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patrick geffroy yorffeg

  • CHRONIQUES DE POURPRE 686 : KR'TNT ! 686 : COWBOYS FROM OUTERSPACE / SCREAMIN' MONKEYS / BOYS WONDER / HAROLD BRONSON / RAM JOHN HOLDER / / IMPERIUM DEKADENZ / MIDNIGHT ROSES / GALVÄO / PATRICK GEFFROY YORFFEG

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 686

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    17 / 04 / 2025

     

     

    COWBOYS FROM OUTERSPACE

    SCREAMIN’ MONKEYS / BOYS WONDER

    HAROLD BRONSON / RAM JOHN HOLDER

    IMPERIUM DEKADENZ / MIDNIGHT ROSES

    GALVÄO / PATRICK GEFFROY YORFFEG

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 686

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

    - Un Outerspace qui porte bien son nom

    (Part Two) 

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             Avec Weird Omen et les Dum Dum Boys, les Cowboys From Outerspace appartiennent à la trilogie supérieure des French Cakes. Bientôt trente ans que les Cowboys labourent l’imaginaire rock et portent, non pas la flamme olympique à travers la France, mais le flambeau du Gun Club à travers la France, ce qui est tout de même beaucoup sexy, reconnaissons-le. Ils perpétuent le rumble Death Partysan et te collent un coup de «Goodbye Johnny» en fin de set, histoire de te rappeler qu’à une autre époque, le Gun Club et les Cramps étaient les rois du monde. De notre monde. Dans son costard noir, Michel Basly incarne à la perfection la grandeur du mythe Jeffrey Lee Pierce. Il lui donne même une petite allure de dandy spectral. Ça sent bon les bas-fonds marseillais et les secrets murmurés au coin du bar. 

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             Si tu veux voir un vrai power trio à l’œuvre, c’est eux. Avec cette section rythmique de rêve, Michel Basly peut dormir sur ses deux oreilles. Il peut claquer ses riffs et réveiller le spirit de Jeffrey Lee, il peut screamer dans la nuit et foutre le feu au bush. Il a les coudées franches. Il hante plus qu’il ne chante, il cache son jeu avec une apparente sobriété, mais sous la cendre couve le feu, il n’en finit plus de rappeler à quel point le Gun Club était synonyme d’apocalypse, à quel point Jeffrey Lee Pierce savait réveiller un dragon pour mieux le chevaucher, à quel point ce démon savait le tenir le dragon en laisse pour le lâcher au moment opportun. «Death Party»

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    et «Sister Ray» même combat. Et quasiment trente ans après leurs débuts, les Cowboys alimentent la même fournaise, avec une sorte «d’expérience» en plus, une patine d’apocalypse qui rend leur set encore plus traumatisant. Comme le firent les Gallon Drunk en leur temps, les Cowboys privilégient bien sûr les cuts atmosphériques, histoire d’embarquer les cervelles pour Cythère-sur-Styx, à défaut d’embarquer les corps, car on ne danse pas sur les Big Atmospherix des Cowboys, on glisse comme des corps dans le mood, ou dans la tombe, c’est du pareil au même, il s’agit là d’envoûtement, de messe noire, de voodoo, ça te plonge dans la confusion et ça te tire sur la paillasse, ça te compresse la cage et ça te trie les globules, les rouges d’un côté, les blancs de l’autre, comme au temps de la Révolution bolchévique, ça te purge de toutes tes fucking prérogatives et ça t’oblitère bien la gueule, ça te parle au plus profond, ça te malaxe les zones reculées du cerveau, c’est un rock qui s’infiltre en toi, t’en perds ton étanchéité, dis-lui adieu, tu ne résistes pas longtemps, ce rock te jette un sort, alors tu dis «chouette !», t’es bien content, car rien n’est pire que le rock qui ne jette pas de sort et qui ne t’oblitère pas la gueule. Pas besoin de t’agenouiller et d’implorer qu’on t’oblitère la gueule. Ça se fait automatiquement.

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             Là t’es servi. T’es même gavé. T’en as pour ton billet. Tu te goinfres. Si Jeffrey Lee le héros voyait ça, il serait bien content. Comme en ont les Cramps et le Velvet, Jeffrey Lee a des bons héritiers, des mecs qui font bien le poids, et qui ont du répondant, du charisme et du son. De la prestance et de la fière allure. Des mecs qui savent porter le feu sacré. Michel Basly parle même d’un nouvel album. Il serait temps, le dernier date de dix ans. Comme si les Cowboys s’étaient épuisés à la tâche. Peut-être en avaient-ils marre d’être les meilleurs. Le plus stupéfiant, quand tu les vois sur scène, c’est que rien n’a changé. La magie est intacte. Bazile Gonzalez roule sa poule sur sa basse et toise les gens comme au temps jadis, et derrière Mr Henri bat le beat à la main renversée. Ils sont tous les trois encore plus royalistes que le fucking roi.

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             En attendant Godot, tu ne perds pas ton temps à écouter cette compile parue en 2019, The Worst Of... On Vinyl Now. La pochette singe bien celle d’Elvis. Si t’as un faible pour la dynamite, ce Worst Of est fait pour toi.

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    Tu y retrouves en B cette «Luna» qui fit fantasmer la France entière (ou à peu près) voici 20 ans, au temps de Bones Keep Smilin’, Basly gave sa Luna de son, il lui bourre le mou, et tu assistes à de fabuleuses montées en surchauffe. Quelle fournaise ! Et encore une fois, quelle chance elle a Luna de se faire bourrer le mou. Tiré du même album-fournaise, t’as «Such A Long Time». Basly chante ça au sommet de son registre, et c’est vraiment digne de Jeffrey Lee Pierce. Complètement allumé ! Encore plus allumé, t’as «I’m Waiting (For Nothing To Come)», tiré de Super Wight Dark Wight. Les Cowboys adorent rôder dans l’ombre et puis vers la fin, Basly devient complètement dingue. Si tu veux entendre un screamer fou, c’est lui. En A tu retrouves ce fast ventre à terre «She Said She Loves Me» tiré de leur premier album sans titre. C’est plein comme un œuf. T’as l’impression qu’ils sont déjà au sommet de leur art. Puis t’as trois cuts tirés de cet album infernal qu’est Choke Full Of, «Choke Me Up» (power punk-blues tentaculaire, avec cette énorme tension), le si brûlant «Let’s Get Wild», et l’indomptable «Dancin’ Machine», gorgé de blasting power. Un sommet du genre. Ah ils savent descendre au barbu ! Basly fait son Otis avec «I’ve Been Loving You (Too Wrong)» et tu le vois se barrer en ultra-vrille de coyote marseillais, fabuleux shout-off de guitar-slinger, et il te sert sur un plateau d’argent une belle fin apocalyptique. La cerise sur le gâtö est une cover démente de «Lo End Buzz», tiré du premier album sans titre des Chrome Cranks. C’est ta récompense quand t’arrives au bout de la B. Basly renoue avec la folie de Peter Aaron, il tape en plein dans le mille, c’est de l’ultra poussé-dans-les-orties, il a la voix qu’il faut pour ça. Il sait merveilleusement bien dérailler.

    Signé : Cazengler, cobaye from outerspace

    Cowboys From Outerspace. La Péniche. Chalon-Sur-Saône (71). 29 mars 2025

    Cowboys From Outerspace. The Worst Of... On Vinyl Now. Lollipop Records 2019

     

    L’avenir du rock

     - Too much Monkeys business

     (Part Two)

             — Alors, c’est vrai, c’qu’on dit, avenir du rock ?

             — De quoi tu parles ?

             — On m’a dit que t’allais souvent au zoo...

             — Et alors ?

             — Tu vas mater les animaux en cage ? Tu s’rais pas un peu baisé, comme mec ?

             — Désolé mon pote, mais je préfère mille fois mater la tronche des animaux plutôt que la tienne.

             — Pffffff.... Tu causes comme une vieille pute qu’a perdu tous ses clients. 

             — Pas du tout, si tu les voyais, tous ces animaux, tu serais agréablement surpris. Tiens, je prends un seul exemple, Thee Michelle Gun Elephant... T’es tout de suite en extase devant leur force tranquille, leur majesté garagiste, leurs riffs d’ivoire et leurs barrissements hystériques. 

             — Un Michelle Gun Elephant, ça trompe énormément !

             — Non seulement t’es moche, mais t’es con. Tiens je vais te donner un autre exemple. Les Buffalo Springfield, tu vois ce que c’est ?

             — Oui, ceux que Buffalo Bill s’amusait à canarder...

             — Quand tu les vois, t’es effaré par leur prestance. Ils sont gigantesques ! Ils régnaient jadis sans partage sur les plaines de la Californie, les Buffalo Killers ont eu leur peau mais leur spirit est intact. Ils ont cette majesté qui fait tellement défaut à la plupart de nos contemporains.  

             — Un coup d’épée dans le Buffalo du lac ?

             — T’aime bien les petits jeux de mots à la mormoille... Ça nous fait un point commun.

             — T’as d’autres chouchous, avenir de mes deux ?

             — Oui, les Deadly Snakes ! Ah si tu voyais leurs riffs ramper, tu les sens monter dans la jambe de ton pantalon, sssshhhhhh, quelle sensation mortelle ! Quel groove empoisonné...

             — Pas trop mon truc. T’aurais pas autre chose de plus sympa ?

             — Les Screamin’ Monkeys ! Tu veux du wild as fuck ? Avec eux, tu vas sauter partout.  

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             Welcome in the chaloneeese jungle ! Tu entres sur le territoire des Screamin’ Monkeys et ça va screamer mon kiki. Sont six sous des branches. Petite chaleur tropicale. Cris d’animaux. Masques de singes, comme au temps béni des Hammersmith Gorillas. Et wham bam dès «Jungle Keepers» le morceau titre d’un premier album qu’il faut bien qualifier de puissant, et même de rentre-dedans. Six, c’est jamais trop lorsqu’il s’agit de kicker les jams, motherfucker. Alors ça kicke dans les brancards, ça monkeyte entre tes reins, ils mettent un peu de temps à chauffer leur marmite de cannibales, on les sent nourris aux bonnes intentions. Pas facile de monter sur scène après les Cowboys. C’est une sorte de défi. Ils vont le relever. Encore une fois, c’est leur territoire.

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             Ils virent les masques à la fin du premier cut pour redevenir humains. Tous sauf Zu qui va battre le jungle beat en Monkey jusqu’au bout du set. Tout le

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    ramdam des Screamin’ repose sur le doublon Fouine/Franck, avec un Fouine qui fait du Keith Streng-sans-gratte à la puissance mille et Franck qui prend parfois le lead au chant tout en claquant sa riffalama fa fa fa. La combinaison des deux Screamin’ est explosive et peu commune, c’est un luxe que d’avoir deux excellents shouters dans un groupe. Ils fonctionnent comme une locomotive infernale, ils tirent derrière eux tout le groupe, et cut après cut, le set finit par décoller, comme le fit jadis le gros hydravion d’Howard Hugues. Ils tapent des cuts plus rock’n’roll comme «Belinda»,

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    ou plus heavy comme leur vieux «Cosmic Farmer» qui date de Mathusalem, avec un panache qui n’a d’égal que leur enthousiasme viscéral, ils puisent aux mêmes sources que les Fleshtones et les groupes Crypt, avec en plus, dans certains cuts, de capiteux échos d’early Stonesy et même des Yardbirds. Tu sens remonter la sève du mighty British Beat, ça sent vraiment bon le rave-up. C’est là que tu commences vraiment à les prendre au sérieux, car peu de groupes ont cette facilité à récréer d’antiques ferveurs, surtout celles qui viennent d’Angleterre. C’est peut-être dû au fait que les

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    deux guitaristes jouent en clairette de  Fender, Strato pour le mec des Buttshakers qui vient de rejoindre le groupe, et Tele pour Franck. Les deux grattes propulsent les Screamin’ dans la stratosphère du meilleur garage qui soit, poussées au cul par le jungle beat de Zu et les ultra-buzy basslines de Marco, qui pour les rendre plus royalistes que le roi, les joue au doigt. Et pour couronner le tout, t’as Jano derrière son clavier et derrière tout le monde, aussi discret qu’un Monkey qui guette sa proie, perché sur sa branche.

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             Quant à Fouine, il tourticote tout ce qu’il peut, il maracasse la baraque et fait son Jagger à la petite semaine, il performe et s’agite le vocal, il monte sur tous les coups, soutient Franck quand vient le temps des chœurs, il sait poser sa voix et s’élève au-dessus de tout soupçon. Fouine fait du foin. Fouine fait le fou. Fouine fout le camp. Fouine fait pas semblant. Fouine fun fun fun !

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             Les Screamin’ recyclent tous les vieux coucous, «Poison Vivi», «Band Of Freaks», «Wakes Me Fever», «Ginger Twister», mais c’est avec les fleurons de l’album qu’ils raflent la mise, et notamment «That’s Not Mine», l’hit le plus spectaculaire : c’est même encore plus flagrant sur l’album, il faut voir comme ça

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     taille la route au chant, Franck arrache la victoire à coups de that’s not mine yah yah ! «Basic» est encore un cut de Screamin’ Screamer qui sait écraser son champignon en plein virage. «Basic» sonne comme un modèle du genre, un énorme classique. T’as beau avoir écouté des tonnes de grands albums garage, il y aura toujours des mecs pour recréer l’événement, et le «Basic» des Screamin’ crée l’événement. L’autre cerise sur le gâtö de cet album est le grand retour du «Cosmic Farmer». Cette gigantesque fournaise te dévore tout cru. Ils t’amènent ça à l’abattoir vite fait. Autre surprise de taille : «Not Alone» est son attaque stoogienne. Là, Franck part en solo et creuse vite fait bien fait un tunnel sous le Mont Blanc. Encore une belle surprise avec «Shuttle» : Fouine se montre plus sculptural au chant et t’entend des chœurs qui te renvoient directement à l’«Heart Full Of Soul» des Yardbirds. Elles est pas belle, la vie ?

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             Tu les vois aussi aller chercher la bonne petite braise sous la cendre avec «Cross The Line», et le «Band Of Freaks» qui refait surface en B est beaucoup plus Fleshtony, avec toutes les ficelles de caleçon. Saluons aussi le morceau titre d’ouverture de balda et ses belles dégelées riffiques, et t’as cette voix qui monte tout de suite au sommet du cocotier, ah il est bon le Fouine. Quel fabuleux ramdam ! Quelle belle clameur ! C’est encore une fois très Fleshtony, mais en plus joyeux et en plus vivace. Les élèves ont dépassé les maîtres. Ils terminaient leur set (avant rappel) avec l’exubérant «Boogaloop». Sur scène, ça devient incontrôlable. Ils terminent leur rappel avec leur vieille cover de «California Sun» dont les Dictators firent leurs choux gras, voici 50 ans. Proto-punk, baby.

    Signé : Cazengler, c’est parti monkey-key

    Screamin’ Monkeys. La Péniche. Chalon-Sur-Saône (71). 29 mars 2025

    Screamin’ Monkeys. Jungle Keepers. Pop The Balloon 2025

     

     

    L’avenir du rock

     - The Boys are back in town

             L’avenir du rock adore aller faire ses courses chez madame Prévertinette, l’épicière du fauboug Saint-Martin. Panier au bras, il pousse la vieille porte vermoulue et la petite clochette irise l’air tiède d’un carillonnage levantin.

             — Bien le bonjour, madame Prévertinette, comment tallez-vous bien ?

             — Oh je me sens comme une demi-pinte de bon sang, avenir du rock ! Que me vaut le plaisir de votre visite ?

             — Les contingences, madame Prévertinette, les contingences ! Elles me ramènent chaque fois vers vous comme le fleuve ramène le fétu à l’océan !

             — Quel flatteur vous faîtes, avenir du rock ! Comment puis-je satisfaire à vos contingences ?

             — Pour commencer, il me faudrait une pelote de ficelle, deux épingles de sûreté, un monsieur âgé et une Victoire de Samothrace.

             Elle farfouille dans ses étagères et dépose les désidératas de l’avenir du rock sur le comptoir. Puis elle tape soigneusement les prix sur sa vieille caisse enregistreuse.

             — Vous faudra-t-il autre chose ?

             — Une mouche tsé-tsé, un homard à l’américaine, un jardin à la française, deux pommes à l’anglaise...

             Elle refarfouille de plus belle et dépose ses trouvailles sur le comptoir. Elle tape les prix et lance d’une voix de Castafiore lunatique :

             — Et avec ceciiiiiii ?

             — Un face-à-main, un valet de pied, un orphelin, un poumon d’acier, un soleil d’Austerlitz, un siphon d’eau de Seltz, un vin blanc citron !

             — Ah il faut que je descende à la cave chercher le soleil d’Austerlitz, je le garde toujours au frais, voyez-vous...

             Elle disparaît par une trappe située derrière le comptoir et réapparaît quelques minutes plus tard couverte de toiles d’araignées.

             — Et avec ceciiiiiii ?

             — Des piles Wonder !

             — Elles n’existent plus, avenir du rock, mais en compensation, je vous propose les Boys Wonder ! Vous m’en diiiirez des nouvelles !

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             Effectivement, l’avenir du rock est aux anges. Et comme le destin ne fait jamais rien au hasard, Shindig! annonce le retour des space-age mod-rock pionneers, the Boys Wonder. T’y crois pas ? Alors écoute Question Everything. Ça vient de sortir. On appelle ça une réhabilitation résurrectionnelle. L’un des groupes les plus brillants de son temps sort enfin de la tombe.

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             Quand t’entends «Goodbye Jimmy Dean», tu ne comprends pas qu’un tel groupe soit passé à l’ass. Intro à la Who et t’as aussitôt le poids du son, c’est-à-dire le power. C’est le Wonder power, à base de concordes de grattes explosives. Encore plus Whoish : «Platform Boots». Ce sont les accords de «Substitute». Terrific ! Ils font du glam-punk Whoish, on se croirait en 1966, au Marquee. Maximum R’n’b ! En plein dans la cocarde ! Encore du pur Whoish avec «Lady Hangover», ils tapent en plein dans ce glam d’étranglement convulsionnel qui fit la grandeur des early Who. «Song of Sixpence» pourrait sonner comme un hymne Mod. Pure Mod craze ! Ils sont aussi capables de sonner comme les Small Faces. La preuve ? «Soho Sunday Morning», avec le soupçon d’accent cockney qui les rend crédibles. Ben Addison est un pur et dur. Et puis, il pleut des coups de génie comme vache qui pisse : t’as «Shine On Me», monté sur la cocote du diable et t’as un killer solo flash enroulé dans le son. Même chose avec «Elvis 75», encore un défonce-moi-Johnny, allumé au glam power et t’as un  killer solo flash qui vient trouer le cul d’Elvis 75. Oui, flash, vraiment flash ! Ils jouent l’intro de «Friday On My Mind» sur «Hot Rod» et ça part ventre à terre, ils tapent dans le glam power avec des moyens énormes et une prod qui n’a pas froid aux yeux. Et t’as même le killer solo fantôme d’Écosse, wooooh, wooooh ! C’est dire l’étendue du registre. On s’extasie en permanence de la classe et de l’aisance du Ben. Leur «Now What Earthman» est encore d’une rare puissance, même si cette pop ne sait pas dire son nom. Le Ben chante son «I’ve Never Been To Mayfair» par dessus les toits. Il chante comme un dieu et fait de son Mayfair une authentique Beautiful Song. Et ils te claquent «We All Hate Honesty» à la cocote insidieuse, la pire de toutes, l’insidieuse anglaise. 

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             Dans Record Collector, Lois Wilson parle de «stuff of legend», de cuts «brash, bold and irreverent», et de lien entre «the Who’s art school mod» et «the Sex Pistols’ cartoon fury». Et sur scène, t’avais tout le bataclan, l’exploding drum kit et le guitar-smashing. Boys Wonder était le groupe des jumeaux Ben et Scott Addison. Père pianiste et contre-bassiste de jazz. Sinatra sur le record player - Then came glam and the Sex Pistols - Alors wham bam ! Ben flashe sur les Pistols : «They had the look, the sound, the shock impact.» Ils montent un premier groupe, Brigandage, Ben on drums, Scott on bass - Sex Pistols with a female singer - Elle s’appelait Michelle Archer. Ils décrochent la couve du NME et enregistrent une Peel Session. Brigandage splitte et ils récupèrent deux mecs d’Haircut 100 pour monter Boys Wonder. Ils récupèrent un peu plus tard Tony Barber on bass. Ils se réclament des Who, des Fifth Dimension ou encore de Slaughter & The Dogs, en fait de tout ce qu’ils aiment bien. Ils travaillent leur look - Carnaby tat and boot boy chic - portent des futes en tartan, «and monster fringe haircuts by Vidal Sassoon.» C’est Eddie Piller qui les met en contact avec Seymour Stein. Un Stein qui fait venir Andy Paley des États-Unis pour les produire, Mais Ben trouve qu’Andy est trop obsédé par les Beach Boys. Leur single «Now What Earthman» sort en 1987 et floppe. Puis Sire les droppe. Allez hop, à dégager !

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             Après le split, les jumeaux remontent le groupe avec un mec de Doctor & The Medics et le batteur de King Kurt, Rory Lyons. Ils enregistrent le mini-album Radio Wonder. C’est de la dancing pop d’une incroyable audace, mais en même temps, c’est un suicide commercial. Tu retrouves pourtant l’excellent heavy rock bien forcé du passage qu’est «Eat Me Drink Me». Sur ce coup-là, ils ont tellement de son !

             Nouveau split. Ils réapparaissent deux ans plus tard dans Corduroy, un Acid Jazz band, avec Dad Man Cat, un album d’instros. Corduroy fait l’objet d’un chapitre à part. 

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             Clive Webb rappelle dans Shindig! que les frères Addison étaient en avance sur leur temps. Enracinés dans le mod-rock sound des sixties, ils préfiguraient la Britpop et tous ces groupes, Menswear, Supergrass, qu allaient connaître le succès. Aujourd’hui Ben Addison affirme que la Britpop was completely unspectacular. L’un des fans de Boys Wonder, Vic Reeves, va même jusqu’à proclamer : «The greatest band that never was, is now the future.» Eh oui, si les Boys Wonder sont si bons, c’est sans doute parce qu’ils ont commencé par flasher sur le glam et le punk des Pistols. Web dit aussi que Brigandage était annoncé comme «the next Sex Pistols». Eddie Piller devait signer les Boys Wonder sur son label Countdown, un sous-label de Stiff - Terry Rawlins and I absolutely loved the band - Piller venait de signer les Prisoners et Making Time, et il lui fallait un troisième groupe. Mais Stiff s’est cassé la gueule et Countdown a coulé avec. Piller voyait les Boys Wonder comme des «proto-mods and punk rockers, they were just spectacular.» C’est là que Piller les a refilés à Seymour Stein. Toutes les conditions étaient donc rassemblées. Mais ça n’a pas marché.    

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             L’histoire est d’autant plus triste que le groupe fut brillant. C’est aussi l’avis d’Eugene Butcher, dans Vive le Rock. What happened? Ben re-raconte l’histoire et précise que de jouer à Londres était à l’époque bien plus facile qu’aujourd’hui. On pouvait garer le van devant la salle et coller des affiches. Ça bloquait du côté des record labels. Comme les Boys Wonder ne rentraient dans aucune catégorie, les record labels ne voulaient pas d’eux. Ben dit aussi qu’en plus des Who et des Sex Pistols, ils adoraient Tom Jones, Todd Rundgren et les compositeurs, which is why we ended up forming Corduroy.

    Signé : Cazengler, Pile Wonder (usée)

    Boys Wonder. Question Everything. Townsend Music 2024

    Boys Wonder. Radio Wonder. Flat Records 1989

    Clive Webb : Beyond Question. Shindig! # 156 - October 2024

    Where Are They Now? Boys Wonder. Vive Le Rock # 116 - 2024

    Under The Radar : Boys Wonder. Record Collector # 567 - Christmas 2024

     

     

    Wizards & True Stars

     - Harold on I’m coming

     (Part Two)

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             Comme on s’est bien régalé de The Rhino Records Story: Revenge Of The Music Nerds, on en redemande. Harold Bronson a écrit deux autres books, My British Invasion (sur lequel on reviendra un autre jour) et Time Has Come Today - Rock And Roll Diaries 1967-2007, sur lequel on va se pencher immédiatement.

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             L’Harold prend en fait comme modèle le Journal d’Andy Warhol. Il reste très factuel et ne s’embarrasse pas avec la dentelle de Calais. Il fait une sorte de carnet mondain du rock qui s’étale sur 30 ans, et comme il vit en Californie, il rencontre tous les gens qu’il faut rencontrer. Il brosse pour chacun d’eux un portrait sommaire d’une justesse remarquable. Pas d’effets de style, pas d’analyse ni de dérives introspectives : il voit le mec pour l’interviewer et dit ce qu’il faut savoir de lui. C’est la qualité de ses choix et le nombre extraordinaire d’artistes rencontrés qui fait la force de ce book.

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             En 1969, il a 19 ans et il voit les Kinks dans un gymnase. Il les trouve «sloppy, sang out of tune», «but they were exciting and a lot of fun.» Toujours en 1969, l’Harold lit un chronique des Stooges dans Rolling Stone. Un certain Ed Ward les décrit comme «loud, boring, tasteless, unimaginative, childish, obnoxious...» Et l’Harold d’ajouter à la suite de cette exécution en règle : «Yet, there’s a positive conclusion: ‘the fun is infectuous.’» L’Harold indique ce jour-là qu’il est «curious about the Stooges, a quartet from Michigan with a debut album on Elektra Records.» Mais à l’époque, les rock-critics américains ne supportent ni les Stooges ni le MC5. C’est bien que l’Harold rappelle à quel point ces pommes de terre de rock-critics américains ne comprenaient rien. 

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             L’Harold ne rate jamais l’occasion de rappeler quels étaient ses singles préférés. En 1970, il en pinçait par exemple pour Spirit («1984»), Blodwyn Pig («Dear Jill»), Dozy Beaky Mick & Tich («Tonight Today», il oublie Dave Dee), Savoy Brown («A Hard Way To Go»), les Seeds et d’autres qu’on ne connaît pas. Il balance une autre liste en 1973 : cette fois se sont des albums, Aloner de Scott Walker, Birthday Party d’Idle Race, Wyane Fontana et The Herd. On sent poindre le bec fin.

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             Comme il est fan des Them, il va voir Van The Man en 1971 au Santa Monica Civic Auditorium, mais Van le laisse froid. Aucun contact avec le public. Plus intéressant : Emitt Rhodes. Il trouve l’album sans titre d’Emitt meilleur que le premier album solo de McCartney, et crack, l’Harold précise que comme McCartney, l’Emitt enregistre tout tout seul «in his home studio, a shed behind his parents’ garage.» T’as pas besoin d’en savoir plus. Tout est là : prodigieux Emitt Rhodes one-man band. Quinze ans plus tard, en 1985, l’Harold rencontre l’Emitt qui vit à Hawthorne, là où vivait aussi la famille Wilson. Il a encore un garage au fond du jardin et son home studio. L’Emitt fait écouter des trucs à l’Harold qui aime bien ce qu’il entend, mais l’Harold trouve l’Emitt déprimé. Ce journal fourmille de petites rencontres avec d’extraordinaires artistes. On a déjà dit ici même à quel point Emitt Rhodes était génial.

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             Qui dit Californie dit bien sûr Van Dyke Parks. En 1971, le Philadelphie Daily News demande à l’Harold de retrouver Parks pour l’interviewer. En 1968, nous dit l’Harold, Parks avait enregistré Song Cycle, un album qui avait coûté une fortune à Warner Bros et qui s’était mal vendu, alors Parks a déprimé : «I was a genius one month and the next I was for sale for a cent. Both were débilitation and I was devastated psychologically.» Alors bien sûr, l’Harold le branche sur Brian Wilson et Smile. Parks dit avoir écrit tous les lyrics, sauf ceux de «Good Vibrations». Puis les Beach Boys ont décrété que ses lyrics étaient «undecipherable», c’est-à-dire indéchiffrables, «and they fired me.» Pouf, à dégager !

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             En 1971, l’Harold en pince pour Badfinger, «one of my favorite contemporary bands». Il adore leur ressemblance avec les Beatles de 1966. Mais sur scène, ils manquent de charisme et d’«excitement». Ils papotent avec l’Harold après le concert, et confient qu’on les a obligés à faire cette tournée américaine, sinon on leur coupait les vivres. Il faut rappeler que l’histoire de Badfinger est une tragédie : deux d’entre eux vont finir par se pendre, parce qu’ils ne supportaient pas de s’être fait rouler. Et Joey Molland vient tout juste de casser sa pipe en bois. Amen.

             L’Harold en pince aussi pour Peter Asher, qui fut célèbre avec Peter  & Gordon, mais aussi pour avoir été A&R chez Apple (celui des Beatles, pas l’autre) : c’est lui qui leur amène James Taylor que McCartney aime bien. L’Harold profite du paragraphe Apple pour rappeler que chaque Beatle avait ses chouchous. Le roi George amène Jackie Lomax. C’est Mal Evans qui ramène les Iveys, futurs Badfinger, chez Apple.

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             L’Harold rencontre aussi Black Sabbath dans une superbe villa de Bel Air. Ozzy lui dit que leur groupe préféré reste les Beatles, mais ils sont aussi fans des Troggs («Wild Thing») et bien sûr du «Really Got Me» des Kinks. L’Harold rencontre aussi Paul Revere et Mark Linsday, beaucoup plus vieux que tous les autres, beaucoup plus professionnels, mais ils impressionnent l’Harold par leur candeur. En Europe, peu de gens savent que Paul Revere & The Raiders furent en leur temps des superstars aux États-Unis.

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             Tiens ! Voilà Mickie Most ! Qui qu’y fout là ? L’Harold va l’interviewer à Londres en 1972. Il lui trouve «a baby face» et des «wavy, orange-tinted hair». Mickie raconte l’enregistrement d’«House Of The Rising Sun», en 1964, quand il récupère les Animals à la gare à 7 h 15 (ils ont voyagé dans l’overnight sleeper train) et les amène au Kingsway Studio à 8 h pour une session de 3 heures, à 20 $ l’heure. Crack, à 8 h 15, ils ont fini d’enregistrer le single ! Sur le temps restant, ils enregistrent leur premier album. Ils reprennent le train de 12 h 30 pour rejoindre la tournée avec Chucky Chuckah et Carl Perkins à Southampton. Voilà le grand art de l’Harold : résumer en quelques lignes un épisode historique. C’est clair et net, bien mieux raconté que dans les bios des Animals. Mickie Most dit aussi à l’Harold que sa force «is in picking material to be released as singles.» Mickie Most évoque aussi Beck Ola et Truth, et des deux, il préfère Truth. Personne ne composait dans le Jeff Beck Group, ils étaient obligés de taper des covers. Mickie Most rappelle que Jeff Beck et Rod The Mod ne s’entendaient pas très bien. Autre détail considérable : en juin 1970, Mickie Most est à Detroit avec Jeff Beck et Cozy Powell pour enregistrer chez Motown avec «the company’s celebrated house band, but nothing was finished.» Autre détail considérable : Jeff Beck reprochait à Mickie Most ses horaires. Alors Mickie met le point sur les zi. Pour lui, la famille était plus importante que le biz, alors, il mettait un point d’honneur à rentrer à l’heure chez lui pour dîner en famille. C’est pourquoi il a décliné l’offre qu’on lui faisait de produire les Stones : ils n’avaient aucune discipline et commençaient à enregistrer à minuit. Mickie évoque aussi Donovan qu’il a fabriqué de toutes pièces et qui un jour lui a dit : «I can do it better without you.» Et crack, même chose avec Lulu qu’il a fabriquée aussi de toutes pièces, et il lit dans la presse qu’elle cherche un nouveau producteur. Alors Mickie en a marre : «I’ve had enough of these people, because most artists are slags», c’est-à-dire des garces. Et furibard, il ajoute : «Ils se servent de vous. Vous leur prêtez du blé qu’ils ne vous rendent jamais. C’est horrible.» C’est là qu’il arrête de produire les groupes pour monter «a nice little record company in England», RAK. Et cRAK !

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             L’Harold rencontre Gus Dudgeon. Le Gus fait l’apologie d’Andrew Loog Oldham qui n’a encore que 19 ans quand les Stones enregistrent «Poison Ivy» et «Fortune Teller» : «He was great at creating an atmosphere in the studio.» L’Harold termine d’ailleurs son journal avec l’Andrew, qu’il rencontre en 2007. Après son départ, le Stones avaient perdu une grande partie de leur mystique. L’Harold lui demande quelles sont les sources de son éloquence et l’Andrew cite les Nat Hentoff’s jazz liner notes, et celles qu’Hentoff a rédigées pour le Freewheeling Bob Dylan. Il cite aussi deux books d’Anthony Burgess, Clockwork Orange et The Wanting Seed. C’est après avoir lu les deux tomes de mémoires d’Andrew que l’Harold a pris la décision d’écrire l’histoire de Rhino - After all, if I don’t write the history of the label, who will?.

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             Qui dit Californie dit bien sûr Rodney Bigenheimer, the Mayor of Sunset Strip, comme le surnommait Kim Fowley, un mayor qui lors de son premier trip en Angleterre, a séjourné chez Rod The Mod. L’Harold rencontre aussi Nicky Hopkins qui évoque l’enregistrement d’Exile, dans le Sud de la France - It took four months and was enormoulsy boring - Quand il en a eu marre des Stones, il est parti rejoindre le Jeff Beck Group. Il joue sur 4 cuts de Truth. Puis il en a marre du studio et part en tournée avec le Jeff Beck Group. Tout allait bien jusqu’au moment où Jeff Beck a disparu. Il est rentré à Londres sans prévenir les autres. Hopkins dit que Jeff avait une «split personality» - One side of him wanted to be an egotistical rock star; the other side wanted to rush back to Surrey and be an auto mechanic.

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             De la même façon qu’il était curieux des Stooges, l’Harold est curieux des Dolls qui débarquent en Californie en 1973, au Whisky. Il les compare aux Stones - Lead guitarist Johnny Thunders has cast himself as an animated Keith Richards - L’année d’après, il voit au Whisky d’autres rock stars fondamentales, les Raspberries - The captivating vocal harmonies never sounded better - Il  interviewe aussi Edgar Winter dont on a oublié le fabuleux Entrance. L’Edgar dit à l’Harold qu’à l’époque, il était influencé par Cannonball Adderly et John Coltrane - it was too weird for people and didn’t sell - C’est drôle comme on oublie tous ces artistes qui étaient si importants à cette époque. En 1975, l’Harold voit Suzy Quatro au Roxy - Onstage, leader-of-the-pack Suzi screams her tiny lungs out, plunking an oversized bass guitar - C’est merveilleusement résumé. Il rappelle qu’elle vient de Detroit et qu’elle vit désormais (grâce à Mickie Most) dans le Sussex, au Sud de Londres. L’Harold lui demande comment une Detroit girl s’adapte à Londres - «I’m adaptable», Suzi said - Il croise aussi Cub Koda dans le backstage du Starwood. Cub dit à l’Harold qu’il le connaît bien, via ses articles et Mogan Davis & His Winos. Alors l’Harold dit à Cub qu’il est fan de Brownsville Station depuis leur premier album qu’il avait chroniqué.

             En 1975, l’Harold flashe comme tout le monde sur Barry White - The effect he has on women defies logic - Il salue bien bas son «basso profundo» et dit qu’en fait, il chante très peu et que sa «Musak create a perfect mood for love-making.»

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             En 1976, il a la chance de flasher sur «by far the most imaginative figure in soul music», George Clinton. Clinton rappelle que Parliament était un «doo-wop group stylized after the Tempations.» Signés sur Motown, mais pendant les 5 ans du contrat, rien n’est sorti sur Motown. Quand l’Harold demande quelle différence existe entre Parliament et Funkadelic, Clinton répond : «Parliament is more vocal, more disco with horns, more conservative; Funkadelic is more guitars, no horns, more free-form feelings, more harsh and wild. There’s a crisscross, but generally Funkadelic get more pussy than Parliament.»

