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primal scream

  • CHRONIQUES DE POURPRE 698 : KR'TNT ! 698 : JOHN CALE / BIG BYRD / PRIMAL SCREAM / WILD BILLY CHILDISH / DARANDO / THUMOS

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 698

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    10 / 07 / 2025

     

     

    JOHN CALE / BIG BYRD / PRIMAL SCREAM

    WILD BILLY CHILDISH  / DARANDO

    THUMOS

      

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 698

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

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    TRISTE NOUVELLE POUR LES ROCKERS

    PRIVES DE LEUR BLOGUE FAVORI

    JUSQU’A LA FIN AOÛT

    HEUREUSE NOUVELLE POUR LES ROCKERS

    LE CAT ZENGLER ET DAMIE CHAD

    REVIENDRONT ENCORE PLUS FORTS

    ENCORE PLUS ROCK !

    BONNES VACANCES !

     

    Wizards & True Stars

    - Cale aurifère

    (Part Six)

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             Comme dirait Arletty, «Paris 1919 est tout petit pour un si grand album.» Arletty parle bien sûr du book que Mark Doyle consacre au Paris 1919 de John Cale. Il vaudrait mieux parler d’un mini-book, celui qui rentre dans toutes les poches et qui plafonne à 120 pages. Arletty a raison : comment peut-on imaginer un book aussi petit pour un si grand album ?

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             Deuxième interrogation : pourquoi aller rapatrier un book qui chante les louanges d’un album dont on sait déjà tout depuis 50 ans ? La réponse est simple : la kro du book dans Record Collector était tellement enthousiaste qu’on a voté le rapatriement immédiat en conseil restreint.

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             Le mini-book arrive aussi sec. Pouf ! Tu le lis d’un trait d’un seul. Tu ressens exactement la même délectation que celle éprouvée en 1973 ou 74 au moment de l’achat. Avec cet album incroyablement littéraire, John Cale te donnait à sa façon un avant-goût du paradis des cervelles : t’avais la beauté des mélodies et Dada. Avec ceux qu’on cite habituellement (Bringing It All Back Home/Highway 61 Revisited/Blonde On Blonde, Let It Bleed, le Piper de Syd, les 3 Velvet, Are You Experienced/Axis Bold As Love/Electric Ladyland, le Live At The Star-Club de Jerry Lee, le White Album, The Spotlight Kid/Clear Spot, les deux premiers Stooges et les deux Dolls), cet album est celui qui t’a le plus marqué, à l’époque. Il ne se passe pas un an sans que tu ne le ressortes de l’étagère pour t’assurer que l’illusion du paradis des cervelles reste palpable.

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             Doyle est un homme fantastiquement documenté. Il sait en plus dire ce qu’il éprouve à la ré-écoute de Paris 1919. C’est toujours ce qu’on recherche quand on lit une kro : voir si ta vision coïncide avec celle du kroniqueur. Quand Doyle dit que «l’album s’améliore à chaque écoute», on est d’accord avec lui - It is a classic grower album - Il s’aperçoit que ça ne fonctionne pas avec tous les groupes qu’il aime bien et qu’il cite (Silver Jews, New Phonographers, TV On The Radio). Peu d’albums tiennent le choc de la ré-écoute. Paris 1919, dit-il, n’a jamais pris une seule ride. Et plus il ré-écoute l’album, plus il le trouve strange.

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             Comme Prévert, Doyle fait l’inventaire de Paris 1919 : «Classical music, avant-garde music, rock’n’roll, highbrow litterature, lowbrow litterature, history, geography, death, drugs, violence, beauty, ugliness, loneliness, and every point on the compass are packed into its thirty-one minutes.» Il a oublié les ratons laveurs, mais c’est pas grave. Et puis t’as cette pochette qui montre Calimero «like the ghost of an Edwardian dandy.» C’est crai qu’il rayonnait. Il passait de l’ombre du Velvet à la lumière de Paris 1919. Dylan avait tenté exactement la même transformation, mais il n’était pas aussi beau que Calimero.

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             En fin stratège, Doyle commence par situer le contexte de l’album. Calimero vient d’arriver en Californie : il passe du statut d’avant-gardiste de choc à celui de salarié chez Warner Bros, «avec un planning, des réunions, un budget, une nouvelle femme, une maison et un chien» - He had kicked heroin and gotten hooked, instead, on cocaine - Doyle dit bien les choses, il est essentiel de rappeler que la coke coulait à flots à cette époque. C’est tout de même drôle que Calimero ait réussi cette transformation, car il venait de Fluxus et fréquentait l’un des meilleurs dealers new-yorkais, La Monte Young, un protégé de John Cage. Eh oui, ça ne rigolait pas au 275 Church Street, avec les ear-twisting drones, les intense light projections and Young’s narcotics, t’avais le cocktail parfait. Un cocktail que t’allais d’ailleurs retrouver dans le Velvet. Le groupe d’avant-gardistes s’appelait The Dream Syndicate.

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             Doyle attaque ensuite l’épisode de la rencontre Lou/Calimero qu’on connaît pas cœur, mais qu’il prend plaisir à redéfinir : d’un côté le Lou avec ses «gritty, literary tales of urban squalor» et de l’autre Calimero avec ses idées d’avant-garde et ses «noise and drones and paranoid dread.» Au contact du Lou, Calimero apprend un truc essentiel : l’art d’écrire des chansons. Et ce qui fascine le plus Calimero chez le Lou, c’est sa réelle dimension littéraire. Calimero découvre que la pop peut être autre chose que du «silly kids’ stuff». Pour lui c’est une révélation. Les chansons du Lou sont tout sauf du silly kids’ stuff. Calimero comprend qu’on peut allier la poésie à la musique. Et puis le Lou sait décrire des personnages sur le temps court d’une chanson, comme le fait si bien Ray Davies en Angleterre. Calimero fait une autre découverte de taille : «For all their reputation as confrontational chaos-merchants, the Velvets were also capable of great beauty and delicacy.» Calimero va s’en souvenir. Il en fera même un fonds de commerce. Paris 1919 est le fruit de cette révélation.

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             Peu avant Paris 1919, Calimero avait bossé avec Nico. Il avait appris à arranger dans un esprit particulier, «weary, sophisticated, European», un esprit qu’on retrouve bien sûr tout au long de Paris 1919. Calimero n’a pas la voix de Nico, mais une voix plus chaude, plus riche, «slightlly (but only slightly) less alien», et Doyle balance ça qui est criant de vérité : «I do think it’s accurate to say that Nico has haunted Cale for much of his life.» Doyle rappelle encore que sur Mercy, son dernier album, Calimero a enregistré «Moonstruck (Nico’s Song)», dont les «swelling strings, eerie harmonium and downbeat lyrics» constituent la preuve «of continuing hauntings». Et Doyle enfonce son clou de manière somptueuse, en indiquant que sur Mercy, les cuts sont tous des collaborations avec d’autres artistes, «but this one is not - unsless perhaps we count Nico’s ghost.» Et là le mini-book prend une dimension faramineuse. Doyle est tellement imprégné du génie de Calimero qu’il transforme son mini-book en chausse-trappe révélatoire.

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             Quand Calimero fait écouter au Lou les albums de Nico qu’il vient de produire, il l’avertit : «Listen to this. This is what you could have had.» Et bien sûr le Lou est bluffé, allant même jusqu’à qualifier ces albums de «most incredible albums ever made.» À ce stade des opérations, on patauge dans la mythologie la plus épaisse : le Lou, Calimero et Nico. T’as très peu de conglomérats aussi intenses dans l’histoire du rock. Il en manque un : Warhol ! Tiens justement le voilà. Doyle le ramène vite fait en citant Calimero : «Andy fut très important dans mon développement à cette époque, parce qu’il montrait l’exemple d’une ‘fervent pursuit of an extraordinary work ethic’. Art is work. Work is art.» Doyle rappelle que l’endroit où bossait Warhol s’appelait la Factory pour une bonne raison : «amid the chaos of gossip, amphetamines and aluminium, Warhol and his collaborators were working all the time. Silkscreens, films, happenings.»

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             Lors d’un voyage à Londres avec Nico, Calimero rencontre Nick Drake et l’accompagne sur deux cuts de Bryter Layter. C’est aussi à cette occasion qu’il rencontre Joe Boyd, qui a aussi bossé avec Nick Drake et Nico sur Desertshore. C’est Boyd qui va ramener Calimero chez Warner Bros. Il réussit à convaincre Mo Austin d’embaucher Calimero pour écrire des Bandes Originales de films. Du coup Calimero découvre un monde étrange de «folkies, hippies, pop singers, top-shelf session musicians, one-off eccentrics like Randy Newman and Van Dyke Parks, troubled geniuses like Phil Spector and Brian Wilson, and outright freaks like Frank Zappa and Captain Beefheart.» Pendant un temps, Calimero vit chez Joe Boyd et sa copine Linda Peters. Ils ne traînent pas trop dans les salons, ils préfèrent rester à la maison pour jouer au ping-pong ou aller voir un concert des Bee Gees dont l’album Trafalgar vient de sortir. Doyle pense que leur influence sur Paris 1919 est palpable. Doyle a raison de s’attarder sur Warner Bros et Reprise, car c’est ce qui appelle «an extremely hip label» - The quintessential Los Angeles record label of the early seventies - C’est un label qui sait prendre des risques (Randy Newman, Zappa, Captain Beefheart). Leur A&R Andy Whickham écume Laurel Canyon. Joni Mitchell, James Taylor et Neil Young sont sur Warner. Les Doobie Brothers, Alice Cooper et America font rentrer les sous. Joe Boyd rappelle que les locaux de Warner à Burbank sont une «cramped old warehouse» et que les transactions se font dans les gogues.

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             Calimero s’est marié avec l’une des GTOs, Cindy Wells - The most destructive relationship I ever had - Pamela Des Barres avait fait entrer Cindy Wells dans les GTOs parce qu’elle apportait «a really important twisted element». Elle est en plus ce qu’on appelle une menteuse pathologique. Elle va faire pas mal de stages en HP.

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             C’est Chris Thomas qui produit Paris 1919. Calimero l’a repéré grâce à au Live With The Edmonton Symphony Orchestra de Procol Harum. Doyle pense que Chris Thomas a réussi à lisser le son de Calimero. Terminé le «reckless  trashing». C’est un nouvel univers qui s’ouvre, avec les «ghosts of his past life - You’re a ghost la la la la - Lou Reed’s literary songcraft, Warhol’s drive, Nico’s droning across a frozen landscape - Oui, le morceau titre de Paris 1919 est la chanson des fantômes, avec un véritable entrain européen, bourré de Tuileries, de Beaujolais et des Champs-Élysées.

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             Doyle claque tout un chapitre sur le thème de Dylan Thomas, un Thomas nous dit Doyle qui fut à Calimero ce que Muddy Waters fut aux Stones et Buddy Holly aux Beatles. Calimero et Dylan Thomas sont tous les deux nés au Sud du Pays de Galles. Calimero pense que c’est la langue musicale de Thomas qui, petit, l’a orienté vers la musique. Un Dylan Thomas dont le cassage de pipe en bois est extrêmement rock - Thomas’ death elevated him from legend to myth - Doyle met soudain le turbo en saluant le «self-destructive wild man» que fut Dylan Thomas, un destructeur d’appartements, «serial affairs, nasty fights, and far too much champagne.» Il fit scandale à New York, mais en même temps, il fascinait les gens. Il est devenu le prototype du «misbehaving celebrity-artist», un modèle pour ceux qui vont suivre. Il est devenu le cliché du «rock’n’roll poet». Il est une rock star avant les rock stars. Et là Doyle prend feu, du moins sa plume : «Non seulement did he live fast and die young d’une manière qui allait elle-même devenir un cliché rock, mais sa vie et ses vers ont inspiré plusieurs générations de musiciens. Bob Dylan lui a emprunté son nom. Et beaucoup d’autres, comme Tom Waits, The Cure ou St Vincent se sont prosternés devant son autel.» Calimero est arrivé à New York dix ans après la mort de Dylan Thomas. Il y croisait son fantôme au Chelsea Hotel. Calimero s’y était installé avec sa femme Betsy Johnson, au temps du Velvet. C’est là au Chelsea Hotel que Dylan Thomas a glissé «into his fatal coma». Doyle souligne enfin la propension qu’avait Calimero à imiter le process d’auto-destruction de son modèle. Il s’agit d’une parenté purement intellectuelle : le mode de vie et la pratique de l’art sont INDISSOCIABLES.   

