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  • CHRONIQUES DE POURPRE 584 : KR'TNT 584 : P. P. ARNOLD / JON SPENCER / GARY USHER / TAJ MAHAL & RY COODER / SWELL MAPS / GOZD / GENE VINCENT / JULIANE GARSTKA / JACK BODLENNER / DAJANA LOUAAR / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 584

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    19 / 01 / 2023

     P.P. ARNOLD / JON SPENCER

     GARY USHER / TAJ MAHAL & RY COODER

    SWELL MAPS / GOZD

    GENE VINCENT / JULIANE GARSTKA  

    JACK BODLENNER / DAJANA LOUAAR

     ROCKAMBOLESQUES

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 584

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    Arnold Layne

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             Indépendamment de ses qualités de Soul Sister, l’élément le plus intéressant chez P.P. Arnold est sa double nationalité artistique : elle est à la fois une Soul Sister à Los Angeles et une star du Swingin’ London. Ikette d’un côté et First Lady of Immediate de l’autre. Amie de Gloria Scott, de Maxayn et de Johnny Guitar Watson d’un côté, amie de Jagger, de Steve Marriott, de Barry Gibb, de Brian Jones, de Madeline Bell et de Doris Troy de l’autre. Elle est avec Jimi Hendrix l’une des rares à avoir réussi sa relocalisation. Mais à la différence du pauvre Jimi, elle a survécu. D’où le titre de son autobio, Soul Survivor - The Autobiography.

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             Sacré book, en vérité. Pas forcément bien écrit, mais on n’est pas là pour ça. On est là pour les Ikettes. Avant d’entrer dans le backstage, mettons les choses au point : P.P. Arnold n’est pas son vrai nom, c’est un choix (bizarre) d’Andrew Loog Oldham. P.P. se prononce Pipi. En français, ça ne passerait pas. K.K. non plus. On voit d’ici l’étendue du désastre. Inutile d’espérer que le Gaulois va se civiliser, il est trop tard. En réalité, elle s’appelle Pat Cole, Arnold étant le nom du mari qui lui tapait dessus. Bizarrement, elle réussit à divorcer mais elle garde le nom, comme le fait d’ailleurs son ancienne patronne, Tina Turner. Et comme le fera aussi Brix Smith. Elles se plaignent toutes de leurs maris, mais elles gardent le nom, c’est assez incompréhensible. Alors pour avancer, on va l’appeler Pat.

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    ( Tina à droite / PP Arnold à gauche )

             Si on veut tout savoir sur les Ikettes, c’est là, dans le Pat Book. Pat commence par passer une audition chez Ike & Tina. Elle nous explique qu’il existe alors deux moutures d’Ikettes, les backing singers d’Ike & Tina : Robbie Montgomery, Venetta Fields et Jessie Smith constituent la mouture A qui part en tournée avec Ike & Tina, et la mouture B qui tourne avec The Dick Clark Show. Pat postule pour la mouture B en compagnie de Gloria Scott et de Maxine Smith. C’est Ike le renard qui a l’idée des deux moutures. On appelle ça avoir plusieurs fers au feu. Ike fait déjà du big biz. À l’époque, Gloria Scott est assez expérimentée, nous dit Pat, pour s’être retrouvée à la même affiche que les Supremes et d’autres Motown acts. Quand la mouture A se mutine et démissionne, la mouture B monte en grade et part en tournée avec l’Ike & Tina Turner Revue. Et c’est là que Pat démarre.

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             Elle ne brosse pas un portrait très flatteur d’Ike Turner : «Il avait la peau très noire et n’était pas très grand, un peu dégingandé, avec une tête allongée qui semblait trop grande pour son corps, un visage taillé à la serpe et des yeux très grands. Il avait les jambes arquées, ce qui le rendait sexy au yeux de certaines femmes. Il avait un sens de l’humour Southern, mais je ne savais pas quoi penser de lui. Il n’était pas laid, mais il n’était pas non plus très beau. Il racontait des blagues salaces qui me mettaient mal à l’aise. Il m’a demandé mon nom avec un petit rire bizarre et semblait fasciné par la taille de mon cul.» Pat passe l’audition avec succès, mais à l’époque, elle est mariée et mère de deux enfants. Ike réussit à convaincre le mari psychopathe de laisser Pat partir en tournée pour plusieurs mois. C’est tellement bien raconté qu’on s’y croirait. Pat narre cette première tournée à travers les États-Unis, la Revue sur scène, et l’arrivée de Tina qui chaque soir provoque l’explosion du public - She broke into «Shake» and boy could she shake her money-maker - Chacun sait que Totor a craqué en la voyant sur scène. L’early Tina était fantastique, she was beautiful and wild - She was the female James Brown - Pat compare aussi les nouvelles Ikettes aux anciennes : «We were pretty green, but we were in tune with the latest trends. We were like a baby Supremes, only raunchier. Our youthful zest is what Ike and Tina liked. We could inject their show with that high-energy teen Go-Go vibe.» Ike ne veut ni drogues ni alcool dans les Ikettes. Il fout des prunes quand un truc ne va pas, par exemple une perruque de travers. Elles reçoivent 250 $ par semaine, mais doivent payer leur bouffe et l’hôtel. Elles portent toutes les trois des perruques. Pat donne tous les détails. Il faut savoir qu’à l’époque, toutes les Soul Sisters portent des perruques. Il faudra attendre la mode des afros pour voir les perruques disparaître. La seule des trois qui tient tête à Ike, c’est Gloria Scott, parce qu’elle le connaît depuis longtemps et qu’elle a du caractère.

             Et puis un jour, Maxine, Gloria et Pat ratent le bus pour Houston, où est prévu un concert. Elles doivent prendre l’avion à leurs frais et en arrivant, Ike leur colle en plus une prune. C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Alors Maxine et Gloria décident de quitter la Revue. Mais Pat qui a deux gosses à charge se désolidarise et décide de rester, trahissant ses amies. Elle ajoute que Maxine ne lui a jamais pardonné cette trahison. Par contre, Gloria lui dira plus tard qu’elle avait compris les raisons de sa décision. Eh oui, le résultat est que Maxine et Gloria ont sombré dans l’anonymat, alors que Pat a choisi la survie. Soul Survivor. La vie ne tient qu’à un fil. Surtout la vie artistique.

             Alors tout le monde attend de savoir : Pat s’est-elle fait sauter par Ike ou pas ? Oui, ça paraît évident. Toutes les Ikettes passaient à la casserole et Tina ne disait rien. Ike avait pour habitude de se pointer dans les loges avec la bite à l’air. L’idée étant que tailler une pipe permettait de s’agrandir la gorge et de mieux chanter. Ike finit par baiser Pat qui nous donne tous les détails, «the big black ugly dick inside me». Mais à côté de ça, elle apporte des éclairages sur ce personnage tellement contradictoire, dont le père avait été lynché par des blancs. Comme il n’avait pas été soigné, le père s’était chopé la gangrène. Installé sous une tente plantée devant la maison, il a cassé sa pipe en bois sous les yeux horrifiés du petit Ike. Un drame pareil, ça te transforme un gamin. Ike est alors devenu un wild child, Il trafiquait du moonshine pour survivre et au tout début des années 50, il a formé les Kings of Rhythm, l’un des meilleurs combos ayant jamais existé aux États-Unis. Puis il a monté la Revue et s’est inspiré des Raylettes de Ray Charles pour rassembler ses Ikettes. Et comme Ray Charles baisait ses Raylettes, Ike baisait ses Ikettes. Ça fait partie du jeu.

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             C’est en août 1966 que Pat débarque en Angleterre avec les Ikettes, pour la tournée anglaise des Rolling Stones. The Ike & Tina Turner Revue joue en première partie, avec les Yardbirds, Long John Baldry et Peter Jay & The Jaywalkers. Les Ikettes sont trois : Pat, Rose Smith et Ann Thomas, qui ne chante pas et qui mime pendant que Jimmy Thomas fait sa voix en coulisse. Ike dit «pas touche !» aux petits culs blancs qui louchent sur le petit cul noir de Pat Arnold. Mais Jag a commencé à loucher sur le petit cul noir de Pat, et Bill sur celui de Rose. Pat se dit fascinée par les Stones - This was some serious hardcore elecrifying rock’n’roll - Quand elle voit Jag danser, elle se marre - He was hilarious, with gangly white-boy sex appeal, trying real hard to look black - Quand il secoue les bras, elle le compare à un poulet dans la basse-cour. Et hop, au lit ! Elle devient la girlfriend de Jag, en concurrence directe avec Marianne. C’est Glyn Johns qui alerte Ian Stewart, le sixième Rolling Stone - You got to come and hear the girl sing - Stewart alerte à son tour Andrew Loog Oldham qui la signe sur Immediate et qui la baptise comme on l’a dit Pipi Arnold. C’est ce contrat et sa liaison avec Jag qui vont la convaincre de rester en Angleterre. Stewart commence par sortir Pat des griffes d’Ike qui lui ordonne de rentrer à Los Angeles. No way. Stewart la met à l’abri dans sa maison de campagne. Puis Pat doit téléphoner à son père pour lui demander l’autorisation de tenter sa chance à Londres. Le père lui donne six mois et lui fait confiance : «On ne sait rien à propos de l’industrie du disque, mais on sait que tu as du talent et on ne voudrait se mettre en travers de ton chemin.» Pat chiale toutes les larmes de son corps en entendant ça. Mom & Dad vont s’occuper des gosses, donc Pat peut foncer.

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             Elle commence par tourner en Angleterre, avec les Blue Jays, puis T.N.T. dont le bassiste n’est autre qu’Eddie Phillips, le flash guitar slinger de Creation. Comme c’est une tournée Immediate, elle se retrouve à l’affiche avec les Small Faces. Elle a une petite aventure avec Steve Marriott - a little extra-curricular sexual activity - Elle baise aussi avec Rod The Mod - We had a lot of laughs and sex was cool - Elle fréquente Marianne Faithful avec laquelle elle se trouve pas mal de points communs, même si elles sont d’origines sociales radicalement opposées : «On était toutes les deux des teenage mothers and teenage brides, on avait été découvertes toutes les deux par Andrew Loog Oldham and we were both Mick Jagger’s lovers.» Pat va chez Jag quand Marianne n’y est pas, mais Marianne déboule une nuit avec une copine américaine et elles se mettent au lit avec Pat et Jag - Je me suis retrouvée au milieu d’une orgie with these two soft white blonde girls all over me - Démarre ensuite une petite période de ménage à trois, mais Jag s’écarte un peu de Pat, lui préférant Marianne. Un peu plus tard, Marianne va passer à l’héro, et au moment de l’hommage à Brian Jones à Hyde Park, elle verra Jag se pavaner avec Marsha Hunt qu’il vient d’engrosser. Marianne va tenter de se suicider aux barbituriques en Australie, pendant le tournage de Ned Kelly. Elle va rester six jours dans le coma. À son retour à Londres, elle ramasse ses affaires et quitte la maison de Chelsea et, nous dit Pat, Marsha s’installe à sa place. Elle est pas belle la vie ?

             Comme Pat a besoin d’un chauffeur, Andrew lui file Kenny Pickett, l’ex-chanteur de Creation. À cette époque, elle baise aussi avec Jimi Hendrix qui vit tout près, in Montague Square, right around the corner from my flat in Bryanston Mews East.

             Pour son premier album Immediate, Pat a tout le gratin dauphinois derrière elle, notamment les futurs membres de Nice. Andrew voit en Pat une sorte de superstar et veut qu’elle ait les meilleurs auteurs, les meilleurs arrangeurs et les meilleurs producteurs. Il agit comme son mentor Totor. Pat : « Andrew was into the West Coast Phil Spector girl group thing. » 

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             Paru en 1968 sous une pochette iconique signée Gered Mankowitz, The First Lady Of Immediate pourrait bien se retrouver sur l’île déserte, car cet album grouille littéralement d’énormités. Elle démarre bien sûr avec le fameux « (If You Think You’re) Groovy » des Small Faces, qu’elle embarque à la grimpette foldingue, c’est tapé à la puissance Marriott/Lane et aux descentes de toms de Kenney Jones. Marriott et Lane pensaient d’abord lui filer « Afterglow », mais ils changèrent d’avis et lui proposèrent Groovy. Avec « Something Beautiful Happened », Pat tape dans le Brill, soutenue par un grand ensemble dévastateur. Sacrée Pat, elle peut monter tellement haut qu’elle devient une sorte de visiteuse des cieux. Avec « Born To Be Together », elle fait sauter le couvercle de la voûte, elle chante avec toute la puissance de sa blackitude céleste. Wow ! Quelle shouteuse ! Elle hurle littéralement au sommet du beat. On a là le nec plus ultra du bénéfice des longs termes. Toujours aussi magnifique, voici « Am I Still Dreaming » monté sur un beat solide et embarqueur de première. C’est une énormité sans nom, comme on dit quand on ne sait plus quoi dire, une énormité montée à l’adrénaline de mini-jupe, un jerk des enfers. Tu viens danser, baby ? Elle finit l’A avec le fameux « The First Cut Is The Deepest », ce vieux balladif d’intensité maladive. Elle y fait un final éblouissant à coups de gotta gotta. « Everything is Gonna Be Alright » s’ouvre sur une grosse pelletée d’orchestration. C’est signé Oldham. Pur jus de Swingin’ London. Stomp de rêve - hey hey hey - C’est plombé au beat direct, Pat le chante à bout de voix et l’explose à la fin. S’ensuit la pop nerveuse de « Treat Me Like A Lady ». Ça part en pur jive de jerk. Très franchement, cet album compte parmi les fleurons des sixties. Encore une fois, Pat explose tout. C’est son seul vice. Elle se montre chaque fois terrifiante de force et dégoulinante de jus de présence. Elle peut driver un cut comme Aretha. Elle revient au jerk d’Andrew Loog Oldham avec « Speak To Me », un hit fait pour danser, et secouée par des tourbillons de violons, Pat chante à outrance.

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             Comme les albums Immediate sont devenus inabordables, on peut se rabattre sur une fantastique compile parue en 2001, The First Cut, qui est du triple concentré de dynamite à la tomate. On y retrouve tous les hits de The First Lady Of Immediate, notamment « Everything’s Gonna Be Alright », ce stomp composé par Dave Skinner, de Twice As Much, duo qu’Oldham avait signé sur Immediate et qu’il payait pour composer. En 1967, on savait stomper. On y retrouve aussi le gros hit de Pat, « The First Cut Is The Deepest », signé Cat Stevens et orchestré à la Totor par Mick Hurst, un type qui fit partie des Springfields, avec Dusty chérie. C’est joué aux trompettes de la renommée et très cousu de fil blanc, mais à l’époque, ça plaisait beaucoup. Pat revient au pur jus de juke avec « The Time Has Come » et dans la foulée voilà que déboulent tous ses hits Immediate, « Angel In The Morning » (du Chip Taylor bien produit), « Speak To Me » (stomper des enfers, Pat éclate comme Aretha, elle grimpe là-haut sur la montagne), « Born To Be Together » (production à la Totor - Normal, c’est une compo signée Spector/Mann/Weil que reprendra aussi Dion - Alors bien sûr elle l’explose - on dirait qu’elle ne sait faire que ça). C’est le même problème avec toutes les grandes interprètes, il faut leur donner de bonnes chansons, sinon elles tournent en rond. Avec une belle compo de Totor, Pat devient un shouteuse fascinante, comme l’est Dusty chérie avec une belle compo de Burt. D’ailleurs Pat sait comment s’y prendre avec Totor, puisqu’elle a participé aux mythiques sessions d’enregistrement de « River Deep Mountain High ». On trouve encore une belle perle de juke avec « Am I Still Dreaming ». Là, elle fait sa Martha Reeves, elle se fait vacharde et bousculeuse, puissante et insidieuse, elle envoie sa voix claquer au firmament. Et la fête se poursuit avec « Treat Me Like A Lady », un autre r’n’b brûlant, musclé, rapide et raunchy, doublé de chœurs déments, visité par un solo de guitare cabossé. Tout cela file à une vitesse supersonique. Pat a le diable au corps. Elle crache le feu sacré du r’n’b. Par contre, son « Would You Believe » est plus cérémonieux et même massacré par des violons. On trouvera un peu plus loin un sacré coup de chapeau à Brian Wilson, puisqu’elle reprend « God Only Knows », tiré de son deuxième album, Kafunka. Elle tape dans le dur du mille. Elle y va au bluff. Comment peut-on oser taper dans un tel classique ? Elle s’y colle vaillamment et serre ses petits poings noirs. Elle force tellement qu’elle fait mal aux oreilles. Puis elle tape dans les Beatles avec « Eleanor Rigby » et surtout « Yesterday » qu’elle transforme en powerhouse. Elle se bat jusqu’au bout et en cela, elle est admirable. En fin de parcours, on va trouver deux autres merveilles : « To Love Somebody » des Bee Gees qu’elle transforme en r’n’b magique, et « Welcome Home » dont elle fait une monstruosité mélodique.

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             On trouve assez facilement un Best Of de Pat édité en Hollande sur Immediate. Tous les gros hits pré-cités s’y trouvent, bien sûr. Nous sommes là au cœur de l’âge d’or d’Immediate. Cette époque sentait bon la veste en velours et la mini-jupe, le jabot et la mèche folle. On pataugeait dans l’insouciance des jours heureux. Des artistes comme Pat Arnold et les Small Faces parvenaient à cristalliser toute cette fantastique énergie. 

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             Dans une interview qu’elle accorde à Lois Wilson, Pat cite les Staple Singers, Aretha et Dionne Warwick comme ses premières influences. Quand Ike & Tina reviennent en Angleterre, ils ramènent une nouvelle brochette d’Ikettes : Ann Thomas, Paulette Parker et Claudia Lennear, une Claudia, nous dit Pat, qui louche sur Jag. Alors Pat en profite pour faire le point sur «Brown Sugar» : «La rumeur dit que Mick s’est inspiré de Claudia pour ‘Brown Sugar’. Mais c’est plus compliqué. Un jour, à la fin des années 70, nous dînions à Los Angeles avec Marsha Hunt et notre amie mutuelle Linda Livingston, et selon Linda, Mick se serait inspiré de moi pour ‘Brown Sugar’. Ça m’a bien fait rire, mais ça n’a pas fait rire Marsha qui est convaincue d’être la vraie Brown Sugar.» On ne saura jamais la vérité et on s’en fout. Fataliste, Pat dit que Jag a baisé Marsha et Claudia, mais elle ajoute qu’elle était là avant - Mick was my first white lover, back when interracial relations were taboo.

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             Elle enregistre son deuxième album Kafunka en 1968. Album étrange. Pat y porte une sorte de coiffure indienne du Mardi Gras de la Nouvelle Orleans. Dans son autobio, elle rappelle qu’elle a du sang Choctaw dans les veines. Elle ajoute que les Choctaw étaient l’une des ‘Five Civilized Tribes’ qui ont adopté le mode de vie des blancs, allant jusqu’à faire travailler des esclaves sur leurs plantations. Sur Kafunka, Pat tape dans l’intapable, c’est-à-dire le « God Only Knows » de Brian Wilson, l’une des pierres angulaires de Pet Sounds. C’est à sa main, car elle force bien. Elle ne se résigne pas et repousse ses limites en quête de l’octave impérieuse. Andrew était quand même gonflé de lui demander de chanter ça. Elle chevrote admirablement. Deux autres merveilles se nichent en B : « To Love Somebody » et « Dreamin’ ». Les Small Faces l’accompagnent sur « To Love Somebody » et Mac nous nappe ça d’orgue. Il faut voir comme ça swingue. « Dreamin’ » est une reprise des Bee Gees qu’elle va chercher au beau chat perché. Si on apprécie les beaux balladifs, on se régalera aussi de « Welcome Home ».

             Puisqu’on parlait des Bee Gees, voilà Barry Gibb qui devient pote avec Pat et qui lui compose des cuts. Pat connaît Barry Gibb grâce à Jim Morris, son mari, qui fut à l’époque le chauffeur de Robert Stigwood. Par contre, Pat ne s’entend pas du tout avec Lulu, la poule de Maurice Gibb. Lulu lui montre un peu de mépris, ce qui n’est pas le cas de Dusty chérie - always warm and friendly with me - Barry lui compose des super-cuts, et dans les backing vocals, on retrouve Madeline Bell et Doris Troy.

             Après la fin d’Immediate, Robert Stigwood demande à Barry Gibb de produire le premier album de Pat sur RSO, mais comme les Bee Gees viennent de splitter, le projet est abandonné. Clapton prend la suite, en tant que producteur sur trois cuts, mais Stigwood n’aime pas les enregistrements. Il ne les trouve pas assez commerciaux. Alors il enterre le projet. Pat est virée - Dropped and lost - Et pourtant, elle repartait du bon pied, puisqu’elle avait comme backing band Ashton Gardner & Dyke, Steve Howe on guitar, et Lesley Duncan aux backing vocals. Autant dire la crème de la crème. Mais ça n’a servi à rien. Comme Pat portait une afro, I got revolutionary, I got attitude, elle pense que ça ne plaisait pas à Stigwood. Les bandes vont prendre la poussière sur une étagère pendant 50 ans. Hein ? Oui, tu as bien entendu : 50 ans !

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    Dans Classic Rock, Henry Yates indique que Pat a passé sa vie à courir après son passé. En effet, pour récupérer ces fameux enregistrements de 1969, elle a dû frapper à des tas de portes et se montrer insistante - I’ll be an old lady soon. I want my music ! - Et c’est justement le jour de ses 70 ans, en 2017, qu’elle reçoit enfin une réponse d’Universal par mail : elle peut tout récupérer, les enregistrements, les licences et les droits !

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             L’album s’appelle The Turning Tide et sort donc sur Kundalini Music, le label de Steve Cradock d’Ocean Colour Scene, un Cradock génial qui a soutenu Pat pendant toutes ses démarches. Ça valait le coup d’attendre 50 ans, car forcément l’album est génial. Rien que pour cette cover du « Medicated Goo » de Traffic. Pat mène le bal des Anglais et cet enfoiré de Carl Radle navigue à vue sur le manche de sa basse. C’est du groove de black anglomaniaque mené par une Pat qui pulse son jus d’Angelinote. Encore un coup de génie avec « Spinning Wheel », le vieux hit de Blood Sweat & Tears. Elle n’en fait qu’une bouchée. Elle explose le Wheel du Spinning en plein vol. Tout aussi génial, voilà « You’ve Made Me So Very Happy », groove de bar de nuit rendu célèbre par Brenda Holloway. Pat gère bien son affaire. Elle sait. Pas besoin de lui expliquer. Sa façon de groover relève du génie pur, aucun doute là-dessus. Elle enchaîne deux slowahs monumentaux : « If This Were My World » et « High & Windy Mountain ». Pat peut grimper dans les étages, elle n’a aucun problème de ce côté-là. Elle grimpe tellement haut qu’elle finit par donner le vertige. Elle force son passage vers les étoiles, à la manière de Cilla Black. Elle se bat comme une reine avec les octaves. Madeline Bell vient chanter avec elle « Burry Me Down By The River » qui est un cut de gospel batch, alors ça explose. On entend Madeline hurler dans le fond ! Tiens, encore du gospel avec « Children Of The Last War ». Tout est démesuré sur ce disque sauvé des eaux, comme Boudu. Même le gospel relève d’une incroyable véracité. Elle explose aussi « The Turning Tide », une compo somptueuse, on se croirait à Broadway. Alors oui, Pat peut éclater au firmament, en voilà la preuve. Elle est tout simplement extravagante de démesure octavienne. Ian Stewart avait raison : « You got to come and hear the girl sing ! » Tout est bon sur cet album, elle chante tout à plein temps, elle remplit l’espace de chaque cut et comme Sharon Tandy, elle vise chaque fois l’explosion finale. Elle termine avec une version démente du « Can’t Always Get What You Want » des Stones. Elle tape dans l’intapable, comme Merry Clayton avant elle, et s’en sort avec les honneurs, d’autant qu’elle le trashe d’entrée de jeu. C’est tout de même incroyable que Stigwood ait pu enterrer des enregistrements de cette qualité.  

             À l’époque, Pat est bien pote avec Brian Jones - He was very cute and sexy and looked aristocratic, eccentric and yet elegant in his flamboyant attire, his dandy scarves and beautiful smoking jacket - Elle n’est pas attirée sexuellement par lui, mais Brian se conduit en gentleman avec elle. Pat dort avec lui, mais note-t-elle, il n’est plus en état de fricoter. La mort rôde déjà dans le Swingin’ London. Pat va voir ses bons amis disparaître : Brian Jones et Jimi Hendrix. Elle se lie avec Madeline Bell - She had the clearest cristaline vibrato I’ve ever heard - et avec Doris Troy, via Madeline. Doris et Madeline se sont rencontrées à New York. Doris est une battante, elle passe sa vie à courir après ses royalties. Un jour en Californie, elle emmène Pat chez Nina Simone. Pat se dit fascinée par le spectacle de ces deux stars qui se racontent leurs mésaventures avec le music biz et comment elles se sont fait plumer. 

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             Comme elle est bloquée par Stigwood, pour vivre, elle doit faire des backing vocals. Elle se retrouve avec Doris derrière Nick Drake pour les sessions de Bryter Layter, derrière les Move pour celles de Looking Back et, avec Claudia, derrière Humble Pie pour les sessions de Rock On. Elle cite des tas d’autres choses moins intéressantes. Elle se réinstalle à Los Angeles avec le batteur de CSN&Y et de Manassas, Calvin Fuzz Samuels, et lui donne un fils, Kodzo. Elle devient pote avec Paulette Parker qui fut comme on l’a déjà dit une Ikette, avant de devenir Maxayn Lewis. Pat rappelle que Marlo Henderson, le guitariste de Maxayn, fit partie du Buddy Miles Express et de Wonderlove (Stevie Wonder). Elle rend aussi hommage à Andre Lewis, le mari de Paulette, la reine des paupiettes, qui lui aussi a joué avec Buddy Miles, et Frank Zappa. Le groupe que Pat tente de monter avec son mari Fuzz s’inspire de Maxayn : il s’appelle Axis, en hommage à Jimi Hendrix. Ils reçoivent même une avance d’EMI. Mais rien ne sort.  

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             En 2007, elle enregistre un album avec Dr Robert : Five In The Afternoon. Dr Robert avait été le chanteur des Blow Monkeys. Et donc forcément, cet album prend une coloration groovy, puisque les Blow Monkeys s’étaient spécialisés dans la pop sophistiquée. On entre dans ce disque comme dans le lagon du groove bluesy. Ils bricolent tous les deux des balades enchanteresses et frileuses. On sent bien la reptilienne conjugaison des feelings. Avec « Careless Blues », ils passent à l’exotica de haut rang. Il règne une certaine élégance dans leurs parages dégingandés, une sorte d’excellence caraïbe. Un alizé gonfle doucement les voiles de tulle suspendus au toit de palmes, et au loin, l’océan se charge d’un mystère ancien. Ils maintiennent ce sentiment d’aisance nonchalante pour le morceau titre de l’album et avec « I Saw Something », on passe au grand groove, celui de Marvin Gaye. C’est superbement balancé et gorgé de langueur. Pat fait vibrer sa glotte au grand air et une fois encore, elle atteint les cimes. En général, la majesté du groove ne pardonne pas. Le groove ne fait pas de prisonniers. Il asservit les sens et enchaîne les membres. Il n’existe pas d’échappatoire. Tout doit se plier aux exigences du frisson. Avec « Stay Now », Pat revient faire un petit tour chez Stax. Mais ce n’est pas évident. Retour au groove avec « Ghost Of Winter ». C’est un genre qui leur va comme un gant. Celui-ci est d’autant plus impressionnant qu’il est sensible, intelligent et distingué, comme disait Alain Souchon à propos de Michel Berger. Ils font monter la chose en chantilly et nous dilatent le bulbe. Voilà une pièce d’antho à Toto. Puis Dr Robert se transforme en requin et entre dans le lagon d’un cut nommé « Shape It For Me ». On voit son aileron disparaître au loin, sous le ciel en feu du crépuscule tropical.       

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             En 2017, la presse anglaise se déchaînait. Elle annonçait le grand retour de Pat avec le lancement d’une tournée, la parution d’une autobiographie et l’enregistrement d’un nouvel album avec Steve Cradock. Justement, le voilà ! Paru en 2019, il s’appelle The New Adventures of P.P. Arnold et c’est un é-nor-me album. Sur la pochette, Pat est superbe de kitschity et elle démarre avec un coup de génie intitulé « Baby Blue ». Elle revient immédiatement à son cher pinacle, c’est extrêmement bien chanté, poussé dans ses retranchements, avec un bel esprit de conquête et une inflexible volonté d’en découdre. Spectaculaire ! Pat retrouve sa niaque d’Ikette - In peacock colours/ Like you used to do/ Before you were baby blue - Stu-pé-fiant. Elle va continuer de s’imposer cut après cut, comme avec « Though It Hurts Me Badly », oui, elle tape dans le haut de vieille glotte et c’est aussitôt relayé par des vagues de son énormes, elle ultra-chante au collet monté d’Ikette et swingue admirablement ses pointes, elle chante à la niaque supérieure. Avec « The Magic Hour », elle crée tout simplement de la magie, the spirit of the Swingin’ London is alive and well - Just look at the sunlight magic/ It’s everywhere/ If only paradise/ It could take us there - Fabuleux ! Nouveau coup de génie avec « Different Drum », elle fait exploser le groove dans une apothéose d’excellence - I’m not ready for any prison - C’est de la pop magique, elle pulse autant que Ronnie Spector, elle va au-delà de toute expectative, elle ramène aussi toute la dramaturgie orchestrale de Totor - Pull the reins in on me/ If you live without me - Demented ! Pat a tous les droits, même celui de proposer des mauvais cuts, puisqu’elle est bardée de crédit. Elle revient aux choses sérieuses avec « When I Was Part Of Your Picture » qui sonne comme un hit obscur de l’âge d’or Motown. Elle ramone sa Soul orchestrale in the dark - Remember when we could fly - Elle amène « I Finally Found My Way Back Home » au grand mystère extraordinaire. Sa force est de transformer la découverte d’une île en bonheur de vivre, let it shine. Elle relance à n’en plus finir, elle secrète des hormones de magie pure, elle puise son power dans le gospel des origines, yeah-eh eh - People living in fields/ Living in dirt - C’est d’une rare puissance et elle revient avec son refrain totémique, I found my way back home. Elle passe à l’état d’extase. Le temps d’un « You Got Me », elle domine le monde, elle devient astounding, comme dirait un Anglais, elle claque ses cuts au sommet du lard fumé, oooh baby baby baby, cette petite diablesse descend son baby baby baby avec toute l’ampleur du Soul System. On la voit aussi chanter par dessus les toits dans « Still Trying » et elle boucle cet album pour le moins effarant avec un « I’ll Always Remember You » qu’elle chante a capella. Pat Arnold est une princesse de l’aristocratie britannique. Elle tient la dragée haute à son rang. Cet album est avec celui du grand retour de Merry Clayton (Beautiful Scars) l’un des albums phares de ce début de siècle.  

    Signé : Cazengler, Pipi au lit

    PP Arnold. The First Lady Of Immediate. Immediate 1968

    PP Arnold. Kafunka. Immediate 1968

    Dr Robert & PP Arnorld. Five In The Afternoon. Curb Records 2007

    PP Arnold. The Best Of PP Arnold. Immediate

    PP Arnold. The First Cut. Sanctuary Records 2001

    PP Arnold. The Turning Tide. Kundalini Music 2017

    PP Arnold. The New Adventures Of. Ear Music 2019

    Pat Gilbert. First Cuts Are The Deepest. Mojo#287 - October 2017

    Henry Yates. PP Arnold. Classic Rock #240 - September 2017

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    Paul Ritchie/ A Cut Above The Rest. Shindig #68 - June 2017

    Lois Wilson. The tide comes in at last. Record Collector #473 - December 2017

    P.P. Arnold. Soul Survivor - The Autobiography. Nine Eight Books 2022

     

     

    Spencer moi un verre, Jon - Part Two

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             S’enfoncer dans l’œuvre épaisse de Jon Spencer, c’est comme s’enfoncer dans l’œuvre d’un auteur qu’on aime bien, parce qu’il ne déçoit jamais. Exemple : Alexandre Dumas, ou encore Balzac. Les tomes qui s’amoncellent produisent une sensation de confort, on peut s’y pelotonner indéfiniment. Jon Spencer est l’un des rockers américains les plus prolifiques et dès le commencement de sa carrière, il met un point d’honneur à se distinguer du troupeau bêlant. Pussy Galore ne ressemble à aucun autre groupe des années quatre-vingt. Jon Spencer révèle très vite un goût prononcé pour l’avant-gardisme, il développe avec le concassage sonique de la Galore une modernité de ton qui va faire école, non seulement dans son réseau personnel, mais dans la scène new-yorkaise. Il n’est pas étonnant de le voir croiser les chemins de Jerry Teel, de Ron Ward, d’Andre Williams ou encore de Monsieur Jeffrey Evans.

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             Il s’entoure bien pour lancer le train fou de Pussy Galore : Bob Bert aux metallic drums (qu’on retrouvera plus tard dans les Chrome Cranks et dans les Hitmakers) et Neil Hagerty qui ira former Royal Trux. En 1986, ils démarrent par un sacré coup d’éclat : une adaptation libre d’Exile On Main Street.  Album de rêve, pourrait-on dire. Alors bien sûr, Jon Spencer et sa fine équipe tapent dans la Stonesy dès «Rocks Off», mais ils font ça au trash suprême. Les Stones n’auraient jamais osé aller jusque-là. Les Pussy claquent tout à la volée. Welcome in hell. L’autre fabuleux shoot de Stonesy est bien sûr l’«Happy». Ils traînent Keef dans la boue du trash de Galore. C’est une admirable déflagration, rien d’aussi réjouissant sur cette terre, voilà un son bardé de stridences et concassé à coups de bassmatic. Ils font un «Shake Your Hips» bien raw to the bone, assez demented, imbattable de primitivisme. Voilà la grande force des Galore : la surenchère primitiviste. Ils se montrent inconoclastes avec «Tumbling Dice». Ils trashent la structure des atomes du rock, ils jettent de l’huile sur le feu du Dice. Difficile d’aller aussi loin dans ce genre d’entreprise de démolition. On peut dire la même chose de «Sweet Virginia». Quelle allure ! Ils démolissent aussi le vieux «Casino Boogie» et saturent «Torn And Frayed» de guitares désordonnées. «Loving Cup» est certainement le meilleur hommage aux Stones jamais enregistré. C’est à la fois admirable et sans retour possible. Une fille essaye de parler dans «Turd On The Run» mais Jon Spencer lui dit de la fermer. Shut up ! Abominable homme des neiges. Ils jouent tout dans une purée de basse fosse. Ils jouent des squelettes d’accords. «Let It Loose» sonne comme un souvenir précis dans un moment de défonce. Extraordinaire de véracité, car oui, c’est comme ça que se passe. Tu vois ton souvenir vibrer dans le cosmos. Ils jouent aussi «Stop Breaking Down» à ras des pâquerettes. Ils ne prennent pas de risques. Ça joue tout seul.

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             L’année suivante paraît l’explosif Right Now. On pourrait même dire qu’avec cet album, Pussy Galore invente le trash-rock. Ça démarra avec un «Pig Sweat» martelé et sans espoir, une merveille de désespérance jusqu’au-boutiste. On ne saurait imaginer son plus trashy. Ils jouent aussi «Upright» au boogie new-yorkais des bas fonds. Jon Spencer commence à se spécialiser dans les onomatopées, comme on le voit dans «Biker Rock Loser» - Fuck ya ! Watch out ! - Avec un solo d’arrache cœur. Comme son nom l’indique, «Fuck You Man» te fucke et ils couronnent ce balda avec un «New Breed» d’antho à Toto, admirablement shaké par Bob au beat metallic KO et un «Alright» quasi-garage. En B, «Punch Out» se distingue du lot par son beau trash galorique. Jon Spencer joue déjà les enfonceurs de portes ouvertes. Il déploie d’immenses quantités d’énergie pour démolir son rock. On le voit hurler dans la tourmente de «Trash Can Oil Drum» et il monte avec «Really Suck» un coup fumant en multipliant tout simplement les exactions. Il démolit son château de cartes à coups de tronçonneuse. Ce mec est très intéressant.

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             Attention au Sugarshit Sharp paru l’année suivante. On trouve en B un excellent coup de Stonesy intitulé «Handshake» et deux énormités, «Sweet Little Hifi» et «Renegade». C’est du straight ahead rock, véritable shoot de Galore garage pouilleux. Bob bat ça sec, si sec. C’est d’une solidité à toute épreuve. «Brick» impressionne aussi par sa carrure. On voit bien que Pussy Galore était en avance sur son temps. Avec ce genre de punch, ils préfiguraient le JSBX.   