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             L’Harold reste chez les géants avec Kim Fowley. Pour lui rendre hommage, l’Harold organise un Kim Fowley Day chez Rhino. Kim fait le DJ. L’Harold voit Kim comme «Frankestein monster» - He’s tall, six-foot-five, with a high forehead and recessed eyes - Et bam, c’est le cœur battant du book ! Kim Fowley s’adresse à un client : «Hey asshole, do you jack off? Now, when you’re in the presence of a god, you fuck him, fight him, leave or shut your mouth.» L’Harold rapporte tout le monologue de Kim Fowley et c’est somptueux - I have a Lynyrd Skynyrd single I’ll play for you in a minute. Be cool - Puis, il parle d’un album sur Deram de l’Andrew Loog Oldham Orchestra, avec Gary Brooker, Mick Jagger «and Kim Fowley from Westwood. John Paul Jones plays bass and Jimmy Page guitar. This is the single recorded at Regent Sound in the same studio where they cut «Not Fade Away» and all that crap.» Puis il passe Soft Machine - This is on the Cyclop label - et il ajoute que «Kevin Ayers and Kim Fowley share lead vocals» - Le cut s’appelle «Shadows In The Sun», précise l’Harold. Plus loin, Kim Fowley déclare : «There’s no funk here, except in my underwear.» Puis il passe le «Gloria’s Dream» des Belfast Gypsies - I was a member of two legendary 1960s groups. One group was from Ireland. One of the guys in the group is ugly and short. His name is Van Morrison - Et il explique que «Gloria’s Dream» fut enregistré après le départ de Van the Man.

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             L’Harold évoque la connexion Randy California/Jimi Hendrix. Randy a 15 ans à ce moment-là et Jimi Hendrix veut l’emmener à Londres, mais les parents de Randy s’y opposent. L’Harold rappelle aussi que Rhino a financé la sortie de Potatoland, avec un comic book et des posters, mais l’album ne s’est pas vendu, ce que Randy leur a reproché. L’Harold rencontre aussi Shel Talmy et le branche sur la reformation des Small Faces. Stevie Marriott proposait d’enregistrait «Looking For A Love» (un hit des Valentinos en 1962, repris par le J. Geils Band en 1972) et «Don’t Lie To Me» (un blues de 1940 par Tampa Red, retravaillé par Chuck Berry puis repris par les Stones). Marriott voulait en plus enregistrer chez lui, mais à l’époque, dit Shel, il prenait trop de dope - to the point where he went berserk - Et il ajoute, la mort dans l’âme : «Those sessions were the hardest thing I ever tried to do, but it broke down and nothing was finished.» L’Harold conclut son petit chapitre Small Faces 1980 en signalant la parution de deux «dreadful albums» sur Atlantic. On retrouve «Looking For Love» sur le premier, et «Don’t Lie To Me» «is unreleased.»

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             L’Harold rencontre aussi Sean Bonniwell en 1983 - Sean, once a good-looking pop idol, is now a bearded hippie who appears older than his 42 years. Ils m’ont fait écouter des Music Machine tracks inédits et j’ai été impressionné - Après Music Machine, les Standells ! L’Harold nous explique que c’est Jackie DeShannon qui a poussé Dick Dodd qu’elle trouvait bon à remplacer Gary Leeds qui quittait les Standells pour rejoindre les Walker Brothers à Londres. Il fut en fait un meilleur chanteur que Larry Tamblyn (un Tamblyn qui vient tout juste de casser sa pipe en bois). Avec le succès de «Dirty Water», ils se retrouvent avec les McCoys en première partie, sur la tournée 1966 des Rolling Stones. Dick Dodd se souvient d’une bataille de tartes à la crème dans l’avion de la tournée, initiée par Brian Jones. Autre détail fondamental : les Standells ne veulent pas enregistrer le «Tainted Love» d’Ed Cobb. Alors Cobb le file à Gloria Jones. Mais c’est Soft Cell qui va décrocher le pompon avec «Tainted Love» en 1982. En l’an 2000, Dick Dodd qui est à la ramasse appelle chez Rhino pour demander un job de disquaire, mais sa demande met l’Harold mal à l’aise. Dodd vient quand même chez Rhino déposer son curriculum. L’Harold le lit et voit que Dick la superstar a été vendeur de bagnoles et employé dans un entrepôt. Ainsi va la vie.

             Un jour l’Harold approche de Jeff Beck. Comme il a entendu dire que Jeff Beck est extrêmement timide, il fait gaffe en se présentant. Alors Jeff baisse le regard et fixe le sol - His social discomfort made me feel uncomfortable, as though my mere presence was causing him pain. I moved on. T’as pas besoin d’en savoir plus sur Jeff Beck. Plus tu avances dans la lecture de ce book, plus tu le perçois comme essentiel.

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             L’un des grands avantages de vivre en Californie est de pouvoir rencontrer Sal Valentino.   L’Harold rappelle tout de même que le premier album des Beau Brummels fut produit par Sylvester Stewart, futur Sly Stone. Puis Autumn vend leur contrat à Warners et le drummer John Petersen quitte le groupe pour rejoindre Harpers Bizarre. En 1967, il ne restait plus que Sal Valentino, Ron Elliott et le bassman Ron Meagher. On connaît la suite de l’histoire : Triangle, Nashville et Bradley’s Barn. Autre légende californienne : P.F. Sloan qui préfère qu’on l’appelle Phil. L’Harold le rencontre chez lui, car Rhino envisage de sortir un Best Of.

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             L’Harold dîne avec Jac Holzman sur Broadway et le branche sur les Stooges - Iggy had a subtle danger. Il se jetait du haut de la scène, espérant que les fans allaient le rattraper, ce qu’ils ne faisaient pas toujours - Plus loin, Jac ajoute : «Je trouvais que le mix original de l’album des Stooges était trop poli, étant donné ce que j’avais vu sur scène.» Puis la sentence tombe : l’album ne s’est vendu qu’à 32 000 exemplaires.

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             L’Harold rencontre Herbie Flowers, le bassman légendaire qui a joué sur «Space Oditty», «Rebel Rebel», et des tonnes d’autres hits. Il a fait partie du dernier line-up de T. Rex, «which he rates as the best band he has played in.» On peut l’entendre nous dit l’Harold dans Dandy In The Underworld, le dernier album de Marc (Bolan, pas l’autre). Flowers rappelle au passage que Tony Visconti se tapait des montagnes de coke pendant les sessions de Diamond Dogs. C’est lui, l’Herbie, qu’on entend derrière le Lou dans «Walk On The Wild Side» - Lou only said three words to him, «My, that’s divine.» Herbie was paid £12 ($36) for the three-hour session.

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             Avec Kim Fowley, l’autre superstar de l’Harold, c’est bien sûr Arthur Lee. L’Harold le rencontre en 1980. Il lui demande si «Signed D.C.» concerne le drummer Don Conka et le roi Arthur répond : «Oh no, man. It’s about Washington D.C.» L’Harold sent bien que le roi Arthur se fout de sa gueule, mais il se régale de ses traits d’esprit. Le roi Arthur raconte qu’il avait vu les Byrds, et il savait qu’il pouvait sonner comme eux, «so Love got into folk-rock on the first album.» Puis il écoute Miles Davis et Tony Williams, «and so Da Capo was jazz-influenced.» L’Harold rencontre aussi Bruce Botnick qui a enregistré Love en 1966 - Ils sont arrivés au Sunset Sound Recorders et ont joué les morceaux les uns après les autres - Et Botnick se marre : «Arthur Lee played drums on the record. He was unusual, on acid 24 hours a day. In fact, everybody in the band was out of it.» Botnick donne aussi tout le détail de Forever Changes, «enregistré at Sunset Sound, Western and Leon Russell’s house.» En 1981, l’Harold découvre qu’Arthur Lee est chauve. On raconte qu’il s’était mis un gel pour raidir les cheveux, qu’il avait pris de la dope et qu’il s’était évanoui. Quand il s’est réveillé, le gel était resté trop longtemps et ses cheveux tombaient. Il a affiché son look chauve en 1972 sur la pochette de Vindicator. Pas de problème. Un jour en 1982, l’Harold reçoit un coup de fil du roi Arthur : «Il avait l’air drunk. Il m’accusait d’avoir sorti le Love Live Album sans avoir proposé de contrat. Je lui ai répondu que c’était faux, que je lui avais payé une avance et qu’il avait signé un contrat. Il ne me croyait pas. Alors je lui ai dit que j’allais lui Xeroxer une copie et la lui poster. Whew!».  

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             L’Harold se fait virer de Rhino en octobre 2001, quand Warner rachète Rhino - There was no «thank you» from the Warner Music Group, no gold watch, no party, no celebration of the great company we created. La mort pendant la vie.

    Signé : Cazengler, Bronson of a bitch

    Harold Bronson. Time Has Come Today - Rock And Roll Diaries 1967-2007. Trouser Press Books 2023

     

     

    Inside the goldmine

     - Le ramdam de Ram John

             Jean Rome était de tous nos clients le plus attachant. Il nous confiait le budget d’une revue trimestrielle de R&D diffusée en six langues. Il était en effet le patron de la R&D d’une multinationale, et donc les budgets étaient tellement conséquents qu’ils permettaient de financer des reportages sur des sites de production à l’étranger, aussi bien en Europe qu’aux États-Unis. Ces budgets nous permettaient aussi de rémunérer des experts, lorsque la complexité des sujets dépassait les compétences de notre ami Lucas, journaliste scientifique et rédacteur en chef de cette revue. Jean Rome était un homme assez jeune, brillamment diplômé. Il offrait l’apparence d’un manager classique, avec ses cheveux coupés en brosse, toujours en costard cravate. Ses lunettes à montures écaille qui lui donnaient un faux air de Roy Orbison. On le prenait pour un homme austère, mais en apprenant à le connaître, on découvrait des aspects de sa personnalité extrêmement intéressants. En réunion, on entendait parfois un bruit étrange, un genre de ‘pouet’. On ne le savait pas à l’époque, mais le ‘pouet’, c’était lui. Il nous avoua plus tard qu’il avait dans la poche l’un des jouets de son chien, une espèce d’os en plastique qui fait ‘pouet’ quand on le presse. Personne n’aurait jamais pu imaginer que ce ‘pouet’ venait de lui. Autre chose : pour animer la revue et illustrer les phrases sorties, il voulait une mascotte.

             — Tiens, pourquoi pas un mouton par exemple ? Le mouton des Technodes ! 

             On lui dessina sur le tas un mouton à l’œil roublard, mais Jean Rome ne le trouvait pas assez trash.

             — Ne peut-on lui mettre du rouge à lèvres et des talons aiguilles ?

             — Vous êtes sûr ?

             — Mais oui, voyez-vous, le mouton peut accoster un passant, moi par exemple, et lui proposer la formule du peroxyde nitrique pour 20 euros. Je vous donne mon billet que le lecteur, émoustillé, entrera dans l’article, voyez-vous.

             — On ne mord pas un peu le trait ?

             — Mais non, tenez, pour l’article suivant, on va mettre le mouton au lit, en train de se faire sodomiser, voyez-vous, et dans la bulle, on mettra : «Oh oui chéri, nos atomes d’hydrogène et d’azote font bon ménage !» Ça fera un tabac, voyez-vous.  

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             Pendant que Jean Rome révolutionnait la presse scientifique, Ram John injectait une puissante dose de blues au Swinging London qui n’en demandait pas tant.

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             Ram John Holder est l’une des têtes de gondole de la belle box Gotta Get A Good Thing Goin’, une sorte d’antho miraculeuse de la musique noire en Angleterre. Il n’est pas né dans le Mississippi, comme on pourrait le croire, mais en Guyane Britannique, qui est de l’autre côté du Suriname, la Guyane hollandaise devenue indépendante. Avant de débarquer à Londres, il a fait en 1962 le folk singer à New York, et plus précisément à Greenwich Village, où Dylan, Tom Paxton et Richie Havens l’ont côtoyé. En 1963, il écume le circuit folk de Londres et Paul Jones produit son premier single «Just Across The River». Il y est accompagné par Jack Bruce, Keith Emerson, Mike Hugg et Mike Rooms.

             Puis il commence à composer pour la BBC. Ram John Holder est surtout connu comme acteur dans des séries anglaises.

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             Belle pochette que celle de Black London Blues, un Beacon de 1969. Ram John a des allures de black street punk du coin de la rue. Il porte des lunettes noires et un fut en velours. La photo est prise à Brixton. Avec «Brixton Blues», il situe son quartier, il tape un fast heavy blues sauvage et bien underground. On l’entend aussi jouer lead sur le puissant «Too Much Blues». Son London blues est classique mais excellent. Il visite tous les quartiers, le voilà maintenant rendu à «Ladbroke Grove Blues», c’est assez wild, avec un violon sinueux et un big bassmatic. Ram John est une sorte de tenant de l’aboutissant. Il passe au fast wimpy blues avec «Wimpy Bar Blues», c’est le black British blues racé, drivé sous le boisseau du London fog. Ce mec est bon, il surgit hors de la nuit - My wimpy and my coffee were getting cold - Il chante son blues au perçant lancinant. Le voilà maintenant rendu au «Piccadilly Circus Blues», il pianote en bon punk black de Ladbroke Grove - Baby don’t walk out on me/ Yes she did - Il rentre à Hampstead avec «Hamsptead To Lose The Blues». Ram John pose un problème : il ne s’inscrit dans aucun schéma. Il se contente de planter les graines du punk boogie blues de Ladbrooke Grove. Son London Blues flirte avec le primitivisme. Il peut chanter à la renverse, tomber dans l’excès, courtiser la misfortune et avouer qu’il est à dix shillings près.   

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             Pochette moins sexy pour Bootleg Blues. Il quitte Londres pour aller faire un saut à Paris («Low Down In Paris»), petit heavy blues de went down to Paris to rest a little while - Comment allez-vous/ Avez-vous les Champs Élysées - Gros réveil en fanfare avec un «London Paris Rome Blues Express» embarqué au heavy groove des anciens, c’est-à-dire Isleys & co, c’est bardé de son et Ram John y va au heavy rumble d’hey going up the station. Retour à Hamsptead avec «Hampstead Blues», une merveille d’étalage cadencé, Ram John tient son blues en alerte à la note suspensive. Il fait un saut à Moscou avec «The Blues In Moscow» - Went over to Moscow/ To erase my trouble in mind - Il tape ça à l’heavy blues - But my friend the blues was my public hinde - Il termine ce très bel album avec «Freedom I’m Ready». Grosse énergie et chœurs de reggae. On comprend mieux pourquoi cet album est tellement recherché. 

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             You Simply Are Ram John Holder date de 1975. Ce black de London town est le roi du groove urbain et orbi. Il peut aussi aller sur la pop avec des chœurs comme le montre «Love You Love Me». Il trimballe son look exotique de black shades et de tunique africaine sur fond de briques rouges. Il est accompagné sur cet album par Kokomo et des chœurs d’anges. Il peut taper dans l’exotica de luxe. La viande se planque en B, et ce dès «Cool Earth Woman». Il excelle dans ce genre difficile qu’est le British groove. Il en maîtrise bien les fluides. Il se vautre dès qu’il cherche à faire la pute avec de la pop, et se rattrape aux branches dès qu’il fait son Richie Havens («Love What You See»). Le coup de génie se trouve au bout de la B : «London Ghetto». Il ramène des percus et du mystère à la Shaft, ça part en groove de belle espérance, alerte et bien black. Finalement, on apprécie cet album bien diversifié, hérissé de pointes de charme authentique. Il termine avec «Battering Ram», un raw groove extraordinaire. Aw comme Ram est raw !

    Signé : Cazengler, ramier

    Ram John Holder. Black London Blues. Beacon 1969 

    Ram John Holder. Bootleg Blues. Beacon 1970           

    Ram John Holder. You Simply Are. Fresh Air 1975

     

    *

                ’Je suis l’Empire à la fin de la décadence’’ proclamait Verlaine dans Jadis et Naguère, se complaisant à voir passer les grands barbares blancs, le bougre s’en vantait, il fit même école, mais lorsqu’un groupe de black metal atmosphérique joint les deux termes historialement oxymoriens dans leur dénomination, je vais voir. Le concept opératoire d’Imperium Romanum motivant mon intérêt.

    DIS MANIBUS

    IMPERIUM DEKADENZ

    (Season Of The Mist / 2016)

            Une rencontre fortuite a permis à Pascal Vannier et Christian Jacob a réunir leur force pour former la cheville ouvrière du groupe allemand Imperium Decadenz. Tous deux avaient été marqués par le Caligula de Tinto Brass sorti en 1979. Le personnage de Caligula a de toujours suscité le scandale, le film pimenté de scènes pornographiques non tournées par son réalisateur suscita bien des  polémiques. Comment aurait-il été accueilli en 2025 !  

             Certains lecteurs s’étonneront qu’un personnage tel Caligula ait pu susciter un engouement si fort que Pascal Vannier ait choisi le surnom de Vespasien autre empereur romain et Christian Jacob celui d’Horaz, notre bon poëte Horace selon notre langue françoise. Deux figures respectables de l’histoire romaine, mais enfin… Vraisemblablement ont-ils pensé que les individus sont transitoires mais que la forme politique de l’Imperium a, bon an mal an, rassemblé durant des siècles sous son égide protectrice des millions d’hommes. Ceci se discute. Surtout ces temps-ci où l’on assiste à l’éclosion de thèses expliquant que les invasions barbares ne sont qu’un mythe…

             Loin de ces querelles idéologiquement byzantines cet album ne  s’intéresse point aux actes et paroles des habitants de l’Empire mais à ses morts. L’on traduit souvent l’expression Dis Manibus inscrite, ou signifiée par les lettres DM, sur les stèles funéraires par aux Mânes des Morts, mot à mot il vaudrait mieux lire aux Mânes des Dieux.  Clarifions au plus vite ce dilemme, les mânes sont les âmes des morts, n’imaginez pas des fantômes ou des zombies, plutôt des présences qui pérennisent l’union des morts et des vivants. Mais les cendres des morts enfouies dans la terre ou gardées dans des tombeaux ne se promènent que fort rarement parmi nous, peut-être l’avez-vous remarqué, les romains avaient une explication. Lors de la crémation les hommes se transformaient en Dieux. Il vous plairait bien de passer le restant de votre mort à biturer et bâffrer nectar et ambroisie dans les demeures de l’Olympe, hélas les morts ne se métamorphosent qu’en des dieux inférieurs qui logent en bas dans de froides cavernes souterraines. C’est d’ailleurs pour cela qu’il existait des rites destinés à garder un contact avec eux pour qu’ils ne nous oublient pas.  Il faut concevoir la présence sur-terrestre des Mânes comme une force adjacente qui vous influait et insufflait courage, volonté et désir de maintenir la possession de ce territoire que vos ancêtres vous avaient légué.

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    In Todesbanden : funèbre, l’on serait tenté de traduire en pensant au Livre de la Mort des Egyptiens ‘’dans les bandelettes de la mort’’, mais ce bruit imperceptible, cette espèce de gratouillement de plus en plus présent, qui accompagne la marée, est-elle descendante ou montante, n’évoque-t-il pas le grouillement incessant des larves sur le cadavre.  L’on pressent que la suite ne sera pas joyeuse. Only Fragments Of Light : roulement, chute précipitée, une longue descente, sarclage méthodique des dernières images préoccupantes de l’existence, éboulements rapides de tous les désirs, chute irréversible, comme un feu qui brûle les mauvaises herbes et les branchages coupés de l’existence, ne reste plus qu’une lumière cristalline, la musique semble vouloir disparaître, elle s’éloigne tout en restant présente soutenue par les ogives des chœurs, le dernier cri qui résonne dans le monde des vivants, à moins que ce ne soit qu’un écho perçu dans le monde des morts, procession chantée, enchantée, la lumière du jour est remplacée par celle de la nuit, plus froide, plus claire, elle n’illumine pas mais elle brille dans une étrange fixité immobile, me voici dans une autre nuit transparente, reflet inversé de la noirceur terrestre, l’âme s’est réfugiée dans son propre rêve, car la mort rêve à son retour, un jour le rêve remontera, il surgira  à la surface d’une autre lumière, la mort me vomira et je reviens. Still I Rise : étrange victoire, je suis mort, je suis au fond du fond mais je m’élève, j’obéis au mouvement des marées, à la marche incoercible des cycles de l’univers qui règle les étoiles, je laisse derrière moi tout ce que j’ai été, toute ma personnalité, tous mes actes, tout moi, mais je suis une pierre arrachée à son destin qui ne tombe plus mais qui monte, je traverse les abîmes, des mondes inconnus, des grèves grises ensauvagées, rien ne me retient, la batterie s’emballe, les guitares galopent, je monte sans fin, serais-je un soleil de la nuit noire et absolue, ma voix s’évase, tant de grandeur dans mon chemin d’altitude infinie, roulement effroyable des tonnerres en gestation. Un chant clair et pur résonne, est-ce un rayon de soleil ou une plainte déchirante. Dis Manibvs : peut-être suis-je en train de tourner en moi-même, de revenir aux derniers instants de mon trépas qui sont aussi tes derniers instants car si je meurs à moi-même toi aussi tu t’éloignes de moi, tu te détaches de moi, mystère insondable, qui meurt au juste celui qui s’en va ou celui qui reste, dans quel sens le bateau part-il, dans quelle nuit entre-t-il, comme une sirène de navire qui s’arrache à la terre, l’instant décisif, retrouvailles avec sa propre solitude, la musique monte et éclate comme une angoisse indicible. Rien de ce qui a eu lieu, ne s’effacera jamais. Pantheon Spells : silence des orgues, souffle indistinct des Dieux, à quel moment suis-je, après ou avant leurs éloignements, ils sont là tout près, se sont posés immuables dans ma méditation, que veulent-ils, que disent-ils, leurs voix a la douceur des colombes d’Aphrodite. Vae Victis : malheur aux vaincus, les Dieux m’avertissent, la ville est en flammes, la cité saigne, déjà l’on emmène les longues files des esclaves, ceux qui sont morts durant les combats n’ont-ils pas échappé à la honte, à la déportation, à l’esclavage, au sort commun des hommes, mais les vainqueurs rient et boivent, violent et tuent, la musique court comme la violence, la batterie affute le raffut, elle pousse au cri et au crime, le vocal grondant hurle et chuchotte à pleins poumons, sont les plus heureux ceux qui ont eu accès à  la connaissance suprême, au savoir divin des morts et des Dieux. Volcano : il existe une vidéo fabriquée par un fan du groupe qui a illustré le morceau avec des images prises au péplum  'Pompeï réalisé par Paul W. S. Anderson. Les images raviront les fans des films à grand spectacle, elles ont l’intérêt de démontrer que la musique du groupe est à la hauteur des scènes dantesques proposées… les malheurs du titre précédent peuvent être imputés aux hommes, race prédatrice par excellence, la responsabilité de la destruction  de Pompéi peut être rejetée sur les Dieux Immortels… après la scène de recueillement dans le Panthéon, les deux titres qui le suivent donnent à réfléchir sur la mansuétude des Olympiens… grondements vésuviens en ouverture, de la batterie surgissent les pierres propulsées sur la cité et ses habitants. Le texte est assez ambigu, la ville est-elle détruite à cause de l’insolence de ses citoyens, ont-ils voulu rivaliser avec l’éclat des Dieux en bâtissant une ville d’une beauté sans pareille dans laquelle la luxure et la débauche seraient reines… ambiance mélodramatique, chœurs et background imprégné d’une tristesse un peu surfaite. Le sujet mythique de la catastrophe a parasité le groupe, l’on voit les paysages mais la mort semble passer au second plan.  Somnia :

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    instrumental. Le sommeil de la mort. Le repos éternel. La dormition inéluctable. Le titre assez court demande plusieurs écoutes pour être apprécié à sa juste valeur. Le cliquettement répétitif d’une note claire monopolise l’attention, mais la mort n’est-elle pas monotone et ennuyeuse, il empêche de goûter au travail d’orfèvre auquel se livrent les musiciens, derrière la flèche de l’if élancé se cache les rêves mouvants des morts dans leurs tombes. Pure Nocturnal Rome : une promenade nocturne dans Rome, dans la Rome d’aujourd’hui, ne vous étonnez pas du tumulte de l’orchestration et de la voix qui rugit comme un lion enfermé dans les cages du Colisée, ce n’est pas que le promeneur arpente les avenues encombrées de voitures c’est qu’il marche dans le passé de Rome, qu’il médite sur son histoire, qu’il déambule dans ses rêves, il refuse d’être dupe de ses propres mythifications, Rome vénale et luxurieuse portait en elle ses propres tares, et sa décadence, n’oublions pas que le groupe se nomme Imperium Dekadenz, l’Empire et la Décadence étroitement emmêlés, la putain et la beauté, pour qui sait les voir les Nymphes dans les bosquets sacrés dansent toujours en l’honneur des Dieux, et le sang versé par les légions pour établir la suprématie de l’Imperium ruisselle toujours sur son âme comme une énergie principielle et nécessaire. Son esprit s’abreuve à cette source mystique inépuisable. Seikilos : le texte de ce morceau provient d’une épitaphe (deuxième siècle après Jean-Claude) découverte en Anatolie inscrite sur une colonne placée sur la tombe de l’épouse (ou du père) d’un certain Seikilos. Elle est célèbre car les vers sont surmontés de notes de musique qui permettent de jouer et de chanter la mélodie. Elle est précédée des mots suivants non pris en compte par le groupe  mais qui personnellement  m’émeuvent davantage que le poème :  ‘’La pierre que je suis est une image. / Seikilos me pose ici, / d'un souvenir immortel signe durable. ». L’adage proverbial : ‘’La mort est certaine, la vie ne l'est pas’’ la remplace. Vous trouverez sur le net de multiples interprétations du poème de Seikylos. Imperium Dekadenz propose la sienne, version black metal qui n’a pas à rougir de sa création, si  au début elle se cale sur la pureté agreste des reconstitutions les plus’’ fidèles’’ le grondement en sourdine qui l’accompagne  laisse deviner que le groupe ne renonce pas à son électricité emphatique, les chœurs qui suivent malgré leur volume ne déparent en rien la mélodie de Seikilos, quant aux murmures d’outre-tombe qui suivent et l’ampleur sonore crépusculaire qui s’amoindrit pour finir par muer en un ultime grésillement de mèche de bougie qui vient de s’éteindre. 

             Nous ne savons rien de Seikilos, mais il semble que c’est sa voix qui traverse les siècles pour porter témoignage par ce thrène mortuaire l’ultime hommage des ombres à la grandeur d’un passé auprès duquel notre présence en ce monde ressemble à des haillons dérisoires dépourvus de pourpre.  

             Un album de toute beauté dont la thématique ne plaira pas à tous. La mort effraie tout le monde, la notion d’Imperium tous les autres.

             Je ne pouvais pas quitter  Imperium Dekadentz si rapidement, j’ai choisi un deuxième album qui me semble encore davantage réussi que le précédent. Mais encore plus noir…

    … DIE WELT WARD KALT UND LEER

    (… ET LE MONDE DEVINT FROID ET VIDE)

    IMPERIUM DECADENZ

    (Season of Mist / Février 2006)

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    Einklang : étrange, einklang signifierait harmonie, mais les sons de cet instrumental doivent être une transcription phonique du cri discordant du cygne, je suis gentil en présentant ainsi ce vacarme issu d’un chantier de démolition, ou d’un atelier sidérurgique, pure noise, on aimerait bien comprendre les quelques mots marmonnés vers la fin du morceau, mais nos maigres connaissances de la langue de Goethe ne nous permettent pas de les déchiffrer. Nous n’avons pas évoqué la pochette, saisissons l’occasion pour reconnaître que le paysage informe qui nous est offert est particulièrement décrit par ce concert bruitique. Glanz der Klinge : après le kling-klang-klong de l’ouverture nous voici confronté au glangk – il existe une science rejetée par la phonétique moderne qui dote chaque lettre d’une signification phonique précise, Mallarmé l’a quelque peu exposée et utilisée dans Les Mots Anglais, et René Ghil (injustement oublié), l’a expérimentée dans une entreprise poétique totale que l’on peut qualifier de wagnérienne unissant le sens, la couleur et le son des mots – mais revenons à la clinquance éclatante de ce morceau dans lequel s’entrechoquent les épées, la victoire, le triomphe et la mort. Les paroles pourraient être interprétées comme un duel entre deux individus, mais c’est avant tout un combat singulier contre la mort, que l’on perdra un jour, et le combat de l’Empire contre sa propre Décadence, la leçon est simple la mort vaut mieux que la décadence, tant que l’on est vainqueur l’on contient  l’ennemi au loin. La mort possède sa beauté, l’on ne saurait résister à son baiser sanglant froid et incapacitant. Halls of lust : hurlements d’agonie, une chape de plomb musicale vous emprisonne, quelle différence, le temps a passé, les mœurs ont changé, l’âme des morts ploie sous les chaînes du péché, nous sommes à la fin de l’Empire, aux temps de la décadence, désormais les héros sont condamnés à croupir et à souffrir sans fin aux plus profonds des cercles de l’Enfer, le morceau s’écroule sur lui-même, éboulis de souffrance et de torture, l’on ne vit plus mais l’on ne meurt plus, désormais la mort n’offre plus de refuge, elle n’est que la continuation d’un monde déserté sans joie, les guitares galopent à l’infini, sans espoir. Of All Ends : bourdonnement d’une mouche géante, celle qui se pose sur les âmes des cadavres, hurlements, si ce n’est pas l’Enfer c’est sa promesse, ses châtiments, sa condamnation éternelle, les hurlements de terreur des damnés ne montent-ils pas jusqu’à vos oreilles, un seul conseil, qui ne vous délivrera pas du mal, oubliez vos dieux, tout s’effondre la musique tourne au supplice noisique, plus d’espoir n’est permis, une fois vos Dieux abandonnés vous pourrez vous vanter d’être morts… Ce qui est très fort dans l’écriture de ce morceau et du  précédent, c’est que le dieu chrétien n’est jamais nommé, il ne sert à rien de dénoncer ses ennemis, ce qui nous a perdu ce ne sont pas leurs attaques, c’est notre faiblesse, notre propre décadence intérieure, l’amoindrissement de notre volonté, notre mollesse… For Those Who Sleep Eternally : instrumental, pourquoi serait-il long, quelques notes tristes et fragilles comme un vent glacé qui souffle sur nos tombes. Fields Of Silence : seul en soi-même, dans les champs du silence, infini et peut-être éternel si je ne rassemble pas mes forces, si je n’habite plus mon rêve, si je le laisse échapper, si je ne parviens pas l’éjecter de lui-même comme une bulle qui doit percer la terre qui me recouvre, splendide épode, chant du recouvrement du rêve de l’Imperium, mort et triomphe d’une idée formée avec la lymphe désagrégée de mon esprit, de ma chair, de mon cerveau. L’infini espoir du retour. Meine Reise Durch die Zeit : instrumental, la traversée du temps, sein und zeit, là où se trouve le temps se trouve l’être heideggerien qui ne meurt pas, mais qui reprend le chemin du retour. Schwarze wâlder : une bise glaciale souffle, me revoici, est-ce moi ou un autre, cela n’a que peu d’importance, la même bulle de rêve squatte nos cerveaux, la forêt noire m’accueille, j’ai quitté l’Imperium, le rivage et la pensée ensoleillée de la Grèce, désormais je suis chez moi dans cette terre septentrionale, en l’Allemagne désormais originelle, si près du rêve d’Hölderlin, un chant s’élève, atteindrat-il dépassera-t-il, subsumera-t-il ces hautes futaies… Gefrone Wunden : c’était un chant qui se voulait de renaissance et triomphal, hélas le rêve porte encore mes propres meurtrissures, les blessures gelées ne cicatriseront jamais, autour de moi le monde est semblable à celui que j'ai quitté, ce n’est pas la différence des paysages qui me terrifie, si je crie c’est que j’aperçois que la lèpre qui obscurcit l’esprit des hommes est entâchée de la même décadence, que l’Imperium est définitivement perdu, qu’en le perdant j’ai aussi perdu l’espoir du retour, que ma tentative a échoué. L’on ne s’éveille jamais d’un rêve avorté. ...und die Welt ward kalt und leer : aboiement d’un chien abandonné perdu dans la forêt des ombres, engendrera-t-il un jour des loups qui refonderont Rome, pour l’heure c’est le chant crépusculaire d’un monde effroyablement voué à se perpétuer dans sa désuétude, s’il y a retour c’est le retour du même, alors que l’on espérait le retour de l’Autre celui qui brille au loin de mille éclats, mais nous voici condamnés au long temps de la décadence, à faire semblant de vivre dans un monde froid et gelé. Hostile à l’Homme…

             Imperium Decadenz davantage imperiumal que décadent !

    Damie Chad.

     

    *

             L’on sait toujours ce que l’on cherche, l’on ne sait jamais ce que l’on trouve. Rappelons-nous notre soirée du 27 mars dernier kroniquée dans notre livraison 683 avec The Coopers groupe rockabilly débordant d’une énergie folle. La Gretsch  de Lucky Will avait mis le feu… sur lequel avait amplement soufflé les trois autres pompiers pyromanes de nos Tonneliers. Lucky Will est comme notre vieille lune, il possède deux faces, et même davantage, mais l’avantage chez lui c’est qu’il n’en cache aucune. Rockabilly man certes mais avant tout guitar man, pas de frontière infranchissable pour lui, pas le genre monomaniaque à s’enfermer dans un étroit territoire… Mon idée première était de m’intéresser au Lucky Will ultra-électric   par exemple   il s’amuse  avec If You Want Blood d’AC / DC… Oui mais le démon de la perversité m’a retenu sur une vidéo insistante sur son FB…

    AWAY

    MIDNIGHT ROSES

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             Quelle couve ! Plus glamour vous ne trouverez pas. Je connaissais La Tulipe Noire d’Alexandre Dumas, mais le roman ne tient pas la comparaison avec cette rose noire arquée dans son fourreau de désir noir… à ma grande honte, obnubilé par cette splendide créature phantasmatique  m’a fallu deux longues minutes pour m’apercevoir qu’elle n’était pas seule, hombre dans l’ombre, apparaît l’énigmatique silhouette de Lucky Will, déguisée en truand des années trente… certes nous sommes loin d’une ambiance typiquement rock’n’roll mais qui résisterait à ne pas humer d’un plus près les arômes subtils des fortes fragrances de cette tubéreuse et stuprureuse image  atteignant au statut iconique…

             Cette splendide création photographique est d’Anna Azarov, je me permets de reproduire une courte citation de son site (à visiter) : directrice de la création. Son objectif est toujours de capturer l'essence des artistes (…)    avec lesquels elle travaille, et de donner à leurs histoires une voix visuelle. Démarche sysnesthésique par excellence qui nous agrée…

    Remi Hiblot : producer & mix engineer , drums / Nicolle Rochelle : vocals / Lucky Will : lead guitar / Patrick Hiblot : bass.

    Away : attention attachez vos ceintures, quelques notes de guitares sèche sur lesquelles, fragiles une voix funambule se déplace avec facilité, quelques sauts de fil tendus parfaitement maîtrisés et nous débouchons dans le delta du fleuve en lequel le ruisseau du début s’est transformé à notre insu, jusqu’à lors nous ne sommes pas surpris, tout se passe selon les règles de la chanson grande dame – une chanson d’amour, une rupture, sans cri, sans scandale, sans coup de feu, un cœur brisé mais la volonté de survivre – touchée mais pas coulée, l’on est entre gens de bonne compagnie, oui mais quelle plasticité dans cette voix, une véritable leçon de chant, douée, très douée, elle vous mène là où elle veut par le bout de l’oreille, quand la vidéo est terminée, vous la remettez pour voir comment elle se débrouille pour les changements de tempo, une diction de rêve, une sereine facilité, une frégate toutes voiles dehors qui se joue des récifs, vous concluez par une évidence : cette fille est capable de chanter n’importe quoi et d’assurer en tout.

             C’est bien de donner son opinion c’est mieux d’apporter les preuves. Suffit de suivre son instinct, bon sur Away elle se l’est jouée Judy Garland, alors au hasard l’on tape évidemment la version de Gene Vincent,  celle que Garland préférait à sa propre interprétation, Over the Rainbow. Coup double, une vidéo au Paris Boogie Speakeasy, les Harlem Drive (piano, contrebasse, clarinette,) Nicolle Rochelle au chant. L’est plus jeune, ça date de 2012, elle s’amuse, chapeau grenat sur la tête, une voix pointue à trouer les tickets de métro, elle se balance, elle se dandine, elle minaude, elle joue à la petite fille, dans sa robe blanche, elle sourit, elle rit, elle vous fait le coup de la candeur innocente qui en connaît beaucoup plus de vous. Fausse sagesse proustienne pour gens huppés qui n’ont jamais lu A l’Ombre des Jeunes filles en Fleur. Deuxième déduction : elle sait roucouler comme un rouge-gorge mais attention  c’est une actrice.     

