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CHRONIQUES DE POURPRE

  • CHRONIQUES DE POURPRE 688 : KR'TNT ! 688 : ALICIA F / ELVIS PRESLEY / A PLACE TO BURY STRANGERS / DEAN WAREHAM / TYRONE DAVIS / BLAINE BALEY / CONTINUUM

     

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 688

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    01 / 05 / 2025

     

    ALICIA F / ELVIS PRESLEY

    A PLACE TO BURY STRANGERS

    DEAN WAREHAM / TYRONE DAVIS

    BLAINE BAILEY / CONTINUUM

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 688

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    L’avenir du rock

    - Alicia au pays des merveilles

    (Part Two)

             C’est par pure anglophilie que l’avenir du rock lia voici vingt ans son destin à celui d’une Anglaise. Comme elle avait grandi en France, elle parlait très bien le français et ne conservait de ses racines qu’un léger accent, à l’opposé de Jane Birkin. Elle était en plus physiquement parfaite, auréolée d’une crinière châtain clair, et le délicieux ovale de son visage était comme serti d’yeux d’un bleu tellement clair qu’il semblait transparent. L’avenir du rock adorait se noyer dans son regard. Comme en plus elle vivait de son intelligence littéraire, elle ne fit aucune opposition à ce qu’on la surnommât Baby Brain. Elle avait encore de la famille à Cannes et dans le Kent. Les voyages étaient donc fréquents. Étant tous deux stériles, Baby Brain et l’avenir du rock se virent contraints d’adopter des animaux. Elle ramena un jour un beau lapin blanc aux yeux roses, vêtu d’une redingote et d’un chapeau claque. L’animal sortait continuellement sa montre à gousset et s’écriait : «I’m late! I’m late!», ce qui amusait beaucoup l’avenir du rock. Celui-ci finit par baptiser l’étrange animal White Rabbit en hommage à l’Airplane. Un autre jour, Baby Brain ramena un chat grimaçant qu’elle appelait the Cheshire Cat. L’avenir du rock ne l’aimait pas trop, mais Baby Brain eut raison de ses réticences en lui expliquant que le Cheshire Cat avait appartenu à la Duchesse...

             — Norma-Jean Wofford ?

             — Yeah ! Diddy Wah Diddy !

             Et ils se mirent à jerker sur le Diddley Beat avec le lapin blanc et le Cheshire Cat dans leur grande et belle maison située sur le bord du fleuve. Baby Brain ramena ensuite d’autres animaux, toujours plus fantastiques, Bill the Lizard, que l’avenir du rock baptisa Lizard King en hommage à Jimbo, puis elle lui présenta un curieux animal en forme de canard, aussi haut qu’elle, brandissant une canne à pommeau et doté d’un bec singulièrement tarabiscoté. L’avenir du rock s’interloqua :

             — Bon, là Baby Brain, tu dérailles... C’est quoi ce machin-là ?

             — Un dodo !

             — Bon d’accord, mais il sort d’où ton dodo ?

             — D’Alice au Pays des Merveilles !

             — Désolé Baby Brain, je préfère Alicia au Pays des Merveilles.

     

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             C’était pas gagné : jouer dans un pub irlando-caennais un soir de match de foot, voilà qui ressemblait à un pari perdu d’avance. L’endroit est une sorte de long couloir large d’environ dix mètres, avec au fond, le bar et la fucking télé murale, et au milieu, t’as une petite scène qui avec sa rambarde, prend des allures de pont de bateau. Tu y accèdes par quelques marches. C’est là sur cette petite scène qu’Alicia, Tony Marlow, Amine et Gérald vont pendant trois fois une heure batailler avec la pire des indifférences. Deux univers qui se côtoient mais ne se croisent pas. Et pourtant, sur scène, ça joue !

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             Bien sûr, les gens ne savent pas qui est Tony Marlow. Une poignée d’amis de Tony sont venus assister au show et c’est cette poignée de gens qui va constituer le public du groupe. Dommage, car le groupe dégage une énergie considérable et taille bien sa route, les cuts sont fantastiquement en place, ça démarre en trombe avec les Ramones, puis ça passera par les Runaways, Alice Cooper, Black Sabbath, le Fought The Law des Clash, et même le «Wanna Be Your Dog» des Stooges dans le troisième set, mais attention, leur version tape en plein dans l’œil du cyclope, car Tony y prend un solo incroyablement original, complètement stoogé dans l’essence, et Gérald claque lui aussi un break-beat de powerhouse à faire baver d’envie Scott ‘Rock Action’ Asheton. Ce «Wanna Be Your Dog» spectaculaire couronne un set riche en grosses surprises.

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             Alicia mène bien la meute. Elle sort tout le chien de sa chienne pour driver ce groupe qui tourne comme une Rolls. Eh oui, Gérald battait le beurre dans les Jones et tous ceux qui ont vu Tony Marlow sur scène connaissent Amine, le slappeur fou. Et tous les ceusses qui connaissent ses albums savent que Tony Marlow compte parmi les meilleurs guitaristes de rock/rockab contemporains.

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             Alicia ramène un sucre de Soul dans sa voix qui renvoie à celui de Ronnie Spector ou de Diana Ross au temps des Supremes, autant dire que ça swingue merveilleusement. Mais elle opte plus pour les classiques glam et punk. C’est elle nous dit Tony qui choisit les cuts. Elle va injecter son énergie punk aux trois sets sans jamais baisser de régime. Quand arrive le troisième set, le match de foot est fini et le groupe récupère quelques spectateurs supplémentaires. Alors, le groupe tire l’overdrive, avec notamment cet hommage à Marc Z, «Skydog Forever», monté sur un riff de Tony qu’il faut bien qualifier de diabolique. Cet hommage se trouve d’ailleurs sur le premier album d’Alicia, Welcome To My F... World. Ça sonne comme un classique. Alicia pousse le bouchon Skydog assez loin, puisqu’elle s’est fait tatouer le logo Skydog à l’arrière de la cuisse.

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             Elle est en tournée pour la parution de son deuxième album, Sans Détour. Elle boucle le set avec la cover punk d’Edith Piaf qui se trouve sur l’album, «Non Je Ne Regrette Rien». C’est extrêmement bien foutu, très bon esprit, tapé en mode up-tempo, riffé à la Steve Jones, ça file sous le vent, pure magie, t’as Piaf et les Pistols. Tony fond sur Piaf comme l’aigle sur la belette et Alicia se fout du passé ! Cette merveille que tu retrouves sur l’album te renvoie aussi à ce que fit Joey Ramone avec «What A Wonderful World». Et là tu dis bravo, car ça tape encore une fois en plein dans l’œil du cyclope. Toutes les covers du set sont bonnes, tout sonne incroyablement juste, et les cuts du nouvel album passent tous comme des lettres à la poste. Alicia reste ultra-concentrée dans ses parties chant, mais elle se laisse aller lors des solos, car s’il est un mec qui sait électriser un cut avec un killer solo flash, c’est bien Tony Marlow. Là t’as tout : le cut et l’argent du cut.

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             Avec la grosse attaque d’«Abortion», Alicia tape en plein punk 77. Ça ne tient que par l’énergie punk. Puis elle passe en mode trash avec «La Vie Est Une Pute» - la vie est une pute qui t’uppercute - et Tony passe un solo de no way out. Avec ses attaques en heavy drum-beat, Gérald vole le show sur «Cielo Drive Love Song» et «Baltringue». Voilà ce qu’on appelle des attaques en règle, et c’est vite repris en main par Tony et Alicia. Un Tony qui passe encore un solo écœurant de classe sur «Teenager In Grief», et ça rebascule dans l’Hey Ho des Ramones avec «Love Is Like A Switchblade». Les cuts sont enrichis à outrance, ça ruisselle de gimmicking, de back-beat et de basslines. Il faut aussi saluer ce «Joe Merrick» monté sur un beat revanchard, vraiment battu à la diable, gorgé de démesure, il faut voir comme c’est troussé ! Alicia n’a plus qu’à se laisser porter. L’album se termine sur la cover de Piaf, Alicia repart à zéro, on assiste à un incroyable hold-up, Gérald te bat ça comme le ferait Paul Cook, ça joue à l’extrême power. 

    Signé : Cazengler, Aliscié

    Alicia F. Pub O’Donnell. Caen (14). 11 avril 2025

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    Alicia F. Sans Détour. La Face Cachée 2025

     

     

    Wizards & True Stars

     - Elvis & la vertu

    (Part Five)

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             S’il est un auteur qu’il faut saluer jusqu’à terre, c’est bien Peter Guralnick. S’installer dans le confort des 1 200 pages qu’il consacre à Elvis, c’est s’installer dans le fin du fin, pour des heures et des jours. Guralnick dispose d’un pouvoir d’évocation tellement puissant que Sam et Elvis, les héros de cette somme, deviennent aussi tangibles que Robert De Niro et Harvey Keitel dans Mean Streets, aussi palpables que Kris Kristofferson et Christopher Walken dans Gates Of Heaven, que Patrick Deweare et Gérard Depardieu dans Les Valseuses. Oui, Guralnick réussit ce prodige évocatif, mot à mot, page à page. On assiste à la résurrection d’Elvis comme d’autres assistèrent à celle du Christ. Guralnick s’obnubile tellement sur Elvis qu’il en oublie d’évoquer les collègues du calibre de Johnny Cash, Jerry Lee ou Carl Perkins. Guralnick mène là un authentique travail de bénédictin de la samaritaine, il reconstitue un à un de grands pans de vie, nous installe dans Graceland pour participer aux fêtes d’anniversaires, à Las Vegas pour la piste aux étoiles, et souvent dans la chambre d’Elvis pour le voir butiner la gueuse en toute innocence. Si on aime assez le rock pour lire certains livres, alors Last Train To Memphis - The Rise Of Elvis Presley et Careless Love - The Unmaking Of Elvis Presley sont deux passages obligés. Deux immenses classiques. De l’ordre de Gone With The Wind, avec tout le souffle, tout le pathos et tout le génie panoramique qu’on puisse imaginer. Comptez environ deux mois de lecture, au rythme de deux ou trois heures par jour. Il est des passages si beaux qu’ils coupent non pas le souffle, mais le rythme de lecture. Il faut y revenir pour soupeser l’impact émotionnel. Guralnick ne nous parle que de ça, d’émotion.

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             Il existe en fait quatre figures de proue dans cette saga mythologique : Elvis, Sam, et puis bien sûr le Colonel et l’argent. Dans un premier temps, Sam et Elvis sont indissociables, puis très vite le trio Elvis/Colonel/Dollar prend le pouvoir et ce, jusqu’à la fin tragique de l’histoire. Guralnick ne s’y trompe pas. Sam Phillips apparaît dès les premières pages comme un personnage révolutionnaire : comme Uncle Sam voit que personne n’a la moindre considération pour les artistes nègres, il décide de prendre le taureau par les cornes : «I set up a studio just to make records with some of those GREAT Negro artists !» C’est pour pouvoir les enregistrer qu’il monte son studio. Sam s’intéresse surtout à la musique que diffuse son ami Dewey Phillips à la radio. Il est essentiel de savoir qu’on apprécie Sam pour sa grande indépendance d’esprit - I was shooting for that damn row that hadn’t been plowed - Oui, il voulait labourer ces terres que personne n’avait encore labourées. Il travaillait dix-huit heures par jour, pourtant il ne roulait pas sur l’or. Il devait en outre encaisser les sarcasmes des blancs croisés dans la rue et qui insinuaient qu’à force de fréquenter des nègres, il n’allait pas sentir très bon. Mais Sam avançait, avec sa foi de charbonnier et son regard clair.

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    (Peter Guralnick & Sam Phillps)

             Guralnick fait très vite d’Elvis une sorte de saint homme, incapable du moindre mal. Ses parents sont très pauvres. Vernon Presley : «Poor we were. But trash we weren’t.» Et Vernon ajoute que les Presley n’ont jamais médit de personne - We never put anybody down. Neither did Elvis.

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             Voilà la clé d’Elvis. Sa bonté d’âme intrinsèque. Dans les premiers temps, Sam voit très bien qu’Elvis a du potentiel. Son coup de génie est de comprendre qu’il doit l’aider à le matérialiser. Sam va loin dans l’approche qu’il fait du caractère d’Elvis : «Elvis Presley may not have been able to verbalize it, and he damn sure had an appreciation for the total spirituality of the human existence. That was what he cared about.» Le constat que fait Sam va loin : il voit en Elvis un être extrêmement pur et c’est ce qui va le rendre tellement unique. Sa beauté et sa voix viennent en plus comme la cerise sur le gâtö. Sam voit d’abord l’extraordinaire qualité spirituelle de cet homme. Mais c’est une spiritualité qu’Elvis ne sait pas exprimer. Les premiers journalistes qui approchent ce jeune débutant ne comprennent pas bien sa courtoisie à toute épreuve. Le mec du Billboard pense qu’Elvis doit être soit incroyablement smart, soit con comme une bite (dumb as hell), et il ajoute qu’en fait, il est très loin d’être con (and you know he wasn’t dumb), alors c’est dans la poche. Elvis va bâtir tout son environnement relationnel sur la base d’un respect mutuel. Et très vite, Elvis croit qu’il doit tout à God, principalement son talent et sa réussite. Il déclarait volontiers qu’il devait être bon avec les gens, sinon God lui aurait tout repris. Logique infaillible. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il ne se fâchera jamais avec le Colonel - We’re the perfect combination - Et la raison pour laquelle il va rester loyal et disponible avec ses fans. Elvis répétait à tout bout de champ qu’il était devenu Elvis grâce à ses fans, alors il sortait tous les jours à six heures de Graceland pour signer des autographes. Même chose avec sa famille : Elvis couvrait de cadeaux ses oncles, ses tantes, ses cousins et ses potes. Des maisons, des voitures, des bijoux. Il n’a jamais cessé de prodiguer ses largesses, tel un roi de conte de fées, généreux et bienveillant.

             Avec les femmes, il recherche plus la compagnie que le sexe. Pour une poule, passer la nuit avec Elvis revenait à regarder la télé, manger et discuter, et à l’aube, on pouvait éventuellement baiser un coup.

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             L’épisode sexuel le plus stupéfiant se déroule dans la chambre d’Elvis. Priscilla et lui ne sont encore que fiancés. Elle a l’autorisation de passer la nuit avec lui, mais en toute régularité. Ils papotent toute la nuit et aux premières lueurs de l’aube, ils se roulent des pelles à gogo. Mais Priscilla crève d’envie de baiser. Elvis doit la recadrer : «Wait a minute baby. This can get out of hand.» Oui, Elvis ne veut rien précipiter. Il veut l’épouser et la baiser quand il estimera le moment venu. Ça ne l’empêche pas de passer ses nuits avec d’autres femmes, comme il le fera toute sa vie. 

     

     

     

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    ( Sam Phillips, Elvis, Marion Keisker)

             Les débuts d’Elvis chez Sam constituent le moment magique de cette saga. En fait, Sam ne connaît pas le nom de ce jeune débutant qu’il voit traîner dans les parages et qui l’intrigue. Il doit le demander à Marion Keisker. Elvis Presley ? Le nom étonne. Pour Scotty Moore, ça sonne comme un nom de science-fiction ! Sam demande à Scotty de contacter Elvis pour lui proposer une répète avant une première audition. Elle a lieu le 4 juillet 1954 chez Scotty, sur Belz. Bill Black qui habite à deux pas ramène sa stand-up. Elvis arrive au volant de sa vieille Lincoln. Il porte une chemise noire, un pantalon rose avec une bande noire sur le côté, des chaussures blanches et ses cheveux sont gominés. Bobbie Moore, la femme de Scotty, ouvre la porte et Elvis lui demande : «Is this the right place ?» La répète se passe bien et quand c’est fini, Elvis s’en va. Alors, Scotty demande à Bill ce qu’il pense du gamin. Bill n’est pas très impressionné : «Ce morveux qui débarque ici avec ses drôles de fringues et tout le bataclan ! - Snotty-nosed kid coming in here with those wild clothes and eveything.» Mais Scotty a une impression nettement plus positive. Il veut savoir ce que Bill pense vraiment de la voix du gamin. Oh, Bill ne crie pas au loup, mais bon, il y a quelque chose, I mean, but the cat can sing - Et tout part de là, the cat can sing. Eh oui, mine de rien, Elvis va devenir le plus grand chanteur de rock de tous les temps.

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             Sam va retrouver chez Elvis les traits de caractère des grands nègres du blues qui sont à la fois fiers et demandeurs. Arrive le jour de l’audition chez Sam. Entre deux essais infructueux, Bill, Scotty et Elvis s’amusent avec l’All Right Mama de Big Boy Crudup. Soudain, Elvis se met à sauter partout, alors Bill se met lui aussi à faire le con sur sa stand-up. Surpris par ce ramdam, Sam leur demande :

             — Qu’est-ce que vous fabriquez ?

             — On ne sait pas !

             — Reprenez-moi ce truc au départ, il faut que je l’enregistre !

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             Et TOUT part de là. Sam pige le truc dans l’instant. Il est même étonné de voir qu’Elvis connaît Big Boy Crudup. C’est la musique que Sam apprécie le plus et comme il le dit si bien, this is where the soul of a man nerver dies. Sam est enchanté par le son qu’amène Bill, le slap beat et le tonal beat en même temps. Sam : «Bill est l’un des plus mauvais bassistes du monde, techniquement parlant, but man, could he slap that thing !» On a là une conjonction extraordinaire : quatre hommes qui inventent rien de moins que le rock’n’roll : Elvis, Sam, Bill et Scotty. It was the chemistry. Le Grand Œuvre du rock’n’roll. Bill et Scotty sortent le son dont Sam rêvait mais qu’il ne parvenait pas à imaginer. Quand Sam leur fait ensuite écouter ce qu’ils viennent d’enregistrer, Scotty, Bill et Elvis n’en reviennent pas, it just sounded sort of raw and ragged, c’est-à-dire brut et déglingué. Mais c’est tellement nouveau qu’ils ne savent pas ce qu’ils ont mis en boîte. Something, mais quoi ? Personne n’a encore jamais entendu un son pareil. Le rockab sauvage ! Sam flippe. Il se demande s’il pourra réussir à vendre un truc aussi excitant, aussi vivant. Quand le soir-même il amène l’acetate à Dewey Phillips pour qu’il le diffuse dans son émission de radio, Dewey craque sur le champ. C’est le coup de foudre ! Dewey n’en revient pas ! Il ouvre son micro et annonce qu’il a un nouveau disque, and it’s gonna be a hit, dee-gaw, ain’t that right Myrtle - Moo font les vaches ! Et pouf ! The King is born. La conjonction magique Elvis/Sam/Scotty/Bill comprend désormais Dewey. C’est sur scène que tout va exploser, Elvis shakes his leg et c’est l’enfer sur la terre, et plus Elvis secoue les jambes et plus le public devient fou - The more I did, the wildest they went - Sam qui le voit jouer depuis le côté de la scène n’en revient pas. Quand il amène Elvis au Grand Ole Opry, Mr Denny dit à Sam qu’Elvis ne correspond pas à l’esprit plus country de l’Opry, mais il ajoute : «This boy is not bad !», ce qui vaut pour le plus austère des compliments. Bob Luman n’a encore que dix-sept ans quand il voit Elvis sur scène pour la première fois à Kilgore, au Texas : «This cat came out in red pants and a green coat and a pink shirt and socks and he had a sneer on his face and he stood behind the mike for five minutes, I’ll bet, before he made a move - Bob raconte le cat comme s’il chantait, son texte swingue - Le cat débarque sur scène en pantalon rouge, veste verte, chemise et chaussettes roses, avec un rictus au coin des lèvres et il reste là cinq minutes sans bouger - Il claque un accord sur sa guitare et pète deux cordes. Il est là, avec les cordes qui pendouillent, et il n’a encore rien fait et toutes les filles hurlent et viennent s’agglutiner au bord de la scène, alors Elvis commence à remuer les hanches doucement, comme s’il copulait avec sa guitare. Pendant que Scotty se concentre sur son jeu de guitare, Bill mâche du chewing gum et gueule go go go !

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             Elvis attaque sa série de singles Sun, sans doute les singles les plus mythiques de l’histoire du rock. Voilà «Mystery Train» dont Sam est très fier : «It was the greatest thing I ever did on Elvis.» - Train I ride/ Sixteeen coaches long - It was pure rhythm and at the end Elvis was laughing cause he didn’t think it was a take, but I’m sorry, it was a fucking masterpiece !»

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             Elvis se fait vite des ennemis chez les beaufs d’Amérique. On l’accuse d’obscénité - And who do they say is obscene ? Me ! - Elvis est profondément choqué. Car il est persuadé du contraire. Il remet les pendules à l’heure : il fait cette musique pour gagner de l’argent. Et il rappelle aussi que cette musique était là bien avant lui : «Les gens de couleur chantent et jouent cette musique depuis beaucoup plus longtemps que moi, man. Ils la jouaient bien avant que je sois né, dans leurs juke-joints et leurs cabanes et personne n’y faisait attention. Cette musique que je fais vient d’eux. Down in Tupelo, Mississippi, j’entendais le vieux Arthur Crudup bang his box comme je le fais aujourd’hui, et je me suis toujours dit que si un jour j’arrivais à sonner comme le vieil Arthur, alors je serais un music man comme on n’en a encore jamais vu !» Voilà toute la grandeur d’Elvis, cette fabuleuse simplicité et cette façon extraordinaire de rendre hommage à ses pairs, the coloured people des cabanes et des juke-joints. Et Elvis ajoute : «When I sing this rock’n’roll, my eyes won’t stay open and my legs won’t stand still. I don’t care what they say, it ain’t nasty - Aussi longtemps que je chanterai ce rock’n’roll, j’aurai les yeux fermés et je secouerai mes jambes. Je me fous de ce qu’ils disent, ça n’a rien d’obscène.»

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             Partout des foules en délire. Nous autres Européens ne pouvons imaginer ce que furent les tournées d’Elvis, une vraie traînée de poudre à travers les USA, tsssssss... Boum ! - I saw him bring the crowds to hysterics - Partout c’est le pandemonium - He ended up with ‘Hound Dog’ naturally at which point pandemonium broke loose - Guralnick n’en finit plus d’amonceler les échos des journalistes, il en fait cent pages, c’est du double concentré d’out of control, de crazy crowds, avec un Elvis en veste vert émeraude, pantalon bleu marine qui n’en finit plus de tomber sur ses genoux et de casser baraque après baraque, scary night after scary night et la foule qui n’en finit plus de grimper sur scène pour tout piller. Madness !

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             Alors le Colonel entre très vite dans la danse. Il flaire le jackpot. Il commence par se débarrasser du premier manager d’Elvis et d’un Sam Phillips qui ne l’aime pas. C’est viscéral et immédiat, dès le premier rendez-vous dans un restaurant sur Poplar. L’aversion est réciproque. Fin renard, Guralnick explique que le Colonel est un peu sentimental, mais pas du tout philosophe. Alors que Sam est un humaniste. Ils ne s’aiment pas, mais ils ont besoin l’un de l’autre. Menacé par la faillite, Sam a besoin de blé et le Colonel a ses entrées dans le business. Très vite, le Colonel cherche à se débarrasser aussi de Scotty et de Bill. Il propose qu’Elvis soit accompagné par le backing band d’Hank Snow. Catastrophe ! Il réussira aussi à se débarrasser de Leiber & Stoller qui avaient les faveurs d’Elvis. Comment ? En essayant de leur faire signer un document en blanc. On ne fait pas ce genre de coup à Leiber & Stoller. Côté Colonel, Guralnick s’en sort merveilleusement bien. On veut continuer de croire que le Colonel est une ordure, mais Guralnick parvient à lui tailler un costard sur mesure, celui d’un businessman singulièrement visionnaire. Il devient sous la plume de Guralnick le personnage clé de toute cette histoire, le mauvais génie d’Elvis Presley. Le tome deux de la saga qui raconte the unmaking d’Elvis (le déclin) lui est quasiment consacré. Tout au moins prend-il le pas sur un Elvis qui n’est plus que l’ombre de lui-même.

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             Le Colonel commence par reprendre en main la carrière de celui qu’il appelle my boy. Pour les premières tournées qu’il organise, il octroie un cachet de 200 $, ‘including the musicians’. Le Colonel pousse RCA à investir 35 000 $ dans le rachat du contrat d’Elvis à Sam. À l’époque, ça représente une somme énorme, mais tellement dérisoire en comparaison de ce qu’Elvis va rapporter au label ET au Colonel. Et c’est là que le Colonel va déployer ses ailes de vampire pour se consacrer à 100% à son poulain - The Colonel slept, ate and breathed Elvis - comme il l’avait fait auparavant pour Eddy Arnold, son précédent poulain. Pour sécuriser son investissement, le Colonel comprend très vite qu’il faut écarter tout ce qui peut présenter des risques : le sexe, le scandale, la familiarité et la perte de confiance en soi. Ça s’appelle une stratégie commerciale. Quand Bill Black fait un peu trop le con sur scène et qu’il capte l’attention du public, le Colonel le prend à part pour lui expliquer que c’est désormais interdit. Bill ne refera jamais plus le con sur scène avec Elvis. Quand le Colonel amène son poulain pour la première fois au New Frontier Hotel de Las Vegas, il demande les 8 000 $ de cachet en cash, car dit-il, les chèques ne valent rien dans cette région où l’on pratique des essais de bombes atomiques.

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             Très vite commence le travail de purification d’Elvis. Lorsqu’il passe à la télé, il porte une queue de pie et une cravate blanche. On lui interdit toute extravagance. Elvis tente de résister - You know those people in New York are not gonna change me none - Mais il finira par se faire baiser en beauté, jusqu’au 68 Comeback. Il se voit très vite contraint d’entrer dans le moule que lui bricole le Colonel. 

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             Guralnick consacre pas mal de place au business, l’apanage du Colonel. On voit comment ce stratège atrocement doué fait monter les prix et décide des priorités. Quand les disques et les tournées ne rapportent plus assez, il se tourne vers Hollywood qui devient pour Elvis ET pour lui une véritable vache à lait. Et quand le filon des films s’épuisera, le Colonel en inventera un tout neuf : Las Vegas. En parallèle, le Colonel négocie ferme avec RCA qui est propriétaire du contrat d’Elvis. Il obtient du label un revenu de 1 000 $ par semaine pendant vingt ans. RCA gagne beaucoup de blé avec Elvis : dix millions de singles sont vendus en un rien de temps. Et le cachet du premier film se monte à 250 000 $, cachet que le Colonel va s’empresser de faire grimper et qui finira par atteindre le million de dollars, du jamais vu à Hollywood. Le plus drôle de toute cette histoire, c’est que Scotty et Bill sont toujours payés 200 $ par semaine, quand ils tournent. Entre deux tournées, pas un rond et interdiction absolue d’aller jouer ailleurs. Le piège ! En plus, les frais d’hôtel et de restaurant restent à leur charge quand ils sont en tournée avec Elvis. Ils sont les deux gros baisés de l’histoire. Alors que de son côté Elvis ramasse des millions. Scotty et Bill ont des dettes, ils ont besoin d’aide et réclament surtout ce qu’ils appellent the fucking respect. Ils mettent ça dans une lettre qu’ils envoient à Elvis. Il la reçoit, la lit et s’exclame : «Aw shit !» Il voit cette lettre comme une humiliation. Il ne comprend pas qu’on puisse lui adresser des reproches. En fait, RCA voulait qu’Elvis soit accompagné par de meilleurs musiciens. Mais quand des mecs de Nashville accompagnent Elvis sur scène, ce n’est plus du tout la même chose. La magie est perdue. Elvis le sent nettement.

    Signé Cazengler, El tournevis

    Peter Guralnick. Last Train To Memphis. The Rise Of Elvis Presley. Little, Brown 1994

     

     

    L’avenir du rock

     - Bury me dead

    (Part Two)

             L’avenir du rock est ravi : il est allé Quai de la Mégisserie se payer un singe savant. L’animal s’appelle Jocko et ne mange que des bananes.

             — Alors Jocko, dis-moi, aimes-tu le rock ?

             — Buri ! Buri ! Buri !

             — Ah bah dis donc !

             — Oliver ! Oliver ! Oliver !

             L’avenir du rock n’a pas le temps d’en placer une... Jocko jacte :

             — Ackerman ! Ackerman ! Ackerman !

             — Mais tu sais tout, petit coquin !

             — Guitare !

             — Quoi guitare ?

             — Jeté guitare deuxième morceau !

             L’avenir du rock se frotte les mains. Il a vraiment fait une bonne affaire. Jocko repart de plus belle :

             — Nouille York !

             — C’est vague...

             — Brouklinne !

             — Tu connais le numéro de la rue ?

             — Def by audio !

             — Quoi def by audio ?

             — Pédale !

             — Pédale toi même !

             Croyant s’être fait insulter, l’avenir du rock jette Jocko dans sa cage de transport et le ramène chez le marchand d’animaux. Le rock et les singes savants ne font décidément pas bon ménage.

     

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             On vit A Place To Bury Strangers - c’est-à-dire Oliver Ackerman - tuer le rock l’an passé à Binic. Ce concert avait des allures de cérémonie sacrificielle. Impossible d’imaginer qu’il eût pu rééditer cet exploit ailleurs, notamment sur la petite scène du club. Eh bien si. Il peut recréer les conditions du chaos et de la fin du rock n’importe où, même dans une petite salle. 

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             Il s’y éver-tue plus qu’il ne s’y emploie. Il tue le rock à hue et à dia, dès le deuxième cut, il fait tournoyer sa silhouette dans les white lights du chaos, et sa gratte vole autour de lui, en bout de bandoulière, comme une fronde devenue folle. Il s’inscrit dans l’indescriptibilité des choses, alors tu ravales ta salive. Tuer le rock, ça veut dire tournoyer dans le chaos sonique, ça veut dire échapper aux couplets, aux refrains et aux charts, ça veut dire aller là où personne ne va, il orchestre sa vision du chaos et l’incarne, il te fait oublier jusqu’au souvenir des références, te voilà devant l’œuvre d’un visionnaire/destructeur livré à lui-même, il largue les amarres et réinvente ce qu’on appelait autrefois la colère des dieux, parce qu’on ne savait pas ce que c’était. Il se fait l’instigateur des mystères qui nous dépassent, il transforme la violence en spectacle, t’en perds ton latin et t’es bien content, ça fait du bien de perdre son latin de temps en temps, en attendant le jour où on le perdra pour de bon. Oliver Twist te donne un avant-goût de la mort qui est blanche, qui est exactement à l’image de cette lumière violentée par des coups de boutoir. Une petite gonzesse bat là-bas au fond du néant, et la vague silhouette d’un bassman hante un coin de la scène. La scène ? Non, plutôt un no man’s land perdu dans la civilisation, perdu dans la Normandie repue et cossue, un no man’s land en forme d’incongruité qu’on aurait enfoncée comme un coin dans la bien-pensance catégorielle, un no man’s land sous le feu des smartphones dernier cri qui tentent d’en sucer la substantifique moelle, un no man’s land qui se déverse aussitôt dans le torrent numérique qui court à travers le monde et dont personne ou à peu près ne se pose la question de savoir s’il a du sens. Les questions de sens font peur. Car bien sûr, le torrent numérique n’a absolument aucun sens. Ça filme pour des prunes, comme dirait Gide lorsqu’il évoque la poésie.    

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            En cet instant précis, la seule chose qui ait du sens, c’est le chaos sonique du no man’s land qui te donne une idée précise de la mort. Ou si tu préfères, la vie de la mort.

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             Et pendant que ça filme pour des prunes, Oliver Twist tue le rock. Le sacrifice dure on va dire une bonne heure. Comme l’an passé à Binic, les Bury quittent la scène pour aller œuvrer au cœur du peuple. Ça fait partie du rituel : la mort au cœur du peuple. T’entends soudain la bassline du «Death Party» du Gun Club. Vue de l’esprit ? Va-t-en savoir. Puis les Bury regagnent le no man’s land pour achever ce rituel qui finit par prendre des allures d’agonie, tellement ça n’en finit plus. Oliver

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    Twist malmène le matériel, mais ne le détruit pas, car il est en début de tournée.  Il n’a même pas cassé de guitare. Dommage. Il s’en prend aux petits stroboscopes et les fait voltiger autour de lui. Il soulève son ampli mais ne nous le jette pas sur la gueule. Dommage. Il est précautionneux dans son extrémisme. Pete Townshend, Keith Moon et Kurt Cobain allaient un peu plus loin dans l’exercice de la fonction destructrice, c’est vrai. On peut en témoigner. Oliver Twist donne sa version du chaos qui est intéressante. Il n’est encore qu’en début de carrière. Logiquement il devrait faire évoluer son rituel, aller vers plus de violence, l’extrémisme ne se nourrit que de surenchère. Il faut aller toujours plus loin dans le so far out. Oliver Twist ne peut décemment pas continuer de faire semblant. Un jour, ou peut-être une nuit, devra-t-il aller jusqu’au bout de la mort du rock. You know what I mean.

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             Bon le dernier Bury s’appelle Synthesizer, et en sous titre on pourrait imaginer lire : «Pas l’album du siècle.» Pour l’anecdote : le digi qui est ici est complètement explosé, comme si un éléphant avait marché dessus. Miraculeusement, le CD fonctionne dans le lecteur. On s’est demandé si le plastique explosé faisait partie du concept.

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             T’as trois blasters sur Synthesizer, le bien nommé «Disgust», «Bad Idea» et «It’s Too Much». «Disgust» te saute dessus et te broie la gorge. Littéralement. Oliver Bury est toujours aussi défenestrateur. Il bat la campagne comme plâtre, ça bombarde et ça taille à la serpe. T’as pas trop de mots pour décrire ce qui se passe sous le casque. Encore un blast épouvantable avec «Bad Idea». Oliver Bury travaille sa matière sonique à la forge dans les flammes de l’enfer, avec des vents terribles. «It’s Too Much» te tombe bien sur le râble. Comme t’es là pour ça, tu ne vas pas te plaindre. Et puis comme son nom l’indique, c’est saturé de trash. Mais en dehors de ces trois blasters, Oliver flirte avec la new wave. Il lui arrive de se prendre pour les Cure et tous ces bons à nib. Il recharge la barcasse d’«Have You Ever Been In Love», ça ressemble à un blast, mais tu restes prudent, vu ses accointances avec la new wave. Comme il charge trop sa barcasse, elle finit par couler. Glou glou.