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             À une époque, on jouait dans un groupe avec un guitariste qui possédait Dial M For Motherfucker. Le problème est qu’il n’aimait pas l’album. Au fond, le vrai problème était de savoir ce qu’on foutait tous les deux dans le même groupe. Eh oui, Dial M For Motherfucker est un superbe album de trash-rock, un disque bien vivant, qui reste assez inégalable, trente ans après. Boom badaboom dès «Understand Me». Schtroumphé d’entrée de jeu. Magnifico ! C’est dégoulinant de classe - Don’t ! Don’t ! - Ça marche dans la gadouille du trash, ça riffe dans le bone, c’est allumé comme une chaudière à l’ancienne. Encore pire, voici «SM 57», gratté à l’os du bone. Ces mecs ont le génie du son, inutile d’aller chercher midi à quatorze heures. «Kicked Out», c’est le rock du Revenant, un DiCaprio coincé dans la glace, avec des flèches dans les cuisses, véritable apologie du no way out. Avec «Solo Sex», Jon Spencer avance à la titube, on entend des filles crier au loin et puis il va ensuite au bois avec «Undertaker». Il abat les chords à la hache, il n’a pas le choix. Il faut alimenter le Pussy Galore, il shoote le shake dans le ventre béant du son. Il tape à la suite son «DWDA» à la petite revoyure de revienzy. Pur riffing de king of trash. On est dans le vrai truc. Il s’installe définitivement dans le trash avec «Dick Johnson» et «1 Hour Later». C’est dans les deux cas un chef-d’œuvre de trash-rock global avec un Jon Spencer qui joue ses trucs en fourbe, par derrière. Il peut aussi gratter le pire boogie de l’univers. C’est effarant de puss & boots. Encore une horreur avec «Eat Me», qui sonne comme une exaction fatidique. Il réinvente la frénésie avec «Waxhead». Il gratte ça à l’os du Pussy, c’est buté du bulbique, le cut avance tout seul contre vents et marées, ça arrose les murs. L’album est tellement organique qu’il semble vivant. C’est à ça qu’on reconnaît le génie d’un mec comme Jon Spencer. En plus, il ne demande rien à personne. Avec «Wait A Minute», il taille une fabuleuse tombe de pierre philosophale cinéphale. Il chante avec des boules de billard dans la bouche. Il fait du battage patibulaire. On passe au heavy sludge avec «Hang On». Pussy galère dans la Galore, ils ont tout bon, jusqu’au bout des ongles sales. Ils déglutissent le meilleur son d’Amérique, cut après cut. Ils travaillent tous leurs cuts au corps, ils jouent des coups de dé qui jamais n’aplatiront le bazar. Jon Spencer chante à l’arrache invertébrée et lève des lièvres dans le buisson ardent. Il adore aussi cavaler ventre à terre, comme on le voit avec «Handshake». C’est joué aux trublions de vrille, à la Wilko, avec de l’incendie en fond de scène. Quel festin orgiaque ! On entend des voix éclater dans tous les coins sur «Adolescent Wet Dream» et ils nous explosent «Sweet Little Hi Fi» d’entrée de jeu. Ils rockent leur shit comme personne et multiplient les départs fulgurants. C’est battu dans la chair de la brèche par ce dingue de Bob Bert et explosé par des retours de cavalcade. Rien d’aussi précieux que ce rock insurrectionnel. Tout est souligné de fuzz. Ils ramènent des gimmicks à la Wilko dans «Brick» et cet album faramineux s’achève avec «Renegade», infernale déclaration d’intention dotée d’un son de batterie révolutionnaire, très métallique, comme si Bob Bert jouait sur un sommier rouillé. On a même un solo de gras double et un Jon Spencer qui n’en finit plus d’allumer la gueule du pauvre cut. C’est définitif autant que déterminant. Rien que pour le son du drumbeat, cet album est un passage obligé. Les guitares croisent dans le dépotoir comme des requins en maraude. Ils finissent aux clap-hands, hey clap your hands, alors vas-y.     

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              Bob Bert volerait presque le show sur Historia De La Musica Rock paru en 1990. Il crée une sacre ambiance sur «Song At The End Of The Side» qui clôt l’A et sur «Ship Comin’ On» qui ouvre la B. Il joue un beat clair de bord de caisse sur le premier et bas bien sec le deuxième. Ils adorent ces ambiances à la dépenaille avec les guitares au fond et des chœurs légèrement foireux. Le hit de l’album se trouve aussi en B : «Mono Man» - I got the power ! - C’est du garage de saw buzz à la Galore. Un peu de provoc avec «Eric Clapton Must Die». C’est une interprétation libre de «Little Red Rooster» et cette fois, on entend Neil Hagerty chanter. Belle giclée de trash dans «Don’t Jones Me». Voilà encore un cut privé d’avenir, mal ficelé, mal chanté, un pur joyau trash. On voit aussi Bob Bert battre «Revolution Summer» comme plâtre et le départ en solo de Neil Hagerty vaut tout l’or du monde.

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             Le meilleur album de Pussy Galore est certainement le fameux Live In The Red paru tardivement, en 1998. C’est là qu’on trouve le plus beau killer solo flash de l’histoire du rock américain, celui de «Pig Sweat». C’est joué au pire binaire de l’univers et soudain, Neil Hagerty troue le cul du cut. On voit une falaise de son s’écrouler et Neil jouer dans les décombres. Ils ne parviendront jamais à surpasser ce coup de génie. Tous les cuts sont tartinés à la disto, joués au pulsatif d’agonisant et troués à coups de killer solos flash. Ils battent tous les records d’invraisemblance avec «Sweet Little Hifi». Jon Spencer y cherche des noises définitives à la noise, il repousse les frontières de son empire trash et vise l’absolu de l’ultimate dévastateur. Derrière, Bob Bert martèle, awite ! Ce diable de Jon Spencer chante comme un requin affamé, l’œil fou. Avec «Understand Me», ils donnent une vision claire du sludge et Bob Bert bat «1 Hour Later» si sec qu’il semble lui briser les reins. C’est un beat sec spécifique, du big bad Bert quasi rockab. Hallucinant. Il faut entendre jouer ces quatre mecs. On trouve à la suite un «Dead Meat» infesté de guitares, ça joue dans les eaux troubles du rock le plus enragé qui soit. Ils bouclent l’A avec un summum du punch-rock qui s’appelle «Kicked Out». On peut les féliciter pour ce souci de cohérence. La B reste au même niveau d’explosivité permanente, avec des trucs comme «Undertaker» monté sur le kick ass metallic KO du grand Bob, et plus loin l’effarant «Kill Yourself», pur jus de désespérance, cut idéal pour se tirer une balle dans la tête.

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             Paru en 1986, Groovy Hate Fuck (Feel Good About Your Body) est présenté comme une compile, mais en réalité, c’est l’un des meilleurs albums de ce groupe d’avant-garde que fut Pussy Galore. Là-dessus, tout est poussé dans ses extrémités. Ils sont tellement enragés qu’ils élèvent le trash au rang d’art majeur. Ils ne basculent jamais dans le hardcore. Jon Spencer veille à ne jamais mordre le trait. C’est toute sa force. On entend Juila Cafritz gueuler dans «Cunt Tease». Elle est archi fausse. Les gros coups du balda sont «Constant Pain» et «No Count». Ils font de l’hypno avec «Constant Pain» et s’y soûlent de beat metallic KO. «No Count» va plus sur le garage de type «She’s My Witch». Par contre, avec le «HC Rebellion» d’ouverture de bal de B, ils vont plus sur le Velvet, car ils chantent à deux voix dans l’écho du temps de «Murder Mystery». On voit jusqu’où s’étend leur empire. Ils développent des énergies fondamentales dans «Get Out» et battent tous les records de punch avec «Die Bitch». Jon Spencer est fou à lier. On retrouve l’excellent «Kill Yourself» et ça se termine avec l’apocalyptique «Asshole» et son solo glouglou. I’m restless !

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             Après avoir fait tourner R.L. Burnside en première partie du JSBX, Jon Spencer lui propose d’enregistrer en 1996 un album devenu mythique : An Ass Pocket Of Whiskey. Toute l’équipe du JSBX descend dans le Mississippi. Russell Simins, Judah Bauer et Jon Spencer se retrouvent dans une cabane de chasseurs en compagnie de RL et de Kenny Brown. Ensemble, ils foutent le souk dans la médina. Ce disque est l’une des pires pétaudières de l’histoire de l’humanité. La tension monte dès le premier morceau, «Goin’ Down South», monté sur un beat sourd et mauvais comme une teigne. Russell Simins bat ça bad. On entend bien les quatre guitares jouer ce groove mortel du Mississippi qu’on appelle la purée du diable. S’ensuit un hommage à John Lee Hooker, «Boogie Chillen». Jon Spencer donne la réplique au maître RL - Yeah ! Ça repart de plus belle avec «Snake Drive», belle fournaise de boogie downhome. Jon Spencer pousse des cris - Snake driiiiiiiiiiiiiive ! et RL fait Yeah ! Ils s’amusent comme des fous. RL mène le bal. C’est un vrai boute-en-train. La cerise sur le gâteau se trouve en B : «The Criminel Inside Me» - Mama I wan’ some meal ! - et le voilà le meal : le gros groove spencerien. Ils refont un gros duo d’enfer tous les deux :

             — Hey RL !

             — Yeah !

             — You get goin’ you son of a bitch aw !

             Et RL prévient Jon Spencer que s’il ne dégage pas rapidement, il va lui botter le cul :

             — If you don’t get out fast I’m gonna get my feet right in your ass !

             — Aw !

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             Si Memphis Sol Today est arrivé jusqu’à nous, c’est grâce à Jon Spencer. En 1993, il fut enrôlé par Monsieur Jeffrey Evans pour jouer dans le ‘68 Comeback. Attention, cet album est d’une nature violente. On peut y voir Monsieur Jeffrey Evans, Don Howland, Rick Lillah et Jon Spencer démantibuler le trash dans «Memphis Chicken», puis démantibuler le stomp dans un «Barbara» claqué à coups d’accords fatals - Do the boogaloooo ! - Puis démantibuler Charlie Feathers dans «Lil’ Hand Big Gun», en guise d’hommage. Puis démantibuler Junior Kimbrough avec «I Feel Good Little Girl», puis démantibuler Nathaniel Mayer avec «I Had A Dream». En fait, ils ne le démantibulent pas vraiment, ils le passent à la moulinette, ce qui est un concept différent, le but restant bien sûr d’atteindre le stade du trash ultime. On les voit aussi démantibuler le venin dans «Coming Up». Attendez ne partez pas, ce n’est pas fini ! Cette entreprise de démantibulation se poursuit avec «Let’s Work Together». Ils ne laissent aucune chance à ce vieux coucou rendu célèbre par Canned Heat - C’mon c’mon - Jon Spencer le tarpouine à l’arrache de la rascasse, le mâchouille et le crache ensuite à la face de Dieu. Puis une grosse dérobade de solo complètement foireux tombe du ciel. On entend hurler un fou. Nous voilà rendus au cœur du trash. Ils vont même s’amuser à démantibuler les enfers avec «Down In The Alley» et démantibuler le blues avec «I’ll Follow Her Blues» qui empeste la vieille cabane branlante. Don Howland chante et c’est gratté sec. Ils tripotent la puissance du son et vomissent dans le réservoir. Ah il faut les voir claquer leur son.

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             Fulgurant album que cet Hung Far Low enregistré en 1991. Jon Spencer et Russell Simins viennent renforcer les rangs des Honeymoon Killers et ça change tout. Dès «Mad Dog», ils se montrent malveillants en jouant sous le manteau. Mais c’est avec «Wanna White» que ça explose. On y assiste au fantastique développement du heavy groove new-yorkais. Jon Spencer l’embarque en enfer et Jerry Teel l’embobine au riff tournoyant. C’est so good que Jon Spencer grommelle so good ! On reste dans l’énormité avec «You Can’t Do That». Avec Jon Spencer, il y a toujours un aboutissant. Ce «You Can’t Do That» renvoie au «Dropout Boogie» de Captain Beefheart. Aw ! Il pousse même les Aw que John Lennon pousse dans «Cold Turkey». Pendant que Russell Simins bat bien son beurre et que Jerry Teel gratte sa gratte, la petite Lisa bosse bien sa basse. Avec «Kansas City Milkman», Jon Spencer abandonne toute dignité et se vautre dans le stupre new-yorkais. Mais c’est en B que les choses se corsent, avec notamment «Thanks A Lot» attaqué à la petite vérole stoogienne, aux pires riffs de Jerry Teel. Ils sont capables d’être encore plus primitifs que les Stooges. Au chant, Jon Spencer bat tous les records de violence psychotique. Encore un cut drivé au riff malade avec «Fannie Mae». Jon Spencer y joue la carte du riff excédé, il trépigne de rage. Ils continuent de battre bien des records avec «Scootch Says». Violente montée de la basse dans le mix, et derrière ça cisaille à la parade. Oh comme ça monte ! Lisa chante «Madwoman Blues», elle chante ça à la paumée de la pommerolle paupérisée, c’est incroyablement trash, d’autant plus trash qu’elle n’a pas de voix, et derrière, ils font Massacre à la Tronçonneuse. Bon, il est temps que cet album se termine. «Whole Lotta Crap» se veut plus cérémoniel. Ils sont imbattables au petit jeu du pété de casseroles. Il souffle un beau vent de folie dans les quilles du bâti stoogy. Ils dévorent leur place au soleil.

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             En 2001, Jon Spencer enregistre un album avec les fils Dickinson au Zebra Ranch de Jim Dickinson. Il faut savoir que pour tous les aficionados du Memphis Beat, le Zebra Ranch est une sorte de Mecque. Au moins autant que Graceland. On en voit quelques images dans le booklet. Cody et Luther Dickinson accompagnent le Yankee Spencer et Dad joue un peu de piano sur deux cuts. On entend aussi l’harmo de Jerry Teel sur «Cryin’», un groove à la Screamin’ Jay Hawkins qui sonne comme une progression dans la douleur. Fabuleuse dégueulade de big heavy sugarshit. Luther y va de bon cœur sur sa guitare et Cody nous bat ça si sec. Le jackpot de l’album s’appelle «Primitive». C’est du Primitive de Zebra Ranch, chanté dans le rond de lunette de Méliès sur un beat originaire du Rif marocain, mais avec des tortillettes marioles des Batignoles. On y est, on est au cœur du mythe, chez Dickinson. Aw c’mon car voilà «Sat Morn Cartoons» chargé comme une mule et fouillé par un killer solo flash, aw c’mon ! Luther joue comme un dingue, il nous fait les Stooges, il bascule dans la folie - Do you remember/ Nothing at all - Ils sont encore plus royalistes que les Stooges, comme si c’était possible. Ils rendent un bel hommage à Zigaboo Modeliste avec «Zigaboo» et tirent une belle décharge de chevrotines avec «That’s A Day». C’est tellement chargé de son que ça chevrote dans la cuvette - That’s a draaaag - Ils n’en finissent plus de colmater le collimateur et ça continue avec un «I’m Not Ready» beaucoup trop puissant. Ils jouent comme des cons. Jon Spencer profite de «(Chug Chug) It’s Not Ok» pour s’adonner au screamin’ - I don’t believe you - Screamin’ Jon domine bien la situation. Ils terminent cet album haut en couleurs avec «Book Of Sorrow» - I’m gonna write/ A book of sorrow - Ce démon de Jon Spencer allumer sa mèche quand ça lui chante, chapter one, chapter two, il gueule du book tant qu’il peut, il s’appuie sur le pire heavy beat de la région, I’m gonna write, ça sonne comme du gospel batch de possédé et comme si ça ne suffisait pas, il en fait une sorte d’abomination substantifique.

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             Dans les années 2000, Jon Spencer fricote avec Ron Ward et Bob Bert dans Five Dollar Priest, un super-groupe de l’underground new-yorkais. Sobrement titré Five Dollar Priest, leur premier album paraît sur le mighty label basque Bang Records en 2008. Dès «Fingered», on sent le souffle d’une sacrée démesure battue en brèche par Bob Bert. On est dans le heavy New-York City urban beat, spécifique et dur, chargé d’un son d’obédience pirandellienne. Ron Ward amène «Bobby Chan» à la harangue de Bobby Chan, c’est secoué d’explosions. Sur l’album, Jon Spencer est crédité au térémine qu’on n’entend que sur «Cunty Lou». Fantastique atmosphère, tension énorme. Jon Spencer fait le con au fond avec sa machine. Le reste de l’album se tient magnifiquement. Ron Ward est le roi de la harangue vénéneuse. Il nous emmène dans les bas-fonds de Babylone. Il fait aussi du funk blanc avec «Ghost Of Bob Rose», c’est extrêmement digne du no-wavisme dévorant, d’autant plus digne que James White joue aussi sur l’album. Ron Ward et ses amis dotent chaque cut d’une longue dérive abdominale et de poussées de fièvre spectaculaires. «Decatur Street Blues» sonne comme un boogie industriel abominablement bien balancé. Ron Ward jive sur l’orgue et sur le monster beat que bat Bob à la syncope de charley. Il faut les voir jiver Conway Twitty sur «Conway Twitty’s Bag», solide shoot de r’n’b blanc explosé au free. Ils montent aussi «Mao Tse Tongue» sur une rythmique pressée bien nappée d’orgue et violemment perforée au sax. Ron Ward y pulse sa chère surenchère.

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             Dans les années quatre-vingt-dix, Jon Spencer monte Boss Hog avec sa femme Cristina Martinez. Elle fit en temps partie de Pussy Galore et c’est elle qui prend le lead dans Boss Hog. Mais on se doute bien que Jon Spencer fait tout le boulot. Avec un premier album paru en 1990, Boss Hog faillit rester bloqué au fond de l’underground. Cold Hands n’est pas l’album du siècle, loin s’en faut. On y trouve cependant deux belles réminiscences de Pussy Galore, «Gerard» et «Duchess». Jerry Teel qui fait alors partie du groupe ramone son manche de basse sur «Gerard» et ça sonne comme une sorte de trash-core d’underground de désaille new-yorkaise. Tout le jus est là. Jon Spencer pousse des soupirs de géant dans «Duchess», véritable modèle de heavy groove menaçant à la Gilles de Rais. Il s’en va chercher son groove très loin au fond d’une animalité répugnante. On sauvera encore deux cuts sur cet album : «Eddy», heavy comme pas deux, sonnant et trébuchant comme le ducat d’or du duc de Dôle, et «Go Wrong», way back to the basics instincts de Pussy warmer de Galore. Oh et puis tiens, le «Pete Shore» qui ouvre le bal de la B vaut bien le détour, à cause de cet épouvantable riff que triture Jon Spencer à l’ongle sale.

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             Leur second album s’appelle Boss Hog et paraît en 1995. C’est un album classique, 100% pur jus. Tout est là : le raunch, le goût de l’aventure et les exactions foudroyantes. On compte au moins deux coups de génie sur Boss Hog, à commencer par «Beehive». Le mari Jon prend le lead avec des ahhhh graves et bascule dans le JSBX apocalyptique. Jon sait mastiquer des grooves de génie. Il chante ça de l’intérieur du menton, personne ne l’entend, il foutrait presque la trouille, cet imbécile. Il nous claque ça à l’atmosphère inventive. Seul Jon Spencer peut se lancer dans ce type d’aventure sauvage. On le sait, il cultive depuis le début la pure démence de la partance ! Jon Spencer appuie là où ça fait du bien et ça jingle dans le jangle. L’autre coup de Jarnac s’appelle «Green Shirt», joué à la syncope fatale, avec de vraies coulées de lave. Nouvelle explosion de son, et à un moment, on voit du trash liquide couler au milieu, pareil à une rivière de flammes. Le cut d’ouverture s’appelle «Winn Coma» et sonne comme du garage dévastateur, explosif, jouissif, gorgé de son, nothing to lose ! Puis Cristina fait sa rampante dans «Sick», mais elle ne convaincra personne, en dépit du renfort inopiné du Sixième de Cavalerie, c’est-à-dire son mari. Disons que c’est rampant au sens du fumant, c’est du parfaitement inconvenant, du gras qui se fout du monde. Ils veillent tous les deux à la parfaite intensification du conflit. Ce qui frappe le plus dans le «Ski Bunny» qui arrive un peu après, c’est l’énormité du son. Jon Spencer et Cristina chantent ensemble, mais sous le boisseau. Les voilà extrêmement exacerbés - Ski Bunny ! Suicide ! - Ils sont enragés et ça joue sourdement. Arrivé à ce stade de l’album, on ne souhaite plus qu’une seule chose : que ça se calme. «What The Fuck» ! Cristina prend la main pour ce cut visité par des vagues de son gigantesques - Get the fuck ! - Jon en ramène des caisses. La fête se poursuit en B avec «White Sand», chanté à la mystérieuse. Ils ramènent un peu de son, surtout le mari. Oh il adore ça. Une fois encore, ça chante sous le boisseau et le mari arrive au triple galop pour lui porter secours - Break dance ! - C’est claqué aux pires gimmicks new-yorkais. Puis Jon attaque «Strawberry» d’une voix de vieil alligator. Affreux et génial ! Il groove son baryton et fait du JSBX au grand jour. Le «Walk In» qui suit rappelle «Memphis Soul Typecast», et ils finissent par faire exploser leur jouet. Ils bouclent avec «Sam» qu’ils pulvérisent à coups de killer solos et de nappes d’orgue.

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             Quatre ans plus tard paraît Whiteout. Cristina pose en petite tenue sur la pochette. Elle porte du blanc immaculé et c’est forcément en hommage à Elvis qui préférait voir ses poules porter de l’underwear blanc. L’image attire l’œil et la musique fait dresser l’oreille du lapin blanc, seulement l’oreille. Surtout «Get It While You Wait», une pop atmosphérique absolument envoûtante. C’est bardé de dynamiques infernalement sucrées. Appelons ça une pure merveille d’élévation spirituelle. Ils s’ébrouent dans le lagon de la pop magique, yeah yeah yeah, elle se jette dans la vague et s’abandonne aux langues de la clameur. L’autre gros cut s’appelle «Defender», gratté au gros riff sixties et Cristina part à l’aventure. Elle gueule, mais elle n’est pas fiable à 100%. On voit bien qu’ils tentent de faire un vrai truc, mais ce n’est pas toujours facile. On fait avec ce qu’on a, comme dirait le patron du PMU de la rue Saint-Hilaire. Jon Spencer multiplie les effroyables départs en solo et les arrêts brusques sur la voie. Il électrise à outrance et envoie de sacrées giclées de gras double. Dans «Trouble», Cristina explose son I can’t stand it. Non elle ne peut plus supporter ça, c’mon, et voilà les clap-hands. Elle se révèle excellente dans les redémarrages en côte. On trouve aussi sur cet album un «Chocolate» dur à croquer. Jon Spencer fait le show avec sa baby all down the machine. Dans «Nursery Rhyme», Cristina se met à sonner comme Hope Sandoval. Il reste deux animaux : «Jaguar» et «Monkey». Jon Spencer leur shake le shook à sa façon, c’mon let’s do it ! Ce mec est incapable de se calmer.

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             Oh et puis tiens, puisque le dernier album de Boss Hog paraît sur In The Red, on va l’écouter. Il s’appelle Brood X et dès «Billy», on retrouve le son bien fuselé, lisse comme un suppositoire et joué à la menace sourde, très spencerish. C’est tellement parfait qu’on a l’impression que Jon Spencer n’y croit plus. Il a déjà accompli trop de miracles, que peut-il apporter de plus aujourd’hui ? Il reprend à son compte le coup des montées en puissance dans le mix qu’avait inventé Jim Dickinson. On note la constance d’une belle efficacité directorielle. Il joue ensuite «Black Eyes» au petit profilé malsain et maintient la pression d’une menace sourde. Joli travail de duo sur «Ground Control» dans une ambiance de guitare baryton, de beau plâtras bassmatique et de relances d’époux exacerbés - Turn the radio on ! - Ils bouclent l’A avec «Signal», joué à l’exaction d’exaltation. Jon Spencer joue sa meilleure carte, celle du sharp. Le groupe sort un son technique et très froid, comme s’ils manquaient d’idées et de chaleur humaine. Ils jouent tout au gimmick de bakélite, noir et glacé. Ça se réchauffe heureusement en B avec l’imparable «Rodeo Chica» pris au dig it up chica de Jon Spencer. Il duette avec Cristina à la décontracte maximaliste. C’est excellent, vraiment digne de «Memphis Soul Typecast» - What’s wrong baby ? - On retrouve là tout ce qui fit l’écrasante modernité du JSBX. Back to the big allure sportive pour «Elevator». On sent chez eux une vraie disposition à l’élan harmonieux, le souci d’une vraie cadence d’élancement bassmatique. Dans «Fomula X», Cristina se prend pour une formula X. Elle cherche la petite bête et Jon Spencer joue des riffs de harangue fumée apollinarienne. 

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             L’autre grand épisode de la saga Jon Spencer est bien sûr Heavy Trash qu’il monte dans les années 2000 avec Matt Verta-Ray. Leur concept consiste à taper dans un agglomérat de country sauvage, de gospel de bastringue et de ramshakle monochrome. Leur premier album sobrement titré Heavy Trash paraît en 2005. Ils optent pour une pochette dessinée qui ne les restitue pas très bien. Mais musicalement, on risque l’overdose. Dès «Lover Street», Jon Spencer blaste son r’n’b et lâche des ouh ! parfaitement justifiés. Il flirte avec le boogaloo pendant que le mate Matt tisse sa toile - Ouh ! - Jon Spencer fonce, comme il l’a toujours fait. Il jerke à la croisée des chemins et mélange Johnny Burnette avec Eddie Floyd. En bonne éponge qui se respecte, il récupère tout et recrache du shuffle de glotte - Sock it to me baby ! - Il enjambe tous les genres. Ce mec n’en finit plus de jouer avec le génie comme le chat avec la souris. Il reprend à son compte tous les effets vocaux d’Elvis dans «The Loveless». Sans problème. Tous ceux qui l’ont vu sur scène ont forcément été frappés par sa classe et une perfection morphologique digne de celle d’Elvis. Avec «Walking Bum», Matt the mate et Jon Spencer roulent sur les plate-bandes du Creedence Clearwater Revival - époque du premier album - le mate Matt nous gave de twang guitar. «Justine Alright» bénéficie d’une petite intro speedée à la Eddie Cochran. Jon Spencer rigole - ah ah ah - et il embraye brutalement sur un killer cut aux paroles mâchées, une espèce de rap country, pendant que Matt the mate place des chorus écœurants de perfection. Jon Spencer attaque tous ses couplets avec cette opiniâtreté bravache qui depuis est entrée dans la légende. Le son de «The Hump» se veut aussi épais que de la purée froide. Jon Spencer y enfonce son dard vocal et avance avec un foudroyant mépris de la résistance des matériaux. «Mr KIA» sonne comme le «What’d I Say» de Ray Charles. Jon Spencer chante ça d’une voix atrocement profonde, en fait un prêche à la Jerry Lee et plane au-dessus de nos têtes comme un vautour. Pendant ce temps, Matt the mate joue comme un dieu. On le voit tirer les cordes de sa Gretsch et en se contorsionnant. S’ensuit «Gaterade», un classique automatique monté sur une petite gamme diabolique. Jon Spencer espace ses phrasés pour laisser Matt the mate descendre sa petite gamme et balancer un solo de fête foraine d’une perfection intangible. Et puis voilà «This Way Is Mine» que Jon Spencer balance avec la ferveur d’un vendeur aux enchères texan sorti d’un film de Robert Altman. À sa parution, ce premier album de Heavy Trash créa l’événement. On savait Jon Spencer parfaitement incapable de sortir un mauvais disque.

             Il est probablement l’un des derniers grands rockers à maîtriser parfaitement le heavy-duty-talking-blues. Matt the mate et lui sont devenus les killers suprêmes. Ils échappent à toutes les catégories. On risque de s’embourber à vouloir décrire l’exceptionnel talent de Jon Spencer. Le problème est qu’il en a trop. 

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             Un second album d’Heavy Trash paraît en 2007 : Going Way Out With Heavy Trash. Encore une pochette dessinée. On les voit courir vers un train à vapeur comme deux hobos à l’ancienne mode, avec leurs guitares et leurs balluchons. Bel album, plein de bonnes surprises. On retrouve la dynamique du groupe sur scène dès le premier cut, «That Ain’t Right», gros solo de Matt the mate, beau son de stand-up et sacrées montées en température. Et en prime, les Sadies les accompagnent. «Double Line» est du typical Jon Spencer. Une vraie insurrection - Ouh ! - et c’est joué garage au prêche abricot. Avec «I Want Oblivion», Jon Spencer fait sa baraque de foire. Ça bat du tambour et il fait la retape, pendant que le mate Matt joue la fuite éperdue. Puis Jon Spencer s’en va croasser comme un vieil alligator dans «I Want Refuge» - I got a love - Et il gospellise. Il s’en va ensuite claquer ses syllabes au micro pour «You Can’t Win» - Another shot transmission/ You can’t win - c’est un heavy groove de boogaloo. Et en B, il revient à son admiration pour Eddie Cochran avec un «Crazy Pritty Baby» monté sur le riff de «Somethin’ Else». Bel hommage. Jon Spencer n’oublie pas la répartie au baryton et Matt the mate veille au sévère cocotage de Gretsch. Ils reviennent (enfin) au rockab avec «Kissy Baby», joliment slappé par un nommé Kim Kix. Wow, quel bop, Bob ! Ils restent dans la pure pulsion rockab avec «She Baby» et nous servent ça sur une rythmique de rêve. Et la fête continue avec «You Got What I Need», un fantastique brouet de slap bass et de bouquets d’accords garnis.

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             Leur troisième album Midnight Soul Serenade sort trois ans plus tard, avec une pochette illustrée, mais cette fois l’ambiance beaucoup plus lugubre annonce le ton de cet album qui bascule dans la sérénade heavily déviante. Dès le premier cut, «Gee I Really Love You», l’air glacial nous saisit. Jon Spencer et Matt the mate créent une ambiance délétère. On assiste ensuite en plein milieu de «Good Man» à un beau démarrage rockab. Jon Spencer et Matt the mate ne semblent s’intéresser qu’aux dynamiques des morceaux. «The Pill» est une mélodie malsaine et Jon Spencer se lance dans le film noir. Avec «Pimento», on passe à la samba du diable. Jon Spencer fait son Tav Falco. L’un des cuts les plus intéressants de cet album restera sans doute «(Sometimes You Got To Be) Gentle». Voilà une belle pièce d’exaction intrinsèque à la fois collante et abrasive, jolie et grandiose et pleine de rebondissements. On y sent de l’ambition. Ah look out ! Jon Spencer lance «Bedevilment» comme s’il jouait avec le JSBX et revient à ses vieilles concassures de rythme. Et le reste de l’album s’écoule paisiblement, sans que rien ne vienne chasser les mouches. 

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             Tiens ! Un nouvel album de Heavy Trash ? Matt the mate qui est le plus gentil des Canadiens nous avertit :

             — Ce ne sont pas des chansons... Ce sont des expérimentations.

             — What do you mean ? Oh pardon, qu’est-ce tu veux dire ?

             — On a expérimenté des sons en studio....

             — Mais quoi comme son, du rockabilly ?

             — Ouais, mais il y a aussi Stockhausen...

             — Oh la la !

             L’album s’appelle Noir, noir comme le café, dit Jon Spencer. Il traite de la question des cheveux dans «Good Hair», le cut d’intro, sous un faux air lagoyesque - beautiful hair, black like coffee - Franchement, ce premier cut est de nature à faire tomber de cheval n’importe quel desperado, mais il faut s’armer de patience, car ce disque réserve de belles surprises. Les cuts qu’il propose sont en effet des expérimentations enregistrées sur une période de dix ans et par moments, on a clairement l’impression de se trouver dans le studio avec Matt the mate et Jon Spencer, car l’esprit de ce disque se veut intimiste. On assiste au grand retour du format chanson avec «Wet Book» doté de la meilleure dynamique qui soit ici-bas. Ils claquent ça dans l’épaisseur de l’ombre et un sax vole au secours de la montée de fièvre. Jon Spencer sue la soul par tous les pores de sa pop. On revient à l’étrangeté avec un «Out Demon Out» qui ne doit rien à Edgar Broughton. Car ça slappe sec derrière ce mélange de talking jive et de clap-hands de Joujouka. Jon Spencer vise le cœur de la scansion. Le cut tourne au cauchemar, tellement le son de slap le bigarre. Au loin, des voix d’écho perdurent à n’en plus finir. Ce côté expérimental est d’autant plus troublant que Jon Spencer s’est montré tout au long de son parcours le plus carré des hommes. Tous les morceaux de cet album sont captivants, même «Viva Dolor» cette jolie pièce de pianotis de fin de nuit si douce à l’intellect. Matt the mate et Jon Spencer renouent avec le petit rockab ouaté en cuisant «Blade Off» à l’étouffée. Jon Spencer tape du pied et fait son strumming. Il ouh-ouhte de temps en temps, histoire de signaler son choo-choo aux passages à niveaux. Ils ouvrent le Bal des Laze de la B avec un «Pastoral Mecanique» d’orgue de barbares égarés et hagards, tels qu’on peut en voir au soir du sac d’une ville. Les sons s’échangent et relayent l’extase de l’ombilic des limbes. Comme deux compagnons d’aventures, Matt the mate et Jon Spencer brillent ardemment au soleil noir de l’expérimentation - This is pure heavy trash - Et puis voilà «Discobilly», un rockab déviant et gondolé. Ils brassent leur beat et ça frôle le mambo d’Alcatraz. Ça tombe en décadence d’Empire romain et ça glisse doucement vers le couchant. Avec «Jibber Jabber», Jon Spencer joue avec la musique des mots. Il raconte à sa façon l’histoire du rock, en partant de Big Bopper pour remonter jusqu’à Jimi Hendrix, Mama Cass et Jim Morrison - What happens to the real rock’n’roll heroes ? - Jon Spencer joue à merveille de cette diction blackoïde de nez pincé - Rock on my brother/ Rock’n’roll my sister/ And get down - Ils font ensuite une belle reprise de Johnny Cash, «Leave That Junk Alone», puis ils passent au relativisme écarlate avec «Notlob» et bouclent leur petite affaire avec un «Last Saturday Night» gratté au bord du fleuve et humé au glou-glou. Quelle bonne compagnie ! Jon Spencer miaule et substitue l’intention au chant, tout simplement. Il n’a pas besoin de paroles. Mais oui, il a raison. Pourquoi s’épuise-t-on à vouloir écrire des paroles ? 

    Signé : Cazengler, Spencer les fesses

    Pussy Galore. Exile On Main Street. Shove Records 1986  

    Pussy Galore. Right Now. Caroline Records 1987

    Pussy Galore. Sugarshit Sharp. Caroline Records 1988

    Pussy Galore. Dial M For Motherfucker. Caroline Records 1989   

    Pussy Galore. Historia De La Musica Rock. Rough Trade 1990

    Pussy Galore. Live In The Red. In The Red Recordings 1998

    Pussy Galore. Groovy Hate Fuck (Feel Good About Your Body). Shove Records 1986

    R.L. Burnside. A Ass Pocket Of Whiskey. Matador 1996

    Gibson Bros. Memphis Sol Today. Sympathy For The Record Industry 1993

    Honeymoon Killers. Hung Far Low. Fist Puppet 1991

    Spencer Dickinson. Toy’s Factory 2001

    Five Dollar Priest. Five Dollar Priest. Bang Records 2008

    Boss Hog. Cold Hands. Amphetamine Reptile Records 1990

    Boss Hog. ST. DGC 1995

    Boss Hog. Whiteout. City Slang 1999

    Boss Hog. Brood Star. Bronze Rat Records 2016

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    Boss Hog. Brood X. In The Red Records 2017

    Heavy Trash. Heavy Trash. Yep Rock 2005

    Heavy Trash. Going Way Out With. Crunchy Frog Recordings 2007

    Heavy Trash. Midnight Soul Serenade. Crunchy Frog Recordings 2009

    Heavy Trash. Noir ! Bronzerat Rat Records 2015

     

     

    Wizards & True Stars - Cher Usher

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             Le voisinage a-t-il joué un rôle important dans l’histoire du rock ? Dans le cas de Gary Usher, oui. Il vit à Hawthorne, une banlieue de Los Angeles, et un jour, il entend de la musique dans la rue. Oh, mais ça vient de chez les Wilson ! Alors il va voir. Et pouf, il devient pote avec les trois frères Wilson, et plus particulièrement avec l’aîné, Brian. Les voilà copains comme cochons, et plutôt que de feuilleter des revues porno comme le font tous les autres copains comme cochons, ils composent une chanson ensemble, le fameux «409» qui en 1962 va se retrouver sur le deuxième single des Beach Boys. Mais Marty, le père Wilson, ne voit pas d’un très bon œil l’arrivée d’un étranger dans un biz qu’il voit plus familial. Alors il vire Usher.