             Nicolle Rochelle n’est pas une inconnue. Elle est née dans le New Jersey, Paris est un peu son port d’attache, elle a joué dans de nombreuses séries pour la télé américaine, un détail qui va rendre fou les amateurs des Beatles, à huit ans elle a tourné avec  Ringo Star-  je sais ce n’est pas le meilleur des quatre mais vous ferez difficilement mieux – elle danse et elle chante. Beaucoup de jazz.  Elle a joué les rôles de Joséphine Baker, de Billie Holiday… l’on ne compte plus les formations de jazz qui l’ont accueillie. pour ceux qui préfèrent le blues et le rhythm ‘n’ blues, pas de problème elle adore les versions musclées. Faut l’entendre reprendre avec Lucky Will à la guitare, I’ d Rather  Be Blind d’Etta James cette générosité avec laquelle vous remplissez les verres des copains à l’apéro…

    C’est vrai que ce n’est pas du rock, c’est vrai que c’est un peu la vie en rose, mais quel talent, quelle artiste !

    Damie Chad.

     

    *

             Je me suis encore fait piéger. Par mes propres contradictions. Voici peu je m’insurgeais contre les one man bands. Et pouf je n’ai pas pu résister à la beauté fascinante de ses yeux. Ce n’est pas une jeune fille qui m’enverrait une œillade tropicale. Juste un serpent. En plus sur le dessin il ne nous montre qu’un seul œil. Un peu jaunâtre. C’est surtout la position du reptile qui m’a interrogé. 

    EL MOVIMIENTO PERPETUO

    GALVÄO

    (Avril 2025)

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             Puisque nous sommes au Portugal il existe quelque chance pour que l’artwork signé, par Suzi Silva soit une chanteuse de fado qui porte ce nom, soit une graphiste qui possède une palette de styles très différents, mais aucune des deux ne revendique expressément cette couve. Si le mouvement peut être exprimé sous la forme d’un pendule, le fameux symbole du serpent qui se mord la queue exprime toutefois la même idée. Suzi Silva n’a pas dessiné le fameux glouton à l’appétit éternel sous sa forme habituelle, il est manifeste que notre ophidien fatigué de mimer un tuyau d’arrosage est en partance et en promenade, pour un voyage perpétuel…

             Pedro Pires qui reste le maître d’œuvre de du projet Galväo, entre 2021 et 2024 il a déjà sorti un EP et deux singles, nous laisse entrevoir son projet : un morceau qui ne comporte pas de structure répétitive et  qui se déplace par ce que l’on pourrait définir comme des dérivations musicales incessantes. Serait-on proche du free-jazz, Pedro ne le dit pas, il pense plutôt à notre existence qu’il faudrait considérer comme une avancée en ligne droite soumise à de nombreux zig-zags existentiels, dépendant et de nos désirs et de multiples rencontres  evènementielles qui sans arrêt modifient notre cheminement.

    Pedro Pires : guitarre, basse, mix et master / Filip Gäddnäs : batterie.

    El Movimiento Perpetuo : est-ce que le serpent vient vers nous, ou est-ce nous qui nous nous en rapprochons, des tapotements pratiquement imperceptibles au début, nous pouvons nous demander pourquoi nous ne les entendons pas depuis toujours, puis la basse, puis toute la quincaillerie guitarique qui se superpose aux tapotements, cisailleries de cymbales, nous sommes dans la continuité mais ce n’est plus pareil, tintements de clochettes, que sonnent-elles, que peuvent-elles indiquer, que la plasticité auditive se transforme mais que le rythme même s’il semble s’accélérer par l’effet de couleur des timbres induit un changement irréversible, assomptions lyrique des cordages, l’on sent que c’est parti pour ne plus revenir, la basse prend le relai et accélère comme un train dans un tunnel, maintenant avec ces tubulures de zinc nous osons parler de galvanisation, une impression de vitesse d’une fusée qui fonce dans l’espace, cliquettements infinis des cymbales, rupture, reprise, le mouvement perpétuel ne   saurait s’arrêter, faisons lui confiance, essayons de trouver dans ces changements de voie, dus à une manipulation d’aiguillage, ne serions-nous pas prisonnier d’une expérience à la John Cage, ce  n’est pas la répétition d’une même note qui crée en nous le mouvement par un séquençage auditif qui nous prouve que si la nature a horreur du vide notre cerveau agit de même, dans ce cas présent ce zigzagage incessant mouvemental s’inscrit en nous comme image de l’immobilité du silence entrevu en une  stase perpétuelle, un énorme boa dont les anneaux musculeux retiendrait par son étreinte monstrueuse l’étendue du monde en l’empêchant de s’enfuir éternellement en avant, ouf ralentissement, les boogies d’un train qui reprennent souffle et force, rien ne bouge et rien n’est pareil, sirène de cargo s’éloignant au loin sur la courbure de la terre qui devient de plus en plus présente alors qu’il est devenu invisible, mais le voici qui file dans un potin d’enfer comme un hors-bord vers la ligne d’horizon qui recule en une certaine stabilité qui lui permet de prendre de la vitesse, serions-nous dans un miroir sonore qui nous réfléchirait notre écoute, mais ce qui est encore notre chair, notre bras droit, devient dans notre reflet notre bras gauche, maintenant l’on file à toute vitesse, serions-nous prisonnier d’une espèce d’envers du Bolero de Ravel, tempo non temporisateur inexorablement invariable et crescendo circulatoire infini qui nous projettent dans l’infini d’une spirale, une espèce d’aleph zéro qui engloberait à lui-seul toutes les variations cercliques superpositoires, car les cercles de l’Enfer ne forment que l’Enfer quand on y pense, la pensée nous tourne la tête et nous détourne de notre appréhension acoustique, nous fuyons, nous nous nous fuyons nous-mêmes pour ne plus nous arrêter, car nous comprenons que nous arrêter équivaudrait à notre mort. D’ailleurs si le morceau s’arrête alors qu’il devrait se perpétuer sans fin, n’est-ce pas pour nous empêcher de mourir…

             Etrange expérience, doit-on considérer Galväo comme un bienfaiteur de l’Humanité.

             Il est vrai que nous avons entendu Pires.

    Damie Chad.

     

    *

             En toute occasion il est important de terminer en beauté. Donc ce sera Patrick Geffroy, un solitaire digne des cimes d’Engadine. Nous l’avons déjà rencontré dans Kr’tnt ! avec sa trompette, avec ses tableaux, ses textes, jouant dehors en pleine nature, ou chez lui. Cette fois encore dans son antre, mais ailleurs aussi, dans un ailleurs culminatif du jazz, du free, du noise… Une œuvre majeure.

    LA PEAU DE L’APOCALYPSE

    PATRICK GEFFROY YORFFEG

    ( YT / Chaine : TheXynos7 / Avril 2025 )

    (Flûtes , flugelhorn, piano, trompettes, synthé)

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             L’image est floue, un peu décalée de la réalité, grise, colorée, sous-exposée, soumise à des tressaillements souterrains,  Yorffeg-Orphée image de lui-même se déplaçant, glissant d’elle-même en elle-même, imaginons ces vieux films de Chaplin qui seraient passés en vitesse ultra-lente pour qu’elle puisse se superposer à elle-même tout en ne coïncidant pas exactement avec ses propres contours, mais comme cherchant à se retrouver, imaginez un cercle qui ne recouvrerait pas son centre, le monde vacille, il ne tombe pas, il ne s’écroule pas, il agonise debout, refusant de se coucher selon les injonctions sonores, une marionnette qui aurait coupé ses fils et qui tituberait dans une extrême solitude. Au moment où j’écris cela pépie le chant d’oiseau d’une flûte – l’on pense à Milosz dans le jardin de Fontainebleau – qui

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    résonnerait dans le vide d’une aurore qui n’existe pas – il se fait tard dans le jour du monde disait l’oiseleur – et la partition sonore s’en va à vau-l’eau dans son propre grabuge, un cygne submergé qui hausse le col pour jeter un regard aigu sur la dégénérescence du monde. Cruelle pantomime, entre cuisine et salle de travail, dernière scène d’Orphée arpentant les couloirs immarcescibles de sa propre déperdition à la recherche de la peau de Calypso, la déesse éteint la lumière, la pâleur se mue en l’œuvre au noir de son propre cheminement, ne subsiste plus que processionnaires des rondos de piano aux notes fêlées qui s’égouttent de leur propre rouille clopinante dans un silence que l’on entend davantage car l’on est encore dans les paumes de la musique qui n’existe plus. Est-ce pour cela que l’on revient au début

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    sa cacophonie synthétique à intégrer en soi-même en tant que kaophanie révélatrice que quelque chose est en train d’avoir lieu dans le manquement de sa déchirure-même, puis ces glissements de trompettes jazz, dernier adieu à ces silhouettes de phares immobiles qui s’éloignent tandis que la mer sonore de l’innommable  sophomorité nous entraîne, nous n’avons plus de mots pour crier mais il reste la fragmentation éclose de notes cassées qui meuglent et lamantinent sur le rivage inatteignable des rêves inaccessibles naufragés, quelque part argonautes sur une mer aux vagues siziphiques qui ne roulent aucun rocher, revoici l’Yorfegg-Orphique en tache rouge sanglante qui se meut dans le vide de sa propre pourpre pour réapparaître au détour inopiné du labyrinthe qui palpite dans l’absence de ses battements rythmiques. Assomption de notes funèbres pour sonner en douceur endurcie la fin de ce qui ne se termine jamais car résidant en l’infini de sa propre finitude…

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             Une pièce magistrale, une œuvre totale, trafic d’organe vocal réduit au seul  souffle de son émission instrumentale, turgescente activité sexuelle, bande-son éjaculatoire d’images onanistes fantomatiques. Appeau pour une apocalypse.

             Passée, future, déjà advenue en elle-même.

    Damie Chad.

     

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 557 : KR'TNT 557 : LENNY KAYE / NICK WATERHOUSE / FAMOUS / GRAND MAL / PEMOD / TROMA / DÄTCHA MANDALA / PATRICK GEFFROY YORFFEG + OM

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 557

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    02 / 06 / 2022

    LENNY KAYE / NICK WATERHOUSE

    FAMOUS / GRAND MAL

    PEMOD / TROMA / DÄTCHA MANDALA

    PATRICK GEFFROY YORFFEG + OM

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 557

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur : http://krtnt.hautetfort.com/

     

    Mon Kaye business

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             Pour tous les kids qui consommaient déjà activement du vinyle dans les early seventies, la parution de Nuggets fut à la fois la voix de l’oracle et le déclencheur d’un crash financier. Ce fut la première fois dans l’histoire de l’humanité qu’un messie était à la fois un sauveur et un danger pour la société. Oui, on adorait ET on haïssait Lenny Kaye, il devint cette espèce de créature bicéphale, d’un côté une tête charmante chantait les louanges des Standells et des Shadows Of Knight et de l’autre, une tête grimaçante te disait : «Ah si tu veux les albums, sors tes sous !», et si par malheur tu lui répondais : «J’en ai pas !», la tête sifflait comme un serpent et crachait une injonction du genre : «Attaque une banque, alors !».

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             Toute plaisanterie mise à part, Nuggets (Original Artyfacts From The First Psychedelic Era 1965-1968) fut un double album révolutionnaire, encore plus révolutionnaire que le White Album, Blonde On Blonde ou Electric Ladyland. On doit cette parution à une autre créature bicéphale : Lenny Kaye et Jac Holzman. Nuggets ne pouvait paraître que sur Elektra : objet parfait, pochette superbe, contenu irréprochable, pur spirit vinylique. C’est l’un des objets les plus réussis de l’histoire des objets. Avoir ça dans les pattes en 1972, c’était une façon de découvrir un monde et éventuellement de se mettre sur la paille, ce qui ne manqua pas de se produire.

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             Lenny Kaye parle un peu de Nuggets dans une longue interview accordée à Ugly Things en 2019.  Il indique que Jac Holzman avait une idée assez vague du projet - A record that compiled the one good track from random albums - Il ajoute qu’il avait 50 ou 60 titres sur sa liste initiale. Ce qui pourrait nous renvoyer sur deux pistes : ‘The Rejected 12’ qu’on trouve dans Ugly Things # 46, et bien sûr la Nuggets Box parue en 1998. C’est José Vincente Neglia qui raconte l’histoire  des ‘Rejected 12’, c’est-à-dire des noms barrés sur le document officiel qui est à cette époque tapé à la machine. Parmi les barrés, on trouve Blue Cheer («Summertime Blues»), les Paupers («Magic People») et des love ballads, a big no-no for Nuggets : Rationals («I Need You», cover de Chuck Jackson, pas celui des Kinks), Nazz («Hello It’s Me» qui sera remplacé par «Open Your Eyes»), Wayne Cochran («Going Back To Miami», trop R&b), Pearls Before Swine («Drop Out», trop folk-rock). C’est vrai que Nuggets sonne comme du trié sur le volet.

             Lenny Kaye se souvient aussi d’avoir vu la liste de Jac. Il ne se souvient que d’un cut de Little Anthony & the Imperials from their psychedelic album, Reflections. Lenny Kaye est à cette époque ce qu’on appelle un rock writer et Jac adorait les rock writers, c’est pourquoi il s’est rapproché du Kaye, lui proposant même de devenir talent scout pour Elektra, comme Danny Fields. Mais ça n’a pas marché, nous dit Kaye - Nothing I recommanded to him he used - The Stalk-Forest, the Sandy River Band, même pas les Sidewinders ! Lenny Kaye en profite pour rappeler qu’il était bien pote avec Andy Paley. Ah sob !

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             Il est temps de replonger dans Nuggets. On y replonge chaque fois comme dans un lagon. Car c’est la compile la plus réussie de l’histoire des compiles. Il faut imaginer la gueule qu’on tirait en 1972 en découvrant le «Dirty Water» des Standells. Ça devenait tout simplement une raison d’être gaga. L’intro parfaite, avec l’I wanna tell you story et ça va te coller à la peau comme le «Baby Please Don’t Go» des Them ou le «1969» des Stooges. «Dirty Water» fit tout de suite partie du patrimoine génétique. Comme d’ailleurs l’«Oh Yeah» des Shadows Of Knight qui ouvrait le balda du disk 2 : la perfection gaga, l’excelsior définitif, with a lotta fun, encore plus proche du héros Van The Man, said yeah yeah, qu’on écoutait jusqu’au vertige. Au point de se réveiller le matin en chantant l’Everything’s gonna be alright this morning. Et le balancement qui suit te suit toute ta vie, où que tu sois, dans les mauvaises passes comme dans les bonnes. Cette façon de gratter l’accord et de poser la voix devient le mètre étalon. Et bien sûr, en 1972, tu pars tout de suite à la chasse aux albums. Ils sont tous aux États-Unis, en vente sur l’auction list de Bomp!, alors tu mises et tu reçois ces disques qui deviennent les prunelles de tes yeux trois semaines plus tard, Standells & Shadows of Knight forever ! Le problème c’est que Nuggets grouille de pépites, tu te prends un petit shoot d’énormité avec le «Night Time» des Strangelove, puis tu rêves d’avoir un gros cul pour danser le jerk avec Leslie West et Aretha sur la reprise de «Respect», et ça continue avec un shoot de pur jus Dylanex, Mouse & The Traps et leur fameux «Public Execution». Ils sont en plein dans «Like A Rolling Stone». Jac & Lenny te soignaient car tu avais en prime des petites révélations sidérales comme le «Sit Down I Think I Love You» des Mojo Men, giclée de Beatlemania infestée d’accordéon et, encore plus fascinant, l’exhilarating «My World Fell Down» de Sagittarius, la pop la plus spectaculaire de tous les temps, avec celle de Brian Wilson. On ne savait pas à l’époque qu’un black chantait le «Let’s Talk About Girls» des Chocolate, mais quand on a su, ça paraissait évident : c’est une vraie voix de blackos. Todd Rundgren superstar et son «Open My Eyes» nous collait des sueurs froides. Il était déjà en avance sur tout le monde au temps de Nazz, c’est une sorte de génie prématuré, il détenait déjà tout le power du rock d’Amérique, il bombardait tout le son qu’il pouvait dans la pop, tout le jus était déjà là, tension maximale, vrilles de notes, démesure absolutiste ! Et les trois albums de Nazz allaient faire trembler les murs de la ville. Oh et puis cette version extraordinaire de «Farmer John» par les Premiers, sans doute le hit gaga le plus sauvage de l’histoire avec le «96 Tears» de ? & The Mysterians. Pas de génie plus pur que le génie pur des Premiers. Du coup, les Seeds semblaient inoffensifs avec leur «Pushing Too Hard», comparé à tous ces masterful mavericks. Le disk 2 ramenait aussi son petit lot de bombes atomiques, comme par exemple les Remains avec «Don’t Look Back» et ses dynamiques qui valent tout l’or de Rintintin, et puis «You’re Gonna Miss Me» qui déclencha à l’époque une addiction de plus : 13th Floor forever. Raaaahhhh ! Le seul endroit à Paris où tu trouvais les trois pressages américains du 13th Floor, c’était Music Action au Rond-point de l’Odéon, bon, tu devais sortir un gros billet, mais tu pouvais ensuite les ramener dans ta cave pour t’en goinfrer. Gnarf gnarf ! Une véritable orgie de pornographie sonique. Musique Action vendait aussi les pressages américains des trois Velvet. Alors tu ne vivais plus que de «Levitation», de «Sister Ray» et d’eau fraîche. L’intro du «Psychotic Reaction» des Count Five est l’une des plus belles de l’histoire des intros :  fuzz, coups d’acou, basse, big beat et roule ma poule. Pas étonnant que les Cramps aient flashé là-dessus. Puis tu avais les autres, les lumineux Cryan Shames et puis cette cover spectaculaire du «Baby Please Don’t Go» des Them par les Detroiters d’Amboy Dukes. Si tu es bassiste dans un groupe qui décide de rejouer cette version, tu vas droit en enfer. Ça se joue sur une note et ça dure une éternité. Seuls le batteur et le guitaristes s’amusent.

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    Lenny Kaye avait tellement de choses à dire qu’Ugly Things dut faire paraître l’interview en deux parties. C’est presque un roman, et c’est d’ailleurs ce qui fait la force d’un tel fanzine : la nature quasi exhaustive des articles. Chaque numéro fait 160 pages et sort en dos carré collé, comme un livre au format A4. Alors accroche-toi quand un nouveau numéro arrive, car ça va te prendre des heures si tu cèdes à la curiosité et que tu décides de partir à la découverte de groupes qui n’ont pour la plupart aucun intérêt, sinon celui d’avoir existé voici cinquante ans. Ugly Things tombe dans le travers des revues scientifiques faite par des experts et destinées à des experts. Il y grouille une vie de rock scientifique, même si Mike Stax continue de jeter tout son poids dans la balance. Mais à force de vouloir raconter dans le détail des histoires de groupes oubliés, il perd de vue l’essentiel : le rock est un art vivant. Depuis que les Pretties ont disparu, Ugly Things semble avoir perdu et son âme et sa caution. Il n’empêche qu’on continuera de le lire. 

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             La deuxième partie de l’interview fait dix pages. Cette fois, l’interviewer Phil Milstein oriente Kaye sur ses débuts de rock writer, lorsqu’il travaille pour Richard et Lisa Robinson et qu’il publie une chronique du premier album des Stooges. C’est là que Danny Fields qui a signé les Stooges chez Elektra appelle Kaye : «Who are you?». Et Kaye lui répond que c’est une bonne question, car il se l’est lui-même posée. On est en 1969, ne l’oublions pas. Richard Robinson avait alors six magazines auxquels Kaye participait, puis il va écrire pour Rolling Stone. Richard Robinson bosse aussi comme A&R pour Kama Sutra. C’est lui qui sort le Flamingo des Groovies, puis il bosse pour RCA et c’est grâce à lui que Kaye peut sortir l’album des Sidewinders. Personnage très clé que ce Richard Robinson qui supervise également l’arrivée de Bowie et de Lou Reed chez RCA. Kaye revient aussi longuement sur sa passion pour Waylon Jennings qu’il accompagne en tournée pour pouvoir écrire sa bio. Il a dit-il 50 ou 60 heures d’interviews avec l’Outlaw et Jessi Colter, sa compagne. L’interview est passionnante. Kaye veille à rester précis et recadre souvent l’interviewer d’un ton sec.

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             Jon Mojo Mills lui accorde cinq pages dans Shindig!. La double d’ouverture s’orne à gauche d’une vieille photo de Kaye qui n’est pas à son avantage : allure de grand Duduche avec des cheveux extrêmement longs de gonzesse mal coiffée, des lunettes à grosses montures et les dents pourries. Kaye revient sur ses débuts de rock writer, avec une première chronique d’un concerts de Fugs à Greenwich Village en 1966, et en 1968, Patricia Kennealy l’invite à écrire pour le canard qu’elle édite, Jazz & Pop. Mais attends, Patricia Kennealy... Mais oui, la petite gonzesse qui a épousé Jimbo en noces païennes ! La première chro qu’écrit Kaye pour Kennealy est celle d’Odgen’s Nut Gone Flake des Small Faces - How does one describe an aesthetic experience ? - Puis c’est la chro du premier album des Stooges pour Fusion, évoquée plus haut. Le plus marrant, c’est qu’il emploie avec Mills exactement les mêmes mots que ceux employés pour Ugly Things. Des Stooges et de Danny Fields, Mills saute à Nuggets. Mills insinue que Greg Shaw a joué un rôle capital dans cette histoire. Kaye commence par rectifier le tir en disant que c’était son idée de compiler «those tracks from albums that had one strange track on them». Jac dit-il lui donne alors carte blanche. Kaye précise encore qu’à l’époque, les cuts choisis n’avaient que trois ou quatre ans d’âge, mais qu’ils avaient en commun un côté «adventurous and anything-goes attitude». Bien sûr nous dit Kaye, Greg Shaw et lui sont alors sur la même longueur d’onde, ils sont d’ailleurs en contact. Kaye dit aussi son regret de n’avoir pu obtenir les licences pour le «Talk Talk» de Music Machine, l’«I See The Light» des Five Americans et surtout «96 Tears». Un Volume 2 était alors envisagé, mais comme les ventes du Volume 1 n’étaient pas concluantes, Jac décida d’en rester là. Il faudra attendre 1998 et la fameuse box Rhino. 

             Kaye revient aussi sur le punk new-yorkais, citant Tom Verlaine - Each band was like an idea - alors qu’à Londres c’est plus un look et une façon de jouer. En fait il n’a pas grand-chose à dire sur le punk étant donné qu’il n’a jamais été punk. Le Patti Smith Group est tout sauf punk. Mills sort Kaye de ce guêpier en lui demandant d’évoquer sa carrière de producteur. Alors les noms tombent : Microdisney, James, Soul Asylum, Weather Prophets, Martin Stephenson & the Daintees, Suzanne Vega. Son préféré étant le Mayflower des Weather Prophets - «Naked As The Day» is to me a perfect song - Kaye adore Peter Astor - He just won my heart

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             Comme cette interview accompagne la parution de Lightning Striking, il ne reste qu’une seule chose à faire : s’y plonger. Alors attention, c’est un gros morceau. 500 pages d’une rare densité. Kaye a du souffle. C’est un marathonien du rock-writing. Prévois un gros paquet d’heures, si tu te lances dans l’aventure de cette lecture. Tu as dix chapitres. Chacun d’eux traite d’une «scène» déterminante dans l’histoire du rock et dont il fut parfois témoin et même parfois acteur (Memphis, New Orleans, Liverpool, San Francisco, Detroit, New York 1975, London 1977, pour ne citer que les plus intéressantes). Tout est incroyablement bien documenté. Kaye a du souffle, c’est même un virtuose de l’érudition, avec à la clé une bibliographie/discographie de tous les diables. Un chapitre qui peut encore une fois te mettre sur la paille, comme le fit jadis Nuggets.

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             La grande spécialité de Kaye, ce sont les chapitres vertigineux, comme s’il faisait danser le jerk aux références. Ainsi trouve-t-on ceci dans le chapitre New Orleans 1957 : «Richard Berry entend ‘El Loco Cha Cha’ par Rene Touzet et le transforme en ‘Louie Louie’ en 1956, l’année même où Chuck Berry se retrouve sous the ‘Havana Moon’. Il y a un extra wood block overdub dans ‘La Bamba’ de Ritchie Valens paru en 1958, pour le cas où on n’aurait pas compris, avec le drumming d’Earl Palmer. On retrouve la ‘pincée de Spanish’ dans le Bo Diddley famous beat qu’on appelle aujourd’hui le Diddley Beat, ainsi que dans le ‘Not Fade Away’ de Buddy Holly. Et puis il y a les mambo rock records : ‘Tequila’ des Champs, ‘Daytripper’ des Beatles, ‘Break On Through (To The Other Side)’ des Doors. ‘Une fois que tu l’entends’, dit Ned Sublette, ‘tu le retrouves partout.’»

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             Autre exemple dans Philadelphia 1959 : «Kenny Gamble et Leon Huff se rencontrent chez Cameo lorsqu’ils bossent tous les deux sur ‘The 81’ de Candy & the Kisses. Ils sont blacks et réalisent qu’ils n’auront jamais accès au management, aussi vont-ils monter leur boîte. Ça va donner les luxuriantes Soul fantasias de Philadephia International, dont les rythmes de hit-hat annoncent l’arrivée de la disco et dont les groupes - O’Jays, Harold Melvin & The Bluenotes et surtout les Intruders (‘Cowboys To Girls’) - vont incarner le son de Philly. Le producteur Thom Bell qui à l’origine bossait avec Gamble, poursuit the Philadelphia’s high-tenor tradition en produisant les Delfonics (l’ineffable ‘Didn’t I Blow Your Mind This Time’) sur son Philly Groove label, et les Stylistics (‘You Made Me Feel Brand New’). Et avec un twist of fate qui va donner entière satisfaction à Mitch Thomas, le somptueux string-driven ‘TSOP’ va devenir le générique de Soul Train.» Kaye s’amuse aussi avec les Searchers dans Liverpool 1962 : «Les Searchers ont aussi fait leur temps au Star Club de Hambourg en 1962 et ont suivi les Beatles dans le charts en adaptant des hits américains comme ‘Sweet For My Sweet’ et ‘Sweet Nuthins’, mais c’est avec the more jingle-than-jangle folkish rock of ‘Needles And Pins’ (composé par ces west coast scousers liverpuldiens Jack Nitzsche et Sonny Bono), et plus tard ‘When You Walk In The Room’ et le ‘What Have You Done To The Rain’ de Malvina Reynolds qu’ils vont trouver a chiming ring that would preflyte the Byrds.» C’est fin et juste, Kaye tape à chaque fois en plein dans le museau du mille. Ailleurs, Kaye se paye un bon délire avec la génuflexion - Go down on one knee, agenouille-toi, Our genuflect to the lineage of which we are becoming a part - Dans New York 1975, Il repart des impros de sa copine Patti Smith, avec un poème qui débouche sur «Hey Joe» - Patti points Joe’s gun : Charlie Beaudelaire gets it in the spleen, goes down on one knee, Arthur Rimbaud bang in the groin, down on one knee, the T.A.M.I Show sur le siver screen, Jan & Dean glissent sur leurs surfboards, come down on one knee, the silver lamé Supremes down on one knee, Chuck Jackon, Marvin Gaye, James Brown, those boys who sing ‘Time In On My Side’ attendent dans les coulisses, Arthur Lee, all bow down on one knee, Huey Newton abattu qui tombe to one knee, Lee harvey Oswald courant into the Texas movie theater T.A.M.I. Show on screen, our generation come down on one knee. Comme un ange, Jime Hendrix he falls down on both knees, kérosène, une allumette, his huitar in flames kisses the sky, annonçant la prophétie à des enfants désespérés qui attendent a new language, a new rhythm, a new tongue - Voilà de quoi Kaye est capable : recréer par les mots la transe scénique de l’early Patti Smith. Il est aussi capable de paroles d’évangile, comme lorsqu’il évoque le concert annuel en souvenir de Johnny Thunders, au Bowery Electric : «À l’angle de Bowery et de Joey Ramone Place, à deux pas de son ancien appart. The annual Johnny Thunders’ Birthday Bash. J’y suis chaque année. C’était un très bon ami, a never-say-die-until-you-do rock and roller. Il me manque. Strike the chord, sing the song, as Gloria walks through the door.» D’ailleurs, il rappelle un peu plus loin qu’il n’existe «qu’une seule chanson avec laquelle on peut entrer en communion et qu’il joue depuis 1966 : Gloria, in excelsis deo.» Dieu au plus haut, est-il besoin de traduire ?

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             Alors on entre dans les chapitres par la grande porte, celle de Memphis 1954. Kaye se veut implacable, il a décider de striker des esprits déjà bien strikés. Il te fait entrer derrière Elvis au Memphis Recording Studio et tu assistes à la scène : «La femme qui est assise derrière le bureau est impressionnée par l’homme qui vient d’entrer. Elle pense qu’il est très beau, avec un curieux mélange de timidité et de bravado. Ses rouflaquettes...» Elle lui demande ce qu’il chante et il répond : «I sing all kinds». Et ajoute : «I don’t sing like nobody.» Sacrée façon de s’exprimer. Il parle déjà comme un noir. C’est ainsi qu’Elvis entre dans l’histoire. Puis il se pointe chez Scotty Moore en pantalon rose et chemise blanche, un Scotty nous dit Kaye «qui joue comme Chet Atkins et Merle Travis on the country side, et comme Tal Farlow on the jazz, développant une technique de pick-and-fingers that double stops and inverts chords.» Chaque détail est d’une importance capitale. Ouvre bien les yeux. Bill Black nous dit encore Kaye a son propre style, «his own get-up-and-go, slapping at his instrument as if he’s behind a trap set.» Ils entrent ensuite tous les trois en studio et déroulent «That’s Alright Mama» sous l’œil rond d’un «Sam C. Phillips qui vérifie ses niveaux, qui ajuste ses rhéostats et qui trouve le réglage exact pour mettre en boîte la folie qu’il entend. Lightning in a bottle. Phillips knew what it was like.» Kaye remarque qu’Uncle Sam est attiré par les oddball characters, c’est-à-dire les personnages hors normes, comme «Harmonica Frank qui jouait de l’harp du coin de la bouche ou du nez, ou encore Doctor Isaiah Ross with a boogie vengeance.» Kaye s’amuse des déboires d’Uncle Sam qui passe un deal avec Saul et Joe Bihari : «cut four songs in the summer  of 1950 with local disc jockey Riley ‘B.B.’ King.» Ça sort sur Modern, le label des Bihari. Mais pour les Bihari, un handshake n’est pas un contrat et Uncle Sam se fait baiser la gueule en beauté. C’est une bonne façon d’apprendre. En fait, Uncle Sam n’arrête pas de se faire rouler. Il découvre Rosco Gordon, mais Rosco tape dans tous les râteliers : Sun, Chess, Modern, puis Don Robey lui met le grappin dessus, parce qu’il louche sur Bobby Blue Bland qui fait partie du groupe de Rosco. Uncle Sam perd donc Rosco. Il lance aussi Jackie Brenston avec «Rocket 88», «but adding insult to injury, Jackie Brenston moved over to the Biharis, joined by Ike Turner as talent scout and producer.» Kaye ajoute que le coup de grâce fut le départ de Wolf pour Chicago, pour aller signer chez Chess. Final blow. Kaye rend un hommage fabuleux à Wolf : «Chester had sat at the feet of Charley Patton on his way to lycanthopy, tirant son howl du blue yodell de Jimmie Rogers.» Ainsi Kaye connaît Petrus Borel, puisqu’il cite le Lycanthrope. Et nous n’en sommes qu’au début de cette somme pharaonique. Après l’âge d’or de Sun, Kaye raconte qu’Uncle Sam construit un nouveau studio un peu plus loin et l’équipe d’un quatre pistes, où il enregistre des «disques qui sonnent comme tous les autres.» Uncle Sam a perdu son son. Après Elvis, il y a Jerry Lee que Kaye décrit au Steve Allen Show en 1957, «grabbing the bull by the horn, peroxide hair and piano stool flying, that explodes him, makes him a star. And a target.» Oui on l’a vu au Bataclan, le coup du piano stool flying, lorsque Jerry Lee s’est levé brutalement et a shooté du talon dans son siège qui a traversé la scène. Jerr foreverr !

             Lightning Striking est certainement l’un des livres rock les plus complets du point de vue référentiel, il ne manque rien ni personne, si l’on s’en tient au dix chapitres, et Kaye ramène en prime sa passion, ce qui donne à certaines descriptions un pouvoir quasi-cinématographique. Ce qu’il écrit de Jerry Lee en est le parfait exemple.

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             Pour illustrer musicalement son ouvrage, Kaye propose en collaboration avec Alec Palao une compile du même nom, Lenny Kaye Presents Lightning Striking, sur Ace, évidemment. C’est le «Lightnin’ Strikes» de Lou Christie qui donne son titre à la compile, du early mais plein d’énergie. L’«I’m So Happy» de Danny Cobbs with The Paul Williams Orchestra préfigure tout. Fantastique take de fat hot rock’n’roll enregistré en 1952. Tout est déjà là. Puis on entre dans l’âge d’or avec Elvis et «That’s All Right». Oh le slap ! Oh la voix ! Wolf arrive à la suite avec «How Many More Years». Le roi des punks, c’est Wolf. Puis arrive la magie de Memphis avec Jerry Lee et «High School Confidential». Tout est là, avec Elvis, Pat Hare, Wolf, Jerr et le swing. 

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             On retrouve Jerry Lee dans le chapitre New Orleans 1957. C’est chez Cosimo Matassa qu’il tenta sa chance pour la première fois, à l’été 1952. Il a 16 ans et il a entendu jouer du piano, alors il est entré. Il paye deux dollars pour enregistrer deux cuts et Cosimo lui donne l’acétate : «Don’t Stay Away» de Lefty Frizell et «Jerry’s Boogie». Cosimo chez qui nous dit Kaye Little Richard trouva sa voix, chez qui Fats enregistra son premier hit, où Lloyd Price enregistra «Lawdy Miss Clawdy» et Smiley Lewis «I Hear You Knocking». Ils viennent tous chez Cosimo parce que c’est le seul studio en ville. «Cosimo se débrouillait, il demandait 15 $ de l’heure, travaillait avec les moyens du bord et rêvait de se payer a new Ampex magnetic tape recorder. Il n’avait que quelques micros, mais de bons micros, il avait racheté un Telefunken (Neuman) U-47 à la congrégation juive qui pensait que ce n’était pas bien d’utiliser des micros allemands, et un assistant tournait son Altec M11 de la batterie vers le sax quand arrivait le moment du solo.» Kaye fait aussi l’éloge de Fes, c’est-à-dire Professor Longhair, et de son cross-chording, «a result of having learned to play on pianos with broken keys.» Pour Kaye c’est clair, le Nouvelle Orleans, c’est le piano : «The primacy of the piano. It sets New Orleans apart in the early years of rock and roll, with a beat all its own».» Chaque mot sonne juste. Chaque mot semble pesé. Quelqu’un d’autre aurait dit «with a beat of its own», et Kaye préfère all its own. Il enveloppe l’image. Puis il passe de Fes à Fats en sautant comme un cabri d’une page à l’autre : «Fats Domino est l’un des architectes du rock’n’roll. Ses manières aimables et sa réserve naturelle lui faisaient perdre un peu de sa crédibilité, sur scène, sa nature enjouée masquait sa concentration et sa virtuosité, mais les soixante millions de disques qu’il va vendre en dix ans vont sublimer les rythmes qu’il a su développer avec Dave Bartholomew, et tout ça va faire d’eux an essential part of rock and roll’s percussions and repercussions.» Non seulement Kaye rend hommage, mais il s’amuse comme un gamin avec les percussions et les répercussions. C’est bien que des gens saluent le génie de Fats Domino. «Bartholomew s’arrangeait pour que les chansons soient courtes et simples, et il avait avec Domino un singer with a gift for making the most prosaic couplets into sung poetry.» L’équivalent français de l’artiste qui transforme les couplets prosaïques en poésie chantée, c’est bien sûr Charles Trénet. Kaye se souvient d’avoir vu Fatsy pour la dernière fois en janvier 70 au Fillmore East, «opening for Ike & Tina Turner and Mongo Santamaria.» Fatsy proposait un medley de ses hits, penché sur la droite vers le micro puis «bumping his grand piano across the stage with his considérable girth, all the weight of his contributions to rock and roll’s formulation pushing behind him.» Voir Fatsy pousser le piano du ventre à travers la scène, ça devait être quelque chose.