             Le fin mot de l’histoire : le Bury Akerman fabrique et vend des pédales d’effets au merch. Joko ne s’était pas trompé. Sacré Jocko !

    Signé : Cazengler, complètement Bury

    A Place To Bury Strangers. Le 106. Rouen (76). 10 avril 2025

    A Place To Bury Strangers. Synthesizer. Dedstrange 2024

     

     

    Wareham câline

     - Part Two

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             Après les fastes de Galaxie 500, Dean Wareham s’embarque dans l’aventure Luna et une série d’albums qu’on peut bien qualifier d’exceptionnels. Il nous donne tous les détails dans sa superbe autobio, Black Postcards: A Memoir. Il commence par contacter Justin Harwood qui se trouve en Nouvelle Zélande et qui vient de quitter les Chills. Il était nous dit le real Dean fatigué des Chills. Il était une sorte de mec idéal : excellent bassiste, il ne fume pas, il ne boit pas. 

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             Les quatre premiers albums sortent sur Elektra, ce qui veut bien dire ce que ça veut dire. Lunapark dégage encore de forts relents velvétiens. Ils sont en plein dans le Velvet dès «Anesthesia». C’est fabuleusement intrinsèque, bien dans la veine de Pale Blue Eyes. Le cut brille d’un éclat mystérieux. L’autre Velvet tune est «I Can’t Wait», pure Velvet craze en up-tempo, chanté d’une voix grave. «Slash Your Tires» se montre encore plus déterminé à vaincre. Le real Dean sait exciter les zones érogènes de la pop. D’ailleurs que fait la pop ? Elle se livre à ses doigts experts, et du coup, elle dégage des parfums toxiques. Le real Dean reste très présent, même sous le boisseau de «Crazy People», et il nous aménage l’une de ces envolées demented dont il a le secret. Sur «Smile», il suit son chant au gras double, suivi par le bassmatic dévorant de Justin Harwood. Le real Dean est un artiste passionnant, car il diversifie énormément, et chaque fois, il gratte des poux bien gras. Avec «I Want Everything», il revient à son modèle : le Lou sweet melody. Il chante dans la couenne de l’intimisme. Il fait encore bien le tour du propriétaire avec la fast pop lunaire de «Time To Quit» et refait du pur jus de Lou Reed à la perfe avec «Goodbye». Tout est assez héroïque sur cet album, tout est fantastiquement élancé et bardé de son, d’élans vitaux et de gras double.

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             Comme par hasard, Sterling Morrison vient jouer sur deux cuts de Bewitched : «Friendly Advice» et «Great Jones Street». C’est surtout sur l’Advice qu’on entend Sterling le héros - the stellar guitar playing of Sterling Morrison - Là oui, ça devient sérieux. Le cut pue la légendarité à des kilomètres à la ronde. L’autre coup de génie de l’album s’appelle «This Time Around», un cut très pur, au plan mélodique. Le real Dean chante âprement et joue comme un dieu. «Going Home» est aussi assez pur, une fois de plus dans la veine de Pale Blue Eyes. Solide et bien troussé. Cet album sera le best seller de Luna, nous dit le real Dean.

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             Encore un album très Velvet : Penthouse, un Elektra de 1995. Il sonne comme le Lou sur ce «Freakin’ & Peakin’» merveilleusement amené aux deux grattes velvétiennes, c’est en plein dans le mille du Lou, il cisèle en plus un solo serpentin qui remonte dans le cerveau, et t’as comme d’usage la fin apocalyptique, il part en vrille d’excelsior catégoriel, ça te court délicieusement sur l’haricot. Le real Dean est vraiment l’héritier de Sister Ray et de tous les grands écarts du Velvet. Et t’en as encore au moins quatre qui sonnent comme une suite au Velvet, à commencer par «Chinatown», bien lunaire, bien dans le moule Velvet. Itou avec «Sideshow By The Seashore», le real Dean chante du coin du menton, bien à la Lou, en grattant des poux somptueux. Chez lui tout n’est que Lux, calme et volupté. T’as des bouquets de notes ralenties, des flammèches velvétiennes dans la normalité, avec un vent terrible qui se lève sur le tard du cut. Il essaye de devenir aussi mythique que Pere Ubu avec un «23 Minutes In Brussels» qui renvoie au «30 Seconds Over Tokyo». Même démarche unilatérale, il attaque au left my hotel in the city, et t’as le vrai poids des accords de «Sweet Jane». Il te sert encore le Lou sur un plateau d’argent avec «Lost In Space». Quelle merveille de délectation morose, et t’entends encore les accords de «Sweet Jane». Tu te régales encore de «Double Feature», battu sec avec énormément de son et une belle insistance. Et t’as le fast Luna d’«Hedgehog» - Do you care anymore - Le real Dean n’a pas froid aux yeux, il sait filer dans la nuit.  

             Le real Dean rappelle que Luna était «a much better live band than Galaxie 500.» Il dit aussi qu’ils n’emmenaient jamais de drogues en tournée - The drugs showed up when someone from the record company showed up - they were the ones who could afford to party every night - Il précise que quand on prend du LSD, on peut avaler des tas d’autres drogues sans les sentir - The acid trumps them all. It makes you superhuman - Quand on propose à Luna de faire la première partie de Lou Reed sur sa tournée Hooky Wooky, Stanley Demeski refuse d’y participer - Stanley had already opened for Lou Reed, when he was in the Feelies. He didn’t want to do it again - Lors d’un concert à Malmö, en Suède, un fan entre dans la loge et lance à Dean : «Dean! You are my heroes. I want to kiss you, while Sean fucks me in the ass... ha ! ha ! Just kidding!». Le real Dean adore ces épisodes incongrus.

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             Pup Tent s’ouvre sur un authentique coup de génie warehamien : «Ihop», fast & wild, avec des poux malingres et vinaigrés, le real Dean rentre bien dans le chou du lard, et Justin Harwood gratte une basse fuzz ! C’est absolument bardé de barda, les retours de manivelle sont d’une rare violence et au bout t’as un sax de combat. Le real Dean calme aussitôt le jeu avec «Beautiful View», il bronze sous les alizés, au bord de son lagon d’argent. Plus loin, tu vas croiser une autre merveille : «Beggar’s Bliss» et son joli refrain mélancolique de strange fascination/ It’s a bliss/ it’s a beggar’s bliss - Tu l’as dans la peau. Il trafique encore des relents du Velvet dans «Tracy I Love You», avec une slide et de la reverb sur le beat pressé. Il ramène de la fuzz dans «Whispers» et combine une belle explosion à la Sterling Morrison, c’est littéralement saturé de Méricourt, le son est crade à gogo, can you hear the whisper, il faut écouter le real Dean si on s’intéresse à la Méricourt car il en est l’un des experts. Ses fins de cuts comptent parmi les plus belles apocalypses de l’histoire du rock. «The Creep» démarre l’air de rien, mais le real Dean te gratte les raisins de la colère, et ça donne un festival d’accords en folie, le temps d’une pointe to the very last time. Et voici le coup du lapin : «Fuzzy Wuzzy» et l’incroyable santé des guitares, ça frôle le glam et le real Dean y va au I could see you Fuzzy Wuzzy/ Say goodbye to the frogs, c’est fascinant car ça se barre en plein délire Velvétien.

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             Sur The Days Of Our Nights, on retrouve le fameux «Superfreaky Memories» qui fit les choux gras de la pop indépendante au temps jadis. C’est tellement profondément mélodique que ça glisse dans l’intemporalité. Le real Dean décroche enfin son hit marmoréen. L’autre coup de génie de l’album est le «Dear Diary» d’ouverture de bal qu’il chante à la Lou, au timbre distinctif. Pas de danger qu’on le confonde avec un autre. Et t’as toujours le bassmatic voyageur de Justin Harwood dans le lard fumant. Cette grande pop voyage véritablement par dessus les toits. Il est aussi très Lou sur «Hello Little One». Oh l’incroyable qualité du mimétisme ! Tout ce qu’il entreprend est de qualité supérieure, chant, solos. Il fait sonner son solo de carillon dans l’écho du temps et il imagine en plus des développements de dernière minute ! Sur «Seven Steps To Satan», il part en solo mirobolant, et ça devient extrêmement diabolique. Sa pop racée est constamment visitée par des vents d’Ouest, «Math Wiz» reste vivant, alerte, aéré, il joue même les arpèges du diable. D’une certaine façon, le real Dean prolonge le génie mélodique du Lou. Il orne encore «The Rustler» d’un final en forme de Gorgone sonique, avec des serpents mirifiques qui fuient en tous sens. Et son «US Out Of My Pants» bascule dans la Mad Psychedelia ! Par contre, il commet la grave erreur de finir avec une cover de Guns N’ Roses, «Sweet Child O’ Mine». N’importe quoi.

             Il évoque d’ailleurs cette cover pourrie dans son book : «Justin ne voulait pas qu’on l’enregistre. He hated Guns N’ Roses. I didn’t like them, either, but it’s a great song. I am of the opinion that a bunch of pigs can occasionally write a beautiful song together. Oasis dit it, too with ‘Wonderwall’.»

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             Alors forcément, un Live de Luna ne peut que te sonner les cloches. D’autant que c’est globalement un hommage au Velvet : «Friendly Advice» est en plein dedans, embarqué au bassmatic Velvetic, le pah pah pah est du pur Velvet sixties. Le real Dean chante encore comme le Lou dans «4000 Days». Quel mimétisme ! Et t’as en prime la tempête de wah et le bassmatic en folie de Justin Harwood. Le real Dean reste dans le Lou avec «Hello Little One». Il crée sa magie dans le prolongement exact du Lou, avec cette fois la trompette du diable et une explosion de poux sulfureux. Pur Velvet encore avec «Lost In Space», il se barre en vrille d’extrême clarté disto, c’est incroyable de violence sonique ! On reste dans l’ombre du Velvet avec «23 Minutes In Brussels», le real Dean est en plein délire de résurrection du Velvet, avec toute la violence intrinsèque de revienzy dont il est capable. Et tu crois entendre Lou Reed sur «4th of July». Le real Dean est en plein dedans ! Il faut aussi saluer «Sideshow By The Seashore», cette pure folie de fondu sublime et sa belle attaque de riffs psyché. C’est rien de dire que le real Dean dispose de ressources naturelles inépuisables. Tout est plein comme un œuf sur ce Live, avec le plus souvent un final en forme de maelström. Et voilà la cerise sur le gâtö : «Bonnie & Clyde». D’où l’intérêt de tout écouter. Cet hommage à Gainsbarre relève du mythe, d’autant plus que le real Dean le chante en français, «écoutééz l’histoière de Bonnie & Clyde» et bien sûr Britta vient faire sa Bonnie, «il faut croière que cé la sociétéé», avec l’accent US. Tu nages en plein bonheur et ça se barre en solace d’excelsior, puisque le real Dean te gratte des poux exacerbés. Wow ! Il te rocke le boat du mythe !

             Justin Harwood finit par quitter Luna. Ils songent à cette petite gonzesse qui jouait de la basse avec Ben Lee, Britta Phillips. Elle vient passer l’audition et ça marche. Le real Dean prévient les deux autres, Lee et Sean : «Listen, no hanky-panky. If anyone gets involved with her, they’re out of the band.» Évidemment c’est lui, le real Dean qui va craquer pour Britta et garder le secret aussi longtemps qu’il le pourra. 

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               Encore un très bel album avec une pochette ratée : Romantica. Bel album parce que «Black Champagne» et «Renee Is Crying», deux Beautiful Songs émérites, avec deux mélodies chant parfaites. Le real Dean soigne les cervelles de ses fans, il vise en permanence la perfection mélodique issue de Lou Reed et il gratte des poux qui se distordent dans le crépuscule, alors tu sors ton plus bel accent anglais pour dire : «Awsome !». Il les amène toutes les deux au ton de proximité et ça devient extrêmement tentaculaire. Dès que le real Dean ramène sa fraise avec «Lovedust», ça prend du sens, car il sonne comme Lou Reed. La pop de «Weird & Weezy» prend vite le dessus, magnifiée par les deux guitares. Quel power Lunatic ! Tout est embarqué dans l’une de ces cavalcades dont le real Dean a le secret. Encore un coup de génie avec «Black Postcards» (qui est aussi le titre de son autobio). C’est le genre de cut qui vient se bercer dans ton giron. Good old real Dean ! C’est bardé de Velvet, avec un balancement extraordinaire, et une mélodie intégrée dans la couenne du lard. Tu ne battras jamais le real Dean à la course. Il mène encore une belle opération de charme avec «Mermaid Eyes», toujours dans l’esprit de Lou Reed. Quelle ampleur ! Il est le roi de la permanence. Il retente le coup de la pop magique avec «Rememories», il y est presque, et il replonge dans le Lou Reed spirit avec «Orange Peel». Il termine avec son morceau titre et va puiser pour ce faire dans ses profondeurs. Encore un Luna final, une apothéose absolue. C’est son truc.      

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                Belle pochette sexy pour ce Rendezvous de 2004. Elle se tient dans l’ombre, la coquine. Le real Dean sonne vraiment comme Lou Reed sur «Malibu Love Nest». Il reste bien sous le boisseau du Lou, avec ce balladif en fast tempo. Il gratte des gros poux bien gras et c’est d’une élégance suprême. Il reste dans la même veine avec «Cindy Tastes Of Barbecue». Il se rapproche même de plus en plus de Lou Reed, dans l’intimisme et la clarté de clairette. Le real Dean est un artiste fascinant, et il finit comme toujours en beauté. Il reste dans l’esprit pur et dur avec «Speedbumps», il travaille ça à la folie, il est décidément increvable. Pure merveille encore que ce «The Out & The Pussycat». Il ramène un beau climax et groove dans le doux du doom. Quelle délectation ! Il chante toujours avec un petit côté rassurant. Après tant d’années, il s’amuse encore à fabriquer des chansons avec la même matière. La petite pop-rock de «Buffalo Boots» n’est pas sans charme. Il déploie tous ses fastes de clairette pénultième, ça joue au défonce-moi baby, ça devient même assez wild. Puis il retourne au mystère avec «Rainbow Babe» et te balance ça : «Two and two makes twenty two, Rainbow Babe.» T’es pas forcé d’être d’accord.         

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             A Sentimental Education est un album de covers, doublé d’un mini-album d’instros. Dans les covers, tu retrouves l’excellente cover du «Most Of The Time» de Bob Dylan et là tu dis oui. Le real Dean te chante ça au deepy deep et c’est puissant. L’autre grosse poissecaille de l’Éducation Sentimentale est la cover du «Car Wash Hair» de Mercury Rev. Il y a même Jonathan Donahue et Grasshopper sur le coup. C’est un hit underground d’obédience faramineuse, ça joue dans l’exemplarité d’un monde sublime et les grattes partent bien en vrille. Le choix des autres covers n’est pas jojo : le «Fire In Cairo» de Cure, le «Gin» Willie Loco Alexander, il tape même dans le «Friends» de Doug Yule qui n’est pas très Velvet, un Fleetwood Mac («One Together»), un Yes (mais si !) («Sweetness»), un Jagger/Richards tout pourri («Walking Thru’ The Sleepy City»), et un Willy DeVille. Enfin bref, tu sors de là très déçu.

             Puis d’un commun accord, Luna décide d’arrêter les frais - It was time. We would disband - Ils n’annonceront la nouvelle qu’après la sortie de Rendezvous. Ignacio, un ami espagnol, dit au real Dean au cours d’une interview : «I am glad that Luna is breaking up. You don’t want to turn into the Flamin’ Groovies. It’s time for a new beginning.»

    Signé : Cazengler, qui dort Dean

    Luna. Lunapark. Elektra 1992

    Luna. Bewitched. Elektra 1993

    Luna. Penthouse. Elektra 1995       

    Luna. Pup Tent. Elektra 1997        

    Luna. The Days Of Our Nights. Jericho 1999   

    Luna. Live. Arena Rock 2001         

    Luna. Romantica. Jetset Records 2002    

    Luna. Rendezvous. Jetset Records 2004            

    Luna. A Sentimental Education. Double Feature Records 2017

     

    Inside the goldmine

    - Tyrone n’est pas un tyran

             Si Tyrone n’était pas un tyran, Tyzoar l’était. La maisonnée subissait le joug de ce gros géniteur affublé d’un triple menton. Comme tous les autocrates et tous les despotes à la petite semaine, il n’était préoccupé que d’une seule chose : son nombril, et accessoirement, le vermicelle qui chez lui faisait office de bite. Il dictait ses ordres. Passe-moi le sel. Ferme ta gueule. Il siégeait chaque soir au bout de la grande table de la salle à manger et imposait le silence, pour pouvoir suivre le journal télévisé. Cette putain de téloche trônait dans l’axe de la grande table et déversait son torrent de poison médiatique. On était en pleine guerre du Vietnam. Les «repas de famille» tournaient au cauchemar. Interdiction bien sûr de quitter la table avant la fin du repas et la fin du journal télévisé. Fermez vos gueules. Après, il fallait aller se coucher et extinction des feux à 21 h, pour ne pas «dépenser d’électricité». Tyzoar restait au salon et se faisait tripoter le vermicelle par cette pute qu’il avait ramassée dans un bar de la côte et qu’il avait ramenée avec sa marmaille pour remplacer l’épouse qu’il avait répudiée pour cause disait-il «de frigidité». Ce mélange de lubricité et d’obscurantisme attaquait nos adolescences comme l’acide attaque le métal. On subissait ça au quotidien. Chaque jour on rentrait du lycée en se demandant ce qui allait nous tomber sur la gueule. Car bien sûr, la pute qu’il avait ramassée nous haïssait, et elle allait se plaindre en permanence auprès de Tyzoar : «Il n’a pas fait son lit !», «Il cache des revues sous son matelas !», «Il m’a mal répondu», alors Tyzoar nous convoquait dans son bureau, il demandait des comptes et comme on n’avait pas le droit de parler, on gardait le regard fixé au sol en attendant le premier coup qui ne tardait jamais. Bing ! «Alors tu caches des revues sous ton matelas ?» Bong ! «Alors tu parles mal à Jacquotte ?» Bang ! Pour quitter cet enfer, nous envisageâmes sérieusement de nous suicider.

     

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             Tyrone arrive dans cette chronique comme une bouffée d’air frais. Il chasse le souvenir de l’abominable Tyzoar.

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             En 1967, Carl Davis monte Dakar Records - ‘Da’ from Davis and ‘Car’ from Carl - Pour éviter la confusion avec Decca, il remplace le ‘c’ par un ‘k’. C’est là qu’il s’installe dans les anciens locaux de Vee-Jay. Il démarre avec Shirley Karol et Major Lance, puis il lance l’ancien chauffeur de B.B. King et ancien road manager d’Harold Burrage, Tyrone Fettson. Carl n’aime pas le nom de Fettson. Alors Tyrone demande s’il peut utiliser le nom de Carl et devient Tyrone Davis. En 1968, Tyrone Davis décroche un hit avec «Can I Change My Mind». Et comme Carl n’a pas les reins assez solides pour lancer Tyrone Davis, il passe un deal avec Jerry Wexler chez Atlantic - Tyrone was Dakar’s flagship as long as we ran the label.

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             «Can I Change My Mind» donne son titre au premier album de Tyrone. Il a du mal à percer les blindages, c’est pourquoi il opte pour le soft groove du Chi Sound. Il le brosse dans le sens du poil. L’autre grosse poissecaille de ce premier album est la cover du «She’s Looking Good» de Wilson Pickett - Lookin’ so good mama - Il y flirte avec le power de Clarence Carter. Il fait une autre cover, cette fois complètement ralentie de «Kock On Wood». En B, «Open The Door To Your Heart» confirme la tendance : c’est dans le soft groove qu’il est bon, sacrément bon. Son «Call On Me» s’axe sur un tiguili funky suavement trompetté à Jericho. Il tape encore dans le Staxy Staxa d’Eddie Floyd et Steve Cropper avec «Just The One I’ve Been Looking For». Il s’y adonne avec une ferveur de satin.

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             T’as trois authentiques coups de génie sur Turn Back The Hands Of Time, un Dakar de 1970 : le morceau titre (que reprendra Pat Todd avec ses mighty Rankoutsiders - ce Hand of time est une véritable Motownisation des choses de Chi, Tyrone jette toutes ses forces dans la bataille du Black Power, oh darling et tu assistes à l’envol considérable de l’ooooh baby), «Let Me Back In» (il est incroyablement détendu du gland, à la fraîche de Bertrand Blier, ah quelle classe et quelle liberté de ton, c’est invraisemblable de groovytude), et «Love Bones», un wild r’n’b de popotin, Tyrone est un véritable seigneur des annales, et c’est achevé à coups de baryton de lôv bôn ! Il faut aussi saluer «The Waiting Was Not In Vain», un groove de big time co-signé Carl Davis et Eugene Record. Il finit sa B des anges avec un «I’ll Keep Going Back» à la Sam Cooke, il fait sonner son I wanna leave you comme l’I was born by the river

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             Encore un Dakar d’enfer avec Without You In My Life. T’es hooké dès la pochette, et le costard rouge que porte Tyrone. Il fait du slow rumble d’heavy popotin et mélange le Stax et le Chi («There It Is»), tape bien l’incruste dans le gros popotin (morceau titre), il se rapproche encore de Sam Cooke avec «You Wouldn’t Believe», puis fait un festival de Soul des jours heureux avec «I Had It All The Time». En B, il tape une cover de l’«I Got A Sure Thing» de Booker T, encore du haut vol de haut rang, heavy Chi Sound rampant. Il reste dans son péché mignon (le gros popotin) avec «If You Had A Change In Mind», il enchaîne avec une évidence, «True Love Is Hard To Find», eh oui, tu ne trouves pas le True love comme ça, sous le sabot d’un cheval, et il finit avec une belle énormité, «Honey You Are My Sunshine», montée sur un bassmatic bien rond. 

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             I Had It All The Time pourrait bien être l’un de ses meilleurs albums. Tu retrouves le morceau titre au bout de la B, ce big drive de Chi Sound cuivré de frais et tu le vois se développer en heavy rumble de basse. Et là tu te dis que t’as pas fini de flasher sur Tyrone ! Trois autres coups de génie : «Your Love Keeps Haunting Me» (tu sens bien la pulpe du Chi Sound, en motion at the junction, et puis t’as cette ouverture considérable), «How Could I Forget You» (fantastique shoot de Soul des jours heureux, il peut t’enchanter vite fait, le Tyrone) et «After All This Time». Il campe sur ses positions, il creuse son lit, il ramone le Chi Sound. Il a exactement la même classe qu’Eugene Record, comme le montre «Was I Just A Fool». Le producteur Willie Henderson tortille des nappes de violons et crée de l’atonalité. Avec le Chi Sound, ça repart toujours du bon pied. Incroyable vélocité de la véracité («Come & Get This Ring») !  

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             Pochette plus romantique pour It’s All In The Game. Ce Dakar de 1973 est encore un very big album, avec notamment cette cover océanique de Burt, «I Wake Up Crying», Tyrone œuvre ici un peu à la manière d’Isaac le Prophète, bien étendu dans la durée, avec une gratte-fouine qui rôde partout et quelques trompettes de Jéricho, coco. Retour au solide popotin avec «I Can’t Make It Without You», prod de Willie Hendereon, belle tranche de Chi Sound bien claquée du beignet, ce joli shoot de mid-tempo flirte avec l’up-tempo. Encore de la viande en B avec «You Don’t Have To Beg Me To Stay», Tyrone creuse son Chi avec force et talent, oooh baby. Back to the popotin avec «What Goes Up (Must Come Down)» de fantastique allure, et vient à la suite la grosse machine de «There’s Got To Be An Answer», Tyrone fais la loco, il a le beat à sa pogne, fucking great artist ! Il est vraiment le roi de la Soul des jours heureux.   

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             Home Wrecker est une sorte de Best Of. On y retrouve tous les gros hits d’antan, à commencer par «After All This Time», «How Could I Forget You» et «Was I Just A Fool» tirés d’I Had It All The Time. Tyrone semble régner sur la ville - Look at the teardrops in my eyes - C’est un artiste passionnant, pressant et capable de suavité à la fois, et puis il tortille son Just a Fool dans les vagues de chaleur, il vibre le son dans l’effet, comme le fait parfois Eugene Records avec les Chi-Lites. Son morceau titre est flagrant de popotinage, et «This Time» bat bien des records de Soul sophistiquée. On retrouve aussi sur cet album sa cover de l’«I Got A Sure Thing»» de Booker T, et on le voit plus loin passer en force, comme le fait Edwin Starr, sur «A Woman Needs To Be Loved». Mais c’est avec «How Could I Forget You» qu’il rafle vraiment la mise, cette belle Soul des jours heureux, t’en peux plus de bonheur, Tyrone s’ouvre à l’univers tout entier, il donne du volume, il gonfle les voiles du Dakar.

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             Son dernier Dakar s’appelle Turning Point. Belle pochette. Le popotin du morceau titre tourne au coup de génie - It’s the turning point/ In my life/ Lawd Lawd - Voilà du vrai popotin de boisseau, un chef-d’œuvre de finesse et de groove. Le reste de l’album est un peu faiblard, mais Tyrone a du tirant.

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             C’est encore à Kent que revient le privilège de pondre une compile de Tyrone Davis, The Tyrone Davis Story. «One Way Ticket To Nowhere» sonne un peu comme l’«I Was Made To Love Her» de Little Stevie Wonder. Même éclat et même énergie. Encore une belle énormité avec «I Wish It Was Me» et son «Afeter All This Time» vaut tout le Stax et tout le Motown du monde. Tyrone sonne comme un inexorable. Et voilà qu’il sonne encore comme les Supremes dans «I Had It All The Time», c’est étonnant de qualité, avec des chœurs de rêve. On retrouve en B l’imparable «Turn Back The Hands Of Time». Il fait les Miracles à lui tout seul avec une grâce infinie. Il reste dans l’esprit de Motown avec «Have You Ever Wondered Why» et il montre encore qu’il a de la suite dans les idées avec «There’s Got To Be An Answer», et son «Keep Me Hangin’ On» est franchement glorieux.

    Signé : Cazengler, Tyran d’eau

    Tyrone Davis. I Can Change My Mind. Dakar 1969 

    Tyrone Davis. Turn Back The Hands Of Time. Dakar 1970  

    Tyrone Davis.  Without You In My Life. Dakar 1972  

    Tyrone Davis. I Had It All The Time. Dakar 1972 

    Tyrone Davis. It’s All In The Game. Dakar 1973  

    Tyrone Davis. Home Wrecker. Dakar 1974 

    Tyrone Davis. Turning Point. Dakar 1975  

    Tyrone Davis. The Tyrone Davis Story. Kent/Ace Records 1985

     

    *

             Toujours des surprises sur Western AF.  Aucune idée préconçue, avec ses cheveux longs, je ne sais si l’individu au centre de la scène, son chapeau  lui cache une partie du visage, est une fille ou un garçon, oui mais il y a ce flux de guitare qui me vrille le cerveau, un son tellement accompli que l’étonnement me saisit, mais ce n’est pas du country, Western AF briserait-il ses propres codes, et puis ce mec sur ma droite ressemble à un indien, pas d’affolement Damie, tu remets au début et tu écoutes, zieute bien, pour les oreilles pas de problème, c’est un nectar suprême qui les visite.

    WESTERN AF  / FULL PERFORMANCE

    BLAINE BALEY

    (YT / Avril 2025)

             La session est enregistrée au Cain’s Ballroom de Tulsa. Ancien garage construit en 1924, transformé en 1930 par Daddy Cain en Cain Dance Academy.  Tulsa est une cité de 700 000 et plus habitants, située au nord-est de l’Oklahoma dont le nom est tiré de deux mots indiens : okla et homa qui signifient ! Homme Rouge.

    Sont quatre sur la scène qui ne mérite en rien le qualificatif d’exigüe, tout au fond un visage pâle à la batterie, blond comme un beau gosse il arbore même une croix chrétienne, à droite un peau rouge, n’est plus tout jeune, sur son visage l’on peut trouver tous les tomahawks qu’il a déterrés sur les sentiers de son existence, à gauche assis derrière sa pedal steel, un beau meuble, me rappelle la pose pleine de patience et de sagesse de ma grand-mère à sa machine à coudre, encore un beau mec, je dirais un white man, brun, mais cela n’a guère d’importance, ce qu’il faut regarder chez les individus c’est la couleur intérieure, je ne donne pas leur nom car je ne les ai trouvés nulle part, enfin au centre, à la guitare électrique, Blaine Baley 

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    Cigarettes and roses : : il chante un truc inintéressant, mais primordial, la ballade de la dernière chance, celle du gars qui a fait la connerie de sa vie, non il n’a tué personne, s’est simplement disputé avec sa copine, l’a claqué la porte, l’est parti sans oublier sa guitare, elle, elle ne fait jamais la tronche, mais il regrette, il revient sa dernière clope au bec et un bouquet de roses, l’avait pas un dollar de plus pour ramener davantage… les gars ne faites pas semblant de vous essuyer les yeux dans les rideaux, retenez aussi vos hurlements de rite, faut écouter, l’histoire n’est pas terminée, il ne rajoute pas un mot, c’est le son terne, dépassé, de sa voix, et la musique, cette guitare et les trois autres qui amplifient au carré, au cube, à la puissance quatre percutante, le poids de la misère humaine qui vous tombe dessus, nous voici prisonniers de notre propre incapacité humainoïdes predatorii à surmonter nos propres insuffisances. Toute une critique sociale métaphysique aussi, l’esclave qui tourne sa meule tout en sachant très bien que rien ne s’améliorera jamais. T-Shirt : quoi de plus inoffensif qu’un T-shirt, celui de Blaine porte uns inscription : Merchess Indian Sauvage, en tout cas la rythmique trotte comme un appaloosa, tiens aujourd’hui,  Blaine sort de la réserve dans laquelle les offensés et les humiliés se tiennent habituellement cois, lance des mots aigus comme des flèches, la bonne conscience blanche qui s’en vient porter consolation aux malheureux indiens il y crache dessus, les indiens n’étaient pas une civilisation de sauvages, incapables de s’adapter à la modernité blanche, qui auraient encore besoin d’aide et de compréhension,  imprime ma gueule sur un T-shirt pour gagner du fric, ne serait-ce que pour récolter des subsides pour les aides sociales, toi qu’on a exilé d’Europe et qui as pris nos terres, n’oublie que le combat n’est pas terminé. Tu as promis et tu n’as rien tenu. L’esprit indien persiste. Loblolly Pines : (les pins loblolly exhalent une

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    saveur de romarin) : est-ce parce que Blaine a déclaré dans le morceau précédent qu’il n’y a pas de violon cherokee que la pedal Steel est abandonnée au profit du violon, le rythme est échevelé, cette fois-ci Blaine chevauche au grand galop, en vérité il fonce en voiture en pleine nature, et surtout contre lui-même, se reproche tous ses errements passés, il comprend que sa famille est sa vraie richesse et qu’il doit devenir un exemple pour son fils, les indiens (ils ne sont pas les seuls) sont dans l’ensemble assez traditionalistes, moraline rouge certes, l’on pense aussi au mouvement des white re-borns dans les années quatre-vingt-dix aux USA, l’orchestration effrénée est certes séduisante, mais ce repli vers les valeurs religieuses conservatrices ne me convainc guère. Likes of me : quelle intro mélodramatique, le tambour tape fort et les guitares étincellent, deux histoires qui se contredisent, l’est poursuivi par une fille – dans ces cas-là je me laisse facilement rattraper surtout si elle belle, intelligente, gentille et très riche, j’arrête de plaisanter, c’est lui qu’elle veut et pas moi, l’a son aura d’artiste et lui ses scrupules religieux, les Evangrilles en Enfer le taraudent, vous avez les paroles et vous continuez à écouter because la guitare est de toute beauté, pauvres de nous, c’est un indien, l’est rempli de ruses, les épines de ses ruses ce sont ses mots, tireur d’élite, pour vous endormir la pedal steal vous envoie sa marmelade, mais la voix lente et fatiguée vous promène en longe, il ne le dit pas, mais il nous en persuade, l’est aussi fautif que l’apprenti pêcheresse, mais ce n’est ni de sa responsabilité à lui ou à elle, c’est le destin. Personne n’y peut rien, ni lui, ni elle. Une force plus puissante que les Le Christ peut agoniser sur sa croix tant qu’il veut, les êtres humains se débattent et se chauffent avec un bois bien plus odorant et plus brûlant.

             J’ai voulu en savoir plus. Alors j’ai su davantage. Blaine BaiIley n’est pas l’étoile montante du country. La chance l’a favorisé, sa chanson Cigarettes and Roses a été remarquée par les producteurs de la série Reservation Dog, n’ayant pas de télé j’ignorais jusqu’à son existence. J’avais bien entendu Reservation Dog par ci par là, j’en avais hâtivement (et bêtement) conclu que c’était une série policière particulièrement violente. Dans ma tête je confondais avec Reservoir Dog de Tarentino. Ce n’est même pas un western. Mais c’est rempli d’indiens. Donc une série américaine confiée à un autochtone et à un native, un Séminole, et un Maori. La série raconte les rêves et les aventures de quatre adolescents d’une quinzaine d’années qui rêvent de se rendre en Californie du Nord pour échapper à une vie sans envergure dans la réserve Creek de la nation Muscogee in Oklahoma. Il y eut trois saisons 2021, 2022, 2023. Je ne critiquerai pas parce que je n’ai pas vu, Wikipedia affirme que c’est drôle et subtil et que cela a contribué à  faire tomber les clichés sur les Natives Américain… Je me méfie…

    Bill Blaine a sorti son premier album en 2021.

    LOST CITY

    (Mai 2021)

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    Belle pochette typiquement indienne. Un titre d’album qui pue le cowboy à plein tube. La pluie tombe. Métaphore pluvieuse. L’indien a mis sa tenue de cérémonie. Ou son masque de carnaval. Choisissez, la plupart du temps l’on est ce que l’on est dans sa tête. Dans Sa tombe aussi. Parfois l’on est forcé d’enfiler ses habits du dimanche. Ou de revêtir ses effets  de guerre. C’est un beau costume pour mourir. Parfois aussi l’on est déjà mort, mais l’on ne s’en aperçoit pas. Comme ça il nous reste à continuer à vivre.