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             Au moment de Paris 1919, Calimero est devenu un artiste complet : «Il a fait son apprentissage avec the desperados of the classical avant-garde, redéfini le rock’n’roll avec le Velvet, dressé la carte d’un nouvel univers sonique avec Nico.» Doyle retrouve l’influence de Thomas dans les textes de Calimero, c’est pour lui essentiel de le souligner - Thomas is still here in the pacing and rhythm of his songs, in the preference for sound over sense - Voilà qui explique tout : les paroles des chansons de Paris 1919 n’ont souvent pas de sens, mais t’as des tas de mots qui sonnent. Doyle prépare le terrain pour Dada. Dans «Hanky Panky Nowhow», Calimero vante les vertus des «planning lakes» - Those planning lakes/ Will surely calm you down - mais on ne sait pas ce que sont les planning lakes. Dans «Andalucia», il yodelle son amour, mais on sent bien que quelque chose ne va pas - It doesn’t sound like a very happy moment - Comme nous tous, Doyle ressent lui aussi une «vague inquiétude» à l’écoute de cet album.

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             Et boom ! Le mini-book explose ! Dada ! Doyle brosse un portrait en pied de Tzara le héros et rappelle le truc de base : «Dada is a notoriously difficult thing to define.» Pour une fois, on va laisser ça en anglais. Doyle bataille bien avec Dada, il se retrousse les manches et déterre de vastes extraits des manifestes, il rappelle l’importance du nihilisme et de l’urgence à détruire. Doyle rappelle aussi la différence qui existe entre Dada et le Surréalisme - Dada was action, movement and abstraction - par contre, le Surréalisme était «something definite», et surtout, un mouvement doté d’un beau despote. Doyle trace le parallèle évident entre le Paris de Tzara et le New York de Calimero : ils arrivent tous les deux pour révolutionner l’art. New York nous dit Doyle «is where Dada will be reborn». À New York, ça palpite comme une bite au printemps, «Beat Poetry, Bebop, Pop Art», et badaboom voilà Fluxus ! En 1960, George Maciunas défend l’idée d’un art en mouvement constant. Art as movement, art as effervescence. Dans les rangs de Fluxus, on retrouve bien sûr La Monte Young, Terry Riley, Allan Krapow et Yoko Ono. Les gens de Fluxus suivent le modèle de Dada, avec des «provocative, head-scraching performance designed to shake people out of their complacency.» Tout y est : les manifestes, l’excentricité et l’anarchic humor. Maciunas voulait purger le monde du «dead art», «imitation, artificial art, abstract art, illusionistic art, mathematical art.»

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             À son arrivée à New York, Calimero participe à l’interprétation des Vexations d’Erik Satie pendant dix-huit heures. Doyle : «The 1960s in other words, was Cale’s Dada period, his Paris 1919. It reached its apogee with the Velvet Underground. Black-clad and unsmiling, the Velvets  alterned, as the Dadaists had done, between assaulting the audience with ungodly noise and boring them to death with drones and repetition. But it wasn’t just about noise. Often, especially when Warhol was involved, it was about spectacle.» Doyle monte encore d’un cran en évoquant des scènes du Velvets’ Dadaism - The nonsense vocals, the noise, the agression, the Wagnerian catharsis - it was the Dada dance of death updated for the rock’n’roll age - Ce sont des pages tellement intenses et tellement criantes de vérité qu’elles t’envoient au tapis. 

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             Mais le Lou n’aime pas trop la tension de l’art as effervescence. Doyle pense qu’il a viré Calimero pour ça. Il voulait faire des albums plus commerciaux, «but Cale wanted to keep the flux fluxing, so he got the boot. Sans lui, le Velvet est devenu un groupe différent : still edgy but much less Dada. C’est je crois ce que les gens veulent dire quand ils disent que Cale amenait un avant-garde spirit to the band. They mean he brought the Dada spirit.» Tout est dit.

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             En Calimero bouillonnait le Dada spirit, mais aussi l’énergie de Dylan Thomas, sans oublier cette fascination pour Nico, et donc les fantômes. C’est tout cela qu’on retrouve dans Paris 1919. Et dans tous ses autres albums, ajoute Doyle l’extra-lucide. Doyle ajoute que Calimero allait revenir à Dada pendant les seventies avec de la provoc sur scène : masques de hockey, poulets décapités - His unruly stage shows were what happens when you mix Dada with cocaine and booze - Dans What’s Welsh For Zen, Calimero définit Paris 1919 comme «an example of the nicest ways of saying something really ugly.»

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             Doyle finit par lâcher le morceau : Paris 1919 est plus surréaliste que Dada, il parle même d’un «shimmering Surrealism of Cale’s Paris 1919». Il affine en précisant que le Surréalisme est un filet permettant de pêcher l’inconscient, un filet qu’utilisaient aussi George Clinton et Captain Beefheart, «et ce que Cale a pêché is a kind of historical unconscious, the half-suppressed dreams and nihtmares of a wasted cicilization. So of course there are ghosts here.»

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             Comme il a raison, Doyle, Paris 1919 est un album délicieusement européen. «Child Christmas In Wales» ? Grandeur et décadence joyeuse. Et puis t’as ces chansons mélodiquement pures, «Hanky Panky Nohow», «Andalucia» et puis aussi «Half Past France», cette belle ode à la nonchalance qui s’écrase dans un merveilleux nuage misanthropique - People always bored me anyway - Et puis t’as surtout «Paris 1919», «the Everest, the Mona Lisa smile, the masterpiece within the masterpiece.» Doyle n’en finirait plus. Heureusement que c’est un mini-book.

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             Oh et puis t’as deux chroniques de concerts dans la presse anglaise. C’était au mois de mars à Londres, et à Glagow. Belle actu ! Stephen Troussé en trousse une demi-page, et qualifie Calimero d’«octogenarian art-rocker, still at the peak of his piratical powers.» C’est bien troussé ! Même si après, il radote la vieille anecdote du poulet vivant sacrifié sur scène. Tout le monde s’en fout. Troussé estime du haut de sa grandeur magnanime que Calimero a atteint le paradis, loin des excès du passé. Même les journalistes anglais racontent des conneries. Il note toutefois que the old wildness is alive, notamment dans ses deux derniers albums, Mercy et POPtical Illusion. Visiblement, les Londoniens ont plus de chance que les Normands, puisque Calimero les gratifie d’un «Hello London, nice to see you.» Troussé salue aussi Dustin Boyer «on free-roaming guitars». Dressé derrière son clavier, Calimero mène le bal. Troussé le voit comme l’Achab de l’avant-rock, qui sillonne «the seven seas of one of rock’s more confounding back-catalogues». Troussé se fend d’un final magnifique, en référence au «Frozen Warnings» que Calimero sort de l’oubli sur scène : the song at the heart of The Marble Index. Troussé parle d’une glacial masterpiece - The song could be a transmission from the deep dark past - or the distant future - but John Cale has never sounded so thrillingly alive - Wow ! 

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             Grahame Bent rend lui aussi hommage au vieux Calimero. Bent commence par le qualifier d’«one of the most significant survivors of the ‘60s, an important contributor to the decade’s seismic reverberations.» Calimero attaque son set écossais avec le «Shark Shark» tiré de POPtical Illusion. Bent cite les deux clins d’yeux à Nico : «Frozen Warnings» et «Moonstruck (Nico’s Song)». Les Écossais ont du pot, car Calimero revient fracasser une cover de «Waiting For The Man». Et Bent conclut son hommage de manière extrêmement seigneuriale : «John Cale reminds one and all that he’s beyond tidy classification and still ahead of his time.»

    Signé : Cazengler, John Cave

    John Cale. Paris 1919. Reprise Records 1973

    Mark Doyle. Paris 1919. 33 1/3. Bloomsbury Academic 2025

    Graham Bent : John Cale live at the Pavillon Theatre, Glagow. Shindig! # 163 - May 2025

    Stephen Troussé. John Cale live at Royal Festival Hall, London. Uncut # 336 - May 2025

     

    L’avenir du rock

    - Bye Bye Big Byrd

             Boule et Bill déboulent au bar. Ils encadrent l’avenir du rock qui sirote sa Jupi.

             — Ah bah dis, avenir du rock, on t’a vu hier soir au concert du Brian Jonestown !

             — Bah oui, Bill !

             Boule pose la main sur l’épaule de l’avenir du rock et lui dit :

             — On a vu ta grosse gueule de raie au premier rang. J’parie qu’t’as trouvé ça bien...

             L’avenir du rock retire la main de Boule de son épaule et lâche d’une voix lasse :

             — Bah oui, Boule...

             — On t’a aussi vu acclamer les mecs de la première partie, les Big Byrd, c’est ça ?

             — Bah oui, Bill...

             — Alors on te voit venir avec tes gros sabots... Tu vas essayer de nous les refourguer dans ta putain de rubrique !

             — Bah oui, Boule...

             — Chuis sûr qu’tu vas nous sortir toutes tes vieilles ficelles de caleçon !

             — Bah oui, Bill...

             — Tu vas nous faire le coup du Byrd dans les épinards ?

             — Ou encore le coup du Byrd en broche, ha ha ha ha !

             — Ou alors le coup du Byrd Doggin’, ha ha ha ha !

             — Ou bien le coup du Surfin’ Byrd, ha ha ha ha !

             — Ou encore le Byrd et l’argent du Byrd, ha ha ha ha !

             — Ou tiens, le coup du Ronnie Byrd, ha ha ha ha !

             — Tiens, j’te parie qu’y va essayer l’coup d’l’œil au Byrd noir, ha ha ha ha !

             — Ou alors le coup du Radio Byrdman, ha ha ha ha !

             À les voir se marrer comme des bossus, l’avenir du rock finit par rigoler avec eux :

             — Qu’est-ce que vous pouvez être cons, tous les deux. Vraiment cons comme des bites ! Vous n’avez pas inventé le fil à couper le Byrd !

     

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             Contrairement à ce qu’indique le titre, les Big Byrd n’ont rien à voir avec le «Bye Bye Bird» des Moody Blues. Ni avec le «Big Bird» d’Eddie Floyd. Ils n’ont rien à voir non plus avec les Byrds. Ils se réclameraient plutôt des parkas. Parki ? Parka !

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     Vroom vroom ! Le mec de Big Byrd aurait pu arriver sur scène en scooter. Une vraie dégaine de Mod anglais. On apprendra par la suite que le groupe est suédois, mais en attendant, on tombe sous leur charme, fuck, il faut voir comme ils groovent. Ils jouent en première partie du Brian Jonetown Massacre, donc ce n’est pas une surprise. Ils groovent même divinement bien. Tu t’en pourlèches les babines. Tu ne

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    sais alors pas d’où ils sortent, mais en deux cuts, ils se mettent la Cigale dans la poche. Tu te dis qu’il y a anguille sous roche : c’est impossible ! Des mecs aussi pros, aussi parfaits ? T’apprendras après coup que le parka man s’appelle Joakim Ahlund et qu’il grattait ses poux dans les fantastiques Caesars Palace, devenus les Caesars. Mais tout ça revient après coup. Sur scène, il se passe un truc tout de même assez rare : t’assistes au set d’une première partie révélatoire. En l’espace de 7 ou 8 cuts, ils te gavent comme une oie. My Gawd, comme ce mec est doué ! Comme ça sonne.

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    Te voilà revenu dans le meilleur des mondes. C’est assez vertigineux. Derrière parka man, t’as un mec à la basse, Frans Johansson, un autre aux claviers et encore un autre au beurre, mais on ne voit que parka man. Il porte des lunettes noires. Tu ne

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     sais rien de ses cuts, t’as jamais entendu parler des Big Byrd, mais tous ces cuts sans exception te flattent l’intellect. Tu découvriras encore par la suite que le premier album des Big Byrd est sorti sur A Records, le label d’Anton Newcombe. Il n’y a donc pas de hasard, Balthazar.

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             La première chose que tu fais en rentrant au bercail c’est de réunir un conseil extraordinaire et pour voter à l’unanimité le rapatriement des Big Byrd records. 