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             Kaye rend aussi hommage à Guitar Slim qui portait des costard de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel et qui traversait la salle du Drew Drop Inn sur les épaules du public, blaring his guitar, et Kaye ajoute que Jimi Hendrix et Stevie Ray Vaughn reprendront le flambeau de Guitar Slim, playing Slim’s blues. À ce niveau d’avancement de la lecture, on patauge dans le mythe et ça fait du bien. Les pages sonnent bien, les personnages sont réels, Kaye abat un sacré boulot. Quand on parle de Guitar Slim, Little Richard n’est jamais loin - he is flamboyant, flaunting and seems to embrace all genders and proclivities - Kaye observe qu’il a emprunté sa pompadour et son frontal piano style à Esquerita et quand il est viré de chez lui, à Macon, pour conduite impudique, il a du pot car «fortunately, New Orleans is just down the road». Il devient un personnage de légende, Kaye n’y va pas de main morte, il en fait «the satyr with the beguiling flute», nous voilà dans l’Après-Midi d’Un Faune, «he could hardly contain his pansexualities, his madcap exuberance - all those falsetto  whoooo - alors qu’il sème le chaos en excitant la foule, allant même jusqu’à s’effrayer lui-même de son jusqu’au-boutisme, dans une quête ultime pour the purity of sensation. Richard pense au péché et à la rédemption et se demande quelle est la distance entre les deux faces de sa personne, la face A et la face B de son propre disque.» Et Kaye le lâche pour qu’il aille claquer ses notes de piano, alors il y va, «banging the keys, launching into his last-call crowd pleaser. Tutti Frutti! Big booty! A wopbopaloomopagooggoddamn! Nothing more need to be said.» Que peut-on ajouter après Little Richard ? Kaye salue aussi Allen Toussaint, les Neville Brothers, Ernie K. Doe, Lee Dorsey et le «Land Of Thousand Dances» de Chris Kenner que reprendront deux ans plus tard à East Los Angeles Thee Midnighters et Cannibal & The Headhunters. Tu sors de New Orleans 1957 à quatre pattes, le souffle court. Et ce n’est pas fini. 

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             Pour illustrer musicalement le chapter, Kaye et Palao n’y vont pas de main morte : Roy Brown With Bob Odgen & Orchestra, avec «Good Rocking Tonight» - Oh I heard the news ! - Puis Fes avec «Look What You’re Doin’ To Me» - Oooh darling/ ooohh ooohh ouie - Puis ça prend feu avec Little Richard & His Band, «Tutti frutti», et Lee Allen qui allume le même genre de brasier sonique que Jr Walker à Detroit, puis la magie de Fatsy avec «Walking To New Orleans».

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             Avec le chapitre Philadelphia 1959, Kaye s’enfonce dans un épisode américain qui nous échappe complètement : le Bandstand de Dick Clark et puis Bob Crewe qui allait présider aux destinées des Four Seasons et plus tard de Mitch Ryder, dont bizarrement Kaye ne parle pas dans ce chapitre. Kaye raconte qu’il achète ses premiers disques en 1958, à l’âge de 12 ans : «Purple People Eater» de Sheb Wooley, «It’s All In The Game» de Tommy Edwards et «It’s Only Make Believe» de Conway Twitty. Et puis une chanson lui revient constamment en tête, «A Teenager In Love» de Dion & the Belmonts - Dion comes from the Bronx. So close and yet so far.

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             Et hop, on traverse l’Atlantique pour aller directement à Liverpool 1962. Kaye évoque Larry Parnes et ses poulains Marty Wilde et Billy Fury. Puis il saute sur Joe Meek - Meek fut le premier producteur indépendant en Angleterre, un marginal obsessionnel qui se rebellait contre les usages, notamment les sessions de trois heures et le break de 15 minutes pour le thé, les ingés-son en blouses blanche qui bougonnaient lorsque Meek disait qu’il pouvait faire mieux, des ingés-son qui lui piquaient ses idées et si jamais la propriétaire montait encore une fois lui dire qu’elle ne voulait plus de lui dans l’immeuble... - C’est l’époque du fameux studio d’Holloway Road. Kaye raconte que Meek expérimentait des sons, qu’il plaçait le chanteur dans la salle de bains, les musiciens en haut des marches de l’escalier et le batteur derrière un écran doublé d’une couverture en laine - More than anyone, he dragged British recording tenchniques into a new decade - Et Kaye ajoute que Meek tournait à plein régime : «Dire que Meek était prolifique serait un euphémisme. Dans le temps que mit Phil Spector à enregistrer 24 disques sur Phillies, Joe produisit 141 sides, comme le rappelle John Repsch dans The Legendary Joe Meek.» Des luminaries comme Steve Howe, Ritchie Blackmore, Tom Jones, Rod Stewart, et Mitch Mitchell sont passés nous dit Kaye par Holloway Road - Dans les années 90, j’ai visité Holloway Road to pay my respects, standing in the doorway of 304, stepping in his vanished footprints - Kaye passe d’un géant à l’autre, il saute de Joe Meek aux Big Three - The Big Three made the loudest noise of all, powered by coffin-sized amplifiers built by guitarist Adrian Barber. Les murs en briques de the Cavern amenaient un peu de réverb naturelle, ce qui allongeait le volume de la pièce. Avec le batteur Johnny Hutch et le bassman Johnny Gustafson, the Big Three étaient considérés comme Liverpool’s most hard-driving combination, un power trio avant la lettre - Quand Adrian Barber quitte le groupe to stage-manage le Star Club de Hambourg, Brian Griffith le remplace. Kaye cite en référence leur live At The Cavern EP qui est effectivement une merveille. Après Hambourg, Adrian Barber ira bosser aux États-Unis où il produira le Velvet. Comme quoi... Puisqu’on est à Liverpool, Kaye en profite pour évoquer les Beatles. Le 9 février très exactement, il fait partie des 73,7 millions  d’Américains qui regardent à la télé l’arrivée du vol Pan Am à l’aéroport qui vient d’être rebaptisé JFK - I’m in the sweet spot of adolescence, just seventeen you know what I mean - Mais ce qu’il voit à travers les Beatles, c’est the concept of a band. Comme des millions d’autres kids d’Amérique, il sent que c’est à portée de main. À travers les Beatles, il développe sa curiosité, il veut savoir comment ils ont fait, «comment quatre musiciens peuvent faire une musique si intéressante et transformer la musique populaire.» - Ça m’a poussé à chercher, ou tout au moins feel what it felt like. À l’été 1964, après avoir patiemment appris les accords que me montrait un copain qui savait jouer les progressions d’accords de Paul sur «Till There Was You», j’ai acheté a cherry red Gibson Les Paul Special and a Magnatone 280 amp (true vibrato, the same kind Buddy Holly played) - Kaye a trouvé sa vocation. Il est entré en religion. Comme des millions de kids à travers le monde à la même époque. Quand on dit que le rock change la vie, ce n’est pas une vue de l’esprit.

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             Kaye et Palao illustrent Liverpool 1962 avec des tas de choses, dont Joe Meek & The Blue Men avec «I Hear A New World». Il fait le show avec ses machines. C’est bien que Kaye le mette là-dedans, Meek fait chanter ses machines, il est complètement cinglé. Avec le «Cavern Stomp» de The Big Three, tu entres dans le heavy beat de Liverpool. Wild as fuck ! Pur proto-punk, fabuleux, avec le wild solo cracked-out. Kaye et Palao ramènent aussi le «Stupidity» des Undertakers, c’est-à-dire l’early Jackie Lomax - From around the world - Pur jus de wild r’n’b à l’Anglaise, Jackie le chante à la renverse, aw yeahhh ! Gerry & The Pacemakers ramènent tout le pathos de Liverpool dans «Ferry Cross The Mersey». Une pure merveille de clarté mélodique.

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             Hop ! Back in the USA ! Avec Ken Kesey et son Vol Au Dessus d’Un Nid De Coucous paru en 1962, une sorte de mini-révolution en soi, conduite par son alter-ego Randle McMurphy et puis voilà Chief Broom, who lives on the other side of madness et qui, comme chacun sait, parvient à retrouver le chemin de la liberté. Même chose pour Kesey qui écrit les trois premières pages de son Vol sous peyote. Kaye raconte que pour se rendre to a publication party à New York, Kesey achète un 1939 International Harvester D-50 school bus pour $1,350, y installe des frigidaires pour y stocker son LSD et sa Dexedrine, embarque des misérables dont un Vietnam vet nommé Ken Rabbs et demande au héros d’On The Road, Neal Cassady, de prendre le volant - Intrepid Travellers all. On the front of the paint-spashed bus is lettered FURTHUR; two U’s. You and You. Rhymes with Cuckoo, that nest where left and right sides of the brain U-nite, and off the Merry (Band of) Pranksters go... - Kaye fait littéralement jerker ses phrases. On sent chez lui un enthousiasme irrépressible. Il place Ken Kesey au niveau des géants du rock. Et il a raison. Retour en Californie pour les Acid Tests et Kesey intègre des Hell’s Angels et tous les drop-outs d’Amérique en quête de sensations fortes et de gratuité. Mais la loi brise les reins de la dernière grande utopie du XXe siècle, en rendant le LSD illégal. Kesey pensait à juste titre que le LSD pouvait changer le monde. Il parlait de psychedelic revolution, une révolution qui n’aura hélas jamais lieu. Puis Kaye passe directement à son concept du Gar Age qui selon lui débute avec the British Invasion, «American bands forming in the role model of the BeatlesRollingStonesPrettyThingsKinksYardbirds, mais la transplantation a pris une nouvelle tournure, fuzz atonal and full of yowl», Kaye parle d’un phénomène purement américain, boosté «by the mass production of cheap electric guitars and emulative television shows like Shindig and Hullabaloo, pharmaceutical indulgence, a willing audience of their peers and a yearning self-bravado.» Ils poussent le bouchon des influences anglaises - For a «My» generation, the garage band - un terme utilisé de manière rétroactive quand on parle de l’étincelle d’un moteur V8 - is like a fine-tuned engine. Here’s the key. Start the motor. Play a song - Et Kaye entre dans son pré carré, évoquant les Standells, le Chocolate Watch Band, Ed Cobb qui les manipule et qui éviscère le groupe au moment du troisième album, One Step Beyond, en faisant appel à des musiciens de studio, mais il parle aussi d’un scopitone du Watch Band dans Riot In Sunset Strip, «wailing «Don’t Need Your Lovin’» as Mimsy Farmer se tortille dans la pièce in psych-splendor, hair like Medusa, the Cramps waiting in the wings.» Comme on est à San Francisco 1967, Kaye ne peut pas s’empêcher d’évoquer le Grateful Dead dont il est assez friand, ce n’est un secret pour personne. Il parle d’un free-thinking qui va devenir la marque du Frisco Sound. Alors les voilà, ils arrivent, l’Airplane (condensend from Jorma’s secret identity, Blind Lemon Jefferson Airplane) Jorma Kaukonen et son «finger-picked edge, the r&b bassist Jack Casady from Washington DC», un Airplane qui enregistre avec Dave Hassinger, un Hassinger qui vient tout juste d’enregistrer Aftermath avec les Stones in early 1966. Kaye a un talent fou pour les rapprochements magistraux. En tant que guitariste, il s’intéresse de près aux très grands guitaristes. Après Jorma, il attaque James Gurley, le prodigieux guitar slinger de Big Brother, un Gurley «who fixates on John Coltrane, spending hours in a closet with a stethoscope attached to his unplugged electric guitar, trying to find his own heartbeat.» Kaye dit que les Big Brother font partie des pires, il parle d’«agressive and roughhewn blast of sonics». Et voilà Cipollina - He is my favorite guitarist. What more can I say? - Rien que pour le chapitre San Francico 1967, ce book vaut le rapatriement. Kaye parle de ses autres chouchous, Moby Grape, Sons Of Champlin, Serpent Power, Steve Miller Band, Santana, United States Of America, Flamin’ Groovies et pour chacun il développe. Puis il salue Creedence qui vont devenir «le plus grand groupe américain des late 1960s and early 1970s». Et tiens, voilà Sly Stone et son relentless downbeat et boom !, le texte explose car Kaye cite les Temptations, les Chambers Brothers, Funkadelic et Miles Davis. Il est partout. Le book se met à vibrer.

             Pour illustrer le chapter, Kaye et Palao enfilent les perles : Quicksilver, The Great Society (ça sent bon les hippies), l’Airplane, plus sérieux, avec «3/5 Of A Mile In Ten Seconds», embarqué par une section rythmique démente, Cas mène le bal. Kaye réussit à caser son cher Grateful Dead, mais on en pense toujours autant de mal.

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             Re-Boom ! Badaboom ! Detroit 1969. Kaye n’a même plus besoin d’écrire. Detroit 1969 tombe sous le sens. Hooky débarque à Detroit en 1948, «bosse le jour chez Comco Steel et joue le soit à l’Apex Bar on Monroe». Il enregistre «Boogie Chillen» nous dit Kaye et comme ça tombe dans les pattes des Bihari brothers, boom, number one in 1949 - C’est presque trop rudimentaire et pourtant c’est la fondation sur laquelle Bo Diddley, Chuck Berry et tout le rock’n’roll va se construire. Original sin - Kaye saute d’Hooky à Fortune qui démarre avec du rockabilly, «Fortune meets Sun» avec Pete De Bree et Dell Vaughn, puis Fortune monte une filiale Hi-Q «devoted to rebel-rousers like Loyd Howell, Don Rader et Johnny Powers» que Sun va alpaguer. En échange, Deborah Brown récupère Dr Ross dont le «Cat Squirrel» fera le bonheur de Cream. Bien sûr, Kaye connaît le film tourné par les Demolition Doll Rods dans les ruines de Fortune, en 2001, sur Third Avenue. Kaye saute de Fortune à Motown et nous brosse un beau portrait de Berry Gordy, ancien boxeur qui conserve un goût pour le pugilat et qui démarre avec un autre ancien boxeur, Jackie Wilson. En 1959, il achète une baraque au 3648 West Grand Boulevard et s’installe au deuxième étage. Il enregistre dans la cave. On connaît la suite de l’histoire, mais Kaye nous la raconte quand même, rappelant que les Supremes on conquis l’été 1964 avec «Where Did Our Love Go», permettant à Motown d’offrir «a viable alternative to the Beatles’ chart dominance».

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             Pour introduire la partie explosive de son Detroit 1969, ce vieux renard de Kaye écrit : «Meanwhile, back in the garage...». Boom !, «Hanky Panky» de Tommy James & the Shondells, et «96 Tears» de ? & The Mysterians. Boom ! The Rationals, basés à Ann Arbor. À l’époque personne ne savait rien du Michigan, mais tout le monde connaissait Ann Arbor. Les Rationals démarrent avec le «Money» de Barrett Strong qu’ils ont appris des Beatles, s’amuse Kaye. Et puis voilà les Detroit Wheels et l’insubmersible Mitch Ryder, suivi de «Bob Seger & The Last Heard, Ted Nugent & The Amboy Dukes, Terry Knight & The Pack, the all-femme Pleasure Suckers with the Quatro sisters, Suzi, Patti, Arlene, and the Ball Sisters, Nancy and Mary Lou.» Kaye est increvable, incollable, il connaît tout dans les moindres détails. Boom le MC5 ! Et son premier single «Looking At You/Borderline», «a blurred chaos of overload and distorsion. Ignore no more.» Kaye dit encore que le MC5 «kick-started like any other disaffected teen combo in the Midwest, with Fred Smith and Wayne Kramer, from blue-collar Lincoln Park, channeling their penchant for troublemakin into learning the guitar.» Pour Kaye, le MC5 mixait James Brown avec des «accelerate takes on the English Invasion», leurs influences «étant moins Beatlesques que rave-up and auto-destruct, penchant plus vers Van Morrison, the Who and the Yardbirds.» Kaye louche encore sur les guitaristes qui jamment chez la mère de Wayne en 1965, «the frantic interlock between Fred and Wayne bursts in horn-section precision, spurred by their love of jazz, each flurry of phrase reaching for the astral. ‘We could solo  simultaneously’, said Kramer», un peu comme s’il avait dit qu’il éjaculaient simultanément. Pour Kaye, «Back To Comm» distance le MC5 des autres groupes - A two-bar riff, one note on the pickup, another seven up an interval and out. Ascend into bedlam - Kaye est le roi des formules magiques qui tombent à pic. Et Sonic trouve «des new harmonics in the simplest of chords». Le MC5 explore «the outer limits of noise», s’exclame Kaye, «every sound and squeal and rhythmic space in commotion at any given present. They aspired to Coltrane’s spiritual purity, Sun Ra’s interplanetary cosmos, Albert Ayler’s skronk and the group unity and dedication to craft of the Art Ensemble Of Chicago.» Et fliff flaff, claque au vent le magnifique étendard du «revolution, rock and roll, dope and fucking in the streets», avec en exergue «Burn Baby Burn (echoing the Mighty Montague’s mantra from the Los Angeles Watts riots)». Le MC5 met la barre très haut, surtout dans un monde aussi violent que le music business - The MC5 took the challenge, fought their good fight and paid the price - Eh oui, quand tu fais le con, il y a toujours quelqu’un qui t’attend à la sortie. Ils sont harcelés par les condés, leur van est détruit, on les accuse de troubler l’ordre public, ce pourquoi ils montent sur scène, du coup, «il n’existe plus aucune distance entre leur stage show et le fait d’être devenus une cible pour les autorités». Kramer tapait dans Ted Taylor avec «Ramblin’ Rose» et Tyner appelait à l’émeute avec «Kick Out The Jams Motherfuckers», ils jetaient dans la marmite le «Motor City’ Burning» d’Hooky et le «Starship #9» de Sun Ra. Aucun groupe n’est allé aussi loin dans le combat aux États-Unis.

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             Boom ! «What to do with the Stooges», écrit Kaye en ouverture de chapitre. Il parle d’un son «qui abaisse le dénominateur commun du rock si bas qu’il en devient squelettique, bare to the bone». Il parle aussi de «monochrome noise approaching hypnosis». Kaye dit d’Iggy qu’il est fasciné par Artaud dans les art happenings at the University of Michigan et par un drunken Jim Morrison qu’il voit quand les Doors se produisent à Ann Arbor en 1967. Fasciné aussi par le torse nu des pharaons qu’il découvre dans les livres d’art d’une bibliothèque de Detroit - Pan-sexy. Les Pharaons ne portent pas de chemises sur les hiéroglypes. Pourquoi devrait-il en porter une ? - Le guitariste Kaye nous emmène à la découverte du drone de Ron Asheton - the sympathetic string inside a vibrating chord, rhythm matching sustain - Il parle ensuite des riffs de Ron Asheton comme s’il parlait d’une toile d’Édouard Manet, c’est-à-dire une œuvre d’art frappée de modernité : «His doggedly simple riffs - qui n’a pas aboyé en écoutant I Wanna Be Your Dog ? - sont embrochés par une pédale wah inducing vertigo, one sweep of frequency removed from ‘Papa Was A Rolling Stone’.»

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             En 1969, Kaye bosse pour Jazz and Pop et chronique pas mal de trucs, «Nico & the Velvets, Pearls Before Swine and Tyrannosaurus rex, the Small faces and the Dillards, learning my trade.» Puis le premier album des Stooges. Il se cite : «Peut-être n’aimerez-vous pas cet album, mais vous ne pourrez pas lui échapper.» Quelques jours plus tard, le téléphone sonne. C’est Danny Fields qui vient le remercier pour son soutien, comme on l’a déjà raconté plus haut. Kaye nous rappelle aussi que les frères Asheton et Dave Alexander sont tellement fiers de leur dumbness, c’est-à-dire de leur stupidité trash, qu’ils se surnomment the Dum Dum Boys. Cinquante après sa parution, Kaye écoute toujours le premier album des Stooges et se dit frappé par sa cohésion et son assurance. Il trouve le drumming de Scott précis, les cris d’ennui d’Iggy exquis, «Ron leans on the wah-wah and Dave dum-dums to connect the dots.» Et là tombe la chute fatale du prophète : «C’est la contraction qui donne naissance à ce qu’on va appeler le punk-rock, reductive insolence and puposeful antagonism.»

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             Creem nous dit Kaye s’installe dans un immeuble sur Cass Avenue, à deux pas du storefront de Fortune Records. Dans Creem bossent Lester Banks, Nick Tosches et Richard Meltzer. Creem va réinventer le journalisme rock, «en mixant la juvénilité avec l’expertise» et développer un nouveau concept : la musique comme raison d’être. C’est dans Creem qu’apparaît pour la première fois le mot punk-rock, nous dit Kaye. Dave Marsh l’utilise en mai 1971 pour décrire ? & The Mysterians. Tous ceux qui allaient acheter Creem chez Givaudan à l’époque se souviennent que la mascotte Boy Howdy était dessinée par Robert Crumb.

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             Toujours à Detroit 1969, Kaye attaque un autre morceau de choix : Grand Funk. Il rappelle pour les ceusses qui l’auraient oublié que leur «Paranoid» est sorti un an avant celui de Sabbath et que leur «déconstruction of the Animals’ ‘Inside Looking Out’ is compression looking for an escape». Nouveau coup de Trafalgar avec «I’m Your Captain», orchestré à outrance, avec des bruits de vagues et qui devient un hit à la radio - Michigan gone mega - Kaye fait du pur jus de Kaye. Il fait sonner ses chutes de paragraphes comme des paroles de hits rock. Grand Funk réussit là où le MC5 échoue. On qualifie leur style de proto-metal ou mieux encore nous dit Kaye, d’American Comedown (Brown Acid). Des tas de groupes s’y mettent, lance Kaye dans son élan : «Sabbath, Purple et Budgie en Angleterre, Sir Lord Baltimore et Dust aux États-Unis». Grand Funk vend toutes les place du Shea Stadium en deux heures alors qu’il avait fallu six semaines aux Beatles pour le faire. Mark Farner a du métier, il monte sur scène et lance : «You’re the best fucking audience in the World !». Kaye qui assiste à ça est convaincu, «ils répondent à toutes les attentes, ils sont la preuve vivante que le rock and roll dream est un cadeau qu’ils nous offrent et qu’il suffit de le prendre.»

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             C’est le MC5 qui ouvre le bal du disk 2 de la compile, avec «Looking At You», take 3, bam boom, ils jouent tout ce qu’ils peuvent, looking at you babe, mais ce n’est pas la bonne version, car il manque le solo historique de Wayne Kramer. S’ensuit une version délétère de «Leavin’ Here» par les Rationals, suivi du «Black Sheep» de SRC qui sont passés à travers et on comprend pourquoi. Kaye et Palao remettent les pendules à l’heure avec le «1969» des Stooges. C’est le top départ du monde awite, all across the USA. Pur jus de perfection. Insurpassable.

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             Boom ! New York 1975 ! Terrain de prédilection pour le jeune Kaye. Café Bizarre, Andy Warhol silver screen, Kaye déroule le tapis rouge au Velvet. Warhol leur ajoute la danse du fouet de Gérard Malanga, Nico et les happenings et on connaît la suite de l’histoire : le Velvet devient le groupe le plus influent de l’histoire du rock. Sterling Morrison nous dit Kaye était le lien entre «Cale’s academia and Reed’s transistor-under-the-pillow classicism». Au Café Bizarre, les gens n’accrochent pas trop sur «Heroin» et «Venus In Furs», nous dit Kaye, et le patron menace même de les virer s’ils jouent encore une fois «The Black Angel’s Death Song», ce qu’ils s’empressent de faire aussi sont-ils virés. Ils démarrent en 1966 comme backing-band pour «the Andy Warhol’s vison of the Eploding Plastic Inevitable. Mixes Me-dia»,  lâche Kaye en guise de chute.

             Invité par Danny Fields, le jeune Kaye voit le Velvet sur scène. Ils font nous dit-il deux sets chaque soir au Max’s - Ils jouent parfois les nouvelles chansons, «Sweet Jane» ou «Rock And Roll», parfois ils reviennent à «Heroin» ou «Some Kinda Love», alors que les corps dansent en rythme - «I find myself dancing to the Velvet Underground. As I always will.» Et puis voilà les Dolls - They have a great name New York Dolls, and I’m immediately in their fan club - Selon lui, les Dolls ne peuvent exister qu’à Manhattan. Il raconte ensuite comment «des mecs venus de leurs banlieues se réunissent après la fermeture chez Rusty’s Bicycle Shop à l’été 1971, enfermés dans la boutique jusqu’à l’aube avec deux amplis, une batterie et une bouteille de vodka, se faisant les dents sur des covers d’Archie Bell & The Drells et Sonny Boy Williamson, et composant quelques cuts.» Kaye qui les voit ensuite sur scène est persuadé qu’ils vont devenir énormes. On connaît la suite de l’histoire. Born to lose. Premier album avec Todd Rundgren qui leur dit : «Si vous savez ce que vous voulez, je vous aiderai à l’obtenir. Si vous ne savez pas ce que vous voulez, je le ferai pour vous.» Les Dolls ne savent pas ce qu’ils veulent, «seulement a nonstop eight-day party with full entourage, stimulants a-flowing and the ribald atmosphere of the Mercer.» Il n’empêche que Kaye adore ce premier album, «a fitting representation of the band in all its strut and glorious miasma of exulting in the tranformative, the changeling that is rock and roll, and the songs were catchy.» Kaye est un crack de la kro. Il sait dire la grandeur d’un album en deux lignes. Adieu les Dolls, hello Television et le CBGB. Tom Miller et Richard Myers bossent ensemble chez un libraire, «the Strand Bookstore on Lower Broadway». Pour eux, le rock est un moyen de vivre l’art de façon viscérale. Miller devint Verlaine et Myers embarque sur un trip de Rimbaudian Hell, en français on dirait un Hell Rimbaldien, mais ça, Kaye ne le sait pas. Verlaine est le musicien du groupe. Ado, il écoutait Coltrane et Albert Ayler.  Il a même joué du sax avant de se mettre à la guitare. Il cite «19th Nervous Breakdown» comme l’une de ses influences et au début, Television reprenait «Fire Engine» du 13th Floor et «Psychotic Reaction», comme tout le monde à l’époque. Et puis voilà les Ramones qui se ramènent en août 1975, et Hilly Kristal leur dit qu’ils n’ont aucune chance, mais il les accepte. Danny Fields les prend sous son aile. On les voit marcher dans la rue nous dit Kaye avec leurs guitares dans des sacs en papier. Puisqu’on est au CBGB, il y a bien sûr tout l’épisode Patti Smith sur lequel on va passer mais pour le fan du Patti Smith Group, ce book est un passage obligé : Kaye y donne tous les détails et redit sa passion pour cette femme. C’est le plus gros chapitre du book, évidemment.

             Il est malin le Kaye, il réussit à glisser le «Piss Factory» de Patti Smith dans sa compile, shake you baby, Mustang Sally, c’est n’importe quoi. Il ramène ensuite le «Beat On Brat» des Ramones et passe aux choses très sérieuses avec «Down Ay The Rock’n’Roll Club» de Richard Hell & The Voidoids. Aw Hell, je ne veux qu’Hell, il est l’apanage du trash-punk, il expurge la pulpe du punk.

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             On arrive vers la fin et l’intensité baisse. Kaye nous emmène à London 1977 et c’est assez bizarre qu’il n’ait pas eu d’ennuis avec ses cheveux longs. Il évoque la personne de McLaren et son goût pour la stratégie pompé chez Debord qui lui-même s’inspirait de Clausewitz. McLaren réinjecte tout ce fourbi dans son mercantilisme : «Observez les tendances et allez à l’opposé.» Un McLaren qui dit à Tom Hibbert en 1989 : «J’ai inventé les Sex Pistols pour vendre des pantalons. Et j’ai vendu des tonnes de pantalons, hahaha.» Kaye n’a pas l’air convaincu par le génie de Johnny Rotten. Il l’évoque bizarrement : «Ce qui les rend différents, c’est le personnage de Johnny Rotten (appelons-le ainsi), son regard perçant, son goût pour le chaos, une facilité à caparaçonner la partie, un dandy Anglais jamais à court de personnalité malgré des atours de plus en plus bizarres.» Quand il voit les Pistols sur scène au 100 Club, c’est après le concert qu’il vient de  donner à la Roundhouse avec le Patti Smith Group. Kaye arrive donc pour les deux derniers cuts et Johnny Rotten demande aux gens du public s’ils sont allés «at the Roundhouse voir les hippies. Horses, horses, horseshit !». Il dit tout haut ce qu’en 1977 tout le monde pense tout bas. Kaye s’en sort comme il peut : «I may be a hippy, proudly so, but that doesn’t mean I can’t be a punk.» Il salue néanmoins l’album des Pistols qu’il qualifie de «powerful piece of rock and roll.» Il n’empêche qu’il n’est pas bien placé pour parler de Sid comme il le fait. Pour parler de Sid, il faut s’appeler John Lydon, Jordan ou Steve Jones. Certainement pas Lenny Kaye qui sur ce coup-là sonne comme un touriste.

             Pour illustrer musicalement tout ça, Kaye ramène l’«Orgasm Addict» des Buzzcocks, l’excellent «Your Generation» de Generation X, X-Ray Spex («Oh Bondage Up Yours»), assez merveilleux, finalement et les Clash, dont le «Garagaband» ne marche décidément pas. C’est même d’un niveau composital assez pathétique.

             Puis Kaye coule tout un chapitre avec l’Air Metal de Los Angeles et le metal norvégien. Dommage, le book eut été parfait sans cette grosse peau de banane. Il tente un dernier spasme avec Seattle 1991, mais la confiance est perdue. Il a flingué sa crédibilité avec l’Air Metal et il s’épuise sur la distance. Même s’il rend hommage à Sub Pop. On replonge dans des pages de Grunge qui nous rappellent celles de Spin qu’on lisait tous les mois dans les années 90, on recroise toujours les mêmes vieux noms fatigués de Soundgarden, des Melvins, de Mudhoney, d’Alice In Chains, de TAD et des Screaming Trees. C’est toute la différence avec les pages sur Memphis et la Nouvelle Orleans qui ne sont jamais fatiguées. Puis voilà la dernière rock star en date, Kurt Cobain et ses guitares cassées - The guitar smashed that night is an Epiphone Et-270 for those who care, as I do - Eh oui, Kaye est triste de voir des belles guitares réduites en miettes, comme s’il ne comprenait rien. Et pourtant, c’est la cerise sur le gârö. Et puis bien sûr le suicide. L’autre cerise sur le gâtö. La vraie, la grosse. Boom ! Une balle dans la tête.

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             Sur la compile, c’est Mudhoney qui ouvre le bal de Seattle 1991 avec l’excellent «Touch Me I’m Sick», l’une des plus belles intros du siècle passé, ça gratte à l’exacerbée, ça frise l’insanité et ils se payent le luxe d’un break des enfers de Dante, aw comme c’est bon ! S’ensuit l’«Anaconda» des Melvins. Le monde s’arrête de tourner dans le ventre des Melvins. C’est un son, on dit ça comme on dit «c’est un cas». Trop heavy pour être honnête. Tad tape dans le tas avec «Jinx» et Mark Lanegan nous fait la grâce de reprendre le «Where Did You Sleep Last Night», joué entièrement à la basse. Lanegan fait planer l’ombre du tissu de mensonges, bad girl bad girl don’t lie to me. Kaye boucle la boucle avec la fameuse cover du «So You Wanna Be A Rock’n’Roll Star» par le Patti Smith Group. C’est un massacre. Ils battent ça au beat des forges alors que les Byrds naviguaient dans l’ouate. Beaucoup trop puissant. Il est important d’ajouter que la compile s’accompagne d’un livret de 44 pages, mais comme on vient d’overdoser avec le book, il n’est pas question d’aller overdoser une deuxième fois.

             Son dernier chapitre s’appelle Aftermath. Joli nom. Un paragraphe d’Aftermath semble vouloir résumer tout le book qui en fait est une longue apologie de l’enthousiasme le plus virulent : «J’étais dans le public pour voir Little Anthony & The Imperials, Jimi Hendrix, Big Brother & The Holding Company with Janis, my homegrown New York Dolls and Ramones, mais aussi des groupes qui ont disparu après leur premier concert. J’ai voyagé partout en tant que collectionneur de disques, fouinant dans les choses les plus obscures, me faufilant dans les moindres interstices. Je me suis aperçu que cette immersion était fascinante, et plus je faisais des découvertes et plus je découvrais qu’il y avait toujours plus à découvrir.»  On fait ce constat tous les jours : plus tu creuses et plus tu as de quoi creuser. Kaye a raison, le rock est un puits sans fond. Tant mieux.

    Signé : Cazengler, Lenny Kon

    Lenny Kaye. Lightning Striking. White Rabbit 2021

    Lenny Kaye Presents Lightning Striking. Ace Records 2021

    Nuggets (Original Artyfacts From The First Psychedelic Era 1965-1968). Elektra 1972

    Jon Mojo Mills : Crazy like a fox. Shindig! # 122 - December 2021

    Lenny Kaye Interview. Ugly Things # 50 - Spring 2019

    Lenny Kaye Interview - Part Two. Ugly Things # 51 - Summer 2019

    The untold story of the Rejected 12 from Lenny Kaye’s Nuggets. Ugly Things # 46 - Winter 2017

     

     

    Bridge over troubled Waterhouse

     

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             Dès qu’il arrive, on sait que Nick Waterhouse est une star, l’une de ces stars à la mode américaine qui s’amènent sur scène avec un mélange complet de talent, de présence, d’énergie et tout le prestige du songbook d’Amérique.

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    Il ramène la Soul, mais aussi Nat King Cole, Duke Ellington et Cole Porter. Il met tout de suite la salle dans l’ambiance d’une Soul blanche légèrement toxique puisqu’elle te monte droit au ciboulot. Un vrai fix. Ce binoclard basé à Los Angeles porte un costard strict et sort un son sec comme le cœur d’un Jésuite sur sa Strato toute neuve. Dès le «Place Names» d’ouverture, il prend la ville. Rien ni personne ne peut résister à ça et puis il y a cette fabuleuse choriste black qui fait «Never» par intermittence, avec un sens du tempo qui n’appartient qu’aux Soul Sisters. Ça te tinte bien dans la cervelle. Cette très belle black serrée dans une robe noire danse comme une reine de Nubie.

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    Nick Waterhouse se paye même le luxe de ramener une section de cuivres, un sax tenor et un sax baryton, joués par deux vétérans de toutes les guerres, un petit gros chapeauté de paille et un grosse mémère qui pue la légende du jazz new-yorkais à dix kilomètres à la ronde. À la voir, on pense à la baronne Pannonica de Koenigswarter qui veillait sur Monk. Et là mon gars, tu as du très gros son, et ça swingue, la baronne et le petit gros ramènent du Stax dans le stock, ils te swinguent «Vincentine» à la diable, tu crois entendre les Bar-Kays derrière Otis. Nick Waterhouse tire une version méconnaissable d’«I Can Only Give You Everything» de son premier album. Il l’en-Soule, impossible de retrouver le Van dans ce tour de passe-passe.

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    Il va d’ailleurs faire un autre éclat gaga en fin de set : une prodigieuse reprise de «You’re Gonna Miss Me», chanté au sommet du lard avec une énergie démente. Bel hommage à Roky, l’un des meilleurs hommages qu’on puisse entendre ici bas, avec un solo de sax ravageur digne le Lee Allen. Nick Waterhouse dispose d’une vraie voix et il tape des solos sacrément salés sur sa Strato. D’une certaine façon, ce binoclard a du génie. Il crée son monde dans un style difficile où tout semble avoir été déjà dit. Pour bâtir sa set-list, il tape dans tous ses albums, avec une priorité pour le dernier, Promenade Blue, dont il tire «The Spanish Look», «Vincentine», «Medecine», «Very Blue» et «Place Names», bien meilleurs dans leur version live qu’en studio. Il tire «I Can Only Give You Everything», «Indian Love Call» et «(If) You Want Trouble» de son premier album, qui reste le meilleur, car bien teigneux et d’une abrasivité sans nom, comme dirait Lovecraft. «Katchi», «Tought & Act» et le «LA Turnaround», qui clôt (mal) le set avant les deux rappels, viennent de Never Twice. Certains cuts comme «Medecine» s’enfoncent assez loin dans la nuit du groove, flirtant avec l’ennui, même si ça sent bon la Nouvelle Orleans de Dr John, mais ce ne sont pas vraiment des morceaux de scène, ni d’ailleurs «Thought & Act», trop languide pour la scène. Il faut faire gaffe, Nick, de ne pas laisser le plat refroidir. «The Spanish Look» y laisse aussi des plumes, même si bien chanté. C’est avec «(If) You Want Trouble» qu’il réveille une salle qui commençait à s’endormir au volant. Dès qu’il remet la pression ça redevient excitant.