    Rain : tiens il pleut comme sur la pochette, mais ce n’est pas la véritable surprise, malédiction Blaine s’est contenté d’une guitare acoustique, ne dites pas c’est une erreur, c’est lorsqu’ils ont eu des Winchesters que les Indiens ont pu se défendre, oui mais la guitare sèche ça pétille aussi sec qu’un feu de bois, il joue bien, le bougre rouge. Remonte jusqu’au blues, sur lequel il rajoute les traits de feu de ses flèches, l’a la voix qui gémit un peu, un glapissement de coyote qui dans la nuit paraît plus tendre, l’est aux racines de la grande musique américaine, raconte ses difficultés à joindre mots et rythmiques, il ne suffit pas de savoir jouer il faut aussi dire, trouver les mots, avec sa voix qui rebondit il trouve le chemin, les cordes grésillent et lorsque sa voix se tait tout nous manque, mais il reste encore la magie de sa présence. Et le sel de son absence. Il ose encore parler d’échec, de solitude, de désespoir, d’agonie et de mort. Cigarettes and roses : diable sans l’électricité les roses qu’il va offrir à sa copine, elles vont scintiller comme la guirlande de Noël rangée au fond de son carton pour l’année prochaine, elle va les lui rejeter en pleine gueule, ben non elle va y enfouir son visage dedans, le bouquet a perdu ses étincelles mais quelle saveur, quel parfum, celui d’un authentique désespoir porté par cette voix, il s’arrache les mots de la bouche comme des joyaux resplendissants de poëte. Quant à la guitare elle suit, elle balaie le plancher pour que la belle ne se salisse point ses pieds dans la poussière du quotidien. Elle nous joue la parade nuptiale du désir qui marche vers sa propre rencontre. Merveilleux. Poker : changement d’ambiance, la poésie et le désir cèdent le pas à l’argent, à la violence, à la peur, un véritable western – moderne parce qu’ils sont en voiture – l’histoire mille fois racontée des apprentis demi-sel engagés dans une partie dont ils ne maîtrisent pas les règles, n’y a plus qu’à se renverser dans son fauteuil et choisir sa chaîne, ce qui est bien c’est qu’elles racontent la même séquence, vous pouvez suivre la voix superbe mais je crois que la guitare est encore plus violente, plus enlevée, plus brutale, davantage dans l’action et en couleur, le vocal porteur d’angoisse , en noir et blanc. Expressionniste en quelque sorte. Church bells : une musique enjouée et en même temps très blues, par contre rien à voir avec du gospel, malgré le titre, la voix traine, elle raconte une tranche de l’histoire de l’Amérique, partagée entre le vice et la vertu, cette dernière étant entendue comme un démenti de la réalité, le mauvais garçon revient chez lui, en retard pour pouvoir se rendre à la messe avec sa maman et sa  famille, pour le vin de messe pas de problème l’est déjà bituré à mort, l’a aussi engrossé la fille du pasteur, faut qu’il lui parle pour qu’elle lui pardonne… promesse d’ivrogne, un exemple parfait de l’âme indienne contemporaine écartelée entre le dieu des blancs, entre le bien et le mal et le déroulement d’une survie de débrouille et de renoncement obligée de constater que le paradis est pavé de mauvaises intentions. Partage d’une âme blessée par la vie et lui-même. Les deux moitiés de l’orange pourries. Hitman : un shoot de guitare sèche en intro et la voix fatiguée qui reprend le flambeau. Une espèce d’auto-confession, un autoportrait de l’artiste en vieux chien sans concession. Le mauvais côté, le tueur, l’homme qui n’hésite pas, qui ne se fait aucune illusion sur lui-même et qui s’en vante, une voix d’assassin presque plaintive mais aussi tranchante que le couteau de cette guitare qu’il vous enfonce entre les côtes. Je ne crois pas qu’il existe un morceau de blues porteur d’une telle froideur, d’un tel détachement, d’une telle violence dirigée autant vers le monde qu’envers soi-même. Country blues au sens étymologique des deux termes de l’expression. Un chef d’œuvre.  Overlooking eye : retour au country, ce sourire désabusé que l’on offre aux autres et à soi-même, l’on n’est pas spécialement fier de soi-même mais l’on tient à ses rêves, la guitare pétille, un véritable feu de joie, la voix conte une autre histoire celle de l’échec, l’on est entre les deux postulations, on cherche de l’or, on trouve de l’os, leur valeur ne vaut que celle qu’on leur accorde. Une subtile philosophie de la vie, l’important est de continuer, l’on ne vit que le rêve de son existence. Pimpin’ ain’t easy : une fable, nous restons dans veine sympathique du country qui vous présente comme du pur sucre candy le dur sel de l’amertume de la vie, pour une fois Blaine  fait preuve d’une voix joyeuse, il raconte l’histoire d’un chanteur parti de rien qui étape après étape construit une carrière ascensionnelle. Côté pile. Quand on regarde en face le côté face, c’est beaucoup moins reluisant. L’on ne fait pas exactement ce que l’on veut. L’entourage vous encourage. Un peu moins de rage et davantage d’argent. Tout nage pour le mieux ! Prostitution mentale et sociale. Sans concession. Likes of me : toujours cette magie de la guitare sèche, bien sûr toujours cette stéréo, cette voix sans effet qui vous fait briller les mots d’une façon incroyable, inimitable, mais cette guitare, normalement elle devrait commencer par se répéter, par devenir monotone, pourquoi pas ennuyeuse, ben non, tour à tour elle creuse des abysses et vous édifie des montagnes,  elle ne vous surprend pas, elle se contente de prouver à chaque note que c’est ainsi qu’elle doit être jouée et non autrement, et vous ne pouvez qu’acquiescer. Wheathering : la brillance du succès et le regard de votre âme qui se prend pour Dieu même si c’est peut-être le contraire, quoi qu’il en soit une terrible partition entre le soi que l’on voudrait être et celui que l’on n’est pas. Profitons-en pour jeter quelques méchancetés sur ceux qui vous critiquent, qu’ils s’occupent d’eux-mêmes, Blaine semble se réconcilier avec lui-même, une guitare éclatée et un vocal plus affirmé, la pluie tombe toujours, que chacun s’arrange comme il veut, comme il peut avec elle, comme il pleut, la vie vous sculpte et vous polit, vous n’y pouvez rien, vous pouvez tout. Blaine n’est ni meilleur ni pire que les autres. A prendre ou à laisser.

             Neuf titres, et pas un seul à rejeter. Cet album est une parfaite réussite.

    Blaine Baley vous estabousie. Aucun effet. Aucun truc. Aucune facilité. Une guitare, une voix. Deux mondes. Le sien. Et le vôtre. Qui du coup vous semble plus terne. Blaine a retrouvé la confluence perdue entre le blues et le country, il a remonté jusqu’au  point de divergence des eaux, et se tient en ce point d’équilibre parfait où tous les contraires affluent et s’annihilent. Un chef-d’œuvre.

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    (Not on Label / Mars 2024)

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             De loin la couve ne paye pas de mine, simpliste et rudimentaire, de près l’on s’aperçoit qu’elle n’est pas si simple qu’elle en a l’air, d’abord le fond rouge éclatant, pas de plus évidente manière d’annoncer sa couleur, un chapeau plat de cowboy mais surmonté d’une plume, et sur le rebord ces quatre petits signes mystérieux  qui vous incitent à penser au Led Zeppe, fausse piste, il s’agit de lettres issues de l’alphabet syllabique Cherokee qui reprennent le titre de l’album. Home le paysage qui apparaît dans les verres des lunettes nous aide à comprendre que si être chez soi est le but, c’est la longue route qui mène à lui qui lui donne son prix.

    Band : Blaine Bailey / Richard Wood / Jace Walker /Additional Musicians : Johnny Mullennax /Tony Spatz, / Kendal Osbourne / Andrew Bair /  Hank Early ; Aucune précision quant aux instruments.

    Don’t waste time : ne perdons pas de temps, cet album n’est pas le double du précédent, ce n’est pas encore le tout électrique de Western AF mais l’on s’en rapproche, l’électricité rallonge le fil, le tempo est lent , il est nécessaire de donner à chaque instrument le temps de s’exprimer, normalement vu la scène de rupture, règlement de compte à OK Darling, les mots et les injures devraient fuser de partout, non toujours le même ton, mise au point sans se presser,  la voix est fluide, time is on my side, méfions-nous, l’on est loin de deux épidermes qui se sont croisés, trois petits tours et puis s’en vont, une différence quasi-ontologique entre deux êtres, ce qui affleure, c’est une grande violence contenue. Il vaut mieux s’arrêter ainsi. Cette discussion pourrait mal tourner. The deep end : la même chose côté soleil. Le rythme balance, le grand fossé est comblé, le pauvre semi-cherokee a su saisir sa chance, la guitare s’enflamme, c’est le moment de dire merci, d’avouer sa réconciliation avec la joie de vivre. Amour et gratitude. Colorado soil : le bonheur de l’un n’efface pas le malheur des autres, plongée dans le blues, l’histoire de Roby qui a su s’en sortir, s’enfuir de da réserve, qui a atteint le pays où l’herbe est plus verte, et qui retourne chez les Cherockees, all the good is gone quand il ne reste plus que la méthadone. Une tranche de vie. Une tronche de vide. Pas d’enjoliveurs sur la carcasse humaine. La musique coule comme de l’eau tiède, celle que dans la Bible le Seigneur recrache. D’ailleurs il n’est pas là dans la chanson. Finally gone : oui il est bien parti, ne vous raconte pas son histoire, vous chante un poème surréaliste, avec les intrus qui klaxonnent dans tous les coins, l’a traversé tous les délires, l’est revenu chez sa mère, mais il s’en fout, l’a tout connu, tout vu, tout pris en plein dans la troche, un feu d’artifice musical, et une explosion poétique, l’est comme Rimbaud-Cherokee, toutes les expériences, tous les débordements, toutes les galères, désormais il est dans le pays d’où l’on revient jamais, tant il éclipse tous les autres. Tant pis pour sa pauvre mère. Lucky AS a 7 : n’est pas tout à fait revenu notre Lucky le chanceux, oui il a été sauvé par une fille peut-être seulement parce qu’il était Lucky le Chanceux et malgré tout ce qu’il lui en a fait voir, ils sont toujours ensemble, preuve qu’il s’est Lucky le Chanceux, le gars s’en tire  bien, mais pourquoi la musique s’incline-t-elle vers le blues, sous le kaléidoscope des paroles y aurait-il quelque chose de plus noir, de plus implacable que le destin, de quelle couleur est-il cet ange que le Seigneur lui a envoyé. T-shirt : avoir parcouru le monde et se souvenir de qui l’on est, cette version est plus triomphale que celle de Western AF, un peu comme tout ce qu’il côtoyé entre temps avait un peu relativisé la partition de l’homme rouge, un peu comme s’il comprenait que tous les hommes portent en eux le même sang rouge. City blues : blues urbain, davantage d’électricité, moins de misère, davantage de désespoir, l’est parti à la poursuite de ses rêves, ne les a pas rattrapés, il voulait changer le monde, le résultat est pitoyable tout ce qu’il a réussi à faire bouger, c’est lui, mais en pire. C’est un peu Rimbaud qui revient à Marseille avec une jambe en moins. Lui ce n’est guère mieux l’a perdu ses illusions en lui et aussi envers les autres. Loblolly pines : après le blues du désespoir voici le boogie de l’espoir, sur la route du retour, tout vous semble beau, c’est au-dessus de l’abîme que l’on se raccroche à ce que vous pouvez, par exemple à la branche pourrie (cet adjectif est de moi) de la religion, en tout cas le morceau regorge d’optimisme. Attention c’est en bois de pin que l’on construit le cercueil de ses illusions. Home again : enfin le voici chez lui. Chez lui, sa mère et ses sœurs l’accueillent, l’est content. Revient aussi sur ses illusions. La terre natale et la famille. Valeurs traditionnelles. Le territoire de la tribu originelle réduit à sa portion congrue.

             L’on a hâte d’écouter son prochain album. Blaine Baley est un superbe compositeur, un super guitariste et un fabuleux lyricist. Son évolution future nous interroge. Nous sommes certains qu’il nous surprendra.

    Damie Chad.

     

    *

            Me suis levé la tête pleine d’idées étranges. Je ne savais pas ce que je voulais. Pour être franc, je ne l’ignorais pas. Un truc tordu qui me traversait la tête. N’exagérons point, pas un rêve irréalisable, restons dans le concret, par exemple trouver une chose impossible pour la simple et bonne raison que ça n’a jamais existé. Je ne vous fais pas languir davantage, tiens par exemple écrire une kronic sur un groupe de rock français métaphysique. J’ai tapé les cinq derniers mots de la phrase précédente sur Bandcamp, en moins de cinq secondes, j’avais trouvé. Ne me restait plus qu’à me mettre au travail. Quelle lourde tâche !

    REVOLUTION METAPHYSIQUE

    CONTINUUM

    ( Bandcamp / Album Numérique / Mai 2019)

             Groupe de Nice. Je cherche quelques photos, tombe pile sur la bibliothèque de la ville qui d’entrée sur son entrée affiche quatre groupes locaux, Carpe Diem en premier. C’est bien, mais ils ont dû se rappeler qu’ils devaient présenter avant tout des livres. Donc à part ces quatre heureux élus qui se battent en duel, plus rien. Pas de panique ils ont un FB, onglet photos, pas grand- chose. La principale étant déjà sur le bandcamp. Attention, une de rabe : le logo d’une émission de Metal local, nommée 1000 Décibels sur Agora Côte d’Azur. Je cours, je vole, et je ne triomphe pas, un dernier post daté de mars 2021 m’indique qu’ils viennent de se faire jeter sans préavis… Agora, ag’aura pas !

             Bon l’on se contentera de la seule photo sur Bandcamp. Chance : on les voit tous : Cony Derenty : vocal / Aieevok  : basse ( shs’s the girl) / Tony : guitares  / Xavier Bosher : guitar solo / Guillauùe Morero : drums (il porte une queue de cheval).

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             Z’ont sorti cinq albums et un EP, dont deux artefacts, leurs premiers enregistrements ont été couverts dans les revues et les blogues metal d’éloges.

             Révolution Métaphysique qui est leur dernier album bénéficie d’une belle couve. Sombre et mystérieuse à souhait. Une procession, pas tout à fait un défilé protestataire même si flotte un drapeau, bicolore, au hasard le noir et le rouge, sont-ils si nombreux que cela, une quarantaine au grand maximum, en fin de manif l’on reconnaît la chevelure blonde d’Aieevok, l’ensemble semble prêt à s’engouffrer dans une ouverture, une espèce de grotte en haut de laquelle se dessinent deux voûtes de pierre sanglantes, ça ressemble un peu à un palais buccal, cela nous autorise-t-il à nommer cette béance bouche d’ombre… Des anneaux de fer encadrent le dessin. Seraient-ils les symboles d’une chaîne à briser.

             Prenons le temps de nous interroger sur le nom du groupe. Incidemment, ils ne sont pas les seuls à avoir choisi ce nom. Notamment en France, un groupe de jeunes gens actifs entre 1980 et 1981, dont l’un d’entre eux semble-t-il a passé l’arme à gauche…

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    Ouverture : intro totalement déroutante, comme tout prélude qui se respecte on attend un instrumental, un ambianceur qui vous donne le la, le ton de ce qui va suivre. Donc une intro chantée, pas tout à fait, la première scène d’une pièce de théâtre, si vocalement surjouée que l’on se demande si nous sommes dans une comédie ou une tragédie.  Question musique nous sommes dans un drame, mais lorsque l’on a écouté à plusieurs reprises pour être certain de ce que l’on a entendu… certes cette récitation à la Cyrano de Bergerac interprété par un mauvais acteur casse tous les codes du metal fût-il qualifié de prog… ces paroles nous poussent à entrevoir le sens d’une toute autre manière que celle dans laquelle nous poussait l’interprétation de la pochette. C’est que le mot révolution a deux sens, celui d’un soulèvement populaire et celui de rotation, par exemple celle de la Terre autour du Soleil. Sans être allé plus loin l’on pourrait en déduire que l’âme humaine est soumise après notre mort à un retour dans la réalité sans cesse réitérée. Quête du vrai : mettons les choses en ordre. Le chant n’a aucun rapport avec un phrasé rock, quel que soit le sens ou la modulation que l’on puisse accorder à cette expression. Rien à voir non plus avec la chanson française, ni avec la variété. Ce n’est pas non plus du lyrique, nous sommes à des kilomètres de l’opéra. Essayons de tenter une description positive, un ton déclamatoire – rien à voir avec Racine et Corneille tels qu’on les récite à la Comédie française, à la limite du Molière, imaginez les médicastres de son époque avec leur chapeau noir pointu se rengorgeant en donnant un cours de médicamentation à un bourgeois ébahi, le ton haut et roucoulant. Mais c’est à un cours de métaphysique que nous assistons. Une vision très grecque en somme, le mouvement éternel des planètes, ce n’est pas pour rien qu’on leur a attribué des noms de Dieux, tournoiement incorruptible parfait qu’il faut comparer aux errances des âmes humaines perdues en leur propre vacuité, une vision toute platonicienne, notre esprit en un cycle antérieur a déjà eu accès à cette beauté, à cette sagesse, nous en éprouvons la nostalgie c’est pour cela que nous y retournerons… Hyperactive espèce : ce qui est étrange c’est que le texte n’est pas déclamé sur la musique, il semble au contraire que par ses brisures rythmiques et ses séquences instrumentales c’est la musique qui essaie d’imiter le vocal de devenir langage qui fait tout son possible pour ressembler à une émission élocutoire, retournons dans l’amphithéâtre écouter le professeur : première surprise il parle bien des hommes de maintenant esclavagés dans nos usines, abêtis dans nos écoles, unidimensionnalisés, esclaves consentant, autocastrés, dépourvus de toute volition individuelle, robotisés, connectés… un miroir des plus fidèles, en plus ça bouge, la batterie trinque avec nous, on se croirait au carnaval de Rio dans lequel les gens font semblant d’être libres. Credo : un ton moins déclamatoire, marmonne un peu, il en profite pour profiler une critique impitoyable de nos contemporains névrosés, aucun cadeau, aucune excuse, aucune pitié, des bêtes prêtes pour l’abattoir, grand cri de culminance énervée, et la musique pimpante et grandiloquente  pompiérise à mort, c’est le moment où notre hérault exulte son crédo, il n’a de regard que pour le monde supérieur son merveilleux équilibre, sa sérénité souveraine. L’on a envie de lui crier qu’il prend les lampadaires du ciel pour des objets platoniciens, mais on le laisse à ses croyances. Interlude I : pour le coup nous avons droit à notre instrumental, tout beau, tout plein, tout brillant, tout brûlant de joie. On ouvre les bouteilles de champagnes, ne vient-on pas d’énoncer la vérité vraie. Royaume des vanités : viennent-ils de se souvenir qu’ils sont un groupe de rock, en tout cas l’intro bulldozer nous réconcilie avec l’humanité, notre cantaor s’en trouve comme dopé, comme s’il avait reniflé un rail de cinq cents mètres de long de cocaïne, ne se retient plus, joue au prêtre qui du haut de sa chaire vilipende ses fidèles, c’est son moment, son heure de gloire, dresse leur portrait sans complaisance leur reproche tous leurs actes, toutes leurs pensées, leur envie d’éclipser leurs semblables, ils ne rêvent que de pouvoir, d’argent et de sexe, leur faut un maximum de maîtresses, c’est ainsi qu’ils répliquent et reproduisent leur propre espèce, le gonze se prend pour Bossuet, s’identifie à Bourdaloue. Les musiciens derrière s’enflent comme s’ils voulaient imiter la fanfare municipale, ils n’en crèvent pas mais quel charivari. On a l’impression qu’ils ont décidé de s’autoparodier. Ils y réussissent tous avec brio. Une véritable scène d’opérette. On se croirait chez Offenbach ! Désordre existentiel : changement de ton, la musique vole haut, la vile humanité se prend pour Icare, les guitares fusent et imitent à la perfection le bruit d’un avion dont le moteur emballé s’enraye et le voici qui pique du nez, tourne en cercle pour retarder l’instant fatal, peine perdue, le pilote ouvre le cockpit et crie ses ultimes admonestations au peuple égaré des ilotes volontaires sur lesquels il va s’écraser, vanité des vanités, l’on se croirait dans l’Ecclésiaste, les musicos imitent l’avion aux ailes cassées qui perd de l’altitude, et dans un dernier cri de toréador qui s’apprête à occire le taureau imprudent notre Robur maître du bas-monde prédit leur mort imminente… Ce qu’Er a vu : soyons clair, on a bien rigolé, ls deux précédents morceaux ressemblent un peu à la quatrième pièce, une comédie que les auteurs grecs ajoutaient aux trois drames de leur trilogie par lesquels ils avaient exposé un mythe, centré par exemple sur  le personnage d’Œdipe, cela permettait quelque de détendre l’atmosphère et de d’exprimer d’une façon moins ennuyeuse et plus accessible à la large fraction populaire du public de mieux entrevoir la portée des thèmes abordés par leurs trois premières pièces. Le Mythe d’Er n’est pas de la petite gnognote. Vous le trouverez à la fin de la République de Platon. Plus question de plaisanter, la musique devient sérieuse, finie l’opérette, voici du rock, Er raconte ce qu’il a vu, les morts oublient tout ce qu’ils ont vécu et tout ce qu’ils ont vu dans le domaine supérieur, en s’abreuvant au fleuve Amélès, les âmes vides se dirigent vers Lachésis la Parque qui file le fil de la vie, et chacune prend celui qui lui correspond, leur âme reviendra sur leur terre, ils se réincarneront plusieurs fois durant mille ans, au bout de ce temps, soit ils repartiront pour un cycle de mille ans, soit ils auront accès à la contemplation des Idées éternelles… nous échappons à la déclamation, seul le chant rock a le droit d’énoncer de tels enseignements…  Interlude II : ce n’est pas le générique de fin, mais un intermède musical, quelle parole oserait parler apès de tels enseignements, pour les Grecs la musique était l’art suprême, le seul capable de recevoir la poésie, autrement dit l’inspiration soufflée par les Dieux, ce morceau ne saurait pas ne pas pouvoir être grandiloquent. Vérité mensongère : partie 1 : si lourd à entendre une seule fois que l’interlude 2 se prolonge dans ce morceau-ci, lui aussi dépourvu de parole. La vérité de la parole des Dieux est qualifiée de mensongèr , non pas par ce qu’elle provient des Dieux mais parce que si éblouissante, si limpide soit-elle, elle n’est saisie et comprise que par des hommes qui ne sauraient l’entendre et la comprendre qu’imparfaitement. Vérité mensongère : partie 2 : puisque vous ne comprenez pas grand-chose, cette deuxième partie vous explique que la parole des Dieux transmise à l’avidité infinie de l’intelligence humaine est très vite transformée en religion, en croyances, qui permet de manipuler la grande part des hommes dont l’esprit est empli d’ombre et de bêtise. Vous offrez le feu à l’homme pour qu’il se réchauffe et s’éclaire, et certains vous apprendront à mettre le feu à l’abri de votre voisin...Vérité mensongère : partie 3 : un dernier commentaire, une ultime explication, l’a repris son ton déclamatoire, la batterie trépigne pour que vous enfonciez cela dans la tête, dans les synapses, dans le ciboulot, inutile d’essayer la subtilité, vous avez toutefois des chœurs féminins pour rendre votre comprenette un tantinet plus émolliente, l’on sait bien que c’est une cause perdue, que l’échec est inévitable, la guitare vous offre un solo à vous faire verser des larmes, à inonder le plancher à transformer l’escalier en torrent, rien n’y fera, les athées et les agnostiques resteront sourds aux rares sages  qui auront compris et intégré ce message, qu’ils soient placés tout en haut de la hiérarchie humaine ou au plus bas de l’échelle… personne ne les comprendra, personne ne les suivra. La voix se tait, la musique s’éteint doucement. La lumière se retire du monde. Définitivement serait-on tenté d’ajouter.

             Ce n’est pas le chef d’œuvre metallifère du siècle. Mais c’est follement original. Ils osent tout. Ils empruntent à la culture la plus savante comme aux formes les plus populaires. Une espèce de comédie humaine balzacienne en taille réduite. Mais impressionnante.

    Damie Chad.

     

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 687 : KR'TNT ! 687 : DOUM DOUM LOVERS / DEAN WAREHAM / TERRY MANNING / ISAAC HAYES / DARRELL BANKS / LITTLE RICHARD / TELESTERION / CONIFER BEARD

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 687

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    24 / 04 / 2025

     

    DOUM DOUM LOVERS / DEAN WAREHAM

    TERRY MANNNING / ISAAC HAYES

    DARREL BANKS / LITTLE RICHARD  

     TELESTERION / CONIFER BEARD

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 687

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    L’avenir du rock

    - Doum Doum Doum Doum

    (Part Two)

             L’avenir du rock boit un coup au bar. Boule et Bill déboulent.

             — Ça va, avenir du frock ? T’as la trique ?

             — Da da !

             — Tu parles allemand, maintenant ? Tu sais bien qu’on peut pas schmoquer les boches... C’est pour nous provoquer, dis ?

             — Di di !

             — Dis-voir Boule... Franchement, t’as déjà vu un mec aussi con que l’avenir du toc ?

             Boule ricane un coup et lance :

             — Ah tu peux dire qu’y bat tous les r’cords, c’t’av’nir de mes deux... Sur la tête de ma mère, y a pas pire locdu ! C’est-y pas vrai, av’nir de mes couilles, qu’t’es un locdu ?

             Bill ajoute aussi sec :

             — Tiens j’te parie qu’y va t’répondre ‘du du’ !

             En plein dans le mille...

             — Du du !

             — Y nous prend vraiment pour des bidons !

             — Don don !

             — À part sortir ses petites conneries à la mormoille, y sait rien faire d’aut’ !

             — J’te parie qu’y va nous brancher sur les Dum Dum Boys et des Doum Doum Lovers... Tu vois pas qu’y prépare le terrain ?

             — Alors av’nir du kraut, t’en connais d’autres des Lovers machin ?

             — Everly Lovers !

     

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             Un an après un premier concert dans l’Eure, tu retrouves les Doum Doum Lovers sur scène dans la salle des fêtes du trou du cul du monde, quelque part dans l’Eure. T’en reviens pas de voir un groupe aussi bon se produire si loin de la civilisation. Et du coup, t’en conclus que c’est tant mieux. L’underground est sain et sauf, il respire le bon air de la campagne. T’es tout de suite frappé par l’énergie des Doum Doum. Non seulement elle est restée intacte, mais elle a prospéré. Kinou bat de plus en plus sec et net, et Jean-Jean rocke le boat comme Popeye the sailor. À deux, ils restituent l’extraordinaire exubérance du rock sixties - le temps de l’innocence - ils remettent du rose aux joues de cette vieille mythologie éculée par tant d’abus, ils redonnent du sens à la nostalgie, mais avec un punch qui en dit long sur la pureté de leurs intentions. S’il fallait les résumer en deux mots, ce serait fraîcheur de ton et brio. Leur set passe comme une lettre à la poste : pas de temps morts, rien que du bon flux. Cette incroyable fluidité est un modèle du genre.

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             Alors attention, il y a une petite nouveauté : ils viennent d’enregistrer Doum Doum Covers/ Subtle Songs For Lovers qui, comme son nom l’indique, est un album de covers, et pas des moindres. Ils commencent par taper le «Primitive» des Groupies dans leur premier tiers de set, et ça prend aussitôt des proportions considérables, car Jean-Jean le travaille bien au corps, il en fait jaillir la moelle, il en écrase bien les syllabes, et pendant qu’il gratte ses poux, tu grattes tes puces, car ça sent bon le fond de la caverne et les Cramps. Te voilà sur orbite. Tu vas encore valdinguer avec une superbe cover du «Five Years Ahead Of My Time» des Third Bardo, un autre sommet du genre, repris entre autres par Monster Magnet, les

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    Nomads et bien sûr les early Cramps. La version des Doum Doum est assez monstrueuse, Jean-Jean ramène les basses du diable sur sa gratte, il donne au Five Years une profondeur de champ jusque-là inégalée et prend son pied à jouer le thème dans l’épaisseur du son. Sa version vaut largement les trois pré-citées. Il enchaîne avec un autre killer-track, le «Trip» de Kim Fowley, et là, pareil, il te laisse comme deux ronds de flan, car il rappe comme Kim, sur le plus monstrueux des beats sixties, il te stompe ça vite fait bien fait. Non seulement le choix de covers est imbattable, mais le rendu vaut tout l’Or du Rhin, il passe chaque fois en force sans forcer, c’est quasiment un tour de passe-passe. Du pur Houdinisme ! Rien n’est plus

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    génial qu’une reprise bien sentie. T’as le cut et l’argent du cut. À deux, parviennent à défoncer la rondelle des annales, avec cette incroyable fraîcheur de ton qui les caractérise. Ils tapent encore le «Do You Love Me» des Contours, produit à l’aube des temps par Berry Gordy, une petite furibarderie qu’on aurait tendance à confondre avec celles des Isley Brothers. Ce démon de Jean-Jean passe en mode heavy blues pour taper l’«How Long Blues» de Leroy Carr et sort pour l’occasion un son de basse sur la gratte qui rappelle le son qu’avait Dave Edmunds au temps d’«I Hear You Knocking», ce son bien sourd qui t’entre aussitôt sous la peau. Ils

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    continuent de taper dans l’haut de gamme avec la version française de «Bird Doggin’», celle de Noel Deschamps, «Pour Le Pied», rebaptisée ici «Pour Le Fun». Kinou l’attaque de front, sur un ton mal intentionné et redonne vie à ce vieux hit entré en fanfare dans la légende. 

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             Petit conseil d’ami : saute sur les Doum Doum Covers, Subtle Songs For Lovers. Cet album entre dans la caste des très grands albums de covers. Tu veux des noms ? Cliff Bennett & The Rebel Rousers et Got To Get You Into My Life, Master’s Apprentices et Apprenticeship In The Garage 1966, Milkshakes et 20 Rock’n’Roll Hits Of The 50’s & The 60’s, Lazy Cowgirls et Radio Cowgirls, Mono Men et 10 Cool Ones, Melvins et Everybody Loves Sausages, Liverbirds et From Merseyside To Hamburg, The Memphis Blues Cream et 706 Union Avenue, Raveonettes et Sing, Robyn Hitchcock et 1967 Vacation In The Past, Junior Parker et Love Ain’t Nothin But A Business Goin’ On, Headcoats et Brother Is Dead But Fly Is Gone, Dirty Deep et A Wheel In The Grave EP, pour n’en citer que quelque-uns. On ne parle même pas des grands adorateurs du Velvet (Galaxie 500, Feelies, Subsonics), de Dylan (William Loveday Intention, aka Wild Billy Childish) ou des Stooges (Union Carbide Production ou encore Sour Jazz). Voilà dans quoi sont entrés les Doum Doum Lovers avec Doum Doum Covers. Ils t’en donnent un avant-goût sur scène, mais sur disque c’est encore pire. T’es tanké dès l’«Her Big Man» des Brigands. Fabuleuse rockalama, ampleur immédiate. Le drive est un modèle du genre. Et ça continue comme ça sur 13 autres cuts triés sur le volet. Ils tapent tous les deux dans l’un des fleurons de la crème de la crème, «A Question Of Temperature» des Balloon Farm, Kinou attaque ça au jungle beat et le Balloon prend tout de suite une fière allure. Le son est plein comme un œuf. Il faut les voir se jeter dans la bataille de la Temperature ! T’es vite frappé par la profondeur insolite des basses. Jean-Jean chante son «Nobody Knows You» à la Kim Fowley, un Kim qu’on retrouve à la fin avec «The Trip», Jean-Jean taille bien sa route sur un heavy beat surchargé de testo, il pousse bien le Kim dans ses retranchements, t’assistes à une fantastique foire d’empoigne. L’album va plus loin que le set : qualité ahurissante de l’écho et des basses, et ça cuivre à outrance. On se croirait revenu au temps où Chris Bailey ramenait des cuivres dans les Saints, ça prend un relief hallucinant. Ce Doum Doum Covers est un vrai coffre de pirate chargé de trésors : Jean-Jean rocke le beat du vieux «How Long Blues» de Leroy Carr et Kinou attaque sa cover de «Bird Doggin’» avec une belle violence salutaire : elle passe par Noel Deschamps et c’est cuivré de frais. Ils jouent l’«I’m Going All The Way» des Squires à bout de souffle, c’est gratté et battu à la hussarde, avec une énergie considérable et un brouet d’acou, et soudain, Jean-Jean siffle. Il re-siffle sur l’«1-25» des Haunted et ça prend un volume extravagant. T’as un solo de sax dans le «Do You Love Me» des Contours et il tape le «Primitive» des Groupies au heavy groove de basse. Kinou ramène tout le ramdam des sixties dans «La Machine», un vieux hit de Dani, et ça repart en mode stoogy pour le «Why» des Dirty Wurds. Jean-Jean nous dira après le concert qu’il tire ses covers des Peebles. Et puis bien sûr, tu retrouves le puissant «Five Years Ahead Of My Time» qui reste le cut chouchou de tous les becs fins. Cui cui !

    Signé : Cazengler, Dumb Dumb Loser

    Doum Doum Lovers. Saint-Léger-de-Rôtes (27). 6 avril 2025

    Doum Doum Covers. Subtle Songs For Lovers.

    L’avenir du rock - Doum Doum Doum Doum (Part Two)

     

    Wizards & True Stars

     - Wareham câline

     (Part One)

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             Non, Dean Wareham ne sort pas d’une (divine) chanson de Michel Polnareff, mais c’est tout comme. Dean Wareham fait partie des êtres visités par la grâce - Pour la vi-iie/ Ou peut-être plus/ Pour la vi-iie/ Ou peut-être moins - L’association Polna/Real Dean est assez automatique. Encore un titre de rubrique qu’il n’est au fond pas besoin de justifier.