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             Pas surprenant que They Worshipped Cats soit sorti sur A Records : on se croirait chez Brian Jonestown ! T’es hooké dès le groove psyché d’«Indian Waves». Joakim et ses Big Byrd ont un sens aigu de l’hypno stratosphérique. Et ça continue avec l’harsh attack de «Tinitus Aeternum», gros shoot de vandalisme protozozo zébré d’éclairs psycho, le tout bien noyé d’écho. Quelle claque ! On retrouve Anton Newcombe dans le morceau titre. T’y retrouves aussi tout le power hypno du monde. Puis ils s’en vont tous chanter «Vi Börde Präta Mën Dët Är För Sënt» au sommet du lärd, ça sonne comme un hït, avec un fil mélodique impäräble. Ça dégouline littéralement de légendarité. T’en reviens pas de tant d’hauteur de vue. Encore de la clameur suprême avec «Just One Time» et de l’harsh attack dans «White Week». Joakim ne vit que pour l’up-tempo. T’entends même des échos de Beatlemania. Puis tu tombes sur le pot-aux-roses : le fast instro de «1,2,3,4 Morte» qui fonce à travers la nuit. Somptueux de power max. Puis ils entrent en vainqueurs dans ton imaginaire avec un nouveau coup de Jarnac, «Back To Bagarmossen». Quelle attaque ! Quelle majesté ! Encore de l’heavy groove de rêve digne d’Hawkwind ! Imbattable ! C’est du roule-ma-poule à travers toute l’histoire du (bon) rock, c’est du tout cuit, t’as le poids du power et le choc des chimères. Tu les laisses venir, alors ils viennent, ils sont tellement les bienvenus que t’en perds ton latin, c’est tout de même incroyable de voir ces demi-dieux se prélasser au soleil du groove marmoréen, et t’as des drones de trash qui traversent la scène, ce mec Joakim a du génie, on l’a bien compris l’autre soir à la Cigale, il aurait pu voler le show d’Anton Newcombe, mais comme Joakim est un mec élégant, il est resté en retrait.

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             Iran Irak IKEA n’est pas l’album du siècle, oh la la, pas du tout, mais on sent le métier derrière la pop, et t’es vite embarqué par l’hypnotique «Tried So Hard». Ils sont à l’aise avec l’hypno à gogo, c’est à la fois puissant et névralgique, tu savoures la qualité de l’hypno, c’est même une hypno de qualité supérieure. Ils vont plus sur Babaluma avec «A Little More Dumb». Ça sonne ! En B, ils vont plus sur le poppy poppah de la barbe à papah («Fucked Up I Was A Child») et avec «Eon», on se croirait chez Taxi Girl. On sent pourtant le métier derrière tout ça.

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             Bel album que cet Eternal Light Brigade. C’est tout de suite sexy, t’entends ronfler le bassmatic de Johansson. Une chose est sûre : t’as du son. Ils tapent en plein dans le Brian Jonestown Massacre avec «I Used To Be Lost But Now I’m Just Gone». C’est même effarant de similitude. Même chose pour le «Desolation Raga». Même école de pensée. Tu te sens sur la terre ferme. Et parka man te claque de beaux arpèges décolorés au sommet du beat. Parka man a un don, c’est indéniable. Il sait allumer un  cut de manière informelle, comme le montre encore cet instro du diable, «Katamaran». Ce bel instro hypno file sous le vent. Parka man sonne comme une superstar, il sait poser sa voix. On tombe plus loin sur un joli blaster nommé «Feels Like Wasting My Life Is Taking Forever». Ils savent allumer la gueule d’une pop. Parka man a du style, il adore les cuts imparables et l’ampleur considérable. Puis t’as Johansson qui embarque tout le monde en voyage intersidéral avec «I Gave It All Up To You». T’étonne pas si tu te sens complètement barré. C’est normal. 

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             Diamonds Rhinestones And Hard Rain ? On peut y aller les yeux fermés. T’as une belle entrée en lice lysergique avec «Mareld». Tu sens bien qu’ils ont un truc, ils se positionnent très vite dans la Mad Psychedelia, celle des géants comme le Brian Jonestown Massacre ou les Bardo Pond. Il faut bien ça pour tenir 10 minutes avec de la crédibilité. «Mareld» est un cut fantastiquement intense et qui monte bien en pression. Te voilà arrimé. Ils passent en mode hypno pour «Lycka Till Pa Farden» et on reste dans l’ambiance des coups de génie avec le morceau titre, amené au groove de swinging bassmatic, et cette fois ce démon de Joakim Ahlund chante. T’entends là l’un des meilleurs groupes de la galaxie moderne. Ces mecs excellent ad nauseam. Ça sonne comme l’un de ces cuts d’avant concert que tu ne connais pas et qui te résonnent dans l’âme. Les Big Byrd sont dans leur monde d’heavy-groove hypnotique, comme s’ils se reposaient après les tempêtes des Caesars. Le groupe est vraiment bon. Il touche à tout. Doigts de fée. Sens aigu. Vraies fines fleurs de Java.

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    Dans la foulée, tu ressors tous tes Caesars de l’étagère. Ces cracks du boom-hue démarraient en trombe en 1997 avec un excellent album, Youth Is Wasted On The Young. L’hit s’appelle «My Abuction Love», un hit chanté à la cantonade effervescente, monté sur un fil mélodique très britannique à la Oasis. C’est solide et terriblement british. Better than Liam. Ces mecs sont des fous. Leur fonds de commerce, c’est l’ultra-power pop, et dès «Sort It Out», ils s’engagent de plein fouet, ils chantent comme des bites en rut, c’est extrêmement exacerbé, axé sur l’énergie sexuelle. Trop de rut. C’est même écrasant de rut. Ils sont dans l’excès du genre, atrocement puissants. Leur son n’en finit plus d’exploser dans «Let’s Go Parking Baby». Leur surplus d’énergie les condamne aux galères. Avec «I’m Gonna Kick You Out», ils ramènent le meilleur son de Suède, ils jouent au riff dévasté, tout est saturé de puissance sonique. Leur puissance repose sur le principe d’un effroyable surplus. S’ensuit un «You’re My Favorite» solidement débouté du bulbe. Ils proposent avec cette nouvelle résurgence un sale garage suédois, une sorte d’abomination idoine cisaillée à vif. On croirait entendre des mecs de Manchester. Ils sont aussi les rois du Big Atmospherix comme le montre «Optic Nerve». Ça chante à l’Anglaise, ils manient l’explosif comme des experts. Ce mec chante à contre-courant avec la puissance d’un saumon d’Écosse. Fantastique chanteur érodé. Ils explosent le plafond de verre de la pop. Quelle fête pour l’esprit ! Avec «Anything You Want», ils foncent dans la nuit urbaine sans ceinture, sans foi ni loi, c’est très sexuel, très suédois. Ils reviennent au burst de power-pop avec «She’s A Planet». C’est mecs n’en finiront plus d’exacerber les choses. On tombe plus loin sur un autre bombe intitulée «You Don’t Mean A Thing To Me». Explosé du beat. Trop de son. Gorgé de graines de violence. Ultra-joué. 

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             Cherry Kicks pourrait bien être l’un des plus grands albums de rock de l’an 2000. Il s’y niche pas moins de cinq classiques power-pop du style «Subburban Girl». L’énergie pulse dans les veines du cut, c’est embarqué à la petite folie. Ces mecs ne font pas n’importe quoi. Ce sont des diables sortis de nulle part. Voilà encore un cut puissant et ravageur. S’ensuit un «Crackin’ Up» demented are go à gogo. Du son rien que du son ! Si on aime le son, c’est eux qu’il faut aller voir. Leur «One Cold Night» est noyé du meilleur son d’attaque frontale. Ils sont déterminés à vaincre l’inertie des oreilles occidentales. Alors ils chargent leurs roueries atroces, les percées se font spectaculaires, au-delà du supportable. Encore de la fuckin’ power pop avec «Spill Your Guts». Ils sont dans l’énergie extravagante, c’est explosé d’avance et sans sommation. Ils sont bons, bien au-delà des expectitudes. Ils frisent en permanence le génie pur. Avec «Oh Yeah», ils reviennent à quelque chose de plus pop, mais ça reste très capiteux, cette pop monte bien au cerveau, elle devient même un peu folle comme souvent chez les Caesars. Ils ne ratent jamais une occasion de tout dévaster. Ils n’ont aucune patience pour la vergogne. «Punk Rocker» se veut plus kraut dans l’esprit. Ils suivent leur petit bonhomme de chemin hypnotique. Encore un cut qui interpelle quelque part : «Fun & Games» qu’ils attaquent avec un Hey girl de bon aloi. La tentative d’envolée psyché est vite écrasée par un troupeau de pachydermes. La puissance de la production renvoie une fois encore à Oasis. On croit qu’ils vont se calmer en approchant de la fin du disk. Pas du tout ! «From The Bughouse» explose littéralement. Ils ont tellement de son que Bughouse devient une horreur congénitale. C’’est un tourbillon de potage instantané. Ils effarent même la revoyure et jouent au vermillon du bon vouloir, ils envoient valser la power-pop dans les orties. Encore plus terrifiant : «Only You». Ils y deviennent impétueux et jouent une sorte de stomp de bottes à clous.

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             Sur Love For The Streets paru en 2002 se trouve un coup de génie intitulé «Do Nothing».  C’est l’apanage emblématique du powerful. Il n’existe rien d’aussi dément sur cette terre. C’est ponctué à la petite note numérique, dans une ambiance heavy et musculeuse - I tied to make her see me - Fabuleux - I’m trying hard to help myself but I just do nothing - Hit fondamental. L’autre grand cut de l’album s’appelle «Jerk It Out». Leur appétit carnassier remonte à la surface, c’est excellent car joué avec des facilités intrinsèques. «Let My Freak Flag Fly» sonne aussi comme un hit. Voilà une pop-song parfaite, chant idoine et accords chatoyants soutenus à l’orgue. On se goinfre aussi de «Candy Kane», et de l’incroyable poppabilité des choses. Ça sonne comme un hit de radio pirate. Ces mecs visent le chart-toppisme d’undergut. On sent la fermeté d’un grand groupe et on savoure leurs orchestrations faisandées. Quand on écoute «Mine All Of The Time», on sent clairement le groupe qui bosse pour percer. Mais ça ne marche pas à tous les coups. Bosser pour percer n’a jamais mené à rien. Ils jouent avec le feu dans «Burn The City Down», cut insurrectionnel traité au poppisme californien ensoleillé - Let’s burn the whole city down/ Burn it to the ground - C’est admirable de parti-pris et ça sonne comme un hit californien. Ces mecs écoutent très certainement des bons disques. 

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             Paper Tigers a failli partir à la revente, mais la réécoute lui a sauvé la mise. Les Caesars ne sont pas des empereurs romains, mais des Suédois. On a un petit problème pour suivre l’ordre des morceaux car la pochette arty brouille un peu les pistes. Mais dès «Spirit» qui ouvre le balda, on sent le souffle d’une pop-psyché de haut rang. C’est bardé de son et ça monte vite en température. Encore de la pop enjouée avec «It’s Not The Fall That Hits». Oui, on peut même parler d’une pop de bonne haleine et de dents soignées. Même chose avec «Out Here», excellent brouet de pop puissante. On peut en dire autant de «May The Rain» et de «My Heart Is Breaking Down». Quant au morceau titre qui referme la marche de l’A, il renvoie aux Beatles. On retrouve cette solide pop de panier garni en B avec «Your Time Is Near». Tout cela tient admirablement bien la route. «Winter Song» évoque les rues de Londres en hiver et la mélodie pince le cœur. S’ensuit un fantastique «We Got To Leave» digne des grands hits de pop californienne, avec son envolée, et voici encore une pure énormité avec «Soul Chaser», solide, tendu, foison à gogo. C’est du niveau des très grands disques de pop américaine, on pense bien sûr aux Beach Boys. Pur génie pop ! Ils bouclent avec «Good And Gone», pur jus de genius cubitus, all along all along, good & gone, avec des unissons vibrés qui renvoient directement au Teenage Fanclub.

