache, il t’envoie des renforts, il a du génie. Nino est un wild cat et il sort les griffes. 

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             Ils récidivent l’année suivante avec l’effarant Nino & April Sing The Great Songs. C’est là dessus que tu vas trouver une version faramineuse d’«Honeysuckle Rose». Ah ouuh ouuh ! Wall of sound direct ! Nino grimpe tout de suite là-haut - You’re my sugar - Il fait les Beatles dans le jazz d’Arthur Lee. Et derrière, tu as des killer guitars, le standard s’écroule dans le génie des guitares électriques ! L’album grouille de coups de génie, tiens voilà «Stardust», April l’amène et Nino vient le vriller au chant, il te yodelle ça à merveille.  C’est dingue d’entendre un mec aussi doué. Ça continue en B avec «Whispering» et «My Blue Heaven», Nino te caresse l’intellect, il faut en profiter car ça n’arrive pas souvent. Nino le héros a découvert un secret : comment swinguer le yodell au hard drive. Encore une merveille avec «I Surrender Dear», il chante à la langue pointue, il te suce la cervelle. Quoi qu’il fasse, il est bon. Il explose les conjectures. Il est certainement l’un des artistes les plus doués de son époque. Il te yodelle n’importe quelle carte postale et tu cours pleurer chez ta mère. Il faut aussi entendre April attaquer «Tea For Two» au big swing du bar de la plage. Mais avec du son. Nino te concocte la sauce des jours heureux avec un power considérable. Sa tarte à la crème est un modèle du genre. Ce mec navigue en père peinard sur la grand-mare de la magie. Tu te régales de sa pop en forme de pâte d’amande.  

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             Paru en 1966, Hey Baby! grouille de hits, à commencer par le morceau titre, archétype du hit sixties, doux et tendre, mais ce n’est pas tout : Nino s’en va  friser son yodell. Avec «Swing Me», ils sonnent comme Sonny & Cher. Des cuts comme «Poison Of Your Kiss» et «Teach Me Tiger-1965», en B, sont plus que tendancieux. Et Nino attaque l’«I Love How You Love Me» signé Mann & Weil aux cornemuses. Et puis on le voit aller yodeller au clair de la lune avec «Think Of You». Fantastique artiste !

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             D’une certaine façon, All Strung Out est l’album de la consécration. Tout est bien sur cet album, la pochette dans l’escalier, la cover du «Sunny» de Bobby Hebb, qu’April attaque en se fondant dans le groove - Sunny one so true/ I lo-ove you - Cover de rêve, dans l’extraordinaire tourbillon des orchestrations. L’autre stand-out track est le morceau titre, du pur jus de Totor à la Riopelle. Et puis «Follow Me» qui bascule comme une montage dans le lagon d’argent, une pop rock à la Monkees, Nino & April sont des stars énormes, April éclate le Follow Me comme une noix, elle mène le bal des Laze, ils groove si bien tous les deux. Tout est beau sur cet album. Ils font de la Beatlemania californienne avec «Out Of Nowhere» et leur «Wings Of Love» sonne comme un hit de Mickey Baker. On s’effare encore de ce «Can’t Go On Living (Without You Baby)» co-écrit avec Jerry Riopelle, c’est encore un coup de génie, une pop d’une puissance imparable. «Bye Bye Blues» sonne aussi comme une énormité, ils sont dans le flow du flux, avec de pure racines beatlemaniaques et de l’allure d’allant californien. Et «The Habit Of Loving You Baby» tape en plein dans le Wall of Sound. C’est du pur Totor. 

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             Si on ne veut pas s’encombrer des quatre albums, ou si les étagères sont déjà pleines, il reste une élégante solution, fournie comme d’habitude par Ace : la compile Hey Baby! The Nino Tempo & April Stevens Anthology parue en 2011, sur laquelle tu vas retrouver tous les coups de Jarnac épinglés plus haut, le swing vite fait de «Deep Puple» et April qui y ramène du sexe, le Wall of Sound d’«All Strung Out», Nino le héros chante ça dans le dur du Wall, «Sweet And Lovely», cut de white juke, et April qui fait sa Motown girl dans «Wanting You», ils restent dans le Totor sound avec «You’ll Be Needing Me Baby» et tu retrouves l’imparable «Honeysuckle Rose» du deuxième album, cut après cut, tu es effaré par l’incroyable vitalité de toute cette fast pop, ils tapent «Follow Me» au burning hell, c’est-à-dire aux heavy guitares californiennes, avec une terrifique incidence de la prescience, on se croirait presque chez les Byrds, alors tu comprends, ce n’est pas de la rigolade ! Ce démon de Nino le héros tord encore le cou de «Whispering», il te yodelle ça par-dessus la jambe, il est partout, il est complet, il est magique, un peu graveleux parfois mais si inventif ! Encore un hit de choc avec «Hey Baby». Tu ne sais pas ce qu’il fait Nino ? Il l’attaque à la sifflette ! - Hey baby/ I wanna know/ If you be my girl ! - Il bat tous les records de délicatesse. Il tape encore dans la prod de Totor avec «The Habit Of Lovin’ You Baby». Explosif ! Dès qu’on a du Wall, ça explose ! Avec «The Coldest Night Of The Year» signé Mann & Weil, tu as le duo d’enfer de tes rêves inavouables. Nono et April sont magnifiques. Elle swingue le groove de «Lovin’ Valentine». Ces deux énormes artistes te fracassent la pop contre le Wall of Sound. Avec son sourire de cannibale, Nino passerait presque pour un féroce entrepreneur. April tape «Teach Me Tiger» au sexe pur et le «Boys Town» qui suit est encore explosé contre le Wall of Sound. Le cut est si bon qu’on le suspectait à l’époque d’être signé Brian Wilson. Nino te swingue la pop dans les règles du lard californien : «I Can’t Go On Livin’ Baby Witout You» est vraiment digne de Brian Wilson. Si tu aimes la pop à la Totor ou à la Brian Wilson, c’est Nino qu’il te faut. Il tape chaque fois dans le mille. April se prélasse encore dans le sexe avec «Soft Warm Lips», mais pas le sexe à la mormoille d’aujourd’hui, le vrai sexe, celui d’April Stevens, hanté par des chœurs de ghoules et des warm lipsssss.

             Dans leur booklet bien dodu, Mick Patrick et Malcolm Haumgart nous rappellent qu’avant d’enregistrer leur premier album en 1963, Nino et April étaient déjà des vétérans de toutes les guerres. Nino avait déjà rencontré Totor à New York en 1961 et il était le joueur de sax attitré du grand Bobby Darin. C’est d’ailleurs là, en Darin session, qu’Ahmet Ertegun repère Nino. Et pouf Nino et April se retrouvent sur ATCO. Les choses vont vite à cette époque. C’est le grand tourbillon des grands artistes, des grands producteurs et des grands labels. Comme Nino les connaît bien, il fait venir les gens du Wrecking Crew et pouf tu as Glen Campbell, Darlene Love et les Blossoms en studio pour «Sweet And Lovely». Totor veut signer Nino et April sur son label Phillies, mais ils restent avec Ahmet. Les deux bookletteurs ne tarissent plus d’éloges sur le deuxième album, Nino & April Sing The Great Songs, «which in the breath of its inventiveness, remains an absolute joy to listen to.» C’est exactement ça : cet album est un bonheur à la réécoute. Quand Nino et April quittent ATCO, ils débarquent chez While Whale, le label des Turtles, et Nino se met à bosser avec le poulain de Totor, Jerry Riopelle. C’est Bones Howe qui produit All Strung Out. Si Nino va mal, son pote Totor le fait venir à Londres pour traîner un peu avec les Beatles. Pour le remercier, Nino viendra jouer plus tard sur les albums de Dion et de John Lennon que produit Totor. Nous sommes dans la cour des grands.  