             Dean Wareham est le real Dean. Et ce dès Galaxie 500, dès Luna et dès Dean & Britta. Galaxie 500, c’est une galaxie de 5 albums qui te font tourner la tête, car leur manège à toi c’est eux, et l’ouverture de ce Bal des Laze se fait avec l’aujourd’hui de toujours, Today.

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             Today éclot aussitôt avec «Flowers» et son attaque saignante de clairette transfigurée. Et t’as cette basse azimutée qui entre dans le son, c’est quelque chose ! De toute évidence, ils cultivent l’excellence, le Velvet Spirit, t’as aussitôt les dynamiques, c’est complètement extravagant de classe et de puissance. L’autre coup de génie de cet album s’appelle «Tugboat», un Tugboat fabuleusement monté en neige, ça ne pardonne pas. Le real Dean développe son petit biz, c’est un spécialiste de la montée en neige, et avec lui ça va vite, il te gratte tout ça en note à note inflammatoire et te fout l’Ararat en rut. Il développe encore son biz dans «King Of Spain», avec des syllabes élastiques et sa clairette doucereuse. Dans «Crazy», tu le vois cavaler ventre à terre à travers la plaine, en toute allégresse. Il peut se montrer très échevelé, et bien sûr, il joue la carte de la surenchère. Il gratte encore des poux divins dans «Pictures» et dans «Parking Lot», il y coule même une rivière de diamants. Il navigue au même niveau que Tom Verlaine, voilà, c’est pas compliqué. Le temps d’un cut comme «Don’t Let Your Youth Go To Waste», il devient le roi de la pop de velours et il entre au chant comme le ferait Nico. Il déverse encore des flots de clairette pure dans l’effarant «Temperature’s Rising», et ça monte comme la marée. Alors le real Dean s’en va jouer sa belle explosion finale. Il nous fait le coup quasiment à chaque fois.

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             L’idéal est de croiser les écoutes et les ré-écoutes avec la lecture d’une bien belle autobio, Black Postcards: A Memoir. Le real Dean s’y confesse avec un réel talent d’écrivain. L’homme est complet. On est en sécurité. T’as dans les pattes un Penguin book de 300 pages, composé en corps 10 mais bien interligné, ça va, tu ne t’esquintes pas trop les yeux. Le real Dean raconte essentiellement sa vie en tournée, et c’est passionnant, car il promène sur le monde un regard curieux et bien rock, il ne nous épargne rien des vans et des hôtels, aussi bien aux États-Unis qu’en Europe. Et bien sûr, il rencontre tous les gens intéressants, depuis Kramer jusqu’à Sonic Boom, en passant par Dave Berman, le mec des Silver Jews.

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             Il a quatre ans quand il subit son premier choc esthétique avec le «Georgy Girls» des Seekers, qui en Nouvelle Zélande étaient aussi énormes que le Beatles. Il les compare à Chad & Jeremy et aux Mamas & The Papas - Si nous passons toute notre vie à essayer de retrouver la magie de l’enfance, alors j’ai passé la mienne à essayer de recréer ce que j’ai éprouvé à l’écoute de «Georgy Girl», un mélange de beauté, de tristesse et d’extase - Et là tu sens l’écrivain, car en trois mots, il définit l’art des Galax. Il se souvient aussi que son père avait ramené à la maison l’Here Comes The Sun de Nina Simone, où se trouve ce qui reste selon lui la meilleure version de «My Way». Petit, il avait aussi flashé sur le Cocker’s Happy de Joe Cocker, où se trouve la fameuse cover de «With A Little Help From My Friends» - which he did far better than the Beatles - Il salue aussi les «Elvis’s live performances from the 1970s as some of the greatest recordings of the era. Les critiques se moquaient du King bouffi, mais qui avait un meilleur groupe en 1973 ? David Bowie ? I don’t think so. Les Rolling Stones ? Ils étaient bons, mais Get Yer Ya-Ya’s Out ne vaut pas That’s The Way It Is, un album live d’Elvis enregistré à Vegas et Nashville.» La famille Wareham quitte la Nouvelle Zélande pour l’Australie, puis en 1977, part s’installer à New York. Le real Dean a 14 ans. Il va acheter ses disques chez King Karol Records, 85e rue et 3e avenue, où bosse Bryan Gregory from the Cramps. Puis il découvre via son frère Anthony les Modern Lovers, Magazine, puis les Feelies, dont il qualifie le Crazy Rhythms de perfect record. Au lycée, il se passionne pour la philo, et cite Platon, David Hume et Bertrand Russell. Puis en cours d’Allemand, il flashe sur Bertol Bretch et Erwin Piscator. Il prend quatre cours de guitare, assez, dit-il pour apprendre quelques gammes pentatoniques lui permettant le soloing. Il flashe aussi sur le Paisly Underground, et notamment le Sixteen Tambourines de The Salvation Army, The Days Of Wine & Roses du Dream Syndicate et le Third Rail Power Trip de Rain Parade, le groupe de David Roback. Le real Dean a de bonnes bases. 

             Un jour, il flashe sur a «beautiful old car - a Galaxie 500.» Et hop c’est parti.

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             Dans Mojo, Roy Wilkinson claque six pages galactiques. Il chapôte en qualifiant les Galax de «neo-psychedelic jewel of late ‘80s American indie rock», grands amateurs des «two-chord beatitudes of the Velvet Underground». Le real Dean se dit bien sûr fan du Velvet. Avec Luna, il a joué en première partie du Velvet lors de la tournée de reformation. Et selon Wilkinson, les Galax sont devenus l’«archetypal cult band».

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             Les Galax se sont rencontrés à l’école, on Manhattan’s Upper East Side. Damon Kurkowski & Naomi Yang sont des «grad students at Harvard.» Comme Damon, le real Dean voulait jouer dans les Clash. Naomi en pinçait elle aussi pour le British punk. Damon & Naomi étaient en couple et le sont encore. Naomi apprend à jouer de la basse en écoutant les basslines de Joy Division qu’elle trouve «beautiful, perfect». Première répète en mai 1987. Ils commencent par taper des covers, «Where Have All The Flowers Gone» de Peter Paul & Mary, «I Can See Clearly Now» de Johnny Nash, «Just My Imagination» des Temptations et «Knocking On Heaven’s Door» de Bob Dylan. Ils jouent leur premier gig chez Dean - It was the best gig of my life - Un gig de 20 minutes, «and it was just perfect.» Le real Dean adore la perfection. Il ne vit que pour ça.

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             Damon flashe sur un album d’Half Japanese, découvre que c’est produit par un certain Kramer. Il lui téléphone. Kramer a déjà bossé avec les Butthole Surfers et les Fugs, puis il va sortir Ween et Daniel Johnston sur son label Shimmy Discs. En plus, son Noise New York Studio est abordable. Il enregistre le premier single des Galax, «Tugboat/King Of Spain», Tugboat étant un hommage à Sterling Morrison devenu a «real life tugboat captain», c’est-à-dire capitaine d’un remorqueur. Kramer se dit encore plus fier de Today, le premier album des Galax : «A living dream, like reading William Blake for the first time.»   

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             C’est la collaboration avec Kramer qui va faire basculer les Galax dans la légende. Kramer est une figure de légende dans l’underground : il a joué dans Schockabilly, dans Bongwater et dans B.A.L.L. Kramer a installé son studio au quatrième étage du 247 West Broadway, «just a wooden floor and brick walls.» Il a un 16 pistes. Kramer est un mec très maigre, «the skinniest  man I ever met», nous dit le real Dean, «and he smoked weed vigourously.» Le real Dean ajoute qu’il est fier de sonner comme Galaxie 500, et non comme les groupes qu’ils admirent tous les trois à l’époque, «Modern Lovers, Big Star, The 13th Floor Elevators, Love, Joy Division, or the Feelies.» Ailleurs, il cite encore les Moderne Lovers et Young Marble Giants comme des héros.

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             Leur premier album leur coûte 750 $ - it is still my favorite Galaxie 500 album - Ils se chamaillent un peu sur les crédits, le real Dean estimant qu’il a composé pas mal de trucs - chords, melodies, lyrics - alors pourquoi tout partager en trois ? Mais Damon et Naomi veulent tout partager en trois. Ils menacent de quitter le groupe si le real Dean n’accepte pas le partage à trois, «and that I should find another backing band.» Premier petit bras de fer. Page suivante, le real Dean se dit fier de faire partie d’un groupe avec Damon & Naomi, mais cet épisode lui laisse un drôle de goût dans la bouche «a new taste in my mouth». Il ajoute qu’avec ce type d’incident, le friendship is dead - Your friendship had been poisoned. Kaput !

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    Kramer

             Kramer est un mec bizarre. Il profite que le real Dean ait le dos tourné pour essayer de se taper sa poule, Claudia - That was Kramer - Kramer trouve Claudia hot, alors il tente le coup, mais le real Dean se marre : «I should have punched Kramer in the nose, but I knew he didn’t stand a chance of stealing my girlfriend away from me.» Le real Dean a de la chance, il peut dormir sur ses deux oreilles.

             Quand le real Dean et Kramer acceptent de participer à un benefit acou pour un fanzine, Damon & Naomi protestent : le real Dean n’a pas le droit de jouer sans les Galax. Damon dit que les décisions doivent être prises à trois. Mais le real Dean va faire quand même le benefit. Quand les Galax sont en tournée, Kramer monte sur scène avec eux, et au bout d’un moment, Damon & Naomi ne veulent plus de lui sur scène. Il monte quand même sur scène à Glastonbury. C’est Kramer. Il n’en fait qu’à sa tête. Damon & Naomi sont livides. Ils ne lui adressent plus la parole. Ça amuse beaucoup le real Dean. Un real Dean qui n’aime pas trop les grands festivals - On a joué sur la même scène que Melissa Ethridge, but missed her show. On a aussi raté les shows de Lenny Kravitz, Midnight Oil and all kinds of other stupid shit - Puis arrive the meatball incident. Les Galax dînent au restau avec Kramer, et Naomi commande  des boulettes d’agneau. Kramer s’en offense. Il est végétarien. Il dit à Naomi : «Have you ever looked into the eyes of a little lamb?» - Naomi told him to go fuck himself - Mais bon, c’est Kramer qui fait le son des Galax.

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             Puis les Galax simili-prennent feu avec On Fire, et au chant t’as un real Dean qui sonne vraiment comme Nico, et c’est pas peu dire. Il cultive bien cette ambiguïté, il s’ancre résolument dans la banane du Velvet, et fait monter le relentless comme la marée. Il peut aussi chanter comme une folle préraphaélite («Tell Me»), mais il ne manque jamais de ramener la purée de gras double au sortir d’un cut. Il base la véracité de ses couplets sur le son des clairettes et la pureté des intentions, il rivalise d’ailleurs de pureté intentionnelle avec les Feelies. Et le voilà qui entre à la vipérine dans «When Will You Come Home», et se met à gratter comme un sale crack, un Lou Reed amphétaminé et il développe sa petite affaire avec un gras de clairette toxique qui fait de lui un véritable Wizard. Tout est juteux et organique, sur cet album. Naomi Yang prend l’«Another Day» au chant. Ça a l’air mou du genou, mais en vérité, c’est très puissant. Le real Dean la rejoint sur le tard et fout le feu à la plaine. Il s’implique toujours de façon extraordinaire. Il refait sa Nico dans «Leave The Planet». Tous ses cuts sont infestés, sa psyché est une merveille de mimétisme velvétien. Le real Deal devient de plus en plus blonde germanique avec «Plastic Bird» et toujours ce final apocalytique. Toute la fin d’album est remontée des bretelles. Les échappées sont géniales, avec derrière ce son de basse toujours indépendant, dans son rôle de contrefort mélodique. Voilà un album qu’il faut bien qualifier de princier. On a pu détester ce côté mou du genou à l’époque, mais à la revoyure, il apparaît que c’est du très grand art. Le real Dean est le roi des échappées somptueuses, le final d’«Isn’t It A Pity» est un modèle du genre, une vraie fin en soi, élégiaque et magistrale. 

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             Pour beaucoup, On Fire est le keystone des Galax. Dans la presse rock, on comparait le real Dean à Neil Young, ce qu’il réfute. Il préfère citer les influences de Jonathan Richman et des Feelies. C’est Kramer qui le pousse à forcer sa voix : «Kramer pushed me to double things in falsetto.» C’est après On Fire que les tensions sont apparues. Damon & Naomi vivent à Cambridge, Massachusetts et le real Dean à New York, et le «200-mile drive» l’exaspère. Damon sent que le son des Galax bascule, «from self-consciousness to decadence.»

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             L’année suivante, ils rééditent l’exploit d’On Fire avec This Is Our Music. On y retrouve les mêmes composantes : le mimétisme velvétien et les échappées belles. «Fourth Of July» sonne comme un cut du Velvet. Le real Dean reste dans cette ambiance, avec un bassmatic joliment libre, et puis il part en vrille de velvétude. Il refait sa Nico sur «Spook», à coups de nearly lost my mind sur les accords d’«All Tomorrow’s Parties». Il tape ensuite «Summertime» sur les accords d’«Heroin». Même son d’intro, c’est comme suspendu entre rêve et réalité, et t’as toujours l’explosion finale. C’est vraiment la marque de fabrique des Galax. Coup de génie encore avec «Listen The Snow Is Falling». Noami prend le chant et c’est beau car elle ramène de la chaleur féminine. «Listen The Snow Is Falling» est aussi pur que «Pale Blue Eyes», et bien sûr, t’as la fin de cut apocalyptique, c’est complètement dévastateur avec un real Dean qui explose comme une bombe atomique. Ils enchaînent ensuite deux autres bombes atomiques, «Sorry» et «Melt Away». C’est la bassline qui t’emporte la bouche sur Sorry, Naomi gratte une incroyable mélodie souterraine. Le son des Galax, c’est l’éther d’une voix, une jolie dentelle de clairette et un bassmatic mélodique. Ce bassmatic omniscient qu’on retrouve dans Melt, elle devient la jouvence de la Galaxie, un Melt où le real Dean file vers son final en forme de firmament psyché subliminal, il atteint l’osmose de la psychose, c’est absolument stupéfiant d’universalisme. Ils sont tout simplement faramineux, écœurants d’élégance, surtout Noami et son bassmatic ouaté et mélodique qui donne une profonde identité au son des Galax. Serait-elle la maîtresse d’œuvre ? Elle va chercher des notes de bas de manche qui donnent des couleurs aux joues du cut, elle lui donne vie, et comme si tout cela ne suffisait pas, t’as des trompettes de Jéricho.

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    Damon & Noami

             Le real Dean appelle Damon & Noami pour leur dire qu’il veut quitter le groupe. Mais il reste encore un peu, pour quelques concerts. Et ça va tourner à l’obsession. Il ne peut plus les supporter - I want to live my life without you in it - Il répète encore qu’il aimait «Damon’s fluid, jazzy style on the drums, and Naomi’s simple and melodic bass parts. I liked Damon’s poetry and Naomi’s miniature paintings. But they were driving me crazy.»  

             Des dates sont bookées au Japon et Damon appelle le real Dean pour le lui annoncer, mais il reçoit une fin de non-recevoir : le real Dean quitte les Galax. Damon & Naomi sont choqués.

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             Le quatrième et ultime album des Galax s’appelle Copenhagen. C’est une sorte de best live et fatalement on retrouve ces merveilles que sont «Fourth Of July» qu’ils jouent à cœur ouvert, sans cacher leurs sentiments, «Summertime» où on croit entendre Nico chanter, «Sorry», monté sur un bush de beurre et un bassmatic minimaliste, «When Will You Come Home» où le bassmatic crée encore de l’enchantement et bien sûr le real Dean part en vrille d’excelsior. Tu retrouves aussi le sublime «Listen The Snow Is Falling», très Pale Blue Eyes, pur ô so pur ! Et bien sûr ils tapent une cover du Velvet : «Here She Comes Now». Ils y vont doucement mais sûrement, ils en font un traitement d’une pureté sidérale, et le real Dean revient en plein Nico avec «Don’t Let Your Youth Go To Waste», tiré de Today, cut signé Jonathan Richman, c’est du pur gothic Velvet, ils récréent exactement les conditions du gothique new-yorkais, tas le Grand Jeu warholien et t’as la basse de Naomi Yang qui descend en travers dans le mood, alors la température monte et le real Dean déclenche une fois de plus son champignon atomique.

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             Les Galax sont eux aussi passés par les Peel Sessions. On y retrouve toutes ces merveilles velvétiennes que sont «When Will You Come Home», «Flowers» et «Dont’ Let Your Youth Go To Waste», le real Dean refait sa Nico et passe des grands solos de wah, avec une fébrilité délibérée, quel pâté de foi ! Ça flirte en permanence avec le voile de la Factory, et l’acid freakout de Lou Reed. Ils poussent même le bouchon jusqu’à sonner comme un power trio, et après le dernier couplet de «Dont’ Let Your Youth Go To Waste», le real Dean part en vrille délétère, en Velvétien accompli. On trouve aussi sur ces Peel Sessions une cover du «Submission» des Pistols, d’où l’intérêt des Peel Sessions. Cover dévastatrice, mais sans la voix, bien sûr. Ils tentent l’ampleur. L’autre coup de génie est ce «Blue Thunder» sorti de nulle part et d’une beauté purpurine, bien monté aux harmonies vocales et que ne manque pas d’exploser l’atomique real Dean.

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             Si tu veux aller au fond de la Galaxie, c’est avec Uncollected (Rareties) paru en 1996. C’est vraiment le fond de la Galaxie. Tu y retrouves toute cette mélasse compassionnelle et ces harmoniques de basse qui te plaisaient tant dans les albums. Tu y croises «Blue Thunder» et son fantastique relent velvétique, tu le sens dès les premières mesures, et la belle bassline de Naomi Yang vient te caresser l’intellect, ils chantent à deux et font éclater leur Sénégal avec un sax in tow, et puis bien sûr le real Dean claque un solo final en forme de débinade apoplectique. Le real Dean a toujours cette voix de nez, cette voix de Nico masculin, il est encore pointu sur «Song In 3», il fait son Perlimpinpin et te tire-bouchonne un final explosif. Il challenge encore le Velvet avec «I Can’t Believe It’s Me», il sort des entourloupes à la Lou, il devient tellement Velvetien que ça finit par te troubler. C’est Naomi qui chante «The Other Side». Elle est magnifique, dommage qu’elle ne chante pas plus souvent. Et bien sûr, ça se barre en crouille-marteau de Dean machine. Il collectionne toutes les variations extraordinaires, et la rose n’en finit plus d’éclore au matin. Et voilà le pot aux roses de Ronsard : une version live de «Rain/Don’t Let Your Youth Go To Waste». D’où l’intérêt d’aller chercher ces petites compiles de fonds de tiroirs, car c’est là que se trouvent les vraies pépites. Comme par exemple la version d’«Anarchy In The UK» sur l’album live de Wild Billy Childish & the Blackhands, ou encore la version live at the Roundhouse d’«On Parole» par Motörhead, sur The Boys From Ladbroke Grove. Le «Rain» du real Dean est un sommet du genre - The first time in New York, dit-il avant d’attaquer directement en mad psyché, I don’t mind, et il part en killer killah killoh de mad freakout surnaturel. Il révolutionne le genre, il surjoue l’excelsior, le real Dean est un géant des catacombes, le Golem de la Mad, puis il bascule dans son Youth et ça prend des tournures pourfendues, des allures pantelantes, ça moud les épithètes, c’est exponentiel de panache, t’en suffoques d’extase, et ils font ça à trois ! Et le real Dean se livre une fois encore à une lutte finale explosive. Il est véritablement l’un des génies soniques du XXe siècle, qu’on se le dise !

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             Et pour surenchérir sur le thème «fond de la Galaxie», vient de paraître le mighty Uncollected Noise New York ‘88-’90, qu’on pourrait presque qualifier de tribute au Velvet. On n’y trouve qu’une seule cover du Velvet, «Here She Comes Now», sur le disk 2, bien amenée à l’élan lysergique. Le real Dean est un inconditionnel, il soigne sa Velvetude, il épouse le Lou au chant, il recrée les dynamiques infernales et ça menace d’exploser sous la cendre. Le real Dean fait d’«Here She Comes Now» un monstre d’élégance gothique, un chef-d’œuvre d’intégrisme Velvetique, et Damon Kurkowski bim-bam-boome au beurre, il bat bien la coulpe du Velvet, et t’as en plus ce bassmatic éhonté de Naomi Yang derrière, et petite cerise sur le gâtö, le real Dean qui te gratte les poux du diable, il ressuscite les basses œuvres du Velvet, il tisonne le cœur du pâté de foi et ça prend feu sous tes yeux, c’est de la dévotion extrême qui bascule dans le surnaturel, dans une clameur de la chandeleur. Il n’y a que le real Dean (et Glenn Mercer) pour rendre ainsi hommage au Velvet. Sur le même disk, tu retrouves «Blue Thunder» qui pourrait très bien être un cut du Velvet. Les accords d’intro et la mélodie chant sont typiques du Lou, en plus c’est saxé dans l’âme. Le real Dean réussit son coup avec cette mélopée sublime et il passe un solo de dingoïde en fin de cut. T’entends encore le bassmatic génial de Naomi Yang dans «Fourth Of July». Toujours du très haut niveau, avec le final inflammatoire. Le real Dean se met en branle dans la stratosphère. Il refait encore sa Nico dans «Moonshot». Il retrouve tout l’éclat gothique de l’égérie warholienne. Ne manque plus que l’harmonium. Il te gave comme une oie. C’est d’une densité extraordinaire. Sur le disk 1, tu trouves pas mal d’inédits, tiens, par exemple de «See Through Glasses» qui tape en plein Velvet, gratté dans l’absolu, avec le feu sacré du final explosif. Pareil avec «On the Floor» : inédit et wild as fuck, avec son final apocalyptique. Tu crois entendre le Lou dans «Can’t Believe It’s Me». Lou y es-tu ? Le real Dean est en plein dedans. On retrouve aussi le «King Of Spain» du premier album, Today. Le real Dean refait son Lou d’accent pincé. Et plus loin, sur «Song In 3», il refait le coup double, c’est-à-dire sa Nico et le final de poux demented. Tu retrouves encore cette voix de Nico devenue folle dans «I Will Walk», un autre inédit. Il retombe en plein dans le Lou avec «Cold Night» et la Méricourt entre en lice comme d’habitude à la fin du cut. Et pour finir ce faramineux disk 1, le real Dean sort «Ceremony» de sa manche, la cover de Joy Division, mais ça se met en route exactement comme un hit du Lou, et le real Dean rajoute sa mélodie chant au sommet du mimétisme. Si ce n’est pas de l’art, alors qu’est-ce que c’est ?

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             Dans son book, le real Dean évoque des tas de gens intéressants, à commencer par Calvin Johnson, le mec des Beat Happening, «qu’on appelait the Andy Warhol of Olympia, Washington, an unrepentant punk rocker and leader of the International Pop Underground. Calvin’s punk did not mean wearing a leather jacket and playing loud and fast.» Il ajoute que Calvin avait «a magnetic stage presence and a unique rock voice and wrote great songs that were both innocent and rebellious, but not twee.» Le real Dean voit aussi à l’époque Pussy Galore, «with four guitarists and no bass player», et Bob Bert qui bat le beurre sur un réservoir d’essence. Mais ce qui frappe le plus notre cher real Dean, c’est la tension qui règne dans le groupe - comme s’ils ne supportaient pas d’être ensemble dans la même pièce. Depuis j’ai appris qu’il y avait de la tension dans tous les groupes - Il voit aussi GG Allin dans la rue - Certaines personnes le voyaient comme the essence of rock and roll, a true bad boy, the second coming of Hank Williams. But Hank Williams n’a jamais pris de laxatifs avant de monter sur scène, so he could strip naked and poop on the stage - Il rencontre aussi un journaliste du Melody Maker, Bob Stanley - He was in a band too. They were called St. Etienne - Quand le real Dean lui demande quel instrument il joue, PolyBob lui répond : «It’s hard to explain.»

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             Le real Dean qui a du goût rappelle que les Screaming Trees était son «favorite Seattle band» - They were far more melodic than their peers - Et pouf il embraye sur l’apologie de Lanegan qu’il compare à Jimbo - Like Morrison, Lanegan  was a handsome and charismatic drunk, with long brown hair - Il ajoute que Lanegan était déjà ivre au sound-check de 16 h, et il adorait la cover que faisait Luna du «Don’t Let Your Youth Go To Waste» de Jonathan Richman.

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             On croise dans le book un petit paragraphe sur le mythe du premier perfect album. Le real Dean cite deux exemples : l’Is This It? des Strokes et le Marquee Moon de Television. Et crack, il embraye aussi sec sur le Velvet qui, après le premier perfect album, en ont fait «three more perfect, yet different.»  Oh et puis Lee Hazlewood ! - J’ai rencontré Lee Hazlewood quelques années plus tard et lui ai demandé comment il obtenait his great vocal sound. He said you put echo on the reverb (or was it reverb on the echo?), instead of on the voice itself, so that the voice retains its presence while still having a huge echo sound... like the voice of God - Par contre, le real Dean n’aime pas 16 Horsepower, avec lesquels il joue en Suisse - I’d never heard of them, and I confess I didn’t like them. I mean, I didn’t know them personallly, and I didn’t like their music or their instruments or their porkpie hats - Avec lui, c’est vite réglé. Par contre, il adore Stereolab, avec lesquels il joue à Barcelone - Sterolab was one of the best live bands in the world, one of those bands that comes along once in a while and changes the whole music scene (...) They were derivative on the one hand, but also startingly original - Il rend hommage à Carol Kaye qu’on entend jouer de la basse sur tous les gros hits californiens d’antan, et plus loin à Sonic Boom qu’il rencontre à Cleveland - Sonic was one of the two brillant minds behind Spacemen 3 - et il ajoute ça qui vaut son pesant de pesos : «Sonic is definetively a hedgehog», c’est-à-dire un hérisson. Ils vont d’ailleurs enregistrer ensemble tous les trois avec Britta un EP de remixes de L’Avventura - Sonic said thaht L’Avventura was one of the all time great albums - On voit tout ça dans le Part Two.

             Le real Dean est aussi pote avec David Berman qui sort tout juste de rehab «for addiction to crack» - Berman told of his descent into crack hell, qui en fait s’est terminée au Vanderbilt Hotel, où il prit une suite, ingested large quantities of crack and Dilaudid and Xanax, and contemplated suicide.

             Et puis cette façon qu’il a de régler leur compte aux cons : «Assis dans mon lit, je regardais le documentaire sur Metallica, Some Kind Of Monster. It was painful to watch. Le film montre ce qu’il y a de pire dans un groupe : l’impossibilité de prendre des décisions, le vote permanent, les discussions, les réunions. Metallica écrit des lyrics en comité. C’est dur à regarder. James Hatfield et ses bandmates ne sont pas des gens très sympathiques.» Et plus loin, il ajoute que «Metallica and U2 and REM are far more than rock and roll bands. They are institutions, corporations. And corporations have lives of their own.»  

             On n’en finit plus de croiser l’écrivain Wareham dans Black Postcards: A Memoir. On reconnaît souvent les grands écrivains à cette façon qu’ils ont de nous faire revenir deux pages en arrière pour relire un passage intriguant. Si tu veux remettre le souvenir du passage au carré, il faut revenir sur l’exacte formulation. L’exacte formulation est l’apanage des grands écrivains. Et derrière sa modestie, se cache le grand écrivain Wareham. Ceci par exemple : «But I don’t know culture from counterculture. Questions like that confuse me, and they don’t help when writing songs. Let the rock ctitics read Adorno and Anthusser. I will study Pops Staples and the Chocolate Watchband.» T’es plus dans Rock&Folk, amigo, t’es dans les pages du book d’un real deal nommé real Dean. Ça change tout. Pour «parler» du rock, il faut une certaine distance, disons une certaine hauteur. Tu l’as non seulement dans les pages du real Dean, mais tu l’as en plus dans ses albums. Fascinant personnage.

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    Terry Tolkin

             Il évoque sa rencontre avec Terry Tolkin, l’A&R de Rough Trade aux États-Unis - I liked Terry instantly. We liked a lot of the same music - Wire, Joy Division, the Comsat Angels, New Order, Lydia Lunch and Sonic Youth - Monsieur le bec fin continue de faire feu de tout bois. Il a aussi la chance d’être invité à faire la première partie du Velvet reformé, et la façon dont il évoque cet épisode te fait autant rêver que ça l’a fait rêver : «Recevoir le coup de fil pour faire la première partie du Velvet Underground fut un moment étrange. Je croyais avoir rêvé. Mais quelques semaines plus tard, je me suis retrouvé dans un dressing room à l’Edimburg Playhouse, avec Lou Reed, John Cale, Moe Tucker et Sterling Morrison qui répétaient ‘Venus In Furs’.» C’est pour lui une façon d’exprimer un accomplissement. Il le couronne un peu plus loin d’un autre souvenir, cette fois à Berlin, où il passe la soirée avec Sterling Morrison : «Notre soundman Gordon nous avait trouvé de l’ecstasy, which made the night even more special. Je me souviendrai toujours de ce retour à l’hôtel en Mercedes taxicab, on écoutait un live Velvets bootleg on German radio, enjoying the strange confluence of events, et je savourais la chance que j’avais d’être sur cette tournée.» Voilà ce qu’est le véritable écrivain rock, il te fait monter avec lui dans le Mercedes taxicab pour écouter le Velvet dans la nuit berlinoise. Ce book n’est fait que de ça : de souvenirs triés sur le volet et écrits dans un anglais parfait. 

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             Pour les besoins d’une meilleure compréhension, le real Dean cite Isaiah Berlin et sa théorie sur la différence qui existe entre le renard et le hérisson : «Le renard sait beaucoup de choses, dit Berlin, mais le hérisson ne sait qu’une seule chose, one big thing.» Alors notre real Dean développe : «Certains artistes sont des renards, Aristote, Pouchkine, Goethe, Picasso, Paul McCartney, Beck, they can do all kinds of dazzling things. Mais d’autres artistes sont des hérissions : Hegel, Nietzsche, Dostoïevski, Jackson Pollock, and Keith Richards. They stick with one idea.»

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             Quand avec Luna, il enregistre son cinquième album, il sait que c’est pas très bon. Il sort alors la théorie du cinquième album : tous les groupes se vautrent, sauf les Beatles - We were not the Beatles. No we were not - Il ajoute que la plupart des groupes ont de la chance quand ils passent le cap des deux premiers albums, et il développe : «Vos albums ne peuvent pas tous être great. Si vous avez de la chance et du talent, vous pouvez sortir une série d’albums remarquables, comme l’ont fait Bob Dylan, les Rolling Stones ou Stereolab. But it can’t continue forever.» Il propose ici une expertise, et s’appuie sur les bons exemples. 

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    Peter Hook concert hommage à Joy Division

             Mais ce qui te rassure le plus, en fait, c’est son humour. Un humour très très très sharp. Il se souvient par exemple d’un des premiers concerts des Galax au 9:30 Club à D.C., et là, pas de pot, il casse une corde dès le premier cut. Il doit alors emprunter la Les Paul Junior de Dave Rick which sounded all wrong. «I had a revelation at that moment. I would buy a second guitar, to be used in the event that I broke a string. That’s what the pros do.» Et ça qui est encore plus hilarant : les Galax font une cover du «Ceremony» de Joy Division, et Peter Hook montre à Naomi «the correct way to play ‘Ceremony’. Then, he gave Kramer a ride back to the hotel in his Jaguar XII2. Apparemment, il avait reconduit Ian Curtis chez lui le soir de son suicide. I wondered if it was the same Jag.»

             Plus loin, il se fend bien la gueule avec le fameux Josuah Tree. U2 a dit-il a passé un an en studio à expérimenter des trucs avec Daniel Lanois, Eno et Steve Lillywhite. Pas de problème pour des millionnaires. Et puis il te balance ça, alors que tu ne t’y attends pas : «I have a theory : if you put four monkeys in the studio for a year with Lanois and Eno and Lillywhite, they would make a pretty good record, too.»

             Il évoque aussi le bordel des backstage passes et l’after-show, et des «stupid questions about what kind of distorsion pedals we use», et crack, il lâche le morceau : «Certains groupes confient à un crew member la mission d’aller distribuer des backstage passes aux filles les plus jolies, mais pour nous, se livrer à ce type de pratique était une façon de mordre le trait. We may have been dogs, but we were not pigs.» Il se souvient aussi des insultes dont sont capables les Anglais, en concert - There are always a couple of English blokes who want to lob funny insults at you : «Don’t let your midle age go to waste!».

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             L’encore plus idéal est de voir le real Dean sur scène. Coup de chance, il débarque à Paris ! Alors t’y cours. Sur scène, avec ses vêtements clairs, il a une petite allure de manager, mais un manager décontracté qui bosserait dans une agence de com, une sorte de Directeur Artistique. Looké mais sans en avoir l’air. Il porte des lunettes de vue et ses cheveux grisonnent. Une petite soixantaine. Mais il a toujours fière allure. Sa copine Britta ressemble toujours à une ado, avec son petit nez

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    minuscule et son corps parfait. Elle va passer l’heure à tenter d’imiter Noami Yang dont les basslines enchantèrent jadis nos oreilles, mais ce n’est pas exactement le même jeu. Noami Yang voyageait beaucoup plus sur son manche. Britta tape majoritairement ses lignes au bas du manche et joue avec une infinie délicatesse. Pour le real Dean, c’est extrêmement confortable. Il est comme Lou Reed et le gros Black : il a ses manies. Le Lou voulait Moe et le gros voulait Kim. Comme tout est joué en mélodie, les lignes se croisent. Le bel encorbellement des lignes mélodiques est leur fonds de commerce.