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             Très peu de groupes atteignent le niveau d’un album comme Strawberry Weed. Il faut se méfier, les coups de génie y pullulent. À commencer par «Turn It Off», qui sonne encore mieux qu’un hit d’Oasis. C’est joué à la violence pénultième. Le génie des Caesars s’abreuve à l’Oasis. Pur esprit de make me glad. Ils font du pur jus d’Oasis, so empty, so sad, then make me glad, le tout vrillé par un solo démento et bien sûr, des gouttes de notes nous ponctuent tout ça aux petits oignons. D’ailleurs, cet album s’annonce bien, car dès «Fools Paradise», il défoncent le fion du rock paradise. Les Suédois ne rigolent pas avec ça. Souvenez-vous des Vikings. Ils enfilaient tout ce qui avait un trou entre les jambes, comme dirait Dickinson. C’est le géant Ebbot Lundberg qui produit cette horreur poppy avenante. Encore de l’Ebbot avec «Waking Up», gros shoot de pop énervée secoué de falling down et de shame, tout est ramoné dans la cheminée, ça ramone sec, c’est absolument dément d’instance et troué au cœur par un killer solo explosif. On reste dans l’énormité avec «She’s Getting High», shot down in your face de lapin blanc, solide et événementiel, ces mecs tirent le rock vers un vallalah d’excellence, ils ramènent tout l’overtime du monde dans leurs notes suspendues et ça prend de sacrées couleurs ! On va de surprise en surprise, comme d’ailleurs sur tous les albums des Caesars. Voilà qu’on tombe sur «Boo Boo Goo Goo», un cut riffé à la Viking, there you go again, ces mecs ont le diable dans le corps, ils maîtrisent toutes les ficelles de caleçon, impossible de les régenter, ils sont trop parfaits, et le cut se barde d’accidents techniques qui voudraient passer pour des excès de virtuoses. «In My Mind» sonne exactement comme le hit universel inespéré. Ils nous pulsent ça aux power-chords. Ces mecs disposent d’une sorte de génie américain, ils sont dans le blow-out, et visent l’excellence du brio. Quelle révélation ! Ils cultivent une sorte de gourmandise pour le beautiful heavy sound. Ils jouent «Crystal» au garage rampant et se montrent mille fois supérieurs à tous les groupes garage qu’on voudra bien imaginer, sauf les Nomads, évidemment. Avec le morceau titre, ils font de la pop claquée de l’intérieur, hantée par des accords de rêve. Comme c’est un double CD, l’aventure se poursuit avec «New Breed», power-pop martelée au popotin suédois et éclairée par un solo en arpèges de crystal clear. Plus on avance et plus ce groupe fascine. Et voilà «No Tomorrow» saturé de bassmatic. Ils défoncent la gueule des fjords. Encore une fois, ça sonne comme un hit inter-galactique, ça chante à la chevrotante et ils n’en finissent plus de briller au firmament. Ils en deviennent fatigants. Ils maîtrisent les sciences occultes du son et du stomp et s’emploient à délivrer des solos d’embrasement congénital. Ils n’ont que des ressources inépuisables. Ils sont aussi brillants que Jook. Merveilleux cut que cet «Easy Star» béni des dieux : on s’y sent comme dans un lagon, on s’y baigne indéfiniment, tout n’y est que luxe, calme et volupté tahitienne des fjords. Ils nous rament «Up All Night» aux galères du rock. Ils savent traverser un océan à la rame. Ces diables sonnent une fois de plus comme Oasis et sortent pour l’occasion la plus terrible cisaille du monde. Et puis on peut en prendre un petit dernier pour la route : «New Years Day», big shoot d’heavy pop défenestré.

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             39 Minutes On A Bliss est une sorte de compile, et dans le cas des Caesars, ça vaut le détour. Chez ces gens-là, tout est monstrueux, gonflé, rempli de son jusqu’à la gueule. «Sort It Out» sonne comme une explosion de pop craze. Ces Suédois jouent comme des dingues et ils resplendissent au firmament de la pop. On pourrait même les qualifier du groupe majeur du monde moderne. Ils développent une fabuleuse énergie et nous plongent dans des abysses fructifiantes. Ils pulsent à outrance et se croient invincibles. Voilà leur force. Avec «(I’m Gonna) Kick You Out», ils proposent un garage pop incroyablement qualitatif et explosé aux clameurs d’unisson. Ils pourraient servir de modèle. S’ensuit un «Let’s Go Parking Baby» claqué vite fait. Quelle santé de fer ! Ces mecs se situent au-delà de toute mesure, bien au-delà de la power-pop. Les Caesars balayent tout sur leur passage. On espère secrètement qu’ils vont se calmer, car ce genre de disque n’est pas de tout repos. «Out Of My Hands» sonne comme un coup de génie. Quelle giclée ! Les accords sont grattés dans les règles de l’art caesarien. Ils claquent tout à l’absolue divination et ça tourne vite à la sorcellerie. Encore un coup d’éclat avec «Crackin’ Up». Ils explosent leur power-pop à discrétion, comme si la grenade tardait à exploser. Ils font deux couplets à sec et ça monte. Ils ont cette facilité à gérer les attentes. Un esprit hante ce groupe. «You’re My Favorite» sonne comme l’un des plus violents garage-cuts de l’histoire du garage. C’est chanté sale, mais avec du répondant de son. On entend des accents à la Johnny Rotten dans le chant. Ça se termine avec l’excellent «You Don’t Mean A Thing To Me». Cette fois, ça explose pour de vrai. Ils ont des ressources insoupçonnables. Ce cut rebondit dans les murs. Voilà du vrai garage énervé et incontrôlable, imputrescible et bienvenu dans la confrérie. C’est joué à l’ultimate de la tomate, claqué aux chords de no way out, avec un spectaculaire retour de manivelle dans le corps du texte.

    Signé : Cazengler, Big burne

    Les Big Byrd. La Cigale. Paris XVIIIe. 20 mai 2025

    Caesars Palace. Youth Is Wasted On The Young. Dolores Recordings 1997

    Caesars Palace. Cherry Kicks. Dolores Recordings 2000

    Caesars Palace. Love For The Streets. Dolores Recordings 2002

    Caesars. Paper Tigers. Dolores Recordings 2005

    Caesars. Strawberry Weed. Dolores Recordings 2008 

    Caesars. 39 Minutes On A Bliss. Dolores Recordings 2003

    Les Big Byrd. They Worshipped Cats. A Records 2014

    Les Big Byrd. Iran Irak IKEA. PNKSLM 2018

    Les Big Byrd. Eternal Light Brigade. Chimp Limbs 2022

    Les Big Byrd. Diamonds Rhinestones And Hard Rain. Chimp Limbs Recordings 2024

     

     

    Wizards & True Stars

     - Le rock à Billy

     (Part Six)

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             Et hop, Big Billy repart à l’aventure en 1985 avec l’ex-Milkshake & boss de la basse John Agnew, et un certain Del au beurre, qui n’est autre que Graham Day. Objectif gaga-blow, c’est-à-dire donner au garage anglais de nouvelles lettres de noblesse. Huit albums en quatre ans, au rythme de deux par an, c’est une bonne moyenne pour un intensiviste acharné comme Big Billy. 

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             Il commence par aplatir la gueule de Beware The Ides Of March à coups d’accords de Dave Davies dans «It Ain’t No Sin». Big Billy adore gratter les accords des early Kinks. Et en B, il recrée le mythe du proto-punk avec «Give It To Me». Il est obsédé par le protozozo, il n’en démordra jamais, et il inaugure sa nouvelle marotte : le wouahhhhhhhh qui lance un killer solo flash. Magnifique ! Et puis, tu croises aussi des clins d’œil à Linky Link («Rumble») et à Bo (version endiablée de «Road Runner»).

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             La même année sort l’album sans titre Thee Mighty Caesars. On les voit déguisés en empereurs romains. Bruce Brand remplace provisoirement Del au beurre. Quelle blague ! Par contre, on ne rigole plus avec le real wild deal de «Wily Coyote», ce shoot d’early British rock’n’roll. Puis Big Billy te gratte «It’s A Natural Fact» à la sourde, mais pas n’importe quelle sourde, la sourde féroce ! En B, ils ramènent tout le poids de l’Antiquité dans un instro dramatique, «Death Of A Mighty Caesar» et Big Billy revient à son obsession protozozo avec «Why Don’t You Try My Love». Ça barde sec ! Wouaaahhhh et puis t’as le solo d’ultra-fuzz qui s’étrangle dans sa bave.  

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             Les Caesars montent encore en puissance avec Acropolis Now. Big Billy reste fabuleusement déluré, il adore perdre le contrôle dans les virages, Wouaaahhhh ! Le balda reste assez classique jusqu’au moment où «You Make Me Die» te tombe sur la gueule. En vrai. Big Billy te monte ça sur les accords de Dave Davies. Il fait du post-protozozo. Ça marche à tous les coups. Pur esprit. La viande se planque en B. Petite coquine... Bam !, dès «Loathsome ‘n’ Wild». Big Billy taille la pire des routes, la route wild as fuck, t’en perds le contrôle des mots. Il monte plus loin «Despite All This» sur la carcasse de «Pushing Too Hard», mais au ralenti et on observe un violent retour au protozozo avec «I Don’t Need No Baby», un stomp de Medway. Tout le protozozo d’Angleterre est au rendez-vous. Il monte ensuite son «Dictator Of Love» sur un beau Diddley beat et sort le big fuzz out pour «I Was Led To Believe». Ça te nettoie les bronches. Big Billy creuse un tunnel sous le Mont Blanc avec sa fuzz et ça bascule dans la folie par inadvertance. Il faut avoir écouté ça au moins une fois dans sa vie. C’est du très grand art.  

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             Au dos de Thee Caesars Of Trash, tu peux lire : «For the last III years Billy, John and Graham have been at the forefront of the British garage scene influencing all who see and here (sic) them play, with over XVII LPs of experience between them they truly are Thee Caesars of Trash, play this records now and play it loud - Punk from Pompay.» Signé : William Loveday, nov ‘85. C’est l’album des covers de choc, à commencer par «Oh Yeah», magnifique clin d’œil aux Shadows of Knight, she loves me, tout y est, oh yeah, she’s my babe. En B, t’as «Not Fade Away», big Buddy/Bo flash-back via les early Stones, et puis une cover excédée de «Psycho». Saluons aussi ce pur gaga de la menace qu’est «It’s You I Hate To Lose», gorgé de tout le power de Dave Davies et serti d’un acre killer solo flash.

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             Big Billy repart de plus belle avec Wise Blood : dans «I Can’t Find Pleasure», il passe l’un de ses pires killer solos trash. S’ensuit «Come Into My Life», un heavy schloufff des Puissants Caesars. Pure heavyness impériale ! Avec «Signals Of Love», tu renoues tout simplement avec le pur génie d’Angleterre, et il repasse en mode dark gaga avec «I Self Destroy», et il y va à coups de yeah yeah I self destroy. Encore une sévère leçon de maintien avec le morceau titre. Si tu vas en B, tu vas tomber sur un bel hommage à Bo avec un «Kinds Of Women» bien allumé et riffé à la vie à la mort. Ce brillant album s’achève sur un «Signals Of Love (Slight Return)» qui tape en plein dans la première époque des Stones. Big Billy est le plus complet des artistes complets. Au dos, William Loveday, aka Big Billy, déclare : «It takes us under 2 days and under £300 to record an album... we were brought up in Punk Rock, that’s where our Rock’n’Roll comes from. The resulting music is raw and irreverent, shining out as a beacon of human decency against the over produced, over sophisticated, over commercialised, computerised pop that predomines todays airwaves.» Belle déclaration d’intention.  

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             Et si le Live In Rome était l’un des plus beaux albums live de l’histoire du rock ? Va-t-en savoir. Au dos, William Loveday rappelle que lui, John et Del ont toujours été «into Rome» : «The early Clash, Link Wray, Leadbelly and ancient Rome». Et donc, ils ambitionnaient d’enregistrer à Rome, puisqu’ils passionnés de Rome. Ils y tapent des covers du diable : le «Neat Neat Neat» des Damned (bien drivé par ce démon de John Agnew) et «Submission» (Big Billy fait bien son Rotten et tape en plein dans le mille de la Pistolmania). Mais il y a aussi du wild as fuck avec «Wily Coyote» et sa ferveur maximaliste, suivi de l’incroyable shout de «Give It To Me», claqué à l’Hofner Gibson copy. Wouahhhhh ! et Big Billy plonge dans les enfers d’un killer solo flash. «I’ve Got Everything Indeed» n’a aucune pitié pour les canards boiteux et Big Billy lance le killer solo flash de «Devious Means» non pas au wouahhhhhh mais au yahhh yahhh. Il a des variantes ! Et ça termine avec un «Baby What’s Wrong» qui pulvérise tout. Wild as Mighty Caesar fuck !  C’est stompé dans la paume du beat, en mode High Heel Sneakers.               

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             John Lennon’s Corpse Revisited est le premier d’une série de trois albums sur Crypt (les deux autres sont des compiles). Les trois albums bénéficient de pochettes fantastiques, bien soutenues aux tons primaires. Le cyan et le yellow flattent l’œil. Pour le Lennon’s Corpse, ils ont imaginé une parodie du montage de Sgt Pepper’s, et nos trois Caesars portent déjà les headcoats du projet suivant, Thee Headcoats. Démarrage en trombe sur le «Lie Detector» qui sonne d’office comme un immense classique gaga. Big Billy recycle les accords de «Louie Louie» dans «Confusion» et passe à la vitesse nettement supérieure avec un «Home Grown» digne des Who. On croise aussi deux covers du diable sur cet album, «Beat On The Brat» (bien troussée à la hussarde de what can you do) et «Career Opportunities» (Big Billy adore le premier album des Clash). Puis il fait éclater son génie gaga au firmament avec un vieux shoot d’early British Beat, «Because Just Because», sacrément cavalé, et «Somebody Like You», fantastique chasse à courre d’accords sauvages. Imbattable. 