             Ce qui ne l’empêchera pas de devenir l’un des personnage clé de la scène californienne et devenir aussi légendaire que vont l’être Nick Venet, Kim Fowley ou Terry Melcher. Comme Brian Wilson, Gary Usher est l’un des pionniers de la surf culture. Cet auteur compositeur/producteur/chanteur/guitariste sera l’un des premiers collaborateurs de Brian Wilson. À cause de Marty, ils se voient en cachette. En 1963, ils composent ensemble «In My Room». Usher a aussi pas mal d’accointances avec Dennis, le petit frère de Brian, qui bat le beurre avec lequel il part en virée à Tijuana, en quête de «local action». On retrouve encore ce cher Usher aux côtés de Dick Dale, Jan & Dean, the Peanut Butter Conspiracy, Chad & Jeremy et bien sûr Curt Boettcher, avec lequel il monte Sagittarius. En 1963, il est engagé comme producteur par Challenge Records, mais à l’époque, le rôle de producteur n’est pas clairement défini. Il s’agit surtout pour le producteur de veiller à deux choses : tenir le budget et veiller à ce que tout le monde soit à l’heure dans le studio, interprètes comme musiciens. Le jeune Usher qui apprend vite. En parallèle, il enregistre. C’est sa période surf craze, drag & hot-rods.

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             Sur la compile que lui consacre Ace, Happy In Hollywood - The Productions Of Gary Usher, on trouve l’un de ses groupes de surf craze, The Hondells, avec un «Show Me Girl» signé Goffin & King, pur jus d’On The Beach, ils sont dedans jusqu’au cou. Pour enregistrer «Just One More Chance», ce cher Usher s’entoure des meilleurs : Glen Campbell, Dick Burns et Curt Boettcher. Tant qu’on y est, on peut aller voir ce qui se passe sous les jupes des deux albums des Hondells, Go Little Honda (1964) et The Hondells (1965).

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    Ce sont deux fantastiques albums de surf craze, dans le même esprit que les premiers albums des Beach Boys. D’ailleurs, c’est Brian Wilson qui signe «Little Honda». Vroom vroom, toute l’énergie est déjà là. Ils font du classic surf avec «A Guy Without Wheels», bien sabré du champ et ce cher Usher signe cette merveille nommée «The Wild One», qui a du Beach Boys sound plein l’élan.

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    Le «Black Denim» qui ouvre le balda du second album est encore un fantastique pulsatif. Le hit de The Hondells s’appelle «My Buddy Seat», pur jus de Beach Boys craze, c’est même assez wild. Ces deux albums sont un vrai festival de joie de vivre et de grande précision guitaristique. Bien sûr, les Hondells roulent en Honda.

             Comme son ami Brian Wilson et d’autres visionnaires, ce cher Usher va évoluer rapidement et devenir l’un des producteurs les plus recherchés de son temps. On le connaît surtout comme producteur des Byrds. Il va produire trois de leurs albums, Younger Than Yesterday, Sweetheart Of The Rodeo et The Notorious Byrd Brothers. Le babal de cette compile s’ouvre sur «Lady Friend». Apoplexie garantie. C’est explosé de son, wow my Gawd, ce sont les Byrds, ils te chatouillent bien la rate, c’est joué au max de l’Usher Sound System, au plein son du plainsong, même niveau que Spector, mais c’est encore autre chose. En tous les cas, les Byrds volent très haut. Sans prod, pas de Byrds. Sans Totor, pas de Righteous brothers ni de River Deep. Les Byrds enregistrent «Lady Friend» en 1966. Gene Clark a déjà quitté le groupe. Croz et McGuinn ont engagé leur petit bras de fer. Kingsley Abbott qualifie «Lady Friend» de one of the Byrds’ crowning glories. Il parle aussi d’une prod scintillante, forcément, avec les Byrds, ça ne peut que scintiller, c’est leur fonds de commerce. Mais Croz refait les vocaux en douce, ce qui lui vaudra, en plus de son comportement au Monterey Festival, d’être viré du groupe. On trouve plus loin un autre cut des Byrds, «You Ain’t Going Nowhere», une cover de Dylan, jouée country upfront et chantée à la pure perfe, ça flotte dans l’ouate californienne, tout là-haut. C’est l’époque Sweetheart Of The Rodeo, Croz, Michael Clarke et Gene Clark sont partis et, nous dit Abbott, les Byrds sont devenus méconnaissables. Hillman et McGuinn recrutent Gram Parsons. Ce cher Usher descend à Nashville avec eux et reconnaît que l’ami Gram a du charisme. Trop. McGuinn veille à ce que Gram ne prenne pas le pouvoir. Le jeu consiste pour Usher à établir un équilibre entre McGuinn, Hillman, Gram et lui. Mais quand Sweetheart Of The Rodeo paraît, Gram a déjà quitté le groupe. Il aime trop sa liberté.

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             On reste dans la magie des Byrds avec Gene Clark et «So You Say You Lost Your Baby». Ça reste du très haut niveau. Fabuleuse présence que celle de Gene Clark, il est le psychedelic king of California. Usher va produire l’excellent Gene Clark With The Gosdin Brothers, l’un des albums phares de cette époque. Petite cerise sur le gâtö : Tonton Leon signe les arrangements de «So You Say You Lost Your Baby». Les Gosdin, ça ne te rappelle rien ? Mais oui, un autre Gary, le Paxton. On est ici dans la galaxie des producteurs surdoués : Gary Usher, Gary S. Paxton, Brian Wilson. On reste dans le cercle magique avec Saggitarius et «My World Fell Down», une pop qui rivalise avec celles des Beatles et de Brian Wilson. Le power californien te jette dans le mur. Cut mouvementé : on assiste à quelques épisodes et ça repart à l’explosion. Notre cher Usher voyait Saggitarius comme un projet solo, mais il va le développer avec Curt Boettcher, l’autre surdoué de service. Sur «My World Fell Down», Glen Campbell chante lead, Bruce Johnston et Terry Melcher font les harmonies vocales.

             Tiens, une autre vieille connaissance : Keith Allison, avec l’énorme «Louise». Il est fabuleux, on peut même le couronner King of the Californian Hell, il claque sa Louise au heavy gaga. Notre cher Usher rappelle que Keith Allison et Terry Melcher sont de très bons amis à lui. Comme chacun sait, l’Allison ira rejoindre les Raiders et il montera un backing-band pour ses vieux amis Boyce & Hart. Sur cette compile détonante, on trouve pas mal de fast pop ultra-produite (The Wheel Men avec «School Is A Gas» et The Spiral Starecase avec «Baby What I Mean»). Usher produit aussi Chad & Jeremy qu’on trouve ici sous la forme de Chad Stuart & Jeremy Clyde avec un «Sunstroke» envahi par les sitars. Chad & Jeremy sont des florentins florissants intéressants, il paraît logique qu’ils traînent dans les parages d’un maître florentin comme Gary Usher, le Michel-Ange de la pop californienne. Par contre, Chuck & Joe sont deux mecs des Castells qui se prennent pour les Righteous Brothers. Ils montent tellement en neige l’«I Wish You Don’t Treat Me So Well» qu’il devient vertigineux. On retrouve les Castells un peu plus loin avec «An Angel Cried», et là, on entre dans le territoire des Four Seasons, avec de fantastiques harmonies vocales, notre cher Usher monte ça en ultra-neige, on serre bien fort la pince d’Ace pour dire merci, car «I Wish You Don’t Treat Me So Well» et «An Angel Cried» sont des hits immémoriaux. Sans Ace, ils seraient passés à l’as. On peut faire entrer le «Shame Girl» des Neptunes dans la même catégorie. Pour monter ce coup, notre cher Usher rassemble le Wrecking Crew. Tonton Leon fait partie de l’aventure. Encore un hit mystérieux, celui des Forte Four avec un «I Don’t Wanna Say Goodnight» signé P.F. Sloan. Tout n’est que mystère dans les ténèbres de la Maison Usher. Pourquoi tous ces hits n’ont-ils pas explosé au grand jour ?

              Jusqu’au bout, notre cher Usher défend l’esthétique des Beach Boys : avec le «Catch A Little Ride» des Surfaris, il continue de produire cette pop ultra-énergique drivée par les bagnoles au c’mon c’mon. Phénomène typiquement californien. Gary Usher découvre aussi les Sons Of Adam et s’intéresse assez à eux pour les emmener en studio, mais ça ne se passe pas très bien, nous dit Abbott, car ce cher Usher est un florentin qui cherche sa voie, alors que Randy Holden et son gang ne rêvent que d’une chose : retrouver le raw scénique, alors ça ne colle pas. Ils parviennent toutefois à enregistrer «Take My Hand», un beau slab de wild gaga. Notre cher Usher en profite pour envoyer les guitares rôder au fond du son. Abbott pense qu’Usher aurait pu être en avance son temps, «ahead of the psych game, mais il n’avait pas trouvé le bon groupe».

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             Vient de sortir dans le commerce une compile des Sons Of Adam. Saturday’s Sons. The Complete Recordings 1961966. Chacun sait que le groupe fut baptisé par Kim Fowley, comme l’indique Michael Stuart-Ware, le futur batteur de Love, dans On The Pegasus Carousel With The Legendary Rock Group Love. On retrouve bien sûr l’excellent «Take My Hand» sur cette compile. Et d’autres merveilles, comme cette cover des Yardbirds, «You’re A Better Man Than I», qu’ils répliquent à la perfection, comme le fit en son temps Todd Rundgren avec «Happening Ten Years Time Ago» sur Faithfull. Les coups de génie se planquent à la fin, «Everybody Up» et «Highway Surfer». Deux bombes atomiques ! Moloch bouffe le surf craze tout cru. Moloch, c’est Randy Holden. Il tape sa craze à l’extrême. Il est le wild guitar slinger de la West Coast, il joue au big day out, comme Dick Dale. L’avantage de cette compile est qu’on voit Randy Holden revenir à ses racines, le surf. Il fait encore des ravages avec «Lonely Surf Guitar», c’est comme s’il s’enfonçait dans la craze, ça va vite l’enfoncement, d’autant qu’il noie ça de relents d’écho. Il fait aussi pas mal de Californian Hell avec «It Won’t Be Long» et «Saturday’s Son», enregistrés live à l’Avalon en 1966. Le groupe avait un potentiel énorme, ils généraient une fantastique élongation du domaine de la lutte, ils sonnaient même comme les Byrds avec «Saturday’s Son». Encore une cover des Yardbirds : «Evil Hearted You». Ils développent une énergie considérable et bouclent le show de l’Avalon avec une cover de «Gloria» qui tape en plein dans le mille, ils n’ont pas la voix, mais le wild passe dans le jeu. La deuxième partie de la compile est une série de singles et d’outtakes : les cuts de surf craze évoqués plus haut, et l’excellent «Tomorrow’s Gonna Be Another Day», un wild gaga d’antho à Toto. Tu y vas les yeux fermés. Ils expédient aussi leur «Feathered Fish» en enfer et le carbonisent à coups d’I don’t know. Nouvelle rasade de punch suprême avec «Baby Show The World» et avec «Mar Gaya», Randy Holden attaque sa capiteuse croisade de surf craze.

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             Encore un épais mystère : The Guild avec «What Am I Gonna Do», un heavy slowah traîné dans la boue argentée. Les Guild arrivent à appâter ce cher Usher en lui envoyant une cassette bourrée de covers des Beach Boys, alors évidemment, il mord à l’hameçon et vient les voir jouer dans l’Illinois. Ils est knocked outed : «The Guild sang Beach Boys songs far better !». Le chanteur Tom Kelly va même se porter candidat et auditionner pour le remplacement de Brian Wilson. Il est si bon que Carl Wilson veut l’embaucher on the spot. Et bien sûr, ce surdoué de Tom Kelly va disparaître, Abbott donne quelques infos, mais rien de très mémorable. On parlait du loup, alors le voilà : Brian Wilson avec «Let’s Go To Heaven In My Car». Les sessions pour l’album Sire de Brian Wilson vont durer trois ans, nous dit Abbott, mettant la patience de tout le monde à rude épreuve, notamment celles d’Andy Paley, de Russ Titelmann et de Lenny Waronker. Co-écrit par Usher et Brian, «Let’s Go To Heaven In My Car» est tout de suite au carré d’un certain carré, the Californian Wizard Of Oz s’agite dans son espace vital, quel power ! On pourrait même dire : trop de power ! Après le passage pénible des Peanut Butter Conspracy (ce cher Usher ne s’entend pas avec les hippies de San Francisco et c’est réciproque), Abbott finit sa compile en beauté avec California, le projet monté par Gary Usher avec Curt Boettcher. C’est le cut qui donne son titre à la compile, «Happy In Hollywood». Belle façon d’entrer dans le mythe de la pop californienne, ils sont tous là, Curt Boettcher, Chad & Jeremy, Bruce Johnston, c’est la pop de biais du génie pur. Rien d’aussi biaisé là-haut dans le firmament. 

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             En 1970, Gary Usher rend un bel hommage à son ami Brian Wilson avec un album d’instros intitulé A 1970 Symphonic Salute To The Great American Songwriter Brian Wilson, que Poptones a eu la décence de rééditer en 2001. Merci Joe Foster. C’est un album très spécial, ultra symphonique. Comme le dit si bien l’ami Foster dans les liners, better late than never, surtout quand on peut se régaler de la bossa nova de «Busy Doin’ Nothin’». Usher se fait aider par Curt Boettcher et Keith Olsen. Back to the cœur du mythe avec «Pet Sounds». L’excellence symphonique à l’état le plus pur. L’un des chefs-d’œuvre du XXe siècle. Il propose ensuite un medley «Fall Breaks & Back To Winner/Good Vibrations/Heroes & Villains» gorgé d’atonalités. Quand Brian compose «God Only Knows», il sait de quoi il parle. Power dément, on est au paradis. On reste dans les nuages avec «Please Let Me Wonder». Ce sont les grandes pompes, alors forcément on biche. Toute cette belle aventure se termine avec «In My Rom», l’un des fils mélodiques les plus purs de l’histoire du rock, et les vagues de violons aggravent encore les choses, ça bascule dans un gros shakeout astronomique digne, comme le rappelle Joe Foster, de Gershwin.

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             Les fans d’Usher se sont jetés sur Beyond A Shadow Of Doubt comme des requins sur des naufragés d’une bataille navale. Il faut savoir que sur cet album béni des dieux, Usher chante et Dick Campbell compose. On en profite pour saluer au passage Gene Sculatti sans qui Dick Campbell serait resté un parfait inconnu. Si on aime la pop paradisiaque, alors on est gâté avec «Grey Soft Black & Blue». Belle pureté d’intention, et assez mirifiquement orienté vers la lumière dans ce qu’elle peut avoir de plus aveuglant. On reste dans l’expression du génie mélodique avec «Sleepy Land», Dick Campbell et Curt Boettcher font des backing vocals. On a là une merveille de pop transie à la Brian Wilson, une pop qui grelotte de beauté sous le soleil exactement. Au fil des cuts, Usher développe une énergie de la beauté pure, comme le montre encore «Ships», ce fabuleux envol de heavy pop. Pas besoin de littérature, la musique parle toute seule. Elle est même assez toxique, au bon sens du terme. Comme Brian Wilson, Usher embarque ses amis les auditeurs dans une dimension du rêve mélodique. Avec «Everything Turns Out Right», Usher vire pychedelic et c’est une merveille insupportable. Les cuts de pop lourde et lente se succèdent jusqu’à plus soif, «So Long» est une chanson tellement parfaite qu’elle explose tout doucement et atteint tous les sommets qu’on voudra bien imaginer. Attention, il y a des bonus et ils nous réembarquent aussi sec pour Cythère. Avec «Slippin’», pas besoin de Brian Wilson, on a notre cher Usher. Il est en plein dedans. Magie du jour naissant. S’ensuit un «We May Like It Yet» joué au gratté d’arpèges californiens, avec une voix burinée par le soleil couchant, ça sent bon les drogues du paradis, il suffit d’écouter notre cher Usher pour le comprendre. Avec «Walk A Mile», il fait une pop d’early morning avec my love for you. Il y va de bon cœur. C’est vraiment très pur. Belle pop de walk in the grass. On en trouve d’ailleurs deux versions. Toute cette belle virée paradisiaque se termine avec «Go Rachel Go», gratté au heavy power d’acou dylanex, et Usher l’explose. Thank God pour cette pop d’Usher. 

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             En 2008, Sundazed arrachait Gary Usher à l’oubli en sortant un double album intitulé Barefoot Adventure. The 4 Star Sessions 1962-1966. Il s’agit bien sûr de surf-music des early sixties, bien secouée du cocotier. Là-dedans, tout est pulsé au meilleur son d’époque et notamment «Cheater Slicks» un hit primitif ravagé par un solo d’orgue et des clap-hands. Ces mecs avaient comme les Beach Boys un sens aigu du juke, turn on ! Ah ah ah, il rit comme un pirate. Ce qui frappe le plus dans tout ce délire, c’est l’énergie. C’mon cher Usher, son «CC Cinder» file ventre à terre. On assiste à une extraordinaire résurgence de heavy beat dans «The Chug-A-Lug». On s’effare de tant d’énergie et de la virulence du solo de sax et on se prosterne jusqu’à terre devant toute cette débinade de surf craze. Ils jouent «Soul Stompin’» au dératé et piquent une belle crise de fever dans «Power Shift». Le disk 2 s’ouvre sur un «Wax Board And Woody» digne des early Beach Boys, ils se gargarisent de ce tagada early sixties. Le hit s’appelle «RPM». Avec Hal Blaine on drums et ce solo d’orgue, c’est imbattable. S’ensuit un «Barefoot Adventure» pulsé par une énergie démente, let’s go surfin’ ! On tombe plus loin sur un «Coney Island Wild Child» qui ne doit rien à Lou Reed, mais qui est explosé de petits cris délinquants. C’est embarqué vite fait, les Californiens savent envelopper un bonbon. Et petit à petit, ça vire pop, une pop un peu barrée. The teenage blonde Ginger Blake chante «You Made A Believer Out Of Me» et c’est tapé au fin du fin de l’Usher sound. On le retrouve ensuite dans «Waiting For The Day» où elle gueule tout ce qu’elle peut, et elle est dessus. Il faut savoir que Ginger Blake fait partie d’un trio vocal, the Honeys avec ses cousines Marilyn et Diane Rovell. Ginger est la girlfriend d’Usher et grâce à eux, Marilyn va rencontrer Brian Wilson et l’épouser.

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             Si on s’intéresse à Gary Usher, on ne perdra pas son temps à écouter l’album des Kickstands, Black Boots And Bikes, enregistré en 1964 et réédité par Sundazed. On est en plein dans le son des early Beach Boys, avec le session wiz Jerry Cole. Et comme Earl Palmer fait partie de l’aventure, c’est battu à la diable. On le voit battre tout ce qu’il peut battre dans «Hill Climb». «Mean Streak» sonne comme un hit des Beach Boys et Jerry Cole joue son gut out sur «Side Car». Mais attention, c’est avec «Two Wheel Show» que tout explose. Jerry Cole défonce la plage, ça outrepasse l’espace, ça dégomme le chamboule-tout du Beach craze. Il y a là-dedans plus de punk attitude que dans toute la vague punk anglaise, la violence est sous-cutanée, amenée aux clap-hands et au venin de Jerry Cole. On assiste à un fantastique démontage de la gueule du rock, Beach Boys to no avail. «Haulin’ Honda» pourrait bien être l’instro préféré du diable. Jerry Cole entre dans le son avec un gusto qui devrait servir de modèle à tous les guitaristes. Ah tu voulais en croquer, alors vas-y croque.

    Signé : Cazengler, qui vaut pas (U)sher    

    Happy In Hollywood. The Productions Of Gary Usher. Ace Records 2022

    Gary Usher. A Symphonic Salute To The Great American Songwriter BW. Dreamsville Records 2001

    Gary Usher. Beyond A Shadow Of Doubt. Dreamsville Records 2001

    Gary Usher. Barefoot Adventure. The 4 Star Sessions 1962-1966. Sundazed Mucic 2008

    Kickstands. Black Boots And Bikes. Capitol Records 1964

    The Hondells. Go Little Honda. Mercury 1964 

    The Hondells. The Hondells. Mercury 1965

    Sons Of Adam. Saturday’s Sons. The Complete Recordings 1961-1966. High Moon Records 2022

     

     

    L’avenir du rock - Taj in & Ry complet

     

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             Longtemps l’avenir du rock ne s’est pas couché de bonne heure mais plutôt levé de bonne heure dans les montagnes du Haut Atlas. Il adorait se rendre au Maroc pour y savourer la musique berbère, comme le fit en son temps Brian Jones, qui soit dit en passant, reste le chouchou numéro un au hit parade local. Alors attention, la musique berbère n’est pas celle qu’on croit, en tous les cas, pas celle qu’on entend dans les restaurants de Marrakech ou qu’on achète à la FNAC sur des petits labels branchés de musique world. Comme le fit en son temps Brian Jones, l’avenir du rock s’est rendu à dos de mule dans des villages isolés de la montagne, car c’est là, loin des villes, des magasins et des touristes, qu’on la joue. Et on ne la joue pas sur des guitares électriques, mais sur des instruments à cordes qui remontent à l’antiquité, et sur les fameux tambours berbères qu’on tient à la verticale par le pouce de la main gauche et qu’on frappe en rythme du plat de la main droite. Et puis bien sûr les chants, dans la meilleure des traditions orales. Puisque chez les Berbères jouer est une fête, le maître de cérémonie invite chaque convive à apprendre les paroles des chants traditionnels, souvent très simples et bien sûr allégoriques, les traduisant au passage pour que le convive sache de quoi il s’agit, à la suite de quoi il peut se joindre aux chœurs du village et vibrer avec tous ces gens magnifiques à l’unisson d’un saucisson qui remonte à la nuit des temps. Ces chants n’existent que dans les villages et l’avenir du rock en savourait chaque fois l’extraordinaire valeur sacrée. Si d’aventure la petite caravane qui emmenait l’avenir du rock vers son destin ne traversait pas un village, on installait un bivouac dans la montagne. Le cuisinier qui était la réincarnation pasolinienne de Charlie Chaplin préparait alors le thé à la menthe, puis épluchait quelques légumes pour préparer le meilleur plat du monde, le tajine berbère, après quoi l’avenir du rock et ses compagnons d’aventures Taj in et Ry complet se réunissaient autour du feu pour entonner les chants berbères dont ils connaissaient désormais les paroles par cœur.     

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             Le nouvel album de Taj & Ry n’est pas à proprement parler un album de chants berbères, mais, d’un point de vue mythique, c’est tout comme. Taj in & Ry complet repartent du vieux Get On Board de Sonny Terry & Brownie McGhee & Coyal McMahan paru en 1952, sur Folkways, un album célèbre qui captait bien l’esprit du folk et du blues d’une époque qui est celle des «pionniers noirs» de l’après-guerre. Taj in & Ry complet s’arrangent pour faire sonner leur album comme s’il était enregistré dans une cabane branlante et non dans un studio moderne. C’est presque réussi, mais on se sent pas les dents branlantes et la bloblotte occasionnées par la sous-alimentation. Ils cassent aussitôt la baraque avec «Packing Up Ready To Go», un fantastique rumble tiré des profondeurs de profundis, arraché aux ténèbres de la conscience asservie, ça sent le tribal du travail forcé. Des forces profondes remontent à la surface. Que peux-tu espérer d’autre qu’un coup de génie de la part de ces deux vieux crabes ? Pareil avec le cut d’ouverture de bal, «My Baby Done Changed The Lock On The Door», ils chargent la barcasse dès la première mesure, Taj in est en colère, cette salope a changé la serrure de la porte, alors il enrage, et derrière Ry complet fait le fantôme d’Elseneur, c’est l’un des géants de cette terre, il te vole dans les plumes avec un son des enfers. Tu te doutais bien qu’ils allaient te casser la baraque, mais pas à ce point. Ils tapent «The Midnight Special» à la concorde du coin du feu, Ry complet chante d’une voix blanche et Taj in passe des coups d’harmo du Mississippi, c’est plein de vieux jus, on a là un album de fieffés musicologues. Tu vis un moment exceptionnel. Ils n’en finissent plus de rootser les roots. Ils passent au heavy blues avec «Deep Sea River», mais un heavy blues de rootsy roots. Dans les liners, Taj in exulte : «C’est incroyable, après tout ce qui a été dit et fait, après qu’on ait joué long and hard enough, on s’est mis d’accords tous les deux, you Ry, me Taj, pour devenir the modern day exponents de ces très vieux musiciens et styles de musiques dont nous sommes tombés deeply in love quand on était des jeunes Turcs enthousiastes, voici sept décennies.» Et il ajoute : «Brownie McGhee & Sonny Terry, Rev Gary davis ! Un trio de Blues Rascals (si une telle chose existe) are shoulders on which we now stand and build upon.» Taj in a raison d’exulter ! Il faut entendre leur version chantée à deux voix de «Pick A Bale Of Cotton», fabuleux stomp de cotton patch blues - Big! Big! Big fun/ Loose n’tight/ Crazy ‘bout the/that rhythm/ Cause it’s ragged but right ! - Ils font le «Drinkin’ Wine Spo Dee O Dee» à la Tom Waits, Taj in chante à la glotte de mineur silicosé. Diable, on s’inquiète : qui va aller écouter ça aujourd’hui ? Ces vieux crabes s’enferment dans le deepy deep. Ils allument «Cornbread Peas Black Molasses» à coups d’harmo. Ils y vont de si bon cœur. Ils terminent cet album impressionnant avec «I Shall Not Be Moved» qu’ils chantent à deux voix dans l’enfer du paradis d’une très vieille Americana toute noire. C’est Ry complet qui a le mot de la fin : «Quand tu es jeune, tu peux tomber sur quelque chose qui va ouvrir ton esprit aux mystères et aux possibilités. Ça peut être un chesseburger sur la plage, une balade dans une décapotable la nuit, un livre ou alors un disque, oui, j’ai dit un disque. Dans mon cas, il s’agissait d’un 10’’ Folkways, Get On Board, by the Folk Masters, avec Brownie McGhee, Sonny Terry and the elusive Coyal McMahan. J’aimais bien les 10’’ Folkways, ils étaient différents, mystérieux, ils semblaient dire : ‘Ici, vous trouverez ce que vous cherchez.’ Folk-blues voulait dire une musique destinée aux gens normaux, avec des instruments acoustiques, des rythmes faciles, les paroles sensées. Blind Lemon Jefferson était trop triste, Howlin’ Wolf was out of contreol, Wynonie Harris avait l’esprit trop tordu. Le Folk Blues n’avait pas de double sens, pas de secret race subtext to worry about.» Ry complet explique ensuite qu’il a acheté ce 10’’ à l’âge de 12 ans, au Children’s Music Center in downtown Los Angeles, et qu’il l’écoutait chez lui, au grand ravissement de ses parents. «J’ai lu les notes de pochette, les paroles des chansons, j’ai mémorisé chaque note de musique, je pouvais jouer les chansons sur ma guitare en les écoutant. J’ai découvert le jeu de Brownie, j’ai appris ses bass runs et sa façon de jouer du pouce et des doigts. Maintenant que j’ai 76 ans, je les joue encore mieux. J’ai aussi compris que Sonny Terry fonctionnait comme un arrangeur, quelle invention, quelle puissance ! Il est le George Frederick Handel de l’harmonica, ça ne fait pas de doute. Get On Borad a été enregistré à l’apogée de l’ère McCarthy : bad times + good music = always a winning combination. Taj and I have lived and worked in this music, from those times forward. On espère vous apporter the best. We’re the old timers now.» Fantastique profession de foi. Dans sa critique très élogieuse, Terry Staunton parle d’un «loose, laconic labour of love». C’est la raison pour laquelle il faut écouter Get On Board.

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             Le fin du fin serait d’écouter à la suite le fameux 10’’ qui a révolutionné la cervelle du jeune Ry complet. On peut choper ce Folkways 1952 en bon état pour un prix convenable. Sur la pochette, Sonny Terry fout un peu la trouille avec son œil crevé. Le son du Get On Board original est d’une pureté absolue, Sonny Terry & Brownie McGhee & Coyal McMahan te claquent un Midnight special/ Shine a light on me assez puissant, bien calé dans ses rootsy roots. On s’effare de l’extrême qualité de l’«In His Case», le big gospel blues de Lawd, c’est de la pure black Americana. À ce petit jeu, ils sont imbattables. C’est une Americana qui n’est pas faite pour les petits culs blancs. En B, ils tapent le vieux «Pick A Ball Of Cotton» en mode hot shuffle, ils font du chain gang avec des renvois de chœurs de l’aube des temps. Pour l’époque, il s’agissait d’un album d’une grande modernité, à cheval sur le folk, le gospel et le blues. Ils sont intenses les pépères, pas étonnant que d’autres pépères leur rendent hommage.

             Dans Uncut, Terry Staunton rappelle que Taj in et Ry complet ont démarré ensemble dans les Rising Sons. C’est important de le savoir. Formés en 1964, les Rising Sons enregistrèrent un album qui n’est sorti qu’en 1992, soit quasiment trente ans plus tard. On y revient prochainement, car il faudra bien rendre hommage à ces deux mighty wizards.

    Signé : Cazengler, Tajine berk-berk

    Taj Mahal & Ry Cooder. Get On Board. Nonesuch 2022

    Sonny Terry & Brownie McGheee & Coyal McMahan. Get On Board. Folkways Records 1952

     

     

    Inside the goldmine

    - Swell Maps on the map (Part One)

             Avec sa dégaine de bureaucrate, sa veste à carreaux, son pull jacquard à losanges et à col en V, Zozo ne payait pas de mine. Il avait en plus le cheveu rare, d’une couleur improbable, une lippe pendante au-dessus d’un menton fuyant et ces lunettes horribles qu’on appelait à l’époque les «montures sécu». Il n’avait décidément rien d’un sex symbol, hormis ses deux petits yeux bleus. Mais il ne faut jamais se fier aux apparences. Sous ces faux airs de toquard se planquait le mec le plus rock’n’roll du secteur. Il avait même mille longueurs d’avance sur les tenants du titre, tous ces mecs favorisés par la nature, qui avaient une bite à la place du cerveau et qui ne juraient que par Birthday Party et Hüsker Dü. Zozo s’asseyait couramment à la grande table conviviale pour trinquer à l’apéro, un apéro qui dégénérait systématiquement en nuit blanche, à longueur de bavasseries interminables et plus soûlantes encore que ces packs de bières qu’on descendait mécaniquement, et au matin, alors que les premiers rayons du soleil filtraient à travers les rideaux des fenêtres, Zozo se levait d’un bond, réajustait son col de chemise et, d’une voix à peine esquintée par des heures de bavasserie, il lançait : «Salut les gars, c’est l’heure qu’j’aille au boulot !». S’il s’intéressait au rock, c’est uniquement parce qu’il fréquentait des gens de sa famille passionnés de rock. Lorsque pendant le week-end, on passait l’après-midi avec lui, et qu’il roulait des joints avec la beuh de son jardin, il ne passait qu’un seul et unique album, toujours le même, Never Mind The Bollocks. Il fallait élever la voix pour alimenter la conversation. Une autre fois, en plein cœur d’une nuit extrêmement arrosée, on le vit mettre les enceintes de la chaîne sur le rebord de fenêtre de la cuisine et il envoya le «400 Bucks» du Reverend Horton Heat arroser le voisinage, pendant qu’il se livrait dans le jardin à la plus impressionnante des crises de danse de Saint-Guy. Zozo disposait en outre d’une qualité qu’on croise rarement chez les oiseaux de nuit : la capacité de redémarrer en côte, au terme des trois premiers rounds que sont l’apéro, les vins servis pendant le repas, et les cerises à l’eau de vie après le repas. C’est là que ça se passait, au cœur de la nuit blanche, avec le quatrième round, lorsqu’on ramenait d’autres bouteilles bien plus redoutables sur la table et que bon nombre de participants avaient sombré dans les abysses. Zozo qui se trouvait toujours installé en bout de table remplissait de grands verres de rhum ou de whisky, et avec une énergie surnaturelle, il s’adressait aux derniers survivants pour relancer brutalement une conversation menacée d’inintelligibilité. Et ça allait loin car du même coup, il réveillait des interlocuteurs luttant contre la somnolence. La conversation reprenait comme si personne n’avait rien bu. Et Zozo n’en finissait plus de remplir les verres.

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             Nikki Sudden et son frère Epic font en 1978 exactement ce que fait Zozo au bout de la table : ils redémarrent en côte. Ces deux fans de glam eurent l’idée de redémarrer le punk en montant un groupe d’äfter-punk avec des copains du quartier. Ils mirent Swell Maps on the map. Zozo et Swell Maps puisent à la même source : la grande intelligence.

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             Hugh Gulland en fait six pages dans Vive Le Rock. Vas-y Hugh, on est avec toi ! En fait, c’est le bassman Jowe Head qui alimente le buzz autour de Swell Maps, avec un book à paraître, et une compile, Mayday Signals, dont on va parler un peu plus bas. Selon Jowe Head, on disait de Swell Maps à l’époque «qu’ils se diversifiaient tellement qu’ils semblaient se désintégrer». Mais heureusement, «leur sensibilité commune recollait les morceaux». Jowe Head est fier de rappeler qu’ils n’étaient pas comme tous ses groupes qui à l’époque se faisaient un «fast buck avec un ou deux punk singles avant de changer de style pour suivre la mode». Swell Maps restaient fidèles à leurs influences, notamment Faust. En citant Faust IV, Jowe Head parle d’un multi-facet work of genius. Beaucoup plus important, l’Head insiste sur la spécificité du groupe : «Maps were always quintessencially English to me - (...) But there’s a quality of eccentricity about it.» Et pouf, il tire l’overdrive : «Swell Maps were an odd cocktail of apparently unreconciliable influences: T Rex, Can, Buzzcocks, King Crimson, Sex Pistols - and Faust!». Il dit aussi qu’à l’instar de beaucoup de groupes allemands, Swell Maps rejetaient le monopole culturel américain, trop de groupes anglais à l’époque subissaient cette influence, «you know, all the blues, soul, funk and boogie clichés, with long guitar solo and so on. It was so boring!». Il pousse son raisonnement assez loin, affirmant que les seuls groupes progressifs anglais intéressants de l’époque étaient ceux qui cultivaient leur Britishness, et il cite Crimson, Genesis, Third Ear Band et Soft Machine. Bizarre qu’il oublie Van Der Graaf. Et puis en même temps, il dit avoir adoré the alien American sound de Captain Beefheart et de Sun Ra.

             L’autre paradoxe de Swell Maps est qu’ils portaient les cheveux longs et quand ils montaient sur scène en 1978, on les traitait de Pink Floyd, l’injure suprême. Ils étaient donc victimes de leur singularité. Ils ne voulaient pas ressembler aux autres groupes punk. Pour eux, le seul élément important du mouvement punk, c’est l’anticonformisme. On le retrouve dans leur musique.

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             Leur premier album paraît en 1979 et s’appelle A Trip To Marineville. Une baraque prend feu sur la pochette, ce qui est un bon présage. Ils jouent en effet un punk-rock de front room en feu, avec les moyens du bord. Ce qui leur permet de refaire les Buzzcocks de Spiral Scratch avec «Another Song». Fantastique phénomène de mimétisme. Ils brûlent un peu les étapes et arrivent directement au coup de génie avec «Vertical Slum» - The weather ! The leather/ The weather ! The leather - On va qualifier ça de punk primitif digne du Magic Band. Avis aux amateurs ! On l’a bien compris, les Swell Maps cultivent le primitivisme. Les Buzzcocks en avaient fait leur sinécure et les Swell Maps s’en inspirent directement. Ils replongent dans l’excelsior du Magic Band avec «Harmony In Your Bathroom», ils tapent dans l’irrévérence absolue, on entend les bubbles dont parle Luke la main froide dans sa column. C’est dans «Midget Submarines» qu’ils mettent en route l’aspirateur. Au passage, Midget est un excellent cut de rock insidieux. En B, ils vont faire un brin d’hypno avec «Full Moon In My Pocket» et devenir classiques avec «Blam», pur jus de classic Maps, bien tendu, plein de small swell, hanté par une basse intermittente et le vaillant Nikki au chant - I don’t care/ I guess I’m nealy dead.