    Signé : Cazengler, Nino way out

    April Stevens. Disparue le 18 avril 2023

    Nino Tempo & April Stevens. Deep Purple. ATCO Records 1963 

    Nino Tempo & April Stevens. Nino & April Sing The Great Songs. ATCO Records 1964 

    Nino Tempo & April Stevens. Hey Baby! ATCO Records 1966 

    Nino Tempo & April Stevens. All Strung Out. White Whale 1967

    Hey Baby! The Nino Tempo & April Stevens Anthology. Ace 2011

     

     

    Stills Little Fingers

    - Part Two

     

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             Et puis il y a l’épisode Manassas. Joe Lala se souvient du groupe comme d’une chemistry parfaite. Lala se souvient que les membres de Manassas prenaient leur pied à jouer ensemble. Il a raison, ça s’entend sur le premier album. On entend même Fred Neil sur «So Begins The Task». Ils font la pochette à la gare de Manassas, en Virginie, car Stills est un mec féru d’histoire, notamment celle de la Guerre de Sécession. Il récupère Dallas Taylor pour ce projet. 

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             Les quatre faces du Manassas paru en 1972 ont chacune un titre. L’A s’intitule ‘The Raven’. Tu es tout de suite happé par le heavy groove de «Song Of Love». Pas d’autre mot possible : happé ! Une vraie merveille de retenue. Sylish Stills assène ses coups de boutoir au chant de bénédiction. Aw comme ce mec peut être doué ! Il chante dans la clameur du backing. «Anyway» est plus exotique, mais brillant. Sylish Stills est dans son élément, il a du son et se noie au yes I am, il s’en sort et s’ébroue au ain’t no proof. Ça grouille de try again. Tu touches là au cœur du mythe de Sylish Stills, il y va au anyway yes I will et cette façon qu’il a de le tenir ! Avec «Both Of Us (Bound To Lose)», il ouvre un monde. Comme son copain Croz, il se lance à la conquête d’un idéal de beauté qu’il va d’ailleurs niaquer avec un solo. On voit ce démon basculer dans l’enfer de Copacabana en claquant un wild solo d’acier. Il gère aussi son «Rock & Roll Crazies» en direct. Pour lui, c’est du gâtö, il a le meilleur groupe d’Amérique, on les voit sur le quai de la gare, Sylish Stills a des percus historiques, on se croirait à Cuba. La B s’appelle ‘Wilderness’ et tu y croises un petit balladif incrédule, «She Begins The Task». Il sait calmer un jeu, surtout après les heavy duties de «Colorado». Il chante ça à la finesse extrême d’un chant chaud. Comme John Cale et d’autres, il sait créer son monde, il finit son Task dans un bouquet d’éclairs de beauté. On sent une nette tendance country sur cette B, son «Hide It So Deep» est infesté de violons de saloon. On trouve encore deux merveilles inexorables sur la C qui s’intitule ‘Consider’. Sylish Stills y opère un retour au groove d’entre-deux avec «Move Around», il nous ramène dans son monde d’excelsior de Maldoror, you just move around, le son te scintille aux oreilles. Puis il te met la cervelle en cloque avec «The Love Gangster», un heavy shuffle manassien, il y ramène un power surnaturel, il transforme ça en groove pharaonique, il y va au place to hide et ça wahte sec ! La D s’intitule ‘Rock’n’Roll Is Here To Stay’. On l’y sent plus que jamais déterminé à vaincre. Mais son «What To Do» est très noyé dans la masse. Il trousse ensuite son «Right Now» à la hussarde, mais ça reste classique, sans surprise. «The Treasure» dure trop longtemps, même si ça reste solide et que ça tient debout. Il termine au bord du fleuve avec «Blues Man», il te gratte ça sec, c’mon strong, il en a les épaules.

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             Le deuxième album de Manassas paraît l’année suivante et s’appelle Down The Road. En B, tu vas tomber sur un «City Junkies» de rêve, infesté de pianotis de Stonesy, avec des échos de «Let’s Spend The Night Together», c’est dire jusqu’où va se nicher l’excellence, Stylish Stills chante à la clameur unilatérale - New York city took my love away - La grande force de Manassas, c’est le heavy goove, comme le montre le morceau titre, lui aussi en B. Ah il sait de quoi il parle le Stills, le down the road, ça le connaît. Quelle classe ! C’est puissant, plein de coups de slide, avec une rythmique d’acier. Encore du heavy groove en ouverture de balda avec «Isn’t It About Time»,  c’est même une énormité cavalante, pur jus de Stylish Stills, il pleut des coups de slide dans tous les coins, avec derrière une bassline de Fuzzy Samuel en acier trempé et les congas de Joe Lala. Stylish Stills refait de l’exotica avec «Pensamiento», et en B, «Guaguando De Vero». Il est bon à ce petit jeu. Il a gardé une profonde nostalgie de Porto-Rico. Il crée encore l’événement avec «Business On The Street». Il a vraiment un sens inné du rock. Cette belle aventure s’achève avec «Rollin’ My Stone», un cut de fantastique allure monté sur un bassmatic offensif et joué à petites touches incendiaires.

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             Sur Illegal Stills, Stylish Stills fait une belle cover du «Loner» de Neil Young. Il l’embarque fantastiquement au big beat, c’est bardé de son, avec un solo qui coule comme une rivière de miel dans la vallée des plaisirs. Il t’embarque ça avec le panache que l’on sait. L’autre standout de l’album se planque en B et s’appelle «Closer To You». Stylish Stills l’attaque aux harmonies vocales de CS&N, avec des nappes d’orgue et de la dentelle de Calais d’acou, ce qui te donne au final une merveille inexorable. Ce mec joue comme un dieu, il est bon de le rappeler. Il fait son ouverture de balda avec une fantastique Soul de rock, «Buyin’ Time». Il donne encore une grande leçon d’entrain californien avec un «Midnight In Paris» chanté à plusieurs voix : Donnie Dacu, Volman & Kaylan des Turtles. Avec «Stateline Blues», il s’installe au bord du fleuve, comme le font tous les artistes complets. Stylish Stills est le roi de l’omniscience. Il termine cet excellent album avec «Circlin’» un heavy rock punchy qu’il harangue à la voix cassée. On ne se lasse pas d’entendre chanter ce rock’n’roll animal, il tient son Circlin’ par la barbichette, et derrière, ça joue terriblement. Wow ! Quelle belle authenticité de la cité, tu peux difficilement espérer plus complet, plus carré d’épaules, plus véracitaire et soudain, le solo fonce comme une prodigieuse anguille dans la purée des turbulences turgescentes !