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             Les deux belles compiles Crypt (English Punk Rock Explosion! et Surely They Were The Sons Of God) valent bien sûr le détour. Parce qu’on y retrouve tout ce qui fait le génie de Wild Billy Childish : «I Don’t Need No Baby», «I Was Led To Believe» (overdose de fuzz), «Now I Know» (monté sur le «New Rose» des Damned), «I’ve Been Waiting» (épais protozozo), «Loathsome ‘N’ Wild», et Kinds Of Women», qui est du pur Bo.

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             Sur Surely They Were The Sons Of God, tu retrouves «Signals Of Love» (fantastique profondeur), «I’ve Got Everything Indeed» (radical), «It Ain’t No Sin» (monté sur les accords de Dave Davies), «Why Don’t You Try My Love» (immense classique), «She’s Just 15» (les descentes de couplets sont typiques d’I wanna be anarchy/ In the city), «Don’t Say It’s A Lie» (monté sur la carcasse de «Brand New Cadillac») et «Give It To Me», monté sur une carcasse des Seeds, avec une belle diction à la Sky.

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             Un peu plus tard, Big Billy va sortir Caesars Remains, sous-titré Punk From The Vaults Of Suave. Pochette marrante : on voit Big Billy et John Agnew sauter en l’air avec leurs grattes. T’es content d’avoir rapatrié l’album car Big Billy y fait une cover sauvage d’un classique sauvage, le «1977» des Clash qui n’est pas sur leur premier album : Clashmania à la Big Billy ! Vertigineux de justesse ! Tu ne peux pas rêver mieux, c’est impossible. Et en B, ils reviennent aux early Kinks avec «Your Love» - The more I have/ The more I want - Le ‘baby’ de Big Billy est le modèle absolu. Tu veux chanter dans un groupe de rock ? Alors écoute comment se prononce ‘baby’.

    Signé : Cazengler, Mighty Cœnnard

    Thee Mighty Caesars. 39 Minutes On A Bliss. Dolores Recordings 2003

    Thee Mighty Caesars. Thee Mighty Caesars. Milkshakes Records 1985

    Thee Mighty Caesars. Acropolis Now. Milkshakes Records 1986

    Thee Mighty Caesars. Thee Caesars Of Trash. Milkshakes Records 1986

    Thee Mighty Caesars. Wise Blood. Ambassador 1987

    Thee Mighty Caesars. Live In Rome. Big Beat Records 1987                    

    Thee Mighty Caesars. John Lennon’s Corpse Revisited. Crypt Records 1989

    Thee Mighty Caesars. Caesars Remains. Hangman Records 1992

    Thee Mighty Caesars. English Punk Rock Explosion! Crypt Records 1988

    Thee Mighty Caesars. Surely They Were The Sons Of God. Crypt Records 1990

     

     

    L’avenir du rock

     - Baby Gillespie

    (Part Two)

             — Dis donc, avenir du rock, t’en as pas marre des vieilles lanternes ?

             — Ben non. C’est dans les vieilles lanternes qu’on fait les meilleures soupes !

             — Tu nous soûles avec tes pirouettes à la mormoille !

             — C’est fait pour !

             — Non mais franchement, t’en as pas marre de ramener tous ces vieux crabes, les John Cale et les Childish et les Newcombe et les Perrett ?

             — T’oublie les pot-au-lait, mon poto laid !

             — T’arriverais presque à nous faire marrer si t’étais pas aussi pathétique...

             — Pathénique ta mère !

             — Plus on t’enfonce l’épée dans le garrot, plus tu rues...

             — Je suis né dans la rue par une nuit d’orage, oh oui je suis né dans la rue !

             — Voilà qu’y nous fait le Johnny, maintenant ! T’as vraiment pas d’figure !

             — Tu te gures, mauvais augure ! J’ai plus de chasses dans la figure, Horachiotte, que n’en imagine ta pilosité !

             — On s’épuise à t’écouter déblatérer, alors qu’est-ce que ça doit être pour toi ! T’es pas rincé par tout ce débit de conneries ?

             — Pffffff ! C’est toi qui devrais être rincé par le sentiment ton inutilité. Franchement, j’aimerais pas du tout être à la place d’un mec de ton niveau.

             — T’inquiète pas pour ça avenir du rock. Si t’es content d’être un guignol, alors tant mieux pour toi. 

             — Le guignol te salue bien, mon con joli, et s’en va de ce pas à la Cigale pour aller se prosterner devant une autre vieille lanterne, Baby Gillespie.

             — Gillespitoyable !

             — Faux ! Gillespygmalion !

     

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             La statue que caresse Baby Gillespygmalion est en fait celle de Primal Scream, qu’il aura passé vie à conduire à la gloire. Quarante ans de Primal Scream, c’est pas rien. C’mon ! Alors les voilà, sous les ors et les stucs de la Cigale, Baby Gillespie et toute sa bande, une basswoman d’un côté et Neil Ines de l’autre, vétéran parmi les vétérans, sous un petit chapeau, arborant une belle liquette LAMF. Il joue tellement

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     fort qu’il couvre la voix du pauvre Baby Gillespie, qui n’a jamais eu de voix, mais qui a toujours été là, qui a toujours su danser derrière un micro, et ce depuis la nuit des temps du Scream. Et tu vas assister pendant quasiment deux heures au plus gros festin de Stonesy qui se puisse imaginer, Baby Gillespie rocke le boat de la Cigale et

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    la foule fait ouuuh-ouuh/ Ouuuh-ouuh oui, les ouuuh-ouuh/ Ouuuh-ouuh de «Sympathy For The Devil», les Parisiens adorent la vieille Stonesy et ça va atteindre des sommets avec «Medication» et plus loin l’imparable «Movin’ On Up», l’un des plus beaux hommages jamais rendus aux Stones, l’un de ces cuts que Keef aurait bien aimé pondre, mais trop tard, Baby Gillespie et ses amis sont passés par là. Oh et puis t’as encore ce «Country Girl» qu’on dirait sorti tout droit d’Exile On Main Street. Une vraie piqûre de rappel. L’un des pires shoots de Stonesy qu’on ait vu ici-bas depuis «Tumbling Dice», même genre de magie chaude, même genre d’appel à l’émeute des sens, même genre de message direct à ta cervelle. Et en rappel, Baby

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    Gillespie va atteindre le sommet de l’Ararat avec un puissant shoot de «Rocks», il n’a même plus besoin de chanter, on chante tous pour lui - Get your rocks off/ Get your rocks off honey/ Shake it now now/ Get ‘em off downtown - comme une profonde clameur sortie des bulbes inféodés, comme une sourde pulsion issue des profondeurs de la conscience collective, l’incarnation populaire de la Stonesy, toute la foule rock scande le sourd spirit de Rocks, Get your rocks off/ Get your rocks off/ Honey, comme une primitive respiration atrabilaire, ça sort du ventre rock, ça respire par les

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    bronches rock, ça pulse entre les reins du rock, ça gronde de plaisir sous la surface des peaux rock agglutinées, ça s’applique à swinguer la Soul de Shake it now now, le now now n’a jamais été aussi pur, aussi viscéral, le Get ‘em off downtown remonte loin aux sources, il faut imaginer des tribus tapies dans l’ombre des ruines des capitales, Shake it now now, et Baby Gillespie tend son micro, il en rit car ça sonne comme un miracle, on vit tous une sorte de moment d’éternité. T’as la Soul du rock. Now now.

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             S’il faut écouter le nouveau Primal Scream, Come Ahead ? Bonne question. La réponse est comme d’usage dans la question. Mais si t’as pas envie, t’es vraiment pas obligé. En réalité, tu le fais seulement par sympathie, car ça fait un bail que les albums de Primal Scream ne valent quasiment pas un clou. Baby Gillespie attaque avec un gospel qui bascule dans le diskö-beat : «Ready To Go Home» sonne en effet comme un étrange mélange évolutif. Il passe au funk avec «Love Insurrection» :

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    Baby Gillespie s’en va traîner dans le ghetto pour bricoler un funk blanc. Tu en penses ce que tu veux. Il retombe systématiquement dans les plans prévisibles, mais dans l’ensemble, les cuts sont bien foutus, noyés de son et de chœurs. Les deux blackettes qui l’accompagnent sur scène sonnent merveilleusement bien. Il atteint son sommet avec «Innocent Money». Il a énormément de son, ça groove bien dans la couenne du son, on peut qualifier la prod d’intense et revancharde, avec des belles pointes de chaleur. Puis l’album va perdre de l’altitude. Baby Gillespie bouffe à tous les râteliers : l’africain avec «Cursus Of Life» (percus de «Sympathy For The Devil» + les chœurs du funk), la romantica («False Flags», mais il n’a pas de voix), le groove interlope («Deep Dark Waters») et l’acid house («The Centre Cannot Hold», il a toujours du goût pour la sautillade sous ecstasy, ça n’a aucun strictement intérêt). Le niveau de l’album est tout de même relativement bas. C’est un album que tu ne recommanderais pas, même à ton pire ennemi.  Par contre, il faut aller voir Primal Scream sur scène pour ce moment d’éternité : Get your rocks off/ Get your rocks off honey/ Shake it now now/ Get ‘em off downtown !

    Signé : Cazengler, Primate script

    Primal Scream. La Cigale. Paris XVIIIe. 10 juin 2025

    Primal Scream. Come Ahead. BMG 2024

     

     

    Inside the goldmine

     - Darando a bon dos

     

             Durando avait un gros avantage sur nous autres, les pouilleux du lycée : il avait du blé. Non seulement il portait toutes les sapes à la mode, mais il avait en outre les cheveux longs, de beaux cheveux blonds coiffés comme ceux des Brian Jones. Ses parents lui foutaient la paix avec ça, ce qui n’était pas le cas des nôtres : ils passaient chez le coiffeur du quartier pour donner la consigne, «les oreilles bien dégagées». C’était une façon de nous castrer. Avec ces coupes à la con, on n’avait aucune chance auprès des gonzesses. Elles allaient naturellement vers les mecs à cheveux longs. La mode yé-yé battait son plein, et comme le disait si joliment Yves Adrien, «tous les garçons s’appelaient Ronnie», sauf nous, les pouilleux du lycée, affublés de nos hideux cabans et de ces pantalons de tergal qu’on nous forçait à porter, alors qu’on ne rêvait que de Levis en velours côtelé. Durando s’habillait chez Happening et se baladait dans les rues en costard noir à fines rayures blanches. Il complétait son look de dandy avec le col roulé blanc que portait Brian Jones dans Salut Les Copains. C’est à cette époque qu’on réalisa pleinement la différence qui existe entre le fait d’être bien né et celui d’être mal né. Nous devînmes des pouilleux envieux, et c’était pas terrible. Histoire de bien attiser nos frustrations, Durando organisait chaque week-end une surboum chez lui. Ses parents partaient en week-end à l’étranger et lui laissaient cette belle villa située sur la côte, pas très loin de Deauville. Il organisait ses surboums dans la cave et y passait les albums qu’il avait ramenés d’Angleterre. Il était dingue de James Brown, alors la cave devenait une étuve. Bien sûr, les gonzesses étaient là pour baiser, mais elles ne baisaient pas avec nous autres, les pouilleux du lycée. Malades de frustration, on restait agglutinés au bar et on vidait toutes les bouteilles pour bien se schtroumpher. Et ça nous rendait encore plus malades de voir Durando rouler des grosses pelles aux gonzesses qui l’approchaient pour danser avec lui. C’était plus qu’on ne pouvaient en supporter. Nous quittâmes la cave, sortîmes dans le jardin et fracassâmes la mobylette toute neuve de Durando.

     

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             Pendant que Durando éblouissait toutes les petites gonzesses de la côte normande, Darando sommeillait dans le marigot de l’underground. Ce n’est pas exactement le même destin, mais les becs fins auront une préférence bien marquée pour celui de Darando, fantastique pouilleux de l’underground le plus ténébreux.