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             Si tu commences par écouter Promenade Blue, le dernier album de Nick Waterhouse, c’est foutu. Par contre, si tu commences par le commencement avec Time’s All Gone paru en 2012, c’est autre chose. Complètement autre chose. C’est même un album qui grouille de coups de génie. On comprend que Gildas ait pu mettre ce Nick-là au menu de son Radio Show.

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    Waterhouse est dans le shake de Soul. Petit binoclard deviendra grand. Il est aussi bon que Georgie Fame avec son «Say I Wanna Know» d’ouverture de bal, c’est jivé aux chœurs de filles. Power pur ! On s’aperçoit très vite que l’album est endiablé, ce Nick-là mène le sabbat, c’est un groover de jive, il a même des côtés Doctor John, il est de toutes les attaques, c’est assez incroyable pour un blanc-bec binoclard. Il est partout dans le son, c’est un omnipotent, il bénédicte la bénédiction, il est là, ouh ouh, et puis tout explose avec «Raina», boom, en plein cœur de la pop de Soul, il est dessus, c’est tapé dans le dur, il y va, sa façon d’exploser est unique au monde, et quel backbeat ! Cet enfoiré enchaîne encore deux bombes un peu plus loin, «Indian Love Call» et «Is That Clear». Il chauffe sa soupe, ce Nick-là a du génie, qu’on se le dise, il taille l’épaisseur du son dans la falaise de marbre, c’est à la fois extrême et déterminé, il claque sa chique, oh baby, c’est la furie et les gens qui font les chœurs derrière s’amusent comme des petits fous. L’«Is That Clear» est encore plus excédé, il cultive le shuffle de powerhouse et ça vire forcément gaga à gogo. On se croirait presque chez les Pretties. Il existe peu de choses à ce niveau d’exubérance. Il travaille son «Teardrop Will Follow You» au heavy groove. Il chante dans la cité en feu, fabuleux shouter, il incarne la vérité. Et voilà qu’il attaque le Pt 1 du morceau titre. Ce mec est dingue, il est complètement wild et c’est bien. On entend des dégelées de batterie, comme chez Little Richard au temps de Specialty, on croirait entendre Earl Palmer, puis arrivent les coups de sax, même folie du son, c’est pas loin de Lee Allen, ça joue dans l’ass de l’oss.

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             Bizarrement, il met la pédale douce avec son deuxième album, Holly, paru en 2014. Rien qu’à voir la pochette, on comprend qu’on risque de s’ennuyer. De fait, l’album est beaucoup plus groovy que le précédent. Nick Waterhouse cherche la petite bête du time so low dans l’«High Tiding» d’ouverture de bal - When it comes/ It shows up/ More and more - Au bout de 5 minutes, on dit : «Bon, ça va !». Ce Nick-là fait son black blanc avec un groove de Chiquita, c’est-à-dire qu’il gratte sa gratte accompagné par un sax gras double. Il n’empêche que son groove est excellent, il creuse son «It #3» dans la fournaise, il crée des ambiances. Mais il est blanc, et c’est son drame. Il se faufile dans l’excellence avec «Sleeping Pills», il va chercher une sorte de jerk de groove d’exotica, il raconte sa vie et c’est magnifique. On le voit rebondir dans le groove du morceau titre avec l’aide de cuivres exotiques. Il chante ça avec un rawk abrasif, un truc un peu spécial, il ne faut pas se formaliser. Il est parfait dans son rôle de Nick Waterhouse. Finalement, Nick ne nous nique pas trop la gueule. Il ramène un sax free dans «Dead Room» et passe au groove de jazz avec «Well It’s Fine». Enfin le vrai truc ! Il chante à la voix tranchante et ça swingue il faut voir comme ! Ce mec ne se refuse aucun luxe intérieur. Il passe au shuffle d’orgue avec «Ain’t That Something That Money Can’t Buy» et ça vire très vite big heavy shuffle avec des filles derrière et du solo jazz, ça joue à la folie Méricourt, ce Nick-là cavale après son jazz avec une voix de canard, il est marrant et les filles font «Money !», «Money !», tu reçois le shuffle en pleine gueule, comme des paquets de mer au passage du Cap Horn, ça joue à la vie à la mort de la mortadelle.

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             Never Twice ? Disons que cet album paru en 2016 est relativement bon. Cette fois, Nick Waterhouse va plus sur le shuffle, avec un «It’s Time» qui donne le La. C’est son très californien, shuffle d’orgue + percus, belles envolées et il nous fait un parfait numéro de white nigger. Il a de très beaux chœurs derrière lui pour «I Had Some Money (But I Spent It)» et il revient au hot shuffle avec «Straight Love Affair». Une fois de plus, c’est digne de Georgie Fame, l’organiste s’appelle Will Blades, c’est explosif. Ce Nick-là casse bien la baraque. Avec «The Old Place», il va dans le groove des Isley Brothers, c’est très jivy jivy, très exotique, il tape ça au chant coincé. Sur «Katchi», il invite Leon Bridges à duetter - She gave me katchi all nite long - Ils font du big r’n’b  cuivré de frais par Ralf Karney qui pique une crise de tenor sax digne de Junior Walker, alors t’as qu’à voir ! L’ambiance de l’album est assez endiablée, «Tracy» a chaud au cul et ça se termine comme ça a commencé, en mode hot shuffle avec «LA Turnaround». Il fait son truc avec ses lunettes et ses guitares vintage, mais sur le dernier cut, on perd un peu patience. C’est toujours la même chose : on attend des miracles.

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             Le Nick Waterhouse paru en 2020 force l’admiration. Ce démon de Waterhouse nous embarque dès «Big Heart», une espèce de groove atypique, comme joué à l’envers, avec un mec qui fait oh oh de temps en temps, c’est embarqué à la house de Waterhouse, oh oh, il chante au petit bonheur la chance, ce mec est particulièrement doué, il fait son stuff avec le staff. Encore plus stupéfiant, voilà «Song For Winners», il fait les Them, il joue avec le feu, il chauffe sa soupe au chou, rrru rrrru ! C’est du raw r’n’b de blanc et ça continue avec «I Feel An Urge Coming On», bien wild, Waterhouse cultive l’urgence des réflexes, il ne traîne jamais en chemin, il connaît tous les secrets du drive de r’n’b. Le festin de r’n’b se poursuit avec «Black Glass», tapé au groove de cuivres, encore une fois il joue avec le feu, plutôt avec la flamme, il brosse le r’n’b des blackos dans le sens du poil. Encore un enchaînement fatal de trois cuts : «Wreck The Rod», «Which Was Writ» et «Man Leaves Town». Incroyable power ! Waterhouse chauffe la baraque avec ses petites incursions pancréatiques, le solo de sax dégouline d’énergie, il va tout le temps droit au but, au petit gratté interlope, il sait poser ses conditions, c’est fameux, au delà de toute expectitude. «Man Leaves Town» est le plus puissant des trois, Waterhouse passe en force, il joue âpre, à la marée motrice. Il se veut partisan et enrobant à la fois, très éclectique, très ouvert sur le monde, fantastique Waterhouse ! Tiens encore un truc bien saqué, «El Viv». Incroyablement saqué ! Saq it to me !

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             On le croyait underground, mais son nouvel album Promenade Blue le pousse dans les bras du mainstream. Il est essentiel de préciser que l’album est enregistré à Memphis, d’où les attentes. Mais tous les musiciens listés sont inconnus au bataillon. Ça démarre pourtant avec «Place Name». Gros son, c’est très produit. Mais on perd vite Memphis. Waterhouse va sur autre chose, une espèce de round midnite. Quand tu écoutes «The Spanish Look», tu comprends qu’en concert tu vas t’ennuyer. «Vincentine» redonne du baume au cœur de l’album avec un son fifties, mais ça pourrait très bien être joué ailleurs, à Philadelphie ou à Baltimore, par exemple. Pas besoin de Memphis pour jouer ça. Disons que c’est bien foutu, sans doute trop bien foutu. «Medecine» se voudrait boogaloo, mais tout le monde n’est pas Doctor John, n’est-ce pas ? Faut-il accorder sa confiance à ce Nick-là ? Oui et non. Il est en quête de crédibilité. Mais pour ça, il faut s’appeler soit Doctor John, soit Jeffrey Lee Pierce, soit Tonton Leon. Il faut faire gaffe, le rock un peu sensible est affaire de gens sérieux. Waterhouse est idéal pour un univers plus ouvert comme celui de Telerama. Quant à l’amateur de viande, il devra se débrouiller avec le sentiment de s’être fait enfler en rapatriant cet album. Avec «Promène Bleu», il ramène son round midnite et prend bien les gens pour des cons. Note bien qu’on s’en doutait un peu. Le problème c’est qu’il est à Memphis pour une simple question d’image. Mais son truc ne marche pas. Ses cuts peinent à jouir. On sent que c’est un rock destiné aux gens riches, ceux qui peuvent claquer un billet de vingt sans ciller et en plus trouver ça bien. 

             Pour Karim, en souvenir de cette longue virée en Twingo. Alors que le yellow submarine sillonnait la France profonde, nous écoutions tous ces albums avec beaucoup d’attention.

    Signer : Cazengler, Nick Watercloset

    Nick Waterhouse. Le 106. Rouen (76). 14 mai 2022

    Nick Waterhouse. Time’s All Gone. Innovative Leisure Records 2012

    Nick Waterhouse. Holly. Innovative Leisure Records 2014

    Nick Waterhouse. Never Twice. Innovative Leisure Records 2016

    Nick Waterhouse. Nick Waterhouse. Innovative Leisure Records 2020

    Nick Waterhouse. Promenade Blue. Innovative Leisure Records 2021

     

    L’avenir du rock

     - Pierre qui roule n’amasse pas Famous

     

             S’il est un mode comportemental que chérit l’avenir du rock, c’est bien la désinvolture. L’exemple parfait est à ses yeux celui de Syd Barrett assis dans sa loge et se tartinant les cheveux d’une gelée de mandrax écrasés dans du brylcreem, juste avant de monter sur scène. Certains objecteront que cette désinvolture doit tout à une consommation massive d’acide, mais ça reste quand même de la désinvolture, puisqu’il s’agit de Syd Barrett. Un autre exemple vient à l’esprit de l’avenir du rock, celui du brigadier William S. Gordon, célèbre pour avoir su garder la tête froide devant l’océan des troupes d’Abdullah. À la tête de sa maigre brigade, Gordon s’apprêtait à affronter le million d’hommes rassemblé par l’imam soudanais. Rien dans son visage ne trahissait la moindre appréhension, pas la moindre goutte de sueur. Le summum de la désinvolture. Encore un meilleur exemple, celui d’Oscar Wilde accusé d’homosexualité et parti en haussant les épaules effectuer deux piges de travaux forcés dans la geôle de Reading. On pourrait aussi citer l’exemple du troupier Guillaume Apollinaire lisant un numéro du Mercure de France alors que les obus pleuvaient dans les parages. Ou encore Blaise Cendrars ravi de voir un collègue lui ramener le bras qu’il venait de perdre lors de la grande offensive de Champagne en 1915. Pour s’exprimer, la désinvolture ne nécessite pas forcément des conditions extrêmes, celles des tranchées de la Grande Guerre, des procès de l’ère victorienne ou des guerres coloniales au Soudan. Elle s’exprime aussi naturellement, dans ces mines à ciel ouvert que sont certains êtres, notamment les grands apôtres de la décadence, Kevin Ayers, Ray Davies, Lou Reed, bien sûr, Peter Perrett, Chris Bailey, mais aussi Stuart Staples, Ziggy Stardust, et puis les Flaming Stars qu’on aurait hélas tendance à oublier, tous ces gens capables de chanter pendant que le ciel leur tombe sur la tête et de lâcher en guise de commentaire but I don’t care.

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    À cette liste savoureuse, l’avenir du rock est heureux de pouvoir désormais ajouter le nom de Jack Merrett, le chanteur d’un groupe en passe de devenir célèbre puisqu’il s’appelle Famous.

     

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             Pas un nom facile à porter, Famous, pour un groupe. Hello, we’re Famous. C’est un pied de nez à l’Anglaise, mais ils n’ont pas osé le faire en vrai. Au merch, pas grand-chose, un pauvre LP et un T-shirt, c’est le merch du pauvre. Ils arrivent sur scène et c’est la même chose, ils sont les Famous du pauvre, ils ne sont que trois, au centre un minuscule batteur planqué derrière ses grosses cymbales, à droite un petit gros debout derrière son micro, enveloppé dans un blouson de couleur indéfinissable, et à gauche un troisième larron qui semble sortir tout droit d’un bagne pour enfants de Dickens, le cheveu ras, une vraie gueule d’hooligan teigneux, T-shirt blanc, pantalon noir informe en feu de plancher, guitare rouge, une sorte de petit punk comme on en voyait au temps des raids de skins sur le front de mer à Brighton. Pas de bassiste.

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    Ils ont opté pour une formule originale, c’est la première réflexion que se fait le Français moyen. La deuxième prend la forme d’un oh d’admiration lorsque le petit gros debout derrière son micro se met à chanter. Oh oh fait-on à la fin d’un premier couplet. Le oh oh d’entrée de jeu sanctionne généralement la surprise révélatoire. Eh oui, car ce mec qui s’appelle Jack chante comme un dieu. Pour le situer, on peut citer l’early Bowie des beaux album, Hunky Dory en particulier, et le Piotr d’Adorable, que bien sûr Jack ne connaît pas quand on lui pose la question, car c’est beaucoup trop ancien pour ces mecs qui n’étaient même pas nés.

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    Non seulement Jack chante comme un dieu, mais il a des chansons et pour une première partie, c’est assez inespéré. Sa désinvolture est telle qu’il devient l’anti-Famous par excellence, il annule carrément sa présence, il n’existe que par sa voix. C’est une démarche incroyablement artistique. Il s’en fout mais il chante.

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    C’est son copain punkoïde qui fait le show, il en rajoute là où Jack en retire, le guitariste c’est Zébulon, mais un Zébulon des bas-fonds, il saute partout, sboiiing, sboiiing, passe des solos excédés qu’exacerbent encore les fonds d’acid house générés par le batteur et censés remplacer la basse, alors ça boome dans l’air, ça badaboome dans la lumière crue des flashes et Zébulon saute partout, sboiiing, sboiiing, avec ces épouvantables grimaces dont seuls sont capables les skins qui fondent sur une proie.

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    Du coup, ça crée des dynamiques scéniques assez extraordinaires, on assiste à une sorte de confrontation entre deux extrêmes, la musique devient un arc électrique entre les deux pôles du générateur d’un savant fou, ça crache dans la nuit d’orage, ces mecs sont très fort, sboiiing, sboiiing, et le Français moyen n’a plus qu’une seule chose à faire : se prosterner jusqu’à terre.

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             Une fois qu’il s’est relevé, il court au merch récupérer un album. Et quel album ! Il s’agit  d’une compile de deux EPs, The Valley EP et l’England EP. On y retrouve tous les coups d’éclats du set, et notamment «Stars» que Jack attaque au fell apart sometimes/ Kind of kept it together et il finit en apothéose de go out and make some friends. C’est fulgurant. Ça confirme très exactement ce qu’on pensait de lui sur scène : ce mec a l’étoffe d’une star. Artistiquement, il se situe très au-dessus de la moyenne. Il travaille bien la tension, il faut le voir lâcher son please try not to die dans «Nice While It Lasted». Il va chercher une profondeur de champ à la Bill Callahan, au plus profond de l’over dans «The Valley», un Valley qui s’achève dans un fondu de guitares utterly desperate. Le hit de Famous s’appelle «The Beatles», une sorte de poème fleuve qu’il travaille au corps avec tout le génie vocal dont il est capable - I wake up dead in my bed - Il monte comme Bowie dans une spirale de désespoir, et c’est absolument fulgurant, il renoue avec les accents déchirants du «Rock’n’Roll Suicide» - Our lifes/ Are good/ Oh my life/ is good - et il s’élance dans des escapades vocales vertigineuses - I miss Miami/ I miss England/ I miss every phone call made from Italy - Il pourrait chanter à n’en plus finir et jamais la tension ne retombe. L’univers de l’England EP est un peu plus sombre, sans doute à cause de l’omnipotence des machines, c’est un choix esthétique de heavy acid house, comme dirait Baby G. Mais la voix de Jack commande aux éléments. On croise un «Surf’s Up» qui n’est pas celui des Beach Boys, c’est plutôt une pop electro d’electro-pop un peu défraîchie, mais dans «Forever», il promène son most beautiful time of the year sur les remparts de Varsovie, l’apanage de la désinvolture, le voilà dans la mélodie et le voilà dans le hit galactique, avec un drive de dub en guise de backbeat. Ah il fallait oser ! Il fait ici du pur Bowie, il lance sa voix à l’assaut du ciel, ses élans sont héroïques. Il enchaîne avec un «Jack’s House» extrêmement ambitieux, toujours ponctué par un beat de dub. Fantastique énergie ! 

    Signé : Cazengler, Famouscaille

    Famous. Le 106. Rouen (76). Le 5 mai 2022

    Famous. The Valley Ep/ England EP. Untitled (recs) 2021

     

    Inside the goldmine

     - Un Grand Mal pour un grand bien

     

             Il s’agissait bien sûr d’une mauvaise idée. Jamais nous n’aurions dû proposer à Paul et Virginie de venir nous rejoindre pour les vacances dans cette maison du Sud-Ouest. La grand-mère l’avait quittée depuis quelques années pour aller s’installer en région parisienne. En ce temps-là, les vacances duraient un mois et, comme dans les films de Claude Sautet, chacun faisait de son mieux pour préserver les équilibres sociaux et la paix des ménages au sein de la petite communauté circonstancielle. Deux couples s’étaient installés dans les chambres et le troisième dans le salon. Bien sûr le jeu consistait à se lever tôt pour traverser le salon et voir Virginie à poil. Il faisait tellement chaud que tout le monde dormait à poil. On l’avait eue tout de suite dans le pif. Autant son mec Paul était fin et drôle, autant Virginie était bête et lourde. Mais à un point sidérant. Pourquoi Paul vivait-il avec elle ? On le soupçonnait d’être fasciné par l’abondance de son système pileux. Elle était extrêmement poilue. Pour beaucoup de mecs, c’est un critère de base. Les Français disent ‘la motte’, les Anglais disent ‘hairy’. Bien entendu, Virginie était d’origine portugaise. Et puis un jour, à l’apéro, en plein cagnard, elle se renversa dans sa chaise, écarta les jambes, mit les pieds sur le bord de la table et entreprit de s’épiler l’intérieur des cuisses, dans la partie haute jusqu’à l’entre-jambe. Cette impudeur nous subjugua. Tout le monde trouvait ça normal sauf nous deux. Alors avec Esbé, nous nous rendîmes en cuisine sous prétexte de préparer le repas de midi et décidâmes de sévir en représailles, car enfin, une attitude aussi vulgaire méritait des représailles. Esbé qui regorgeait d’idées saugrenues proposa un plan. Il choisit dans le buffet de la grand-mère la belle soupière en porcelaine de Limoges et me demanda de le suivre. Nous descendîmes jusqu’au four à pain, là où personne ne pouvait nous voir, il me confia le couvercle, posa la soupière au sol et chia sur commande un étron spectaculairement long qui s’enroula comme l’une de ces longueurs de boudin que déroule le charcutier sur son étal.         

             — Ben dis donc !

             Ce fut le seul commentaire. Il nous fallut bien sûr fournir un gros effort de concentration pour garder notre sérieux en servant le repas. Esbé posa délicatement la soupière devant Virginie et lui tendit une louche. À toi l’honneur ! Elle souleva le couvercle et tout le monde explosa de rire, sauf elle. Elle fit une grimace atroce et nous traita de dégueulasses. Le lendemain, Paul et Virginie quittèrent la maison de la grand-mère juste avant le lever du soleil. Nous nous retrouvâmes tous les deux un peu plus tard sur la terrasse pour le petit déjeuner. Esbé nous servit à chacun un double Ricard et, le regard humide perdu dans la vallée, il déclara en guise d’épitaphe qu’il s’agissait d’un grand mal pour un grand bien.

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             Esbé ne savait pas alors à quel point son grand mal pour un grand bien se rapprochait du grand bien pour un Grand Mal de Bill Whitten. On a déjà (cot cot) pondu un conte à partir de ce rapprochement, mais il paraît encore plus indispensable d’évoquer les albums, tellement ils sont bons. Le non-succès planétaire de Grand Mal nous rend tous inconsolables, tout au moins ceux qui ont suivi Bill Whitten à la trace. 

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             L’histoire de Grand Mal commence en 1997 avec Pleasure Is No Fun, l’un des grands albums du rock new-yorkais des années 90. «I’m In trouble» est visité par des vents d’Ouest, Bill Whitten chante à la nonchalance du pur genius, il cultive l’art d’une belle évanescence sonique, il renverse un solo de friture sur la gueule du répondant et susurre son chant à ras la motte. Puis il te plongera dans la démolition du heavy blues avec «Give Yourself  The Devil», mais il te le démolit vite fait, il joue au pire heavy blues de la stratosphère, il réinvente le sleaze, personne ne joue le heavy blues du devil comme Bill Whitten. Il passe ensuite à l’exercice supérieur de la décadence avec «Whole Lotta Nuthin’», une espèce de heavy dub de la désaille, c’est apocalyptiquement bon, ça vacille de feeling. En fait, ce démon chante tous ses cuts au sommet de sa voix. Il semble souvent s’engager dans des combats qui le dépassent, on perd parfois le rock’n’roll. Il revient à sa chère décadence avec «Light As A Feather» avec les ouh ouh ouh des Dolls, ça donne une sorte d’élan préraphaélite, Bill chante à travers la lumière divine. Il allume «Superstars» au pur glam puis se fend d’un nouveau coup de génie, «Blow Your Nose», voilà le big hit de Bill, à tous les sens du terme, ah ce blew your nose !, il développe ça en interne avec les ficelles des Dolls, il chante littéralement au sommet des relances, il a tous les réflexes du punch de blow your nose, c’est digne des Heartbreakers, il titube sur ses fondations.  

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             Tout aussi tétanique, voilà Maledictions paru en 1999 et il plonge aussitôt le «Superstars» tiré de l’album précédent dans la bassine d’huile bouillante de what I mean, il ramène tout le what I mean qu’il peut, il est encore meilleur que son idole Johnny Thunders, là tu as tout l’esprit du rock qui s’écroule dans tes bras. L’autre bombe de l’album s’appelle «Picture You (As Always Falling)», il te tarpouine cette fabuleuse mélasse, il monte au chant alors ça devient spectaculaire, sa voix grille dans une friture d’accords déments et de chœurs de lads, il a une façon de monter avec une mesure de retard qui fait tout le charme de sa désaille, il transforme le plomb de son heavy push en or. Tiens, encore un coup de génie avec «You Gotta Be Kidding». Pur power viscéral. S’ensuit un «Whole Lotta Nothing» tiré lui aussi de l’album précédent. Cette resucée fait sans doute de Maledictions l’un des plus grands albums de rock de tous les temps : Bill Whitten y joue la carte de la décadence suprême, il joue au rasoir des heavy chords dans le noir du cuir noir, il règne sur l’empire de la dope suprême. Il attaque «Out On Bail» au retail des Stones, mais c’est bien supérieur à ce que font les Stones, Bill chante à l’entre-cuisses, les claqués d’accords valent cent fois ceux de Keef, yeah yeah. Il réactualise aussi le speed-freakout d’«I’m In Trouble» et conduit «Sucker’s Bet» comme un hit invincible à travers les couloirs du Grand Mal.

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             On reste dans les big albums avec ce Bad Timing paru en 2003. C’est curieux, Bill Whitten démarre tous ses albums par un coup de génie. Celui-ci s’appelle «1st Round KO». Il ramène tout le power des Faces à New York City, et même tout le power du monde. C’est le boogie du diable, dans toute sa splendeur. Bill oh Bill ! Le morceau titre est une belle giclée de Stonesy, mais une vraie Stonesy de petite ramasse, Bill conduit ça sous le boisseau avec des accidents cardio-vasculaires plein le flux, histoire d’embraser les imaginaires, c’est violent et plein d’éclats de too late. Nouveau coup de génie avec «Get Lost» - I like you best/ Cause I think you’re famous - Quel sens aigu de la décadence ! Ils explosent le concept même de la Stonesy, Bill drive ça au sommet du go on get lost. On croise aussi sur cet album un «Quicksilver» pourri de son et un «Old Fashioned» riffé jusqu’à l’oss de l’ass, joué en mode heavy boogie ravagé par la petite vérole, Bill emmène sa conception du rock’n’roll loin devant. Et puis voilà le coup de Jarnac : «Disaster Film», un heavy disaster mélodique, monté dans un superbe environnement. Il passe au fast Mal avec «Duty Free», Bill tartine sa Stonesy new-yorkaise à la bonne franquette, il nous sonne les cloches à la volée, ça vole par-dessus les toits comme une escadre de ptérodactyles. Globalement, ce mec instaure le plus puissant des powers d’Amérique. Avec «Lay Right Down», il rentre dans le deepy deep du heavy groove de Grand Mal, et ça devient une merveille apoplectique, il répand son power dans les artères de la ville pendant quatre minutes, c’est violent et bon esprit, oh oh !

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             Sur la pochette de Love Is The Best Con In Town, Bill Whitten est assis à l’orgue. Here I come New York, clame-t-il à l’orée de «From Hartford To Times Square», une pop un peu rock, mais il tape ça bien car cette pop est en réalité une merveille de vécu intrinsèque, du Grand Mal de moindre mal. Puis il amène «Count Me In» aux heavy chords de pure Stonesy, c’est plutôt dark & dirty - You comin’ up from the midwest - et plus loin il pousse encore un peu le bouchon du heavy rock avec «People Change (Maybe They Don’t)», le voilà sur son chemin de Compostelle, il développe sa mystique et ses envolées, il change de vitesse et boom ça explose, c’est-à-dire qu’il passe en mode rockalama d’ultra-glam, il te drive ça à la folie Méricourt, il chatouille le rock entre les cuisses. Avec «Living On Chanty», il part en mode disons plus chanty, il tape dans tous les styles avec un bonheur égal de pays de Galles, on se régale de cette belle pop-rock. Puis il contrebalance le boogie de «C’mon» au piano, bad loser baby, big Bill stuff, il bascule une fois de plus dans son vieux glam délabré, il faut le voir sortir dans les virages, une merveille, du pur Ayrton Senna. Et comme le montre la pop destructive de «Word I Thought You Turned Your Back», il est indestructible, il coule sa Stonesy dans le flux et même dans le reflux. Il termine cet album réjouissant avec «Down At The Country Club», c’est encore une fois excellent, car tapé à la meilleure Stonesy, love my money, il drive ça au look mama look at me down, ça gratte au Keefy Keefy petit bikini, c’est bourré d’hey mom, on entre en zone d’excellence exacerbée. Cet album est l’un des rares grands albums de rock qu’on puisse entendre à notre époque, Bill Whitten ne tape que dans le niveau extrêmement supérieur.  

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             Sur le Congratulations You’ve Re-Joined The Human Race paru l’année suivante, on retrouve pas mal de cuts du Best Con In Town : ««C’mon», «Down At The Country Club» et l’excellent «People Change (Maybe They Don’t)», qui restera sans doute le meilleur glam-punk de tous les temps. On retrouve aussi ce «Best Con In Town» bien épais et bien descendu au chant de downtown. Bill Whitten crée des ambiances lourdes de conséquences, il charge sa chaudière en permanence. Il rend hommage au Velvet avec «The Other Side», fantastique énergie, les retours de velours sont des modèles du genre. Nouveau coup de génie avec «You Should Be So Happy», le grand art de Grand Mal, avec un Bill qui descend au coin du chant, il éclate le ciel à la moindre occasion.

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             Le dernier album de Grand Mal s’appelle Clandestine Songs et date de 2010. Le hit de l’album s’appelle «The Death Was Our Punishment». C’est une enchantement, ce mec sait allumer un feu sacré. Il revient à son cher glam avec «You Done My Brain In». Quel fantastique artiste ! Ce boogie glam est gorgé de son, pianoté sur le riffing à la McLagan. Joli clin d’œil à Dylan avec «US Vs Them», il crée le même genre de tension efflanquée. Et puis voilà que s’ouvre le bal des énormités avec «Lower Your Heart», il fait une pop de la mort au petit chant, une pop des chairs blêmes et ça se transforme en belle envolée décervelée, portée par le power du drug beat. Avec «You Mean Well», tu entres dans le vrai monde, celui de Bill Whitten, un monde de son tendu et pur, il descend au tell me well. Puis il enchaîne avec un «Laugh It Off» tout aussi imparable, mais avec une sorte d’austérité immémoriale, cette pop est un cristal de Grand Mal qui explose sans prévenir et qui prend feu avant de disparaître dans un tourbillon de glam destroy oh boy. Avec «Children Of Light», il cultive l’intensité de la densité - I can’t believe this is my fate - Il développe sa pop à l’US mood, avec un sens aigu de la solidité. Encore une fantastique dégelée de sommité avec «Guitars Strum In Dejection» cette pop est tellement vivante qu’elle déploie ses ailes et dans les battements résonnent de vieux relents de Stonesy. Cet album s’achève avec un «Drink ‘Em Up» bien tempéré, sans concession. Il y a quelque chose d’exceptionnel dans le Grand Mal, dans cet univers musical, dans cette façon de forer des tunnels vers la lumière blafarde, c’est tout l’art de Bill Whitten, il développe une pop underground de péché capital.

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             Mais son histoire remonte beaucoup plus loin dans le temps, jusqu’en 1992, lorsqu’il enregistra avec son premier groupe St Johnny cet album superbement bien titré : High As A Kite. Avec en plus une pochette fabuleuse, ce mec en T-shirt orange complètement décadré. On sait avant même de l’écouter que c’est un grand album. Ce que vient immédiatement confirmer «Go To Sleep» et ce Bill qui chante à la meilleure ramasse inimaginable, il réinvente l’art de la dégringolade, c’est un rock qui ne tient pas debout tellement il est défoncé, et ce Bill qui se démantibule en plein balancement. On avait encore jamais vu un truc pareil. Le morceau titre est la drug song par excellence, balayée par des vents de traverse, Bill la chante à tâtons, dans son T-shirt orange. Le troisième choc esthétique de l’album s’appelle «Malador», joué à la furia del sol, ce démon de Bill affronte les paquets de mer, comme Mickey dans Fantasia, il est dépassé par ses balais, il fait son Bill qui résiste, mais le flux l’emporte, c’est de la folie. Les autres cuts de l’album ont un gros potentiel, mais ils souffrent d’un manque de prod («Highway»). Ce Bill cultive le power de la nonchalance avec «Stupid» et fond son chant dans les déluges guitaristiques. Il utilise même un vitriol de guitares («Velocity») tout en supervisant ses catacombes.

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             Le deuxième album de St Johnny s’appelle Speed Is Dreaming et sort en 1994 sur un gros label, Geffen, qui est aussi le label de Nirvana, de Sonic Youth et d’Urge Overkill. C’est donc une sorte de consécration. L’album grouille de coups de génie, à commencer par l’«A Car Or A Boy» d’ouverture de bal, boom, ce Bill chante à la Thunders, mais à la renverse, ahhhh, c’est l’absolute washed out genius du New York Sound, le premier cut de l’histoire du rock qui est rattrapé par les cheveux. Tout ici est visité par des vents de guitares extraordinaires, comme ce «Down The Drain» vite enfilé, c’est du gros hussard sur le toit, une véritable merveille de bave fraternelle avec un chant à la ramasse, chauffé par le feu ardent des accords. Il gonfle «You Can’t Win» aux gros arpèges. C’est une couverture, Bill s’y glisse, c’est excellent, les arpèges sonnent si bien qu’ils semblent magiques, mais c’est avec «Gand Mal» que tout explose, car ça bascule dans la stoogerie, ça joue au sauve qui peut, avec toutes les coulées qu’on peut bien imaginer et les odeurs de chairs brûlées, car ça crame, tout au moins l’imaginaire s’embrase. «Everything Is Beautiful» sonne comme une vieille dégelée de retournement de situation, chargée d’un son incroyable, ces saints naviguent en mer des Sargasses, les arpèges sont des algues et le chant une sirène. Bill ramène sa meilleure ramasse pour chanter «Black Eye», l’un des cuts de rock les plus ultimes jamais imaginés, Bill détient le power suprême de la décadence et ramène des nappes d’orgue dans ce groove pourrissant. Il conclut avec «Stupid», joué aux pires gémonies et harangué au chant de chef de meute.

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             Le dernier album de St Johnny s’appelle Let It Come Down. Il est aussi divinement esquinté que son prédécesseur. Le premier coup de génie s’appelle «Just When I Had It Under Control». Bill sait fracasser sa barque pour laisser couler le son, il cultive même l’art du raz-de-marée, avec des chœurs demented. Il reste dans le heavy power avec «Hey Teenager» et ramène des chœurs de Dolls, ça monte directement au cerveau, il chante à la bouillasse fatale, ils fondent T.Rex dans New York City. Le «Rip Off» qui s’ensuit correspond en gros à la gueule dans le mur, car c’est un blast de heavy sludge comme seuls savent le jouer les New-Yorkais. Retour à la décadence avec «Deliver Me». Doué parmi les doués, cet effarant semeur de troubles se couronne roi des enfarineurs, il te pousse dans l’abîme avec lui, il faut le voir tituber au bord du gouffre. Il déclenche ensuite une tempête de guitares avec «Fast Cheap & Out Of Control», il t’assomme à coups d’éclairs de son, tout se joue dans l’éclat de la démesure. Et ça monte encore d’un cran avec un «Wild Goose Chasing» battu comme plâtre avec un Bill en travers du chant, c’est l’une des dégelées du siècle, violente et belle à la fois. Il n’existe pas grand-chose au dessus de ce Wild Goose. Dernier spasme de l’album : «Million Dollar Bet», amené au power-poppisme brutal, Bill reprend son chant branlant et se montre une fois encore délicieusement décadent. Il propose en fait de grands albums bourrés de développements extraordinaires, là, tu as tout : le Bill, les power chords, le son, le flux et l’esprit du flux, le beurre et l’argent du beurre, et le meilleur New York City sound, avec celui du Velvet. Il n’en finit plus de lancer son chant à la mer. À la fin, une folle vient chanter et ça se termine en coup du lapin avec un killer solo. Crack !

    Signé : Cazengler, Grand malade

    St Johnny. High As A Kite. Caroline Records 1992

    St Johnny. Speed Is Dreaming. DGC 1994

    St Johnny. Let It Come Down. DGC 1995

    Grand Mal. Pleasure Is No Fun. No. 6 Records 1997

    Grand Mal. Maledictions. Slash 1999

    Grand Mal. Bad Timing. Arena Rock 2003

    Grand Mal. Love Is The Best Con In Town. New York Night Train 2006

    Grand Mal. Congratulations You’ve Re-Joined The Human Race. Groover Recordings 2007

    Grand Mal. Clandestine Songs. Groover Recordings 2010

     

     

    THE HOUSE ACROSS THE RIVER

    PEMOD

    ( EP / 24 – 05 – 2022 )

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    Comme souvent la couve m’a séduit. Quelle est cette maison qui ne semble pas posée au bord d’une rivière, à moins qu’elle ne soit glacée, mais dans un ciel d’apocalypse éruptive. Et cet homme recueilli en-lui-même devant cette bâtisse hermétiquement fermée, vers quel passé est-il revenu… j’aime ces images qui suggèrent mais qui ne disent rien. Faut-il la mettre en relation avec le roman de Margaret Bonham (patronyme éminemment rock ‘n’roll !) publié en 1951 qui se passe à Londres durant la guerre… La maison de l’autre côté de la rivière garde son mystère…

    John Doe : vocals / Dominick ‘’Vegas’’ Gielas : guitars / Pawel ’’El Coyote’’ Matusznsky : bass /  Konrad ‘’Ryrzy’’ Owezarkiewiez : drums.

    Viennent de Myslénice, petite ville située en Pologne.