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             La pochette de Thoroughfare Gap n’est pas jojo - Stills fait son jockey - mais l’album est bon. La viande se planque en B, et on y va tout de suite pour se régaler de «Norma Lleva». Il chante son exotica à la voix cassée, comme le font les puissants seigneurs de l’An Mil. Puis il vire carrément hendrixien avec «Lowdown». Il le prend encore à la voix cassée. Il pue le feeling à dix kilomètres à la ronde et son solo de wah est un hommage à Jimi Hendrix. Le coup du lapin, c’est sa cover de «Not Fade Away» : fantastique pulsion du bassmatic, et solo liquide, alors t’as qu’à voir ! Sur ses albums, ce mec fait ce qu’il veut. Il te groove encore «Can’t Get No Booty» jusqu’à l’oss de l’ass, c’est un prince du jambon, un seigneur des annales bissextiles, un empêcheur de dormir en rond. Il fait encore du groove avec «Midnight Rider», c’est comme toujours extrêmement agréable à écouter. Même chose pour «We Will Go On», un big balladif équipé d’un solo idoine. C’est tout simplement imparable. Encore un slow groove violonné dans le lard de la matière avec «Beaucoup Yumbo», solide comme un rock, doux et tendre comme une fesse peinte par Clovis Trouille.

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             La pochette de Right By You n’est pas non plus très jojo. Dommage car au dos on le voit assis sur un hors-bord de compétition. Comme beaucoup d’autres, il n’aura pas échappé au fucking diskö sound («Stranger», «No Problem»), mais le rock’n’roll animal fait vite son retour avec «Flaming Heart», un cut qui sent bon la heavy Stonesy. Le mec qui duette au chant avec Stylish Stills sur «Can I Let Go» s’appelle Mike Finnigan. Comme il l’a déjà fait, Stylish Stills reprend une compo de Neil Young, «Only Love Can Break Your Heart». Il termine en mode heavy blues avec «Right By Now». Quel drôle d’album ! Ça part mal et ça finit bien. À l’image de la pochette : recto pourri et verso génial. 

             Au plan personnel, Stills ne se confie pas beaucoup dans Change Partners: The Definitive Biography, mais quand il le fait, c’est toujours très intéressant : «J’ai perdu le goût du succès à l’été 1980. Je me suis noyé dans le whisky pendant dix ans. J’ai complètement raté les années 80. Le fait que John Lennon ait été abattu de façon aussi minable a été un traumatisme, et c’est là que j’ai perdu le goût du plaisir.»

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             Ce serait une grave erreur que de faire l’impasse sur Stills Alone. Pourquoi ? Parce que serait se priver de deux covers magiques. Pourquoi s’infliger une telle privation ? La vie n’est-elle pas déjà assez cruelle comme ça ? Il commence par taper l’«Everybody’s Talking» de Fred Neil. Il le prend heavy à l’édentée. Il est marrant. Sans les dents, c’est encore plus explosif d’only the shadows of their eyes. Il en fait une version tellement dégringolée qu’elle en devient géniale, tricotée aux notes de rattrapage. Il en fait une merveille de va-pas-bien, il lui reste un peu d’influx pour monter au going where the weather suits my clothes, et il retombe, raide mort comme Ratso, dans l’excelsior de la désaille. L’autre cover miraculeuse est celle du «Ballad Of Hollis Brown». Stylish Stills est dessus, dès l’outside of town. Il le joue au solo d’acier de génie pur - So hungry he’s forgetten how to smile - Il honore Dylan à coups de wild guitar. «In My Life» montre clairement que Stills Alone est un album allumé, raison pour laquelle il vaut cher. Son «Singin Call» est calmé du jeu. Il vaut mieux être calmé du jeu que mou de genou. Il passe au vieux country blues avec «Blind Fiddler Medley» d’I lost my eyes. Il est encore plus black que les blackos des plantations. C’est une bénédiction que d’être attiré par les grands artistes, car ils te donnent tout ce qu’ils ont, et le grand art est certainement ce qu’il existe plus précieux sur terre. Puis il passe en mode Brazil avec «Amazonia». C’est dire si Sylish Stills a du style.

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             On voit au graphisme de la pochette que Man Alive est fait avec les moyens du bord. Allez hop, un petit coup de filtre Photoshop sur le dessin d’une tête de Stills et c’est dans la poche. Sur «One Man Trouble», Sylish Stills sonne exactement comme Ray Charles. Il est en plein dans le trouble. Il s’en va percher son junkie de no way out à l’overdrive. C’est lui qui joue le bassmatic sur «Round The Bend». On assiste au grand retour du rock’n’roll animal. Voilà un classic rock hérissé de riff raff, il dicte sa loi, il est merveilleusement classique, il remplit son groove à ras-bord de grosses guitares. Encore du panache de rock’n’roll animal avec «Ain’t It Always». Il y va à son corps défendant. Il reste au sommet de son style. Il se paye le bassmatic sur toutes les pièces de choix («Around Us», «I Don’t Get It»). Encore du heavy groove avec un «Wounded World» qu’il allume bien au chant, et il nous emmène faire un tour en Louisiane avec «Acadienne». Il te chante ça comme un black. On entend chanter derrière les grenouilles de Monsieur Quintron. Il termine en Spanish avec «Spanish Suite», il pousse bien le bouchon de superstarisation, mais il le fait à l’artistique, comme Croz. Ces mecs n’ont jamais vendu leur cul. Stylish Stills gratte ses espagnolades, tu peux lui faire confiance. Il te groove ça sur fond de piano jazz et c’est effarant.  

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             En 2013, Stylish Stills monte Rides avec Barry Goldberg et Kenny Wayne Shepherd. On trouve une cover étonnante sur leur premier album, Can’t Get Enough : le «Search & Destroy» d’Iggy & The Stooges. Étonnant, mais pas surprenant de la part d’un tel rock’n’roll animal. Two three four ! Et c’est parti. La mouture est plus pure, mais ramonée au gonna save my soul. Stylish Stills préserve l’esprit stoogy avec un solo en forme de coulée de lave. Il faut vraiment écouter ça. L’autre grosse cover de l’album est le «Rockin’ In A Free World» de Neil Young. Quel hommage ! Stylish Stills en fait une cover heavy as hell. C’est surchargé de son. Deux cuts brillent comme des phares dans la nuit à cause des killer solos : «Don’t Want Lies» et «Honey Bee». Il chante son Lies à la vieille édentée, il y croit dur comme fer, il a fait ça toute sa vie. Son chant de raw à l’édentée est une authentique merveille, et pouf, ça part en virée de Strato, on ne sait pas qui, de Stills ou de Shepherd, alors on parie sur Stills. «Honey Bee» est un heavy blues, propice aux départs en vrille, idéal pour un vieux crabe comme Stills. Il te mène ça à la main de maître. En fait, tu écoutes cet album avec un immense respect. C’est la suite de Supersession. Stephen Stills tape toujours dans le haut de gamme. Il tape son «Roadhouse» d’ouverture de bal au boogie blues plombé dans la mesure. Stylish Stills abandonne le style pour le gut. Véronique a eu raison de planquer son petit cul rose : Stills est un barbare, à l’image du dirty solo trash, les deux Stratos dégoulinent de pus, ça flic-floque dans une mare de pus. Les deux Stratos torpillent aussi le «Word Game» de fin. Ah il faut les voir attaquer le donjon, c’est du wild rock d’échelle d’assaut. C’est âpre et taillé à la cocote sous-jacente.