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             C’est Alec Palao qui s’y colle. Au dos du booklet de Listen To My Song - The Music City Sessions, tu vois un doc signé : «To Alec from Darando». Alors qui est ce mystérieux Darando ? Un certain William Daron Puilliam originaire de Berkeley, dans la Baie de San Francisco. Darondo commence par idolâtrer les jazzmen et les Isley Brothers, Ray Charles, les Dells, et puis Motown. Bien sûr, Palao fouine dans les archives et digresse longuement sur le premier groupe de Darando, The Witnesses.

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             Darando montre très vite un penchant pour la flamboyance. Il roule en «white Rolls Royce Silver Cloud, complete with phone and hot plate». Il va dans les clubs, donne des gros pourboires aux serveuses qui le surnomment Daran-dough. Puis Palao arrive très vite aux fameuses Music City sessions et commence à jongler avec les «breathless teasing vocals» et les «gravelly baritone to wailing falsetto in the space of a measure». C’est vrai, si tu écoutes l’«I Don’t Understand It» qui ouvre le bal de Listen To My Song - The Music City Sessions, t’es frappé par la sauvagerie du chant et du son. C’est du proto-punk de black rock, vicieux, ravageur, unique ! Avec la pulsion demented du bassmatic. Il met encore la pression avec «I’m Gonna Love You», il la crée et l’alimente à coups d’in the morning et d’ouh when the sun goes down. Coups de génie encore avec «King’s Man» - I’m a king’s Man/ Do the boogaloo/ If you wanna doo - Il est complètement génial, il pousse le bouchon de la modernité à coups d’I feel good in the morning et de Get down baby, c’est une vraie pétaudière, funky beat suivi là l’harp, king’s man get down, il paraît épuisé. Ça continue avec «Qualified», amené aux petits accords funky, il pose son énorme voix sur le big fat beat de bass/drum. Durando est l’un des rois inconnus du Soul System. S’ensuit l’heavy downhome groove de «Sexy Mama», il s’étale comme un trave sur le beat, baby talk to me/ Love your sexy way, il fait les deux voix, la grave tranchante et la féminine, il crée du bright climax et du hot sex. T’as encore «Didn’t I», le slowah lubrique, même là, il est bon. Il sait feuler entre tes reins. Immédiate qualité de l’intermezzo encore avec «Luscious lady», il y rentre à l’accent incroyablement tranchant, c’est une Soul urbaine de classe supérieure. Puis il vire hard funk avec «Get Up Off Your Butt», mais c’est le Durando hard funk, il crée son monde au get up, il y va au get on down, avec un beurre historique. Quelle révélation ! Suite du festin royal avec «Gimme Some». Il se coule dans ta culotte comme le serpent du jardin d’Eden. Quel fantastique artiste ! Son «Do You Really Love Me» est incroyablement moderne, et «The Wolf» n’en finit plus de t’interloquer, car voilà un cut tellement étrange et lancinant, monté sur un fat bassmatic. Il sait aussi groover les sentiments, comme le montre «Listen To My Song». Il reste étrangement beau, même au lit.

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             Et puis t’as cet album extravagant de qualité, Let My People Go. Tu vois toutes les bagues de Darando et ses yeux injectés de sang. Et c’est rien en comparaison du morceau titre d’ouverture de balda, ce shoot d’heavy swamp-blues bien raw qui va tout de suite sous ta peau. Darando fait le Marvin des marécages, avec derrière lui une basse bourbeuse et des chœurs fantômes. Et ça continue avec «Legs (Part 1)», encore plus muddy, il fait la folle à la James Brown et les brrrrrrr de Screamin’ Jay. Le son est bourbeux, mais à un point dont on n’a pas idée. Darando groove le muddy, il n’existe pas de son plus primitif et plus vermoulu. Il travaille encore le groove de «Didn’t I» au corps, il feule pendant que ça violonne dans la couenne du lard. Avec «I Want Your Love So Bad», tu retrouves ce sens aigu de la dérive à la Marvin, mais avec un son incroyablement bourbeux. On entend même des échos magiques de «What’s Going On». La B s’ouvre sur «How I Got Over», un groove monté sur une pompe manouche, une véritable merveille d’exotica romanichelle, et ça vire big funk out avec «My Momma & My Poppa», c’est même jazzé dans l’âme. Darando combine James Brown avec le free. Admirable démon ! Et il se barre une fois encore dans le groove de «What’s Going On» avec «Listen To My Song». Il termine avec «Jive», un fantastique groove bourbeux, il chante ça à la glotte fêlée, bien perché sur son chat malingre, il défie toutes les lois, surtout celles de la pesanteur, baby you’re true/ True to me !

    Signé : Cazengler, Darandose

    Darando. Listen To My Song. The Music City Sessions. BGP Records 2011

    Darando. Let My People Go. Luv N’ Haight 2006

     

     

    *

    Dès que nous avons eu connaissance des premières œuvres de Thumos nous avons compris que nous étions face à un grand groupe. Une tentative musicale qui soit en même temps une expérience de pensée philosophique. Un art synesthésiste  novateur, révolutionnaire, puisque la musique est censée traduire par les sons ce que l’on ne peut pas dire avec le philtre trop grossier des mots. La musique serait donc l’art de l’indicible. C’est à l’auditeur de comprendre, de déchiffrer, l’intention du musicien. D’ailleurs très vite la musique s’est alliée avec le chant pour mieux se faire entendre. Thumos adopte une démarche inverse : sa musique, sans parole ajoutée, se charge, non pas de mettre en musique mais de de traduire  une pensée. Non pas une pensée toute simple, toute quotidienne, mais une pensée qui soit fondatrice de notre rattachement intellectif au monde. 

    Avec ce nouvel opus, Thumos s’est lancée dans une étonnante gageure, puisqu’il s’agit d’une immersion explorative, au travers du personnage de Socrate dans tout un pan de la pensée de Platon.

    Sans plus attendre lançons nous, en commençant par regarder les pochettes,  extérieure et intérieures, des deux CDs :

    THE TRIAL OF SOCRATES

    THUMOS

    (Snow Wolf Records / 04 -07 -2025)

    S’il fut un peintre politique en France c’est bien David. La vie l’avantagea : né en en 1748 et mort en  1825 , il connut la monarchie de droit divin, la Révolution, le Directoire, l’Epopée Napoléonienne et le retour des Bourbons… David qui avait voté la mort de Louis XVI, qui soutint Marat et Robespierre, refusa de rallier la cause royale, s’exila en Belgique. Où il mourut. Il reste aujourd’hui encore un personnage controversé, la modernité artistique n’est point trop friande de l’école Néo-Classique dont il fut le maître incontesté, son radicalisme révolutionnaire n’est plus à la mode.

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    Son tableau La mort de Socrate date de 1787. Il est à noter que le poëte André Chénier - il initia par la nerveuse souplesse facturielle de ses vers la flambée poétique de la grande lyrique française  du dix-neuvième siècle – est par ses conseils à l’origine de la force du tableau. Socrate n’est pas en train de porter la coupe de cigüe à ses lèvres, il tend vers elle une main quasi distraite, alors qu’au bout de son bras levé un doigt impératif  souligne sa volonté persuasive… Face à l’imminence de sa mort le calme royal exemplaire de Socrate contraste avec l’attitude atterrée et désespérée de ses disciples en pleurs. 

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    Pour se persuader de la force du tableau, il suffit de comparer avec la reproduction intérieure de  Mort de Socrate (1802), due au pinceau d’un ancien élève de David, François-Wavier Fabre (1766 – 1837).  Son Socrate assis sur son lit, la barbe blanchie n’est plus le maître impérieux, il présente l’aspect pitoyable d’un malade qui s’apprête à avaler une détestable potion médicamenteuse…

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    La deuxième couve intérieure est une reproduction de La Mort de Socrate de Charles-Alphonse Dufresnoy (1611 – 1668). Très différente des deux précédentes. Socrate assis boit la cigüe avec la même indifférence que vous avalez une tasse de café le matin en vous levant. Certes cela est censé démontrer que Socrate ne craint pas la mort. Celle-ci n’étant qu’un passage vers le monde des Idées… voire la vie éternelle. Cette toile nous semble avant tout établir un parallélisme de Socrate avec le Christ. Le disciple endormi n’est pas sans évoquer  la nuit de la Passion. Buvez ceci est mon sang a dit le Christ. Je bois, ceci est mon immortalité semble nous enseigner Socrate

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    Nous prendrons pour base l’édition Platon. Oeuvres Complètes publiées en français par les Editions Flammarion (sous la direction de Luc Brisson, 2008).  Au cours des vicissitudes de l’Histoire quarante-cinq dialogues, dont seize sont réputés douteux et même plus qu’incertains, nous sont parvenus…

    Sur les vingt-neuf qui restent Thumos n’en utilise apparemment  que seize. Comment ce choix opéré se justifie-t-il. Nous ne pouvons offrir qu’une réponse aussi incertaine que les ombres de la Caverne. Cette sélection a-telle été entreprise en axant principalement la focale sur le personnage de Socrate (qui n’a laissé, rappelons-le aucun écrit) ou sur le déploiement de la pensée de Platon dont le pivot essentiel reste le personnage de Socrate. Platon a été son élève, mais il était absent au moment de sa mort.

      Qui sont les musiciens de Thumos :   Δ (delta) / Ζ (zeta) / Θ (theta) / Μ (mu). Pour la petite histoire : les pages des Cahiers de Paul Valéry qui sont consacrées aux’’ choses divines’’ ont été réunies sous l’appellation Theta, la lettre T étant la première du mots Theos (dieu).

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    The Parmenide : en français, Parménide (Sur les idées) : ce n’est pas le premier dialogue écrit par Platon, alors pourquoi débuter par celui-ci.  Les exégètes s’accordent sur le fait qu’en cet ouvrage Platon devient vraiment Platon, avant sa rédaction, notre philosophe n’est qu’un épigone de Socrate qui fait ses classes. Pour Platon il ne s’agit pas de sauver le soldat Parménide (né au sixième siècle et mort au milieu du cinquième) mais de le tuer. Sa pensée est incapacitante. Résumons-là en quelques mots : à la question qu’y a-t-il ? il répond :  l’Un. Pour ceux qui ne pigent pas il rajoute : rien d’autre. Circulez, il n’y a rien à voir. En fait vous ne pouvez même pas circuler car l’Un est Un et ne peut être soumis à aucune variation. Sans quoi il n’est plus le Un mais l’Autre. Platon trouve la parade : certes il y a le Un, ombreusement matériel, mais il y a aussi le concept du Un qui permet à votre intelligence de l’appréhender. Bref il existe le Un et le Un intelligible. Ne soyez pas bébête, ne dites pas que :  UN + Un = 2. L’on n’additionne pas des veaux et des cochons. Il y a l’Un et l’Autre. Le tout est de savoir : si l’Un est, l’Autre est-il ou n’est-il pas. Vous avez quarante minutes pour répondre, à la fin du cours je ramasse les copies. Le son est grave, pas du tout majestueux, des espèces de sonorité orientales, sans doute pour rappeler les origines égyptiennes de la pensée platonicienne, mais le morceau prend de l’ampleur nous avons assisté au miroitement ensorcelant du multiple, nous abordons l’obstacle principal le Tout cosmologique impénétrable et unifié, comment résoudre cette aporie de l’aporie parfaite qui nie le mouvement, la flèche de Zénon qui ne quitte pas son arc, même si vous avez l’impression qu’elle vole et atteint sa cible, la batterie se fait plus lourde, elle doit fracasser le bouclier inamovible, donner son essor à la fragmentation du monde tout en faisant être le non-être de cet éparpillement mutilatoire. Ce n’est pas le To  Be or Not To Bede du prince d’Elseneur mais le To(ut) Be et le Not To(ut) Be en même temps. Dernières notes en point de suspension, le temps que l’assassin se rende compte de la portée de son crime. The Protagoras : en français, (Sur les sophistes) : Protagoras (490-420) est un

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    sophiste redoutable. Son principe de base est difficilement contournable : L’homme est la mesure de toutes choses de celles qui sont et de celles qui ne sont pas. Au siècle précédent on disait bien : tout est relatif, en nos temps présents nous employons la formule : les choses n’ont que la valeur qu’on leur donne. Socrate bataille ferme, il sera obligé de se servir d’un argument avancé par Protagoras pour prouver qu’il a tort. En fait si l’on suit Protagoras, l’on ne peut pas prouver grand-chose. Tout dépend de ce que l’on pense d’une chose. Lors du précédent morceau l’oreille n’était pas insensible à cette angoisse sourde, celle qui vous assaille au moment où vous entreprenez une action difficile, elle a totalement disparu, une musique clinquante et souveraine, est-ce la force imbattable de la pensée protagorienne qui serait à l’honneur ou la victoire oratoire de Socrate, il a touché mais il n’a rien coulé, peu importe ce que vous dites, si vous dites la vérité vous n’énoncez que votre définition de la vérité qui n’est que votre propre jugement individuel qui ne vaut pas plus que celle de quiconque. The Gorgias : en français, Gorgias (Sur la Rhétorique) : Gorgias (480-380) est un grand