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    Alors, autant l’avouer maintenant : t’es là pour ton shoot de Velvet Sound. Et tu vas l’avoir avec «Friendly Advice», montré sur un riff de basse monolithique, et là tu renoues avec la magie du Velvet. T’as ta dose. Ta big dose ! And I guess that I just don’ know. C’est en plein dans le mille du gonna try for the kingdom. C’est même au-delà de la magie. Tu vis l’instant à mille pour cent. Les notes te roulent sur l’épiderme, tu remercies les dieux du rock de t’offrir un tel festin de frissons, le real Dean est de dernier mec au monde capable te d’offrir ce cadeau insensé : la recréation du Velvet Underground. And I feel like Jesus’ son. Et ça va loin, car au fond là-bas, t’as Matt Popieluch qui fait son Sterling Morrison. «Friendly Advice» tape en plein dans l’œil du cyclope. Comme par hasard, Sterling Morrison jouait sur

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     ce «Friendly Advice» tiré du Bewitched de Luna. On le sait maintenant, le real Dean ne fait jamais rien au hasard. Ce «Friendly Advice» niché au cœur du set restera gravé dans ta mémoire jusqu’à la fin des temps. Le real Dean tire aussi deux cuts du premier Galax, «Flowers», toujours aussi sidérant de classe, et en rappel, «Tugboat», toujours aussi imparable, avec ces montées en température dont le real Dean s’est fait une spécialité. Sur scène, ce sont des cuts qui ne pardonnent pas et qui foutent le feu à ton imaginaire. Ils tirent aussi trois cut d’On Fire, le mighty «Snowstorm», «When Will You Come» et en rappel «Strange». Le real Dean te charge si bien la barcasse que tu coules sans crier gare et t’es bien content. Tu glou-gloutes au paradis. Tu te retrouves un peu plus tard dans les rues du XIIIe ivre de Velvetude. T’en fais des bulles, tellement t’exultes.

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    Signé : Cazengler, qui dort Dean

    Dean Wareham. Petit Bain. Paris XIIIe. 8 avril 2025

    Galaxie 500. Today. Aurora Records 1988

    Galaxie 500. On Fire. Rough Trade 1989    

    Galaxie 500. This Is Our Music. Rough Trade 1990 

    Galaxie 500. Copenhagen. Rykodisc 1997

    Galaxie 500. Peel Sessions. BBC 1996

    Galaxie 500. Uncollected (Rareties). Rykodisc 1996

    Galaxie 500. Uncollected Noise New York ‘88-’90. Silver Current Records 2024

    Roy Wilkinson : Made of... Mojo # 371 - October 2024

    Dean Wareham. Black Postcards: A Memoir. Penguin Publishing Group 2009

     

     

    Manning depression

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             Qui dit Ardent dit Terry Manning. Et comme Terry Manning vient de casser sa pipe en bois, allons faire un petit tour à Memphis pour lui rendre hommage.

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             Terry Manning arrivait d’El Paso où il avait joué dans le Bobby Fuller Four. Robert Gordon : «Son père était un pasteur qui déménageait souvent et Terry harcela ses parents pour qu’ils s’installassent à Memphis, ce qu’ils finirent par faire. Une semaine après leur installation, Terry se rendit chez Stax, frappa à la porte et dit : ‘Here I am’.»

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             Il va rester 20 ans chez Ardent, où bossa aussi Jim Dickinson. Terry travaille avec la crème de la crème de Stax, les Staple Singers, Booker T. & the MGs, Isaac Hayes. Il est le bras droit de John Fry qui sous-traite alors énormément pour le compte de Stax. John Fry indique que Dickinson cultivait un beau scepticisme envers le music business - which probably provided some guidance for a lot of people - Dans les pages d’It Came From Memphis, on trouve un bel hommage à Reggie Young, dont la façon de tirer les cordes de guitare aurait influencé George Harrison. À 20 ans, le jeune Young était déjà un vétéran. C’est lui qui jouait sur «Rocking Daddy» d’Eddie Bond, avant de jouer dans le Bill Black Combo et de mettre en place de son d’Hi Records. Justement, le Bill Black Combo tourna avec les Beatles et c’est là que le jeune George loucha sur la technique de Reggie.

             Robert Gordon rappelle que Terry Manning introduisit Chris Bell dans le microcosme Ardent de musiciens et de producteurs, tous jeunes, précise l’auteur, tous affamés d’avenir et de son.

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             Quand en 1968 Dickinson quitte Ardent, il prend le prétexte d’une mauvaise ambiance - a prevailing negativity - mais il ajoute que c’était entièrement de sa faute. Dickinson reviendra chez Ardent en 1972 pour finir son album Dixie Fried que John Fry va lui mixer à l’œil. Pour conclure sur sa période ingé-son chez Ardent, Dickinson affirme que John Fry est le meilleur ingé-son qu’il ait connu - He is a brillant tracking engineer and he’s the best mixer - Bon alors évidemment, après on a l’épisode Alex Chilton. Dickinson dit qu’à l’époque il n’a pas flashé sur les deux premiers albums de Big Star, mais il a fait Third en tête à tête - Head to head - avec Alex.

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             Dickinson ajoute qu’il connaît Chris Bell depuis qu’il est gosse. Un Bell qui comme Andy Hummel viendra commencer à traîner chez Ardent, mais après le départ de Dickinson. C’est la genèse de Big Star. Sur la compile Thank You Friends -The Ardent Records Story figure «Psychedelic Stuff» : Bell lui sonne les cloches, et comme tous les Ardent believers, il cherche des noises à la noise. On retrouve aussi Alex Chilton avec un «Free Again» noyé de bénédiction country, joué aux accords d’arc-en-ciel et claqué à la pedal steel aérienne. Terry Manning ramène là-dedans une dimension du son jusque-là inconnue : the Ardent thang. Justement on l’entend le Manning faire le méchant dans «Rocks». Il se met en colère avec sa petite voix anglaise, mais c’est avec «Guess Things Happen This Way» qu’il rafle la mise, car c’est complètement cisaillé du bulbique, Terry saute à l’assaut du rock, c’est shaké à coups d’accords anglais, il barde son cut de big barda, de huge bassmatic et de wild Memphis drive. Du coup, il devient l’un des géants du Memphis Beat.   

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             Terry Manning intervient assez longuement dans le booklet de Thank You Friends -The Ardent Records Story. Il rappelle qu’il est, comme Dickinson, un amateur de British Beat et raconte dans le détail la genèse d’Ardent, sur National Road. Il est d’ailleurs le premier salarié d’Ardent et il doit tout faire : ouvrir le matin, préparer les bandes, passer un coup de balai. La réceptionniste n’est autre que Mary Lindsay, la femme d’un Dickinson que Terry qualifie de director of entertainment. Il devait vraiment régner une belle ambiance là-dedans ! Tout le temps libre est utilisé pour expérimenter - That period was a lot fof fun. We had no rules, and did whatever we wanted, for better of for worse - John Fry laisse volontiers les clés. Il fait confiance à ses amis. Terry Manning apporte aussi un éclairage sur la transition Box Tops/Big Star : au temps des Box Tops, Alex souffrait de l’autorité de Chips Moman et de Dan Penn qui rejetaient systématiquement ses compos, alors Alex voulait un peu d’air, et cet air, il l’a trouvé chez Ardent, avec le copain Terry. Pour finir avec National 1960s, saluons l’immense Sid Selvige et son «Miss Eleana», car voilà un enjôleur de première catégorie. Comme le Penn, il sait tartiner un slowah.

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             En 1970, Terry Manning, enregistre Home Sweet Home sur son petit label Enterprise, qui dépend de Stax. Il démarre sur une grosse version du «Savoy Truffle» des Beatles, comme par hasard. Terry joue ses grosses lignes de basse comme un beau diable. Il joue tous les instruments, comme Todd Rundgren. Et puisqu’il bosse chez Ardent, il croise les pistes ardemment. Il rentre dans le chou des Beatles, mais il rallonge sa soupe à la truffe pendant de longues minutes, c’est dommage, car il ruine tous ses efforts. Chris Bell ramène son grain de sel dans «Guess Things Happen That Way» : technique somptueuse et originale. Chris Bell reste l’un des plus fervents interventionnistes de Memphis. Fabuleuse version du «Trashy Dog» qui sera repris par Alluring Strange, le groupe de Misty White. Big bassmatic. Ah comme c’est bon, joué ainsi à la rude énergie du beat. Terry attaque sa B avec une solide version de «Choo Choo Train». Il la prend plus punk, il la cisaille et la chante à l’énervée de comptoir. Il en fait une version têtue comme une bourrique. On tombe plus loin sur un «Sour Mash» instro assez puissant, et il boucle son bouclard avec un «Wanna Be Your Man» chanté à la force du poignet. Terry tente de créer l’événement. Pas facile. Il y a déjà beaucoup d’événements down there in Memphis.

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             Norton fit paraître en 2012 un truc plus ancien du Memphis boy : Terry Manning & The Wild Ones, Border Town Rock N’ Roll 1963. Bon, c’est du document d’archives et la plupart des cuts rassemblés par Norton ne ressemblent à rien. Le jeune Terry fait du garage en parpaing. Avec ce genre de disk, Norton se tire une belle balle dans le pied. Quand on écoute «You’re In Love», on se dit en rigolant que c’est l’une des pires mormoilles qui soit ici-bas. On se demande comme Billy Miller a pu sortir un disk aussi désastreux et le vendre quinze euros. Ça dépasse l’entendement, voyez-vous. Mais il faut cependant écouter ça jusqu’au bout, ne serait-ce que pour voir à quelle sauce ils nous servent «Sweet Little Sixteen». Arnaque parfaite. Si Billy a voulu prendre les gens pour des cons, c’est réussi. On reste dans l’agonie avec «Boney Maronie». Ça fait du bien de temps en temps d’écouter un disk bien pourri. On a là l’une des pires arnaques de tous les temps. Fuck it. On adore la mention : «All titles previoulsy unissued». Et pour cause.

    Signé : Cazengler, Terryne de campagne

    Terry Manning. Disparu le 25 mars 2025

    Terry Manning. Home Sweet Home. Enterprise 1970

    Terry Manning & The Wild Ones. Border Town Rock N’ Roll 1963. Norton Records 2012

    Thank You Friends. The Ardent Records Story. Big Beat Records 2008

    Robert Gordon. It Came From Memphis. Pocket Books 1995

     

     

    Wizards & True Stars

     - Gousse d’Hayes

     (Part Three)

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             Après un Part One consacré à la mighty box The Spirit Of Memphis, puis un Part Two consacré à Wrap It Up - The Isaac Hayes & David Porter Songbook, une compile Ace parue en 2022, Isaac le Prophète est de retour avec un Part Three de nouveau consacré à une compile Ace, Hot Buttered Singles 1969-1972.

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             Tony Rounce se charge des 16 pages du mini-booklet. Il n’a pas grand chose à raconter, hormis le fait que Jim Stewart ne voulait pas laisser Isaac le Prophète chanter, lui disant : «your voice is too pretty». Méchant connard ! Par contre, lorsque le DJ Alvertis Isbell, c’est-à-dire Al Bell, arrive au pouvoir chez Stax en 1968, ce sera un autre son de cloche. Al adore la voix d’Isaac le Prophète. Il voit même un market en lui. Lors d’une party bien arrosée et donc avec un gros coup dans la gueule, Isaac le Prophète, le père Crop, Duck Dunn et Al Jackson entrent en studio et enregistrent Presenting Isaac Hayes, qui n’est pas un album très commercial, loin s’en faut.

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             Après la rupture avec Atlantic et la perte de leur catalogue, Al Bell et Stax décident de repartir à zéro en 1969 avec 27 albums. Oui, 27 albums d’un coup. Allez hop tout le monde au boulot ! Al Bell demande bien sûr à Isaac le Prophète de participer à cette orgie de renaissance et Rounce se marre : «There was little expectation that his second album would change the face of black American music forever.» Eh oui, il évoque bien sûr Hot Buttered Soul, l’un des albums les plus révolutionnaires de l’histoire de la rock culture, avec Highway 61 Revisited, Electric Ladyland, The Velvet Underground & Nico et The White Album. Isaac le Prophète a carte blanche. Comme le studio Stax est over-booké, Isaac le Prophète va chez Ardent avec les Bar-Keys et le fils de Rufus Thomas, Marvell Thomas qui est pianiste. En quelques heures, ils mettent à plat Hot Buttered Soul. C’est là-dessus que tu croises la version longue du «By The Time I Get To Phoenix» de Jimmy Webb, dont une version courte figure que la compile Ace - I’m talking about the power of love, man - C’est un cut historique, c’mon c’mon c’mon, tu rentres dans la profondeur du Black Power, et t’es bien raccord avec la photo d’Isaac le Prophète enchaîné qui orne la pochette. Car c’est monté sur un lourd battement de cœur et un claquement hypnotique de cymbale, tu attends un peu et Isaac t’allume ça au chant, il injecte le power du Black Power dans le petit cul blanc de Jimmy Webb et ça devient mythique. Oui, tu plonges dans les tréfonds d’un paradis, et le Prophète te magnifie cette chanson parfaite à coups de call my name. Comme Phoenix fait un carton, Bell est obligé d’en sortir une version single de 7 minutes. Même chose pour «Walk On By» qui en fait 12 et qui redescend à 4 minutes pour le single. C’est d’ailleurs «Walk On By» qui ouvre le bal de cette compile prophétique. T’as l’immédiateté du Prophète - If you see me walking down the street - Il gronde son walk on by avec le pouvoir terrible d’un dieu de l’Antiquité.

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             Isaac le Prophète tape encore dans Burt avec «I Just Don’t Know What To Do With Myself» et «The Look Of Love». Il emmène les cuts de Burt en mode Stax avec des chœurs de filles. Tout ici est extrêmement arrangé, très aventureux, Isaac attaque Burt à la sourde, histoire de challenger la mélodie. Il rivalise de génie vocal avec Dusty chérie, tu le vois remonter le courant de la mélodie à la force du poignet. Ses compos ne sont pas en reste, comme le montre «Winter Snow», qu’il module à merveille d’une voix profonde. Il vise la pop par dessus les toits. Il fait aussi un chef-d’œuvre de l’«I Stand Accused» des frères Butler de Chicago. Il prend bien «Never Can Say Goodbye» par en dessous, puis tu tombes nez à nez avec «Theme From Shaft».

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             Isaac le Prophète comptait bien décrocher un rôle dans le film de Gordon Parks, mais comme Parks a déjà confié le rôle à Richard Roundtree, il demande à Isaac de composer la B.O. Boom ! «Theme From Shaft», amené à la cymbale, comme Phoenix, et repris à la wah black. C’est du grand art. On connaît Shaft par cœur, mais le fouetté de cymbale fascine toujours plus, t’y peux rien. Damn right ! Il y va le Prophète, il te groove ça entre les reins et ça te bat la coulpe au right on ! Rounce parle d’une «truly iconic piece of music.» Il a raison, l’asticot. Le double album Shaft reste nous dit encore Rounce LE «Stax’s best-seller and one of the best-selling soundtrack albums ever.» Isaac le Prophète a sauvé Stax. Provisoirement. Les fucking banquiers blancs allaient finir par avoir la peau de ce vaillant label black.

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             Le «Do Your Thing» de la compile est encore une version tronquée, qui passe de 20 minutes à 3, Isaac le Prophète chante ça d’une voix de catacombe. On croise ensuite une cover instro du «Let’s Stay Together» d’Al Green. Isaac y joue du sax et mine de rien, il vise la grandeur totémique urbaine. Il prend ensuite «Soulsville» à la voix mâle. Rounce annonce bien sûr une suite. On piaffe d’impatience. Cui cui cui ! Ou coin coin coin, c’est comme tu veux.

    Signé : Cazengler, Isac à main

    Isaac Hayes. Hot Buttered Singles 1969-1972. Ace Records 2024

     

     

    Inside the goldmine

    - Compte en Banks

             Durrell n’avait rien à voir avec l’écrivain anglais du même nom, Lawrence Durrell. On lui posait chaque fois la question et il répondait d’un air mauvais, que non, il n’était pas l’écrivain machin, mais par contre, il se forçait à sourire pour ajouter qu’il a-do-rait Francis Carco, qu’il avait chez lui une pièce en-tièèèèèère consacrée à Francis Carco, entière, t’as bien entendu ?, en-tièèèèère !, et il poursuivait en racontant qu’il possédait des traductions de Carco dans toutes les langues, même en japonais, en arabe et en serbo-croate, ben oui, pomme de terre, me regarde pas comme ça, en serbo-croate !, ça t’épate, hein ?, et il donnait tous les détails de ses in-quarto décorés d’eaux fortes, il citait les noms d’obscurs illustrateurs de presse, il se vantait aussi de posséder des tirages de tête dédicacés par l’auteur, il gesticulait, levait les bras au ciel, baragouinait que Carco ceci et cela, et que si t’étais pas content c’était pareil, il se rapprochait de toi et t’attrapait par le col pour te grogner sous le nez d’une voix sourde : ah tu connais pas Carco ?, ben dis donc, on est pas sortis de l’auberge avec une patate comme toi, et il repartait de plus belle, te branchait sur le Lapin Agile, sur Dorgelès et Mac Orlan et paf, il t’expliquait la bohème dans le moindre détail, toute la bohème de Montmartre, et avec un mec comme Durrell, ça durait la nuit entière, on vidait les cubis et on clopait tous les paquets de clopes, plus Durrell buvait et plus il s’agitait, il ressemblait à un volcan équipé d’ailes de moulin, mais un volcan qui menaçait à chaque instant d’entrer en éruption, et soudain, il éruptait, les baies vitrées tremblaient, des flots jaillissaient de sa gueule grande ouverte, et pis t’as Guillaume Apollinaire qui chante son Pont Mirabeau au bout de la table et pis t’as Max Jacob qui réajuste son monocle entre deux crises de rire, et pis t’as Utrillo qui boit comme un trou, oui, comme un trou !, et pis t’as Pascin qui songe déjà à se pendre, mais qui donne la change, le change, oui mon gars, le change ! Et toi espèce de cloporte, sers-moi donc à boire ! ventrebleu, qu’est-ce que c’est qu’cette baraque où ya plus rien à boire !, et soudain, ivre de colère et de délire volcanique, il donna un coup de poing sur la table tellement violent que les verres et les bouteilles tombèrent, il se leva d’un bond, pareil à Poséidon, renversa la table, et décida d’aller boire un dernier verre en ville avant d’aller se coucher.

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             Vaut mieux avoir Darrell à sa table que Durrell.

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             Darrell Banks est l’un des princes de la Northen Soul, il est donc logique qu’il s’en vienne briller inside the goldmine. Dans ses liners pour Kent, Tony Rounce parle d’une «short but brillant career» : quatre ans, deux albums et une poignée de singles - Elle commença avec le succès de son premier single, «Open The Door To Your Heart», en juillet 1966, et s’acheva avec la balle d’un flic en civil en février 1970 - En fait Darrell se tapait une certaine Marjorie Bozeman que se tapait aussi le flicard. Un jour, Darrell se pointe chez Marjorie, le flicard est là, une petite shoote éclate, le flicard sort son calibre et bam bam, une balle dans le cou et une autre dans la poitrine. Rounce oublie de nous dire si le flicard est blanc. Par contre, il précise que le flicard n’ira pas au trou, ce qui laisse supposer qu’il est effectivement blanc.

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             Rounce ne tarit pas d’éloges sur le pauvre Darrell, il parle de «best Southern and Northern Soul ever found on tape», et qualifie Darrell d’«one of the hardest acts to follow in the entire history of popular music». Rounce ne mâche pas ses mots et comme c’est l’un des plus grands spécialistes de la Soul, on prend ses paroles pour argent comptant. Parmi les supposées influences de Darrell, Rounce cite les noms qui brûlent les lèvres, ceux d’Archie Brownlee et de Clarence Fountain, les lead singers respectifs des Five Blind Boys Of Mississippi et des Blind Boys Of Alabama.

             Basé sur la côte Est, Darrell commence par écumer la scène de Buffalo, dans l’état de New York, puis il ira enregistrer à Detroit pour le compte d’Atlantic/ATCO. Rounce revient sur «Open The Door To Your Heart» qui pour lui est le hit Soul parfait, un hit qui sera repris par Jackie Wilson, Freddie Scott et Tyrone Davis.

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             C’est d’ailleurs «Open The Door To Your Heart» qui ouvre le bal de B de Darrell Banks Is Here. Ce bel ATCO de 1967 se doit de figurer dans toute discothèque digne de ce nom. Sur les dix cuts de l’albums, tu as huit coups de génie, voilà, c’est aussi simple que ça. Boom dès «I’ve Got That Feeling», un heavy r’n’b, avec Darrell, ça ne traîne pas. FSB ! Fast Soul Brother ! Et ça repart de plus belle avec «Look Into The Eyes Of A Fool», il te claque là un groove d’entre-deux, et il se coule dans la pocket d’«Our Love Is In The Pocket», un wild r’n’b franc du collier. En B, boom dès l’«Open The Door To Your Heart», Tony Rounce a raison de s’exciter sur ce big heavy r’n’b tapé au Darrell Feel de much time for my baby. Véritable crash test, pur r’n’b genius, le Darrell y va au sweet to me. Toute la B rôtit en enfer, le vieux Darrell embarque son «Angel Baby (Don’t You Ever Leave Me)» au yeah yeah yeah. Darrell Banks est un démon. Son «Somebody (Somewhere Needs You)» est plus classique mais wham bam quand même, car quel fast r’n’b, Darrell fonce au triple galop. L’heavy Darrell est de retour avec «Baby Watcha Got (For Me)», il ronfle comme un gros moteur Stax, il développe la même énergie que Sam & Dave, avec le côté aristocratique en plus. Power absolu ! Ça se termine avec «You Better Go». Darrell est une fine lame. Il est même la prunelle des yeux du r’n’b. Il chante comme s’il était un empereur sur son char.

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             Pas la peine d’aller cavaler après Here To Stay, l’album de Banks qui vaut la peau des fesses, il se trouve sur une belle compile Kent, I’m The One Who Loves You - The Volt Recordings. Avec le nom qu’il porte, Darrell Banks est un artiste tout de suite crédible. Il travaille ses grooves au raw, comme le veut la tradition Stax de l’époque. Mais curieusement, il n’a pas de hits. Il s’aventure sur les traces du grand Percy en reprenant «When A Man Loves a Woman». Bon, il n’a pas le même genre de guts, pas du tout. Il reste dans les limites de la bonne interprétation, comme si le génie ne l’intéressait pas. Ça nous fait des vacances. On se repose. Ras le bol des immenses artistes et des creveurs d’écrans. Avec Banks, on est tranquille, comme avec le Crédit Agricole. Il est le bon sens de la Soul près de chez toi. Il faut attendre «Beautiful Feeling» pour le voir enfin monter là-haut, pas à Rio, mais sur l’Ararat. Sa heavy Soul peut devenir stupéfiante. Il y fait un Big Atmospherix violonné à outrance. Tout s’écroule sous le poids de la Soul. On finit par comprendre que Banks navigue à un très haut niveau. Les petits hits de juke ne l’intéressent pas. Dans «Never Alone», il est même dépassé par les Sisters. Les bonus valent le détour, notamment «I’m The One Who Love You», un heavy r’n’b viollonné dans l’axe de l’angle, et comme il ramène toute sa niaque de Soul Brother, ça devient excellent. Il fait un peu de funk avec «Mama Give Me Some Water», mais c’est un funk à la mode Jean Knight et King Floyd, le funk Malaco. Il tape à la porte de derrière avec «My Life Is Incomplete Without You», et il casse la baraque pour de vrai avec «Beautiful Feeling», orchestré dans l’âme de la Soul. 

    Signé : Cazengler, Banks postale

    Darrell Banks. Darrell Banks Is Here. Atco Records 1967  

    Darrell Banks. I’m The One Who Loves You. The Volt Recordings. Kent Soul 2013

     

    *

            En règle générale l’oiseau bâtit son nid là où il se pose. Certains affirmeront que ce lieu mythique se trouve près des eaux puissantes et boueuses puissantes du Mississippi et qu’il se nomme la terre du blues. Ils n’ont pas tort. C’est une belle contrée originaire. D’autres diront que la zone d’élection est plus vaste, qu’elle est partout et nulle part sur pratiquement la moitié d’un continent, ils parlent de country et de folk. Eux non plus n’ont pas tort. Ils désignent un pays mythique par excellence. Mais pour moi, je fais partie de cette génération de jeunes européens pour qui le domaine d’Arhneim d’Edgar Poe qui confine à l’absolu touche à cette terre impalpable et génitrice, surnommée les pionniers du rock.

             Ses frontières sont floues, l’on peut les traverser sans s’en rendre compte où l’on met les pieds. Peu à peu il disparaît des cartes géographiques musicales, les rois du rock ont vite perdu leurs royaumes, en moins de dix ans ils sont devenus des princes en exil. Mais souvent l’on ne sait jamais si l’on marche sur des cendres ou des semences. Toutefois si l’on explore les sables des mémoires ensevelies l’on ne tarde pas à retrouver des traces, des artefacts, et des témoignages des principaux saigneurs de cette époque de gloire tapageuse et fulgurante. Cette semaine ce sera :

    THE MAN YOU COULD SEE ON THE SEA !

    THE MAN YOU COULD SEE ON THE  SKY !

    LITTLE RICHARD !

             C’est une vidéo qui m’est tombée inopinément sous l’œil. Je ne l’avais jamais regardée. Je n’aime pas les blablas officiels, les récupérations posthumes, les votes pour élire le plus grand ceci, le plus grand cela… Soyons franc, une petite dent (de cachalot colérique) contre le Rock’n’roll Hall of Fame. Depuis les premières nominations de l’année 1986. Du beau monde : Elvis Presley, Chuck Berry, James Brown, Ray Charles, Sam Cooke, Fats Domino, The Everly Brothers, Buddy Holly, Jerry Lee Lewis, Little Richard. Je sais bien que Gene Vincent n’a pas bénéficié de la même aura auprès du public américain que du public européen… En plus il n’y a pas non plus Eddie Cochran… Erreur monumentale qui sera réparée l’année suivante, 1987, avec toute une floppée de pionniers, Eddie Cochran bien sûr, mais aussi Bill Haley, Bo Diddley, Carl Perkins, Ricky Nelson, Roy Orbison… Pour Gene Vincent faudra attendre… 1998 !

             Otis Redding sera intronisé en 1989, son introducteur sera Little Richard. J’aime beaucoup Otis Redding mais j’avoue que j’ai regardé pour Little Richard. Otis est arrivé comme un cheveu sur la soupe. Des anglais. Certes l’on adorait les Rolling Stones, les Yardbirds, les Animals et tous les autres Britishs, mais ces englishes malgré leurs éminentes qualités possédaient une tare secrète. Ce n’était pas de leur faute, mais enfin le pays du rock’n’roll c’était quand même l’Amérique, aussi quand a déboulé Otis, ah, cette version de Satisfaction qui remettait la pendule des Stones à l’heure, mais aussi Wilson Pickett, Sam and Dave, Eddie Floyd, Arthur Conley et tous les autres, avec en prime champion toutes catégories James Brown, c’était bien le retour du rock’n’roll ! On l’appelait Rhythm’n’Blues mais ce n’était pas gênant, juste une question d’orchestration, priorité aux cuivres, rien  d’incompatible, ça groovait un max à faire s’effondrer la Tour de Babel sur ses bases… C’était bien parti pour un nouveau tour de piste, hélas tout a recommencé comme avant, un malheureux avion qui s’écrase, exit le rhythm’n’blues, la veine noire et palpitante du rock s’évanouit, ce sont les britains d’outre-manche qui colonisent les terres d’outre-atlantique…

             Que Little Richard soit l’introducteur d’Otis Redding au Hall of Fame tombe sous le sens. Tous deux sont originaires de Macon in Georgia. Le premier 45 tours d’Otis Fat Girl / Shout Bamalama sorti en 1961 est la preuve d’une filiation musicale indéniable…

             Juste quelques dates  qui ont de l’importance pour ce qui suit : Otis est né en 1941, il est mort en 1967. Little Richard est né en 1932. Otis Redding est intronisé en 1989, Little Richard a donc cinquante-six ans.

    LITTLE RICHARD INDUCTS OTIS REDDING

    INTO ROCK’N’ROLL HALL OF FAME

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             L’a de la gueule, de profil sur l’image arrêtée, chevelure bouclée, fine moustache, lunettes teintées, col de chemise noire, l’arrive sur scène sanglé dans une vaste veste de teinte sombre, verreries éparses clignotantes sous les projecteurs, tend la main à Jerry Wexler tous bras ouverts, accolade, le voici devant le pupitre sur lequel repose quelques feuilles de papier, il se penche vers les micros, c’est là que l’on s’aperçoit que les musicos entrevus en deux quarts de seconde ne sont pas là pour sonner de pharamineuses trompettes d’accueil, sans préavis Little Richard entonne I can’t turn you loose, quelle attaque, quelle voix, quel mordant, il n’a pas l’arrière-volupté du timbre d’Otis mais il vous transforme le titre  en un hymne de haute piraterie, s’appuie des deux mains sur le pupitre, et chante avec cette facilité déconcertante avec laquelle vous tournez votre petite cuillère chaque matin dans votre bol, les cuivres freinent à mort derrière comme quand vous faites une queue de poisson sur l’autoroute pour que le poids-lourd verse son chargement sur la voiture qui le suit, l’on sent que l’on va entrer dans le dur, déception, nous n’avons droit qu’au premier couplet ! Pas de panique nous n’allons pas perdre au change avec ce qui suit.

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             L’a terminé sur quatre ou cinq de ces pioulets – c’est ainsi qu’en Ariège que l’on surnomme le cri du poulet qu’un renard attrape par le col – qui firent sa célébrité, s’incline, l’a un de ces sourires de carnassier, oui mais attention c’est un nègre qui tient sa revanche – celle de tout un peuple longtemps soumis en esclavage – longtemps, trente ans qu’il n’avait chanté ainsi, et maintenant vous allez l’entendre pousser ces cris de femme blanche - le peu de public que l’on entrevoit est constitué de blancs – il rigole et la foule s’esclaffe, fermez-là, elles font oh ! et  les noires WHOU ! (comme les louves affamées a-t-on envie d’ajouter), il se sent bien, real dit-il, lui et Otis viennent du même endroit, et hop il enchaîne sur Sittin’ at the dock of the bay (la dernière chanson d’Otis sortie tout de suite après sa mort) je fais remarquer que tout en rigolant de la blancheur de ses dents colgate il a suggéré trois notions importantes, la sujétion, le sexe et la mort,  chante le hit avec le même désenchantement détaché qu’Otis, les lyrics ne sont pas joyeux, fait une drôle de gueule quand il l’interrompt, certains mo(r)ts portent plus que d’autres, alors il éclate de rire, rappelle qu’il n’a pas chanté depuis tant de temps, cite Tina Turner, fermez-la, et moi aussi je devrais chanter comme elle le fait si bien, vous devriez m’enregistrer, et je vis encore, je suis encore présentable, fermez-la, prenez-moi en photo, laissez l’homme noir, appuie sur le bouton que tu me voies tel que je suis, vous savez Otis et moi provenons de la même cité, il farfouille dans ses deux feuilles, non il ne lira rien, car il vient de là lui aussi, pourquoi riez-vous, j’ai été le premier gars de Georgie à devenir célèbre, parce que je suis le plus ancien, l’ancêtre et très jeune, James Brown je l’ai sorti de prison, maintenant il retourne dans le Sud, je pense que je devrais y aller avec lui – James Brown est alors en prison, condamné à six ans, il ressortira au bout de trois ans pour conduite en état d’ivresse et détention d’armes en feu – Vraiment je hais ce qu’ils ont fait à James, il est fantastique, il est le Godfather, si l’on me laissait pourrir autant de temps, il n’y aurait pas d’autre alternative, James doit se ressaisir, nous devons tous nous ressaisir. Vous savez Otis a commencé par Shout Lamabama, vous connaissez cette chanson, le rock’n’roll est all around the world, vous connaissez ma voix un peu haute, vous souvenez-vous, et il entonne I’ve been lovin’ you too long, mais il arrête trop vite, j’aime ses chansons, j’étais son idole, il aimait ces petits roulements dans ma voix, il en donne un exemple mais il ne peut s’empêcher de débloquer le turbo et se lance dans un whooooo ! à réveiller les derniers loups des Appalaches. Je me sens bien mais je n’ai que de l’eau sur ma table ! Rajoute quelques Wloo, celui-ci dédicacé à Phil Spector. Il enchaîne sur Fa-Fa-Fa-Fa…( Sad Song), l’on aimerait qu’il aille jusqu’au bout, mais il revient à Otis, son père était un preacher et lui aussi était un preacher, c’était un grand chanteur, je l’ai rencontré à New York, je ne l’ai pas rencontré à Macon, je lui ai donné cinquante dollars au Statler Hilton Hotel, je lui ai donné un autographe, et je lui ai filé une marque pour venir me voir dans ma chambre, je lui ai dit que j’avais besoin de parler, il m’a dit oui, mais il n’a pas voulu que je ferme la porte, Little Richard

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    explose de rire, je ne voulais rien faire juste l’entendre chanter, il a composé de grands morceaux, j’ai souhaité qu’il soit au Hall od Fame, mais il est parti, il a contribué à la musique du monde, et il est un pilier du rock’n’roll, quand je l’ai entendu interpréter Lucille ( 1964) j’ai cru que c’était moi, il se tourne vers l’orchestre, tiens un petit peu de Lucille, l’en fredonne un demi-couplet, il sonnait comme moi, j’ai cru que c’était moi, et quand j’ai su que c’était lui j’ai su que c’était un des plus grands chanteurs et un des plus grands compositeurs, dans lesquels je m’inclus, et aussi Jimi Hendricks, tous sont avec moi, James Brown, les Beatles, et Mick Jagger que je n’ai jamais rencontré, mais il était avec moi, te souviens-tu Mick que tu étais venu et que tu dormais sur le plancher car il n’y avait pas de lit pour lui, il ne peut pas oublier car c’était dur, il était dans la chambre de Bob Dill car la mienne était pleine comme un œuf, il s’esclaffe, l’était juste en train de faire son intéressant, il n’était pas si mort que ça, parfois il faut savoir s’arrêter, je ne suis pas en train de dire que le gagnant est méchant, ce soir le gagnant c’est Otis, nous tenons à remettre à Otis et à sa famille, elle doit être là, cette grande, grande récompense, et

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    je suis heureux d’être là et que c’est la première fois que j’ai chanté Lucille il y a trente ans et j’ai chanté le rock’n’roll depuis trente ans. Bonne nuit. Bon Dieu, une femme toute menue se glisse dans ses bras. Prenez-moi en photo avec cette lady, elle prend la parole dans quelques instants, tendez la main à ce monsieur, elle prend des mains la statue que Wexler lui remet, encore une photo avec la statuette, Zelma l’épouse d’Otis s’approche du micro, elle parle, pas très longtemps, mais l’on ressent son émotion et son chagrin encore présent si longtemps après la disparition d’Otis. Elle ne peut continuer, Little Richard l’accompagne doucement…

             Sans commentaire.