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             Jowe Head indique que le groupe a splitté à la fin de leur tournée, en avril 1980. Ils ne pouvaient plus se supporter les uns les autres. Ils parviennent néanmoins à compléter leur deuxième album, In Jane From Occupied Europe. Dès «Let’s Buy A Bridge», on sent une sorte de tendance au post-punk dylanesque, aussi étrange et concubin qu’un concombre compromettant. En voit-on l’intérêt ? Non. Par contre «Border Country» se distingue par un solide claqué de guitares. Brillant car joué à l’idée. Et ça continue avec «Cake Stop», joué au laid-back déviant de petite ramasse d’orgue et chanté à l’avenant. On comprend subitement que Nikki et son frère expérimentent. C’est donc tout à fait par hasard qu’ils développent une sorte de post-punk velvetien avec «The Helicopter Spies». D’autant plus inattendu que c’est suivi par un son de trompette. Quand même, il fallait oser. Ils singent l’esprit des Cramps avec un instro ambiancier intitulé «Big Maz In The Desert From The Trolley», mais c’est en B qu’ils stockent la viande, à commencer par «Collision With A Frogman», un instro monté sur un beat certain, solidement ancré dans une culture de l’hypno qui va de Can à Can. Oui, ils sont dans cette excellence. «Secret Island» pourrait sortir du pot de chambre de Pere Ubu, tellement c’est bien chanté et bien ramassé. Encore plus passionnant, voici «Whatever Happens Next», cut toxico à gogo, un vrai modèle d’hypno tentaculaire. Tout aussi dévoyé, voici «Blenheim Shots», joué à l’hypno calorique de dandysme perdurant, chanté au yoyo de voix de «Time’s Up», et viscéral d’élégance marmoréenne, comme le furent en leur temps les premiers singles des Pistols et des Buzzcocks.

             Après le split, Jowe Head continue de bosser un peu avec Epic. Ils enregistrent un album jamais paru, Daga Dag Daga, que Jowe compte bien exhumer. Il continue aussi de bosser avec Phones Sportsman avec lequel il a aussi des choses en cours. 

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             On trouve aussi une compile indispensable dans le commerce, l’infernal International Rescue. Tu es fixé sur ton sort dès le morceau titre, une bien belle slabberie d’after-punk montée au bassmatic énervé et sacrément proéminent. Epic y bat le beurre du diable et Jowe ramone bien sa cheminée, c’est complètement dévoré de l’intérieur, ces petits mecs sont très puissants, on entend même les chutes de «Time’s Up». Nikki joue déjà la carte de la prescience. «Real Shocks» vaut n’importe quel early hit des Buzzcocks et «Ammunition Train» sonne comme un coup de génie, un de plus, car c’est gratté sévère et Epic tatapoume à bras raccourcis. C’est bourré à craquer de punch, ils font à la fois le train et le Velvet, ils ont exactement le même sens de la consistance que l’early Velvet. Chez eux, tout est dans l’early. Ils sont les dandies de l’early. Et c’est chanté à deux voix. Charmant et complètement dépenaillé. On voit bien qu’avec «Ripped & Torn», ils ont déjà créé leur monde, et ce n’est pas un petit monde. La fête se poursuit avec un «Spitfire Parade» qui sonne comme un cut des Heartbreakers. Les Swell Maps ont exactement le même panache, mais avec du punk anglais en plus dans le mix. Oui, car Nikki chante à la hargne de Rotten avec des chutes à la Devoto. On reste dans le fabuleusement énergétique avec «New York», pur slab de naive-pop punk, comme l’indique Paul Morley au dos de la pochette. On se noie dans un océan de destroy oh boy ! En B, on se régalera du buzzcockien «Forest Fire» - même chant, même frénésie, même classe working-class - et de «Winter Rainbow», embarqué au meilleur after-punk d’époque. C’est d’une santé exubérante. Les Swell Maps se distinguent par la constance des éclats et un perpétuel éventail des possibilités. Encore plus indécent de santé sonique, voilà «Dresden Style (City Boys)». Nikki et Epic savent secouer un cocotier. Une fois de plus, ça sonne comme les Buzzcocks car c’est cisaillé par des embrouilles de solo, ils ont exactement le même sens du misérabilisme glorieux. C’est ce qui fait leur grandeur, ils n’ont aucune prétention. On retrouve à la suite l’excellent «Vertical Slum», véritable est-ender punkoïde des enfers chanté au straight cockney-strut de street. Infernal ! Et pour finir, voici «Hey Johnny Where’s The Chewing Gum», tapé à la carcasse du wild post-punkster Sludge System d’Angleterre. On assiste éberlué à l’incroyable sauvagerie de l’assaut, awite, le Sudden descend son awite avec une délectation de psychopathe, il bouscule au passage toute la léthargie de l’étal étoilé.

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             Jowe Head vient de faire paraître une jolie compile sur Easy Action, Mayday Signals. Il propose 36 tracks qui vont des primitive home-made recordings jusqu’aux derniers enregistrements studio. Jowe Head veut montrer l’évolution du groupe, tant en termes d’idées que de capacité à jouer tout en développant ce qu’il qualifie de charismatic weirdness. On y retrouve l’excellent «Vertical Slum» et un «One Of The Crowd» qui semble sortir tout droit d’un single des early Buzzcocks. Nikki embarque ça dans le punk de Manchester, il se prend pour Boredom, c’est exactement le dévolu de Devoto, avec un chant jeté en pâture. Ils font aussi du pur Dada avec «Read About Seymour» et «Bandits 1-5», ils développent d’énormes chevaux vapeur. Ils poussent même le bouchon assez loin puisqu’ils font du Dada guttural. C’est un groupe étonnant pour l’époque, extrêmement subversif. Ils passent au fast punk d’ultra-violence avec «Off The Beach» et on retrouve l’excellent «Ripped & Torn». Nikki est dessus vite fait bien fait, c’est l’endroit exact où le génie rejoint l’underground. Nouveau coup de semonce avec «Fashion Cult (Opaque)», encore une fois vite fait bien fait, monté sur un heavy grove de r’n’b, ils ont tout ce qu’il faut en magasin, ils ramènent du son et de l’esprit. Encore du punk de Maps avec «Johnny Seven». Et quand on retombe sur «International Rescue», on comprend que les Swell Maps étaient en leur temps l’un des meilleurs groupes underground d’Angleterre.

    Signé : Cazengler, Swell Naze

    Swell Maps. A Trip To Marineville. Rough Trade 1979

    Swell Maps. In Jane From Occupied Europe. Rough Trade 1980

    Swell Maps. International Rescue. Alive Total Energy Records 2009

    Swell Maps. Mayday Signals. Easy Action 2021

    Hugh Gulland : Prince of the nautical swells. Vive Le Rock # 83 – 2021

     

    *

    Avant même la couve, le nom du groupe m’a attiré, GOZD, diable se prendraient-ils pour DIEU, et qu’est-ce que ce Z que l’on placerait d’instinct en quatrième position, que veulent-ils nous signifier ? A moins qu’ils ne soient encore plus pervers que notre imagination ne l’imaginait, suffit de lire la liste des musiciens, ce n’est pas long, ne sont que deux : GOZDEK Jakub (guitars, lyrics, vocals, bass ) et GOZDEK Marek ( drums, backing vocals ), deux frères qui n’oublient pas de dédier ce premier album à la mémoire de Robert Sobansky  avec qui il a été initialement conçu et mis en œuvre. A partir de leur patronyme ont-ils voulu induire l’idée qu’il y aurait comme une césure, une zébrure, une fente dans le nom de God. Nous refairaient-ils le coup à la polonaise d’ En attendant Godot

    Viennent de Wroclaw, surnommée la Venise Polonaise, située en Silésie au Sud-Est de la Pologne, ville universitaire et culturelle au passé prestigieux… Mais il est temps de regarder la pochette signée de Pysemyslaw Kris, la visite de son instagram @nom4dsky est surprenante. A première vue pas d’artwork personnel, avant tout des paysages et des photographies d’immeubles, mais si l’on s’attarde quelque peu sur chaque post l’on s’aperçoit qu’ Industrialism Maximus, ainsi se surnomme-t-il, ne nous offre pas des cartes postales simplement agréables ou surprenantes à regarder, possède un regard architectural, il dissèque les lieux selon leur disposition, il en exprime leur signifiance profonde qui n’est pas sans produire un effet d’étrangeté, même lorsqu’ils ont été façonnés par le travail des hommes ou édifiés de toutes pièces… il parvient à donner l’impression que ces lieux existent par eux-mêmes en dehors de toute ingérence humaine comme si notre engeance n’avait jamais existé. Nous nous sentons exclus de notre monde…

    Si nous nous rendons sur l’instagram de Godz, @godzband, nous avons droit à quatre vues différentes de l’artwork de Pysemyslaw Kris, qui n’incitent pas à l’optimisme, sombres (même la dernière baignée de jaune ) et mystérieuses, qu’est-ce au juste, un paysage d’apocalypse et de fin du monde, ces boules rondes sont-elles des engins spatiaux venues apportées la destruction ou un enchevêtrement de planètes déviées de leurs orbites pour une raison ignorée.

    Conflagration interstellaire ou en of the world… Toutefois le titre qui s’étale en grosse lettres est davantage rassurant :

    THIS IS NOT THE END

    GOZD

    ( BSDF Records - 15 / 01 / 2023 )

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    La phrase de présentation de leur album : ‘’Bienvenue dans le monde de GOZD, plongez dans le chaos et le néant avec nous.’’ témoigne d’une sympathie inquiétante. Dans la série ‘’mais que fait la police ?’’ le lecteur s’attardera sur le lettrage du nom du groupe, les quatre lettres étant elles-mêmes graphiquement scindées en deux… Dieu serait-il fêlé ? Si ce n’est pas la fin, serait-ce la mort de Dieu ?

    Lost in chaos : malgré le titre ça commence relativement calmement, hélas très vite surviennent un frottis de cordes pas franchement désagréables ( même plutôt appétissants ) si vous n’êtes pas sensibles à ces mini-ruptures incessantes de tonalités un peu comme si vous marchiez sur un plancher qui se fragmenterait sous vos pas, surgit une voix très grave, elle semble appartenir à celui que l’on nommerait le Maître du chaos si tant est que le chaos pourrait se plier aux ordres d’un maître, toujours est-il qu’elles ( car apparemment Robert Sobansky aurait posé quelques lyrics )  sont sombres et graves, beaux échos de basse, et le chant liturgique reprend, qui dit kaos dit noise, mais ici la mélodie domine, Gozd ne décrit pas le chaos mais essaie d’exprimer les sentiments de déréliction engendrés par une telle occurrence, la batterie avance le chemin noir que l’on parcourt lentement malgré certaines brisures qui ne génèrent jamais d’accélération. Si ce n’est pas la fin, lorsque la musique s’éteint l’on reste sur sa faim. Unknown answers : décidément l’on n’est pas invité à pénétrer dans le chaos du monde mais à rentrer dans notre âme pour nous poser des questions sans réponses,  bulles successives de résonnances graves qui s’évanouissent dans leur propre splendeur comme si vous électrifiez et espaciez des notes du piano de Chopin et les faites résonner dans le vide de votre esprit, déferlements de guitares, les interrogations sont porteuses d’angoisses et de lourdeurs, l’on tourne en rond dans sa propre histoire rabattus par l’ampleur du son vers les murs de nos incapacités, la voix est sans pitié, elle énonce et dénonce, des couches de guitares mélodramatiques vous tombent dessus cisaillantes et engluantes, sortirez-vous un jour de vous-même, une basse inexorable vous porte des coups, vous tombez dans un entonnoir sonore, la batterie bat la chamade par-dessous, ne restent plus que les battements de votre cœur qui s’arrête. Un morceau dont on ne sort pas indemne. This is not the end : tambourinade, frétillements cordiques, chantonnements de basse, le rythme s’accélère lentement  et la voix se penche sur vous pour vous réveiller de votre mort mentale, le son s’épanouit, l’on vous prend par la main, l’on vous guide, l’on vous pousse dans le dos, la musique plantureuse est votre seule béquille, une onde sonore se lève et vous emporte, tout semble marcher comme sur des roulettes, arrêt, silence, re-tambourinade, mais plus forte, vous avez passé un degré d’initiation, voici le deuxième, batterie pratiquement militaire, cette fois c’est du sérieux la guitare résonne comme des cors de guerre, le riff implacable et saccadé ne vous laisse pas le temps de réfléchir, cymbales et la machine se met en route, à la vitesse à laquelle elle vous entraîne vous comprenez que c’est loin d’être fini, seriez même plutôt projeté sur un tobogan infini, les guitares sonnent comme des coups de sabre, ce n’est pas la fin vous répète-t-on puisque vous entamez le combat pour votre survie. Escape from the inevitable : l’on reste sur le même tissu sonore tout le long du morceau, l’on a échappé au pire, la voix susurre des conseils tout fort à l’oreille de l’impétrant, il ne suffit pas d’être initié, il faut encore comprendre ce à quoi l’on a échappé, faire le point, pour ne pas retomber dans les vortex dérélictoires, l’on est maintenant capable de marcher sur le tapis de cendre froide du néant, il suffit de se lever et d’avancer à l’intérieur de soi. La musique processionnaire vous accompagne. In extreme to extreme : même gravité, même intensité, même si quelque chose semble s’accélérer, la voix se fait profonde, elle dit, elle résume, elle reprend l’itinéraire du début à la fin, et la vérité fuzze, si l’on croyait être tiré d’affaire il n’en est rien, ne serait-on pas exactement au même point, ce n’est pas la fin uniquement parce que la fin n’est pas encore terminée, les guitares se font incendie, tout se précipite, rien n’a changé, le chaos et le néant sont toujours là tapis au fond de nous, batterie oppressante, nous n’y échapperons pas.

    ET dieu dans tout ça ? comme dirait l’autre, nom de Gozd ! Disons qu’il bénéficie d’un sursis. N’a pas réussi à remporter une victoire éclatante sur le chaos, mais ne semble pas avoir été vaincu. Se serait-il enfermé dans la forteresse de l’âme humaine ? L’on attend la suite dans le deuxième opus, celui-ci tout d’une pièce, certes il laisse la question (et la réponse ) en suspens, bénéficie de ce que dans le théâtre classique l’on nommait l’unité de ton, de la première note à la dernière une atmosphère analogue se déploie sans jamais provoquer la moindre parcelle de monotonie, ambiance doom stonner fortement mélodique, une parfaite réussite.

    Damie Chad.

     

    ROCKABILLY RULES ! ( 6 )

    N’oubliez jamais que toutes les règles sont faites pour être contournées, dépassées, chamboulées, piétinées, car l’important avant tout c’est d’avoir un cœur fidèle et rebelle !

    GENE VINCENT’ S FANS

    JULIANE GARSTKA / JACK BODLENNER / DAJANA LOUAAR

    Nombreux sont les fans de Gene Vincent mais certains font tout pour perpétuer non pas le souvenir mais la présence de Gene. Je commencerai par évoquer :

    JULIANE GARSTKA

    J’ai découvert Juliane Garstka tout dernièrement, exactement depuis le 3 janvier 2023 par l’intermédiaire du groupe ( public ) FB Dance and Sing with Gene Vincent, un post provenant de sa participation à ce groupe qui défile à toute vitesse sur ma page d’accueil et que je stoppe immédiatement, touché coulé en plein cœur.

    En quelques mots elle explique que c’est une peinture qu’elle a exécutée voici longtemps alors qu’elle n’était qu’une gamine intéressée par le dessin. Mais autant la laisser s’exprimer elle-même : ‘’ Gene Vincent died on oct 12 th 1971, only 36 years old. He suffered throughout his life after smashing his leg in an accident and hurt it again in a second accident, that took the life of his friend Eddie Cochran. But also he was just pure RocknRoll. He also was my teenage hero and I painted this picture 1982, that sums up the sadness and depression of his life. He will always be in my heart and I deeply miss him although I never had the slightest chance to meet him. ’’

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    Des portraits de Gene Vincent, plus ou moins bien réussis, j’en ai vu des dizaines, mais comme celui-ci jamais. Manifestement inspiré de la pochette de The Day The World Turned Blue, ( 1971 ) l’ultime album de Gene. Mais vue de l’intérieur. La couve est assez parlante, Gene derrière une fenêtre aux vitres brisées, au vu de la façade décrépite la maison a dû être belle, comme Gene elle a connu des jours meilleurs, la sensation de solitude et de tristesse est accentuée par la cime nue d’un arbre dépouillé de ses feuilles. J’ai commandé ce disque à sa sortie, je ne sais plus si c’était en Angleterre ou aux States, la réception du précédent If  Only You Could See Me ( 1970 ) avait été un véritable coup de poignard dans le cœur, Gene allait mal, je le savais, mais là j’avais l’aveu devant les yeux, avec ce dernier disque j’eus la prémonition que les jeux étaient faits, que Gene nous quitterait bientôt, ces deux  albums sont sublimes et crépusculaires ils rayonnent de regret, de nostalgie, de colère rentrée et d’amertume désabusée, ce n’était pas Gene derrière la fenêtre, mais l’annonce de son départ pour autre part. J’ai vécu ces deux dernières années dans l’idée que la fin était proche. Au début du mois d’octobre 71 installé dans un autobus j’attendais le départ, j’entendais sans vraiment écouter le flash d’information de France Inter, rien de bien intéressant, mais sitôt le flash terminé sans aucune annonce ont retenti les premières notes de Be Bop A Lula. J’ai compris. Un tel titre à huit heures du matin ce ne pouvait être que… A la fin du morceau le speaker a confirmé…

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    Et maintenant, un demi-siècle plus tard cette œuvre de Juliane Gartska, qui ravive cette ancienne blessure jamais refermée, la mienne sans importance comparée à celle de Gene, cet homme qui a tant donné pour le rock’n’roll et ses fans, enfermé dans une immense solitude et un sentiment d’abandon et d’injustice, ‘’ I was standing by my window /  on one cold and cloudy day / When I saw that hearse come rolling…’’ le cercle impitoyable qui s’est refermé lentement sur lui, Gene a eu le temps de l’appréhender… tout cela une adolescente l’a ressenti et exprimé bien plus fortement que mes mots, cette pièce blanche, cet homme en noir à la fenêtre, dont pas même un corbeau ne s’aventure à toquer à l’un des vantaux, la représentation d’une âme enfermée dans le sépulcre de son agonie, dans le monde vide des illusions perdues, une vision intérieure…

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    Depuis Juliane Garstka a grandi, elle a gardé sa sensibilité artistique, une visite de son FB s’impose, vous y verrez de nombreuses photos de chevaux qu’elle sculpte. Elle a aussi gardé son attachement pour Gene. Les photos ne permettent pas de juger si ce sont des sculptures ( résines ? ) ou des figurines peut-être habillées ou des poupées,  voici Gene en action, lorsqu’elle se réunit avec des potes pour chanter et jouer ( devinez quoi !), autour de chez elle dans la nature, elle n’arrête pas de le mettre en scène, avec Jerry Lou, notamment avec Daniel Lanoy, producteur, chanteur, musicien canadien une autre de ses admirations,  elle qui a su traduire l’intérieur de Gene, elle l’affiche maintenant à l’extérieur dans sa vie, il est toujours là, objectif, vivant - car l’art immortalise – à ses côtés. Que voulez-vous, elle n’a pas renoncé à son rêve. Nous l’en remercions.

    *

    PRECISIONS HISTORICO-GEOGRAPHIQUES

    Topanga Canyon est situé au nord de Los Angeles entre Santa Monica et Malibu, il est peut-être moins célèbre que le Laurel Canyon beaucoup plus proche de Los Angeles, mais ces deux endroits sont constitutifs de ce qu’en France on appellerait la légende hippie, ce que plus pragmatiques les américains nomment le California Sound. Ces lieux encore un peu sauvages et désertiques attirèrent la faune des musiciens avides de ces libertés que nous qualifierons de sonores, extatiques et sexuelles. Jim Morrison, Mama Cass, Joni Mitchell pour ne citer que les plus célèbres, nous n’oublions pas la bande des quatre, Crosby, Stills, Nash and Young – le Cat Zengler pas plus tard que la semaine dernière nous entretenait de Stephen Stills – fréquentèrent le Laurel, Le Topanga accueillit la famille ( peu recommandable ) Manson mais aussi Woody Guthrie, Jack Eliott, Canned Heat, Emylou Harris, et bien sûr Neil Young… Tous ces artistes se sont produits au célèbre Topanga Corral vaste discothèque qui proposait de nombreux concerts. Le vivier n’était pas loin.

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    A l’inverse Anaheim se trouve de l’autre côté, donc au Sud-Est de Los Angeles, la ville est surtout connue pour ses deux Parcs Disney et un important salon annuel de musique de la National Association of Music Merchants Show.

    Précisions nécessaires pour bien comprendre les trois premières lignes de l’intitulé du concert qui suit :

    1971 : THE ANAHEIM SHOW

    06 - 06 - 1971 / TOPANGA CORRAL

    TOPANGA CANYON

    JACK BODLENNER / DAJANA LOUAAR

    DERNIER CONCERT DE GENE VINCENT

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    Les personnes qui se rendent sur le FB Kr’tnt Kr’tnt pour accéder au blogue Chroniques de Pourpre connaissent JACK BODLENNER, sur le bandeau de tête c’est lui à moitié allongé sur la scène dont les doigts atteignent l’attelle de la jambe blessée de Gene Vincent. Jack Bodlenner est un fan inconditionnel de Gene Vincent, il a assisté à de nombreux concerts, notamment en France, de Gene, il possède sans compter les photos plus de six cent heures d’enregistrements (scènes, coulisses, hors concerts), il n’est pas de ceux qui gardent égoïstement leurs documents, il les livre peu à peu au public. Il intervient souvent sur le groupe public FB Dance and Sing with Gene Vincent qui offre à tous les fans un espace où déposer en libre accès documents iconographiques et vidéos, connus, rares, inédits… Une mine d’or.

    En 1971, j’étais à Toulouse, beaucoup plus malin et avisé que moi Jack Bodlenner assistait au dernier concert de Gene Vincent aux USA, au Topanga Corral, il en a ramené quelques bandes.

    Si vous les retrouvez sur FB, vous pouvez remercier DAJANA LOUAAR c’est une des administratrices du groupe qui a proposé à Jack Bodlenner de mettre en images les extraits de ce concert – le but ultime est de le donner en son intégralité – ce ne sont pas les images de ce concert mais une succession de photos diverses qui défilent sous vos yeux et rendent en quelque sorte l’écoute plus vivante, ‘’ plus palpable’’.

    Dajana Louaar  et Jack Bodlenner font bien plus que rendre hommage à Gene Vincent, ils suscitent sa présence.

    WORKING ON THE RAILROAD

             Quand ce morceau a été révélé sur You Tube les oreilles ont tilté, il dépasse dix minutes une longueur inusitée pour Gene, à part Tush Hog et Slow times comin’ ce genre de long fleuve tranquille – quoique Tush Hog soit assez mouvementé - n’était pas dans ses habitudes.  Le premier enregistrement de ce traditionnel effectué par Leadbelly date de 1942, il en existe différentes variantes on le retrouve souvent sous le titre de Take this hammer, on classe souvent Leadbelly parmi les artistes de blues, toutefois la majeure partie de son répertoire est plus proche du folksong que du blues. C’est le goût prononcé de Gene pour le country qui a sans doute emmené Gene à s’intéresser à ce morceau. L’est vrai qu’il est idéal pour la scène, ses lyrics courts et répétitifs se prêtent à toutes les insistances et à toutes les improvisations. Nous ne possédons aucun renseignement précis sur Kid Chaos le groupe qui l’accompagne, tout ce que nous pouvons dire c’est que ce n’est pas un combo de rockabilly, la qualité sonore du document ne permet pas de préjuger de sa valeur mais il nous semble dans la moyenne de la manière dont on jouait le rock au début des seventies, autre remarque : la voix de Gene est moins desservie que ses musiciens. Mais arrêtons de pérorer sur le quai de la gare et montons dans le train, ou pour être beaucoup plus fidèle à l’esprit de la chanson arrêtons de trimer pour rien et prenons à toute vitesse la voie de la liberté. Ce morceau fleure bon l’idéologie des travailleurs adhérents à l’IWW ( Industrial Workers in the World ) syndicat à tendance anarchisante et autogestionnaire.  Le train démarre sur sa vitesse de croisière menée par la voix de Gene, la batterie a dû s’accaparer le plus grande largeur de la bande, elle ne permet pas à la guitare et à la  basse de donner toute leur impulsion, la voix de Gene est un peu reléguée au fond, avec les acclamations du public, ce qui est dommage car Gene est en pleine forme, un beau solo de guitare perce la brume sonore, l’on atteint à une belle intumescence lyrique, normalement ce devrait être la fin mais ça continue pour… mieux stopper, seul le batteur maintient l’imperturbable rythme, vite rejoint par la voix revendicatrice, coléreuse et agressive de Gene,  mais tout rendre dans l’ordre pour aborder un beau pont musical, nouvel arrêt, le batteur batifole Gene parle, et l’on repart pour mieux laisser à Gene clore la fin de la ligne. Vu la qualité sonore, je conseille de l’écouter plusieurs fois, c’est ainsi que ce qui pourrait apparaître comme un tantinet monotone se révèle empli de finesse.

    BE BOP A LULA

    Pendant longtemps écouter Be Bop A Lula restait relativement simple, la version 56 inimitable, la version 62 twist et rapide, la version lente que parfois Vincent interprétait sur scène ( Eddy Mitchell sen inspira pour sa version 63 ) et la version bastringue 69 musicalement si différente et si lourde que beaucoup ne savaient quoi en penser… avec le Net l’on ne compte plus les extraits de concerts qui proposent ce morceau, à tel point qu’il est difficile de trancher entre elles. De tous les morceaux de ce dernier concert in USA, c’est celui-ci qui bénéficie de la meilleure qualité sonore, c’est un peu dommage car l’on sent que l’orchestre ne rentre en rien dans ce parangon idéel du rock ‘n’ roll, patauge à côté de l’esprit rawkabilly, peu de subtilité, beaucoup de lourdeur au sens négatif de ce terme. Malgré les acclamations qui fusent dès les premières notes Vincent l’expédie rapidement – combien de fois l’a-t-il exécuté dans sa vie en final de show – il sait que pour resplendir ce joyau doit être enserré dans un chaton musical le plus pur. Sur les applaudissements terminaux un Monsieur Loyal remercie Gene.

    SUNDAY MORNING COMING DOWN

    Un morceau de Kris Kristofferson écrit en 1969, Gene a dû l’emprunter à Johnny Cash un de ses chanteurs préférés qui l’interpréta en 1970, il en existe aussi une remarquable ‘’ démo’’ de Gene d’une tristesse et d’une pureté qui vous serre à la gorge. La voix de Gene au premier plan mais voilée par un souffle qui heureusement de temps en temps s’efface, un accompagnement tout ce qu’il y a de plus traditionnel en country, est-ce le public qui chantonne ou les musicos, vraisemblablement le public car sur les dernières notes des voix féminines se détachent preuve que Gene à quatre mois de sa disparition séduit encore et imprime sa marque sur chacune de ses interprétations.

    CORINE, CORINA

    Une chanson douce pour les effusions sentimentales, encore un traditionnel, la basse en avant, les cris du public, le slow d’enfer qui tue les dernières résistances, rien qu’à la façon dont Gene triture et tord son nom, la Corine doit mouiller sa culotte, un peu d’orgue pour mettre du liant et la batterie qui rapplique pour rajouter un peu plus la pression, faut savoir lâcher un semblant de lest pour se permettre d’être plus leste en un second temps. Dès que ce grand rock ‘n’roller que fut Gene s’empare d’une ballade, une magie saisissante opère. Vous transmet l’émotion de ces moments de la vie somme toute banale, mais qu’il fixe dans une aura de nostalgie poignante.

    WHOLE LOTTA SHAKIN’ GOIN’ ON

     Le band visiblement plus à l’aise sur ce classique de Jerry Lou que sur Be Bop A Lula, la voix de Vincent trop en arrière ce qui est regrettable car il est évident qu’il est en forme, l’on se console avec ce piano qui rit de toutes ses dents d’ivoire, après la furie du début, l’on y va relax et la basse consent à monter les escaliers en courant, mais ça repart tout de suite sur les chapeaux de roue pour se terminer illico. Consacrer moins de cinq minutes pour un morceau taillé pour la scène, c’est râlant.

             Il resterait une émotionnante version d’Over The Rainbow à venir.

             Généralement c’est ce que l’on appelle des vidéos pour les fans. Cela tombe bien, j’en suis un. Il est sûr qu’il faut les écouter à l’ombre des enregistrements ‘’ officiels’’. Mais tout ce qui provient de Gene Vincent reste précieux. Merci à Dajana Louaar pour la mise en images.

    Damie Chad.

     

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 15 ( Ablatif ) :

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    Je suis un peu ( à peine plus de trois heures ) en retard ce matin au local. La journée de la veille a été très chaude et mouvementée, pas de quoi fatiguer ces hommes de fer que sont les agents du SSR, je n’y suis pour rien la faute en incombe à Calliope. J’étais tranquille chez moi en train de beurrer pour le petit déjeuner de Molossa et Molossito les biscottes - ces braves bêtes les adorent, à condition que je glisse entre deux toasts préalablement grillés à point, une entrecôte de bœuf saignante – je n’avais pas encore bu la moindre gorgée de café lorsque j’ai été submergé par l’enthousiasme poétique, c’était Calliope la muse de l’éloquence et de l’épopée qui à l’oreille m’enjoignit de rédiger dans mon autobiographie Mémoires d’un GSH ( *)  le passage relatant les évènements survenus dans la Forêt de Laigue. Je recopie ses paroles texto : ‘’ Damie, le monde de demain a le droit de savoir ce qui s’est réellement passé hier soir ! C’est ton devoir de le relater ! Au travail gros paresseux !’’

    Compréhensif le Chef a tout de suite excusé mon retard : ‘’ L’on ne fait pas attendre une déesse’’ me déclara-t-il et il ajouta : ‘’ Peut-être qu’avec l’aide de Calliope et de votre stylo Bic, les actes du SSR ainsi rapportés ensemenceront-ils les esprits des grands hommes de la future Humanité et ainsi permettront-ils à notre misérable engeance de ne pas périr lors de la septième extinction…’’

    79

    C’est avec la voix que je prends spécialement pour réciter les épodes de Pindare que je me lançai dans la lecture de mon œuvre immortelle, par modestie je n’en recopie que quelques extraits : ‘’ … les deux Compagnies Républicaines de Sécurité que rien ne menaçait tirèrent à elles seules davantage de grenades de désencerclement – stratégie peu appropriés puisqu’ils n’étaient pas encerclés - que n’en tira le divin Héraklès sur les oiseaux du Lac Stymphale qui se ruaient sur lui dans l’intention de déchirer en lambeaux sanguinolents son corps de héros. Dans leur mansuétude proverbiale les Dieux ne ripostèrent point et se contentèrent de sourire, mais lorsque le Commandant Octave Rimont ordonna à la phalange du GIGN de donner l’assault, du haut de son trône Zeus grimaça, et une ombre gigantesque se dressa dans le ciel. On aurait dit un immense oiseau, était-ce l’aigle de Zeus, ou la chouette d’ Artémis, plus tard certains émirent qu’il s’agissait de la chienne d’Hécate la déesse des carrefours métamorphosée en vautour gypaète barbu, l’on ne sait, l’oiseau noir passe et repasse ( normal c’est un rapace ) à plusieurs reprises au-dessus de la tête des deux cents CRS alignés, peu prennent garde à sa présence, mais à la septième fois que l’ombre noire survole la colonne de ces cracheurs de brouillards puants, tous, un par un s’écroulèrent à terre, sans bruits de façon peu spectaculaire, comme si cédant à une grande fatigue ils s’adonnaient à un somme réparateur, par contre les membres du GIGN qui avaient déjà atteint les hautes ramures de la futaie chutèrent lourdement, l’on entendait leurs corps glisser et se fracasser sur les branches puis s’écraser à terre comme ces fruits trop mûrs qui éclatent à peine ont-ils touché le sol, aucun des assaillants ne se releva, le grand oiseau noir sembla se désagréger en des milliers de fragments qu’un coup de vent emporta on ne sait où… Octave Rimont se précipite vers ses hommes, il hurle de rage et de dépit, tous sont morts, il fait signe au petit groupe qu’il avait écarté de la première ligne de ne pas bouger mais Molossa et Molossito foncent en avant et je les suis, deux hommes sont en train de descendre des arbres qui cachent le mur d’enceinte, le Chef et un sympathique inconnu qui répond au nom de Carlos, laissant Octave Rimont à son désespoir nous nous éclipsons discrètement…’’

    80

    • Ah, ce Carlos quel homme providentiel, s’exclame le Chef, agent Chad votre récit est un chef-d’œuvre de la littérature universelle, mais il est temps de nous livrer à un petit examen herméneutique en le comparant avec l’article pondu par Lamart et Sureau, d’ailleurs repris ou cité par le reste de la presse, écrite, parlée, télévisée, réseaux sociaux à fond la caisse, tout ce petit monde en ébullition tant au niveau national qu’international… trop occupé par la rédaction de vos mémoires vous ne vous êtes pas penché sur les nouvelles matutinales, je vous laisse lire tranquillement la une du Parisien Libéré, je ne vous en ferai pas la lecture, le devoir m’appelle, je me dois d’allumer un Coronado.

    81

    TERRIBLE RECRUDESCENCE

    DU COVID 19

    UN NOUVEAU VARIANT HYPERCONTAGIEUX

    237 MORTS EN QUELQUES MINUTES

    Olivier Lamart : ce devait être une après-midi sans histoire. C’est un peu en traînant que nous nous sommes rendus, sur invitation spéciale du Commandant Octave Mirmont, mon collègue Martin Sureau et moi-même, en forêt de Laigue, pour assister à un entraînement des forces spéciales de Gendarmerie. Rien du tout nous avait assuré Octave Mirmont, un petit exercice de ‘’ lance-patates’’ pour les Compagnies Républicaines de Sécurité dans le but d’assurer une ‘’ sécurité offensive’’ du Président de la République lors de ses déplacements et un premier ‘’stage d’escalade arborée préventive’’ dédié au GIGN afin de lutter au plus près des pyromanes qui n’hésitent plus à s’attaquer à nos forêts indispensables à notre survie écologique.

    Martin Sureau : nous avions affaire à des fonctionnaires d’état hyper-spécialisés et particulièrement motivés. Une fois les ‘’grenadiers’’ ayant effectué leurs tirs sans anicroche, ce fut autour des membres du GIGN de prouver leur promptitude à monter le long des troncs des arbres choisis pour cet exercice périlleux. La plupart d’entre eux s’étaient déjà postés et dissimulés dans l’épais feuillage des frondaisons les plus hautes de la forêt lorsque se produisit un léger incident.

    Olivier Lamart : un CRS – on les avait laissés sur place pour qu’ils puissent bénéficier du spectacle et de l’exemple offerts par leurs collègues qui font partie de l’élite sécuritaire de notre nation – s’affaissa sans préavis, ses collègues les plus proches n’eurent pas le temps de se porter à son secours, eux aussi saisi par un mal mystérieux s’effondrèrent tour à tour, tous furent terrassés, pas un ne se releva.

    Martin Sureau : le plus terrible à regarder ce fut ces policiers du GIGN qui dégringolaient de branche en branche sans ménagement sans même pousser un cri.

    Olivier Lamart : en effet chose incroyable, ils ne se sont pas tués en tombant, ils étaient déjà morts lorsqu’ils ont commencé à chuter. Les premiers secours et les médecins du Samu étaient formels.

    Martin Sureau : passons sur le balai des brancardiers qui transportèrent les corps dans leurs ambulances stationnées à deux kilomètres dans une des grandes allées carrossables de la Forêt de Laigue. Il fallait faire vite pour autopsier les cadavres de ces malheureux.

    Olivier Lamart : à peine quatre heures plus tard les premiers résultats fiables commencèrent à arriver au PC de crise établi dans la cour de l’hôpital militaire de Paris. Les analyses étaient formelles et concordantes. Tous nos valeureux policiers ont été atteints par un variant du Covid 19 hautement virulent et hyper-transmissible.

    Martin Sureau : c’est dans la nuit, quelques minutes avant de finir cet article qu’un communiqué de l’Elysée nous est parvenu. Nous en copions l’extrait le plus important :

    ‘’ La situation est grave mais nous appelons nos concitoyens à garder leur calme. Certes plus de deux cents policiers ont été victimes d’une attaque foudroyante d’un variant encore inconnu du Covid 19. Mais il ne faut point s’affoler, aucun des soignants, brancardiers, ambulanciers, infirmiers, médecins, professeurs, qui ont été de par leur fonction invités à manipuler les cadavres ne souffrent d’aucun mal. Il semble que cette souche ultra-virulente se soit développée dans un unique endroit somme toute circonscrit de la Forêt de Laigue. Celle-ci est désormais fermée et interdite aux visiteurs tant que des scientifiques internationaux n’aient rendu leur conclusion nous   assurant de l’innocuité de ces lieux. D’après les premières données de nos plus grands experts, il y a peu de chances que de telles attaques foudroyantes se renouvellent puisque ce variant est tellement nocif qu’en tuant ceux qu’il contamine, il se tue lui-même. Honneur à nos forces policières victimes de ce fléau qui sans le savoir, ont sauvé le reste de la population française en formant de leurs corps le barrage nécessaire à la survie du pays. Leur sacrifice n’aura pas été vain. La France reconnaissante.’’