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    esprit, bien plus redoutable que Protagoras. Qui s’y frotte s’y pique. Platon s’en méfiait. Il se permet de démontrer que rien n’existe. Ne vous esclaffez pas bruyamment, lisez son traité du non-être. Protagoras propose un instrument de mesure : l’Homme. Gorgias n’en propose aucun, il refuse tout critère de vérité, ne serait-ce qu’une vérité relative. Personnellement je me réclame de Gorgias. Rhéteur, artisan et poëte, Gorgias est un personnage fascinant. Le ton change, Gorgias est un redoutable  beau parleur, la musique se charge d’angoisse et de profondeur, celle du néant, Socrate est aussi un beau parleur non moins redoutable, mais selon Gorgias il n’évoque que l’écume de choses inexistantes, la joute se  poursuit, elle tombe dans des évocations sonores de l’abîme du silence, ferraillements de stériles coups d’épées sans réel motif, Socrate reprend confiance, il sait maintenant qu’au rien de Gorgias c’est une certaine idée de l’unité cosmique du monde qu’il défend. D’ailleurs affirmer que tout est rien n’est-ce pas révéler une certaine unité cosmique…The Phaedrus : en français, Phèdre (Sur le

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    beau) : nous avons déjà rencontré Phèdre dans leur version du Symposium, (voir Kr’tnt 583 du 21 / 02 / 2023) en français Le Banquet, qui traitait de l’amour. Beaucoup de chercheurs proposent que Phèdre a été composé juste après  Le Banquet. Le personnage de Phèdre ne possède pas l’envergure de Parménide, ni de Protagoras, ni de Gorgias. Il a été suspecté d’avoir, en compagnie d’Alcibiade et de fils de riches familles,  démembré des statues d’Hermès et aussi de s’être livré à des parodies des Mystère d’Eleusis. Est-ce vraiment un hasard si ce dialogue ressemble à une partie de drague entre Socrate et Phèdre. Comme l’on dit dans le sud, faut avoir la tchatche pour parvenir à ses fins… Plus philosophiquement nous parlerons de la fonction érotique de la rhétorique. (Bien entendu ce Phèdre n’a rien à voir avec la Phèdre de Racine amoureuse de son beau-fils.) : discordances sonores - c’est comme dans les trilogies dramatiques souvent suivies d’une comédie - les trois premiers penseurs évoqués nous dispenseraient de tout effort intellectuel, grossièrement ils nous disent qu’il ne sert à rien de discuter des choses, de celles qui sont comme de celles qui ne sont pas, comment redonner sa valeur à un dialogue philosophique, en vantant les bienfaits de la conversation, du badinage si l’on se veut héréditaire de notre littérature du dix-huitième siècle, en laissant l’Eros, dieu redoutable s’il en est un, ses traits ne ressemblant-ils pas à la foudre de Zeus, mener la danse. Musique rieuse, parfois elle se perd en chuchotements que l’on devine intime, la batterie fait du pied durant un bon moment, la sagesse ne s’étendrait donc pas à l’intégrité de l’Individu pétri de désir et d’intellect… The Meno : en français, Menon (Sur la vertu) : : Menon est un élève de

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    Gorgias, de par ses responsabilités militaires et sa connaissance des chevaux, il est ce que l’on pourrait nommer un pragmatique. Ce qui ne l’empêche pas de se poser des questions et d’offrir des réponses, ainsi il affirme que l’excellence est l’art de commander les hommes, l’on voit (à peu près) très bien ce que c’est l’art de commander les hommes d’une façon excellente, mais qu’est-ce que l’excellence en tant que telle. Il ne s’agit pas ici de s’approcher au plus près des choses mais au plus près des mots. D’ailleurs comment peut-on connaître quelque chose si on ne connaît pas cette chose... Que cette chose soit un objet ou un concept. Socrate sort sa carte maîtresse : certes si je cherche c’est que je ne connais pas mais mon âme connaît. Elle est immortelle, elle a contemplé l’Hadès, disons l’abîme des choses de celles qui sont et de celles qui ne sont pas. La réminiscence est le chemin intellectuel qui nous permet de définir une chose parce que nous l’avons déjà vue et acquise, nous l’avons oubliée, mais il suffit de chercher. Scène célèbre d’un esclave qui ne connaît pas la géométrie mais sous le questionnement de Socrate il parvient à retrouver et à produire par déduction des règles logiques de géométrie… Nous avons ici un parfait exemple de la méthode socrato-platonicienne, il ne faut pas seulement connaître une chose mais savoir pourquoi et comment l’on parvient à connaître cette chose. Le chemin conceptuel d’une chose est supérieur à la  connaissance de la nature de la chose elle-même. Reprise de ces motifs un tantinet circonvolutifs que j’ai déjà nommés orientaux, ils ne durent pas, une avalanche sonore fond sur vous, déboule en votre tête toute la pensée humaine, encore faut-il savoir s’en servir et pour cela connaître et comprendre son fonctionnement,  dans Le Phèdre nous nous laissions enivrer par les sens et les sentiments, ici nous sommes initiés au jeu subtil de l’intelligence, un véritable broyeur de concepts illusoires, la formation intellectuelle est pratiquement militaire, il faut pulvériser l’adversaire, trouver la bonne tactique et ne jamais perdre l’écho de la marche de la Connaissance qui avance dans le labyrinthe des fausses pensées, ne jamais perdre sa trace…The theaetetus : en français, Thééthète

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    (Sur la science) : ce dialogue peut être entrevu comme un approfondissement du présent ; Théétète serait un mathématicien réputé dont on ne garde la trace que dans ce dialogue. Thééthète affirme que la Science en tant que telle correspond à la somme de toutes les sciences. Mais qu’est-ce que la Science en elle-même ? demande Socrate. En bon admirateur de Protagoras Théétète répond que la science correspond à nos sensations. La sensation nous renseigne sur les choses mais elle ne permet pas de répondre à la connaissance d’une chose. Par rapport à la sensation la connaissance est vérité. Théétète répond que la science est une opinion vraie. Oui mais comment sait-on que cette opinion est vraie. Il faut comprendre que ce qui est en jeu dans ce dialogue c’est la différence ontologique entre les sophistes qui enseignent des choses et cette nouvelle forme de sophistique que Platon nommera philosophie qui essaie non pas d’enseigner les choses mais comment l’on peut acquérir la connaissance de ces choses. La connaissance n’est pas un savoir pragmatique, elle s’appuie sur un discours vrai, entendre logique (en le sens de l’irréfutabilité des mathématiques), le logos est le discours vrai. Ce dialogue est particulièrement difficile. Il ne peut être compris que si l’on a en tête  l’ensemble du parcours de la connaissance platonicienne. Les sophistes répondront que pour comprendre Platon il faut connaître Platon, en posséder la connaissance, concèderont-ils en souriant… voire en riant aux éclats. Tsunami intellectuel, teneur roborative, nous sommes au plus profond et au plus haut du développement de la pensée humaine, sur ses pointes sommitales  et en ses fosses abyssales, au fondement de la science qui n’a rien à voir avec la définition que nous en donnons en la décrétant falsifiable, Platon évoque un savoir ne varietur, un discours vrai non pas parce qu’il dit la vérité mais parce qu’il est la vérité structurelle du monde en action. Il ne s’agit plus d’échanger des opinions de discutailler sans fin, la pensée est irréversible, en avoir pris conscience, la tonitruance de ce morceau – en certains passages il prend les apparences fascinantes et aveuglantes d’une peau de serpent qui serait la robe même du soleil – est au service de la brillance irréversible de la pensée platonicienne.  The Eutyphro : en

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    français, Eutyphron (Sur la piété) : Socrate qui vient d’apprendre qu’il est accusé d’avoir corrompu la jeunesse demande à Eutyphron - qui n’a pas hésité à porter plainte contre son propre père responsable par des circonstances indépendantes de sa volonté de la mort d’un esclave assassin - l’interroge sur la notion de piété. En quoi consiste-t-elle, à obéir aux lois des dieux promulguées par la Cité pour le culte qu’on leur doit, ou de la propre idée que l’individu peut se faire du respect que l’on doit aux Dieux. Attention, il ne s’agit pas ici d’une tentation athéique, l’idée est d’en faire plus que ce que n’exige la loi. Eutyphron un peu buté répond que la piété consiste à faire ce que les Dieux demandent, cuisiné pat Socrate il finit par répondre que la piété participe de ce qui est juste, Socrate aimerait savoir comment il définit ce qui est juste, Eutyphron qui n’aime pas couper les cheveux en quatre répond qu’il a à faire ailleurs… Le respect que l’on doit aux Dieux participe de la cohésion de la Cité, mais ce que peut faire l’individu en s’interrogeant et en interrogeant les autres sur une définition précise des mots, aide à maintenir  des relations entre les citoyens Retour aux réalités. Attention le discours vrai de Socrate ne porte-t-il pas en lui la négation des Dieux. N’est-ce pas une pensée capable de corrompre la jeunesse en lui donnant l’illusion d’être au-dessus des Dieux, des hommes, de la Cité. Nous sommes au cœur du procès de Socrate. Musique entrechoquante, vagues tempétueuses, sirènes alarmistes, Socrate tente de remettre de l’ordre, ne passe-t-il pas son temps à pousser les citoyens à bien  réfléchir afin que la Cité jouisse de la protection des Dieux. Mais  l’éclairante pensée socratique peut-elle percer l’obscurité des âmes vulgaires enténébrées  entichées de leur bonne foi… The Cratylus : en

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    français, Cratyle, (sur le langage) : un des dialogues les plus fascinants de Platon. En disciple de Protagoras, Hermogène assure que les noms des choses ne participent en rien de la nature, ils sont pures conventions, appellerez-vous votre chien Médor ou Arthur ? De même quelle différence y aurait-il si nos ancêtres avaient nommé chiens les chats et chats les chiens. Cratyle affirme que les noms ont un rapport avec la chose qu’ils nomment, mais que seuls les Dieux peuvent connaître ce rapport. Comme les choses et les hommes changent sans cesse, incapables de saisir la totalité du devenir depuis son origine ils ont perdu le lien qui unit chaque mot à la nature de la chose qu’il désigne. Socrate est d’un autre avis, n’importe qui a donné leurs noms aux choses, que ce soit les Dieux ou les hommes, ils ont avec intelligence attribué à la chose le nom que la chose appelait par sa nature. L’étymologie et la sonorité des lettres nous permettent de retrouver l’explication qui aide à comprendre pourquoi un mot se prononce ainsi et quel rapport il existe entre sa nature et sa signification. Pour mieux comprendre, lisez Les Mots Anglais de Stéphane Mallarmé. Socrate explique que les mots sont comme des images des mots, plus ou moins bien peintes. Ainsi dans nos critiques des images musicales que Thumos donne des choses dialogiques platoniciennes, nous pouvons nous demander si chaque image évoque au plus près la nature du dialogue qu’elle représente ! : Peut-être le plus beau morceau de l’opus chargé de mystère et de drame, prédominance de la basse et tutti orchestral comme brouillé, s’ouvrant sur des clairières heideggeriennes. Musique forte, tempo lent, il semble que le Cratyle pose un problème essentiel : toute parole qu’elle soit stupide ou intelligente, sensorielle ou intellectuelle est faite de mots : mais quels rapports les mots entretiennent-ils avec la nature de ce qui est, signifie-t-ils ou sont-ils sans effet comme des cataplasmes sur une jambe de bois. Socrate déblatère-t-il ou ses propos portent-ils en filigrane une espèce de message constitutif de l’ordre du monde. L’on commence à comprendre que l’ordre des dialogues choisi par Thumos repose sur une dramaturgie longuement méditée. The Sophist : en français, Le

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    Sophiste, (Sur l’Être) : Ce dialogue qui est la suite du Théétète est vraisemblablement le dialogue le plus pertinent et de ce fait le plus difficile de Platon. Dans le Cratyle Platon s’interroge sur le rapport existant entre une chose et le mot qui la désigne, ici l’interrogation porte sur le rapport qui existe entre la chose et l’idée de la chose. Platon en profite pour établir la différence entre le sophiste et le philosophe. Nous en revenons à Parménide qui nous dit que l’Être est Un et le Non-Être n’existe pas. Or le Sophiste qui parle de tout (ne pas confondre avec le Un) peut dire la vérité quand il parle de ce qui est, mais prononce des mensonges quand il parle du Non-Être qui n’existe pas. Toutefois une chose peut être en relation avec l’Être par rapport à une autre chose, mais ne pas Être en relation avec une autre chose. Toutes ces relations entre choses, Être et Non-Être sont régies par le logos. Le sophiste  peut parler de tout et de n’importe qui : il prononce des discours plus ou moins vrais plus ou moins faux. Le logos du philosophe lui permet de parler autant des choses qui ne changent pas (les Idées) que de celles qui sont soumis au changement du devenir. Le philosophe peut donc parler de l’Être et du non-Être, des choses qui sont éternelles et de celles qui ne sont pas puisqu’elles ne sont pas éternelles. En résumé le sophiste parle de la concrétude du monde et pour lui les Dieux ne sont que des formes transitives destinées à périr comme un vulgaire caillou, alors que le philosophe peut parler des choses transitives et des formes éternelles qui ne bougent pas. Vous comprenez pourquoi Platon a consacré un dialogue à la piété, qui parle de l’attitude que l’homme doit avoir envers les choses divines… Le logos est ce discours qui utilise les modalités de l’Un mais aussi les modalités de l’Autre. Un peu de repos dans ce monde de brute, une paisible clarté dans la confusion des incohérences sophistiques, la batterie enchaîne une charge frénétique, elle se doit de faire la différence avec la prétention des sophistes, amplification lyrique apparition sur l’écran du justicier sans peur ni reproche, le philosophe qui avec l’épée de son discours opère la coupure ontologique qui sépare le monde en deux, désormais vous avez l’intuition qu’il faut dédaigner les zone grises et rejoindre l’adret zénithal de la pensée.