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             Un joli bouchon de radiateur orne la pochette du deuxième album de Rides, Pierced Arrow. Comme rien n’est indiqué sur la pochette, on va creuser un peu sur le web et on apprend que the Pierce Silver Arrow est une bagnole de luxe fabriquée en 1933 à cinq exemplaires. L’album est excellent. Dès «Kick Out Of It», on retrouve notre rock’n’roll animal préféré. Il a grossi mais il est encore capable de violentes attaques. Il n’a rien perdu de son appétit pour le wild heavy rock. C’est son truc. Wild rider ! «Kick Out Of It» est une véritable énormité. Tu t’inclines respectueusement devant ce vieux Stylish Stills. Il n’a jamais cessé d’allumer la gueule du rock. Et ça continue avec «Riva Diva», il y va de bon cœur. Il n’a jamais triché. S’il doit rocker, il rocke. Il te gave de son jusqu’à la nausée. Il attaque «By My Side» au heavy blues des seventies et recrée l’ambiance de «Season of The Witch». Il maîtrise parfaitement la science des solutions imaginaires et passe un solo sous les fourches caudines. Il revient au big heavy rockalama avec un «Mr Policeman» fast and wild. On entend ici et là des jolis killer solos. Stylish Stills ou Kenny Wayne Shepherd ? Va-t-en savoir. Il tape son «Need Your Lovin’» au fast boogie blast, balayé par des tempêtes d’harp et des killer solos. Il redevient le white nigger que l’on sait avec «There Was A Place», il s’accroche à sa falaise de marbre bec et ongles, il chante à l’édentée, comme un vieux nègre éclairé de l’intérieur, et il enchaîne ça avec un gros clin d’œil à Big Dix, une cover de «My Babe» jouée au big easy de revienzy. Et ça continue comme ça jusqu’à la fin, au wild guitar flushing avec un Stylish Stills qui chante à l’éreintée, sa glotte n’en peut plus, elle ahane au bord du chemin. Il finit avec un «Take Of Some Insurance», il chante son heavy blues à la demi-syllabe. Il a tout compris, c’est le chant parfait du nègre qui a paumé ses dents, il traîne ses demi-syllabes dans la salive, c’est un vrai coup de génie.

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             Bon alors voilà le fameux Bread & Roses Festival qui coûte la peau des fesses. Belle pochette mais le track-listing est foireux car la cover d’«Everybody’s talkin’» listée en bout de balda est en fait en ouverture du bal de B des cochons. C’est même le coup de génie de l’album. Comment ont fait les mecs du label pour se vautrer ainsi ? Va-t-en savoir ! Bon bref, l’hommage à Fred Neil est fantastique, Stylish Stills le prend avec toute la finesse dont il est capable, c’est-à-dire une infinie finesse - I can’t see the faces/ Only the shadows of their eyes - Ce live qui date de 1978 est une belle panacée de coups d’acou. Stylish Stills est invité au festival de Mimi Farina. Il retape sa cover de «Not Fade Away» et la bat comme plâtre. Les coups d’acou pleuvent. On comprend que Croz ait pu être fasciné par Stills. Un Stylish Stills parfaitement capable d’espagnolades, comme le montre «One Moment At A Time», le voilà en plein Bandolina. Stills nous fait le coup du gratté de poux surnaturel. En B, il rend hommage au Colorado à coups d’Hey Colorado, et un violon vient l’accompagner sur «Jesus Gave Love Away For Free». En D, il tape un fantastique brouet de «Crossroads/You Can’t Catch Me». Il est tout seul, mais il donne l’impression d’une immense profusion, il gratte des millions de poux dans l’éclair de sa majesté. Il est bien le roi des coups d’acou. Il pince et gratte à n’en plus finir. Puis il va jammer son vieux «For What It’s Worth» à l’éperdue exponentielle - Stop what’s that sound/ Everyboy looks/ What’s going on !

             Stills avoue qu’il n’a jamais réussi à égaler ses premiers succès : «Mes premiers succès étaient passionnés. En Vieillissant, on devient plus carré, mais on perd la liberté. On devient moins créatif. On devient trop bon. On perd de vue ce qui est important. On régresse. C’est pourquoi j’admire tellement Bob Dylan. Il a réussi à ne jamais perdre de vue ce qui est important». Roberts cite à la suite Andrew Loog Oldham : «On s’est tellement coupé du monde à cause de la technologie qu’on finit par ne plus savoir écrire que sur soi-même. Où sont les nouveaux Sam Cooke et les nouveaux Stephen Stills ? Qui écrit aujourd’hui des chansons qui créent du lien, et quand bien même seraient-elles écrites, comment peut-on savoir qu’elles le sont ?».

    Signé : Cazengler, Stephen Chti

    Stephen Stills, Manassas. Manassas. Atlantic 1972

    Stephen Stills, Manassas. Down The Road. Atlantic 1973

    Stephen Stills. Illegal Stills. Columbia 1976

    Stephen Stills. Thoroughfare Gap. Columbia 1978

    Stephen Stills. Right By You. Atlantic 1984

    Stephen Stills. Stills Alone. Vision/Gold Hill 1991 

    Stephen Stills. Man Alive. Talking Elephant Records 2005

    Stephen Stills. Bread & Roses Festival. Klondike Records 2014

    Rides. Can’t Get Enough. Provogue 2013

    Rides. Pierced Arrow. 429 Records 2016

     

    *

    Voici quelques années j’avons rencontré à La Comedia Lionel Beyet et les Missiles of October, z’avaient tous les trois donné un super concert, un peu assourdissant pour les oreilles fragiles, mais son label P.O.G.O, Pour des Oreilles Grandes Ouvertes annonce la couleur. Nous avons à plusieurs reprises chroniqué de groupes de son label : Heckek & Jeckels, ILS, Jars, Discordense, Enola, le dernier à qui nous avons porté attention TROMA, était étiqueté P.O.G.O. 167, le temps a passé, huit nouveaux titres se sont ajoutés à la longue liste, mais celui qui nous a attiré avec son air crâne porte le label P.O.G.O. 168, preuve que nous avons de la suite dans les idées.

    ECHO : ONE

    GHOST:WHALE

    ( P.O.G.O. 168 / Juillet 2022)

    Lionel Beyet : bass, samples / Yves Wrankx : bass, samples / Vincent De Santos : drums.

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    Si vous n’êtes pas paléontologue fiez-vous au titre de l’opus : la pochette représente un crâne de baleine, et puisqu’elle a une belle rangée de canines à rendre fou de joie les dentistes nous hypothésons de cachalot. Ouvrez la pochette, le dessin est de Mr Lib, alias Lionel Beyet.  Magnifiques ces occiputs de cétacées métamorphosées en têtes chercheuses d’Hydre de Lerne ou en doigts effilés de mains inquisitrices.

    Charmantes petites bébêtes je vous l’accorde, mais vous ne pouvez pas trouver de plus gros indice quant au projet du groupe. Tout le monde a entendu un enregistrement de chants de baleines. Elles chantent certes, mais peut-être leur chant comporte-t-il des paroles, disons des messages, des signaux, bref un langage plus ou moins élaboré. Ghost : Whale ne chante pas, leurs morceaux sont instrumentaux, ils créent de la musique, pas de mélodie, ils cherchent des sons, ils trouvent des sonorités. A l’auditeur de les interpréter à sa guise, de donner signifiance à ce qui n’est, à ce qui ne se veut, ni kaos, ni ordre, tout au plus des structures qui se suffisent à elles-mêmes, une courbe sur une feuille de papier, la rotondité d’un caillou, le profil d’un nuage, des formes qui au-delà de leur concrétude rejoignent l’abstraction pure.