    Damie Chad.

     

    *

             590, 594, 617, voici un moment que nous suivons Telesterion. Vraisemblablement pas avec une attention soutenue puisque qu’au mois de septembre dernier nous avons laissé passer sa dernière production. Apparemment Demeter ne nous en a pas voulu. En effet Telesterion se donne pour but unique de chanter pour la déesse. Nous avons cru au début que Telesterion était un groupe grec, il s’agirait d’un seul individu qui serait américain. Voici donc, avec Thumos, deux groupes de la grande Amérique qui se consacreraient au legs de la Grèce Antique. Comme par hasard tous deux possèdent la même maison de disques…

    THEMESPHORIA

    TELESTERION

    (Snow Wolf Records / Septembre 2024)

             Les Themesphoria remonteraient-elles à près de mille ans avant notre ère sous forme de pratiques rituelles liées à l’agriculture dans le bassin méditerranéen… Ce qui est certain c’est que les Themestoria étaient des fêtes liées aux cérémonies des Mystères d’Eleusis. Il en reste encore des traces aujourd’hui dans nos sociétés modernes lorsque l’on explique à nos chérubins qui veulent tout savoir, on leur raconte que leur papa a planté une petite graine dans leur maman… Civilisation avancée nous entrevoyons le problème de la génération selon les progrès de nos médicales connaissances gynécologiques… les premiers peuples sédentaires s’inquiétaient davantage de leur survie alimentaire qui dépendait avant tout de la fertilité du blé… pour la problématique enfantine on aviserait plus tard…

             L’on a un peu tendance à rire jaune lorsque l’on prend connaissance des fameux mystères du sanctuaire sacré proche d’Athènes. Tant de bruit et de silence pour des évidences à la portée de nos élèves de CM1 ! Que la graine doive périr pour donner naissance à un épi de blé nous l’admettons, que cette force naturelle qui conduit la graine à périr pour renaître sous forme d’épi porteur de grains qui retombés en terre accepteront leur rôle de graines, la description de ce phénomène nous l’assimilons sans trop de peine, que le processus germinatif de la graine soit assimilé et associé à l’idée de force vitale propulsée par le phallus, nos lointains ancêtres, pas plus bêtes que nous, y ont souscrit sans difficulté. N’étaient point du genre à cacher ce témoin du désir turgescent.

             Tous ces processus nous ne les entrevoyons que sous leurs aspects platement réalistes.  La science nous a fait perdre le mystère des choses. Les grecs recouvraient de métaphysique la physique des choses. Humaines, trop humaines, les choses ne possédent que maigre valeur. La graine, symbolisée par Perséphone obligée de passer les mois d’automne et d’hiver sous la terre dans le royaume souterrain d’Hadès son mari, retrouvait le soleil durant  la majeure partie de l’année près de  sa mère, la déesse Déméter. Que trois Dieux soient mêlés au processus germinatif, voilà de quoi lui concéder une certaine majesté…

             Si vous avez du mal à sentir la présence des Dieux rôder autour des choses, consolez-vous, la plupart de vos concitoyens ne discernent point les idées platoniciennes au-dessus du moindre phénomène. Ne soyez pas désespérés, Aristote lui-même n’a jamais manifesté une grande créance aux théories de Platon.

             Si les Mystères d’Eleusis étaient ouverts aux femmes comme aux hommes, les femmes mariées (et peut-être de bonne famille) avaient seules le droit de participer aux Themesphoria. Est-ce à cause de cette suppression de la moitié des témoins que le secret de ces rites nous est mal connu, malgré leur réputation de cancanière à la langue affûtée, peut-être les femmes ont-elles su rester discrètes…

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             En règle générale les Themesphoria se déroulaient fin octobre et duraient trois jours. Certaines cités grecques optaient pour une période pouvant atteindre dix jours… Telesterion a opté pour quatre stases. Toutefois il rajoute cinq rites choisis parmi ceux que pratiquaient les prêtres chargés du culte. Nous y reviendrons.     

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             Différentes lectures de la signification des Themesphoria peuvent être proposées. Il en est une très rassurante :  ce seraient des cérémonies qui siéraient à la majesté des femmes mariées et à leur statut de génitrices. Dans la série ayons de beaux enfants forts et virils ils sont les garants de la survie future de la  Cité, les Grecs étaient très fortiches… Maintenant quand on touche au sexe des femmes une autre version transparaît. Lors de cérémonies liées aux cultes de la fécondité, par exemple durant les Lupercales  romaines, menées par les prêtres du dieu Faunus, les jeunes hommes s’armaient de lanières et se dispersaient dans la ville pour fouetter au hasard les femmes désireuses de tomber enceintes, nous ne sommes pas loin de jeux érotiques sado-érotiques… Pensons au scandale suscité par Jules César pour s’être introduit dans les cérémonies secrètes en l’ honneur de la Bonne Déesse ( = Fauna = Céres = Demeter) interdites aux hommes, durant lesquelles nos Dames de haute vertu s’adonnaient à de fortes libations alcoolisées et à certains jeux érotiques étrangement semblables à des orgies. Pour les curieux nous recommandons la lecture attentive du Dialogue des Courtisanes par Pierre Louÿs, nous ne donnerons pas ici la traduction de ce terme grec de ‘’Bobôn’’ désignant cet ustensile que ces péripapéticiennes utilisaient pour prendre un peu de plaisir dans cette vallée de larmes que serait notre séjour terrestre.

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             Nous pensons que nos lecteurs ont plus ou moins entendu parler de Perséphone fille de Déméter kidnappée par Hadès le Dieu des Enfers. Sa mère en larmes et désespérée s’en vint se plaindre à Zeus. Rappelons-nous que Perséphone est aussi la fille de son père : Zeus. Cette histoire est peu metooesque. Puisque sur les conseils de Zeus, malgré les ignobles épreuves à laquelle le dieu des Enders  soumit son cops innocent, Perséphone consentit à régner en compagnie de son mari sur le monde des morts. Phénomène d’emprise !  Comme quoi Eros et Thanatos…

             Il est toutefois un autre personnage lié de très près à cette histoire. Il s’agit d’une des plus vieilles déesses, Hécate, les rockers la connaissent car elle préside aux carrefours, endroit où toutes le mauvaises, mais aussi les bonnes rencontres peuvent se produire. C’est dans un carrefour que le diable in person apprit à Robert Johnson les adéquates positions des doigts sur les cordes d’une guitare. Dans notre modernité Hécate ne jouit pas d’une bonne réputation… c’est pourtant elle qui a  permis à bébé Zeus de ne pas être englouti dans le ventre de son père Kronos… C’est aussi elle qui servante de Déméter s’occupa du bébé Koré, signifiant jeune fille, premier nom que sa mère lui donna et qu’elle abandonna lorsqu’elle devint Perséphone, l’épouse d’Hadès.

             Lorsque Déméter désemparée ne savait plus quoi faire devant la mystérieuse disparition de sa fille, Hécate prit les choses en main, elle l’emmena chez Hélios le kronide  qui la dirigea vers Zeus… Mais avant que Zeus n’eût donné à Hadès l’ordre de libérer Perséphone, Déméter avait reçu accueil et assistance auprès de la reine Métaneiré à qui elle ordonna de faire bâtir dans la ville d’Eleusis un temple en son honneur. C’est de retour de son entrevue avec Zeus qu’elle initia le roi Kéléos et ses fils Triptolémos, Polyseinos, Eumolpos, Dioclès, aux rites secrets qui seront enseignés dans son temple à EleusisLeconte de Lisle dans ses traductions des Hymnes Homériques emploie le terme orgie pour désigner le contenu de ses rituels secrets…  Ce sont ces cinq rites dont Themesphoria nous indique qu’ils sont accomplis par les prêtresses de Déméter.        

             La couve de l’Ep dont nous n’avons pas réussi à découvrir la provenance nous semble moderne, empruntant autant à l’Art Moderne d’un Aubrey Beardsley  qu’à la bande dessinée, elle tranche avec celles des précédents artefacts de Telesterion.

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    Skira : qui en grec signifie ombre : cela pourrait s’intituler l’angoisse, la descente dans le noir des Enfers de Koré emportée par Hadès, des pas dans une galerie, quelqu’un qui porte un corps pesant, vision auditive toute hominienne, des chœurs incessants pour donner à cette interprétation la grandeur fastueuse de l’évènement en train de se dérouler, une espèce de contre-initiation charnelle, l’ouverture des grenades sanglantes du sexe percé de Perséphone, l’intuition qui lui est prodiguée de la signification de l’acte accompli, en dehors de toute limitation individuelle, la portée symbolique, de ce grain de grenade qu’elle a avalé qui l’a rendue immortelle puisqu’elle ne peut plus mourir, car même les Dieux immortels peuvent mourir s’ils ne peuvent plus se nourrir d’ambroisie et de nectar, nourriture sacrée des Dieux suscitée par les bienfaits de Déméter… Plus que l’épisode mythologique du rapt de Koré, l’ombre ici n’est qu’une des figures de la mort inéluctable. Anodos : joyeuses pincées de cordes et trot percussif, si skira désignait la descente de Perséphone dans la mort, anodos signifie montée, vers le soleil, le retour de Perséphone vers Déméter, le cycle de la vie qui se libère des liens du cycle de la mort, la fleur qui s’offre au soleil, la végétation qui renaît, l’éblouissance des forces de la nature, l’assurance du triomphe de la vie. Ce premier jour des Themesphoria donnait lieu à un défilé triomphal, sans doute y promenait-on les futures victimes animales  offertes à la déesse : chiens (pensez à Hécate et à Cerbère) et porcs (particulièrement utilisés dans des rites de fertilité dont Déméter et Koré  étaient de droit les principales bénéficiaires. Des morceaux de porcelets étaient enfouis dans des fossés creusés dans les champs, pour être récupérés plus tard et servaient alors d’offrandes sur les autels de la déesse afin qu’elle favorise les futures moissons. Tout parallèle avec le grain de blé transformé en épi s’impose naturellement.). Nesteia : rythme sans force. Musique grave et retenue. Ce deuxième épisode des Themesphoria surprend, il s’agit d’un jeûne propice au recueillement et à la réflexion. Toutefois il était conseillé de participer à cette cérémonie en ayant auparavant suivi durant trois journées une abstinence que l’on ne peut qualifier que d’ordre sexuel. Etait-ce pour ne pas se présenter à la cérémonie suivante le corps fatigué, les membres las, les chairs comblées… toujours est-il que l’on ne peut ne pas remarquer que le flux musical se charge d’une certaine tension, d’un tambourin insistant, d’une accumulation organique d’impatience comprimée. Kalligeneia : la troisième journée était vouée à fêter cette déesse censée vous aider à engendrer de beaux enfants, robustes et en pleine santé. S’agissait-il simplement d’offrandes de fleurs, de bijoux, de chevelures, dans l’espoir d’être exaucée ou d’une initiation sexuelle sous forme de mimes, ou de pratiques plus exhaustives. Nous n’en savons rien. Nous notons toutefois que ce morceau accumule séquences d’attente et moments de libération, certes l’ambiance n’est guère priapique et reste cantonnée dans un registre grave et contenu, il s’agit bien d’entrevoir cette initiation comme des instants sacrés et solennels qui confère à des gestes somme toute jouissifs une dimension énigmatique et mystérieuse que les non-initiées étaient censées ne pas connaître…

             Cet EP de Telesterion est d’un abord moins évident que les enregistrements précédents. Il demande quelques connaissances de base sans lesquelles il est difficile de pénétrer le sens ultime de cette musique qui reste celle de l’évocation de pratiques cultuelles de l’ancienne Grèce. Aujourd’hui le regard que nous portons sur ces cérémonies bâties à leur époque sur des observations archaïques les plus triviales, plongeant leurs racines dans la période néotlithique, nous les recevons après des siècles d’édification mythologiques d’une grande complexité car constituées de couches historiales diverses, elles-mêmes modulées par toutes ces réflexions raisonnantes léguées par la philosophie et la pensée sophistique du legs de la Grèce Antique.

    Damie Chad.

     

     *

             Sans être un linguiste réputé il y a des noms de groupe qui se traduisent facilement exemple : conifer beard = barbe de conifère.  Ce qui ne vous empêche pas de barjoter : les sapins étant des conifères voici votre barbe de conifère qui se transforme en barbe de sapin, par un subtil glissement vous obtenez barbe de sapeur. Du coup en gambergeant dans votre tête vous imaginez les sapeurs de la Grande Armée entrant dans l’eau froide de la Bérézina pour construire les ponts salvateurs, vous voici transporté en Russie, bingo ! justement le groupe qui porte le nom de Conifer Beard est de nationalité russe. Soyons précis : de Yelabouga (80 000 habitants) située sur un  affluent de la Volga à plus de neuf cents kilomètres de Moscou. Tout concorde, trois grands types costauds nantis d’une barbe, toutefois avouons-le  fièrement, plus modeste que celle des sapeurs de Napoléon, des adeptes de stoner rock. Des brutes épaisses sympathiques. Enfin presque. Sur leur Instagram vous avez une photo tous les trois debout devant une isba recouverte de neige accompagnée d’un texte écrit en Russe. Quand on pense que Tolstoï enfant parlait mieux le français que le russe, l’on se dit que l’on n’aurait pas besoin d’un traducteur pour comprendre. Or justement le texte traduit reste passablement compréhensible. Ce n’est pas que le traducteur soit mauvais, ce n’est pas que nos conifer men soient des analphabètes, c’est que nous sommes en présence d’un texte poétique. Bref des types qui méritent le détour, alors sans plus attendre l’on se penche sur :

    Странствий Сказ

    CONIFER BEARD

    (Février 2025)

             Oui nous les avons déjà rencontrés dans notre livraison 622 du 30 / 11 / 2023, et vous avez raison ce Странствий Сказ signifie bien RECIT DE VOYAGE. Nous sommes donc dans la grande tradition du récit de voyage russe dont le chef-d’œuvre reste  La Steppe (Histoire d’un voyage) d’Anton Tchekhov. Nous voici partis pour un étrange voyage.

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             Je ne suis pas un spécialiste de l’art graphique du vingt-et-unième siècle mais je ne crois pas m’avancer beaucoup en assurant que le 31 décembre 2299 la couve de ce disque ne sera pas élue comme une des dix images totémiques des cent dernières années qui se seront écoulées. Toutefois que signifie cette utilisation du blanc et noir alors que les productions précédentes de Conifer Beard ont toutes bénéficié d’une impression quadrichromique. Il ne faut point d’après moi expliciter que cette absence de couleur soit due à un manque de moyens pécuniers. Le groupe a voulu qu’il y ait une coalescence d’intention entre la pochette et le thème de l’album. Certes des centaines de verstes parcourues dans une sombre forêt recouverte de neige peut être facilement représentées en noir et blanc, mais il est deux sortes de voyages, ceux qui se déroulent en pleine nature et ceux intérieurs que l’âme effectue après le trépas. Le blanc du linceul et le noir funèbre s’imposent alors d’eux-mêmes.

    Artem Kornilov : guitar / Arsenil Kornilov : bass / Robert Nurunov : drums. Se partagent tous les trois le vocal.

    Зачин : Départ : apparemment nous sommes dans un avion, un vieux coucou, les vitres ouvertes, ou dans une voiture puisque l’on entend des cris d’oiseaux, un chœur lointain de femmes éplorées retentit, hurlements de loups, à moins que ce ne soit des chiens qui hurlent à la mort, des talonades de pas pressés, une cloche qui tinte rapidement, et bruits rassurants un combo de rock qui s’en vient tailler la route. Ясный Сокол : Faucon clair : vous avez une belle turbine rock de bon aloi, ça défile à mort, pas le temps de s’ennuyer, la batterie qui scande le rythme et les guitares qui brodent et surfilent à mort, vous êtes heureux, pourvu que ça dure jusqu’à la fin pensez-vous. Justement la voix, pas du tout ennuyeuse, elle se maintient sur la cime de la rythmique sans problème, mais si vous prêtez un tantinet attention à ce que cette voix un peu voilée vous suggère elle vous oblige à vous poser   une question, nous trouvons-nous au début ou à la fin, je sais c’est un peu le mystère de l’âme russe, et ce faucon qui vole vers le ciel et dont les ailes claires cachent la rougeur du soleil naissant, quel est ce dialogue qui s’instaure entre ce qui paraît être un chevalier médiéval et ce faucon de grande sagesse qui instruit l’âme – soyons réaliste avez-vous déjà vu des chevaliers à la pesante armure voler dans le ciel – qui s’envole dans le ciel après un dernier regard jeté vers le souvenir des siens aimés et chéris. Les guitares s’étirent  vers l’infini et le moteur de la vie s’emballe comme s’il savait que le voyage sera encore long. Pour ceux qui ont peur de se morfondre vous avez sur la vidéo un paysage de forêt enneigée qui se déroule sans fin. L’immensité de la taïga russe. С зарёй : L’aube heureuse : l’impression que la guitare joue au billard à trois boules avec la batterie, ne vous inquiétez pas pour savoir qui est la boule rouge, pour poser la question d’une autre manière si celui qui parle est un chevalier blessé qui chevauche à travers la forêt poursuivant un rêve perdu de fidélité, ou alors est-ce son âme en partance vers on ne sait trop quoi  qui se pense représentée en chevalier  cheminant vers le vide de la mort. Doit discuter ferme avec lui-même pour savoir s’il est encore vivant ou déjà mort, c’est que l’on ne peut représenter la mort qu’avec les mots et les images des vivants, ce qui, vous en conviendrez, aide à produire une certaine équivoque. ДухМакабра : L’esprit de mort : La chevauchée continue-t-elle de plus belle, si l’on en croit le rythme imperturbablement appuyé la galopade se poursuit mais le vocal comme légèrement reculé dans la musique, comme un intervenant, qui prend la parole sans se soucier de ceux qui sont en train de parler, tient un discours totalement identique mais pas tout à fait pareil, tiens cette cowbell qui résonne ne nous ordonne-t-elle pas de faire attention au temps qui passe, ne sommes-nous pas dans l’éternel présent d’un éternel retour qui revient incessamment sur lui-même. Mon cercueil n’est-il pas encore un jeune sapin  qui pousse dans la forêt enneigée, combien de fois n’ai-je pas serré la main de Dieu, je suis mort et la mort me suit, elle m’accompagne comme un serviteur fidèle, mais encore une fois voici l’heure fatidique, celle du retour. Пепел Станет Огнем : Feu de cendres : la guitare sonne comme les trompettes qui annoncent le retour du héros, l’est comme le phénix qui renaît de ses cendres, mais le rythme s’avère moins triomphal, comme si le retour n’était pas aussi certain, le retour n’est-il pas aussi le retour de la séparation, ce qui a été perdu une fois, est-il perdu pour toujours, est-ce pour cela que nous ne parvenons jamais à recoller les deux morceaux de la porcelaine la plus précieuse, le feu qui brûle le phénix n’a-t-il pas raison du phénix par le simple fait qu’il soit matière inflammable. Le morceau s’arrête brutalement, serait-ce pour ne pas répondre à la question. L’espoir fait-il vivre ou mourir.  Исход : Résultat : le vent se lève et souffle, quelqu’un aiguise une lame, chœur féminin, est-ce le chevalier qui se prépare au combat, sont-ce les derniers grésillements d’un feu qui finit de se consumer…

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             Nous n’en saurons pas plus. Le mystère du voyage reste ouvert ou fermé. Ce qui revient au même. Une culture russe nous aiderait peut-être à mieux comprendre, par exemple cette cabane sur pilotis est-elle une allusion à l’isba de Baba Yaha sur ses pattes de poulets… Existe-t-il une légende d’un chevalier russe entreprenant un tel périple…

             Ce qui est sûr c’est qu’avec cet EP Conifer Beard nous tient par la barbichette et nous file une tapette à démantibuler un ours.

    Damie Chad.

     

     

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 686 : KR'TNT ! 686 : COWBOYS FROM OUTERSPACE / SCREAMIN' MONKEYS / BOYS WONDER / HAROLD BRONSON / RAM JOHN HOLDER / / IMPERIUM DEKADENZ / MIDNIGHT ROSES / GALVÄO / PATRICK GEFFROY YORFFEG

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 686

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    17 / 04 / 2025

     

     

    COWBOYS FROM OUTERSPACE

    SCREAMIN’ MONKEYS / BOYS WONDER

    HAROLD BRONSON / RAM JOHN HOLDER

    IMPERIUM DEKADENZ / MIDNIGHT ROSES

    GALVÄO / PATRICK GEFFROY YORFFEG

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 686

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

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    Wizards & True Stars

    - Un Outerspace qui porte bien son nom

    (Part Two) 

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             Avec Weird Omen et les Dum Dum Boys, les Cowboys From Outerspace appartiennent à la trilogie supérieure des French Cakes. Bientôt trente ans que les Cowboys labourent l’imaginaire rock et portent, non pas la flamme olympique à travers la France, mais le flambeau du Gun Club à travers la France, ce qui est tout de même beaucoup sexy, reconnaissons-le. Ils perpétuent le rumble Death Partysan et te collent un coup de «Goodbye Johnny» en fin de set, histoire de te rappeler qu’à une autre époque, le Gun Club et les Cramps étaient les rois du monde. De notre monde. Dans son costard noir, Michel Basly incarne à la perfection la grandeur du mythe Jeffrey Lee Pierce. Il lui donne même une petite allure de dandy spectral. Ça sent bon les bas-fonds marseillais et les secrets murmurés au coin du bar. 

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             Si tu veux voir un vrai power trio à l’œuvre, c’est eux. Avec cette section rythmique de rêve, Michel Basly peut dormir sur ses deux oreilles. Il peut claquer ses riffs et réveiller le spirit de Jeffrey Lee, il peut screamer dans la nuit et foutre le feu au bush. Il a les coudées franches. Il hante plus qu’il ne chante, il cache son jeu avec une apparente sobriété, mais sous la cendre couve le feu, il n’en finit plus de rappeler à quel point le Gun Club était synonyme d’apocalypse, à quel point Jeffrey Lee Pierce savait réveiller un dragon pour mieux le chevaucher, à quel point ce démon savait le tenir le dragon en laisse pour le lâcher au moment opportun. «Death Party»

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    et «Sister Ray» même combat. Et quasiment trente ans après leurs débuts, les Cowboys alimentent la même fournaise, avec une sorte «d’expérience» en plus, une patine d’apocalypse qui rend leur set encore plus traumatisant. Comme le firent les Gallon Drunk en leur temps, les Cowboys privilégient bien sûr les cuts atmosphériques, histoire d’embarquer les cervelles pour Cythère-sur-Styx, à défaut d’embarquer les corps, car on ne danse pas sur les Big Atmospherix des Cowboys, on glisse comme des corps dans le mood, ou dans la tombe, c’est du pareil au même, il s’agit là d’envoûtement, de messe noire, de voodoo, ça te plonge dans la confusion et ça te tire sur la paillasse, ça te compresse la cage et ça te trie les globules, les rouges d’un côté, les blancs de l’autre, comme au temps de la Révolution bolchévique, ça te purge de toutes tes fucking prérogatives et ça t’oblitère bien la gueule, ça te parle au plus profond, ça te malaxe les zones reculées du cerveau, c’est un rock qui s’infiltre en toi, t’en perds ton étanchéité, dis-lui adieu, tu ne résistes pas longtemps, ce rock te jette un sort, alors tu dis «chouette !», t’es bien content, car rien n’est pire que le rock qui ne jette pas de sort et qui ne t’oblitère pas la gueule. Pas besoin de t’agenouiller et d’implorer qu’on t’oblitère la gueule. Ça se fait automatiquement.

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             Là t’es servi. T’es même gavé. T’en as pour ton billet. Tu te goinfres. Si Jeffrey Lee le héros voyait ça, il serait bien content. Comme en ont les Cramps et le Velvet, Jeffrey Lee a des bons héritiers, des mecs qui font bien le poids, et qui ont du répondant, du charisme et du son. De la prestance et de la fière allure. Des mecs qui savent porter le feu sacré. Michel Basly parle même d’un nouvel album. Il serait temps, le dernier date de dix ans. Comme si les Cowboys s’étaient épuisés à la tâche. Peut-être en avaient-ils marre d’être les meilleurs. Le plus stupéfiant, quand tu les vois sur scène, c’est que rien n’a changé. La magie est intacte. Bazile Gonzalez roule sa poule sur sa basse et toise les gens comme au temps jadis, et derrière Mr Henri bat le beat à la main renversée. Ils sont tous les trois encore plus royalistes que le fucking roi.

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             En attendant Godot, tu ne perds pas ton temps à écouter cette compile parue en 2019, The Worst Of... On Vinyl Now. La pochette singe bien celle d’Elvis. Si t’as un faible pour la dynamite, ce Worst Of est fait pour toi.

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    Tu y retrouves en B cette «Luna» qui fit fantasmer la France entière (ou à peu près) voici 20 ans, au temps de Bones Keep Smilin’, Basly gave sa Luna de son, il lui bourre le mou, et tu assistes à de fabuleuses montées en surchauffe. Quelle fournaise ! Et encore une fois, quelle chance elle a Luna de se faire bourrer le mou. Tiré du même album-fournaise, t’as «Such A Long Time». Basly chante ça au sommet de son registre, et c’est vraiment digne de Jeffrey Lee Pierce. Complètement allumé ! Encore plus allumé, t’as «I’m Waiting (For Nothing To Come)», tiré de Super Wight Dark Wight. Les Cowboys adorent rôder dans l’ombre et puis vers la fin, Basly devient complètement dingue. Si tu veux entendre un screamer fou, c’est lui. En A tu retrouves ce fast ventre à terre «She Said She Loves Me» tiré de leur premier album sans titre. C’est plein comme un œuf. T’as l’impression qu’ils sont déjà au sommet de leur art. Puis t’as trois cuts tirés de cet album infernal qu’est Choke Full Of, «Choke Me Up» (power punk-blues tentaculaire, avec cette énorme tension), le si brûlant «Let’s Get Wild», et l’indomptable «Dancin’ Machine», gorgé de blasting power. Un sommet du genre. Ah ils savent descendre au barbu ! Basly fait son Otis avec «I’ve Been Loving You (Too Wrong)» et tu le vois se barrer en ultra-vrille de coyote marseillais, fabuleux shout-off de guitar-slinger, et il te sert sur un plateau d’argent une belle fin apocalyptique. La cerise sur le gâtö est une cover démente de «Lo End Buzz», tiré du premier album sans titre des Chrome Cranks. C’est ta récompense quand t’arrives au bout de la B. Basly renoue avec la folie de Peter Aaron, il tape en plein dans le mille, c’est de l’ultra poussé-dans-les-orties, il a la voix qu’il faut pour ça. Il sait merveilleusement bien dérailler.

    Signé : Cazengler, cobaye from outerspace

    Cowboys From Outerspace. La Péniche. Chalon-Sur-Saône (71). 29 mars 2025

    Cowboys From Outerspace. The Worst Of... On Vinyl Now. Lollipop Records 2019

     

    L’avenir du rock

     - Too much Monkeys business

     (Part Two)

             — Alors, c’est vrai, c’qu’on dit, avenir du rock ?

             — De quoi tu parles ?

             — On m’a dit que t’allais souvent au zoo...

             — Et alors ?

             — Tu vas mater les animaux en cage ? Tu s’rais pas un peu baisé, comme mec ?

             — Désolé mon pote, mais je préfère mille fois mater la tronche des animaux plutôt que la tienne.

             — Pffffff.... Tu causes comme une vieille pute qu’a perdu tous ses clients. 

             — Pas du tout, si tu les voyais, tous ces animaux, tu serais agréablement surpris. Tiens, je prends un seul exemple, Thee Michelle Gun Elephant... T’es tout de suite en extase devant leur force tranquille, leur majesté garagiste, leurs riffs d’ivoire et leurs barrissements hystériques. 

             — Un Michelle Gun Elephant, ça trompe énormément !

             — Non seulement t’es moche, mais t’es con. Tiens je vais te donner un autre exemple. Les Buffalo Springfield, tu vois ce que c’est ?

             — Oui, ceux que Buffalo Bill s’amusait à canarder...

             — Quand tu les vois, t’es effaré par leur prestance. Ils sont gigantesques ! Ils régnaient jadis sans partage sur les plaines de la Californie, les Buffalo Killers ont eu leur peau mais leur spirit est intact. Ils ont cette majesté qui fait tellement défaut à la plupart de nos contemporains.  

             — Un coup d’épée dans le Buffalo du lac ?

             — T’aime bien les petits jeux de mots à la mormoille... Ça nous fait un point commun.

             — T’as d’autres chouchous, avenir de mes deux ?

             — Oui, les Deadly Snakes ! Ah si tu voyais leurs riffs ramper, tu les sens monter dans la jambe de ton pantalon, sssshhhhhh, quelle sensation mortelle ! Quel groove empoisonné...

             — Pas trop mon truc. T’aurais pas autre chose de plus sympa ?

             — Les Screamin’ Monkeys ! Tu veux du wild as fuck ? Avec eux, tu vas sauter partout.  

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             Welcome in the chaloneeese jungle ! Tu entres sur le territoire des Screamin’ Monkeys et ça va screamer mon kiki. Sont six sous des branches. Petite chaleur tropicale. Cris d’animaux. Masques de singes, comme au temps béni des Hammersmith Gorillas. Et wham bam dès «Jungle Keepers» le morceau titre d’un premier album qu’il faut bien qualifier de puissant, et même de rentre-dedans. Six, c’est jamais trop lorsqu’il s’agit de kicker les jams, motherfucker. Alors ça kicke dans les brancards, ça monkeyte entre tes reins, ils mettent un peu de temps à chauffer leur marmite de cannibales, on les sent nourris aux bonnes intentions. Pas facile de monter sur scène après les Cowboys. C’est une sorte de défi. Ils vont le relever. Encore une fois, c’est leur territoire.

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             Ils virent les masques à la fin du premier cut pour redevenir humains. Tous sauf Zu qui va battre le jungle beat en Monkey jusqu’au bout du set. Tout le

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    ramdam des Screamin’ repose sur le doublon Fouine/Franck, avec un Fouine qui fait du Keith Streng-sans-gratte à la puissance mille et Franck qui prend parfois le lead au chant tout en claquant sa riffalama fa fa fa. La combinaison des deux Screamin’ est explosive et peu commune, c’est un luxe que d’avoir deux excellents shouters dans un groupe. Ils fonctionnent comme une locomotive infernale, ils tirent derrière eux tout le groupe, et cut après cut, le set finit par décoller, comme le fit jadis le gros hydravion d’Howard Hugues. Ils tapent des cuts plus rock’n’roll comme «Belinda»,

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    ou plus heavy comme leur vieux «Cosmic Farmer» qui date de Mathusalem, avec un panache qui n’a d’égal que leur enthousiasme viscéral, ils puisent aux mêmes sources que les Fleshtones et les groupes Crypt, avec en plus, dans certains cuts, de capiteux échos d’early Stonesy et même des Yardbirds. Tu sens remonter la sève du mighty British Beat, ça sent vraiment bon le rave-up. C’est là que tu commences vraiment à les prendre au sérieux, car peu de groupes ont cette facilité à récréer d’antiques ferveurs, surtout celles qui viennent d’Angleterre. C’est peut-être dû au fait que les

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    deux guitaristes jouent en clairette de  Fender, Strato pour le mec des Buttshakers qui vient de rejoindre le groupe, et Tele pour Franck. Les deux grattes propulsent les Screamin’ dans la stratosphère du meilleur garage qui soit, poussées au cul par le jungle beat de Zu et les ultra-buzy basslines de Marco, qui pour les rendre plus royalistes que le roi, les joue au doigt. Et pour couronner le tout, t’as Jano derrière son clavier et derrière tout le monde, aussi discret qu’un Monkey qui guette sa proie, perché sur sa branche.

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             Quant à Fouine, il tourticote tout ce qu’il peut, il maracasse la baraque et fait son Jagger à la petite semaine, il performe et s’agite le vocal, il monte sur tous les coups, soutient Franck quand vient le temps des chœurs, il sait poser sa voix et s’élève au-dessus de tout soupçon. Fouine fait du foin. Fouine fait le fou. Fouine fout le camp. Fouine fait pas semblant. Fouine fun fun fun !

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             Les Screamin’ recyclent tous les vieux coucous, «Poison Vivi», «Band Of Freaks», «Wakes Me Fever», «Ginger Twister», mais c’est avec les fleurons de l’album qu’ils raflent la mise, et notamment «That’s Not Mine», l’hit le plus spectaculaire : c’est même encore plus flagrant sur l’album, il faut voir comme ça

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     taille la route au chant, Franck arrache la victoire à coups de that’s not mine yah yah ! «Basic» est encore un cut de Screamin’ Screamer qui sait écraser son champignon en plein virage. «Basic» sonne comme un modèle du genre, un énorme classique. T’as beau avoir écouté des tonnes de grands albums garage, il y aura toujours des mecs pour recréer l’événement, et le «Basic» des Screamin’ crée l’événement. L’autre cerise sur le gâtö de cet album est le grand retour du «Cosmic Farmer». Cette gigantesque fournaise te dévore tout cru. Ils t’amènent ça à l’abattoir vite fait. Autre surprise de taille : «Not Alone» est son attaque stoogienne. Là, Franck part en solo et creuse vite fait bien fait un tunnel sous le Mont Blanc. Encore une belle surprise avec «Shuttle» : Fouine se montre plus sculptural au chant et t’entend des chœurs qui te renvoient directement à l’«Heart Full Of Soul» des Yardbirds. Elles est pas belle, la vie ?