    Notre propre survie à nous deux journalistes qui suivaient de très près le déroulement de ces opérations militaires ne sont-elles pas la preuve de la véracité des propos de ce communiqué officiel ?

    Faisons confiance à notre gouvernement !

    Olivier Lamart & Martin Sureau.

    A suivre…

    *Les initiales GSH signifient : Génie Supérieur de l’Humanité.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 583 : KR'TNT 583 : STEVE STILLS / SHACK / VELVET UNDERGROUND / JON SPENCER / MARYLIN SCOTT / ADY ONE WOMAN BAND / WILL BOYAJIAN / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 583

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    12 / 01 / 2023

    STEVE STILLS / SHACK

    VELVET UNDERGROUND / JON SPENCER

    MARYLIN SCOTT / ADY ONE WOMAN BAND

     WILL BOYAJIAN / ROCKAMBOLESQUES

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 583

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    Stills little fingers- Part One

     

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             Dans la vie de Stephen Stills, l’objet de fascination n’est peut-être pas celui qu’on croit. Buffalo Springfield ? CS&N ? Non, c’est sa relation avec Jimi Hendrix. Voilà la raison pour laquelle on lit la bio de David Roberts, Change Partners, parue en 2016. Cette relation court tout le long de cette bio très prudente. Pourquoi prudente ? Roberts cite systématiquement toutes ses sources dans le fil du récit, comme s’il craignait d’être pris en défaut. Il aurait dû s’appeler Prudence Petitpas.

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             C’est chez Peter Tork que Stills rencontre Jimi Hendrix pour la première fois, au lendemain de Monterey. Il jamme dans la foulée avec Jimi, Buddy Miles, David Crosby et Hugh Masekala in the beach house de Buffalo Springfield qu’il loue à Malibu. Tout le monde prend de l’acide et joue. Quand des flics débarquent à cause du bruit, ils autorisent les musiciens à jammer à la condition de pouvoir rester et assister à la jam. C’est une anecdote dont Stills semble être très fier. Il dit aussi que cette nuit-là, il a appris à jouer de la guitare. Il revoit Jimi un peu plus tard à New York, où il est en tournée en première partie des Monkees. Ils se retrouvent au Waldorf Hotel et Micky Dolenz se joint à la fête. Stills : «Jimi was my guru, man.» Plus tard, en mars 1968, lorsque Jimi enregistre Electric Ladyland, Stills l’accompagne au piano sur «My Friend», un cut qu’on retrouve sur Cry Of Love et First Rays Of The New Rising Sun. Quand Stills s’installe à Londres, il fréquente beaucoup Jimi. Ils sortent tous les deux, roulent dans Londres en limo, vont dans des clubs. Ils parlent pendant des heures et des heures, nous dit Stills, de musique et de philosophie et Jimi lui montre encore «certain things about playing lead guitar». Stills participe aussi à la mythique session organisée par Alan Douglas pour Timothy Leary : Jimi (bass), John Sebastian (guitar, harp), Buddy Miles & Mitch Mitchell (beurre) et Stills (guitar, organ, chant). Ils jamment sur le «Woodstock» que vient d’écrire Joni Mitchell et c’est une jam qu’on retrouve sous le titre «Live And Let Live» sur You Can Be Anyone This Time Around, l’album de Timothy Leary paru en 1970. Quand Jimi joue sur scène dans les clubs, Stills l’accompagne à la basse. Stills lui montre aussi comment jouer de l’acou. Ce qui frappe le plus Stills en Jimi, c’est sa timidité - Shy, impossibly shy - Tout cela jusqu’en septembre 1970, quand Jimi casse sa pipe en bois. Stills perd l’un de ses meilleurs amis. 

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             L’autre grand fil rouge amical de sa vie, c’est bien sûr David Crosby, qui est aussi légendaire que Jimi. Un Croz qui est tellement frustré dans les Byrds qu’il commence à fréquenter assidûment Stills. Un Stills qui confie à Dave Zimmer : «J’avais entendu dire que David was an arrogant arsehole, mais quand je l’ai rencontré, il était aussi timide que moi, et pour surmonter sa timidité, il avait adopté un comportement agressif. Je connaissais le symptôme parce que je me conduisais de la même manière.» Croz avait agacé ses collègues des Byrds en jouant avec Buffalo Springfield à Monterey. Pour lui c’était la fin des haricots, il allait être viré des Byrds.

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             Stills a souvent tenté des gros coups, avant ou après Buffalo Springfield. Alors qu’il vivait encore à New York, il a essayé d’entrer dans les Lovin’ Spoonful. Lorsqu’il s’installe à San Francisco, il est fasciné par Grace Slick & the Great Society. Il est effaré par la médiocrité du groupe mais il est trop timide pour demander à Grace de former un groupe avec lui. Il tente aussi de décoller avec le Van Dyke Parks Band, mais ça ne marche pas. Stills va cependant rester en contact avec Parks. Son copain Tork essaye de le faire embaucher comme producteur des Monkees, mais c’est Chip Douglas qui décroche le job, à la demande de Papa Nez. Stills avoue qu’il aurait bien aimé produire les Monkees. On lui propose aussi le job de lead singer dans Blood Sweat & Tears. Al Kooper le connaissait depuis les Super Sessions et sa réputation de chanteur guitariste d’exception grossissait très vite. Quand il commence à monter CS&N, il tente d’intégrer John Sebastian qui décline l’offre, préférant rester en solo. Il cherche aussi à intégrer Dave Mason qui lui aussi décline l’invitation. Lorsqu’il est à Londres, Stills participe aux séances d’enregistrement de l’album de Doris Troy pour Apple, que supervise George Harrison. Dans le studio, Stills croise Leon Russell, Delaney & Bonnie, Billy Preston, Klaus Voormann et quelques autres luminaries. Stills entre aussi en studio avec Humble Pie lors des sessions de Smokin’ : organ et harmonics sur «Thirty Days In A Hole», des voix sur «Hot’n’Nasty» et de l’Hammond sur «Road Runner G Jam». Et il fera par la suite pas mal d’autres contributions. Stills est un session man très courtisé.

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             Pas étonnant qu’on le retrouve sur Super Session, l’un des plus beaux albums parus en 1968. Il s’agissait au départ d’un projet lancé par le duo Mike Bloomfield/Al Kooper, et comme Bloomy disparaissait quand ça lui chantait, on fit alors appel à Stills qui enregistra la B. Pour une poignée de lycéens bas-normands, ce fut la révélation, d’autant que la B démarre sur une cover d’«It Takes A Lot To Laugh (It Takes A Train To Cry)» de Bob Dylan, avec Harvey Brooks on bass. Stills te chante ça au feeling pur. Il part en petit solo de gras double et cette cover devient une merveille extrême. Puis il tape dans Donovan avec, disons-le tout net, la plus belle cover de «Season Of The Witch». Stills éclate bien sa Witch au chant et croise le fer avec Harvey Brooks, on se régale de ce somebogy’s looking over/ And it’s strange/ So so strange/ Strange right now, il y va le Stills, c’est énorme et ça groove dans le jazz, il double sa guitare à la voix, cette B est l’une des faces historiques de la saga du rock. La Witch est coiffée par de somptueux arrangements de cuivres et pouf, Stills repart au so very strange. Il tape ensuite une cover du «You Don’t Love Me» de Willie Cobb et il part en virée subliminale, avec derrière une basse en réverb. Cette B faramineuse s’achève sur un «Harvey’s Tune» d’Harvey Brooks mélodiquement pur, on se croirait dans Taxi Driver avec Bernard Hermann.

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             Au plan humain, la bio n’amène pas grand-chose. Dans l’intro, l’auteur brosse en quelques lignes un portrait qui semble vouloir tout résumer : «À différentes époques, il fut band leader, guitariste, bête de travail, égomaniaque, bluesman, auteur poétique, et père de famille laid-back, avec sept enfants. Le petit blond aux yeux bleus avec la grosse guitare blanche est devenu un gravel-voiced LA bluesman idéal pour le prochain blockbuster produit par Disney.» Ado, Stills vit en Floride et découvre Tampa Red qui jouait dans la rue à Tampa. L’ado Stills parle avec lui et Tampa Red lui montre comment jouer de la guitare avec un couteau. Puis à la radio, il découvre Slim Harpo, Little Willie John, Muddy Waters «and a new rhythm and blues group called James Brown and The Famous Flames.» Il est déjà dans la musique noire. Pendant les années qu’il passe à Greenwich Village, il voit beaucoup les stars de l’underground : «Freddy (Fred Neil), Timmy (Tim Hardin), Richie Havens et Chet Atkins ont plus influencé mon style de guitare que n’importe qui d’autre.» Stills avait surtout un faible pour Richie Havens qu’il trouvait gentil, généreux et très pur - On prenait notre breakfast ensemble sur la sixième avenue, à côté du Waverly Theatre. Il prenait feu quand il jouait - Puis il va flasher sur Neil Young lors d’une virée au Canada. Lorsqu’il s’installe à Los Angeles, il auditionne pour le job dans les Monkees, comme chacun sait, mais il veut que les choses soient bien claires : il ne voulait pas être un Monkee. Il voulait juste proposer ses chansons. Comme le problème des chansons est déjà réglé avec l’embauche de Boyce & Hart, Stills indique aux recruteurs le nom de Peter Tork, son copain de Greenwich Village. Il fait ensuite la connaissance de Barry Friedman, un music bizman qui va devenir Frazier Mohawk. Mohawk est connu pour avoir organisé la conférence de presse des Beatles à l’Hollywood Bowl, en 1964. Mohawk est aussi dans la bagnole avec Stills et Furay le jour où ils croisent le corbillard de Neil Young et Bruce Palmer, c’est-à-dire le jour de la fondation de Buffalo Springfield. C’est Mohawk qui va prendre le groupe en charge, car ils n’ont pas un rond. C’est lui qui organise la première tournée du Buffalo avec les Byrds. Il va produire des stars de l’underground comme les Holy Modal Rouders et Kaleidoscope et co-produire avec John Cale le Marble Index de Nico. Jac Holzman l’embauche comme A&R pour Elektra, mais ses projets avortent, notamment le fameux Paxton Lodge, un studio construit dans les montagnes du Nord de la Californie et financé par Holzman. Dans ses mémoires, Holzman se dit dépité par le résultat. Il n’en sortait rien ou pas grand-chose, alors que ça devait être un chaudron de créativité. On l’a bien compris, Mohawk est un personnage clé de la scène californienne.

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             C’est l’occasion ou jamais d’écouter l’album d’Essra Mohawk, Primordial Lovers que produisit son mari Frazier. Bien que très typé, l’album est intéressant. On a là un son très Airplanien avec de la dope dans le groove. Frazier veille au grain du groove en introduisant une flûte et un bassman entreprenant. Plus on avance dans l’album et plus ça devient bon. Il se produit un étrange phénomène d’acclimatation. C’est l’apanage des drogues. Le plaintif d’Essra accroche par la qualité du groove. Elle se la coule douce. Comme son nom l’indique, «I Have Been Here Before» est assez fantômal. Elle chante à la lisière de la mort, elle sonne comme une tanche translucide suspendue dans les eaux mortes, elle délire et ça reste plein de son. Pas de hit bien sûr, sur cet album, juste des ambiances. Bien visité par le spirit, voici «Thunder In The Morning». Mais en même temps, on comprend que Jac Holzman ait jeté l’éponge avec la bande à Frazier : ces gens-là sont trop far-out. Elle semble avancer à l’aveuglette, comme Tim Buckley, elle drive chaque cut à la renverse de magie indirecte, elle n’écoute que la sensibilité de sa touche, elle peut se révéler fantastique, elle vole le show aux fantômes, elle joue avec sa glotte pour faire de l’art moderne et ça marche, ça devient une merveille évolutive de groove féminisé, elle joue sur les vitesses, elle ralentit et repart à la glotte folle et elle fait de «Thunder In The Morning» une merveille surréaliste d’une indicible beauté. Elle tape encore ce slow groove d’entre-deux eaux qu’est «It’s Up To Me» à l’excellence. Elle se révèle parfaite au chant d’eeerie, elle fait même parfois sa Slick, comme c’est le cas avec «It’s Been A Beatiful Day». 

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    ( Ahmet Ertegun )

             S’ensuit l’épisode Buffalo Springfield, épluché ici tout récemment. C’est l’époque où Stills flashe sur Ahmet : il est éberlué par l’enthousiasme qu’Ahmet montre pour la musique et par ses capacités de businessman - an incredibly rare and powerful combination of skills that Stephen would come to rely on greatly - L’admiration est réciproque, car Ahmet Ertegun veillera soigneusement aux destinées des projets successifs de Stills : Buffalo, CS&N, CSN&Y et sa carrière solo.

             Le cœur du book, c’est justement l’épisode CS&N/CSN&Y. L’auteur parle de chemistry entre Stills et Croz, et prend l’exemple de «Long Time Gone» qu’écrivit Croz le jour où Bobby Kennedy se fit buter - Tout était facile, très local, et la rumeur autour de Laurel Canyon disait que Croz et Stills étaient sur quelque chose de très spécial - Pour l’enregistrement de leur premier album, Croz et Stills restaient toute la nuit en studio et allaient prendre leur breakfast sur Sunset Boulevard. Mama Cass, John Sebastian, Joni Mitchell, Ahmet Ertegun, Jerry Wexler et Totor venaient leur rendre visite au studio. Comme Stills savait exactement ce qu’il voulait côté son, on le surnomma Captain Manyhands. Sur le premier album, c’est lui qui joue tous les instruments. Il dit à Willie G. Moseley : «J’ai joué tous les instruments sur le premier album. En gros, il s’agissait de Buffalo tracks avec de nouvelles voix. J’ai utilisé une Gretsch, une Martin, un dobro, un banjo et un piano. Je possède encore une vieille Fender Precision que j’appelle Grandma. Si elle sonne si bien, c’est parce que les cordes n’ont jamais été changées.» 

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             Il existe deux façons d’écouter les deux premiers albums du consortium CS&N/CSN&Y : soit via Croz, soit via Stills. Alors évidemment, ce n’est pas la même chose. Chacun sait que dans le consortium, chacun amène ses cuts et les chante, ce qui fait chaque fois des ambiances différentes. Sur le premier album du consortium, Stills vole le show avec «Suite Judy Blue Eyes», évidemment. Il est le gratteur d’acou du diable, il tiguilite à qui mieux-mieux, il est partout, il tisse le fil d’argent de la légende. Mais en fait, c’est Croz le cake dans cette histoire, avec ses deux grooves mirifiques, «Wooden Ships» et «Long Time Gone». C’est d’une présence immédiate, l’essence même du rock californien, avec le toucher de note de Stills. Tout le son est là, l’Airplane, Croz, la psychedelia des origines et tout le tintouin, wooden ships/ On the Water/ Very free/ And easy. Personne ne bat Croz à la course. Il est le sauvage de l’album, le drug guy, il organise la fantastique levée des voix de «Long Time Gone», poussé dans le dos par le so very heavy bassmatic de Stills.

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    On peut répéter l’expérience de l’écoute sélective sur Déjà Vu : Croz bouffe à nouveau l’écran avec «Almost Cut My Hair», encore un groove visité par les wild tentatives de Stills. Croz est à l’apogée de son art, celui des grooves océaniques. C’est encore lui qui crée la sensation en B avec le morceau titre, un groove de jazz amené au one two three four et Stills instille du jazz liquide dans les méandres mythologiques imaginés par Croz, ce génie mirobolant. En réalité, c’est Joni Mitchell qui rafle la mise sur cet album avec «Woodstock» et là tu as le son du wild stylish Stills. Ces mecs tapent dans le meilleur rock californien de l’époque, Stills prend le cut d’une voix de Super Session man et se perd dans un superbe fondu de voix, dans l’absolue merveille de cette clameur.

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    ( Dallas Taylor )

             Puis les choses commencent à dégénérer avec la coke. Stills et Croz s’en mettent plein le cornet. Puis Croz et Nash trouvent que Captain Manyhand a la main trop lourde, il pousse son autoritarisme trop loin. Stills les voit comme des backing-singers couverts de gloire qui commencent à renauder. Puis Neil Young veut la peau de Dallas Taylor dont il n’aime pas le style. Soit il part soit je pars. Ultimatum ! Stills est embêté car il aime bien Dallas, c’est un bon batteur. Mais ça commence à faire beaucoup. Stills avoue en avoir marre de tous ces mecs qui ne sont jamais contents - J’en avais ras le bol d’avoir la responsabilité d’un groupe qui entrait en rébellion au premier signe de leadership - Il a raison. Les tournées CSN&Y deviennent des phénomènes de foire, avec «the cocaine and caviar consumption, the egos and the cash involved», ils emmènent les Beach Boys en tournée et les shows durent plus de trois heures. Neil Young fait route à part, avec sa femme, son bébé et son chien, ce qui fait bien marrer Croz.

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    ( Rita & Stephen )

             Un autre épisode croustillant va jeter un peu d’huile sur le feu : l’épisode Rita Coolidge.  C’est elle qui inspire le «Cherokee» qu’on trouve sur le premier album solo de Stills. Nash qui avait déjà piqué Joni Mitchell à Croz envisage déjà de piquer Rita à Stills. En effet, Stills courtise Rita, mais en bonne fourbasse, Nash invite Rita à aller voir un concert. Stills parvient à rattraper le coup et il couvre Rita de ses attentions. Étant un mec de Manchester, Nash ne lâche pas l’affaire et informe Stills que Rita l’aime. Alors une bagarre éclate et Rita doit séparer les deux coqs. Nash s’installe chez Rita, mais il reste persuadé que Stills ne lui a jamais pardonné ce coup-là. On le sait pour avoir lu son autobio (Wild Tales), Nash n’est pas quelqu’un de très sympathique. En plus, il doit tout à Stills, alors il aurait pu lui montrer un peu plus de respect. Après cette affaire, Stills reste sur le carreau - Ah les femmes/ Ah les femmes/ Elles me rendront marteau ! - Plus tard, il y aura aussi l’épisode Véronique Sanson. Cette fois, Nash n’essaie pas de la barboter. Encore une histoire dure, puisque la belle Véronique quitte Michel Berger pour se jeter dans les bras de Stills. Ils se marient en Angleterre en présence d’Harry Nilsson, Marianne Faithful, Marc Bolan, et bizarrement, Nash, avec lequel Stills a réussi à se réconcilier. Un exploit ! Puis Ahmet organise une fête à New York en l’honneur des jeunes mariés et parmi les invités se trouvent Wexler, Jac Holzman et Donny Hathaway. Quelle crème !

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             Le premier album solo de Stills paraît sur Atlantic en 1970 et n’a pas de titre. Sur la pochette, Stills gratte ses poux dans la neige auprès, non pas de sa blonde, mais d’une girafe. Pas n’importe quelle girafe : c’est un cadeau de Rita. On retrouve dès «Love The One You’re With» la pureté des coups d’acou et les ti ti ti tilili qui font la grandeur de CS&N. Ça sonne bien les cloches ! Il tape un très beau coup de gospel batch («Church») et sans qu’on se méfie, on tombe sur un cut qu’il faut bien qualifier de mythique : «Old Times Good Times» avec Jimi Hendrix on lead guitar. Attention, on ne rigole plus, on est dans le groove de rock’n’roll animal avec un solo hendrixien et une énergie dévorante. En B, Stills joue son «Black Queen» au bord du fleuve, il en a largement les moyens et redevient le rock’n’roll animal que l’on sait pour «Cherokee», avec un Booker T. Jones à l’orgue qui te monte ça en neige de shuffle et, petite cerise sur le gâtö, Sidney George prend un solo d’alto. Stills sait monter des coups de gospel batch extraordinaires, comme le montre encore «We Are Not Helpless». Les chœurs à la Mad Dogs, ça marche à tous les coups. On y trouve la crème de la crème du gratin dauphinois, Rita Coolidge, Claudia Lanier (c’est-à-dire Claudia Lennear), John Sebastian, Cass Eliott et Croz, ils sont tous là !

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             L’année suivante paraît Stephen Stills 2. Il compose tout et propose essentiellement une pop de Soul, il s’inscrit dans sa vision du groove, il en a les moyens. Des gens l’accompagnent, mais on s’en fout, c’est Stills la superstar qui nous intéresse. Pas de hit à l’horizon. Son protecteur Ahmet ne dit rien, il laisse l’enfant prodigue s’amuser avec ses jouets. Il faut attendre «Fishes & Scorpions» pour frémir. Stills redevient le rock’n’roll animal qu’il n’a jamais cessé d’être et avec «Sugar Babe», il fait de la Soul blanche de très haut niveau. Il rôde bien sur la crête de sa disto. On assiste à une fantastique Stillysation du white Soul System et du coup Stills 2 devient un bel album. «Open Secret» est un prétexte à nous servir un gros bouquet d’harmonies vocales. Il fait encore du vieux gratté de poux avec «Word Game», il gratte à l’encan de la revoyure et referme la marche avec un très beau «Bluebird Revisited» dont il négocie le passage à travers les récifs, en bon Captain Manyhands. Il s’arrange toujours pour ramener des orchestrations somptueuses, des congas de Congo Square et des trompettes mariachi.

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             Le Stills paru en 1975 vaut aussi le détour, rien que pour le groove de «Shuffle Just As Bad». Il a le sens du groove hendrixien, it’s just too much. On sent dès l’abord une grosse présence, un énorme potentiel composital dès «Turn Back The Pages». Il y a du monde derrière Stills. Il fait de la belle Soul blanche avec «My Favorite Changes», c’est gorgé de guitares et de basse, tout est bon, tout est stillish. Stills chante à la surface du groove. C’est bassmatiqué jusqu’à l’os de l’ass. Stills te groove «My Angel» vite fait, il multiplie les réflexes, il peaufine ses goulets, il arbore fièrement ses opulences. Il adore les grooves joués sous le boisseau comme «In The Way». Il s’y développe en compagnie de Claudia Lanier qui est comme déjà dit Claudia Lennear. Cette richesse de backing vocals, c’est son son. Il fait avec «To Mama From Christopher And The Old Man» un fantastique plotach de voix Soulful et de coups d’acou. Dans les grooves d’inspiration divine, il est imbattable. En B, il repasse en mode CS&N pour «New Mama», avec les harmonies vocales bien idoines de type wooden ships/ Very free/ So easy, et propose avec «As I Come Of Age» un groove de country rock californien affreusement bien ficelé. Il monte ses œufs en neige pour «Cold Cold World», passe du calme à la tempête sans coup férir, il reste extrêmement fin et distingué, il part d’un slow groove à la Wooden Ships pour monter en température de cold cold world. Il boucle cet excellent album avec un groove à la Croz, «Myth Of Sisyphus» une fuite éperdue dans les méandres du néant. Somptueux !

    Signé : Cazengler, Stephen Chti

    Mike Bloomfield/ Al Kooper/ Stephen Stills. Super Session. Columbia 1968

    Crosby, Stills & Nash. Crosby, Stills & Nash. Atlantic Records 1969

    Crosby, Stills, Nash & Young. Déjà Vu. Atlantic Records 1970

    Stephen Stills. Stephen Stills. Atlantic 1970

    Stephen Stills. Stephen Still 2. Atlantic 1970

    Stephen Stills. Stills. Columbia 1975

    Essra Mohawk. Primordial Lovers. Reprise Records 1969   

    Stephen Stills. Change Partners: The Definitive Biography. Red Planet 2016

     

     

    Shack chose en son temps

     

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             Ah ça commence bien ! Rob Hughes traite Michael Head d’England’s greatest living songwriter. En effet, Head refait surface après cinq ans d’absence. Quand Hughes lui demande le pourquoi de ce soudain come-back, Head rétorque : «Just keep fuckin’ going on.»

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             Parcours connu de tout un chacun : Pale Fountains, Shack, The Strands et maintenant The Red Elestic Band. Head on ! Hughes décrit ainsi le style d’Head : «Mélodies inébranlables, un sens magnifique du forward motion et des lyrics qui font apparaître des univers entiers.» À soixante balais, Head n’a rien perdu de sa candeur. Il avoue qu’Adios Senor Pussycat est le seul album qu’il a enregistré à jeun - Depuis l’âge de 20 ans, j’ai enregistré des albums in different states of conciousness - Head tournait à l’héro et il picolait. Sa principale source d’inspiration est Liverpool où il est né et où il a grandi.

             Et puis il y a la connexion Julian Cope et Teardrop Explodes, à Liverpool, un Cope qui joue le rôle de découvreur. Grâce à lui, Head découvre Pere Ubu, Red Krayola et Love - The Love album was a compilation, Revisited, and it was a game changer - Head est fasciné par Arthur Lee qui chante à propos de l’Angleterre avec des Elizabethan references. L’impact d’Arthur Lee sur Head est énorme. Les Pale Fountains s’appelaient à l’origine les Love Fountains. Quand on parle de Shack, on parle de «psychedelic folk, with shades of jazz and baroque pop». Jusqu’au jour où Shack se retrouve sur scène pour accompagner Arthur Lee - Il ne comprenait comment quatre Scousers pouvaient connaître sa musique - Mais si. La preuve est sur cet album faramineux paru en l’an 2000, Shack Accompany Arthur Lee. A Live Performance At The Academy Liverpool May 1992.

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           Un jour, en fouillant dans le bac fatigué d’un disquaire parisien, on a chopé le Shack ! Une merveille absolue. Dans son petit texte d’insert, le roi Arthur dit son bonheur d’avoir joué à Liverpool et sa surprise de voir que les gens connaissaient les paroles de ses chansons. C’est «Alone Again Or» qui ouvre le balda et Shack nous tisse la plus belle dentelle de Calais qu’on ait vue de ce côté-ci du paradis. John Head joue le lead de la mort fatale. C’est un enchantement. Et on en est qu’au début. Il y a tellement de présence scénique qu’on croirait entendre les Beatles. Voilà «Signed DC», et force est de constater que ces mecs de Liverpool restituent toute la magie de Love. Le roi Arthur passe un solo forcément somptueux. Il joue des atonalités confondantes. S’ensuit «And More Again» que le roi Arthur chante comme un dieu descendu parmi les hommes. Regain d’énergie avec «A House Is Not A Motel», à la fois très concomitant et toxique, les mecs de Shack surjouent la dentelle suprême et John Head passe un solo demented are go à gogo. Pas de mélange plus capiteux que celui du roi Arthur et de Liverpool. Le festival se poursuit en B. Le roi Arthur se dit ému par l’accueil que lui réserve the Liverpool people. Il est l’un des plus beaux héros du rock world. «Hey Joe» s’envole avec le  stupéfiant backing de Shack. Ces mecs surjouent véritablement la wild psychedelia d’Arthur Lee. C’est le secret de l’art. «Passing By» est la version arthurienne d’Hoochie Coochie Man. Il faut voir comme ça délie derrière Arthur, il repasse des coups d’harmo superbes et swingue l’écho du temps. Puis il éclate «My Little Red Book». Shack pulse le beat de Liverpool. Dans le Nord de l’Angleterre et en Écosse, on vénère autant Arthur Lee que Big Star. Pas de plus belle virée psychédélique qu’«Orange Skies», oh no no no. Shack sort un son de rêve éveillé, très distant dans la proximité. C’est d’une troublante retenue, d’un raffinement florentin qui en bouche en coin. Le roi Arthur boucle avec l’hommage déguisé à John Lennon et à son «Instant Karma», c’est-à-dire «Everybody’s Gotta Live». Il ne pouvait pas choisir plus bel hommage.

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             Le premier album de Shack s’appelle Zilch et date de 1988, ce qui ne nous rajeunit pas. On est tout de suite frappé par la qualité de la prod et par le côté pur et dur de cette heavy pop de Liverpool. Et voilà une Beautiful Song avec «Someone’s Knocking». Quel crossover ! - It’s probably/ The bill for the watering - Fantastique histoire de pauvreté. Tu entends cette merveille et tu comprends que Mike Head navigue au même niveau que John Lennon - And somone’s fallen from the window on the 16th floor - Encore de la belle pop d’envergure maximaliste avec «Realization». Il y a de la grandeur dans Head, il fait tout rimer en ion, nation, pacification, realization, expectation, ça monte en gerbes grandioses et c’est produit par Ian Broudie. Encore un cut de perfection climatique en B avec «Who Killed Clayton Square» - The town pionners are coming/ So terraces run for your life/ There’s a bulldozer around/ And it’s in your street - Avec «Who’d Believe It», il sonne comme Ride, sans doute à cause de la persistance du believe it. Il développe un sens du groove liverpuldien très aigu, avec un fort parfum psyché.   

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             La première fois qu’on écoute le Waterpistol paru en 1995, on est frappé par l’énormité du son. Même chose lors des écoutes suivantes. L’Head te fond dessus comme l’aigle sur la belette, aussitôt «Sgt Major» - Come with me ! - C’est même hanté par un gimmick de guitare en alerte rouge et ça bascule dans un abîme de prod. Alors tu sais que tu vas te délecter. L’Head est ton meilleur copain. Il te refourgue une pop de bon aloi, droite et franche, qui ne trahit pas ses amis. Ces démons savant aussi jazzer comme le montre «Stranger». L’Head est sur le coup, il t’aménage une zone, il t’aide à mieux comprendre, si tu es un peu lent, il t’indique la direction, le jazz, c’est par là. Sous ses airs de junkie, l’Head est un prince renversé, in the city, c’est d’un niveau qui demande un effort. «Dragonfly» résonne de tout le power de l’Head. On est là au sommet d’un lard qui s’appelle la power-pop liverpuldienne. Il amène ensuite «Mood Of The Morning» au petit gaga de my baby loves the Hanky Panky, ça groove dans le mood, avec une pincée de psyché dans le son. Globalement, on reste tout au long de l’album dans une pop vertigineuse qui te fait tourner la tête. Mon manège à moi c’est toi ! Son «Time Machine» est faramineux, du poids dans le son, du poids dans le chant, il déclare toujours les hostilités à coups d’arpèges magiques. Puis on assiste à une violente descente de guitares dans «Mr. Appointment», mais c’est d’une finesse extrême. Tout le power de Shack se trouve dans la finesse des ficelles, avec un son d’une rare profondeur de champ, un champ qui grouille de gimmicks et toujours le killer solo flash qui vient te sonner les cloches alors que tu as du mal à reprendre ton souffle, un killer solo qui arrive toujours par le travers, et avec une violence certaine. L’Head profite d’«Hey Mama» pour remettre la psychedelia à l’honneur, c’est du pur jus d’essence d’it’s alright psychédélique, ils tendent cette fois plus vers les Byrds que vers Love. 

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             C’est avec H.M.S. Fable paru en 1999 que Michael Head a bâti la légende de Shack. L’album regorge de merveilles irréelles à commencer par cette dégelée de pop électrique qui s’appelle «Natalie’s Party», cut véritablement noyé de son in the face, incroyable raz-de-marée de guitares séculaires avec l’Head au-dessus du son, c’est extrêmement Liverpuldien, mais aussi chargé d’Americana. Bienvenue au niveau supérieur de la pop anglaise, c’est-à-dire la pop de Liverpool. La fête se poursuit avec «Comedy». L’Head se paye sur la bête, il ne vit que pour la pop magique, c’est une atmosphère qui te monte droit au cerveau. Comme le fut le White Album, H.M.S. Fable est un album de géants. Ils envoient leur «Pull Together» exploser au sommet des harmonies vocales. Non seulement ces mecs créent leur monde, mais ils sont dans le vrai - You & I get inside - Il faut être en condition pour écouter un album aussi parfait. Ils restent dans la pop des conquérants avec «Beautiful». L’Head et sa horde tapent dans la plus belle tradition d’Angleterre, c’est du génie pur, chanté à contre-emploi dans des orchestrations de rêve, ils réinventent littéralement la magie des Beatles. Quelle grandeur et quelle clameur ! Tout ici est plein comme un œuf de Liverpool. «Lend’s Some Dough» est quasiment un cut des Beatles. Absolute monster encore que ce «Streets Of Kenny» et «Reinstated» sonne comme un élan vers l’avenir, l’Head remonte le courant de sa mélodie, il est au sommet de son art, il flirte avec la Soul - You face the music now - De toute évidence, Shack est le groupe à suivre. Encore un shoot de pop surnaturelle avec «I Want You», montée sur un tapis d’arpèges et une extrême profondeur de champ. C’est là que l’évidence saute au yeux : l’Head développe l’incroyable power de la finesse. Il finit son «Since I Met You» à la mode «Eloise», fabuleux clin d’œil au scream  de la fin du monde. 

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             Tant qu’on y est, on en profite pour écouter The Fable Sessions, qui est en fait le vrai H.M.S. Fable, enregistré un an auparavant avec Hugh Jones, et abandonné. L’Head et ses amis traversaient une sale période. Une fois requinqués, ils sont retourné en studio avec Youth ré-enregistrer tout l’H.M.S. Fable. C’est un petit label, B-Unique Records, qui a eu l’idée de faire paraître The Fable Sessions. On retrouve bien sûr ces coups de génie que sont «Comedy» et «Beautiful», et franchement, c’est à se damner tellement c’est bon, on s’enivre de l’incroyable swagger de cette pop pressée, c’est de l’Head pur, pas d’équivalent ailleurs, ça se déplace comme des nuages dans le ciel, c’est d’une absolue pureté, avec un solo en contrefort. Tiens on parlait du ciel, voilà «Beautiful» qui explose dans le ciel, pas d’autre image possible, you’re so beautiful, sommet de la pop anglaise, ça te tape dans les tympans, ça te grimpe à l’Ararat. Son «Streets Of  Kenny» est encore bardé du meilleur son d’Angleterre, c’est plein d’entrailles d’entre-deux, ça s’accroche aux mâchoires et puis avec «Natalie’s Party», l’Head tape dans la Beatlemania de Sgt Pepper, même allure de power demented, on s’y croirait, c’est presque du Pepper revu et corrigé par Jimi Hendrix, c’est exactement le même genre de Pepper power, et tu as le solo du frangin Head qui explose dans l’azur immaculé. S’ensuit l’effarant «Re-instate» amené au chant d’Head, il te cloue ta chouette vite fait, il est avec Liam Gallag le nouveau roi d’Angleterre, il faut voir ce qu’il dégage. Les Sessions sont encore plus balèzes que l’album studio. L’Head réinvente la fast pop de génie avec «I Want You», il t’arrose d’I Want You, là tu as tout : le power, la mélodie et la voix. Il refait de l’Eloise avec «Since I Met You», même élan panoramique que chez Barry Ryan et son «Cornish Town» tombe sous le pli de la mélodie. Effarant ! Il éclate le Sénégal d’Oasis et repousse les limites de la pop, I say c’mon ! Liverpool rejoint Chester, tous ces mecs se fondent dans une formidable osmose poilue. Tu continues de te goinfrer de fantastique allure avec «Lend Some Dough», tu navigues avec l’Head au-dessus des toits du monde, c’est extravagant de grandeur et tu as le frangin qui entre à nouveau dans la danse avec un killer solo flash. Le frangin is on fire, dig ? Si tu cherches de la viande anglaise, elle est là. «Petroleum» ? Fast & big ! Explosé par le frangin, alors l’Head doit calmer le jeu, il sait que son frangin est fou, il le ceinture, mais il va bien devoir le relâcher, on l’entend jouer dans les limbes, l’Head tente de contrôler le Petroleum, pas facile, ça bouge trop et bien sûr le frangin part en vrille d’absolute killer trash, il bouffe tout, l’écho, la mélodie, la raison, pas de pire killer en Angleterre. Encore de l’heavy as hell avec «Delanolo», tu as tout, encore une fois, l’Head, le fou derrière, et avec «Extra», il repartent en mode heayvy gaga atomique, le frangin joue des riffs de revienzy, l’Extra se source dans l’inconscient collectif gaga britannique, dans les pattes de l’Head, ça tourne à la magie, c’est tout de même incroyable que la barbarie gaga puisse faire irruption chez des gens aussi raffinés que Shack. L’Head porte encore «Christine» aux nues, il se barre à Mexico pour y gratter ses poux et ça bascule dans l’énormité orchestrale, un truc incommensurable arrosé de killer guitars et de tout le power séculaire de Liverpool. Tu sors de là vidé et ravi, comme quand tu sors des pattes d’une nymphomane. 