    Prononcez le mot baleine et nos esprits occidentaux se représentent Moby Dick la baleine blanche de Melville. Le japonais embrayera sur Bake Kujira, littéralement baleine-fantôme, qui serait apparue à des pêcheurs qui auraient tenté en vain de la harponner. Elle était blanche et les harpons la traversèrent sans la blesser, d’où l’idée d’un squelette de baleine, il devait rester quelques lambeaux de chair puisque la légende conte qu’elle était suivie par des centaines de poissons et d’oiseaux…

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    Fungushima : le mot évoque autant la catastrophe de Fukushima, tsunami sur une centrale nucléaire d’où par dérivation atomique Hiroshima, que les paysages cartes postales de rizières étagées sur les flancs des montagnes… n’oublions pas que les japonais sont les derniers grands chasseurs de baleines… : pourtant dans une interview Ghost :Whale ne revendique pas tous ces faits comme des préalables à la création de ce morceau, le processus aurait été inverse, le titre aurait procédé d’un son qui ressemblait au bruit émis par un compteur Geiger, détecteur de radioactivité, n’empêche qu’entendant cette piste sans avoir pris connaissance du titre, j’ai tout de suite pensé à une noria d’hélicoptères déversant du ciment, non pas sur le réacteur de Fukushima mais sur un barrage ariégeois qui avait besoin d’être consolidé alors que je me trouvais avec des enfants dans la coulée naturelle d’épanchement des eaux… comme quoi même sans mot les phénomènes sonores parlent la langue de celui qui les écoute. Ceci mis à part, grâce à l’excellence du batteur l’auditeur ne sera pas dépaysé, les bruits électroniques divers, les marteaux piqueurs et les avions fusées ne le gêneront pas, l’on n’est pas loin d’un morceau d’heavy metal, sans guitare certes, mais l’ensemble reste d’une facture conventionnelle. The other side : l’autre côté de rien du tout, l’est vrai que l’on est dans la suite directe du précédent, mais il y a des bruits frisotants qui s’adjugent la place d’une lead guitar, les deux basses jalouses ramènent bien leur jus noir et leur plancher d’ébène, mais Ghost : Whale trouve toujours l’oriflamme d’un bruit à rajouter par-dessus, un sample de quelques mots joue le rôle du vocal, et ça repart comme en quatorze avec des glissements de shrapnels étincelants. Terminus, tout le monde descend. Elephant’s walk : l’on attend la lourdeur du rythme, davantage inattendu ce bruit de tubulure, le saxophone de Bruno Margreth qui bientôt se met à barrir comme un éléphant, les basses jouent à l’élastique, le sax barrit Lindon et barrit chien-loup, il pulse rugueusement de l’air par les narines, les basses en profitent pour faire trembler le sol sous leurs pattes mastodontiques ( retour de la vieille harmonie imitative de la prosodie classique ), se remémorer la marche lourde des éléphants de Leconte de Lisle qui traversent les étendues sableuses ( c’est leur côté stoner rock du désert ), en tout cas plus ils s’éloignent plus ils font du bruit, faudrait une formule mathématique pour expliquer ce phénomène de suramplification lointaine. Maintenant c’est tout le troupeau qui barrit, les éléphants ça trompe magnifiquement, le sax culmine en un énorme gargouillement, j’espère qu’ils ont prévu une tente à oxygène pour les premiers secours car ce cracheur de poumons Margreth a donné tout ce qu’il avait et tout ce qu’il n’avait pas, une performance. Ces trois morceaux ne heurteront en rien les tympans des auditeurs tant soit peu habitués aux outrances du noise et à la froideur de la musique industrielle. Ghost Whale : Attention nous entrons dans le dur, un titre de vingt-sept minutes, pris sur le vif, un enregistrement en studio live, à la manière de leurs concerts : compteur Geiger, et souffles du vent sur la mer, le tambour entrechoque incessamment des épaves sur des brisants, ruissellement d’écumes, cris lointains d’oiseaux, changement de climat, nouvelle séquence, tambourinade effrénée, presque lyrique, moteur d’hydravion, l’on est parti pour une grande aventure, l’étrave des cymbales zèbre l’élément salé, jusqu’au bout du bout, cris inarticulés, est-ce un monstre marin ou une poulie de la voilure qui grince, l’on s’installe dans un ronronnement régulier, toujours ce bruit, ce cri d’on ne sait quoi, d’on ne sait qui, quelqu’un de l’équipage répare une tôle à coups de marteau, la cadence faiblit, les cymbales rament à mort pour redonner de l’énergie au mou, n’y parviennent pas trop, l’on traverse sans doute une zone sargassique, l’on pointe vers l’immobilité, le moteur glougloute, doit y avoir un problème à l’arrivée du kéro, une note claire mais comme écrasée, une imitation du sax de Bruno Margreth, ne barrit plus, joue à la trompette bouchée des jazzmen, l’est un canard qui essaie de nous coincouiner un solo d’anthologie, ne se débrouille pas mal, n’est pas Armstrong mais il a l’âme strong, en tout cas par miracle le moteur a repris de la force, n’est pas au maximum, il peine, mais il s’entête, le volatile essoufflé s’est tu ; le battement de l’hélice a pris sa place, l’on avance avec difficulté mais l’on avance, l’on traverse de grosses vagues moutonnières, la carène bruisse lourdement, difficulté de l’épreuve, victoire l’on a repris le bon rythme, pas de pointe, mais de croisière, la batterie hoquette, tout va très bien, le tambour des eaux retentit, pas le moment de se décourager au milieu de l’aventure, vingt mille lieues sur les mers et la migration de baleines en vue, l’on entend leur cris qui se perdent, non les revoici, elles ne nous échapperont plus, affûtez vos canons harpons, la mer se teintera de sang, entendez ces satanés animaux s’égosiller, que de criailleries pour mourir, un peu de dignité demoiselles, l’homme est un loup pour les baleines, les cachalots se cachent à l’eau mais on sait les repérer, du calme, pas le moment de s’énerver, l’on en profite pour relire Pawana de J. M. G. Le Clézio.  Tout va bien l’ombre noire de la mort pousse son chant du cygne. Vous aurez beau ôter ce sens l’on saura le retrouver. OneZeroOne : ce n’est pas une allusion au principe de base de nos ordinateurs mais l’indicatif d’appel de la police japonaise : rythme ternaire, ne vous affolez pas l’on vous écoute, répète le sample, ne quittez pas l’on s’occupe de vous, vous enclenchez une mécanique, ne vous étonnez pas si elle se met en place, les secours viennent à vous, nous allons vous remettre dans le droit chemin que vous avez perdu, c’est bellement hypnotique et rassurant, un peu comme le cobra du voisin surgi de la cuvette WC car il vient vous rendre une visite, ne vous quitte plus des yeux, big brother is watching you, le sample reprend, des bruits sur votre porte d’entrée que l’on est en train de forcer, ne vous affolez pas le cobra est un drone envoyé pour surveiller vos moindres gestes, attention il est capable de s’insinuer dans votre cerveau et de lire vos pensées les plus secrètes. Terriblement inquiétant, je vais composer le 101, on ne sait jamais, mieux vaut prévenir que guérir.