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             Tu les vois aussi aller chercher la bonne petite braise sous la cendre avec «Cross The Line», et le «Band Of Freaks» qui refait surface en B est beaucoup plus Fleshtony, avec toutes les ficelles de caleçon. Saluons aussi le morceau titre d’ouverture de balda et ses belles dégelées riffiques, et t’as cette voix qui monte tout de suite au sommet du cocotier, ah il est bon le Fouine. Quel fabuleux ramdam ! Quelle belle clameur ! C’est encore une fois très Fleshtony, mais en plus joyeux et en plus vivace. Les élèves ont dépassé les maîtres. Ils terminaient leur set (avant rappel) avec l’exubérant «Boogaloop». Sur scène, ça devient incontrôlable. Ils terminent leur rappel avec leur vieille cover de «California Sun» dont les Dictators firent leurs choux gras, voici 50 ans. Proto-punk, baby.

    Signé : Cazengler, c’est parti monkey-key

    Screamin’ Monkeys. La Péniche. Chalon-Sur-Saône (71). 29 mars 2025

    Screamin’ Monkeys. Jungle Keepers. Pop The Balloon 2025

     

     

    L’avenir du rock

     - The Boys are back in town

             L’avenir du rock adore aller faire ses courses chez madame Prévertinette, l’épicière du fauboug Saint-Martin. Panier au bras, il pousse la vieille porte vermoulue et la petite clochette irise l’air tiède d’un carillonnage levantin.

             — Bien le bonjour, madame Prévertinette, comment tallez-vous bien ?

             — Oh je me sens comme une demi-pinte de bon sang, avenir du rock ! Que me vaut le plaisir de votre visite ?

             — Les contingences, madame Prévertinette, les contingences ! Elles me ramènent chaque fois vers vous comme le fleuve ramène le fétu à l’océan !

             — Quel flatteur vous faîtes, avenir du rock ! Comment puis-je satisfaire à vos contingences ?

             — Pour commencer, il me faudrait une pelote de ficelle, deux épingles de sûreté, un monsieur âgé et une Victoire de Samothrace.

             Elle farfouille dans ses étagères et dépose les désidératas de l’avenir du rock sur le comptoir. Puis elle tape soigneusement les prix sur sa vieille caisse enregistreuse.

             — Vous faudra-t-il autre chose ?

             — Une mouche tsé-tsé, un homard à l’américaine, un jardin à la française, deux pommes à l’anglaise...

             Elle refarfouille de plus belle et dépose ses trouvailles sur le comptoir. Elle tape les prix et lance d’une voix de Castafiore lunatique :

             — Et avec ceciiiiiii ?

             — Un face-à-main, un valet de pied, un orphelin, un poumon d’acier, un soleil d’Austerlitz, un siphon d’eau de Seltz, un vin blanc citron !

             — Ah il faut que je descende à la cave chercher le soleil d’Austerlitz, je le garde toujours au frais, voyez-vous...

             Elle disparaît par une trappe située derrière le comptoir et réapparaît quelques minutes plus tard couverte de toiles d’araignées.

             — Et avec ceciiiiiii ?

             — Des piles Wonder !

             — Elles n’existent plus, avenir du rock, mais en compensation, je vous propose les Boys Wonder ! Vous m’en diiiirez des nouvelles !

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             Effectivement, l’avenir du rock est aux anges. Et comme le destin ne fait jamais rien au hasard, Shindig! annonce le retour des space-age mod-rock pionneers, the Boys Wonder. T’y crois pas ? Alors écoute Question Everything. Ça vient de sortir. On appelle ça une réhabilitation résurrectionnelle. L’un des groupes les plus brillants de son temps sort enfin de la tombe.

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             Quand t’entends «Goodbye Jimmy Dean», tu ne comprends pas qu’un tel groupe soit passé à l’ass. Intro à la Who et t’as aussitôt le poids du son, c’est-à-dire le power. C’est le Wonder power, à base de concordes de grattes explosives. Encore plus Whoish : «Platform Boots». Ce sont les accords de «Substitute». Terrific ! Ils font du glam-punk Whoish, on se croirait en 1966, au Marquee. Maximum R’n’b ! En plein dans la cocarde ! Encore du pur Whoish avec «Lady Hangover», ils tapent en plein dans ce glam d’étranglement convulsionnel qui fit la grandeur des early Who. «Song of Sixpence» pourrait sonner comme un hymne Mod. Pure Mod craze ! Ils sont aussi capables de sonner comme les Small Faces. La preuve ? «Soho Sunday Morning», avec le soupçon d’accent cockney qui les rend crédibles. Ben Addison est un pur et dur. Et puis, il pleut des coups de génie comme vache qui pisse : t’as «Shine On Me», monté sur la cocote du diable et t’as un killer solo flash enroulé dans le son. Même chose avec «Elvis 75», encore un défonce-moi-Johnny, allumé au glam power et t’as un  killer solo flash qui vient trouer le cul d’Elvis 75. Oui, flash, vraiment flash ! Ils jouent l’intro de «Friday On My Mind» sur «Hot Rod» et ça part ventre à terre, ils tapent dans le glam power avec des moyens énormes et une prod qui n’a pas froid aux yeux. Et t’as même le killer solo fantôme d’Écosse, wooooh, wooooh ! C’est dire l’étendue du registre. On s’extasie en permanence de la classe et de l’aisance du Ben. Leur «Now What Earthman» est encore d’une rare puissance, même si cette pop ne sait pas dire son nom. Le Ben chante son «I’ve Never Been To Mayfair» par dessus les toits. Il chante comme un dieu et fait de son Mayfair une authentique Beautiful Song. Et ils te claquent «We All Hate Honesty» à la cocote insidieuse, la pire de toutes, l’insidieuse anglaise. 

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             Dans Record Collector, Lois Wilson parle de «stuff of legend», de cuts «brash, bold and irreverent», et de lien entre «the Who’s art school mod» et «the Sex Pistols’ cartoon fury». Et sur scène, t’avais tout le bataclan, l’exploding drum kit et le guitar-smashing. Boys Wonder était le groupe des jumeaux Ben et Scott Addison. Père pianiste et contre-bassiste de jazz. Sinatra sur le record player - Then came glam and the Sex Pistols - Alors wham bam ! Ben flashe sur les Pistols : «They had the look, the sound, the shock impact.» Ils montent un premier groupe, Brigandage, Ben on drums, Scott on bass - Sex Pistols with a female singer - Elle s’appelait Michelle Archer. Ils décrochent la couve du NME et enregistrent une Peel Session. Brigandage splitte et ils récupèrent deux mecs d’Haircut 100 pour monter Boys Wonder. Ils récupèrent un peu plus tard Tony Barber on bass. Ils se réclament des Who, des Fifth Dimension ou encore de Slaughter & The Dogs, en fait de tout ce qu’ils aiment bien. Ils travaillent leur look - Carnaby tat and boot boy chic - portent des futes en tartan, «and monster fringe haircuts by Vidal Sassoon.» C’est Eddie Piller qui les met en contact avec Seymour Stein. Un Stein qui fait venir Andy Paley des États-Unis pour les produire, Mais Ben trouve qu’Andy est trop obsédé par les Beach Boys. Leur single «Now What Earthman» sort en 1987 et floppe. Puis Sire les droppe. Allez hop, à dégager !

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             Après le split, les jumeaux remontent le groupe avec un mec de Doctor & The Medics et le batteur de King Kurt, Rory Lyons. Ils enregistrent le mini-album Radio Wonder. C’est de la dancing pop d’une incroyable audace, mais en même temps, c’est un suicide commercial. Tu retrouves pourtant l’excellent heavy rock bien forcé du passage qu’est «Eat Me Drink Me». Sur ce coup-là, ils ont tellement de son !

             Nouveau split. Ils réapparaissent deux ans plus tard dans Corduroy, un Acid Jazz band, avec Dad Man Cat, un album d’instros. Corduroy fait l’objet d’un chapitre à part. 

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             Clive Webb rappelle dans Shindig! que les frères Addison étaient en avance sur leur temps. Enracinés dans le mod-rock sound des sixties, ils préfiguraient la Britpop et tous ces groupes, Menswear, Supergrass, qu allaient connaître le succès. Aujourd’hui Ben Addison affirme que la Britpop was completely unspectacular. L’un des fans de Boys Wonder, Vic Reeves, va même jusqu’à proclamer : «The greatest band that never was, is now the future.» Eh oui, si les Boys Wonder sont si bons, c’est sans doute parce qu’ils ont commencé par flasher sur le glam et le punk des Pistols. Web dit aussi que Brigandage était annoncé comme «the next Sex Pistols». Eddie Piller devait signer les Boys Wonder sur son label Countdown, un sous-label de Stiff - Terry Rawlins and I absolutely loved the band - Piller venait de signer les Prisoners et Making Time, et il lui fallait un troisième groupe. Mais Stiff s’est cassé la gueule et Countdown a coulé avec. Piller voyait les Boys Wonder comme des «proto-mods and punk rockers, they were just spectacular.» C’est là que Piller les a refilés à Seymour Stein. Toutes les conditions étaient donc rassemblées. Mais ça n’a pas marché.    

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             L’histoire est d’autant plus triste que le groupe fut brillant. C’est aussi l’avis d’Eugene Butcher, dans Vive le Rock. What happened? Ben re-raconte l’histoire et précise que de jouer à Londres était à l’époque bien plus facile qu’aujourd’hui. On pouvait garer le van devant la salle et coller des affiches. Ça bloquait du côté des record labels. Comme les Boys Wonder ne rentraient dans aucune catégorie, les record labels ne voulaient pas d’eux. Ben dit aussi qu’en plus des Who et des Sex Pistols, ils adoraient Tom Jones, Todd Rundgren et les compositeurs, which is why we ended up forming Corduroy.

    Signé : Cazengler, Pile Wonder (usée)

    Boys Wonder. Question Everything. Townsend Music 2024

    Boys Wonder. Radio Wonder. Flat Records 1989

    Clive Webb : Beyond Question. Shindig! # 156 - October 2024

    Where Are They Now? Boys Wonder. Vive Le Rock # 116 - 2024

    Under The Radar : Boys Wonder. Record Collector # 567 - Christmas 2024

     

     

    Wizards & True Stars

     - Harold on I’m coming

     (Part Two)

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             Comme on s’est bien régalé de The Rhino Records Story: Revenge Of The Music Nerds, on en redemande. Harold Bronson a écrit deux autres books, My British Invasion (sur lequel on reviendra un autre jour) et Time Has Come Today - Rock And Roll Diaries 1967-2007, sur lequel on va se pencher immédiatement.

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             L’Harold prend en fait comme modèle le Journal d’Andy Warhol. Il reste très factuel et ne s’embarrasse pas avec la dentelle de Calais. Il fait une sorte de carnet mondain du rock qui s’étale sur 30 ans, et comme il vit en Californie, il rencontre tous les gens qu’il faut rencontrer. Il brosse pour chacun d’eux un portrait sommaire d’une justesse remarquable. Pas d’effets de style, pas d’analyse ni de dérives introspectives : il voit le mec pour l’interviewer et dit ce qu’il faut savoir de lui. C’est la qualité de ses choix et le nombre extraordinaire d’artistes rencontrés qui fait la force de ce book.

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             En 1969, il a 19 ans et il voit les Kinks dans un gymnase. Il les trouve «sloppy, sang out of tune», «but they were exciting and a lot of fun.» Toujours en 1969, l’Harold lit un chronique des Stooges dans Rolling Stone. Un certain Ed Ward les décrit comme «loud, boring, tasteless, unimaginative, childish, obnoxious...» Et l’Harold d’ajouter à la suite de cette exécution en règle : «Yet, there’s a positive conclusion: ‘the fun is infectuous.’» L’Harold indique ce jour-là qu’il est «curious about the Stooges, a quartet from Michigan with a debut album on Elektra Records.» Mais à l’époque, les rock-critics américains ne supportent ni les Stooges ni le MC5. C’est bien que l’Harold rappelle à quel point ces pommes de terre de rock-critics américains ne comprenaient rien. 

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             L’Harold ne rate jamais l’occasion de rappeler quels étaient ses singles préférés. En 1970, il en pinçait par exemple pour Spirit («1984»), Blodwyn Pig («Dear Jill»), Dozy Beaky Mick & Tich («Tonight Today», il oublie Dave Dee), Savoy Brown («A Hard Way To Go»), les Seeds et d’autres qu’on ne connaît pas. Il balance une autre liste en 1973 : cette fois se sont des albums, Aloner de Scott Walker, Birthday Party d’Idle Race, Wyane Fontana et The Herd. On sent poindre le bec fin.

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             Comme il est fan des Them, il va voir Van The Man en 1971 au Santa Monica Civic Auditorium, mais Van le laisse froid. Aucun contact avec le public. Plus intéressant : Emitt Rhodes. Il trouve l’album sans titre d’Emitt meilleur que le premier album solo de McCartney, et crack, l’Harold précise que comme McCartney, l’Emitt enregistre tout tout seul «in his home studio, a shed behind his parents’ garage.» T’as pas besoin d’en savoir plus. Tout est là : prodigieux Emitt Rhodes one-man band. Quinze ans plus tard, en 1985, l’Harold rencontre l’Emitt qui vit à Hawthorne, là où vivait aussi la famille Wilson. Il a encore un garage au fond du jardin et son home studio. L’Emitt fait écouter des trucs à l’Harold qui aime bien ce qu’il entend, mais l’Harold trouve l’Emitt déprimé. Ce journal fourmille de petites rencontres avec d’extraordinaires artistes. On a déjà dit ici même à quel point Emitt Rhodes était génial.

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             Qui dit Californie dit bien sûr Van Dyke Parks. En 1971, le Philadelphie Daily News demande à l’Harold de retrouver Parks pour l’interviewer. En 1968, nous dit l’Harold, Parks avait enregistré Song Cycle, un album qui avait coûté une fortune à Warner Bros et qui s’était mal vendu, alors Parks a déprimé : «I was a genius one month and the next I was for sale for a cent. Both were débilitation and I was devastated psychologically.» Alors bien sûr, l’Harold le branche sur Brian Wilson et Smile. Parks dit avoir écrit tous les lyrics, sauf ceux de «Good Vibrations». Puis les Beach Boys ont décrété que ses lyrics étaient «undecipherable», c’est-à-dire indéchiffrables, «and they fired me.» Pouf, à dégager !

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             En 1971, l’Harold en pince pour Badfinger, «one of my favorite contemporary bands». Il adore leur ressemblance avec les Beatles de 1966. Mais sur scène, ils manquent de charisme et d’«excitement». Ils papotent avec l’Harold après le concert, et confient qu’on les a obligés à faire cette tournée américaine, sinon on leur coupait les vivres. Il faut rappeler que l’histoire de Badfinger est une tragédie : deux d’entre eux vont finir par se pendre, parce qu’ils ne supportaient pas de s’être fait rouler. Et Joey Molland vient tout juste de casser sa pipe en bois. Amen.

             L’Harold en pince aussi pour Peter Asher, qui fut célèbre avec Peter  & Gordon, mais aussi pour avoir été A&R chez Apple (celui des Beatles, pas l’autre) : c’est lui qui leur amène James Taylor que McCartney aime bien. L’Harold profite du paragraphe Apple pour rappeler que chaque Beatle avait ses chouchous. Le roi George amène Jackie Lomax. C’est Mal Evans qui ramène les Iveys, futurs Badfinger, chez Apple.

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             L’Harold rencontre aussi Black Sabbath dans une superbe villa de Bel Air. Ozzy lui dit que leur groupe préféré reste les Beatles, mais ils sont aussi fans des Troggs («Wild Thing») et bien sûr du «Really Got Me» des Kinks. L’Harold rencontre aussi Paul Revere et Mark Linsday, beaucoup plus vieux que tous les autres, beaucoup plus professionnels, mais ils impressionnent l’Harold par leur candeur. En Europe, peu de gens savent que Paul Revere & The Raiders furent en leur temps des superstars aux États-Unis.

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             Tiens ! Voilà Mickie Most ! Qui qu’y fout là ? L’Harold va l’interviewer à Londres en 1972. Il lui trouve «a baby face» et des «wavy, orange-tinted hair». Mickie raconte l’enregistrement d’«House Of The Rising Sun», en 1964, quand il récupère les Animals à la gare à 7 h 15 (ils ont voyagé dans l’overnight sleeper train) et les amène au Kingsway Studio à 8 h pour une session de 3 heures, à 20 $ l’heure. Crack, à 8 h 15, ils ont fini d’enregistrer le single ! Sur le temps restant, ils enregistrent leur premier album. Ils reprennent le train de 12 h 30 pour rejoindre la tournée avec Chucky Chuckah et Carl Perkins à Southampton. Voilà le grand art de l’Harold : résumer en quelques lignes un épisode historique. C’est clair et net, bien mieux raconté que dans les bios des Animals. Mickie Most dit aussi à l’Harold que sa force «is in picking material to be released as singles.» Mickie Most évoque aussi Beck Ola et Truth, et des deux, il préfère Truth. Personne ne composait dans le Jeff Beck Group, ils étaient obligés de taper des covers. Mickie Most rappelle que Jeff Beck et Rod The Mod ne s’entendaient pas très bien. Autre détail considérable : en juin 1970, Mickie Most est à Detroit avec Jeff Beck et Cozy Powell pour enregistrer chez Motown avec «the company’s celebrated house band, but nothing was finished.» Autre détail considérable : Jeff Beck reprochait à Mickie Most ses horaires. Alors Mickie met le point sur les zi. Pour lui, la famille était plus importante que le biz, alors, il mettait un point d’honneur à rentrer à l’heure chez lui pour dîner en famille. C’est pourquoi il a décliné l’offre qu’on lui faisait de produire les Stones : ils n’avaient aucune discipline et commençaient à enregistrer à minuit. Mickie évoque aussi Donovan qu’il a fabriqué de toutes pièces et qui un jour lui a dit : «I can do it better without you.» Et crack, même chose avec Lulu qu’il a fabriquée aussi de toutes pièces, et il lit dans la presse qu’elle cherche un nouveau producteur. Alors Mickie en a marre : «I’ve had enough of these people, because most artists are slags», c’est-à-dire des garces. Et furibard, il ajoute : «Ils se servent de vous. Vous leur prêtez du blé qu’ils ne vous rendent jamais. C’est horrible.» C’est là qu’il arrête de produire les groupes pour monter «a nice little record company in England», RAK. Et cRAK !

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             L’Harold rencontre Gus Dudgeon. Le Gus fait l’apologie d’Andrew Loog Oldham qui n’a encore que 19 ans quand les Stones enregistrent «Poison Ivy» et «Fortune Teller» : «He was great at creating an atmosphere in the studio.» L’Harold termine d’ailleurs son journal avec l’Andrew, qu’il rencontre en 2007. Après son départ, le Stones avaient perdu une grande partie de leur mystique. L’Harold lui demande quelles sont les sources de son éloquence et l’Andrew cite les Nat Hentoff’s jazz liner notes, et celles qu’Hentoff a rédigées pour le Freewheeling Bob Dylan. Il cite aussi deux books d’Anthony Burgess, Clockwork Orange et The Wanting Seed. C’est après avoir lu les deux tomes de mémoires d’Andrew que l’Harold a pris la décision d’écrire l’histoire de Rhino - After all, if I don’t write the history of the label, who will?.

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             Qui dit Californie dit bien sûr Rodney Bigenheimer, the Mayor of Sunset Strip, comme le surnommait Kim Fowley, un mayor qui lors de son premier trip en Angleterre, a séjourné chez Rod The Mod. L’Harold rencontre aussi Nicky Hopkins qui évoque l’enregistrement d’Exile, dans le Sud de la France - It took four months and was enormoulsy boring - Quand il en a eu marre des Stones, il est parti rejoindre le Jeff Beck Group. Il joue sur 4 cuts de Truth. Puis il en a marre du studio et part en tournée avec le Jeff Beck Group. Tout allait bien jusqu’au moment où Jeff Beck a disparu. Il est rentré à Londres sans prévenir les autres. Hopkins dit que Jeff avait une «split personality» - One side of him wanted to be an egotistical rock star; the other side wanted to rush back to Surrey and be an auto mechanic.

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             De la même façon qu’il était curieux des Stooges, l’Harold est curieux des Dolls qui débarquent en Californie en 1973, au Whisky. Il les compare aux Stones - Lead guitarist Johnny Thunders has cast himself as an animated Keith Richards - L’année d’après, il voit au Whisky d’autres rock stars fondamentales, les Raspberries - The captivating vocal harmonies never sounded better - Il  interviewe aussi Edgar Winter dont on a oublié le fabuleux Entrance. L’Edgar dit à l’Harold qu’à l’époque, il était influencé par Cannonball Adderly et John Coltrane - it was too weird for people and didn’t sell - C’est drôle comme on oublie tous ces artistes qui étaient si importants à cette époque. En 1975, l’Harold voit Suzy Quatro au Roxy - Onstage, leader-of-the-pack Suzi screams her tiny lungs out, plunking an oversized bass guitar - C’est merveilleusement résumé. Il rappelle qu’elle vient de Detroit et qu’elle vit désormais (grâce à Mickie Most) dans le Sussex, au Sud de Londres. L’Harold lui demande comment une Detroit girl s’adapte à Londres - «I’m adaptable», Suzi said - Il croise aussi Cub Koda dans le backstage du Starwood. Cub dit à l’Harold qu’il le connaît bien, via ses articles et Mogan Davis & His Winos. Alors l’Harold dit à Cub qu’il est fan de Brownsville Station depuis leur premier album qu’il avait chroniqué.

             En 1975, l’Harold flashe comme tout le monde sur Barry White - The effect he has on women defies logic - Il salue bien bas son «basso profundo» et dit qu’en fait, il chante très peu et que sa «Musak create a perfect mood for love-making.»

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             En 1976, il a la chance de flasher sur «by far the most imaginative figure in soul music», George Clinton. Clinton rappelle que Parliament était un «doo-wop group stylized after the Tempations.» Signés sur Motown, mais pendant les 5 ans du contrat, rien n’est sorti sur Motown. Quand l’Harold demande quelle différence existe entre Parliament et Funkadelic, Clinton répond : «Parliament is more vocal, more disco with horns, more conservative; Funkadelic is more guitars, no horns, more free-form feelings, more harsh and wild. There’s a crisscross, but generally Funkadelic get more pussy than Parliament.»

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             L’Harold reste chez les géants avec Kim Fowley. Pour lui rendre hommage, l’Harold organise un Kim Fowley Day chez Rhino. Kim fait le DJ. L’Harold voit Kim comme «Frankestein monster» - He’s tall, six-foot-five, with a high forehead and recessed eyes - Et bam, c’est le cœur battant du book ! Kim Fowley s’adresse à un client : «Hey asshole, do you jack off? Now, when you’re in the presence of a god, you fuck him, fight him, leave or shut your mouth.» L’Harold rapporte tout le monologue de Kim Fowley et c’est somptueux - I have a Lynyrd Skynyrd single I’ll play for you in a minute. Be cool - Puis, il parle d’un album sur Deram de l’Andrew Loog Oldham Orchestra, avec Gary Brooker, Mick Jagger «and Kim Fowley from Westwood. John Paul Jones plays bass and Jimmy Page guitar. This is the single recorded at Regent Sound in the same studio where they cut «Not Fade Away» and all that crap.» Puis il passe Soft Machine - This is on the Cyclop label - et il ajoute que «Kevin Ayers and Kim Fowley share lead vocals» - Le cut s’appelle «Shadows In The Sun», précise l’Harold. Plus loin, Kim Fowley déclare : «There’s no funk here, except in my underwear.» Puis il passe le «Gloria’s Dream» des Belfast Gypsies - I was a member of two legendary 1960s groups. One group was from Ireland. One of the guys in the group is ugly and short. His name is Van Morrison - Et il explique que «Gloria’s Dream» fut enregistré après le départ de Van the Man.

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             L’Harold évoque la connexion Randy California/Jimi Hendrix. Randy a 15 ans à ce moment-là et Jimi Hendrix veut l’emmener à Londres, mais les parents de Randy s’y opposent. L’Harold rappelle aussi que Rhino a financé la sortie de Potatoland, avec un comic book et des posters, mais l’album ne s’est pas vendu, ce que Randy leur a reproché. L’Harold rencontre aussi Shel Talmy et le branche sur la reformation des Small Faces. Stevie Marriott proposait d’enregistrait «Looking For A Love» (un hit des Valentinos en 1962, repris par le J. Geils Band en 1972) et «Don’t Lie To Me» (un blues de 1940 par Tampa Red, retravaillé par Chuck Berry puis repris par les Stones). Marriott voulait en plus enregistrer chez lui, mais à l’époque, dit Shel, il prenait trop de dope - to the point where he went berserk - Et il ajoute, la mort dans l’âme : «Those sessions were the hardest thing I ever tried to do, but it broke down and nothing was finished.» L’Harold conclut son petit chapitre Small Faces 1980 en signalant la parution de deux «dreadful albums» sur Atlantic. On retrouve «Looking For Love» sur le premier, et «Don’t Lie To Me» «is unreleased.»

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             L’Harold rencontre aussi Sean Bonniwell en 1983 - Sean, once a good-looking pop idol, is now a bearded hippie who appears older than his 42 years. Ils m’ont fait écouter des Music Machine tracks inédits et j’ai été impressionné - Après Music Machine, les Standells ! L’Harold nous explique que c’est Jackie DeShannon qui a poussé Dick Dodd qu’elle trouvait bon à remplacer Gary Leeds qui quittait les Standells pour rejoindre les Walker Brothers à Londres. Il fut en fait un meilleur chanteur que Larry Tamblyn (un Tamblyn qui vient tout juste de casser sa pipe en bois). Avec le succès de «Dirty Water», ils se retrouvent avec les McCoys en première partie, sur la tournée 1966 des Rolling Stones. Dick Dodd se souvient d’une bataille de tartes à la crème dans l’avion de la tournée, initiée par Brian Jones. Autre détail fondamental : les Standells ne veulent pas enregistrer le «Tainted Love» d’Ed Cobb. Alors Cobb le file à Gloria Jones. Mais c’est Soft Cell qui va décrocher le pompon avec «Tainted Love» en 1982. En l’an 2000, Dick Dodd qui est à la ramasse appelle chez Rhino pour demander un job de disquaire, mais sa demande met l’Harold mal à l’aise. Dodd vient quand même chez Rhino déposer son curriculum. L’Harold le lit et voit que Dick la superstar a été vendeur de bagnoles et employé dans un entrepôt. Ainsi va la vie.

             Un jour l’Harold approche de Jeff Beck. Comme il a entendu dire que Jeff Beck est extrêmement timide, il fait gaffe en se présentant. Alors Jeff baisse le regard et fixe le sol - His social discomfort made me feel uncomfortable, as though my mere presence was causing him pain. I moved on. T’as pas besoin d’en savoir plus sur Jeff Beck. Plus tu avances dans la lecture de ce book, plus tu le perçois comme essentiel.

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             L’un des grands avantages de vivre en Californie est de pouvoir rencontrer Sal Valentino.   L’Harold rappelle tout de même que le premier album des Beau Brummels fut produit par Sylvester Stewart, futur Sly Stone. Puis Autumn vend leur contrat à Warners et le drummer John Petersen quitte le groupe pour rejoindre Harpers Bizarre. En 1967, il ne restait plus que Sal Valentino, Ron Elliott et le bassman Ron Meagher. On connaît la suite de l’histoire : Triangle, Nashville et Bradley’s Barn. Autre légende californienne : P.F. Sloan qui préfère qu’on l’appelle Phil. L’Harold le rencontre chez lui, car Rhino envisage de sortir un Best Of.

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             L’Harold dîne avec Jac Holzman sur Broadway et le branche sur les Stooges - Iggy had a subtle danger. Il se jetait du haut de la scène, espérant que les fans allaient le rattraper, ce qu’ils ne faisaient pas toujours - Plus loin, Jac ajoute : «Je trouvais que le mix original de l’album des Stooges était trop poli, étant donné ce que j’avais vu sur scène.» Puis la sentence tombe : l’album ne s’est vendu qu’à 32 000 exemplaires.

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             L’Harold rencontre Herbie Flowers, le bassman légendaire qui a joué sur «Space Oditty», «Rebel Rebel», et des tonnes d’autres hits. Il a fait partie du dernier line-up de T. Rex, «which he rates as the best band he has played in.» On peut l’entendre nous dit l’Harold dans Dandy In The Underworld, le dernier album de Marc (Bolan, pas l’autre). Flowers rappelle au passage que Tony Visconti se tapait des montagnes de coke pendant les sessions de Diamond Dogs. C’est lui, l’Herbie, qu’on entend derrière le Lou dans «Walk On The Wild Side» - Lou only said three words to him, «My, that’s divine.» Herbie was paid £12 ($36) for the three-hour session.

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             Avec Kim Fowley, l’autre superstar de l’Harold, c’est bien sûr Arthur Lee. L’Harold le rencontre en 1980. Il lui demande si «Signed D.C.» concerne le drummer Don Conka et le roi Arthur répond : «Oh no, man. It’s about Washington D.C.» L’Harold sent bien que le roi Arthur se fout de sa gueule, mais il se régale de ses traits d’esprit. Le roi Arthur raconte qu’il avait vu les Byrds, et il savait qu’il pouvait sonner comme eux, «so Love got into folk-rock on the first album.» Puis il écoute Miles Davis et Tony Williams, «and so Da Capo was jazz-influenced.» L’Harold rencontre aussi Bruce Botnick qui a enregistré Love en 1966 - Ils sont arrivés au Sunset Sound Recorders et ont joué les morceaux les uns après les autres - Et Botnick se marre : «Arthur Lee played drums on the record. He was unusual, on acid 24 hours a day. In fact, everybody in the band was out of it.» Botnick donne aussi tout le détail de Forever Changes, «enregistré at Sunset Sound, Western and Leon Russell’s house.» En 1981, l’Harold découvre qu’Arthur Lee est chauve. On raconte qu’il s’était mis un gel pour raidir les cheveux, qu’il avait pris de la dope et qu’il s’était évanoui. Quand il s’est réveillé, le gel était resté trop longtemps et ses cheveux tombaient. Il a affiché son look chauve en 1972 sur la pochette de Vindicator. Pas de problème. Un jour en 1982, l’Harold reçoit un coup de fil du roi Arthur : «Il avait l’air drunk. Il m’accusait d’avoir sorti le Love Live Album sans avoir proposé de contrat. Je lui ai répondu que c’était faux, que je lui avais payé une avance et qu’il avait signé un contrat. Il ne me croyait pas. Alors je lui ai dit que j’allais lui Xeroxer une copie et la lui poster. Whew!».  

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             L’Harold se fait virer de Rhino en octobre 2001, quand Warner rachète Rhino - There was no «thank you» from the Warner Music Group, no gold watch, no party, no celebration of the great company we created. La mort pendant la vie.

    Signé : Cazengler, Bronson of a bitch

    Harold Bronson. Time Has Come Today - Rock And Roll Diaries 1967-2007. Trouser Press Books 2023

     

     

    Inside the goldmine

     - Le ramdam de Ram John

             Jean Rome était de tous nos clients le plus attachant. Il nous confiait le budget d’une revue trimestrielle de R&D diffusée en six langues. Il était en effet le patron de la R&D d’une multinationale, et donc les budgets étaient tellement conséquents qu’ils permettaient de financer des reportages sur des sites de production à l’étranger, aussi bien en Europe qu’aux États-Unis. Ces budgets nous permettaient aussi de rémunérer des experts, lorsque la complexité des sujets dépassait les compétences de notre ami Lucas, journaliste scientifique et rédacteur en chef de cette revue. Jean Rome était un homme assez jeune, brillamment diplômé. Il offrait l’apparence d’un manager classique, avec ses cheveux coupés en brosse, toujours en costard cravate. Ses lunettes à montures écaille qui lui donnaient un faux air de Roy Orbison. On le prenait pour un homme austère, mais en apprenant à le connaître, on découvrait des aspects de sa personnalité extrêmement intéressants. En réunion, on entendait parfois un bruit étrange, un genre de ‘pouet’. On ne le savait pas à l’époque, mais le ‘pouet’, c’était lui. Il nous avoua plus tard qu’il avait dans la poche l’un des jouets de son chien, une espèce d’os en plastique qui fait ‘pouet’ quand on le presse. Personne n’aurait jamais pu imaginer que ce ‘pouet’ venait de lui. Autre chose : pour animer la revue et illustrer les phrases sorties, il voulait une mascotte.

             — Tiens, pourquoi pas un mouton par exemple ? Le mouton des Technodes ! 

             On lui dessina sur le tas un mouton à l’œil roublard, mais Jean Rome ne le trouvait pas assez trash.

             — Ne peut-on lui mettre du rouge à lèvres et des talons aiguilles ?

             — Vous êtes sûr ?

             — Mais oui, voyez-vous, le mouton peut accoster un passant, moi par exemple, et lui proposer la formule du peroxyde nitrique pour 20 euros. Je vous donne mon billet que le lecteur, émoustillé, entrera dans l’article, voyez-vous.

             — On ne mord pas un peu le trait ?

             — Mais non, tenez, pour l’article suivant, on va mettre le mouton au lit, en train de se faire sodomiser, voyez-vous, et dans la bulle, on mettra : «Oh oui chéri, nos atomes d’hydrogène et d’azote font bon ménage !» Ça fera un tabac, voyez-vous.  

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             Pendant que Jean Rome révolutionnait la presse scientifique, Ram John injectait une puissante dose de blues au Swinging London qui n’en demandait pas tant.

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             Ram John Holder est l’une des têtes de gondole de la belle box Gotta Get A Good Thing Goin’, une sorte d’antho miraculeuse de la musique noire en Angleterre. Il n’est pas né dans le Mississippi, comme on pourrait le croire, mais en Guyane Britannique, qui est de l’autre côté du Suriname, la Guyane hollandaise devenue indépendante. Avant de débarquer à Londres, il a fait en 1962 le folk singer à New York, et plus précisément à Greenwich Village, où Dylan, Tom Paxton et Richie Havens l’ont côtoyé. En 1963, il écume le circuit folk de Londres et Paul Jones produit son premier single «Just Across The River». Il y est accompagné par Jack Bruce, Keith Emerson, Mike Hugg et Mike Rooms.

             Puis il commence à composer pour la BBC. Ram John Holder est surtout connu comme acteur dans des séries anglaises.