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             Comme on attend encore des miracles de Micheal Head, on écoute Here’s Tom With The Weather. Et on éprouve une légère déception, même si l’ensemble se révèle plutôt charmant. Un Anglais dirait gorgeous. Les deux merveilles de l’album s’appellent «Carousel» et «Happy Ever After». Belle pop avenante dans les deux cas. Le Carousel coule sur l’Angleterre comme Fred Neil coule sur Greenwich Village, c’est exactement la même grâce, le même élan surnaturel. Bien balancé aussi cet «Happy Ever After» violonné en douceur et en profondeur. Michael Head n’en demande pas davantage, il ne veut surtout pas devenir une star, il s’en fout, il distille sa petite magie dans son coin. Il faut aussi le voir ouvrir son bal à l’arpège insistant sur «As Long As I’ve Got You». On lui fait confiance, il ne va pas nous baiser la gueule. Il reste dans sa petite pop de stand-by tout au long de l’album et veille à rester merveilleusement soft. Surtout ne pas faire de vagues. Il s’ancre résolument dans sa vison de la beauté. Il chante les yeux ouverts, émerveillé par son art, c’est un artiste très puissant, il pousse sa pop au chant. Pas de hits. Juste des petites merveilles discrètes. Il drive son «Meant To Be» aux trompettes mariachi, avec de faux accents de Mercury Rev.  

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             Quand tu tiens entre tes pattes un album comme The Corner Of Miles And Giles, tu te dis que t’es content d’avoir croisé la route d’un mec comme Michael Head. Car voilà encore un album génial, qui va te combler au-delà de toute espérance. L’Head va droit au but, il t’offre sur un plateau d’argent tout l’intimisme liverpuldien, c’est-à-dire la big pop, et tu vas t’envoler avec «Butterfly», un cut littéralement écrasant de son. On peut même parler de clameur prodigieuse. ? Il te noie ça de son extrême, dans un incroyable délibéré d’extase, l’Head est la tête pensante de la pop anglaise, le son ici dépasse tout ce que tu peux imaginer. Il explose encore dans le son avec «Cup Of Tea», il t’endort avec son cup of tea et soudain ça te saute à la gueule, l’Head déchire le ciel pour t’y emmener. Il fonctionne exactement comme Brian Wilson. Il coule encore «Shelley Brown» dans son moule d’excellence. Brian Wilson, oui, c’est vrai, mais aussi Arthur Lee. Même niveau. Il attaque son «Black & White» à la rockalama, alors c’est du gâtö, car il amène une fantastique énergie de la qualité, et les solos du frangin sont du flash killer pur, ces mecs peuvent tout se permettre, et ça repart en mode Liverpool, c’est à se damner pour l’éternité tellement c’est puissant, ça joue à la vie à la mort avec du trash solo des cimetières. Quel album ! Tout est saturé de power. Il ramène des nappes dans «Miles Away» et il envoie de guitares se fondre dans les nappes, et les nappes te tapent dans le ciboulot, ce sont des nappes d’extrême beauté pop roulées par des interludes de guitares tourneboulées. Tout est inextricable, d’une redoutable beauté. L’Head fait ensuite du heavy balladif avec «Finn Sophie Bobby & Lance», fabuleuse pop de you don’t stand a chance et il revient au heavy groove à la Lennon avec «Moonshine». Aw comme c’est évident ! Il est en plein dans le Lennon d’«Happiness Is A Warm Gun» mâtiné de Walrus, à l’heavy trip de génie supérieur, ça vole au-dessus d’un nid de coucous, dans une stupéfiante élévation du domaine de la lutte. Puis il fait du petit swing de proximité avec «Funny Things», mais dans les pattes de l’Head, ça donne du haut de gamme. Il est le white pendant de l’aboutissant Swamp Dogg, il transforme tous les instants du disk en magie pure, mais une magie pure propulsée par un sax free, alors t’as qu’à voir ! Dans la vie, tu croises peu d’albums aussi balèzes. Le coup du lapin arrive avec «Closer», doux et tendre, comme du Donovan. Blue is the color of Closer/ In the morning.

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             En 1998, Michael Head & The Strand enregistrent The Magical World Of The Strands. Le petit conseil qu’on pourrait donner serait de commencer par écouter «Loaded Man», cette pure merveille grattée à coups d’acou. L’Head gratte vraiment au coin du feu. L’Head hante, il a un côté fantôme à la Nick Drake, il fait de l’hypno fantomatique. L’autre belle énormité de l’album s’appelle «The Prize». Il s’ancre dans une pop sophistiquée et jamais putassière, une pop insistante, tellement anglaise, ultra jouée et qui tient du miracle. Il se pourrait bien que l’Head soit le dernier dans son genre. Il gratte encore «And Luna» non pas sous le boisseau, mais sous le couvert, ce qui revient au même. Très pratique quand on n’a rien à dire. Avec «X Hits The Spot», il passe à une pop anglaise plus sucrée et plus sérieuse. Non seulement il y a du Nick Drake en lui, mais il y a aussi du George Harrison et du Arthur Lee, il ouvre des horizons avec «Undecided (Reprise)». par contre, «Glynys & Jacqui» est une heavy pop indéfinissable. Il gratte ça dans l’épaisseur de sa vision, dans la tiédeur de son underground et il la couronne d’une fin apostolique aux guitares psychédéliques. Il fait son Plonk Lane en ramenant un banjo dans «Hocken’s Hey» et retourne à ses exigences avec «Fontilan». Tout est dans la tête de l’Head, il ne vise même pas le hit, encore une fois, ça ne l’intéresse pas. Rien à foutre des feux de la rampe, il fait du Manchester United all over. L’Head est la tête pensante de son royaume. Tout l’album n’est que bonne franquette.

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             Après l’épisode Shack et les turbulences de l’héro, Michael Head semble s’être refait une santé, c’est en tous les cas ce que révèle la pochette d’Adios Senor Pussycat, paru en 2019. La presse anglaise fait un joli buzz sur cet album et c’est vrai que quelques cuts accrochent sérieusement, comme par exemple «Wild Mountain Thyme», embarqué aux arpèges atypiques. C’est visité par un sacré vent d’Ouest. Pure révélation ! N’oublions pas qu’Head est un Scouser de Liverpool. Autre merveille : «Rumer», une Beautiful Song qui sonne comme un hit, somptueuse car surdosée. L’«Adios Amigo» de fin de disk est gorgé de bonnes guitares. Michael Head a derrière lui une bonne équipe. Ce loser patenté a beaucoup de chance, finalement. Il faut aussi écouter «Working Family», plus californien dans l’esprit, somptueux et ramassé, claqué aux vieilles résonances de la romance, doux comme une soie d’hermine et fouillé dans l’intimité par des guitares élégiaques. Son «Picasso» d’ouverture de bal sonne comme un groove mélodique qui s’étend jusqu’à l’horizon, mais contre-balancé par un violoncelle. On y entend des échos de «Nights In White Satin» - It’s not like in the movies - Un solo de sax vient réchauffer l’ensemble comme le manteau jeté sur l’épaule du mendiant. Michael Head adore aussi les balladifs intimistes richement arrangés. Il adore les arrangements jusqu’au vertige. C’est son talon d’Achille. Il y a de la casse sur l’album, à cause de cette tendance à vouloir tout magnifier. À force de faire la paix avec ses démons, il se ramollit. Mais c’est vrai qu’un cut comme «Josephine» reste difficile d’accès. Ce mec a des atouts inexplorés, des orifices inconnus, des voies impénétrables.

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             Head confie aussi à Hughes que la source d’inspiration pour Dear Scott est Scott Fitzgerald, et notamment la lecture de The Pat Hobby Stories - It just blew me away - Head nous raconte l’histoire fascinante d’un Fitzgerald qui est aux abois, qui a besoin de blé et qui accepte un petit boulot de scénariste pour MGM : «Il venait d’arrêter de boire et il pensait vraiment qu’il allait percer à Hollywood. Il séjournait in the Garden of Allah, un hôtel qui était un den of iniquity, c’est-à-dire un lieu de perdition, et pour lui, il n’y avait pas de pire endroit. Quand il s’y est installé, il est allé au comptoir s’acheter une carte postale, l’a écrite pour lui-même, puis il est remonté dans sa chambre la poser sur le tablier de la cheminée. Il avait écrit : ‘Dear Scott, How are you? J’avais l’intention de passer vous voir ...’ Ça donne une idée de son état d’esprit et de son humour. Ça a résonné en moi. C’est la principale inspiration de Dear Scott.» Un Fitz qui tente de rester sobre dans l’hôtel le plus débauché d’Hollywood...

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             C’est avec The Red Elastic Band qu’il enregistre Dear Scott. Il décroche cinq étoiles dans Mojo, ce qui est assez rare. Keith Cameron parle de Liverpuldian folk version of West Coast psychedelia et qualifie le «Kismet» d’ouverture de balda de jangling.

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    Il est vrai que «Kismet» est violemment atmosphérique, c’est battu par des grands vents orchestraux et les guitares se perdent sous l’horizon. L’Head taille sa route. Rien ne peut plus le retenir. Il est parti chercher la petite bête. Mais il n’y a pas de petite bête. Ce serait trop facile. La presse rock anglaise s’accroche à ses dernières légendes, mais sur Dear Scott, la magie brille par son absence. L’Head propose une heavy pop classique, mais pas de quoi crier au loup. On attend des miracles de «The Next Day» et d’un «Freedom» joué à l’arpège intrinsèque. Tout est très intrinsèque chez l’Head. D’où le cousinage avec Nick Drake. On passe encore à travers «American Kid», trop classique, à travers «Grace & Eddie», ni d’avant ni d’après, et puis voilà «Fluke», l’Head y lève une marée, et dans «Gino & Rico», il nous cale un vieux solo de jazz. Bon disons-le franchement, L’Head n’est pas Jason Pierce, il n’a pas les mêmes facilités. Il taille cependant «The Ten» à l’angle de la pop, c’est assez beau mais pas déterminant. Alors il est temps de sauver l’album avec «Pretty Child», mais l’album sera privé de magie, comme d’autres sont privés de dessert. Il faudra te contenter de ce «Pretty Child».

             L’Head nous dit aussi qu’un éditeur a essayé de le convaincre d’attaquer la rédaction de son autobio, mais il préfère les short stories, comme Fitzgerald. Il semble donc qu’un projet couve sous la cendre. Il conclut en considérant le songwriting comme une forme d’art : raconter une histoire en 3 minutes 50, voilà son truc. 

    Signé : Cazengler, Shit

    Shack. Zilch. Ghetto Recording Company 1988  

    Shack. Waterpistol. Marina Records 1995     

    Shack. H.M.S. Fable. London Records 1999  

    Shack Accompany Arthur Lee. A Live Performance At The Academy Liverpool May 1992. Viper 2000

    Shack. Here’s Tom With The Weather. North Country 2003      

    Shack. The Fable Sessions. B-Unique Records 2003      

    Shack. The Corner Of Miles And Giles. Sour Mash 2006

    Michael Head & The Strand. The Magical World Of The Strands. Megaphone Music 1998

    Michel Head & The Red Elastic Band. Adios Senor Pussycat. Violette Records 2019

    Michel Head & The Red Elastic Band. Dear Scott. Modern Sky UK 2022

    Keith Cameron : Quality of Mersey. Mojo # 343 - June 2022

    Rob Hughes : Mersey Mercy me. Uncut # 301 - June 2022

     

     

    Wizards & True Stars

    - Le Velvet taille sa bavette

     

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             «Quoi, tu connais pas l’Vévette ?». C’est ainsi qu’on apostrophait les gens dans la cour du lycée, dans les années 71/72. Si les gens ne connaissaient pas le Vévette, c’est tout bêtement parce que leurs albums n’étaient pas distribués comme étaient distribués les autres. En ce temps-là, on partait littéralement à l’aventure. Tu devais te bouger pour mettre le grappin sur les albums. Les provinciaux devaient «monter» à Paris pour choper les trois albums du Vévette. Il te fallait un gros billet et te rendre Carrefour de l’Odéon. C’est là que tu pouvais les trouver tous les trois, chez Music Action. Même chose pour les Groovies : un seul endroit à Paris, l’Open, rue des Lombards. Puis dans la foulée, il y eut la Mecque, c’est-à-dire Londres, et là tu trouvais tout ce que tu cherchais, à des prix imbattables, chez des vrais disquaires.

             Mais le plus drôle, à propos du Vévette, c’est de réaliser, avec tout ce recul, qu’on a passé plus de temps avec eux, mais aussi les Stooges, les Stones, Hendrix, Dylan, les Beatles, qu’avec la famille, les copains et les copines. Quand des journalistes resservent cette vieille tarte à la crème voulant que le Velvet soit le groupe qui ait eu le plus d’influence, il faut entendre influence au sens du temps d’écoute. Impossible de faire le compte, bien sûr, mais ça peut représenter des milliers d’heures. Tu n’as jamais passé des milliers d’heures auprès d’une gonzesse, aussi sexy fût-elle. En gros, le Vévette ça veut dire 20 h-minuit tous les jours pendant un an, fais le compte. Tu as déjà plus de mille heures.

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             Et quand aujourd’hui tu veux secouer la baraque, tu peux ressortir le deuxième album et passer «Sister Ray», tu verras, ça marche à tous les coups. Les cuts du Vévette ont ceci de particulier qu’ils ne prennent pas une seule ride. Tout ce mélange de modernité et d’agressivité est resté parfaitement intact. Tu réaliseras aussi que tous tes amis, ceux qui vivent encore, sont aussi des fans du Vévette. Tes amis n’écoutent pas Elvis Costello et tous les autres rois de la mormoille. Le Vévette est à la fois le point de départ et le point d’arrivée. Tu fais entrer d’autres groupes entre ces deux points, mais dans tous les cas, tu reviens à ton point de départ. C’est l’axe de ton monde, ton pôle, ton point de repère, ton ciel et ton saint-esprit, ton ainsi soit-il, ta religion et raison d’être, et en même temps, le Vévette est un jalon entre Jerry Lee et les Dirtbombs, entre Carl Perkins et le Gun Club, entre Johnny Powers et Spacemen 3, les possibilités du jalonnage sont relativement infinies, chacun tisse sa toile, chacun berce ses passions monotones, mais tu croiseras systématiquement le chemin du Vévette, si bien sûr tu interdis à la mormoille d’entrer chez toi.  

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                On croyait que la messe du Velvet était dite depuis cinquante ans, depuis la parution du troisième album sans titre, en 1969. Mais voilà que Mojo ramène un scoop : Will Hodgkinson nous annonce la parution d’un «nouvel album» du Velvet qui, ajoute-t-il, va envoyer tout le monde au tapis. Holà bijou ! Du calme ! En réalité, on vient de découvrir dans un placard un enregistrement lo-fi des premier hits du Velvet, grattés à coups d’acou par Lou Reed, qui est accompagné par John Cale. Huit pages pour nous annoncer ça. Forcément, ça sort sur Light In The Attic, le label spécialisé dans les petits coups fumants.

             Pour tenir son lectorat en haleine, Hodgkinson fout de l’huile sur le feu. C’est un malin. Un vrai renard. Il parle d’une version d’«Heroin» innocente jouée sur un fingerpicked blues riff. Selon lui, «Waiting For The Man» sonne comme un folk lament. C’est John Cale qui chante «Wrap Your Troubles In Dreams», un brave cut qui finira sur le premier album de Nico. Hodgkinson parle d’un crepuscular mood, «a precursor to the hypnotic minimalism he’d help incalculate in the full-blown Velvets.» Laurie Anderson qui comme chacun sait est la veuve de Lou Reed indique que c’est l’époque où Lou Reed et John Cale passent du statut de folk duo à celui de Velvet Underground. Sur la bande, il y a même des originaux, comme ce «Men Of Good Fortune» qui n’a rien à voir avec le «Men Of Good Fortune» qu’on trouve sur Berlin. Don Fleming pensait que c’était une chanson traditionnelle, mais il n’a pas réussi à trouver la source. Avec Greil Marcus, ils ont trouvé une ressemblance avec un vieux cut de Merle Travis, mais c’est tout. Et on s’en bat l’œil. Hodgkinson parle de l’ensemble comme d’un trésor, non pas de Toutankhamon, mais de «throwaway chants, ancient blues, lamenting folk and drowning, minimalist experimentations». On a découvert ces enregistrements dans le bureau de Lou Reed à New York, le fameux Sister Ray Office. Les découvreurs ont ouvert le placard du bureau et trouvé une enveloppe que Lou Reed s’était envoyé à lui-même le 11 mai 1965. Ça lui permettait de prouver qu’il était l’auteur des chansons. Une sorte de copyright du pauvre.

             On a donc chargé Don Fleming d’archiver tout ce que Lou Reed a laissé après sa mort en 2013 : enregistrements, photos, lettres, affiches de concerts. Fleming estimait au début qu’il ne fallait pas ouvrir l’enveloppe et qu’il fallait préserver son mystère, étant donné que Lou Reed avait tenu à la conserver scellée sa vie entière. Puis au moment de confier les archives au New York Public Library, il s’est décidé à l’ouvrir. Pas d’infos à l’intérieur, juste le cachet d’un notaire.

             Hodgkinson profite de l’occasion pour rappeler que Lou Reed l’a agressé, en 2012, lors d’une interview à Prague. Lou Reed agressait tous les journalistes. Il les haïssait : «Les journalistes sont the lowest form of life. Mainly the English. They’re pigs.» Cette haine des journalistes trouve sa source dans les débuts du Velvet. La presse méprisait le Velvet. Et quand elle s’est mise à aduler le groupe, la haine de Lou Reed n’a fait que redoubler. Hodgkinson met aussi le paquet sur les racines littéraires. Lou Reed : «Je voulais mettre le langage de Tennessee Williams, William Burroughs, Hubert Selby Jr et Allen Ginsberg dans une rock song.» Tout cela nous reconduit naturellement à Delmore Schwartz, l’enseignant de Syracuse qui est devenu le mentor de Lou Reed. Schwartz enseignait la littérature et ne tarissait pas d’éloges sur la musicalité de James Joyce et WB Yeats. Hodgkinson a raison de le rappeler. C’est important. Lou Reed ne tombe pas du ciel. C’est un homme extrêmement cultivé. Il n’y a pas de hasard.

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             Greil Marcus signe le premier chapitre du texte d’accompagnement, ‘Folk songs found in the Sister Ray Office’, un titre qu’il emprunte à Don Fleming. Comme d’usage, Marcus écrit un texte flamboyant qui donne d’ailleurs envie de relire ses ouvrages, et il conclut son texte ainsi : «C’est une anomalie. Ça donne une idée de la direction qu’aurait pu prendre Lou Reed - une impasse probablement, et c’est une composition originale - qui prend la forme d’une folk-song, pareille à celles que chantaient tous les performers de Greenwich Village cinq ou six ans auparavant - une anomalie qui nous permet d’entendre «Heroin», «I’m Waiting For The Man», «Wrap Your Troubles In Dreams», toutes ces chansons accrochent bien, ici, comme si au fond, elles n’étaient rien de plus que des folk-songs.» Marcus n’est pas dupe.

             Don Fleming se tape la suite des liners. Il dit avoir fait un inventaire qui met l’eau à la bouche : dans le Sister Ray Office, il a trouvé et indexé 600 heures d’enregistrements. Encore des coups à venir ? Va-t-en savoir ! Puis Fleming entre dans le vif du sujet en retraçant l’histoire de l’early Vévette, lorsque Lou Reed bosse comme apprenti songwriter pour Terry Phillips, chez Pickwick, et qu’il rencontre, grâce à Phillips, deux musiciens d’avant-garde, John Cale et Tony Conrad. L’idée de Phillips est d’enregistrer «The Ostrich». Le groupe s’appelle The Primitives. Quelques mois plus tard, les Primitives vont devenir le Vévette. Lou Reed et John Cale prennent l’habitude de bosser ensemble et en mai 1965, ils enregistrent les démos qui font l’objet de ce buzz.

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             Il ne reste plus qu’à les écouter. L’album s’appelle Lou Reed - Words & Music - May 1965. On entre par la grande porte : «I’m Waiting For The Man, words and music Lou Reed.» Il gratte ça soft avec twenty-six dollars in my hand et bascule dans une espèce de mad country d’hey white boy. Tout est déjà là, l’he’s always late, la révolution sous le boisseau, mais des coups d’harp te démantibulent le vestibule. Les fucking coups d’harp ne passent pas. C’est une atteinte aux mœurs. Il fait ensuite du sous-Woody Guthrie avec «Men Of Good Fortune». La racine n’est pas terrible. Elle a vraiment une sale gueule, la racine. Bon alors après, Fleming et les autres font comme ils veulent, mais de là à publier ! Il paraît évident que Lou Reed n’aurait jamais accepté qu’on publie ces machins-là. Deux ou trois, d’accord, mais pas tout. On craint le pire pour la suite. «Heroin» redresse un peu la barre. C’est du folk, mais du folk d’Heroin. Lou Reed est déjà dans l’intensité du Guess I just don’t know, voilà enfin une démo de choc, it’s my wife and its my life, tout à coup, ça vire Vévette. Tu retrouves enfin tes marques. Mais après, tu as encore des trucs qui ne vont pas bien du tout, comme par exemple ce «Buttercup Song», fucking folky folkah, anti-Vévette, Lou Reed fait le con et c’est atrocement nul. Il gratte ensuite son «Walk Alone» bien sec, mais rien d’orienté sur le futur, ça flirte avec le sous-heavy Dylanex ridicule. Retour à la terre ferme du primitivisme avec «Buzz Buzz Buzz», une espèce de wild boogie. Lou Reed fait tout ce qu’il peut pour sonner comme un nègre de Louisiane, il gratte le cœur au ventre. Il en devient comique. Retour à la terre ferme avec la première mouture de «Pale Blue Eyes», pur jus de sometimes I feel so happy, il gratte ça en mode country au coin du feu, là-haut, dans une mine de cuivre au Kentucky. Lou Reed laisse filer sa voix, le génie mélodique est déjà là, on l’entend bien, sa partie de guitare est d’une indicible pureté, très note à note, sur deux cordes, avec un riff prévalent. S’ensuit «Wrap Your Troubles In Dreams» : il fait du pré-Nico. Tout le glauque du Vévette est déjà là, c’est tibétain, Lou Reed se prend pour le Dalai Lama, celui de Tintin, évidemment, il prend vraiment les gens pour des cons, c’est sa petite spécialité. On tombe aussi sur une autre version de «Waiting For The Man». C’est une répète. Fleming indique que celle-ci est en Mi, alors que la première est en Fa. Merci du détail, Fleming. Fleming n’est pas un flemmard. Alors on profite de cette bonne aubaine pour fondre car avec «Sister Ray», Waiting est ici le cut chouchou du Vévette. Lou Reed a déjà tout. Et puis il a un mec qui fait cavaler des sabots dans son Waiting. Il faut rester prudent avec les coups de buzz. D’autant plus qu’avec les derniers cuts, ça dégénère. Ça bascule dans le n’importe quoi. Pour se remonter le moral, il ne reste qu’une seule chose à faire : écouter «Sister Ray». 

    Signé : Cazengler, Vévette Horner

    Lou Reed. Words & Music. May 1965. Light In The Attic 2022

    Will Hodgkinson : Some Velvet Morning. Mojo # 344 - July 2022

     

     

    L’avenir du rock

    - Spencer moi un verre, Jon (Part One)

     

             Si tu veux faire plaisir à l’avenir du rock, sois beau (et tais-toi). Il n’en faut pas davantage pour le faire bicher. Comme tout le monde, il a son petit hit-parade. Le plus beau ? Elvis, pas de problème. Les gens ne se rendent pas compte à quel point Elvis pouvait être beau. Il incarnait l’idéal de pureté du rock’n’roll, ce camouflet lancé à la face de Dieu et de son monde de vieux, une beauté qui n’était même pas arrogante, car Elvis ne l’était pas, il avait cette disposition pour le naturel qui le rendait tellement charismatique. Aussitôt après Elvis, l’avenir du rock cite Brian Jones qui par sa grâce naturelle est lui aussi devenu iconique. Sans doute aussi iconique qu’Elvis, pour des raisons évidentes. Des millions de kids ont copié la coiffure et les fringues de Brian Jones, et son charme plane encore sur le monde, qu’on le veuille ou non. L’avenir du rock peut encore te citer les noms d’une tripotée de perfections à deux pattes : Syd Barrett, Jimbo, tous ces gens dont on a cru pouvoir se débarrasser mais dont les fantômes hantent encore certains groupes de rock pour leur donner mauvaise conscience. Ni les Stones, ni le Pink Floyd, ni les Doors n’ont jamais retrouvé l’éclat de leur âge d’or. En échange de leur grâce perdue, ils ont reçu des comptes en Suisse. Ainsi va la vie. D’autres perfections à deux pattes ? Mais oui, bien sûr ! Tiens par exemple, les Boys qu’on aurait tendance à oublier et qui furent non seulement d’une insolente beauté mais aussi fabuleusement doués. Bowie itou, dont on s’arrachera les icônes dans deux mille ans, Chuck Prophet, racé comme pas deux et qui refuse obstinément de vieillir, et puis bien sûr l’indicible Jon Spencer qui tel un guerrier Apache dresse des embuscades et surgit là où on ne l’attend pas. Qu’il arbore une banane rockab, un ceinturon à boucle Elvis, un cuir noir, une coupe à la serpe ou the sweat of the blues explosion, il est toujours parfait sur tous les plans : sonique comme physique. Il est très exactement la suite d’Elvis.

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             Ça fait maintenant plus de trente ans qu’on se régale du spectacle de Jon Spencer, trente ans de groupes et d’albums, trente ans qui ont l’allure d’un gros millefeuille dégoulinant de son et d’idées, c’mon, this is the sweat of the blues explosion !, on s’en est tous gavés comme des oies, vazy Jon claque-nous le beignet, touchez ma Boss Hog, monseigneur, et vogue la Pussy Galore, et puis il Heavy Trash aux cartes, et c’est tant mieux, il t’invite même à sa lune de miel d’Honeymoon Killer, tu peux aussi l’avoir pour un billet de Five Dollar Priest, il est partout, il burn avec Burnside, t’en finis pas avec des mecs comme celui-là, et maintenant, le voilà de retour avec ses Hitmakers, vieux compagnons de route dont un qui remonte au temps de la Galore, l’imputrescible Bob Bert, désormais occupé à cogner au marteau sur des réservoirs d’essence récupérés à la casse. L’autre Hitmaker n’est autre que Sam Coones, l’un des trésors cachés d’Amérique, et accessoirement head honcho de Quasi. Pour donner de l’élan à son grand retour, Spence trône dans un fauteuil Voltaire, c’mon, sous la voûte étoilée, éclairé par un brasier. Son regard brille d’un éclat diabolique et ses ongles peints en rouge n’en finissent plus d’attirer l’œil. Il a les moyens physiques et artistiques de basculer dans ce qu’il veut, c’mon, diabolo Spence ! Here I come ! Il est certainement l’un des derniers de son espèce à savoir jouer le Grand Jeu du rock, sa passion est devenue une vision. Une vision, c’est comme une chaudière, il faut la charger en permanence, c’mon, alors il la charge.

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             Pour preuve, ce nouvel album, Spencer Gets It Lit, il y orchestre la résurgence de ses sources chaudes, il reste accroché à ses apanages comme la moule à son rocher, c’mon, il nous refait du doom doom de barytonage à la Pussy Galore, on irait même jusqu’à dire que le JSBX Sound est devenu un son classique, comme la Stonesy, reconnaissable dès les premières mesures. Spence continue de pratiquer le minimalisme de prêcheur fou qui le rendit célèbre dans les salles de concert, le variant à l’infini, rajoutant des cuts en fin de set au grand désarroi des banlieusards stressés par l’heure du dernier train, Spence savait miauler et entrelarder son prêche de filets de barytonage de frappadingue, comme le montre encore «Get It Right Now», pur lookout de Spence, avec toute la collection de yeah rituels à la suite. Et quand il n’a plus d’idées, alors il sort son fameux sock it to me baby, comme au bon vieux temps. C’mon now ! Et puis il soigne ses sons, Sam Coones et sa machine chargent le noisy beat de «The Worst Facts» et ça vire hypno. Sur «Primary Baby», Spence laisse couler un filet de fuzz baryton, uhh ! Quelle allure ! Et toujours ces vieux réflexes de croon-punk, ce «Worm Town» qui semble sortir d’un album de Five Dollar Priest. Spence n’en finit plus de nous rappeler qu’en lui bat le heartbeat de New York City, il danse ses farandoles dans l’écho des rues, Spence salue en permanence la mémoire du JSBX, il ne sait faire que ça, battre le fer pendant qu’il est chaud, il perpétue son lard fumant et franchement, on plaint les pauvres hères qui n’ont rien compris au phénomène JSBX, car s’il est bien un groupe qui trempe dans l’organique, c’est bien le JSBX, sachant que l’organique est avec la folie l’essence même du rock. Spence adore concasser les breaks, c’est sa façon de montrer son impatience. Shake it ! L’art du concassage. Spence serait-il le César du rock ? Il cultive l’art difficile des fournaises d’anti-rock. Essaye d’en jouer une et tu verras que ce n’est pas si simple. Il finit cet album déroutant avec un «Get Up & Do It» en forme de fourre-tout dans lequel il jette tout son vocabulaire.

    Signé : Cazengler, Jon Spince (à linge)

    Jon Spencer &The Hitmakers. Spencer Gets It Lit. Bronzerat 2022

     

     

    Inside the goldmine - Scott toujours !

     

             Henry Blight inspectait les nègres alignés. Un par un, de la tête aux pieds. Il soulevait les gencives pour examiner la dentition et faisait souvent la grimace. Les nègres étaient nus, bien sûr. Il y avait aussi des négresses auxquelles on avait su faire oublier toute réflexe de pudeur. Elles n’étaient plus que ventres et seins offerts au regard des blancs. Henry Blight demandait parfois au courtier de retourner un nègre pour vérifier l’état du dos car il voulait conserver l’exclusivité des coups de fouet. Les nègres avaient été lavés au savon et les plaies de leur chevilles soignées. Henry Blight faisait son shopping. Il devait reconstituer son cheptel. Chez lui, en Louisiane, les nègres ne vivaient pas très longtemps. Il les soumettait à des cadences de cueillette infernales et ceux qui ne cueillaient pas leur quota de coton étaient fouettés de cent coups, ou bien il leur faisait couper les mains par un autre nègre, pratique que copiera un peu plus tard le roi des Belges pour punir ces bons à rien de nègres du Congo qui ne ramenaient pas leur quota de balles de caoutchouc. Que ne ferait-on pas au nom du progrès ! Quand Henry Blight désignait du bout de sa canne le nègre qu’il souhaitait acheter, le courtier annonçait un prix. Blight approuvait le prix d’un hochement de tête et le clerc l’inscrivait sur son pupitre. Il y avait aussi des enfants, mais le courtier les réservait aux maisons closes. Henry Blight aperçut soudain dans l’enfilade d’une pièce voisine une très belle négresse toute de noir vêtue, robe et chapeau. Magistrale, elle tenait une guitare en bandoulière. Il demanda le prix de cette négresse mais le courtier lui répondit d’une voix ferme qu’elle n’était pas à vendre. Le visage d’Henry Blight sembla se vider de son sang. Il exigea d’en connaître le prix. Le courtier fit non de la tête. Blight qui était un homme auquel on ne refusait rien le frappa d’un coup de canne en plein visage.

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             Il est fort probable que la grand-mère de Marylin Scott se soit trouvée dans ce salon, alignée avec d’autres esclaves. Ce que ces gens-là ont pu endurer dépasse tout ce qu’on peut imaginer. Ayant survécu par on se sait quel miracle à l’esclavage, le peuple noir s’est relevé pour offrir aux blancs la religion des temps modernes. Gospel, blues, rock, tu l’appelles comme tu veux. Marylin Scott en est l’une des plus pures incarnations. Elle est aussi iconique que n’importe quelle rock star. Sinon plus.

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             On l’a découverte dans les salons plus civilisés d’une compile, Down Home Blues - Miami - Atlanta & The South Eastern States. Rapide présentation, Marylin Scott, The Carolina Blues Girl, et paf, on tombe sur cette photo, une espèce de reine de Nubie, pardon, de Caroline, avec une guitare ! Seule photo connue, nous dit Bentley. Avec «Beer Bottle Boogie», elle fout le feu à la compile, littéralement. Fantastique énergie ! Elle est accompagnée par the very hot Johnny Otis Orchestra.

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             Par miracle, il existe dans le commerce une compilation parue en 1988 sur un obscur label suédois : I Got What My Daddy Likes. Et bien sûr, la pochette s’orne de cette incroyable photo, aw my Lawd, quelle classe, quel sourire, guitare électrifiée et attachée par la ficelle rockab, elle a cette classe de corps qu’ont les kids qui montent des groupes, elle darde de tous ses feux. Apparemment elle s’appelle aussi Mary Deloatch et au dos, Ray Templeton brode sur le thème du conflit entre God et the Devil, un thème qu’Al Green développe lui aussi en long et en large dans son autobio. Puis il rentre dans le détail de l’histoire des enregistrements et, comme c’est souvent le cas chez les coupeurs de cheveux en quatre, il s’enlise. Il confirme toutefois que le Johnny Otis Orchestra - avec Johnny Otis au beurre - accompagne Marylin sur «Beer Bottle Boogie» et «Uneasy Blues». Il faut la voir swinguer son jazz et swinguer sa Beer Bottle au rauque de raw ! Avec «Uneasy Blues», elle tape dans l’excellence du petit heavy blues, elle lâche son just couldn’t be satisfied au petit délié délictueux. Templeton insiste beaucoup pour dire que Marylin fut en réalité une énigme et que l’histoire de la Carolina Blues Girl est une blague, puisque personne ne l’a vue traîner en Caroline. Templeton la situe plus du côté en Norfolk en Virginie - Gene Vincent’s hometown - et d’Atlanta. Au fond, Templeton n’a pas grand-chose à dire et nous non plus.

             Il n’empêche qu’elle est bien vivante sur cette compile. Elle chante le early blues dès le morceau titre et les mecs du coin font yeah ! Là tu es dans l’early pur. C’est dingue comme ces blacks savaient tout faire avec rien. Juste du chant, un peu d’instru et des copains qui swinguent derrière en claquant des doigts. T’auras jamais ça chez les blancs. Merveille absolue que ce «Straighten Him Out» : elle s’y fait douce et belle, on y admire la profondeur de la lampée, ça joue derrière à la stand-up et au solo de sax dans une profondeur de champ extraordinaire. Elle ne sort jamais du cadre, ce qui fait sa grandeur. Puis elle passe insensiblement au gospel, devenant nous dit Templeton Mary Deloatch. Elle fait du jump de gospel avec «I Want To Die Easy», elle s’y montre fraîche et vive comme le slave morning dew, easy Lord. Elle fait du jump toute seule avec «Rumours Of War» qui ouvre le bal de la B. D’ailleurs toute la B se consacre  à Lawd, c’est le Gospel side of the fantastic Carolina Blues Girl qui n’a rien de carolinien. Comme Candy Staton, elle chante le gospel sur tous les modes, en early gospel blues («Mother Dear» - soutenue aux chœurs endorloris), en heavy groove de stand-up («Life Was A Burden») - Oh my Lawd, elle épouse le Seigneur, Marylin devient une fantastique croqueuse d’hommes saints - Elle grimpe sur un nuage pour chanter «I’ll Ride On A Cloud With My Lord» et profite d’«I Really Believe» pour rappeler qu’il est invisible mais qu’il nous aime tous. Elle chante son reverberated gospel blues d’une voix impubère et nous scie pour de bon. Il se passe chez Marylin Scott le même genre de choses que chez Sister Rosetta Tharpe, l’influence est évidente, jusqu’à sa façon de jouer de la guitare. Elle fait avec «If You Only Know» du gospel de bastringue inexpugnable. Les chœurs encorbellent le batch et on claque des mains. Cette diablesse chante à l’accent fêlé. Attention, c’est là qu’arrive le coup du lapin. Il s’appelle «The Lord’s Gospel Train» - Oh Lawd I want to step on board - Ce hit de filles d’esclaves est amené au heavy gospel train, et là, mon gars, tu tombes de ta chaise. Sans doute l’un des trucs les plus énormes qui ait jamais été enregistré.   

    Signé : Cazengler, Marylin crotte

    Marylin Scott. I Got What My Daddy Likes. Whiskey Women And… 1988 

    Down Home Blues - Miami - Atlanta & The South Eastern States - Blues In The Alley. Wienerworld Presentation 2020.

     

    *

    Dix années que Kr’tnt ! suit Ady Erd, en concerts et sur disques, dans les différents groupes dans lesquels nous avons pu l’admirer, les Jallies, The Jake Walkers, Ady & the Hop Pickers, et voici qu’elle se lance dans un nouveau projet. Avec qui ? Avec personne ! L’a décidé depuis quelques mois d’être à elle toute seule son propre groupe d’où cette nouvelle revendication identificatoire, équivalente à un nouveau titre de province. :

    ADY ONE WOMAN BAND

    Un projet parallèle car Ady continue les Hop Pickers, mais elle a envie d’apporter son petit grain de sel à la musique qu’elle aime, (que nous aimons ) pas n’importe laquelle, la mère de toutes les musiques, le blues. L’en est juste au tout début, elle nous propose deux titres, un classique et une composition. Tous deux sont visibles sur Yt.