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    The stateman : en français, Le Politique (Sur la Royauté) : Ce dialogue est la suite du Sophiste. Il est aussi beaucoup plus limpide ! Si tout le monde a son mot à dire dans le gouvernement de la Cité cela équivaut à donner le pouvoir de décision à une majorité de citoyens qui n’ont aucune connaissance politique. Platon n’était pas un démocrate convaincu…Il vaut mieux confier le pouvoir à une groupe restreint d’hommes instruits qui connaissent les techniques du politique. Notamment la rhétorique qui est l’art par excellence de capable de convaincre les citoyens et les empêche de céder à leurs emportements. Tout est question de mesure. Retour parmi les ombres, la pensée juste, bonne et belle, se doit de porter en elle une sérénité sans équivoque quant au royaume des hommes animal des plus turbulents, voici pourquoi cette musique gant de velours ne cache pas une  poigne de fer, les hommes sont incapables d’appréhender une pensé droite, livrés à leurs seules décisions il est à craindre que les plus funestes seraient prises, seule une élite clairvoyante est capable de faire régner l’ordre et la concorde parmi les citoyens… The philosopher : en français : ne

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    (Texte d'Olivier Battistini)

    cherchez pas ce dialogue, ni en langue grecque, ni en anglais, ni en français, ni en tout autre idiome. Ne vous lamentez pas non plus sur la disparition de ce texte. Il n’a vraisemblablement jamais été rédigé. Platon aurait eu le projet de former une trilogie augmentée qui aurait été formée par le Théétète, le Sophiste et le  Politique qui se serait conclu par le couronnement du Philosophe. Platon a-t-il été rattrapé par la mort avant de se lancer dans sa rédaction, ou a-t-il pensé que le lecteur était à même de définir les qualités nécessaires à acquérir le statut de philosophe. Peut-être même espérait-il en secret qu’un kr’tntreader aiguillonné par la lecture de cette livraison 698 de ces Chroniques de Pourpre se lançât dans cette aventure… Je dois avec l’honnêteté intellectuelle qui me caractérise reconnaître que cette troisième possibilité n’est guère partagée par la majorité des chercheurs qui travaillent depuis vingt-cinq siècles sur les œuvres de Platon. Une guitare comme échoïfiée. Thumos a déjà consacré tout un album à La République dans lequel Platon définit le philosophe comme celui qui est à mieux de présenter le philosophe comme le personnage destiné à diriger la Cité. Thumos vous offre une partition qui serait comme l’écho de votre rêverie sur les bienfaits de cette réalité… Même pas trois minutes, ce qui n’a pas eu lieu peut-il avoir droit de cité ? The apology : en français, Apologie de Socrate : ce dialogue donne à lire les discours

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    prononcés par Socrate lors de son procès et les conversations privées qu’il aura entretenues avec les juges qui ont voté sa mort et puis ceux qui ne l’ont pas votée. Socrate ne se renie pas, il reste lui-même rappelant même qu’il s’était senti obligé de questionner les gens puisque par l’entremise de la pythie de l’Oracle de Delphes Apollon avait décrété qu’il n’y avait pas d’homme plus intelligent que Socrate. Il ajoute qu’à force de prouver aux Athéniens qu’ils ne savaient rien il s’était fait beaucoup d’ennemis… le cœur du drame, une espèce de western intellectuel filmé par Thumos, du grandiose et de l’épique, le héros est impitoyable envers et les autres et surtout envers lui-même refusant d’être dupe de sa pensée expliquant que son destin est logique, qu’il correspond au discours vrai qu’il tenait à ses proches et à des inconnus, si vous élevez un serpent mortel dans votre tête il est dans l’ordre des choses que la première personne qu’il piquera un jour ou l’autre : ce soit vous ! Ironie de l’Histoire son venin est le seul antidote qui servira plus tard  guérir des erreurs humaines, parfois le morceau semble s’amenuiser comme s’il voulait nous avertir que l’étroit chemin suivi par Socrate était rempli d’embûches. The Phileus : en français, Philèbe (Sur les

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    plaisirs) : une vie de plaisir est une joy for ever pour parodier Keats. Le lecteur aura intuité que les jouissances physiques ne peuvent être le summum du bien pour un homme digne de son statut d’homme. Le plaisir suprême consiste à s’approcher du Bien par l’exercice de l’esprit… Le problème n’est pas de mourir mais de perdre la vie. Et tous les plaisirs qu’elle procure, jamais la musique de Thumos n’a été aussi tapageuse et effervescente même si dans la deuxième partie du morceau le tumulte s’alentit quelque peu, gagnant en contrepartie en brillance, malgré les saccades procurées par les orgies et les beuveries les plaisirs intellectuels procurent peut-être des joies plus fortes. Si c’est Platon qui le dit… The Crito : en français, Criton (Sur la justice) : Ami

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    d’enfance de Socrate Criton lui rend visite dans sa prison pour l’exhorter à s’évader. Les amis de Socrate sont prêts à fournir l’argent   afin d’acheter les complicités nécessaires à sa fuite. Socrate refuse, certes il a été condamné à mort injustement, mais ne pas obéir à une loi, même appliquée à tort, revient à saper le contrat moral qui relie tous les citoyens. S’enfuir serait une manière de nuire à la cohésion de la Cité. Une guitare confrontée à elle-même. Cheminement d’une pensée confrontée à son propre reniement. Abdiquer, se sauver ou mourir pour ses idées, dilemme métaphysique, l’orchestre est devenu plus lourd, il pèse sur votre âme, il accélère, ne vous laisse plus le temps de réfléchir tension maximale, instant crucial, le sens d’une vie… Socrate a pris sa décision, tout se calme, quelques jeux de cordes attardées, ni fanfare, ni mélodrame, comme si de rien n’était, pas la peine de s’attarder sur une chose aussi futile. The Phaedo : en français, Phédon (Sur l’âme) : Phédon qui a assisté aux derniers moments de

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    Socrate conte les circonstances éternelles pour reprendre une expression de Mallarmé par lesquelles Socrate a enseigné comment un philosophe doit savoir mourir. La mort n’est pas la mort, elle permet à l’âme de quitter la prison du corps et d’accomplir un périple qui lui permettra d’être jugée digne d’accéder à la contemplation des ides suprêmes du beau, du bon, et du juste. Socrate boit la cigüe sans trembler. Dix siècles plus tard ce texte largement inspiré par les doctrines égyptiennes et pythagoriciennes exercera une profonde influence sur le  christianisme… Instant décisif la coupe n’attend plus que Socrate, musique sombre toutefois empreinte d’une certaine sérénité. Sonorité pratiquement silencieuse, Socrate va parler, la batterie éclate et noie de soleil l’ambiance, Socrate dévoile les ultimes vérités, l’ultime révélation, ces mots ne sauraient être murmurés, ils éclosent comme graines de victoire, ils ouvrent des horizons nouveaux, maintenant si le son baisse c’est que les amis de Socrates sont perdus dans leurs pensées, pensent peut-être même davantage à eux-mêmes qu’à Platon, la prescience du chemin qu’ils parcourront un jour ou l’autre leur a été accordée, la musique reprend son envol, elle monte haut, comme l’âme délivrée de ses attaches terrestres, elle se transforme en un long cri d’exaltation infinie, un chant de triomphe,  le disque semble s’enrayer, la coupe tombe des mains de Socrate qui calmement entre en agonie…maintenant il est temps d’aller sacrifier un coq au dieu Esculape pour le remercier d’avoir guéri Socrate de la maladie de la vie. The Menescenus : en français, Ménexène (Sur l’oraison

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    funèbre) : quoi de plus naturel que de prononcer une oraison funèbre après la mort de Socrate. Il n’en est rien Platon s’en prend avant tout à Gorgias. Platon ne s’attaque pas directement à l’enseignement de Gorgias selon lequel rien n’existe, donc même pas un argument capable de réfuter la thèse du sophiste… Platon préfère se moquer du beau parleur qu’était Gorgias, son style n’est-il pas une rhétorique aussi artificielle et convenue que les discours officiels que l’on débite à la gloire des hommes qui sont morts pour leur patrie. Il est vrai que les cimetières sont remplis de gens irremplaçables ! Musique grave. Platon ne parle plus directement de Socrate. Il s’en prend à son ennemi, Gorgias, le négateur par excellence pour qui les enseignements de Socrate ne sont  que fariboles… Thumos offre un dernier catafalque à Socrate et à Platon son disciple… Tissus noirs et ombragés… Générique de fin. Digne du drame.

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             Un opus qui demande écoute et réflexion. Les premieres chroniques sur   ce chef-d’œuvre insistent sur l’agréabilité de la chose. Sans doute leurs auteurs veulent-ils signifier qu’elle n’est ni abstruse ni complexe. Sans doute veulent-ils dire qu’elle ressemble en tous points à l’écriture de Platon. Une prose exceptionnelle, d’une extraordinaire fluidité, elle vous emporte, vous ne pouvez plus vous en détacher, vous voulez savoir, vous désirez comprendre, à tout instant vous êtes sûr que le ‘’paragraphe’’ suivant vous apportera une meilleure compréhension, les dialogues se dévorent comme des romans policiers, à chaque page l’obscurité de l’énigme racontée s’assombrit d’une noirceur étincelante, néanmoins elle vous mène par le bout du nez, elle vous induit à poursuivre, vous êtes au plus près de l’intellection, vous en ressortez ébloui et quelque peu insatisfait. Le prochain dialogue vous apportera la solution… Vous êtes un fan, vous y revenez, tant de beauté et de subtilité vous séduisent, vous remplissent… Les merveilles de Platon. Trop de soleil aveugle. La rutilance stylistique de Platon vous donne l’illusion d’être intelligent. Platon est un grand philosophe, peut-être est-il encore un plus grand écrivain.

             Ne nous méprenons pas. Thumos ne surfe pas sur la magie musicale. Qui entraîne et emporte. Qui se substitue à l’effort de la pensée. L’œuvre de Platon est ardue. Celle de Thumos n’est pas à prendre à la légère. Certes elle s’inscrit encore dans une nomenclature descriptive des ombres de la caverne, mais leurs pourtours sont si clairement reproduits qu’ils permettent d’entrevoir conceptuellement l’idée des formes intangibles. Cette évocation sonologique exige lenteur et méditation. Ce Trial of Socrates demande écoute prolongée, les ramages soyeux de ses sonorités dévoilent un labyrinthe qui engage à une longue audition explorative, vous avez l’impression que la musique pense pour vous. Evidemment ce n’est qu’un leurre. Une apparence. Une invitation que Thumos vous lance : un jour ou l’autre, il convient de se mesurer au minotaure de la pensée…

             Une expérience de pensée musicienne jamais tentée…

             Un projet auditif d’une ampleur démesurée.

    Damie Chad.