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             Belle pochette que celle de Black London Blues, un Beacon de 1969. Ram John a des allures de black street punk du coin de la rue. Il porte des lunettes noires et un fut en velours. La photo est prise à Brixton. Avec «Brixton Blues», il situe son quartier, il tape un fast heavy blues sauvage et bien underground. On l’entend aussi jouer lead sur le puissant «Too Much Blues». Son London blues est classique mais excellent. Il visite tous les quartiers, le voilà maintenant rendu à «Ladbroke Grove Blues», c’est assez wild, avec un violon sinueux et un big bassmatic. Ram John est une sorte de tenant de l’aboutissant. Il passe au fast wimpy blues avec «Wimpy Bar Blues», c’est le black British blues racé, drivé sous le boisseau du London fog. Ce mec est bon, il surgit hors de la nuit - My wimpy and my coffee were getting cold - Il chante son blues au perçant lancinant. Le voilà maintenant rendu au «Piccadilly Circus Blues», il pianote en bon punk black de Ladbroke Grove - Baby don’t walk out on me/ Yes she did - Il rentre à Hampstead avec «Hamsptead To Lose The Blues». Ram John pose un problème : il ne s’inscrit dans aucun schéma. Il se contente de planter les graines du punk boogie blues de Ladbrooke Grove. Son London Blues flirte avec le primitivisme. Il peut chanter à la renverse, tomber dans l’excès, courtiser la misfortune et avouer qu’il est à dix shillings près.   

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             Pochette moins sexy pour Bootleg Blues. Il quitte Londres pour aller faire un saut à Paris («Low Down In Paris»), petit heavy blues de went down to Paris to rest a little while - Comment allez-vous/ Avez-vous les Champs Élysées - Gros réveil en fanfare avec un «London Paris Rome Blues Express» embarqué au heavy groove des anciens, c’est-à-dire Isleys & co, c’est bardé de son et Ram John y va au heavy rumble d’hey going up the station. Retour à Hamsptead avec «Hampstead Blues», une merveille d’étalage cadencé, Ram John tient son blues en alerte à la note suspensive. Il fait un saut à Moscou avec «The Blues In Moscow» - Went over to Moscow/ To erase my trouble in mind - Il tape ça à l’heavy blues - But my friend the blues was my public hinde - Il termine ce très bel album avec «Freedom I’m Ready». Grosse énergie et chœurs de reggae. On comprend mieux pourquoi cet album est tellement recherché. 

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             You Simply Are Ram John Holder date de 1975. Ce black de London town est le roi du groove urbain et orbi. Il peut aussi aller sur la pop avec des chœurs comme le montre «Love You Love Me». Il trimballe son look exotique de black shades et de tunique africaine sur fond de briques rouges. Il est accompagné sur cet album par Kokomo et des chœurs d’anges. Il peut taper dans l’exotica de luxe. La viande se planque en B, et ce dès «Cool Earth Woman». Il excelle dans ce genre difficile qu’est le British groove. Il en maîtrise bien les fluides. Il se vautre dès qu’il cherche à faire la pute avec de la pop, et se rattrape aux branches dès qu’il fait son Richie Havens («Love What You See»). Le coup de génie se trouve au bout de la B : «London Ghetto». Il ramène des percus et du mystère à la Shaft, ça part en groove de belle espérance, alerte et bien black. Finalement, on apprécie cet album bien diversifié, hérissé de pointes de charme authentique. Il termine avec «Battering Ram», un raw groove extraordinaire. Aw comme Ram est raw !

    Signé : Cazengler, ramier

    Ram John Holder. Black London Blues. Beacon 1969 

    Ram John Holder. Bootleg Blues. Beacon 1970           

    Ram John Holder. You Simply Are. Fresh Air 1975

     

    *

                ’Je suis l’Empire à la fin de la décadence’’ proclamait Verlaine dans Jadis et Naguère, se complaisant à voir passer les grands barbares blancs, le bougre s’en vantait, il fit même école, mais lorsqu’un groupe de black metal atmosphérique joint les deux termes historialement oxymoriens dans leur dénomination, je vais voir. Le concept opératoire d’Imperium Romanum motivant mon intérêt.

    DIS MANIBUS

    IMPERIUM DEKADENZ

    (Season Of The Mist / 2016)

            Une rencontre fortuite a permis à Pascal Vannier et Christian Jacob a réunir leur force pour former la cheville ouvrière du groupe allemand Imperium Decadenz. Tous deux avaient été marqués par le Caligula de Tinto Brass sorti en 1979. Le personnage de Caligula a de toujours suscité le scandale, le film pimenté de scènes pornographiques non tournées par son réalisateur suscita bien des  polémiques. Comment aurait-il été accueilli en 2025 !  

             Certains lecteurs s’étonneront qu’un personnage tel Caligula ait pu susciter un engouement si fort que Pascal Vannier ait choisi le surnom de Vespasien autre empereur romain et Christian Jacob celui d’Horaz, notre bon poëte Horace selon notre langue françoise. Deux figures respectables de l’histoire romaine, mais enfin… Vraisemblablement ont-ils pensé que les individus sont transitoires mais que la forme politique de l’Imperium a, bon an mal an, rassemblé durant des siècles sous son égide protectrice des millions d’hommes. Ceci se discute. Surtout ces temps-ci où l’on assiste à l’éclosion de thèses expliquant que les invasions barbares ne sont qu’un mythe…

             Loin de ces querelles idéologiquement byzantines cet album ne  s’intéresse point aux actes et paroles des habitants de l’Empire mais à ses morts. L’on traduit souvent l’expression Dis Manibus inscrite, ou signifiée par les lettres DM, sur les stèles funéraires par aux Mânes des Morts, mot à mot il vaudrait mieux lire aux Mânes des Dieux.  Clarifions au plus vite ce dilemme, les mânes sont les âmes des morts, n’imaginez pas des fantômes ou des zombies, plutôt des présences qui pérennisent l’union des morts et des vivants. Mais les cendres des morts enfouies dans la terre ou gardées dans des tombeaux ne se promènent que fort rarement parmi nous, peut-être l’avez-vous remarqué, les romains avaient une explication. Lors de la crémation les hommes se transformaient en Dieux. Il vous plairait bien de passer le restant de votre mort à biturer et bâffrer nectar et ambroisie dans les demeures de l’Olympe, hélas les morts ne se métamorphosent qu’en des dieux inférieurs qui logent en bas dans de froides cavernes souterraines. C’est d’ailleurs pour cela qu’il existait des rites destinés à garder un contact avec eux pour qu’ils ne nous oublient pas.  Il faut concevoir la présence sur-terrestre des Mânes comme une force adjacente qui vous influait et insufflait courage, volonté et désir de maintenir la possession de ce territoire que vos ancêtres vous avaient légué.

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    In Todesbanden : funèbre, l’on serait tenté de traduire en pensant au Livre de la Mort des Egyptiens ‘’dans les bandelettes de la mort’’, mais ce bruit imperceptible, cette espèce de gratouillement de plus en plus présent, qui accompagne la marée, est-elle descendante ou montante, n’évoque-t-il pas le grouillement incessant des larves sur le cadavre.  L’on pressent que la suite ne sera pas joyeuse. Only Fragments Of Light : roulement, chute précipitée, une longue descente, sarclage méthodique des dernières images préoccupantes de l’existence, éboulements rapides de tous les désirs, chute irréversible, comme un feu qui brûle les mauvaises herbes et les branchages coupés de l’existence, ne reste plus qu’une lumière cristalline, la musique semble vouloir disparaître, elle s’éloigne tout en restant présente soutenue par les ogives des chœurs, le dernier cri qui résonne dans le monde des vivants, à moins que ce ne soit qu’un écho perçu dans le monde des morts, procession chantée, enchantée, la lumière du jour est remplacée par celle de la nuit, plus froide, plus claire, elle n’illumine pas mais elle brille dans une étrange fixité immobile, me voici dans une autre nuit transparente, reflet inversé de la noirceur terrestre, l’âme s’est réfugiée dans son propre rêve, car la mort rêve à son retour, un jour le rêve remontera, il surgira  à la surface d’une autre lumière, la mort me vomira et je reviens. Still I Rise : étrange victoire, je suis mort, je suis au fond du fond mais je m’élève, j’obéis au mouvement des marées, à la marche incoercible des cycles de l’univers qui règle les étoiles, je laisse derrière moi tout ce que j’ai été, toute ma personnalité, tous mes actes, tout moi, mais je suis une pierre arrachée à son destin qui ne tombe plus mais qui monte, je traverse les abîmes, des mondes inconnus, des grèves grises ensauvagées, rien ne me retient, la batterie s’emballe, les guitares galopent, je monte sans fin, serais-je un soleil de la nuit noire et absolue, ma voix s’évase, tant de grandeur dans mon chemin d’altitude infinie, roulement effroyable des tonnerres en gestation. Un chant clair et pur résonne, est-ce un rayon de soleil ou une plainte déchirante. Dis Manibvs : peut-être suis-je en train de tourner en moi-même, de revenir aux derniers instants de mon trépas qui sont aussi tes derniers instants car si je meurs à moi-même toi aussi tu t’éloignes de moi, tu te détaches de moi, mystère insondable, qui meurt au juste celui qui s’en va ou celui qui reste, dans quel sens le bateau part-il, dans quelle nuit entre-t-il, comme une sirène de navire qui s’arrache à la terre, l’instant décisif, retrouvailles avec sa propre solitude, la musique monte et éclate comme une angoisse indicible. Rien de ce qui a eu lieu, ne s’effacera jamais. Pantheon Spells : silence des orgues, souffle indistinct des Dieux, à quel moment suis-je, après ou avant leurs éloignements, ils sont là tout près, se sont posés immuables dans ma méditation, que veulent-ils, que disent-ils, leurs voix a la douceur des colombes d’Aphrodite. Vae Victis : malheur aux vaincus, les Dieux m’avertissent, la ville est en flammes, la cité saigne, déjà l’on emmène les longues files des esclaves, ceux qui sont morts durant les combats n’ont-ils pas échappé à la honte, à la déportation, à l’esclavage, au sort commun des hommes, mais les vainqueurs rient et boivent, violent et tuent, la musique court comme la violence, la batterie affute le raffut, elle pousse au cri et au crime, le vocal grondant hurle et chuchotte à pleins poumons, sont les plus heureux ceux qui ont eu accès à  la connaissance suprême, au savoir divin des morts et des Dieux. Volcano : il existe une vidéo fabriquée par un fan du groupe qui a illustré le morceau avec des images prises au péplum  'Pompeï réalisé par Paul W. S. Anderson. Les images raviront les fans des films à grand spectacle, elles ont l’intérêt de démontrer que la musique du groupe est à la hauteur des scènes dantesques proposées… les malheurs du titre précédent peuvent être imputés aux hommes, race prédatrice par excellence, la responsabilité de la destruction  de Pompéi peut être rejetée sur les Dieux Immortels… après la scène de recueillement dans le Panthéon, les deux titres qui le suivent donnent à réfléchir sur la mansuétude des Olympiens… grondements vésuviens en ouverture, de la batterie surgissent les pierres propulsées sur la cité et ses habitants. Le texte est assez ambigu, la ville est-elle détruite à cause de l’insolence de ses citoyens, ont-ils voulu rivaliser avec l’éclat des Dieux en bâtissant une ville d’une beauté sans pareille dans laquelle la luxure et la débauche seraient reines… ambiance mélodramatique, chœurs et background imprégné d’une tristesse un peu surfaite. Le sujet mythique de la catastrophe a parasité le groupe, l’on voit les paysages mais la mort semble passer au second plan.  Somnia :

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    instrumental. Le sommeil de la mort. Le repos éternel. La dormition inéluctable. Le titre assez court demande plusieurs écoutes pour être apprécié à sa juste valeur. Le cliquettement répétitif d’une note claire monopolise l’attention, mais la mort n’est-elle pas monotone et ennuyeuse, il empêche de goûter au travail d’orfèvre auquel se livrent les musiciens, derrière la flèche de l’if élancé se cache les rêves mouvants des morts dans leurs tombes. Pure Nocturnal Rome : une promenade nocturne dans Rome, dans la Rome d’aujourd’hui, ne vous étonnez pas du tumulte de l’orchestration et de la voix qui rugit comme un lion enfermé dans les cages du Colisée, ce n’est pas que le promeneur arpente les avenues encombrées de voitures c’est qu’il marche dans le passé de Rome, qu’il médite sur son histoire, qu’il déambule dans ses rêves, il refuse d’être dupe de ses propres mythifications, Rome vénale et luxurieuse portait en elle ses propres tares, et sa décadence, n’oublions pas que le groupe se nomme Imperium Dekadenz, l’Empire et la Décadence étroitement emmêlés, la putain et la beauté, pour qui sait les voir les Nymphes dans les bosquets sacrés dansent toujours en l’honneur des Dieux, et le sang versé par les légions pour établir la suprématie de l’Imperium ruisselle toujours sur son âme comme une énergie principielle et nécessaire. Son esprit s’abreuve à cette source mystique inépuisable. Seikilos : le texte de ce morceau provient d’une épitaphe (deuxième siècle après Jean-Claude) découverte en Anatolie inscrite sur une colonne placée sur la tombe de l’épouse (ou du père) d’un certain Seikilos. Elle est célèbre car les vers sont surmontés de notes de musique qui permettent de jouer et de chanter la mélodie. Elle est précédée des mots suivants non pris en compte par le groupe  mais qui personnellement  m’émeuvent davantage que le poème :  ‘’La pierre que je suis est une image. / Seikilos me pose ici, / d'un souvenir immortel signe durable. ». L’adage proverbial : ‘’La mort est certaine, la vie ne l'est pas’’ la remplace. Vous trouverez sur le net de multiples interprétations du poème de Seikylos. Imperium Dekadenz propose la sienne, version black metal qui n’a pas à rougir de sa création, si  au début elle se cale sur la pureté agreste des reconstitutions les plus’’ fidèles’’ le grondement en sourdine qui l’accompagne  laisse deviner que le groupe ne renonce pas à son électricité emphatique, les chœurs qui suivent malgré leur volume ne déparent en rien la mélodie de Seikilos, quant aux murmures d’outre-tombe qui suivent et l’ampleur sonore crépusculaire qui s’amoindrit pour finir par muer en un ultime grésillement de mèche de bougie qui vient de s’éteindre. 

             Nous ne savons rien de Seikilos, mais il semble que c’est sa voix qui traverse les siècles pour porter témoignage par ce thrène mortuaire l’ultime hommage des ombres à la grandeur d’un passé auprès duquel notre présence en ce monde ressemble à des haillons dérisoires dépourvus de pourpre.  

             Un album de toute beauté dont la thématique ne plaira pas à tous. La mort effraie tout le monde, la notion d’Imperium tous les autres.

             Je ne pouvais pas quitter  Imperium Dekadentz si rapidement, j’ai choisi un deuxième album qui me semble encore davantage réussi que le précédent. Mais encore plus noir…

    … DIE WELT WARD KALT UND LEER

    (… ET LE MONDE DEVINT FROID ET VIDE)

    IMPERIUM DECADENZ

    (Season of Mist / Février 2006)

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    Einklang : étrange, einklang signifierait harmonie, mais les sons de cet instrumental doivent être une transcription phonique du cri discordant du cygne, je suis gentil en présentant ainsi ce vacarme issu d’un chantier de démolition, ou d’un atelier sidérurgique, pure noise, on aimerait bien comprendre les quelques mots marmonnés vers la fin du morceau, mais nos maigres connaissances de la langue de Goethe ne nous permettent pas de les déchiffrer. Nous n’avons pas évoqué la pochette, saisissons l’occasion pour reconnaître que le paysage informe qui nous est offert est particulièrement décrit par ce concert bruitique. Glanz der Klinge : après le kling-klang-klong de l’ouverture nous voici confronté au glangk – il existe une science rejetée par la phonétique moderne qui dote chaque lettre d’une signification phonique précise, Mallarmé l’a quelque peu exposée et utilisée dans Les Mots Anglais, et René Ghil (injustement oublié), l’a expérimentée dans une entreprise poétique totale que l’on peut qualifier de wagnérienne unissant le sens, la couleur et le son des mots – mais revenons à la clinquance éclatante de ce morceau dans lequel s’entrechoquent les épées, la victoire, le triomphe et la mort. Les paroles pourraient être interprétées comme un duel entre deux individus, mais c’est avant tout un combat singulier contre la mort, que l’on perdra un jour, et le combat de l’Empire contre sa propre Décadence, la leçon est simple la mort vaut mieux que la décadence, tant que l’on est vainqueur l’on contient  l’ennemi au loin. La mort possède sa beauté, l’on ne saurait résister à son baiser sanglant froid et incapacitant. Halls of lust : hurlements d’agonie, une chape de plomb musicale vous emprisonne, quelle différence, le temps a passé, les mœurs ont changé, l’âme des morts ploie sous les chaînes du péché, nous sommes à la fin de l’Empire, aux temps de la décadence, désormais les héros sont condamnés à croupir et à souffrir sans fin aux plus profonds des cercles de l’Enfer, le morceau s’écroule sur lui-même, éboulis de souffrance et de torture, l’on ne vit plus mais l’on ne meurt plus, désormais la mort n’offre plus de refuge, elle n’est que la continuation d’un monde déserté sans joie, les guitares galopent à l’infini, sans espoir. Of All Ends : bourdonnement d’une mouche géante, celle qui se pose sur les âmes des cadavres, hurlements, si ce n’est pas l’Enfer c’est sa promesse, ses châtiments, sa condamnation éternelle, les hurlements de terreur des damnés ne montent-ils pas jusqu’à vos oreilles, un seul conseil, qui ne vous délivrera pas du mal, oubliez vos dieux, tout s’effondre la musique tourne au supplice noisique, plus d’espoir n’est permis, une fois vos Dieux abandonnés vous pourrez vous vanter d’être morts… Ce qui est très fort dans l’écriture de ce morceau et du  précédent, c’est que le dieu chrétien n’est jamais nommé, il ne sert à rien de dénoncer ses ennemis, ce qui nous a perdu ce ne sont pas leurs attaques, c’est notre faiblesse, notre propre décadence intérieure, l’amoindrissement de notre volonté, notre mollesse… For Those Who Sleep Eternally : instrumental, pourquoi serait-il long, quelques notes tristes et fragilles comme un vent glacé qui souffle sur nos tombes. Fields Of Silence : seul en soi-même, dans les champs du silence, infini et peut-être éternel si je ne rassemble pas mes forces, si je n’habite plus mon rêve, si je le laisse échapper, si je ne parviens pas l’éjecter de lui-même comme une bulle qui doit percer la terre qui me recouvre, splendide épode, chant du recouvrement du rêve de l’Imperium, mort et triomphe d’une idée formée avec la lymphe désagrégée de mon esprit, de ma chair, de mon cerveau. L’infini espoir du retour. Meine Reise Durch die Zeit : instrumental, la traversée du temps, sein und zeit, là où se trouve le temps se trouve l’être heideggerien qui ne meurt pas, mais qui reprend le chemin du retour. Schwarze wâlder : une bise glaciale souffle, me revoici, est-ce moi ou un autre, cela n’a que peu d’importance, la même bulle de rêve squatte nos cerveaux, la forêt noire m’accueille, j’ai quitté l’Imperium, le rivage et la pensée ensoleillée de la Grèce, désormais je suis chez moi dans cette terre septentrionale, en l’Allemagne désormais originelle, si près du rêve d’Hölderlin, un chant s’élève, atteindrat-il dépassera-t-il, subsumera-t-il ces hautes futaies… Gefrone Wunden : c’était un chant qui se voulait de renaissance et triomphal, hélas le rêve porte encore mes propres meurtrissures, les blessures gelées ne cicatriseront jamais, autour de moi le monde est semblable à celui que j'ai quitté, ce n’est pas la différence des paysages qui me terrifie, si je crie c’est que j’aperçois que la lèpre qui obscurcit l’esprit des hommes est entâchée de la même décadence, que l’Imperium est définitivement perdu, qu’en le perdant j’ai aussi perdu l’espoir du retour, que ma tentative a échoué. L’on ne s’éveille jamais d’un rêve avorté. ...und die Welt ward kalt und leer : aboiement d’un chien abandonné perdu dans la forêt des ombres, engendrera-t-il un jour des loups qui refonderont Rome, pour l’heure c’est le chant crépusculaire d’un monde effroyablement voué à se perpétuer dans sa désuétude, s’il y a retour c’est le retour du même, alors que l’on espérait le retour de l’Autre celui qui brille au loin de mille éclats, mais nous voici condamnés au long temps de la décadence, à faire semblant de vivre dans un monde froid et gelé. Hostile à l’Homme…

             Imperium Decadenz davantage imperiumal que décadent !

    Damie Chad.

     

    *

             L’on sait toujours ce que l’on cherche, l’on ne sait jamais ce que l’on trouve. Rappelons-nous notre soirée du 27 mars dernier kroniquée dans notre livraison 683 avec The Coopers groupe rockabilly débordant d’une énergie folle. La Gretsch  de Lucky Will avait mis le feu… sur lequel avait amplement soufflé les trois autres pompiers pyromanes de nos Tonneliers. Lucky Will est comme notre vieille lune, il possède deux faces, et même davantage, mais l’avantage chez lui c’est qu’il n’en cache aucune. Rockabilly man certes mais avant tout guitar man, pas de frontière infranchissable pour lui, pas le genre monomaniaque à s’enfermer dans un étroit territoire… Mon idée première était de m’intéresser au Lucky Will ultra-électric   par exemple   il s’amuse  avec If You Want Blood d’AC / DC… Oui mais le démon de la perversité m’a retenu sur une vidéo insistante sur son FB…

    AWAY

    MIDNIGHT ROSES

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             Quelle couve ! Plus glamour vous ne trouverez pas. Je connaissais La Tulipe Noire d’Alexandre Dumas, mais le roman ne tient pas la comparaison avec cette rose noire arquée dans son fourreau de désir noir… à ma grande honte, obnubilé par cette splendide créature phantasmatique  m’a fallu deux longues minutes pour m’apercevoir qu’elle n’était pas seule, hombre dans l’ombre, apparaît l’énigmatique silhouette de Lucky Will, déguisée en truand des années trente… certes nous sommes loin d’une ambiance typiquement rock’n’roll mais qui résisterait à ne pas humer d’un plus près les arômes subtils des fortes fragrances de cette tubéreuse et stuprureuse image  atteignant au statut iconique…

             Cette splendide création photographique est d’Anna Azarov, je me permets de reproduire une courte citation de son site (à visiter) : directrice de la création. Son objectif est toujours de capturer l'essence des artistes (…)    avec lesquels elle travaille, et de donner à leurs histoires une voix visuelle. Démarche sysnesthésique par excellence qui nous agrée…

    Remi Hiblot : producer & mix engineer , drums / Nicolle Rochelle : vocals / Lucky Will : lead guitar / Patrick Hiblot : bass.

    Away : attention attachez vos ceintures, quelques notes de guitares sèche sur lesquelles, fragiles une voix funambule se déplace avec facilité, quelques sauts de fil tendus parfaitement maîtrisés et nous débouchons dans le delta du fleuve en lequel le ruisseau du début s’est transformé à notre insu, jusqu’à lors nous ne sommes pas surpris, tout se passe selon les règles de la chanson grande dame – une chanson d’amour, une rupture, sans cri, sans scandale, sans coup de feu, un cœur brisé mais la volonté de survivre – touchée mais pas coulée, l’on est entre gens de bonne compagnie, oui mais quelle plasticité dans cette voix, une véritable leçon de chant, douée, très douée, elle vous mène là où elle veut par le bout de l’oreille, quand la vidéo est terminée, vous la remettez pour voir comment elle se débrouille pour les changements de tempo, une diction de rêve, une sereine facilité, une frégate toutes voiles dehors qui se joue des récifs, vous concluez par une évidence : cette fille est capable de chanter n’importe quoi et d’assurer en tout.

             C’est bien de donner son opinion c’est mieux d’apporter les preuves. Suffit de suivre son instinct, bon sur Away elle se l’est jouée Judy Garland, alors au hasard l’on tape évidemment la version de Gene Vincent,  celle que Garland préférait à sa propre interprétation, Over the Rainbow. Coup double, une vidéo au Paris Boogie Speakeasy, les Harlem Drive (piano, contrebasse, clarinette,) Nicolle Rochelle au chant. L’est plus jeune, ça date de 2012, elle s’amuse, chapeau grenat sur la tête, une voix pointue à trouer les tickets de métro, elle se balance, elle se dandine, elle minaude, elle joue à la petite fille, dans sa robe blanche, elle sourit, elle rit, elle vous fait le coup de la candeur innocente qui en connaît beaucoup plus de vous. Fausse sagesse proustienne pour gens huppés qui n’ont jamais lu A l’Ombre des Jeunes filles en Fleur. Deuxième déduction : elle sait roucouler comme un rouge-gorge mais attention  c’est une actrice.     

             Nicolle Rochelle n’est pas une inconnue. Elle est née dans le New Jersey, Paris est un peu son port d’attache, elle a joué dans de nombreuses séries pour la télé américaine, un détail qui va rendre fou les amateurs des Beatles, à huit ans elle a tourné avec  Ringo Star-  je sais ce n’est pas le meilleur des quatre mais vous ferez difficilement mieux – elle danse et elle chante. Beaucoup de jazz.  Elle a joué les rôles de Joséphine Baker, de Billie Holiday… l’on ne compte plus les formations de jazz qui l’ont accueillie. pour ceux qui préfèrent le blues et le rhythm ‘n’ blues, pas de problème elle adore les versions musclées. Faut l’entendre reprendre avec Lucky Will à la guitare, I’ d Rather  Be Blind d’Etta James cette générosité avec laquelle vous remplissez les verres des copains à l’apéro…

    C’est vrai que ce n’est pas du rock, c’est vrai que c’est un peu la vie en rose, mais quel talent, quelle artiste !

    Damie Chad.

     

    *

             Je me suis encore fait piéger. Par mes propres contradictions. Voici peu je m’insurgeais contre les one man bands. Et pouf je n’ai pas pu résister à la beauté fascinante de ses yeux. Ce n’est pas une jeune fille qui m’enverrait une œillade tropicale. Juste un serpent. En plus sur le dessin il ne nous montre qu’un seul œil. Un peu jaunâtre. C’est surtout la position du reptile qui m’a interrogé. 

    EL MOVIMIENTO PERPETUO

    GALVÄO

    (Avril 2025)

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             Puisque nous sommes au Portugal il existe quelque chance pour que l’artwork signé, par Suzi Silva soit une chanteuse de fado qui porte ce nom, soit une graphiste qui possède une palette de styles très différents, mais aucune des deux ne revendique expressément cette couve. Si le mouvement peut être exprimé sous la forme d’un pendule, le fameux symbole du serpent qui se mord la queue exprime toutefois la même idée. Suzi Silva n’a pas dessiné le fameux glouton à l’appétit éternel sous sa forme habituelle, il est manifeste que notre ophidien fatigué de mimer un tuyau d’arrosage est en partance et en promenade, pour un voyage perpétuel…

             Pedro Pires qui reste le maître d’œuvre de du projet Galväo, entre 2021 et 2024 il a déjà sorti un EP et deux singles, nous laisse entrevoir son projet : un morceau qui ne comporte pas de structure répétitive et  qui se déplace par ce que l’on pourrait définir comme des dérivations musicales incessantes. Serait-on proche du free-jazz, Pedro ne le dit pas, il pense plutôt à notre existence qu’il faudrait considérer comme une avancée en ligne droite soumise à de nombreux zig-zags existentiels, dépendant et de nos désirs et de multiples rencontres  evènementielles qui sans arrêt modifient notre cheminement.

    Pedro Pires : guitarre, basse, mix et master / Filip Gäddnäs : batterie.

    El Movimiento Perpetuo : est-ce que le serpent vient vers nous, ou est-ce nous qui nous nous en rapprochons, des tapotements pratiquement imperceptibles au début, nous pouvons nous demander pourquoi nous ne les entendons pas depuis toujours, puis la basse, puis toute la quincaillerie guitarique qui se superpose aux tapotements, cisailleries de cymbales, nous sommes dans la continuité mais ce n’est plus pareil, tintements de clochettes, que sonnent-elles, que peuvent-elles indiquer, que la plasticité auditive se transforme mais que le rythme même s’il semble s’accélérer par l’effet de couleur des timbres induit un changement irréversible, assomptions lyrique des cordages, l’on sent que c’est parti pour ne plus revenir, la basse prend le relai et accélère comme un train dans un tunnel, maintenant avec ces tubulures de zinc nous osons parler de galvanisation, une impression de vitesse d’une fusée qui fonce dans l’espace, cliquettements infinis des cymbales, rupture, reprise, le mouvement perpétuel ne   saurait s’arrêter, faisons lui confiance, essayons de trouver dans ces changements de voie, dus à une manipulation d’aiguillage, ne serions-nous pas prisonnier d’une expérience à la John Cage, ce  n’est pas la répétition d’une même note qui crée en nous le mouvement par un séquençage auditif qui nous prouve que si la nature a horreur du vide notre cerveau agit de même, dans ce cas présent ce zigzagage incessant mouvemental s’inscrit en nous comme image de l’immobilité du silence entrevu en une  stase perpétuelle, un énorme boa dont les anneaux musculeux retiendrait par son étreinte monstrueuse l’étendue du monde en l’empêchant de s’enfuir éternellement en avant, ouf ralentissement, les boogies d’un train qui reprennent souffle et force, rien ne bouge et rien n’est pareil, sirène de cargo s’éloignant au loin sur la courbure de la terre qui devient de plus en plus présente alors qu’il est devenu invisible, mais le voici qui file dans un potin d’enfer comme un hors-bord vers la ligne d’horizon qui recule en une certaine stabilité qui lui permet de prendre de la vitesse, serions-nous dans un miroir sonore qui nous réfléchirait notre écoute, mais ce qui est encore notre chair, notre bras droit, devient dans notre reflet notre bras gauche, maintenant l’on file à toute vitesse, serions-nous prisonnier d’une espèce d’envers du Bolero de Ravel, tempo non temporisateur inexorablement invariable et crescendo circulatoire infini qui nous projettent dans l’infini d’une spirale, une espèce d’aleph zéro qui engloberait à lui-seul toutes les variations cercliques superpositoires, car les cercles de l’Enfer ne forment que l’Enfer quand on y pense, la pensée nous tourne la tête et nous détourne de notre appréhension acoustique, nous fuyons, nous nous nous fuyons nous-mêmes pour ne plus nous arrêter, car nous comprenons que nous arrêter équivaudrait à notre mort. D’ailleurs si le morceau s’arrête alors qu’il devrait se perpétuer sans fin, n’est-ce pas pour nous empêcher de mourir…

             Etrange expérience, doit-on considérer Galväo comme un bienfaiteur de l’Humanité.

             Il est vrai que nous avons entendu Pires.

    Damie Chad.

     

    *

             En toute occasion il est important de terminer en beauté. Donc ce sera Patrick Geffroy, un solitaire digne des cimes d’Engadine. Nous l’avons déjà rencontré dans Kr’tnt ! avec sa trompette, avec ses tableaux, ses textes, jouant dehors en pleine nature, ou chez lui. Cette fois encore dans son antre, mais ailleurs aussi, dans un ailleurs culminatif du jazz, du free, du noise… Une œuvre majeure.

    LA PEAU DE L’APOCALYPSE

    PATRICK GEFFROY YORFFEG

    ( YT / Chaine : TheXynos7 / Avril 2025 )

    (Flûtes , flugelhorn, piano, trompettes, synthé)

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             L’image est floue, un peu décalée de la réalité, grise, colorée, sous-exposée, soumise à des tressaillements souterrains,  Yorffeg-Orphée image de lui-même se déplaçant, glissant d’elle-même en elle-même, imaginons ces vieux films de Chaplin qui seraient passés en vitesse ultra-lente pour qu’elle puisse se superposer à elle-même tout en ne coïncidant pas exactement avec ses propres contours, mais comme cherchant à se retrouver, imaginez un cercle qui ne recouvrerait pas son centre, le monde vacille, il ne tombe pas, il ne s’écroule pas, il agonise debout, refusant de se coucher selon les injonctions sonores, une marionnette qui aurait coupé ses fils et qui tituberait dans une extrême solitude. Au moment où j’écris cela pépie le chant d’oiseau d’une flûte – l’on pense à Milosz dans le jardin de Fontainebleau – qui

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    résonnerait dans le vide d’une aurore qui n’existe pas – il se fait tard dans le jour du monde disait l’oiseleur – et la partition sonore s’en va à vau-l’eau dans son propre grabuge, un cygne submergé qui hausse le col pour jeter un regard aigu sur la dégénérescence du monde. Cruelle pantomime, entre cuisine et salle de travail, dernière scène d’Orphée arpentant les couloirs immarcescibles de sa propre déperdition à la recherche de la peau de Calypso, la déesse éteint la lumière, la pâleur se mue en l’œuvre au noir de son propre cheminement, ne subsiste plus que processionnaires des rondos de piano aux notes fêlées qui s’égouttent de leur propre rouille clopinante dans un silence que l’on entend davantage car l’on est encore dans les paumes de la musique qui n’existe plus. Est-ce pour cela que l’on revient au début

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    sa cacophonie synthétique à intégrer en soi-même en tant que kaophanie révélatrice que quelque chose est en train d’avoir lieu dans le manquement de sa déchirure-même, puis ces glissements de trompettes jazz, dernier adieu à ces silhouettes de phares immobiles qui s’éloignent tandis que la mer sonore de l’innommable  sophomorité nous entraîne, nous n’avons plus de mots pour crier mais il reste la fragmentation éclose de notes cassées qui meuglent et lamantinent sur le rivage inatteignable des rêves inaccessibles naufragés, quelque part argonautes sur une mer aux vagues siziphiques qui ne roulent aucun rocher, revoici l’Yorfegg-Orphique en tache rouge sanglante qui se meut dans le vide de sa propre pourpre pour réapparaître au détour inopiné du labyrinthe qui palpite dans l’absence de ses battements rythmiques. Assomption de notes funèbres pour sonner en douceur endurcie la fin de ce qui ne se termine jamais car résidant en l’infini de sa propre finitude…

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             Une pièce magistrale, une œuvre totale, trafic d’organe vocal réduit au seul  souffle de son émission instrumentale, turgescente activité sexuelle, bande-son éjaculatoire d’images onanistes fantomatiques. Appeau pour une apocalypse.

             Passée, future, déjà advenue en elle-même.

    Damie Chad.