    Le décor est exactement le même pour les deux prises Ady assise guitare en main, chez elle dans son salon (supposition) derrière elle les rayonnages de deux éléments de bibliothèques, supportant disques, bibelots livres, l’on remarquera, grosse bio ou coffret, Janis Joplin, éclipsée par la couverture de l’album pour enfants – et grande personnes – Chien Bleu de Nadja (texte et gouaches ), un très bon choix. Devant cymbale et grosses caisses. Mais revenons au blues.

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    CROSSROAD

    Tout le monde a un jour croisé ce titre sur une ou une autre pochette même ceux qui ignorent qu’il est signé de Robert Johnson. L’en existe tant de reprises qu’il est difficile de se démarquer, depuis les seventies un passage obligé pour les guitaristes qui veulent se faire remarquer. Ady y va carrément. Soyons précis rectangulairement. Aborde une guitare à la Bo Diddley, genre cigar-box à quatre cordes. Autant dire qu’elle n’est pas là pour un concours de dextérité, c’est du rentre dedans, elle vous aborde le carrefour à fond de train, le pied sur le martel de la grosse caisse, tant pis pour les piétons qui auraient la mauvaise idée de traverser parce qu’ils seraient sur le passage protégé, c’est un régal d’entendre ronronner le moteur de sa Terraplane, mais ce n’est rien comparé au mordant de son vocal, c’est lui qui mène le bal des ardences et croyez-moi ça brûle dur. Pas de panique elle ralentit, enfin elle conduit à la cool, ben non l’a de la reprise, elle hurle et s’égosille pour notre plus grand plaisir. Pas pour rien que chez les Jallies elle se déchaînait chaque fois qu’elle interprétait Queen of Rock’n’roll.

    GEMINI BLUES

    Elle a remisé le coffret à Coronados pour une Gretsch purpurine, question dentelle l’on est servi, balancement assuré, exactement le rythme lancinant  de la trompe de l’éléphant immobile qui vous regarde dans les yeux,  qui prend son temps et son plaisir avant de fondre sur vous, l’a les doigts qui jouent à l’araignée sur le manche, des notes rondes et graves comme ces fruits de cactus trop mûrs, fermez les yeux et laissez-vous bercer, non ce serait une erreur, ça se passe ailleurs, encore une fois dans la bouche ( d’ombre disait Victor Hugo ) autrement du vocal issu de l’intérieur des tripes et de la force de vie, Ady vous a de ces intonations qui cisaillent, ça sort d’elle, une compo, elle miaule et feule comme une panthère, c’est beau, un chant de tigresse qui mord à pleines dents dans la chair sanglante des mots jusqu’au rire de la folie, cet instant où l’on est soi et en même temps différent de soi, où l’on est un étranger au monde et à soi-même. Superbe. Une blueswoman nous est née.

             L’on attend la suite avec impatience.

    Damie Chad.

     

     

     ROCKABILLY RULES ! ( 5 )

    N’oubliez jamais que toutes les règles sont faites pour être contournées, dépassées, chamboulées, piétinées, car l’important avant tout c’est d’avoir un cœur fidèle et rebelle !

    WIL BOYAJIAN

             C’est terrible, il y a des gens qui quoi qu’ils fassent, ou qu’ils ne fassent pas, ne correspondent pas à ce qu’ils prétendent être ou de ne pas être. Sont hors les clous. N’y peuvent rien c’est leur nature, n’entretiennent aucune coalescence avec les clichés répertoriés depuis des lustres. Will Boyajian est un exemple parfait de ces électrons libres qui ne rentrent pas dans les cases prédéfinies.

             S’il est une musique magnifiquement codée le rockabilly se pose là. La première fois que j’ai lu le nom de Boyajian l’était classé dans une liste d’albums rockabilly. Le titre de l’opus m’a vivement interpellé, côté rassurant, Will tenait une contrebasse sur la couve, hélas sa banane n’était pas, loin de là, réglementaire, soyons franc ses cheveux longs mal peignés qui lui tombaient sur les épaules lui donnaient un air peu orthodoxe, quant au titre vous n’allez pas y croire, pourtant inscrit en grosses lettres majuscules il vous crève les yeux et vous coupe la chique, même au temps où elle chantait We Shall Overcome et se promenait au Vietnam  sous les bombes larguées par les B 52, Joan Baez n’a jamais osé titrer un de ses disques : 

    SONGS TO DESTROY CAPITALISM TO !

    ( Album numérique / Bandcamp / Avril 2021 )

    Will Boyajian : Lyrics, Vocals Guitar, Bass, Drums, Slide Whistle, Harmonica, Percussion, Mandolin, Accordion, Concertina, Piano, Synth, Washboard, Wooden Log, Pad, Typewriter, Melodica, Kazoo

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    Attention un disque hors les rails, pas spécialement rockabilly, n’oubliez pas que les frontières sont faites pour être traversées, ici Boyajian donne l’exemple, le rockabilly n’est qu’un département de la musique, puisque le capitalisme est partout ( surtout dans vos âmes ) Will emprunte toutes les armes musicales possibles et imaginables, nous offre un splendide voyage dans la musique populaire américaine.

    A l’origine ces morceaux ont été enregistrés et improvisés pour Reddit-Rpan une plateforme de streaming ( une des plus importantes de la planète ) qui vient de changer ses modalités… Le show de Will Boyajian : ‘’ Rockabilly Bass Slapping Blegrass Sea Shanty Extravaganza of Kazoo and Of Good Times ‘’ a accumulé plus de 2, 8 millions de vues.  Will vient d’être coopté cette année pour une résidence dans Sleep No More NYC. Une espèce de théâtre Live ou artistes et spectateurs déambulent à leur libre volonté dans un immense immeuble… Will Boyajian repousse les frontières du rockabilly. N’oublions pas que c’est une musique américaine. Grand écart entre purisme et modernisme…

    Boil the rich : dites-le avec humour, imitez par exemple Jonathan Swift qui proposait aux riches de manger les enfants des pauvres pour éradiquer la misère, les paroles n’en seront que plus dévastatrices, surtout si elles sont propulsées avec cette même force dont Bob Dylan usait dans ses meilleurs moments de colère, un texte sans concession qui appelle à la révolution des homards, saisissante image des prolétaires, ambiance folk, mais électrifié. Gherkin petite pickle-shack : un harmo à la Dylan et le timbre traînant du modèle, tout cela pour un hymne aux cornichons, faut attendre la fin du morceau pour comprendre la métaphore, nous avalons tous des cornichons à longueur de journée, ils donnent du goût à la merde qu’est notre vie. Doubles of death, the game of life : ne faut pas se plaindre tout le temps, suffit de savoir jouer, les règles du Monopoly – métaphore du capitalisme - sont simples, tu lances les dés et tu triches tant que tu peux pour amasser un max de fric, attention changement de paradigme, guitare tonitruante saturée à mort, bye-bye le folk, voix grondante, Boyajian hurle comme un boyard de la Sainte Russie prenait un immense plaisir à fouetter ses moujiks, au jeu de la vie et de la mort vous avez intérêt à être du côté des gagnants. Le rouleau compresseur de l’orchestration lancé à vos trousses à toute vitesse vous oblige à comprendre qu’il vous écrasera sans pitié. The serial killer life : une minute de bonheur intense, l’on se croirait dans une comédie musicale à Broadway ou dans un dessin animé de Disney, un piano plus fou que boogie, monsieur Loyal débite son speach à toute vitesse, l’histoire de deux serial killers qui tuent pour vivre et manger, Boyajian s’amuse, des malades certes mais il faut aussi payer son loyer. Le genre de discours qui hérisse les morales droitistes qui jugent le comportement des individus sans tenir compte des pressions psychiques exercées par l’organisation de la société. Babylon river flow across Jah socks : un peu de reggae pour détendre l’atmosphère, oui mais un reggae qui pue des pieds, qui vous assène les contre-temps à coups de triques, colère sortie, exaspération du pauvre dont les souliers troués laissent passer l’eau. Faire rire, non pas pour vous empêcher de pleurer mais pour activer votre révolte. Boyajian n’y va pas de voix morte. Mouse in da house : un truc à rendre dingue un amateur de rockab , une note de piano répétée à l’infini et là-dessus Boyajian pousse son flow, va nous faire devenir chèvre, nous fait du hip hop maintenant et il est doué, nous conte comment la vie quotidienne et amoureuse ne correspond pas exactement aux dessins animés de la Disney Chanel, l’a pigé le truc, les rappeurs français devraient l’écouter pour prendre des leçons de chant et d’écriture. The taxman Cometh : sidéral jazzy gospellisant, non ce n’est pas Dieu qui vient mais le précepteur, une belle parodie des chanteurs noirs à gros organe enroué, sur une rythmique qui vous emporte tout droit au septième ciel, par contre aucune amélioration pour le pauvre diable, vous voici gros jean comme devant. Reggie and the guac suckers : tiens une nourriture de sang mêlé une salsa-reggae, entre parenthèse pas le meilleur morceau de l’album, les plats épicés sont bien supérieurs à la cuisine aseptisée des amerloques, tout dépend des goûts de chacun objecterez-vous, oui mais si ce qui entre fait ventre, dans un monde idéal la nourriture devrait être gratuite. Trashman with the trash plan : la figure idéale du travailleur -une espèce de rap accéléré, vous ici je vous croyais au kazoo, et haché menu par guitare et synthé – ne s’agit pas ici de l’idéaliser outre mesure, tout homme à ses limites, le prolétaire peut-être plus que les autres, prisonnier de son aliénation mentale qui l’empêche de penser son existence en empruntant des schèmes étrangers à sa propre condition servile, la consolation du pauvre qui se sent investi d’une mission sociale dont il tire fierté. Plundering Uranus : entrain enthousiaste réservé aux chanson de cowboys ou de marins, joyeux drilles enchantés de chasser les baleines dans l’espace, quelle joie d’enfoncer nos harpons dans leurs chairs pantelantes, la chanson n’en dit pas plus, à vous de comprendre que le pillage éhonté des richesses du monde est une des lois du capitalisme, et sans doute aussi un comportement prédateur inhérent à la nature humaine… Boyajian y met tant de contentement bonhomme que pour un peu vous signeriez les yeux fermés votre engagement sur un astronef baleinier. Un chant optimiste pour un futur peu encourageant. The man who loved me : deux minutes vingt-cinq secondes le morceau le plus long de l’album - les autres dépassent rarement les cent vingt secondes – normal c’est après tous ces chants de combat une chanson d’amour, n’exagérons rien sur un penchant sexuel différent de l’habitude, attention une véritable parodie de Goldfinger, essayez d’imiter Charley Bassey avec l’organe mâle et viril de Will, l’est un peu plus proche de Tom Jones dans (Opération) Thunderball, les amateurs de rockab adoreront la guitare. Fat catz : un peu de swing n’a jamais tué personne et Sinatra ce n’est pas la sinistrose, n’empêche qu’après avoir vilipendé le capitalisme Will nous croque d’acidulés portraits de nos contemporains, se range dedans puisqu’il dit je, ici il traite du rapport névrotique des propriétaires de chat qui s’identifient en toute inconscience aves leur bête qui n’en fait qu’à sa tête, plus libre qu’eux il mène une agréable vie de pacha et de patachon. Pepto-bismat blues :  ce n’est pas du blues, ruse de sioux, enfin du rockabilly ! non il n’y a pas une fille à tringler sur la banquette d’une Pink Thunderbird, l’est pourtant bien sur le siège, celui des toilettes, l’est affligé d’une courante dévastatrice pour avoir mangé un mac-do périmé. Les rockers seraient-ils des hommes comme les autres, non la preuve c’est que lorsque Will Boyajian chante et gratte, vous croyez entendre Johnny Cash et Luther Perkins à la guitare. Femme tetard brulé : une ballade cashienne en diable avec une voix de prêtre qui réciterait un poème d’amour d’Edgar Poe devant une tombe ouverte. C’est beau et mystérieux, vous ne comprenez pas tout à part que certains êtres vivent leurs rêves éteints jusqu’à leur dernier souffle sans en partager la lourdeur avec quiconque. Crustacean frustation : bruit de mer, retour aux crustacés, voir le premier morceau, le pire c’est que le crabe ne se sent pas à l’aise dans sa carapace, préfèrerait pieuter dans une petite chambre que sur la plage, quand l’idéal se résume à une vie merdique de quoi pouvez-vous rêver. Une ambiance bien plus poppy que le morceau précédent mais encore quelqu’un en fin de course, bien loin de passer la ligne d’arrivée en vainqueur. Un vaincu du système. OnlyFins.com : la mertaphore continue – sur son instagram Will Boyajian publie de nombreuses photos exhibant fièrement de gros poissons qu’il vient de pêcher dans ses bras robustes – une marche triomphale quasi-guerrière, il ne faut ne pas avoir honte de la manière dont on survit même si c’est de prostitution par le biais d’internet, faut savoir profiter de ses atouts surtout si l’on est bien gaulé. Pas grave le gars n’est pas dupe de lui-même. Nécessité fait loi.

             Très agréable à écouter, Will Boyajian a plus d’une corde vocale.

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    Vous le préfèreriez davantage rockab : deux extraits de Million Dollar Quartet   sont visibles sur YT, Will Boyajian y interprète Johnny Cash à la guitare en train de chanter Folsom Prison Blues, costume noir et voix grave sombre, campe bien son héros, ce qui n’est pas facile. Million Dollar Quartet est à l’origine une comédie musicale de Broadway ( 2010 ) qui a connu un tel succès lors de nombreuses tournées qu’une série télévisée qui retrace les débuts de l’aventure Sun  en a été inspirée… L’ensemble destiné au grand public ne saurait ravir les esprits qui préfèrent le parfum de l’authenticité à la tarte à la crème de l’entertainment made in USA… N’empêche que notre chanteur y paraît rasé de frais, propre sur lui, cheveux courts tiré en arrière, bien plus à l’aise dans sa figuration de Johnny Cash qu’un homard dans sa carapace.

    Un autre album d’un style plus traditionnel, Will Boyajian se permet tout, l’a même un rock-opéra à son tableau de chasse, mais restons sage :

    HAIRCUT

     ( Album Digital / Bandcamp / Novembre 2021 )

    Photo d’enfance, petit garçon chez le coiffeur, quand il sortira de la boutique, sera tout beau, tout mignon, ses parents seront contents, tout joli c’est déjà tout poli, le gamin bien élevé qui présente bien, un nettoyage capillaire régulier est une assurance sur l’avenir, notre fils ne sera jamais un voyou, on lui aura inculqué les bonnes manières dès le début…

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    Hang me up : guitare acoustique l’on est dans une sorte de bluegrass alternatif, une prière au Seigneur, tout ce qu’il y a de plus classique dans le blue grass, z’oui mais si notre petit garçon de la couve n’est pas devenu un voyou, l’a quand même emprunté des chemins peu rectilignes, la vie n’est jamais là où on l’attend, se débat comme chacun de nous comme il peut, demande au Seigneur de lui prêter vingt dollars, ça ne se fait pas et cette manière un tantinet cavalière de traiter le Créateur n’est pas la mieux appropriée, vous en conviendrez, mais lui l’est tout joyeux, fait preuve d’un joyeux dynamisme, l’assume tous ses écarts de gibier de potence sans état d’âme. Sailing with you : une ballade avec harmonica, si l’on se contente de suivre le clapotis rythmique, tout est parfait, notre héros – mauvais sujet ou paumé – peut-être les deux - invite sa copine à faire de la voile, quoi de plus romantique, le roulis lui file tout de même de drôles d’idées, l’est sûr qu’il n’a pas envie de la ramener à la maison… ne l’entraînerait-il pas sur une route dangereuse… Whiskey Lullaby : tic-tac de montre, examen de conscience de la dernière heure, rythmique acoustique enlevée, fait preuve d’un certain détachement en une heure si grave, ne regrette pas de quitter notre monde n’espère pas le paradis, se fout de l’enfer, que le diable et le bon dieu se décident, lui l’a mieux à faire, cuver son whisky. Renverse les canons de la bien pensance chrétienne avec un flegme ironique qui doit choquer les bonnes âmes et exalter le sourire les mécréants. Belle big mama et chant magnifique. La beauté du diable ? Big league : lignes de basse sur lesquelles virevolte la voix de Will, l’est tout seul à chanter mais l’on ne sait pourquoi l’on dirait qu’ils sont tout un groupe à l’accompagner, pas de truquage, simplement l’entrelacement guitare et contrebasse qui produit une espèce de frottement reptatif qui exhausse le vocal. Dockside boy : chant de marin avec fricassée de banjo, vous emmènerait jusqu’au bout du monde, suffit de suivre l’onde vocale. L’est doué, sur son instagram vous trouverez de courtes vidéos sur lesquelles il se saisit de sa guitare pour interpréter des traditionnels.

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             Nous le quitterons sur une vidéo marrante. Enfin presque, car elle relève tout un pan de la réalité sociale américaine. Chante dans la rue avec sa guitare, l’étui posé devant lui est jonché de dollars, un panonceau invite tous ceux qui en ont besoin à se servir. Rien d’authentique, un sketch tourné par la TV, mais si l’on y réfléchit bien une terrible et symbolique inversion nietzschéenne des valeurs. Qui définit à merveille la démarche de Will Boyajian. Toujours de guingois par rapport à ce qu’il fait. Vous l’attendez là, il est là, juste à côté. Pas très loin. Hors zone d’évidence. Une démarche quelque peu situationniste. Ce n’est pas la société du spectacle, mais la musique du spectacle dévoyée au profit de la liberté individuelle.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 14 ( gérondif ) :

    68

    Je roule à toute blinde vers Paris, je ne perds pas pour autant mon temps, saisi par une idée (démarche platonicienne par excellence) soudaine j’en profite pour passer un coup de fil :

             __ Oui Monsieur, ici l’accueil du Parisien Libéré, que puis-je pour vous ?

             __ Pourriez-vous me passer le bureau de Monsieur Lamart, c’est urgent !

             __ Tout de suite Monsieur, vous avez de la chance, il traverse le hall à l’instant, je vous le passe !

             __ Allo Lamart, ici l’agent Chad, je passe vous prendre au journal, attendez-moi, préparez une édition spéciale en première page, pour demain matin !

             __ Je prends toutes les dispositions nécessaires, juste cinq minutes et je me poste sur le trottoir. 

    69

    Carlos avait pris la tête de la colonne de pénétration, l’œil aux aguets, un Rafalos dans chaque main, il ne paraissait pas inquiet :

             __ La technique du fennec est relativement simple, il ne cherche pas sa proie, ce serait trop fatigant et trop difficile, il se contente de se promener, c’est la proie qui vient vers lui !

             __ Terriblement judicieux cher Carlos, je commence à comprendre !

             __ Vous en avez de la chance Chef, moi je n’ai jamais compris pourquoi une proie vient se jeter dans ses pattes, par contre par expérience je sais que ça marche… J’ai eu un lieutenant qui m’a parlé de la théorie du hasard objectif d’un certain André Breton, si vous cherchez quelque chose, vous la trouvez affirmait-il, je n’y crois pas trop quand j’ai besoin de mon briquet, je ne parviens jamais à mettre la main dessus !

             __ Votre André Breton est un petit joueur, cela s’explique beaucoup plus aisément par la théorie des universaux, relisez Aristote et… tenez, je reconnais cet endroit, la végétation est de plus en plus touffue, nous sommes dans la bonne direction, le fennec a sûrement lu Aristote, les animaux sont bien plus intelligents que les hommes et…

             __ Chef impossible d’avancer, ce rideau d’arbres nous empêche de progresser !

             __ Mais non Carlos, nous y sommes, vous devez avoir une fente entre les deux arbres devant vous, glissez-y votre main, si vos doigts cognent contre un mur, nous touchons au but !

             __ Affirmatif, Chef !

    70

    Olivier Lamart et Martin Sureau totalement excités s’engouffrent dans la voiture.

             __ Agent Chad, merci pour le scoop, regardez devant nous les deux motards qui démarrent suivez-les, c’est Octave Rimont qui nous les a envoyés pour déblayer la route devant nous, il suffit de leur donner l’endroit où nous allons et ils nous y mèneront au plus vite !

    Trente secondes plus tard nous roulons vers la forêt de Laigue…

    71

    Le Chef et Carlos sont postés au haut de la branche maîtresse de l’arbre qu’ils ont escaladé :

             __ Satanée baraque, s’exclame Carlos, encore un ou deux casses de transport de fonds ce weekend et je la rachète, parfait, pas très loin de Paris.

             __ Hélas non, cher Carlos, nous sommes dans une faille spatio-temporelle, ce manoir se situe en Angleterre !

             __ Ah, ça change tout, les rosbifs ne jouent jamais vraiment franc-jeu, souvenez-vous de Mers El-Kébir et de Jeanne d’Arc !

             __ Pire que ça, cher Carlos, je vous avais promis l’enfer, nous y sommes, c’est la demeure de la Mort !

             __ Pff ! Même pas peur, un petit roulé-boulé et on y rend une petite visite !

    72

    Octave Rimont, nous accueille un sourire sardonique aux lèvres, il adresse un clin d’œil à Lamart :

             _ Tiens, Le Grand Chef ne s’est pas déplacé, il nous a envoyé son sous-fifre, le fameux Agent Chad avec ses deux Molosses qui ne feraient même pas peur à mon chat.  Heureusement que j’ai prévu des renforts, tenez ils arrivent deux compagnies de CRS ! Le temps qu’ils descendent des fourgons et on y va ! Agent Chad, voudriez-vous prendre la tête de notre groupe d’intervention puisqu’apparemment vous êtes le seul à connaître notre destination finale.

    Mais Molossa et Molossito sont déjà à cent mètres de nous, ils se retournent et aboient pour nous faire signe de les suivre.

    73

    Pas un bruit. Le Chef et Carlos n’entendent que le froissement des feuilles mortes qu’ils écrasent de leurs chaussures sans précaution particulière. Tous les deux sont des partisans de l’assaut sans hésitation, impressionner l’ennemi est la meilleure des tactiques. D’un magistral coup de pied Carlos enfonce la grande porte d’entrée. Tous deux se faufilent à l’intérieur. Le décor est assez spartiate, des murs blancs sans décoration, une grande table d’ébène rectangulaire autour de laquelle sont placés une vingtaine de fauteuils plus noirs que la nuit. S’il n’y avait ces deux points rouges brillants, l’auraient-ils remarquée ? Enveloppée dans sa cape noire, immobile, assise sur un siège surélevé sur le petit côté du rectangle qui leur fait face, elle est-là, la Mort, à peine si dans l’obscurité ils distinguent son hideuse face.

             __ Salut frangine, l’on s’est si souvent rencontrés tous les deux que je suis enchanté de pouvoir discuter un peu avec toi.

    Sans demander la permission Carlos s’assoit, aussitôt imité par le Chef :

             __ Je crois qu’il est temps que j’allume un Coronado, cher Carlos me feriez-vous le plaisir de fumer en toute tranquillité un de ces fameux calumets de guerre avec moi ?

             __ Vous ne pourriez me faire un plus grand plaisir Chef, vous au moins vous savez vivre !

             __ Exact Carlos, je n’en propose pas à notre hôtesse parce qu’elle ne sait pas ce que c’est que de vivre !

    A ces mots le visage cadavérique de la Mort semble pâlir.

    74

    Molossa et Molossito filent ventre à terre, en un temps records nous voici parvenus devant le rideau d’arbres. Le commandant Octave Rimont me prend pour un rigolo lorsque je commence à escalader le tronc le plus imposant.

             __ Non, vous croyez que mes CRS sont des perroquets sur leur perchoir. Nous allons débusquer ceux qui se cachent derrière l’enceinte dont vous me signalez la présence. A mon commandement, cent hommes sur ma droite, trois mètres de séparation entre chaque individu, cent hommes sur ma gauche, même consigne. Agent Chad et les deux journalistes reculez de vingt mètres et admirez l’efficacité de la police nationale.

    75

    Le Chef allume un Coronado.

             __ Pas très causante la vieille !

             __ Vous ne perdez rien pour attendre, ricane la Mort, je vous promets de…

    Une série de détonations interrompt son discours. Un parfum âcre et des vapeurs blanches s’infiltrent par la porte d’entrée que nous avons laissé entrouverte.

             _ Carlos, vous vouliez un demi-régiment de parachutistes, il semble à l’odeur et au bruit que l’on nous a envoyé deux escouades de CRS, faute de grives nous nous contenterons de merles !

    La Mort se met à hoqueter, elle semble vexée et très en colère :

    __ Venir chez moi et me narguer ainsi, ils vont voir de quel bois de cercueil je me chauffe !

    76

    Le commandant Octave Rimont exulte de joie :

             __ Ah ! Ah !, dix mille grenades d’encerclements en dix minutes, et l’ennemi ne veut pas sortir, que des lâches, je m’en doutais, j’ai tout prévu, arrêtez le feu, il est temps de faire intervenir les troupes d’élite, GIGN donnez l’assaut et tuez-les tous, ne comptez pas sur Dieu pour reconnaître les siens !

    Une soixantaine d’hommes surgissent de derrière nous, un petit peloton nous force à reculer pour notre sécurité, le reste de la troupe entreprend au pas de course d’escalader les arbres, ils sont aussi adroits que des singes et se glissent entre les branches avec une facilité déconcertante pendant que le commandant Rimont nous rejoint.

             __ Sureau prenez des photos, elles seront parfaites sur la Une de votre torche-cul !

    77

    Le Chef allume un nouvel Coronado. La Mort descend de son trône et ouvre une vaste fenêtre. Sans préavis ni élan elle saute à pieds joints sur la barre d’appui et se retourne vers nous :

             __ Messieurs excusez-moi, je vous avais préparé une petite agonie pas très agréable, c’est partie remise, j’ai mieux à faire, au revoir et à la revoyure. D’un bond léger elle s’élance dans le ciel, les pans de son manteau se métamorphosent en une paire d’ailes d’aigle géantes…

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 398 : KR'TNT ! 418 : JON SPENCER / PETE SHELLEY / WHITE TRASH BANG GANG / NONO FUTUR / LE CORE & L'ESPRIT / WAKING THE MISERY / SOUL BAG / HECATOMBE

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 418

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    09 / 05 / 2019

     

    KR'TNT ! SINCE 01 / 05 / 2009 !

     

    JON SPENCER / PETE SHELLEY

    WHITE TRASH BANG GANG / NONO FUTUR

    LE CORE & L'ESPRIT / WAKING THE MISERY

      HECATOMBE / SOUL BAG

     

    No sponsor for Spencer - Part One

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    Jon Spencer, c’est presque de l’histoire ancienne. On l’a vu jouer tant de fois qu’on pourrait finir par vouloir jouer les blasés.

    — Ah bah ouais, y l’est bien gentil, mais c’est toujours la même chose.

    — Ah bon ?

    — Ah bah ouais, c’est un peu les mêmes accords, comme les Ramones et les Cramps, ah bah ouais, y fait toujours le même disk depuis comment qu’y s’appellent déjà ?

    — Le Jon Spencer Blues Explosion ?

    — Ah bah ouais, c’est ça, y joue toujours les mêmes bouzins, ah bah ouais, y s’fait pas chier l’père, y nous prend un peu pour des pommes de terre, alors tu vois...

    — Tu voudrais quoi ? Qu’il se renouvelle ?

    — Ah baaaah ouais !

    — Sois tu t’achètes des lunettes pour y voir plus clair, sois tu te fais payer une boîte de cotons-tiges à Noël. Ça fait trente ans que Jon Spencer n’en finit plus de se renouveler. Ça crève pourtant les yeux !

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    Cette conversation aurait pu se dérouler dans le grand hall du 106, avant ou après le concert. Les avis sur Jon Spencer sont aujourd’hui partagés : une telle longévité doublée d’un style notoirement affirmé génère soit de l’admiration inconditionnelle, soit une forme de lassitude. Jon Spencer fait partie des artistes qui ont tout misé sur une certaine idée de la modernité du rock : dès Pussy Galore, il transgressait les normes. Il appliquait au rock le traitement que Picabia, Tzara et Duchamp appliquèrent au monde de l’art : un noir cacadou de rebrousse-poil et d’anti-enquiquinement pas riquiqui du tout. L’équivalent rock du Dada Rolling Stone, c’est bien le sugarshit sharp de choc d’un c’mon man qui règne sans partage sur l’empire du sybillic sleaze des nouilles d’orques d’Alphabête City.

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    C’est sur scène que Jon Spencer détermine le pourquoi du comment, c’est là qui enfile les concepts comme des perles, c’est là qu’il déclenche la gesticule des clavicules de Salomon, c’est là qu’il cuisine son Grand Œuvre, qu’il paramètre l’équation du rock moderne, qu’il grave de nouvelles tables de la loi, qu’il fait sonner son Krakatoa comme une sirène de locomotive, c’est là qu’il taille le rock à coups de ciseaux jambaires, qu’il remonte des ascenseurs de bassins d’os, c’est là qu’il claque ses solos amputés et qu’il gratte les poux de sa guitare, c’est là qu’il entre en contact avec l’esprit d’Elvis, son dieu, mais aussi avec l’esprit des dieux grecs de l’Antiquité, alors émanent de lui des halos et des aurores, des rayons et des nappes, il est ici et partout à la fois, il n’en finit plus de redonner au rock son ingénuité originelle, sa candeur déroutante, sa ferveur maladive, sa saveur exotique, sa clameur illusoire, il n’en finit plus de redire la raison d’être d’un rock qui plane sur le monde moderne comme une ombre bienveillante, il n’en finit plus de prêcher pour l’inventivité, pour l’énergie, pour la simple beauté du geste rock, qui est celui de gratter une guitare derrière un micro, il fait beaucoup de choses à la fois, et pourtant, il n’est qu’un petit bonhomme, c’est presque un paradoxe, mais si on y réfléchit bien, Jon Spencer est un showman tellement complet qu’il ne faut plus s’étonner de rien.

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    Ce géant du rock américain nous rappelle l’homme qu’on chargeait de transporter le feu dans La Guerre Du Feu de Rosny Aîné : d’une certaine façon, la survie spirituelle d’une petite communauté dépend de sa seule vigilance.

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    Pour cette tournée avec les Hitmakers, il s’est entouré de ses meilleurs camarades : l’excellent Sam Coones aux claviers, oui, le Coones de Quasi, un groupe qui est avec Guided By Voices le fer de lance de la grande pop américaine. Et qui découvre-t-on derrière les bidons d’huile et le vieux réservoir à essence cabossé ? Bob Bert en personne, le vieux compagnon de route, certainement l’un des grands batteurs américains, qu’on retrouve aussi dans les Chrome Cranks et les Knoxville Girls, deux groupes qui furent l’épitome de chèvre du punk-blues américain.

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    Avec son tas de ferraille et ses deux marteaux, Bob Bert ramène dans l’actualité le beat Metallic KO de Pussy Galore. C’est une façon de boucler la boucle et de relancer cette machine infernale qu’on appelle aussi l’avant-garde. Jon Spencer a baptisé cette formation the Hitmakers et sur scène, ils jouent tout l’album Sings The Hits.

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    Ils démarrent en trombe avec «Alien Humidity», sharp hot shit de choc et enchaînent sans transition avec un «Wilderness» tout terrain. En plein cœur du set, ils tapent un vieux «NYC 1999» tiré du premier album de Pussy Galore, Right Now, et un «Shirt Jac» tiré de l’in-dis-pen-sable Jukebox Explosion paru en 2007.

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    Du coup, on peut rapatrier son nouvel album en toute sécurité. Spencer Sings The Hits est un très bon cru. C’est du hot shot, comme au bon vieux temps. On peut même dire que l’album top-nivotte, pour parler crûment. Jon Spencer renoue avec cette formule à l’emporte-pièce qui lui allait si bien, et ce dès «Do The Trash Can». On note la présence de Sam Coones aux synthés. Ils nous coulent ici un admirable bronze de cyber-garage - Dig that can ! - Jon Spencer renoue avec ses antécédents. Et tout l’album va se maintenir à ce niveau d’over-blasting touch. Sam Coones apporte un contrepoint idéal dans les syncopes de grooves. Tiens, puisqu’on parlait de grooves, en voilà un gros, il s’appelle «Overload». Les Awite de Jon Spencer restent les mêmes et il nous fait sa Soul aux vermicelles avec «Time 2 Be Bad». Il pompe le riff du «I Need Somebody» de Question Mark & The Mysterians, à l’identique en tous points. Et dans «Ghost», il prévient sa baby qu’il est un ghost, mais attention, pas n’importe quel ghost : il se dit boogie ghost, ce n’est pas la même chose. Il lance sa B au tiguili de la spensorisation des choses et enchaîne avec un «Wilderness» monté sur le plus primitif des riffs garage. C’est un fabuleux shoot de bam-bam/ bam-bam à la Dave Davies. Que de son ! Les riffs sonnent en creux, comme l’Aiguille creuse d’Arsène Lupin, à Étretat. Le coup de génie arrive enfin avec «Love Handle». Il renoue avec la classe du Memphis Soul Typecast, mother/ fucker ! Il fait la pluie et le beau temps, il crée son monde avec un riff, un seul ! Et ça repart de plus belle avec «I Got The Hits», excellent shoot de look out gratté aux vieux accords de pop sixties. Il termine cet album pantelant avec un sacré clin d’œil aux Cramps et un cut nommé «Cape». Assez bien vu. Il est en plein dedans.

    Signé : Cazengler, Spencer les fesses

    Jon Spencer. Le 106. Rouen (76). 30 avril 2019

    Jon Spencer. Spencer Sings The Hits. In The Red Recordings 2018

     

    Le sort de Pete Shelley est schellé

    - Part Two

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    Petit rappel : le 6 décembre dernier, Pete Shelley cassait sa pipe en bois quelque part en Estonie. KRTNT ! lui a déjà rendu hommage, mais depuis, on a vu déferler dans la presse anglaise une vague sans précédent d’oraisons funèbres en hommage au leader des Buzzcocks. Du coup, Pete Shelley passe du statut d’has been punkoïde à celui de buried treasure du rock anglais. Du statut de rocker de zone B dépassé par les événements pendant trente ans à celui de figure de proue d’un rock anglais en panne de mythes. Du statut de ‘ouais ben bof pas de quoi en faire un plat’ à celui de ‘oh ben mince, qu’est-ce qu’il était bon, Bob’. Du statut de cinquième roue du carrosse à celui de songwriter génial devant lequel se prosterne quarante ans trop tard une presse en émoi. Mais pas au point de lui accorder une couverture. N’exagérons pas !

    Quatre canards se fendent donc d’hommages inespérés. De son vivant, le pauvre Pete n’a jamais eu autant de presse. Dans un sens c’est une bonne chose, car l’homme vaut le détour, mais d’un autre côté, quelle tristesse. Pete Shelley avait largement de quoi faire la une de Mojo, même vieux et gros. La beauté fulgurante de sa pop se reflétait dans son regard. C’est un phénomène qu’on observait lorsqu’on le voyait jouer sur scène avec les Buzzcocks. Ever fallen in love ?

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    Une semaine avant de casser sa pipe en bois, Pete Shelley accordait une interview à Simon Goddard. Goddard parle carrément d’une Buzzcocks’ contribution to human happiness et de pop perfection. On ne peut dissocier le parcours des Buzzcocks de celui des Beatles. Dans les deux cas, les singles faisaient mouche. Quand Godard lui demande d’où lui vient ce sens de la mélodie, Pete cite tout de suite les Beatles. Sa tante lui offrit un transistor en 1963. Il avait huit ans. Tout passait par la radio, à cette époque. Il devra attendre 1968 pour pouvoir s’offrir un tourne-disque. Goddard rappelle que les Buzzcocks ont signé leur premier contrat le 16 août 1977, le jour de la mort d’Elvis. C’était un jour de concert à l’Electric Circus de Manchester et Pete demandait aux gens de ne pas lui cracher dessus. Et quand Goddard lui demande s’il a parfois eu l’impression d’écrire des hits, Pete répond qu’en fait c’est très difficile de le savoir à l’avance - I never tried to write singles, just songs - Il a raison de préciser que Singles Going Steady est l’album préféré des gens. Pour finir, Pete a l’humilité de reconnaître que les Buzzcocks n’ont jamais réussi à devenir énormes en Angleterre : «We were never successful in chart terms, our highest chart position was nb 12 fot Ever Fallen In Love. The success is how we’ve become a part of people’s lives.» (Le plus haut qu’on ait obtenu, c’est la douzième place dans les charts pour «Ever Fallen In Love». Notre vrai succès est d’être entré dans la vie des gens).