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             Une écoute – et même plusieurs - s’imposent, vous n’avez pas le temps de beyet aux corneilles, z’avez beau essayer d’y échapper, vous ne pouvez vous empêcher de penser aux baleines, la musique pure existe-t-elle, serait-elle produite industriellement par l’ Intelligence Artificielle, le Moby Dick de votre pensée n’en finit pas de tourner dans le bocal de votre boîte crânienne. Etrangement tout cela nous fait penser au débat sur la poésie pure dans le premier quart du vingtième siècle dans ce même moment où Luigi Russolo écrivait L’Art des Bruits.

    Damie Chad.

     

    *

    Ayez une attention cérémonieuse, Kr’tnt ! ne vous met pas en relation avec n’importe qui : des maîtres Yodas. Ne soyez ni stupides ni mécréants, gardez pour vous vos commentaires genre : ‘’ ça n’existe que dans les films !’’. Bien sûr que ça existe puisque nous en avons trois d’un seul coup à vous présenter. Ce sont des yodas musicaux, attention pas de petits yodas de pacotille sortis de l’œuf, non des grands Yoga, en toute simplicité ils se font appeler Tall Yogas. Ils assument leur grandeur, n’affirment-ils pas qu’à eux trois ils sont capables de jouer tous les styles de musique et de faire toutes choses comme le Roi Lézard !.C’est peut-être pour cela que sur Bandcamp ils les ont classés dans les artistes de rockabilly, car s’ils énumèrent une floppée de genres à leur portée pour le rockab ils emploient l’expression everything-billy, ce qui permet un maximum de latitude.

    Deux albums et un EP 3 titres à leur actif, voici leur dernier EP quatre titres. Sont originaires de Poznam en Pologne.

    YODS OF THE FATHERS

    TALL YODAS

    ( Axis Cactus Records / Mai 2023 )

    Krauter Yoda : Adam J. Kaufman ; bass, vocals / Yoda in dub : Hugo Kowicki ; drums / Surf Yodler : Patryk Lychota : guitar, electronics, recording and mix.

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    La couve accroche l’œil, ces extra-terrestres en costards -cravates sortis tout droit de la Défense s’appliquant à danser le stroll en groupe, à moins, osons le pire, qu’ils ne s’appliquassent à reproduire la chorégraphie d’une vidéo de Michael Jackson, nous plongent tout droit dans un univers foutraque. Pour en avoir une autre idée filez sur You Tube visionner l’Official Vidéo du deuxième morceau de l’opus.

    Sans doute le nom de cet EP est-il ironiquement en relation avec Father Yod le leader charismatique ( et tant soit peu érotique) de La Source Family une des organisations les plus secrètes du New Age hippie.

    Captain pavement : tintements qui vous percent les oreilles, une basse qui fait de la gymnastique et une voix grave et moqueuse qui vous mènerait au bout du monde. Une guitare qui pianote forte. Un souffle de nostalgie, et tout s’embrouille un pont instrumental hyper sixties, ruptures clinquantes, un représentant de commerce vous fait l’article. Il est temps de vous réveiller c’est le matin, tubulures blues. Un voyage dans la musique rock du temps de l’insouciance à l’époque des brûlures. Wrists : ( Patryk Lichota : scénario, direction, caméra / chorégraphie : Monica & Hubert : Winczyk / Producteur : Yu Andriichuk ) : un slow sixties, enfin un slow rapide, de la réverbe oui, une voix un peu à la Johnny Cash, mais beaucoup moins mâle et posée, disons pas du tout le même individu, la même génération, moins de sérieux et un peu plus de frivole insouciance dans la dégaine, musicalement c’est vraiment bien foutu, mais la vidéo vaut le détour. Totalement déjantée. Ce n’est rien, un truc risible, au tout début vous n’y croyez pas une seconde, même si l’on vous a appris que la vérité sort du puits. De fait une simple parabole sur le désir. Un scénario kitsch, des acteurs improbables, tiens est-ce un sorcier ou une sorcière, ne soulevez pas des questions de ce genre, est-ce important ? Entre cirque et danse, entre fausse peur et magie, superbes mouvements de caméras et mine de rien une chorégraphie subtilement mise en place. Baiser final, âpre et romantique. Non ce n’est pas la dernière scène. Ce coup-ci on vous porte la vérité sur un plateau. Une des vidéos les plus rafraîchissantes que je n’aie jamais vue. Yods of the fathers : menuet sauvage, tambourinade effrénée, la musique fonce sur vous comme une torpédo rouge, une fanfare vous applaudit, vous avez aussi intérêt à éviter la suivante, le speaker dans son micro commente vos efforts, toute la cavalcade du cirque défile sur votre cadavre. Quand c’est fini, vous vous relevez en courant pour rejouer la scène depuis le début. Folie meurtrière des premiers films en noir et blanc sans paroles.

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    Etrange et captivant. Je reviendrai sur eux prochainement. A tout hasard, j’ai cherché sur FB, z’en ont un avec seulement quatre photos… Dernier détail qui me réjouit, ne sont pas présentés en tant que page  musicien / groupe mais en tant que  art du spectacle. Cirque, hurlez, il y a encore à voir.

    Damie Chad.

     

    *

    Thulcandra, groupe germanique de black and death  metal melodic vient de sortir son dernier album Hail on the Abyss. Nous ne l’écouterons pas cette fois. Nous le regarderons. Lui et ses prédécesseurs.

    Cette manière de faire peut paraître bizarre mais qui n’a jamais acheté un album totalement inconnu, dont on ignore tout, uniquement à cause de la pochette.

    IMAGERIE THULCANDRIENNE

    ( I : Descriptif )

    A proprement parler ce n’est pas le style de la pochette, ce qui ne signifie pas que je n’apprécie pas, de Hail on the Abyss qui a motivé cette chronique mais l’unité de ton de toutes les couvertures du groupe, manifestement derrière ce choix se cache l’idée que Thulcandra ne se contente pas d’enregistrer des disques les uns à la suite des autres, mais exprime ainsi la volonté explicite de créer une œuvre.

    Incidemment une manière aussi d’interroger le fonctionnement de notre blogue qui consiste à accoler systématiquement la pochette des disques au-dessus des paragraphes par lesquels nous rendons compte de leur contenu. Mais ceci est une autre histoire que nous développerons ultérieurement.

    Pour la petite histoire le nom de Thulcandra proviendrait d’un roman de C.S. Lewis intitulé Au-delà de la Planète Silencieuse ou Le Silence de la Terre, que je n’ai pas lu, auteur du Monde de Narnia, (un peu gnangnan) et détail beaucoup plus intéressant : ami de Tolkien.

    FALLEN ANGEL’S DOMINION

    Kristian Valhin The Necrolord (2010)

    Un simple coup d’œil aux cinq couves suffit pour en saisir l’unité thématique et picturale, elles ne sont pas pourtant du même artiste. Les trois premières sont signées de Kristian Valhin The Necrolord, agréable surnom qui fleure bon les vieux caveaux ensevelis au fond des cimetières désertés.