    Not for long : étrange morceau, pas très violent malgré une intro qui se voudrait grandiose mais qui ne l’est pas, une intro qui part au trot et faut attendre le galop des guitares, John Doe surfe dessus, sa voix rappelle quelqu’un, est-ce Danzig, non, lorsque la rythmique baisse le ton et qu’il marmonne et puis crie comme en sourdine, surprise Konrad Owezarkiewiez reste bientôt seul tandis que la guitare fuzze dans le lointain, plus rien, et là la voix qui reprend vous surprend, l’on croirait entendre Jim Morrison, et le groupe verse la sauce brûlante sur le canapé, et l’on part dans une espèce d’orgie sonore de bon aloi qui n’aboie pas mais qui mord. Berserker blues : avec un tel titre l’on s’attend à une dévastation polaire, non à l’ours blanc Pemod préfère l’ursidé bleu, les guitares ronronnent mais vous mettent en attente de vous ne savez quoi, enfin le morceau s’énerve pour repasser à l’étiage inférieur alors que la drumerie batifole joliment, la voix de Doe fait le gros dos pour mieux exploser par la suite, le morceau dure plus de douze minutes et déroule ses anneaux comme si l’on attendait la treizième heure qui ne se presse pas pour arriver, l’on en profite pour suivre le solo de guitare qui reptilise pendant que le vocal met la pression avant d’agoniser, et le tic-tac de la batterie mène le jeu tandis qu’un riff tente de  déployer ses ailes à plusieurs reprises avant de prendre son envol pour mieux toucher terre, ces gaziers font de la broderie mais il est sûr qu’ils ont le sens du blues, la voix de Doe attaque la face nord de l’Everest et les autres suivent comme plusieurs hommes, des éclats de glace giclent du cordier de Dominick Gielas, y el Coyote ronge sa basse comme un os à moelle chaude. Letter from Costa del Raba : entrée battériale le fuzz festonne et une métrique binaire se met en place, le vocal se love là-dessus tel un aspic sur la branche d’un arbre qui attend votre passage pour se détendre et vous piquer au cou juste sur la veine jugulaire pour que le poison circule plus rapidement, l’a une de ces manières de morigéner dans sa barbe contre l’insuffisance de l’existence le Doe que la guitare pousse de petits gémissements tels des cailloux dans la chaussure, maintenant ils balancent tous la gomme et se lancent dans les gammes chevauchantes  qui hâtent la combluestion, vous vous sentez bien, et vous n'avez aucune envie que la flamme s’arrête. Potemkin village : la basse del Coyote fait patte de velours pour nous mieux tromper, Doe sort sa plus belle voix nasillarde pour attirer notre attention, ne vous fiez pas aux apparences, l’on marche sur la pointe des pieds, Doe gronde en mineur, la fuzz entonne et ne tonne pas, un côté préfabriqué ne vous échappe pas, si vous appuyez sur les colonnes du riff elles vous tomberont dessus. Le pire c’est que vous ne serez pas déçus.

             Pemod se présente comme un groupe stoner, faites gaffe dans le désert il ne faut pas marcher sur la queue des crotales, ils ne vous tuent pas mais vous empoisonnent le sang et vous embrouillent l’esprit. Ne pas dépasser la dose qui n’est pas prescrite, l’accoutumance vient vite.

    Damie Chad.

     

    A MORT

    TROMA

    ( Avril 2022)

     

    Sex memory ( 45 )  /  Rayer ( 24 )  / Don’t care ( 10 )  / 16 fois ( 44 ) / Attente ( 49 ) / Contraint + Répéter tous les jours ( 136 ) / Règlement intérieur  ( 26 ) / Seul ( 12 ) / Tout seul ( la nausée )  ( 51 ) / Our kids will spit on us ( 34 ) / Lucynogène ( 40 ) / Dysfonctionnel ( 89 ) / Troma + Dig die ( 84 ) / Pense ( 29 ) / Rien ( 14 ) / Pas dormir ( 48 ) / Encore besoin ( 22 ) / La frappe ( 18 ) / Used to be ( 194 )  /  Problems solved ( 63 )  /  Plastic society / ( cross out cover ) ( 43 ).

     

    Oui je sais c’est inusité que je chronique en bloc. Non je ne cède pas au droit de la paresse cher à Paul Lagarde, c’est que le chiffre qui suit le titre n’a rien à voir avec le taux de votre cholestérol qui risque de subir de fortes hausses quantitatives à l’écoute de l’opus, c’est juste leur durée exprimée en secondes. Eux non plus ne sont pas des fatigués de naissance, je dis eux car ils ne donnent pas leur nom mais leur provenance, oui elle est douteuse, nos impétrants proviennent de trois lieux différents : proviennent de Yattai, de Vengeance et de Grunt Grunt ( ne pas confondre avec Kr’tnt Kr’tnt ), non ce ne sont pas des villages perdus dans la steppe russe, sont plutôt natifs d’Angoulême, ce sont des noms de groupes et de label étiquetés Grind. Quand j’aurai ajouté que leur artwork est le cent-soixante-septième du label P.O.G.O cornaqué par Lionel Beyet vous aurez compris que ce soir vous n’atteindrez pas la paix de l’âme. Non seulement c’est bruiteux mais encore plus noisif et plus nocifque car c’est du grind. Comme Aristote ne donne dans aucun de ses traités une définition du grind je vais essayer de substituer mon modeste savoir à celui du stagirite. Le grind, c’est la violence du rock’n’roll , mais la violence pure, quand vous l’entendez il vous semble que l’on a enlevé le rock’n’roll, imaginez un bâton de dynamite  sans mèche qui explose dans votre oreille dès que vous le prenez dans votre main, le grind c’est un peu de la déflagration gratuite et instantanée.  A peine un morceau commence-t-il qu’il est déjà fini. Le grind est un grand dévoreur d’énergie, les musiciens donnent tout et ne gardent rien, d’où la brièveté des morceaux.

    Respiration reptative, jouissance, cri féminin d’horreur extatique suivie d’une giboulée meurtrière concassière, ça déboule et ça roule sur vous pour vous écraser. Un dixième de seconde de silence et ça repart en plus fort, z’êtes au cœur de la mêlée de vous ne savez quoi, des cris prolongés, des tourments de guitares, des batteries fulgurantes, un maelström improbable et toujours ces hurlements, un coup de caisse claire et le défibrillateur de la haine absolue s’emballe, des moments de battements tambourinés, la voix en transe rotative, gros ressort de basse étiré au-delà des limites, sont plusieurs voix à hurler, la batterie exulte, efforts de constipation dans les chiottes sonores et ça repart en une monstrueuse diarrhée qui entreprend de noyer le monde sous des excrémentations fermentales phoniques, une voix surnage tel un appel dans la dévastation, z’ont perdu le nord du son mais pas la direction des illusions. Calme, comme des meuglements de vaches interstellaires, inquiétant quand on y pense, mais l’on n’a pas le temps de s’appesantir surgit une nouvelle déferlante qui emporte les dernières citadelles de la raison, maintenant comme un début de générique de film auditif de catastrophe, difficile de poursuivre le flot ininterrompu de  déferlences de plus en plus rapide, de plus en plus destructeur, un truc qui éponge vos synapses, tiens des bruits civilisés, ceux d’un train qui foncent sur vous et qui détruit la gare. Poinçon sauvage. Pour mieux repartir. Arrêts impulsifs, chants de grillons, une voix nous parle, la visite du pays s’avère difficile, mais l’on est ici aux confins de la civilisation de l’écoutable, on a le pire et l’on s’attendait à de l’inaudible, sifflets, l’on donne dans la munificence de la prévenance des thrillers à grands spectacles, l’on ne crie plus, l’on parle, l’on commente, diable merci l’apocalypse repart, nous sommes sauvés, c’est vrai qu’il y a une certaine beauté lyrique dans l’horreur, paliers décompressifs, la capsule cherche à se poser en douceur, elle n’y réussit pas.

    A écouter au moins une fois dans sa vie pour mourir idiosyncratique.

    Damie Chad.

     

     

    DÄTCHA MANDALA

     

    Que deviennent les groupes dont nous avons parlé voici quelques années ? Certains se désagrègent, d’autres continuent à vivre sans nous. Trois ans et demi que Dätcha Mandala avait disparu de nos radars, c’est suite à notre chro de la semaine dernière sur l’article de Marie Desjardins sur Deep Purple que nous les avons croisés. Résumons d’abord les épisodes précédents, nous avaient bien plu lors d’un concert aux Petits-bains en lever de rideau de Pogo Car Crash Control ( voir Kr’tnt 314 du O1 / 02 / 2017 ), la livraison suivante nous chroniquions leur simple Anâhata. Quelle ne fut pas notre surprise – aussi insensée que de rencontrer un ours polaire dans la forêt amazonienne - de les retrouver pour un beau concert champêtre à Buret, minuscule hameau ariégeois lors d’une soirée festive et jouissive ( in Kr’tnt ! 382 du 30 / 08 / 18 ). C’est qu’entre temps les évènements s’étaient précipités pour eux, z’avaient fait le 15 Septembre 2017 leur rentrée scolaire en première partie des Insus au Stade de France, vous avez une très courte vidéo YT de leur passage, de fait vous arpentez surtout les couloirs du mastodonte…

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    Comment passe-ton de Deep Purple à Dätcha Mandala ? Pas difficile par Child in Time et Josem. Josem est un orchestre symphonique qui regroupe plus de soixante jeunes musiciens classiques de 12 à 25 ans. Avant de zieuter la vidéo, regardez d’abord des vidéos similaires avec le Deep accompagné sur le même morceau par des formations symphoniques renommées. Un peu pharaoniques les Purple, la prestation de Dätcha au cœur de l’orchestre et tout près du public est diantrement plus chaleureuse. La vidéo a été captée aux Vivres de l’Art le 8 avril 2018. Elle est magnifique parce qu’elle donne l’impression de montrer de vrais gens. Il y a même des bouts de choux assis aux pieds des musicos qui ne bougent pas d’un petit doigt. De véritables vivants, tous tendus vers le même but, jouent collectif, les flûtes, les violons, les cuivres, la basse et le vocal de Nicolas Sauvet… et la guitare de de Jérémy Saigne tout sourire, tous vibrant, s’appliquant à la perfection. Recueillement et accueil. Les visages appliqués et souriants, osmose totale entre les classicos et les rockers, l’on s’écoute, l’on s’épaule, et le Chef Eloi Tembremande qui vous envoie le final comme s’il avait marqué le point décisif de la victoire sur un terrain de base-ball. Jusqu’au clin d’œil de Nicolas s’emparant d’un archet pour les toutes dernières mesures.

    Les Dätcha sont de Bordeaux, nous les retrouvons à Cenon dans le centre multi-culturel Le Rocher de Dambler, le 28 juin 2019, toujours en compagnie de Josem, interprétant Misery titre de leur album ROKH paru en 2017. L’interprétation de Nicolas au chant est magnifique, l’on aperçoit Jean-Baptiste Mallet à la batterie, mais ce n’est pas du tout la même ambiance, l’orchestre impeccablement rangé comme à la parade, ordre, calme, mais manque un peu les spasmes de la volupté, très pro, l’on se croirait sur un plateau TV, tout est à sa place mais si vous ne devez regarder qu’une des deux vidéos, choisissez la première, elle respire la vie.

    On en parlait, nous y voici, à Mérignac, à la release party de leur album ROKH le 11 / 10 / 2017, pour la reprise de Kashmir de Led Zeppelin, autant dire qu’ils s’attaquent à la montée de l’Himalaya en tongs aux semelles usées. N’ont pas peur, prennent d’assaut la version orientale, Page & Plant avait l’orchestre officiel de Marrakech sur scène plus le pupitre des violons du London Philharmonc Orchestra, les Dätcha se sont contentés de huit invités, z’ont adopté une disposition similaire à celle que l’on voit sur les photos de No Quater, pour les tapis pas de problème z’en ont une collection avec laquelle ils recouvrent les scènes de leurs concerts, et question musique, ils se débrouillent comme des chefs, tirent leur épingle du jeu, parviennent à sonner plus roots que nos deux cadors, davantage orientalisants, Page et son frère ennemi, laissent la place à leur armada, savent se faire discrets et permettre aux guys montrer leur savoir-faire, puis ils reprennent les manettes pour bien prouver qu’ils sont les deux mamelles stars ( mission accomplie ), les Dätcha jouent davantage en osmose, leurs aides de camp sont beaucoup mieux intégrés à la partition, leur version dégage un parfum d’authenticité à laquelle la version publique des zeppelin boys n’atteint pas. N’ont pas choisi un titre du Led au hasard, la voix de Nicolas se prête à la comparaison. La ressemblance avec l’organe de Plant saute aux oreilles, ne monte pas aussi haut mais les tessitures sont voisines, c’est naturel, Nicolas ne contrefait pas, et surtout il n'imite pas Robert, ce serait le meilleur moyen de se planter sans beauté.

    Pour les amateurs du Dirigeable nous avons aussi en stock une version d’Immigrant Song à Fest in Pia, ( dans les Pyrénées-Orientales ) le 3 août 2019 avec Bertignac, nous aimons bien Bertignac mais le groove électrique qu’il impose au titre n’est pas des mieux venus…  Nicolas se tire bien mieux de l’impro.

    Dätcha Mandala vient de sortir un dernier opus précédé d’un documentaire d’une trentaine de minutes relatif à l’enregistrement du nouveau bébé. La vidéo ne vise ni à l’excentricité ni à l’extraordinaire. Ensemble dépouillé, tourné en noir et blanc, aucune esbroufe, les plans attendus sur les séances de travail, les discussions, chacun se confie sans forfanterie, les gars savent ce qu’ils veulent et bossent sérieusement. Ce n’est pas cela qui m’a fasciné. Quatre ans que je ne les avais vus, z’ont changé, avaient encore l’aspect de gamins, sont devenus des hommes, ont acquis une énorme maturité. L’on sent un groupe solide, plus de six cents concerts dans les jambes, taillent leur route, quand on les regarde l’on se dit que le rock possède un avenir.

    THE LAST DROP

    DÄTCHA MANDALA

    ( EP Bandcamp / Mrs Red Sound / 20 – 05- 2022 )

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    Une pochette qui n’est pas sans rappeler Other Voices des Doors, les Dätcha ne sont pas focalisés dans le punk, remontent plus haut, pas plus garage non plus mais psyché, leur décennie préférée : les seventies, les yeux tournés vers la Californie des années heureuses, un temps où le nihilisme n’avait pas encore gagné la partie.

    Janis : hommage à Janis, même pas quatre minutes, mais rempli comme un œuf, un super jeu de cache-cache entre le vocal et les chœurs, pas le temps de s’ennuyer, faut faire comme la chatte qui cherche ses petits pour s’y retrouver. Un structure simple avec couplets et refrains, mais l’on est vite dans une espèce de labyrinthe, est-ce dû au jeu des cymbales omniprésentes qui vous font croire que le chemin est tout droit, alors que la basse vous conduit allègrement dans une direction opposée, quant à la guitare elle pousse le wagon du riff pour mieux vous refiler pratiquement en douce des soli de locomotive alors que la batterie dépiaute les traverses à sa guise, non tout cela ce n’est que l’emballage, mais le plus précieux, comme à Beaubourg ils l’ont mis dehors, vous n’entendez que lui, c’est lui qui focalise l’ouïe mais vous n’y faites pas attention, vous vous laissez entraîner dans ce rythme de fête sans fin, le plus rare c’est Janis ou plus exactement la voix de Nicolas qui raconte sa vie, qui parle pour elle, elle est partout cette voix, elle explose à tous moments, à la fois moqueuse et féminine, à la fois festive et tragique. Un morceau noir dans un tourbillon de couleurs, une tourmente de douleurs. ( Vous en retrouvez l’enregistrement sur   la vidéo   Janis Officil Video Clip ). L A Hippie : encore un diamant noir dont il est nécessaire de faire miroiter   toutes les facettes au soleil de l’écoute attentive. A la base c’est du tout simple, un truc bien balancé qui emporte l’adhésion, une balle dum-dum qui vous arrache la gueule, franche et directe. Unité de son avec le premier titre. La voix se pose dessus comme un cygne sur l’eau d’un bassin, c’est alors que commence la ronde vocalique, un jeu subtil entre voix et chœurs, l’on ne peut parler de backing vocals proprement dits, plutôt un entremêlement de répons, de contreforts et de de contrechants, et dans ce ballet les instrus se bâtissent des zones d’intervention et de nidification étonnantes. Pas étonnant que les lyrics évoquent les portables, le morceau ressemble à une succession de selfies divers assemblés pour produire un étonnant film d’action. I &  You : me demandais s’il n’y avait pas dans le traitement des chœurs précédents des emprunts aux Beatles, ce Moi and Toi confirme mes interrogations, l’influence des Fab Four est ici non pas évidente mais revendiquée, l’entrée symphonisée, le piano old time, et surtout cette manière de concevoir chaque nouvelle phrase musicale comme une surprise et un apport, découlant logiquement de ce qui précède mais apportant systématiquement une rupture euphonique. Pas le temps de s’ennuyer, vous interpellent à chaque seconde. Carry on : même démarche sergentique que la précédente, une ballade poivrée de mandoline et épicée d’un très beau solo d’harmonica, avec coulis de voix harmonisées, promenades dans un bois d’essence variées, à chaque pas surgit l’arbre que vous n’attendiez pas et un fruit inconnu à savourer, avec en plus cet avantage auxquels les Beatles n’ont pas toujours su souscrire, la pulsation rock’n’roll n’est jamais perdue. Hit and roll : le titre à lui tout seul nous indique que cette ultime piste boucle la boucle en nous ramenant au style plus rentre-dedans du début de l’EP, nous sommes ici plus proche des Byrds de So you wanna to be a rock’n’roll star, les Dätcha n’ont pas peur d’harponner les baleines blanches  et ils s’en tirent bien, les guitares défilent à toute vitesse et le final ressemble à une improvisation rock’n’roll à toute pompe de fin de concert. De la belle ouvrage.

    Cinq titres seulement, mais quelle richesse, production de Clive Martin impeccable, nous ne faisons pas chez Kr’tnt de rubrique Disque du Mois, sans quoi The Last Drop se serait imposé d’office.

    Damie Chad.

     

    *

             Nous avons déjà consacré plusieurs chroniques à Patrick Geffroy Yorffeg, à ses œuvres graphiques, à ses vidéos musicales, l’animal est doué, il compose des textes et met en bouche beaucoup de poèmes. Mais ce coup-ci c’est différent, je préviens le lecteur que dans la chronique qui suit je suis partie-prenante, non je ne participe en rien à ces lectures, enfin presque, je suis un peu responsable car nos actes finissent par nous rattraper un jour ou l’autre. Donc je n’ai pas écrit une seule ligne des textes proposés et j’étais à plus de sept cents kilomètres lors de ces enregistrements dont j’ignorais la réalisation. A part que les textes signés OM sont de ma fille.

    PATRICK GEFFROY YORFFEG

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    LECTURE DE TEXTES EXTRAITS

    DE CHANT A LA LIE

    OM

     

             Voici d’abord un Cortège pour Dionysos immédiatement suivi d’un texte de présentation, tous deux signés Claude Newark, qui permettent d’appréhender le contenu de l’ouvrage :  

    LIGNES ET VIGNES

    en cette mince plaquette

    pour servir de cortège

    à

    DIONYSOS

    revivifié par OM

    en ces

    CHANTS A LA LIE

     

    si le vin est le sang de la terre, de quoi la poésie peut-elle être le chant

    si ce n'est de cette présence de l'enfant immortel que les titans ont déchiré

    car il faut boire la coupe de la vie jusqu'à la lie

     

    vingt-trois poèmes, de prose et de pampre,

    c'est revêtu de cette robe vermeille

    que le bouc sauvage se présente

     

    depuis cette terre de Provence

    celle de Giono, celle de Bosco

    autrefois déjà de pourpre et d'amphores

    il se raconte aux hommes et aux femmes

    sa parole est fontaine émerveillante

    elle calme les soifs inextinguibles

     

    le bouc connaît vos désirs

    vos soumissions et vos colères

    la dureté de vos travaux

    et vos révoltes

     

    il conte la trame de vos jours passés

    à trembler et à espérer

    en vain et en vin

     

    OM

    transcrit ses dires subtils et cruels

    lisez ses lignes

    écrites à bouc-portant

    car le poëte l'a dit

    enivrez-vous de vin ou de poésie

    mais enivrez- vous !

     

    CHANTS A LA LIE

    OM

    ( Font Léale / 2020 )

     

    Une mince plaquette de soixante-quatre pages regroupant vingt-trois textes qui par leur beauté s'apparentent à de véritables poèmes en prose.  Ces Chants à la lie sont à lire comme autant de rasades de ce vin fort et âpre qu'enfermaient en leurs flancs rebondis les amphores des mondes grecs et romains. L'on ne s'étonnera donc pas d'y retrouver Dionysos, le dieu antique, mais dépourvu de son habituel cortège triomphal de nymphes, de satyres, de ménades et de panthères, les temps ont changé, voici un Dionysos solitaire, qui souvent sous la forme d'un bouc hante notre modernité, hommes et femmes de cette Provence vineuse et actuelle qui s'endort doucement...

    Vingt-trois textes mis en perce, chacun raconte à sa manière l'histoire du vin, de cette pourpre des pampres qui coule des pressoirs dans les veines humaines, porteuse de force, de vigueur, de désirs, et d'espoir. Toutefois la sagesse du Dieu ne saurait circonvenir la folie des hommes, le vin ne se vend plus, le vin est distribué gratuitement dans les tranchées de 14, vents de révolte et de soumission se succèdent, heures d'ombres et de sang... aujourd'hui ces grandes fresques tragiques s'estompent dans le passé, le vin ne se déploie plus librement sur  son terroir naturel, il en est chassé, parqué en d'étroites surfaces... le vin est apprivoisé, parfumé et amadoué,  prisonnier des  impératifs commerciaux des circuits de distribution, marchandisé à l'image de nos vies...

    La prose organique d'Océane Murcia raconte tout cela mais bien d'autres réalités peut-être plus importantes, Dionysos est le fidèle compagnon de l'intimité humaine, il parle aux bêtes et surtout à cette âme animale qui constitue le terreau de nos individualités, il est le dieu des déchirements et des renaissances, il assomme et il rend plus fort, il enivre  et il console, chaque grain de notre vie dans leur diversité réunie participe de la grappe de nos contradictions, le bouc mythique est un fin connaisseur de notre psyché, la plume d'Océane Murcia agit à la manière d'un scalpel chirurgical qui fouillerait au plus profond neuronal de la chair de nos envies, de nos angoisses, de nos dégoûts, de nos incompréhensions, de nos colères.

             Ces Chants à la lie, sont un texte d'actualité qui s'inscrit dans une historicité primordiale, celle d'une culture, tant civilisatrice qu'agricole millénaire, il plonge ses racines aussi bien dans le suc fertile des  Georgiques de Virgile que dans les romans indisciplinés de Jean Giono, les récits mystérieux de Joseph d'Arbaud et les sombres rêveries de Henri Bosco, il nous révèle, hors de tout sentimentalisme régionaliste cocardier, une Provence de nos jours palpitante de son passé mais aussi et surtout de son implantation irrémédiable à vouloir vivre debout et de bouc dans le combat incessant de sa présence au monde, et nous apprend qu'une jeune écrivaine au talent original est née dont il faudra suivre avec attention les prochaines publications.

    Claude Newark.

     

    Il est temps de laisser la parole à Patrick Geffroy Yorffeg  en recopiant in extenso le texte de présentation qu’il a rédigé sur son FB pour présenter ses vidéos.

    Aujourd'hui, sur ma page FB, une lecture du merveilleux livre :

     

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    "CHANTS A LA LIE" d'OCEANE MURCIA. M.O. 

    Une merveille de livre pour ne pas dire un chef-d’œuvre selon moi d'une grande beauté.

    Le souffle de la poésie y parcourt ces pages avec originalité et style, je veux dire avec sa propre musique, celle que les jours et les ans ont dû déposer dans son âme, dans sa chair et dans ses os.

    Autant dire que l'on y sent la vie, une vie de partage, les parfums de la vigne, les fragrances et les grondements de la terre, le souffle des animaux et des hommes, l'ombre de la mort, mais aussi l'évidence de la renaissance afin que rien ne meure et que tout recommence.

    Les chants à la lie sont à la fois le chant de la terre et des dieux et la beauté tragique d'être au monde que nous partageons tous à des niveaux différents.

    L'on y traverse l'histoire avec un grand H, avec son cortège de guerres, de bouleversements, de découvertes, d'aventures, de révolutions, de rencontres, d'injustices, d'horreurs, de bonheurs et de malheurs.

    Le vin peut être voyant et lucide parfois comme il peut se perdre à force d'illusions trompeuses.

    "Le vin de l’assassin" a les yeux de la nuit.

    Le vin rassemble, Le vin disperse. Le vin répare, le vin sépare.

    Le vin partage.

    Le vin fait des petits pains d’ amour.

    Divin le vin ?

    Le vin traverse le temps, les guerres, les corps, les bouleversements de tous ordres, il a la couleur du sang, il a le ciel gris de l'ennui, la couleur de l'oubli.

    Il est le sang du Christ qui coule dans les veines de la mémoire, de l'espace et du temps, à la fois dedans et dehors, le sang de la vie éternelle.

    "Vanité des vanités, tout est vanité" disait l'Ecclésiaste.

    Oh mais le savez-vous vraiment, la vanité ça se boit, comme la vie, comme « la mort qui est une habitude qu'il arrive aux gens d'avoir "disait Borges, non sans humour d'ailleurs, dans un de ses poèmes .

    Femmes, hommes, tous ensemble, tous ensemble, ne soyons pas timides, approchons-nous de la table terrestre et ‘’ goûtons voir si le vin est bon’’.

    Oui allons voir si la vigne est belle à l'aube et au crépuscule :

    et

    "Puisque tout passe, faisons

    la mélodie passagère ;

    celle qui nous désaltère,

    aura de nous raison.

    Chantons ce qui nous quitte

    avec amour et art ;

    soyons plus vite

    que le rapide départ."

                                                                             Rainer Maria Rilke.

     

    Oh chère Océane Murcia je te le dis haut et fort ton livre ne fait pas pâle figure à côté de ce poème de Rilke, et j'ose le dire, il est même à hauteur de poète.

    Et vive ce bouc, vive Dionysos qui vient nous bousculer, nous tirer de l'ombre dévorante du quotidien.

    Oh oui soyons en fête, sœurs et frères, pour les vendanges de la vie.

    N'entendez-vous pas ? Dionysos est de retour !

    Oh mais il s'en fallait de peu je vous le dis pour que tout tourne au vinaigre !

    Heureusement l'amour est là qui nous attend.

    Eros est de retour !

    L'enfant de l'amour va naître.

    Ce sera une fille aux boucles d'or.

    Bouc témoin, bouc vilain, bouc coquin, bouc magicien, bouc pyromane, bouc tout feu tout flamme, les corps s'enflamment au vin de la révolte des raisins de la colère.

    Ton livre chère Océane Murcia OM mérite un grand éditeur, il doit bien y en avoir un, sur cette satanée planète bleue, qui reconnaîtra un jour ton œuvre.

    En attendant j'espère pouvoir te lire un jour sous nos lèvres à Léa et moi, si toutefois tu le veux bien.

    PGY.

     

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    CHANTS A LA LIE  ( Part 1 )

    La vache / L’ Autre

    PGY :  percussions et lecture

    Si les deux premiers textes du recueil évoquent l’alliance du Dieu avec la bête humaine et sa propre transfiguratrice puissance régénératrice, Patrick Geffroy Yorffeg met en scène l’alliance de la voix avec le texte et celle de la poésie avec la musique. Le point focal de cette quadrature reste le silence symbolisé par la couverture noire du recueil. Cette vue fixe occupe la majorité des quatre minutes de la vidéo. Place est faite à la parole du Dieu, chaque mot entre deux interstices de silence, le Dieu parle, il ne donne pas d’ordre, il persuade, la voix du diseur se teinte d’ironie, il sait qu’il peut compter sur le principe actif de sa déité, son propre sang, le vin. Au début tintement de clochette, pour que les auditeurs comprennent que la nature est le temple que visite le vivant pilier de la divinité, sur la fin le Bouc se meut l’on entend le cliquètement des crotales et lorsque enfin le blanc de la lumière surgit, ce n’est pas le Dieu évanoui qui apparaît, mais l’officiant, le Lecteur, qui nous tourne le dos, puis se dédouble pour appeler sur ses gonds le feulement du Dieu qui l’absente.

    CHANTS A LA LIE  ( Part 2 )

    Dionysos / La mort

    Bruit furtif, le Dieu survient, Dionysos est là, il parle par la bouche de Patrick Geffroy Yorffeg, il connaît les arguments de sa démesure et de ses pouvoirs, si vous pensez qu’il est mort vous avez raison, n’est-il pas in-mortel, dans la mort elle-même, puisqu’il est là, tintement de la clochette, le Dieu n’est plus là à sa place la photo de Patrick Geffroy Yorffeg, peut-être le représente-il mieux que le faune broussailleux de nos représentations, n-a-t-il pas noué en signe de locuteur privilégié le signe immarcescible d’une cravate blanche. Deuxième texte, après l’Immortel, le Mortel, le vigneron qui a usé sa vie à faire pousser la vigne, les travaux et les jours hésodiens, le vin amer et sauvage, Patrick Geffroy Yorffeg s’active auprès de son orgue à gongs, il sonne la marche funèbre des mortels qui meurent et de l’Immortel qui demeure. Le Maître sonneur s’éclipse. Nous laisse seuls avec le silence noir.

    CHANTS A LA LIE  ( Part 3 )

    Le tombeau de Baudelaire

    PGY : percussions et lecture

    Bruissement, quelle est cette ombre pâle qui s’avance. Il est un arc-en-ciel noir qui se situe entre les Dieux et les Hommes, c’est le poëte, Dionysos rend hommage à Baudelaire, et avoue sa défaite, le vin du poëte est trop amer pour le gosier du Dieu, la voix de Patrick Geffroy Yorffeg se fait douce et le Dieu devient suppliant, image fixe de Patrick Geffroy tapotant le plus large de ses gongs, en cravate blanche, l’officiant serait-il le poëte ? La vidéo se termine par la vision d’Océane bellerophonique collée à l’encolure de son cheval. Serait-ce Pégase ?

    CHANTS A LA LIE  ( Part 4 )

    Printemps

    PGY : clariflûte, percussions et lecture / John Glilbert : synthétiseur

    La clariflûte de Patrick Geffroy  bourdonne, chant de sève montante, il arpente son appartement, sa voix conte la vie dolente du vigneron accablé de soucis, épuisé par son labeur, le Dieu vient à son secours et partage avec lui le breuvage de vie, le feu coule dans ses veines, ce soir la nuit sera lascive, Patrick Geffroy Yorffeg et sa clariflûte la rendent plus suave et plus longue, quelque part, venu de la grande Amérique, l’ami John Glilbert sur son synthétiseur tisse des voiles d’ombre et de volupté. Ils jouent longuement jusqu’à l’extinction de l’influx suprême.

    CHANTS A LA LIE  ( Part 5 )

    Bêtes

     PGY : clariflûte, trompette et lecture / John Glilbert : synthétiseur

    Après l’éros, l’ares. Après le désir, la guerre. La bête sauvage sanglière et la chienne domestique sont face à face. Quel parti prendra le Bouc ? La voix pose l’équation de la question. Entre l’Animalité et l’Humanité que choisira-t-il ? La trompette éclatante de Patrick Geffroy Yorffeg et le synthétiseur de John Glilbert grondeur et grogneur saluent la victoire canine. A vous de savoir pourquoi. La voix a résolu la solution, mais ne dit pas comment l’interpréter.

     

    Je ne sais si Patrick Geffroy Yorffeg, continuera sa lecture à haute voix. Si au terme de son jeu il remettra les poèmes dans l’ordre qu’ils occupent dans le livre. Je ne saurais que l’encourager dans cette voie, afin que l’acte décliné devienne profération du mystère poétique, utilisons les mots qui décrivent aussi bien les tentatives spectaculaires de Mallarmé que de Jim Morrison, pour qu’enfin, selon la célébration  lecturielle,  la cérémonie  puisse avoir lieu.

    Damie Chad.

     P. S: vidéos sur le FB de Patrick Geffroy Yorffeg.

    Chants à la lie : Océane Murcia. 8 €.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 551 : KR'TNT 551 : LEON RUSSELL / THE SAINTS / CEDRIC BURNSIDE / LEWIS TAYLOR /JALLIES / HELéH / GUIGNOL'S ROCK / PATRICK GEFFROY YORFFEG

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 551

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    21 / 04 / 2022

     

    LEON RUSSELL / THE SAINTS

    CEDRIC BURNSIDE / LEWIS TAYLOR

    JALLIES / HeléH / GUIGNOL’S ROCK

    PATRICK GEFFROY YORFFEG 

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 551

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

    Russell & poivre - Part Three

     

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                Tonton Leon a disparu depuis un bon moment, mais il continue de faire l’actu et c’est une bonne chose. Dans sa prestigieuse collection ‘Songwriter Series’, Ace lui consacre un volume sobrement intitulé The Songs Of Leon Russell. Ace qui fait toujours bien les choses a en plus demandé à Kris Needs de tartiner les 20 pages d’un booklet qui du coup prend l’apparence d’un mini-book. Certains objecteront qu’on est loin des 40 pages du booklet de Mick Patrick consacré à Shadow Morton, mais comme le savent ses admirateurs, Kris Needs fait toujours du double concentré de tomates et donc ses 20 pages en valent 40, c’est automatique. 

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             Pour planter son décor, Needs nous ramène au temps de Mad Dogs & Englishmen, lorsque coiffé de son haut de forme et déjà grisonnant, Tonton Leon jouait le maître de cérémonie - ringmaster and musical director - pour le compte de Joe Cocker, lui volant (un peu) le show au passage. C’est Joe qui le dit, pas nous. Joe en conçut même une belle amertume. Après la folie du Mad Dogs & Englismen tour, Tonton Leon va exploser nous dit Needs au sommet du Shelter empire, c’est-à-dire le label qu’il a monté à Los Angeles avec Denny Cordell et sur lequel on va retrouver des géants comme Dwight Twilley et Freddie King. Needs analyse bien les contradictions du personnage : «Même si Russell incarnait les excès de son époque, splendour and panoramic ambition, il avait largement de quoi les assumer, notamment avec son talent d’auteur-compositeur et les classiques qu’il confiait à d’autres interprètes.» Tonton Leon peut monter sur scène avec Dylan et jouer avec les Beatles, pas de problème, nous dit Needs. Il jouait déjà au Gold Star sous la direction de Totor. Et puis vient le calme après la tempête : dans les années 80, Tonton Leon disparaît des écrans. Il continue d’enregistrer des albums, mais dans la plus parfaite discrétion. Il fallait même se lever de bonne heure pour trouver ces mystérieux albums.

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             Needs attribue à Elton John le mérite d’avoir ressuscité la carrière de Tonton Leon, avec un album intitulé The Union. On les voit tous les deux sur la pochette, pareils à deux croque-mitaines. On a snobbé cet album à l’époque à cause d’Elton John qui n’est pas vraiment en odeur de sainteté par ici. Mais comme Needs parle d’une spectacular collaboration, alors on écoute attentivement l’«If It Wasn’t For Bad» qui ouvre le bal de cette compile : si on ne supporte ni la voix ni la personne d’Elton John, c’est vite plié. Suivant !

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             Lorsqu’il replonge dans les éléments biographiques, Needs en tire comme il le fait habituellement la meilleure pulpe. Needs, c’est Tintin reporter, le roi de l’investigation. Tonton Leon est encore ado nous dit Tintin Needs lorsqu’il joue dans les Starlighters à Tulsa, Oklahoma. Voilà que Jerry Lee débarque dans le coin. Il est en tournée, il repère les Starlighters et les engage comme backing band pour repartir à la conquête du pays, car il doit tout reprendre à zéro après la catastrophe d’Heathrow, souviens-toi, lorsque les fouille-merde de la presse anglaise ont découvert que Jerr avait épousé sa cousine de 13 ans. Tonton Leon n’est pas beaucoup plus âgé lorsqu’il débarque à Los Angeles pour y tenter une carrière de pianiste de bar, et pouf, à 17 ans, il enquille sa première session d’enregistrement chez Liberty : il accompagne Johnny Burnette qui tente lui aussi de relancer sa carrière à Los Angeles. Tonton Leon est lancé. On le réclame dans les studios. Il accompagne Jackie DeShannon, Pat Boone, Bobby Blue Bland, Jan & Dean, Bobby Darin, Aretha, les Everly Brothers, puis c’est l’apothéose avec les fausses Crystals, c’est-à-dire Darlene Wright & les Blossoms, au Gold Star, avec Totor et le Wrecking Crew. Attends, c’est pas fini ! En 1964 nous dit Tintin Needs, Tonton Leon se retrouve en studio avec les Beach Boys, Sammy Davis Jr, Dick Dale et Gary Lewis & the Playboys. Justement, la compile propose un cut plus tardif de Gary Lewis & The Playboys, «The Loser (With A Broken Heart)», assez énervé, «Monkees recalling baroque-country pop», monté sur un petit beat de petits mecs, mais il faut se souvenir que Kim Fowley vénérait Gary Lewis & The Playboys. Tintin Needs précise que le Gary en question est le fils de l’acteur soi-disant comique Jerry Lewis. Autre précision de taille : Tonton Leon co-signe ce cut avec Don Nix, et Snuff Garrett, producteur maison de Liberty, supervise l’opération.