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    Dans Mojo, Ian Harrison tend un micro à Steve Diggle, qui est inconsolable : «We were good, as good as The Beatles or the Stones or anyone !» Quand on le voit sur scène, on comprend que Steve Diggle incarne l’enthousiasme : «When we were playing, I was going Go on Pete, fucking give it some !» Steve Diggle offre tout simplement le spectacle de rock le plus réjouissant du monde. Il rappelle qu’il a flashé sur Pete dès la première répète, dans le salon d’Howard Devoto, à Manchester, en 1976 : «Me and Pete connected on a lot of levels, music, books, the philosophical things inside us, so there was chemistry there.» Steve qualifie ainsi le style de Pete : sensitivity in an iron fist - Pete avait un côté vulnérable, mais il crachait ses mots comme un vrai dur - He could be tough and quite manly and drink whisky - Cet enfoiré d’Harrison ramène la conversation sur la bisexualité de Peter et Steve le remet en place vite fait : «He just sait he liked the best of both worlds.» Comme le font tous les bisexuels du monde. Et il ajoute : «He could have been David Bowie or George Fornby. It wasn’t all heavy philosophy.» Steve dit aussi que Pete admirait Hieronymus Bosch, mais pour le reste, on ne savait jamais trop ce qu’il appréciait. Il évitait d’exhiber ses sentiments. Il laissait ça aux chansons. Alors, qui des deux - Pete ou Steve - allait s’arrêter le premier ? Pete pensait que ce serait Steve. Il disait : «Don’t worry Stephen, when you go I’ll say Ever Fallen In Love was your favorite song !» et Steve lui rétorquait : «Don’t you fucking dare !» (T’as pas intérêt à faire ça !) Et il ajoute : «It’s poignant now.» Pendant la semaine qui a suivi la mauvaise nouvelle, Steve a bu comme un trou, incapable de s’habituer à l’idée que Pete is gone - I’d not had a dream all week but then I had a dream where somebody’s following me, and I turn round and it’s Pete, like the grim reaper, in like a black hooded monk’s thing. That freaked me out (Je n’avais pas fait de rêve de toute la semaine et là j’ai rêvé qu’on me suivait, je me retourne et c’est Pete, vêtu d’une robe de moine à capuche. Ça m’a foutu les foies) - Steve fréquentait son frère de la côte depuis 43 ans. «It was a magical thing we had. He was a friend, a brother, a great musical companion and a fucking genius.» S’il est bien un mec sur cette terre habilité à traiter Pete Shelley de fucking genius, c’est bien Steve Diggle, qu’on voit là, prostré dans un coin, pleurant des larmes de sang.

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    Dans Vive Le Rock, Kris Needs prend six pages pour saluer la mémoire du vieux Pete. Mais son texte ne dégage aucune émotion. Needs est trop occupé à se mettre en valeur. C’est d’ailleurs sa manie. Il est foncièrement incapable de résister à ce besoin de se mettre en avant, que ce soit dans un panoramique sur les Stones ou dans un book sur Suicide. Il revient ici sur l’époque où il écrivait pour Zigzag. Il rencontre les Buzzcocks en 1978, au moment où ils enregistrent leur deuxième album Love Bites à l’Olympic studio, West London. Il les emmène boire une pinte au Red Lion pub next door pour parler de l’album en cours et au bout de deux pages d’un invraisemblable blah-blahtage, Pete Shelley lâche : «Well I don’t think about writing songs, I just write them.» Et il ajoute un truc qui va en sidérer plus d’un : «It’s almost like a natural process writing songs. Our music isn’t hard work.» En gros, Pete Shelley explique qu’il ne compose pas dans la douleur. Ça lui vient naturellement. C’est peut-être la meilleure façon de situer les Buzzcock : easy.

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    Celui qui mérite la médaille Buzzcocks, c’est bien Jim Wirth. Il brosse le portrait d’un Shelley tranquille mais déterminé. Wirth commence par définir Pete Shelly comme l’antithèse du hooliganisme punk dont se gargarisait la presse anglaise. Même si les Buzzcocks faisaient partie des premiers fans des Pistols, Pete Shelley s’empressa de reconfigurer ce que Wirth appelle the punk formula. Il allait travailler sur l’émotion plutôt que sur la provocation. Le romantisme plutôt que le chaos. En plus du punk formula, Pete Shelley allait reconfigurer la modern pop dans la foulée. Il allait aussi se servir de l’éthique punk pour balayer tous les stéréotypes. Il adorait tellement le côté iconoclaste des Pistols qu’il le transposa dans sa façon d’écrire ses love songs - His most famous songs depict complex emotional states with unprecedented clarity - Mais dans le privé, il savait rester très discret.

    Contrairement à ce que tout le monde pense, Pete Shelley affirme qu’il n’a pas pris le train en marche : «There was no punk bandwagon to jump.» Juste un vélo - It was more off a punk bicycle, and we just pointed it downhill and off we went - Oui, il suffisait de descendre la côte à toute berzingue. Here we go ! En 1978, ils sortent quatre hit-singles et deux albums, Another Music In A Different Kitchen et Love Bites. Mais ce sont les singles qui explosent dans les charts. Ça commence avec «What Do I Get», funny and tragic - Alone here in my half-empty bed - et diablement révolutionnaire. Suivi quelques semaines plus tard d’«I Don’t Mind», puis de l’extatique «Love You More» qu’il fait éclore avec la menace d’un suicide au rasoir. S’ensuit «Ever Fallen In Love» qu’il fait encore exploser à coups de «You piss on my natural emotions». Voilà ensuite «Promises», moins percutant. Et puis bien sûr l’imparable «Eveybody’s Happy Nowadays» - I was so tired of being upset/ Always wanting something I never couls get - Curieusement, le groupe va connaître un déclin rapide et disparaître. Ça paraît incompréhensible après une telle série de hits, mais c’est arrivé à d’autres, comme Sam Phillips ou Slade : le public passe tout simplement à autre chose. Et Pete Shelley se goinfre d’acides et d’antidépresseurs. En 1981, on le persuade de démarrer une carrière solo. C’est l’époque de l’electropop et de tous ces groupe à la mormoille comme Human League qui renvoient Pete Shelley et son Homosapien au vestiaire.

    Dans un encadré, Steve Diggle rappelle qu’il rencontra Pete Shelley pour la première fois devant le Free Trade Hall de Manchester - Funnily enough, Malcolm McLaren introduced us - Le lendemain, ils répétaient ensemble. And away we went ! Steve Diggle a toujours une façon très joviale de dire les choses - The two buzzsaw guitars together - We all plugged into one amp - Au tout début, Steve Diggle n’en revient pas : il entend le groupe d’à côté ramer pour monter péniblement une chanson alors qu’eux, dans leur studio, ils ont déjà mis en boîte dix pop hits. Puis il évoque l’épisode fatal : «Howard a fait 11 concerts avec nous. On venait de faire paraître Spiral Scratch. Et soudain, il nous dit qu’il avait fait ce qu’il avait à faire et qu’il quittait le groupe. Pete et moi on était assis sur le sofa, on s’est regardés et on s’est dit : ‘Well, on continue.’ Je lui ai tout de suite dit : je prends la guitare et tu prends le chant, et il m’a répondu : ‘Yeah, I’ll give it a go’, on va essayer.» Pour Steve, Pete était un mec un peu étrange, not your archetypal rockstar. I think that’s made us into something special. Eh oui, il a raison, les Buzzcocks sortaient du lot. Steve Diggle revient sur cette relation superbe qui le liait à Pete : il se voyait comme un alpiniste, en cordée avec lui - We were like two mountain climbers with a rope. If one falls then the other one does - En français, on appelle ça ‘à la vie à la mort’. Et cet enfoiré de sentimental conclut ainsi : «Aujourd’hui, il me dirait ‘Enjoy yourself Steve, don’t fucking worry about me.’» On parle ici de fraternité.

    Signé : Cazengler, Buzzcon

    Kris Needs : You tear me up. Vive Le Rock # 60 - 2019

    Jim With : Pete Shelley 1955-2018. Uncut # 261 - February 2019

    Simon Goddard : The last Interview. Record Collector # 488 - January 2019

    Ian Harrison : Ever fallen in love ? Mojo # 304 - March 2019

     

    MONTREUIL / 04 – 05 – 2019

    LA COMEDIA

    WHITE TRASH BANG GANG

    NONO FUTUR

     

    Dans sa vie Nono ( l'homme du Futur ) est chanteur de rock, profession enviable à laquelle nous n'avons rien à reprocher. Quand il ne chante pas, il observe le monde. N'aime pas les injustices. Surtout les plus criardes, les intolérables, celles qui se déroulent sous vos yeux, d'une manière indiscutable, partout, aux quatre coins de notre planète sphérique, n'importe où et évidemment même à La Comedia. L'a vite repéré et dénoncé à voix haute le coupable, Nono, facile l'est couché de tout son long, par terre, par sa faute vous devez faire un long détour pour atteindre le comptoir. Mais ce n'est pas le plus grave. Un chien bienheureux qui dort et qui répond au doux nom de Whisky ce n'est quand même pas une calamité publique. C'est quand les filles entrent que le scandale éclate, l'animal se vautre sur le dos, et tout de suite c'est la féminine ruée sur la bête. Profonde injustice, nous les mecs, petits êtres bienfaisants au cœur fragile, nous n'existons plus, rayés de la carte d'un seul coup, un génocide total aussi brutal que rapide, une éradication de l'espèce sans merci et sans égale, et le Whisky, les quatre pattes en l'air qui se fait caresser et papouiller sans aucune gêne. En plus il y a des acharnées qui préfèrent rester à vénérer ce misérable bienheureux clébard toute la soirée que regarder les concerts. Infinité des turpitudes humaines, se serait exclamé Cicéron s'il avait assisté à de telles scènes, mais dans leur infinité bonté les Dieux de l'antique Rome lui ont épargné ce désolant spectacle. Mais l'on s'en fout, il nous reste le rock'n'roll !

    WHITE TRASH BANG GANG

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    La saloperie blanche monte sur scène. Bang-Gang mon œil, imaginez plutôt Broum-!-Groum-!!-Groum !!!, un déluge ultra rapide de grosse caisse Bertha, le truc énorme qui vous tape sur les systèmes moteur et sympathique et les réduit en miettes de thon à l'huile, de l'anti-ultra-son ultraïque, le voisin défonce le mur de séparation de vos appartements à la masse d'arme et n'entend pas à en rester là. Xavier Bouda malgré son patronyme n'a rien du Bouddha grassouillet et à la face sereine éclairé d'un sourire idiot tel que le représente de la statuaire indienne, dans sa salopette bleue l'arbore plutôt le genre ouvrier stakanoviste spécialisé en démolition, un artilleur de la destruction bakouninienne appliqué au rock'n'roll. Ne relâche jamais ses efforts, parfois il fait tomber le haut de son bleu de travailleur de force dévoilant un torse musclé d'une blancheur sélénique, parfois il le raccroche et nous cache la neige de son bustier d'éphèbe grec sculpté par Phidias, l'on ne sait quelle logique préside à l'intermittence de cet effeuillage vestimentaire, faut avouer qu'avec les coups de boutoir que reçoit votre cerveau, il vous est impossible de coordonner le moindre raisonnement.

    Garage rock'n'roll, se définissent-ils, pour la carrosserie si vous n'aimez pas la tôle emboutie, vous risquez de faire la grimace, par contre pour la mécanique vous pouvez faire confiance, Seb est plutôt un partisan des subtilités guitaristes. S'en tire bien, entre le marteau pilon de Xavier et des méchantes dégelées de Whicket à la basse l'a fort à faire. Whicket le méchant, mais discret. Pour un peu vous ne le remarqueriez pas. Bassiste silencieux accroché à sa guitare comme la moule à son rocher. Pas un geste, plus haut que l'autre, pas le genre de gars à lever le petit doigt pour boire une tasse de thé. Un vicieux, vous fusille pourtant à bout portant sans que vous vous en aperceviez, l'asperge les arpèges sans faillir, distributeur automatique en continu, même pas besoin de glisser une pièce dans la fente, le Xavier vous enfonce dans le sol et Whicket vous arrache les têtes qui dépassent.

    Donc entre ces deux bulldozers, Seb cisèle les riffs. Le gars pas pressé, l'artiste qui réfléchit d'abord, l'esthète qui médite, l'on n'attend plus que lui, l'est en face de deux ours féroces et vous sentez qu'il s'extasie sur la beauté des petites fleurs qui l'entourent, vous frissonnez, vous avez envie de lui crier de se servir de sa Winchester au plus vite, mais non, il attend encore un peu, et au moment où vous ne parieriez plus une roupie de sansonnet sur son talent il dégaine sans se hâter le riff qui tue, trois petite notes, point trop n'en faut, et il vous rectifie l'avalanche sonore de ses acolytes. Trop de bruit tue le bruit, alors il incise dans l'avalanche tumultueuse, cette seconde de clarté incendiaire qui remet en ordre le chaos.

    The last, but not le dernier de la liste. L'est à la rythmique, au chant et à la parole. Beaucoup pour un seul homme. Pour la guitare, il assure bien mieux que les plus grands consortiums d'assurance, mais son truc à lui, c'est un art bien plus difficile. La corde raide de l'humour tiède. Pas la franche rigolade, un adepte du dérisoire. Se moque du monde, du groupe, du public, et de lui-même. L'adore les pétards aux mèches mouillées. Pas par hasard que les lyrics des morceaux soient en français, vous refile des conseils pêchus, Lâche Pas, Cherche, mais le lombric est dans le fruit. Le quotidien de nos existences n'est pas vraiment excitant quand on y pense, c'est la philosophie du groupe, White Trash dénonciation de la folie humaine, bang-gang, deux coups de fusils dans les pattes des canards boiteux et révoltés que nous sommes qui voudraient atteindre la démesure souveraine des cygnes noirs.

    Se fichent de nous jusqu'au bout, eux qui ont œuvré dans la tonitruance durant les quarante minutes du set menées tambour battant nous quittent sur une espèce de slow post-sixties langoureux de boa énamouré qui vient se coller à vous de toutes ses écailles poisseuses.

    NONO FUTUR

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    Tiens un trio. Qui se débrouille bien. Z'ont tous les trois un micro. Lequel assurera le vocal. Vous avez perdu. Ce n'est pas de votre faute, Nono arrive en retard du Futur. Pas pressé. Une fois qu'il a posé sa haute stature sur la scène, celle-ci semble rétrécir subitement. Au bout de trois morceaux faudra enlever le pied du micro et descendre le retour, c'est que Nono Futur quand il est présent il est indéniable qu'il a de la présence. Dans le style géant aux beaux yeux d'acier et à la voix de stentor vous ne trouverez pas mieux dans le magasin du rock'n'roll français. Cet adjectif au sens plein du terme, ne hache pas les mots en simili english yoglourt, vous les énonce clairement, l'en détache les syllabes une par une, dans le genre enfoncez-vous-ça-dans-le-crâne, l'est le partisan des éclairages crus, des clartés cruelles qui se résolvent en illuminations anarchisantes, ne mâche pas ses mots, ne donne pas dans la subtilité du trente-deuxième degré, rien que les titres sont des incitations à la désobéissance civile voire un appel à l'incivilité émeutière, RDV aux Vespasiennes, Vieille Pute de Gauche, Nous n'en Pouvons Plus, J'aime pas la Loi... Pas tout à fait les éléments de langage d'une république en marche vers l'obéissance passive.

    Pour soutenir de telles fracassantes déclarations de guerre ouverte, Nono venu du Futur compte sur son trio démoniaque. Aussi malfaisants que les frères Jessie James devant une banque. Trois fines gâchettes. Au fond Tristan. L'a laissé Iseult à la maison, l'a mieux à faire, s'occupe de la batterie. Un insatiable, l'a les baguettes qui volent. L'est partout à la fois. Un feu de mousquetterie sur un galion espagnol à l'abordage. L'a l'air gentil et sympathique sous son chapeau, mais ne vous fiez pas, doit être gravement atteint du syndrome de la batterite aigüe. Un malheureux, vous le posez devant quatre fûts et trois cymbales et son état d'esprit change du tout au tout, sombre dans la folie noire, une démence profonde, ne sait pas choisir, taper sur les tambours l'un après l'autre il ne sait pas, alors il essaie de les atteindre tous en même temps, il n'y arrive pas, enfin presque, parce qu'il est partout en même temps, il veut tout et tout de suite, alors il accélère sans fin, vous file l'impression d'une soucoupe volante qui s'arrache à l'attraction terrestre et fonce dans l'espace inter-galactique à la vitesse de la lumière. Vous assistez à la représentation d'un film de batterie-fiction. En sonorama.

    Je pressens que vous n'aimeriez pas être à la place de Bob. Avec cet énergumène qui vous refile le bébé en paquets de douze quintuplés à la seconde, vous ne voyez pas ce que vous pourriez faire si votre mauvaise étoile vous avait fait naître une guitare à la main. Pas d'affolement. Bob n'est pas né de la dernière pluie. Un vétéran. Vient de Rouen le pays de notre Cat Zengler, et de Dominique Laboubée. Tout de noir vêtu, bras tatoués, t-shirt Keith Richards, une vraie dégaine de rocker, un look de corsaire, et des doigts de sorcier. S'immerge dans sa guitare, vous tricote les riffs comme s'il les profilait au laminoir, le guy qui maîtrise l'exubérance, joue comme l'ouroboros, le serpent mythique qui d'un même mouvement engendre et avale le chaos du monde. Une pluie diluvienne de notes ruisselle de son instrument et vous transperce le cœur. Pas de doute si un jour je monte un groupe, je l'inscris d'office. Des guitariste il y en a plein, qui jouent bien, mais la plupart quand ils jouent du rock, ils jouent du rock, le Bob, lui quand il joue du rock, il est le rock. C'est-là toute la différence. Un jeu en apnée sur lui-même, en auto-suffisance rock'n'roll. Le reste devenant superfétatoire.

    Gromanch, son surnom le trahit, est à la basse. Je le vois peu, de l'endroit où je suis le gigantisme de Nono issu du Futur l'éclipse moultement. Mais je l'entends, turbine rondement, l'est à la hauteur de ses deux frères d'armes, fournit le background de fond indispensable, n'imaginez pas qu'il se contente de badigeonner méthodiquement tout en noir, non il ondule comme se voûte le dos d'un chat noir qui s'étire sur ses pattes, ou qui s'en vient vous inviter à la caresse. Où quémander ses croquettes. Attention son jeu méphitophélesque pourrait vous inciter à les échanger contre votre âme.

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    Le public est plus que charmé. Exalté. Batifole au son du rock'n'roll. Nono et le Futur du punk vous font un bâtard dans le dos. Le dernier morceau se nomme fort justement Sodomie, je ne me permettrais pas de recopier les lyrics pour ne pas offenser les chastes oreilles des kr'tntreaders, sachez toutefois que le gouvernement et son président de malheur en prennent pour leur grade. Et plein le cul. Apparemment le public est tellement enthousiasmé à l'idée de glisser leur bulletin de vote dans l'urne qu'ils sont obligés de le rejouer en rappel.

    Un set particulièrement rock'n'roll.

    J'en ai oublié de préciser que pour la seconde moitié des morceaux Nono ceindra sa guitare, et qu'il nous a prouvé qu'il n'appartenait pas à la famille des manchots.

    Damie Chad.

    LE CORE & L'ESPRIT

    ( LCELE01/12019 )

     

    Cédric : guitare + baking vocal / David : guitare + sample / Fred : basse / Léo : voix / Nico : batterie.

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    Pochette conceptuelle minimaliste. Fond rouge sang de bœuf, à droite une simple boite de conserve, dépourvue de l'enrobage papier habituel et des vives couleurs destinées à vous faire saliver et précipiter l'achat pavlovien. Ici l'on ne triche pas, vous pouvez juger d'un simple coup d'œil de la fraîcheur de la marchandise. les acheteurs prudents et méfiants ne s'interdiront pas de tâter d'un doigt prudent et expert car la direction vous épargne l'étape de l'ouvre-boite, le cylindre de fer-blanc est déjà grand-ouvert, tout est fait pour vous faciliter la consommation. Certains feront chauffer, d'autres ajouteront une persillade, mais je pense qu'il est préférable d'ingurgiter le contenu, tout cru, au plus vite, lequel d'entre nous n'a jamais désiré dans ses rêves les plus obsédants, dans le louable but d'augmenter sa capacité neuronienne, de gober d'un seul coup une belle cervelle humaine, conservée sans édulcorant ou additif ! Finie la corvée d'avoir à fracasser le crâne du premier quidam qui passe, le consumérisme triomphant vous épargne ces opérations d'extraction à la petite cuillère plus ou moins ragoûtantes, mine de rien cette misérable boite de conserve est un pas de géant effectué par l'Humanité, elle vous permet de renouer avec les antiques pratiques, garanties 100 % bio, chamaniques et préhistoriques de l'anthropophagie. Hélas les bonnes choses ne durent qu'un temps, retirez le livret des paroles de sa pochette, gros plan en première page sur l'intérieur de la boite vide. Quelqu'un vous a devancé. L'on trouve toujours plus gourmand que soi. C'est d'autant plus vexant, que cette béance cylindrique vous rappelle l'état de délabrement total, que dis-je le néant abyssal, de votre propre cerveau.

    Inutile de me téléphoner en urgence absolue pour me demander le nom du produit, le logo de la marque est en haut de la couve à gauche. Je me permets toutefois de vous faire remarquer l'avantage que suscitera l'achat d'une telle nourriture. Deux en un. Deux pour le prix d'un. Jusqu'à maintenant pour assouvir vos instincts bestiaux et intellectuels vous étiez obligés de payer au prix fort les services d'un ou d'une prostituée plus ou moins sidaïque, et d'acheter un livre ( que vous aviez du mal à comprendre ). Désormais vous ressentez la douce sensation de gluance du corps humain glissant voluptueusement dans votre œsophage, et vous n'avez aucun effort intellectuel à fournir, l'assimilation des connaissances contenues dans cette cervelle s'opérant d'elle-même selon les mécanismes de la digestion. Bien sûr les âmes sensibles trouveront cela un peu gore, un peu core, mais essayez de vivre avec votre temps. Non de Dieu, adaptez-vous à la modernité !

    Passeur : en arrière-poste la musique compressée qui bourgeonne et gronde comme une menace, l'on ne comprend la situation que dans la deuxième partie du texte, la première est un hommage aux passeurs anonymes, ces hommes multiples d'horizon divers qui ont permis à l'orphelin de survivre et de le mener jusqu'à l'ultime étape de la délivrance. Ces guitares qui poussent et qui hachent ne seront pas sans évoquer pour les connaisseurs ce morceau de Steppenwolf dans lequel John Kay évoque sa fuite de l'Europe de l'Est. Débranche : le groupe émet ce bourdonnement incessant d'abeille qui se bat contre la vitre de la transparence du monde interdit. L'emmuré en son propre corps demande à sortir, la voix perd quelque peu son growl, car quand l'espoir quitte le navire à qui l'on interdit de sombrer dans les léthéennes profondeurs bienfaisantes les revendications se doivent d'être énoncées clairement, des chœurs de tragédie grecque appuient cet ultime désir. Les guitares couinent à la manière des bêtes prises au piège dans leur terrier qui se rendent compte que la mort sera la seule délivrance. Très belle orchestration. Boxe de guitares poingtilleuses. Le Core & L'Esprit : les deux premiers morceaux ont permis de circonscrire le lieu exact du désastre existentiel, entre volonté de vivre et refus de se survivre. Voici le titre manifeste emblématique du groupe. Une auto-définition d'une justesse incroyable. L'esprit sensitif des mots, véritables antennes de ces insectes qui se dirigent selon l'intersection des vibrations émises autant par leurs propres présences que par leur environnement et le corps même des mots, cette chair poétique qu'il faut mâcher afin d'en extraire le jus spermatique du sens. Enfin un combo qui a quelque chose à dire, qui réfléchit sur l'acte même d'écrire et d'allier les vocables à la charnellité de la musique cannibale et du chant incisif. Fils de : constat froid. Les riches et les pauvres. Les héritiers et les prolétaires. Les patrons et les chômeurs. L'élite et le bas-peuple. Laissons les premiers, les magazines au papier aussi glacé que leur sponsors et les médias serviles du Capital vous racontent à foison ces fausses légendes de la réussite personnelle. Les guitares se fardent de douceur pour évoquer ces biographies de rêve. Jusque-là le groupe n'innove pas, se contente de réfléchir l'état social, là n'est pas le problème, l'analyse se doit d'être poussée, le vocal devient mordant, le plus terrible ce n'est pas que la misère attaque vos conditions de vie, qu'elle vous réduise à dormir dans les couloirs du métro, c'est qu'elle s'introduit – à la manière de ces vers foreurs qui pourrissaient la coque des fiers voiliers – en votre esprit et qu'elle éteint le feu de la révolte, '' Tu cries à la Révolution / En décroissantes convictions''. Ne vous inquiétez pas, les têtes de l'hydre anarchie renaissent toujours. Voyageur chimique : intro musicale narquoise suivie de grosses voix railleuses, les paradis artificiels semblent vous mener jusqu'au bout de vous-même, à l'intérieur de soi la lumière dorée de l'herbe est plus verte. Beau travail de batterie qui enfonce les portes ouvertes de l'abandon aux fausses solutions. Colère de guitares. Arrêt brutal. Au final le héros n'embrasse pas l'héroïne. Des millions de laisses : laisse tomber. Le Capital possède toutes les ficelles capables de vous retenir. L'est même prêt à te fournir la corde pour te pendre. Quand il semble manifester quelque attention à ton égard, n'oublie pas que les sirènes ont des arêtes tranchantes. Un titre sans concession, de cimetière si tu sais en tirer la leçon. Sans pitié. Pour toi la laisse, pour eux les millions. True Woman E-Show : trop de réflexion vous pourrit la vie d'idées noires, autant satisfaire les appétits du corps, hélas vous ne ferez pas un hit avec les hit-girls ! Une chanson qui déshabille les rêves télévisés sous cellophane sous laquelle tout se fane. Spectacle de désillusion totale autant pour les spectateurs qui n'ont droit qu'à l'ombre de la proie sexuelle, que pour l'actrice factice qui perd l'âme qu'elle n'a jamais eue. Black Out : après la fille plastique le louveteau aux dents longues prisonnier des technologies, mais ce n'est pas le plus important. Tout le monde a le droit de rêver. Le Core & l'Esprit évoque le black out, l'effondrement total, le ravage irrémédiable, un nouveau départ pour l'humanité, le retour à la vie sauvage. Film prophétique à grand spectacle, avec voix off, lyrics méchants, guitares grondantes, séquences de douceurs idylliques, et batterie tueuse. Rien à Personne : pas vraiment une enflure d'égo qui se prend pour le génie supérieur de l'humanité. Aborde un sujet subtil, celui de ces idées, de ces pensées, de ces inconscientes insinuations idéologiques sociétales inoculées doucement par l'action souterrainement spsychique des médias et des entourages organisationnels qui quadrillent et cimentent notre vécu. Les chaînes dorées de l'accoutumance nous retiennent davantage que la force brutale et coercitive... Ne soyez jamais dupes, ni de vous-même, ni des autres. La musique se fait dure car l'épaisseur obtuse des crânes contemporains le nécessite. Face Cachée : le ver rongeur le plus cruel, le doute destructeur. Dans le miroir l'on n'aperçoit que du noir. La noirceur de notre société nous assaille. Mais ne serait-ce pas moi qui voit tout en noir ! En tout cas ce noir me broie. Me coupe en morceaux. Ne serais-je pas atteint de schizophrénie aigüe ! La musique éclate et devient morceaux de verres aussi coupants que la froide réalité. Le Droit Chemin : celui du Djihad. Faut avoir du courage pour s'attaquer frontalement et sans atermoiement à cette manipulation mentale exercée sur cette population de déclassés et de rejetés qui s'enrôlent sous la bannière militaire des adeptes de la charria. La musique épouse les sinuosités lascives des modes orientaux. Le Core & l'Esprit démonte les mécanismes de la propagande qui fomentent ces horreurs.

    Il y a des disques qui s'entendent et d'autres qui s'écoutent. Ce premier opus de The Core & L'Esprit est une réussite. Du metal qui pense, un fait significatif. Pas évident, le message verse facilement dans le slogan, seule une grande attention à l'écriture des textes permet d'éviter ce genre d'écueil. La médiane ductilité de la langue française est un peu ( beaucoup ) réfractaire aux grands écarts consonantiques du phrasé rock. Le groupe parvient toutefois à éviter la pompe langagière, aspirante et refoulante, du hip hop national qui s'exprime en notre idiome. Un groupe à suivre.

    Damie Chad.

    WAKING THE MISERY

    ( WTMEP / 2015 /1 )

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    Drum : Kris / Bass : Remy / Guitar : Jim / Guitar : AN-TO / Vocals : Kevin

    Belle couve. Un homme frappe à la grille de sa cellule. Le cachot ressemble à un sous-bassement voûté d'un cirque romain dans lequel les gladiateurs ou les préposés au festin des lions attendaient l'heure de leur sortie. L'individu semble pressé, il porte une espèce d'attaché-case dans sa main gauche. Mais l'extérieur du monde ne réserve-t-il pas autant de mauvaises surprises que l'intérieur ?

    Nightmare : ululement de guitare dans le lointain, galop de batterie, la menace sonore se précise et prend de l'ampleur. Ce n'est qu'une introduction, une ouverture à l'histoire qui va nous être contée. The butcher : les mêmes motifs que ceux utilisés dans le prélude malsain qui s'entremêlent à la manière de leitmotivs électriques avec en plus cette voix sinistre qui survient de nulle part et growle comme grêle sans fin, nous imaginons l'ogre affamé des contes d'enfant au coutelas ruisselant de sang. Leatherface : beaucoup plus heurté, beaucoup plus rapide et toujours cette voix qui mène la charge. Dans le lointain s'entendent des chœurs, la bête au nez de cuir est maudite, mais rien ni personne n'empêchera sa malfaisance. Insane : Elle est en nous, nous l'entendons ramper dans la tuyauterie de notre cerveau. La voici conquérante qui déroule des visions de cauchemars sur un fond de batterie épileptique. Les guitares concassent les rochers de la folie. Très beau morceau qui déroule les anneaux monstrueux de la bête hideuse. We are chimera : rêve ou cauchemar ne sommes-nous pas tout simplement chimères nervaliennes secrétées par notre propre sang ! Peut-être que le monstre ne gronde pas, peut-être n'est-il qu'un chiot perdu qui ronce de bonheur dans le refuge de nos bras. Certes je me suis fait mon petit film personnel. Mais ce premier EP de Waking The Misery est une superbe invitation au voyage. Des titres relativement courts mais superbement orchestré. Rien de novateur mais une maîtrise étonnante. Vous l'écoutez en boucle.

    Damie Chad.

     

    HECATOMBE

    YVES DROMENEL / PATRICK SINGH

    ( Bizarre Fréditions / Juin 203 )

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    C'est tout petit ( 10 X 14 cm ), ça tient dans votre main, néanmoins assez épais, plus de quatre-vingt pages, avec couverture et illustrations couleur, fait sombre dans ce recoin de boutique brocanteuse, impossible de discerner ce qu'elles représentent et texte illisible, mais l'objet est tentant et appelle la possession, l'infaillible flair du rocker – qui ne dort jamais – aidant, je l'emporte chez moi pour voir de quoi il s'agit au juste.

    L'évidence saute aux yeux dès les premiers mots, nous sommes en Amérique, dans un motel, difficile de faire plus typique, avec en prime un détective en bout de piste, sa femme l'a quitté, ses enfants se moquent de lui, et il vient de se faire virer de son boulot. Excès de zèle, l'a promis à un collègue de lui ramener sa fillette kidnappée, s'est accroché à une enquête difficile, meurtres, cadavres découpés en morceaux, cannibalisme, le mec un peu revenu de tout, surtout du Vietnam, un bon point pour lui, il écoute de la bonne musique, du blues, pas étonnant, l'est noir. Le décor psychologique est planté. Ne reste plus qu'à recoller les morceaux. Dernière précision, l'est fils de pasteur, encerclé de certitudes morales. Qui volent en éclat devant les atouts charnels de l'accorte serveuse.

    La soirée s'annonce prometteuse. Elle le sera avec en plus un super guitariste, pas vraiment une musique légère et festive, mais lorsque la demoiselle l'entreprend de ses désirs brûlants et libidineux de louve affamée notre héros n'y fait plus gaffe – vous-mêmes à sa place vous n'auriez pas fait mieux – c'est après que ça se gâte lorsque il reconnaît le musicos, Robert Johnson in person. Décédé depuis 1938, comme tout un chacun le sait.

    La suite déjante salement. La pénombre s'éclaire, impossible de fuir, notre détective se retrouve dans un cimetière face à Baron Samedi, nous sommes en plein vaudou, lui décharge, par pur ( et vain ) instinct de flic, quelques balles dans le buffet, mais l'on ne tue pas un esprit. Encore moins leur grand chef ! Surtout quand il vous propose un deal. Dix ans de liberté pour son âme... contre un zombie de petite fille sortie de sa tombe... Marché conclu. Il lui reste dix longues années pour se faire pardonner par Dieu tout-puissant son inconduite sexuelle et son pacte infernal. Avec un peu de chance il sera amnistié...

    Comme quoi tout se termine mal.

    L'est dommage que le format desserve quelque peu les illustrations de Patrick Singh, leurs singularités immobiles ponctuent le texte, à la manière des tableaux d'un chemin de croix, mais ici au service d'une religiosité morbide. Le récit d'Yves Dromenel est un peu cousu de ce fil noir dont on trame les linceuls du vaudou, mais l'analyse de la mentalité auto-culpabilisatrice de la religion s'avère assez fine. Le vaudou est ici décrit comme une organisation criminelle d'envergure, une hydre tentaculaire rituelle, dressée contre la croyance des bienfaits du divin. Un contre-ordre sociétal métaphysique. A méditer. Attention si vous entendez le chant du coq.

    Damie Chad.

    SOUL BAG / N° 234

    Avril-Mai-Juin 2019

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    Quelques années que j'avions pas chroniqué un numéro de Soul Bag. Mais ce coup-ci, c'est spécial. La revue fête ses cinquante années d'existence. Il y eut même une première tentative en 1968 sous le nom de Super Soul mais la campagne d'abonnements qui avaient suivi n'avait pas rendu les résultats escomptés... Profitent de ce demi-siècle pour refonder la maquette. Un truc qui pue. Bien entendu, l'on nous clame les vertus de cette nouvelle mouture plus aérée. Un mot magique. Les lecteurs ne lisent plus, alors pour ne pas leur faire peur l'on agrandit la surface de séparation entre les colonnes, l'on rajoute du blanc entre les photos et le texte, bref par mille petites astuces l'on raccourcit les aires de pure lecture. L'est sûr que ce trimestriel était difficile à avaler d'un seul morceau, style jerrycan de cent litres rempli à ras-bord !

    Quoi qu'il en soit, il faut bien s'adapter à son époque, tenir l'équilibre financier – voici un bout de temps qu'a été abandonné le CD joint à l'emballage – et garder captif un lectorat vieillissant aux yeux fatigués... Ce qui n'empêche pas Soul Bag d'avoir su tenir la ligne de l'actualité ( blues-rhythm'n'blues-soul ) sans faillir tout au long des décennies, loin des errements de Rock & Folk...

    Une revue des meilleurs disques, un par année, ils ont dû s'entretuer, B.B. King en 1968, Bobby Blue Bland en 1974, Etta James en 1978, Johnny Guitar Watson en 1980, pour les autres millésimes vous n'avez qu'à acheter la merveille, en plus dans la colonne de droite vous avez une interview de Jacques Perrin fondateur de ce qui n'était encore qu'un fanzine, inspiré des bulletins des fan-clubs de rock'n'roll, Let It Rock pour Chuck Berry, Pennyman News pour Little Richard, l'est vite rejoint par Kurt Mohr qui a beaucoup œuvré en notre douce France pour notre musique, qu'elle soit noire ou blanche.

    Perso, ce sur quoi je me précipite quand j'ouvre Soul Bag, c'est la chronique disques, trente pages, ne faites pas comme moi, ou alors commencez au préalable par rançonner votre banquier. Auparavant décernez le mérite agricole à Watermelon Slim qui nous présente le disque de Sonny Boy Williamson ( II ) & The Yardbirds sorti en 1965, cet homme a du goût, je l'avais acheté à l'époque.

    Amis rockers, attention entre autres merveilles, Julia Lee par exemple, un article sur Nashville et l'autre sur le Mississippi Blues Today, vous voyez bien qu'en vous procurant ce collector vous ne mississippisserez pas dans un violon !

    Cet insipide bafouillage, rien que pour signaler la présence de ce numéro, chez votre kiosquier habituel.

    Damie Chad.