    Un tour sur l’Instagram de Valhin est sidérant, il a produit plus de deux cents covers pour des albums de Metal. Une deuxième constatation s’impose, il use souvent de cette couleur bleue si particulière, naïvement nous avions cru que l’illustrateur avait tenu compte des desiderata du groupe, apparemment il n’en n’est rien, c’est l’artiste qui a imposé sa griffe.

    Plus qu’un amateur de metal, il joue de plusieurs instruments, guitares, batterie, vocal, il a fondé ou participé à plusieurs groupes : Grotesque, Liers in Wait, Diabolique, Decollation, The Great Deceiver…

    Au terme des deux paragraphes précédents il serait facile de le stigmatiser comme un être qui abuse d’une démarche stéréotypique, et d’un naturel instable, alors qu’il est un véritable créateur et un chercheur au sens plein de ces deux derniers mots. L’on comprendra mieux sa démarche en citant quelques peintres qui l’ont guidé vers une certaine vision de l’univers : Gaspard David Friedrich, Albert Dürer, Hieronymus Bosch, son regard est enté sur cette période ultra-florissante qui court, parfois souterrainement, de la Renaissance au Romantisme. Une esthétique dont le mot d’ordre pourrait être de porter son regard au-delà de la réalité afin d’entrer en relation avec les archétypes du Rêve, celui-ci étant à la fois l’instant où l’Homme pense le monde autant que le monde pense l’Homme. 

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             Une image inversée du paradis. L’hiver et pas le printemps. La Vita Nova de Dante remplacée par les cercles de l’Enfer de la Divine Comédie. L’arbre au premier plan étend ses branches dénudées. Les brebis innocentes n’ont plus d’herbe tendre à paître. Au fond l’entrée des Enfers. Parodie virgilienne, ce n’est plus Tytire gardant son troupeau tout en modulant sur son pipeau à l’ombre fraîche des ramures ondoyantes, c’est la Mort qui joue de la flûte. Elle s’amuse à imiter le joueur de flûte de Hamelin. Le titre est sans équivoque tout le monde répondra à l’appel de l’Ange déchu. Pensons aux premiers vers de la première Elégie de Rilke : ‘’Qui donc, si je criais, parmi les anges m’entendrait’’

    UNDER A FROZEN SUN

    Kristian Valhin The Necrolord (2011)

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    Elle ne joue plus de son pipeau, elle le brandit tel sceptre. Déguisée en victoire de Samothrace. L’empire du monde est sous son emprise, elle domine les eaux et les montagnes sont le dossier de son trône. Elle a l’air de vaticiner mais elle ne dit rien, le monde est enseveli sous les frimas et les tourbillons de neige.  De sa posture se dégage une terrible impression de solitude. Sur quoi, sur qui peut-elle régner si les hommes et le monde sont morts.

    ASCENSION LOST

    Kristian Valhin The Necrolord (2015)

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    Elle n’est plus qu’une vieille femme accrochée à sa faux, elle regarde le chemin, elle sait qu’elle ne le reprendra pas. Autour d’elle des débris du monde dont elle a précipité la destruction. Ces trois images se lisent comme une bande dessinée. Le chemin ne monte pas, l’ange n’est pas tombé de très haut, il est juste tombé de lui-même. La mort est un phénomène naturel qui dort en nous et que nous réveillons peut-être à notre insu, peut-être que nous la désirons secrètement. Dès lors elle est notre prisonnière et nous sommes sa prison. C’est peut-être parce que l’on a crié trop fort que l’Ange est tombé. Tout appel ne provoque-t-il pas une réponse ?

    A DIYING WHISH

    Herbert Lochner (2021)

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             J’ai eu beau chercher je n’ai pratiquement rien trouvé sur Herbert Lockner à part deux autres couvertures de CD, d’un style qui s’apparente beaucoup aux dessins en blanc et noir des mangas, à tel point que je me suis demandé si ce n’est pas un pseudonyme, voire un hétéronyme de Kristian Valhin. En tout cas ce qui est certain c’est que cette quatrième couverture s’inspire des trois premières, à part peut-être le gros plan sur la tête très expressive de la Belle Dame sans Merci avec qui John Keats a échangé un baiser un peu plus prématurément qu’il ne l’eût espéré dans sa courte vie. 

             La mort ricane de toutes ses dents, au moins a-t-elle l’humour de rire d’elle-même, elle s’est prise à son propre jeu. Maintenant que l’univers est entré en glaciation c’est à son tour de subir les rigueurs mortellement climatiques de sa puissance. La mort est-elle morte, cramponnée sur sa faulx en ultime et vaine crispation instinctive de défense. Est-ce pour cela qu’elle a perdu son statut appelatif, qu’elle n’est plus désormais qu’une sorcière, presque une apprentie dukassienne qui s’est emmêlé les pieds dans sa pratique. 

    HAIL THE ABYSS

    Herbert Lochner (2023)

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             L’image précédente nous laissait dans l’expectative, si le monde est mort enseveli sous les froidures incapacitantes de la morsure de la Mort, la Mort peut-elle survivre. S’en tirera-t-elle, ou sera-t-elle par un miracle illogique tirée de sa léthargie, reverra-t-on le printemps et les douces fleurettes ? La réponse est catégorique. Certes elle apparaît vivante, montée sur une sombre monture, tel un des quatre cavaliers de l’Apocalypse, prête à semer la désolation aux quatre coins de l’univers. Le titre de l’album, nous indique une autre réponse. Manoeuvrant son fier destrier noir, elle n’est pas lancée dans un galop dévastateur sur la terre, au contraire elle passe l’entrée d’une bouche d’ombre grand-ouverte, autrement dit la Mort s’enfonce en elle-même, elle chevauche les abysses sans fond intérieurs. L’Ange Déchu n’en finit pas de tomber. Elle a touché le sol de la planète terre, elle croyait transformer cet espace géographie en un royaume absolu, ce n’était qu’un palier, il lui reste à parcourir ses propres abîmes infinis. Il lui semble, elle croit, qu’elle trouvera au bout de son chemin, un sol fondateur et asilique, elle caracole fièrement au-dessus de l’abîme, qu’en sera-t-il. Nous attendons la suite de cette metallique saga métaphysique.

    Damie Chad.

     

     *

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 27 ( Mélioratif  ) :

    162

    Le Chef dépose négligemment son Rafalos sur le bureau pour allumer un cigare. Le gars se prend pour un westerner, vif comme l’éclair il se saisit du Rafalos et le braque sur le Chef :

              _ Ah ! Ah ! On va voir maintenant qui est le Chef !

    Il s’est levé et semble tout fier de lui. Et tout à coup il hurle et se baisse vivement, dans sa précipitation il laisse tomber le Rafalos, l’a besoin de ses deux mains pour les plaquer sur ses mollets sous lesquels se forme une petite marre de sang.

             _ Désolé, mais c’est encore moi le Chef, entre nous soit dit que j’ai horreur d’être dérangé lorsque j’allume un Coronado, Agent Chad au lieu de vous marrer comme une baleine franche, expliquez à notre nouvel ami pourquoi vous ne pouvez plus arrêter de rire.

              _ Ce sont mes chiens qui vous ont mordu cher Monsieur, deux bêtes adorables mais dans la voiture vous les avez traités de sales clebs, question honneur ils sont un peu chatouilleux ! Si vous êtes sage, ils ne recommenceront pas.