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             Tonton Leon est aussi en studio avec les Byrds pour le fameux enregistrement de «Mr Tambourine Man», mais on se souvient que Terry Melcher a viré sa piste de piano pour pousser le bouchon de l’esthétique jingle-jangle. Il n’empêche qu’en 1965, Tonton Leon monte encore sur tous les coups, notamment «the session musician’s dream of playing Frank Sinatra sessions». Puis il accompagne les Beach Boys sur «Help Me Rhonda», Herb Alpert, les Monkees, Bob Lind et Bobby Vee. Oh, Tintin Needs en cite d’autres beaucoup plus obscurs, mais ça, c’est son truc, sa vieille manie d’explorateur de l’underground. Plus c’est obscur et plus ça le fait bicher. Sur la compile, on trouve une cover de «Before You Go» par Bobby Vee. Que faut-il penser ? On ne sait pas.

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             Comme le biz tourne à plein régime, Tonton Leon s’en fout plein les poches et il se paye une belle bicoque sur Skyhill Drive nous dit Tintin Needs. C’est là qu’il héberge ses copains de Tulsa, qu’il ouvre une ère de débauche en mode 24 hour partying et qu’il démarre un projet collaboratif avec Marc Benno, The Asylum Choir, dont on a dit le plus grand bien dans un Part One. C’est à l’organiste Bobby Whitlock que revient l’honneur d’interpréter «Raspberry Rug». Tintin Needs nous rappelle que Whitlock vient de Memphis et qu’il fit ses armes chez Stax sous le mentorat de Steve Cropper, avant de se retrouver keyboardist dans le groupe de Delaney & Bonnie. Il sera d’ailleurs le seul membre resté fidèle à Delaney & Bonnie après que Tonton Leon leur ait barboté leur groupe pour monter la tournée évoquée plus haut de Mad Dogs & Englishmen. Alors bravo Whitlock. La loyauté ne court pas les rues, comme chacun sait. Quant à sa version de «Raspberry Rug», disons qu’elle est assez pop. On croirait entendre les Beatles avec des coups de trombone. Beaucoup plus intéressant, voici la cover de «Groupie (Superstar)». Par Delaney & Bonnie, justement, et la fantastique attaque de Bonnie la géante. N’oublions pas que Bonnie fut une Ikette pour quelques shows, à la demande d’Ike. «Groupie (Superstar)» est aussi l’une des plus belles compos de Tonton Leon. Puisqu’on parle de Stax, il est bon de rappeler que Delaney & Bonnie ont eux aussi commencé sur Stax en 1969, avec l’excellent album Home qui fut nous dit Tintin Needs burried, c’est-à-dire enterré dans la vague du «27-album comeback blitz» imaginée par Al Bell pour relancer le label qui se trouvait alors en difficulté. Pour Tonton Leon, c’est l’album suivant, Accept No Substitute, paru sur Elektra, qui cristallise ses aspirations «in vibrant blue-eyed soul gospel and country». «Groupie (Superstar)» fut enregistré lors d’une session pour Clapton, mais il est beaucoup plus intéressant de savoir que le cut sera repris par les Carpenters. Tintin Needs profite de l’épisode pour se rire des frasques de Delaney Bramlett qui, toujours sous contrat avec Jac Holzman chez Elektra, tenta de signer un contrat avec George Harrison chez Apple, ce qui lui valut d’être viré d’Elektra. Il signa ensuite chez Atlantic mais il fut de nouveau viré après un album.

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             Tintin Needs nous rappelle aussi que Tonton Leon a produit le deuxième album de Joe Cocker, qui fut découvert comme chacun sait par Denny Cordell. Pour illustrer ce passage, la compile propose le «Delta Lady» de Joe Cocker qui d’ailleurs figure sur ce deuxième album sans titre, l’excellent Joe Cocker. Tintin Needs cite une interview de Joe Cocker dans ZigZag, où l’intéressé raconte qu’en entendant Tonton Leon jouer «Delta Lady» au piano, il fut tellement subjugué qu’il tomba de sa chaise. Autre info de taille : Joe Cocker fut enregistré à Hollywood en 1969, lors d’un break aménagé entre deux dates de la première tournée américaine du vieux Joe qu’accompagnait alors le Grease Band. Eh oui, 1969, l’année de Woodstock, où Joe fit des étincelles sur scène avec sa fantastique cover de «With A Little Help From My Friends». Il ne faut pas perdre de vue ce génie que fut le vieux Joe, fils d’un mineur de Sheffield. Tintin Needs est bien d’accord là-dessus puisqu’il parle d’une «life-changing tour-de-force appearance at Woodstock» et d’une «seismic reinterpretation of the Beatles’ With A Little Help From My Friends». Dans son élan, il nous rappelle que Merry Clayton, Bonnie Bramlett, Patrice Holloway, Sherlie Matthews et Rita Coolidge font les chœurs derrière Joe sur «Delta Lady». Il faut d’ailleurs voir le film consacré à la tournée de Mad Dogs & Englismen en 1970, car on les voit sur scène, toutes ces choristes fabuleuses, Rita Coolidge et Claudia Lennear, plus Chris Stainton, Jim Price et Bobby Keys, Don Preston et trois batteurs, Jim Gordon, Jim Keltner et Chuck Blackwell. Et Tonton Leon qui tortille du cul au milieu de cet extravagant manège. C’est là qu’il devient une star in his own right.

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             Tintin Needs nous dit qu’il existe 200 versions d’«A Song For You». Il ne cite pas tous les interprètes, heureusement. Ace choisit la version du «doomed Soul genius» Donny Hathaway, possibly the best of all, surenchérit Tintin Needs qui ne mégote pas sur les surenchères. Il en profite aussi pour retracer le parcours d’Hathaway, découvert par Curtis Mayfield, et ami de Roberta Flack et de Leroy Hutson. Donny chauffe la Song de Tonton Leon à l’haleine chaude, aw comme il l’épouse, comme il la promène, comme il la caresse, comme il la conforme. Tintin Needs profite de l’épisode pour dresser un bel éloge du pauvre Donny qui finira par se jeter de la fenêtre d’un Central Park hotel room en 1979. L’autre grand hit de Tonton Leon, c’est bien sûr «The Masquerade» repris par tout le monde et surtout par George Benson. C’est la version qu’a choisi Ace et qui referme la marche de la compile. Benson y va, il est le grand groover devant l’éternel, sa mouture est absolument imparable. Là tu as l’utter happiness du Benson, les flux mélodiques s’emmêlent les crayons, c’est très spectaculaire. Tintin Needs traite Benson de sensitive genius, il n’est plus à ça près. En plus il a raison. Il a toujours raison.

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             Autre sensitive genius, voici Rumer et sa version de «My Cricket» qu’on trouve sur l’album Boys Don’t Cry. Tintin Needs se régale à rappeler que Burt a invité Rumer chez lui pour faire sa connaissance. Rumer est la reine des temps modernes et Tintin Needs lui taille un costard de reine. Elle est la dernière descendante d’une lignée de très grandes chanteuses américaines, qui va de Jackie DeShannon à Karen Carpenter en passant par Laura Nyro et Lisa Minnelli. En dehors de Tonton Leon, Rumer tape aussi dans Todd Rundgren, Hall & Oates, Terry Reid et Neil Young, excusez du peu. Oh et puis Jimmy Webb dont elle a repris l’excellent «P.F. Sloan». C’est d’ailleurs avec cette reprise qu’il faut bien qualifier de magique qu’on fit connaissance avec Rumer. Ses cinq albums s’inscrivent dans l’avenir du rock.

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             Encore un fabuleux interprète avec José Feliciano qui tape, lui, dans «Me And Baby Jane». Il faut se réjouir de l’entendre chanter, d’autant plus qu’il chante avec tout le feeling du monde. Il faut bien dire que sur cette compile, les interprètes de Tonton Leon sont triés sur le volet. En plus, c’est produit par Steve Cropper, et on retrouve Claudia Lennear dans les backing et Larry Knetchtel aux keys. Tintin Needs nous parle d’une supernaturally powerful voice qui peut transformer n’importe quel cut, tout en unleashing his dzzling virtuosity on Spanish guitar. C’est vrai que José Feliciano est un artiste hors normes qu’on aurait bien tort de prendre à la légère. Tintin Needs dit aussi que José Feliciano est le roi des covers sensitives et cite comme exemple sa cover de «Light My Fire».

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             Et puis Tonton Leon  ramasse tellement de blé qu’il achète une grosse église à Tulsa pour en faire The Church Studio. Il va y abriter Shelter et y accueillir des tas d’artistes, et pas des moindres : Willie Nelson, Dr John, J.J. Cale, Phoebe Snow, Bonnie Raitt et Freddie King. Comme chacun sait, Freddie King a sorti trois album sur Shelter. Don Nix et Tonton Leon sont des inconditionnels de Freddie King. Ils produisent ensemble l’excellent Getting Ready à Chicago. En 1972, big Freddie descend chez Ardent à Memphis pour enregistrer Texas Cannonball avec la crème de la crème : Tonton Leon, Chuck Blackwell, Don Preston, Duck Dunn, Al Jackson, Jim Gordon et Carl Raddle. C’est là que big Freddie enregistre l’«I’d Rather Go Blind» qu’on trouve sur la compile. C’est vite torché, amené au fast drive, farci de tortillettes toutes plus effarantes les unes que les autres, personne ne bat Freddie King à la course. Quatre ans plus tard, à force de tirer sur la corde des tournées, le pauvre Freddie va casser sa pipe en bois.

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             La country est selon Tintin Needs le péché mignon de Tonton Leon. C’est vrai qu’on trouve pas mal d’albums de country dans sa discographie, notamment les quatre volumes d’Hank Wilson avec lesquels nous dit Tintin Needs Tonton Leon s’est tiré une balle dans le pied. C’est-à-dire qu’il a coulé sa carrière mainstream en proposant des albums de pure country. Pour illustrer cet épisode, Ace nous propose une reprise de «Lonesome And A Long Way From Home» par Earl Scruggs & The Earl Scruggs Revue. C’est là où l’Americana se noie dans une mer de notes de banjo. Et puis Tonton Leon s’entend bien avec Willie Nelson, c’est la raison pour laquelle on le voit apparaître avec «You Look Like The Devil». Il y  va le vieux Willie - You look like the devil/ In the morning - Il ne parle pas de sa copine, mais de son batteur. C’est bien vu, mais ça reste de la rengaine country pure et dure, seulement accessible aux fans de country. Pour enfoncer le clou, Tintin Needs cite Tonton Leon qui déclare : «Willie Nelson et moi avons les mêmes racines musicales : Hank Williams, Bob Wills, country black blues.»

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             Tout le monde croit que Randy Crawford est un mec. Pas du tout, c’est une charmante petite blackette et il faut l’entendre interpréter «Time For Love» avec une fraîcheur surnaturelle. Tintin Needs parle d’une distinctive voice. Oui, c’est même une belle entourloupe juvénile, un miracle d’équilibre qui met en valeur l’excellence du groove de Tonton Leon. Randy Crawford vient de Macon en Geogie et a chanté avec George Benson et les Crusaders, donc elle n’est pas née de la dernière pluie. Encore une pure merveille avec Janis Siegel et sa version de «Back To The Islands». Une Janis de rêve, elle est à la fois dessus et dedans. Grâce à Tonton Leon, on découvre d’extraordinaires interprètes.

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             En 1976, Tonton Leon épouse Mary McCreary. Elle chantait dans Little Sister, Sly & the Family Stone’s backing singers. Il existe deux albums de duos de Tonton Leon et Mary McCreary qui sont chaudement recommandés : Wedding Album et Make Love To The Music. C’est Al Jarreau qui tape dans «Rainbow In Your Eyes», le cut d’ouverture du Wedding Album. Al groove sans avoir besoin de chanter et c’est sans doute le meilleur groove de l’univers connu des hommes, avec celui de Marvin Gaye. C’est un super-groupe nommé California qui tape «Love’s Supposed To Be That Way», encore tiré du Wedding Album. Dans California, on retrouve Bruce Johnston, Curt Boettcher et Gary Usher. Puis Maria Muldaur se tape «Make Love To The Music», le morceau titre du deuxième album de Tonton Leon & Mary McCreary. C’est une perle noire, une authentique Beautiful Song, Maria Muldaur y exprime l’explosion du bonheur, c’est dire si les compos de Tonton Leon peuvent être hors normes. Tintin Needs parle de sensual shuffle.

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             Tonton Leon produit en 1979 le seul album de Wornell Jones et ça démarre avec «Something Good Is Gonna Happen To You» qu’on retrouve bien sûr dans la compile : heavy groove, très impressionnant. Tintin Needs parle d’une effortlessly expressive voice that elevates the whole set. Dans les backing, on retrouve Mary McCreary and former Ikette and Gap Band dynamo Maxayn. Comme on le voit, Mary McCreary et Maxayn ne sont pas non plus nées de la dernière pluie.

    Signé : Cazengler, Léon recèle

    The Songs Of Leon Russell. Ace Records 2021

     

     

    Les Saints à l’air - Part One

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             Chris Bailey vient de casser sa pipe en bois. Il occupait un siège au premier rang de l’Académie des princes, à côté d’Iggy et des Stooges, de Johnny Thunders et des Dolls, de Lou Reed et du Velvet. Et puis on voit encore d’autres têtes connues, les Pretties, les Cramps, le Gun Club, Kim Fowley, Jimi Hendrix, Dylan, Syd Barrett, les Stones ou encore les Mary Chain. Les Saints ont énormément compté pour beaucoup de gens en France. Certains ont même monté des groupes pour célébrer leur culte. Les Nuts furent à l’origine un groupe de reprise des Saints. Aussi allons-nous déterrer un conte jadis imaginé en leur honneur. Ce conte constitue la première partie du modeste hommage que nous rendons ici à Chris Bailey.

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             Les brochures touristiques nous racontent que Brisbane est une charmante ville côtière de l’Est de l’Australie. Quelle blague ! Chris Bailey et ses copains s’y ennuient à crever. Rien à faire, nulle part où aller. Ils n’ont pas le sou... Ils ont grandi tant bien que mal dans cette ville qu’ils ont baptisé Security City. L’état de Queensland, dont Brisbane est la capitale, tomba voici quelques années aux mains d’ultra-conservateurs catholiques. Prônant l’ordre et la discipline, ils y instaurèrent une sorte d’apartheid. Une police musclée patrouille en ville, matraque en main. S’ils croisent un vagabond ou un type mal rasé, ils l’embarquent aussitôt en camion, direction Punishment Park. Là, un tribunal spécial accusera le suspect d’incitation à l’émeute et d’atteinte à la sûreté de l’État de Queensland. Le malheureux devra alors choisir entre deux châtiments : soit purger une peine de vingt ans au pénitencier fédéral, soit passer trois jours à Punishment Park.

             Étrangement, les condamnés choisissent tous le séjour à Punishment Park. C’est là qu’on leur donne le programme des trois jours : il s’agit de parcourir 85 km dans le désert, sans eau, pour atteindre un mât où flotte le drapeau de Queensland. On leur explique ensuite qu’ils risquent d’être pourchassés par des policiers armés chargés de les stimuler.

             Amis de longue date, Chris Bailey, Ivor Hay et Ed Kuepper se demandent bien comment ils vont pouvoir quitter cet enfer. Comme ils partagent tous les trois un goût commun pour l’anticonformisme, ils sont en danger permanent. Le soir, Chris rentre chez lui en rasant les murs. Il allume son téléviseur. La chaîne australienne diffuse des images de propagande américaine : les puissants B52 déversent des tonnes de bombes sur le Nord-Vietnam. Ce spectacle révolte Chris. C’est un peu comme si le gros cul boursouflé de l’Amérique lâchait des étrons mortels sur un petit pays du tiers-monde. Pire encore, le gouvernement australien qui est ouvertement pro-américain envoie des troupes se battre contre la menace communiste. En Australie, les réfractaires et les antimilitaristes sont envoyés directement à Punishment Park. Chris ne souhaite pas aller crapahuter dans le désert en plein cagnard et sous les balles des tueurs assermentés. Rien que d’y penser, ça lui donne la nausée. Il éteint sa télé et commence à tourner en rond dans la pièce, répétant mécaniquement I’m stranded, I’m stranded, I’m stranded. Il tourne ainsi pendant des heures, comme un condamné dans sa cellule.             

             — I’m stranded, I’m stranded !

             Bien coincé, en effet. Il connaît déjà les tenants et les aboutissants de la frustration adolescente. Il n’a plus rien à apprendre, de ce côté-là. L’ennui le guette comme un vautour. Une seule solution : quitter ce merdier de Security City. Ça tourne à l’obsession. Cette ville maudite n’a rien à offrir, hormis des usines et des flics armés jusqu’aux dents. Descendre dans la rue pour réclamer une amélioration des conditions de vie ? Il vaut mieux abandonner l’idée tout de suite.

             Pendant que Chris tourne en rond dans sa chambre en psalmodiant I’m stranded, Ed s’occupe activement. Il s’est réfugié dans la musique, afin d’échapper à ce que Dylan appelle le cauchemar psychomoteur. Il s’est auto-proclamé explorateur. D’instinct, il fouille du côté des légendes obscures. Il s’effare de la qualité de ses découvertes : il ne jure plus que par Link Wray et Bo Diddley. Et comme tout le monde, il subit un traumatisme le jour où il découvre le premier album du Velvet. Ed joue un peu de guitare, mais il prend garde à ce que ni les voisins ni les patrouilles de police ne l’entendent. Essayez de jouer «Sister Ray» en sourdine et la trouille au ventre, vous verrez, c’est pas facile. Par contre, Chris cultive des goûts plus simples. Il ne jure que par Elvis. Pour payer le loyer de sa chambre, il travaille un peu. Il vend des stylos en faisant du porte à porte, et comme ça ne marche pas très bien, il complète ses maigres revenus en allant travailler aux abattoirs. Et pour ne pas éveiller la suspicion des patrouilles de police, il porte un costume brun et une cravate. Et sa tignasse ? Il la ramasse sous un petit chapeau mou.

             Il s’arrête chez Ed. Toc-toc... toc-toc-toc. Il frappe les cinq coups convenus à la porte. C’est un code. Ed ouvre.

             — Content de te voir, Chris. Rentre vite, j’ai quelque chose à te montrer ! Ils montent au premier. Chris enlève son chapeau et sa cravate. Ed rallume son ampli, met le volume à deux et joue le riff de «Sister Ray». Emballé, Chris commence à chanter d’une voix rocailleuse :

             — Sister Ray... Sister Ray...

             — Chuuuuuuut ! Les voisins vont nous dénoncer !

             Mais Chris continue. Ed sue à grosses gouttes. Il éteint l’ampli. Trop risqué.

             — Tu veux aller faire un tour à Punishment Park, c’est ça, hein ?

             — Ed, on ne peut pas continuer comme ça ! On mène une vie de chiens galeux. On sort dans la rue la peur au ventre et on se chie dessus dès qu’on croise l’une de ces fucking patrouilles... Il faut monter un groupe, c’est le seul moyen de quitter le pays et d’échapper à tout ça !

             Ed opine du chef, tout en s’épongeant le front avec son mouchoir à carreaux.

             — Ed ! j’ai une idée ! On va appeler le groupe Kid Galahad and the Eternals !

             Ed bafouille :

             — C’est joli, Chris, mais d’une part, c’est trop compliqué, et d’autre part, ça fait trop référence à Elvis... J’aime pas trop la musique de vieux...

             Pris d’une crise de rage, Chris s’arrache une touffe de cheveux et beugle :

             — Et ton Bo Diddley, c’est pas un vieux, avec son gros scooter et ses cheveux mal gominés ? Et l’autre là, le Link Wray, le forain, le roi de l’instru ! Tu rigoles, ou quoi ?

             — Tu mélanges tout... Bo et Link ne sont pas allés tourner des films pourris à Hollywood ! Ils ont su conserver leur intégrité. Pourquoi on ne s’appellerait pas les Rumble, ou les Roadrunners... Ou si tu préfères quelque chose de plus drôle comme les Ray du cul...

             Chris hausse les épaules.

             — Occupe-toi de ton cul et de ta guitare. Je m’occupe du reste. On s’appellera les Saints, comme ça, on ne risque rien. Avec un peu de chance, le curé du coin nous prendra sous sa protection.

             Ils commencent alors à réfléchir, comme le font tous les groupes qui se jettent à l’eau. Où répéter ? Jouer quoi ? Ensuite, il faut écrire des chansons, trouver un batteur, puis trouver un endroit pour jouer sur scène. La routine habituelle. Ils décident de s’installer chez Ivor qui vit dans un quartier moins exposé. Il habite une boutique dont la vitrine donne sur une rue peu passante. Chris a déjà écrit une chanson.

             — Elle s’appelle «I’m Stranded». Ed, dépêche-toi de me mettre des accords là-dessus !

             Ed s’assoit et commence à mouliner des accords sur sa guitare. Chris jubile :

             — Wow, pas mal !

             Ivor et Chris secouent la tête en rythme. Ed est lancé. Il ne s’arrêtera que s’il rencontre un mur. Chris s’excite de plus en plus :

             — Ouais vas-y Ed, continue, quel carnage ! Yeah ! Like a snake calling on the phone/ I’ve got no time to be alone/ There is someone coming at me all the time/ Babe I think I’ll lose my mind/ Cause I’m stranded on my own... yeouuuu !

             Ed enchaîne des riffs fulgurants. Chris l’arrête et glapit :

             — Ed, pourrais-tu mettre un peu plus de son ?

             Posté derrière la vitrine, Ivor s’écrie :

             — Attendez les gars, une patrouille arrive au bout de la rue !

             Quelques minutes passent.

             — Ça y est, ils sont partis, vous pouvez y aller !

             Ed monte son ampli à fond et envoie la riffalama fracasser le ciel. Chris se jette dans la mêlée. Il chante le premier couplet d’une voix énorme et désenchantée. Sa voix rentre dans la fournaise riffique comme dans du beurre. Il chante d’une façon aussi abrasive que Van Morrison au temps des Them. Ils sont tous les trois ravis.

             — On en tient un par la barbichette !

             — Un quoi ?

             — Mais un tube, Ed ! C’est un brûlot aussi hargneux et aussi incendiaire que «Kick Out The Jams Motherfucker» !

             — D’accord, mais c’est pas la peine de tenir un brûlot hargneux par la barbichette si on n’a pas de bassiste...

             — Allons voir Kym Bradshaw.

             Affaire conclue. Kym accepte. Les Saints montent un petit répertoire truffé de classiques dévastateurs, comme par exemple cette reprise du fantastique «Wild About You» des Missing Links, ou encore l’excellent «Kissin’ Cousins» d’Elvis. Ils agrémentent le tout de quelques monstruosités rampantes du genre «Demolition Girl», «No Time» et «Nights In Venice». Ils répètent chez Ivor. Ils calfeutrent bien la pièce du bas, mais ils jouent si fort qu’on les entend à plusieurs kilomètres à la ronde. Les voisins lancent des briques dans la vitrine. Les Saints répondent avec des injures. Très vite, les hélicoptères survolent le quartier. Chris et ses amis voient les unités de la garde mobile se déployer de chaque côté de la rue.

             — Et ceux qui sont habillés en noir, c’est qui ?

             — Je crois que ce sont les gars des unités de contrôle d’émeutes urbaines. Ils tirent d’abord et parlementent après. Des tueurs...

             — Abritons-nous au fond de la boutique, les gars. J’ai un plan.

             Dehors, un officier lance les sommations :

             — Vous avez exactement cinq minutes pour sortir les bras en l’air, bande de communistes ! Deux chars sont stationnés devant la porte. Un bon conseil : n’attendez pas le dernier moment...Top chrono, c’est parti !

             — Bon, vaut mieux pas traîner dans le coin. Tant mieux, parce que maintenant, c’est quitte ou double, d’accord les copains ?

             — D’accord !

             — Dépêche-toi, Chris, il ne reste plus que quatre minutes...

             — On enregistre «I’m Stranded» ce week-end, on le presse à cinq cents exemplaires et on l’envoie à tout le monde, journaux, radios, supermarchés, partout où on pourra. D’accord ?

             — D’accord ! Les quatre mains s’empoignent, scellant l’un des plus beaux pactes de l’histoire du rock. Ils sortent de la boutique par derrière et courent jusqu’à la maison où vit Ed. Ils vont s’y cacher quelques jours. Au terme de quelques péripéties dignes des exploits des maquisards de la Résistance, le disque sort des presses. Ils récupèrent nuitamment les deux cartons de quarante-cinq tours chez l’artisan presseur. Chris, Ivor et Ed écrivent eux-mêmes les adresses sur les grosses enveloppes en papier kraft et vont poster les plis par petites quantités, histoire de ne pas éveiller les soupçons. Les jours suivants sont épouvantablement longs. Ils restent planqués dans la chambre d’Ed et se relaient à la fenêtre pour surveiller la rue. Les flics les recherchent activement. Les jours passent. Toujours aucune réponse des journalistes australiens ni des maisons de disques. Chris est à cran.

             — On devrait déjà avoir une réponse, bordel !

             — Tu rêves, mon pauvre. Les gens d’ici en sont encore à écouter «Smoke On The Water».

             Par contre, ce n’est pas du tout la même chose à Londres. EMI vient de signer les Sex Pistols. Justement, le pli des Saints atterrit sur le bureau d’un directeur artistique. Il écoute «I’m Stranded» et crie au loup.

             — Il nous faut les Saints !

             Un matin, Chris trouve la réponse d’EMI dans la boîte aux lettres. Au moment où il remonte l’escalier, une roquette pulvérise la porte d’entrée. Le souffle de l’explosion envoie Chris rouler dans les marches. Il connaît bien le riff incendiaire, aussi n’éprouve-t-il aucune panique. Deux hommes encagoulés se jettent dans l’entrée. Avant qu’ils n’aient eu le temps de se redresser, Chris leur jette à la tête le grand vase Ming qui décore le palier du premier. Les deux hommes s’écroulent, assommés net. Chris se jette dans la chambre alors qu’une seconde roquette pulvérise l’escalier. Il brandit la lettre de la victoire. Il a les cheveux brûlés et le visage tout noir.

             — On passe sur Radio One, les gars !

             Mais où sont-ils ? Chris voit leurs pieds dépasser. Ils sont cachés sous le lit.

             — Sortez de là, bande de trouillards ! Il faut filer d’ici dare-dare ! Ils envoient la troupe !

             On entend des grosses détonations dans l’escalier.

             — Vite, tirons-nous ! EMI nous attend à Londres ! Regardez, bande de veinards, j’ai la convocation !

             Chris pousse un cri de guerre à la Jerry Lee Lewis, yaouuuuuuuh ! Puis il déplace une petite commode. Dessous se trouve une trappe.

             — Vite ! Vite ! Descendez par là, je vous rejoins !

             Ed, Kym et Ivor se jettent dans l’ouverture. Chris arrache l’évier du mur de la chambre et sort sur le palier. Il tombe sur deux encagoulés occupés à recharger leurs gros fusils d’assaut. Il leur jette l’évier à la figure. Les deux hommes tombent du premier. Chris descend à son tour dans l’ouverture et court comme un dératé tout le long du passage secret. Il débouche dans une grotte où l’attendent ses trois amis. Ils sautent en croupe sur leurs kangourous attelés et filent droit sur Sydney, qui se trouve un peu plus au Sud.

    Signé : Cazengler, saint glinglin

    Chris Bailey. Disparu le 9 avril 2022.

     

     

    L’avenir du rock

     - Cedric a la trique (Part Four)

             En feuilletant son livre d’histoire, l’avenir du rock se surprend à rêver. Ah comme il devait faire bon vivre au temps de l’Empire romain ! Pas comme centurion, parce qu’il déteste les armes, ni comme tribun parce que la politique l’agace, mais comme négociant d’esclaves. Ah tous ces beaux esclaves fraîchement capturés dans les provinces de l’Empire et ramenés à Rome dans ces bonne vieilles cages montées sur des roues en bois ! Il les voit très bien, elles sont de la taille d’un wagon, tirées par des attelages de bœufs, elles avancent en grinçant le long de la voie appienne jusqu’au marché qui se trouve au cœur de Rome, au pied du forum. Il se laisser aller à imaginer le grouillement de vie, le choc des civilisations, le tintement des deniers et des sesterces, les langues exotiques, les corps nus exposés à tous les regards. Rien de vénal chez l’avenir du rock, rassurez-vous, il ne voit pas les esclaves comme des gens qu’on fait travailler à l’œil, qu’on brutalise ou qu’on sodomise, non il les voit comme des êtres extraordinaires, surtout les noirs capturés en Nubie par les marchands arabes. Ils sont tous très spectaculaires et conservent leur dignité. Si l’avenir du rock se voit négociant, c’est principalement pour se réserver les esclaves noirs. Pas question de laisser ces êtres magnifiques tomber dans les pattes de tous ces tarés d’aristocrates, ces Caton, ces Cicéron et ces Pompée de malheur ! L’avenir du rock se réserve les esclaves noirs pour les affranchir. Il les mettra à l’abri dans sa superbe villa de Brindisi qu’il vient de faire agrandir en rajoutant une aile spacieuse pour les y loger. Il va ensuite les vêtir et les nourrir correctement, puis leur donner en gage d’amitié des guitares fabriquées spécialement pour lui dans la province d’Ibérie. Il ne leur demandera en échange de toutes ces faveurs qu’une seule chose : chanter et gratter leurs grattes. Une fois leur consentement obtenu, il ouvrira des cabarets dans toutes les grandes cités de l’Empire pour y organiser des concerts et la plèbe pourra entendre ces affranchis africains chanter le blues. Il est même choqué que personne n’y ait pensé avant lui.   

     

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             De toute évidence, l’ancêtre de Cedric Burnside est passé par les pattes d’un marchand d’esclaves. Un Africain sur le sol de États-Unis, ça veut bien dire ce que ça veut dire. L’ancêtre de Cedric Burnside n’a pas eu la chance de rencontrer l’avenir du rock.

             Depuis l’antiquité et l’apogée de la traite des noirs au XVIIIe siècle, les choses se sont un peu «arrangées», du moins dans les apparences. Les noirs ne portent plus de chaînes mais ils sont toujours aussi mal vus, sauf par les amateurs de blues qui les considèrent comme des dieux, ce qu’ils sont d’une certaine façon. Aux yeux des ceusses qui ont eu la chance de voir Cedric Burnside sur scène, ça ne fait aucun doute. 

             Andrew Perry rappelle dans Mojo que Cedric Burnside a enregistré son nouvel album I Be Trying à Memphis, au Royal Studio de Willie Mitchell, avec Lawrence Boo Mitchell, fils de Willie. Un autre fils de légende participe au festin : Luther Dickinson, fils de Jim. Il ramène dans le son de l’electrifying slide guitar. Alors Cedric peut sortir son robust beat qui est à l’épreuve du temps. Perry conclut sa petite chroniquette ainsi : «Bursnside presents as a guenine one-off - a uniquely rooted artist of rare precision and power.»

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             Dans les liners de son album, Cedric Burnside fait preuve d’une humilité qui dépasse les bornes. Il remercie sa femme et ses trois filles d’avoir toujours cru en lui. D’ailleurs, il s’empresse d’ajouter qu’il écrit ses chansons pour elles. Il remercie aussi les mecs du label pour leur aide et leur support, et bien sûr, il n’oublie pas le principal, God - My savior for blessing me with the gift of playing Hill Country Blues - I Be Tryin ne parle que de ça, d’Hill Country Blues qu’il joue au raw de Como, c’mon now, il claque ses notes à la revoyure d’ongle noir. Luther Dickinson arrive pour «Step In» et on a tout le son du monde, ça ratapoume dans le studio de Willie le fantôme. Oh yeah, Cedric Burnside ratapoume dans l’œil du cyclone. Personne ne peut battre le Memphis beat à la course. Reed Watson bat le beurre sur le morceau titre amené à la Kimbrough. C’est une compo nettement plus ambitieuse. Il faut laisser Cedric Burnside déployer ses ailes. C’est lui qui tatapoume sur «You Really Love Me». N’oublions pas qu’il a démarré comme batteur derrière son grand-père Rural. Il frappe sec et net, au pur jus d’on the beat, the heart of the North Mississippi Hill Country Blues. On retrouve les latences de Junior Kimbrough dans «Love Is The Key», c’est là très précisément que l’hypno se nourrit du gospel batch. Luther revient couiner sur «Keep On Pushing», il ramène le wild electric feel de Memphis, c’est-à-dire des vents de folie. Cedric Burnside se veut plus ambitieux avec «Pretty Flowers», une petite éclosion de beats bucoliques greffés sur la complexité d’une étonnante structure. Il adore visiblement partir à l’aventure. Alors on le suit. Il embarque plus loin «Hands Off That Girl» sur un heavy beat de rêve. C’est du vieux Burnside de derrière les fagots de Como. Il charge bien la barque du punk-blues avec «Get Down». Ah c’est tout de même autre chose que les Black Keys. Hey ! Il faut le voir dégringoler ce heavy punk-blues. Quelle puissance ! Si tu veux sonner comme ça, t’as intérêt à être descendant d’esclave ! Il pleut du son comme vache qui pisse dans cet album. Cedric Burnside claque son riff et chante plus fort que le Roquefort. 

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             Stephen Deusner lui accorde une demi-page dans Uncut. Une demi-page, c’est déjà mieux que rien. Cedric rappelle qu’enfant il battait le beurre pour Big Daddy, son grand-père, et quand sur scène Big Daddy virait les musiciens pour attaquer trois cuts en solo, Cedric se mettait sur le côté pour observer son grand-père - I was listening to his rhythms which were so unorthodox, and I was listening to his vocals, how they were so heavy but so beautiful at the same time - Il flashe notamment sur une chanson, «Bird Without A Feather» qu’il reprend sur I Be Trying - It sounded like he just took little pieces of something that wasn’t even done yet but he made them sound whole - Il dit qu’il a répété ce cut pendant des mois, trying to get the rhythm just right - Bravo Cedric, car le résultat est là, c’est en effet un cut d’une grande complexité. Depuis 30 ans nous dit Deusner Cedric s’efforce de maintenir la tradition du North Mississippi Hill Country Blues tout en la faisant évoluer. Il voulait absolument venir enregistrer I Be Trying chez Boo Mitchell qu’il connaît depuis qu’il est ado. Boo qui est un gentil mec dit un moment à Cedric que le micro dans lequel il chante est celui dans lequel chantait Al Green. Cedric vit ça comme un honneur. Deusner dit aussi de Cedric qu’il affronte les temps modernes avec un sens aigu des responsabilités. Il est le porteur d’une tradition et il sait que le blues doit jouer un rôle dans ce monde entré en dégénérescence : «There’s a lot of crap going on right now and the blues has to speak to that too.»

    Signé : Cazengler, la burne

    Cedric Burnside. I Be Trying. Single Lock Records 2021

    Stephen Deusner : Cedric Burnside. Uncut # 290 - July 2021

     

     Inside the goldmine

    - My Lewis Taylor is rich

     

             Il nourrissait à l’égard de M un sentiment particulier. Une affection qui confinait au spirituel. Comme M lui avait sauvé la vie, il était devenu son frère de sang. Nous savons bien que l’expression est tombée en désuétude, car les contextes se sont assagis, mais pas les circonstances, du moins certaines circonstances, qui restent égales à elles-mêmes, qu’on vive au XXe siècle ou au moyen-âge. Avoir dans la vie un frère de sang est un prodigieux privilège, mais un petit inconvénient altérait ce privilège : les retrouvailles se raréfiaient. Pourquoi ? Des circonstances disons exceptionnelles contraignaient M à vivre en dehors de la réalité, dans cet entre-deux mondes qu’on appelle aujourd’hui la clandestinité. M poursuivait sa chimère qui s’appelait l’aventure, qu’il voulait dangereuse et de tous les instants, ce qui rendait les moments de répit basiques, comme par exemple un verre dans un bar ou un repas au restaurant, illusoires. En de rares occasions, M qui était épuisé venait dormir à la maison et au petit matin, il se joignait à la promenade des chiens. M qui était fort bel homme portait en permanence un bonnet et des lunette noires, ce qui était le meilleur moyen de ne pas passer inaperçu.