    Molossito et Molossa qui grognent n’ont pas l’air de cet avis, le Chef reprend la parole :

              _ Je vous félicite pour votre esprit d’initiative, toutefois si je peux me permettre un petit conseil, sachez que chez les agents secrets on tire d’abord, on parle ensuite. Ah, une remarque salutaire quand vous vous emparez d’une arme, vérifiez d’abord que son propriétaire ne l’ait pas, ne serait-ce que par mégarde, privée de son chargeur. Maintenant si vous vous abstenez de toute incartade pendant que je savoure ce Coronado, nous reprendrons cette conversation dès que j’aurai achevé le suivant.

    163

    Durant cet intervalle que je qualifierai de psychologique, le Chef ne tire que de petites bouffées très espacées, j’examine le zèbre, n’a pas l’air content, il boude, il ronge son frein, il fulmine, un cadre habitué à être obéi, sûr de lui, arrogant. Mon analyse est confirmée, à peine le Chef a-t-il craqué une allumette pour allumer son Coronado qu’il passe à l’attaque :

              _ Vous ferez moins les malins, je vous ai reconnus, facile avec vos deux bâtards, sont connus comme le loup blanc -Molossa et Molossito se regardent hésitants, doivent-ils le mordre pour le punir de ses propos attentatoires à l’encontre de leur pédigré ou lui pardonner pour les avoir comparés à un loup – le Service Secret du Rock ‘n’roll n’en a plus pour longtemps, dès demain matin dans le bureau du Président nous mettrons fin à son existence et déciderons de liquider ses agents !

    L’est tout content de ses propos à croire qu’il a inventé le fil à équeuter les haricots verts. Rabaisse vite son caquet après la réponse du Chef :

    • Nous vous remercions de bien vouloir vous soucier de notre avenir, mais Monsieur le Conseiller Principal du Président, c’est justement pour avoir un rendez-vous avec Monsieur le Président que nous vous avons un tant soit peu kidnappé, je pense que nous avons à discuter, en toute quiétude, au calme, dans un endroit secret, par exemple ici, dans mon bureau, si par hasard il acceptait je lui offrirais un Coronado, c’est dire si je tiens à cette rencontre ! Au plus vite, d’ici dix minutes.
    • Mais vous êtes fou, penser que le Président de la République acceptera, jamais de la vie ! Avec des assassins, qui avez tué mes deux gardes du corps, vous n’y pensez pas !
    • Parlons un peu sérieusement, je suis très peiné des deux gorilles échappés du zoo de Vincennes, mais ces macaques au front bas ne connaissent que la violence, nous avons dû pour des besoins de salubrité publique les euthanasier.

    Très cérémonieusement j’interviens dans la conversation :

              _ Excusez-moi Cher Monsieur, je vous rends votre téléphone, que vous avez laissé tomber lorsque Molossa et Molossito se sont laissé aller à de coupables atavismes, non pas votre portable personnel, l’autre la ligne directe avec le Président.

              _ Agent Cad j’espère que vous n’avez pas profité de cette ligne gratuite pour téléphoner à votre petite amie aux Etats-Unis ?

              _ J’ai juste passé un coup de fil au Président pour lui demander de venir nous rendre une petite visite, sans quoi il ne reverrait jamais son Conseiller Principal.

              _ Vous racontez n’importe quoi !

              _ Pas du tout, il m’a dit qu’il arrivait dans dix minutes, il s’est écoulé exactement neuf minutes cinquante secondes depuis la fin de notre conversation, un, deux, trois, quatre, cinq !

    Toc ! Toc Toc ! Avec diligence je me précipitai pour ouvrir.

    164

    Le Président était furax. Sans perdre une nano-seconde il apostropha vivement Monsieur le Conseiller Principal :

              _ Espèce de bâtard – Molossa et Molossito applaudirent vigoureusement de la queue – j’avais dit top secret, et vous venez vous jeter tout droit dans la gueule du loup – Molossa et Molossito ne purent retenir un ouaf de triomphe – le plan était parfait et par votre faute nous voici dans un beau pétrin !

             _ Monsieur le Président, je n’y suis pour rien, je n’ai pas dit un seul mot et je ne sais comment ils ont pu faire le lien !

    Le Conseillé n’a pas mal joué, l’a dirigé la foudre présidentielle sur nous. Le Président aussi furibard qu’un malabar se tourne vers le Chef :

    • Vous ne l’emporterez pas au paradis, je suis entré seul, mais sur toutes les marches de l’escalier il y a trois agents du GIGN qui s’occuperont de vous après cet entretien, vous voulez savoir, c’est très bien vous emporterez le secret dans la tombe !

    Le Chef allume un Coronado :

    • Monsieur le Président faites-nous l’honneur de prendre place sur une de nos modestes chaises, vous n’ignorez pas combien les services de l’Etat ne disposent que de fonds bien maigres, puisque vous êtes prêt à discuter causons !

    165

    Le Président s’est assis, il délègue la parole à son Conseiller Principal. Lequel se lève en nous adressant un sourire condescendant

              _ Vous n’ignorez pas que le Ministre de l’Intérieur, est aussi en charge du Bureau Central du Culte, voici quelques mois il nous a fait parvenir un rapport inquiétant. Depuis une dizaine d’années les plaintes s’accumulent. Beaucoup de prêtres s’indignent du fait de ne pouvoir exercer leur ministère dans les cimetières. En effet alors qu’ils essaient d’apporter aide morale et consolations aux familles et aux amis des morts, leur propos sont troublés par des musiques tonitruantes.

    Le Conseiller nous adresse un sourire de carnassier :

              _ Nous vous ferons remarquer qu’au niveau des dates nous nous trouvons face à une troublante concordance. C’est depuis dix ans que la génération des rockers commence à passer l’arme à gauche. Pourraient le faire en toute tranquillité, demander à ce que l’assistance fasse un moment de recueillement et de silence. Mais non exigent que leurs familles ou leurs proches passent leurs disques préférés : pour ce faire ils emmènent de préférence un gros ampli et passent en boucle des égosillements de sauvages, souvent des chanteurs noirs, que voulez-vous les familles chrétiennes supportent mal de se séparer d’un parent alors que dans la tombe à côté défilent des titres de Little Richard, de Gene Vincent, de Chuck Berry, d’Elvis Presley, de Bo Diddley, d’Eddie Cochran, qui recouvrent de leurs hurlements de peaux-rouges ivres de sang sur le sentier de la guerre les pieux cantiques modestement fredonnés par de simples âmes éplorées. Cette situation ne faisant qu’empirer, nous avons décidé d’y remédier.  J’espère Messieurs que vous serez en accord avec nous. Tout le monde a le droit de reposer en paix !

    Le Chef allume un Coronado avant de répondre.

              _ J’admets volontiers que les rockers forment un groupe social qui puisse être qualifié, de temps à autre, de bruyant, mais je ne vois pas où est le problème. Nous aussi nous recevons dans notre service bien des plaintes de familles insatisfaites d’avoir dû baisser le volume sonore du dernier adieu adressé à leurs compagnes ou compagnons, sur la pression de prêtres qui de leur côté entonnent des kyrielles d’hymnes insipides en chantant faux. Toutefois sous vos propos je subodore un-je-ne-sais-quoi, pour reprendre la formule d’un penseur chrétien contemporain, de beaucoup plus grave.

    A suivre.