             — M, tu sais que tout le monde te remarque, attifé comme tu es ?

             — Tu ne comprends rien, poto, je suis l’homme invisible !

             Puis les rencontres s’espacèrent considérablement. M vivait sur des charbons ardents. Il appelait d’une cabine pour demander d’aller chercher «un truc» chez un mec et de le lui apporter dans un endroit qui était toujours le même : un terre-plein entre deux voix rapides, juste en face d’une station service, en grande banlieue. M attendait sur le terre-plein, assis sur sa moto dont il n’avait pas coupé le contact, prêt à filer à la moindre alerte. Il gara sa bagnole derrière la station service et alla trouver M pour lui filer son «truc», un petit paquet dont le poids indiquait clairement qu’il s’agissait d’une arme. M ôta son casque pour claquer une bise. Dans la lumière rasante de ce matin d’hiver, le bleu de son regard et le casque sous le cuir du bras firent soudain de lui un chevalier jailli du passé. 

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             C’est exactement ce qu’on éprouve à la vue de la pochette du Lewis II de Lewis Taylor. Avec son allure de chevalier en chasuble blanc, cet artiste contemporain semble lui aussi jaillir du passé. Même striking évidence. Comme M, il s’est trouvé plongé dans l’entre-deux mondes, celui de l’underground, malgré une poignée d’albums remarquables qui auraient dû le faire éclater au grand jour.

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    Ce Taylor rich propose une Soul de down beat incroyablement troublante, celle d’un blanc qui se prend pour un black, un black trop black pour être honnête. Il fonctionne par paquets de Soul de 5 minutes, il faut savoir tenir la distance. Une wild guitar agite le groove, l’effet est saisissant. En fait, c’est lui, la wild guitar, il jouait dans la reformation de l’Edgar Broughton Band qu’on voit filmée en Allemagne au Rockpalast en 2008. En plus d’être un fabuleux guitar slinger, ce Taylor rich est l’un des grands white niggers d’Angleterre. Avec «My Aching Heart», il se prend pour un gros calibre de la Soul moderne, son groove bascule vite dans la magie. Il fait du sexe pur avec «You Make Me Wanna» et attaque «The Way You Done Me» aux synthés. Il se prend pour le roi de la Philly Soul et s’emblacke jusqu’au bout des ongles. Il dispose d’une incroyable facilité à sonner black. Il faut le voir travailler la Soul de «Satisfied», il fait de la pure Philly Soul, toute trace de Broughton a disparu. Il tape encore une Soul inexorable avec «I’m On The Floor», il travaille l’expression du pré-groove, et descend systématiquement au barbu, yeah yeah, c’est un démon de la black à la peau blanche. Il bat encore des records de véracité avec le morceau titre, il fait du pur Marvin, il crée exactement le même genre d’ouvertures, ce Taylor rich a beaucoup écouté What’s Going On. Il dérive à la bonne mesure. Fantastique Lewis kid ! Il devient encore plus infernal avec «Blue Eyes» car il attaque à la voix d’ange. Il tombe sur le râble du groove et part en dérive océanique de don’t look at me blue eyes et comme il cela ne suffisait pas, il ajoute So I say goodbye-aye-aye/ For the last time.

             Dans la presse anglaise, une toute petite actualité l’arrache enfin à l’oubli. Dans Record Collector, Paul Bowler lui consacre sa rubrique ‘Under The Radar’ et rappelle qu’en 1996, à la sortie de son premier album, des luminaries comme Elton John, Paul Weller et David Bowie s’étaient prosternés devant lui, Bowie allant même jusqu’à déclarer que cet album était «the most exciting sound in contemporary soul music». Mais l’album ne s’est pas vendu. Bowler explique que ce Taylor rich avait amalgamé la Soul, le funk et la psychedelia pour en faire something fresh and new. Et qu’en plus il jouait lui-même tous les instruments dans son home studio. Bowler nous explique ensuite qu’il fut élevé par une music-mad mother et qu’il avait appris le piano très tôt, à l’âge de quatre ans, puis à l’adolescence, il s’est mis à écouter Captain Beefheart, Faust, Syd Barrett et Cecil Taylor. S’ensuit l’épisode Edgar Broughton Band et pouf, il démarre une carrière solo en tant que Sheriff Jack. Dix ans de break et à 30 ans il redémarre en tant que Lewis Taylor. Et c’est là avec le premier album que le miracle se produit. Bowler parle de croisements entre Jim Hendrix et Marvin Gaye, entre Brian Wilson et Shuggie Otis.   

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             Paru en 1996, ce fameux album s’appelle tout bêtement Lewis Taylor. Nouvel hommage à Marvin, et ce dès le «Lucky» d’ouverture de bal. Il va chercher le c’mon all down the line dans une Soul blanche digne de celle de Marvin, c’est une révélation. Il joue ensuite son «Bittersweet» au doux du groove, avec une rondeur d’ouate jazzy et un peu de wah par dessus. Il tartine ses couches et se prend indéniablement pour Marvin. Il chuinte au doux son what you gonna doooo, c’est très sérieux, ce Taylor rich n’est pas un gadget, il est investi de toute la dignité du peuple noir, il monte dans les hauteurs avec son petit chat perché, rien d’aussi pur et dur. Alors forcément, on entre dans cet album comme dans du beurre. Il groove tous ses cuts jusqu’à l’os du jambon, son «Track» est clairement destiné aux amateurs de Soul de haut rang, il saupoudre son lard d’une pincée de magie, il travaille tout à la black. Jamais on aurait pu imaginer qu’un blanc-bec irait aussi loin dans la Soul. Sa «Song» est une merveille, il développe des sons extravagants, il se montre digne des géants, oh darling oh baby !. Avec «Betterlove», il entre dans le territoire des très grands artistes, il se paye des regains de violence, il voudrait se faire passer pour un offender, il vise le modèle dément, accordons-lui le privilège du génie, I said baby I know, son real white niggarism finit par générer de la démesure, ses vagues te portent et te téléportent. Et ça continue avec «How» embarqué au yeah yeah yeah. On savait l’Angleterre bien fournie en matière de white niggers, mais celui-là bat toutes les expectitudes. Il faut le voir rôder dans le groove de «Right» et il devient enfin le roi du monde avec «Dawn». Alors bienvenue dans le royaume du Taylor rich. Le voilà dans les dynamiques de la Soul de velours, il groove comme un démon des Mille et Une Nuits, il rivalise de sweet Soul avec Billy Paul, il te coule dans son moule, c’est hot, my mind,  comment peut-on croire à une telle perfection ? La marée t’emporte dans un final de non-retour. 

             Mais comme ses albums ne se vendent pas, en 2006 il annonce qu’il arrête la musique et il vient s’installer en France comme plombier. Rien pendant dix ans, puis ce Taylor rich annonçait en 2016 sur les réseaux sociaux qu’il re-rentrait en home studio avec sa femme Sabrina. Et Bowler, emphatique, conclut : «One of the most criminally overlooked artists is returning.»

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             Paru en 2004, The Lost Album réclame la plus haute attention. Dès «Listen Here», ce Taylor rich nous épingle. On croit entendre les arpèges suspendus de Michael Chapman et il chante en plus à la voix d’Angel dust. Il vise la Soul terrifique. Il bosse sa dérive abdominale dans l’excellence de basslines éperdues à l’horizon d’un jour nouveau. Avec «Hide Your Heart Away», il repart en longeant la muraille, il fait cette fois de la pop enchantée et débouche dans une Soul psyché ravissante. Ses montées sont dignes de celles des Beach Boys. Il cherche les hauteurs inexplorées. Sans même le vouloir, il tient la dragée haute à Brian Wilson, car avec «The Leader Of The Band», il file droit sur l’excellence de la persévérance. Il nous noie dans la bienveillance de sa magnificence, cet album correspond à l’idée qu’on se fait du paradis, il gouverne vers le soleil, comme Brian et Croz, tous ces mecs sont des accros du paradis. Il drive sa Soul blanche si bien qu’elle devient parfois poppy, comme le montre encore «Please Help Me If You Can» - I’ve been alway a long long time/ Baby/ You have to understand - Il cherche la vérité et propose une Soul de pop stupéfiante. Il tâte encore du Beach Boys sound avec «Let’s Hope Nobody Finds Us» et retourne à la découverte des ambiances supérieures avec «New Morning». Ce mélange de Soul et de Brian Wison ressemble à un aller simple. Encore une fois, ce Taylor rich a du génie. Il impose un retour au clame avec les accords de clavecin de «One More Mystery», il prépare bien ses effets car voilà qu’explose un master stroke, il strike la pétarade, il s’énerve et claque son chou-fleur, il monte en pression, il swingue son last you see et part en mode ouuh ouuh d’Hey Jude pour plonger dans la violence et virer en vrille de wah.

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             Dans Mojo, Jim Irwin salue la réédition du premier album, «an instant classic». Ado, Lewis Taylor fréquentait un disquaire du comté d’Hertfordshire, au Nord de Londres, et c’est là qu’il s’éprit de l’Edgar Broughton Band - À 11 ans, je les connaissais - Et comme son frère aîné bossait pour Edgar, il recommanda Lewis comme guitariste. Le jeune Taylor partit donc en tournée européenne avec son idole, un Edgar qui comme lui, était un taiseux. Irwin explique aussi qu’à l’époque du premier album, Lewis Taylor avait arrêté les drogues pour composer ses cuts et se replonger dans Tim Buckley et Scott Walker. Comme dirait cette vieille quenelle de Queneau, c’est en lisant qu’on devient liseron.

    Signé : Cazengler, Lewis Taylarve

    Lewis Taylor. Lewis Taylor. Island Records 1996 

    Lewis Taylor. Lewis II. Island Records 2000

    Lewis Taylor. The Lost Album. Slow Reality 2004

    Paul Bowler : Under The Radar. Record Collector # 521 - August 2021

    Jim Irwin. Unlucky. Mojo # 334 - September 2021

     

    *

    Question à deux cent mille euros – ou à vingt centimes – tout dépendra des fonds entreposés dans notre tiroir-caisse. Quel est l’artiste rock ou le groupe rock qui a eu droit au plus grand nombre de chroniques live sur notre site. Ceux qui lèvent le doigt et se hâtent de s’égosiller ‘’Dylan, Bob Dylan !’’ sont des kr’tntreaders de la dernière heure, qui nous suivent à peine depuis un mois, leur sagacité leur a permis de remarquer trois articles sur Dylan ces trois dernières semaines, eh bien non ce n’est pas Dylan… ni les Rolling Stones, ni Gene Vincent, ni Fred Neil, encor moins les Beatles, ni Chips Moman, ni… arrêtez de citer vos chouchous, n’en jetez plus, le vainqueur est déjà désigné, je livre fièrement – car il des nôtres – son nom, vous le connaissez, l’illustre Loser, notre émérite  Cat Zengler qui dans une de ses récentes chroniques remarquait que la formation dont on avait chroniqué le plus grand nombre  de prestations live, c’était… roulements de tambours… les Jallies !

    N'ayez pas honte si vous ne les connaissez pas, n’accusez pas notre Cat Zengler de ne pas savoir compter sur ses doigts, d’abord parce que le Cat Zengler a toujours raison, ensuite parce que vous avez ci-dessous la preuve (une de plus) indubitable de ses dires.

    THE JALLIES

    07 / 04 / 2022

    ( Le Glasgow / Fontainebleau)

    Réponse à une question angoissante : pourquoi les Jallies et pas par exemple les Rolling Stones qui ont manifestement plus apporté à l’Histoire du Rock ‘n’ Roll . Parce que ces treize dernières années les Rolling Stones ont très peu tourné en Seine & Marne, alors que les Jallies sont domiciliées dans cet absolument mirifique département de France puisqu’il détient l’insigne honneur d’abriter votre blogue préféré. Bref une proximité géographique évidente. Mais ce n’est pas tout : les trois plus belles filles seinémarnaises sont membres des Jallies. Vous comprenez que cet argument (hyper-féministe) l’emporte sur le dernier, car au demeurant les Jallies sont un très bon groupe.

     

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    Retour au Glasgow, nous y avons déjà vu à plusieurs reprises, entre autres, les Spunyboys et les Jallies. C’était en des heureux temps sans masque (de fer) et sans pass (no pax) vaccinal, donc, confinement oblige et le fait qu’elles ont, en période de rémission, tourné souvent en Bretagne – elles y ont des fans – voici bien trois ans que nous n’avons assisté à un de leurs concerts. Parfois la vie est absurde et cruelle. Petite particularité grammaticale, en toutes logique nous devrions employer le pronom ‘’ ils ‘’ puisque le groupe est composé de deux garçons et de trois filles, or comme en notre douce et docte langue françoise le masculin l’emporte toujours sur le féminin… oui mais on dit ‘’elles’’, parce que les filles relèguent les guys à l’arrière et qu’elles s’arrangent toujours pour les cacher derrière le décor de leurs beaux corps, heureusement on les entend, et puis il faut l’avouer : elles sont si belles qu’on ne voit qu’elles. Bref l’exception qui confirme la règle. Que confirme les règles de trois.

    Attention changement dans la continuité, les trois garces sont toujours trois, mais depuis quelques mois une nouvelle est apparue : Bérénice. Trop jolie, je lui en veux, elle m’oblige à me livrer à un mensonge littéraire en traficotant le célèbre incipit d’Aurélien, le roman de Louis Aragon : La première fois que Damie Chad vit Bérénice il la trouva franchement belle.  Ce n’est pas bien, mais avec son corps souple et sa chevelure bouclée de brunette, je suis prêt à réécrire le bouquin entier pour qu’il réponde à ma vision.

    Le problème avec les Jallies c’est que vous ne savez plus où donner de la tête. Voici Leslie. Le lys qui vous lie dans la vallée aurait écrit Balzac. Pour Vanessa pas d’héroïne littéraire à citer, c’est elle avec son toupet de cheveux blonds et l’éclair décidé de ses yeux qui héroïse votre vie. J’arrête les compliments elles vont finir par s’en croire. D’autant plus qu’il faut en garder pour les garçons.

    Damie, si tu nous parlais de musique. Tout de suite, bande de jaloux. C’est très simple, si je compare aux Jallies d’avant, une phrase me suffira. Quand elles swinguent, c’est beaucoup plus swing, quand elles rockent, c’est davantage rock. C’était déjà très bien avant, maintenant c’est mieux. Plus fort, plus direct, sur scène elles assènent sec. La set-list n’a pas changé du tout au tout, elle s’est amplifiée, deux sets plus un rappel de trois quart d’heures.

    Le rituel de miel habituel. Une à la caisse claire, une au micro, une à la guitare ou au tambourin. Changent sans arrêt de place. Quand l’une chante, les deux autres jolies-cœurs font les chœurs. Pas tout à fait de la même manière que dans leurs temps préhistoriques, les petites sœurs chantonnent en douceur, des harmonies de rêve, de gaze et de zéphir qui vous subtilisent l’âme et l’emportent l’on ne sait pas trop où, dans des pays de cocagne où à tous les coups l’on gagne.

    Par contre question rythmique, ça nique. Quand c’est lancé, c’est envoyé. Ne se refusent rien, ça fuse franco, ça fonce et défonce, entre chasse au renard et steeple-chase, si vous suivez en tapant du pied, z’avez le palpitant souvent soumis au vent d’autan, autant ça cavale, autant ça contrepointe à rebours et à revers, pas le temps de se perdre dans les contre-temps, c’est pas du n’importe quoi, c’est pas du n’importe couac, tombent pile toutes ensemble, au point voulu, tir groupé, saut de parachute et vol libre de précision. Le swing déteste l’à-peu-près, ou c’est juste ou c’est faux, avec nos trois divas ça ne divague pas.

    Le public ne marche pas, il court. Y a des fanas (musiciens) de rockabilly à mes côtés qui connaissent tous les morceaux par cœur et à qui on a intérêt à ne pas servir du trop cuit ou du trop cru. La rocktissoire, pas d’histoire, elle doit rouler et tanguer dans le bon sens.

    Ne croyez pas qu’il n’y a que les filles dans la vie qui soient intéressantes. Les boys, je sais de quoi je parle, valent aussi le détour. Et ce soir y en a deux que l’on voit mal mais qui savent se faire entendre. D’abord Kros, un slappeur fou. Ecoutez-le trois minutes en fermant les yeux. Vous direz, le mec à la batterie il est fortiche, il ne passe pas son temps à trier les pois chiches, un véritable derviche tapeur, un sorcier des baguettes. Tout faux. Maintenant vous savez pourquoi chez Sun il n’y avait pas toujours un batteur dans le studio, une bonne contrebasse suffit. Un bûcheron, tout en finesse, un karateka qui frappe ses cordes comme si sa vie en dépendait, full-contact avec l’ennemi. Le Kros il lui cherche des crosses à la big-mama, lui fait descendre et remonter les escaliers sur les rotules, les genoux craquent et le bois des marches pète sec et rouspète dur.  

             Je ne veux pas dire que Kros a la tâche la plus facile. Dépense une énergie folle. Pire que dans une cour d’école, mais le rythme quand c’est parti, n’y a plus qu’à suivre le mouvement. Alors que le Thomas avec sa guitare, l’est réduit à la concision.  Dans le swing et le rockab, les solistes c’est comme pour le départ des fusées, z’avez une fenêtre de tir, avant c’est trop tôt, après c’est trop tard. Pour une Ariane, vous avez au pire quelques heures, pour Thomas c’est au mieux quinze secondes, dans lesquelles il faut tout donner, pas le temps de réfléchir, pas le temps d’hésiter, tout et tout de suite. Et ce soir, Thomas nous a offert un festival. Quelle inventivité, quelle diabolique précision, quelle habileté, quelle imagination, l’a à chaque fois le gimmick qui tue et la note qui ressuscite, l’a le plan adéquat qui ne vous laisse pas en plan, fourmille d’idées et de dextérité, regardez ses doigts, le gars il ne joue pas le truc qu’il a déjà fait quinze mille fois, il innove, il imagine, il essaye, il expérimente, il tente, il réussit. Ah les tourterelles devant avec leurs chants délicieux vous les emporteriez chez vous pour les mettre en cage et vous délecter de les entendre  jacasser rien que pour vous, mais Thomas non, c’est un guitar-hero et vous n'aurez jamais assez d’or dans votre coffre-fort pour qu’il condescende, dans votre maison, à gratouiller une corde durant trois secondes pour vous faire plaisir.

             Le Kros ne se contente pas de slapper. L’a tout compris de la vie. Les filles c’est bien, mais il ne faudrait pas que les pinsonnes piquent un somme entre deux chansons. Trois secondes de trop dans un changement de place et hop d’une voix de stentor qui ne veut pas de temps mort, il titille et vous houspille le public à coups de torpilles, ça rugit dans la salle et les gamines recommencent - illico les noix de coco et illica les noix de coca - leurs gammes. Parfois il pousse des hurlements et se lance dans un impro à la Ray Charles. Que n’a-t-il dit ! Sur la fin, se plante devant et vous expédie un Tutti Frutti pur jus séminal, et vous décoche un Hound Dog qui vous laisse une encoche dans les neurones et vous embroche les phéromones.

             Remarquons que les fifilles, ne gardent pas leurs billes dans le sac aux bisbilles, pas moins de quatre pépites émérites de Gene Vincent, du Janis Martin, du Stray Cat, du Wanda Jackson, du Nancy Sinatra, du Annisteen Allen, du Henry Thomas, du Burnette Trio… le pire c’est que quand elles tapent dans leur morceau, Takou par exemple, comparé aux bolides précédents c’est pas du tacot, c’est du solide, ça tient la rampe, ça tient la crampe.

    Publicus excitus. Musicos crevos. Concerto excellentissimo.

    Damie Chad. (Qui n’a pas perdu son latin !)

     

    *

     J’ai ricané en apercevant le titre, tiens encore un truc de doom sur l’enfer, si l’on me donnait un euro à chaque fois que le mot Hell est prononcé dans un morceau rock, je serais riche. J’ai plissé les yeux, au juste faut-il lire  lleléll ou heléh, après vérification cette dernière graphie s’avère la bonne. Bizarre, ce ne sonne pas espagnol, le groupe est de Cordoba, région du centre de l’Argentine, ressemble à de l’hébreu, mon traducteur me dit qu’en effet en cette langue il signifie Salut, mais que le mot est emprunté au soudanais. Je veux bien, délaissons les questions étymologiques, simplement remarquons qu’entre le Salut et l’Enfer, il existe un point de concomitance sémantique. Dommage qu’il y ait toutefois cet accent sur le second E, sans lui le mot serait un magnifique palindrome infernal…

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    Autre particularité, ce n’est pas vraiment un groupe. Plutôt un acte artistique. Sont deux : Matias Takaya : guitare et basse, possède aussi le studio d’enregistrement ( AV recording Studio ) dans lequel l’opus fut perpétré. Gonzalo Civita : vocal et couverture. Troisième homme aux drums : Johan π avec son 3,14  l’a un nom  de batterie électronique.

    Sur son FB, Matias Takaya décrit avec une précision d’entomologiste le résultat de son travail : ‘’ Hoy salio este discazo pesado, oscuro, densos, suicida que hicimos con Gonzalo Civita ‘’ soit en la langue de Villiers de l’isle Adam : ‘’ Aujourd’hui est sorti ce disque lourd, sombre, dense, suicidaire que nous avons commis avec Gonzalo Civita ‘’

    Est-il vraiment nécessaire de lire la chronique après une telle déclaration !

    HELEH / HELEH

    ( Avril 2022 / YT – Bandcamp)

    J’ai toujours un doute lorsque j’aborde un disque de rock chanté en espagnol, c’est l’espagnol qui me trouble, m’apparaît comme un truc exotique, une marque folklorique indélébile, je me dis qu’un quidam étranger qui écoute un opus en français doit avoir le même mouvement répulsif, mais pourquoi ne chante-il pas en anglais… souvent quand je tombe sur des spanish groupes qui m’intéressent mais je ne parviens pas à accrocher et je passe à un autre.

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    Réquiem  : oui c’est sombre et lourd, au cas où vous n’auriez pas compris les paroles s’en chargent, sommes en plein dans un enterrement, le cercueil est déjà dans la fosse, et le narrateur vient de lancer sa poignée de terre, une scène de cinéma ou plutôt d’opéra, funeste et grandiose, très beau récitatif de Gonzalo Civitas, vous ne sentez pas, par sa manière d’articuler les mots, de les transformer en chant, l’écran de l’idiome inhabituel, voix et musique ne forment qu’un. La lenteur d’un convoi funèbre, riff de base et de basse ne varietur, si le chant de Gonzalo s’exhausse, se métamorphose en cri d’oiseau qui plane là-haut, là-bas, très loin, la guitare écume et amertume de chagrin incisif qui sourd dans votre chair, tout se passe dans la tête, les regrets éternels, l’inéluctable consommé, il est trop tard pour avoir mieux agi. Il ne fait pas beau, ni au-dedans de soi ni dehors, l’on entend gronder l’orage, s’élèvent des chœurs, ce n’est pas pour rien que le morceau s’appelle réquiem. Existir : le titre semble mal choisi, la musique s’allonge, s’étire, voix mortuaire, qui parle, moi ou la mort, cet existir est une méditation angoissée sur la mort, ne formerait-elle pas un avec l’existence, arrêt brutal, le chant devient cris désespérés, sludge enkysté en chœurs, la mort n’est-elle pas la vie parfaite que l’on clôt lorsque le couvercle du cercueil se referme sur nous, est-ce au moment de la mort que nous prenons conscience de vivre pleinement puisque nous sommes au bout de l’accomplissement du fait d’exister, ou alors basculons-nous pour toujours dans le néant, à moins qu’une fois annihilé nous remettions nos pas dans notre existence, aussi dévolue au trépas que celle que nous venons de quitter, et nous revenions exactement le même toute une éternité de temps ce qui revient à dire que la vie n’est qu’un autre nom de la mort. Pas très gai, mais magnifique, cette basse qui referme le suaire, cette batterie qui enfonce à coups lents les clous et cette guitare qui les suce avec une voluptueuse angoisse de l’intérieur.  Amar : ne vous fiez pas au titre. Qui parle là ? Est-ce depuis le dessus ou le dessous de la terre. Quelle est cette consolation, d’où vient-elle, de celui qui est parti, de celui qui reste, à moins que de l’un à l’autre elle ne vienne que de moi, une fois mort ou vivant, superbe oratorio avec la voix qui mord le récitatif mortuaire, accélération, plissement, ahanements battériaux, la voix s’étrangle d’énoncer des réalités impalpables, la peur de rester enfermé en soi-même ou dans le cercueil, ce qui revient au même. N’a-t-on pas toute l’éternité pour trouver la réponse… Questionable virtud : pas d’affolement, nous sommes vivants, enfermés dans notre chambre close ( ne serait-ce pas une métaphore d’un autre enfermement ) musique lourde et lente, la guitare devient scie, la voix découpe les stases de l’existence pour les réassembler, l’on change le montage du film, silence l’ion entend comme dans les ciné-clubs la roue mobile du projecteur qui se prend pour un ventilateur en roue libre. Hurlements ? est-ce vraiment du courage que de vouloir remodeler sa vie comme si l’on pouvait modifier la mort, comme l’on range sa chambre. Magnifique performance vocale. Canto jondo. Chant d’impuissance. Lo ven ( Mi infierno ) : bruissement de petit moteur, presque ces appareils sur lesquels on vous branche à l’hôpital, gargouilles vocalisées, des voix qui chuchotent au loin, que l’on ne comprend pas, musique lourde et angoissante, borborygmes cafouilleux dans une gorge embrumée de glaires, une guitare voilée prend de l’altitude, est-ce une âme qui monte au paradis, ne craignez rien, qu’elle descende dans l’enfer de l’existence, ou de la mort, de toutes les manières c’est du pareil au même. La caméra n’en finit pas de tourner… Elle s’arrête en bout de piste. Il n’y a plus rien à filmer. Parfois l’on peut couper le film volontairement avant la fin. C’est juste une autre fin qui ne diffère en rien d’une autre fin.

    Pas très gai je vous l’accorde (de pendu) mais d’une beauté noire et splendide.

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    Pour nous changer les idées regardons la couve. Un paysage, une rivière qui coule au fond d’une vallée. Rien de bien original, si ce n’est ces teintes marron-bistre qui rappellent les les photographies de la fin du dix-neuvième siècle. Oui, je sais c’est vieux tout ça, oui ça ne se fait plus, c’est mort ! Vous ne croyez pas si bien dire, cette rivière anonyme ne serait-elle pas une figuration d’une autre davantage léthéenne, qui coule en un autre royaume.

    Damie Chad .

     

     

    *

    Les deux mots m’ont sauté au visage, dans un tout petit texte qui défilait sur FB, ce n’est pas qu’ils étaient difficiles à comprendre, ce n’est pas que qu’ils sont inusités depuis le treizième siècle, c’est que leur proximité est assez rare, un peu comme si dans la notice de montage de votre machine à laver achetée en kit, vous trouviez les termes diplodocus et éclair au chocolat. Là c’est encore plus incongru. Je vous les livre : rock et politique. Pas de panique, examinons la chose de plus près, en gros le gars affirmait que certains lecteurs se sentaient désorientés par l’éditorial politique qui ouvrait leur blogue rock. Tiens, quelqu’un de courageux, facile de l’identifier, c’est écrit, Le blog de Stevie Dixon, Oh ! la ! la ! un bail que je ne me suis pas promené dessus. Vérifions ! Y a ceux qui disent et ceux qui font. Parfois ce ne sont les mêmes. Comme disait l’autre un petit clic et un grand pas pour l’humanité.

    GUIGNOL’S ROCK # 2487

    (moi qui suis tout fier de nos 550 livraisons, je me sens pitoyable)

    Brèves News in Strange Times à Lyon du 1er au 15 / 04 / 2022. 

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    Pas besoin de chercher bien loin, après la belle pochette du premier album des Beths de passage le 08 avril au Périscope. N’y vont pas le mouchoir dans la poche et la queue entre les jambes. Je recopie :

    ‘’ Ouch, on se retrouve en pleine période électorale… Non, on ne va pas vous faire l'affront de vous dire pour qui voter, mais quand même on va suggérer pour qui ne pas voter, c'est bien le moins… Et comme d'habitude, on s'intéressera uniquement ici à l'aspect sanitaire (et non aux autres scandales liés au président actuel qui déboulent nombreux et costauds, mais sont passés sous silence par la presse bien muselée). Quitte pour nous à rabâcher un peu sans doute. Et comme d'hab' aussi, si ça ne vous intéresse pas vous pouvez passer aux brèves News Rock un peu plus bas’’

    Attention c’est clair net et précis, Guignol’s Rock, ce ne sont pas des guignols, en fait si, puisqu’ils sont lyonnais et que la marionnette qui passait son temps à bastonner la maréchaussée défendait le point de vue des classes laborieuses,

    Bref ne se contentent pas de se déclarer rebelles. Le genre de proclamation qui ne mange pas de pain, qui tout de suite vous recouvre d’une aura romantique qui plaît aux filles. Une position métaphysique de principe qui trop souvent est un paravent qui vous dédouane de toute participation active… à des actes de rébellion…

    Non chez Guignol’s Rock on saute à pieds joints dans l’actualité. Ne font pas non plus de la politcaillerie de bas étage à la petite semaine. Ce n’est pas la mouche tsé-tsé qui les a piqués, c’est pourtant un truc qui pique et à plusieurs reprises, la médecine miracle qui devait nous débarrasser du Covid. Le fameux vaccin anti-épidémique. Ne sont pas pour, j’ai même l’impression qu’ils sont contre.

    Pour parler de mon cas personnel, comme des milliers d’autres j’ai senti l’embrouille, dès l’annonce du confinement, l’intuition qu’il y avait trop d’argent en jeu… Mais bon chacun prend ses responsabilités, je n’y suis pas allé. Respecte ceux qui ont tendu le bras. Leur souhaite simplement de n’avoir pas eu la même mauvaise idée de ma mère huit jours après l’injonction, elle est morte. Un cas extrême certes, mais il ne faut pas oublier tous les cancers, tous les accidents cardiaques, tous les urticaires géants et autres babioles peu sympathiques qui se développent depuis quelques mois dans le pays. Cherchez l’effet, vous trouverez la cause Aristoteles dixit.

    Jusques là l’histoire se tenait. Mal, mais elle tenait. Brusquement la mascarade s’est aggravée. En plus de la troisième piquouze, notre président chéri a inventé un super truc, le pass vaccinal. Pas de pass, pas de concerts rock, pas de restos, pas de bars. De toutes la manières les concerts assis avec un masque… Bref comme beaucoup j’ai passé tout l’été à manifester…

    Je sens les objections, tous des rockers, des ignares, des brutes, des ignorants, ne savent pas quoi trastéger pour se faire remarquer. Chez Guignol’s Rock, passé le premier moment de répulsion épidémique que chacun se doit de ressentir lorsque l’on attente à sa liberté, z’ont bossé, ne vous contentez pas du numéro 2487, déroulez le site, visitez les livraisons antérieures, un travail de bénédictins, vous avez des renvois à des dizaines d’articles sortis d’un peu partout. Lisez, écoutez, regardez, réfléchissez. Z’ont des arguments, font des recoupements, cherchent la logique qui prévaut à ce phénomène… Sûr qu’il est plus facile de tendre le bras pour filer au bistrot. Pour ma part, sans pass j’ai continué à fréquenter mon bar habituel, la solidarité et la résistance active ça existe aussi.

    Evidemment, derrière le pass et le vaccin, y a toute une politique de coercition qui se met en place, tout doucement, l’air de rien, à croire que l’on ne veut que notre bien. Evitez de vous enferrer dans les pensées bisounours.

    Changeons de sujet. Guignol’s Rock nous invite à signer une pétition. Suivez mes conseils de prudence, n’apposez pas votre paraphe les yeux fermés, là Guignol’s Rock exagère. S’agit ‘’ pour lutter contre les inégalités de taxer les riches’’. Quelle folie, si l’on taxe les riches ils deviendront pauvres. Quelle erreur ! Quelle horreur ! Dénonçons ce blogue de terroristes qui veulent affamer toute une partie de la population. Des barbares ! Veulent retourner à la préhistoire, aux tribus de chasseurs-cueilleurs ! Quelle régression sociale ! Des fous furieux, veulent un peu plus de justice en ce bas-monde. Des anticapitalistes ! On devrait les dénoncer, les marquer au fer rouge, et punition suprême les piquer contre le Covid ! Vous vous rendez compte ils appellent même à une manif antipass et anti-Macron. Incroyable mais vrai, ils osent faire de la politique dans un blog-rock.

    Des gens très bien.  En somme. Ne soyez pas étonnés, après la thèse vous avez eu l’antithèse, nous entrons dans la synthèse.  Un blog-rock se doit de causer de rock. Donc après nous être longtemps attardés sur the politic side, regards sur the rock’n’roll side.

    Z’ont de la chance à Lyon, capitale des Gaules, des concerts tous les soirs, et en plus ils osent avouer qu’ils en ont certainement oubliés dans leur recension… Suit un petit article sur Ganafoul, un groupe mythique des french seventies, remontent sur scène plus de quarante ans après leur dissolution. Vous ignorez tout sur Ganafoul, pas de panique, une vidéo est à votre disposition. C’est le principe, pour pratiquement chaque sujet abordé vous avez votre cadeau, exemple sur le festival Salaise Blues vous en avez trois, ou alors sur Printemps Indie vous cliquez  sur Marché gare en vert et hop vous avez le programme, sautons Jazz à Vienne, vidéo de 28 minutes d’un concert des Foxy Ladies, attention sortie imminente d’une vieille bande de Killdozer sur Simplex Records, vidéo à l’appui.  Vous en avez pour quelques heures d’écoute interactives. Vous avez compris le principe. Textes informatifs et maximum de documents sonores, l’antithèse – la seule richesse du monde c’est capacité différentielle - de nos Chroniques de pourpre. Et plouf, mon œil s’arrête pile sur une vignette que je connais bien, celle dessinée par le Cat Zengler en tête de nos livraisons, avec z’à côté le petit texte suivant : Des news rock, rock'n'roll même, dans CHRONIQUES DE POURPRE 549 : KR'TNT 549 : Jugez plutôt du sommaire, c'est quand même assez éclectique…: ROCKABILLY GENERATION NEWS (Ricky Nelson, Tony Marlow, etc dans Rockabilly Génération #21) / BOBBY GILLESPIE (sur son livre, Tenement Kid) + PRIMAL SCREAM / PROCOL HARUM / ENDLESS BOOGIE / BABY LOVE / BOB DYLAN / GOATGOD / JIM MORRISON + MARIE DESJARDINS… Vous vous demandez de quoi ça cause exactement, allez donc y voir… Longues dissertations, mais le mec a un certain style et des idées claires… 

    Stevie Dixon et ses acolytes aussi…

    Damie Chad.

     

      

    Poème pour mon ami Kr'tnt Kr'tnt Damie Chad.

     

    Happy Rock and Roll

    dans son rocking-chair

    à tomates farcies,

    à croquer, à niquer,

    à croque- niquer,

    chroniquant des chroniques

    chromatiques d'enfer

    diatonique craquante.

    En Davy Crockett croqueur

    croquant les rockers-rockeuses,

    à nous faire bouillir les méninges,

    sans même nous ménager.

    A nous déménager

    le parquet des évidences

    pour une danse endiablée

    avec le destin.

    A casser les cailloux tristes

    des solitudes vaporeuses,

    vidant de leur sang

    les armoires mortes

    de la raison.

    Pour enfin écrire

    en rond-de-cuir,

    perçant le mur du son.

    Mais donnant

    sans compter,

    juste pour

    nous raconter

    des musiques

    en bas nylon,

    aux beaux rouleaux

    redondants rock and roll .

    A vous rouler dedans

    les mécaniques,

    jusqu'à "cheveuluruser"

    la banane flambée

    en taie d'édredon

    de derrière les fagots.

    Pour allumer le feu

    des jeunesses éternelles,

    et brûler les ailes

    des certitudes,

    à piller

    le pape Pillon,

    à pilonner

    le diapason,

    puis rameuter

    le quartier

    des illusions,

    bref à danser

    le Rock and Roll

    en quadruple

    quatre saisons.

    P.G.Y Patrick Geffroy Yorffeg